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Pons QU'oN remonte du Kaire dans la haute Égypte, les premiers monumens considérables et bien conservés que l'on rencontre sur sa route , sont ceux de Denderah. Il n'est presque point de voyageurs qui, s'étant avancés vers les régions supérieures de l'Égypte , n'aient visité ces édifices, et n'aient transmis dans leurs écrits les diverses impressions qu'ils ont éprouvées à leur aspect. Nous connoïssions tout ce que ces voyageurs avoient publié; et leurs descriptions, tout incomplètes qu'elles sont , avoïent vivement excité le desir que nous avions déjà de voir de nos propres yeux les antiquités si vantées de lancienne Tentyris. Comme nous avions entrepris de parcourir le pays dans le temps des basses eaux du Nil, età une époque où le général Desaïx en avoit à peine achevé la conquête, nous ne pümes, la plupart du temps, voyager que par terre, et nous fümes obligés d'abandonner à Syout la barque qui nous y avoit amenés du vieux Kaïre. Nous profitâmes avec empressement du départ des premiers détachemens de troupes Françaises qui se rendirent dans la Thébaïde, et nous sortimes de Syout le 29 foréal de lan 7. Nous passimes successivement à Aboutyg et à Deyr. Notre seconde journée se termina à Tahtah, bourg assez considérable, situé à une demi -lieue des bords du Nil, et qui renferme un bazar garni d’un assez grand nombre de boutiques. Le troisième jour, nous arrivâmes à Souây, presque en face d'Akhmym : nous traver- sâmes ensuite les ruines de Ptolemaïs à el-Menchyet el-Neydeh, où nous trouvämes, sur le bord du fleuve, les restes d’un quaï antique avec un escalier, et dans les buttes de décombres qui annoncent l’ancienne ville, des débris nombreux de colonnes en granit. Pendant ce trajet, nous faillimes être enveloppés dans une trombe qui se forma à une distance assez peu considérable de nous. Vers la fin de la quatrième journée de marche, nous vinmes coucher à Girgeh, ville considérable, 45 D. À 2 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS située tout-à-fait sur le fleuve. Nous y séjournâmes le lendemain. De Girgeh, nous nous rendîmes à Farchyout, qui ne se fait point remarquer par des débris d’anti- quités, maïs qui est importante par ses fabriques de sucre. Cette ville fut la rési- dence du cheykh Hammäm, fameux dans la contrée par ses démêlés avec les beys du Kaire, et long-temps possesseur tranquille de tout le pays compris entre Syout et les cataractes. Le septième jour, nous passâmes près de Hoû, village où lon s'accorde à placer les ruines de Déospolis parva , et nous traversâmes le Nil pour aller coucher à Qasr el-Sayäd, qui se trouve presque en face sur la rive opposée. Nous avons reconnu dans cet emplacement des débris antiques et les restes d’un quai : à cet endroit, le Nil coule du côté de l'Arabie sur un fond de rocher. C'est là que d’Anville place les ruines de Chenoboscion. Enfin, le huitième jour après notre départ de Syout, ayant parcouru pendant sept journées une distance moyenne de huit lieues, nous arrivâmes à Qené : cette ville est renommée par la grande quantité de vases propres à rafraîchir l'eau, que l'on y fabrique, et qui sont remarquables par l'élégance et la variété de leurs formes. En les considérant avec attention, on est porté à croire que les dessins en ont été pris sur les monumens de l'ancienne Égypte. Qené étoit le chef-lieu du gouvernement supérieur du. Sa’yd. Le général Belliard, à qui le commandement en étoit confié, sy trouvoit alors, tout occupé des préparatifs de son expédition contre Qoceyr. Nous fûmes très-bien accueillis par cet ami des arts, dont le nom sera toujours prononcé avec recon- noissance par les membres de la Commission d'Égypte, et nous en obtinmes toutes les facilités possibles pour nous livrer à l'étude des antiquités du pays. Quelques jours après notre arrivée à Qené , nous eûmes une escorte pour nous rendre à Denderah, et nous pümes enfin espérer de contempler pour la première fois avec sécurité des monumens que nous étions venus chercher si loin, en faisant à travers le pays, à l'approche du solstice d'été, de longues et de pénibles marches. Nous traversâmes le Nil au - dessous de Qené, précisément en face des ruines. Le village de Denderah est sur la droite, à un quart de lieue environ des bords du fleuve : il n'offre rien de remarquable que la grande quantité de dattiers dont il est environné, et parmi lesquels se trouve le doum. On ne commence à voir fréquemment cette dernière espèce de palmier qu'à la hauteur de Girgeh, en remontant vers les cataractes. Ces plantations donnent à Denderah un aspect assez agréable ; c'est, au reste, un village très-peu considé- rable, et formé seulement de misérables cahutes construites en terre. Il est impos- sible de ne point reconnoître dans sa dénomination l’ancien nom de Tentyra ou Tentyris, dont les magnifiques restes subsistent à trois mille mètres de là, vers l'ouest. Cette seule analogie de nom sufhroit pour indiquer l'emplacement de la ville Égyptienne, quand d’ailleurs toutes les incertitudes ne seroïent pas entière- ment levées par l'existence des monumens que nous allons décrire. Nous nous bornerons seulement à dire que toutes les indications données par Strabon, Pline et d’autres anciens auteurs, concourent à placer Zentyris près du village moderne de Denderah. Les cinquante milles Romains assignés par l’Itinéraire entre Zentyra et Hermontlis, dont la position au-dessus de Thèbes est bien connue, s'accordent DE DENDERAH. CARE. 3 parfitement avec la distance de trente-sept mille deux cents toïses, mesurée sur la gnnde carie d'Egypte entre Denderah et Erment. La position de Tentyris étant biendéterminée, on peut s'en servir pour fixer celle de Drospolis parva, dont nous avor indiqué l'emplacement à Hoù. Or les vingt-sept milles Romains assignés par Itinéraire entre ces deux villes coïncident avec la distance mesurée sur la cartentre Denderah et Hoû. Les observations de M. Nouet placent le temple de Dencerah sous le 30° 20’ 42" de longitude et sous le 26° 8° 36" de latitude. Ptoläée assigne à Tentyra une latitude de 26° 10’, peu différente de celle-là. Nouse parlerons point de la longitude que cet auteur lui donne: on sait quelles erreu existent dans les élémens de ces mesures employées par cet ancien géogphe. Atemps d'Adrien, Zentyris conservoit encore quelque importance, et les numhates possèdent des médailles frappées à l'efligie de cet empereur au nom de c& ancienne ville. | L décombres de Zeztyris occupent un espace de dix-sept cents mètres dans leur us grande longueur , et de huit cents mètres dans leur plus grande largeur : leurntour peut être évalué à quatre mille mètres environ (1). Ils offrent à l'est, du & du terrain cultivable, la forme d'une espèce de fer-à-cheval. Au sud, ils conbnt au désert , et touchent à des monticules de sable qui limitent en quelque sorte pied de la chaîne Libyque, et où l’on trouve beaucoup de cailloux roulés en jaspe en porphyre variés. Au nord, ces décombres forment une espèce de cap avandans les terres cultivées : c'est par là que nous sommes arrivés la première fois.1 remarque d’abord des monticules fort élevés, que l’on exploite aujour- d'huour la culture des terres qui produisent le dourah, et où l'on trouve des médes, des vases, des amulettes et des lampes antiques. Les gens du pays qui se liit à ce travail, passent les terres au tamis , et retirent ainsi jusqu'aux plus petivjets précieux que l’on puisse rencontrer. À l'époque de notre séjour à Denah, on trouva une soïxantaïne de grands vases en terre brune de diverses form dont quelques-uns, terminés en pointe très-alongée, et garnis de deux ansesésentoient une forme élégante. On nous apporta aussi une assez grande quan de lampes antiques et de monnoies Romaines du temps de Constantin. T près de ces fouilles est un temple qui a plutôt l'air de n'avoir point été aé que de tomber en ruine : il est maïntenant à jour, et paroît n'avoir jamaé couvert. Dans l'axe de ce monument, et à environ cent pas de distance, une e de l'effet le plus imposant se présente à l'admiration des voyageurs : elle :nfouie en partie sous les décombres, et construite avec des matériaux d'unade dimension. Au travers de cette porte, on découvre le grand temple, qui & le fond du plus magnifique tableau (2). Il seroit difficile d'exprimer tout ue fait éprouver de sensations diverses l'aspect de ces figures colossales d'Isis portent l'entablement du portique. I semble que lon ait été tout-à- coupisporté dans un lieu de féerie et d’enchantement : on est tout-à-la- fois d’étonnement et d’admiration. Ce que l’on aperçoit n'a aucun rapport (1) nille cinquante-deux toises. D. (2) Voyez la planche 4, À, vol. IV, À À. DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS avec les monumens de l'architecture des Grecs, ni avec ceux que le goù| des arts de l'Europe a enfantés; et cependant, en considérant un spéctacle si jou- veau , l'on éprouve d’abord un sentiment de satisfaction, et l’on contemple Fe avidité un édifice qui se présente sous les dehors de la magnificence labplus imposante. La seule vue des monumens de Denderah suffroit pour dédom des peines et des fatigues du plus pénible voyage, quand bien même on na Rroit pas l'espoir de visiter tout ce que renferme de curieux le reste de la Thé Elle a excité l'admiration de l’armée qui a conquis le Sa’yd; et c’étoit nn: vraiment remarquable, de voir chaque soldat se détourner spontanémentle sa route pour accourir à Zentyris et en contempler les magnifiques édifice! Ces braves guerriers en parloïent encore long-temps après avec enthousime, et, quelque part que la fortune les ait conduits, ils ne les ont jamais odiés : car les impressions que laissent dans l'ame du voyageur les monumens deden- derah, ne sont pas seulement passagères et momentanées; nous avons acds Ja conviction que les idées de none, et de magnificence qu'elles avoielfait naître en nous, étoient de nature à résister à toutes les épreuves. En effet près avoir parcouru les antiquités de la Thébaïde, après avoir admiré tout ce la première capitale de l Égypte renferme de merveilles, nous avons revu les toles de Denderah avec un nouveau plaisir : non-seulement la haute opinion sde en avions conçue d'abord, s'est confirmée , maïs nous sommes restés convlcus qu'ils sont les plus parfaits sous le rapport de l'exécution, et qu'ils ont étélns- truits à l'époque la plus florissante des sciences et des arts de l'Égypte. Le grand temple de Denderah est encombré à l’est presque jusqu’à la Heur des frises. Des monticules de débris, où l’on aperçoit encore des pans de milles de briques tombant en ruine, semblent menacer de l'envahir tout entierlais ce qui présente sur-tout un effet très-pittoresque et un contraste bien frapp: cé sont ces restes de maisons modernes qui sont comme suspendus en l'air | les terrasses du temple. Un village Arabe, composé de misérables cahutes cire, domine le monument le plus magnifique de l'architecture Égyptienne, etible placé à pour attester le triomphe de l'ignorance et de la barbarie sur lesèles de lumières qui ont élevé en Égypte les arts au plus haut degré de splend À l’ouest, le grand temple est moins encombré: mais, à quelque distance de lie, le terraïn est tourmenté en mille manières, et les débris des anciennes 1bns de Tentyris se trouvent mêlés et confondus avec les débris plus récens de res Arabes actuellement inhabitées ; les décombres sont même tellement acalés dans l'emplacement de l’ancienne ville, qu'ils menacent d'envahir enti@ænt et de faire disparoître pour toujours le petit temple ou Typhomum, situé àest et à peu de distance de la porte triomphale dont nous avons parlé. Derrière le grand temple, un petit édifice dont les murs ont été détien partie , semble se perdre au milieu des pans de murailles en briques crqui attestent l'existence de la ville Arabe. À cent cinquante mètres environ vest, et en face de ce monument, est une porte à peu près semblable à celle did, mais tellement enveloppée sous les décombres, qu'il ny a de visible quebrs | | DE DENDERAH. CHAP. X. $ tout au plus de sa hauteur totale ; l’une et l'autre porte se trouvent comprises dans une grande enceinte qui entoure tous les édifices sacrés de l’ancienne Temtyris, à l'exception toutefois dé ceux situés à l'est. Cette enceinte est à peu près carrée, puisqu'elle a deux cent quatre-vingt-quatorze mètres dans un sens, et deux cent quatre-vingt-deux mètres dans l’autre; son épaisseur est de cinq à six mètres : elle est construite en grosses briques séchées au soleil. Le parement de ses murs ne s'aperçoit plus maintenant que par intervalles, tant il est recouvert par les débris provenant de la destruction des habitations anciennes et modernes : les briques ont 0",39 de long, o",20 de large, et 0,12 d'épaisseur. L’enceinte est ouverte en trois endroits; savoir, dans l'emplacement des portes du nord et de l’est, et vis-a-vis la partie postérieure du grand temple : cette dernière ouverture est fort étroite, et pourroit bien avoir été pratiquée après coup. En passant sous la porte de l'est, et en marchant à peu près parallèlement x À . . . ; ‘à la chaîne Libyque, on arrive, à travers des monticules de décombres et des débris antiques, à une petite enceinte qui, sans doute, a renfermé quelque édifice public: maïs c’est en vain qu'on en recherche les traces; le seul monument qui soit debout est un propylée enchässé, pour ainsi dire, dans le mur d’enceinte. Il est semblable à ceux du nord et de l'est, et non moins remarquable qu'eux par la richesse des sculptures dont il est orné. Nous aurions voulu pousser une reéconnoissance jusque dans la montagne Libyque, pour y chercher les tombeaux des Tentyrites. Il est probable, en effet, que là, comme dans toute autre partie de cette chaîne voisine des lieux an- ciennement habités, on trouveroiït des hypogées. Quelques indications données par les habitans du pays ne nous ont même laissé à cet égard que peu d'incertitude; mais l'impossibilité absolue de traverser une contrée découverte et fréquentée par les Arabes, qui y rôdoïient en grand nombre à l'époque de notre voyage, a seule arrêté notre zèle. Le plaisir que l'on éprouve à contempler lès magnifiques antiquités de Ten- tyris est tel, que, lorsqu'on les a quittées, on sent un besoin plus vif de les revoir et de les étudier encore. Combien de fois ne nous est-il pas arrivé, pour satisfaire nos impatiens desirs, de quitter furtivement (1) le lieu de notre résidence (1) Les premiers voyages que nous avions faits à Tentyris, loin de satisfaire notre curiosité, n’avoient fait au contraire que l'irriter davantage. Comme il y auroit eu plus que de lindiscrétion à demander des escortes autant de fois que nous éprouvions le desir et le besoin de visiter les ruines, nous primes le parti de faire nos excursions seuls et à l'insu du commandant de Qené. Le général Belliard , qui savoit tout ce que lon pou- voit courir de danger de la part des Bédouins, ou des felläh mal-intentionnés, nous avoit expressément dé- fendu de nous rendre à Denderah sans escorte. Nous ne pouvons nous refuser au plaisir de citer ici un extrait du journal de voyage de notre ami M. du Bois-Aymé, sur le voyage qu’il a fait à Denderah, dès les premiers jours de notre arrivée à Qené: « Le 10 prairial, à la pointe du jour, je suis parti » seul de Qené pour aller visiter les ruines de Denderah. » Je ne fis part à personne de mon projet, dans la crainte » que lon ne s'y opposât. Une petite barque montée de » deux Égyptiens m’attendoit au-dessous de la ville, et » [a hauteur des rives du fleuve me permit de m’embar- » quer sans être aperçu. Le village de Denderah, où » je descendis , est à une lieue au-dessous de Qené, et » sur l’autre rive. À peine eus-je mis pied à terre, que »je fus entouré des habitans. Je leur dis que je venois » voir leur cheykh. Ils me pressoient avec une curiosité » souvent importune, mais presque toujours accompa- » gnée de quelques marques de bienveillance; je cares- 5» sois les petits enfans, auxquels je donnaï quelques pa- » rats, et j’entendois leur mère faire l'éloge de l'étranger; » je répondois à tout le monde avec Pair de la plus »entière confiance, sans cesser pour cela de me tenir 6 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS pour aller recueillir les nombreux dessins que nous publions aujourd’hui ! Seuls et sans escorte, au risque d'être assassinés par les Arabes qui fréquentent la contrée, nous partions de Qené tous les jours à la même heure, et nous arrivions sur le bord du Nil en face des ruines. Là, nous trouvions un batelier qui nous faisoit passer le fleuve, et qui, toujours exact et fidèle, nous attendoit jusqu'au soir. Chaque jour il pouvoit être pour nous le nocher fatal : mais nous n'avons jamais eu quà nous louer de sa fidélité et de son empressement à nous servir; nous avons même eu la preuve du vif intérêt qu'il prenoït à notre con- servation. Dans l’une de nos excursions, nous nous étions laissé emporter par notre zèle, et nous avions tardé plus que de coutume à revenir au port. Déjà le jour baissoit rapidement, et la nuit presque close ne laïssoit plus la faculté de distinguer les objets dans le lointain. Notre fidèle batelier, ne nous voyant point revenir, avoit conçu les plus vives alarmes sur notre sort : il croyoit sans doute que nous étions tombés sous les coups des Arabes. Monté sur les points les plus élevés des berges du fleuve, il avoit promené dans la campagne sa vue inquiète aussi long-temps que le jour le lui avoit permis. De temps à autre ül avoit risqué, pour nous avertir, quelques éclats de voix qu'étouffoit la crainte d'être entendu des Arabes. Mais c’étoit en vain; aucun indice n'avoit pu le rassurer et calmer ses vives inquiétudes. Nous arrivâmes enfin, et nous le trou- vâmes tout en larmes, la face contre terre et priant avec ferveur. Il seroit diffi- cile de peindre la joie que ce brave homme eut de nous revoir. Nous le payions toujours très-bien : maïs cette fois nous triplâmes son salaire; et quoiqu'il aimât l'argent, comme tous les Égyptiens, cette générosité nous parut lui faire éprouver moins de contentement que notre retour inespéré. Nous allons, dans les paragraphes suivans, examiner en détail chacun des édifices de Denderah, et justifier par nos récits la haute opinion que nous en avons conçue. »sieurs lieux célèbres, me disois-je, on ne voit que » des décombres; cela ne valoïit pas la peine de quitter » Qené. Plein de cette idée, j’avançois lentement, lors- » sur mes gardes. J’étois bien armé, et décidé, en cas » d'agression, à vendre chèrement ma vie. J’arrivai, avec » mon nombreux cortége, à [a maison du cheykh. Cet » homme jouissoit d’un certain crédit dans [a province. » I avoit le titre d’émyr, c’est-à-dire, de prince. Je lui » dis qui j’étois, et le but de mon voyage. Il me reçut » très-bien, et me promit de me donner des guides pour »me conduire sur les ruines du temple. Il fit étendre » une natte dans la rue devant sa maison, m’y fit asseoir _»avec lui, et m’engagea à manger des dattes et des »pastèques qu'il avoit fait apporter. Nous primes le » café ensemble. Lorsque les habitans nous serroïent de »trop près, et que les bâtonniers de l’émyr vouloient les » éloigner, je priois qu’on les laissät s'approcher libre- » mens : cela me mit trés-bien avec toute la population. » J’achetai quelques idoles Égyptiennes que des femmes »portoient à leur cou. » Je partis du village, accompagné de deux gaouds » ou bätonniers du cheykh. Arrivé à trois quarts de lieue » de là, au pied des buttes des décombres qui entourent » Je temple, je commençai à faire des réflexions sur » les exagérations des voyageurs. Ici, comme dans plu- » qu'au moment d'atteindre le haut d’une colline, je »lève les yeux et j’aperçois rangées près de moi six »têtes de femme d’une grandeur colossale. Mon ima- » gination frappée ne me permit pas de voir autre chose, » et je restai un instant immobile d’étonnement. Je savois » cependant que je trouverois un temple en ce lieu : » mais c’est là seulement ce que ma mémoire pouvoit » me rappeler; je ne n’attendois nullement aux dimen- » sions et aux formes qui frappoient mes regards. Revenu » dela,première surprise, j’aperçus, en m’avançant da- » vantage, la majestueuse façade du temple et les orne- » mens sans nombre qui la décorent. Je ne saïs comment » rendre ce que j'éprouvai. Je disois tout haut, Que c'est » beau ! je le répétois à mes gaouës, comme s'ils eussent »pu m’entendre. Je parcourus toutes les salles avec la » joie que fait naître l’admiration. J’étois bien loin de » regretter mon voyage, et je songeois au plaisir que » j’allois faire à mes camarades en leur parlant de tout » ce que je voyois. » DE DENDERAH. CFLAPA 35 7 $. IL De l'Édifice du Nord. LE premier monument que l'on rencontre en arrivant sur les ruines de 72»- tyris, du côté du nord, est un petit édifice de forme rectangulaire, dont l'axe se trouve à peu près dans la direction nord et sud. II a seize mètres de longueur et onze mètres et demi de largeur. Il est construit sur le même plan que le temple de l'est à Philæ, et que l'enceinte qui précède le temple d'Æermonthis. Il est composé de quatorze colonnes, dont six subsistent dans leur entier: les autres n'existent que jusquà la hauteur des murs d’entre-colonnement. Cette construc- tion n'a point été achevée, et elle paroît être une des dernières qui aïent été élevées dans l'intérieur de la ville. Le fût des colonnes est lisse et sans aucune espèce d'ornement. Les chapiteaux!, qui ont la forme d’une campane dont la courbure est interrompue par des filets saïllans, ne sont en quelque sorte que dégrossis (1) et préparés pour recevoir les sculptures dont ils devoient être ornés : ils ne sont surmontés ni de ces dés ni de cet entablement toujours cou- ronnés d’une élégante corniche. Les murs d’entre-colonnement eux-mêmes ne sont composés que de masses de pierres qui n’ont encore reçu aucun des orne- mens que nous avons observés par-tout ailleurs. Deux portes, l’une au nord et l'autre au sud, donnoient entrée dans l'édifice. Les deux colonnes contre lesquelles celle du nord est appuyée, sont entières : mais il ne reste qu'une seule des deux colonnes qui ornoïent la porte du sud; l’autre est abattue, et ses débris sont épars sur les décombres. Cet édifice devoit-il être couvert! On peut assurer au moins qu'on ne voit actuellement sur les lieux les restes d'aucune des pierres du plafond. Dans cette supposition, d’ailleurs, ïl y auroit eu probablement deux rangées de colonnes intérieures pour diminuer la portée de ces pierres, dont la longueur n'auroit pas dû être de moins de onze mètres, et l’on ne trouve aucune trace de ces colonnes. Tout porte à penser qu'il ne faut voir ici, comme à 2/:/e et à Æermonthis, qu'un hypèthre destiné à précéder un de ces petits temples Égyptiens, où l'image de Typhon se trouve fréquemment répétée. Les murs d'entre - colonnement ne s'élèvent, dans leur état actuel, que jusqu'à un mètre au-dessus du sol, et il est à présumer qu'ils n'avoient pas moins de 3",80 de hauteur. La planche 31 (2) offre Ia restauration de ce monument d’après l’analogie donnée par les autres édifices semblables que nous avons vus en Égypte. 1) Les galeries qui forment l'avenue du grand temple de Pile, offrent des chapiteaux pareils, Voyez planche 6, 2 et >, À. vol, I. 2) Voyez fig. 10 et 11, À, vol. 1V. Sig; ( 8 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS $. IIL De la Porte du Nord. EN avançant d'environ cent mètres dans la direction nord et sud , on se trouve sous la porte du nord. Tout l'intervalle que l'on a parcouru, est parsemé de débris de granit qui paroïssent avoir appartenu à des statues. Nous y avons remarqué aussi des morceaux de brèche et de porphyre variés, et, entre autres fragmens travaillés, les pieds d’une statue en porphyre noiïrâtre. C’est dans cet endroit que les gens du pays font, ainsi que nous l'avons déjà dit, des fouilles d'où ils tirent des médailles, des pierres gravées, des vases et d’autres antiquités. La porte du nord est remarquable par la beauté de ses proportions et la richesse des sculptures dont elle est ornée. On ne peut rien voir de plus gracieux que sa corniche. Dans aucune autre porte, sans en excepter même celles de Karnak, ce membre d'architecture n’a une aussi grande proportion, ni un plus beau galbe. La face nord a éprouvé de grandes dégradations, et elle est privée de la plus grande partie de son couronnement : mais la face sud est parfaitement con- servée, et la restauration n’a rien ajouté à l'image qu'en offre la planche 6, À. vol. IV; il n’a fallu que dégager cette porte des décombres sous lesquels elle étoit en partie enfouie, pour la rendre à son premier état. Au travers de ce superbe édifice, on aperçoit le grand temple, qui offre la plus riche et la plus magnifique perspective. | On pourroit croire, au premier abord, que la porte du nord devoit être accompagnée de masses pyramidales avec lesquelles elle auroît formé un pylône. Cependant un examen attentif, et les fouilles que nous avons fait exécuter, nous ont convaincus que l'enceinte en briques venoit s'appuyer sur les flancs de cet édifice, bien que leurs parois, mal dressées, ne paroïssent point avoir été ter- minées. Les portes comprises dans les grandes enceintes de Thèbes offrent des circonstances analogues et confirment notre opinion (1). La porte du nord, ainsi que tous les autres édifices dont nous avons encore à parler, est construite en grès d’un grain très-fin, assez compacte pour se prêter aux plus petits détails de la sculpture, et d'une couleur jaunâtre, qui, modifiée par le vif éclat du soleil, donne aux monumens un ton chaud et brillant, dont il est difficile de se faire une idée exacte, si on ne l’a point soi-même observé. Elle est décorée de sculptures d’un luxe et d’une perfection de travail qu'on ne remarque nulle part ailleurs , si ce n’est dans les autres édifices de Denderah. Le système de décoration de ses deux faces intérieures n’est point le même: la face de l'enfoncement exposé: à l’est est ornée de croix à anse et de sceptres à tête de lévrier; celle de l'enfonce- ment exposée à l'ouest est décorée de bas-reliefs représentant des offrandes princi- palement à Isis, et à Osiris à tête d’épervier. A la partie supérieure est une frise composé de quinze masques d’Isis. Les parois des deux corps avancés, dans lune et J'autre face, présentent des sculptures où Isis à tête humaine et à tête de lion, ainsi (1) Voyez notre Description générale de Thèbes, 4, D. chap. IX, qu'Osiris L] DEMENDERAH. CHAP,% 9 -qu'Osiris à tête d’épervier, reçoivent des offrandes. Tous ces bas-reliefs sont sépa- rés par des lignes d'étoiles et des hiéroglyphes. Ils sont composés d’un nombre de figures proportionné à l'étendue que laissent entre elles les arêtes saillantes de la construction. Les personnages sculptés sur l’'enfoncement n’ont que des costumes simples et sans ornement; les parties saillantes offrent, au contraire, des costumes et des coiffures d’une grande richesse. Maïs c'est sur-tout en considérant la face sud de la porte, que l'on peut prendre une haute idée du luxe que les Égyptiens mettoient dans l’'embellissement de ces sortes d’édifices. La corniche, dont la cour- bure est de la plus élégante proportion, est décorée, comme par-tout ailleurs, d’un globe aiïlé qui se détache sur un fond de cannelures. L’architrave est ornée de deux bas-reliefs, composés chacun de six figures symétriquement placées par rapport à un masque d'Isis qui en occupe le milieu. Les dieux auxquels on fait des offrandes, sont tous assis sur des trônes richement décorés, où les fleurs du lotus, dans divers états, sont agencées avec goût. L'estrade sur laquelle ïls sont élevés, est ornée d’une frise composée d'oiseaux dont les ailes sont déployées, de fleurs de lotus couron- nant des vases, de petites figures accroupies, d'arcs détendus et de prisonniers enchaînés. Les divinités ont, les unes, des têtes humaïnes, et les autres, des masques d’épervier et de serpent. Rien n’égale la richesse de leur costume et de leurs coiffures. Les prêtres ou faiseurs d’offrandes ne se font pas moins remarquer par la variété de leurs vêtemens. L'effet de ces sculptures est encore augmenté par les inscriptions hiéroglyphiques dont chaque personnage est accompagné. Les mon- tans de la porte renferment cinq bas-reliefs séparés par des lignes d'étoiles et d'hiéroglyphes, et composés chacun de trois figures. Ces sculptures, qui sont enri- chies d'inscriptions hiéroglyphiques, représentent des offrandes à Isis et à Osiris. . La composition de ces différentes scènes est la même sur lun et l'autre montant de la porte : il n'y a de diversité que dans la nature des offrandes, ainsi que dans les coiffures et le costume des personnages. De petites figures d'Horus, élevées sur des estrades, font partie de ces bas-reliefs, qui ne sont pas tous dans l'état de conser- vation où les représente la plenche 6, À. vol. IV : quelques-uns ont été dégradés à coups de marteau, soit par les Chrétiens, soit par les Musulmans, et d’autres ont été recouverts en partie avec une espèce d’enduit grossier. SU Du petit Temple ou Typhonium. A trente mètres à l'ouest de la porte du nord, on aperçoit la sommité d'un édifice qui paroît presque entièrement enfoui sous les décombres; ce qui empêche de pouvoir se rendre compte, au premier abord, de la forme de son plan et de ses dimensions. C’est un temple périptère, à peu près semblable au Zyphonrum d'Edfoù, sinon qu'il est plus étendu et qu'il offre dans sa distribution un plus grand nombre de pièces. Quoique la partie antérieure de cet édifice n'existe plus, cependant il subsiste encore en avant une colonne qui ne permet pas de A. D. B 10 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS douter que la façade ne fût composée, comme celle du Typhonium d'Edfoù, de deux colonnes avec des antes surmontés d’un entablement. Les intervalles étoient remplis par une porte et des murs d’entre-colonnement (1). Le Typhonium de Denderah a trente-quatre mètres de longueur et dix-huit mètres de largeur. I est entouré d’une galerie ornée, sur chacun des côtés, de neuf colonnes , et sur la face postérieure, de quatre, toutes réunies entre elles et avec les antes des angles par des murs d'entre-colonnement (2). La largeur de cette galerie est de deux mètres ; mais elle devoit être plus considérable du côté de l'entrée du temple , ainsi que cela existe au Zyphonium d'Edfoû. Les colonnes ont, comme par-tout ailleurs, la forme légèrement conique; elles sont couronnées de chapiteaux ornés de tiges de lotus et de feuilles de plantes indigènes. Au-dessus des chapiteaux sont des dés d’un mètre de hauteur, qui offrent sur chacune de leurs faces un Typhon enveloppé de fleurs de lotus. Ces sculptures ont ici plus de saillie qu’elles n’en ont ordinaire- ment dans les autres temples, et le lotus y est exprimé, jusque dans les plus petits détails, avec une netteté et une précision remarquables. La divinité Typhonienne est vue de face (3). Elle a le visage vieux et ridé, et une barbe qui s'étend depuis les. oreilles jusqu'au menton et tombe en mèche frisée sur la poitrine. Sa coiffure paroît formée de feuilles de plantes ; ses membres sont gras et charnus; sa taille est grosse et courte; tout son corps a la forme de celui d’un enfant; il a une queue aussi longue que ses jambes , et qui va en grossissant depuis son origine jusqu'a son extrémité. Au-dessus des dés règne un entablement formé d’une architrave et d’une corniche. L’architrave est décorée d’un ornement composé d’éperviers dont les ailes sont déployées, et qui enveloppent deux figures Typhoniennes, pla- cées de chaque côté d'Horus assis sur une fleur de lotus (4). C’est le triomphe d'Horus ou du génie du bien sur le génie du mal; c'est l'emblème du soleil victorieux de toutes les influences malignes qui, durant une saïson de l'année, assiégent le climat de l'Égypte. On trouve souvent parmi les amulettes {$) des figures semblables à celles que nous indiquons ici, et nous avons déjà eu de fréquentes occasions de les faire connoître aux lecteurs. Des légendes hiérogly- phiques, placées derrière chacune des figures Typhoniennes, font partie de cette frise, qui se répète neuf fois sur les faces latérales du temple, et cinq fois sur la face postérieure. L'espace qui sépare ces ornemens, est rempli par des espèces de balustres surmontés de disques. | | La corniche de l’entablement est décorée d’un ornement très-remarquable , et x qui correspond à celui que nous venons de décrire (6). Un scarabée avec des aïles 2 emblématiques s'élève au-dessus de cinq personnages : lun d'eux est un homme à tête d'épervier, symbole d'Osiris ; il est debout et a les bras étendus; il tient dans chacune de ses mains un bâton augural : de chaque côté de lui, deux figures d'Horus debout font des offrandes à des Isis accroupies et élevées sur des estrades. Des (1) Voyez planche 72, fig. 2, À. vol, IV. frise tout-à-fait pareille à celle dont ilest ici question. (2) Voyez pl. 22, fig. 4, A, vol. IV. (s) Voyez la collection des antiques à la fin du cin- (3) Voyez pl. 7, fig. 2, À, vol. IV. quième volume de Atlas des Antiquités. (4) Voyez dans la planche 27, fig.2, A. vol. IV, une (6) Voyez planche 27, fig. r, A. vol, 1V. LA DE DENDERAH. CHAP. X. TI légendes hiéroglyphiques, et des figures Isiaques richement habillées , complètent l'ornement. | Si l'on pénètre sous la galerie à travers'les décombres, on y remarque une frise absolument pareïlle à celle de l'architrave (1), mais au-dessus de laquelle il règne une suite de masques de Typhon posés sur des coupes, et surmontés de ces repré- sentations de temple qui entrent dans la composition du chapiteau à tête d'Isis. Ces masques ont un air toutà-fait grotesque ; ils expriment le rire, qui prend un caractère varié dans chacun d'eux, probablement à cause de la difficulté de les sculpter tous exactement de la même manière. On conçoit, en effet, qu'un léger mouvement dans la bouche, l'œil et le nez, et l’exhaussement plus ou moins consi- dérable des joues, des sourcils et des tempes, donnent un aspect différent à chaque figure. Il paroït que les murs extérieurs du temple, à l'exception de la corniche et de la frise dont nous venons de parler, ne présentent aucune trace de peinture et de sculpture (2). Le plafond de la galerie est aussi entièrement nu. Toutes-ces circons- tances doivent faire présumer qu'ici, comme dans d’autres lieux de l'Égypte, l'édi- fice n'a point été entièrement terminé. D'autres faits viendront bientôt à l'appui de cette assertion. On entre actuellement dans le temple par une porte de deux mètres d’ouver- ture, couronnée d’une corniche au milieu de laquelle est un globe ailé. La première pièce est aujourd huï découverte : cependant on ne peut douter qu'elle n'ait eu un plafond, quoiqu'il n’en reste plus de vestiges; l’analogie des autres monumens sem- blables ne laisse à cet égard aucune incertitude. A droite de cette première pièce se trouve un escalier à cage rectangulaire, dont les marches sont très-douces à monter: il est éclairé par des soupiraux qui débouchent sous la galerie. À gauche, deux petites pièces obscures, communiquant lune à l'autre, paroïssent n'avoir point été terminées, puisqu'elles sont entièrement dépourvues de peintures et de sculptures. On passe de là dans une salle oblongue , de dix mètres de long et de cinq mètres de large ; c’est en quelque sorte le vestibule du sanctuaire, où l’on entre immédiatement après. Les parois des murs sont couvertes de sculptures représentant des sacrifices et des oflrandes, comme on en voit dans tous les temples de l'Égypte; seulement, nous avons remarqué, à la partie voisine du plafond , des frises composées de figures Typhoniennes presque entièrement semblables à celles qui sont sculptées sur les dés des colonnes, sinon qu'elles ont les mains appuyées sur les hanches. On y observe une autre frise composée de têtes d’Isis accompagnées de serpens avec des bonnets symboliques. Ces têtes ont la face large, la bouche de moyenne gran- deur, des oreïlles de génisse, des yeux tirés vers les tempes , et le nez un peu écrasé; elles sont surmontées d’une espèce d’autel sur lequel on a sculpté une coiffure formée d’un disque et de cornes de génisse; elles sont posées sur des espèces de vases (3). (1) Voyez planche 2}, fig. 2, À. vol. IV. à nous, nous ne l'avons point particulièrement remarqué. (2) Ce faita été observé par M.Villoteau, notre collègue, (3) La figure 1 de la planche 4, À. vol, IV, présente qui la spécialement consigné dans son journal. Quant un ornement analogue. B z DE 12 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS = Aux angles du fond du vestibule sont pratiquées deux portes qui conduisent dans des couloirs environnant le sanctuaire. I nous est difficile d'indiquer le but d'une pareïlle distribution, à moins qu'élle n’eût pour objet de dérober aux regards les opérations mystérieuses qui se faisoient dans le temple. Peut-être étoitce par là que s’introduisoient les prêtres qui faisoient entendre dans le sanctuaire les oracles des dieux. Nous avons trouvé ces couloirs remplis, jusqu'au plafond, de dé- combres, parmi lesquels on distingue des débris de langes et de momies. Doit-on en conclure qu'ils étoient destinés aux sépultures ! Nous avons déjà fait observer ailleurs qu'une pareille opinion pouvoit être soutenue avec beaucoup de vraisem- blance (1). Au-dessus de lune des portes du corridor, on remarque une sculpture digne de fixer l'attention (2). C'est un bœuf sacré, Apis sans doute, enfermé dans une châsse enveloppée de lotus et placée sur une barque ; il a un disque entre ses cornes : un homme qui marche en avant paroît le conduire; un autre personnage agenouiïllé est placé sous son ventre. À la poupe de la barque est attachée une rame faisant fonc- tion de gouvernail : elle est surmontée d’une tête d’épervier, et fixée à un piquet vertical couronné de la même manière. On voïit à la proue une enseigne surmontée d’un lion. En avant de la barque marche un Égyptien faisant l’offrande d’une rame et d’un fléau (3). At-on voulu représenter ici le voyage d’Apis sur le Nil! Si l’on en croit le témoignage de Diodore (4), dès qu'on avoit trouvé le nouvel Apis, on le menoit à Mopols , où on le nourrissoit pendant quarante jours ; on l’embarquoit ensuite sur une espèce de gondole appelée #alamegos, où ül étoit enfermé dans une chambre dorée ; et on le conduisoit comme un dieu dans le temple de Vulcain à Memphis. La porte par laquelle on entre dans le sanctuaire, a 2°,68 de largeur. Nous avons remarqué, aux deux angles de son plafond, des entailles destinées à recevoir des morceaux de métal ou de pierre dure dans lesquels tournoient les gonds ; ce qui nous a fait juger qu'elle étoit à deux vantaux. Le sanctuaire a neuf mètres de profondeur et un peu plus de quatre mètres de largeur. La décoration du plafond se compose, sur les côtés, d'étoiles (5) d’un jaune d'or qui se détachent sur un fond bleu, et, dans le milieu, de vautours avec leurs ailes déployées, alternativement séparés par des légendes hiéroglyphiques. Le fond du sanctuaire est remarquable par la niche que lon y a pratiquée, et dans (1) Voyez ce que nous avons dit à ce sujet dans fa Description générale de Thèbes, sect. 17. (2) Une partie de ce bas-relief est représentée, pl. 26, fig. 9, A, vol. IV. (2) Voyez planche 26, fig. 4, A, vol, IV. (4) TlopaSeréor dE mic cipmuévors me Aeimoueve Ty prouérar me nv itogv Tabegv, nv évoualqueror Aa * 0TaY yap TEAEU- micus mQù Ueyanomperde, Cumdar oi méei rar bimec iepelc ugo eve vai mn cûux raedonut à TaexrAot To mesürapE an * OT4Y À evpeôn, me Jaëv Mn TR méfous Smo- AU&Tey TOY d\ itpécy of él) ÉmENCC, dyoun T1 HO9@Y D UEY œeënr tie Nélhou mu, à À Teégouay arY ég Muéexs mAaesuovle Umeim els Sunaun)oy vaÙv oxmua wepeucméroy tpucur ubiGdrayres, &s Seôy wrdpoumr tis Méuqu, de m “Hociqou TUEVos. His etiam reliqua , circa sacrumbovem , quem Apim no- minant, usitata, adjungantur. Post magonificam defuncti sepulturam , destinati huic negotio sacerdotes virulum , eâdem præditum notä qu superior fuir, investigant; quo invento, plebi a luctu vacatio datur, Sacerdotes autem, quibus hoc curæ est, vitulum primüm in urbem Nili perductum ad dies XL pascunt,; in navigium deinde thalamegum (cubi- culatum), in quo domus aurata, collocatum ; uti deum Memphim , in Vulcani lucum, transportant, (Diod. Sic. Bibl, hist. Nb, 1 , pag. os et 97 , edit. 1746.) * (5) Voyez planche 34, fig. 2, À, vol. 1V. DE DENDERAH CHAP, X, | 13 laquelle on avoit sans doute placé les statues des dieux adorés dans le temple. Deux colonnes imitant la tige du lotus, avec des dés à tête d’Isis, sont posées en saillie sur le nu du mur, et portent un entablement formé d’un couronnement d’aspics ou d'#bœus, et d'une corniche ornée d’un globe ailé. Les montans de la niche, ou ce que l’on peut appeler son chambranle, sont décorés de bas-reliefs. Sur le bandeau et sur la corniche qui les surmontent, on a sculpté des globes ailés. Au-dessus de la niche, dans une raïnure verticale qui s'étend Jusqu'au plafond; on remarque trois figures presque de ronde-bosse, La première est une statue en pied ; elle est mutilée, et représentoit sans doute Isis ou Horus. Les deux autres n'offrent que des masques d’Isis surmontés d’un temple : l’un d’eux repose sur une colonne dont la forme imite la tige du lotus et de sa fleur. Les parois latérales du sanctuaire sont divisées, indépendamment de la frise dont elles sont ornées à leur partie supérieure, en cinq compartimens de bas- reliefs, tous d'égale hauteur. Au rang le plus élevé, et à droite, on distingue plu- sieurs femmes allaitant chacune un enfant. L'une d’entre elles a une tête de lion; et une autre, une tête de génisse. Sur le mur à gauche, ce sont des représentations analogues. À la suite de quatre Isis donnant chacune le sein à un enfant , on voit Horus assis sur un fau- teuil porté par un lion : une femme placée derrière lui semble le couvrir de ses aïles. Le deuxième rang de bas-reliefs, à droite, présente Harpocrate debout avec les marques de la virilité : il est accompagné d’étendards et d’enseignes où l’on dis- tingue un belier et un chacal. Derrière lui, sont Osiris à tête d’épervier, la déesse Isis, et le dieu à tête de belier, l'Armun des Égyptiens. Osiris tient un sceptre à tige de lotus ; et Amun, une croix à anse. Ensuite on voit Isis debout en face de Thoth, personnage à tête d'ibis, qui semble lui adresser la parole et lui présenter une offrande. Plus loin, Horus, élevé sur une estrade , est placé entre Amun et Isis, tous deux assis, et qui lui portent chacun une croix à anse au-devant du front. Un prêtre , entre deux personnages à tête de belier, vient à la suite : ce groupe paroît prendre part à la scène qui se passe devant lui, et où l'on remarque Osiris assis sur un banc recouvert de la dépouille d’un lion ; ce dieu présente une croix à anse à Isis, qui est assise comme lui, et derrière laquelle est une femme. A la même hauteur, à gauche, deux divinités à figure humaine, suivies de deux personnages à tête de grenouille, conduisent deux enfans à Isis, qui est assise : cette déesse allaite son fils Horus, et Thoth écrit devant elle. Derrière Thoth, un personnage à tête de chacal paroît frapper sur une espèce de tambour de basque posé à terre. Ensuite on voit encore Isis allaitant Horus : deux figures d'Harpocrate debout la précèdent; et derrière elle , douze femmes, distribuées sur trois rangs, tiennent chacune un enfant qu'elles semblent vouloir préserver de maléfices. Dans la troisième rangée de bas-reliefs, une figure assise, nue et la tête rasée, offre un stylet à Harpocrate, qui porte un doigt sur sa bouche. Derrière Harpo- crate sont sept [sis allaïtant chacune un enfant. Deux prêtresses offrent ces 1 À DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS victuailles à Osiris à tête d'épervier. Ce dieu est assis sur un petit banc recou- vert de la dépouille d'un lion, et tient un enfant dans ses bras. Derrière lui, sur un banc plus long, Isis allaite Horus: elle est entre*deux femmes qui la sou- tiennent. Ensuite, sur un même socle , Osiris à tête d'épervier considère, en présence d'Isis, une colonne Hermétique. Derrière la déesse , six femmes, placées deux à deux: sur trois rangs, tiennent chacune un enfant dans les bras. Sur le côté gauche du sanctuaire, et à la même hauteur que les bas-reliefs que nous venons de décrire, deux Osiris à tête d’épervier et un à tête humaine sont assis, et tiennent chacun un enfant debout sur leurs genoux : derrière ces person- nages et sur un banc, deux Isis allaient Horus ; l'une a un masque d’épervier, et l’autre un masque de génisse. Isis avec une figure humaine est vis-à-vis d'elles, dans l'attitude de la souffrance , et pose une maïn sous son sein : elle est sou- tenue par une femme assise derrière elle. Plusieurs figures Typhoniennes à tête de crocodile, et une femme recevant Harpocrate des mains d’une divinité, font partie de cette scène, qui paroît être relative à l'accouchement d'Isis. La quatrième rangée de bas-reliefs représente Harpocrate debout sur un socle, entre Isis et Osiris : au-devant de ces divinités, on en voit seize autres parmi lesquelles sont répétés, chacun trois fois, Osiris à tête d'épervier, et Isis avec une coiflure formée d’un disque posé dans un croissant. On remarque aussi au nombre de ces dernières un personnage à tête de lion, coiffé d'un vase; un autre à tête de serpent, et une femme qui a un trône au-dessus de la tête. Les bas-reliefs semblablement placés sur le côté opposé présentent Isis debout, tenant Harpocrate sur sa main; Osiris à tête d’épervier, aussi debout en face d'elle, et suivi de Thoth dans l’action d'écrire : sept dieux et sept déesses viennent bui présenter chacun un enfant. La marche est terminée par Amun, représenté avec un masque de belier. Enfin la cinquième rangée de tableaux à droite se compose e femmes, de prêtresses d'Isis sans doute : elles sont d’une très-jolie forme, et ont pour coiffure la dépouille d’un vautour. Elles tiennent de la maïn gauche des disques sur les- quels qies semblent frapper : ce sont probablement des tambours antiques vus de face; ils ont à peu près la forme de nos tambours de basque. _ Au côté opposé du temple et à la même hauteur, on remarque aussi des figures d’Isis, dont on aperçoit toutes les formes sous leur vêtement long et étroit. Elles tiennent à la main droite la colonne Hermétique ou le bâton à crans : dans la main gauche, elles portent une petite relique d'Isis, renfermée dans une espèce de châsse elliptique ajustée au bout d’un bâton. , TH résulte de la description succincte que nous venons de faire des bas-reliefs du .Typhonium de Denderah, que toutes ces sculptures sont relatives à la naissance et à l'éducation d'Harpocrate ou d'Horus: on y voit en effet ce dieu dans tous les états depuis sa naïssance jusqu'à l'époque où il a acquis son entier développément. Il est représenté d’abord dans le premier état de l'enfance, et sortant, pour aïnsi dire, du ventre de sa mère (1). On le voit ensuite plus grand sur les genoux d'Isis, » ; / d d 2 ! : 4 - (1) Ac à Aya, iv Lar aidouémnr, on me, med laey quaaxniesr, éxrn jamvdc ismuévou Dawgi: nur dé 1 Aom- DE DENDERAH CHAP, X. L 5: qui lui donne le sein ; quelquefois il est debout, et allaité par cette divinité. Ailleurs, Harpocrate paroît sortir d'un lotus; il a les cheveux tréssés, et un fléau | sur l'épaule : il porte son*doïgt sur la bouche comme pour indiquer le silence. Dans un autre endroit, le dieu est représenté dans toute sa force avec des marques non équivoques de Ja virilité : il a les deux jambes, pour aïnsi dire, collées l'une contre l'autre, sans doute pour désigner qu'il ne marche plus, qu'ilest stationnaire. Sa barbe, rassemblée en une seule mèche pointue, tombe de son menton jusque sur sa poi- trine. C’est sous cette forme qu'il étoit adoré à Thèbes, où on l'a représenté en mille endroits sur les murs des palais et des temples. Si l’on ne savoit déjà, par les témoignages de lantiquité, que (1), dans la peinture de ces divers âges d'Harpo- crate, les Égyptiens ont voulu faire allusion à la marche du soleil dans le zodiaque, la récapitulation que nous venons de présenter des divers sujets sculptés dans le Typhonium de Denderah, conduiroit à le conclure. En effet, pour ne nous arrêter qu'à la dernière figure que nous venons d'indiquer, quelle forme emblé- matique pouvoit mieux exprimer l’état du soleil arrivé au plus haut degré de sa course vers le tropique d'été, où il est pendant quelque temps stationnaire, et dans toute la plénitude de sa force et de sa vigueur’ Le membre viril en érection (2) désigne, comme lon sait, la vertu génératrice et productive; et c'est effectivement au solstice d’été que l’action du soleil se fait sentir avec le plus d'efficacité. Alors la chaleur extrême de cet astre, tempérée par les vents de nord-ouest, ramène en Égypte la végétation et la vie; alors les germes confiés à la terre se développent, et arrivent bientôt après à leur entier développement. Les deux jambes rappro- chées, et en quelque sorte collées l’une contre l'autre, n'imdiquent pas d'une manière moins expressive l’état stationnaire du soleil; et lon sait que la barbe est un des attributs donnés par Îes anciens auteurs à Horus ou au Soleil arrivé au solstice d'été. Les sculptures qui ornent le temple d'Aermonthis, ont beaucoup d’analogie avec celles du Zyphonium de Denderah, et il y a tout lieu de croire qu’elles ont pour KeSTHY miel Tom XEIUEEUAC, ÉTENN à) VELEOY EY TOÏS DESA- Soda à sation. A0 à Qauwy aura QUE CO émapyeic émpéooua, mie dé noyeiss fusées éprile Je Ty Éapivir ioyueeian. Idedque dici, Isim, cum se sentiret esse gravidam , ap- Jormä deus figuratur. (Macrob. Saturn. Hib. 1, cap. 18.) 5! ET D q » (2) To dyanua T% Ilextmu, % Goov 7ap° Aiyumiors HEX NH pare, dSpomadèe muibar, êv Th défi oxïmlepv XATÉOY , € ‘ ; , 17 Les \ \ \ \ Le » \ we map amv pavécay TV EneRr ÿ Ty Janaæuy* - y dé Th EV@yUue xexrér m aidbioy aTS éyrmévor, din pendisse sibi amuletum sextä die mensis Phaophi, et pe- perisse Harpocratem sub solstitium hibernum imperfèctum ac recentem , quod tum prævii flores et germina prima enas- cuntur, Idedque ei fabarum nascentium primitias offerunt : dies autem puerperii post æquinoctium vernum solennes agunt, (Plutarch. de {side et Osiride, pag. 377, edit. Francof. 1590.) 2 (1) A autem \æetatum diversitates ad solem referun- tur, ut parvulus videatur hiemali solstitio, qualem Ægyp- tii proférunt ex adyto die certä ; quod tunc, brevissimo die, veluti parvus et infans videatur : exinde autem, pro- cedentibus augmentis, æquinoctio vernali similiter atque adolescentis ad'piscitur vires, figuräque juvenis ornatur ; postea ‘statuitur ejus ætas plenissima e gie barbæ , solstitio æstivo , quo tempore Summum sui consequitur augmentum ; exinde per diminutiones dierum , veluti senescenti , quartä ON LE j \ / \ fu \ HEXPUUMÉEVEL EV Th VA amtpuatt Parce «sn TE dé meer TV TT la Ts mors dYnoi. … doEatsn, Simulacrum Priapi, quen Horum Ægypti vocant, \ \ (à € 7 TauTy y4p TO ANG humané formé fingunt, dexträ sceptrum tenens , propterea quod ab eo tum siccum sive rellus, tum mare, sit in lucem productum ; lævé vero tenens veretrum suum in‘entum, prop- terea quod semina quæ in terra occulrabantur, educat in apertum ac manifèsta reddat : alæ vero additæ celeritatem mots indicant, Eumdem enim ac solem esse arbitrantur. ( Suïdas, in voce Ileuaroc. ) TlayryS dè à aSpumduoppor Ocieudès dyarua d'uuysay, Eophalor r® aidbiw, dit m yPnuor À To Te quuor. Ubique porrd ostenditur simulacrum Osiridis, humané specie, recto pene, ob vim gignendi er alendi, (Plutarch. de Iside et Osiride, pag. 371.) 1.6 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS objet la représentation des mêmes symboles. Nous venons de voir que celles-ci se rapportent aux phénomènes astronomiques : par contre-coup, elles font aussi allu- sion aux phénomènes terrestres qui ont avec eux une liaison intime, tels que la production des germes dans le sein de la terre, leur fécondation par l'action bien- faisante et toujours croissante du soleil: depuis le solstice d'hiver jusqu'au solstice d'été; les effets résultant des inondations périodiques du Nil; les envahissemens des sables du désert sur le sol cultivable ; les vents brülans du midi, qui portent avec eux la désolation et la mort. Ce sont Ià tous les faits naturels que les Égyptiens, dans. leur mythologie ingénieuse, ont peints aux yeux sous les personnages allégoriques d'Harpocrate et d'Horus, d’Isis, d'Osiris et de Typhon. En sortant du Zyphomum, et en traversant dans la direction de son axe l'espace renfermé dans l'enceinte de briques, on trouve, à peu de distance du temple, des restes de constructions qui appartiennent à un autre monument : ce qui subsiste encore de ce dernier édifice, fait présumer qu'il devoit avoir une assez grande étendue, et qu'il étoit formé de pilastres et de colonnes. Peut-être étoit-ce un mo- nument élevé du temps des Romains ou des Sarrasins. Nous y avons remarqué une portion de frise formée de grappes de raisin et de pampres de vigne, sculptures entièrement analogues à celles qui existent à Medynet-Abou (1). S. V. Du grand Temple. ARTICLE PREMIER. De la Forme générale du grand Temple, et de son aspect extérieur. A cent mètres de la porte du nord, on trouve le grand temple, qui présente l'aspect le plus imposant et le plus magnifique. Le portique ou pronaos attire d'abord l'attention des voyageurs : de loin, on est frappé de la noble simplicité de ses formes, ainsi que des grandes et belles lignes de son architecture. Il se compose de six colonnes placées de front sur une même ligne, et engagées dans des murs d’entre-colonnement; de deux supports extrêmes, à peu près semblables aux antes des édifices Grecs ; d’une architrave surmontée d’une élégante corniche ,et enfin du tore Égyptien, qui encadre, pour ainsi dire, la façade entière au-dessous de la cor- niche. Tous ces membres d'architecture sont d’une sévérité de forme remarquable, et excitent un vif sentiment d'admiration. On examine avec curiosité ces chapi- teaux singuliers, formés de la réunion de quatre masques d'Isis et surmontés d’un dé dont chaque face représente une espèce de temple. L’espacement des colonnes du milieu, qui est double de celui des autres, donne à la façade du portique un air de grandeur et de majesté auquel on ne s'attend point. Si lon en jugeoit d’après notre système d'architecture, on seroit même porté à considérer ces espacemens Inégaux (1) Voyez planche 9, fig. >, A. vol, IT, et le chapitre IX des Descriptions d’antiquités , sect, I, pag. 24. COMME DE DENDERAH. CHAP. X, 17 comme une irrégularité choquante. Mais ici tout est le résultat nécessaire des convenances auxquelles#il falloit satisfaire : en effet, les autres entre-colonnemens étant fermés par des murs à hauteur d'appui, il étoit naturel de donner à celui du milieu une largeur telle, qu'elle pût laïsser un accès facile à la foule des prêtres et des initiés. À mesure que l'on approche davantage du portique, toutes les sculptures dont la façade est ornée se distinguent, et l’on est agréablement surpris , après avoir admiré lensemble de l'architecture, de retrouver une multiplicité de détails de sculpture disposés avec une grande symétrie, et qui intéressent vivement la curiosité , soit par la nature des sujets représentés , soit par la richesse des costumes et des coiffures des personnages en action. La façade du temple est encombrée, à l'angle nord-ouest, de deux mètres et demi; et cet encombrement va toujours en augmentant vers l'angle nord-est, où il est du tiers environ de la hauteur totale {1}. Dans cet état de choses, on ne peut point juger de tout l'effet de cette belle façade; mais la planche 29, A. vol. IV, où l'édifice est rétabli dans son aspect primitif, peut en donner une idée très-exacte. La masse générale du temple offre la forme d'un T. Elle se compose de deux parties bien distinctes, qui sont enchässées, pour ainsi dire, l'une dans l’autre; savoir, le portique ou pronaos, et le temple proprement dit. La longueur totale de l'édifice est de quatre-vingt-un mètres (2): sa façade a quarante-deux mètres de largeur. De part et d'autre, le portique est en saillie de troïs mètres et demi sur les faces latérales du temple proprement dit; ce qui donne au plan la forme de T que nous avons indiquée. La hauteur totale du portique est de dix-huit mètres ; celle du reste du temple est moindre de cinq mètres environ. Les faces latérales et postérieures du temple sont parfaitement dressées, suivant un talus qui donne à tout l'édifice l'apparence de la solidité: et de la stabilité : elles sont, en outre, couvertes de sculptures d'une exécution et d'un fini si précieux, que lon peut avancer, sans exagération, que l’art Égyptien y est porté au plus haut point de perfection. Nous reviendrons bientôt sur les sujets indiqués dans les bas-reliefs et dans les frises. De chacune des faces latérales du temple-semblent sortir trois figures de lion, dont on ne voit que la tête et une partie du corps: elles reposent sur deux socles qui -sont en saillie l’un sur l’autre, et ornés de sculptures. Entre leurs pattes étendues en avant, on a pratiqué, dans l'épaïsseur de la muraïlle, un petit conduit ou goulot par où s'écouloient sans doute les eaux de pluie, et, plus souvent encore, les eaux purificatoires dont on faisoit probablement usage sur la terrasse du temple. Ces lions offrent un beau galbe, et sont sculptés avec une fermeté et une netteté que nous avons plus d’une fois remarquées dans la représentation des animaux qui font partie des bas-reliéfs Égyptiens. Deux lions pareils à ceux que nous venons de décrire, ornent la face postérieure du temple. (1) Voyez la vue pittoresque dessinée par M. Cécile, sures avec une précision géométrique. Pour les connoître planche 7, A. vol. IV. avec exactitude, il faut consulter les planches de l'Atlas (2) Nous devons prévenir le lecteur que, dans le cours où elles sont consignées. de cette Description, nous n’indiquerons point Les me- ANDPE eo 1 8 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS Après avoir jeté un premier coup-d'œil sur l'ensemble de ce bel édifice, on revient bientôt à la façade de son portique, dont on ne se lasse point d'admirer l'effet imposant, et l’on se hâte de pénétrer dans l’intérieur d’un monument qui ‘annonce à l'extérieur avec tant de magnificence. Nous ne nous attacherons point ici à décrire minutieusement toutes les sculptures de la façade, dont les planches de ouvrage offrent l'ensemble et les plus petits détails; il nous suffira de dire que les antes sont ornés de quatre rangées de bas-reliefs, Pope ON des offrandes à Isis, et à Osiris tantôt à tête d'épervier, et tantôt à tête humaine. Maïs il n'est pas inutile de TORRES dans toutes ces scènes, la déesse Isis est en première ligne, et que c'est à elle qu'on adresse particulièrement les offrandes. Nous verrons d’ailleurs bientôt que son image se trouve en évidence dans tous les lieux apparens du temple que nous décrivons, et où l'on ne peut douter qu'elle ne fût honorée d’un culte particulier. Dans les bas-reliefs inférieurs des antes, les personnages sont de grandeur colossale; ils ont trois mètres et demi de hauteur. Le soubassement est orné ‘de tableaux où l’on voit de petites figures de divinités Égyptiennes: des fleurs de lotus épanouies et des boutons de la même plante se trouvent tout-à-fait à sa partie inférieure. Le plus grand nombre des sculptures a été martelé et mutilé, à l'exception toutefois de celles qui, se trouvant dans les parties supérieures de l'édifice, étoient hors d'atteinte. Les murs d'entre-colonnement sont ornés d’un bas-relief composé de trois per- sonnages, et dont le sujet est une offrande à Isis. Rien n'égale la pureté d'exécution et la richesse de la frise qui est au-dessus de ce bas-relief: elle est formée de onze masques d'Isis surmontés d'espèces de temple et accompagnés d’v£œus. Le soubas- sement offre un agencement plein de goût et très-heureux de tiges, de fleurs et de bouquets de lotus, au-dessus desquels sont des oïseaux chimériques, dont les aïles sont déployées, et qui reposent sur des coupes. Une étoile est placée en avant de chacun de ces oïseaux, qui semblent tenir de ES par Ja forme de leur bec., Toutes ces sculptures sont encadrées sur les côtés et à la partie supérieure par un tore orné d’enroulemens, et le tout est surmonté d’une corniche avec un globe ailé, et d’un couronnement d’aspics. Des serpens qui portent sur la tête des coïffures symboliques, et dont les corps senveloppent autour d’une tige de lotus, sont ajustés avec goût sous la saillie de la corniche. La richesse de ces détails n'est sur- passée que par la décoration des colonnes, qui est formée, par anneaux, de frises où l'on remarque des légendes hiéroglyphiques accompagnées de serpens, des zhœns avec des ailes, des figures de femmes accroupies et tenant dans leurs mains des bâtons à crans, des masques d'Isis, des offrandes à des divinités Égyptiennes, des images d’Isis, de Typhon et d'Horus, des croix à anse avec des bâtons auguraux à tête de lévrier, posés sur des coupes; des figures d'Horus assises et placées au- dessus de bouquets de lotus. Toutes ces frises sont séparées alternativement par des lignes d’hiéroglyphes et des étoiles. Les quatre masques d’Isis qui forment le chapiteau, sont d’une grandeur colossale. [ls sont enveloppés d’une espèce de dra- perie qui couvre une partie du front, passe derrière les oreiïlles, qu’elle laisse entiè- rement à découvert, et retombe le long du cou. Cette draperie est ornée de peintures DE DENDERAH CHAP. X. + ko représentant des étoffes rayées avec des broderies transversales de lotus et de perles. Mais, dans beaucoup d'endroïts, la peinture a été enlevée, et il en résulte que cet entourage paroît un peuñlourd. Les figures portent au cou un large collier de sept rangs de perles , auxquelles sont mêlés d’autres ornemens : leurs oreilles ressemblent à celles d’une génisse. Toutes ces figures ont éprouvé des dégradations plus ou moins notables, et presque aucune n’est restée intacte. Les sujets représentés sur les dés sont des offrandes à Isis allaitant Horus. On y voit aussi deux prêtresses étendant les mains au-dessus d’une petite niche où est renfermé un z4œus. L'entablement du temple ne le cède en rien, pour la richesse des sculptures, aux autres parties de da façade (1). On voit au milieu de l'architrave un masque colossal d'Isis : il repose sur une coupe élégamment décorée. La tête de la divinité est surmontée d'un temple, au milieu duquel se trouve un bonnet symbolique, formé d’un disque enveloppé par des cornes. De chaque côté de ce masque sont Osiris à tête d'épervier et Isis, divinités assises toutes deux sur des trônes richement sculptés et posés sur une estrade, Trente-une figures debout s’avancent vers elles; les unes portent diverses offrandes, les autres sont dans l'attitude du respect et de l'adoration. Nous n’entreprendrons point de décrire tous ces personnages, dont les dessins font bien connoître l’action, le costume, et la nature des offrandes qu'ils présentent {2). Nous ferons seulement observer que dans la frise on voit la répé- tition fréquente de femmes, tantôt coiffées de la dépouille d’un vautour surmontée de disques entourés de cornes, tantôt ayant la tête enveloppée dans une sorte de bonnet plissé qui retombe sur les épaules, et au-dessus duquel sont des bouquets de lotus. On y remarque aussi des personnages avec des masques de lion, d'ibis, de grenouille et de couleuvres aquatiques. L'une des femmes pince une harpe à dix cordes, qui a la forme d’un C, et dont la partie supérieure est couronnée d’une tête d'Isis. Le corps sonore de cet instrument est plus volumineux par le bas que vers le haut, et va en diminuant graduellement. Dans presque toutes les offrandes on re- marque des masques d’Isis ou des bonnets symboliques, attributs de cette divinité, ou bien encore des amulettes représentant de petits temples, dont sa tête est très-souvent surmontée. Des vases renfermant sans doute les prémices des eaux de linondation sont aussi au nombre des offrandes. La disposition de cette frise, où les personnages placés symétriquement de chaque côté du masque d’Isis se répètent dans des attitudes pareïlles, à la variation près de quelques coïffures, semble indi- quer une procession [siaque, dans laquelle les porteurs d'offrandes étoïent rangés deux par deux, et s'avançoient ainsi jusque dans le sanctuaire qui renfermoit les statues des dieux. On conçoit, en effet, que les Égyptiens peuvent avoir ainsi sup- pléé à la perspective, dont ils paroïssent avoir entièrement ignoré les règles. Au-dessus de l’architrave est une corniche décorée dans son milieu d’un globe ailé, qui se détache sur un fond de cannelures (3). Sur le reste de ce membre d'architecture se répète un ornement formé, à ses extrémités, de deux vœæus avec (1) Voyez planche 9 A,vol, IV. tout-à-fait semblable, et qui a été prise sur la face [a- (2) Voyez planche 15, À, vol. IV. térale du temple exposée à l’est. (3) Voyez, planche22, fig. :, A .vol. IV, une décoration 4, D. 6 n 2 O DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS des ailes et des bonnets symboliques. Ces serpens semblent envelopper l’image du Soleil, représenté par un disque auquel sont adaptées de grandes ailes, symbole de la rapidité de la marche de cet astre. Il lance des ‘rayons de lumière sur une figure d’Isis, qui n’est sans doute ici qu'une représentation emblématique de la terre. De part et d'autre du disque sont suspendus des vhœus. À droite et à gauche dé l’image d'Isis, on voit cette divinité elle-même accroupie sur une estrade, et, dans la même position, Osiris à tête d'épervier, à qui Horus fait des offrandes. Enfin; sur le listel de la corniche, la seule partie lisse qui existe dans toute la façade, on aperçoit, avec beaucoup de difficulté, et seulement lorsque le soleil l’éclaire d’une manière convenable, une inscription Grecque en trois lignes, qui constate une dédicace du portique ou pronos à Aphrodite et aux dieux honorés dans le temple, sous le règne de l'empereur Tibère. Nous reviendrons sur cette ins- cription dans le $. x de ce Mémoire. ARS TC TE SIN, De l'intérieur du Portique. OX entre dans le portique par une porte de cinq mètres d'ouverture, dont les chambranles sont appuyés sur chacune des colonnes quiforment l’entre-colonnement du milieu. La porte en bois ou en bronze qui fermoit la baie, s’élevoit jusqu’au niveau de la partie supérieure des murs d’entre-colonnement, de manière à clore le portique à la même hauteur, dans toute son étendue. Elle devoit avoir deux vantaux; C'est au moins ce que font supposer deux trous pratiqués dans les pierres supérieures du chambranle et destinés à recevoir les tourillons. Le portique, ainsi que tout le reste du temple, est bâti en pierres de grès. Cependant, comme ces matériaux n'eussent point été assez durs pour résister au frottement des gonds, les Égyptiens ont eu l'attention de former le couronnement de la porte avec une assise de beau granit gris, sur lequel les sculptures sont exécutées avec plus de finesse et de soin encore que sur le grès. | L'intérieur du portique a la forme d’un rectangle de trente-sept mètres et demi sur vingt mètres. Vingt-quatre colonnes distribuées sur six rangées de quatre de profondeur, y compris celles de la façade, portent les architraves sur les- quelles reposent les pierres du plafond. L’entre-colonnement du milieu, le seul par lequel on pouvoit s'introduire dans le portique, est, comme nous l'avons dit, double des autres entre-colonnemens. Sa largeur est de $”,81; celle des autres n’est que de 2°,73. Pour connoître exactement les dimensions et la forme des colonnes , nous avons fait fouiller jusqu’au pavé du portique. Leur fût est légèrement conique; le diamètre inférieur ayant deux mètres et un tiers, et le diamètre supérieur deux mètres et un dixième seulement. Il a 8,36 de haut. Il s'élève sur une base cylindrique, qui excède la partie intérieure de la colonne, et qui n'a que 0,62 de hauteur. Celle-ci repose elle-même sur deux socles ronds, chacun de 0",13 d'épaisseur, et en saïllie l'un sur l’autre et sur la base cylin- drique. Le chapiteau, composé, ainsi que nous l'avons exposé précédemment, 26 DE DENDERAH. CHAP. À. 21 de quatre masques d’Isis, du dé qui les surmonte, et de l'espèce de taïlloir ou coussinet sur lequel repose immédiatement l'architrave, a cinq mètres de hauteur, en sorte que la colonne, depuis le pavé jusqu'au-dessous de Parchitrave, a 14,31 d'élévation. I résulte de ces dimensions qu'en prenant pour module le demi- diamètre supérieur de la colonne, on trouvera que le fût contient huit modules, et le chapiteau cinq. Le mur du fond présente la façade du temple proprement dit, autour de laquellé lé portique ne paroît être en quelque sorte qu'appliqué : elle a une saillie de 0",65 sur le reste du mur. Cette façade a la même apparence que celle de tous les édifices sacrés des Égyptiens, c’est-à-dire qu'elle présente un talus, et qu'elle est comme encadrée par un tore qui court tout le long des angles : elle est couronnée d'une élégante corniche; mais, la hauteur du temple étant moindre de 4°,86 que celle du portique, le mur de fond s'élève de toute cette hauteur au-dessus de la corniche, pour fournir un appui aux architraves et aux pierres du plafond {1}. Dans l'une et l'autre face latérale du portique, sont pratiquées des portes qui servoient d'issue au dehors. Celle de l’ouest correspond au second entre-colonne- ment, et celle de l'est au troisième. Toutes deux sont encombrées maintenant presque jusqu'à la hauteur du linteau. L'intérieur du portique est couvert de sculptures représentant des offrandes à Osiris à tête d'épervier, et à Isis, qui est presque toujours en premiere ligne. La planche 17 (2) peut donner une idée très-exacte des sujets des bas-reliefs. A la partie supérieure des murs sont de riches frises composées d'ornemens, au milieu desquels le masque d'Isis paroît avoir été mis exprès en évidence. Dans les parties inférieures des muraïlles sont des lotus diversement agencés et combinés avec dés figures d'hommes et d'animaux. Les colonnes de l'intérieur du portique sont décorées de la même manière que celles de la façade, à cela près de quelques variétés dans les grands bas-reliefs du milieu, où lon voit le plus souvent Horus tenant le sistre antique d’une main et la croix à anse de f’autre. Aïlleurs c'est un prêtre qui plante un arbre, et devant lui Horus, ayant dans une main un volume et dans l'autre un serpent. Toutes ces sculptures étoient peintes. C'est particu- lièrement sur les colonnes que dés restes de peinture se font remarquer encore. En jetant un coup-d'œil sur la planche 12 (3), on se fera une idée très-exacte de la manière dont les couleurs sont appliquées, ainsi que de leur variété et de leur éclat. Le rouge s'y trouve dans différentes nuances, maïs sur-tout avec une teinte sombre et foncée; le bleu céleste est éclatant, et le jaune très-brillant. On y voit aussi différentes nuances de vert. Toutes ces couleurs étoient étendues sur un léger enduit, à peu près pareil à celui dont nos décorateurs en boïs font usage; mais il falloit qu'il n'offrîft qu'une couche extrêmement mince pour conserver, comme cela a lieu, tous les plus petits détails de sculpture, et particulièrement ceux des costumes et des siéges. Les peintures sont très-multipliées dans l'intérieur du portique; mais elles ont (1) Voyez la coupe générale du temple, planche 10, (2) Voyez l'Atlas, À, vol. IV, fig, 2, A. vol. 1V. (3) Voyez ibid, 2 2 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS presque entièrement disparu à l'extérieur. On ne peut douter cependant que toute la façade n'ait été peinte, aïnsi que le reste du temple; car, indépendamment des preuves directes que nous en avons recueillies sur les lieux mêmes, on auroit peine, si cela n'avoit point eu lieu ainsi, à expliquer la bizarrerie résultant d'un si grand défaut d’uniformité dans la décoration intérieure et extérieure du portique. Il nous reste à parler maintenant des ornemens du plafond, qui ne le cèdent en rien, ni pour l'exécution, ni pour l'intérêt des sujets, à toutes les sculptures dont nous nous sommes occupés jusqu’à présent, et qui achèvent dé donner du grand temple de Denderah la plus haute idée. Les architraves qui reposent sur les colonnes, ont toutes leurs faces visibles chargées de décorations. Le dessous est couvert de grands hiéroglyphes sculptés et peints, et sur les faces latérales on a distribué une longue suite de femmes couronnéés de lotus, et tenant à la main des bouquets de la même plante, qu'elles offrent à Isis et à Osiris. Les soffites sont ornés de sculptures qui se détachent sur un fond bleu parsemé d'étoiles d’un jaune d’or. Ils ont éprouvé des dégradations notables : de grandes portions de peintures en ont été détachées, soit par l'effet du temps, soit par les coups de fusil que des Mamlouks s’étoient exercés récemment à tirer dans le portique, et dont il subsiste des traces évidentes en beau- coup d’endroits. Presque tout le reste du plafond est noïrci probablement par la fumée des flambeaux qu'on allumoïit dans le temple. Pour peu que l'on aït consi- déré les sculptures dés soflites, on ne tarde point à y reconnoître quelques figures et. quelques emblèmes relatifs à l'astronomie, et bientôt on voit dans les deux soffites extrêmes la réunion de tous les signes du zodiaque. La planche 18 (1) offre l’en- semble et la position respective de toutes les sculptures du plafond. Si on la prend par ses deux extrémités latérales, qu'on la pose verticalement devant soi et qu'on l'élève ensuite au-dessus de sa tête, tous les objets qui y sont représentés se verront dans la même position où ils sont au plafond du portique. Dans là Description des monumens astronomiques (2), nous avons parlé succinctement du zodiaque du portique de Denderah. Nous nous sommes étendus particulièrement sur les soins que nous avons pris pour obtenir des dessins exacts et dignes d'inspirer la plus grande confiance ; nous nous bornerons à ajouter ici quelques détails qui serviront à attirer plus spécialement encore l'attention sur ces bas-reliefs très-remarquables. Les deux soffites extrêmes sont divisés en trois parties (3). Dans toute la longueur de la première, qui est contigué à la muraille latérale, se trouve le corps d’une grande figure sans aucune proportion régulière , dont les jambes et les bras s'étendent dans la largeur totale du soffite. Des ondes indiquées par des zigzags, et des fleurs. de lotus, forment son vêtement. Un disque avec une aile d'épervier est placé au devant de sa bouche: et à la hauteur du sein, sa robe est ornée d’un scarabée, em- blème de la génération. Cette figure singulière n’est sans doute autre chose qu'une représentation symbolique de la nature ou d'Isis. Dans la seconde partie des sof- fites, on a sculpté dix-neuf barques où se trouvent des divinités debout et dans (1) Voyez l'Atlas, À, vol. IV. (2) Voyez la Description des monumens astronomiques, Appendice n° IL. (3) Voyez la planche 20, À, vol, IV, DE DENDERAH. CHAP, X. 23 l'action de marcher, ainsi que d’autres symboles Égyptiens. Deux de ces barques ont presque entièrement disparu par suite des dégradations que nous avons signalées ; mais il est facile d'en reconnoître la place. Dans le soffite de gauche, on distingue en outre une pétite barque renfermant un lotus d’où s'élève un serpent. On sait, d’après les témoignages des anciens auteurs, que Îles Égyptiens exprimoient par des barques le mouvement des astres : il y a donc quelque raison de croire que tous ces emblèmes sont relatifs à la marche et à la position respective des cons- tellations dans le ciel (1). Osiris à tête d’épervier et à tête humaine, Horus de- bout, Harpocrate accroupi ou assis sur une fleur de lotus, des personnages avec des masques d'ibis et de chacal, une femme à' tête de lion, un cynocéphale ac- croupi au milieu d’un disque, une espèce d’autel au-dessus duquel un bras est étendu, sont les représentations emblématiques que l'on remarque plus particulie- rement dans ces barques, et dont plusieurs sont répétées avec quelques variétés seulement dans leurs attributs. La troisième partie des soflites offre les signes du zodiaque. Le fon est le pre- mier de tous dans le soffite de droite. Sa marche paroît indiquer qu'il va sortir du temple, et il semble entraîner tous les autres personnages qui viennent à sa suite, en savançant dans le même sens que lui. Une femme armée d’un fouet saisit sa queue; elle est suivie d’une autre femme dont le plafond tout dégradé n'offre plus que la tête et les épaules, et qui paroît porter sur ses mains un enfant. Dans un cadre rectangulaire est enfermé un serpent dont les replis tortueux forment quatre anneaux. Six femmes viennent à la suite, et l’une d’elles tient à la main un épi de blé : c'est la serge céleste. Tous ces personnages ont des têtes humaines, l'exception d'un seul qui a un masque de taureau et qui suit immédiatement la vierge. La /alance occupe à peu près le milieu de la longueur du soffite. Entre les deux plateaux se trouve un disque posé sur une échancrure, et au milieu duquel on voit Harpocrate, dieu du silence, qui semble caractériser ici l'astre de la nuit. À côté du plateau de gauche, un autre disque renferme un homme debout dans l’action de marcher; c'étoit sans doute un symbole relatif au cours du soleil. Th est à croire que ce n'est pas fortuitement que se trouvent ici réunis ces deux emblèmes du soleil et de la lune. Le scorpion est posé un peu oblique- ment sur la largeur du soflite. Il est précédé de deux femmes dont l'une a un masque d'épervier, et d'une figure de Nephté portant dans ses mains deux vases fermés, qui ne sont sans doute autre chose qu'un emblème du fleuve resserré dans son lit avant l’heureuse époque de l'inondation. Derrière ce signe sont un chacal posé sur une houe, et un épervier à tête humaine. Après le scor- pion, on voit deux femmes debout en avant du centaure ou sagittaire. Celui-ci est moitié homme et moitié cheval: il a deux têtes, l’une de lion et l’autre d'homme; il est dans l’action de lancer une flèche. Deux ailes sont adaptées au corps du cheval, au-dessus duquel est perché un épervier dont la tête est surmontée d’un bonnet symbolique. Le capricorne, à tête de chevreau et à corps de poisson, (1) Voyez, À. M. pag. 427, le Mémoire qui a pour titre, Recherches sur les bas-reliefs astronomiques des Egyptiens ; par MM. Jollois et Devilliers. 2 À. DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS occupe l'extrémité de la bande zodiacale, qui est terminée par une femme portant à la main un sceptre à tête de lévrier. Entre le capricorne et le sagittaire, on voit un groupe de quatre figures, où l'on remarque un bœuf qui n'a pas de jambes de devant,et dont les deux de derrière sont tenues enchaînées par une figure Typho- nienne. Un personnage à tête d’épervier, placé au-devant du bœuf, est armé d’une pique qu'ilest prêt à enfoncer dans la tête de l'animal. Une femme près de laquelle on voit un oiseau à tête de bœuf, est le quatrième personnage de cette scène re- marquable. Nous avons fait jusqu'à présent l'énumération de six des signes du zodiaque, en commençant par le lion. Les six autres signes se trouvent sur le soffite extrême à gauche. Comme ils doivent tous les douze faire partie de la même scène, il -étoit naturel que ces derniers suivissent les figures du soflite extrême de droite: et c'est ce que les sculpteurs Égyptiens ont en effet très-bien exprimé, en dispo- sant les personnages de manière qu'ils se dirigent vers le fond du temple pour marcher à la suite des figures du sofhite extrême de droite, et ne faire en quelque sorte avec elles qu'une seule et même procession. Le signe le plus près du fond du portique est le verseau. [l est représenté par un homme couronné de lotus, et tenant dans ses mains des vases, d’où s'échappe de leau figurée par des zigzags. I est précédé de.sept figures, parmi lesquelles on remarque une femme avec une étoile au-dessus de la tête, un homme à tête de taureau, et un personnage à tête d'épervier qui se tient debout sur un cygne. Un autre personnage, armé d'un couteau, se dispose à faire le sacrifice d’une gazelle; et un homme déca- pité qui se trouve derrière lut, s'incline et paroît tendre les bras pour recevoir la tête de la gazelle, Deux femmes avec une étoile au-dessus de leur coiffure ter- minent ce groupe. On remarque ensuite les porssons, placés de chaque côté d’un bassin rectangulaire où l’on a figuré de l’eau. Ce signe n’est séparé du verseau que par deux figures, lune d'homme avec un masque d’épervier et l’autre de femme, qui ont chacune une étoile au-dessus de la tête. Il est suivi d’un grand disque renfermant un personnage vêtu d’une tunique courte et étroite, et tenant dans lune de ses mains un cochon par les deux pieds de derrière. D'un côté de ce disque est une femme, et de l’autre Osiris à tête d’épervier. Le troisième signe de la bande zodiacale qui nous occupe, est le £eler dans l'action de: courir et de s'élancer. Il est, comme presque tous les autres signes, précédé de deux femmes qui ont une étoile au-dessus de la tête. On peut se rappeler que, dans le monu- ment astronomique du grand temple d’Esné (1), les signes du zodiaque ne sont pas seulement distingués par leur nature et leurs formes, mais qu'ils le sont encore par les étoiles que l’on a rassemblées autour d'eux. I paroït que, dans le zodiaque de Tentyris, on a voulu distinguer ces mêmes signes, non plus par des groupes d'étoiles, mais par ces femmes avec des étoiles sur la tête dont nous venons de parler. Le belier a la tête tournée en arrière ; maïs il marche dans le même sens que les autres signes. Il est suivi d’un homme avec.un masque de lion, d'une femme portant un sceptre à tête de lévrier, d'un cynocéphale accroupi qui a (1) Voyez la Description des monumens astronomiques, Appendice n,° I], pag. 4. au-dessus DE DENDERAH. CHAP. X. 2 $. au-dessus de sa tête un épervier mitré, et auquel est adossé un chevreau ou une gazelle. On remarque encore un personnage à deux têtes, l'une d'épervier et l'autre d'homme, chacune surmontée de coiffures symboliques. Deux femmes avec. des étoiles au-dessus de leur coiffure annoncent le signe qui doit suivre le belier. C'est le taureau, animal furieux, qui court tête baïssée et semble vouloir menacer de ses cornes. Sa queue frappe l'air, et est redressée au-dessus de sa croupe ; il a sur le dos un gros disque bordé, à sa partie inférieure, d’une espèce de croïssant. Il est suivi de deux personnages dont l'un tient un serpent, et l'autre un sceptre à tête de lévrier. Les gémeaux sont représentés par un homme et une femme qui se regardent et se donnent la main : la femme a un masque de lion, et au-dessus de sa tête un disque en avant duquel est un wbœus; lhomme est vêtu d’un habit court et serré, et sa coïffure est surmontée d'une plume. Ce signe est pré- cédé de ces deux femmes ayant une étoile au-dessus de la tête, et que nous avons déjà signalées. Viennent ensuite une femme dans la même attitude que celles-à; un bateau où se trouve un homme debout, et regardant en arrière un épervier perché sur une colonne en forme de tige de lotus; un second bateau où lon voit une génisse accroupie, avec une étoile entre les cornes ; enfin un troisième bateau où l’on remarque deux figures dont la tête est ornée de coiffures symboliques. L'une d'elles tient un sceptre à tige de lotus et une croix à anse; l’autre a dans chacune de ses mains élevées en l'air des vases d’où découle de eau, figurée par des zigzags : elle semble placée ici pour rappeler le phénomène de linondation. Un soleil lançant des rayons sur une figure d’Isis placée au-dessus d’un temple occupe ensuite presque toute la largeur du soffite. Les rayons sont représentés par une suite de cônes tronqués qui s’emboîtent les uns dans les autres, et dont les dimensions augmentent à mesure qu'ils s'éloignent davantage du centre du disque. Derrière cet emblème qui indique un lever héliaque de Sirius (1), et sur les jambes de la grande figure dont nous avons d’abord parlé, se trouve le cancer, le dernier des douze signes du zodiaque (2). (1) M. Fourier est le premier qui ait aïnsi interprété cet emblème Égyptien. Voyez, dans la collection des Mé- moires d’antiquités ,ses Recherches sur les monumens astro- nomiques des Égyptiens. (2) La description que nous venons de donner du zodiaque du portique de Denderah, a été faite sur les lieux par nous, en même temps que nous mettions le plus grand soin et l’exactitude la plus scrupuleuse à recueillir les dessins de ce tableau astronomique. Elle se trouve confirmée par les observations écrites dequelques- uns de nos collègues, et, entre autres, dé M. Villoteau, qui a bien voulu nous communiquer les extraits de son journal. Une coïncidence parfaite existe entre tous ces renseignemens écrits et dessinés, que nous ne nous sommes point communiqués en Égypte, et qui n'ont été comparés ensemble qu'a Paris, lorsque le Gou- réuni fes matériaux de l'ouvrage. Tous lés documens établissent, d’une manière incontestable, la marche et la disposition des signes du zodiaque et des figures qui les accompagnent, telles que nous venons vernement a de les indiquer, Cependant, si Fon consulte les dessins An), ÿ du monument astronomique du portique de Denderah, publiés avant ceux que nous donnons aujourd’hui, on y remarquera des différences très-essentielles sous ces rap- ports; ce qui entraineroit nécessairement dans des erreurs considérables les personnes qui, partant de l’exactitude de ces dessins, se livreroïent à des interprétations des monumens astronomiques fondées sur [a marche et la disposition des figures dont ils se composent. Nous de- Yons parler d’abord des gravures de M. Denon, qui ont fait connoïître pour la première fois à l’Europe savante le zodiaque du portique dé Denderah. Dans notre Des+ cription des monumens astronomiques, Appendice n° I], page rr, nous avons indiqué combien il étoit dificile, en copiant ces bas-reliefs, de ne pas changer l’ordre des figures, et à quelles méprises presque inévitables on étoit exposé. Nous avions en vue une transposition de figures que nous avions remarquée depuis long-temps dans le dessin de M. Denon. Nous n’insisterions pas aujourd’hui sur ce que nous n’avions voulu qu’insinuer alors à cet égard, si nous n’avions pas craint de voir l'erreur com- mise par M. Denon s’accréditer par la publication de D 26 Les autres soflites du plafond du portique sont décorés de bas-reliefs qui ont un rapport plus ou moins immédiat avec l'astronomie, et au sujet desquels nous allons entrer dans quelques détails. Nous ferons auparavant remarquer l’analogie qui existe dans la marche des figures des soffites correspondans : nous appelons ainsi ceux qui sont symétriquement placés par rapport à l’entre-colonnement du milieu, et nous les distinguerons par les dénominations de premier et de second, d’après leur position à partir de laxe de l'édifice. Il résulte de Ia description que nous venons de donner, que la marche des figures du soffite extrême de gauche est en quelque sorte déterminée par celle des personnages du soflite extrême de droite, où le lion, le premier de tous les signes du zodiaque, semble sortir du temple, et en- traîner après lui tous les autres signes. Maïs ce qui a lieu pour les sofhites extrêmes, se remarque aussi dans la disposition des figures sculptées sur les soflites intermé- diaires correspondans. En effet, dans ceux de droite , les personnages s'avancent pour sortir du temple; et dans ceux de gauche, ils entrent dans le temple pour venir à la suite des premiers : en sorte qu'il faut se représenter que le plafond tout DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS ouvrage de M. Hamilton, qui en offre une à peu prés semblable. Ce que par nos soins extrêmes nous avons su éviter, est précisément arrivé à M. Denon. Si l’on jette les yeux sur la planche 122 de son Voyage dans la haute et basse Egypte, il sera facile de s'assurer que toutes les figures de la bande zodiacale où se trouve Île cancer ont été retournées, où qu’elles sont transposées lorsque plusieurs de ces figures forment des groupes. M. Denon a sûrement commencé par dessiner la bande zodiacale qui renferme le lion. Toutes les figures qui la com- posent, occupent bien dans son dessin la même place que dans le monument, et leur position relative n’a rien de contraire à la vérité. Le lion sort du portique, et entraîne après lui les autres signes de la première bande zodiacale et les figures qui s’y trouvent mêlées. Mais il paroît que M. Denon, pour dessiner le dernier soffite à gauche du plafond du portique, ne s’est point mis dans la niême position qu’il avoit prise pour dessiner le premier soffite à droite, c’est-à-dire qu’il n’a point re- gardé les deux soffites extrêmes du même côté, II a donc suffi qu'il se trompât dans la position de la pre- mière figure considérée indépendamment de la bande zodiacale où se trouve le lion, pour déterminer une erreur semblable à l'égard de toutes les autres figures de la bande zodiacale terminée par le cancer. Aïnsi, dans la gravure de M. Denon, les six derniers signes du zodiaque, au lieu d’entrer dans fe temple, en sortent immédiatement comme les six premiers. Or il est incon- testable, par nos propres observations et par celles de nos collègues qui, sur les lieux, ont scrupuleusement examiné les faits, que les signes de la deuxième bande zodiacale entrent dans le temple pour former la suite de la procession dont le lion ouvre la marche. Nous avons remarqué d’ailleurs cet ordre, non-seulement dans les soffites extrêmes, mais encore dans les soffites inter- médiaires, ainsi que cela est développé dans le présent Mémoire. | Après l'ouvrage dé M. Denon a paru celui de M, Hamil- ton, dont nous avons parlé ci-dessus. Ce dérnier ren- ferme aussi les dessins du monument astronomique du por- tique de Denderah : ils se trouvent dans la planche 12 de Patlas du Voyage ayant pour titre, Remarks on several parts of Turkey, part 1, Ægyptiaca , or some account of the ancient and modern state of Egypt, as obtained in the years 1801 and 1802, Toutes les figures de la bandezodia- cale qui renferme le lion, occupent bien la même posi- tion relative que dans le temple. Cela est aussi généra- lement vrai pour la deuxième bande zodiacale qui se termine par le cancer, où cependant, par une erreur difficile à concevoir, les figures comprises entre le tau- reau et les gémeaux sont retournées ainsi que ces deux signes eux-mêmes, comme cela a lieu dans le dessin de M. Denon. Il en est ainsi de tous les personnages mon- tés sur des barques, qui composent la rangée inférieure de cette deuxième bande zodiacale. Maïs une remarque très-importante , et que nous devons faire ici pour l’exac- titude des faits, c’est que M. Charles Hayes, qui a fourni les dessins de l’atlas de M. Hamilton, n’a copié du monu- ment astronomique du portique de Denderah que les ran- gées supérieures où se trouvent les signes du zodiaque : quant aux rangées inférieures, qui se composent de per- sonnages montés sur des barques, elles ont été calquces sur les planches de l’atlas de M. Denon. Ce qui le prouve, c’est que les figures y ont absolument en hauteur et en largeur les mêmes dimensions. II n’y a que les barques où elles se trouvent que l’on a un peu alongées, parce qu'il Pa fallu ainsi pour les faire coïncider avec Le dessin de M. Hayes, qui étoit sur une échelle plus grande. Ces figures sont dessinées dans la même manière que celles de M. Denon; et cette manière est différente de celle de M. Hayes, comme il est facile de s’en assurer par la seule inspection de la planche. Ainsi donc les dessins de M. Hamilton, loin de servir d’autorité, comme on pourroit le croire d’abord, concurremment avec ceux de M. Denon, pour établir la marche des signes du zodiaque, prouvent au contraire , d'une manière incontestable , que toutes les figures se suivent dans Pordre que nous avons décrit, puisque la seule portion dessinée sur les lieux par M, Hayes est, pour la plus grande partie, con- forme à nos dessins. DE DENDERAH. CHAP, X, 27 entier du portique est occupé par trois processions sortant du temple par les entre-colonnemens de droiïte, et entraînant après elles les figures qui pénètrent par les entre-colonnemens de gauche. Le second soflite à droite, celui qui vient immédiatement après le zodiaque, est divisé en deux parties encadrées, pour aïnsi dire, par des bandes longitudinales d'hiéroglyphes, trop nombreux pour que nous ayons eu Île temps de les copier (1). La partie qui se voit au bas du dessin, et qui, dans le plafond, se trouve la plus voisine du mur latéral du portique, se compose de personnages , hommes etfemmes, debout et groupés deux à deux, au devant desquels sont des espèces de coffres surmontés de deux rangées d'étoiles. Osiris, tantôt avec une tête humaine, ét tantôt avec un masque d'épervier ou de belier, se fait remarquer parmi les figures d'hommes: il tient dans ses mains un sceptre à tête de lévrier. Les femmes ont une étoile au-dessus de la tête, et portent dans la main droïte une croix à anse: la marche de ces personnages est ouverte par une femme isolée. On voit d’abord six groupes de figures pareils à ceux que nous venons d'indiquer ; puis un épervier, emblème du soleil, élevé sur une estrade : cinq autres groupes de deux figures, pré: cédés par une femme, sont placés derrière l’épervier, et l'on peut y distinguer un homme avec un masque de taureau, dont la tête est surmontée d’un croissant, au- dessus duquel sont deux scarabées. On aperçoit ensuite un personnage toutà-fait semblable à celui-là, sinon que les deux scarabées sont remplacés par un soleil lançant des rayons de lumière: cette procession de figures marche en avant de trois barques, dans la première desquelles est Osiris à tête de belier, enfermé dans une châsse; la seconde barque porte au milieu d’un disque un œil, qui est, comme on sait, l'emblème du Soleil ou d'Osiris (2) ; la troisième barque contient un per- sonnage assis avec tous les attributs de la divinité. La marche est fermée par un groupe de trois figures, composé d'un homme à tête de couleuvre aquatique, armé du sceptre à tige de, lotus et de la croix à anse, d’une femme et d'Horus avec les emblèmes de la divinité. Derrière ce groupe, on a sculpté une femme debout, maïs dans une position renversée : ses bras élevés en l'air portent un Croissant, au milieu duquel est un scarabée, emblème de la génération. La première des barques est traînée par trois prêtres, au moyen d'une corde terminée en forme d'#æus. Trois figures debout sont dans l'attitude du respect devant la divinité. La seconde partie du deuxième soflite de droite renferme trente-trois figures que nous ne nous attacherons point à décrire une à une, et que le dessin fait sufli- samment connoître. Nous nous bornerons à faire remarquer que plusieurs d’entre elles se retrouvent dans les zodiaques de Latopolis (3) et du petit temple situé au nord d’Esné (4). Ce sont principalement des serpens dressés sur leurs corps; des ubœus groupés avec des cérastes, ou ajustés sur des corps humains, et présentant des vases; enfin des sphinx à corps de lion et à tête de femme. La plupart des per- sonnages ont des masques de lion : ils sont assis ou debout avec les attributs des dieux; savoir, la croix à anse, le fléau, et la tige de lotus. L'un d’entre eux présente (1) Voyez planche 19, fig. 4, A. vol. IV, (3) Voyez planche 79, À, vol. L (2) Voyez le Traité d’lsis et d'Osiris de Plutarque. (4) Voyez planche 87, À, vol. T, FETE Y D 2 2 8 ___ DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS des vases, emblèmes des prémices de linondation ; un autre offre un œil, symbole d'Osiris. I] faut distinguer une figure dans l'attitude d’un homme assis, dont les bras sont étendus, et dont la tête est remplacée par une plume: elle se retrouve à peu de chose près la même dans le zodiaque de Latopolis {1}. La comparaison de toutes ces sculptures avec celles des autres monumens astronomiques de l'Égypte fera né- cessairement apercevoir d'autres ressemblances : ainsi un personnage debout avec un masque de lion, qui paroît étendre ses mains protectrices sur deux cyno- céphales accroupis, n'échappera pas à l'attention de ceux que ces matières inté- ressent. Une figure presque tout-à-fait pareïlle se voit dans le zodiaque d’Esné (2). Au commencement et à la fin du bas-relief curieux dont nous venons de donner une description succincte, on remarque deux personnages debout, qui ont chacun deux têtes de couleuvre aquatique surmontées de plumes; ils ont un double rang d’aïles adaptées au corps, et leurs bras étendus sont armés d’une croix à anse et d’une voile carrée. | | Le soffite correspondant à gauche renferme des sculptures analogues à celles que nous venons de décrire (3) : il est aussi divisé en deux rangées de figures formant une procession qui entre dans le temple pour venir à la suite des personnages du soffite de droite; chaque rangée est séparée par des lignes longitudinales d’hiéroglyphes, et terminée à ses deux extrémités, l'une par des hommes avec des masques de belier,, et l'autre par des femmes dans la même attitude que celle que nous avons déjà décrite, mais qui, au lieu d’un croissant, portent un globeailé, lançant des rayons de lumière, et accompagné d'vbœus. La bande inférieure, celle qui est le plus près du mur laté- ral à gauche, est formée d'abord de vingt-deux figures et de deux z/œus dressés sur des dés, d’où ils font jaillir par leur bouche trois filets d’eau figurés par des zigzags. Le premier groupe se compose de neuf personnages, dont trois seulement sont des hommes ; les six autres sont des femmes: ils ont tous, deux hommes EXCEP : tés, des disques sur la tête. Le second groupe renferme six personnages , parmi les- quels trois femmes ont des disques sur la tête, et trois hommes des masques d’éper- vier et d'ibis. Les deux zhœus dont nous avons parlé, sont séparés par une femme. Enfin le dernier groupe est composé de trois femmes avec des disques sur la tête, et de trois hommes ayant une coiffure surmontée de plumes et de serpens. Ces figurés sont suivies de sept barques. Dans les quatre premières, on remarque Osiris à tête humaine, à qui un prêtre ayant un masque d’ibis fait une offrande; Isis portant un sceptre à tige de lotus, Harpocrate avec un fléau sur l'épaule , et Osiris à tête d’épervier : chacune de ces divinités est accompagnée d’une figure plus petite, ayant un masque d'épervier et tous les attributs des dieux. Sur la cin- quième barque, on voit Osiris à tête d’épervier, enfermé dans une châsse, et accom- pagné de personnages qui sont devant lui dans l'attitude du respect : elle est traînée par trois prêtres, au moyen d’un cordon terminé en forme d'ubæus, et elle est dirigée par un homme qui a un masque d’épervier. À la proue de la barque et sur la fleur de lotus qui la termine, est accroupi un cynocéphale, espèce de génie (1) Voyez planche 79, À. vol, . (3) Voyez planche 19, fig. r, A. vol, IV. (2) Voyez ibid, DE DENDERAH. CHAP, X, 29 protecteur; la poupe est occupée par un homme à tête d’ibis, symbole de l'inon- dation. La sixième barque porte encore Osiris renfermé dans une châsse; mais ici il a une tête humaine : cette barque est précédée d’une espèce de cippe surmonté de la statue d'Harpocrate accroupi, que trois chacals enchaînés paroiïssent traîner; au-devant d'eux sont en adoration quatre cynocéphales avec des bras et des pieds humains. Enfin la septième barque porte une grande châsse où sont renfermées deux statues d'Osiris assis , l'une à tête d'homme, et l’autre avec une tête d'éper- vier. La châsse est précédée par une espèce = out surmontée d’un sphinx à corps de lion et à tête de femme. La seconde bande du soflite renferme trentetrois figures diverses et deux barques. Parmi ces représentations, on remarque cinq serpens dressés sur leurs queues, dont un seul a des aïles ; et quatre autres serpens à bras et à pieds humains, faisant chacun l’offrande de deux vases, emblèmes de l'inondation. Un dernier serpent qui, par son étendue et les replis de son corps, paroît être une couleuvre aquatique, se trouve placé au-dessus d’un temple. Treize figures ont des masques de lion: les unes sont assises et portent les attributs des dieux; les autres, qui sont debout, ont les mêmes emblèmes, ou bien font des offrandes de vases. Deux per- sonnages, dont l'un a une tête d'ibis, et l’autre, une tête de couleuvre aquatique, présentent aussi des vases, et l'on ne manquera point de remarquer encore une . femme dont le corps se termine en queue de poisson, et qui ressemble beaucoup à une configuration analogue dans le zodiaque de Latopolis (1). Les autres per- sonnages sont Isis coiffée de la dépouille d’un vautour, et Osiris à tête d’éper- vier et à tête humaine : ils ont les attributs des dieux ; savoir, la croix à anse et le sceptre à tige de lotus ou à tête de lévrier. L'une des deux barques dont nous avons parlé, renferme dans une châsse Osiris avec un masque d'épervier, et Isis ; elle est précédée d’une enseigne formée d’un sphinx à corps de lion et à tête de femme: l'autre barque porte une châsse où l’on voit les mêmes divinités, si ce n’est qu'Osi- ris a une tête humaine ; elle est précédée d’une enseigne surmontée d’un chacal. Nous ne quitterons point l'examen de cette rangée de figures, sans faire observer que beaucoup d’entre elles se retrouvent presque absolument les mêmes dans la frise astronomique d'Edfoû (2). Le serpent ailé, la couleuvre aquatique placée sur un autel, les serpens à bras et à pieds humains offrant des vases, le personnage dont le corps se termine en queue de poisson, les divinités avec des masques de lion, et notamment celle qui est assise et tient dans ses mains une relique d’Isis, sont tout- à-fait semblables, et se succèdent presque dans le même ordre : d'où l'on doit con- clure que la signification de ces emblèmes dans l’un et l'autre bas-relief doit avoir une grande analogie. Le premier soffite à droite, contigu à l’entre-colonnement du milieu, est partagé en quatre scènes qui occupent toute sa largeur (3). Dans la première, un disque au milieu duquel est un œil, emblème du Soleil ou d'Osiris , repose sur une barque. Sept figures accroupies et ayant à la main la croix à anse sont au-dessus de cet (1) Voyez planche 79, À. vol. JL. (3) Voyez planche 19, fig. 3, A. vol, IV. (2) Voyez planche 58, fig. 2, À. vol. I. 30 __ DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS œil; il y en a un pareil nombre au-dessous (1). Quatre hommes avec des masques de chacal d'un côté, et quatre éperviers à tête et à bras humains de l’autre côté, sont en adoration devant la barque. Derrière les hommes, on voit élevés sur des estrades, un oiseau dont la tête est mutilée, et une chimère aïlée à corps de cheval et à tête d'épervier, surmontée de deux cornes de belier et d’un disque. La seconde scène renferme cinq éperviers rangés par étages, et au-devant desquels une femme et un homme à tête d’ibis sont en adoration. La troisième consiste en un grand disque posé sur un croissant, et au milieu duquel est un œil; le tout est porté sur une fleur de lotus : un homme à tête d'ibis est à la droite; et à la gauche, on voit quatorze personnages avec tous les attributs des dieux, placés sur quatorze marches, dont la plus élevée arrive au niveau de la fleur de lotus ; parmi eux, sept sont des femmes, dont une seule a un masque de lion, et les sept autres sont des hommes, dont trois ont des masques d'épervier. Toute cette scène est encadrée, pour ainsi dire, par des lignes d'hiéroglyphes que leur trop grand nombre et la difhculté de les distinguer ne nous ont point permis de dessiner. Il est difhicile de ne point reconnoître dans ce bas-relief la repré- sentation de la néoménie du solstice d'été. En effet, le lotus, qui indique la crue du Nil; le personnage à tête d'ibis, qui estle signe de l'inondation, caractérisent le premier mois de l'année Égyptienne: enfin le croissant dont les pointes sont tournées en haut, marque la nouvelle lune, suivant Horapollon; et d'ailleurs ce disque au milieu duquel est l'œil d'Osiris, ne semble-t-il pas indiquer d’une manière frappante la lune en conjonction avec Flastre du jour! La quatrième et dernière scène semble être la représentation de flexaltation ou du triomphe d'Osiris , lorsqu'au solstice d'été le soleil est arrivé au plus haut point de sa course: elle consiste en une grande barque qui repose sur une espèce de brancard porté par quatre femmes ; la barque renferme trois divinités assises, parmi lesquelles se trouve Osiris à tête humaine, placé au milieu. Le scarabée, emblème de la vie renouvelée, plane au-dessus de lui entre deux vautours tenant dans leurs serres une croix à anse. Sur la fleur de lotus qui forme la proue de la barque, on voit un cynocéphale accroupi. À la poupe, est un personnage d'une stature plus petite, qui tient une croix à anse et un whæus. Ce bas-relief est entouré sur les côtés par six personnages rangés par étages, et dans l'attitude de l'adoration : trois sont à droite, et ont des masques d’épervier; les trois autres sont à gauche, et ont des têtes de chacal. Si l’on en croit d'anciens témoignages, c'étoit ainsi qu'on repré- sentoit le peuple en adoration devant l’astre qui, arrivé au plus haut point de sa course, paroïssoit être, pour ainsi dire, la cause immédiate des débordemens du Nil, et répandre la fécondité sur la terre d'Égypte. On voit ensuite deux groupes de quatre figures chacun, placés l'un au-dessus de l'autre, et composés de deux hommes avec des masques de grenouille, et de deux femmes à tête de couleuvre aquatique. Tous ces personnages ont les attributs des dieux; savoir, la croix à anse et le sceptre à tête de lévrier. Un belier aïlé à quatre têtes, et un oïseau (1) Un disque absolument semblable se trouve parmi les sculptures du temple d’Edfoù. Voyez planche 56, fig. 1, A, vol. I. DE DENDERAH CHAP. X, 3 1 àtète de belier, terminent cette scène remarquable. Toutes ces sculptures nous paroissent, comme nous l'avons dit, relatives au solstice d'été. Nous avons déjà hasardé ailleurs quelques conjectures sur le sens que peuvent présenter ces person- nages à tête de couleuvre aquatique et à tête de grenouille dans un bas-relief ana- logue (1), où la peinture de ce qui se passe en Égypte à l'époque de l'imonda- tion, ne laisse presque aucune incertitude sur la valeur des symboles que lon a employés. | Le premier soffite de gauche, correspondant à celui dont nous venons de décrire les sculptures , est partagé en trois rangées de figures séparées par des lignes longi- tudinales d’hiéroglyphes (2). La bande supérieure, celle qui est contiguë à l’entre- colonnement du milieu, est composée de quarante-huit figures groupées trois à trois ou quatre à quatre : ce sont des éperviers à tête et à bras humains, dans l'attitude de l’adoration; des hommes debout et les bras pendans, avec des masques d'ibis et de chacal; des serpens et des cynocéphales à pieds et à bras humains: des figures accroupies à tête de lion, portant à la main la croix à anse; des chacals; des hommes debout, appuyés de leurs deux mains sur un bâton; d’autres qui n’ont qu'une seule jambe, et qui portent sur les épaules le crochet et le fléau. La bande inférieure, celle qui est la plus voisine du mur latéral de gauche, se compose de figures absolument pareïlles et groupées de la même manière, sinon toutefois que leur ordre est différent, et que l'on remarque parmi elles des éperviers à tête de chacal qui ne se voient point dans la rangée supérieure. La bande intermédiaire renferme douze barques précédées chacune d'une figure de femme dans l'attitude de l'adoration et avec un disque sur la tête. Dans les trois premières barques et dans les trois dernières, dés personnages avec des masques d'animaux divers pa- roissent adresser des supplications à Osiris à tête humaine, ou à tête d’épervier, de chacal ou de chien. Un cynocéphale lançant une flèche est aussi l'objet de leurs adorations. Les six autres barques contiennent des disques où lon remarque un belier à quatre têtes, et Osiris debout dans les uns, et assis dans les autres, avec les attributs de la divinité. Il est remarquable que le personnage à tête d'ibis se trouve, dans toutes les barques, parmi ceux qui présentent des supplications aux dieux. A la proue de chacune d’elles, sur une espèce de piédestal , on voit, soit un cynocé- phale accroupi, soit Harpocrate, dieu du silence, ou bien un sphinx à corps de lion et à tête de femme, un bœuf, un épervier à tête humaine, un chacal ou une momie. | La décoration du soflite de l’entre-colonnement du milieu, dont il nous reste à parler, consiste en vautours dont les aïles sont déployées et dont les serres sont armées d'espèces d’étendards (2), et en globes ailés, accompagnés de serpens et sur- montés d’une coiffure symbolique. Ces emblèmes occupent le milieu du soflite sur une grande largeur, et se répètent alternativement. De chaque côté de cet orne- ment sont disposées des lignes longitudinales d'hiéroglyphes, et le reste du plafond (1) Voyez la planche 64, A. vol. TIT, et notre Des- (2) Voyez planche 19, fig. 2, À. vol, IV. cription générale de Thèbes, chap, IX, sect, VIIr, (3) Voyez planche 14, fig. 4, A. vol. IV, pag. 277 et suiv. 32 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS est couvert, de part et d'autre, d’un grand nombre d'étoiles sculptées et peintes, qui se détachent sur un fond de couleur bleue. | Le dessous des architraves sur lesquelles reposent les pierres du plafond, est orné, comme nous l'avons déjà dit, de trois lignes de grands hiéroglyphes sculptés et peints, qui sont en rapport parfait avec la richesse incroyable des ornemens du plafond. ARTICLE III. De l'intérieur du Temple proprement dir, Nous allons actuellement pénétrer plus avant dans l’intérieur dutemple, pour en faire connoître la distribution et pour décrire les sculptures les plus importantes quil renferme. | On sait déjà que le mur du fond du Rortque forme la ee du temple proprement dit, de telle sorte que le pronaos paroît , pour ainsi dire, y avoir été ajouté après coup. Âu milieu de cette façade est une porte couronnée d’une corniche : elle donne entrée dans une salle hypostyle, dont le plafond repose sur deux rangées de trois colonnes chacune. Cette sorte de second portique est encombrée jusqu’à la hauteur des chapiteaux; et ce n'est qu'en se baïssant, et en se mettant presque à plat ventre, que l’on peut passer de 1à dans la pièce suivante. Aussi toutes les portes qui établissent la communication avec les salles latérales, sont à peine visibles, et l'on n'aperçoit plus même les chambranles, qui se font ordinairement distinguer par une légère saillie sur le nu des murs. Le second portique a la forme d’un carré d'environ quatorze mètres de côté. Les chapiteaux des colonnes qui en supportent le plafond , ne diffèrent de ceux du premier por- tique que par une campane placée au-dessous des quatre figures d’Isis. Celle-ci est ornée de fleurs de lotus, qui, à mesure qu’elles approchent de l'extrémité inférieure du chapiteau , augmentent en nombre et diminuent de grandeur, jusqu'à ce qu'enfin elles correspondent une à une à des cannelures dont la partie supérieure du fût est décorée sur une hauteur de cinquante centimètres. Nous avons déjà fait remarquer ces espèces de triples chapiteaux à Philæ, à Esné et à Thèbes. Ici la réunion des trois membres d'architecture forme une hauteur presque égale au füt de la colonne. Sur chacune des faces des dés on a sculpté Isis allaitant Horus, et à qui diverses offrandes sont présentées. Des prêtres tiennent des sistres à trois cordes, qu'ils semblent offrir à cette déesse. Immédiatement au- dessous du plafond, une frise formée de masques d'Isis surmontés de temples règne tout au pourtour du second portique, et les faces des architraves sont décorées de figures pareïlles. L’encombrement n’a point permis de juger du reste des orne- mens ; mais il est probable que ce sont des tableaux analogues à ceux qui décorent les murs latéraux du portique. La salle hypostyle ne reçoit d’autre lumière que celle qui arrive par la porte. À droite et à gauche sont distribuées six pièces, dont les portes de communication sont maintenant, ainsi que nous l'avons dit, entièrement obstruées DE DENDERAE CHAP, X, !« 33 obstruées par les décombres. Nous avons pu cependant en visiter quelques-unes, et nous avons pénétré dans la pièce du milieu à droite par la porte extérieure, dont l'encombrement étoit peu considérable. Les parois de cette salle sont cou- vertes de tableaux analogues à ceux du portique. Nous sommes entrés dans la pièce contiguë, vers le sud, par les chambres intérieures qui avoisinent l'escalier (1). Nous l'avons trouvée couverte de sculptures représentant Osiris à tête d'épervier, et Isis à qui l’on fait des offrandes. L’obscurité qui y règne favorise sans doute le séjour des chauve-souris, que l’on y trouve en quantité innombrable. On a vraiment peine à se figurer tout ce que la présence des voyageurs produit d'agitation et de désordre au milieu des sombres retraites de ces animaux. Nous avons été forcés d'abandonner à plusieurs reprises le projet de nous y maintenir, à cause de la difficulté de conserver nos flambeaux allumés. Nous n'avons pu pénétrer dans la salle du milieu à gauche par la porte extérieure, attendu que, de ce côté, l'encombrement est si considérable, qu'il s'élève presque jusqu'à la hauteur du cordon de la corniche; ce n’est que par un très-petit soupi- rail carré, de quarante centimètres de côté environ, que lon a pu descendre dans cette pièce, placée précisément au-dessous de l'appartement du zodiaque, dont nous parlerons bientôt avec détail (2). Ce soupirail est percé au milieu du plafond, qu'il traverse dans toute son épaisseur. Il falloit être très-mince pour passer par un trou aussi étroit, et ce fut M. Moret, notre collègue , qui se chargea de cette pé- nible commission. Nous le suspendimes, en conséquence, à une corde, et, après qu'il se fut muni d’un flambeau, nous le descendtmes avec la plus grande précaution, jusqu'à ce qu'il eût atteint les décombres dont la pièce étoit en partie remplie. Mais quelle est la surprise de notre collègue, lorsqu'au lieu de se reposer sur le sol, il s'aperçoit qu'il foule aux pieds un cadavre! Il reconnoît bientôt un homme dont on avoit lié les mains derrière le dos, et qui avoit été étranglé. L’instrument du supplice de cet infortuné étoit encore passé autour de son cou. A l'inspection du cadavre, nous avons jugé qu'il étoit là depuis trois ou quatre années. C'est peut-être quelque malheureux voyageur que des Arabes auront dépouillé, et qu'ils auront ensuite assassiné et précipité dans ce lieu obscur, pour dérober jusqu'à la trace de leur forfait. Entraïné par son admiration pour le beau monument qu'il étoit venu chercher, cet infortuné a péri sur une terre étrangère, victime de son zèle pour les arts. Sans doute sa famille désolée n'a point eu la consolation de connoître l'endroit où il avoit cessé de vivre. Combien cet événe- ment fit naître en nous de tristes réflexions! Nous fûmes naturellement conduits à faire un retour sur nous-mêmes, qui, quelques mois auparavant, venions presque tous les jours, furtivement et sans escorte, dessiner avec tant d’imprudence et d’ardeur les belles choses que nous avions admirées. Emportés par un zèle que pourront seuls concevoir les amateurs des antiquités, nous nous étions exposés cent foïs au sort du malheureux dont le cadavre étoit sous nos yeux, et dont nous déplorions la perte, comme si sa mort eût été récente et qu'il eût été le com- pagnon de nos travaux. (1) Voyez le plan, planche #, fig. 1, À. vol. IV, (2) Voyez le plan, planche 8, fig. 2, À, vol. IF. A, D. £ 3 À DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS Les recherches de notre collègue ne nous apprirent rien de particulier sur la distribution intérieure de la pièce où il étoit descendu. Elles nous confrmèrent l'existence des portes de communication avec l'extérieur et avec la salle hypostyle, telles que nous les avons figurées dans le plan {1). Nous acquîmes, en outre, la certitude que les parois des murs sont couvertes de eculptures et de tableaux ana- logues à ceux qui ornent le portique. Il ne nous a point été possible de pénétrer dans les salles contiguës à celle-là ; maïs leur étendue étoit déterminée par lalongueur du deuxième portique, dont nous avons pu prendre la mesure avec exactitude. Il en est de même de la première pièce à droite, dont nous n'avons pas encore parlé. On sort de la salle hypostyle, ou deuxième portique, par une porte d’environ trois mètres de largeur, pour pénétrer plus avant dans le temple, et l'on se trouve au milieu d'un premier vestibule de cinq mètres un tiers de long et de quatorze mètres de large, qui n'offre, sous le rapport des sculptures, rien que l’on n'ait déjà fait remarquer ailleurs. Ce vestibule est éclairé par des soupiraux pratiqués à la partie supérieure du plafond, dans les angles sud-est et sud-ouest, et au milieu de la face latérale à gauche : ils forment une petite ouverture carrée à l'extérieur; mais, à l'intérieur, ils s'ouvrent graduellement pour favoriser la dispersion de la lumière : ils ont cela de remarquable, que leur paroi inférieure est ornée d’un disque d’où partent des rayons divergens de cônes tronqués, implantés, pour aïnsi dire, les uns dans les autres. Les divers rapprochemens {2) que nous avons déjà faits, nous ont démontré que les Égyptiens ont voulu représenter par cet emblème la lumière du soleil pénétrant dans le temple. Ces ouvertures pouvoient se fermer, au besoin, avec des espèces de volets ou de bouchons de pierre, comme nous avons reconnu qu’il en a indubitablement existé dans le pylône d'Edfoû (3). Le vestibule n'est pas moins rempli de débris que la salle hypostyle qui le précède; et l'on voit, à l’angle de droite, une porte communiquant à un escalier et à des chambres qui sont situées au rez-de-chaussée, mais qui paroissent maintenant souterraines, à en juger du sommet des décombres dont cette pièce est remplie. Deux portes pratiquées dans le mur latéral à gauche conduisent à deux salles obscures de deux mètres et un tiers de largeur, et qui n’ont rien de remarquable sous le rapport des sculptures dont leurs paroïs sont ornées. Du premier vestibule on entre dans un second par une porte de 2",74 de largeur, ornée, comme la précédente, d'un encadrement et d’une corniche où se trouve un globe aïlé. Ce second vestibule à la même largeur que le pre- mier, et une longueur de six mètres ; son état d’encombrement est aussi à peu près le même : il est éclairé par des soupiraux semblables à ceux dont nous avons déjà parlé. Deux portes pratiquées dans les murs latéraux, à l'est et à l'ouest, donnent entrée dans deux pièces obscures, qui n'offrent aucune particularité digne d’être mentionnée. Le mur du fond est percé de troïs portes, dont l’une, grande et surmontée (1) Voyez planche 8, fig. 1, A. vol, IV. (2) Voyez la Description g col de Thèbes, chap. IX, sect, IV, pag. 162. (3) Voyez l'explication de la planche 61, À, vol. I. DEMDENDERAH. CAP.) À, 35. d'une élégante corniche, conduit dans le sanctuaire du temple; les deux autres sont plus petites, et n'ont ni encadrement ni corniche: elles étoient encom- brées jusqu'au linteau. Nous avons fait exécuter quelques fouilles pour les rendre praticables, et nous avons reconnu qu'elles conduisent à un corridor servant d’issue à un assez grand nombre de petits cabinets obscurs, distribués tout autour du sanctuaire (1); ce corridor est chargé d'ornemens. M. Dutertre, notre collègue, a dessiné un sujet sculpté au-dessus. de l'une des portes et près du plafond : on peut le voir dans la plnche 26 (2). On y remarque particulièrement un personnage debout avec un masque de belier : il a des ailes d’épervier attachées au-dessous de ses bras étendus; il tient dans la main gauche une croix à anse, et dans la main droite un mât où est suspendue une voile carrée. Deux figures accroupies sont de part et d'autre ; en avant, on voit un épervier à tête de belier. Les petits ca- binets obscurs ne sont pas moins ornés de sculptures que le corridor. Mais quel pouvoit en être l'usage! Étoient-ils destinés à l'habitation des prêtres qui des- servoient le temple! ou bien étoïent-ils consacrés chacun à l’une des nombreuses divinités que révéroit le peuple Égyptien! C'est ce qu'il n’est pas aisé de déter- miner. Peut-être avoient-ils un tout autre objet, que nous ne pouvons pas même entrevoir, à cause de l'ignorance où les anciens nous ont laissés sur ce qui se pratiquoit dans les réduits les plus secrets des temples .de l'Égypte. Ces pièces ne recevoient de lumière que par le corridor, qui n'étoit lui-même éclairé qu'au moyen de quelques soupiraux pratiqués dans l’épaisseur de son plafond. Nous avons avancé, dans plusieurs circonstances, que les différentes parties des monumens Égyptiens s'enchevétroient, pour ainsi dire, les unes dans les autres: nous trouvons ici de quoi justifier cette assertion. En effet, le mur du fond du second vestibule présente la façade du sanctuaire en avant-corps (3), comme si cette portion du temple formoit un édifice isolé : une corniche décorée d’un globe ailé couronne cette façade, encadrée, en quelque sorte, toute entière par le tore Égyptien. La richesse des sculptures dont cette entrée du sanctuaire est ornée, ajoute à la beauté mâle de son architecture, et offre un ensemble tel, que nulle part ailleurs nous n'avons rien vu de plus grand, de plus sagement conçu et de plus magnifique. Le sanctuaire à 10",62 de long, $",67 de large, et 8,43 de haut; ses parois offrent des sculptures où l’on remarque principalement des châsses portées sur des barques (4) : son sol a été en partie creusé, et l’on aperçoit, près du mur du fond, une ouverture par laquelle on peut se glisser dans une sorte de cave qui nous a paru occuper toute l'étendue du sanctuaire. Des conduits secrets pratiqués dans les murs latéraux du temple, et où nous n'avons pu pénétrer, communiquoient sans doute avéc ce souterrain; c'est au moins ce que nous sommes conduits à conclure de la comparaison de la profondeur des pièces obscures qui entourent le sanc- tuaire, avec la largeur totale de l'édifice et l'épaisseur des murs du temple, dont nous avons pris exactement la mesure ($): ces conduits secrets venoient sans (1) Voyez le plan, planche 8, fie. 1, A, vol, IV, (4) Une de ces chässes se voit dans la planche 22, (2). Voyez A. vol, IV, fig. 10, A. vol, IV. (3) Voyez planche 8, fig. ret s, A, vol. IV, (s) Voyez la planche 8, fig.r et s, A, vol, IV. À, D. E 2 3 6 _ DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS doute aboutir à la terrasse, où ils étoient fermés par des pierres mobiles que l'on enlevoit à volonté, et qui étoient si bien jointes, qu'elles ne pouvoient être aperçues que de ceux qui en connoissoient l'existence. Nous avons déjà fait remarquer de semblables pierres à Karnak (1). C’est probablement par ces cou- loirs que s'introduisoient les prêtres qui faisoient entendre les oracles des dieux dans le sanctuaire du grand temple de Tentyris. Nous ne quitterons point cette pièce mystérieuse, sans faire observer que toutes les baies de portes placées sur l'axe du temple diminuent de largeur et de hauteur à partir du portique : il sem- bleroit que les Égyptiens ont eu l'intention de forcer un effet de perspective qu'ils avoient observé. D'ailleurs, d’autres faits et d’autres circonstances dé- montrent, jusqu'à l'évidence, qu'ils ont ignoré les premiers principes d’un art dont on fait de si heureuses applications aujourd'hui dans la représentation des objets qu'offre la nature. Après avoir fait connoître tout le rez-de-chaussée du temple de Denderah, il nous reste à parcourir les étages supérieurs et les terrasses. On y arrive au moyen d'un escalier qui communique avec le premier vestibule par une porte située en face des premières marches. La cage de l'escalier est de forme rectangulaire : ses marches sont établies autour d’un noyau solide de 3”,90 de long et de 3",10 de large ; elles ont un mètre de longueur, trente-deux centimètres de largeur, et une hauteur seulement de cinq centimètres, ce qui les rend très-commodes à monter. [ faut franchir onze marches pour arriver au premier palier, et dix, en retournant à angle droit, pour parvenir au second. À chacun de ces paliers et à ceux qui leur correspondent aux étages supérieurs, on a pratiqué des sou- piraux en forme d’entonnoir renversé, par où arrive la lumière. L’escalier fait deux révolutions et demie, au bout desquelles on parvient sur la terrasse ; tout son noyau est couvert de sculptures exécutées avec un soin extrême et un fini précieux. On y remarque des étendards surmontés les uns d’éperviers et d'vœus, les autres d’un bœuf et de deux serpens en croix. On ne se lasse point d'admirer la manière franche et vraie dont ces animaux sont sculptés, et l'on ne peut s'empêcher de rendre une entière justice à l’art Égyptien au sujet de ces représentations, que les artistes les plus habiles de nos jours ne désavoueroïent point. Au pied de lescalier on voit une figure de femme accroupie et sans bras, avec un masque de lion; elle repose sur un dé assez élevé. Des personnages en costumes militaires et civils, toutà-fait semblables à ceux dont nous avons donné la description à Medynét- Abou (2), viennent ensuite; ils sont vêtus d'une tunique large, qui, descendant des reins jusqu'aux pieds, est retenue par des bretelles. La ceinture, qui paroït être en métal ciselé, renferme un poignard dont le fourreau est brodé en relief. Ces personnages ont pour coiffure une calotte ronde qui prend juste la forme de la tête et se découpe autour des oreilles : Fun d’eux porte dans ses mains une espèce de châsse retenue en outre par un ruban passé derrière son cou. Au- dessus de ces bas-reliefs et près du plafond règne une frise composée de scarabées. (1) Voyez la Description générale de Thèbes, ch, ZX, (2) Voyez la Description générale de Thèbes, ch. IX, sect, VIII , pag, 276, sect, IL, pAg, 47 et suiv, D ELPEIND ERA. GHRAR. NX, 37 Au deuxième détour de l'escalier, des figures semblables à celles que nous venons de décrire, portent en triomphe un épervier renfermé dans une châsse, et près duquel sont des cornes de génisse , attribut d’Isis ,une lyre à quatre cordes, et deux poissons. Plus loin, un chacal est étendu sur les quatre pattes; il a devant lui une tige de lotus, et un fléau est suspendu au-dessus de son corps. On voit encore près de là un homme accroupi à tête de chacal, et un œuf posé verticalement sur un étendard. Deux taureaux se font ensuite remarquer par la netteté de leur exé- cution et la vérité de leurs contours. Sur le reste des parois de la cage et du noyau de l'escalier, sont sculptés des porteurs d'offrandes variées, telles que des chäpi- teaux et des plinthes Isiaques, des fruits, des fleurs et des réchauds à feu. Tous ces personnages, qui montent d'un côté et descendent de l’autre, semblent être la représentation d'une seule et même procession occupée à pratiquer quelques céré- monies sacrées. Le plafond de l'escalier est orné d'étoiles. Lorsqu'on est arrivé au sixième palier, on se trouve en face de la porte d'une salle de six mètres de long sur 3,29 de large. Cette pièce est maintenant dans l'obscurité la plus profonde (1). Sa face latérale à droite offre une espèce de niche de 1",38 de largeur et de 1",68 de hauteur. Ses parois sont couvertes de bas-reliefs qui ne sont point tous également bien conservés. Des sels dont la formation a sans doute été favorisée par la présence des décombres, ont fait disparoître les sculptures en plusieurs endroits. Au fond de la salle, on remarque trois ouvertures qui paroissent avoir une issue au dehors; et en effet, de dessus les terrasses on aperçoit une salle découverte (2), à laquelle elles aboutissent, et qui est elle-même remplie de décombres jusqu’à la corniche. Il est probable, quoique nous n'ayONns pu nous en assurer directement par des fouilles, que la baïe du milieu, qui est la plus grande, servoit d'entrée, et que les deux autres baies ne sont que des espèces de fenêtres, comme on en voit dans l'appartement du zodiaque, dont nous allons bientôt parler. Le dernier palier de l'escalier est éclairé par un soupirail semblable à ceux que nous avons indiqués, il reçoit aussi de la lumière par une porte pratiquée à len- droit où l'on débouche sur la terrasse. En montant les dernières marches, on trouve à sa gauche la porte d'une petite salle éclairée par un soupirail : cette pièce est la seule de tout le témple qui n'ait aucune sculpture. La partie de la terrasse qui fait face à la cage de l'escalier, est remplie de dé- combres provenant des ruines des habitations modernes qui formoient un village au-dessus du temple. Des pans entiers de muraïlles encore debout attestent les temps de barbarie qui ont vu s'élever ces misérables constructions. Au fond de la terrasse, un péristyle rectangulaire de 7",69 de longueur et de 6",20 de largeur semble sortir de ces débris. Ce petit édifice, qui n'a pas de plafond, est composé de douze colonnes engagées dans des portes et des murs d’entre-colonnement ; il ressemble au temple de l'est dans l’île de Philæ, et à l'édifice du nord à Denderah même : ses colonnes sont également espacées, à l'exception de celles qui corres- pondent aux portes, dont lentre-colonnement est plus considérable ; elles n’ont (x) Voyez planche 8, fig. 3, A. vol. 1Y. (2) Voyez planche 8, fig. 2, en ï, À, vol, IV, 38 : DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS guère que cinquante centimètres de diamètre : leur fût est couronné de chapiteaux à tête d'Isis, surmontés de dés sur chacune des faces desquels sont figurées des espèces de temples où l'on voit, au milieu, un #bæus renfermé dans une niche. La partie supérieure de l'entablement de ce petit portique arrive au niveau du mur extérieur du temple. Toutes les surfaces apparentes, les fûts mêmes des co: lonnes, sont couverts d'hiéroglyphes et de bas-reliefs. Ce péristyle n’est pas toute- fois également bien conservé dans toutes ses parties; deux de ses colonnes, vers le sud-ouest, ont été renversées. Si l'on revient à l'escalier, et que l’on descende jusqu'au premier palier, on a en face une porte qui conduit à un appartement composé de trois pièces (1). La première est une salle découverte de 4°,40 de longueur et de six mètres de largeur : il règne dans tout son pourtour une corniche remarquable par la variété et la richesse de ses ornemens ; toutes ses paroïs sont couvertes de sculptures et de tableaux curieux. Le mur du fond est percé de deux ouvertures en forme de croisées, et d’une porte par laquelle on entre dans la seconde pièce. Celle-ci diffère peu en étendue de la première : dans chacune de ses faces latérales sont pratiquées des niches d’un mètre de profondeur et de deux mètres de hauteur ; l’intérieur est rempli d’hiéroglyphes. Toute cette pièce est d’ailleurs enrichie de sculptures et d’une grande quantité de caractères hiéroglyphiques très-petits. Les ornemens du plafond méritoient d’être recueillis : ils consistent en deux grandes figures qui occupent toute l'étendue de la pièce. L'une d'elles em- brasse les trois côtés du plafond : sur ses bras et son corps on a sculpté un globe avec des jambes humaines, devant lequel un personnage paroïît être en adoration, et des disques auxquels plusieurs hommes agenouillés semblent rendre des hom- mages. L'autre figure a ses bras étendus le long du quatrième côté de la salle : son corps est replié sur lui-même, de manière que les pieds viennent passer au- dessus de la tête; elle porte dans chacune de ses mains un disque ou globe au milieu duquel est une figure vêtue d’une tunique courte et étroite, et de toutes les parties de son corps partent, en rayons divergens, des lignes d’hiéroglyphes. II seroit précieux d’avoir une copie très-exacte de ce grand bas-relief, qui, sur les lieux, nous a paru avoir trait à l'astronomie : mais le temps nous à manqué pour nous la procurer. La dernière pièce de l'appartement a trois mètres et demi de longueur et la même largeur que les salles précédentes ; elle est aussi couverte de sculptures, que nous aurions toutes recueillies si nous en eussions eu le loisir. Mais le temple de Denderah est si riche en ormemens de tout genre, que nous avons dû nécessairement nous borner et faire un choïx entre tous les sujets intéressans et curieux dont nous aurions voulu donner l'idée ; car il ne faudroit pas moins que des années entières pour pouvoir dessiner tout ce qui mérite de fixer l'attention. _ Il existe à gauche, sur la plate-forme du temple, un appartement pareil à celui que nous venons de décrire, de la même étendue, et placé dans la même situation par rapport aux murs extérieurs du portique (2). On ne pouvoit y arriver autrefois (1) Voyez planche 8, fig. >, en p,qetr, À. vol. IV. (2) Voyez planche 8, fig. >, enl,mern. DEMDENDERAE CCHAPITY: 39 que par l'escalier qui nous a conduits sur la terrasse : maïs aujourd'hui une ouverture évidemment forcée à travers l’entablement, dans la face latérale du temple exposée à l’est, en facilite plus promptement l'accès; elle se trouve au niveau des mon- ticules de décombres qui, de ce côté, enveloppent l'édifice jusqu’à la hauteur de la frise ; et c'est là le passage qui s'offre le plus naturellement aux voyageurs pour visiter les parties supérieures du temple, La salle découverte dans laquelle on entre d’abord, a tous ses murs décorés de sculptures parfaitement exécutées. On distingue sur-tout l'ornement de la corniche (1): il se compose de deux éperviers à tête humaine et à bras d'homme, en adoration devant un disque d’où part un faisceau de lumière qui se dirige sur un autre disque placé dans une échancrure. Il semble que l'on ait voulu représenter ici le soleil éclairant la lune de ses rayons. Les oiseaux chimériques sont élevés sur des estrades richement ornées. Derrière eux sont des fléaux, et trois de ces faisceaux ressemblant à des balustres, que nous avons déjà eu plus d’une foïs occasion de faire remarquer ailleurs. Cet ornement se répète dans toute l'étendue de la corniche, avec quelques variations seulement dans les hiéroglyphes qui laccompagnent. Sous la porte d’entrée de la salle décou- verte sont sculptés trois personnages fort extraordinaires (2): ils tiennent à la main leur membre viril en érection, et sur leur bras gauche élevé en l'air ils portent un fléau. Le premier a un masque à deux têtes, l'une d'épervier et l’autre de taureau: le second a une figure humaine, et le troisième a la tête recouverte de la dépouille entière d’un épervier, qui retombe le long de son corps. Ces wois personnages ont des coiffures symboliques. Is sont suivis d’une femme qui porte aussi au- dessus de son bras gauche un fléau, et qui paroît tenir dans la main droite une cuisse de gazelle. Aïlleurs, on voit une génisse (3) élevée sur un dé, et représentée de face : deux femmes la tiennent enchaïnée. On remarque aussi des offrandes à Osiris avec un masque d'épervier (4): des colombes s’envolent devant lui; il a dans ses mains les marques de la divinité, la croix à anse et le bâton augural. Ailleurs, le même Osiris (5), avec une tête humaine, est assis sur un trône, et porte dans ses mains le crochet et le fléau ; une femme paroît lui présenter Horus à tête d'épervier. Au-dessus de la porte qui conduit dans la pièce suivante , on voit un homme agenouïllé sur deux crocodiles (6) qu'il semble écraser; il a la tête recouverte de la dépouille d’un épervier qu'il saisit de la main droite, et dans la main gauche il tient une espèce de poisson. Sans doute on doit reconnofître ici le triomphe d'Osiris, ou du génie du bien, sur Typhon, ou le génie du mal, repré- senté par le crocodile. On aperçoit encore, dans un autre endroit de la salle décou- verte (7), un homme à tête et à queue de singe, appuyé contre un socle, et tenant un couteau dans la main droite et trois flèches dans la main gauche. Sur le mur latéral de droite est une figure d'Osiris (8), couchée la face contre terre : elle a dans ses mains le crochet et le fléau. A ses pieds, une femme agenouillée est dans (1) Voyez planche 23, fig. 2, À, vol, IV. (s) Voyez même planche, fig. 2. (2) Voyez planche 27, fig. 10. (6) Voyez planche 24, fig. 1. (3) Voyez planche 26, fig. €. (7) Voyez planche 24, fig: 7, (4) Voyez planche 26, fig. 1r. (8) Voyez planche 24, fig. 8. ÂO DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS l'action de prendre de la main gauche son bras droit étendu en avant. Peut-être a-t-on voulu représenter ici le sommeil d'Osiris terrestre, ou la stagnation du Nil avant le solstice d'été. Cette même pièce offre encore la représentation symbolique d'un sacrifice humain. Un homme est à genoux attaché à un arbre, et les mains liées derrière le dos; il a des couteaux enfoncés dans diverses parties du corps: cinq prêtres, armés chacun d'un couteau, s’avancent vers lui : le premier d’entre eux paroît être celui qui doit exécuter le sacrifice en présence d’une divinité portant dans ses mains la crosse et le fouet. La pièce qui suit la salle découverte, a les mêmes dimensions que celle qui est semblablement placée dans l'appartement quenous avons décrit ; seulement ses murs latéraux ne renferment point de niches. Elle est couverte de sculptures d’un travail extrêmement soigné : les bas-reliefs sont entourés d’une quantité mnombrable de petits hiéroglyphes, qui sont tous exécutés avec une netteté extrême. Nous avons particulièrement remarqué l'encadrement de la porte pratiquée dans le mur du fond, pour arriver à la dernière pièce de l'appartement: il est orné d'oiseaux chi- mériques (1), dont les aïles sont déployées, et qui semblent embrasser des espèces d'étendards surmontés de têtes de lévrier, de croix à ançe et de plumes. Les uns ont des têtes d'homme et de femme; les autres, des têtes d'aigle, de serpent, de chacal et d'épervier. Maïs ce qui attire plus particulièrement l'attention, ce sont les sculptures dontle plafond est orné. Nous en avons déjà parlé dans la description qui accompagne la collection des dessins des monumens astronomiques (2). Le plafond est partagé en deux portions égales par une grande figure d'Isis, sculptée en ronde- bosse, et placée dans une niche cylindrique : ses formes sont d’une grande beauté, et ont mérité l'approbation de tous ceux qui les ont étudiées. La portion du pla- fond située à la gauche de cette Isis est en partie occupée par le corps, les bras et les jambes d’une grande figure semblable à celles qui enveloppent les bandes zodiacales du portique. Dans l’espace qu'elle enferme, sont distribuées quatorze barques posées deux à deux sur la même ligne, et au milieu de chacune des- quelles se trouve un disque. Nous ferons observer que nous avons déjà vu dans le plafond du portique la répétition assez fréquente de certains emblèmes au nombre de quatorze, Le zodiaque circulaire se trouve, au plafond, à droite de la figure d’Isis (3). Ce monument astronomique a été découvert, lors de la conquête du Sa’ÿd, par le général Desaix; et ce fut cet illustre guerrier qui le fit remarquer le premier aux officiers de son armée. On y distingue, à la pre- mière vue, les douze signes du zodiaque, distribués sur une spirale dans l’ordre suivant: le on, la wrerge, la balance, le scorpion, le sapittaire, le capricorne , le verseau , Ves poissons, le belier, le taureau, les gémeaux et le cancer. Tous ces signes marchent les uns à la suite des autres dans le même sens. S'ils eussent été distri- bués sur la circonférence d’un cercle, il n’auroit pas été possible de reconnoître quel étoit celui qu'on devoit considérer comme ouvrant la marche et entraînant (1) Voyez planche 22, fie. 2,4, 5, A. vol. IV. (2) Voyez l'Appendice n,° II, à la fin des Descriptions des antiquités. {3) Voyez la planche 21, À vol, IV, tous DE DENDERAH, CHAP, X, ÂT tous les autres après lui: mais leur disposition sur une spirale ôte toute espèce d'incertitude, et l’on voit qu'ici l'on a voulu indiquer le lion comme le chef des signes du zodiaque, quand bien même la comparaison du monument astronomique qui nous occupe, avec celui qui décore les soflites extrêmes du plafond du portique, ne porteroit pas déjà à le croire. L'espace circonscrit par les signes du zo- diaque contient un grand nombre de figures que leur position seule devoit faire croire relatives aux constellations : il en dévoit être de même de celles qui-en- veloppent les signes du zodiaque, et dont une portion est distribuée circulairement, au nombre de trente-sept, sur la bordure du médaillon. Nos premières conjec- tures à ce sujet ont été pleinement confirmées, et nous avons fait voir dans un Mémoire spécial (1) qu'effectivement la plus grande partie , si ce n’est la totalité de ces figures, représente des constellations extrazodiacales. Celles qui sont enfer- mées par la spirale des signes du zodiaque, se rapportent aux constellations de la partie septentrionale du ciel, et les autres aux constellations méridionales, en sorte que le monument qui nous occupe est un véritable planisphère céleste. Parmi le grand nombre de figures qui remplissent ce planisphère, on en trouve beaucoup d’analogues ou même de tout-à-fait semblables à celles des frises astronomiques du temple d'Edfoù (2), des zodiaques d'Esné (3), et sur-tout du zodiaque (4) du por- tique de Denderah. C'est la comparaison que nous en avons faite, qui nous a con- duits aux résultats consignés dans le Mémoire cité ci-dessus. Le planisphère est porté par quatre groupes de deux hommes à tête d’épervier et par quatre figures de femmes debout, qui se succèdent alternativement. Ces groupes sont agencés avec goût, et le génie allégorique des Égyptiens ne pouvoit faire un choix plus heureux pour nous montrer l'univers porté, pour ainsi dire, par les deux plus puissantes divinités de leur théogonie, Osiris et Isis. À côté de chacune des figures d'Isis sont des lignes d’hiéroglyphes, que nous avons copiées avec le plus grand soin et la plus scrupuleuse exactitude. Une bande circulaire de grands hiéroglyphes entoure le médaillon. Dans l’espace qui les sépare, on voit deux légendes hiéro- glyphiques opposées l'une à l’autre, et qui se trouvent sur un même diamètre avec le cancer.et le capricorne. Deux hiéroglyphes, représentant probablement la feuille et le fruit de quelque plante, se trouvent dans le même espace; ils sont aussi oppo- sés Fun à l’autre, et sont placés sur un même diamètre avec le taureau et le scor- pion. Deux côtés seulement du planisphère sont bordés dé lignes de zigzags, qui offrent, comme lon sait, la configuration de l’eau. Toutes les parois de la pièce qui renferme ces sculptures précieuses, et notamment le plafond, sont noircis par la fumée des flambeaux, en sorte que l'on n'aperçoit plus nulle part fes couleurs dont elles ont sans doute été recouvertes. | La dernière pièce de appartement du zodiaque ne le cède en rien aux autres, ni pour la multiplicité et la variété des sculptures, ni pour l'intérêt qu'elles offrent à la curiosité du voyageur. Elle est aujourd’hui dans une obscurité profonde, puis- (1) Voyez, parmi les Mémoires sur les antiquités, nos (3) Voyez planches 79 et 87, À, vol. I. Recherches sur les bas-reliefs astronomiques des Egypriens, (4) Voyez planche 20, À. vol, IV, (2) Voyez planche 58, fig. 2, À, vol, I, À, D. d  2 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS qu'elle ne reçoit que le peu de lumière qui pénètre par la porte et les fenêtres de la salle précédente. Autrefois elle étoit éclairée par un soupirail pratiqué dans le milieu du plafond ; mais cette ouverture est maintenant bouchée par les débris des constructions modernes qui avoient été élevées sur les terrasses. Les sculptures dont cette pièce est ornée, paroïssent avoir trait à la mort et à la résurrection d'Osiris, ou font allusion à différens phénomènes que l'on observe en Égypte avant et durant l'inondation du Nil, lOsiris terrestre des Égyptiens (1). Les détails dans lesquels nous allons entrer, vont confirmer ce que nous avançons. Dans lun de ces bas-reliefs, on remarque une figure emmaillottée à l'instar des momies : elle est étendue sur un lit de repos, recouvert de la dépouille d’un lion. Les quatre vases qu'on retrouve dans toutes les scènes d'embaumement, sont ici rangés le long du lit: ils ont pour couvercle des têtes de femme, de cynocéphale, de chacal et d’épervier. La figure est placée dans un sarcophage terminé en sphère à sa partie supérieure. Des éperviers perchés aux deux extrémités de la tombe semblent en être les gardiens. Une femme debout près de la momie est dans l'attitude de l’étonnement. Un épervier plane au-dessus de la tête du mort {2). La même figure se retrouve ailleurs (3) dans une attitude pareille, si ce n’est toutefois qu’elle n’est point emmail- lottée, que son membre viril est en érection, et qu’elle est couchée dans un sarco- phage placé sur un lit de repos qui est recouvert de la dépouille d'un lion. Le cou- vercle de ce sarcophage a, comme l'autre, la forme sphérique; mais à son sommet on remarque un membre viril avec des ailes. Aux angles du sarcophage sont des éperviers; à droite et à gauche, deux femmes paroïssent veiller auprès du tombeau. Osiris, couché sur un lit de repos pareil à celui que nous venons d'indiquer, se re- trouve encore dans deux autres bas-reliefs (4); mais il n’est plus du tout emmaillotté: il a les deux jambes détachées ; son bras gauche est étendu le long de son corps, et son bras droit, élevé en l'air, est replié en avant près du visage. Dans lun des bas- reliefs, il a le membre viril en érection : un oïseau chimérique , à tête de femme, plane au-dessus de lui. À la tête et aux pieds du lit sur lequel il repose, sont des personnages qui paroissent être dans l'attente de ce qui va se passer. On ne voit point les parties naturelles d'Osiris dans le second bas-relief. Quatre vases, avec des couvercles à tête de cynocéphale, sont rangés le long de son lit, et un épervier tenant dans ses serres une espèce d’éténdard fait partie de la scène ici représentée : une femme est à la tête du lit, dans l'attitude de étonnement. Aïlleurs, Osiris couché paroît être sorti de sa léthargie {$) : il tient à la maïn son membre viril en érection, et deux éperviers accourent et planent au-dessus de lui. D'un côté, l'on voit sur un socle une chimère à tête d'épervier et à corps de truie; de l'autre, une femme accroupie paroît s’incliner ets’avancer pour protéger Osiris: le long du lit, un personnage avec un masque d'ibis tient dans ses mains un vase qu'il paroît offrir. On sait que l'ibis est l'emblème de l'inondation, et les eaux (1) Voyez le Traité d’Isis et d’Osiris, pag. 8$, 87 (3) Voyez, planche 24, fie. 10, À, vol, IV. et 97 de la traduction de Ricard. (4) Voyez planche 27, fi, 9 et $, À. vol. IV. (2) Ce bas-relief n’a été dessiné par aucun de nous; on (s) Voyez planche 27, fie. 4, A. vol, IV, peut le voir dans l’ouvrage de M, Denon, pl. 126, n° 9. DE DENDERAH. CHAP. X. | 43 renfermées dans le vase étoïent sans doute les prémices de l'accroissement du Nil. Deux serpens et une figure Typhonienne viennent à la suite de ce personnage. Dans deux autres bas-reliefs (1), Osiris est étendu sur le ventre et a la tête levée: on lui offre même des membres de victimes, et tout le long du lit sont rangées diverses coiffures symboliques, dont sans doute il doit orner sa tête à mesure qu'il prendra plus de force et de vigueur. Dans l’une de ces scènes, on voit cette divinité enfermée dans une espèce de châsse surmontée d'aspics, et aux deux extrémités de laquelle sont perchés des éperviers. Un autre bas-relief (2) présente Osiris tout éveillé, et prêt à se lever de dessus son lit de repos; il tient dans ses mains les signes du pouvoir, le crochet et le fléau : sa tête est surmontée d’un bonnet, que nous avons reconnu dans mille circonstances pour être un attribut de la puissance; et un homme avec un masque d’épervier lui présente la croix à anse. Nous avons dit que toutes ces sculptures sont relatives à la mort et à la résur- rection d'Osiris, ou aux phénomènes qui se passent en Égypte avant et durant linondation. Nous avons déjà fait à Thèbes (3) des rapprochemens qui nous conduisent à cette interprétation des sculptures que nous venons de décrire; maïs il suffira, pour aïnsi dire, ici de citer un seul passage tiré du précieux Traité d’Isis et d’Osiris de Plutarque, pour confirmer ce que nous avons avancé. « Le Corps » d'Osiris enfermé dans un coffre ne désigne autre'chose que l’affoiblissement et » la disparition des eaux du Nil : aussi les Égyptiens disent-ils qu'Osiris disparut » au mois d'athyr, où les vents étésiens ne soufflant pas, le Nil coule dans un it » étroit, et laisse à découvert la terre d'Égypte (4). En partant de ce témoignage, et en considérant la figure d'Osiris dans tous les états où nous l'avons montrée, d’abord dans l’état de mort ou de sommeil profond, et enfermée dans un ‘sarco- phage, ensuite commençant à sortir de sa léthargie, et finissant par se lever, re- vêtue de toutes les marques et de tous les attributs de la puissance, il est difficile de ne point saisir l'allusion qu'on paroît avoir eu l'intention de faire aux phéno- mènes qui se passent en Égypte, premièrement avant l'inondation, lorsque le fleuve, arrivé au dernier période de son décroïssement, stationnaire et entièrement con- tenu dans les limites de son lit, s'écoule à la mer par un canal peu considérable; puis à l'époque même de l’inondation, où le Nil commence à croître ; et enfin durant linondation, lorsque le fleuve, dans toute la plénitude de sa force, répand ses eaux fécondantes sur la terre d'Égypte, et porte par-tout l'abondance et la fertilité. La salle dont les parois sont couvertes de sujets si curieux, se fait aussi remarquer par la singularité des sculptures de son plafond. En effet, la moitié de ce plafond est occupée par trois femmes emboîtées, pour ainsi dire , les unes dans les autres, et dans la même position que celles qui encadrent les bandes zodiacales du portique: (1) Voyez planche 24, fig. 9, À. vol. IV, et la planche 126, fig. 10, de l’atlas du Voyage de M. Denon. (2) Voyez la planche 126, fig. 9, de l’atlas du Voyage de M. Denon. s : (3) Voyez la Description générale de Thèbes, chap. IX, pag. 273 et suiv, (4) H pép Acpouémn naSupEic eic mir coeovy Omerdbe, #dèy dore Ga à moulu dde à dpanqui aivifeSe di ANOUID " es / : d NS ee pnvès ASp doanidirgy mv ”"Omezr AÉpoUGY, 0TE, TÜY ÉTAT COY 2 / ce « ce mn \ dmoneimo TOY ralmémæav , à juey Néinoc Umovosti, yuuyoUTy dé h jou EX Quod enim inclusus in arcam dicitur Osiris, eo nihil aliud significatur quam aquæ occultatio et defèctus : itaque mense Athyr periisse Osirident dicunt, quando, etesiis omnino def cientibus , Nilus recedit, er solum nudaiur. (Piutarch. de Iside et Osiride, pag. 366.) Fi 44 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS elles sont sur-tout dignes d'attention, à cause de la disproportion choquante de tous leurs membres ; et l’on ne peut douter qu’elles ne soient des êtres de convention pour exprimer de certaines choses dont nous ne pouvons plus maintenant deviner le sens. Ces figures semblent chercher à atteindre un homme à tête d’épervier. Dans la portion du plafond comprise entre les bras et les jambes de la troisième figure, on voit trois hommes prêts à marcher, et dont les bras sont élevés en l'air; ils portent des bateaux au-dessus de leur tête, Dans l'autre moitié du pla- fond, on remarque une barque {r) dont le gouvernaïl est aux mains d’un homme à tête d’épervier, et qui est traînée par quatre chacals et par quatre hommes avec des masques de chacal. Cette barque renferme, au milieu d’un disque, un œil, emblème d'Osiris, précédé d’un personnage à tête de chacal avec les attri- buts des dieux. Deux femmes et un homme avec un masque d’épervier sont en adoration devant lui. Il résulte de tout ce que nous venons d’exposer , que l'appartement du zodiaque paroît avoir été une espèce de sanctuaire, de lieu consacré à l'astronomie et à la représentation des phénomènes terrestres qui se lient à ceux du ciel. Peut-être étoit-il la demeure de l’un des prêtres Égyptiens, qui, en desservant le temple de Tentyris, étoit plus spécialement occupé de l'étude du ciel. Peut-être aussi étoitce un lieu du temple où Osiris avoit un tombeau; car on sait, d’après les témoignages d'Hérodote et de Diodore de Sicile, que les tombeaux de ce dieu étoient trés-révérés et très-multipliés en Égypte, et qu’il y avoit peu de villes impor tantes qui n'en renfermassent un. Quelle que füt, au reste, la destination de cet appartement, il sera certainement, pour les voyageurs qui nous suivront, l'objet de la plus vive curiosité, et il offrira encore à leur zèle un ample sujet d'étude et de recherche. I seroit à desirer, d’après la liaison que nous avons observée dans la plupart des bas-reliefs qui le décorent, que la totalité de ces sculptures füt recueillie, sans qu'aucun des hiéroglyphes qui les accompagnent, fût omis : alors probablement on auroit, dans des emblèmes ingénieusement exprimés, une histoire continue et bien liée des divers phénomènes de la nature qui intéressoient tant les Égyptiens ; car l'existence de ces peuples dépendoit de la présence du Nil, de telle sorte que si les débordemens de ce fleuve cessoient de se renouveler périodique- ment chaque année, l'Egypte n’offriroit bientôt plus que l'aspect d’un vaste désert. Un examen plus détaillé des sculptures de l'appartement du zodiaque donneroit vraisemblablement lieu à d’autres rapprochemens avec le Traité d’Isis et d'Osiris, et l'on trouveroit sans doute que plusieurs des passages de cet ouvrage curieux ne sont en quelque sorte que la traduction des bas-reliefs Égyptiens. ARTICLE IV. Des Sculptures extérieures du Temple. MAINTENANT que nous avons fait connoître la plupart des sculptures qui dé- corent l'intérieur du temple, nous allons jeter un coup-d'œil sur celles qui ornent (1) Voyez la planche 22, fig. 2, A, vol, IV. DE DENDERAH CHAP, X%, ÀS l'extérieur. Nous parlerons d’abord , avec quelques détaïls, de la partie postérieure du temple, où presque tous les bas-reliefs sont visibles ; car l'encombrement de l’édi- fice, qui est très-considérable sur. les côtés, sur-tout à l’est, ne couvre ici qu'une partie du soubassement. La planche 16, À. vol. IV, donne une haute idée du système de décoration employé à Denderah : c'est, en quelque sorte, un échan- tillon complet qui confirme tout ce que nous avons dit jusqu'à présent de la richesse des costumes des personnages , de l'élégance et de la variété des orne- mens des frises et des corniches, et de la multiplicité des caractères hiérogly- phiques. On retrouve ici dans toute son étendue le style et le goût des monu- mens de l’ancienne Égypte, et la perfection d’un art conçu d’après des idées et dans un système appropriés aux convenances locales , ainsi qu'aux mœurs et aux habitudes civiles et religieuses du pays. Mais ce dont le dessin ne peut donner qu'une idée imparfaite , c’est l'exécution, c’est le fini précieux de toutes ces sculp- tures jusque dans leurs moindres détails. II faut se représenter, en effet, que le plus petit ornement, les hiéroglyphes à peine aperçus à cause de leur finesse, sont exécutés avec le même soin et la même pureté que les grandes figures où les artistes Égyptiens ont pu se livrer avec plus de liberté au développement de Jeur art. On doit ajouter qu'il est très-probable que toutes ces sculptures étoient rehaussées par l'éclat des plus vives couleurs {1}. Les ornemens de la corniche et de la frise derrière le temple ne sont point pareils à ceux des faces latérales ; et cependant on n'est nullement choqué de cette sorte de disparate. Il faut dire, à la vérité, qu'une extrême analogie règne entre ces ornemens, qui concourent tous à un but unique, celui de rappeler partout sis, déesse à laquelle le temple de Denderah étoit principalement con- sacré. À cet égard, les Égyptiens avoïent à un haut degré le sentiment des conve- nances, et ils évitoïent aïnsi par la variété des détails la monotonie qui pou- voit résulter de la représentation nécessaire et souvent répétée d’un même sujet. L'ornement de la corniche se compose d’un disque ailé, accompagné d’ubœus, et lançant des rayons sur un globe où se trouve Isis avec tous les attributs de la divinité. Placé dans une espèce d'échancrure, ce globe représente très-bien la lune dans son croissant, en sorte qu'il y a tout lieu de croire qu'on a voulu indiquer ici l'astre de la nuit, qui, comme l’on sait, étoit consacré à Isis. De chaque côté du globe, sont élevées sur des estrades deux figures accroupies, l’une. d'Osiris à tête d’épervier, et l’autre d’Isis : cet emblème est enveloppé par des serpens ailés à tête de lion. Dans la frise, un masque d'Isis occupe le milieu de l'ornement; il est surmonté d'un disque entouré de cornes de génisse, et il est posé sur une coupe. De part et d'autre sont placées une figure accroupie à tête d’épervier, et une légende hiéroglyphique surmontée de coiffures symboliques. Tous ces em- blèmes sont en quelque sorte embrassés par des vautours dont les ailes sont dé- ployées. L'intervalle qui sépare les ornemens, est rempli par des espèces de balustres et des lignes d’hiéroglyphes. Au-dessous de la frise, on a sculpté, dans toute l'étendue de la façade, dix (1) Voyez ce que nous avons dit précédemment, pag, 2r. 46 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS bas-reliefs de deux mètres environ de hauteur : ils sont distribués symétriquement, par rapport à deux lions accroupis de forme colossale , qui sont en saillie de la moitié de leurs corps sur le nu du mur; ils sont composés de deux, trois, quatre et cinq personnages, et ils représentent tous des offrandes à Isis, et à Osiris tantôt à tête humaine , et tantôt à tête d’épervier. Ces offrandes consistent en amulettes relatifs au culte d'Isis, et en vases, emblèmes de l’inondation, De petites figures d'Horus, élevées sur des estrades formées de tiges et de fleurs de lotus, présentent aussi des objets semblables. Dans l’un de ces bas-reliefs, le personnage à tête d’ibis, ou Thoth, est dans l'action d'écrire; il tient dans ses mains un stylet et un bâton à crans surmonté d'une espèce de lanterne. Le reste de la façade est occupé par deux grands bas-reliefs séparés par une tête colossale d’Isis, sculptée au milieu de la muraille, et représentée avec tous les attributs qui caractérisent cette divinité : on y fait des offrandes aux dieux de l'Égypte. Isis ouvre et ferme la marche: elle est précédée d'Horus, qui, en étendant le, bras, présente une image de la déesse, et porte dans sa main gauche une croix à anse. Au nombre de ces dieux, sont Harpocrate, ainsi qu'Osiris à tête d’épervier et à tête humaine. Les offrandes sont faites par un héros Égyptien, un roi sans doute : il est aisé au moins de le reconnoître à son costume, à sa coiffure, et sur-tout au vautour qui plane au-dessus de sa tête ; c'est ainsi que nous avons toujours vu les rois d'Égypte figurés dans les bas-reliefs historiques qui décorent les palais de Thèbes. Ici a richesse du costume caractérise en quelque sorte mieux encore le personnage : en effet, le roï a un vêtement chargé de broderies ; les plis et les reflets de l'étofle légère et transparente qui le forme, sont bien mieux exprimés ici que dans la plupart des bas-reliefs où se trouvent des repré- sentations analogues. On voit sur la robe du héros un homme armé d’une massue, et prêt à frapper un très-grand nombre de victimes agenouillées, de captifs sans doute, qu'il tient par les cheveux. Deux autres prisonniers, les bras liés derrière le dos, sont réunis par des chaînes au groupe principal : il ne nous paroît pas douteux que cet emblème ne fasse allusion au pouvoir et à la vaillance du héros. Des éperviers exécutés en broderie sur son vêtement et sur sa coïflure sont les signes caractéristiques de la puissance qu'il tient de la divinité elle-même: il brûle de, l’encens devant les dieux. Derrière lui sont des étendards, ainsi qu'une femme riche- ment habillée, qui présente d’une maïn une image d’Isis, et de l'autre une espèce de vase. Parmi les offrandes qui sont placées en avant du héros, on distingue des vases de toutes les formes, des pains, des fleurs de lotus, et beaucoup d’autres objets sacrés du culte Égyptien. Les personnages de ces grands bas-reliefs ont quatre mètres de proportion, non compris les coiffures, dont la hauteur est d’un mètre. Le soubassement de la façade est orné d’un très-grand nombre de petites figures debout, alternativement de femmes et d'hommes : les unes ont des têtes d’éper- vier, de lion, de belier; les autres ont des masques de taureau. Elles portent toutes des offrandes variées, qui consistent en vases, fleurs de lotus, amulettes en forme de temples, et en victuailles; elles s’'avancent pour les présenter à trois divinités, au nombre desquelles se trouvent Osiris à tête d’épervier, et Isis. DE DENDERAH. CHAP. X. 47 Nous ne pouvons donner de grands détails sur les bas-reliefs qui ornent les faces latérales du temple; ils sont, pour la plupart, cachés sous les décombres; et ceux que nous avons observés, mais que nous n'avons pas eu le temps de dessiner, ne nous ont point offert de particularités dignes de ffxer l'attention : ce sont toujours des offrandes présentées aux dieux de l'Égypte. On voit cependant, sur la face de l'est, un bas-relief (1) où quatre victimes humaïnes sont immolées devant Isis et Osiris : elles sont à genoux et enchaïînées. Le sacrificateur enfonce un dard dans la tête de l’une d'elles, et paroît disposé à immoler ainsi successivement les trois autres. Sur la même face de l’est, on a sculpté un bas-relief (2) extrêmement curieux, et que nous aurions pris pour la représentation d’un jeu, d'une espèce de mât de cocagne , si nous leussions rencontré dans les hypogées, où plus d’une fois nous avons remarqué des scènes familières de la vie civile des Égyptiens : mais il y a tout lieu de croire qu'il faut attacher un sens emblématique à ce bas-relief, sculpté sur les murs d’un temple consacré à Isis, et où tout rappelle le culte grave et sérieux que l’on rendoit à l’une des divinités les plus révérées de l'Égypte. Le dieu adoré à Thèbes, Harpocrate, au membre viril en érection, est debout sur un socle; il porte un fléau sur son bras élevé en l'air : à son cou est suspendu un amu- lette qui représente la façade d’un temple. Derrière lui l'on aperçoit des attributs relatifs au culte : c'est une coïfflure symbolique, d'où se dégagent une portion de temple, une tige de lotus surmontée de cornes de génisse, et une vrille de vigne croisée sur ces cornes. Ce dernier emblème se retrouve à Medynet-Abou, derrière le dieu qui figure dans la marche triomphale de Sésostris (3). Ces mêmes symboles sont posés au haut d'un mât dressé devant la divinité, et maintenu dans la posi- tion verticale par quatre cordes tirées chacune par deux hommes qui n’ont aucune marque distinctive : quatre autres cordes sont également attachées au mât; elles sont fixées à terre et bien tendues ; sur chacune d'elles gravissent deux personnages remarquables par la plume qu'ils ont au-dessus de la tête. Le but de leurs efforts paroît être -d’atteindre les divers emblèmes placés au haut du mär. Un prêtre qui est en face de la divinité, offre, avec son bras droit étendu en avant, une sorte de pomme de pin: dans sa maïn gauche, appuyée sur un bâton, il tient un instru- ment dont il est difficile de reconnoître l’usage (4). Auroit-on voulu représenter ici une scène d'initiation aux mystères d'Isis, principe et source de sagesse et de vérité, dont les emblèmes sont arborés au sommet du mât! Ces personnages qui ont une plume sur la tête, et qui gravissent vers le haut du mât, seroient-ils des initiés dont le degré de science seroit indiqué par la hauteur à laquelle ils sont placés ! Ces hommes qui n’ont aucune marque distinctive, et qui paroissent soutenir le mât, ne représenteroient-ils pas le peuple, qui se borne seulement à maintenir l'édifice de la religion, sans avoir aucune prétention à en connoître les mystères ! M. Denon a donné une explication analogue d'un bas-relief presque (1) Voyez planche 22, fig. 11, À. vol, IV. générale de Thèbes, chap. TASER, Prat: 1, (2) Voyez planche 25, fie. 1, À. vol. IV, pag. 49 (3) Voyez planche 11, À, vol. I, et la Description (4) Voyez planche 22, fig. 11, À, vol, IV. À 8 | DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS tout-à-fait semblable à celui que nous venons de décrire, et recueilli de même sur les murs du temple de Denderah (1). | | * La corniche et la frise qui forment le couronnement des faces latérales du temple, ne sont pas moins remarquables que celles de la façade postérieure, par une grande variété d’ornemens et l'extrême délicatesse avec laquelle ils sont sculptés (2). Un globe aïlé, accompagné d'rbœus, et lançant des rayons de lumière sur un disque où se trouve fsis, en forme la partie principale : de chaque côté du disque sont Osiris à tête d’épervier, et Isis, accroupis et élevés tous deux sur des estrades. Des légendes hiéroglyphiques, surmontées de bonnets symboliques , et des chimères ailées à corps de serpent et à tête de lion, complètent l'ornement, qui se répète onze fois dans l’étendue de chaque face latérale. La frise représente une offrande à Isis : le milieu de chaque ornement est occupé par un masque de cette déesse. À ses extré- mités sont des vautours dont les aïles sont déployées, et qui ont sur la tête des bonnets symboliques : on y voit aussi des lignes d’hiéroglyphes et des espèces de balustres. Les offrandes sont faites par des personnages accroupis et élevés sur des escabeaux et des vases, et par Horus debout sur une estrade. Les faces latérales extérieures du portique sont ornées de bas-reliefs à peu près: semblables à ceux que nous avons décrits, et où nous avons remarqué l'immolation d'une gazelle devant Osiris à tête d'épervier et Isis. La frise et la corniche sont analogues à celles que nous avons déjà fait connoître, si ce n’est qu'elles sont encore plus riches et composées d’un plus grand nombre de personnages (3). Le globe ailé, lançant des rayons sur un disque qui renferme le masque d'Isis, forme toujours la partie principale de l’ornement de la corniche; de part et d'autre de ce disque sont repré- sentces des offrandes à Osiris à tête d’épervier et à Isis. Derrière Horus, on voit, d’un côté, un globe aïlé avec un serpent, et, de l'autre, un disque avec une échancrure figurant le croissant de la lune. Des légendes hiéroglyphiques et des #œus avec des aïles terminent la décoration. Le milieu de la frise est également orné du masque d'Isis, de chaque côté duquel se trouvent des figures accroupies, tenant dans leurs mains élevées en l'air des bâtons à crans. On y remarque aussi des offrandes présentées par Horus à Osiris à tête d'épervier et à Isis. Tous ces personnages sont élevés sur des escabeaux richement décorés. Des figures Typhoniennes et des femmes couronnées de lotus font aussi des offrandes à la déesse. L'ornement est terminé par des légendes hiéroglyphiques, des figures d'Harpocrate assis sur un trône, et par des femmes qui ne sont sans doute que des prêtresses d'Isis. Celles-ci ont des ailes qu’elles semblent étendre pour protéger la scène que nous venons de décrire. (1) Voyez la planche r2r du Voyage dans lahaute et recueillis dans deux endroits différens du temple de Den- basse Égypte, fig. 8. M. Denon, dans le texte de son ou- derah. vrage, n’indiquant point où il a pris son dessin , les diffé- (2) Voyez planche 27, fig. >, A. vol. IV. rences qu’il présente avec celui de la planche 22, fig.1r, (3) Voyez planche 22, fig. 1, Asvol, IV. nous font présumer que ce sont deux sujets analogues, S. VI. DE DENDERAH CHAP. X,  9 $. VL De l'Édifice du Sud. DERRIÈRE le grand temple, à la distance de douze mètres environ, se trouve l'édifice du sud, composé seulement de quatre pièces. Le mur latéral de l’ouest et une partie du mur de face sont en ruine. La forme de ce petit temple est presque carrée , l'une de ses dimensions, qui est de onze mètres, n'étant inférieure à l'autre que de soixante-dix centimètres. La première pièce ne paroït avoir été qu’une sorte de vestibule de huit mètres et demi de long et de deux mètres un tiers de large. La porte qui y conduit, est surmontée d’une corniche ornée d’un globe aïlé. Le fond de ce vestibule est percé de trois portes, dont les deux extrêmes donnent entrée dans deux couloirs de $",40 de long, et de 1",30 de large. La porte du milieu mène à la pièce principale : c'étoit sans doute le sanctuaire du temple. Sa largeur est de 3,75, et sa longueur est égale à celle des couloirs ; son entable- ment, outre l’architrave et la corniche, a encore un couronnement d'xbœus : les deux portes latérales n'ont qu'un simple encadrement. Ce monument est couvert de sculptures. À l'extérieur , la corniche et la frise ont des ornemens aussi riches et aussi variés que ceux du grand temple (1). Le reste de la décoration offre des scènes dans le genre de celles dont nous avons déjà parlé avec détail, et où la déesse Isis se fait particulièrement remarquer. Sur la paroi : latérale de l'est, on a figuré une baie de porte qui se trouve précisément en face du propylée de l'est, dont il va être question ci-après. Dans l'intérieur du temple, Isis est représentée tenant Horus dans ses bras. On paroiït défendre ce dieu contre toute espèce de maléfices ; on ne le confie qu'à des femmes à tête de génisse; on l’'allaite à tous les âges, depuis Fenfance jusqu'à la puberté ; enfin ce sont des scènes tout-à-fait analogues à celles qui se retrouvent dans l'intérieur du 7Zyphonium, et sur lesquelles nous sommes déjà entrés dans d'assez grands détails. Au fond du sanctuaire on à pratiqué une niche où étoient sculptées des statues de ronde- bosse , qui ont été presque entièrement mutilées : on peut cependant reconnoître encore une petite figure d'Horus debout et les bras pendans, qui se trouvoit placée en avant d'une statue beaucoup plus grande, maïs si dégradée, qu'on ne peut hasarder aucune conjecture sur le personnage qu'elle représentoit. Le sou- bassement du sanctuaire est orné d’une décoration de lotus, où cette plante se voit dans tous les états de développement de son accroïssement : on y remarque, en outre, un ibis perché sur un bouquet de ces lotus. Cet oiseau se trouve entre un disque qui représente peut-être la lune, et un épervier, emblème du soleil, placé sur un autel. Tous ces symboles ont sans doute quelque rapport à linondation du fleuve, vers le temps du solstice d'été. Le plafond est décoré de figures d'Isis qui, avec leurs corps et leurs membres disproportionnés, en enveloppent toute l'étendue : on y remarque aussi un soleil lançant des rayons sur une tête d'Isis. Cet emblème est absolument le même que celui du zodiaque du grand (1) Voyez planche 24, fig, 1, À, vol. IV. A. D. G 6 O DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS temple, où il indique un lever héliaque de Sirius (1). Il y a tout lieu de croire que l'édifice que nous venons de décrire, étoit principalement consacré à Isis et à Horus; c’est au moins la conséquence que l’on peut tirer de la multiplicité des représentations de ces divinités Égyptiennes parmi les sculptures “dont les murs sont couverts. S. VIL De la Porte de l'Est. La porte de l’est est enveloppée dans la grande enceinte de briques qui entoure les principaux édifices de Denderah : elle est presque entièrement enfouie sous les décombres provenant de la destruction des maisons particulières qui, à différentes époques, ont fait partie de la ville de Zentyris. Sa forme et ses dimensions sont tout-à-fait semblables à celles de la porte du nord. Les sculptures de ces deux édi- fices ont aussi la plus grande analogie. L’enfoncement où venoit se loger la porte en boïs qui fermoit la baïe, est richement décoré d’ornemens composés de croix à anse, avec des bras armés de sceptres à tête de gazelle, de légendes hiérogly- phiques accompagnées de serpens, et de figures accroupies, tenant dans leurs mains élevées des bâtons à crans qui se recourbent par-dessus leur tête (2). Tous ces ornemens sont posés sur des coupes ou vases richement décorés ; ils sont séparés par des lignes d'étoiles et d'hiéroglyphes. La porte de l’est est remarquable par une inscription en beaux caractères Grecs, répétée sur chacun des listels de la corniche. Cette inscription, dont il a été parlé plus au long ailleurs (3), a pour objet de faire connoître que, sous l’empereur César, dieu, fils de Jupiter libérateur, Auguste, Publius Octavius étant gouverneur, Marcus Claudius Postumus commandant général, et Tryphon commandant particulier des troupes, les citoyens de la métropole et de la préfecture consacrèrent le propylée à Isis, très-grande déesse, et aux dieux honorés avec elle, en l'an xxxr de César, au mois sacré de Thoth {4). Par les divers rapprochemens que nous avons eu occasion de faire dans notre Description générale de Thèbes, nous avons cherché à reconnoître ce que les Romains appeloïent propylée dans les monumens Égyptiens, et nous avons vu qu'ils nommoient aïnsi, soit une simple porte, ou un simple pylône, soit l'ensemble de plu- sieurs pylônes séparés par des cours. Devons-nous en conclure que le propylée dont la consécration est constatée par l'inscription que nous venons d'indiquer, ne con- sistoit que dans la seule porte encore existante, et contre les flancs de faquelle le mur d'enceinte venoit s'appuyer! ou bien d’autres constructions augmentoient-elles l'étendue et l'importance de ce propylée! Nous n'avons pas de raison de nous en (1) Voyez planche 20, fig. r, À. vol. IV, (3) Voyez le Mémoire de M. Jomard sur les inscrip- (2) On voit des ornemens tout-à-fait semblables, tions recueillies en Egypte. planche 24, fig, 4, A, vol, IV. (4) Voici le texte même de l'inscription : IEP ATTOKPATOPOZ KAIEAPOE OEOT TIOY AIOS EAEY®EPIOY ZEBAZTOT ElI NOMAIOY OKTAIOY HTEMONOZ KA! MAPKOY KASAIOY HOSTOMOT ENIETPATHIOT TPIÈANOS ETPATHIOYNTOE OL ANO THE MHTPONOAENE KAI TOY NOMOT TO IPONTAON ISIAI OEAI METISTHI KAI TOI SINNAOIS @EOIZ ETOIZ AA KAISAPOZ On1O SEBASTHI DE* PDENDERAH: «CH AP X, Si tenir à la dernière hypothèse, aucun débris de grands monumens qui auroïent subsisté entre la porte de l'est et l'édifice du sud, n'ayant frappé nos regards, lorsque nous en faisions à dessein la recherche sur les lieux mêmes. S. VIIL De l’Enceinte de l'Est. À quatre cents mètres environ de la porte de l'est, en s’approchant de la chaîne Libyque, on trouve une petite enceinte carrée, en briques crues, dont chacun des côtés a cent vingt mètres de longueur. L'intérieur est rempli de monticules de décombres, qui annoncent d'anciens établissemens : et tout porte à croire qu'il y avoit là un temple Égyptien, Il existe même encore, près de l'angle nord-ouest, une porte en grès très-bien conservée, et semblable à celles du nord et de l’est, si ce n'est qu'elle a des dimensions moindres. Quelques arrachemens qui se voient sur les flancs de cette porte, pourroient porter à croire qu'elle devoit former un pylône avec d’autres constructions maintenant détruites, ou qui n’ont peut-être Jamais été achevées. Les sculptures dont elle est ornée, ont été travaillées avec le plus grand soin. Les costumes des figures sont très-riches et très-variés; les sujets des bas-reliefs sont des sacrifices de divers animaux à Osiris à tête d'épervier et à Isis. Dans l'un de ces bas-reliefs (1), on a représenté le supplice de deux hommes barbus qu'un sacrificateur va percer de sa lance, et qu'un lion s'apprête à dévorer. Dans un autre (2), un jeune crocodile est sur le point d'être immolé : un prêtre Égyptien l'écrase sous un de ses pieds et lui enfonce une lance dans la bouche. Un troisième bas - relief (3) montre enchaîné un animal dont il est difficile de désigner l'espèce, parce que la sculpture a été mutilée: le sacrificateur est dans l'action de le percer d’une lance qu'il tient de la main droite ; les chaînons de la double chaîne qui maintient l'animal, ont une forme oblongue et sont exécutés avec la plus grande netteté. En général, toute la sculpture de la porte de l'enceinte de l'est est traitée avec la même perfection que nous avons fait rémarquer dans le grand temple. Si l'on ne savoit déjà que les Tentyrites avoient horreur des crocodiles (4), on en trouveroit la preuve dans le bas-relief que nous venons de décrire, et dans celui de la salle découverte de l'appartement du zodiaque ($), où lon voit deux (1) Voyez planche 25, fig. >, À. vol. IV. Odit uterque locus , cim solos credat habendos (2) Voyez planche 25, fig. s, A. vol. IV. Esse deos, quos ipse colit. (3) Voyez même planche, fig. 4. (4) Juvénal, dans sa quinzième satire, parle de Ia haïne qui existoit entre Îes habitans d’Omnbos et ceux de Tentyris, au sujet des honneurs que chacun de ces peuples rendoit aux animaux qu’ils regardoient comme sacrés. Il s’en exprime aïnsi : L'auteur, au commencement de sa satire, parle ainsi La en général du culte des Egyptiens : Quis nescit, Volusi Bithynice, qualia demens ÆEgyptus portenta colat! Crocodilon adorat Pars hæc : illa pavet saturam serpentibus ibin. ARE De ARE RE PONT Inter fnitimos vetus atque antiqua simultas M Illic cæruleos, hic piscem fluminis , éllic Immortale odium , er nunquam sanabile vuluus Oppida tota canent venérantur ,nemo Diana : Ardet adhuc Ombos et Tentyra. Summus utrinque Porrum et cepe nefas violare ac frangere morsu. Inde furor vulgo, quod numina vicinorum (s) Voyez planche 24, fis, r, À, vol, IV. APRES G 2 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS $s2 de ces aninaux écrasés par un personnage recouvert de la dépouille d’un épervier. Le passage de Strabon relatif à cette antipathie des T'entyrites pour le crocodile est trop curieux pour que nous ne le rapportions point ici. « Les habitans de Ter- » tyris, dit cet auteur (1), ont plus que tous les autres Égyptiens, le crocodile en » horreur : ils le regardent comme le plus dangereux de tous les animaux sauvages. > Quelques Égyptiens cependant, quoïqu’ils connoïssent la férocité de cet animal PA » et qu'ils sachent combien il est nuisible à l’homme, lhonorent et ne lui font » aucun mal: mais les T'entyrites le poursuivent de toutes les manières et le tuent. » On prétend que de même que les Psylles de la Cyrénaïque sont doués d’une » faculté naturelle qui les préserve de la morsure des serpens, de même aussi » les Tentyrites jouissent d’une certaine propriété qui les empêche d’éprouver » rien de fâcheux de la part des crocodiles. Bien plus, ils plongent dans les eaux » où se trouvent ces amphibies, et les traversent dans tous les sens ; ce que per- » sonne autre qu'eux n'oseroit faire. Lorsqu'on transportoit à Rome des croco- » diles pour les spectacles du cirque, des Tentyrites les suivoient. Un réservoir » étoit préparé pour ces animaux: il étoit percé, sur l’un de ses côtés, d’une ouver- » ture par laquelle les crocodiles sortoïent de l'eau et venoient s'étendre au soleil. » Les Tentyrites les tiroient du réservoir avec des filéts , pour les exposer dans » l'arène, de manière qu'ils pussent être vus par les spectateurs; ils les remettoïent » ensuite dans le bassin, en y descendant eux-mêmes. » Dans le même passage, Strabon nous apprend que les Tentyrites honoroïent Vénus. C’est ce qui résulte évidemment de la description détaillée que nous avons donnée du grand temple de Denderah, où par-tout, en effet, dans les bas-reliefs, dans les frises, et dans les lieux les plus apparens de l'édifice, on retrouve l’image d'Isis, la même que les Grecs nommoiïent Aphrodite où Vénus. La suite de la citation de Strabon nous paroît mériter d'être remarquée. En effet, ce géographe dit (2) qu'après le temple d'Aphrodite se trouve la chapelle d'Isis, puis ce que l’on appelle Typhonia , et le canal qui va à Coptos, ville commune 75 n 2 : / (1) Evradn dé Japeegrlws maed mès amss Aiyumies e / 10 \ 02 t7 / a 6 xpouodènos nruwrey, à Endisos Tv drévTwy Sneioy veyépusar. a Cor he M ; z Oùi ju yép Moi, aimep eidères my rauiay (as, nai we » 2 02 » 4 d 3 dAEGpIoY TO Spore Jiel, CÉCoyry Que , à ATÉYONTU eo \ 4 1 n / “ N /; » \ 21. Smi dè ravTt TROMY AVVVEUS » 1j d'ap%ieguay aumuc. Evioi d mn d wap mos YÜmss mÜc @eÿc Th Kupnraix Quanir nv +1 ? Ja « el cnradeion ne Tegc mé épré, ÉTwc à mÜs Téynweilus quai 1 < € ne] à œess rés nponodkiaue, se jundèy UT aura maogi, «Ma à En » 2 EU »! st » wauuGar adtoc, à d'ampar, umdkrès dm Sappouvlos ele re my Dép woutia mic xponodeinoic émdéifenc yaeur, 4 € / : \ AN 7 ouvnxonouSeur oi Teyweirey" perquévns 7 défaueriic à menualos nos ÜTEp QUBS TO MAEUOY, à À mis Oneloic ExGam ToÙ uduoc, fasheror elVa), Exeltel om oi ToTE jy éÉÉANOYTES / ï \ € 4 a TE e« 27 dxTw& mesc m NMaero, @s % UT TwY KaTwy dex Ava, 3 « 5 7 1 : à éubaivovres aqua tie m udwp: mr dé mars tic Tir défauertr HETO GHOVTE . Ejus incolæ præter cæteros Ægyptios excellenter crocodi- Lun detestantur, et ex omnibus belluis innnicissünum habent. Nam cæteri, quanquam jus animalis malitiam norint, et humano generi perniciosumn existiment, venerantur tamen et ab eo abstinent : T'entyritæ omnibus modis eos pervestigant 2 atque occidunt. Sunt qui dicant , quemadmodum Psylli apud Cyrenaicam regionem naturalem quamdam vim habent ad- versus serpentes , sic et Tentyritis esse contra crocodilos, ut nihil ab eis damai accipiant, sed intrepidè urinentur et aquam tranent, alio nemine audente. Cümque crocodili Romam allati essent pro spectaculo, Tentyritæ eos seque- bantur, et paratä crocodilis piscin& quêdam, et foramine in uno laterum, ut ex aqua in apricum egredi possent : Tentyritæ erant qui eos interdum rete in aquam ipsi in- trantes educebant in locum apricationi destinatum, ut à spectatoribus cerni possent ; alids rursum eos in piscinam retrahebant. (Strab. Geograph. lib. XVIL, pag. 814 et 815, edit. 1620.) (2) Omer À À à mie Apeodime, "Iudbe édv ieegr* ejre Tugavea xanovuya, à 1 ei Komèv d'@puë , muy xolvir Aipñlor m à AexGur. Post Veneris templum est Isidis fanum ; deincep$ sun ea quæ Typhonia vocantur, et fossa quæ Coptum defért, communem Ægyptiorum et Arabum urbem, ( Ibid.) DE DENDERAH. CHAP, X. 53 aux Égyptiens et aux Arabes. Peut-on s'empêcher de reconnoître dans ces indi- cations le grand temple de Denderah, la petite chapelle d'Isis et d'Horus, située derrière cet édifice, et le Typhonum! Cette conséquence découle naturellement de l'état actuel des localités. Les restes du canal qui conduisoit à Coptos, donnent encore le plus grand poïds à cette opinion. En effet, aujourd’hui même les eaux de linondation arrivent jusqu'au pied des décombres de Denderah , en coulant sur un terrain que sa dépression naturelle annonce comme la continuation d’un canal dont on retrouve des traces non équivoques un peu plus haut, en cô- toyant le désert. C'est par-là que les eaux du fleuve arrivent’ jusqu'à la butte fac- tice sur laquelle s'élèvent les temples de lancienne Zentyris. Nous conclurons donc de tout cela que les édifices de Denderah existoient à l’époque où Strabon voyageoit en Égypte , C'esta-dire, au temps de la conquête des Romains. Nous reviendrons bientôt sur cette conséquence, qui nous importe beaucoup relative- ment à ce que nous avons à dire sur l'antiquité des monumens de la ville de “Tentyris (x). UC UX. Résumé des Connoissances que l’on avoit sur les Temples de Tentyris ayant l'Expédirion Française. Nous nous sommes abstenus jusqu'à présent, dans les descriptions que nous avons données des anciens monumens de l'Égypte , de faire mention des relations des voyageurs qui nous ont précédés. En prenant ce parti, nous avons eu princi- palement en vue d’écarter des discussions en quelque sorte oïseuses et sans objet, pour arriver à une connoissance plus exacte des monumens que nous avions à décrire. Nous croyons cependant devoir nous éloigner, à l'égard des édifices de Denderah, des règles que nous nous sommes prescrites. Ainsi, avant de terminer la description de ces antiquités remarquables, nous ferons le résumé des notions que l'on en avoit au moment de l'expédition Française en Égypte : on pourra juger par-là de l'étendue des renseignemens que les circonstances extrêmement favorables dans lesquelles nous nous sommes trouvés, nous ont permis de re- cueillir. Beaucoup de voyageurs ont parcouru la haute Égypte avant nous; mais parmi eux nous nous bornerons à citer ceux que l'on peut réellement considérer comme ayant donné quelques idées positives sur les monumens de Tentyris. Le P. Sicard, qui parcouroit la haute Égypte au mois de septembre 1714, ne paroît avoir vu les temples de Denderah que de la ville de Qené, située un peu plus haut, sur la rive droite du Nil. I ne parle de ces monumens que pour rapporter à leur sujet une fable qui paroît tout-à-fait absurde. Il prétend, d'après un auteur Arabe, que le temple de Denderah a autant de fenêtres que l'année a de jours; que ces fenêtres sont tellement disposées, que chacune, répondant à un degré du zodiaque, reçoit successivement les rayons du soleil. Rien de semblable, d’après ce que nous avons dit, n’a pu exister dans la construction du temple. (1) Voyez ci-après, pag, 58. $ À DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS Paul Lucas voyageoït aussi en Égypte en 1714. Îl a donné le premier une figure du grand temple de Denderah; mais c’est bien plutôt une caricature informe, que la représentation fidèle de lun des plus beaux monumens de l'architecture Égyptienne : c'est un dessin fait sans proportion et sans goût, et l'on peut assurer que, pour l'exécuter, l’auteur. n’a mesuré aucune partie de l'édifice. Il y a même tout lieu de croire que la vue donnée par Paul Lucas n’a point été faite sur les lieux mêmes, et qu'elle est le résultat de souvenirs vagues ; car il n’y a point d'écolier, si peu exercé qu'il fût dans les arts du dessin, qui n’eût mieux représenté le magnifique spectacle que ce voyageur avoit sous les yeux. Paul Lucas n’a vu que du granit dans les édifices de Denderah, tandis que tout est en grès, à l'excep- tion de deux blocs de cette roche qui ont été employés pour le couronnement de la porte d'entrée du portique. Au reste, auteur, dans sa description très-suc- cincte, s'abandonne à toute l’exagération dont il fait preuve dans les autres parties de son ouvrage. Suivant lui, ïl ne faudroit pas moins que huit hommes pour em- brasser en entier une des colonnes du portique, qui cependant n'ont pas tout-à- fait sept mètres de tour. Si on devoit l'en croire, sept portes semblables à celle qui précède le grand temple et à laquelle il donne le nom d'arcade, existoient à l'époque de son voyage; et pourtant on n’en voit actuellement que trois, et rien n'annonce quil y en ait eu davantage. Des deux côtés de cette porte, il a rémarqué deux bâtimens qu'il prend pour des corps-de-garde. L'une de ces constructions ne peut être que le 7yphonum, et l'autre n'a probablement jamais existé que dans l'imagination de Paul Lucas. Granger est de tous les voyageurs celui qui a parlé avec le plus d’exactitude des édifices de Denderah. Sa relation est malheureusement trop peu étendue : il s'est attaché seulement à faire connoître la distribution du grand temple, et les dimen- sions des principales pièces qui se sont offertes à sa vue; maïs il n'a fait aucun effort pour pénétrer dans les parties de l'édifice maintenant encombrées presque jusqu'aux plafonds. Les mesures qu'il donne sont exactes. Granger voyageoïit en Égypte de 1730 à 1731. Son ouvrage n’est point accompagné de figures. Pococke , le plus exact et le plus savant voyageur qui-aïit parlé des monumens de l'Égypte, et dont les descriptions très-détaillées ne laissent quelquefois rien à desirer aux lecteurs les plus exigeans, s'étend très-peu sur les édifices de Denderah: il ne consacre que quelques lignes à la description de monumens qui, après ceux de Thèbes, tiennent cependant le premier rang, et il n'en donne aucun dessin dans l'atlas joint à son Voyage. * Norden étoit en Égypte en même temps que Pococke, vers l'année 1 797 I n’a fait que s'arrêter devant le village de Denderah. Soit en remontant, soit en des- cendant le fleuve , il n’a jamais pu vaincre l'obstination du r4ys ou commandant de sa barque, qui s’est constamment opposé à ce qu'il mit pied à terre pour visiter les temples existans dans l'emplacement de l'ancienne Tentyr1s. Il est probable que si ce voyageur eût pu nous offrir des images de ces antiquités, elles n'auroient point été représentées sur une plus grande échelle que les autres monumens figurés dans son ouvrage. Il faut convenir alors qu’elles auroïent été bien insuflisantes pour + DE DENDERAH. CHAP, X, $S$ satisfaire la curiosité qu'inspirent ces édifices remarquablés; car tous ceux qui ont fait le voyage d'Égypte, tomberont d'accord que les planches de Norden ne sont guère propres qu à rappeler le souvenir des monumens à ceux qui les connoissent déjà, et qu'elles ne peuvent, dans aucun cas, en donner une idée tant soit peu exacte à ceux qui n'ont point parcouru le pays. De tous les voyageurs modernes, l'Anglais Perry est celui qui a parlé avec le plus de détails des ruines de Tentyris. H parcouroit l'Egypte en 1740. Sa descrip- tion est rapportée dans la nouvelle édition de Norden, pübliée par M. Langles. Elle est assez précise et assez détaillée pour motiver la juste admiration que témoigne l’auteur au sujet des édifices de Tentyris ; maïs ellesn'est point encore exempte de notions fausses, qui tiennent principalement à ce que l'encombrement des édifices na point permis à Perry de juger sainement de leur distribution. I n'y avoit qu'un séjour paisible et prolongé , tel que celui que nous avons fait à Denderah, qui pôût fournir les moyens d'entreprendre des fouilles propres à donner une idée complète de toutes les parties des temples. Ce qu'il y a de fort remar- quable dans la description de Perry, c'est que cet Anglais, tout en critiquant avec raison les exagérations de Paul Lucas, [ui emprunte cependant son dessin du temple de Denderah; il va même jusqu'à dire qu'il ne le trouve pas très-infidèle, quoiqu'il convienne que cette vue n'exprime pas, à beaucoup près, les beautés de l'original. Bruce est un des derniers voyageurs qui soient allés dans la haute Égypte, et dont la relation ait été publiée avant l'expédition Française. Il parle très-succinctement de l'ancienne Tentyris, et il ne fait mention que du grand temple; encore n’entretil, à l'égard de cet édifice, dans aucun détail propre à en faire connoître la distribu- tion et les dimensions : il s'attache seulement à décrire les chapiteaux du portique du temple; ce qu'il fait d’une manière assez obscure. On doit convenir, en effet, qu'une description de ces chapiteaux, dont les formes paroïssent au premier abord bizarres et compliquées, ne peut être claire qu'autant qu’elle est accompagnée d'un dessin, et Bruce n’en a pas joint au texte de son ouvrage. Ce voyageur a fort bien remarqué que les sculptures du grand temple sont recouvertes de couleurs très- fraîches et d’une grande variété. S. X. Remarques sur l "Antiquité des Edifices de Denderah. L'AIR de fraîcheur des monumens de Denderah, l'exécution précieuse des sculp- tures qui les décorent, le dessin en quelque sorte plus correct et plus gracieux des figures, nous ont fait présumer, sur les lieux mêmes, que ces ouvrages devoient être d’une époque plus récente, où l’art, tel que les Égyptiens l'ont conçu, étoit arrivé au plus haut degré de perfection. Nous avions remarqué que, dans la Thébaïde supérieure , le sol de quelques monumens, qui, à l'époque de leur construction primitive, étoit certainement élevé au-dessus de la plaine environ- nante, se trouve maintenant à son niveau, tandis que le socle ou soubassement Æ s6 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS du grand temple de Denderah, d’après des nivellemens que nous avons faits avec soin, est encore de ",57 au-dessus de la surface du terrain qui l’entoure. Tous ces faits sembloïent annoncer que les temples de Denderah avoïent une antiquité relativement moindre que celle des édifices de la haute Thébaïde; mais nous étions loin d'en conclure qu'ils ont été élevés par les Grecs ou les Romains. Voilà cependant la cohséquence qu'un célèbre antiquaire (1) a tirée, non pas, il est vrai, des considérations que nous venons de mettre en avant, maïs bien de ses remarques sur les zôdiaques sculptés aux plafonds du grand temple de Den- derah. Il n'entre point dans nos vues, en traitant la matière qui fait l’objet de ce paragraphe, d'examiner les zodiaques Égyptiens sous le rapport des conclu- sions qu'on peut en déduire pour l'antiquité des édifices où ces tableaux astro- nomiques sont sculptés ; M. Fourier a traité cette question dans ses savantes. recherches sur les zodiaques Égyptiens : notre but est de combattre ici (2) l'opi- nion de M. Visconti, moins par des raisonnemens tirés de l'examen des bas-reliefs astronomiques, que par des faits relatifs aux édifices eux-mêmes considérés dans leur apparence extérieure, dans la nature et l'objet de leurs bas-reliefs, et dans le style de leurs sculptures ; nous nous bornerons donc à rassembler les preuves que l’on peut en déduire, pour arriver à cette conséquence, que les temples de Denderah n'ont point été construits sous la domination Romaine, et qu'ils ne peuvent être non plus le produit de l'art Égyptien, modifié par l'influence des Grecs. M. Visconti paroît convaincu que le zodiaque du grand temple de Denderah a été exécuté dans cet espace de temps dans lequel le Thoth vague, ou le commen- cement de l’année vague Égyptienne, répondoit au signe du lion; ce qui est arrivé à peu près depuis l'an 12 jusqu'à l'an 132 de l'ère vulgaire. Comme les sculptures des plafonds sont du même style, et ont le même caractère que tous les autres bas-reliefs dont le temple est décoré, aïnsi que nous l'avons déjà fait remarquer ailleurs (3), il s'ensuivroit évidemment, en admettant cette opinion, que la construction du grand temple de Denderah devroit être placée dans les com- mencemens de la domination Romaine en Égypte. M. Visconti ajoute en outre que sur la corniche extérieure du portique du grand temple il existe une ïns- cription Grecque dont il a été impossible à M. Denon de prendre copie, et que, lorsqu'on la connoîtra, on pourra décider la question qu'il vient de poser. Cette inscription a été réeueillie ; elle a été publiée dans l'ouvrage Anglais de M. Hamilton sur l'Égypte : nous l'avons nous-mêmes dessinée sur les lieux; et nous l’aurions fait connoître depuis long-temps au public, si l'ordre suivi dans la publication des matériaux de louvrage nous l’eüt permis. Voici cette inscription et sa traduction. Malheureusement il y a des lettres tellement effacées, qu'elles sont tout-à-fait illisibles, et que même on n'a pu évaluer avec exactitude le nombre re (1) M. Visconti. Voyez la Notice sommaire des deux mens astronomiques eux-mêmes: et les résultats auxquels : zodiaques de Tentyra, et le Supplément à cette Notice, nous arrivons, confirment les conséquences que nous à la fin du deuxième volume de {a nouvelle édition dela tirons ici. traduction d'Hérodote par Larcher. (3) Voyez l'Appendice aux no des antiquités, (2) Dans un autre écrit, nous considérons les monu- n° I. celles DE DENDERAH. CHAP. X, | 57 celles qui manquent : cependant la correspondance des lettres dans chaque ligne peut aider jusqu’à un certain point à retrouver ce nombre, en partant de la sup- position que ces trois lignes étoient primitivement de même étendue, ou à peu de chose près. + YIIEPAYTOKPATOPOCTIBEPIOYKAICAPOCNEOYCEBACTOYOEOYCEBACTOYYIOYEIIAY...OYHAAIKOY....... MAS GS CE à PARA C..O.............. CAPAIIONOCTPYXAMBOYCTPATHIOYNTOCOIAIIOTHCMHT?O SUB IMPERATORE TIBERIO CÆSARE, NOVO AUGUSTO , DIVI AUGUSTI FILIO , SUB. .OUPHALICO, . A 2 0 SARAPIONE TRUXAMBO DUCE, CIVES EX METROPOLI ET PRÆFECTURA [| DEDICAVERUNT | PRONAON APHRODITÆ DEÆ MAXIMÆ ET DIIS UNÀ HONORAITISE Ste Sous le règne de Tibère Cæsar, nouvel Auguste, fils du divin Auguste. ..... Ouphalicus étant. ....: pale a RCE éreesresees.......Sarapion Truxambo étant commandant en chef, les citoyens de Ia capitale et du nome [ont dédié | le pronaos à Vénus, très-grande déesse et aux dieux honorés avec elle. Dans la première ligne, avant le mot OYHAAIKOT, il manque quatre lettres, et il est probable qu'après ce nom il y en a un plus grand nombre d’effacées. La fin de la seconde ligne est complète, puisqu'elle se termine par un mot dont les dernières lettres sont au commencement de la troisième ligne : mais les premières lettres de cette deuxième ligne ont presque entièrement disparu ; quatorze d'entre elles manquent entre l'O et le mot CAPAITIONOC, deux entre le Cetlo ; et il fau- droit encore vingt-une à vingt-deux lettres pour que le commencement de la deuxième ligne correspondit exactement à celui de la première. Quant à Ja troi- sième ligne, le commencement est complet; et il ny a point lieu d'en douter, puisqu'il offre, comme nous venons de le dire, la continuation du mot qui ter- mine la seconde ligne. II manque, à la fin de la troisième ligne, dix-sept à dix-huit lettres; et c'étoit là peut-être, ainsi que cela a lieu dans l'inscription du propylée, qu'on auroit trouvé la date exacte de celle-ci. Quoique l'inscription du pronzos soit en partie mutilée, ce qui en reste est cependant très-précieux, et sufhit en quelque sorte pour faire connoître quel étoit son objet. Mais qu'apprend-elle en effet! rien assurément qui favorise les opinions du célèbre antiquaire que nous avons cité. Ÿ est-il fait mention que le grand temple de Denderah ait été construit sous Îe règne de Tibère! Nous ne pouvons y reconnoître autre chose, sinon que, sous ce prince, on a fait une dédicace du pronaos aux dieux honorés dans le pays. Les gouverneurs Romains en ont agi ici comme on avoit fait avant eux sous les rois Grecs, dont les noms sont gravés sur quelques-uns des monumens de l'Égypte; encore est-il certain que les Ptolé- mées ont fait plus que les empereurs Romains pour la religion Égyptienne. En eflet, des inscriptions authentiques, telles que la pierre de Rosette, prouvent au moins que les princes Grecs ont favorisé le culte Égyptien, et qu'ils ont entre- tenu et réparé les temples. Mais à qui persuadera-t-on jamais que , sous la domi- nation Romaine, on ait construit un édifice de l'importance de celui de Denderah, un édifice qui suffiroit lui seul pour immortaliser un règne, lorsqu'on sait, d'après Are H DESCRIPTION DES ANTIQUITES s8 jes auteurs Romains eux-mêmes {1}, qu'au temps où Ælius Gallus étoit gouverneut de PÉgypte, la religion Égyptienne étoit tombée en désuétude, et que lon n’en connoissoit plus que les rites, qui étoient expliqués aux étrangers par des prêtres ignorans et vains! Personne assurément ne sera tenté de révoquer en doute le témoignage de Strabon, que nous citons ici, cet auteur est trop grave, et, dans tout le reste de son ouvrage, il donne trop de preuves de son discernement et de l'exactitude de ses observations, pour inspirer la moindre défiance. Comment voudroit-on que des édifices tels que ceux de Denderah eussent été construits à une époque de décadence, lorsque par-tout au contraire ils présentent les plus hautes spéculations de la philosophie, exprimées dans: des bas-reliefs qui joïgnent à l'intérêt du sujet une exécution extrêmement soignée, qu'ont pu seuls produire les arts arrivés au dernier degré de la perfection! Maintenant, si l'on se rappelle que Strabon indique d'une manière positive les temples de Denderah (2), qu'il a certainement vus en accompagnant Ælius Gallus dans son expédition de la haute Égypte, il ne restera plus aucun doute que ces édifices n’existassent avant l’époque de la domination Romaïne. Mais si effectivement ils eussent été construits sous le règne d'Auguste, ou de lun de ses successeurs immédiats, comment se feroit-il que pas un écrivain n'en eût parlé! Peut-on croire qu'aucun historien contempo- rain n'eût fait mention de monumens d'une telle importance, dont l'exécution a dû coûter beaucoup de temps et des frais immenses, et qui sont d'une si grande magnificence , que la Grèce, et Rome même, en offrent peu qui les surpassent ou les égalent'! On peut expliquer toutefois l'espèce de dédicace nouvelle, men- tionnée dans l'inscription du pronaos, en l'honneur d’ Aphrodite, divinité Romaine, qui n’étoit point identiquement la même que l'Isis des anciens Égyptiens. En effet, les décombres de Denderah offrant beaucoup de débris d’antiquités Romaïnes, telles que des vases, des lampes, des pierres gravées et des médailles, il n'y a point de doute que cette ville n'ait joui d’une certaine splendeur sous la domination des Romains ; elle étoit probablement le séjour d'une colonie. On conçoit facilement que les vainqueurs de l'Égypte, occupant une ville de l'importance de Denderah, n'ont pu résister au desir de prendre en quelque sorte possession du monument magnifique qu’elle renferme , en montrant sa façade décorée d'une inscription qui rappeloit le nom d'un de leurs empereurs. D'après tout ce que nous venons de dire, il ne faut pas croire toutefois que nous voulions inférer que les Romains n’ont élevé aucune construction en Égypte. Heliopoli domos amplas vidimus , in quibus sacerdotes habitabant. Hanc enim perhibent olim sacerdosum habita- tionem fuisse, hominum philosophiæ et astronomiæ dedi- torum : nunc ts ordo ac studium defecit, nec quisquarn nobis tali exercitationi præfectus ostendebatur, sed homines tan- (1) Strabon, dans l’ouvrage duquel on lit le passage saivant: Er dè Th Havre, % o!tous ädiuey MEjonour, êy oi d\é- . meiGoy oi iepelc* ua yép, di mœUmy xamimiay iépéey y99- éd Qu nm AamAœiV, QiAoDEWY adb@v, À dcporoquna EXAEROTÉ dè à mm vor) n obsnua, xe2 n down. Euel juëy our oùdtie mur édéiwvm Tic miaume donnotoc porc, d\ oi iceomoioi poor, Ka) éEnyrg mic Eérouis mor mel m itea. Hapnxond9es dé me £E AncËadpeias amatorn tis my Alyumlor AÏN@ Tdmo T& fui Xapiuur mÜrqua, mpoatiouueros miam mé émonuuy pencuvos dé n mA, &e aAcQor xgi idoTe. tin qui sacrificid curarent , aique ritus eos peregrinis com= monstrarent. Comitatus quidem est Ælium Gallum ducer, ex Alexandria navigantem in Ægyptum , quidan nomine Chæremon, qui ejusmodi scientiam profirebatur : sed 0° ignorationem et arrogantiam fèrè plurimum deridebutur. ( Geogr. lib, XVII, pag. 806, ed. 1620.) (2) Voyez ce que nous avons dit ci-dessus, pag. 52. DE DENDERAH. CHAP. X, 59 On rencontre dans ce PE des ouvrages d'un style mêlé, que l’on reconnoît au premier coup-d'œil pour n'être pas purement Égyptien, et où une influence étran- gère se fait aisément remarquer. De ce nombre sont le Qasr Qeroun et les édifices de Taposiris (1), qui peuvent avoir été bâtis sous le gouvernement des Romains, et bien plus probablement encore sous celui des Grecs. Tous ces monumens sont si faciles à distinguer, que, pourvu qu'on ait tant soit peu l'habitude d'observer les antiquités du pays, on ne.les confondra jamais avec les édifices du beau temps de l'architecture de l'Égypte. Les Romains ont élevé sur les bords du Nil des cons- tructions dans le style pur de leur architecture: tel est, entre autres, un petit arc de triomphe dans lîle de PA/æ (2), et tels sont encore les monumens qui font lornement de la ville d'Antinoé, bâtie par Adrien sur l'emplacement de lan- cienne Besa.. Mais tous ces édifices sont d’un style tranché qui les fait éminemment reconnoître ; et il seroit aussi absurde d'admettre l'influence des architectes Égyp- tiens dans la construction des bätimens d'Antinoé, que de prétendre que des architectes Romaïns ont présidé à l'exécution des temples de Tentyris. Voyons maintenant si l'opinion qui tendroit à établir que les temples de Den- derah ont été construits sous la domination des Prolémées, peut être mieux soutenue que celle que nous venons de combattre. M. Visconti a avancé que le grand temple de Denderah ne peut être antérieur à la conquête d'Alexandre. Dans sa Notice sur les deux zodiaques de Tentyris, ce célèbre antiquaire, tout en accordant un certain crédit à l'opinion que nous venons de combattre, ne croït pas devoir exclure la possibilité que le temple de Dende- rah ait été construit sous le règne de l’un des Ptolémées. Le motif de sa suppo- sition repose sur une seconde explication qu'il donne du zodiaque, en admet- tant avec M. de la Nauze une année fixe en Égypte, depuis le règne d'Alexandre; ce qui permet d’assigner aux zodiaques une époque un peu plus ancienne que celle de la domination Romaine. M. Visconti avoit l'espoir que cette dernière explication pourroit être confirmée par l'inscription gravée sur le listel de la corniche du portique, où lon trouveroit sans doute le nom de quelques-uns des Ptolémées ; il insiste sur-tout sur cette dernière hypothèse dans le supplément à sa Notice : mais l'inscription Grecque n'offre effectivement le nom d'aucun des rois Lagides. Et comment croire que, si ces princes eussent fait bâtir le temple de Denderah, ils n’y eussent pas inscrit leurs noms, eux qui les ont fait graver souvent pour des restaurations de peu d'importance, ou seulement pour constater leur présence dans les anciens temples de l'Égypte , et pour faire connoître. les vœux qu'ils adressoient aux dieux quon y honoroït! On a cru remarquer quelque ana- logie entre Îles sculptures des temples de Denderah et celles des édifices des Grecs; et l'on s'est hâté d'en tirer la conséquence que les premiers n'ont pu être cons- truits que sous l'influence des Ptolémées. C’est ainsi que de la ressemblance de la plupart des signes du zodiaque de Denderah avec ceux du zodiaque Grec (3), (x) Voyez les planches 69 et 70, À, vol, IV, et la (3) Quoique dans cet écrit nous wayons point en planche 42, À, vol, V., vue d’entrer dans la discussion des preuves que lon peut (2) Voyez la planche 29, fig. 30, 21,32, À, vol, . tirer des zodiaques en faveur de notre opinion, nous ne A; D. H 2 60 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS M. Visconti conclut que les opinions des Grecs n'étoient pas étrangères à l'Égypte: mais il nous semble que c'est précisément la conséquence contraire que l’on devroit tirer; il faudroit dire, suivant nous, que les opinions des Égyptiens étoient connues des Grecs. En effet, il est assez bien établi par les témoignages des historiens et des philosophes Grecs qui ont parcouru l'Égypte, et par tous les documens de l'histoire , que si les Grecs ont quelque chose de commun avec les anciens habitans de cette contrée, cela ne peut être que le résultat des emprunts qu'ils leur ont faits; c'est une vérité que les travaux publiés dans la Description de l'Égypte mettent dans tout son jour : maïs d’ailleurs ceux qui voudront se donner la peine de faire une étude particulière du style de l'architecture Égyptienne, le retrouveront dans les édifices de Denderah, pur et sans mélange, maïs seulement très-perfectionné. On n'y remarque rien d’essentiel dont les plus anciens monumens n’offrent des exemples ; et de ce que l'on y voit des espèces de palmettes (1) qui paroissent d’un goût plus moderne, ce n’est point une raison suffisante pour en conclure que ces édifices ont été bâtis sous l'influence des Grecs ou des Romains. A la vérité, M. Denon a publié dans son ouvrage le dessin d’un petit temple à fronton (2), renfermant Harpocrate : c’est une offrande qu'un prêtre fait aux dieux dans l'un de ces nombreux bas-reliefs dont le grand temple de Denderah est couvert. Les édi- fices n'ayant point de toit en Égypte, où il ne pleut presque jamais, il en résulte qu'il n’y a point de fronton dans l'architecture ancienne de ce pays. On peut donc, au premier abord, trouver fort étrange la représentation d’un édifice avec un fronton dans les sculptures Égyptiennes; mais ce fait isolé, quand bien même il seroit parfaitement constaté, ne peut être une preuve péremptoire en faveur de l'opinion tendant à attribuer aux Grecs ou aux Romains l'érection des édifices de Denderah. Quelles conséquences peut-on tirer d’un dessin qui très-probablement n’a pu être tracé d’une manière fidèle! C’est une offrande faite à un dieu Égyptien; et l'on sait que les objets de cette nature qui se trouvent dans les mains des prêtres, sont, en général, d’une très-petite dimension. Lorsqu'ils sont placés à une cer- taine hauteur, il est tout-à-fait impossible d'en apercevoir les détails. I faut re- marquer que les parties du temple votif , telles que la porte, les colonnes, la frise et la corniche, sont absolument dans le style de l'architecture Égyptienne ; il n'y a que le fronton dont l’entablement est surmonté, qui s'en éloigne entièrement. En admettant ce fronton dont l'existence, au reste, nous paroît très-douteuse, et qui pourroit n'être autre chose qu'un pyramidion semblable à ceux qui surmontent les monolithes Égyptiens, la chose s’expliqueroit encore d’une manière assez natu- relle. Pourquoi cette offrande n'auroit-elle pas pour objet de rappeler le souvenir d'un temple qui auroit été érigé par un conquérant Égyptien, dans un pays éloigné où le climat exigeoit l'emploi du fronton pour la conservation de l'édifice! Il n'y pouvons nous empêcher de rappeler ici qu’il nous paroît (1) Voyez particulièrement les planches de bas-relief parfaitement établi que le zodiaque, tel que les Grecs de Denderah, À, vol, IV, où les trônes des divinités sont nous l'ont transmis, est d’origine Égyptienne. Les preuves décorés de cet ornement. de cette assertion sont développées dans notre Mémoire (2) Voyez la planche 127 du Voyage dans Ia haute et ayant pour titre, Recherches sur les bas-reliefs astrono- basse Egypte, fig 15. miques des Egyptiens, Voyez À. M. pag. 427. . DE DENDERAH CHAP. X,. Gr auroit même rien d'extraordinaire à ce que l’on eût employé dans les symboles Égyptiens la représentation d'un temple toutà-fait Grec, bn ’avant Cambÿse les Grecs étoient admis en Égypte, et que rien ne s'oppose à ce que les Ég gyptiens aient pu connoître une forme d’édifice généralement adoptée en Grèce. Les Grecs ont, ainsi que les Romains, laïssé des ouvrages en Égypte: ils y ont même bâti des villes tout entières; au moins les noms d’Arsinoé, de Cléopatris et d'Alexandrie, sont parvenus Jusqu'à nous: mais tous ces faits n’ont aucun rapport avec les édifices de Denderah. Les villes que nous venons de citer, n'offrent plus que quelques fragmens assez précieux toutefois, puisqu'ils indiquent ou tout-à-fait le style Grec , ou bien un style mélangé, que l'on ne peut confondre dans aucun cas avec le style Égyptien. La ville de Tentyris présente un résultat bien différent: ses monumens ont traversé, pour ainsi dire intacts, les siècles qui se sont écoulés depuis leur érection : cette circonstance seule sufhroït pour indiquer leur origine tout-à-fait Égyptienne; car, si, comme nous l'avons déjà fait observer, les Ptolé- mées en étoïent les auteurs, ils n’auroient probablement point manqué d'y inscrire leurs noms. De ce que ces noms ne figurent point dans les inscriptions existantes, on ne peut nullement en conclure que, sous le règne des princes Grecs, les temples | de Denderah n'étoient point bâtis: car alors on seroit forcé d'en reporter l'érection sous la domination Romaine; et nous avons prouvé que cette opinion ne peut être soutenue. D'ailleurs la conséquence à laquelle on seroit conduit dans cette hypo- thèse, présenteroit encore beaucoup d’autres difficultés. En effet, on trouve en Égypte nombre de monumens où les Ptolémées n'ont point inscrit leurs noms : nulle part à Thèbes on ne les aperçoit. Seroit-ce une raison suffisante pour placer à une époque postérieure à ces princes l'érection des nombreux édifices qui attestent encore aujourd’hui la splendeur de la première capitale de l'Égypte! Nous terminerons cette discussion en faisant remarquer que l'inscription Grecque du grand temple est tracée en caractères maigres, qui sont extrêmement difficiles à lire maintenant. Il est certain que si elle avoit été placée là par les auteurs mêmes du temple, ils n'auroïent point manqué de la rendre aussi visible et sur-tout aussi durable que les autres sculptures qui ornent l'édifice. Peut-on croire d’ailleurs qu'ils eussent mis cette inscription sur un listel qui, dans le système de larchitecture de l'édifice, devoit rester constamment lisse’ et pense-t-on que les fondateurs d’un monument aussi somptueux que celui de Denderah aïent été assez peu soigneux de leur gloire, pour négliger ce qui pouvoit le plus sûrement en transmettre le souvenir ! Si donc les monumens de Denderah ne peuvent avoir été bâtis, ni sous le règne des princes Grecs, ni sous la domination Romaine, comme personne ne supposera que ces édifices doivent leur existence aux Perses, à ces destructeurs des temples et des palais de l'Égypte , à ces ennemis invétérés de la religion Égyp- tienne , il faut nécessairement qu'ils aient été élevés à une époque antérieure où le pays étoit gouverné par des souverains indigènes. C’est à ces conséquences que nous sommes forcés de nous arrêter. S'il s'agissoit maintenant de fixer à quelle époque du gouvernement Égyptien les édifices de Denderah ont été construits, 62 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS DE DENDERAH. nous serions assez portés à croire qu'ils doivent dater des règnes des derniers rois depuis Nécos jusqu'à Amasis. L'histoire (1) fait mention des grandes entreprises de ce genre qui s’exécutèrent dans cet intervalle de temps. Alors quelques villes du Delta virent s'élever de magnifiques monumens ; Memphis , la capitale de l'Égypte, acquit elle-même une nouvelle splendeur. Nous ne voyons guère que cette époque, où les arts paroïssent avoir été cultivés avec éclat, qui puisse expliquer la perfection et la pureté de style que l’on remarque dans les temples de Denderah. Ces conclusions sont toutefois subordonnées à celles que l’on peut déduire, d’une manière plus certaine, de l'examen et de l'étude des zodiaques. Mais nous ne pousserons pas plus loin nos recherches : nous croyons avoir démontré que les temples de Denderah n'ont été élevés, ni par les Romains, ni par les Grecs ; et c'est là seulement ce que nous nous étions proposé dans ce para- graphe. (1) Voyez particulièrement le second livre d'Hérodote. NOTICE SUR LES RUINES DE KEFT ET DE QOUS: PAR MM. JOLLOIS ET DEVILLIERS, INGÉNIEURS DES PONTS ET CHAUSSÉES, CHEVALIERS DE L'ORDRE RoYAL DE LA LÉGION D'HONNEUR. I A I TS TO I I I I I SUITE DO CHAPITRE X IT I PT IS TS I ST TT I PT SAS Pi Des Ruines de Coptos, aujourd’hui Kefi. spa avoir recueilli les dessins des temples à Tenir, durant les nombreux voyages que nous y avions faits lors de notre séjour à Qené, nous partîmes enfin de cette dernière ville le 8 messidor de l'an 7 , pour continuer à remonter la vallée du Nil et visiter cette fameuse Thèbes, désormais l’objet principal de notre curio- sité et de nos recherches. Le général commandant la province faisoit une tour- née pour reconnoître l’état des canaux et s'assurer que le curage en étoit fait avec assez de soïn, sur-tout aux embouchures, où les dépôts du Nil sont très-abondans, pour faire arriver le plus loin possible dans l'intérieur des terres et aux environs des villages les eaux de l’inondation : nous profitâmes avec empressement de cette circonstance pour parcourir le pays. Nous voyagions par terre; ét, comme nous étions dans la saison la plus chaude de l'année, nous nous mettions en route pendant la nuit, afin de passer le temps de la plus grande chaleur du jour dans les villages où nous faisions halte. En effet, la température étoit telle, que, quelques jours auparavant, deux soldats étoient tombés sans connoïissance au sortir de Qené, et qu'un assez grand nombre d'autres s’étoient trouvés hors d'état de suivre l’escorte dont ils faisoient partie. La route que nous suivimes, nous tint beaucoup plus rapprochés du désert que des bords du Nil; et après avoir passé entre les villages d’Abnoud et de Byr el-Bâr, nous arrivâmes bientôt à la hauteur de l’un des embranchemens du chemin de Qoceyr, que suivent les caravanes en partant de Qené. De là au village de Keft, sur lequel se trouvent les ruines de l'ancienne Coptos, il n'y a pas plus de cinq mille mètres. Les débris de cette ville, qui jouit d’une certaine renommée dans l'histoire, sont situés presque au milieu de l'espace compris entre la rive orientale du Nil et le pied de la chaîne Arabique, en face d’une plaine de sable sillonnée par les 6À NOTICE SUR LES RUINES DE KEFT torrens. Là, se trouve une espèce de bas-fond formant ün chemin, que les cara- vanes suivoient autrefois, et qu'elles peuvent suivre encore aujourd'hui, pour re- joindre la route de Qoceyr. D’après le témoignage des historiens, il paroît que la grande importance de la ville de Coptos ne date guère que de l’époque où les Ptolémées en firent en quelque sorte l’entrepôt du commerce de l'Inde, au moyen de la route qu'ils établirent de cet endroit jusqu'à Bérénice, à travers les montagnes et les sables du désert. I ne faut pas croire, toutefois, que sous le gouvernement Égyptien cette ville n’occupât point un rang distingué : les ruines qu’elle présente, en rendent témoignage, au défaut de l'histoire. On y remarque, en effet, une an- cienne enceinte Égyptienne et les restes de deux temples de la haute antiquité. Une autre enceinte, construite en briques séchées au soleil, enferme une ville bâtie par les Sarrasins, et maintenant déserte, comme celles des Romains, des Grecs et des Égyptiens: elle est flanquée de tours, et son épaisseur est de quatre mètres. La petite dimension des briques qui y sont employées, ne permet pas de supposer qu'elle soit antérieure à la conquête de l'Égypte par les Arabes. Aïnsi, d’une ville que le com- merce avoit rendue successivement riche et florissante à quatre époques différentes, il ne reste plus actuellement rien que de misérables cahutes, formant, à l’ouest des ruines, le village de Keft. L'espace occupé par les décombres est de forme irrégu- lière, et peut avoir de quatre mille à quatre mille cinq cents mètres de circuit. Les deux temples Égyptiens dont nous avons parlé, offrent, dans leurs parties inférieures, de riches ornemens, semblables à ceux que nous avons indiqués ailleurs, et notamment dans le grand temple d'Esné. Les sculptures que repré- sente la planche 1, À. vol. IV, ornent les apophyges des colonnes, qui s'élèvent encore au-dessus du sol de décombres dans l’un des deux édifices. Le diamètre de ces colonnes est de 1,60. Les débris d’une porte ou d'un pylône en granit se font aussi remarquer parmi les ruines. Tout près de là, sont des fragmens de porphyre et de granit rouge et gris. À Coptos, on retrouve, aïnsi qu'à Hermonthis et dans d’autres lieux de l'Égypte, les restes d’une église Chrétienne. Les murailles en ruine qui en forment la clôture, renferment beaucoup de fragmens de colonnes et «le pilastres en granit, autrefois l’ornement de cet édifice. Ces colonnes étoient surmontées pee de chapiteaux Corinthiens en pierre, comme il en existe à Medynet- Abou, et à Antinoé, non loin de Parc de triomphe. Pres d'une niche circulaire, on voit une architrave ou une frise composée de triglyphes, avec des têtes de taureau et des patères dans les métopes. Ce fragment ne peut provenir que d’un édifice construit par les Grecs ou par les Romains. Aïlleurs, M. Dutertre, l'un de nos collègues, a dessiné un ornement de tiges et de fleurs de lotus, si paroft être un ouvrage Grec ou Romain, fait à limitation des ouvrages Égyptiens, et tel que nous en avons déjà fait connoître à Medynet-Abou (1). Tous ces fragmens divers peuvent suppléer, pour ainsi dire, aux détails que l’histoire ne nous a point transmis sur importante ville de Coptos. Les édifices Égyptiens 1 ES que, sous le gouvernement des rois indigènes, elle avoit ses temples consacrés aux dieux du pays, comme toutes les villes un peu considérables de l'ancienne Égypte. (1) Voyez planche 9, fig. >, À, vol. IT, Probablement, ET DE QOUS. SUITE DU CHAP. X. 64 Probablement, à cette époque, elle n’étoit point aussi florissante qu’elle l'est de- venue depuis; car alors, sans doute, la ville de Thèbes étoit encore l’entrepôt du commerce, auquel elle a dû l’état de splendeur dont il subsiste encore de sï éclatans témoïgnages. Les restes de l'architecture des Grecs et des Romains rappellent ce que ces possesseurs de l'Égypte ont ajouté à l’embellissement d’une ville que le commerce avoit enrichie ; et la destruction de l’église, évidemment construite avec les débris somptueux des monumens des âges précédens, date, sans doute, de l'époque de la persécution de Dioclétien. Nous sommes donc loin de penser, comme quelques voyageurs modernes Font avancé, et comme quelques archæo- logues seroïent portés à le croire, que l'existence des temples Égyptiens de Coptos prouve que des monumens dans le style de l'architecture antique ont été construits en Égypte postérieurement à la CORTE d'Alexandre. En effet, pourquoi les Grecs et les Romains auroient-ils bâti à Coptos des édifices dans le style Égyptien, lors- qu'ils pouvoient en construire dans le style de leur architecture! ce qu'ils ont réellement fait. Supposera-t-on que c'est par un goût de prédilection pour l'ar- chitecture Égyptienne! Maïs on ne voit pas pourquoi ce goût les auroit si promp- tement abandonnés, et pourquoi ils seroient revenus sitôt à leur propre architec- ture, dont on retrouve de nombreux débris épars çà et là parmi les ruines de Coptos. On doït convenir qu'il est tout simple que les Grecs et les Romains, vainqueurs de l'Égypte, et pressés, comme tous les conquérans, par le desir de transmettre leurs noms à la postérité dans des monumens publics, aient apporté dans l'érection de ces édifices quelque chose qui leur étoit propre, plutôt que d'emprunter servilement un genre d'architecture qui ne pouvoit s’'accommoder ni à leurs habitudes, ni à leurs mœurs, ni à leurs idées religieuses. Tout au plus pourroit-on adopter une opinion contraire, s'il étoit avéré que les Grecs et les Romains n’eussent point élevé en Égypte de monumens dans le style propre de leur architecture. Mais loin de là, ïls y ont bâti des villes tout entières ; telles sont, entre autres, Alexandrie et Antinoé. Quoique le temps ne les ait point respectées, comme il a fait des monumens Égyptiens, cependant , au milieu des décombres, seuls restes de l’ancienne capitale du royaume des Ptolémées, on trouve beaucoup de fragmens d'architecture Grecque, et Antinoé n'offre que des édifices tout-à-fait dans le style de l'architecture Romaine, Les restes de l'état florissant de l’ancienne Coptos ne se font pas seulement remarquer dans l’enceinte des ruines que nous avons indiquées : à deux mille mètres environ des décombres, au village de Kymân, on voit un petit temple sans colonnes, mais encore tout couvert d’hiéroglyphes et de sculptures allégoriques représentant des offrandes aux dieux de l'Égypte; c’est un petit sanctuaire analogue à celui que nous avons trouvé dans les environs d’Ækethyia, et qui dépendoït de cette dernière ville. Le petit édifice de Kymân est situé sur le bord d'un grand canal, par lequel les eaux de l’inondation arrivent dans la plaine de Coptos. En longeant au sud-sud-est la butte de décombres où se trouvent les ruines dont nous avons parlé, on aperçoit une belle chaussée qui, traversant perpendiculai- rement la plaine, va aboutir au pied de la chaîne Arabique. Cette chaussée avoit COUDE 66 NOTICE SUR LES RUINES DE*KEFT sans doute le double but de faciliter, dans le temps de l'inondation, la traversée de la plaine, pour arriver à la route de Coptos à Bérénice, et de retenir sur le sol les eaux du fleuve pour l’arrosement des terres. Deux ponts construits dans cette digue maïntenoïent la communication de la route dans toute son étendue, à toutes les époques de l'année, et servoient de débouché pour les eaux après que les terrains supérieurs avoïent été suffisamment imbibés. L'un de ces ponts est un ouvrage assez considérable , formé de sept arches; il est construit avec des débris de monumens Égyptiens, ainsi qu'il est facile d’en juger par les hiéroglyphes re- tournés et sans suite, que l'on remarque sur un assez grand nombre de blocs de pierre. Est-ce là un ouvrage du temps des Romains, ou bien doit-on l'attribuer . aux Sarrasins, qui ont exécuté en Égypte beaucoup de travaux analogues à ceux-là ! c'est une question sur laquelle il est assez difficile de prononcer. À cinq cents mètres des décombres, et près d’un large réservoir, la chaussée dont nous venons de parler, a un embranchement qui se dirigeoït vers la ville: là on voit les restes d'établissemens considérables destinés probablement au commerce. Set Des Ruines d’ApoHinopolis parva, aujourd'hui Qous. APRÈS avoir parcouru les ruines de Coptos, nous continuâmes notre route à travers la plaine ; nous passâmes près du village d' Abou -Hamoudy, dont le nom semble indiquer qu'il renferme des débris antiques, et nous arrivämes bientôt à Qous, où nous restämes la journée du 10 messidor. Qous est placée à treize cents mètres environ des bords du Nil, vis-à-vis d’une plaine de sable qui, de l'extrémité , Est des ruines de Thèbes à Med-a moud, s'étend jusqu'au-delà de Coptos , et forme un désert en avant du pied de la chaîne Arabique. Dans ce désert et à la hauteur du village de Kafr-Hagâzy, à onze cents mètres environ de Qous, est une gorge de la montagne, où se trouve un ravin semblable à celui de Coptos, et conduisant aussi aux routes de Qoceyr et de Bérénice. Une grande digue qui s'appuie sur Qous et s'étend jusqu'au désert, traverse la vallée; en même temps qu'elle sert aux irrigations , elle établit, à toutes les époques de l'année, la communication avec la route de Qoceyr. Lorsqu'on quitte cette digue pour remonter jusqu'au village de Kafr-Hagäzy , situé au débouché de la gorge dont nous avons parlé, on trouve sur son chemin une butte de décombres qui offre les débris d’un monument ancien. On a à sa droite une digue de plus de douze mille mètres de longueur, qui s'appuie: au Nil vers le village d’el-Qaräqous, et s'étend jusqu’au désert près de Kafr-Hagäzy. Le voisinage de Qoceyr et des bords du Nil a, sans doute, fait choisir l'emplace- ment de Qous pour le point de départ et d'arrivée des caravanes qui entretenoient le commerce de l'Arabie et de l'Inde avec l'Égypte. Si l’on en croit Abou-l-fedà, cette ville étoit, après Fostät, la plus considérable de toute la contrée; elle étoit l'échelle du grand commerce qui se faisoit par le golfe Arabique. L'immense ET DE QOUS. SUITE DU CHAP, X, 67 étendue des décombres qui limitent l'emplacement de la ville, confirme entière- ment le témoignage d'Abou-1-fedà. Qous est maintenant réduite à la condition d’un bourg, dont un grand nombre de maisons abandonnées tombent en ruine, et auquel cependant on conserve dans Îe pays le.nom de ville; ses habitans sont, pour la plus grande partie, des Chrétiens. Quelques jardins, qui doivent paroître délicieux lorsqu'on vient de traverser le désert , d'immenses plantations de melons et quelques palmiers épars çà et là, sont les seuls objets qui récréent la vue en arrivant à Qous. Au milieu de la place se trouve la seule antiquité Égyptienne qui soit encore debout : c’est une porte semblable à celle du nord à Denderah. Elle est enfouie jusqu'au linteau; mais ce que lon en voit, excite un vif intérêt. Ce morceau d’ar- chitecture, au milieu de la désolation qui l’environne, contraste d’une manière frappante avec les maisons en ruine et les masures de Qous : on n'en aperçoit plus que lentablement. Il est probablement intact sous les débris qui le recouvrent maintenant en grande partie. Mais c'est en vain que sa masse imposante a résisté jusqu'ici à l'encombrement total qui le menace; il sera incessamment envahi par les immondices qui l'enveloppent de toutes parts et qui augmentent tous les jours. Il est vraisemblable que cette porte formoit le propylée d'un temple maintenant détruit, ou peut-être enfoui tout entier sous les décombres. Les Arabes ont élevé sur sa sommité de misérables cahutes en terre, dont on voit encore des restes ; et il y a lieu de croire que les temples qui faisoient l’ornement de l’ancienne Apollinopols parva, ayant été recouverts successivement d'habitations modernes, comme nous en avons vu à Denderah et à Edfoû, ont fini par être enveloppés sous leurs débris. La porte de Qous offre sur ses montans et sur son architrave des bas-reliefs analogues à ceux que nous avons décrits à Denderah. Son état d'encombrement nous a donné le moyen d'approcher de la partie supérieure et de tracer avec exactitude le dessin du globe ailé qui décore son élégante corniche. Nous avons pu copier aussi l'inscription, en caractères Grecs, qui se trouve sur le listel. On peut la voir dans la planche 1, A. vol. IV, telle que nous l'avons recueillie sur les lieux, avec les détériorations que le temps lui a fait éprouver. Nous l'avons collationnée sur des copies faites à des époques différentes par plusieurs de nos collègues, et notamment par M. Legentil. Nous pensons que cette inscription peut être lue de la manière suivante avec certitude, au moins dans la partie non entièrement effacée : BASIAISYAKAEQOTATPAKAIBASIAEYEITOAEMAIOSOEOIMET AAOI®IAOMHTOPEZ Se D de) P.SKAITATERN AHAIQIOEQIMETISTOIK AITOIEEYNNAOIZOEOIS REGINA CLEOPATRA ET REX PTOLEMÆUS, DII MAGNI, PHILOMETORES;, MEME TI Ed ET LIBERI, SOLI, DEO MAXIMO, ET UNÀA HONORATIS DIIS. La reine Cléopatre et le roi Ptolémée, grands dieux, amis de leur mère, A RNENEE.. et leurs enfans, au Soleil, très-grand dieu , et aux dieux honorés avec lu. Il n'y a aucun doute sur la première ligne ; nous avons pu la copier en P I 2 A. D. z 68 NOTICE SUR LES RUINES DE KEFT entier. Le commencement de la seconde ligne est tellement effacé, qu'il est im- possible de le lire. Dans cette même inscription, rapportée par Paul Lucas et restituce par Bouhier, on lit, à la place des mots effacés, EYXEBEISZ. Maïs ce mot ne remplit point toutes les lacunes existantes. Dans le Voyage de M. Denon, on propose, pour la restauration de l'inscription, les mots, KAI PIAOIATOPEE, qui satisfont bien à la condition de remplir toutes les lacunes, mais qui ne nous paroissent point s'accorder avec l'histoire, puisque le roi Ptolémée et la reine Cléopatre, dont les noms sont inscrits ici, ne portoient point toutà-la-ois les surnoms de Philometor et de Philopator. Cependant il faut convenir que cette restauration est motivée, jusquà un certain point, par les dernières lettres des mots effacés. On distingue, en effet, très-bien un P et un 2: mais la lettre qui se trouve entre ces deux-à, ne présente aucune forme qui puisse la faire recon- noître. Notre collègue M. Jomard, qui a aussi copié l'inscription dont nous nous occupons, et qui la rapporte dans son Mémoire sur les inscriptions, adopte Îa restauration proposée dans l'ouvrage de M. Denon : il l’appuie sur des conjec- tures qui ne nous paroissent point dénuées de fondement. Dans le fac simile de la planche 1, À. vol. IV, ce qui existe encore des lettres en partie effacées, suflit pour qu'on puisse lire sans incertitude KAI TA TEKNA HAIQI @E QI. Les mots suivans sont parfaitement lisibles. Les différentes copies de l'inscription de Qous que nous avons eues entre les mains, nous ont donné le moyen de‘léver toutes les incertitudes, parce que nous avons trouvé dans les unes des parties bien nettes et bien reconnoïssables qui nexistoient point dans les autres, et réciproquement. On sera peut-être étonné que les copies des mêmes inscriptions qui ont été faites par divers voya- geurs, offrent ainsi des lacunes différentes. Nous ferons à ce sujet quelques ré- flexions qui ne seront point déplacées ici. Les inscriptions sont toutes , en géné- ral, gravées très -légèrement, et cela est particulièrement vrai pour l'inscription de Qous. Les siècles écoulés depuis qu'elles ont été placées par les Grecs sur les monumens Égyptiens, les ont plus ou moins détériorées; et il arrive qu’on les voit avec plus ou moins de facilité, suivant la manière dont elles sont éclairées par le soleil. Aïnsi, à des heures du jour déterminées, certaines parties de ces inscrip- tions sont plus distinctes; ce qui fait que les voyageurs, suivant les circonstances favorables dans lesquelles ils se sont trouvés, en ont recueilli avec netteté des caractères qui n'ont pu être tracés par d'autres que d’une maniere incertaine. L'inscription de Qous n'annonce rien qui soit relatif à la construction ou à la restauration du propylée sur lequel elle se trouve ; c'est un monument de la piété du roi Ptolémée et de la reine Cléopatre envers les dieux de l'Égypte : elle constate seulement la présence de ces souverains dans les temples de l'ancienne Apollinopols parva. La dédicace de cette inscription au Soleil annonceroit seule que la ville Égyptienne autrefois existante sur l'emplacement de Qous honoroït Apollon, quand bien même on ne retrouveroit point l'indication du culte de cette divinité dans la dénomination que les Grecs nous ont transmise. En parcourant les décombres de Qous, nous avons trouvé un de ces mono- ET DE QOUS. SUITE DU CHAP. x, 69 lithes placés ordinairement dans les sanctuaires des temples, et destinés à ren- fermer lanimal qui, sous une forme emblématique, représentoit le dieu que l’on y honoroït. Ce monolithe est en beau granit noir, tout-à-fait semblable, et pour la matière et pour le travail, aux monumens de ce genre qui ornent le sanctuaire du grand temple de PAile. I'est renversé près d’une citerne, et paroît avoir servi de vase pour abreuver les animaux. Les sculptures dont il est orné, sont exé- cutées avec un soin extrême; elles sont aussi parfaites que les hiéroglyphes des obélisques et des portes en granit de Thèbes. Le plan de cette chapelle mono- lithe est à peu près carré, et sa partie supérieure est terminée en pyramide qua- drangulaire tronquée. Ce seul morceau sufhroït pour annoncer que les temples de l'ancienne Apollnopolis parva n'offroient pas un degré de perfection moindre que les édifices qui faisoient l’ornement des autres villes de l'Égypte. Après avoir parcouru dans tous les sens les ruines de Qous, nous en partimes le 11 messidor pour continuer notre route, et nous arrivames dans la matinée sur l'emplacement de l'antique ville de Thèbes. TABLE. DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS DE DENDERAH. PME Opserva TL O NS TIGE NÉ RAILS EME RE TRE, à RNA) MOTS PAS ASE à DE DUC A PME PAS EEE ARR Es 4 ue + NE SOON E 7 CAT DEN ES 0 PE OC ONE RARES de à SX 30 NES SRE 8. SIN Di penis nrempie kon AV PROMINNMEE CETENTENREPERE PE EEE CNET 9. SAN I ANA EMI ASS ELEC ERLENRCEEEEER SCT ARRETE 16. ARTICLE I. De la forme générale du grand temple, et de son aspect extérieur... ... ibid. ARTICLE Il. De l'intérieur du portique. ................................ 20. ARTICLE Il, DePintérieur di temple proprement EM OR RETRO 3 2. ARPICLE NE MDP SCLIPTO NES ERIC NA EP OR EE EE TT CRC TER 44. SNA EDEN ET eine REED EP PEER 49. Se VIL Me TaNporredelete Lee AISNE EE ERREUR 50. SNVIIL De T'encente derdest 4e Cr ARE PRET ER RES Ernie pt 8e hrs sue $, IX, Résumé des connoissances que l'on avoit sur les temples de T'entyris avant l'expé- diion Française ES ROLE RE PR CEE EE EC LE PPT sB: $. X. Remarques sur l'antiquité des ON DE 0) REINE PENTIER 55: NOTICE SUR LES RUINES DE KEFT ET DE QOUS. SALE Des ruines, de Coptos tanoordhui KE SR NN CE 63. S. Il. Des ruines d'Apollinopolis parva, aujourd'hui Qous......... pu nl NOÉ. DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D’ABYDUS: BARRE SPOUNTAIREr TI AO OT TT TS CHAPITRE XI. $. L® Topographie et Géographie comparée. La ville d'Abydus étoit, selon Strabon, la seconde ville de la Thébaïde, et ren- fermoit un palais de Memnon, comme la ville de Thèbes elle-même. Elle devoit sans doute cet avantage à sa situation topographique, à sa position sur l'un des grands coudes de la vallée du Nil, et à la grande largeur qu'ont également en cet endroit l'une et l’autre rive du fleuve. Tandis que la plupart des autres cités étoient baignées par le Nil, celle-ci étoit reculée dans l'intérieur du pays, sur la lisière même de la chaîne Libyque et des terres cultivables, et placée de manière que ses habitans, menacés par la marche des sables , avoïent aussi le plus d'intérêt à les arrêter. Les eaux qui arrosoient Abydus, appartenoïent à une branche particulière du Nil qui n'existe plus aujourd'hui d’une manière suivie et continue, mais dont les traces se retrouvent par-tout à l'occident du fleuve, depuis Abydus jusqu'au lac Mareotis, et forment plusieurs canaux plus ou moins importans qui ont diverses dénomina- tions. En parlant de cet ancien lit dans un Mémoire sur le lac du Fayoum, j'ai déjà fait remarquer qu'il prenoït sa source dans la Thébaïde supérieure, et qu'il se joignoit à celui du Bahr-Y ousef ou canal de Joseph. Je ne doute pas que le voisi- nage de cette branche ne soit une des principales causes qui firent choisir ce local reculé pour le siége d’une grande cité. Ce fait est en quelque sorte prouvé par celui de l'établissement d’une autre ville de premier ordre, qui fut bâtie plus tard dans le même canton, maïs plus près de l'embouchure du canal, et qui, au rapport de Strabon, étoit après Abydus, c'est-à-dire, au-dessus; je veux parler de Drospoks parva (ou la petite Thèbes), que l’on croit communément avoir existé à l'endroit appelé Ho par les Égyptiens modernes. L’une et l’autre ville ont fait place à celle de Ptolemais, qui fut la capitale de la Thébaïde sous les rois Lagides, et que Strabon ne craint pas de comparer à Memphis. Enfin Girgeh, située peu loin d'Abydus, et qui a tiré son nom d’un ancien couvent de Saint-George, est encore aujourd'hui le chef-lieu du Sæyd (r). R Il est donc constant que ce quartier de l'Égypte a été choisi dans tous les temps pour l'emplacement d’une ville capitale. J'en vois un motif puissant dans la situation (1) Girgeh est à peu près à égale distance d’Abydus villes, et à quatre lieues au-dessus de Ia seconde. Hoû et de Menchyeh, l’ancienne Prolemaïs, c'est-à-dire, à est sur le bord du Nil, à huit lieues environ à l’est environ quatre lieues au-dessous de [a première de ces d’Abydus A, D. À 2 DÉSCRIPTION DES ANTIQUITÉS géographique d’Abydus. Depuis que les nouvelles observations faites en Égypte | ont rectifié les notions communes sur le cours du Nil, on saït que ce fleuve , après avoir couru au nord, depuis Syène jusqu'à Denderah, pendant deux degrés {1}, se détourne brusquement à l’ouest, et coule dans cette direction pendant dix-huit lieues. Arrivé à la hauteur d’Abydus, il change encore une fois de marche, et coule au nord-nord-ouest, Ces changemens dans le cours du Nil n'étoient pas indif- férens pour l'établissement des grandes villes, puisque le fleuve et ses bords cons- tituent, pour ainsi dire, à eux seuls tout le haut pays; les rochers ét les sables formant une barrière difficile à franchir, les routes sont nécessairement tracées parallèlement au cours du fleuve, et toutes les communications suivent la même direction. Ces raisons, qui me paroïssent avoir présidé à l'établissement d’Abydus, sont aussi probablement celles qui ont fait établir le siége de Tentyris au premier grand coude du Nil depuis Syène. Par ces seules considérations de topographie, on auroït pu reconnoître la posi- tion où fut Abydus, quand il n'y resteroït pas un édifice considérable, dont l’archi- tecture particulière ne permet pas de se méprendre ni de chercher ailleurs le palais de Memnon. Mais, lors même que ces différentes données manqueroient, le géo- graphe, ayant à la main Îes itinéraires, ne pourroït se tromper sur l'emplacement d'Abydus. Celui d’ Antonin demande vingt-huit milles de Diospolis parva à Abydus: or, si du village de Hoû vous portez sur la route qui suit les bords du Niletle milieu de la vallée, une distance d’un peu plus de quarante-un mille mètres, correspon- dant à vingt-huit milles Romains (2), vous arrivez précisément au lieu appelé Had- founeh (3), où est le palais dont il s’agit. Nous avons reconnu tout-à-lheure le canal dont parle Strabon, ainsi que la position que Ptolémée attribue à cette ville, auprès de la Libye (4). Pline assigne sept milles et demi de distance entre elle et ie fleuve; on trouve aujourd'hui entre Madfouneh et le point le plus près du Nil sept mille cinq cents mètres, qui font un peu plus de cinq milles : mais la vaste plaine qui est sur la rive droite, paroît avoir appartenu autrefois à la rive gauche, et avoir été abandonnée par le Nil d'année en année. 11 seroit superflu d'ajouter aucun autre motif pour déterminer la position d'Abydus; mais je ferai remarquer que la grande Oasis, aujourd’hui el-Ouah, se trouvoit sous le parallèle de cette ville : or c'est l'opinion commune dans le pays, que les environs de Girgeh sont dans la situation la plus rapprochée d'el-Ouah. (1) Il y a moins de trois minutes en sus. (2) Lé mille Romain est d'environ 1478 mètres, En ligne droite et le long du désert, la distance est beaucoup (4) @uvlme vous, à wnlegmng ‘Epwiou EN A EPA on dr De TI Efre je o0 pics duolcos So Vatwc”ACudor. £a y. Aioamaime 1ou0ç dr RTE; ÿ AM 1e9- AIS AIN Luxe. Less errte nd Ed Lye xs" y x s. x50 Ly° La latitude de Mdr d’après la carte moderne, est de 26° 13' environ, au lieu de 26° 50: maïs on sait moindre, et de 35000 mètres seulement. Voyez mon Mémoire sur le système RETAUS des anciens Égyptiens. (3) Mot Arabe, qui veut dire enseveli ou enterré. Thinites nomus, et metropolis Prole- Lon. at PDA ET SO SN PES SRE 61° 50° 27° 10' Postea mediterraneus ab occasu Abydus. Gtnon 2106 so. Diospolites nomus superiorum locorum, * et metropolis Diospolis parva....,.... 64. 50. 26, 40. ( Ptolem. Geogr. lib. IV, cap. v.) qu'il faut ajouter une correction à toutes les latitudes de Ptolémée, Voy. la Descript. d'Edfoù, 4. D. ch. F7, £: 7. D'ABYDUS. CHAP. XI. 3 Malgré toutes ces notions, l'emplacement d’Abydus nous resta long-temps inconnu en Égypte, à cause de sa position très-éloignée à l'égard du Nil; on croyoit généralement alors qu'Abydus avoit existé à Berbeh, lieu situé à une demidieue de Girgeh (1) : ce fut seulement le 22 octobre 1799 , à notre passage à Girgeh, que le commandant Français nous parla d’une grande ville ruinée, à trois ou quatre lieues de sa résidence; nous nous rendîmes à ces ruines en traversant une large plaine. Après avoir examiné et mesuré la route qui y conduit, l'étendue qu’elles occupent, le monument qui s'y trouve , il ne me fut pas difficile de reconnoître l Abydus de Strabon, de Pline et de Ptolémée. J'ignorois alors que d'Anville avoit déjà reconnu cette même position. Appuyé sur la carte du P. Sicard, voyageur bien informé des particularités du pays, et sur la relation de Granger, autre voyageur judicieux, écartant en même temps des notions peu exactes recueillies par d’autres voyageurs, il avoit assigné la même place à Abydus, quoiqu'il ignorät l'importance du monument qui y subsiste encore, et la grande étendue des ruines qui l'entourent. En se félicitant d’une pareille conformité d'opinion avec lui, on ne pouvoit se défendre d'admirer sa sagacité peu com- mune. Cet exemple, au reste, n’est pas le seul qui fasse honneur à notre habile géographe, qui a su le plus souvent démêler le vrai à travers les données les plus contradictoires. Une des circonstances les plus frappantes quand on arrive sur l'emplacement des ruines, c'est l'ensablement dont elles sont recouvertes sur plusieurs points et menacées sur tous les autres. Les plantations, les canaux, et tous les moyens qu'on avoit employés du temps de la prospérité de l'Égypte, pour préserver Abydus de l'envahissement des sables de la Libye, n'ont pu sauver cette ville de sa destinée : non-seulement la ville est en ruines, maïs ces ruines sont presque ensevelies. Au Tieu d'une cité florissante, ou au moins peuplée comme les villes modernes de la haute Égypte , telles que Girgeh, Esné, Syout, &c., on ne trouve plus sur son empla- cement que deux pauvres villages peu habités, dont Îles masures sont exposées au même fléau, et qui n’ont aucun rempart contre ces montagnes mobiles et dont la hauteur croît toujours. Les palmiers dont les décombres sont couronnés, serviront peut-être encore quelque temps à garantir les villages d’el-Kherbeh et de Haraba, Jusqu'à ce qu'enfin les uns et les autres disparoissent à leur tour sous les sables amoncelés. La cause de l'affluence des sables sur ce point est dans l’ouverture d’une vallée qui correspond à la position d’Abydus, et qui, dans tous les temps, a dû leur offrir une libre issue à l'époque des vents d'ouest et de nord-ouest, qui, malheureusement pour la rive gauche, sont les vents dominans dans le pays. Il ne faut pas douter que, dans les localités semblables, soit par des canaux, soit par des murailles, soit par des plantations de différentes espèces, les anciens Égyptiens ne soient parvenus à se défendre contre l'empiétement des sables; mais les enceintes et les canaux ont (1) Berbeh signifie temple. Au rapport ducommandant il existe aux environs d’Abydus et de Hoû plusieurs po- Français, il y a à côté un village nommé Abidou: je ne sitions qui ont un nom analogue à celui du lieu qui nous connois auprés de Girgeh que le village de Byâdy; mais occupe. Voyez pag. 18, A. D. | A 2  DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS dû nécessairement disparoître en même temps que les édifices anciens, et l’on n’en voit presque plus de traces subsistantes : il en est de même des boïs épineux d’acanthes ou acacias , qui ont probablement servi à cet usage (1). î Un moyen sùûr et facile consistoit dans de hautes enceintes en brique crue, placées à l'embouchure des vallons. En effet, ce moyen a été mis en pratique dans Rene d'endroits; et c'est là l'explication de ce grand nombre de murailles qui existent à l'entrée des déserts ii à et quelquefois assez Join dans les sables (2). Elles portent par-tout le même nom de Hayt el A” gouz ; les vieilles murailles, ou murailles de la vieïlle; ce qui annonce assez leur origine. Elles sont d’ailleurs très-épaisses, et formées de briques de fortes dimensions, comme toutes les anciennes murailles Égyptiennes. On ne peut guère douter que l'enceinte qui environne les temples d'Ombos sur la rive droite, n'ait été destinée, dans le principe, à les préserver des sables qui affluoient dans le temps des vents d'est. Beaucoup d’autres enceintes, qu’on voit encore aujourd’hui, ont eu peut-être la même destination. | J'ignore à quelle époque il faut rapporter la construction d’un mur en brique très-massif, situé à l’extrémité méridionale des ruines d’Abydus : mais, soit que les parties subsistantes de cette muraille soient les restes d’un ouvrage des Égyptiens : soit qu'elle appartienne à une époque moins reculée, il est extrêmement vraisem- blable qu’elle a été bâtie pour arrêter les sables du désert. Quoiqu'elle soit en partie cachée sous les sables, il est certain que si l’on en eût bâti une pareïlle un peu plus au nord, elle auroit garanti le palais de Memnon et les autres édifices. Sa 7 Historique. Ni Hérodote , ni Diodore de Sicile, ne font mention de la ville d'Abydus ; Strabon est le plus ancien auteur qui en ait parlé : selon lui, Abydus avoit été, dans les temps anciens, une trèsgrande ville et la première après Thèbes; et de son temps elle n’étoit plus qu'une bourgade médiocre. La description donnée par Strabon étant la plus complète de celles que l'anti- quité nous a transmises, je vais la citer toute entière : « Au-dessus de Ptolemaïs est la ville d'Abydus, qui renferme un palais de » Memnon bâti admirablement, tout en pierre, et de la même construction que » celle que nous avons décrite au sujet du labyrinthe, mais n'ayant point un » aussi grand nombre de distributions. Au fond il y a une source dans laquelle » on descend ‘par des galeries contournées en spirale, formées de monolithes » extraordinaires par leur grandeur autant que par leur structure. Un canal dé- » rivé du grand fleuve conduit dans cet endroit. Autour du canal est un bois (1) Athénée nous apprend qu'à Abydus même il y neuses. Woyez ci-dessous le S.v, où le passage d’Athénée avoit un bois d’épines qui étoit toujours fleuri (Deipno- est cité en entier, pag. 16, soph, Kb. XV, cap. VI1). Ce bois sacré étoit peut-être des- (2) J'en aï vu une grande quantité dans de tiné à servir de barrière à la marche des dunes sablon- mide, à quelque distance dans le désert. D'ABYDUS. CHAP. XI. @ 2 LA sacré d’acanthes, dédié à Apollon. Abydus paroît avoir été une grande ville, occupant le premier rang après Thèbes : aujourd’hui ce n’est plus qu'une bour- » gade. Si, comme on le rapporte, Memnon est appelé Zsmandès par les Égyp- tiens, le labyrinthe est aussi un ouvrage Memnonien et de la même main que ceux d’Abydus et de Thèbes; car dans ce dernier endroit il y a des édifices appelés Memmnonia. En face d'Abydus est la première des trois Oasis qui sont dans la Libye ; le chemin est de sept journées dans le désert. Ce lieu abonde en eaux, en vins et en toute sorte de provisions (1). » Osiris est adoré à Abydus. Dans son temple, il n’est point permis de chanter ni de jouer de la flûte ou de la lyre en l'honneur du dieu, comme c’est l'usage pour les autres divinités. Au-delà d’Abydus est la petite Drospolis, ensuite la ville de Zentyris (2). » Pline nous apprend que cette ville, célèbre par le palais de Memnon et par un LA 2 2 J 2 VV 2 LA 2 VW 2 V V > > Le >: v temple d'Osiris, étoit distante du fleuve de sept mille cinq cents pas, et reculée jusque dans la Libye : Znfra quod (Téntyrin) Abydus, Memnonis regia, et Osiris templo inclytum, VII. M. CCCOC passunm in Libyam remotum à flumine, dein Ptolemaiïs (3). Solin, qui paroît avoir copié Pline, dit aussi qu Abydus, ville de la Thébaïde, étoit fameuse par le palais de Memnon et un temple à Osiris (4). Un passage de Plutarque (s) nous explique encore mieux la célébrité d’Abydus. Les grands d'Égypte, dit-il, avoient coutume de se faire inhumer à Abydus, et ce lieu passoit, avec Memphis, pour être le véritable tombeau d'Osiris ; expression énigmatique, dont il ne seroit pas impossible d'expliquer le sens : maïs cette _fietion, quelle qu'elle soit, prouve toujours quel rang occupoit Abydus parmi les villes d'Égypte. Voici le passage entier, où l'auteur cherche à faire comprendre l'étrangeté de la fable d'Isis et Osiris : « Aussi ceste fable est apparence de quelque raison » qui replie et renvoye nostre entendement à la consideration de quelque » autre vVerité, comme aussi nous le donnent à entendre les sacrifices, où il y » à meslé parmy ne sçay quoy de deuil et de lamentable, et semblablement les » ordonnances et dispositions des temples, qui, en quelques endroïcts, sont » ouverts en belles æles et plaïsantes allées longues à descouvert, et en quelques » autres endroicts ont des caveaux tenebreux et cachez soubz terre, ressem- » blans proprement aux sepulchres et caves où lon met les corps des tres- G e 2) EL ES (1) ‘Yaip dé Qumç n° AGudbe, éy n nm Meuvoveoy Raaineroy 2 € 5 n + Javuade ram oxEvauE , CAGN TOY TH ATH LA TLONEUN À 7Ep TV LA » 7 \ \ / , ‘ 4 AaGvezvtoy éoauer, où momarrouy dé" kef wpnvnv 7 Baies xeué- A ul Pl ve #0 av, @5e xaTAGalvei eÏc aû Ty KA TARA PIEITZY aride d'c oyo- , € / a 07 em 51. 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J'ai traduit # mmaroûy dè par @es mots, mais n’ayant point un aussi grand nombre de distributions; ce qui ma paru Îe sens le plus probable, Casaubon er les autres interprètes n’ont point traduit ce passage, et ont supposé avec raison qu'il existe là une lacune. (2) ‘Er à 7 ‘AG muda mr Omer êr dé T& itpo T6 "Ociezdds ovx <£eav, oÙTE BELTE Ur abnnTiY; oÙTE Jnmy drapyeoS T@ HD, XaLrEp mic dmolc SJecis ESoc. Mer d riv AGodbr Aiéæmaic À puxeg” ydus. Jar dit plus haut que l'emplacement du palais est vers l'extrémité méridionale des ruines : mais il est nécessaire de le fixer avec précision, attendu la marche _croiïssante des sables, qui un Jour peut-être le feront disparoïtre entièrement; alors il sera possible d'en retrouver la place, au moyen de mesures exactes et des dis- tances de l'édifice à des points invariables. Aïnsi le voyage des Français en Égypte aura eu ce résultat, de donner la mesure de l'influence successive du temps et des phénomènes du climat sur l'existence et la conservation des monumens. Les deux Lies enceintes en brique, et le canal qui baïgne les ruines de Îa ville, peuvent être considérés comme des points fixes, propres à remplir la condition que je viens d'exprimer. Or j'ai trouvé par le plan une distance de 220 mètres entre l'allée voûtée du milieu du palais et le point le plus rapproché du canal Abou-Ahmar; 1330 mètres de ce même point à l'angle Est de Chounet elZebyb, à vol d'oiseau, et 1675 mètres jusqu'à l'angle Est de Deyr Nasärah. Le village de Haraba, qui est divisé en deux parties, pourra un jour être ensablé, comme le palais lui-même; cependant, comme il est plus élevé, on pourra encore faire usage de sa position pour retrouver la ve du monument, Du milieu du hameau du nord, il y a 275$ mètres jusqu'au même point du palais, et de ce point il y a 340 mètres jusqu’au milieu du hameau du sud-est. Enfin la porte en granit est éloignée de 390 mètres. L'axe de l'édifice étoit dirigé du nord-nord-est au sud-sud-ouest. La dimension en longueur, c'est-à-dire, suivant l'axe, est de $7 mètres ‘dans les seules parties que nous avons aperçues; mais cette longueur étoit beaucoup plus considérable. La largeur de la partie visible est d'environ 103 mètres, à partir du mur de clôture à l'est, jusqu'à la dernière arcade subsistante. Il paroît qu’on avoit puisé dans la montagne voisine une partie des matériaux de l'édifice, celle qui est faite avec une pierre calcaire blanche et d’un grain fin, susceptible d’un certain poli. Maïs, par une singularité dont ce monument présente encore d’autres exemples, les matériaux dont il a été bâti sont de deux espèces diffé- rentes : l’une est le grès: et l'autre, la pierre calcaire. Je crois que c’est le seul édifice d'Égypte qui soit dans ce cas. La partie en grès est la plus importante et la plus étendue : c’est celle des portiques, des arcades et des constructions du sud-est. La partie en pierre calcaire est au nord-ouest, et forme les constructions latérales (1). (1) Ce dernier fait m’a été communiqué par M. Jollois. À, D. B 2 12 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS On pénètre dans le palaïs, non plus par la porte, mais par Îa terrasse, en des- cendant par des ouvertures qu'a laissées libres l'enlèvement de plusieurs dalles. On entre aussi par des allées voûtées dont je parlerai tout-à-l'heure.s L'encombrement est beaucoup moindre en dedans qu'en dehors; on passe même librement par les portes intérieures : maïs dans aucune partie les colonnes ne sont visibles en leur entier, et l'encombrement moyen est au moins d’un tiers. A l'extérieur, l'édifice est encombré jusqu’à la hauteur des soffites. La hauteur, à l'intérieur, est aujourd'hui de 2 ou 4 mètres à 8 ou 9 mètres dans le grand portique. On pénètre aujourd’hui dans douze à quinze salles; maïs celles de l'entrée et les dernières sont obstruées par le sable, tellement qu'il n'est pas facile de deviner comment le portique étoit précédé, ni comment l'édifice étoit terminé à sa partie postérieure. Vers le sud-est et le sud-ouest, on n'aperçoit plus que quelques mu- raïlles, des architraves et des colonnes enfoncées presque jusqu'au sommet. Malgré cet encombrement, ou peut-être à cause de l'encombrement lui-même, l'intérieur de l'édifice est dans un état parfait de conservation. Les sculptures, et les couleurs dont elles étoient revêtues, sont presque intactes, et lon admire le vif éclat du bleu et des autres nuances qui composent les peintures, comme si elles étoïent fraîchement exécutées. Néanmoins il y a des parties du palais fort dégra- dées : au sud-ouest et au sud-est, comme on vient de le dire, on ne voit guère que des arrachemens ; au nord-ouest, on n'aperçoit presque plus rien. On conjecture que les constructions du nord-ouest, formées de pierre calcaire, ont été, par ce motif, exploitées par les habitans modernes pour faire de la chaux. Quelque surprenante que soit cette conservation des couleurs, on est plus frappé encore d’une construction particulière qui n'appartient qu'à ce monument et à un petit édifice de Thèbes (1). Je veux parler d’une construction de la forme des voûtes, et presque en plein cintre, mais sans voussoirs et sans aucune analogie de principe avec les voûtes proprement dites (2) : ce sont des allées cintrées, placées à la partie du sud-ouest de l'édifice. Les seules visibles aujourd'hui sont au nombre de sept et une huitième isolée, larges de 6”,70, et, autant que l’analogie peut le faire présumer, hautes d'environ 8 mètres (3). Ces arcades portent sur des pieds-droits ou sortes de piles de plus de 2 mètres d'épaisseur, et longues de 10",7; les courbes, à leur naïssance, ne sont pas tan- gentes à ces mêmes pieds-droîts. Pour se représenter ces fausses voûtes, il faut sup- poser deux assises horizontales, hautes chacune d'un mètre ou plus, dans le massif desquelles on auroït creusé simplement une voûte cylindrique. Ces arcades sont donc formées par trois pierres, dont la supérieure est de beaucoup la plus longue (elle a 7 mètres }, et repose sur les pierres latérales par des joints horizontaux. Au sommet, c'est-à-dire, à l'endroit qui répond à la clef dans les voûtes ordinaires, assise supérieure est épaisse de 25 centimètres seulement, tandis qu'à sa plus grande hauteur elle a 1",20. | (1) Voyez planche >9, À. vol. IT, et la Description (3) Le P. Sicard parle de vingt à trente allées, er dit en _de Thèbes par MM. Jollois et Devilliers. avoir vu dix entières. (2) Voyez planche 26, fig, r, À, vol, IV, D'ABYDUS. CHAP. XI. 12 Comme les pierres sont très-épaisses et qu'il n’y a aucune charge à la clef, il n’est pas étonnant que ces arcs subsistent encore dans leur entier. On sent que cette espèce de construction assez extraordinaire nest ni une imitation dégénérée des voûtes proprement dites, dont les Romains paroiïssent être les vraïs inventeurs, ni un essai qui devoit y conduire. La variété que les artistes Égyptiens ont souvent recherchée dans leurs ouvrages, ainsi que l’attestent les catacombes , est ici le seul motif qui ait guidé les constructeurs. Ces mêmes catacombes présentent l'emploi fréquent de couronnemens en forme de cintre : on ne peut en conclure, ni que les Égyptiens aient ignoré le principe des voûtes, ni que, par ces tentatives imparfaites, ils aient cherché à y atteindre par degrés. Si, au milieu de ces incertitudes, l'on pouvoit former une conjecture, on seroit porté à croire que les Égyptiens, s'ils ont connu en effet les voûtes, ont pu dédaigner d’en faire usage , sachant qu’elles ne présentent point l'image d'une construction durable, comme l'exigeoient leurs idées favorites. En effet, l'aspect d'une solidité immuable manque à ces masses suspendues en l'air et qui semblent ne pas avoir de base. Une voûte n'existe que par la continuelle poussée de ses Pi ties l'une contre l'autre, action qui, à la fin, doit tendre à sa ruine ; telle- ment qu'on peut dire qu’ une voûte porte en elle-même un principe de destruction. D'un autre côté, les Égyptiens pouvoient et savoient suppléer par des plates- bandes d’une portée immense à l'avantage que l'on ne trouve plus que dans les voütes, celui de servir à exécuter des portes d’une plus grande ouverture {1). Au reste, les Égyptiens ont eu l’idée d’un genre de voûtes horizontales, c’est-à- dire, où la poussée se fait horizontalement, et qui sont peut-être d’une aussi grande hardiesse que les autres, quoiqu'elles supposent moins d'art. On en voit encore aujourd'hui à Philæ et à Éléphantine : ce sont des murs de quaï présentant leur concavité au fleuve, et supportant l'énorme poussée des terres (2). L'appareil de l'édifice est très-bien exécuté, soit dans la coupe des pierres dont les cintres sont formés, soit dans toutes les autres parties de ce grand monument. Aucune colonne , aucun pied-droit, aucun mur, ne paroît avoir fléchi : les joints sont très-fins ; et l'on n’aperçoit pas qu'ils aïent reçu de ciment, si ce n'est en très- petite quantité. Ainsi le soin de la construction répond à la grandeur colossale des matériaux, à l'étendue de l'édifice, au nombre des distributions et à la richesse des ornements. On ne peut découvrir aujourd’hui, à cause de l’état d’ensablement, par où l'édifice étoit éclairé. Les arcades servoient sans doute à donner du jour au grand portique ; les salles intérieures devoient être éclairées par des Jours supérieurs, que cependant nous n'avons pas aperçus. Il n’est pas facile de se faire une idée juste de la disposition du palais et de l'ensemble du plan par le motif que j'ai exposé plus haut, c'est-à-dire, la des- truction d’une partie de l'édifice et l'encombrement de fautre : ayant le plan sous les yeux, et rétablissant symétriquement les parties qui ont disparu sous les (1) On sait que les Égyptiens ont employé fréquem- (2) Voyez la Description de Philæ, À, D. chap. I, ment en plate bande, des pierres longues de plus de 30%, f. 117, et celle d'Éléphantine , chap. LU, £. IV, larges et épaisses de 4 à 6"s, et pesant 86 milliers chacune. I À ._ DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS sables, on a même encore de la peine à distinguer où étoient les différentes issues de l'édifice, et à connoître l’usage des constructions postérieures et latérales. Autant qu’on peut en juger par ce qui reste, les arcades que j'ai décrites plus haut paroïssent avoir été placées vers le tiers de la longueur du palaïs : on y arrivoit après avoir tra- versé deux portiques, l’un de vingt-quatre colonnes, et l’autre de trente-six; celui-ci représente assez bien la salle hypostyle de Karnak, et il avoit sans doute la même destination. Ces vastes portiques, ces arcades multipliées, donnoïent au monument une grande magnificence, un aspect vraïment royal et digne de: la résidence de Memnon. Aux portes voûtées correspondoient les entre-colonnemens des deux portiques. Par une autre singularité propre à cet édifice, les entre-colonnemens étoient inégaux, alternativement plus grands et plus petits : celui de l'axe étoit plus grand encore que les autres. Le plafond du portique de vingt-quatre colonnes est plus élevé que celui de l'autre portique, et celui-ci est plus haut que les arcades : ce motif porte à croire que l'entrée du palais étoit du côté du premier portique; et ce qui confirme cette opinion, c'est que ce côté regarde le Nil : or on sait que presque toujours les anciens monumens d'Égypte sont tournés vers le Nil, quand toutefois ils ne sont pas paral- lèles à son cours. D'un autre côté, il existe au-delà des voûtes un mur extrêmement rapproché, qui semble exclure la possibilité d’une entrée dans cette partie, si toute- fois ce mur, qui est d’ailleurs sculpté d’hiéroglyphes, n’est pas d’une époque moins ancienne, comme on seroit porté à le penser. Les distributions particulières de ce monument ne permettent pas de le res- taurer par analogie, comme on pourroit le faire d’un autre monument Égyptien. Par exemple, le plan présente des couloirs très-étroits dont il n'est presque pas possible de continuer les lignes sans craindre de s'égarer. L'objet n’en est pas plus facile à assigner, et il en est de même de plusieurs autres parties que j'ai indiquées; on peut supposer toutefois que ces espèces de corridors étoïent destinés au service des gens du palais, comme les couloirs étroits qu'on voit dans nos châteaux. Il est à remarquer que les murs dont ils sont formés sont peu épais, comparés aux larges murailles qui caractérisent les constructions Égyptiennes. Le mur parallèle à l'axe, et que l’on a découvert à quarante-huit mètres trois quarts de la dernière arcade au sud-est, ne peut pas être regardé avec certitude comme la ligne extrême qui terminoit le bâtiment de ce côté; mais sa distance à l'axe donne une bien grande idée de la longueur du palais, et aussi de sa largeur, qui étoit au moins aussi considérable que la première. En doublant cette distance, on ne trouve pas moins de cent cinquante-un mètres : or, je le répète, rien ne prouve que ce füt la limite de l'édifice. Ce qu'on a aperçu dans cette même partie du sud-est et aussi dans celle du sud-ouest, annonce de vastes salles, supportées par des colonnes (1). y avoit dans cette profusion de colonnes une magnificence digne de Thèbes, et en parti- culier du monument d'Osymandyas. Remarquez que ce nom ressemble à /smandes, le même que Memnon, selon Strabon; c’est donc un rapport de plus entre ces (1) Voyez la planche 36, fis. 1, aux points o, p, i, À. vol. IV. | | D'ABYDUS. CHAP. XI, 15 deux villes. « [ y a, dit Strabon, à Abydus et à Thèbes, des ouvrages qui sont de la même main. » Voyez le passage cité plus haut. Je n'aï pas rendu compte de plusieurs cavités rectangulaires qui sont pratiquées sur la terrasse, parallèlement à l'axe, et au- -dessus même des pieds-droits ou piles des arcades; leur profondeur est de 1",30, et la largeur est de 1",10 : il y en a de pareïlles sur la terrasse du sud-est. On peut faire sur leurs destinations plusieurs conjectures; mais je mabstiendrai d'en proposer aucune. La décoration, remarquable par la richesse des couleurs, est d'une grande simpli- cité sous le rapport des formes architecturales. On trouve peu de variété dans les colonnes, dans les chapiteaux et les corniches. Par-tout ailleurs il y a, entre ces dif. férens membres d'architecture, une certaine diversité de proportions, de caractère et de grandeur absolue, qui les fait contraster et balancer-ensemble, dans les diffé- rentes salles des édifices, avec plus ou moins d'harmonie, sans cependant que les dispositions symétriques soient jamais violées. Ici la symétrie règne seule, et il semble que l'architecte ait voulu à dessein être sobre d’ornémens pour faire mieux ressortir les sculptures, les reliefs ou les peintures à fresque, dont les murs et les plafonds sont couverts. Les chapiteaux des deux portiques sont formés de côtes, comme dans plu- sieurs édifices de Thèbes et d'Éléphantine. Leur hauteur présumée, d’après l’ana- logie des colonnes de même espèce { car il a été impossible de fouiller jusqu’au pied), est d'environ 2 mètres et demi dans le grand portique; et celle du füt de la base, de 7",10 : dans le petit, le füt est haut de s”,40, toujours dans la même supposition. La surface des colonnes est ornée d’hiéroglyphes, encore dont hui très-bien conservés, et de sujets analogues à ceux qui décorent les colonnes des palais de Thèbes. Plusieurs plafonds représentent un azur sur lequel on a peint des étoiles de couleur jaune-foncé. II est vraisemblable que ce ciel étoilé renfermoit des com- positions astronomiques. On doit bien regretter que le temps n'ait pas permis d'en ‘faire la recherche et de les dessiner. Sur la surface courbe des allées voûtées, il y a des bandes d’hiéroglyphes horizontales, alternant avec des lignes d'étoiles. Le système de décoration des bas-reliefs est le même que dans les autres édifices Égyptiens : ce sont de grands tableaux encadrés, où sont deux, trois ou quatre per- sonnages en scène, accompagnés de colonnes et de légendes hiéroglyphiques. Il y a lieu de croire cependant que cet édifice, d’un genre particulier, devoit renfermer dés sujets curieux et des scènes appropriées à sa destination. Le séjour que nous avons fait à Abydus, a été trop court pour donner le temps deles dessiner. Un jour, quelque voyageur, profitant des notions que nous avons recueillies sur Abydus et sur les moyens de s’y rendre, dessinera les bas-reliefs et complétera nos travaux, à moins que la marche progressive des sables ne vienne à obstruer les issues qui conduisent dans ce palais. Je finirai cette description succincte des ornemens, en citant un fait que M: Legentil a observé ; c'est que, sous une des voûtes, l’on aperçoit des carreaux tracés en couleur rouge très-distincte , avec des figures au trait, non encore 16 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS sculptées. IL.y a même, au rapport de ce voyageur, une faée de muraille entière- ment nue. La description qui précède, les passages des anciens, l'importance des ruines, ne permettent plus de douter de l’objet et de l'usage auquel étoit consacré cet édifice. On reconnoît, à ne pouvoir s y méprendre, le regra Memnoms qui ornoit la seconde Thèbes. La résidence de Memnon avoit une grande célébrité dans l'ancienne Égypte, renommée due au prince lui-même, qui portoit aussi le nom d'Ismandès. Ce Memnon n'est point le même sans doute que celui qu Homère fait périr devant Troie ; mais, ainsi que le Memnon des Grecs, qu'on disoit fils de l'Aurore, il étoit originaire de l’Éthiopie. Ainsi ce monument diffère abso- lument de tous les autres, et par sa physionomie particulière, et par sa disposition, et par le prince en l'honneur duquel il fut bâti. Quant au temple d'Osiris, qui n'étoit pas moins célèbre, je ne puis en rappor- ter la position avec vraisemblance à aucun autre lieu que celui que J'ai désigné, $. II et $. IV, à trois cent quatre-vingt-dix mètres du palais, et où j'ai vu la terrasse d’un grand édifice ensablé jusqu'au toit. Il n’est pas à espérer qu'on puisse Jamais en connoître l'intérieur : du moins ce seroit une difhcile entreprise que de vider et de porter au loin une aussi grande masse de sable que celle qui a pénétré dans le temple et peut-être l’a comblé entièrement. Peut-être aussiles issues seules sont-elles obstruées. Nous avons encore à regretter de n'avoir pu apercevoir cette source profonde dont parle Strabon, dans laquelle on descendoit par des galeries contournées en spirale, et qui étoit située dans l'intérieur du palais. Les paroïs en étoient formées de pierres énormes et d'une construction qu'il dit admirable. L'envahissement des sables nous a privés, peut-être pour toujours, de la connoïssance des merveilles que renfermoit cette seconde Thèbes. SM Recherches et Conclusion. LE passage d’Athénée au sujet des acanthes ou épines qui croissoient à Abydus, mérite d'être rapporté ici plus au long que je ne l'ai fait dans le $. [°° « Hellanicus, » dit-il, dans ses Égyptiaques, parle des couronnes toujours fleuries qui se voient en » Égypte. Sur le bord du fleuve est la ville de Tindium, lieu de rassemblement pour » les grandes cérémonies. Au milieu de la ville, est un temple grand et vénéré, bâti. » en pierre, avec des portiques de la même construction. En dehors, il pousse des » épines noires et blanches sur lesquelles on pose des couronnes faites de leurs » d’acanthe, de grenadier et de vigne: c’est pour cela que ces épines sont perpé- » tuellement fleuries. Le même auteur raconte que les dieux se dépouillèrent 4e » leurs couronnés en apprenant le triomphe de Babys ou Typhon. Démétrius, dans son » livre sur les choses d'Égypte, rapporte qu'il y a des épines de cette espèce » autour de la ville d’Abylos. Ces épines sont une espèce d'arbre qui croit dans » les lieux bas, ayant des branches arrondies et un fruit de forme ronde. Il fleurit quand "VU D'ABYDUS. CHAP. XI. "à » quand la saison est venue ; mais la couleur des fleurs est terne et sans éclat. » Les Égyptiens racontent cette fable, que les Éthiopiens envoyés à Troie par » Tithon, ayant appris la mort de Memnon, petérent dans ce même lieu leurs cou- » ronnes sur les épines : » fleuries (1). » Ces récits mêlés de fables font voir qu'Abydus renfermoit des bois d’acanthes, et confirment les rapports déjà établis entre cette ville et le personnage de Memnon. Il me semble aussi que ce triomphe de Typhon et la chute des couronnes d'épines fleuries sont un symbole de l'invasion des sables faisant disparoître les bois d’acanthes à Abydus et dans tous les endroits exposés au même fléau. Je ne veux pas m'appe- santir sur ces rapprochemens, qu'il seroit facile de pousser plus loin, et je passe à une question plus importante. On peut se demander quelle est l'ancienneté relative du palais de Memnon, comparée à celle des autres monumens de l'antique Égypte. La solution de cette question dépend de l’examen, à la vérité, conjectural, de l'origine d'Abydus même. Toutefois il existe des circonstances qui, si elles ne peuvent entièrement dissiper les ténèbres dans une matière aussi obscure, peuvent donner au lecteur le moyen de se former une opinion. Les raisons topographiques exposées au com- mencement de cette Description me paroïssent bien expliquer pourquoi ce local a été choïsi de préférence pour servir de siége à une grande ville : mais comment a-t-elle été consacrée à Memnon! Abydus, située autrefois à deux lieues et demie du Nil, est la seule ville du pays aussi écartée du fleuve, si l’on excepte Arsinoé du Fayoum. Elle confine à la Libye: elle est au point le plus rapproché de la grande Oasis, et, par conséquent, du che- min de l'Éthiopie supérieure. Quand l'Égypte fut gouvernée par une dynastie Éthiopienne {non pas celle que la chronologie vulgaire appelle la xxv.° et place - de là ces rameaux d’acanthe comparés à des couronnes (1) Ilcei dè ro ey Aime dé fouyrov stparar , EMd- la ville de Z'his, qui pt avoir appartenu à la même vuoc € mic Aipmiawis où yexpa préfecture que celle où Abydus étoit placée. Le nom de This ne nous est connu que par Étienne de Byzance, qui place cette ville auprès d’Abydus; mais Ptolémée parle du nome T'hinires, dont Prolemaïs étoit la capitale: il y a ici analogie de nom comme de position; ce qui rend assez plausible la supposition de Zoëga. MAIS EMMIAUN, 2 1 UE re € € a « » Tédyor ovoua. AUTi Jr ouiyuezc, À I8R9Y Méye à ao Ev 4 122 / “ \ LA em € > » Aaëcn 7h ma Aifor, ra) Buperex Aihra* Éom ieeod dxcv8cy TQUrAO AEUx À MéNaWd" Er amie A oi séparor émét- A D AT 7 oem) KE 0# 2 Envy do mÙ axdyJou mÜ ous # puns Roc Y GUmÉAOU TETAE VUE V OI * RS SEPAVoUc mm « 2 » 4 4 [72 » 2 oi Jo ér Aiy/mlo mbquero Banaever nv BaGur, 06 £a T'upar. > mn É » LA / Anguiresos A) év T@ méei T rar Alyumor, mex AGunoy mA A 2 4 A / Lt AUS t 12 L/4 ARS « Tèc dxaIts UTC Ed Ga, EAU LE à dé à 0 LT mac à cxavitr nva dévdpor, à roy su) pére sono À oUTHS del aHoua: Le texte d’Athénée mériteroit d’être éclaïrci dans plus d’un endroit; mais une pareille recherche ne pourroit qu'être fort déplacée ici. Je me suis contenté de donner une traduction exempte de plusieurs inexactitudes de la éT nV@Y xA@VI@Y Teexgepov" EI | ÉT6, OTay west ñ, ù éd TO jeduan mn ao à dpelyéc* néperey dé ne uofoc Üm Tüy Aiywñi@y, ün oi Aifiozec semdueroi de Topiar Um 7 TiJarë, êTei nkovcav nv Méuora m'keneumueéra, r mule To nrw mUc gpavsce eéGanor êm mice audvouct éd dÉ mmearmiiaia T mona seodvois, &@ @v m eyfos querg. (Athen. Deipnosoph. lib. xv, pag. 677.) La ville d’Abylos est inconnue en Égypte, et il n’est pas douteux que ce ne soït par corruption que le mot AGuaow s’est introduit au lieu d’”A£udw. La ville de Tindium, Tdi, est également étrangère à la géographie Egyptienne, et ce mot est visiblement cor- rompu. Zoëga propose de lire @y dË oi ovque, à cause de A. D, version Latine. Au lieu d’écw à itp3, il faut é£w ,ainsique tous les interprètes lont admis. Mais on ne voit pas pourquoi ils ont traduit la phrase antépénultième par ces mots, vere flos exit nitidus ; ce qui est tout le contraire du sens : il faudroit, pour cette version, qu’il y eût dans le texte, x apelyée. Il y a encore, dans les ris qui entourent Abydus, des épines comme celles dont parlent Hellanicus et Démétrius, c’est-à-dire, des acacias, qui ont en effet Les fleurs d’un jaune terne. Qu'on apprécie maintenant la confiance de certains commentateurs, qui bien souvent dénaturent le texte, prétendant le restituer, et font mentir Jeur auteur par zèle pour sa gloire. 18 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS vers l'an 740 avant J. C., maïs une autre {1) plus ancienne) , les rois de cétte dy- nastie n’ont-ils pas dû former des établissemens! Je conjecture que Memnon, l’un de ces anciens princes, fonda la ville d'Abydus dans un lieu qui est le premier point où l’on touche en venant d'Éthiopie et sortant du désert. Aujourd’hui les caravanes d'Abyssinie ont pris une autre route, qui est plus longue} et elles entrent en Égypte au midi de Syout : mais c’est à cause de l'abandon d’Abydus. Remarquons ici combien cette ville étoit favorablement placée pour le com- mercé d'Éthiopie. Placée à la moindre distance entre la grande Oasis et l'Égypte, à l'extrémité du grand coude du Nil qui se dirige vers l’ouest, elle étoit l'entrepôt naturel et même nécessaire de toutes les marchandises de l'intérieur de l'Afrique; et lon conçoit sans peine combien un si grand avantage a dù ajouter à sa pros- périté. Abydus a pu être, par rapport au commerce d'Afrique, ce qu'éroit Coptos pour celui de l'Inde et de l'Arabie. Une origine du nom de cette ville, que je présente , au reste, comme pure- ment hypothétique, vient à l'appui de ma conjecture; savoir, qu'Abydus est une ville où se faisoit le commerce des esclaves d'Éthiopie, commerce qui date de temps immémorial. La racine Arabe a’bada dis signifie servir comme esclave: A’byd Die est le pluriel de 444, esclave. Ce nom est propre aux domestiques noirs, et non aux autres serviteurs. Mais, de plus, le mot 4 /ada a la même signifi- cation dans l’hébreu 3}, le chaldéen 3}, et le syriaque $=s. On peut encore ajouter que le mot 4yd à ou beydä lo, d'où bedaouy est formé, veut dire désert ; en éthiopien , le mot £adou ME signifie aussi désert (2). Il est assez digne de remarque que les environs d’Abydus et ceux de Hoùû, que jai dit dans le commencement avoir succédé à cette ville, renferment cinq vil- lages qui portent un nom très- RM DPrORENE de ce nom antique, que je crois le reste d’un ancien nom Égyptien, bien qu'on fait pris constamment pour être d'origine Grecque. Ces villages sont, 1.° e/ A‘bedyeh aux) et Kafr el-A’bedyeh, au nord-est d’'Abydus, sur la rive droite du Nil; 2.° e/-A ‘bydeh Chx)l , à un myriamètre de Hoû, sur le bord du Nil; 3.° «A ‘bädyeh asLxl|, à 4000 mètres au sud du pré- cédent; 4° Kafr A‘bädyeh asle = , entre les deux. L’orthographe de tous ces noms est la même que celle du mot 4’#ada ou a‘byd. Ce ne peut être fortui- tement que toutes ces positions limitrophes ont une dénomination si ressem- blante au nom connu de la ville ancienne : aussi je pense qu'à la finale près, le mot Abydos retrace le nom antique de cette grande ville. Il faut savoir qu'une montagne placée au midi de Psoi, nom Qobte de Pr ‘maïs, portoit le nom d'Æfét, ainsi qu'un savant académicien l'a remarqué d’après (1) Je veux parler des dix-huit rois Éthiopiens qui, la réponse est facile : de nos jours, les caravanes d’Abys- ‘entre Menès et Maæris, régnerent en Égypte, selon sinie amènent annuellement en Égypte des esclaves ‘Hérodote (Hist, lib. 11, $. 100), On sentira facilement Abyssins. C’est un usage suivi dans cette contrée depuis “pourquoi je n’entre ici dans aucun développement. un temps immémorial, que de ramasser des enfans et des -(2) Si lon objecte que les Éthiopiens ne pouvoïient jeunes gens dans les montagnes, pour Es vendre aux avoir de marché d’esclaves tirés de leur propre pays, Asiatiques. D'ABYDUS. CHAP. XI. 19 un fragment Saïdique (1). H est possible, selon ce savant , que les Grecs aient fait Abydus du mot Æbét. Quant à Zoëga, il faisoit venir le nom d'Alydus du mot Qobte abät ou abét, qui, selon lui, signifie wonastère. Dans un ouvrage qui est resté manuscrit, le P. Sicard nous apprend que les ruines d’Abydus sont au pied d'une montagne de sable que les Qobtes nomment Afid, Afod ou Afodos; ce qui ne diffère de l’ancien nom que par le changement du éenf (2). Nous ignorons la signification du nom de la montagne d'Ebôt en langue Égyp- tienne, ét nous ne pouvons en rien inferer sur l’origine elle-même d’Abydus (3). Mais quelle que soït cette signification, elle ne peut être contraire à l’idée que nous avons avancée, que l'existence d'Abydus avoit quelque liaison avec Éthiopie, le pays des esclaves. Enfin le caractère particulier de l'architecture du palais, qui porte certainement une physionomie distincte, bien que la splendeur Égyptienne y brille encore de tout son éclat, est une circonstance de plus pour faire croire que la ville avoit une origine étrangère. Étienne de Byzance dérive le nom de la ville de celui d’un certain Abydus, et non pas de celui d’une montagne; mais ilne dit pas quel étoit cet Abydus, ni à quel pays il appartenoit (4). Selon la conjecture que je forme, c’est un prince appelé Memnon qui auroit été le fondateur de la ville, et son nom seroit un mot Égyptien grécisé. H est à remarquer que, si l’on Ôte la première syllabe, considérée comme üun article préfixe, il reste une racine qui a la même signification en beaucoup de langues, c’est-à-dire, se ressouvenir, être constant, être file à sa promesse. Le mot de Menès, nom du premier roi Égyptien, semble être le même mot sans la finale Grecque. Ainsi Memnon signifieroit gui se ressouvient, qui est fidèle (5). Je ne dois pas omettre ici un passage de Diodore de Sicile au sujet de Memnon. Après avoir raconté, d’après Ctésias, que Memnon, fils de Tithon, fut envoyé au secours de Troie par les Assyriens, avec dix mille Éthiopienss dix mille hommes du pays de Suse, et deux cents chars de guerre, l'historien ajoute que les Ethiopiens limitrophes de l'Égypte évoquent en doute ce récit, qu'ils revendiquent Memnon comme étant leur compatriote, et qu'ils montrent en preuve d'anciens palais encore appelés Mémnonia (6). Quand (1) Catalogus codicum Copticorum, ou Catalogue des manuscrits Coptes du Rae, rédigé par Zoëga, DÉS Voyez les Observations sur quelques points de la géo- graphie de l'Égypte, par M. Ét. Quatremère. (2) Jbid. (3) Abydus est à plus dehuit lieuesau midi de Men- chyeh , l’ancienne Prolemaïs , de manière que la mon- tagne d'Ebôt devoit être aussi fort éloignée d’Abydus. Il paroît qu’Abotis , ville citée par Étienne d’après Hécatée, et dont la position n’est pas bien connue, étoit près de Prolemaïs ; comme son nom a le plus grand rapport avec celui de la montagne d'Ebôt, c’est sans doute auprés de Menchyeh qu’il faut chercher l’une et l’autre. (4) Étienne attribue à une colonie de Milésiens la fon- dation d’Abydus ; une pareille opinion mériteroit à peine AD) on fait attention au grand quartier du d’être mentionnée, si elle ne fournissoit un argument en faveur de l’idée elle-même d’une colonie étrangere. Quant au nom de Milésiens , il est sans doute mis à la place d’un autre, et probablement par corruption du texte, sans qu'Étienne puisse être accusé d’une si forte erreur. Voici "AGidhs (Milesiorum ) amis dm ACidbu roc xanStioæ. La confusion vient de ce qu’Abydus de l'Hellespont a : . >] o re comment il s’explique : xaŸ Alyumioy To aura été fondée en effet par une colonie Milésienne ( Strab. Geogr. lib.x111, p. 490, &c. ). Peut-être aussi aura a-t-il été mis pour Aihommwy; mais je ne donne cette idée que comme une conjecture, (s) En hébreu , jan veut dire étre constant , d'où Amnan JIN, nom propre; en arabe sel être Éd, d'où Amyn cel et Mämoun çj5ele, noms propres; en grec uyacw, Se Tessouvenir. (6) Bibl, hist, lib. 11, pag. 77. 20 : DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ABYWD US. Memnonium à Thèbes, au palais de Memnon ou Ismandès à Abydus, enfin aux ouvrages du labyrinthe attribués à Ismandès ou Imandès, positivement appelés Memnoniens par Strabon, et distingués, comme ceux d’Abydus, par des constructions voüûtées; enfin quand on voit que tous ces monumens sont justement situés à l'entrée de la Libye, on est porté à y reconnoîtré ceux que les Éthiopiens de l'Égypte citoient en l'honneur de Memnon et pour prouvér sa patrie. À la vérité, ce Memnon ou Ismandès ne peut avoir rien de commun, pour l'époque, avec celui qui a pu assister au siége de Troie. Les Ethiopiens dont parle Diodore, vouloïent exprimer qu'ils avoient eu un prince appelé Memnon, bien antérieur à celui dont parloïent les Grecs, et qui est probablement la source où Homère a puisé son héros. Ce prince étoit célèbre par sa beauté ; pourquoi ne penseroit-on pas que cette statue de héros dont nous avons Pis (i me si remarquable par la pureté du style, est celle de Memnon lui-méme! L'artiste a exprimé dans son ouvrage toute la vigueur et toute la beauté des formes de la jeunesse, Toutes ces considérations, prises chacune isolément, auroïent rare peu de force; mais il me paroït que leur ensemble est propre à inspirer quelque con- fance, et je crois voir au moins des raisons solides pour supposer qu Abydus avoit une origine particulière et très-probablement Éthiopienne. Cette opinion n'empécheroit pas de croire qu'Abydus remonte à une haute an- tiquité. Par son état de conservation, par la couleur de la pierre, le palais montre assez qu'il n'est point de l’âge du temple de Zatopolis, ni des plus anciens édifices de Thèbes; mais il peut être antérieur aux temples de Tentyris, et à beaucoup d’autres du pays inférieur. Je conclus de tout ce qui précède, que les ruines qui subsistent à trois lieues et demie au sud-ouest de Girgeh, sur la limite du désert, sont bien celles de la célèbre ville d’Abydus, et que le monument appelé Madfouneh, c'est-à-dire, ensevel, est le reste du palais de* Memnon; que cette ville peut avoir été fondée par un prince appelé Memnon, du nombre des rois Éthiopiens qui ont régné en Égypte; enfin que le surnom de seconde Thèbes, que portoit Abydus, me paroît venir de ce que les Éthiopiens , en s’établissant dans cette ville, et l'ornant par de somptueux édi- fices, voulurent en quelque façon rivaliser avec les fondateurs de Thèbes, la plus ancienne capitale du pays et de toute l'antiquité. Si cette idée pouvoit acquérir quelque certitude, elle éclairciroit certainement l’histoire de plusieurs monumens d'Égypte, dont le style s’écarte un peu du type général, et qui semblent appartenir à une époque particulière. (1) Voyez ci-dessus , pag. 8. . "NOTICE LES RESTES DE L’ANCIENNE VILLE DE CHEMMIS OÙ PANOPOLIS, AUJOURD'HUI AKHMYM, ET SUR LES ENVIRONS: PAR M. SAINT-GENIS, INGÉNIEUR EN CHEF DES PonNTs ET CHAUSSÉES. TT I A I A TS L'ORSOUTRERD'ULCETAPITRE XI. TS PT A ss S. [.< Ville d’Akhmym. Ex descendant le Nil de Girgeh à Akhmym, situé sur la rive droite du fleuve, on côtoie la chaîne Arabique, dont le pied se trouve assez rapproché du rivage. On voit sur le flanc de cette montagne plusieurs grottes bien taïllées, et qui _annoncent, comme c'est l'ordinaire, le voisinage de quelque ville autrefois con- sidérable. Avant d'arriver à Akhmym, on fait un grand contour en suivant un canal qui est assez difhcile à passer avec un fort vent du nord. Dans cet endroit, notre germe faillit plusieurs fois de chavirer. : La ville est à un quart de lieue environ du Nil, sur une petite hauteur qu'on croiroit avoir été faite exprès pour la mettre au-dessus de l’inondation, comme toutes les villes modernes de l'Égypte; maïs cette élévation résulte de ce que l'emplacement de l'antique cité a été long-temps habité (1). Un assez beau canal (1) Les villes antiques de l'Égypte devoient, comme rapprochée du niveau de leur emplacement; mais, lors- celles d'aujourd'hui, être au-dessus de l’inondation. qu’elles ont continué d’être habitées, leur sol a succes- Lorsqu’elles sont abandonnées depuis long-temps, la sivement été tenu bien au-dessus du plan de la vallée plaine, qui s’est exhaussée par les dépôts du fleuve, s’est par les décombres qui s’y sont accumulés. 2 2 NOTICE SUR CHEMMIS arrose le court espace qui la sépare du fleuve, et se dirige ensuite vers le nord, de manière que, lorsqu'il est plein, la ville est presque entièrement entourée d’eau. | Le Nil ny étoit pas encore entré lorsque nous arrivâmes (1), mais il n'en étoit pas loin. Les environs sont couverts de cannes à sucre, plante qui exige beaucoup d’arrosement en Égypte, et qui se cultive, particulièrement dans le Sa'yd, au voisinage du fleuve ou de ses dérivations. La petite ville d'Akhmym nous parut, au premier aspect, assez forte et bien bâtie en brique, ornée d'assez belles mosquées, et capable de contenir trois ou quatre mille habitans. À peine fûmes-nous débarqués, que plüsieurs d’entre eux s’emparèrent de nous pour nous mener aux ruines, qu'ils nous savoient fort curieux de visiter : l'empressement qu'ils nous montroient eux-mêmes, et leur air de fami- liarité franche et assurée , venoïent de ce que la plus grande partie de leur popu- lation est composée de Chrétiens, nos amis naturels. ARTICLE Description des Antiquités de la Ville. Les restes d’antiquités se trouvent en dehors et autour de la ville, du nord-ouest au nord-est. On voit d’abord, dans un enfoncement d’où l’on a probablement tiré les autres pierres du temple, six à huit blocs d’un calcaire compacte et de dimensions énormes, aujourd’hui enfouis dans les décombres: ils ont environ vingt-cinq pieds sur trois en carré. Une de ces pierres, obliquement placée, et en partie engagée sous un bâtiment moderne, sort de terre d'environ dix-huit pieds de longueur et trois pieds d'épaisseur; elle est couverte d’une inscription Grecque en six lignes, dont M. Jomard donne la traduction et l'explication dans son Mé- moire sur les inscriptions antiques : celle-ci est évidemment bien postérieure à la construction du temple Égyptien, comme le PRO YEn le sujet, les caractères employés, et sa position sur la face du bloc opposée à celle dont les ornemens, tout Égyptiens, faisoient partie de la décoration intérieure du temple {2). En effet, . le dessous de la pierre est orné d’hiéroglyphes, et principalement de quatre cir: conférences concentriques formant quatre zones, dont les deux intermédiaires sont partagées en douze compartimens : la figure qui étoit dans le cercle du milieu, est absolument effacée; celles-des compartimens le sont également, ou bien peu distinctes. Le plus grand de ces cercles a trois pieds de diamètre : autour de celui-ci est un carré, et, dans chacun des angles compris entre ce cercle et les ornemens qui l'entourent, sont des peintures presque effacées. Le plus petit cercle contient des figures sculptées et peintes, dont on ne peut deviner les formes. Les deux aires suivantes sont divisées en douze parties : dans la plus petite, on remarque douze (1) 30 août 1790. que sa plate-forme qu’on aperçoit. C’est sur le côté de (2) I semble que ce temple a été peu à peu enfoui celle-ci qu’on a gravé plug tard l'inscription. jusqu’au comble, comme tant d’autres, et que ce n’est | OU PANOPOLIS, 1* SUITE DU CHAP. XI. 23 ” L figures d'oiseaux, et dans l'autre, douze images trop peu visibles pour pouvoir être reconnues ; enfin, dans la dernière zone, qui n'est pas divisée, il y a eu vingt- quatre figures humaines, aujourd'hui effacées. Sur la face contiguë de la pierre se voit un globe ailé contre lequel s'élève, de chaque côté, un serpent ayant le cou enflé; les aïles sont grandes, étendues, et divisées en trois parties, dont les deux extrêmes sont peintes en bleu et la moyenne en rouge jaunâtre; le reste est couvert d’un blanc mat qui défigure tout , ainsi que l'inscription elle-même, et que je crois ajouté dans les temps modernes. Ces diverses figures et ces cercles concentriques paroïssent avoir une sorte d'analogie avecun zodiaque où monument relatif à la marche du soleil, principalement à cause de la division des cercles en douze parties égales: la pierre est celle 4 dessus d'une porte, en sorte que ce tableau astronomique auroit été au plafond, comme cela est ordinaire dans les temples de la haute Égypte. Pour voir cette sculpture, il faut pénétrer avec beaucoup de peïne, et couché sur le dos, dans un trou qui a été pratiqué à dessein au- dessous du niveau de l'encombrement; cette position génante ne permet pas de distinguer les images tracées sur la pierre. On a trouvé auprès de cette ruine, au milieu des décombres modernes, les débris de deux momies avec leurs langes. Voilà tout ce qui reste d’un premier temple, dont pourtant on à cru réconnoître encore l’ancienne entrée tournée au nord-ouest. Les habitans ont employé une petite partie de ses matériaux dans la construction de quelques-unes de leurs maisons, et le surplus à faire de la chaux. Le poids et la dureté de ces dernières pierres paroïssent seuls les avoir fait respecter : on a scié les colonnes de l'édifice pour en faire des meules. En marchant vers le sud-ouest , on trouve un autre temple, que les habitans appellent e/Brrbé, nom qu'ils donnent communément à ces monumens antiques; mais rien n'y est resté debout : toutes les pierres , quoique plus grosses encore que les précédentes, ont été renversées ; elles sont presque toutes d’une espèce de poudingue calcaire et blanchätre, et ornées d’hiéroglyphes et de figures sculptées. Une de ces pierres représente un vautour sculpté en relief dans le creux, qui a de fort grandes aïles, et tient dans chaque griffe un objet qui paroît être une feuille : une autre, qui a dû faire partie d’un plafond, est parsemée d'étoiles qui se détachent sur un fond bleu; elles sont blanches ; leur centre est rouge, et elles sont très-voisines les unes des autres. Ces pierres se trouvent dans une fouille de quelques pieds de profondeur, qu'on a faite pour extraire les plus maniables et débiter les autres. L'entrée de ce second temple paroît avoir été tournée au sud-est : on n'a pas mesuré l'étendue de ses ruines; mais tout annonce qu'il étoit très-vaste. On trouve sur une petite place de la ville, et dans une mosquée, un grand nombre de colonnes de granit rose de Syène, de grès calcaire ou autre pierre calcaire provenant des anciens monumens. Dans le portique d’une autre mos- quée, on voit un bloc de granit gris d'environ dix pieds de surface, ‘et couvert d'une longue inscription Grecque en gros caractères , presque entièrement effacée. NOTICE SUR CHEMMIS re) ES ARTICLE Il. Description de Chemmis ox Panopolis, d’après les anciens Auteurs. Ex recherchant ce qu'étoient le premier et le second temples, nous recueillerons beaucoup de notions intéressantes sur la ville antique, son culte particulier, ses usages, &c. « L'éloïgnement pour les coutumes étrangères, dit Hérodote, 4. 11, se » remarque dans toute l'Égypte, excepté à Chemmis, ville considérable de la Thébaïde, » près de Neapohs, où lon voit un temple de Persée, fils de Danaé /4/ (1). Ce » temple est de figure carrée, et environné de palmiers : le vestibule est vaste et bâti » de pierres; et sur le haut on remarque deux grandes statues (2) , aussi de pierre. » Dans l'enceinte sacrée (3) est le temple, où l’on voit une statue de Persée. » Les Chemmites disent que ce héros apparoît souvent dans le pays et dans le » temple; qu'on trouve quelquefois une de ses sandales, qui a deux coudées de » long /6/, et qu'après qu'elle à paru, la fertilité et fabondance règnént dans » toute l'Égypte /c/. Ils célèbrent en son honneur, et à la manière des Grecs, » des jeux gymniques, qui, de tous les jeux, sont les plus excellens : les prix qu'on » y propose sont du bétail, des manteaux et des peaux /4/. » Je leur demandai un jour pourquoi ils étoient les seuls à qui Persée eût cou- » tume d'apparoître, et’ pourquoi ils se distinguoient du réste des Égyptiens par la‘ » célébration des jeux gymniques. Ils me répondirent que Persée étoit originaire » de leur ville, et que Danaïüs et Lyncée, qui firent voile en Grèce, étoient nés » à Chemmis [e]; Hs me firent ensuite la généalogie de Danaïüs et de Lyncée, en » descendant jusqu'à Persée /f/. Ils ajoutèrent que celui-ci étant venu en Égypte » pour enlever de Libye, comme le disent aussi les Grecs, la tête de la Gor- » gone /g}, il passa par leur ville /4/, où il reconnut tous ses parens; que, » Jorsqué il arriva en Égypte, il savoit déjà le nom de Chemmis par sa mère: enfin, » que c'étoit par son ordre qu'ils célébroïent les jeux gymniques en son honneur... » Les filles de Danaïüs apportèrent d'Égypte les MPlQe de Cérès, que les Gyocs » appellent Thesmophories Ji ].» Comment Hérodote, qui paroît avoir visité Chemmis dans son voyage à lhébes, puisqu'il décrit st bien le second temple, celui de Persée , et qu'il questionna les habi- tans , ne parle-t-il pas du premier ? Je’suis obligé, dans la pénurie de renseïgnemens où je me trouve sur ces deux temples, de tirer du silence de cet historien les inductions suivantes : 1.° que le temple de Persée étoit le plus remarquable de la ville par son étendue, par sa beauté , et par cette particularité qu'il avoit été élevé en Égypte à un simple héros venu de la Grèce, quoîque d’origine Égyptienne ; ces conditions paroïssent appartenir particulièrement à nos secondes ruines, qui sont plus vastes, dont les matériaux sont plus forts et le plan mieux conservé : (1) Voyez les éclaircissemens à la suite de cette Notice, ordinairement construiteen briques crues, avec de grandes et de même pour les lettres b à 4, portes en pierre de taille richementsculptées. Voyez, dans (2) Voyez pour ces colosses la note /b]. la Description des ruines d'Eethyia, quelques notions (3) C’est l'enceinte générale des édifices religieux, la- générales sur les différens systèmes d'enceinte des an- quelle renfermoit le temple proprement dit : elle étoit ciens Égyptiens. o or OÙ PANOÏBOHMS." 1" SUATE, D'Ur CHAP: XI. 2 $ 2e que, si le premier temple étoït dédié ax Soleil sous le nom d'OS sous tout autre, si ce culte étoit obligé, en quelque sorte, et répandu dans toutes les villes d'Égypte , si d’ailleurs l'édifice étoit très-ancien, plus petit que le précédent et d’une beauté ordinaire, ce monument n'avoit pas été jugé digne d’une mention expresse par Hérodote, qui en avoit vu ailleurs, et sur-tout à Thèbes, de si pro- digieux , toujours consacrés à la même divinité primitive, Z Soleil, Ces consi- dérations semblent s'appliquer préférablement aux premières ruines, Qui sont moins étendues, composées de moins gros blocs, plus détruites, et qui nous présentent encore des vestiges qu'on peut avec probabilité regarder comme ayant appartenu à un bas-relief analogue aux zodiaques qu'on voit dans quelques-uns des temples élevés au Soleil, sous quelque nom, emblème ou allégorie qu'il fût adoré. Or Diodore de Sicile nous apprend (1) qu'Osris a été nommé Sérapis, Dionysius et Pan. On sait que Sérapis étoit le même qu'Osiris, ou le Soleil inférieur, c’est: à-dire , au solstice d'hiver. Plutarque assure qu'Isis et Osiris étoient aussi les mêmes que Cérès et Bacchus (2) ou Dionysius, et les Dionysiaques Grecques les mêmes encore que les Pamylies Égyptiennes (3). On reconnoît la filiation de toutes ces idées mythologiques ou religieuses entre Îles Égyptiens et les Grecs, dans les récits des expéditions d'Osiris, Baçchus et Pan en Orient. Je pense donc que le premier temple étoit consacré à cette dernière divinité, dont il a été tant parlé à l’occasion de Chemmis , et qui donna son nom à cette ville. Suivant Diodore (4), « Osiris ayant assemblé une grande armée , dans le dessein » de parcourir la terre pour y porter toutes ses découvertes, et sur-tout l'usage » du blé et du vin,.... prit encore avec lui Pan, fort respecté dans le pays; car » non-seulement les Égyptiens placèrent depuis sa statue dans tous leurs temples, » maïs encore ils bâtirent dans la Thébaïde une ville qu'ils appelèrent Chemmis ou » Chemmo (s), qui, dans le langage Égyptien, signifie wAe de Pan (6).» « Les Pans ct les Satyres qui habitent après de Chemmis, dit Plutarque, furent » instruits les premiers de cet événement (fa mort d'Osiris), et en répandirent la nouvelle. De là les frayeurs soudaines qui saisissent une multitude, ont été ÿ V V appelées terreurs paniques. » Continuons d'examiner la nature du dieu Pan, en ce qui concerne son ana- dogie avec le Soleil ou Osiris, et tend à prouver que le premier temple luï étoit consacré (7). « Parmi les Grecs, dit Hérodote (8), on regarde Hercule , Bacchus (1) Bibl, hist, Mb. 1, sect. 1. (2) Hérodote est d'accord avec Plutarqug sur Fiden- tité d’Osiris et de Bacchus. (3) « Les Pamylies ressemblent à nos Phallophories » [processions du phallus]. (Plut.) Les Pamylies, suivant Jablonski, étoient des fêtes en l'honneur d’Osiris ou du Soleil. | (4) Bibl. hist, Nb. 1, sect. r. (5) Ce nom a beaucoup d’analogie avec Chem-no ou Cham-no , ville, pays de Cham, fils de Noé, qui s'établit en Égypte, et y fut, dit-on, adoré sous le nom d’Ammon (Jupiter), ou le soleil au signe du bélier. (6) Chemmis paroît être une terminaison Grecque A. D. ajoutée au nom Égyptien Chemmo. C’est la même ville que Strabon nomme Panopolis, d’après ce que vient de dire Diodore; et l’on voit facilement commentles Grecs, qui, dans leur langue, appeloient Pan le dieu dont il s’agit, ont donné à la ville une dénomination entiere- ment Grecque dans le mot Panopolis. (7) Je laisserai de côté les interprétations gramma- ticales ou métaphysiques de Court de Gebelin et autres, sur Pan, qui signifie tout, la nature, les campagnes, les prés, les bois, &c.; sur les Saiyres ou laboureurs /satur, rassasié de biens; sator ]. (8) Hise, lib. 11, S. 46 et 145. 26 NOTICE SUR CHEMMIS » et Pan comme les plus nouveaux d’entre les dieux. Chez les Égyptiens , » au contraire, Pan passe pour très-ancien; on le met même au rang des huit » premiers dieux...... » Et ailleurs : « Les Mendésiens (adorateurs de Pan) » prétendent que ces huit dieux existoient avant les douze dieux. .... Le bouc » et le dieu Pan s'appellent Mendès en égyptien. » Quelle que soit l'opinion de Jablonski sur l’exactitude de cette signification, il n’en est pas moins vrai, etil le reconnoît lui-même, que Mendès, Pan et le Bouc, sont des noms ou des sym- boles d’une même divinité chez les Égyptiens, dont les Grecs se rapprochent beaucoup dans leur culte et leurs idées sur le dieu Pen (1). I est également reconnu que le Pan Esyptien étoit l'emblème de la force génératrice et repro- ductive de la nature (2), comme le bouc lascif, le phallus (et le Priape des Grecs, suivant Diodore), l'étoient aussi; ou plutôt, et plus matériellement, du soleil, qui féconde et conserve tout (3). Osiris lui-même, Mendès et le Pan de Chemmis|4) n'ont-ils pas le phallus pour symbole commun! Il résulte donc de tout ceci que le premier temple étoit vraisemblablement celui de Pan, comme l'indique la pierre sur laquelle étoient représentés les douze emblèmes relatifs au soleil : savoir, ou les douze dieux dont les Grecs avoient emprunté les noms à ce peuple, et parmi lesquels le culte Égyptien et le culte Grec donnoïent à Pan un rang distingué ; ou bien les douze mois de l'année, avec les quatre saisons aux angles du tableau; ou tout autre symbole quadruple ayant du rapport avec la zature entière et son principe générateur, que Pan représentoit également. ; Tout semble annoncer, ou du moïns m’autoriser à conjecturer, que le culte de Pan proprement dit, Pan de Chemmis, et non Mendès, d nome Mendésien , prit naïssance à Panopohs. Le Chemmo [k] qui accompagna Osiris, donna son nom à la ville, ou le reçut d'elle, et les Grecs n’ont fait que le traduire, comme je l'ai dit dans la note 6, pag. 25 , par les mots Pan et Panopolis. M reste toujours certain que cette ville étoit très-ancienne, très-célèbre, et l'une des plus grandes et des plus belles de l'Égypte. Son antiquité et sa célébrité sont prouvées par le récit de Diodore, qui fait remonter son origine presque au temps d'Osiris, et par l'épithète particulière que Strabon donne à Panopolis. Celle de considérable qu'em- ploie Hérodote , et sur-tout l'étendue de ses vestiges, les diménsions colossales et la richesse d’ornemens des matériaux qui composent ses monumens, dé- montrent encore la beauté de cette cité. On sait par Hérodote que Chemmis étoit le chef-lieu d'un des nomes affectés à la résidence des hermotybies, l’un des deux corps de milice établis par Sésostris, et qui formoient ensemble une des sept classes de citoyens ; aucun homme de cette classe, exclusivement consacrée à la profession des armes, n'exerçoit d'art (1) Toutes les variantes sur l’origine et la nature de (3) Voyez la première assertion de Diodore, que j’ai Pan, chez les Grecs, trouvent une explication naturelle citée page 25. Ë dans le nombre des dieux de ce nom qu’ils avoient mul- (4) Est vero in hac urbe (dit Etienne de Byzance, tipliés jusqu’à douze; cela donneune grande latitudepour à l'article Panospolis, traduction Latine) magnum dei le rapprochement que je viens de faire. simulacrum , in quo apparet erectum veretrum , dextrâque (2) Ou même de la nature entière, mère de toute chose. flagellum intentat lunæ. OÙ PANOPOLIS. 1. SUITE DU CHAP. XI. 27 mais il paroît que les autres habitans du nome et de la ville de Chemmo étoïent très-laborieux , mécanique : et quoutre la culture, comme l'annonce la fertilité du territoire, qui devoit être belle, aujourd'hui couvert de cannes à sucre, ils avoient une industrie particulière. « Panopols est l'ancienne demeure » des artisans qui travaillent le lin et la pierre » , dit Strabon, 4v. xv11. Soit qu'il ait voulu désigner par ces derniers mots la gravure en pierre fine, dont on a trouvé dans la haute Égypte de si nombreux et de si parfaits échantillons, soit qu'il ait voulu indiquer la fabrication de cette immense quantité d'idoles et de statues en pietre de toutes les qualités et de toutes les dimensions, ou enfin la taille et la sculpture des matériaux des temples, dont Panopols ellemême nous montre encore de beaux restes, on voit que l'industrie des Chemmites étoit très- -impor- tante dans un pays tel que l'Égypte. I en étoit de même de la culture du lin et de la fabrication des toiles, qui étoient d’un si grand usage, et qui formoient, comme aujourd'hui, le vêtement ordinaire d’une classe nombreuse d’habitans et des femmes, et celui qui étoit de rigueur pour les prêtres (1). Les tisserands avoient sans doute pour les coutumes étrangères le même éloi- gnement, qui, selon Hérodote, n’étoit point partagé par les Panopolitains, à l'égard de la gymnastique seulement. « Chez les Égyptiens, dit-il, les femmes vont sur la »-place et s'occupent du commerce, tandis que les hommes, renfemés dans leurs » maisons, travaillent à /x toile. Les autres nations font la toile en poussant la trame » en haut, les Égyptiens en la poussant en bas (2). » ARTICLE III De l'État d'A khmym sous les Arabes et de nos jours. La ville d'Akhmym et ses monumens ont conservé long-temps leur impor- tance, qui étoit encore réelle à l'époque des Arabes. Maïs duquel de ses deux temples el- Edrysy (3) vouloit-il parler, lorsqu'il comptoit les édifices antiques d'Akhmym parmi les beräbä (4) ou monumens les plus remarquables de l'Égypte, ou les avoit-il en vue tous les deux! Le second temple, dont il reste le plus de vestiges étendus et de matériaux volumineux, est-il celui dont Abou-l-fedà disoit, il y a environ quatre cents ans, « On admire à Akhmym #7 temple com- » parable aux plus célèbres monumens de l'antiquité; il est construit avec des » pierres d’une grandeur surprenante, sur lesquelles on a sculpté des figures nnom- » brables » ! Quoique ce prince auteur ait profité des ouvrages d’el-Edrysy, prince géographe comme lui, on voit qu’il s'explique comme un homme qui auroit vu les (1) « Les prêtres portent des habits de lin, nouvelle- » ment lavés, attention qu’ils ont toujours. » envoya en Grèce plusieurs ofrandes. (2) His, Liv. 11, S. 35. (3) Né en 1099 et mort entre 1175 et 1186; il acheva sa Géographie en 1150: .. Amasis ..(entre autres), » à Minerve de la ville de Linde, un corselet de lin qui » mérite d’être vu. » (Hérodote, Liv, 11.) Voyez, pour les détails, Pline, div, X1X, c. r. Les Égyptiens brodoïent aussi de très-beaux dessins à l'aiguille. Voyez dans Héro- dote, liv, III, $. 47, la description d’un pareïl corselet. 4, D, (4) Les noms Arabes prennent communément une voyelle pour marquer la pluralité. Berdbä est donc le pluriel de birbé. Cette remarque achève de prouver que les deux temples subsistoïent en grande partie au milieu du x11.° siècle. D z 28 NOTICE SUR CHEMMIS lieux en détail dans ses nombreuses expéditions, et que ce qu'il dit s'applique plus facilement au second temple. Les Arabes ont été bien plus loin dans leurs recherches sur Akhmym. Léon d'Afrique l'appelle la ville la plus ancienne de toute l'Égypte; il prétend qu'elle fut fondée par Ichmim, fils de Misram. Magryzy, Murtadi et Geläl-el-dyn parlent aussi de ce fils de Misram, qui reçut de lui en partage une province de la haute Égypte, dont Akhmym fut la capitale; cette ville devint ensuite la résidence du nouveau possesseur. Or on sait que ce Misram ou Misraïm des Orientaux et de l'Écriture, fils de Cham, petit-fils de Noé, et qui peupla l'Égypte (1), est regardé comme le même que Menès, premier roi du pays, suivant les historiens Grecs. Quoi qu'il en soit, il n'est pas possible de ne pas reconnoître le nom antique Chemmis dans celui d’Zchmim où Akimym , d’après la manière vague et variable dont les Arabes prononcent et placent leurs voyelles, toujours brèves, parmi les con- sonnes radicales des mots de leur langue. Abou-Ffedä , après nous avoir parlé du temple le mieux-conservé de son temps, nous indique l'état où étoit alors 4 ville. « Akhmym, dit-il, est une grande ville » de la haute Égypte, située sur la rive orientale du Nil.» Mais aujourd'hui, quoi- qu'elle soit très-étendue et très-avantageusement située sur cette langue de terre baïgnée par le Nil, elle a beaucoup perdu, puisque les ruines antiques sont hors de ses limites actuelles. Elle est assez bien bâtie : les angles des maisons sont cons- truits en briques cuites, et le reste des murs, en briques durcies au soleil ; elle a de hauts minarets, et présente le même aspect que les autres villes du Sa yd, à cela près que les rues en sont plus larges, plus belles et moins malpropres. Le commerce et l'agriculture y fleurissent : mais ses belles manufactures antiques. de toiles de lin sont remplacées par des fabriques de toiles de coton grossières : et ses divers ouvrages en pierre durable, par de fragiles poteries, que l’on transporte pourtant dans toute l'Égypte. Il y a un couvent de la Propagande (2), quelques Qobtes catholiques, et environ deux mille Chrétiens en tout dans la ville et levoi- sinage; plusieurs d'entre eux sont aussi catholiques Romains. Mais l'islamisme y domine, du moins dans le gouvernement , quoique plusieurs des émyrs, princes ou cheykhs, qui ont successivement commandé à Akhmyi, aient presque toujours protégé les Chrétiens et épousé quelquefois des esclaves Chrétiennes, en leur per- mettant l'exercice secret de leur religion. Ils ont même plus d’une fois été pour- suivis par le gouvernement du Kaiïre comme suspects de christianisme. Les Arabes venus de la Mauritanie pour s'établir dans une partie de l'Égypte beaucoup plus remplie de Qobtes que le Delta, ayant besoin de se concilier l'affection des gens du pays pour réussir dans leur entreprise, et pouvoir, au besoin, résister à l'autorité musulmane qui régnoit au Kaire, se sont toujours montrés beaucoup moins intolérans que les Turcs. Ces Arabes descendent de ceux qui chassèrent les Grecs des côtes d'Afrique. Is se sont ensuite répandus dans {a haute Égypte, (1) Aussi les Arabes prétendent-ils que l'Égypte, ap- (2) Les Franciscains s’introduisirent dans le pays en pelée Masr, Mesr ou Misr, tire son nom de Misram, qualité de médecins, et furent premièrement établis duns On sait que, dansleur langue, les points-voyelles varient la maison même du gouverneur Arabe. fréquemment. OÙ PANOPOLIS, 1.“ SUITE DU CHAP. XI. 29 où ils ont peu à peu renoncé à leur vie vagabonde, conquérante ou nomade. [ls s'y sont complètement fixés, et sont devenus artisans et agriculteurs. Ils pos- sèdent dans ce pays des villages, de petites villes presque entières, et sont gouvernés par leurs chefs particuliers, quelquefois très-puissans. Le reste de la population, et sur-tout les Qobtes, très-nombreux à Akhmym, ont parfaitement conservé leur caractère de physionomie; c’est-à-dire, ces traits du visage vigoureusement prononcés, ce nez droit et à narines découpées, ces yeux oblongs, ces lèvres épaisses, et les autres signes d’un mélange de race avec les peuples de l'intérieur de l'Afrique; enfin ce teint d’un rouge brun qu'on re- trouve, avec tous les caractères précédens, dans les sculptures coloriées de la haute Égypte, dont nous n'avons pu voir que quelques débris à Akhmym, mais qu Abou-l-fedà y avoit vues en quantité innombrable. Quand on étudie avec soin la population et les monumens du Sa’yd, il est impossible de ne pas reconnoître la race qui a élevé ces monumens. S. IL Environs d’'Akhmym. J’A1 dit, au commencement de cette Notice, un mot des environs d'Akhmym, en décrivant ses abords. Je dois encore faire observer que le beau canal tiré du Nil, tout près de la ville, antique comme elle, est un reste de ce système ingénieux d'irrigation si bien approprié au régime du fleuve ainsi qu'à la forme de la vallée, et dont les anciens Égyptiens ont laissé le modèle aux modernes. Ce système consis- toit principalement à faire des prises d’eau plus courtes et plus rapides dans la partie supérieure du cours du fleuve, à les conduire dans les parties trop difficilement inondées par lui, ou exposées à l’envahissement des sables du désert, telles que le pied de la montagne, et à agrandir aïnsi la surface du terrain cultivable. Ce canal contribuoit donc beaucoup à augmenter l'importance de la culture du sol de l'ancienne Chemmis ; et il a encore efficacement servi à conserver ce foible reste de splendeur que nous avons reconnu dans la moderne Akhmym. En suivant la direction du côté droit du canal, on est conduit au couvent dit des Martyrs. On remarque d’abord, en faisant ce trajet , que la langue de terre sur laquelle s'élève la ville, est adossée contre la montagne, et que la plaine qui sé- pare cette montagne du Nil, est très-étroite ; maïs la chaîne se replie, non loin de là, vers l’est, et forme, en élargissant la plaine, une gorge profonde dont les talus sont très-rapides, et qui se dirige presque en remontant vers le sud-est. On trouve, dans le flanc de toute cette montagne, des grottes antiques qui sont la suite de celles d'Akhmym, et qui ont servi de refuge aux Chrétiens pendant la persécution de Dioclétien. En avançant dans la vallée, les excavations se multiplient, et l’on trouve le couvent Qobte appelé Ma’doud , qui n’est autre chose qu'une suite de grottes creusées dans le rocher, sauf la chapelle, qui est bâtie en brique. L'une de ces excavations, qui n’a pu être destinée qu'à d'entiques sépultures Égyptiennes, et n'a pu 3 © NOTICE SUR CHEMMIS servir ensuite de demeure qu'à de courageux ermites, est située à mi-côte et presque inaccessible. Rien n'est égal à l'horreur des solitudes que présente toute cette vallée. Autour de la grotte, on trouve de petites habitations que les solitaires ou les moines ont bâties, comme les murs par lesquels ils ont fermé l'ouverture des grottes antiques qui formoient les cellules de leur couvent. En revenant de la vallée vers le canal, on voit près d’un village plusieurs étages de grottes sépulcrales qui couvrent presque toute la hauteur de la chaîne de ro- chers : quelques-unes sont simples et ont leur ciel taillé en berceau, comme à Elethyia ; d'autres sont accolées deux à deux et trois à trois. Dans presque toutes on trouve trois niches, profondes d'environ un mètre et élevées de la même hauteur au-dessus du “+ on y introduisoit les momies par une ouverture’ supé- rieure qu'on y voit encore. Les parois et les voûtes de plusieurs de ces catacombes sont peintes d’une couleur uniforme, avec ou sans Rene encore comme à el-Käb : l'entrée de quelques autres est encombrée, et paroît avoir été autrefois souterraine; mais elle a été violée, et l’on voyoit autour une grande quantité de momies. Enfin, vers le point où le canal paroït se perdre dans la plaine, on rencontre, au pied de la montagne, le tombeau du fameux santon appelé Cheykh Harydy : un Psylle moderne y montroit ce serpent auquel les anciens Égyptiens, les Musulmans et les Chrétiens, chacun suivant sa théologie, attribuoïent tant de pouvoir, et qui étoit pour eux un emblème si différent (1). C’est ce serpent Harydy sur lequel Savary a raconté tant de fables populaires. En remontant dans la même direction au-dessus d’Akhmym, on trouve en- core des grottes du même genre que celles du nord, contenant chacune deux tombes creusées dans le roc, avec un conduit dans le fond, aboutissant Mune es- pèce de niche; plus loin , un autre hypogée, plus grand que les autres, a son plafond soutenu par quatre piliers couverts d’hiéroglyphes, au milieu desquels se détachent en demi-relief deux grandes figures d'hommes et deux de femmes; sur le ciel de la carrière, distribué en compartimens , sont sculptées et peintes diverses figures humaines dont les couleurs sont bien conservées. Autour de cette grande grotte il y en a encore huit petites. Enfin l’on découvre, au pied de la même chaîne, à un quart de lieue de distance, plusieurs débris d’un temple, Tous ces vestiges des environs d’Akhmym, le canal antique, les nombreux hypogées de la montagne, &c. peignent bien les alentours d’une ville considé- rable, aïnsi que Chemmis Va toujours été. (1) Suivant Fancienne mythologie Égyptienne, le ser- Harydy comme le démon Asmodée. Selon les Mahomé- pent étoit le symbole du dieu Cneph ou bon génie, On tans, l’esprit du cheykh qu’ils révêrent, a passé dans le prétend que les Chrétiens Qobtes regardent le serpent corps de ce reptile. Voyez la Notice qui suit. OÙ PANOPOLIS. 1% SUITE DU CHAP. XI. 3 1 NOTES ET ÉCLAIRCISSEMENS. TS AT I IT OT A [a] Ce passage fait voir qu’on a élevé un temple à un homme qui n’a jamais été divinisé, à un héros inférieur à Hercule, et seulement antérieur d'environ un siècle à Thésée : ceci donne une idée de l’origine du plus grand nombre des dieux de l'Égypte , de la Grèce et de Rome. Le temps a presque tout fait dans [a hiérarchie compliquée de ces nombreuses divinités. [8] Les anciens, et les Grecs comme les Éoyp- tiens, ont toujours attribué une grande force et des formes colossales à leurs héros; c’est l'effet nature] du penchant, de lesprit humain pour le merveilleux. La force et les hauts faits ont établi les premières différences entre les hommes, dans l'enfance des peuples. Voyez Hercule, Persée, Thésée, &c, chez les Grecs, et les grandes figures de Sésostris et des vainqueurs en général, ou des divinités, sur tous Îles monumens de la haute Égypte. Quant aux deux premières statues en pierre qui paroissoient, suivant Hérodote, au haut du vestibule , je pense que c’étoient des colosses comme nous en voyons devant tous les pylônes des enceintes sacrées ou des entrées particulières des édi- fices antiques. /c] On voit encore ici que les Chemmites, comme Île reste des Égyptiens , rapportoient tout aux phénomènes physiques, à leur fleuve et à leur agriculture. [4] Les peaux et le bétail ont un rapport évident avec le culte de Pan et les mœurs des Satyres ou laboureurs originaires de Panopolis, Les manteaux rappellent l'industrie particulière aux Chemmites pour la tisseranderie. [e] On peut dire que Ia Grèce fut Z4 fille de PEgypte : lorigine de Ia civilisation de fa première se trouve dans l’histoire bien courte et bien authen- tique de quelques colonies qui abordèrent dans ce pays. Inachus, présumé Phénicien, s'établit à Argos, en 1856 avant J. C. Cécrops conduit dans l’Attique une autre colonie Égyptienne en 1556. Cadmus bâtit Thèbes en 1493, sur le modèle de la Thèbes d'Égypte. Il étoit Phénicien, ïl est vrai, comme Inachus : maïs il apporta, dit-on, en Grèce la plu- part des divinités de l'Égypte et de la Phénicie, avec l'alphabet. Danaüs, en 148$, amène sur les côtes de Ia Grèce le premier vaisseau qu’on y voit. Il trans- portoit ses cinquante filles ; et Lyncée ayant conspiré contre son frère Ramessès , Ægyptus ou Sésostris, qui revenoit de ses conquêtes en Égypte, il fut obligé de se réfugier dans le Péloponnèse , et sem para du royaume d’Argos : de là vient toute l’histoire des Danaïdes , forcées d’épouser les cinquante fils d'Ægyptus, qu’elles égorgèrent la première nuit de leurs noces, à lexception de Lyncée, dont parle Hérodete, et qui fut épargné par Hypermnestre, Ce fait se passa évidemment en Égypte, où Sésostris régnoit dans Thèbes, peu éloignée de Chemmis, Danaïüs avoit même partagé la couronne avec son . frère pendant neuf ans; et cette dernière ville fut vraisemblablement le siége de son gouvernement particulier et le théâtre du massacre. Le reste de la fable du tonneau percé, que Jupiter condamna les Danaïdes à remplir éternellement, est d'invention Grecque. Voilà toutefois [a troisième colonie, et lune des plus anciennes, venue d'Égypte en Grèce et partie de Chemmis. C’est celle qui conserva le plus de relation avec sa première patrie, et qui influa le plus sur la civilisation des anciens Pélasges , comme toute cette Notice tend à le prouver. {f] Elle n’est pas bien longue; a voici : Danaüs, Lyncée, Abas, Prœtus , Acrisius, Danaé, qui portoit le nom de son trisaïeul ; et enfin Persée, roi en 1313. Acrisius, détrôné par son frère Prœtus, avoit été rétabli par son petit-fils Persée , qui le tua par mégarde en jouant au petit palet, ou 3 2 le changea «en pierre en lui présentant [a tête de Méduse. Prœtus, dans ses querelles, avoit montré de Ja passion pour sa nièce Danaé, et devint le père de Persée : c’est le Jupiter transformé en pluie d’or. [g] Méduse. Les anciens ont, de tout temps, peuplé l'Afrique de toute sorte d'animaux fabuleux, d'hommes et de femmes sauvages, qui ont fait ima- giner ensuite Ja fable vraisemblablement allégorique des Gorgones. Bien plus tard, Athénée fait périr plusieurs soldats de Marius, dans fa guerre de . Jugurtha, par les regards de monstres semblables. Une des premières armées Romaines qui descen- dirent en Afrique, eut encore une bête non moins merveilleuse à combattre. Pline et Diodore de Sicile ont pris la peine d'expliquer la nature de quelques- uns de ces prétendus animaux, et de donner des interprétations de la fable des Gorgones et de l'expé- dition de Persée. Dans des temps plus modernes encore, on a fait un récit romanesque du combat d’un chevalier de Saint-Jean de Jérusalem, Dieu- donné de Gozon, contre je ne sais quel lézard pro- digieux de Ia Libye. Enfin, de nos jours, Îles Égyptiens crédules, et qui ont sans doute conservé une partie des traditions superstitieuses de antiquité sur les monstres de Afrique, prétendent que, sur la route d'Akhmym à [a grande Oasis et à celle de Jupiter Ammon, on trouve des êtres inanimés qui se convertissent lentement en animaux, et qui donnent naissancé à des espèces bizarres d'êtres organisés, diversement combinées entre elles, et successivement transformées en celles qui exis- tent aujourd’hui sur [a terre; tandis qu'il en est NOTICE SUR CHEMMIS OÙ PANOPOLIS. d’autres qui sé sont éteintes , et dont on ne trouve plus que des ossemens, qu’on ne peut ranger dans aucune classe connue. [h] Persée fit, comme on le voit, toutes ses expéditions en Afrique et autour de l'Égypte : ses victoires sur les Gorgones ; sur Atlas, roi de Mauri- tanie, qu'il changea en pierre; lenlèvement des pommes d’or du jardin des Hespérides , et Ia déli- vrance d'Andromède en Éthiopie. En Grèce, ïl réunit le royaume d’Argos à celui de Mycènes. Les peuples de ces deux états lui élevèrent des xonumens héroïques ; maïs il reçut encore de plus grands hon- neurs dans l’une des Cyclades où son vaisseau avoit abordé , et à Athènes, où il eut ur temple, comme à : Chemmis, sans être pour cela regardé comme undieu. [/i] Voilà encore une des traces de ces usages qui furent introduits par les Chemmites dans la Grèce, et dont j'ai parlé. La Cérès des Grecs étoit à peu près la même qu'Isis, qui enseigna les pre- mières lois aux hommes : de [à vient le surnom de Thesmophore [ Législatrice] , que les Grecs lui donnèrent. [k] I ne faut pas confondre ce Chemmis avec le roi dont parle Diodore de Sicile, lorsqu'il dit : « Le » huitième successeur de Nileus (cet Ægyptus très- » ancien dont il a été question }, fut Chemmis, qui » régna cinq ans : ce fut lui qui fit élever la plus » grande des trois pyramides... A Chemmis suc- » céda Cephren, son frère... ensuite Mycérinus et » Bocchoris. » NOTICE NOTICE SURMPES ANTIQUITÉS CŒU'EMÉ ON DROUVE À CHEYKH EL-HARYDY: PAR E. JOMARD. TERSOFEENTI PC PCHTAPITRE XT III OI AT N AZLET EL-HARYDY est le nom d’un petit village de la province de Syout, sur la rive droite du Nil, à quatre lieues au-dessus de Qäou el-Kebyreh ou Antæo- polis, et en face de Tahtah ; la montagne y est tout proche du fleuve, dont elle n'est séparée que par un petit champ cultivé. Dans toute cetté partie de la vallée, la chaîne orientale est presque toujours très-voisine du Nil; toutes les fois qu'il se trouve un espace un peu plus large entre elle et le fleuve, on y voit quelque : culture et de petites habitations (1). | À sa naissance, la montagne a une pente de quarante-cinq degrés; elle s'élève ensuite à pic, à une hauteur de plus de quatre cent cinquante pieds au-dessus du niveau du fleuve; elle est percée de catacombes et de carrières, dont une, très- considérable, a seize gros piliers, et des puits d'espace en espace. La longueur de celle-ci est d'environ quatre-vingt-un mètres | deux cent cinquante pieds |, sur seize mètres | cinquante pieds | de profondeur. On trouve çà et là, auprès des ouver- tures de ces grottes antiques, des débris de baume et de momies d'animaux. Sur le penchant de la montagne, il y a beaucoup de briques et de poteries brisées, qui annoncent les restes d’une ancienne ville ou bourgade. Les parois de la mon- tagne sont pleines d’inégalités, et comme déchirées en tout sens. On trouve encore des carrières et des grottes antiques jusqu'à deux mille mètres au-dessous de Nazlet el-Harydy, ainsi qu'au-dessous de ce point, et du côté d’el-Rayäneh. Au bas de la montagne, j'ai vu le reste d'un colosse taillé dans une partie du rocher : sa mâtière est de la pierre calcaire compacte, de la même espèce que certains colosses de Karnak. Il est au niveau de la plaine, et séparé d’un rocher qui lui-même. est très-saïllant sur le sol. La figure est assise. Le socle et la statue sont d’un seul bloc (2) : on ne voit plus la tête ; il en est de même des Jambes (1) Cet endroit se nomme également , Cheykh et Au nord et à sept mille mêtres d'Akhmym, il y a un autre Nazlet el-Harydy, &u nom du cheykh dont le tombeau village appelé de même Cheykh el-Harydy. est dans la montagne (voyez pl. 62, fig. 6, A, vol. IV), (2) Voyez planche 62, fig. 7, 8, A, D. ‘ E NOTICE SUR LES ANTIQUITÉS 3 À et du devant des cuisses. Il,a une draperie jetée sur les épaules, et cette draperie est dans le goût Romain. La sculpture est grossière et très-peu détaillée, comme si l'on eût voulu seulement la dégrossir pour lachever ailleurs. H n’est pas dou- teux que cet ouvrage ne soit étranger aux Égyptiens. La hauteur du colosse assis, compris le socle, est de 2,7, Sans compter la tête; la proportion seroït de D, s'il étoit debout. Les Turcs ont essayé d'exploiter ce morceau pour le débiter à leur usage ; on voit, au bas du dos de la figure, cinq cavités qui ont été pratiquées pour y insérer des coins et faire éclater les fragmens. La géographie comparée ne permet pas d’assigner avec certitude l’ancienne position qui a existé dans cet endroit. Ptolémée indique une position de Passalus au-dessus d'Antæopolis ; maïs lÎtinéraire d’Antonin place au-dessous la ville de Pesla, dont le nom a beaucoup d’analogie avec Passalus, aïnsi que l’a remarqué d'Anville. Il en est de même de Pesclz, qui se trouve dans la Notice de l'Empire. D'un autre côté, l'Itinéraire présente une position de Se/non au-dessus d'Antæopolis et avant Panopolis; on peut donc hésiter entre les noms de Se/non et de Passalus. Mais ce qui ne présente aucune incertitude, c'est l'existence des carrières qui ont été exploitées en cet endroit par les anciens Égyptiens. Il est permis de croire que les pierres du grand temple d’Antæopolis ont été puisées en partie dans les carrières de Cheykh el-Harydy; j'en juge par la ressemblance qu'il y a entre leur nature et celle de la pierre dure du colosse que j'ai trouvé dans ce dernier endroit {1}. La montagne est composée de pierre calcaire en grande partie semblable à l'espèce que j'ai décrite plus haut; on y trouve quelques par- ties quartzeuses, mais principalement, et à chaque pas, de gros cristaux de spath calcaire rhomboïdal très-beau, non par filons ou par couches, mais par masses séparées et saillantes à la surface du rocher : il y en a de considérables et qui ont de deux à trois pieds de grosseur ; d’autres tapissent des sortes de puits naturels {2). Le nom de la montagne est Gebel Cheykh el-Harydy, du nom du petit village qui se trouve au pied. Cet endroit est connu pour recéler une multitude de voleurs qui rôdent sur le Nil; ce qui rend ces parages très-dangereux pour les voyageurs qui ne sont pas sur leurs gardes (3). C'est près de ce petit village, bâti de roseaux, que se trouve le tombeau de cheykh el-Harydy, prétendue résidence du serpent que la crédulité des voyageurs a rendu si fameux. Curieux d’éclaircir ce fait, qui a donné lieu à beaucoup de conjectures, nous appelâmes des villageoïs qui étoient assemblés sur la rive, et nous leur annonçâmes que notre intention étoit de visiter le tombeau du mais, dans tous les fragmens, on retrouve toujours la forme primitive rhomboïdale. On avoit pris à tort ces cristaux (1) Voyez Ja Description d’Antæopolis, À. D, chap, XIT, (2) Certaines masses sont cristallisées confusément, et d’un blanc mat comme [a neige ; d’autres enfin sont colo- rées par de l’oxide de fer jaune, et offrent des accidens curieux. Les lits inférieurs sont horizontaux, et formés successivement de couches d’oxide pur et de couches de spath. Parmi les cristaux bien formés, il y en a de par- faitement beaux et de la plus grande transparence : quel- ques-uns sont en aiguilles, comme le cristal de roche; d’autres affectent une forme alongée comme le gypse: pour de l’adulaire, et aussi pour du spath pesant. (3) Ces voleurs sont singulièrement hardis : comme nous partions de Cheykh el-Harydy, là nuit, par un beau clair de lune, un homme se pglissa sur notre barque ; il osa voler un turban sur la tête du pilote ‘ pendant qu'il tenoit le gouvernail, et se jeta aussitôt à l'eau : on lui tira un coup de pistolet; maïs il plongea, et ne releva la tête qu’à une grande distance, où il se trouvoit hors de la portée. DE CHEYKH EL-HARYDY. 11° SUITE DU CHAP. XI. 2 5 cheykh. Quelques-uns d'entre eux portèrent cet avis dans la montagne: bientôt nous vimes descendre plusieurs hommes portant des drapeaux rouges et blancs, et nous faisant des démonstrations d'amitié : nous nous rendîmes au milieu d’eux avec notre escorte. Dans cet endroit, la montagne est ouverte et forme une gorge étroite “a fait plusieurs détours sinueux. Cet aspect, si rare en Égypte, semble propre à inspirer des sentimens religieux. Nous arrivâmes, après avoir marché une demi-heure depuis le bord du Nïl, et en montant toujours, sur une sorte d'esplanade à mi-côte, où est le tombeau de UE el-Harydy. C'est une petite mosquée Arabe, assez mal construite; rien n’annonce dans ce lieu d'anciennes constructions : à côté est un escalier taillé dans le roc, et composé d'une dou- zaine de marches (1 1). On nous dit qu'un grand nombre de Musulmans, habitans des nibess voisins, venoient annuellement prier sur ce tombeau, et qu'on attribuoit à cet acte de piété des effets merveilleux et des guérisons presque certaines. Nous avions appris que, pour entretenir cette pratique, à laquelle les dévots joignoient toujours des offrandes , on montroit au peuple un serpent qui passoit pour être immortel et pour étre animé de l'esprit du cheykh : nous pressimes vivement celui qui nous avoit introduits, de satisfaire notre curiosité en nous montrant le serpent. Il nous répéta plusieurs fois, et en faisant tous les sermens que nous exigeÂmes, que ce serpent n'existoit point, et que le récit des voyageurs étoit faux à cet égard. Le peuple accouroit en foule, disoit-il, pour prier sur le tombeau du cheykh, selon l'usage des Musulmans ; et ceux qui desservoient cette espèce d’oratoire, recevoient des présens peu considérables, qui suflisoient pour leur nourriture. : H ajouta qu'à la vérité, lorsque le nombre des assistans étoit considérable, un des desservans avoit coutüme de jouer avec des serpens pour divertir l'assemblée ; qu'il prenoït ces serpens dans la montagne, et les laïssoit échapper ensuite. Nous demandämes qu'ils nous fissent jouir de ce spectacle. Aussitôt un d’eux s’éloigna, et en fort peu de temps il rapporta un serpent qu'il manioit avec beaucoup de confiance et d'adresse : il nous le fit toucher aussi; et, après avoir agité plusieurs fois les drapeaux sur notre tête, et récité des prières dans lesquelles il invoquoit le cheykh, il nous passa plusieurs fois le serpent autour du cou, et ajouta que, s'il plaisoit à Dieu, nous serions exempts de maladies et d’accidens. Nous le remer- ciâmes d'un aussi bon augure. Notre présent, qui étoit assez modique, parut considérable et excita une vive reconnoïssance. Nous vîimes , à l'entrée de la grotte, quantité de pierres noircies où lon avoit fait du feu, et nous remarquâmes que la terre étoit teïnte de sang. On nous dit que plusieurs des fidèles qui visitoient le tombeau, avoient coutume d’immoler des moutons et des buffles, et que la chair étoit offerte aux desservans. Avant de quitter ce lieu, nous voulümes nous pro- curer, à prix d'argent, le serpent qu'ils nous avoient montré, et nous en donnâmes cent médins. Son espèce est petite, sa couleur grise, et il est taché de roux. Ce ; . 3 s LE A (1) Selon un des voyageurs modernes, cet escalier même d’une très-grande excavation qu'il dit être tout au . W+ +. . £ AJ 3 a - communique mystérieusement avec lintérieur de la sommet de la montagne, et où lon se rénd par un chemin mosquée; nous n'avons pu vérifier ce fait : il en est de très-escarpé, A, D, 36 NOTICE SUR LES ANTIQUITÉS DE CHEYKH EL-HARYDY. serpent n'ayant point encore été décrit par les naturalistes, M. Geoffroy le joignit à sa collection de reptiles. Au reste, il n’aura pas été difficile de le remplacer au tombeau de cheykh el-Harydy ; toute la montagne renferme un grand nombre de ces mêmes serpens (1). On a attribué une origine absurde à l'usage où sont aujourd’hui les Égyptiens de visiter le tombeau et le serpent de Cheykh ckHarydy; on a cru aussi que cette coutume dérivoit de l’ancien culte des serpens. Ces idées appartiennent aux Eu- ropéens ; mais on sera peut-être curieux de connoître quelle est l'opinion des gens du pays. Selon une tradition qu'un des derniers voyageurs a recueillie sur les lieux, il a existé dans cetendroit, il y a plusieurs siècles, un cheykh fameux par sa sainteté ; après sa mort, on remarqua un serpent près de sa maïson, et quelqu'un répandit que l'ame du cheykh étroit passée dans le serpent. Bientôt celui-ci eut la réputation de guérir les maladies invétéfées et de donner la fécondité aux femmes stériles (2). Des pélerinages annuels furent établis à l'époque de linondation : beaucoup de malades se crurent soulagés ; des femmes, stériles Jusque -là, de- vinrent fécondes, et les merveilles attribuées à ce serpent, exagérées encore par la renommée, trompèrent des voyageurs trop crédules. Il nous seroïit facile de rapporter ici de plus grands détails sur cette superstition ; mais, comme nous ne croyons pas qu'elle ait aucun rapport avec les pratiques de l'antiquité Égyptienne, ce ne seroit pas ici le lieu d'en parler. D'ailleurs, de pareils récits nous semblent mériter peu d'intérêt de la part des lecteurs Judicieux , si ce n'est peut-être sous le rapport de l'art des Égyptiens modernes, où l’on retrouve les traces de cette industrie qui a rendu célèbres les anciens Psylles. Strabon , Élien, et d’autres auteurs, nous ont raconté, sur les Psylles, des faits curieux qui le deviennent encore davantage par le rapprochement qu’on peut en faire avec ce qui se passe de nos jours. Maïs c’est aux naturalistes à traiter cette question sous le rapport des habitudes et de l'éducation des animaux. A l'égard de la su- perstition du serpent de Cheykh el-Harydy, je me borneraï à ajouter que, dans un article très-piquant du Courrier de l'Égypte (3), feu M. Lancret a relevé les contes absurdes que des voyageurs modernes avoient voulu accréditer en Europe. (1) Les faits contenus dans ce dernier alinéa sont, table carrée couverte d’un tapis, sur laquelle, ui dit-on, pour Îa plupart, extraits du Journal de voyage de Îe serpent venoit se placer; et la, il se laïssoit toucher M. Fourier, avec lequel ÿ’ai remonté dans [a haute par les malades et les dévots. La salle renfermoit encore Égypte. le modèle d’une barque et des cornes de bouc, suspendus (2) Le même voyageur dont je viens de parler, rap- à une traverse de bois. porte qu'il vit, dans l’intérieur de la mosquée , une petite (3) Journal imprimé au Kaire, n,° 83, DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D’'ANTÆOPOLIS: PAR E. JOMARD,. I I I IT OS TO IT CHAPITRE XII. I AS IS A A A A A A AT $ Il cr Observations générales. Quaxo on remonte le Nil pour visiter les monumens de la Thébaïde, le premier que l’on rencontre sur les rives du fleuve et qui donne une haute idée du style et de la majesté des ouvrages de l'Égypte ancienne, est celui que lon trouve au village de Qäou. Tous les voyageurs seront frappés, comme nous l'avons été nous- mêmes, en apercevant de leurs barques ces belles colonnes et ces chapiteaux à feuilles de dattier, à travers des groupes de palmiers de même grandeur, et, pour aïnsi dire, confondus avec ces arbres eux-mêmes, dont ils retracent la fidèle image. Si un artiste Égyptien, revenu au milieu de nous, vouloit nous révéler le secret de cette architecture, nous rendre palpables l’origine de l’art et le type naturel qui a servi à limitation, certes, il ne-pourroit imaginer rien de plus favorable à son des- _ sein que l’état actuel du portique de Qäou, qui, par un hasard heureux, est comme entrelacé aujourd’hui avec de superbes dattiers, couronnés, comme les colonnes, par des têtes élégantes. Je n’entreprendrai point d'exprimer le sentiment de sur- prise que nous avons éprouvé en abordant à Qüou : il est des impressions qu'on ne sauroit transmettre; et le charme que produit sur l'esprit, les sens et limagi- nation, une chose absolument neuve, se refuse à toute description. Le palmier d'Égypte est par-tout, sans doute, noble et imposant par l'élégance et la simplicité de sa tige, par la richesse et la symétrie de son feuillage; maïs nulle part, comme ici, on n'est frappé de ces caractères, si éminemment propres à limitation, peut- être parce que c’est la première fois qu'on vient à considérer le palmier sous le rapport de Fart. Père nourricier de toutes les. classes d’habitans, appliqué à mille usages, source d'abondance et de richesse pour tous, cet arbre est en Égypte comme une seconde providence, et ce n’est que par les services qu'il rend qu'on est habitué à le juger. Sans en recueillir moins de fruits, les anciens Égyptiens en avoient tiré encore un autre parti. Le port droit et cylindrique de sa tige leur donna la première idée du fût d’une colonne, et ses feuilles ramassées en tête, Ab: A x 2 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS celle d'un chapiteau. La courbure de ces immenses feuilles qu'on pourroit considérer comme de véritables branches (1), les détails de l'écorce, enfin les fruits eux-mêmes, furent copiés par les artistes avec ce goût sage et non servile, qui seul peut être admis dans limitation de la nature, et qui fait que cette imitation plaît à-la-fois à l'esprit et aux yeux. C’est ce sentiment de plaisir qu’on éprouve au plus haut degré, en débarquant à Qâou, l’ancienne Artæopolis. $. IT. Remarques géographiques et historiques. LE nom principal du lieu, qui est Qéou, est accompagné de différentes épi- thètes qu'on trouve aussi dans les diverses relations des auteurs Arabes et des voyageurs. On a surnommé ce lieu e/Kharab , à cause des buttes de décombres de l'ancienne ville; /Chargyeh, orientale, par opposition au village de Qâou eZ Ghar- byeh, situé au couchant du fleuve; et e/-Koubarä où el-Kebyreh, la grande, pour le distinguer de ce même village, qui est beaucoup plus petit que celui où se trouvent les antiquités. Quant à l'orthographe de Gaz ou à celle de Ka, elles sont également vicieuses. Ce n'est pas dans le nom tout Grec d’Antæopolis, ou ville d'Antée, qu'il faut chercher le véritable nom que ce lieu portoit dans la haute antiquité : les Grecs ont rarement conservé ou même traduit les antiques dénominations Égyptiennes, et la nomenclature Arabe d'aujourd'hui offre peut-être plus de ressources pour les retrouver. L'endroit qui nous occupe en est une preuve. Son nom actuel, avons- nous dit, est Qäou, distingué, par l'épithète de Xebyreh ou La grande, d'un autre village portant le même nom, maïs plus petit. On trouve dans les manuscrits Qobtes de la Bibliothèque du Roï, et dans les fragmens Qobtes de Zoëga (2), qu'Antæo- polis répondoit à Tkôou, c’est-à-dire, Kôou avec l'article. Il existoit aussi une montagne appelée Pkôou (3), placée du côté oriental; ce qui est encore le même nom avec l’article au masculin, genre qui est celui du mot signifiant montagne en qobte (4). Or nous avons visité, à lorient de Qâou, une montagne :très- connue dans le pays pour les catacombes qu'elle renferme ainsi qu'une vaste carrière, et pour avoir servi d'asile aux anachorètes: plus tard, j'en donnerai la description. Le nom Qobte de Tkéou , Two ,me paroît donc répondre parfaitement à celui de Qäou .b , qui a souvent aussi été écrit Käoz É LE et s'il a une signification qualificative, c’est là qu'il faudroit chercher, et non dans le mot d’Antée, des (1) J'ai mesuré, dans la basse Egypte, des feuilles de (4) Trevor, montagne, des. Un pays de mon- dattier qui avoient plus de dix mètres de longueur et tagne , en, se dit HA ÎNTTUOX (Luc. 1, 39); x 2 ; 1 ême mot sans l’accent sur l 06 dyelos, Sinvu- (2) Voyezles Observations sur la géographie de l’Esypte, le même se acce Le) \, Ho 2 di > Sing ; x L : Ë i ë ; SCuum2 par M. Et. Quatremére, et la Géographie de l'Egypte, laris ferus (Ps. XVI, 13); ou ôvayeor, onagri G CIII,2) par M. Champollion, tom. L.® Peut-être trouvéra-t-on ici une étymologie du nom 2 im: i ? À A 1 - . 2 T? CL (3) D'après les mêmes fragmens cités par M. Et. Qua- d’Anteu, les Grecs ayant supprimé Particle. tremère. qui étoïent grosses à proportion. D'ANTÆOPOLIS. CHAP. XII. 3 lumières sur l'origine et l'histoire de cette ville. Antée, dit la fable Grecque, étoit un géant, fils de la Terre, qui fut terrassé par Hercule. Chaque fois qu'il touchoit à la terre, soudain il 5 DL des forces pour combattre son terrible ennemi ; Hercule n’en put venir à bout qu'en le soulevant en l'air et l’étouffant par un effort extraordinaire. Maïs cette fable cache peut-être quelque allégorie relative aux phénomènes que présente la contrée; à la fin de cet écrit, nous proposerons une conjecture sur son origine. | Il est presque superflu de rechercher, par la géographie comparée, si le por- tique et les ruines qui nous occupent sont bien les restes d'Antæopolis : les Grecs ont pris soin eux-mêmes de graver le nom d'Antée sur ce portique, dans une inscription qui est malheureusement brisée en six morceaux, maïs qu'il n'est pas impossible de restituer presque entière; inscription monumentale et faite au nom des souverains d'Égypte : nous apprenons parelle qu’Antée étoit honoré dans ce magnifique temple. Cette inscription devant faire le sujet d’un paragraphe séparé, je ne my arrèterai pas davantage, et je citerai en peu de mots les autorités géo- graphiques, toutes unanimes en faveur de cette position d'Antæopolis; il est extraordinaire que Pococke et d’autres auteurs aient pu en douter. D'après l’Itinéraire d’Antonin , il y avoit seize milles de Panopolis à Selino , et autant de Selno à Anteu, en tout trente-deux; or ces trente-deux milles se trouvent exactement dans la distance d'environ quarante-sept mille cinq cents mètres qu'il y a de Qâou à Akhmym ou Khmym, où sont les restes de l'ancienne Panopolis (1), comme son nom est lui-même le reste de Chemmo, ancien nom de la ville de Pan, suivant Diodore de Sicile. Ptolémée décrit Antæopolis comme étant méditerranée, et non sur la rive du Ni; distinction qu'il fait toujours. Ce qui est arrivé à Koum Ombou et aïlleurs, est également arrivé à Qäou : le fleuve s’est jeté vers lorient, par une pente qui paroît aller en augmentant toujours. Comme ce n'est pas ici le lieu d'en exposer tous les exemples, et qu'il importe à l'étude de la géographie de les approfondir, je me bornerai à en citer un seul qui est des plus remarquables et qui n'est point connu, réservant pour un travail séparé la recherche générale dont il s'agit. La ville et les environs de Meyläouy ont été abandonnés par les eaux du Nil, qui baïgnoïent autrefois ses muraïlles; cette ville, jadis le port dé chargement des graïns destinés à la Mecque, est aujourd’hui à deux mille trois cents mètres à l’ouest du Nil, et la ville de Minyeh lui a succédé. Plus loin, du côté du midi, le fleuve s’est encore rapproché davantage de la montagne d'Arabie. Dans ce mouvement général vers l'est, le fleuve ne s’est pas retiré brusquement: il s’est avancé à l’est peu à peu ; ses bras ont d'abord enveloppé des îles de petite dimension, qui se sont ensuite agrandies, puis transfor- mées en d’autres îles, pourfaire place à de vastes plaines, et se reformer plus loin vers lorient. Les’ îles actuelles disparoftront aussi un jour, jusqu'à ce que le Nil ait atteint par-tout le pied de la chaîne Arabique, ou au moins le point le plus bas de ce plan incliné. La grande île qui est devant Qäou el-Koubarä, est incontestablement (1) Cette ville est décrite dans une Notice particulière de M. Saint-Genis, annexée au ‘chapitre XI sous le titre de r.* suite, À, D. A z  DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS produite par la cause que je viens d'exposer; c'est un démembrement de l'ancienne rive droite du fleuve , et de la plaine qui le séparoït d'Antæopolis dans les temps reculés, à l'époque où ce lieu étoit méditerranée, messyuos, aïnsi. que l'appelle Ptolémée (1). Aujourd’hui les monumens qui étoïent loin du Nil, sont exposés à Ctre détruits par les eaux, qui bientôt baigneront le pied des colonnes (2). I n'y avoit pas plus de vingt ans, à l'époque de l'expédition Française, que la grande île étoit jointe au continent, si l'on en croit le rapport des gens du pays. Hérodote, Strabon, Pomponius Méla, Solin, gardent le silence sur la ville d'Antée en Égypte; Pline nomme seulement le nome Antæopoñtes parmi ceux qui font partie de la Thébaïde : maïs ces trois, derniers auteurs parlent d'un roi Antée en Mauritanie, défait par Hercule, et d’une ville de son nom, située dans cette partie de l'Afrique. Il paroît que cet Antée a été confondu avec celui des Égyptiens. Mais Diodore a parlé de ce dernier dans trois endroïts de sa Biblio- thèque : comme les passages de cet historien doivent être cités dans le dernier para- graphe, je ne crois pas devoir m'y arrêter davantage. Bien qu'Hérodote ne parle pas d'Antée, il s'explique nettement, A. plu- sieurs passages, au sujet de l'Hercule Égyptien, bien antérieur au fils d’Alcmène (3). C'étoit, selon cet auteur, le plus ancien des douze grands dieux de l'Égypte, qui sont postérieurs aux huit premiers dieux. Pän, Hercule et Bacchus, dit Hérodote, passent parmi les Grecs pour les dieux les dk récens, tandis que chez les Égyp- tiens ces dieux sont très-anciens. Macrobe dit aussi que les Égyptiens adorent Hercule, qu'ils ont pour cette divinité la plus profonde vénération, et que ces peuples, dont les traditions remontent si haut, n’ont jamais connu son origine. La ville d'Antée n'est pas au nombre de celles où les Romains entretenoïent des troupes ; mais à Mathis, à quelques milles de l'endroit, il y avoit une cohorte en garnison (4). Cependant cette ville est demeurée, sous la domination Romaine, le chef-lieu d’une préfecture ; l'existence du nome Antæopolites est prouvée par les médailles, au moins jusqu'à l’empereur Trajan. On lit sur le revers de la médaille frappée pour ce nome, les mots ANTAL L Il, et du côté de la face, AT. TPAIAN CEB TEPM A (| se c'est-à-dire, IMPERATOR TRAJANUS AUGUSTUS GERMANICUS DACICUS; — ANTÆOPOLITES, ANNO XIII.° Aujourd'hui Qäou n’est plus qu'un village dépendant de la province de Girgeh. Il est bâti en maisons de brique assez bien construites : des tombeaux placés en (1) A7 drama dé xgi mÜ mor.’ Armæio- Ab orientali autem parte fluvii Antæo- mAÎTME vOu0c, .N Meg ronus ‘Ayralou je polites nomus , etmetropolis Antæimedi- Long. Lait. TPS HN 5 LE Me SEE OO CS CO PAS EC te cuis 2: Du ARTE ES 62° 20', 27° 40. (2) C’est à ce mouvement progressif du Nil vers dans le fleuve avec nos matelots, sont parvenus à la lorient que sont dus les flots, les bas-fonds et les ca- soulever. » naux étroits qui rendent dificile la navigation de cette (3) Herod. Hisr, lib. 11, c. 44, 45 et 145. partie de son cours; nous en avons fait la fâcheuse ex- (4) Vid. Votit, utriusque Imperii, pag. 90. Muthis, sui- périence à notre départ de Qäâou. Depuis trois heures da soir et toute la nuit suivante, notre barque est restée engagée dans les sables, malgré de pénibles efforts, et au milieu des coups de vent les plus violens, Le Ien- démain seulement, elle à pu se remettre à flot par le secours d’un grand nombre d'hommes qui, s'étant mis vant ltinéraire; MMutheos, suivant la Notice. La Table de Peutinger ne fait point mention non plus de cette ville d'Antæopolis. (5) Voyez la planche des nomes d'Égypte, À. vol. V, voyez aussi Je Mémoire sur les nomes et la carte numisma- tique.de l'Égypte. D'ANTÆOPOLIS. CHAP. XII. $ avant offrent des formes remarquables, un sur-tout qui porte aux quatré angles des oreillons à la manière des tombeaux Grecs et Romains. Il ne possède aucune industrie particulière, et les habitans m'ont paru plus qu'ailleurs livrés à la paresse et à l'oisiveté. Par-tout, il est vraï, la curiosité qu’excitoient nos travaux et nos recherches , rassembloit autour de nous la population des villages; et cette mul- titude demeuroïit comme en contemplation et oisive LT des heures entières: mais j'en ai été HTRDRER à Qâou plus qu'ailleurs. Le pays n’est point riche, il est mal cultivé : aussi à cette indolente inaction des f#/4} se joignoit une disposition d'esprit voisine de la malveïllance et contraire à nos travaux. Combien n’avons- nous pas eu de peine pour pénétrer dans le village, pour avoir de légères provi- sions, pour nous faire conduire à la montagne! Ils s’étoïent d’abord tous enfuis : cen'est que long-temps après qu'ils revinrent : un air sombre et défiant chez les uns, chez les autres une attitude contrainte et presque menaçante, par-tout froïdeur et mauvaise volonté, tel est l'accueïl que nous avons reçu à Qâou. Il n’en étoit pas de même dans les endroits plus riches, là où la culture étoit prospère, et l'industrie plus florissante; nous y avons, au contraire, trouvé presque toujours une confrante bienveillance, compagne ordinaire de l'état d’aisance et de bien-être. J'ai vu à Qäou des scarabées d’une grande taille, que les paysans avoient trouvés dans les fumiers, Un fait plus’ singulier à citer est l’existence d’un dattier qui, aux deux tiers de sa hauteur, se divise en deux tiges égales; chacune de ces tiges est plus grosse que le tronc, et chacune aussi porte une tête aussi grande, au moins, que sil n'y en avoit qu'une seule sur l'arbre. Au point de la bifurcation, le tronc est plus épais qu'en dessous, et semble annoncer une maladie du palmier. Ce phénomène est le seul du même genre que j'aie vu en Égypte, et je n’ai pas entendu dire qu’au- cune personne ait vu d’autres dattiers bifurqués (1). $. III. Vestiges d'antiquités qui subsistent à Qéou et aux environs. Les restes de l'ancienne ville d'Antæopolis consistent dans un temple principal avec des buttes de décombres tout autour et une grande enceinte qui l'enfermoit, un édifice à l'ouest, orné de colonnes, et des murs de quai baignés par le Nil. On peut ajouter, comme des dépendances de la ville, la carrière et les hypogées pra- tiqués dans la montagne Arabique. Le grand temple devant faire l’objet du paragraphe suivant, je vais décrire d'abord les ruines environnantes, Le village de Qüou est divisé en deux parties, lune qui est sur le bord du Nü, ét l'autre au nord-est. C'est au levant de la première que sont situées les ruines et les buttes de décombres. L'enceinte rectangulaire qui enfermoit les monumens, s'étendoit sans doute jusqu'à cette partie du village, et elle se rattachoïit proba- blement à un grand mur de quai qui étoit à l'extrémité la plus occidentale des (1) M. Cécile Ja représenté dans sa vue du portique, Voyez planche 40, À, vol, IV. 6 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS ruines. Ses dimensions (dans cette supposition) devoient être de quatre cent vingt- cinq mètres sur environ cent quinze. Quoique cet espace soit assez go" , Je ne pense pas cependant que la ville y füt circonscrite. Le tiers de cette enceinte est aujourd’hui presque sans vestiges; les côtés du nord et de l'est sont les plus apparens : du côté du sud ou du Nil, elle a été, à ce qu'il paroît, entraînée par les eaux; car les buttes alignées qui sont sur la rive, ne sont pas les restes de cette clôture. I paroït que l'enceinte étoit de briques cuites au soleil. L'entrée du grand temple étoit au milieu de la longueur, et, dans son axe, il y avoit à cette enceinte une issue ouverte, encore apparente aujourd'hui. Les buttes qui sont à l'est et à l’ouest de espace où étoit le temple, n’ont pas été fouillées ; mais, d’après les débris de poteries antiques et les fragmens de tout genre répandus à la surface, je ne doute pas que des fouilles bien dirigées n’y fissent rencontrer quelques morceaux précieux d'antiquité. Dans le prolongement, et à cent trente mètres des trois colonnes les plus méri- dionales du portique, est un grand massif carré, de construction antique, tout-à-fait semblable à un piédestal, et dont il n’est pas facile d’assigner l'objet (1). I ne pouvoit avoir aucun rapport avec le temple, et il ne paroît pas se rattacher à l'édifice de l'est, d'autant plus que ses faces sont inclinées par rapport aux colonnades de cet édifice. Sa dimension est de deux mètres et demi. Comme il est aujourd’hui plongé dans l'eau, je crois pouvoir le considérer comme un point d'appui pour le quai en ma- çonnerie, servant à garantir les édifices. Une grande portion de ce quai a été em- portée par les eaux. On l'a reconstruit à différentes époques, et on l'a rapproché du temple, comme le prouve un reste de muraille, aujourd'hui baïgné par le Nü, qui est tout près des grandes pierres de l’ouest, dont nous parlerons plus bas. Maïs le fleuve, s’avançant toujours vers le nord, a détruit la plus grande partie de la construction, et a fini par atteindre les fondations de la porte qui a‘existé dans cet endroit, dans l'axe même du grand temple {2). I paroît que le quai actuel a été bâti avec les débris des monumens, pour arrêter les ravages du fleuve : aïnsï, par ces deux motifs, on ne peut douter qu'il ne Soit pOs- térieur au grand temple. Du temps de Norden, le Nil avoit déjà la même tendance qu'aujourd'hui. I remarqua, au nord de Qäou, un canal bordé d’une digue en pierre que le fleuve avoit emportée. À moins de vingt mètres à l’ouest de ce massif, sont deux rangées de colonnes parallèles au fleuve avec des murs d’entre-colonnement, et seul reste actuel de V'Édifice de l'Ouest (3} Le diamètre des colonnes est d’un mètre Juste, et l'entre- colonnement, de 2",79 d'axe en axe. Les crues du Nil ont enlevé une partie de ce petit bâtiment, et les décombres ont caché l'autre; chaque rangée est de ni colonnes. L'architecture de cet édifice, qui étoit bâti en pierre calcaire, paroît avoir été fort simple. Il est impossible d’en faire un plan restauré; mais, d'après les : (1) I paroït qu'il y avoit plusieurs piédestaux sem- qui pourroit y convenir. Voyez planche 62, fig. Cet 7, blabies : j'ignore s'ils supportoient des statues; maïs j'ai et [a notice qui fait la 2.° suite du chapitre XI. trouvé à Cheykh-Harydy, village à trois lieues et demie (2) Voyez pag. 9. au sud, où il y a des ruines, une statue Romaine colossale (3) Voyez le plan général, planche 39 fig. 7, À, vol. IV. D'ANTÆOPOLIS. CHAP. XII. 7 dimensions de ce qui reste, on peut croire que sa longueur ne dépassoit pas vingt à trente mètres. Les murs d’entre-colonnement et d’autres circonstances prouvent au reste que c’est un édifice Égyptien. I diffère des petits temples appelés Typhoniens , par ses colonnades, et par sa position relativement au temple prin- cipal. Les entre-colonnemens sont bouchés par des tableaux. À la partie la plus occidentale des ruines est un fragment de quai assez consi- dérable ; au lieu d’être construit en éperon, il forme au contraire un angle rentrant, dont une branche a plus de vingt mètres, et l'autre plus de quinze. La bâtisse est faite de larges pierres de taille, et paroît solidement établie; mais on ignore ce qu'est devenu le reste de cette construction. L’exhaussement du fond du Nil allant en croissant, ces quais sont déjà submergés jusqu'à la sommité pendant les crues, et ils finiront par disparoître entièrement. [l faudra que les habitans rehaussent leur village pour parvenir à se défendre contre les débordemens des eaux; mais le temple et les autres restes de l’ancienne ville seront un jour la proie du fleuve, parce que rien ne les protége plus contre les inondations. En face des ruines d’Antæopolis, il y a une île de peu d'étendue et un canal de cent cinquante mètres seulement ; maïs le grand canal a plus de mille mètres. Qu'one représente une crue de douze à quinze mètres, et une masse d’eau de cette étendue battant contre les colonnades, et qu'on ajoute à une si grande pression la pente que le Nil affecte du côté du nord, on concevra sans peine combien il est diflicile qué le portique résiste un jour à la cause qui paroît avoir détruit le reste du monument. C'est à une lieue au nord qu'est située la chaîne Arabique. Là, sur les parois d'une gorge profonde, les anciens Égyptiens ont pratiqué de grandes excava- tions , d'où ils ont tiré les matériaux de leurs villes. L'une de ces carrières est d’une étendue presque incroyable : on a mesuré ses deux dimensions principales; elles sont de six cents pieds sur quatre cents | environ deux cents mètres sur cent trente | : on remarque, au plafond, des projections tracées, comme j'en ai trou- vées à Gebel-Aboufedah et dont je parlerai dans le chapitre XVI. Ces tracés avoient pour objet de servir à la coupe des pierres. Des essais stéréotomiques du même genre se voient dans différens hypogées. | Le fait le plus curieux qu'on observe dans ces grottes, c’est qu'il s'y trouve des inscriptions en caractères pareils à ceux des papyrus. C'est aux voyageurs qui visi- ceront ces lieux, à faire en sorte de copier les inscriptions cursives tracées sur les piliers de la carrière. Au nord, on trouve différens hypogées dont le plafond est creusé en berceau. Le plan des salles est pareil à celui des grottes sépulcrales de Thèbes et de Syout. Au fond sont des niches où l'on voit les figures des maîtres des catacombes. Il y a des puits et des galeries qui correspondent aux salles supérieures. Ainsi que la car- rière dont j'ai parlé, plusieurs de ces catacombes renferment des caractères cursifs, outre Îles inscriptions hiéroglyphiques. | Cette partie de la montagne Arabique est fréquemment percée d'ouvertures semblables. Au-dessus de Qäou, le rocher se rapproche du fleuve ; nous y avons vu 8 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS des portes symétriquement creusées. Près d’el-Rayäny, il y a quatre grandes ouyer- tures. La montagne à été taillée; au-dessus sont de vastes appartemens. La nature de la montagne est une EE calcaire, d’un grain assez dur et sus- ceptible d’un certain poli. $. IV. Grand Temple d'Antæopolis. Jar déjà dit que le temple d'Antæopolis étoit primitivement dans l'axe de l'enceinte, et que le fleuve s’étoit RPPROGRE considérablement du côté méridional de l'édifice, dont il n’est plus aujourd’hui qu’à quinze ou seize mètres. Il est probable que ce progrès ira toujours en croissant, et que le portique finira par être baigné par les eaux, quand d'ailleurs le fond du lit sera exhaussé suffisamment. Déjà même je ne doute pas que les eaux n’y parviennent dans les grandes inondations , Quoique je ne m'en sois pas informé Fe des habitans ; et je me fonde sur ce que la partie inférieure des colonnes, jusqu’à la hauteur d’un mètre ou plus, est détériorée visi- blement. Le sel que contient la terre qui fait le sol actuel du portique, est dissous par les eaux et paroît attaquer la pierre. J'ai trouvé sur le fût, à plus d'uf mètre de terre, des parties tout imprégnées de sel marin, et des éclats se détachant sans peine de la pierre, quoique naturellement très-dure. En second lieu, si l’on fait attention que le premier portique est la seule partie subsistante de tout cet édifice, qui étoit si solidement bâti; que le portique suivant, que Je crois avoir existé, et joutes lés autres salles du temple, sont renversés, et que les pierres sont aujourd’hui à terre, on est fort porté à croire que cette des- truction est l'ouvrage des eaux du Nil, qui ont miné insensiblement les fondations et fait écrouler les murailles. - La nature de la pierre dont le temple est bâti, est, comme celle de la montagne Arabique, une sorte de calcaire compacte, à grain très-fin, à cassure conchoïde, d'un aspect grisâtre, et qui répand une odeur désagréable quand on vient à.la frotter. Cette pierre est susceptible d’un assez beau poli, semblable à celui de l’al- bâtre. La montagne appelée Gebel-Cheykh-Harydy, au-dessus de Qâou, en est aussi composée. | La porte du temple étoit tournée à l'ouest-sud-ouest, à peu près parallèlement à la direction que le Nil a dans cet endroit. La longueur de l'édifice ne peut se connoître aujourd’hui d’une manière exacte : maïs on en a une connoissance fort approchée, par la position d’une grande niche ou tabernacle monolithe qui se trouve aujourd'hui dans l'axe même du portique, et qui occupoit sans doute le fond du sanctuaire, ainsi que les deux niches des éperviers du grand temple de Philæ. Ce monolithe, quoique en partie enterré, est encore debout et paroît être à sa place primitive. La distance de son centre à l'entrée du portique est de cinquante-neuf mètres, à quoi il faut ajouter environ dix mètres pour la partie postérieure à ladytum, dans la restauration que je propose (1). Ainsi le temple (1) Voyez le plan, fig, r, planche 4r, et la planche 42 avoit D'ANTÆOPOLIS. CHAP. XII. 9 avoit au moins une longueur de soixante-neuf mètres : cependant il pouvoit être beaucoup plus long. Sa largeur, au portique, étoit de quarante-cinq mètres, d’après la restauration la plus probable des antes, qui sont aujourd’hui renversés : la profondeur du portique étoit de seize mètres. La hauteur du temple étoit de 1$5",06, ou le tiers environ de sa largeur. Cette dimension est connue d'une manière certaine, à cause des parties qui subsistent de la corniche (1), et de la fouille qu'on a faite au pied d’une colonne. Le diamètre inférieur des colonnes est de 2",32, et la colonne a 11”,50 de haut ou cinq diamètres, en comptant la base et le chapiteau. Celui-ci a 2",$ de hauteur; et la base, 0”,6. Un dé de 0”,433 couronne le chapiteau. L’entre-colonnement est par-tout de trois mètres, excepté au milieu, où il est de 5”,40. L'encombre- ment des colonnes est environ .de deux mètres et demi [ sept pieds et demi | Les débris de la partie postérieure du temple sont encombrés beaucoup davan- tage. On aperçoit de grandes et grosses pierres qui ont appartenu aux plafonds, sortant du sol d'espace en espace, depuis.de portique jusqu'au grand monolithe ; mais le plus grand nombre des débris est récouvert de ruines et de terres amon- celées, ou masqué tout-à-fait par des groupes et des buissons de palmiers. L'une de ces pierres a 6",50 de long sur 1,20 (2) dans les deux autres sens; plusieurs autres ont également six mètres et re de long; une d'elles a 6",70 de long: j'en ai mesuré une qui a 7”,60 de longueur sur plus de trois mètres. Le portique est lui-même, comme nous l'avons dit au commencement de cette Description, environné et même en partie occupé par des groupes de dattiers (3) qui lui donnent une physionomie particulière. Ce portique consistoit en dix-huit colonnes placées sur trois rangs : le deuxième et le troisième rangs sont entiers; mais celui de la façade n'a plus que trois colonnes, au lieu de six; savoir, les deux du milieu et la suivante à droite. La chute de ces trois colonnes a entraîné les archi- traves et les plafonds qu'elles supportoient (4); c’est ce qui fait qu’on trouve par terre de grandes portions d’entablement, de frise et de corniche: mais le reste du portique est encore couvert de son plafond. En Pin des diverses parties qui restent de l'édifice, j'ai dit presque tout ce qu'il y a à dire sur la disposition. Si l'on prend pour guide lanalogie des autres temples du même genre, on sera porté à croire que ce premier portique de dix-huit colonnes étoit suivi d’un second portique de douze colonnes plus petites et plus basses, ensuite de deux salles oblongues et perpendiculaires à l'axe, puis du sanc- tuaire avec deux pièces latérales, enfin d’une galerie servant à isoler le sanctuaire et communiquant à des salles placées à droite et à gauche du temple. Mais une autre Construction se rattachoit au plan général du monument, et je dois en faire mention avant d'entrer dans une description détaillée. C’étoit sans doute une grande porte analogue à celle qui précède le temple de Denderah, le vieux temple de Kar- nak, &c. Dans l'axe du portique et à environ quatre-vingts mètres, on trouve (1) Voyez la planche 40. -_ (3) Voyez les planches 29 et 40. (2) Mon journal de voyage porte ici 4",20; maïs c’est (4) H paroît que du temps de Pococke, vers 1740, probablement une erreur. les dix-huit colonnes étoient debout. AD, B 10 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS d'énormes pierres sur le sol : l’une d’elles a 9”,87 de long sur 1",4 $ de hauteur et 1,60 de largeur; d'autres, sans être aussi colossales, sont encore d’une dimension extraordinaire : ces blocs gigantesques sont plus grands que les pierres mêmes qui ont servi à Thèbes (1). A la vérité, la nature de la piérre que j'ai décrite plus haut, se prêtoit parfaitement, et beaucoup plus que la pierre des montagnes de Thèbes, à la taille et au transport de ces assises colossales. Le poids de l'une. des plus grandes devoit être d'environ quatre-vingt-six milliers de livres. Je laisse à d’autres à rechercher par quels moyens on souleyoit, on charioit et sur-tout on mettoit en place à une grande hauteur ces pierres si longues et si pesantes : je me borne à dire qué la plus grande pierre du pont de Neuilly est longue de trente- quatre pieds six pouces, sur une largeur et une épaisseur égales de deux pieds six pouces, c'est-à-dire, 11,21 sur o",81 (2), et que les deux pierres du fronton du Louvre, également célèbres pour leurs dimensions, ont chacune cinquante- deux pieds sur huit de largeur et un pied deux pouces d'épaisseur. Ainsi le poids de la première est de trente-quatre milliers et demi, et celui des secondes, de plus de soïxante-dix-sept milliers; c’est-à-dire que ces poids sont inférieurs, l'un, de cinquante-deux, et l'autre, de neuf milliers, aux pierres de Qâou. Je n'ose toutefois affirmer que les pierres que j'ai vues à terre ‘aient été effective- ment élevées et dressées à leur place pour couvrir la porte que je dis avoir existé dans cet endroit, En effet, comment des pierres aussi longues seroient - elles tombées sans se briser! , La façade du portique étoit garnie, comme dans. les autres temples, par des murs d’éntre-colonnement; mais ce qu'il y avoit de particulier à celui-ci, est que toutes ces murailles étoïent ouvertes, au lieu d'être fermées par destableaux, comme dans les autres temples, de manière que tous les entre-colonnemens formoient autant de portes semblables à celle du milieu , mais plus basses (3). Au premier coup-d'œil, on pourroit croire que ces issues multipliées choquent le système de l'architecture et même de la religion Égyptienne, dans laquelle on interdisoit l'entrée des temples à la multitude; on pourroit, par conséquent, regarder ces portes comme aÿant été pratiquées postérieurement à la construction primitive de l'édifice. Mais, d’abord, il étoit aussi facile d'entretenir des portes fermantes dans les entre-colonnemens latéraux que dans celuï du milieu ; secondement, la forme, le style et la décoration en sont parfaitement conformes au caractère de l'architecture Égyptienne. C’est donc une particularité que l'architecte du monument d’Antæo- polis a voulu introduire dans son plan; et nous devons joindre ce nouvel exemple à ceux que l’on connoît déjà de la variété qui, contre l'opinion commune, règne dans les monumens de l'Égypte. (1) Un de nos collègues a noté dans son journal une pierre beaucoup plus large; elle avoit trente pieds de long sur huit de largeur et cinq d'épaisseur. Pococke parle d'une pierre de vingt-un pieds sur huit de largeur et cinq d'épaisseur, et d’une ‘autre de trente pieds sur cinq d'épaisseur. (2) Le chariot sur lequel on a transporté cette pierre, pesoit onze milliers, Trente-six à quarante-huit chevaux, suivant les endroits de la route plus ou moins difficiles, étoient attelés au chariot. Elle a été amenée de Meulan, ‘à onze lieues de Paris. (3) Voyezplanche 41, fig. 2, A,vol. IV. Pococke semble faire entendre qu'il a vu des tableaux dans les entre-colon- nemens ; mais il s’est sans doute mal expliqué. D'ANTÆOPOLIS. CHAP. XII. TI Je viens à la description du singulier monolithe placé à cinquante- neuf mètres _de la façade et dans l'axe du portique. La première idée qui se présente en aper- cevant cette masse, qui est le seul reste bien conservé et debout de tout le temple proprement dit, c'est qu'elle doit sa conservation à ce qu’elle est formée d’une seule pierre. En se rappelant les tabernacles de Philæ, taiïllés en granit, et ceux aussi en granit qui étoient à Qous, à Butos, à Saïs et dans beaucoup d’autres endroits, on ne peut douter que les Égyptiens, en construisant ces chambres monolithes, n'aient eu cé but-là même de leur donner une solidité et une durée plus grandes encore que celles des monumens. Celle d’Antæopolis a une forme qui la distingue de toutes les autres. C’est un sommet en pyramide quadrangulaire, dont l'angle est fort aigu: le corps lui-même du tabernacle est rectangulaire, à côtés inégaux; il ne forme pas un prisme, mais les faces sont légèrement inclinées. L'intérieur est creusé en forme de niche prismatique ; le devant est orné d’un cordon et . d’une corniche dont la ligne saillante est en même temps, de ce côté, la base de la pyramide. Le monolithe est enterré; il en sort de terre une portion de trois mètres de haut, sans compter la pyramide, qui a plus de 1",40 de hauteur perpendiculaire; ce qui fait en tout environ cinq mètres: Voici ses principales dimensions, que j'ai mesurées avec le plus grand soin : Longueur de la face du nord à Ia base de Ia pyramide. nt ai2s 60 Face de l'est ou de l’ouest. ..... E pRhe pe En A nt ee CRÈTE Loire on tee LA EN A Are PE AARNE AP TO ASS 1 ,98. Longueur du côté de la niche, ou profondeur RS PUS ST Darseur rer. DEL a AR 0 4 NEO NS RUE CDD NC Je n'ai pu faire exécutér une fouille au pied de ce monolithe; mais on peut estimer que sa hauteur étoit au moins de cinq mètres. La pierre qui a servi à le construire, est de ce même calcaire à grain fin et compacte, et susceptible d’un beau poli, pour l'extraction duquel on a exploité les carrières de Gebel-Cheykh-Harydy. Cette même pierre se prétoit à une sculpture très-délicate : aussi le travail des ornemens dont le monolithe est décoré, est d’une grande finesse ; toute la sculpture est en relief, mais d’un relief très-doux à l'extérieur. Le devant seul est sculpté; les trois autres faces sont lisses et polies. La corniche est ornée d’un globe aïlé, et la frise, au-dessous, porte un disque semblable. Chacun des côtés est décoré d'hiéro- glyphes distribués en trois colonnes verticales très-bien conservées. La niche inté- rieure est ornée de divers sujets, qu'on seroit naturellement porté à étudier avec Ja plus grande curiosité, dans l'espérance d'y trouver des lumières sur le culte ou la destination du temple. Mais, ainsi que nous l'avons vu dans les autres sanctuaires, les sujets représentés sur les faces de la niche n'offrent aucun personnage, aucun symbole particulier : les différens êtres qui figurent dans la mythologie Égyptienne y sont combinés ensemble, et forment un sens mystérieux qui sans doute échappera encore long-temps aux recherches. Ici lépervier et le chacal semblent jouer le principal rôle. Dans une frise qui décore la sommité de la niche, le scarabée est A D, B 2 I 2 © DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS représenté les ailes ouvertes, et symétriquement répété de distance en distance, Au fond et au-dessous de cette frise, on voit un épervier tourné du côté gauche, et à côté deux chacals dirigés du côté droit. Sur la face de la niche, regardant le sud, on voit encore un épervier et un chacal se tournant le dos. Un personnage, qui ne paroît pas être de l’ordre sacerdotal , fait à ces divinités symboliques une offrande de deux vases. En faut-il conclure que l'épervier ou le chacal, ou tous les deux, étoïent révérés dans ce temple! Non, sans doute. Les hiéroglyphes qui accompagnent ces tableaux, auroïent pu aider à éclaircir un jour ce mystère: jé regrette de n'avoir pu les copier. Au reste , une grande partie de ces caractères est effacée, et les figures elles-mêmes de la partie inférieure sont dégradées absolument, peut-être par la cause dent j'ai déjà parlé, c'est-à-dire, par le séjour des eaux, qui paroïssent avoir rongé le bas des colonnes. Je connoïs plusieurs monolithes terminés par une pyramide obtuse, celui que j'ai trouvé à Meyläouy, celui de Qous et plusieurs autres; mais le seul qui soit couronné d’un sommet aïgu et figurant la pointe d'un obélisque, dont il a d’ailleurs les dimen- sions, est celui d'Antæopolis. Les Égyptiens travailloient, à la vérité, en bois, de petites niches de cette forme; et j'en ai vu un exemple assez curieux dans un cabinet d'antiquités (1). | Le lecteur a déjà pris une connoissance générale de la décoration du portique d'Antæopolis ,Sila remarqué, au commencement de cette Description, l'analogie que j'ai montrée entre les palmiers et les colonnes, qui semblent aujourd’hui con- fondus, et produisent par leur réunion un aspect singulièrement pittoresque; c’est aussi ce qui frappe le plus, quand'on veut étudier le système d'ornement que f'ar- chitecte a suivi. Le fût des colonnes est légèrement conique, ainsi que le tronc du daitier. Le chapiteau est formé par neuf longues palmes, terminées supérieurement par des courbes gracieuses. Les têtes des feuilles sont réunies par un massif découpé en neuf parties qui leur correspondent, et qui sont diversement disposées par rap- port au dé carré qui porte le chapiteau. Cette irrégularité apparente provient du nombre impair des palmes; circonstance qui n'existe que dans le monument de Qäou: elle fait que les chapiteaux présentent par-devant une feuille vue de face, et par derrière, à l'extrémité opposée du diamètre , une arête formée par les plans de deux autres feuilles (2). Au reste, la coupe des faces, des arêtes et des courbes du chapiteau , est d’une exécution pure, qui ne laïsse rien à desirer. Une autre particularité de ces chapiteaux, est que les côtes seules des palmes sont indiquées; les folioles ne le sont pas. Le fût est divisé par des cercles horizontaux ornés d’hiéroglyphes, et chacune des bandes intermédiaires est partagée par des lignes verticales qui séparent autant de tableaux. Il y a ainsi sur chaque colonne douze compartimens, occupés chacun par une oflrande, un sacrifice, ou une autre scène sculptée en relief. Le dieu est (1) Le fragment dont je parle est à [a Bibliothèque du porte aussi trois figures en bois, debout, devant l’ouver- Roi. La niche au-dedans n’a que sept pouces environ de ture de la niche. | hauteur : ce petit tabernacle pose sur un socle, qui sup- (2) Voyez la planche 4r, fig. 4 ets, A. vol. IV. « D'ANTÆOPOLIS. CHAP, XII. | 13 assis ; le prêtre a les bras élevés, et tient dans ses mains une offrande qui est ré- pétée sur l'autel. Toutes ces sculptures sont exécutées avec délicatesse. Au-dessous du chapiteau, le fût est décoré par cinq liens et par-des serpens de la forme et de l'attitude ordinaires de l’xbœus ; les serpens sont l'un sur l’autre , comme entrelacés, couronnés d’un disque, et ïls forment par leur réunion un ornement agréable. Entre les serpens, et du côté extérieur, il y a un autre ornement de forme arrondie, qui est aussi d’un genre particulier, et qui semble être un appendice des liens. Au-dessus est une grande colonne verticale d’hiéroglyphes, qui descend jus- qu'au bas. Toutes les lignes qui composent ces ornemens, sont travaillées avec beau- coup de pureté , et répondent au soin qui a présidé à toute la construction. Le massif de la porte principale est décoré de tableaux intéressans : on voit un sphinx sur un autel, tenant un vase couronné de la tête d’épervier, et qui est dans l’action d'offrir ce vase à Osiris, portant la même tête; une figure de héros qui s’agenouille avec beaucoup de mouvement devant la même figure d'Osiris, et Isis derrière lui; et, derrière le personnage, le signe de la divinité, la croix à anse répétée quatre fois : c'est une répétition que je n'ai jamais rencontrée que dans ce seul endroit. La ceinture et le casque de cette figure ne permettent point de douter qu'il ne . s'agisse d'un héros. | C’est à la partie inférieure de toutes les colonnes qu'est le sujet le plus curieux; c'est une image d'oiseau symbolique posée sur une coupe, précédée d’une étoile , et tout-à-fait semblable aux figures qu'on voit sur les colonnes de Philæ et d’Apo/i- nopolis magna. Dans un mémoire sur cette dernière ville, j'ai donné le nom de phénix à cet oiseau mystérieux qui a des aïles, le bec d’un aïgle et une huppe sur Ja tête, et j'ai exposé les motifs qui viennent à l'appui de mon opinion {1}: jeme bor- neraï donc à renvoyer à ces recherches, et à ajouter que peut-être ici, comme à Edfoû, le symbole du phénix annonce que le monument a été fondé en mémoire et à l'époque du renouvellement de la période sothique. La coupe sur laquelle est ici la figure du phénix, semble sortir du milieu des lotus, qui eux-mêmes sortent des feuilles entrelacées, comme dans les monumens que j'ai cités tout-à-l'heure. Quant à la base sur laquelle les colonnes reposent, elle est cylindrique et sans aucun ornement. | Le portique étoit couronné par un entablement qui ne subsiste plus qu’en partie; la frise, avec son cordon, a 1,79 de hauteur, c'est-à-dire, est de la même hauteur que la corniche , et presque égale au diamètre du chapiteau. La frise étoit décorée de deux bandes horizontales d’hiéroglyphes, et, au milieu, d’un globe ailé. La corniche formoit une gorge saïllante et d’un effet très-agréable à l'œil : le milieu renfermoit un vaste globe ailé , et le reste étoit orné de cannelures et de légendes hiéroglyphiques. | | Le plafond du portique subsiste-encore en partie : on y voit des hiéroglyphes sculptés. Je terminerai ici la description succincte des ornemens du temple d'Antæopolis, en ajoutant que l’ornement Égyptien qui occupoit le milieu de la frise du frontis- (1) Voyez la planche ar, fig. 7, et la planclie 38, fig. 9, et consultez la Description d'Edfoû, À. D. ch. V, pag. 29. » I À DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS pice, n'existe plus : on l’a supprimé pour y graver des caractères Grecs. C’est cette ‘inscription Grecque, d’un genre fort curieux, et sous le rapport de sa composition, et sous le rapport plus important de l'histoire des monumens de l'Égypte, qui va faire l’objet du paragraphe suivant : mais auparavant je ferai remarquer les rapports simples qui existent entre les principales dimensions de cet édifice. Si l'on divise en dix parties la hauteur de la colonne, y compris la base et le dé, on trouve que l’entablement renferme....,,...:... .. 3 de ces parties; lesdiémeie: RER NE EE es) la hauteur de la porte principale... ... 6, lÉMCHIDIREARMART ETES lÉCONMICHENERR EEE RÉ ER AMÈTIE l'architrave, avec le cordon.......... 1 —, la hauteur des assises... ..-.: PR H ES JL, latbanteunmomlertesr ere TN Or cette dixième partie de la colonne est précisément le module ou demi- diamètre inférieur. | | La façade, restaurée d’après les règles ordinaires, avoit quarante de ces modules ; c'est-à-dire, le triple de la hauteur, où enfin cent coudées: la hauteur de la colonne avoit vingt-cinq coudées ; celle du chapiteau, cinq; celle de la porte, quinze; et le diamètre de la colonne, cinq. { Voyez mon Mémoire sur le système métrique des anciens Égyptiens, chap. 1.) Je rappelleraï aussi, en peu de mots, les caractères de singularité que présente le temple d'Antæopolis : le premier consiste dans ce monolithe, qui, dans ses dimensions et dans la forme de son pyramidion, retrace tout-à-fait la figure d'un obélisque ; le second, c’est le nombre impair des feuilles de dattier qui ornent le chapiteau des colonnes; le troisième est dans les entre-colonnemens de la façade, garnis de portes comme celui du milieu, qui ordinairement est le seul ouvert. re | Deux peuples célèbres ont gravé des inscriptions sur ce temple. Is ont mis à honneur d'apprendre à la postérité qu'ils en avoient réparé quelque partie ; et au- jourd’hui, après tant de siècles, les hiéroglyphes, les sculptures, et toutes les inscriptions en langue sacrée, sont encore conservés et intacts, tandis que les lettres Grecques et Romaïnes, gravées après coup, sont presque üllisibles et éparses sur des débris. $. V. Inscription Grecque tracée sur la Frise. du Temple. Avorr aperçu les restes de la sculpture Égyptienne encore subsistans parmi les lettres Grecques de l'inscription que les Prolémées et les empereurs ont fait graver sur la frise d’Antæopolis, est une circonstance heureuse, une sorte de découverte utile pour assigner l'antiquité relative des monumens bâtis en Égypte : aussi vais-je D'ANTÆOPOLIS. CHAP. XII. | 15 ; de m attacher à consigner ici soigneusement tous les détails de cette observation, que J'ai déjà exposée dans un Mémoire sur les inscriptions antiques {r). Si l'or- nement Égyptien a disparü sous l'inscription, celle-ci, à son tour, est, pour ainsi dire, détruite, puisqu'elle est divisée en six fragmens, qu’il n’en reste que deux en place, et qu'on en trouve avec peine troïs autres à terre. Cependant, si l’on se sert des dimensions données par les mesures de la frise pour rapprocher tous ces fragmens, copiés et mis à une même échelle entre des limites données, on parvient à restaurer et à lire l'inscription, et à acquérir la preuve qu'elle a été subs- “ituée à un symbole de la religion Égyptienne. Ainsi ont été trompés dans leur dessein ceux qui ont voulu dépouiller les Égyptiens de la gloire d’avoir érigé le beau temple d'Antæopolis, si toutefois telle a été leur intention, en y écrivant en cffet une inscription Grecque à l'honneur des modernes souverains. Le monument d'Antæopolis n'est pas le seul où les Grecs et les Romains ont gravé des inscriptions: maïs il est l'unique où l’on ait employé à cet effet la frise, et, par conséquent, où l’on ait osé enlever les caractères hiéroglyphiques ; ce qui est déjà une circonstance propre à démontrer que l'inscription est du temps des Romains, et non des rois Grecs, protecteurs, comme on le sait, de la religion Égyp- tienne. Par-tout ailleurs les inscriptions du temps des Lagides, et même des empe- reurs Romains, sont tracées sur le listel des corniches, qui présentoient en eflet un espace uni et lisse, le seul de ce genre qu'admette l'architecture Égyptienne: mais cet espace est nécessairement très-étroit; il ne peut recevoir que deux ou trois lignes d'écriture. Si l’on avoit à inscrire quelque texte un peu long, il falloit donc prendre un autre parti; savoir, celui d'enlever les inscriptions hiérogly- phiques elles-mêmes. La frise d'Antæopolis présentoit une circonstance favorable à ce dessein. Tandis que, dans la plupart des temples, la frise est ornée, d’un bout à l’autre, par des hiéroglyphes profondément gravés en creux, ici elle renfermoit au mi- lieu, ainsi que la frise d'Apollinopolis magna, un Vaste globe ailé, taïllé en relief, correspondant à celui de la corniche, et finissant, comme lui, aux deux colonnes du milieu : sa longueur étoit.de plus de six mètres; et sa hauteur, d’un mètre et demi environ. | C'est ce globe que l'on a gratté ; maïs quelques-unes des pennes dé droite ont laissé des traces que les profanateurs ont oublié d'effacer, et ces traits nous ont fait découvrir la supércherie, après un examen attentif. J'en ai fait d'abord l’observa- tion, et je l'ai consignée dans mon journal de voyage ; trois de mes collègues l'ont également notée , et d’autres témoins encore ont observé le fait comme moi. Il eût été plus difficile d'exécuter ce dessein, si toute la frise eût été sculptée en hiéroglyphes. En effet, il eût fallu alors abattre la pierre de plusieurs pouces de profondeur, et graver ensuite l'inscription sur ce plan reculé; mais le ton de la pierre, changé dans un espace plus étendu, et le renfoncement sur-tout, auroïent toujours décelé cette fraude. Aujourd'hui la plus grande partie de lentablement est renversée.. Trois des & ’ (1) Woyez le Mémoire sur les inscriptions anciennes recueillies en Égypte, 1.* partie, 16 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS colonnes étant tombées, les architraves se sont écroulées avec leurs supports. Les assises qui reposoïent sur les deux colonnes du milieu, se sont brisées, et l'ins- cription Grecque, aussi-bien que le globe ailé de la corniche supérieure, se trouvent aujourd'hui divisés en plusieurs fragmens. Au-dessus de celle de gauche (en regardant le portique), on voit encore en place un morceau de la frise, et l'on y distingue les quatre lignes suivantes, dont les caractères ont deux décimètres de haut (bloc n° 2) : ZIITOAEMA IAIZZAKRA AONANTAIOQ 22 EP ET O Ces fragmens étoient précédés de sept lettres, comme on peut juger par le côté droit et le point où commençoit nécessairement l'inscription. À 5",70 de là, on trouve en place un autre morceau de la frise, qui répond au-dessus, et l'on distingue les lettres qui suivent (bloc n° 5 ): EYXAIIZTON MHTOPEY OIANTONINOZ NIO Voilà tout ce qui reste en place. Au-dessus de ces fragmens d’architrave, il y a aussi des fragmens de la corniche. J'aï trouvé à terre deux grandes pierres portant des caractères Grecs et placées dans l’entre-colonnement du milieu, c’est-à-dire, au-dessous des parties correspon- dantes de l’entablement ; maïs l’une d'elles paroîït brisée en deux fragmens. Un seul est visible, et lon n'y aperçoit que les lettres du bas : les lignes qu'on y voit écrites, font suite évidemment les unes aux autres et à celles que j'ai rapportées. Ces pierres sont dans diverses positions, ou droites, ou retournées, et les inscrip- tions sont plus ou moins difficiles à lire. | Voici les caractères qu'on trouve sur le premier bloc (n Me ete AIIOIZ>1NNAC ENEQZANT Sur le deuxième { n.° 5 ): DHATPASO@EONETISANONK: AEQYAAEAGHOEOISIA KIMPOF SEE" APE" AA: O::'E::::- En mettant ces deux fragmens entre les deux qui sont encore en place, et sup- pléant à ce qui manque au n.° 3, l’espace se trouve rempli, et il ne reste plus à retrouver que le commencement de l'inscription, consistant en sept lettres à chaque ligne, aïnsi que je l'ai dit. Avec ces sept lettres, le commencement tombera à l’aplomb du dé de la colonne de gauche, comme la fin tombe sur le dé de celle de droïte, et tout sera parfaitement symétrique. Avant D'ANTÆOPOLIS. CHAP. XII. 17 Avant d'examiner et de restituer cette inscription, je rapporterai encore quel- ques autres circonstances relatives au fait matériel du travail qu'il a fallu faire pour la tracer ; si elles paroïssoïent trop détaillées, que l’on réfléchisse aux conséquences qui peuvent se déduire de pareils faits, et l’on reconnoîtra l'importance des plus minutieux détails. . Une chose bien constatée par tous nos collègues, c'est que le plan où est gravée l'inscription, est le même que celui du reste de la frise. Aïnsi les hiéro- glyphes contigus aux dernières lettres de l'inscription { bloc n.° $ }, et ces lettres elles-mêmes, sont creusés sur une seule et même surface plane. M. Fourier a écrit dans son journal de voyage, journal dont il faisoit jour par jour la lecture à ses collègues, que Les Lettres sont tracées sur un plan qui n'est point au- dessous de celut des hiéroglyphes contigus ; d'où il conclut que l'inscription a été substi- tuée aux hiéroglyphes qui s'y trouvoient d'abord, et qui, de part et d'autre, l'ac- compagnent encore. | M. Jollois, dans son journal, a noté que l'inscription a été substituée à un globe qui décoroit la frise. | Dans mon propre journal de voyage, où j'ai inséré une description de l’édi- fice, que j'avois observé et mesuré dans le plus grand détail avec M. Chabrol, j'ai consigné les expressions suivantes : « Sur la frise de la façade, où il y avoit » probablement jadis #n Bas-relief Égyptien , comme le globe aïlé, on voit les » restes d’une inscription Grecque, qui aura été gravée sur la frise dépouillée de » son bas-relief; car elle est sur le même plan que celui où sont sculptés les » hiéroglyphes voisins. » ê | M. Corabœuf a reconnu sur les lieux, qu'il y avoit, à la droite, des vestiges de caractères Égyptiens, montrant avec évidence que l'inscription avoit été mise après coup, C'est-à-dire, qu'on les avoit grattés pour graver les caractères Grecs. Enfin M. Ripault a constaté le même fait. Si le milieu de la frise eût renfermé des hiéroglyphes en creux, comme ceux qui sont à droite et à gauche, on n'eût pu graver d'inscription, si ce n'est à un plan inférieur : donc c'étoit un 4as-rekef, un globe aïlé, qui occupoit cet emplacement. Une autre preuve que cet ornement Égyptien , qui a été enlevé, étoit d’une autre nature que les hiéroglyphes de la4frise, c'est que ceux-ci, à l’endroit où ils touchent aux lettres Grecques, forment précisément une finale très-commune dans les inscriptions hiéroglyphiques (r). Un des voyageurs a cru remarquer que les mêmes caractères n’étoient pas tous absolument semblables, d’un bout à l’autre de l'inscription. Je n'ai point fait cette remarque, bien qu'elle n'eût pas dû m'échapper quand je les aï copiés en grand, avec tout le soin possible : non-seulement les lettres sont de même hauteur, maïs les lettres telles que l'O, le =, &c. sont de la même forme dans les quatre lignes, excepté le IT, qui varie dans la première ligne. A la vérité, elle renferme des noms de princes très-différens, dans les premières et dans les dernières lignes; maïs on ne concevroit pas comment les premiers, pouvant disposer de toute la hauteur de la (1) Voyez mon Tableau des hiéroglyphes, À, vol. V, et les Observations sur la Jangue hiéroglyphique. À. D. C 18. DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS frise, n’auroient écrit que sur trois lignes, au lieu de quatre, laïssant ainsi un vide très-apparent et choquant. Ce qui est infmiment probable, éest que le fait con- signé dans les deux premières lignes et la moitié de la suivante, et qui date des Prolémées, étoit connu des auteurs de l'inscription, à l'époque où ceux-ci la firent exécuter, et qu'ils ont cru devoir le rappeler en tête de certe même inscription. Cette idée prend un caractère de certitude, si lon songe que, sous les rois La- gides, on n'auroit point osé effacer les symboles Égyptiens ; ce n'est que sous le sixième de ces rois que l'on commença à faire inscrire leurs noms sur les listels des corniches (1): maïs cette espèce de sacrilége n’étoit plus d’aucune importance sous les empereurs. On demandera pourquoi les Romains, qui ont gravé l'inscription , ont rappelé une époque des Ptolémées : c'est que le fait dont il s’agit étoit peut-être gravé sur le listel de la corniche du temple lurmême; l'inscription ayant fini par s'effacer par le laps des temps (2), ou bien la corniche s'étant déjà écroulée , les Romains auront refait l'inscription sur un endroit plus apparent. Ce qu'il y a de certain, c'est que le listel offre un espace qui convient très-bien à l'étendue des deux pre- mières lignes et demie, en les inscrivant sur deux lignes, comme à Qous et à Ombos. Nous n'avons point aperçu de vestiges de cette ancienne inscription : mais aussi nous ne les avons point cherchés; et ils n’auroïent d’ailleurs pas été faciles à découvrir, toute cette partie de la corniche ayant disparu sous les décombres. Ce seroïit ici le lieu de discuter toutes les parties de l'inscription d’Antæopolis pour restaurer les lettres mal conservées et combler les lacunes ; maïs je crois devoir renvoyer toute cette discussion, au mémoire dont j'ai parlé, et je me borne à en donner ici la restitution la plus probable. Par la première partie, on apprend que Prolémée Philometor, et Cléopatre, sa femme, ont consacré le por- tique à Antée et aux dieux adorés dans le même temple; par la seconde, que les empereurs Antonin et Verus ont réparé l'entrée (ou peut-être la toiture), en l’hon- neur du dieu Pan, l'an 1v de leur règne. BAZSIAEYSITOAEMAIOEFTOAEMAIOYKAIKAEOTMATPASOEQNENID ANONKAIETX APISTON KAIBASIAIS AKAEOIIATPAITOAEMAIOYBAZSIAEQZSAAEADHOEOIDIAOMHTOPES TOHPOIIYAONANTAINKAITOISETNNAOIS@EOISAYTOKPATOPESK AISAPES AYPHAIOIANTONINOS KAIOYHPOZZEBAZTOIANENENSANTEHNTOYNEOYOYPIAAETOYSTETAPTOY.......IIANIOEQI (3) TRADUCTION LATINE. Rex Ptolemæus, Ptolemæi et Cleopatræ, deorum epiphanôn et gratiosorum (filius), Et regina Cleopatra, Ptolemæi regis soror, dei philometores , Propylon Antæo et una honoratis diis. Imperatores Cesares Aurelii, Antoninus Et Verus, Augusti, restauraverunt templi limen (aut tectum et limen) anno 1... Pani deo. (1) Voyez mon Mémoire sur les inscriptions anciennes. (3) Ou bien, ANENEQSANTHNSTETHNKAITHN (2) Pendant environ trois cent trente années. OTPIAA &c. : D'ANTÆOPOLIS. CHAP, XII. #4 Ù S. VI Conjectures sur l'origine de la Ville et du Nom d’Antæopolis. Diopore est le seul auteur qui puisse nous mettre sur la voie, pour découvrir l'origine du temple que renfermoit l’ancienne ville d’Antæopolis. Si lon ne con- sulte que la fable commune d’Antée et d'Hercule, on ne voit en aucune façon comment les Égyptiens auroient élevé un temple en l'honneur d’un personnage réputé d'invention Grecque, et qui appartenoïit, disoit-on, à un pays très-éloigné de l'Égypte : cependant ce lieu s’appeloit, sans aucun doute, vide d'Antée, selon Plutarque , Ars mais. C'étoit le ourg d'Antée, Avraiou nur, situé du côté de l'Arabie, selon Diodore. Enfin le mot ANTAIO, gravé aujourd’hui sur le portique, ne laïsse aucune incertitude sur cette dénomination. Typhon, dit Diodore, homme cruel et impie, avoit égorgé son frère Osiris, qui régnoit avec sagesse, et il avoit divisé son corps en plusieurs fragmens : fsis, aidée du secours d'Horus, voulut venger son époux; elle attaqua Typhon, et c’est dans ce lieu que se fivra le combat où il périt avec tous ses partisans. L'auteur ajoute que l'endroit tire son nom d’Antée, qu'Hercule avoit tué du temps d'Osiris (1). Or, à l'époque où il quitta l'Égypte pour faire le tour du monde connu, Osiris avoit partagé entre des ministres le soïn de gouverner le pays : il avoit confié à ce même Antée l'administration de la Libye et de Éthiopie; à Busiris, la païtie maritime et celle qui touche à Ja Phénicie ; et à Hercule, le gouvernement général de tout l'empire (2). | Enfin Diodore, racontant ailleurs les travaux d'Hercule, dit qu'après avoir purgé l'ile de Crète des monstres qui linfestoient, il passa en Libye, où il défit Antée dans un combat singulier. Cet Antée, célèbre par sa force et son habileté dans la lutte, avoit coutume de défier et de combattre les étrangers, et de les mettre à mort. C'est après la mort d'Antée qu'Hercule revint en Egypte , Où il donna la mort à Busiris, qui plongeoït aussi ses maïns dans le sang de ses hôtes ; après quoi il bâtit Zz ville aux cent portes (3). (1) Dao ÿ radquuc PRamnevome mie Aime nv "Omer Lao Tugüros drapeSnrey mé ading®, Pics à darbods one. ‘Or denorre mn cu T% qoreu%rme cis €E à Exom jAépn, doüve F ouvemIeuéror ékdso peeidu, Bunoueror rave jumegir T güoous, xd) did nüm voad(ovmæ ovvaywrisc ÉEei à Quaaxas Ts Banncias BeCaiss. Tiy dE "Ier ddkaqiy cûcas "Ocieudoe à pralte, MeTEASIY ny Qôror, ovvaywvi(quérs mÙ maid)s aÿTe ‘Oegv. ‘AvenSouy dE ny Tugara ka) ès auaegEavmes, Lannedcy me Aiywmou. Ten dé mir ay maet nv molauor, mAnoior Tic uv ‘Avrais nounc Kanouuérms" ty xé1c0cy per Népouar à ml #9 mr 'AexGiar Mépd, nv @esstppeia À Éyv SD TR MAaGtVme Up” Hegunéve ‘AyTais, 7 HAT Th 'Oexdos Hkmiay Jeyousvs. Osirim enim , justè régnantem in Ægypto, à Typhone fratre, homine violento et impio , trucidatum esse memorant, 1; dilancinato interfécti corpore in X XVI frusta, cuique facinoris socio unum tribuit, ut omnes ita piaculo innecteret, sibique in regni defensione et custodia firmos haberet adju- tores. At Isis, soror et conjux Osiridis, auxiliante filio Horo, A, D; vindictam cædis persequens supplicio de Typhone compli- cibusque sumpto, regnum Ægypti capessit. Pusnam ad flu vium commissam esse prope vicum dicunt, qui Antæi nunc nomen habet, et situs est in parte quadam Arabie, Dictus ab Antæo, quem Hercules Osiridis ætaie supplicio affecit, (Diod. Sic. Bibl, hist. lib. 1, pag. 24, edit. Wessel. Amst, 1746.) (2) Kaj pamsr juér ému runs À Üÿ ain yweuc “Hegwéa, pére me ose à Juvualouevoy ÊT” aydpeiæ me à cmuanc pour. Emuennms dè mia F jy es Dovixny MEIUAVOY apor À T Ém Sardfn nrur Béapi, Tor db ar my AiSioriay à AlGÜn ‘AyTæior. Împeratorem vero toti suæ ditioni reliquit Herculèm, genere propinquum , cunctisque, ob fortitudinem et corporis robur, suspiciendum. At tractibus qui ad Phæniciam in- clinant et locis maritimis Busirim, Æthiopiæ et Libyæ Antœum, curatores dedit, (Ibid. lib. 1, pag. 20.) (3) Monodqueros y à en GÜme NET, xariper els ur AuËy, à ny U Ateior, m1 puy ous à Tuhaicpas Uma C2 20 DESCRIPTION DÉS ANTIQUITÉS Ll Aïnsi le royaume de cet Antée n'étoit pas en Égypte, mais en Libye; ét sa mort est antérieure à celle d'Osiris, comme à la défaite de Typhon: enfin le lieu dont il s’agit étoit déjà connu par le nom d’Antée, avant de servir de théâtre au combat où Typhon périt. Mais, se demande-t-on , d’où vient qu'un roi de Libye donna son nom à une ville d'Égypte, et qu'un étranger put obtenir d’un tyran Îles honneurs d'un temple! Comment CEpier ces bizarreries par la mytho- logie Égyptienne ! Nous avouons qu'il paroît impossible de concilier toutes ces choses, autrement qu’ en supposant une méprise de la part des Grecs. L'ancien, e vrai nom du lieu avoit peut-être, comme le pense Jablonski , de l'analogie avec celui d'Antée (1) : autre motif que cette ressemblance et la célébrité du rival d'Hercule: cette confu- sion étoit moins extraordinaire, à cause du rapport qu'avoit Antée avec Osiris et Hercule, dieux de l'Égypte. Nous avons vu dans tous les temps les étrangers défi- BU les noms d’un pays, en les rapportant à ceux qui, dans leur propre RAÇUES s'en rapprochent le plus. D'un autre côté, Antæopolis, considérée comme siége du combat'‘entre Isis et Typhon, présente une question curieuse et qui n’est pas indigne d’examen : l'on en ce cas, ils en ont fait 4 bourg d'Antée, Avrælou xoôun, sans conçoit que cette aventure mythologique a pu donner une grande célébrité à ce lieu, et que si l'on ÿ érigea un temple magnifique, ce fut à cause de l'antique tradition. Nous essaierons de l’interpréter, bien entendu sans donner cette expli- cation pour être plus vraisemblable qu'elle ne l’est en effet. D'après les notions que l’on a des symboles Égyptiens, il me semble que l'entre- prise dé Typhon signifie quelque grande irruption des sables, qui, venant à coïn- cider avec une crue très-médiocre, s’avancèrent dans ce lieu même, jusqu'au bord du fleuve (Osiris), pénétrèrent jusque dans son lit et le divisèrent en une multitude de parties. Quelques années après, un grand débordement récouvrit les sables sous une épaisse couche de limon et de terre végétale, où reparurent ensuite de fertiles rzoissons (symboles d’Isis. et d'Horus). Pour prévenir de pareils malheurs et entretenir la fertilité du sol, on creusa un large canal (qui aujourd'hui est le lit même du fleuve); et la ville, quoique éloignée, reçut le bienfait des eaux. Celles-ci amenèrent avec elles les crocodiles. On sait que cette espèce d'animal étoit un symbole de l’eau potable [rorimor Ud\op |, suivant Eusèbe (2). Or Plutarque nous fait entendre que le crocodile étoit en d'aGéGomuéror, x mèe Üa” aûmv walaranaiSivmes Eévouc dMTENAUTL, ŒEKANERUAIOS Eic MayHV, à cuuraauelo d\é- peiper. . . Méra dè ny 'Avmiou Scévamy mape\vv cie Aïyvmlor, dveine Béuerw nv Pannéa, Eévoxndvla mus rapemduorlas. Au£icv dE my drvdpor À AiGne, à meer quipa aTOppÜTE ka xapmpipo , moy Exnae Suuuacir ma jeyé Ses, miv cvoualo- pv ‘Examumunor: À Jen À mpornyoéian Sd T PANTOUS TV tr” air mad Jéuuve dù n GuUme me mAewc eudkuuovia MÉVEL TV VEwTEpor xp. Inde cum solvisset, ad Libyam appulit. Hic primo Antæum, robore corporis et luctandi peritiä famosum , qui advenas palæsträ victos interimebat, ad certamen provoca- ur, Consert& manu, occidit..... Post Antæi cædem in Ægyptum digressus, Busiridi tyranno necem intulit : qui hospitum ed delatorum sanguine manus polluebat. Dumque arida Libyæ transit , solum offendit riguum et fèrtile : in quo eximiæ magnitudinis urbem condit, à portdrum numero Hecatompylon, idest, centum portarum , nomninaram ; cujus fèlicitas ad cireriores etiam ætates perduravir, ( Diod: Sic. Bibl! hist.Mib.1V, pag. 263.) (1) Ce n’est pas que j’adopte l’étymologie de ce savant ; qui confond deux villes et deux préfectures aussi diffé rentes que celles d’Antæopolis et de Panopolis. Toutefois le nom d'Oubeyme (OFRB-ENTTHX), prétre d'Enrès, qu'Eusèbe cite d’après Manéthon (in Syncello )} comme Fe. d’un roi Égyptien, paroîtroit annoncer l'existence d’un dieu Antès, comme le suppose Jablonski. (2) Præpar, evange, Gb, 111, cap. XI. D'ANTÆOPOLIS. CHAP, XII. | 2I honneur dans la ville d’Antée (1). Parà, Antæopolis se range dans la classe d'Arsinoé, d'Ombos.et des villes du nom de Crocodilopols (2), et sa position méditerranée est parfaitement d'accord avec cette explication. Pour justifier cette idée par la nature du terrain qui fut la scène de cette pré- tendue lutte où Typhon périt, Je dois dire que Qâou est situé au-devant d’une gorge longue et profonde du Moqattam ou chaîne Arabique; les sables du désert, apportés dans cette gorge paï des vents impétueux, doivent s'y engoufirer, former des tourbillons terribles et de véritables trombes, phénomène qui n’est pas rare dans le pays qui sépare le Nil de la mer Rouge. Donnez à ces vents gi s de sables le nom de Typhon, au Nil celui d'Osris, à la terre fertile celui d'Asis, à ses RARE celui d'Æorus, et vous reproduirez la fable Égyptienne. Je n'ignore pas que l'en cite plus d’un lieu pour avoir été le théâtre de la dé- faite de Typhon; il en est de même de l'endroit où l’on croyoit qu'Osiris avoit perdu la vie : mais ces traditions diverses ne font qu'appuyer le sens que je sup- pose à ces anciens mythes. En effet, de pareils phénomènes ont dû se repro- duire dans,toutes les localités semblables. Osiris mort à Memphis ou à Abydus me paroît peindre la retraite du Nil, qui couloit auparavant au pied de la chaîne Libyque, et que les sables ont contribué à repousser ; et si Typhon, vaincu par Isis et Horus, et tué à son tour, soit au lac Sirbon, soit à Antæopolis, soit ailleurs, est un symbole, qu'est-ce autre chose qu’un débordement extraordinaire sur des terres sablonneuses, et le triomphe de la culture sur l’aridité du désert! Bien que je n’aie donné aucune explication du nom d’Antée ou d'un nom analogue que le lieu portoit peut-être dans les temps reculés (3); bien que la fable Grecque semble, au io COUP - d'œil, n'avoir rien de commun avec la fable Égyptienne, sur-tout à cause du siége d'Antée aux confins de la Libye, cependant il y a, dans la première, des traits que les Grecs paroïssent avoir empruntés à Ja seconde, Selon les poëtes, « Antée étoit un géant fils de Neptune et de la Terre.» Antée peut avoir été une image des sables de la Libye confinant à l'Égypte, comme Typhon l'étoit de ceux de l'Arabie. Je conçoiïs la double origine des sables Libyques, comme étant formés par les rochers calcaires tendres, que la mer baigne et use incessamment, jusqu'à ce qu'ils se transforment en gravier et en poussière, et que le vent de nord-ouest, venant à s’en emparer, les transporte dans l'intérieur des terres (4). (1) Voici le passagede Plutarque : “Eraher dé Diaivoc 0 Benne dl NH TETAQMLEVOG CV Aiyño rap var, dinyin, peaùv id é 'Arræiou méra xponodtino av'yxaSeudourey En cujumdbe para Woo mapexre louée. ANuper optimus Philinus, cüm in Æo gypto vagatus ad nos rediisset, narravit, se, in urbe quæ ab Antæo nomen habet, vidisse vetulam cum crocodilo dormientem, juxta eam in grabato mollissimo decore porrecto. (Plutarch. de Solert, animal. tom. X, pag. 63, édition de Reïske, Lipsiw, 1778.) Je ne doute pas que ce Philinus n'ait voulu parler d’un bas-relief représentant le crocodile couché sur un autel, à peu près comme celui du portique d’Esné (voyez À. vol. Z, pl 82, fig, 2, etpl. 97, fig. 2), et que Plutarque n’ait pris ou voulu faire prendre une scène sculptée sur le temple d’Antée pour une anecdote récente. (2) Voyez la Description d'Ombos, chap. IV, pag. 9 (3) Voyez pag: 2, note 4. On pourroit chercher quelque similitude entre la signification du mot Qobte TtuO% ou NEO , les montagnes, etlenom d’Anteu, appliqué aux montagnes de Libye. . (4) Qu'on me permette ici de rendre compte de ce que j'ai observé maintes fois en Égypte sur le bord de la mer. J’avois coutume d’alier sur la côte, près de embouchure de Rosette, à Alexandrie, &c. pour ramasser des cailloux et des fragmens de porphyre, de granit et de marbres _ précieux roulés par les flots. La forme de ces débris et de ceux des rochers, plus ou moins gros et anguleux à 22 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS L'expression de géant convient d'autant mieux à Antée, que les dunes sablon- meuses et mobiles qui parcourent le désert, sont souvent gigantesques, s'élèvent et s'abaissent, et forment subitement des montagnes, qui, se + au gré des “vents, vont porter par-tout la stérilité et la mort. < Antée tuoit les voyageurs dans le désert, et il avoit fait vœu de bâtir un » ar à son père avec des ossemens humains. » On sait assez à quels fléaux sont exposés ceux qui traversent les déserts de la Libye, et combien de victimes ont dû périr, avant l'usage des caravanes, dans ces périlleux voyages aussi meur- triers que la peste et les combats. « Hercule combattit ce géant et le terrassa plusieurs fois : mais la Terre, sa » mère, lui rendoit des forces nouvelles; il fallut que le-héros soulevät son ennemi » en fair, et le fit périr en l’étouffant (1). » Hercule, dit Macrobe, est le symbole du soleil : Sed nec Hercules vel ex nomine clarct. Verim sacratissimä et augustissimä Ægypli eum relgione veneran- à substantia sols alenus est ; et reverà Herculem solem esse, tur ; ultraque memoriam , quæ apud illos retro longissima est, ut carentem tnitio colunt. Zpse creditur et gigantes interemisse (2). Le dieu, selon Macrobe (3), étoit l'image de la force de cet astre. Nous ne voyons pas quelle influence pouvoit exercer le soleil contre la marche progressive des sables; maïs considérons qu'Osiris étoit toujours le symbole commun du soleil et du Nil. Or nous avons vu que l’'Hercule ancien ou Égyptien étoit un des nistres d'Osiris : par ce mot, je comprends les branches et les dérivations du fleuve, qui par-tout font sentir son influence et par- venir ses bienfaits ; et je m'appuie sur ce passage de Cicéron qui, parlant de l'Her- cule Égyptien, l'appelle Mio genitus (4). mesure que je m'éloignois du rivage et que j’entrois dans: Jes eaux, attiroit chaque fois mon attention, et souvent je restois une heure entière à considérer, dans son origine et dans sa marche, le phénomène de la formation des sables. Sans doute, sur cette rive d’exil où je me voyois captif, mon imagination ne s’arrêtoit pas à une contemplation monotone ; et l'aspect de la mer, celui des vaisseaux que je voyois au loin la sillonner librement, me reportoient sans cesse vers l’idée de la patrie, dont je me croyoïs sé- paré pour toujours : mais cette idée m’attachoit encore plus au spectacle du rivage; il m’a tellement frappé, que peu d'images me sont demeurées plus présentes. Je voyois la vague se briser à mes pieds et apporter une petite ligne à peine sensible d’un sable très-fin; une autre vague re- venoit chargée comme la précédente, et cette nouvelle ligne de sable repoussoit un peu la première, Celle-ci, une foïs hors de l’atteinte de l’eau, frappée par un soleilardent, étoit bientôt séchée et donnoit prise au vent, qui aussitôt -s’en emparoîit et la charioit dans l'air. Les parties de gra- vier, moins légères, n’arrivoient pas aussi loïns; mais, sou- mises au même mouvement alternatif, elles s’usoient de plus en plus et se transformoïent peu à peu en sable fin, tandis que les cailloux roulés, et ensuite les fragmens an- guleux et de toute forme, étoient portés par Ja vague jusqu’à une distance plus ou moins grande, en raison inverse de leur pesanteur. J’avois souventcherché la cause de cette énorme quantité de sables qui pénètre dans le Delta et qui va en croissant : en effet, le Delta n’a aucune communication avec la Libye ni l'Arabie, dont le Nil le sépare ; les sables ne peuvent pas traverser ses larges branches. En étudiant le phénomène que je viens de dé- crire, je reconnus que telle est l’origine des sables du Delta, c’est-à-dire’ que la mer, et la terre qu’elle baigne, contribuent à les former, de la même. manière que les sables eux-mêmes de la Libye. (1) Apollodor. Bibl, lib. 11, Hygin. xxx1, &c. (2) Saturn. lib. 1, pag. 244. (3) Macrobe fait dériver Æeraclès de fex et xaéog, c’est à-dire, gloire de l'air, Sans traduire ce mot comme lui par solis illuminatio, on peut remarquer que, dans sa lutte avec Antée, c’est au milieu de l'air qu'Hercule signale sa force. Ce pouvoir qu'Hercule exerce sur l'air, semble avoir aussi un emblème dans la salutaire influence de la crue du Nil pour purger l'atmosphère des exhalaisons pernicieuses. (4) Cic. de Nat. Deor. lib. 111. Osiris étoit le double symbole du soleil et du Nil: mais il avoit beaucoup de formes et d’attributs pour les Ég gyptiens, et les Grecs en ont encore augmenté le nombre. Jablonski s’est attaché à les définir. Les influences diverses d’Osiris-soleil avoient aussi leurs formes comme celles d’Osiris-fleuve. Hercule étoit, selon moï,une de ces formes consacrées, etles rami- fications du Nil en étoient le signe sensible‘et réel. Quand on raconte qu'Hercule fit rentrer le Nildans son lit(Diod. Bibl, hist, lib. 1), il faut entendre qu’une partie de l'Égypte ayantétésubmergée parun débordementexcessif,on creusa des canaux, qui délivrérent le pays des eaux surabondantes, D'ANTÆOPOLIS. CHAP. XII. 2 3 Lorsque les Égyptiens s'aperçurent de l'empiétement des sablès sur la vallée du Nil, sans doute ils essayèrent différens moyens pour s'en débarrasser. I y en avoit bien peu d’efficaces contre un si terrible fléau. Hest possible qu'ils aïent tenté d’abattre dans quelques endroïts, ces montagnes de sable que j'ai regardées comme l'image d'Antée. Mais c'étoit en vain qu'on renversoit les dunes par les efforts les plus pénibles, et que l'on terassoit le géant : le sable rendu à la terre déserte { ou Antée venant à toucher sa mère) reprenoït toute sa force, c’est-à-dire que les. vents brülans de la Libye le reportoïent sur le sol de la fertile vallée. Comment suc- comba-t-il dans cette lutte’ Ce fut, selon moi, par de larges canaux ou bras du Nil, creusés ou entretenus au pied de la chaîne de Libye. Les efforts des sables venoient expirer sur la rive. En effet, ils ne pouvoïent traverser ces branches larges et profondes, n'étant plus soutenus comme les dunes le sont à leur pied; alors ils cédoïent à leur poids et retomboïent dans les eaux courantes : c’est donc dans les airs que périssoit le prétendu géant, saisi et comme étouffé par les bras du héros. Il faut avoir vu la rive gauche du canal de Joseph, pour apprécier la justesse de ces idées, si en effet elles ont quelque fondement. Un talus élevé, presque perpendiculaire , formé de sable fin et délié, compose dans maints endroits cette rive désolée, tandis que la rive droite, tout-à-fait plane, couverte d’un pur limon, et sans aucun mélange de sable, reçoit les plus riches cultures. Mais par-tout où le canal est comblé ou sans eau, les sables ont pu traverser, et ils s’'avancent de plus en plus, jusqu'à menacer les rives elles-mêmes du grand fleuve. Je ne cite pas ici l'exemple de la rive gauche de la branche de Rosette, parce qu'il est plus connu : mais il est impossible de voir les hautes dunes d’Abou-Mandour, celles où Rosette elle - même est en partie déjà ensevelie, toute la rive depuis la têre du canal qui se jette dans le lac Marcotis jusqu’à Ouardän , et de regarder ensuite sur la rive droite les riantes prairies du Delta, sans se demander si, le Nil venant à changer de cours, ces montagnes colossales ne se précipiteroïent pas bientôt sur la rive opposée. | C'est par cette suite d’inductions, fondées toutefois sur des phénomènes très- réels, que je me trouve amené à conjecturer que la fable d’Antée et d'Hercule _a son origine dans la lutte des sables de Libye contre les eaux du Nil, et dans le triomphe des canaux ( peut-être de quelque grand canal, comme celui de la Bahyreh ou tout autre) sur la marche des dunes sablonneuses. Si le royaume d'Antée étoit aux extrémités de la Libye, comme le disoient les Grecs, ce n'est . pas seulement parce qu'ils vouloient dissimuler son origine Égyptienne, mais c'est encore parce que les montagnes sablonneuses sont produites par la même cause sur toute la côte septentrionale de l'Afrique, par-tout enfans de Neptune et de /z Terre. À la vérité, je ne vois que l'Égypte où lon ait lutté contre elles par des travaux dignes du nom d'Hercule. Mais l'Égypte confinoit avec la Libye; et, pendant long-temps, la partie orientale de celle-ci fut sous la dépendance des maîtres des bords du Nil. | Ce n’est pas une chose indigne d’examen que les dénominations géographiques données à plusieurs lieux de l'Égypte, et qui appuient ma conjecture. On appeloit 24 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ANTÆOPOLIS. Herculéen le canal qui séparoit de la Libye la vallée d'Égypte , le même dont jai parlé plus haut, comine ayant servi à arrêter. la marche des sables. La bouche Canopique, autrement Naucratique , s’'appeloit aussi Héracléotique ; elle étoit voi- sine d’une ville d'ÆAeracleum , placée sur le bord de la mer. On donnoit le nom d'AHeracleopolis magna à une ville placée près de la Libye, auprès du Fayoum, c’està- dire, du canal de Joseph, de cette dérivation du Nil qui servoit d’obstacle aux sables de la Libye. Enfin à lorient, auprès de la branche Pélusiaque, il y avoit une ville appelée la petite Herackopols, où Sethrum : le canal Pélusiaque et ses branches pouvoiïent aussi arrêter les sables mouvans de F Arabie. D'où viendroit ce surnom d'Hercule, si souvent répété en Égypte et dans les traditions du pays, s'il s'agissoit du héros que les Grecs ont divinisé! A la vérité, il faudroit connoître le nom d'Hercule en égyptien et sa signification précise, pour apprécier ces rapprochemens : c'est une découverte que l’on fera peut-être par la suite, en étu- diant les monumens de la littérature Égyptienne. Je suis loin d’attacher de l'importance aux idées que je viens d'exposer; je conviens d’ailleurs qu'une explication partielle n’est point assez concluante, et que c'est l'ensemble de toutes les fables qu'il faut embrasser, pour arriver à une interpré- tation parfaite : mon seul but est de réunir les faits et les vraisemblances qui apla- niront un jour l'explication des mythes Égyptiens. Persuadé, comme je le suis, que les phénomènes du climat, les circonstances locales et l’observation des êtres et des corps naturels en sont l’origine et la base première, et que c’est sur ce fonds très-réel qu'a travaillé ensuite l'imagination exaltée des Égyptiens, j'ai jugé qu'il n'étoit pas inutile de faire des rapprochemens, fussent-ils même un peu hasardés , et de dépouiller les fictions de leur merveilleux, pour en mieux saisir le sens propre et positif. Cette méthode est précisément l'inverse de celle qu'ont suivie les Grecs, qui presque tous ont mal compris les fables Égyptiennes et les ont prises au pied de la lettre, et qui, en les empruntant et se les appropriant, en ont encore exagéré le merveilleux et le gigantesque. Aïnsï, dans cet essai d'interprétation, la fable d'Antée et d'Hercule se trouve rapportée et rattachée à celle de Tÿphon et d'Osiris ; et nous ne pouvons guère en douter, après avoir.étudié l'Hercule Égyptien dans Hérodote , dans Macrobe et dans Diodore, sur-tout après avoir reconnu que le nom d’Antée lui-même a été donné à un personnage et à un lieu d'Égypte, ainsi que l'apprennent le passage de Plutarque et la tradition curieuse dont nous avons l'obligation à Diodore de Sicile (1). (1) Plutarque reproche à Hérodote d’avoir supposé considéroient Hercule: comme un ancien dieu , et qu'Hercule Béotien n’appartenoït point à la Grèce, et il non commeun demi-dieu mortel, ainsi que faisoient lui oppose Homère, Hésiode, Pindare et tous les poëtes; Hérodoteet les Grecs. (Plutarque, De la malignité d'Hé- mais le même Plutarque convient que les Égyptiens rodote.) ii DESCRIPTION DE SYOUT. ET DES ANTIQUITÉS QUI PAROISSENT AVOIR APPARTENU À L'ANCIENNE VILLE DE LYCOPOLIS; PAR MM. JOLLOIS ET DEVILLIERS, INGÉNIEURS DES Ponts ET CHAUSSÉES, CHEVALIERS DE L'ORDRE ROYAL DE LA LÉGION D'HONNEUR. | SI TS CHAPITRE XIII I SO I OS I OS TT PS SSL Observations générales sur la ville et la province de Syour. Les antiquités de Syout sont bien peu importantes après celles de Thèbes et de Denderah ; nous nous en occuperons néanmoins avec intérêt. Nous ne pouvons oublier qu’elles sont les premières que nous avons vues dans la haute Égypte; que nous leur devons les premières notions exactes que nous nous sommes formées sur les arts des anciens Égyptiens: que nous avons copié à Syout les premières pages complètes de l'écriture hiéroglyphique, et qu'aux environs de cette ville nous avons recueilli les premiers débris de momies. Nous apprécions bien au-delà de leur valeur réelle ces prémiers fruits de nos recherches et de nos travaux, et nous nous reportons avec plaisir à une époque qui ne nous a laissé que d’attachans souvenirs. Partis de Gyzeh le 19 mars 1799 dans l'après-midi, nous sommes arrivés en face de Syout le 28 mars, à la fin de la journée. Nous avons fait ce voyage sur le Nil, dans une grande barque à voile triangulaire, et nous avons été assez heu- reux pour passer à la vue de partis d’'Arabes, de Mamlouks et de Mekkaïns, sans même être attaqués. Nous ne parlerons pas des accidens de la navigation : non qu'ils ne soient très-réels; maïs ils sont tellement communs, qu'ils ont été racontés par tous les voyageurs. AD, 2 7 DESCRIPTION DE SYOUT Quoique nous ayons pour but spécial de faire connoître les antiquités de Lycopols, nous entrerons cependant dans quelques détails sur l'état actuel de la province et de la ville de Syout. Ces détails, que nous n’aurions pu-placer aïlleurs, ont été recueillis avec soin. Dans la province de Syout, on compte environ quarante mille familles, com- posées l’une dans l'autre de cinq individus. Le nombre des femmes est beaucoup plus considérable que celui des hommes. Cette province paye trois cent soixante-dix mille francs d'imposition en argent, et deux cent seize mille ardeb de grain, qui, au prix réduit de trois francs l'ardeb, font six cent quarante-huit mille francs. Le montant total des impositions est donc de plus d'un million; et le nombre des habitans, de deux cent mille {r). La vallée du Nil est moins resserrée par les montagnes à Syout que dans tout le reste de son étendue, depuis Beny-Soueyf. D'une montagne à l'autre, c’est-à-dire, du sommet de la chaîne Arabique à lun des hypogées de Syout, dont on voit l'entrée , planche 43 (2-2), nous avons mesuré par des opérations trigonométriques dix-neuf mille sept cent quatre-vingt-neuf mètres. La largeur réduite du Nil en face de Syout est de deux cent trente mètres. D’après les sondes que nous avons faites le 3 1 mars 1709, la section réduite étoit de cinq cent soixante mètres; la vitesse moyenne étoit de quarante mètres par minute. Nous ne donnons ici que des aperçus : M. Girard, dans son Mémoire sur l’agriculture et le commerce de la haute Égypte, est entré dans les plus grands détails à ce sujet. Suivant les observations de M. Nouet, la ville de Syout est située sous le 28° 3" 20 de longitude et le 27° 10° 14" de latitude septentrionale. Elle est à mille ou douze cents mètres du Nil, sur la rive gauche de ce fleuve. Tout près du Nil, est un petit village appelé /Hamrah. M peut être considéré comme le port de la ville de Syout, à laquelle il est joint par une digue élevée au-dessus des plus grandes inondations. Cette espèce de chaussée est tortueuse, et il faut à peu près un quart d'heure pour la parcourir à pied. A son extrémité la plus voisine de la ville, il existe un pont par-dessous lequel on donne à volonté de l'écoulement aux eaux de l’inondation, que la digue a pour objet principal de soutenir dans la partie supérieure de la province. | A l'entrée de la ville, on voit quelques colonnes de granit et de marbre, dont plusieurs sont cannelées. Syout est une des plus grandes villes de la haute Égypte; elle est située dans une position assez pittoresque, entre le fleuve et la montagne. On y voit un grand bazar et d'assez belles maisons. Les constructions sont faites en briques crues; les angles seulement et quelques chaînes sont en briques cuites. Des tronçons de colonnes en porphyre, en granit,et en marbre, servent de seuils à plusieurs grandes portes. Sur quelques-uns on reconnoît des cannelures torses.* Le principal commerce de Syout consiste dans les toïles de lin, les poteries, le natron et l'opium. La caravane de Darfour arrive ordinairement à Beny-A'dy, à deux ou trois lieues au nord de Syout. Les habitans de ce bourg ayant montré (1) Ces renseignemens sont extraits du journal de voyage de M. Fourier. 4 “ ET DE SES ANTIQUITÉS. CHAP, XIII. ; un esprit de révolte quelques jours après l’arrivée de la caravane, on envoya contre eux un corps de troupes Françaises. Aïdés de quelques corps de Mamlouks ét d’Arabes, ils opposèrent une assez vive résistance. Le chef de brigade de dragons, Pinon, fut tué, ainsi que plusieurs soldats; mais le bourg fut emporté d'assaut et livré au pillage : quelques soldats firent un butin considérable; plusieurs eurent jusqu’à trois et quatre mille francs en argent monnoyé, et l’un d'eux enleva, dit-on, vingt-quatre mille francs en or. Le lendemain, les soldats vendoient pour vingt, trente et quarante pérah (1) les esclaves noirs des deux sexes qu'ils avoïent emmenés. Il existe à Syout dix fabriques d'huile. Nous avons fait connoître ce genre d’in- dustrie en décrivant la planche relative à Fart du fabricant d'huile. { Voyez É. M. Arts et Métiers, planche I”) Nous ne répéterons point ici ce que nous en avons dit dans cette description. Le prix de la journée d’ouvrier, à Syout, varie de cinq à douze pérah ; suivant la force et l'intelligence des individus. La culture est fort soignée dans toute la province, et sur-tout aux environs de la ville. Le froment y vient très-beau ; l'orge, le dourah, le lin, les féves, et dif. férentes sortes de graines, s'y cultivent avec succès : on y récolte aussi le pavot, dont on extrait l'opium. Aux environs de la ville, et particulièrement au nord, sont de beaux jardins, plantés en abricotiers, figuiers, grenadiers, palmiers, napecas, orangers et citronniers : on y voit aussi quelques jeunes sycomores. Ces jardins sont d'un très-grand rapport et se louent fort cher. On trouve autour de la ville un grand nombre d’abreuvoirs d’une construc- tion remarquable, Ces petits bâtimens sont composés d’un réservoir couvert, de la forme d’un parallélogramme alongé. Il y a trois fenêtres sur chacun des grands côtés, et une seulement sur les deux autres. Ces fenêtres sont à un mètre au-dessus du sol, et ont un mètre et un tiers environ de hauteur : elles sont voûtées en ogive. À l’une des extrémités du bâtiment est un bassin demi-circulaire, de la même largeur que le réservoir, et dont le bord supérieur est à un mètre au-dessus de terre. À l'autre extrémité il y a un puits (2), d'où l'on tire l’eau avec un seuil et des seaux, pour la verser dans le réservoir. L'ensemble de ces petites construc- tions est d’un style Arabe assez pur, et ne manque pas d'élégance. Il existe sur des canaux, aux environs de Syout, plusieurs ponts assez solidement construits : ils sont établis sur des massifs en brique ; leur architecture n’a rien d’agréable. Le plus souvent ni les arches ni les piles ne sont d'égales dimensions. En sortant de la ville, du côté de la montagne, on se trouve sur des monti- cules de décombres semblables à ceux qui environnent presque toutes les villes de l'Égypte. Près de cette extrémité de la ville, et à gauche, dans la rue qui vient du (1) Le pérah vaut environ trois liards de France, perpendiculaire à la direction de la vallée, et nous avons c’est-à-dire, un peu moins que quatre centimes. remarqué que la hauteur de l’eau dans les puits étoit en (2) Aux environs de Syout, en faisant des fouilles, raison de leur distance au fleuve. C’est évidemment: ce on trouve d’abord un mêtre et demi ou deux mètres de qui doit avoir lieu lorsque le Nil baisse, circonstance Jimon ; on rencontre ensuite des couches de limon mé- dans laquelle nous nous trouvions alors. Le contraire Jlangées d’un sable dont la proportion augmente à mesure doit arriver lors de la crue du Nil: Voyez le Mémoire qu'on s'enfonce davantage ; on parvient après à du de M. Girard sur l’agriculture et le commerce de Ia sable extrêmement pur; enfin on découvre Feau. On haute Egypte. a fait des fouilles en plusieurs endroits sur une ligne À. D. A 2 À | DESCRIPTION DE SYOUT marché, nous avons remarqué une colonne de 9°,6 $ de hauteur, sur 3",21 de circonférence : elle est debout, et presque à moitié enterrée dans les décombres. Elle a été posée sur un socle de vingt-trois centimètres de hauteur, et scellée en plâtre : sa base a cinquante-quatre centimètres d'épaisseur; et la moulure de l’astra- gale, treize centimetres: en déduisant de la hauteur totale de la colonne, qui est de 9",65, ainsi que nous l'avons dit ci-dessus, les soixante-dix-sept centimètres de : la base et du socle, il reste pour le fût 8",88. Cette colonne ressemble beaucoup à celles du Divan de Joseph au Kaire (1). Le sol sur lequel elle est posée, est à neuf cent soixante-trois millimètres au-dessous du niveau moyen du terrain cultivé dans la plaine. M. Girard (Mémoire sur le Nilomètre d'Éléphantine, À, page 11) a établi que lexhaussement de la vallée du Nil est de cent trente-deux millimètres par siècle : il y auroit donc, en adoptant ses calculs, environ sept à huit siècles que la base de la colonne étoit au niveau de la plaine, On doit supposer qu’elle a été posée, dans l'origine, à un mètre au moins au-dessus des plus grandes inondations, en sorte que son antiquité peut remonter aux premiers siècles de l'ère Chrétienne. Entre Syout et la montagne, sont des maisons de Mamlouks , où l’on avoit établi le quartier général de la division Desaix. Ces maisons dominent la ville; on les avoit crénelées, et l'on avoit placé dans les points les plus élevés quelques petites pièces de canon. Cette espèce de citadelle se trouvoit à gauche de la route qui conduit à la montagne : à droite, est une vaste plaine que le Nil couvre dans le temps de: linondation. C'est là que nous nous établimes sous des tentes et des baraques en natte, afin d'être plus près des antiquités que nous avions à visiter, et aussi parce qu'il n'étoit pas prudent de loger dans la ville, dont les habitans ne supportoient encore notre domination qu'avec impatience. Dans ce séjour, nous fümes attaqués de violens maux d'yeux, presque tous en même temps, le 3 et le 4 avril 1799. Le vent du sud régnoit alors; nous éprouvions du soulagement lorsque le vent passoit au nord. En suivant la route qui va de Syout à la montagne, on arrive bientôt à la limite du terrain cultivé, où est le cimetière moderne. Ces dernières demeures des Mu- sulmans n'inspirent pas la tristesse; elles ont un aspect ‘beaucoup plus gai que l'intérieur des villes : on arrive à celles-ci par une avenue plantée en acacias, nape- cas et sycomores. Les tombeaux principaux sont d’une architecture légère, peints de différentes couleurs, et environnés d'arbres. Quelques murs d'enceinte sont construits par gradins en retraite les uns sur les autres, et forment des espèces de pyramides. Parmi les ornemens peints, ou, pour mieux dire, barbouiïllés sur les murs, on remarque des fleurs, des arbres, et d’autres objets qui semblent avoir du rapport avec la profession du défunt. Sur le tombeau d’un cheykh eLbahr où cheykh eLmerkeb [chef des bateliers], on a représenté fort grossièrement plusieurs germes [barques du Nil]. N'est-ce pas là une tradition de l'écriture hiéroglyphique! Les enceintes des tombeaux sont crénelées. Les tombes sont carrées ou pyramidales, et toujours peintes en blanc. | Non loin de ce cimetière est le pied de la chaîne Libyque, dans laquelle on (1) Voyez planches 71et 72, Ë, M. vol. IL. ET DE SES ANTIQUITÉS. CHAP. XIII. $ aperçoit un grand nombre de grottes disposées par étages, jusqu’au sommet de la montagne. Ces excavations sont de trois sortes. La plus grande partie et les plus intéressantes ont été creusées par les anciens Égyptiens pour servir dé sépultures: on les reconnoît aux hiéroglyphes dont elles sont décorées, et à l'art qui a présidé à leur exécution ; leurs paroïs sont parfaitement bien dressées, suivant un talus ré- gulier. D’autres grottes ont servi de refuge aux premiers Chrétiens de cette contrée: sur les parois de quelques-unes de celles-ci, on voit des figures de saints dessinées et peintes dans le plus mauvais goût. D'anciens hypogées ont aussi été habités par les mêmes hommes, qui, à cet effet, les ont agrandis, grattés et recrépis, afin de faire disparoître toutes les traces de l'antique religion du pays : quelquefois les anciens hiéroglyphes ont conservé leurs formes, ét sont seulement recouverts de peintures grotesques. Outre les deux espèces de grottes dont nous avons parlé, on voit encore des carrières anciennes. Au pied de la montagne passe un grand canal, qui a pu servir au transport des pierres : ce canal se joint au Bahr-Yousef et communique avec le Nil par un petit embranchement transversal, à deux ou trois cents pas au-dessous de la ville de Syout. Some Des Hypogées de la montagne de Syout. Nous avons examiné successivement et avec attention toutes les grottes anciennes, que nous appellerons du nom d’hypogées, pour nous ‘conformer à ce qui a été observé dans les écrits précédens. Nous allons en donner la description détaillée. L'hypogée principal, situé presque en face de la route qui conduit de la ville à la montagne , est peu élevé au-dessus de la plaine. Il nous a paru très- remarquable par sa grandeur, la régularité de son plan, et sur-tout par la quantité prodigieuse de sculptures dont ses parois sont couvertes. Il est vrai qu’alors nous ne connoïssions pas les tombeaux des rois de Thèbes. L'entrée de l’hypogée n’est pas immédiatement à la surface de la montagne. On a commencé par enlever les premières couches du rocher jusqu’à une certaine profondeur , afin de trouver la pierre franche et homogène ; on a dressé ensuite ce rocher sur une largeur de douze à quinze mètres et une hauteur de sept à huit, en lui donnant un talus de trois centimètres par mètre: c’est dans cette surface qu'est ouverte l'entrée de l’'hypogée, qui a véritablement quelque chose d’imposant et de solennel. On pénètre d’abord dans une espèce de vestibule oblong, dont les parois latérales ont un talus de trois centimètres par mètre. Le plafond de ce vestibule, ainsi que de presque toutes les salles de l'hypogée, est taillé en portion d'arc de cercle très-surbaïssé. À peu de distance de la façade, on remarque une baguette saillante, semblable à celles qui accompagnent toujours les corniches Égyptiennes. Le plafond est peint d'étoiles jaunes parsemées sur un fond bleu. Dans les autres salles on voit d’autres sortes de peintures, dont les couleurs sont plus où moins bien conservées : on y reconnoït des espèces d'arabesques disposées en carreaux et en losanges, et combinées avec diverses fleurs. 6 DESCRIPTION DE SYOUT Au milieu du fond du vestibule est une porte d’une Pope élégante : elle est entourée d’un bandeau en saïllie sur le fond, de 1” ,30 de largeur de chaque côté, et de 2,2 dans la partie supérieure. cote espèce dre ment est ornée de caractères hiéroglyphiques, disposés dans quatre lignes verti- cales sur les côtés, et sept lignes horizontales au-dessus de la porte. La face à gauche du vestibule est couverte d’hiéroglyphes très-dégradés. A l'extrémité au fond, est un homme représenté debout et de grandeur naturelle : il tient un bâton. Dans l'embrasure de la porte, il y a aussi dix lignes verticales d’hiéro- glyphes. Tout autour de la porte, intérieurement, il règne une feuillure qui en recevoit les vantaux. On voit encore en haut et en bas, aux angles de cette feuillure , les trous dans lesquels étoient scellées les crapaudines: nous les “avons indiqués sur le plan (1). Rare nous n'ayons marqué la crapaudine que d'un seul côté, nous sommes disposés à croire que la porte avoit deux vantaux. Un seul vantail auroit eu l'inconvénient de dépasser la feuillure de la porte, lorsqu'il auroit été ouvert : cette irrégularité n’est pas probable. La salle qui vient immédiatement après le vestibule, est très- vaste : sa largeur est double de sa profondeur ; elle a environ deux cents mètres superficiels : elle n’est pas tellement encombrée, que nous n'ayons pu en trouver le sol primitif. À droite en entrant, sont sculptées quarante-deux lignes d’hiéroglyphes, de o",14 de largeur a et de 4,75 de hauteur. À gauche, toute la face latérale, jusqu'au fond, couverte d'hiéroglyphes qui sont fort dégradés : ils n’ont pas été sculptés avec un grand soin ; les lignes ne sont pas exactement verticales, et les caractères sont mal formés. À l'extrémité est une figure en bas-relief, plus grande que nature : elle tient un bâton à la main. Il y a trois portes dans le fond : la plus grande est au milieu ; les deux autres, parfaitement semblables entre elles, sont à égale distance de la première. Au- tour de ces portes, il règne des bandeaux décorés de lignes verticales et horizon- tales d'hiéroglyphes. Au-dessus de la porte du milieu, on compte six rangées hori- zontales de ces caracteres, et quatre rangées verticales de chaque côté. Dans l’em- brasure et à droite, il y a neuf lignes de grands hiéroglyphes ; on distingue aussi les trous dans lesquels étoient encastrées les crapaudines supérieures et inférieures. À gauche, l'embrasure est décorée de sculptures représentant un homme tenant un bâton, et de deux rangées d'hiéroglyphes : on ne voit plus du personnage que sa tête; le reste est dégradé. Dans les embrasures des petites portes, il y a deux rangs horizontaux d'hiéroglyphes, parmi lesquels on distingue des bouts de pique; et à côté, un homme vêtu d'une robe longue, tenant une massue d’une maïn et un bâton de l'autre. Les deux portes latérales conduisent à deux petites salles de 5”,60 de longueur, sur 3",20 de largeur, si né communiquent par aucune autre porte avec le reste de la grotte. La porte du milieu donne entrée dans une espèce de galerie d’une longueur à peu près double de sa largeur. La cloison latérale à gauche, qui sépare cette gale- rie de l'une des petites salles dont nous avons parlé, a été enfoncée, et l'on a ouvert (1) Voyez À, vol. IV, planche 44, fig. 1. ET DE SES ANTIQUITÉS. CHAP. XIII. 7 une communication entre ces deux pièces. Cette première galerie aboutit à une autre en forme de fer-à-cheval, environnant de trois côtés une petite salle carrée, qu'on peut considérer comme un sanctuaire, et où nous avons cru reconnoître qu'il y avoit eu des statues qui ont été enlevées. Les parois sont couvertes de sculptures encore intactes, sans doute parce qu'elles étoient assez difficiles à apercevoir; nous ne Îles avons bien vues nous-mêmes qu'au moyen de flambeaux : elles représentent particulièrement des sacrifices. Ceux des bas-reliefs qui sont à droite et à gauche de la porte en dedans et jusqu'aux murs latéraux, ont été dessinés, et sont représentés dans la planche 4$, A. vol. IV. Dans le premier bas-relief, fig. 1, quatre personnages sont occupés à im- moler une victime, qui semble être un bœuf. Les quatre jambes de l'animal sont nouées ensemble avec une corde, que l'un des personnages tient à deux mains et tend fortement en appuyant un de ses pieds sur le nœud. Un autre per- sonnage accroupi a le genou appuyé sur la tête renversée de la victime : il lui passe la main gauche sous le cou, de manière à la forcer à présenter la gorge ; et de la main droite il tient un couteau avec lequel ïl se dispose à fui ôter la vie. Un troisième personnage, placé au milieu, est également armé d’un couteau, et s'apprête à dépouiller ou à dépecer le bœuf, ainsi que le font voir les bas-reliefs suivans. Un quatrième personnage apporte avec précaution un vase, qui, sans doute, contient l'eau destinée à laver la victime. Dans le deuxième bas-relief, fig. 7, la victime paroît frappée, mais elle est encore maintenue par une corde. On détache une de ses épaules. Dans le troisième bas-relief, Ji. 4, Vanimal semble tout-à-fait sans mouvement. Cela est facile à reconnoître, parce que le personnage qui le maintenoïit a ôté son pied de dessus. le nœud de la corde, et ne fait plus d'effort. Une des jambes de devant de l'animal est tout-à-fait détachée, et l'un des personnages l'emporte sur son épaule. Un autre personnage paroît se disposer à verser sur la victime l’eau contenue dans un vase qu'il porte avec précaution. Dans le quatrième bas-relief, fe. 2, l'animal est à moitié dépouillé. Les deux sacri- ficateurs sont occupés à le dépecer. Un des autres personnages maintient les pieds de derrière de l'animal, et le quatrième emporte la seconde jambe de devant et un lambeau de la victime. Dans le cinquième bas-relief, fg. j, on a détaché et on emporte une des cuisses de la victime. Les deux sacrificateurs continuent à la dépecer. Le quatrième per- sonnage tient un globe ou un vase rond au-dessus de la partie postérieure de l'animal. Les autres bas-reliefs, fig. €, 7et #, ont trait à un second sacrifice, auquel trois personnages seulement sont occupés : mais on ne suit pas aussi bien la succession des opérations. L'animal que l’on sacrifie ressemble beaucoup à celui des premiers bas-reliefs : toutefois il ne paroît pas aussi difficile à maîtriser, car personne ne tient la corde avec laquelle ses jambes sont attachées. Sur l’un des bas-reliefs, l'animal n'est représenté qu'à moitié. Dans tous les trois, un de ses membres est déta- ché : mais, dans l'un, on emporte ce membre; dans l’autre, il n’est pas représenté; 8 DESCRIPTION DE SYOUT et dans le troisieme, on le rapporte. Un personnage qui fait partie de chacune de ces trois scènes, tient un vase au-dessus de la victime, et paroît se disposer à verser sur elle ce qu'il contient. Ces représentations nous ont portés à croire e que la salle où elles sont sculptées étoit un sanctuaire, et que l’hypogée lui-même étoit un temple. Les parois de l'en- trée du sanctuaire sont très-dégradées, en sorte qu’on n'y voit plus d’hiéroglyphes. La porte qui la fermoit étoit bien certainement à deux vantaux; car on voit de chaque côté dans les feuillures, en haut et en bas, les traces des tourillons. Son embrasure est ruinée par le bas, ainsi que celle de toutes les autres baies; ce qui provient sans doute du travail que l'on a fait pour enlever les crapaudines métal- liques sur lesquelles les portes tournoient. Dans la paroi latérale à gauche de la galerie qui environne le sanctuaire, on remarque l'ouverture d'un conduit incliné, de plusieurs mètres de longueur, à la suite duquel est un puits vertical de quatre à cinq mètres de profondeur. Au bas de ce puits, on rencontre un autre conduit incliné, de cinq à six mètres de longueur, qui revient sous Île sanctuaire, et dont l'extrémité inférieure est aux trois quarts obstruée par un amas de décombres. Là, on trouve à différentes hauteurs trois petites salles de trois mètres environ sur cinq mètres. Deux de ces petites salles sont parallèles et au même niveau que l'extrémité du conduit auquel l’une fait suite, l'autre étant à gauche. La troisième salle, perpendiculaire sur la direction des deux autres, descend plus bas et s'étend plus à droite. On y remarque les ou- vertures de deux conduits inclinés qui se dirigent sous les autres ; ils sont tellement encombrés, qu'il nous a été impossible d'y pénétrer. A l'extrémité de cette espèce de caveau, à gauche ou à l’ouest, est un autre conduit, mais qui ne paroît pas avoir été fait de main d'homme : il ressemble plutôt à une fissure naturelle du rocher. Nous y sommes entrés fort avant, en nous trafnant à plat ventre, sans pouvoir aller jusqu'au fond, parce qu'il devient de plus en plus étroit. Il est rempli de décombres; ce qui nous fait présumer qu’on s'en sera servi pour placer une partie des ASE qui sont provenus du creusement des salles in- férieures de l'hypogée. Peut-être aussi sont-ce les premiers travaux entrepris pour ouvrir un conduit semblable à celui que l’on voit dans une salle inférieure d'un autre hypogée de Syout, représenté planche Â7; fig. 4, 5, et re La complication des dispositions des diverses parties de ces souterrains est telle, que non-seulement il est difficile de les décrire, mais encore de les représenter par le dessin. Il est possible cependant que nous n’ayons vu qu'une petite partie de cette syringe ; car nous ne savons pas où aboutissoïent les deux conduits, actuel- lement obstrués, que nous avons vus dans l'endroit le plus profond où nous ayons pu parvenir. On déposoit les corps des personnages importans dans ces réduits cachés et d’un accès si difficile. Le desir de soustraire les dépouilles des morts aux insultes et même aux regards des vivans a fait creuser les hypogées Hé de tous côtés on rencontre dans les montagnes de la haute Égypte. On doit au même motif les magnifiques tombeaux des rois de Thèbes et les pyramides de l'Égypte moyenne. : Nous ET DE SES ANTIQUITÉS. CHAÀP, XIII. 9 Nous avons dit plus haut que le plan de l’hypogée dont nous venons de don- ner la description, et les bas-reliefs qui le décorent, annoncent un temple : cela n'empêche pas que les parties inférieures n'aient été consacrées aux sépultures, comme presque tous les autres hypogées de Syout, où l’on voit un grand nombre de tombes creusées dans le rocher. Nous avons dessiné presque tous les hiéroglyphes qui décorent la première salle de lhypogée : on les trouvera représentés planche 49, fig. 2 et 4. C'étoient les premières pages un peu étendues de cette écriture symbolique que nous décou- vrions; elles étoient pour nous d’un grand intérêt. Retenus à Syout par suite des dispositions militaires de la campagne, nous avions tout le loisir nécessaire pour copier ces inscriptions avec une grande exactitude. Nous osons à peine avouer qu'au milieu de ces foibles restes des immenses travaux des Égyptiens, nous avions formé le projet de recueillir les dessins de tous les hiéroglyphes que nous rencon- trerions dans notre voyage. À la vue du temple de Denderah, le premier que nous visitâmes dans la haute Égypte, nous fûmes bientôt désabusés, et nous reconnûmes l'impossibilité de remplir une semblable tâche. | Les tableaux hiéroglyphiques que nous donnons, sont complets et très-exacte- ment copiés ; d’ailleurs, ils n'offrent rien de plus remarquable que ceux qu'on trouve avec profusion dans tout notre ouvrage. Les personnages qui sont mélés à ces hiéroglyphes, sont toujours sculptés sur les portes, soit à la face extérieure, et alors ils regardent le passage, soit dans l’embrasure, et dans ce cas ils regardent du côté de l'extérieur. Ils sont armés le plus souvent d’un bâton, avec lequel ils semblent vouloir arrêter les profanes, et d’une massue, dont ils paroïssent menacer de les frapper. Nous ferons remarquer le bas-relief planche 49 , fig. 10, où l’on voit déposées devant une figure assise une multitude d’offrandes de fleurs, de fruits et d’ani- maux de toute espèce. Parmi ces offrandes sont la cuisse et la tête d’un animal semblable à celui dont les bas-reliefs du sanctuaire, gravés planche 45, repré- sentent le sacrifice. | On a copié aussi un bouc et une gazelle qui sont dessinés avec beaucoup de vérité. La planche 49, fig. 11 et 12, en offre la représentation. En gravissant au-dessus et un peu à droite de l’'hypogée principal, jusqu'aux deux-tiers de la hauteur de la montagne, on arrive à quatre autres hypogées très- voisins les uns des autres ; ils sont à peu près au même niveau, et trois d’entre eux communiquent ensemble par des galeries exécutées sans la moindre régularité. Ces communications ont très-certainement été établies dans des temps modernes par les habitans de ces tristes demeures, lorsqu'ils en eurent rejeté les momies des anciens Égyptiens. Un de ces hypogées est représenté planche 48, fig. 9; le bandeau de la porte est formé de chaque côté par deux lignes verticales d'hié- roglyphes, et au-dessus par trois lignes horizontales. C’est par erreur que lon n'a indiqué que deux lignes, Jg. ro. La cote 63 centimètres, qui est exacte, en comporte trois : il est vraï que cette cote a été mal rapportée sur le dessin, comme on peut le vérifier en consultant l'échelle. Ces trois lignes d’hiéroglyphes sont repré- B A. D, 10 DESCRIPTION DE SYOUT sentées fig. 1. Au bas des deux colonnes verticales, de chaque côté de la porte, on a omis de graver deux figures d'Isis assise et allaitant Horus. Ces deux figures se regardent ; et forment de part et d’autre un petit tableau de 1",20 de hauteur, sur 0”,50 de largeur. La pose des personnages est gracieuse, et la forme du siége est très-agréable. Dans l'embrasure de la porte, on a sculpté un personnage tenant un bâton et une massue ; il est environné d'hiéroglyphes : c’est un de ceux que l’on a repré- sentés planche 49, fig. 8 et 9. Cet hypogée est partagé en deux salles par des piliers conservés dans la masse du rocher pour soutenir le milieu du plafond. Aux angles de jonction des deux salles, et sur la même ligne que ces piliers, sont deux pilastres qui leur correspondent. La première partie de lhypogée est carrée ; la seconde est plus large que la première, maïs beaucoup moins longue, et elle est terminée dans le fond par une surface courbe où l’on a creusé deux niches et un conduit tortueux qui communique à gauche avec lhypogée voisin. A droite en entrant dans la première salle, on voit un conduit semblable, qui communique avec l’hypogée que nous décrirons après celui-ci. On a creusé dans le sol de cet hypogée trois tombes de différentes dimensions, qui probablement étoient recouvertes par des couvercles en granit, semblables à celui que nous avons remarqué dans un des tombeaux de Thèbes, représenté planche 79, fig. 14, À. vol. IT. Y ne peut donc y avoir aucun doute sur la destination de cet hypogée : ïl servoit très-certainement aux sépultures. L'hypogée situé à droite de celui que nous venons de décrire, est représenté planche 47, fig. 8 et 9 : il est extrêmement dégradé. La porte est entourée d’un bandeau en hiéroglyphes; et dans l’embrasure sont sculptés, comme à l'ordinaire, de grands personnages armés d’un bâton et d’une massue, et regardant à l'extérieur : ils sont environnés d’hiéroglyphes. Ces sculptures sont représentées plnche 9, Sig. Cet 7. L'intérieur de l’hypogée est une salle hexagone très-irrégulière, dont le plafond étoit soutenu par deux piliers ménagés dans les rochers : ces supports sont tellement dégradés, qu'on ne voit plus que leurs extrémités à terre et au pla- fond. Sur une des faces, à gauche et dans le fond, sont de grandes pages d’hiéro- glyphes sculptés en relief dans le creux et coloriés en bleu de ciel. Dans le milieu de la face du fond est une niche de deux mètres de hauteur, sur un mètre de largeur et soixante centimètres de profondeur. Sur la gauche on voit deux excavations mo- dernes; l'une forme un petit cabinet, et l’autre est un conduit par lequel on commu nique avec la première salle de l’hypogée voisin, que nous avons décrit ci-dessus. À gauche du premier hypogée, est celui que nous avons représenté planche 47, fig. 2 ; sa porte est très-grande et environnée d’hiéroglyphes. A gauche de la poïte sont encore d’autres hiéroglyphes, ‘et un personnage de sept mètres environ de proportion, qui tient une massue et un bâton : on a omis de le représenter dans l'élévation géométrale , planche {7, fig. r. Les sculptures du côté droit ont été entraînées dans l’éboulement d’une partie du rocher. La vue de cette porte est féprésentée planche 46, fig. 10. Dans l'embrasure on voit encore de grands person- nages armés de bâtons et environnés d’hiéroglyphes. Le plan de l'intérieur de ET DE SES ANTIQUITÉS. CHAP. XHII . II cet hypogée est très-régulier ; c'est une salle parfaitement carrée, dont le plafond repose sur quatre piliers égaux et symétriquement placés. Au milieu du fond : est une niche demi-circulaire; on en voit une autre semblable à gauche. Sur la droite, un conduit tortueux communique avec Île premier hypogée dont nous avons parlé. Le quatrième hypogée, situé à cet étage dans la montagne, est un peu séparé des autres : nous en avons donné le plan, fig. 2, planche Z8. À son entrée, la mon- tagne est taillée verticalement sur une assez grande étendue. Le bandeau de Ia porte est décoré d'hiéroglyphes disposés par rangées horizontales dans la partie supérieure et verticales de chaque côté. Au-delà de cet encadrement sont encore d'autres lignes verticales d'hiéroglyphes, à l'extrémité desquelles on a représenté deux espèces de gardiens armés d’un bâton et d'une massue, planche 48, fig. 4 et 5. Dans l'embrasure de la porte, on voit deux personnages semblables, plinche 49, fig. r et 3. L'intérieur de l’'hypogée présente une salle assez régulière, formant un carré long, et dont le plafond est soutenu par quatre piliers syMétriquement placés. Les deux piliers du fond sont plus gros que ceux du devant, comme si l’on eût voulu proportionner leur force à la masse du rocher qu'ils ont à supporter. A gauche dans le fond, on voit l'entrée d’un conduit creusé récemment. . Nous ne pouvons nous dispenser de faire remarquer l’analogie qui existe entre les dessins de l'hypogée que nous venons de faire connoître, et ceux de notre collègue M. Jomard (voyez planche 46, fig. 1, 2, 7 4, $, 6, 7 ét # ); analogie qui nous porte à croire que ces dessins se rapportent au même hypogée. L'entrée est décorée de la même manière. Quelques hiéroglÿphes copiés par M. Jomard, au-dessus du personnage de la figure $ , pl. 46, sont dans une place analogue sur le dessin complet que nous avons donné planche 4#, fig. $ : le personnage est le même. Les plans de l'intérieur ne diffèrent qu'en quelques points sur lesquels il étoit facile de se tromper. Le premier, c'est que lhypogée de la planche 46 est moins profond que celui de la planche {8 ; différence qu'on pourroit expliquer en supposant que l'on a pris la cote partielle de la deuxième partie de la salle pour une cote totale. Le deuxième point est que le contour du plan à droite, dans la planche 46, est symétrique avec le contour à gauche, tandis que dans la planche 48 À y a de légères différences; ce qui pourroit tenir à ce que l’auteur du dessin dé la planche 46 n'auroit levé qu'un côté, et auroït supposé l’autre sem- blable. Enfin l’auteur de ce dernier dessin auroit fait tous les piliers égaux, quoiqu’ils ne le soient pas suivant la planche 48, parce qu'il n'en auroit mesuré qu'un. Une ressemblance entre ces deux hypogées se trouve encore dans les représentations des scènes militaires qui leur sont communes. Nous avons noté qu'il existe dans celui de la planche 48 trois rangs de combattans portant des boucliers d’une forme particulière, et tels qu’ils sont représentés planche 6, fig. #, et que chaque rang de soldats de cette marche militaire est composé de quatorze guerriers. Nous avons de plus extrait la note suivante du journal de voyage d'un de nos collègues (M. Balzac), à l'article des hypogées de Syout : « On a remarqué » un bas-relief couvrant le côté d’une salle de vingt pieds de large sur dix-huit de À. D. B a | Ée. DESCRIPTION DE SYOUT » haut, formé de sept à huit rangs de soldats posés sur une ligne horizontale, et tous » de la même manière. [ls se présentent de profil, et sont armés d’ün casque, d’une » lance et d’un bouclier.» La dimension de vingt pieds donnée pour la longueur du bas-relief convient bien à la longueur de la première partie des hypogées de la planche 46, fig. r, et de la planche 48, fig. 3 ; maïs la hauteur de &x-}uit pieds est beaucoup trop forte dans l’un comme dans l’autre. Peut-être doit-on lire Ait pied ce qui convient alors parfaitement. Réduisant le nombre des rangées de soldats dans la même proportion, on trouvera trois rangées seulement au lieu de sept à lui, nombres qui paroïissent avoir été écrits de mémoire par M. Balzac, et cela se rapportera au premier témoignage que nous avons cité et au dessin de M. Jomard. Ce dernier a mis plus de quatorze soldats dans chaque rangée, et il a donné au bas-relief beaucoup plus de vingt pieds de longueur. Les dissemblances que nous avons remarquées, font croire à M. Jomard que l'hypogée qu'il a donné dans la planche 46, n'est pas le même que celui que nous avons figuré planche 48. Nous ne partageons pas son opinion, parce que nous ne concevons pas comment ce second hypogée, si voisin de ceux que nous avons visités tant de fois, auroit échappé à nos recherches pendant tout le temps que nous avons passé à Syout. | Dans cet hypogée, nous avons remarqué encore beaucoup d'hiéroglyphes dis- posés par lignes verticales de 2",74 de hauteur et de 0”,16 de largeur chacun : les traits de séparation ont un centimètre de largeur. Immédiatement au-dessus de l'hypogée principal, et à peu près à la même hau- teur que les précédens (voyez planche 43, 3-3), sont trois autres hypogées très- voisins les uns dés autres : ils ont été représentés planche 47, fig. 3, et planche 48, Jig. 1 et 6. Le premier est creusé sur un plan très-régulier et plus riche que ceux dont nous venons de parler. De l'extérieur, on pénètre dans un vestibule carré long, plus large que profond nt le 9",7À de largeur sur huit mètres seulement de profondeur. En face de la porte de l'hypogée et dans le fond du vestibule, est une autre porte qui conduit, par un couloir de quinze à seize mètres de longueur, à une salle de même dimension que le vestibule. Dans le fond de cette salle sont trois niches, dont on concevra facilement la disposi- tion en consultant le plan et la coupe fig. 3 et j, planche 47. Les parois de cet hypogée sont extrêmement dégradées ; il est très-probable qu'elles étoient autrefois couvertes d'hiéroglyphes peints. Sur la minute du plan de cet hypogée, nous avons indiqué , dans le couloir à droite, l'entrée d’un conduit incliné, fig. F, qui, sui- vant notre journal, seroït dans le vestibule. Ce conduit à environ huit mètres de longueur. La petite salle qui est à son extrémité, fig. 4, (et 7, est carrée, et creusée de douze pieds de profondeur sur la moitié de sa superficie. Au bas de la partie la plus profonde, on trouve trois autres conduits semblables, dont lun s'enfonce dans la montagne, et les deux autres se dirigent sous lhypogée : ils sont tous les trois . remplis de décombres. À droite de cet hypogée est celui que nous avons représenté planche 48, fig. F; son plan ressemble beaucoup à celui du précédent : seulement il n'est pas aussi ET DE SES ANTIQUITÉS. CHAP, XIII. 13 étendu. Le vestibule est de même largeur, mais moins profond, et le couloir est plus court. La salle du fond de cet hypogée est moins large que son vestibule. Adroite et à gauche, à peu près en face l'un de l’autre, et presque au fond du cou- loir, sont deux conduits horizontaux qui aboutissent à deux petits caveaux, où sans doute étoïent déposées des momies. On verra dans la coupe représentée fg. 7, planche 48, que le plafond du vestibule est plus élevé que celui du couloir, et ce dernier plus que celui de la salle suivante. Les deux conduits sont à la hauteur du sol du couloir. Le pliond du vestibule est décoré d’ornemens peints. Un cadre d'étoiles forme la première bordure: le reste est rempli de dessins en échiquier, dans le goût des Grecs, des Étrusques et des Arabes. Toutes les parois de cet hypogée ont été couvertes d'hiéroglyphes peints en bleu de ciel. Dans l’embrasure de la première porte, il y a des hiéroglyphes. Le bandeau de la deuxième porte est orné de deux rangées d'hiéroglyphes sur les côtés, et de trois au-dessus. Le plafond du couloir est taillé en arc de cercle {voyez fig. #, planche 48). Cet hypogée est, de tous ceux que nousavons vus dans la montagne de Syout, le plus richement décoré et le plus soïgné. Le troisième hypogée, planche 48, fig. 1, voisin des deux précédens, est très- petit, et il ressembleroït plutôt à un caveau dépendant autrefois d'un hypogée plus grand qui auroit été détruit par l’éboulement d'une partie du rocher. Sur la gauche de la montagne, nous avons remarqué des figures Égyptiennes en pied, sculptées en demi-ronde-bosse {voyez planche 46, fig. 9 ). H y en a cinq d'un côté et quatre de l'autre, y compris une autre figure, de moitié plus petite, qui paroît représenter un enfant. Ces figures sont très-mutilées. Elles ont 1”,30 environ de hauteur, et paroïissent représenter des femmes. Nous sup- posons quelles ont appartenu au fond d'un hypogée dont la partie antérieure a été détruite dans un éboulement partiel de la montagne. Au milieu du bas- relief est une excavation irrégulière. Plusieurs de nos collègues, au nombre desquels étoit M. Fourier, ont remar- qué, en descendant la montagne de Syout, le dessus d’une porte presque entière- ment enfouie. Ils se sont glissés avec peine par l'ouverture qui restoit, et se sont trouvés dans un petit temple Égyptien, semblable à ceux de Minyeh {voyez pl. 64, A. vol. IV). Seulement l'architecture de celui-ci leur a paru plus grossière; au lieu de colonnes, ce sont des piliers carrés qui soutiennent le plafond. Les hié- roglyphes et les peintures sont bien conservés, et l'on y a distingué une procession de quatorze prêtres portant des offrandes à une divinité. N'ayant point visité nous- mêmes cet hypogée, nous nous sommes bornés à rapporter ici les faits consignés dans le journal de M. Fourier. Il paroît que tous les hypogées de Syout étoient beaucoup moins dégradés il y a quelques années. Un homme du pays, qui nous conduisoit, nous a dit les avoir vus en bien meilleur état; les peintures étoient plus fraîches et mieux con- servées ; les jambages des portes et les plafonds n’étoient point brisés comme ils le sont à présent. Suivant lui, cé sont des beys et des Mamlouks qui les ont ainsi ‘endommagés récemment en y tirant des coups de fusil, dont effectivement on 1 À DESCRIPTION DE SYOUT voit encore des traces en plusieurs endroits. Cependant il n’a pas pu nous faire connoftre exactement ni en quel temps ni par quels Mamlouks ces dégâts avoïent été causés. Les monumens taillés dans le roc ont une cause de destruction qui leur est particulière : les fissures naturelles du rocher et le peu d'homogénéité de ses parties font que les parois ne présentent pas une solidité comparable à celle d’un édifice construit en matériaux choisis. Les Piliers, que l’on avoit artistement mé- nagés, sont, pour la plupart, détruits ou réduits à moitié de leur épaisseur. Les milieux des plafonds sont presque tous détachés ; les angles seuls sont bien conservés. La montagne dans laquelle les hypogées de Syout sont taillés , est calcaire : la pierre est en général très-dure, et fait feu au briquet. On y trouve beaucoup de cristaux de carbonate de chaux sous différentes formes, quelques coquilles et une grande quantité de silex en rognons. Au-dessus de la montagne, on voit un lit de ces cailloux. La pierre calcaire qui les renfermoit, a été détruite par les eaux, ou par toute autre cause; car on ne conçoit guère que les pluies, qui sont si rares dans cette contrée, aient produit un si grand effet. Non-seulement le plateau tout entier, mais encore les flancs de la montagne, dans quelques parties où la pierre calcaire a aussi été détruite, sont couverts de ces caïlloux siliceux. Il paroît que la cause de destruction du rocher est toujours agissante ; car, ainsi que nous l'avons fait remarquer, il y a plusieurs hypogées dont les parties antérieures ont disparu, et dont il ne reste plus que le fond. Les cailloux siliceux qui sont dans la masse du rocher, ont dû gêner considé- rablement les ouvriers qui sculptoient les paroïs des hypogées. Dans quelques endroits, ils ont été laissés à leur place, et l’on a peint par-dessus. Ils forment ainsi sur le mur des saïllies très-désagréables à la vue. A Thèbes, où l'art avoit fait plus de progrès, les sculpteurs enlevoient ces six et les remplaçoient par des pièces incrustées dont les joints étoient imperceptibles. / Voyez la Description de Thèbes, chap. IX, sect. X, pag. 325.) Plusieurs hypogées de Syout semblent ne pas avoir été achevés, bien que lon -y wouve des peintures. Nous avons eu déjà l’occasion de faire remarquer que les peintres n’attendoïent pas que les sculpteurs eussent entièrement complété les déco- rations d’un édifice, pour appliquer les couleurs sur les parties terminées. Dans tous les hypogées de Syout, on voit un grand nombre de cases où les momies étoient autrefois renfermées. Nous ayons même trouvé, dans plusieurs, des fragmens de ces momies, particulièrement de loups ou de chacals (1), de jeunes chats, aïnsi que d'oiseaux de proïe qui avoient encore leurs plumes. Après avoir fait nous-mêmes toutes les recherches possibles pour trouver des momies bien conservées , nous nous adressâmes à un de ces hommes qui font leur métier de fouiller les catacombes pour y trouver des amulettes qu'ils vendent quelquefois assez cher. Cet homme sembloit bien connoître la montagne; mais (1) On a rapporté des ossemens tirés de momies de À. vol, IIT, et l'explication de cette planche, C’est par chacal. Ces fragmens sont recouverts de feuilles d’or erreur que ces objets ont été placés sur une des planches assez bien conservées, Voyez [a planche 2, fig. 7 et 17, de Thèbes. ET DE SES ANTIQUITÉS. CHAP, XIII, 15 il faisoit un grand mystère de ce qu'il savoit. Il nous dit un jour que, deux ou trois ans auparavant, on avoit trouvé dans la montagne des chiens enveloppés de linge, et qui paroïssoient avoir été conservés depuis long-temps. Ces chiens, nous dit-il, avoient été enterrés anciennement avec autant de soin, parce qu'ils étoient re- gardés comme des dieux par le peuple qui existoit alors. On voit que cet homme avoit quelques idées de l'ancienne histoire de son pays. I n'est pas probable qu'elles lui soient venues par tradition; nous croirions plutôt qu'elles lui ont été communiquées par des voyageurs Européens. Nous promîmes à notre guide une forte récom- pense, s’il nous apportoit de ces momies, il fit des recherches, et deux jours après il nous annonça qu'il en avoit trouvé. Il nous mena vers le bas de la montagne dans un endroit où il avoit fait un trou dans les décombres, et nous y vîmes une grande quantité de momies d'animaux presque toutes brisées et déposées par lits horizontaux entre des nattes. Nous avons rapporté quelques-unes de ces momies, parmi lesquelles il y avoit des oïseaux de proie, des chats, peut-être aussi des singes. La plupart étoient des chacals ou des loups. Nous avons encore trouvé dans ces décombres une momie humaine assez bien conservée. Ses cheveux, dont nous avons rapporté une partie, ne sont pas crépus. Elle n’avoit pas été très-soi- gneusement embaumée, et les bandelettes n'étoient pas arrangées avec une grande perfection; mais cependant, parmi les momies des catacombes de Thèbes, nous en avons vu de bien inférieures à celle-là. Le sol en cet endroit est couvert de mor- ceaux de vieïlles toiles, de plumes, de becs d'oiseaux, et d’ossemens de divers ant- maux. Tous ces décombres ont très-certainement été tirés des hypogées. Is en au- ront été rejetés avec mépris par les Chrétiens qui ont habité ces tristes demeures, et qui, sans doute, n'ont pas laïssé un seul caveau intact. On doit donc renoncer à trouver des momies dans les catacombes de Syout. Ce n'est que dans les amas de débris dont nous avons parlé, et qui paroïssent avoir été déposés là avec quelque précaution, puisque les lits sont séparés par des nattes, que l'on pourroit, à force de recherches , espérer de découvrif des momies passablement conservées. Nous pressions un jour notre guide de nous conduire à des grottes où nous trou- verions des momies humaines tout entières. A près y avoir réfléchi quelque temps ,ïl nous le promit; mais il nous dit qu'il falloit aller un peu loin dans la montagne. Ce voyage n'étoit pas sans danger: toutefois, séduits par les: promesses de notre guide et par l'espérance de visiter des catacombes qui eussent été respectées, « nous partîmes » sans escorte (1), parce que les troupes alors à Syout étoiïent trop peu nombreuses » ét trop occupées pour nous en fournir une, et sans rien dire de nos projets, dans Ja » crainte que le commandant de la place, par intérêt pour notre sûreté, ne s’opposät » à notre excursion. Notre guide nous fit gravir la chaîne Libyque. Nous descendîmes » de l’autre côté dans une vallée étroite, que nous suivimes pendant une heure; puis » nous montames plusieurs collines, et nous traversämes successivement quelques » ravins où la chaleur étoit fortement augmentée par le reflet des rayons solaires » que renvoie un terrain blanc, dépouillé de toute espèce de végétation. Enfm, V (1) Cette relation est extraite du journal de voyage de M. du Bois-Aymé, avec lequel nous avons fait l’excursion que nous lui laissons raconter ici. 1  | DÉSCRIPTION DE SYOUT voit encore des traces en plusieurs-endroits. Cependant il n’a pas pu nous faire connoftre exactement ni en quel temps ni par quels Mamlouks ces dégâts avoient été causés. Les monumens taillés dans le roc ont une cause de destruction qui leur est particulière : les fissures naturelles du rocher et le peu d'homogénéité de ses parties font que les parois ne présentent pas une solidité comparable à celle d’un édifice construit en matériaux choisis. Les piliers, que l’on avoit artistement mé- nagés, sont, pour la plupart, détruits ou réduits à moîtié de leur épaisseur. Les milieux des plafonds sont presque tous détachés; les angles seuls sont bien conservés. La montagne dans laquelle les hypogées de Syout sont taillés, est calcaire : la pierre est en général très-dure, et fait feu au briquet. On y trouve beaucoup de cristaux de carbonate de chaux sous différentes formes, quelques coquilles et une grande quantité de s//x en rognons. Au-dessus de la montagne, on voit un lit de ces cailloux. La pierre calcaire qui les renfermoit, a été détruite par les eaux, ou par toute autre cause; car on ne conçoit guère que les pluies, qui sont si rares dans cette contrée, aient produit un si grand effet. Non-seulement le plateau tout entier, mais encore les flancs de la montagne, dans quelques parties où la pierre calcaire a aussi été détruite, sont couverts de ces caïlloux siliceux. Il paroît que la cause de destruction du rocher est toujours agissante ; car, ainsi que nous l'avons fait remarquer, il y a plusieurs hypogées dont les parties antérieures ont disparu, et dont il ne reste plus que le fond. Les cailloux siliceux qui sont dans la masse du rocher, ont dû géner considé- rablement les ouvriers qui sculptoïent les parois des hypogées. Dans quelques endroits, ils ont été laissés à leur place, et l'on a peint par-dessus. Is forment ainsi sur le mur des saïllies très-désagréables à la vue. À Thèbes, où l'art avoit fait plus de progrès, les sculpteurs enlevoient ces s74x et les remplaçoïent par des pièces incrustées dont les joints étoïent imperceptibles. / Voyez la Description de Thebes, chap. IX, sect. X, pag. 325.) Plusieurs hypogées de Syout semblent ne pas avoir été achevés, bien que lon y trouve des peintures. Nous avons eu déjà l’occasion de faire remarquer que les peintres n’attendoient pas que les sculpteurs eussent entièrement complété les déco- rations d’un édifice, pour appliquer les couleurs sur les parties terminées. Dans tous les hypogées de Syout, on voit un grand nombre de cases où les momies étoient autrefois renfermées. Nous avons même trouvé, dans plusieurs, des fragmens de ces momies, particulièrement de loups ou de chacals (1), de jeunes chats, aïnsi que d'oiseaux de proie qui avoient encore leurs plumes. ( Après avoir fait nous-mêmes toutes les recherches possibles pour trouver des momies bien conservées , nous nous adressâämes à un de ces hommes qui font leur métier de fouiller les catacombes pour y trouver des amulettes qu'ils vendent quelquefois assez cher. Cet homme sembloit bien connoître la montagne; mais (1) On a rapporté des ossemens tirés de momies de A. vol. ZIT, et l'explication’ de cette planche, C’est par chacal. Ces fragmens sont recouverts de feuilles d’or erreur que ces objets ont été placés sur une des planches assez bien conservées, Voyez la planche 2, fig. 7 et 17, de Thèbes. DE SCRIPTION DES RUINES D’ACHMOUNEYN OU HERMOPOLIS MAGNA; PAR E. JOMARD. TT I CHAPITRE XIV. ED D OC De. D. SLT Généralités, L: nom d'Hermopolis a été donné à plusieurs villes d'Égypte. Hermès ou Thoth; le Mercure Fgyptien, étoit honoré, en divers lieux de cette contrée, pour les bienfaits sans nombre qu'on lui attribuoit. Il avoit inventé les arts agréables et les arts utiles : on lui devoit les principes de la musique, de l'écriture, de la grammaire, de l’élo- quence ; l’art de raisonner et celui de calculer; enfin la découverte des mesures et la plupart des sciences (1). Ce HSE symbolique avoit un temple à Hermo- polis Magna dans l'Heptanomide, et à Hermopolis Parya dans la partie occidentale de la basse Égypte: enfin l'on peut regarder la ville d'Hermonthis, au-dessus de Thèbes, comme lui ayant été consacrée. Le surnom de Magna donné à la première de ces villes annonce la prééminence qu'elle avoit sur les autres ; c’est ce que l'étendue actuelle des ruines confirme très-bien. En effet, cette ARE ne le cède point, si elle n'est supérieure, à celle des plus grandes villes dont nous avons retrouvé les vestiges, Thèbes et Alexandrie SHDie La ville d'Aermopolis Magna étoït méditerranée, c'est-à-dire, située dans l’in- térieur des terres et au milieu d’une des plus grandes plaines de l'Égypte. Plusieurs canaux du Nil s'y rendoïent jadis, si l’on en juge par ceux qui subsistent encore et qui arrosent la plaine. Non-seulement elle étoit la capitale d’une préfecture appelée nomus Hermopolites, maïs elle étoit indubitablement le lieu principal de toute l'Heptanomide : aussi ell@ n’a cessé de rassembler dans ses murs une grande population , jusqu'à l'époque où l'empereur Adrien bâtit sur la rive droite du Ni, en face même d'Hermopolis, une cité nouvelle où il déploya toute la grandeur Romaine. C’est à ce moment qu'a commencé la décadence de la ville Égyptienne (2). Les générations qui se sont succédées sur le sol de cette dernière, ont laissé (1) Plut. de Jside et Osiride, Plat., Diod., &c. (2) Voyez pag. 2, note 6, HD, A 2 DESCRIPTION DES RUINES D'ACHMOUNEYN des traces des divers âges qui les ont vues fleurir. À côté des constructions Égyp- tiennes, on trouve des ouvrages des Grecs, des débris de l'architecture Romaine. Toutes les habitations se sont détruites et amoncelées l'une après l'autre, et les hau- teurs que ces décombres ont formées sont presque de véritables montagnes. La suite de ces hauteurs forme une ceinture très-étendue, saïllante et élevée au-dessus de la plaine. C'est dans un enfoncement qu'elles laissent entre elles, vers le nord et sur l'axe des ruines, qu'est situé le portique Égyptien, reste d’un temple remar- quable par la grandeur de ses proportions, à l'autre extrémité est situé le village actuel d'Achmouneyn, l'un des plus considérables de la province de Minyeh. SP. Observations historiques et géographiques. ON peut regarder comme à peu près impossible de remonter à l'origine de la ville d'Hermopolis. Les Grecs, auxquels nous devons la connoïssance de cette ville, ne nous ont pas conservé son nomantique, à moins qu'on ne veuille regarder Hermès comme un ancien nom Égyptien (1). C’est à Hermopolis, dit Hérodote (2), qu'on avoit coutume de transporter les ibis embaumés, comme les éperviers à Butos. Bien que Diodore de Sicile ne parle point de cette ville, elle étoit encore de son temps une des plus importantes de l'Égypte. Pline fait seulement mention du nome Hermopolite. Stxabon nous apprend que, chez les Hermopolites, le cynocéphale étoit en honneur. Cet animal étoit une espèce de singe consacré au Mercure Égyp- tien , suivant Horapollon. | Sous l'empereur Trajan, on frappa à Hermopolis, ou peut-être dans la métro- pole de l'Égypte, des médailles qui portent le nom du nome Æermopolite. L'ibis qui se trouve sur ces médailles, est un symbole connu d'Hermès, auquel il étoit consacré (3), ainsi que le cynocéphale. Sous Adrien, on avoit également frappé une médaille de la préfecture Hermopolitaine, où l'on voit un cynocéphale assis (4). J'ai copié sur un des édifices d’ Achmouneyn une inscription Grecque en l'honneur des Antonins,; cette inscription est monumentale, et elle prouve que ce lieu avoit de l'importance sous le règne de Marc-Aurèle (s). | Du temps d’Ammien Marcellin, Hermopolis étoit encore une des plus célèbres villes de la Thébaïde (6). Dans la Notice de l'Empire, on voit qu'il y avoit là un poste de cavalerie ; cuneus equitumr scutariorum Hermopol (7). Un certain Herméas, né à Hermopolis, que Plutarque cite dans son Traité d’Isis, avoit écrit un livre sur cette ville : c'étoit un poëme en vers ïfambes en l'honneur de sa patrie (8). (1) Zoëga le regarde comme venant de EP-E291, vater scientiæ (pag. 224). (2) Hérodote, ÆHise, liv. 11, 6. 67. (3) Horapoll. Æieroplyph. pag. $1. Plutarch. de side médailles derce nome, qui sont également significatives. (s) Voyez, ci-dessous, le 5. IE. (6) Hermopolis, Coptos et Antinoé , sont les trois villes que nomme Ammien Marcellin comme Îles principales; et Osiride, Platon , in Phædro. Consultez Histoire naturelle et mythologique de libis, par M. Savigny, SZ (4) Voyez la planche des nomes d'Égypte, dans la collection d’antiquités, 4. vol. V. IL y a encore d’autres mais il est vraisemblable qu'Hermopolis a commencé à déchoir avec la prospérité d’Antinoé. { Am. Marc. Rer, _gest: lib. XXI1, pag. 233.) (7) Notit. Imperii utriusque , pag, 90. (8) Photius, Bibl, cod, ceLxxIx. OÙ HERMOPOLIS MAGNA, CHAP, XI. 3 Dans le Bas-Empire, un évêché y fut établi; beaucoup de couvens des environs relevoient de l'évêque d'Hermopolis. Ainsi l'on peut assurer que ce lieu a été à-la-fois une des plus anciennes villes de l'Égypte etune de celles qui ont existé le plus long-temps. Sa position centrale, au milieu de la vallée, entre le fleuve et la grande branche connue sous le nom de Bahr- Yousef, enfin dans une des plaïnes les plus larges de l'Heptanomide et même de toute la T'hébaïde, étoit un sufhisant motif pour qu'on en fit le siége d’une grande préfecture, et que cet avantage lui demeurât pendant une longue suite de siècles. Ce qui l’a fait déchoir a été, sans doute, la fondation dela ville d’Antinoé dans son voisinage. Mais, depuis la domination Romaine, une autre cause a contribué à lui faire perdre sa prépondérance, et cette cause est la diminution successive du vo- lume d’eau que fournissoit la branche appelée canal de Joseph, et dont les habitans disposoient, dans l'antiquité, pour l'irrigation de leur territoire. Quand ce canal a cessé d'y apporter l’eau nécessaire pour abreuver une grande population et pour l'aménagement des terres, les habitans se sont rapprochés peu à peu du Nü, et la ville de Meyläouy a succédé à Hermopolis. Meyläouy el-A’rych est située à deux lieues environ au sud d’Achmouneyn: autre- fois placée sur le Nil (et elle l’étoit encore en 1720), cette ville étoit la capitale de la province moderne ; son port servoit à la réunion des grains destinés pour la Mecque, et recevoit en échange les produits de l'Arabie, dont elle étoit l’en- trepôt. Mais le fleuve a abandonné ses muraïlles, et une autre ville a succédé à son tour à ces deux capitales. C'est Minyeh qui est aujourd’hui le chef-lieu de la pro- vince ; mais celle-ci porte toujours le nom de province d'Achmouneyn, Ouläyet Achmouneyn où Ag Achmouneyn. Il me reste à faire voir ici que la géographie comparée place incontestablement à Achmouneyn la ville d'Hermopols Magna. Bien que cette position soit générale- mentreconnue comme certaine, Je ne puis cependant, dans cette Description, me dispenser d'en alléguer la preuve géométrique, s’il est permis de s'exprimer de la sorte. L'Itinéraire d'Antonin fait passer la route par les points suivans : Oxyryncho, loin XxxX , Hermopoli XXIV, Cusis XXIV, Lyco xxxv. Il résulte de cette route que d'Hermopolis à Lycopolis il ya cinquante-neuf milles Romains; convertie en mètres sur le pied de 1478 mètres par mille (1), cette distance équivaut à 87202 mètres : or on trouve 87500 mètres sur la carte moderne, entre Achmouneyn et Syout, dont l'emplacement est le même que celui de Lycopolis (2). La latitude donnée par Ptolémée pour Hermopolis, selon Abou-l-fedä, est de 27° 40": on a trouvé, par les dernières observations astronomiques, 27° 45’, d'après la latitude de Minyeh et la composition de la carte. Il y a ici bien plus d’exac- titude que dans les autres latitudes de ce géographe. Quand on manqueroït de documens géographiques, l'étendue considérable de (1) Voyez mon Mémoire sur le système métrique des entre Oxyrynchuset Hermopolis; la carte en fait trouver anciens Égyptiens. un peu plus de soixante-huit [ 101000 mêtres] entre (2) Voyez la Description de Syout, par MM. Jollois Behneseh et Achmouneyn. Si Behneseh est réellement et Devilliers, chap, XIII. le reste d'Oxyrynchus, il faudroit écrire Zbiu XX XIV, L'Itinéraire ne présente que cinquante-quatre milles et Æermopoli XX XIV, AND Az  DESCRIPTION DES RUINES D'ACHMOUNEYN terrain qu'occupent les ruines d'Achmouneyn , ne permettroit pas de chercher aïlleurs la ville capitale qui étoit dans ce quartier. Je ne dois pas omettre ici cette circonstance, que la province elle-même dont Minyeh est aujourd’hui le cheflieu , s'appelle province CRETE * ce qui prouve bien que ce même endroït a toujours donné son nom à la contrée, et que par conséquent il en étoit la capitale (1). STE Topographie des Ruines d’ A chmouneyn. LORSQU'ON est à Antinoé et qu'on veut visiter les ruines d’Achmouneyn, on traverse le Nil et on descend à el-Bayädyeh, village uniquement composé de Chrétiens (2). De là on se dirige, au sud-ouest, vers Deyr Nasârah, petit couvent, où il faut traverser un large canal peu profond, appelé Tera't el-Sebakh, et qui est l'origine du bas-fond connu sous le nom de Bathen. On va ensuite à l’ouest; et, après avoir marché pendant une heure et un quart depuis le couvent, on arrive aux ruines d'Achmouneyn. La montagne Libyque reste encore très-loin à l’ouest. Tout le bassin a plus de trois lieues un quart de largeur (3). La culture en est d’une extrême richesse : il y a peu de contrées mieux arrosées. Au levant, les canaux du Nil y versent leurs eaux ; au couchant , etau pied de la chaîne de Libye, le canal deJ oseph, supérieur lui-même au Nil, contribue un peu à l'irrigation ; enfin le milieu de cette plaine est sillonné par des canaux qui, s'ils ne sont pas navigables, comme dans l'antiquité, répandent, distribuent et conservent en partie, toute l'année, avec le secours des digues, les eaux de l'inondation. J'aï résidé plusieurs jours à Achmou- neyn, et j'ai fait trois voyages dans ce canton ; chaque fois j'en aï admiré la fertilité: aussi Achmouneyn est-il un village riche et populeux, son territoire étendu , ses habitans riches en chevaux, en bestiaux, en cavaliers; ils sont tous bien armés, et ne craignent pas les insultes des Arabes. Ce n'est pas ici le lieu d'examiner cet état actuel du pays; dans un Mémoire sur le canal de Joseph et l'Égypte moyenne, Je placeraï les observations qui se rapportent à cette matiere. La plaine est traversée, dans toute sa largeur, par une digue principale appelée Gesr Soultäny où Gesr eL Achmouneyn, qui vient s'appuyer, du côté de l'est, sur les ruines ; c’est à qu'aboutit le chemin que j'ai indiqué. De l’autre côté des ruines, c'est-à-dire, du côté de l’ouest, la même digue continue et s'appuie sur le canal de Joseph, en face de Touné, l’ancienne Tamis. En arrivant aux ruines, il faut en- core traverser un petit canal qui en fait tout le tour. (1) On lit dans S. Augustin , de Civitate Dei, ib. VtIt, cap, XXVI : Âic enim Hermes major, id est, Mercurius, quem dicit avum suum fuisse, in Hermopoli, hoc est in sui nominis civitate, esse perhibetur, Je citerai encore dans cette note un passage des Annales de George Cedrenus: Hermopoli, quæ est urbs Thebuïdis, Persica arbor fuit, cujus folia aut cortex cuivis morbo mederentur :eam férunt arborem sese inclinasse , et Christuin adorasse in Ægyptum figienen, eique umbramn præbuisse (lib. xxx, pag. 252, Xylandro interprete, Paris, 1647, in-fol.). Je laïsse au lecteur à qualifier l'espèce de cet: arbre miraculeux. | (2) Cette population Chrétienne est un reste des an- ciens habitans d’Hermopolis du Bas-Empire : obligés de fuir cette partie de l'Égypte , ils se sont établis à el- Bayâdyeh, et même sur l’autre rive du fleuve. Voyez la Description d’Antinoé, chap, XV. (3) Plus de 9000 toises, près de 18000 mètres. OÙ HERMOPOLIS MAGNA CHAP, XIV. $ Ce qui frappe la vue, en arrivant au pied de ces ruines, c’est la grande étendue, la hauteur, la couleur sombre et presque noire , des décombres dont elles sont formées, On se porte avec empressement sur un des monticules les plus élevés, pour embrasser tout l’ensemble. De là on aperçoit, vers le nord, le magnifique portique placé sur l'axe des ruines; au sud, le village; çà et là, des enfoncemens _où les eaux des canaux parviennent et séjournent; de tous côtés, des débris et des fragmens de pierres renversées, la plupart d'architecture Grecque et Romaine. Le plan des ruines forme un rectangle dont la longueur est exactement, aïnsi que l'axe du grand temple, parallèle au méridien magnétique : dans cette dimension, les ruines ont plus de 2200 mètres; la largeur en a 1650, et le contour, 6300. En partant du point où la digue aboutit, et allant vers le nord, on rencontre d'abord des piédestaux et des bases de colonnes en pierre calcaire , épars sur le sol , soit qu'ils proviennent d’un édifice aujourd’hui ruiné et dont on ne retrouve plus le plan, soit qu'ils aïent été transportés d’un autre endroit. Parmi ces fragmens sont des colonnes de granit, et une base attique en pierre calcaïre numismale, bien conservée. Les monceaux de ruines qui se sont accumulés sur ce point, ont en- sevelt, sans doute, la plus grande partie de ces débris. Il subsiste cependant quelques parties moins détruites que les autres. Si l’on se dirige vers l’ouest, on traverse le grand chemin allant du nord au sud et conduisant au village, et qui paroît être le reste d’une ancienne rue longitudinale de la ville; cette rue étoit dans le prolongement de laxe du temple. Des ruines de briques sont au-delà. Le temple lui-même est à six cent cinquante mètres environ de l'extrémité nord des décombres : nous en ferons, dans le paragraphe suivant, une description spéciale. En revenant vers le sud, on trouve, dans un bas-fond où séjournent les eaux d’un petit canal qui traverse les ruines, plusieurs colonnes en granit renversées ; auprès, sur une butte élevée, des restes de fours où l'on a converti en chaux les matériaux des monumens ; plus foïn, des blocs de pierre ayant appartenu à des monumens antiques. À l'extrémité sud, est le village qui a succédé à cette grande ville : ïl a plus de trois cents mètres de longueur ; sa popu- lation est de cinq cents ames; son nomé%ntier est Mefs el-Achmouneyn. Au milieu des buttes qui composent ces ruines, sont des bas-fonds couverts de salpêtre que les habitans exploitent ; ils savent lessiver les terres et fabriquer le salpêtre, avec lequel on fait ensuite la poudre à canon dans la petite ville de : Meylâouy. Je ne dois pas oublier de dire que les trous des fouilles servent de re- paire à de nombreux chacals et à des renards; les étangs qui sont dans les bas- fonds, sont remplis de canards et de poules d’eau. On trouve dans les fouilles quantité de vases antiques : plusieurs sont des amphores oùles anciens Chrétiens, au rapport des habitans , conservoient le vin; leur hauteur est d'un demi-mètre, ou dix-huit pouces : la plus grande partie est brisée, et l'on trouve au fond des résidus qui annoncent en effet, quand on les brüle, qu'une liqueur spiritueuse y a séjourné. On voit encore, dans les débris, des vases d’un beau ton rouge Étrusque, dont la pâte est très-fine, des portions de verre de di- verses couleurs, et beaucoup de médailles Romaines. 6 DESCRIPTION DES RUINES D'ACHMOUNEYN Auprès du village, et à l'est, il y a aussi des colonnes de granit de trois pieds de diamètre, des pierres ornées d'oves et autres moulures Grecques, des fragmens d'architrave , et divers débris d’entablement (1); au nord, est le reste d’une grande mosquée ruinée, qui étoit enrichie de colonnes fort belles, dont une partie est encore en place; enfin, au midi, il y a des colonnes en granit. Allant du village vers le nord, on trouve d’abord des débris d'architecture Grecque ou Romaine ; puis d’autres colonnes de granit, dont trois sont debout et encombrées aux deux tiers. Dans l'axe même et à quatre cents mètres au sud du grand temple, est un édifice en pierre calcaire, presque entièrement ruiné et enfoui, et qui avoit échappé aux voya- geurs. On voit hors du sol sept à huit grosses pierres liées par leurs assises. En faisant faire quelques fouilles, j'ai trouvé sur l'une d'elles, qui regarde la terre, une ins- cription Grecque portant le nom des Antonins. Elle est dans la forme de celles d'Antinoé. Voici ce qu'il m'a été possible de copier: AT AOHI OTXHI YIIEP ATYTOKPATOPOON KAICAPOON MAPKOT ATPHAIOT ANTONINOT. C'est-à-dire, À LA BONNE FORTUNE SOUS LES EMPEREURS CÉSARS MARC-AURÈLE ANTONIN, &c. Je n'ai pu transcrire le resté de l'inscription, ni continuer les fouilles que j'avois commencées, et qui m'auroient peut-être fait reconnoïtre ce monument pour un Zyphontun, tel qu'il en existe dans la plupart des anciennes villes, à côté des grands temples. J'avoue toutefois qu’il m’est impossible de rien affirmer sur la nature de cet édifice, et même sur le style de son architecture; il est trop en- combré pour que j'aie pu découvrir sil est d’origine Égyptienne , Grecque ou Romaïne. Ce n’est pas l'inscription seule qui me porteroit à penser que sa cons- truction ést l'ouvrage des Romains, puisque ceux-ci ont tracé des inscriptions sur un grand nombre de monumens Égyptiens ; maïs il est intéressant d’avoir dans celle-ci une preuve certaine que la ville florissoit encore sous les An- tonins. Les caractères en sont tracés avec une sorte d'appareil; ils sont d’une grande dimension, et semblent appartenir à une inscription monumentale, Les pierres qui faisoient partie de cette construction, sont, au reste, d'une grandeur considérable. Auprès de cette ruine il y a encore les tronçons de sept à huit colonnes de granit. Ainsi voilà, dans les ruines d'Achmouneyn, six endroits où il y a des colonnes de cette matière, qui sont peut-être les restes d'autant d'édifices somp- tueux élevés en différens âges (2). Il est possible aussi que les colonnes d’un même monument aient été transportées en plusieurs lieux de ces ruines, quoique, du (1) M. Balzac a vu dans les ruines un chapiteau (2) Ces colonnes ne sont peut-être autre chose que Jonique. des restes d'anciennes églises, OÙ HERMOPOLIS MAGNA CHAP., XIV, da reste , le poids de ces masses puisse être considéré comme un obstaële suff- sant pour l'empêcher. Tous ces débris annoncent la richesse de l’ancienne Hermopolis, et l'étendue actuelle des ruines confirme cette idée. Le tour actuel est d'environ 6300 mètres [3230 toises|, comme je l'ai dit. Les constructions particulières ont disparu, comme par-tout; cependant, en beaucoup d'endroïits, on trouve des murs en briques crues, qui paroïssent avoir appartenu à la haute antiquité. Il ne faut pas les con- fondre avec d’autres constructions qui sont faites en briques crues de petite dimension, et qui sont l'ouvrage des Égyptiens modernes : les premières se reconnoissent à la grandeur des briques qui les composent. elV: Du Portique d'Hermopolis Magna. LE portique d'Hermopolis, seul reste considérable de cette grande ville, a appartenu à l'un des plus magnifiques temples de l'Égypte ancienne. Les dimen- sions des colonnes ne le cèdent qu'à celles des colonnes qu'on trouve dans les grands palais de Thèbes, et le diamètre excède celui des colonnes de Tentyris de plus d’un quart; la longueur du portique devoit excéder celle du frontispice de Denderah, à peu près dans le même rapport. Ainsi ce monument est un des plus considérables de l'architecture Égyptienne. Cette grandeur colossale nous a paru plus gigantesque encore, en sortant d'Antinoé, où nous avions séjourné quelques jours, et où les proportions, quoïque d'ailleurs plus élégantes, nous pa- roissoient mesquines auprès des édifices de la Thébaïde, qui avoient laissé dans notre esprit de si fortes impressions. J'ai dit que le portique est dans l'axe desruines, à six cent cinquante mètres environ de leur extrémité septentrionale. Il est peu encombré ; douze colonnes sont encore debout, couronnées de leurs sofhites , des architraves et des plafonds: mais il a beau+ coup souffert, et il a même perdu une ou deux rangées de colonnes entières; car tout annonce qu il étoit composé de dix-huit ou vingt-quatre colonnes. Ce qui surprend le plus, est de trouver si peu de vestiges du temple proprement dit. Par-tout ailleurs, par exemple à Esné, où le portique seul subsiste , lon peut supposer aisément ce que sont devenues les parties postérieures; même à Antæopolis, le sol est jonché de pierres qui proviennent des muraïlles de l'édifice. Ici l’on ne voit plus rien , et le sol lui-même est peu élevé; on doit donc croire que cette partie du monument a été détruite, à dessein, de fond en comble , et qu'on a cherché à faire disparoître jusqu'aux débris des ruines. La pierre dont il a été bâti est calcaire, et l'espèce en est numismale; telle est sans doute la cause de la destruc- tion de l'édifice : les Chrétiens et les Musulmans ont brisé les pierres pour les convertir en chaux. Les architraves et les plafonds sont encore aujourd'hui en place, comme je viens de le dire. Un quart de la corniche, au milieu de la façade, est également 8 DESCRIPTION DES RUINES D'ACHMOUNEYN \ conservé: le reste n'existe plus : les antes ont disparu en entier. Les chapiteaux sont mieux conservés que les colonnes; de vives couleurs y brillent encore d’un: grand éclat. S' faut en croire le récit que mont fait les habitans, c’est Mous- tafäbey qui à sapé six des colonnes et les a mises dans l’état où on les voit afin de faire écrouler l'édifice et d’en tirer l'or qui, disent-ils, y est caché. Après avoir dégradé extérieurement quelques assises de pierre, il reconnut l'inutilité de ses efforts, et renonça à sa folle entreprise. Je ne puis attribuer à un bey, ou du moins à un seul homme, la destruction même superficielle des colonnes, bien que cette dégradation, qui s'élève Jusqu à dix et douze pieds au-dessus du sol, nuise peu à la solidité de ce portique, et n’en aït en aucune manière ébranlé les supports; elle ne peut être l'ouvrage que d’un très-long temps, ou d’une suite d'efforts de la part de plusieurs hommes puissans (1). Ainsi que dans les autres villes anciennes, les habitans du voisinage ont Îles idées les plus absurdes sur l’origine du monument. J’abuseroïs de la patience du lecteur, si je rapportois les contes extravagans des gens du pays; je préfère citer le surnom qu'ils donnent au temple d'Hermopolis. Plusieurs d’entre eux se sont accordés à me dire qu'il s'appeloit Mahlab el-Benät, c'est-à-dire, lieu d'amusement pour les jeunes filles (ou les jeunes princesses). Au reste, je crois avoir entendu appliquer ce surnom à d’autres anciens édifices. Le temple est exactement orienté selon le nord de la boussole, c’est-à-dire que la façade est tournée vers le sud magnétique; du moins elle l’étoit en 1800, le 29 octobre (2). Cette direction n’est point d'accord avec celle qu’on croyoit avoir toujours été affectée par les Égyptiens, celle du levant; mais l'axe du temple est parallèle au cours du Nil, et nous avons vu assez souvent les édifices placés dans ce sens. La ville d'Hermopolis avoit la même direction que l'édifice, et même les axes de l’une et de l’autre se confondent presque en un seul. L’observa- tion que nous avons faite, de la coïncidence de l'aiguille aimantée. avec l'axe du temple d'Hermopolis, servira dans tous les temps à connoître la marche que suit Ja déclinaison magnétique dans ses variations. La hauteur totale du portique au-dessus de la base des colonnes est de 16" 2 à fort peu près (3); la base avoit environ 7 décimètres de haut : la colonne, com- pris le dé et sans la base, a 13",16 de hauteur. La circonférence du füt de la colonne, mesurée à la hauteur des premiers anneaux ou bandes circulaires qui lient les côtes entre elles, autrement de la qua- trième assise, est de 8",8, d'où l'on conclut le diamètre de 2",8, ou près de néuf pieds; tout en bas du fût, la circonférence est de 8",7. Le chapiteau à 3",94 de haut avec le dé. L’entre-colonnement du milieu est plus grand que les autres ; sa largeur est de $",20 entre le nu des füts. L'entre-colonnement ordinaire est de 4 mètres ; parallè- lement à l'axe, il n'est que de 3",66. A défaut de la longueur totale de la façade (1) On a cru aussi que le séjour des eaux de l’inon- (2) Le 7 brumaire an 8. dation avoit pu produire cet effet, parce que la pierre (3) Voyez planche 52, A, vol. 1V, et l'explication des calcaïre laisse infiltrer et même remonter l'humidité. planches, du OU HERMOPOLIS MAGNA. CHAP. XIV. 9 du portique, qu'on ne peut connoître à cause de la destruction des antes, on a mesuré l'intervalle extérieur entre la première et la sixième colonne ; il est de 38 mètres, environ 117 pieds : la façade entière devoit avoir environ $o mètres {1}. Le portique d’Achmouneyn est un Gimpie de la solidité de la construction Égyptienne. Aucun édifice peut-être n'avoit été bâti plus solidement; ses pro- portions sont massives, et la hauteur de la colonne n'a que cinq d'ami tes tandis que dans d’autres monumens elle en a six. En revanche, l'entablement a des pro- portions moins élevées qu'ailleurs ; elles paroissent même un peu basses pour la hauteur des colonnes : mais l'appareil étoit parfait; et le monument seroit intact comme les pärties subsistantes, si les constructeurs eussent fait choix du grès pour leurs matériaux, au lieu de la pierre calcaire, dont les barbares ont fa- briqué de la chaux. Ceux-ci ont tellement exploité cette riche carrière, qu'on ne voit derrière Île portique, ni colonnes, ni fragmens de colonne, de frise ou de corniche, ni reste de muraille, ni même aucun éclat de pierre; et ce n'est pas une des choses les moins surprenantes pour les voyageurs, jusqu'au moment où ils en ont découvert la cause. Les assises dont les colonnes sont formées, sont égales et régulièrement hautes de 0",56. La partie inférieure du fût a 3 assises; la partie moyenne et la partie supé- rieure en a 4; les liens inférieurs, 1 et demie; les deux autres liens, chacun 2; le chapiteau, 6 ; enfin le dé, 1 ; et si la base en avoit 1 et demie exactement, comme je le pense, le tout faisoit 2$ hauteurs d'assise (2). Les pierres de larchitrave sont d’une grandeur énorme. Il n’y en a que cinq dans toute la longueur de la façade. La plus grande, qui est au milieu, est longue de 8 mètres | près de 25 pieds]. Les autres sont de 6,8. Ce qui reste de la : corniche est une grande pierre, un peu entamée du côté gauche, et dont la lon- gueur est de 10,8 [environ 33 FIGE =] J'ai dit que la pierre avoit pu être tirée de la montagne Libyque ; cependant Besa, ancienne ville Égyptienne, située de l'autre côté du fleuve, avoit de vastes carrières qu'on admire encore aujourd'hui. Il se peut qu'elles aient fourni aussi des matériaux aux édifices d'Hermopolis. Il n’est guère possible d'asseoir un jugement sur la disposition que devoit avoir ce grand édifice ; nous n'avons pas même tenté de le restaurer. I! est certain que le premier portique étoit composé de dix-huit colonnes, peut-être même de vingt- quatre, comme à Denderah; et lon peut supposer avec vraisemblance qu'il étoit suivi d'un second péristyle, de plusieurs salles, du sanctuaire et de l'enceinte. Y avoit-il un pylône en avant du temple! c'est ce dont on ne peut avoir aucune preuve, du moins par les vestiges subsistans; car les ruines qui sont au midi du temple, sont trop éloignées pour être le reste de ces portes antérieures. On doit d'autant plus regretter la destruction du temple d’'Achmouneyn, que sa disposition et toutes ses parties avoient certainement un caractère particulier, (1) Consultez la planche 52, À, vol, 1V, pour con- ceaux. II faut qu'il wait pas aperçu Îles assises aujour- noître les dimensions des autres parties du portique. d’hui si apparentes, ou qu’au temps de son voyage on t x 0 hi / b = 42 (2) Selon le P, Sicard, les colonnes sont de trois mor- n’eût pas encore détruit la surface extérieure des colonnes. Au) B ‘10 DESCRIPTION DES RUINES D'ACHMOUNEYN comme on peut en juger par les singularités que présente le portique. Tous les temples ont dans leur corniche, au-dessus de l'entrée, un vaste globe aïlé qui s'étend d’une des colonnes du milieu à l'autre. Ici, il n’y a point de globe ailé; la corniche, dans toute sa longueur, est uniformément décorée de légendes do glyphiques, appuyées sur des vases, couronnées de feuill Îles, et très-serrées l’une contre l’autre. Dans le seul espace de l’entre-colonnément du milieu, du centre d’une colonne à celui de l'autre, il y en a vingt-six : c’est l'unique exemple d'un édifice Égyptien dont la façade ne soit pas décorée du disque ailé. Les colonnes n’ont d’hiéroglyphes que sur le dé et sur les fuseaux intermédiaires. Enfin ce temple cest le seul qui, dans son premier portique, présente des colonnes du genre de celles-ci. Les colonnes d'Hermopolis sont décorées de fuseaux ou cannelures, comme celles de Lougsor, du Memnonium, et aussi d'Éléphantine, et le chapiteau est en forme de bouton de lotus tronqué. Les fuseaux sont liés par trois anneaux, de cinq bandes chacun; en bas et au milieu, ils sont au nombre de huit: au-dessus, il ya trente-deux fuseaux : le chapiteau est également à côtes, et leur nombre est aussi de huit. Le bas du fût est arrondi et un peu plus étroit que le diamètre du pre- mier tiers; c'est limitation de la tige du lotus à sa partie inférieure. La frise ou architrave est composée de tableaux encadrés par des hiéroglyphes et représentant des offrandes aux dieux de l'Égypte. Dans ces tableaux, le dieu principal a tantôt la tête de l'ibis, et tantôt celle de l'épervier. Les soffites sont enrichis d'inscrip- tions hiéroglyphiques, et les plafonds sont ornés d'étoiles serrées et très-petites. Sous le plafond du milieu, il ÿ a des figures d'oiseaux ayant les ailes déployées. Ce qui étonne le plus après les proportions gigantesques des colonnes, c'est là conservation admirable des couleurs dont le temple étoit revêtu. Les chapi- teaux sont colorés en jaune, en bleu et en rouge; dans la corniche, les feuilles qui couronnent les légendes sont peintes en bleu, et ce bleu est très-vif. Les plafonds ne sont pas colorés (1), ou du moins les couleurs ne sont plus visibles. En finissant ce paragraphe, je ferai remarquer la symétrie qui règne dans les différentes parties du portique d’'Hermopolis, et les proportions qui existent entré un membre et l’autre : cette régularité des lignes n’est pas moins frappante que dans les autres édifices; et de plus, les proportions sont exactement conformes aux mesures Égyptiennes. II seroit superflu de m'étendre au long sur ces rapports, et je me bornerai à rassembler ici les principaux : LONGUEURS | RAPPORTS DIRE N ALORS: en mètres. |des dimensions. patient desiissises MR METRE FRAIS 0,56. 1. de Ja base présumée. ...,......... 11 1 ———de l'apophyge,........,. HAS Ne à 1 1018. 3 ——— des liens, au-dessus de Papophyge... o, 84, 1 + de la partie intermédiaire du fût... .. nn ee 4. (1) Du temps du P. Sicard, le plafond étoit peint le dessous de larchitrave est d’une couleur d’or qui d'azur : maïs il n’a pas vu de peintures sur la corniche; éblouit les yeux. ce qui est assez extraordinaire. En revanche, il dit que OÙ HERMOPOLIS MAGNA. CHAP, XIV. LT LONGUEURS| RAPPORTS DIMENSIONS. en métres, |des dimensions. Hauteur des liens du milieu 120 24. TP 2. 3» 36: (CHE de Ia partie du fût, à 32 cannelures., des liens supérieurs du chapiteau. . de l’entablement présumé. ..... Hauteur totale des colonnes Hauteur de l’ordre entier D'après la valeur de 462 millimètres que nous attribuons à la coudée Égyp- tienne, il est facile de voir que la hauteur des colonnes avoit 30 coudées, le diamètre, 6; et la hauteur de l’ordre entier, 36 (2). Ces nombres sont entie- rement conformes à la division senaire, qui étoit la base de l’ancien système métrique Égyptien. Sa: Environs d'Hermopolis Magna. AVANT de terminer cette description, je ferai une excursion dans les environs de la ville, où j'ai trouvé’ quelques positions anciennes qui ont des rapports avec Hermopolis; maïs je ne ferai point mention des autres lieux de l'Hepta- nomide , dont il doit être question dans les chapitres suivans. La première de ces positions est au nord, à la vérité à une assez grande distance (3); mais le nom d'Ibiu ou Ibeum, la ville des ibis, est nécessairement lié avec le culte d’'Hermo- polis, et ce lieu dépendoït du nome Hermopolitain. Le nom actuel est 74h el-A’moudeyn, où Tahä des colonnes. L'Itinéraire place /4ix à vingt-quatre milles au nord d'Hermopolis; ce qui ne fait que huit lieues de vingt-cinq au degré (4), au lieu de onze à douze, qui sont la distance de T'ahà jusqu'a Achmouneyn. Voici ce que j'ai trouvé dans le village de T ahà : au sud-ouest et contrele village, est une butte de ruines élevée, assez étendue, d'environ cinq à six cents mètres; Tahä paroît lui-même en partie bâti sur les ruines. Dans un fond, j'ai remarqué plusieurs colonnes en granit et en pierre calcaire, et de différens diamètres, dont quelques- unes sont petites et d’une mauvaise exécution; il y en-a cinq ou six en granit. J'ai jugé que c’étoit le reste d’une église Chrétienne, bâtie avec des débris des monumens antérieurs, et la tradition est conforme à cette opinion. I y a encore, sur le bord \ (1) I s’en faut de 2 centimètres. Voyez la planche 52, A, vol, IV. (2) Voyez mon Mémoire sur le système métrique des an- ciens Égyptiens. (3) À six myriamètres. AP)? (4) Les huit lieuestomberoïentexactement sur Minyeh, où, au reste, je n’ai point vu de vestiges antiques. Il est plus probable que lItinéraire est fautif, et qu’on doit lire xxx1V, au lieu de X*x1y. En effet, trente-quatre milles font onze lieues et un tiers. Biz I 2 DESCRIPTION DES RUINES D'ACHMOUNEYN du grand canal el-Dafa’ qui baigne les ruines, deux grosses pierres qui paroiïssent avoir roulé du haut de la butte. Les cheykhs que j'ai consultés ne connoïssent point l'ancien nom du lieu, et ils disent seulement que le surnom. du village lui a cité donné à cause des colonnes qu'on voit aujourd’hui dans les ruines. Je ne trouve donc ici me de foïbles vestiges de la ville d'Ibeum où Ibir : mais je ferai remarquer qu'au-dessous d’Etsä, sur le Ni, à sept mille cinq cents mètres au nord-est, est un village appelé Baidou où Bayähou, dont le nom à de Fa- nalogie avec l’ancien nom Grec. On dit aussi Baioum, ét les habitans se nomment Baioumy. Quelquesuns prétendent que ce village est nouveau. Une butte de dé- combres, également voisine (à trois mille mètres au nord de Tahà et de la digue ), porte encore le nom de Xoum el A’moudeyn, butte des colonnes : mais on n y trouve rien d'antique ; seulement on y voit quelques débris en poteries et en briques (1). À l'ouest d'Achmouneyn et au-delà du canal de Joseph, sont les restes de la ville de Tanis dont parle Strabon. L € nom actuel de Touné, village bâti sur ses ruines, ne laisse pas de doute sur sa position; on l'appelle aussi Touné Gebel, ou de la montagne. C’est peut-être un reste de la distinction qu'on avoit établie autrefois entre les noms de Tunis de la basse Égypte et de Tunis dans la Thé baïde. Strabon dit que le canal partant de Thebaïca Phylace conduisoit à Tanis. Nous voyons aujourd'hui les restes de Tanis un peu à l'ouest du canal de Joseph; mais celui-ci s'est peut-être porté à l'est par la suite des ee C'est le village d'Etqà qui est aujourd’hui sur le canal même, et Touné en est à deux mille mètres environ, sur la limite du désert. Le village est bâti au sud de l'ancienne ville ; au lieu de buttes de décombres, comme on en voit par-tout, j'ai trouvé des murs en briques crues, encore aujourd'hui debout, avec des débris de vases an- tiques. Les briques sont de petite dimension; mais la construction est soignée et faite par assises bien réglées, Au nord et près d'un jardin, j'ai vu une quin- zaine de grosses pierres numismales, aujourd’hui informes pour la plupart, et qui peuvent avoir appartenu à un temple, maïs où aucun caractère, aucune figure visible, n'annoncent un temple au Soleil, comme des voyageurs le rap- portent. Plusieurs ont la forme de colonnes; une, qui est encore debout en partie, a deux mètres environ de diamètre. Au lieu d'exploiter la montagne, les habitans de Touné brisent tous les jours ces anciennes pierres pour les convertir en chaux. Plusieurs autres pierres numismales qu'on trouve au sud de Touné, auprès d'un fan annoncent que la ville s'étendoit jadis jusque là; les habitans assurent qu'elles ny ont pas été transportées. Les anciens Égyptiens ont exploité la montagne Libyque en face de Tanis. J'y aï reconnu des excavations; une grande catacombe y a été creusée, et la porte a été pratiquée dans une grande façade coupée à pic et dressée. C’est presque, dans ce canton, le seul endroit de la chaîne où la pierre soit à découvert; aïl- leurs, elle est toujours cachée sous les dunes de sable. Auprès de cette grotte antique , la chaîne s’abaisse vers une ancienne vallée comblée ; les Arabes ont (r) On ne trouve au reste {biu mentionné que dans l’Itinéraire, à moins qu'on ne lise, dans Étienne de Byzance, “IGeio au lieu de ‘peior. OÙU HERMOPOLIS MAGNA. CHAP, XIV. 13 percé loin de là un chemin qui les mène à la petite Oasis, et qui conduit aussi à Behneseh et au Fayoum. Entre les ruines de Touné et la crête de la montagne, précisément en face de l’ouverture faite dans le rocher, il y a encore des ruines aujourd’hui cachées en partie par les sables : on y aperçoit des murs de briques crues, encore debout, Les briques sont petites, alternativement de champ et à plat. On trouve, aux envi- rons, des fragmens d'albâtre et de marbre travaillés, quantité de pierres numismales taillées, et beaucoup de morceaux d'un ciment dur, fait de gros sable et de chaux. Ce ciment est bien poli en dehors, et il a la couleur de Penduit des citernes qu’on trouve aujourd'hui en Egypte. La nature des pierres que j'ai vues dans les ruines et à Touné, annonce que la montagne Libyque est, dans cette partie, composée de pierres numismales; à trois ou quatre cents mètres à la ronde, les dunes de sable sont parsemées de briques cuites et d’éclats de vases. Les ruines n’ont pas de noms connus, les Arabes leur donnent le nom banal de Deyr , et ils m'ont dit que, vers le nord, il y en a beaucoup de semblables dans la montagne. Je dois dire ici un mot du lieu appelé Babeyn, où étoient de prétendues écluses sur le canal de Joseph, que les voyageurs ont dit avoir vues au nord de T'anis. J'ai voulu vérifier ce qu'il y avoit de positif sur le nom et sur l'existence de ces portes. Je ne me suis pas contenté d'interroger les cheykhs et les habitans du lieu, dont aucun n’avoit même connoissance du nom de Babeyn ; j'ai parcouru encore pied à pied les rives du canal, et je n’aï pas vu le moïndre vestige d’une seule construction. Des Arabes m'ont cependant parlé d’un endroit de ce nom, placé à l’ouest de Darout-Achmoun, presque au sommet de la montagne; mais ce sont deux portes de catacombes percées dans lerocher, et qui conduisent à des salles où l’on trouve des colonnes. I devoit y avoir aux environs quelque position ancienne, corres- pondant , suivant l'usage, à ces hypogées ; je n’en aï vu cependant aucune, et l'on ne m'a point parlé d’un lieu qui renfermât des antiquités. Des hommes de Tendeh et d'el-Badramän m'ont aussi nommé un endroit du nom de Medynet el-Babeyn ; mais ils n'en connoïssent que le nom. Il est donc certain que les écluses prétendues . n'ont aucune existence , et je crois que C'est le sens du mot Arabe Babeyn, les portes, qui a induit en erreur les voyageurs et les écrivains. I me reste à parler d'un endroit que Strabon nous a fait connoître sous le nom d'Hermopolitana Phylace. Voici comment il s'exprime : « A l'écart du Nil est » Oxyrynchus… ensuite Aermopoltica Phylace, certain lieu où l’on fait payer un >» droït aux marchandises qu'on transporte de la Thébaïde : là, on commence à » compter par schœnes, de soixante stades chacun, jusqu’à Syène et Éléphantine. » Ensuite vient Thebaïca Phylace, et le canal qui conduit à Tanis. » On peut se demander si ce premier poste étoit placé sur le Nil, comme le feroit entendre Ptolémée {1),ou bien sur le grand canal. Strabon ne s'explique point sur sa position précise. Si la position correspondante, sous le nom de Thebaïca Phylace, étoit (1) Ptolémée suppose 28° 15’ de latitude au point Ptolémée, qui n'indique pas particulièrement l’un ou dont il s’agit, et 28° 26 à Hermopolis; différence, 11‘ l’autre de ces deux postes, avoit en vue, selon moi, ce [plus de deux myriamètres ]: cette distance convient ‘dernier. Le passage ne renferme que le mot de Phyluce, bien à Darout el-Cheryf, où je place Thebaïca Phylace. sans Pépithète d’Æermopolirana. 1 À DESCRIPTION DES RUINES D'ACHMOUNEYN destinée à reconnoître les navires descendant de la Thébaïde , il est très-vraisem- “blable que la première avoit la même destination, quant aux barques venant de Memphis et de l’'Heptanomide pardle canal de Joseph. La navigation sur ce canal étoit autrefois bien plus importante qu’elle ne l’est à présent. Strabon sy em- barqua, et la manière dont il raconte son voyage feroit croire qu'il le prit pour une branche du Nil; même il ne parle nullement du grand fleuve. Le village de Darout Omm-Nakhleh, qui s'appelle aussi Darout-Achmoun, et dans le voisinage duquel nous venons de voir qu'il y avoit des vestiges d'anti- quités, pourroit bien être dans l'emplacement du château ou poste Hermopolitain, comme Darout el-Cheryf (ou, selon les Chrétiens, Darout-Saräbâm) , situé à l'embouchure du canal, étoit le poste Thébaïque. Le nom commun de Darout semble correspondre à l'ancien nom commun de P/ylace.-Darout-Saräbâm est sur la limite de la Thébaïde ét de l'Heptanomide, et Darout-Achmoun est près du désert, presque en face d’Achmouneyn et au-dessous de Tanis. Enfin son surnom d'Achmoun paroît signifier la même chose qu'Aermopolitain : cax , ainsi que nous le verrons bientôt, Achmouneyn est un reste de l'ancien nom de la ville: Æermo- pohs est un nom imposé par les Grecs. Au nord d'Achmouneyn, sur le canal, est un lieu composé de deux villages contigus, appelés Qasr-Hour. Le mot Qasr signifiant château, et Hour étant un ancien nom Égyptien (1), on pourroit encore chercher dans cet endroit l'ancien château d'Hermopolis, et avec assez de vraisemblance. Si l’on croit que le poste Hermopolitain devoit être sur le Nil, en se fondant sur ce que les Qobtes parlent du port de Schmoun , on pourroit supposer cette position en trois endroits : l'un, à l'origine du Tera’t el-Sebakh, où est un couvent dont j'ai fait mention plus haut; le second, à el-Reyremoun, origine d’un canal qui se rend à Achmouneyn; le troisième, enfin, à Meylâouy, où le Nil passoit dans le siècle dernier. Mais je dois dire qu'il n'existe point de vestiges d'antiquités dans _les deux premiers, et que le troisième n'a aucune butte de ruines. I y a moins d'incertitude sur le poste Thébaïque. Il est certain que Darout- Sarâäbâm, village aujourd'hui riche, peuplé'et bien bâti, est le siége d'une ancienne position. Dans la mosquée qui est sur le canal, on trouve des colonnes antiques ; il y en a dix de marbre blanc, et deux autres torses. Les chapiteaux sont Corinthiens ; mais l'ouvrage est grossier et paroît Arabe. Dans la cour de Selym-aghä, j'ai vu un piédestal en marbre de la même exécution; j'ai vu aussi dans la même cour un monolithe de granit, ouvrage Égyptien, qui a été trouvé, quinze ans avant l'expédition, par des fc/äh creusant près d’un jardin, et qui sert aujourd’hui de marchepied. C’est le cheryf qui me racontoit ce fait; d’autres me dirent que cette pièce avoit été trouvée à Koum el-Ouysyr, butte sur le canal au nord de Darout. La grandeur du monolithe est de 36 pouces; sa largeur, de 32; sa pro- fondeur, de 30. I] y a une niche pratiquée dans l'intérieur, et les faces sont ornées par une corniche et un cordon qui fait le tour. En outre, les Chrétiens disent que Saräbäm est l'ancien nom de l'endroit, et que (1) Description d'Edfoû, chap, V, £. v. OU HERMOPOLIS MAGNA. CHAP. X1V. 15 ce lieu a de tout temps été ainsi appelé sur leurs registres. Ils ajoutent que c'étoit autrefois une ville de Grecs / Romän/] (1), et les Musulmans lappellent Beled-Koufry, ainsi qu'ils font de toutes les ruines Égyptiennes. Au reste, il n’y a point, comme dans les anciennes villes, de buttes couvertes de décombres, ou de constructions ruinées en ms Ce qui vient à FPappui de la didier des Chrétiens, est l'existence d’un ancien monastère appelé Deyr Abou-Saräbäm, que j'ai vu auprès de Darout : c'est une petite enceinte carrée, où l'on enterre les Chrétiens qui meurent dans les villages voisins. L'église étoit desservie par un homme trés-pauvre et vivant d'aumônes ; maïs il n’y à point de prêtres dans le couvent (2) Le nombre des Chrétiens est très-petit à Darout ; une vingtaine y vivent d'aumônes, où font le métier de fe//4h. Le aa a est beaucoup plus ancien que le village même. Au FAP pos des Qobtes, il y a eu là jadis une habitation de Grecs, avant que les Chrétiens s'y éta- blissent. Son nom étoit Derouch- Sardbämoun Lush Ds) |. Derôueh, a-t-on dit sur les lieux, signifie enceinte habitée (3); quant à Sardbämoun, il est facile dé voir, selon moi, que c'est un nom composé de Szräb ou Serapis, et d'Armoun ou Ammon(4). Ainsi Darout-Saräbâm est un nom corrompu et abrégé. D’Anville, et ceux qui l'ont précédé, sont donc tombés dans une double erreur, aa ils ont cru que Darout el-Cheryf vouloit dire /e canal noble ou bien dx cheryf. Ce nom nest pas une corruption de Tera't eLCheryf; c'est le mot Derouet qui a été changé en Darout, et ils ont ajouté e/-Cheryf, à cause qu'un cheryf (5) y avoit fait sa résidence. Ainsi se détruit cette origine qu'on avoit donnée au canal de Joseph, en l'appelant canal du Patriarche. On saït maintenant, à n'en plus douter, c'est une dérivation naturelle et peut-être un ancien bras du fleuve, qui autrefois que a été fort considérable (6). Dans le village même de Darout, il y a peu de traces d’une ancienne ville. On m'a dit que, trente ans avant l'expédition, il y avoit existé une fort ancienne église, qu'on a remplacée par une autre plus petite. J'aï vu dans celle-ci deux à trois petites salles oblongues, sur le plan commun des églises d'Égypte (7). Personne n’a pu me dire s’il y avoit eu dans cet endroit un ancien fort, comme il devoit en exister un à Thebaïca Phylace. Le bois de dattiers qui est auprès, renferme une grande (1) Les Qobtes surnomment cet endroit Beled-Romän , c’est-à-dire , ancienne résidence des Grecs, et non des Romains, comme l’a cru Jablonski. Roum, Romaän, est le nom que les Qobtes donnent aux Grecs; nom qu'il ne faut pas confondre avec Roummän , qui signifie grenade, (2) Au-dedans, sont quelques doum et un dattier remar- quable pour la grandeur ; au-devant , est un gros sycomore. (3) Plusieurs savans font venir Darout et Derouet de Tepeurr, mot Qobte, signifiant dérivation. M. Cham- pollionle tire de PEUT Où PAS, dériver ( L'Egypte sous les Pharaons, tom. 1, pag. 20). Le mot Arabe T'era’t signifie aujourd’hui à peu près la même chose; c’est le nom qu'on donne aux canaux. (4) Les Égyptiens donnoient le nom d’Amoun à Ju- piter. (Hérodote, Hise, liv. 11,$. 42.) Ces assemblages , de noms des dieux Égyptiens se rencontrent souvent. On les voit fréquemment employés dans les manuscrits Qobtes : de cette espèce; et un saint anachorète , appelé Sara- les Chrétiens ont adopté les noms composés . pamon , avoit, suivant el-Maqryzy, donné son nom à une église voisine de Darout. (Ét. Quatremère, Obser- vations sur quelques points de la géographie de l'Egypte. tom. Î, pag. 13.) (s) On donne ce nom aux descendans de Mahomet; c’est toujours un cheryf qui est cheykh el-beled dans ce village. (6) Voyez mon Mémoire sur le lac de Mœris, 4. M, tom. Î, pag, 100, (7) Le carreau étoit couvert de béquilles : les insectes y vivent dans une abondance incroyable, et rendent le séjour de ces églises insupportable aux étrangers. 16 quantité de briques cuites, annonçant d'anciennes habitations, et que les felläh ont coutume d'y ramasser pour bâtir. Je citeraï ici Agatharchide, qui compte au nombre des cinq nomes placés entre Memphis et la Thébaïde, le lieu appelé PAylaca, et, selon d’autres, Schedia, où lon percevoit le tribut des marchandises apportées du pays supérieur. H n’y à pas d’autres vestiges d’une préfecture de ce nom; mais le nom de Schedia, commun au poste du lac Mareotis, près d'Alexandrie, offre un rapprochement curieux (1). Je conclus que le château-fort dont parle Strabon, sous le nom de Thcbaïca Plhylace, étoit placé, non à Darout même ou plutôt Derouet el-Cheryf, mais à Deroueh Sarâb-amoun, où étoit une ancienne habitation, et non loïn du couvent actuel, appelé par abréviation Deyr Abou-Saräbäm. L'autre position, appelée par les Grecs Æermopolitana Phylace, étoit, selon ma conjecture, soit à Qasr-Hour, soit à Darout-Achmoun, qu'il faudroit appeler Déerouet-Achmoun : ce mot paroît signifier, en effet, enceinte Hermopoltaine (2). DESCRIPTION DES RUINES D'ACHMOUNEYN $ VI. Rapprochemens et Conclusion. IL ne faut pas chercher dans Æermopolis, nom qui semble entièrement Grec, le véritable nom que portoit la ville Égyptienne. Le nom actuel d'Achmouneyn est peut-être plus propre à nous faire retrouver l’ancien. Achmoun ou Chmoun me paroît en être certainement le reste; car les habitans m'ont rapporté que cet endroit s'appeloit autrefois Medynet-Achmoun, ville d'Achmoun. Ce nom a la plus grande ressemblance avec Chmoun, en grec Chemmis et Chemmo, nom d'une divinité Égyptienne, suivant Diodore de Sicile et d’autres auteurs. dans la basse Égypte, et auprès de l'ancienne ville de Mendès, donne son nom au Achmoun , canal Mendésien. Achmym, dans la Thébaïde, a succédé à l'ancienne Chemmis, la Panopols des Grecs. Enfin Chmoun ou Schmoun est le nom qui, dans tous les manuscrits Qobtes, répond à Æermopolis Magna (3). Les Arabes ont ajouté, par euphonie, l'élif initial, comme dans Achmym, Asouän, Esné, et beaucoup d’autres noms. Le nom de Darout-Achmoun , village situé en face d'Achmouneyn, montre encore que la même dénomination a appartenu à tout ce quartier de l'Égypte; c'étoit peut-être le nom du nome lui-même d'Hermopolis. Au reste, je n’entre- prendrai pas de chercher dans les débris de l’ancienne langue Égyptienne la signi- fication du mot Achmoun | Schmun où Sun, selon Jablonskï) : c'est une tentative que ce savant a faite sans beaucoup de succès (4). | (1) Geogr. vet. Scriptores, (2) Dourât csl,35, Jun des pluriels de Dér SiBA signifiant domus, mansio, &c. (3) Voyez les Mémoires sur l’Ecypte par É. Quatre- mère, où ce savant a cité à lappui du fait un grand nombre de textes Qobtes. Voyez aussi l'Egypte sous les Pharaons, par M. Champollion. (4) Jablonski traduit Chmoun , WRS-OTSN, par octavus, Mercure, dit-il, fur le huitième dieu ajouté aux sept planètes; comme si Mercure n’étoit pas Jui-même une des sept planètes! Voyez le Panthéon des Égyptiens , pag. 300 et suiv. Le village où sont les ruines de cette grande ville, a proprement pour nom /Vefs el-Achmouneyn, et non Dans OU HERMOPOLIS MAGNA. CHAP, XIV. 17 Dans son Traité d'Isis, Plutarque dit que les uns font cette divinité fille de Mercure, et les autres, de Prométhée, parce que celui-ci est la source de toute sagesse et de toute prudence, et celui-là l'inventeur de la grammaire et de la musique ; c’est pourquoi à Hermopolis, ajoute-t-il, on donne les noms d’Zss et de Justice à la première des Muses, qui est 4 Sagesse, et qui fait connoître les choses divines aux Aééraphores et aux hiérastoles, appelés ainsi, de ce qu'ils portent. les choses sacrées, ou s'habillent de vêtemens sacrés (1). Ce passage nous fait entrevoir pourquoi Mercure étoit honoré à Hermopolis. Dans tous les temples, Isis et Osiris étoient l’objet du culte universel; mais Thoth ou le Mercure Égyptien, à qui l'on attribuoit symboliquement la découverte des lettres , des sciences et des arts, étoit pour ces peuples l'origine de l’ordre et de la justice, qui doivent présider à l'économie de la société. Les Hermopolitains avoient un culte particulier pour Mercure; et des animaux, tels que l'ibis et le cynocéphale, lui étoient consacrés dans cette préfecture : maïs les hommes versés dans la con- noïssance des symboles savoient que ce culte -étoit, au fond, en l'honneur de la divinité mère des arts et des sciences, et la première des Muses, selon Plutarque. Citons encore cet auteur, qui, dans le même Traité, a rassemblé tant de traits curieux de la religion Égyptienne. On montre, dit-il, à Hermopolis , un hippo- potame, symbole de Typhon, sur lequel est un épervier combattant contre un serpent (2). Il seroit aisé de trouver dans les bas-reliefs Égyptiens, et sur-tout dans les Typhomum, un sujet analogue ; mais l'état de ruine du temple d'Hermopolis ne nous à pas permis d'y dessiner beaucoup de sculptures, et de retrouver l’em- blème rapporté par Plutarque, dont le sens d’ailleurs n’est pas très-difhicile à saisir (3). Élien, après avoir rapporté les motifs assez puérils de la consécration de Fibis à Mercure, dit que, suivant Apion, la vie de cet oïseau étoit très-longue : Apion, ajoute-t-il, cite en témoignage les prêtres d'Hermopolis, qui lui avoient montré à lui-même un ibis immortel (4). Élien se donne la peine de combattre ce récit et la possibilité du fait matériel. Qui ne voit que ce langage figuré exprimoit une idée très-simple; savoir, l'origine divine des arts et des sciences, dont Mercure passoit pour l’inventeur, Mercure dont l'ibis étoit le symbole vivant! J'irai plus loin, et je supposerai que lis immortel montré à Apion étoit une de ces figures de Thoth à tête d'ibis, si fréquentes dans les monuimens Égyp- tiens, et que l'on voit sur l'architrave du temple d'Hermopolis. Cette figure composée étant l’image d’un des dieux de l'Égypte , il n'étoit pas surprenant que Jés prêtres l’appelassent immortelle. Au reste, la vie de l'ibis passoit pour être, ainsi que celle de l'épervier, d’une durée extraordinaire. Dans un des dialogues de Platon / ën Phædro), Socrate s'exprime ainsi : J'ai appris que, vers Naucratis, on adoroït un ancien dieu appelé Theuth, auquel étoit consacré libis; ce dieu, le premier, inventa les nombres, le calcul, la Achmouneyn. Le sens du mot nefs[ si] est ame J'spiri- (2) Zhid.S. so. tus, anima, vita, magnitudo, sanguis, ê7c.], et le verbe (3) Voy. la Descript. d'Edfoû, À, D. chap. V, $.vi1; nefas, aux différentes formes, a plusieurs sens, respirer, et la planche 64, À. vol. 1, où l’on voit un épervier sym- croître, briller, &c. bolique, à corps de lion, foulant aux pieds un serpent. (1) Plutarque, de Jside et Osiride, (4) Ælian. de Natura animal, cap. XxIX, Lond. 1744. A, D. C 18 DESCRIPTION DES RUINES D'ACHMOUNEYN géométrie , l'astronomie, les jeux de dés et de hasard, et les lettres de l'al- phabet. : Ainsi, avec la position nommée //z, voilà trois endroits de l'Égypte où l'ibis étoit particulièrement en honneur. Ajoutons que c’étoit à Hermopolis, au rapport d'Hérodote, qu'on transportoit les ibis embaumés (r). J'insisterai ici sur les rapports du culte de l'ibis avec celui du dieu Thoth ou Mercure; rapports qui expliquent les récits des anciens au sujet d'Hermopolis Magna, et l'existence d’une ville d'Ibeum. L'auteur de l'Histoire naturelle et mytho- logique de l'ibis (ouvrage que nous avons déjà cité) a rassemblé avec soin tous les traits qui peignent cet oiseau célèbre, et il est difficile d'y rien ajouter : néanmoins les honneurs que l'ibis recevoit dans la grande ville de Mercure, méritent une attention particulière. Selon Diodore de Sicile, Hermès avoit inventé les nombres, le calcul et les mesures. Il paroît que le système des mesures avoit, chez les anciens Égyptiens, une grande importance : un dieu y présidoit particulièrement; et parmi les membres de l'ordre sacerdotal, il y en avoit un spécialement chargé du soin d'y veiller : la connoïssance de ce système étoit une notion qu’il falloit posséder pour remplir les fonctions d'hiérogrammate. Si l'ibis présentoit quelque rapport avec les mesures, il devoit donc fixer lat: tention des Égyptiens ; et sa consécration à Mercure dans Hermopolis, où il est si souvent sculpté; dans /eum, qui porte son nom; dans un lieu près de Naucratis; enfin dans Memphis même. où l'on peut croire qu'il étoit honoré, puisque des catacombes entières sont remplies de dépouilles d'ibis religieusement conservées dans des vases et des enveloppes préparées avec art ; sa consécration, dis-je, à Mercure n'a rien qui doive étonner. Or ce rapport de l'ibis avec les mesures des Égyptiens, un auteur ancien nous l'a fait connoître. Ils rapportent, dit Élien, que l'ibis en marchant a les jambes écartées de l'intervalle d’une coudée. On sait que cette espèce d'oiseau abonde pendant et après l'inondation. Au milieu des cam- pagnes encore couvertes du limon du Nil, le pas de libis se faisoit donc par-tout remarquer ; et s'il se rapportoit en effet avec la mesure usuelle, rien n’étoit plus facile, plus commode, que d’en faire un certain usage, à la vérité un peu grossier, : pour l'arpentage des terres. J'ai été curieux de savoir si, dans les bas-reliefs où cet oiseau a été sculpté, l'ouverture du pas a quelque relation avec la longueur de la coudée Égyptienne. D'après l'opinion des Égyptiens, il étoit naturel de croire que les sculpteurs n'auroient pas manqué de donner au pas de l'oiseau la grandeur dont il s'agit : or, parmi les sculptures d’un petit obélisque en granit, trouvé au Kaire, il y a un ibis parfaitement travaillé, dont le pas a 0",0575. L'oiseau y est repré- senté au quart de la proportion ; ce qui fait, pour le pas naturel, 0",231, moitié de la coudée de 462 millimètres (2). Si Élien eût dit que le pas étoit d’une demi- coudée, il auroit été très-exact. Je ne prétends pas affirmer ici que l'ibis marchoit toujours d’un pas égal à une demi-coudée; mais je remarque seulement que, dans les sculptures Égyptiennes, tel est l’écartement de ses pieds. (1) Hérodot. Hisr, Tiv. 11, $. 67. : (2) Voyez le Mémoire sur le systèmeqnétrique des anc'ens Egyptiens, chap. v. OÙ HERMOPOLIS MAGNA CHAP. XIY. 19 C'est peut-être là le fondement de ce , Passage de Clément d'Alexandrie, où il dit que l’ibis paroît avoir donné aux Égyptiens la première idée du nombre et de la mesure; et en même temps l'explication du motif qui fit consacrer cet oiseau à Mercure, inventeur des mesurés et du calcul (1). Un fragment curieux d'un hymne à Hermès mérite d'être cité ici : « © Hermès shiforme (ou à figure » d'ibis), guide de la raison, auteur des lettres et de toute espèce de mesure (2)! » Le TORPNEREREERE de la forme de Fibis avec Mercure est ici encore plus évident; etiln est plus douteux que ce dieu à tête d'ibis n'eût quelque rapport avec les mesures Égyptiennes. Cette épithète d’hsforme est sur-tout remarquable, en ce qu'elle traduit , si l'on peut dire aïnsi, parfaitement la figure de Thoth telle que nous Ja voyons sculptée sur le temple d'Aermopolis Magna et dans nombre d’autres édifices : c'est-à-dire, une figure d'homme avec le masque de cet oiseau. Après tous ces rapprochemens appuyés sur les monumens eux-mêmes autant que sur le récit des auteurs (3), je suis fondé à conclure que les Égyptiens avoïent élevé un temple, à Hermopolis, en l'honneur de Thoth ou Mercure, supposé l'in- venteur des arts et des sciences les plus utiles à la société, telles que l’arithmétique, le calcul, l'écriture, la grammaire et la musique, la géométrie, l'astronomie, et la science des mesures; que l'ibis y étoit consacré comme un symbole vivant du Mer- cure Égyptien, et doué de facultés naturelles en rapport avec les idées qu’on avoit de ce dieu; et que c'étoit pour offrir une image sensible de ces rapports qu'onavoit figuré celui-ci avec une tête d'ibis. Il est à regretter que le temple d'Aermopols Magna soit aujourd'hui aussi ruiné : nous aürions trouvé dans les sculptures du monument une multitude de sujets capables de donner des lumières sur cette origine emblématique des sciences et des arts. (1) Je m’abstiens de citer ici toutes les qualités natu- (3), Afin de ne pas allonger cette description , je n’ai relles de l'ibis, exposées avec les plus riches développe- pas cru devoir citer ici tous les passages connus de Dio- mens,dans louvrage de M. Savigny. dore, de Platon, de Plutarque, de Clément d’Alexan- (2) ‘Epure Glupgt, &c. drie, &c. au sujet du Mercure Égyptien. 20 DESCRIPTION DES RUINES D'ACHMOUNEYN. SES Ces nes TN OC pe REP LR ML" EE SUN EE | ; page [. $. Il OBSABECE historiques et géographiques ses RAS A es ne : 34 S. IT. Topographie des ruines d'Achmouneyn. ......... POUR AR OCE EE SRE | de $. IV. Du portique d'Hermopolis Magna... ........... sn net PE sé 7 $. V. ÆEnvirons d'Hermopolis Magna. ..... in sieste rene ds INR SVE Rabprochemens eÆConcisione. MNT RNRE CESR Fr. 16. DESCRIPTION D'ANTINOË: PAR E. JOMARD. I TT MTS CHAPITRE XV. ER D. ED. RE dl $ LL Considérations générales sur l'origine d'Antinoé, Ex abordant la description d’une ville d'Égypte entièrement Romaine , après celle des magnifiques cités de la Thébaïde et de sa somptueuse capitale, on éprouve àda-fois deux sentimens en apparénce opposés : l’un, la crainte d’être bien loin au-dessous des monumens de l'art Égyptien ; l'autre, l'admiration qu'excite la puissance de Rome pour avoir établi dans une région étrangère, au cœur même de la contrée, une architecture si différente de celle qui, pendant tant de siècles, y avoit régné sans partage, et pour avoir jeté , conçu, exécuté en peu d'années le plan d’une grande ville, qui semble ne lui avoir pas plus coûté que n’eût fait un seul édifice , et qui, succédant à-la-fois à Thèbes, à Memphis, à Abydus, à Pto- lémaïs, à Alexandrie, fut la capitale du pays jusqu'à la conquête des Arabes et jusqu’au démembrement de l'Empire. Sans doute, Antinoé ne renferme pas, comme les monumens de Thèbes, des statues colossales, des obélisques, des colonnades gigantesques; on n'y voit pas des palais, des temples ou des hypogées le disputant en magnificence; les richesses de la décoration architecturale y sont moins variées que dans les ouvrages de l'Égypte ; enfin , de savoir, la hardiesse et l’habileté des constructeurs ne s'y montrent pas avec autant d'avantage : mais quelle idée ne prend-on pas de la grandeur d’un peuple qui, dans une région mal soumise, environné d'ennemis, crée tout d’un coup une capitale et la remplit avec des édifices tous étrangers au pays, des amphi- théâtres, des arcs de triomphe, des colonnes triomphales, des thermes et des hippodromes! Que penser de ces rues magistrales, aussi longues que la ville nouvelle, qui la partagent dans les deux sens, et sont, d’un bout à l'autre, autant d'immenses colonnades ! Que dire enfin de tant de travaux extraordinaires , si ce n'est que les Romains, ces maîtres du monde, ont fait en Égypte ce qu'ils ont fait en tout lieu ; qu'ils n'ont connu aucun obstacle pour les entreprises les plus hardies, et qu'ils étoient dignes en effet de commander à l'univers, puisque par- tout ils relevoient les ruines des grands monumens, ou les effaçoient par d’autres merveilles ! Cette habitude chez les Romains, d'élever des édifices dans les lieux AUD A 2 DESCRIPTION soumis à leur domination et de produire par-tout le grand et le beau, les a distingués des autres nations de la terre ; faut-il s'étonner de ce qu'ils ont fait en Égypte, puisqu'ils ont couvert tous les pays conquis de villes, de ponts, de routes, d'aqueducs et de chaussées admirables! Rien n’atteste aujourd’hui leur grandeur comme toutes Ces constructions ;. et il est vrai de dire que de si nombreux et de si beaux ouvrages ont fait autant pour la gloire de Rome que sa valeur guerrière et le génie de ses écrivains. Ce peuple étoit persuadé des grands souvenirs que laissent les môonumens ; car sous les rois, sous la république , sous les empereurs, il a toujours eu, si l'on peut dire ainsi, la même passion pour bâtir. Adrien venoit après des princes qui avoient élevé les édifices les plus somptueux. Il avoit hérité de leur goût pour les arts, et il ne s’en montra pas indigne. Aucun n'a fait, sous ce rapport, de plus grandes choses, et construit plus de monumens dans toutes les parties de l'Empire. L'histoire a conservé le souvenir de son voyage en Égypte: il fut frappé des mœurs de ce peuple si dégénéré, dont ilne restoit plus rien en quelque sorte que son architecture. Les Grecs l’avoient presque fait oublier, et Rome effaçoit alors tout ce qui avoit existé avant elle. Les sciences, le génie de l'Égypte, avoient péri avéc son existence politique : dénaturée, asservie, elle n’of-. froit plus à ses nouveaux conquérans que des ruines muettes et sans éloquence. Mais, eussent-ils été aussi éclairés, aussi passionnés pour les sciences qu'ils l'étoient peu, les Romains n’auroient pas appliqué leur génie à deviner celui des vaincus: il Jeur coûtoit moins de faire aux descendans de ces mêmes Égyptiens le présent d'une ville nouvelle, que d'étudier les ruines, que de chercher à comprendre les ouvrages des plus anciens artistes et lé système dans lequel ils avoient travaillé. Cette nation , qui a tant fait pour vivre dans la postérité, ne s'occupoit point des intérêts d'une gloire étrangère; l'équité pour les peuples vaincus n’étoit point une vertu dont se piquassent les Romains, .et ils n’ont fait aucun effort pour recom- mander au souvenir des hommes les nations les plus justement célèbres. Heureux les peuples qu'ils ont soumis , si leurs vainqueurs n’eussent pas violé les lois de la justice dans des occasions plus graves, et n’eussent offensé d’autres intérêts que ceux de la gloire acquise par de grands monumens ! Il ne paroît pas qu’'Adfrien ait connu mieux que ses compätriotes, les travaux de l'Égypte savante, et apprécié son antique civilisation, source première de celle de la Grèce et de ftalie : mais il fut sensible aux beautés de son architecture, au style mâle et majestueux qui brille dans ses monuments. I visita Thèbes; il fut frappé de ses restes encore aujourd'hui si augustes, et qui, de son temps, étoient moins des ruines et des débris qu’ils ne devoient ressembler à la capitale du monde, ébranlée seulement par quelque catastrophe et récemment abandonnée par ses habitans. En voyageur curieux, il laïssa sur les monumens des traces de son passage, et permit que son nom y fût gravé pour attester son voyage aux bords du Nil. Une multitude de médailles furent frappées, en l'honneur du prince, dans toutes les préfectures ou sous leur nom. À l’exemple de Germanicus, il admiroit la splendeur de Thèbes; et je ne doute point que l'aspect de ces grands ouvrages n’aït élevé encore son goût, naturellement porté vers le beau : peut-être doit-on au séjour d'Adrien en Egypte D'ANTINOÉ. CHAP, XV. 3 quelques-uns de ces gigantesques monumens qui signalèrent son règne (1). Il n'imita pas l'architecture Égyptienne, maïs il se pénétra de ces principes qui. ont présidé aux ouvrages de l'Egypte; la solidité dans la construction , la proportion des maté- riaux, l'élévation du style, la majesté dans l'ordonnance, la symétrie des grandes lignes, en un mot l'wuté des parties et l'harmonie des masses. Les monumens qu’il éleva dans Athènes, empreints de la pureté du goût et de l'élégance Attiques, semblent aussi respirer le génie Égyptien dans leurs grandes proportions, élément non moins nécessaire de la beauté en architecture. C’est à cette causé première que j'attribue la fondation d’Antinoé, bien plus qu’au besoin d'honorer la mémoire d’un favori, et de laïsser une cité entière pour monument d'un goût effréné. Je n'entreprends pas ici de disculper Adrien de lac- cusation dont on a flétri sa mémoire; car plus il y a de magnificence dans Antinoé, et plus la gloire de son fondateur devroit en être ternie. Mais, quelque passion qu’on suppose à ce prince pour le jeune Antinoüs, il n'est pas croyable qu'il ait créé une ville en son honneur, et comme pour perpétuer le souvenir d’une illustre infamie. D'autres causes ont présidé à lorigme d’Antinoé. Selon moi, les édifices de Thèbes suggérèrent à Adrien l’idée de bâtir une cité somptueuse, et dont les rues en colonnades devoïent rivaliser avec les célèbres avenues de statues colos- sales. I étoit aussi devenu nécessaire d’avoir une capitale nouvelle qui remplaçät lancienne. L'administration du haut pays exigeoït un grand établissement, placé au centre de l'Égypte : Alexandrie ne pouvoit suffire qu'aux besoins maritimes; Abydus, Memphis, étoient en ruines :@ermopolis magna, qui Jouissoit de l'avantage d'être au cœur de l'Égypte , se détruisoit de jour en jour; elle étoit d’ailleurs médi- terranée, et non sur le Nil. Alexandre avoit fondé une grande ville en Égypte; les Grecs avoïent eu dans la Thébaïde une ville toute Grecque, Ptolémaïs: c’étoit un motif pour Adrien d’avoir une ville toute Romaïne, Enfin le siége que choisit Adrien, étoit lui-même une ancienne position. Auprès de là étoïent les restes de Besa , ville Égyptienne, consacrée à un dieu de même nom, qu'on honoroït aussi à Abydus (2). Tels furent, sans doute, les motifs qui firent établir dans ce quartier de l'Égypte, au centre de toute la contrée, en face même d'Aermopols , une cité nouvelle, rem- plissant l'espace entier que laïssent entre eux le fleuve et la montagne d'Arabie. Ces raisons politiques me paroissent avoir déterminé Adrien, bien plus que sa _ passion pour Antinoüs. Au reste, les statues qu'il lui érigea et dont il orna sa ville, le nom qui fut imposé à celle-ci, l'espèce d’apothéose qui fut décernée à ce favori, sont d'assez éclatans témoignages de l'affection du prince (3). L'empereur ne se borna pas à fonder une ville en Égypte; il créa en même temps une province, et Antinoé fut la capitale de ce nome nouveau. Cest le géographe Ptolémée qui nous a conservé ce fait assez extraordinaire ; mais aucune médaille ne porte le nom du nome Antinoïte. (1) Voyez ci-dessous, 5. XV. qu'Adrien Jui fit bâtir un temple magnifique à Mantinée (2) Voyez Ammien Marcellin, eta Description d’Aby- en Arcadie , et qu’il établit en son honneur des jeux dus, À, D. chap. XI. . solennels. (3) Le Nain de Tillemont, d’après Spartien , rapporte A. D. A 2  DESCRIPTION Antinoé ne fut pas un établissement uniquement Romain; une colonie Grecque s'y établit. C'est ce que nous apprennent les inécriptions tracées sur les colonnes triomphales que lon consacra dans la suite à Alexandre-Sévère. fl paroît que des pratiques et des rites particuliers y furent introduits, et que les nouveaux Grecs (1) se gouvernoient par des loïs qui leur étoient propres (2). Je termine ici ces considé- rations générales sur Forigine d'Antinoé, et je passe à des détails plus précis sur l'histoire de cette ville. S. II. ai” Remarques historiques et géographiques. J'aT fait connoître, dans le paragraphe précédent, ce qu'il y a de plus vraisem- blable sur l'origine d’Antinoé; mais je n'ai pas cité les circonstances qui accompa- gnèrent la fondation de cette ville. Adrien avoit quitté l'Italie, l’an de Rome 886, et de notre ére 130} pour entreprendre son grand voyage d'Orient. En a ce, xv.° année de son règne, il visita l'Égypte, dont il étoit curieux d'étudier les mœurs, le climat et les monumens. Arrivé à Péluse, il fit reconstruire le tombeau de Pompée. Il paroît que les habitans ne plurent pas à ce prince: sa lettre si connue à Servien, son beau-frère, où il loue l'adresse et la sagacité des Égyptiens dans les arts et leur goût pour le travail, fait voir que l'humeur légère et turbulente des habitans avoit laissé dans son esprit des impressions ficheuses ; il appelle cette nation genus hominum sedtiosissimum , vanissimum , Djhriosissimum (3). A la vérité, il n’igno- roit pas combien elle étoit dégénérée depuis la conquête des Grecs et bien aupa- ravant. [I chercha à leur inspirer des sentimens plus favorables à Ja métropole, qu'ils n'en avoient montré depuis Jules-César ; il rendit aux Alexandrins des priviléges qu'on leur avoit enlevés, et leur accorda de nouveaux bienfaits. Il visita le musée et distribua des faveurs aux savans. Versé lumême dans les arts et les sciences : il s'entretenoït souvent avec les hommes de lettres et les gens les plus instruits {4). On sait qu'il étoit accompagné dans son voyage par le jeune Antinoüs, qu'il aïmoit tendrement. Ce jeune homme périt malheureusement dans le Nil: les uns disent que sa mort fut volontaire et l'effet de son dévouement pour l'empereur: les autres, qu'il se noya par accident. Quoi qu'il en soit de ces traditions opposées, Adrien ressentit de cette perte une extrême douleur. Dans l'endroit où Anti- noûs avoit péri, le prince laissa des monumens en son honneur; et la ville qu'il avoit résolu de bâtir dans ce même lieu, prit le nom de son favori. Tous les établissemens accordés aux colonies Romaïnes furent réunis dans Antinoé: trois à quatre années, dit-on, sufhirent à l'érection de la ville entière, et elle devint promptement florissante. | (1) Neo Emnvec. ; - il parcourut toute Ia Thébaïde avec le plus grand soin, (2) Voyez plus bas le $. VI, et mon Mémoire sur et ne laissa rien échapper des choses les plus secrètes: les inscriptions anciennes. on dit qu’il tira des temples les livres qu'il put y trouver, (3) Vopisc. Vir, Saturn, p. 245. Voyez ci-dessous, $.xv. et les enferma dans le tombeau d'Alexandre. (4) Comme César, il honora les cendres de Pompée; | D'ANTINOÉ. CHAP, XV. $ Antinoé s'appeloit aussi Antinoopolis ; c'est le nom que lui donne Ptolémée : elle porte le nom d’Artinot dans l'Itinéraire d’Antonin; d’’Ayñve dans la Notice d'Hieroclès, et d’'Antinoës dans S. Jérôme: enfin d’Avrvéerx dans d’autres auteurs. Comme il ne sy trouvoit pas de poste Romain, du moins dans le temps de 1a Notice de l'Empire, son nom ne se rencontre point dans cette Notice. Alexandre -Sévère parcourut l'Égypte en 202. Ami des arts, il ajouta aussi quel- ques monumens à la ville Romaine (1). S. Jérôme (2), S. Athanase (3), Origène (4), et la Chronique d'Alexandrie (5), prétendent qu'Antinoüs étoit honoré comme un dieu, dans un temple fondé par Adrien avec des prophètes pour l'exercice du culte , et qu'on célébroit en son honneur des jeux gymniques. S. Épiphane compare le temple d’Antinoüs et les mystères qu'on y célébroit, aux temples et aux orgies de Memphis, d'Hélio- polis, de Saïs, de Péluse, de Bubaste, d’Abydus, de Pharbætus, &c. (6). IH paroît qu'Antinoé continua de fleurir jusqu’à la convérsion des habitans au christianisme, et même, à cette époque, elle devint un évêché dépendant de Thèbes. À la fin du troïsième siècle, suivant Eusèbe, les Antinoïtes étoient en relation avec l'évêque de Jérusalem. Un siècle après, dit Palladius, il y avoit dans ce lieu une quantité considérable de monastères chrétiens. Pour suivre dans l’histoire la trace de l'existence d’Antinoé après la domina- tion Romaine, il faut lire le géographe de Nubie. El-Edrysy nous apprend qu'Ensené (c’est ainsi que les Arabes appelèrent Antinoé, par corruption ) étoit une ville ancienne, enrichie de.monumens, de jardins et d’endroits agréables, où l'on Jouis- soit de promenades délicieuses; que le pays étoit abondant en grains et en fruits et d'une grande fertilité; et que cette ville étoit appelée la ville des Mages (7). H ajoute que Pharaon fit venir de ce lieu les Mages qui devoient lutter avec Moïse : tradition bizarre, qui pourroit bien se rapporter à l'existence de Besz, ancienne ville Égyptienne placée dans le voisinage, et dont je parlerai plus bas (8). Aboul-fedà s'exprime absolument comme le géographe de Nubie , et rapporte la même tradition : il est doñc vraisemblable que la ville qui a existé dans cet endroit avant les Romains, étoit une des plus importantes d'Égypte. Abou-l-fedà donne aussi le nom d'Ensené à Antinoé : les monumens commencoient déjà à tomber en ruine de son temps. Le même géographe place Antinoé à 27° 30 de latitude (9); Ptolémée donne seulement, selon lui, 27°, Si lon consulte la nouvelle carte d'Égypte , On trouve une latitude de 27° 48° 15°; maïs il ne faut pas fixer la position de la ville par les observations défectueuses de Ptolémée et d’Abou--fedä. I n’est pas non plus facile de faire usage ici des distances de l’Itinéraire d’Antonin, parce qu’elles se rapportent à des lieux peu considérables et où il n'existe pas de monumens (1) Aurelius Victor, Epitom, (6) S. Epiphan. tom. IT, Adversus hæreses, ib. 111, (2) Ursciremus quales deos semper Ægyptus recepisset, pag. 1093. nuper ab Hadriani amasio urbs eorum Antinoüs appellata (7) Geogr. Nub. ex ar, in lat, vers, Paris , 1619, pag. 4. est. (Hieronym. Contra Jovianum , epist. x.) (8) Au S. x111. (3) Athanas. Contra gentes , pag. 8. (9) Latitud. 27° 39‘, canon. ( Aboulf. Descr, Æsgppt. (4) Origenes, Contra Celsum, Kb. 111, pag. 136, &c. arab. et lat, ed. Michaelis. Gott. 1776, pag, 20. ) (s) Chronic. Alexandrin, pag. 598. 6 | DESCRIPTION importans. C’est plutôt de la position d'Antinoé qu'il faudra conclure l'emplace- ment des anciennes villes qui étoient placées dans le voisinage de cette capitale: ainsi, par exemple, on retrouvera la position de Speos Artemidos , en lisant dans l'Itinéraire Romain, qu’il y avoit huit milles d’Antinoé à ce point, et en mesurant sur la carte actuelle, plus de deux lieues et demie entre les ruines d'Antinoé et les hypogées de Beny-hasan (1), ainsi que nous le verrons dans le chapitre XVI. Il me reste à parler ici du titre de nome ou préfecture qui fut donné, selon Ptolémée le géographe, au district d'Antinoopolis. L'Heptanomide est appelée aussi Heptapolis ; les passages de Denys le géographe, Eustathe et Étienne de Byzance, prouvent qu'elle a toujours été une partie distincte de l'Égypte, intermédiaire entre le Delta ou pays inférieur, et la Thébaïde. C’est encore aujourd’hui l'Égypte moyenne; on l'appelle Ozestäny, mot qui a la même signification. Enfin ses limites sont encore les mêmes que celles de l'Heptanomide. Sept nomes, ainsi que l'in- dique son nom, en formoïient toute l'étendue. Antinoé, placée dans cet espace, ne pouvoit former un nome de plus, sans troubler toute la division territoriale. Or Ptolémée est le seul auteur qui parle d’un nomos Antinoîtes: aucune médaille n'a été frappée pour ce nome, tandis qu'on en possède pour quarante-cinq, tant de la Thébaïde que des régions inférieures, sans en compter d’autres mentionnés dans les écrivains, et qui appartiennent à différentes époques; du moins on n'a pas trouvé jusqu'à présent une seule médaille avec ce titre: les géographes, autres que Ptolémée, n’en font aucune mention. Je pense donc qu'on essaya seulement de faire une sorte d'arrondissement dis- tinct pour Antinoopolis, dont les habitans, le culie, les monumens, tout étoit nouveau , étranger même au-reste de l'Heptanomide , et que le nom de rome fut donné par extension à cet arrondissement particulier. Au reste, comme on le verra dans la Description de l'Heptanomide, il y eut plusieurs fois des chan- gemens dans les divisions politiques de cette contrée moyenne et dans leurs déno- minations. | Si l'opinion que j'ai avancée dans la Description d'Hermopolis est fondée, savoir, que cette ville a été le chefdlieu de la haute Égypte, il n’est pas étonnant qu'Antinoé ait également porté, dans le Bas-Empire, le titre de métropole de la Thebaïde, comme on lapprend dans Palladius et Rufin (2). En effet, Antinoé avoit succédé à Æermopols magna, qui commençoit à tomber en ruine. | El-Magryzy parle, ainsi qu'Abou-l-fedà et el-Edrysy, des magnifiques jardins d'Antinoé. Ceux-ci disent qu'une des portes de la ville fut transportée au Kaire, où on la voyoit de leur temps à Bäb Zoueyleh : mais el-Magryzy va plus loin: ül ajoute que Salah el-dyn fit enlever toute l'enceinte d'Antinoé pour servir aux cons- tructions de la nouvelle capitale (3). Antinoé avoit deux enceintes; car il y en a encore une sur pied, et même les restes d’une seconde, comme on va le voir dans le paragraphe suivant. (1) Ces deux distances sont d'accord. qu'il s’agit d'Antinoé dans la vie de S. Pachome, où * (2) Pallad, Æ'ist. Lausiaca, ap. Bibl. Patrum, pag. 976; l’on rapporte qu’il fut conduit à la ville des Thébéens, Rufin, Viræ Patrum, pag. 471. cie mai A Onbaiwr, c’est-à-dire, la ville capitale, fa » pag: , (3) M. Étienne Quatremére conjecture heureusement métropole, D'ANTINOË. CHAP, XV. 7 S. FII. Aspect général d'Antinoé ; Coup-d'œil sur les Monumens ; Topographie de la Ville et des Environs. QuanD on remonte dans la haute Égypte, les premières ruines un peu apparentes que l'on rencontre sur la rive droite, sont celles d’Antinoé. À travers un bois de palmiers très-épais et situé dans un enfoncement du fleuve, on aper- çoit des colonnes qui surmontent les dattiers, et dont la forme élancée annonce aussitôt qu'on approche d’une ville Grecque ou Romaine. Dès qu'on a mis pied à terre, On aperçoit une immense quantité de décombres dont le bois de dattiers forme la lisière, et du sein desquels semblent sortir des colonnes et des construc- tions: par leur couleur blanche, elles se détachent fortement sur le fond rembruni des ruines amonceléés et sur un ciel bleu-de-fer. Le rocher nu, élevé, d’un blanc plus éclatant encore que les monumens, forme un rideau de deux lieues, sur lequel se dessine ce grand tableau. Pour en jouir complètement, il faut se porter sur les buttes placées à l'ouest (1). De là on aperçoit à droite le grand portique et les autres restes du théâtre : on remarque à ses pieds la grande rue longitudinale, qui n'est qu'une immense colonnade; dans la plaine, au-delà des ruines, l'hippodrome, de tombeau de Cheykh A’bädeh, la montagne Arabique et les excavations percées dans son sein; à gauche, la rue transversale, bordée, comme la première, de mo- numens et de colonnades terminées au levant par la porte de l'est ; plus au nord, les grandes colonnes triomphales élevées à Alexandre-Sévère , et la porte septentrionale; enfin, en se retournant un peu, l'arc de triomphe et les colonnades en granit qui l'accompagnent. Au premier coup-d'œil, on ne distingue que ces masses princi- pales; si l’on jette ensuite des regards plus attentifs sur la grande rue, on voit par- tout, au pied des colonnes, des blocs aujourd’hui presque informes, mais qu'on re- connoît bientôt pour être autant de débris de figures, toutes, sculptées d’après un modèle semblable (2). À droite, on aperçoit une sorte de rue ou vallon d’une Jargeur extraordinaire, et qui se dirige vers le Nil ; sa direction n’est pas une ligne droite, et sa largeur augmente vers la plaine déserte. Les constructions de briques ruinées qui la bordent, annoncent une ancienne rue au premier coup-d'œil; mais sa grande largeur, le sable fin qui est au fond , et les traces d'eaux pluviales dont elle est sillonnée, repoussent cette supposition. On a supposé que c'étoit un ancien canal qui traversoit la ville, de l'est à l’ouest; mais on cherche le limon qui devroit en couvrir le litt Quand on examine à l'est la plaine déserte et la montagne dans la direction de ce grand vallon sablonneux, on voit manifes- tement que l'une et l'autre portent des traces de ravines plus ou moins pro- fondes, formées par les eaux de pluie qui se précipitent du haut de la chaîne Arabique ou entre ses flancs, et que toutes ces traces aboutissent au vallon, Ainsi (x) C'est de Jun de ces points qu'est prise la vue colonnes d’Alexandre-Sévère, et à gauche, en se re- générale, pl. 54, fig. 2. En se portant de cette butre sur tournant, une partie de l'arc de triomphe. celle de droite, on voit le portique du théâtre, les (2) Voyezpl. 54, fig. 1 2. 8 DESCRIPTION c'est par cette route que s’écoulent les torrens passagers qui descendent de la mon- tagne ; et comme la cause qui les produit a toujours existé, que la pente des rochers et du terraïn est sans doute la même qu'autrefois, il est vraisemblable que la ville a toujours été traversée dans cette direction par les eaux pluviales. Je doïs encore faire mention ici d’une butte régulière, plus longue que large, et qui a, dans son plan, à peu près la dimension et la forme de lhippodrome (1). En regardant vers le sud, au-delà du théâtre, toujours de la même position, on aperçoit l'enceinte d’Antinoé, et plus loin un espace couvert de ruines, d’une grande étendue, reste d'une ville chrétienne, au bout duquel est le village de Deyr Abouhennys. Si l'on se tourne vers le nord, on voit la chaîne Arabique revenant sur le Nil, comme pour fermer cet amphithéâtre naturel; sur sa cime, plusieurs anciens monastères abandonnés; enfin, entre le roc et Antinoé, d'autres ruines avec une enceinte particulière, qu'on croit être le reste de l'ancienne ville Égyptienne de Besa. ! Tel est l'aspect général que présente Antinoé quand, du haut des-buttes de l'ouest, on parcourt de l'œil tout Fhorizon (2). Mais il y a dans la ville, et plus encore au-dehors, d’autres points d'où l'on découvre toute la vallée du-Nil, aussi étendue sur la rive gauche, qu'elle est rétrécie sur la rive droite ; et ce nouveau tableau est encore plus pittoresque. On y aperçoit le riche village de Roudah: celui de Bayâdyeh, tout chrétien et connu par ses manufactures de sucre; la ville de Meyläouy; enfin le magnifique portique d'Æermopolis magha , à ENViron trois lieues à l’ouest. On a vu plus haut que, pour bâtir sa nouvelle ville, Adrien profita d’un grand enfoncement dans la montagne, ayant la forme d’un arc dont les extré- mités s'appuient sur le fleuve. Il est probable qu'il n’y avoit alors qu'une très- petite partie de cette espèce de golfe qui fût cultivée ou cultivable, le sol étant presque par-tout, même encore aujourd'hui, au-dessus des plus fortes inondations, Je ne ferai donc point à cet empereur le reproche d’avoir sacrifié à son projet une grande étendue de terrain fertile, et cette réflexion s'applique au reste de l'espace compris dans ce bassin du côté du midi (2). Je crois même que les magnifiques champs de canne à sucre (4), et les autres parties cultivées qui sont à l'ouest tant d'Antinoé que de Deyr Abouhennys, ne sont dus qu'à l'exhaussement du fond du Nil, qui a permis à l’inondation d'atteindre jusqu’à leur niveau. Par ce qui précède , on peut juger que la topographie ancienne du lieu devoit être semblable à celle d'aujourd'hui : une description minutieuse du terrain seroit superflue, et les planches gravées suppléeront à ce qui pourroit manquer ici de détaïls descriptifs (s) ; je me bornerai à dire quelque chose de l’étendue de la ville. Sa forme générale, dans l'enceinte qui la borne sur trois côtés, est celle d’un trapèze dont les côtés parallèles sont la ligne du midi et celle du nord; (1) Voyez pl. 57. douze pieds de hauteur [près de quatre mètres] is (2) Voyez pl. ç?, au point D. haie épaisse de sesseban lui servoit de bordure et d’om- (3) Voyez pl. 54, fig. r. brage. (4) J’aï remarqué, dans ce champ touffu, des cannes de (5) Voyez pl s7 et 54. y D'ANTINOÉË. CHAP, XV. 9 à l'est, la muraille est interrompue, et plus avancée vers la montagne à un bout qu'à l’autre, maïs toujours parallèlement à elle-même. La mesure exacte du péri- mètre de la ville, pris le long de l'enceinte au sud, à l’est et au nord, et sur la lisière des ruines du côté de l’ouest, est de cinq mille deux cent quatre-vingt- dix-huit mètres (1). L'hippodrome et les ruines de Besa restent loin en dehors de cet espace. La longueur de la ville, prise dans la direction de la rue principale, depuis la porte du nord-ouest jusqu'au point de l'enceinte correspondant vers le sud, est de mille six cent vingt-deux mètres [2). | Sa largeur, prise entre Îles maisons du village, près l'arc de triomphe et l'en- ceinte de Fest, est de mille quatorze mètres (3). La largeur, prise dans le sens de la seconde rue transversale, étoit beaucoup plus grande; on trouve sur cette ligne mille cent soixante-douze mètres (4) entre l'enceinte et la lisière des buttes de décombres. Si l'on mesure la longueur de l'enceinte sur le côté du midi, on trouve six cent quatre-vingt-dix-neuf mètres seulement (5); du côté du nord, il y a mille cent huit mètres (6) de l'angle oriental à l'extrémité des décombres. Ces dimensions ont été mesurées exactement avec une bonne chaîne métrique , ainsi que toutes les autres, que je ne rapporte point ici pour éviter un détail fastidieux (7). M. Corabœuf a aperçu vers le nord une seconde enceinte ; elle est en pierre et en brique, et elle est jointe à l’autre par Le massifs placés de distance en distance. | Sur les buttes de décombres dont j'ai parlé, il y a une multitude de fragmens de vases antiques de plusieurs espèces. Les uns sont semblables aux poteries Étrusques ; la couleur en est d’un beau rouge, le grain très-fin, et les ornemens simples, mais bien exécutés. Les autres sont d’une couleur grise : ce sont des amphores plus ou moins grandes, ou bien des pots coniques à deux anses, élargis vers le haut, dont le fond contient un dépôt luisant et de couleur noire; ce dépôt a l'aspect résineux et une odeur analogue à celle du sucre brûlé. Plusieurs pensent que c’est le reste d’un enduit qu'on avoit mis intérieurement pour empé- cher les liquides de sortir par les pores ; d’autres prétendent que c'est le reste d'un dépôt de liqueur vineuse (8). Quoi qu'il en soit, la quantité prodigieuse de débris de vases et de poteries dont les ruines de la ville sont, pour ainsi dire, couvertes , a de quoi surprendre : il est probable qu'ils proviennent d’un grand nombre de générations qui se sont succédées sur le même sol. La ville d’Anti- noé à, sans doute, été habitée long-temps après la domination Romaine. La quantité de l'encombrement n’est pas moins surprenante. Comment une ville postérieure de quinze siècles à la plupart des villes Égyptiennes est-elle (1) Deux mille sept cent treize toises et demie environ. (7) Voyez l'explication de la pl. $?, où j'ai rendu (2) Huit cent trente-deux toises environ. compte de [a construction du plan. (3) Cinq cent vingt toises environ. .(8) Peut-être est-ce la matière sucrée du vin qui, (4) Six cent une toises environ, exposée à un soleil ardent, s’est caramélisée. Tous ces (s) Trois cent cinquante-huit toïses et demie environ. vases sont percés de quatre trous. Woyez la planche des 6) Cinq cent soïxante-huit toises et demie environ. vases antiques, ff. 40, dans le vol.V {collection d’antiques), q GESSne q A: D; | B 10 DESCRIPTION beaucoup plus encombrée que celles-ci! A la vérité, c'est dans l'intérieur qu'il y a le plus de décombres, à où les habitations des Qobtes, et peut-être aussi des Arabes, ont.contribué le plus à exhausser le terrain; car au portique du théâtre, à l’'hippodrome, aux thermes, à l'arc de triomphe, aux colonnes triomphales, le sol est peu enfoui. | En faisant des fouilles dans les ruines, on trouve beaucoup de médailles qui appartiennent au temps de Constantin et du Bas-Empire, des agrafes, des boutons en cuivre et différentes antiques du même genre. Les habitans ont coutume de frotter les médailles sur la pierre, afin de mettre le métal à nu , CrOyant mieux les vendre aux voyageurs. Tel est l’aspect des restes d’Antinoé. Maintenant que le lecteur a une idée générale de la ville et de ses environs, Je vais le conduire de monument en mo- nument, et ensuite je décrirai chacun en particulier. Le lecteur me pardonnera les détails sur une ville qui est importante sous le double rapport de l'histoire d'Adrien et de celle de l'art : aucun voyageur ne s'y étoit arrêté assez long-temps pour la bien observer. J'ai été assez heureux pour y faire cinq voyages pendant le cours de l'expédition Française. Une observation qui est générale, c'est que tous les édifices sont construits en pierre calcaire numismale. H n’y a point d’autres matériaux qui soient entrés dans la construction, si on en excepte les colonnes de granit qu'on trouve près de Farc de triomphe et dans quelques autres endroits. Maïs ces colonnes ont elles-mêmes leurs chapiteaux en pierre numismale. I] ÿ a aussi différens morceaux en marbre, tels que la cuve des thermes, la statue d'Antinoüs, &e, {r). Si, de la butte élevée où j'ai supposé le spectateur pour lui faire émbrasser Antinoé d'un coup-d'œil, on descend vers la droite en se dirigeant au sud, on arrive d’abord à la grande rue qui partage en deux la ville dans le sens de sa largeur. On est frappé de cette longue file de colonnes qui existent d’un bout à l'autre dans cette rue; il y en a très-peu d’entières. Elles étoient toutes de l'ordre Dorique Grec. Dans cette série de colonnes, il n'existe aucune interruption, excepté là où de somptueux édifices bordent la rue. À son extrémité méridionale, est le portique Corinthien qui précédoit le théâtre. C'est le monument le plus imposant et de meilleur goût de tous ceux qui décorent cette ville (2). Quoiqu'il ait beau- coup souffert, les colonnes, les piliers et les murailles qui subsistent forment encore un ensemble très-beau. En traversant le portique, on trouve les réstes du proscentum et de l'amphithéâtre. Des fours à chaux, que les barbares y ont établis, expliquent parfaitement la presque entière destruction de cet édifice ; on en voit toutefois distinctement les dimensions, le plan et fa disposition générale (3). Entre les décombres et l'enceinte, dans cette partie, l'espace est uni et point encombré ; je soupçonne que l'on n’habitoit point de ce côté de la ville. En suivant l'enceinte jusqu'à l'ouverture du grand vallon sablonneux, on ne trouve rien de remarquable : mais, arrivé à un mur qui a servi à retenir les eaux du torrent, on (1) M. Balzac a vu le füt d’une petite colonne brisée (2) Voyez pl. rs, et dés fragmens d’autels en marbre. - (3) Voyez ph 57. D'ANTINOÉË. CHAP. XY. 11 aperçoit vers la droite. un monument d’une étendue considérable; sa longueur est de plus de trois cents mètres. C'est un ancien hippodrome, dont l'ouverture est tournée vers la ville {1); les degrés de l'amphithéâtre sont ruinés et couverts par les sables du désert qui se sont amoncelés du côté du sud-est, jusqu’au haut de l'édifice. La colonnade qui l'entouroït a disparu : on voit seulement au pied quelques débris de colonnes renversées. De lhippodrome, on découvre la grande porte de l'est, à l'issue de la pte- mière rue transversale. Ce qui reste de cette porte, consiste principalement en deux grands piliers Corinthiens placés un peu au-dedans de l'enceinte, et autour desquels sont beaucoup de ruines ; au point même de l'enceinte, il n'y a pas de vestiges conservés de la porte qui devoit y exister. Si lon descend la rue transversale, on trouve à droite et à gauche plusieurs beaux monumens presque détruits. Le plus remarquable parmi eux paroît avoir servi de bain public. Arrivé au carrefour, on se retrouve dans la grande rue du portique du théâtre. Quatre colonnes plus grandes que les autres en occupoïent les angles. Si de là on se dirige perpendiculairement, on remarque, à une certaine distance, quatre autres colonnes pareïlles, dont une est entièrement debout et parfaitement conservée (2). Le piédestal d’une autre, avec sa base, est encore sur pied. Ces monumens étoient des colonnes triomphales élevées en l'honneur d’Alexandre-Sévère. Au bout de cette même rue est un monument massif qui paroît avoir été un tombeau; et plus loin, le reste de la porte du nord. En revenant sur ses pas au premier carrefour, et continuant la rue transversale qu'on avoit quittée, on a devant soi l'arc de triomphe, qui est à l'extrémité la plus voisine du Nil. Ce magnifique bâtiment est le plus conservé de tous ceux qui em- bellissent la ville (3). Entre lui et le fleuve sont deux grandes colonnades en granit. C'est à quelque distance de l'arc de triomphe qu'est le village actuel de Cheykh A'bädeh, qui a succédé à Antinoé. Les maisons sont bâties en briques crues, enduites de limon ou d'argile sablonneuse. Ces pauvres cabanes semblent encore plus misérables à côté des ruines de tout genre et des colonnes encore debout auxquelles elles sont adossées, Il y a même, dans quelques-unes de ces huttes, des colonnes qui gênent la circulation , sans que les habitans aïent l'air de s’en apercevoir. Le village renferme une mosquée bâtie avec d'anciennes colonnes bizarrement placées et de toutes proportions, et qu'on dit le reste d’une ancienne église. Dans ce village, qui est mahométan, on ignore tout-à-fait que le nom du lieu est tiré de celui d’un saint évêque d’Enséné; car c'est ainsi que l'endroit s’appeloit, selon les Qobtes (4). Aujourd’hui le nom d’Enséné est inconnu. Selon le P. Sicard, l'évêque se nommoit S, Awmomus ; il fut martyr à Antinoé. Les habitans Font pris pour un cheykh de leur religion , et ils le vénèrent comme un saint musul- man. Je demandai à l’un d’entre eux s’il savoit qu'ils honoroïent un Chrétien; il me répondit : Tor, tu le sais ; mais nous, nous n'en savons rien. Son tombeau est (1) Voyez pl. 57, et pl. 54, fig. 2, au point2. (3) Voyez pl 57. (2) Voyez pl. s9. (4) On dit vulgairement Ensélé, (Voyez ci-après, p.38.) À, D. B 2 I 2 DESCRIPTION dans la plaine sablonneuse qui sépare Antinoé de la montagne Arabique (1). La plaine renferme beaucoup d'autres tombeaux , les uns recouverts de. dômes, les autres d'une simple pierre ; c'est à que les Rabtiahs de là rive gauche viennent enterrer leurs morts. C'est une remarque générale, que les Égyptiens entérrent leurs morts dans les sables, soit vers la Libye, soit vers l'Arabie; ils vont pour cela Jusqu'au désert, à quelque distance que ce soit. La raison la plus naturelle qu'on puisse apporter de cette coutume, c’est la craïnte que la culture n’aïlle troubler les cendres des morts. L'inondation est encore aussi à redouter que la charrue. Enfin peut-être est-ce le desir d'en conserver les restes; car le sol du désert est, par sa sécheresse, très- propre à la conservation des cadavres : on a trouvé plus d’une fois sur le sable des momies naturelles dans une dessiccation parfaite. Les habitans actuels de Cheykh A’bâdeh sont de race Arabe. La chose est évidente pour le voyageur qui a comparé les Arabes cultivateurs avec le feläh Égyptien. Sur presque toute la rive droite du Nil, des tribus Arabes ayant renoncé à la vie pastorale, se sont établies dans des villages; Cheykh A’bâdeh ést un de ces points. Les Arabes y ont conservé le caractère natif et tous les traits qui les distinguent (2). Ainsi que dans tous les autres villages de la même origine, on cultive avec succès et en abondance l4 canne à sucre: de beaux champs de cette espèce occupent le terrain qui touche aux ruines d’Antinoé, du côté du nord-ouest. Les Arabes errans entretiennent des relations avec les Arabes de ce village, comme il arrive dans toute l'Égypte: Ennemis du felläh, ils vivent en paix avec les cultivateurs de leur race, bien qu'ils aient du dédain pour ceux qui ont aban- donné la tente et pris des habitations fixes. Aussi avons-nous aperçu quantité de Bédouins aux environs des ruines : né soupçonnant pas qu’il y eût aucun danger dans nos excursions, nous allions fréquemment , sans escorte et sans armes, à une grande distance du fleuve où nos barques stationnoïient : plusieurs fois des cavaliers Arabes troublèrent nos opérations, et ce n’est pas sans péril que nous vînmes à bout de les terminer. Un jour quelques-uns de mes compagnons de voyage, se promenant dans l'hippodrome, virent arriver trois Bédouins au galop ; sans armes et sans aucune défense , ils furent obligés de se retirer précipitamment sur le Nil. Une autre fois, un voyageur (3) occupé à mesurer les dehors de la ville en- tendit le hennissement d’un cheval : en se relevant, il vit à quatré pas deux cava- liers Arabes embusqués. Son domestique tenoït un tromblon; le voyageur s’en saisit, et dit aux Arabes ‘avec une heureuse présence d'esprit, que, s'ils étoient amis, ils pouvoient passer sans rien craindre. Surpris de sa contenance, les Arabes délibèrent un moment, puis tournent la bride, et se sauvent dans la montagne. La chaîne Arabique a plusieurs vallons qui ont plus ou moins de profondeur. On m'avoit rapporté qu'il existoit dans le désert un chemin taillé dans le roc ; Jarge de quinze mètres , et conduisant à Antinoé. J'ai pris beaucoup d'informations (1) Voyez pl 54, fig. 2, au point 3. (2) Voyez, sur ce sujet, les Observations ue Arabes de l'Égypte moyenne ,E, Mutom, L, pag. 545. (3) M. Corabœuf, D'ANTINOË. CHAP. XV. 13 sur ce chemin ; tous m'ont assuré qu’ils n’en avoient aucune notion. MM. Raffeneau et Bert avoient cependant remarqué une route pareïlle dans leur reconnoissance (1) entre le Nil et la mer Rouge, et leurs guïdes les avoïent assurés qu'elle se dirigeoit sur les ruines d'Antinoé. $. IV. Portique et Théärre. J’a1 dit que le portique est situé à l'extrémité sud-ouest et dans l'axe même de la rue longitudinale. Ce magnifique bâtiment formoit ainsi le point de vue de cette grande ligne, longue de 1308" +, jüsqu'au monument du nord-ouest. Son axe fait un angle d'environ 38° à l’ouest avec le méridien magnétique. Il y a quelque incertitude sur le point jusqu'auquel s’'étendoit l'édifice sur les parties latérales, et le plan général est difhcile à restaurer d’une manière satisfaisante. Je me bornerai donc à décrire les restes actuels, et à proposer une conjecture sur l'ensemble des ruines du portique, et de celles de la partie postérieure. Le monument se distingue de loin aux chapiteaux Corinthiens de ses piliers et de ses colonnes, dont les angles sont très-avancés et lui ont fait donner par les Arabes le surnom d’Aÿoz ‘lyeroun où cornx (2); c'est à quoi l’on distingue Antinoé, quand on navigue sur le Nil : ces chapiteaux élevés et saillans se découvrent à travers le boïs épais de dattiers qui garnit les rives du fleuve. Le portique étoit composé de quatre colonnes en avant, avec un entre-colonne- ment plus large au milieu; de deux piliers en retraite, avec un massif où sont per- cées trois portes ; enfin, de deux colonnes et deux piliers postérieurs conduisant sans doute dans d’autres distributions qui ont disparu sous Îles décombres. Les deux colonnes antérieures du côté du Nil sont debout et entièrement conservées dans toute la hauteur; il en est de même des deux piliers qui sont en avant des portes: la troisième colonne de devant est à moitié debout, et la quatrième est rasée. Les deux colonnes de la partie postérieure sont en partie debout (3); il reste peu de chose des deux piliers qui les accompagnoïent à droïte et à gauche. Le massif où sont percées les trois portes, est détruit dans sa partie supé- rieure : il subsiste encore jusqu'a la hauteur de la porte du milieu. Les portes latérales sont conservées entièrement , ainsi que deux fenêtres à fronton dont eHes étoient surmontées. | Tout autour sont des tronçons de colonnés et dés fragmens de chapiteaux. Le sol est jonché de débris qui annoncent que d'autres constructions , dont je parlerai tout-al’heure, se rattachoïent au portique à droite et à gauche. L'encom- brement de l'édifice est peu considérable. La façade a 16”,4 de longueur; lentre-colonnement du milieu , mesuré entre les socles des colonnes, est de 4",36 ; et l’entre-colonnement latéral, de 2",44. (1) Voyez la pl. 100, fig. 7, É. M. pu avancer que les quatre colonnes de derrière étoient (2) Littéralement, le père aux cornes, Voyez la pl. 56. rasées. (3) On ne comprend pas comment Le P. Sicard a 1 À DESCRIPTION Le diamètre inférieur des colonnes est de 1 Bose supérieur, de : RSS 13 hauteur, compris la base et le chapiteau, est de 12 ",78. Le socle ou stylobate sur lequel reposent les colonnes, est , ainsi que tout le sol de l'édifice, à un mètre de hauteur au-dessus du niveau de la rue ; on y montoit par des degrés, aujourd’hui cachés par les ruines : ainsi la hauteur patte de ce qui reste du massif du portique, est d'environ neuf mètres. Il ne subsiste plus rien de l’entablement ni du fronton. L'existence de celui-ci est prouvée par le récit des voyageurs qui nous ont précédés : on peut en évaluer la hauteur avec celle de l’entablement À 6”,9 environ. Aïnsi la hauteur totale du portique au-dessus du sol de la grande rue étoit d'environ 20" pe Entre les colonnes antérieures et le massif où les portes sont percées, il y a un intervalle de 3",62 environ; et entre cette muraïlle et les colonnes ou piliers postérieurs , la distance est de 4”,1. La porte du milieu étoit d’une haute propor- tion, et véritablement imposante : elle avoit, compris le Chambranle, environ 9,1 de hauteur, et s" - de largeur; et dans œuvre, environ 8",3 de haut, sur 3,825 de large. | La base de la colonne a 0°,7 de haut ; le chapiteau, au-dessus de lastragale, 1”,53 : son diamètre inférieur, mesuré au même point, est de 1,304. La largeur du socle de la base est de 1,773; celle du grand socle, de 1”,963. Le füt de chaque colonne est de cinq grosses pierres : chacun des tambours est de plus de deux mètres; le supérieur à 2",43.Telles sont les dimensions exactes du portique et de ses principales parties ; le lecteur qui voudra connoître les me- sures des détails, peut consulter les gravures (1). Les colonnes des deux façades sont cannelées, et la cannelure est remarquable par sa belle exécution ; elle est pleine jusqu'au milieu de la hauteur (à3",54s du congé supérieur de la base }, et vide dans la partie supérieure; le nombre des cannelures est de vingt-quatre. À ce même point, le fût ne présente pas de renfle- ment (2) : ainsi les colonnes étoient coniques. La sculpture des chapiteaux est très-belle, quoique la pierre numismale dont ils sont composés, se prêtât difficilement à une exécution délicate, à cause des coquil- lages pétrifiés dont elle est remplie ou même entièrement composée. Les feuilles d’acanthe et les caulicoles sont travaillées parfaitement; il n’y a pas moins de perfection dans les moulures des chambranles qui décorent les trois portes, bien que d'un style sévère, et dans les petites fenêtres à pilastre Corinthien qui sur- montent les portes latérales. Les chapiteaux de ces pilastres, étant, ainsi que leurs frontons, d’une très-petite dimension, font encore mieux ressortir la finesse du travail et la fermeté de la sculpture. L'appareil de la construction, dans le massif de la porte, est composé d'assises de 0",535, et toutes d'égale hauteur. Les joints sont renfoncés profondément ; ce qui produit à chaque assise une raïnure très- marquée de 0",05 de AREGRre et donne à pire un style très-mâle et simple à-la fois. Si lon en croit les traditions, la porte du milieu étoit fermée par deux grands (1) Voyez pl 56, Je fût étoit conique: par le calcul, on trouve 1,274; ce (2) Le diamètre , mesuré à cette hauteur, est de1",265; qui en diffère peu. D'ANTINOË. CHAP, XV. 15 battans en bois, recouverts én fer; et ces battans furent transportés au Kaire pour servir à fermer la porte appelée B44 e/-Zoueyleh : il est certain qu'il existe au Kaire une porte appelée B46 el Hadyd, ou Porte de fer. Dans le prolongement du massif intermédiaire sont, à droite et à gauche, des arrachemens de muraille qui lioient le portique avec d’autres constructions : jy ai trouvé les restes d’un ordre Jonique plus bas que l'ordre Corinthien ; on voit encore à terre les débris des colonnes et dé leurs chapiteaux (1). Il paroît que, dans cette direction , il y avoit une galerie et une grande cour carrée conduisant au théâtre : deux demi-colonnes adossées aux piliers postérieurs confirment cette idée; ces colonnes sont d'ordre Dorïque ét cannelées :’on voit encore des bases d’autres colonnes pareïlles, et il est à présumer qu'elles se prolongeoïent à droite et à gauche, pour former une cour antérieure au monument qui suit. Si, de la façade postérieure du portique, on s'avance au sud-est dans la direc- tion de l'axe, on aperçoit des ruines fort étendues qui se dessinent en amphi- théâtre: presque tout a été bouleversé ou détruit de fond en comble, ou brûlé sur la place. Ce n'est qu'en approchant de près qu'on reéconnoît la forme demi-cir- culaire d’un vaste théâtre, semblable aux théâtres Romains et analogue à celui d'Otricoli dans l'Ombrie; mais l'arc est plus grand qu'une demi-circonférence. Du portique à l'avant-scène on compte quarante-cinq mètres : là est le proscemium, marqué par six piliers formant trois entrées, dont il reste encore une partie debout; la scène s'y présente dans sa largeur totale, qui n’est pas inférieure à soixante- quatorze mètres. Des piliers de l’avantscène au centre de lamphithéâtre il y a encore cinq mètres : enfin de ce centre au pied des degrés on compte vingt-quatre mètres; cest le rayon intérieur. | La profondeur de ces gradins est de vingt-un mètres : ainsi le rayon total est de quarante-cinq mètres. Dans cette même direction, est une porte extérieure à huit mètres au-delà de l’amphithéâtre ; apparemment il y avoit deux entrées à l'édifice : celle-ci étoit celle du sud-est; le portique étoit celle du nord-ouest. Une grande porte est percée du fond de l’amphithéâtre au dernier rang des banquettes. Si lon continue toujours au sud-est, on rencontre l'enceinte d’Antinoé à cent vingt-cinq mètres plus loin. Dans le prolongement du premier rang de banquettes sur le diamètre, on voit de grosses pierres ruinées, et une pierre creusée circulairement , dont je n'ai pu deviner l'usage ; l’espace qu'on règarde comme la cour antérieure , contient une foule de débris et de ruines. L'amphithéâtre est presque par-tout recouvert de sable ; ce qui n'empêche pas de reconnofître les masses de ce monument, et la régularité du plan général. La destruction du monument à sans doute plusieurs causes ; mais la principale de toutes est la richesse même des matériaux dont äl étoit construit. Plusieurs fours à chaux sont établis en avant de l'amphithéâtre ; autour sont des débris de marbre blanc qui attestent que les barbares ont converti en chaux tout ce qu'il y (1) Je ne rapporte point les mesures de ces colonnes, cision que les autres.Voyez la pl. 56, fig. 15. Nota. La core w’il n’a pas été possible de prendre avec la même pré- o",26$, pour la largeur de la volute, est trop foible. q P P 14 É P »20)»P 8 P F 16: DESCRIPTION avoit de marbre ou de pierre calcaire propre à cet usage : on peut croire que les banquettes elles-mêmes étoient toutes de marbre. Je n'ai pas parlé des restes d’un mur en brique placé entre le massif du portique et le pilier postérieur , du côté du sud ; il est parallèle à l'axe et’ se dirige sur la demi-colonne engagée: rien n'annonce que cette construction soit antique. La grande distance du portique à la scène rend fort difficile toute espèce de combinaisons tendant à le rattacher au théâtre. J'ai avancé plus haut qu'il y avoit eu entre l’un et l’autre une grande cour intérieure, formée peut-être par une galerie d'ordre Tonique, dont on voit le reste dans la direction du massif principal. Dans ce cas, le portique auroit servi d'entrée à une vaste enceïnte ornée de colonnes sur les quatre côtés, et environnant le théâtre: c’est ainsi qu'on voit, dans plusieurs théâtres Romains , ces grands promenoirs derrière la scène , le long desquels ïl y avoit, de distance en distance, de petits monumens où l'on cherchoit de l’om- brage, ou de simples portiques à un seul rang de colonnes. Il est évident que les fenêtres et les portes de celui-ci avoient un but, et que les arrachemens contigus au massif annoncent une enceinte continue. Je reviendrai sur ce sujet; mais je doïs convenir qu'il reste trop peu de vestiges pour essayer la restauration générale de l'édifice. S.. V. Arc de triomphe et Environs. . L'arc de triomphe termine à l’ouest la rue transversale d’Antinoé, comme le portique termine au midi la grande rue longitudinale. Quand on vient de la porte et de l'enceinte de l'est, on a en point de vue ce magnifique monument, qui est conservé , ainsi que je l'ai dit , plus que tous les autres édifices : il n’est pas en- combré ; le principal dommage qu'il ait souffert consiste dans la disparition des colonnes qui étoient adossées aux pilastres, et qui ont été emportées pour servir à la construction des églises Chrétiennes et des mosquées. Les débris qui restent sur le sol, annoncent qu'elles étoient de granit. Aujourd'hui , le bois de palmiers dans lequel est placé l'édifice, le rend encore plus pittoresque. Quand on approche du monument, on est frappé de la beauté et de la finesse de l'exécution ; il y a dans les lignes , dans les angles, dans toutes les moulures des archivoltes , une pureté qui ne peut être comparée à rien de ce qu'on voit en Égypte dans le même genre d'architecture : le choiïx de la pierre, qui est d’un grain très-fin, est une des causes de la perfection admirable du travail. L’axe du bâtiment fait un angle de 54° à l'est avec le méridien magnétique : ainsi cet axe, qui est le même que celui de la rue transversale d’Antinoé, est à angle droit de la rue longitudinale. L'édifice est composé de trois arcades; celle du milieu est plus que double en largeur des deux latérales, et d'environ moitié plus élevée : l'épaisseur du monu- ment est divisée en deux par des portes en arcade dirigées perpendiculairement à l'axe, et plus basses que les arcs latéraux de la façade; ce qui partage le bâtiment en D'ANTINOË. CHAP., XV. | | en huit massifs. Au-dessus des arcades latérales sont deux fenêtres. Derrière les quatre colonnes, il y a autant de pilastres qui ont toute la hauteur du bâtiment, depuis le soubassement jusqu'à l’architrave. Les colonnes et leurs entablemens, ainsi que les petits piliers placés en arrière, sont d'ordre Corinthien ; mais les grands pilastres et le grand entablement général qui porte le fronton, sont d'ordre Dorigue: l'un et l'autre présentent des particularités dont je parlerai plus tard. Les trois espèces d’arcs sont toutes d'ordre Dorique; les colonnes seules sont Corinthiennes, ainsi que leurs pilastres et l'entablement qu’elles supportent. Dans les quatre massifs du milieu, on a pratiqué des escaliers à vis, qui conduisent dans des salles supérieures. Après cet aperçu général, je donnerai une idée juste de l'état actuel de l'édifice ; en disant qu'il est entièrement conservé, à l'exception seulement, 1.° de l'angle du fronton de droite et du petit entablement qui portoit la fenêtre; 2.° de l'angle du fronton de gauche et de l'entablement de ce côté; 3.° d’une portion du mur de la façade, et de l'entablement qui étoit au-dessus de l'arc du milieu : enfin -j'ai déjà dit que les colonnes adossées avoient été enlevées. Tout le reste de l'édifice est intact (1) : on voit ainsi qu'il ne manque aucune partie essentielle, et que la restauration entière ne présente pas la moindre difficulté. Entre l'arc de triomphe et le Nil, on aperçoit vers la gauche un piédestal massif, isolé, peu élevé, et qui sans el avoit en regard, du côté droit, un autre piédestal pareïl. Les statues que supportoient ces piédestaux , étoient colossales, ou bien c'étoient des groupes de plusieurs figures (2). Quant aux colonnades et aux constructions environnantes, j'en parlerai à la fin de ce paragraphe. Je vais maïntenant rapporter les dimensions principales de l'arc de triomphe. La façade à 17,39 de longueur; la largeur, non compris le soubassement qui supporte les colonnes et leurs pilastres, est de 10", 1 2 : la hauteur totale est d’envi- ron 18°"+; elle est composée de vingt-six hauteurs d’assise, chacune de 0",72: La hauteur de la grande arcade, sous la clef, est de 11,25 ; et sa largeur, de $",21: celles des arcades latérales, de 7,71 et de 2,46; enfin celles des petites arcades transversales, de $",45 et de 2”,26. La hauteur des grands pilastres Doriques, compris le chapiteau, la base et le socle, ce qui est celle de l’ordre entier, a près de dix-neuf hauteurs d'assise; celle de l’entablement, trois; et celle du fronton, quatre. | Les pilastres Corinthiens et leurs colonnes, avec la base et le chapiteau, ont neuf hauteurs d’assise ou 6,48; et l’entablement , deux ou 1,44; le soubassement qui supporte cet ordre secondaire, en a trois ou 2,16. Le diamètre inférieur des colonnes est égal à o”,59 : ainsi les colonnés ont plus de dix diamètres et demi. Le piédestal de l’ordre principal, quoique Dorique, a précisément la même proportion : mais ce n’est pas la seule incorrection que _présente le style de ce monument. (1) Voyez pl 57. (2) On en juge ainsi par a largeur des piédestaux. Voyez pl. 58, A. vol. VA 2, et fig. 11, en à. Dans la fig..r, pl. 58, la cote 36,4 doit être lue 26,4. 4» D: | @: 18 DESCRIPTION Les fenêtres qui surmontent les arcs latéraux, ont 1",6 de large sur 2,8 environ de hauteur. Telles sont les principales mesures extérieures de l'édifice : on trouvera sur la gravure les mesures de détail, et celles des moulures, qui ont été relevées avec le plus grand soin. Pour pénétrer dans les escaliers à vis pratiqués dans les quatre grands massifs de l'arc de triomphe, il faut, à partir du socle inférieur, monter deux marches, hautes, l’une de vingt-quatre centimètres, l’autre de quatorze, et l’on se trouve alors dans une cage circulaire, dont le noyau, les marches et toutes les parties sont d'une exécution admirable. Rien n’égale ou ne surpasse la beauté de l'appareil, la finesse des joints, la solidité de la construction : aussi ces escaliers sont-ils encore aujourd’hui d’une conservation parfaite. La hauteur du noyau de la vis, à partir du sol de la première marche jusqu'à celui de la salle voñtée où elle débouche, est d'environ 1 1° + On parcourt, pour monter jusqu'au sommet, sept circonvolutions entières chacune de dix marches, et encore trois autres degrés après ; en tout soixante-treize degrés hauts de quinze centimètres ou cinq pouces et demi environ. | De la salle où arrive l'escalier, on se rend, en montant une marche (1), dans une très-grande chambre voûtée, longue de 7,5, sur 3”,62 de large, et dont le sol est au niveau de la dix-septième assise. Cette grande pièce occupe le milieu du bâtiment; elle est haute de plus de $"+ : j'ignore par où elle recevoit la lumière. Il en est de même des pièces qui sont au haut des quatre escaliers : mais celles qui se trouvent à droite et à gauche, à deux mètres plus bas, sont éclairées par des fenêtres placées au-dessus des arcades latérales et dont j'ai parlé précé- demment (2); il entroit des reflets de lumière par les portes qui communiquent de ces dernières pièces avec les salles placées au-dessus des escaliers et avec la salle du milieu. J'ai fait remarquer la beauté de l'exécution des escaliers à vis: il faut en dire autant des chapiteaux Corinthiens et Doriques, de toutes les corniches, des mou- lures des archivoltes, et de celles des bases des colonnes et de leurs piédestaux : on ne peut rien voir de plus pur et de plus agréable à la vue. Les détails sont d’une grande finesse et parfaitement bien conservés ; mais le style de ces mêmes mou- lures manque de sévérité (3). H y a une très-légère saïllie aux pierres de l'appareil; c'est un bossage à peine sensible, régulier et doux à l'œil. La frise est décorée de triglyphes, qui ne présentent aucune particularité: es métopes sont vides, Autour des fenêtres qui surmontent les arcades latérales, il y a un chambranle riche, mais simple ; ces fenêtres sont d’une proportion peu élevée, qui contribue äsfaire ressortir l’élévation, peut-être un peu trop grande, des arcades. On peut consulter la gravure pour les détails des autres parties de la décoration; il seroit superflu de les décrire : j'ajouterai seulement que le fronton de l'édifice est d'une belle proportion. (1) Cette marche est cotée par erreur sur la gravure des escaliers. Ces portes n’ont pas été indiquées dans la 0,026, au lieu de om,26. Voyez pl. 58, fig. 35. gravure, Voyez pl. 58, fig. 15. (2) On y entroit par des portes percées dans la cage (3) Voyez ci-après, pag. 32. D'ANTINOÉË. CHAP, XV. 19 - Les voûtes et les portes longitudinales ou transversales ne sont pas d’une moins belle exécution que le reste de l'arc de triomphe; l'élégance et la simplicité $\ q OMP / . . É . A font remarquer autant que la pureté et la finesse du travail : rien ne devoit être d'un plus bel effet à Antinoé, que toutes ces portes croisées qui; en multipliant P | p pe les issues, font passer aussi la lumière dans tous les sens. 1 semble que, dans les ; P + À . D . . jours de fête, la foule traversant les dix ouvertures de Farc de triomphe devoit donner à cet aspect quelque chose de varié et d’animé. Il n’y a aucun doute que les huit colonnes de granit placées devant et derrière : q l'édifice ne fussent destinées à supporter des statues debout; ces figures, comme la place l'indique, devoient être isolées et colossales ( de 2 à 3 mètres de haut ): mais il n'en reste rien; et les colonnes elles-mêmes, du côté de l’est, ont disparu de dessus leurs piédestaux. Sur l’autre côté, les fûts tronqués sont encore en place. Je n'ai vu nulle part des traces d'inscriptions; s’il en a existé une, elle ne pouvoit se trouver que sur la partie de la muraïlle placée au-dessus du grand arc, et qui est aujourd'hui renversée. ENVIRONS DE L'ARC DE TRIOMPHE. ENTRE l'arc de triomphe et le fleuve, il y avoit une vaste cour environnée de colonnes de granit rouge , disposées sur quatre rangs. Les quatre premières sont encore en place du côté nord de cette espèce d'atrium ; elles paroïssent appuyées sur des constructions qui s’alignent avec l'édifice : de ce même côté l’on trouve deux autres colonnes debout (1). Du côté du sud, on ne voit plus de colonnes que dans la première rangée; le nombre de celles qu’on trouve en place est de sept. D’après les distances de ces colonnes et l'entre-colonnement général, on est assuré qu'il y avoit au moins quarante colonnes pareilles de chaque côté de farc de triomphe; mais il est possible qu'il y en eût beaucoup davantage, et qu'elles s’étendissent même jusqu'au bord du Nil. Celles qui manquent ont été enlevées pour embellir la mosquée du village. Selon un voyageur, il y avoit des colonnes de porphyre dans le même endroit (2). Cette disposition concourt, avec l'existence des deux grands piédestaux isolés, à faire voir que la façade principale du monument étoit tournée vers le Nil: on y arrivoit après avoir traversé ces vastes péristyles, qui avoient sans doute aussi une entrée monumentale, Toutefois, je dois ajouter que plusieurs colonnes pa- roissent plus grandes que les autres, et qu'il y a, dans le plan, des irrégularités, telles que le défaut d’alignement entre quelques colonnes : maïs elles ont sans doute été ébranlées ou déplacées par divers accidens ; d'ailleurs toutes sont liées avec des constructions Romaines. On est surpris de voir, sur ces colonnes de granit, des chapiteaux en pierre calcaire; on l’est plus encore de ce que le chapiteau est Corinthien, tandis que la proportion du füt est d'ordre Dorique. Ces deux circonstances rendent presque évident que les fûts de granit ont été puisés dans des monumens antérieurs, peut-être à Hermopols magna , qui étoit située de l'autre côté du fleuve. Ils portent (1) Voyez pl. 58, fig, 1, (2) Le P. Sicard, Aém, des missions dans le Leyant. À. D. ! C 2 20 DESCRIPTION empreinte d’un ouvrage Grec, et leur époque est probablement celle des rois Prolémées : le travail est un peu inégal, mais en général d’une bonne exécution: quant aux chapiteaux, ïls sont faits de pierre numismale, et bien travaillés, malgré la difliculté que ce genre de pierre oppose à l'outil. Au rapport du voyageur que j'ai cité précédemment, il y avoit autour de toutes ces constructions une grande et forte muraille crénelée. Je n'ai point vu de pa- reïlle muraïlle; maïs, à l’est de l'arc et dans la direction de la grande rue trans- versale , on trouve une vaste construction rectangulaire, entourée d’un mur épais, longue en dedans de 1 3”,7 Sur 5,9, et aujourd'hui découverte. Le mur du nord se prolonge exactement sur la rangée extrême de la colonnade de granit. Les murs sont en briques cuites, séparées par une épaisse couche de mortier dur qui est parfaitement conservé; les paremens sont réguliers et très-bien faits(1). De pareilles murailles en briques subsistent dans la grande rue transversale , entre les bains et la porte de l'est; on en voit d’analogues à Alexandrie et en d’autres endroits. II seroit possible que cette enceinte eût servi de citerne; mais je ne puis en apporter ni preuve ni indice, les décombres m'ayant empêché d'examiner si l'intérieur ren- ferme quelque bassin. Il y a lieu de croire que de l’autre côté de la rue il y avoit une construction pareïlle. | C’est à peu de distance de l'arc de triomphe, et auprès du carrefour, que nous avons trouvé le torse d'une statue en marbre blanc, d’un excellent travail, et qui est le reste d'une figure d’Antinoüs; j'en parlerai ci-dessous, au $. VIII. $ VI. Colonnes dédiées à l'Ernpereur Alexandre - Sévère. IL n'y a aucun doute que, dans le plan primitif d’Antinoé, l'on n'ait tracé ces grandes rues longitudinales qui divisent la ville en grands quartiers, et qui sont ornées de colonnes d’un bout à l’autre. Cependant il paroît que dans la suite on ajouta dans ces mêmes rues différens monumens. De ce nombre sont les colonnes triomphales dédiées à Alexandre-Sévère. Deux guadrivium ou carrefours ont été décorés avec ces colonnes : du moïns tout annonce que les prédestaux qui subsistent dans celui qui est en vue de l'arc de triomphe et du portique du théätre, suppor- toient des colonnes pareïlles à celles qui se trouvent au carrefour le plus septen- trional; peut-être étoïent-elles consacrées à Adrien, comme celles-ci le furent plus tard à l’empereur Alexandre-Sévère. La direction des faces de ces piédestaux est vers le centre du guadrivium , et les angles intérieurs sont dans les directions des grandes colonnades (2). Comme il ne reste que les piédestaux des colonnes qui étoïent au carrefour de la rue de l'arc de triomphe, on ne pourroit faire à leur sujet que des conjectures plus ou moïns probables : je ne m'occuperai donc que de celles du carrefour du nord. Dans le $. 1, on à marqué la distance des colonnes d’Alexandre-Sévère, par (1): Voyez pl. 58, fig. 1, en ç, et pl. 60, fig: 2. (2) Voyez pl. 57, et pl. 60, fig. 18. D'ANTINOË. CHAP, XŸ. 21 rapport aux autres points des ruines d'Antinoé: il reste à décrire l’état actuel de ces monumens, qui diffère peu de leur état primitif. J'ai dit monumens ; car ces grandes colonnes isolées, hautes de près de dixhuïit mètres (1), peuvent passer pour monumentales. Leurs piédestaux élevés, leurs doubles socles, le large emba- sement du socle inférieur qui a près de 3" + de côté {2}, contribuent à leur donner un aspect très-imposant. Quatre Ga de cette espèce, couronnées par des colosses, distantes de plus de dix-sept mètres (3), et dominant sur les édifices du voisinage, devoient produire un grand effet. On ne peut douter de l'existence de ces statues -colossales, en considérant le dé élevé qui pose sur le chapiteau, et la rainure carrée qui se voit au-dessus du même dé. L5 5-4 Des quatre colonnes qui He 4 la place, deux sont renversées à terre, et semblent tombées tout d’une piète : les tambours sont encore juxta-posés. II reste de la troisième tout le piédestal et la base du fût. Enfin la quatrième est intacte, ou peu s'en faut; c’est celle qui est à l'est par rapport au centre du gua- drivium (4). Il ne manque rien à celle-ci, que la statue de l'empereur : probable- ment elle étoit en matière dure et précieuse, et elle a été emportée; Je n'en ai point vu de débris à terre. Or le sol est peu encombré aux environs, et au pied des colonnes il ne l’est pas du tout; il n'y a sur le pavé de Ia rue qu'une légère couche de sable. La hauteur totale du monument, compris le socle inférieur et le dé qui sur- monte le chapiteau, est de 17",843; celle du chapiteau est de 1°,53 ; celle du fût, compris l’astragale, est de 10°,08 : ce fût est composé de cinq morceaux ou tambours, sans compter les socles sur lesquels il repose ; le dé supérieur est élevé de 0”,99; le diamètre inférieur de la colonne a 1°,25 (5); le piédestal a une hauteur de 3",40 avec son socle. Les pierres qui composent ces colonnes, sont toutes numismales; ce qui nem- pêche pas que l'exécution de la sculpture ne soit très - belle, particulièrement dans le chapiteau à feuilles d’acanthe et dans l'ornement à feuilles d'olivier a occupe la partie inférieure du fût, ornement qui, au reste, n'est pas d’un goût pur. Ce n’est pas la seule particularité que présente la décoration de ces colonnes : les profils du piédestal (6) sont d’une forme qui ne se rencontre nulle part. Ce qui n’est pas moins singulier, c’est la forme octogone du socle, immédiatement placé sous la base de la colonne. Quoique tout le monument soit de l'ordre Corinthien, le fût n'a point la proportion pue aux colonnes de cet ordre: il est beaucoup plus court. Sur la face du piédestal tournée vers le centre du sont on a tracé une inscription Grecque, composée de quatorze lignes. I paroît que cette inscription étoit placée sur les quatre colonnes; car on la voit encore aujourd'hui répétée sur les deux piédestaux subsistans. Cette inscription a été gravée avec beaucoup de soin dans les planches, et je dois y renvoyer. Ce nest pas non. plus ici le lieu de (1) Cinquante-cinq pieds environ. (5) Cette mesure est prise au-dessus du feuillage qui (2) Environ onze pieds. occupe le bas du fût; elle a été omise dans la grayure, (3) Près de cinquante-trois pieds. pl. 60, fig. 1. (4) Voyez pl. 59, fig.r. (6) Voyez pl. 60, fig. 6,8 et 9. 22 F4 DESCRIPTION la commenter, cette recherche devant trouver place aïlleurs (the mais je vais la rapporter toute entière. Elle apprend que les colonnes étoient dédiées : à l'em- pereur Marc - Aurèle- Alexandre - Sévère. Voici l'inscription telle qu'elle existe aujourd’ hui sur le piédestal de l’est : ATAOHI TYXHI AYTOKPATOPIKAISAPIMAPKOIAYPHAIQI SEOYHPQIAAEE ANAPIEYSEBEIEYTYXHI DRBADIT. Né ec en ee SES he MHIPIAYTOD........ IAIITTÉTON ZTPATOIE.,.N.......2KAIAIONIOY ATAMONHSAYTON.. . .IANTOSAYTONOIKOI EIIMHOYIOION I. .....IIAPKOYAITYITOY TAMTIIOLNT OI ET ARR IAI ANTINOEQONNEQNEAAHNONI.. ge. ,.... TIPYTANEYONTOSAYPHAIOYOPITEN... :.YKATATIOAAQNIOYBOYAEYTOY CYMN,.... EUITONSTEMMATONKAIQSXPHMA UYAHSAO@INAIAOZ L IA IT En s’aidant de l’autre piédestal, et des données fournies par l'histoire, on peut {a restaurer de la manière suivante : ATAOHI TTXHI AYTOKPATOPIKAISAPIMAPKAQIAYPHAIQÏI ZEOYHPOIAAEZ=ANAPIEYSEBEIEYTYXEI ZEBAZTOIKAIIOY AIAIMAMMEAISEBASTHI METPIAYTOYKAIMHTPIMHNTAYTHTON a ZTPATOIEAQONYIEPSAOTHPIASKAIAIONIOY AIAMONHSAYTONK AITOYEYNIANTOSAYTONOIKOY EUIMHOYIOYONQPIOT. ...... EI APXOY AITYITOY TIPYTANEYONTOSAYPHAIOYOPIIENEOS . TKAIATHOAAGNIOYBOYAEYTOYEYMNASIAPXOY ETITONSTEMMATONKAIQSXPHMATONTHS FOYAHEAOHNOIAOZ L'IAIIT Traduction Latine. BONÆ FORTUNZÆ. IMPERATORI CÆSARI MARCO AURELIO SEVERO ALEXANDRO PIO FELICI AUGUSTO ET JULIÆ MAMMEÆ AUGUSTÆ MATRI ILLIUS ET MATRI ITIDEM - CASTRORUM, PRO SALUTE ET PERPETUA STABILITATE ILLORUM ET TOTIUS ILLORUM DOMUS SUB MEVIO HONORIO.... PRÆFECTO ÆGYPTI 95 6.8 Do b Ab .. (ex mandato. ) AN TNOE SU A Nate GRÆCORUM..... PRYTANE AURELIO ORICENE... ET APOLLONIO SENATORE GYMNASIARCHO PROPTER CORONAS UT ET NEGOTIA SENATUS ATHENIENSIS, ANNO XI.... Les colonnes triomphales Trajane et Antonine sont d’ordre Dorique, tandis que les colonnes élevées à Antinoé en l'honneur d’Alexandre-Sévère sont Corin- (1) Voyez mon Mémoire sur les anciennes inscriptions recueillies en Égypte, A. tom, IL, et la pl, 56, À. vol. V. D'ANTINOÉ. CHAP. XP. | 23 thiennes : cependant on peut citer la colonne de Sainte-Marie-Majeure, comme étant aussi d'ordre Corinthien. Le fût seul de celle-ci a seize mètres, c'est-à-dire, six mètres de plus que celui des colonnes d'Antinoé. On voit aussi à Palmyre une colonne isolée du même genre que ces dernières. Quant au feuillage dont le pied du fût est garni, c'est une circonstance fort rare dans l'architecture des anciens. Les Romaïns ont peu employé de colonnes dé- corées de cette manière. On voit à Nîmes et au Baptistère de Constantin des colonnes ainsi ornées, mais sur une partie moins longue du fût. Ici la sculpture est en feuilles d’olivier et fort bien travaillée; mais, quelque belle qu'elle soit, l'œil n'est pas satisfait de ce genre de décoration. On a cru mal-à-propos que cet ornement étoit en feuilles de chêne, pour faire allusion à une victoire remportée par l'empereur Alexandre-Sévère. S'il faut le regarder comme un emblème, ce seroït un symbole de paix plutôt qu'un signe de triomphe : toutefois la victoire remportée l'an 233 de J. C. par Alexandre- Sévère sur Artaxerxès, roi des Perses, peut fort bien avoir été l’occasion qui fit ériger en son honneur ces quatre colonnes triomphales. L'époque du voyage d'Alexandre-Sévère en Égypte est de lan 234. $. VII Du Cirque ou Hippodrome. Au levant et hors de l'enceinte d’Antinoé, au milieu d’une plaine de sable et à peu près dans la direction du levant au couchant, est un vaste hippodrome de forme rectangulaire, qui a environ trois cent sept mètres de longueur, soixante- dix-sept mètres de largeur, et qui est terminé à un bout par un demi-cercle. II subsiste encore dans son entier, quant au massif de la construction ; mais, excepté quelques rangs de banquettes, les degrés de lamphithéâtre sont ou démolis ou masqués par les sables, et les colonnes qui lornoïent ont disparu. L’épine est peu conservée; ce qui en reste n'est guère qu'une élévation en dos d'âne, haute sim- plement d'un mètre, et qui a deux cent trente mètres environ de longueur : deux cippes de forme circulaire en occupent les extrémités. La largeur du massif où l'amphithéâtre a été pratiqué, est de 9",25. Quatre esca- liers doubles, placés sur les côtés et assez étroits, servoient à monter au sommet de la plate-forme; l'entrée en est placée à l'extérieur et voûtée. Trois vastes ouver- tures communiquoient du dehors au dedans du cirque; deux placées entre les escaliers, et l’autre, dans l'axe de l’épine (1). Au pied des marches il y avoit un socle ; on voit auprès de l'angle du sud deux restes de colonnes ayant appartenu sans doute à la colonnade ou galerie couverte qui faisoit le tour de lamphithéâtre, et qui n'existe plus aujourd’hui (2). Le mur extérieur du massif est incliné à peu près comme les pylônes Égyptiens. (1) Voyez pl. 60, A. vol. IV, fig. 16 et 17. de l’amphithéâtre. Outre ces deux colonnes, on trouve au (2) IL est possible qu’il y ait eu une colonnade au pied milieu de la longueur les restes de deux autres. 2 À DESCRIPTION La hauteur apparente est d'environ douze mètres (*) avec le soubassement; maïs il est impossible d'en juger exactement, les sables s'étant accumulés contre la cons- truction et élevés dans beaucoup d’endroits jusqu'au sommet. L’axe de l'édifice est * dirigé sur le grand gzadrivium d’Antinoé. Entre l'épine et le pied de l'amphithéâtre, il y a un espace large de plus de vingt. six mètres : ainsi dix chars auroïent pu aïsément passer de front. Ce monument, quoique très-grand , le cède en étendue aux grands cirques de Rome, puisque ceux de Caracalla et de Romulus avoient environ quatre cents mètres. La proportion de la longueur à la largeur, dans celui d'Antinoé, est d'environ 4 à 1 : ce n’est pas non plus la même que celle des cirques de Rome, qui est ordinairement de $ à r. On sait que le Circus maximus fut orné d’un obélisque par ordre d’ Auguste. À Antinoé, il eût été plus facile d'amener un des obélisques de la haute Égypte : il est possible qu Adrien ait aussi érigé, dans son hippodrome, une de ces magnifiques aiguilles ; maïs je n'ai vu aucune trace d’un pareiïl travail. Les dimensions de lhippodrome présentent, avec les mesures Égyptiennes, des rapprochemens dignes d'attention. La longueur totale est de lle pieds Égyptiens où dx plèthres : la longueur de lépine à sept cent cinquante pieds ; sa largeur, vingt ; et celle du cippe demi-circulaire qui est à l'extrémité, quarante. Le com- mencement de l'épine est éloigné de l'entrée de l'hippodrome de cent pieds ou un plèthre. Entre son extrémité et le fond du cirque, il y a cent vingt pieds. L’ou- verture du cirque a cent quatre-vingt-dix pieds, et sa largeur totale, deux cent cinquante, ou le quart juste de la longueur totale (1). I est évident que ces rapports exacts ne sont pas fortuits, et l'on doit conclure que des artistes Égyptiens, habitués à l'emploi des mesures Égyptiennes, ont tracé le plan de cet édifice. I est sur-tout bien remarquable que la longueur de l’'épine est égale à la base de la grande pyramide de Memphis (2). Je ne doute pas qu'Adrien , Curieux des antiquités Égyptiennes (3), ne se soit plu à qui lui étoit propre, des mesures qui rappellent les ouvrages et les institutions de ce peuple célèbre. Au reste, ces mesures sont les mêmes que celles des Grecs: le pied de l'Hecatompedon étoit le même que le pied Égyptien (4). : Ebn-Magryzy offre un passage curieux au sujet de ce monument. « La ville » d’'Antinoé, dit-il, est une des plus considérables du Sa’yd: on y voyoit un cirque » qui servoit, dit-on, de Nilomètre ; il étoit entouré de colonnes de granit rouge » qui étoient éloignées les unes des autres de l'intervalle d’un pas, et dont le nombre » égaloit celui des jours de l’année solaire { 5). » COnNSacrer ainsi, dans un monument (*) La figure 17, planche 60, porte, par erreur, 4" de. qu’on peut attribuer au mesurage, autant qu’à au lieu de 12m. (1) Voyez la planche 60, fig. 16, A, vol. IV, et lex- plication des planches. Voyez aussi mon Mémoire sur le système métrique des anciens Éyptiens, chap. 1V, S. V, A, M. tom, 1, pag. 555. (2) La mesure prise au-dessus du socle de la pyramide est de.230m,9 (voyez le mém. cité ci-dessus, chap. 111, S. 1). L’épine du cirque en a 230; les neuf décimètres qui manquent font une différence presque insensible par M. Étienne Quatremère. l'erreur de construction. (3) Ce prince étoit excessivement curieux de toutes les choses merveilleuses... "Adpiwoc xumie avr melépyt MmAUDpæyuw&Y. . . Adrianus quanquam curiosi- tatuin omnium explorator. (Niceph. Callist. Hist, eccles. lib. IV, cap. 2.) (4) Voyez le mémoire cité ci-dessus. (s) Voyez les Mémoires géographiques sur l'Égypte Quant © D'ANTINOÉË. CHAP, XV. | à$ Quant au Nilomètre prétendu, il est à peu près certain qu'il n'a jamais existé dans le cirque, puisque le niveau de celui-ci, aujourd'hui supérieur au niveau du Nil, létoit encore davantage dans les temps anciens. J'ai été curieux de calculer quel étoit l'intervalle qui devoit séparer les colonnes d’après le passage de Magryzy: j'ai trouvé le circuit intérieur de six cent huit mètres ; en divisant ce nombre par 365, on trouve 1",67 pour lentre-colonnement d'axe en axe ; et si l’on suppose les colonnes grosses de 0,9, la distance entre deux étoit 0”,77, ou le pas simple de Héron et de S. Épiphane. On pourroït faire encore d’autres suppositions {r). Quoi qu'il en soit, cette immense colonnade en granit devoit produire un effet admi- rable. On est étonné de ne pas voir une seule des colonnes en place, bien que le temps, d'une part, et, de l'autre, les sables amoncelés contre l'édifice aient pu les” faire disparoître. | D'après le rapport des auteurs, on célébroit des jeux gymniques à Antinoé: Tüpynos dv èv Th Aytivoo émTeeiry (2). Avrivoos" 60 ka dv ay Avriéeroe à wa ëp" fuov yeromeror (3). Dans S. Jérôme, on trouve le passage suivant : « Ils ont élevé » aux morts des tombeaux et des temples, et nous voyons encore aujourd'hui » qu'Antinoïüs, favori d’Adrien-César, reçoit des honneurs dans la ville qui a été » fondée sous son nom, qu'on y célèbre des jeux gymniques, et que cet empereur » lui a consacré un temple avec des prophètes (4).» L'hippodrome et le monu- ment du sud étoient les théâtres de ces jeux, qui consistoient probablement en combats, en luttes de toute espèce, en courses de chars et de chevaux. Au reste, il seroit difficile d'établir sur ce sujet une conjecture certaine, les historiens ne nous ayant transmis aucun détail. | $. VIII. Des Colonnades et des Rues principales d'Antinoé ; Statue d’'Antinoüs. DE toutes les rues qui divisoient la ville d'Antinoé en ses différens quartiers, il n’y en a que deux qui soient aujourd'hui bien distinctes : lune, qui est longi- tudinale, se rend du théâtre à la porte du nord-ouest ; l’autre , transversale, va de Farc de triomphe à la porte de l'est. Elles sont aujourd’hui presque nettes ou peu encombrées; l'une et l'autre étoient d'immenses colonnades : par-tout où il ny a point de temples ou de monumens sur le bord de ces rues, on trouve une rangée de colonnes de l’ordre Dorique Grec, la plupart tronquées comme des bornes ou même jusqu’à la base. Ces colonnes sont d’une proportion mé- diocre; mais leur multitude devoit produire un effet pour aïnsi dire magique, sur-tout si elles étoient toutes, comme on le pense, ornées de statues. Leur lar- (1) Voyez le Mémoire sur le système métrique des anciens 1e même diamètre aux colonnes, la distance entre les Égyptiens, chap. 1X, 1." section, À. M. tom. 1, pag. 614 füts seroit de 0,88 ou 3 pieds Romains, et 616, (2) Gymnici ludi in Antinoe celebrantur. ( Sophron.) Jai fait aussi le calcul pour le circuit extérieur ; celui- (3) Antinoüs : cujus sunt ludi agonales | Antinoïi dicti , et ci est de six cent cinquante mètres, et l'intervalle d’une ætate nosträ acti, ( Niceph. Call. Æise, eccles, . 111,c. 16.) colonne à lautre s’en déduiroit de 1,78. En supposant (4) Hieronym. in Wir. script, eccles, A, D, D 2 6 : DESCRIPTION geur avoit près de seize mètres (1): ainsi ces rues étoient propres à de grandes courses de chars. On a déjà dit, quelque part, que la longueur de la rue longitudinale étoit de 1308”,5; et celle de la rue transversale, de 954 mètres : or l’entre-colon- nement est.de 3,04 près du portique (2), et de 3",4 près des colonnes triom- phales (3). Le terme moyen, pris dans toute la ville, est 3",22. Le nombre des colonnes étoit aïnsi, abstraction faïte des carrefours, de sept cent soixante- douze dans la rue longitudinale , et de cinq cent soïxante-douze dans la rue transversale. Je ne compte pas ici celles qui existoïent entre l’enceinte et le portique du théâtre dans la première de ces rues; et dans la seconde, entre l'enceinte et la porte de l'est, si la colonnade se prolongeoit au-delà de cette porte. Je ne parle pas non plus des colonnes qui étoient entre Parc de triomphe et le Nil. Dans beaucoup de points, il n’y a qu'une légère couche de sable sur le sol des deux grandes rues : auprès du portique, j'ai trouvé à nu le sol de la chaussée : elle est formée en belles pierres de taille, disposées selon le système des voies Romaïnes. Les colonnes de la rue longitudinale ont encore à leur pied les torses des statues dont elles paroïissent avoir été surmontées ; tous ces torses sont horrible- ment mutilés, et leurs restes, presque informes, recouvrent par-tout le sol, d’un bout à l’autre de la rue, sur-tout entre le portique et les colonnes d’Alexandre- Sévère. En comparant ces débris, on reconnoît cependant une forme commune: tous ont le mouvement de la statue d’Antinoüs, dont je parlerai tout-à{’heure. I est permis de conjecturer que la figure d’Antinoüs recouvroit les colonnes des deux grandes rues ; idée bien caractéristique de l'affection d’Adrien pour son f:- vori. [| paroït aussi que cés colonnades formoient, d’un bout à l’autre, une galerie couverte pour abriter du soleil. En effet, en arrière des colonnes, à environ deux mètres, on remarque des vestiges de muraïlles qui sont probablement les restes des façades des bâtimens qui bordoient la rue. C'est auprès du guadrivium de l'arc de triomphe que nous avons trouvé une figure d'Antinoüs de grandeur naturelle, en marbre blanc et d’un excellent travail, dont il manque malheureusement la tête , les jambes et les bras : je les aï vai- nement cherchés. À mon quatrième voyage à Antinoé, j'ai transporté ce morceau de sculpture jusqu’au Kaire; mais les événemens militaires m'ont forcé de le laisser sur le port,etila disparu depuis. Les formes pures et juvéniles respirent pour- tant une certaine vigueur: autant quon peut en juger, l'attitude étoit d'une mollesse pleine de grâce. La figure est nue, et ne porte qu'une simple bande- role attachée sur son épaule droite, et passant au côté gaüche (4). Le style Dorique Grec n’est pas absolument pur dans les colonnes des rues d'Antinoé ; elles sont plus courtes et moins diminuées dans le diamètre supérieur que les colonnes appelées pæstum ($) : le chapiteau difière aussi des chapiteaux (1) Plus de quarante-neuf pieds. (4) Voyez pl. 59, fig. 3 et4. (2) Voyez pl, Gr, fig. 25. (5) Voyez pl 54, fig. 2, au point r,et pl. 61, fig. 26 (3) Voyez pl. 60, fig. 18. , a 28, D'ANTINOÉ. CHAP. XV. 27 connus; mais il se rapproche de celui du temple de Thoricion (1). Près le por. tique du théâtre, le diametre supérieur de la colonne a 0",61; l'inférieur, OL? + la largeur du tailloir du chapiteau est de 0",83. Auprès des colonnes triom- phales, le diamètre inférieur des colonnes est plus grand d'un décimètre, c’est- à-dire qu'il est de 0”,8; mais cette différence est insensible quand on n’applique pas la mesure. Il est facile de conclure la hauteur qu'avoient les colonnes (2). H paroît qu'au point où sont placées les colonnes d'Alexandre-Sévère, il y avoit une autre rue transversale, dont on découvre encore de foibles vestiges : l'encom- brement est tel, qu'on n’aperçoit point de traces de colonnades, si toutefois il en a existé dans cette rue ; on né voit pas non plus de restes des constructions qui la bordoient (3). C'est la rue transversale de l'arc de triomphe qui sert encore aujourd’hui de communication entre le Nil et la montagne ou les vallons qui y débouchent; ce qui a contribué sans doute à maintenir son sol libre et dégagé : maïs celle dont je parle ne sert point de chemin, et les fouilles l'ont comblée entièrement. J'ai déjà dit quelque chose du vallon sablonneux ‘qui traverse la ville entre le portique et l'arc de triomphe; comme c'est encore aujourd'hui une sorte de rue transversale bordée de maisons, j'en dois faire ici une description succincte. De- puis le Nil, où est son origine, jusqu'à l'enceinte de l'est, la largeur de cette grande voie sablonneuse va toujours en croissant; au milieu elle fait un coude. Au fleuve, elle a environ trente-quatre mètres de large; au coude, soixante-un; et à l’ouver- ture, vers le désert, cent vingt-six : son développement total est de sept cent quarante-un mètres de longueur, sans compter la distance du Nil à la limite des décombres vers l'ouest. On a mal-à-propos donné le nom de canal à ce vallon, d'autant mieux nommé ainsi que les habitans l’appellent Vzlon du buffle [| Ouädy Gämous |, et que même il est cultivé sur quelques points. Son lit est supérieur au Nil, quoiïqu'un peu plus bas, autant qu'il m'a semblé, que le sol de la rue principale. Aujourd’hui même, le fleuve ne doit y pénétrer que dans les débordemens extraordinaires, S'il est vrai que les eaux y atteignent. On peut dire que ce vallon est en quelque sorte l'inverse d’une dérivation du Nil, puisque c’est par là que s'écoulent les eaux plu- viales : en effét, des f/4h m'ont assuré avoir vu les eaux descendre de la mon- tagne par ce chemin (4). Le rocher Arabique est assez élevé dans cet endroit ; il est sillonné de ravins, qui réunissent les petites pluies d'hiver et les transportent dans la plaine sablonneuse qui est à l'est d’Antinoé. Arrivées à la vaste embou- chure de ce vallon très-encaissé, les eaux sy rassemblent nécessairement et se pré- cipitent dans le fleuve; la rapidité de leur course est d'autant plus grande, que la montagne est à pic. L'enceïnte massive construite par les Romains avoit sans doute autant pour but de défendre la ville contre les torrens que de la garantir des Arabes pasteurs. La tradition du pays est aussi que la digue étoit destinée à préserver la ville (1) Voyez le Parallèle des édifices anciens et modernes, par Durand, pl. 67, (2) Il y a des fûts tronqués qui n’ont plus que 3",6; d’autres, 4 mètres, &c. (3) Voyez le plan général, pl 5. (4) Voyez la pl. ç et la pl. 54. À, D. #5 = DESCRIPTION 28 contre les pluies soudaïnes. À l'entrée du torrent, les Romaïns ont bâti une digue en pierre numismale avec une porte au milieu: on" en voit encore aujourd'hui le reste (1). Peut-être le lecteur sera-t-il surpris de.me voir parler de pluie et de torrent en Égypte ; mais cette surprise ne seroit point fondée. Contre l'opinion commune, il y a presque tous les ans, sur la rive droite du Nil, des chutes d’eau assez considérables, qui arrivent subitement et causent de grands dommages. Les habitans les connoïssent bien, et ils font ce qu'ils peuvent pour s'en garantir. J'ai été témoin, dans l'hiver de 1801, de plusieurs orages de cette espèce, et des dégâts qu'ils ont amenés (3). En outre, j'ai vu, dans maint endroit, des ravines étroites et très-rapprochées, creuses d’un à deux mètres, et dont la profondeur atteste la rapidité de ces courans passagers. Il faut savoir qu'entre le fleuve et la mer Rouge il y a des pitons élevés, qui rassemblent les nuages, et d’où les pluies s’écoulent vers la vallée du Nil, par-tout où les vallons leur ouvrent une issue. Les bords du torrent à Antinoé sont garnis de constructions en briques plus ou moins ruinées. Il paroît par ce fait, autant que par la digue Romaine bâtie à son ouverture, qu'il date de la fondation de cette ville, ou plutôt que les fondateurs, en la construisant, ont eu égard à cette circonstance locale. Cette direction des eaux pluviales est déterminée par la pente générale du terrain, et rien ne peut Ja changer : seulement les Romains auroient pu élever la digue et l'enceinte à une assez grande hauteur, pour dériver les eaux par le midi de la ville. Je finirai cet article en observant que la largeur de ce vallon sembleroïit pouvoir donner la mesure de la surface d'eau qui en a recouvert ou en recouvre encore quelquefois le lit. Si cette idée est fondée, on peut juger de la quantité d’eau qui s'y écoule quelquefois, la largeur moyenne étant de quatre-vingts mètres. S, IX. Des Thermes, JE donne ici le nom de fhermes à un grand bâtiment, aujourd'hui ruiné, maïs dont les restes suflisent pour faire voir qu'il a servi de bain public. Le théâtre et l'hippodrome exceptés, c'est le plus grand édifice de la ville. I n’est pas assez conservé pour qu'on ait pu en donner une élévation géométrale; le plan présente une multitude d’arrachemens et de constructions presque rasées au sol : au premier coup-d'œil, ce n’est qu’un chaos de piliers, de murailles, de colonnes, qui semblent n'être point coordonnés ; maïs il ne seroit pas impossible de restaurer ce plan, du moins en grande partie (3). | L'entrée du bâtiment étoit sur la rue transversale, entre le guadrivium et la porte (i) Voyez la pl. 57. (2) Ce qui prouve encore l'existence de ces ravines pluviales, si fréquentes dans la chaîne Arabique, ce sont les sources des couvens de Saint-Antoine et'de Saint-Paul, qui sont construits dans la montagne. MM. Raffeneau et Bert, dans leur reconnoïssance des déserts à l’est de Syout, ont trouvé des sources pareilles, à une grande hauteur. L'un de ces voyageurs attribue le nom de mon- tagne de la Fumée, Gebel Doukhân, à des nuages épais qui se fixent sur la montagne de ce nom, et non pasà une cause volcanique. (3) Voyez pl. 61, fig, 22, Si cette restauration n’a pas été faite dans la gravure, c’est parce qu'on a voulu laisser ce soin au lecteur instruit. D'ANTINOË. CHAP. XV. 29 de l'est. Le côté oriental, plus conservé que l’autre, nous fait connoître la largeur du bâtiment, à supposer qu'il fût symétrique ; elle étoit de 78" = La profondeur n'est pasaussi faciles mesurer, les parties postérieures du bâtiment n’ayant pu être reconnues; ce qui est apparent, peut être évalué à soixante-huit mètres. 7 Myibrs façade étoit saïllante et composée d'au moins huit piliers carrés-longs, sé- parés en deux parties, larges chacun de 0",8 $ Sur 1,32; à six mètres en arrière, étoient les deux corps de bâtiment, égalemént formés de piliers ; les faces laté: | rales étoient ornées de colonnes. Sur l'axe du bâtiment, à 17",7 de la façade, on trouve un mur perpendiculaire, et, au-delà, des arrachemens de murailles dirigées suivant cette même ligne de l'axe; disposition qui annonceroit que les bains étoient divisés en deux parties symétriques, peut-être pour séparer les deux sexes. Cepen- dant , à 23°,8 plus loin, l'axe est dégagé de constructions; et, en s’avançant encore * de 22° +, on trouve de grandes salles et des galeries qui paroïssent être l'entrée postérieure des bains. I y à peu de colonnes dans ce plan : sur les côtés, les deux ailes étoient ornées de deux colonnes et de deux piliers avec demi-colonnes. Dans la partie postérieure, on voit encore à gauche le reste d’un porche à deux colonnes, qui, sans doute, avoit son pendant à droite. Tout le reste est piliers : ces piliers, pour la plupart, supportoïent des voûtes, comme on peut en juger par leurs plans: presque toutes les voûtes sont écroulées. | Les petits pilastres ont 6”,$ de hauteur, depuis le dessus du chapiteau jusqu’au dessous de la base ou au-dessus du socle. On voit dans l’intérieur, du côté gauche, les restes de plusieurs portes et de niches carrées, sans doute à l'usage des baï- gneurs. Ces portes paroïssent servir d'entrée aux couloirs et galeries qui divisoient le bâtiment dans ses-différentes distributions. Dans plusieurs endroits, on retrouve les restes de fourneaux bâtis en briques, et par-tout des constructions de la même matière. Plusieurs murailles étoient revêtues en marbre: du moins on le Juge par les trous qui servoient à fixer les plaques de marbre sur la muraille. Un des mor. ceaux les plus remarquables, est un vaste bassin circulaire en marbre, qui a évi- demment servi pour l'usage des bains : sa largeur est de 4 mètres (1); sa pro: fondeur, de 0”,35 ; la hauteur totale, de 0”,75 : l'épaisseur des bords est de 0",423. Cette cuve a sans doute été déplacée ; aujourd’hui on la trouve à environ douze mètres à gauche de l'axe, et à quatorze mètres de la rue : elle présente dans son profil une coupe arrondie en forme de doucine ; le dessous est entièrement plat. I existe encore dans ces thermes un autre bassin beaucoup plus considérable ; son diamètre est de plus de vingt pieds, ou plus de 6" = Dans la multitude de débris dont le sol est jonché, nous avons trouvé des restes de frises , de corniches, de colonnes et de murailles en partie debout; mais l’état de destruction de tous ces objets n’a permis de dessiner qu’un seul entablement (2). - En exécutant des fouilles, il est probable qu'on y feroit des découvertes pré- cieuses. (1) Voyez pl. 6r, fig. 27 et 24. (2) Voyez pl. 61, fig, 21. 30 DESCRIPTION S. X. a De divers Edifices d’Antinoé. . EN se dirigeant le long de la grande rue à partir du portique, et après avoir passé le grand vallon, on trouve à gauche divers édifices plus ou moins somptueux et presque ruinés. Le premier, qui regarde le nord, et fait un angle par conséquent avec la rue, présente une façade composée de quatre colonnes Corinthiennes (NE le second consiste en quatre colonnes, groupées deux par deux; le troisième est une sorte de péristyle composé de deux rangées de six piliers chacune, et entre elles sont deux rangs de six colonnes : il y a des piédestaux d'un profil particulier (2). Plus loin, à trente-quatre mètres de l'axe de la rue, est une façade de grosses colonnes cannelées (3); auprès du carrefour qui est en face de l'arc de triomphe, sont plusieurs pilastres Corinthiens. Ainsi, dans le petit intervalle qui sépare du vallon la rue transversale, on compte cinq monumens encore visibles, dont plu- sieurs sont plus considérables que le portique du théâtre et que l'arc de triomphe. Dans cette même rue longitudinale, on trouve encore un grand portique ana- logue au péristyle dont je viens de parler; la façade est formée de deux piliers et deux colonnes d'ordre Corinthien, les uns et les autres cannelés. On compte deux rangées de cinq piliers semblables et deux rangées de cinq colonnes (4). La plus grande partie des colonnes et des piliers de ce monument Corinthien est encore debout : les piliers qui bordent la rue, sont dans l'axe même de la grande colonnade d'ordre Dorique Grec ; aussi une demi-colonne de cet ordre at-elle été appliquée sur chacun des piliers antérieurs, pour les lier avec-:cette colonnade. La colonne Dorique n'a pas tout-à-fait les mêmes proportions que celles que nous avons rapportées plus haut (5) : la hauteur du fût, au-dessus d’une sorte de stylobate, est de 3”,6, et celle du chapiteau de 0",27; le diamètre supérieur a 0",55, au lieu de o",61. Quant aux piliers et colonnes, leur hauteur totale est de 8”,47; le chapiteau seul à 1,10. Si, du carrefour qui regarde l'arc de triomphe, on se dirige vers la porte de l'est par la rue des thermes, on trouve à gauche les restes d’un édifice composé de colonnes de marbre blanc. Au-delà, à droïte, est un portique de quatre colonnes cannelées, d'ordre lonique, ayant par derrière un massif percé d'une porte et quatre autres colonnes; la plupart de ces colonnes sont encore debout. La hauteur du fût est de 6"/75, non compris la base ni le chapiteau, qui a o",41. Le dia- mètre est de o",91. Le bâtiment a 10",58 de façade et 11" de profondeur: il a de lanalogie, par son plan, avec le portique du théâtre; la seule différence est que les piliers angulaires sont ici remplacés par des colonnes. Le nombre des cannelures est de vingt-quatre ; et leur profondeur, de o",04. La cannelure ne commence qu'à 2",34 de la base (6). (1) Voyez pl 52, (5) ne ci-dessus, $. VIII, et pl 60, fig. 18; pl, 67, (2) Voyez pl. 60, fig. r4et 15. Jig. 25-28. k (3) Voyez pl, 57, (6) Voyez pl, 61, fig. 7 a r4, (4) Voyez pl. 61, fig. r a €. D'ANTINOË. CHAP. XV. 31 ” Au-delà encore, on trouve les restes d’un édifice à colonnes de granit, d’un mètre de grosseur; plus loin, les thermes dont j'ai fait la description; enfin, à l'extrémité de la rue, deux grands pilastres Corinthiens encore debout, isolés et distans de toute la largeur de la rue, et qui ont appartenu à un édifice magnifique, formant la porte de l'est. L'édifice étoit orné de colonnes de granit, dont on voit encore à terré plusieurs rangées avec d'autres blocs de la même matière. Le sol est couvert de débris: on y remarque de grands morceaux d’entablement en pierre numismale, des frises ornées de triglyphes et de rosaces. La sculpture en est d'un style grandiose et d’un excellent travail. La confusion de ces fragmens et de ces colonnes ren- versées est telle, qu'il est impossible de se former aucune idée nette du monument: on remarque quil est encore éloigné de lenceinte générale en briques, bien qu'il paroisse avoir été certainement l'issue de la ville, du côté de l’est (1); mais il en est de même de la porte placée derrière le théâtre, du côté du sud. En revenant sur ses pas jusqu'au carrefour, et suivant ensuite la grande rue vers le nord-ouest, on voit beaucoup de débris confus et ensevelis sous les décombres ; à.peine aperçoit-on çà et là quelques fragmens de colonnes et de murailles. Vers la gauche, on trouve des piliers avec demi-colonnes appliqués sur un des côtés; si l’on en juge par leurs dimensions, ils faisoïent suite à la colonnade {2) : il y en a d'autres encore qui sont plus petits (3). Dans la même rue, auprès des co- lonnes d’Alexandre-Sévère et avant d'y arriver, est l'emplacement d’un édifice à pilastres Corinthiens, distans de la colonnade de soixante mètres. Trois de ces pilastres occupent un espace de 8,8. Après avoir passé les colonnes d’Alexandre-Sévère, et tout au bout de la rue longitudinale, on trouve le bâtiment du nord-ouest. Cet édifice est carré, de forme massive, entouré, à l’est et à l’ouest, de murailles encore visibles aujourd’hui; sa profondeur est d'environ trente-huit mètres. Il y avoit tout autour une galerie; les portes sont aux angles de l'enceinte. L'édifice est rasé au-dessus des piliers ; et l'on ne voit plus que les moulures des bases. Il est difcile de conjecturer la des- tination de ce bâtiment; cependant sa forme semble annoncer un tombeau, qui étoit peut-être celui d’Antinoiis lui-même (4). À vingt-six mètres du monument du nord-ouest et dans l'alignement de len- ceinte, sont de gros piliers qui paroïssent les restes d’une grande porte triomphale, faisant pendant au portique du théâtre. On y voit des restes de murailles, des bases de pilastres, &c. C’est entre cette dernière porte et l'enceinte du sud qu'il y a une distance de seize cent vingt- mieux mètres , et cette longue ligne ne fait qu'une seule rue. Au milieu des ruines de la ville on trouve encore les restes d’un autre portique Corinthien, dont les colonnes n’ont pas été retrouvées en place. Les pilastres sont (1) On trouve entre l'enceinte et l'édifice les restes (2) Voyez pl. 60, fig. 10, d’un mur de clôture en pierre. (3) Voyez pl. 6o, fig. 11 et 2, M. Balzac rapporte qu’il a vu à Antinoé des espla- (4) Voyez pl. 57, et l'explication de Ia planche à l’ar- nades servant de promenoirs, qui, malgré toutes nos ticle du monument du nord-ouest. l est, par erreur, recherches, nous ont échappé, à moins qu’ilne soit ques- appelé du sud-ouest dans cette explication, 7 ligne de la tion de lhippodrome et du vallon. 2.‘ colonne. 32 DESCRIPTION élevés et d’une belle exécution. La hauteur du fût seul est de 10",06, et celle du chapiteau est de 2",04. Le fût est composé de seize pierres ; et le chapiteau, de trois : au pied sont des fragmens d’entablement {1}. Tels sont les principaux édifices d’Antinoé, dont il subsiste des. vestiges dignes d'être décrits. Maïs on voit encore dans bien d’autres endroits des ruines et des colonnes détachées, en pierre et en marbre : beaucoup de ces colonnes sont tombées tout d’une pièce, pressées par le poids des buttes de décombres. La quan- tité de celles qui sont en granit, et qui certainement ne sont point l'ouvrage des Romains , annonce quelle abondance il y avoit en ce genre à Hermopolis et dans les autres villes Égyptiennes, où ils ont puisé ces riches matériaux. $. XI. Du Siyle de l'Architecture des Monumens d'Antinoé ; Comparaison de ces Monumens avec les autres Édi ifices du même genre. Das les chapitres qui précèdent, j'ai fait ressortir le mérite des édifices d’An- tinoé, et le talent qu'on remarque dans l'exécution. Toutefois le style n’est pas par- tout de la même pureté, et Je dois signaler toutes les parties des constructions qui m'ont paru pécher contre le goût. On sait que le siècle d’Adrien est l'époque de- puis laquelle on vit l'art dégénérer : la simplicité commençoit alors à faire place au bizarre. Quoique la disposition restât encore soumise à cette loï de l'unité qui est fondamentale en architecture, et que les principes de la construction fussent encore excellens, le goût des ornemens affectés entroit déjà dans la décoration. M ne faut donc pas être étonné que la ville qu Adrien fonda en Égypte; offre des exemples de décadence. Dans l'arc de triomphe, ce vice est plus sensible qu'ailleurs. Les trois ordres y sont mélés d’une manière un peu choquante, quelle que soit la pureté de la taïlle des pierres et de la sculpture. Le Corinthien est entièrement subordonné au Dorique. Les grands pilastres sont de ce dernier ordre, et cependant ils ont dix diamètres et demi de haut; ceux qui leur sont adossés et qui ont moitié moins de hauteur, sont Corinthiens. Les colonnes placées en avant ont un entablement Corinthien, qui se trouve écrasé par le grand entablement Dorique servant de base au fronton. On voit aussi deux ordres dans l'arc d'Aurélien et dans l'arc dit de Janus ; maïs tous deux sont Corinthiens : ces arcs diffèrent d'ailleurs beaucoup de celui-ci. Dans ce dernier, ia richesse de tous ces ornemens confondus est plus contraire que favorable au bon effet de l'édifice. On blâme avec raison les quatre pilastres qui sont comme revêtus d’autres pilastres plus petits. Enfin on trouve les arcades un peu trop élevées. Les frontons sont rares dans les arcs, sur-tout ceux qui occupent la place entière ‘de Fattique (2). Un des plus beaux arcs de triomphe, celui d’Auguste à Rimini, et (1) Voyez pl. 6r, fig. 16 à 20, (2) Je ne connois dans ce cas que l'arc de Palmyre er celui d’Adrien à Athènes, l'arc D'ANTINOË. CHAP. XŸ. 23 l'arc de Marius à Orange, ont des frontons placés en avant de l'attique. À Antinoé, le fronton ne couronne pas l'attique ; maïs il en tient lieu. Quand on a relevé ces différens défauts, il n’y a plus que des éloges à donner à l'édifice, tant pour la masse et pour l’ensemble, que pour la finesse et la beauté des détails. Les colonnes d’Alexandre-Sévère donnent aussi lieu à des observations critiques. La proportion est trop courte pour l'ordre auquel elles appartiennent. En efer, le fût, compris le chapiteau, n'a que neuf diamètres. Le chapiteau est trop large au sommet, et paroît comme écrasé par le dé supérieur. L'’ornement du bas de la colonne détruit la pureté du fût : on n’en trouve guère d'exemple que dans le Bas-. Empire; par exemple, au Baptistère de Saint-Jean de Latran, dit de Constantin, et aussi aux bains de Nîmes (1): mais la partie du fût décorée de feuillage est moins haute qu'ici Au temple d'Auguste, à Milasa, on voit encore des colonnes ainsi ornées (2). Le socle de labase, au lieu d’être carré, est octogone, sans que cette forme soit nécessitée par aucun motif apparent. Les moulures supérieures et inférieures du piédestal manquent aussi de pureté; elles présentent des angles aigus, et des profils qu'on ne rencontre nulle part dans les ouvrages du beau temps. Il n’y a point de renflement à la colonne; ce qui est peut-être une imitation des colonnes Égyp- tiennes : peut-être le feuillage, à la partie inférieure du fût, est-il aussi une imitation de ces mêmes colonnes, qui sont toujours décorées de feuilles et de fleurs. Enfin le piédestal paroît un peu maigre pour supporter une colonne aussi haute. J'ai déjà fait observer que les colonnes isolées, témoin la Trajane et l Antonine, étoient en général Doriques, tandis que celle-ci est Corinthienne. Il y à aussi à Palmyre une colonne isolée d'ordre Corinthien. Le portique du théâtre est, sans contredit, l'édifice où il y a le moins à reprendre. La seule remarque importante à faire, est que le feuillage du chapiteau des co- lonnes est hors de l’aplomb du fût, et dépasse l’astragale. J'ai déjà dit que la res- tauration de cet édifice et de l’ensemble des constructions qui précédoient le théâtre, est fort difficile ; seulement il est certain que le portique conduisoit à ce même théâtre. Ce qui est probable, c'est qu'au-delà du portique étoit une grande cour de la même largeur que le théître même, environnée de colonnes et servant de promenoir, comme on le voit dans plusieurs amphithéâtres Romains. Après la cour venoïent les constructions postérieures, la scène, et le proscenium , qui est aujourd'hui bien marqué. Toutefois je n'ai vu nulle part des piliers rap- prochés deux à deux, comme on le voit ici sur la scène. On peut comparer le théâtre, pour la grandeur , à celui d'Otricoli en Ombrie et à celui de Catane: le diamètre est à peu près le même; il est plus petit qu'au théâtre de Marcellus. Celui d'Otricoli a une grande porte au fond du théätre, comme dans celui du théâtre d’Antinoé. Quant au plan, ce dernier a beaucoup de rapport avec celui du théâtre de Taormina, ainsi qu'on l'a restauré (3). Les colonnades d'ordre Dorique Grec, dont les deux grandes rues étoient bornées, (1) Voyez le Parallèle des édifices anciens et modernes , (2) Ibid. pl. 2. par Durand, pl. 7r. bid. pl 27. = — ns 3 A..D. E 34 DESCRIPTION fournissent aussi matière à quelques rapprochemens sous le rapport de l’art. J'ai dit que le chapiteau des colonnes avoit de nn avec celuï des colonnes d’un temple de Thoricion {1}. C'est en effet la même proportion , le même profil. Dans l’un et dans l’autre, il y a un filet carré sous le tailloir ; au-dessous est une partie purement conique, et des listels ou filets en retraite la joignent au fût: mais ceux-ci ont une courbure, et à Antinoé ils sont absolument carrés. Comme, sous Adrien, l'époque du style Dorique Grec étoit déjà fort ancienne, et l cmplot de ce style presque tombé en désuétude, on avoit sans doute perdu la tradition des belles formes, et le caractère s'étoit altéré. Ce qui distingue ce chapiteau de ceux des temples de Minerve, des Propylées et des temples de Délos et d'Agri- gente, c'est que les moulures ou listels, dans ceux-ci, appartiennent au corps même du chapiteau, tandis qu'à Asitidé (et c’est la même chose dans presque tous ceux de Pæstum ou Posidonia ) ils appartiennent plutôt au fût, ou bien le séparent du chapiteau. Au reste, le chapiteau Dorique Romain du théâtre de: Marcellus, avec trois annelets ou listels placés entre le quart de rond et le fût, ne diffère guère de celui d’Antinoé que par ce quart de rond, au lieu d’un cône renversé, Gomme j'ai déjà eu occasion de comparer l’'hippodrome À des monumens du même genre, je ne ferai pas ici d’autres rapprochemens entre cet édifice et les autres, et je terminerai ce paragraphe par quelques nouvelles remarques sur l'arc de triomphe d’Antinoé. Ce qui le caractérise particulièrement, ce sont les trois arcs si élancés du milieu et des côtés, et le fronton qui occupe toute la largeur. Aucun édifice ne se rapproche autant de celui-ci pour le caractère de bépaior que l'arc de Marius à Orange, plus pur d’ailleurs pour le style : maïs celui d'An- tinoé diffère, 1.° par les fenêtres placées au-dessus des petits arcs, Ià où, dans l'arc de Marius, il y a des trophées; 2.° par le fronton, qui a la largeur du bâtiment entier, au lieu de s'appuyer sur le grand arc seulement; 3.° enfin par les colonnes basses et isolées, tandis qu'à Orange elles sont engagées et s'élèvent jusqu’à l’en- tablement. Quoïque le haut du bätiment soït un peu ruiné, on voit aisément qu'il n’a jamais eu d’attique comme l'arc de Marius; et l'on n'a aucune raison de croire qu'il y ait eu au sommet un char triomphal. | Le plan de l'arc d’'Antinoé l'éloigne aussi de tous les autres connus : celui qui s'en écarte le moins sous ce rapport, est l'arc de Septime-Sévère, auquel il ne manque que deux issues pour avoir la même disposition. Dans l'arc de Septime, dans celui de Constantin, les colonnes sont isolées des façades comme à Antinoé. Au reste, il ny a à Rome que ces deux arcs de triomphe qui soient percés de trois portes. La façade de l'arc d'Antinoé est plus petite que celles des arcs de Marius, de Septime-Sévère et de Constantin: mais elle l'emporte de beaucoup sur les dimen- sions de ceux d’Adrien, de Trajan à Bénévent, de Titus, &c.; elle est de la même (1) Voyez le Parallèle des édifices anciens et modernes , par Durand, pl. @. D'ANTINOÉ CHAP. XV. 35 grandeur que la façade de la porte Saint-Martin à Paris. Quant à sa profondeur, qui a environ dix mètres et demi, elle est plus grande que dans aucun arc connu. Le monument d'Antinoé est à peu près double, dans cette dimension, des arcs peu P ! de Marius et de Septime, ét de la porte Saint-Martin. Les issues latérales qui 2 q ° LA 2 # © A 0 sont pratiquées dans cette épaisseur, ajoutent beaucoup à la magnificence du monument, $. XII. De la Ville Égyptienne appelée Besa, et des Ruines environnantes, Le sol qu'Adrien choïsit pour bâtir Antinoé, avoit été celui d’une ancienne ville Égyptienne. De son temps, elle étoit tombée en ruine, et peut-être lui fournit-elle des matériaux. L'emplacement de Besa paroït avoir été au pied de la montagne et au nord de la ville Romaine. Ce qui me le fait penser, c'est qu'on y trouve quantité de murs et de constructions en briques ruinées, cuites au soleil, et d'une grande épaisseur, telles que les murailles Égyptiennes : on voit encore de ce côté une espèce de rue sur laquelle s'aligne la porte du nord-ouest de la ville Romaine. Le champ cultivé qui est au-delà, vers le Nil, a probablement appar- tenu à l'enceinte de Besa, qui, en tout, n'occupoit pas la moitié de l'emplacement d'Antinoé. En outre, il y a au nord-est une enceinte en briques solides, qui enferme ces ruines, et’ qui se rattache à celle de la ville d'Adrien: elle est fort anguleuse ; on remarque plusieurs tourelles dans son développement (1). Malgré la vraisemblance de cette conjecture, je dois observer que les Romains ont laissé des constructions en briques crues, semblables à celles des Égyptiens pour la pose des matériaux, quoique moins épaisses; il se pourroit donc que les murailles que j'ai décrites fussent d'ouvrage Romain. Il n'existe pas assez de traces certaines d’un travail Égyptien pour fixer avec précision l'emplacement de Besa: mais il n'y a aucune apparence que cette ville füt au midi d’Antinoé ; dans ce dernier endroit a existé une ville Chrétienne, dont nous parlerons plus tard (2). Besa est le nom d’une très-ancienne divinité de l'Égypte, quirendoit des oracles célèbres dans la ville d'Abydus, ainsi que nous l'apprend Ammien Marcellin (3). I est encore question, dans Eusèbe, du dieu Besa (4). H n'est pas douteux qu’An- tinoé n'ait été bâtie dans le même local que la ville consacrée à ce dieu, puisqu'elle a porté, selon Photius , le nom de Besantinoé |), nom évidemment composé de Besa et d'Antinoüs. C’est aïnsi qu'on voit beaucoup de noms formés de ceux de deux divinités Égyptiennes , comme Serzhamoun où Serapammon ; Hermanubis, (1) Voyez pl. 54, fig. 1. On a oublié d'indiquer dans la gravure les petites tourelles rondes situées aux angles » d’une des faces de l'enceinte, plus modernes sans doute que les ruines, (2) Voyez ci-dessous , pag. 38. (3) J'ai déjà cité ce passage d’Ammien dans la Des- cription d’Abydus. Voyez À, D. chap. XI , pag. 6. AUD: (4) ‘O adpuorems omouayoc % O1 Bros. ( Dionys. Alex. apud Euseb. L V1, c. 41.) (5) Photius, Bibliorh. cod. 279. Helladius, dit-il, étoit Égyptien de nation, et de la ville d’Antinoüs ,ou, come il Pécrivoit lui-même, Besantinoüs. Voyez Jablonski, Pantheon Ægypt. pag. 201, part. 3. 36 DESCRIPTION Horapollon ; Besammon , et une foule d'autres. Des Chrétiens portèrent les noms de Besa, de Bisarion. C’est à quoi se bornent tous les renseignemens fournis par l'histoire et par l'examen des lieux. | Aux environs de ces ruines, sont celles de deux églises Chrétiennes ruinées, placées sur le sommet de la montagne Arabique ; on leur donne le nom de Deyr, ou monastères. La montagne qui enferme Antinoé, vient aboutir près du Ni, dans la direction de Nazlet Cheykh A’bâdeh, petit hameau, à la pointe la plus élevée de ce côté. C'est sur un rocher à pic que se trouve une de ces églises ; aussi l'aperçoit-on de très-loin : les bâtimens étoient ‘en briques crues : les murs sont debout, et l'on voit encore des cellules couvertes de leur toit. Les briques sont fort bien faites, et ressemblent, à la grosseur près, à celles des anciens Égyp- tiens. Le rapport des habitans confirme que les Chrétiens avoïent jadis une église dans cet endroit. Les environs sont occupés par des grottes et des carrières : au sud-est on trouve le lit d'un grand torrent; au couchant, une grande cavité ou plutôt un immense bas-fond, dont la position singulière sur le plateau de la montagne mériteroit d’être étudiée par le géologue (1). Il est difficile d'imaginer un aspect plus aride et plus escarpé, quand on regarde vers l’est; mais, si l’on jette la vue du côté du Nil, elle se repose sur une magnifique et immense cam- pagne qui s'étend jusqu'au delà du canal de Joseph. | Sur le sommet de la montagne d’Antinoé, il y avoit, selon Abouselah, le mo- nastère de Saint-Mathias (2). C'est probablement ici qu’il faut le chercher, ou bien dans une autre ruine pareïlle, placée dans l'angle rentrant de la montagne à l'est de la précédente, et qui est, comme elle, sur le sommet du plateau ou même sur une cime encore plus élevée. Cette église étoit bâtie en briques crues et avec soin ; il reste des murs debout, et des vestiges de voûtes (3): elle paroît avoir été plus grande que la première. : $. XIII. Des Carrières et Excavations pratiquées dans la Montagne d’Antinoëé. A l'est d'Antinoé, la chaîne Arabique se dirige parallèlement au cours du Nil, dans un long espace de chemin ; cet espace entier est rempli d’excavations de tout genre, de grottes artificielles et d'immenses carrières. C’est là que les cons- tructeurs d'Antinoé ont puisé les matériaux de la ville, et sans doute elles ont servi bien avant, pour bâtir Hermopolis. Plusieurs de ces excavations ont au-delà de dix mètres d'ouverture. Elles sont placées à diverses hauteurs dans la montagne; sem- blables aux galeries des hypogées dé Thèbes, elles ont des développemens presque infinis dans la montagne. Je ne les ai parcourues qu'avec une grande fatigue. La plus étendue de celles que j'aï visitées, a son ouverture près de l'église que. (1) Voyez pl. 54, fig. 7. k et Magryzy, il y avoit auprès d’Antinoé quatre églises (2) Voyez les Mémoires géographiques sur l'Egypte, par et six monastères. M: Etienne Quatremère, pag. 42, tom. I. Selon Abouselah (3) Voyez pl. 54, fig. z, D'ANTINOË. CHAP. XV. 37 jai décrite au précédent paragraphe, c'est-à-dire, celle qui est dans l'anlge rentrant de la montagne. Le rocher est percé de grandes salles soutenues par les piliers qu'on y a laissés : elles se divisent en un nombre infini de branches qui vont dans tous les sens (1). À peine y est-on entré, qu'on ne trouve plus qu’une obscurité profonde. Le sol est couvert d’éclats de pierre, et d’une certaine pous- sière que les fe/4} viennent y chercher, du moins à l'entrée ; ils l'emploient comme engrais. Une multitude de chauve-souris y ont fait leur repaire; elles exhalent une odeur infecte et fétide : l'extrême chaleur achève de rendre {a respiration diflicile dans ces vastes souterrains. Maïs, en my enfonçant toujours de plus en plus, j'étois soutenu par l'espoir de découvrir quelque chose digne de curiosité et d'intérêt. Par-tout, les galeries et les chambres ont deux à deux mètres et demi de hauteur ; les ramifications sont contournées dans mille directions. Mon guide me dit qu'il y avoit deux heures de chemin dans cette grande carrière : au village, on m'assura même qu'en y entrant à Antinoé, on peut en sortir à Berché; rapport difficile à croire, puisqu'indépendamment de la distance, qui est de deux lieues, on trouve dans cet intervalle des gorges très-profondes. Comme le sol des car- rières est à peu près de niveau et presque au sommet de la montagne, elles doivent avoir leur issue dans le premier vallon au sud; peut-être même font-elles dans la face qui regarde la ville. s Je suis entré par l'ouverture qui est vis-à-vis de la rue des bains : après avoir marché dans toutes ces salles pendant près d’un quart d'heure, je m’aperçus que je n'auroïs pas assez de lumière pour pouvoir aller jusqu’au bout, et je fus con- traint de revenir; maïs nous ne reprimes point le même chemin, et je me retrou- vai à l’église dont j'ai parlé, à un quart de lieue du point où j'étois entré dans la montagne. | Les hommes du pays redoutent beaucoup de parcourir ces carrières ; ils parlent de gens qu'on y rencontre souvent, morts de faim ou de soif, pour s'être égarés dans ces espèces de labyrinthes. De quatre cheykhs et huit &/4h que j'avois amenés à la montagne pour me suivre dans les carrières, un seul homme avec un enfant eut le courage de m'y accompagner. Au reste, il y a beaucoup de vague dans les récits que font les habitans au sujet de ces souterrains : quelques-uns prétendent qu'on trouve, tout au bout, des colonnes semblables à celles d'Antinoé; d’autres assurent que ce sont des piliers laïssés après l'exploitation, ce qui me paroit plus vraisemblable d’après ce que j'ai vu de mes yeux. On ne voit aucune grotte ou catacombe Égyptienne dans l'étendue du bassin qui renferme Antinoé ; du moins je n'en aï pas vu, et les habitans m'ont répondu négativement quand je leur de- mandois sil existoit des zoghäyer (2). | Outre ces carrières creusées dans le roc, il y a une multitude d’excavations et de grandes parties taillées à ciel ouvert sur le plateau de la montagne et sur les flancs. Il est même impossible de mesurer le travail qu'ont fait les Égyptiens pour enlever toute la pierre qui reposoit sur les parois aujourd’hui découvertes. (1) Voyez pl. 54, fig. 1, et même planche, fig, 2, aux (2) Nom que donnentles Arabes aux anciennes grottes points 4,0., sépulcrales. 38 DESCRIPTION 4. XIV. Ville Chrétienne ruinée auprès de Deyr Abou-Hennys, Grottes et Environs. AU sud et à trois ou quatre cents mètres d'Antinoé est un espace couvert de ruines, presque aussi grand que la ville Romaine elle-même : il est bordé, d’un côtc, par le Nil et par quelques dattiers, et des trois autres côtés, soit par une en- ceinte, soit par les sables. Aucun bâtiment ne s'y rencontre, si ce n’est les ruines d'une église vers le nord; mais les décombres sont remplis de maisons de briques ruinées, de voûtes et de murailles, et aussi d’une multitude de tombeaux. A la construction des murs et à l'espèce des matériaux, on reconnoît bientôt l'ouvrage des Chrétiens. La façon des briques et l’épaisseur des murs sont les mêmes que dans les églises Chrétiennes de la montagne ; ces briques sont régulièrement arrangées. La ville paroît ruinée depuis quatre ou cinq siècles. Les Qobtes rap® portent qu'elle fut construite après la ruine d’Antinoé. Le village qui subsiste encore auprès, sous le nom de Deyr Abou-Hennys [ou mo- nastére de Saint-Jean |, est le reste de l'ancienne population Chrétienne qui a ha- bité cette ancienne ville: ïl est bâti sur une éminence de sable. Sa population est uniquement composée de Chrétiens très-pauvres. L'église actuelle est vers le sud- ouest. Pour y entrer, on traverse une cour qui renferme une grande pierre creusée, appelée 46d : l'entrée est étroite et obscure. L'église est composée de plusieurs salles mal construites, et encore plus mal réparées : on me dit que la partie inté- rieure étoit d'ouvrage Grec ; elle est, en effet, bâtie par assises réglées, tandis que le reste est en moellons et plâtre. Quelques piliers sont décorés de chapiteaux Corinthiens, tirés d'Antinoé. Au seuil d’une porte, je vis deux morceaux de beau granit rouge, dont l’un est bien poli sur toutes ses faces. La disposition des salles est confuse. Au fond de l'autel est un tableau dont l'exécution, quoïque fort mau- vaise, fixa mes regards, à cause de la rareté des ouvrages de peinture en Égypte. I y a deux sujets. L'un représente le saïnt qui a donné son nom à l'église et au vil lage, el-Kaddys Abou-Hennys (1) : il est debout et revêtu d’une chape; le dessin est incorrect, et la couleur plate. Le peintre y à mis son nom en arabe, et la date de l’ouvrage, qui est récent (du treizième siècle de l'hégire). l’autre sujet repré- sente l’archange Michel, avec cette inscription : / Melek Mykhäyl (2). H est à pied, tient un sabre dans la main gauche; de la droite, il porte un très-petit buste, dont on ne voit rien que la tête et les épaules. Le prêtre que j'interrogeai, ne put absolument me dire ce que c’étoit que cette sorte d’idole. Il me raconta que le roi d'Antinoé s'appeloit Arianos. Hasan-bey et ses mamlouks , me dit-il, avoient pillé, brisé et brûlé l'église quelques années auparavant. | Cet homme, dont la science étoit d’aïlleurs fort suspecte, m'assura que le nom de la ville étoit Enselé, quoïque je lui parlasse d'Enséné, d'après tous les voyageurs : mais il se trompoit certainement. Pour être compris dans le pays, ül faut, quand on prononce le nom d'Enselé (3), accentuer la première syllabe et glisser sur les autres; j'ai éprouvé qu'autrement on couroit le risque de n'être pas entendu. (1) yas al rente) (2) Jalie EM] (3) C’est le nom reçu à Cheykh A’bâdeh. D'ANTINOÉ. CHAP. XV. 39 Desirant connoître les grottes sépulcrales Égyptiennes qu'on me disoit être dans une gorge de la montagne, située derrière Deyr Abou-Hennys, je pris des guides au village. La montagne est très-élevée dans cet endroit : je montai péni- blement jusqu'au sommet par des chemins très-escarpés, à la hauteur de quatre cents pieds environ ; mais, après beaucoup de fatigue, je n’y trouvai que des carrières. L'une d'elles est décorée du nom de kenyset, église : c’est une excava- tion fort ancienne, dont les Chrétiens se sont emparés. [ls en ont blanchi à la chaux les parois informes, sans se donner la peine de dresser les faces et de rendre les angles droits : par-dessus les faces du rocher, ils ont peint de méchantes figures de la Vierge et des Saints; les couleurs sont aussi mauvaises que le dessin est grossier : au plafond, ils ont tracé quelques vagues ornemens de fleurs et de feuillages. Les murailles et le plafond portent des inscriptions tracées en rouge et écrites en qobte : je regrette que le temps m'ait manqué pour les copier. Je vis dans la montagne beaucoup d’autres excavations transformées par les Chrétiens en églises ou en cellules; maïs aucune n’étoit revêtue de sculptures ou de peintures Égyptiennes : toutes sont d’une petite étendue. Malgré leurs salles informes et le mauvais goût des ornemens , ces grottes sont admirées par les Chrétiens, qui vont les visiter constamment, après avoir enterré leurs morts dans les tombeaux de Deyr Abou-Hennys. Au rapport de mon guide, vieillard de soixante-dix ans, qui gravissoit ces rochers comme une chèvre et presque en dansant, il y a parmi les excavations une grotte très-profonde, où l’on entend un bruit semblable à celui d’une roue de moulin qui tourne. Je ne puis donner aucune explication de ce fait, que je n'ai pas vérifié, et qui n'est probablement qu'un conte populaire. $. XV. Remarques sur Antinoüs, et Conclusion. AU rapport d'Ammien Marcellin, la ville d’Antinoé étoit une des trois plus florissantes de la Thébaïde, qui en comptoit tant de célèbres (1). S'il falloit en croire cet auteur, ce seroit en' l'honneur de son favori qu'Adrien auroit fondé cette ville. Toujours est-il cértain qu'il lui éleva des statues et des monumens, comme une marque de son affection. Ce prince avoit multiplié presque à l'infini les images d’Antinoïüs en Égypte et en Italie ; il paroït qu'à Antinoé même il y en avoit une prodigieuse quantité (2) : voilà des preuves incontestables des regrets que l'empereur donna à la mort d'Antinoüs. On raconte diversement Ja mort de ce jeune Bithynien, qui eut lieu l'an 132 (3) de J. C. Les uns pré- (1) Zhebaïs, multas inter urbes , clariores aliis Hermo- représenté. If existe en ce genre un beau camée de sat- polim habet, et Copton, et Antinoë, quam Hadriunus in doine dont M. Millin a donné l'explication. Voyez Mo- honorem Antinoi condidit sui. ( Amm: Marcell. Rer. gest, ‘numens antiques inédits, tom. Il, pag. 153. p-340,in-4°) __#(3) M. C.{ Levezow fait remonter cette époqué à (2) Outre cette multitude de statues et de bustes que lan 122; j'ignore d’après quelle autorité. Voyez la note 1, ’on connoît, il y a des pierres gravées où Antinoüs est pag. 41. DESCRIPTION rte) tendent quil. périt malheureusement dans le Nil, en face du lieu où la ville fut bâtie ensuite ; les autres, que, par un dévouement extraordinaire, ce jeune homme se précipita volontairement dans le fleuve pour le salut de son maître. Si cette dernière version, qui est la plus commune, est réellement fondée, c'est un exemple d'héroïsme assez rare et qui suffiroit pour expliquer la conduite d'Adrien; alors l'on n'est plus obligé d'admettre cette autre explication qu'on en a donnée, et qui est une si grande tache pour la mémoire de l’empereur. Tous les auteurs n'admettent point la passion honteuse dont on l’accuse communément, et que les Pères de l'Église, sur-tout, lui ont reprochée avec tant de véhémence, quoiqu'Adrien eût accordé protection aux Chrétiens, ainsi qu'Eusèbe lui-même atteste dans son Histoire ecclésiastique (1), et qu'il eût même projeté d'élever un temple au Christ (2) Antinoïüs, dit-on, fut considéré comme un dieu, et le prince voulut qu'on lui dressät des autels : dans cette opinion, Adrien seroit encore plus odieux. « Afin de nous apprendre, dit S. Jérôme, quelles espèces de » divinités avoient encensées les Égyptiens, une de leurs villes vient de prendre » le nom d'Antinoüs, le seraReshon des plaisirs d'Adrien {3).» Le passage que j'ai rapporté plus haut, du même auteur, finit par ces mots : « César Adrien passe » pour avoir aimé passionnément le jeune Antinoüs (4).» Origène'et S. Athanase assurent la même chose (5). Selon S. Épiphane, on pratiquoit, dans les temples d'Antinoüs, des mystères semblables à ceux de Saïs, Péluse, Bubaste et Abydus ; il fait entendre que les femmes y célébroient des orgies où elles perdoiïent toute espèce de pudeur, excitées par le bruit des tympanes et des trompettes, ainsi qu'il arrivoit aux femmes de Memphis , d'Héliopolis, de la région Batheia (6) et de celle de Menuthitis (ik: Le même S. Épiphane assure qu Adrien fit ensevelir Antinoüs dans la ville d'Antinoé, avec un petit navire, et le fit mettre au rang des dieux (8): il cite cet exemple pour prouver que des princes et des tyrans, privés par la mort des instrumens de leurs plaisirs, et afin de conserver la mémoire de l'affection qu'ils en avoient obtenue, vouloient que les tombeaux élevés à ces favoris obtinssent la vénération des peuples soumis à leur empire. Pour ne rien dissimuler , il faut ajouter qu'Antinoiis fut placé dans le ciel après (1) La lettre d'Adrien à Minucius Fundanus, proconsul d’Asie, rapportée dans l'Histoire ecclésiastique d'Eusèbe, liv. IV, chap. 9, prouve que ce prince traitoit alors les Chrétiens , non-seulement avec équité, maïs encore avec une sorte de faveur; Nicéphore Calliste ( His. eccles. lib. 111, cap. 27) rapporte [a même lettre où Adrien écrit au proconsul pour défendre que les Chrétiens soient trou- blés , et faire punir sévèrement leurs calomniateurs. La persécution qui eut lieu sous son règne, l’an 124, étoit . principalement dirigée contre es Carpocratiens, qui avoient des agapes comme Îes Chrétiens; après leurs repas, ils avoient coutume d’éteindre les lumières et de se livrer pêle-mêle à toute sorte de débauches : mais on confondit les Chrétiens avec eux. (2) Lamprid. in Alex. Sever, (3) Hieronym. Contra Jovianum, epist. 10, (4) Voyez ci-dessus le $. VII. (5) Athanas, Contra gentes, pag. 8; Origen. Contra Celsum , Hib. 111, pag. 136; Chronicon Alex, &c. (6) Certe région Batheia [ Bafeias | me paroît devoir s'appliquer au pays qui sépare le Nil du canal de Joseph, qui renferme presque par-tout un bas-fond. C’est le même lieu qu’on appelle aujourd’hui Bathen. Voyez mon Mé- moire sur le lac de Moœris, 4. M. tom. I, pag 105. (RS Épiphane, Ady, hæres.lib.111,tom. Drae 93: (8) Qc d Arnvss 0 o Avnyés nexndèuuéiocs à ay Ave hol@ nejuevos Um * Adpicive roc xammiyn. ( S. Epiphan. An- choratus, tom. IT, pag. 109.) Dans les recueils d’inscrip- tions, on remarque celle-ci, qui démontre qu'Antinoüs fut mis au rang des dieux de l'Égypte : ANTINOQG ZYNOPONG TON EN AITYITGQ @EQN M, OYANHIOZ ATIOAAQNIOE IHPOSHTHS, sa D'ANTINOË. CHAP. XV, A1 sa mort, et devint une des constellations de {a sphère ; il y a donc quelques raisons de croire à l’apothéose qu’en fit Adrien, On assure même que les oracles rendus sous le nom d’Antinoüs étoient composés par le prince. Mais, sans décider ce point de critique, on peut avancer qu'il n’y a point de preuve que ce prince eût divinisé Antinoüs pour rendre les peuples complices d’une passion effrénée. La mort héroïque, ou, si l’on veut, simplement tragique, de celui-ci, explique assez les honneurs qui lui furent rendus. Spartien attribuoit à une juste recon- noissance les regrets d’Adrien. D’autres auteurs ont partagé cette opinion (1). Mais je ne dois pas insister sur un point qui a été traité par Winckelmann, Eckhel, Visconti, et une foule d’antiquaires célèbres. Adrien, comme je lai dit au commencement de ce Mémoire, avoit un goût démesuré de bâtir : il en à donné bien ‘des preuves en construisant tant d’édifices dans l'Asie, dans les Gaules, en Angleterre (2), &c.; maïs une grande, sur-tout, en faisant la ville Adrienne à Tivoli. Là, selon Spartien, il éleva des édifices dont il avoit puisé l'idée, le nom ou la forme, dans ses voyages à Athènes, en Égypte et en Asie; ils portoient les noms les plus célèbres, 4 Lycée, l Académie, le Pry- tanée, le Pœcile, Canope, Tempé; enfin, pour ne rien oublier, il y plaça aussi les enfers (3). Quantité de ces monumens se retrouvent encore aujourd’hui dans la ville Adrienne, et offrent les restes d’une grande magnificence : on y voit l'endroit appelé Canope, qui renferme un temple à demi détruit; un théâtre, des portiques, des promenoirs , des xystes, des vestibules, le Pæcile (4), &c. Ces ruines couvrent un espace considérable, qui a près de quatorze cents cannes Romaines, sur trois cent quatre-vingts {s), ou environ trois mille trois cent cin- quante mètres sur huit cent cinquante. Aurélius Victor nous le représente comme entouré d’une légion d'architectes et d'artistes en tout genre, sans cesse occupés à construire et à décorer des édifices. H étoit lui-même habile peintre et sculpteur; il travailloit avec succès le marbre et le, bronze : aucun prince n’a aimé les arts avec autant de passion et ne les a cultivés avec plus de goût (6). On attribue à Adrien l’arène de Nîmes et le pont du Gard. Il fit rebâtir le tombeau de Pompée et la ville entière de Jérusalem. A Rome, le pont Saint-Ange, le mausolée d'Adrien, sont des ouvrages qui attestent, avec tant d’autres, qu'il aimoit la grandeur du style en architecture. I fit réparer les chemins ou construire des chaussées nouvelles en Italie, en Espagne, en Por- tugal, et jusqu'en Angleterre; et par ses soins, la voie Cassienne fut refaite dans (1) Voyez les Monumens antiques inédits, par M. Mil- Jin, tom. [l, p. 153.M. C.4 Levezow (über den Antinoüs, Mémoire sur Antinoüs, Berlin, 1808) pense que la mort d’Antinoüs fut un effet du hasard: M. Millin croit qu’il immola sa vie, et que c’est la seule manière d'expliquer les honneurs et le culte qui furent rendus à sa mémoire. Voyez le Magasin encyclop, ann. 1809 , pag. 410. {2) I est l’auteur d’un mur construit en Angleterre qui avoitquatre-vingts milles, entre l'Eden et la Tyne, Mulra + correxit , murumque per octoginta millia passuum primus duxit, qui Barbaros Romanosque divideret, ( Spartian. ) (3) Tiburtinam villam mirè exædificavit, ita ut in ea A, D. et provinciarum et locorum celeberrima nomina inscriberet , velut Eyceum , Academiam, Prytaneum, Canopum, Pœcilen, Tempe, vocaret ; et ut nihil prætermitteret, etiam inferos finxit. ( Spartian.) (4) Le Pæœcile d'Athènes étoit un double portique, long de huit cents pieds, avec un mur très-élevé au mi- lieu, &c. (s) Zchnographia ville Tiburtine Hadriani Cæsaris, à Pyrrho Ligorio , &7c. Romæ 1751. Piranesi a fait depuis un autre plan de [a villa Adriana. (6) Voyez, page 43, le portrait d’Adrien par Aurélius Victor. F  2 une longueur de quatre-vingt-sept milles {1}. Quelle autre preuve fautil pour démontrer qu'Adrien, en fondant une ville en Égypte, satisfaisoit sa manie de bâtir, et que, par conséquent, il n’éleva point cette ville en l'honneur d'Antinoüs! Seulement, pour perpétuer sa mémoire, il donna son nom à la ville nouvelle. J'ai fait voir, dans le $. L.°, que des raisons d'un ordre différent avoient pu diriger Adrien dans cette entreprise, et ellesme paroïssent assez convaincantes pour répandre quelque lumière sur les vraies causes de la fondation faite par ce prince. La Thébaïde manquoit d’une ville capitale ; Ptolémaïs n’existoit plus ; Coptos étoit trop reculée et uniquement commerçante. L'Heptanomide étoit dans le: même cas : Memphis étoit détruite , et Hermopolis commencçoit à tomber en DESCRIPTION ruine. Enfin Alexandrie étoit aux limites de la contrée, et méme presque hors de l'Égypte, dont le désert la séparoit d'un côté. L'autorité Romaine n’avoit donc aucun centre pour servir de point d'appui à l'administration : et quel pays étoit plus difficile à régir! Qu'on lise la lettre d'Adrien lui-même à Servien son beau- frère, où, tout en admirant la sagacité de ce peuple, il se plaint de son humeur difhcile et rebelle , et de la peine qu'on avoit de percevoir les tributs (2). Je laisse au lecteur judicieux à tirer la conséquence de ces réflexions, et je termine cet écrit, déjà long peut-être, par une remarque sur la colonie Grecque établie dans Antinoé. Bien que l'inscription tracée sur les colonnes d’Alexandre- Sévère, et qui fait mention des nouveaux Grecs d'Antinoé, ne puisse être anté- (1) Histoire des grands chemins de l'Empire, pax Bergier, ton. 1, pag. 57. (2) Saturninus oriundus fuit Gallis , ex gente hominum inqguietissima , et avida semper vel faciendi principis vel imperii. Huic inter cæteros duces, qui verè suminus vide- retur, Aurelianus limitis Orientalis ducatum dedit, sa- Pienter præcipiens ne unquam Ægyptum videret : cogitabat enim, quantum videnus, vir prudentissimus , Gallorum naturam ; et verebatur ne si perturbidam civitatem vidisser , qud eum natura ducebat, societate quoque hominum duce- retur, Sunt enim Ægyptii, ut satis nosti, viri ventosi, Jfuribundi, jactantes, injuriosi, atque aded vani, liberi, novarum rérum usque ad cantilenas publicas cupientes, versificatores, epigrammatarii, mathematici, aruspices, medici: nam et Christiani, Samaritæ, et quibus præsentia semper tempora cum enormmi libertaie displiceant, Ac ne quis mihi Ægyptiorum irascatur, et meum esse credat quod in litreras retuli, Adriani epistolam, ex libris Phlegontis liberti ejus proditain , ex qua penitüs Ægyptiorum vita detegitur, indidi: « Adrianus Aug. Serviano Cos. $, Ægyptum, quan » mihi laudabas , Serviane carissime, totam didici, le- >» vem, pendulam, et ad omnia famæ momenta volitantem. » TIli qui Serapin colunt, Christiani sunt; et devoti sunt » Serapi, qui se Christi episcopos dicunt, Nemo illic ar- >» chisynagogus Judæorum , nemo Samarites, nemo Chris- > tianorum presbyter, non mathematicus , non aruspex , non » alipres, Ipse ille patriarcha, cm Æpyptum venerit, ab » aliis Serapidem adorare, ab aliis cogitur Christum. Genus >» hominum seditiosissimun, vanissimum , injuriosissimun: > civitas opulenta, dives, fècunda , in qua nemo vivat otio- >» sus, Alii vitrum conflant, ab aliis charta conficitur; ali » linifiones sunt : omnes certè cujuscumque artis et vi- » dentur et habentur. Podagrosi quod agant habent; cæci » quod factant; ne chiragrici quidem apud eos otiosè vi- > vunt. Unusillis Deusest; hunc Christiani, hunc Judæi, > hunc omnes venerantur et gentes : et utinam melids esser » morata civitas, digna profecto sui profunditate, quæ pro » sui magnitudine totius Ægypti teneat principatum ! Huic >» e90 cuncta concessi, vetéræ privilegia reddidi; nova sic » addidi, ut præsenti gratias agerent. Denique, ut prindm » inde discessi, et in filium meum Verum multa digerunt, » et de Antonino quæ dixerunt, comperisse te credo, Nihil » illis opto nisi ut suis pullis alantur, quos quemadmo- » dum fecundant, puder dicere. Calices tibi allassontes >» versicolores transmisi , quos mihi sacerdos templi obtulir, » tibi et sorori meæ specialiter dedicaios, quos tu velim >» festis diebus conviviis adhibeas, Cuveas tamen ne his > Africanus noster indulgenter ütatur, » | Hæc erco cogitans de Æoyptiis, Aurelianus jusserat ne Saturninus Æoyptum videret, Te, (Flav. Vopisci Syracusii Saturninus, Âistoriæ Augustæ Scriptores sex, Lugd. Bat. 1661, pag. 958-963.) | L'Egypte occupa beaucoup Adrien, et bien plus qu'on ne le croit communément. Suivant l'opinion de M. Langlès, qui s'appuie sur el-Magryzy, c’est cet eme. pereux qui fit recreuser fe canal allant du Nil à Ja mer Rouge et appelé Zrajanus amnis : ce nom a faït attri- buer Îe canal à Trajan ; mais Adrien portoit ce même nom comme son prédécesseur. ( Voyez le Livre des avis... sur Ja description historique des divisions territorialesiet des vestiges, tirés des annales de l'Égypte, par el-Ma- qryzy, dans la Descriprion historique du canal d’Ecypre, par M. Langlès , in-4.° de 67 pages.) è 43 rieure à cet empereur, il ne faudroit pas en conclure que les Grecs n’y habitoient D'ANTINOÉË. CHAP. XV. pas auparavant. Je suis persuadé qu'Adrien lui-même envoya une colonie Grecque exprès pour peupler Antinoé; et je me fonde sur ce qu'il en fit autant quand il rebâtit Jérusalem, sous le nom d'Æ/a-Capitolina, après que cette ville eut été prise d'assaut, renversée et dépouillée de ses habitans. Pour le succès de ses établis- semens en Âsie, il avoit l'habitude d'y transporter des Grecs, et, avec eux, leurs lois, leur régime et leur magistrature. Il avoit fait plusieurs séjours à Athènes, où il s'étoit fait initier aux mystères d'Éleusis; il y bâtit même un nouveau quartier d'une. grande étendue, et un temple magnifique. Adrien faisoit la. plus grande estime de la littérature Grecque, où il étoit lui-même très-versé (1); et l'on sait, qu'entraîné par l’éloquence du sophiste Aristide, il mit fin à la persé- cution dirigée contre les Chrétiens : aussi aucun empereur ne fut-il plus cher aux Athéniens et aux Grecs; ils lui élevèrent un temple appelé Parhellenicon ; une multitude d'inscriptions déposent de leur affection pour lui. (1) ic, Græcis litteris impensius eruditus , à plerisque Græculus appellatus est, Atheniensium studia moresque hausit non sermone tantüm, sed et. cæteris disciplinis,, canendi, psallendi medendique scientid, musicus, geometra, pictor, fictor ex ære vel marmore proximè Polycletos et ÆEuphranoras, Perinde omnino ad ïsta erat. factus, ut elegantius nunquam quicquam humanæ res expertæ videan- tur, /Memor supra qudm cuiquam. credibile est, locos, ne- gotia, milites, absentes quoque, nominibus recensere, Immensi laboris, quippe qui provincias omnes pedibus circumierit, agmen comitantium prævertens , cüm oppida in universum restitueret et augeret ordinibus, Narnque, ad specimen lesio- num militarim , fabros, perpendiculatores , architectos , genusque cunctun exstruendorum mænium seu decoran- dorum , in cohortes centuriaverat. Varius, multiplex, mul- tiformis : ad vitia atque virtutes quasi arbiter genitus, im- petum mentis quodam artificio regens , ingeniurn invidum., triste, lascivum, et ad ostentationem sui insolens, callidè tegebat ; continentiam,, facilitatem , clementiam simulans, contraque dissimulans ardorem gloriæ , quo flagrabar. (Aurel. Vict. Epitom.) TABLE. Si #7 ONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES sur l'origine d'Antinoé. ......,..... nm Un etes enrosl 5 TRE EN EN OR ARR. nu moe Me MN A tx SAVE ARC IQUE et DPF ANEE N R PEEUS re te SV. Arc de triomphe et environs... ....... pbs a dE se PARA S. VI. Colonnes dédiées à l'empereur Alexandre-Sévére. ...... 2 Dés pad 4 S-, VIE Dr icirque où hippodromenes- tiens ere RE" ne. $. VII. Des colonnades et des rues principales d'Antinoé; statue d'Antinoüs. :... .... SX Des rihèrnies Len EN RCE OR AR de AE re UE RS SO D PL VETS EIIICES NID I ER Te rss S XI. Du style de l'architecture des monumens d'Antinoé ; comparaison de ces monumens avec les autres édifices du même genre... .. LA, Po D Le Sr LAN NP US IE S. XII. De la ville Égyptienne appelée Besa , et des ruines environnantes... .... $. XIII. Des carrières et excavations pratiquées dans la montagne d'Antinoé. ..... $. XIV. Ville chrétienne ruinée auprès de Deyr Abou-Hennys; grottes et environs . .... SEX V MR EMATQUES SUT ANUNOUS » 1 COUCIISIO Es ee TE NN «Il. Remarques historiques et géographiques... ..... RMS SA M 2 * Ül Aspect général &'Antinoé; coup-d'œil sur les monumens ; topographie de la ville DESCRIPTION ANTIQUITÉS DE L'HEPTANOMIDE (); PAR E. JOMARD. I D D D D DD D D | x CHAPITRE XVI . TP IIS OS A AS IS OO A TS A A DE L'HEPTANOMIDE EN GÉNÉRAL. Jr rassemble ici sous le titre général d’antiquités de l'Heptanomide celles qui sont comprises dans l'Égypte moyenne, depuis Manfalout jusqu'à Memphis, sans y faire entrer cependant les monumens d'Hermopolis et d'Antinoé , qui sont décrits à part dans les précédens chapitres. Les hypogées de Beny-Hasan sont sans doute, dans cette partie, les vestiges les plus curieux et ce qu'il y a de plus important sous le rapport de l'antiquité Égyptienne ; cependant il y a plusieurs autres lieux sur lesquels les voyageurs n'avoient donné aucun renseignement, et qui ne sont point indignes de l'attention du lecteur. Ce tableau complétera les notions qu'exigeoit la géographie dans cette partie moyenne de l'Égypte. Mon long séjour dans ce pays, où je suis resté. pendant plus de quatre mois, et que j'ai parcouru à plusieurs reprises pendant l'expédition, ma mis à portée de recueillir, par-tout où il subsiste des traces de monumens, quelque dessin ou quelque observation; et, comme j'ai suivi également les deux rives du Nil et le milieu de la vallée, que j'ai marché le long de la montagne d'Arabie ainsi qu'au pied de la chaîne Libyque, souvent même dans l'intérieur du désert, je crois pouvoir assurer qu'aucun ancien vestige ne ma échappé, principalement dans les parties qui s'étendent de Manfalout à Samallout et de Beny-Soueyf à Memphis. Pour mettre un peu d'ordre dans ce Mémoire, je conduirai constamment le lecteur dans une même direction, c'està-dire, du nord au midi, et je m’appuierai sur la division du pays en nomes ou préfectures (2). Cette division de la contrée en nomes exige quelques remarques préliminaires, fondées sur des observations qui me sont propres, et qui se rattachent à un travail général sur la géographie comparée de l'Égypte. L’'Heptanomide étoit, comme l'indique son nom, composée de sept nomes : (1) Hermopolis, Antinoé, Arsinoé et Memphis, sont décrits séparément dans les chap. XIV, XV, XVII et XVIII, (2) Voyez la pl. 6, fig. 1, E, M, vol. I. A JDXS » À. 2 *: DESCRIPTION les Grecs les appeloïent Hermopolite, Cynopolite, Oxyrhynchite, Héracléopoñte, Croco- dilopolite, Aphroditopolite et Memplite ; à quoi il faut ajouter l'Artnoïte, qui fut établi sous Adrien, maïs dont on n'a jamais connu la circonscription (1). Strabon rapporte qu'il:y avoit vingt-sept cours dans le labyrinthe, et qu'on y assembloit toutes les préfectures pour délibérer sur les affaires importantes de l'Etat (2). Sur ces vingt-sept, il y en avoit dix pour la Thébaïde , autant pour l'Égypte inférieure, et sept pour celle du milieu. Quoi qu'on veuille inférer d’un passage du même auteur, contradictoire avec le précédent, on ne peut augmenter l’'Heptanomide d’un seul nome sans se jeter dans toute sorte d’embarras. Il est tellement vrai que cette région a toujours été divisée en sept préfectures , que les géographes se servoïent aussi du nom d'Aeptapols. Denys le Periégète , dans son poëme géographique, et Eustathe, qui l’a commenté, coffirment cette di- vision (3). Donner seize nomes à l'Heptanomide, au lieu de sept, c'est non- seulement un contre-sens, maïs c’est réduire les divisions à un espace trop petit; c'est enfin multiplier sans nécessité, dans un PS déjà si étroit, les ressorts et les juridictions. I existe de plus une preuve péremptoire, que la contrée moyenne de l'Égypte n’avoit que sept noimes ; c’est qu'on trouve des médailles frappées pour les nomes de cette région, sous Trajan, Adrien et Antonin, précisément au nombre de sept, et portant les noms mêmes que je viens de citer : voici ces noms, tels qu'ils soft gravés sut les médailles : EPMOHOAITHC, KYNOIT..., OETPTNXI..., HPA...., APCINOGITHC, ADPOAITOTIOAGITHE, et NOMOC MEMDITHC. Dans le dernier, où à ajouté lé mot lui-même de nome (4). On ñe peut donc pas même admettre que si, dans la haute antiquité, le nombre dés préfectures de cette province étoit de sept, il augmenta dans la suite des téinps. En effet, sous Adrien, nous n'en voyons encore que sept inscrites sur les médaillés, et nous ne trouvons même pas dans le nombre le nome Anti- noïté , fait d'ailleurs assez remarquable. il y fait entrer, par erreur, des villes de la Thébaïde. (1) Le seul Ptolémée fait mention de l’Antinoïte ; Dans Agatharchide (de Rubro mari) , on lit que «de mais, comme il est question aussi de ce nome dans les manuscrits Qobtes, son existence ne peut être révoquée en doute. Ce‘district se bornoit-il au territoire d’Anti- noé, ou bien comprenoit-il toute la rive droite, depuis le nome Lycopolite jusqu’à celui de Cynopolis! C’est ce qu'on ne péut absolument connoître; quoi qu'il en soit , il paroît avoir existé concurremment avec le nome Hermopolite. (2) Voyez la Description du nonieArsinoïte, ch..X V11, sect, "TIL:, 2. dpi S,-ITI. (3) Oo A ‘EMMA JMACÉTIY NTELROY Éouour. Et qui Heptapolim mediam continentèmitenent. Dionys. Perieg. v. 251. Le commentaire d'Eustathe porte « que l'Heptapolis, » appelée aussi Arcadia, du roi Arcadius, se nommoit » auparavant Æépranone et Heptanomie, ‘de ce So elle » renfermoit sept nomes, etque, des sept villes, six étoient » situées à la gauche du Nil, et une à la droite.» ( Geogr. veter, script. Græc, min, tom. IV, Oxon. 1698. ) Mais » Memphis à la Thébaïde il y avoit cinq nomes : 1, Hera- >-cleopolisarum; 11,-Lycopolitarum; 111, Oxyrhynchitarum; » IV, Hermopolisarum ; NV, alii Phylacam, ali Schediam »nominant. » ‘Je pense qu'il faut lire Cyropolitarum , au lieu de Lycopolitarum ; à moins que par Avws on n’en- tendir le chien-loup. L’Arsinoïte est omis, comme étant trés-reculé, ‘et le nom de lAphroditopolite est remplacé mal-àsproposipar-celui de Schedia.on Phylaca , qui n’étoit qu'un poste intermédiaire entre la Thébaïde et l'Hep- tanome. J'observerai iciqu'un passage des. Épiphane ( Advers. hæres. lib. 1, tom. Il, pag. 69 ) nous apprend que les Égyptiens appliquoient le nom de nome au territoire de toute grande ville, my mem mi melyuesv: il cite le prophète [saïe. (4) Voyez la planche des nomes d'Égypte, n°58, À. vol, V., et les mémoires numismatiques de M. Tôchon, au sujet de ces nomes. DE L'HEPTANOMIDE. CHAP., XVI. 3 Ce qui est encore une preuve non moins démonstrative, c’est que l’ancienne division s'est perpétuée jusqu'à nos jours, et dans son nom, et dans ses arron- “dissemens. On appelle cette région moyenne e/-Ouestäny ou le pays du milien ; elle s'étend du Kaire à Syout, comme autrefois l'Heptanomide alloit de Babylone aux environs de Lycopolis; elle renferme cinq provinces, qui portent le nom d'Achmouneyn, de Behneseh, de Fayoum , d'Atfyh et de Gyzeh: mais on a réuni dans la province d'Achmouneyn le Cynopolite à l'Hermopolite ; et dans celle de Behneseh , l'Héracléopolite et l'Oxyrhynchite. Ajoutons que les limites sont les mêmes qu'autrefois. I restera sans doute à trouver, s'il est possible, une explication du passage où Strabon donne dix préfectures à l'Égypte supérieure, dix à l'inférieure, et seize à la moyenne ; passage qui est évidemment vicieux, puisque cette dernière étoit de beaucoup la plus petite des trois : maïs je ne doïs pas prolonger ici cette dis- cussion, qui m'écarteroit de mon sujet, et qui trouvera mieux sa place dans les mémoires de géographie comparée. Sous l'empereur Arcadius, l'Heptanomide prit le nom d’Arcadia ; déjà, sous Théodose-le-Grand son père, une ville dont on a cru que le nom actuel est Tahä el À’moudeyn, maïs qui me paroît avoir été située ailleurs, avoit pris celui de T'heodostoupols. Les noms ont ne ainsi dans différentes parties de l'Égypte sous l'administration Romaine , et C'est sans doute une des causes. qui rendent dificiles à découvrir dans l'Heptanomide certains lieux qu’on lit inscrits dans la Notice d'Hiéroclès et dans la Notice de l'Empire, indépendamment de ce qu'ils sont corrompus: tels sont, dans la première, ceux de Nm, peut-être pour Niopols; Téuqu, pour Memphis; Kdas, pour Cusæ, &c.; et dans la se- conde, Precteos, Theraco, Peamu, àc. DESCRIPTION FEN SECTION PREMIÈRE. NOMUS HERMOPOLITES. Cerre préfecture est la plus étendue de toutes celles de l'Heptanomide, et c'est celle aussi qui renferme le plus de vestiges de l'antiquité Égyptienne. Indé- pendamment des villes appelées Thebaïca et Hermopolitana Phylace, Tanis, Ibeum, et de la capitale Æermopols, dont j'ai traité dans la description qui a cette grande ville pour objet {r), elle renferme encore Cusæ, Pesla, Psinaule, Speos Artemidos, les antiquités qu'on trouve à Æstabl-A'ntar, Meyläouy , Etlidem , Zäouyet-Mayeteyn, Saouädeh, à c. : elle comprend, dans les deux montagnes, des carrières, des hy- pogées et des murailles antiques ; sur les limites du désert, beaucoup d’églises des premiers temps du christianisme , telles que Deyr Abou-Fâneh, Deyr Anbâ-Bychày, Deyr Abou-Hennys, &c.; enfin, au milieu de la vallée, une multitude de buttes, de ruines remplies d’antiques vestiges, et restes des anciennes habitations qui ont été remplacées par les villages actuels. Je donnerai la description de tous ces restes d'antiquités, et je parlerai d’abord des catacombes remarquables de Gebel Abou-Fedah; je diraï aussi un mot de Deyr el-Maharrag (2), qui, au reste, a peut-être appartenu au nome supérieur appelé Lycopolite (3). Se LE CARRIÈRES EGYPTIENNES à Gebel Abou-Fedah. C'EST une règle générale en Égypte, que par-tout où l’on trouve des hypo- gées, il y avoit dans le voisinage une ancienne ville ou habitation, dont les morts étoient ensevelis dans ces catacombes : on est donc sûr de trouver auprès des excavations Égyptiennes les restes de quelque position antique. Celles que l'on trouve dans la montagne appelée Gebel Abou-Fedah, se rapportent, selon toute apparence, à l’ancienne ville de Cusæ, qui étoit sur la rive gauche en face, et dont nous parlerons bientôt. Ces hypogées présentent des particularités abso- lument nouvelles et bien dignes d'attention. Au-dessus du gros village de Qoceyr, sur la rive droite du Nï, et dans une mon- tagne élevée de cent cinquante pieds environ, dont les eaux baïgnent le pied, les Égyptiens ont pratiqué un grand nombre d’excavations qui ont d’abord été des carrières , et qui ont ensuite servi d'hypogées. La montagne Arabique a, dans un endroit, ses couches fortement inclinées à l'horizon; dans un autre, ses lits sont courbés et tourmentés dans tous les sens : mais tous ces lits sont restés parallèles (1) Voyez À, D, chap. XIV, graphique ; mais on ne s’est écarté de cet ordre que pour des (2) Voyez plus bas, $. 111, pag. 0. objets de détail, Ainsi Cusæ (pl. 67, fig. 1) appartien- (3) Les antiquités de l’Heptanomide n’ont pas pu tou- droit à la planche 62; Meyläouy et environs (pl. 67, jours être distribuées dans les planches selon l’ordre géo- fig. 2-13), à la planche 6, &7c. DE L'HEPTANOMIDE. CHAP. XVI $ entre eux, comine $i elle eût éprouvé, dans toutes ses parties à-la-fois, quelque grande commotion ou un affaissement subit (1). On entre d’abord, en débarquant du Nil et mettant pied à terre, dans une petite vallée qui est comme remplie de ruines en briques , de murailles debout, et de vases brisés. Au bout des ruines, on gravit la montagne, où lon rencontre des marches taillées dans le roc, conduisant à des carrières considérables : on trouve en place des pierres énormes qu'on avoit commencé d'extraire et qui n'ont pu être entièrement enlevées; plus loin, une excavation grande et prefonde, que soutiennent de gros piliers laissés de distance en distance. On reconnoît, en examinant cette carrière, qu’elle n’avoit pas encore été disposée pour servir de tombeau : par-tout on voit les marques de l'outil et les traces d’un enlèvement considérable de matériaux; mais les parois n’avoient pas été taillées en faces droites et rectangulaires, ou bien n’avoient pas été pré- parées pour recevoir les sculptures décoratives. Cependant, à un angle {et c'est une remarque importante à faire }, J'ai vu un bas-relief hiéroglyphique : voilà une preuve que les catacombes ont été primitivement des carrières, que l’on a succes- sivement transformées en salles régulières , puis revêtues d’ornemens ; opinion que j'ai déjà présentée aïlleurs, et qui est infiniment plus probable que celle qui feroit regarder les catacombes comme d'anciennes habitations et comme l'origine de l'architecture Égyptienne (2). Sur les faces de cette excavation principale, on remarque des inscriptions Grecques de peu dimporemees ; mais l'attention est surtout attirée par de grands dessins qu'on a tracés à l'encre rouge sur des parois dressées exprès. On ne connoît rien de semblable ni même d’aussi curieux dans aucun autre endroit de l'Égypte. Ce sont en effet des épures qui devoient diriger l'ouvrier tailleur de pierres dans la coupe des chapiteaux Égyptiens; elles sont dessinées entre des carreaux tracés aussi en rouge, selon la méthode même dont on $e sert actuelle- ment en Europe. Dès que j'eus jeté la vue sur ces curieux dessins, je compris à l'instant tout l'in. térêt qu'ils pouvoient offrir pour l’histoire de l'art et même de la géométrie, et je mempressai d'en copier plusieurs (3). Deux de ces chapiteaux représentent une tête d'Isis surmontée du petit temple carré, et avec tous leurs détails, tels que les coiffures, les oreïlles, les serpens, les filets enroulés, &c.: mais tous ces traits sont indiqués par des masses. La projection est presque toute composée de lignes droites, même pour les linéamens du nez, de la bouche et du menton. Les courbes sont en général des arcs de cercle, et elles sont tracées au compas; celles qu’on a faites à la main, ont été jetées sans hésitation et avec une hardiesse rémarquable. H ny a point de doute que les auteurs des épures ne fussent très-exercés à ce genre de dessin. Les carreaux tracés à Gebel Abou-Fedah présentent un autre intérêt que ceux qui sont à Ombos, à Contra-Lato et à Thèbes : dans ceux-ci, l'on (1) Voyez pl. 62, fig. r, Cet aspect est tellemént frap- (2) Description des hypogées de la ville de Thèbes, pant pour le voyageur, qu'il lui est impossible de nepas A4. D, chap, IX, pag. 707 et suiv, s'arrêter à le contempler et à rechercher les causes qui (3) M. Cécile, qui se trouvoit en même temps que ont pu donner à la montagne une disposition si extraor- moi dans cette carrière, copia aussi une des épures. dinaire. G DESCRIPTION [l voit les figures arrêtées dans toutés leurs parties, tandis que, dans les premiers, ces parties ne sont qu'indiquées par les premiers traits, qui décèlent le faire et le secret de Fartiste (1). Les carreaux dans lesquels ces chapiteaux sont tracés, ont encore un intérêt de plus, à cause de leur nombre et de leurs dimensions. Dans l’un et dans l'autre, le petit temple et la tête ont chacun également quatre carreaux de hauteur; et, dans tous les deux aussi, la largeur totale comprend six carreaux. Cependant ces chapi- teaux sont à des échelles très-différentes, puisque Fun a 2°,80 de haut, et l’autre, PepO: | Dans le plus petit, les carreaux ont 0,27 dans le sens horizontal; dans l’autre, alternativement 0°,26 et 0”,28 : ils équivalent à quatorze doigts de la coudée Égyptienne (2). Dans le plus grand, ils ont o”,3$ ou dix-huit doigts, ou ce qu'on appelle un pygmé, c'est-à-dire, les trois quarts de la coudée : on peut déduire de là plusieurs conséquences ; maïs Je renvoie au Mémoire cité dans les notes. Je pré- fère fixer l'attention du lecteur sur un autre point assez important; c'est que l'épure du premier de ces chapiteaux est la même que celle qui a servi à tracer le chapiteau lui-même de Denderah. Il est impossible d'en douter : en effet, la largeur totale de celui-ci est de 2°,762; dans l'épure, elle est de 1”,38 ou moitié. Le petit temple a 2°,16 jusqu'à l’angle de la corniche; dans lépure, 1°,08 ou la moitié. La hauteur de ce temple a, dans le chapiteau, plus de 2,10; et dans l'épure, 08 ou la moitié. La saillie est de 0”,352; et dans Le de deux tiers de carreau où 0,175, c'est-à-dire, encore la moitié. Cependant la tête est un peu plus que moitié de celle du chapiteau, qui a 17,8, tandis que la première a très-peu moiïns d’un mètre. Aïnsi toute cette épure est à l'échelle de moitié de l'exécution ; rapport commode, et qui a sans doute été choisi pour qu'on pût conserver dans les contours une parfaite précision. La tête étant celle d'une femme, c'esta-dire, dans la proportion de 1 à 7 + avec la stature entière, il est facile de trouver à quelle stature elle se rappor- toit; comme elle occupe trois carreaux et demi ou 0”,95, la hauteur de la figure seroit de 7”,36, ou précisément seize coudées. La stature naturelle étant de quatre coudées , l'artiste s'est donc servi, pour dessiner cette tête de femme, d'une échelle de quatre coudées ou une orgyie pour coudée, ou bien de celle d'un pied pour palme. On pourroit faire des rapprochemens tout aussi curieux sur le second chapi- teau à tête d'Isis, dans lequel la partie de la tête avoit quatre carreaux de hauteur ou trois coudées (3); et celle du temple, autant : la largeur totale avoit quatre coudées et demie. Mais je dois passer à un troisième chapiteau, en forme de calice de lotus G) Sa plus grande largeur est de 2°,26 : sa hauteur, de 1”,21. Le dé (1) Voyez pl. 62, fig. > et 4. Égyptiens, chap. v, Antiquités- Mémoires, tom. 1, pag. 569.) (2) La tête avoit ainsi trois pieds Égyptiens et demi. (3) Voyez pl. 62, fig. 7. ( Voyez mon Mémoire sur le système métrique des anciens (4) Ibid. fe. s DE L'HEPTANOMIDE. €CHAP. XVI. 7 a 0",36 de haut (ou un carreau) sur 1”,06; le füt a 1,3. Il y a deux espèces de carreaux; les trois supérieurs sont de 0”,36, et les autres de 0”,47 ou 0”,48. Si l'on prend pour unité le quart de ce dernier, on trouve, à fort peu près: Left, dadteure 4 te tree nn 3 parties. largeur. ,,.. CU D 2. Le chapiteau, hauteur totale. ......... 10 Een gaté parameter fs Y9. COUTONITEIMENLE EME re 2 salle sur Jendé: , CE saillie sur le fût. ...... : 4. er "hivers". 2", Were em FE Or cette partie aliquote se trouve être précisément un quart de la coudée Égyptienne, ou six doigts (1), | Si l'on cherchoit parmi les nombreuses colonnes de ce genre qui se trouvent dans les monumens, par exemple, à Karnak, je ne doute pas que l’on ne découvrit celles auxquelles se rapporte cette épure. La courbure de la gorge n'est pas tracée; il n'y a en place qu'une simple ligne droite. On remarque au reste, dans cette épure, la même pureté de trait que dans les précédentes; enfin elle est également tracée en encre rouge sur une face dressée pour cet objet. Ainsi voilà des projections, ou ce qu'on appelle des éraits en stéréotomie, qui nous sont restées de la maïn même des architectes Égyptiens. De simples lignes rouges ont résisté au laps des siècles, et aujourd'hui elles nous révèlent les pro- cédés de Fart en Égypte. Aux environs des carrières de Gebel Abou-Fedah, on trouve des débris de momies qui contribuent à prouver qu'elles ont servi d'hypogées. Les habitans des villages voisins leur donnent le nom de woghärah, nom par lequel les 4/44 dé- signent toujours les grottes sépulcrales. Au-delà de cette montagne, le rocher, toujours baigné ou très-voisin des eaux du Nil, continue de présenter à l'œil des ouvertures de catacombes. En général, on voit la même chose dans presque toute la chaîne Arabique, pendant vingt-cinq àtrente lieues. D'un autre côté, le rocher est constamment. à découvert dans cette partie, presque toujours à pic et rap- proché du fleuve; raisons qui ont fait adopter cette montagne pour y creuser les tombeaux des habitans de la rive gauche du Nil C'est sur cette dernière qu'étoient situées un grand nombre de villes populeuses : la largeur de la plaine auroit donc exigé que les habitans allassent au loin dans la chaîne Libyque pour déposer leurs morts ; l'endroït le plus commode et le plus proche étoit la montagne Àrabique. S. 14: CUSÆ (aujourd'hui Qousyeh). CusÆ étoit une des villes de la rive gauche qui avoïent leurs catacombes à Gebel Abou-Fedah. Cette ville, située à deux mille cinq cents mètres à l’ouest (1) Voyez le Mémoire qui est cité ci-dessus, note 2 de la page 6. 8 DESCRIPTION du Nil, est la plus méridionale du nome Hermopolite, et de la province actuelle d'Achmouneyn ou de Minyeh: c'est à cet endroit, ou plutôt au canal qui en est au midi, et qu'on appelle Tera't el-A’sal, que commençoit la Thébaïde. Dans la Notice de l'Empire, Cusæ fait partie de la Thébaïde; dans celle d'Hiéroclès, on voit que Xasos, que je crois être le même lieu, fut également rangé parmi les villes de la Thébaïde inférieure : maïs c'étoit à une époque récente, où la cir- conscription avoit changé; alors Hermopolis et Antinoé elles-mêmes avoient été enlevées à l'Arcadie. d Le bourg actuel de Qousyeh est bâti sur l'emplacement de l’ancienne ville. La similitude de nom ést déjà un indice de la position de lancienne Cusæ ; mais on en à une autre preuve dans la conformité de distances qu'il y a entre Cusæ ou Qousyeh et des points connus. L’Itinéraire d’Antonin compte vingt- quatre milles d'Aermopolis à Cusis, et trente-cinq de Cusis à Lyco. Les distances d'Achmouneyn et de Syout à Qousyeh sont, l'une, de quarante-six mille cinq cents mètres, et l’autre, de trente-neuf mille neuf cents mètres (1); ou trente- un milles Romains et demi, et vingt-sept milles ; ce qui forme bien, à un demi- mille près, le compte total des cinquante-neuf milles : cela feroit en même temps supposer Cusæ un peu plus au nord que Qousyeh, savoir, de quatre mille cinq cents mètres, C'est-à-dire que la ville ancienne auroit été placée entre ce lieu et la grosse bourgade de Sanaboü. Cependant la ressemblance des noms ne permet pas de s'arrêter à cette médiocre différence ; d’aïlleurs, dans les nomenclatures de villages, le nom Arabe de Qousyeh répond aux noms Grec et Qobte de l'an- cienne ville, savoir Kw; et Rec, le même nom évidemment que Czsæ de VEci- néraire Latin (2). Les cheykhs m'ont donné le nom ainsi écrit, UD nds Me- dynet Qous ; ce qui annonce une très-ancienne ville. Dans Élien, la ville est appelée Chusæ, Xe. Elle est petite, dit-il, mais très- agréable. I] la place dans le nome Hermopolitain. On y adoroit, selon lui, Vénus sous le nom d'Uranie et sous la figure d’une vache (3) : mais ce culte étoit celui de plusieurs villes d'Égypte. Il y avoit à Cusæ, selon la Notice de l'Empire, un corps de cavalerie appelé Legio secunda Flavia Constantia T'hebæorum (4). Au sud-sud-ouest de la ville actuelle, il existe une grande montagne de dé- combres avec des constructions et beaucoup de murs en briques ruinées, ainsi qu'une multitude de fragmens de verres brisés, de vases de toute espèce : les dé- combres renferment des médailles et différentes antiques; mais on ne voit plus le temple qui devoit exister dans cette ville, d'après le passage d'Élien, ni même aucune colonne. Il paroît que la ville a été incendiée, et que c'est pour cette cause quon In Ægypti vico Chusis nuncupato, non magno quidem , sed certè eleganti, qui in Hermopolitanam præfecturam censetur, Venerem colunt, quam Uraniam appellant , at- (1) Voyez la pl 6, fig. r, E, M. vol, I, Plusieurs positions antiques , placées dans cette carte d’après d’An- ville, sont rectifiées dans ce Mémoire, (2) M. Ét. Quatremére a fait voir que ce lieu s’ap- peloït aussi Kooxau. (3) Kout Aya Xouox) m our menë dè ei my ‘Epuo- maimv voudr 42 papa uv douél, jaeltat juir * éyrau'Th sCovny AgoodŸmr, Cuexriar amy ranëymes, GC. que vaccam etiam ideo venerantur , quia affinitatem et con- venientiam cum dea ipsa habere existimatur..….. itemque Tsin bubulis cornibus Ægyprit et fingunt et pingunt. ( Ælian. de nat. animal, lib. X, cap. 27.) (4) MNotitia utriusque imperit, pag. 00. trouve DE L'HEPTANOMIDE. CHAP, XVI. 9 trouve une partie des briques cuite (r}. Sur les‘ décombrés, on voit groupés des felläh, souvent occupés à sasser la terre; ils en tirent une poussière qu'ils recucillent pour servir d'engrais, et qui se nomme essehakh, Vers l'étang qui est au milieu, on a déterré une grande pierre prismatique, de quatre à cinq mètres de longueur. L'étendue de Qousyeh et des ruines encore visibles est de mille mètres (2). I se tient dans cette bourgade un marché considérable, où j'ai vu rassemblées deux à trois mille personnes; on y vend du tabac, des toiles, des dattes, des chameaux, des bestiaux, des colliers et de la verroterie. C’est I que les Arabes Oudäfy Viennent faire leurs emplettes, toujours armés de piques et de fusils, dictant insolemment les conditions de leurs marchés ; spectacle étrange et aff geant pour le voyageur, qui cherche en vain une sage police dans un pays qui jadis en avoit une si florissante. Ces visites sont funestes aux f/4h, que les violences des Arabes irritent quelquefois : heureux s'ils ne payent pas de Ja vie l'humeur qu'ils laissent voir quand les Bédouins les ont volés. RE 1 1 Deyr el-Maharrag ou Maharrag ; Monastères de Sanabot; Koum-Omboi. À sept mille mètres au sud-est de Qousyeh, est un grand monastère, le plus considérable de toute cette contrée ,'et qu'on appelle Deyr Maharrag où Mu harrag (3); on l'appelle aussi e/Hadré (4) : j'ai cru devoir le comprendre dans cette Description, quoiqu'il fasse aujourd’hui partie de la province de Manfalout. Sa situation est sur la fimite du désert, et un peu dans les sables. II a encore dans ses murs vingt religieux et deux cents habitans : la construction est en briques assez mauvaises; on ny trouve point d'arbres. Au nord sont les tombeaux des Chrétiens. Une grande digue soultäny, qui porte le nom même du couvent, Gesr el- Maharrag, et qui sert en même temps de limite aux deux provinces, retient près de là les eaux du grand canal el-Souäqyeh, venant de Syout. Les religieux n'ont point de terres ; ils vivent d’aumônes: le supérieur, quand je m'y suis rendu, sappeloit A'#delMelkk. Je n'ai pu pénétrer dans la maison, et Je ne l'ai vue que du dehors: elle est sous la dépendance et la protection du cheykh Arabe A’bd-allah, de la tribu des Æbn- Ouéfy, qui réside à Teytlyeh, village placé au sud-est. ee” Depuis que Cusæ a perdu de son importance, il s'est élevé à Sanaboû, à six mille mètres au nord, une autre bourgade aujourd’hui plus forte que Qousyeh; troïs vieux monastères, qui sont dans l’intérieur ou aux environs, annoncent que (1) Après avoir écrit ce qui précède, j'ai vu dans le paragraphe suivant, un couvent appelé Deyr el-Maharrag, même auteur que cette position était surnommée, dans (2) Voyez la planche 67, À. vol, IV, fig, 1. Abouselah, Aoharraqah ou lu brâlée ; ce qui confirme (3) GS 333 ma conjecture. De plus, il y aauprès,commeonlevoitau (4) Lodl AV D, B 10 DESCRIPTION ce lieu a été fort anciennement habité. Le premier est au milieu de Sanaboû même, desservi par deux prêtres , et on l'appelle Deyr Girgeys où Monastère de Saint-George (1). Après avoir descendu sept à huit marches, on arrive à l'église ; cest une salle oblongue et étroite, décorée de boiseries et de. trois tableaux. Deux représentent S. George à cheval, terrassant le démon: la composition en est aussi bizarre que le dessin est grotesque : derrière le saint, une petite femme : est montée en croupe. L'un de ces tableaux vient de Syrie; l'autre a été fait au Kaïre par un Arménien : le fond de celui-ci est d’or; il porte en inscription l'EOPT &C. Le saint est monté sur une selle Arabe, avec de petits étriers de Mamilouk ; son sabre est entre sa cuisse et la selle : c’est sous la forme d’un dragon que le diable est figuré. | Au sud-est, est le monastère de Saint - Théodore, Deyr Täoudoros el- Me- chregy (2), aujourd'hui en ruine. Les Chrétiens disent qu'il est de construction très-ancienne et d’origine Grecque, Rouräny : tous les murs sont presque écroulés: le dedans est en briques cuites, d’un mauvais travail : on n'y trouve ni piliers ni colonnes, aucune construction en pierre ou en marbre. Il y a une citerne et une entrée de voûte que les Chrétiens veulent faire passer pour la porte d’un château. Mallem Ayoub, le chef des Qobtes à Sanaboû, étoit occupé à faire rebâtir ce couvent lorsque j'y passai. Le troisième est Deyr Märy Meynah (3), au nord-est : il a environ trente-sept mètres sur trente-deux : l'église à trois voûtes, comme toutes celles que j'ai vues ; elle est composée de plusieurs salles avec une citerne. À son passage à Sanaboû, après la bataille des Pyramides, Mouräâd-bey avoit enlevé ou brisé les boiseries et les tableaux, et fait périr deux prêtres et beaucoup de Chrétiens. A l'est de ce couvent, auprès de Xafr-Kharfeh et sur la digue de Misärah, est - une petite butte dont je ferai mention à cause de son nom, Xowm-Omboi ou Koum-Onbouhä (4); s'y wouve des ruines. Le nom est certainement ancien : il rappelle celui d’une grande ville située près de Syène, et si connue sous le nom d'Ombos. | Avant de quitter ce quartier, je ferai remarquer un gros village appelé Be- Bläou (5), et un autre appelé Bänoub (6), au nord de Sanaboû, qui conservent évidemment des traces de noms anciens. L'un rappelle le nom antique du papyrus, Étblos, d'où Bible, bibliothèque, &c.; et l'autre, Onuphis, nom qui a été donné à plusieurs villes Égyptiennes. Le premier de ces villages étoit fort consi- dérable, il y a quarante ans : on y voyoit plus de mille Chrétiens. Des guerres in- testines ont détruit ces familles : les Chrétiens en sont sortis, et ceux qui ont survécu sont employés par-tout à la direction dés fours à poulets : industrie héré- ditaire qui confirme l'ancienneté de cette position, inconnue comme tant d’autres à la géographie. () use 22 | (3) au we j5 (5) (2) ill u2,6 2 (4) Lyslee (6) sl DE L'HEPTANOMIDE. CHAP, XVI. IT $. IV. PESLA (aujourd'hui e/- Deyr ou Medyner el- Qeysar ); CARRIÈRES et RUINES au nord. ELz-DEyr est un gros village sur la rive droite du Nil, presque en face de Sanaboû. II est bâti sur les ruines d’une ancienne ville où l'on trouve encore les restes d’un temple, et des catacombes creusées dans les rochers ; cette ville étoit bâtie au pied même de la chaîne d'Arabie, qui est à pic et très-élevée (ie demandaï aux cheykhs l'ancien nom du lieu, et ils me répondirent , Medynet el-Qeysar (2); ce qui veut dire 4 ville de César. On l'appelle aussi Deyr el-Qeysar, Deyr Bousrah (3). Ce nom de Q@eysar n’est évidemment qu'un surnom donné dans les temps modernes, pour indiquer qu'il y avoit eu dans cet endroit une ville Romaine. Nous chercherons tout-à-l’heure quel a été le véritable nom. Les ruines semblent divisées en deux parties, dont l’une touche au village, et l’autre est plus au nord; c’est celle-ci qui renferme le plus d’antiques vestiges. On y voit beaucoup de muraïlles debout, bâties en ie de petite dimension, mais bien égales, et par assises réglées. L'aspect est le même que celui des murs de Cusæ; mais la construction est mieux faite et mieux conservée. Les murailles sont peu enfoncées dans les décombres, parce que les f2/4h y font journellement des fouilles pour en tirer une poussière propre aux éngrais. On suit encore dis- tinctement le plan des rues de la ville; ces rues étoient fort étroités. Les ruines ont environ cinq cents mètres de longueur, sans y comprendre l'espace * occupé par le village actuel. Dans l'intervalle qui est entre elles et le village, et qui a environ cent mètres, on voit une petite colline sablonneuse qui recouvre des ruines plus basses, dont la largeur ne passe pas cent mètres. On y voit beaucoup de débris de DR ; et dans le fond des vases, il y a un enduit résineux, pareil à celui que j'ai fait remarquer dans les amphores d'Hermopolis et d’Antinoé (4). On trouve encore çà et là des pierres éparses qui ont appartenu à des construc- tions entièrement ruinées. Le temple qui existoit à el-Deyr, est rasé dans la plus grande partie; on voit cependant par-tout, et en place, les restes des colonnes, des murailles et des salles, ét le plan est très-distinct. Plusieurs assises sont encore debout au- “dessus des fon- dations; le sol a été fouillé considérablement. La longueur de lédifice est de vingt mètres, et sa façade, de quatorze environ. Il est composé d’un portique à six colonnes, et de six autres salles distribuées sur le même plan que les petits temples Égyptiens (s). Le portique a 1 1 mètres sur 7 + La construction est en pierre calcaire, bien soignée et par assises régulières. H manque un des murs latéraux à la seconde salle du fond du sanctuaire. I est (1) Voyez pl. 6, fes». SEE (5) Voyez pl. 6, fig. 2. (2) esill &g ue (4) Voyez pl. @, fig. 2,4 et5. ACL: B I 2 DESCRIPTION difficile d'affirmer à quelle époque remonte la construction de ce temple; malgré la ressemblance du plan avec ceux des petits temples de l'Egypte, on ne peut assu- rer qu'il soit du même temps : je n’ai point vu de sculptures Égyptiennes dans les débris. À la vérité, le monument est presque rasé, et la ville a été consumée par un incendie; mais les petites dimensions des pierres, des briques et des colonnes (celles-ci n'ont pas un mètre de large), annoncent une époque postérieure à la haute antiquité. Si l'on peut s'arrêter à une conjecture, on doit penser que c'est un monument Grec, imité du style Egyptien. Derrière ces ruines, le rocher est percé de carrières très-vastes, qui ont fourni des matériaux à la ville. À une grande hauteur est une excavation profonde, qu'en appellé Dyouän (1) : elle est précédée d’une grande porte, taillée sur la face de la muraille, qu'on a pour cela dressée avec soin ; mais je n'ai pu m'assurer s'il s’y trouve des sculptures Égyptiennes. J'ai mesuré la hauteur d’une des cimes de la montagne, qui n'est pas encore au point le plus élevé: elle est égale à cent qua- rante-six mètres ou environ quatre cent cinquante pieds. I n’est pas difficile de reconnoître à quelle ancienne position répondent les ruines d’el-Deyr : cette position est en effet celle de Pesla, qui, suivant l’Itiné- raire d'Antonin, étoit à vingt-quatre milles d'Antinoé. C'est la même qui est appelée Pescla dans la Notice de l'Empire, et où se trouvoit un poste Romain, sous le nom d’alx Germanorum (2). En effet, si l'on mesure la distance d’Antinoé à el-Deyr, on trouve trente-cinq mille cinq cents mètres (3); ce qui fait exacte- ment vingt-quatre milles Romains de quatorze cent soixante-dix-huit mètres. Il n’y a donc aucun doute qu’el-Deyr ou Medynet el-Qeysar ne s’appelât, sous la domination Romaine, Pesla où Pescla; maïs je n’en conclurai point que l'ori- gine primitive de la ville ne soit pas Égyptienne. | | Depuis el-Deyr jusque très-loin vers le nord, la montagne Arabique est escarpée à pic et baïignée par le Nil. La partie inférieure est percée d’excavations. Il y en a une au-dessus d’el-Tell, placée, pour aïnsi dire, à l'extérieur et isolément de la montagne , comme celle qui est près d'Efethyia, et qui est assez grande pour ressembler de loin àun monument bâti. Auprès du vallon appelé Oxädy Ramkh (4), ou Vallée du marbre, on trouve des carrières et des grottes. À Cheykh el-Ar- ba yn (5), petit santon entouré de dattiers et d'acacias sur la cime du roc, on voit des murailles de briques antiques et des ruines couvertes de vases brisés. J'ai mesuré les briques d’une de ces anciennes muraïlles ; elles ont o",1$ d'épais- seur. À Cheykh A’bd el-A’myd (6), plus au nord et auprès d'el- Haouatah, j'ai encore vu plusieurs carrières. Il y a aussi des traces d'un mur de briques isolé, très- ancien, que le sable enfouit tous les jours, et dont on ne devine point l'objet. (1) ge 3 (3) Voyez É. M. pl 6, fig, (5) we Yl ai (2) /Votiria utr. imperii, pag. 90. {4) €) sols © (6) wgall ox # DE L'HEPTANOMIDE. CHAP. XVI. 2 $. V. PSINAULA (aujourd'hui e/-Tell). APRÈS avoir passé el- Haouatah, on entre dans une grande plaine sablonneuse, entourée sur trois côtés par la montagne Arabique, et à l’ouest par le Nil, tout- a-fait semblable au golfe où est placée Antinoé. Dans cet espace a existé une très- grande ville Égyptienne , qui avoit échappé jusqu'à présent à tous les voyageurs. La première fois que je l'aperçus, je fus extrêmement surpris de voir un si grand amas de ruines, qui n'a pas moins de deux mille deux cents mètres de Jon- gueur, et mille de large, et qui, placé près du Nil, précisément très-resserré dans cet endroit, ne figure cependant sur aucune carte. Je m'empressai d'en faire le plan et de recueillir les dessins des parties un peu conservées. La plupart des constructions sont malheureusement rasées, et l’on ne voit plus guère que les fondations. Cependant on trouve encore un très-grand nombre de maisons en briques, avec leurs muraïlles maîtresses; une grande porte et son enceinte ; deux vastes édifices, dont le plan est distinct; la grande rue longitudinale, large de quarante-huit mètres ; enfin les traces d’une multitude de rues de cette ville (1). En allant d’el-T'ell vers le sud, on trouve dans cette large rue, à quatre cents mètres des dernières maisons du village , une enceinte qui la traverse; au milieu il y a une porte. Vers le quart de l'étendue des ruines, et à gauche, est un grand édifice en briques, précédé par une porte colossale, dont l'épaisseur est à peine croyable pour ce genre de construction : son ouverture est de 11,25, et son épaisseur de 7° + (2). Les murs sont inclinés comme les faces des pylônes {3); quoiqu'ils aient perdu beaucoup de leur hauteur, celle-ci est encore de tri Les briques sont elles-mêmes d’une proportion gigantesque : en effet, elles sont longues de trente-cinq à trente-huit centimètres, larges de treize, et hautes de seize à vingt. L'appareil en est très-soigné ; elles sont alternativement à plat et de champ. Cette porte est presque aussi longue que le grand pylône du palais de Louqsor; et le bâtiment lui-même est aussi long que beaucoup de grands édifices Égyp- tiens, puisqu'il a 193°,6 de long sur 105" de large. La première cour a 76,8 de profondeur. Il y a ensuite deux autres cours où étoient sans doute des distribu- tions ; à droite et à gauche du bâtiment, on remarque deux rues, larges de qua- rante-huit mètres comme la principale. Toutes ces dimensions rappellent Îles grands édifices de Thèbes. Il est impossible d’entrevoir la destination de cet édifice, qui s'écarte absolument de tout ce que l'on connoît en Égypte; le seul auquel je pourrois le comparer, mais qui est bâti en pierre, est celui qui est au-devant de la troisième pyramide de Memphis. En face de cet édifice, de l’autre côté de la rue, en est un de la même étendue et (1) Voyez pl. G , fig. 6. (2) Ibid. fazer 8. (3) Ibid. fig. 9. LL 4 DESCRIPTION du même genre, mais dont il manque une extrémité, celle qui est la plus voisine du Nil {1}; on y voit quelques distributions de plus. I est également impossible d'en assigner l'objet. Ces bâtimens massifs étoient-ils des temples, des palais, des forteresses, des dépôts de grains, &c.! J'avoue qu'aucune de ces suppositions ne peut être appuyée sur des motifs concluans, et je laisse au lecteur à faire lui-même quelque supposition vraisemblable. Ce qui est plus certain, c'est l’origine Égyptienne de ces édifices : la nature et la grosseur des briques, le genre du travail, l'épaisseur des murailles, l'inclinaison des faces de lentrée, tout démontre un ouvrage Égyptien. Quoique formées d'une terre un peu sablonneuse , et d’une haute antiquité, les briques sont encore aujourd'hui très-dures; c’est ce qui a contribué à la conservation des parois inté- rieures de la porte. Les paremens de la Pace sont cependant altérés. I reste de cette façade trois parties, élevées de 7° + environ : la plus grande a vingt- neuf mètres de longueur ; une autre, us et la troisième, environ dix. On monte facilement sur ces murailles par le côté du sud. La grande ouverture de la porte ne permet pas de conjecturer comment elle étoit couronnée : en effet, cette ouverture est beaucoup plus large que celle d'aucune porte Égyptienne. D'un autre côté, quand on auroit pu disposer de pierres de trente-huit pieds pour faire le bandeau du couronnement, comment les briques, dont les montans sont composés, en auroient-elles pu supporter le poids sans s’écraser! Cette difficulté ajoute encore à la surprise qu'on éprouve à la vue d’un bâtiment si extraordinaire. Il y a, dans cette vaste enceinte de ruines, un grand nombre de rues transver- sales, perpendiculaires à la grande : la plupart ne laissent voir que leurs traces, mais bien alignées. La principale rue, dont j'ai parlé, sert aujourd'hui de chemin pour se rendre d’el-Tell à Hâggy-Qandyl et el-Haouatah. Toute cette étendue est recouverte d’une couche de sables qui descendent de la montagne Arabique. I est probable que toute la plaine où se trouve cette ville à été autrefois cultivée, et que les alluvions sablonneuses l'ont comblée insensiblement. J'ai demandé aux habitans des villages voisins le nom de ces ruines; personne n'a pu me le dire; cheykhs et paysans l’ignorent également : nous chercherons plus bas à quel lieu de l'antiquité elles paroïssent se rapporter. Les gens qui habitent le village d'el- Tell, Higgy-Qandyl, el-A’meyryeh et -el-Haouatah, sont tous de race Arabe; non moins défians que les f/äh, ils sont encore plus difficiles à inter- roger, ou du moins l'on ne tire d'eux, en général, que des réponses insignifrantes. Je n'ai trouvé dans aucun village d'Égypte un accueil aussi sauvage que dans ces quatre endroits. La mine sombre et taciturne de ces Arabes m'annonçoit de plus mauvais traitemens, si je n’eusse été bien armé et bien escorté. La Notice de l'Empire fait mention d’une ville de Psinaulx, dont la position n'a pas encore été fixée, et où les Romains avoïent une garnison composée de soldats montés sur dés dromadaires (2). C'est la même ville que Psinabla de la 1) Voyez pl, 67, fig. 6. 2) Ala secunda Herculea Dromedariorum Psinaula, ( Notitia utr. imperi, pag. 00.) ( ( DE L'HEPTANOMIDE. CHAP. XVI. | 15 Thébaïde, dont il est question dans $. Athanase (1). Je ne connoïs point de ruines auxquelles ce nom puisse mieux s'appliquer que celles que je viens de dé- crire; d'ailleurs il n’y en a point d’autres entre Pes/ et Antinoé. $. VI. Dérout el-Cheryf, ou el-Sarabämoun ; Environs de THEBAÏCA PHYLACE. COMME j'ai déjà traité de cette position dans la Description d'Hermopolis (214 il me reste à rassembler ici plusieurs vestiges moins importans d'habitations an- ciennes, qui sont groupés dans les environs du lieu. Il suffira d'en faire l'énu- mération suivante : Koum où Kemän el-Ouyzyr (3), petite butte de ruines au nord de Därout, sur la rive droite du canal de Joseph. Koum-Bageh (4), près de la bouche d’un petit canal à l’est de Dérout. Koum-Rekab ($), derrière un camp Arabe, à mille mètres à l’ouest d' Abou el- Hedr et du canal de Joseph; élévation couverte de briques et de débris de pote- ries, longue de trois à quatre cents mètres : ainsi que sur les autres ruines, il y pousse une quantité de joncs. Koum el-Kherbeh (6), à trois mille cinq cents mètres à l'ouest du précédent, butte de ruines assez élevée; son nom signifie décombres : les fell4} appellent cet endroit Beled-Koufiry (7), c'est-à-dire, habitation de païens. | Deyr el-Garädäouy (8), où Nazlet Abou-Khalaga, ruines assez étendues au nord de Koum-Rekab, sur la rive droite du canal. L'endroit a été entièrement détruit, trente ans avant notre expédition, par les Galadaouy (9), ou gens de Dalgeh, grosse bourgade à l’ouest. Auprès d’un santon ou dôme, il y a six colonnes de- bout, saïllantes de deux mètres hors des décombres; cinq sont en granit rouge, une en grès : le diamètre est de 0”,32. On en trouve plus loin une en granit rouge, couchée à terre, longue de 4" ©, et large d’un demi-mètre. Ces colonnes paroïssent avoir été tirées de morceaux plus considérables par les anciens Chré- tiens; et le nom de Deyr fait penser qu’ils avoient sans doute une église dans cet endroit. En eflet, au sud du dôme, et plus près du canal, on trouve un grand bloc de granit, qui a appartenu à une colonne de grande dimension : il est poli sur sa surface supérieure : les côtés sont marqués de sillons, et le profil est taillé en arc; Ce qui annonce qu'on en a voulu faire une meule, comme le dénote aussi un trou carré au centre, de o,"4 de largeur : sa hauteur est de 0,6; son diamètre, de (1) Adénquor ci FiyaEra ris OnEaidbe. (S. Athan. Hist. a< Arian, tom. Ï, pag. 387.) a D) La ville de Pshinilah, mentionnée dans les manuscrits ' ñ° Qobtes comme étant au midi d’Antinoé à plus d’une (6) «5 ps heure de chemin, s’y rapporte évidemment pour l’em- (7) «x b placement comme pour le nom. Voyez les Mém, géogr. (8) «913 2 D33 sur l’Egypte, par M. Ét. Quatremère, tom. I, pag. 42. (2) Voyez cette Description, 4, D, chap. XIV. _G) xl rs (9) Ce nom vient du mot Daloh, retourné comme ont coutume de le faire les fe/l4h. 16 DESCRIPTION ",77. Lasmatière est un beau granit Oriental; la face visible est d'un superbe poli. La butte de ruines est peu élevée : il paroît qu'on l'a aplanie pour la cul- ture; ce qui a réduit l'étendue des vestiges, qui ont encore cependant quatre à cinq cents mètres : elle est recouverte de briques cuites et de débris de poteries. De même que l’église Chrétienne avoit succédé à un temple païen, une petite mosquée a remplacé l'église Chrétienne. Les murs du tombeau musulman sont peints grossièrement à la manière Turque : au dôme étoient suspendus, quand jy passai, des lambeaux d’enseignes Mahométanes. Za'barä (1), ruines d'un village presque en face du lieu précédent, où il y a quelques murs détruits, et des briques cuites répandues sur le sol: j'ignore son ancienneté. $. VII. Meyläouy; HERMOPOLITANA PHYLACE (aujourd'hui Dérout-Achmoun), et Environs. J'AI exposé, dans la Description d'Hermopolis, Îles raisons qui me portent à croire que le poste Hermopolitain à pu exister à Därout- Achmoun plutôt qua Meyläouy, où l'a placé d’Anville. Bien que je regarde ces motifs comme concluans, je n’en pense pas moins que Meyläouy est le reste d’une ancienne position; les antiquités qu'on y trouve en sont une preuve certaine. Meyläouy el-Arych à succédé à une ancienne ville Grecque ou Romaine ; les Chrétiens lui donnent le nom de Beled-Roumän. La moitié occidentale de la ville est bâtie sur des ruines, où l'on trouve des colonnes ,"des pierres taillées, des morceaux de marbre, de granit, &c. dès qu'on vient à y faire des fouilles. Il en est de même d’une partie de la plaine vers l'ouest. Malgré l'abandon du Nil et a diminution du com- merce , transporté en grande partie au port de Minyeh, cette ville peut encore passer pour populeuse et florissante; elle a deux mille cinq cents mètres de tour, sans compter d'énormes buttes de décombres qui ont dix à douze mètres de hau- teur : on y voit cinq grandes mosquées. Il y a parmi les familles Musulmanes, et parmi les Chrétiens, qui font le tiers de la population, également de l'industrie et de l'activité; les marchés sont plus approvisionnés et les rues plus larges qu'à Minyeh. | Le Ni baïgnoïit autrefois les murailles de la ville ; et cet état de choses ne re- monte même pas trèshaut. D'après ce qu'on en rapporte, le fleuve, en 1720, couloit au pied des murs à la mosquée neuve, qui étoit une église, il y a cent quarante ans; de là il se dirigeoit vers Deyr el-Nakhleh. Aujourd'hui il en est à quinze cents mètres, et il se porte directement sur Antinoé; tellement que, dans cette portion de son cours, le lit actuel est, partie à l'est, et partie à l'ouest de l'ancien, Ce qu'il y a de singulier, c’est qu'aujourd'hui le Nil paroît se rappro- cher de Meyliouy : il revient de plus en plus vers l'est, comme on le voit aux (1) Las; terres DE L'HEPTANOMIDE. CHAP. XVI. 17 terres de Reyremoun et d’el-Bayâdyeh, qui sont rongées considérablement. Je n'ajouterai rien de plus sur ce point curieux de l’histoire du cours du Nil, parce qu’il appartient essentiellement à la géographie comparée; mon but étoit seule- ment de faire voir que la ville qui a jadis été à Meyläouy, à pu avoir beaucoup plus d'importance, étant baïgnée par les eaux du Heuve. Je ne parleraï pas davantage du commerce qui se faisoit entre cette ville et la Mecque, avant que Minyeh lui eût succédé comme capitale de la province, ainsi que Meyläouy avoit lui-même succédé à Âermopolis : quelques antiquités que j'ai observées dans cette ville, doivent seules trouver place dans la description. À l'ouest de la ville, auprès d’un santon et d’un puits, il existe une grande : excavation où l’on trouve beaucoup de débris : je ne crois pas qu'il faille les rapporter à des ouvrages de l'Égypte ancienne; maïs ils paroïssent avoir appar- tenu aux églises des Chrétiens. Le nombre de leurs édifices, comme celui de lcurs familles, va toujours en diminuant. Auprès de la maïson Hasan Kâchef Serkäas, est cette mosquée nouvelle dont j'ai parlé, et qui Jadis a servi d'église; il y avoit quatorze ans, quand j'y passai, que le prêtre avoit embrassé le mahomc- tisme et converti son église en mosquée. On me rapporta que, dans la rue appelée Gharb el-Beled, c'està-dire, à l'ouest, il existoit un sarcophage Égyptien enfoui. On l'avoit enfoncé en terre pour dé- barrasser la rue, qu'il génoit beaucoup. Malgré les obstacles que les cheykhs m’op- posoient, et quoique je fusse seul Français dans la ville, je résolus de faire fouiller alentour, pour pouvoir le mesurer et le dessiner, et préparer les moyens de l'enlever plus tard. Il s’'assembla une foule immense autour de mot et de mes tra- vailleurs : le bruit s’étoit répandu que je venois tirer de cette pierre des trésors cachés. L’épithète de sorcier m'étoit prodiguée par la populace. Au milieu des mur- mures de la multitude, les ouvriers achevèrent aisément leur tâche. L’encombre- ment n'étoit que d’un pied; je fis coucher le monument sur la face postérieure, et dans cette position je 'observai à mon aise : quand le peuple me vit descendu dans le trou, tournant tout autour avec un instrument À mesurer, il ne douta plus du sortilége. La pierre a servi d’abreuvoir, comme on le reconnoît à deux trous dont elle est percée; aussi les habitans l'appellent-ils hod (1). C'est une niche monolithe, en basalte noir, parfaitement polie sur toutes les faces ; elle est surmontée par une petite pyramide très-obtuse, et ressemble à tous les autres monolithes connus, mais de plus petite dimension. | | La hauteur des faces verticales est de 1,38; la largeur, de o",80; l'épaisseur, de 0”,965. En dedans est une niche, haute de 0,95, profonde de 0,693 et large de 0°,465 (2). Le magnifique poli Égyptien se remarque sur le toit pyramidal, aussi-bien que sur les faces. En général, tout le travail est très-soigné, et les arêtes sont purement taillées. Des hiéroglyphes étoient sculptés sur le devant, en deux colonnes verticales; on ne voit plus distinctement que seize de ces signes hiéroglyphiques. \ (1) ss (2) Voyez pl. 67, fig. 2, } et 4. “ete 21 ; € 10 DESCRIPTION I reste , aux quatre angles extérieurs de l'ouverture, des trous demi-circulaires , où étoient les gonds sur lesquels rouloit la porte de la niche : cette porte étoit taillée en biseau, comme on le voit par la coupe (1); peut-être ce biseau étoit-il garni d'une enveloppe de métal. A deux petites cassures près que l’on remarque au dehors, et deux fentes à l’intérieur, ce petit monument est intact: il vaudroit la peine d’être transporté en Europe ; aussi en ai-je bien reconnu la place exacte, après avoir fait recombler la fouille (2). Le poids est de plus de deux milliers et demi de livres. Si lon suppose que ce monolithe ait servi à loger un animal sacré; comme la hauteur de la niche est de moins d’un mètre, on peut supposer qu'un oiseau y étoit enfermé. La tradition n’apprend rien sur l’origine ou l'usage de cette pierre. D'après les discours des cheykhs et des Qobtes, elle a toujours été au même lieu. On fait mille contes absurdes à son sujet; je n’en rapporterai qu’un seul. Un bey, dit-on, l'avoit fait tirer du lieu où elle gisoit et transporter À une certaine dis- tance; aussitôt que les ouvriers l’eurent abandonnée, elle revint elle - même à sa place primitive. | Un felläh qui se trouvoit présent à la fouille que je faisoiïs faire de ce mo- nolithe, lorsqu'il l'aperçut à découvert, fit une grande exclamation de joie, et s'écria: Ou-allah! hod melyeh alchän elbehäym (3)! « Par Dieu! voilà un abreuvoir » délicieux pour les bestiaux! » Je termineraï article de ce monument par une observation , c'est que plusieurs de ses dimensions principales sont d'accord avec les mesures Egyptiennes : la hauteur, de 1°,38, est de trois coudées ; et louver- ture intérieure de la niche, d'une coudée, à fort peu près. Koum elA'zeb (4), ou Cheykh-A’zeb, butte de ruines sur une ancienne digue, à quatre mille cinq cents mètres au sud de Meylaouy, où l'on trouve des restes ‘de maisons en briques cuites. Koum Manyal (5), butte semblable, située au nord de la précédente. Nazlet Cheykh-Hosseyn (6), à quatre mille mètres au sud-sud ouest de Meyläouy. Ce nom est récent; le lieu portoit jadis celui de Deyr. Vers le sud, j'ai trouvé plu- sieurs assises de pierres calcaires, d’une grande dimension {trois à quatre mètres de long). IH paroît qu'il y a existé un temple que les habitans appellent Birbé. La tradition rapporte qu'une ancienne bourgade étoit bâtie dans cet endroit. Koum el-Akhdar (7), butte peu étendue, à l'origine de la digue de Tendeh, où l’on trouve d'anciennes muraïlles, des briques et des poteries brisées. . Koum el-A'fryt (8), ou butte du Diable, à l'est de Tendeh; ruines de briques. Koum el.Sälhal|9), petite butte de ruines, comme la précédente, au sud de Tendeh. (1) Voyez pl. 67, fig. 3 et 4. (5) Je (2) I est dans la rue appelée Gharb el-Beled, à dix D b pas d’un tronc de colonne cannelée , venant d’Antinoé, (6) crus ee ï ÿ et en face de la maison de l’'émyr Ayoub. J’avois chargé (7) sus Yl — Ma’llem A’bd el-Sa’yd, Qobte qui m'accompagnoit, de , f faire des démarches pour me Penvoyer au Kaire. (8) «39 29) Go (3) flan al ét > al s (9) Le mot est écrit dans mon journal, dell... (D oil, DE L'HEPTANOMIDE. CHAP. XVI. 19 Koum el-Ouestäny (1) ou du milieu, butte pareïlle, au sud de Tendeh. Koum Garfeh (2), au sud et à trois millé mètres de Tendeh. Tendeh (3). La tradition apprend que ce lieu a été très-anciennement habité. Les Musulmans ont converti en mosquée une ancienne église que les Chrétiens ap- pellent Kenyset Roumäny , église Grecque : j'y aï vu quelques colonnes de marbre et de granit, dont les chapiteaux sont d’un mauvais travail ; auprès, il y a un large puits qu'on prétend très-ancien. I[ existoit, dit-on, un aqueduc en cet endroit. À l'ouest, est une butte de ruines, et un étang où l’on trouve d'anciennes cons- tructions. On a retiré des fouilles une pierre qui est le reste d’une frise. Il y a une portion d'enceinte en briques, ayant de petites tourelles carrées d’un mètre et demi de côté. Deyr eEMelek Mykhäyl, où Deyr eLA'ych (4), enceinte en briques, avec trois églises dans l’arrondissement., | Deyr Reyremoun ($s), au nord-est de Meyläouy. C’est là que les Chrétiens des environs se rassemblent. Une des églises est dédiée à la Vierge, eLHadré; une autre à S. George, Mary Girgeys: a troisième, eZ Melek Mykhäyl, est la plus ancienne ; son sol est à un étage inférieur. Trois à quatre tableaux venant de Syrie, grossièrement faits, sont suspendus dans chacune des églises. J'ai consulté là un prêtre octogénaire sur la formation du canal appelé e/Ghouetah (6) ou Tera’t cl-Scbakh (7) : H m'a rapporté que, cinquante ou soixante ans auparavant, les bes- tiaux broutoient encore dans le lieu qui est le lit actuel du canal; qu'à cette époque le Nil y pénétra, et que les pate y naviguoient spé quarante ans. Ce canal, qui est la tête des Bäthen (8), n'est donc rien moins qu'un ouvrage de l’homme, et sur-tout qu'une ancienne dérivation du Nil, comme ont cru mal-à- propos le P. Sicard, et, après lui, d’Anville. Je parlerai plus au long sur ce sujet dans un mémoire sur le canal de Joseph. Deyr eLNasarah (9), enceinte sur la rive gauche et près de l'embouchure du Terat el-Sebakh; je n’y aï vu qu'un seul religieux avec sa famille. C’est 1à qu’on passe un canal à gué, quand on se rend aux ruines d'Hermopolis, en venant d’el-Bayädyeh. | $ VIII. Establ A’ntar, Deyr Anbä-Bychäy et Environs. À Cheykh-Sayd (10), santon placé sur un pic élevé (11) de la montagne Arabique baigné par le Nil, et à quatre mille trois cents mètres au nord des ruines d'el- Tell, on trouve des carrières et des grottes fort étendues sur la pente du Li pe eds () & 4e (8) bb 6) es | (9) oral 333 (4) gl — Jolé an 3 (10) de BË (5) W3225 > (11) Cette cime se voit de cinq ou six lieues au nord. (6) ab J Le premier quart supérieur est à pic, le reste est incliné Si à quarante-cinq degrés. À; D: a > 2 © . + DESCRIPTION rocher : il y a de gros quartiers de pierre qui sont suspendus au-dessus du Nil, sans qu'on puisse reconnoître d'où ils viennent et comment ils demeurent en place sur une pente aussi escarpée. | Auprès, vers le nord, est uné partie très-saillante du rocher, ‘qui paroît avoir été mise dans cet état par l'exploitation qu’on a pratiquée tout alentour. Ce grand massif a lui-même été taillé dans l’intérieur; il présente de tous côtés des ouver- tures, et, à une certaine distance, il ressemble à un grand édifice percé de portes et de fenêtres (1). Le nom qu'on lui donne est Establ A’ntar (2), c'est-à-dire, les écuries d'A’ntar ; C'est ainsi que les Arabes appellent un prétendu géant de l'antiquité (3). Ce lieu se nomme aussi Dyouän. : Parmi les distributions de cette vaste carrière, on remarque une très-grande salle à cinq côtés, qui a quatre-vingts mètres environ, sur quarante-deux : quatre piliers seulement la soutiennent; les autres piliers qu'on avoit réservés, se sont écroulés. L’humidité des pluies qui descendent du sommet de la montagne, a pénétré jusqu'au ciel de la carrière; et ce plafond se divise par des fissures qui font présumer sa chute prochaine. Pendant l’inondation, ou après la fin des travaux de la campagne, quelques felläh s'y retirent avec leurs bestiaux : aussi le sol est-il couvert d'excrémens de bœufs, de moutons, de chèvres, &c. Le nom d’Esrabl reçoit donc encore son application. On a voulu, pour un motif semblable, faire un rapprochement entre Establ-A'’ntar et Hipponon ; mais cette dernière position étoit à cent vingt mille mètres plus au nord. Au-dessous de ce point, il y a encore d’autres carrières qui annoncent que les Égyptiens ont fait de grands travaux dans la montagne. Un long mur Égyptien, en briques d’une grande épaisseur, qu'on trouve près du Nil, et tracé parallèlement au fleuve, confirme cette idée. Les briques sont énormes, et les habitans disent que c'est un ouvrage de la plus haute antiquité. Je crois très-probable, quoique la géographie n’en fasse point mention, qu'il a existé une position ancienne dans cet endroit; il est possible que le Nil, en abandonnant Meyläouy, et se portant à l’est, ait détruit les vestiges de cette ancienne ville. | Deyr Anbä-Bychäy (4) est le nom. d’une grande enceinte renfermant une église Chrétienne, et située près de Deyr el-Nakhleh, au midi de Deyr Abou-Hennys, qui touche aux ruines d'Antinoé. À l'est, il y a une très-grande quantité de tom- beaux. C’est 1à que les Chrétiens de Meyläouy et d'el-Bayädyeh viennent enterrer leurs morts. | L’enceinte a environ soïxante-sept mètres sur cinquante-quatre ; elle est très-bien bâtie. L'intérieur renferme beaucoup de maisons et des rues alignées ; le monas- tère est ancien, et les constructions semblent neuves. L'église est la plus belle que j'aie vue dans toute l'Égypte. Son plan ressemble à celui de Deyr Abou-Fäneh, il (1) Voyez pl 65, fig. r. constellation céleste, s'appelle Antarès. Mais ce rapport 5 de noms est peut-être purement fortuit. (2) Je dbel P P (3) C’est, dit-on, un surnom de Typhon; or Le scor- (4) éliw lil pion lui étoit consacré, et le cœur du scorpion, dans la DE L'HEPTANOMIDE. CHAP, XVI. 21 est divisé en plusieurs salles : dans celle de gauche est un tombeau. Il y a encore une seconde église, où l’on arrive par un escalier, J'ai vu là quatre à cinq tableaux, un peu moins mal peints que Ceux des autres églises. Dans l’un est le saïnt du lieu avec son nom écrit en arabe, B444 Bychouay (1); il porte une longue barbe et un beau costume : la couleur est assez agréable, et le dessin moins incorrect. Dans l'autre, le même saint porte le nom d’Awb4 Bychouay (2). Bychouay où Bychäy est le nom du saint ; Anbé, ainsi que B4b4, signifre évêque ou abbé. Un troisième tableau représente S. George à cheval, perçant le démon de sa lance. Sur des tablettes attachées à la muraille, je vis plusieurs livres écrits, les uns en arabe, les autres en qobte, d’autres enfin dans les deux langues. Je fus surpris de trouver dans cette enceinte un seul prêtre, et’ plus encore, d’y voir , au lieu d’un de ces religieux abrutis et d’un extérieur presque RUVFARE, qui habitent les mo- nastères d'Égypte, un homme plein d’urbanité, même de manières recherchées, et qui n'étoit point sans quelque instruction : il auroit donné l’idée plutôt d’un abbé d'Europe que d'un solitaire de la Thébaïde ( 3). Derrière Deyr Anbâ-Bychouay, est une gorge dont le côté méridional est rempli de grottes Égyptiennes : les portes sont taillées régulièrement: l'accès en est difficile, et je n’ai pas eu de loisir de visiter ces catacombes. C’est probablement une d'elles que le P. Vansleb appelle la grotte hiéroghyphique, bien qu'il l'indique dans une vallée appelée Oxädy-Gämous , que j'avois vue plus au sud, vers Establ-A’ntar. Entre l'enceinte appelée Deyr, qui est au nord d’Antinoé (4), et le village de Cheykh-Tmäy, le Nil est encaissé par la montagne Arabique, ou plutôt par une chaîne plus basse, haute de cent pieds seulement : un pee plateau, qui a douze cents mètres, la sépare de la chaîne proprement dite: c’est le chemin des cara- vanes. À un certain endroit, la montagne est ouverte en forme d’anse, et les Égyptiens y ont bâti un mur épais de 1 "3, en briques crues, arrangées de champ et à plat. Une large crevasse par où s'écoule un torrent Dent l'hiver, et devant laquelle est placée la muraille antique, fait présumer f origine de celle-ci. L'anse a vingt-sept mètres de large environ; elle se comble de plus en plus par les dépôts de limon. Auprès est une excavation , mais qui paroit naturelle. Il n'y a au loin à la ronde aucune espèce dhabiton (5). S..1X Environs d’Hermopolis, Deyr Abou-Fäneh, à'c. La description spéciale que j'ai donnée d’Hermopolis , chef-lieu du nome dont 2 . . . ee e e LAN je m'occupe, me dispense de rien dire ici de ses ruines ; il en est de même de (1)-usés GL - Deyr Anbä-Bychây, par les manuscrits en qobte qu’ils & Lt pourroient en rapporter, G) sx * (4) Antinoé et ses environs ont été spécialement dé- (3) Les voyageurs qui parcourroïent ce quartier reculé - crits dans le chapitre précédent des Descriptions. de l'Egypte, seroient payés de leur peine, s’ils visitoient (s) Voyezpl. 4, À. vol. V, fig, 7. 2 2 DESCRIPTION Touneh, l'ancienne Tunis : maïs je passerai en revue quelques points de ses envi- rons, où il reste des vestiges d’antiquités. | Naouây eklbghäl. W y a, vers l'ouest, des pierres calcaires, taillées par assises réglées, que le cheykh m'a dit être à depuis long-temps. J'ai vu de plus un grand fragment en granit d’une forme fort singulière : il est circulaire extérieure- ment ; le dedans présente une cavité prismatique presque aussi grande que le dia- mètre ; le dessus et le dessous étoient recouverts (1). H me seroit impossible de faire aucune conjecture sur l'usage de cette pierre bizarre. Koum elCherfyé (2), butte de ruines en briques, à six mille mètres au nord d'Achmouneyn ou Hermopols , où étoit, il y a peu de temps, le village qui s'appelle aujourd'hui Mahras. Koum el Ahnar (3), autre butte semblable, dans le voisinage. Beny-Khäled el Qadym (4), ruines d’une ancienne bourgade à huit mille mètres au nord-ouest d'Achmouneyn, qui paroît avoir été assez considérable. Ces ruines sont un peu dans les sables. L'espace qu’elles occupent est de trois cent quatre- vingts mètres sur cent trente, les murailles subsistantes sont en briques crues. On y trouve, avec des éclats de poteries et des amas de briques, des mor- ceaux de vase ou d’albâtre. Il y a trois générations que ce village est ruiné; il étoit. uniquement composé de Chrétiens : mais la tradition rapporte qu'auparavant il y avoiten ce même endroit une position très-ancienne. Le sol est rempli de fouilles ; on y travaille journellement pour en tirer la poussière employée aux engrais. Deyr Abou-Fäneh ($), ancien monastère abandonné, situé près et à l’ouest de Beny-Khäled, et assez loïn dans les sables, qui paroïssent avoir envahi tout cet em- placement. En effet, les dunes qu'on voit aux environs, se trouvent isolées dans une grande plaine qui s'élève en pente douce jusqu’à la crête de la chaîne Libyque: aussi le bâtiment est-il, à l'extérieur, en grande partie, enfoui sous le sable. L'église est d’un plan régulier : sa longueur est de trente-un mètres; et sa largeur, de vingt mètres et demi, sans compter un escalier extérieur qui descend de la terrasse. au sol desl’église : celle-ci est composée des bas-côtés et d’une nef bordée par deux rangées de six colonnes, dont une est engagée (6). Dans l'axe, sont encore deux colonnes : à l'extrémité est une salle demi-circulaire, décorée de six colonnes, et, au milieu, un autel enduit de plâtre. Il y a plusieurs salles pour le service, à droite et à gauche; un dôme recouyre la salle de l'autel, et d'autres dômes plus petits recouvrent quatre autres pièces. Les colonnes sont les unes en briques, et les autres en marbre, et toutes mal construites; les murs sont enduits en plâtre. Aux murs du fond l’on voit de mauvaises peintures où l’on a représenté des croix de différentes formes, des voiles et des arbres grossièrement peints. Au bout de la nef, il y a une salle qui en est séparée par des grillages en bois et des boiseries bien travaillées. Dans une des petites pièces latérales, est une ouverture étroite (1) Voyez pl. 67, fig 6, 6. (s) ab 35 (2) La Far (6) Voyez pl. 67, fig. x, r2et 17, et lexplication de (3) 731 ps la planche. (4) poil alle. Lsè . E. KR _ | - * DE L'HEPTANOMIDE. CHAP, XVI. LE à qui m'a paru répondre à'un souterrain. Enfin, dans un angle du fond, jai vu une citerne, et dans l’autre, un four. Une butte assez élevée, couverte de débris de vases et de briques, ét adossée au bâtiment jusqu'au niveau de la terrasse, le cache presque entièremenit, quand on vient de l'est; et l'on a de la peine à découvrir, à l'angle nord-est, l'escalier dont j'ai parlé. Celui-ci est rempli de morceaux de granit gris travaillé, de débris de vases et de briques. J'ai trouvé le sol de la nef recouvert de nattes et d’une quantité de béquilles : on sait que ces béquilles servent aux fidèles pour assister aux cérémonies, et qu'elles font le même service que les chaïses de nos églises. Les Chrétiens des environs se rendent de temps à autre à Deyr Abou-Fäneh. A l'ouest, sont beaucoup de tombeaux où ils viennent enterrer leurs morts. C'est à l’est de Deyr Abou-Fäâneh que se trouvent deux villages contigus appelés el-Qasr et Hour : le premier, sur la rive droite du canal de J oseph; et l’autre, un peu à l'est. C'est en cet endroit qu'on pense qu'a existé la ville de Busris, que d'Anville a placée à Beny-Khâled. J'ai demandé aux habitans s'ils connoissoient le nom de Bousyr, qui appartient d’ailleurs à plusiéurs lieux de l'Égypte, et j'ai trouvé ce nom parfaitement inconnu. our est, au reste, le même nom que or ou Horus des Grecs et des Romains. Sur la montagne de Hoüûor aux environs, résidoïit un anachorète appelé Bave (1) : ainsi l'endroit appelé Bousyr Bané avoit tiré de là son nom très-probablement. II paroît que, par le laps de temps, cette position a tout-à-fait disparu. Koum el-Rahäleh (2), à l'est de Hour, auprès du Nil; butte de ruines, couverte de joncs, de briques et de débris de poteries: on y trouve aussi des pierres ruinées, parmi lesquelles les habitans de Säqgyet Mousy viennent chercher des matériaux Ces ruines ont environ quatre cents mètres de longueur. Au sud, est une autre butte semblable, reste d’une habitation très-ancienne, au rapport des habitans. Ethidem (3), un peu au nord, gros village où l’on trouve des ruines. Vers le nord du village, j'ai vu sept colonnes de granit rouge , et une qui est de granit noir. Une de ces colonnes est encore debout : celle-ci est d'ouvrage Grec ou Égyptien; les autres ont été altérées par un travail grossier. Parmi les colonnes couchées , on en remarque une très-mal travaillée, qui présente une partie plane, couverte d'étoiles Égyptiennes { 4): c'est évidemment un fragment de plafond d’un temple d'Égypte, qui devoit être fort somptueux, si l'on en juge par les apparences : on a arrondi, tant bien que mal, ce fragment. Toutes ces colonnes de granit forment une mosquée aujourd'hui ruinée, et qui avoit succédé À une église dans le temps de introduction de l’islamisme. Du côté de l'est, on voit beaucoup de débris de briques cuites : on les trouve abondamment en fouillant un petit canal, et les habitans d'Etlidem s’en servent pour bâtir. (1) Observations sur quelques points de la géographie (3) sodil de l'Egypte, par M. Et. Quatremére, pag. 29. f (2) dj + (4) Voyez pl. 67, À, vol. IV, fig. s. 2 4 DESCRIPTION GA Er SPEOS ARTEMIDOS (aujourd’hui Beny- Hasan), Deyr au.sud, Murailles de briques, d'c. | AU nord-ouest d'Antinoé, à quinze cents mètres et en face de Kalendoul, il y a une grande enceïnte en briques d’un mètre d'épaisseur, qu'on prend com- munément pour une fortification Romaine : les murailles viennent jusqu'auprès du Nil, et elles suivent les ondulations de la montagne sur le sol de laquelle on les a bâties; l'intérieur est rempli de ruines. Les hommes les plus âgés du pays racontent que c'étoit une enceinte destinée à isoler l'église, qui est à l'intérieur et qu'on appelle Deyr : cette enceïnte a cent quarante-six mètres sur quatre- vingt-douze. L'église existe encore avec toutes ses murailles et quelques restes de voûtes : elle est très-ancienne ; on lui donne dans le pays quinze cents ans d’anti- quité. Vers le sud, il y a encore des ruines de maisons. L'église est un rectangle alongé, de sept mètres de large, sur environ trente-deux mètres de long (1). I ya une grande salle, ayant de part et d'autre cinq piliers qui supportoient quatre voûtes d’arête, aujourd'hui écroulées , mais dont il reste des arrachemens : au fond étoit une salle destinée sans doute à l'autel. En avant du bâtiment, on voit un grand bassin en pierre, de forme circulaire, dont le diamètre supérieur a 1°”,4; il est creusé profondément, et son rebord n’a qu'un décimètre {2} : les Musulmans croient qu'il cache de l'or. Aujourd’hui il est enfoui, et porte une ouverture au fond. Auprès de ce bassin sont deux co- lonnes : une est couchée; son diamètre est de 0”,35, dimension qui annonce un ouvrage peu ancien, de même que la petitesse des briques. Ces briques, au reste, sont bien faites, et l'appareil bien exécuté. On pourroit supposer que l'enceinte est ancienne, qu’elle étoit d'ouvrage Romain, et que les Chrétiens, après coup, ont bâti l'église dans l'intérieur. Cet intérieur est aujourd'hui rempli d’amphores et de poteries brisées; dans le fond des vases, on voit des résidus que les uns croient: formés de résine, et les autres, de tartre, attribué au séjour du vin à cause de l'odeur qui s'en exhale. Au-dessous de ce deyr, près de l’île appelée Gezyret-Keleb, et avant Cheykh- Timày, il y a un grand nombre de ravines profondes, sillonnant une montagne élevée, escarpée à pic et baignée par le Nil: c’est par-là que s’écoulent les torrens et les eaux pluviales qui se précipitent du haut de là chaîne Arabique. Un de ces torrens est barré, près du Nil, par un ancien mur en briques, portant tous les caractères des constructions Égyptiennes (2), et dont j'ai déjà parlé (4) : il paroît qu'il servoit de digue aux eaux du fleuve. Le Nil a déposé du limon dans une petite anse qui est auprés. | Le plateau intermédiaire de la montagne, qui sert de chemin aux caravanes, est couvert d'éclats de pierre provenant de l'exploitation. Cette interruption de (1) Voyez pl. 67, A. vol, IV, fig. 8, 9. (3) Voyez pl. 4, A, vol, V, fig 7- (2) Voyez ibid, fig. ro, (4) Voyez pag. 21. la DE L'HEPTANOMIDE. CHAP., XY1. 2 la montagne par de fréquens ravins confirme l'existence des torrens qui affluent en hiver sur la rive droite, ainsi que je l'ai exposé dans Ja Description d'Antinoé. Le chemin, qui dans cet endroit longe le Nil, est souvent coupé par ces ravins profonds, très-difliciles à traverser, mais dont le lit est fort uni, à cause des sables fins que les eaux charient avec elles. Selon Itinéraire d'Antonin, il y avoit huit milles Romains d’Antinoé à pos Artemidos, ville où les Romains entretenoient une garnison, et qui est désignée dans la Notice de l'Empire sous le nom défectueux de Pois Artemidos (1). Nous devons nous arrêter au premier nom, parce qu'il s'explique fort bien par les grottes que l'on voit aujourd'hui à Beny-Hasan. Quant à la conformité d'emplacement, il ne peut y avoir aucun doute : les huit milles demandés par FItinéraire font onze mille huit cent vingt-deux mètres; or on trouve un peu plus d’onze mille huit cents mètres de l'extrémité des ruines d’'Antinoé à Beny-Hasan el Qadym [le vieux Beny-Hasan |. Cet endroit est un très-grand village, aujourd'hui dé- peuplé et abandonné (2), où sont de grandes constructions en briques crues, qui annoncent une ancienne ville ou bourgade Égyptienne, ainsi qu’une multitude d'hypogées (3). | Un peu plus au sud, est le village actuel de Beny-Hasan, habité par des familles Arabes, qui se réfugient aussi quelquefois dans des huttes de roseaux, voisines du bord du Nil. | Les grands travaux qui ont été exécutés dans la montagne, achèvent de prouver qu'il y a eu dans cet endroit une ancienne position. Indépendamment de trente hypogées environ, parfaitement taillés dans la montagne, un peu au nord de Beny-Hasan el-Qadym, et dont la plupart sont peints ou sculptés dans leur inté- rieur, il y a encore, près du village actuel, plusieurs grottes Égyptiennes et une butte de décombres. Enfin il existe d’autres grottes entre deux petits villages abandonnés, situés vers le nord, et du nom de Naz/et Beny-Hasan ; elles sont plus basses et en grand nombre, et percées dans un rocher à pic, au nord d’une gorge de la montagne : j'ai vu le chemin qui y conduisoït, sans pouvoir les aller visiter. Pour se rendre aux grottes principales en venant d'Antinoé, il faut, après avoir passé par Beny-Hasan el-Qadym, traverser une large coupure (seize à vingt mètres), qui est l'embouchure d’un grand ravin par où les eaux pluviales sont entraînées dans le fleuve; et même le roc est percé d’une crevasse de six pieds de large, par où elles se précipitent. À la crête de la montagne, ce ravin est fort étroit; dans son cours, il est bordé de deux espèces de murs de sable durcï : on voit son lit au pied des murs de ce village. Les eaux qui s'y jettent, tombent de plus de deux cents pieds de haut. Sept ravines ou torrens semblables existent entre Beny-Hasan et Nazlet-Noueyr, dans une longueur de six mille cinq cents mètres. La montagne est composée de pierre calcaire numismale, dont les. coquilles (1) Ala secunda Hispanorum Pois Artemidos, (Notit. endroit où la langue de terre cultivable est plus large. ulriusque imperii, pag. 90.) II west point ruiné; beaucoup de maisons sont entières (2) Il y a trente ou quarante ans que les habitans ont et neuves. quitté ce village pour bâtir plus au sud, dans un (3) Voyez pl. 64, fig. z. AS CD: D 2.6 DESCRIPTION ont souvent la couleur rose; l'aspect de la pierre-est celui de la pierre de Qâou el-Kebyr : il y a aussi dés parties ferrugineuses. Il y a deux à trois cents pieds de hauteur à la chaîne: mais en avant de la grande est une chaîne basse, formée des débris du roc, de coquilles et de sable. Ce qu'il y a de singulier, c'est que, du côté du Nil, elle est coupée à pic, ainsi que le roc placé en arrière. Il me paroît que c'est par cette même cause que quatre villages ont été aban- donnés. L'irruption des sables, que les vents d'est et les torrens ont transportés sûr le sol, a fait disparoître la terre cultivable qui existoit entre le Nil et le pied du rocher. Mais les anciens Égyptiens avoïent sans doute à cultiver tout cet espace, comme on cultive encore au pied du rocher à Saouàdeh, Tehneh (1), &c. Au- jourd’hui le terrain est recouvert de cinq à six mètres (2) de sable, et condamné à la stérilité la plus absolue : à peine reste-t-il çà et là quelque bande cultivée, large de quatre-vingts à cent mètres. Aussi, du temps de l'antiquité, il y avoit moins de contraste entre les scènes agricoles qui se passoient au pied de la mon- tagne, et les tableaux d'agriculture qui sont peints dans les hypogées. DESCRIPTION DES HYPOGÉES PRINCIPAUX DE BENY-HASAN. Les plus importans de ces hypogées sont, comme je l'ai dit, au nombre de trente environ, un peu au nord de Beny-Hasan el-Qadym, tous à une même hauteur dans le rocher ; leurs portes sont sur un même plateau : douze à quinze sont couverts de peintures Égyptiennes, dont les sujets sont pleins d'intérêt, et les couleurs parfaitement conservées ; quelques sujets ont malheureusement été effacés par des mains ignorantes et un aveugle fanatisme. Dans plusieurs grottes, on n'a fait que tailler la montagne et dresser les faces, avec ce soin qui présidoit tou- jours aux travaux Égyptiens; mais elles ne sont pas revêtues de couleurs ni de sculptures. Les ouvertures sont de différentes grandeurs. Quelques-unes ont leurs piliers détruits et leurs peintures effacées ; d’autres sont fort petites. Dans une, qui est tout-à-fait au sud, on remarque une porte d’une belle proportion, décorée d’une gorge qui n’est pas cannelée : en général, l'architecture en est peu ornée; mais elle plaït par sa symétrie et sa simplicité. La plus intéressante de toutes pour le plan, la décoration et les sujets, est la plus avancée vers le nord : il y en a cependant une petite qui présente aussi beaucoup d'intérêt, et qui est encore plus septentrionale. Je me borneraï ici à en décrire quatre, dont j'ai rapporté les plans et Îes dessins. La première présente une particularité dans son plafond, qui est en forme de toit (3). On a remarqué, dans beaucoup de catacombes de Thèbes et de Ly- copolis, des plafonds en forme d'arc de cercle, et il y en a également ici ; mais nulle part ailleurs qu'à Beny-Hasan je n'avois vu ces toits inclinés, qu'on pour- roit appeler en quelque sorte des frontons en creux. Les colonnes de ce même hypogée et de quelques autres se distinguent par leurs bases extrémement larges (1) Voyez ci-après, pag, 46. (2) Quinze à dix-huit pieds. (3) Voyez pl. 64, fig. 2. DE L'HEPTANOMIDE. CHAP. XVI. 27 et très-peu élevées (1), et sur-tout par leur disposition en faisceau. Quatre tiges sont réunies et liées au sommet par plusieurs anneaux, ou un ruban formant plu- sieurs tours, comme si elles étoïent fortement serrées et pressées : les extrémités des liens passent entre les tiges, tant en dessus qu'en dessous; le chapiteau, qui n’est que la continuation et le renflement de ces baguettes, semble formé par l'effet de la compression des liens. Plus on examine ce chapiteau, plus on est porté à croire qu'il est limitation des supports que formeroient des roseaux liés ensemble. Les cabanes actuelles des gens de Beny-Hasan, sur les lieux mêmes, pourroïient en retracer une sorte d'image, puisqu'elles sont soutenues par des assemblages de roseaux. Mais si ces colonnes sont l'imitation d’un objet naturel, qui est d'un usage antique et im- mémorial, elles ont servi elles-mêmes de premier type aux colonnes à faisceau que nous voyons dans les palaïs les plus somptueux de la ville de Thèbes: elles ont, comme celles-ci, une diminution sensible du bas en haut, causée par la compression du lieu, qui produit aussi le renflement du chapiteau. Le tailloir du chapiteau, larchitrave qui repose au-dessus, enfin la base de la colonne, annoncent déjà un certain progrès de l'art, au-delà de Fimitation primitive (2). Le second hypogée dont j'ai à parler, est orné, dans le fond, de deux ran- gées de trois colonnes : il y a sur les deux murailles latérales un pilier corres- pondant à chaqué rangée (3). La longueur de la salle principäle (je n'ai pu voir les autres distributions) a environ seize mètres; et sa largeur, dix mètres et demi. Les colonnes sont à faisceau, pareilles à celles que j'ai décrites dans la première catacombe. La troisième a son entrée placée hors de laxe. On voit aujourd'hui dix colonnes ; mais je crois que deux sont tombées : la longueur a quatorze mètres et demi, et la largeur huit et demi (4). Les colonnes sont entièrement sem- blables aux précédentes, c'est-à-dire, composées de tiges réunies en forme de faisceau. La plus importante de ces catacombes est, comme je l'ai dit, au nord de toutes les autres; son plan est parfaitement symétrique ( $ }. L'ouverture du vestibule, sur la face de la montagne, a 6”,2, largeur beaucoup plus grande que celle des autres entrées. Après avoir marché entre deux murailles, distantes de ce même intervalle, dans une longueur de huit mètres, on trouve un premier portique de deux co- lonnes élevées, de forme octogonale, et larges de 1,10. On entre ensuite, par une porte de 1°,86 de large, dans une grande salle soutenue par quatre colonnes cannelées, à cannelures creuses, et dont le diamètre à un mètre : la largeur de la salle est de plus de douze mètres, et la longueur, de onze mètres et demi. Au fond est une niche de 2”,7 sur 2°,2, Où se trouve un groupe sculpté dans le roc, représentant des figures assises, de proportion colossale. Les personnages (1) Voyez pl. 64, fig. 8, 10 et rr. (3) Voyez pl. 64, fig. 8. (2) On donnera ailleurs plus de développemens à ces (4) Ibid. fig. 9. idées sur l’origine des colonnes en faisceau ( Voyez aussi, (s) Ibid. fig. 2. A. D. tom. 1, pag. 8, la Description d’Éléphantine ). A. D. | D 2 26 DESCRIPTION sont horriblement mutilés : on reconnoît cependant une figure d'homme, placée entre. deux femmes qu'elle embrasse. Il y avoit une communication entre cette pièce et des galeries latérales, et, au moyen d’un canal bas et étroit, on communi- quoit aussi avec les catacombes voisines. Je pense qu'il en étoit de même dans les autres hypogées que j'ai décrits. Ces pièces latérales conduisoient aux puits de momies. Entre le premier portique et la porte d'entrée, il y a un plafond taillé dans le roc, en forme d'arc de cercle, et dirigé transversalement; Farc est parfaitement tracé. Dans la grande salle, on trouve au plafond trois bérceaux semblables, di- rigés dans le sens de l'axe, appuyés sur les colonnes et sur les murs latéraux (1). La porte d'entrée est très-haute; elle a sept mètres. La hauteur totale de la grande salle est de 8,3 jusqu'au sommet du plafond (2). Sur les faces de cet hypogée et du premier portique, les artistes Égyptiens ont sculpté ou peint une multitude d’hiéroglyphes et de sujets familiers, dont la con- servation est parfaite. Les couleurs, sur-tout, sont d'une fraicheur étonnante. Le rouge, le bleu, le jaune, dans beaucoup d’'endroïts, sont encore intacts après tant _de siècles : c’est la couleur bleue qui a le plus d'éclat. Les hiéroglyphes sont peints ou sculptés, ou bien lun et l’autre àda-fois, dans des colonnes verticales. Au-dessous des arcs, les architraves sont ornées de frises en forme de fers de lance ou plutôt de faisceaux de plantes, comme on en voit beaucoup dans les catacombes de Lycopolis. Sur le mur à droite est une marche de quatorze personnages religieux, en partie peinte et en partie sculptée, se dirt geant vers la déesse Isis, avec des offrandes dans la main : Fun porte des lotus, l'autre des poissons, un troisième des fleurs, &c. Toutes les figures sont disposées avec ordre et exécutées avec soin. Au frontispice de lhypogée, il y a une grande inscription hiéroglyphique. Cet hypogée, aussi bien conservé dans toutes ses parties, a de quoï surprendre les voyageurs, quand on songe qu'il est, pour ainsi dire, sur la rive du Nil, et qu'il a été exposé aux injures des hommes, bien plus que ceux de la ville de Tièbes. Aussi, sans remonter aussi loin que cette ancienne capitale, où la visite des hypogées n'est pas sans péril, on peut prendre à Beny-Hasan une idée juste de la décoration et des peintures des catacombes Égyptiennes. Mais on découvre ici un autre sujet d'observation, bien digne d'intérêt pour fhistoire de l'art, et qui mérite toute l'attention du lecteur. | | Dans ces catacombes antiques, où les prêtres Égyptiens ont tracé une quan- tité innombrable d'hiéroglyphes, dont le secret a péri avec les colléges de Thèbes, de Memphis et d'Héliopolis, nous trouvons des colonnes semblables à celles des plus anciens temples Grecs, des temples de Thésée et de Minerve, des temples de Posidonia, de Coré et d'Agrigente : ce sont des colonnes cannelées (3), à seize can- nelures creuses, hautes de sept diamètres et un cinquième, diminuées d’un dixième (1) Voyez pl. 64, fig: 4 ets. ] cinq coudées; la largeur, vingt-six; [a Hipénee dés co- (2) On retrouve ici l'emploi des mesures Égyptiennes: Îonnes aux murs, sept; la hauteur totale, dix-huit. la longueur de la grande salle fait à fort peu près vingt- (3) Voyez pl. 64,Jig. 4, 51 6 DE L'HEPTANOMIDE. CHAP. XVI 29 au sommet ; enfm pareilles aux colonnes de l’ordre Dorique Grec, au chapiteau près, qui a la forme d’un abaque ou taïlloir. Ainsi voilà encore un ordre Grec emprunté à l'architecture des bords du Nil, comme l’a été ensuite l’ordre Corin- thien, puisé dans les colonnes ductyliformes de Égypte (1). Ce seroit une grande erreur que de regarder lanalogie de ces colonnes avec celles de l'ordre Dorique Grec, comme l'indice d’un ouvrage appartenant aux Grecs eux-mêmes. Ces colonnes font partie d’un monument couvert d'hiéroglyphes et de peintures, dont le style est tout pareil à celui des hypogées de Thèbes, de Lycopolis et d'Elethyia, c'est-à-dire qu’elles présentent les mêmes défauts de pers- pective et de dessin que les bas-reliefs Égyptiens présentent par-tout et dans tous les temps, parce que les formes des figures humaines étoïent consacrées. Les Grecs et les Romains ont construit en Égypte, mais suivant le style de leur architecture, comme on le voit à Alexandrie, à Antinoé, &c. Dans un autre quartier de l’'Hep- tanomide , ils ont creusé dans le rocher même, et ils ont fait un petit temple Dorique, où l'on ne trouve pas le moindre mélange du genre Égyptien : jen donnerai plus bas là description (2). Je dois faire remarquer ici les colonnes du premier portique. Leur plan est un octogone, et ce nombre de huit côtés est en rapport avec celui des cannelures de l'intérieur, dontil est la moitié (3);le chapiteau est un simple tailloir. Dans les carrières de Saouâdeh, dont je parlerai plus loin (4), j'ai trouvé une colonne aussi à huit pans, mais beaucoup plus large. Ce sont, avec les colonnes extrêmes du grand palais de Karnak, les seuls exemples que je connoisse, dans les monumens d'Égypte, de colonnes polygonales. | Les plafonds des hypogées de Beny-Hasan sont décorés de peintures comme les parois elles-mêmes. On y a représenté des étrusques, des enroulemens ‘et des méandres d’un dessin fort agréable. Le trait est rouge; les fonds sont symétrique- ment rouge, bleu et vert. Les fleurons et les bandes sont aussi revêtus de ces cou- leurs alternativement, de manière à bien se détacher les unes des autres. On a déjà fait remarquer, dans le tome [.° des Descriptions d'antiquités, que tous ces orne- mens avoient été puisés en Egypte par les Grecs et les Romains (5); mais, s'ils Jui ont emprunté ces dessins, ils n’ont pas su dérober en même temps le secret de leurs couleurs inaltérables. Aujourd’hui les peintures Égyptiennes ont conservé leur vivacité première, et l'on ne trouve presque plus de vestiges des anciennes peintures Grecques. Je passe à la description de plusieurs sujets représentés sur les faces des cata- combes ; la plupart sont des scènes familières qui rappellent celles d'Elethyia. Dans une bande de figures qui représentent des gens de la campagne, on voit la moisson à la faucille, suivie du battage du grain, au moyen de quatre bœufs qui foulent le grain aux pieds; un jeune homme rassemble, à mesure, la paille qui n'est pas battue; les travaux sont inspectés par un gardien (6). Le labourage à la (1) Woyez la Description d'Edfoû, 4. D, chap, V, (4) Pag. 39. pag. 8 et 19. (s) Voyez la Description de Thebes, A, D. chap, 1X, (2) Voyez ci-dessous, pag. 41. 4 pag. 324, section X, description des hypogées. (3) Voyez pl. 64, fig. 4 et 7. (6) Voyez pl. 65, fig. 2. 3 0: DESCRIPTION houe et le labourage à la charrue sont représentés plus loin, et au-delà encore sont deux hommes qui paroïssent occupés à battre quelque espèce de grain avec des cordes épaisses ou de grosses tiges flexibles (1). L'usage de la faucille est une chose qui mérite d’être remarquée ici : je ne puis conjecturer ce qu'est l'instrument que porte un homme placé entre la moisson et le battage; la forme est un grand demi-cercle, avec des carreaux tracés par- dessus. Derrière la figure est un âne sellé d’une simple couverture, et qui semble occupé à brouter. Je dois citer ici les représentations de deux barques. Dans la première, sept personnages religieux accompagnent une momie couchée sur le lit funèbre, et qui passe le Nil ou un canal : deux matelots dirigent le navire, au moyen de deux grands avirons suspendus à des mâts, et ils manœuvrent avec des cordes (2). Dans l'autre, qui est beaucoup plus grande, on remarque une grande voïle carrée (3). La vergue est tout au haut du mât, dans une position horizontale ; le mât même est soutenu par deux grandes cordes et par des haubans, consistant en dix cordes inclinées , dont cinq passent sur le mât et cinq par-dessous : par un vice de perspective, elles se trouvent toutes dix dans la même direction (4). À Elethyia, les barques à voile carrée n'ont pas de haubans, ou ceux-ci ne sont composés que de deux cordes. Neuf jeunes gens assis sont armés de rames, deux autres pa- roissent occupés à serrer ou lâcher les cordes inférieures de la voile, sous la direc- tion d’un matelot, pour mettre la voilure dans la direction du vent. Trois per- sonnages à la poupe plongent dans l'eau des rames beaucoup plus longues, ou des avirons qui paroissent faire les fonctions de gouvernaïl. Au-dessus de tous, le pilote balance dans ses mains deux cordes attachées aux bouts de la vergue, et l'on distingue la manœuvre dont il est occupé. On trouve encore dans ces pein- tures la représentation des barques en papyrus ou en jonc. | Dans la grotte principale, au-dessus d’une porte, j'ai découvert de véritables scènes de gymnastique, chose dont je n'avois vu nulle trace dans les hypogées, ni dans les temples ou les palais, bien que, d'après un passage d'Hérodote, il y eût en Égypte des exercices appelés jeux gymnigues, en usage dans la ville de Chemmis {$). Les deux personnages ou plutôt les deux partis qui luttent ensemble, sont représentés ici dans toutes les postures imaginables ; leurs membres se croisent dans tous les sens. La variété des attitudes est telle, qu'on doit croire que les Égyptiens étoient très-familiers avec ces jeux, ou bien que l'artiste s'est laissé aller à son imagination (6). Les deux lutteurs sont distingués par les couleurs rouge et noire ; il semble que l'avantage reste toujours à la première. On sait que c'est par la couleur rouge-pâle que les Égyptiens se désignoient dans leurs pein- tures. Je n'ai point compté le nombre de ces groupes ; mais je me rappelle qu'il est très-considérable : jen aï seulement dessiné huit pour en donner une idée. (1) Voyez pl. 65, fig. 2°. (s) Herodot. Hisr. liv. 11, ce. 91. I faut lire, dans cet (2) Ibid. fe. 4. auteur, ce qu’il dit de l’origine de la célébration des jeux (3) Ibid. fe, 2. , : gymniques à Chemmis. (4) C'est par erreur que, dans la gravure, il y a six (6) Voyez pl. 66, fig. r- cordes dessus et quatre dessous, DE L'HEPTANOMIDE. CHAP, XVI. Zi Plusieurs des poses peuvent passer pour des tours de force assez extraordinaires. On voit là une sorte d'essai de perspective dans le dessin ; maïs il faut bien remarquer que les scènes sont purement civiles, et n’ont aucune connexion avec les sujets religieux. Apparemment Fartiste avoit un peu plus de liberté dans ces sortes de compositions. Woyez, ci-après (1), la description d'un autre exercice de gymnastique. à Plus loin on voit une leçon de danse et d'équilibre, où le maître et l'élève ont des attitudes pleines de justesse (2). Ailleurs on remarque encore des groupes d'hommes faisant des tours de force et d'équilibre , et d’autres luttant avec un bâton. Il faut se souvenir que, suivant Diodore de Sicile, Hermès inventa la lutte et la danse, et fit concevoir guelle force et quelle grâce le corps humain peut tirer de ces deux exercices (3). Dans un autre endroit de l’hypogée, j'ai dessiné une chasse aux gazelles que les chasseurs poursuivent à coups de javelor, suivis par des lévriers tenus en lesse ; scène toute pareille à celle que j'ai vue en réalité dans le désert et presque dans le licu même, lorsque je visitois les tribus Arabes qui parcourent la montagne Libyque, et qui se servent également du seloug ou lévrier (4). J'ai remarqué ailleurs une musicienne pinçant d’une harpe à sept cordes (s). Une scene représente le supplice de la bastonnade, où le patient est couché sur le ventre, un homme lui tenant les pieds et un autre les bras, tandis qu'un troisième le frappe (6). Le spectacle est tel qu’on le voit Journellement au Kaire. On observe des figures d'animaux, de plantes et de fleurs : je citerai seule- ment un hippopotame, un ibis et un autre oiseau perchés sur des lotus (7); Des offrandes, où sont rassemblés des oignons, des feuilles de bananier, des vases, &c., et des hommes portant différentes plantes difficiles à qualifier (8) Une sorte de guéridon , où l’on voit sortir de feuilles semblables une tige d’ananas : du moins, le fruit et la feuille ont avec cette plante quelque ressem- blance (9); Des arbrisseaux, que l'on croit représenter des cyprès, &c. (10); enfin des chasses d'oiseaux, la pêche, &c. Je citeraï, parmi les instrumens, le dessin d’une balance différente des autres pour son extrême simplicité, et celui d’une enclume {1 1). > Les ornemens des plafonds sont très-variés, comme je l'ai dir: il y en a de très-riches, et aussi de simples, maïs réguliers ; ceux-ci consistent en carreaux ayant un fleuron en dedans ou une perle dans les angles (12) (1) Page 38. les Arabes de l'Égypte moyenne, Ë. AT, tom. 1, pag. 565. (2) Voyez pl. 66, fig. 2. : (5) Voyez pl. 66, fig. 9. (3) Diod. Biblioth, histor. Kiv. 1, pag. 10, etliv. v, (6) Ibid. fe. ro, Ce sujet curieux se retrouve dans les pag. 236, traduction de l'abbé Terrasson. Cependant, par hypogées de Thèbes. Voyez la description des hypogées, une contradiction qui demanderoit à être expliquée, le 4, D, chap, IX, pag. 231. même Diodore prétend ailleurs que l’art de la lutte ne (7) Voyez pl. 66, fig: 15. s’enseignoit pas en Égypte, parce qu’il donnoit auxjeunes (8) Ibid. fig. s ec 6. gens une force passagère et dangereuse (Liv. 1er, p. Si). (o) Ibid. fig. 7. Peut-être dans ce dernier passage est-il question d’une (10) Ibid. fig. 7. époque particulière de l’histoire d'Égypte. (11) Ibid. fig. 8 et 13. (4) Voyez pl. 66, fig. 3 et 4, et les Observations sur (22) Ibid. fy, 12 et 16, 3 2 DESCRIPTION Les frises sont décorées de faisceaux qu'on a comparés à des fers de lance, mais qui représentent des plantes bien certainement. Il seroit aisé de faire ici une foule de rapprochemens curieux, soit avec les historiens, soit avec l’état actuel des usages de l'Égypte : maïs le lecteur instruit pourra y suppléer aisément; et les bornes de cet écrit ne me permettent pas d'ailleurs de m'étendre davantage. Je finirai cette description succincte des hypogées de Beny-Hasan, en observant que l’on trouve des débris de momies dans la grotte principale ; ils ont été extraits d'un puits qui est à côté de la grande salle, C’est un fait qui prouve que ces distributions souterraines ont servi de catacombes, SIN RUINES à el-A’nbagé ou Medynet Däéoud, et aux environs ; Hayt el-A "gouz, Ÿ'c. LE nom d'e/A'’nbagé (1) est donné à des ruines inconnues et d’une étendue fort considérable, situées dans la plaine de la rive gauche du Nil, en face des grottes sépulcrales de Beny-Hasan, entre le village de Koum el- ZA et celui de Menchât-Da’hes. La longueur totale de cet espace depuis Koum Beny- Däâoud, au nord, jusqu'à l'extrémité sud , Na pas moins de cinq mille mètres. Trois buttes élevées se remarquent dans cet intervalle; le terrain qui les sépare, quoique moins exhaussé, domine encore sur la plaine, et il est recouvert lui- même de décombres et de débris : de temps en temps on aplanit une partie de cet espace, et la culture s'en empare. Il est donc permis de croire que toutes ces ruines étoient liées ensemble, et ne formoient jadis qu'une seule enceinte habitée. ; El-A’nbagé porte aussi le nom de Medynet Däoud (2) ou ville de David, et les ruines du nord ont aussi le même nom, Xowm Beny-Däoud, où butte des enfans de David; ce qui semble annoncer une haute antiquité, comme tous les endroits qui portent le nom de Joseph. Les Arabes ont toujours donné des noms pareils aux anciennes villes ou aux ouvrages de l'antiquité Égyptienne. | Aujourd'hui la grande route passe par le milieu de ces ruines, qu'on traverse pendant plus d’une heure, sans rencontrer un seul village. C'est là que les Arabes se tiennent quelquefois pour attaquer les voyageurs : aussi ce passage étoit regardé comme dangereux. La plus étendue des buttes de ruines est celle du sud: on y trouve beaucoup de pierres taïllées, et des briques cuites , d’une grande dimension. J'ai vu un mur, enfoui bien avant sous les décombres, large d’un mètre et demi; il est bâti très-solidement, et formé avec ces grandes briques. À mesure qu'une colline s’abaïsse et que linondation atteint jusqu'au sol {ce qui arrive par l'exhaus- sement croissant du fond du Nïül), on y introduit la charrue, on ensemence, et les ruines disparoïissent. | (1) Lusll Le mot s'écrit aussi Las] e-4’nbagyé. (2) 3,5 aigue DE L'HEPTANOMIDE. CHAP, XWI. 25 Un assez grand canal, qui a des levées très-hautes, arrosoit autrefois le pied des décombres; il est aujourd’hui comblé. Les habitans regardent ces levées comme une partie des ruines; maïs il est visible qu'elles appartiennent à un ancien canal: elles ont servi depuis à former la digue de Menhary. La grande digue, surnommée élue, ou gesr eLazrag, qui passe par Garris, Men- tout, et se prolonge jusqu'au canal de Joseph, prend son origine à cette butte du . midi. Une autre butte, au nord, porte le nom de Cheykh Etmän el-A ‘nbagäouy ; elle est élevée de cinq à six mètres : il s’y trouve une grande quantité de poteries brisées. Enfin, plus loin encore vers le nord, et à l’extrémité des ruines, est la butte appelée Koum Beny-Däoud, dont j'ai parlé. On y trouve beaucoup de ruines en briques cuites, et des débris de vases, &c. Quoiqu'il ne reste pas de monument conservé dans cet emplacement, on ne peut méconnoître dans tous ces vestiges une ancienne position. Outre que le nom de Medynet est toujours donné par les gens du pays aux villes de l'antiquité, il y a encore ici d'autres motifs pour le penser. D’après la remarque générale que j'ai eu occasion de faire plusieurs fois, à côté d’une ville ancienne on est sûr de trouver, dans la montagne voisine, des carrières et des catacombes ; et réciproque- ment, dès qu'on trouve quelque part des hypogées, c’est le signe d’une ancienne ville placée dans le voisinage. Ceux de Beny-Hasan doivent donc avoir appartenu à quelque grande ville des environs ; et comme les ruines de Beny-Hasan le vieux sont trop petites pour répondre à l'étendue et à importance de ces catacombes, que l’espace compris entre la montagne et le Nil est lui-même trop étroit pour qu'il ait pu jamais renfermer une ville un peu étendue, j'en conclus qu'il faut chercher celle-ci, en face de la montagne, là même où sont les ruines de Medynet Däoud. x Je conjecture que c'est 1à qu'étoit située Zheodosioupos , dont il est fait men- tion deux fois dans la Notice d'Hiéroclès, parmi les dix villes principales de la Thébaïde inférieure et de l'Arcadie. On à cru que cette ville étoit au même endroit que Tahà el-A’moudeyn; maïs, ainsi que je l'ai dit dans la Description d'Aermopolis magna (1), ily a très-peu de vestiges dans cet endroit, qui est beaucoup plus au nord, et qui probablement correspond à /beum. Comme on, n’a donné aucune position convenable à Theodosioupolis , et que les ruines de Medynet Dâoud, Jusqu'à présent inconnues , répondent d’une manière satisfaisante à l'emplacement que demande Hiéroclès, je croïs pouvoir conjecturer avec vraisemblance que là étoit la ville de Théodose. ; | D'un autre côté, 7 heodosioupols est une dénomination récente, qui a été imposée à l’ancienne ville Égyptienne. C'est ainsi que sous Arcadius, fils de Théodose le Grand, l'Heptanomide prit le nom d’'Arcadia. M resteroit donc à découvrir le nom antique de l'endroit; mais.la géographie n’en fait aucune mention, à moins que ce ne soit la ville appelée Zi: dans la Notice de l'Empire, et dont on ignore la place. Les Romains y entretenoient un poste de Bretons (2) Au reste, le (1) Voyez À, D. chap. XIV, pag. rr. (2) Ala quarta Britonum sui. (Notitia utr. imper. pag. 90: ) A. D. 3 4 DESCRIPTION village de Brrbé, qui est éloigné de six mille mètres à l'ouest, annonce, dans ce quartier, un temple Égyptien : or on sait que € ‘est le propre nom de ces anciens édifices. Au sud-est des ruines d’el-A’nbagé et près de Menchàt Déhes, ‘au bord du fleuve , il y a une butte peu élevée, qu'on appelle Benchihé (1): on y trouve des tronçons de colonne en pierre calcaire, des débris de poteries, des restes de murs en briques crues. L'étendue est de quatre ou cinq cents mètres. Les cheykhs m'ont dit que, de mémoire d'homme, on n'y avoit point vu d’habitans. Les briques cuites, de petite dimension, qui s'y rencontrent, annoncent pourtant un village moderne. | Bäggy Solymän (2), butte de ruines, peu élevée, à l’ouest de Koum Beny-Däoud, où l'on trouve des ruines de briques. Nahäleh (3). Quelques ruines entre el-Birbé et Koum Beny-Dâäoud, à l'ouest. Koum Naouâgeh (4), butte de ruines, à huit mille mètres au nord-ouest de Koum Beny-Dâoud, à l’ouest de Beny-Mouseh. | Koum Mousmär (s), butte de ruines, au sud de Beny-Khyär et du canal de Joseph, d’une étendue de quatre cents mètres, couverte de briques cuites et de pierres calcaires, et que les habitans regardent comme les restes d’une ancienne position. Koum el-Ahmar (6), ruines sur la rive gauche du canal de Joseph, en face de Beny-Khyàr; on ny.trouve que des briques et des DOtses brisées. Les cheykhs rapportent qu'un bey a rompu de grandes pierres qui s'y trouvoient, pour les convertir en chaux; que ce lieu est très-ancien, et qu’il est inhabité depuis plusieurs générations : il confine aux sables de la chaîne Libyque. Hayt el-A’gouz (7). Au bout des ruines précédentes, vers le sud-ouest, on trouve un mur bâti de briques crues de grande dimension, comme celles dont se ser- voient les anciens Égyptiens; il a près de deux mètres d'épaisseur. Ce mur est en partie caché dans les sables. On l'appelle Hayt el-A'gouz [muraille de la vieille]. Un peu plus loin, et près d’une sorte de bassin ou d'étang qui reçoit les hautes eaux du canal et qui a mille mètres de long, est une seconde muraille de la même construction que la première; sa hauteur est de quatre mètres; son épaisseur de 1°,3 : les briques ont trente-trois à trente-cinq centimètres (8) de long, seize à dix-huit centimètres (9) de large, et quatorze centimètres (10) de hauteur; elles sont placées de champ et à plat, alternativement. I paroît qu'il y a eu en cet endroit une enceinte antique ; et l’on peut même conjecturer qu’elle servoit de digue pour rassembler les eaux de inondation. Il en reste trois faces, l’une longue dé vingt mètres, les autres de dix; le reste est abattu ou enseveli sous les sables. Au rapport des cheykhs, il y a encore d’autres murs pareils, plus avant dans le (1) Lis OBS @) ol le (SN Les (3) le (8) Douze à treize pouces. (4) als Fe (9) Six à sept pouces. (s) slwe ps (19) Cinq pouces. DE L'HEPTANOMIDE. CHAP. XVI. 2 $ désert. : on leur donne à tous le même nom de Hayt el-A’gouz. Cet endroit, qui est d'ailleurs, dans toute la vallée depuis Memphis jusqu'aux cataractes, un des points les plus éloïgnés du Nï (1), est à un niveau inférieur, et sans doute il y a toujours été : C'est pour cela que les hautes eaux y parviennent et y‘séjournent. On les y conservoit sans doute toute l’année au moyen de la digue, soit pour abreuver les habitans, soit pour l'irrigation de quelques terres. Les Arabes, qui con- noissent bien l'avantage de cette position, y viennent aujourd'hui en grand nombre pour abreuver leurs chameaux, leurs chevaux et leurs bestiaux. Il m'est arrivé de tomber inopinément dans un camp Arabe, pendant que j'observois ces murailles antiques. Koum el Amar, autre butte au-dessous d'Abou-Ya’qoub, au nord de la précé- dente, où lon trouve beaucoup de murs en briques, encore debout, construits par assises réglées et avec soin, et des cintres ruinés, également en briques. Les cheykhs lui donnent le nom de Beled-Koufiy, ville de païens ou d’infidèles; ce qui an- nonce une origine ancienne. On ne se souvient pas dans le pays d'y avoir vu d’ha- bitans. Il paroît que ce lieu a été incendié. On peut remarquer ici que sur les bords du Bahr-Yousef, wès-ancien canal, il existe un ancien lieu nommé Abou-Ya'goub, et à quelque distance un autre appelé Beny-Däqud : ainsi des positions du nôm de Jacob, de Joseph et de David, se trouvent-rassemblées dans un espace de douzé mille mètres. Or ces noms ont toujours été imposés par les Arabes aux anciens ouvrages de l'Égypte : il est donc probable que ce quartier a renfermé autrefois des monumens d’une époque reculée ; maïs ces monumens ont disparu, et Ja culture a presque effacé jusqu'aux vestiges. à RUINES et HYPOGÉES à Zâouyet el-Mayeteyn, et aux Environs. ZÂOUYET EL-MAYETEYN est un village situé à huit mille mètres au sud-est de Minyeh. Son nom signifie w{lage des morts (2). Sur la rive droite du Nil, un peu au sud, est une grande hauteur couverte de ruines, appelée du nom banal de Xoum el-Ahmar, ou la Butte rouge; dénomination qui provient de la couleur des éclats de vases dont les décombres sont couverts. Ces ruines sônt situées au pied de fa chaîne Arabique, et baïgnées par le fleuve ; la longueur est d'environ sept cents mètres, et la largeur, de trois à quatre cents. Au milieu des poteries brisées, il y a beaucoup. de morceaux d’albâtre poli, provenant d’anciens vases. En général, on voit dans les ruines beaucoup d’albâtre travaillé. II faut remarquer que la ville appelée Albastra étoit à peu près À la hauteur de cet endroit, dans le désert qui sépare le Nil de la mer Rouge (3). Du côté du fleuve, il reste beau- coup de murs de briques bien conservés. Ces briques sont crues et de grande (1) I y a quinze mille mètres de ce point à celui endroit, le débordement y avoit amené beaucoup d’eau. du Nil qui est Le plus rapproché! Ces bassins pouvoient (2) Zäouyeh veut dire proprement oratoire ou petite servir utilement, quand le canal étoit à sec, ou qu'il mosquée. Voyez plus bas, pag. 66. avoit ses eaux très-basses. L'année où jai visité cet (3) Voyez ci-dessous, pag, s2. AND: 15 2 36 DESCRIPTION dimension, comme toutes celles qui sont l'ouvrage des anciens Égyptiens. On reconnoît dans tous ces débris les restes d’une bourgade Égyptienne, et, en consi- dérant la montagne percée de grottes et d'hypogées , on en est pleinement convaincu. Au nord du village, il y a une autre butte de ruines appelée Koum el Akidar |) ou la Butte verte, moins étendue que la première, mais où j'ai trouvé aussi une grande quantité d'albâtre travaillé, de débris de vases et de poteries, et de murs de briques encore debout. Il ne faut chercher dans ce nom aucune allusion à l’état ancien: il n'a été donné à cette ruine que par opposition avec l'autre. La montagne d'Arabie est à pic, en face de Koum el-Ahmar. C’est sur cette façade escarpée qu'on a pratiqué, à toute hauteur, des excavations et des hypogées qui ont ensuite été revêtus de bas-reliefs. Ces sculptures sont pleines d'intérêt : la plupart ont trait à l'agriculture; quelques-unes se rapportent à la navigation, d’autres à des cérémonies religieuses. La principale de ces catacombes est composée de trois pièces, toutes décorées de sculptures qui retracent des scènes domestiques. Dans la première salle, sont quatre colonnes et deux piliers : sa longueur, qui fait la largeur de l'hypogée, est de treize mètres; la profondeur totale est aussi de treize mètres. Dans la pièce du fond sont des figures assises, taillées dans le roc, mais beaucoup dégradées. Un des habitans m'a dit que cette grotte sépulcrale s'appelle Æstaël-A'ntar, nom que nous avons vu appartenir à une carrière placée fort loin au midi (2). On remarque dans la première salle, sur la face qui regarde le fond, des bas- reliefs extrêmement curieux, et dont les sujets ne se voient pas parmi ceux d’Ele- thyia, de Thèbes et de Lycopolis; les figures d'animaux et même plusieurs figures d'hommes sont dessinées avec fermeté et un style un peu plus correct qu'ailleurs. Devant des charrues attelées de bœufs, deux jeunes gens portent de grands paniers qui renferment probablement la semence (3). Des troupeaux de chèvres se rendent au pâturage; ils sont conduits par des hommes qui ont à la main un fouet, fait d’une corde tressée (4). Daus une ligne au-dessous est la récolte du lin, autant qu'on peut en juger par la hauteur des tiges récoltées, et par analogie avec la scène semblable d'Elethyia {$ ). En avant est un homme assis à terre, les yeux fixés sur un pupitre que soutient une table ba$se (6). Ce pupitre est incliné ; il porte sans doute un manuscrit, d’après la scène qu'on voit représentée plus bas. Au bout de la table, il y a des ta- blettes en étage, où l’on croit reconnoître des vo4men. Cet homme paroît exami- ner le compte de la moisson. Au-dessus de lui est une autre figure accroupie, qui a les mains sur un vase {ou peut être une mesure) qui repose sur une sorte de caffas (7). L’attitude du personnage qui est debout, derrière les deux figures assises, (1) sos Yl pre (5) Voyez pl. 68, fig. 14. (2) Voyez ci-dessus, pag. 02. (6) Jbid. : (3) Voyez pl. 68, fig, 17. (7) Cage faite de branches de dattier. (4) Ibid. DE L'HEPTANOMIDÉ. CHAP. XVI. 37 annonce le geste de l'affirmation : je conjecture qu’il est le compteur de la récolte, et qu'il affirme ce compte aux écrivains chargés d’en tenir note (r). La moisson occupe sept personnes. Derrière elles, deux hommes acCroUpIs paroissent occupés à teiller le in (2); ce sont sans doute des bottes de lin qui sont accrochées au-dessus de leurs têtes. Plus loin, six figures sont encore DE à la récolte; mais cette partie est beaucoup endommagée, On ne peut reconnoître si les moissonneurs sont armés d’une faucille. Tout annonce qu'ils travaillent dans un champ de lin représenté par une bande qui a plus de la moitié de la hauteur d'un homme; maïs on se demande ce qu'est une bande de moitié moins haute, qui est en arrière de la première (3). Au-dessous est un tableau analogue à celui que je viens de décrire. Deux écrivains sont occupés à écrire le compte du grain; sur des tables à jour, paroît être placé linstrument de mesure (4). Derrière est une pyramide tronquée, ou meule, qui représente le grain ou peut-être les gerbes amoncelées : un homme est dans l'attitude de puiser dans la meule; deux autres tiennent des gerbes dans Îa main : celui que j'appelle le compteur, examine toute la scène {s). Plus loin, sept hommes sont en marche, et vont d’un pas accéléré; ce que Fartiste a très-bien rendu : ils portent sur l'épaule gauche une sorte de grande besace à deux poches, et sur la droite un bâton, Ils paroïssent revenir du marché; ce qui le confirme, c'est qu'ils conduisent des ânes sans fardeau, portant seulement une double cou- verture, L'étoffe de la couverture est rayée, et elle rappelle entièrement les bardelles ornées dont on fait usage aujourd’hui en Égypte (6). Par leur taille et leur enco- lure, ces ânes appelant aussi la belle race qui existe aujourd'hui dans le pays. On saït ae les ânes d'Égypte sont renommés pour leur légèreté, leur vigueur et leur vitesse. On admire la beauté de leur poil, la finesse de leurs jambes, et la hauteur de leur taille. Ces qualités appartenoiïent à ceux de l’ancienne Égypte , comme le prouvent les bas-reliefs de Zâouyet el-Mayeteyn. Le sculpteur s’est attaché à dessiner les formes de ces animaux, d’un style ferme et bien caractérisé. J'auroïs dû remarquer aussi le mérite de la sculpture dans les autres figures d’ant- maux, tels que les chèvres et les bœufs représentés dans ces mêmes bas-reliefs (7). Une autre preuve que les hommes dont j'ai parlé tout-à-lheure reviennent du marché, c'est qu'ils se rencontrent en chemin avec d’autres paysans qui con- duisent des ânes chargés de paniers. On remarque que ces ânes ont des tailles différentes, et que leurs paniers sont en proportion. [| paroît que les paniers sont faits en geryd ou branches de dattier entrelacés : leur forme paroît calculée pour contenir le plus de denrées possible, sans crainte que la charge ne verse, le centre de STRDre étant peu au-dessus de l'animal ; cependant deux hommes semblent occupés à maintenir un de ces paniers en Sie (8). Sur une autre face de cet hypogée, j'ai dessiné une marche de gens de la (1) Voyez pl, 68, fig. 14. (s) Voyez pl. 68 , fig. 15. (2) /bid. (6) ibid. (3) Zbid. Cet endroit n’est pas distinct dans Ja grae (2) Ibid. fig 17. vure, parce qu'il n'a pu être dessiné complètement. (8) Lbid. fig. 15 (4) Voyezpl, 68, fig. 15. \ 3 6 DESCRIPTION campagne chargés de tiges de lotus qu'ils supportent de la main droite, tandis que de la gauche ils jouent de la flûte (1). Ailleurs, il y a une scène qui représente un marchand d'oies : ces volatiles sont dans une cage basse, comme celles qu’on voit dans nos marchés: il vient d’en tirer deux pour les vendre (2). Devant lui est une scène dont je n'ai pu malheureusement copier qu'une partie ; elle paroît relative à des exercices de gymnastique. Un homme placé dans une attitude penchée paroît tenir avec effort une corde élevée à la hauteur de sa poitrine ; par-devant cette corde est un jeune homme les bras étendus, qui semble prêt à sauter par-dessus, sans élan (3) : le premier a une ceinture nouée sur les reins, qui devoit avoir, sans doute, quelque usage dans les jeux; derrière, est celui qui paroît présider aux exercices. On voudroit reconnoître distinctement le meuble qui est placé derrière le jeune élève, avec une perche appuyée dessus : peut-être est-ce un siége pour le président des jeux, peut-être un instrument de gymnastique ; trois petites boules qui le surmontent, feroient pencher pour la seconde conjecture (4). Ces tableaux, rapprochés de ceux que j'ai décrits à Beny-Hasan, confirment l'existence des jeux publics chez les Égyptiens, que Diodore et Hérodote avoient fait connoître un peu vaguement : cette remarque est importante, et l'on aura occasion d'y renvoyer. Il y a, dans le même hypogée, une barque d'un genre fort curieux : elle a la forme ordinaire des bateaux : maïs elle est tout arrondie, et n’a aucune partie en ligne droite; ce qui annonce qu'elle n’est pas en bois de charpente : dans toute la longueur sont des liens en travers ($). Cette forme paroît retracer ces barques en tiges de papyrus entrelacées, décrites par Théophraste et par Pline (6); ou bien les bateaux actuels qu'on fait avec des roseaux ou avec des Joncs , seule- ment pour traverser le Nil. Quelques cassures empêchent de reconnoître ce que la barque renfermoit; mais on trouve au-dessous d'elle quelque chose de curieux pour l'histoire de l’ancienne Flore d'Égypte. On y a représenté les zigzags qui expriment l'eau, comme on le saït : au milieu des eaux, nagent la feuille et la fleur du zymphæa cærulea , ou lotus azuré; la fleur est caractérisée clairement par ses pétales de forme lancéolée et de couleur d'azur. I n'est donc pas possible de douter que les anciens Égyptiens né connussent parfaitement cette espèce de nymphæa et lart de le soigner. Les hypogées de Zäouyet el-Mayeteyn ont été percés dans une face sets laire de la montagne. [l'y en a un tout-à-fait au sommet, au-dessus de tout endroit accessible: il est difhicile de deviner par où l’on est monté pour le creuser. Les catacombes ne sont pas les seuls travaux que les Égyptiens aïent faits dans cette partie de la montagne. Un peu au nord, la chaîne est remplie d’excavations et de coupures, restes d'anciennes carrières. L'exploitation a été conduite jusqu'à la crête, dans un rocher qui est presque tout-à-fait à pic: là, est un mur de briques (1) Voyez pl. 68, fig. 16. (s) Voyez pl. 68, fig. 18 (2) Ibid. fig, 17, (6) Theophr. de Planuis, lib. 1, pag. 54. Plin. Æise, (3) Tbia. nat, Kb. XIII, cap. tr. (4) DE L'HEPTANOMIDE. CHAP, XVI. 39 : crues, qui est à peu près parallèle à la direction de la chaîne; à peu de distance, il se perd dans le rocher sous les sables. Peut-être a-til eu pour objet de servir de rempart, comme le mur moderne construit à Torrah, ou bien de séparer deux territoires, ou enfin, ce qui est le plus probable , de clore la carrière. Le pied de la montagne est sillonné des traces nombreuses que les eaux plu- viales y ont formées dans leur chute. Quand j'y passai aux mois de janvier et de février, les sables étoient encore humides des eaux que les torrens y avoient apportées dans le mois de décembre précédent. C'est près de Zäouyet el-Mayeteyn que les habitans de Minyeh viennent enterrer leurs morts ; de là le nom que porte ce village : maïs on n'y voit que des tombeaux musulmans. Les Chrétiens ont les leurs près de Saouâdeh, dont les an. tiquités sont l'objet du paragraphe suivant. $. XIIL. HYPOGÉE d'architecture Dorique et CARRIÈRES anciennes à Saouädeh, ENTRE Koum el-Akhdar dont j'ai parlé ci-dessus, et le village de Saouâdeh, qui en est à deux mille cinq mètres au sud-est, sur la rive droite du Nil, il y a une longue suite de carrières qui méritent ici une mention. En effet, les Égyptiens ont exécuté dans toute cette montagne une multitude de travaux que les voya- geurs n'avoient pas décrits jusqu'à présent. Dans toute sa hauteur, et pendant deux mille mètres, la chaîne Arabique ne présente que des coupures énormes. Ces carrières, les plus étendues peut-être qu'il y ait dans toute l'Égypte, doivent avoir fourni une immense quantité de pierres, car on reconnoît aisément que le haut de la montagne s’avançoit beaucoup plus vers le Nil. Toute la partie antérieure a été enlevée , et la face actuelle est bien en arrière du pied de la chaîne, auquel on n'a pas touché : cela explique comment le rocher est divisé maintenant en deux parties ; l’une à pic, l’autre formant un plateau peu élevé au-dessus de la vallée. La composition de la montagne est toute numismale ; Je plateau est couvert d’un sablon formé de coquilles de ce genre et de quelques autres espèces. Il y a un endroit où ces coupures présentent, vers le sommet, l'aspect d’un château fort, comme seroit le château du Kaire vu de loin : un large chemin mène du plateau à la crête, vers le centre de ces excavations. On ne voit par-tout que des blocs taïllés, qui ont été amenés des parties supérieures, ou qui en sont tom- bés par accident. Ce qui se distingue d'abord sur le plateau, ce sont trois mor. ceaux énormes de colonnes à huit pans, très-bien taïllées et achevées. Le plus grand de ces blocs est du côté de l’ouest: il a 2° + de diamètre, entre deux pans opposés ; Ce qui reste de sa longueur est de 9®=: la face qui repose sur le sable, est achevée comme les autres. Sa base inférieure, tournée vers le levant, est bien conservée ; l’autre bout est brisé, et l’on ne peut deviner ce que cette pierre gigantesque avoit de longueur (1) : cependant il n’est pas probable qu'elle eût (1) Voyez pl. 68, fig. 19 et 20. | 4 © DESCRIPTION moins de cinq diamètres, puisque la colonne octogonale de Beny-Hasan en a près de sept, et que toutes les colonnes des’monumens Égyptiens ont de cinq à six diamètres. Aïnsi cette pierre colossale étoit probablement longue de 12°+ (1); ce qui excède toutes les pierres monolithes en grès ou en calcaire, connues en Égypte. Il n’est pas difficile de conjecturer ce qu'est devenue l’extrémité supérieure du fût. En eflet, on voit quil a été exploité lui-même, comme une sorte de carrière, par les modernes habitans. Troïs grandes cavités rectangulaires se re- marquent à cette extrémité ; elles étoient destinées sans doute à recevoir des coins pour faire éclater le bloc {2) : ainsi c'est pour avoir des assises de cinq à six déci- mètres de haut, que les Arabes ont brisé et diminué de trois mètres cette grande colonne. | Peut-être aussi s’est-elle rompue par accident, et les efforts des Arabes pour en tirer des matériaux ont-ils été infructueux. Le rapport des gens du pays est que les autres blocs de même forme, et qui sont plus courts, faisoient partie de celui-ci ; ils sont couchés de niveau. À les voir les uns et les autres, on Jugeroit qu'ils ont roulé de la montagne ; c'est aussi ce que racontent les fè/4 : mais il est possible qu'après avoir été exécutés dans les parties supérieures de la montagne , ils aient été amenés par la maïn des hommes sur le plateau où on les voit. Au reste, ïl est certain qu'on ne les a pas extraits du rocher sablonneux où ils se trouvent à présent. Les autres morceaux qui ont été enlevés de la carrière, ont des dimensions non moins surprenantes : on en voit les places vides marquées dans le roc; j'aï cru même reconnoître le vide qu'a laissé la colonne octogonale. Tout le pic est rempli de travaux de cette espèce. Au nord de la carrière est un mur en briques, descendant du sommet de la montagne jusqu'au pied, rompu en plusieurs endroîïts, mais, en général, très-bien conservé ; il se continuoit peut-être jusqu'au Nil, quoïqu'on n'en voie pas de traces: il a quatre mètres de haut; son épaisseur est de 2°,1. Les briques sont placées alter- nativement à plat et de champ. On les a fabriquées avec une terre sablonneuse, où l'on a même laissé de gros grains de sable et de petits cailloux . il y. en a de très- grosses, d’autres plus petites. Quoique le travail ne soit pas fait avec un grand soin, il paroît cependant appartenir aux anciens Égyptiens. Son but étoit-il de fermer la rive droite et d'empêcher les communications du nord au midi! Dans ce cas, on en trouveroit des traces dans la vallée : mais, celle-ci étant d’une très-petite largeur, la culture peut les avoir effacées. Étoit-il destiné à fermer la carrière! On seroit porté à le croire, en considérant qu'au midi, précisément au bout sud de la carrière, il y a un autre mur semblable; cependant je ne déciderai pas entre ces conjec- tures (3). | Au nord du grand mur de briques, le rocher est coupé par un ravin qui paroît le lit d’un torrent. Sur deux paroïs du ravin, on voit saïllir de gros caïlloux, dont (1) Environ trénte-neuf pieds. “ (3) Voyez ci-dessus, pag. 34 et 39- (2) Voyez pl, 68, fig. 20. la DE L'HEPTANOMIDE, CHAP. XVI.  1 la pierre est comme criblée, et qui se détachent par leur couleur grise sur le fond blanc du rocher. On conçoit par-là quelle est l'action des eaux pluviales qui se précipitent du haut de la chaîne Arabique. J'ai souvent rapporté des faits analogues dans le cours de cette description, parce qu'ils n’ont pas été observés ou qu'ils sont peu connus, et même qu'ils sont contraires à une opinion reçue généralement. En s'avançant un peu au nord et sur le rocher même, on trouve le hameau nommé /Vazlet Saouädeh , dont les habitans sont partie Chrétiens et partie Musul- mans, livrés les uns et les autres à la fabrication du sucre. Les premiers yontun monastère et une église, et aussi des tombeaux, où tous les Chrétiens de bhurez et des environs déposent leurs morts, comme les RLSITENE vont le faire à Zäouyet el-Mayeteyn. La plaine cultivée s'étend j JE q au pied du rocher, qui la borde comme une muraille. C'est dans ce rocher qu'on a creusé un hypogée d’une espèce singulière, et comme il n’y en a aucun dans toute l'Égypte. Par son plan, il appartient à l’archi- tecture Romaïne, et rien n’annonce qu'il ne soit pas un ouvrage des Romains. Depuis, les Chrétiens l'ont employé à leur usage et converti en église. Le travail de ce monument souterrain est assez beau, et rappelle celui qui est près d’Alexan- drie, non loin des bains de Cléopatre. L'édifice est d'ordre Dorique; mais quelques moulures s’éloignent du style de cet ordre. Les tombes que les Chrétiens ont construites au dedans et au dehors, contrastent par la grossièreté de l'ouvrage avec l'exécution de toutes les parties. On entre par une allée basse, longue de cinq mètres, qui a sa porte sur un plateau taillé dans la montagne à mi-côte; on arrive aïnsi dans une cour dé- I couverte, environnée de colonnes, haute de 4° = environ jusqu'au sommet de la corniche, et de 8° + jusqu'au plateau supérieur du rocher. Contre l'usage des Hposée Égyptiens, # cour est à découvert. L'ouverture supérieure est un carré de $” + de côté {1). Après la cour, on entre dans plusieurs pièces longues et étroites, dont une est fermée par un petit mur d'une époque postérieure; au fond il y a encore, m’a-t-on dit, d’autres distributions. I devoit y avoir dix-huit colonnes dans cette espèce de péristyle ; maïs, malgré toutes mes recherches, je n’ai pu distinguer la place de celles du côté du nord. La plupart des colonnes sont tombées, et il en reste seulement les chapiteaux avec le haut du fût, qui semblent suspendus en l'air (2) Du côté de l'est, le rang des colonnes est remplacé par le petit mur qui ferme l'église. La frise est ornée de triglyphes; les profils, les murs, sont purement travaillés; il y a dans la corniche une doucine dont le galbe-est exécuté avec finesse (3). . Sur le côté du sud, le mur est percé de cavités basses et oblongues qui paroïssent avôir servi à déposer des morts. En avant, sous les galeries, les Chrétiens ont placé des tombeaux en briques, où il y a quelques caractères d'écriture effacés, que je n'ai pu copier. Ils se distinguent des tombeaux Turcs par la voûte qui les couronne. Les briques sont diversement arrangées (4). Les Chrétiens ont bäti plusieurs petites (1) Voyez pl. 68, fig. 1 et 2. (3) Voyez pl. 68, fig. 4. (2) Ibid. fe, 2, (4) Ibid. fig. ç a io, AD F 42 DESCRIPTION murailles qui empêchent d'abord de reconnoître le plan de l'édifice, autrefois très-symétrique. La seconde pièce oblongue est aujourd’hui ornée de trois tableaux peints à l'huile, mais à couleur plate et d’un dessin. grossier. L'un représente un saint que les Chrétiens appellent A4é Hour (1), et dont la tête est énorme pour le corps: il est difficile d'imaginer rien de plus grotesque. L'autre est S. George terrassant de sa pique le démon, qui est sous la figure d’un dragon et de couleur rouge d'écrevisse. Sa tête est entourée d’une gloire ; ses pieds posent sur de petits étriers Turcs. Le cheval est blanc et mieux dessiné. Dans le fond, sur la cime d’une mon- tagne, est un personnage debout et en prière. Les teintes sont aussi plates et mal fondues que dans le premief tableau; mais la composition est moins défectueuse. Dans la petite salle à gauche, on voit d’autres tableaux, dont lun représente la Vierge tenant son fils. Ce monument souterrain, d’une architecture étrangère à celle de l'Égypte, est important, en ce qu'il fait voir dans quel genre les Grecs et les Romains ont ext- cuté des travaux sur les bords du Nil; il prouve qu'ils y ont bâti.dans le style propre à leurs édifices, et qu'ils n’ont pas copié les monumens Égyptiens chargés d'hiéroglyphes. $. XIV. Minyeh, IBEUM (aujourd'hui Tahä el-A’moudeyn), et Environs. Mixer EBN KHASyM est aujourd'hui la ville principale de toute la pro- vince ; elle a succédé à Meyläouy, comme Meyläouy avoit succédé à Achmou- neyn, et Achmouneyn à Hermopolis. Elle doit cet avantage à sa situation sur le bord du Nil. On ne sauroit affirmer qu'il y ait eu dans cet endroit une an- cienne ville Égyptienne : cependant les hypogées de Zâouyet el-Mayeteyn et les carrières de Saouâdeh, qui sont presque en face, pourroient le faire présumer, d’après les motifs que j'ai développés plus haut; j'ajouterai que la ville renferme beaucoup de vestiges d’antiquités, principalement les mosquées, qui sont enri- chies de magnifiques colonnes en granit et en porphyre, et dont plusieurs sont d’un travail Grec très-soigné. On trouve aussi, dans les décombres qui sont vers l’ouest, des colonnes en granit rouge, d’une grande dimension. Enfin le Nil y est bordé de quais en briques, fort considérables, en partie détruits par les inondations. Si ma conjecture sur la ville qui étoit opposée à Beny-Hasan est fondée (2), celle que je présente ici est également vraisemblable, d'autant ‘plus qu'il y a assez loin d’el-A’nbagé à Minyeh, pour qu'il y aït eu en cet endroit une ancienne posi- tion sans un trop grand rapprochement de l’une à l'autre (3). {in El, l'abbé Hor où Horus. | est un mot générique, signifiant proprement mansio. Voyez les planches 4 ets, É. M. ste 1, représentant les (2) Voyez ci-dessus, pag. 33. vues de Minyeh. (3) La distance est de seize mille mètres. Minyel DE L'HEPTANOMIDE. CHAP. XVI. 43 Sur les bords du fleuve, il y a de grands quais en briques, dont on ignore l'origine : ils sont en partie détruits par les inondations. La population renferme un vingtième de Chrétiens, qui ont une église appelée Deyr Mary Girgeys, où de Saint-George. C'est à l'ouest de Minyeh, au milieu de la plaine, que se trouve le bas-fond connu sous le nom de Bathen, et que plusieurs modernes ont pris pour un canal antique, tandis que ce nest qu'une simple dépression du terrain, produite par l’exhaussement des rives du Nil et de celles du canal de Joseph. Ce bas-fond existe d’une manière continue , maïs très-irrégulièrement depuis les ruines d'Her- mopolis , où il prend les noms de Tera’t el-Glhouetah et Tera’t el Sebakh , jusque bien au-dessous de Minyeh, où on le nomme e/Dafa’ (1). Tantôt il a un ou deux -pieds d’eau, tantôt la moitié ou moins, suivant les localités. Sa largeur est très- grande et sans limites distinctes. Pendant la plus grande partie de l'année, il est à sec; dans les hautes eaux, il devient sensible : maïs il a plusieurs branches, et non un lit unique et tracé. Rien n’est donc plus mal fondé que la supposition du P. Sicard, qui voulut y trouver le lac de Mœris, et qui trompa d’Anville par sa relation, Comme le même effet a lieu par-tout où existe le canal de Joseph, ce voyageur vit aussi aux environs d'Ahnäs et peu loin de Beny-Soueyf une flaque d’eau qui lui parut la tête de cet ancien lac. Les habitans donnent le même nom de Bathen (2), ou plutôt Bätin (3), qui veut dire sntérieur, À tous ces bas-fonds: il s’imagina que c'étoit un même canal qui venoit d'Hermopolis jusqu’à l’entrée du Fayoum. On voit combien il y a loin de là à un ouvrage des hommes, à un mo- nument de l'antiquité Égyptienne. Talleh, village à ouest de Minyeh, est entre deux basfonds de cette espèce. À la fin de l'automne et en hiver, on a de la peine à les traverser, quoique peu profonds, à cause de la grande largeur de l’espace où l’eau séjourne. Au- près de la branche occidentale, j'ai remarqué une ancienne construction en briques dures, dont il reste seulement un carré de cinq mètres de côté; les habitans la regardent comme antique : on lui donne le nom d’e/Khourfecheh : Vintérieur est arrondi en forme de puits. Un bey f'abattit en partie, persuadé qu’elle ren- fermoit de l'or. Koum el-Gyoukes (4), butte assez étendue et à l’ouest de Minyeh, sur la rive gauche du canal de Joseph, où l’on trouve des briques et des ruines anciennes : elle tire son nom d’un sel que l'on compare au natroun. | ; Cheykh ekA'skar (5), vestiges d’une ancienne bourgade à huit mille cinq cents mètres au nord de Minyeh. L’étendue des ruines est de trois cents mètres. Le sol est jonché de briques, d'éclats de vases, &c. J’y aï trouvé deux blocs de grès dur antique, d’une grande dimension , que les habitans ont employés pour faire des meules de moulin. (1) goll | G) wbL (2) C’est un nom générique, Ses habitans disent /es l bathen | el-baouâtin ol ]. Voyez le Mémoire sur le @ ue Eu lac de Mœris, À, tom. 1, pag, 104. (5) Las! é* At D. F à À À DESCRIPTION Tahä el-A’moudeyn (x), autrefois Zheum. Ce lieu étant mentionné dans la Des- cription d'Aermopols magna, je doïs y renvoyer le lecteur (2). Koum À’zeb (3), butte de ruine, élevées, à l’ouest de Tahà et sur la rive gauche du canal-de Joseph, où il y a des restes de muraïlles. Koum el Ahmar (4), grande butte, aujourd’hui couverte de sable, à l'ouest de Koum A'zeb, sur le bord du désert. Je la mentionne ici à cause du nom, qui est commun à toutes les anciennes ruines. Koum el-Daba'h (5) et Koum el-A’moudeyn (6), ruines au nord de Tahà el-A’mou- deyn. Koum eLHammäm (7) et Koum Talmé (8), deux buttes, dont la première est assez étendue , au nord de Tahà el-A’moudeyn. Les Arabes rapportent que toutes les buttes qui couvrent la plaine, sont de très-anciennes habitations. (1) we2l (5) «all es (2) Voyez A. D, ch. XIV, pag: rr. (6) Geo) ps Gore _ Dfi,e (4) 22 pe (8) Lee Le 45: DE L'HEPTANOMIDE. CHAP. XVI. SECTION Il. NOMUS CYNOPOLITES (1). Cerre préfecture , ainsi que la précédente avoit son territoire partagé entre les deux rives du Nil. Les villes principales qu’elle renfermoit, sont, Acons, Co, Cynopols, Muson, Hipponon, Alyi, Alabastrônpolis. paroît qu'elle le cédoit de beaucoup en importance au nome Hermopolite; du moins les ruines qu'on rencontre dans l’un, ne peuvent se comparer avec celles de l'autre. C’est dans la première de ces villes que j'ai trouvé les restes les plus dignes d’intérét. RSS ACORIS (aujourd'hui TeAneh). TEBNEH est un gros village Arabe, dépendant de la tribu des A’rayät, et placé sur la rive droite du Nil, à onze mille mètres au-dessous de Minyeh; il est bâti sur les ruines d’une ville qui paroît avoir été fort grande et correspondre à Acoris. Cette ville étoit assise sur le rocher même, au-dessus d’une belle plaine située dans une gorge que forme la montagne Arabique, et qui est l'origine de plusieurs vallons conduisant à travers le désert au nord et au midi; l'un de ces vallons est dirigé sur Ouädy el-Teyr (2). Les ruines forment une butte très-haute, Aücun monument entier ne s'élève au-dessus des décombres; maïs on aperçoit plusieurs parties enfouies, et qui annoncent des édifices encore debout et en place : je suis persuadé qu'avec un léger travail on viendroit à bout de découvrir des bâtimens bien conservés. Vers le sud-est, on remarque le dessus d’une porte Égyptienne , Saïllant hors des ruines de plus d’un demi-mètre , et encore à sa place; les cordons ou tores de la porte sont très-apparens. I y a, du côté de l’ouest, de grosses pierres de cinq à six mètres de long sur un mètre de large, bien polies sur les'quatre faces, et qui sont entassées les unes sur les autres : elles paroïssent avoir servi à des plafonds ou à des sofites. Plus loin, vers le nord, est une autre grande piérre polie, creusée au centre circulairement, ayant une gouttière sur un côté. Les décombres sont recouverts d’une multitude de pierres taillées : tous ces fragmens sont d'une pierre calcaire numismale très-dure et susceptible d’un beau poli. En avançant vers Îe nord, et en face du village (3), on trouve le reste de deux bâtimens; l’un présente beaucoup de pierres plus petites, qui paroïssent provenir (r) Je passe sous silence le nome Antinoïte, attendu que ce qui regarde ce nome a été traité dans [a Descrip- tion d’Antinoé. Voyez À, D. chap. XV. LA (2) 1! paroît que les Égyptiens bâtissoïent dans toutes : les gorges que forme la montagne Arabique, comme pour empêcher l’irruption des sables dans la plaine, ou pour fermer ces gorges contre les incursions des-pasteurs ; c’est SOS ; ce qui expliqueroit une partie des murs épais en briques crues que j'ai rencontrés et décrits fréquemment sur cette rive du Nil. Ailleurs j’ai exposé d’autres motifs qui ont «pu les faire construire, suivant les localités, ( Voy:z ci dessus, pag. 35, 39, 40, et ci-dessous, pag. 48.) (3) Voyez pl. 67, fig. 14. 46 DESCRIPTION de murs renversés: auprès est la base d’une colonne, dont le profil est le même que celui de la base attique; on voit encore ailleurs des vestiges d'architecture Grecque ou Romaine. Dans une fouille qui est à découvert, encore plus au nord, jai vu les fondations d’un mur abattu, formant un angle de la construction: les pierres étoient liées par des queues d’aronde : on ne trouve que la place des coins; ceux-ci ont disparu, et les habitans n'ont pu me dire s'ils étoient en fer ou en bois : il est probable qu'ils étoient de cette dernière matière, ainsi que ceux qu'on a retrouvés à Ombos et ailleurs. Le mur n'a que 0",6 d'épaisseur. Les ruines sont couvertes de débris de vases et de constructions en briques; ces briques sont crues pour la plupart. La longueur de l'espace que les ruines occupent est de huit cents mètres, et sa largeur, de sept cent cinquante : je n'y comprends pas le village de Tehneh, qui occupe sans doute une partie de l'ancien emplacement de la ville. Du côté du sud-ouest, la culture s’est aussi emparée d'une partie de cet espace. J'ai demandé à beaucoup d’habitans le nom que portoit cette ville; on ne m'en a pas donné d'autre que celui de Koum el- Amar, nom banal dont les felläh ont coutume d'appeler toutes les buttes de ruines Égyptiennes. Quelques- uns mont dit que cette ancienne ville avoit eu pour prince un certain Chent ou Clint, qu'ils comparent à Xhasym, prince de Minyeh. Quoi qu’il en soit, tout an- nonce que c'est là qu'étoit Acoris, ville du nome Cynopolite, selon Ptolémée. À la vérité, il lui donne la même latitude qu'à Cynopolis, c'est-à-dire, 28°. 30", tandis que Tehneh est à peine à 28° 12°; maïs on sait qu'en général les lati- tudes de Ptolémée ne peuvent être employées sans correction. Si, comme il le paroît, on doit placer à Samallout l'ancienne Cynopolis {1}, la ville d'Acoris étant en face, il faudroit, d’après cette position de Ptolémée, la chercher à peu près à Deyr el-Baqarah, où monastère de la Poulie ; mais il n'y a en ce dernier endroit, comme nous le verrons dans un instant, que des rochers escarpés et à pic sur le Nil. Au nord, ïl n'existe aucune ruine. | I faut donc se porter au sud, environ à dix mille mètres, où se trouvent les grandes ruines de Tehneh. Le rocher au pied duquel cette ville étoit bâtie, est escarpé dans beaucoup d'endroits ; le terrain cultivé se prolonge jusqu'au pied de cette sorte de mu- raille : tout autour il est percé de carrières, et de grottes sépulcrales qui ont été horriblement défigurées ; maïs, dans celles qui sont conservées, on trouve des sculptures qui offrent des sujets intéressans, et d’un relief plus grand que les bas-reliefs ordinaires. A l'entrée de la gorge de la montagne, vers Îe nord, on voit de loin un large escalier taillé dans le roc ; sa largeur est de plus de quatre mètres (2) : il mène à un hypogée composé de deux salles. Les figures que les Égyptiens y avoïent sculptées, sont presque effacées aujourd’hui par les feux qu'ont allumés les Arabes ; la fumée a tellement noiïrci les parois, que je n'ai rien pu reconnoître dans les sujets dont.elles étoient ornées. Auprès, il y a plusieurs entrées de ‘grottes. (1) Voyez ci-dessous, pag. 48. (2) Voyez pl. 67, fig. 14 et 16. DE L'HEPTANOMIDE. CHAP. XVI. Â7 . À l'angle opposé de la montagne, vers le sud, le rocher forme un pic très-élevé, percé de grottes du haut en bas. Dans l’une d’elles, est une salle à deux colonnes, dont le chapiteau est orné de la tête d’Isis {1}. Les colonnes sont tombées; mais l'un des chapiteaux est resté en place, et comme suspendu au plafond. En tour- nant un peu plus vers le sud, est un autre hypogée peu étendu, maïs bien conservé, dont la porte est décorée d’une manière agréable : on y montoit par deux escaliers que le temps a presque détruits; dans l’intérieur sont sculptées des céré- monies religieuses. Les figures ont six à sept décimètres de hauteur, et elles ontun relief très-saillant : le travail de la sculpture est entièrement le même qu'à Esné et à Thebes. | Sur la face extérieure, la porte est décorée, vers la droite, d’un bouquet de lotus dont la tige médiale est enveloppée par les circonvolutions d’un grand serpent ; vers la gauche, d’une figure d'homme habillée d’une sorte de manteau plissé : elle paroît dans l'attitude de faire une offrande; maïs je n'ai pu dessiner l’objet quelle portoit à la main. La corniche et la frise de la porte sont ornées du globe aïlé (2) : auprès, le sculpteur a représenté le lotus dans toutes ses par- ties; la feuille, le bouton et la fleur ouverte. Il faut remarquer que la feuille est crénelée fortement : aïnsi l'intention de l'artiste a été de représenter le #ym- phœa lotus. Les Égyptiens connoïssoient donc parfaitement les caractères distinc- tifs des différentes espèces de lotus (3). À droite de ce petit hypogée, le roc est orné d’une autre figure Égyptienne, debout et de face, et presque en relief total, comme celles d’un des tombeaux de Lycopolis (4) : elle est dans un encadrement formé de deux pilastres et d’un couronnement, dont la sculpture est seulement ébauchée. Quoique la tête et les jambes soient brisées et la poitrine détruite, on reconnoït que c’est une figure de femme. De chaque côté, lon a gravé une petite inscription Grecque, diff- cile à déchiffrer; elle consiste en ce peu de lettres, les seules visibles aujourd’hui, TPAMMMATAAXPHMATICTOCECCH {$ ). . SUR CARRIÈRES et RUINES à Ouédy el-Teyr, Gebel el-Teyr, Deyr el-Bagarah. OuÂpy EL-Teyr est le nom d’un gros village qui est dans une gorge de la montagne, comme Tehneh, à trois mille mètres au nord de ce dernier; cette espèce de vallée est percée aussi de plusieurs vallons qui se rendent dans diverses directions, à l'est et du côté du sud, à Tehneh, Saouâdeh, Matahrah, &c. LH y a même une branche qui se rend, n'a-t-on dit, à la mer Rouge. La montagne est percée de grottes; on n'y voit point de sculptures, et elles (1) Voyez pl. 67, fig. 15. de botanique n.° Go, fig.1, Histoire naturelle, vol, IL. (2) Ibid. fig. 18. (4) Voyez pl. 46, fig. 9. (3) Ibid. fig. 20. (s) Voyez mon Mémoire sur les anciennes inscriptions, Voyez aussi la planche 68, fig. 18, et ci-dessus, pag. 28, A. M. tom, Il, pag: r et suiy. où il est question du nymphæa bleu, aïnsi que la planche Â8 DESCRIPTION paroiïssent être de simples carrières. Il n’existe point de ruines visibles dans ce village; maïs le principal cheykh, en m'accompagnant par-tout dans la mon- tagne, m'a assuré qu'il y en a beaucoup d’ensevelies dans les sables. Les terres sont cultivées avec le plus grand soin, depuis le Nil jusqu’au pied du rocher, qui est absolument à pic, et comme une très-haute muraille, extrêmement remarquable. Les Arabes qui les possèdent, sont actifs et industrieux, et ils font d’excellentes récoltes en sucre, en blé, en fourrages ; ils appartiennent, comme les gens de T'ehneh, à la tribu des À'tayät. Au-dessous d'Ouâdy el-Teyr, on voit deux grands murs Égyptiens en briques crues, environnés de grottes antiques ; les habitans les appellent Hayt el A’zouz d'un nom commun avec les autres murailles de la même origine. Ceux-ci paroissent avoir servi à la clôture de deux anses que forme la montagne, par-tout ailleurs elle: est à pic. Plus on examine tous ces murs antiques , plus on est porté à croire qu'ils ont eu la destination, ou de retenir dans ces anses Îles torrens qui auroient endommagé les cultures, ou de procurer un asile contre les débor- demens subits : en effet, les Égyptiens paroïssent avoir habité et bâti .dans toutes les gorges de la montagne Arabique. Selon cette explication, les murs de briques auroient servi en hiver contre les ravages des torrens, et en été contre la sub- mersion des crues du Nil. | Gebel el-Teyr (1) est le nom commun que porte la montagne Arabique, depuis le village dont je viens de parler, Jusqu'au-delà du monastère de la Poulie, par-tout escarpée et baïgnée par le Nil; c'est de Îà que sans doute le village a tiré son nom. La wontagne des Oiseaux s'appelle ainsi, à cause de la multitude immense de ramiers noirs ou pigeons sauvages qui viennent s'y réfugier dans l'été. Pendant l'inondation, saison trop froide, ils vont dans les champs manger le dourah ou d’autres grains. Tous les voyageurs parlent du singulier spectacle que présente le rocher tout-à-fait à pic, long de plus d’une demilieue, jusqu'à el- Seraryeh, souvent presque caché par ces milliers d'oiseaux, qui en tapissent la surface et lui donnent une teinte noirâtre. Je remarquai aussi, à mon passage, le bruit extraordinaire que produit le gazouillement de tous ces ramiers Xa- fois {2). La roche est lisse, et ses lits horizontaux sont parfaitement marqués, excepté dans la partie inférieure, qui est toute crevassée près le niveau du Nil. C'est sur le plateau, du côté du nord, qu'est bâti l’ancien monastère de la Poulie, Deyr el Bagarah (3), dont le nom vient, comme on sait, d’une poulie placée tout en haut du rocher, sur une partie saïllante au-dessus du Nil, pour puiser l'eau dans le fleuve (4); on en fait aussi usage pour monter au couvent toutes les provisions. La maison est bâtie en briques; l’enceinte est vaste, et renferme beaucoup de religieux et d’habitans Chrétiens des deux sexes. Ces hommes viennent souvent, dit-on, demander laumône aux voyageurs qui remontent le Nil, et ils suivent (x) St Le , pays, ce même nom sembleroit indiquer une petite espèce »7 : . eépervier. (2) Je trouve dans mon journal de voyage une note SERRE sur le nom qu’on donne à ces oiseaux; ce nom est (3) e pl) 22 | Ségaou el-Hadd, D’après ce que m’ont dit les gens du (4) Voyez Æ, M. pl. 7, fig. 2. long-temps DE L'HEPTANOMIDE. CHAP. XVI. 49 long-temps leurs barques à la nage. On remarque dans le rocher deux escaliers qui correspondent probablement à quelque excavation. Comme ces lieux ont été décrits par tous les voyageurs, je ne m'y arréterai pas davantage. 1 $. III. CYNOPOLIS (aujourd'hut Samallour), L’ANCIENNE CyNopoLis, chef-lieu du nome, étoit, selon Ptolémée, placée dans une île, et sa latitude différoit de celle d'Oxyrhynchus de 20’. Il n'est guère pos- sible de faire usage, comme je l'ai dit plus haut, de la latitude de 28° 30° que donne ce géographe; mais la différence de hauteur entre ce lieu et Oxyrhynchus doit présenter moins d'incertitude. Or on trouve à très-peu près 20" de distance entre Behneseh, qui est incontestablement l’ancienne Oxyrhynchus, et le lieu appelé Sarmallout, grosse bourgade située à vingt-trois mille mètres environ au nord de Minyeh, et à trente-six mille mètres au midi de Behneseh. Celle-ci se distingue au loin par un minaret très-élevé. On y trouve des ruines, et, à l'ouest, un ancien monastère du même nom, qui annoncent une position ancienne. Cette bourgade paroît avoir succédé à quelque ville du premier ordre. À Fest, c’est-a- dire, à la même latitude, il y a une île assez grande, qui correspond assez bien à celle dont parle Ptolémée. A la vérité, on na pas de connoïssance de ruines qui, existent dans l'ile elle-même, ainsi que le texte de Ptolémée sembleroit le demander; maïs doit-on penser que les Égyptiens aient bâti une ville au milieu des eaux, exposée aux débordemens extraordinaires, et même à toutes les varia- tions des inondations annuelles, sur-tout dans la haute Égypte, où la différence des hautes et des basses eaux est si considérable ! L'île de Samallout n’a jamais été, comme celles d'Éléphantine et de Philæ, composée d'un rocher de granit, ou d’un terrain solide, à l'abri des variations du fleuve : on ne pourroit donc se fonder sur l'exemple de ces dernières pour expliquer Ptolémée. Ce qui est le plus vraisemblable, est que, Cynopolis ayant sous sa dépendance une île assez grande ,et où peut-être on avoit construit quelque bâtiment Nilométrique, Ptolémée aura considéré lune et l'autre comme étant un seul et même lieu. Il n’est resté de cette ancienne ville aucun temple qui puisse nous donner des lumières sur le culte de ses habitans. Strabon assure que le dieu Anubis, sous la figure d'un chien, y recevoit des hommages, et qu'on y avoit fondé pour cette espèce d'animal une sorte de culte et de nourriture sacrée {1}. Le nom Grec du lieu semble confirmer ce rapport; mais, à défaut de monumens, il est permis de conjecturer que ce culte du chien étoit entièrement symbolique. Le personnage d'Anubis, comme Diodore de Sicile le représente, étoit un des compagnons de voyage d'Osiris, qui se distinguoit par son habillement formé de la peau d'un chien (2) On peut ajouter que vraisemblablement le chien céleste, ou Sirius, (1) Strab. Geogr. lib. XVI, pag. 558 et 812, dit encore qu'Anubis portoit un masque de chien, ‘ (2) Diod. Sic. Biblioth. histor. Gb. 1, pag. 11. L'auteur parce qu’lsis avoit eu-un chien pour guide en allant à Ia A. D. G $O avoit part aux hommages des Cynopolites; on sait que le lever héliaque de la canicule étoit le précurseur de inondation du Nil (1). Au reste, on n’est pas fixé sur l'espèce de l'animal qui servoit de symbole à ce culte. J'ai comjecturé que le chacal avoit été confondu avec le chien par les Grecs, qui ne connoïssoient point chez eux cet animal. Ils ont peut-être traduit son nom par chien; et de là le nom de Cynopolis (2). | | DESCRIPTION Quant à la figure du chacal, on peut en prendre une connoissance parfaite en étudiant les planches de l'ouvrage où cet animal est très-souvent représenté, sur-tout dans les catacombes. L’embaumeur à presque toujours un masque de chacal. Enfin ce quadrupède figure dans les cérémonies des funérailles, sous toutes les attitudes. Il est bien remarquable que tous les personnages dont il est question dans le récit de lexpédition d'Osiris, ont leurs noms conservés dans ceux des villes et des préfectures de FHeptanomide et des nomes contigus : Pan, à Panopolis ; Antée, à Antæopolis; Macedo, à Lycopolis ; JJermeès, à Hermopolis; Hercule, à Heracleopolis; Busiris, dans la ville du méme nom: enfin Ammbis, à Cyno- polis On peut donc trouver dans la Thébaïde inférieure la scène de toute la fable d'Osiris : mais, sans m'arrêter ici davantage, je dois renvoyer à ce que j'ai dit sur ce sujet curieux, dans la Description de la ville d’Antée (3). Je ne puis guère parler de la ville de Co que pour la nommer; elle étoit, selon Ptolémée, la capitale du nome. Cette ville doit-elle être distinguée de G- nopolis ? Ja chose n'est point probable. Dans la Notice d'Hiéroclès, elle porte le nom de KYNOQ, Cyno; et l’on trouve dans l’ftinéraire d’Antonin , qui n'en fait pas mention, une autre ville de Cyxo dans la basse Égypte : ce nom de KYNQ n'au- roit-il pas pu S'écrire Kw par abréviation, ainsi que Cellarius la déjà conjecturé! ce qui auroit trompé Ptolémée. Cette explication peut se fonder, 1.° sur ce qu'on ne voit jamais deux villes si voisines ; 2.° qu'entre le canal de Joseph et le fleuve il nya guère ici que six mille mètres ; 3.° enfin, quon ne voit pas dans cet endroit, ni au loin à la ronde , de ruines qui répondent à deux villes presque contiguës. Je rappellerai ici ce que j'ai dit plus haut, que l'île qui étoit en face, - aujourd’hui l'ile de Beny Hasan, pouvoit renfermer quelque Nilomètre qui étoit comme une seconde position. Ptolémée aura donné à celle de l’ouest le nom de Co ; et à celle de l’est ou de l’île, celui de Cynopols. Cet ex1men confirme que la ville de Co (ou Cynopolis,) métropole du nome Cynopolite, étoit située au même endroit que Samallout et Deyr Samallout (4). La médaille frappée pour le nome sous Adrien porte le mot KYNOIT au recherche des restes d’Osiris (lib. 1, pag. ss). Conf. Plutarch. Desideet Osiride, pag. 308, et Clem. Alexandr. Strom. Wib. V, pag. $67. (1) Strab. Geogr. lib. XVIL, pag. 812. (2) Ils ont probablement faitla même chose pour Syout ou Lycopolis : la ressemblance du chacal, partie avec le chien, partie avec le loup, a pu causer cette double mé- prise. ; Une lettre manuscrite du P. Sicard dont M. Et. Quatremère a publié un fragment, portoit qu’à quarante lieues du Kaire, et voyageant dans l’ancien nome Cyno- polite, il trouva dans des cavernes des momies de chien soigneusement embaumées, et qu’il en apporta quelques- unes avec lui. Étoient -ce des momies de chacal ou de chien-loup, ou du chien ordinaire $ C’est ce que le P. Si- card ne nous a point appris. G) Voyez À. D. chap. XII , pag. 19. , : Lu Ps (4) Selon les manuscrits Qobtes cités par M. Etienne DE L'HEPTANOMIDE. CHAP. XVI. SI revers; la figure drapée qui s'y voit, présente dans sa main un objet très-difh- cile à qualifier (1). On n’y trouve donc aucune lumière sur le culte de la ville de Cynopols. H en est malheureusement de même pour une grande partie des médaïlles des nomes. $. IV. MUSON ou MUSÆ, HIPPONON, ALFI1. SELON l'Itinéraire d'Antonin, la ville de Musæ étoit à trente-quatre milles au nord de Speos Artemidos , sur la rive droite du Nïl. Si l'on prend une mesure d'un peu plus de cinquante mille mètres, formant la distance de trente - quatre milles Romains, et qu'on la porte au nord de Beny-Hasan, on tombe sur une espèce de golfe de la montagne, au-dessous du village de Cherhy, en face de Kholsän. Comme on n’y a point observé de ruines, Je n'ai d'autre raison de placer Musæ en ce lieu, que sa position fixée par lItinéraire, par rapport à sa distance de Speos Artemidos. Au reste, c'étoit peut-être une simple station militaire plutôt qu'une ville. Dans la Notice de l'Empire, ce lieu porte le nom de Afuson, et il y est au sud d'Hipponon, comme dans lItinéraire. On y avoit placé une cohorte de Thraces (2). Hipponon étoit à trente milles au nord de Musæ, selon ftinéraire d’Antonin, également sur la rive droite du Nil. Cette distance tombe sur un endroit que les sables ont recouvert, au-dessus d’el-Harabchent (3), presque en face de Fent. D’Anville a placé Hipponon à Charouneh ; mais ce lieu est trop au midi. Albi, suivant l'Itinéraire, est à seize milles au nord d'ÆHipponon. En portant seize milles, à partir de cette position, comme nous l'avons fixée, on arrive, en face de Siemenneh ou Menqatyn (4), dans un espace où il y a quelques petites habitations, et où les sables paroiïssent avoir enseveli tout le terrain cultivable. C'est sans doute ce motif qui a empêché jusqu'ici de retrouver les ruines de cette ville et de la précédente. Ce qui justifie au reste la position que j'ai assignée à A/ys, et par consé- quent à Musæ et Hipponon, C'est que si l'on mesure l'intervalle entre ce point et Bayâd, qui n'est pas éloigné de Thrmonepsi, on trouve précisément seize milles Romains ; c’est ce que demande Itinéraire entre Thimonepst et Alyi, ainsi que nous verrons plus loin. On voit que j'ai étendu le nome Cynopolite assez loin vers le nord. La raison en est facile à donner. La préfecture Aphroditopolite commençoit à Babylone; Quatremère, Cynopolis est le même endroit que Xaïs (Mémoires historiques sur l'Égypte, tom. [[, pag. 141). M. Champollion (L’ Égypte sous les Pharaons, tom. I, g. 302) donne le nom de Koeïs, et il place ce lieu à QE. ou el-Gis. Il est possible que Kaïs ou Koeïs réponde au cheflieu du nome Cynopolite; mais le village de Beny-Qych à lest de Behneseh, qu’el-Qis, ne peut absolument ÉRREPQRE a Cyno, puisque Ptolémée place cette ville à 20° au sud d’'Oxy- rhynchus. D'ailleurs , le nome Oxyrhynchite alloit certainement jusqu'au Nil; comment auroit-il compris MED le même le chef-lieu d’un autre nome ! M. Étienne Quatremère cite de Magryzy un passage curieux sur le canal souter- rain qui fut découvert à Xaïs sous al-Kamel; peut-être engagera-t-il les voyageurs à faire quelques recherches dans ce pays. (1) Voyez pl. 58, À, vol. V. (2) Cohors secunda Thracum Muson, (Not. utr, imp. pag. 86.) G) exil (4) vibre $2 DESCRIPTION elle ne pouvoit passs'étendre beaucoup plus loin que Zhimonepsi, Aujourd'hui la province d’Atfyh, qui lui a succédé, s'ayance bien plus dans le sud ; mais la majeure partie de son sol est engloutie sous les sables , €t, malgré cette extension, son ter- ritoire est encore moindre qu'autrefois. | , $. V. ALABASTRÔONPOLIS. AVANT de quitter le nome de Cynopolis, il faut faire mention de la ville d'A/abastra, qui en faisoit partie, selon Ptolémée. I place cette ville à lorient du fleuve, bien avant dans les terres {1}. La latitude de 28° 20’ qu’il lui donne, la feroit remonter beaucoup au sud; maïs cette latitude a besoin de correction. A/bus- trénpols étoit une ville de l'intérieur du désert qui sépare le Nil de la mer Rouge, à proximité des carrières d'albâtre, où les Égyptiens ont puisé une si grande quan- tité de ces précieux matériaux. Pendant notre séjour en Égypte, je me suis pro- curé quelques renseignemens sur ces carrières, qu'il m'a été impossible de visiter. M. Rozière et moi avions été chargés, avec M. Reynier, d'y faire des obser- vations de minéralogie et de géographie ; les événemens de la guerre ont fait avorter ce projet. Je ne puis donc parler ici que d’après le rapport que m’ont fait les gens du pays. Déjà les voyageurs avoient fait connoître l'existence d’une ville ruinée, près de Gebel Khalÿl, sur le chemin du monastère d’el-Harabat ou de Saint-Antoine (2). H seroit difficile de ne pas admettre que ces ruines sont les restes d’A/xastra. Qu'il ait existé en effet deux villes dans le désert, c’est ce. qu'aucun auteur n'a avancé. Ensuite, e/Harabah, qui veut dire chariot (3), est le nom qu'on donne à une plaine voisine. Elle tiroit son nom de la grande quantité des chariots sur lesquels on transportoit les morceaux d’albâtre, soit vers le Nil, soit dans le sud du pays. Le chemin taillé dans le roc, dont j'ai parlé en décrivant Antinoé (4), et qui a quinze mètres de large, a sans doute servi à transporter dans la Thébaïde les produits des carrières d'A/abastra. On parle d'un mur de vingt-quatre pieds d'épaisseur dans le voisinage du couvent de Saint-Antoine, appelé AHayt cÆ A'gouz, comme ceux que j'ai décrits dans la précédente section; cette construction servoit sans doute à renfermer la:carrière (5). Il y avoit, selon Ptolémée, à 20° plus au midi, une montagne appelée du même nom, Mons Alabastrites. Pline a fait mention, comme lui, de la ville d'Alabastrônpolis. Les gens que j'ai consultés sur ces anciennes carrières pendant mon séjour à Beny-Soueyf, m'ont assuré qu'on s'y rendoit par un vallon étroit qui est à peu près en face, au nord du village de Bayäd; qu'après environ trente walgät où (1) IT faut entendre désertes, (4) Voyez 4,D.ch. XV ,p.12, et la pl. 107, f1g: 1, EM. (2) Voyage de Vansleb en Égypte. (5) Voyez Maillet, Description de l'Egypte, et Pococke, (3) En hébreu, man. Description of the Easr. DE L'HEPTANOMIDE. CHAP. XVI. f3 heures de chemin , on arrivoit à la plaine d’el- Harabah ; que le chemin étoit rempli de morceaux de marbres précieux, de plusieurs couleurs. Quant à la mon- tagne exploitée et aux carrières elles - mêmes, Je ne pus rien apprendre de positif, non plus que sur le sujet de la ville ruinée. Quelqu'incomplets que soient ces ren- seignemens, si on les’rapproche tous, on ne peut douter que la position d’A/bastra et des carrières d’albâtre ne soit réellement dans le désert qui sépare le Nil de la mer Rouge, à peu près 4 la hauteur de Belneseh, Vancienne Oxyrhynchus. TS PT En finissant ce qui regarde le nome Cynopolite, je dois lever une difficulté que présente Strabon. Après avoir parlé d'Æeracleopolis , il traite immédiatement du nome Cynopolite, et ne fait mention qu'après, du nome Oxyrhynchite, comme reculé dans les terres. Il sembleroit donc que ce dernier ne confinoit pas à celui d'Heracleopolis ; du moins, qu'il étoit à l'occident du Cynopolite, Maïs il suffit de jeter les yeux sur la carte pour comprendre que cet arrangement est impossible. Oxyrhynchus étoit bien au nord de Cynopolis, comme le prouvent Ptolémée et la Notice d'Hiéroclès ; et les territoires des nomes dont ces villes étoient les mé- tropoles, étoïent nécessairement autour d'elles. Comment, dans la Thébaïde, deux préfectures auroïient-elles pu être partagées par une ligne parallèle au cours du fleuve! Cette limite auroit coupé tous les canaux RER ce qui auroit rendu l'administration impraticable. Aujourd'hui, les provinces de Gyzeh, de Behneseh, d Achmouneyn, sont séparées par des canaux et des digues transversales à la vallée, et c’est la seule démarcation possible. Je pense donc que si Strabon a parlé d'Oxy- rhynchus après Cynopolis, c'est, 1.° parce que la première de ces villes étoit fort écartée du Nil, et même à l'occident de la branche appelée aujourd’hui Bahr- Yousef; 2° parce que l’autre étoit la première métropole en allant d'Aeracleopolis directement à ÆZermopohs. S À DESCRIPTION SECTION III. NOMUS OXYRHYNCHITES. La préfecture d'Oxyrhynchus n'ayant pas des limites parfaitement distinctes, au moins d'un côté, je me suis arrêté, en les fixant, à des canaux qui se jettent perpendiculairement du Nil dans le canal de Joseph, l’un au nord et l'autre au midi de Behneseh, à peu près à égale distance de cette métropole. Le premier sort du fleuve, en face de Musæ ; le second, au-dessus d'Abyi. Il y a, dans cette disposition, une égale étendue au nome Oxyrhynchite et au nome Héracléo- polite, qui confinoient ensemble. D'ailleurs, celui-ci a ses frontières déterminées par la description de Strabon, comme nous le verrons plus loïn; ïl étoit dans une île : des canaux devoiïent donc le circonscrire à ses extrémités. Le canal de Zäouy, au nord de Beny-Soueyf, ne présente aucune incertitude; celui qui prend sa source à el-Harabchent, passe à el-Zâouyeh, et se dirige vers le Bahr-Yousef à Saft-Rachyn, est le plus convenable à choisir pour la limite méridionale. C’est celle-ci qui forme la limite septentrionale du nome d’Oxyrhynchus. Au surplus, je reviendrai sur ce point à l’article du nome Héracléote (1). Les principales villes comprises dans le nome Oxyrhynchite, d'après cette dis- tribution, étoient Tamonti, Oxyrhynchus, Fenchi et Tacona. SE Abou-Girgeh ; TAMONTI. D’ANVILLE a placé Tamont: au même lieu qu'Abou-Girgeh; mais, outre qu'on ne connoît point d’autres ruines dans cet endroit qu'un quai antique, la distance de vingt milles, donnée par la Table de Peutinger, entre Fencli et Tamontr, doit faire descendre cette dernière position à neuf mille mètres au moins plus bas, vers les villages de Qâmeh et de Beny-Mazär, à peu près sur le parallele de Behne- seh : on n’y connoft pas non plus de ruines ; maïs rien ne nous atteste que Tamron: ait été une ville importante. L’Itinéraire d’Antonin, la Notice d'Hiéroclès et celle de l'Empire n'en parlent point; il n’en est point question non plus dans Ptolémée ni dans les autres auteurs : il suflit donc de fixer sa position d’après le seul itiné- raire qui la mentionne. Or, Abou-Girgeh est à plus de vingt-six milles Romains | en ligne droite de Fechn, qui est évidemment l'ancienne Fenchr. La Table Théo- dosienne suit le bord du Nil, tandis que Itinéraire d’Antonin conduit par le milieu de la vallée ou le long du canal de Joseph : de là vient que les villes qui figurent dans l’une, manquent dans l’autre, et wce versé (2). (1) Voyez ci-après, pag. 61. : remarque, dans la montagne Arabique, un immense bloc (2) C’est un peu au-dessus d’Abou-Girgeh qu'on détaché du reste de la chaîne, et qui se trouve sur des 1 DE L'HEPTANOMIDE. CHAP. XVI. s$ $. II OXYYRHYNCHUS (aujourdhui Behneseh). BEHNESEH est une bourgade située sur le canal de Joseph, presque sous le méridien de Minyeh. La ville ancienne à laquelle elle a succédé, étoit située à l’ouest du canal; les sables de la Libye ont presque entièrement couvert ses ruines, dont il n'est plus possible de mesurer l'étendue ; une autre ville, qui avoit été bâtie à sa place, plus près du canal, est également sous les sables; enfin les maisons du village actuel, qui sont sur la rive gauche du canal, sont de plus en plus envahies par cé fléau, de même que les habitans sont exposés au pillage des Arabes, autre fléau qui accompagne toujours le premier : car les sables sont en quelque sorte le terrain des Arabes; et à mesure qu'ils empiètent sur la terre labourable, les Bé- douins avancent avec eux. Tout ce quartier de l'Heptanomide paroft avoir perdu, par la même cause, un grand territoire cultivable. Sans le canal de Joseph, le désert auroit pénétré bien plus avant dans la plaine, et la plus grande partie seroit condamnée à une affreuse stérilité. On trouve dans les ruines beaucoup de fragmens de colonnes en pierre, en granit et en marbre. Les Musilmans en ont transporté un très-grand nombre dans leurs mosquées, qui ont elles-mêmes succédé à d'anciennes églises. Parmi les débris qui sont encore visibles dans l'emplacement de l’ancienne ville, et à quelque distance dans le désert, on remarque une colonne Corinthienne debout, d’une grande DST elle est en entier saïllante hors des sables. Le chapiteau est encore à sa place, et il porte même une PA de lentablement. La hauteur est d'environ huit mètres. Ce monument paroît plutôt Romain que Grec, et l’on n’en voit plus aucun d'Égyptien. S'il étoit possible de faire des fouilles dans ces ruines, on trouvVeroit sans nul doute un grand nombre de vestiges d’antiquités Égyptiennes, Grecques, Romaïnes et du Bas-Empire, puisque la ville d'Oxyrhynchus a, plus qu'une autre, été exposée aux vicissitudes de toutes ces dominations différentes : mais il faut montrer d’abord que Behneseh est au même emplacement. Selon Ptolémée, Oxyrhynchus étoit une ville méditerranée: sa latitude étoit de 28° 50: selon Hiéroclès, elle étoit au nord de Cynopols. L'Itinéraire d’Antonin la place à 30 milles d’/7. Strabon s'explique ainsi, après avoir parlé des nomes Héracléopolite et Cynopolite {1) : « Dans une partie reculée {èv mexla) est la » ville d'Oxyrhynchus et la préfecture du même nom. L'oxyrlynchus y est honoré » dans un temple, quoique le reste des Égyptiens soit aussi adonné au culte » de ce poisson. Il est plusieurs animaux auxquels tous les Égyptiens accordent » leurs hommages : parmi les animaux terrestres, le bœuf, le chien et le chat: dunes avancées; sa forme est bizarre, et représente assez plus extraordinaire, que l’on fait remarquer aux voya- bien un tombeau. Si ce n'est pas le produit d’une exploi- geurs : c’est la figure d’un homme à genoux et en prière. tation, il faut croire que c’est la pointe d’un rocher que C’est un jeu de la nature, mais qui fait la plus grande les sables auront environné à sa base. illusion. Ce rocher est en face du petit village d’Abouz Plus loin, est un autre bloc également saïllant sur les Pagsrah. Voyez la pl. 7, É. M. vol. 1 > 2 dunes, et qui, vers le nord, présente une forme encore (1) Voyez ci-dessus, pag. 53. s6 DESCRIPTION » parmi les oiseaux, l'épervier et libis ; et parmi les poissons, le lepidotus . et » l'oxyrhynchus (1). » La latitude de Behneseh est moindre que celle qui est assignée par Ptolémée : mais la position d'Oxyrhynchus , d'après l'Itinéraire d'Antonin, y-est conforme : trente milles Romains font à peu près quarante-quatre mille cinq cents mètres; on en trouve environ quarante-six mille entre Behneseh et Tahä el-A’moudeyn, qui répond à /heum ou Ibiu (2). Les ruines placées au nord de ce dernier village coïncideroient avec encore plus de précision. Une autre preuve démonstrative est que Behneseh donne encore aujourd'hui son nom à la province, comme Oxy- rhynchus donnoit le sien à l'ancienne préfecture. Enfin cet endroit a toujours été un chef-lieu de l'église T+pe depuis le temps où Oxyrlynchus a embrassé la religion Chrétienne. L'oxyrhynchus est souvent 5e. dans les monumens Égyptiens : on reconnoît cette espèce de poisson à son museau pointu; ce qu'exprime son nom (3). Non- seulement on voit des poissons pareils sculptés et peints parmi les hiéroglyphes, dans les temples et dans les hypogées (4), mais on en trouve aussi en bronze, et les cabinets des curieux en renferment d'assez grands {s). Enfin cet animal est fréquemment figuré dans les manuscrits Égyptiens (6). I n’est donc point douteux, d’après tant de témoignages, que le poisson oxyrhynque n'ait joué un rôle dans la religion Égyptienne. Mais quel étoit ce rôle! Voudroit-on supposer que le poisson, de tous les animaux le plus stupide, étoit adoré comme une divinité tutélaire! Ce seroit une absurdité. J'en donnerai une preuve irrécusable; c'est l'exemple même de Latopols. I est démontré aujourd'hui que le poisson us n’étoit point adoré dans la ville de son nom. Le portique du magnifique temple d'Esné ne renferme point la figure de cet animal : au contraire, Osiris, ou le soleil portant un masque de belier, y est représenté par-tout ; il occupe la place principale au-dessus de la grande porte du temple. Les Grecs ont donné à la ville le nom de Zatopoks par des motifs que nous ne connoissons point; et il en est de même d'Oxyrhynchus. Je me permettrai, dans le doute, une conjecture semblable à celle qu'on à déjà faite sur le crocodile (7). L'existence de cette dernière ville, si éloïgnée du, fleuve (8), exigeoit impérieusement que le canal appelé aujourd'hui de Joseph füt soigneusement entretenu ; s'il venoïit à s’obstruer, l'oxyrhynque et les autres pois- sons ne pouvoient plus arriver jusquà cette ville. Cet animal paroïssoit avec J'inondation ; il étoit donc comme un symbole du Nil, et, pour cela peut-être, il partageoit en quelque sorte, avec le fleuve, les hommages de la multitude. La ville d'Oxyrhynchus a été tellement célèbre par ses monastères et ses églises, que je ne puis me dispenser d'en parler, quoiqu'aujourd'hui il n'en existe plus à Behneseh. J'en trouve une description curieuse, parmi les Monumens de l'éghse Grecque, dans une Aistoire des moines d'Égypte, dont l’auteur est incertain : « Nous (1) Strab. Geogr. lib. XVI1, pag. 558. oxyrhynque en bronze, d'environ six pouces de long. (2) Voyez À. D, chap. XIV, pag: 11: (6) Voyez pl. 72 à 75, A. vol. II, et'alibi. (3) ‘Ofde, acutus, et puyyos, nasus, (7) Voyezla Description du nome Arsinoïte, À, D. (4) Voyez pl. 87, A. vol, IT, et alibi. ch. XVII, pag,, 20 (s) Dans le cabinet de M. de Térsan, j'ai vu un (8) Près de vingt-trois mille mètres. » visitâmes DE L'HEPTANOMIDE. CHAP. XYI. - 94 » visitâmes, dit-il, Oxyrhynchus , ville de la Thébaïde, dont les merveilles ne .» peuvent se raconter dignement. Elle est tellement remplie de monastères, que » les murailles elles-mêmes semblent, en quelque sorte, résonner des chants des moines (1). Au dehors, elle est encore entourée de monastères, qui font une autre V 2 L2 >) LA ville. Le temple et le cartol en sont remplis, et les moines habitent aussi dans tous les quartiers. Comme la ville est considérable, ïl s'y trouve douze églises, où tout le peuple se rassemble, outre les oratoires qui sont dans chacun des monastères. Les moines surpassent presque en nombre les séculiers, étant logés à toutes les entrées et dans les tours des portes de la ville. Ces moines se disent étre au nombre de cinq mille, et autant au dehors. Il n'y a pas d'heure du jour ou de la nuit, qu'ils ne fassent le service divin. Aucun des habitans n’est païen ni hérétique; tous sont fidèles et catéchumènes. On place des hommes ” aux portes et aux avenues, pour donner des secours aux pauvres étrangers qui » viennent à paroiître. Selon ce que nous avons appris du saint évêque du lieu, il avoit sous sa dépendance dix mille moïnes et vingt mille vierges. On ne peut donner trop d'éloges à leur hospitalité et à leur charité. C’étoit à qui nous, attireroit, en nous prenant par nos manteaux et en les arrachant (2). » On attribue à Palladius ce fragment qui se trouve à la suite de son //storia Lausiaca. M écrivoit en 407; et Rufin, qui écrivoit en Aro, a traduit le même opuscule. Aïnsi, à la fin du 1v.° siècle et au commencement du v.°, il y avoit encore à Oxyrhynchus une grande population et une immense multitude de moines, de Peu de monastères et d'églises. D'après le prologue qui est à la tête du même morceau (3), il existoit à cette épo een Égypte, une si grande quantité de moines de tout âge, tant dans le pays même que dans le désert et les grottes, qu'elle étoit impossible à énumérer; qu'aucun prince de La terre n’auroit pu avoir une.armée &ussi nombreuse, €t qui n'existoit dans l'Égypte et dans la Thé- baide aucun bourg et aucune ville qui ne fut enceinte de monastères, comme d'autant de murailles (4). 2 2 2 V 2 22 > V > V >} V > NV à 12 2 LA > L2 (1) I y a dans le grec éfnxiy, et, suivant une va- » envers le Christ, capable de transporter les montagnes! riante, é£w ia : j'ai adopté la première version, ainsi » Plusieurs d’entre eux ont arrêté Pirruption des eaux, que le traducteur, qui exprime ainsi ce passage en latin: »traversé le Nil à pied, vaincu les bêres féroces, guéri ut muri ex ipsis personent monachis, » les malades, et produit des miracles comparables à ceux (2) Ægyptiorum monachorum Historia sive Paradisus, » des saints prophètes et des apôtres. » in ÆEcclesiæ Græcæ Monument. pag. 175 et seg. Lut. Je trouve, dans le Code Théodosien, d’autres détails Paris. 1686. curieux sur [a multitude des moines qui habitoient en (3) Ibid. pag. 174. Égypte sous l’empereur Valens, et de ceux qui les sui- (4) L'auteur fait un tableau curieux de l'isolement où: voient dansles déserts: Lex Valenris adverss i ignavos soli- vivoient ces moïnes : « Étrangers atous les soins terrestres, fudines et secreta petentes, desertis civitatum muneribus et » ils sont frappés de stupeur quand ils entendent parler specie religionis cum cætibus monazontôn congrecutis; erui » des affaires du siècle. Ils n’ont aucun souci de leur Latebris jubet et ad munera subeunda revocari..….. In » habillement ni de [eur nourriture : ils sont constam- Æzgypto frequentissimi hoc ævo monachi fuere, Quanti po- » ment occupés de chanter des hymnes à la louange du pulihabenturin urbibus, tantæ penè habentur in desertis mul- » Seigneur, ou bien dans l’attentedelavenue du Christ. Si ritudines monachorum (auctor Vitæ Apollonii).… Certo > lun d’eux a quelques besoins, il ne se rend pas à la rempore congregabantur cætus eorum per solitudines diviso- » ville ou au bourg; il n’invoque ni frère, ni ami, ni rwm, singulis suas cellas habentibus. ... Manu militari »parens, ni père, ni enfans, ni serviteur : il étend les monachos erui jubet imperator... Ad miliriam monachos » mains au ciel, adresse à Dieu des actions de grâces, adigi jussit anno 375, (-Cod, Theod. tom: V, pag. 323. » et reçoit ce qui lui est nécessaire. Que dire de leur foi Lipsiæ, 1736.) AND: H 58 Dans Palladius, on voit le récit des miracles attribués à ces saints personnages, et aussi un tableau, remarquable par sa fidélité, des maux, des fatigues et des aventures qu'ils éprouvoient en voyageant dans le désert ou dans la vallée d'Égypte, accidens qu’on rencontre encore aujourd’hui, et qu’on a toujours dû essuyer de tout temps (1). J'ai donné ici ces détails sur les couvens d'Oxyrhynchus et des environs, parce que j'avois fait précédemment l’énumération, nécessairement très aride, des mo- nastères que j'ai vus dans l'Heptanomide, sans entrer-dans aucun développement; me réservant de le faire à propos de cette ville, qui est, en ce genre, l'exemple le plus extraordinaire à citer. J'ai rejeté d’autres détails dans les notes. Pour terminer ce qui regarde Oxyrlynchus, je rapporterai le nom que porte cette ville parmi les Qobtes ; ce nom est Pemdie où Pemsje, Mens (2). On croit que ce mot signifie la même chose que cf; (3) : mais cette étymologie pré- sente des difficultés. La ville et le nome d’Oxyrlynchus ont eu des médailles frap- pées sous Antonin (4). On y lit clairement le mot OSYTPYNXI: malheureusement le revers ne présente aucun emblème qui ait le moindre rapport avec le culte de cette ville ; la figure de Minerve , armée d’une hache, tient dans sa main gauche une Victoire. On ne voit dans ces médailles aucun animal, ni aucun DESCRIPTION objet dans le style Égyptien. $e LE FENCHI (aujourd'hui Fechn), TACONA ou *ENHPOS (aujourd'hui Chenreh). FENCHI est une ville dont fait mention la Table Théodosienne , comme située à vingt-cinq milles d'Aeracko et à vingt milles de Tumonti. D'après ce que j'ai dit plus haut, la route que suit ici la Table, est surla rive gauche du Nil; c’est donc sur cette rive qu'il faut chercher Fenchi : nous y trouverons la grosse bour- gade de Fechn, dont le nom est le même. Il sy voit des vestiges d’antiquité, et ce lieu est plus considérable qu'Abou-Girgeh. Reste à comparer les distances géographiques. Je ne dois pas m'appuyer sur la position de Tamonti, puisque je l'ai au contraire fixée par celle de Fechn; mais je partirai d'AHerac/eopolis, qui (1) « Dans la haute Thébaïde, vers Syène, il y a des » hommes dignes d’admiration , qui, encore aujourd’hui, » ressuscitent les morts et marchent sur les eaux comme »S. Pierre. La crainte d’être attaqués par les voleurs »au-delà de Zyco nous empêcha de visiter ces saints » hommes. . ... Nous pensâmes périr de faim et de soif » après avoir parcouru le désert cinq jours et cinq nuits. » Une autre fois nous eûmes [es pieds déchirés et souf- » frîmes d’horribles douleurs en marchant sur un sol plein » d’aspérités, &c. » La submersion dans la boue, dans les marais, dans le Nil, la marche dans les plaines inon- dées, les voleurs Arabes, Le froid dans les déserts de la basse Égypte, enfin le danger des crocodiles, tels sont les accidens qu’ils rencontrèrent dans leur voyage. (Pal- Jad. Fistoria Lausiaca, pag. 168.) J’abrége beaucoup ce récit singulier, où j'ai trouvé un fait digne d’observation; savoir, que ces voyageurs, traversant les eaux débordées sur la plaine, ne sortirent d’embarras qu’en gagnant les embouchures des canaux : [à seulement, ils n’étoient point submergés. Alors, comme aujourd’hui, les bords du Nil, où sont les embouchures des canaux, étoient plus élevés que la plaine. Nous avons vu par-tout que les bords ou Îe milieu de la vallée sont toujours plus abaissés que les rives du fleuve ; (2) Voyez les Mémoires historiques sur l'Égypte, par M. Ët. Quatremère, tom. 1, pag. 254, où l’on trouve des détails curieux sur Béhneseh; voyez aussi Egypte sous les Pharaons, par M. Champollion, tom. 1, p, 305. (3) Le P. Georgi. (4) Voyez la planche 58, À, vol, V. DE L'HEPTANOMIDE. CHAP, XVI. $9 étoit, sans nul doute, au même point que le village actuel d’Ahnäs, près Beny- Soueyf, comme nous verrons bientôt. I y a trois lieux voisins, tous du même nom : le plus au nord est à trente-sept mille mètres de Fechn : or trente-sept mille mètres font précisément vingt-cinq milles Romains : on ne peut donc douter que la ville de Fenchi ne fût au même lieu que Fechn. L’Itinéraire d’Antonin n'en fait pas mention, parce que la route qu'il suit passe, à la même hauteur, par la position de Tacona. | La ville de Tacona, suivant l'Itinéraire, est à vingt-quatre milles au nord d'Oxy- rhynchus, et à: vingt milles au sud de Cæne. Pour ne m'appuyer que sur Oxyrhyn- chus, je chercheraï, à vingt-quatre milles Romaïns ou environ trente-cinq mille cinq cents mètres de Behneseh, quelque point qui puisse répondre à la position dont il s'agit. Le compas tombe exactement sur Chenreh, entre; Fechn et le Bahr- Yousef. Or ce nom est visiblement le même que celui de Yées, ville dont il est fait mention dans Étienne de Byzance. De plus, Chenerô est, suivant les Qobtes, le nom d’une acienne ville dépendante du nome d’'Oxyrhynchus (1); il est donc infiniment probable qu'il y a identité entre Tacona et Psenéros , et que cette ville étoit située au même lieu où est Chenreh. (1) Voyez les Observations sur la géographie de l'Ég pte, par M. Ét. Quatremère, pag. 36, et /? eypte sous les Plaraons, par M. Champollion, tom. [, pag. 306. 60 DESCRIPTION SECTION IV. NOMUS HERACLEOTES. Le nome Héracléotique est un de ceux dont la circonscription est le mieux tracée par les auteurs. Deux géographes ont pris la peine de décrire sa forme et ses limites. Ptolémée s'explique ainsi, après avoir nommé Memphis et Acan- thus : « Auprès de l'endroit où le fleuve se divise pour former une île qui cons- » titue le nome Héracléotique, et dans l'île même, est la ville de Nilopols , qui » st méditerranée; Heracleopolis magna, la métropole, est à l'occident du fleuve; » le nome Arsinoïte est au couchant de l'île (1). » Voici les passages de Strabon : « Après le nome d’Aphroditopolis, vient la pré- » fecture Héracléotique, dans une grande île, le long d& laquelle se trouve, sur » la droîte, vers la préfecture Libyque ou Arsinoïte, un canal qui a deux bouches: » ce qui interrompt dans une certaine partie la continuité de l'île. » Précédem- ment il avoit dit : « Le Nil s'écoule, pendant l’espace de quatre mille stades, dans » une même direction et dans un lit unique, si ce n'est qu'il est entrecoupé de » temps en temps par des iles, dont la principale est celle qui renferme la pré- » fecture Héracléotique, &c. (2). » Si l’on ne connoïssoit pas bien le pays, il seroit malaisé de concilier et même de comprendre ces deux passages ; maïs pour celui qui a étudié le terrain, il ny a pas la moindre difficulté. L'ile (et par conséquent le nome Heracleotes) est fermée dans sa longueur par le Nil et par le canal de Joseph, qui, après el-Lähoun, continue encore de baïgner le pied de la chaîne Libyque. Transversalement, cette île est fermée au sud par le canal qui va d'Harabchent au canal de Joseph; et au nord, par celui qui part de Zäouy (3). Le canal qui borde File sur la droite (4), a, selon Strabon, deux embouchutes , et par conséquent deux branches. On recon- noît là le Bahr Yousef, qui, arrivé à el-Lâhoun, comme je viens de le dire, se divise en deux bras, dont l'un entre dans le Fayoum, et l'autre court le long de la montagne de Libye, vers Memphis. L'île Héracléotique est, en quelque sorte, interrompue par cette bifurcation, comme le dit le géographe. Aïnsi la description du nome Aeracleotes ne laisse aucune incertitude, ni pour sa position géogra- phique, ni pour sa configuration : il en est de même de son étendue, au moins vers le nord. Peut-être du côté du midi étoitil terminé par quelque canal autre que celui d'Harabchent et situé dans le voisinage, tel que celui de Menqatyn, ou que celui qui est au sud de Bebäh et qui s'appuie sur la digue de Saft-Rachyn : mais il n’en peut résulter une différence notable de position. Ces canaux médiocres se sont oblitérés par le laps des siècles, et l’on a de la peine à les discerner les (1) Ptol. Geogr. tom. I, lib. 1V, pag. 120 Voy. pag. suiv. (3) Voyez ci-dessous, sect. VI, $. 2. (2) Strab. Geogr. lib. XVI1, pag. 556. J'ai déjà cité ces (4) C'est-à-dire, à l’ouest; c’étoit la droite de Strabon, morceaux et le texte à l'appui, dans mon Mémoire sur le qui montoit dans la Thébaïde, lac de Moœris, À, tom. Î, pag. 1or et 112. DE L'HEPTANOMIDE. CHAP, XVI. +: 6 uns des autres. L'emplacement de celui d'Harabchent, qui passe entre Chenreh appartenant au nome d'Oxyrhynchus, et Nilopolis dépendant du nome Héracléo- tique, peut être pris avec vraisemblance pour la limite méridionale ; mais on peut s'arrêter également au canal de Bebâh. | La préfecture qui nous occupe, possédoit cinq villes principales, Milopols, : Heracleopolis migna , le cheflieu, Cæne, Busiris et Iseum. S I er NILOPOLIS, auprès de Tarchoub, SELON Ptolémée, la ville de Niopohs étoit située à 10’ au sud d'Heracleopolis magna, et placée dans l'intérieur des terres (1). Comme c’est la seule distance géographique dont on puisse faire usage pour fixer la place de Milopolis, je cher- cherai cette dernière ville à un sixième de degré [environ dix-huit mille cinq cents mètres | au midi d'Ahnäs. Cette mesure tombe entre les deux villages d’Abou- Chorbän et de Tarchoub, au milieu de l’espace arrosé par le Nil et par le canal de Joseph, au nord-ouest du gros village de Bebâh. Or le nom de Tarchoub a une physionomie Égyptienne; on peut citer dans la basse Égypte le nom de Turchebi, bourg dépendant de Butos (2). D'Anville a placé arbitrairement cette ville de Nilopols à Meydoun, bien loin au nord, et même au-delà des limites du nome; c'est-à-dire, à plus de soixante-cinq mille mètres. Ptolémée étant le seul auteur qui en fasse mention, il n'y avoit aucun motif de s’en écarter. Cet auteur ajoute que Mopols étoit située près du point où le Nil se divise pour former l'ile Héracléotique. Adoptant pour cette ville la position voisine de Tarchoub, on s'arrêteroit de préférence au canal qui est au midi de Bebäh, pour la limite méri- dionale de File et du nome d’Æerackopoñs. Vainement chercheroit-on dans le nom tout Grec de Mopolis quelque lumière sur le culte de cette ancienne ville, ou sur son emplacement. D'un autre côté, toutes les villes d'Égypte rendoient hommage au Nil, et Ptolémée dit positivement que celle-ci étoit écartée du fleuve (3). a: L On trouve dans la Notice d'Hiéroclès une ville de Nicopols, parmi celles de P'Arcadie ; je ne balance pas à corriger ce nom en Niopols. $. If. HERACLEOPOLIS MAGNA (aujourd'hui AAnés ),. Deux villes ont porté en Égypte le nom d'Æeracleopolis. Le nom d’Æeracleo- tique ou d'Aerculéen a été donné lui-même à des canaux et à une embouchure du (1) Vilopolis, lat. 29°; Herculis civitas magna, 29°10". (Ptol. Geopgr. lib. IV, pag. 120 et 121.) à Bousir, nom qui vient d’Osiris, emblème du Nil; (2) Voyez l’Egypte sous les Pharaons, par M. Cham- mais Ptolémée s'oppose à ce qu’on place Wilopolis au pollion, tom. II, pag. 231. nord d’Æeracleo. (3) M. Champollion a conjecturé que NWilopolis étoit 62 DESCRIPTION Nil. J'ai déjà remarqué que les lieux qui avoient reçu cette dénomination, étoïent tous placés sur la limite du territoire cultivable, et j'ai hasardé une conjecture sur l'origne de ce nom d’ÆHercule appliqué aux canaux d'Égypte (5). Après avoir reconnu d'abord la position de cette ville, de manière à ne pas laïsser _ doute, je donneraï de nouveaux motifs à l'appui de mon opinion. Ptolémée assigne la latitude de 29°10° à Heracleopols magaæ@Dans les plus anciens manuscrits Qobtes, cette ville s'appelle Hnés, suc. Or on trouve au cou- chant de BenySoueyf, juste à la latitude de 29°10', un groupe de villages du nom d'Afnäs, où se trouvent des ruines. En outre, dans les catalogues, le nom d'A/näs correspond toujours à SHKC. | Heracleo est placée, dans la Notice d'Hiéroclès, au nord d Oxyrhynchus. Dans la Table Théodosienne, la ville est à six milles Romains de Ptolemais, aujourd'hui el- Lähoun : six milles correspondent à huit mille neuf cents mètres; c’est exactement la distance qui existe entre el-Lähoun et Ahnâs du nord. ve Selon Pline, le nome Héracléotique étoit limitrophe avec lArsinoïte , et les habitans d'Herackeopolis avoient dégradé le labyrinthe, ouvrage qui leur étoit odieux. Je me borne ici à citer cette circonstance sous le rapport géographique, devant en parler sous d’autres rapports dans la Description de la préfecture Arsi- noïte et du labyrinthe (3). Or Ahnâs n’est qu’à huit mille cinq cents mètres environ de la gorge du Fayoum : tous les témoignages s'accordent donc invariablement à placer la grande ville d'Hercule au village d’Ahnàs. . I y avoit dans cette ville un‘évêché, et auprès un monastère considérable. Au- jourd’hui on voit encore au sud un village du nom d'eDeyr ; ce qui annonce qu'il a existé en effet un monastère dans cet endroit. Il est surprenant qu'il ne reste pas de grands vestiges d'antiquités de cette mé- tropole : mais nous pouvons juger de son étendue en réunissant les trois villages nommés A/näs et Menchät Ahnäs, qui probablement en occupent la place ; cet espace a plus de trois mille mètres de largeur. Du côté occidental, la ville étoit voisine de la branche appelée Bahr-Yousef. Strabon apprend que les Héracléotes avoient de la vénération sur l’ichneumon, par opposition avec le culte que les Arsinoïtes adressoient au crocodile. L’ichneu- mon passoit pour être le plus dangereux ennemi du crocodile et du serpent : il dévoroit, dit-on, les œufs du premier; et même, quand ce reptile venoït à ouvrir la gueule, lichneumon sy précipitoit et rongeoit ses entrailles (3). Ce récit est au- jourd'hui mis au rang des fables, comme l’ibis mangeur de serpens: mais il faut penser qu'il cache quelque allégorie, que l'on découvrira un jour quand on connoftra mieux les habitudes de ce quadrupède, et en général les mœurs des animaux, que les Égyptiens avoient observées soigneusement. Quoi qu'il en soit, l’ichneumon a été figuré dans les hiéroglyphes des temples et des manuscrits. On le voit sculpté en bronze. Il a été représenté aussi dans les médailles des nomes : maïs, par une {1) Voyez la Description d’Antæopolis, À. D, chap. XII, pag. 19. (2) Voyez la Description du nome Arsinoïte, 4, D, chap, XVII, sect, 111, pag. ?5 et alibi. (3) Strab. Geogr. lib. xvI1, pag. 558. DE L'HEPTANOMIDE. CHAP. XVI. 63 singularité remarquable, il ne figure pas dans celles du nome Héracléotique ; c'est la tête d'Hercule qu'on voit au revers-{1). On voudroit découvrir l'analogie qu’il y a entre le prétendu culte que la ville rendoit à l’ichneumon, et son nom de »{/e d'Hercule. Hercule, sans doute, y avoit des autels : j'entends l'Hercule Égyptien, l’un des anciens dieux de l'Égypte, comme l'assurent Hérodote, Macrobe, et aussi Plutarque (2) Mais l’ichneumon étoitil un animal dont les qualités symboliques eussent rapport avec les attributs d'Her- cule! Quelle étoit leur signification commune dans le culte de cette préfecture ! Enfin peut-on tirer quelque jour de l'opposition qui existoit entre ses habitans et ceux du nome Arsinoïte, opposition à laquelle on doit, selon Pline , la des- truction du labyrinthe! S'il n’est pas possible de répondre parfaitement à ces questions que s’est déjà faites le lecteur curieux, on ne peut nier qu'elles ne méritent l'examen; et peut- être me pardonnera-t-on d’avoir essayé de soulever le voile qui couvre ces énigmes mythologiques. La connoissance particulière que j'ai pu prendre. du pays qui est le théâtre de ces fables, me servira de guide dans une recherche un peu aven- tureuse; on a, au reste, des exemples des lumières que peut jeter la géographie sur l'explication des mythes Égyptiens. Hercule, selon Diodore de Sicile, étoit un des ministres d'Osiris, le d'en du Nil; il étoit aussi le chef de ses armées. Il faut entendre par-là, comme je l'ai dit ailleurs (3), que ce dieu secondaire étoit l'emblème des dérivations du fleuve, de toutes les branches et des canaux que l’industrie des habitans avoit pratiqués pour suppléer au Nil même. La force de l'Hercule Égyptien consistoit à arrêter l'invasion des sables, à combattre le désert, à reculer les limites de la terre cultivable, c’est- à-dire, les frontières de l'empire Égyptien. C'étoit un héros toujours occupé à vaincre les ennemis de l'État, à prévenir la stérilité, à maintenir l'abondance : com- ment ne lui eût-on pas adressé des hommages comme à Thoth ou Mercure, autre personnage symbolique, auteur de la découverte des sciences et des arts utiles! Mais pourquoi l'a-t-on fait à Heracleopolis plus qu'ailleurs, puisque l'Égypte étoit couverte de canaux! Ce que j'ai dit sur toutes les localités qui avoient porté en Égypte le surnom d’Æercule ou l'épithète d'Herculéen, répond à cette question. Ce ne sont pas les canaux intérieurs qui signaloïent la puissance d'Hercule , mais bien Îes canaux limitrophes du désert. C’est là qu'il luttoit avec le fléau des sables, et qu ‘il méritoit des autels. Si, près de Péluse et de Canope, aux deux entrées de l'Égypte vers lé nord, il y avoit des villes de son nom, comment l'auroit-on oublié dans cette région du couchant, où le bassin du Fayoum, à l’époque où ül étoit encore Ja proie du désert, vomissoit en Égypte des torrens de sable par une large ouverture’ Dans ce lieu, la Libye et l'Égypte étoiïent tour à tour couvertes par le Nil'ou par les sables. La plus vaste plaine, non-seulement de l'Heptanomide, (1) Voyez. la planche des médailles des nomes, n° 58, À, vol, V. (2) Voyez la RC d’Antæopolis, À, D. chap. XII, pag. 19 et suiv. (3) Voyez ibid. 64 mais de toute la Thébaïde, étoit le théâtre de ces combats toujours renaïssans, où l'agriculture devoit perdre plus de terrain qu'elle n’en gagnoït (1). Un ancien bras du Nil coulant inégalement le long de lammontagne Libyque;, à sec peutêtre pendant une partie de l’année, sur-tout pendant le printemps, saison où ä-la-fois les eaux sont le plus basses et les vents de Libye le plus impétueux, une branche. aussi foible arrêtoit mal l'irruption des sables qui débouchoïent par la gorge du DESCRIPTION Fayoum. C'est alors, je pense, que l’on creusa et que l’on élargit davantage cette grande dérivation, soit à son embouchure, y coula toute l’année, en toute saison et en abondance, et la profondeur du canal devint pour les sables un obstacle impossible à franchir. Ce fut le triomphe d'Her- , favorisée par ce grand bienfait, lui éleva des autels. Le soit dans tout son cours. Alors l’eau cule, et la ville capitale surnom de grande que porte cette Æferacleopolis, et qui la distingue des deux autres, annonce l'importance des changemens qui survinrent au territoire ; désormais ga- ranties d’un fléau, et gagnant tous les jours en fertilité, cette immense campagne et la préfecture toute entière ne pouvoient, dans l'esprit de la religion Égyp- tienne, adresser mieux leurs hommages qu'à celuï qu'on croyoit l’auteur du bienfait. Comment les habitans de cette contrée conçurent-ils de l’aversion pour les crocodiles, qu'honoroïent les Arsinoïtes leurs voisins! Cette aversion s’expliquera pour le lecteur, s'il veut s'arrêter à l'époque où l’on creusa un canal pour arroser le nome Arsinoïte. Pendant que les Héracléotes jouissoïent du bénéfice de la grande branche dont je viens de parler, le bassin du Fayoum étoit livré aux sables du dé- sert, condamné à une stérilité absolue. L'industrie croissante des Égyptiens alloit toujours faisant de nouvelles conquêtes sur les sables, et le domaine de Typhon reculoit à mesure que gagnoit le domaine d’Osiris. Un roi, à jamais fameux, imagina de creuser la gorge du Fayoum jusqu'au niveau de la branche qui la baignoïit. Par un travail gisantesque, on vint à bout d'y introduire les eaux, et elles se répandirent dans cette région sèche et aride, où l'on ne connoïssoit, de temps immémorial, que les eaux salées qui tomboient de la montagne dans le lac du nord. Maître des eaux du fleuve, Mœris les partagea entre les parties du sol les plus susceptibles de la culture, par de vastes branches qui font encore aujourd’hui l'admiration des voyageurs, et il conduisit l’excédant dans ce grand réceptacle. C'est là que je trouve l'explication des sentimens que les Héracléotes concurent contre les Arsinoïtes. Cette copieuse saïgnée faite à leur canal Herculéen diminua de beaucoup l'abondance des eaux dans leur préfecture, et le territoire perdit de sa richesse et de sa fécondité. Le crocodile, honoré par les Arsinoïtes, précisé- ment comme un symbole des eaux douces qu'ils avoient désormais en léur posses- sion, devint pour les premiers un animal odieux : il ne pouvoit entrer dans la pré- fecture de son nom (2), sans apporter avec lui les eaux précieuses que perdoiïent en partie les Héracléotes. (1) La largeur de la vallée entre Beny-Soueyf et el- Lähoun est de plus de vingt mille mètres. Quand on part de Beny-Soueyf pour le Fayoum, l’horizon cache à la vue toute cette province et la pyramide elle-même du Fayoum., La plaine est encore aujourd’hui très-fertile. On la cultive ordinairement en féves, après la récolte des céréales. Behneseh est encore plus loin du Nil. ( Voyez ci- dessus, pag. 56, note 8.) (2) Voyez la Description des antiquités du nome Arsi- noïte, chap. XVII, sect, II, pag. 20, Enfin DE L'HEPTANOMIDE. CHAP, XVI. 65 Enfin ceux-ci dégradèrent le labyrinthe, parce que les dépouilles des crocodiles sacrés y étoient renfermées. J'ai ainsi tenté d'expliquer toute cette histoire physique autant que mytholo- gique des cultes d'Aeracleopolis et d’Arsinoé : il me reste à dire un mot de l'ich- neumon, que la première de ces villes avoit, selon Strabon, en grande vénération. Ici, il faut avouer que les mœurs de l’ichneumon ne nous sont pas bien connues ; mais, s’il faut rejeter parmi les fables ce qu'en dit le géographe, pourquoi n'admet- troit-on pas quelque antipathie entre cet animal et le crocodile! Seroit-elle plus extraordinaire que celle que nous ont entre certains animaux, entre des quadrupèdes et des oiseaux, &c.! Je n’en veux pas davantage pour concevoir que l'animal antipathique aux crocodiles ait été honoré par les Héracléotes, par cela seul que ces reptiles étoïent vénérés des Arsinoïtes. Hercule donc étoit le symbole ancien et sacré de la ss d'Heracleopolis magna , et lichneumon, le signe particulier de l'éloignement qu'avoit cette ville pour Crocodilopols. Sans doute, il seroït précieux de connoître le nom antique Égyptien de la grande Héraclée et sa signification ; car les Grecs sont accusés d'avoir imposé aux villes d'Égypte des noms arbitraires et tirés de leur culte ou de leur histoire : mais ce n'est pas ici du moins qu'ils auront commis cette espèce de fraude, puisque l'Her- cule Égyptien est plus ancien que tous les dieux des Grecs, et sur-tout que le fils d'Alcmène {1). S: III. CÆNE (aujourd'hui Beny-Soueyf). L'ITINÉRAIRE d'Antonin conduit d’/siu à Oxyrhynchus , en passant par Cæne. Il est facile de voir, en examinant la carte, que la première partie de cette route ne s'écarte pas du Nil. Cæne étoit, selon mot, au même point de la rive gauche que celui où est aujourd’hui Beny-Soueyf, ville capitale de la province du même nom. Il y avoit, selon Ftinéraire, vingt milles d’Zsiu à Cænd, et autant de Gœne à Tacona. Ces vingt milles répondent à un peu plus de vingt-neuf mille cinq cents mètres, et l'on n’en trouve que vingt-huit milles de Zäouy, l'ancienne /s7 , à Beny-Soueyf : cette différence d'environ un mille Romain n'est pas un obstacle pour reconnoître l'identité de Beny-Soueyf et de Cæne. La distance s’accorderoït assez bien en plaçant la dernière de ces deux villes à Ahnâs; mais c'est là qu'étoit Æeraclcopols. Cæne me paroît une position plus nouvelle, et qui succéda peutêtre a la ca- pitale quand celle-ci tomba en ruine. C’étoit le port d'Heracleopols ; le port rem- plaça la ville, et la fit oublier. Mon opinion est fondée sur l'exemple d’Apo//no- polis parva Sur le Nil, qui remplaça aussi Abydus, trop éloïgnée du fleuve, et devint même ensuite la métropole du nome (2). Minyeh n'a-t-il pas succédé de (1) Le nom Qobre de la ville SWKC n’a pas encore été expliqué ; il faudroit en connoître.le sens, pour en tirer quelque induction sur la nature du culte de cette préfecture. (2) Voyez la Description d’'Abydus, 4. D, chap. XI, pag. 1 et alibi. 4. D. I 66 | DESCRIPTION la même manière à Hermopolis! Mais je dois ajouter un autre argument tiré du nom lui-même de cette ville ; Cæne est un mot Grec qui signifie 4 nouvelle. M y avoit donc une autre ville, uné ville ancienne, dans les environs: or c’est évi- demment la grande ville d'Hercule. J'ai trouvé dans Beny-Soueyf des colonnes de granit et AE de fragmens d'antiquités, annonçant qu'il a existé jadis dans ce même lieu quelque ville Égyp- tienne ou Grecque. Mais la nombreuse population qui l’habite, ne permet pas de voir à découvert les vestiges de l'antiquité : les mosquées et les maisons sont élevées sur les débris, ou avec les matériaux eux-mêmes. Je n’entrerai dans aucun détail sur l’état actuel de Beny-Soueyf, quoique j'y aie long-temps résidé : cette description n'auroit aucun rapport avec l'état ancien de la contrée. Il m'a suffi de montrer que cette ville est sans nul doute la même que Cwne de FItinéraire. SAT 1S1U (aujourd'hui Zéouy); BUSIRIS, Abousyr, dc. CoMME nous l'apprenons de Strabon et de Ptolémée, l’île Héracléotique étoit fermée au nord par un canal. Nous avons reconnu ce canal dans celui qui sort du Nil, un peu au-dessus de Zäouy, à vingt-huit mille mètres au nord de Beny- DORE et qui se jette dans le canal occidental, prolongement du Bahr-Yousef C’est à ce village de Zâouy qu'on doit placer ee qui, selon l'Itinéraire, étoit à vingt milles Romains de Cœne, et à quarante milles de Memphis, en passant par Peme : cet emplacement est le même que celui qui a déjà été donné par d’Anville. Nous venons de voir que Zäouy est à vingt milles Romains de Beny-Soueyf; or on trouve aussi, en passant par un lieu du nom de Metänyeh, quarante milles de Zäouy à l emplacement actuel de Ho J'ai observé à Zäouy quelques vestiges d'antiquité Égyptienne ; aujourd'hui ce n’est plus qu'un petit port sur le Nil Il y a une sorte de conformité entre l’ancien et le nouveau nom ; peut-être le mot Zäowy n'est-il autre chose qu'Zsx ou Zsiou altéré. Dans la Notice de l'Em- pire, on trouve st, dont Z4ouy se rapproche encore davantage, sur-tout en prononçant /so. On me permettra à ce sujet une conjecture. Les Musulmans donnent le nom de Z4ouyeh à tous les oratoires ou petites mosquées : c’est aux grandes qu'est réservé le nom de géma’. I y avoit certainement jadis une foule de ces chapelles dédices à Isis, et du nom d’/sx ou Zstou ; les Arabes, lors de la conquête, n’en auroient-ils pas emprunté le nom pour leurs oratoires! On pourroit hésiter à assurer que la ville d'Zs# faisoit partie du nome Héra- cléotique : èn effet, Zäouy est un peu au nord du canal transversal. Mais la grande digue de ce village, étant destinée à retenir les eaux du même canal, annonce une continuité de territoire soumis à la même juridiction. En outre, il sen faut que la province de Gyzeh, qui a succédé au nome Memphitique, s’'avance au sud jus- qu'à Zäouy: la limite méridionale est au village de Reqqah. Entre Zäouy. et el-Lähoun , il y a un village du nom d’Abousyr el: Mateg, où DE L'HEPTANOMIDE. CHAP, XVI. 67 Pon croit qu'il a existé une ancienne ville. Le nom d’Abousyr est commun à plu- sieurs endroits de l'Égypte, notamment à l’ancienne Taposiris, près Alexandrie. Ce dernier nom signifie Ze tombeau d'Osiris ; et l'on sait que beaucoup de villes se disputoient l'honneur de le posséder, non-seulement Pile, Abydus et d’autres du premier ordre, mais des villes secondaires. J'ai essayé ailleurs d'interpréter cette diversité de traditions { 1); je me bornerai à dire ici qu’elle explique très-bien elle-même la multiplicité des lieux qui, dans l'Égypte moderne, portent le nom d'Abousyr. L'exemple de Taposiris magna , à V'ouest d'Alexandrie , remplacée aujour- d'hui par Abousyr, fait voir que les Arabes ont retranché barbarement le T initial, le jugeant insignifiant, et préférant de commencer ce nom par Abou, qui signifie père, et qui est chez eux un mot si commun à la tête des noms d'hommes et de lieux. Je vais plus loin, et je rangerai dans la même catégorie les villages nommés aujourd'hui Bousyr. Comme souvent les Arabes ont ajouté par euphonie léLf initial devant les noms anciens, ainsi que le prouvent Asouän (2), Esné, Akhmym et d’autres encore, ils ont aussi pu faire l'inverse, cest-à-dire, ôter cet é/f là où ils l'ont cru ajouté par les Grecs; ils l'ont fait aussi pour abréger les noms trop longs. Nous avons eu de fréquentes occasions, pendant l'expédition d'Égypte, de reconnoître l'habitude qu'ont les Égyptiens modernes de tronquer les noms _ propres étrangers, pour les rapprocher des dénominations qui leur sont familières. Je conclus qu Abousyr el-Maleq a succédé à quelque position surnommée T'aposiris par les Grecs, peut-être TzBoxcxps chez les anciens Égyptiens. Ce village est auprès d’un mamelon détaché de la chaîne Libyque, dans lequel on a creusé des catacombes ; il y a donc eu dans cet endroit une ancienne position: Je ne parlerai pas de plusieurs villages des environs, tels que Bouch, Zeytoun, Kemân el-A’rous, &c. dont jai fixé la position sur les cartes nouvelles, bien que leurs noms présentent quelques rapprochemens à faire avec l’état ancien du pays : ces détails appartiennent davantage à la géographie proprement dite. SECTION V. NOMUS CROCODILOPOLITES ou ARSINOÏÎTES. Jr ne fais ici mention du nome Arsinoïte que pour compléter la nomenclature des sept préfectures de l'Heptanomide. Ayant traité séparément des antiquités de ce nome, je renverrai simplement au chapitre des descriptions qui vient immédiatement après celui-ci (3). (1) Voyez la Description d’'Abydus, À. D. chap. XT, et ailleurs. (2) Voyez la Description de Syène ou Asouân, 4. D. chap. II, pag. 4. (G) Voyez À. D. chap. XVII. 68 | DESCRIPTION SECTION VE NOMUS APHRODITOPOLITES, Lx nome Aphroditopolite étoit situé sur la rive droite du Nil, entre Baby- lone au nord, et le nome Cynopolite au midi. Nous avons vu, dans la section II, que la ville extrême de cette dernière préfecture, vers le nord, étoit 44 fo L'étendue de lAphroditopolite étoit donc de plus d’un degré en latitude, et d'environ trente lieues en longueur développée, à cause du coude que forme le Nil vers le milieu de l'intervalle; c’est la même circonscription que celle de la province moderne d’Atfyh, située sur la plus étroite des rives du Nil. Le nome d'Aphrodtopolis étoit moins favorisé par la nature que la plupart des autres ; les sables d'Arabie qui le menaçoïent, et, qui ont fini par l’envahir dans sa plus grande partie, n’étoient pas retenus par un canal, comme ceux de la Libye l’étoient par le canal occidental : aussi ne nous paroît-il pas avoir joué dans l'antiquité un aussi grand rôle que les autres nomes. Son nom, tel que les Grecs nous l'ont transmis, ne nous donne pas de grandes lumières à cet égard. Dans d’autres noins traduits ou altérés par les Grecs, on trouve quelquefois des indices qui font découvrir l'ancien culte : ici le nom de »/e de Vénus semble ne présenter à l'esprit, au premier abord, que l'idée d’un culte étranger à l'Égypte. On nourrissoit dans cette ville, dit Strabon, une vache sacrée comme à Memphis : quel est le rapport qui existoit entre cet animal ét la fable de Vénus! Le nom actuel de la province, Atfyh, qui paroît le reste du nom Égyptien, jettera peut-être du jour sur ce point histo- rique, lorsque on connoîtra la signification du nom Égyptien correspondant (1). Ses CON THIMONEPSI, auprès de Bayäd. La ville de Thimonepsi ne nous est connue que par FItinéraire d’Antonin et la Notice de l'Empire. La route qui, dans l'Itinéraire, suit la rive droite du Nil, renferme cette position entre celles d’A/yi et d'Aphrodito, à seize milles de la pre- mière ville et à vingt-quatre de la seconde; c’est-à-dire que ces deux distances sont dans le rapport de 2 à 3. La plaine au-dessous de Bayäd, en face de Pan- cienne Cæne où Beny-Soueyf, est précisément placée, à l'égard d'Atfyh où Apro- ditopolis, et de lemplacement d’'Ahi, fixé plus haut (2), dans le rapport que demande Fltinéraire : les deux distances sont de vingt-cinq et de dix-sept milles Romains, au lieu de vingt-quatre et de seize; mais, comme il n'y a pas de certi- tude sur la position précise où étoit A4, à un mille près en plus ou en moins, et que la plaine au-dessous de Bayäd est aujourd'hui inculte, on voit que les inter- (1) Voyez ci-dessous Le $. 111. (2) Voyez ci-dessus, sect. 11, $. IV. t LU DE L'HEPTANOMIDE. CHAP. XVI. valles actuels ne s’écartent pas de l'Itinéraire. On peut ainsi fixer l'emplacement de Thimonepsi à cinq mille mètres au-dessous de Bayäd, sans craindre une erreur notable. Bayäd est un village Chrétien ; ce qui annonce encore une certaine proxi- mité par rapport à quelque ancienne ville qui aura disparu sous les sables. C'est là que lon embarque pour le Kaire les chargemens de pierre à plâtre recueillie dans la montagne voisine. Ce village est situé à l'embouchure d’une grande vallée qui conduit jusqu'à la mer Rouge, et par où les sables affluent dans la plaine. : Bien que les géographes ne parlent point de Thimomepsi, et que deux itinéraires seulement en fassent mention, lon n’en doit pas conclure que cette ville est d’origine Romaine, et qu'il n’y a pas eu dans le même lieu une ville Égyptienne. Je me fonde sur ce que le nom Latin lui-même présente route l'apparence d'un nom Égyptien altéré. La syllabe finale psi paroît être la tête d’un mot Égyptien tronqué, et les trois autres, #umone, sont le même mot que thmone où tmone, qui, selon un savant orientaliste, doit se traduire par Æ port (1). Bayäd étant aujourd'hui le port de cette partie de la rive droite du Nil, on trouvera, je pense, une convenance de plus dans la position que je donne à Thimonepsi (2). $. EL. ANGYRÔNPOLIS où ANCYROÔNPOLIS. CETTE ville est mentionnée par Étienne de Byzance et par Ptolémée. Celui- ci lui donne la même latitude qu'à Péolemais, et la place à 20 minutes au sud d'Aphrodito. On ne sauroit fixer sa position d'après cette double donnée, puisque, du parallèle d’Atfyh à celui d'el-Lähoun, l’ancienne Péolemais, il n'y a que 12 mi- nutes environ. La seule conjecture que je puisse me permettre, est de supposer que cette ville étoit aux environs du lieu appelé aujourd’hui sur les cartes Couvent de Saint-Antoine, et situé sur la rive droite, au pied de la montagne Arabique, sous le parallèle d’el-Lähoun. Ce lieu ne doit pas être confondu avec le fameux monastère de Saint-Antoine dont j'ai parlé, à propos d’Alabastrônpolis. D'un autre côté, 20 minutes au sud d’Atfyh conduisent à Bayäd, c’està- dire, à peu près au point où nous avons placé Thimonepsi. H faut ajouter, enfin, que le texte de Ptolémée place Angyrônpols à est de Pile Héracléotique, à 35 mi- nutes au nord du point où le canal qui forme cette île, se rejoint avec le fleuve (3) : ces 35 minutes conduiroient jusque bien au nord d’Atfyh, puisque nous ayons placé vers el-Harabchent la naissance du canal dont il s'agit. (1) Mémoires géographiques sur l'Égypee, par M. Et. (2) D’Anville Fa placée à Bayäd même; ainsi que je Quatremère, tom.1l, pay. 244. M. Champollion pense que OxsoùK signilie mansion, et répord au mot Arabe Minyeh, si fréquent parmi les noms de villages. ( L'É- gypte sous les Pharaons, tom, V, pag. 298.) Quelle que soit l'interprétation qu’on admette, ma conjecture sur le nom de Zhimonepsi paroîtra vraisemblable, Thmone est dans tous les cas un nom générique, et qui est évi- demment l’origine du nom Latin. Pai dir, il faut descendre cinq mille mètres plus bas, Le village actuel est d’ailleurs trop petit pour répondre à la ville ancienne, dont les débris ont sans doute Aire sous les attérissemens et sous les sables. (3) ‘Ayupor mas (CI. Prol. Geogr. lib. 1V, pag. 121). Voyez ci-dessus, page 60 et alibi. "Aywvez signifie an- chora, 7 O DESCRIPTION $. IIT. APHRODITOPOLIS (aujourdhui A#yh). La ville d'Aphroæto est mentionnée dans Strabon, dans Ptolémée, dans FIti- néraire d'Antonin, dans la Notice d'Hiéroclès, &c. Sa position n'est pas diflicile à reconnoître. On ne peut douter qu “Atfyh, capitale de la province qui a succédé au nome Aphroditopolite, ne soit au même point que l'ancienne ne A la vérité, Atfyh est de 1$ minutes plus méridional que la latitude assignée à celle-ci par Ptolémée; mais ce n'est pas un motif pour empêcher d’y reconnoître l'emplacement d’Aphrodito. En eflet, en prenant dans Fltinéraire d’Antonin la route qui conduit de cette ville à Awtinou, position bien connue, on ne trouve sur les cent vingt-huit milles Romains, comptés en six distances (1), que cg milles d’excès sur la route actuelle de Cheykh-A’bâdeh à Atfyh. Le même Itinéraire donne pour distance de Babylone à Aphrodito wente-deux milles, en passant par Scenes Mandras, C'est-à-dire, XII et XX ; mais, pour la pre- mière, il faut lire probablement {selon moi) xx71, et non x7. Or on trouve un peu plus de quarante-deux milles, en deux ouvertures de compas, d'Atfyh à Ba- satyn, qui touche aux ruines de Babylone. Selon Strabon (2), les habitans de cette ville nourrissoient une vache de couleur blanche. Nous avons appris par l’étude des bas-reliefs d'Hermonthis, que cet animal étoit un des emblèmes de la déesse Isis. On y voit le jeune Horus allaïté par sa mère, qui a tantôt la figure d'une vache, tantôt un corps humain et seule- ment la tête de cet animal (3). Ainsi, sous quelques rapports, la Vénus des Grecs peut être comparée à la déesse Égyptienne. De là probablement le nom d’Ap/ro- ditopolis qu'ils ont imposé à la ville antique. La principale médaille du nome mérite d’être citée ici, parce qu'elle peut jeter quelques lumières sur une question un peu obscure : elle a été frappée sous Trajan. Le mot APPOAFITOTOAITHC se lit en entier sur le revers. Sous un portique de deux colonnes, qui ont quelque analogie avec des colonnes Égyptiennes, on voit une figure portant dans la main un petit groupe, composé d’une femme tenant son enfant. Je ne fais nul doute qu'il ne fasse allusion au groupe d’Isis et Horus, si fréquent dans les temples Égyptiens. La figure principale peut être regardée elle-même comme l'image de Vénus : elle est entre deux autels, sur lesquels sont des animaux qu'on ne peut bien recon- noître, mais qui fui sont sans doute consacrés. Ne pourroiton pas trouver ici un indice de l’origine du culte célébré chez les Grecs! | | Ainsi la position géographique d’Aphroditopols, déjà au reste déterminée par d'Anville, ne souffre point de difficulté : il n’en pourroit demeurer que sur la diffé- (x) Antinou à Peos Artemidos...... VIII. Ma ADNTOUIIO Re #0 E ER XXIV. AUNIUSRP ER LE CR Er XXXIV. (2) Geogr. lib. XVII, pag. 556. 1 à Hipponon. XBONE (3) Vo.ez la Description d’Hermonthis, 4. D. cha- — à Alyi,........,... XVI. pitre VIT, pag. ax et suiv. ———— à Thimonepsi......... XVI. ù DE L'HEPTANOMIDE. CHAP, XVI. 71 rence de ce nom avec celui d'Atfÿh; mais il est probable que celui-ci est un reste du nom antique (1). Il paroïît que la ville n’étoit pas autrefois sur le bord du Nil, au milieu d'une plaine cultivée; mais aujourd’hui elle est sur la limite du désert. Toute cette plaine, la plus grande d'un nome qui a si peu de terrain com- parativement aux autres, a été envahie par des sables; jadis elle étoit presque aussi large que celle qui est placée en face, dans le nome Memphitique. Si on peut en juger par la grande distance de la chaîne Arabique à l'est, les sables ont fait de ce côté un progrès considérable, et l'Ég pte a perdu un vaste territoire. Sarl N. SCENÆ MANDRORUM où MANDRARUM; TROÏA (aujourd'hui Torrah). C'EST par l'Itinéraire d’Antonin et par la Notice de l'Empire, que nous avons connoissance de la position appelée Scene Mandrorum. J'ai déjà observé que, les distances de Babylone à Ap/roditopolis étant de plus de quarante-deux milles, les nombres #71 et xx de Itinéraire devoient selire xxr1 et xx. Scenæ Mandrorum , qui est intermédiaire, devoit , d’après cela, se trouver aux environs des villages appelés e-Häy et Gemmäzeh, à trente mille mètres d’Atfyh. I ne s'y trouve plus de ruines connues aujourd'hui; les sables auront sans doute fait disparoître ces vestiges. Nous ignorons, d’ailleurs, si cette position étoit importante. La Notice de l'Empire la fait connoftre comme un poste militaire. Le nom de Scene, qui veut dire tentes, semble annoncer que des tribus d’Arabes étoient établies dans le voisinage. Celui de Mandrarum , qui vient du grec et veut diré cabane et aussi étable (2), présente un sens analogue : peut-être aussi ce nom correspond-il à celui de Scenæ Veteranorum , poste Romain en Égypte. Strabon assure que des Troyens avoient été emmenés par Ménélas et établis en face de Memphis : de là cette montagne avoit pris le nom de wont Troyen, et une ville du nom de Tr avoit été bâtie dans ce lieu. D’Anville a conjecturé heureusement en plaçant l'un et l'autre au lieu appelé aujourd’hui Torrah. J'ai vu dans cet endroit, situé à environ six mille mètres au sud de Basätyn, une quan- tité innombrable de carrières que les Égyptiens ont exploitées , principalement pour la construction des pyramides. Ces travaux sont immenses et comparables à ceux qui ont été exécutés à Selseleh et à Saouâdeh (3). Comme il en sera ques- tion avec pie de développemens dans la Description de Ur et des pyra- mides, je n'entrerai point ici dans d’autres détails. (1) M. ichinrélion a reconnu que l'ancien nom (2) Mawdpa, selon Hésychius et Pollux, signifie érable Qobre du lieu est T” TS , etque Aifÿh en a été formé pour les chevaux et les bestiaux. par l'addition de l'élif inmial. Ce nom lui paroît avec (3) Voyez planche 8, fig. s, A. vol, V, et ci-dessus, raison antérieur au nom Grec d'Aphroditopolis, et bien pag 39. Dans le chapitre XVIII, il sera question de plus près de l’ancien rom Égyptien. (L'Egypte sous les ces carrières. Pharaons, tom. 1.°', pag. 333.) > 00 DESCRIPTION SECTION VII. NOMUS MENPHITES. CE nome étroit le premier et le plus important de l'Heptanomide, puisqu'il renfermoit la capitale de tout le royaume; cependant nous y voyons beaucoup moins de villes que dans le nome Hermopolite. Les géographes et les itinéraires ne font mention que de Memphis, Acanthus, Busiris et Peme. À la vérité, il contient les monumens les plus extraordinaires de l'antiquité Égyptienne, ceux qui ont mérité le nom de werveilles du monde, et dont chacun suppose presque autant de matériaux, et peut-être autant de travail et de dépense, que la cOns- truction des plus grandes villes modernes. La circonscription du nome Memphitique n'est pas difhcile à tracer. Nous avons reconnu que sa limite méridionale étoit à Zseum, aujourd'hui Zäouy. Du côté du nord, il se terminoït probablement à la hauteur de l’origine du Delta vers la ville de Letus , au point où la branche actuelle de Rosette s'approche:le plus de la Libye : la he de Gyzeh, qui lui a succédé , s'étend beaucoup PRE au nord, et va jusqu'à la tête du canal de la Bahyreh. Ontrouve dans une des médailles frappées pour le nome de Memphis le mot lui- même de NOMOC, circonstance qui la distingue de celles des autres préfectures. Au pied de la figure qui est au revers, on voit le bœuf Apis, symbole du culte de cette ville; et autour on lit NOMOC MEN@ITHC. On remarquera ici le N au lieu du M. L'ancien nom y est mieux conservé que dans le mot MEMHIC adopté par les Grecs, et on l'y retrouve comme dans d’autres noms qui subsistent encore en Égypte, tels que Menouf, Menfalont, &c. SEM PYRAMIDE de Meydoun, Haram el-Kaddab. LA pyramide la plus méridionale, en venant de Memphis et avant d'arriver au Fayoum, est celle de Meydoun ou Meydouneh, à trente-un mille deux cents mètres au nord-nord-est de Beny-Soueyf : elle se nomme ainsi, du nom d'un village situé sur la lisière du terrain cultivé ; on l'appelle aussi Haram el-Kaddab , la fausse pyra- mide , apparemment parce que sa forme est trèsdiflérente de celle des autres monumens du même genre (1). En eflet, elle est composée de deux parties qui ont, l'une et l’autre, la forme de pyramide tronquée, et qui reposent sur un massif très-étendu; la partie inférieure est beaucoup plus large que celle qui repose au dessus. L’angle d’inclinaison y est aussi bien plus grand que celui des pyramides ordinaires; et il est douteux que cette pyramide ait jamais été surmontée, comme (1) Voyez pl. 72, fig. 7. | les ! DE L'HEPTANOMIDE. CHAP. XVI. | F3 les autres, par un sommet aïgu : car ce sommet se seroit élevé à une trop grande hauteur. Toutefois, il est manifeste qu’une partie de la sommité a été renversée, et que les débris recouvrent aujourd’hui la partie inférieure. Ce. monument est construit en pierre; maïs il n'est pas certain que le massif inférieur soit une construction par assises, bien qu'il ait l'apparence d’une ancienne pyramide, sur laquelle on aura bâti plus tard. Je suis porté à croire que c'est le rocher lui-même qui a été taillé en forme de pyramide obtuse, jusqu'à une’certaine hauteur, et dont on a dressé ensuite la plate-forme pour construire par-dessus la pyramide proprement dite. Cette élévation du massif inférieur fait qu'on aperçoit le monument de très- Join : je lai vu pendant la marche d’une journée entière. Quand on est au village de Regqah el-Kebyr, port sur le Nil, on est à une lieue et demie environ de la pyra- mide de Meydoun. Je n'ai pu prendre les mesures de ce monument ni des pyra- mides qui suivent. Meydoun est d'ailleurs un assez gros village, où l’on croit qu'il y a eu une ville ancienne; le voisinage de la pyramide confirmeroit cette opinion. Gras PE, Regqah el-Kebyr, et PYRAMIDES voisines. REQQAH EL-KEBYR est un assez fort village sur le bord du Nil, placé à environ dix mille mètres au nord-est du précédent : j'y ai trouvé quelques antiquités ; entre autres, une grande pierre carrée en granit, qu'on a essayé de convertir en meule, et qui a sur une de ses faces des hiéroglyphes sculptés avec beaucoup de soin. Il est possible qu'on ait transporté ces débris d’une ville voisine; maïs on peut croire aussi qu'il v a eu là une ancienne position. En effet, deux pyramides ont été bâties vis-à-vis, au bord de la chaîne Libyque. Ces deux pyramides sont aujourd’hui presque ruinées. [l est vraisemblable qu'il existoit quelque bourgade en rapport de situation avec ces monumens. Le village actuel d’el-Haram (1), qui est dans le voisinage, répond à cette indication, ECS 1 1 1 PEME (aujourdhui Bembé); PYRAMIDES dites d’el-Metänyeh. La ville de Peme, suivant lItinéraire, étoit à vingt milles de Memphis et à la même distance d’/s ; elle n’est point mentionnée aïlleurs : le seul nom qui s’en rapproche dans la Notice de l'Empire est Peamu ; maïs on ne sauroit aflirmer, d'après le rang qu'il occupe dans cette dernière nomenclature, qu'il se rapporte au même lieu que Peme. Si Jon cherche sur la rive droite du Nil un lieu à égale distance de Memphis et de Zäouy, l'ancienne /seum, on tombe sur un point aujourd’hui inculte, voisin (1) Mot qui signifie les Pyramides. A. D. K [l A DESCRIPTION des deux pyramides de Metânyeh, précisément à vingt milles Romains de Zäouy, et à vingt milles des ruines de Myt-Rahyneh, aujourd'hui Memphis {1}. Mais, outre la proximité des pyramides, on trouve dans les environs et au sud de ce point les villages de Bembé et de Gezyret-Bembé, dont le nom a du rapport avec Peme: une distance de quatre mille mètres entre l'un et l’autre ne seroir pas un obstacle pour empêcher de les considérer comme une seule et même position. Cette position se trouve à l'écart du Nü, sur le bord du canal occidental. La route, partant de Memphis pour tendre directement à /sewm, devoit, en effet, quitter le fleuve, qui, dans cet endroit, fait un grand coude à l'est. Ici, je ferai remarquer encore une fois l'exactitude de lItinéraire, et même la précision des mesures, On fera sur-tout attention que ces mesures sont exactes, étant prises sur la carte en ligne droite, et non sur les contours des chemins : cette dernière méthode étoit trop vague, et peut-être les chemins trop variables, pour qu'elle fût bien utile ; tandis que les distances directes, connues de tout temps d'une manière certaine par le moyen de l'antique topographie du pays, ne pouvoient donner lieu à aucune incertitude. Toutes mes recherches m'ont conduit à ce même résultat, savoir, que les distances marquées sur les anciens itinéraires sont prises, la plupart du temps, d’un lieu à l’autre, à vol d'oiseau, et que, si elles n'ont pas été déterminées par la trigonométrie et le calcul, elles ont été mesurées au compas sur une carte topographique très-bien faite (2). Au nord-ouest de Bembé, on voit deux pyramides qui portent le nom d’ez Metänyeh, quoique ce village soit assez loin vers le nord-ouest : ces pyramides sont celles qu'on laisse à sa gauche, quand on va du Fayoum au Kaire par le désert; de loin elles ressemblent à des collines de sable (3). L'une d'elles est bâtie sous deux inclinaisons , la première presque double de la seconde (4). Cette singu- larité pourroit s'expliquer d’une manière assez plausible; en admettant que, l'angle sous lequel on avoit commencé la construction, ayant paru dans la suite trop ouvert pour la continuer, on jugea qu'elle exigeroit trop de dépense, et qu’on imagina de l'achever sous une moindre inclinaison pour arriver plus vite au sommet. La seconde de ces deux pyramides est beaucoup moins conservée; les angles sont effacés, et le monument en a pris une figure presque conique. . Pour se rendre au Fayoum en traversant le désert, on quitte à Bahbeyt la route qui suit le bord du Nil, et l’on se dirige sur Atâämneh, où l’on passe sur un pont le canal occidental; de là l’on s'enfonce dans les sables, en laissant à sa gauche les pyramides d’el-Metänyeh, qui seroïent mieux nommées de Bembe. (1) On trouve un peu moins de trente mille mêtres, et anciens Égyptiens, chap. II et XIL, Antiquités-Mémoires , vingt milles Romains font vingt-neuf mille cinq cent cin- som. 1, pag. $o7 et 600. quante-six mètres. (3) Voyez chap. XVII, sect, r, S. 1. (2) Voyez mon Mémoire sur le système métrique des (4) Voyez pl, 72, fig. 4. DE L'HEPTANOMIDE. CHAP. XVI. 7$ SARINE ACANTHAUS (aujourd'hui Dahchour), et Px RAMIDES de Minyet-Dahchour. Diopore DE SIcILE, Strabon et Ptolémée font mention d'Acanthus comme d'une ville touchant à la Libye, et située au sud de Memphis, à cent cinquante (1) stades de cette capitale. Avec ces données, rien n’est plus facile que de déterminer sa position. Si l'on prend une ouverture de compas d'un peu moins de quinze mille mètres, représentant cent vingt stades de l'espèce de ceux dont Diodore et Hérodote ont fait l'usage le plus fréquent , on tombe,un peu au nord du village de Dahchour , sur la rive gauche du canal occidental, qui aujourd’hui est ensablé en partie. Cette distance est moindre d’un dixième que les dix minutes de diffé- rence en latitude assignées par Ptolémée entre Acanthus et Memplus ; maïs on pensera qu'il est préférable de s’en tenir à l'indication plus précise de Diodore de Sicile. D’Anville avoit déjà placé cette ville à Dahchour, et deviné, en quelque sorte, une conformité de position qu'il ne pouvoit bien connoître. Strabon nous apprend qu'il y avoit à Acanthus un temple d'Osiris. Les sables ont sans doute fait disparoître ce monument, dont je n'ai pu découvrir les ves- tiges. Les Arabes rapportent des ruines de cet endroit différentes antiques pour les vendre aux voyageurs. J’ignore où étoit placé le bois sacré qui, selon Strabon, étoit auprès de cette ville : ce boïs étoit composé d’acanthes ou d’épines, c’est-à- dire, d’acacias épineux, de l'espèce appelée en arabe sont. C'est un arbre propre à l'Égypte, aïnsi que le dit Théophraste. De 1à le nom donné à la ville aux environs de laquelle ce bois étoit planté. J'aï déjà parlé plusieurs fois de Fusage qu'en faisoient les anciens Égyptiens selon ma conjecture (2). Je n’entrerai point ici dans de nouveaux développemens ; maïs je ferai remarquer que trois choses confirment mon sentiment : l’une, que Strabon donne ici aux bois d’acanthe le nom de forêt sacrée ; Vautre, que le nom de ces arbrisseaux a été imposé à une ville, ce qui en fait voir assez l'importance; la troisième, que cette ville est au bord du désert, comme l'étoit Aydus. Les bois d'acacias étoient appelés sacrés, selon moi, parce qu'il. étoit défendu d'y toucher; leur destination étant d'arrêter les sables du désert, et de protéger la terre d'Osris, on comprend avec quel soin religieux ils devoient être conservés. La plus grande pyramide qui se trouve au sud de Saqqärah, est celle des envi- rons de Minyet-Dahchour, village à neuf mille mètres du précédent, vers le nord et à la hauteur de Cheykh-O’tmân (3) : elle présente de l’analogie avec celle de Meydoun, et avec la plus grande d’el-Metänyeh. En effet, ainsi que cette dernière, elle est bâtie sous deux inclinaïsons : et sa partie inférieure est construite sous un angle fort ouvert, ainsi qu'on le voit dans celle de Meydoun. Les dimensions de (1) La version ordinaire porte cent vingt stades ; mais (2) Voyez chap. XI, pag. 4, 17, et ailleurs. celle qui est en marge de l’édition de Rhodoman ( Diod. (3) Voyez pl. 72, fig. 6. Sic. liv. 1, p. 87), éxuror xd) meymixormæe , est la meilleure. AC EDE K 2 76 DESCRIPTION cette pyramide le cèdent peu à celles des grands monumens qui sont en face de Gyzeh. Un peu plus au midi, près de Minyet-Dahchour, on en voit trois autres, qu'on a coutume de désigner aussi sous le nom de pyramides de Sagqärah. L'une d'elles ressemble à la plus grande d’el-Metânyeh, c’est-à-dire qu’elle est bâtie, comme celle-ci, sous deux angles diftérens ; mais, son angle supérieur étant plus aïgu, le sommet ést plus aïgu aussi, et plus élevé. Auprès de cette pyramide, en est une fort petite. Enfin, plus au nord, est une construction élevée, fort ruinée, dont la forme ne permet pas d'affirmer qu’elle soit le reste d’un édifice pyramidal. De la pyramide dont j'ai parlé au commencement de ce paragraphe, il y a en- viron une lieue jusqu'au groupe de celles qui appartiennent proprement à Saqqärah, groupe composé d'une dixaïine de monumens semblables qui se rattachent avec les pyramides de Gyzeh : ces monumens sont l’objet du chapitre suivant; c'est pour- quoi je borne ici la description des antiquités du nome Menphite et de l'Hepta- nomide, sans faire mention non plus de Busiris ni de Venus aurea. Ces anciennes positions sont voisines de Memphis, et il en sera question dans la description consacrée à cette capitale et aux pyramides de Sagqärah et de Gyzeh (1). (1) Voyez la Description de Memphis et des pyramides, 4, D. chap. XVIII, et À, vol. V. DE L'HEPTANOMIDE. CHAP. XVI. 7 NOTE Sur les trois Itinéraires comparés, dans la partie qui est au midi de Babylone. : ee Table Théodosienne est, dans cet endroit, très-défigurée et difficile à res- tituer. Pour l'éclaircir, je l'ai comparée avec les deux routes que porte l'Itinérairé d'Antonin, sur la rive droite et sur la rive gauche du Nil. Celles - ci doivent elles-mêmes être comparées ensemble, pour qu’on puisse s'assurer si elles sont d'accord. Voïci les extraits de ces trois routes : ITINÉRAIRE D'ANTONIN. DRE LT ne ARS M OT RE SOMMENOMABLE THÉODGOSIENNÉ. Rive gauche, Rive droite. MIÉMPNS ARR Cr P EE NB ADMION IAE eee eee ee “ BaDMIONA Re Roeerscree 5 ’ PME Ernie XX.| Scenas Mandras........ XXII. (Her ES ARTE ER PA DIDDO ne parer MAT EAN OP es ne de epe Pleure LXXII. CAPE NN ON GAS xx. | Fhimonepst, 2.2, 0 XX1V.| Ptolemaïdon Arsinoïtum...…. vi. |} TOTAE. rue - ee OO 66. 78. L'espace de soixante milles entre Memphis et Cæne, sur la rive gauche, étant presque en ligne directe, se trouve aussi le plus court. La seconde route, de Babylone à Thumonepsi, est de soixante-six milles (1) à cause de la position de Babylone, qui est à au moins six milles au nord de Memphis. Celle de la Table Théodosienne peut se ramener aux autres, en supprimant un x de la première distance LXXII, à Weano. Je pense qu'il faut lire Lxrr. Aïnsi de Babylonia à Ptole- maidon il y auroit soixante-huit milles. Or, en passant de Babylone à el-Häy (ou Scenas Mandras), traversant le Nil, allant à Bembé ou Peme , et de là le long du canal occidental à el-Lähoun { Ptolemaïs], on trouve soixante-huit milles. Au reste, il est impossible de reconnoître à quoi s'applique le nom de Weano ; les six milles de la Table entre ce point et Prolemaïs conduiroïent à Abousyr : la ville de Busiris, qui étoit en ce même lieu, auroit-elle eu deux noms différens! c’est ce qu'on ne sauroit décider. (2) Ona vu plus haut qu’il failoit, à Scenas-Mandras, XXI1 au lieu de x11. TABLE. DE L'HEPTANOMIDE en Déneral PAR, LÉ EURE page 1. Un Un Un VA ‘ ) A Len um LA + I. VENT. ; IX. x . XI. . XII. . XII. $. XIV. RES : DE ÉeTET SECTION PREMIÈRE: NOMUS HERMOPOLITES.. Carrières ÉcyPTIENNes à Gebel Abou-Fedah. ..........: TTC Eee: Cos ze aujourdhui Oodspe he A ER RL AL DANE. 0, 7. Deyr el-Maharrag où Maharrag; monastères de Sanaboi; Koum-Ombot. . 9. P£514 (aujourd'hui e/-Deyr ou Medynet el-Qeysar); CARRIÈRES et Rues MONA PESTE aol tone en denemenire end ES D CEE BE PSINAULA (aujourd’hui e/-Tel]). . ... DS cd rare er PE M 133! Därout el-Cheryf ou el-Sarabämoun; environs de THEBAÏCA PHYLACE.... 15. ; Meyléouy ; HERMOPOLITANA PHYLACE (aujourd'hui Därout-Achmoun), et CRUINONS ANNEES ROUES TR NAT NL ESS SEE CEA NAS DO RER 16. Establ A'ntar; Deyr Anbä-Bychäy et environs. . ............. Fe ee TS Environs d'Hermorozrs ; Deyr Abou-Fäneh, de. .......,......... 2F. SPEos ARTEMIDOS (aujourd'hui Beny-Hasan), Deyr au-sud , murailles de DUO PRIE CINE EIRE RATER 24. TUE des hypogées RH de Beny- TE Pa à HR GE Dre 20: Ruines à el-A ‘nbagé ou Medynet Däoud, et aux environs ; Hayt el PADOUZ NORRIS D OT NON RE PTT Ne LTD 2 rie M 32 Ruines et HyYPoGÉES à Zäouyet MS el aux environs. ee 5% Hxpocée d'architecture Dorique et CARRIÈRES anciennes à Saouädeh.... 39. © Minyeh, Igzum (aujourd'hui Tahä el-A’moudeyn), et environs... ..... 42. SECTION IL (NOMUS CYNOPOLITES. * ACORIS (aujourd'hui Tehnek) Pt AR Cirenr Pere PA Homes nn: Carières et RUINES à Ouädy el-Teyr, Gebel el-Teyr, Der el-Bagarah. 47. “CYyNopozrs (aujourd’hui Samallout).. .:...............,.....% ie CE MACON oN MOUSE OHTPEONONE AIS PR CRE EEE ETS NE TES ÊQE. ALABASTRONPOLIS. . .....-- HT Te de nada es DE “e9 É: SECTIONANT NOMUS OXYRHYNCHITES. Abou-Girgeh; TAMONTI..... AU De SR a RS dc co o pi SU OxYRHYNCHUS (aujourd'hui Behneseh) RE D RSA D à 0 oc co 5s: Fencar(aujourd'hui Fechn); TAcONA4 ou ŸENHPOE (aujourd'hui Cheureh). 58. I. IL. IT. FE. On OU EM Un [.< di IT. IV. Un U WW SEL Set LE $. II. GNIVE TABLE. 79 S'ÉCGMLOINS LIEV. NOMUS HERACLEOTES, INILOPOLIS ape de ET ROAD SLR. AR RE. ie ONE page Gr. PHeracreoronmsmaeNa aujourdhui Ads)... .....:.1 0.0 ibid. CNE OMR ED ES OUR NES Dee Me nee ee ee «doc de 65. Isru (aujourd'hui Zéouy); Busrris, Abousyr, de.................. 66. SECTION. NOMUS CROCODILOPOLITES ou ARSINOÎTES. Sp AE 67: SÉCRLONIVE NOMUS APHRODITOPOLITES. A ON PONT AAC) A Tel else reel dune Voie lee sole à uje 68. NOR PUMA ON BONES be 0 ie ale sisi d 00 ed Pan ue E 60: APPhoDoPonsOaUon dou AA HA) PEER LU ere, à NO + SCENE Manprorum où Manprarum; TRoïA (aujourd'hui Torrah).. 71: “SECTION VIT. NOMUS MENPHITES. PRADA ep don la ra ee ERA ER, LE. LL, 72. Regqah el-Kebyr, et PYRAMIDES voisines... ... PER ENS TS LP AL RES 7 - Peme (aujourd'hui Bembé); Pyramipes dites d'el-Metänyeh........, ibid. ACANTHUS (aujourd'hui Dañchour), et PYRAMIDES de Minyet-Dahchour.…. 75. Nore sur les trois itinéraires comparés, dans la partie qui est au midi de Babylone... 77. EN PRO {us Ad nu 4 È 1 eo a y Sahgftier «y VS *: Ent ns | ea: TA A: ax “aie N AAIT ER #4 Ha VERT 4 CENC OR siete 2 à Le. un: “en D DE ue. Û AE et + 4 sh vÉ ve F4 ver “a % Lo ue me LTRÈES DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS DU NOME ARSINOÏTE., AUJOURD'HUI LE FAYOUM. I I IP CHAPITRE XVII. DESCRIPTION DES VESTIGES D’ARSINOÉ ET DES ANTI- QUITÉS SITUÉES DANS L'INTÉRIEUR DE LA PROVINCE. DESCRIPTION DU TEMPLE ÉGYPTIEN CONNU SOUS LE NOM DE QASR-QEROUN......... LT, Merde MARS DESCRIPTION DES RUINES SITUÉES PRÈS DE LA PYRAMIDE D'HAOUARAH, CONSIDÉRÉES COMME LES RESTES DU LABYRINTHE , SUIVIE DE LA DESCRIPTION DE LA RURENIDÉRDIEISRAHOUN. Le MUR ra DESCRIPTION DE L'OBÉLISQUE DE BEGYG, AUPRÈS DE L'ANCIENNE CROCODILOPOLIS 0. 0 0 0 + + + + + + © SECTION 1... SECFIONLEI. "2. SECTIONIII.. 9... . par M. JO ARD. par le même. . par MM. Jom4rD et CARISTIE, par M. CARISTIE, des hi “1 CON AS : 1000 LE PR LES L & : x à | | ï : “40 | 4 ) . L Le 200 nee arte ŒU | ‘re 3 : LL LR. PS: NL ch R me ME tenue v st ; MN 4. 0 UP OR RUE ORNE rente IST Ada Ki | save PALIN AUDE PV STI ET INA HU AE IEC 5 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS DU NOME ARSINOÏTE, AUJOURD'HUI LE FAYOUM. To A TT A EE CHAPITRE XVII (). TP TS AP ASS TT TS PT TS SECTION PREMIÈRE. Description des vestiges d’Arsinoë ou Crocodilopolis, et des Antiquités situées dans l'intérieur de la Province; PAR E. JOMARD. $ I er Observations générales, historiques et géographiques. L:F ayoum a toujours été considéré comme une division territoriale, entrerement ‘séparée du reste de la vallée du Nil. La gorge étroite par laquelle on y pénètre, la chaîne de montagnes qui l'enveloppe de toutes parts, sa figure circonscrite dans un bassin régulier, sont autant de limites naturelles qui devoient nécessairement en faire une contrée distincte : aussi le Fayoum forme-t-il de nos jours une province, comme il constituoit jadis le momus Arsinoïtes. Sa position est tellement isolée de l'Égypte, qu'il demeura inconnu aux Arabes pendant plus d'un an après qu'ils eurent conquis les bords du Nil (2) Cependant la fécondité singulière de cette petite région, et les productions qui lui sont propres, à l'exclusion du reste de l'Égypte, étoïent pour les conquérans des motifs d'y pénétrer, dès le moment même de l'invasion, et avant de s'emparer de la Thébaïde. Aussitôt que l'expédition Française fut arrivée au Kaïre, on se dirigea sur le Fayoum, et l’on reconnut (1) Quoique les antiquités soient décrites dans autant lieu unique, afin d’éviter la multiplicité des chapitres, de chapitres qu’il y a de lieux renfermant des monu- et de conserver l’uniformité du plan de louvrage. mens, on a considéré ici le nome d’Aïsinoé comme un ‘ (2) D’Herbelot, Bibliothèque Orientale, page 350. À, D. k À 2 À DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS bientôt ses avantages , sous le rapport de la position et de la richesse territoriale. Cette contrée, qui a considérablement souffert par l'irruption des sables et par la réduction de l'étendue des terres cultivables, est encore, en effet, la plus produc- tive d'un pays qui lui-même passe pour être un des plus fertiles du monde. Sans parler de ses cultures en froment , en riz, en trèfles et en légumes, ni de ses grands bois de dattiers, le Fayoum renferme de superbes champs de lin ; des campagnes de roses et des oliviers. Il possède encore de l'indigo, du henneh, du carthame, du coton, du sucre et du tabac : on y voit des espèces de bois de figuiers et des haies d’opuntias; beaucoup de pêchers, de pruniers, d’abricotiers et d'arbres à fruit dans les jardins; enfin, ce qui n'existe point ailleurs, des vignobles (1). La fécondité de son territoire a de tout temps attiré l'attention des maïtres de l'Égypte. Stiabon, qui rapporte les’‘traditions les plus anciennes et qui décrit l'état des choses de son temps, s'exprime sur le nome Arsinoïte comme s'il n'eût point changé de temps immémorial. Pour trouver un état différent, il faudroit remonter à une époque où il étoit entièrement privé du bienfait des eaux du Nil, c’est-à- dire, à un temps excessivement reculé, et qui appartient au domaine de la géologie plutôt qu'à celui de l'histoire : les réflexions des auteurs Arabes, et celles de Strabon lui-même, sur l’état primitif du sol de cette province, doivent être reléguées sans doute parmi lés conjecturés plus où moins hasardées ; aussi n’en ferai-je ici aucune mention. Laïssant donc de côté tout ce qui tient à la géographie physique du Fayoum, je ne traitérai de cette province que sous les rapports géographiques et histo- riques. Son existence date du moment où les eaux du Nil y furent introduites. NH falloit d’abord s'assurer que les eaux dérivées du fleuve, à un point supérieur de la vallée et parvenues jusqu’à l'ouverture de la gorge, y avoient une pente suffisante ; qu'elles pouvoient de là pénétrer dans l'intérieur, et se répandre dans toutes les parties du bassin : c’est ce qu'on reconnut sans doute par des nivellemens ; et il est impossible d’en douter, quand on considère l'opération qui fut exécutée et qui a laissé des traces très-visibles. Le canal appelé aujourd'hui Bahr-Yousef, dans la partie comprise entre la plaine d'Égypte et Arsinoé, est la dérivation même qui fut pratiquée pour cette destination. Quand on en suit les bords hu partir du coude qu’il fait pour entrer dans le Fayoum, on voit qu'il coule entre deux mon- tagnes, que son lit a été tracé sur la convexité du terrain qui est au fond de cette gorge, et l'on reconnoît clairement que le rocher a été exploité et taillé dans ce dessein. Du temps des eaux basses, on aperçoit plus distinctement encore les. ves- tiges de ce travail antique, dans toutes les parties dressées et aplanies ; travail qui confirme bien les idées qu'on doit se faire sur les ouvrages d'art exécutés par les anciens Égyptiens, pour faciliter d'irrigation du territoire et la navigation inté- (1) «Il n’y a point au monde de pays plus fertile de la richesse de cette province ; par exemple, ceux qui » que le Fioum, plus coupé de canaux et plus abondant, attéstent qu’elle rapporta, l'an 356, plus de six cent vingt »en toute sorte de productions utiles», selon Ibn al- mille dynârs, et en 585, six cent cinquante-deux mille Kendy, ciié par M. Et. Quatremère ( Mém. géogr. et sept cent trois dynârs. « Il est notoire, dit Al-Bekry, ‘hist. sur l'Egypte, èTe, pag. 109, tom. .‘f). Le même »que le revenu journalier du Fioum s'élève à deux cents auteur cite beaucoup d’autres témoignages qui déposent » mithkals d’or. » x DU NOME ARSINOÏÎTE. CHAP. XVII. $ rieure. I n'est guère permis de croire qu'un ouvrage aussi pénible que l’abaissement du roc jusqu'à un niveau donné, eût été effectué ou même entrepris, à moins d’un nivellement préalable. Quels que soïent le prince qui ait exécuté cette grande opération, et le temps où elle a été faite, on ne peut la méconnofître aujourd’hui, et l’état actuel des lieux est un monument qui parle au défaut de l'histoire. Je ne répéterai pas ici ce que j'ai dit du Fayoum, dans un précédent mémoire sur le lac de Moœris (1); je rapporterai seulement un passage de Strabon qu'on pour- roit presque donner pour une description récente du pays. « Cette préfecture, » ditil, surpasse toutes les autres par son aspect, sa fertilité et sa culture; c’est la » seule qui produise de bonnes olives; et avec du soin, l'on y recueille de lhuïle »excellente *elle fournit aussi beaucoup de vin, de bons fruits, de blé, de légumes » et de graïns de toute espèce (2). » Je ne décriraï pas non plus la position géo- graphique de cette province; on sait qu'elle est située à environ quatre lieues et demie à l’ouest-sud-ouest de Beny-Soueyf: sa distance du Kaire à Tâmyeh, point qui est le plus au nord ,est d'environ quinze lieues et demie. Cette ligne se rapproche d’une route qu'on a coutume de suivre quand on veut prendre le chemin le plus direct. À moitié chemin de Gyzeh et de Beny-Soueyf,. on se dirige vers la Libye; et au lieu appelé Atamneh, l'on entre dans le désert, après avoir traversé sur un pont Je canal occidental : on laisse à gauche les deux pyramides de Metänyeh ; de là, l'on marche au sud-ouest, et, après cinq lieues et demie, on arrive à Tâmyeh, à l'extrémité orientale du lac appelé Birket el Qeroun. Ce lac occupe tout le nord de la province; il baïgne le pied de la montagne Libyque , se dirige de l'est à l'ouest et ensuite à l’ouest-sud-ouest, dans une lon- gueur de onze lieues; en face du Qusr-Qeroun, temple Égyptien, il se porte encore à l'occident. Vers ie midi, la limite actuelle du lac est à peu près parallèle à son contour septentrional. Sa circonférence est aujourd'hui d'environ vingt-cinq lieues; mais il a considérablement perdu de sa profondeur depuis que le canal de Joseph n'apporte plus que très-peu d’eau dans le Fayoum, comparativement à ce qu'il en amenoit autrefois. Or, en baïssant de hauteur, le lac a encore plus diminué de super ficie. Autrefois il s’'étendoit à deux lieues plus au midi; il y amême peu de temps que sa rive est aussi reculée vers le nord. En effet, en 1673, Vansleb s'embarqua sur le lac , au village de Senhour : ce village est aujourd’hui fort élevé au-dessus de tout lé terrain environnant. [| en est de même de ceux de Terseh, Abou-Keseh et Abchouây el-Roummän. Étant placé à Senhour sur une élévation, et regardant vers le nord, j'embrassois de l'œil un espace considérable entre le village et la limite actuelle du lac; et tout cet espace sembloit, en quelque sorte, abandonné par les eaux depuis une époque récente. Il est entièrement inculte , couvert de sable, de la- gunes, de croûtes salines, ou de quelques arbustes d’une végétation sans force (3). Aucune habitation n'y est établie, et il seroit impossible d'y pratiquer une seule culture avantageuse. [l n’y a donc pas le moindre doute que les bords du lac ne fussent autrefois beaucoup plus avancés vers le midi. La ligne qu'ils suivoient est (1) Voyez Antig. Mém. tom. 1, pag. 80 et suiv, (3) La plupart sont des ramariscs, (2) Strab. Geogr. lib. xV11, pag. 809. 6 parfaitement marquée par la dépression de tout le terrain, depuis Tämyeh, en passant par Terseh, Senhour et Abchouày el-Roummän. A son extrémité qui est. vers l’ouest, le lac n’a pas autant perdu de son étendue en largeur ; le Qasr Qeroun, | dont il est aujourd'hui éloïgné d’une demi-lieue, est une barrière qu'il n'a jafiais pu dépasser ni même atteindre. Du côté du nord, le lac savançoit peu au-delà de la ligne qui le termine au- jourd’hui. Les ruines qui existent de ce côté, et sur-tout le rocher, en fixent la DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS limite. Ainsi les calculs que peut faire le géographe sur l’ancienne étendue du lac du Fayoum, ont des bases certaines, et il ne court point le risque de s'égarer beau- coup. Or, si l’on mesure, sur la nouvelle carte de l'Égypte, le contour du lac, en suivant les lignes que je viens d'indiquer, et descendant au midi de manière à former une espèce d'arc ou de croissant, tant à l’est qu'à l’ouest, on trouve plus de quarante lieues. Sa plus grande largeur en avoit quatre; sa longueur, dix-sept (1). À cette vaste étendue, on reconnoît le lac de Moœris. En effet, quelle application plus juste pourroit se faire aïlleurs des paroles suivantes de Strabon! « Cette pré- » fecture (l'Arsinoïte) renferme un lac considérable, du nom de Mars, qui a la » couleur et l'aspect de la mer... Son étendue et sa profondeur le rendent propre » à recevoir les eaux du débordement, et à garantir les champs et les habitations. » Ce que l'auteur ajoute, regarde l’autre usage auquel étoit consacré de lac de Moœris. « Quand le Nil décroît ensuite, il rend, par les deux embouchures d'un canal, » l'eau qui est nécessaire à l'irrigation. À chaque embouchure du canal, il y a » des digues au moyen desquelles les architectes maîtrisent les eaux qui affluent » dans le lac et celles qui en sortent. » ç. IL, Crocodilopolis ou Arsinoé. Le nom d’Arsinoé donné au-cheflieu du nome et au nome lui-même n'appar- tient pas à la haute antiquité; ce nom est celui de l'épouse et sœur de Ptolémée- Philadelphe (2). Avant les Lagides, la ville capitale s’'appeloit Crocodilopols , ou ville des crocodiles, à cause du culte dont ces animaux y étoient honorés. C'est sous ce nom qu'Hérodote nous la fait connoître. Diodore de Sicile ne fait pas mention de cette ville. En général, les anciens historiens donnent peu de renseï- gnemens sur la province Arsinoïte : cependant les deux monumens les plus extraor- dinaires de l'antiquité Égyptienne y étoïent situés, le labyrinthe et le lac de Mœris; mais c'étoit une raison pour que ces deux grands RRrEeS seuls pussent trouver une place dans les relations concises des auteurs. Il n'existe donc qu’un petitnombre. de passages anciens, au sujet de la ville ou du nome d’Arsinoé. Strabon est celui (1) Voyez la pl 6, É. M. vol. I, et la grande carte neur d’Arsinoé. Woyez Pline, Hist. nat. liv. XXXVI, topographique de l'Égypte. chap. 9, et liv. xxXVII, chap. 8, et ci-après, pag. 43, (2) Philadelphe éleva plusieurs monumens en Fhon- Îa description de l’obélisque de Begyg. DU NOME ARSINOÏTE. CHAP. XVII: 7 qui donne le plus de détails sur cette préfecture; mais il ne parle de la ville elle- même que pour la nommer. Le but du géographe étoit principalement de fixer la position du lac de Mæris, et celle du labyrinthe par rapport à la ville capitale. Pline connoïssoit les deux noms de la province. Après avoir énuméré les nomes d'Égypte, et dit qu'il y a deux nomes Arsinoïtes, il ajoute : Quidam ex lis aliqua nomina permutant, et substituunt alios nomos, ut Heroopoliten, Crocodilopoliten (1). Ptolémée donne la position exacte de la villes et il rapporte aussi les deux noms. Dans les écrivains postérieurs, il n’est question du nome et de la ville que sous le nom d’Arsinoé. Cependant Étienne de Byzance, écrivant long-temps après, rapporte encore l'ancien nom de Crocodilopols ; mais il ne faut pas entendre que, selon lui, la ville fût placée dans le lac de Mœæris, comme on l'a prétendu d'après ces mots, mus & 7 Mueid Tÿ Au: le sens du passage est que la ville étoit située sur ses bords; ce qui est encore assez difficile à expliquer. Nous possédons plusieurs médailles frappées du temps d'Adrien, pour le nome d'Arsinoé. La plus précieuse est celle qui porte au revers un crocodile; les autres pré- sentent la tête d’Arsinoé (2). Ces diverses médailles prouvent à-la-fois que la ville a eu les deux noms de Crocodilopolis et d’Arsinoé, qu’elle étoit le chef-lieu d’un nome; enfin que cette préfecture existoit du temps d’Adrien avec le nom d’Arsnoîte. Dans les manuscrits Qobtes, la ville porte constamment le nom d’Arsnoë ou Arsenoë. Je passe sous silence les récits des Arabes au sujet de cette ville ; il ne lui fut pas imposé d'autre nom, lors de la conquête de ces peuples, que celui de ville principale du Fayoum, Medynet el-Fayoum, nom qui subsiste encore. Le mot de Fayoum lui-même est sans doute un reste de l’ancienne dénomination de la pro- vince; car je ne considère pas comme une origine admissible du mot de Fayoum la tradition rapportée par certains auteurs Arabes au sujet du canal qui apporte les eaux dans la province, et qui, disent-ils, fut creusé par Joseph en mille jours, elfyoum ( 3 }. La ville actuelle, qui a succédé à l'ancienne, est encore très-florissante; mais elle n’est pas tout-à-fait au même lieu. Les ruines d’'Arsinoé en sont distantes de quelques centaines de mètres , vers le nord. Elle a été détruite de fond en comble. Les colonnes de granit et de marbre dont ses édifices étoient ornés, ont été transportées à Medynet el-Fayoum, où on les trouve, partie dans les mosquées, partie en débris isolés au milieu de la ville; quelques-unes sont d’une grandeur considérable. du grand lac renfermé dans cette province. ( Mém. géogr. (1) Plin. Hist, nat, Gb. v, cap. 0. et hist. sur l'Egypte, tom. |, pag. 391.) (2) Voyez la planche représentant les médailles des nomes, A, vol. VW, et les mémoires sur la géographie ancienne et comparée. Le cabinet de M. Tôchon ren- : ferme plusieurs médailles de ces différens types. (3) M. Marcel a conjecturé, avec plus de vraisem- blance, que le mot de fiom ou fayoum vient du qobte TiOAS ou (At DAS, et signifie la mer ou grande étendue d’eau, ( Déc. Egypt. tom. IT, pag. 162.) M. Étienne Quatremère envisage aussi le nom de Æoum comme venant de 022, qui signifie mer en qobte, à cause M. Champollion pense que le nom de la province vient directement de Dzsoxs (pour [you mors ou Irkzss T\O2S.), le nome ou le pays aqueux. (L'É- gypte sous les Pharaons, tom. 1, pag. 326.) Les Arabes attribuent aussi la fondation de la ville à Joseph; quelques Chrétiens prétendent que Jésus-Christ luizmême fonda Bahânah, qu'ils placent sur le bord du lac. ( Déc. Égypt. loc, cit.) , 8 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS H né reste plus de l'ancienne ville d’Arsimoé qu'une grande montagne de ruines et de décombres, dont l'étendue a environ trois à quatre mille mètres du midi au nord, et deux à troïs mille dans l'autre sens; des fragmens de statues en granit et en marbre; enfin les débris d’une multitude de vases, en terre et en verre. Par- tout on trouve des constructions en brique, démolies. L’obélisque de Begyg faisoit probablement partie des monumens de cette ville (1). Il paroît que c'est à Arsinoé que se trouvoit cette statue en topaze (artificielle sans doute) dont Pline fait mention, et qui avoit, dit-il, quatre coudées de hauteur. Ptolémée-Philadelphe l’avoit élevée en l'honneur d’Arsinoé, sa sœur et sa femme: Elle étoit consacrée dans un temple appelé Temple d'or (2). La ville s'étendoit autrefois davantage vers le nord, et je ne serois pas éloigné d'y comprendre les ruines qui se trouvent aujourd’hui près de Bayhamou, village où passe un canal venant de Medynet el-Fayoum. La dimension de ces ruines ne permet pas de croire qu'elles aïent pu être transportées de si loin. On ne peut guère supposer non plus qu'un monument tel que celui qui paroît avoir existé à Bayhamou , ait été construit isolément et au milieu de la plaine : ce sont deux énormes piédestaux bâtis de grosses pierres calcaires , d'environ huit mètres de” côté sur dix de haut, et qui supportoïent certainement des statues colossales sem- blables aux colosses de Thèbes. Leur distance est d'environ cent mètres. Au rap- port d'Hérodote, de Diodore de Sicile et de Pline, on avoit élevé des statues à plusieurs princes dans les environs du lac de Mœris. Les habitans donnent aux piédestaux le nom de rg/ Fara’oun, les pieds de Pharaon. Autour du village, ïl y a beaucoup de ruines et de blocs calcaires (3). La capitale actuelle du Fayoum est traversée par le Bahr-Yousef dans sa lon- gueur. À quatre cents mètres au-dessous, le canal se divise en neuf branches, qui vont arroser tout l'intérieur de la province, et à l'ouverture de chacune desquelles est une porte qu'on lève ou qu'on abaïsse, en raïson du besoin d’eau des différens villages où elles se rendent. Ces villages sont aïnsi sous la dépendance directe du chef-lieu : mais le partage des eaux se fait ordinairement avec beaucoup d'équité, et tous les points du territoire ont part à la distribution ; il arrive quelquefois dé vives contestations quand on vient à violer les usages. _ On compte environ cinq mille ames à Medynet el-Fayoum. Une partie de la population est Chrétienne ; mais le plus grand nombre des Chrétiens habite Fy- dymyn, où sont les vignobles qu'ils exploitent , et dont ils tirent un vin médiocre È moins à cause du terroir que par faute de la fabrication. Cette ville, qui renferme cinq ponts, plusieurs mosquées remarquables, d'anciennes écoles et des jardins abondans en fruits de toute sorte, ne m'arrêtera pas davantage, attendu que la description en doit être faite dans les Mémoires sur l’état moderne (4). (1) Voyez la description particulière de Fobélisque de Begyg, à la fin de ce chapitre. (2) Plin, Aist. nat, lib. XXXVII, cap, 8. (3) Paul Lucas prétend avoir vu un colosse en granit sur l’un de ces piédestaux, et cinq autres piédestaux plus petits. (7. Voyage, tom. Il.) (4) Par la même raison, je ne parlerai pas non plus du lac Garäh, situé au midi de la province, et aux environs duquel sont des ruines. Woyez la Description hydrographique des provinces de Beny-Soueyf et du Fayoum, par M. Martin, É, M. tom. I, pag. 195 ; et aussi le Mémoire sur la province du Fayoum , par M. Girard, Mémoires sur l'Égypte, tom. III, édit. de Paris, in-8,° X $. IT, DU NOME ARSINOÏTE, CHAP, XVII. 9 S. III. Environs de Crocodilopolis, et intérieur de la Province. Mon dessein étant seulement de m'arrêter aux "points où se trouvent des anti- quités, je ne ferai pas ici la description de tout l'intérieur de la province, et je ne parlerai que des principaux lieux qui renferment des traces des ouvrages des Égyptiens (x). | 1 Si lon se porte au sud-ouest de Medynet el-Fayoum, on rencontre d’abord, au village de Begyg, un obélisque en granit (2); plus loin, à une lieue et demie, dans la même direction, une digue bâtie en pierres, d'une hauteur et d'une épaisseur considérables : on la regarde comme antique, bien qu'elle ait été, à ce qu'il semble, reconstruite plusieurs fois. Elle a près de sept mille mètres de lon- gueur : elle se dirige par Defennoû et Sedmoueh; son objet est de maintenir à une certaine hauteur les eaux de l’inondation, et de servir à l'irrigation de la partie méridionale de la province. Les eaux excédantes tombent dans un grand ravin appelé Bahr elOuädy, c'est-à-dire, Lx vallée, comparable, pour la grandeur, au ravin du nord; il prend son origine, à peu de distance de la prise d’eau de ce dernier, au village d’el-Hasbeh sur le Bahr-Yousef : sa profondeur et sa largeur excèdent encore celles de ce dernier, etson cours est beaucoup plus long (3). Ce grand canal est également l'ouvrage des anciens Égyptiens. Après avoir couru environ six lieues à l'ouest jusqu'à Abou-Gondir, il se tourne vers le nord et acquiert une largeur considérable ; à une lieue de là, auprès de Nazleh, village qui est le dernier à l’ouest du Fayoum, cette largeur a jusqu'à quatre cents mètres (4) : la profondeur varie de dix à quinze mètres. Au fond du canal, la coupe présente la couche calcaire, ensuite des lits de sable mêlé de parties ferrugineuses, et au-dessus, cinq ou six mètres de limon pur. À ces deux vastes branches qui apportoient dans l'ancien lac une immense quantité d’eau, a succédé dans la suite un canal unique, beaucoup plus petit, allant d'Haouârat el-Hasbeh à Medynet el-Fayoum, où il se subdivise ensuite en un grand nombre d'autres. La diminution du volume d’eau que recevoit jadis le Bahr-Yousef, a été la cause de ce changement ; et cette diminution tient elle-même à ce que l'embou- chure du canal Joseph dans le Nil est aujourd'hui ensablée. C’est à Nazleh qu'on fait les préparatifs pour traverser le désert, quand on veut aller visiter le temple appelé Qasr-Qeroun, objet de la section suivante. À quatorze mille mètres au nord-ouest de Medynet el-Fayoum, on rencontre le village d’Abou-Keseh, où existe un très-grand réservoir d’eau. Sa forme est carrée ; il est long-et large de cinquante mètres. La construction à été faite en briques, à l'aide d'un ciment très-dur. L'appareil de ces briques est semblable à (1) Plusieurs des renseignemens qui suivent, m'ont été (3) Son développement total est d'environ soixante communiqués par M. Bertre, capitaine ingénieur géo- mille mètres; celui du Bahr Belâ-mà est d'environ trente- graphe, à qui on doit ‘a carte de l’intérieur de la pro- cinq mille metres jusqu'à Tämyeh. vince. [I m'a aussi communiqué un plan du Qasr-Qeroun. (4) Note de M. Bertre. (2) Voyez ci-après la section III. NÉE À B 1 O DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS celui qu'on remarque dans les constructions Égyptiennes, On introduit l’eau du Nil dans le réservoir pendant le débordement, et il fournit l'eau qui est nécessaire à l'irrigation, au moyen des ouvertures pratiquées à différentes hauteurs. Cet ou- vrage fait en même temps fonction de digue pour retenir les eaux de linonda- tion, qui arrivent à Abou-Keseh par une des neuf branches dont il a été ques- tion dans le paragraphe précédent ; autrement, les eaux ayant trop de pente, ne séjourneroient pas assez sur les campagnes, et même leur cours rapide pourroit entraîner les terres. Le réservoir donne le moyen de distribuer les eaux par degrés et suivant les besoins. Cette construction est-elle d’une époque très-reculée et contemporaine du lac de Mœæris ? C'est ce que je n’oserois aflirmer ; il semble même, au premier coup-d'œil, qu'elle ne peut dater d’une époque plus ancienne que celle de la dérivation qui amène les eaux au village d'Abou-Keseh : maïs il est possible qu'il y ait eu dans l'antiquité, comme aujourd’hui, un canal tracé selon cette même direction. Au reste, le principe de cet ouvrage d'art est le même que celui qui avoit présidé à l'entreprise du roi Mœæris, quand il fit exécuter le grand ouvrage qui porte son nom. Tämyeh est un fort village, situé tout-à-fait au nord du Fayoum:; c'est le pre- mier où l'on arrive en venant du Kaire par le désert (1) : sa position près de l'extrémité orientale du lac de Moœris m'engage à en dire ici quelque chose. Il est certain que le lac s'étendoit jadis vers l’est, encore au-delà du lieu où est Tà- myeh ; aujourd'hui un grand canal coule au pied de la hauteur où le village est bâti. Les eaux y sont maintenues toute l'année par une digue, et conservées dans un bassin pour servir à l'irrigation des terres des villages limitrophes. Ce bassin et cette digue pourroient bien être les restes de l'ancienne retenue qui doit avoir été pratiquée, selon les historiens, à l’entrée du lac de Moœris. Plus loin au couchant, est un grand ravin qui fait suite au Bar Belä-mä, où les eaux coulent librement quand elles ne sont plus nécessaires à larrosement des terres; ensuite elles se jettent dans le lac, à une lieue au-delà. La chaîne, qui est par-tout élevée ou escarpée au nord du lac, s'abaisse vers Tämyeh, et elle se change en mamelons qui ne sont point liés avec la montagne de l'est. À l'est de Medynet el-Fayoum, au village d'Haouärah el-Soghäyr, on remarque un pont de dix arches, dirigé parallèlement au Bahr-Yousef. C'est près de là qu'est l'entrée de l'immense ravin à plusieurs branches, appelé Bar Belä-mä [mer sans eau; il se dirige vers le nord, et c’est le même que celui qui arrive à Tà- myeh. Ce point établissoit la communication entre le lac et le canal dérivé du fleuve. Aujourd'hui le pont, étant situé au-dessus du niveau des eaux moyennes, fait l'office d’une digue. Dans le haut Nil, les eaux tombent dans le ravin à tra- vers les arches du pont, en faisant une chute de plusieurs mètres. Ce même point est le plus élevé de toute la partie de la province qui en est à (1) A Pouest d’el-Metânyeh, on quitte la vallée du rigés du sud-est au nord-ouest, sillonnés par des eaux plu- Nil pour entrer dans le désert; par une pente assez ra- viales, ressemblant au lit d’un torrent, et dont le fond pide, on s'élève jusqu’à une lieue de Tâmyeh ; de là, est garni de plantes épineuses. Du lieu où l’on est entré lon commence à descendre dans le Fayoum. On tra- dans le désert, jusqu’au village de Tâmyeh, il y a une verse, dans le cours de cette route, plusieurs ravins di- forte journée de marche, DU NOME ARSINOÏTE, CHAP, XVII. TI l'ouest, et il est inférieur de très-peu au niveau d'Haouärah el-Kebyr ou el- Lähoun, point où le Bahr-Yousef pénètre dans la gorge du Fayoum. Là étoit probablement l’une des portes qui, selon les auteurs, servoient à fermer ou à donner issue aux eaux du Nil dans le lac de Mœris. | Ce grand ravin dont je viens de parler est un des ouvrages les plus remarquables des anciens Égyptiens, par la profondeur donnée au canal et par son étendue (1). Dans toute la hauteur de la coupe actuellement visible, il présente une épaisse couche de limon, qui a, dans quelques endroits, jusqu'à sept mètres de hauteur. Du village d'Haouärah el-Soghäyr, on aperçoit au nord, à peu de distance, une pyramide aux environs de laquelle sont beaucoup de ruines, et des blocs très- considérables de granit qui annoncent un grand monument. Dans la 3.° section de ce chapitre, il sera question de ces antiquités. En retournant vers la vallée d'Égypte, on aperçoit une seconde pyramide, en briques comme la précédente, et qui prend son nom du village d’el-Lähoun, situé à l'entrée de la province (2). Ce village est important par sa position et par la grande digue ou chaussée qui sert à élever les eaux du Nil. La position corres- pond très-bien à celle de Péolemaïs, qui servoit de port, selon Ptolémée, et qui appartenoit aux Arsinoîïtes, d’après le nom qu'elle porte dans la Table Théodo- sienne , Ptolemaïdon Arsinoïtum. Les six milles que cette table demande entre les villes d'Heracleo et Ptolemaïs, se trouvent entre Ahnâs et el-Lähoun {3}. Je pense que c’est dans cette grande digue d’el-Lâhoun et dans celle de Defen- noû qu'il faut chercher l'application du nom d'aggeres Teplneos [re xouanxe épya TezAbeos|, qu'on trouve dans un papyrus fort curieux écrit en grec, et décou- vert à Gyzeh en 1778 (4). Ce morceau présente, 1.° une liste de cent quatre- vingt-un individus qui ont travaillé à la digue, inscrits en six colonnes, comme il est d'usage parmi nous d'enregistrer les noms des ouvriers; 2.° une autre liste de soixante-neuf ouvriers qui ont travaillé au canal appelé fossa Phogemeos, du 11 au 15 du mois de mechir; 3.° celle des travailleurs au canal nommé 76554 Argal- dias, et ainsi pour d’autres mois de l'année. Ce fragment annonce que l'on tenoit un compte exact des travaux entrepris pour l'irrigation, qui, si importans dans toute l'Égypte, l’étoient encore plus dans la province d’Arsinoé. Je hasarderai d'appliquer le nom de fosse Phogemeos au grand canal Bahr Belä-mà, et celui de fossa Argaldias, au canal Bahr el-Ouâdy. Le nom même de Phogemeos est donné dans le manuscrit à un travailleur, Ilesois Doymueoc, Paesis Phogemeos. I paroît que les anciens Égyp- tiens imposoïent des noms à leurs digues et à leurs canaux, de même qu'aujourd'hui on leur donne des dénominations tirées des individus ou des villages voisins (5 ). (1) Voyez la note 3, page 9. (2) Voyez la description de cette pyramide, à la fin operantium in aggeribus Teplineos a die mechir X ad X1 Ptolemaïdis portäs virorum 18r ultrd sese offérentium. de la 3.° section. (3) Voyez la Description de FHeptanomide, sect. 1V, S. 11, pag. 62. D’Anville donne le même emplacement à Ptolemais. (4) Ce papyrus a été publié par Schow:; il fait partie du Museum Borgianum; en voici le titre : Karméydpa Toy dmppacauéreor sis Te jaune épyæ Temniveos So meogip X ad X1 Inaeualdbe dpuou drdowr pra aumxdlar&, , où Series A. D. (5) Dans ce fragment, chacun est désigné ainsi : un tel, fils de tel père ou de telle mére. Quand le père est inconnu, il y a éæmp. Les listes renferment des noms d'Égyptiens, de Grecs, de Romains. Les premiers portent souvent la note drap. Ce papyrus est précieux par les noms qu’on y a inscrits. Paesis signifie /siaque, selon M. Champollion. Voyez l'Ésynte sous les Pharaons, tom. IT, pag. 196. B 2 1 2 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS Pline parle d’une ville de Crialon placée près d'Arsinoé. Il ne m'est pas possible d’assigner sa place; il n’en est pas de même des deux positions que Ptolémée fait connoître sous le nom de Bacchis et de Dionysias, ayant la même longitude, et placées, l’une à 20° 40 de latitude, l'autre à 29°. Cette différence en latitude de 40’ est trop grande de moitié, la longueur du Fayoum n’admet que huit lieues ou environ 20°. Or on trouve dans le Fayoum, d’après la reconnoïssance de M. Mar- tin, deux ruines considérables placées presque sous le même méridien, appelées par les Arabes, l'une, Medynet Nemroud ou QasrTefcharä; Vautre, Medynet Ma'd : elles sont distantes de 20 minutes de degré. La première est tout au nord de Biket Qeroun; l'autre, près du lac Garäh, au midi du Fayoum. Je place donc Bacchis à Medynet Nemroud, et Dronysias à Medynet Mady. j'ignore pourquoi d'Anville a fait précisément le contraire, en donnant à ces deux villes à peu près la même latitude. et Parmi les antiquités qui subsistent dans la province, il faut peut-être citer les grosses pierres chargées de bas-reliefs que Paul Lucas a vues à Fydymyn, et qui mont échappé quand j'ai visité ce village. En effet, ces ruines prouvent qu'il y a eu dans ce lieu des constructions Égyptiennes; ce qui s'oppose à ce qu’on pro- longe au midi, plus que je ne Faï fait ci-dessus, la rive de l'ancien lac. Le même voyageur parle aussi, maïs un peu vaguement, de catacombes souter- raines près de Senhour. Pendant que j'étois dans ce lieu, je n’en aï point en- tendu parler; maïs je regrette de n'avoir point pris d'informations sur ce sujet. Paul Lucas assure qu'au-delà du lac il y a des grottes où l’on trouve des momies. Quant aux antiquités de Bayhamou, j'en ai fait mention dans la description des vestiges de Crocodilopols, parce que ce point me paroît avoir appartenu à l'an- cienne capitale. DU NOME ARSINOÏÎTE CHAP, XVII. 13. SECTION IL Description du Temple Écyptien connu sous Le nom de Qasr-Qeroun; PAR E JOMARD. Pour aller aux ruines connues par les voyageurs sous Je nom de Qasr-Qeroun { vulgairement, palais Caron), on se dirige vers l'ouest en partant de Medynet el-Fayoum; après avoir laïssé sur la gauche le village de Begyg, on passe par ceux de Desyeh, el-Menachy et Garadou : ce dernier est situé dans un bois immense de daitiers. Une heure après, on arrive au Bahr el-Ouâdy, large et profond ravin dont j'ai déjà parlé; l'escarpement de ses bords et la difficulté de trouver le gué rendent son passage assez pénible : après l'avoir traversé, on s'arrête au village de Nazleh, à quatre lieues et demie de la capitale. C'est là, comme je l'ai dit, qu'on prend ses provisions pour le voyage du désert (1). ; Les guides, en partant de Nazleh, font route directement à l’ouest pendant long-temps ; mais il faut ensuite remonter vers le nord. On traverse d’abord un ravin , et, au bout de cinq quarts d'heure de marche dans un terrain peu cultivé, l'on entre dans un désert sablonneux qui va se terminer vers la droite au Birket- Qeroun, et, vers la gauche, s'élève presque insensiblement jusqu'à la montagne. Ce qu'il importe d'observer, c’est qu'on rencontre dans cette grande plaine, aujour- d’hui sablonneuse, beaucoup de fragmens de granit travaillé, de briques et de (1) Jai fait ce voyage les $, 6, 7, 8, 9, 10, 11 et 12 pluviôse an VII (24 au 31 janvier 1799), avec MM. Bertre, Rozière, Dupuis et Castex, sous la pro- tection d’une escorte de soldats Français et d’Arabes que nous avoit donnée le commandant de la province, le gé- néral Zayonchek. Comme ce pays attirera sans doute par la suite les regards des voyageurs, et qu’il est en même temps difficile à parcourir, non-seulement à cause des Arabes qui infestent les déserts environnans, maïs par la nature même du sol, j’ai cru qu’ilne seroit pas inutile de dire ici quelque chose des difficultés de cette dernière espèce que l’on rencontre en voyageant. C’est avec beau- coup de peine que nous parvinmes à Nazleh. Partis à deux heures après midi de Médine, nous arrivâmes à cinq heures et demie en vue du petit village d’Abouden- qâch; il faisoit déjà nuit : à six heures, nous nous trou- vâmes au bord d’un torrent large et profond ; c’étoit Ie Bahr el-Ouâdy, que nousne connoiïssions pas encore, et qui nous parut alors un horrible précipice. L'obscurité avoittrompé nos guides. Vainement ils cherchoientle gué et nous marchions sur une terre entrouverte, à chaque pas, de crevasses profondes, où trébuchoient et tomboient les chevaux et les chameaux chargés , aussi-bien que les piétons. Pendant une demi-heure, nous suivimes Le bord de ce gouffre. On proposa d’envoyer un cheykh Arabe pour faire allumer des feux ou nous amener des guides: mais les opinions étoient partagées, chacun vouloit servir de conducteur; les soldats marchoient devant les officiers. Nous revinmes sur nos pas avec les mêmes peines ; mais, ne sachant où nous allions, nous nous arrêtämes de nou- veau. Le ciel étoit couvert, et l’on ne pouvoit s'orienter, même par les étoiles. En tournant sans cesse, on avoit même perdu. la direction du village. Dépourvu de bois pour allumer des feux, on battoit la caïsse pour avertir et diriger ceux qui auroient pu nous chercher. Les che- vaux, les chameaux, les ânes, étoïent harassés peur avoir marché long-temps dans des terrains que Îes crevaïses rendoient impraticables. Excédés de soif et de lassitude, DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS 1 4 poteries; on y retrouve encore sur pied des restes de constructions en briques. Tout annonce que ce quartier de la por étoit jadis habité. C’est après plus de trois heures de marche dans le désert qu'on aperçoit, vers la droite, le temple nommé @asr-Qeroun ; depuis l'instant où l'on à commencé à lapercevoir, on est encore près d'une heure et demie à y arriver. En avant.et autour de cet édifice sont beaucoup de ruines éparses, et les restes de plusieurs petits temples d'un goût médiocre, dont quelques-uns ont leurs co- lonnes engagées; plusieurs ont été restaurés à une époque qui ne paroît pas appartenir à la haute antiquité. Ces ruines, avec beaucoup de débris de cons- tructions et de pans de murs encore debout, attestent l'existence de quelques habitations dans cette partie de l'ancien nome Arsinoïte. Parmi les ruines qui portent le nom de Bekd-Qeroun, on distingue un petit temple découvert, ana- logue au temple carré de Philæ; il est situé à cent pas à l'est du Qasr-Qeroun. Les fûts des colonnes qui subsistent ont encore quatre mètres environ de hauteur (x). Le Qasr-Qeroun est situé à près de six lieues ouest quart nord-ouest de Nazleh, à une demi-lieue au sud des bords du lac, et à plus d’une lieue de son extrémité occidentale. Il n'est pas tout-à-fait orienté : la façade est tournée à l'est-sud-est. En avant sont les restes d’un portique de deux colonnes larges de 17,6 (2) : on y arrivoit par une rampe comprise entre deux dés : un tiers de la colonne de gauche subsiste encore, ainsi que le dé qui est à droite. Une enceinte, dont on suit la trace, enfermoit le portique. Vers la gauche, il y a des constructions qui s'élèvent hors de terre et dont on ne devine point l'objet. La forme de l'édifice est, comme celle de tous les monumens Égyptiens, un parallélogramme : ïl a 28°,6 de long, sur 18°,8 de large (3), non compris le portique (4); celui-ci a environ sept mètres et un tiers ($) de façade. La hauteur se compose de quarante-deux assises égales de 0",225 (6); elle est de 9”,47 (7). Ainsi les trois dimensions du monument sont entre elles comme les nombres r, 3. L'édifice est couronné par une corniche creusée en gorge, et haute de trois assises ou 0,67 (8). Un cordon de seize centimètres (9) de diamètre fait le tour du monument et encadre ses quatre faces. Les murs extérieurs ont un talus nous résolümes de passer la nuit sur la place et debout, pour être prêts à toute attaque de la part des Arabes ennemis. Nous attendimes deux heures dans cette cruelle alternative et, dans un silence absolu. Enfin des fe/l4h vinrent à nous. Notre cheykh Arabe avoit été les cher- cher fort loin. Nous marchâmes avec eux, droit à l’ouest; et au bout de troïs quarts d’heure nous regagnâmes le torrent, à un point guéable. On mit une demi-heure à le traverser. À dix heures et demie nous étions au nord de Nazleh , harassés d’avoirparcouru pendant cinq heures, et dans une obscurité profonde, des ravins, des crevasses et des précipices. Lescheykhs etleshabitans furentréveillés au son du tambour. Nous primes des provisions, deux nouveaux guides, trois cheykhs du lieu, trois Arabes armés, et deux travailleurs des mines de sel. Ces hommes nous apprirent qu'a trois lieues du Qasr-Qeroun il exis- toit de grandes minesde sel gemme. Les pluies qui tombent sur fa chaîne Libyque, dissolvent ce sel, et contribuent ainsi à saler les eaux du lac. Quant aux crevasses, elles proviennent du retrait qu’éprouvent les terres après le séjour de l’inondation , sur-tout au bout de plusieurs années. Dans le Mémoire sur le lac de Mœris, j’ai parlé des obstacles insurmontables et même des dangers que la nature du sol présente aux voyageurs qui essaient de marcher en caravane sur la rive méridionale du lac: (A. Mém. tom. 1, pag, 82.) (1) Voyez planche 70, À. vol, IV, fig. 14. (2) Cinq pieds environ. (3) Environ quatre-vingt-huit pieds sur cinquante-huit. (4) La longueur totale est de plus detrente-six mètres, environ cent dix pieds. (s) Vingt-deux pieds six pouces. (6) Huït pouces quatre lignes. (7) Environ vingt-neuf pieds. (8) Vingt-cinq pouces. (9) Six pouces. DU NOMÉ ARSINOÏTE. CHAP, XVII. QASR-QFROUN. 15 très-prononcé , et cette inclinaison concourt avec tous les autres motifs à prouver que cet édifice est un monument Égyptien: le reste de cette description le fera voir clairement. | On remarque encore au-dehors, à droite et proche de la porte, une demi- colonne de quatre pieds environ de diamètre, adossée à la façade, et dont les assises ne sont nullement liées avec celles de la muraille : de l'autre côté de la porte, on n'en retrouve pas de semblable, et pas même de vestiges; ce qui démontre que cette demi-colonne n'a été placée que postérieurement à la construction de l'édifice (1). En effet, toutes les assises de ce bâtiment se suivent avec régularité du dehors au dedans, et en général tout y est parfaitement symétrique. On voit au-dessus de la porte, comme dans toutes les portes Égyptiennes, un disque en relief avec des ailes étendues ; ce disque est nu, selon l'usage, et non l'image d'une figure humaine , comme on le voit dans le bizarre dessin publié par Paul Lucas (2). [ n'y a pas non plus d'hiéroglyphes en dessous (3). , Pour pénétrer dans ce bâtiment, on monte, à travers des tronçons de colonnes, une petite rampe formée par les débris du portique et de l'étage supérieur (4). La porte est obstruée en partie par ces décombres, et a 2",2 ($) de large comme la suivante (6). Dans l’intérieur, l'encombrement est général, et Jusque dans les pièces les plus retirées. Il est tel, que les portes latérales sont bouchées totalement, et que, pour entrer dans les salles qui y répondoïent, on a été obligé de faire des ouvertures forcées. | La première pièce est la plus longue; sa longueur est de 7”,$ (7), et sa largeur de 5,3 (8): elle est suivie de deux autres qui ont la même longueur de sept mètres et demi. La quatrième, à la différence des autres, a sa longueur dans le sens de m celle de l'édifice ; ses dimensions sont de 5s”,6 sur 3”,4 (9): elle est aussi plus ornée, et elle a de plus quatre niches décorées de moulures finement travaillées et dont les profils sont très-purs: on reconnoît aisément que c’est le sanctuaire. La face du fond présente l’ornement qui est sur toutes les portes, c’est-à-dire, le disque aïlé, soutenu par deux serpens : cet ornement est sculpté en petit et travaillé très-délicatement. Au-dessus est une frise toute composée d'zbœus ; parmi les décorations, on reconnoît l’image du bœuf Apis. Sur cette même face du sanctuaire, on distingue au milieu, c'est-à-dire, au point le plus remarquable, un espace vide et de largeur à contenir un petit autel. De chaque côté, est une petite porte sans issue, large d'environ un mètre, couronnée d’un globe ailé, exécuté avec encore plus de délicatesse que les autres; ces fausses (1) Voyez pl. 69, À. vol. IV, etpl. 70, fig. 2. (2) Paul Lucas, 2,° Voyage, tom. Il, (3) Paul Lucas a supposé une demi-colonne sem- blable de l’autre côté; et, avec les cordons qui gar- nissent les angles, il est parvenu à former un grand portique , soutenu par quatre grosses colonnes de marbre. Ce voyageur, peu fidèle, navoit pas remarqué la colonne qui appartient réellement au portique : ce qu'il dit sur une frise qui est au-dessus de Ja porte et sur la tête couverte d’un voile et environnée de quatre pointes de marbre en rayons, n’est pas moins absurde. (4) Voyez planche 69, (s) Six pieds et demi. (6) Paul Lucas et Richard Pococke ont gravé leurs noms sur l’intérieur de la porte. M. Castex a sculpté à côté ceux des voyageurs Français nommés ci-dessus, page 17. (7) Vingt-trois pieds environ. (8) Seize pieds + environ. (o) Dix-sept pieds sur dix et demi. 16 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS portes , après un enfoncement dé trois pieds, conduisent à un petit mur, qui est, du côté droit, parfaitement conservé, et, à gauche, en partie abattu. Si l’on entre dans l'enfoncement qui est à droite, on remarque au plafond une petite ouverture: je suis monté par ce trou, et me suis trouvé dans une cinquième pièce, qui n'avoit pas été visitée par Paul Lucas, Granger ni Pococke : elle a environ 2,90 (1) . de longueur, sur 1,1 (2) de large, et forme une sorte d'étage supérieur, par rap- port au sol du sanctuaire. Cette chambre, d’une obscurité complète, est parfai- tement fermée de toutes parts; étant presque aussi haute que les autres pièces et beaucoup plus petite, elle est extrémement sonore, Je remarquai au plancher deux ouvertures oblongues, de largeur à passer un homme ; elles se fermoient chacune avec une pierre taillée en retraite pour cet objet , et que l’on voit encore à côté ‘elles répondent à une sorte de petit caveau d'environ trois pieds en carré, qui, en comptant l'épaisseur du plancher, a un mètre et demi (2) de hauteur; ce qui le rend propre à contenir un homme : étant debout, il auroit la tête Juste hors de l'ouverture, et placée dans la chambre mystérieuse. Cette description caractérise assez l’objet de la pièce sonore, de la pierre et du caveau, et fait présumer qu'une disposition aussi singulière étoit destinée aux oracles. Quand le dieu du temple étoit consulté, un prêtre chargé de cet office pénétroit dans le caveau, levoit la pierre, et sa voix, répondant dans un espace hermétiquement fermé, retentissoit avec force dans le sanctuaire, et imprimoit à la voix de l’oracle un caractère extraordinaire. Si ce n’est là qu’une conjecture, c'est peut-être la seule manière d’expliquer l’arrangement bizarre de cette chambre sans issue apparente, et où l'on ne pénétroit que par des souterrains (4). Quant à l'augmentation de la voix, je m'en suis convaincu par des essais répétés. M’étant placé dans cette salle haute pendant que mes compagnons de voyage étoient dans le sanctuaire, J'articulai quelques paroles, et ils crurent entendre plusieurs VOIX réunies et retentissantes. Dans l’espace qui sépare les deux caveaux, on a fait des fouilles où j'ai reconnu quelques marches d’un escalier qui conduisoit à des souterrains et dans les caveaux eux-mêmes; au fond de cet espace est une issue forcée, qui a été percée jusqu’à l'extérieur du temple, sur la face de l'ouest, et qu'on a pratiquée récemment. Quand on examine le sanctuaire du temple sur la face du fond, on remarque vers le haut et à gauche une pierre qui a deux fois la hauteur des autres assises, et qui est longue relativement: ce qui est sans exemple dans cet édifice, où les assises, d'un bout à l’autre, sont égales et consécutives. Les Arabes, qui l'ont remarqué aussi, supposent de l'or caché sous cette pierre: aussi l’on reconnott, à ses Joints un peu altérés, qu'elle a été attaquée plus d’une fois (s). Cette même muraille du fond du sanctuaire est encore remarquable par les joints obliques (1) Neuf pieds. décrit le temple comme rempli de routes souterraines. (z) Trois pieds quatre pouces. Dans la dissertation de Van-Dale de Oraculis, on lit que (3) Quatre pieds et demi. les voûtes des sanctuaires augmentoient la voix, et fai- (4) Cette disposition convient avec ce que lon sait soient un retentissement qui inspiroit de la terreur. des oracles qui ont existé en Égypte, et est conforme à la (5) Voyez à Thèbes, pl. 58, A, vol. LIL, fig. 7, où description de celui de Sérapis à Alexandrie, dont Rufin lon remarque une pierre semblable. des DU NOME ARSINOÏÎTE, CHAP. XVII. QASR-QEROUN. 17 des pierres, sorte d'appareil que l'on sait avoir été employé par les Égyptiens {1 ). La hauteur actuelle de l'étage inférieur, dans les parties les plus comblées , est encore de plus de quatre mètres (2); elle devoit être de six mètres et demi (3) avant l'encombrement, et celle des portes, de quatre mètres et un quait 4). Les plafonds sont composés de pierres énormes, toutes d’un seul bloc et d’une égale largeur. La longueur des pierres est dans le sens de celle de la pièce, et même cette disposition est affectée; car, dans le sanctuaire qui a sa longueur perpendiculaire à celle des autres pièces, les pierres présentent aussi leurs joints dans le même sens : elles ont $”,6 (5) de long dans cette quatrième pièce, et sept mètres et demi (6) dans les trois premières, sans compter les parties qui reposent sur les murs latéraux. Aucun de ces plafonds hardis n’a encore cédé à son poids; l'étage inférieur est parfaitement conservé dans toutes ses parties, et la construction, malgré la couleur de vétusté qu'elle offre de toutes parts, est si peu altérée, qu’elle semble être récente: seulement, le sommet de la seconde porte est un peu ébranlé; encore est-ce l'ouvrage des hommes, On a voulu abattre la corniche et fouiller derrière ; mais il paroît qu’on a renoncé aussitôt à cette entreprise. Le choix des matériaux et la bonne exécution n’ont pas moins contribué que le climat à conserver cet édifice d’une manière aussi intacte et à le sauver des outrages du temps et de ceux des hommes. Les sculptures sont ce qu'il y a de plus dégradé: on a attaqué tous les ornemens ; et ce. qu'on a épargné le moins, c’est le disque ailé. , Outre les cinq pièces dont j'ai parlé jusqu'ici, on trouve de chaque côté cinq autres pièces nues et sans ornement. J'ai dit qu'on pénétroit dans celle qui est à droite de la première-salle du temple, par une entrée forcée, à cause de l’encom- brement de la porte (7). On pénètre plus facilement dans celles qui sont à gauche; mais l'on y trouve le sol exhaussé par les fouilles : il y en a eu de faites dans toutes les pièces ; les Arabes ont remué de tout temps le sol de ce temple, avec la persuasion qu'il renferme des trésors, et que c’est le motif qui attire les Euro- péens aussi loin dans le désert. Les souterrains ont été également fouillés, et c’est ce qui les rend inaccessibles : seulement, je me suis assuré, en y jetant des pierres, qu'ils n'avoient pas moins de quatre à cinq mètres (8) de profondeur ; je soup- çonne même qu'ils ont deux étages. Parmi ces cinq pièces latérales, ïül y en a trois plus petites, et remarquables à cause de leur petitesse même ; ce sont celles qui accompagnent de chaque côté le sanctuaire ; on y entre par un corridor commun qui les en sépare, et dont l'entrée est dans la troisième salle du temple: mais ces pièces ne communiquent pas entre elles. Leur longueur est de 2°,76 (9) de long sur 2°,30 (10) de large. (1) Voyez pl 70, fig 5, et à Thèbes, pl. 58, A. (7) On remarque dans cette pièce un creux don vol. 111, fig. 4. Le temple à jour de Philæ offre aussi pied de large et peu profond, pratiqué sur les quatre des joints inclinés. , murs : peut-être en a-t-on arraché quelque plaque de (2) Treize pieds. métal. (3) Environ vingt pieds. (8) Douze à quinze pieds. (4) Treize pieds. (9) Huit pieds trois pouces. (s) Dix-sept pieds. (10) Sept pieds quatre pouces. (6) Près de vingt-trois pieds. A' D, C 1 8 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS I est diflicile de conjecturer l'usage auquel ont pu servir des salles aussi étroites: j'en parlerai plus bas. On montoit autrefois à l'étage supérieur par un escalier placé de chaque côté de la troisième salle, et qui est à présent presque toutà-fait encombré : on pouvoit y arriver également par un puits creusé dans le massif de maçonnerie qui est situé entre l'escalier de droite et la seconde salle latérale; on a fait dans le puits des entailles pour cet objet. Aujourd'hui l'on monte ordinairement par la face du temple exposée au midi, et qui est assez dégradée vers le milieu pour qu'on le fasse commodément. Quand on est en haut, on reconnoît d’abord que l'étage su- périeur s'est écroulé en grande partie, et que les pierres de la terrasse supérieure, ayant succombé sous leur poids, ont mis cet étage à découvert. Quant aux pärties de la terrässe qui sont conservées, elles sont encore couvertes d’une couche de ciment, aujourd'hui très-friable. | Le plan est à peu près le même que celui du rez-de-chaussée; la seule salle re- marquable est celle du fond, qui répond au-dessus du sanctuaire, et qui est décou- verte aujourd'hui comme les autres. On y trouve les restes de deux figures en bas- relief, de grandeur humaine, cachées presque jusqu'aux genoux par l'encombre- ment; ce sont les seules figures qu'on voit aujourd’hui dans tout le temple. Celle de gauche, coïfiée d'un bonnet de divinité, portant la croïx à anse d’une main, et, de l'autre, le bâton à tête de gazelle, paroît, par sa tête oblongue, représenter Osiris à tête de belier, autant qu'on peut en juger; car le visage est méconnoissable par les coups qu'il a reçus. Le vêtement est riche et analogue au costume que portent les figures de dieux à Denderah. Celle de droite est beaucoup plus maltraitée : les assises du corps ont été brisées, et il ne reste de la partie supérieure que le dessus du bonnet. Un fragment de sa tête qu'on a retrouvé parmi les débris, et que j'ai rapproché à sa place, indique une figure humaine, coiffée d’un réseau; l'œil presque de face, dans cette figure qui est de profil, et l'élévation de oreille au-dessus du sourcil, démontrent le travail Égyptien. Le milieu de ce bas-relief est enlevé, et l’on ne voit aucun vestige des bras dans ce qui en reste; mais îl y a tout lieu de croire que c’étoit la figure d’un prêtre faisant une offrande au dieu Osiris. L’intervalle entre ces deux sculptures a été entièrement dégradé : cette partie placée au centre et renfoncée en forme de niche devoit contenir probablement quelque figure capitale. La salle offré encore un autre ornement, maïs difficile à qualifier; c’est une petite colonne basse, appliquée sur chaque mur latéral, et dont l'extrémité supé- riéure porte une sorte de cannelure: ce qui en reste n'est qu'un fragment. : On voit, d’après cette description, qu'il y a peu de sculptures dans ce bâtiment: je n’y ài pas aperçu un seul hiéroglyphe, quoïque Paul Lucas en suppose toutes les portes et les chambres remplies (1) Ce voyageur n'a pas moins exagéré le nombre des salles, asséz grand pour un édifice de cette étendue, maïs qui, en supposant quinze pièces tant au-dessus qu'au-dessous de l'étage inférieur, ne (1) Paul Lucas, 7. Voyage, tom. I. DU NOME ARSINOÏTE. CHAP. XVII QASR-QEROUN. 19 devoit pas surpasser quarante-cinq, même en comptant les plus petites chambres comme les grandes (1). Le Qasr-Qeroun est bâti d’une pierre calcaire assez dure, et susceptible même d'un certain poli. On la trouve dans un banc de rocher découvert à fleur de sable, qui commence à se voir à trois lieues de Nazleh; tout le sol environffant est de même nature, et il n'existe aucun marbre connu dans le pays. Il me reste à faire remarquer de petites ouvertures oblongues et encadrées, qu'on aperçoit sur la face méridionale de l'édifice; elles ne pénètrent pas dans toute épaisseur de la muraille, et elles n'ont pu servir à éclairer l'intérieur : il seroïit difhicile d'en déterminer l'usage. Pococke. Fhppeselque ce sons des vides restés par l'enlèvement des plaques de marbre qui s'y trouvoient; maïs rien ne justifie cette hypothèse. | J'ai trouvé à deux cents pas, au nord ouest, un autel qui a un mètre {2) de long, sur six décimètres (3) ; sa hauteur n'est que de dix-huit centimètres { 4): tout autour, règnent un cordon et une petite frise ornée de feuillage ; au milieu, il y a une tête humaine, vue de face, et portant deux cornes { 5 ); sur le dessus est un creux profond de huit centimètres (6), destiné apparemment aux libations des sacrifices. II est cassé verticalement en deux parties, à la droïte de la tête. Les dimensions de cet autel conviennent avec celles de l’enfoncement qui est au centre du sanctuaire du temple; mais il n’est pas possible d'affirmer qu'il lui ait appartenu. On ne peut raisonnablement douter que cet édifice n'ait été un temple Égyptien, puisqu'il porte tous les caractères de ceux qu’on retrouve dans la haute Égypte; il a, comme eux,.ses murs extérieurs inclinés, ses corniches creusées en gorge, ses portes encadrées par des cordons, garnies du disque ailé et recouvertes d'une frise en serpens; il y a des joints obliques dans l'appareil, comme à Thèbes et à Philæ. Les corniches composées d'bœns, les figures Égyptiennes du premier étage, enfin le fini et la délicatesse de la sculpture, ne laissent aucune incertitude. Ce qui porte sur-tout l'empreinte de la construction Égyptienne, ce sont ces énormes pierres de huit mètres de longueur, dont les plafonds sont composés. ( À La première porte est la seule ouverture par où la lumière pénètre dans cet (1) Paul Lucas assure qu’il est entré dans plus de cent cinquante salles, toutes différentes de forme et de lon- gueur, les unes carrées, les autres #riangulaires et dispo- sées irréguliérement, au milieu de tant de contours, qu’il se fût perdu, dit-il, dans cet endroit dangereux, s’il n’eüt employé plus de deux mille brasses de ficelle et répandu de Ja paille hachée sur sa route ; encore composé, à perte de vue, d’une foule de portiques, de voûtes et galeries d’une proportion beaucoup moïndre que le rez-de-chaussée, qui, par ce petit artifice, devient d’une grandeur prodigieuse. Il avance hardiment que les colonnes et toutes les salles, aïnsi que les pièces souter- raines, sont bâties en beau marbre blanc; et il ne fait qu'un reproche à Hérodote, c’est d’avoir dit, dans sa n’a-t-il vu, ajoute-t-il, que la dixième partie des salles, dont les avenues ont dû se boucher par les décombres. On sent assez le ridicule de pareilles précautions dans la visite d’un bâtiment symétrique et peu étendu ; il n’est pas nécessaire d’y insister. La description qu’en donne Paul Lucas, est, d’un bout à l’autre, aussi fausse que dans les passages qu’on vient de voir ; il n’y a pas moins de fausseté dans les dessins, sur-tout dans celui de lélévation, où le -profil bizarre de lentablement est tout-à-fait controuvé. Abe D) L’étage supérieur y paroît description du labyrinthe, qu’il étoit construit de pierres blanches. : (2) Trois pieds. (3) Environ deux pieds de large. (4) Sept pouces. (s) Voyez A: vol. IV, pl. 70, fig. 16 à 18. Les cornes n’ont pas été exprimées assez exactement sur la gravure (fig. 17); elles devoient être recourbées en dedans , à la hauteur des yeux, On a oublié aussi d'indiquer la cassure,’ (6) Trois pouces. C2 20 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS édifice, et l'obscurité va toujours en croissant jusqu'au fond : tout y annonce le caractère mystérieux du culte Égyptien. On n'y voit pas d'hiéroglyphes; mais en voit-on sur les pyramides, et sur plusieurs petits temples de Thèbes qui pa- roissent n'avoir pas été achevés! Ces petits temples rappellent précisément, par leu façade et leur proportion, le Qasr-Qeroun (1). Il est donc certain que ce temple est de construction Egyptienne : mais l’époque de la construction n’est pas aussi facile à reconnoître que le style de l'architecture. Hérodote rapporte que la divination r’étoit attribuée en Égypte qu’à de certains dieux, tels qu'Hercule, Apollon, Mars et Jupiter, et à quelques déesses, comme Minerve, Diane et Latone (2). Le front du dieu représenté dans le bas-relief du premier étage, étant garni de deux cornes de belier, et la salle mystérieuse pou- vant être considérée comme une chambre aux oracles, je crois (s'il est permis de faire une conjecture sur le culte du temple) qu'on ne s’écarteroïit pas beaucoup de la vérité, en supposant qu'on y adoroit Jupiter- Ammon ou Osiris à rête de belier, et qu'on y rendoit des oracles sous son nom. La position de l'édifice, à l'entrée du désert qui mène aux Oasis et au temple de Jupiter-Ammon, est sans doute un motif pour appuyer cette conjecture, et la figure du petit autel vient encore la confirmer. Les pièces latérales dont j'ai parlé, n’étoient peut-être pas étrangères à un autre culte qu'on dit avoir été en usage dans la province d’Arsinoé, celui des cro- côdiles. Trois villes d'Égypte avoïent le nom de Grocodilopolis : la première est la même qu'Arsinoé ; la seconde étoit au-dessous d’Akhmym, et l’autre au-dessus d'Erment : il faut y joindre Coptos et Ombos. Plusieurs mythologues ont voulu expliquer ce culte bizarre, en supposant qu'il avoit été fondé par les partisans de Typhon, qui croyoient que son ame avoit passé dans le corps d'un croco- dile. Au rapport d'Élien, ce culte avoit été institué pour rendre des oracles (3). Diodore et Étienne de Byzance nous en donnent une origine fabuleuse : ils rapportent que le roi Menès, par reconnoïssance pour un crocodile qui lavoit sauvé de la poursuite de ses chiens, en le transportant de l'autre côté du lac de Mcris, bâtit près du lac une ville de ce nom; qu'il ordonna qu'on rendroit les honneurs divins aux crocodiles, et qu'il assigna un lac pour leur entretien. De Pauw fait une conjecture ingénieuse à ce sujet (4) : il remarque que Coptos, Arsinoé et Crocodilopolis seconde, étoient situées loin du Nil, sur des canaux; pour peu qu'on laïssät boucher ces canaux, les crocodiles n'arrivoient plus : on étoit donc sûr, tant que le culte dureroit, que les canaux seroient entretenus. Ombos est, à la vérité, sur le Nil même; ce que de Pauw ignoroit : mais cela ne détruit pas l'explication, comme nous l'avons fait voir dans la description de cette ville. « Chez ces peuples, ajoutet-il, le crocodile étoit l'emblème, non de Typhon, (1) Une autre circonstance feroit à elle seule présumer dans emploi de ces proportions harmoniques. Voyez les que le temple appartient à l'antiquité Égyptienne; c’est Descriptions des antiquités, et mon Mérnoire sur le système le rapport exact de [a hauteur du monument avec sa métrique des anciens Égyptiens, chap. 1v, À. M. tom. I, façade et sa longueur : ces trois dimensions, égales, pag. 539. comme je Pai dit, à 9",47, 18,8 er 25",6, sont entre (2) Herodot. ist. lib. 11, cap. 183, elles comme les nombres 1,2 et 3, à fort peu près. (3) Ælian. De animal. On sait quel soin mettoient les constructeurs Egyptiens (4) De Pauw, tom. V, pag. 147. DU NOME ARSINOÏÎTE. CHAP, XVII. QASR-QEROUN. 21 =] » mais de l'eau amenée par les dérivations du Nil; et il devoit être d'autant plus » honoré dans le nome Arsinoïte, que l'existence de cette province dépendoit » toute entière de ces dérivations. » Le pays, en effet, seroit inhabitable, si le canal de Joseph ne pouvoit plus entrer dans le Fayoum. Aussi les habitans y ren- doiïent-ils de grands honneurs au crocodile, au rapport de Strabon (1), qui nous apprend qu'il y étoit sacré, qu'on l’élevoit à part dans un lac, et que, par les soins des prêtres ;: il devenoït un animal privé. On f'appeloit Srchus. On lui mettoit des pendans d'oreille en or, et on lui attachoit aux pieds de devant de petites chaînes ou bracelets ; enfin un prêtre lui présentoit en offrande des ali- mens préparés, qu'il avaloït aussitôt, comme Strabon en a été le témoin. Hérodote ajoute à ces détails (2), qu'on embaumoit les crocodiles sacrés et qu'on les déposoit dans les souterrains du labyrinthe, I est possible que les chambres latérales du Qasr-Qeroun aient servi aussi à recevoir de jeunes crocodiles. Ce qui appuie cette conjecture, c'est la grande proximité du lac de Mœ&ris, où lon entretenoit des crocodiles, suivant Hérodote et Strabon. Kircher cite un nom Qobte du crocodile,-qui est pi-suchi, conforme à celui que lui donnent Strabon et d’autres auteurs (3); mais, selon Hérodote, les crocodiles se nommoïent, en égyptien, ame. Le vrai nom Qobte amsah, ewces, est parfaitement d'accord avec celui, d'Hérodote, et il est encore confirmé par celui de Tachompso ou Metachompso, que les auteurs donnent à une île située au-dessus de Syène, et où les crocodiles étoient en abondance (4). Le portique de deux colonnes dont j'ai parlé en commençant, ne se retrouve dans aucun autre monument Égyptien : on peut supposer avec beaucoup de vraisemblance qu'il a été ajouté après coup, ainsi que la demi-colonne plaquée sur la façade; aussi-bien le dé qui reste ne paroît pas de la même exécution que lé temple, Ce qui me confirme dans cette opinion, c’est que les tronçons de colonne et toutes les pierxes qui ont appartenu au portique, sont frappés d’une marque particulière, en forme de bout de flèche , et qui ne se voit pas sur celles du temple (s). On remarque aussi sur une pierre, parmi les débris de la façade, une inscription Grecque fort courte, ou du moins dont il reste à peine trois à quatre mots : PS ETC PONERMOTETE RE Tout ce qu'on peut tirer de ce peu de vestiges, c’est qu'un particulier avoit fait une offrande à {a divinité Égyptienne appelée Thermuthis : 44 5. OEPMOTOIGEAT. : Ce nom est aussi celui d’un serpent consacré par la mythologie Égyptienne. ‘On pourroit encore proposer de lire APMOT@I, nom d’un mois Égyptien (6). Je terminerai cette description par l'examen du nom que les Arabes donnent à (1) Woyez Le texte de Strabon, ci-après, n.° 111. (4) Voyez la Descr. d'Éléphantine, 4. D, ch, ITE, p, 19. (2) Herodot. Æist, lib. 11, cap. 148. (s) Voyez planche 70, fig. 11 et 12. (3) Damascius, Wir, Isidori, apud Photium, B441, (6) Voyez la planche 56, A. vol. V, et mon Mémoire col. 1048. Woyez Jablonski, Panth. Ægypt. part. IL, sur les inscriptions anciennes recueillies en Egypte pag. 70. A. M. tom. 11, pag, 1. 2 2 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS \ cet édifice. Les deux manières de le prononcer et de l'orthographier lui donnent aussi deux sens différens. Le nom de @asr-@eroun, qui paroït le véritable, signifie le palais cornu ; et il est probable qu'il vient des quatre pointes avancées que forme, vers les angles , la corniche qui le couronne : en effet, le portique des ruines d’Antinoé a reçu des Arabes le nom d’Abou-lyeroun, à cause des angles que forment les taïlloirs de ses chapiteaux Corinthiens. Presque tous les voyageurs et les écrivains qui en ont parlé, ônt adopté le nom de Qasr Qäroun (1), palais de Caron, apparemment à cause d’une fable des Arabes reçue dans le pays, fable d'ailleurs assez ridicule. Suivant les uns, un homme de ce nom s'établit sur les bords du lac, où il exigeoït, à l'insu du prince, un tribut des parens qui alloïent enterrer leurs morts de l’autre côté : il gagna de grandes richesses et construisit ce bâtiment. Suivant d’autres, Caron étoit le nom d’un homme chargé, suivant les lois du pays, de passer les corps à travers le lac de, Mo@ris, pour qu'ils fussent ensuite déposés dans des catacombes placées au-delà (2). Paul Lucas à imaginé l'existence d’un certain Caron, maître de cette partie de l'Égypte où il y avoit, dit-il, plusieurs villes et trois mille villages, qu'il stérilisa en la couvrant de sables (3). I se demande ensuite si ce Caron ne seroit pas celui des Grecs et des Latins. Jamais les auteurs Grecs ou Latins n'ont présenté Caron sous ce rapport. Au reste, quoique la fable du nautonnier infernal soit très-proba- blement d’origine Égyptienne, je pense qu'on ne peut en chercher une preuve, comme l'ont fait quelques écrivains, dans le nom, mal prononcé, de cet édifice, qui d’ailleurs n’a jamais été un palais, ni un château, ainsi que l'appellent les Arabes (4). IL faut donc s’en tenir au premier nom de @asr-Qeroun($), qui est conforme au génie de la langue Arabe. Le lac du Fayoum, appelé Brrket-Qeroun, aura pris naturellement le nom d’un édifice qui étoit près de ses bords ; peutêtre aussi le doit-il aux deux pointes en croissant que formoiïent ses extrémités. (1) 058 ses (2) Paul Lucas, 7° Voyage, tom. Il. ( Gïân, souverain du monde avant Adam, et que plusieurs bâtissent le Kaïre six siècles avant le déluge On peut 3) Vansleb parle aussi d’un seigneur Caron, maître de tout le pays. (4) Quelle probabilité y a-t-il que les Arabes aïent conservé la tradition de cette fable, quand on sait qu’en général ils n’ont aucune notion des temps un peu reculés de l'Egypte; que leurs auteurs attribuent la construction des pyramides, les uns à Nemrod, les autres à Giân ebn apprécier la tradition Arabe sur Caron par ce qu'en dit un de leurs auteurs, qui le fait cousin - germain de Moïse. Voyez, dans les Mémoires de l’Académie des inscriptions , tom. III, page 6, un extrait des obser- vations de Fourmont sur l'enfer poétique ; et [a Biblio- thèque Orientale de d'Herbelot, pag. 259 et 311. (5) W5 35 DU NOME ARSINOÏTE. CHAP. XVII EC SECTION III. Description des Ruines situées près de la Pyramide d'Haouérah, considérées comme les restes du Labyrinthe, et Comparaison de ces Ruines avec les Récits des anciens ; Suivie de la Description de la Pyramide d'el-Lähoun ; Par MM. JOMARD ET CARISTIE. TT PREMIÈRE PARTIE. Description des Lieux. çr [ Ruines situées auprès de la Pyramide. A deux lieues environ de distance au sud-est de Medynet el-Fayoum, et à trois quarts de lieue au nord du canal de Joseph, s'élève un plateau très-étendu, dominant sur toute la province, et se prolongeant à l’est jusqu'en face d'el- Lâähoun, village situé à l'entrée de la gorge du Fayoum. C'est à l'angle sud-ouest de ce plateau, presque au nord du village d'Haouârah, qu'est bâtie une pyramide en briques cuites au soleil, semblable à celle d’el-Lâhoun, mais d'une plus grande dimension. Quand on se rend de Beny-Soueyf à Medynet el-Fayoum (1), on passe au pied de celle-ci, et à quinze cents mètres de la première. Des ruines considérables ont été découvertes au nord et à l’ouest de la pyra- mide d'Haouârah: ces ruines, par leur étendue, par leur position et par la nature des vestiges qui subsistent, appartiennent incontestablement au fameux labyrinthe; c’est ce que démontrera la description que nous allons en faire, comparée à celles qu'ont données les anciens. Aïnsi sera résolue, nous lespérons, la question si Jong-temps agitée de emplacement du labyrinthe : quant à la question du lac de Moœris, qui est liée avec la première, il a paru un Mémoire sur ce sujet dans le tome [°° des Mémoires d'antiquités (2). | (1) Nous emploierons quelquefois, pour abréger, le (2) Voyez le Mémoire sur le lac de Mœris, 4, M. nom de Médine, au lieu de Medynet el-Fayoum. tom, 1, pag: 79. | 2.4 DESCRIPTION DES'ANTIQUITÉS Déjà, dans le cours d’un premier voyage dans le Fayoum , en janvier 1799, plu- sieurs ingénieurs Françaïs avoient eu connoïssance des grandes ruines et-des blocs de granit qui sont auprès de la pyramide d'Haouârah {1). On en avoit donné une description succincte, et, d’après des combinaisons géographiques, on avoit avancé que tel étoit l'emplacement du labyrinthe (2): cette opinion a.été confirmée entièrement par les observations ultérieures. Le 10 nivôse an 1x [ 31 décembre 1800], l'un de nous (3), accompagné d'un de ses collègues, en mission comme lui dans le Fayoum {4), se mit à la recherche des ruines. Les habitans et les Arabes, pleins de méfiance et de mauvaise volonté, avoient refusé de donner aux voyageurs aucune information; ceux-ci furent obligés de se diriger sans guide, et de PASQUES le désert presque sans renseignemens et même sans escorte : livrés à eux-mêmes, ils frrent assez long-temps de vaines recherches; enfin ils découvrirent les ruines et parvinrent heureusement à leur but, malgré des circonstances aussi défavorables. À environ sept mille cinq cents mètres de Médine, se trouve la grande exca- vation qui a été décrite dans la 1. section de ce chapitre, et qui ressemble à un canal d’une prodigieuse largeur : les deux voyageurs y descendirent, et la parcou- rurent du midi au nord: ensuite ils se dirigèrent, en traversant des sables mou- vans, sur la grande pyramide d'Haouârah, qu'ils avoient en face. Arrivés au sommet du plateau où s'élève cette pyramide, ils virent tout-à-coup les immenses ruines dont il est couvert. La position de cet édifice, et la vue dont on jouit de dessus le plateau, sont admirables. En effet, on ne peut se lasser de contempler les riantes campagnes du Fayoum, arrosées de mille canaux qui y entretiennent une perpétuelle frai- cheur, et dont l'aspect contraste avec les déserts de la Libye. On ne pouvoit choïsir une position plus heureuse pour élever le labyrinthe, l’un des ouvrages les plus imposans qu'ait produits l'art des Égyptiens. L'aspect que présentent ces vestiges au premier coup-d'œil , est celui d’un pa- rallélogramme : sur ses deux grands côtés et sur le côté du nord, sont les débris d’une enceinte; il est ouvert du côté du sud. On aperçoit par-tout des amas de ruines en pierres de taille, de matériaux jetés confusément les uns sur les autres et proba- blement ensevelis sous les sables pour la plus grande partie {$).-En pénétrant à travers ces débris, on y rencontre des fragmens de murailles renversées. Le mur . de l’enceinte de l'édifice, du côté de la pyramide, et quelques-unes des espèces de | tourelles dont ce mur étoit flanqué extérieurement, sont ce qu'il y.a de mieux conservé aujourd'hui. Ces RES tours ont environ six mètres en carré; ce qui reste de celle qui est la plus près de la pyramide , ne s'élève pas à plus de deux mètres au-dessus du sol. Elles ont été construites en pierres de taille d’un graïn très-fin (6). Les paremens (1) MM. Bertre et Jomard en avoient fait connoître (4) M. Martin, ingénieur des ponts et chaussées. l'existence. (s) D’après le rapport de feu M. Malus. Voyez ci- (2) Dans le Mémoire sur le lac de Mœris, lu à après, note 3, page 25. Vinstitut du Kaire, le 8 octobre 1800, par M. Jomard, (6) Pour la finesse du grain, on peut les comparer (3) M. Caristie, ingénieur des ponts et chaussées, à celles de Tonnerre en Bourgogne. r de DU NOME ARSINOÏITE. CHAP. XVII. RUINES DU LABYRINTHE. 25 -de ces piérres n'ont subi aucune altération sensible par le temps; ce qui fait conjecturer que le monument a été détruit par la main des hommes, ce qu'on sait d’ailleurs par l'histoire. Feu M. Malus, qui s’est rendu de Beny-Soueyf à ces ruines, à plusieurs reprises, y a fait faire des fouilles. Il a trouvé, aux environs, des chambres taïllées dans le rocher, et différentes constructions ruinées. La plus grande partie des salles sou- terraines sont encombrées de sables et de matériaux. TR 1 LR Pyramide d'Haouérah. C’EST sur le même plateau, vers l'angle sud-est des ruines et à leur extrémité, que s'élève la grande pyramide dont nous avons parlé. Elle est construite en briques crués ou cuites au soleil: chacun des côtés a cent dix mètres de longueur, mesuré à la base ; la hauteur perpendiculaire est d'environ soixante mètres. Cette pyra- mide est bien conservée, à l'exception de son sommet, qui est un peu émoussé. Les quatre arêtes sont soutenues à leur partie inférieure par des chaînes en pierres de taille, formant alternativement carréau et boutisse, et qui ne s'élèvent pas à plus de trois mètres au-dessus du sol. Nous pensons qu'elles n'ont été in- crustées dans ce monument qu'après coup, pour sa plus grande conservation (1). Les paremens des briques employées dans la construction de la pyramide suivent tous l'inclinaison de ses faces ; là longueur de ces paremens est de quarante-huit centimètres sur vingt-un de hauteur. Les briques ont été faites avec de l'argile mélangée d'un peu de païlle hachée, et travaillée ensuite avec de la chaux, pour rendre l'agrégation de toutes ses parties plus complète ; sommes assurés en en brisant quelques-unes (2). ce dont nous nous M. Malus a visité aussi la grande pyramide d'Haouârah; il a même rapporté qu'il y avoit pénétré, et qu'il étoit parvenu dans l'intérieur par un canal qui lui a paru revêtu en pierre, ou bien creusé dans le roc : au fond, ïl a trouvé une source d’eau très-salée, avec une excavation pratiquée en forme de sarco- phage (3). Sable Restes d'un Temple au sud de la Pyramide d'Haouérah. EN descendant de dessus le plateau, vers le côté de l’ouest, on se trouve sur un terrain qui forme un glacis naturel, dont la pente, d’abord très-forte dans sa partie (1) Voyez la pl. 72, fig. 1. (2) Voyez les Observations de M. Martin sur la pro- vince du Fayoum. (3) M. Malus comparoit Ia forme de cette cavité à celle d’une baignoire. Les renseïgnemens précédens ont été fournis à M. Jomard par cet habile géomètre peu de la VD} temps après son retour en France; depuis, une mort pré, coce l’a enlevé aux sciences et à l'amitié. On pourroit douter de l’existence d’une source en cet endroit : au reste, M. Martin a trouvé de l’eau très- salée au fond d’un souterrain en maçonnerie, conduisant à l’intérieur du bâtiment. D 26 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS supérieure, finit par être presque insensible à la base. Au pied du glacis, on voit une nouvelle enceinte, dont le sol est inférieur au plateau d'environ quinze mètres ; cette enceinte est formée par la réunion de seize monceaux de dé- combres , rangés symétriquement : au centre, s'élevoit un édifice que nous croyons avoir été un temple, et dont les colonnes sont encore gisantes sur la place et réduites en débris. Six des monceaux forment l'enceinte du côté de l’est; un égal nombre est en regard à l’ouest; les quatre autres sont au midi. Nous les avons tous examinés avec attention, pour voir si nous ny découvririons pas quelques portions de mur ou de construction encore existantes ; mais nous n'avons rien trouvé de semblable. Les débris du péristyle de l'édifice ne permettent pas d’en deviner la disposition. Il paroît que le péristyle étoit orné de huit à dix colonnes; aujourd’hui les fûts sont ruinés et couchés à côté de leurs bases. : Les fragmens des colonnes sont en granit syénitique : ces débris ressemblent à des tronçons mutilés. Les colonnes étoïent ornées de côtes, semblables à celles du temple du sud à Éléphantine ; la partie inférieure est en cône tronqué. Parmi les débris, on aperçoit encore les chapiteaux. Nous regrettons de n'avoir pu mesurer avec précision les différentes parties de ces colonnes. La seconde enceinte, comparée à celle qui est sur le plateau, est de beaucoup plus petite ; son sol est parfaitement uni. Au-delà, toujours dans la direction de l'ouest, le terrain va en descendant jusqu'à la rencontre de la grande excavation. On voit, par la description qui précède, que de l'enceinte du temple on pouvoit communiquer de plain pied avec les souterrains pratiqués sous la pyramide et sous le grand monument. Toutes les pierres qui ont servi à la construction des édifices, sont susceptibles d'un certain poli; leur grain, comme on fa dit, est d’une grande finesse, et l'on conçoit qu'à une certaine distance on a pu prendre ces pierres pour du marbre. Quant à l'étendue générale des ruines, nous n'avons qu'une mesure approxi- mative; cependant nous pouvons assurer qu'elles couvrent un espace de plus de trois cents mètres de longueur, sur environ cent cinquante de largeur. Les ren- seignemens donnés par: feu M. Malus s'accordent pour faire regarder ces débris comme occupant un espace considérable, et l’ensemble des ruines comme très- imposant. En parcourant ce lieu pour la dernière fois, nous remarquâmes une très-grande quantité de crânes et d’autres ossemens humains d'une éclatante blancheur : ces ossemens ne remontent pas à la haute antiquité; ce sont probablement les restes des cadavres de quelques Arabes des tribus voisines. La distance comprise entre la pyramide et les ruines de l'ancienne Arsinoé ou Crocodilopolis, au point le plus rapproché, est, d’après la mesure trigonométrique, de sept mille quatre cent cinquante mètres. DU NOME ARSINOÏTE. CHAP. XVII. RUINES DU LABYRINTHE. 2 Le SECONDE PARTIE. Comparaison des Ruines avec les Descriptions du Labyrinthe. NA Fi Observations préliminaires sur l’Emplacement du Lac de Meris. Nous venons de donner une description succincte de tous les vestiges de constructions Égyptiennes situés dans ce local ; nous allons maintenant comparer l'enceinte, le temple et la pyramide, tels que nous venons de les décrire, avec les récits des anciens au sujet du fameux labyrinthe. Au lieu de citer tous les auteurs de suite, nous ferons, pour chacun d'eux, le rapprochement des passages avec le local actuel : maïs, comme la situation du labyrinthe est liée avec celle du lac de Mœris, et que rarement ils sont séparés dans les auteurs, nous allons d’abord rappeler en peu de mots ce que l'on peut regarder comme certain sur l’empla- cement de ce lac fameux dans l'antiquité. Tous les auteurs s'accordent pour reconnoître que le lac de Mœæris étoit d une très-grande étendue, et qu'il étoit placé dans le nome Crocodilopolite, à peu de distance de la ville de Crocodilopols ou Arsinoé; le grand lac qui subsiste encore aujourd'hui dans le Fayoum, est donc le reste du lac de Mœris. Les preuves de cette opinion ont été données aïlleurs (1), et l'on a fait voir que ces deux lacs con- venoient ensemble pour l'emplacement, la forme et l'étendue; que la position géographique de l'un et de l'autre étoit la même: enfin qu'Hérodote, Diodore. de Sicile, Strabon, Pline, Ptolémée, Étienne de Byzance, et les autres écrivains de l'antiquité, étoient conciliés sans peine, lorsqu'on adoptoïit cette opinion. Mais nous avons aussi reconnu que le Bahr Belä-mâ, cet immense ravin qui, d'Haouâ- rah, se dirige au nord et tombe dans le lac à Tämyeh, faisoit, en quelque sorte, partie du lac de Moœris (2). Il convient d’insister ici sur le dernier point. On croit avoir établi, avec toute l'évidence que peuvent comporter les dis- cussions de géographie ancienne, la concordance du lac de Mæris proprement dit, avec le Birket-Qeroun, qui offre et peut seul offrir, dans toute l'Égypte, l'étendue et le gisement du premier. La seule incertitude qui pourroït demeurer, quand on compare superficiellement le local actuel avec le récit des historiens, consisteroit dans la difficulté qu'il y a d'admettre qu'un lac aussi étendu soit l'ouvrage de la main des hommes. Comment concevoir que la puissance Égyp- tienne, ou quelque autre que ce soit, ait jamais suffit à une dépense ou disposé d'une population telles que celles que supposeroïent l’excavation et le transport de trois cent vingt milliards de mètres cubes de terre ou de roche (3)! I faut un (1) Voyez le Mémoire sur le lac de Mœris, par (2) Voyez le Mémoire ci-dessus, pag: 98 et ailleurs, M. Jomard, Ant. Mém, tom, 1, pag, 79: (3) Jbid, pag. 97. À. Ye , D 2 28 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS examen plus approfondi du local pour éclaircir cette dificulté ; elle sévanouit, lorsque lon considère ce vaste canal qui se porte d'Haouärah à Tâmyeh, appelé aujourd'hui Bahr Belä-m& [mer ou rivière sans eau]. Ce canal établissoit la communi- cation entre la branche dérivée du Nil et le grand lac. Par sa prodigieuse largeur, il pouvoit passer pour être lui-même une partie du lac de Mœris, dont il est, en effet, la tête et l'appendice : or il sufhit de lavoir vu pour reconnoître qu'il est l'ouvrage des hommes. La description qu'on en a donnée plus haut (1), démontre qu'il a été creusé; sa profondeur, sa forme, sa direction, la destination même qu'il remplit encoré aujourd'hui, ne laissent sur ce point aucun nuage: c'est donc là qu'il faut chercher l'application du passage d'Hérodote et des autres témoïgnages de l'antiquité, qui attestent que le lac avoit été formé de main d'homme. On avoit creusé le canal entre le Nil et le lac du nome Arsinoïte, et peut être le lac lui- même aux embouchures des canaux qui Sy versent; et ce travail, déjà fort con- sidérable, avoit fait dire que le lac lui-même étoit tout entier l'ouvrage des hommes. Il est certain que les eaux du Nil n'y étoïent parvenues, que le lac d’eau douce n'avoit été formé, que par l’excavation de cette vaste branche. L'explica- tion est palpable; et ce qui la rend plus sensible encore, est un autre passage d'Hérodote qui offre en apparence une assez grande objection, tandis que cette difculté vient, au contraire, à l'appui de notre sentiment, et se tourne elle-même en preuve. Le lac de Moœris, dit-il, est dirigé du nord au midi (2). Telle n'est pas la direction du Birket-Qeroun, qui se porte de l’est à l’ouest-sud-ouest ; maïs cette branche qui va d'Haouârah à Tämyeh, se dnige en effet du midi au nord. Il est donc évident que l'historien désignoit cette partie du lac. Ce qui achève de dis- siper l'obscurité, c’est que plus bas il ajoute que le lac se dirigeoit à l'occident dans l'intérieur de la contrée, le long de la montagne Libyque (3). I! n’est pas certain qu'Hérodote ait visité le grand lac ; mais la partie qu'il avoit vue auprès du labyrinthe, ou 4 grande Fosse (4), se dirigeoit et se dirige encore aujourd'hui du midi au nord. I faut donc, en quelque sorte, diviser en deux parties le lac de Mœris des anciens. lune, l'immense dépôt d'eaux qui existoit au pied de la chaîne Libyque, au fond du nome Arsinoïte : l’autre, le large et vaste canal qui communiquoit avec la branche du Nil appelée aujourd’hui Bahr-Yousef ; branche qu'on avoit introduite dans cette préfecture, en creusant la montagne qui empêchoit les eaux d'y pénétrer. Diodore de Sicile décrit parfaitement le grand canal, en disant quil avoit quatre-vingts stades de long et trois phlètres de large, et qu'il servoit de com- munication entre le Nil et le lac de Mœris. En effet, comme on l'a vu, le Babr Belâ-mä a environ trois cents pieds ou cent mètres de large, et l'on trouve à peu près quinze mille mètres de longueur (ou quatre-vingts grands stades d'Égypte), mesurés perpendiculairement, entre l'ancienne limite du lac et la tête de ce canal (5). deoc mumip Méuqos. Voyez le Mémoire sur le lac de Moæris. (2) Kéérey dé uuxpt n Alu css Bopénr me à vômy. ( Herod. (4) Fossagrandis, dit Pline, Hisr, nar,Jiv. XXXVI, ch. 16. Hist. lib. 11, cap. 1409.) (s) Voyez le Mémoire sur le système métrique des an- (3) Terpauuém mn œpde Éanipnr €ç Ti act parer agi nm ciens Égyptiens, 4. M, tom. À, pag. 510. (1) Voyez ci-dessus, pag. 9 et 24. . .. .« DU NOME ARSINOITE. CHAP. XVII. RUINES DU LABYRINTHE. 34 Strabon , qui ne dit point qu'on eût creusé le lac de Mœris de main d'homme, n’avoit en vue que le lac proprement dit (1). Pomponius Mela, au contraire, ne parle que du canal (2), en disant que le lac avoit été une ancienne campagne, 04m campus. En effet, la fosse avoit été pra- tiquée à travers une plaine cultivable, tandis que le lac étoit et est encore situé dans un terrain aride ét sec : or ces dernières expressions sont celles-là même d'Hérodote (3). L'étendue que Pomponius Mela donne au lac, n'est que de vingt milles de circonférence : ces vingt milles pourroïent s'appliquer à quelque partie du Babr Belä-mâ ; maïs cette correspondance est peu certaine (4). Le lac lui-même avoit de tour dix-huit cents petits stades, ou plus de cent vingt milles (5). Ainsi, parmi les auteurs, les uns parlent du lac, les autres de [a fosse, et quelques-uns de l’un et de l'autre à-la-fois : maïs il ne reste aucune contradiction, après que tous les passages ont été comparés entre eux et avec les localités. Une question importante à examiner, mais que le lieu ne permet pas d'appro- fondir, est celle des avantages qu’on retiroit du lac de Mæris pour l'aménagement des terres. Dans le Mémoire cité plus haut; on a montré que les auteurs étoient unanimes sur la double propriété dont jouisfoit cet immense bassin : lune, de recevoir les eaux superflues et de débarrasser ainsi le pays supérieur ; l'autre, de servir de réservoir pour arroser une partie de l'Égypte, durant les foibles inon- dations. Le premier point ne souffre. aucune difficulté : en ouvrant les digues et les barrières, il étoit facile d'amener dans le lac du nome Arsinoïte les eaux surabondantes , qui auroient empêché lensemencement. des terres. L'Heptano- mide, presque toute entière, avoit par ce moyen ses récoltes assurées tous les ans, à moinsique la crue ne fût par trop petite. Il reste à expliquer comment ce lac pou- voit, comme le dit Strabon, rendre, par les deux embouchures d’un canal, l’eau qui s'étoit amoncelée dans son bassin. En effet, il y aune chute au point d’el-Lähoun, et ce point est plus élevé que le lac. Maïs le sol d'el- Lähoun, comme tous les points de la vallée, est beaucoup plus haut qu’autrefois ; en second lieu, le niveau de F'inon- dation, qui diffère tant de celui des basses eaux, se soutenoït dans le lac, et sur- tout dans le vaste canal de jonction, au moyen des digues, des levées et des bar- rières, à la hauteur des terres de Prolemaïs, point qui correspond a el-Lähoun et qui étoit lui-même plus élevé que la plaine voisine. Ces digues et ces ouvrages d'art ont disparu aujourd’hui, ou sont remplacés par des constructions modernes qui ne peuvent représenter l'état ancien ; maïs on ne peut douter, d'après le témoi- (1) Strab. Geogr. lib. xVIL. Voyez ci-après, pag. 48, le texte n,° 111. parce qu'il avoit tiré ce nombre d’un calcul de trois mille six cents petits stades, qui répondent à deux cent (2) Pomponius Mela, Desitu orbis, Nb. 1, cap. 0. (3) “Arvdpos © di duc éa murs. (4) Vingt milles Romains équivalent à vingt-neuf mille cinq cents mêtres environ. (5) Mutien dic quatre cent cinquante milles Romains , parce qu'il avoit réduit le compte de trois mille six cents stades sur le pied de huit au mille, Pline porte à deux cent cinquante milles ce périmetre; ce qui est un peu plus que le double de l'étendue réelle, apparemment . quarante-trois milles Romains, ou, si l’on veut, deux cent cinquante en nombre rond. Dans le Mémoire sur le lac de Mæris, cité plus haut, M. Jomard a fait voir que ces dix - huit cents stades, grandeur réelle du lac, répondent aux trois mille six cents d’Hérodote et de Diodore, par la raison qu’il existoit une espèce de schœne de trente stades et un grand schœnè de soixante; le petit schæne a été con- fondu avec le grand, et un stade avec l’autre. 30 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS : gnage d'Hérodote, que les eaux ne fussent conduites, pendant le bas Nil, sur des terres inférieures. Ces terres ne peuvent être que celles de la préfecture de Memphis ; car les eaux, selon cet historien, couloiïent six mois dans le lac ét six mois dans le Nil. Dans le Mémoire sur le lac de Mœæris (1), on a fait voir que ces deux périodes se rapportent à la durée de la crue du fleuve et à celle de son dé- croissement. On y a exposé aussi, avec plus de détail qu’on ne peut le faire ici, tout ce qui regarde cette importante destination du lac de Maæris, qui excita justement l'admiration de l'antiquité toute entière, et dont on ne sauroit, dit Diodore de Sicile, célébrer dignement l’auteur et les bienfaits. $. “II. Emplacement du Labyrinthe. Nous pouvons maintenant aborder la recherche de l'emplacement du fameux labyrinthe, en rapportant d'abord les récits des historiens, et commençant par celui d'Hérodote. Afin de ne pas mofeler les descriptions des auteurs, nous les citerons ici en entier, au lieu dé nôus borner à ce qui regarde la Été géogra- phique du labyrinthe. « Ils voulurent aussi (les douze rois ) laïsser, à frais communs , un monument » à la postérité. Cette résolution prise, ils frrent construire un labyrinthe un peu » au-dessus du: lac de Moœris, et assez près de la ville des Crocodiles. Jai vu ce » bâtiment, et l'ai trouvé au-dessus de toute expression. Tous les ouvrages, tous » les édifices des Grecs, ne peuvent lui être comparés, ni du côté du travail, ni » du côté de la dépense; ils lui sont de beaucoup inférieurs. Les temples d’ Éahècé » et de Samos méritent sans doute d’être admirés; maïs les pyramides sont au- » dessus de tout ce qu'on peut en dire, et chacune en particulier peut entrer en » parallèle avec plusieurs des plus grands édifices de la Grèce. Le labyrinthe l’em- » porte même sur les pyramides. Il est composé de douze cours couvertes, dont » les portes sont à l’opposite l'une de l’autre, six au nord et six au sud, toutes » contiguës; une même enceinte de murailles, qui règne en dehors, les renferme : » les appartemens en sont doubles; il y en a quinze cents sous terre, quinze cents » au-dessus, trois mille en tout. J'ai visité les appartemens d’en haut ; je les ai » parcourus : ainsi j'en parle avec certitude et comme témoin oculaire, Quant aux »-appartemens souterrains, je ne sais que ce qu'on men a dit. Les Fgyptiens, gou- » verneurs du labyrinthe, ne,permirent point qu'on me les monträt, parce qu'ils » servoient, me dirent-ils, de sépulture aux crocodiles sacrés, et aux rois qui » ont fait bâtir entièrement cet édifice. Je ne parle donc des logemens souterrains » que sur le rapport d'autrui: quant à ceux d'en haut, je les aï vus, et les regarde » comme ce que les hommes ont jamais fait de plus grand. On ne peut, en effet, se lasser d'admirer la variété des issues des différens corps de logis, et des détours » par lesquels on se rend aux cours, après avoir passé par une multitude de chambres Ÿ (1) Voyez À, M. tom, 1, pag, 90. 4; —: DU NOME ARSINOÏTE. CHAP. XVII. RUINES DU LABYRINTHE. 3 Le Ÿ > qui aboutissent à des portiques : ceux-ci conduisent à d’autres corps de logis, » dont il faut traverser les chambres pour entrer dans d’autres cours. Le toit de » toutes ces pièces est de pierre, aïnsi que les murs, qui sont par-tout décorés » de figures en bas-relief. Autour de chaque cour règne une colonnade de pierres » blanches, parfaitement jointes ensemble. A l'angle où finit le labyrinthe, s'élève » une pyramide de quarante orgyies, sur laquelle on a sculpté en grand des » figures d'animaux. On s'y rend par un souterrain (1). » L'emplacement du labyrinthe est fixé par la première et par la dernière phrases de la description d'Hérodote: c’est, dit-il un peu au-dessus du lac, et assez près de Crocodilopolis, qu'il étoit situé ; et tout auprès on avoit bâti une pyramide. Or, si on cherche dans la province d’Arsinoé de grandes ruines qui soient tout ensemble à une médiocre distance de cette ville, auprès du lac, et contiguës à une pyra- V V mide, on s'arrêtera nécessairement au lieu que nous avons désigné, qui est contigu à la pyramide d'Haouärah, et où se trouvent des ruines qui ont près de mille pieds d'étendue. Hérodote entendoit visiblement ici la grande fosse qui étoit la première partie du lac de Maæris : le lecteur se souviendra que du plateau où sont les ruines dont nous avons parlé , on descend vers l'ouest, pour trouver cette grande branche du lac. Diodore de Sicile s'exprime ainsi dans quatre passages de son second livre : « Les Égyptiens, ayant recouvré leur liberté après la mort d’Actisanès, élurent » un roi de leur nation nommé #endes, que quelques-uns appellent Marrus. » Celui-ci n’entreprit aucune expédition militaire; mais il se fit un tombeau connu » sous le nom de Labyrinthe. Cet ouvrage est moins considérable par sa grandeur » immense que par l'artifice inimitable dont il est construit; car, lorsqu'on y est » entré , il est comme impossible d'en sortir sans le secours d’un guide qui en » sache parfaitement les détours. Quelques-uns disent que Dédale étant venu en » Égypte , et ayant admiré cet édifice, en fit pour le roi Minos, en l'île de Crète, » un semblable à celui de Mendès; et les poëtes ont ajouté quil avoit servi de » demeure au Minotaure. Mais le labyrinthe de Crète ne paroît plus, soit que » quelque roi l'ait renversé, soit que le temps l'ait détruit; au lieu que celui » d Égypte subsiste encore dans son entier {2). » Quoïque le second passage de Diodore ne renferme pas le nom de /byrinthe , cependant nous allons le citer, parce que le monument décrit s'y rapporte né- cessairement, soit par sa position, soit par son étendue, et parce que l'auteur l'attribue aux douze rois qui, suivant Hérodote, avoient élevé ou achevé le labyrinthe. « Ayant régné quinze ans dans une grande concorde, ils entreprirent de se » bâtir un tombeau commun, afin qu'étant associés aux mêmes honneurs dans la » sépulture, comme ils l’avoient été dans la royauté, ce monument rendit à la » postérité un témoignage glorieux d’une union si rare. Ils s'efforcèrent de sur- (1) Hérodote, His, Tiv. 11, chap. 148, traduction (2) Diodore de Sicile, traduction de l'abbé Terrasson, de Larcher. Voyez les textes cités à la fin de cette Des- liv.1, $. 61. Ce que cette traduction a de défectueux, sera cription, n.° I, corrigé par le texte n.° IF, que j'ai cité pag. 47. a 3 2 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS | ‘» passer dans cet ouvrage tous leurs prédécesseurs. Ayant choisi un terrain conve- » nable vers l'entrée du lac Moœris, dans la Libye, ils y dressèrent un tombeau de » pierres choisies : c'étoit un carré dont chaque côté avoit un stade de longueur. » On na pas depuis porté plus loin l'adresse du ciseau et la beauté de la sculpture. » Dès qu'on a passé la porte, on voit un palais dont chacun dés quatre côtés » étoit orné de quarante colonnes. Une seule pierre servoit de plafond à tout » l'édifice : on voit gravé au-dessous des étables et d'autres bâtimens. On y voit » peintes aussi, avec un grand art, les villes où étoit né chacun de ces rois, avec » les sacrifices et les autres cérémonies qu'on y faisoit en l'honneur des dieux. » En un mot, le dessein de l'ouvrage étoit d’une telle magnificence, et l'exécution » étoit si parfaite dans ce qu'on avoit commencé, que si ces rois ne se fussent » séparés avant la fin de leur entreprise, l'Égypte n’auroit rien eu de comparable ; » mais, après la quinzième année de leur règne, la suprême puissance fut dévolue » à un seul, à l’occasion que je vais dire (1). » Le troisième passage de cet écrivain donne au labyrinthe Menès pour auteur. « Menès fit dresser son tombeau dans le même lieu (2) et une pyramide à » quatre faces, et y fit faire ce labyrinthe qu'on admire encore (31? | Enfin, dans le dernier endroit comme dans le premier, c'est du temps de Mendès ou Marrus qu'il auroiït été exécuté. « Dédale a imité, dans la Crète, le labyrinthe d'Égypte, qui subsiste encore au- » jourd'hui, quoiqu'il ait été bâti sous le roi Mendès , ou, comme d'autres le » croient, sous le roi Marrus, bien des années avant Minos (4). » Nous ne nous arrêtons pas ici à la discussion qui s'est élevée entre les savans, sur le nombre des labyrinthes qui ont existé en Égypte; c’est sans preuve qu'on a soutenu qu'il en avoit été bâti plusieurs. Dans une dissertation sur le lac de Mœris, Gibert a démontré avec évidence qu’il n'y en avoit jamaïs eu qu'un seul (s), et le traducteur d'Hérodote l’a aussi prouvé clairement (6). Le nombre des princes que nomment les historiens, n'est point un motif pour compter autant de mo- numens. Le P. Sicard, d’Anville, et les auteurs Anglaïs d'une Histoire universelle, ont donc supposé trop légèrement l'existence de plusieurs bâtimens semblables. I y a assez de merveilles réunies dans-un seul labyrinthe, pour ne point multiplier sans nécessité le nombre.de ces édifices. . Nous ferons seulement remarquer qu'il résulte clairement de tous ces passages de Diodore, comparés ensemblé, que Fédifice étoit dans la Libye, vers l'entrée du lac de Mœris, c’est-à-dire, vers le point où le canal se. jette dans le lac; qu'il avoit un stade, et qu'il y avoit dans le même lieu une pyramide à quatre faces. Cette position ne coïncidet-elle pas parfaitement avec celle que nous avons indiquée Nous devons à Strabon d’avoir assigné des distances plus précises, pour fixer la place qu'occupoit le labyrinthe. Voici sa description entiere: (1) Diodore de Sicile, $. 66; pag. 76. Voyez le texte (4) Jbid, $. 97, pag. roo. n.° II. (s) Mém. de l’ Acad. des inscriptions, tom. XXVIIT, (2) Auprès dela ville des eines et du lac de Moæris. pag. 241. (3) Diodore de Sicile, liv. 1, $. 89, pag. 100. Peut- (6) Larcher, traduction d’ Hérodote, tom. IL, pag. 472. être Diodore vouloir-il dire Mendès au lieu de Menès. « Dans t Le a S'ÉSSRSPES V VV V 2 LA LA A VU DU NOME ARSINOÏTE. CHAP. XVII. RUINES DU LABYRINTHE, 3 3 « Dans cet endroit {1} se trouvent le bâtiment du labyrinthe, ouvrage compa- rable aux pyramides, et tout auprès le tombeau du roi qui l’a construit. Le lieu où il est situé ressemble à un vaste plateau : on y arrive en s’avançant de trente ou quarante stades plus loin que la première entrée dans le canal (2). Il s’y trouve une bourgade, et un grand palais appartenant à autant de princes qu’il y avoit jadis de préfectures. En effet, ïl y a un égal nombre de cours en péristyle, toutes contiguës, sur un seul rang et sous une même enceinte (2). Les chemins qui y conduisent, sont à l'opposé de la muraille. En avant des entrées, il ya une multitude de cryptes d'une grande étendue, ayant des routes tortueuses et qui se coupent les unes les autres; tellement que, sans guide, nul étranger ne pourroit découvrir l'entrée ou l'issue des cours. Ce qui est admirable, c’est que les toits de chaque appartement sont monolithes ; les cryptes sont égale- ment couvertes , dans leur largeur, de platesformes d’un seul bloc et d’une grandeur énorme. Aucune espèce de bois n’a été employée dans la construc- tion. Si l'on monte sur la terrasse, qui n'est pas d'une grande hauteur {le bà- timent n'ayant qu'un étage), on voit comme une campagne de pierres, formée par ces pierres gigantesques. Ensuite, en considérant de là les cours ou péris- tyles, on en compte vingt-sept, soutenus par des colonnes monolithes. A l’extré- mité de l'édifice, qui occupe plus d’un stade, il existe un tombeau en forme de pyramide quadrangulaire, ayant ses faces et sa hauteur d'environ quatre plèthres:; Znandes est le nom du roi qui y est enseveli. On rapporte que ces péristyles ont été construits au nombre de vingt-sept, parce que les députés de tous les nomes avoient coutume de s'y rassembler. On servoit un repas aux prêtres et aux pré- tresses; on faisoit un sacrifice aux dieux, et l'on jugeoit les affaires les plus impor- tantes. La députation de chaque nome se rendoit ensuite dans le péristyle qui lui étoit réservé. En naviguant au-dessous de cet endroit, dans un espace de cent stades, on trouve la ville d'Arsinoé : elle s'appeloit jadis Z2 ville des Crocodiles. En éffet, dans ce nome, on honore le crocodile d’une manière particulière : cet animal y est regardé comme sacré; il est nourri dans un lac séparé, et ïl se laisse apprivoiser par les prêtres : on le nomme Szchus (4). » Si l'on rapproche de ce passage de Strabon la description du local actuel, et qu'on le compare avec la carte du Fayoum, on trouvera sans équivoque la position du Jabyrinthe. En effet, que l'on prenne deux ouvertures de compas, l'une de cent stades (5) à partir des ruines d’Arsinoé, maïs du point le plus septentrional des ruines, et l'autre de trente-cinq stades et depuis la tête du Bahr Belä-mà (6), l'inter- canal qui se jette dans Le lac de Mæris. (1) L'auteur vient de parler des deux embouchures du également de cent stades : cette mesure fait à peu près dix mille mètres. Consultez la carte topographique dé l'Egypte, et la planche 6, Etat moderne. I n’y a que sept mille quatre cent cinquante mètres du même point à la (2) Voyez ci-dessous [a note 6. (3) La version Latine est, dans cet endroit, inintel- ligible. IT paroît que le grec a été altéré ; au lieu de 6; din melyés puxpë, un manuscrit porte, selon Casaubon, ol ar miysc. Voyez le texte ci-après, n:° 111. (4) Strabon, Géogr. liv. XVII. Woyez le texte ci-après, n.° 111, et ci-dessus, page 21. (s) H s’agit de la même espèce de stades dont Strabon ‘a fait usage dans la distance de l'hilæ à Syène, qui étoir 4 D, partie sud des ruines. (6) Strabon dit srente ou quarante stades. Quant au point de départ, nous avons fait remarquer que la tête du Bahr Belâ-mâ est le point où le Nil dérivé entroit dans le lac de Mæris. II ÿ a dans le grec, xamt m7 enr dome nv ti diépuye. On ne peut rendre ces mots litté- ralement; éiomaë; signifie proprement ingressus navigantis : E DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS 3 À section tombera juste sur l'emplacement des ruines que nous avons décrites auprès de la pyramide d'Haouärah. Ce point se trouve aussi, comme le demande Strabon, au-dessus de la ville d'Arsinoé, et non aw-dessous, direction suivant laquelle Gibert avoit imaginé mal-à-propos qu'il falloit chercher le labyrinthe (1). Ajoutons que l’auteur place une’ pyramide à l'extrémité de l'édifice, comme Hérodote et Diodore, et qu’on la voit encore aujourd’hui. Nous passons à la description de Pline, voici la traduction des quatre passages où il parle du labyrinthe d'Égypte: « Après /eracleopolis, viennent Arsinoé et Memphis. Entre Memphis et le » nome Arsinoïte, et touchant à la Libye, sont les tours qu'on appelle pyramides, » le labyrinthe qui a été élevé auprès du lac de Moœris (2) sans le secours d'aucun » bois, et la ville de Crialon (3). » « Il y a une pyramide dans le nome Arsinoïte, deux dans le Memphite , non » loin du labyrinthe, dont nous parlerons tout-à-l'heure; autant dans le lieu où fut le lac de Mœris, c’est-à-dire, la grande fosse (4). » « Parlons des labyrinthes, ouvrage prodigieux du génie de l’homme, et qui n'est point fabuleux, comme on pourroit l'imaginer. On voit encore en Égypte, dans le nome d'Aeracleopolis, celui qui a été élevé le premier de tous, il y a quatre mille six cents ans, comme on le rapporte, par le roi Petesuccus ou Tithoës, » bien qu'Hérodote dise que l'édifice est en entier l'ouvrage des rois {;), et du dernier de tous, Psammétique (6). On raconte diversement son origine. De- motelès dit que c'étoit le palais de Motherude; Lyceas, le tombeau de Mœris; et plusieurs, un temple consacré au Soleil, ce qui est l'opinion la plus générale. » [1 est certain que Dédale ÿ puisa le modèle du labyrinthe qu'il fit dans la » Crète; mais il en imita seulement la centième partie, celle qui renferme des » chemins remplis de tours et de détours inextricables. Cet ouvrage ne ressemble » point à ces pavés d'appartement (7), à ces allées tortueuses où les enfans s'amusent » À courir en suivant des ramifications subdivisées à l'infini et renfermant plusieurs vV I v Y UV LA 2 Le M LA] v 2 LA LA » milles dans un court espace; mais c'est un bâtiment qui contient une multitude » de portes propres à égarer les pas du voyageur et à le ramener sans cesse dans » les mêmes détours. Ce labyrinthe fut le second après celui d'Égypte. Le troi- le sens est que l’on s’avance de trente ou quarante stades dans la direction de la première branche par laquelle on navigue du lac dans le canal. Cette branche est le Bahr Belä-mà. (1) Cet académicien le plaçoit près de Senhour, où il prétend qu’il existe des ruines considérables, dont personne n’a connoïssance, Mais Strabon s'exprime po- sitivement: Ioparavoan dé mom £g éxumr œd}.ç mas édy Apavon, Or magma signifie naviguer au-dela ou plus loin ; ce qui doit s'entendre, sur un canal comme sur un fleuve, par rapport au courant. Si Strabon eût voulu dire qu’Arsinoé étoit au-dessus du labyrinthe, il se seroit servi du mot dyarAir, qui est consacré à la na- vigation en remontant, comme on le voit dans ce pas- sage du même livre où il ést question du chemin de Schedia à Memphis, ‘Am dè xd'as dvamrtsaw 6m Mépos, et dans cet autre, AvarAevomn d) éd BaËuror, pour le chémin de Cercasorum à Babylone. On ne voit donc pas ce qui a pu porter M. Larcher , dans son commentaire sur le 2.° livre d'Hérodote, à avancer que le labyrinthe, suivant Strabon, est à cent stades au- dessous d’Arsinoé. | (2) Il y a dans un manuscrit, ad Mæridis lacum, au lieu de in Meridis lacu. (3) Pline, Hist. nat. liv. V, ch. 11. Voyez le texte ci- aprés, n° V. La traduction de Poïnsinet de Sivry s'éloigne en plusieurs points de celle que j'ai essayé de faire ici. (4) Pline, Aist, nat, Viv. XXXVI, chap. 12. (s) Ou des douze rois: Le mot de douze n'est pas dans Pline; maïs le sens le demande. | (6) I faut lire novissimique Psammetichi, aù lieu de novissimè. » | | (7) II s'agit, sans doute, des mosaïques disposées en méandres. > LE » 2 L 2 » » > “ > 2 » LA LA ÿ LA L2 DU NOME ARSINOÏTE. CHAP. XVII, RUINES DU LABYRINTHE. 3 5 sième fut celui de Lemnos, et le quatrième exista en Italie. Tous étoïent recou- verts de voûtes en pierre polie. Le labyrinthe d'Égypte (ce qui est digne d’ad- miration ) a son entrée en marbre de Paros; les autres colonnes sont de syérite : le bâtiment est construit de masses telles que le temps n'a pu les renverser, aïdé par les efforts des Héracléopolites. En effet, ceux-ci ont beaucoup endommagé un ouvrage qui leur étoit odieux. Il n’est pas possible de décrire la disposition et toutes les parties de ce monument, qui est divisé en régions et en seize grands bâtimens , autant qu'il y a de préfectures ou de nomes, auxquels on a donné les noms de ces préfectures. Il contient les temples de tous les dieux d'Égypte, et en outre celui de Némésis, avec quinze petites chapelles (1) et plusieurs pyramides de quarante orgyies (2): les murs en ont six aux fondations (3). On y arrive déjà épuisé de fatigue, ayant parcouru des détours inextricables. En avant sont des cénacles élevés (4): on monte des portiques, tous de quatre- vingt-dix degrés. Au dedans sont des colonnes de porphyre , les statues des dieux, celles des rois, et des figures monstrueuses. Plusieurs bâtimens sont disposés de manière qu'en ouvrant les portes, on entend à f'intérieur un bruit semblable à celui du tonnerre. Dans la plus grande partie de l'édifice, on marche au milieu des ténèbres. En dehors de la muraïlle du labyrinthe, il y a d’autres masses d’édifices appelées pteron, et d’autres constructions souterraines avec des canaux creusés dans le sol. Circammon, eunuque du roi Nectabis, est le seul qui ait réparé le labyrinthe, cinq cents ans avant le règne d’Alexandre- le-Grand , et cette réparation a été légère. La tradition rapporte que, pendant la construction des votes en pierres de taille, on s'est servi, pour étayer, de poutres en bois d’épine, bouïlli dans l'huile (ÿ). » « Apion, surnommé P/stonices, a écrit depuis peu qu'il y avoit maintenant dans le labyrinthe d'Égypte un colosse de Sérapis, coudées (6).», en émeraude, de neuf Ces fragmens de l'auteur Latin, quoique moïns précis sous le rapport géogra- phique, confirment encore l'emplacement que nous avons assigné au labyrinthe. Le labyrinthe, ditil, est sur la chaîne Libyque, auprès du lac de Mœæris. Parlant d’ une manière générale, il le place à la suite des pyramides qui sont entre Memphis et le nome Arsinoîïte. Il est certain que le nome proprement dit ne renferme que dés terres cultivées ; or le plateau élevé de la montagne Libyque, où sont les ruines dont # sagit, na jamais été susceptible de culture. Cependant il dit plus bas qu'il y a une pyramide dans le nome Arsinoïîte, et deux (1) I y a dans une variante, Amasis undecim ædiculis incluserit pyramides complures , &c. au lieu de /Vemesis quindecim ædiculis ; et cette leçon sembleroit préférable, puisqu'elle donne un nominatifà incluserie. Voyez Fédition de Pline citée dans les textes, pag. 867, en marge. (2) Quadraginta ulnarum a été traduit par quarante coudées ; mais Hérodote parle d’une pyramide de quarante orgyies. D’un autre côté, le mot seras qui vient immédia- tement aprés, appliqué à l'épaisseur de Ia muraille, et À. +, entendu d’autant d’orgyies, suppose une épaisseur énorme. (3) J’adopte ici la leçon senas ad radicem muri obi- nentes , au lieu de senos radice muros obtinentes, (4) Cænacula indique des lieux élevés , des terrasses ; chez les anciens, selon Vitruve, c’étoit dans. l’étage supérieur que les riches avoient leurs salles à manger. = (s) Pline, Hist, nat. liv. XXXVI, chap. 13. - (6) Zbid, liv. XXXVIL, chap. 9. Woyez ci-après les textes, n.° V. Ex 3 6 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS dans le Memphite, non loin du labyrinthe : pour comprendre ce passage , il suffit de transposer do in Memplite après non procul labyrintho , et la pyramide du laby- rinthe se trouve à sa place. Nous pouvons encore, pour trouver, d’après l'auteur Latin, l'emplacement de l'édifice, tirer une induction de ce que les Héracléopolites avoient fait des tentatives pour le détruire. En effet, le nome d'Aeracleopolis , dont les habitans avoient de l'aversion pour le crocodile, confinoit à celui d’Arsinoé, où cet animal au contraire étoit consacré. Or la montagne Libyque, où étoit assis le labyrinthe, séparoït ces deux préfectures. Pomponius Mela et les autres écrivains qui ont parlé du labyrinthe, ne nous apprennent rien de plus sur sa position {1) : nous devons donc conclure que les auteurs sont parfaitement d'accord pour fixer cette position comme étant sur le plateau de la chaîne Libyque, avec une pyramide à l'extrémité, dans le nome ou aux confins du nome Arsinoïte, à peu de distance de la ville des Crocodiles: enfin presque contiguë au lac ou à la fosse de Mœæris, et assez près de l'entrée des eaux du Nil dans cette fosse. Strabon nous donne de plus la situation précise du mo- nument, par les deux distances qu'il assigne entre lui et des points connus. Pour découvrir la véritable application du passage de ce géographe, il étoit nécessaire de connoître le point d'entrée de la dérivation du fleuve dans le lac : or les re- cherches contenues dans la 1." section, et l'examen qui précède, nous ont procuré avec certitude la connoiïssance de cette position. $. IT. Disposition du Labyrinthe. Si le lecteur veut relire maintenant la description des vestiges qui subsistent encore aujourd'hui dans l'emplacement du labyrinthe, il trouvera sans doute peu de restes qui justifrent les descriptions pompeuses des anciens ; mais il y recon- noîtra cependant quelques traits de leurs récits, qui ne permettent pas de se mé- prendre ni de chercher aïlleurs le labyrinthe. En effet, non-seulement il existe une pyramide à l’angle extrême des ruines dont il s'agit, comme nous f’avons fait voir dans le paragraphe qui précède ; maïs l'étendue de ces mêmes ruines correspond à celle.que les auteurs ont assignée. Le bâtiment, dit Diodore, avoit un stade en carré sur chacun de ses côtés; suivant Strabon, plus d’un stade. La pyramide, selon Hérodote, avoit quarante orgyies, et Pline assure qu'il y en avoit plusieurs de cette même dimension. Or nous avons dit plus haut que l'étendue générale des ruines avoit environ trois cents mètres, en y comprenant la pyramide qui a cent dix mètres de base; il reste donc, pour le labyrinthe proprement dit, cent quatre- vingt-dix mètres, qui font un peu plus d’un stade Egyptien (2). Quant à la pyra- (1) Woyez ci-après le texte n° vr. La largeur de l’espace couvert par les ruines a été (2) Il s’agit ici du grand stade Égyptien de cent estimée à cent cinquante mètres seulement; mais il peut quatre-vingt-cinq mêtres environ. Strabon s’est donc y avoir eu quelque erreur en moins dans cette estime, ou servi de deux stades différens dans sa description. (Voyez bien les sables ont couvert ce qui sen manque pour faire le Mémoire sur le système métrique des anciens Égyp- un stade en largeur. tiens, par M. Jomard.) DU NOME ARSINOÏTE. CHAP. XVII. RUINES DU LABYRINTHE. 37 mide, si la mesure de quarante orgyies s'applique à la base, elle est beaucoup trop foible; je pense qu’il faudroit lire soixante, et non quarante. En effet, soixante orgyies, ou trois cent soixante pieds Égyptiens, font cent dix mètres et demi. Strabon, donnant quatre plèthres ou quatre cents pieds au côté de la pyramide, ne suppose que quarante pieds de plus que soïxante orgyies, ou seulement un neuvième en sus (1). S'il est question de la hauteur, le nombre de quarante orgyies est trop fort ; on ne trouve aujourd'hui qu'environ soixante mètres au lieu de soixante-quatorze mètres que ce nombre demanderoït. .La hauteur est donc bien loïn de quatre plèthres ou soïxante-six orgyies + que lui assignoit Strabon. ” Quand on lit dans Hérodote que le roi Afychis, voulant surpasser tous ses pré- décesseurs, laïssa pour monument une pyramide de brique, on est fort porté à croire que l’auteur avoit en vue une des deux pyramides de brique situées dans le Fayoum : mais Diodore de Sicile et Strabon attribuent celle du labyrinthe au roi Mendès ou Imandès; il faut donc chercher celle d’Asychis dans la pyramide d’el-Lähoun (2). Hérodote rapporte qu'on avoit sculpté des figures d'animaux sur la pyramide du labyrinthe : nous ne concevons pas quel ouvrage de sculpture un peu solide on auroit pu exécuter sur des briques cuites au soleïl. Il ÿ avoit donc peut- être un revêtement en pierre. D'un autre côté, un revêtement de cette espèce n'eût-il pas contribué à détruire le monument, à cause de Ia différence de pe- santeur de la pierre et de la brique! Nous laissons au lecteur à résoudre cette difficulté. Plus on relit les relations des historiens sur ce merveilleux édifice, plus on s'étonne qu'il ait laïssé si peu de vestiges. Selon Pline, le labyrinthe étoit resté intact pendant trente-six siècles; neuf cents ans avant lui, on lavoit réparé légèrement : comment dix-sept siècles auroïent-ils suffi pour le détruire de fond en comble! Mais on n'a jamais assez fait attention que sa position est l’une des principales causes qui l'ont fait disparoître. Environné de sables, il a fini par en être encombré dans la plus grande partie. L'édifice étoit peu élevé, dit Strabon: il n’est donc pas surprenant qu'il soit enseveli dans ces sables ; car des édifices d'une bien plus grande hauteur, et beaucoup plus récens, sont aujourd’hui enfouis tout-à-fait. Les débris considérables dont nous voyons le sol jonché, nous paroïssent être seulement ceux des terrasses de l'édifice, à l'exception de quelques murs d'enceinte. * Cependant les espèces de petites tours carrées dont l'enceinte étoit accom: pagnée, s'élèvent à un ou deux mètres au-dessus du sol actuel, et il est évident qu'elles ont été détruites par la main des hommes. C’est peut-être là l'effet des ravages que commirent les habitans d'Heracleopolis. Au reste, il paroît bien que ces derniers sont en partie les auteurs de la destruction du labyrinthe; maïs, d’après (1) La base de cette pyramide est la moitié du stade de Ptolémée à très-peu près, ou deux cents coudée; Hébraïques. (2) Voyez-en la description à fa suite de cette section. B 3 8 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS les passages de Pline, on ne DER absolument la faire remonter plus haut que le règne de Trajan. On donne pour cause de l'acharnement des habitans d'Heracleopols contre le labyrinthe, qu'ils adoroient l'ichneumon, tandis que les Arsinoïtes honoroïent le crocodile , dont l’ichneumon étoit l'ennemi naturel; mais il faut avouer que ce motif est fort suspect, plus encore que l'antipathie de ces animaux n’est fabuleuse. Malheureusement nous ne retrouvons plus les temples et les monumens religieux de ces deux préfectures, qui nous auroient fait connoître leurs cultes. On a dit, dans la description du nome Héracléopolite, que la capitale est elle-même entiè- rement ruinée, et l’on a aussi essayé d'expliquer laversion qu’avoïent ses habitans pour ceux du nome de Crocodilopolis 1). On doit croire que les grandes masses appelées pteron par Pline étoient des ailes , comme celles qui sont dans les temples Égyptiens (2). En effet, ptera est le nom qu'emploie Strabon, quand il décrit les constructions latérales de ces temples. Il n’en reste plus rien de visible aujourd’hui dans les vestiges du labyrinthe : il en est de même des colonnades, des portiques et des péristyles, des statues des rois et des dieux. Les chambres taïllées dans le roc, aperçues par M. Malus, répondent parfaite- ment à ces expressions de Pline, #nde aliæ perfossis cuniculis subterrancæ domus , et aux cryptes dont il est parlé dans Strabon ; elles pouvoïent répondre à des galeries communiquant sous la pyramide et sous le reste de l'édifice : z4j0re autem parie transitus est per tenebras. La pierre dont la masse de l'édifice étoit construite, est, comme on l'a vu, un calcaire compacte, susceptible d’un certain poli: c’est encore un des traits de la description de Pline, /pide polito ; maïs qu'est devenue l’entrée en marbre de Paros! La chose dont il est le plus difiicile fe se faire une idée, c'est le nombre des appartemens qui existoient dans le labyrinthe : il y en avoit, dit Hérodote, quinze cents sous terre, et quinze cents au- -dessus. L’ espace d’un stade carré, tout vaste qu'il est, est trop restreint pour une si grande quantité d'appartemens,; chacun d'eux n’auroït eu, terme moyen, que quatre mètres environ. Toutefois, suivant Pomponius Mela, il y avoit le même nombre de distributions que selon Hérodote. | « On compte, dit Mela, dans le labyrinthe trois mille appartemens et douze » palais, enfermés par une seule muraïlle ; l'édifice est construit et couvert en » marbre. Il n'a qu'une seule descente; maïs en dedans il y a des routes presque > innombrables, par où lon PU et repasse en faisant mille détours, et qui » ramènent sans cesse aux mêmes endroits, &c. » Il est probable que cette entrée unique, dont parle Pomponius Mela, étoit située à l’ouest des ruines actuelles, sur ce plateau inférieur que nous avons décrit, et qui est à quinze mètres au-dessous du sol du labyrinthe : c'est là que débouchoit Ja galerie souterraine , conduisant sous la pyramide et le reste de l'édifice. A (1) Voyez la Description de l'Hepranomide , sect. 1V. (2) Voyez la Description d'Edfoû, 4. D. chap. V. DU NOME ARSINOÏTE. CHAP, XVII. RUINES DU LABYRINTHE. 39 Ce qu'il ÿ auroit sans contredit de plus curieux à éclaircir, sous le rapport des questions historiques, c'est le nombre des cours du palais où s'assembloient les députés de chaque nome. Les auteurs ont beaucoup varié sur Île nombre des pré- fectures d'Égypte. Ces préfectures ont elles-mêmes varié avec les témps et avec les maîtres du pays. La liste de Pline n'est pas la même que celle de Strabon; celle-ci diffère de celle de Ptolémée: Diodore et Hérodote ne fournissent que des noms isolés. Il existe cependant des données exactes pour en fixer la quan- tité et la nomenclature {1}. Ce n’est pas ici le lieu d’en faire la recherche : un pareïl travail appartient essentiellement à la géographie civile et comparée de l'Égypte, et il aura sa place ailleurs. Nous nous contenterons de rapprocher les passages de Strabon et de Pline. Suivant le premier, il y avoit dans le labyrinthe vingt-sept palais, où les députations de tous les nomes avoïent coutume de se rassembler pour délibérer sur les affaires importantes. Selon Pline, il n'y avoit que seize grands bâtimens pour les préfectures, vastis domibus ; maïs, dans la phrase suivante, il parle de quinze, ou, suivant une variante, de onze petits bätimens, ædiculas (2). Les seize grands bâtimens auroient pu être affectés aux préfectures principales; les onze autres, à onze nomes du second ordre; en tout vingt-sept, ainsi que demande Strabon. | Or on comptoit, dans l'antiquité reculée, dix nomes dans la Thébaïde, sept dans l'Heptanomide, et dix dans l'Égypte inférieure, en tout vingt-sept. Ce n'est que dans des témps plus récens que le pays fut divisé en un plus grand nombre de districts (3). Nous ne nous arrêterons pas davantage à cet endroit de Pline qui feroit croire que toutes les salles du labyrinthe étoient voûtées, fornicibus tectr. M est bien pro- bable qu'il s’agit ici de fausses voûtes, semblables à ces arcades qui ont été em- ployées au palais d’Abydus; aussi Strabon ditil qu'on voyoit à Abydus et au laby- rinthe des ouvrages du même genre. I y a encore une conformité de situation dans les édifices de ces deux endroits de l'Égypte; le palais de Memnon à Abydus, et le labyrinthe, étoient l'un et l’autre au bord du désert et touchoïent à fa Libye. Enfin Strabon semble leur donner la même origine, puisqu'il les attribue au même prince, Ismandès ou Imandès. De plus, Diodore de Sicile nomme Mendès, qui est peut-être le même roi, parmi ceux auxquels on attribuoit l'érection du laby- rinthe. Ce rapprochement, digne d'attention, a déjà été fait dans la Description d'Abydus (4). Au reste, la construction et la disposition toutes particulières du labyrinthe prouvent bien qu'il est d'une époque et d'une origine différentes de celles des autres monumens Égyptiens. / Il resteroit peut-être à proposer une restauration du labyrinthe d’après les ves- tiges qui subsistent encore, comparés aux descriptions des auteurs; mais nous (1) Voyez la Description de FHeptanomide, A, D, palais contigus sous une même enceinte, comme sil chap. XVI, S. 1, pag. 2. s’agissoit du palais de chacun des douze princes auxquels (2) Voyez ci-dessus, pag. 35, note 1. ils attribuent le labyrinthe. (3) Voyez la Description de l'Heptanomide, 4, D. (4) Voyez la Description d’Abydus, 4, D. chap, XT, chap. XVI, pag. 2. - pag. 16 et 20. D'un autre côté, Hérodote et Mela parlent de douze ®. + DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS avouons qu'un pareil travail seroit fort difficile, et d'ailleurs beaucoup trop conjec- tural pour avoir aucune utilité. Le plan seul de l'édifice me paroît impossible à restaurer sans une multitude d’hypothèses qu'il seroït bien difficile d'appuyer sur des bases solides, même en faisant usage de toutes les données que four- niroient l'étude et l'examen les plus attentifs de tous les monumens de l’ancienne Égypte (1). Que seroit-ce de lélévation et de la décoration! $. [V. Origine et Destination du Labyrinthe. ON a vu, par les passages qui précèdent, que le labyrinthe à été attribué à beau- coup de princes différens. D’après Manéthon, il faut encore ajouter un nom à la liste de ceux qui passent pour l'avoir fondé; c'est Lacharès, successeur de Sésostris, qui le fit bâtir, dit-on, pour laisser un monument de sa puissance, et qui voulut y être enterré. D'après Eusèbe, il faut lire Labaris (2). Tous ces noms font voir, ou bien que beaucoup de princes ont mis la main à ce grand ouvrage, ou qu'un même roi portoit plusieurs noms, que les auteurs Grecs et Romaïns ont regardés comme distincts, faute de comprendre la leur Égyptienne. Ce qui paroît le plus certain, c'est de les douze rois qui n'ont régné que quinze ans et dans un temps de troubles, n'ont pu élever un tel édifice. Il est possible qu ‘ils en aient achevé quelque partie, et en particulier Psammétique, l'un d'eux, qui les rem- plaça tous par la suite : aussi Pomponius Mela en donne+:-il tout l'honneur à ce prince. La diversité des motifs qu’on attribue à la fondation du labyrinthe, n'est pas moindre que celle des princes qu'on suppose avoir été ses fondateurs. Toutefois il est aisé de remarquer qu'il n'existe aucune contradiction entre les divers récits des historiens. Qu'y at-il de surprenant que les rois qui ont concouru à le bâtir, n'aient pes. éussen le construisant, un but unique! Il est, au reste, assez évident de soi-même qu'un ouvrage aussi extraordinaire n’avoit pas été fait seulement pour y déposer les momies des crocodiles sacrés, ou même les restes de plusieurs princes : l'objet principal de l'édifice nous paroît avoir été de servir de lieu de réunion pour les préfectures de l'Égypte. Comme toute la nation s'y rassembloit, on y avoit élevé des temples pour tous les dieux, afin que chaque province y trouvât le culte qui lui appartenoit. C’étoit donc à-la-fois une sorte de panthéon et un lieu où les chefs de l'État traitoient des affaires secrètes. Le mystère qui apparemment devoit présider à leurs délibérations, avoit une image sensible dans l'obscurité des galeries que devoient traverser les députés pour se rendre à leurs cours respectives. Telle étoit probablement la destination spéciale du labyrinthe : ce qui n'em- \z) C’est pour ce motif que nous avons renoncé à étoit bien suffisante pour s’en former une idée nette. donner même un plan figuratif du local, jugeant que la Quant aux relations des auteurs, il y a une multitude description des liéux qui est au commencement de cette de manières de les concevoir. section, aidée de la carte topographique du Fayoum, (2) Maneth. in Georg. Syncell Chronogr pag. 59 et 60. pèche DU NOME ARSINOÏÎTE. CHAP. XVII :  1 pêche pas d'admettre qu'il ait été consacré au Soleil ; que le roi Mendès ou Imandès y aït eu son tombeau, ou bien les autres rois qui ont contribué à le construire ; enfin que des salles inférieures aïent servi à la sépulture des cro- codiles consacrés. | Personne n'a présenté une étymologie tant soit peu raisonnable du mot /4y- rinthe. Cette recherche conduiroïit peut-être à quelque conjecture heureuse sur. sa destination. Dans Suidas, on trouve pour l'origine de ce mot, 7aç' m un 2eGeir ea : on sent.combien une pareille étymologie est forcée et inadmissible. D OR CR D D D. : Description de la Pyramide d’el-Léhoun. Jusqu'ici l'on n'a point décrit la pyramide en brique, située à deux lieues environ à l'est de celle du labyrinthe, et presque à l'entrée du Fayoum; c’est ici le lieu d'en faire une description succincte. Elle est beaucoup plus détériorée que l'autre, mais bâtie, ainsi qu'elle, de briques cuites au soleil (r). Nous l’avons visitée le 6 pluviôse an vir [25 janvier 1799], et nous sommes montés sur son sommet (2). Elle est située dans le désert, à quinze cents mètres et au nord du canal de Joseph, sur un plateau assez élevé au-dessus des sables. La base est longue d'environ soixante mètres; ce qui reste de sa hauteur , a vingt mètres à peu près; le sommet étant abattu, offre aujourd’hui une plate-forme de dixhuit mètres de large. La pyramide repose sur un plateau ou massif qui paroît, en grande partie, formé par ses débris, et dont la hauteur est d'environ sept mètres, sur une longueur d'environ quatre-vingts. Les briques ont quarante centimètres de longueur sur une largeur de vingt-un, et une épaisseur de quatorze. Vers le bas des faces, on remarque, sur cinq points différens, des pierres de taille qui paroïssent destinées à consolider la construction en briques. Ne connoïssant pas de pyramides en brique aïlléurs que dans le Fayoum, nous sommes portés à regarder la pyramide d'el-Lähoun comme étant celle-là même que bâtit le roi Asychis, pour rivaliser avec les rois qui avoient régné avant lui. On sait qu'il y fit graver cette inscription : « Ne me méprise pas en me comparant aux pyramides de pierre : je suis au- » tant au-dessus d'elles que Jupiter est au-dessus des autres dieux; car j'ai été bâtie » de briques faites du limon tiré du fond du lac {3).» Ce roi est donc le premier qui ait élevé une pyramide de cette matière. Or, si la pyramide d’el-Lähoun est en effet celle d’Asychis, il s’ensuivroit que celle d'Haouârah a été construite postérieurement au règne de ce prince. Cette con- séquence seroit importante pour découvrir l'époque même du labyrinthe, puisque la pyramide a certainement été bâtie, si ce n’est précisément dans le même temps, du moins dans la même vue que ce grand édifice. (1) Voyez planche 72, fig. 2. (3) Voyez ci-après, le texte n.° 1, qui est plus déve- (2) MM. Rozière, Dupuis, Castex et Jomard. Nous loppé que la traduction de Larcher. y avons Jaïssé une inscription. ALT Fr #2 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS Le passage d'Hérodote nous apprend que les hommes qui furent chargés de tirer le limon du lac pour former la pyramide d’Asychis, enlevoient la terre avec l'extrémité de leurs avirons; on en pourroït conclure qu'au moment où ce travail se faisoit, la profondeur des eaux du lac étoit médiocre. Il est probable que cette extraction du limon du Nil a été faite au bord du lac proprement dit, qui, du côté du sud, n’est point encaissé, et dont le lit est formé en pente douce. Nous sommes d'autant plus portés à croire que la pyramide d’el-Lähoun est celle du roi Asychis, que, s’il eût existé quelque part une troisième pyramide de cette espèce, elle subsisteroïit encore aujourd’hui. En effet, plusieurs de ces mo- numens gigantesques sont plus ou moins ruinés par le sommet, par les angles ou par les faces; mais aucun n’est entièrement détruit. C'est un fait qu'il est aisé de vérifier, en consultant les vues et les dessins des pyramides qui sont assises sur le plateau de la chaîne Libyque, depuis Gyzeh jusqu'au Fayoum. La démolition totale d’une pyramide, même de second ou troisième ordre, est elle - même un ouvrage considérable, qui supposeroït beaucoup de temps, de moyens et d'efforts (1). (1) MM. Le Père et Coutelle commencèrent à faire rité, ils furent forcés d'interrompre ce travail, qui n’auroit démolir la quatrième pyramide de Gyzeh : quoique de fort pas été très-difficile, si le temps ne leur eût manqué. petite dimension, elle coûta beaucoup de peine pour être Voyez les Observations sur les pyramides de Gyzeh, par renversée au huitième seulement de son volume. A Ia vé M. Coutelle. . DU NOME ARSINOÏTE. CHAP. XVII. 43 DESCRIPTION DE PWOBÉLISQUE DE BEGYG, Auprès de l'ancienne Crocodilopolis ; PAR M. CARISTIE, INGÉNIEUR AU-CoRPs ROYAL DES PONTS ET CHAUSSÉES, MEMBRE DE LA COMMISSION DES SCIENCES ET ARTS D'ÉGYPTE, CHEVALIER DE L’ORDRE ROYAL DE LA LÉGION D'HONNEUR. : Aurrès du village de Begyg, à un quart de lieue au sud de Medynet el-Fayoum, et des ruines de l’ancienne Crocodilopols, on voit, au milieu des champs, un fort bel obélisque en granit rouge, qui a été renversé à terre, et qui en tombant s'est brisé en deux morceaux. Cet obélisque est aussi remarquable par la forme oblongue de son plan, que par son singulier couronnement; il a deux grandes faces et deux petites, et le plan est un parallélogramme rectangle, dont l’un des côtés est double de l’autre: il est aujourd'hui couché sur une des grandes faces. Les deux blocs de granit qui le composent, sont encore gisans lun au bout de Fautre, dans la même position que celle où ils étoient quand le monument a été renversé. Le plus gros de ces blocs a 6,80 (1) de longueur, mesuré de la base à un point de la rupture; la longueur du second, depuis ce même point jusqu'au sommet, est de 5",90 (2) : sa hauteur totale étoit ainsi de mao). en supposant quil ne manque rien au fût. La largeur des grandes faces de cet obélisque, mesurée à la base, est de 2,10 (4) ; elle se réduit à 1,44 (5) dans la partie supérieure. Les grandes faces (si l'on en juge par la seule qui soit visible) sont décorées de cinq tableaux qui en occupent toute la largeur : ces tableaux sont placés les uns sous les autres, et séparés par une réglette (6). Chaque tableau renferme six figures sculptées en creux, debout, et représentant des prêtres coiffés de leurs bonnets ; au-dessous de ces tableaux, on compte douze colonnes d'écriture hié- roglyphique, séparées entre elles par de petites rainures ou réglettes qui tendent au sommet : cinq sont dans une direction parallèle à l'un des petits côtés de l'obé:- lisque, et cinq suivent Îa direction du côté opposé ; ; celle du milieu, seule, est verticale. Le tout est encadré par une autre rainure semblable à celles qui existent entre les HS, : (r) Vingt pieds onze pouces et demi. (4) Six pieds cinq pouces et demi, (2) Dix-huit pieds deux pouces. . (5) Quatre pieds cinq pouces, (3) Trente-neuf pieds deux pouces. (6) Voyez planche 71, A. vol. IV, fig. 7. A: D, F3 À À DESCRIPTION DES ANTIQUITES Ces hiéroglyphes sont sculptés en creux ; quoique de très-petite dimension, ils sont d’une exécution parfaite, et le nombre en est prodigieux. C’est aux trois quarts de cette inscription que Pobélisque est brisé. Il n'existe aucune figure ni aucun hiéroglyphe sur les petites faces : elles sont lisses et sans autre décoration que les rainures qui en font le cadre et qui sont dirigées parallèlement aux grandes faces : le champ qui existe entre elles et les arêtes, est le même pour les quatre faces. R Ce qu'il y a de plus remarquable dans cet obélisque, c'est qu'au lieu de se terminer par un pyramidion, qui est le couronnement ordinaire de tous les obé- lisques de la haute et de la basse Égypte (1), son extrémité a la forme d’une por- tion de cylindre, dont la base se rapproche d’une courbe parabolique; cette courbe termine le profil supérieur de chacun des petits côtés. Au milieu du sommet, on a pratiqué une échancrure (2) qui a quarante centimètres de largeur sur sept de profondeur. Quoique ses côtés aient été arrondis avec beaucoup d'art, on ést porté à croire qu'elle n’a été pratiquée que pour encastrer plus-solidement sur l'obélisque un faîte doré, ou tout autre ornement de cette espèce ; toutefois on ne voit aucune trace de scellement qui indique qu'on ait placé un ornement quelconque sur le monument. Nous savons par Pline, qu'un certain Maxime, préfet d'Égypte, eut le dessein de faire placer un faîte doré sur l'obélisque Égyp- tien que Ptolémée-Philadelphe avoit élevé dans l’Arsimoëon, quartier d’Alexan- drie, en l'honneur d’Arsinoé sa femme et sa sœur (23). Le sommet de ce monument fut tronqué à cet effet; mais le projet resta sans exécution. Il faut croire qu'il en a été de même de lobélisque de Begyg, puisqu'il n'existe sur son sommet aucun vestige de scellement. Cette échancruré auroit-elle eu un autre but! Auroit-elle été faite, par exemple, dans la vue de contenir les cordes qui ont servi à dresser cet obélisque pendant l'opération de la pose, de la même manière qu'on maintient les cordes dans la gorge d’une poulie! c’est ce que nous ignorons. On peut sans doute faire beaucoup d’autres suppositions : ce qu'il y a de certain, c'est que le sommet où léchancrure se trouve, les courbes et les arêtes, sont de la plus belle exécution et d’un poli parfait ; qu'il en est de même des faces et du reste de lobélisque, et que toutes les parties paroïssent de la même main et du même temps. Si fon en croyoit les renseïgnemens qui nous ont été donnés dans le pays, sur la cause de la chute de ce monument, il faudroit attribuer à un pâchà du Kaire, qui, par délassement, s’étoit amusé à le battre en brèche à coups de canon, et qui à la fin étoit parvenu à le briser en deux. Ce qui nous porte à croire que ce récit est faux, c’est qu'il n'existe aucune marque de boulet sur les paremens visibles de cet obélisque, et que ses arêtes sont encore intactes; d'ailleurs on (1) Il a existé, dans l’île Tibérine, un autre obélisque (3) Cet obélisque fut emporté à Rome et placé au Égyptien dont le couronnement ressembloit à celui du Forum. (Plin. Hist, nat, lib. XXXVI, cap. 0.) monument de Begyg. M. Jomard a fait le rapprochement Philadelphe avoit aussi élevé à Arsinoé une statue de ces deux monumens, dans un Mémoire sur l’obélisque en topaze, de quatre coudées de haut. (Plin. ébid. de l'ile Tibérine. lib. xxXVII, cap. 8.) (2) Voyez pl 7r, À. vol. IV, fig. 2, 7: DU NOME ARSINOÏÎTE. CHAP. XVII. OBÉLISQUE DE BEGYG. À5$ voit encore au pied une assez grande excavation qui semble avoir été faite pour le renverser avec plus de facilité. Il se trouve aujourd’hui si près des ruines d'Ar- sinoé, qu'il est très-vraisemblable qu'on l'a primitivement élevé dans cette ville, au temps où elle portoit encore son premier, nom de Crocodilopols : elle est entièrement ruinée ou encombrée, ainsi qu'on l’a vu dans la première section; et l’obélisque de Begyg peut être considéré comme le seul monument bien conservé qui nous reste de cette ancienne capitale. DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS TEXTES DES PRINCIPAUX AUTEURS CITÉS. PI I I I L HÉRODOTE. Kar 5 ai pymuoauva EDEe Aimée moin: N£Ëay SE og, émomoavr Aæeueryov, GA fo drto The Alwne me Moipios , uar& Kpoxo- SA œY XLAEOUÉINY AI ULAIGE AN XEÏMEVOV" rdv ën@ HOW Ïdby Aépou Hélo* ei ap T6 TE EANYVOY Ted TE La) Épya ME cuÀ- POUIAITO, ÉAdosoVos TOVOU TE A Moy Jen Davein éovrx TS Agbuelou TDUTRU ka TI dÉ6A 0996 Ye ka) Ô y ’Epéow éc) Vide, Ki 6 y Eauw hot) él VU xd di mea uiSes Déyou Mélorés, Ka TONOY Énk adTioy “EMMIXGY Épyol La MEiqu\ dvra- En. à SE MM 2aGuerrs x mas mveguidus drpéame: no Jap voeux er éin av- Aa HuTagepoI, dUTAVAO dAMAnG EE Juè 7095 Bopéa, ê£ La Te9S VOTOY TETÉA UE VE TUEVÉES" miyos x ÉEwber 6 dÜTIS DELLE repiépyer oixpiare Ÿ Ë1Es TA, T& MËV, dmiyaia, mt dE, uétiueg êm Éxelolnt Tio- ylua , pl QuÔV TE TæxoOTOY ka} IA OV Éxa- Tea TE JéV VU MéTÉwex TO oixNUATO} aümoi Te épéouer d\eÉiôvtes, we au Jenca- evo Aénsue* 7 À aÜTÉ@Y ÜToyLid AdoIT émvavomEe* ol Jap ÉTEGEUTES T Ait lie Sevres are oÛduds HEAOV, Panevor nxas aUTN El TV TE DA my AaGUeyo ToU- roy oodbunomuérur BanAño, xaj Ta ipav eguodEineo" Breo T ILÉV HAUTE TP o LM UE TV du mexñaborrs Aéjouer @ dE ave, mélova eu Jep7rnioy Epyoy aûTi Gpéouer" ai TE JAP éEodbi x To GEyÉOV, x oi ÉMyuoi Jà Tor avréoy Éd moiAomalor, Javua pvplov mapéyovm, 66 aÜAÏ TE êç Te oiMMpLaTa Jet, maj x var olunnaTov 6 maça dus, Éc Gyac TE d'N\O6 Êx T raça. Sy, x ÊG aÜ AG Ex AM placitum est eis relinquere communiter monumenta ; ex eoque placito fecerunt labyrinthum, paulé supra stagnum Moœrios, maximè urbem versus, quæ dicitur Crocodilorum : quem ego jam aspexi famä majorem. Si quis enim omnium castellorum aut operum Græcorum speciem consideret, minori labore et sumptu deprehendentur stetisse, quàäm fuit hujus labyrinthi. Tametsi enim istud in urbe Epheso templum est memoratu dignum et in Samo ; etiam pyramides erant narratione majores, quarum singulæ multis ac maximis operibus Græcis æqui- parandæ sunt. At verd eas quoque labyrinthus super- jacit. Etenim duodecim ejus aulæ sunt tecto opertæ, portis oppositis altrinsecus : sex ad aquilonem, toti- dem ad austrum vergentes contiguæ, eodem extrin- secus muro præclusæ, Duplicia in eo sunt domicilia, subterranea, et superna illis imposita, numero tria millia, in singulis mille quingenta. Quorum ea quæ superna sunt, ipsi peragrantes videbamus, et quæ aspeximus enarramus; subterranea vero auditu di- dicimus. Nam præpositi Ægyptiorum nolebant ullo pacto illa monstrare, quod dicerent illic Ioculos esse tn eorum regum qui penitus ædificaverunt laby- rinthum istum, tum sacrorum crocodilorum. Ita de infernis ædificiis auditu cognita referimus. Superna ipsi perspiciebamus humanis operibus majora: nam egressus per tecta, et anfractus per aulas diversissimi, infiniti me admiratione afficiebant ; et ex aula in ædificia transitur, ex ædificiis in cubicula, et à cubi- culis in solaria et tecta alia, et ex ædificiis in alias aulas. Horum omnium lacunar, quemadmodum pa- rietes, Japideum est; parietes sculptilibus passim figuris ornati. Singulæ aulæ columnarum ambitu redimitæ lapide arctissimè juncto albo. Angulo quo finit labyrinthus, adhæret pyramis centum sexaginta cubitorum, in qua grandia sunt insculpta animalia, in quamiter sub terra factum est. (Æis. lib. 11,0, 148.) AMas Cr À ouate: éeg@n Sd ravTuv TUTO ADN, KATATEP où TOO" oi SE mTyoi, TÜ TV éyleyauuueror Atoi: aÿAn dE éxaen mepiquAos, AS Aeuxod dpogiévé Tapa AIÇR' The d Janine TAEUTOIME TÈ AaGuplv9y Éyél mvexis TEOSLERAOVTÉPYUI0G, SW TA OR MEJAAd éyleyaurley, dde ) és admir n0 Var memoiiley. | DU NOMEARSINOÏTE. CHAP. XVII. MA je namyooie pos mg ANA mUpa- midas Poe Vap dÜTÉ&Y QUE dcov 6 Zeus T aMor Je. KoyTo ap ÜroTbn loves êc Alu , 0,7 @posyoiTo T$ 778 To X0VT& , TÜTM auMénorTes, ANJOU Elpuoul' xaj JE TROT iso ÉCemoincey. Â7 Ne me Japideis pyramidibus compares, quæ tantum illis præcello quantum Jupiter cæteris diis. Nam fundum facûs conto verberantes, quicquid luti conto adhærescebat, id colligentes, me com- posuerunt, et in talem mensuram redegerunt. (Jbid, ib. 11, cap. 136.) TI. DIODORE. TOT $ BanAéus TDÜRU TAEUTHI&VTOE, > / \ 2 \ a \ fs dYEXTAOUVTO TV EpYNV AUTO, LA KATE- naar ÉVy@plor Banñéx Mévdw, 01 myès Mappor æesoovouatsar Smc JE moAEmIxNY me TEEN 8) HVTVLOUY ÉTETE AT, TAPOY dE aÜTE HA TEMEULIE TV voa (oEVoY AaGU- > € \ cu 3 pivbov, Sy ET ra n nées T épyov Juv- \ € \ \ / / HastV, 6 Te96 TV QiAoteyiar dUouiunmy 6 pap clore Ada els aëmy & Nate fadiws \ 21 e À \ / \ $ mm iv 6Éodby Edpel, édr un TÜyn T0 dWpoÙ at 2 / \ 1! \ \ TaTEAWS Eprmelegu. Pat dE TiVés xaj Toy AœidAaor el; Alyvmlor maexbandrmæ, va) JaupubdævTe TH @Y TS ÉPINIG ENVI, KATE- uevdocy TD Basaeton Ts Kpirns Miyoï Aa Gup1vSoy OjMoloY Té HAT An nloy: Y darteiley uubAopsûa mr A£99uEVor Mivo- TavegV* SAN À jaë xaTa Ty Kpnmnv, PaviOn TAÉGS, ele dUvasou nos waraoxaVavne, elre TB yegvs no Eproy Auunvauévs" 6 SE ar’ Abynmlov, &xéegiov Tiv SAm xaTaoneut Ten - pnxe méypi TS xaû nuds Bis. Er Em À mertexaideux HaTæ TU opus XA] 746 O0 APÉAITES, ra TN Tege LANMASS OMoVolar d'a Tnphovrés, ÊmEed A\ov- T0 HALTATXEULOTY KSIVOV ÉTAVTEV TAPo* Üd AIR TEP À TR Cv edvoSrres ÉAnAIs Tav low ÉTÜVHYAVoy TUV, oÙT La} METX TI TEAEUTIY y ÉV) TT TOY La To) XEÉVY, TD HATHTXEUL EN pmsior 201VA | reployi THy T Cyrapévrey VE: Éarevoay dv Grepa x AËTÜA TO me TOY Épyw) aravras Tic Te) &ÜTOV: CHE“ Ever JAP TÜTOY Ta es. TOY ElZDASV TV Elç Th Mefpidbe Apr Y Tà AiGün, a Ter ke da (or TV 7raDOV CA T HAN ICON ETCPTE x) TO ME CHNUET TETE YEVOY ÜTE- Mouv, To de uéyéler cudalar Éxdon 7AEU- est mis À VAupals La) Taié ANaIs El- esupyiæis Ürrep6o An LA ATEAITOV TG ÊTY- ProËVOIE, EiceSovri per Jap TOY piles Aov oix06 AV Trpiau?Ss , KL qNs TAEVERS x Tél- PosT regis hujus obitum , recuperato Ægypti regno suæ gentis regem crearunt Menden, quem nonnulli Marum vocant; qui nullum omnino facinus bellicum designavit, sed sepulcrum labyrinthi no- nine sibi construxit, non tam mole admirandum, quàm artificio inimitabile. Ingressus enim ipsum, non facilè exitum, nisi ducem peritissimum nactus, reperire potest. Sunt qui Dædalum quoque in Ægyp- tum ferunt delatum, demiratumque operum illic solertiam , Minoi Cretensium regi fabyrinthum ad exemplar Ægyptit concinnasse : in quo Mino- taurum, quem dicunt, versatum esse fabulantur. Atqui Cretensis, vel à regum aliquo destructus, vel longinquitate temporis vitiatus, intercidit; cum Ægyptius ad nostræ ætatis tempus structuram prorsus mtegram conservarit, { Bibl, hise, Lib. 1, cap. 61.) Cümigitur ad fœderis jurati formulam quindecim annos perpetuo inter se consensu rempublicam ad- ministrassent, ad communis omnium sepulcri ex- structionem animos adjiciunt, ut quemadmodum mutud per vitam benevolentiä conjuncti æquales ges- sissent honores, sic, uno post obitum Îoco conditi, communi gloriam monimento complectantur. Ope- rum vero magnitudine omnes ante se reges excellere properarunt. Nam quodam in Africa loco, circa Maoridis [acûs ostium, delecto, monimentum qua- dratum, et stadium quaquaversus complexum, à saxis pulcherrimis substruxerunt, itaut ad sculpturas cæteramque operum solertiam posteris nibil facerent reliquum. Murum enim ingressis domus occurrit, undique columnis suffulta. Quadragenis latus pilis explebatur. Tectum ex uno constans lapide . præse- pibus et quibusdam alïis affabrè politis exsculptum, diversisque picturis variegatum erat. Patrie quoque regum singulorum monimenta, cum templis et sacris ibi frequentatis, pulcherrimis picturis elaborata con- tinebat. Tanto denique sumptu tantâque mole sub- 48. Aer] / \ TU TapanoYlt x6VOY Var ANpPEUÉNE" La TÉTE move runs #v épopn, Palvaïs mot dal vu. ko peapals dlapéesis meamoimAuén. Eye S% où mami®s rod éxaçou Toy PanAëcwy aoriparae, La TO iep@y xaj Wadr TA QUTY, Tale XX MIGUIS Jet Das PIAOTÉ y Vo Ddpispynnére «a TAS JE mia TI) Th mToAU- TeAElA Laj THAIMAUTAY To MEyde TV NA 0- gay TS raŸs Aéyery mroinoa bay Tic Lan- AEls, bg” El un meÿ TÈ ouvttAËcy Ti érGoAn, TEA Smoar, und\eular àv Ürep- GoAny ÉTrogis 7rege uaTaTxeut) épy@V &T7r0- Aurrelv. ApéarTor Se Téror T8 Alals me- reuid\exx mn, uvéGn Th BasiArlo TEPIGNV y els éva did miatÿTne aitias. Dact yap VE, F Spyalov TX BanAéeoy TV TegoæyopevopeEVor Mmyèv, dioxo/LEvoY ÜTe T Nov xy@V, naraquyeiv els Tv Maleadbe ALASDÉVNV Alupnv, Ere9’ m0 xpoxod\eineu maeg Eos dyaanglévre, cils D mex àme- eye: This JE owTnpias api mode LBsrouevoy © Üdo, AW wTioy TAnaioy, évoudoavre Kegwodinwy" uarad\iËey dE na) ToIs élyœplois D Jeës Ta (avre mr (a, Lo TV AÏUNY aÛTiIs El meopnv avabeïVy" évra00e JE Kay Ty Te Poy ÉLUTS HE TAOXEUL IE, meauidu TETÉA TN EUEI) ÉMIS VTA Ka} TO Javualopevor raex moNols AæGüpiv9 oixo- duo. Toy SE Aaidaoy Aéjouay dmuiuroacûa mi nŸ AxGuph$ou 7Aowi, ND dlauévovms mèv méyp TE V0r xues0, oixodbumbérmoc Se, 6 EV TVEs Pa, Nao Méydwne, à évios Aëpouav, Va Maps Bannñéos, æoMoïs êren metres) Ts Miwos BanAcias. DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS structionem hanc sepulcri reges inchoaverant, ut, nisi dejectio illorum perfectionem antevertisset , nemo operum magnificentià illos excederé quivisset. At cm Ægypio per quindecin annos præfuissent, summa rerum ad unum hanc ob causam devoluta est. ( {bid, cap. 66.) Nam vetustorum regum quemdam, qui Menas nominatur, canum suorum insectatione in Mœæridis lacum esse compulsum, quem crocodilus ( mirabile dictu) susceptum in littus ulterius transportarit : qui ut gratiam pro donata salute bestiæ reponeret, urbem Crocodili nomine juxtà ædificarit, et divinis croco- dilos honoribus affici jusserit, lacumque eorum ali- mentis dedicarit, ubi et sepulcrum sibi cum pyra- mide figuræ quadratæ, et [abyrinthum, magnæ apud multos admirationis, ædificarit. ({bid, cap. 80.) Et hinc Dædalum perplexas Jabyrinthi ambages, qui ad hoc usque tempus perduret, à Mendete pri- müm, seu, ut nonnulli referunt, à Maro rege, multis ante Minoiïs imperium annis exstructus, Imi- tatum. (/bid, cap. 97.) III. STRABON. IIpÔs SE mÜmic À TE 2ebuphôs HOT XEUN , Trapionv rails muegpio Éciv Eprov, xaÿ Ô mapa- xelnevos raDos TÈ xaTuoxeUdoaynos Panréws \ “ œ à TOY 2œÜpivSov- Ëct dE T@ XATà TV DpOT, clanngy nv él dopuya mec Syn door Teia- xoVræ À TETLESHOVTE cadous é7Aime meareçod\es yoplov, Éyor xd un) TE La} [Ba- diAEloV péya Cx momo) BanAior, Con TeSTresv hou Vouoi* Toad Ty y4p EI «0 TRPIQUAGI auvEyEls AAAMANG, ÉD ÉV&. yo) ApHzc est labyrinthi fabrica, opus haud impar pyramidibus, et adjacens regis sepuliura ejus qui labyrinthum construxit. Locus autem in primo fossæ ingressu ad triginta quadragintave stadia procedenti, est planities quædam mensali formä, pagum habens, et multorum regum regiam, quot prius præfecturæ erant : nam totidem aulæ sunt columnis ambitæ, in- vicem continuæ; omnes uno ordine, ef uno pariete tanquam parvo quodam muro, ante se sitas aulas habent. Viæ verd quæ ad eas tendunt, ex adverso sunt ipsius muri; ante ingréssus crÿptæ quædam | ra DU NOME ARSINOÏTE. CHAP. XVII. Tacot Ko ÉD vos miy, dc dv TiYS6 pupS megxemévas Éyovte mé abAds ai d) lé arc 69 KT TIXPU T8 tlyss ein megxavry Jè Ÿ el pale TIVES Mapa Xa) GoMa, d\' dMAMAGY EVST4 CALE TAS GdbUe, doce xwple fyeuevos nd Tov Éevov ey Juvamiy my els ÉndeNV adAnr ae “TE ka) Ebodbr. To dE Johasi, ÜT ai céyay T olxœ Éxgçou jou, xd T XPUT lo Tèt Ad TH WovoA Sois out Écéyaçuy FA aËiy, AarepeaMéoauis mn uéyeos, Evawv 8deuov HE TAUEUI AE BA Ne Ans Edeuids. Ayabayræe Tè èmi D 906, Ÿ Meya]w Ur, GATE puvogiyc, bo id\eir mredloy Alhvoy Cx THuxouTo Aa cyrevdey JE mu Ele Tac athas Cumimlorre, ÉËnc dev xeluévas ÜTO povoA ler move armpéiquéras ÉGlà va éwa ka oi Toi 01 de x ê£ Enarllur To meyédes Aer avyxavlo. Er réa D mc oixodopias ours mAéor À udloy àmeyéons, Ô miDos Êc] MVeapis TETAYOVOS, ÉHSLENV TE- RATE Nes Tus ÉVouca TN TAEUERV X 4 m Üos io. ’Iududhe 9 voue à raélc. Heroinoôoy dé Dan ras atAac motrac, 8T TUS Vous Eos hv ÉxXEÏE uépyeo da males &pigoy A) NV were TOY oixelov lep@v xa lepélcov Suatas TE x Déodboias La dxxiodbalas Toy peyieu var xathyenm dE T vouov Éxaçns els my Smod\eryhelo aan aÜT®. Ilapz- TAEU da de rade ÊD ÉKATOV cuisse, TOAIG éciy Apavon: Kpoxod\efawr SÈ mous Cxa Em D'EITEESV, CDodpd 4e © TO Vou® TOUT TO TV xpoxwd\elAoV, La Er legs ‘map AÜTOIG CY Ain xx 0” amy mEpomeros, YEI- egtôns mis ispéta” «a AE d\é Eodyoc. 49 multæ ac longæ, quæ inter se vias flexuosas habent, ut nemo peregrinus ingredi aufam ullam possit nec egredi sine duce. Dignum admiratione , quod unius- cujusque domûs tabulata, ac etiam cryptarum lati- tudines, ex lapideis pluteis integris et magnitudine insolenti constructæ sunt, nullo usquam nec ligni nec aliûs materiæ interventu. Ac si quis in tabula- tum ascendat, quod non admodum altum est, quippe unicà contentum contignatione, videre potest lapi- deum campum tantis lapidibus instratum ; inde ad aulas visu retorto, cernere deinceps eas viginti sep- tem, ordine positas, et columnis è solido fapide in- nitentes , parietes quoque ipsos ex lapidibus non minoribus compositos. In fine hujus ædifici, quod plus stadio occupat, est sepultura quædam, pyramis quadrangula, cujus quodlibet latus quatuor ferè est jugerum, et altitudo par : sepulti nomen est [mandes,. Dicunt tot aulas ibi factas esse, quia solerent omnes præfecturæ ed convenire, atque epulum quoddam sacris viris ac mulieribus fiebat, sacrificit gratrà deo reddendi, et juris dicendi de rebus maximis; quævis autem præfectura in suam aulam proéedebat. Præter- navigantt hàc ad centum stadia, urbs est Arsinoë, quæ olim Crocodilorum urbs dicebatur. In hac enim præfectura mirum in modum colitur crocodilus, et est sacer apud eos, in lacu quodam seorsum nutritus, et sacerdotibus mansuetus , ac Suchus vocatur. (Strab. Geogr. tom. I, Hib. xviIT, pag. 1149 et 1150, ed. Falconer, Oxon. 1807, in-fol.) : IV. MANÉTHON. » A\ \ 2 If Aœyapns ETN N° 06 TOY ÉV A POEVOÏ TH haÇu- piV9oy ÉAUTS TaPoy HA TETKEUL IE. . Lachares annis octo : hic fabyrinthum sibi elegit sepulturam. | Georg. Monach. Syncell. CAronogra- phia, pag. 59.) V. PLINE. .... Deinde Arsinoe, et jam dicta Memphis : inter quam et Arsinoïten nomon, in Libyco turres quæ pyramides vocantur, labyrinthus in Moœridis lacu nullo addito ligno exxdificatus, et oppidum Crialon. (Æist, nat, hb, V, cap. 9, Francof. ad Mœnum, 1599, in-fol.) Una est in Arsinoïte nomo; duæ in Memphite, non procul labyrintho, de quo et ipso dicemus; toti- dem, ubi fuit Moœridis lacus, hoc est, fossa grandis. (Lib. XXXVI, cap. 12.) F CAL) G so DESCRIPTION DU NOME ARSINOÏTE. Dicamus et labyrinthos, vel portentosissimum humani ingenit opus, sed non, ut existimari potest, falsum. Durat etiam nunc in Ægypto, in Heracleopolite nomo , qui primus factus est ante annos, ut tradunt, quater mille sexcentos, à Petesucco rege, sive Tithoë, quanquam Herodotus totum opus regum esse dixit, novissimèque Psammetichi. Causam faciendi variè interpretantur : Demoteles , regiam Motherudis fuisse ; Lyceas, sepulcrum Moœæridis ; plures, Soli sacrum id exstructum, quod maximè creditur. Hinc utique sumpsisse Dædalum exemplar ejus labyrinthi quem fecit in Creta, non est dubium, sed centesimam tantüm portionem ejüs imitatum, quæ itinerum ambages occuürsusque ac recursus inexpli- cabiles continet : non (ut in pavimentis puerorumve ludicris campestribus videmmus) brevi laciniâ millia passuum plura ambulationis continentem; sed crebris foribus inditis ad fallendos occursus, redeundum- que in errores eosdem. Secundus hic fuit ab Ægyptio labyrinthus: tertius in Lemno : quartus in Italia. Oinnes lapide polito fornicibus tecti : Ægyptius, quod miror equidem, introïtu lapide à Pario ; columnis reliquis & Syenite : molibus compositis, quas dissolvere ne sæcula quidem possint; adjuvantibus Hera- cleopolitis, qui id opus invisum mirè infestavere. Positionem operis ejus singulasque partes enarrare non est, cum sit in regiones divisum, atque in præfecturas {quas vocant nomos) sedecim, nominibus earum totidem vastis domibus attributis : præterea templa omnium Ægypti deorum contineat, superque Nemeses quindecim ædiculis incluserit pyramides complures quadragenarum ulnarum, senas radicum oras obti- nentes. Fessi jam eundo perveniunt ad yiarum illum inexplicabilem errorem. Quin et cœnacula priùs excelsa, porticusque ascenduntur nonagenis gradibus omnes: intus columnæ de porphyrite lapide, deorum simulacra, regum statuæ, monstriferæ effigies. Quarumdam autem domorum talis est situs, ut adaperien- tibus fores tonitruum intüs terribile exsistat. Majore autem in parte transitus est per tenebras : aliæque rursus extra murum Jabyrinthi ædificiorum moles, pteron appellant. Inde aliæ perfossis cuniculis sub- terraneæ domus, Refecit unus omnino pauca ibi Circammon spado Nectabis regis, ante Alexandrum Magnum annis quingentis. Id quoque traditur, fulsisse trabibus spinæ oleo incoctæ, dum fornices quadrati Japidis assurgerent. ( Lib. XXXvI, cap. 13.) Apion cognominatus Plistonices pauld antè scriptum reliquit, esse etiam nunc in labyrintho Ægypti colosseum Serapin à smaragdo novem cubitorum. (Lib. XXXVII, cap. 5.) VI. POMPONIUS MELA. \ Psammetichi opus labyrinthus, domos ter mille et regias duodecim perpetuo parietis ambitu amplexus, marmore exstructus ac tectus, unum in se descensum habet, intus penè innumerabiles vias, multis amba- gibus huc et illuc remeantibus, sed continuo anfractu et sæpè revocatis porticibus ancipites : quibus sub- inde alium super alios orbem agentibus, et subinde tanthm redeunte flexu quantum processerat, magno et explicabili tamen errore perplexus est. (Lib. 1, cap. 9, pag 13 , ed. Is. Voss. Hagw-Comitis , 1658.) VII EUSEBE. Me” ov Zécwçpir ) AaGaerc éTn n° 06 Post hunc (Sesostrim) Labaris annis octo, qui Er dy Apaevorh 2e GupSuy ÉavTa TaDo Ha Arsenoïticum labyrinthum sibi sepulcrum effecit. a LUE), (Georg. Syncell. Chronograph. pag. 60.) mod TABLE. SECTION PREMIÈRE. Dscrrprion des vestiges d'Arsinoë ou Crocodlopolis, et des antiquités situées dans l'intérieur de la province Re Eyes Led) pnetaners BR in ct, 2, AA IE LATE D pag aise S. [.® Observations générales, historiques et géographiques. ................ ibid. SHte Crocodilopolis TT a eee LOL ME LE CN PO TN TO RE T0 6. S. III. Ænvirons de Crocodilopolis, et intérieur de la province... ............ 9: Sa CHIMLO NE KT Description du temple Égyptien connu sous le nom de Qasr-Qeroun............ #7. SE CLONE Description des ruines situées près de la pyramide d'Haouärah , considérées comme les restes du labyrinthe, et comparaison de ces ruines avec les récits des anciens ; suivie de la description de la pyramide d'elLähoun....….... TE RL ED PREMIÈRE PARTIE. Description des IJieux............41...... M sens ibid. $. 1° Ruines situées auprès de la pyramide. ............................. ibid NO RERO NOR EP ONE EE PP RE PRE RERE RER $. III. Ruines d'un templé au sud de la pyramide d'Haouärah..................... ibid. SECONDE PARTIE. Comparaison des ruines avec les descriptions du labyrinthe... 27. $. L® Observations préliminaires sur l'emplacement du lac de Maæris................ ibid. $. IT. Emplacement du labyrinthe. ......................,....444. 30’: $. III. Disposition du labyrinthe. ......................,.,4..4.ssse. 36. $. IV. Origine et destination du labyrinthe. .......................4..... 40. Description de la pyramide d'el-Lähoun.............. RETRO ER 41. DESCRIPTION de l'obélisque de Begyg, D de l'ancienne Crocodilopolis…… 43. TEXTES DES PRINCIPAUX AUTEURS CITÉS. TR Ne once na de ia peurs us 46. RSS DT TE RER ORNE Fe RS OU EDP ER DRE TP Ar: DL RER TE IE PRE PEER SE UNE LNL ER TR 48. M La M ee Me Line à 49. NRA TAN. 18,5: RASE LR Le be SAT RER EU CPR RE ENTER ibid DC ME EN EE dec rnr So. SALES ee Je ÈCRR RE OÉE TEE NE LE, à ET ibid. LUE ah) D LAS 5 A a | ve ss Va 1 ‘4 Lo À CT Lys CT j f } ; EL Wen , “ À } Î “ ARTE L HAN . ñ r TU 4 RAS UN TN ' - 4 L { à cer : ; EE: dr a nec ‘à À t à à r LL L'aR : ; CPR PCR SR MOT ANNE CNT JON : ; 3 r! x UP a “ JO 3 “ qe: g Tr PONS ? ton LS ' x É rs #8 cr ; $ . À CAN He #" ‘ 4) vi NS CAT AR ; , : AA \ } at Lai à 1 “ A \ PRO ‘à t ‘À : [ ) PUALE BERATRNE NT R { DL CRE EN ER DR : 1,4 RES: RON 21 0m : se es SW edie (TT a à we ni à k ÿ e SRE: ( ù r , { ge 4 \ FRAIS 4 < fes » , Le CC gr 0 dt . ; F EE Le à “4 “ + R r4 * F NE TEE « V L-€ 4 ER NY , l os À 2 Vel SEE ART : \ * 4 PEUR 0 lle d té ANT V4 Ke L TA TER À 24 à 44 RU Sa A DÉQUR AE UP, Win HR À Fa À RU MR Re à 4 EVA À ‘ k PAT Ne à ETAT # un ShÈr LP PAT QAe ATEN LA ER CL OUT ds NO EUE AUTRE . V ty | L # FA n ds ':1 / * 4 Fe WT UN uit j ü ] EU A ÉROUES TR M HER Fa ‘ Lu pt LH « PA À EUR A " CRETE, RAP ET CPP 6 ACTE . TA ES Est D ET AUS ALU LEE LE AL LS # P TE \ u x { 3 n = (à r Là (3 492 .. . ….v.t * . …, «4 L ART HE À 3 j AE vd . à L ÿ 1 | eu F WE nu + y PONS: \ à de NA AU MERE Len AAC te 1 RO e Lt PORT ME Fais DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS ET DES PYRAMIDES, ACCOMPAGNÉE DE REMARQUES GÉOGRAPHIQUES ET HISTORIQUES ; PAR M. JOMARD. TS To A A A TT CHAPITRE XVIII. LE nom de Memphis n'est guère moins célèbre que celui de Thèbes. Memphis, comme Thèbes, a été le séjour de rois puiïssans, la capitale d’un grand empire ; elle a vu s'élever dans son sein de magnifiques monumens; les arts se sont plu à lembellir de toutes leurs richesses : il n’a manqué à sa gloire que d'être chantée par Homère. C’est à Memphis que résidoïent les souverains d'Égypte, lorsque les Hébreux vinrent dans cette contrée. Thèbes, dont la situation étoit trop reculée pour les relations qui commencoient à s'ouvrir avec l'Europe, l'Afrique septentrionale, l Assyrie et l'Asie mineure, avoit cessé depuis long-temps d’être le siége des Pharaons (1). L'autorité royale étoit concentrée alors dans Memphis, placée à trois schœnes seulement du point où le Nil, après avoir toujours depuis sa source coulé dans un lit unique, commence à se diviser en deux branches qui donnent naissance à cinq autres, et forment ensuite ce large réseau que les Grecs ont nommé Delta, où le fleuve s’épanouït en cent canaux divers. Cette position de Memphis étoit avantageuse pour tous les besoins du commerce intérieur et extérieur, et pour ceux de l'administration du pays. Bien qu’il soit incontestable que Memphis a succédé à Thèbes comme capitale de l'Égypte, cependant la première de ces villes étoit une des plus anciennes de la contrée. Si l’on en croit Hérodote, elle fut bâtie par Ménès même, le premier de ses rois. Pour en jeter les fondemens, ce prince détourna, dit-on, les eaux du Nil, par des digues bâties dans la plaine, et fit couler le fleuve plus à lorient; une partie de la ville occupoit donc l'ancien lit du fleuve, et elle remplissoit tout espace compris entre ses nouveaux bords et la chaîne (1) C’est ainsi qu’on est convenu d’appeler les anciens ment les rois; par conséquent, il n’est pas propre à dé- : La ET . . TR . e 7 rois du pays : maïs ce mot, consacré par les écrivains, signer spécialement les anciens rois d'Egypte. sur-tout par Bossuet, est générique, et veut dire simple- LR Ç A 2 DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS Libyque. Ainsi Memphis n'étoit point, comme Thèbes, séparée en deux par le cours du Nil. | | Der Tous les anciens auteurs qui ont décrit l'Égypte, poëtes, historiens, géographes, ont célébré les merveilles de Memphis, sur-tout les fameuses pyramides élevées dans son voisinage, De la réunion de leurs récits, on feroit une description plus longue que satisfaisante ; en outre, l'opposition qui règne entre eux, seroit contraire à la clarté. Il est préférable d’en tirer tous les faits communs qui paroïssent par-Ià plus dignes de foi. C'est ce que nous ferons après avoir décrit les lieux circon- voisins. Ce parti aura deux avantages : lun, d’évitér la confusion; l’autre, de rassembler les élémens les plus certains de l'histoire de Memphis. En effet, si, malgré tant de contradictions entre les auteurs, nous les trouvons uniformément d'accord sur certaines circonstances plus ou moins importantes, et si les écrivains ne les ont pas empruntées l’un à l'autre, il est bien vraisemblable que ces témoi- gnages reposent sur des fondemens solides, et qu'ils sont admissibles par une critique sévère. ET DES PYRAMIDES. CHAPITRE XVIII, 3 LL SECTION PREMIÈRE. Pyramides du Sud et autres vestiges d'antiquités qu'on trouve aux environs de Memphis. A PA Pyramides du Sud. Avant de comparer ensemble les témoignages des historiens et l'état actuel des lieux, afin de chercher à découvrir ce qu'a été la ville de Memphis, je jetterai un coup-d’œil sur les pyramides élevées au midi de cette ville et sur les autres anti- quités du voisinage. Les plus méridionales, en allant du sud au nord, sont celles d’el-Lähoun et du labyrinthe, dans le Fayoum ou l’ancien nome Arsinoite, ensuite celle de Meydoun, enfin celles d’el-Metänyeh. Déjà je les aï décrites dans les chapitres qui précèdent, et je dois y renvoyer le lecteur (1). Les autres qu'il me reste à faire connoître, sont celles de Dahchour, de Saqqärah et d’Abousyr, dont plusieurs sont mieux conservées et beaucoup plus importantes. 1.9 DES TROIS PYRAMIDES DE DAHCHOUR. La célébrité des deux principales pyramides qui sont au nord de Memphis, est sans doute le motif qui a empêché les auteurs anciens de faire attention à celles du midi, ou du moins de les mentionner dans leurs écrits, quoique plusieurs de ces dernières aient des dimensions considérables, dignes d'arrêter les regards : mais, soit que la curiosité fût satisfaite à l'aspect des grandes pyramides connues sous les noms de Chcops et de Chephren, et appelées zzerveilles du monde, soit qu'on voulût éviter un voyage plus long et plus pénible à travers des sables brûlans, il semble que de tout temps les voyageurs aient dédaïgné les monumens du même genre qui s'étendent sur la montagne Libyque, depuis Memphis jusqu'au midi d’Acanthus. Peu d’entre les modernes les ont visitées, et nul ancien ne les décrit (2). Les premiers, il est vraï, avoient à redouter, outre la fatigue, des périls réels de la part des Arabes Bédouins. Quoi qu'il en soit, le silence des auteurs ne permet aucun parallèle entre l'ancien état et l’état actuel des lieux, et je naï ici à mettre sous les yeux des lecteurs que la description des monu- mens, tels que les ont observés les voyageurs Français (3). Dahchour est un village médiocre qui occupe l'emplacement de l'ancienne Acanthus. À deux mille pas au nord-ouest, sur le bord de la montagne Libyque, (1) Voyez À. D. chap. XVI, sect. V1, etchap. XVII, du livre De mensura orbis terræ , d’après la conjecture de sect, 111, la pl. 72 À, vol. IV, et l'explication des M. Letronne dans ses Recherches géographiques et histos planches. riques sur ce livre, pag. 87. (2) I paroît que Dicuil les avoit en vue dans un passage (3) C’est à M. Gratien Le Père, observateur exact et At D. À 2  DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS est une première pyramide, appelée Haram Minyet el-Dahchour (1), on sait que haram est le nom générique des pyramides en langue Arabe. Elle est en briques crues, et très-dégradée. Les briques sont de limon du Nil, liées par de la paille hachée ; elles ont 32 à 3$ centimètres (2) de long, sur 16 à 19 centimètres (3) de large, et 11 à 14. centimètres (4) d'épaisseur. ; La base visible de la pyramide est aujourd’hui un rectangle de 100 pas sur un côté, 75 sur l’autre, et la hauteur est d'environ {2 mètres (5). Cette hauteur se divise en cinq parties, formant retraite l'une sur l’autre, avec un repos d’en- viron 3° + de large (6). Ces espèces de degrés se retrouvent souvent dans les pyramides du sud , et il y en a un exemple parmi celles de Gyzeh (7). La matière dont cette construction est formée, étoit trop peu solide pour résister aux outrages du temps, et, malgré la jactance des paroles qu'Hérodote prête au roi Asychis, auteur d’une de ces montagnes de brique, il y a une immense diffé- rence entre elles et celles de pierre, pour l’état de conservation (8). J'ai déjà eu occasion de parler ailleurs de ces espèces de pyramides (0), et je ne rechercherai pas ici à laquelle on doit appliquer le passage d'Hérodote , me bornant à consi- dérer comme probable qu'il s'agit de celle qui touchoit au labyrinthe. Sont-ce les briques destinées à ces pyramides, ou celles qui servoient aux enceintes des villes, que les Hébreux furent condamnés à fabriquer, selon le v.* chapitre de l'Exode! C'est une question qu'il n’est guère possible de résoudre, et qui est d’ailleurs de peu d'intérêt. Les unes et les autres sont de grande dimen- sion; il en est même qu’on pourroit comparer à de petites pierres de taille. On s’en est servi pour faire des quais et des constructions plongées constamment dans l'eau courante: elles nnt conservé une assiette solide. A près de 1$00 mètres au nord-ouest est une seconde pyramide, aussi en briques crues, sur le bord du plateau; elle est plus ruinée encore, au point qu'on peut y monter à cheval. Sa hauteur est d’à peu près 33 mètres (ro). La troisième et principale pyramide de ce canton, Aaram el-Duhchour, porte le nom même du village dont elle est éloignée de 2500 mètres à l'ouest, et dans le désert; elle est en pierre et bien conservée. Sa base, sur la face de l'est, a 235 pas (11), et, sur celle du nord, 230 (12), environ 174 mètres sur 178 (13). Ce qui distingue cette pyramide de toutes les autres, est l’état de conservation de son revêtement sur la plus grande partie de chaque face; la sommité a conservé aussi sa forme en pointe aïgué; la piérre du revêtement est lisse, bien taillée. La forme infatigable, qui a bien voulu meles communiquer, que (4) Quatre à cinq pouces, j'emprunte Îes circonstances les plus intéressantes rela- (s) Cent trente pieds. tives aux pyramides méridionales ; j'y joindrai les obser- (6) Dix pieds. vations que j'ai faites moi-même, soit en levant la carte (7) Voyez pl 16, fig. 13 et 14. de la province de Beny-Soueyf, soit dans un voyage (8) Æise. lib. 11, c, 136. à Memphis et aux catacombes de Saqqârah, ainsi que (o) Voyez À, D, chap. XVII, p. 4r. les autres notions certaines que j’ai pu recueillir auprès (10) Cent pieds. de mes compagnons de voyage. (11) Cinq cent quarante-huit pieds. (1) Au sud-est d’une petite pyramide en briques placée (12) Cinq cent trente-sept pieds. dans le sud de Saqqârah. Voyez la pl, r, A, vol. V. (13) Selon Richard Pococke, la base a 60$“ anglais (2) Douze à treize pouces. sur la face du nord, 600 sur celle de l’est, et sa hauteur (3) Six à sept pouces, est de 335%, ou (en pieds français) 567, 562 + et 314. ET DES PYRAMIDES. CHAPITRE XVIII. $ générale du monument présente, sur le profil, deux inclinaisons : da partie infé- rieure est bâtie sous un angle plus ouvert; et la partie haute est moins inclinée, tellement que la pyramide supérieure et entière pose sur une pyramide tronquée (1). Une autre particularité, c'est que les assises du revêtement sont, non pas hori- zontales, mais perpendiculaires au plan d'inclinaison des faces. La pyramide est ouverte à 6 mètres + (2) au-dessus de la base inférieure ; l'ou- verture est vers l'apothème à la douzième assise, et sur la face du nord, comme aux trois principales pyramides de Gyzeh : on y arrive avec peine, à cause de la rapi- dité de la pente, et parce que la pierre du revêtement est lisse et glissante. La grandeur de l'ouverture est à peu près la même que celle de la grande pyramide et de celle que je vais décrire : maïs le conduit qui y débouche, est bien moins incliné; sa pente n’est que de 20 degrés environ. La profondeur du conduit est considérable, et descend au-dessous des fondations : on peut y parvenir aujour- d'huï jusqu'à plus de 200 pieds de profondeur; là, on est arrêté par un encombre- ment de pierres. Deux voyageurs du xvir.° siècle ont pénétré jusqu'au bout, et ont trouvé une seule chambre, disposée comme celle des autres pyramides (3). Plusieurs des pierres du conduit sont disjointes de manière qu'on peut passer le bras dans les intervalles (4). Les faces du monument sont exactement tournées vers les quatre points cardinaux. À peu de distance de la face orientale, on trouve une chaussée bâtie en grosses pierres sur la pente de la montagne; elle se dirige vers le village de Minyet-Dah- chour. Les sables de Libye ont en grande partie recouvert cette grande chaussée, dont la destination a été visiblement de transporter les matériaux dont la pyramide est formée. 2.° DES NEUF PYRAMIDES DE SAQQÂRAH. EN continuant de nous porter du midi au nord, nous arrivons à la plus considérable des pyramides de Saqqärah : elle est à 2000 mètres au nord de la pyramide de Dahchour, et à 6000 mètres au sud-ouest du village de Saqqärah; on l'appelle Haram el-Kebyreh | la Grande Pyramide |. En effet, ses dimensions approchent de celles des grandes pyramides de Gyzeh, et elle mérite le second rang. La base moyenne a environ 200 mètres (5); sa hauteur, composée de 152 assises, d'environ 0,68 (6), est égale à 103",36 (7). Quoïque dégradée dans les parties intérieures de ses quatre faces, la pyramide (1) Voyez À. D. chap. XV1, p.75. (2) Vingt pieds. (3) Le premier est l'Anglais Melton, qui voyageoït en 1660; le second est le peintre Hollandais Le Bruyn, en 1680. | (4) M. Gratien Le Père, qui a pénétré dans la pyra- mide le $ janvier 1801, avec le général Beaudot, pense que la masse a éprouvé un mouvement qui est la cause de cette circonstance. MM. Gratien Le Père, Geoffroi, Desgenettes, Larrey et Dutertre, sont les seuls membres de la Commission qui aïent vu les pyramides de Dahchour et les pyramides méridionales de Saqqärah, accom- pagnés des généraux Reynier, Lanusse, Damas, Beaudot et Morand. C’est au premier qu’on est redevable de la plupart des observations qui précèdent. (s) Six cent dix-huit pieds. M. Gratien Le Père a trouvé sur la face de l’est 260$ ; sur celle du nord, 270 : au contraire, Pococke donne 662% { anglais) à la base mesurée du côté du nord , 690 à la base mesurée à l’est, c’est-à-dire, environ 6204 =, et 647% français ; valeur moyenne, environ 634% : il y a sans doute ici interversion, (6) Vingt-cinq pouces. (7) Trois cent seize pieds huit pouces. Selon Pococke, la hauteur est de 34$ pieds anglais, ou environ 322 pieds français. 6 DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS conserve encore son revêtement en beaucoup d’endroits, et sous ce rapport elle a un intérêt que ne présente plus le grand monument de l'ouest de Gyzeh. Comme dans celui-ci, l'ouverture est sur la face du nord, et à une certaine dis- tance de l’apothème; maïs elle est située à une plus grande élévation. Dans la Grande Pyramide, elle est à la douzième partie de la hauteur totale; et dans la pyramide de Saqqârah, aux deux neuvièmes environ de la hauteur. Dans l’une et dans l’autre, le premier conduit est incliné à l'horizon; mais ici le second est hori- zontal. Ces deux conduits ont 1”,06 (1) de largeur, et 1”,14 (2) de hauteur, perpendiculairement au plan inférieur (2). A l'extrémité du couloir horizontal, est une salle oblongue, de plain-pied avec le fond, longue de 6”,82 (4) du nord au sud, large de 3”,41 (s). Sa hauteur est de 12,99 (6). Elle se compose de quatre assises qui s'élèvent en forme de pieds- droits jusqu'à 3,25 (7), et au-dessus s'élèvent douze autres assises disposées en encorbellement, comme dans la grande galerie ascendante de la pyramide de Gyzeh; chacune est saillante sur l’autre d'à peu près o",108 (8), de manière que de plafond n'a pas plus de largeur que le couloir. Les pierres sont en granit, de très-grande dimension, et travaillées avec un tel soin, qu'il est impossible de faire entrer entre deux joints la lame d’un couteau. Au fond et dans l’angle à droite de cette salle, on trouve un autre couloir hori- zontal, haut et large comme le précédent, et long de 3",24 à 3,56 (9): il aboutit à une seconde salle oblongue, qui, du nord au sud, a 7°,47 (10), et, dans l'autre sens, 2",25 (11), et qui, pour la forme du couronnement, le travail et la nature de la pierre, est en tout semblable à la précédente. On y a trouvé un encom- brement de pierres et de débris. À la partie sud de cette salle, et à 18 ou 20 pieds de hauteur, est un troi- sième conduit horizontal qui, selon le voyageur Thévenot, a 4",22 (12) de long, et 1,95 (123) de hauteur. La troisième salle, dans laquelle il débouche, a 7°,96 (14) dans le sens du nord au sud, et 8,66 (15) de l'est à l'ouest. La hauteur est 17,54 (16). Elle est encore disposée en encorbellement dans la partie supérieure. Au milieu de la pièce, on trouve sur le sol une cavité rec- tangulaire, dont le fond est inégal; peut-être y avoit-il en cet endroit un sarco- phage. 11 manque sans doute plusieurs renseignemens pour compléter la descrip- tion de cette pyramide intéressante; mais celle des autres monumens du même genre pourra y quite en partie, attendu l’analogie qui règne entre ces diverses constructions. Passons à celles de moindre hop ee qui sont à l'ouest et au sud-ouest de Saqqärah, ou vers le nord-ouest du même village. (1) Trente-neuf pouces. (9) Neuf à dix pieds. (2) Quarante-deux pouces. (10) Vingt-trois pieds, (3) M. Gratien Le Père n’a pu prendre ces mesures (xx) Dix pieds. Ces deux dimensions laïssent aussi avec la précision desirable. à desirer pour la précision. (4) Vingt-un pieds. (12) Treize pieds. (s) Dix pieds six pouces. (13) Six pieds. (6) Environ quarante pieds. (14) Vingt-quatre pieds six pouces. (7) Dix pieds, (15) Vingt-six pieds huit pouces. (8) Quatre pouces. : (16) Cinquante-quatre pieds. 1 ET DES PYRAMIDES. CHAPITRE XVIII. 7 Les unes et les autres sont au nombre de quatre, toutes de petite dimension, hors une seule. La première, en marchant du midi au nord, est très-dégradée; la seconde est divisée en cinq parties ou grands degrés; la troisième est en grosses briques non cuites, et la quatrième en pierre : elles sont dégradées et occupent deux mamelons couverts de matériaux. La seconde seule mérite de nous arrêter. Les Arabes l’appellent Mastabet el-Fara'oun | siége des Pharaons|, prétendant ridicu- lement que les anciens rois rendoïent la justice du haut de ce monument. Les espèces de degrés dont elle est formée, sont autant de pyramides tronquées, en retraite les unes sur les autres, dont la hauteur est d'environ 12,99 (1). En me- surant a base au nord et à l'est, on trouve également 160 pas (2), où 121,17. reste des parties de revêtement, mais fort dégradées. Les quatre pyramides au nord et au nord-ouest de Saqqârah sont ainsi distri. buées. La première ou la plus méridionale est assez petite, ainsi que la troisième. La seconde est la plus importante; elle se compose de six corps de maçonnerie qui en font une pyramide à six degrés. La quatrième est fort ruinée. Les Arabes donnent à la seconde le nom de Haram el- Modarrageh, c'est-à-dire, pyramide façonnée en gradins (2): autour sont de nombreuses catacombes. Sa base, me- surée au nord et au sud, est d'environ 90,97 (4); à Fest et à l’ouest, de 81,21 (5). Chaque degré a verticalement environ 8,1 2 (6), et horizontalement 3”,2 à 3,9 (7), indépendamment du talus de chacun des corps pyramidaux. | La hauteur totale est évaluée à 48,73 (8). La pierre du revêtement est un calcaire blanc, compacte. Du côté du sud, on remarque une forte lézarde, que les hommes ont agrandie. On a cru y recon- noître que l'intérieur de la construction est en partie formé de gravier. Tout le sol des environs a été aplani, et forme autour du monument une place quadrangu- laire, inférieure de près de deux mètres au sol de la pyramide. 3° DES SEPT PYRAMIDES AU NORD D'ABOUSYR. À deux mille mètres vers l’ouest du village d'Abousyr, et à onze mille mètres au sud-est des grandes pyramides de Gyzeh, sont trois pyramides en ruine, très- rapprochées l’une de l’autre, situées sur le bord de la chaîne, à l'ouverture d’une petite vallée. Elles sont bâties en pierre : leur état de dégradation n'empêche pas de reconnoître qu'elles ont été revêtues d’un parement. Ainsi que les autres pyra- mides, elles sont orientées. Leurs dimensions sont à peu près les mêmes ; le côté de la base est inférieur à celle de la troisième pyramide de Gyzeh. Sur le milieu de la face orientale de chacune d'elles se dirige une chaussée ascendante, construite en pierres de taille de forte dimension: il est de ces pierres qui ont jusqu'à 6 à 7 mètres de longueur. Il est évident que ces chaussées ont servi au transport des matériaux dont les monumens se composent. Îl en est (1) Quarante pieds. (5) Deux cent cinquante pieds. (2) Environ trois cent soixante-treize pieds, (6) Vingt-cinq pieds. (3)assudlt, de «2,3, degré, (7) Dix à douze pieds. (4) Deux cent quatre-vingts pieds, (8) Cent cinquante pieds. 8 DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS de même qu'aux pyramides de Gyzeh. Hérodote fait remarquer l'art et le soin qu'on déployoit pour la construction de ces chaussées (1). Cà et là, on trouve une grande quantité de blocs énormes de grès, de granit et de trapp noir, taïllés et polis, couverts de sculptures, de figures d'animaux, ‘et de caractères hiéroglyphiques. Il est permis de croire que plusieurs de ces pierres dures ont servi à revêtir les pyramides, ou à embellir quelques monumens du voisinage; peut-être aussi quelque révolution politique ou religieuse at-elle empêché d’em- ployer à leur destination la plupart de ces riches matériaux. De ces pyramides, on se rend en trois heures aux grandes pyramides de Gyzeh, en suivant le chemin qui longe le pied de la montagne Libyque. À 1500 mètres sur ce chemin, on remonte une colline que lon croit être le reste d’une pyramide détruite , et à trois mille mètres, mais plus loin vers l’ouest du village de Chobrâment, on aperçoit à gauche, sur la crête d’un coteau, trois tertres de forme à peu près conique : on y trouve des traces d'anciennes cons- tructions qui font croire qu'il y avoit encore là jadis trois petites pyramides, aujourd'hui entièrement ruinées. Au pied de la montagne est un santon ou tombeau Arabe. Non loin de là sont les vestiges d’une ancienne digue en briques cuites , dirigée transversalement au sens de la vallée. Tels sont tous les restes de constructions pyramidales que l'on rencontre depuis les pyramides de Gyzeh jusqu'à Dahchour , dans une étendue d'environ 23000 mètres : elles sont au nombre de dix-neuf; trois sont en briques ; les autres ou le plus grand nombre sont en pierres. Il en est deux presque comparables à la seconde pyramide de Gyzeh; mais quinze sont ruinées ou dans un état complet de dégradation. L’énumération de ces bâtisses prouve qu'elles ne sont pas indignes d'attention : c'est ce que prouvera encore mieux le rapprochement que Je ferai plus tard entre elles et celles de Gyzeh. Le plateau où elles sont élevées, est un sol calcaire assez uni, par-tout recouvért de gravier ou de sables mobiles. - S. II. Ruines des Villes et autres Antiquités des environs. DAHCHOUR ET SAQQÂRAH. Dans le chapitre XVI des Descriptions d’antiquités, j'ai parlé des lieux anciens situés dans le midi du nome Memplites, et sur la rive gauche; savoir, Nilopols, Heracleopolis magna, Cœne, Isiu, Peme, Acanthus, et autres endroïts dont il reste d'anciens vestiges; ce second paragraphe servira de complément à l'énumération des antiquités de la province, autres que celles de Memphis même, et des pyra- mides. L'endroit le plus méridional est Dahchour. C’est là qu'étoit la ville d’Acanthus, qui tiroit son nom d’un grand bois d’acanthes ou acacias épineux. Les distances (1) Æisr, lib. 11, c. 129. par ET DES PYRAMIDES. CHAPITRE XVIII. 9 par lesquelles Fitinéraire conduit de Memphis à Acanthus, coïncident avec le lieu de Dahchour, où l’on trouve d’ailleurs des ruines et des débris d’antiquités, indé- pendamment des trois pyramides que j'ai décrites dans son voisinage (x). Il reste encore des vestiges des bois qui environnoiïent Acanthus. La position qu'ils occupent me confirme dans l'opinion que j'ai émise sur l'origine de ces bois sacrés. En effet, ils devoient protéger Memphis et la plaine contre les sables transportés par les vents du sud. De là, l'importance qu’on y attachoïit et le soin qu'on avoit de les entretenir (2). Ce qu'on trouve d’antiquités au village de Saqqärah doit se rapporter à Mem- phis, dont ce point étoit peut-être un des faubourgs. Les maisons sont remplies de pierres chargées de sculptures et d’hiéroglyphes, en granit et en trapp ou basalte noir. Il faut aller vers le nord-ouest et s'élever sur le plateau pour trouver la plaine des momies, le lieu de sépulture de cette capitale. En marchant d’abord à l'ouest, on rencontre sur deux mamelons dont jai parlé, et autour des petites pyramides, béaucoup de fragmens d’albâtre, de marbre et de porphyre , ainsi que des poteries, des vases de verre, et une multitude de figurines en boïs ou en terre cuite émaillée. La plaine sablonneuse qui s'étend au nord et à l’ouest, étoit le lieu de sépulture des habitans de la plaine de Memphis (3). Le sol a été creusé en galeries et en catacombes, dans lesquelles on descend aujourd'hui par des puits profonds, dont les ouvertures débouchent sur le plateau. Selon un ancien voyageur, tout le sol en est rempli, jusqu'à une distance de plusieurs milles. L'affluence des sables a néces- sairement comblé un grand nombre de ces ouvertures: il est à présumer aussi que jadis on les tenoit habituellement fermées , et qu'on pénétroit dans les tombeaux par des galeries horizontales, percées sur le flanc de la montagne : car il est de ces puits beaucoup trop étroits pour qu'on pût y descendre les sarco- phages ; et d’ailleurs ils ne s'accorderoient point avec la célébration pompeuse des funérailles, usitée chez les Égyptiens. À trois cents mètres à l’ouest de la pyramide à six degrés, Haram el Modarrageh , on remarque un large puits dont la profondeur n’est pas moindre de 1 $ à 16 mètres; l'ouverture, de 7 à 8 mètres: mais généralement ils sont beaucoup moins larges ; il en est qui n'ont que 4 à $ mètres de profondeur. Comme on ne peut parcourir les puits des momies qu’à la lueur des lambeaux, on les visite ordinairement pendant la nuit, et on évite ainsi des courses dans les sables, plus pénibles pendant l’ardeur du jour. Maïs beaucoup de voyageurs se dispensent d’une recherche fatigante, en faisant faire des fouilles par de pauvres Arabes habitans du lieu, qui font de ce travail une petite branche d'industrie et de commerce. A la vérité, ces hommes se moquent presque toujours des Européens; ils leur vendent des momies qu'ils ont enterrées eux-mêmes à une médiocre profondeur, et leur font croire qu'ils viennent d'ouvrir de nouveaux puits. Quand on veut n’étre pas trompé et quon peut en (1) Voyez A, D, ch, XVI, sect, yrr. désert, il y a quelques plantes sur le sable; on y trouve (2) Voyez, sur les bois d’acanthes, 4, D, chap. XI, plusieurs espèces de Sisymbrium, de Ricotia , d’Artemisia p.4etr6,et chap. XVI, p.75. et de Geranium, des ficoïdes, des légumineuses, &c. (3) Dans l'hiver, saison pendant laquelle j'ai visité ce A. D. B FO DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS faire les frais, il faut réunir un certain nombre de travailleurs , et les faire tra: vailler devant soi, jusqu'à ce qu'on rencontre un tombeau intact ou à peu près ; ce qui est fort rare. Il n'est pas très-difficile de reconnoftre si le puits a été comblé par les Arabes, et si la catacombe a été violée et dépouillée. Il est trés-probable que tous ces puits ont été pratiqués pour obtenir des courans d'air, et faciliter la respiration dans ces nombreuses galeries, dans tous ces laby- rinthes souterrains dont la montagne est percée de la même manière qu'à Thèbes; ils pouvoient servir, de temps en temps, à donner du jour et de l'air aux individus chargés du soin des funérailles. Aujourd’hui, l’on remarque, autour des ouvertures, de petits bosquets de dattiers, au moyen desquels les Arabes viennent à bout de les dérober à a curiosité des voyageurs. Généralement, les momies que l’on tire des puits de Saqqârah sont mal con- servées; mais, de plus, la préparation est bien inférieure à celle des momies de Thèbes, et même on ne pourroït pas citer une seule momie trouvée dans les tombeaux de Memphis, comparable à celles qui appartiennent à la première classe parmi les momies des hypogées de Thèbes. La plupart sont embaumées avec un baume de mauvaise qualité; un très-grand nombre sont préparées avec le natroun; la toile est grosse ; les bandelettes sont disposées sans art. Il y a une différence encore plus grande dans les enveloppes, les caisses et les sarco- phages, sur-tout pour les dessins et les peintures. Enfin l’on trouve bien, avec les momies, des antiques, des idoles et des amulettes en bois, en faïence, &c.; mais Je ne connois pas un exemple d’un manuscrit sur papyrus trouvé dans les catacombes. Ce n'est pas que je pense qu'il n'y existe aucune momie aussi bien préparée et entourée que dans la Thébaïde; maïs je présume que celles de cette espèce ont été cachées avec plus de soin que celles du second et du troisième ordre, et que les Arabes ne les ont point découvertes. Il seroit en effet bien extraordinaire que Memphis, postérieure à Thèbes, et qui luï a succédé comme capitale, eût ignoré l'art d'embaumer, porté si anciennement à sa perfection : toutefois, cet art étoit dispendieux, et il n'est pas surprenant que les momies les plus riches (il en est dont le travail est estimé à plus de mille journées) se rencontrent rarement dans les catacombes les plus récentes, c'est-à-dire, celles du haut de la montagne, qui approchent de la superficie du sol. Les tombeaux de momies de Saqqârah ont été décrits par tous les voyageurs. Ï n’en est pas un qui, étant au Kaire, ne les ait visités, ou n’en aït entendu parler, ou n’en ait rapporté quelques antiques achetées des Juifs ou des Arabes dans cette dernière ville. De là il suit que ces lieux ont de tout temps été assez bien connus en Europe. Il n'en étoit pas de même des tombeaux de Thèbes, que les voyageurs ne connoissoient que bien imparfaitement avant l'expédition Française. C’est pour ce motif que nous sommes entrés dans tous les détails de la description des hypogées de la ville de Thèbes; par la même raison nous nous abstiendrons d’insister sur les tombeaux de Memphis, et nous renverrons aux détails qu'on trouve dans les Voyages de Pietro della Valle, du duc de Chaulnes, de Thévenot, En DIE'Su P VRAMIDES. CHAPITRE XVIII. II de Le.Bruyn, de Pococke, de Fourmont, &c., en avertissant toutefois le lecteur qu'il s'y trouve beaucoup de preuves de la crédulité des voyageurs, souvent dupes de la fausseté des Arabes. Nous nous bornerons à un petit nombre d’obser- vations. La plupart des conduits qui font communiquer ensemble les salles des cata- combes, sont très-étroits, et le passage est difficile, sur-tout à cause de l’encom- brement des sables. Souvent, après nous être donné beaucoup de fatigue pour pénétrer dans les galeries, nous arrivions dans des chambres dépouillées de tout ce qui auroit pu les rendre intéressantes : des momies brisées et dispersées, des toiles et des ossemens épars, des fragmens de sarcophage, voilà à peu près tout ce qui s’offroit à la vue. J'ai remarqué que la peau des momies tire plus sur le Jaune que sur le noir; c’est le contraire à Thèbes. Le sol dans lequel sont creusées les galeries, n'est point une pierre calcaire sèche, uniforme et homogène, comme à Thèbes ; au-dessous de la couche du sable, est une pierre marneuse, toute pénétrée de couches minces de sel marin ou muriate de soude, alternant avec la marne; on y rencontre encore des filons de gypse cristallisé. On sait que le muriate de soude abonde en Égypte, et que la surface du sol en est imprégnée au point que, tous les matins, les plantes sont blanchies par les efflorescences salines. On trouve quelquefois dans les tombes, avec beaucoup d’antiques fragmens, des tuniques plus ou moins riches et d’un beau travail. Ces objets se trouvent sous la tête des momies, quand elles sont demeurées en place. I paroît que l'usage des Égyptiens étoit de déposer avec le mort un de ses vêtemens et les objets de culte qui lui avoient servi. On n’a pas, autrefois, assez mis de soin à reconnoître et à constater l’état où se trouvent les momies dans leurs caisses, et les objets conservés auprès d'elles : cette recherche auroit pu révéler des détails curieux pour les mœurs, et dont l'histoire ne dit absolument rien. Sans entrer ici dans l'examen de tous les fragmens de tuniques anciennes trouvés dans les catacombes, je m'attacherai à faire connoître celle dont le général Reynier a fait don à l’Ins- titut de France, et qui est déposée dans la bibliothèque de cette compagnie savante (1); elle mérite cette préférence par sa conservation et par la beauté de ses broderies (2). Voici l'historique de la découverte. Pendant son voyage à Saqqärah (dont j'ai rendu compte plus haut), le général Reynier, n'ayant pu obtenir des Arabes qu'ils le conduisissent dans des tombeaux intacts, et n’ayant pas eu Île temps d'effectuer les fouilles qu'il avoit projetées, engagea les habitans du village à lui apporter tout ce qu'ils découvriroient. Excités par l’appât du gain, ils lui offrirent différens objets intéressans, une belle momie d'homme dans une caisse peinte et sculptée en bois de sycomore, des poteries antiques, de petites statues, et des figures de terre cuite, enfin deux tuniques dont l'une étoit entière et l'autre fort endommagée. Tous ces objets, disoient les Arabes, avoient été tirés d’un caveau rempli de sable, qu'ils avoient déblayé. (1) Elle est renfermée et scellée hermétiquement entre deux glaces, dans un cadre élégant porté par des griflons. (2) Voyez la planche s, A. vol, V. ACC B2 DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS Fes tJ La tunique dont il s'agit est à manches courtes : elle est ouverte, comme n05 chemises, dans le haut et dans le bas: mais elle est de forme carrée. La largeur et la hauteur avoient 0",9$. Il ne manque rien à la iongueur qu'une petite partie en bas et d’un côté seulement; mais, quand on l’a trouvée, elle étoit rac- courcie par un double pli transversal de o",r0 quiréduisoit sa hauteur à OCR TES manches sont longues de o",40. L'ouverture pour passer la tête a 0,3; mais elle pouvoit se resserrer par des liens qui existent encore. L'étoffe a été tissue au métier; elle est de teinte jaune, et:les broderies sont de couleur brune. Des chi- mistes ont pensé que le fond ainsi que le fil brun des broderies étoient de matière animale, tandis que le fil jaune ou le canevas des mêmes broderies étoit de matière végétale: mais on n'a pas prononcé si le premier appartenoit à la brebis, à la chèvre ou au chameau; le second,au chanvre, au lin ou au coton (1). L’ana- Jogie pourroit aïder à rétrécir le champ de incertitude. Eneffet, parmi la multi- tude d’étoffes végétales qu'on a trouvées dans les tombeaux de Thèbes, on distingue aisément et presque toujours le coton à son fil très-fin, très-doux et velouté. Le chanvre et le lin doivent être extrêmement rares; on les auroït reconnus à un fil plus ferme et moins ténu. Quant au fil de laine, il est plus difficile de se décider entre la chèvre, la brebis, le chameau et d’autres quadrupèdes; je me bor- nerai à dire que j'ai rapporté de Thèbes un fragment d’étoffe tissue de fil animal, dont le toucher, l'aspect et toutes les qualités se rapportent parfaitement au poil de la chèvre de Cachemire, outre que le tissu est entièrement comparable à celui que de temps immémorial on fabrique dans Orient (2). Ce qui sans doute est le plus digne de remarque dans cette pièce d’antiquité, ce sont les ornemens. Sur le corps de la tunique , sur les épaulettes et sur les manches, on a ajouté des broderies qui paroïssent avoir été faites au petit point et à fils comptés, comme la broderie au canevas. Il y a sur le devant et sur le derrière du bas de la tunique, sur les épaules et autour des manches, dix parties brodées, de forme rectangulaire; et, entre les épaulettes et le col, deux autres broderies en longs rubans, analogues à des bretelles : celles-ci ont 0",27 de long et o”,9 de large; elles ont été appliquées et cousues sur la tunique. Il en est de même de celles qu'on voit sur les manches, et qui ont o",4$ de large, tandis que les carrés brodés du bas de la tunique et des épaules ont été substitués au fond, enlevé à l'avance; ceux-ci ont 0",o9 sur 0",9. En examinant avec beaucoup d'attention les ornemens dont les broderies sont composées, on n'y voit que des ornemens de caprice, des entrelacs et des enroulemens, et aucun signe de l'écriture ni de la décoration Égyptiennes : cependant on né pourroït pas en conclure que cette pièce est Grecque, attendu que nous avons trouvé dans les plus anciens monumens , notamment parmi les peintures des tombeaux des rois, des décorations qu'on appelle des wéandres, des grecques et des étrusques, et que les Grecs ont empruntées évidemment et employées à une époque postérieure. (1) Ces détails sont extraits d’un rapport fait à l’Institut national le 26 brumaire an 11 [ 17 novembre 1802], par M. Mongez, au nom d’une commission formée des membres des trois classes. (2) Voyez la Description des hypogées de la ville de Thèbes, pag. ?41. ETMAD ESS PAR AMADES.A CA APITRE XVII. 13 Là où l'artiste Égyptien n'étoit pas astreint à suivre des formes consacrées par la religion, ou à tracer des emblèmes significatifs, il dessinoïit avec plus de liberté des ornemens de goût et de fantaisie, maïs toujours plus ou moins symétriques. Ce qui me fait penser encore que cette étoffe remonte à l'antiquité Égyptienne, c’est que sa broderie en forme de bretelle se retrouve sur beaucoup de figures des deux sexes, appartenant au culte Égyptien (1). Je ferai encore ici mention d’un joli cordonnet qui sert à recouvrir la couture des deux lés et du bas des manches; il accompagne aussi les deux bretelles. Dans un endroit, il y avoit un trou qui a été raccommodé. Aujourd'hui les f/4h portent des robes appelées /t, en étoffe de laine noire, où l'on remarqué, ainsi que dans notre tunique, des pièces carrées brodées et qui tranchent également sur le fond; mais le travail en est plus grossier. Le second fragment de tunique rapporté par le général ge est d’un jaune plus foncé, maïs tissu de matière végétale. Sa largeur, égale à sa Haneehrs est de 0,40; la broderie est large de 0",20. Ce seroit ici le lieu de comparer les tuniques de Saqqärah avec les costumes que les peintres et les sculpteurs Égyptiens ont représentés dans les temples et les hypogées : il ne seroit pas très-diflicile de reconnoître dans ces représentations, quoique dessinées sans perspective, ce qu'étoient les objets eux-mêmes ; comment ils étoient coupés et disposés pour l'usage, et, sinon les étoffes qu'on a voulu exprimer, du moins les broderies, les ornemens et les accessoires dont elles étoient enrichies; on distingueroit les étoffes rayées, unies, à mouches, transpa- rentes, plissées, à glands, à franges, et d’un ton ou de plusieurs couleurs, &c. On peut dire que, sous ces divers rapports, la richesse et la variété sont extrêmes. Mais ce travail seul exige un mémoire spécial. En comparant la tunique des harpistes des tombeaux des rois, j'en aï reconnu la disposition assez singulière, mais très-commode; et je crois être d'autant plus sûr d'avoir deviné juste, que j'ai vu depuis un habit entièrement semblable et à l'usage des habitans actuels (2). Mais cette tunique diffère de celle de Saqqärah. Dans celle-ci, les côtés sont fermés et le bas est ouvert : c'est le contraire dans celle des harpistes ; les côtés sont ouverts et lebas est fermé, à l'exception de deux ouvertures pour passer les jambes. Celle-ci est dépourvue de manches; mais toutes deux sont carrées, c'est-à-dire, aussi hautes que larges (3). I me reste à parler des fragmens d’antiquités qui sont les plus curieux, parmi ceux que nous avons recueillis dans les catacombes, autour de la-pyramide à six degrés, et dans le voisinage de Saqqärah : on les a gravés principalement dans la (1) On a découvert dans les hypogées de Thèbes, de- puis l’expédition, des espèces de bretelles semblables, - en nature, faites de maroquin rouge, ornées d’hiéroglyphes de la plus grande perfection et des beaux temps de l’art. (2) Voyez pl. &, A, vol.Il, etpl. LL, É, M. vol. IL. (3) Il résulte du rapport à VInstitut dont j'ai fait mention plus haut, qu’on n’a que des présomptions sur l’époque à laquelle remonte la tunique de Saqgqärah et sur le personnage qui l’a portée. On conjecture, 1,° qu’elle a été tissue entre l’époque de Cambyse et le 1V.° siècle de Vère vulgaire; 2.° qu’elle n’a point appartenu à un prêtre ni à une femme; 3.° que celui qui la Portes étoit de la classe commune des Égyptiens, si c’est à la vétusté qu'il faut attribuer la couleur de l’étoffe; maïs qu’il occupoit un rang distingué, si la tunique a été ainsi teinte à des- sein, &c. Ve ailleurs le rapport sur une tunique Égyptienne, fait à l’Institut, au nom d’une commission formée de membres des rois classes, par M. Mongez. 1 À DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS collection d'antiques , formant les trente dernières planches du cinquième volume; ces objets sont disséminés dans la collection; je vais les rapprocher avec un peu plus d'ordre, en les divisant en bas-reliefs, statues et figures d'homme ou d'animal, momies humaines ou momies d'animaux, figurines, scarabées et amulettes, lampes et vases. 1.° BAS-RELIEFS, STATUES OU FRAGMENS. Les fragmens de bas-reliefs que nous avons trouvés à Saqqärah, ont été, selon toute vraisemblance, transportés de Memphis; et ils donneroïent une idée du style adopté dans cette ville, ou plutôt de l'exécution des artistes, si l’on pouvoit toujours reconnoître l'époque de ces ouvrages : mais il n'est pas facile de distinguer les diverses époques de l'art sous la domination Égyptienne. Il n’en est pas de même de l’époque des Grecs et des Romains : alors on introduisit dans le culte et parmi les symboles Égyptiens, des particularités et des formes nouvelles; on associa des images disparates d’une manière plus étrange que n’avoient fait les Égyptiens, peut-être sans autre motif que le caprice du dessinateur, sans autre guide qu'une imagination déréglée. Du moins peut-on affirmer que, s’il est difficile de péné- trer le sens des symboles Égyptiens, il est à peu près impossible d'espérer qu’on devine jamais le sens de ces chimères compliquées et monstrueuses qui signalent l'époque où les Grecs et les Romains, adoptant le culte Isiaque, renchérirent sur le caractère énigmatique des objets de ce culte, et finirent par en dénaturer les symboles. Ce simple aperçu, qui, on le sent bien, ne peut recevoir ici aucun déve- loppement, suffit pour classer, à peu près suivant l’ordre des temps, les compo- sitions emblématiques du style Égyptien, pur ou mélangé. L'espèce d’autel trouvé près des pyramides de Saqqärah, et figuré avec deux ser- pens à tête humaine dans la planche 69 du V.° volume d’antiquités {fg. 11), peut être cité comme un exemple de ces associations bizarres que les anciens Égyp- tiens paroissent n'avoir jamais tentées. En effet, on chercheroït vainement dans les monumens d'Égypte, même dans les tombeaux des rois, où les sujets sont si extraordinaires, une tête barbue qui termine brusquement le corps d’un serpent, ou une tête de femme, richement parée, posée sur un autre serpent, qui s'élargit de manière à représenter une poitrine de femme; image plus barbare que celle dont se moquoit Horace dans ce vers souvent cité : Desinit in piscem mulier formosa supernè. La première de ces deux figures, couronnée d’une sorte de boisseau, paroît se rapprocher de Sérapis plutôt que d'aucun autre personnage mythologique; mais je me garderai de hasarder une conjecture sur le personnage féminin, quelque rapport qu'on puisse lui trouver avec la déesse Isis, Quoi qu'il en soit, le dieu est évidemment Grec ou Romain, par le style de la tête, de la chevelure et de la barbe, et tout annonce qu'il s’agit du culte de Sérapis, tel que sous les Ptolémées on le pratiquoit à Aléxandrie. Les deux serpens à tête humaine rem- plissent une sorte de cadre, en forme de portique, d’un genre mélé. Le chapi- ET DES PYRAMIDES. CHAPITRE XVIIL 15 teau répond , Mais imparfaitement, au calice du lotus, et le tout est recouvert d’une sorte de fronton arqué. On voit, par cet exemple, quelles modifications es Grecs et les Romaïns firent subir au style antique pour l’accommoder à leur lroût et aux besoins d’un culte hétérogène. Je citerai deux fragmens de bas-reliefs qui proviennent aussi des environs des pyramides de Saqqärah, mais qui appartiennent à la haute antiquité. L'un consiste seulement en deux colonnes d'écriture hiéroglyphique (1); l’autre est le reste d’une scène où plusieurs rangs de figures étoient l'un au-dessus de l’autre : dans le rang inférieur, des femmes assises sur des siéges à pied de lion; dans le supérieur, des figures debout et plus petites (2). Le pied d’une petite statue en grès rouge; trouvé à Saqqârah (3), est un ouvrage digne d'être cité. Ce fragment seul prou- veroit que les Égyptiens ont souvent suivi de près la nature même, dans l'imi- tation de la figure humaine; au reste, dans la ronde-bosse, ils s’en sont toujours écartés moins que dans le bas-relief. C’est une remarque que j'ai faite plusieurs fois, et je ne doïs pas y insister : maïs ne peut-on pas ajouter qu'en violant dans le bas- relief les lois de la perspective, ils n’ont pas cependant altéré les formes par- tielles, comme l'ont fait d’autres peuples chez qui l'art est resté dans l'enfance, malgré les efforts qu'ils ont faits pour faire sentir la perspective linéaire; ignorant, 1.° que celle-ci produit peu d'effet sans la perspective aérienne, 2.° qu'il est des moyens interdits à la sculpture et que le peintre a seul à son usage! Aussi, malgré toutes leurs imperfections, je ne balance pas à préférer les figures Égyp- tiennes, à la vérité, de style convenu et sans raccourci, maïs dans lesquelles les profils, les membres, les extrémités, ont leurs proportions vraies, leur galbe pur et même quelquefois assez correct, à ces essais de tableaux où les raccourcis ont été observés plus ou moins bien, mais où les formes sont sans grâce, sans contours, les têtes sans beauté, et souvent les proportions violées. Maïs, si l'on ne sait pas se prêter à cette sorte de convention qui servoit de guide aux artistes Égyptiens, on ne sera jamais sensible au talent particulier qui les caractérise; et j'avoue que ce n’est guère que par une longue observation de leurs plus beaux bas-rel iefs, examinés et comparés sur place ou dans des dessins fidèles, qu'on peut se faire une idée positive du genre de mérite auquel ïls se sont élevés. | Je reviens aux figures de ronde-bosse. Personne ne conteste le soin avec lequel les Égyptiens ont imité les animaux, et le caractère grandiose qu'ils savoïent impri- mer à leur imitation. En voici un nouvel exemple dans cette tête de bœuf prove- nant des catacombes de Saqqärah, représentée planche 89 (fig. 17). La matière est une pierre calcaire : entre les cornes, est un disque orné de l'agathodæmon ; c'est, sans doute, une image du bœuf Abpis. La proportion de la figure entière devoit être de près de deux pieds. L’imitation est à grands traits; et le travail est exempt de cette recherche minutieuse qui est poussée si loin chez certains peuples de l'Orient (4), au préjudice du caractère distinctif de l'espèce. C'est à (1) Voyez pl. 84, A. vol. V, fig. 76. (3) Voyez pl. 47, À. vol. II. (2) Voyez pl. 84, A. vol. V, fig. s. Ce sujeta subi, (4) On sait que les Chinois manquent rarement d’ex- dans la gravure, une réduction trop forte pour être saïsi primer en détail les cils et les cheveux, J nettement, 1 6 DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS celui-ci que s'attachoit la méthode Égyptienne:; peut-être, en négligeant les détails mesquins, l'artiste restoit plus près de son modèle, J'ai dit plus haut que les modernes sectateurs d’Isis avoïent étrangement asso- cié plusieurs figures ensemble; c’est un art que les Égyptiens avoïent imaginé, mais restreint dans de certaïnes limites. Rien n’est plus commun chez eux qu'une tête humaine sur.un corps d'animal, oiseau ou quadrupède. L’épervier, avec un masque de femme, est un symbole fréquent, soit dans les bas-reliefs et les pein- tures, soit comme objet de ronde-bosse; souvent il est en bois revêtu de riches couleurs, et le plumage de oiseau est imité largement. On peut voir un fragment de cette espèce dans une des planches du second volume d’antiquités (1); il a été trouvé à Saqqärah avec beaucoup d’autres semblables : sa matière est de bois de sycomore : la face est dorée, aïnsi que le bec et les yeux; le reste est peint. J'ai essayé ailleurs d'expliquer cet emblème (2): comme on le trouve toujours dans les scènes funéraires, dans le tableau de la métempsycose, volant les ailes déployées au-dessus des momies que représentent les papyrus, j'ai conjecturé qu'il étoit l’image de lame humaine, d'autant plus que Horus-Apollon nous apprend que lame avoit l'épervier pour symbole (3). Mais cette conjecture a besoin d'être appréciée dans l'écrit qu’on a cité tout-à-lheure. Je citeraï encore parmi les animaux une figure de chat en bronze, provenant des hypogées de Saqqärah (4). C'est encore ici qu’on distingue, sans hésiter, le caractère distinctif de l'animal, bien que l'artiste ait négligé plusieurs petits dé- tails; ces fragmens prouvent que les arts suivoient à Memphis la même route qu'à Thèbes. On peut en dire autant d’une figure, quoique fort petite, trouvée à Saqqârah, et représentant une grenouille (5); l'objet est en terre cuite, émaillée en bleu, d’une nuance très-belle. C’est un de ces objets que les dévots portoient sur eux comme amulette ou comme talisman. 2.9 MOMIES. JE passe aux momies d'hommes et d'animaux conservées dans les hypogées de Saqqärah. Les voyageurs qui nous ont précédés ont fait connoître ces momies sous plusieurs rapports, et c'est de Saqqärah, et même de cet endroit seulement, qu'ils ont tiré celles qui ornoïent les cabinets d'Europe au moment de l'expédi- tion. Aussi, en décrivant ces corps embaumés, ils n'ont pu les comparer avec ceux qui sont déposés dans les catacombes de Thèbes. On ignoroit encore, à la fin du dernier siècle, jusqu'à quel degré les Égyptiens ont poussé le soin dans la prépa- ration des momies, et quelle recherche dans l'embaumement, quel choix dans les étoffes, quel art dans l’arrangement des bandelettes, quelle richesse dans les peintures, frappent les yeux du voyageur qui parcourt les sépultures de la ville royale (6). Il n'en est pas de même à Saqqârah : les momies, comme on l’a observé déjà, sont (:) Voyez pl. 47, À. vol, IT, fig. 14, 15, et pl. 56, (3) Hor. Apoll. L 1, c. vil. fig. 4, 5 (4) Voyez pl. 87, À, vol. V, fig. 65. (2) Voyez la Description des hypogées de Thèbes, (s) Voyez pl. 8, A. vol, V, fig. 19, 20. 1 $.X11, pag. 381 et suiv, (6) Voyez la Description des hypogées de Thébes. plus ET DES PYRAMIDES. CHAPITRE XVIII. 17 plus mal préparées; le baume étoit de moins bonne qualité; les étoffes, moins belles et même grossières;, un plus grand nombre étoient préparées au natroun : il semble qu’on avoit perdu les anciennes pratiques. À la vérité, l'on peut sup- poser que jusqu'ici l’on n’a découvert que les catacombes les plus communes de Memphis; car cette ville fut, comme Thèbes, embellie par de grands monu- mens, et tous les arts étoient sans doute en même temps portés au même degré. D'ailleurs, quelques fragmens provenant de Saqqärah présentent une exécution plus soignée. On peut citer un masque de momie en bois de sycomore, d’un assez bon travail (1) : les sourcils et les bords des yeux sont incrustés en cuivre rouge; une toile fine est collée sur le boïs : on l’a peint en vert sur une couche de stuc (2). On appliquoit ces masques sur la caisse des momies, et peut-être portoient-ils la ressemblance du mort. Quatre fragmens de la même planche, appartenant à des caïsses de momies de Saqqärah, présentent le même genre d'ornement que celles de Thèbes. Ces sarcophages étoient formés d’une espèce de carton dur fait de toiles collées, divisés comme une boîte en deux parties à recouvrement, et chevillés ensemble. C’est quand la clôture étoit faite, qu'on appliquoit les couleurs. Le dedans étoit peint comme le dessus. Le premier fragment, planche, fig. 1, est formé de trois épaisseurs de toile collées ensemble; les deux chacals sont dessinés avec hardiesse et peints en noir, comme on a coutume de représenter ces animaux, qui étoient consacrés aux funérailles. Le socle est formé de bandes alternativement jaunes, bleues et rouges. Le second, fig. 7, est un dessous de pied, peint également sur toile et stuc; deux sandales y sont dessinées, et chacune renferme un personnage qui a les bras liés; l’un d'eux est noir : on a bien voulu certainement représenter un nègre par cette figure, qui n'est pas rare dans les hypogées de Thèbes. On a collé aussi des toiles l’une sur l’autre, et ces toiles sont à deux fils, dans la chaîne comme dans la trame. Le troisième fragment, fg. {, appartient à une caisse qui étoit travaillée très-soigneusement. Le sujet est le même que celui qui figure dans un grand nombre de manuscrits Égyptiens. Horus, placé sur un trône, en avant d'Osiris et d'Isis, armé de la crosse et du fléau, est dans l'attitude d’un juge sur son tribunal ; il est peint en jaune foncé sur un fond bleu. Devant luï se tiennent debout les quatre figures qui répondent à ce qu'on appelle des canopes, portant les têtes de femme, de cynocéphale, de chacal et d'épervier, toutes peintes en jaune; au-delà est un animal chimérique peint en gros jaune sur un fond vert, assis sur un autel de même couleur : au-dessus de ces figures est un grand lotus à feuilles vertes et fleurs rouges ; peut-être les couleurs ont été altérées par le temps. Si la peinture étoit complète, on trouveroit derrière l'autel le person- nage qui se présente aux dieux après sa mort, pour être jugé sur les actions de sa vie. Ce fragment est formé de plus de cent épaisseurs de toile, artistement collées ensemble, tellement que leur réunion forme un corps dur de 1$ millimètres (3) (1) Voyez pl. 8, fig. 2, A. vol. V. Voyez lexplica- (2) Épaisse d’un demi-millimètre. tion de Ia pl, 19. (3) Six lignes. A D (e 18 DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS d'épaisseur. On y a appliqué une couche de stuc blanc, pour peindre par-dessus le sujet que je viens de décrire (1). Enfin le dernier fragment, fig. S, appartient à une caisse semblable à la pré- cédente; il répond au derrière de l'épaule gauche. Il n’en reste plus que des por- tions d'ornement et plusieurs colonnes d'hiéroglyphes. C’est à Thèbes qu'il faut aller pour trouver ces sarcophages de bois ou de carton beaucoup plus entiers ou même tout-à-fait conservés. Il en est qui sont renfermés dans une seconde et même une troisième caisse, et toutes ces enveloppes sont couvertes, en dedans comme en dehors, d'une multitude innombrable de figures, d'inscriptions, de fleufs, d'ornemens et de sujets de toute espèce, tous peints de riches couleurs : tel de ces sarcophages a dû coûter sans doute un an de travail à plusieurs artistes exercés, et ce n'est pas exagérer que d'estimer à quatre ou cinq mille francs de notre monnoie le seul ouvrage du peintre. ch AMULETTES, FIGURINES , &c. DE tous les ouvrages des Égyptiens, ce qui, sans contredit, est le plus connu en Europe consiste en petites antiques de tout genre, que l’on appelle amwéettes, et que l’on présume que les Égyptiens portoient sur eux comme talismans et comme préservatifs, soit par piété, soit par superstition. Quoi qu'il en soit de cette con- jecture, il paroît certain qu'ils avoient coutume de les déposer avec les morts. C’est en fouillant les tombeaux que les Arabes et les 4h ont trouvé une quantité infinie de ces amulettes dont nos cabinets sont surchargés. Malgré le peu d'intérêt que présentent ces antiques, si on les compare aux monumens de l'architecture et de la sculpture, cependant il en est qui, par leur matière, leur conservation, leur travail et les inscriptions hiéroglyphiques dont elles sont ornées, méritent quelque attention. Je n'entreprendrai pas la tâche trop longue d'examiner ici toutes celles que les voyageurs Français ont rapportées à leur retour, ni même celles qu’on a jugées dignes d’être gravées, et qui remplissent les trente dernières planches du V.® volume d’antiquités. L’Æxplicarion des planches peut, jusqu'à un certain point, suffire à la description matérielle de ces antiquités; mais je m'arrêterai un moment sur plusieurs des objets qui ont été trouvés à Saqqärah, et qui annoncent, sous ce rapport, quel étoit l’état des arts à Memphis. La plupart de ces amulettes sont percés dans le sens de leur longueur ou de leur largeur ; ils étoïent enfilés ensemble par douzaine ou un plus grand nombre: on retrouve souvent le fil antique, encore bien conservé ; tantôt il est de laine et tantôt de coton : entre deux amulettes, sont des tubes et des perles ordinairement bleues (2). Le plus souvent ces antiques sont faites de pâtes diversement colorées, quel- quefois enduites d'une couverte comme la fafence, ou bien d'un bel émail. Les couleurs les plus brillantes sont le bleu foncé, sur-tout le lapis lazuli factice, art dans lequel excelloïent les Égyptiens. Il en est de terre cuite, plus grossièrement (1) Voyez l'explication de la planche, pour le détail des couleurs des fig. r, ?, 4 et $. (2) Voyez pl. 85, À, vol, V, fig. 17, 19, 20, et ailleurs. RM ESP PRRMNIDES! VOA PTRRENX VII: 19 préparées. On se servoit, pour les façonner, de moules de pierre en deux pièces, et l'on opéroit, non pas en coulant la pâte liquide, mais par voie de pression sur une pâte molle; moyen quiétoit encore plus expéditif et qui explique la prodi- gieuse quantité de ces idoles portatives. Le limon argileux que le Nil dépose faisoit le noyau de toutes ces pâtes. La planche 67, À. vol. V, en présente une, entre autres, qui est l’image d'Har- pocrate, reconnoïssable au geste qu'il fait de la main droite (1); une seconde est limitation de la haute coiffure portée par les dieux et par les prêtres (2); une troisième est une petite figure de prêtresse accroupie {3). Il seroit trop long d'en faire la description, et fastidieux de les énumérer. La planche 8$ du même vo- lume (4) contient des amulettes singuliers par leur forme, plus semblable à un vase qu'à toute autre chose. Les perles dont j'ai parlé, sont couvertes quelquefois de mouches bariolées; cette planche 89 en offre un exemple {s). Un de ces amulettes a la forme du poing, et un autre, celle de la grenouille (6). Il paroît donc que beaucoup de ces antiques ne portoient l'image d’aucune divinité, ni de rien qui eût rapport au culte, à moins qu'on ne dise que tout sans exception étoit consacré ou se rattachoit à la religion. Le petit chapiteau amulette en forme de lotus, gravé planche 87 (7), appuie ma conjecture : on ne conçoit pas quel objet pouvoit avoir la superstition en façonnant l'image d’un fragment d'architecture. H n’en est pas de même des objets suivans, représentés dans la même planche : ° une figure de phone d’un beau travail (8); 2.° un petit épervier (9) ; 3.° deux têtes de jeunes prêtres ou initiés (10), appartenant à des figures brisées; 4. une figure à tête d'ibis ou consacrée à Thoth (11); s.° une figure d’Isis et une de Nephthys (1 2); 6.° dans la planche 89 , une figure de Typhon, tenant un vase par les anses (1 3). Presque tous ces fragmens sont purement religieux: parmi eux, je ferai remarquer, sous le rapport de l’art, la figure de Typhon / p£. #7, fig. 9 ), où les muscles sont exprimés avec une fermeté remarquable ; et encore la physionomie du Jeune initié (même planche, figure 41), dont l'expression douce n'est point dépourvue de grâce ou d'agrément. L'œil, emblème d'Osiris ou du soleil qui voit et éclaire le monde entier, est l'amulette le plus varié, le plus fréquent que lon trouve dans les catacombes. T'antôt il-est seul, tantôt doublé ou quadruplé, souvent environné d’un cadre, toujours surmonté d'un sourcil, et accompagné dessous d’un trait recourbé, et de plusieurs traits qui tombent droit sous la prunelle, comparés mal-à-propos à des larmes. Rien n'est plus commun que cet amulette, et je n’y insisterai pas davantage (14). (1) PI 67, fig.13,14 (10) PI. 87, fig. 4o à 43. (2) Zbid. fig. 20. Voyez aussi pl. 89, fig. 27, 24. (11) Zhid, fig. 44. (3) /bid. fig. 28. (12) Jhid. fig. 56 et 67. (4) PI 85, fig. 4, 10, 11. (13) PE 80, fig. 16. (s) Zbid, fig. 12, 18. Ce sujet rappelle la figure analogue de Ia pl. 82, À. (6) Voyez pl. 89, fig. 19, 20, 25 et 26. vol. II, tableau astronomique. (7) PL 87, fig. 8. (14) Parmi ceux qu’on a trouvés à Saqqârah, je ne (8) Zbid, fig. 9. citerai que les fig. r8 et 25 de la pl, 67, À, vol, V, et la (9) Jbid. fig. 18. fig. 25 de la pl. 87. À, D, C2 20 DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS Une figure non moins commune est le scarabée; on appelle aussi de cette manière un amulette qui porte en dessus la ressemblance de linsecte de ce nom, et sur le plat, une inscription hiéroglyphique, plus ou moïns étendue. On a fait mille conjectures sur la destination des scarabées: les uns en ont fait une monnoie; les autres, un talisman. Quant à moï, qui possède une bague Égyptienne dont le dessus est en forme de scarabée, avec une inscription sur le plat, faisant cachet, je suis persuadé que ces objets sont autant de sceaux hiéroglyphiques, et qu'on trouvera quelque jour des sceaux en résine ou en cire portant les marques de ces cachets. Ce qui confirme cette idée, c’est que les scarabées sont souvent en pierre dure opaque, telle que jaspe, lapis, hématite (1), jade, ou bien en pierre trans- parente, comme améthyste, grenat ou cornaline. Les Égyptiens ont mis un soin extrême dans l'exécution de ces objets : il en est de terre cuite ou de pâte émaillée dans lesquels les caractères hiéroglyphiques ont une telle finesse, qu’on ne peut deviner comment l'action du feu a respecté des formes si frêles, si délicates; témoin le scarabée de la planche 87, À. vol. V (2), renfermant, parmi les caractères du dessous, un ovale de cinq millimètres de long, et dans cet ovale, trois caractères hiéroglyphiques, dont lun est un sca- rabée qui a les pattes et la tête très-distinctes, quoïque l'insecte aït #7 sulimütre seulement. 11 y a aussi beaucoup de variétés dans la disposition des scarabées : quelquefois ces insectes sont accolés deux à deux (3), toïs à trois, quatre à quatre; on en voit jusqu’à douze ensemble (4). L'animal n’est pas toujours de la même espèce: les naturalistes pourroïent faire à cet égard des observations curieuses ; le sujet n’est pas indigne de leur attention. L'ovale qui entoure l'inscription, sur le plat du scarabée, a trop de rapport avec celui des légendes encadrées des tableaux Égyptiens, en forme d’écussons ou de médaillons ovales, pour ne pas leur supposer la même origine et le même objet; et comme ceux-ci renferment des noms propres et des surnoïns, il est à croire qu'il eh est de même des amulettes en forme de scarabée. Ce qui vient à l'appui, c’est la forme d’anneau à cachet dont j'ai parlé tout-àlheure. Il est naturel de cacheter avec un nom propre, ou d'homme, ou de divinité. L’ovale du scarabée de la planche 67, À. vol. V, fig. 17, ressemble à celui de la planche 89, fig. j $, en ce qu'il renferme un autre ovale plus petit avec des carac- tères, entouré peut-être des palmes de la Victoire; ce qui semble annoncer le nom d’un héros victorieux. Cet exemple me paroît extrêmement propre à éclaircir la déstination de ces prétendus amulettes. Ordinairement, dans les bas-reliefs mili- taires et au-dessus du vainqueur, plane un vautour ou un épervier, portant ces mêmes insignes. Le scarabée de la planche 67, fig. 23, renferme un oiseau sem- blable, et la palme est devant lui; et celui de la planche 89, fig. ro, est rempli par une abeille, symbole du roi (5). (1) Voyez pl. &, A, vol, V, fig. 18, et aïlleurs. (4) PL 79, A. vol. V, fig. 21. (2) Voyez fig. 55: (5) L'animal gravé sur le plat de a fig. 27 (pl. &, (3) PL 67, A. vol. V, fig. 26, 27. A. vol, V) est d’un caractère assez étrange. ET DES PYRAMIDES. CHAPITRE XVIII. 2 I Les traits que renferme l'ovale des scarabées consistent quelquefois en orne- mens, et non en caractères; ce sont des fleurs ou des enroulemens (1). Parmi tous les scarabées ramassés à Sagqârah, je n'ai cité qu’un très-petit nombre d'exemples : il seroit infiniment trop long de passer en revue cette multitude d'objets, qui pourroïent faire le sujet d’un mémoire spécial; il seroit d’ailleurs hors de mon sujet de traiter des caractères qu’ils renferment. Bornons-nous à dire que les dimensions données aux scarabées par les Égyptiens varient autant que la matière dont ils sont formés. Outre les pierres dures qui ont servi à tailler ceux de petite proportion, il y en a en Stéatite, en serpentine, en granit, en porphyre. On en trouve d’un, de deux, de trois décimètres de long : bien plus, il existe un scarabée gigantesque, en un bloc de granit, qui a jusqu'à #7 mètre ou plus. I est difficile de concevoir Fobjet qu'on $est proposé en donnant à cet insecte des formes aussi colossales. Quant aux pâtes dont sont faits la plupart de ceux qu'on trouve dans les tombeaux, enfilés en collier et en chapelet, leurs couleurs ne sont pas moins variées que la taille et la matière de ceux qui sont façonnés en pierre dure. * 4. VASES ET LAMPES. JE viens à une dernière sorte de fragmens d’antiquités trouvés à Saqqärah et dans les environs, et qui n’annoncent pas moins que les objets précédemment décrits, quel étoit l’état de l'industrie à cette époque reculée. Les vases, et tous les produits semblables de l'art des anciens Égyptiens, ne présentent point à l’antiquaire de ces problèmes compliqués qu'offrent à chaque pas leurs monumens de toute espèce. Ce sont des objets domestiques, de simples ustensiles, qui n'avoient d'autre condition à remplir que de satisfaire aux besoins économiques. Cependant il ne nous est pas donné de connoître à quels différens usages on les destinoït, soit qu'ils servissent à renfermer le lait, le vin, l'huile et d’autres liquides, soit qu'on y déposät le beurre, le miel, ou d’autres substances analogues : la forme ne peut donner, à cet égard, que de foibles lumières, J'ai dit ailleurs quelle variété l'artiste Égyptien savoit donner aux formes de vase, sans tomber jamais dans le bizarre ou le mauvais goût : il est superflu de revenir sur ces réflexions ; le seul aspect des figures suffit pour en montrer la justesse. En effet, sans parler des premiers volumes de cet ouvrage, qu'on parcoure seu- lement les planches du cinquième volume, n.° 73; 74, 75, 76, 84 et 89; on trouvera presque par-tout des contours purs, des formes heureuses, des profils gracieux et élégans. Il est très-rare qu'on y trouve des inscriptions, du moins sur ceux qui sont faits en terre cuite ; ce qui confirme que leur destination étoit purement économique. | I est un genre de vase qu'on peut appeler consacré, parce qu’il est toujours dans la main des prêtres faisant une offrande à la divinité; sa forme est sphérique, et surmontée d'un petit goulot. On a trouvé un vase précisément de cette forme dans les catacombes de Saqqärah, non pas peint ou sculpté, maïs en nature, et (1) Voyez pl, 8, A, vol. V, fig 12. 2 2 DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS bien ‘conservé (1). La forme et l'ouverture étroite de ce vase, sur-tout le rôle qu'il joue dans les tableaux Égyptiens, tout annonce que c'étoit à un vase à parfums. Les vases qui finissent en pointe, lacrymatoires ou autres, étoient évi- demment destinés à entrer dans la terre, ou bien posés sur des supports ou tablettes à deux étages. Ceux qui étoient destinés à renfermer des momies d’ani- maux étoient de deux formes : les uns, en terre commune, de figure alongée, étoïent couchés dans les catacombes comme les bouteilles de nos caves; les autres, plus courts, à base large, avec un couvercle en forme de tête, étoient posés debout, ordinairement au nombre de quatre. La première tête étoit celle d’une femme; la seconde, celle du cynocéphale; la troisième, celle du chacal; et la dernière, celle de lépervier : cet ordre est constamment le même dans les peintures, dans les bas-reliefs, sur les momies et dans les papyrus où ces vases, nommés vulgairement canopes, sont placés sous les lits funéraires. Ces derniers étoïent en pierre, en albâtre, en granit ou en bronze, ornés d’une inscription hiéro- glyphique (2). | Au milieu d'une si grande diversité de vases plats, arrondis, à large panse, coniques ou cylindriques, nous n'avons pas trouvé ceux qui servoient de mesure pour les liquides; mais on les découvrira sans doute en continuant les fouilles. I est difficile de s'assurer de l’époque à laquelle ont été fabriqués certains vases de forme aplatie, de couleur rouge, de pâte très-fine, absolument semblables, pour la matière et l'aspect (sinon pour les ornemens), aux vases nommés érusques (3). On en reconnoît qui sont certainement de l'époque des Romains, et qui ont même appartenu aux chrétiens (4); mais on peut prouver qu'il y en a d’antiques, formés de la même pâte et de la même couleur. Une autre espèce de vase trouvée à Saqqârah est assez remarquable par sa forme circulaire, mais très-aplatie, à peu près.comme un bidon ; les potiers de la haute Égypte font encore aujourd'hui des vases tout semblables, également en terre rouge (5). | Les Égyptiens fabriquent depuis un temps immémorial des vases réfrigérans; l'usage en est précieux dans un climat aussi chaud. On sait de quel procédé usent les habitans actuels, et je crois inutile de le rapporter; maïs je ferai remarquer que les formes des vases modernes qui ont cette destination, se retrouvent exactement parmi les vases antiques ayant le même usage (6). C'est ainsi que l'industrie héré- ditaire a conservé, malgré tant de siècles écoulés, des procédés utiles à l'économie domestique. Je passe sous silence les poteries qui servoient aux machines à arroser, les grandes jarres ou ballâs, les vases domestiques en pierre ollaire, facile à façonner au tour, les godets en poterie vernissée, et beaucoup d’autres dont les débris se trouvent dans les fouilles de Saqgqärah (7). du vase n’est autre chose que le monogramme Xpo6. q (1) Voyez planche 75, À. vol, V., fig. 19. Voyez aussi (s) PI. 80, A. vol. V, fig. 6. pl 76, fig. 20, (2) Voyez pl. 76, A.vol. V, fig. 14, 15. (6) Voyez pl. 76, fig.2, 9, 10, 11, 31: 373 UC (3) Voyez pl. 76, fig.r, 2,3, 6, 7- (7) Voyez pl.7?, fig. 12, même volume. (4) Voyez planche 76, fig. 7. L’ornement qu limbe ET DES PYRAMIDES. CHAPITRE XVIII. 23 On rencontre dans les ruines des fragmens de vases, de matière blanche très- dure, dont le grain est cristallin comme celui de la porcelaine; ils sont quelque- fois ornés de bandes colorées, produites par les oxides métalliques (1). Tous ces travaux et bien d’autres, qu'il ne m'est pas permis de citer, maïs qui font l’objet de recherches sur l'état des arts en Égypte, prouvent qu'on avoit perfectionné cer- taines parties des arts chimiques. | On pourroit faire des remarques semblables sur les vases fabriqués en verre. II est généralement connu que l'Égyptien savoit fabriquer le verre et le travailloit très-artistement; il le coloroit à volonté, en bleu, en noir (2), en nuances diverses. Il se trouve dans les ruines des fragmens de verre doré; d’autres en verre blanc, d'une belle eau; d’autres portant des incrustations, ou bien garnis de filets: diversement colorés (3). On imitoit avec le verre les pierres fines les plus rares. Tout le monde sait qu’on se procuroit par ce procédé de fausses émeraudes, d’une grandeur démesurée. Les ouvrages en verre s’exportoïent depuis les temps les plus anciens, de Thèbes et de Memphis, dans l'Occident. Rome, à son tour, a tiré de l'Égypte cette: matière en grande abondance. Il existe aussi des tuniques en perles de verre, travaillées avec un soin extrême, qui servoient à la parure des corps embaumés. On les trouve le plus souvent en fragmens ou en débris, et quelquefois, au rapport des Arabes, complètes et entières. Dans la quantité de /zmpes antiques journellement tirées des fouilles et des catacombes, depuis Syène jusqu'a Memphis et Alexandrie, ül est difficile de dis- cerner celles qui remontent à la haute antiquité : un grand nombre de ces lampes portent des ornemens ou même des inscriptions qui prouvent qu’elles appar- tiennent à l'époque des Grecs ou à celle des Romains ; d’autres sont ornées de décorations insignifiantes (ou d'hiéroglyphes altérés) et qu'il n’est pas permis néanmoins de regarder comme plus anciennes que les premières (4). La forme et la matière des unes et des autres sont toujours à peu près les mêmes; c’est une pièce en terre cuite, brune, plate en dessous (pour poser solidement), avec deux ouvertures, l’une pour verser l'huile, Pautre à un bout pour recevoir la mèche, avec une anse à l'autre bout pour aïder à tenir la lampe. On rencontre aussi dans les ruines des villes anciennes d'Égypte des lampes en bronze; on en a gravé dans la collection quelques-unes, qui appartiennent aux Romains : la plus remarquable à ia forme d’une petite figure qu'on croit représenter un pygmée; l'autre a celle d’un pied de femme, d’une parfaite élé- gance : ces lampes ont été trouvées à Héliopolis (s). Le corps de la grenouille, la tête du belier et d’autres animaux sont figurés souvent sur les lampes en terre ou en métal (6). Enfin l'on en à trouvé une à Memphis, dont le dessus porte l'image d’un lion courant (7). (1) Voyez pl. 76, À. vol. V, fig. 9, et aïlleurs. (4) (2) Voyez ibid. planche 76, fig. 4, 5, 12, et autres (s) planches. (6) Voyez pl. 78, fig. 1, 16, 17; pl. 86, fig. G. (3) Voyez pl. 76, fig. 4, 5 | (7) f 24 DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS Nous croyons devoir borner ici cette revue succincte des objets antiques de Saqqärah, puisqu'il ne s’agit point de répéter ce qui a été dit par les voyageurs, mais de rapporter seulement nos propres observations. ABOUSYR | BUSIRIS | ÎL a déjà été question des pyramides qui sont vers le nord du village d’Abousyr. Pour compléter ce que j'ai dit des antiquités de ce canton, il me reste à décrireun lieu qui est à 1 100 mètres au sud-ouest, et qui est généralement connu sous le nom de Puits des Oiseaux : plusieurs voyageurs l'ont visité; je l'ai parcouru à mon tour, et j'en ai figuré un plan qui peut donner une idée suffisante de cette construction. souterraine (1). Le nombre des distributions et des galeries est très-considérable, et il est difhicile de les visiter toutes; on trouve d’ailleurs un obstacle dans l’ébou- lement des voùtes de ces galeries. Pour découvrir l'ouverture étroite du puits qui est au milieu des sables {cette ouverture n’a que (2) 1,14), il faut être con- duit par un guide. On descend le puits, qui est profond de 6" = (3), de plu- sieurs manières, soit à l'aide d’une ou de plusieurs échelles; soit dans un panier, par le moyen d’une corde attachée à une traverse; soit avec le secours d’un treuil. La chute des sables dans ce puits oblige de vider soigneusement la partie de la galerie qui est contiguë ; et comme il seroit trop long d'attendre qu’elle fût vidée en entier, on se décide ordinairement à franchir le col étroit formé par l'encom- brement : ce qui ne peut se faire qu’en marchant à plat ventre, et s’avançant péni- blement sur les mains, le visage plongé dans la poussière, La hauteur de la galerie est en effet réduite ordinairement de 1”,3 à un tiers de mètre (4). - On continue ensuite de marcher dans les galeries, presque toujours la tête baïssée ; quelquefois elles s’élargissent et deviennent plus hautes: généralement, les passages sont comblés ou obstrués par les débris, et toujours d’un difficile accès. Les carrefours sont assez fréquens. On a pratiqué ces conduits dans un terrain tantôt calcaire et d’une médiocre dureté, ayant l'aspect d'une concrétion sablonneuse: tantôt marneux et percé de filons minces de sel marin ou bien de gypse. Il est malaisé de placer la boussole dans les galeries et de s'assurer de leurs véritables directions. Après avoir suivi cmq ou six coudes, on arrive à une salle peu élevée, où les pots de momie sont rangés l'un sur l'autre avec régularité, lit par lit, un bout opposé à l’autre, comme les bouteilles dans nos caves {s). La momie est celle de l'ibis; l'oiseau y est embaumé soigneusement et entouré de bandelettes artistement colorées et tressées. Le couvercle est fixé assez grossièrement avec du plâtre. On est étonné que, malgré cette précaution, l’animal soit généralement mal conservé. La masse de ces momies est ovoïde et régulière (6); mais, au dedans, les os sont brisés ou détachés : très-rarement on trouve le corps ferme et compacte. I faut que lembaumement ait été vicieux; par exemple, que le bitume ait été mal (1) Voyez pl. 4, A. vol. V, fig. 2. ! (4) Dequatre pieds à un. Voyez pl. 4, A. vol. V, fie. 3. (2) Environ quatre pieds. (s) Voyez pl 4, A, vol. V, fig. 4, 5. (3) Vingt pieds. (6) Jbid, fig. 6, 7. choisi, ET DES PYRAMIDES. CHAPITRE XVIII. 2% choisi, où employé trop chaud; ce qui aura brûlé les ossemens, les plumes et la peau : tandis qu'à Thèbes on trouve des ibis embaumés, non-seulement fermes et solides, mais ayant tout leur plumage et les couleurs des plumes encore bien conservés {1}. Ce qui est certain, c'est qu'il nous a fallu ouvrir une quantité considérable de ces poteries dans le puits d’Abousyr (2), pour obtenir une dou- zaine de momies solides; opération fatigante, à cause de l'odeur qui s’exhale des vases, de la poussière qui en sort et du défaut d'air. Ordinairement, le bec de l'oiseau est replié sur le ventre, et les pattes sont re- levées en haut, les ailes recouvrant le tout, de manière à former une masse qui prenne, après l'application des bandes, une forme ovoïde très-alongée. Les poteries avec leur couvercle ont un demi-mètre (3) de long; c’est à peu près la grandeur de la momie elle-même. La distribution et l'agencement des bande- Jettes sont tels, qu'il seroit difficile de les décrire. On en a gravé plusieurs exemples en couleur dans le volume IT des Antiquités, où l’on pourra les consulter (4). On ne peut que conjecturer, en voyant le soin apporté à ces préparations, le nombre des momies d'ibis, et sur-tout leur uniformité, que beaucoup d’habitans de Mem- phis avoient chez eux un oïseau de cette espèce, regardé comme le symbole d’un génié protecteur ou propice, et qua sa mort chaque famille le déposoit reli- greusement dans la catacombe dite aujourd'hut Z Puits des Oiseaux. Le lieu que Je décris étoit donc, selon moi, le tombeau commun des ibis. Peut-être y trans- portoit-on, outre ceux de Memphis et des lieux environnans, les oiseaux de même espèce entretenus dans les provinces limitrophes (5). Le Puits des Oiseaux est placé assez loin de la Butte de ruines qui est le reste visible de Memphis ; mais l'éloignement du village d'Abousyr n'est pas moindre. Or les antiquités qu'on trouve dans ce village sont une raison de croire que la capitale s’étendoit jusque là vers le nord-ouest, indépendamment des autres motifs qu'on peut en apporter (6). Les maïsons renferment en effet de nombreux fragmens en granit ou en basalte, ornés de sculptures et de caractères sacrés, des vases en albâtre et en pierre dure, et beaucoup d’autres débris (7). Nous aurons bientôt occasion de revenir sur cette limite de l’ancienne capitale de l'Égypte, du côté de l’ouest ; il suffit d'observer ici que le lieu dit Busiris, auquel paroît avoir succédé Abousyr, n'est pas cité par les auteurs comme une ville distincte, et que rien n'empêche de penser qu'il étoit l’un des faubourgs de Memphis : c’est à que je présume que fut le Serpeum. Cette conjecture a déjà été présentée par APE et par d'autres écrivains. Pline supposoit Busiris auprès des grandes pyramides; yico apposito , quem vocant Busirin, #7 quo sunt assueti scandere illas (8). Maïs cette indication est un peu trop (1) Voyez pl. 52, A. vol. II, et l'explication de la planche. (2) Plus de deux cents. Nous avons été occupés à cette opération, M. Rozière et moi, pendant deux ou troisheures. (3) Dix-huit pouces et demi. (4) Voyez pl. 52, À. vol. IT, fig. 1 à 6. Voyez aussi la Description des hypogées de la ville de Thèbes. (5) On trouve aussi dans les galeries souterraines voi- A, D. sines d’Abousyr des momies de chat, des momies de serpent et d’autres animaux. (6) Voyez ci-dessous, section deuxième. (7) M. Gratien Le Père y a vu aussi une pierre portant une inscription en caractères Grecs, avec la figure d’une croix, telle que celle qu’il avoit trouvée sur les portes des couvens Grec et Qobte des lacs de Natroun, (8) Æist, nat, Nb. XXXVI, cap. XII, D 26 vague pour balancer le rapport du nom actuel avec le nom antique. Toutefois il faut convenir que ce point de géographie est encore obscur. Abd-el-Latif, auteur Arabe des plus judicieux, cite plusieurs fois Bousyr dans sa Relation de l'Égypte, et il donne des détails curieux sur les tombeaux du voisinage ; il affirme avoir mesuré sur le lieu une pyramide aussi grande que celles de Gyzeh, mais dont il ne restoit plus que le noyau (1). Le nom de Busiris a un rapport évident avec celui de Taposiris, qu'ont porté plusieurs anciennes villes de l'Égypte: non pas qu'il faille croire que tous les villages aujourd’hui appelés Bousyr ou Abousyr, dans la haute et dans la basse Égypte, ont succédé à autant de lieux passant pour renfermer le tombeau d’Osiris: mais il est très-probable que c’est ie nom de cette divinité qui se retrouve caché dans Busiris, aussi bien que dans Zaposiris, écrit abusivement 7. aphosiris (2). Le Delta renfermoit une autre ville de Busiris plus importante, qui a donné son nom au canal Busiritique, l’une des branches du Nil suivant la description de Ptolémée ; là aussi on retrouve à présent le nom d’'Aousyr. Plusieurs autres lieux DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS portent cette même appellation avec des surnoms particuliers. (1) Relation de l'Égypte, traduction de M. Silvestre zient, ce qui est consacré à Osiris ( Relation de l'Égypte, de Sacy, p. 204. Ce rapprochement s’appliqueroit mieux à la grande pyramide dont j'ai parlé à l’article de Saq- qârah. (2) Je ne crois pas qu’il soit à propos de présenter ici une nouvelle hypothèse au sujet de ces dénominations. Selon Diodore de Sicile, le nom de Busiris étoit tiré de deux mots, bœufet Osiris; ce qui n’est pas admis- sible. M. Silvestre de Sacy conjecture avec bien plus de vraisemblance que ce nom veut dire, ce qui appar- par Abd-el-Latif, p. 206). D’après Porthographe ordi- naire de ce nom de lieu dans les livres Qobtes, pousiri et bousiri , je pense que les Arabes n’ont pas tiré Abousyr de Z'aposiris par le retranchement du 7',-et qu’au con- traire ils ont fait précéder le nom Qobte par Pélif ini- tial et Seine On pourroit présumer aussi que Za- phosiris n’est autre chose que la traduction faite par les Grecs du nom Égyptien Bousiri[ 8H Oxcipr ]. (Voyez Zoëga, De origine et usu obeliscorum.) | DESCRIPTION DE LA BABYLONE D'ÉGYPTE*, PAR M. DU BOIS-AYMÉ, CORRESPONDANT DE L'INSTITUT DE FRANCE, MEMBRE DE LA CoMMissioN DES SCIENCES ET DES ARTS D'ÉGYPTE, &c. D eo CHAPITRE XIX, OR D D EE SIT D à! 0 0 e \ s e é Auprès du vieux Kaïre {1}, et à trois cents mètres de la rive droite du Ni, s'élève une ancienne forteresse, connue des Européens sous le nom de Babylone, et des Arabes sous celui de eu) 23 Qasrel-Chama’ | château de la Lumière ]. Elle renferme une petite bourgade de Chrétiens. Des amas considérables de dé- combres l'entourent de toutes parts, et s'étendent au loin vers le grand Kaire et le mont Mokatam. On reconnoît, à la première vue, qu'une partie de l'enceinte est de construction Romaine; des portions de murs en pierres de taille, d’autres formées d'assises alter- natives de moellons et de grandes briques enfoncées dans des couches épaisses d'un mortier de pozzolane, la distinguent de la partie moderne, qui a été cons- truite avec moins de soin, et où l’on a employé de mauvais matériaux : il m'a paru néanmoins impossible de retrouver l'ancien plan. L'enceinte actuelle est très- irrégulière (2). Sa plus grande longueur est de troïs cents mètres, sur une largeur qui varie de cent cinquante à deux cents. | Dans les endroits où le mur est par assises alternatives de pierres et de briques, les assises de pierres ont ordinairement neuf décimètres de haut, et celles de briques moitié moins. Entre les deux grosses tours de la face sud-ouest, on trouve une porte voûtée entièrement obstruée par des décombres; elle est d'architecture Romaine et cons- truite en pierres calcaires, ainsi que la courtine au milieu de laquelle elle est placée: son cintre est surmonté d’une voûte de décharge que cachoït le revêtement. On remarque, parmi les ornemens sculptés, un aigle placé à l'extrémité de Îa corniche (3): L'architecture de cette porte n’est pas d’un très-bon goût, mais les détails en sont exécutés avec soin, et quoique les sculptures soient fort altérées, il est facile de reconnoître que le travail en étoit pur et délicat. * La Description de Babylone a été remise à la Commis du Nil, à un demi-myriamètre ou une lieue environ au sion d'Égypte , dans la séance du 14 juin 1813. sud-ouest du Kaire. (1) Le Vieux Kaire est le nom que donnent les Eu- (2) Voyez pl. 20 , fig. 1, A. vol. V, ropéens à la ville de Masr-el-A’tyq, bâtie sur Les bords (3) Voyez pl. 20, fig. s, À, vol. V. AE DE A 2 DESCRIPTION DE LA BABYLONE À gauche, au-dessus du cintre, est une pierre d'assez grande dimension, cou- verte d’hiéroglyphes, parmi lesquels on voit le disque aïlé avec les deux serpens au cou enflé, symbole que les anciens Égyptiens plaçoïent sur l'architrave des portes de Jeurs temples. Il est probable que cette pierre fut tirée d’un de ces édifices déjà renversés, à l’époque où les Romains, vainqueurs de l'Égypte, élevoient la forteresse de Babylone, pour assurer leur conquête. Ce n’est pas la seule fois que nous avons trouvé en Égypte, au milieu des ruines que nous admirions, des ves- tiges de ruines plus anciennes encore. Quoïqu'il ne soit point extraordinaire de voir des débris de vieux édifices employés dans de nouvelles constructions, l’on . ne remarque cependant jamaïs sans émotion ces traces visibles de la marche des ‘siècles; et si rien ne distrait des réflexions qu'elles font naître, on tombe bientôt dans une rêverie profonde : les générations qui ont disparu de la scène du monde, et celles qui doivent s'y montrer un jour, apparoïssent confusément; l’on rêve à-la- fois les temps passés et l'avenir. A trois cents mètres hors de l’enceinte, vis-à-vis la partie nord-nord-est, qui est entièrement moderne, on trouve une portion de muraille de construction Romaine qui appartenoit autrefois à l’ancienne forteresse, bien plus vaste alors qu’elle ne l'est aujourd'hui. Dans l'une des tours, l'escalier m'a paru de construction Ro- maine, ainsi qu'une salle dont le plafond est soutenu par des colonnes. La seule porte par laquelle on entre dans Qasr-el-Chama , est tellement basse, qu'il faut se courber pour y passer; et les rues sont si étroites, qu'on ne peut les parcourir qu'a pied. La principale rue est garnie de boutiques. Les maisons par- ticulières et les couvens qu'occupent les moines Qobtes et Grecs, ne présentent aucune trace d’antiquité. Ces couvens sont au nombre de six; l’un d’eux se nomme encore aujourd hui Sant-George de Bäblyoun : ils sont entourés de jardins plantés de palmiers. Dans une des églises Qobies, les prêtres montrent aux fidèles une grotte, objet de leur vénération : c’est une espèce de chapelle sou- terraïne, où ils disent que la Saïnte-Vierge se retira avec l'Enfant Jésus, lorsqu'ellé vint chercher en Égypte un asile contre la persécution d'Hérode. L'eau dont se servent les habitans de Qasr-el-Chama pour leur usage et l’arrose- ment de leurs jardins, vient d’un puits assez profond, situé hors de l'enceinte, en descendant vers le Nil : une roue à chapelet élève l’eau , et un petit aqueduc la conduit dans l’intérieur de la forteresse (1). | Les décombres qui entourent Qasr- el-Chama, proviennent A en grande partie, de la ville de Babylone, dont on peut croire, avec quelque raison, qu'ils recouvrent l'ancien emplacement. Le chäteau de Babylone, selon Strabon (2), étoit situé au sud du Delta, sur un coteau qui descendoit jusqu'au Nil, à peu près vis-à-vis les pyramides de Memphis; (1) Les Romains employoient à peu près les mêmes mure mûr qpépérmer niv Alyumlor: fac d° '@ dm à cTça- roÿens pour conduire Feau dans cette forteresse, ainsi made à Méyes Neins ta ouoæ, dY ie dm à momœuË rep qu'on le verra ci-après. à ni D vdup wdyenr, dvd pr éxany mevmuevTe épyabomt- (2) ‘Avaraeuoavn d° 64 BaËuawr ppéeucy épuxor, dmoaiyra vor, déouiar agopèvrey d'érgudè maavyoc aj Ilveæuidès & Th cm Dm BaCuAœIY mV@N , ira DacexEauérer éme xami- mexie à Méuqu, à cia manoir. ( Geogr. lib. XVII.) Ma raeg Tv Éaanéer vuri d” 6à panmidby éVOc TOY TeAr D'ÉGYPTE. CHAPITRE XIX, ; cent cinquante esclaves étoient occupés continuellement à y faire monter l'eau du fleuve, au moyen de machines hydrauliques. Or, les débris dont nous avons parlé, sont de même sur la rive orientale, vis-à-vis les pyramides de Gyzeh; et l'espace qu'ils occupent va en s'élevant du Nil vers la chaîne Arabique, dont le rocher calcaire commence, à cinq ou six cents mètres du fleuve, à paroître en plusieurs endroïts au-dessus des collines de décombres. On lit, en outre, dans l’'Iti- néraire d’Antonin, qu'il y avoit douze milles de Babylone à Héliopolis; et c’est, à peu de chose près, la distance de Qasr-el-Chama’ à l'obélisque de Mataryeh (1). La réunion de ces diverses circonstances me paroît suffisante pour établir que le bâtiment désigné sous le nom de Qasr-el-Chama’, où nous avons trouvé des preuves non équivoques de l’ancien séjour des Romains, a dû être la forteresse, l'espèce de camp retranché, qu'occupoit celle de leurs légions à laquelle Strabon assigne la résidence de Babylone, Selon Ctésias, Diodore et Strabon, la fondation de la Babylone d'Égypte seroit due aux Babyloniens qui, sous Sémiramis, frrent la conquête de l'Égypte, ou aux prisonniers que Sésostris ramena dans cette contrée, après avoir soumis la Babylonie. Ces deux opinions me paroïssent également invraisemblables ; car, outre qu'elles reposent sur des faits peu certains, comment expliquer le silence d'Hérodote sur une ville aussi ancienne, dont l'histoire se füt liée nécessairement à celle de l'Égypte! Il me paroît plus vraisemblable que cette ville fut bâtie par les Babyloniens qui occupèrent l'Égypte après l'invasion de Cambyse (2), et que, lorsqu'Hérodote parcouroit cette contrée, Babylone n'existoit point encore, ou plutôt n'étoit pas assez considérable pour fixer son attention : cette opinion est à peu près celle de Flavius Joseph (3). Au surplus, si l'époque de la fondation de cette ville est incertaine, son origine ne l'est point; c'est à des Babyloniens que tous les historiens l’attribuent : conqué- rans ou esclaves, le souvenir des murs paternels leur fit donner le nom de Babylone à leur ville naïssante. C'est ainsi que dans tous les temps les hommes ont cherché à soulager les peines de l'exil, en appelant au sein des terres étrangères la douce illusion de la patrie. Les Romains, comme nous l'avons déjà dit, avoïent placé dans Babylone une des trois légions commises sous Auguste à la garde de l'Égypte. Les empereurs d'Orient continuerent d'y entretenir une garnison jusqu’au règne d'Héraclius, sous lequel l'Égypte fut envahie par les Musulmans. Babylone soutint contre ces guerriers fanatiques un siége de sept mois; la garnison, composée de Grecs et de Qobtes, se défendit vaillamment jusqu'au moment où le gouverneur, désespérant de la for- tune, se retira dans l'île de Roudah. Il y capitula, l'an 18 de l’hégire, avec A’mrou Ebn-el-A’às ll ol oy®, général de l'armée Arabe. La citadelle, que quelques Grecs plus courageux eurent la noble audace de défendre encore, fut prise d’assaut peu de jours après. (1) Cet obélisque détermine de a manière la plus (2) Les Babyloniens et les Perses formoient alors un incontestable la position d'Héliopolis. Voyez la Descrip- seul peuple. tion d'Héliopolis, 4, D, chap, XXI. (3) Antiquit, Jud, Gb. 11, cap. s.  DESCRIPTION DE LA BABYLONE D'ÉGYPTE. Babylone dut souffrir considérablement pendant ce siége; et les nouveaux édifices bâtis par les vainqueurs (1) sur l'emplacement de leur camp achevèrent d’en changer l'aspect : elle devint en quelque sorte une ville nouvelle, et prit le nom de LIL Fostät (2), mot Arabe qui signifie tente. Les historiens Arabes rapportent que ce nom lui fut donné, parce qu'A’mrou, ce destructeur des cités, quittant Babylone pour aller assiéger Alexandrie, ne voulut point faire abattre sa tente, afin de ne pas troubler une colombe qui y avoit fait son nid. Les Arabes trouvèrent dans la citadelle de Babylone un pyrée, sorte de temple consacré au feu, selon les rites de la religion des Perses; ils le nommèrent ob is Qoubbet (3) el-dokhän | temple de la Fumée | C'est probablement de là que vient aussi le nom Arabe de Qasr-el-Chama’ qu'ils donnèrent alors à la citadelle; et l'analogie qui existe entre ce nom et celui de Babylone, est assez singulière. Le pre- mier en effet se traduit littéralement par château de la Bougie, et métaphoriquement par château de la Lumière. Babylone signifioït en chaldéen porte du Soleil; maïs, selon le génie des langues Orientales, cela vouloit dire aussi, wife de la lumière, ville lumineuse, glorieuse, &c. Les premiers princes Musulmans qui régnèrent en Égypte, habitèrent souvent Qasr-el-Chama’. Leurs successeurs finirent par l’'abandonner toutà-fait pour (#] el-Qäherah (4), et le jaïssèrent tomber en ruine. Rien ne rappelle aujourd’hui son ancienne splendeur : maïs ses vieilles muraïlles dégradées intéressent encore par les traces qu’elles ont conservées du passage de plusieurs peuples célèbres qui n'existent plus que dans la mémoire des hommes ; et la méditation qui naît de si grands souvenirs, se nourrit du spectacle de ces Chrétiens infortunés, toujours tremblans pour leur vie et leur fortune, et qui, lâches et foibles, parce qu'ils sont esclaves et avilis, ont trouvé un asile au milieu des murs élevés par les maïns victorieuses des Romaïns. coupole ; maïs ce mot se prend en arabe pour édifice religieux en entier. (4) C’est de ce mot Qéherah que les Européens ont fait celui de Kaire sous lequel ils désignent cette "ville, ÆZ- (1) On voit encore près de Qasr-el-Chama’ la belle mosquée d’'O’mar ÿ£ fondée par A’mrou. (2) On ajouta au nom de Fostäât le surnom de Masr que les Arabes ont toujours donné à la capitale de l'Égypte: aussi est-ce le Kaïre qui le porte actuellement; et Fostât a pris celui de Masr-el-A’tyq, Masr le Vieux. Cette dernière ville, nommée Le Vieux Kaire par les Euro- péens, est aujourd’hui peu considérable, et sa décadence date de Pépoque oùle vizir Chéouar 4 la livra aux flammes pour la soustraire au pouvoir des Français, qui s’'avançoient vers elle sous la conduite d’Amauri, roi de Jérusalem, lan $64 de lhégire. (3) Qoubbet signifie littéralement , voute, dôme, Qäherah signifie La victorieuse, Ce nom lui fut donné par son fondateur Giouhar 5, , lan 358 de lhépire, sous le règne d’e/-Mo’ez-le-dyn-illah al 208 jall, premier calife d'Égypte, de la dynastie des Fatimites : mais elle ne conserva point ce nom; les Égyptiens y substituèrent celui de Masr qu’elle porte aujourd’hui. On doit être con- vaincu, d’après tout ce que nous avons dit dans le cours de cet écrit, que les voyageurs qui ont pris sa citadelle pour celle de Babylone, se sont grandement trompés. DESCRIPTION D'HÉLIOPOLIS, PAR MM. LANCRET * ET DU BOIS-AYMÉ, INGÉNIEURS DES PONTS ET CHAUSSÉES, MEMBRES DE LA COMMISSION DES SCIENCES ET DES ARTS D'ÉGYPTE. CHAPITRE XXI ER D D D D. D. D. D. D em. ee DE LA ROUTE DU KAIRE À HÉLIOPOLIS. N OUS habitions le Kaïre depuis quelques mois, impatiens d’en parcourir les environs , lorsqu'une occasion se présenta de visiter avec sécurité les ruines d'Héliopolis ; nous nous empressâmes d'en profiter , aïnsi que plusieurs autres membres de la Commission des sciences et des arts d'Égypte ; parmi lesquels nous nous plaisons à citer MM. Devilliers et Jolloïs (1). Nous sortimes du Kaire par une porte voisine de la citadelle, et nous nous trouvâmes bientôt dans un immense cimetière, qui, par la richesse et l’élégante architecture de ses tombeaux, le nombre de ses mosquées et de ses dômes, ressem- bloit à une ville, mais à une de ces villes décrites dans les contes Arabes, dont la population entière est plongée dans un sommeil de plusieurs siècles : ici seulement l'enchantement étoit plus réel, le silence plus effrayant, le réveil moïns certain. L'espace qu'occupe cette ville des morts, est resserré, d’un côté, par la chaîne blanche et aride du mont Mokatam, et, de l'autre, par une suite de collines grisâtres formées de l’amoncellement des décombres du Kaire. Le petit nombre de plantes qu'un sentiment tendre et religieux fait cultiver près de plusieurs tombeaux, sont les * M. Lancret est mort avant que ce mémoire, que nous voulions écrire ensemble, ait pu être commencé : mais, un extrait de son journal de voyage, et ses dessins de cet esprit chevaleresque, de cette curiosité inquiète si naturelle à l’homme dans sa jeunesse et sa force, nous firent embrasser avec ardeur l’occasion de parcourir sur-tout, m’ayant été très-utiles pour la description des ruines d'Héliopolis, j’ai pensé qu’il m’étoit permis d’asso- cier mon nom à celui d’un homme que j’aimois, et dont personne n’a senti la perte plus vivement que moi. Tous ceux qui l'ont connu, savent qu'à de grands talens il joignoit les vertus sociales les plus douces, les sentimens les plus nobles. Du Bois-Aymé. (1) Liés dès notre enfance, sortant tous quatre des mêmes écoles, le goût de l'étude, peut-être aussi un peu À. D: des contrées lointaines. Nous ignorions où Bonaparte alloït porter ses pas; mais que nous importoiti Ce guerrier célèbre inspiroït alors un noble enthousiasme, une aveugle confiance; des savans distingués, Monge, Berthollet, Caffarelli, Dolomieu, l’accompagnoïient, et vouloient bien nôus associer à leurs travaux : pouvions- nous hésiter un instant Arrivés en Egypte, peines, dangers, plaisirs, notre amitié mit tout en commun, et nous eûmes le bonheur de revoir ensemble notre patrie après quatre années d'absence. A es 2 DESCRIPTION D'HÉLIOPOLIS. seules que présentent les sables brülans de la vallée. La solitude de ces lieux n’est troublée que par quelques femmes qui viennent y prier sur les restes de ceux qu'elles ont aïmés, qu'elles aiment encore : à leurs longs voiles, à leurs gémisse- mens, on les prendroit de loin pour des spectres enveloppés du linceul des morts. Enfin le bruit sourd qui s'élève du côté de la ville populeuse du Kaire, les crieurs publics qui, du haut des minarets, annoncent les heures de la prière, et dont la voix, transportée par les vents, semble dire, au milieu de toutes ces pierres sépul- crales, que le temps qui s'écoule va y presser les rangs, tout concourt à plonger l'ame dans un sombre et profond recueillement. Nous passimes près d’une femme que nous reconnûmes pour une mère, à la forme du tombeau qu'elle arrosoit de ses larmes. Sa profonde douleur auroit pu seule nous l'apprendre : mais nous ignorions alors cette peine déchirante que fait éprouver la perte d'un enfant chéri; nous ne savions pas qu'aucun mal ne fait autant souffrir. Absorbés par les réflexions mélancoliques que ces lieux nous inspiroïient, nous les fortes émotions de la tristesse, se concentrent dans le cœur de l'homme; ils sont déjà diminués, les traversämes dans un morne silence. Les vifs chagrins, lorsqu' il peut en parler. Nos pensées étoïent pour les amis que nous avions perdus en Égypte, pour les parens que nous avions quittés et que nous ne reverrions peut-être plus , et enfin pour notre patrie elle-même, objet continuel de nos plus chers entretiens (1). . Nous nous dirigeâmes vers une grande mosquée nommée @oubbet el-A'dlyeh, fondée par un guerrier célèbre dans l’histoire des croisades, par ce frère du fameux Saladin | Salah-ed-dyn}, ce Mälek el-A’del qui enleva Joppé sur les Francs, régna à Jérusalem et au Kaire, et qu'un accord politique entre les Croïsés et les Musul- mans fut au moment d’unir à la sœur de Richard Cœur-de-lion. Au-delà de ce point, le désert se développa devant nous. Nous suivimes 1a route de Belbeys, formée de petits sentiers que les caravanes ont tracés sur le sable (2). Le terrain cultivé la borde à gauche; une plaine aride s'étend à sa droïte et va se terminer vers le Gebel el- Ahmar, montagne siliceuse, dont la masse rouge tranche fortement au milieu des rochers calcaires qui l'entourent. Quelques endroits du désert, voisins de notre route, nous présentèrent des traces de culture qui nous apprirent que le Nil, dans ses grandes crues, s’élevoit quelquefois assez pour arroser ces terrains sablonneux. On y trouve des cailloux d'Égypte, des morceaux de bois pétrifiés, et des fragmens de poudingue et de grès siliceux. (1) La destruction de notre flotte à Abouqyr, une guerre interminable avec une nation maîtresse de la mer, la nécessité de ne pas laisser affoiblir une armée qui ne pouvoit recevoir aucun secours, tout sembloit nous fixer pour la vie en Egypte: éloignés de notre pays, sans espoir de le revoir, nous apprimes combien nous lai- mions. Nous vivions dans l’aisance, nous jouissions de mille choses faites pour embellir l'existence : mais, n’eus- sions-nous laissé en France personne qui nous fût cher, tous Îles Français eussent-ils quitté pour les bords du Nil ceux de Ja Seine, de la Loire et du Rhône, le e de la patrie nous eût manqué encore. (2) Tantôt le sol du désert est ferme ; c’est le rocher à nu, ou un gravier légèrement agglutiné.et attaché au terrain comme s’il eût été battu; les sentiers qui y sont tracés n’éprouvent aucune altération sensible : tantôt le sable est mobile, et alors les vents le bouleversent et y effacent toute espèce de traces. CHAPITRE XXI. 3 Nous laissimes à droite la route de Belbeys, pour nous diriger sur le village de Mataryeh, où nous arrivämes bientôt. Son aspect diffère de celui de la plupart des villages de l'Égypte : ceux-ci sont construits ordinairement en briques ou en terre, tandis que les maïsons de Mataryeh, les murs de ses jardins, sont en - grande partie bâtis en pierres calcaires, sur plusieurs desquelles on remarque des hiéroglyphes bien sculptés. Mataryeh est le seul endroit de l'Égypte où l'on aït cultivé le baume (Amyris opobalsamum , Linn.), arbuste qui a quelque ressemblance avec le lentisque : le suc résineux qui en découle, fut long-temps l’objet d’un grand commerce pour ce village; mais, depuis environ deux siècles, il n'existe plus un seul baumier dans tout son territoire. Plusieurs voyageurs ont assuré que l'on trouvoit à Mataryeh une source d’eau courante, la seule qui fût en Égypte. Nous l'avons cherchée en vain, et nous ajouterons que des Chrétiens du Kaire que nous avons questionnés par la suite, nous ont dit que l'objet de leur vénération à Mataryeh étoit un puits qui, comme tous les autres, recevoit les eaux du Nil par infiltration ; maïs qu'elles y devenoient meilleures, parce que la Sainte-Vierge y avoit lavé son fils; qu'auprès étoit un gros sycomore qui avoit servi d'abri à la Sainte- Famille, et qu’un grand nombre de miracles s'opéroient en faveur des Chrétiens qui venoïent en pélerinage boire des eaux du puits et toucher le saint arbre. Les Musulmans ont aussi du respect pour ce lieu, parce qu'ils croient, avec les Chrétiens, que Jésus s’y arrêta, et qu'ils le regardent comme un des prophètes du vrai Dieu. Quelques paysans de Mataryeh, avec lesquels nous causämes, surent fort bien nous dire, en nous montrant de loin l'obélisque d'Héliopolis, que ce monu- ment étoit du temps des Pharaons : ce titre des anciens souverains de l'Égypte est encore connu de tous les fe/4h. À un quart de lieue environ au nord de Mataryeh, nous trouvâmes les ruines d'Héliopolis. DE LA VILLE D'HÉLIOPOLIS. Les ruines d'Héliopolis sont situées sur la limite du désent, à neuf kilomètres au nord-nord-est du Kaire et à six kilomètres de la rive droite du Nil. L’enceinte dé la ville est très-reconnoissable; construite en briques crues d’un grand volume, elle a encore en certains endroits dix-huit à vingt mètres d'épais- seur (1) sur quatre à cinq d’élévation : son développement est d’à-peu-près un _demi-myriamètre | une forte lieue |, et l'espace qu'elle renferme a environ quatorze cents mètres de long sur mille mètres de large (2). Si quelques voyageurs l'ont prise pour les retranchemens d’un camp Turc, c'est que probablement ils n'avoient (1) M. Monge, ayant trouvé jusque sur les parties les environ d'épaisseur ; il a reconnu que les briques crues plus élevées de cette enceinte un grand nombre de employées dans sa construction avoient été enduites d’un fragmens calcaires, pense que toute l'enceinte étoit re- mortier ou coulis de terre délayée. vêtue autrefois en pierres de taille, tant à l’intérieur qu’à (2) Voyez le plan. lextérieur, et qu’elle devoit avoir alors vingt-six mètres A D. À 3 À DESCRIPTION D HÉLIOPOLIS. point, comme nous, visité en Égypte l'emplacement d’un grand nombre de villes: anciennes ; sans cela, ils auroïent remarqué que toutes présentoient des digues du genre de celles d'Héliopolis, construites de même en grosses briques, dont Jes dimensions, inusitées aujourd'hui, ne se retrouvent dans aucun ouvrage Turc ou Arabe (1). Il nous semble au surplus que, lors même que l’on ignoreroïit cette particularité, on pourroït encore assurer que si Selym, dans la conquête épis qu'il fit de l'Égypte, a campé sur les ruines d'Héliopolis, il a dû se borner à profiter des moyens de défense qu'elles lui offroient, ou tout au plus y ajouter quelques retranchemens de campagne; car, outre l'impossibilité d'élever en si peu de temps les massifs énormes de briques dont nous avons parlé, ce travail étoit encore inutile contre un ennemi qui fuyoit {2). Le Nil, dans ses débordemens périodiques, forme, en avant d'Héliopolis, des mares assez étendues qui conservent de l'eau plusieurs mois après que le fleuve est rentré dans son lit. On trouve, dans l'intérieur de l'enceinte, des amas de décombres recouverts de fragmens de poterie : ces buttes dessinent une espèce de place elliptique qui renferme l’obélisque. Un canal, en y conduisant chaque année les eaux du Ni, a rendu à la culture une partie de l’ancien sol d'Héliopolis; la tige fragile du blé y remplace les obélisques, les colonnes, qui fouloient la terre de leur poids; et la tente passagère du Bédouin vient s'élever quelques instans où furent jadis d'immenses et somptueux palais. On ne retrouve aucune trace de l'emplacement des anciens édifices, maïs seu” lement quelques fragmens des matériaux qui furent employés dans leur construc- tion. La plupart sont en pierre calcaire commune, en marbre, en granit; plus souvent encore en brèche et grès siliceux dont les carrières existent près de là, dans le Gebel el Ahmar, où Montagne rouge. Des scories calcaires et des restes de fours annoncent que l’on a exploité les ruines d'Héliopolis, pour en extraire de la chaux. Que de chefs-d'œuvre auront péri ainsi, et périssent encore tous les jours! Nous nous sommes souvent récriés contre cette barbarie des fé/4h : mais nous n'osons presque plus en parler, depuis que dans la moderne Italie, si fière de ses monumens et de ses ruines, et sous le gouvernement des Français si enthousiastes des beau-arts, nous avons vu les grottes de Targuinium être trans- formées en fours à chaux, et des bas-reliefs, des peintures, qui sembloient avoir traversé les siècles pour venir nous dévoiler quelques usages de la religion mysté- rieuse des Étrusques, disparoître en un instant. Plusieurs voyageurs ont annoncé avoir vu à Héliopolis la statue mutilée d’un sphinx; nous n'avons trouvé qu'un gros bloc de pierre siliceuse rougeâtre, de forme arrondie, sur lequel on distingue quelques hiéroglyphes. Quelques membres de la Commission d'Égypte pensent, il est vrai, que ce bloc a appartenu à un sphinx ; ils ont cru y reconnoître la forme de la croupe et le mouvement du (1) Diodore de Sicile parle des buttes artificielles (2) Le campement de Selym sur les ruines d’Héliopolis que Sésostris fit élever pour mettre les habitans de n’est d’ailleurs fondé, du moins à ce que nous croyons, l'Egypte à l'abri de linondation du Nil. que sur une tradition populaire. CHAPITRE XXI. $ cou : mais Îles eue qui se trouvent sur la partie qui formeroit la croupe, laissent quelques doutes à cet égard, puisque, PA le grand nombre de sphinx que nous avons vus dans la haute Égypte, il n’en est aucun qui présente rien de semblable (r). Auprès de ce morceau, il y en a un autre également en brèche siliceuse, et un cube en granit d'environ un mètre. Tous ces débris d’antiquité sont à l'ouest de l'obélisque, vers une des ouvertures de l'enceinte. On retrouve dans les villages voisins plusieurs fragmens antiques, qui y ont été évidemment transportés d'Héliopolis. M--Jomard a vu, au village d’el-Khousous, un chapiteau Égyptien en brèche siliceuse, pierre fort belle et fort difficile à travailler; nous n'avons rien rencontré de semblable dans la haute Égypte : les chapiteaux y sont tous en grès tendre ou en pierré calcaire; et cela nous confirme dans l'opinion où nous sommes, que les villes de la basse Égypte présentoient une plus grande magnificence, et sur-tout un plus grand luxe dans la qualité des matériaux employés dans leur construction, que les villes de la Thébaïde. - Le seul monument qui existe en entier à sa place primitive, est l'obélisque dont nous avons parlé. Il ne diffère point de ceux de la haute Égypte (2); comme eux, il est d'un seul morceau de granit rouge : sa hauteur est de vingt mètres vingtsept centimètres ; ses faces ont un mètre quatre-vingt-quatre centimètres de largeur à la base, et un mètre dix-sept centimètres à l'extrémité supérieure. Le Nil, par les dépôts du limon qu'il charrie, a élevé le sol d’environ deux mètres ; l'obélisque est enterré d’un mètre soïxante-dix-huit centimètres, et il re- pose sur un socle de grès placé sur un terrain déjà exhaussé par des décombres. C'est un nouveau fait à opposer à ceux qui nient l'élévation progressive de la vallée du Nil. On aperçoit sur l'obélisque, à un mètre cinquante-cinq centimètres du sol, ou à trois mètres trente-trois centimètres de la base de grès, une trace qui indique la plus grande hauteur des eaux de l'inondation. Trois des faces de lobélisque présentent les mêmes hiéroglyphes disposés dans le même ordre, et la quatrième n'offre que de légères différences. Ces hiéroglyphes sont tournés du même côté sur deux faces contigués, et en sens inverse sur les deux autres. Ils ne se terminent point vers la base à la même hauteur; le trait horizontal qui forme le dernier hiéroglyphe, est à un mètre quarante-six centi- mètres sur deux faces, et à un mètre vingt-quatre centimètres sur les autres (3). Is sont parfaitement conservés dans la partie supérieure de l’obélisque, mais fort dégradés depuis à peu près le milieu de sa hauteur; ce qui peut provenir du . choc fréquent des sables siliceux du désert, que le vent n’élève pas ordinairement (1) I seroit possible cependant que ces THETOB PRES aient été tracés après coup par quelque Égyptien en mé- moire de son passage à Héliopolis, ou en accomplissement d'un vœu. Nous avons vu, sur des temples de la Thé- baïde, des inscriptions hiéroglyphiques qui nous ont paru de ce genre; mais il est vrai aussi que la pierre n’a pas 1 même dureté que celle-ci, et que les inscriptions sont placées de manière à n’altérer ni la forme ni l'ordonnance du monument, (2) Voyez, planche 26, À. vol. V, le dessin de cet obélisque , et planches 11, 12, 20, À. vol. II], ceux de Thébes. (3) Voyez, pour de plus amples détails, l'explication de la planche. 6 DESCRIPTION D'HÉLIOPOLIS. f plus haut : peut-être aussi est-ce l'effet du violent incendie qui, allumé par les ordres de Cambyse, ravagea Héliopolis, et endommagea beaucoup les obélisques, au dire de Strabon. Ces monumens étoient en grand nombre à Héliopolis (1) : plusieurs furent transportés à Rome, sous les empereurs, et ils ornent encore aujourd’hui l’ancienne capitale du monde; les autres, à l'exception de celui que nous venons de décrire, disparurent successivement. Le dernier qui fut renversé, le fut, dans le sixième siècle de l'hégire, par les Arabes, qu'excitoit sans doute l'espoir de trouver sous sa base des trésors enfouis, espoir qui est encore aujourd’hui la cause la plus active de la destruction des anciens monumens. Nous sommes portés à croire qu'après avoir renversé cet obélisque, les Arabes virent leur avarice entièrement trompée. L'on supposeroit même, d’après quelques auteurs de leur nation (2), qu'il fut trouvé sous sa base deux cents ganrér | quatre-vingt-neuf kilogrammes] d’airain, ce nest certainement pas là les trésors que les dévastateurs espéroïent. Quant à ces statues d'hommes dont les mêmes écrivains prétendent qu’étoient surmontés les obélisques d'Héliopolis, statues d'où découloit constamment un filet d’eau qui n'atteignoit jamais la terre, on reconnoït bien là cette facilité des Orientaux à à admettre sans examen les contes populaires les moins croyables. M. de Hammer, cité par M. de Sacy dans sa traduction d’Abd-Allatif, pré- tend, à la vérité, avoir vu de l’eau suinter de F’obélisque d'Héliopolis à environ un tiers de sà hauteur; maïs on remarquera qu'il étoit à quarante pas de ce monument, dont le pied se trouvoit alors au milieu d’une mare formée par linondation du Nil, et que des reflets de lumière sur la surface brillante’ et colorée du granit, ou quelque erreur d'optique occasionnée par la raréfaction de l'air, auront pu le tromper : peut-être aussi étoit-il persuadé d’avance , par la lecture des auteurs Arabes, que cette source existoit; et quand l'esprit est prévenu, les yeux se trompent facilement. L'obélisque que nous avons vu à Héliopolis, porte les marques des tentatives que lon a faites pour le renverser. Un des angles solides de la partie qui est enterrée, a été brisé et enlevé, de sorte que l’obélisque pose sur une surface moindre que celle que détermine l'inclinaison de ses faces. Plusieurs autres cassures qui existent également dans la partie inférieure de ce monument, font craindre qu'il ne soit bien près du moment de sa chute; alors il ne restera plus rien de cette ville célèbre: maïs les sciences, maïs les lettres, qui y brillèrent d'un si vif éclat, en conserveront le souvenir. Les habitans d'Héliopolis passoient pour les plus instruits de l'Égypte (3); c'est dans le collége de leurs prêtres que d’illustres étrangers, Eudoxe, Platon, Hérodote, vinrent étudier l'astronomie, la philosophie , l'histoire, toute cette sagesse des Égyptiens si vantée dans l'antiquité et jusque dans nos livres sacrés. Ce collége, et ceux de Thèbes et de Memphis, étoient les seuls qui députassent de leurs (1) Plin. Hist, nat, lib. XXXVI, cap. 8 et o. (2) El-Magryzy, Ebn-Khordadyeh , Mohammed-ebn-al-rahym, A’bd-el-Rachyd-el-Bakouy, &c. (3) Herodot, Æist, lib. 11, S. 3. CHAPITRE XXI. 7 membres à Thèbes, pour y former le tribunal des Trente , cour suprême de justice que l'on peut comparer, dit Diodore, à l'aréopage d'Athènes ou au sénat de Lacédémone. C'est en vain cependant que nous essaierions de tracer l'histoire d'Héliopolis, d'en donner même une esquisse succincte ; nous pouvons seulement, à travers les ténèbres de l'antiquité, en recueïllir quelques traïts épars. Le Soleil avoit à Héliopolis un temple remarquable, où, chaque année, l'on célébroit en son honneur une fête qui étoit la quatrième dans l’ordre des fêtes religieuses de l'Égypte (1). On y nourrissoit le bœuf Muevis, symbole du Soleil, et il y étoit, comme le bœuf Apis à Memphis, l'objet d’un culte particulier. C'est aussi dans ce temple qu'au dire des Égyptiens, le phénix, prenant son vol de l'Orient après une vie de 1461 ans, venoïit mourir sur un bûcher de myrrhe et d’encens, et renaître de ses cendre$ (2); fable ingénieuse, qui nous indique les travaux des prêtres astronomes d'Héliopolis, pour concilier le calcul du temps avec la marche du soleil, aïnsi que la période de 1460 ans, nommée année de Thot ou période sothique, au bout de laquelle l’année vague des Égyptiens de 365 jours, en s'accordant avec leur année astronomique de 365$ jours 6 heures, devoit ramener les mêmes saisons (2). Cette manière allégorique de parler des phéno- mènes célestes fut la source de la plupart des superstitions Égyptiennes : le peuple croyoit aveuglément tout ce que disoient les prêtres; et les sermens les plus redoutables empéchoïent les personnes initiées aux mystères d'en dévoiler la moindre chose. On ne doit donc point être surpris, st des étrangers ont souvent admis comme des faits incontestables des fables répétées avec tout l'accent de la vérité : aussi plusieurs Pères de l'Église crurent-ils à la résurrection du phénix, au point de la citer comme une preuve de la résurrection des corps humains. | Dès les premiers temps de la monarchie Égyptienne, Héliopolis figure parmi ses villes les plus importantes. Si nous en croyons le Pentateuque, Joseph fils de Jacob auroit épousé Aseneth, fille de Putiphar, prêtre du Soleil à Hélio- polis; et il est à remarquer que ce nom de Patiphar où Phoutifera signifioit en égyptien, grand prêtre du Soleil. Ce n'est pas, au surplus, la seule fois que les Hébreux, en employant des mots étrangers à leur langue, ont pris des titres pour des noms propres. Dans la traduction de la Bible par les Septante, il est dit qu'Héliopolis fut bâtie par les Hébreux au temps de leur captivité. Eusèbe observe avec raison que cela n'est point exact, puisque cette ville existoit déjà lorsque Jacob passa en Égypte ; maïs, comme cette objection pourroit être faite à l’auteur même du texte Hébreu, relativement à la ville de Ramessès, peut-être que par tr l'on ne doit entendre ici que fortifier, élever de grands monumens, toutes choses qui changent (1) Herodot. His, lib. 11, $. 59. 6 heures on de 365 jours 5, mais de 365 jours 242245 (2) Herodot, Hist, lib. 11. — Tacit. Annal, lib. VI.— millionièmes d'heure, la période sothique ne ramenoïit Plin. Hist, nat. ib. x. pas exactement Îes mêmes saisons : l'erreur étoit en L’année n'étant point précisément de 36$ jours moins d'environ onze jours. ] 8 DESCRIPTION D'HÉLIOPOLIS. l'aspect et l'étendue d’une ville. Les Israélites durent sans doute, dans leur capti- vité, être employés à des travaux de ce genre dans d’autres villes que Pithom et Ramessès; quelques traditions locales auront pu apprendre aux Septante qu'Hélio- polis étoit du nombre, et les entraîner à ajouter, dans leur traduction, cette ville aux deux autres. Sous le règne de Sésostris, Héliopolis étoit déjà un des boulevarts de l'Égypte. On lit dans Diodore de Sicile, que ce prince fit construire un mur qui s'étendoit de Péluse à Héliopolis, pour opposer une barrière aux courses des Arabes et des Syriens. Son fils et son successeur fit élever dans Héliopolis deux obélisques en mémoire d'un événement qui, tel qu'il est raconté dans Diodore, prouveroit que ce Pharaon étoit aussi cruel que superstitieux. Après une cécité de dix ans, un oracle lui ordonna « de faire un vœu au dieu d'Héliopolis et de se laver _» les yeux avec l'urine d’une femme qui n’eût eu de commerce qu'avec son mari: » il éssaya celle d’un grand nombre de femmes, à commencer par la sienne: il > ne trouva le remède qu'il cherchoit que dans l'urine de la femme d’un jardinier, » qui eut un tel succès, qu'il l'épousa après sa guérison. Il fit brûler les autres » toutes vives dans un village qui fut appelé depuis 4 Tertre sacré. W accomplit A » ensuite son vœu à Héliopolis, conformément à l’oracle qui lui avoit ordonné » d'y faire élever deux obélisques d’une seule pierre de huit coudées d'épaisseur » et de cent coudées de hauteur (1). » On n'ose point, d’après tout ce que l'on connoît des artifices des prêtres pour se faire craindre des peuples et des rois, rejeter cet événement au rang des fables; mais on doit convenir cependant quil en porte tous les caractères. | On peut lire dans Pline (2) le nom de quelques autres rois d'Égypte qui embellirent également cette ville. Si nous passons à une époque moins reculée, nous voyons Strabon, sous le règne d'Auguste, visiter Héliopolis. Le temps, qui dans ses révolutions élève et renverse tour-à-tour Îles empires, entraînoit déjà cette ville vers sa ruine. Ses rues étoient désertes; ses édifices présentoient de toutes parts des marques de la fureur de l’insensé Cambyse, de ce farouche conquérant, qui se plut à renverser les monumens les plus précieux, à embraser les villes et à outrager jusqu'aux morts. Le collége des prêtres subsistoit encore; mais ils ne cultivoient plus les sciences, et ils bornoïent leurs occupations au service des autels. Cependant l'observatoire où Eudoxe avoit étudié les mouvemens des corps célestes , existoit toujours, et l'on montra au voyageur Romain les appartemens que cet astronome et son maître Platon avoient occupés. Le nom d'Héopolis, sous lequel nous avons désigné jusqu'à présent la ville dont nous nous occupons, se compose de deux mots Grecs qui signifient /z we du Soleil: elle à conservé jusqu'à nos jours des traces de cette dénomination: les Égyptiens modernes et les géographes Arabes nomment ses ruines al che Æyrech-chems | fontaine ou œil du Soleil ], et quelquefois aussi Ë 5 iL, (1) Diodore de Sicile, Liv. 1, traduction de l'abbé Terrasson. (2) Hist, nat, lib. XXXV1, cap. 0. Medynet-ech-chems CHAPITRE XXI. 9 Medynet-ech-chems [ville du Soleil]. Le même rapprochement existe avec l'an- cien nom Égyptien. En effet, les Hébreux l'appeloient JN On (1), mot qui signi- fioit soleil dans la langue Égyptienne, ainsi que Saint Cyrille le dit Dore ment dans ses commentaires sur le prophète Osée : Seañyns juèy pp tés, Expovor ‘Has, Army Aimhor muo7AagBvTes EA6nor. Æpypti fabulantur. On autem secundim Ov À éd «ar adrde 6 Hhuoc. Filium entm Lune, Sols autem nepotem , Apin esse Ipsos est sol. Les auteurs Qobtes la nomment aussi Ur ©; et dans la version Qobte de Ia Bible, elle est désignée àa-fois sous ce nom et celui de Féaxs ssmipx 744ki-mpiré [ ville du Soleil | Les soixante-dix rabbins qui ont traduit en grec le texte Hébreu de la Bible, ont toujours rendu On par ‘HAëmAw, Ilen'y a aucun doute qu'ilssne connussent par- faitement pour chaque ville d'Égypte le nom national et le nom Grec correspon- dant. C'est à tort qu'on refuseroit cette foible connoïssance géographique à un si grand nombre d'hommes également savans dans les deux langues, et habitant l'Égypte à une époque si rapprochée de la soumission de ce royaume aux armes Macédoniennes. La position géographique d'Héliopolis a été l'objet des recherches de plu- sieurs savans distingués. Quelques-uns, parmi lesquels se trouve M. Larcher (2), ne pouvant concilier les récits de Strabon, d'Hérodote, de Diodore, de Pto- lémée, &c. ont cru pouvoir affirmer que deux villes de ce nom avoïent existé à-la-fois ; savoir , l'une dans le Delta et vers son sommet: l'autre fort près de là, mais dans le nome Arabique, c'est-à-dire, dans cette partie de l'Égypte qui étoit à l'est de la branche Pélusiaque. Ils pensent que la première est la ville célèbre dont parlent Hérodote et Strabon. Nous osons combattre leur opinion. Outre le peu de vraisemblance, en effet, que deux villes du même nom aient existé aussi près l'une de l’autre, et que ce soit la moins considérable, la moins célèbre, qui ait laissé sur la terre et dans la mémoire des Égyptiens , des traces de son existence et de son nom, observons qu'aucun des auteurs anciens que nous avons cités, ne parle de ces deux villes, et qu'ainsi l'on seroit contraint de dire: « Hérodote, Strabon, &c. ont oublié celle qui étoit dans le nome Arabique; » Diodore, Ptolémée, l'Itinéraire d’Antonin, &c. ont passé sous silence celle qui » étoit dans le. Delta. » Nous le demandons, cela est-il probable (3)! Ce moyen d’aplanir les difficultés, en multipliant l'objet décrit, ne devroit être employé qu'a défaut de toute autre explication ; et ici sur-tout il devenoit (1) H'paroîtroit, d’après un passage de Jérémie, cha- pitre XLIII, v. 13 noient aussi à Héliopolis Ie nom de ny 13 Beyth- Chems [| Maison du Soleil ]. (2) Article Héliopolis de la Table géographique qu’il a jointe à sa traduction d’Hérodote. ; que de son temps les Hébreux don- Si nous ne citons ici que ce savant, c’est qu’il a traité cette matière avec plus de détail que personne, et que la confiance qu'inspire sa profonde connoissance de Ia langue Grecque, peut bien être le motif qui a déterminé A. D, plusieurs écrivains à placer, comme lui, Héliopolis dans le Delta. (3) Ptolémée parle, il est vrai, de deux villes d'Hélio- polis; mais, comme il place l’une d’elles à un sixième de degré au sud du sommet du Delta, et à un tiers de degré au sud de la capitale du nome Héliopolite, on voit qu’elle est, en ce moment, étrangère à notre discussion, et que ce n’est point vers l’obélisque de Mataryeh, ni entre les branches du Nil, äu sommet du Delta, qu'on peut la placer. 10 DESCRIPTION D'HÉLIOPOLIS. d'autant plus inutile de créer une ville d'Héliopolis dans le Delta, que les ruines dont nous avons parlé, concordent parfaitement avec tout ce qui a été dit de la position de cette ancienne ville. Voici ce qu'Hérodote rapporte, #11, . 7 et 9 (1): $. 7. « De la mer à Héliopolis, par le milieu des terres, PÉsypée est large et » spacieuse, Va par-tout un peu en pente, est bien arrosée et pleine de fange » et de limon. En remontant de la mer à Héliopolis, il y a à peu près aussi loin » que d'Athènes, en partant de l'autel des douze dieux, au temple de Jupiter » Olympien à Pise. S. 9. » D'Héliopolis à Thèbes, on remonte le fleuve pendant neuf jours. » (Traduction de M. Larcher.) M. Larcher ensconclut, « 1.° qu'Héliopolis étoit sur les bords du canal » Sébennytique, puisqu'en s'embarquant à son embouchure, on arrive à cette ville; » 2.° qu'elle est dans le Delta, puisque ce canal coupe le Delta par le milieu. » Nous ne concevons point comment on a pu voir toutes ces choses-là dans le texte que nous venons de citer : il n'y est point question de la branche Sébenny- tique , dont Hérodote ne parle que beaucoup plus bas, y. 11, S. 17; et c'est-là une vérité de fait qui détruit la première et conséquemment la seconde assertion de M. Larcher. Et d'ailleurs, de ce qu’on se seroit embarqué sur la branche Sében- nytique pour se rendre à Héliopolis, auroit-on raison d’en conclure que cette ville étoit sur ce bras du Nil! Aujourd’hui, par exemple, ne va-t-on pas de la mer au Kaïre par une des deux branches de Rosette ou de Damiette, sans que pour cela le Kaïre soit sur l’une de ces deux branches! M. Larcher dit encore, à l'appui de son opinion, « qu'Hérodote ajoute que l’on s’embarquoit à Héliopolis » pour se rendre à Thèbes. » Est-ce là, nous ne dirons pas une preuve, mais seulement un indice qu'Héliopolis fût dans le Delta! Et si lon objecte que cela prouve du moins qu'Héliopolis étoit sur les bords du fleuve, et qu’ainsi la position que nous lui avons assignée ne peut lui convenir, nous répondrons que cette ville pouvoit être sur un canal dérivé du Nil (2), et qu'elle étoit d’ailleurs assez voisine de ce fleuve, pour qu'on eût dit encore que l’on sy embarquoit pour se rendre à Thèbes, lors même qu'il auroit fallu faire par terre quelque chemin jusqu'au port. Au surplus, Hérodote ne dit point que lon sembarquoit à Héliopolis; il dit, mot à mot, que d'Héliopolis à Thèbes la navigation en remontant est de neuf journées : Am S ‘Hasmiuos &ç OnGas Ecy avt A006 ênéa fuépéur. Ce n’est pas, on le voit, la position d'Héliopolis, relativement au fleuve, qu'il veut indiquer par cette phrase, maïs la distance entre Héliopolis et Thèbes. Ne dit-on pas, à (1) Nous croyons devoir transcrire, dans le cours de cette discussion, le texte des auteurs cités, afin de mettre nos lecteurs en.état de prononcer tout de suite sur les interprétations que l’on en donne etles Éonsauenges que lon en tire. S. 7. ErSurey à Jéyes HawmNog éc TV jueodyælo, Écir eupéa Alyomoc, 6e mice Van Te xd eUud'opc, à ixUc.”"Eg de dde éc niv Haéronr Sn Sundome Ge jdn, mapgrAnain piuos À £8 ASnvaiov dd\® , rh So rar dvodixa Kôy % Lou pépéon ts 7 Iliaur À Emi nv nor À Aide Onvurir...... S. 9. Am dt Ham êç Onfas la Grdracos éWéa fée cor. ; (2) Strabon le donne à entendre; et l'on sait, de plus, que toutes les villes d'Égypte qui nétoient point sur les rives du Nil, communiquoient à ce fleuve par des canaux. CHAPITRE XXI: I présent, que du Kaire à Syout, par exemple, on remonte le Nil pendant plusieurs jours, bien que ces deux villes ne soient ni lune ni l'autre sur ses bords! Une place aussi considérable qu'Héliopolis, située à la hauteur du sommet du Delta (1) et fort près de ce point, devoit nécessairement servir dans le discours à fixer l'extrémité supérieure de la basse Égypte, qui d’ailleurs ne se bornoït pas pour Hérodote au seul Delta (2). Cet historien a donc eu raison de dire : « De » la mer à Héliopolis par le milieu des terres, l'Égypte est large et spacieuse » (lv. 11, S:7). Elle est fort étroite au-dessus d'Héliopolis pendant quatre jours » de navigation, &c.{ Ibid. f. #).» Tout voyageur s'exprimeroit encore à pré- sent de la même manière, relativement aux ruines que nous avons décrites. Venons actuellement à Strabon. Après avoir parlé de plusieurs villes à l'est de la branche Pélusiaque , à peu près dans l'ordre qui les rapproche du Delta, il dit (3 ): « Ces lieux s’approchent du sommet du Delta. Là (c'est-à-dire, parmi ces lieux), » est aussi la ville de Bubaste et le nome Bubastite { 4); au-dessus d'eux ifc'est- » à-dire, de la ville de Bubaste et du nome Bubastite), est le nome Héliopolïte. » Ici est la ville d'Héliopolis; elle est élevée sur un tertre remarquable, et renferme » le temple du Soleil... .... Devant le tertre il y a des lacs où se déchargent » les eaux du canal voisin. » Doit-on conclure de là, comme M. Larcher, qu'Héliopolis étoit dans le Delta! Quant à nous, nous n’y voyons autre chose, sinon qu'Héliopolis étoit au sud de Bubaste. Les lacs qui étoient en avant d'Héliopolis, sufliroient peut-être pour prouver que cette ville n’étoit point placée au sommet du Delta. En effet, l'Égypte, formée des dépôts successifs du limon du Nil, a une pente du sud au nord, et des rives du fleuve au désert: ce n'est donc que vers les embouchures du Nil, ou sur la limite du désert, qu'il peut se former des lacs, et jamais entre deux principales (1) Le sommet du Delta étoit alors plus méridional qu'aujourd'hui. Voyez le Mémoire sur les anciennes branches du Nil, par M. du Bois-Aymé. (2) $: 18.... « Les habitans de Marée et d’Apis, villes » frontières du. côté de la Libye, ne se croyoient pas » Égyptiens, mais Libyens. Ayant pris en aversion les » cérémonies religieuses de l'Égypte, et ne voulant point » s’abstenirdelachair des Sénissess ilsenvoyèrent à l’oracle » d'Ammon, pour lui représenter qu’habitant hors du » Delta, et leur langage étant différent de celui des Égyp- » tiens ; il n’avoient rien de commun avec ces peuples, » et qu'ils vouloient qu’il leur fût permis de manger de » toute sorte de viandes. Le dieu rejeta leur demande, et » leur répondit que tout Le pays que couvroit le Nil dans » ses débordemens , appartenoit à PÉe gypte, et que tous » ceux qui, habitant au-dessous de la ville d’ Éléphantine s » buvoiïent des eaux de ce fleuve, étoient Égyptiens. $. 19.» Or le Nil, dans ses grandes crues, inonde non- » seulement le Delta, mais encore des endroits qu’on » dit appartenir à la LA , ainsi que quelques petits » cantons de l’Arabie, ét se répand de lun et de l’autre » côté, l’espace de deux journées de chemin, tantôt » plus, tantôt moins, » (Hérodote, li, 11, traduction de M. Larcher.) | A. D. (3) Ori doi ma rAnaden Th xopugh T An. Avr à 1 BéGasoc Rene, & 0 BsCacimnç vous xgù Ümtp aUToY 0 HaromA THE Pau, UE dv h % Hais mue, 60 juuame der y REMET, ) iseo jour À Has. - + Mepxerry dé Douañe Aa, Ti ao dé Tic And diépuor € Éjouæ. ( Geograph. b.xvi1.) (4) I me semble que par ces mots, là est aussi la ville de Bubaste et le nome Bubastite ; Stabon n’a pas voulu dire que Bubaste füt au sommet du Delta,comme Pont cru quelques-uns de ses commentateurs, mais que cette ville se trouvoit parmi celles dont il vient de parler. La connoissance des localités empêche toute autre sup< position, puisque les ruines de Bubaste existent encore sous le nom de Te/l-Basta, à un myriamètre et démi au nord de Belbeys, c’est-à-dire, à cinq myriamètres environ au nord-est du sommet actuel du Delta (voyez le Mémoire de M. du Bois-Aymé sur les anciennes: branches du Nil). On peut encore remarquer que,vsi, Bubaste eût été dans l’embranchement des deux premiers . bräs du Nil, Sträbon auroit cité cette grandewille et son nome, au lieu du bourg nommé Delta et du canton.de ce nom, lorsqu'il parle de [a partie SPAS Le Pelta au commencement du livrexV11e 12 DESCRIPTION D'HÉLIOPOLIS. branches, près de leur point de séparation. C'est aussi ce qui a lieu; un examen rapide ‘de la carte en convaincra nos lecteurs : ils trouveront peut-être même dans le canal qui passe près d'Héliopolis, celui qu'indique Strabon; car ce canal se décharge dans le lac des Pélerins, situé: à une lieue seulement des ruines d'Héliopolis, et nous avons déjà parlé des mares qu'il forme auprès de l'enceinte de cette ville. Maïs écoutons Strabon ; il va lui-même faire disparoître toute espèce de doute sur la position d'Héliopolis. Après avoir dit que l’on donne le nom de Zibye aux terres qui sont hors du Delta à l'ouest du Nil, et celui d'Arabie à celles qui le bordent à l’est, il ajoute (1): « Le nome Hélopolte est donc en Arabie. La ville de Cercesura se voit en Libye, » près de l'observatoire d'Eudoxe : car devant Héliopolïs il y a un observatoire où » lon observe les mouvemens des corps célestes, de même qu'il y en a un devant » Ja ville de Cnide : ce nome est appelé Litopolite. » (Traduction de M. Larcher.) Rien certainement de plus positif que ce témoignage : aussi a-t-on été obligé de recourir à la supposition d'une altération du texte en cet endroit, et l'on a pro- posé plusieurs corrections pour faire dire à Strabon quelque chose qui contrarit moins l'opinion qui place Héliopolis dans le Delta. Cette manière de lever les difficultés est fort commode; mais peut-elle être admise! Croiroit-on que cette phrase de Strabon qui termine le passage que nous venons de citer, ce nome est appelé Litopolte, à fort embarrassé ses commenta- teurs ! Il étoït cependant tout naturel que, venant de parler de la ville de Cercesura qui étoit en Libye dans le nome Litopolite, Strabon ajoutât : Ce nome (c’est- à-dire, celui où est la ville dont il vient de parler) est appelé Litopolite; ce qui s'accorde parfaitement avec ce que Ptolémée rapporte de sa position. Enfin M. Hennicke, cité par M. Larcher, dit que l'observatoire d'Héliopolis étant à-la-fois, selon Strabon, devant cette ville et près de celle de Cercesura située en Libye, il s'ensuit qu'Héliopolis étoit dans le Delta. C'est encore une de ces conclusions que nous ne concevons point; car, d'après la position que nous avons assignée à Héliopolis, son observatoire pouvoit être sur les bords du Nil, près du sommet du Delta, et par conséquent voisin de Cercesura, placée sur la rive gauche à la même hauteur. L'erreur de M. Hennicke viendroit-elle. de ce qu'il auroit cru que la partie de l'Égypte appelée Libye par Strabon ne dé- passoit point le Delta, quoïque cet auteur dise en plusieurs endroits que la Libye. s'entend de toutes les terres situées à l’ouest du Nil! Maïs, en supposant même qu'elle se füt terminée à la hauteur du sommet du Delta, cela ne changeroït rien ehcore aux positions que nous avons assignées à Héliopolis, à son observatoire. et à Cercesura, puisque l'ancien Delta s'étendoit au sud jusque sous le parallele de la ville du Soleil, près de Mataryeh. Selon Diodore de Sicile, Sésostrisg fit fermer tout le côténde l'Égypte qui à (1) pr Ÿ Maomninc à 7h Aegfia div y dE 7ü AiGün xa8/iv éouièm énelros md Segrior mvès umatis* 0 dè rue Képuéoovez moAIS want wc Eudo£ou HE UËIN cuomas* déixvury Aummonimus oÿnc. | Geograph. lib. xviL1.) jap om ag oes Th Hs mAcCoS , Ka Selmép xgù mes 7äç Kridbu, CHAPITRE XXI. 13 » regarde l’orient, par un mur de quinze cents stades de longueur, qui coupoit le » désert depuis Péluse jusqu'à Héliopolis, pour -arrêtér les courses des Arabes et » des Syriens (1). » (Traduction de l'abbé Terrasson.) Héliopolis et Péluse étoient donc du côté du désert à l’est du Delta; et c’est en effet la position des ruines de-ces villes, relativement aux traces de l'ancienne branche Pélusiaque. | Il est curieux de voir comment on a éludé ce témoïgnage positif de Dio- dore. Cet auteur, a-t-on dit, na point prétendu se de la ville d'Héliopolis qui existoit du temps de Sésostris, mais du lieu où fut bâtie depuis la Ho Héliopolis. Outre l'anachronisme impardonnable que l’on impute ici gratuitement à Dio- dore, il auroit fallu que de son temps la nouvelle Héliopolis existât déjà, et que l'ancienne eût tellement disparu qu'il eût été inutile de désigner celle dont on vouloit parler, tandis qu'à l'époque où Strabon se trouvoit en Égypte, c’est-à-dire après Diodore, le contraire auroïit eu lieu; ce qui est absurde. Nous avons fait voir jusqu'ici combien quelques personnes ont altéré ce que les écrivains de l'antiquité rapportent touchant Héliopolis; ce qui provient peut- être de ce qu'elles n'avoient pas une connoïssance directe des localités. Mais ce que l’on ne peut concevoir, c'est qu'elles aïent cité à appui de leur opinion un passage du Z7mée de Platon qui n'y a pas le moindre rapport. Critias, l’un des interlocuteurs, dit avoir entendu son aïeul, contemporain de Solon , rapporter que ce philosophe étoit un si grand poëte, que, s’il eût achevé louvrage qu'il avoit entrepris à son retour d'Égypte sur les antiquités d'Athènes, il n'auroit été inférieur ni à Homère, ni à Hésiode, ni À aucun autre poëte. Critias ajoute que quelqu'un ayant demandé alors à son aïeul quels faits nouveaux renfermoit cet ouvrage, et de qui Solon les avoit appris, il répondit : r «Il ya en Égypte, dans le Delta, au sommet duquel le cours du Nil se » divise, un nome appelé Saitique; sa plus grande ville est Saïs, où naquit le roi » Amasis. La déesse protectrice de cette ville est nommée en égyptien Neïth, et » en grec Minerve. Les Saïtiens se disent grands amis et en quelque manièré parens » des Athéniens : aussi Solon rapportoit-il en avoir été reçu honorablement {2}: » Rien certainement de plus conforme à tout ce qu'Hérodote, Strabon, Pline, Ptolémée, rapportent de Saïs, dont les ruines existent encore dans le Delta, près de Sä-el-Hagar, sur la rive droite de la branche de Rosette. Comment donc at-on pu dire que c'étoit Héliopolis que Platon avoit voulu désigner sous le nom de Sais, et queen conséquence Héliopolïs étoit dans le Delta! La raison qu'on en donne, qu Héliopolis se nommoit Tzoan, et que c’est de là que Platon aura fait Sais, peut-elle être admise, lorsque la comparaison du texte de la Bible avec (1) (O' Secdowms) émiuar dé à mir @eic aramnas veVaui sxiCery m B Neins pda, Saimde Ska NEA re" TÉTE mvesir me Alpe œec me dm mic Suelas à mc AeyClas ‘ dù À rpg aeyion mac Saic09e dù ©” Aphaurts D ô Banevs. éuBondc, dm Ilnasais péyers Hasmineos, dia Tic épi , mn cd Me macwc 0e apngsc êsiv, Aiyomlie pue Tévoua Nr9, uiuos 6m adYss qinies ex mevræxoaiss. (Diod. Sicul. Bibl. ‘Emins d, de d éxeiroy Néysc, AOnv&* ui dé qua Snveos … hist. lib. 1.) xai ve Tegmy ones mor d° ele Quai. Of d Sénwr ègu (2) "Es nç rar Alyomor à To AËNT, mel Ô kaTe wpupir mets, cpédex ne AS 7apavnic EAN: I À DESCRIPTION D HÉLIOPOLIS. la version des Septante fait Voir que On est le nom Hébreu d'Héliopolis, Six celui de Saïs, et que la ville de Tzoan est celle que les Grecs nommoient Tanis (1)! Peut-on supposer que Platon ait substitué le nom de Suis À celui d'ÆAéhopolis , sans s’'embarrasser de là confusion qui en résulteroit dans l'esprit de ses compatriotes, qui par ces deux noms avoient toujours entendu deux villes bien distinctes l'une de l'autre! S'il eût voulu parler d'Héliopolis, n’auroitil pas dit que c'étoit le Soleïl, et non Minerve, qui en étoit la divinité protectrice! La fête de Minerve, disent Hérodote et Strabon (2), se célébroit à Saïs, et celle du Soleil à Héliopolis. Sais, dit Pausanias (3), signifie Minerve en égyptien. Nous remarquerons, à ce sujet, que l'arbre de Minerve, l'olivier, est nommé 1? zath en hébreu, à peu près de même en qobte, et que son nom Égyptien devoit se rappro- cher de ceux-ci. Enfin c’est de Saïs, au dire de tous les historiens, et non d'Hélio- polis, que partit la colonie Égyptienne qui civilisa l’Attique et y porta le culte de Minerve (4); circonstance qui s'accorde avec ce que nous apprend le Timée, de l'attachement des Saïtiens pour les Athéniens, dont ils se disoient parens, tandis qu'il n'a jamais été question d’aucune liaison semblable entre les habitans d'Hélio- polis et ceux d'Athènes, Nous ajouterons encore que , selon Platon, Amasis étoit de la ville de Saïs ; que, selon Hérodote, il étoit du nome Saïtique ; et qu'aucun auteur n'a fait naître ce Pharaon dans le nome ou la ville d'Héliopolis. Enfin Hérodote dit (5) que Solon, étant sorti d'Athènes pour s’instruire des coutumes des peuples étrangers, alla d’abord en Égypte à la cour d'Amasis. Or, si l'on songe au lieu de la naïssance de ce Pharaon, aux embellissemens qu'il fit faire à Saïs et non à Héliopolis (6), au séjour qu’Apriès, son prédécesseur, faisoit dans Saïs, et si l’on considère en outre que c'est dans cette ville que ces princes furent ensevelis (7), on conclura qu'elle fut, plutôt qu'Héliopolis, la résidence d'Amasis, et que c'est dans ses murs que Solon alla s’instruire des coutumes des Égyptiens. M. Larcher croit que, Strabon nommant Hé/opolis la ville où Platon fit un long séjour, et ce dernier l'appelant Swis, ces deux noms appartiennent à la même. ville. D'abord nous ne lisons point dans le Timée que Platon ait habité Sais, mais bien Solon; nous sommes donc portés à croire que par mégarde M. Larcher aura lu P/aton au lieu de Solon. Au surplus, sa citation fût-ellé exacte, la conclusion qu'il en tire n’en seroit pas moins hasardée, le célèbre disciple du sage Socrate ayant pu demeurer successivement dans l’une et l’autre ville. M. Larcher traduit ainsi le commencement du passage du Timée que nous avons transcrit. plus haut : « Il ÿ a en Égypte dansle Delta, vers son sommet et à l'endroit » où le Nilse partage en plusieurs branches, un nome que l'on appelle Saïtique, dont » a plus grande ville est Saïs. » Il nous semble que nous avons traduit plus exac- (1) L'un de nous akparlé de cette ville, dans sa Dis- (3) Pausan. Græciæ Descript, Nb. 1x, cap. 12. sertation sur les anciennes.branches du Nil. Nous rappel * (4) Diod. Sicul. Bibl. hisr. lib. 1, &c, lerons, seulement ici .que’ lessauteurs, Qobres nomment (s) Herod. Hist, lib. 1; $. 30. Saïs, Sai, et Tanis, Djane; ce dernrer nomse rapproche (6) Zbid, lib. 11, $. 175. évidemment du 7'zoan des Hébreux. : (7) Zbid. lib. 11, $. 159. (2) Herod. HisiMib. 11,5. 50. Strab. Géogr, lib, xvix, CHAPITRE XXI. 15 tement par ax sommet duquel le Nil se divise, a phrase incidente, TEA Ô HAT HOpUPNY oylery mn T7 Neins fus, que Platon jugea sans doute nécessaire pour rappeler à ses lecteurs ce que par De/tz, nom d’une des lettres de leur alphabet, on enten- doit en parlant de l'Égypte. Si M. Larcher avoit cité en entier tout ce que Platon rapporte de la ville de Saïs, il auroït vu que les phrases qui suivent celle à laquelle il s'est arrêté, s'opposent à ce que l'on confonde Saïs avec Héliopolis; mais, pour avoir traduit autrement que nous , pour s'être borné à une seule phrase, étoit-il fondé, en supposant même qu'il ait eu raison sur ces deux points, à s'exprimer ainsi, « On ne peut douter, d'après cette position, que la ville que Platon nomme Sws, » ne soit la même que celle qu'Hérodote, Strabon et Ptolémée appellent Aéko- » polis! » Et remarquons qu’en citant ici Ptolémée, « qui, dit-il, né à Péluse, pou- » voit difficilement se méprendre sur la position d'Héliopolis » , il oublie qu’il est convenu, deux pages plus haut, que Ptolémée plaçoit cette ville hors du Delta. La Géographie de Ptolémée, en effet, et lItinéraire d’Antonin, indiquent d'une manière si précise qu'Héliopolis est à l’orient du Nil, que l’on n'a pu les interpréter différemment; maïs, contraint de convenir qu'une ville d'Héliopolis existoit hors du Delta, on à dit que ce n'étoit point là celle qui fut célèbre dans l'antiquité. Ptolémée cependant, le seul des auteurs anciens qui place en Égypte deux villes d’ Héliopolis, les met l'une et l’autre hors du Delta. Aïnsi croire à l'existence d’une Héliopolis du Delta, c’est dire qu'il y a eu en Égypte trois villes de ce nom, dans un espace de terraïn très-circonscrit. Nous venons de dire que Ptolémée plaçoit hors du Delta les deux villes d'Héliopolis; une lecture attentive du livre IV de ce géographe lève tous les doutes que l’on pourroît avoir à cet égard. On y voit qu'après avoir parlé des villes situées entre les diverses branches du Nil, en allant de l'occident à lorient, la dernière partie du Delta dont il s'occupe, est celle qui étoit comprise entre les branches Busiritique et Bubastique : le fleuve Bubastique étoit donc le plus oriental des bras du Nil; et l’on en acquiert une nouvelle preuve, en relisant la description du grand Delta, que Ptolémée donne plus haut (1). Or, c’est à lorient de cette branche Bubastique qu'il met le nome Héliopolite et sa métropole; et c'est sur les confins du nome Arabique, situé également à l’est du Nil, et auquel on ne peut raisonnablement supposer aucune autre position, qu'il place la seconde Héliopolis (2) avec Babylone et Héroopolis, villes qui certainement n’étoient point dans le Delta. (1) Mépe Aëxm a\GTy, 129 npémeny à épais Tee retrouve point dans Ptolémée ce qu’on lui fait dire si n ; \ / ANT xanguevos dy oc div, à pécor da TH 60 TIXÉ mo murs dal divan, 3 ar de À Hesote md uns eiç nv xanGuevor BéGasianoy, dc Expé did T6 IInAëaraxS souame. gratuitement. Voici ses propres paroles : Kai 4 muheio Aexblas, à Apegdinmnus, (2) Quelques personnes pensent que cette seconde Ba£urwy, ville d'Héliopolis étant placée par Ptolémée sur le canal “HAMÉTNG, de Träjan, avec Babylone et Héroopolis, elle correspond Hoooy MAC , v à la position de Mataryeh, et que cela rejette dans le Ar #6, à BaGuaros môneos, Texiavos mœurs pa. . Delta la capitale du nome Héliopolite, située, selon le même géographe, à un tiers de degré au nord de l’autre Héliopolis. Cette opinion n’a aucun fondement; on ne L’article relatif #s est au singulier; il ne peut donc se rapporter qu'à la ville de Héroopolis qui le précède, et non à Héliopolis. 16 DESCRIPTION D'HÉLIOPOLIS. Ce seroit inutilement que, pour combattre notre opinion , l’on prétendroit que le nome Héliopolites pouvoit s'étendre sur les deux rives du fleuve, et se trouver ainsi, en partie, dans le Delta : car ce n’est pas la position du nome que nous cherchons à déterminer, maïs celle de sa capitale; et si celle-ci eût été sur la rive gauche du Nil, Prolémée n’auroit pas dit qu'à lorient du fleuve Bubastique, étoit le nome Héliopolite, et /z métropole du Soleil, ra press HAS. Remarquons que les positions de ces deux villes d'Héliopolis à l'est du Nil sont déterminées par l'ordre et lenchaînement des idées que présente le récit de Piolémée , indépendamment des longitudes ét des latitudes qu'il donne. Ces nombres, on le sait, entraîneroïent à de graves erreurs celui qui s'y attacheroit scrupuleusement; c'est pourquoi nous n'avons pas voulu les citer d’abord à l'appui de notre opinion, afin que l'on ne nous fit pas le reproche de nous attacher à de foibles preuves : mais nous pouvons les donner à présent comme le complé- ment de témoignages plus positifs. Nous y voyons qu'une des deux Héliopolis est à un sixième de degré au sud du sommet du Delta, et que la latitude et la longitude de Fautre, comparées à la latitude et à la longitude du même point, la mettent aussi hors des branches du Nil Quant à ftinéraire d’Antonin, nous y trouvons Héliopolis sous le nom d'Helu , parmi les stations de la route qui des cataractes se rendoit à C/ysa. Le titre de cette route est précis, {ter per partem Arabicam trans Nilum ; et lors même que cette indication manqueroit, on ne pourroit pas encore supposer que la route passoit d’une rive à l’autre, puisque les villes qu'elle traversoit, et dont la position ne laisse aucun doute, sont toutes situées à l’est du Nil Ajoutons que c'est à douze milles au-dessous de Babylone, en allant du sud au nord, que lItinéraire place Héliopolis, et que nous retrouvons à peu près la même dis- tance entre les ruines de Babylone, derrière le vieux Kaire, et celles d'Hélio- polis, près de Mataryeh. On remarquera peut-être que, le nom d’Achz réparoissant sur la route de Péluse à Memphis, dans une position de quatre milles plus voisine de Srenas Veteranorum que sur la route que nous avons citée précédemment, il a dû exister deux villes d'Héliopolis. Une telle opinion est dénuée de toute probabilité, aïnsi que nous le ferons voir plus bas: mais, fût-elle admise, il ne s’ensuivroit pas qu'une des deux Héliopolis fût dans le Delta. On trouve d’abord que cette diffé- rence de quatre milles se réduit à deux, en prenant sur les deux routes, non pas la distance d'Heln à Scenas Veteranorum, maïs sa distance à 7 lou. En effet, on lit: RG de alice 2" MamDEts de Thou à Scenas Veteranorum . ...,..... XXVI. NP. or de Scenas Veteranorum à Heliu........,.. XIV. d'Heliu à Scenas Vereranorum. ............ XVIII. Route dans la partie Arabique../ de Scenas Veteranorum à Vico Judæorum. . .... XII. deco TT or a Ion RENE XII. Cette différence de deux milles entre Tkoz et Hein pourroit provenir de ce CHAPITRE XXI. F4 ce que la route de Péluse à Memphis n'auroit point passé dans Héliopolis même, mais au pied de son observatoire, bâti hors de l'enceinte, vis-à-vis la ville de Cercesura, située sur l'autre rive du fleuve. Au surplus, cette supposi- tion n'est pas nécessaire, attendu qu'il est certain que par Âeku Itinéraire a désigné absolument le même lieu dans les deux passages cités plus haut: car, outre qu'ils ne prouvent pas plus l'existence de deux Æekz que de deux Scenas Veteranorum et de deux Thoz, ce seroïit le seul exemple où Itinéraire, indiquant deux villes du même nom dans des positions si voisines l’une de l’autre, eût omis de les distinguer par la dénomination de superioris où de zminoris, de contre ou de »:0, comme on le remarque dans tous les cas semblables. Enfin il existe aa Bibliothèque du Roï un autre manuscrit de lItinéraire, où la distance de Scenas Veteranorum à Hein, sur la route de Péluse à Memphis, est de XVII au lieu de XIV, la distance de Thoz à Scenas Veteranorum restant la même. Voilà donc, selon les manuscrits que lon consulte, l’'Héliopolis de cette route à un ou deux milles, tantôt au-delà, tantôt en-deçà de l'Héliopolis de la partie Arabique ; ce qui prouve bien que, sur une route comme sur l’autre, lItinéraire d'Antonin n’a jamais eu en vue qu'une seule et même ville (1). Quelques personnes, entraïnées par l'analogie qu’elles trouvent entre les mots Helu et Qelyoub, croïent qu'Héliopolis à dû exister dans l'endroit qu'occupe la capitale du Qelyoubyeh. Sans rejeter entièrement l'étymologie, nous nous refusons à admettre la conséquence que l’on en tire. Qelyoub est une ville moderne : aucune enceinte, aucune butte artificielle, n'y annoncent une ville de l'antique (1) L’Itinéraire d’Antonin donne très-souvent des dis- tances différentes entre les mêmes lieux; nous pourrions en citer plusieurs exemples. Ainsi nier que des erreurs de chiffres se soient glissées dans cet ouvrage, c’est s’obliger à multiplier considérable. ment le nombre des villes pour les placer par groupes, avec le même nom, dans des positions très-voisines l’une de Vautre; résultat tout-à-fait inadmissible. Ce seroit même à tort, du moins nous le croyons, que l’on pré- tendroit retrouver sur nos cartes les mesures précises des itinéraires Romains, lorsque leurs manuscrits ne pré- sentent aucune variante; car, en admettant l’opinion la plus favorable à Jeur exactitude, celle que les distances auroient été chaïnées sur le terrain, on conviendra du moinsque la sinuosité des routes devoit accroître l’éloigne- ment réel, et que cette opération a dû être faite avec plus de soin dans les provinces voisines de Rome, où de grandes routes étoient tracées, que dans les parties de ES éloignées de la capitale, et sur-tout en Égypte, qui n’avoit sûrement, comme aujourd’hui, d’autres routes que le désert et Aecées sentiers sur les dates les prin- cipales communications ayant toujours eu lieu par eau au moyen du Nil et de ses nombreux canaux : or le cours du fleuve est fort tortueux, et les sentiers sur les digues et dans le désert ne le sont guère moins. Nous avons d’aïlleurs sous les yeux l’exemple de [a France; les bornes milliaires ne s’étendent qu’à une certaine distance de Paris. Enfin l'Italie et les Gaules, qui ont conservé beaucoup moins d'anciens monumens que PÉgypte, présentent en- core dans leurs ruines des bornes milliaires qui étoient AD: placées sur des Toutes encore subsistantes, tandis qu'on n’a trouvé en Égypte aucun monument de ce genres ni aucune trace de chaussée Romaine. Les empereurs, et leurs agens dans les provinces, n’a- voient pas besoin, pour les opérations civiles et militaires qu'ils dirigeoient, de savoir la distance à vol d’oiseau d’un lieu à un autre; mais il leur étoit indispensable de connoître l'étendue réelle du chemin à parcourir. C’est dans ce but que les itinéraires furent certainement rédigés et distribués aux grands fonctionnaires de l’État. Malgré la difficulté d’assigner, d’après les itinéraires Romains, la position précise d’un grand nombre de villes, disons cependant qu’ils donnent une approximation pré- férable, dans les discussions de géographie, à ce que pré- sentent sur les mêmes objets quelques ouvrages de l’anti- quité, et sur-tout les légendes du moyen âge, dont on a fait peut-être un trop fréquent emploi dans ces derniers temps; mais convenons en même temps qu’il est encore quelque chose de plus positif que les itinéraires, c’est le terrain. Les ruines doivent servir incontestablement à dé- terminer les villes anciennes, lorsque sur-tout elles en ont conservé les noms, plutôt que les mesures qui tombent sur des points où il n’existe aucune trace d’antiquité. N’ou- blions pas, enfin, qu’en Europe, où les sciences sont si perfectionnées, on a encore, sans parler de nos livres de poste, des cartes et des traitéside géographie très-inexacts même pour certaines parties de l'Europe, etque, si ces ou- vrages parvenoient seuls à la postérité, et que lons’attachât scrupuleusement alors aux mesures qu’ils donnentÿonplace- roît fort inexactement les villes qui auroïent disparu. C 18 DESCRIPTION D'HÉLIOPOLIS. Égypte: on n'y voit aucun monument dans sa place primitive; et lorsqu'on de- mande à ses habitans d'où proviennent les débris d’antiquités que l’on nur chez eux, tous s'accordent à répondre que c’est des ruines d'Héliopolis près de Mataryeh. La ressemblance de nom, dont nous avons parlé, n’auroit d’ailleurs rien qui ne puisse s'expliquer. On sait qu “Héliopolis, au temps de Strabon, étoit déjà considérablement déchue de son ancienne splendeur ; elle aura été en déclinant jusqu'au moment où entier desséchement de la branche Pélusiaque aura achevé sa ruine; les besoins de l’agriculture et du commerce auront déterminé ses‘ha- bitans à se rapprocher du Nil, à le suivre en quelque sorte, et une nouvelle ville se sera formée insensiblement des débris d'Héliopolis, en conservant quel- ques traces de son nom {1). Ceci, au surplus, n’est qu'une hypothèse fondée sur une étymologie douteuse; et ce qu'il y a de bien certain, c’est que le mot Qeyoub n'a jamais eu, chez les Arabes, le moindre rapport avec le nom du Soleil, tandis qu'ils ont appelé w/e du Soleil les ruines que nous avons décrites; ce qui prouve que c’est dans ce lieu, et non à Qelyoub, que cet astre a été honoré d’un culte particulier. | Nous avons prouvé qu'aucun des auteurs de l'antiquité n’avoit placé Hélio- polis dans le Delta : leur HER à cet égard est unanime , et nous ajoute- rons que les écrivains du ci âge, les auteurs Qobtes, les géographes Arabes, s'accordent à ne reconnoître en Égypte qu'une seule ville d'Héliopolis; et, soit qu'ils la peignent dans sa splendeur , soit qu'ils décrivent ses ruines, tous la placent hors du Delta, et dans le même lieu où nous retrouvons encore la tradition de son ancien nom, un obélisque sur place, une enceinte considérable, et un sol élevé artificiellement (2): jamais, dans des discussions de cette nature, trouva-t-on un assemblage de preuves plus nombreuses! Nous ne prétendons point, pour cela, qu'il n'ait pu exister dans une autre partie de l'Égypte, une petite ville, un hameau, qui, à cause de quelque monu- ment élevé au Soleil, ait aussi porté le nom de cet astre : ce qu'on lit dans Pto- lemee peut même le faire présumer. Mais, nous le répétons, c'est hors du Delta, et sur l'emplacement des ruines qui entourent l'obélisque voisin de Mataryeh, que nous devons, sur nos cartes anciennes, placer la capitale du nome Héliopolite, la ville célèbre dont parlent la Bible, Hérodote, Diodore, Strabon, &c. (3). (x) Les villes Arabes dont les noms ont de Ia ressem- (2) Strabon, comme nous l’avons rapporté, cé du blance avec les noms Grecs ou Égyptiens de quelques grand tertre sur lequel Héliopolis étoit élevée. villes anciennes, sont rarement bâties surlesruines mêmes (3) La Description d’Héliopolis a été remise à la Com- LA de ces villes; elles en sont ordinairement plus ou moins mission d'Égypte, dans la séance du 13 juillet 1813. éloignées, DESCRIPTION DES RUINES DE SÂN (TANIS DES ANCIENS); PAR M. Louis CORDIER, INSPECTEUR DIVISIONNAIRE AU CORPS ROYAL DES MINES. I A TT TT A A A CHAPITRE XXIII. a cé Me. RE Le sn Lis ruines de Sän sont situées vers l'extrémité orientale de la basse Égypte, à environ cinq myriamètres au sud-sud-ouest de la Méditerranée, six myriamètres à l'ouest de Péluse, et deux myriamètres au nord-ouest de Sälehyeh. On les regarde à Juste titre comme les vestiges les plus remarquables de la grandeur Égyptienne du côté de la Syrie. D'après la comparaison des opérations trigonométriques de M. Jacotin avec les observations astronomiques de M. Nouet, la latitude de ces ruines est de 30° 59 54, et leur longitude, de 20° 32° $ , à compter du méridien de Paris. Immédiatement placées sur la branche du Nil qui porte actuellement le nom de canal de Moueys, on y arrive facilement par eau, soit en descendant ce canal si l'on vient du Kaiïre, soit en le remontant, après avoir traversé le lac Menzaleh, si l'on vient de Damiette. On pourroit encore s'y rendre par terre avant le débordement, en quittant à Sälehyeh la route suivie par les caravanes qui vont du Kaïre en Syrie. C'est de Damiette que nous partîmes, MM. Nouet, Delile, Lenoir et moi, pour aller examiner ces ruines, sous les auspices de Dolomieu. Nous y abor- dâmes le 30 novembre 1708, possédant déjà quelques renseignemens essentiels sur l’état des lieux; renseignemens qui étoient puisés dans les résultats précé- demment obtenus, soit à l'aide d'une reconnoïssance du canal de Moueys par Malus (1), soit à l'aide de celle du lac Menzaleh par le général Andréossy (2). Dolomieu, dont les conseils et l'amitié guidoient alors mon zèle, me chargea de lever le terrain à la boussole et au pas; il prit le soin de faire mesurer où de mesurer lui-même les principaux débris des monumens et leurs distances respectives. Deux jours furent employés aux plus actives et aux plus scrupuleuses recherches. I n'est, pour ainsi dire, pas un bloc dont nous n’ayons constaté la (1) Voyez le compte rendu de cette reconnoissance, (2) Voyez le Mémoire du général Andréossy sur le E. M. tom. 11, pag, 705. lac. Menzaleh, £, ML, tom. 1, pag. 261. ti. D: À 2 DESCRIPTION DES RUINES nature, fixé la position ou étudié la forme. La minute d’un plan général a été ensuite esquissée sur la barque, avant notre retour à Damiette, Ce qe très- Dprtantais détails, ne présentoit point toutes les chances de la précision qui étoit à desirer quant à l'ensemble : on a cru devoir lui préférer, pour l ouvrage, un autre plan général levé géométriquement , au mois de mai 1800, par notre collègue M. Jacotin. C’est ce dernier plan qui a été gravé, après qu'on y a eu inséré une partie des élémens de détail que nous avions recueillis, et qui sy trouvoient omis {1}. Quant aux observations dont se compose ce Mémoire, il est aisé de sentir que le fond m'en est commun avec Dolomieu. Je dis le fond: car la plupart des matériaux que nous avions réunis, nous ont été enlevés pendant la captivité que nous avons subie en Calabre et en Sicile, à notre retour d'Égypte (2) : ne nous est resté que mes premières notes et les minutes des relèvemens. J'ai donc été obligé de m’en tenir à ces ressources pour la des- cription qu'on va lire. Je me suis aidé d’aïlleurs des données que M. Jacotin a pu me communiquer. On aperçoit les ruines de Sän de deux à trois myriamètres de distance. De quelque côté qu'on les aborde, elles s'annoncent à l'horizon sous la forme d’une petite montagne assez étendue, et dont le profil, largement dentelé, interrompt la monotonie des plaines sans bornes qui composent cette partie du petit Delta. On ne distingue guère en arrivant que des amas de décombres confusément entassés, et dont la hauteur varie de dix à trente mètres au-dessus des eaux du canal, Au milieu de ces amas, l'œil a bientôt remarqué du côté du nord-est une plate-forme dont l'élévation approche de trente-cinq mètres. Ce point offre lintérêt d’une station complétement dominante; et l'observateur n’a rien de mieux à faire que de s'y porter, s'il veut prendre une idée générale des lieux avant de les parcourir. Le terrain que la ville occupoit s'alonge dans le sens de la méridienne, et. se dessine au-dessus de la plaine par un contour tout-à-fait irrégulier. La surface est d'environ cent soixante-dix-neuf hectares, c'est-à-dire, à peu près la dix-huitième partie de celle de Paris. C'est en vain qu'on chercheroit à y découvrir pierre sur pierre : les monumens paroissent avoir été détruits de fond en comble: leur existence n'est plus attestée que par des débris confus ou dispersés, et qui se montrent en bien petit nombre, eu égard à l'étendue des constructions dont on peut croire qu'ils faisoïient partie. Une vaste place entourée d'une puissante enceinte en briques crues, une ligne d'obélisques rompus et renversés, deux énormes monceaux de blocs écarris et couverts de sculptures, une avenue de colonnes enterrées, plusieurs chapiteaux isolés, deux statues mutilées, un taber: nacle monolithe en trois pièces, et une foule de blocs dont la forme originaire (1) Voyez ce plan, À. vol. VW, pag, 28, M. le comte de Lacépède n’en avoit tracé l’histoire dans (2) Dolomieu perdit alors tous ses papiers et toutes une Notice nécrologique qui a été lue. dans le temps nos collections. C’est ce qui lui a été le plus sensible dansune séance publique de l’Institut, etimprimée ensuite dans un désastre sur lequel je devrois insister peut-être dans la collection du Journal des mines, tom, XL, n° 6p, dans l'intérêt de sa mémoire, si son illustre et digne ami pag. 22r. DE SÂN. CHAP. XXIII. 3 est méconnofssable ; tels sont les seuls vestiges d’antiquités qui s'offrent à l'examen du voyageur. On ne voit d'ailleurs aucun reste de constructions postérieures à la domi- nation Égyptienne, si cenest les fondations d’une tour sur la plate-forme, et quelques tombeaux souterrains vers l'extrémité du nord-est. On aperçoit aussi, dans une petite île située au milieu du canal et en face des ruines, un misérable groupe de huttes en terre qui restent abandonnées la majeure partie de l’année. Il n'existe d'habitations permanentes qu'à une très-grande distance : les plus voisines sont celles de Kafr el-Malakim, village qui est encore éloigné de dix kilomètres. Les ruines de Sän sont donc inhabitées comme les plaines environ- nantes. Leur solitude n'est troublée que bien rarement, et c'est par le passage de quelques marchands de Sälehyeh, qui, dans la saïson de la sécheresse, viennent, à des époques convenues, jusqu'au canal, pour échanger leurs dattes contre le sel et le poisson salé que préparent les pêcheurs du lac. À l'exception de quelques bouquets formés par l'arbuste qu'on nomme w'traria tridentata, les décombres qui constituent tout le sol de la ville, sont nus et sté- riles : ils se composent en très-grande partie de limon pulvérulent mélé de sable fluviatile très-fin; on y enfonce en beaucoup d’endroits jusqu’à la cheville, Leur couleur cendrée tire au brun rougeätre dans toutes les places où dominent les débris en terre cuite. On y remarque principalement des tessons de poterie gros- sière, des fragmens de briques de différentes espèces, et des éclats de la plupart des pierres que les anciens Égyptiens ont employées dans leurs monumens. I nest pas rarc d'y rencontrer aussi des fragmens de poterie vernissée, de verre blanc ou diversement coloré, de gypse en petites lames, et de marbre blanc de différens grains. Cet ancien sol ne tranche nettement avec les plaines environnantes, qui sont toutes composées de purs attérissemens du fleuve, que pendant les premiers mois qui suivent l’époque de linondation. I se présente alors, et c'est aïnsi que nous l'avons vu, entouré de grandes flaques d’eau et de plantes marécageuses formant des îles de verdure ou des touffes clair-semées : on ne distingue même plus les berges du canal de Moueys; elles sont en grande partie noyées et masquées par de vastes champs de roseaux. Maïs après l'hiver, et sur-tout aux approches de juin , les choses changent de face : les eaux s’'évaporent ou rentrent dans le canal, la verdure disparoît, le limon se gerce profondément; de chétifs arbustes, épars de loin en loin, achèvent de se flétrir: et la terre, superficiellement ameublie par des efflorescences salines, se lie, presque sanscontraste, avec le sol des ruines. Pendant cette période de sécheresse, le canal de Moueys, qui n'est encaissé par aucune digue, se dessine d’une manière très-apparente au milieu des plaines. A sa largeur qui excède fréquemment soixante mètres, à sa profondeur qui le rend constamment navigable, et à l'abondance des eaux qui s'y versent en toute saison, il est impossible de ne pas reconnoître une des branches principales du fleuve. On se rappellera que ce canal traverse une étendue de pays considérable. 4. D. À 2  DESCRIPTION DES RUINES Sa séparation d'avec la branche de Damiette à lieu au-dessous d’Atryb, à quatre- vingts kilomètres au sud-ouest de Sän, et ses eaux se jettent dans le lac Menzaleh à vingt-deux kilomètres au nord-est des ruines. Son cours total, quoïqu'assez direct, ne laisse pas d'offrir un développement de plus de quinze myriamètres jusqu'à la bouche d’'Omm-fareg. Si l’on veut comparer ce premier aperçu de l’état des lieux avec le texte des traditions, on ne pourra guère douter que le canal de Moueys ne soit l’ancienne branche Tanitique, et l’on ne pourra s'empêcher de reconnofître dans les ruines de Sän celles de l'ancienne Tauis, ville royale sous les Pharaons, dont l'existence remontoit déjà à une assez haute antiquité du temps de Moïse, et qui depuis n’a manqué ni d'importance ni de quelque célébrité. Nous n’insisterons pas sur les preuves par lesquelles cette double identité peut être établie; car elle se trouve à peu près consacrée par le témoïgnage unanime des auteurs qui ont traité de la géographie comparée de la basse Égypte. Nous renverrons aux Mémoires déjà cités de Malus et du général Andréossy, et à ceux de nos collègues MM. Girard (1) et du Boïs-Aymé (2). La conviction qui naît de leurs travaux s’accroîtra, s’il est possible, par la connoïssance des détails dans lesquels nous allons entrer sur chaque partie des ruines que nous n'avons fait qu'indiquer. Le contour irrégulier du sol de la ville est assez exactement de sept mille trois cent cinquante mètres : sa longueur, du nord au midi, porte deux mille quatre cent trente mètres, et sa largeur, dix-sept cent dix mètres. La surface est légè- rement sillonnée par les traces des eaux pluviales qui tombent quelquefois en hiver. Ces rares averses et les vents régnans tendent sans contredit à niveler le terrain : mais leur action s'exerce bien insensiblement, et cela est aisé à concevoir: le sol, tout meuble qu'il est, se trouve arrêté, ou même fixé jusqu'à ur certain point, par les tessons et les fragmens de toute sorte qu'il renferme, ou dont il est jonché en une infinité d’endroits. | La partie méridionale des ruines a peu de relief. Les principaux massifs de décombres occupent la partie septentrionale; ils y sont rangés en forme de cir- convallation autour d'une petite plaine à peu près carrée, et qui peut avoir envi- ron cinq cents mètres de côté. La grande place dont nous avons déjà fait mention est prise sur cette plaïne, au moyen de l'enceinte en briques crues. Cette enceinte nous avoit paru régulière et rectangulaire ; mais les relèvemens géométriques de M. Jacotin lui donnent une forme trapézoïdale qui approche sensiblement de celle d'un parallélograñnme un peu obliquangle : le grand côté moyen a trois cent dix mètres; et le petit côté moyen, deux cent trente : le grand axe se dirige, à peu de chose près, de l’est à l’ouest. Cette construction est dans un état de dégradation fort avancé; on l'escalade aisément en montant sur les décombres qui masquent les paremens extérieurs et intérieurs. Malgré ce qu'elle a perdu de sa hauteur, elle s'élève encore à cinq mètres en beaucoup d’endroïits. ‘H ne nous a pas été possible d'en déterminer exactement l'épaisseur; tout ce (1) Fist, nat, tom. I], pag. 343. (2) Antiquités-/Mémoires, tom. 1, pag. 277 et 291. DE SÂN. CHAP, XXIII. $ quon peut dire, c'est qu'à ras de terre elle n’avoit pas moins de six mètres, Les briques portent quarante-six centimètres sur vingt-deux; leur épaisseur est de quatorze : elles se composent de terre du Nil pétrie avec de la païlle hachée; leur juxta-position a lieu sans autre intermédiaire qu'un peu de limon d’une pâte très-fine. Cette maçonnerie grossière, maïs qui étoit parfaitement appropriée au climat, contient soixante-onze briques par mètre cube; ce qui fait vingt-un mille cinq cents milliers de ces briques pour toute l'enceinte, en supposant qu'elle n’ait eu originairement que cinq mètres de hauteur sur cinq mètres et demi d'épaisseur . moyenne (1). Silon considère qu'il falloit extraire l'argile, amener les pailles, pétrir les mélanges, et mouler soigneusement les pièces; si l'on fait attention aux frais et aux déchets que le battage, le séchage et le transport dé masses aussi fragiles devoient entraîner, et si l’on se représente la main-d'œuvre que la mise en place devoit exiger, on pourra estimer qu'un millier de ces briques, tout posé, cor- respondoit à peu près au travail d’un homme pendant une année. Cette quantité de travail, dans un pays où les gens du peuple subsistent à si peu de frais, étant évaluée à cent francs seulement, l'enceinte auroït coûté un peu plus de deux millions de francs, et il auroit fallu employer trois mille ouvriers pendant sept ans pour la bâtir. Maïs, quel qu'ait été l'objet de cette enceinte, il est peu pro- bable qu'on lui ait originairement donné moins de hauteur que d'épaisseur; tout porte à croire que le pied de la muraïlle est actuellement enterré dans le sol environnant. D'un autre côté, l'on reconnoîft que les parties les plus saillantes sont tout aussi dégradées que les autres : d’où lon peut présumer que l'élévation de l'enceinte, avant sa dégradation, excédoïit d'une quantité notable celle dont nous sommes partis dans le calcul précédent, et qu'ainsi il faudroit augmenter plutôt que diminuer les évaluations approximatives de main-d'œuvre et de dépense dont nous venons de donner l'aperçu. | L'enceïnte est tout-à-fait rompue en quatre ou cinq endroits différens. Si l’on entre par l'ouverture qui partage la face septentrionale, on y trouve, indépen- : damment de deux énormes blocs de granit rouge de Syène que la décompo- sition spontanée a entièrement défigurés, une statue de femme. de la même matière, et que le temps n'a guère mieux traitée. Cette statue, coiffée en Isis, ayant les pieds Joints, les bras tombans et serrés contre le corps, et portant vingt- huit décimètres de longueur, se présente couchée de côté sur le sable. Elle a tout le derrière du corps, ainsi que la plante des pieds et le sommet de la tête, engagés dans une portion du bloc rectangulaire sur lequel elle 4 été sculptée ; ce qui semble indiquer qu'elle a dû être encastrée debout dans une construction, et qu'elle y jouoit le rôle de cariatide. Si l’on avance ensuite dans l’intérieur de l’enceinte, on reconnoît que Îa place est traversée dans sa plus grande longueur, c’est-à-dire, de l'est à l’ouest, par une belle ligne de débris qui la partage en deux parties, dont l'une est à peu près’ - (1) Un millier de ces briques tient la place de onze milliers de nos briques de Paris. 6 DESCRIPTION DES RUINES double de l'autre. Nous allons, à partir de l'extrémité occidentale, décrire ces débris, qui sont tous en granit rouge de Syène. On trouve d'abord un monceau de cinquante-trois blocs rectangulaires des plus grandes dimensions. Ils sont confusémént entassés les uns sur les autres, et en partie enterrés dans le sable. Plusieurs ont au-delà de deux mètres de longueur et de largeur, sur environ un mètre d'épaisseur, et portent, sur une de leurs grandes faces, des tableaux sculptés dont les personnages ont Jusqu'à onze déci- mètres de hauteur. D’autres ont près de trois mètres de longueur, sur un peu plus d’un mètre de largeur et d'épaisseur, et la disposition des sculptures semble indiquer qu'ils formoient des architraves. Tous ces blocs ont au moins une de leur face travaillée; les personnages , comme les hiéroglyphes, sont d’un ciseau parfait. Ce monceau remarquable couronne une butte élevée, et assez étendue pour qu'on puisse supposer qu'elle renferme une bien plus grande quantité de débris que ceux de la surface, Elle est, en effet, composée d'un sable pur, qui a été évidemment transporté par le vent, et qui paroît ne s'être amoncelé sur ce point que parce qu'il y existoit un grand obstacle. Quoi qu'il en soit, il est bien diflicile de se faire une opinion sur le monu- ment auquel ces matériaux ont appartenu. Leur position près d’une interruption assez considérable de la face occidentale de l'enceinte semble annoncer qu'ils faisoient partie d’une porte triomphale. La forme de la plupart des blocs ne re- pousse pas cette conjecture : mais, si l'on veut s'y arrêter, il faut en même temps supposer que toutes les corniches et les pierres des angles ont été enlevées ou. enterrées, car on n'en trouve aucun vestige; et l'on est obligé d’avouer que la présence des pièces qui ressemblent à des architraves reste sans explication. Nous ajouterons que le terrain sablonneux environnant est jonché de fragmens de grès; ce qui annonce qu'on y a débité des blocs de cette matière : or le grès n'a pu être employé à côté du granit que dans une tout autre construction qu'une porte triomphale. À une vingtaine de mètres en avant de la butte, se trouvent cinq grandes dunes irrégulièrement espacées, quoiqu'alignées dans une direction perpendi- culaire à la ligne des débris, et composées de sable pur : tout porte à croire qu'elles ont des masses de pierre pour noyau. À trente mètres plus loïn, on rencontre un beau fût d’obélisque, posé à plat, enterré par la base, et découvert jusqu'à sa pointe sur une longueur de onze mètres deux dixièmes (1); il ne porte qu'un seul rang d'hiéroglyphes sur chaque face. La décomposition commence à ronger assez fortement les parties qui avoisinent Ja base : ce n'est pas sans regret que l’on s'aperçoit que déjà plu- sieurs caractères se trouvent presque entièrement effacés. À une cinquantaine de mètres au-dela, on voit les restes d’un autre obé- lisque ; ils consistent en trois pièces qui comprennent le sommet, et qui, réunies, auroient un peu plus de quinze mètres. (1) Voyez la représentation de cet ohélisque, qui a été dessiné par M. Févre, 4. vol, W, pl. 29. DE SAN: CHAR, X XIII, " On remarque à quelques pas plus loin la partie supérieure d’un troisième obé- lisque. Ce fragment peut avoir un peu moins de onze mètres, Bientôt après, on trouve, en s’écartant un peu au midi, la partie intermédiaire d'un quatrième obélisque ; elle est en deux pièces juxta-posées, et portant ensemble un peu plus de dix mètres. Revenant sur la ligne des débris, on rencontre ensuite une portion de fût rectangulaire, allant en se rétrécissant foiblement d’un côté, et que nous avons jugée provenir d'un cinquième obélisque, dont le module étoit beaucoup plus petit que celui des précédens. Ce fût, qui pourroit, à toute rigueur, avoir fait partie d'un pilastre, n'a que cinq mètres de longueur. Peu après, et en s’écartant de quelques pas vers le nord, on observe un segment d'un très-gros obélisque, ayant plus de six mètres de longueur; il for- moit la base du monolithe. Ce qui le rend très-remarquable , indépendamment de la puissance de son module, c'est qu'il présente trois rangs d’hiéroglyphes sur chaque face, particularité qui sufliroit seule pour le distinguer de tous les autres. | Parvenu aux deux tiers de la longueur de la place, l'observateur est obligé de franchir un groupe de dunes assez élevées, sur les sommets desquelles treize blocs d’un très-gros volume se trouvent dispersés et en partie enterrés. Tout porte à croire que ces débris ont des points d'appui plus solides que le sable environnant; ils reposent sans doute sur des blocs de même genre, qui, faisant obstacle au milieu de la place et arrétant le sable promené par le vent, ont déterminé la formation des dunes. Quelques-uns sont de simples parallélipipèdes rectangulaires de différentes dimensions, et cubant de deux à quatre mètres; d’autres, plus considérables, nous ont semblé avoir appartenu à des architraves. H en est deux qui ont particulièrement attiré notre attention : on aura une idée de leur forme, si l’on se représente une énorme plaque rectangulaire de granit, ayant un mètre d'épaisseur sur deux mètres et demi de longueur et de hauteur, et dans laquelle deux petites arêtes voisines se montrent remplacées par une portion de plan cylindrique. La figure ci-joïnte en offre le modèle, (. On ne peut voir qu'une des deux grandes faces de chacune de ces pierres, parce qu'elles sont posées à plat: ces faces offrent, au milieu d’un bel encadrement d'hiéroglyphes, la représentation d’une scène dont les personnages ont environ onze décnètres de hauteur. La position des personnages démontre que les pierres devoiïent être placées de champ, et de manière que les portions arrondies se trou: vassent en haut. Manquant des moyens qui eussent été nécessaires pour dégager ces monolithes , nous nous sommes contentés de creuser autour de manière à pouvoir en déterminer la forme, et constater qu'il existe aussi des sculptures sur les grandes faces de revers. Depuis que j'ai communiqué ces observations à notre collègue M. Jomard, je regrette beaucoup que nous n’ayons pu vérifier si les quatre faces, qui devoient être placées de champ et que nous avons regardées comme paral- lèles, ne se rapprochoïent point un peu vers le sommet. Quoi qu'il en soit, les 8 DESCRIPTION DES RUINES données que je viens d'exposer suffisent pour indiquer que ces deux monolithes n'ont point appartenu à des dossiers de colosses; on doit les regarder, avec M. Jomard, comme des monumens votifs, dans le genre de ceux quon voit figurer dans les hypogées, et dont la matière est tantôt en pierre et tantôt en bois. Il ne seroïit pas impossible cependant que ces pierres eussent appartenu à des monumens votifs de plusieurs pièces, et que chacune d'elles, portée sur un fût d’un calibre correspondant, eût formé le sommet d’une espèce de stêle. Dans cette supposition, elles auroient beaucoup de rapport avec les deux grands monolithes que M. Jomard a décrits dans son Mémoire sur l'obélisque de l’île Tibérine (1): la principale différence consisteroit en ce que l'arrondissement des sommets, dans les obélisques de l'ile Tibérine et de Crocodilopolis, a été exécuté de manière que l'axe du cylindre culminant se trouve parallèle à la largeur des deux grandes faces. Au reste, les deux pierres de Sân dont il vient d'être question, ne sont pas seulement remarquables en ce qu'elles augmentent la classe des monolithes votifs; elles se recommandent à l'attention du voyageur par. la conservation des sculptures et la perfection du dessin. On voit, sur une des dunes au nord-est, la portion intermédiaire d'un septième obélisque; elle repose sur une de ses arêtes longitudinales, et elle sort de terre sur une longueur de quatre mètres et demi. À quelques pas plus loin vers l'est, on rencontre deux fragmens d’un huitième obélisque; ils en formoïent la partie supérieure. Couchés à plat l'un à côté de l'autre, et d'une longueur à peu près égale, ils portent ensemble un peu moins de onze mètres. Enfin, à l'extrémité de la ligne des débris, c'est-à-dire, à environ quarante mètres avant d'arriver à la partie orientale de l'enceinte, on trouve un neuvième obélisque couché à plat, et dont la partie supérieure est enterrée. Nous avons mesuré dix mètres et demi à compter de la base sur la face découverte. Cette base, qui est bien prononcée, a seize décimètres de côté. Je ferai observer maintenant que les fragmens des cinquième et sixième obé- lisques nous présentoient des caractères qui ne permettoient de faire aucune méprise. Quant aux fragmens d'après lesquels nous avons conclu l'existence de sept autres obélisques, ïl seroït dificile que nous fussions tombés dans quelque erreur. D'abord il y en a quatre parfaitement indiqués par des sommets complets. On ne pouvoit donc hésiter qu'à l'égard du quatrième, du septième et du neu- vième : or, à l'égard de ce dernier, dont la base présente un terme fixe, il se pourroit qu'il fût entier, ou du moins qu'il eût beaucoup plus de longueur qu'on n'en peut voir. Mais, indépendamment de ces deux motifs , si l’on veut faire atten- tion à la largeur que présente la face découverte au point où elle disparoît en terre, et si l’on essaie de reporter cette dimension sur la grosse extrémité de chacun des fragmens qui ont appartenu aux quatre obélisques incontestables, on (1) Voyez ce Mémoire de M. Jomard, ainsi que la A. D. chap, XVII, tom. IT du texte, pag. 43, et la Description de lobélisque de Begyg par M. Caristie, planche 71, vol. IV des gravures. reconnoît DE SÂN CHAP, YYif1, ) reconnoît quelle est très-sensiblement moindre que la largeur de chacun de ces fragmens. Le même essai fait pour le grand füt du quatrième obélisque nous a indiqué une exclusion encore mieux prononcée. Quant au septième, la com- paraison des dimensions du fragment qui nous en reste à donné des différences moins grandes, mais sufhsantes. Ce fragment est d’ailleurs éloigné de près de cinquante mètres du troisième obélisque, le seul dont on pourroit essayer de le rapprocher. Je dois ajouter que le calibre de sa partie inférieure excède celui de la petite extrémité des fûts appartenant aux septième et quatrième obélisques. On imaginera aisément que, dans ces recherches faites sur place, nous n'avons pas manqué de nous aïder des considérations tirées de la forme des cassures, des petites différences existant dans la roche granitique, et des rapports que les hiéroglyphes interrompus par les fractures pouvoient avoir entre eux. Nous avons également eu égard aux erreurs que la décomposition de la pierre pouvoit ap- porter dans la détermination de la largeur de quelques-uns des fragmens, Jose croire enfin que les détails dans lesquels je viens d’entrer expliqueront assez com- ment il a pu arriver qu'en parcourant rapidement la ligne des débris, plusieurs de nos collègues n'y aïent reconnu que sept obélisques. A l'exception des cinquième et sixième obélisques, les autres se ressembloient beaucoup, et ne portoïent sur chaque face qu'un seul rang d'hiéroglyphes. Chaque rang s'élevoit au milieu de la face, et n’occupoit que le tiers de son étendue. Quant à la hauteur des sept monolithes dont il s'agit, on peut en conclure le maximum d'après le module de la base du neuvième, et l’on doit croire qu'ils n'avoient guère plus de vingt mètres, ni moins de quinze : le cinquième obélisque devoit être peu remarquable par ses dimensions; mais ils devoient tous être dominés par le sixième, dont les puissantes dimensions sont attestées par le fragment qui est orné de trois rangs d’hiéroglyphes sur chaque face. Je ne quitterai pas l'enceinte où ces débris sont étendus, sans observer que nous avons trouvé, Vers le milieu de la place, des recoupes de verre de difié- rentes couleurs, des éclats d'émaux polis en partie, des amulettes en cornaline grossière, des pièces de bronze complétement altérées, et des fragmens d'un très- beau lapis-lazuli; fragmens assez abondans pour que j'aie pu en recueillir plus d'un kilogramme en quelques instans. En sortant de l'enceinte du côté de l’est, on rencontré bientôt, au pied des monticules de décombres qui dominent de: ce côté, trois chapiteaux semblables et un fragment de colonne appartenant au même ordre. Chacun de ces chapiteaux se compose d'une campane et d’un dé; la hauteur totale est de douze décimètres et demi. Le dé, qui est trés-plat et très-étendu, porte onze décimètres de côté sur vingt-trois centimètres d'épaisseur. La campane est octogone, à palmes plates dont la forme n’est qu'indiquée, et qui se terminent par une saillie hémisphérique renversée et tout unie. Ces chapiteaux ressemblent beaucoup à ceux du grand temple d’Antæopos (1). (1) À. vol. IV, pl. 4. À D. B 1 © DESCRIPTION DES RUINES La portion de fit qui accompagne un des chapiteaux, n'a pas plus de deux mètres de longueur, et comprend f'extrémité supérieure de la colonne dont il faïsoit partie. Son diamètre est d'environ neuf décimètres : il prend la terminaison octogone, qui lui étoit nécessaire pour s’ajuster à la base des chapiteaux; le reste du fût est cylindrique et cerclé de liens assez serrés. On n'aperçoit d’ailleurs aucun vestige d'hiéroglyphes sur ces débris, dont le granit rouge de Syène fait la matière. En continuant sa route à travers les décombres , on trouve plusieurs blocs informes de granit, qui sont épars sur le versant occidental des monticules et sur les sommets. On a bientôt vu les vestiges de la tour moderne qui existoit sur la plate-forme dont il a déjà été fait mention; ils consistent en une épaisse fondation de forme carrée, ayant environ sept mètres de côté, et dont la maçon- neérie est maintenant presque à fleur de terre. | De là on peut descendre du côté du nord est pour aller visiter une butte assez étendue, quoiqu'assez basse, qui est à la distance d'environ quatre cent cinquante mètres de la plate-forme. Pendant l’inondation, elle ne tient au sol des ruines que par une langue de terre fort étroite. Je ne l'ai point visitée; mais Dolomieu et M. Jacotin y ont observé plusieurs souterrains qui paroïssent avoir servi de tombeaux, et ils y ont constaté l'existence d’un assez grand nombre de pierres plates couvertes d’hiéroglyphes. | En revenant, après cette excursion, vers le massif de la plate-forme, on ren- contre, sur le revers oriental des monticules, un très-gros bloc de granit com- plétement informe, aïnsi que les débris d’une grande niche de la même matière. Le fragment principal de cette niche se voit à la partie supérieure du versant; les deux autres ont roulé jusqu'au bas de la pente. En réunissant ces trois pièces, il seroït aisé de restaurer le monolithe. On peut en voir la représentation dans les planches de l'ouvrage (1); voici ses principales dimensions : Longueur totale /,....,.:.., NÉE 174 À FO: dti. ETS 600 AU ZOÉ PE Épaisseur totale. .............., PE A CP +74. Le a 9 () Hauteur totale. ...... ddéréie 0 unreret, dE AR AE RER SAR NE 15 1 Hauteur et profondeur de l’excavation rectangulaire... ..... PEER ENS ON À 6 8. Épaisseur de fa bordure de l'excayvation.…. . ... 402, 0, NON D 1 Épaisseur de fa tranche solide qui comprend la corniche............. see Rd kr. Épaisseur de Ja tranche solide qui forme le dôme ....,.::..... RPESATSINE 3 ©. Une feuillure de deux centimètres et demi, qui règne au pourtour de l'exca- vation, et les trous creusés aux quatre angles de la feuillure, indiquent que la niche devoit être fermée par deux vantaux, et qu'elle servoit probablement de tabernacle. Du reste, on est étonné qu’un monolithe de cette dimension n'ait été orné d'aucune espèce de sculpture. Si l’on veut ensuite franchir les monticules qui s'étendent au sud du massif (1) A, vol. V, pl 29. DE SÂN. CHAP. XXIII. TI de la plate-forme, on rencontre, sur leur revers méridional, plusieurs blocs informes de granit et de grès quartzeux. Une fois sorti de la grande circonvallation de décombres que nous venons de parcourir, l'observateur n'a plus devant lui qu'une espèce de plaine assez inégale, qui se prolonge au midi sur une longueur d'environ mille mètres, et qui se termine par une petite chaîne de collines surbaissées et de la même nature que toutes les précédentes. D'après le plan de M. Jacotin, sa largeur varie de deux cents mètres à sept cents; cependant cette plaine nous avoit paru plus régulière, plus grande, et sur-tout d’une largeur plus constante. Je m'explique facilement le peu d'accord qui existe à cet égard entre nos observations, soit par la difficulté de déterminer nettement les limites de l'inondation à l'époque de la sécheresse, soit par la différence de hauteur que la crue du Nil présente d’une année à l'autre. Quoi qu'il en soit, on pourroit considérer cette plaine comme ayant servi d'emplacement au faubourg de la ville de Tunis, s'il ne s'ytrou- voit quelques vestiges extrêmement remarquables d’une très-grande construction. Avant de décrire ces vestiges, nous devons faire mention de plusieurs blocs de grès quartzeux rougeâtre qu'on voit dispersés à l'extrémité méridionale de la plaine, et de quelques blocs de granit, également informes, qu'on rencontre en rétrogradant au nord-ouest jusqu'aux deux tiers de son étendue. Près de ces derniers blocs est un beau tronçon de statue en basalte noir antique, ou, pour parler minéralogiquement, en granitelle noir de Syène à grains très-fins. On peut présumer que le sujet étoit un Harpocrate debout. Le tronçon porte près de douze décimètres de longueur; d’un côté il finit à la cheville, et de l’autre à la ceinture. Les cuisses, les jambes, ainsi que la main et l'avant-bras, qui viennent s'arrondir sur la partie antérieure de la cuisse gauche, offrent une pureté de contours peu commune. Îl en est de même des hiéroglyphes qu'on voit régner derrière le dossier prismatique qui fait partie du tronçon. Les vestiges de la grande construction, dont il nous reste à parler, sont situés vers le milieu de la plaïne, à environ neuf cents mètres au midi de l'enceinte en briques crues. [ls consistent en vingt-quatre colonnes de granit, enterrées prèsque jusqu’à fleur de terre, et symétriquement espacées sur deux lignes parallèles qui forment avenue dans le sens de l’est à l’ouest. On compte onze colonnes sur la ligne du sud; on en voit treize sur l'autre ligne, avec deux lacunes dont la régu- larité ne permet pas de douter qu’il n'y en ait eu quinze. Ces colonnes sont dis- tantes les unes des autres de treize mètres, y compris les épaisseurs. La largeur de l'avenue, prise de la même manière, est de quatorze mètres, suivant M. Jacotin, et, suivant nous, de moins de dix mètres. Douze colonnes portent encore leurs chapiteaux, dont le granit forme également la matière. La disposition de ceux- ci sur les deux lignes n’a rien que d'irrégulier ; ils ont un peu plus d'un mètre en hauteur, et environ deux mètres sept dixièmes de diamètre : je dis environ, car ils sont tous plus ou moïns décomposés à la surface et déformé. Il en est de même de l'extrémité des fûts qui se trouvent dépouillés de leurs chapiteaux. B 1:23 DESCRIPTION DES RUINES D'après ce que nous venons d'exposer, il est évident que l'avenue se com- posoit de trente colonnes au moins , et qu'elle n'avoit pas moins de cent quatre- vingt-deux mètres (1) de longueur. La régularité des entre-colonnemens semble exclure la possibilité qu'il ait existé un plus grand nombre de colonnes dans ce minimum d'étendue. D'une autre part, la distance respective des colonnes ne permet pas de croire qu'elles aïent jamais appartenu à la façade d'un monument : quelles dimensions, en‘effet, n’auroit il pas fallu donner à un temple ou à un palais pour qu'il correspondît à une pareille façade! I est donc à présumer que le rôle de ces énormes colonnes se bornoit à former une avenue monumentale, et que les espaces qu'elles laissent entre elles étoient occupés par des statues ou par d'autres objets de décoration analogues. Il n'existe pas la moindre trace de l'édifice auquel on arrivoit par cette avenue monumentale; le sol des environs est seulement jonché d'un grand nombre d'écailles , soit de pierre calcaire, soit de grès quartzeux de différentes couleurs. Cette particularité s’observe, au reste, en plusieurs autres endroits de la surface de la ville, ét il est aisé d'en tirer les conséquences. Si l'on veut considérer que les carrières les plus voisines de cette partie de la basse Égypte, celles du Mo- qatam, en sont encore à cent vingt kilomètres à vol d'oiseau, on ne pourra guère douter que les 44 n'aient cédé, depuis plusieurs siècles, au besoin d'exploiter les ruines de Sân pour en extraire de la pierre à bâtir et de la pierre à chaux. Maïs, en outre, tout porte à croire que, sous la domination des Romains comme sous celle des Arabes, la proximité du canal de Moueys et de la mer avoit déjà permis d'y enlever la plupart des grands matériaux qui n’avoient point trop souffert de la barbarie et de la fureur des Perses. Ajoutons que le temps, qui a ici rivalisé avec les hommes , augmente, chaque jour, l'altération spontanée qui ronge les obélisques, les colonnes et la plupart des masses que nous avons décrites, en sorte que, si l’on doit s'étonner de quelque chose aux ruines de Sän, ce n'est pas de la variété et de l’étendue des monumens qu'on peut présumer y avoir existé, mais de ce qu'il reste encore assez de débris pour faire reconnoître l'ancienne Tamis, et attester que, par ses édifices, cette ville n’étoit pas au- dessous du rôle qu'elle paroît avoir joué dans les temps les plus reculés. On sait que les livres saints font plus d’une mention de la ville de Tunis. Moïse indique (2) qu'elle a été bâtie sept ans après Hébron, cité de la terre promise, qui florissoit déjà du temps d'Abraham, c’est-à-dire il y a environ trente-sept siècles (3). David célèbre les miracles qui ont illustré le législateur des Hébreux et signalé la puissance du Dieu d'Israël dans les champs de Tunis (4); événemens qui datent de plus de trois mille trois cents ans. Îsaïe, prophétisant contre l'ido- lâtrie et l’avilissement des peuples d'Égypte, reproche aux princes de Tunis, qu'il appelle les conseillers de Pharaon, leur orgueil et leur démence {$). Le même s'élève (1) Cinq cent quatre-vingts pieds. chap. 35 ,. 27, et chap. 37, x. 14. (2) ombres, chap. 13, ». 23. (4) Psaumez7, x. 12 et 43, (3) Genèse, chap. 13, y. 18; chap. 23, y. 2 et 19; (5) /saie, chap. 30, x. 12 DE SAN. CHAP. YXIIL. 12 contre l'inutile démarche des princes Juifs, qui, dans leur épouvante À l'approche des Assyriens, se sont réfugiés à Tanis (1 }. Ézéchiel, prophétisant ou plutôt décri- vant les affreux ravages des Assyriens, énumère les principales villes de Ja basse Égypte qui seront ruinées, et désigne évidemment celle de Tanis sous le nom de, T'aphnis (2). Jérémie reproche à Jérusalem de s'être laissé corrompre par les enfans de Taphnis et de Memphis (3). Enfin le même prophète, conduit à 74 aphnis par les princes de Juda, raconte, avant de prophétiser la destruction de l'Égypte par le roi de Babylone, que le Seigneur lui a ordonné de cacher certaines pierres sous la voûte qui est à la grande muraille de brique, près de la porte du palais de Pharaon (4). ; On peut présumer que la construction de la grande muraille de Tunis est au nombre de ces ouvrages si pénibles qui furent imposés aux [sraélites avant leur sortie d'Égypte. En effet, on lit dans l'Exode (s) qu'ils ne furent pas seulement employés à élever des ouvrages considérables en maçonnerie, et à bâtir Jes villes de Pithom et de Ramessès (6), qui étoient destinées à servir de magasins pour les besoins du Gouvernement, mais qu'on les réduisoit au désespoir par la quantité d'ouvrages en terre dont ils étoient accablés (7), par l'obligation de fournir la paille nécessaire à la fabrication des briques (8), et par les punitions qu'on leur infligeoit lorsqu'ils n’avoient point livré le nombre de briques qui leur étoit assigné (9). On voit aussi, dans le même livre de l'Écriture, que tous les évé- nemens qui ont précédé la sortie d'Égypte se sont passés. à très-peu de dis- tance de la terre de Gessen, c'està-dire, de la vallée de Seba’h-byär ; et l'on reste convaincu, indépendamment du témoignage du roi prophète, que ce nest ni à Memphis ni à Hcliopols, ainsi que plusieurs auteurs Font pensé, maïs bien à Tanis, qu'habitoient les princes Égyptiens qui avoient asservi les Israélites, et que c'est dans cette ville que Moïse est parvenu à arracher à l'autorité royale les ordres dont il a si habilement profité pour consommer la délivrance du peuple Juif (10). | On peut dire que Tanis a eu une position militaire aussi importante que respectable tant que la branche Pélusiaque a existé; respectable, parce qu'avant d'y arriver il falloit forcer le passage d'un des bras du fleuve; importante, en ce quelle commandoit jusqu'à un certain point la route de Syrie : un corps d'armée pouvoit y attendre commodément les invasions, et se porter en quelques heures au-devant de l'ennemi harassé par la traversée du désert. La position commerciale devoit également présenter plus d'un avantage. (1) Zsaïe, chap. 19, x. 11 et 13. de Moïse. Genèse, chap. 47, w. 6, 11 et 17; Exode, (2) Ezéchiel, chap. 30, x. 14 et 18. chap. 12, x. 37; ibid. chap. 13,4: 17. (3) Jérémie, chap. 2, x. 16. (7) Exode, chap. 1, 14. (4) Îdem, chap. 43, x. 7, 8 et 9. (8) Jbid. chap. s, w. 12. (s) Chap. 1,» 11 et 14. (9) /bid. chap. 5, x. 14. (6) La ville de Ramessès étoit située dans la terre de (10) Chap. 1,4. 15 et 18; chap. 2, v. 3 et 7; chap. 5, Gessen; à l’extrémité de l'Égypte, du côté de la Syrie. W. 4et 20; chap. 7, v. 153 chap. 8,w. 20 et 22; chap. 9, C'est de Là que les Israélites partirent, sous la conduite y. 7 et 26. 1 À DESCRIPTION DES RUINES Communiquant par le lac Menzaleh avec Péluse, qui étoit anciennement un des ports d'Égypte les plus fréquentés, Tanis offroit une station sûre ; et la branche Tanitique, par sa situation au milieu des terres, garantissoit une navigation paisible, qu'on ne trouvoit point sur la branche nue dont le cours longeoit la lisière du désert, et sur laquelle on devoit être exposé à tous les dangers qu’en- traîne encore de nos jours le voisinage des Arabes. Personne n'ignore que l'importance de Péluse s’est soutenue pendant long- temps, malgré la prospérité toujours croissante du. commerce d'Alexandrie: maïs, lorsque le port a été entièrement ensablé, ou plutôt lorsque les eaux du Nil ont cessé d'abonder et même de couler dans la branche Pélusiaque, Tanis à insen- siblement suivi le sort de Péluse. I} paroît, au reste, que la décadence complète de Tams ne remonte pas à une époque bien reculée. Ptolémée et Pline en font mention comme d’une ville considérable. Strabon la qualifre par ces expressions : #65 maxima. Au temps des Grecs, elle étoit la métropole du nome Tanitique; elle a joué le même rôle sous les empereurs Romains. Après l'établissement de la religion Chrétienne, elle a été le siége d’un évêché qui dépendoiïit du patriarche d'Alexandrie. Le P. Le Quien cite douze évêques parmi ceux qui ont occupé ce siége depuis l'année 362 jusqu'à 1086. NH rapporte en outre le passage d’une lettre écrite au pape Honorius III par Jacques de Vitri, sur la prise de Damiette par les croisés le $ novembre 1219; passage dont il résulte que les croisés se sont également rendus maîtres de a ville de Tanis et de son diocèse, qui est dépendant du métropolitain de Da- miette. Enfin le même écrivain nomme deux évêques de Tunis, lun vers EM et l'autre vers 1425, parmi ceux qu'on suppose avoir siégé depuis la malheu- reuse expédition de S. Louis, c'est-à-dire, depuis 1449 (x). Je ne discuterai point si l'abandon de Tanis est dû à la seule influence de lensablement du port de Péluse, ou bien si d’autres causes y ont coopéré, telles que les dévastations occasionnées par les croisades le long de la frontière d'Égypte, la diminution que les relations de Suez avec Damiette ont éprouvée à mesure que l'embouchure Phatmétique est devenue moins accessible, la direction nou- velle que le commerce des Indes a prise à la suite des découvertes du quinzième siècle, enfin les incursions des Arabes du désert, qui ont cessé d’avoir ‘une barrière depuis que la branche Pélusiaque est comblée. Ce qu'il y a de certain, c'est que l'existence d'une grande ville a cessé d'être nécessaire ou possible dans cette partie du petit Delta, et que, dans l'état actuel des choses, il n’entreroit probablement dans la pensée d'aucun Gouvernement de relever Tanis de ses ruines. Il n'est pas aussi facile de se rendre compte de l'abandon des campagnes qui s'étendent à une très-grande distance aux environs de Sän. L'ancienne fertilité de ces campagnes est attestée par les vestiges des nombreux canaux qui les tra- vérsoïent en tout sens, et par des buttes de décombrés assez rapprochées qui (1) Ontrs Christianus, vol. I], pag. 535-538, et vol. IT, pag. 1147-1150. DE SÂN. CHAP. XXII1. un. 1$ marquent la place des villages et des hameaux qui ont cessé d'exister. On ne peut pas dire que ce soit l'eau du Nil qui manque à cet immense territoire ; car il est naturellement inondé, pendant une partie de l’année, au moyen du canal de Moueys. Les bras ne manquent pas davantage, et, à cet égard, on peut remarquer que l'industrie agricole ne paroît avoir négligé aucun des points du petit Delta où il est possible de maintenir la culture, ft-elle du plus médiocre produit. C'est ainsi qu'à el-Malakim, village situé près de l'embouchure du canal de Moueys, on entretient soigneusement une digue à l'aide de laquelle on rétrécit le canal lorsque l'afluence des eaux du fleuve vient à diminuer : on soutient ainsi leur niveau jusqu'à l'époque de la nouvelle crue, et l'on préierve le petit territoire qui nourrit les habitans, de l'accès et de l'influence des eaux saumäâtres du lac Menzaleh. Cette influence désastreuse, de quelque manière qu'elle ait pu s'établir et qu'elle puisse encore s'exercer, paroît jouer un grand rôle dans la stérilité des campagnes de Tanis. En effet, les empiétemens du lac ne sont que trop direc- tement prouvés par les buttes de décombres et les traces des anciens ouvrages d'irrigation qu'on rencontre fréquemment au milieu même de; legunes perma- nentes qui lui servent de ceinture {1}. Ses eaux d’ailleurs ne se sont point adou- cies ; leur salure est entretenue par les vagues qu'il reçoit pendant les tempêtes, lorsque la mer franchit la langue de sable qui les sépare, et qu’elle force l'entrée des bouches de Dybeh et d'Omm-fareg. Pressé lui-même par les gros temps, ou balancé par linégale action des vents régnans, il s'étend souvent un peu au-delà de ses limites habituelles, et semble préluder à de nouveaux envahissemens. Or il est à observer que l'existence de cet état de choses ne sauroit étre le résultat de la différence qu'il pourroit y avoir entre le volume des eaux que le Nil verse actuellement dans le lac et celui qu'il y versoit anciennement. Ici comme sur le reste de la côte d'Égypte, lorsque l'on entreprend de comparer l'état des lieux avec ce qu’il étoit il y a seulement deux mille ans, on cherche vainement une masse d'attérissemens proportionnée à l'énorme volume des eaux du fleuve, qui se répandent encore chaque année sur les terres situées près de la côte, et qui, suivant d’autres canaux que ceux de Rosette et de Damiette, viennent directement déposer leurs sables et leurs troubles dans les lagunes, dans les lacs et dans la mer. Notre collègue M. Girard a prouvé, par une série d’ob- servations pleines d'intérêt {2}, que le relèvement séculaire du soi de la haute Égypte , depuis le Kaire jusqu'à Éléphantine, pouvoit être évalué à cent vingt-six millimètres. Si l'on compare la quantité d’eau qui produit cet effet sur un point donné du sol cultivé dans le Sa’ yd, avec celle qui arrose naturellement les abords du canal de Moueys, et celle qui afflue continuellement dans le bassin du lac Menzaleh, on sera porté à conclure que les dépôts qui ont lieu dans cette partie (1) L'existence de ces buttes nombreuses est d'accord ostium sunt Lacus er maxime &c enntinuæ paludes, in qui avec le texte de Strabon, qui dit formellement: MerËv bus et pagi multi sunt, Geogr. lib. xvi1. dé 78 TarnxS gl 18 IlnAëaaxS Aluyay you enn Meyæha 4 (2) Æist, nat, tom. Il, pag. 343: eur LOUA BOMS éporz. Later Taniticum Pelusiacumque ; 10 | DESCRIPTION DES RUINES du petit Delta, ne doivent pas être moïndres que dans la haute Égypte; c’est-à- dire que le terrain auroït dû s'exhausser de trois mètres soixante-dix-huit cen- tièmes (1) depuis trente siècles. Que l’on réduise, si lon veut, cette quantité, il n'en faudra pas moins admettre que les alluvions déposées pendant un laps de temps si notable auroient dû produire des effets extrêmement sensibles : ainsi le contour du lac devroit avoir éprouvé une réduction considérable, les marais environnans devroient s'être successivement desséchés, et la salure des terres qui en constituent les abords auroït dû diminuer de plus en plus. Comment se fait- il que les faits présentent des résultats précisément opposés ! Chaque année, de nouvelles couches de limon et de sable recouvrent le fond du lac et de ses envi- rons, et cependant la marche des attérissemens est devenue non pas seulement stationnaire, mais encore rétrograde ; le lac et les lagunes ont envahi des terrains qui étoient anciennement cultivés et habités; et l'influence des eaux saumûtres, dépassant les ruines de Säân, s’est successivement propagée dans un vaste terri- toire qui avoit été le théâtre de la fertilité et de l'abondance pendant un temps immémorial. : En réfléchissant sur ce phénomène, dont l'action s'est d'ailleurs exercée, ainsi que nous l'avons dit, sur plusieurs autres points de la lisière maritime du Delta, on ne peut, s'empêcher de l’attribuer à un changement progressif entre le niveau de la surface du sol et celui des eaux de la mer. Si ce changement est réel, il n'a pu arriver que de troïs manières : ou la mer s’est exhaussée tandis que le sol s'est accru; ou le sol s’est enfoncé à mesure qu’il recevoit de nouveaux dépôts, le niveau de la mer n'éprouvant lui-même aucun déplacement; ou bien enfin le niveau de la mer s’est élevé en même temps que le sol s’est affaissé. Sans doute il n'est pas aisé de démêler lequel de ces trois modes a pu être employé par la nature, et il est encore plus difficile de donner une explication tant soit peu. satisfaisante de celui auquel on devroit accorder la préférence : mais ces difficultés n'ôtent rien à l'importance de la question; elle intéresse évidemment une des branches principales de la géologie. R [ seroit hors de mon sujet de traiter cette question avec tous les dévelop- pemens dont elle est susceptible ; je ne ferai même qu'une seule observation, avant de:consigner ici l'hypothèse que son examen m'a suggérée. Il me semble que c'est en vain qu'on essaieroit, dans une explication quelconque, de supposer que les alluvions que le Nil répartit annuellement sur la lisière maritime du Delta, sont extrémement foibles; car alors il faudroit se demander comment le Delta lui-même auroit pu originairement se former, et l’on ne sauroit concevoir sa forma- tion préalable qu'en admettant une action du fleuve tellement ancienne, qu'elle remonteroit au-delà des époques les plus fabuleuses des chronologies Indiennes. Cela posé, voici l'hypothèse qui, en attendant une meilleure explication, me semble propre à rendre raison des anomalies que j'ai sommairement signalées dans la marche des attérissemens dont il est question. (1) Onze pieds huit pouces. L'histoire DE SÂN. CHAP. XXIII. 17 L'histoire nous a conservé le souvenir de plus de quatre cents tremblemens de terre qui, depuis vingt-cinq siècles, ont désolé différentes parties des anciens continens. Les côtes de Barbarie, l'Égypte et la Syrie, sont les contrées qui, à diverses époques, et notamment dans les années 1 15, 480 et 1222, ont le plus souffert de ces terribles phénomènes. Les effets que les commotions souterraines ont dû exercer sur la lisière maritime du Delta, sont aisés à imaginer. On peut les comparer à ce qui arrive lorsqu'on agite une masse de sable et de limon complétement abreuvée d’eau, et dont la surface s'incline vers un espace vide et illimité ; chaque secousse détermine non-seulement au tassement de 1a masse, mais encore une fuite de ses élémens «vers les parties basses. C’est ainsi que les attérissemens du Nil, qui sont habituellement couverts par les eaux de la Médi- terranée, ont pu s'affaisser et s'étendre à plusieurs reprises vers le fond de la haute mer, et que leur mouvement a dù être suivi par le sol des lacs et par celui dés territoires voisins, dont la masse est incessamment ameublie par l'humidité qui la pénètre à toute profondeur. Il seroit même possible que l'effet des secousses souterraines eût été augmenté par un très-léger enfoncement du berceau solide qui, à une profondeur plus ou moins considérable, sert d’assiette au Delta. Maïs la supposition de cette cause secondaire ne deviendroïit péremptoire qu'autant qu'il seroit prouvé que la chaîne calcaire d'Alexandrie et d’Abouqyr est actuellement un peu plus enfoncée au- dessous du niveau de la mer qu'elle ne l’étoit anciennement : or, à cet égard, je n'oserois avancer que le témoignage des observateurs est unanime. Je me con- tenterai donc de faire remarquer que, dans l'opinion de ceux qui tiennent ce changement de niveau pour constant, c'est presque gratuitement qu’on a entre- pris de l'expliquer au moyen d’une élévation progressive et générale de la Médi- terranée (1). Si cette élévation avoit eu lieu, on l’auroit facilement et depuis long- temps constatée en une infinité d’endroits; or il est certain que, depuis les temps historiques, aucun fait positif n'en a suggéré l’idée, si ce n’est près d'Alexandrie : mais nous savons, au contraire, que plusieurs plages de la Méditerranée ont éprouvé des mouvemens plus ou moins prononcés, soit de soulèvement, soit d’abaissement, par l'effet de différens tremblemens de terre ; et il paroît démontré qu'après les oscillations quelques-unes de ces plages n’ont pas exactement repris la position qu'elles occupoient auparavant, eu égard au niveau des eaux. Aïnsi donc l'hypothèse qui se borneroit à enfoncer la petite plage d'Égypte pour rendre raison de Fétat actuel des choses, sembleroïit bien préférable à celle qui, dans le même but, prétendroit exhausser toute la Méditerranée dans l'étendue de son immense bassin. On me pardonnera, j'espère, la digression à laquelle je viens de me livrer, (1) On sait qu'il existe en faveur de cette hypothèse tantes; j'en ai été le témoin, et j'estime que c’est avec une autorité bien puissante, celle de Dolomieu : aussi fondement qu'il a annoncé le changement de niveau dois-je avouer que ce n’est pas sans un mûr examen que dont il s’agit, et qu'il en a porté l'évaluation à plusieurs je me suis décidé à l’abandonner. Du reste, les obser- décimètres pour un laps de vingt siècles. vations qui la lui avoient suggérée me paroïssent cons- 4. D. C L 8, DESCRIPTION DES RUINES DE SÂN,. lorsque. j'aurai fait remarquer que, s’il y a un moyen d'arriver directement à la solution du problème que j'ai indiqué, ce ne peut être qu’en faisant aux ruines de Sân des recherches plus approfondies que celles auxquelles nous avons pu nous livrer. On ne peut douter que les colonnes de lavenue-monumentale que nous avons décrite ne soient en place, car elles sont régulièrement espacées, et les chapiteaux qu’elles supportent s’alignent sur un même plan horizontal. L'ancien sol, sur lequel elles reposent, doit être situé à une assez grande profondeur, si l’on en Juge par le module des chapiteaux: or cette profondeur n'a paru inférieure au lit actuel du canal de Moueys, et je ne suis pas éloigné de croire qu’elle est au-dessous du niveau du lac Menzaleh er de celui de la Méditerranée. On voit qu'il y a À un grand fait à constater. Si, par des fouilles bien dirigées et un nivellement facile à exécuter, quelque voyageur parvenoit un jour à s'assurer que l'état des choses est tel qu'on doit le croire, il faut convenir que la colonnade dont il s'agit mériteroit plus de célébrité que celle du temple de Sérapis à Pouz- zoles {1}, et que les ruines de Sn, déjà si remarquables par les souvenirs poli- tiques et religieux qu'elles rappellent, acquerroient un genre d'intérêt tout-à-fait nouveau, puisque leur existence se trouveroit liée d’une manière extrêmement heureuse à l’histoire des causes physiques dont le concours tend à modifier sans cesse la surface de la terre. (1) Breislak, Voyage dans la Campanie, tom. II, pag. 165. DESCRIPTION DES PRINCIPALES RUINES SITUÉES DANS LA PORTION DE L'ANCIEN DELTA COMPRISE ENTRE LES BRANCHES DE ROSETTE ET DE DAMIETTE ; Par MM. JOLLOIS Er DU BOIS-AYMÉ, MEMBRES DE LA COMMISSION DES SCIENCES ET DES ARTS D'ÉGYPTE, INGÉNIEURS DES PONTS ET CHAUSSÉES, CHEVALIERS DE LA LÉGION D'HONNEUR. II I IS I I OT TT A CHAPITRE XXV. II TS A OT OT I OT OT e Nous avons inséré parmi les Mémoires relatifs à l'Égypte moderne un écrit où nous avons indiqué toutes les positions des villes anciennes que des courses fréquentes dans le Delta nous ont mis à portée de reconnoître {r). Quelques-unes de ces ruines, et même quelques villes modernes, renferment des antiquités remar- quables, dont il importe de parler avec plus de détails. Nous allons remplir cette tâche dans ce chapitre, qui sera Cônsacré à décrire les monumens de Bahbevyt, les débris antiques qui se voient à Mehallet el-Kebyr, gt les restes de la splendeur de Sais. Sr fr Monumens de Bahbeyt. BARBEYT est situé au nord de Semennoud, à huit mille six cents mètres de dis- tance de cette dernière ville, et non loin du canal de Ta’bänyeh, qui a son origine dans la branche de Damiette. Une grande enceinte quadrangulaire, de trois cent soixante-deux mètres de long, et de deux cent quarante-un mètres de large, ren- ferme les ruines de l’ancienne ville, situées près de ce village : elle à cinq issues; sa- voir, deux à l’ouest, autant au sud, et une seule au nord : elle est formée de briques crues , qui PRÉPEOROInE autrefois un parement bien desc mais qui n'offrent plus maintenant qu'une surface inégale et des masses irrégulières. C’est au milieu de cette enceinte que sont amoncelés, dans un espace de quatre-vingts mètres de lon- (1) Voyez notre Voyage dans le Delta, É. M. tom. IL, par M. du Bois-Aymé, Antiquités- Mémoires, tome 1, page gr, et la carte des anciennes branches du Nil, page 277. HN D À 2 DESCRIPTION DES PRINCIPALES RUINES gueur sur cinquante mètres de largeur, les débris de l'un des plus beaux monumens de l'architecture Égyptienne. On n’'aperçoit d'abord qu'un amas confus de pierres granitiques de couleurs variées, dont les formes carrées, les angles saïllans et les arêtes vives et bien dressées peuvent seuls faire présumer que ces matériaux ont été mis en œuvre; mais, si l'on vient à considérer ces débris de plus près, on reconnoît bientôt des pierres qui ont appartenu au plafond d'un édifice, des architraves, des chapiteaux de colonne, des frises, des corniches, et tous les membres d'architecture d’un temple Égyptien. Nous avons mesuré une pierre de plafond de trois mètres quarante centimètres de long, un mètre quarante centimètres de large, et soixante-douze centimètres d'épaisseur. Un scarabée aïlé est sculpté sur une de ses faces, et il n'y a point de doute qu'elle n'ait fait partie du soflite de l'entre-colonnement du milieu du portique. Il faut que l'édifice se soit affaissé sous son propre poids, ou qu'il ait été sapé dans ses fondemens, pour ne présenter ainsi, dans ses débris maintenant apparens, que les pierres qui ont fait partie de sa sommité. Nous avons aperçu les restes de huit chapiteaux, et nous ne doutons point qu'en faisant des fouilles on n’en trouvât un plus grand nombre. Ils sont tous composés de têtes d’Isis et semblables à ceux du temple de Denderah{r); mais ils sont moins ornés et d’une proportion beaucoup moins grande. Cette similitude de forme dans les chapiteaux, l’aspect des autres débris et les sculptures qui les couvrent, ne laissent aucun doute sur la grande analogie qui devoit exister entre le temple de Bahbeyt et celui de Denderah : c’est pour fous un motif sufhisant de comparer les dimensions de quelques membres d'architecture de ces deux édifices, afin d'en tirer des conséquences probables sur l'étendue totale du temple, dont il n'existe plus que des monceaux de ruines. Nous ferons remarquer, par exemple, que la distance entre les extrémités des oreilles est d’un mètre quarante-six centièmes dans le chapiteau de Bahbeyt, et de deux mètres huit centièmes dans le chapiteau de Denderah; que le diamètre des colonnessde Denderah est de deux mètres douze centimètres, et celui des colonnes de Bahbeyt, d'un mètre cinquante-deux centimètres. II résulte de Pique l'édifice qui a existé autrefois à Bahbeyt étoit cons- truit sur des dimensions moins grandes que celles du temple de Denderah, dans le rapport de $ à 7. Aïnsi la façade de son portique devoit avoir trente mètres de longueur, et dix-huit mètres de profondeur; et le reste du temple n'avoit sans doute pas moins de quarante mètres de long sur vingt-cinq mètres de large. Ces dimensions s'accordent d’ailleurs fort bien avec l'étendue occupée maintenant par les débris du monument, répandus sur une superficie de quatre-vingts mètres environ de longueur, et de quarante-cinq à cinquante mètres de largeur. On voit épars de tous côtés des fragmens couverts d'hiéroglyphes, parmi lesquels on remarque particulièrement des corniches et des frises richement sculptées : une de ces comiches a soixante-onze centimètres de hauteur, et la frise qui est au-dessous a un mètre quatre-vingt-six centimètres. On aperçoit aussi des blocs de granit où sont pratiqués des soupiraux, à travers lesquels la lumière arrivoit dans le temple. Chaque soupirail a, dans sa plus grande largeur, un mètre trénte-cinq centimètres. Des portions d'escalier ne sont pas loin de Vi (1) Voyez la planche 29, fig. 2, 4 vol. V, et les planches 7,9, 12,29et 30 du temple de Denderah, 4. vol, IV. SITUÉES DANS LANCIEN DELTA. CHAP. XX. 3 plusieurs degrés sont taillés dans le même bloc: l'escalier avoit une montée fort douce ; la forme en étoit la même que dans les temples de la Thébaïde. La longueur des marches est d’un mètre trente-cinq centimètres. Par-tout on remarque avec étonnement des surfaces planes exactement dressées, des arêtes vives et droites, et des sculptures extrêmement soïgnées ; travail immense, si l’on considère sur-tout la dureté de la pierre. S'il pouvoit rester quelques doutes sur la destination de l'édifice et sur la divinité qui y étoit révérée, ils seroïent bientôt levés par l'examen attentif des débris que nous venons de décrire. En effet, les paroïs tant intérieures qu'extérieures des murs sont couvertes de sculptures divisées en différentes scènes, comme dans les temples de la haute Égypte. On y a représenté principalement des offrandes à Isis, dont la coiffure est formée d'un disque enveloppé des cornes du taureau (1). Ces sculp- tures sont séparées, en haut et en bas, par des rangées d'étoiles, et, sur les côtés, par des lignes d’hiéroglyphes. Les frises sont également décorées de têtes d'Isis, et il n'y a de comparables à leur élégance et à leur richesse que les ornemens si gracieux des membres d'architecture analogues du grand temple de Denderah. On retrouve enfin à Bahbeyt, comme à Tentyris, la figure d'Isis reproduite par- tout, et combinée avec des ornemens de l'effet le mieux entendu et le plus oréable. Les ruines de Bahbeyt nous offroient l’occasion de vérifier si les anciens Égyp- tiens ont employé dans leurs monumens des colonnes de granit d’un seuk mor- ceau; car c'est une chose digne de remarque, que,'dans la grande quantité de ces colonnes monolithes que l'on retrouve parmi les ruines antiques aucune ne portélle caractère Égyptien (2). La plupart d’entre elles ont un astragale, ornement tout- à-fait inusité dans l'architecture de l'Égypte. La colonne d'Alexandrie, que fon appelle improprement du nom de Pompée, puisqu'une inscription qu'on lit sur son fût annonce quelle a été érigée en l'honneur de Diociétien, est elle-même taïllée dans le style Grec ou Romain. Toutes nos recherches dans les ruines de Bahbeyt nous ont confirmés dans l'opinion que le$ colonnes du temple d'Isis étoient construites par assises, comme celles en grès ou en pierre de tous les temples et palais que nous avons vus dans la Thébaïde. If nous semble que si les Égyptiensen ont usé ainsi, c'est que, dans leur système d'architecture, ils n’ont jamais eu l’idée de considérer une colonne seule comme formant un monument, ainsi que cela est arrivé postérieurement dans l'ancienne Rome et dans PEurope moderne. Ils ne s'en servoient que pour soutenir les architraves et les picrres énormes qui composoient les plafonds de leurs édifices ; et il est naturel, d’après cela, qu'ils n'y aient point mis le même luxe que dans l'érection des statues colos- sales de leurs divinités, des chapelles où étoïent renfermés les objets sacrés de leur culte, et enfin des obélisques élevés en honneur des dieux et des héros, monu- mens qui tous étoïent monolithes, et pouvoiïent être en quelque sorte considérés isolément. (1) Voyez planche 29, fig. 3, 4. vol. & et dans un grand nombre de mosquées des villes de (2) Nous avons trouvé de ces sortes de colonnes à lEgypte. ( Woyez les Descriptions des antiquités de ce: Syène, à Hermonthis,a Antinoë, au Kaïre, à Alexandrie différens lieux.) AD: | À 2  DESCRIPTION DES PRINCIPALES RUINES Le granit noir forme la plus grande partie des ruines de Bahbeyt; on y voit cependant du granit rouge, dont le poli est extrêmement beau. Quelquefois le même bloc est composé de ces deux espèces de matières. Les ruines de Bahbeyt présentent un tel désordre et une telle confusion, qu'il est impossible d'en reconnoître le plan primitif. Leur aspect est muet pour celui qui na point vu d’édifices semblables à celui dont elles offrent les débris: mais le voyageur qui à parcouru les monumens de la haute Égypte, réédifie facilement par la pensée le temple de Bahbeyt. I replace les uns sur les autres ces tronçons de colonne épars, ces chapiteaux à tête d’Isis et leurs dés renversés : il se les représente surmontés de leurs architraves richement décorées, de leurs corniches élégantes, et tout-à-coup apparoît devant lui un temple magnifique. entre sous le portique, qui présente six colonnes de front sur quatre de profondeur ; il s'avance ensuite dans la salle hypostyle ou le second portique; et, après avoir traversé plusieurs pièces, il pénètre jusque dans le sanctuaire où les dieux ren- doïent leurs oracles. Ce lieu révéré est entouré de salles mystérieuses consacrées aux principales divinités de l'Égypte, et où l’on découvre des traces de conduits secrets. De ce côté, les prêtres, se dérobant à tous les regards, s’introduisoient dans les souterrains : de cet autre s’échappoit la voix redoutable qui faisoit entendre la volonté du dieu adoré dans le temple. Sort-on du sanctuaire; on trouvé un escalier qui conduit sur la terrasse de l'édifice, dont on aperçoit encore mieux alors la construction. On est frappé des dimensions considérables des pierres qui forment les plafonds; et tous ces matériaux, couverts de sculptures d'un fini pré- cieux, sont d'un granit dont les carrières ne se retrouvent qu'à Syène, à plus de cent myriamètres (1) de Bahbeyt, en remontant le fleuve. Telles sont les importantes ruines que nous avions à décrire, et où l'on doit voir, ainsi que nous l'avons établi ailleurs (2), les restes de la splendeur de la ville d'Isis, dont il est fait mention dans Plinéket dans Étienne de Byzance. CES 6 A Antiquités de Mehallet el-Kebyr. MEHALLET EL-KREBYR (3) est située à trois heures de marche de Semennoud. C'est la capitale de la province de Gharbyeh. Quoïque ses édifices soïent modernes, elle renferme cependant des monumens qui méritent de fixer l'attention, soît que ces antiquités proviennent d’une ville Égyptienne sur les débris de laquelle Mehallet el-Kebyr seroit bâtie, soit qu’elles aient été transportées des ruines de la ville d'Isis ou de Sébennytus aux endroits où on les voit maintenant. Ces antiquités consistent en un assez grand nombre de fragmens de granit de différentes couleurs , en des blocs de grès siliceux, semblable à celui qu’on extrait de Ja mon- tagne rouge aux environs du Kaire, et en quelques pierres cubiques de grès brèche, {1} Deux cent vingt-cinq lieuesde vingt-cinq au degré. (3) Voyez ce que nous rapportons de cette ville dans (2) Voyage dans l’intérieur du Delta, Æ. M. 10m, 11, notre VoYage dans le Delta. | PAGE SITUÉES DANS L'ANCIEN DELTA CHAP. XX. $ pareil à celui des statues colossales de la plaine de Thèbes. Ces morceaux, épars dans les rues, ou employés dans la construction des édifices modernes, sont pour la plupart sculptés et représentent plusieurs figures en action, espèces de tableaux en bas-relief parfaitement semblables à ceux dont les temples de la haute Égypte sont ornés. | Les mosquées de Mehallet el-Kebyr sont remplies, comme celles du Kaiïre, de petites colonnes de granit rouge qui ne nous ont nullement paru porter le caractère Égyptien. Dans la cour de l’une d'elles, il y a un sarcophage de même matière (1). Sa longueur est de deux mètres soixante centimètres; et sa hauteur, d'un mètre cinquante-deux centimètres. On a sculpté sur ses faces latérales deux guirlandes suspendues à deux anneaux et séparées par un carré saillant sur le fond : au milieu de chacune d’elles on voit une étoile à six branches. Sur les faces antérieure et postérieure il ny a qu'une seule guirlande sans étoile. Ce sarco- phage annonce assez, par sa forme et ses ornemens, un ouvrage Grec qui n'est qu'ébauché. On s'en sert aujourd’hui pour contenir une partie de l'eau nécessaire dans la mosquée aux usages religieux. Auprès de la cour où il est placé, et dans une chambre dépendante d’une fontaine publique plus particulièrement employée aux ablutions, on trouve un autre sarcophage en pierre calcaire (2). Celui-ci est encastré dans le sol jusqu'à la partie supérieure. Sa longueur est d’un mètre quatre-vingt-seize centimètres. Îl a exactement la forme. d’une momie : sa partie supérieure offre, en effet, le contour de la tête d'une momie, ainsi que l'élar- gissement des épaules ; et sa partie inférieure, le rapprochement des pieds. Une rainure qui fait tout le tour de cette-tombe, étoit destinée à recevoir un «cou- vercle : car tous les sarcophages étoïent fermés ; et s’il est rare de retrouver leurs couvercles, c’est que, par une bizarrerie singulière , ces sarcophages, dont l'objet étoit de garder les dépouilles des morts, sont devenus presque par-tout des baï- gnoires ou des fontaines employées À conserver la santé des vivans. Par cette nouvelle destination, les couvercles devenus inutiles-ont sans doute été détruits. C'étoit d’aïlleurs, lors de la violation des tombeaux , la partie la plus exposée à être brisée. Il nous a été impossible de vérifier si le sarcophage qui nous occupe est décoré d’hiéroglyphes à l'extérieur ; mais nous pouvons assurer qu'il n'en con- tient point dans l'intérieur. | Les marches des escaliers de la mosquée qui renferme les différens objets antiques que nous venons de décrire, sont en granit et couvertes d’hiéroglyphes. La partie inférieure du minaret d’une autre mosquée de Mehallet el-Kebyr est formée de fragmens antiques en granit rouge. Enfin dans une troisième mosquée on voit un monolithe en granit noir (3), semblable à ceux qui existent encore dans les temples de Pile, où l'on sait qu'ils servoient à renfermer l'épervier sacré. Placé au milieu de la mosquée, dans l'endroit destiné aux ablutions, ce monolithe est renversé de manière à pouvoiricontenir l'eau né- cessaire aux usages religieux. Il a un mètre soixante-dix-huit centimètres de hau- teur totale, et sa base est un carré de quatre-vingt-douze centimètres. Dans Ja (1) Voyez la planche 20, fig. 13 et 14, À, vol. V. (3) Voyez la même planche, fig. ro. (2) Voyez la même planche, fe. 11 et 12. 6 DESCRIPTION DES PRINCIPALES RUINÉS * même mosquée, on aperçoit le dé d’un chapiteau à tête d'Isis qui sert de base à une colonne : il est en granit noir. Nous avons trouvé dans une des rues de Mehallet el-Kebyr de gros quartiers de granit, et un troisième sarcophage de travail Grec, absolument semblable à celui que nous avons décrit. Au coin de la même rue, on voit une espèce de pilastre que nous avions pris au premier aspect pour un ouvrage Égyptien, mais qu'après un plus mûr examen nous attribuons, avec beaucoup de vraisemblance , aux Sarrasins. Ce pilastre a un astragale, et son chapiteau est décoré de branches de palmier, dont la forme se rapproche beaucoup des ornemens des chapiteaux du portique de Qaoù el-Kebyr. S. III. Ruines de Sais, Les ruines de l'ancienne ville Égyptienne de Suis existent près d’un village du nom de .$4 el-Haogär, que l'on rencontre à six mille mètres de distance de l'embouchure du grand canal de Chybyn el-Koum dans la branche de Rosette. L'analogie des noms est déjà une forte présomption en faveur de cette assertion:; mais les restes d'antiquités que nous allons décrire, et les divers rapprochemens que nous ferons, la prouveront d’une manière incontestable. Avant d'arriver à Sa el-Haggâr, nous passâmes, en longeant le canal de Chybyn el-Koum, dans les villages d’Asdymeh et d’el-Nahäryeh, où nous trouvâmes des vestiges d’anciens établissemens , consistant principalement dans des monceaux considérables de briques de grande dimension. Le village de Sà el-Haggär n'a par lui-même aucune importance; mais il est voisin de ruines anciennes très-considérables. Celles que lon rencontre d’abord au nord-nord-est, sont deux gros mamelons composés de débris de terre et de briques crues, et recouverts de tessons et de fragmens de poterie. Ces monti- cules sont maintenant exploités por ur fournir des engrais aux champs où l'on ensemence le dourah. Plus loin est une vaste enceinte, construite entièrement en briques crues : elle a une épaïsseur de plus de quinze mètres, et elle sur- passe en hauteur les plus grands ouvrages du même genre qui existent dans tout le pays, particulièrement dans la haute Égypte. Cetté enceinte a huit cent quatre- -vingts mètres de long et sept cent vingt mètres de large. Les pluies d'orage, quoique rares dans la contrée , ont cependant laissé des traces de leur écoule- ment sur ses parties apparentes, mais les espèces de ravins qui se sont formés n'empêchent point de reconnoître, encore actuellement même, l’ancien parement des murs, et l’on distingue aïsément des briques qui ont jusqu’à quarante centi- mètres de longueur, dix-huit centimètres de largeur et vingt centimètres d'épais- seur. Leur appareil est bien marqué. Au milieu de l'enceinte se trouve un énorme monceau de briques crues, d’où l'on domine toute la plaine environ- pante. Îl est extrémement probable jure monticule renfermoit autrefois quelque grande construction, un temple peut-être, ou Une habitation royale. On n’y voit plus maintenant que quelques pans de muraïlles; les petites dimensions des briques SITUÉES DANS L'ANCIEN DELTA. CHAP. XXF. 7 dont ils sont formés, indiquent assez que ce sont les restes de constructions très- modernes. Presque par-tout on rencontre des tessons et des débris de poterie, ainsi que nous en avons toujours vu dans les anciennes villes abandonnées. Nous n'avons aperçu à la surface du sol aucun reste remarquable d'architecture : mais, si l'on faisoit des fouilles dans les monticules de décombres, il est presque certain que l'on y trouveroit des débris de monumens importans. Une mosquée située à peu de distance de l'enceinte renferme des pierres granitiques qui ont sûrement été tirées de cet endroit. La face occidentale de l'enceinte est située à mille mètres des bords du Nil. L'importance des ruines porte à croire qu’elles ne peuveñt avoir appartenu qu'à June des anciennes villes les plus considérables du Delta, et il n'y a point de doute qu'il ne faille voir ici, comme nous l'avons annoncé d'abord, les restes de l'ancienne Suis. D'Anville, ayant remarqué, dans la nomenclature moderne de la carte du P. Sicard, un village nommé S4, fut frappé de l'analogie de ce nom avec celui de Sais, et il en conclut que le village de Sà existoit près de l'empla- cement de l'ancienne capitale de l'Égypte inférieure (1). Nous adoptons entièrement cette opinion , que le géographe Français motive seulement sur une simple analogie de noms, maïs que nous appuyons sur le fait de l'existence des ruines considérables que nous venons de décrire. D'ailleurs, le témoïgnage de Strabon va lever à cet égard toutes les incertitudes. En effet, cet auteur, décrivant le cours du Nil, place au-dessus de la bouche Bolbitine un lieu nommé Perse speculz (2), puis le mur des Milésiens, et, dans la préfecture Saïtique, la ville de Naucratis (3), non loin de Schedia. I] parle ensuite de la ville de Sebennytus (4), et de Sais, la métropole de l'Égypte inférieure, où Minerve est honorée d’un culte particulier dans un temple qui renfermoit le tombeau de Psammitichus. Strabon , après s'être étendu fort au long sur les villes que renferment le littoral et l’intérieur du Delta, décrit le chemin de Scheda à Memphis (s). H parle de plusieurs Villages avoisi- nant le lac Marcotis, et au nombre desquels est le bourg de Chabrias. II place sur le fleuve, Æermopolis, aujourd’hui Damanhour ; “ensuite Gynæcopolis et la préfecture Gynécopolitaine. La ville de Momemphis et le nome Nitriotique viennent après. À la gauche, en remontant le Nil, et dans le Delta même, il place Naucratis sur le bord du fleuve, et il nomme ensuite Sais, qu'il annonce être distante du Nil de deux schœnes. Enfin, au-dessus de Sais, il place lasile d'Osiris, où l’on disoit que reposoit le corps d'Osiris. IH est impossible, en suivant les indications et la marche de Strabon sur la nouvelle carte de l'Égypte levée par les ingénieurs de l'armée d'Orient, de ne pas reconnoître, près de Sà el-Hagoär, l'emplacement de l’ancienne Sais. En effet, ce village se trouve à gauche dans le Delta, en remontant le fleuve, et dans une position tout-à-fait semblable à celle qu'indique Strabon. A la vérité, l'enceinte que nous avons décrite est à mille (1) Voyez les Mémoires sur l'Égypte, pag. 79. TaTus vripX m'% Omerdde Pro, d @ wi my Onerv (2) Strab. Geogr. lib. xV11, pag 8or, ed. Lu. Par. 1620. ga. (3) kid. Ad sinistram vero in ipso Delta et ad fluvium est (4) Zbid. pag. 802. Naucratis : duobus schænis à flumine distat Saïs, et paul ’Ev deustoa dé à To Axe 6 uiy To mlauÿ Nav. supra eam est Osiridis asylum, in quo Osirim jacre arbi= S pa 6 (2 au: Ip Y q Î ñ n = / 1 - H \ \ ; wpanç' Xo dE m mieux d'au diéyuon n Seiç, & ixpor trantur. (Strab. Geograph, lib. XVI, pag. 8o3.) 8 DESCRIPTION DES PRINCIPALES RUINES mètres seulement des bords du fleuve, tandis que, suivant Strabon, la distance dé Saïs au Nil est de deux schœnes ou de cent vingt stades, équivalens à douze mille mètres. Nous convenons que cette partie du témoignage de Strabon ést assez dificile à concilier avec la localité: cependant nous devons dire ici qu'ayant par- couru dans tous les sens la partie supérieure du Delta, nous n'avons trouvé nulle part des ruines qui puissent nous faire soupçonner que la capitale de l'Égypte infé- rieure ait existé ailleurs que dans l'emplacement ci-dessus indiqué. Ne sait-on pas, au reste, qu'un fleuve qui sort chaque année de son lit, ne doit pas conserver des rives invariables' On pourroit encore supposer , avec beaucoup de vraisemblance, que la distance de deux schœnes étoit celle qui séparoit Szis de la ville de Nau- cratis : mais alors il faudroit nécessairement admettre altération du texte de Strabon, dont l'invariabilité dans les diverses éditions qu'on en a publiées n’est point, nous l'avouons, favorable à cette opinion. La ville de MNaucratis étoit située, d’après les autorités que nous venons de citer, à peu de distance de Szis, et dans la préfecture Saïtique. Elle étoit dans le Delta, tout près du Nil. En parcourant le bord oriental de la branche de Rosette pour aller à Rahmânyeh, nous n'avons point trouvé de ces monceaux de décombres et de ces ruines qui indiquent toujours en Égypte l'emplacement des lieux ancienne- ment habités. Mais il n'y a pas de quoï s'en étonner : ce n’est pas la première fois que nous avons en vain cherché l'emplacement d’une ancienne ville Grecque. On sait que les Grecs ne bâtissoient point comme les Égyptiens, c’est-à-dire, d'une manière durable et qui dût transmettre leurs monumens à la postérité la plus re- culée. Il faut d’ailleurs ajouter ici que la ville de Naucratis , qui étoit, d'après Stra- bon, sur le bord du fleuve, pourroit bien avoir été minée par le courant et avoir en grande partie disparu. La position respective de Sais et de Naucratis donnée par Ptolémée (1) coïn- cide avec celle qui nous a été conservée par Strabon. En effet, après avoir cité le nome Cabasite et sa capitale Cabasa, Ptolémée parle du nome Saïtique, dont la métropole est Saïs; et à l'occident de cette ville, sur le grand fleuve, il place Naz- cratis. Nous partageons tout-à-fait l'opinion de d’Anville à l'égard de l'interpréta- tion du texte de Ptolémée. Nous pensons, comme lui (2) , que Sais et Naucratis étoient dans le Delta sur la même rive du fleuve, et que la position occidentale de cette dernière ville étoit indiquée par rapport à Szs et non par rapport au Nil; ce qu'expliquent très-bien les détours sinueux du fleuve : maïs d'ailleurs Ptolémée, en plaçant Maucratis sur le grand fleuve, lève absolument tous les doutes. En effet, la portion de la branche de Rosette sur laquelle se trouvent les ruines de Sà el-Haggär, faisoit autrefois partie de la branche Canopique (3), dont la déviation vers Canope existoit un peu au-dessus du village de Rahmänyeh. L'asile d'Osiris dont il est fait mention dans Strabon, étoit probablement situé (1) Cabasites nomus et metropolis Ca- Long Hatit. (2) Voyez les Mémoires sur l'Egypte, pag. 80. EME De or bn en . 61930" 30° 40" (3) Voyez la Notice de M. Lancret sur la branche Sdites nomus et metropolis Saïs.... 61.30. 30. 50. Canopique, 4.tom. Z, pag. 25r. Voyez aussi le Mémoire Et apud magnum fluvium ab occasu de M. du Bois-Aymé sur les anciennes branches du Nil Naucratis civitas............. 61.15. 30.30. €t ses embouchures dans la mer, ibid, pag. 277. ( Gcograph, ib, IV, pag. 10$ et 106, edit. 1605.) $ CD- PE SITUÉES DANS L'ANCIEN DELTA. CHAP. XX, 9 près du village d'Asdymeh, où nous avons indiqué des vestiges d'anciens éta- blissemens. Hérodote, sans donner avec précision la position géographique de Saïs, parle cependant avec détail de cette ville, qui étoit, à l'époque de son voyage, une des plus importantes de la basse Égypte. Swis semble avoir été la résidence des derniers rois Égyptiens. Apriès y avoit un grand et superbe palais (1), et l'on y voyoit un temple de Minerve, qui ne le cédoït en magnificence à aucun des autres édifices de l'Égypte. Ce temple renfermoit, à ce qu'il paroît, le tombeau d'Osi- ris (2). Amasis en fit construire le portique (3), qui étoit vraiment digne d’admi- ration, et qui surpassoit de beaucoup tous les autres ouvrages de ce genre, tant par sa hauteur et par son étendue, que par la qualité et la grandeur des pierres qu’on y avoit employées. Ce prince y avoit fait placer des statues colossales et des andro- sphinx d'une hauteur prodigieuse. On voyoïit aussi à fzis un colosse énorme de soixante-quinze pieds de hauteur (4), semblable à celui qu'Amasis lui-même avoit fait ériger à Memphis au-devant du temple de Vulcain. Ce roi ne s’étoit pas seu- lement borné à la construction du portique ; maïs il avoit fait encore arriver des pierres d’une grosseur démesurée pour réparer le temple { 5). Une partie étoit sortie des carrières de Memphis ; le reste avoit été tiré de celles de Syène. Au- devant du temple s'élevoient de grands obélisques de pierre (6), et près de ces monolithes on voyoit un bas$fn d’eau stagnante, dont les parois étoient revêtues en pierre, et dont la forme étoit circulaire (7). Pendant la nuit on représentoit sur le bassin de Sais des scènes mystérieuses relatives à Osiris (8). L'intérieur du temple de Minerve n'étoit pas moins remarquable que l'extérieur : la cour ou le péristyle étoit orné de colonnes en forme de palmiers. À gauche en entrant, et près du temple, étoit placée dans l'enceinte consacrée à Minerve la tombe d'Apriès. C'est aussi dans cette enceinte que les Saïtes avoient placé les tombes de tous les rois ori- ginaires du nome de Sais, et l'on y voyoit encore en effet, au temps d'Hérodote, le monument d'Amasis, un peu plus éloïgné du temple que celui d’Apriès (9). Maïs ce qu'il y avoit de plus admirable à Sws, c'est la chapelle monolithe (10) qu'Amasis y avoit fait arriver des carrières d'Éléphantine. Deux mille hommes, tous bateliers, avoient été occupés pendant trois ans à la transporter. Elle avoit extérieurement Vingt et une coudées de long, quatorze de large, et huit de haut : intérieurement sa longueur étoit de dix-huit coudées et vingt doïgts ; sa largeur, de douze coudées; et sa hauteur, de cinq. En prenant pour module de la coudée l'étalon retrouvé dans le Nilomètre d'Éléphantine, ce monolithe avoit extérieurement onze mètres six centimètres de long, sept mètres trente-huit centi- mètres de large, et quatre mètres vingt-deux centimètres de haut. Ses dimensions intérieures étoient, en longueur, de neuf mètres quatre-vingt-douze centièmes ; en largeur, de six mètres trente-deux centièmes; etven hauteur, de deux mètres (1) Herod. Hisr, Wib, 11, cap. 163. (7) Nous avons trouvé de semblables bassins dans (2) Zbid. cap. 170, toutes les ruines un peu considérables de fa haute (3) Zbid. cap. 175. Égypte, à peu de distance des temples et des palais. (4) Zbid, cap. 176. (8) Herod. Hüisr. lib. 11, cap. 171. (s) Zbid. cap. 175. (9) Zbid. cap. 169. (6) Jbid. cap. 170. (10) Zbid, cap. 175. AN), B 1 O DESCRIPTION DES PRINCIPALES RUINES. six cent trente-cinq millièmes. D'après ces dimensions, le bloc entier du mono- lithe, tel qu'il a été détaché des rochers granitiques de Syène, étoit de trois cent quarante-quatre mètres cubes et demi {1}, pesant neuf cent quatorze mille huit cent trente-deux kïilogrammes (2); et si lon en déduit le vide, qui est de cent soixante-cinq mètres et vingt centièmes (3), il restera pour la masse effectivement transportée à Suis cent soixante-dix-neuf mètres trente centièmes cubes (4), pesant quatre cent soixante-seize mille soixante-seize kilogrammes { $ ) : car on ne peut douter que l'évidement du monolithe n'ait été fait sur la carrière même. Mais que sont devenus tous ces monumens, dont on n'aperçoit sur les lieux aucune trace apparente! Il est probable que, si l'on faisoit des fouilles dans les énormes monceaux de décombres que renferme la grande enceinte de Sà el-Haggär, on en fetrouveroit des débris. Il est même très-vraisemblable que la chapelle monolithe y est enfouie toute entière, et encore intacte : une masse pareïlle ne pouvoit être ni aisément transportée, ni facilement détruite. Il est à croïre aussi que les débris des monumens de Sis ont servi à l’'embellissement de villes plus modernes, parmi lesquelles ïl faut particulièrement compter Alexandrie. Quoique l'ancienne métropole du Delta soit presque entièrement ruinée, les dévastations qu'elle a éprouvées sont cependant bien moins considérables encore que celles qui ont fait disparoître Memphis, cette seconde capitale de l'Égypte , dont le boulever- sement a été tel, que, pendant long-temps on a été indécis sur son emplacement. À un certain jour de l’année, lorsqu'on devoit, pendant la nuit, offrir des sacrifices , chaque habitant de S4is allumoït, en plein air , des lampes autour de sa maison. Cette fête s’appeloit Le fête des Lampes ardentes (6). Les Égyptiens qui ne pouvoient se trouver à Jzis, observoient tous la nuit du sacrifice, et allumoïent des lampes au-devant de leurs habitations, en sorte que toute l'Égypte se trouvoit en même temps illuminée. On apportoit une raïson sainte de ces illuminations; mais Hérodote ne la donne point. [est très-probable que cette cérémonie se faisoit en l'honneur de la substance pure et lumineuse dont la divinité adorée à Sais sous le nom de MNeth étoit l'image. Si l'on croit les historiens Grecs, Cécrops seroit originaire de la ville de Sais, et Athènes auroit été fondée par une colonie de Saïtes. Aïnsi le souvenir de Sais mérite d’être conservé, non-seulement parce qu'elle a été une des cités les plus florissantes du Delta et les plus remarquables par la somptuosité de ses grands monumens, mais encore parce qu'elle a donné naïssance à une ville Grecque dont le nom sera à jamais célèbre dans les fastes des arts et de la civilisation. 4) 5228,75 pieds cubes. s) 972 547,5 livres. 6) Herod, Hist, lib. 11, cap, 62. (1) 10047,6 pieds cubes. ( (2) 1 868 853 livres, à raison de 186 livres par chaque ( pied cube. ( (3) 4818,8$ pieds cubes. ET DES PYRAMIDES. CHAP., XVIII, ni. SECTION I. S L4 De plusieurs Lieux de la Plaine ou du Nome de Memphis. Pour n'avoir plus à parler que de Memphis même et des grandes pyramides, je traiterai en peu de mots, dans cet article, du reste de la préfecture Memphi- tique ; ce qui complétera en même temps la nomenclature de ce nome, insérée au chapitre XVI qui précède, aïnsi que celle des lieux où ïl reste quelques vestiges d’antiquité. On trouve aujourd’hui def ruines ou des débris d'antiquités à Meydoun (1), à Reqqah el-Kebyr; à Bemhé, qui répond à Peme (2) ; à Dahchour [ Acanthus |, à Saqqârah, à Myt-Rahyneh | Memphis], à Abousyr | Busiris], sans parler des pyramides de Meydoun, de Reqqah, d'el-Metänyeh, de Menyet- Dahchour, de Saqqärah, d’Abousyr et de Gyzeh : il faut ajouter à ces positions Gezyret el-Dahab etKoum el-Eçoued. Les lieux mentionnés par les auteurs, outre Peme, Acanthus, Memphis, Busiris, Venus aurea et les pyramides (3), sont le Sera- peum , le mont Psammuus ; le Sinopion, autre montagne voisine de Memphis, &c.: mais ces lieux dépendent immédiatement de Memphis, et il en sera question dans le paragraphe suivant. Quant aux ponts construits sur le canal des Pyra- mides , ils ne doivent pas trouver place dans cette description, puisqu'il est cer- tain qu'ils sont l'ouvrage des princes musulmans { 4), et que rien n'annonce qu'ils aient été rebâtis sur des fondations antiques. Après ces lieux, le site le plus voisin du nome Memphites, mais que Je crois placé en dehors, est la ville de Leto- polis, dont il sera parlé dans un autre Mémoire Wie Un savant a accusé d’Anville d’erreur au sujet de l'emplacement du lieu nommé Venus aurea, dont il est question dans le passage suivant de Diodore de Sicile : riv Te Apesdirnr coualechey mag rois ÉVywelois Xpuony ëx Tañauids Tee , 44] rredloy ea xx AŸweoy Xpuoñs APesdrns reel Ty évowaæ(onérnr Méuiw (6). « Vénus est » nommée par les indigènes Aurea d’après une antique tradition, et il y a un » champ dit de Vénus Aurez aux environs de la célèbre ville de Memphis. » La (1) En parlant plus haut de Meydoun ou Meydou- neh, j'ai négligé de dire qu’on y voit des colonnes de marbre, la plupart renversées, hautes d’environ trois mètres, épaisses de quatre décimètres, avec un chapiteau de cinq et demi. La base et le chapiteau sont corin- thiens, mais de mauvais goût. La pyramide de Meydoun présente sur la face du nord, dans sa partie inférieure, une ouverture qui paroît avoir été pratiquée avec violence; on ignore si elle pénètre jusqu’au centre. (2) Dans le chapitre XVI, ce nom de lieu est écrit A. D. Bembé, et en arabe sur la carte Lg; mais une ortho- graphe plus correcte donne L£ Bemhä ou Bemhé; ce qui retrace parfaitement le nom de l’Itinéraire d’Antonin. (3) La Table Théodosienne mentionne aussi dans cet espace un lieu du nom de Wenne; ce nom est évidem- ment corrompu. . (4) Voyez la Description du Kaire (les environs, $. II, Ë. M. t. IL, 2 partie, p.748). (5): Voyez les Mémoires sur la géographie compa- rée, &c. (6) Diod. Sicul. Bibl. hise, ib. 1, cap. xcvit. . D 2 DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS 2 8 ville dont cette position étoit voisine, dit ce savant, n'est pas Memphis, maïs Momemphis, lieu situé bien loin de là dans le nord (1). Cette critique paroît peu fondée, quoiqu'il l'appuie sur le texte publié par Wesseling, dans lequel Mouneupw est substitué à Méuçguw (2). En effet, le surnom de célèbre, de vantée, éVomaGomévn (3), qui appartient si bien à Memphis, peut-il être donné à un lieu obscur en comparaison de cette capitale! Strabon dit, à la vérité, qu'on y adoroit Vénus (4); mais ce n'est point un motif suflisant pour empêcher de s’en tenir au texte que jai rapporté (5). En effet, au midi de Gyzeh, à une lieue et demie de Memphis, est un village du nom de Gezyret el-Dahab, c'est-à-dire, l'Ile d'Or, et aussi le Champ d'Or (6). La conformité d'emplacement et l’analogie de nom seroient-elles ici réunies sans annoncer une identité de position! Diodore de Sicile vouloit prouver que l’'épithète de toute d'or, donnée à Vénus par Homère, venoit de l'Égypte, et, en général, qu Homère et d’autres Grecs illustres avoient puisé beaucoup de choses dans cette contrée. Que ce lieu dût son nom à sa fécondité ou à tout autre motif, ou qu'il l'eût reçu comme consacré à la déesse ainsi surnommée, je l’ignore; mais il semble que rien ne répugne à reconnoître cet endroit, qui est très-fertile, pour X Champ d'Or, le Champ de la Vénus d'or (7); cité par Diodore de Sicile (8). D'ailleurs Hérodote place à Memphis un petit (1) Norden, Voyage, édit. de Langlès, t. IL, p. 201. (2) Diod. Sic. Bibl, hist, edit. Bip. 1793, t. 1, p. 288. (3) Cette acception est, je crois, déterminée par le sens de la phrase. (4) Lib. xvir, pag. 803. (s) Le savant Wesseling, commentant ce passage ( Diod. Sicul. Bibl, hist, edit. Bipont. t. I, pag. 474), s’est décidé pour le mot Mowuw, quoïque tous les ma- nuscrits (hors un) portent Méugw. Sur quoi se fonde-t-il ! Sur ce qu’au chapitre LXVI le texte de Diodore présente fes mêmes mots , 7e4....7nv ovoua(ouérmr Maud: mais il eût dû peut-être considérer que troïs manuscrits portent ici Méuqur. 2.° Surce que Memphis étoit trop connue pour avoir besoin de cette épithète; maïs on pourroït dire que Momemphis ne létoit pas assez pour la mériter. 3.° Sur ce que Strabon apprend qu'à Momemphis on adoroïit Vénus : mais on ne peut s’en étonner, puisque cette ville étoit en face du nome Prosopites, où ce culte étoit en honneur. Pourquoi en conclure que là est le champ dit de Venus Aurea , quand on sait que Memphis avoit un temple de Vénus étrangère (suivant Hérodote), aïnsi qu’on va le voir, ou de Vénus, divinité Grecque (suivant Strabon )i (6) Je pourois citer plus d’un territoire, plus d’un champ de l'Égypte moyenne, appelé Gezyret, sans être une île. (7) Comme ce lieu n’étoit pas une ville, un lieu habité, maïs un territoire, je n’en aï pas inscrit le nom sur la carte ancienne. Sa position est sur la rive gauche du Nïl, sous le parallèle de la grande pyramide. (8) Je soumettrai au lecteur une conjecture sur ce nom de lieu , qui semble n'avoir pas attiré l'attention des savans : elle m'est suggérée par la proximité du village appelé Atér el-Naby, placé tout en face de Gezyret el- Dahab. On traduit ce nom ordinairement par ces mots: Trace du prophète , et même on montre une pierre où il a laissé l'empreinte de son pied, et que les Musulmans dévots viennent voir du Kaire et de trés-loin. C’est une règle de critique, qu’il faut porter une attention particulière sur les noms de lieux à traditions merveïlleuses. On se demande si les Arabes, lors de la conversion de PÉgypte à l’islamisme, n’auroïent pas tiré parti d’un nom très-an- cien existant dans cet endroït, et profité de l'ignorance ou de la crédulité des habitans pour leur persuader que le prophète y avoit marqué son pied. II est dans le génie des Arabes de ramener les noms étrangers à des mots significatifs dans leur langue ; je pourrois en citer maints exemples. Si Île nom antique Egyptien étoit zE3p NKO%R, mot à mot Venus auri, Venus aurea, il étoit facile d'en faire Atärennaby, Lil el [ la trace du pro- phète ] ; quant à la pierre avec l'empreinte, je pense que personne n’est embarrassé de lexpliquer, pas plus que les fidèles croyans d’O’mar et les compagnons d’A’mrou ben-el-A’s ne l’ont été de la découvrir. Or on sait que plusieurs villes de l’ancienne Égypte nommées Aphro- ditopolis [ ville de Vénus] par les auteurs Grecs s’appe- loïent en égyptien Arharbech - is, et que ce nom, dans les manuscrits Qobtes, est Arhar Baki, ZB2ZP BK; et ce qui complète cette analogie des noms, cest la présence d’une lettre rarement employée dans les noms de lieux Arabes, savoir Îe «> et sa conformité avec le g du nom de la Vénus Égyptienne. Ajoutons qu'Atâr el-Naby est contigu au nome Aphroditopolites de l'Égypte moyenne. On peut citer, entre une foule d'exemples des mots qu’ontaltérés les Arabes pour les ra- mener à des motsusuels de leur langue, la manière dont certains auteurs ont expliqué le nom de la province du Fayoum. Us prétendent qu’elle tire son nom du canal de Joseph, qui arrose cette province reculée, et que ET DES PYRAMIDES. CHAP: XVIII, SECT, II. 2 9 temple consacré à Vénus étrangère (ou Vénus rèçue à titre d'hospitalité) (1) : ce seroit assez pour expliquer le nom de la position, indépendamment du sens qu'il faut donner à cette tradition, sur laquelle nous reviendrons au $. II. Koum el-Eçoued, la butte Noïre, est le nom d’un village placé à la hauteur de la deuxième pyramide de Gyzeh, sur la rive gauche du canal occidental; c’est le village le plus voisin du grand sphinx. Il renferme des buttes de décombres, et lon seroit d'abord porté à y reconnoître, comme je l'ai dit plus haut, le lieu de Busiris, indiqué par ce passage de Pline que je vais rappeler : Pyramides . . . à Memphi, NI... vico apposutæ quem vocant Busirin, #7 quo sunt assueti scandere tas (2). Sans doute, s’il n'étoit question que des deux grandes pyramides, cette proxi- mité s’accorderoit mal avec la distance de ces monumens à Abousyr, laquelle est de 13,000 mètres en ligne droite; mais la position de la Busiris de Memphis est trop bien fixée à Abousyr, endroit plein de ruines et de débris antiques ,pour la transporter à Koum el-Eçoued, à près de trois lieues plus loin. C'est donc un point qui reste au moins incertain, comme je l'ai déjà fait remarquer précédem- ment (3), et je considère Busrris comme. ayant été, non pas une ville distincte, mais un des faubourgs de Memphis. SEE fe Description des Restes de Memphis. IL n’est aucun des historiens de l'Égypte qui n'ait fait mention de la ville de Memphis, et qui n'ait traité de ses monumens ou de son histoire, et l'on pourroit, d'après eux, s'étendre fort au long sur cet intéressant sujet; maïs l'article qui lui est consacré dans cette partie de l'ouvrage, doit être d'autant plus circonscrit, qu'il subsiste moins de vestiges apparens de son ancienne splendeur, propres à com- poser une description de monumens. Ce n’est pas que je pense que tous les an- ciens ouvrages qui faisoient l’ornement de cette cité soient entièrement détruits et anéantis, et il est plutôt à croire qu'on en trouveroit encore des restes imposans si l'on pratiquoit de grandes fouilles dans les buttes de ruines existantes; maïs tout, où presque tout, est caché et enseveli plus ou moiïns profondément. On ne voit plus aucun reste de temple ou de palais, aucun monument debout; c’est sans doute pour ce motif qu'on a long-temps hésité sur l'emplacement de Mem- phis. Plusieurs écrivains, et même plusieurs voyageurs modernes, tels que le P. Sicard et Shaw, se fondant sur des rapprochemens inexacts ou des raisons frivoles, lavoient supposé, les uns à Fostât, les autres à Gyzeh, c'est-à-dire, à Joseph le patriarche l’acheva en mille jours [ elf youm (2) Lib. XXXVI, c. XII. pr us], tandis que le véritable sens est en copte (3) Voyez ci-dessus, page 26. chiozxs, phiom , la mer, parce qu'un immense lac, Nota. Dans la carte ancienne et comparée de Égypte, comparé à la mer, remplit toute la partie septentrionale le nom de Busiris est placé conjecturalement près des de Ia province. grandes pyramides, uniquement d’après,le passage de (1) Herod, Hüisr. lib. 11, c. CxII. Pline. A, D. D; 3 O DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS quatre lieues plus au nord que Myt-Rahyneh (le centre des ruines actuellément visibles } : le fait est que les voyageurs n'avoient vu aucun site couvert de ruines assez considérables pour les attribuer avec fondement à l’ancienne capitale. Pococke, qui avoit vu des ruines à Mokhnän, disoit qu'il y avoit plus de mon- ticules de décombres à Metrahenny [ Myt-Rahyneh |; il y plaça vaguement, sans qu'on puisse assurer qu'il a été sur le lieu même, le site de Memphis. Après lui, Bruce luï assigna ce même emplacement, sans y décrire rien de remar- quable. Déjà d’'Anville avoit deviné, par des combinaisons itinéraires, qu'il de- voit être plus reculé au sud que Gyzeh; mais il crut qu'il étoit sur le bord du Nil, là où il n'y a qu'une vaste plaine, et le supposa en face d'el-Adaouyeh, lieu qui est encore à plus de deux lieues trop au nord. Niebuhr admit également, mais sans avoir vu les lieux, que Memphis étoit dans le sud. Maïllet pensoit aussi que Memphis étoit loin de Gyzeh, à Manof ou Manouf (1); Fourmont s'est attaché à le prouver : maïs ce point, dans sa carte, n'est qua une lieue et demie de la grande pyramide, et bien loin de Myt-Rahyneh, et à-la-fois tout près de Saqqârah et en face d’Atâr el-Naby; ce qui est inexplicable, et qui ne permet pas de se faire une idée juste de la position du lieu qu'il regardoït comme le site de Memphis (2). | I! faut savoir que, dans sa partie occidentale, la vallée est couverte de bois épais de palmiers; on doit sy enfoncer pour découvrir le véritable emplacement dont il s'agit, et c'est ce que je fus obligé de faire quand on me chargea de faire la recon:- noiïssance des provinces de Gyzeh et de Beny-Soueyf. À cette époque (3), je vis les ruines de Memphis à l'occident de ma route, et les marquai sur la carte topo- graphique. C’étoient des buttes très-élevées, dominant même sur les palmiers, et ayant tout l'aspect de ruines. Après avoir atteint les boïs de Terseh et de Manyal, à une lieue de Gyzeh, on arrive, une lieue au-delà, à la forêt de Manäouût | 4) et de Mokhnän, qui a près d’une lieue et demie de longueur. Elle cache complé- tement au voyageur l'emplacement d'Abousyr et dés ruines les plus septentrio- nales de Memphis. Enfin l’on passe devant un troisième rideau de palmiers, qui a encore une lieue de longueur, et qui sert de ceinture aux ruines de Myt-Rahy- neh et des environs, presque les seules de l'ancienne Memphis, qui sont encore bien distinctes, c'est-à-dire, qui n'ont pas été recouvertes par lexhaussement du sol et nivelées par la charrue. Un an plus tard, je visitai ce lieu avec les membres de la Commission des sciences, en venant par la partie orientale, c'est-à-dire, par Saqqärah. Nous vimes des buttes d'environ 3000 mètres de longueur {$s), dont le village de Myt-Rahyneh occupe à peu près le centre, et séparées des ruines de Saqqärah par deux canaux et une plaine. Myt-Rahyneh est à 2000 mètres (1) El-Edriçy (Comm. de Hartmann, page 378) dit que Menf ( oppidum Menf ) est au midi dans Île voisinage de Fostât. , (2) Descript. hist, et géogr. des plaines d’Héliopolis et de Memphis, 175$, pages 201 et suivantes. Le peu de renseïgnemens que donne Fourmont fait douter qu'il aît vu les véritablés ruines. (3) Extrait de mon journal de voyage, le 28 nivôse de l'an 7, correspondant au 17 janvier de lannée 1790. (4) Ce n’est pas le lieu de Menf. (s) Selon le plan levé par le colonel Jacotin (voyez planche 1, Ant. vol. V). Mon journal porte que les ruines ont une lieue de lon- gueur. Dans sa lettre à M. Desgenettes, insérée au Cour- rier de l'Égypte, n.° $8, le général Dugua donne trois lieues de circuit aux monceaux de décombres. ET DES. PYRAMIDES. CHAP. XVIII, SECT. II. 3! à l'est de Saqqärah, 17600 mètres au sud {en ligne droite) de Gyzeh, et à la même distance de la grande pyramide aussi à l’est; sa latitude est d'environ 29° $2. On verra bientôt, d’après le témoignage de l’histoire, que Memphis s'étendoit jusque là et même encore plus loin; et je me borne ici à dire que Myt-Rahyneh est à x11 milles exactement du vieux Kaïre, comme Memphis l'étoit de Babylone d’après l'itinéraire d'Antonin, ce qui est conforme d’ailleurs à toutes les autorités. I suit de cette description de la route, qu'il est en quelque sorte impossible de voir les restes de Memphis avant d'y toucher; mais ce n’est là qu’une partie de l'espace qu'elle occupoit très-certainement : Saqqärah, A bousyr, et même une par- tie de la forêt de Manäâouât, où l’on rencontre aussi des ruines, nous paroïssent comprises dans son ancien emplacement; c’est ce qu'on admettra avec nous, comme au moins très-probable, après avoir pesé les motifs exposés dans le para- graphe qui suit. À présent il ne sera question que des monticules de ruines les plus apparens, compris entre Îles hameaux de Koum el-A’zyzyeh au nord, Myt- Rahyneh à l’ouest, et le canal de Bedrécheyn au sud : pour les autres points des environs où il subsiste quelques débris ou vestiges de lantiquité, nous renver- rons aux planches et à leur explication {1}. Ces buttes forment une vaste chaîne de décombres, couverte de palmiers, ainsi que de pierres brisées, accumulées en tout sens, les unes en granit, les autres en matière calcaire; une petite plaine sépare les monticules de décombres, et un canal la traverse ; linondation y donne naïssance à des étangs que remplacent ensuite des champs cultivés. Des blocs énormes en grès et en granit sont confusément amassés; ils sont tout couverts de sculptures hiéroglyphiques : c’est là le site de quelque grand édifice renversé de fond en comble (2). A la pointe sud-est des ruines, les membres de la Commission des sciences ont découvert, à une petite profondeur sous le sol, les restes d’une statue colossale en beau granit (3). Ces débris suffisent pour donner une idée de la statue, du moïns de la matière et de la proportion. Le granit est rose et d’un superbe poli. On a trouvé des portions de l'épaule, de l’avant-bras, et différentes parties du torse et des membres : le fragment le plus intact est le poignet gauche, entièrement conservé. Ce morceau gigantesque a été emporté au Kaire (4), et de là à Alexandrie {5 ), où il a subi le sort des autres monumens tombés au pouvoir de l'armée Britannique (6). La longueur de la grande phalange du doïgt medius est de 0°,677 [2° 17°]; la largeur des quatre doïgts à la naïssance est de 0",867 [2% 7P° 11°]; la hauteur du poignet ou la distance de la naïssance de l'avant-bras à l'articulation du medius a 0,87 [2% 8P° 11]; la largeur du poignet à la naïssance de l’avant-bras est de 0",62 lie 10° 1 RUE la paume mesurée sur le. (1) Voyez principalement la planche 1, Antiquités , vol, V, et la suivante. (2) Voyez planche ?, Antiquités, vol, V. (3) Voyez le Courrier de l'Egypte, n° $8. (4): Par les soins de M. Coutelle. (5) Par les soins de NM. Gratien Le Père, Ce dernier nous a communiqué avec obligeance son journal de voyage, quiest d'accord avec nos observations, et avec la relation publiée dans le Courrier de l'Égypte, n.° 58. Cependant les mesures précises que nous avons relevées sur le poignet colossal, tant à Memphis même qu'à Londres où il est maintenant, diffèrent de celles qu'il nous a communiquées, et dont, pour cette raison, nous n'avons pu faire usage; il donne douze décimètres à la largeur du poignet, qui n’en a guère que onze. (6) Voyez planche 4, fig. r, Antiquités, vol. V. 32 DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS dos de la main, 0,975 [ET : enfin la distance de l'articulation du medius à los du poignet a la même mesure. Ce.fragment montre que la figure tenoit dans la main une sorte de rouleau ou volumen, comme on en voit assez ordinaire- ment aux mains des statues qui sont à l'entrée des temples. Par les dimensions que l'on vient de rapporter, il est possible de juger de la grandeur du colosse. Plusieurs de ces mesures, d’après la proportion humaine, supposent une stature de 17 mètres, et la plupart, de 18 mètres +. Il est probable que c'étoit un colosse de quarante coudées { 1). Nous reviendrons plus bas sur cette proportion extraor- dinaire : un seul échantillon pareïl donne à juger de la grandeur des monumens de Ja ville; il sufht pour attester le lieu qu'occupa cette capitale. Dans la partie sud des ruines, on a découvert un puits grand et profond, revêtu en pierre calcaire blanche, et auprès un escalier, assez bien conservé (2). Le cheykh de Myt-Rahyneh rapporte qu'en fouïllant aux environs, à peu de profondeur, on découvre beaucoup de statues. J’aï trouvé, près de Myt-Rahyneh, des ruines de murs très-épais et un grand nombre d’autres constructions Égyp- tiennes en briques crues, avec des fragmens de colonnes, des morceaux sculptés et des matériaux en granit. Non loin du grand colosse, j'ai vu sortir de terre la tête d’une autre statue ensevelie, et que j'ai jugée être de même espèce que la tête des caryatides de Thèbes. Des fragmens d’albâtre, de trapp, de granit, de basalte, travaillés, se rencontrent par-tout, particulièrement un granit blanc très-beau , façonné en vases plats. Ce que j'ai rapporté de plus curieux est un fragment de terre cuite émaillée et sculptée, ayant appartenu probablement à une muraille recouverte de cette belle matière. Le morceau est remarquable par le bleu écla- tant qui la recouvre; c'est le bleu du /pis lazuli : on saït par les auteurs que les Égyptiens avoient l'art de limiter; mais on possède peu d'échantillons de cet outremer factice. Ce qui n'est pas moins digne d'attention, c'est la pureté des figures hiéroglyphiques qui y ont été gravées : le trait en est aussi ferme et les arêtes aussi vives que si le travail sortoit des mains d'un sculpteur habile, et n’avoit pas été soumis à l’action d’un feu violent; elles étoïent d’un ‘stuc blanc, incrusté avec art dans la pâte d'émail. Malheureusement je n'aï pas eu le temps de recueiïllir tous les fragmens du même genre qu'on devoit trouver dans ce lieu, en y prati- quant les fouilles convenables : celui-ci a été figuré dans la collection des ax- tiques (3). Je considère ce genre de décoration sur les parois des murailles comme analogue à celui des divans du château du Kaire, où l’on voit les murs couverts de carreaux de faïence peints et ornés de divers sujets {4). Ces espèces de mosaïques antiques méritent d'être recherchées avec curiosité par les voyageurs à venir. | Deux petits lacs ou étangs se voient dans l'enceinte des ruines, à l’est de Myt-Rahyneh, au milieu d’une petite plaine qu'arrose le canal de Bedrécheyn; (1) Voyez le Mémoire sur le système métrique des village de Myt-Rahyneb, et qui étoit de grandeur naturelle, anciens Égyptiens , À. #Z. tome I‘, page 561. (3) Voyez la planche 87, Antiquités, vol. V, ainsi que (2) Cette remarque a été faite par M. Gratien Le Pére. l'explication. Le même voyageur a recueilli une statue Egyptienne, (4) Voyez E. M. tome*Il, pl. GG, fig. 17, 14; et la qui a été trouvée près de Saqqârah par le cheykh du Description du Kaire, Ë. M. tome II, 2.‘ partie, pag. 692. ET DES PYRAMIDES. CHAP. XVIII, SECT. IT. 3 3 ils sont produits par le débordement de ce même canal. Suivant la saison, ces lacs se forment ou disparoïssent. Après la retraite des eaux, et même au-dessus de leur surface, on aperçoit des ruines dans l'emplacement du plus grand lac, celui qui est le plus près à l'est du village; j'aï cru distinguer la direction de plu- sieurs des rues principales. Enfin les trois points où j'ai remarqué le plus de débris antiques sont au midi de Myt-Rahyneh, dans l'intérieur et au midi du grand Jac. En terminant cette description trop incomplète des ruines actuelles de Memphis, nous ne pouvons nous empécher de reproduire l'assertion que nous avons émise au commencement, savoir, que les monceaux actuels de décombres recèlent encore infailliblement des restes notables des monumens et quantité de débris dignes des recherches des amis de l’antiquité. L'histoire et les arts ne peuvent que gagner aux fouilles qui seront pratiquées sur le sol de cette seconde Thèbes; fouilles dispendieuses sans doute, maïs faites pour honorer le gouver- nement qui les aura ordonnées. Au reste, le plan des recherches à faire dans ces ruines est tout tracé; fInstitut d'Égypte avoit nommé à cet effet une commission, et elle rédigea une instruction très-étendue, qui a été publiée (r). En recommandant aux voyageurs cette pièce intéressante, qui embrasse, outre les recherches à faire sur le sol de Memphis, tout ce qui regarde les pyramides de Gyzeh et de Saqqärah, nous devons inviter aussi nos lecteurs à la consulter. $. III. Remarques géographiques et historiques sur la ville de Memphis. MEmPHIs, au rapport unanime des historiens, renfermoit une multitude de monumens magnifiques; aujourd'hui, si ce n’est quelques fragmens de colosses et de vastes décombres, on n'en découvre plus aucun vestige : que sont-ils devenus! On se demande si les palais et les temples et la plupart des constructions, autres que les statues et les monolithes, n'étoïent pas en pierre calcaire tirée des car- rières voisines. C'est ce qu'on est porté à croire, quand on voit que presque par- tout en Égypte où cette pierre a été employée par les anciens, les modernes habitans l’ont convertie en chaux, tandis que les monumens en grès restoïent et sont encore debout. Une autre cause de destruction, non moïns énergique, sans parler des ravages exercés par Cambyse, a contribué à faire disparoître de la surface du sol tous ces édifices : diverses capitales ont succédé à Memphis; Alexandrie, Fostät et le Kaïre : chacun de ses monumens a été exploité comme une carrière pour fournir les matériaux des villes nouvelles; c'est ce que nous attestent l'histoire des Arabes et l'observation des lieux (2). (1) Le rapport est du 4 pluwiôse an 9. Les commis- »aient faits pour lanéantir (Memphis) ....... , en saires étoient MM. Fourier, Le Père, Champy, Coutelle, » transportant aïlleurs les pierres et les matériaux dont et M. Geoffroy, rapporteur. (Voyez Courrier de l'Égypte, » elle étoit construite. » ( Voyez la traduction de la n.% 104, 10$ , 106 et 107.) Relation de l'Égypte d'A’bd el-Latyf, par M. Silvestre CALE Quelques efforts que différens peuples de Sacy, page 185.) 4 : DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS 1j. ÉTENDUE ET LIMITES DE. MEMPHIS. Le site de Memphis est, selon nous, parfaitement déterminé par les témoi- gnages des anciens, comparés à la topographie actuelle, indépendamment des ruines subsistantes, et il est surprenant que les auteurs modernes et les voyageurs aient pu s’y tromper; c'est faute d'une attention suffisante, si l’on n’a pas reconnu faccord qui existe entre ces autorités. 1.° On ne peut tirer d'Hérodote que des don- nées indirectes sur la position absolue de Memphis. I s'agit du passage où ül dit que Menës, voulant détourner le Nil, qui passoit le long de la montagne Libyque, et le faire couler à égale distance des deux montagnes, afin de bâtir une ville dans l’ancien lit, combla le coude que formoit le fleuve, construisit une digue à environ cent stades au-dessus de l'emplacement de la ville {digue que l’on conti- nuoït d'entretenir et de fortifier tous les ans), et il creusa un lac au nord et à l’ouest de ce lieu (1). Cependant, en examinant attentivement le plan de la vallée, on recon- noît que cette description s'applique assez bien à la position de Myt-Rahyneh: en effet, à 10000 mètres (2) ou cent stades au sud, au village de Medgouneh, le Nil se porte à l'est vers el-Tabbyn, et suit dès ce moment une ligne médiale entre les chaînes Libyque et Arabique, abandonnant ainsi la direction ouest qui le portoit peut-être jadis vers Dahchour, l'ancienne Acanthus , laquelle répondroït au coude mentionné par l'historien. Ce qui vient encore à l'appui de la tradition rapportée par Hérodote, c'est le canal el-Asarah, où occidental : ce canal, berceau large et assez profond, qui suit le pied de la chaîne Libyque, a attiré l'attention des ingé- nieurs Français; je l'aï vu et traversé en divers points, et je pense, avec plusieurs de mes compagnons de voyage, que c'est plutôt le reste d'un ancien cours du Nil que l'ouvrage des hommes. Quant à l'étendue de Memphis et à ses limites, Hérodote ne fournit point de mesure; il n'en est point de même des auteurs que nous allons passer en revue. 2.° Diodore de Sicile rapporte que la ville avoit 1$0 stades de circonférence sous son fondateur, appelé Uchoreus (3). On ne peut guère hésiter ici entre les deux mesures de stade dont s'est servi Diodore dans le cours de son Histoire, outre que le plus souvent il a fait usage du stade de 600 au degré, et notamment dans la distance des pyramides au Nil (que le même auteur fixe avec beaucoup d’exactitude à 45 stades): en effet, le grand boïs de Manäouëât, au nord de Myt- Rahyneh, renferme, comme je l'ai dit, de grandes buttes de ruines, qu'on ne peut, je pense, attribuer qu’à l'ancienne Memphis. Autrement, il faudroit faire abs- traction de la distance de vit milles +, assignée par Pline entre Memphis et les pyramides, limiter cette ville vers Abousyr, du côté du nord, et faire que le circuit n'eût plus que 1 50 stades de la mesure d'Hérodote (4). (1) Herod. Æist. lib. 11, c. XCIX. Mémoire sur le système métrique des anciens Égyptiens, (2) C’estla mesure de 100 stades d'Hérodote ou petits nous fondant sur le nombre de 120 stades que Diodore stades Égyptiens. assigne à l'intervalle entre les pyramides et Memphis; (3) Lib. 1, cap. L. il est évident qu'il s’agit, dans ce dernier cas, du petit (4) Nous avions proposé cette dernière opinion dansle stade : la mesure tombe en face d’Abousyr. Oo 3- ET DASRPERAMIDES PCA P. AIIRIN SECT: IL. 35 3.° Strabon assigne (1) trois schœnes d'intervalle entre le Delta et Memphis. J'ai montré, dans un Mémoire sur le système métrique des anciens Égyptiens, et dans le chapitre XX des Anrguités - Descriptions, quel est le point de départ d'où il faut compter cette distance; c'est la tête de l'ancienne branche Pélu- siaque, près de Beçous : or trois schœnes mesurés de ce point tombent à environ 2000 mètres au sud de Myt-Rahyneh; là peut-être se trouvoit une des portes du midi (2). Suivant le même auteur, la montagne sur laquelle on avoit bâti les grandes pyramides et un grand nombre d’autres, étoit à 4o stades de la ville : cette mesure correspond à une autre de vi milles, dont nous parlerons bientôt, si l’on distingue, comme le texte le demande, le site même des pyra- mides et celuï de la montagne sur laquelle on les avoit construites. Il en résulte une limite, au nord-ouest, pour la ville de Memphis; or, à ce point, on voit encore une ancienne digue ruinée {plan topographique de Memphis) (3). 4.° Pline donne deux distances qui fixent parfaitement la limite nord de Mem- phis, ou du moins des faubourgs les plus avancés: l’une est de xv milles, à partir du Delta (4); l'autre, de vir milles +, à partir des pyramides : si l’on trace deux arcs de cercle avec ces mesures comme rayons, les deux arcs se couperont près de Manäouût, lieu déjà compris dans le périmètre résultant du témoignage de Diodore; on pourroit donc regarder ce lieu comme une des portes, si ce n'est de la ville, du moins du faubourg du nord. Un des manuscrits de Pline porte seulement vi milles : cette mesure, si on la préfère, tomberoïit sur la digue ruinée au nord-ouest d’Abousyr, point qu'on vient de mentionner, et qui étoit peut-être une autre porte de faubourg. Voilà donc au moins un point au nord, et un au midi, qui permettent déjà de faire le tracé approximatif du contour le plus extérieur de l’ancienne Memphis, tracé comprenant au- dedans Abousyr et Myt-Rahyneh. Cette ligne passeroït à peu près par Mokhnän, Manäouäât, l’ancienne digue, les pyramides au nord- ouest de Saqqärah et ce dernier village, un point à 2000 mètres au sud de Myt-Rahyneh et au nord d’Abou-Rogouäân, et de là, en tournant, une ligne entre le Nil et la route de la haute Égypte (5). Si lon mesure le circuit de cette espèce de trapèze arrondi, on y trouvera les 150 stades que demande le passage de Diodore de Sicile, à la mesure du stade de 600 au degré. 5° Prolémée peut encore être cité pour la différence en latitude entre Memphis et un point bien connu, qui est Babylone; cette différence étoit, suivant lui, de 10’ (30° et 29° 50’) : elle tombe au sud de Myt-Rahyneh. 6° L'Itinéraire d'Antonin fournit une mesure: de x11 milles entre Babylone et Memphis; cette mesure tombe exactement sur Myt-Rahyneh. I en est de même (1) Geogr. lib: XVIT, pag. 807 et 808. (2) El-Edriçy donnoit trois parasanges pour la distance de Memphis au Delta, confondant la parasange avec le schœne. Voyez le Mémoire sur le système métrique, AMEL; p, 585 (3) Voyez planche 1, Antiq, vol. V. (4).... Memphis, quondam arx Ægypti regum A. D. ad scissuram autem Nili, quod appellavimus Delta, xv M. passuum (lib. V, cap.1x); (Pyramides)... à Nilominis quatuor millia passuum, à Memphi sex ( septem..... ) ( Hib. XxxXV1, cap. XI1). (s) Les savans auteurs de la traduction Française de Strabon ont aussi reconnu que la ville devoit s'étendre beaucoup plus au nord que Myt-Rahyneh. E 306 d'un intervalle de xx milles entre Letopolis | Koum el-Ahmar | et Memphis. Ce lieu de la ville, ou quelque autre plus à l’ouest, étoit, à ce qu'il paroît, une sorte de point de départ, quoique non central, à partir duquel on comptoit les distances itinéraires. | DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS On peut encore citer ici une distance de 1 80 stades, assignée par Josèphe, de la ville de Memphis à Onion (selon moï, Tell el-Yhoudyeh), pourvu que lon consi- dère le nombre 100 comme ayant été introduit à la place de 200; la carte donne, en eflet, 280 stades ordinaires entre ce lieu et l'extrémité sud de Memphis, là où aboutit la distance de troïs schœnes ( 1). Ainsi douze passages différens (sans y comprendre celui d’el-Edriçy) déter- minent la position absolue de l’ancienne Memphis, etse confirment tous récipro- quement ; en outre, ils fournissent plusieurs points de son enceinte. On peut donc, par des considérations purement géographiques (2), moins vagues que ne seroïent de simples aperçus, déduits de l'importance que lui donnent les historiens ou les monumens dont elle fut ornée, se former une idée assez plausible des limites de cette grande cité et de l'étendue qu'elle occupoit. On pourra, à l'aide de ces calculs, en évaluer approximativement la superficie, et même en tirer des consé- quences pour l’ancienne population. Comme il n’est pas question ici de rigueur géométrique, nous nous bornerons à une estimation en nombres ronds. La longueur de Memphis, en y comprenant les faubourgs extérieurs, pouvoit avoir 10000 mètres; sa largeur moyenne, $000: ainsi la surface du rectangle sup- posé passer par les points extrêmes seroit de 5000 hectares. Mais on ne seroït pas fondé à admettre que toute cette superficie étoit habitée par une population dense. Le quart au moins de cet espace peut être considéré comme non habité, soit qu'il fût rempli par les jardins, les places et lieux publics, et les terraïns vagues, soit même qu'on le regarde comme étant une portion de la campagne, située entre les rues prolongées des faubourgs du nord et du nord-ouest, tendant l’une vers Héliopolis et le Delta, l'autre vers les grandes pyramides. La surface peuplée de Memphis équivaloit, dans ce cas, à un peu plus que celle de Thèbes, ou 3500 hec- tares; je suis porté à croire qu'à l’époque de sa plus grande splendeur, Thèbes étant déchue de sa prospérité, cette ville attira à elle:une grande partie de la popu- lation de l'ancienne capitale, et put réunir dans ses murs Jusqu'à sept cent mille habitans : dans ce calcul, et pour évitér toute exagération, j'évalue la population relative de Memphis aux cinq neuvièmes seulement de celle du Kaire (3). II faudroit se garder de conclure de là qu’il ait existé simultanément en Égypte deux villes de sept cent mille habitans chacune: mon sentiment est que Memphis et Thèbes, réunies, n’ont eu dansle même temps guère plus d’un million d'indivi- (1) Selon Benjamin de Tudèle, l’ancienne Mitzraïm avoit trois milles de largeur, et étoit située à deux para- sanges de la nouvelle (celle-ci est sans doute le Kaïre ): or il est aux deux tiers de la distance de l’ancienne tête du Delta à Myt-Rahyneh (intervalle de troïs schœnes); le diamètre des ruines qui touchent à Myt-Rahyneh, est à peu près de trois milles. (2) Il faut, pour apercévoir ce résultat d’une manière sensible et démonstrative, jeter les yeux sur un plan figuré de l’espace compris entre Beçous et Myt-Rahyneh, avec l'indication de toutes les distances rapportées ci- dessus. ( Voir, au défaut de ce plan, la Carte ancienne et comparée de la basse Égypte.) (3) Au Kaire, 263 700 habitans pour 793 hectares, ou 332 individus par hectare ; à Memphis, 700 000 ha- bitans pour 3750 hectares habités, ou 187 par hectare. ET DES PYRAMIDES. CHAP, AIMER IUESECNEN IT, 37 dus, et que la première ne s’est accrue qu'aux dépens de l'autre; ce qui est arrivé lorsque cette dernière cessa d’être la résidence royale. Quant à la troisième ville de l'empire Égyptien, Héliopolis, on peut, d’après la position des poïnts extrêmes où l’on voit encore des ruines, comparer sa surface à celle du Kaïre, et admettre qu'elle a réuni cent cinquante mille à deux cent mille habitans (1). L'examen des noms que portent les lieux actuels de l’ancien territoire de Mem- phis, pourroit jeter quelques lumières de plus sur les limites de cette capitale; c'est un soin que je laisse aux savans, et aux lecteurs curieux d'approfondir ce point de géographie historique. J'appellerai seulement leur attention sur le nom de Tahm, village au nord de la ville et sur le bord du fleuve : son nom se retrouve à Thèbes. Abousyr, reste de Busiris, compris dans l'enceinte, ne donne lieu à aucune nou- velle observation ; Manäâouit, à la limite du faubourg septentrional, est aujourd hui le seul nom de toute la plaine de Memphis qui aït du rapport avec Munouf ou Manof, dont parlent les voyageurs modernes : ce dernier nom auroit-il été rem- placé depuis un siècle ou deux, ou bien auroit-il été mal entendu par ces voya- | geurs, disposés à retrouver sur les lieux les restes du nom de Memphis comme ceux de ses anciens monumens' ou enfin le village de Menf a-til disparu tout-à- fait! Ce sont des questions auxquelles je ne puis répondre qu'en mettant en note, sous les yeux du lecteur, la liste de tous les villages et lieux actuels quelconques depuis Gyzeh, autres que les pyramides (2). Fourmont, en assignant vaguement Manouf pour site à l’ancienne Memphis (3), s'étoit certainement décidé par la con- sonnance des noms; n’avoit-il pas simplement vu celui-ci dans les anciennes listes de villages! En effet, n'indique et ne décrit aucun lieu déterminé, quoiqu'il place un village de ce nom dans son petit plan de la plaine de Memphis. Il est certain _ toutefois que le mot de Manof où Menf, dont il est fait mention chez les auteurs Arabes, renferme le reste du nom antique écrit selon l'orthographe la plus cor- recte, puisque la médaille du nome porte NOMOZ MEN®ITHE (4), ainsi que je l'ai déjà observé dans la description de l'Heptanomide (5). 11. MONUMENS ÉLEVÉS À MEMPHIS, QUARTIERS DE LA VILLE. L'histoire des rois de Memphis seroït presque celle de ses monumens, puisqu'ils se sont plu à l'enrichir d’une foule d'ouvrages remarquables où se reflétoient la grandeur et la magnificence de Thèbes, et qui rivalisoïent avec l'ancienne capitale. Par les descriptions que nous ont laissées les historiens, nous jugeons de l'étendue et de l’importance de ces ouvrages; nous pouvons même, Jusqu'à un certain point, juger de leur style et de leur caractère, (1) Voyez 4. D, chap. XX, pag. 22. (2) Kafr Tahermes ( village de Hermès), Birket el- Kheyäm, Sagyet Mekkeh, Gezyret el-Dahab, Kouneyseh, Koum el-Eçoued, Nezlet el-Aqta’, Talbyeh, Terseh, Beny Yousef, el- Harânyeh, Chobrâment («xl s, et non Chobrä-menf), Zâäouyet Chobrâment, Abou Nemrous, Manyal-Chih, Abouseyfeny. ( couvent }, Tahmä ( Leb ), el-Manäouat ( el al ; Monä-ouäd), Myt Chammäs, Myt-Qädous , Myt-Douneh, Omm Mo- À. D. quand nous rapprochons les récits des khnân, Cheykh O’tmân, onû el-Emyr, el-Haouâm- dyeh, Abousyr, Koum el-A’zyzyeh, Myt-Rahyneh, Saqqârah , Bedrecheyn, el-Chinbâb , Darâgiy, Abou Rogouân, &c. Myt est l’abréviation ordinaire de Minyet, qui signifie demeure, comme monä. (3) Voyez plushaut, page 30. (4) Voyez planche $8, fig. 20, Ant. vol, V. (5) Voyez À. D, chap, XVI, pag, 72. Ez 38 DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS auteurs sur l'une et l'autre ville, ayant pour point de comparaison lès monumens de Thèbes qui nous sont exactement connus. Si les masses des constructions différoïent par les matériaux, c’est une nécessité locale: qui s'explique d’elle-même ; maïs les statues et tous les monolithes étoient, comme à Thèbes, en granit ou en pierre dure, d'un travail difhcile. Ce qui distingue principalement Memphis, non-seulement de Thèbes, mais de toutes les capitales, 6’est le système adopté pour la forme des tombeaux. Tandis qu'à Thèbes les tombes sont des hypogées creusés, à Memphis toutes sont des massifs de forme pyramidale , c'est un style auquel Memphis semble avoir donné naissance: sujet qui mériteroit des recherches appro- fondies, non-seulement pour l’histoire des arts, mais même pour les sciences et la philosophie; nous aurons occasion d'y revenir. Avant de rapporter les témoignages des historiens sur les monumens des arts, nous devons citer les noms des quartiers et des localités dont ils font mention, et chercher à les reconnoître : ce sont, d’après la nomenclature des Grecs, le mont Psammius, Ve Serapeum , le Sinoprum, le lieu dit Cochômé, les fleuves Achéron, Cocyte et Léthé. Lé premier de ces lieux étoit une montagne au pied de laquelle Memphis étoit bâtie. Cette montagne ne peut être autre chose que la chaîne Li- byque, dans sa partie saïllante à l'est, depuis le site des pyramides de Saqqärah jus- qu'aux pyramides en ruiné qui sont au nord-est d’Abousyr. On a cru pouvoir dériver ce nom de deux mots Égyptiens (x); mais la nature des lieux nous apprend qu'il signifie simplement wontagne sablonneuse, de Laupos et daumulio, sable. Dès le temps de Strabon, les sables de Libye, comme à présent, assiégeorent le sol de Memphis : « Le temple de Sérapis, dit- il, étoit situé dans un lieu très-sablonneux, » où les vents amassoïent des monticules de sables : on y voyoït des sphinx, dont » les uns étoient enfouis jusqu’à la moitié du corps, d’autres jusqu'à la tête (2). » L'affluence des sables est encore plus grande , aujourd’hui qu'ils ne trouvent aucune barrière, et ils ensevelissent de plus en plus le site de Memphis; ils y débouchent par un vallon qui est au sud-ouest d'Abousyr. Le Serapeum, ou le temple de Sérapis, d’après ce que nous venons de dire, ne pouvoit être éloïgné du plateau de la montagne Libyque. Pour le retrouver, il fau- droit opérer de grandes fouilles entre Sagqârah et la pyramide à degrés qui est au nord, laram el Modarrageh, et creuser les sables assez profondément pour mettre les sphinx à découvert: ceux-ci formoient sans doute une allée, comme à Thèbes, conduisant à la porte du temple. C'étoit en ce lieu qu'on procédoit à linhumation d'Apis, il renfermoit un nilomètre. Dans l'article suivant nous parlerons du Serapeum sous ces divers rapports, et relativement à son origine et à son culte. Le Sinopium, suivant Eustathe (3), étoit la montagne de Memphis; pour cette raïson il regardoit le Sérapis Memphitique comme l'origine du Jupiter Sinopites d'Homère. Selon Jablonski, ce nom veut dire /e Heu de la mesure, parce que là existoit le nilomètre. C’étoit sans doute le canal occidental qui portoit les eaux (1) KoOas et 2SON, fortitudinem dans. Voy. l'Égypte (3) Srémor yèp des Méuqdbe. ( Eustath. ad Dionys. sous les Pharaons , tom. |, pag. 340. Perieg. v. 255, in Geogr. minor. t. IV, p. ds. ) (2) Geogr. lib. XVII, pag. 807. ET DES PYRAMIDES, CHAP. XVIII, SECT.II. 39 sur ce point, et, comme il avoit sa prise, d'eau à un point supérieur de la vallée, il pouvoir, en effet, faire connoitre l’origine de l'accroissement avant le Jour où on l’apercevoit dans le Nil même devant Memphis. Eusèbe et le Syncélle font mention d’un lieu dit Koyun, dans Îe voisinage des pyramides (1). Nous n'avons aucune donnée pour découvrir son emplacement. Selon Diodore de Sicile, les Grecs avoient emprunté à l'Égypte leurs fleuves infernaux, le Cocyte et le Léthé. « Orphée, disent’ les Égyptiens, a rapporté de ” son Voyage ses mystères, ses orgies, et toute da fable de l'enfer (2 }.» [est pos- sible que l'idée première de l'enfer des Grecs.et des Champs Élysées ait été puisée en Égypte : mais y chercher l origine de leurs fables jusque dans les détails, ainsi que tous ces fleuves ouvrages de leur féconde imagination, et encore le Styx, le Phlégéthon, le Ténare, le Tartare, puis Caron et Cerbère avec Minos, Faque et Rhadamanthe, c’est tenter, nous le pensons, des rapprochemens forcés. Ce séroit donc ici. consumer le temps en vaines recherches que de vouloir trouver sur le plan du territoire de Memphis la place qu'occupoit le Cocyte ou l'Achéron. Je n’essaierai pas davantage de retrouver de lac d'Achéruse, situé auprès de Mem- phis, selon Diodore de Sicile, ni l'île voisine où Dédale avoit un temple con- sacré sous son nom (3). L'auteur, qui, après avoir dit qu'Orphée et Homère avoient puisé leurs fables chez les Égyptiens, attribue à Dédale le vestibule du temple dé Vulcain à Memphis, et qui assure qu'on plaça.la statue d’un artiste Grec dans ce temple fameux, statue faite de sa propre main, n’est pas ici assez d'accord avec lui-même pour servir de guide dans des râpprocheméns aussi obscurs. Au rapport d'Hérodote, le même Ménès qui fonda Memphis, qui fit élever les digues destinées à la protéger contre le débordement, et creuser des lacs au nord et à l'ouest, éleva en l'honneur de Vulcain un temple remarquable par sa magnificence (4): est difhcile de concilier ce récit avec la qualité de premier roi d'Égypte que l'historien donne au même souverain, si Memphis est considérée ici comme capitale : en effet, elle succéda comme telle à la ville de Thèbes. Mais ne faut-il pas entendre par-là que Ménès fut le premier roi d'Égypte qui choisit . Memphis pour résidence {5 )! Alors il n'y auroit plus rien dont on püt étre étonné dans l'érection d’un grand et superbe temple à Memphis, comme on pourroit l'être de voir élever de tels ouvrages dès le berceau de la civilisation, car les modèles ne manquoient pas dans l'antique Thèbes. Toutefois nous regardons comme très- croyable que Memphis fut un lieu habité dès les premiers temps ,:et bien avant Héliopolis : il fut occupé comme le point le plus-resserré de la vallée au-dessus de l'origine du Delta; comme la clef, en quelque sorte, de l'Égypte supérieure; car, ainsi que l'observe très-bien Hérodote, la ville se trouve dans la partie étroite du pays. L'opération qu'on attribue à Ménès, la rectification du cours du fleuve en (1) Præpar. evañg. lib, 11, c. 111. —Syncell. Chronogr. attribue à Athothis, fils de Ménés, premier roi de la pre- P- 54, 55- mière dynastie après le déluge, la construction du palais (2) Diod. lib. 1, cap. xxxv1. de Memphis ( Syncell. Chronogr. p. 54, 55) : mais le (3) Jbid. Syncelle, plus loin, fait redescendre la fondation de (4) Hérod. Liv. 11, chap. xc1X, trad. de M, Miot. DORE à l'époque de celle de Sparte (ibid. p 149) (5) Manéthon ( dans Jules Africain et dans Eusébe) ou à l’époque d'Épaphus (p. 152, 158). re) DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS ce point, ne put pas être faite au commencement de la monarchie Égyptienne ; il falloit d’abord avoir étudié la pente des eaux, s'être assuré de la possibilité d'une entreprise aussi gigantesque, avoir profité enfin des connoissances locales qu'avoient acquises les habitans établis en cet endroit. Quoi qu'il en soit, le roi Mo@ris, antérieur seulement de neuf siècles à Hérodote, fit construire au temple de Vulcain les propylées qui regardent le nord (1). Sésostris, au retour de ses conquêtes, employa les captifs à extraire des carrières des pierres immenses, qui furent employées sous son règne à la construction du temple. IH plaça au-devant six colosses : les deux plus grands, ayant 30 coudées, représentoient ce prince et son épouse; les quatre autres, ayant 20 coudées, ses quatre enfans (2). « Le roi Protée, dit le même auteur (c’est aïnsi qu'il s'appelle dans la langue » des Grecs) (3), donna son nom à une enceinte sacrée, magnifique, et riche- » ment décorée, un peu au sud du temple de Vulcain; dans cette enceinte on » voit une chapelle dédiée à Vénus reçue en hospitalité | Hélène, fille de Tyndare |. » Autour de l'enceinte de Protée, on voyoit les habitations des Tyriens et le » quartier appelé Camp des Tyriens (4). Son successeur Rhampsinite laissa, comme » monument de son règne, les propylées du temple de Vulcain qui regardent » le couchant. En face de ces propylées sont deux statues hautes de 2$ coudées. » Les Égyptiens donnent le nom d’Æté à celle qui regarde le nord, et le nom » d'Hiver à celle qui regarde le midi. Ils révèrent la statue de l'été, lui offrent des » dons et traitent d'une façon tout opposée celle de l'hiver (5)...... Les pro- » pylées du temple qui regardent le soleil levant, ont été bâtis par lui ( Asychis ); » ils sont plus magnifiques et plus vastes que les autres. Tous, à la vérité, sont » ornés de figures gravées, et présentent aux yeux une variété infinie dans leur » construction; mais ces derniers lemportent beaucoup par la grandeur (6)..... » Psammitichus, devenu maître de toute l'Égypte, fit construire, au temple de » Vulcain à Memphis, les propylées qui regardent le midi; il fit élever aussi la » cour où l’on nourrit Apis, lorsqu'il apparoît. Cette cour est située en face » des propylées; un péristyle, dont les murs sont couverts de figures sculptées, » règne autour, et, au lieu de colonnes, est soutenu par des colosses de 12 cou- Pidécsade autre En Amasis consacra dans les temples les plus célèbres » un grand nombre d'ouvrages, tous remarquables par leur volume et leur gran- deur. De ce nombre est le colosse couché en face du temple de Vulcain à » Memphis, et dont la longueur est de 75 pieds. Le même roi a fait construire » en pierre d'Éthiopie deux colosses, chacun de 20 pieds de haut, placés l’un à la droite, l’autre à la gauche du bâtiment, et l’on en voit à Saïs un de même grandeur, également en pierre, et couché comme celui de Memphis. Enfin c'est encore ce roi qui a élevé dans cette dernière ville le temple d'Isis, remar- quable par sa grandeur et sa magnificence (8). » ÿ ÿ VU V (1) Hérod. liv. 11, chap. ct. (5) Hérod. liv. 11, chap. CxxI. (2) /bid, chap. cvtr, cx. (6) Zbid. chap. cxxx vi. (3) Cétès chez les Égyptiens (Diod.Sic. [. 1, c. LXIL). (7) {bid. chap. eur. (4) Hérod. liv. 11, chap. exit. (3) Zbid. chap. CLxxvI. ET DES PYRAMIDES. CHAP. XVIII, SECT: II. Â1 Ainsi voilà huit rois qui, dans le cours de douze siècles, ne cessèrent d’embellir le grand temple de Vulcain, ou d'enrichir à l'envi la ville de Memphis. Ces récits sufhisent pour donner l'idée d’un édifice qui le cède peu à ce que l’on connoît à Thèbes de plus magnifique : maïs on est réduit cependant à des conjectures sur sa disposition, son étendue et ses dimensions. À Thèbes, :les propylées se: suc- cèdent.en ligne droite, et ils sont séparés par des cours péristyles; ici, nous voyons des propylées ajoutés successivement au nord, à l'ouest, à l’est et au sud. H faut en conclure nécessairement qu'il y avoit, contre l'usage ordinaire, autant d’en- trées différentes, -ou bien que ces propylées introduisoient seulement dans une enceinte extérieure au temple. Une des données de la description d'Hérodote me fait croire que le temple primitivement bâti par Ménès avoit son entrée tournée vers le nord: en effet, le premier propylée qui fut ajouté devant le temple, est celui de Mœæris, et il fut élevé du côté qui regarde le nord, et très-probablement devant l'entrée. ; En étudiant attentivement cette description , et faisant des rapprochemens avec les monumens de Thèbes, à défaut de vestiges subsistans, il ne seroït pas impossible de parvenir, paranalogie, à découvrir quelque chose de la disposition du temple de Phtha ou de Vulcain, et même les dimensions de ce grand édifice. En effet, les Égyptiens suivoient des règles, observoient des proportions, dans les diverses parties de leurs monumens. Par exemple, ïls n'auroient pas élevé des statues de 20, 25, 30 coudées, et. plus encore, devant des pylônes d’une médiocre élévation. On pourroït comparer, sous ce rapport, le grand palais de Karnak et celui d'Osymandyas avec le temple ‘de Phtha, et en conclure avec vraisemblance la hauteur des différens pylônes de ce dernier, et de là déduire les proportions approximatives .des galeries péristyles et celles des portiques du temple. Toutefois, hasarder sur ces rapprochemens la restitution du monument, seroit un travail plutôt curieux qu'utile-et satisfaisant : quoiqu'il nous fût aïsé de le tenter, et que même nous ayons tracé un essai de plan conjectural conforme aux données existantes, nous nous abstiendrons de le mettre sous les yeux des lecteurs. Nous avouons d’ailleurs la difficulté qu'il y a d'expliquer lénorme colosse de 75 pieds | so coudées | de longueur, qu'Amasis fit placer devant le temple, et qui étoit couché sur le dos, attendu qu'on ne connoît que deux espèces de statues monumentales Égyptiennes, les unes debout, les autres assises, et que, si l'on regarde les figures de sphinx comme des statues couchées, la position est inverse de celle du colosse d’Amäsis. Seroit-il question d’une figure analogue à la célèbre statue du Nil épanchant son urne, et environné d’enfans qui repré- sentent les seize coudées de la juste crue du fleuve’ Celle-là est en effet couchée sur le dos, maïs elle est d’un style. étranger à l'Égypte, et l'époque d’Amasis est encore loin de celle où le système des Grecs se mêla au style indigène, bien que Psammétique eût dès avant ce temps ouvert à ces étrangers l'entrée de l'Égypte, et déjà porté une atteinte profonde aux institutions nationales (1). (1) Hérod. liv. 11, chap. CLIV. « Psammitichus fit » bien servi, de diverses portions de terrain situées en » présent aux loniens et aux Cariens, qui l’avoient si » face les unes des autres, séparées seulement par le Nif,  2 Indépendamment de la restitution de l'édifice consacré à Vulcain, ül y auroit à examiner d'autres points non moins curieux, et sur lesquels malheureusement on na pas plus de lumières. Que faut-il entendre par la statue de l’Été et celle de l'Hiver, colosses que Rhampsinite éleva en face des propylées du couchant, la première regardant le nord, et l’autre le midi ( 1 }! Quels attributs distinguoient ces deux saïsons! On sait que les Égyptiens divisoient l’année en trois saisons, et non pas en quatre: la plus ficheuse en Égypte, correspondant à l’époque de notre printemps, c'est le moment des vents du khamsyn; est-il permis de le prendre pour l'hiver, pour le temps froïd, qui arrive à la même époque que chez nous! J'en doute. Au reste, on conçoit comment la statue tournée vers le nord correspondoïit à l'été, puisque c'est à cette époque que le soleil est le plus près de la partie boréale. Il résulte de la description d'Hérodote, qu'outre le temple de Vulcain ül y avoit au midi de cet édifice un quartier des Tyriens, avec une enceïnte sacrée, dédiée au roi Protée, ainsi qu'un petit temple consacré à Vénus étrangère, par allusion, dit l'historien, à l'hospitalité qu'Hélène, fille de Tyndare, reçut de ce prince contemporain de la guerre de Troie. Ces traditions sont obscures et dépourvues de documens historiques. I n’est pas facile de comprendre comment le successeur de Sésostris, qui a été suivi de tant de rois fidèles au culte national, osa ériger un édifice religieux quelconque à une simple mortelle, et à une femme Grecque. Les Égyptiens ont-ils jamais été assez sensibles à la beauté étrangère pour lui élever des temples en présence de ceux de Phtha, d'Osiris et d'Isis! On auroit besoin de puiser aux sources originales des traditions que DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS consulta superficiellement Hérodote, pour asseoir son jugement sur ce trait de l'histoire de Memphis; quant à moi, bien que Strabon dise qu'il y avoit un temple de Vénus, divinité Grecque (2), je pense que la Vénus Égyptienne, Athor, qui avoit beaucoup de temples en Égypte, en eut un aussi à Memphis, et que là-dessus les Grecs bâtirent un rapprochement dont le but étoit de prouver la réalité des événemens de la guerre de Troie. Hérodote cite encore un édifice bâti par Psammétique, au midi du temple de Vulcain (ou vis-à-vis les portiques du midi) : c’étoit un bâtiment en forme de péristyle, où lon nourrissoit, dit il, le dieu Apis; au lieu de colonnes, le » et donna à ces deux établissemens le nom de camps. » Après leur avoir distribué ces terres, il remplit égale- » ment les autres promesses qu il leur avoit faites. Enfin » il leur confia des enfans Égyptiens pour apprendre la » EE Grecque; et c’est des Égyptiens instruits de cette D manière que descendent ceux qui servent encore au-. » jourd’hui d’interprètes. Ces Ioniens et ces Cariens ha- » bitèrent pendant long-temps les terres qu’ils avoient » reçues ; elles sont situées vers la mer, un peu au-des- . » sous de Bubaste, près de la bouche Pélusienne du Nil: » mais par la suite le roi Amasis les en retira pour les » établir à Dents et se faire garder par eux contre » Les Égyptiens mêmes. C’est seulement depuis l’époque » de leur établissement en Égypte que nous autres Grecs, » dans nos relations commerciales avec eux, avons pu ww? nous instruire exactement par leur secours de Jé histoire » d’ Égypte, à dater du règne de Psammitichus , et sous » les rois qui lui ont succédé; car ces Grecs sont les >» premiers étrangers qui, parlant une langue différente » de celle du pays, l’ont habité. On voyoit encore de mon » temps, sur les terrains d’où on les avoit tirés pour les » faire venir à Memphis, des restes de leurs chantiers » et les ruines de leurs habitations. » (1) Larcher (tome Il » page 95, édit. de 1802) a tra- duit : « L’une au nord, Fe Égyptiens lappellent Été; » l'autre au midi, ils la nomment Æiver. » (2) Strab. Fu Hb, xvit, pag. 807. Voyez ci- après. péristyle ET) DES PM RAMUDESMOHENPI ERP TIIINMSNECT, II. 43 péristyle toit supporté par des colosses de 12 coudées de haut. La description est incomplète; elle semble désigner une de ces cours péristyles qui séparent à Thèbes les différentes portes de l'édifice principal. Enfin nous voyons qu’Amasis Construisit un temple vaste et admirable, consacré à la déesse Isis: mais rien dans Hérodote ne nous apprend le quartier qu'il occupoit, ni en quoi consistoit ce monument. Le passage suivant de Strabon confirme la proximité du temple d'Apis et de celui de Vulcain; le voici dans son entier : « Memphis, résidence » des rois Égyptiens, est elle-même peu éloignée | de Babylone ); car on ne compte que trois schœnes depuis le Delta jusqu’à cette ville. Elle renferme des temples; entre autres, celui d'Apis, qui est le même qu'Osiris : c’est à » quon nourrit, dans un sécos, le bœuf Apis, qui passe pour un dieu, ainsi AIQUENEMAAIE M, à, En avant du sécos est une cour dans laquelle se trouve > VJ 5} V » un autre sécos pour la mère d'Apis : c'est dans cette cour qu'on le lâche à » une certaine heure, principalement pour le montrer aux étrangers; car, quoi- > v qu'ils puissent le voir dans le sécos à travers une fenêtre, ils desirent aussi le voir dehors : après lui avoir laissé faire quelques sauts dans la cour, on le fait » rentrer dans sa demeure. Près du temple d’Apis est celui de Vulcain, édifice » magnifique, dont la construction a dû coûter beaucoup, soit à cause de la: » grandeur du #405, soit pour tout ce qui sy trouve. Un colosse monolithe » est placé en avant du temple, dans le dromos, où lon fait combattre des » taureaux les uns contre les autres; on les élève à ce dessein, comme on 2 NV » élève des chevaux ( pour la course) : à peine sont-ils lâchés, qu'ils se battent: » et l'on décerne un prix à celui qu'on juge le vainqueur. H y a aussi à Memphis » un temple de Vénus, regardée comme une divinité Grecque; d’autres disent que ce temple est consacré à la Lune. On trouve de plus un temple de Sérapis » dans un endroit tellement sablonneux, que les vents y amoncellent des amas J V » de sable, sous lesquels nous vimes les sphinx enterrés, les uns à moitié, les V V autres jusqu'à la tête : d'où l’on peut conjecturer .que la route vers ce temple ne seroit point sans danger, si l’on étoit surpris par un coup de vent. La ville (de Memphis) tient le premier rang après Alexandrie; elle est grande, bien peuplée, comme celle-ci, d’habitans de différentes nations. Des lacs s'étendent en avant de la ville et des palaïs royaux, maintenant en ruine et déserts. Bâtis sur une hauteur, ils se prolongent jusqu'à la partie basse de la ville; au pied » de cette hauteur on voit un boïs et un lac (1).» Le dromos dont parle ici Strabon est défini dans la description générale des temples d'Égypte : non-seulement il y en avoit un au temple de Vulcain, mais ÿ Ÿ VU 12 LV VV C4 V V Élien nous apprend que le temple d’ Apis en avoit plusieurs; il rapporte que le bœuf Apis avoit des dromos et des gymnases [| deéuous 43} xwioleæs | (2). Strabon est le seul auteur qui fasse mention des combats de taureaux donnés en spectacle dans ces dromos, destination bien différente de tout ce que l'antiquité raconte sur le fameux taureau de our J'ajouterai que le mot dont il se sert pour exprimer la demeure d’Apis, om, peut s'interpréter indifféremment par étable (1) Strabon, liv. xvi1, p. 807, t. V de la trad. Franc. (2) Ælan. lib. XI, cap. x. A. D. F À À DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS Ou par sanctuaire : Cette remarque a déjà été faite par les commentateurs. Strabon est le seul aussi qui mentionne les sphinx faisant partie du temple de Sérapis, et le bois qui occupoit une partie inférieure du local. Tous ces différens traits concourent à former un tableau de l'ancienne Mém- phis; les boïs, ici comme à Abydus, étoïent composés d’acanthes, espèce d’acacias épineux, qui opposent, quand ils sont groupés, une forte barrière à l'invasion des sables : ïl étoit défendu de les couper (1). On rapporte qu’une bibliothèque a existé dans un des temples de Memphis, et lon a prétendu qu'Homère y avoit puisé le sujet de ses poëmes : le ridicule de cette assertion, rejetée comme élle le mérite (2), n'empécheroïit pas de croire à la réalité de la bibliothèque; d’ail- leurs, les archives sacerdotales, consultées par Diodore, en confirmeroïent lexis- tence; et de plus, Memphis, rivalisant avec la ville de Thèbes, devoit sans doute, comme elle, avoir une bibliothèque. Diodore de Sicile dit peu de chose sur les monumens de Memphis; cependant tout ce qu'il raconte au sujet de cette ville mérite d’être rapporté. « Memphis, la plus fameuse des villes de l'Égypte, fut bâtie par le huitième » des descendans d'Osymandyas, nommé, comme son père, Uchoréus; il choisit > pour cela le lieu le plus avantageux de tout le pays, qui est celui où le Nil, se » partageant en plusieurs canaux, forme le Delta, ainsi nommé de sa figure : de là » il arrive que Memphis sert de barrière à cette partie.de l'Égypte contre ceux qui » naviguent vers le pays supérieur. Il donna à l'enceinte de la ville cent cinquante > stades de tour, et la fortifia d’une manière merveïlleuse; car, le Nil coulant » autour de la ville et se débordant au moment de sa crue, ïl lui opposa au midi » une digue immense, qui, du côté du fleuve, servoit de défense contre l'irrup- » tion des eaux, et, du côté de la terre, de rempart contre les ennemis. Il creusa » aussi un lac vaste et profond, qui, recevant les ‘eaux du fleuve, fortifroit la ville » de tous les autres côtés. Il rendit ce lieu st commode et si agréable, qu'après » Jui la plupart des rois, abandonnant le séjour de Thèbes, y transportèrent leur » cour et la résidence royale. C’est depuis ce temps que Thèbes a diminué de » plus en plus, et que Memphis s’est accrue toujours davantage, jusqu’au temps » d'Alexandre de Macédoïne. » (Liv.1, chap. L.) « Quelques-uns disent que Memphis tient le nom qu'elle porte de la fille de » son fondateur... Douze générations après ce prince, Mœæris, devenu roi de » l'Égypte, construisit à Memphis les propylées du nord, beaucoup plus magni- » fiques que les autres. ...» {Liv. 1, chap. LI.) « (Sésoosis } Sésostris dériva de nombreux canaux, à partir de Memphis, depuis » Je Nil jusqu'à la mer, à travers tout le pays, afin de faciliter le transport des » productions et des marchandises, et de faire jouir les peuples de l'abondance » et des bienfaits d'un commerce mutuel... Il plaça dans lé temple de Vulcain à » Memphis sa statue monolithe et celle de sa femme, hautes de 30 coudées, et V V “ » celles de ses fils, hautes de 20 coudées (3)....» (Liv. 1, chap. Lvir (1) Voyez Antig. Descript. chap. XI, X VI, et ci-des- (3) Diodore met dans le temple les statues qu'Héro- sus, sect. I, pag. 9. dote décrit comme étant devant l'édifice. (2) Eustath. Odyss, præfat. ED DESVEMRAMIDRS ERA AID SEC) II. 4 S$ « Darius, père de Xerxès, ayant soumis l'Égypte à l'empire des Perses, voulut » faire placer sa statue à Memphis devant celle de Sésostris : le pontife sy opposa -» dans l'assemblée des prêtres, où cette affaire étoit agitée, en soutenant qu'il n'a- » voit point encore surpassé les actions du monarque Égyptien. » (Liv.1,ch. Lvur.) « Psammétique, étant devenu maître de l'Égypte, éleva au dieu de Memphis le » propylée de lorient; il environna le #4os d’une enceinte, et il employa pour sup- » ports des colosses hauts de 1 2 coudées, au lieu de colonnes... » (Liv.r, ch. Lxvir.) « Nous avons examiné attentivement ce qui a été écrit par les prêtres Égyptiens » dans leurs archives » ['wayeægais ] {1 ). Trois différences notables existent entre le récit d'Hérodote et celui de Dio- dore de Sicile. Psammétique, suivant le premier, bâtit le propylée du sud, et, suivant le second, le propylée de lorient; en second lieu, Diodore paroît attri- buer au temple de Vulcain l'édifice soutenu par des statues de 12 coudées, tandis que, selon Hérodote, le bâtiment péristyle fut élevé par Psammétique en l’hon- neur d’Apis; enfin on voit ici que le fondateur de Memphis est Uchoréus, et non pas Ménès : maïs, chez les deux historiens, c'est Mœris qui éleva les propylées du nord, et Sésostris qui érigea les grandes statues de 30 coudées. Nous avons déjà examiné ce qui regarde le périmètre de Memphis; les digues et les lacs qui servoient d'enceinte à la ville, ne contredisent point les autres descriptions. Quant aux zombreux canaux que fit Sésostris pour faire communiquer avec la mer les différentes parties de l'Égypte, l'abbé Terrasson a imaginé qu'ils avoient pour objet de faire communiquer le Nil avec 1 mer d'Arabie. Le texte dit simplement émi Séñarrar, à la mer. M est vrai que, suivant Strabon (iv. xvIx, p. 804), le canal qui se décharge dans la mer Érythrée ou golfe Arabique, fut creusé d’abord par Sésostris ; maïs iln'est pas question de ce canal dans le passage de Diodore : celui- ci n'en parle qu'à l'occasion des canaux du Nil, et il Fattribue à Nécos, fils de Psammétique, qui le premier, dit-il, entreprit de le creuser (2). Pour compléter ces extraits de Diodore de Sicile en ce qui regarde Memphis, jajouterai, d'après lui, que, pour calmer l'anxiété du peuple au sujet de la crue du Nil, les rois avoient construit à Memphis un niloscope destiné à connoître et publier par-tout la mesure de lexhaussement du fleuve en coudées et en doigts, ét que pendant un grand nombre de générations les Égyptiens avoient soigneusement enregistré ces observations (3). Nous ne pouvons rien dire du ) temple qui, suivant Diodore, fut consacré à Dédale dans une des îles voisines de (1) I est probable que ce n’est point à Thèbes, mais qui précède l’histoire de Diodore, quelque judicieuse et à Memphis, que Diodore a consulté les archives; je re- marque toutefois que nulle part ilne dit, en parlant de Memphis, avoir vu, avoir observé lui-même les monu- mens. Âu reste, Heyne ( De fontibus et auctoribus histo- riarum Diodori, Viod. Sic. Bibl. histor. vol. 1, Bipont. profonde que soit sa critique. Au reste, en se reportant à l'époque à laquelle il a écrit, on est forcé d’avouer que sa sagacité ingénieuse a devancé en quelque sorte les faits et l'observation sur beaucoup de questions qui intéressent Phistoire et les monumens de PÉgypte ; et que ses re- 1793, pag. 4$ et passim) nie que Diodore de Sicile ait marques sur les sources de Diodore sont elles-mêmes une “ 4 L . lu ou pu lire les livres sacrés des Egyptiens. En admettant cette proposition, s’ensuit-il que ses récits sont indignes de confiance! Non sans doute; et nous ne pouvons en ce source inépuisable de recherches lumineuses, et un guide presque toujours sûr. (2) Liv.1, chap: xxxI HI. point partager l’opinion du savant auteur de la dissertation (3) Liv. 1, chap. xxx1v. A. D, F2 A“ DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS Memphis, et très-honoré par les indigènes; en supposant que les Égyptiens aient divinisé un homme, un étranger, on seroït fort embarrassé de trouver dans la topographie des environs de Memphis le site du monument. Selon Pline, Apis avoit deux temples servant pour les augures : dkbra gemina quæ vocant thalamos.… (1) Enfin Pausanias mentionne le temple d’Apis et son oracle (2). y Les anciens ne parlent pas d’un sanctuaire monolithe remarquable qu'A’bd el-Latyf a vu à Memphis, et que Magryzy et d’autres auteurs citent également, de manière que son existence est incontestable. Je crois pouvoir rapporter ici la tra- duction des passages de ces savans Orientaux, comme supplément aux témoignages de l'antiquité; et même, comme le premier entre dans beaucoup de développemens sur Memphis, et qu'il en parle pour lavoir vue lui-même, je ne ferai pas difficulté d'emprunter une grande partie de sa description, laissant au lecteur curieux à con- sulter d’autres détails accessoires, qui nesont peut-être pas d'un moïndre intérêt | ). D'une part, les écrivains Grecs sont entrés dans trop peu de détails, et, de l'autre, les dévastateurs ont détruit avec trop d’acharnement les anciens mornumens de Memphis, pour qu'on ne me pardonne pas d'y suppléer par la relation d’un homme véridique, judicieux, et témoin oculaire; seulement je dois avertir qu’un sentiment d’admiration exclusive éclate dans son récit, sans doute parce qu'il n’avoit pas vu les ruines de Thèbes : c'est au lecteur à faire la part de f’exagération. « Passons maintenant à d’autres vestiges de l'antique grandeur de l'Égypte : je » veux parler des ruines de l’ancienne capitale de ce pays, qui étoit située dans le » territoire de Dyjizeh, un peu au-dessus de Fostât. Cette capitale étoit Memphis; » c'étoit là que les Pharaons faisoïent leur résidence, et cette ville étoit le siége » de l'empire des rois d'Égypte. » ( A’bd el-Latyf, Relation de l'Égypte, waduction Française, page 184.) | « Les ruines de Memphis occupent actuellement une demi-journée de chemin » en tout sens... » (/4id.) « Revenons maintenant à la description des ruines de Memphis, que l'on ap- » pelle l’ancienne Misr. Malgré l’immense étendue de cette ville et la haute anti- » quité à laquelle elle remonte, nonobstant toutes les vicissitudes des divers » gouvernemens dont elle a successivement subi le joug, quelques eHorts que » différens peuples aïent faits pour l’anéantir, en en faisant disparoître jusqu’à » ses plus légères traces, transportant ailleurs les pierres et les matériaux dont » elle étoit construite, dévastant ses édifices, mutilant les figures qui en faisoient » l'ornement; enfin, en dépit de ce que quatre mille ans et plus ont dû ajouter » à tant de causes de destruction, ses ruines offrent encore aux yeux des specta- » teurs une réunion de merveilles qui confond l'intelligence, et que l’homme le (1) Liv. vint, chap. XLvI. trésor, une mine précieuse de documens et de recherches (2) Zn Achaïc, Hib. VIT, cap. xx11. positives sur ce pays classique : en les publiant, lillustre (3) J'espère que Pintérêt du récit fera excuser la lon- orientaliste a rendu un service des plus signalés à Pétude gueur de la citation. La Relation de PEgypte par Abd de PEgypte. Ce seul ouvrage, au milieu de tant d’autres, el-Latyf, ainsi que les notes et savans commentaires qu'y sufhroit pour lui assurer la reconnoïissance des amis des a joints M. de Sacy, peuvent être regardés comme un lettres. » » CA 2 VU V VU 2 4 Le ÿ LA Le U4 S LA 2 V ÿV ÿ Le dd Le V NV VU 2 LV Le V LA V V M Y L2 V VU ÿ U4 LA V LA Y L M V ET DES PYRAMIDES. CHAP. XVIII, SECT. II. 47 plus éloquent entreprendroit inutilement de décrire. Plus on la considère, plus on sent augmenter l'admiration qu’elle inspire. » { Jhid. page 185.) « Du nombre des merveilles qu'on admire parmi les ruines de Memphis, est la chambre ou niche que lon nomme 4 chambre verte. Elle est faite d’une seule pierre de 9 coudées de haut sur 8 de long et 7 de large. On a creusé dans le milieu de cette pierre une niche, en donnant 2 coudées d'épaisseur tant à ses pa- rois latérales qu'aux parties du haut et du bas: tout le surplus forme la capacité intérieure de la chambre. Elle est entièrement couverte, par dehors comme par dedans, de sculptures en creux et en relief, et d'inscriptions en anciens carac- téres. Sur le dehors, on voit la figure du Soleil dans la partie du ciel où il se » lève, et un grand nombre de figures d’astres, de sphères, d'hommes et d’ani- maux. Les hommes y sont représentés dans des attitudes et des postures variées : les uns sont en place, les autres marchent; ceux-ci étendent les pieds, ceux-là les ont en repos; les uns ont leurs habits retroussés pour travaïller, d’autres portent des matériaux; on en voit d’autres enfin qui donnent des ordres par rapport à leur emploï. On voit clairement que ces tableaux ont eu pour objet de mettre sous les yeux le récit de choses importantes, d'actions remarquables, de circonstances extraordinaires, et de représenter sous des emblèmes des secrets très-profonds. On demeure convaincu que tout cela n'a pas été fait pour un simple divertissement, et qu'on n'a pas employé tous les efforts de f'art à de pareils ouvrages, dans la seule vue de les embellir et de les décorer. Cette niche étoit solidement établie sur des bases de grandes et massives pierres de granit. Mais des hommes insensés et stupides, dans le fol espoir de trouver des trésors cachés, ont creusé le terrain sous ces bases; ce qui a dérangé la position de cette niche, détruit son assiette, et changé le centre de gravité des différentes parties, qui, étant venues à peser les unes sur les autres, ont occa- sionné plusieurs légères fêlures dans le bloc. Cette niche étoit placée dans un magnifique temple, construit de grandes et énormes pierres assemblées avec la plus grande justesse et l’art le plus parfait. On voit au même lieu des piédes- taux établis sur des bases énormes. Les pierres provenues de la démolition des édifices remplissent toute la surface de ces ruines : on trouve en quelques en- droïts des pans de muraïlle encore debout, construits de ces grosses pierres dont Je viens de parler; aïlleurs, il ne reste que les fondemens, ou bien des monceaux de décombres. J'y ai vu Farc d’une porte trèshaute, dont les deux murs latéraux ne sont formés chacun que d'une pierre; et la voûte supérieure , qui étoit d’une seule pierre, étoit tombée au-devant de la porte. » Malgré toute l'exactitude et la justesse avec lesquelles on avoit disposé et assis les pierres de ces édifices, on avoit encore pratiqué entre les pierres des trous d’un empan de dimension sur deux doïgts de hauteur, dans lesquels on aperçoit la rouille du cuivre et le vert-de-gris. Je reconnus qu’en cela on avoit eu en vue de ménager des attaches à ces pierres, et de les lier ainsi plus for- tement les unes avec les autres, en plaçant du cuivre entre les deux pierres contiguës, et versant du plomb par-dessus. Des gens vils et des malheureux ont 4 8 DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS recherché ces liens de cuivre, et en ont arraché une grande quantité, Pour y parvenir, ils ont brisé beaucoup de ces pierres. En vérité, ils se sont donné bien de la peine pour les enlever, et ont fait voir toute leur bassesse et leur >) J 2 V > Y 2 NV sordide cupidité. » Quant aux figures d’idoles que lon trouve parmi ces ruines, soit que l’on considère leur nombre, soit que lon ait égard à leur prodigieuse grandeur, c'est une chose au-dessus de toute description et dont on ne sauroït donner une > V > S > LA idée; maïs ce qui est encore plus digne d’exciter l'admiration, c’est l'exactitude dans leurs formes, la justesse de leurs proportions, et leur ressemblance avec la nature. Nous en avons mesuré une qui avoit plus de 30 coudées, et du devant au derrière elle étoit épaisse en proportion. Cette statue étoit d’une seule pierre de granit rouge; elle étoit recouverte d’un vernis rouge auquel son antiquité sembloiït ne faire qu'ajouter une nouvelle fraîcheur. » Certes, rien n'est plus merveilleux que de voir comment on a su conserver » dans un colosse aussi énorme la justesse des proportions que garde la nature. > LA > ÿ D Le > V 2 V » On n'ignore pas que tous les membres du corps, soit instrumentaires, soit > V similaires, ont certaines dimensions propres, maïs qu'ils ont aussi certaines pro- » portions relatives avec les autres membres. C’est de ces dimensions propres » ct de ces proportions relatives que se forment et se composent la beauté du tout et l'élégance de la figure entière. S'il manque quelque chose à ces condi- » tions, il en résulte une difformité plus ou moïns grande, suivant que ces dé- > U » fauts sont plus ou moins graves. Or ce rapport de toutes les parties a été ÿ » observé dans ces figures avec une vérité qu’on ne peut assez admirer, d’abord » pour les justes dimensions de chaque membre considéré séparément, et ensuite » pour les proportions respectives que les différens membres ont entre eux. » { {bid. page 186.) « I y a quelques-unes de ces figures que l’on a représentées tenant dans la » main une espèce de cylindre d’un empan de diamètre, qui paroît être un vo- » lume; et l'on n'a pas oublié de figurer les rides et les plis qui se forment sur la » peau de la main, quand on la ferme, vers la partie externe attenant le petit doigt. » La beauté du visage de ces statues et la justesse de proportions qu’on y remarque » sont ce que l'art des hommes peut faire de plus excellent, et ce qu'une substance » telle que la pierre peut recevoir de plus parfait. Il n'y manque que limitation » des chairs et du sang. La figure de l'oreille, de son pavillon et de ses sinuosités, » est faite pareïllement avec une ressemblance parfaite. » J'aï vu deux lions placés en face l’un de l’autre à peu de distance: leur as- » pect inspiroit la terreur : on avoit su, malgré leur grandeur colossale et infini- » ment au-dessus de la nature, leur conserver toute la vérité des formes et des » proportions; ils ont été brisés et couverts de terre. » Nous avons trouvé un pan assez considérable des murailles de la ville, qui » étoïent bâties en petites pierres et en briques. Ces briques sont grandes et » grosses, d’une forme oblongue : elles égalent à peu près la moitié d’une de ces » briques de frak, qui sont du temps de Chosroës. » (id. page 18 9.) ET DES PYRAMIDES. CHAP., XVIII, SECT. II. 49 « Quelque grand que fût le nombre de cés statues, elles ont éprouvé les ra- » vages du temps à un. tel point, que, si. l'on en excepte un très-petit nombre, » elles sont aujourd'hui brisées en morceaux, et ne sont plus que des amas de » décombres. J'en aï vu une très grande, dans le côté de laquelle on avoit taillé » une meule d'un diamètre de deux coudées, sans que la statue en fût par op » difformée et qu'elle eût éprouvé une altération bien sensiblé. J'ai vu aussi une » statue qui, entre ses jambes, en avoit une autre plus petite, faite du même bloc: » celle-ci, par comparaison avec la grande, paroïssoit être un enfant ; et cependant » cette petite statue égaloit la taille de homme le plus grand. Elle étoit d’une » beauté et d’une grâce qui enchantoïent les regards, et lon ne pouvoit se lasser » de la considérer. » | //id. page 194.) Magryzy parle aussi de cette chapelle monolithe, auprès de laquelle il y avoit autrefois, dit-il, deux grandes statues. « Dans la chapelle étoit une statue d’Aziz; » cette statue étoit d'or, et avoit pour yeux deux pierres fines du plus grand prix: » la chapelle et les deux statues qui étoient dans son voisinage furent mises en pièces après l’an 600 de l'hégire. » Quelques lignes plus loin, il s'exprime d’une manière plus positive : « Il y avoit à Memphis, dit-il, une maison de cette pierre dure de » granit sur laquelle le fer ne mord point: elle étoit d'une seule pièce. On voyoit » déssus des figures sculptées et de l'écriture. Sur la face de la porte étoient des » figures de serpens qui présentoïent leur poitrail. Cette pièce étoit d’une grandeur » et d'un poids tels, que plusieurs milliers d'hommes réunis n'auroiïent pu la re- » muer. Les Sabéens disent que c'étoit un temple consacré à la Lune, et qu'il faisoit » partie de sept temples pareils consacrés aux sept planètes, et qui existoient à » Memphis. L’émyr Seïf-eddin Scheïkhou Omari (1) brisa cette waison verte » après l’année 750 [1349 |; et l'on en voit des morceaux dans le couvent qu'il » a fondé (2), et dans la djami qu'il a fait construire au quartier des Sabéens (3), » hors du Kaiïre.» L'auteur du Zohfat al-albab en parle aussi (4): « J'ai vu, dit-il, » dans le palais du Pharaon contemporain de Moïse, une maison très - grande, » d'une seule pièce, verte comme Île myrte, sur laquelle étoïent représentés les » sphères célestes et les astres. Je n'ai jamais rien vu de plus admirable. » ( Jid. notes de M. de Sacy, pages 247 et 248.) | « Des auteurs Orientaux, que l'on ne nomme pas, rapportent que l’on comptoit » à Memphis soïxante-et-dix portes en fer, quatre canaux souterrains, des ponts et » des digués; qu'au moyen d’une machine l'eau étoit élevée jusque sur le sommet » des murailles, d’où elle se portoit par différens cahaux dans toutes les maisons. » D’autres circonstances fabuleuses sont joïntes à ce récit. » ($ ). Après avoir lu la description d’A’bd el-Latyf, combien on regrette que tant (1) M. Langlès écrit le nom de lémyr, Seyf-eddyn Cheykhouë el-Ghamry ( notes sur le Voyage de Norden, tome III, page 243). (2) Dans le marché et la mosquée de ce prince, selon M. Langlès (ibid. ). (3) Situés dans le quartier el-Selebyeh, hors du Kaire , selon le même. I] ajoute que l’émyr A’tabeq ordonna que l’on détruisit tout ce qui restoit de cette ancienne ville (ibid. page 243 ). (4) M. Langlés dit que cet auteur est du x11.° siècle (ibid. page 244). (5) {bid. page 243. M. Langlès paroït avoir puisé ces traditions dansun mémoire de M. Wilford, tome III des Recherches Asiatiques. DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS $ O d'ouvrages curieux pour l'histoire des arts et même des sciences aient complé- tement disparu! Au reste, nous ne ferons ici aucun commentaire sur ces rela- tions, quelque intérêt qu'elles présentent; elles mériteroient de faire l'objet d’une dissertation spéciale. | Nous n’ajouterons plus que peu de mots à cette histoire abrégée de Memphis : tour-à-tour ravagée ou occupée par les Éthiopiens et les Perses, et reprise par les souverains indigènes, elle reçut enfin dans ses murs Alexandre-le- Grand comme un libérateur : cette catastrophe avoit été prévue sans doute par les sages du temps. Depuis Psammétique, les Grecs formoient en Égypte un parti tous les Jours plus puissant; établis à Naucratis, presque maîtres de la bouche orientale du Nil, formant sur plusieurs points des camps retranchés, les Milésiens, les Cariens, les Toniens (1), ouvroïent à leurs compatriotes les portes du pays. On sait que, malgré la prépondérance d'Alexandrie, Memphis continua cependant, sous les roïs Grecs, d'exercer quelque influence; c'est là que se faisoit l’introni- sation. Le collége de Memphis obéissoit en esclave aux rois étrangers, mais il conservoit son culte et gardoit ses priviléges : la pierre de Rosette dépose de son humble soumission aux Grecs, de son adulation servile pour les dominateurs du pays. Sous les Romains, Memphis déchut encore davantage : Strabon montre ses monumens déjà ruinés; depuis long-temps ils servoient de matériaux pour l’em- bellissement d'Alexandrie. Après son temps, ils furent attaqués avec une fureur croïssante. Son sort fut le même et pire encore sous les Arabes, qui élevèrent à ses dépens deux capitales; et cependant, au vurr.* siècle de notre ère, le nilo- mètre de Memphis étoit encore consulté. Le beau monolithe dont j'ai parlé ne fut même détruit que dans le x1v.° siècle [en 750 de l'hégire, 1349), par les ordres de l'émyr Séïf-eddin Scheïkhou-Omari (2), et c’est à cette époque que l'émyr fit disparoître ce qui restoit de tous ces monumens. Il est peu d'écrivains modernes qui n’aïent fait des conjectures et des recherches sur le nom de Memphis, ainsi que sur le sens et l'étymologie de ce nom : je ne crois pas devoir imiter cet exemple; ce qui a été publié sur ce sujet n’est point satisfaisant, et l'on ne pourra l’éclaircir que par de nouvelles découvertes. Je me borne donc à rappeler que l'orthographe la plus correcte paroîtroit être Menfis, s’il faut s’en rapporter uniquement à un monument authentique, savoir, la grande médaille de nome citée précédemment (3) : dans la Bible, ce lieu est nommé Noph et Moph. (1) C’est une ambassade de Milésiens qui fut envoyée de Memphis, lors de la marche d'Alexandre ( Strabon, liv. XVII, pag. 814). La forteresse des Milésiens étoit au- dessus de la branche Bolbitine; elle tiroit son origine; dit Strabon, des Milésiens qui, sous le règne de Psam- métique, abordèrent à cette bouche avec trente vaisseaux, remontèrent ensuite le fleuve, et fondèrent Naucratis (ibid. page 801 ). (2) I seroït à souhaiter qu’on retrouvât les fragmens dont parle Magryzy. Le couvent de Cheykhoû ne se- roit-il pas la même chose que le couvent et la mosquée de Cheykhoun, situés dans la rue du Kaïre qui monte à la citadelle, à droïte avant d'arriver à la place de Roumeyleh, d'autant plus que c’étoit dans le quartier el- Selebyeh, d’après une autre indication donnée par M. Langlés dans ses notes sur le Woyage de Norden, (tomelIIL, page 243 ); nom qui ressemble à celui du quar- tier el-Salybeh, où se trouve la mosquée Cheykhoun : ( Voyez la Description du Kaire, £, M. rome Il, 2 par- tie, page 666.) (3) Voyez ci-dessus, page 37. De ET DES /PYRAMIDES, ICHAP, AVIITI, S'ECT, 11. sa De même que j'ai comparé les récits des anciens sur la position de Memphis avec la géographie actuelle des lieux, j'aurois peut-être dû établir aussi quelques rapprochemens entre la description qu'ils ont laissée des monumens et les débris que nous avons observés sur le sol, ou même les restes, beaucoup plus considé- rables, qu'y a vus Abd el-Latyf; j'aurois remarqué que la statue mesurée par A’bd el-Latyf correspond à l'une des plus grandes, statues monolithes élevées par Sésos- tris devant les propylées du nord, au temple de Vulcain. Selon Hérodote et Diodore, elles avoïent 30 coudées; l’auteur Arabe a trouvé que le colosse avoit plus de 30 coudées, et qu'il étoit d’une seule pierre de granit rouge. Les mesures que j'ai prises du poignet colossal en granit rose, supposeroient, comme je lai dit, une statue de 18° =; ce qui correspond à {o et non pas à 30 coudées, comme celles dont A‘bd el-Latyf à fait usage (1): peut-être mon calcul proportionnel est-il établi sur une trop petite partie du corps, pour être parfaitement sûr (2). Avant de passer à un autre sujet, nous ferons encore ici mention d’une parti- cularité intéressante : il s’agit de la végétation si extraordinaire du territoire de Memphis, si lon s'en rapporte au témoignage du naturaliste Romain: «Il sy » trouve, dit-il, des arbres si gros, que trois hommes ne peuvent les embrasser. » Le passage est assez curieux pour être rapporté ici dans son entier: Z4: ( circa Memphim) ét prunus Ægyptia, non dissimilis spinæ proximè dictæ, pomo mespil , maturescens brumä, nec foha dimittens. Lienum in pomo grande, sed corpus ipsum natur& copräque messium instar tncolis. Purgatun enim tundunt, servanique eus offas. Siyestris fuit et circa Memphim regio tam vastis arboribus, ut terni nequirent vel ctr- cuinplects, unius peculiart miraculo, nec pomum propter , usumve aliquem , sed eventum. Facies enim spinæ folia habet, ce pennas , quæ, tactes ab homine ramis, cadunt protinus, ac postea renascuntur (3). Dans un autre endroit, Pline fait encore mention des arbres à feuilles persistantes : Nam locorum tanta vis est, ut circa Memphim Æg ypti et in Elephantine T'hebaïdis null: arbori decidant, ne vitibus quidem | 4 ). III, DU CULTE DE MEMPHIS, ET DE SON NILOMÈTRE. Quel fut le culte principal des habitans de Memphis! Cette question semble d'abord pouvoir étre résolue par les témoignages de l’histoire, et cependant elle est encore pleine d’obscurités. Nous savons que des temples y furent consacrés à diverses divinités, telles que le Vulcain Égyptien, Apis, Isis et Sérapis; c’est ce qui résulte des passages que nous avons rapportés. Maïs ces différens cultes furent-ils contemporains, ou bien exclusifs et successifs! Remarquons d'abord que le plus (1) Exposition du système métrique des anciens Égyp- le texte, puisque le mot employé est chebr, et que le tiens, À. M. tome 1, pages $29 et 560. savant traducteur compare lui-même cet empan à la spi- (2) Le rouleau que tient le colosse a, selon lui, un thame, qui est Ia même en effet que le chebr: cette re- empan de diamètre (ci-dessus, page 48 ) : or j'ai trouvé à marque prouveroit l'identité des deux colosses, et con- ce volume 23 centimètres 2 environ de grosseur, ce quiest firmeroit la valeur que j'ai attribuée à la coudée d’A’bd une demi-coudée ( ou 12 doigts ), au lieu d'un empan, el-Latyf. qui est une mesure de quatre doigts seulement { Paucton; (3) Plin. Æist. natur. Gb. XIII, cap. x. page 126). Cette différence énorme n'existe point dans (4) Zbid. Kb. XVI, cap. XXI. A. D. | G DESCRIPTION GÉNÉRALE DÉ MEMPHIS $ 2 ancien de tous fut celui de Vulcain; c'est à lui que le fondateur de Memphis éleva un temple, et c'est ce temple que tous les souverains sattachèrent à étendre, à orner de leurs dons et de leurs plus grands ouvrages. Cette constance à enrichir le même édifice persévéra sans interruption; elle dura presque autant que Memphis même, du moins jusqu'a la conquête des Perses. Dans l'origine, le dieu Phtha ou Phthas, le Vulcain des Égyptiens, n’étoit pas, selon le sentiment de Jablonski (1), de Cudworth, de Pauw, et de plusieurs sa- vans mythologues, le symbole du feu matériel; c'étoit celui du feu divin, de l'es prit infini, qui préside Funivers et coordonne toutes choses. Le mot Plas, en qobte bezw (dit La Croze), veut dire ordinator, sive constitutor, Si j'en juge par un monument assez curieux d'antiquité, dont je possède l'empreinte, on peut lui attribuer un sens encore plus étendu, c'est-à-dire, qui videt, qui audit ommia. C’est une jolie pierre gravée, un lapis lazuli, dans laquelle le mot OA est placé entre un œil et une oreïlle très-finement sculptée; de l’autre côté est un scarabée. Phtha étoit le dieu suprême, celui auquel tous les autres obéïssoïent. Jablonskï voit dans ce dieu le Ses éyxiomos, et le principe hermaphrodite d'Horapollon (2), l'esprit divin qui seul avoit tout créé, selon Thalès (3) ; doctrine qui avoit été empruntée aux Égyptiens par ce philosophe (4), et par Orphée avant lui. La différence que présente le témoignage d'Eusèbe, c’est que Phtha étoit seulement né du Cneph des Égyptiens, l'architecte de l'univers (s); mais Jamblique dit positivement que les Égyptiens appellent Phtha l'esprit auteur de toutes choses (6). Enfin Herma- pion, dans Ammien Marcellin, appelle Vulcain le père des dieux (7). Ce fut aussi le premier des rois en Égypte (ainsi parle Diodore de Sicile (8), d'après le rap- port des prêtres), et il ouvre en effet la première dynastie de Manéthon; mais il s'agit du règne des dieux, c’est-à-dire, de règnes fabuleux, et Manéthon l’ex- plique en disant : Z/ n'y a point de temps pour Vulcan, sa lumière est de tous les ins- tans (il éclaire jour et nuit) : ‘H@afolou yesvos oùx éciy* did ro vuxroc x) iméeñs aürèr pale (9). Selon Diodore, Vulcaïn avoit découvert le feu, et ce bienfait le plaça sur le trône d'Égypte (10) : la fable qu'il rapporte étoit évidemment une invention des temps récens, qui ne prouve qu'une chose, c’est que l’ancienne doctrine dégénéra avec le temps, et que PAhtha ne fut plus que le symbole du feu matériel, d’où est venu le dieu Vufcain de la mythologie Grecque, et c'est en ce sens seulement qu'ona pu dire que Phtha étoit le Vulcaïn des Égyptiens. On n'en doit pas moins conclure qu'à une époque très-ancienne, et peut-être les premiers sur la terre, les Égyptiens (1} Pantheon Æoyptiac. 1.'° partie, pages 38 et sui- vantes. J’emprunte à cet auteur Îes citations suivantes, et je les rapproche seulement pour en rendre [a consé- quence plus sensible. (2) Lib.1, cap. XIII. (3) Deum autem eam mentem quæ ex aqua cuncta Jingeret (Cic. De natura deorum, lib. 1, cap. x ). (4) Simplicius in Aristotel. de Cælo, ib. 11. Je passe sous silence Île mythe de Fœuf mystérieux d’où Puni- vers entier est sorti, selon la doctrine Épyptienne et Orphique ; ce n’est pas ici une dissertation sur Phtha. ($S) Lib. rit, cap. 11. Maïs ces mots de Julius Fir- micus rétablissent la concordance : 74 omnium pater pariter ac mater : lu tibi pater ac filius ( præf. ad lib. v Mathes. ). (6) De myster. Ægypt. sect. III, cap. VILL. (7) Lib. xv11, traduction de l’obélisque d'Hermapion. (8) Lib. 1, cap. xt. (9) Apud Syncell. pag. 51. (10) Lib. 1, cap. XII. ERODESMRMNRAMIDESNCM ARE ANAIIT) SECTE IL. 53 eurent l’idée d’une ame universelle, d’un feu immatériel et divin, esprit créateur et infini, ordonnant et gouvernant toutes choses. Maïs, pendant quà Thèbes le culte du grand dieu Ammon avoit une forme sensible sous l'image du belier, Memphis adoroit le grand dieu Phtha sans aucun symbole matériel, du moins aucune histoire, aucun témoignage, ne nous en a conservé le souvenir. Les roïs embellissoient son temple, ils élevoient des propylées, et ils érigeoïent au-devant des statues; maïs ces figures n'étoient point celles des dieux. Ce sont celles de Sésostris, de sa femme et de ses enfans, qui étoïent devant les propylées du midi : ceux du nord étoient ornés des figures de l'Eté et de /'Hiver. Ce qui prouve que les statues élevées par les princes n'étoient point consacrées à un dieu, c'est que Darius voulut faire élever la sienne, et que les prêtres eurent le courage de s'y opposer, parce qu'il n’avoit point surpassé le grand Sésostris. On ignore donc absolument quel fut le symbole sensible et visible du culte adressé à Phtha par les habitans de Memphis. L'histoire des monumens qu'ils élevèrent aux dieux confirme l’antériorité et la prééminence constante du culte de Phtha. En effet, on ne voit paroître le monu- ment du dieu Apis, ou du moins le péristyle qui lui étoit consacré, que sous Psammétique (1). C'étoit, dit Strabon, le même dieu qu'Osiris (2), et son temple étoit attenant à celui de Vulcaïn; on y révéroit le bœuf ou plutôt le taureau sacré. Sans doute sous Amasis ce culte étoit dans toute sa splendeur ; cependant on voit ce prince élever encore trois statues devant le temple de Phtha, et même une qui étoit presque double en dimension de celles de Sésostris. Il éleva aussi à Isis un temple magnifique. Aïnsi nous devons regarder, malgré toute sa célébrité, le culte d'Apis comme étant d'une origine plus moderne et d’une importance beau- coup moindre pour les Memphites que celui de Phtha. Ce qui a contribué, selon nous, à sa renommée extraordinaire, ce sont ses pompes, ses fêtes, ses oracles, la coïncidence de l'époque où il florissoit avec la présence des Hébreux en Égypte, les violences de Cambyse, les superstitions absurdes dont il fut accompagné par la suite des temps, et que les écrivains Romaïns, et depuis les Pères de l'Église, ont signalées avec tant de force, comme une des plus honteuses aberrations de l'esprit humain ; enfin les séditions qui éclatoïent à son occasion, et l’'empressement des empereurs pour aller à Memphis visiter le taureau sacré. Ce n’est pas que je pense que de pareïlles erreurs aïent présidé à l’établissement même du culte d'Apis; ce fut l'ouvrage du temps et l'effet de la destruction des principes de la philosophie Égyptienne, alors que l'ambition des conquêtes eut relâché les liens de l'ancienne discipline, et que l'introduction des. étrangers eut sapé les lois et les institutions. On ne peut admettre avec Jablonski que toute l'Égypte révéroit le dieu Apis: l'assertion de Pomponius Mela ne peut servir à le prouver, ni même les passages d'Élien et de Lucien où ce qui est dit des Égyptiens s'applique particulièrement aux habitans de Memphis. Quoi qu'il en soit, il étoit le même qu'Osiris, selon le témoignage des prêtres, rapporté par Diodore de Sicile (3) et Strabon (4) 3 (:) Herod. His. lib. 11, cap, CLIII. (3) Ne. 1, cap. XXI. (2) Lib. xvi1, pag. 807. | (4) Lib. xvir, pag. 807. its D. : G 2 $ À DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS consacré au Soleil, selon Macrobe {1), et à la Lune, selon les écrivains plus récens (2) Porphyre concilie ces deux opinions, en disant qu'Apis porte les insignes et du Soleil et de la Lune (3). Je passe sur les rites et les différentes cérémonies pratiquées en l'honneur d’Apis, plusieurs traïts en ayant déjà été rapportés dans les citations de l'article précédent; il en est de même des pré- tendus oracles, de la théophanie ou apparition et de la mort d’Apis : maïs je ferai mention d'un puits qui servoit à l’abreuver à l’exclusion de l'eau du Nil(4), parce que cette circonstance fixe -la situation de l'édifice qui lui étoit consacré : un puits creusé dans la vallée auroïit fourni la même eau que celle du fleuve; ce qui donne lieu de penser que ce puits étoit très-près de la montagne Libyque. Il yavoit, selon Pline, dans le Nil près de Memphis, un lieu consacré à une grande cérémonie annuelle : Memphi est locus in Nilo, quem à figura vocant phialam ($). On n’a aucun moyen de retrouver le lieu dont il s'agit, et il est plus intéressant de s'arrêter sur la tradition relative à la durée obligée de la vie d’Apis : cette durée étoit de vingt-cinq ans, dit Plutarque, et il remarque que ce nombre étoit égal au carré du nombre $ et à celui des lettres Égyptiennes. C’étoit aussi le nombre des années d’une période luni-solaire assez exacte, qui accordoit les mouvemens des deux astres; d’où l'on voit, avec Porphyre, pourquoi Apis étoit consacré au Soleil et à la Lune, à Osiris et à Isis. Le renouvellement d’Apis, tous les quarts de siècle, et les rites célébrés à cette occasion, avoient donc un but d'utilité bien digne d’attention. Considéré sous ces aspects, le culte d’'Apis pré- sente un véritable intérét à l'étude et aux recherches des savans. La cérémonie annuelle pratiquée au jour de la crue du fleuve explique la consécration d’Apis à Osiris-Nil; et la cérémonie vigintiquinquennale, sa consécration à Osiris-Soleïl, à Isis-Lune. C’étoit dans le temple d'Apis que les roïs étoïent inaugurés, er là ils prétoient le serment, après avoir été introduits dans le sanctuaire, de ne jamais ajouter un mois ni un jour à l'année, et de conserver intacte l’année de trois cent soixante-cinq jours, telle qu'elle avoit été instituée par les anciens {6) : nouvel indice de l’objet de ce culte. On a encore comparé Apis au taureau céleste, et lon a remarqué que le bœuf étoit le symbole de la terre féconde : maïs il n’est pas de notre sujet de EC tous ces rapprochemens. On voudroit connoître avec plus de certitude le site de ane Nilopolis, parce que c'étoit en ce lieu que le taureau sacré étoit entretenu avant de faire son entrée à Memphis : dans le chapitre XVI, nous avons placé ce lieu à Meydoun, qui est éloigné de Memphis de onze lieues; mais nous avouons qu'on manque de renseïignemens positifs pour en fixer la position. Un sujet non moins intéressant que tout ce qui précède, € est celui de la mesure de l'accroissement périodique du fleuve, lequel se rattache à l'existence du dieu Apis. Tous lesans, comme je l'ai dit, on célébroit à cette occasion une grande. (1) Lib. 1, cap. XXI. les signes auxquels on reconnoissoit le taureau sacré. (2) Suidas in "Ames. Amm. Marcell. Tib. xx11. (4) Ælian. De anim. lib. XI, cap. x. Plutarch. De (3) Voyez Eusèbe, Præp. evang. Nb. III, cap. XIII. Je Jside et Osiride, renvoie également ici à Jablonski, qui a réuni dans l’ou- (s) Lib. VIT, cap. XLW1. vrage cité ci-dessus tous les passages des auteurs sur -. (6) Fabric. Bibliorh. Lat. tom. 1, pag. 391. ET DES PYRAMIDES' CHAP; XVIII SECT, II. 55 fête en son honneur, la fête du Nil: c'étoit au solstice d'été. Un nilomètre placé au temple de Sérapis servoit à suivre les progrès journaliers de l'exhaussemént; la coudée légale y étoit transportée avec solennité. Cet usage continua d’être observé jusqu’à l’époque des chrétiens : dans la suite, la coudée fut apportée annuellement dans l’église (1) par l'ordre de l'empereur Constantin ; Sozomène {2} et So- crate (3) confirment ce dernier fait: mais, sous l'empereur Julien, on recom- mença à porter la coudée du Nil au temple de Sérapis (4). Cette circonstance a fait conjecturer à Jablonski que le nom d’Ayris ne signifie autre chose que sombre , mesure : H tire ce mot de Km, d’où vient aussi epha, mesure de capacité chez les Hébreux, et même ül identifie 4pi et nilomèrre ; mais les savans n’ont point adopté cette étymologie. Ces remarques nous conduisent très-naturellement à dire quelques mots du dernier culte dont nous avons à parler, celui de Sérapis, qui avoit donné son nom au Serapeum, grand monument décrit par Strabon. Tout annonce qu'il étoit sur le plateau ou sur le flanc de la montagne Libyque; car, de son temps, les sphinx qui précédoïent l'édifice étoient presque cachés sous les sables. « A la mort » d'Apis, dit Pausanias, on avoit coutume de l'ensevelir dans ce temple, qui » n’étoit ouvert aux étrangers, et aux prêtres eux-mêmes, qu'à cette seule époque.» Le plus célèbre temple de ce dieu étoit à Alexandrie, et le plus ancien à Mem- phis (5). « Jupiter Sinopites, dit Eustathe dans son Commentaire sur Denys le » Périégète, déjà cité, est un dieu Memphitique; car le Snopium est une montagne » de Memphis. » Pourquoi Jablonski n'admet-il pas que le Serzpeum de Strabon soit le même que l'antique temple de Sérapis cité par Pausanias! Le Nil y arri- voit sans aucune difhculté, soit par le canal occidental, soit par toute autre dé- rivation, mais je crois plutôt par ce canal, parce qu'il donnoit le moyen de con- noître plutôt la marche croissante de l’exhaussement. Les savans sont partagés sur ancienneté du Sérapis Égyptien, parce que la plupart des auteurs qui l'ont cité sont récens. Toutefois la liaison qui existe entre les cérémonies pratiquées dans les temples de Sérapis et d’Apis, doit faire admettre le témoignage de Pau- sanias. En outre, Plutarque, si bien instruit sur les choses d'Égypte, dit que Sérapis est un mot Égyptien : à la vérité, il n'en interprète qu'une partie, c«pei, qu’il ex- plique par XæpHôTU& où gaudium (wz: en copte, ou féstum ). Enfin ä y avoit dans le labyrinthe d'Égypte, qui étoit un monument bien antérieur aux Grecs, un colosse de Sérapis (6). Les uns, dit Suidas, entendent par Sérapis, Jupiter; et les autres, le Nil (7). C’est celui, dit Aristide, qui en été fait croître le Nil et dissipe les tempêtes, xem@ves. Au reste, Jablonski regarde le nom de Sérapis comme étant le mot même de nilomètre, Hp Km, sarkapi, columna mensionts, colonne de la mesure et du nombre (8); mais cette idée s'écarte de la donnée de Plutarque, et il n’est pas permis d'abandonner cette autorité, quelqu'mgénieuse | an que soit l’autre étymologie. (1) Rufin. Æist. eccles. lib. 11, cap. Xxx. (6) Plin. Æist. natur. Kb. XXXVII, cap. V. (2) Sozom. Hist. eccles. lib. 1, cap. VIT. (7) Voc. Sexe. (3) Socrat. Hist, eccles, lib. 1, cap. XVIII. (8) Voyez l'Exposition du système métrique des Égyp- (4) Sozom. lib. v, cap. II. tiens, chap. XI11, À. M. tom. I, pag, 755. (5) /n Artic. lib. 1, cap. XVIII. s6 DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS SECTION IL. Description des Pyramides du Nord , ou Pyramides F. Gyzeh.” ae Audacia saxa Pyramidum.......... STAT. Sy. lib. v, sylv. 3. R arrscer le surnom si connu de #erveilles du monde, attribué de temps im- mémorial aux pyramides du nord, sufliroit pour autoriser une ample description et des recherches très-étendues : mais ce seroït s'engager dans une carrière de trop longue haleine, et s’exposer d’ailleurs à bien des répétitions, attendu le nombre des écrivains qui en ont traité. Le plan de cette description sera néces- sairement circonscrit dans des limites moins vastes, je m'occuperai donc peu de ce qu'ont dit nos devanciers : les observations que j'ai faites par moi-même (EnPser les faits qui m'ont été communiqués par mes compagnons de voyage, m'en fourni- ront la base, renvoyant aux voyageurs qui ont précédé l'expédition Française, pour d'autres développemens; enfin je ne perdrai pas de vue que Greaves a traité de ces monumens dans un ouvrage spécial, à la vérité bien ancien, 4 Pyramido- graplue (2). | Je consacrerai d’abord un paragraphe à la topographie générale, un à chacune des deux plus grandes pyramides, un ensuite aux troisième et quatrième pyramides et aux tombeaux du voisinage; dans d’autres articles je parlerai du grand sphinx, des chaussées et des carrières qui ont fourni cette masse immense de matériaux. Je présenterai séparément des rapprochemens et des recherches sur ces monu- mens en général ; matière, pour ainsi dire, inépuisable, mais qui dans cet écrit ne sauroit être approfondie complétement: néanmoins je m'’efforcerai de ne rien négliger d’essentiel de cet intéressant sujet, qui demanderoïit à lui seul un ouvrage à part. * Cette dernière dénomination est ordinairement em- attachante, Le lecteur est assez prévenu que les auteurs de cette collection, au lieu de mettre en action des ob- servations de peu d'intérêt, ont converti leurs récits en descriptions raisonnées et méthodiques; ils ont cru ce ployée par les habitans, el- Harâm Gyzeh, mais assez improprement; on ne Fa pas adoptée dans les planches de l’ouvrage, et l'on a désigné ces monumens sous le nom de Pyramides de Memphis, ce qui ne peut donner lieu à mode de rédaction plus utile, plus digne de la gravité de aucune équivoque. Le plateau général des pyramides, louvrage, que celui dans lequel un voyageur se met tou- depuis Xoum el-Ecoued jusqu’à Sagqärah, doit être con- jours en scène, et substitue trop souvent aux faits ins- sidéré comme la ville des morts de l’ancienne capitale. (1) Elles sont le résultat de trois voyages que j’ai faits, muni d’instrumens topographiques. Je les extrais de mon Journal de voyage, en les classant seulement par ordre, renonçant sans peine à l’avantage de les présenter sous la forme d’une relation plus ou moins dramatique ou tructifs que cherche Îe lecteur instruit et sensé, des aven- tures romanesques, ou des faits personnels d’une foiïble importance. (2) M. Grobert a aussi publié une description spéciale des pyramides de Gyzeh, très-intéressante sous tous les rapports. ET DES'PYRAMIDES: CHAP. XVFIN,'SECTS III. » 7 SAT Topographie des Pyramides er Coup -d’œil général. CHACUNE des grandes pyramides couvre ou cache un si vaste espace, qu'il est impossible à la simple vue, même en se portant à chaque point, de se figurer avec précision leur situation respective. C’est pourquoi un plan topographique (1), levé géométriquement, étoit indispensable pour une description exacte et fidèle des lieux. M. le colonel Jacotin s’est chargé de ce soin, et je lai secondé en mesurant les hauteurs des pyramides, aïnsi que le monument de l'est et la chaussée qui conduit à la TROISIÈME ( c'est-à-dire, à la pyramide revêtue tout en granit , enfin en relevant plusieurs autres points du site des pyramides, Ce site forme un plateau de figure elliptique avançant vers la plaine et occupant une-anfractuosité de la montagne Libyque, entre deux sortes de caps ou de pro- montoires plus élevés, qui l'entourent vers le sud et le nord. La hauteur du plateau est de {2 mètres [environ 130 pieds | au-dessus de la vallée (2) ; sa lon- gueur est d'environ 2100 mètres [ 1050 toises |, de l’est à l’ouest, entre la limite des terres cultivées et les derniers rameaux de la chaîne Libyque; sa largeur, du sud” au nord, est de plus de r$00 mètres [environ 750 toises |: tel est le champ de l'observation. On arrive à ce rocher en gravissant une côte sablonneuse plus ou moins escarpée. Depuis Gyzeh, point de départ pour ceux qui viennent du Kaire, on marche pendant deux heures; la distance est, en ligne droite, de 8300 mètres [ 4r5o toises |: on traverse les villages de Kafr Tahermes et Birket el-Khyäm (3), et ensuite le canal occidental , laissant, une demiHieue à droite, deux beaux ponts arabes de dix arches en pierre de taille (4). Quelquefois l'inondation oblige de prendre un détour par Säqyet Mekkeh, Kouneyseh, Talbyeh, Nazlet el-Aqta’, et Koum el-Eçoued; ce qui allonge la route de 2000 mètres. Le plateau et les pentes qui y conduisent ne présentent rien de particulier dans leur aspect, si ce n'est une multitude de coquilles fossiles, principalement desnumismales, assez souvent accompagnées de bélemnites. Des huîtres fossiles se trouvent sur les sommités isolées. Le sable est aussi jonché de caïlloux d'Égypte, de quartz et silex roulés blanc et rose, de spath calcaire, &c.; tout ce sable est com- posé de grains de quartz; çà et là lon aperçoit des frlons ferrugineux. Par-tout a sécheresse et lastérilité la plus complète, comme dans le reste du désert Libyque: le sol lui-même est une pierre calcaire, d’un blanc généralement grisâtre et plein de bélemnites. Ajoutons que la lisière du désert est parfaitement marquée par le passage brusque de la culture la plus riche et d’une terre verdoyante avec une côte de gravier d’un blanc jaunâtre uniforme ; contraste semblable à (1) Voyez pl. 6, Ant. vol. V. moyenne , É. M, tom, 1, pag. 545 : les premiers sont en (2) Ce west que le tiers de la hauteur de [a chaîne possession d’une sorte de privilége, celui de servir de Arabique. guides aux visiteurs étrangers, (3) Habités par les Arabes cultivateurs , et non des (4) L'exécution de ces ponts est remarquable, et ils felläh (voy. les Observations sur les Arabes de PÉgypte sont bien conservés; la chaussée est plate. ES DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS s 8 celui d’un ruban à deux couleurs tranchées : d’un côté, des champs immenses, couverts, suivant la saïson, de trèfle et de féves en fleurs, de millet-dourah ou de froment; de l’autre, des sables arides qui s'étendent à perte de vue. Vers le sud-est, dans un vallon incliné où se voit une petite enceinte Arabe avec quatre sycomores, le sol est couvert de fragmens de granit, de basalte (1), de grès, de poteries, et de débris d’un poudingue qui appartient à la montagne même. Tel est le lieu que les architectes des pyramides ont choisi pour y élever ces cons- tructions gigantesques; ils ont sans doute dressé le plateau d'avance, et disposé les chaussées non moins colossales qui devoient servir à charier et élever les matériaux jusquau niveau du sol. Les restes de trois de ces plans inclinés se voient encore du côté de l’est, et montrent, par leur emplacement et leur direc- tion, par quelle route sont venus les matériaux. Les trois grandes pyramides sont placées sur ce plateau dans la direction du nord au sud, ou plutôt du nord-est au sud-ouest, en raison de leur grandeur, et, à ce qu'il paroît, de leur antériorité : ainsi la plus considérable et la plus ancienne est à la pointe saillante du nord-est, la plus petite et la plus récente est à la partie la plus reculée au sud-ouest; les trois sont à peu près sur une ligne droite. Des fossés ont été creusés dans le roc, autour des deux principales : aujourd’hui on les retrouve en partie comblés par les sables ; on reconnoît aussi les enceintes qui environnoient la DEUXIÈME et la TROISIÈME. Autour de la première sont neuf petites pyramides ruïnées, reste d’un plus grand nombre qui lui servoient de cein- ture, au moins au midi et au levant. À l'ouest de la même est une multitude de grands tombeaux rectangulaires {de 24 mètres sur 10, ou 74 pieds sur 31); les sables les recouvrent : mais la forme en est régulière et très-apparente; ils forment un carré aussi spacieux que la pyra- mide, et sont au nombre de 14 dans un sens et de 14 dans l’autre (2). On juge que ce sont des tombeaux, à l'un d'eux plus grand que les autres, dans lequel nous sommes descendus. Ce carré est précisément au nord de la DEUXIÈME pyramide et au couchant de la première, et aligné avec les côtés de toutes deux; ce qui forme un arrangement symétrique, résultant évidemment d’un plan régulier. I existe encore, et en grand nombre, des tombes à la surface du sol : d’autres sont des hypogées ou catacombes, c’est-à-dire, sont enfoncées dans le rocher; pour les creuser, il à fallu tailler verticalement les parois de la montagne, comme dans les hypogées de Thèbes. Nous voyons au levant de la DEUXIÈME pyramide les débris d’un édifice carré de $o mètres [ 150 pieds | de côté; au couchant, des catacombes dont l'entrée est dans le fond du fossé, et au-devant de la TROISIÈME les restes d’un monument remarquable, mieux conservé et plus grand, dont il sera parlé en son lieu. Enfin, autour de Ja PREMIÈRE et de la TROISIÈME, et il diffère encore, à d’autres égards, du plan du colonel Jacotin. (1) Auprès de la GRANDE pyramide , on voit une quantité considérable de basalte volcanique en éclats; à cent pas au N. O., on remarque une grande masse de basalte à fleur du rocher. (2) Pococke, dans le plan qu’il a donné (t. I, pl. 16), a figuré un bien plus grand nombre de petites pyramides Je doïs faire observer que Pococke ne s’est aperçu de la symétrie de ce plan qu’en le dressant, à son retour en Angleterre. au ET DES PYRAMIDES. CHAP. XVIII, SECT, III. $ 9 au sud de cette dernière, on voit une quatrième pyramide {1} beaucoup plus petite que les autres, avec deux pyramides à degrés. Quant au fameux sPHINX, il est isolé, à environ 600 mètres | 300 toises | à l’est de la SECONDE pyramide, et tourné lui-même du côté du levant (vers VE. N. E.). L'aspect général de ces monumens donne lieu à une observation frappante : leurs cimes, vues de très-loin (2), produisent le même genre d’effet que les som- mités des hautes montagnes de forme pyramidale, qui s’élancent et se découpent dans le ciel. Plus on s'approche, plus cet effet décroît. Maïs, quand vous n'êtes plus qu'à une petite distance de ces masses régulières, une impression toute dif- férente succède, et, dès que vous gravissez la côte, vos idées changent comme subitement; enfin, lorsque vous touchez presque au pied de la GRANDE pyramide, vous êtes saisi d’une émotion vive et puissante , tempérée par une sorte de stupeur et d’accablement. Le sommet et les angles échappent à la vue. Ce que vous éprou- vez n'est point l'admiration qui éclate à l'aspect d’un chef-d'œuvre de l'art, mais c'est une impression profonde; l’eflet est dans la grandeur et la simplicité des formes, dans le contraste et la disproportion qui existe entre la stature de l’homme et l’im- mensité de l’ouvrage qui est sorti de sa main. L’œil ne peut le saïsir, la pensée même a peine à l'embrasser, C’est alors que l’on commence à prendre une grande idée de cet amas immense de pierres taillées, accumulées avec ordre à une hauteur prodi- gieuse. On voit, on touche à des centaines d'assises de 200 pieds cubes, du poids de 30 milliers, à des milliers d’autres qui ne leur cèdent guère, et l'on cherche à comprendre quelle force a remué, charié, élevé (3) un si grand nombre de pierres colossales, combien d'hommes y ont travaillé, quel temps il leur a fallu, quels engins leur ont servi; et moins on peut s'expliquer toutes ces choses, plus on admire la puissance qui se jouoit avec de tels obstacles. Bientôt un autre sentiment s'empare de votre esprit, quand vous considérez l'état de dégradation des parties inférieures : vous voyez que les hommes, bien plus que le temps, ont travaillé à leur destruction. Si celui-ci a attaqué la som- mité, ceux-là en ont précipité les pierres, dont la chute en roulant à brisé les assises. Ils ont encore exploité la base comme une carrière; enfin le revêtement a , disparu par-tout sous la main des barbares. Vous déplorez leurs outrages ; mais vous comparez ces vaines attaques au massif de la pyramide, qu’elles n’ont pas diminué peut-être de la centième partie, et vous dites avec le poëte : Leur masse indestructible a fatigué le temps ( 4). Suspendons ici nos réflexions sur ce monument, dont bientôt nous parlerons plus en détail , et achevons de jeter un coup d'œil général sur l'ensemble des lieux. (1) Le graveur a écrit ces mots, 4.° PYRAMIDE, trop près de Ia 3.° vince du Kaïre, à plus de neuf lieues à vol d'oiseau, et elles m'ont fourni fréquemment des angles de direction AV. B.Sousle nom de QUATRIÈME pyramide, d’autres en ont décrit une grande, située près de Saqqârah ; mais je me suis conformé à l’usage en désignant ainsi la pyra- mide qui est la quatrième en grandeur parmi celles de Gyzeh. (2) Je les aï aperçues de Barchoum, village de la pro- A. D. pour la détermination des points sur la carte topogra- phique. # (3) Les pierres du sommet s’élevoient à $8ods envi- ron au-dessus de la vallée. (4) Delille, Jardins, chant 1v, à propos des monu- mens de Rome. . H 60 Dès qu'un voyageur arrive sur le plateau des pyramides, c’est comme un besoin . DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS pour lui d'en faire le tour, au moins de la PREMIÈRE; et cette promenade lui donne encore de celle-ci une plus grande idée : elle demande au moïns un quart d'heure en marchant vite, à cause des monticules de sables et de débris accumulés à la partie intérieure de chaque face. Quiconque vient ici payer un tribut de curiosité à ces monumens, maïs qui n'y apporte pas des opinions faites à l'avance, n'est frappé que du spectacle qu’il a devant lui : il ne cherche pas à maîtriser ses impressions par des réflexions vagues sur la destination des pyramides, parce qu'elle lui est inconnue; sur ce qu’elles ont coûté aux peuples de farigues et de sacrifices, parce qu'il ignore, et qu'il ne s'en rapporte pas aux assertions sans preuve des esprits prévenus ni aux incerti- tudes des étymologies. Il observe, il compare; ne jugeant que des faits qu'il a sous les yeux, il voit que les auteurs, quels qu'ils soient, de la GRANDE pyramide, ont construit le monument le plus durable et le plus élevé sous le ciel (1 }; etil conclut que, sous ce rapport et par ce fait seul, les Égyptiens se sont placés au pre- mier rang des peuples de la terre. En donnant à ces masses (2), comme Pline, le nom de prodgieuses | portentosæ moles |, il se garde de décider avec lui que c’est le fruit d’une vaine et folle ostentation de la richesse des rois; enfin ül s’abstient de prononcer avec Bossuet, que ces ouvrages ne sont rien que des tombeaux, parce qu’il sent que ce grand écrivain a voulu sur-tout faire sortir de son sujet une grande pensée morale, sans songer à l’histoire des arts chez les Égyptiens et à leurs progrès dans les sciences, choses qu’il n’a pu connoître. Pour se former, autant que cela est possible, sans avoir été sur les lieux, une juste idée de l'aspect de tous ces monumens, vus du levant, du nord et du sud, et aussi des accidens divers que le sol présente, le lecteur doit consulter les yves pittoresques dans lesquelles ïls sont représentés (3) : les personnages que les ar- tistes y ont introduits lui serviront d'échelle pour apprécier, mieux que par le discours, les dimensions et les proportions relatives de ces édifices. $. II. Première Pyramide (4). POSITION GÉOGRAPHIQUE. LA grande pyramide du nord et la plus célèbre est appelée avec raison PRE- MIÈRE, parce qu'elle est la plus grande, la plus élevée et la première en arrivant (1) Cependant Greaves rapporte que l’ancien clocher de Péglise de Saint-Paul à Londres sélevoit à 520 pieds anglais; ce seroit 20 mètres en sus de la pyramide complète. (2) Voyez dans les Ant. Mém, les Remarques et Re- cherches sur les pyramides, &c. (3) Voyez les pl. 7 à 12, Ant. vol, V. La PREMIÈRE pyramide est dessinée en son entier dans les pl. 7, 8, o, 11 du V.° volume; la DEUXIÈME, dans les pl. 7, 8, o, 10, 12, avec son revêtement encore subsistant sur le quart supérieur, et sa sommité aiguë ; la TROISIÈME etla QUATRIÈME, dansles pl. 7, 8, 0, 10; enfin le SPHINX, dans les pl. 7, 8, et principalement 11, 12. Dans la pl. 7, le graveur a tronqué beaucoup trop la sommité; et dans la pl. 10, on a trop ruiné Ia partie inférieure de la PREMIÈRE pyramide. (4) On r’auroit qu'une idée incomplète de ce monu- ment, si lon ne consultoit pas, si l’on n’étudioit pas avec attention les planches gravées d’après les dessins de M. Le Père, architecte ( pl. 14, 15, Ant. vol. V), et le Mémoire de M. Coutelle ( A. #1. r. II, pag. 39 ). ‘ET DES PYRAMIDES. CHAP, XVIII, SECT. III. G1 du Nil; nous la désignerons aussi sous ce nom. Celui de Cheops lui a été donné assez communément, d'après Hérodote, du nom du roi auquel elle est attribuée. Son aspect extérieur a déjà été objet de plusieurs remarques, je me borneraï ici à quelques observations sur les points environnans. On arrive ordinairement à la pyramide par le côté du nord; cette ligne conduit en face de l'entrée du monu- ment, qui est comme une ouverture imperceptible : elle est située à 14 mètres environ | 43 pieds | au-dessus de la base; mais le grand monticule de sables et de décombres accumulés au pied s'élève précisément à cette hauteur, et en le gra- vissani on arrive sans peine à l'entrée de la pyramide. En avant de la butte, on reconnoît l’arête et les traces d’un fossé d'environ 18,6 de large, qui a été taillé dans le roc : la profondeur en est inconnue, parce qu'il est presque entière- ment comblé; on pourroït en juger par analogie, en examinant le fossé de la SECONDE pyramide, qu'il est très-facile d'observer. Quant au massif même, dès qu'on est arrivé assez près, on distingue sur chaque face les degrés ou marches d'un perron immense , s'élevant en cime aïguë jusqu'au ciel; sur eux posoit jadis le revêtement qui, aujourd'hui, a totalement disparu : ces marches sont plus con- servées vers les angles, plus ruinées vers le milieu des faces. La pyramide est orientée avec exactitude. M. Nouet, astronome, a trouvé, par des opérations géométriques et astronomiques (1), que le côté du N. dévioit de la ligne E. et ©. de o° 19° 58" vers le S., d'où il a conclu que la ligne méridienne qui fut tracée pour orienter le monument, déclinoit de 20 vers l'O. ; maïs, comme le revêtement a disparu , il n'est pas certain que cette petite différence provienne de la direction primitive des faces, et il est naturel de l’attribuer, au moins en partie, à la difficulté de déterminer avec une précision parfaite la direction des degrés qui bornent aujourd'hui les faces. On sait que l'orientation de l’observatoire de Tycho- Brahé a été trouvée à Uranibourg, par l'académicïen Picard, en défaut de 18". D'ailleurs, suivant la remarque même de l'observateur, la ligne méridienne étant tracée et dirigée exactement au nord, on auroit eu de la peine, en élevant ici une perpendiculaire, de ne pas dévier, sur une longueur de 113 mètres +, de trois décimètres, quantité suffisante pour donner 20 de différence. Il auroit fallu, selon moi, observer quelle direction a le plan du premier canal de la pyra- mide, celui qui aboutit à l'entrée dont j'ai parlé plus haut : l'opération auroit été difficile sans doute; mais le parallélisme exact et l’entière conservation de ses faces auroient procuré une ligne presque mathématique à comparer au méridien du lieu. Nous connoiïssons l'angle du plan formé par le fond de ce canal avec lho- rizon, et cette notion fournit déjà des remarques intéressantes; elles le devien- dront davantage encore, quand on connoîtra parfaitement, si elle existe, l'incli- naison de son plan vertical sur le plan du méridien : ce travail, qui importeroit à l'histoire de l'astronomie, ne seroit que la continuation des recherches que l’Aca- démie royale des sciences ordonna dans le xvirr.° siècle, dans la vue dé comparer les observations de cette espèce chez les différens peuples. Le même astronome a déterminé la position géographique du lieu par des (1) Voyez Décade Égyptienne, t. IT, p. 105 et suiv. A. D. H 2 62 DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS observations répétées; il a trouvé pour la latitude 28° 52° 2° nord, pour sa lon- gitude 29° 59° 6 à l'est du méridien de Paris. Il résulte encore de ses opérations trigonométriques, que la PREMIÈRE pyramide est à 12080 mètres de la ville du Kaire, palais de l'Institut d'Égypte (au sud-ouest = ouest). M. le colonel Jacotin a calculé qu'elle étoit éloïgnée de 26560 mètres au sud de la pointe actuelle du Delta, de 23760 mètres sud-ouest de l'obélisque d'Héliopolis, de 14324 mètres nord-ouest # nord de la première pyramide à degrés de la plaine de Saqqärah, et à 22180 mètres nord-nord-ouest de la deuxième pyramide à degrés située au sud de la même plaine; ajoutons que sa distance aux bords du Nil, à Säqyet Mekkeh, est de 8300 mètres. D'après les calculs du même ingenieur, la PREMIÈRE pyramide est à 483 mètres nord-est de la SECONDE, 926 mètres nord-est £ nord de la TROISIÈME, et $ {9 mètres nord-ouest + nord du grand sPHINx. Les opérations du nivellement des deux mers, l’un des ouvrages les plus im- portans des ingénieurs de l'expédition Française, ont été rattachées, d’après une idée très-Judicieuse de M. Le Père aîné, directeur de ce travail, au sol de la GRANDE pyramide, qui servira ainsi de repère invariable à toutes les observations futures sur le niveau des crues du Nil, sur l’exhaussement du lit du fleuve et celui de la vallée. Ce point de départ est le sol de l'encastrement du socle de la pyra- mide, à l'angle nord-est | 1) : il est élevé de 42",88 [132 pieds | au-dessus de la coudée supérieure du meqyàs ou nilomètre de Roudah; de 42 mètres [ 129% 3? 9'| au-dessus de la vallée et des hautes eaux moyennes {de 1798 à 1801), et de 49,97 au-dessus des basses eaux moyennes pour la même époque. Ces données précieuses ne doivent pas être perdues de vue. Je comparerai plus tard ces dimensions avec le niveau des galeries et du puits de la pyramide (2). | DIMENSIONS DE LA PREMIÈRE PYRAMIDE. Avant d'exposer les dimensions de la pyramide, je doïs expliquer pourquoi il me paroît au moins superflu de passer en revue les mesures que les voyageurs ont prises de temps immémorial, de les comparer ensemble, et d’en faire la critique : ce seroit étaler un vain luxe de citations, juger défavorablement les travaux de nos devanciers, rendre peu de justice à leurs efforts et à leur dévouement pour l'étude de l'antiquité, et même ce seroit tout-à-fait injuste, puisqu ils avoient moins de moyens à leur disposition. Peu importe la discordance et même l'extrême éloi- gnement des mesures qu'ils ont prises; bien peu d’entre eux ont joui de la sécurité et du loisir nécessaires pour opérer avec exactitude, ou ils n’ont pas su éviter l'obstacle que présentent les décombres amoncelés au pied des faces. Chargé par l’astronome de mesurer deux des côtés de la pyramide, voici comment j'ai procédé à cette opération, le 24 frimaire an 8 [ r$ décembre 1709 |: jai commencé par faire poser plusieurs jalons sur le degré inférieur, dans la partie la plus dégagée des sables, à la hauteur de la grande assise taïllée dans le roc, d’abord sur la face tournée au levant, puis sur la face du couchant, et j'ai prolongé ces directions vers le nord. Le rocher se voit souvent à fleur du sol, de manière qu'il (1) Voyez page suivante. (2) Voyez ci-après, page 77. ET DES PYRAMIDES. CHAP. XVIII, SECT: III. 63 est facile de reconnoître l'assise servant de point de départ. Ensuite j'ai ee l'extrémité nord-est, ou le pied de l'arête actuelle, en prolongeant celle-ci jusqu’à terre; ce qui donnoiït le plan vertical, passant par l’arête et la diagonale de la base: - même opération à l'extrémité nord-ouest. Dés jalons ont été placés à ces deux extré- mités. J'ai prolongé les deux précédentes lignes de 30 mètres chacune versle nord, à partir de ces points jusqu'à un sol horizontal et uni; entre les extrémités des lignes ainsi prolongées, et à l'aide d’un nombre suflisant de signaux, j'ai appliqué une chaîne métrique de 30 mètres, bien étalonnée. Üne première opération, de l’est à l'ouest, a donné 227,80; une seconde, de l’ouest à l’est, aussi 227,8. Après avoir mesuré le côté du nord, J'ai cru devoir effectuer une autre mesure sur la face de l’ouest, parce que plusieurs prétendoient que la base n'étoit point carrée, et j'ai suivi les mêmes procédés, en prolongeant les faces parallèles de 20 mètres, le sol étant moïns embarrassé de ce côté. J'ai obtenu, pour la longueur de cette face, 226,70 : la différence étant légère pour une aussi grande étendue, j'ai pris la moyenne , et c'est cette moyenne que j'ai communiquée à M. Nouet, astronome, pour servir à ses calculs (1). Aïnsi la dimension de la ase visible alors est égale à 227,25, mesure du mètre provisoire | 699 9? 6'], et à 227",32 du mètre définitif, cette dimension est celle qui a été publiée dans la Décade Esyptienne. Un des points extrêmes est figuré sur le plan de la pyramide (p{. 15, fig. 2 eng, À. vol. V). J'ai trouvé, en mesurant le côté du nord, que lentrée de la pyra- mide étoit à 120 mètres de l'angle nord-ouest: on verra plus loin l'accord de cette observation avec le plan intérieur de la grande pyramide. J'ai pris également les mesures de toutes les autres; je les rapporterai chacune en son lieu. Tel étoit au mois de frimaire an 8 [ décembre 1799 ] l'état des connoissances sur la longueur de la base du monument. Plus tard, de nouvelles recherches furent entreprises sous les auspices de l'Institut d'Égypte; M. Le Père, architecte, et M. le chef de bataïllon Coutelle, furent chargés de faire des fouïlles pour retrouver l’an- cien sol, et les extrémités de la base, qu'on jugeoit avec raison plus éloïgnées l’une de l'autre. Leur opération a été décrite par le second d’entre eux, et le premier a fourni les dessins les plus corrects (2): il seroit donc superflu d'entrer à ce sujet dans aucun détaïl, le résultat seul doit trouver place ici. [ls reconnurent parfaitement l'esplanade sur laquelle a été établie la pyramide, et découvrirent heureusement à l'angle nord-est un large encastrement, creusé dans le roc, rectangulairement dressé et intact, où avoit posé la pierre angulaire ; c'est un carré irrégulier qui a 3 mètres dans un sens, 3°,52 dans l'autre, et de profondeur, 0”,207 (3): ils firent les mêmes recherches à l'angle nord-ouest, et ils y retrouvèrent aussi un encastrement semblable au premier; tous deux étoïent bien de niveau. C'est entre les deux points les plus extérieurs de ces enfoncemens et avec beaucoup de soins et de précautions qu'ils mesurèrent la base. Ils la trouvèrent de 232 "747 [716% 6P]. Je me hâte d'ajouter que la base apparente, c’est-à-dire, la ligne qui joint les extré- (1) Décade Égyprienne t. IT, pag. 104. Cette com- (2) Pour le plan de la pyramide et son profil, con- munication n'a pas été mentionnée dans le mémoire, sultez la planche 14, Ant, vol. V, et l'explication de la parce que j’avois opéré sous les ordres du directeur des planche. ingénieurs géographes. (3) Voyez pl. 15, fig. r et 2. DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS 64 mités des arêtes actuelles prolongées jusqu'au sol visible, fut trouvée par eux égale à 699% 9". Aïnsi cette dernière mesure faite un an après la mienne, par des moyens peut-être encore plus exacts, a été parfaitement conforme à la première, à six lignes près : d’où il faut conclure, sans doute, qu'il y a eu des compensations d'erreurs; maïs il n'est pas moïns prouvé par une telle confirmation qu'on peut compter sur la mesure de 699% 9? à très-peu près, et qu'elle est inattaquable. Aïnsi la mesure de la base dans l’état actuel diffère de la mesure prise entre les angles extérieurs des encastremens (c’est-à-dire, la plus grande distance des pierres an- gulaires), de $”,50 Merrse DRE) | Il est évident que la moitié de cette différence, ou 2°,7$, représente l'épaisseur du revêtement à la partie inférieure, plus la saillie quelconque du socle de la PREMIÈRE pyramide, socle qu’on voit à la DEUXIÈME et à tous les monumens Égyptiens. La hauteur de ce socle est donnée par l'assise inférieure, formée tout entière du rocher. Quand on a aplani et dressé le plateau, on a laïssé une masse de pierre pour y asseoir l'édifice, comme sur un soubassement : cette assise ménagée dans le roc a 1,849 [ $° 8° 4°] de haut, mesure prise en deux parties par MM. Le Père et Coutelle, jusqu'au niveau supérieur de l’encastrement. J’avois trouvé en 1800 pour cette mesure une hauteur de 1°,083 ES 4 |, et M. Nouet 1°,14, maïs seulement depuis l’arête supérieure de assise du rocher jusqu’au sol alors visible. Cette dimension se rattache à celle de la hauteur totale de la pyramide, et j'y reviendrai bientôt; mais j'ai dû la mentionner ici, quoique je ne m'y occupe que des dimensions horizontales, parce qu'elle donne des lumières sur la largeur ou saillie que devoit avoir le socle: le revêtement ne pouvoit pas en effet avoir plus de 1°,8 à la partie inférieure, en jugeant d’après celui de la DEUXIÈME pyramide : il ny a pas d'ailleurs de pierres plus épaisses dans tout le monument. Pour ne pas interrompre cet exposé des dimensions précises de la pyramide, ce que je regarde comme l’objet le plus important de tout cet écrit, je passerai surde- champ à ce qui regarde la hauteur et l’inclinaison des faces, ainsi qu'au calcul du volume et de la superficie. Plusieurs moyens ont été employés pour obtenir la me- sure de la hauteur de la pyramide.. Le plus simple étoit de prendre celle de chaque degré, c'est le parti auquel ont eu recours plusieurs d’entre nous. Un autre étoit la mesure trigonométrique, et le dernier la mesure barométrique. Le premier de ces moyens a d'abord été mis en usage par M. Cécile et moi, le 26 nivôse an 7 [5 janvier 1799] (1). Nous avons mesuré une à une les assises en descendant, et nous en avons compté 203, en y comprenant les deux assises au centre de la plate-forme du sommet, très-dégradées ( hauteur ensemble 1,8 sou 4e) Mer celle de la base pratiquée dans le rocher, 1”,083 [ 3° 4 | Nous appliquions (1) C’est par erreur que dans FÆxposition du système métrique &c. jai donné la même date à cette opéra- tion qu’à celle de [a mesure de la base; c’est pour lexac- titude seulement que je note ici cette rectification, quoi- que de peu d’importance, puisqu’une année n’a apporté aucun changement à la hauteur de la pyramide. Une erreur plus importante doit être corrigée : on lit dans le même écrit, À. M. £, 1, p. 571, que nous avions mesuré les degrés à 6 lignes près; il falloit dire 2 ou 3 lignes. Voici l'extrait de mon journal de voyage : « Nous avons mesuré » toutes les assises avec un pied-de roi, à la précision de 2 » ou 3 lignes près. Les erreurs qui ont pu s'introduire ne » venoïent que de ce que plusieurs marches ont un sol » inégal et sont dégradées par le cemps; maïs nous prîmes ET DES PYRAMIDES. CHAP. XVIII, SECT,. III. 65 simplement sur la contre-marche notre mesure, en plaçant une règle horizontale- ment sur la marche. La somme totale s’est trouvée de 1 38",30 | 425% 0°] (1). En déduisant de là les deux petits degrés de la plate-forme, reste 137",218 | 422" s”] pour la hauteur de cette plate-forme. M. Nouet, astronome, au moyen d'opérations trigonométriques, dont il est inutile de rendre compte (on les trouvera dans son mémoire) (2), a déterminé l'élévation de la plate-forme au-dessus du sol, y compris le degré inférieur pra- tiqué dans le rocher, dont il avoit mesuré seulement une partie, haute de 1,14; cette élévation , d’après ses calculs, est de 137°,531 [| 423 pieds environ l. M. Conté transporta sur la cime de la pyramide un baromètre de son inven- tion, capable de mesurer la pression de l'air avec précision : l'opération consistoit à peser la quantité de mercure dont la colonne barométrique s’étoit abaïssée Et Il trouva un résultat extrêmement approchant de celui de lastronome; mais Je ne puis le faire connoître ici, parce qu'il n'a jamais été publié , et qu'il ne s’est pas retrouvé parmi les papiers de ce savant, mécanicien ingénieux autant qu'habile artiste, et dont la perte prématurée a été funeste pour les arts et l'industrie. Enfin, en 1801, MM. Le Père et Coutelle prirent la mesure de toutes les marches de la pyramide avec un instrument fait exprès et avec les soins les plus minutieux, Le nombre des assises fut trouvé de 203 (4); et la hauteur totale, de 139",117 [428% 3° 22], compris les deux supérieures (1,117, ou M de le degré inférieur tout entier jusqu'à l’esplanade ( 1,849, ou $“* 8° 4'). Retran- chant les deux degrés supérieurs, reste 138 mètres, et le degré inférieur, ou socle, 136,151. Cette mesure, on le voit, ne diffère des deux premières que par l’assise du rocher, plus ou moins visible selon l’époque où elles ont été effectuées, et quia été découverte en son entier par MM. Le Père et Coutelle jusqu’au niveau de l’esplanade. Aïnsi l'élévation de la plate-forme de la PREMIÈRE pyra mide au-dessus de l’esplanade est de 138 mètres, et au-dessus de assise ou base taillée dans le roc, c’est - à - dire du socle, de 136,151: tel est le résultat qui, avec le précédent, forme des données sûres, propres à calculer avec certitude l'inclinaison et toutes les dimensions de la pyramide. I n'est peut-être pas inutile de remarquer laccord qui existe entre notre me- sure et celle de MM. Le Père et Coutelle, non-seulement pour la hauteur totale, mais même pour le nombre des marches, égal à 203. En effet, parmi les voyageurs, » le plus de soin possible, et d’ailleurs ces erreurs sont de » nature à se compenser. 16 nivôse an 7 [| $ janvier » 1709 |. » Ainsi, en supposant que nous eussions pu à chaque foïs nous tromper de 3 lignes, l'erreur totale probable étoit d’un peu plus de 3 pouces et demi, et non de 7 pouces. Sur la compensation des différences en plus ou en moïns, voyez le Mémoire sur le système mé- trique, &c. À, M. tome I. (1) J'ai publié ailleurs en détail la table des degrés et celle des hauteurs mesurées par MM. Le Père et Cou- telle (Voy. À: M.t. I, p. s2?; voyez aussi, 4. M.t. IL, p: 54, les Observations de M. Coutelle sur les pyra- mides ) : ces tables dispensent de reproduire les mesures des marches de là GRANDE pyramide, annoncées dans le volume de Explication des planches d’antiquité. (2) Décade Éeyptienne, t. IL, pag. 105. (3) M. Conté avoit fait auparavant des expériences devant FInstitut, et mesuré de très- petites hauteurs; Pinstrument est tout en métal, et a le défaut de n'être point portatif. (4) Je ne sais sur quoi se fondoit Niebuhr, quand il disoit que celui qui prendroit la peine d'y monter par dif- férens endroïts, netrouveroit certainement pas le même nombre de degrés (t. 1, pag. 60). Ces degrés sans doute sont inégaux en hauteur; maïs chacun appartient à un plan horizontal qui traverse toute la pyramide. 66 DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS les uns en avoient compté 208, les autres 220, &c. La coïncidence parfaite sur ce point, ainsi quentre nos mesures de la base et de la hauteur, est donc un exemple aussi important que celui des pyramides est une preuve {s’il étoit né- cessaire de l’apporter) du soin scrupuleux avec lequel les ingénieurs et les artistes de l'expédition ont fait leurs observations. Avant de déduire de la base et de l'élévation les autres mesures de la pyramide, je dois faire remarquer la différence de hauteur des marches, du bas en haut. Comme cela est naturel, l'épaisseur des pierres va toujours en diminuant, depuis 1,411 [4% 4 12] jusqu'à 0,550 [ 1° 8 7° |; la plus petite de toutes a OP,5 14. La hauteur moyenne est de 0°,685 [ 2% 1° 3! 2], et la saillie moyenne est de 0,544 [ 1° 8° 1° +]: cette dernière mesure résulte de celle de la plate-forme, dont j'ai trouvé le côté égal a 9”,06 | 30% 8? (1)] Il est facile maintenant de calculer toutes les lignes de la pyramide, couverte de son revêtement. Si la distance des points extrêmes des encastremens étoit de 232°",747, compris le revêtement et le socle, comme cela est bien établi; si le noyau de la pyramide avoit 227%,25, Comme cela est également certain, ïil reste pour la demi-diférence, comme on l'a vu plus haut, 2",75, dont on peut attri- buer deux tiers, ou 1”,79, au revêtement, et un tiers pour la saïllie du socle. Or le revêtement de la DEUXIÈME pyramide, encore bien conservé dans le quart supérieur, et qui a même un poli resplendissant au loin, est épais de PÉDIO: je l'ai mesuré moi-même, et avec autant de soin qu’il m'a été possible ( 2). Comme cette pyramide a sa base moindre d’un dixième que celle de la PREMIÈRE, j'ad- mets que le revêtement de celle-ci étoit plus fort dans la même proportion, et avoit dans le haut 1”,46. Ainsi l'on a une pyramide tronquée où tout est connu, savoir : la demi-base supérieure, égale à 4°,98 + 17,46 — 6,44; la demi- base inférieure (au-dessus de l’assise du rocher ), égale à 113",66 + Er ONE 115”,45, et la hauteur de l'une au-dessus de lautre, 136",: s1 (3). Le triangle calculé donne, pour la hauteur du sommet de la pyramide revêtue, 144,104. Donc, si la pyramide a été terminée en pointe (comme la DEUXIÈME pyramide le donne à penser), elle s’est abaïssée de 8°,04, ou, en tenant compte des deux degrés ruinés, de 6,92. Voici les autres mesures des lignes et des angles de la même pyramide que fournit le calcul : + Arête de la pyramide . .. Bio ose do coté nb hour creer... 217,83 Hauteur oblique ou APOTRÉME LEE AMEN EEE RS LPTENRNAREUMA SAN 184",722 Diagonale de Nb ANSE RERO EU NUE Re sobre 326,54. Triangle des faces. Angle de l’arête avec la base... ............. 57° 59 40" Idem. ADDIS ILESOMIMER PE PR ME EEE ue CE 64. o. 40. Anelesdedeuxarétes Oppostes ANR RER Un te Ce H7n GO Angle de larête avec la diagonale de fa base...,.............. 41.27. o Anole en ACESLOPPOSCES. ee MR nn UN FAT 72 RS OS Anplerdelasficetavecdemplan dela Base ER STONE (r) Cette mesure a été employée par M. Nouet, et (2) Voyez plus loin, page 90, le 5. III, DEUXIÈME dans le Mém. sur le système métrique, 4, M, 5, lp. rs; pyramide. mais mon journal de voyage porte 30 pieds 10 pouces. (3) Voyez ci-dessus, pag. 65. Nous ET DES PYRAMIDES. CHAP. XVIII, SECT,. III. 67 Nous ferons remarquer que si les faces de la pyramide ont long-temps passé pour être équilatérales, on doit f'attribuer à ce qu'elles présentent assez bien l'ap- parence d’un triangle à trois côtés égaux; mais la vue peut aisément sy tromper, et les instrumens seuls pouvoient apprécier la différence. Le périmètre de la base est de 923,6; et celuï du socle, de 930,99. A La superficie est également facile à calculer : on trouve, pour la surface de la base, 53314" "81 (1); pour celle du socle, $4171" “17, ou environ $ hec- tares + et $ hectares ©*. Pour chaque face, on trouve, indépendamment du socle, 21325*%"092,ou 213, et pour l'ensemble des quatre faces, 85303" "66, ou HE 2. Le volume de la pyramide est égal à 2562576" 34 (sans parler du socle ); cette quantité représente plus que la masse solide de la construction , attendu les canaux, galeries et puits de l'intérieur. M. Nouet a calculé la hauteur et les angles de la pyramide, sans tenir compte du revêtement : je n'ai pas dû suivre ces calculs, d'autant plus que les véritables extrémités n'étoient pas connues quand il les a produits. On pourroit encore en faire d’autres qui donneroïent un résultat peu différent des miens; par exemple, en regardant la base extérieure comme celle de la pyramide même, et supposant un revêtement de l’épaisseur énorme de 27,75 fast s’]: mais il faudroit toujours comprendre dans le calcul le revêtement de la partie supérieure; ce que n'ont pas fait cet astronome ni les autres personnes qui ont supputé la hauteur, la su- perficie et la solidité totale. Il seroit facile de faire ici des rapprochemens multipliés : on pourroit comparer l'étendue de la pyramide avec celle des monumens les plus célèbres de l'Europe, &c., par exemple, la façade des Tuileries; on feroit voir que cette façade et celle des Invalides donnent à peu près l'idée de la longueur de la base : mais nous nous abstiendrons de ces rapprochemens, qui meneroïent trop loin. ASCENSION DE LA PREMIÈRE PYRAMIDE, Il n'est pas un voyageur qui, arrivé au pied de la pyramide, ne desire en atteindre la cime : on y est en quelque sorte invité par la forme d'escalier qu'elle présente à l'extérieur , et l'ascension du monument paroît d’abord la chose la plus facile : maïs, dès que l’on en gravit les premiers degrés, on commence à entrevoir quelque difhculté. En débutant, on trouve la première marche au-dessus du roc haute de 1,41 1, ou plus de 4% 4? 1!. Pour s'y élever, il faut absolument s’aïder deses mains et de ses genoux, n'ayant qu'un point d'appui peu commode sur la contre- marche, qui esttrès-étroïte en comparaison de la hauteur. Après que cette première marche est escaladée, on en trouve une autre de 1,351 [4% 1? 11°] qui diffère peu de la précédente, et une troisième de 1,042 | 3° 2? s' |. Si l’on a mis trop d'ardeur à gravir ces troïs marches, on est déjà un peu fatigué, et l’on reconnoît la nécessité de bien choisir la ligne d’ascension. Or, si lon s’est mis en chemin sur lune des (1) Plus du double de celle du Louvre, égale à 26804: carr: 24. A, D. Il 68 DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS faces, il faut se hâter de revenir vers l’une des arêtes, où l’on trouve sous les pieds un espace beaucoup plus étendu; l’on se garde sur-tout de monter par l'apo- thême, parce que c’est la ligne de plus grande pente sur chaque face, et que par là il tombe à tout moment quelques débris de la plate-forme ou des autres points de cette ligne. La chute des fragmens dans cette direction a même usé les bords des marches à tel point, qu'il n’y auroit aucune sûreté à monter à 20 pieds à droite ou à gauche de Flapothême. En second lieu, l'angle sous lequel on s'élève quand on suit l'arête n’est que de {1° 27, tandis que l'angle, en suivant l'apo- thême, est de $1° 19° 4”: ainsi la moindre fatigue, la plus grande commodité et la plus grande sûreté, doivent engager à monter suivant l’arête, et préférablement suivant celle du nord-est. Par cette route l’entreprise ne présente de difficulté qu'au commencement : C'est ce que j'ai éprouvé dans les différentes ascensions que j'ai faites. On doit seulement ne pas trop se hâter, et même s'arrêter de temps à autre, mais peu long-temps, de peur que le courant d'air, qui devient de plus en plus vif, ne suspende la transpiration. I] faut plus d’une heure pour arriver à la plate-forme : elle avoit, le jour que j'y suis monté pour la première fois, le 16 nivôse an 7 [ $ janvier 1799 |, 30% io? (1). Je fixe l'époque, parce qu'avec le temps cette plate - forme s'élargit, en même temps que la hauteur décroft. Le climat agit peu sans doute sur les pierres du sommet; maïs, une fois que, par une cause quelconque, elles sont ébranlées, les Arabes et les visiteurs Îles détachent insensiblement, et elles sont précipitées du haut en bas avec un énorme fracas, brisant dans leur chute les bords des marches inférieures. Pour ne pas arrêter la description , je renverrai plus loin lexamén du progrès qu'ont suivi, depuis l'origine, la dégradation du sommet et l'élargissement de la plate-forme (2). Au centre, j'ai trouvé les restes de deux marches qui ne tarderont pas à disparoître; elles portoient les traces de l’enlèvement récent des pierres contiguës. De quel coup-d'œil imposant, de quel magnifique spectacle on jouit à cette hauteur, et à mesure qu'on y arrive ! Les villages ressemblent à des fourmilières, et les hommes qui sont au bas paroïssent imperceptibles. En Europe, les objets aperçus d’une élévation bien plus grande se rapetissent bien moins à la vue. Quand on distingue à peine au pied de l'édifice ces petites figures aller, venir et se mouvoir comme des fourmis, on se demande si ce sont bien les semblables de ces mêmes êtres, si disproportionnés avec le monument, qui ont accumulé tant de matériaux, qui ont porté de telles masses à une si grande élévation. A la surprise la réflexion succède : l'ouvrage des hommes les abaïsse d’abord, ensuite il Jes élève. On découvre bientôt, par la méditation, que ce n'est point le simple résultat des efforts matériels, maïs celui d'un génie audacieux et persévérant; que c'est le travail de l'intelligence, et non celui de la force physique. C'est seulement au sommet de la pyramide qu'on en prend une juste idée, et que l'attente est surpassée par le spectacle. De là, on verroit à douze lieues de (1) Et non 9",90 [30 pieds 6 pouces |, comme on Fa imprimé dans la Décade Égyptienne, tome III, pag. 106, Mémoire de M. Nouet, à qui j'ai communiqué cette mesure. (2) Voyez Remarques et Recherches sur les pyramides, Appendice, S. I. ET DES PYRAMIDES. CHAP. XVIII, SECT, III. 69 distance, si la vue pouvoit y atteindre. A cette hauteur, sur cette cime impo- sante, il semble que lame s'élève, que les facultés s'agrandissent; tout concourt à exalter l'imagination. Ce qui vous frappe le plus après avoir promené vos yeux sur l'immense horizon, c'est qu'il forme un disque à peu près coupé en deux moitiés, l’une verte et l’autre blanche; la ligne qui lés sépare est tournée vers le nord-ouest, et vous êtes placé près de cette ligne. La partie blanche, c'est le désert: la verte, c’est la vallée d'Égypte et le Delta : d’un côté, la Libye, vaste océan sans eau, et ses sables ardens, ses dunes semblables aux vagues de la mer; de Fautre, la terre féconde, verdoyante, noire ou inondée, selon la saison : à gauche, les hor- reurs de l'aridité, le brûlant domaine de Typhon, où une nature avare a daigné jeter quelques rares oasis pour désaltérer le voyageur et réparer ses forces ; à droite, l'intarissable fertilité d’une nature prodigue, qui ne s'épuise jamais : ici, la solitude, la désolation du néant; là, une population pressée, l'immense et riche ville du Kaïre, et des centaines de villages prospères et florissans par l'agriculture et le commerce {1 ). Si vos yeux se fixent avec plus d'attention sur la partie verte de l'horizon, vous y découvrez une ligne étroite et brillante, on diroit d’un ruban argenté ; c'est le Nil. Vous distinguez les montagnes qui bornent la plaine des deux côtés : à droite, l'Arabique, ou le Moqattam escarpé qui va se perdre sous la mer Rouge, et à ses pieds le Kaïre avec ses deux ports ; à gauche, la Libyque, chaîne plus basse, à mamelons arrondis, qui semble s'enfoncer sous les sables. Je regrette de n'avoir pas Joui de cet aspect au lever du soleil: les contrastes que je viens de peindre doivent produire à cette heure, ainsi qu'au soleïl couchant, une impression plus vive et plus frappante encore qu’en plein Jour. Une pierre lancée avec la plus grande force du sommet n’atteint qu'a peine la base de la pyramide; ordinairement elle tombe sur les degrés, et n'arrive qu'aux deux tiers ou aux trois quarts de l'espace : c’est un essai que j'ai fait plusieurs fois, aïnsi que mes compagnons de voyage, avec le même résultat : les Arabes assurent qu'armé d'une fronde on ne peut réussir à porter la pierre à une plus grande distance. En voyant la pierre partir, on juge tout autrement; une illusion d'optique l’éloigne considérablement au commencement de la course, et l’on s'attend à la voir tomber très-loin : mais bientôt l'œil qui la suit croit la oir revenir à lui, décrivant une courbe rentrante: puis la pierre frappe sur les marches et bondit encore long-temps par sauts élevés, avant d'arriver jusqu'à terre. Le plus fort et le plus habile sagittaire ne peut, dit-on, faire parvenir une flèche au sommet de l'édifice (2), ou dépasser la longueur de la base. Un de nos collègues a plusieurs fois lancé des flèches du sommet en bas: elles retomboient toujours sur le corps de la pyramide (3). On a peine à comprendre qu'un homme de force ordinaire ne puisse lancer une pierre de haut en bas à une distance hori- (1) Lors du débordement, c’est comme une mer par- Pyramidogr. Anglic, Lond. 1646, p. 77. Greaves révoque semée d’un nombre infini d’iles et d’ilots. Hérodote avoit ce fait en doute. déjà comparé cet aspect à celui desîles de la mer lonienne, (3) M. Gratien Le Père, à qui j’emprunte ce fait et (2) Belon, Ofserv. liv. 11, ch. XLI1, in Greaves’s plusieurs autres observations, A: D. IL 70 DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS zontale de 109 mètres [336 pieds |; au reste, c'est une expérience que l’on répète souvent, A’bd el-Latyf raconte qu'un archer qui étoit en sa compagnie quand il visita les pyramides, tira une flèche dans la direction de la hauteur et dans celle de son épaisseur {vers la base), et que la flèche tomba à peu près à la moitié de cet espace (1). Du haut de l'édifice, on aperçoit au pied des pyramides une quantité presque infinie de constructions rectangulaires et très-oblongues, parfaitement égales et bien alignées par les extrémités, du sud au nord et du levant au couchant. J’en aï compté quatorze rangs dans les deux sens, tant à l'est qu'à l'ouest de la grande pyramide ; ce qui fait près de quatre cents : sous le sable qui en recouvre un grand nombre la forme se distingue très-bien. J’aï vu sur les pierres de la plate-forme une foule de noms gravés par les voyageurs, sur-tout beaucoup de noms Anglais, parmi lesquels celui de Greaves; j'ai distingué aussi sur la pyramide le nom de Niebuhr, quoïqu'assez mal écrit, ainsi que des noms Latins et Italiens, entre autres un avec l'année 1555 écrite de cette maniere, 15 o ss; enfin, auprès de Fou- verture, on lit une multitude de noms remarquables. Les Françaïs ont couvert le monument du millésime 1798. J'avois ouï dire qu’il étoit plus malaisé, plus fatigant, de descendre du sommet que d'y monter; c'est ce qui me fit venir une idée dont l'exécution devoit, je pensois, diminuer la difficulté de cette descente, tout en en profitant pour faire quelque chose d'utile; c'étoit de mesurer toutes les assises une à une : l'opération devoit être fort longue, et exiger une patience à toute épreuve. Je n'associai un autre voyageur pour obtenir plus d’exactitude; nous fermämes les yeux sur les : difficultés de l’entreprise, et nous nous mîmes à l'ouvrage : j'ai rapporté plus haut le résultat de ce travail (2). C’est en faisant cette longue opération que je pris encore une grande idée de Ja pyramide. Après avoir travaillé avec ardeur pendant une heure, déjà bien las et notre courage étant à bout, nous nous croyions très-avancés, et en regardant sous nos pieds, nous apercevions qu'il restoit encore à faire un ouvrage immense. Peut-être que les efforts qu'exige la descente de chacun de ces degrés la plupart quatre, cinq et six fois plus hauts qu'une marche ordinaire, l'action d’un soleil brûlant, la posture pénible qu’exigeoit l’opération, ajoutoïent à la difficulté du travail. Une autre impression plus forte que je ressentis, c'est lorsqu'étant au milieu de l'arête le long de laquelle je mesurois, je m'avisai de regarder l'autre. Il me sembla voir une ligne dont la longueur n’avoit pas de limite, qui se prolongeoit jusqu'à la voûte céleste, et passoit au-dessous du sol. Dans ce moment, j'éprouvai un certain saisissement de surprise, ou de crainte, ou d'admiration, ou plutôt tous ces sentimens à-la-fois, et machinalement je me cramponnaï aux pierres. Notre caravane n'ayant plus rien qui la retint, la retraite fut ordonnée, et la trompette sonna; nous n'étions encore qu'aux trois quarts de l'opération; ce- pendant nous vinmes à bout de la compléter entièrement; nous arrivämes à la (1) Abd el-Latyf, Relation de l'Égypte, traduction de M. Silvestre de Sacy, pag. 174. (2) Voyez ci-dessus, page 64., ET DESTEMRAMIDES RCHAPLAMIMIISECT:) III. 7I dernière marche, harassés de fatigue et de chaleur, et nous n’eûmes que le temps de sauter sur nos montures pour rejoindre la caravane déjà descendue dans la plaine. | Il y a trois manières de descendre de la pyramide : la plus commode, celle du moins qui prévient l’étourdissement auquel exposent les autres, consiste à des- cendre en arrière, C'est-à-dire en regardant la pyramide, parce qu'on n’a sous les yeux que les degrés mêmes que lon touche. Si lon descend en avant, on peut glisser, la marche étant étroite relativement à la hauteur de la contre- marche. Enfin, si l'on saute de degrés en degrés, il y a encore plus de fatigue et de danger. INTÉRIEUR DE LA PREMIÈRE PYRAMIDE. En descendant de la pyramide, il faut se reposer un moment avant de par- courir les galeries intérieures, et l'on doit observer la précaution inverse avec encore plus d'attention. L'entrée ou le bord actuel (et l'origine) du canal des- cendant est aujourd'hui à la treizième assise (1) ou à 12,64, c'est-à-dire, au treizième de la hauteur de la pyramide tronquée actuelle, au-dessus du roc. Le plan vertical nord et sud passant par le bord est de cette entrée est à 120 mètres de l'angle nord-ouest, par conséquent à 6”,34 est de l’apothême { 120 mètres, moins la moitié de De) : or la largeur du canal est de 1”,11; il suit de là que le plan vertical passant par cette galerie est bien perpendiculaire à la face verticale du socle, dirigée est et ouest. En effet, 1.° la chambre dite 4 roi, qui a le même axe que celui de la pyramide, et dont les murs sont dirigés est et ouest, et nord et sud, a 10,472 de longueur, dont Ja moitié fait 5,236; 2. la distance à l’apothème 6",34 doit être diminuée de la demi-largeur du canal, 0,555; reste 5”,790 : la différence à $",236 est seulement de 0,5 49. Voilà un nouvel exemple de la précision apportée par les architectes de la pyramide dans toutes les parties de la construction. On arrive aïsément à l'entrée par la butte de sables et de décombres accumulés au-dessous, formée en grande partie de débris qui tombent du sommet; ils sont précipités dans Île canal, et on les rejette par l'issue lorsqu'on vient à le déblayer. Cette dernière opération doit être répétée chaque fois qu'il descend de nouveaux visiteurs; on en verra le motif dans un instant. Avant que le voyageur entre dans le canal, son attention est excitée fortement par l'aspect extérieur de l’ouverture (2). Déjà très-étroite et basse, puisqu'elle n’a que 1,11 de large [ environ 3% 4P 2], et la même mesure en hauteur perpen- diculaire, elle paroît encore beaucoup plus petite par le contraste des énormes assises qui l’environnent. Une circonstance plus remarquable est la disposition des quatre grandes pierres placées au-dessus en arc-boutant; elles ont 4 mètres (1) Dansle Mémoire sur le système métrique on lit que de l’ancienne issue à l’élévation totale, il auroit fallu l'entrée est à la 15.° assise; c’est à partir de l'esplanade, tenir compte des pierres ruinées et du revêtement. l'assise du roc comptant pour deux (voyez planche 15, (2) Voyez planche 14, fig. 1, fig. 2, fie, 4, et fie, > fig. 2, Ant. vol. V). En comparant la hauteur du point en a. 72 DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS [12% 4? environ] de longueur : il est évident qu'elles ont pour objet de servir de décharge; et elles’'ont bien rempli leur destination, car le fardeau immense de toute la masse supérieure qui pèse sur le canal n'en a ébranlé aucune partie, et ses parois sont d’un bout à l'autre intactes et dans l’état primitif, c’est-à-dire, formant un prisme creux parfaitement rectangulaire, à base carrée, à faces dressées et polies dans toute sa longueur actuelle, qui est de 22”,363 [67% 2?]. Au- dessus du couloir et avant les arcs-boutans, il y a une pierre énorme longue de 3,8, large de 2",6; son épaisseur est peut-être d'un mètre et demi, et son poids de 60 milliers. L’angle sous lequel ce canal est dirigé est de 26° {1}, c’est-à-dire que le plan du fond fait avec la verticale un angle de 64°. Pour y pénétrer et passer par-tout, il faut se débarrasser de la plus grande partie de ses vêtemens et se munir d’un flambeau ou d’une bougie allumée. La bouche actuelle du canal est à 2 mètres et demi environ du plan de la face : ainsi une partie du plan incliné se trouve à l'extérieur; la pente est glissante, et l'on a peine à s'y tenir debout. Autant qu'on le peut, on tâche d'entrer dans la pyramide quand personne n’y a encore pénétré, ou du moins avant que l'air soit absorbé ou vicié par un grand nombre de personnes. Quelques Arabes marchent devant, on les suit un à un. I] faut des- cendre courbé ou accroupi; on s'arrête à chaque pas à des entailles que porte le fond du canal. En descendant on s'aperçoit que la hauteur décroït de plus en plus, de manière que les genoux s'approchent du menton sans cesse davantage : enfin on parvient à un endroit où il est nécessaire de s'étendre tout du long, et de marcher sur le ventre, la tête plongée dans le sable, en s'aidant des bras et des genoux. L'extrême chaleur que produisent les lumières, fair épais et étouffant que l’on respire, font qu'on nage dans la sueur, et que la fatigue est extrême. Heureusement on ne reste pas long-temps dans cette attitude pénible. La diminution insensible du canal a pour cause les décombres et les sables qui, entraînés par leur poids, pénètrent dans le canal et s’y accumulent, sur-tout à la partie inférieure qu'il est trop difficile de déblayer entièrement. Quand on est sorti de ce passage étroit, on a parcouru une longueur de plus de 67%. (comme je l'ai dit); alors on se trouve en un point où l’on peut se tenir debout et où l'on respire plus librement : là, on reconnoît que, pour pénétrer dans le second canal, ceux qui ont violé la pyramide, ayant été arrêtés par trois gros blocs de granit, ont cherché à ouvrir un passage forcé; ils ont voulu pratiquer une issue tant dans le prolongement qu'à droïte du premier canal; maïs, n’ayant pu déboucher par là, ils ont tenté d'ouvrir en dessus, et ils ont réussi (2). Pour continuer, il faut donc franchir vers la droite une élévation d'environ 2 mètres [ 6 pieds |, et l'on a bientôt gagné le premier canal ascendant. : (1) Quelques personnes supposent que l'angle est de »leur erreur, ils se sont écartés à droite et ont fait une 27°; mais les mesures les plus exactes s'accordent pour »tentative inutile, il reste en ce point un grand trou; 26°, ou au plus pour 26° 30°. » ensuite ils se sont portés à gauche, et, après avoir par- (2) Mon journal de voyage porte ces mots:« Croyant » couru un demi-cercle autour de [a vraïe direction, ils »que le premier canal continuoit à descendre, ils ont »ont découvert le second canal. » » creusé dans la même direction : maïs, s'étant aperçus de ET DES PYRAMIDESMCHAP:; XVAIIT, SECT NII, F3 Je passe rapidement sur la description du second canal. I ést dans le même plan vertical que le premier ; son inclinaison est presque la même, mais dans l'autre sens : l'angle a été observé d’un peu plus de 26°; le calcul donne 25° 55’ 30". Sa largeur et sa hauteur sont également de 1°,1 1; mais il est entièrement net. Les parois sont également polies; des entailles ménagées sur le fond servent à monter : la longueur est de 33°”,134 [ 102 pieds]. En achevant cette montée, l’on arrive à un large palier de 4” =. Ici le tableau change tout-à-fait: l'air circule librement, et l’on se rassasie de cet élément dont on a presque été privé jusqu'alors. Vous avez au-dessus de la tête un grand espace ayant l'apparence d’une voûte; à droite, et presque sous les pieds, l'ouverture du fameux puits ; en face, une longue galerie horizontale, elle conduit à uñe salle vulgairement appelée chambre de la reine ; et enfin au-dessus, la haute et magnifique galerie qui mène à la chambre du roi, Celle-ci a la même inclinaison que le précédent canal , un peu plus de 26°; le sol en est fort élevé : pour y parvenir, il faut gravir un escarpement haut de 2°,3 [ 7% 2? environ |; ce qui se fait à l'aide d'une échelle, ou d’un homme sur le dos ou les bras duquel on s'élève, ou bien on pose les pieds dans des trous oblongs creusés de chaque côté à 07,6 [8%] du fond, et l’on s’aïde des mains pour atteindre plus haut. On a exprimé cette escälade et les autres parties du tableau que je viens de décrire, dans un dessin pittoresque, très-propre à donner une juste idée de l’intérieur de la pyramide, particulièrement de la galerie de la chambre du roi, et de la disposition si curieuse qu'elle présente (1). De chaque côté du sol de la galerie est une sorte de parapet ou de banquette de 0”,57 de haut | 1° 9? | (2), sur laquelle peut s'appuyer celui qui monte, aidé d’ailleurs des entaïlles pratiquées sur le fond comme dans les deux premiers canaux. La pente est très-glissante, tant le sol a été poli par les milliers de curieux qui l'ont parcouru. Quelques-uns se plaisent à monter en posant les jambes écartées sur les deux banquettes; mais il y a de la fatigue et du danger à le faire, la distance des deux bords étant de 1,088 EU 4 |]; d’autres enfin cheminent sur la ban- quette ( qui est large de o",502, où 1° 6? 2), parce qu’on y trouve des mor- taises ou cavités prismatiques (3) à peu près de 14 en 14 décimètres { 1°,43, ou 4% 6P) ; elles touchent aux parois de la galerie : il y en a 28 du côté gauche en montant, et 26 du côté droit, où la place de deux est occupée par l'entrée du puits. Quel qu'en ait été l'usage autrefois, on s’en sert très-utilement pour monter et pour descendre. Il est impossible d'exprimer par le discours l'effet singulier que produit cette haute galerie; les flambeaux en éclairent difficilement la voûte, de manière que l'imagination la suppose encore plus élevée qu’elle ne l’est (4). Sa largeur totale (1) Cette vue est de M. Cécile. Voyez pl r}, fig. 2, Ant. vol. V, et lexplication de la planche n.°s 1 à s. II faut consulter sur-tout les plans et coupes de Ia pyra- mide par M. Le Père, architecte, qui avoit été chargé, avec M. Coutelle, de faire des fouilles et de prendre toutes les mesures de la pyramide. Ces deux voyageurs sont eux-mêmes représentés dans la planche citée ci-: dessus (planche 13, fig, 1). Voyez planches 14 et 15, Ant, vol, V.. (2) Voyez pl 13, fig. 1, Ant. ; on l'a représentée dans la gravure plus élevée qu’elle ne Pest (pl. 15, fig. 4). (3) Longueur des cavités, 0,325; largeur, 0,162; profondeur, 0",120. sur (4) Du fond du premier canal descendant, on aper- 7 À DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS est de 2,092 Eu Li s'| : et sa hauteur, de 87,121 [ass 6? environ |. Les parois se rapprochent insensiblement par le haut, parce que les sept. assises dont elle est formée (au-dessus de la première assise double) sont en encorbellement, c'est-à- dire, de plus en plus saillantes l'une sur l’autre ; et, comme la saïllie est de o",0$ 4, la diminution totale est de 0",378, quantité qui, étant doublée et retranchée de 2,092, laïsse, re la largeur du plafond seulement, 1,336 (1) [ 4% 1° 4]. L'ile lusion Pie paroître ces parois courbes, quoique la face de chaque assise soit verti- cale, et elles semblent figurer une ogive très-aiguë. Le luisant et le travail de la pierre sont tels, que beaucoup de personnes avec moï l'ont prise d’abord pour du granit; Greaves pour du marbre, Les Joints des assises sont presque impercep- tibles; une lame de couteau ne pourroït y pénétrer. Toute cette construction est admirable pour le fini; mais elle ne l’est pas moins pour la solidité de l'ouvrage, puisque la conservation est si parfaitement intacte, malgré la masse énorme qui pèse sur cette fausse voûte. Sous ce rapport, les architectes ont atteint compléte- ment le but qu’ils se proposèrent il y a-troïs mille ans ou davantage. Le sol lui-même de la galerie sur lequel on chemine a 407,358 [ 124% 2P 41 me il faut une demi-heure , souvent plus, pour arriver au sommet de ce plan incliné. Arrivé à ce point, il faut franchir un seuil haut de 07,903 [ 2% 9 4]; on se trouve alors sur un palier long de 1°,557 [4 9? 6'], en face d'un nouveau cou- loir presque aussi large que les deux premiers ( 1”,049 ), et juste de la même hau:- teur (1",11): à partir de ce point, la construction est tout en granit. Il faut, pour pénétrer dans le couloir, se courber de nouveau; ïl a en tout 8”,38$ de long : il est interrompu par un espace plus élevé, sorte de chambre avancée ou vestibule , large seulement de 1°,215, mais haut de 3°”,8 environ, et long de m,056. Cet espace mystérieux est divisé en quatre travées par autant d'encadre- mens semblables à des coulisses; ces travées ne s'élèvent pas jusqu'en haut. La première est comme remplie par une pierre de granit (2 2) qui semble suspendue verticalement à 1”,11 du sol; elle pose sur une très-petite saïllie , d’où il semble qu'un effort médiocre pourroit la faire tomber et boucher l'issue tout-à-fait. L’é- paisseur de cette pierre est de 4 décimètres [15 pouces |; sa hauteur, environ 17,45 ; et sa largeur, plus de 1°,05. Quelle étoit la destination de cette pierre, on pe elle est encore remarquable par quatre raïnures ou cannelures cylin- driques creusées sur la face antérieure, et dont l'objet n'est pas plus facile à de- viner : il en est encore de même de la forme arquée qui, dans trois travées, cou- ronne les murs latéraux. Au-delà du vestibule, on se baisse encore sous un couloir long de 1,110, et enfin on débouche dans une salle très-élevée : c’est la chambre dite 4 roi. Son axe est à très-peu près celui de l'édifice (3); sa longueur est de l'est à l'ouest : les deux côtés longs ont, celui du sud, 10", 472; celui du nord, 10", 467; les deux çoit des lambeaux placés sur le palier de la chambre du (2) J'ai noté dans mon journal de voyage trois roi, quoiqu'à la distance de 72"2 [2424 environ]; ce pierres semblables, peut-être mal à propos. qui prouveroit seul que’ les fonds des deux canaux as- (3) L’axe de la pyramide est à égale distance du fond cendans forment un plan mathématique, ouest de la chambre et de l'axe commun des canaux et (1) La cote donne 1, 054, galeries. autres EINVDESUENRAMEDIESNCEAPL LIENS ECT) IIL, A autres ont, celui de l’est, 5°,23 5; celui de l’ouest, 5",200 : c'est ce dernier qui forme le fond de la pièce. Ainsi la largeur est juste moitié de la longueur. La hau- teur est de 5°,858 (1). La salle a été construite en granit; elle est intacte sur toutes les faces, et le poli en est achevé : on ne découvre qu'à grand'peine les joints des assises, qui sont au nombre de six, toutes d’égale hauteur. Les seules ouvertures qu'on y aperçoive sont deux petits canaux rectangulaires , pratiqués horizontalement à $ pieds de hauteur lun vis-à-vis de l'autre, et dirigés, l’un vers le nord, l’autre vers le sud ; la base est un rectangle de 7 à 8 pouces de côté: ils sont aujourd’hui bouchés à trois ou quatre pieds de profondeur, et l’on ne sait pas jusqu'où ils se prolongeoient; ces cavités ne sont pas tout-à-fait au milieu de la pièce; l'intérieur est tout noirci de fumée. Le plafond de la chambre est formé de pièces monolithes longues de plus de 6 mètres | 18 pieds et demi | H yen a neuf ainsi placées en travers : cha- cune doit avoir au moins 130 pieds cubes et peser vingt milliers Même remarque ici que dans la galerie et tous les canaux, point de tassement, point d'ébranlement visible; rien ne s'est déplacé depuis l’origine, puisque tout y est parfaitement d’aplomb ou de niveau. Le granit des paroïs est si poli et si dur, qu'on a vainement essayé d'y graver des noms : tous ceux qu'on y lit sont tracés au crayon. En général, tout cet ouvrage est de la plus parfaite exécution, et l'ap- pareil est admirable. Tous les voyageurs sont unanimes sur ce point, que la beauté du travail répond à celle de la matière. Vers l'angle de la chambre, à droite en entrant, est la caisse en granit appelée le sarcophage. Sa longueur extérieure est de 2,301; sa largeur, de 1,002; sa hauteur, de 1”,137; sa profondeur, de 0",948 : l'épaisseur des côtés est de o",162 ; et celle du fond, o",1 89. Le couvercle, s'il en a existé, comme cela est très-probable, a disparu (2): l'extérieur est altéré ; on n’y voit aucun hiéroglyphe, aucun caractère de gravé, on n'en aperçoit pas davantage dans toute cette chambre, ni dans l'autre, ni dans les galeries, enfin dans aucune partie. Cette absence de signes d'écriture a donné lieu à des conjectures sans nombre; aucune, je l'avoue, n’est satisfaisante : c'est encore là un problème, fait pour exercer la sagacité. Je revien- drai ailleurs sur ce sujet. | Derrière le sarcophage J'ai remarqué les traces d'une excavation qui annonce une fouille tentée de ce côté : elle a environ 8 pieds sur 2 pieds. Avant de rentrer dans la grande galerie, je doïs mentionner une autre chambre qui étoit presque inconnue jusqu'à l’époque de l'expédition Française. Niebuhr en a parlé, quoiqu'il n'ait pu la voir; il en attribue la découverte à M. Davison, qui a été en Égypte avec M. Montague, mais après le passage de lui Niebuhr (3):elle a été vue dans ce même temps par M. Meynard, négociant Français On y entre par une ouverture placée dans l'angle supérieur de la galerie, tout en haut, (1) On a dû prendre et l'on a pris avec la plus grande été brisé, à ce que l’on prétend, par des soldats Anglais. précision toutes les mesures de cette salle, d’où Newton (3) Voyage en Arabie, tom. 1, pag. 161. II faut donc avoit tiré des conséquences relativement aux mesures ajouter un mot à l’explication de la planche 13, fig 1, anciennes. Antiq.vol. V, et lire: une chambre basse presque inconnue (2) Depuis l'expédition Française, le sarcophage a aux voyageurs. A. D, | K 76 DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS à gauche en montant, c'est-à-dire, du côté de l'est; pour cela il faut être muni d’une très-haute échelle. Cette ascension a été figurée dans les planches { 1) ; après avoir suivi un couloir un peu tournant, on arrive au-dessus de fa chambre du roi, et l’on se trouve dans la pièce dont il s'agit. Sa hauteur est seulement de 1,002 [ 3% 19}. Elle est si basse, qu'il paroît manifeste qu'elle n’avoit d'autre objet que de servir de décharge au plafond de la chambre du roï; d'autant plus qu’elle a la même longueur et la même largeur que cette chambre, et qu'elle est située juste au-dessus. Quand les Français y ont pénétré, ils y ont trouvé un lit épais d’excré- mens de chauve-souris (2). L’écho de la pyramide est célèbre : il répète le son jusqu'à dix fois. Ordinaire- ment, en sortant de la chambre du roï et du haut du palïer supérieur, les voyageurs s'amusent à tirer des armes à feu. Il me seroit difficile de peindre le singulier effet que produit cette détonation sur la colonne d'air, effet encore plus frappant au sein des ténèbres; je n’ai rien entendu d'aussi majestueux : il semble que loreïlle frémit et bourdonne; les vibrations répercutées coup sur coup parcourent tous ces canaux à surfaces polies , frappent toutes les parois, et arrivent lentement Jusqu'à l'issue ie affoiblies, et semblables au retentissement du tonnerre quand il commence à s'éloigner. À intérieur, le bruit décroît régulièrement, et son extinction graduelle , au milieu du profond silence qui règne dans ces lieux, n’excite pas moins l'attention et l'intérêt de l'observateur : c’est une expérience que l'on aime à répéter. On a coutume aussi de tirer des coups de pistolet dans les petites ouvertures de la chambre du ror. Plutarque dit que la voix se répète quatre ou cinq fois dans les pyramides (3) : il faudroït savoir desquelles pyramides il s’agit. Si la montée de la grande galerie est fatigante, la descente exige des précau- tions pour n'être pas périlleuse : on doit du moins, à chaque pas, sonder l’entaïlle t y poser le pied II seroit plus sûr de s'asseoir sur la grande banquette et de se laisser glisser que d'y marcher debout. Quand on est arrivé à l'extrémité infé- rieure, il faut, pour continuer sa route, descendre l’escarpement de la même manière qu'on Favoit franchi en montant. Arrivé ici, ordinairement on revient sur ses pas, et l’on se dirige au sud par un canal horizontal de même dimension que les deux premiers canaux de la pyramide; ïl a 38”,791 de long [119% F Ej et conduit à une chambre qui est au bout à droite, longue de $*,224 sur $”,703: c'est ce qu'on appelle vulgairement /4 chambre de la reine ;, elle est bâtie en granit comme da première, et le travail de l'appareil n'est pas moins soigné : son pla- fond est en forme de toit; la hauteur jusqu'à la naïssance du toit est de 4,114, et, la hauteur au sommet, de 6,308; c’est plus que celle de la chambre du roi. Une partie des pierres du plafond est en saillie sur l’autre. La salle est pleine de décombres; quelquefois l'air y est si infect, qu'on ne pourroït y rester cinq (1) Voyez pl. 1}, Antig. vol. V, fig. r, au point s, (2) Voyez, pour les autres observations, le Mémoire et aussi pl. 14, fig. ?, au point c'; pl. 15, fig. 7,5, au de M. Coutelle sur les pyramides. point à, et fig. 4, au point a". Dans la première planche, (3) De philos, placit. Nb. 1Y, cap. xx, ed. Reïsk. 1778, M. Le Père, architecte, est représenté au pied de l'échelle, tom. IX, pag. 575. Le passage est curieux, sur-tout en et M. Coutelle au sommet, déjà à moîtié entré dansla ce qu'il feroit penser que les pyramides étoient ouvertes, chambre haute, qu'il croyoit visiter le premier. ou que c’étoit une tradition, du temps de l’auteur. EDNDESPVMRAMIDES NO LAL XIII SECTA I IT, PL: minutes sans y être asphyxié. À la gauche, il y a un trou forcé. Le canal est tapissé de sel : ce sel se forme aussi sur les parois des autres canaux; on l’enlève par plaques de 2 lignes d'épaisseur (1). On sort de ce couloir.tout en sueur , le visage et Île corps tout rouges; et l’on est tellement excédé, épuisé de fatigue, qu'il ne reste plus assez de forces pour tenter la descente du puits, dont l'entrée est tout à côté de celle du couloir : il faut absolument se reposer un moment, et réparer ses forces par quelque spiritueux où par quelque autre moyen. Ordinairement on remet la visite du puits à une autre excursion, et c'est ce qui m'est arrivé; mais à ma seconde visite un obs- tacle mempécha d'effectuer l'entreprise : je renverrai donc, pour le puits de la pyramide, au mémoire de M. Coutelle, et aux mesures prises par M. Le Père, ar- chitecte, me bornant à dire que la coupe, égale à 1°,4 sur o",6 en commen- Gant, va toujours en diminuant jusqu'a 0",6$ sur 0",6; qu’il ne descend pas d’un bout à l'autre verticalement : que la première partie du lit du puits a A TO, et la seconde 16",242, en tout 63",344; enfin, qu'on a pratiqué une chambre à 9 mètres du haut, soit pour servir de repos à ceux qui montent ou descendent, soit pour recevoir les décombres tombés dans le fond, ou pour tout autre usage. La pièce est taillée dans le roc; elle ne présente rien de particulier : sa hauteur est de 3 mètres, et sa largeur, de moitié en sus (2). La température au fond du puits est de 25°, et dans l’intérieur de la pyramide, de 22°, d'après les observations de M. Coutelle. L'importance de cette observa- tion sur la température intérieure du sol sert à relever encore le mérite de la dificulté vaincue; il n’a pas fallu un médiocre dévouement pour pénétrer à une si grande profondeur, au risque de périr par plusieurs causes. On sait que la tem- pérature de l'air au fond du puits de Joseph, à la citadelle du Kaïre, est de 17 à 18° (3); celle du fond des hypogées à Thèbes et des hypogées voisins de la pyramide s'élève jusqu'à 25°. D'après les calculs de M. Gratien Le Père, le fond du puits étoit de niveau avec les hautes et même avec les basses eaux du Nil. I est possible que la partie du puits à laquelle on n'a pas encore pénétré, faute d’avoir déblayé assez avant, corresponde au niveau du Nil: mais il me semble que la profondeur mesurée est contraire à cette opinion. En effet, l'ouverture du puits est à 68”,71 au- dessus des basses eaux actuelles {et elle étoit encore plus distante des anciennes) : or la profondeur du puits a été mesurée en deux parties, dont la somme est de 63",34 seulement. A la vérité, les hautes eaux sont plus élevées que le fond, maïs leur niveau s'est exhaussé depuis lexcavation de ce puits; on ne peut donc pas aflirmer que jadis le fond du puits communiquoit avec l'eau du Nil. Au reste, je n’examine point ici l'assertion de Pline, que l'observation précédente ne contredit pas absolument : j'y reviendrai aïlleurs. (1) On a trouvé dans les catacombes des pyramides puits; mais je n’ai pas connoïissance de ses observations. des croûtes de sel qui ont jusqu’à 2 pouces d'épaisseur : (3) Comme Ia chaleur moyenne du Kaire. Voyez ce fait n'a paru assez important pour être consigné. la Description de la ville du Kaïre, £. M. tom. II, (2) M. du Bois-Aymé est descendu très-avant dansle 2. partie, pag. 692. A, D. K 2 7 DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS CONSTRUCTION. La construction de la pyramide, savoir, l'exécution du massif qui en fait lé noyau, celle du revêtement, et celle de ses distributions intérieures, fourniroit le sujet à elle seule d’une section tout entière. Heureusement que cette partie de ma tâche est remplie par le mémoire dont je viens de parler, et qui roule spéciale- ment sur cette matière. J'y renvoie le lecteur, avec l’assurance que cet écrit le satis-. fera pleinement sur ces divers points. Resteront le transport des pierres, le tra- vail de l'art proprement dit, l'emploi des divers matériaux, qui seront par la suite l'objet de quelques remarques. Ici se présentent deux questions qui se rattachent à cette partie de la présente description, même à défaut de faits observés, savoir : ° La pyramide est-elle tout entière bâtie, ou a-t-on seulement construit une enveloppe autour d’un noyau formé par la montagne! 2.° La pyramide, supposée construite en son entier, est-elle massive et pleine , ou bien y a-t-on laïssé des vides plus ou moins considérables, pareils à ceux que nous connoïssons! Nous n'avons pas, il faut l'avouer, le moyen de répondre aucunement à la seconde question, ni complétement à la première. On découvrira sans doute quelques issues au fond du puits et peut-être aïlleurs dans les canaux subsistans, et il est raïsonnable d'admettre que l'espace enveloppé par la superficie de la pyramide n'est pas: un solide plein et massif dans sa totalité; ce qui doit, pour le dire en passant, ré- duire un peu les calculs qu’on a faits sur le cube de pierre qu'elle contient. A l'égard de la première question, jamais peut-être on ne pourra la résoudre: quand même on trouveroit, en pratiquant des fouilles intérieures, des parties qui bien évidemment ne fussent point des assises bâties, et qui appartinssent au rocher, qu’en pourroit-on conclure pour l'étendue totale du noyau primitif! Entre les deux hypothèses, on peut, Je crois, avec fondement, incliner pour la première, savoir, que toute la pyramide a été bâtie. En effet, comment expliqueroit-on, dans la se- conde , la disparition d’un rocher de deux à troïs cents pieds de haut tout autour des pyramides de Gyzeh. (1)! comment la concilier avec ce fait, que le sol sur lequel elles sont assises est le niveau le plus élevé de la montagne, fort loin aux environs ! Ce seroit admettre qu’on ait faitun ouvrage plus étonnant lui-même que la construction de la pyramide entière en pierres taïllées, en assises réglées. Je pourrois développer ces considérations, et même appeler l'histoire au secours des hypothèses; maïs les faits manquent, et c'est ici le domaine des conjectures : il est prudent de s'arrêter. $. [IL Deuxième Pyramide, CE que j'ai dit de l'aspect général des pyramides, ainsi que le plan général et les vues pittoresques (2),me dispensent de décrire le site extérieur de la DEUXIÈME; on (1) I n'y a point de piton, de montagne saillante, isolée, sur cette partie de la chaîne. (2) Voyez planches 6 à 12, Ant. vol. V. ET DES PYRAMIDES. CHAP, XVIII, SECT. III, 79 sait que celle-ci est connue sous le nom de CEPHREN, qui est celui du roi auquel Hérodote l’attribue : quelques mots sufliront sur les environs de l'édifice. On arrive ordinairement à la PREMIÈRE par le nord; à la DEUXIÈME par le levant, en laïssant le SPHINX à sa gauche, et en tournant des constructions ruinées qui sont près et a l'est de la pyramide, De ce côté, le large fossé qui paroît avoir entouré le mo nument est presque comblé, ainsi que du côté du sud, tandis qu'il a toute sa pro- fondeur au nord et sur-tout au couchant : ce fait ne peut guère s'expliquer que par la double enceinte placée dans cette dernière direction, laquelle est la même que celle des vents de l'ouest, qui y amènent les sables de la Libye. La distance de la DEUXIÈME à la PREMIÈRE entre les deux points les plus rapprochés est d'en- viron 180 mètres [555 pieds]. Le fossé est lui-même un ouvrage remarquable, Il est creusé tout entier dans le roc à la profondeur de 8 à 9 mètres (1) [25 à 28 pieds]; sa largeur au nord est de 59”,5 [183% 6? environ |; une partie se cache sous les sables ; il est large, du côté de l'ouest, de 31°,4 [96% 9? 6'[ Ce fossé est taillé et dressé parfaitement, ainsi que la plate-forme; celle-ci est beaucoup plus élevée que la base du monu- ment : c'est du fond du fossé que la pyramide s'élève. La pierre qui est sortie du fossé ne fait pas moins de 124500 mètres cubes, et peut-être plus que le double; elle a dû servir à la construction de la DEUXIÈME pyramide. Le fossé du côté de l’ouest forme une sorte d'enceinte qui se prolonge très-loin dans le sud, à 100 mètres au-delà du plan de la face méridionale. À sa partie inférieure et moyenne elle présente aussi des degrés ; maïs elle est encore couverte de son revêtement à la partie supérieure. J'ai évalué au quart de la hauteur cette partie reyêtue (2). Les degrés eux-mêmes sont beaucoup mieux conservés que dans {a PREMIÈRE, Le cédant peu à celle-ci en dimension, et ayant encore une portion de son revêtement, dont le poli réfléchit l'éclat du soleil et la fait distinguer au loin entre toutes les autres pyramides, elle n'attire cependant pas la même curiosité. I est d’aïlleurs beaucoup plus difficile de la gravir, et sa sommité presque en pointe (3) n'a pas de plate-forme où l'on puisse prendre du repos, et se livrer, comme sur l’autre, au plaisir de contempler l'horizon. Tou- tefois le nom de werveilles du monde à été donné par l'antiquité à toutes deux en commun. L'aspect et le poli brillant de la portion supérieure font deviner le bel effet que devoïent produire jadis la pyramide entière et l'ensemble des deux mo- numens; car il n'y a nul doute que la PREMIÈRE, comme la DEUXIÈME, ne fût ornée d'un revêtement poli. Toutefois, si l’on a commis une erreur, en niant que les grandes pyramides fussent revêtues, on en a commis une plus forte en soutenant qu'elles l'ont été avec du marbre. La pierre qu’on a employée à cet usage est un calcaire gris, compacte, plus dur et plus homogène que la pierre des assises, et susceptible d’une sorte de poli, qui aujourd’hui, et vu de près, semble mat; le temps la rendu plus brillant, et c’est sur-tout de loin qu'il produit l'effet d’un beau (1) La gravure porte 6 mètres. Voy. pl. 16, À, vol. V. (3) La DEUXIÈME pyramide est très-peu tronquée (2) Ainsi je l'ai noté dans mon journal de voyage: (voyez Les planches 8, 9,10, 12, Ant, vol. V); maïs à la seconde excursion que j'ai faite, j’ai marqué un cin- dans la planche 7 le dessinateur la représentée un peu quième : elle varie sur les différentes faces. Voyez plus bas. différemment: les autres vues sont plus fidèles. 80 DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS poli. On trouve dans cette pierre des bélemnites, et, comme dans celle du noyau, dés numismales. On aperçoit de loïn de grandes taches sur le revêtement; c'est l'origine de l'opinion vulgaire sur l'existence de ce prétendu marbre : mais lesunes ne sont autre chose que des ordures d'oiseaux; les autres, qui sont rougeûtres, proviennent d'un lichen, comme je m'en suis assuré par moi-même lorsque j'y suis monté à mon second voyage. Cependant je suis très-porté à penser que la DEUXIÈME pyramide a été revêtue de granit, à la partie inférieure seulement : au pied des marches, j'ai vu beaucoup de blocs de granit taïllés en biseau, sur-tout vers le sud, et même j'ai remarqué une dalle de granit en biseau, ou prisme à face oblique; elle paroïssoit en place, quoïqu'éloignée de 2°,4 de l'angle sud-ouest de la pyramide, dans la direction du nord au sud: ïl est possible qu'elle ait été un peu écartée de sa place primitive. Cette pyramide est orientée comme la PREMIÈRE, et il n'y a pas de motif de croire qu'elle le soït moins exactement, quoïqu'on n'y ait pas observé d’azimut; la boussole appliquée sur plusieurs faces m'a donné le même angle que la PREMIÈRE avec le nord magnétique. En second lieu, en levant le plan géométrique, M. le colonel Jacotin a trouvé le parallélisme parfait entre ses faces et celles de la PREMIÈRE ; il en est de même de la TROISIÈME. Le pied de la pyramide est encombré sur les quatre faces par les sables et les débris qui s'y sont accumulés, et qui forment une surface arrondie comme à la PREMIÈRE, C'est-à-dire, dont l'origine est aux angles et la partie la plus élevée sur l’apothème : la plus grande hauteur verticale de ce monticule est de 10 à 12 mètres; mais elle ne s'étend pas autant en avant des faces. Je me suis appliqué à mesurer exactement les faces de la DEUXIEME pyramide, et j'ai usé du même moyen. [1 y a ici une facilité de plus, c'est que la base est bien prononcée; car au pied des marches il en est une beaucoup plus haute que les autres, et formant un stylobate qui repose sur un petit socle plus bas. En mesurant le côté du nord avec une bonne chaîne, sur une ligne parallèle tracée à 30 mètres et entre les prolongemens des deux côtés contigus, j'ai trouvé 207",9, compris le socle; je mesurois au fond du fossé sur un terrain plan et horizontal, composé du roc en grande partie. Sur le côté de l'ouest, j'ai fait appliquer la chaîne au pied même de l’escarpement ou mur vertical formé par le fossé; et, entre le point où la parallèle mentionnée ci-dessus rencontroit ce plan, et le prolongement du plan de la face du midi, j'ai trouvé 240 mètres : resteroït 210 mêtres pour longueur du côté ouest. Cette dimension comprend aussi la largeur du socle; mais la mesure de la face du nord doit être préférée, savoir, 207 ,9, et sans le socle 204", 0. La hauteur, mesurée au graphomètre, a donné en tout 1 38 mètres, compris le socle, ou 135 environ au-dessus du socle (1). C'est ici le lieu d'expliquer l'erreur de plusieurs voyageurs qui ontpensé que la DEUXIÈME pyramide et la (1) La mesure de 132 mètres sans le socle, citée dans le Mém. surle système métrique ( Ans. Mém. t. I, p.76), est trop foible : j’avois noté 138,7 avec le socle. ET DES PYRAMIDES. CHAP, XVIII, SECT. III. 81 PREMIÈRE étoient jadis de même élévation : cette méprise vient d'une illusion. Vues de loin, du Kaïre par exemple, les deux sommités actuelles paroiïssent à peu près dans une même ligne horizontale, A cette distance, et même d’aucun endroit, on ne peut apercevoir distinctement les bases, ou comparer leurs niveaux, d'autant plus que celle de la DEUXIÈME est dans un fossé profond (1). La PREMIÈRE est tronquée d’environ 8 mètres: la DEUXIÈME l’est fort peu, peut- être d'un mètre : d'où il suit que celle-là s’'élevoit jadis beaucoup plus haut. Sans instrumens il est impossible de se rendre compte de ces différences. Au reste, si les deux sommités actuelles sont de niveau, les deux socles doivent l'être aussi : en cflet, à 136,15, élévation de la plate-forme de la PREMIÈRE, ajoutant 1%,85$, hauteur du socle, la somme est 138 mètres; ce qui est l'élévation totale de là DEUXIÈME. Il résulte de cette base et de cette hauteur de 139 mètres que l'inclinaison de la pyramide, c'est-à-dire, l'angle du plan des faces avec celui de la base est égal à environ 52° 50’; la superficie de la base sans le socle, à 41984 mètres carrés; celle de chaque face, à 17570 mètres carrés; le volume, à 1903275 mètres cubes. L'angle de l'arête avec le côté de la base est d'environ 62° 20‘ la super- ficie du carré formé par la ligne extérieure du socle est de 43222 mètres carrés; l'arête a 199°,8, et Fapothéme, 171%, 5 : ces calculs comprennent le revêtement. Je ne les donne pas comme aussi précis que ceux de la GRANDE pyramide, attendu que je n'ai pu mesurer le côté de la troncature, et qu'il est très-diflicile d'arriver au sommet, et encore plus, quand on y est, d'y appliquer la mesure’ l'évaluation de la partie tronquée à un mètre nest seulement qu'une estime. De plus, le calcul est fait sur le côté nord de la base: et je n'ai pas pris le térme moyen entre cette ligne et celle que j'ai mesurée du côté ouest, cette dernière mesure différant de la première de 2", r. Ainsi les nombres que jai donnés pèchent peut-être un peu par défaut; enfin le soubassement n'y est pas compris. Ce soubassement ou stylobate mérite de nous arrêter un moment: il est repré- senté dans une des planches de l'ouvrage | 2). Toutes les fois qu’en fouillant une construction Égyptienne, encombrée comme elles le sont presque toujours, on parvient au sol, on trouvé un socle, base ou soubassement sur lequel elle repose : nous avons également découvert des socles sous les obélisques et les colonnes; il n'y a donc rien de surprenant d'en rencontrér au pied des pyramides. Non-seulement ces soubassemens ou stylobates donnent ou semblent donner au monument une assiette plus solide, mais ils satisfont l'œil, qui aime jusqu’à l'ap- parence de la solidité, et de plus ils défendent le pied de l'édifice des injures (1) M:Gratien Le Père rapporte que le fossé a 11 à 12 mètres de profondeur; si je ne me suis trompé moi- même, j'ignore comment il a pu noter une mesure aussi différente de la mienne : n’auroit-il pas écrit par erreur quer ce fossé, quand il parle d’un ouvrage remarquable taïllé dans le roc, long de plus de :400 pieds [ envi- ron 425 mètres et demi], et profond de 30 pieds [ en- viron 9 mètres]. Voyez plunche 16, fig.r, 2 et 2', Anr. vol. V, et l'explication de la planche. mètres! Le rocher dans lequel on a taillé Le fossé est plus (2) Voyez planche 16, fig. 2, Ant. vol. V. élévé que le sol de la PREMIÈRE. Greaves semble indi- 6 toiïses au lieu de 6 mêtres, et ensuite converti en 8 2 DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS du temps et des outrages de toute espèce : ils sont aussi anciens que l’art de bâtir; on peut les regarder comme inséparables de tout grand ouvrage d’archi- ecture (1). Celui que j'ai observé au pied de la DEUXIÈME pyramide se compose de deux parties : le corps entier du stylobate a environ 3 mètres de haut, et 1 mètre et demi (2) de large; mais il repose sur un plus petit socle d'un mètre à peu près : je dis à peu près, parce que le dessin que j'en aï fait n’est pas coté; mais cette mesure ne doit différer que très-peu de la véritable. L’ascension de cette pyramide est beaucoup plus difficile que celle de la PRE- MIÈRE. Ordinairement elle n’est pas tentée par les voyageurs; j'ai vu plusieurs personnes l'essayer et être contraintes d'y renoncer. À ma première excursion, je suivis leur exemple, quoiqu'un jeune homme füt venu à bout, quelque temps auparavant, d'atteindre jusqu'a la partie revêtue; maïs, à la seconde, je résolus de monter sur la pyramide le plus haut possible, de détacher et d'apporter avec moi un morceau du parement, afin de constater l'angle d’inclinaison de la face : jeffectuai mon dessein (3), muni d’une mesure, d’un crayon et d'un marteau. Les marches de la pyramide sont très-dégradées, et souvent les pierres déboulent. Il faut prendre des précautions multipliées pour la gravir avec sécurité : l’on doit s'appuyer des genoux et des coudes. La première moitié de l'ascension est la plus hasardeuse, et il faut le plus souvent monter le long des éboulemens sans trouver de sol ferme, du moins du côté que j'ai gravi, celui du sud. Au-delà, les marches sont mieux conservées et plus praticables, maïs très-hautes. Enfin, après une heure'ou deux de fatigues et d'efforts pénibles, on arrive aux pierres saillantes du revêtement. Cette saillie n’a pas moins de 1,3 [ 4 pieds ] (4); on y est à l'ombre comme sous un toit, mais fort mal à son aise, parce qu’elles semblent ne tenir à rien; c'est sans doute une illusion causée par le surplomb de ces énormes biseaux dont la tête est menacée. Le parement descend moins bas sur la face de l’ouest que sur les autres : c’est sur celle de l'est qu'il se prolonge le plus, savoir, au-delà de 4o mètres, ou à plus du quart de la hauteur depuis le sommet; il descend moïns bas sur les faces du nord et du sud (5). J'observai sur larête la disposition particulière des pierres : elles se recouvrent et s’emboîtent de manière à être inséparables, et à lier le parement au noyau de l'édifice d’une manière solide et presque indestructible (6). J'avois aperçu d’en bas de grandes taches rougeûtres; arrivé au revêtement, il me fut facile de les reconnoître la plupart pour des lichens. M. Delile y décou- vrit une espèce non décrite, qu'il appelle LICHEN PYRAMIDAL. Je m'estimois heureux d'en emporter des échantillons avec des morceaux du parement , et j'en trouvois le poids léger , quelque gêne que j'en ressentisse, étant obligé de prendre (1) Voyez, surlessocles desmonumens, les Remarques (4) M. Coutelle a trouvé 1",1$ pour l'épaisseur du et Recherches sur les pyramides, Appendice, $. 1.® revêtement, et moi 1",30,. (Ant. Mém. t, I] ). (5) Voyez la planche 16, fig. 2, Ant. t. V, aïnsi que (2) Dans l'explication de la planche, on a impriméun l'explication, et ci-dessus, p. 70. mètre seulement. (6) M. Gratien Le Père, qui est monté aussi jusqu'au (3) J’étois accompagné de mon savant collègue M. De- revêtement, a fait cette même observation. lle, chargé de la partie botanique dans l'expédition. plus ET DES PYRAMIDES. CHAP, XVIII, SECT. III. 83 plus de précautions encore en descendant que je n’avois fait en montant. Je ne conseillerois pas à des personnes sujettes aux étourdissemens de faire cette esca- lade, et encore moins de gravir jusqu'à la cime. Une extrême curiosité peut seule en expliquer l'imprudence. Au reste, le danger est beaucoup moindre pour qui a une ‘certaine habitude des exercices physiques : quelques-uns de nos soldats, plus agiles ou plushardis, sont parvenus à l'extrême sommité. J'ai pu me convaincre sur les lieux que ce poli, si brillant de loin, est en effet presque mat: la pierre, par sa nature, n'en peut recevoir un plus parfait. On est étonné de lire dans Greaves, observateur attentif et intelligent, que les côtés ne présentent point de degrés, mais une surface unie et égale, et que toute la construction semble entière {excepté la face du sud ) et exempte de toute dégradation (| 1). Il est à peine croyable que depuis 1638 et 1639, époque de son voyage, les faces des pyramides aïent pu se ruiner au point où nousles avons vues. Du côté du nord, nous avons aperçu des pierres accumulées à une certaine hauteur, qui annoncent les efforts tentés pour pénétrer dans le monument. I me reste à parler des grottes et hypogées pratiqués dans le rocher, vis-à-vis de la face occidentale de la pyramide; l'entrée est au fond du fossé par des portes ouvertes sur l'escarpement du roc. Sept seulement sont indiquées sur le plan (2); mais le nombre en est plus considérable : il paroît que les ouvertures sont bou- chées par les sables, et elles m'auront échappé par ce motif. J'ai distingué un de ces hypogées, et j'en ai pris les mesures et le dessin à cause de l’ornement remar- quable qui décore le plafond. Il consiste en troncs de palmier ka) ; l'écorce même a été représentée par le sculpteur. On ne peut douter qu'il n'ait imité le plafond d'une habitation de son temps, puisqu'encore aujourd’hui les #4} recouvrent leurs chaumières avec des tronçons de dattiers bruts. Je renvoie à la planche pour les détails de cet hypogée, qui n'a que deux pièces visibles et un puits, et je me borne à dire que les faces sont par-tout taillées avec soin, les angles bien droits et les arêtes encore vives, en un mot avec le fini d'exécution qui distingue tout ce qui appartient à l'architecture Égyptienne. Je mentionnerai encore une petite inscription hiéroglyphique très-bien sculptée, sur le rocher à pic vis-à-vis de la face ouest, parce qu'elle est, je crois, la seule qu'on voie auprès des pyramides (ailleurs que dans les tombeaux du voisinage) : elle est comprise entre deux lignes parallèles; on la trouvera figurée dans les planches (4). I ya d’autres catacombes plus considérables situées à Fest de la pyramide, vers l'angle sud-est (5). On remarque sur les murailles des sculptures semblables à celles des hypogées de Thèbes : ce sont des sujets relatifs à la vie champêtre, la pêche, la chasse au filet, des marches, des processions, &c.; on descend dans les puits par des rampes assez rapides, et au fond on trouve une multitude de momies (6). Je parlerai plus loin de ces catacombes. (1) Pyramidographia, or a Description of the pyramids (2) Voyez planche 16, fig. 2, Ant, vol. V. in Egypt, by John Greaves, &c. London, 1646, in-12, (3) Voyez ibid. fig. 7, 4, 5. page 104, Le même auteur a prétendu que la première (4) Voyez planche 14, fig. 15, Ant. vol, V. et la deuxième avoient même base et même hauteur; il (s) Voyez planche 6, Ant. vol. V, etpl, 7, au point 3: (6) s'en faut de beaucoup, Observation de M. Gratien Le Père. A. D. L 8 À DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS Non loin de la pyramide, et vers le milieu du côté Est, il existe des ruines: les pierres sont mêlées confusément, et il est impossible d'y apercevoir un plan distinct. $. IV. Troisième et quatrième Pyramides, Pyramides à degrés er Environs. 1° TROISIÈME PYRAMIDE, MONUMENT DE L'EST ET SA CHAUSSÉE. LA TROISIÈME pyramide portoit, suivant les auteurs, le nom de Mycérinus, roi auquel sa construction est attribuée ; on l'appelle aussi /z pyramide de Rhodope. Malgré la grande infériorité de ses dimensions relativement à la première pyra- mide, elle lui a été comparée cependant sous le rapport du travail et deda dé- pense, et en voici le motif : tandis que la PREMIÈRE et la DEUXIÈME étoient revêtues simplement en pierre calcaire {1}, le revêtement de la TROISIÈME étoit de granit oriental, pierre d’une dureté qui ne le cède qu'à sa beauté. Le rapport des histo- riens au sujet de la matière de cette pyramide est confirmé par l'état actuel des lieux. Partie des assises de granit taïllées en biseau sont encore en place (2), partie sont au milieu des débris, et partie, tombées au loin jusqu’à terre, encombrent le pied du monument: le granit est, en général, rouge foncé, mêlé de larges parties noires ; ce qui est tout-à-fait d'accord avec le passage de Pline, férre coloris (3 ). C’est comme si une des carrières des cataractes avoit été, par magie, transportée jusqu'auprès du Kaire à l'usage de ses habitans. Alexandrie y avoit déjà puisé la pre- mière abondamment; c’est ainsi qu'a disparu peu à peu un des ouvrages les plus remarquables de l'antiquité. Ce n'est donc pas la peine d'aller à Syène extraire péni- blement des blocs de granit pour les en rapporter bruts : on les trouve ici tout apportés, tout taïllés, et à une médiocre distance du Nil ; aussi, de tous côtés, y voit-on des blocs taiïllés en meules, et prêts à partir pour les moulins du Kaiïre et des environs. Assurément ce qui reste de ces assises de granit seroïit loin de sufhre pour revêtir toute la pyramide, ou seulement la moitié, comme le dit Hérodote; mais combien n'en a-t-on pas enlevé depuis que sa destruction est commencée ! Au reste, le corps de la pyramide est plus intact que dans les autres, et elle a encore, autant qu'on peut en juger d'en bas, ou bien d’une certaine distance, sa pointe assez bien conservée, à peu près comme la DEUXIÈME. Après les faïts que je viens de rapporter et qui ont pu être vus et observés par tous les voyageurs Français, on a de la peine à expliquer lassertion de Greaves, qui, non content d'aflirmer que toute la pyramide est d’une pierre blanche, con- damne comme absolument faux, #ost evidently false, les témoignages des auteurs sur le revêtement en pierre d'Éthiopie, et censure avec plus de sévérité encore (1) J'ai néanmoins observé plus haut que des blocs aux points a, b, d, et l'explication de la planche. de granit étoient au pied de la DEUXIÈME. (3) Lib. xxXV1, cap. vi. (2) Voyez planche 16, Antiquités, vol. V, figure 9, ET DES PYRAMIDES. CHAP, XVIII, SECT. III. 85 les voyageurs modernes. Mais il paroît qu’il écrivoit de mémoire sur la TROISIÈME pyramide; plusieurs mots de son récit le prouvent : my eyes and memory extremely faile me not, the whole pyranid seemes to be of cleere and white stone (1); autrement , quel témoin oculaire pourroït nier un fait aussi patent, et qui étoit bien plus apparent encore il y a deux siècles (2)! J'ai mesuré la base de la TROISIÈME pyramide par le même moyen que les deux autres, et j'ai prolongé les faces de l'est, de l’ouest et du sud, de 20 mètres. Sur le côté nord j'ai trouvé 102,2, et sur le côté ouest 104,9 : la première me- sure et sur-tout la seconde pèchent par excès à cause de l'encombrement des angles; j'ai adopté la première comme préférable, et j'ai déduit + de mètre pour le socle de chaque côté, en tout un mètre et demi; reste pour la longueur du côté nord, 100,7. La hauteur est d'environ $3 mètres : je n'ai point pour cette dernière dimen- sion d'observations précises comme pour la PREMIÈRE pyramide. Admettons-la toutefois comme suffisamment exacte, et calculons la surface de la pyramide. Voici son volume et les résultats du calcul : apothême, asp arêtes 387; inclinaison de la pyramide, ou angle du plan de la face avec la base, un peu moins de 45°; superficie de la base, 10140" “+; superficie de la face, 3680" *" 6; volume de la pyramide, 179182% % 2 On voit que linclinaïison de la pyramide est moindre que celle des autres. Les côtés sont exactement orientés, comme dans la DEUXIÈME et la PREMIÈRE. Un de nos compagnons de voyage raconte qu'il est monté au sommet (3) par larête nord-ouest; l'élévation des assises l’a forcé de s’aider de ses maïns et de ses genoux. Il a compté 78 assises, ayant 0",68 de hauteur moyenne; ce qui feroit $3",4 pour la hauteur de la pyramide. Cette mesure est singulièrement con- forme à celle que j'ai citée plus haut; mais je regarde ce rapport comme fortuit. D'en bas j'ai aperçu distinctement une ouverture sur la face du nord : elle est bouchée ou très-peu profonde, et l’on n'y pénètre pas (4). C’est peu d’années, dit-on, avant l'expédition Française, que l’on tenta de découvrir l’entrée de la pyramide ; cette tentative fut faite par Mourâd-bey : elle ne produisit aucun ré- sultat et fut bientôt abandonnée; sans doute faute de bonnes combinaisons, on ne put découvrir le canal. La richesse de la matière employée à revêtir l'édifice, les descriptions des anciens, le fait rapporté par eux que le nom du roï Mycérinus y avoit été gravé, doivent faire essayer de nouveaux efforts. Si l’on pénètre dans lin- térieur, il n’est presque pas douteux qu’on n’en soit récompensé par de précieuses découvertes, Outre l'enceinte qui sépare la TROISIÈME pyramide de la DEUXIÈME, une autre, qui renferme trois pyramides plus petites, la défend du côté du sud, et deux autres enceintes la protégent à l’ouest contre l'invasion des sables. Au-delà est une grande plaine sablonneuse. (1) Pyramidogr. p. 112. Va point mesurée, ni le monument de l’est, ni Ia chaussée. (2) /bid. pag. 111. Greaves lui-même n’a vu que très- (3) M. Gratien Le Père. 9 légèrement et en courant la TROISIÈME pyramide; il ne (4) Voyez pl. 16, Ant. vol, V, fig. 9, au point a. A. D. L2 86 11: DESCRIPTION GÉNÉRALE ‘DE MEMPHIS Le monument de l'est prouve l'importance qu'avoit la TROISIÈME pyramide pour les Égyptiens; car c'est un ouvrage extrémement remarquable pour son plan, son étendue , et l'énormité des pierres dont il est construit. Son plan est presque un carré, de 53”,8 [ 166 pieds environ | dans un sens, sur 56,2 [73 pieds en- viron | dans l’autre, avec un prolongement ou long vestibule vers l’est ayant 31 mètres [95 pieds environ] sur 14,2 de large [près de 44 pieds] (x). Étoit-ce un édifice religieux! un endroit destiné à Pobservation du soleil levant? un lieu d'habitation pour les gardiens où pour les prêtres’ enfin un lieu de dépôt pour des instrumens ou pour des approvisionnemens! c'est sur quoi la forme du plan et ce qui reste de l'édifice ne jettent aucune lumière. En sortant du vestibule on entroit dans une immense cour ayant deux issues latérales ou fausses portes; au- delà étoient plusieurs vastes salles, dont cinq sont encore subsistantés; celle du fond a la même largeur que le vestibule, et répond juste au milieu de la pyramide, dont elle est éloignée seulement de 13 mètres [ 43 pieds]; mais je n'ai pas vu d'ouverture dans l’endroit correspondant. Quoi qu'il en soit, la disposition et la symétrie prouvent le rapport qui existoit entre ce monument et la pyramide. Après avoir étudié dans la Thébaïde la construction et les matériaux des édi- fices, on est encore étonné ici de la grandeur des matériaux et du soin apporté à lappareïl. Les murs ont 2,4 d'épaisseur [7% 5°], c'est la largeur des pierres; leur longueur varie de 10 à 20 pieds. Ces blocs sont tels, que je les aï pris d’abord pour le rocher lui-même, travaillé et taillé, et l’on resteroit dans l'erreur si l’on ne voyoit le ciment qui Joint les assises. Le prolongement de l’est est formé par deux énormes murailles, qui n’ont pas moins de 4,2 | 13 pieds ] d'épaisseur. On se demande quelle nécessité il y avoit de construire des murs aussi extraordinaires, puisque, réduits à la moïtié de cette di- mension, ils n’auroient pas eu moins de solidité; et lon ne peut trouver la réponse à cette question. Mais on se demande aussi quels hommes c’étoient que ces Égyp- tiens quiremuoïent en se jouant des masses si colossales; car chacune de ces pierres est une sorte de monolithe, dans le sens que l’on attache à ce mot comme exprimant un monument tout d'une pièce. Taïller, apporter, élever, mettre en place, as- | sembler des centaines de monolithes semblables, du poïds de 40, so, 60 milliers et plus, étoient pour eux des travaux simples, faciles, et de tous les jours : n’est-il pas évident que si ces opérations eussent entraîné la même dépense en temps et en argent que chez les modernes, ils ne les auroïent pas autant multipliées’! L'édifice que je viens de décrire est d'autant plus remarquable, qu'il est lié et fait suite à une chaussée en pente, dirigée comme lui sur l'axe de la TROISIÈME py- ramide : cette chaussée est un autre ouvrage bien digne des Égyptiens. Sa largeur est de 147,2 [environ 44 pieds |, et sa longueur, 260 mètres [801 pieds environ }, mesurée sur la pente, laquelle est de plus de 1 pour 1$ (2). En y comprenant ce que j'ai appelé le vestibule, la longueur totale seroit de 291 mètres | 897 pieds environ | Au bout de ce grand plan incliné est une autre rampe encore plus (1) Voyez planche 16, fig. 9 et 10, Ant. vol, V. (2) J’aï noté un peu davantage dans mon journal, environ 6P° pour toise. ET DES PYMRAMIDES., CHAP,; XVEIL,'SECT. III, 87 inclinée, tournant au sud-est. Cette partie n'est point construite ; mais la première est soutenue, dans toute sa longueur et des deux côtés, d’un mür bâti en assises régulières. Les pierres en sont eucore plus longues que celles du monument de l'est : si Je ne me trompe, j'en ai vu de 8 à 10 mètres [25 à 30 pieds] de long. Au sommet de la pente, ce mur de souténement a 13 Où 14 mètres et six assises de haut; les pierres ont jusqu'à 2 mètres et plus d'élévation. On ne peut nier que cette construction ne mérite de figurer à côté des grands ouvrages des Égyptiens; mais elle ne présente point aujourd’hui tout l'intérêt dont elle seroit susceptible si lon en connojssoit la destination. Sans doute il est probable que c'est l’une des chaussées sur lesquelles, selon Hérodote, furent chariées les pierres des pyramides (1}, et ici la vraisemblance est qu’elle servit particulièrement à conduire les blocs de granit destinés à revêtir la TRoIsiÈME. Ces blocs, selon moi, furent apportés par eau sur le canal occidental, ancien bras du Ni, jusqu'à un village tout voisin, Koum el-Egoued | la butte noire], qui est dans lu direction de la chaussée, et où Von trouve aujourd’hui des ruines. Son nom est peut-être de tradition : il ne seroit pas sans rapport avec la couleur des pierres qui, suivant les anciens, y furent trans- portées de l’Éthiopie, c’est-à-dire, des carrières voisines de Syène. Pourquoï les auroit-on fait venir par le fleuve même, pour se mettre dans la nécessité de les transporter ensuite par terre, à travers un espace de deux lieues au moins d’étendue! Ma conjecture est bien confirmée par les restes d’une chaussée de même longueur que la précédente, à 600 mètres environ de distance et dans la même direction , et qui semble avoir fait suite à celle de la TROISIÈME pyramide (2). 2. QUATRIÈME PYRAMIDE, PYRAMIDES À DEGRÉS. La QUATRIÈME pyramide, bâtie tout près et au sud de la TROISIÈME (à 30 mètres environ), n’est qu'une construction très-médiocre à côté de celles que je viens de décrire, et elle ne mérite pas que je m'y arrête long-temps ; elle l'emporte de peu sur plusieurs autres pyramides secondaires qui étoient à l’est de la grande : maïs, comme elle est restée entière, les voyageurs, pour la plupart, l'ont toujours men- tionnée. Je l'ai mesurée sur la face du sud et sur la face de l’ouest, les plus dégagées des sables, et j'ai trouvé, pour longueurs respectives de ces deux côtés, 387,5 et 42,9. La différence est trop forte pour ne pas Pattribuer à quelque obstacle qui m'aura empêché de bornoyer exactement les faces : car on ne peut guère ad- mettre que Ja base du monument ne soit pas carrée. Quoi qu'il en soit, la moyenne seroit de 407,7 [ 125 pieds environ à Selon le plan levé par M. le colonel Jacotin, son axe est dans le méridien de la TROISIÈME pyramide, et l'on a dû s’y conformer dans la carte topographique (3); toutefois, dans le plan que j'ai tracé, elle est (1) Suivant M. Gratien Le Père, on trouve sur le la chaussée de la TROISIÈME pyramide, ce qu’il n'ex- ? A4 de : à E st QUE > j parement de ces chaussées des figures d'animaux et d’au- plique pas, cette observation n’auroit échappé : maïs ce tres sculptures hiéroglyphiques ; il en conclut qu’elles voyageur ne dit pas les avoir vues lui-même. n'ont pas été construites seulement pour le transport des (2) Voyez planche 6, Ant, volume V, et plancher, pierres, et qu'elles avoient un objet religieux, qu’elles ibid. servoient à des cérémonies. S’il a aperçu ces figures sur (3) Voyez planche 6, Ant. vol. V. L 88 DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS alignée avec cette pyramide sur le côté est, et l’une des pyramides à degrés, sur le côté ouest : je ne puis que mentionner cette dissidence, la seule que présentent ici les observations des ingénieurs Français, mais-sans prétendre que l'erreur n’est pas de mon côté. À 20 mètres au sud de la pyramide, on voitle bord d’un fossé; je n'ai pu m'assurer s'il faisoit jadis le tour du monument : l'élévation est moïndre de 6 à 8 pieds que celle des deux pyramides à degrés voisines. | Cette pyramide est celle dont MM. Le Père et Coutelle avoïent entrepris la démolition ; ouvrage plus long à finir qu'on ne Flavoit présumé. Ils n’étoïent encore, après un long travail, qu'à la moitié de la hauteur, c’est-à-dire qu'ils n'a- voient détaché que la soïxante-quatrième partie des pierres du massif, quand ils furent forcés d'abandonner l'entreprise. Pendant qu'ils s’occupoïent de la dé- molition, ils virent beaucoup de pierres couvertes de caractères ou traïts marqués en rouge, dans un espace de 12 à 15 pouces sur chaque pierre (1). Deux pyramides plus petites que la QUATRIÈME sont alignées avec elle, dans le sens de l’est à l’ouest. Elles se distinguent par leur forme, qui se compose de quatre corps placés en retraïte de la base au sommet; ce sont comme de larges degrés : chacun de ces corps est divisé lui-même en marches très-hautes et très- étroites (largeur de 0”,2$ à 0”,4); le parement en est incliné; le sommet est une plate-forme. J'ai pris toutes les dimensions de la pyramide : la base de lune a 31,6, l'autre 31,8, mesures qui se confondent. Le premier corps, ou corps inférieur, a 4”,4 de haut; le deuxième, 5,6; le troisième, $”,4; le quatrième, 3”,2. La retraite du deuxième sur le premier est égale à 3”,2; celle du troïsième sur le second, aussi 3,2; et celle du dernier sur le troisième, 3",3. On en con- clut que la hauteur totale est de 18,6, et que l’angle d’inclinaïson est à peu près de 46 degrés. Les trois marches inférieures ont 1",5 et 1”,4 d'élévation:; les sui- vantes sont un peu plus basses, mais la dernière a encore 0,8. On ne sait rien de particulier sur ces espèces de pyramides, si ce n'est qu'on en trouve plusieurs semblables dans les environs de Saqqärah, et encore plus au sud. If est à croire que les constructeurs de ces édifices pyramidaux ont cherché à se distinguer, ou, ce qui est encore plus probable, qu'ils vouloient abréger l'ouvrage en réduisant successivement l'épaisseur du massif pour arriver plus tôt au sommet. $. V. Sphinx, Tombeaux et Hypogées, Chaussées et autres vestiges d’antiquités. Tous les voyageurs qui visitent les pyramides vont payer un tribut de curiosité au fameux colosse taillé en forme de sphinx. Il est à environ 600 mètres | 1800] à l’est de la DEUXIÈME pyramide, au milieu d’une plaine recouverte de sables, plus basse que le plateau (2). On l’a certainement pris tout entier dans le roc, (1) Voyez planche 14, fig. 16, Ant. vol. V. supérieur de 18,67 aux basses eaux du canal occidental, (2) Le menton du SPHINX est à 25",82 au-dessous Je 25 frimaire an 7 [15 décembre 1798]. Voy. le Tableau du pied du rocher de la grande pyramide; il a été trouvé du nivellement du canal des deux mers. ET DES PYRAMIDES. CHAP, XVIII, SECT. III. 89 bien que la tête porte.des traces de lits qui figurent assez bien des assises réglées. Le sPHINX est, comme à l'ordinaire, un lion assis portant la tête humaine, mais d'une proportion gigantesque et tout-à-fait extraordinaire; c’est la plus grande des figures d'homme ou d'animal que les Égyptiens aïent jamais sculptées. La coiffure est semblable à celle des colosses de Lougsor et des autres figures Égyptiennes : ce sont des sillons ou rayures, horizontales en avant, convergentes sur le derrière de la tête. Le corps n’a pas moins de 29 mètres [ 89% 4r environ | de long; encore une partie de la croupe est-elle cachée sous les sables. La tête, depuis le menton Jusqu'au sommet, a 8,55 [ 26 pieds |, et, en défalquant l'épaisseur de la coiffure, environ 8”,3. La longueur iotale pouvoit avoir 37 mètres. De là, en comparant cette figure avec les sphinx de même genre qui sont à Thèbes, on peut conclure que la distance du sol sur lequel posent les pieds du lion symbolique, Jusqu'au- dessus de la tête, autrement la hauteur du monument {sans parler du socle), doit être d'environ 24 mètres ou 74 pieds : du moins l'accord qui existe entre Île rapport de la tête à la longueur du corps dans la figure de Thèbes, et celui qui existe dans la figure des pyramides, permet de faire la comparaison, et d'en déduire cette élévation. La hauteur depuis le ventre jusqu’au-dessus de la tête a environ 17 mètres; et le contour de la tête vers le front, 27 mètres. Depuis les temps antiques les sables ont recouvert le corps presque en entier: peut-être même ils cachent un socle sur lequel reposoit la figure, comme dans tous les monumens de même sorte. Aujourd’hui le dessus de la tête est à {2 pieds du sol, et le menton à 16 pieds; un peu au-dessous de la naïssance des épaules, tout est enfoui. La partie inférieure, ou le cou, est usée, et elle semble même criblée de pores comme les rochers à Alexandrie, que ronge l'air de la mer; mais ce n'est qu'une apparence. [! seroit inutile ou plutôt presque impossible de décrire par le discours l'aspect du SPHINx des pyramides; renvoyer aux planches est le seul moyen d’en donner une idée un peu juste, quoïque bien foible encore (1):on y verra du moins la proportion de la stature humaine avec ce géant. Un homme debout sur la saïllie du haut de l'oreille auroit de la peine à atteindre le dessus de la tête avec la main étendue. On s'élève au sommet de la figure et par derrière à l’aide d’une échelle de 25 pieds de hauteur; là on trouve une ouverture : c’est celle d’un puits étroit où les curieux descendent ordinairement. Mais il est en grande partie comblé ; au bout de quelques mètres on trouve le fond : on n’a pas découvert jusqu'où il pouvoit conduire autrefois, si en effet il avoit quelque profondeur; ce qui est fort douteux. La face du sPHINx a été peinte d’une couleur rouge-brun, qui sub- siste encore; c'est à peu près la teinte que les Égyptiens se sont donnée à eux- mêmes dans les représentations consacrées à la vie domestique ou aux scènes militaires. On en a conclu sans fondement que cette tête fournissoit le type exact de la physionomie Égyptienne, et cela sans s'embarrasser ni des sculptures, ni des peintures, ni des momies, qui cependant fournissent toutes sans équivoque le vrai caractère de la figure. Je ne sais par quel esprit de système on a été jusqu'à (1) Voyez pl. 8, 17, 12, Ant. vol. V, et l'explication. 99 DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS conclure du sPHINx que les anciens Égyptiens étoient des nègres, c’est-à-dire, des hommes noirs, à cheveux crépus et laïneux, à front bas et en arrière, à nez épaté, &c. L'existence de ce dernier caractère à paru prouvée incontestablement aux auteurs de lassertion, attendu que le nez du SPHINX a été brisé et presque enlevé, circonstance comme on voit fort concluante. Mais pourquoi le peintre Égyptien, en faisant son propre portrait, a-t-il oublié de le peindre en noir, et pourquoi le sculpteur a-t-il laïssé le front presque droit! Loin de nous l’idée de rabaïsser par cette observation la race des noirs! Mais, quand on voit ceux-ci représentés par les Égyptiens eux-mêmes dans leurs peintures de la manière la plus distincte, et qu'on examine avec attention les têtes de momie bien conser- vées, celles des belles statues Égyptiennes, celles des peintures et des bas-reliefs des hypogées, des palais et des temples; qu'enfin on Îes compare aux indigènes mêmes de la haute Thébaïde, est-il possible de douter que les anciens Égyptiens aient appartenu à une race bien différente , celle qui est dite assez improprement Caucasienne ! Us avoient, à la vérité, les lèvres un peu bordées et les pommettes saillantes, maïs cela ne change presque rien au type primitif. Je ne crois pas nécessaire d’insister . davantage sur ce sujet, que d’ailleurs j'ai traité avec plus de développement dans la Description des hypogées de la ville de Thèbes (1). Le type Égyptien consiste sur-tout dans le prolongement du trait du nez { trait si court au contraire chez les noirs de l'Afrique intérieure}, dans son contour aquilin, et encore dans la direction commune du nez et du front selon un même plan légèrement incliné; et c'est ce qui constitue sa principale différence avec le type Grec, dans lequel la direction commune au front et au nez est presque perpen- diculaire, tandis que chez les Égyptiens elle est inclinée de 76 à 78 degrés. Je reviens au sPHINx, dans lequel cette partie du visage est trop défigurée pour qu'on puisse bien apprécier le ‘caractère de la physionomie. Quelques-uns, mais à tort, en ont trouvé la figure difforme : loin de là, on remarque un travail ferme et hardi dans l'exécution des yeux et des orbites, sur-tout dans celle de la bouche et de l'oreille. Au reste, augmenter jusqu’à plus de trente-six fois la grandeur des formes humaines a dû présenter au sculpteur une immense difficulté : on a le sent aisément, sans qu'il soit nécessaire d'insister sur cette observation. Les Arabes ont surnommé cette figure Aou-thoul, le père de la terreur; bi- zarre appellation, et qui auroit étonné fort les auteurs de la statue, s'ils eussent pu prévoir qu'on la lui donneroit un jour (2) : peut-elle effrayer en effet qui que ce soit, si ce nest les petits enfans! En même temps, et par une sorte de contra- diction, les Arabes la considéroient comme un puissant talisman, qui s'oppose à l'invasion des sables, et protége la vallée du Nïl contre son plus redoutable ennemi : autre erreur bien plus grossière, dont ils ont reconnu eux-mêmes Fab- surdité, en voyant les sables descendus à $oo mètres au-delà du sPHINx, et lui- (1) Voyez ci-dessus, À. D. chap. IX, sect. X , p.342 (Voyage de Norden, tome III, page 342); mais M. de et suiv. Sacy, par oculus et cor, c’est-à-dire, celui qui est sans (2) Ce mot est tiré de l’ancien nom, qui, selon déguisement, ou qui a le cœur dans les yeux ( Relation Maqryzy et el-Soyouty, étoit Belhyt «sgh ou Belhour. de l'Égypte par Abd el-Latyf, traduction de M. de Sacy, M. Langlès l'interprète en qobte par oculus terribilis page 560). même ET DES PYRAMIDES. CHAP., XVIII, SECT, 111. O1 même ayant presque tout son corps enséveli. Au reste, il tourne le dos et non la face aux sables qu'il étoit censé arrêter par une influence magique et irrésistible. Cette face est tournée à l’est, mais non exactement: l'axe du corps fait avec la ligne E-O un angle d'environ 18° 30’, d’après le plan topographique ( r ). Peutêtre (mais ce n'est qu'une hypothèse) les constructeurs de la pyramide ont- ils voulu diriger la figure vers lorient d'été, c'est-à-dire, vers le soleil levant, à l'époque du solstice. C'est ce que j’examinerai ailleurs (2). Il me reste, pour finir cette description, à parler succinctement de quelques autres vestiges d'antiquité que lon observe sur le site des pyramides, en commen- çant par les chaussées. Déjà, en traitant de la TROISIÈME pyramide, j'en ai décrit une très-bien conservée; une autre, qui peut-être lui faisoit suite, longue aussi de 260 mètres, est à l’est, à peu près dans là même direction et fort peu éloignée du terrain cultivé (3). Une dernière se voit à l'est de la. GRANDE pyramide ; elle est coudée, et touche à la plaine : sa longueur est d'environ 400 mètres; la première partie est dirigée vers l'angle sud-ouest du monument, la seconde au milieu de la face de l'est. Cette chaussée est très-ruinée, mais on la suit bien sur le terrain. Peut-être est-ce le reste de celle qui, selon Hérodote, avoit $ stades de long {ou 924 mètres ). I! la regardoit comme un ouvrage presque aussi considérable que la pyramide; elle avoit servi, dit-il, à transporter les pierres tirées de la mon- tagne Arabique. Comme l'historien nous en donne toutes les mesures , il est facile d'apprécier son assertion : la largeur étoit de 10 orgyies ou 18",72; sa plus grande hauteur étoit de 8 [ 14",98 } Aïnsi, supposé la base horizontale, la pente de ce plan incliné n’étoit guère que de 1 pour 60, le quart seulement de celle de la première chaussée : mais le texte même d'Hérodote s'opposeroit dans ce cas à ce qu'on admît une pente aussi foible ; car le plateau des pyramides étoit, dit-il, à cent pieds au-dessus de la plaine, c’està dire, 16 orgyies +, faisant 30,8. Or la distance de la pyramide ( 4 milieu de la face de l'est) à ce même point n’est que de 700 mètres : quand même on le reculeroit assez pour trouver les $ stades ou 3000 pieds, la pente totale auroit été de 1 pour 30; tellement que la plus grande hauteur, toujours suivant le même calcul, devoit être plutôt 18 orgyies que 8. Mais il'est probable que la chaussée avoit été construite sur un sol en pente, c'est- à-dire, sur le versant de la montagne. Quant à la comparaison du travail avec celui de la pyramide même, à ne considérer que le cube de pierres, on trouve qu’elle a bien peu de fondement, puisqu'un des solides fait au plus la vingtième partie de l'autre : je reviendrai sur ce passage d'Hérodote. Je n’ajouterai que peu de chose à ce que j'ai dit des doubles enceintes qui envi- ronnent les pyramides. On n'en voit plus qu'autour des SECONDE, TROISIÈME, QUATRIÈME, et des pyramides à degrés. Celle de la PREMIÈRE a disparu : ainsi que je lai dit, il paroît que leur destination principale étoit de servir de barrière à lirruption des sables de la Libye. Le nombre de ces enceintes est beaucoup moins (1) Voyez planche 6, Ant, vol. V. au transport, mais que c'étoit une digue bâtie pour (2) Voyez Remarques et Recherches sur les pyra- rejeter le Nil vers l'est; mais c’est au sud, et non pas au mides, &c. $. III, À, 47. | nord de Memphis, que fut construite la digue destinée à (3) M. Gratien Le Père pense qu’elle na pas servi cet usage. A. D. M 92 DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS grand dans notre plan topographique que dans celui qui accompagne la relation de Pococke, et je crois que plusieurs ont pu être omises : mais, d'une part, le sable a dû en recouvrir plusieurs depuis l’époque de son voyage, et, de l’autre, on voit que le dessinateur de son plan, simon le voyageur même, a dessiné ces lignes d'enceinte suivant une distribution symétrique, persuadé que toutes les pyramides et lés constructions accessoires avoiïent été assujetties à un plan parfaitement régu- lier dans toutes ses parties; ce qui n'est pas. Ces sortes de restaurations complètes, qui ne conviennent que pour une architecture dont le système est parfaitement connu, ne sont pas praticables dans les monumiens Égyptiens, et sur-tout dans le cas présent; car, si l’on observe un exact et même un étonnant parallélisme entre ces vastes pyramides et tous les édifices et tombeaux voisins, d’autre part on re- connoît promptement que les accidens du sol, la configuration locale, et d’autres circonstances, ont empêché d'adopter pour tout cet ensemble, qui n'a guère moins de 1400 mètres en carré, une disposition parfaitement symétrique, ou de former un plan d’un seul jet. Chacune des grandes pyramides appartient d'ailleurs à un architecte différent, à une époque différente : pourquoi voudroit-on trouver dans la distribution architecturale de ce grand plateau une seule pensée, un seul système, en un mot unité de conception et d'exécution! Les nombreuses constructions qui sont aux environs des pyramides, ne sont pas placées sans ordre : loin de là , elles ont toutes leurs côtés dirigés est et ouest, nord et sud. J'ai déjà parlé des plus grandes, quisont au nord de la SECONDE et à l'ouest de la PREMIÈRE pyramide : il est remarquable qu'elles occupent un rectangle quasi carré, équivalent en surface à celle-ci à très-peu de chose près; leur nombre, d’après mon journal de voyage, est de 14 sur 14 ou 196 (1). Ce sont des tombeaux massifs en forme de pyramides tronquées, à base oblongue, dont les dimensions sont plus faciles à deviner qu'à mesurer, à cause de l'encombrement des sables; leur largeur est de 9 à ro mètres. Indépendamment de ceux-là, ïl en existe de plus grands encore , situés très-proche de la GRANDE pyramide. La pierre en est choïsie et fort belle. Les paremens sont travaillés avec un grand soin, et revêtus d'un certain poli; les assises sont bien réglées, et l'on y remarque des Joints obliques, carac- tère des plus anciennes constructions de Thèbes : plusieurs de ces monumens sont chargés d’hiéroglyphes. Un de ces tombeaux à forme pyramidale tronquée se dis- tingue entre tous à cause de sa plus grande dimension : il a 45,66 [140 pieds et demi] sur 15,3 | 48 pieds environ | de large, et 6 mètres [ 18 pieds et demi environ | de haut; la hauteur à l'extérieur étoit de 9 mètres et demi; la moitié est cachée sous les sables. Sur la face de l’est sont deux portes conduisant à quelques salles : dans la partie supérieure est une bande d’hiéroglyphes. En sélevant sur la plate-forme, on découvre louverture d'un puits, large de 2,14 [6% 7°]. Quand les ingénieurs y arrivèrent, ils le trouvèrent presque plein de sables et de pierres; plus tard, MM. Le Père et Coutelle le flrent vider. À 16 mètres et demi [ $1 pieds environ] de profondeur, ils trouvérent une salle creusée dans le (1) Voyez ci-dessus, page 70. J'en aï noté autant n’est pas d'accord avec le plan topographique des pyra- du côté de l’est , et en tout près de 400 : maïs cetaperçu mides, planche 6, Ant. vol. V. ET DES PYRAMIDES SGHAP, XV IIT,ISECT.: III. 93 roc, d'environ 7 mètres sur 3,7, et haute de 2,82, avec un sarcophage en beau basalte noir, parfaitement taillé, à grain très-fin, poli au mat, et surmonté d’un épais couvercle fermant à recouvrement : il avoit été ouvert par les Arabes, et dépouillé de ce qu'il contenoïit. La forme du monument est simple , les côtés sont lisses et dépourvus d’ornémens; mais l'exécution est pure et très-soignée : le seul ornement, si c'en est un, consiste en quatre appendices saïllans et arrondis, placés aux deux bouts du couvercle, et qui ont servi à le poser en place; sa lon- gueur est de 2,68 [ 8% 3P |; sa largeur, 1" ,13 [3% $P 8']; sa hauteur, 1,07 [ 20 si 6] Les dimensions intérieures sont 2,09 sur 0,60 et 0,67, espace suffisant pour une momie dans sa caisse. Ce monument a été figuré en détail dans les planches (1) : on a également dessiné l'extérieur et le profil d’un autre, situé aussi à l’ouest de la PREMIÈRE pyramide ; il se distingue par un cordon qui borde de toutes parts la plate-forme supérieure (2). Ces tombeaux sont tous considéra- blement enterrés; on n'en voit guère que le sommet et trois où quatre assises supé- rieures (3): ils prouveroient, s’il le falloit, que les sables ont recouvert aussi le sol de la GRANDE pyramide. Si lon monte sur la plate-forme, on aperçoit de grands puits carrés obstrués aussi par les sables, comme au tombeau que j'ai décrit. Les constructions dont il vient d’être parlé seroïent remarquées par-tout aïlleurs: ici elles sont effacées par celles du voisinage ; le gigantesque du spHiNx, le colossal des pyramides et des chaussées, l'énormité des matériaux, les- écrasent:; elles échappent à la vue et sont comme imperceptibles. Toutes les habitations (4) de cette antique ville des morts, comme les appe- loïent les Égyptiens, ne sont pas des monumens bâtis ; plusieurs sont des cons- tructions souterraines comme dans la zecropolis de Thèbes, mais non pas disposées en syringes, c'est-à-dire, en longs canaux et en labyrinthes. Elles ressemblent aux hypogées, parce qu'elles sont creusées dans le roc, et qué les sculpteurs en ont orné les parois par la représentation des scènes agricoles, civiles et domestiques. J'ai visité plusieurs de ces catacombes à l’est de la SECONDE pyramide : le rocher est taillé en murailles droites ou inclinées; on y a pratiqué des ouvertures qui simulent des portes bâties; on y descend quelquefois par des degrés taillés dans le roc. Un de ces hypogées est représenté dans les planches (5) ; il est remarquable par des sculptures, la plupart très-incorrectes pour la perspective, maïs intéressantes pour le sujet et la naïveté d'exécution (6), et encore par un mur très-mince {réservé dans le roc), dont le dessus se termine en chaperon. Parmi ces sujets, on distingue entre autres des danseurs (7), une scène musicale formée de trois fâteurs accom- pagnés par une harpe à cinq cordes avec deux batteurs de mesure frappant dans leurs mains : la flûte paroît avoir trois à quatre pieds (8): des porteurs d’outres et (1) Voyez Ant. vol. V, planche 14, figures $ à 10, 7, 8, ainsi que Pexplication de la planche. et l’explication de la planche. (6): Voyez les bas-reliefs gravés, d’après les dessins de (2) Ibid. planche 16, fig. 15, 16, et planche xs, fs: 11 M. Dutertre, dans les planches 17 et 18, Ant. vol. Y, à 14, ainsi que l'explication. (7) Vo les bas-reliefs gravés dans la planche 17, (3) Ibid. planche 14, fig, 11 à 14. fig. 2, 4. (4) Diod. Sic. Bibl, hist, Hib. 1. (8) Ibid, planche 17, fig. 6. (s) Voyez Antiquités, vol. V, planche 16, figures 6, A. D. M 2 94 DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS de fardeaux, portant sur une épaule ou sur deux à l'aide d’un long levier élastique ou balancier, usage encore suivi en Égypte (1); différentes professions, telles que la navigation (2), l’art de presser les fruits (3), l'abattage des animaux (4), le com- merce (5) et l'agriculture (6). Les navires rappellent par leurs formes les barques plates, dans la fabrication desquelles entroient les tiges de papyrus et de lotus: trois hommes sont dans l’action d’en terminer une de cette espèce; des hommes chargés de lotus les apportent aux ouvriers. Le pressoir à fruits, par sa combinaison simple et ingénieuse, mérite une description. Un grand sac tordu, plein de la matière à presser, est traversé à ses extrémités par de longues et fortes perches, et est suspendu au-dessus d’un baquet profond et large, sur le fond duquel elles s'appuient; deux hommes tirent à eux les perches par le pied avec un grand effort; deux autres, suspendus à la partie supérieure, à dix pieds du sol, tendent aussi à les écarter afin d'augmenter la pression, en ajoutant leur poïds à leur force de traction ; enfin un cinquième, couché horizontalement entre les deux perches à la même hauteur, les écarte des pieds et des mains, en exerçant son effort sur des points d'appui qui paroïssent calculés d’après ceux des autres ouvriers. Un énorme taureau destiné à être abattu n’occupe pas moiïns de onze hommes: trois tirent par une corde un des pieds de devant, et un homme tire l'autre pied; quatre autres tirent un pied de derrière; un neuvième retient la queue; un dixième est à cheval sur le museau, et le dernier, debout sur l’une des cornés, les jambes très-écartées, tire l’autre corne avec les deux mains, à l'aide d’un grand effort. On voit des hommes et des femmes qui paroïissent occupés à vendre ou porter au marché des cassettes, des outres, des colliers et des bracelets, des gazelles, des biches et autres bêtes à cornes de plusieurs espèces avec leurs petits, des volatiles et des quadrupèdes, ou bien des vases, des pains, des sacs chargés de marchandises. Enfin les scènes d'agriculture représentent le labourage, le taureau, le belier, et plusieurs espèces d'animaux (7), les hommes versant le grain à la meule (8), et le remplissage des jarres avec un liquide qui paroît être du vin. Toutes sont accompagnées de signes hiéroglyphiques. Dans plusieurs grottes, les parois sont tapissées d'épaisses couches de sel, formées depuis l’excavation. $. VI. Carrières qui ont servi à la Construction des Pyramides. PLUSIEURS opinions existent sur les carrières qui ont servi à la construction des pyramides. Les uns admettent le rapport des auteurs qui assurent que les matériaux ont été transportés de la montagne Arabique; les autres le révoquent en doute, et soutiennent que la montagne Libyque a fourni les pierres sur lé lieu (1) Voyez Ant. vol. V, planche 17, fig. 11, 12. (5) Ibid. planche 17, fig. 7, 8, 9, 10. (2) Tbïd. planche 18, fig. 5, 7: (6) Ibid. fig. 17, 15, 16, 17. (3) Ibid. planche 17, fig. $; planche 18, fig. 2. (7) Ibid. fig. 16, 7, (4) Ibid. planche 18, fig. 6. (8) Ibid. fe, 2. ET DES PYRAMIDES. CHAP, XVIII, SECT, III. LS même en quantité suffisante. J'avoue que ce dernier sentiment est celui que j'em- brassai d’abord sur les lieux. L’assertion est d'autant plus spécieuse, que le rocher renferme des lits tout semblables aux pierres des pyramides, et qu'il a fallu creuser autour du SPHINX, puis dresser le plateau; ce qui a dû procurer beau- coup de matériaux. Maïs cette opinion doit étre abandonnée, et j'y aï renoncé en effet par les considérations que je vais soumettre au lecteur. S'il n’existoit que le témoïgnage d'Hérodote et des autres écrivains, on pourroit dire à la rigueur qu'ils ont été induits en erreur par la vanité des prêtres Égyptiens, bien que cet argument ait été prodigué en d’autres cas jusques à abus : mais il y a un témoignage plus positif et incontestable, c’est celui des monumens, On a vu plus haut qu'il existoit encore trois chaussées, deux presque ruinées, une autre intacte. Comment expliquer ces ouvrages si considérables, qui sont précisément dirigés à l'est, c’est-à-dire, vers la montagne Arabique, et dont la pente prend son origine auprès de la lisière du terrain cultivé, ouvrages construits avec tant de travail, de temps et de dépense! Qui pourroit soutenir qu'ils n'ont pas servi autransport des pierres, quand sur-tout l'historien décrit ces chaussées, en: fait voir l'importance, et en apprend la destination! En second lieu, il n’est pas possible de croïre qu'on ait enlevé beaucoup de pierres en dressant le plateau des pyramides, et qu'elles aïent servi à la cons- truction ; il eût mieux valu laïsser le roc à sa place. Quant au SPHINX, dont on à dit, peut-être avec raison, que la tête désignoït l’ancien niveau du sol, comme ces {émoms que nos carriers et terrassiers laissent au milieu des exca- vations, il est facile de voir que la pierre qui a été abattue autour de la tête, du cou et de la poitrine, n’équivaut pas à la cinquantième partie de la PREMIÈRE des grandes pyramides, à la centième partie des trois ensemble. I est vrai qu'on a peut-être creusé autour du plateau, et tiré quelque parti de la pierre extraïte des fossés; mais on peut accorder cette supposition, sans pour cela dispenser de chercher ailleurs la source qui a fourni la masse principale des matériaux. En troisième lieu, la nature de la pierre de la chaîne Libyque n'est pas tou- jours semblable à celle des assises des pyramides ; il n'y en a du moïns qu'une partie : elle est ordinairement moins dure, moins compacte, moins pleine de coquilles numismales et de bélemnites, et la pâte est moins serrée; elle se ronge davantage à l'air, témoin le devant du sPHINx, lequel est supposé avoir fourni des matériaux. Quatrièmement, le revêtement de la SECONDE pyramide et beaucoup de fragmens que j'ai vus au pied de la PREMIÈRE et que je pense avoir servi à la revêtir, sont d’une couleur grise particulière, et susceptible d'un demi-poli assez beau, caractères qui sont étrangers à la pierre de cette partie de la montagne Libyque, plus blanche et plus tendre. Enfin les carrières de Torrah [ Troja] (1), sur un point de la rive droite placé entre les pyramides et les ruines actuelles de Memphis, carrières qui présentent aujourd'hui des traces de travaux si considérables, ne sont-elles pas celles qu'Hé- (1) Voyez Description de la ville du Kaire, É. M. tome Il, 2. partie, page 750, 96 DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS rodote avoit en vue, quand il dit que les constructeurs ont pris la-pierre dans la montagne Arabique! La pierre a justement les caractères de celle des pyramides, notamment celle du revêtement. Quand on descend le Nil et qu'on s'arrête quelque temps en face pour voir ces excavations, on est surpris de leur étendue et de {eur aspect; maïs leur profondeur immense étonne bien autrement, quand on y met le pied. Le travail des Égyptiens s’y reconnoft aisément : en y marchant, je n’aï plus conservé de doutes. Eux seuls étoient assez expérimentés dans l’ex- ploitation des carrières pour enlever à la montagne de telles masses de pierre, en laissant le toit sans support. Les parois sont dressées, les piliers taillés, les distri- butions intérieures sont à angle droit, comme s'ils eussent voulu faire des monu- mens souterrains, et non pas extraire la pierre seulement (1). Aïnsi le vide de ces immenses excavations peut bien représenterle volume des pyramides. A la vérité, on a observé au nord de la PREMIÈRE pyramide une partie de la chaîne Libyque exploitée aussi à ciel ouvert, dont la nature est une pierre numis- male semblable à celle qui compose les derniers degrés : on pourroit donc admettre qu'une partie du massif des pyramides a été fournie par la montagne de Libye, soit sur le lieu même, soit à quelque distance : mais la plus grande partie à. été, selon moi, extraite de Torrah. J'admettrai, au reste, une modiff- cation à la première des opinions que je discute, c’est que les pierres extraites de Torrah n'ont pas été chariées au travers de toute la vallée. Mon sentiment est qu'elles ont été embarquées sur un canal transversal, passant au nord de Memphis et s'écoulant dans le canal occidental, d’où elles sont descendues jus- qu'à la naïssance des chaussées ci-dessus décrites; le texte même d’Hérodote appuie cette explication : aïnsi se trouveront conciliés les témoignages des auteurs; la nature des lieux et des monumens, le fait de l'existence actuelle des chaussées encore subsistantes et plus ou moins conservées, enfin la conséquence nécessaire qui se déduit de leur position et de leur direction. Le dessin que je viens de citer donne une idée de la partie septentrionale des carrières de Torrah; au-dela la montagne est taillée de la même manière, et plus profondément encore, jusqu'à une grande distance vers le sud; le lieu mériteroit d'être examiné en détail. Parmi les carrières que j'ai visitées, j'en ai remarqué une qui avoit 6 mètres et demi | 20 pieds | de hauteur, et un très-grand nombre d’embranchemens. Les piliers et les murs, dans cette carrière et dans toutes les autres, sont taiïllés à arêtes vives; les plafonds sont travaillés avec un soin égal, et l’on retrouve par-tout dans l'exécution le ciseau Égyptien ; enfin, dans l’immensité du travail, on reconnoît la source visible où furent puisés les matériaux des monumens de Memphis (2). lecteur de consulter celles de nos devanciers. Voyez aussi dans les Antiquités- Mémoires, page 1@, les Re- marques et Recherches sur les pyramides &c. (1) Voyez le dessin d’une partie de ces carrières, pl. 4, Ant, vol. V, fig. 8. (2) En terminant cette description succincte des pyra- mides, nous devons répéter qu’elle ne dispense pas le ET DES PYRAMIDES. CHAP. XVIII. 97 TABLE. SECTION PREMIÈRE. Pyramides du sud et autres vestiges d’antiquités qu’on trouve aux environs de Memphis . +. + e L 22:0. L . + ee L CE] L L2 L L] LES] er L VLC 00,0 :6!.,0., 04: 0° :6. L] . +. © © page 3 Li SOL) rAMIdEs du sidi MEN NN: SRE LE EP Le RPSE ARMAND 1.’ DES TROIS PYRAMIDES DE DAHCHOUR. ........ PR A EU .. ibid. 2.° DES NEUF PYRAMIDES DE SAQQÂRAH. ...s........ RU D RS 3. DES SEPT PYRAMIDES AU NORD D'ABOUSYR.......... ARBRE SORTE S. IT. Ruines des villes et autres antiquités des environs. . ................... SES DähohourenSiqqéahPenLVee ROnEE LV PARU et NC ARS At ibid. 1.° BAS-RELIEFS, STATUES OU FRAGMENS.,. .......... Se be de 14. 2 MOMEÉES rares Ve) Pts latente, à EEE MORE FER GPO ER AE à DER MIUIREMDES HLGURINES, NAC=: te di dorment un ot 0 nt Ml eue PE ETS 4. VASES ET LAMPES....... REX GS ES ENORME TS EVER TANT Abou aan) ve ss MARS SALE. CDTI SECTION II à e . L® De plusieurs lieux de la plaine ou du nome de Memphis... ............. 2e Ip 7 . Il. Description des restes de Memphis... ...... ange Le ER ER PM A lb 20 1 9 . IL. Remarques géographiques et historiques sur la ville de Memphis... ...... dis è Gi q 4 2 515. IMETENDUENERÉCIMITESNDENMEMPEHIS. AMV. 200 Un mn El ee ts 34. 2.° MONUMENS ÉLEVÉS À MEMPHIS, QUARTIERS DE LA VILLE...... 37 3. DU CULTE DE MEMPHIS, ET DE SON NILOMÈTRE............. Sir SECTION III. Description des pyramides du nord, ou pyramides de Gyzeh.......... 56. $. [.% Topographie des pyramides et coup-d'æil général. ........,..,......... Si. DE RUE E URITA ARR OR OPPOSER TRES Ce 60. POSLHONÉGÉOGRAPHIQUE:. AM CIM ie... AE 5 Dies DIMENSIONS DE LA PREMIÈRE PYRAMIDE .......ee..e...eese 62. ASCENSION DE LA PREMIÈRE PYRAMIDE.......... RL à. : 67 L INTÉRIEUR DE LA PREMIÈRE PYRAMIDE............... esse 7. CONSTRUCTION ...... , 98 DESCRIPTION GÉNÉRALE DE MEMPHIS ET DES PYRAMIDES. «1 Q $. IT. Deuxième pyramide, . ..,.. RE ea rate page 78. S. IV. Troisième et quatrième pyramides, pyramides a degrés et environs. :........ 84. 1.” TROISIÈME PYRAMIDE, MONUMENT DE L'EST ET SA-CHAUSSÉE..... ibid, 2.9 QUATRIÈME PYRAMIDE, PYRAMIDES À DEGRÉS................. Br $. V. Sphinx, tombeaux et hypogées, chaussées et autres vestiges d'antiquités...... 88. $. VI. Carrières qui ont servi à la construction des pyramides... ........... KA OAE DESCRIPTION . DES ANTIQUITÉS. DE LA VILLE ET DE LA PROVINCE DU KAIRE, PAR M. JOMARD),. I A I I CHAPITRE XX. I IT I Sovs le rapport des antiquités proprement dites, c'est-à-dire, des anciens monumens des arts, les lieux que je vais décrire n’offrent qu'un foible intérét, sur-tout si on les compare aux provinces de la Thébaïde. On doit s'attendre à trouver ici, non la description de quelques ouvrages marquans de l'architecture ancienne , maïs seulement celle d’un certain nombre de fragmens, de débris ou de vestiges appartenant à l'antiquité Égyptienne , Grecque ou Romaine. Toutefois, au nombre de ces monumens figurent plusieurs monolithes qui ne sont point sans importance pour l'archéologie; et d’un autre côté ces mêmes lieux intéressent la géographie comparée. Enfin la description qui suit entre nécessairement dans le plan de cette partie de l'ouvrage qui embrasse les diverses localités où se trouvent quelques ruines antiques. Or, ayant été chargé de lever la carte topo- graphique de la province du Kaire, J'ai eu la facilité d'observer la plupart des ves- tiges qui subsistent de l'ancien état du pays, savoir : les lieux jadis habités, et les traces du cours des eaux à ces époques reculées, cours dont la direction est prouvée par des ouvrages d’art encore existans. Cette province est l’une de celles qui correspondent à une des anciennes préfectures, presque avec les mêmes limites. Par l'étude de la géographie de l'Égypte, on voit que la province Héliopolitane étoit bornée à l’ouest par le Nil et par la branche Sébennytique , depuis Troja jusqu'à peu de distance d'Athribis; au nord par une ligne allant de ce dernier point vers Jcenæ vetera- norum (selon moï, Chybyn el Qanäter ); à l'est par Héliopolis et le désert : telles sont aussi les limites de la province de Qelyoub ou du Kaire. Héliopolis étant placée sur la limite orientale de la province, ayant d'ailleurs mérité par son importance historique une description spéciale ( personne n'ignore que c’étoit A. D A 2 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS DE LA VILLE une des trois grandes cités de l'Égypte), je n’ai pas à m’en occuper ici, et je dois renvoyer le lecteur à cette description (1). Celle-ci se partagera naturellement en deux sections : 1.” Les antiquités qui se trouvent dans la ville du Kaiïre; 2.° Celles qu'on observe dans le reste dela province. SECTION PREMIÈRE. ANTIQUITÉS DU KAIRE. AE Obélisques. Deux petits obélisques Égyptiens en basalte noir avoient été trouvés au château du Kaire, où ils servoïent de seuil à une mosquée ( probablement celle de Qalaoun ); on les transporta au palais de l’Institut d'Égypte. Leur petite dimen- sion permettoit de les charier facilement; ils furent envoyés plus tard à Alexan- drie, au moment du départ des membres de la Commission des sciences, et embarqués pour être conduits à Paris. Maïs le sort de la guerre les mit en la possession de l’armée Anglaise; aujourd’hui ils sont au nombre des ornemens du musée de Londres. Malgré la petitesse de leurs proportions, ils peuvent, du moins pour la finesse du grain et du poli de la pierre, et pour la belle exécu- tion de la sculpture, être comparés aux grandes aïguilles de la Thébaïde, Une seule colonne de signes hiéroglyphiques décore, chacune des faces. Les figures d'oiseaux, tels que Fibis, l'épervier, l'oïe, et encore celles du céraste et de l'abeille, sont si correctement tracées et taillées si parfaitement, qu'on doit les regarder, avec un autre monument dont je parlerai bientôt, comme des modèles de la sculpture en relief dans le creux. Nous en avons pris et multiplié les empreintes en cire, en soufre et en plâtre, afin de guïder les dessinateurs et les graveurs dans l'exécution de ces sortes de figures. Les planches 20 et 21 du V.° volume d’Ay- tiquités représentent les faces de chacun de ces-obélisques, maïs elles ne donnent qu'une foible idée de la pureté du ciseau (2). Ces obélisques ont dans leur lon: gueur actuelle { car les sommets sont brisés) 2",6, ou 8 pieds, et lon ne peut assurer de quelle manière ils étoient terminés (3); la base a 0",43, ou 1% 47: la hauteur totale pouvoit être de 4 mètres et demi. On ne connoît point l'usage que les anciens faisoient d’obélisques d’une telle dimension; toutefois, comme il n'est pas probable que des aiguilles si petites fussent placées au devant des palais ou des temples comme celles de Thèbes, et qu'elles fussent isolées au milieu d’une cour ou d’une place quelconque, on est conduit à admettre, comme assez pro- bable, qu'elles servoient à décorer des intérieurs, qu'on les plaçoit dans des (1) Voyezla Description d’Héliopolis par MM. Lancret correct que les gravures au trait. et du Bois-Aymé, À. D. chap, XX1. Voyez aussi le (3) Tous les obélisques ne finissoient pas par un pyra- chapitre XXII. midion:il yen a determinés par des portions de cylindre. (2) Les gravures terminées sont d’un style moins Woy, la Description du nomeArsinoïte, À. D. chap. X VII. EV'DE LA PROVINCE DU KAIRE; CHAP, XX. 3 vestibules ou au fond des portiques. On trouve au reste, dans les collections d’antiquités, au nombre des amulettes, de petits objets de cette même forme pyramidale; et ces imitations prouvent que la figure de l’obélisque avoit un sens religieux, tout en servant, comme Tacite le déclare, à conserver la mémoire des événemens historiques. S. II. Cippe Égyptien. J'AVOIS remarqué, servant d’appuis aux fenêtres d’une citerne, sur la place du château du Kaïre et à droite de la porte d'entrée, deux beaux fragmens antiques en granit noir, couverts d'hiéroglyphes, et bien conservés quoique brisés sur un de leurs bords; ils me parurent les deux moïitiés d’un même monument, séparées longitudinalement par une large cassure. Les caractères bien sculptés, et la plupart intacts, me décidèrent à en faire une copie, en attendant qu'on pût enlever ces intéressans morceaux et Îles remplacer par une pierre d'appui ordinaire. Les cir- constances n’ont pas permis d'effectuer ce déplacement, et l’on ne possède que le dessin de cette pierre (1). Quoique le milieu manque, j'ai essayé de rapprocher les deux parties à la distance qu’elles devoient occuper : ce rapprochement opéré présente, Je crois, peu de lacunes, Je ne suis pas assuré qu'il y ait de la pente sur les côtés de ce monolithe, de manière qu'il n’est pas certain que ce soit le reste d’un petit obélisque : peut-être est-ce un cippe rectangulaire, analogue, pour la forme, à ceux qui sont élevés dans une des cours du palais de Karnak. Une seule face est visible: elle est divisée en trois colonnes verticales d’hiéro- glyphes, et le bas est orné d’un autel et d’un sphinx ayant au-dessous de lui trois colonnes horizontales. Les figures du hibou, du céraste, de l’aspic, de la caïlle, de l'épervier, du taureau, de l’abeïlle, du scarabée, du vautour, de l’oie, de l’'ibis, &c., sont Îes animaux représentés le plus fréquemment. Malgré la rupture de ce mo- nument en deux parties, Je crois qu'il mériteroit d’être recueilli et transporté en Europe, et qu'on en obtiendroit aisément la permission des chefs du quartier. Sa longueur est d'environ 2 mètres et demi, ou 9 pieds; et sa largeur, d’en- viron 4 décimètres, ou 1$ pouces, en carré. $. IIT. Sarcophage de Qala’t el-Kabch. LES Français ont trouvé dans la grande rue de la mosquée de Touloun, montant à la citadelle, un sarcophage en granit noir, qui avoit été observé en ce même endroit par Maïllet, Pococke, Niebuhr et d’autres voyageurs. Le premier prétend qu'on lappeloit {2 Fontaine des Amans : on ignore la source de cette dé- nomination. Les deux autres ont donné le dessin de la seule partie qui fût visible pour eux, ce monument étant alors placé dans un enfoncement, à peu près de même grandeur que lui. Le lieu s'appelle Qaa’t e-Kabch, le Fort du Mouton, (1) Voyez planche 24, fig. 1, À. vol. V. A, D. À 2 À DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS DE LA VILLE et dépend de la hauteur, jadis fortifiée, sur laquelle fut élevée la mosquée de Touloun. Tout auprès est une tourelle, ou plutôt un massif de forme circu- laire, que le peuple appelle Moustabet He oun, le Siége de Pharaon, soit à cause du voisinage de l'antique monument Égyptien, soit pour toute autre raison qui nous est inconnue (1). Ce sarcophage fut transporté au palais de l’Institut et ensuite à Alexandrie; mais, à l'époque du départ de l’armée Françaïse, il tomba aux mains des Anglais avec les autres fragmens précieux de l'antiquité Égyp- tienne recueillis par la Commission des sciences et des arts. Il est aujourd'hui déposé au musée Britannique (2). On ignore à quelle époque, à quelle occasion, ce sarcophage a été apporté au Kaire, de quel lieu on fa tiré, s'il vient d'Héliopolis ou de Memphis, des pyra- mides, ou des hypogées de Babylone et de Troja; mais on saït mieux quel usage en ont fait les modernes Égyptiens. Ils ont trouvé qu’il formoit une excellente auge ou abreuvoir, et ils ont pratiqué à l’un des bouts une ouverture pour vider leau, comme au grand sarcophage en brèche Égyptienne d'Alexandrie : aïnsi l'eau a séjourné long-temps dans l'intérieur. Aïdée du temps et du frottement, elle a usé une partie de la sculpture, et il en est résulté que le dedans est beau- coup moins bien conservé que le dehors. Ce sarcophage est en granit noir : sa longueur est de 2,748 [8% 5°]; sa largeur postérieure, de 1°,28 [ 4% PR largeur antérieure, de 1",178 | 3% 8%]; sa hauteur, de 1,192 [ 3“ 8#+] On trouvera toutes les autres mesures soigneusement gravées dans les planches (3). La presque totalité du monument est couverte de sculptures hiéroglyphiques, soit au dedans, soit au dehors ; toutes, à l’exception de FRAGILES cassures et de l'intérieur, sont parfaitement conservées, et l'on peut même distinguer presque tous les signes dans le fond du sarcophage. Une frise, composée d'étoiles Égyp- tiennes (c’est-à-dire, à cinq pointes aiguës }, couronne les deux faces latérales extérieures et les quatre faces du dedans. Aïnsi qu'il est d'ordinaire, les signes d'écriture sont tournés dans le sens du personnage qu'ils environnent : il ya donc à l'extérieur deux directions, l'une de gauche à droïte (sur la face anté- rieure D (4) et sur la bande supérieure de la face C), l’autre de droite à gauche (sur la face postérieure B et sur la bande supérieure de la face A ). Quant au reste des faces C et À, les figures hiéroglyphiques marchent les unes vers les _autres, comme les personnages de la procession : tournés, dans la première, vers une double image de l'œil symbolique sculpté très en grand; et, dans la seconde, vers une sorte de tableau formé de neuf bandes horizontales d’hiéroglyphes. Une disposition un peu différente et encore plus symétrique règne à l'intérieur. À partir du milieu de la face antérieure, les figures et les caractères se dirigent à droite et à gauche, et viennent se rencontrer au milieu de la face postérieure. Les inscriptions se répètent en grande partie, autant qu'on peut en juger par (1) Voyez la Description du Kaire, É. M. tome Il, trait, et avec la dernière correction. Voyez l'explication 2.° partie, page 731. des planches du volume V d’Antiquités. (2) J'y ai recueilli une suite d’empreintes en soufre et (3) Voyez planches 24, 25, À. vol. V. de dessins, qui ont permis de le graver complétement au (4) Voyez planche 24, A. vol. V. ET DE LA PROVINCE DU KAIRE. CHAP, XX. $ les caractères non effacés. Quant aux figures mêmes qui composent ces pro- cessions, sur les huit faces dont je viens de parler, elles sont au nombre de huit au dehors, et de vingt-une au dedans, compris l'œ/ symbolique porté sur un autel, et un triple serpent qui accompagne a croix à anse ; elles retracent les mêmes personnages qui se voient ordinairement sur les monumens funéraires. Au dehors, c’est l’initié ou le défunt qui, conduit par le prêtre masqué en chacal (c’est-à-dire, celui des funérailles), est d’abord admis en présence du symbole d'Osiris, ensuite paroît occupé à entendre ou à lire un texte sacré. Au dedans, ce sont dix-neuf figures de divinités, toutes portant le bäton augural et la croix à anse; puis l'œil d'Osiris et le serpent dont je viens de parler : dix marchent dans un sens, ét onze dans l'autre, portant la tête humaine, ou celles du belier, du chacal, de l’épervier, du bœuf et du lion. Vingt de ces figures de divinités ont au-dessus de la tête une petite inscription de trois à quatre signes ou plus, servant à les distinguer d’une manière caracté- ristique ; la figure debout, qui est sculptée cinq fois à l'extérieur, est également surmontée de trois, quatre ou cinq signes hiéroglyphiques, lesquels indiquent peut-être l'état ou le degré des épreuves assignées à l'initié ou à l'ame du dé- funt: car les figures sont absolument identiques, à l'exception d’une qui est un peu plus ornée, ce qui annonceroït que le personnage est parvenu à un degré plus avancé : parmi les cinq caractères que celle-ci porte au-dessus de la tête, on remarque une Croix À. Je distinguerai dans le nombre des vingt-neuf per- sonnages du monument une figure de femme coiïffée de l’image du scorpion, que javois déjà dessinée une fois dans le petit temple d’Isis à Karnak, symbole remar- quable, sur lequel je n’essaierai pas cependant de risquer une hypothèse. Ce n’est pas le lieu d'établir des conjectures sur la signification de ces personnages, ni sur le sens de plusieurs symboles et signes d'écriture, dont plusieurs sont dignes d'attention à cause de leur rareté dans les inscriptions, tels que des formes de végétaux et d'autres fort curieuses : on les trouvera tous rassemblés dans le Tableau méthodique des hiéroglyphes (1). H y a au reste dans ces textes beaucoup de répéti- tions symétriques, et par conséquent le sujet des inscriptions n'est pas aussi étendu qü'on pourroit le supposer au premier coup d'œil. Je viens à limage bizarre qui est représentée au fond du monument : c’est une figure de femme sculptée, comme toutes les autres, en relief dans le creux, maïs d’une beaucoup plus grande proportion. Les figures de face ne sont pas communes parmi les bas-reliefs Égyptiens; nous en avons vu et dessiné une dans les hypogées de Thèbes (2). Il y a aussi un hiéroglyphe qui représente une tête d'homme de face; mais on auroït de la peine à citer beaucoup d'autres sujets de face parmi les bas-reliefs vraiment antiques. Celui qui est sculpté de cette manière dans lin- térieur du sarcophage du Kaïre, présente une autre singularité : c'est que les avant-bras manquent à la figure, ou plutôt, que chaque bras est remplacé en entier par une sorte de règle droite qui n’a pas forme humaine, et qui s'arrête (1) Voyez À. vol. V, planches 50, ÿr. (2) Voyez A. vol, IT, planche 26, fig: 3, 6 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS DE LA VILLE ou se cache sous les bandes d'hiéroglyphes (1). Ne sachant ou ne pouvant . È , . . 7 i exprimer de face les seins de la figure, l'artiste a imaginé de les placer de profil, et il en a fait autant des pieds en les écartant à 180° l’un de l'autre, comme dans la position forcée qu'un maître de danse fait prendre à son élève. Quant aux autres contours, à défaut de correction, ils ne manquent pas de fermeté ni de pureté. | | $. IV. Sarcophage trouvé sur les bords du Nil à Boulég. si CE monument est encore un de ceux qui avoient été transportés du Kaire à Alexandrie par les soins de la Commission des sciences et arts, et que les évé- nemens ont mis au pouvoir de l'armée Anglaïse, avec les vaisseaux mêmes sur lesquels on les avoit embarqués : il a été trouvé dans le Nil, à Bouläq, près de la rive droite du fleuve. Le petit nombre de ses ornemens, qui consistent en une seule bande horizontale d’hiéroglyphes, ne le distingue pas moins des autres sarco- phages que sa forme, qui est exactement semblable, en dehors comme en dedans, à celle d’une momie. Le contour des épaules et même celui des jambes ont été imités par le sculpteur (2). La matière est un basalte noir verdâtre, à grain très-fin; le poli est de la plus grande finesse. Quant au travail des figures hiéroglyphiques, il est peut-être encore plus fini, plus parfait, que celui des petits obélisques décrits précédemment, et je crois difficile de trouver dans toute l'Égypte les figures du milan, du hibou, de la caïlle, de l’ibis, de l’épervier, de l’oie et du vautour, mieux taillées ex relief dans le creux et travaillées avec plus de délicatesse que dans le ser- cophage de Bouläg. Les têtes sur-tout présentent des détails d'étude et d'imitation bien sentis, qui font honneur à l'artiste, et qui supporteroient la comparaison avec la nature même (3). On peut en dire autant de deux petites têtes d'homme et de femme qui font partie de ces hiéroglyphes; c’est le style Égyptien dans toute sa pureté. La gravure de la planche qu'on vient de citer exprime assez bien le travail du ciseau et le relief des parties intérieures, quoïque encore loin de la touche pleine de justesse qui brille dans l'original. En examinant avec soin le dessin des animaux chez les artistes de l'école Égyptienne, il est impossible de refuser d’ad- mettre qu'ils étudioient attentivement la nature, et qu'ils savoient la rendre avec goût : ils s'abstenoïent en effet de copier, comme les Chinois, des détails trop minutieux, et s'arrétoient aux formes expressives et aux traits caractéristiques. Nous avons levé des empreintes en soufre, en plâtre, en métal, de toutes les figures de ce sarcophage: elles ont servi de modèles aux dessinateurs et aux graveurs de l'ouvrage, et nous avons même, mon collègue M. Raffeneau-Delile et moi, fait exécuter une copie complète et de grandeur naturelle de ce monu- ment, pour en faire hommage à la galerie d'architecture dépendant de l'école des beaux-arts de Paris. La longueur totale du monument est de 2",22 [environ 6" (1) Je traite de ce sujet dans les Recherches sur les (2) Voyez A. vol. V, planche 27, mesures Épyptiennes. (3) Voy. les planches d'oiseaux, n.% 1, 2, 7, 10,11 et 12 ET DE LA PROVINCE DU KAIRE CHAP. XX, vi 10" |; la plus grande largeur aux épaules, de 0",934 [2% 10°]; celle des pieds, de 0",69 + [ 2% 1°° |; enfin la hauteur, de 0",677 [2° 17°]. | Les formes des monumens de cette espèce sont très-diversifrées; et l’on ne doit pas en être surpris, puisqu'à sa mort toute personne opulente étoit déposée dans un de ces cénotaphes : ainsi la matière, la proportion et la richesse des sculptures devoient varier avec la fortune du défunt. Il n’y a pas deux sarcophages abso- lument semblables parmi ceux que nous avons trouvés dans les pyramides, dans les hypogées, dans les tombeaux des roïs et dans les divers lieux où se trouvent des antiquités : c'est la forme du monument, ou la matière, ou la sculpture, ou le couvercle, qui diffère; au moins, dans ce genre de travail, l’art n'étoit pas tout-à- fait enchaîné par un type invariable (1). S. V. Colonnes, Inscriptions et Fragmens antiques. IL existe au Kaïre, à l'est de la grande place Ezbekyeh, dans l’ancien jardin du bey qu'on avoit converti en jardin Anglais au temps de l'expédition Française, un fût de colonne en #rèche universelle, que je regarde comme un ouvrage de l'antiquité Égyptienne. On sait que les Égyptiens sont les seuls qui possèdent dans leurs carrières cette matière précieuse, et avec quel succès ils l'ont travaillée. C'est de cette brèche admirable, et non moins rebelle au ciseau, qu'ils ont fait le beau sarcophage porté ensuite à Alexandrie à une époque inconnue, et peut-être dès le temps d’Alexandre-le-Grand; ce qui a fait supposer gratuite- ment qu'on l'avoit taillé exprès pour servir de tombe au héros Macédonien. J'ai mesuré grossièrement le diamètre de la colonne dont il s'agit; je pense qu'il avoit environ 8 à 10 décimètres | 2 pieds = à 3]. Je ne puis assurer qu'il fût orné de sculptures; mais la matière se reconnoïssoit très - bien aux larges plaques de porphyre, de granit et de pétro-silex de toutes couleurs, qui forment la pâte de la brèche universelle, la surface étant parfaitement polie et travaillée. En parcourant les belles citernes du Kaire, dont j'ai parlé au long dans la des- cription de cette ville, comme en visitant plusieurs des principales mosquées et églises, j'aï vu une grande quantité de colonnes monolithes en granit rouge ou noir, que je regarde comme provenant évidemment des anciennes villes de l'Égypte inférieure; je ne dis pas de la Thébaïde, car les ruines de la haute Égypte ne présentent que des colonnes en grès ou en pierre calcaire, formées de plusieurs pièces. On n’a pas encore exposé d’où vient cette différence entre les monumens de ce genre dans les deux parties du pays, et elle mériteroit d'être expliquée. En (1) Niebubr parle d’un sarcophage qui avoit été embar- même que celui que j'ai vu à Oxford, et dont j’ai rapporté qué sur le Nil et déposé aussi à Boulâq, vingt ans avant les empreintes. Il ajoute, et je suis porté à Le croire, qu'il son voyage, c’est-à-dire, vers 1742: ce n'est pas le même existe des sarcophages dans les mosquées, servant aussi de que celui que je viens de décrire, I donne les dessins de réservoir. ce monument dans les pl. 31 à 35 du Voyage. C’est le 8 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS DE LA VILLE eflet, c'est dans la région supérieure que sont les carrières de granit, et dans cette même région abondent les monolithes en granit , les obélisques, les colosses, les cippes, les Part et les sarcophages. Ce n’est donc pas la difficulté du travail qui auroit arrêté les architectes. Au contraire, dans la basse Égypte si éloïgnée des carrières, on trouve un grand nombre de colonnes en granit, par exemple, au Kaïre et aux environs, au temple d'Isis à Bahbeyt, dans les mosquées de Damiette et de Rosette, et sur-tout dans le port d'Alexandrie, où l’on en voit accumulée une quantité, pour ainsi dire, innombrable, formant aujourd'hui des cales, des jetées et des murs de quai, sans parler de la colonne gigantesque vulgairement dite de Pompée, monument unique sur le globe. Les Arabes ont employé ces colonnes, à Alexandrie et aïlleurs, comme liens dans les murailles, ou ils les ont sciées en tronçons pour en faire des meules. Cette dernière obser- vation concourra peutêtre à expliquer la difficulté dont il s'agit. N’est-il pas possible que les habitans du Sa’yd aient enlevé les colonnes de granit des temples de la Thébaïde pour les débiter dans leurs moulins’ Là, comme au Kaïre et par-tout, j'ai vu les meules faites de cette matière dure et solide. Qui pouvoit mieux les fournir que des fûts monolithes déjà tout taillés circulairement dans le diamètre convenable à cet usage, et qu'il ne s'agissoit plus que de diviser par tronçons (1)! Dans les villes et villages de la basse Égypte, comme dans les autres, on voit aussi les moulins garnis de meules de la même espèce. Au reste, en émettant cette conjecture, Je ne veux pas nier qu'à l'occasion de la fondation d'Alexandrie on ait taillé exprès un grand nombre de colonnes : le diamètre de celles qu'on trouve dans le port, beaucoup moïndre que celui des colonnes en granit du temple de Bahbeyt, et sur-tout leur proportion plus élancée, attestent qu'elles ont été exécutées ou du moins retaillées pour servir à une destination nouvelle et au besoin d’une architecture étrangère au pays. Aux portes du Kaïire, on voit encore beaucoup de colonnes en granit, notam- ment auprès de la prise d’eau de l’aquéduc, où quinze à vingt colonnes de cette riche matière et d’une seule pièce ont été trouvées et décrites par uné com- mission de l'Institut du Kaiïre (2); elles sont gisantes sur le sol depuis un temps inconnu. Toutes sont renversées : les unes sont entières, il y en a quatre; d’autres rompues en deux ou trois parties, et au nombre de cinq; et sept autres sont brisées en plusieurs tronçons de divers diamètres. Leurs dimensions sont inégales; voici celles de PIRASRE d'entre elles : la plus grande avoit une longueur totale de 8,79 [ 27% o 0°], un diamètre de 1”,8 en bas [ $Ÿ 6" +], et 1 mètre [3% 1% ] en haut; une a, avoit 7°,20 | 22% 2° | de long, 0",86 [2° 7° 8*] de diamètre. Ces colonnes sont fuselées plus ou moins bien, la plupart d’un beau poli et d’un travail parfait, maïs les détails d’un style barbare qui ont été ajoutés font voir quelles ont été retouchées par des Arabes. Il a été impossible de re- trouver le plan général auquel se rattachoïent ces colonnes; on a conjecturé qu’elles avoient fait partie de l'enceinte d’une mosquée , éloignée de 1à d'environ (1) On voit aussi quelques colonnes de granit dans les (2) Voyez dans la Décade Égyptienne, tome I, page98, mosquées d’Esné, de Girgeh, de Syout, de Minyeh,&c. lerapport de M. Denon, fait à l’Institut d'Egypte. 4o mètres WE € EMDE, LAUPROVINICEND'U KAÏIRELCHAP, XX, 9 40 mètres | 20 toises | : ainsi lon ne sauroit assigner l’époque ni la nature de l'édifice auquel ont appartenu en dernier lieu ces beaux monolithes, et encore moins du monument antique auquel on les avoit enlevés primitivement. Enfin l'on ignore s'ils ont été tirés de Memphis, d'Héliopolis ou d’ailleurs; mais il est probable qu’ils viennent de la basse Égypte. Si lon visitoit avec soin, dans l'intention de connoître tous les débris d’anti- quité, les plus anciennes églises de l'enceinte appelée Qasr eChäma’, particulière- ment celles de Saïnt-Serge ou Sergius qui paroît être du temps des Romains {1}, de Saint-George, de Saint-Macaire, et celles des couvens chrétiens Loonen voisines de l’ancienne Babylone dE: je ne doute pas qu'on n'y rencontrât beaucoup d’objets dignes d'intérêt, soit de l'époque des anciens Égyptiens, soit de celles des Grecs et des Romains, tels que des colonnes antiques, des stèles, des cippes et des pierres chargées d'inscriptions. On doit sur-tout examiner les seuils des portes et les appuis des fenêtres : les architectes Arabes ont eu par-tout pour objet, en dépouillant les monumens antiques, d’y prendre des matériaux durables, qui leur épargnassent la peine de les aller chercher au loin, de les apporter et de les tailler à grands frais; et c'est bien plutôt par un calcul tout simple d'économie et pour la solidité de leurs propres ouvrages, que pour satisfaire une barbarie aveugle et pour le plaisir de détruire, qu'ils ont puisé des fragmens en granit, en basalte et autres pierres dures, dans les édifices des anciens. C’est ainsi qu'ils ont converti en chaux presque tout ce qu'il y avoit de marbre dans le pays (2). Mon but, en faisant cette réflexion, est moins de les absoudre du reproche de fanatisme, que d'expliquer pourquoi les grands monumens d'Égypte sont encore debout après tant de siècles, après tant de révolutions et de vicissitudes : c’est que la plupart étoient en grès, et que cette matière ne pouvoit fournir ni des colonnes, ni des supports convenables,. ni un seul atome de chaux, et que les montagnes Arabique et Libyque, voisines par-tout des habitations, excepté dans la basse Égypte (3), procuroïent sans peine des matériaux suffisans et d’une proportion commode pour le transport, tandis que celui des énormes pierres de grès qui forment les assises des monumens Égyptiens étoit au-dessus des forces et des connoïssances des Égyptiens modernes. En preuve de ce que j'ai avancé, savoir, ne des recherches attentives faites dans l'intérieur des édifices du Kaïre on trouveroïit des objets précieux pour l'archéologie, je citerai deux monumens lapidaires. J'ai trouvé l'un près de Birket el-Rotly (4) ; l'autre a été découvert par mon collègue M. Caristie à l'extérieur d'une mosquée. Le premier est une belle pierre prismatique, en basalte noir, portant l'ins- cription suivante, presque entièrement conservée et gravée en beaux caractères. La longueur de la pierre est d'environ 1,14 [ 3 “ +]; le bout sur lequel est (1) Voyez la Description de la ville du Kaire, É, M. tom, II, 2. < partie (S. 1, p. 741, Description des environs ). (2) Je m’abstiens de faire ici aucun rapprochement sur la destruction des monumens antiques au sein même de l'Europe civilisée. (3) Aussi les monumens du Delta sont-ils tous renversés, et même ont presque tous a du sol. (4) Voyez planche 26, É, M. vol, I, carreau B- -9. A. D B 10 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS DE LA VILLE tracée l'inscription a 0",6$ sur 0",331. Cette pierre intéressante pour l’histoire des Ptolémées a été trouvée dans-une maïson de Mamlouk abandonnée. BASIAEATITOAEMAION@EONEYEPTETHN @EONEIISANONATIOAAOAGPOYAETOY TONHPOTONSIAONE..ZTATHEKAI | TPAMMATEYETONKATOIKONINIEON (1). On peut traduire ainsi ces quatre dignes (en lisant dans la troisième o fm- STATHE, comme il n'y a nul doute): AU ROI PTOLÉMÉE, DIEU ÉVERGÈTE, FILS DES DIEUX ÉPIPHANES : APOLLODORE, FILS D'AÉTÈS, L'UN DES PREMIERS AMIS DU PRINCE, INTENDANT ET ÉCRIVAIN DE LA CAVALERIE INDIGÈNE. I est fâcheux que cette inscription ne fournisse point de date précise, et ne puisse éclaircir la question de la durée du règne d'Évergète Il, à qui elle se rapporte. Elle n’en est pas moïns précieuse pour l’expression TON npatan SIAQN, qu'on ne connoissoit sur aucune inscription avant la découverte de ce monument. La seconde pierre a un objet plus important : c'étoit une inscription trilingue; malheureusement elle est réduite à la moitié dans le sens de sa longueur, et presque entièrement effacée par suite de la place qu’elle occupoit : elle servoit en effet de pierre d'appui à une fenêtre extérieure de la mosquée d’Émyr-Khour ou de Nasryeh (2), où elle a essuyé un frottement continuel pendant un temps dont on ignore la durée. La pierre est d’un granit noir à grain très-fin {3), longue de 2 mètres | 6%] sur o",40 [| 15 °°] de large, arrondie au sommet comme certaines stèles; l'épaisseur est de 0",3 [ 11 pouces |: une aile déployée occupe la partie supérieure. Si, par bonheur, le consul Maiïllet, du temps duquel, sans doute, la pierre occupoit déjà cette même place, l'eût découverte intacte et envoyée aussitôt en France, on auroit possédé dès cette époque un monument plus précieux que la pierre de Rosette même, et abordé avec plus d'avantage le pro- blème des hiéroglyphes; car il est plus étendu que cette pierre, et divisé, comme celle-ci, en trois parties : l'écriture hiéroglyphique en haut, l'écriture vulgaire ou démotique au milieu, et l'écriture grecque en bas. Dans la pierre de Rosette, la premiere partie est réduite au tiers environ du texte entier Le nombre des lignes n'est que de vingt-huit, et cette lacune a de beaucoup diminué les espérances qu'on avoit fondées sur un monument aussi précieux; le grec a cinquante-deux lignes seulement. Mais la pierre du Kaïre avoit soixante-et- quinze lignes de grec, vingt-sept de démotique et vingt-six d’hiéroglyphes. On n’a guère aujourd’hui que les deux cinquièmes ou la moïtié de cette dernière, et de plus elle ne laisse voir distinctement qu'un petit nombre de signes de chacune des trois écritures; elle (1) Voyez planche 56, fig. 22, À. vol, V, ainsi que (2) Voyez planche 26, É, M. vol, 1, carréau S- 13. l'explication de la planche : le graveur a mis IPOTON (3) J’aï noté dans mon journal que la matière étoit un au lieu de IPATON, que portent et le monument et basalte noir ,et aussi que la longueur étoit de 1,7 seule- la copie. ment [ 5% ]; mais la longueur, deo",67 [245]. ET DE LA PROVINCE DU KAIRE. CHAP. XX. II est usée, et les caractères sont tellement altérés, qu'il est impossible d’en tirer aucun parti, moins encore que de la pierre de Menouf. À peïne a-t-on pu dé- chiffrer dans le grec le nom d’un Ptolémée. C’est pour ce motif qu'on l'a laïssée, lors de l'évacuation de l'Égypte, dans le palais de l’Institut, où elle avoit été déposée : cependant on auroït bien fait de la transporter en France, et de la conserver comme un débris précieux de l'antiquité; car les vestiges seuls des trois différens caractères étoient un fait important pour l'archéologie, pour l’histoire du pays et pour celle de son langage. Après ces observations sur les restes antiques observés dans le Kaire, je pas- serai immédiatement à ceux qu'on voit dans la province de ce nom, en ajoutant seulement une remarque, c'est que les Arabes et les Juifs apportent sans cesse dans cette ville des antiques de toute espèce, momies, sarcophages, statuettes, amulettes, médaïlles, bronzes, toiles écrites et papyrus, &c., trouvés dans les ruines de la haute et de la basse Égypte : souvent ils sont assez adroits pour ajuster et même fabriquer des fragmens, de manière à tromper les voyageurs sans expérience ou qui ne sont pas sur leurs gardes. Je n’ai pas besoin d’avertir que ces hommes ne méritent guère de confrance quand ils indiquent en quel lieu, dans quelle position et avec quelles circonstances les antiques ont été découvertes, c'est-à-dire , leur gisement, chose sur laquelle ïl seroit st important d’être fixé et de posséder les détails les plus authentiques. SECTION Il. ANTIQUITÉS DE LA PROVINCE DU KAIRE. SR HE Du Site et du Nom de la Province. Ainsi que je l'ai annoncé dans les réflexions préliminaires, la géographie doit occuper ici une place plus étendue que les monumens antiques, puisqu’à l’excep- tion d'Héliopolis, qui a fait l’objet d'un chapitre spécial, on ne rencontre dans la province aucun ancien ouvrage debout, ni aucun vestige important. Dans cet examen des lieux, je me dirigerai par le nord et l’ouest, et je reviendrai par la partie orientale; ce qui est la route que j’aï suivie dans mes opérations topo- graphiques. La province du Kaire, autrement dite de Qelyoub, correspond à peu près à lancienne préfecture Héliopolitaïne {1}: lune et l'autre sont limitées au sud par la vallée de l'Égarement ; à l'ouest, par le Nil; au nord, par Athribis et le pays contigu ; à l'est, par Scenæ veteranorum (aujourd’hui Chybyn el-Qanâter) et par le désert Arabique. Le chef-lieu à eu successivement pour site Héliopolis, Babylone, Fostât et le Kaïre. Cependant, comme le Kaïre est la capitale de l'Égypte entière, un autre endroit a été considéré comme le chef-lieu propre- (1) Voyez la carte ancienne et comparée de Ia basse Égypte. AL DE B 2 1 2 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS DE LA VILLE ment dit, et a même donné son nom à la province moderne; c'est la ville de Qelyoub, d’où vient le nom de Qebyoubyeh PSE ]. I est d’ailleurs assez remarquable que ce nom n'est que celui d'Helopols, corrompu comme tant d’autres par les Arabes, ou par le laps des temps. Il est vrai que la lettre initiale du premier de ces mots peut faire une difficulté; mais les Arabes ont cru pouvoir remplacer le son initial de HuoæoA par la lettre co, d'autant plus que l'espèce d’hiatus que les habitans du Kaïre et d’une mes BE de l'Égypte substituent dans la prononciation au son (s g4f, peut correspondre à l'esprit rude du mot Grec. Quant à la finale, elle ne présente aucune difficulté : tantôt les Arabes ont retranché æo2us des noms Grecs des villes, tantôt ous, tantôt & seu- lement. A la vérité, le retranchement partiel du mot ou, en conservant la première consonne seule, est assez bizarre et même barbare : mais on trouvera d'autres exemples de noms ainsi altérés par les Arabes dans la Géographie com- parée de l'Égypte. On a donc fait d'Aehopohs, d'abord Helop-ohs , ensuite Heliob ou Hehoub, en substituant le 4 au p que les Arabes n'ont point dans leur langue; enfin @eloub ou @elyoub. Maïs comment ont-ils donné le nom d’une cité aussi importante qu'Héliopolis à une petite ville qui n'a jamais, depuis tant de siècles, pu prendre d’accroissement’ Voïci, selon moi, la solution de cette question. Quand les Arabes ont fait la conquête de la basse Égypte, Héliopolis étoit trop ruinée pour rester le chef-lieu de la province. Tout en fondant Fostât à l'issue de la vallée de l’Égarement, pour être plus à portée des nouvelles et des secours de l'Arabie, et en élevant de magnifiques édifices à la nouvelle reli- gion (témoin la mosquée de son nom), A’mrou ni ses successeurs ne pouvoient donner pour centre à l'administration de cette préfecture un lieu aussi éloigné d'Atryb (lune de ses limites). Qelyoub s’éleva donc à deux lieues vers l'ouest d'Héliopolis, c’est-à-dire, dans une position encore plus centrale et plus conve- nable que l’ancienne cité, et sur-tout plus éloignée des sables du désert. On y transporta sans doute d'Héliopolis des matériaux de construction, avec la popu- lation locale, et la nouvelle ville succéda à l’ancienne, quant au nom et au titre de chef-lieu : mais, pour s’accroître au même degré et prendre le même rang entre les villes d'Égypte, il n’eût pas fallu qu'il existât à peu de distance (quatre lieues seulement) une ville comme Fostät, remplacée elle-même, trois à quatre siècles après, par une ville encore plus grande. Au temps des anciens rois, Héliopolis avoit pu être une ville grande et peuplée; et fleurir en même temps que Memphis; mais les mêmes circonstances n'existoient plus. Sous les Arabes de PÉgypte, il n’y avoit pour la religion Le ‘un centre unique, placé à Fostat, et depuis au Kaire, tandis qu'Héliopolis n'étoit qu'un des trois grands colléges de antique Égypte. Il me paroît donc très-probable, sinon tout- à-fait certain, que l'accroissement de Fostät, et sur-tout celui du Kaïre, cop Qelyoub de prendre un grand développement : le nom seulement resta à la province, et il lui appartient encore aujourd'hui. ET DE LA PROVINCE DU KAIRE, CHAP. XX. 13 $. IT. Canal dit de Trajan. Daxs la Description de la ville du Kaire, je donne quelques détails histo- riques sur le canal qui, après avoir pris naissance dans le petit bras du Nil, en face de l'île de Roudah, traverse le Kaïre, et va arroser la province de ce nom. Ici je ne dois mentionner qu’en passant la part que les Arabes ont prise à ce canal, et il n'est question que de l'état de choses qui les a précédés. Or, de l'aveu même des écrivains de cette nation, un canal sortoit du Nil au temps des empereurs Romains, non loin de Babylone; il portoit le nom de Trajanus canalis : il avoit été creusé par ordre d’Adrien, ainsi que l’affirme el-Magqryzy. Ainsi, quand les Arabes lui ont donné le nom de canal du Prince des fidèles , il existoit déjà; et tout ce qu'ils ont pu. faire a été de le recreuser et de rectifier son cours en quelques points. Au reste, le même el-Maqryzy s'exprime ainsi : & Ce canal se » nommoit Originairement canal de Mesr ROUE Postée} Il fut aussi » désigné sous le nom de canal du Prince des fidèles, c'est-à-dire, d'O’mar ben » el-Khattäb, qui le fit recreuser (1). » Sans doute Adrien lui-même ne fit pas une autre opération à l'égard du canal; lun des rois Grecs l'avoit ouvert ou rendu navigable plusieurs siècles avant lui. « Il fut creusé wne seconde fois, dit el-Magryzy, par Adrien César, » roi de Rome {2}. » Comme il baigne les ruines d'Héliopolis, je ne En même pas qu'il nexistât dès a plus haute antiquité. Les fables débitées par les écrivains Arabes sont moins suspectes ici qu'ailleurs, puisqu'ils n’étoient pas intéressés à dépouiller O’mar de la gloire de l'entreprise. Maqryzy prétend que l'un des Pharaons d'Égypte, Thouthis, fit creuser 47 pied de la montagne, dans la partie orientale de l'Égypte, un canal par le moyen duquel les vaisseaux se rendoient dans la mer Rouge (3). L'objet du canal dont il s'agit ici étoit uniquement de faire communiquer les eaux du Nil avec celles de la mer Rouge, en les portant jusqu’à la vallée de Saba’h byär, l’ancienne terre dé Gessen, où, d’un autre côté, les eaux du golfe pouvoïent se rendre à l’aide d’une pente naturelle sufhisante, Cette route étoit plus courte pour faire communiquer la mer Rouge avec ün point des bords du Nil ,-comme Memphis, par exemple, que celle de la branche Pélusiaque ; en entrant par le canal ouvrage de Nécos, fils de Psammétique. Quoi qu’il en soit, l'existence du Trajanus canalis est suffisamment attestée par le témoïgnage de Ptolémée le géographe. « Le Trajanus amnis , dit-il, coule à travers Héroopolis et Babylone. » Quant à la carte jointe à son texte, elle n’est pas ici moins défec- tueuse qu'à l'ordinaire; le canal y est dirigé droit à l’est de Babylone, c’est-à: dire, à travers la chaîne du Mogqattam. II seroit hors de propos d'entrer ici dans aucun détail sur le grand canal proprement dit, au sujet duquel, d’aïlleurs, (1) Traduction de M. Langlès (MVotices et Extraits des (2) Zbid, page 336. manuscrits de la Biblioth èque du Roi,&c. t. VLp 334). (3) Zbid. page 335. 1 À DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS DE LA VILLE M. Le Père est entré dans les plus grands développemens dans son grand Mé- moire sur le canal des deux mers, c'est-à-dire, le canal qui arrose le Kaïre et sa province. Je négligerai donc ici les passages d'Hérodote, de Strabon, de Diodore de Sicile et de Pline, lesquels s'appliquent seulement au bras tiré du fleuve Pélu- siaque, vers Bubaste, et non à la branche venant de Babylone. Cette dernière branche avoit-elle, dans l’origine, sa prise d’eau dans le fleuve, au même point que le canal actuel, ou bien plus près de Babylone! C'est ce qu'il est impossible de décider. Quant à son embouchure ou point de concours avec les eaux de la mer Rouge, il est nécessairement déterminé par la position de la vallée de Saba’h byàr, et.elle ne pouvoit pas être éloïgnée de l'issue du canal de Nécos, entre cette même vallée et le bras Pélusiaque. Son cours entier est de dix- huit lieues de développement, si l'on part d’A’bbäceh. Si le canal dit de Trajan a cessé, avec les autres canaux qui faïsoient partie de ce grand ouvrage, de servir de communication entre Arabie et l'Égypte, FIBRE) continué cependant d’arroser la province et de porter des eaux à Belbeys, lan- cienne Phelbès ; j'en aï suivi et relevé le cours jusqu’auprès d’el-Menäyr: sa largeur moyenne est de 6 mètres, et il est souvent beaucoup plus large. Voilà donc un des plus importans ouvrages de l'antiquité conservant de nos jours une partie de son utilité : il sufliroit pour signaler à la reconnoissance de l'Égypte moderne l'industrie des anciens habitans, ainsi que la prévoyance et la sagesse des princes qui ont régné sur eux. S. III. Du Village appelé Delta, correspondant à Beçous. SELON Strabon (1), la partie supérieure (ou la pointe) du triangle formé par les deux principaux bras du Nil (2) et la mer étoit nommée Dela comme le triangle entier, et il s'y trouvoit une bourgade portant aussi ce même nom: xœun.…. xxreïre Aérra. D'Anville n’a fait aucun usage de ce passage de Strabon, qui mérite cependant d'être mentionné et appliqué à l'étude actuelle des lieux. Je regarde le village de Beçous comme le reste de l’ancien bourg appelé Delta. En effet, il est à 3 schœnes de a partie sud de Memphis, distance que demandent Strabon entre le Delta et cette capitale; el-Edriçy, qui indique 3 parasanges dans le même intervalle: enfin Pline, qui assigne 15 milles aboutissant à Îa partie nord de Memphis. Deux autres distances que rapporte Strabon d’après Artémidore d'Éphèse, lune de 28 schœnes à partir d'Alexandrie, l'autre de 2 s schœnes à partir de Péluse, se rencontrent encore au même endroit, ou à fort peu près (3). Nul doute, comme j'ai eu l'occasion de le dire aïlleurs, que ce point ne fût l'origine de la séparation du Nil en deux grandes branches, la Pélusiaque et la Canopique, quoique bien loin de l’origine actuelle du Delta. Le Ventre de la Vache, Batn el-Baqgarah, comme on l'appelle aujourd'hui, est trois (1) Geograph. lib. XVII, pag. 788. (3) Voyez Exposition du système métrique des an- (2) La Canopique et la Pélusiaque. ciens Égyptiens, À. M. tom, I, pag. 508 et Sos. ET DE LA PROVINCE DU KAIRE. CHAP. XX. 1$ fois aussi éloigné du Kaïre que l'est Beçous. Ce village présente peu de vestiges apparens d'antiquité; il n'est remarquable que par le grand pont Arabe en pierre, qui en est très-voisin (1 ), et par la tête du canal Abou-Meneggeh, reste de l’an- cienne branche Pélusiaque. Cette prise d’eau est seulement à cinq minutes de chéinin de Beçous, vers le sud-est : c’étoit donc là l’origine du Delta depuis les temps les plus réculés, au moïns depuis l’époque d'Hérodote, et encore sous Ptolémée le géographe (2). Je pense même, quoique cette bifurcation du Nil ne puisse plus à présent rester stationnaire, et qu'elle soit destinée à s’avancer encore vers le nord et l’ouest, puisque telle est la pente du fleuve, que, dans les temps antérieurs au voyage d'Hérodote, et depuis que le fleuve a pris un cours ffxe dans la vallée, elle a toujours existé à peu près au point dont il s'agit, et non en un point situé beaucoup plus au sud. En effet, au midi de Babylone, le Moqattam maintenoit le Nil dans un lit unique, et au nord de Babylone, la bifurcation _pouvoit avoir lieu tout au plus à la tête de l’île de Choubrä, à une lieue au-dessus de Beçous {car je ne pense pas que l'on puisse regarder le canal de Trajan comme le reste du cours que suivoit la branche Pélusiaque à une époque très-reculée). Je dois faire mention ici d’un point qui est en correspondance avec celui de Delta, bien qu’extérieur à la province; c'est celui de Cercasorum où Cercesura, où, selon Hérodote, le Nil se partageoït en deux branches { 3). Ce lieu étoit en face du premier, sur la rive gauche; car Strabon dit que Cercesura étoit du côté de la Libye, près de l'observatoire d'Eudoxe (4). Nous savons qu'Eudoxe a observé à Héliopolis, peut-être at-il fait aussi en quelque endroit du voisinage; et dans tous les cas, la distance des lieux est peu considérable. Il seroit curieux dé trouver dans l’étymologie de Kepréoopor, Kepréoupæ, et Cercesura , selon Pomponius Mela, un sens analogue à la division du fleuve en plusieurs branches; mais je n'essaierai pas cette recherche, et je renverrai au Mémoire sur la géographie comparée, à l'article du nome Letopolites, dont Cercasorum faisoit partie : c’est là que j'exposerai d’autres considérations géographiques sur le Delta et sur ses différentes divisions. $. IV. Branche Pélusiaque, Branche Athribitique, et Canal de Felfel. Comme jé traite en détail, dans le mémoire qui vient d'être cité, des diffé- rentes branches du Nil, je dois me borner ici à peu de mots. En parcourant la province de Qelyoub pour mes opérations topographiques, j'ai eu occasion de voir et d'étudier le cours d’un grand canal, parfois à sec, d’autres fois à grand courant, très-remarquable par son lit bien encaissé, son égalité, sa profondeur, enfin sa largeur, qui va à 4o mètres. Il se nomme canal de Felfel. Je ne l’avois vu mentionné dans aucune carte ou ouvrage de géographie. II arrose par des déri- vations les terres de Benhà el-A’sel ét la plaine d’Athribis. A el-Choumout, il (1) H sera décrit aïlleurs: le pont de Beçous etles autres + (2) Voyez note 2, page 14. ponts du canal Abou-Meneggeh ont été réparés par le sul- (3) Hist. lib. 11, cap. XV et XCWII. tan Rokn el-Douniaouel-dyn Beybars, dans l’année 1259 (4) Geograph. Kb. XVI1, pag. 806. de notre êre. 16 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS DE LA VILLE a 20 à 30 mètres de largeur et 2 à 3 de profondeur, et il porte un très-beau pont en briques, large de 8 mètres, qui ne paroït pas être de construction Arabe. Un grand bras s'en dérive à Koum el-Atroun et se rend à Myt-Kenän. Après avoir suivi ses bords pendant une huitaine de lieues, il me vint à la pensée que ce devoit être une des anciennes branches, peut-être la branche Pélusiaque, sur laquelle à cette époque on étoit encore incertain. Maïs j'aï abandonné depuis cette idée, parce que le canal de Felfel prend sa source, du moins aujourd'hui, dans la branche de Damiette à Kafr el-Syäfé, c’est-à-dire, extrêmement loin de Beçous ou de la tête de l’ancien Delta, qui est l'origine nécessaire de la branche Pélusiaque : la il a 20 mètres de large et 3 de profondeur. C’est cette remarque même qui ma conduit à examiner avec soin les nombreux canaux qui arrosent cette riche province, afin de démêler entre eux ce qui appartient à chacune des branches mentionnées par les auteurs. Or, dans ce seul espace, couloïent, en outre de l'amms Trajanus, et selon les divers passages d'Hérodote, de Diodore, de Strabon, de Pline, de Pomponius Mela, le fleuve Pélusiaque ou Bubastique, le fleuve Athribitique, le fleuve Cano- pique, le fleuve Sébennytique, et même une partie du Busiritique. Voici le ré- sultat des recherches auxquelles je me suis livré à ce sujet { 1), résultat qui est en partie confirmé par celles de mes collègues, notamment de MM. du Boïs-Aymé et Devilliers. La branche Pélusiaque de tous les auteurs sortoit du grand fleuve près de Beçous, comme on vient de le voir au paragraphe précédent : c’est le canal Abou-Meneggeh. La branche Athribitique sortoit, non du Nil même, maïs de la branche Pélu- em à une demi-lieue au sud de Qelyoub, se dirigeoït vers le nord, suivoit la même route que le grand canal de Felfel vers Atryb, et il continuoït ensuite en se confondant à Kafr Moueys avec la branche actuelle de Damiette, la Sében- nytique d'Hérodote. La branche Canopique commençoit au même point que la Pélusiaque, en se portant à l'ouest-nord-ouest; c'est aujourd’hui le grand Nil LATE Ventre de la Vache, et ensuite la branche de Rosette. Enfin la branche Sébennytique de Strabon, la même que la Thermutiaque de Ptolémée, sortoit de la Canopique au même point de Batn el-Bagarah, et conti- nuoit par Chybyn el-Koum. Quant à la Sébennytique d'Hérodote, c'étoit la même que l'Athribitique de Ptolémée. À la vérité, il y a dans les canaux aujourd'hui existans et représentant, selon moi, cette dernière, une petite interruption vers Qaranfyl (2); mais c’est probablement une partie comblée par les dépôts du Nil et par la culture : la distribution des eaux ne permet guére, je pense, une autre explication. La portion du canal de Felfel qui avoisine sa prise d'eau dans la branche de Damiette à Kafr el-Syâfé, me paroît être un canal de communication qui s'est établi par la suite des temps, et il en est peut-être de même de la (1) Woyez le Mémoire sur la géographie comparée,et nication de moins d’une lieue, aujourd’hui oblitérée , la carte ancienne et comparée de la basse Egypte. allant rejoindre, vers Qarqachandé, le petit canal qui se (2) Du canal principal sort une dérivation à Sendyoun. jette dans le bras de Felfel à el-Ahmar. Entre Qahà et Qaranfyl, on suppose une autre commu- portion ET DE LA PROVINCE DU KAIRE. CHAP. XX. 17 portion de la branche de Damiette comprise entre la tête du canal de Melyg et celle du canal de Moueys. Cette dernière communication, ouverte par le poids des eaux à une époque où l'encombrement de la Sébennytique de Strabon les aura forcées de refluer vers l’est, a ainsi réuni cette branche avec la Sében- nytique d'Hérodote. Je terminerai en faisant remarquer que cette dernière cor- respond non-seulement à l'Athribitique, maïs encore à la Phatnique de Strabon jusqu'à Iséopolis, et que son embouchure est la même que celle du canal Achtoun- Gammaseh ou la bouche Pineptimi, l’une des deux fausses bouches du Nil, tandis que la Sébennytique de Strabon, après avoir arrosé Onuphis, Buto, Paralus, se jetoit dans la mer au même point que la bouche actuelle du lac Bourlos (1). Enfin une petite portion de la branche Busiritique de Ptolémée coule dans cette pro- vince : c'est le canal qui sort de l'Abou-Meneggeh {ou du Pélusiaque) à Chybyn el-Qanäter, se dirigeant vers le nord; il rejoint la branche de Damiette à Mansourah. SAVE Restes antiques à Choubrä, Qelyoub, Ramleh, el-Choumour et Myt-Kenän. La position de Choubrä el-Kheymé à l'ouest d'Héliopolis n'est pas assez éloi- gnée des ruines pour qu'on s'étonne d'y trouver des morceaux antiques. J’y aï vu, ainsi quà Damanhour-Choubrä, des fragmens de colonnes de granit, et quelques tronçons de colonnes disposés en meules coniques (2). Qelyoub, située à environ deux lieues et demie des restes d'Héliopolis, renferme une grande quantité de débris. En succédant à Héliopolis, comme je crois qu'elle la fait, cette bourgade fut sans doute bâtie en grande partie avec les matériaux de la ville Égyptienne. J'y ai vu, dans les rues, des blocs et des fragmens de colonnes en granit, et, dans la cour d’une maison, le piédestal et partie du fût d’une colonne dont les moulures sont parfaitement sculptées, et de l'époque Romaine (3). La porte de ia maison avoit pour seuil une pierre Égyptienne, ornée de figures et d’hiéroglyphes bien conservés. Qelyoub est une ville bâtie en pierres et en briques, de 2900 mètres [environ 1 $00 toises | de tour, située très-agréablement non loin de l’ancien canal Athribi- tique; celui-ci sort de l’Abou-Meneggeh, canal encore navigable, large de 40 pieds et profond de 4. Elle renferme cinq mosquées, dont une très-grande, une école, une assez belle place, des fabriques, des bazars et des marchés fréquentés par une grande affluence de peuple : cependant elle est bien moins peuplée que son étendue ne le comporte. Les environs de la ville sont embellis par des jardins, qu'ombragent des arbres magnifiques, orangers, citronniers, sycomores, et abreuvés par des citernes bien entretenues. Quelques restes d’antiquité existent dans l’ouest de la province: par exemple, à Qarqachandé près de Tersé, et à Komboutin, où sont de très-anciennes (1) Voyez a carte ancienne et comparée de la basse Égypte. (2) Voyez E. M, Artser Métiers, pl.1, fig. 7, XII et X XVI. (3) Voyez À. vol, V, pl. 27, fig. 15. À. D. C ] 8 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS DE LA VILLE constructions en briques; vers le nord, à el-Choumout, fort village sur une des branches du canal de Felfel, où l’on voit un ancien pont en briques de trois arches, parfaitement bâti et non de construction Arabe (d'environ 16 mètres et demi sur 8 ); une grande digue aussi en briques, servant à élever le niveau des eaux ; à Myt-Kenän, gros village à trois mosquées, sur la même dérivation du canal de Felfel, avec un grand pont en briques de quatre arches es plein cintre, pont d’une très-bonne et ancienne construction, qui a été réparé grossièrement par les Arabes et qui est long de 23 mètres, large de 6; plus loin, un autre pont semblable, de deux arches, et une digue ancienne et solidement construite en briques, qui sert de chaussée en même temps qu’elle retient les eaux de l’inon- dation. Tout ce travail et le ciment sont de la même sorte que ceux de la digue d'Athribis, et appartiennent à la même époque. L’arrangement des briques du pont, obliquement disposées, est digne de remarque. Enfin autour du lieu sont des citernes d’un travail antique. Tous ces ouvrages d'art me paroïssent fixer la place d’un des principaux cours d’eau qui existoient dans l'antiquité. Aïnsi le canal Athribitique, dérivé lui-même du Pélusiaque, donnoit naïssance , autrefois comme aujourd'hui, à une branche navigable, dirigée vers l’est, et s’écoulant du côté de Tanis : c'est la branche Saïtique d'Hérodote, et Tanitique d’autres auteurs. On trouve d'ailleurs à Myt-Kenäân des tronçons de colonnes de granit, des fragmens cannelés; un de ces tronçons porte une tête sculptée, un peu usée, qui paroît être celle d’un belier {1 }: une des colonnes avoit 2 mètres de diamètre. D’anciens murs en briques et leur ciment portent le cachet de la haute antiquité. Tout porte donc à croire qu'il y avoit là une ancienne position. En outre, à une lieue et demie au nord-est de Myt-Kenän, j'ai vu une longue butte de ruines, du même aspect que celles d’Atryb. Les Arabes rapportent qu'il y avoit à anciennement une ville. S, VI. Scenæ veteranorum , Onion, Castra Judæorum. : Les auteurs modernes ont placé Srenæ veteranorum en divers endroits, et l’on n’est point d'accord sur cette position : d'Anville supposoit ce lieu à el-Khanqah; il en est de même du P. Sicard : mais je ne croïs pas que le voyageur qui aura examiné le village de CAybyn el-Qanäter, où Chybyn des Ponts, et jeté ensuite un coup-d'œil sur l’Itinéraire d’Antonin (route d'Héliopolis à Péluse) puisse hésiter sur cette question. L’Itinéraire assigne une distance de x milles Romaiïns entre Scenæ veteranorum et Hell où Héliopolis : or on trouve exactement ces quatorze milles entre l'obélisque d’Héliopolis et le pont de Chybyn (2). En second lieu, ce pont en pierres de taille, ayant quatre arches en plein cintre (quoïqu'inégales), est l'ouvrage des Romaïns; on n’en peut douter, en le comparant aux ponts de (1) J'ai cru voir d’abord autour de cette tête des rayons un autre XVIII, pour la distance d’Æeliu à Scenæ vetera- figurés; mais je conjecture que la pierre a été façonnée norum. Le choix entre ces nombres n’est pas douteux, à pour une meule de moulin, et que ce sont simplement cause de Ia position par rapport à Thoum; de plus, lune des traits creusés pour faciliter la mouture. des unités 1 a été changée évidemment en V, comme il (2) L'Itinéraire donne en cet endroit x1t11 milles, en est arrivé souvent, ET DE LA PROVINCE DU KAIRE. CHAP, XX. r9 la plaine des pyramides et de Beçous, et aux nombreux ponts Arabes de la pro- vince. Les fondations et les arches sont évidemment romaïnes ainsi que tout le travail, sauf les parties accessoires que les Arabes y ont ajoutées. Les piles sont garnies d’éperons saillans, en forme de prismes triangulaires; une partie du pont est en briques : le lecteur peut consulter à ce sujet les dessins gravés dags l'ouvrage (1). On a pratiqué une digue en briques, du même travail que le pont, et qui est aujour- d’hui en ruine; elle servoit à retenir les eaux du canal Abou-Meneggeh du côté du midi. En troisième lieu, Chybyn renferme diverses constructions antiques qui démontrent l'existence d’une ancienne position. Au reste, des ponts étoient indispensables en cet endroit pour traverser la branche Pélusiaque et se rendre à Phelbès, à Wzcus Judæorum, à Thoum, &c. Pour un motif que j'ignore, un second pont a été construit sur le canal, non : loïn du premier. Le village de Chybyn est encore un des plus considérables de la province; il est placé au point de concours de deux canaux et auprès d’un troisième. C'est B, selon moi, que la branche Busiritique de Ptolémée sortoit de la Pélusiaque. Quel étoit le nom antique de cette position! on l'ignore. Celui de Scenæ vete- ranorum est assez récent, puisqu'il indique une station militaire du Bas-Empire, les tentes ou le camp des vétérans. D'après la Notice de l'Empire, des cavaliers appelés Thamuden: y étoient en résidence (2). A Tahoury, près de Chybyn, j'ai vu le piédestal et partie du fût d'une colonne en granit. De Scenæ veteranorum à Onion, la distance étoit d'environ une lieue au sud- sud-est: On sait qu'il y a eu en cet endroit un temple fameux, que Ptolémée Philométor permit au pontife Onias d'élever : il fut fermé sous Vespasien. Ce nom d'Onion rappelle celui d'Héliopolis : Oz étoit le nom du soleil en Égypte, selon S. Cyrille; et la traduction Latine du mot #Afou dans la Géographie de Pto- lémée est On, et même Héliopolis est appelée QN dans la version Copte de l’Exode et dans beaucoup de manuscrits Coptes (3). Ce nom ne peut donc être sans rapport avec Héliopolis. Je regarde le lieu comme étant le même que celui qui s'appelle aujourd'hui 7e/! Yhoudyeh, c'est-à-dire, la Colline des Juifs : c’est une butte ou massif de ruines très-étendues, qui paroît composée en entier de terres rapportées, et qui forme comme un pâté isolé de toutes parts au milieu d’une plaine : ce lieu seroiït excellent pour un observatoire; aussi} de ce point, j'ai relevé un grand nombre d’angles et de positions. Je n'y aï pas aperçu de cons- tructions en pierre, mais j'ai vu seulement des excavations et des fouilles très- considérables. | On a placé Vicus Judæorum à Tell-Yhoudyeh, et j'avois d'abord adopté cette (1) Voyez É. M. vol. I, pl. 74, fig. 5. Ce monument auroït pu être placé dans la partie des Antiquités , sans les détails modernes qui sont ouvrage des Arabes, (2) Sub dispositione viri spectabilis Comitis rei militaris per Ægyptum, ....… EQUITES SARACENI Thamuden: À. D. Scenis veteranorum, ( J, Pancirol. Comment. in Not. dignit. utr. imp. pag. 87.) (3) Voyez d'Anville, Mémoires sur l'Égypte, page 114, et les Mémoires hist. et géogr. sur l'Égypte, par M. Et. Quatremère, tom. I, p. 420. Voyez aussi l'Egypte sous les Pharaons , par M. Champollion jeune , t. Il, p. 41. C2 20 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS DE LA VILLE opinion ; mais jé crois qu'il faut l'abandonner. Il me paroït qu'on s'est décidé par une simple analogie, par le seul rapport des noms : c'est ainsi qu'on a placé Selæ à SMehyeh, &c.; mais on n’a pas fait attention qu'il existoït de ce côté trois positions appartenant aux Juifs, ét pouvant donner lieu au même rapprochement: alors pourquoiflacer lune plutôt que l'autre à Tell-Yhoudyeh' Ce sont Oro, Castra Jadæorum et Vicus Judæorum. W existe un lieu correspondant pour chacune 4 elles; et, quant à la dernière, les distances de lItinéraire s'opposent absolument à ce qu'on lui assigne Tell-Yhoudyeh pour emplacement, Vicus Judæorum étoit à xxxvi milles de la Babylone d'Égypte, sur la route de Thou ou Thoum | même lieu que Pithom }, aujourd'hui A’bbâçeh. C'est une condition à laquelle il faut satisfaire. Or il existe un lieu qui la remplit parfaitement, comme on le verra plus loin, qui est bien à xxxvI milles des ruines de Babylone, sur une ligne plus orientale, et cette ligne passe par el-Khanqah, lieu important sur la limite du désert, jadis plus peuplé et habité. C’est un point sur lequel je reviendrai dans le chapitre XXIT des Antiquités. Onion (1) étoit, selon Josèphe, distante de 180 stades de Memphis; je soup- çonne qu'on a écrit cent pour deux cents, et qu'il faut lire 7 au lieu de pæ: la mesure de 280 stades tombe en effet juste sur Tell-Yhoudyeh, à partir de la partie sud de Memphis. C'est entre la branche Pélusiaque et le Trajanus canals (qui, je crois, remonte à une haute antiquité), et par conséquent dans une posi- tion isolée et facile à défendre, enfin sur les ruines d’un ancien temple de la déesse Bubaste (s'il faut en croire Josèphe), que le temple Juif fut élevé, ainsi que les habitations contiguës. Le monument avoit, dit-on, 80 coudées d'élévation. La position de ‘HA L'on] est essentiellement différente de ‘Hauomax, et Ptolémée a été critiqué à tort par d'Anville et d’autres savans. Il donne la même longitude à ces deux villes : c'est ce qu'on reconnoîtra sur la carte comme exact (2). À la vérité, il suppose 20’ de différence en latitude, et la différence est moindre dans les cartes modernes. Au reste, pourquoi s'étonner de voir dans le même nome deux lieux différens, ‘HAov et ‘HawouümAis, puisqu'on retrouve dans la province, outre les ruines de ON [ Héliopolis |, celles de Onion, Heku, indi- quées par Josèphe, aussi bien que par Ptolémée! A l'égard de lautre position des Juifs, dite Castra Judæorum, citée dans la Notice de l'Empire, je lui assigne pour place un lieu couvert de ruines, qui est peu éloigné de Téll-Yhoudyeh vers l'est, maïs sur la rive droite de l'amnis Trajanus. $. VII. Noub, Abousyr, el-Khousous, Auleu. Le Qelyoubyeh, ou la OURS de Qelyoub, renferme encore HE autres lieux qui ont succédé, selon moi, à des positions antiques, mais où l'on observe peu de ruines antiques. Les villages de Noub et de Tahä-Noub sont dans ce cas; (1) Voyez la Description des antiquités de l’isthme de (2) Voyez la carte ancienne et comparée de la basse Soueys, par M. Devilliers, ch. XXIV, A. D.tom, II. Egypte. ET DE LA PROVINCE DU KAIRE. CHAP. XX, | 2 I ils rappellent par leur nom celui de plusieurs lieux de l’ancienne géographie de l'Égypte, tels que CA-nub-is et Ca-nob-us, terre d'or, selon Aristide le sophiste (1) (de Kahi-nnoub, K&s1 kxo%8 ): de là peut-être A-nub-1s. Je pense qu'on rencon- tréra quelques anciens vestiges en ces deux endroits, placés sur la branche Pélu- siaque, et que je n'ai guère fait que traverser. Selon un savant orientaliste, Toxso xwow& signifre en copte le lieu de l'or (2). J'ignore si ce mot de vo%sv doit se traduire par # feu , mais on ne peut nier la conformité du nom de la position Copte avec le nom actuel. C’est sans doute encore une ancienne position qu'Abousyr, villagé aujourd’hui dans de désert, auprès de Birket el-Hâggy, ou du lac des Pélerins. Ce nom, on le sait, a été imposé par les Arabes à des lieux appelés jadis soit Taposir-1s, soit Busir-is, comme près d'Alexandrie, de Semennoud, de Memphis, et aussi en divers endroits de la haute Égypte. On ne peut nier que les Grecs eux-mêmes n'aient altéré les noms antiques, ainsi qu'ont fait à leur tour les Arabes des noms Grecs (3); ceux-ci n'auroient-ils pas retranché arbitrairement la première syllabe du nom du lieu, qui est Tuposiri en copte, et fait de là Bwsiris ! Dans un autré cas, ils auroïent conservé le nom tout entier, comme dans Ta-posirs. Les Arabes, à leur tour, n'ont-ils pas du premier de ces mots, Busir-1s, fait A-bousir, non pas pour compléter le nom un peu davantage, mais pour placer devant B-ousir l'élif initial par pure euphonie, comme üls ont fait dans Æ-sné, A-sonän, A-khmym, À syout, A-sfoun, &c., où peut-être pour introduire ici bizarrement le mot 4407 de leur langue, suivant une pratique qui leur est familière! Quoi qu'il en soit, le nom d'Osiris figure constamment dans tous ces mots, et le nom antique y subsiste avec le retranchement soit d'une lettre par les Arabes, A-bousir; soit de deux lettres par les Grecs, B-ouoip46, et par les Arabes, B-ousyr (4). » FI-Khousous est un fort village où j'ai aperçu beaucoup de fragmens antiques en granit et en grès. Je les aï crus d'abord apportés des ruines d'Héliopolis, l’'obélisque en étant éloigné d’une lieue; maïs, en y réfléchissant, j'ai renoncé à cette opinion. Les morceaux antiques d’el-Khousous n'ont pas été transportés d’ailleurs, et ce lieu me paroît être sur le site même des ruines d'Héliopolis : ce point étoit la limite septentrionale dela ville. En effet, depuis l'aiguille jusque A, on rencontre des débris de tout genre, et le terraïn est souvent plus élevé que la plaine, et il y auroit continuité de sol d’un bout à l’autre, comme dans le sens de l’est à l’ouest, depuis Faiguille jusqu'au Zryanus canahs, si la terre navoit pas été couverte de limon, et si la charrue n'avoit pas nivélé plusieurs parties. Il ne faut pas borner Héliopolis à l'enceinte de chaussées ou de remparts située à la partie méridionale, au milieu de laquelle se trouvoit le temple, et où subsiste éncore l’obélisque, ni la circonscriré dans l'enceinte polygonale qui est plus loin, puisque, dans l’espace d’une lieue au-delà, tant au nord qu'à l'ouest, il y a (1) Orat. Ægypt. t. HI, p. 698, ed. S. Jebb. Voyez encore plus bizarre de l’altération des noms par les Arabes. Jablonski, pag. 3 et 141, etle Dictionnaire de Lacroze. (4) Voy. Description de Memphis (ci-dessus, ch. XVIII, (2) Voyez l'Egypte sous les Pharaons, par M. Cham- p. 26), où plusieurs réflexions sur cette même question pollion, t. II, page 43. sont présentées avec de légères différences. Voyez aussi (3) Voyez ci-après, dans le chap. X XII, un exemple ci-après, ch. XXIT, sect. I.'e, $. II. 22 ANTIQUITÉS DE LA VILLE DU KAIRE. des ruines, des décombres et des débris de toute espèce. À el-Khousous, en par- ticulier, J'ai vu des fragmens de statues colossales et des chapiteaux d’un beau tra- vail, qui n'ont pu être transportés. L'un de ces chapiteaux est de fort belle brèche siliceuse (1); sa matière est le beau grès Memnonien, matière dure, que les sculp- teurs ont trouvée peu loin de là, à Gebel el-Ahmar, la Montagne Rouge (2). Il est à côtes au nombre de huit, et rappelle ceux de Louqsor et de plusieurs autres villes. J'ai trouvé ce beau morceau auprès d’une salle de baïn (3). Au même lieu, j'ai vu une tête colossale, qui devoit avoir 8 décimètres : en propor- tion la figure entière avoit environ 6 mètres. Du côté du couchant, je crois que la ville s'étendoit jusqu'à Moutsourad ou Mytsarad, et peut-être à Behtym; enfin, à l’est, du côté du désert, il y a des ruines de peu d'importance. La plaine est sablonneuse et très-peu élevée au-dessus du sol cultivable. On peut conclure qu'Héliopolis avoit du nord au sud environ $o0o mètres, et de l'est à l’ouest au moins 3000, espace qui supposeroit une population de 200000 habitans, en admettant les deux tiers de celle de Paris. Si l’on faisoit des fouilles dans cet es- pace, travail digne d’un gouvernement éclairé, on trouveroit, je n'en doute point, des restes précieux d’une ville qui fut la troisième de l'Égypte ancienne en gran- deur et en célébrité (4). La Table Théodosienne renferme une position qui m’a long-temps embar- rassé, c'est celle d'Avlez, nom quon chercheroït vainement ailleurs. Elle a échappé à d'Anville; je croïs avoir reconnu que ce n'est qu'un seul et même lieu avec Héliopolis. Il me paroît certain que c’est un nom corrompu venant du mot Helu de Itinéraire. II est vrai que, dans la Table, Aweu est à la gauche de la branche Canopique, maïs c’est par suite du système de construction de cette partie de la carte. Auleu, comme Heliu, étoit à xx1v milles de Memphis; Baby- lone étoit au milieu, entre ces deux stations. Ce qui paroît d’ailleurs une con- frmation décisive, c’est que d’Auleu à Nicii il faut xxxvi milles, suivant la Table Théodosienne, et c'est ce qu'on trouve exactement entre Héliopolis et Menouf, lieu reconnu pour être le même que Nicii, ou le chef-lieu du nome Prosopites (5). (1) Le grès dur n’a pas été travaillé en chapiteaux ou en colonnes dans la haute Egypte. Les premiers sont tou- jours en grès tendre ou en pierre calcaire; on doit penser que le füt de celui d’el-Khousous étoit aussi en grès- poudingue. . (2) Voyez la Description des environs du Kaire, $. IV. (3) Voyez planche 27, A. vol. V, fig. 2. (4) Je dois renvoyer ici au chapitre XXI, Ant. Descr., consacré spécialement à Ia description d’'Hélio- polis, comme je l'ai déjà fait au commencement de celui-ci. (s) C’est ici une nouvelle application de la règle que j'ai eu plusieurs fois occasion de signaler; savoir , que les distances des itinéraires, et même celles des anciens au- teurs, sont exactes si on les prend en ligne droïte, et ne sont exactes qu’en ligne droite; d’où jai conclu que toutes ces distances avoient été relevées d’après une échelle sur une ancienne carte Égyptienne ; Mais non prises sur les contours d’un chemin fréquenté réellement, et ensuite converties en mesures Grecques et Romaïnes. Voyez les volumes d’Antiquités- Mémoires etd’Antiquités- Descriptions. DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D’A‘THRIBIS, DE THMUI, LM DE PLUSIEURS NOMES DU DELTA ORIENTAL ; PAR M. JOMARD. ER D D D D D D D D D D. CHAPITRE XXII. IS IT I OT I OS SO TS SECTION PREMIÈRE. Description des Ruines d'Athribis, et Remarques sur les villes des Nomes d'Athribis, de Busiris, de Pharbeætus et de Bubaste * “, L.<* Nome Athribites. ATHRIBIS, PSENACO, PANAHO,. Quorqu'i n'existe pas de distances itinéraires rapportées par les anciens auteurs pour fixer l'emplacement de l’ancienne Athribis par rapport à des lieux connus, il n'existe cependant aucune incertitude sur sa position. Des ruines très-étendues, situées sur la rive droïte de la branche actuelle de Damiette, et très-près du canal de Felfel (qui est l’ancien fleuve Athribitique), portant le nom d’Awryb, enfin placées à la latitude que Ptolémée assigne à la ville d’Athribis, lèvent toute espèce de doute sur la correspondance de ce lieu avec l'ancienne capitale du nome Athri- bitique. Ptolémée donne pou latitude e 30", et dans la carte moderne le village d'Atryb est par 30° 29 , à fort peu près. Le nom de la ville ancienne est écrit dans Étienne de Byzance d’une manière particulière, savoir, Afharrabis, Abappalis : ce qui semble avoir fait croire à plu- sieurs savans que le mot Arhribis étoit une contraction, les premières syllabes du mot formant le nom d’une divinité Égyptienne (Athor). On trouve aussi dans Pline le mot Afharrabites, et dans le même Étienne, Adapeæu@n. Le P. Sicard, dans sa carte, a supposé une Ville sous chacun de ces deux noms. Mais ni l’une ni l’autre de ces hypothèses ne paroïssent avoir de fondement, et les auteurs modernes * Pour ce qui regarde la circonscription des nomes, consultez le Mémoire sur la géographie comparée. A, D. / A 2 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS s'accordent à regarder les noms dont il s'agit comme corrompus. On sait que bien d'autres noms rapportés dans le traité d’Étienne de Byzance ont été altérés et défigurés. Athribis a conservé long-temps l'importance qu’elle avoit sous les anciens rois, et même elle a vu accroître sa splendeur. Chef-lieu de préfecture sous les Grecs et les Romains, elle étoit, à l’époque d'Ammien Marcellin, l’une des plus grandes villes de l'Égypte (1); long-temps elle’ fut sous les Chrétiens un siége épiscopal. Dans la Notice d'Hiéroclès, elle figure au nombre des sept villes principales de la seconde Augustamnique (2 ). Hérodote ne dit rien de particulier de la ville d’Athribis; il se borne à la nommer comme le chef-lieu d'un nome (3) : il en est ainsi de Pline, maïs sous le nom d’Afharrabites nomos , comme je viens de le dire (4). Aucun auteur ne parle du culte qui étoit observé dans cette ville, si ce n'est Strabon, qui rapporte qu'on y révéroit la musaraïgne {$). Le culte rendu à la musaraigne est attribué par Plutarque à ce que cet animal est aveugle, et que l'obscurité, ditil, est plus ancienne que la lumière (6). On voudroit pouvoir reconnoître sur les médailles frappées pour ce nome la figure symbolique que la figure placée au revers tient en sa main comme symbole religieux; maïs elle n’est pas assez grande pour qu'on puisse y discerner autre chose qu'un quadrupède à jambes hautes, qui auroit quelque rapport avec le chacal, s'il n'étoit pas presque dépourvu de queue {7). I ressemble au reste encore moins à la musaraigne, sorex, le plus petit des quadrupèdes connus (8). A cet égard, les passages des auteurs, comparés entre eux et aux monumens, pré- sentent de la confusion. Nous voyons dans un auteur que les musaraïgnes étoient honorées à Athribis, et, dans un autre, qu'elles étoient embaumées et transportées à Buto. Hérodote, qui nous apprend ce dernier fait, ne le rapporte point pour la ville d’'Athribis. Le même Hérodote nous dit que le chat étoit à Bubaste l’objet de la vénération, tandis que la médaille du nome de Bubaste nous montre {et c'est la seule ) une figure de musaraïgne, ou du moins un rat extrêmement petit, Enfin la médaïlle du nome de Phtheneotes, dont Buto étoit la capitale, a pour attribut un enfant assis sur un lotus. Pour revenir aux médaïlles d’Athribis, il n’y a qu'un type qui repré- sente un quadrupède : les autres contiennent l’image d’un oiseau, où Zoëga a cru distinguer une colombe; maïs cette opinion n’a pas été adoptée par les savans (9). Un profond orientaliste s'est étendu au long sur l’histoire d’Athribis (10), et il sur Îles nomes d'Égypte, par M. Tôchon d'Annecy. (1) Lib. xx11, c. 16, p. 431, ed. Valesio. (8) Le voyageur Olivier a figuré des ossemens de la (2) ‘Tceoxacods Suyéxduos, Voyez Vetera Romanorum Ltineraria, Amstelod. 1735, p. 728. (3) Lib. 11, c. 166. (4) Lib. v, c. 0. (s) Lib. xvit, p. 802 et 813. (6) Symposiac. Nb. IV, quæst. V. (7) La légende porte AOPIBITHS. Voy. planche 58, Ant. vol. V, fig. 29, et Mémoire de l’abbé Belley sur les médaïlles des villes et nomes d'Égypte ( Mémoires de l’Acad, des inscript. et belles-lettres, t. XX VIII, p. 529 ); Médaillesimpériales d'Égypte, par Zoëga, et Recherches musaraigne, qu'il a trouvés parmi les momies de Sagq- qârah et qu’il a rapportés. ( Voyage dans l’empire Orto- man, &c. t. II, p. 94, et pl. 33, fig 1.) | » (9) On peut conclure de ces rapprochemens, qu’il est bien difficile de tirer parti des attributs représentés sur certains nomes d'Égypte pour l’histoire du culte. Néan- moins il en est beaucoup d’autres, comme ceux de Men- dès, Léontopolis, &c., qui sont bien caractérisés. (10) M. Et. Quatremère, AMém. géograph. et hist, sur l'Égypte, t.I,p.1. D'ATHRIBIS, DE THMUIS CHAP, XXII. 3 a mis hors de doute que son nom, dans les manuscrits Qobtes, est écrit constam- ment Athrebi, zepn8s. Je renvoie le lecteur à son ouvrage { 1), et je passe à la description des restes actuels de la ville d’après mon journal de voyage; toutefois j'emprunterai quelques mots à M. Ét. Quatremère : « Au rapport d'Ebn al-Kendy, » dit-il, il ya en Égypte quatre districts, qui n’ont pas leur pareil sur la surface de » Ja terre : ce sont le district d’Atryb, &c.» C’est à peu près ainsi qu'Ammien Mar- cellin plaçoit Athribis au rang des quatre principales villes de l'Égypte. « Cette » ville, dit Ebn Ayäs, avoit douze milles de longueur sur autant de largeur. Ses » portes étoient au nombre de douze. Les eaux du Nïl pénétroïent dans cette ville » par un canal, et circuloïent autour des habitations. » On verra tout-à-lheure ce qui subsiste encore de cet ancien état de choses. Les ruines encore visibles d'Athribis occupent un espace considérable, indé- pendamment de celles qui ont disparu sous les alluvions du Nüil et lé travail de la charrue. On les trouve à environ 400 mètres | 200 toises | au nord de Benhà el-A’sal, sur la rive droite de la branche dé Damiette. Elles forment une sorte de pentagone dont la diagonale, dirigée au nord, a environ 2000 mètres] 1000 toises |. C'est une grande éminence, composée d’une suite de buttes élevées, d’une couleur noire ou rougeätre ; elle a environ 1600 mètres | 800 toises | de longueur, 1020 mètres | $ 14 toises ] de largeur sur le Nil, et 136$ mètres | 700 toises | dans sa plus grande largeur. Le périmètre de ces buttes de décombres est de 4824 mètres [ 2474 toises | (2). Elles sont recouvertes de poteries, de briques et verreries brisées, de débris de granit et de pierres diverses, et pes de fouilles et d’exca- vations. Un village du nom d'A, une est bâti à l'angle nord-est, et contigu aux ruines. La grande étendue des ruines est presque le seul vestige de la splendeur d'Athribis; car tous les monumens sont renversés, et à peine trouve-ton les parties inférieures de quelques constructions : tout a été détruit de fond en comble, et anéanti à la suite d’un incendie ou de quelque autre catastrophe. Il subsiste cepen- dant un assez beau vestige de la grandeur et de la régularité de la ville ancienne; ce sont deux magnifiques rues, dont la largeur n’est pas de moins de 42 mètres [ 129 pieds |. Elles se coupent à angle droit, et partagent toute la ville en quatre parties : aujourd'hui elles servent encore de route aux paysans qui vont d’Atrÿb à Benhà, et, dans l’autre sens; à Kafr Gezâr, sur la rive gauche du Nil. De chaque côté de la rue, l'on voit sur pied les restes de quelques constructions formées de briques cuites au soleïl, de même que toutes celles de la ville : elles sont d’une grande dimension et liées avec de la païlle. À droïte de la rue qui va au Nil, j'ai vu deux fûts de colonnes : l’un est debout et enterré; l'autre est un fragment couché à terre, de 17 [ $ pieds | de long: Au- delà de la rue transversale, j'ai remarqué une construction en briques, aussi enterrée, dont la sommité a quatre toits inclinés en forme de pyramide. La partie saïllante (1) Voyez aussi l'Égypte sous les Phdraons, par M. Champollion, qui cite ces autres formes Z#PEB1 en dialecte Thébain, ZBPHIE, et SHARE, orthographe curieuse, à cause de la substitution du À au p- (2) Voyez le plan des ruines, que j’ai levé géométriquement, Ant. vol. V, pl. 27, fig.7. AERD) A 2  DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS a 20 mètres | 10 toises | de longueur. Je regrette de n’avoir pu faire de fouilles en cet endroit. Le sommet du couronnement est dégradé, et les faces le sont éga- lement en beaucoup de parties. Je ne puis faire aucune autre conjecture, si ce n'est que ce petit monument étoit réellement une pyramide, maïs sans pouvoir assigner sa destination (1). Un peu plus loin est une salle découverte, en partie debout, et dont le plan est assez remarquable. Ses dimensions sont d'environ 7"8 sur $"85 [ 24 sur 18*] (2). Vis-à-vis, sur le sol de la rue, gisoit un bloc de granit couché, de 1 mètre | 3 pieds ] de long sur 0"67 [| 2 pieds | en carré. La matière est des plus belles ; je n'y ai découvert aucune trace de figures ni d’hiéroglyphes. En suivant la grande rue, toujours vers le Nïl, on arrive à un point où les ruines s’écartent à droite et à gauche : cet espace forme une sorte de triangle alongé dont la base est le bord du fleuve; c'est une plaine traversée par une dérivation du Nil, sans aucun indice de ruïnes. On présume que la ville étoit terminée en cet endroit par un port demi-circulaire ; aujourd'hui cet espace est à sec et couvert d’épines (3), et le canal y apporte peu d’eau. En même temps qu'il s'est creusé, le sol voisin s’est élevé par les alluvions du Nil et par les sables que les vents y ont chariés, de ma- nière que l’inondation n'y atteint plus dans les crues ordinaires. Le village actuel, comme on l’a vu, a retenu parfaitement le nom antique; il est assez peuplé et gouverné par trois cheykhs : on y voit une mosquée à minaret. Il est infesté d’une grande quantité de renards, qui ont leurs repaires dans les dé- combres. La quantité considérable des agates et des petits caïlloux qu'on y trouve mérite d’être remarquée : comme j'ai rencontré la même chose dans les ruines des anciennes villes, et que ces caïlloux sont précisément les mêmes que ceux qu'on voit à la surface du désert, c'est-à-dire , des quartz roulés, colorés, transparens, opaques, &c., on pourroit en tirer une conséquence intéressante, savoir, que les lieux d'habitation ont été établis ou ont pris naissance dans le désert même, ou bien qu'on a exhaussé le sol par les sables apportés du désert. C’est pour cela que, lorsqu'on pratique des fouilles profondes, ces fouilles font reparoître les caïlloux. | Sur le bord du Ni, entre Benhä et les ruines, sont des tours en briques cuites, dont le plan est elliptique et de 8 mètres sur 4 mètres | 4 toises sur 2 toises |. Pour en comprendre l'usage, il faut les comparer à des puisards absolument semblables pour la forme et la construction, que j'ai vus en d’autres endroïts dans l’intérieur des terres. L'eau du Nïl entre par des ouvertures étroites, et de à on l'élève au moyen des roues à pots. | A l'extrémité nord des ruines, sur le Nil, est une grande construction, ouvrage antique, parfaitement exécuté avec un excellent ciment, et en briques cuites qui ont été disposées en assises régulières. Elle a sur le Nil deux pans, ou faces à angles très-obtus, l’une d'environ 20 mètres | 10 toiïses |, et l'autre de 1 4 mètres | 7 toises ]. On distingue dans chaque face trois arcades en plein cintre, également en briques, et qui portent le poids supérieur. Je ne doute point que cet ouvrage d'art, qui se rattachoït peut-être à un système de quaï, n'appartienne à l'antiquité. Un pan de (1) Voyez pl. 27, Ant. vol. V, fig. 7, 4 (2) Ibid. fig. 7, 5, 6. (3) Hedysarum alhagi, ibid. fig. 7. D'ATHRIBIS, DE THMUIS. CHAP. XXII. $ muraille étant tombé, a été reconstruit, ou plutôt remplacé par un mur en briques, assez bien fait lui-même, maïs avec un ciment différent, et d’un travail qui est loin d'égaler l'exécution du reste. Dans celui-ci, on reconnoît la main des Arabes, et dans l’autre, celle des anciens. Au reste, cette digue a aussi l'aspect d’une construction propre à la défense. Les modernes y ont établi une roue à pots (1). En suivant les ruines le long du fleuve, on remarque une autre partie d’en- ceinte aussi revêtue et en forme de quai, depuis l'évasement des ruines jusqu'à l'angle sud-ouest. Elle est très-solide, quoïqu'on l'ait bâtie en briques crues, et que, tous les ans, elle supporte le poids d’une masse d’eau énorme avec l’action d'un courant rapide : c'est ce qu'on voit d’ailleurs aux ruines de Thèbes, à Louqsor. Peut-être ce quaï fait-il ici, comme à Thèbes, fonction d'éperon, tant pour soutenir Îes eaux que pour diriger le courant (2). Il paroît, d'après ces vestiges, que, dans cette partie de son cours, le Nil coule dans le même lit qu'autrefois. On ne fait plus de fouilles depuis long-temps dans les ruines d’'Athribis; c’est du moins ce que mont assuré le cheykh et différens habitans, et c’est par le motif que les dernières avoïent été infructueuses. Cependant ïl est difficile de croire qu'on n'y trouvât pas, si l'on cherchoiït avec soin, des fragmens, des vases, des médailles particulièrement de nome, et d’autres antiques. Quant aux mo- numens en pierre, si aujourd'hui lon n’en voit pas, pour ainsi dire, de traces, pas même les matières dont on les avoit construits, il ne faut pas en être surpris, en songeant avec quel acharnement les habitans modernes ont converti en chaux tout le marbre et la pierre calcaire qu'ils ont trouvés dans les villes an- ciennes. On sait qu'en Égypte, et surtout dans la basse, les restes de l'antiquité les seuls ou les mieux conservés sont ceux qui sont éloignés des habitations actuelles. La raison en est que le transport des pierres volumineuses, qui n’étoit qu'un jeu pour les anciens Égyptiens, est un obstacle trop difhcile à vaincre pour leurs apathiques et ignorans successeurs. Les restes aujourd’hui visibles d'Athribis ne peuvent se comparer, même pour l'étendue, aux villes de la haute Égypte; cependant je crois qu'ils méritent de fixer l'attention des voyageurs à venir, tant sous le rapport des fouilles qu'il reste à faire afin d'y trouver des fragmens d’antiquité, que pour éclaircir l’histoire d'une ville qui paroïît avoir joué un rôle de quelque importance pendant une assez longue suite de siècles. Dans le chapitre XX ci-dessus, j'ai parlé de la branche Athribitique et de la branche Busiritique , qui forment en grande partie le nome d’Atryb. I suffira donc ici de dire qu'une ligne dirigée de Benhà el-A’sel à Chybin el-Qanâter {la même qui divise encore la province de Charqyeh de celle du Kaïre) limitoit cette ancienne préfecture au sud-ouest, et le Busiriticus fluvius de Ptolémée à l'est, jusqu'à el-Tybeh AU. La limite à l’ouest est une ligne oblique d’el-Tybeh (1) Voy. pl.27, Ant. vol. V, fig. ?, 9. Dansla vue, on a supposé la construction baïgnée parles hautes eaux du Nil. (2) Ibid. fig. 7. 6 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS à la branche de Damiette, ligne qui est aussi aujourd'hui la séparation entre la province de Charqyeh et celle de Mansourah, et ensuite cette branche, en re- montant jusqu'à Benhà. La préfecture d'Awyb étoïit traversée par la branche Tanitique, ou la Saïtique d'Hérodote, prenant sa source dans l’Athribitique à une demi-lieue à l'est des ruines d’Atryb. Cette branche se nomme à présent le canal de Moueys. Peut-être le point d’el-Tybeh n'est-il pas sans quelque rapport avec le mot de db, qui signifie en arabe chien-loup (animal d'Égypte auquel les Grecs ont donné le nom de Aüws), et par conséquent le siége d’une ancienne position : jé me fonde sur l'existence des ruines de Tell-Mokhdem, situées à une lieue au nord. ( Voyez $. Il, Cynopolis.) La province Athribitique renfermoit, au rapport d'Étienne de Byzance, un lieu du nom de Psenaco, Fadxw, qui a bien la physionomie d’un nom Égyptien, comme un savant l’a remarqué (1). J'en ignore la position, à moins qu'on ne la cherche dans Senahou, reste de P-senaqou, lieu placé à égale distance de Benhà et de Belbeys. Le nom Qobte d’un ‘autre lieu de la même province est Pa- naho nzuzso (le village du Trésor, selon le même savant) (2). Cette dernière ville est la même que Benhà, surnommée e/-A'sel, près des ruines d'Atryb. J'y ai vu des fragmens antiques ; mais peut-être y ont-ils été transportés d’Athribis. Selon un autre savant orientaliste, un manuscrit Qobte fait mention d'une montagne de Panaho ; comment trouver une montagne au milieu du Delta! c'est ce qu'il est difficile d'expliquer. Il est plus facile d'admettre avec lui que, dès le temps de Mahomet, ce lieu, dont le surnom signifie el, fut célèbre pour la qualité de cette production, et que Makaukas, gouverneur pour Héraclius, envoya au prophète un présent de miel de Benhà (3). RTL Nome Busirites, CYNOPOLIS, BUSIRIS, SONBÂT, ET AUTRES LIEUX DU NOME ET DU VOISINAGE. LA recherche de l'emplacement des lieux qui font l'objet de ce paragraphe est tellement compliquée et embarrassée de difficultés, qu'il faudroit consacrer à chacun un article spécial. Cependant les géographes ne se sont pas arrêtés à ces difficultés; on a fixé sans hésitation la position de Busiris à Abousyr, près de Semennoud, et celle de Cynopolis au cœur du Delta. I semble, ou qu'ils n'aient pas connu la situation des lieux modernes qu'ils leur assignoïent, par rapport à des points bien déterminés, ou bien qu'on n'ait pas pris en considération les distances fixées par les anciens itinéraires. Ces élémens néanmoins sont les seuls certains pour établir la correspondance des lieux anciens et actuels; et dans aucun cas ïl (1) L'Égypte sous les Pharaons, tom. KE, pag. 55. (3) Mémoires historiques et géographiques sur l'Égypte, (2) Zbid. tom. II, pag. 47. tom. 1, pag. 107-108. D'ATHRIBIS, DE THMUIS. CHAP, XXII. 7 n'est permis de les rejeter ou de les omettre sans une discussion critique. Je ne pourrois déduire ici toutes les considérations géographiques qui m'ont porté à adopter une opinion nouvelle sur Femplacement de ces deux villes: il faut donc me borner à en donner la substance, renvoyant les développemens aux mémoires sur la géographie comparée. Cynopozis. — L'Itinéraire d'Antonin conduit de Péluse à Alexandrie par Tanis, Thmuis, Cynopolis, Taua, Andro et Hermopolïis. La ville de Busiris n’est pas énumérée dans la liste des mansions; mais sa position dépend, comme on le verra, de celle de Cynopolis : or celle-ci étoit à xxv milles de Thmuis (1). On s'est accordé à diriger cette ligne vers l’ouest, du côté de Nemreh; mais je neen vois pas le motif, si ce n’est peut - être l'intention de se porter directement vers Alexandrie. Toutefois cette raison seroit de nulle valeur; car il n’en faut pas moins revenir ensuite au sud, vers Taua et Andro, puisqu'ainsi le veut fItinéraire. Qu'importe donc qu’on se dirige au midi sur-le-champ en quittant Thmuis, ou bien qu’on le fasse plus tard' comment le chemin seroit-il raccourci par cette der- niere condition! En second lieu, sur la ligne aïnsi dirigée de Thmuis à l’ouest, il y a une station d'Isiu {Zsidis oppidum) à xV1 milles du même lieu; cette ligne itiné- raire feroit confusion avec celle de Cynopolis, sans compter que les ruines de Nem- reh, qu'on a assignées à cette dernière ville, sont en effet à plus de xxvirr milles de Thmuis {en ligne droite), au lieu de xxv. Il est vrai qu'un des manuscrits de FIti- néraire porte le chiffre xxx de Thmuis à Cyno, mais il est le seul : et d’ailleurs une autre raison doit, je pense, dissiper toute incertitude. En se portant au sud un peu ouest de Tmäy el-Emdyd {reste incontestable de Thmuis), le compas, ouvert sous la mesure de xxv milles, tombe exactement sur une butte de ruines appelée aujourd'hui Te/LzMokhdem , AS «5, entre Kafr Mokhdem et Kafr Abou Gâma’. On y trouve des blocs de granit épars. Ce lieu est à environ trois lieues sud-est de Myt Qamar, et un quart de lieue à l'est de Myt el-Qorachy. (Le nom de Mokhdem est celui d’un saint renommé dans le pays, dont la fête tombe le ro de dyl-hageh, et dont on voit encore le tombeau.) Cette colline n’est qu’à une lieue de Tybeh, dénomination qui dérive peut-être, comme je l'ai dit, du mot dyb. Or ce dernier est le nom du loup; maïs il existe un animal propre à l'Égypte, le chacal, sorte de chien-loup, que les Grecs ont désigné tantôt par Auxs, loup, tantôt par xov, chien : de à Auwmaus et Kuëmaus. Que ce village succédant à Cynopolis aït reçu des Arabes un nom analogue à celui de l’ancienne ville, il n’y a rien là que de conforme à ce qui est arrivé dans tous les lieux de l'Égypte, où les villes détruites ont été rebâties à quelque distance de leur emplacement. Ainsi la conformité des distances, l’analogie dans les noms, l'existence de ruines antiques, se réunissent en faveur de ma détermination; une autre raison encore vient la corroborer. De Cynopolis, Itinéraire oblige de trouver xxx milles jusqu'à Taua, et xIr milles ensuite jusqu’à Andro sur {a branche Canopique; c’est ce qu’on trouve exactement sur le terrain, de Tell-Mokhdem à Chouny (où sont des ruines, apparemment de Taua), et de là à Chabour, reste d’Andropolis. De plus, à partir de Tell-Mokhdem, position (1) Antonini Augusti Itinerar. &c. p. 153. 8 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS que j'assigne à Cyno, la ligne de route porte directement à Alexandrie, N'ayant point-à m'occuper ici du nome Phthemphites, dont la capitale avoit pour nom Taux, je ne ferai pas la recherche de ce nom de lieu, écrit quelquefois T'afa, et que je n'ai pas retrouvé dans la nomenclature actuelle. J’ajouterai-encore, au sujet de Cynopolis, que cette ville faisoit partie de l'Æzyptus secunda (1): cette condi- tion est remplie par Tell-Mokhdem, qui est séparé de l’Azgnstamnica secunda par la branche Busiritique (2). Busiris. — La ville de Busiris a été généralement placée à Abousyr, lieu situé sur la rive gauche de la branche de Damiette, au midi de Semennoud. Si le motif en est la ressemblance des noms, ce seroit une considération bien foible: car. déjà l’on a eu l’occasion (3) de remarquer la répétition fréquente de ce même nom Arabe en Égypte; par exemple, aux environs d'Alexandrie, de Mem- phis, d'Héliopolis, de Thèbes, &c.: lhomonymie n'est donc pas un motif de placer en cet endroit Busiris. La présence de quelques ruines ne seroït pas une raison plus puissante dans le cas actuel { 4). Au reste, d’autres motifs semblent sy opposer tout-à-fait. 1.° Busiris et Sebennytus étoïent deux chefs-lieux de nomes : or Abousyr et Semennoud sont trop rapprochés pour satisfaire à cette condition: il n'y a guère qu’une lieue entre ces deux endroits. 2.° Busiris et Cynopolis étoient dans le même district; nous voyons que, depuis l'établissement du christianisme, elles firent partie du même évéché; un certain Herméon étoit évêque dans Cyno et Busiris, & Küvo x Bouies (5) : ces deux lieux étoient donc très-voisins (6). Un passage de Strabon, cité ci-dessus, prouve également que Busiris étoit peu éloignée de Cynopolis (7). 3.° Le canal Busiritique sortoit du fleuve Pélusiaque, aussi bien que l’Athribitique : il ne pouvoit donc se diriger sur Abousyr, et se porter aussi loïn dans l'ouest. 4.° Après avoir cité les villes de Léontopolis, Busrrs et Cyno- polis, Strabon dit que le nome Athribites y est contigu (aux nomes sans doute) : cuamle Sè 19). 6 AlpaGirns vouos* et Abousyr ne remplit pas mieux cette condition. 5. Le même Strabon décrit les lacs à la suite desquels sont Léontopolis, Busiris et Cynopolis: ainsi ce ne peut être à l’ouest de la branche de Damiette, au midi de Semennoud, qu'il faut chercher la deuxième de ces villes. Tout éloigne donc Busiris d'Abousyr, bien qu'on se soit accordé à les confondre ensemble [8). Ce qui a été dit à l’article de Cynopolis et les réflexions qui précèdent semblent montrer clairement que les positions de Cynopolis et de Busiris sont liées entre elles, qu'elles ne peuvent être éloignées, et qu'on doit les trouver à proximité l’une de l'autre. Or la place que j’assigne à la deuxième de ces villes est à trois lieues (1) Oriens Christianus, p. 567. à Vemreh Cynopolis, quand même on prendroit Abou- (2) Voyez la carte ancienne et comparée de la basse Égypte. , (3) Chap. XX ci-dessus, et ailleurs. (4) MM. Jollois et du Bois-Aymé ont trouvé à Abousyr un bloc de grès avec des traces desculptures Egyptiennes, et des buttes de décombres, É, M. tom. Il, p-92(Voyage dans l'intérieur du Delta). (s) Oriens Christianus, p.567 et 570, et ÆMeletii Bre- viar. apud Athanas, Apol, contra Arian. p. 188. (6) C’est un motif de plus pour empêcher de placer syr pour Busiris; car il y a six lieues de distance entre ces deux endroits, sans compter deux ou trois grandes branches qui les séparent, et de plus une grande ville qui est interposée, Mehallet el-Kebyr, autrefois Xoës, siége elle-même d’un évêché. (7) Strabon, 1. xvi1, p. 802, traduct. Franç. tom, V, p. 366, (8) J’avois moi-même, dans le chap. X VIII ci-dessus, page 26, placé, d’après d’Anville, Busiris de la basse Égypte à Abousyr. ( Voyez Ant. Descr. tom. II.) au D'ATHRIBIS, DE THMUIS. CHAP. XXII. 9 au nord environ de la première, à l’ouest de la branche Busiritique, comme Cyno- polis, et non loin du village d’el-Haouäber, où il y a des ruines. Cet emplacement satisfait bien au texte de Strabon: Près de Mendès, dit-il, sont situées Diospolis avec les lacs qui l'entourent (Tell el-Debeleh} (1); Leontopois (Tell Tânboul); Busiris, un peu plus loin, dans le nome de son nom (vers el-Haouâber), et Cynopolis (Tell el- Mokhdem) (2). Tout ce texte semble s'expliquer de lui-même, et les lieux se suivent parfaitement et sans discontinuité, en allant du nord au sud, comme on peut s'en assurer sur la carte. I est possible, au reste, que les ruines elles-mêmes existent à quelque distance d'el-Haouäber, et plus à l’ouest du canal, sans que le résultat qui précède en soit beaucoup modifié. Cette localité intérieure a besoin d’être reconnue de nouveau, et Je présumé que les voyageurs y trouveront des découvertes à faire; mais el-Haouä- ber, sur la route de Thmuis à Cyno, ne doit pas être éloigné de l'emplacement que l'on cherche. | Un passage de l'inscription de Rosette semble encore venir à l'appui de cette détermination ; c'est celui qui place Lycopolis dans le nome Busirites (35 ATKANTIOAINTHNENTQIBOYSIPITHI : assurément il ne s'agit pas de la ville que Strabon plaçoit entre Xoïs {4) et Mendès. N'est-ce pas le cas d'appliquer la remarque précédente sur l'embarras que les Grecs ont éprouvé à dénommer le chacal, animal sacré chez les Égyptiens! De là peut-être les mots Lycopols et Cynopols employés quelquefois l’un pour Pautre. Selon Hérodote, Busiris étoit située au milieu du Delta {$). Voici comment il s'exprime : « Les Égyptiens regardent comme la plus solennelle de toutes celle (la panégyrie) qui a lieu en l'honneur de Diane dans la ville de Bubaste; ensuite celle d'Isis à Busiris, où l’on voit un temple consacré à cette déesse. Busiris est une ville d'Égypte située au milieu du Delta, et Isis, dans la langue des Grecs, est Demeter…… J'ajouterai qu'après les sacrifices qui ont lieu dans cette fête, tous » les hommes et toutes les femmes, qui s’y rendent par milliers, se frappent la » poitrine en signe de deuil...» La position que j'assigne à cette ville est, non pas au milieu du grand Delta, maïs au milieu du petit Delta, fort exactement. Si Busiris eût été sur la branche Sébennytique, ainsi qu'Abousyr, lhistorien auroit sans doute exprimé cette circonstance. VU V M V V LV (1 J'ai dit que, sous les Chrétiens, Busiris et Cynopolis ne formoient qu'un seul évêché (6): une troisième ville leur étoit annexée; ce qui avoit fait donner à Busiris le surnom de Trpolis, où Tripolis Ægypti ( Ægyptus signifroit proprement la basse Égypte). La ville est ainsi nommée dans un acte du concile de Chalcédoine, et dans la Vie de S. Antoine par Athanase. Quelle étoit la troisième ville que suppose cette dénomination dans le même district! Je l'ignore. . I me semble que, d’après les argumens que je viens de réunir, l'opinion vulgaire qui place à Abousyr, près de Semennoud, la ville de Busiris, est difi- (1) Voyez plus loin, section 11, page 18. (4) Livre XVII, Loc. cit. (2) Strabon, p. 802. (5) Liv. 11, ch. 59 et 61, waduction de M, Miot. (3) Voyez Anr. vol. V, pl. 54, L 22. (6) Oriens Christianus, p. 570: À. D. B [I O DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS cile à soutenir; elle ne remplit aucune des conditions géographiques, telles que la distribution des branches du Nil, la proximité avec Cynopolis, le texte de Strabon et celui de Ptolémée. C’est, Je crois, le P. Sicard qui, le premier, à fait cette supposition, à cause de la ressemblance des noms; d’Anville et tous les écrivains paroïssent l'avoir adoptée par le même motif, et cependant une seule réflexion auroit dû l’écarter, c’est qu’elle forceroit à peu près de supprimer ou le nome Busirites ou le nome Sébennytes. Je conviens que le Bousyr des écri- vains Arabes est le même lieu qu'Abousyr près de Semennoud, ainsi qu'un savant orientaliste l'a prouvé par des raisons nouvelles (1); mais j'ai exposé plus haut la fréquente répétition de ce nom dans l'ancienne géographie, et les diverses altérations que les Arabes lui ont fait subir (2). Au reste, les médailles de nomes confirment foiblement ce que dit Hérodote du culte célébré à Busiris; la légende porte BOTCI, et la figure représente une femme tenant dans la main droite un quadrupède analogue à un cerf, mais trop petit pour être qualifié (3). Quant au nom de Tasemptoti, bourg du nome de Busiris, que le savant cité tout-à-lheure place à Sonbât, on verra dans la carte ancienne que ce lieu est com- pris dans les limites de la préfecture Busiritique, telles que Je les aï dessinées. En terminant ce qui regarde ce nome, je citeraï encore un lieu de cette préfecture, appelé Koum Naz’män, sur la rive droite de la branche de Damiette (la Sébenny- tique d'Hérodote, ou la Phatnique de Strabon), et dont le nom rappelle celui du lieu placé au sud de l’ancienne Mendès ; savoir, Na-A’moun (4). $. III. Nome Pharbætites. PHARBÆTUS, PSENETAÏ. D’ANVILLE a placé la ville de Pharbætus à Belbeys; c’est peut-être le plus grand déplacement qu'on trouve dans toute sa carte : l'erreur n’est pas de moins de huit lieues; il ne leût pas commise s'il avoit connu l'existence du village nommé Horbeyt, A, au-delà de Hehyeh sur la branche Tanitique, entre la Pélusiaque et la Busiritique. Là s'élèvent les ruines d’une ville au milieu d’une plaine maré- cageuse. M. Malus, dans le cours de son voyage sur la branche Tanitique, y rencontra des fragmens de colonnes, des débris de granit, un tronc de statue et le pied d’un colosse. Selon les habitans, cette ville s’'appeloit jadis @owrb. Les limites du nome dont cette ville étoit le chef-lieu sont, à l’est, au sud et à l'ouest, les branches Pélusiaque, Busiritique, et, au nord, plusieurs dérivations. La branche Tanitique, aujourd'hui canal de Moueys, et de nombreuses ramif- cations, arrosent cette riche partie de la province de Charqyeh. Le nom de (1) Voy. Mém. hist, et géogr. sur l'Égypte, par M.Ét. Busiris, comme en ne d’autres endroits, sans que ce fait Quatremère, t. [, p. 102. Toutes les raisons qu'il allègue influe sur la position du nome Busirites, et de la ville qui sont applicables à la position que j’assigne ici. en fut le chef-lieu. (2) Voyez ci-dessus, chap. XVIII, XX, et ailleurs. (3) Voyez pl. 58, fig. >7, Ant, vol. V. Il a pu exister sans doute à Abousyr un lieu du nom de (4) Voyez ci-après, sect. II, $, Ier D'ATHRIBIS, DE THMUIS. CHAP. XXII, II Horbeyt est le reste de celui de Pharbæt-us | P-horbæt-us], lieu d'Horus ou ap- partenant à Horus. En général, les noms terminés par la même finale 6eyt an- noncent une composition de noms antiques, tels que Bahbeyt du Delta, Bahbeyt des environs de Memphis, et plusieurs autres. De plus, Ptolémée place Pharbætus à 6° de degré au sud de Léontopolis, ville située, comme on le verra bientôt, à Tânboul. Comment cette donnée 2-t-elle échappé à d’Anville, quand ïl a mis Pharbætus à Belbeys, c’est-à-dire, à ss’ plus au midi! Horbeyt y satisfait, et à peu près aussi À une autre donnée tirée du même auteur, savoir, la différence de latitude entre cette ville et Tanis, laquelle différence est de 20. Comme Ptolémée met la ville de Bubaste au nord de Pharbætus, tandis qu'elle est au midi, cette transposition a pu tromper d’Anville. Une autre circonstance mérite d’être mentionnée : c’est l’analogie du nom @ourb ou @orb avec celui de Horbeyt ou Pharbætus. Je conjecture qu'il en est arrivé de ce nom comme de celui d'Hehopols, qu'on retrouve encore, selon moi, dans @elyoub (1). f . Les auteurs ne disent rien du culte célébré à Pharbætus : nous trouvons dans la médaille de ce nome la légende ŒAPBAI , et un homme tenant un quadrupède assez ressemblant à un mouton, mais trop petit pour être reconnu (2). Une ancienne ville ou bourgade, que les Qobtes ont surnommée Psenetaï, me paroît correspondre à el-Seneytah, vers le nord de cette préfecture, lieu dont le nom est le même, et seulement privé de l'article Égyptien ba). $. IV. Nome Bubastires. BUBASTE, PSENSIHO, SINUATI, SENPHU, PHELBÈS, VICUS JUDÆORUM, THOUM, &c. Le nome Bubastites est un des quatre plus grands de la basse Égypte. H s’étendoit de la rive droïte de la branche Pélusiaque au désert Arabique : Bubaste, sa capi- tale, donnoït aussi son nom à ce grand bras du Nil. Voici ce que rapporte Héro- dote au sujet de Bubaste : « Lorsque les Égyptiens se rendent à Bubaste pour la » panégyrie de Diane, ïls arrivent par eau sur des barques remplies de l’un et de » l'autre sexes confondus ensemble; quelques-unes des femmes font résonner des » crotales, et des hommes jouent de la flûte pendant toute la navigation; le reste » remplit l'air de chants et de battemens de mains. Quand ils passent devant une » ville, ils poussent la barque vers la terre... Les barques étant arrivées à Bubaste, (1) Voyez ci-dessus, ch, XX, p. 12 ; la lettre (à aura été substituée à l’article et à l'aspiration du mot Qobte. Les Arabes auront, comme dans le cas de Qelyou-b, conservé seulement le à de la seconde syllabe de P-har-bait, en supprimant barbarement le reste. Cet exemple prouve combien il est important d’orthographier correctement les noms de lieux, puisque, si lon eût écrit Kourb os au lieu de Qourb ©), on n’auroit pas même pu soup- A. D. CN çonner lanalogie de ce nom de lieu avec le nom antique. (2) Voyez pl, 58, fig. 22, Ant. vol, V. (3) Voyez la carte ancienne de la basse Égypte. Cette détermination et la précédente sont d’accord, quant aux résultats, avec les recherches scientifiques de M. Etienne Quatremère et de M. Champollion jeune. Les faits et les argumens ci-dessus, tirés des circonstances locales, me paroïssent les mettre hors de doute. B2 12 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS » ceux qui les montoient en descendent et célèbrent la fête par de nombreux » sacrifices, où il se fait une plus grande consommation de vin de raïsin que » pendant tout le reste de l'année. On a vu dans cette solennité, suivant ce que » disent les habitans, jusqu’à sept cent mille individus réunis, hommes et femmes, sans compter les enfans des deux sexes (1) ÿ COLLE « De toutes les villes où le sol a subi ces divers accroissemens, celle où, suivant » mon opinion, une plus grande quantité de terre a été rapportée, est Bubaste, » qui renferme un temple célèbre consacré à la déesse de ce nom. Beaucoup de » temples peuvent être plus vastes, et avoir plus coûté à construire: mais aucun » n'est aussi agréable à voir. Bubaste est l'Artemis des Grecs (2).» « Le terrain où ce temple est bâti, à l'exception du chemin qui y conduit, est » uné île. Cette île est formée par deux canaux tirés du Nï, qui, sans se con- » fondre, arrivent séparément jusqu'à l'entrée de l'enceinte, et de là coulent » chacun d’un côté opposé. La largeur de l’un et de l’autre est de cent pieds, et leurs bords sont ombragés par des arbres. Les propylées, dont l'élévation est de dix orgyies, sont ornés de figurés sculptées de six coudées de haut et d'un travail remarquable. Comme ce temple est situé au centre de la ville, ïl est » aperçu de tous les points, parce que, le sol environnant s'étant exhaussé, » tandis que celui où le temple repose est resté tel qu'il étoit anciennement, la vue plonge de tous côtés sur cet édifice. Il est entièrement ceïnt par une mu- » raïlle décorée de figures sculptées En dehors est un vaste bocage d'arbres » très-élevés, plantés autour de Îa grande chapelle, où la statue de la déesse est » placée. La longueur et la largeur de Penceinte sont, en tout sens, d’un stade entier. À partir de l'entrée, est une rue pavée en pierre dans l'espace de trois » stades au moins, se dirigeant par la place publique vers lorient. La largeur de » cette rue est de quatre plèthres; elle est bordée des deux côtés d'arbres magni- fiques qui semblent toucher au ciel, et vient aboutir au temple de Mercure : » tel est ce lieu célèbre (3). » Tout le monde s'accorde à regarder Te/=Bastah comme l'emplacement de Bubaste. De grands amas de ruines sont placés en effet à Chobra et Heryeh, à un quart de lieue ouest de Tell-Bastah. Aujourd'hui on ne trouve plus aucun édifice debout, tout est renversé. C’est, comme à Héliopolis, une grande étendue de décombres, où l’on ne voit plus çà et là que de foibles vestiges de l'antique splendeur de Bubaste. Mais la position même de ses ruines ne laïsse point de doute, et elles correspondent à cette ville incontestablement. En premier lieu, elles sont sur la branche Pélusiaque ou Bubastique; secondement, le nom dont les Grecs ont fait BouGaolos étoit en qobte mézc:t, Pi-bast; or le nom actuel Tell-Bastah signifie colline de Bast. On y rencontre des restes de constructions Égyptiennes, des fragmens de plafonds tout couverts d'étoiles à cinq rayons, des corniches en granit et d’une grande dimension, avec doubles couronnemens (4), enfin beaucoup de sculptures hiéroglyphiques. Selon Ptolémée, Bubaste étoit à V Le ÿ LA LA ÿ LV V [24 p) Ÿ (1) Hérod. liv. 11, ch. 60, traduction de M. Miot. (3) Hérod. liv. 11, ch. 138. (2) {bid. ch. 137. (4) Voyez Ant, vol, V, pl. 29, fig: 9. D'ATHRIBIS, DE THMUIS. CHAP, XXII. 13 30' d'Heliu (pris pour Héliopolis); Tell-Bastah en est à 26 ou 27. Enfin le même géographe assigne 10" de différence de latitude entre Bubaste ét Pharbætus, à la vérité en sens inverse. Cette distance convient à celle qui sépare les parallèles - d'Horbeyt et de Tell-Bastah. Feu Malus trouva, dans les ruines, différentes masses colossales en granit avec des hiéroglyphes (x); toutes mutilées et entassées confusément, sans qu'on puisse deviner quelle puissance les a brisées et accumulées de cette manière. Les 204% y puisent des matériaux propres à faire des meules. Tous ces débris de monumenñs sont au milieu d’un immense bassin dans l'intérieur des ruïnes, lesquelles ont 12 14 cents mètres | 6 à 7 cents toises| en tout sens, et paroïssent assises sur uñ massif de briques crues; ces briques ont 0"33 [1 pied] de longueur sur 622 [8 pouces | SE ERUE Ainsi nulle incertitude sur l'emplacement de Bubäste;, et il est à een qu'on ne possède point de distances 1 itinéraires partant de cette ville, parce qu'on l’auroit pu regarder comme un point fixe et invariable, propre à appuyer les positions douteuses. La médaille du nome représente, avec la légende BOTBAC, une figure de femme tenant dans la main un très-petit quadrupède, qu'on est porté à regarder comme la musaraigne : mais comment la concilier avec le passage d'Hérodote ci-dessus et avec les auteurs qui placent à Athribis et à Buto le culte rendu à cet animal (2)! Bubaste étoit le premier point de concours entre le Nil'et le canal de la mer Rouge : on a vu dans le passage d'Hérodote que le roi Nécos avoit dérivé de là un canal de communication. Depuis ces temps reculés, les canaux ont pris de nouvelles directions; on ne peut plus discérner celui de Nécos : étoit-il tracé en ligne directe de Bubaste à Thoum (aujourd'hui peut-être A‘bbaçeh ), bien la communication avoit-elle lieu plus à l'occident! Il est difhcile de le décider; je me borne à renvoyer au grand Mémoire de M. Le Père sur le canal des deux mers. | j Le voisinage de Tell-Bastah présente des villages qui ont succédé à des lieux anciens. Les Qobtes avoient un endroît du nom de Psensiho | P-sensiho |, situé au nord : il paroît correspondre à Chanchïà. La Table Théodosienne marque deux mansions; Senphu et Sinuati (ou (3) Smuati), en marchant au sud-ouest de Phacusa : je crois, malgré la différence du nombre des milles, qu'elles peuvent correspondre à deux buttes de ruines, 7e/el-Ahmar, Tell-Abrâch, placées sur cette même di- rection. Continuant au midi, nous arrivons à Belbeys, où Je place, non pas Pharbætus, comme l'ont fait d'Anvillé et d’autres savans, maïs le Phelbès des Qobtes; d’après l’analogie évidente du nom ët d’autres motifs (4). L'Itinéraire d'Antonin donne deux lignes dirigées, l'une de Memphis à Péluse, l'autre de Babylone à Clysma. Dans la première, on remarque xrm1 milles d'Heliu (1) Une de ces masses peut avoir 2"6 dé large [84] (4 Un lieu du nom de Belhib est cité par les auteurs sur 195 [6%] de hauteur. ( Mémoire sur un voyage Arabes dans la basse Égypte. ( Observ, sur quelques points fait sur la branche Tanitique, Déc. Égypr. t 1, p.134.) de la géogr. de l'Égypte, par M. Ét. Quatremèére, p. 45.) (2) Voyez Ant. vol. V, pl. 58, fig. 26. Je rapporte ce nom à cause de son analogie avec celui (3) Les cinq jambages qui suivent ls présentent cette de Belbeys, et comme renfermant plus distinctement le incertitude. nom de l'ibis, 4el-hib. 1 À DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS à Jcenæ veteranorum, ce qui est très-exact (1), et dans l'autre XVII : ainsi, dans celle-ci, le premier 1 aura été changé en v par un copiste; cette erreur et l'inverse ont dû être commises plus d’une fois. De Scenæ veteranorum, la première ligne compte, jusqu'à Thoum, xx vi en une seule direction; la seconde fournit xxIV en deux parties, xIt de Scenæ à Vicus Judæorum et x de Vicus à Thoum. Le chemin direct passe par Belbeys; maïs ce ne seroït pas un motif suflisant pour faire passer la route ancienne par ce même endroit : d’aïlleurs les deux nombres réunis ne font que xxtt milles, tandis que la distance réelle en ligne droite est de xxvur. C'est pourquoi je présume que Vicus Judæorum évoit sur une grande butte de ruines qu'on voit à une lieue et demie au sud de Belbeys, dans le désert, et que les deux distances marquées x11 et x11 à partir de Sceræ doivent être rectifiées ainsi, x1n et XVI, conformément à l'exemple que j'ai cité plus haut. Il est à noter qu’un des manuscrits de l'Itinéraire porte xx11 au lieu de x11 : le second x n’a-t-il pas été écrit ici pour 1, comme à Heliu xvur pour xim1? I faudroit donc ici lire x1n, comme je l'ai supposé. Cependant, comme il manque des renseignemens, je nai pas cru devoir exprimer cette conjecture sur la carte (où Wicus Judæorum a été placé provisoirement à Belbeys, sur la route directe), et je me borne à l’énoncer. Au reste, comme la Table Théodosienne marque un lieu du nom de Sfrato- micih, à XXXVI milles de Babylone, sur la route de Péluse, en une seule distance, je croïs pouvoir le placer à Belbeys. C'est avec raison que Wesseling regarde Vicus Judæorum comme un lieu distinct de Castra Judæorum. La population Juive dans l'ancienne Égypte a été exagérée (2), mais elle étoit réellement considérable : Onion, ville toute Juive de ces environs, devoit renfermer un grand nombre d’habitans. T'houm où Thou n’est qu'un seul et même lieu ave Pithoum de l’Écriture, dont le nom ne diffère du premier que par l'article Égyptien mis en avant. H étoit à l'entrée de la vallée de Gessen, comme aujourd’hui A’bbaçeh est à l'entrée de la vallée de Saba’h-byär. La distance de cette position à un point connu, comme Scenæ veteranorum , a étéexaminée tout-à-lheure, et ne laïsse guère de doute sur son emplacement; cependant M. Devilliers pense que Räourny, village voisin et où il y a des ruines, convient mieux. Je n’ajouterai plus rien à ce que j'ai dit du nome de Bubaste, si ce n’est, 1.° la mention des ruines dites Camp des Romains , situées à Tell-Myt el-Habyb, à Tell-Gerâd et à Zefteh, et d’autres déjà citées par M. De- villiers (3); 2.° celle de l'île de Myecphoris, qui est une véritable dépendance du nome, et que cependant Hérodote a désignée comme un nome à part : c'étoit une île située en face de Bubaste; elle étoit comprise, je crois, entre les branches Pélusiaque, Busiritique et Phatnitique. On n'en connoît guère que le nom. (1) Voyez la Carte ancienne et cemparée de la basse Égypte. (2) Philon la supposoit d’un million; mais cette hypothèse est dénuée de vraisemblance, (3) Voyez À, D. chap, XXIV, pag. 4. D'ATHRIBIS, DE THMUIS. CHAP. XXII. LD SECTION IL. Description des Ruines de Thmuis, et Remarques sur les villes des Nomes de Mendes et de Léontopolis. SL Nome Mendésien. 1. THMUIS. THmuis étoit l'une des quatre principales villes de l'Égypte, c'est-à-dire, la basse Égypte, selon Ammien Marcellin (1), savoir : Athribis, Oxyrhynchus, Thmuis et Memphis. Quoique les auteurs modernes ne soient pas tous d'accord sur son emplacement, il n'est peut-être pas cependant une ancienne ville d'Égypte dont la position soit plus certaine. Son nom est conservé dans ceux de 7e//-Tmäy sta es et de Tmäy el-Emdyd XDOAY| web où sont des ruines très-éten- dues, avec des monumens, fragmens ou vestiges considérables de l'antiquité Épee Cette ville étoit à xx milles de Tanis, selon f'Itinéraire d'Antonin : c'est la distance exacte qu'on trouve entre les ruines de Saïs et celles de Tmäy. Une autre distance de xvi milles entre Thmuis et Zsidis oppidum , la ville d'Isis, se retrouve aussi exactement entre Tell-Tmäy et Bahbeyt (2). Hérodote compte le nome Thmuites au nombre de ceux qui fournissoient les troupes appelées Cala- strtes, et il le distingue du Mendésien, à la différence de Ptolémée, qui donne Thmuis pour capitale à ce dernier (3). Le village de Tmây el-Emdyd est situé au sud-est et à trois lieues de Mansou- rah. Auprès de ce village, à la distance d’eñviron un mille, on voit une grande levée de terre, qui se dessine dans le lointain comme un vaste coteau, sur une étendue de près d’une lieue, de l’est-nord-est à l’ouest-sud-ouest. Elle est cou- verte de débris confus de vases, de blocs de granit et de muraïlles de briques renversées. Ces ruines s'appellent, comme je l'ai dit, Tell-Tmäy, la colline de Tmây (4). Un monument remarquable y demeure debout; ce monument est du côté de l'est, au milieu des monceaux de têts de pots et de fragmens de briques, à l'extrémité d’un tertre qui paroît avoir été l'emplacement d’un grand édifice. C’est un énorme bloc de beau granit bien poli, partie rouge et partie noir, de forme quadrangulaire, et creusé en forme de sanctuaire. La hauteur du bloc est de (1) Lib. XXII, cap. 16. grande partie, d’après les notes que M. de GhenETRe (2) Prolémée donne 30° so" de latitude à Thmuis, et la carte 30° 58° à Tmäây : la différence n’a rien d’extra- ordinaire pour les positions tirées de cet auteur. Quant à Strabon, il ne parle pas de Thmuis, non plus que Pline. (3) Le reste de ce paragraphe a été rédigé, pour la plus a bien voulu me fournir. (4) Selon M. Pina, les ruines de Thmuis sont à une demi-lieue du village de Kafr el-A’sàynes; elles occupent deux tertres, séparés, par une vallée qui renferme des plantes aquatiques ( Courrier de l'Égypte, n.° 45). Ce village ne figure pas sur les cartes, 16 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS 721, il est large de 3"05, et il a 3°21 dans l’autre sens (1). Un toit bas, en forme de pyramidion, et d'environ 3 décimètres de hauteur, forme sa sommité. Il repose sur une base ou petit socle de même granit, dont les angles sont usés et arrondis, et le tout est supporté par un grand piédestal également usé, formé d'un bloc de granit et de deux assises de grès, faisant ensemble une hauteur de 3°48 (2). L'ouverture est tournée au levant. Les faces de ce monolithe paroïssent aujourd’hui lisses, mais il a été sculpté; les ornemens et hiéroglyphes sont peu apparens : on ne les aperçoit qu'avec peine; mais on reconnoît qu'ils ont été effacés, tant par le temps que par la maïn des hommes. Un simple cordon règne horizontalement dans l’intérieur, aux deux tiers de la hauteur. Autour de l’ouver- ture se trouve une feuillure destinée à recevoir une porte. Dans plusieurs endroïts il y a des fentes profondes dont on ignore tout-à-fait l’origine, bien qu'on l'ait attribuée sans motif à un tremblement de terre. La gravure exprime les autres détails de cette masse colossale (3). I n’est pas hors de propos de citer ici plusieurs monolithes du même genre. Hérodote {liv. 17, chap. 175$ et 155) nous apprend des particularités curieuses sur les temples monolithes de Saïs et de Buto ; maïs il passe sous silence celui de Thmuis, apparemment comme étant moins considérable. Le premier, long de 21 coudées et haut de huit (4), étoit placé à la porte du temple de la Minerve Égyptienne : deux mille bateliers furent employés pendant trois années, sous Amasis, au transport de cette masse de granit. Le second monolithe étoit une chapelle dédiée à Latone, placée dans l'enceinte consacrée à cette déesse. Il étoit cubique, et avoit, dit Hérodote, 40 coudées en tout sens (5). Sa toiture, formée aussi d’une seule pierre, étoit épaisse de 4 coudées [6). Granger, qui a voyagé en Égypte en 1745, parle de Buto et de la chapelle de Latone comme les ayant visitées: mais on n’a rien découvert de semblable dans les derniers temps: Nous avons rapporté ces détails pour que le lecteur puisse établir une comparaison avec ce qui subsiste à Thmuis. D'après les mesures qui ont été rapportées plus haut, le monolithe de Thmuis avoit environ 16 coudées de hauteur sur 8 + de large et 7 de profondeur, di- mensions remarquables, maïs qui le cèdent de beaucoup à celles des monumens de Saïs et de Buto; ce qui n’est pas un motif cependant pour rendre ces dernières invraisemblables. Au surplus, le lecteur doit consulter, dans l'ouvrage, les mono- lithes de Philæ, dSnopolss de Meylaouy, et les autres qui ont été figurés ou décrits: celui-ci s’en distingue par les supports ménagés de chaque côté de l’ou- verture, ét destinés peut-être à soutenir les barreaux d'un grillage, au nombre de sept. À cet égard, je ne me permettrai pas d'autre conjecture. Beaucoup de morceaux de granit rouge, placés autour du bloc, attestent qu il (1) 22 pieds 2 pouces, sur 12 pieds 2 pouces et 9 pieds destiné seulement à donner les formes et les mesures 11 pouces. exactes ( consulter aussi l’explication de la planche)). (2) 10 pieds 9 pouces. — Total dela hauteur du monu- (4) 97 sur 3"7, ou 29 pieds 11 pouces sur 11 pieds ment, 11 mètres, ou prés de 34 pieds. s pouces. (3) Voyez pl. 29, Ant. vol, V, fig. 16 à 19. On n’a pas (5) 18"47, ou 56 pieds 10 pouces et demi. exprimé la dégradation du monument dans le dessin, (6) 1M85, ou $ pieds 8 pouces un quart: servoit . D'ATHRIBIS, DE THMUIS. CHAP, XXII. 17 servoit de centre à un édifice considérable, et qu'il contribuoït à son ordonnance. I y a aussi des blocs de granit noir, épars en différens endroits du voisinage; aux environs sont trois autres constructions dégradées, restes peut-être d'autant de monumens dont les débris couvrent le sol. A une petite distance du monolithe, on à trouvé vingt-huit grandes pierres de figure ovale, creusées en forme d’auge ou de sarcophage, et de beau granit noir. Ces morceaux, d'un travail médiocre, sont entiers et debout: tous ont les mêmes dimensions, savoir : 0"7o de profondeur (1), et une longueur intérieure de 126 (2) sur une largeur de 0"85$ (3). Le travail de ces sarcophages n'est qu’à l'état d'ébauche. Voici les autres dimensions : épaisseur du contour de l’orifice, 0"28 (4); longueur totale, 1"87 (s ); largeur totale, 1" {2 (6); hauteur, 115 (7). Ces dimensions doivent-elles faire présumer que les sarcophages dont il s’agit étoient destinés à servir à la sépulture des animaux sacrés, dont les Égyptiens em- baumoïent religieusement les corps! C’est une question que nous ne pouvons exa- miner ici; bornons-nous à dire que Thmuïs appartenoït au nome Mendésien, et que, dans cette préfecture, Pan, sous l’image d’un bouc, étoit l'objet du culte, sans doute comme emblème du principe générateur (8). Selon S. Jérôme, le nom même de la ville en égyptien signifioit bouc ; maïs on n’admet pas cette étymologie du nom de Thmuis. | | Un beau torse de granit noir, d'un demi-mètre, ayant la tête tronquée, a été trouvé sur les lieux, près du monolithe. La statue est assise, tenant d'une main l’image d’un sphinx; l'autre maïn est ouverte et étendue. Le dossier est une plate- bande chargée d'hiéroglyphes. On a encore trouvé sur le même lieu une tête de granit, caractérisée par les traits de la figure des nègres, c'est-à-dire, la chevelure crépue, le nez épaté, les lèvres épaïsses et les joues exhaussées (9 }. Le pays qui environne au sud l’ancienne Tmuis est aujourd’hui à peine arrosé: les eaux du Nil y arrivoient autrefois par un canal tiré de celuï de Moueys, dont les traces se découvrent à une lieue sud-est du village de Tmây el-Emdyd. I est remarquable que les habitans de cette contrée, loin de trouver dans les traces de cet ancien canal le souvenir des eaux bienfaisantes qui arrosoient et fertilisoient des terres aujourd’hui stériles, loin d’y puiser aucun motif d’émulation ou d’encou- ragement pour exécuter des ouvrages semblables, aïent défiguré par une fable puérile et toutefois ingénieuse l’objet des travaux dont ils ont les restes sous les yeux. Voici la tradition qu'ils débitent à ce sujet : « Le gouverneur de Tmäy, » disent-ils, avoit des cantons que l’inondation du Nil ne venoït point arroser : il » étoit pauvre, mais riche cependant de la possession d’une fille dont la beauté » fixoit tous les vœux; il mit à prix la main de cette fille unique, en la promettant » à celui qui viendroit en bateau la recevoir à Tmây. Le succès alloït couronner son (1) 2 pieds $ pouces 4 lignes. (7) 3 pieds 6 pouces 6 lignes. (2) 3 pieds 10 pouces 6 lignes. (8) Diodor. lib. 1, pag. 257, tom. I, ed. Bipont., et (3) 2 pieds 7 pouces 6 lignes. Suidas, voce Méydnc. (4) 10 pouces 6 lignes. (9) Cette tête er le torse dont on vient de parler ont (s) 5 pieds 9 pouces. été apportés d'Égypte ét donnés par M. de Chanaleilhes (6) 4 pieds 4 pouces 6 lignes. au premier consul, qui les fic placer à Malmaison, A. D. C 18 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS » attente; un canal tiré de celui de Moueys avoit été entrepris par un jeune » prince, qui bientôt seroit arrivé à Tmày, lorsqu'un rival y parut tout-à-coup, » traîné dans une barque portée sur des roues. Les dieux furent pris à témoin; » la condition se trouvoit remplie. C’est ainsi, dit la tradition, que le canal qui » devoit arriver à Tmäy, fut en partie creusé et aussitôt délaissé. » Au nord de Tmây, le territoire est arrosé par le grand canal de Basserady. Au temps de l'inondation, les eaux d’un canal venant de Mansourah se rendent près de Tmäy. Enfin une grande digue, du nom de Ga, aujourd’hui ruinée, existoit à l'est de Tmäy, peut-être pour préserver les terres des eaux surabondantes de la branche Tanitique : elle est aujourd'hui ruinée; ce qui en reste a plus de 12000 mètres de long, et domine l'inondation de Daqhelyeh. On voit aujourd'hui à Tmäy el-Emdyd une petite mosquée, fameuse par le tom- beau d’un santon Mahométan appelé Emyr A’bd-allah. Ses prétendus miracles attirent, au 8 du mois de dyl-hageh, un concours considérable d’Arabes et d’habi- tans du Charqyeh, qui, mélant à leur dévotion une extrême cupidité, ne quittent jamais le pays sans y avoir cherché de l'or, caché, selon eux, dans l’intérieur des plus grosses masses de ruines. Les tentatives qu'ils ont faites pour briser et renverser le monolithe, sont faciles à reconnoîttre. | M. Girard, qui a recueilli un dessin du monolithe, a reconnu, sur les lieux, que le terrain avoit été fouillé pour en tirer la pierre calcaire employée dans la cons- truction d’un ancien édifice. Il paroït que le pavé étoit de grès : on voit des fragmens jaunâtres et rouges, de la même espèce que celui de la wontagne Rouge, près du Kaire. Le même voyageur a trouvé dans les ruines les traces d’un grand incendie. On y trouve, dit-il, des couches de braïse et de charbon de 8 ou 10 pouces d'épaisseur, recouvertes de matières calcinées et de briques fondues. Des traces pareïlles se trouvent dans beaucoup d’autres endroits des ruines; ce qui prouve que le feu a concouru à la destruction de cette ville. On y a brûlé une grande quantité d’'ossemens, dont on voit encore des fragmens calcinés, mêlés avec des scories et d’autres débris à demi vitrifiés (x). 2e MENDÉS, DIOSPOLIS, LYCOPOLIS. L'emplacement de Mendès et celui de Diospolis (2) ne sont pas aussi faciles à fixer que la position de Thmuïs. En Égypte, et sur-tout dans le pays inférieur, une ville a succédé à une autre, après avoir été rebâtie à quelque distance du premier emplacement; de nouveaux noms ont succédé aussi aux anciens : ou je me trompe, ou telles sont les causes de l'obscurité qui règne sur plusieurs positions anciennes. Commençons par éclaircir celle des deux questions qui est la moïns embarrassée. On donne aujourd’hui le nom de Tell el-Debeleh à un assez grand amas de ruines placé à une lieue sud du village (1) Le surnom d’el- Emdyd donné à Tmây rappelle (2) I y avoit deux autres Diospolis, toutes deux dans le lieu dont parle le P. Sicard, Kemân el-Emd, les col- Ia haute Égypte: Diospolis magna, Vancienne Thèbes ; lines d'Emd, à Tekby. On ne trouve de mot analogue Diospolis parva, aujourd’hui Hoû. dans Golius , que 5343, de la racine $__s» extendit. D'ATHRIBIS, DE THMUIS. CHAP. XXII. 19 d'Achmoun, et à cinq lieues est de Mansourah, formant à peu près un quadrilatère long de 2000 mètres, compris entre deux canaux de Mansourah et l’inondation de Dagqhelyeh. On y trouve une foule de débris qui ne laïssent aucun doute sur l’exis- tence, en cet endroit, de quelque ancienne ville. Comme il n’y a pas de distance itinéraire pour fixer la position deMendès, ni pour celle de Diospolis, il faut s'atta- cher à reconnoître les vestiges d’antiquité subsistans. Or, trouvant des ruines auprès du canal d'Achmoun, qui est l’ancienne branche Mendésienne, et dans les limites du nome Mendésien, on est autorisé par la présence d’une ville ruinée à y chercher la capitale. Strabon peut encore ici nous servir de guide : « Près de Mendès, dit-il, » sont situées Diospolis avec les lacs qui l'entourent, Léontopolis, Busiris un peu plus » loin, et Cynopolis (1).» La succession de ces points, l'ordre dans lequel ils sont nommés, ne peuvent-ils pas nous les faire reconnoitre! Procédons en sens inverse de Strabon. Partons de Cynopolis, et allons vers le nord-nord-est : marchant aïnsi, on trouve d'abord Busiris; plus loïn, dans la même direction, Léontopolis, qui est à Tell-Tänboul (comme nous le verrons au paragraphe suivant); ensuite, laissant Thmuis un peu à gauche, nous passons par Tell el-Debeleh, et nous atteignons, à une lieue plus loïn, la branche Mendésienne au village d'Achmoun. La correspon- dance se trouvera ainsi établie entre les ruines de Tell el-Debeleh et Diospolïs de Strabon. Maintenant peut-on se défendre d’un rapprochement de noms! Ce mot, Debeleh ; à Jui cb, ne seroit-il pas, comme plusieurs l'ont déjà observé, et, entre autres, les auteurs de la traduction Françaïse de Strabon, une altération de Diopolis (pour Diospotis )! Les Arabes ont défiguré d’autres noms d’une manière bien plus étrange. È NIÈTES 4 Un autre motif encore me fait placer Diospolis en cet endroit. Ce sont les termes suivans de Strabon : Diospolis avec les lacs qui l'entourent. Ces ruines sont en effet à peu près dans une île que linondation de Daghelyeh et les canaux entourent de toutes parts; je crois donc qu'on ne peut trouver mieux quà Tell el-Debeleh l'emplacement de la Diospolis de Strabon (2), et par conséquent de la ville désignée dans l'Écriture sous le nom de {Vu-A’moun (3): car ici, comme pour la grande Diospolis de Thèbes, Ammon, le nom Égyptien du dieu, a été traduit par Jupiter. Jupiter, dit Hérodote (4), en langage Égyptien, s'appelle Ammon. | À présent, quel est le site de l’ancienne Mendès! D’Anville ét d’autres géo- graphes ont choisi le lieu appelé Achmoun ose , Où Achmoum »ssu) , OÙ se trou- vent trois hameaux du même nom. Quoiqu'on n'ait pas observé en cet endroit de grandes ruines, Je crois qu'il n'y a rien à changer à cette détermination. En effet, ce lieu est situé sur la branche Mendésienne, tandis que Tell-Tmây'et Tell el- Debeleh en sont éloignés; or il n'y a pas, je crois, d’autres ruines dans ce. quartier de l'Égypte. En second lieu, Achmoun est le nom du dieu générateur, (1) Lib. xvI1, p. 802. ; (3) Va-A’moun... assise sur les fleuves, l’eau l'entoure... (2) Sur la grande carte topographique de l'Égypte, (Nahum, 111, 8.) Voyez l'Égypte sous les Pharaons,t.1], pl. 35, on a écrit ruines de Mendès au-dessus de Tell p.130. Le nom du texte Hébreu est traduit par Diospolis el-Debeleh, et Yon a oublié d'ajouter à la fin un point de dans un passage de la version des Septante. doute (). (4) Liv. 11, chap. 42. ‘ Pr C?z 20 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS de Pan, l'un des huit grands dieux de l'Égypte; or Hérodote s'exprime ainsi : « Mendès, en langage Égyptien (1), signifie également un /ouc et le den Pan. » Les Mendésiens mettent Pan au nombre des huit grands dieux. ...; par ce » motif.... (ils) révèrent donc religieusement toutes les chèvres, et sur-tout » les mäâles.... (2).» Troïsièmement, le nom de la ville dédiée à Pan dans la Thébaïde est aujourd'hui Akhmym, nom qui a le plus grand rapport avec Achmoum, comme Pan avec Mendès: 5 Ir Aiywaigi Mévdvs ( Hérod. liv. 17, chap. 46). Oùra 44) 00ai roy Iève Aiymhor ( Suid. voce Mérds). C'est ce que répète Nonnus (3). Enfin, non loin de là, est un monticule de ruines avec des débris de poteries, et le nom de 7e/! e/ Ahmar, la colline Rouge. Peut-être que les inondations de la branche Mendésienne et les travaux de la culture ont fait disparoître le reste des vestiges, et je suis porté à croire que, la ville ayant été ruinée à une époque très-ancienne, Thmuis prit plus d'importance, jusqu'à devenir la capitale du nome au temps de Ptolémée le géographe, et une des plus grandes villes de l'Égypte sous Ammien Marcellin: cela explique pourquoi Thmuis est seule nommée par tous les auteurs qui sont plus récens { du moins par rapport à la haute antiquité }, Josèphe, Aristide, Ptolémée, Ammien Marcellin, Étienne de Byzance, Suïdas, et aussi dans les Itinéraires d’Antonin et d'Hiéroclès; tandis que Pindare, Hérodote, Strabon et Plutarque, écrivant d’après d'anciennes traditions, parlent de la ville de Mendès. Pline lui-même ne fait mention que de la bouche et de la préfecture Mendésiennes (4). Ici s'applique la réflexion que j'ai faite en commençant cet article : après sa ruine, Mendès aura été rebâtie à une lieue plus loin; les maté- riaux y auront été transportés, et le nom de Diospolis aura succédé à celui de Mendès, comme le nouveau site à l’ancien (5). Le culte attribué par les auteurs aux habitans de Îa préfecture Mendésienne est confirmé par les médailles du nome. On voit sur la légende MENAH3IOE une figure de Jupiter tenant un bouc dans sa main droite : le petit module n’a que le buste du dieu (6). D'Anville a donné le nom d’Achmoun-Tanäh au village qui a succédé à Mendès : mais la carte présente ici deux localités différentes; lune, Achmoun, avec plusieurs hameaux, à une lieue vers le nord de Tell el-Debeleh; l'autre, Tannäh, à une lieue vers le sud. En résumé, l'autorité d'Hérodote étant formelle en faveur de l'existence de deux nomes différens, qui certainement avoient chacun un chef-lieu, je pense, 1.° que Thmuïis et Mendès ont existé séparément, que ces deux villes avoient le même culte, et qu'elles étoient situées, l’une à Fmây el-Emdyd, l’autre à Ach- moun, sur la branche Mendésienne; 2.° qué Diospolis a succédé d’abord à la (1) Jablonski a observé, et d’autres après lui, que la (4) Étienne de Byzance nomme aussi la ville de lettre ne pouvoit entrer dans un mot Égyptien. (Voyez Mendès. | Panth, Ægypt, pl. 1, p. 272. Voyez aussi l'Egypte sous (s) Selon Ptolémée, Mendès et Fhmuis auroient été les Pharaons, t.Il,p.128.) placées entre les branches Busiritique et Athribitique; (2) ÆHisr. lib. 11, cap. 46, mais il faut entendre entre la Busiritique et la Tanitique. (3) Voyez Jablonski, Panth. Ægypr. (6) Voyez pl. 58, fig. 26, Ant. vol. V. D'ATHRIBIS, DE THMUIS. CHAP,. XXII. 2 I seconde de ces villes, en qualité de capitale du nome Mendésien, circonstance qui a achevé de causer la ruine entière de la ville de Mendès {1}; 3.° que Thmuïs est devenue à son tour, et dans les derniers temps, le chef-lieu de la préfecture Mendésienne. Lycopolis de la basse Egypte étant placée par Strabon immédiatement avant Mendès, j'en ferai mention ici, quoique ce lieu paroïsse hors du nome Mendé- sien. Je-procéderai comme toutàl’heure, pour en chercher la place, que d’An- ville n’a pas assignée : « Dans l’intérieur des terres { dit Strabon, après avoir parlé » de Buto), au-dessus des bouches Sébennytique et Phatnique, on trouve » Xoïs...., Hermopolis, Lycopolis et Mendès. » La direction de tous ces lieux est bien évidemment de l’ouest vers l'est. On peut s'arrêter à une position distante d'environ trois lieues de Tell el-Debeleh, et d’une lieue environ de Man- sourah au sud-est, vers le village de Chahä. Cette position convient aux passages de Strabon et d’Étienne de Byzance, qui placent Lycopolis, le premier, auprès de Mendès, et le dernier, dans le nome Sébennytique. Étienne ajoute à Lycopolis l'épithète de ræexælardoois où maritime, tandis que le nome Sébennytique ( du moins le sypérieur, car il y avoit un nome Sébennytique sférieur ) est très-éloïgné de la mer. Pindare supposoit aussi Mendès sur le bord de la mer, maex xpnmèv Sañaroas, méprise qui lui a été justement reprochée par Aristide le sophiste (2), et que Strabon, qui le cite, n'avoit pas relevée (3): mais c'est cette erreur même qui explique celle d’Étienne de Byzance, et prouve la proximité de Lycopolis et de Mendes. Selon une autorité plus imposante, Lycopolis appartient au nome Busirites ; c'est, comme je l'ai dit plus haut (4), la PIERRE DE ROSETTE : mais je pense, et déja j'ai eu occasion d’en faire la remarque, que les Grecs ont été embarrassés de traduire dans leur langue le nom de l'animal honoré par les Égyptiens, et qu'ils auront employé à cet effet, tantôt le mot x«v, et tantôt le mot Avws (5); c'est la ville de Cynopolis qui faisoit partie du nome Busirites. Cette conjecture concilieroït le monument avec le témoignage d’Étienne. S. II. Nome Léontopolites. IL y a très-peu de détails dans les écrivains sur cette préfecture; cependant Ptolémée peut en faire deviner l'emplacement, non par la latitude, maïs par la situation relative. D'après cette donnée, j'avois placé le cheflieu, Léontopolis, à la grande colline qui est au sud et à 12000 mètres de Tmây, non loin du village d'el-Mengalah. Un passage de Strabon confirmoit la position générale du nome de ce nom; (1) Je ne place point Mendès à Tell el-Debeleh, comme (4) Page 0. M. Gratien Le Père, parce que Strabon distingue Méndès (s) Le loup, dit Diodore, a été honoré à cause de sa de Diospolis, et qu’il n’y a pas d’autres ruines de ce côté. ressemblance avec le chien ; car leurs natures différent (2) Orat. Ægypt. tom. IT, p. 360, ed. Jebb. peu, et leurs espèces peuvent s’accoupler et se reproduire. (3) Lib. xvir, p. 802. (Lib. 1, p.260, t. 1, ed Bipont.) 2,2 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS voici ce quil dit: Léontopolis, entre le canal Bustritique et le Bubastique. Aïnsi Léontopolis étoit peu éloignée de la branche Busiritique: « Au-dessus des bouches » Mendésienne et Tanitique, dit-il encore, on trouve un grand lac, les nomes » Mendésien et Léontopolites, Aphroditopolis (x) et le nome Pharbætites ( 2).» L'inspection de la carte fait voir que ce texte est bien expliqué par la position que j'ai donnée à ces trois nomes : on peut ajouter que, dans l’énumération du même Strabon, on voit la ville de Léontopolis précédée de Mendès et de Diospolis, et suivie de Busiris et Cynopolis ; ce qui suppose une position intermédiaire au milieu de ces quatre villes. Le passage suivant de Xénophon d'Éphèse, où la ville de Léonto est citée, n’est pas propre à donner beaucoup de lumière sur ce sujet: déAdovres pêv S Tadra èm Acorr® épyorrg mA (3); Hemsterhuis a lu ici Taèa (sans trop de motifs }, au lieu de raÿra : car il y a un grand intervalle et même deux préfectures entre Taua et Léontopolis (4). Dans cette incertitude, un ren- seignement inespéré est venu confirmer pleinement ma conjecture. L’habile administrateur auquel je dois la plupart des renseignemens que j'ai donnés sur les restes de Tmây {$), et qui a parcouru le pays attentivement, m'a fourni aussi le nom que porte la butte voisine d’el-Mengalah, que je regardoïis, par sa seule posi- tion, comme étant le reste de. Léontopolis. M. de Chanaleïlhes ajoute qu'en ce lieu sont de très-grandes ruines. Les habitans l'appellent 7e/-Tänboul Job D: colline de Tänboul, nom qui avoit échappé aux ingénieurs Français ; de plus, deux autres villages, appelés aussi Tnboul, existent à une lieue environ du même point. I me semble difficile de ne pas reconnoître ici le nom Grec et le nom Latin de l'ancienne ville. Je regarde Tänboul {ou Tônboul) comme la corruption et l'abréviation de Leontônpols. Les Arabes ont, comme par-tout, supprimé la finale, et substitué le # au p, et de plus ils ont retranché, maïs d’une manière plus bizarre qu'ailleurs, les deux premières syllabes du mot, afm de le réduire à deux : car c'est pour eux un usage, et, pour ainsi dire, une nécessité euphonique, de ne pas admettre des mots de plus de deux ou trois syllabes; on ne citeroit guére, comme exemple du contraire, qu'Eskanderyeh ou Skanderyeh [ Alexandrie ]. C’est ainsi que de Naucratis ils ont retranché Naz | d’où est venu le nom actuel Xr4t (6) où Kourät) , et que de Bubastus ils ont fait Bastah | supposé que le nom ne soit pas directement tiré du qobte), comme de Taposiris, Bousyr et Abousyr, &c. Is ont fait aussi le contraire, en ajoutant (non plus devant le nom Grec ou Romain, mais devant le nom indigène) un é4f, comme syllabe euphonique, exemples : 4-574 ou Esné, A-inas, A-khmym, A-chmoun, A-souän, A-scyt, &c. Quant à la finale maus ajoutée par les Grecs, tantôt les Arabes ont ôté 1, comme ici dans Leonténpoñs; tantôt les deux syllabes ca46, comme au nom d’Æelopolis dont ils ont fait H-elioub [ Q-elyoub |; et le plus souvent, le mot tout entier. La Notice d'Hiéroclès place Léontopolis dans la seconde Augustamnique,”’EIAP- XIA A’YTOTETA B'; peut-être faut-il la ranger dans la première : c’étoit le chef-lieu : (1) Cette Aphroditopolis est une quatrième ville du (3) Lib. 1v, p. 51. nom en Égypte; car il n’est pas possible de la confondre (4) Anton. Aug. Ttinerarium , p. 728. e avec celle du nome Prosopites. (s) Voyez plus haut, p. 15, note 3. (2) Lib. xvi1, p. 802. (6) Voyez les Mémoires sur la géographie comparée. + D'ATHRIBIS, DE THMUIS. CHAP. XXII. 23 d'un évêché. Une médaille de nome porte AEONTOIOA (1), avec un lion qu'une figure drapée tient dans sa main. Une autre, du plus petit module, présente un lion courant, avec ces lettres AEON. II est remarquable que cette forme ZLeontopol est d'accord avec le nom actuel Tänboul {ou Ténbol), pour la finale; le texte de Ptolémée porte AEONTON : maïs dans la Notice d'Hiéroclès on lit AEONTO; c’est ainsi qu'on trouve dans les itinéraires AYKQ pour ATKON, KYNO (2), &c. Les deux expressions sont équivalentes; Je crois qu'on peut s'en tenir à l'orthographe du texte de Ptolémée. En résumé, je pense que 7e//-Tänboul est l'emplacement du chef-lieu du nome Léontopolites: cet emplacement n'avoit pas encore été assigné par les géo- graphes (3). (1) Voyez pl. 58, fig. 17, Ant, vol. V. au lieu du nom Grec; ou bien ïl n’a voulu parler que (2) Quand on lit dans Eusèbe, parlant de lusage qu’a- des Égyptiens de son temps: mais ce nom même de voient les Égyptiens d'imposer à leurs villes les noms des Acéyrw étoit bien antérieur à lui. animaux vénérés, dm mÿ Aéormç Thy Acoyræ. . .. (in Esaï. (3) Le P. Sicard avoit indiqué Tell-Essabé; maïs c. xxx ), il faut substituer par [a pensée le nom indi- j'ignore où est cet endroit : si c’est l’analogie des noms qui gène, que le savant évêque de Césarée auroit dû citer Va fait désigner, il auroit fallu écrire celui-ci 7 e/l es-Sebäu”. 2 À ANTIQUITÉS D'ATHRIBIS, DE THMUIS. TABLE. SECTION PREMIÈRE. Dsscripri ON des ruines d’Athribis, et remarques sur les villes des nomes d'Athribis, de Busiris, de Pharbætus et de Bubaste........... page 1. SL nNomenArhribites SLA NS MON SRE rh dl ibid. ATHRIBIS, PSENACO, PANAHO. SE TANOTE SDuSrriese in ee EE Ne ADMET APRES RENE 6. CYNOPOLIS, BusiIRIS, SONBÂT, ET AUTRES LIEUX DU NOME ET DU VOISINAGE. ST OEM ar uite see 2 A DA Er RER TUNER AE RSR 10. PHARBÆTUS, PSENETAÏ. SV None Pbbtites de ie EE TE EN AUS ET METRE Te BUBASTE, PSsENSIHO, SINUATI, SENPHU, PHELBÈS, Vicus JUDÆORUM, THOUM, &c. SECTION Il. Description des ruines de Thmuis, et remarques sur les villes des nomes de Mendes et de Léontopolis......... ROSES CNET PRE ACER 15. SLT Nome:Mendésiens Me NE EE CSN à Et AR RENE ES ibid. 1. THMUIS. 2, MENDÈS ADIOSPOLIS N'IVCOPOLIS 0, SN EN Ne NON SERRES 18. ST Nommer Eéantopolites SERRE IE AE PROPRES + 21. DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS SITUÉES DANS L'ISTHME DE SUEZ : PAR M. DEVILLIERS, s INGÉNIEUR EN CHEF DES PONTS ET CHAUSSÉES. TT A A TS CHAPITRE XXIV. D D D De D D CD D Les opérations dépendantes du nivellement de listhme de Suez ont conduit les ingénieurs qui en ont été chargés, sur diverses ruines, que peut-être, sans cette circonstance, on n'auroit pas découvertes. Ces ruines, quoique peu considérables, sont cependant d'un grand intérêt pour la géographie ancienne. J'ai participé aux opérations du nivellement de l’ancien canal des deux mers; et j'ai fait, à diffé- rentes époques, des reconnoïssances qui mont fourni occasion de parcourir l'isthme dans tous les sens. D'abord je fis partie du premier détachement qui fut envoyé en Syrie par Belbeys, Sälheyeh et Qatyeh. Dans un second voyage, j'allai du Kaire à Suez avec M. Girard, par la vallée de l'Égarement, dont je levai le plan. Peu après, je fis une excursion de Suez vers le centre de l’isthme avec M. Rozière, en me dirigeant sur Belbeys et Qatyeh. Notre but principal étoit d'avoir des nouvelles de l'armée Française, dont nous étions séparés depuis long- temps avec un assez foible détachement: c’étoit le moment où l’armée du grand vizir marchoit par el-A’rych sur l'Égypte : notre incertitude étoit telle, que nous avions fait des préparatifs pour assurer notre retraite par la mer Rouge sur un petit bâtiment de guerre nouvellement construit. Après la capitulation d’el-A’rych, Je retournai de Suez au Kaïre par la route directe. Dans un troisième voyage, je suivis les traces du canal des deux mers depuis le Kaire jusqu’au centre de l'isthme, et Je revins au Kaire en nivelant toute cette ligne avec M. Févre. Dans un qua- trième voyage avec MM. Le Père et Chabrol, que j'ai ramenés sur les bords du Nil par la vallée de l'Égarement, n'ayant aucun guide, et muni seulement des ren- seignemens que javois recueillis dans mon précédent voyage, je parcourus toute la ligne du canal depuis le Kaïre jusqu’à Suez. Enfin, dans un cinquième voyage, je suivis, accompagné de M. Viard, le canal du Kaire et celui d’Abou-meneggeh, ADS A 2 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS SITUÉES jusque dans la vallée de Tomalât. Dans ces différentes excursions, j'ai vu plusieurs fois les antiquités dont la description fait l'objet de ce chapitre. J'ai adopté dans cet écrit l’ordre suivant lequel j'ai visité ces ruines lors de mon quatrième voyage: c'est-à-dire que je conduiraï le lecteur du Kaire à Suez par Belbeys et la vallée de Tomalät. Je m'attacherai souvent à la situation actuelle des lieux, qu'il est indispen- sable de bien connoître pour juger sainement les questions relatives aux antiquités; j'entrerai dans quelques détails sur le canal qui, après avoir traversé la capitale de l'Égypte moderne, longe le désert, et se réunissoit autrefois au canal des Rois, parçe que je l'ai plus particulièrement étudié, et que ce qu'on en a dit ailleurs me paroît susceptible de développemens intéressans sous plusieurs rapports. Le canal du Kaïre, après avoir traversé cette ville, se rend, sans changer de direction, à Seryäqous. En plusieurs endroits, et sur-tout aux environs de ce dér- nier village, il est très-large, et hors de proportion avec la petite quantité de ter- rain qu'il arrose; ce qui ne permet pas de douter que la navigation ne fût sa desti- nation primitive. Les villages situés à l'est sont les seuls qui en tirent à présent l'eau nécessaire à l’arrosement de leurs champs. Les petits canaux par lesquels elle s'écoule après avoir arrosé la campagne, en versent le superflu dans la partie la plus basse de cette plaine, et forment en hiver le Birket el-Häggy, ou lac des Pélerins, appelé aïnsi parce que c’est le rendez-vous des caravanes qui vont à la Mecque. Les environs d'Abou-Za bel, village situé à une lieue au nord de Seryäqous, conservent aussi, pendant une grande partie de l'année, l’eau qui y arrive par de petits canaux dérivés de celui du Kaiïre, et qui sont indiqués sur la carte que nous avons levée de ce canton de l'Égypte (1). En suivant les limites du terrain cultivé, on ne tarde pas à rencontrer les traces d’un canal qui devient plus large et plus profond à mesure que lon approche de Tell-Yhoudyeh, et qui passe entre les ruines que l’on voit en cet endroit et le dé- sert. Le terrain inculte qui borde l'Égypte depuis le Kaire jusqu'à Tell-Yhoudyeh, est une plage de sable de quinze cents mètres environ de largeur, couverte de silex, vulgairement appelés cailloux d'Égypte, et bordée par des dunes de sable de différentes hauteurs. Ces dunes sont coupées de distance en distance par de petits vallons, où il y a de la végétation; leur direction se rapproche de plus en plus du terrain cultivé, et y touche en face de Tell-Yhoudyeh. Dans cet endroit on voit le rocher à découvert : c’est un grès extrêmement dur, dont on trouve une grande quantité de morceaux dans les décombres de Tell-Yhoudyeh. Ce terrain rocailleux s'élève sensiblement vers la droite, et est couvert de débris quiannoncent les restes d’une ancienne ville ou d’un établissement considérable. Une digue, que l'on ouvre, comme toutes celles de l'Égypte, à l'époque des grandes eaux, joint ces ruines à celles de Tell-Yhoudyeh. Il est bien difficile de ne pas voir dans ces di- verses ruines lesrestes de celles du vicus Judæorum, du castra Judæornm et de Ÿ Orion : je n'entrerai pas toutefois, pour le prouver , dans la discussion des distances rapportées par les itinéraires; distances qui diffèrent beaucoup entre elles, et dont (1) Voyez PAtlas, feuille 24, DANS L'ISTHME DE SUEZ. CHAP. XXI. 2 les unes sont favorables et les autres contraires À cette opinion : je rappellerai seulement que l’Onion étoit un temple consacré à Dieu, semblable à celui de Jérusalem, mais plus petit et moins riche, bâti par Onias, aux environs de Bubaste et d'Héliopolis, avec les matériaux d'anciens temples, et du consentement de Ptolémée Philométor, conformément à une prophétie d’Isaïe qui remontoit à six cents ans (1). Ce temple d'Onion étoit à cent quatre-vingts stades de Memphis; trois cent quarante-trois ans après sa construction, il fut fermé et le culte anéanti par les ordres de Vespasien, exécutés par Lupus et par Paulin, son successeur au gouvernement de l'Égypte. La colline de décombres de Tell-Yhoudyeh est fort élevée et très-étendue; on y trouve une grande quantité de petits fragmens de cristaux de roche, et d’autres pierres fines travaillées. Après la digue de Tell-Yhoudyeh, le canal, vis-à-vis Zefteh-Mechtoul, se réunit bientôt, en différens points, à celui d’Abou-meneggeh. Quand les habitans d'Abou-Zabel et des villages voisins ne reçoivent pas assez d'eau par le canal du Kaire, à cause de son interruption près d'Abou-Za’bel, ils vont couper la digue de Tell-Yhoudyeh, afin d'en tirer du canal d'Abou-meneggeh. L'interruption du canal du Kaire près d'Abou-Za’bel ne provient que de l'incurie des habitans. [ls perdent aïnsi une partie du terrain qu'ils pourroient cultiver; car il est certain qu'autrefois les limites du désert, de ce côté, étoïent beaucoup plus reculées. Les grandes inondations, en surmontant de temps en temps les obstacles qui proviennent de cette négligence, en font connoître toutes les tristes consé- quences. En effet, en 1800, l'eau, s'échappant à l’est d'Abou-Za’bel, s’est enfoncée fort avant dans le désert, et est arrivée, suivant une direction qu'on ne se rappeloit pas de lui avoir vu prendre, auprès d'el-Menäyr. Le village de Zaouâmel a de même été tourné par les eaux du canal d’Abou-meneggeh. Le canal dont je viens d'indiquer le cours à travers la ville du Kaiïre et près d'Abou-Za bel, où il est obstrué, qui passe ensuite entre Tell-Yhoudyeh et les ruines situées dans Île désert, pour se réunir après à celui d'Abou-menegvgeh, est ouvert sur de trop grandes proportions dans quelques-unes de ses parties, aïnsi que je l'ai déjà fait remarquer, pour n'avoir été qu'un simple canal d'arrosage; c’étoit indu- bitablement, dans l'origine, un canal de navigation. C’est un fait qui paroît constant, et qui ne doit pas être oublié. Je suivrai désormais le canal d’Abou-meneggeh, dont le cours est bien connu par d'autres Mémoires déjà publiés. J’ajouterai seulement à ce qui a été écrit par mes collègues (2), que les différentes parties de ce canal portent des noms distincts. D'après des renseignemens qui m'ont été donnés sur les lieux, ce canal prend suc- cessivement les noms d’Abou-meneggeh, Zouk, Mersé, Ramri, Ramel et Soudi. L’éten- due de chacune de ces diverses parties ne m'a pas été bien désignée; mais j'ai retrouvé le nom de Sozd à l'entrée de la vallée des Tomalät. (1) Voyez Josèphe, Histoire des Juifs, liv, x111, M. du Bois-Aymé sur les anciennes branches du Nil chap. Vi; et Guerre des Juifs, liv. VIZ, chap. xxxv1. et ses embouchures dans la mer, 4. M, tom, Le, (2) Woyez le Mémoire de M. Le Père sur le canal pag. 277; et la Description de la province de Qelyoub des deux mers, Æ. M, tom. 1”, pag. 21; celui de par M. Jomard, SET LAND:  DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS SITUÉES Zefieh, près duquel le canal du Kaire se réunit, ainsi que je l'ai dit, à celui d'Abou-meneggeh, est une élévation analogue à T'ell-Yhoudyeh, mais moins con- sidérable. Il en est de même de Tell-Gerâd et de Tell-Minyet-Habyb appelé Camp des Romains, près desquels passe également le canal d'Abou-meneggeh. Ces quatre ruines présentent le même aspect : on y remarque les mêmes constructions en grosses briques; elles sont certainement du même temps. Le canal se perd dans le sable au village de Choulyeh; maïs on en retrouvé les traces le long de la route de Belbeys, et il reprend toute sa largeur au village de Gheyteh. On a substitué à la partie qui est envahie par les sables une multitude de petites dérivations, que j'ai indiquées, autant qu'il a été possible, sur Îa carte (1). Elles peuvent donner passage à toute l’eau du canal; maïs elles ne peuvent porter les barques qui y naviguent, et qui, en conséquence, sont obligées de s'arrêter au-dessus de Choulyeh. Quelques autres dérivations au-dessous de Gheyteh conduisent les eaux près de la grande digue de Belbeys; mais le canal, en faisant des détours très-multipliés, passe à un quart de lieue de cette digue et près de Myt-A’âmel. Il se rend ensuite à Myt-Rabya’h, et près de Tell-Chnyk, où nous avons été obligés de le quitter. Belbeys ne présentant rien de remarquable, sur-tout sous le rapport des antiquités, nous ne nous y arréterons pas : nous poursuivrons notre route le long des traces de l’ancien canal, en laïssant à droite la plage très-étendue et peu inclinée à l'horizon qui, à une demi-lieue au-dessus de Belbeys, succède aux collines calcaires. Nous avons été informés que le canal que nous avions été obligés de quitter près de Tell-Chnyk, se rend à Mehenà et ensuite à Ba’tyt. Nous l'avons en eflet re- trouvé près de ce village; mais nous n'avons pu ni le remonter ni le descendre: nous avons appris seulement qu'il passe près d'A’mryt et de Gezyret el-Soueh. Une grande dérivation, prise vis-a-vis de Ba’tyt, porte les eaux contre la grande digue de Senykah, en un point où il existoit autrefois un pont. C’est un des lieux où l’on coupe quelquefois cette digue, qui ferme entièrement l'entrée de la vallée de POuädy, lorsque l’on veut y introduire l’eau du Nil. On la coupe aussi quelquefois en un lieu situé un peu au sud du précédent, où il y avoit un grand pont d'une seule arche, appelé Qantarat Aoulad-Seyf. Les eaux qui proviennent de ces deux coupures se réunissent, après le passage de la digue, dans un canal appelé Bar Abou-Ahmed, par où elles se rendent dans un lac appelé Birket el Sery- geh. Ge lac est appuyé sur une seconde digue qui traverse FOuädy, entre A’bbâceh et Râourny, dans une direction moins oblique, et par conséquent moins longue que la premiere. Le Birket el-Serygeh reçoit aussi le canal appelé Bañr el Bagar, qui part de la digue de Senykah, en un lieu appelé Qata’ el-Tarbouch , situé entre Senykah et Mesed. C’est là que l'on coupe le plus ordinairement la digue de Senykah. Les eaux y arrivent par le Bahr el-Tarbouch, ou el-Ramri, lequel tire ses eaux du canal d'Abou-meneygeh, au-dessous de Ba’tyt, par le canal Abou-daffar ou el-Soudi. (1) Voyez l'Atlas, feuille 24, DANS L'ISTHME DE SUEZ. CHAP. XXI. $ Après avoir passé la deuxième digue, qui s'étend d'A’bbâçeh à Râourny, les eaux se réunissent dans un canal qui prend le nom de Bar el-Boueb , ou Abousyr. En 1800, toutes les digues ont été renversées ou surmontées par les eaux. Les habitans des villages ne savoient même pas toujours de quel côté leur étoit venue l'eau qui les environnoit. Il paroït que les canaux qui passent près des ruines de Bubaste ont fourni une partie de celles qui remplissoient l'Ouädy. La petite vallée dans laquelle est situé le village de Cheykh-Nâser, à »4 passer les eaux dans les deux sens, nous a dit un Arabe dans son langage figuré. Celles du canal d'Abou- meneggeh ont été arroser le territoire de Koräym, et, quelque temps après, les eaux des canaux de Bubaste sont venues refluer dans l'Ouädy. I existe sur la digue de Senykah des établissemens qui ont servi autrefois à la caravane de la Mecque, lorsqu'elle passoit, dit-on, par l'Ouâdy. Le Birket el- Serygeh portoit alors le nom de Brrket el-Häpgy | lac des Pélerins ]. Les voyageurs évitoient Suez, et se rendoïent directement au golfe d’el-A’qabah. Nous n'avons pu reconnoître en détail le terrain compris entre la digue de Senykah et celle d’A’bbâçeh, l'eau couvrant encore tout ce pays au moment de notre voyage. L’inondation extraordinaire de 1800, dont on n’avoit pas eu d’autre exemple depuis plus de trente ans, a rendu lOuädy inculte pendant un an. On na pu semer que la lisière de linondation, à mesure que les eaux, qui étoient restées dans les parties basses de la vallée, disparoïssoient par l'effet de l’imbibition du sol ou de l'évaporation. Les hauteurs du Nil entièrement favorables à la culture dans l'Oüady ne se présentent guère que tous les cinq ou six ans : quand elles sont trop fortes, elles dévastent tout; et quand elles ne le sont pas assez, les habitans de Tomalât sont obligés d'ouvrir à main armée les digues de Senykah et d’A’b- bäçeh, afin d'avoir un peu d’eau, qui se maintient quelque temps dans les puits, et sufht à peine à une chétive culture consistant en trèfle, dourah, meloukhyeh et bamyeh. On voit que ce misérable canton est tous les ans dans la triste alternative, ou d'être submergé, ou d'être privé d’eau. H n’en étoit pas de même lorsque le canal de Suez étoit entretenu : il étoit établi à mi-côte sur le revers septentrional de la vallée; on pouvoit donc en tirer à volonté la quantité d’eau nécessaire pour les irrigations, sans avoir besoin de couper les digues de Senykah et d'A’Hhäçeh. On remarquera qu'il est très-probable que ces deux digues ont été construites pour maintenir les eaux à un niveau élevé dans un grand bassin irrégulier, où elles pouvoïent être mises en réserve, et pour les empêcher de se répandre soit dans les plaines d'Égypte, soit dans fOuâdy. La digue de Senykah devoit originaire- ment faire suite à celle de Belbeys. | Dans une position qui domine ces deux digues, à deux cents mètres à l’ouest de Râourny, on trouve les ruines d’une ancienne ville (1). Cette position me paroît convenir mieux à l'emplacement de Tohum ou Thou, qu'A’bbâceh, où lon n'a pas reconnu de ruines, et d'où elle n'est pas très-éloignée. (1) Voyez le Mémoire sur le canal des deux mers, É, M:1om. 1", pag. 172. 6 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS SITUÉES À partir de Râourny, l'Ouädy est bordé au sud par des dunes de sable, qui se prolongent jusqu'à Abou-Nechabeh : elles ont une lieue de largeur vers ce point. L'autre côté de la vallée estune plage très-unie, couverte de cailloux. La plus grande hauteur d’eau dans la vallée a existé entre A’bbâçeh et Râs el-Ouädy. D'après le rapport des habitans de Tomalät el-Cheryf, on peut l’évaluer grossièrement à cinq mètres (1) près d’A’bbâçeh. Quand les eaux baissent, les environs d’'A’bbâceh se découvrent d’abord; les terraïns voisins de Râs el-Ouädy se dessèchent ensuite, et les limites des eaux se resserrent successivement en approchant d’Abou- Nechabeh, vis-à-vis duquel paroît être le point le plus bas de la vallée. Au milieu de la partie de la vallée qu'on nomme Rés eOuädy, on trouve un monticule sur lequel on remarque les restes d'une enceinte en briques crues, et çà et à des fragmens de grès, de granit, et d’autres traces d’une petite ville aban- donnée. Ce monticule, élevé de vingt à vingt-cinq pieds, devoit former une île dans le temps où cette vallée étoit inondée (2). Une digue, quel'on ne coupe jamais, traverse en cet endroit la vallée. En 1800, elle a été renversée par les eaux, qui se sont répandues vers Räs el-Moyeh, après avoir passé près d'Abou-Khachab, du Mouqfr, de Saba’ h-byâr et de Cheykh el-Nedy. Cette extension des eaux est extrêmement rare; on n'en avoit pas de souvenir depuis plus de trente ans. L’Ouâdy ou le terrain cultivable de la vallée des Tomalät finit à cette digue, ainsi que l'annonce le nom de Räs c-Ouädy : maïs la vallée naturelle, celle que les eaux ont suivie en 1800, s'étend bien au-delà. Abou-Khachab où Abou-Keycheyd est situé sur le bord de l'ancien canal des deux mers, au milieu de la vallée, vers les 29° 45° so" de longitude et 30° 32 4$ de latitude. Les ruines considérables que les Arabes appellent Aoz- Keycheyd, et au centre desquelles il existe encore un monument Égyptien, ont tous les caractères d’une ville Égyptienne. Ce monument, représenté planche 20 du vo- lume V des Antiquités, fig. 6,7 et 8, consiste dans un monolithe de granit rouge, taillé en forme de siége à dossier, sur lequel sont assis, à côté l’un de l’autre, trois personnages Égyptiens. Ces personnages sont de grandeur naturelle ou un peu plus, vêtus seulement d’une espèce de caleçon d’étoffe rayée ou plissée, et coiffés de bonnets symboliques. Le monument est encore bien établi d'aplomb sur sa base. Les figures regardent l’orient : elles étoient enfouies jusque sous la poitrine; mais, ayant fait creuser autour, on a pu les voir en entier et les mesurer. M. Févre en a fait le dessin, qui a été gravé planche 209: du volume V des Antiquités. Le dossier du siége s'élève au-dessus des têtes des personnages, et jusqu'au sommet de leurs bonnets : il est entièrement couvert d’hiéroglyphes, qui forment un tableau régulier et complet. Les deux faces latérales du siége, ainsi que sa face antérieure, entre les jambes des figures et sous leurs pieds, ne sont pas moins richement dé- corées. On voit encore, sur les buttes de décombres qui couvrent l’ancien empla- cement de la ville, beaucoup de gros morceaux de grès semblables à ceux qu’on (1) Quinze pieds. (2) Voyez le Mémoire sur le canal des deux mers, £, 1. tom, 1,7, pag. 174, DANS L'ISTHME DE SUEZ. CHAP. XXIW. 7. ” extrait des carrières de la montagne rouge près du Kaire, d'où ils semblent pro- venir. On y voit aussi des blocs de granit et de marbre. Les fragmens portent des hiéroglyphes. On y trouve enfin des restes de constructions en briques cuites et non cuites, des morceaux de verre, &c. Tous ces débris sont semblables à ceux que, dans la basse Égypte, on rencontre à la surface du sol dans les emplacemens des villes détruites. MM. du Bois-Aymé et Le Père ont placé, avec d’Anville, Heroopolis à Abou- Keycheyd : la lecture de leurs Mémoires fera connoître les raisons qui les y ont décidés, et que je croïs encore devoir: admettre, malgré l'opposition de senti- ment de M. Rozière, notre collègue, et de M. Gossellin. M. Rozière y voit Avaris (1). M. Gossellin, dont l'opinion est rapportée par M. Le Père dans son Mémoire sur le canal des deux mers (2), n’y peut reconnoître Âeroopolis, qu'il persiste à placer près des bords actuels de la mer Rouge. À cinq mille mètres à l'est d'Abou-Keycheyd est un lieu désigné sous le nom de Moug fr, qui veut dire désert ; il offre des ruines qui ont le caractère d’un établisse- ment public, et qu'on pourroit considérer comme ayant servi de douane ou de poste pour la sûreté de la navigation. Cet établissement, qui est sur la rive nord du canal, a dû être important, à en juger par l'étendue des décombres qui l’avoisinent. Nous y avons trouvé plusieurs blocs de granit, dont un, après avoir été consolidé, a servi de repère dans le nivellement (3). Les Arabes appellent cet endroit Mougfär be-kimän | caché par les sables |; ce qui se rapporte assez bien à l’état de ces Tuines : NOUS avons conservé ce nom, qui n'est peut-être qu'un qualificatif. On retrouve en ce lieu toutes les fondations d’un vaste bâtiment, qui ne s'élève plus que de quarante à soïxante centimètres au-dessus du sol environnant ; il est de forme parallélogrammique de 48",70 sur $2",60, construit en briques non cuites. Les dispositions intérieures indiquent des chambres à la manière des okels-karavanseraïls sou magasins publics à l'usage des commerçans voyageurs en Égypte (4). C’est à l'angle nord-est de ce bâtiment que l'on a placé le bloc de granit dont j'ai parlé, comme ayant servi de repère du nivellement. Le sol envi- ronnant est couvert çà et là d'autres vestiges d'anciennes constructions. Ces ruines sont représentées planche 29, fig. $, Antiquités, vol. V. L'orientation du plan du bâtiment n'est indiquée qu'approximativement. En 1800, l'eau, étant arrivée en grande abondance à Râs el-Ouâdy, ainsi que je J'ai dit plus haut, s'y étoit étendue sur une superficie considérable, et étoit montée jusqu'aux feuilles des palmiers des jardins. Ayant tourné ou rompu les digues, elle s'étoit creusé un lit très-profond, avoit rongé les dunes, et couloit avec une vitesse que l’on peut évaluer à quatre pieds par seconde vers le Mouqfàr. Le fond du canal en cet endroit étoit couvert de 4 pieds 6 pouces 3 lignes d’eau; et comme il est à 15 pieds 10 pouces 2 lignes au-dessous des hautes marées de la mer Rouge {s) (1) Mémoire sur la géographie et l’ancien état descôtes (3) Voyez É. M. tom. L.", pag. 4 et 40. de la mer Rouge, A. M; tom, 1, pag, 160. (4) Voyez E, M. ton. L*, pag. 165. (2) Voyez E. M. tom, I, pag. 157. (5) Voyez les cotes du nivellement. 8 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS SITUÉES . il s'ensuit que les eaux étoïent arrivées à 11 pieds 3 pouces 1 1 lignes du niveau de ces hautes marées. Plus loin, après avoir fait un grand détour, l'eau est répandue dans deux grands bassins de-sept à huit lieues de tour, qu'elle a remplis. C’est au milieu de ces lagunes formées par les inondations extraordinaires du Nil, à qua- torze mille mètres à l'est du Mouqgfar, et à l’extrémité du canal fort large, et de deux cents mètres de longueur, dérivé de celui des deux mers vers l'est, que M. Le Père a judicieusement placé Thaubastum, dont Ortélius a dit + Circa paludes Arabiæ videtur (1). À trois mille cinq cents mètres au sud-est de ces ruines est le santon de Cheykh el-Nedy, situé sur une colline, au pied de laquelle les eaux sont arrivées en_1800. À huit mille deux cents mètres environ au sud-est des ruines de Thanbastum , on rencontre ün monticule portant à sa sommité des ruines assez remarquables : elles consistent dans des débris épars de gros blocs de granit et de grès polis, portant des moulures de corniche qui ont dû appartenir à une rotonde de quinze à vingt pieds de diamètre. C'est là que MM. Le Père et du Bois-Aymé placent avec raison Île Serapeum, dont il est fait mention dans l'Itinéraire d'Antonin comme station intermédiaire d'Heroopolis à Clysma (2). Quelques autres ruines se trouvent au sud-ouest : on y remarque des fragmens de’ granit, de grès, et d’une pierre calcaire, semblable à celle sur laquelle repose le plateau où sont ces ruines. Ce sol calcaire tient à la chaîne de montagnes qui s'étend jusque près de Belbeys. M. du Bois-Aymé y voit les ruines de Cleoparris ( 3), par suite de son opinion sur les anciennes limites de la mer Rouge, opinion assez généralement adoptée. En quittant ces ruines pour se rendre à Suez, on traverse les bas-fonds de l’isthme qui ont été décrits plusieurs foïs : mes propres observations à ce sujet ont été en partie publiées à la suite de lAppendice au Mémoire de M. du Bois-Aymé sur les anciennes limites de la mer Rouge { 4). Elles n'ont aucun rapport avec les anti- quités ; je n'en parlerai point ici. Sur le bord de ces bas-fonds, à six ou sept lieues de Suez environ, il existe un an- cien monument que j'ai eu l’occasion de voiren 1799 avec MM. Rozière et Alibert. M. Rozière a publié, dans le tome I.® des Mémoires d'antiquités, pag. 265, une dissertation contenant une description de ce monument, que je rappelleraï ici, tant pour ne pas laisser de lacune dans l'exposition générale des antiquités de l'isthme de Suez, que pour faire connoître en quoi mon opinion diffère de celle de M. Rozière, relativement à la position de ces ruines. M. Rozière dit: « Le chemin que nous suivimes en partant de Suez, paroit » n'avoir été tenu par aucun Européen. Après avoir tourné les lagunes qui ter- » minent la mer Rouge, nous continuâmes de nous diriger au nord, déclinant » un peu vers l'est; direction qui, prolongée, doit passer à l'ouest de Qatyeh. » Je pense au contraire que nous n'avons pas tourné les lagunes, et que nous nous sommes dirigés tout d'abord vers le nord, notre intention étant de pousser une (1) Voyez É, M, tom. LT, pag. 155. (3) Voyez Ë. M. tom, L* , pag. 192, (2) Voyez £, M. tom. L.", pag. 40 et 164. (4) Voyez E, ML. tom, IT, pag. 737, DANS L'ISTHME DE SUEZ. CHAP, XXI. 9 reconnoissance entre Belbeys et Sälheyeh. Si nous avions tourné les lagunes, nous aurions immanquablement reconnu les vestiges de l’ancien canal. Ce n'est qu'après avoir vu les ruines dont va parler M. Rozière, que nous sommes descendus dans un vallon, où nous avons trouvé beaucoup de végétation, des campemens d’Arabes et des troupeaux en pâturage. La différence d'opinion qui s’est trouvée entre M. Rozière et moi sur la situation de ces ruines, a empêché de les marquer sur la carte : une nouvelle reconnoïssance des lieux auroît levé toutes les difficultés. Nous l'avons tentée avec MM. Le Père et Chabrol l’année suivante, maïs sans succès. Il est vrai que nous faisions la route en sens inverse, et que nous allions de Belbeys à Suez. Cette question est donc encore à résoudre. M. Rozière continue : « Un » monticule que nous aperçümes sur notre gauche après six heures et demie de » marche, excita notre curiosité. Dans l'Égypte, c’est souvent l'indice d’une an- » cienne ruine. En effet, nous trouvâmes sur son sommet plusieurs blocs équarris, les uns d'un poudingue semblable à celui de la célèbre statue vocale de Mem- »-non, les autres en granit de Syène : ces derniers étoient couverts, non-seulement » de caractères tout-à-fait étrangers à ce que nous avions vu jusqu'alors en Égypte, » mais encore de diverses sculptures emblématiques, d’un travail comparable à celui des plus beaux monumens de la Thébaïde, mais représentant des sujets tout-à-fait différens. V 5) v 2 > °Y 2 ÿ » Nul doute que ces différens blocs ne soient les restes d'un monument construit sur l'emplacement même. ..... Le monticule, que recouvrent maintenant les sables du désert, indique évidemment une ancienne construction, et peut recéler > d’autres débris intéressans. » > Le à V VU Le détachement auquel nous nous étions réunis pour faire une reconnoïssance dans ce désert, ayant une mission militaire et non scientifique, avoit continué sa route en s'éloïgnant de nous, et la nuit approchoit. Il devenoït impossible de sar- rêter plus long-temps pour dessiner complétement les inscriptions et les bas-reliefs; on se décida à en détacher quelques fragmens, et à copier quelques caractères qui sont gravés fig. 1,2, 3 et 4 de la planche 29 du volume V des Antiquités. Un des blocs de granit est décoré, dans sa partie supérieure, du globe aiïlé dans le style Égyptien. Au-dessous est une figure assise d'environ soixante centimètres de proportion, vêtue d'une longue robe qui descend jusqu'à ses talons, telle que l'on en voit dans les bas-reliefs des anciens monumens de Persépolis. La coiffure de ce personnage a de l’analogie avec celle des figures Égyptiennes : elle leur ressemble parfaitement dans la partie qui enveloppe la tête; mais sa partie supérieure repré- sente des créneaux. Ce personnage a le menton garni d’une barbe longue et épaisse qui descend sur sa poitrine ; il tient à la main un long bâton un peu recourbé vers le haut, que termine une tête de chacal très-allongée : deux figures un peu moins grandes que celle-ci, debout devant elle, semblent lui rendre hommage. Les inscriptions sont également sculptées sur le granit; leurs caractères sont semblables à ceux qu'on a trouvés sur les ruines de Babylone et de l’ancienne Persépolis, et qui sont connus sous le nom de caractères Persépolitains cunéiformes. A0 D: B 10 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS SITUÉES Elles sont très-soïgneusement et très-profondément gravées sur un bloc de près d'un mètre de longueur et d'environ soixante centimètres de hauteur, dont elles couvrent en totalité une des faces. Elles sont disposées par colonnes ou bandes, parallèles au plus petit côté de la pierre, larges chacuné de six centimètres, longues de soixante, et séparées les unes des autres par des lignes droites, également tracées en creux. Ces sculptures ne sont accompagnées d'aucun hiéroglyphe pro- prement dit. Voilà tout ce que je puis dire touchant ces ruines intéressantes, qu'il seroit bien important de visiter de nouveau, et près desquelles : faudroit faire des fouilles. À l'extrémité du golfe de Suez et à dix mille mètres au nord de cette ville, existent des ruines qui ont mille mètres environ d’étendue, et qui pourroïent être celles d'Arsinoé, La mer, dans les plus grandes marées, remonte encore au pied de ces ruines. Nous avons remarqué sur la plage les traces d’une tranchée qui se dirige du côté des vestiges de l’ancien canal au nord-ouest { 1). Au nord et près de Suez, il existe un monticule de décombres qui paroît être tout ce qui reste de Qolzoum {2 ). De tout temps les navigateurs ont fréquenté le fond du golfe de Suez; et les lieux voisins de la mer d'où l'on peut tirer de l'eau potable, ont dû être pourvus d’établissemens plus ou moins considérables. Les restes de ces établissements, que nous avons retrouvés, peuvent appartenir à des temps fort anciens; c’est ES nous en ferons mention ici. Les fontaines de Moïse, situées à trois lieues au sud-est de Suez, ont été l’objet des observations de M. Monge, publiées dans le tome L® de l'État moderne, page 409. Il paroît qu'il a existé aux fontaines de Moïse une grande aïguade, dont on ne trouve d’autres vestiges que des parties enterrées, mais qui sont en- core considérables. Ils consistent principalement en restes de grands réservoirs construits avec soin, dans lesquels l’eau des sources étoit amenée par des canaux souterrains, et d'où elle étoit conduite par un aqueduc de quinze cents mètres de longueur, jusqu'au rivage de la mer. Cet aqueduc est construit en maçonnerie dont le mortier nous a paru mauvais; il est couvert dans toute sa longueur, et suit la pente de la plage. Il est encombré sur les cent premiers mètres, mais le reste est en bon état. À cent vingt-huit mètres de la mer, l’aqueduc se termine entre deux mamelons composés de décombres, qui nous ont paru être les vestiges de l’aiguade proprement dite. On trouvera plus de détails à ce sujet dans le Mé- moire de M. Monge que nous avons cité, et dans celui de M. Le Père (3). A quatre cents mètres environ au nord de la dernière source, on trouve un monti- cule assez considérable, uniquement formé par des débris de jarres et d’autres vases de terre mal venus à la cuisson. Là nous avons reconnu dés restes incon- testables de fourneaux. Il y a donc eu en cet endroit une grande fabrique de pote- ries, particulièrement pour les vases propres à embarquer l'eau sur les vaisseaux. (1) Voyez É, M. tom. Le, pas, 149, et l'Atlas, (2) Voyez l'Atlas, pl 11, E, M. pl 27. | (3) Voyez £. Metom, 1,7, pag, 92. DANS L'ISTHME DE SUEZ, CHAP. XXI. 11 Les eaux de la fontaine de Moïse sont d’une température un peu élevée, bouil- lonnantes comme par suite d'un dégagement de gaz, et sulfureuses : leur odeur se fait sentir à quelque distance. À six mille mètres à l’est de Suez, on voit, en un lieu nommé Ergedeh, les traces d’un aqueduc dirigé vers les bords de la mer. À quatre mille mètres au nord-ouest de Suez, est Byr-Suez, que M. du Bois- Aymé croit être Etham, ou la seconde station des Hébreux (1). On y voit deux petites enceintes contiguëés, en partie détruites, dont la construction est attribuée au sultan Selym L.* Au milieu de chacune de ces enceintes est un puits, dont l’eau a un goût désagréable et une forte odeur d'hydrogène sulfuré. On aperçoit au- dehors de l'enceinte les vestiges d’un petit aqueduc qui servoit autrefois à conduire l'eau du puits vers Suez. À quatre lieues au nord de cette ville, est un vieux château fort, où il ya un puits creusé à deux cent quarante pieds de profondeur. On en tire l'eau au moyen d'une machine à chapelet, qui la verse dans un grand bassin où on la laisse reposer. Ce lieu se nomme Ageroud où Haderot, et c'est, suivant M. du Boïs-Aymé, la troisième station des Hébreux, PX-Haliroth (2). À six lieues et demie au sud-ouest de Suez, sont les sources de Touâreq, situées sur les bords de la mer, au pied de la montagne qui limite au nord la vallée de l'Égarement ; les eaux en sont saumâtres : on en trouve toute l’année; seulement elles sont plus ou moïns salées suivant la rareté ou la fréquence des pluies. Entre les fontaines de Touâreq et la mer, on voit quelques monticules de décombres, et sur les bords de la mer, des restes de constructions qui paroïssent avoir appartenu à une aiguade. Des conduits multipliés et semblables à laqueduc des fontaines de Moïse partent de différentes petites buttes pareilles à celle sur laquelle est la fon- taine de Touäreq, et se réunissent dans un espace de cent mètres de longueur, dis- tant de cinq cent vingt mètres de l'aiguade, laquelle étoit à cent trente mètres de la mer. Cela porte à croire que la fontaine encore existante n’a pas toujours été la seule en cet endroit. À vingt pas de la fontaine, en descendant vers la mer, est un réservoir de vingt mètres sur dix-huit : le mortier de ces constructions est excellent. À deux cents mètres au nord-ouest de la fontaine, on remarque une petite butte sur laquelle on voit des débris d’un fourneau et de poteries de terre demi-vitrifiées, qui indiquent, comme aux fontaines de Moïse, une fabrique de “vases à l'usage de la marine. Au pied de la montagne qui forme l'embouchure de la vallée de l'Égarement, vers le sud, sont quatre fours où l’on fabriquoit anciennement la chaux que l'on employoit aux constructions de Suez. Ces fours étoient chauflés au moyen des joncs dont la végétation est entretenue par une source voisine d’eau saumâtre. La vallée de l'Égarement, qui conduit de Suez au Kaïre, et que j'ai parcourue deux fois dans des sens différens, ne renferme aucune ruine. Il n’y existe d’eau qu'en un seul point, à Gandely. (1) Notice sur le séjour des Hébreux en Égypte ct sur leur fuite dans le désert, À, A. tom. LT, pag. 709. (2) {bid, 12 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS DE LISTHME DE SUEZ. Dans le voyage dont je viens de donner la relation, j'ai fait connoître toutes les ruines qui ont été vues dans l'isthme de Suez : la découverte en est due à des explorations multiplices, nécessitées par des reconnoïssances militaires et par les opérations du nivellement du canal des deux mers. Il n’est pas douteux que de nouveaux voyages n'en fassent connoître d’autres. Ces recherches méritent lat- tention des nouveaux voyageurs en Egypte; mais nous leur recommandons sur- tout les ruines Persépolitaines, dont il est important de fixer exactement la position géographique. DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D’'ALEXANDRIE ET DE SES EN VIRONS: PAR M. SAINT-GENTIS, INGÉNIEUR EN CHEF DES PONTS ET CHAUSSÉES I I AI OT A TS A CHAPITRE XXVIL. a D D GE oi OBSERVATIONS PRÉLIMINAIRES. * ÂLEXANDRIE est, de toutes les villes remarquables de l'ancienne Égypte, celle dont il reste à-la-fois le plus grand nombre de souvenirs historiques ou de des- criptions géographiques, et une très-petite quantité de ruines reconnoissables. Ces deux circonstances, dont le rapprochement nous frappe au premier aspect, sont dues à une même cause, je veux dire l’importance que cette ville et la situation de ses ports ont toujours présentée aux maîtres de l'Égypte et au reste du monde civilisé. Alexandrie est devenue par cette raison le siége d’un puissant empire, à une époque où les rapports de commerce, d'amitié, ou de rivalité d’ambition, se multiplièrent entre les peuples voisins de la Méditerranée, de la Grèce et de l'Italie. La culture des sciences, de la philosophie et des lettres, fit alors des pro- grès rapides, et ces belles connoissances brillèrent ensuite d’un éclat particulier dans la fameuse école d'Alexandrie. L'histoire, qui, dès ce premier moment (1), est parvenue presque sans interruption jusqu'a nous, cessa d'être incomplète ou fabuleuse. Elle nous a donc conservé des traditions multipliées sur cette ville célèbre; mais les événemens qu'elle nous apprend, et ces mêmes considérations générales que je viens d'indiquer et qu'elle nous retrace, amenèrent en même temps de fréquentes révolutions dans Fexistence politique d'Alexandrie. Cette belle proie fut presque toujours l’objet de lavide ambition des conquérans, et devint, avec la basse Égypte, qui se trouvoit comme elle plus à portée des armées de terre et de mer que la Thébaïde, le théâtre de ravages bien plus fréquens, plus longs et plus déplorables que ceux qu'éprouva l'Égypte supérieure. De là ces ruines confuses, ces restes si rares de monumens, et ce bouleversement général du sol, qui semble avoir été agité et retourné dans tous les sens, tandis que nous en retrou- vons, pour ainsi dire, les plans géométriques détaillés dans les auteurs anciens. * Les sous-titres en petites capitales et les chiffres cetre année , son histoire devant les Grecs assemblés entre deux crochets[ renvoient aux titres et aux chiffres aux Panathénées, plus d’un siècle après la conquête de C2 de l’Appendice. l'Egypte par Cambyse. (1) Epoque d’'Hérodote, 445 ans avant J. C. Il Tu, 4% D: A 2 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE I résulte de ces faits, que, pour donner une description des antiquités d'Alexandrie et de ses environs Qui porte avec soi quelque intérêt, et pour ne point laïsser perdre à des événemens fameux leur plus curieuse application, celle qui se fait sur les lieux, nous devons dire autant ce que furent ces monumens que ce qu'ils sont aujourd'hui, et quelles vicissitudes ils ont COQUE Nous n'oublierons pas cependant que ce n'est point l’histoire d’une ville qu'on nous demande, mais la description de ses ruines, et que les monumens ne doivent être que l’occasion de rappeler les faits. Nous indiquerons ce qu'on voit d'antique | 1] sur chaque point du sol d'Alexandrie, ce qu’on y voyoit autrefois, et les principaux traits historiques qui s'y rapportent {1}. Pour se faire une idée juste des ruines d'Alexandrie, des het monumens qu'elles rappellent, du caractère qu'elles présentent, et des époques marquantes de l'histoire des arts auxquelles on doit les rapporter d’après le style des divers frag- mens qu'on y retrouve, il faut nécessairement avoir présent à la pensée un tableau succinct des principales variations survenues dans l'existence de cette ville. I! con- vient que chaque partie de ce tableau se compose des traits caractéristiques qui la font distinguer dans le cours général des progrès des lumières et de la civilisation. Nous n'avons point l'intention de faire une histoire particulière : nous ne voulons que placer, en quelque sorte, Alexandrie et ses antiquités dans la suite des temps. APERÇU CHRONOLOGIQUE ET GÉNÉRAL SUR ALEXANDRIE. 1. PÉRIODE, DE 1663 ANs, JUSQU'À CAMBYSE. Les beaux temps de l'Égypte proprement dite ou des divers royaumes succes- sivement formés sur les bords du Nil, et dont Alexandrie est séparée par un désert assez étendu, sont bien antérieurs à la fondation de cette ville. Cette longue suite de siècles pendant lesquels les sciences et plusieurs arts furent portés à un très-haut degré de perfection par les Égyptiens, tandis que le reste du monde le plus connu des anciens étoit encore barbare, a vu les Éthiopiens franchir les cataractes du Nil et s'établir au nord de ces frontières naturelles. La civilisation de ces contrées, bien plus vieïlle que les archives de l'histoire profane, s'est étendue progressivement pendant cet intervalle : elle a élevé les monumens dont il subsiste encore de si beaux restes dans la haute Égypte ; elle a bâti Memphis vraisemblablement avec les ruines de Thèbes, bien avant qu'Alexandrie ait été construite à son tour des débris de Memphis, ou du moins ait hérité de sa magni- ficence. Tous ces objets, qui forment la collection d'entiquités et la plus grande partie de la Description de l'Évypte, sont antérieurs à la création d'Alexandrie. Cette ville, si ancienne pour nous, est donc en quelque sorte une ville moderne rela- tivement aux autres cités Égyptiennes. (1) On nous permettra aussi de marquer le théâtre neur à la valeur Française, et qui laissera autant et de . z LA particulier de quelques: uns des événemens importans plus beaux souvenirs en Égypte que la plupart de celles d’une expédition récente et célèbre qui fait tant d’hon- ui l’ont précédée. l ET: DE SES ENVIRONS. CHAP, XXVI. 3 Suivant la chronologie en usage, maïs dont les monumens astronomiques ou des arts du pays ne sont pas les seuls qui tendroïent à modifier le système (1), les Pharaons, ou anciens rois de diverses dynasties, régnèrent pendant un espace de 1663 ans, jusqu'à l'année 525$ avant l’ère chrétienne, époque où leurs états furent envahis par Cambyse, roi de Perse. Ce conquérant frénétique ravagea l'Égypte, et notamment Memphis, qui en étoit alors la capitale. La puissance Romaine étoit à cette époque dans son enfance; le dernier Tar- quin alloit cesser de régner. Les beaux siècles de la Grèce, qui avoit précédem- ment reçu des colonies Égyptiennes, étoient sur le point de commencer, et les arts y prenoïent naissance. Î{ n'existoit sur le sol que devoit occuper un jour la magnifique Alexandrie, qu'une misérable bourgade, habitée par des pâtres à demi sauvages | 2 |. 2. PÉRIODE, DE 193 ANS, DEPUIS CAMBYSE JUSQU'À ALEXANDRE. Sous le règne des successeurs de Cambyse, qui ne s’occupèrent point, pendant leur longue et sanglante lutte avec la Grèce, de la position avantageuse de ce hameau (2), l'Égypte se souleva fréquemment contre ses nouveaux maîtres, et fut en proie à toutes les horreurs des révolutions. Les arts y demeurèrent dans Îa langueur. À la gloire militaire que les Grecs acquirent en combattant les Perses, succéda le trromphe plus doux des lettres et de la civilisation ; puis la corruption, qui leur succède souvent aussi, maïs sans en être toujours l'effet immédiat; puis enfin les divisions intestines et l’assujettissement au pouvoir des Macédoniens. Au moment où l'éclat de l'ancienne Grèce commençoit à s’éclipser, Rome, qui devoit s'emparer de cette contrée, y puiser toutes les connoissances, et ensuite étendre son pouvoir jusqu'à l'Égypte elle-même, Rome ne brilloit pas encore. La nouvelle république étoit livrée aux agitations qui suivent toujours les changemens de gouvernement. Elle pratiquoit les vertus des premiers âges, envoyoit des dé- putés à Athènes pour y recueillir des principes de législation que la Grèce elle- même devoit à l'Égypte, et elle s’efforçoit de maîtriser quelques peuplades ses plus proches voisines; mais elle n’avoit point encore attaqué l'Étrurie. 3° PÉRIODE, DE 302 ANS, DEPUIS. ALEXANDRE JUSQU'À AUGUSTE. La monarchie des Perses en Asie fut à son tour renversée par Alexandre, qui s'empara de l'Égypte 332 ans avant J. C., environ deux siècles après Cämbyse. Le système du monde civilisé fut considérablement changé par ce grand homme, qu'il ne faut pas regarder, malgré ses excès, comme un simple conquérant. I sentit la nécessité de lier les intérêts de tous les peuples qui composoient son im- mense empire, de diriger vers un centre commun leurs rapports commerciaux (3), (1) Diodore compte tantôt dix mille, tantôt vingt- (2) L'existence des villes de Marea, Momemphis, et trois mille ans depuis Osiris jusqu’à Alexandre. Hérodote de quelques autres lieux voisins, est seule connue à cette rapporte un nombre de générations de rois tel, qu'ilen époque. résulteroit une série de onze mille et quelques cents ans. (3) Il venoit de détruire Tyr. A5: D: A 2  DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE et il choisit pour ce point central une plage nue et stérile, environnée de déserts mais offrant un bon port, et Alexandrie fut fondée. Elle reçut à juste titre Je nom de son illustre fondateur. H venoit d'achever de soumettre la Grèce: son armée et tout ce jy l'en- touroit étoient composés d'hommes de cette nation comme lui, et peu à peu l'Égypte devint Grecque avec Alexandrie. Elle fut gouvernée par des rois Grecs, les Prolémées, qui en formèrent d’abord un état puissant et embellirent prodi- gieusement la nouvelle capitale. Cette révolution eut une influence profonde sur toutes les PE de l’administration, et changea considérablement Paspect du pays. Le goût et les arts de l’Europe polirent ce qui restoit de rudesse dans ceux de Afrique. Alexandrie fut une ville Grecque bâtie avec des matériaux Égyptiens: et c'est sous ces traits caractéristiques que nous aurons désormais à considérer ses antiquités. Pendant cette troisième période de l’histoire d'Égypte, les sciences et les arts, bannis de la Grèce, leur seconde patrie, désormais livrée au premier occupant, revinrent à leur berceau {1}, et demeurèrent long-temps réfugiés à Alexandrie. Voilà le moment où cette ville jouit de toute la plénitude de sa splendeur, et où presque tous les monumens dont nous nous occuperons retrouveront leur brillante origine. L’Égypte alors étoit en quelque sorte antique aux yeux des Grecs. Elle étoit à son tour pour eux une véritable colonie, et sembloit exister tout entière dans Alexandrie, qui étoit devenue la première ville de l'univers. Rome étoit encore barbare pendant la plus grande partie de ces trois siècles: mais son ambition et ses armes faisoïent des progrès effrayans. Elle ruina Car- thage, maïtrisa la Grèce, les Gaules, et commencçoit à dévorer l'Asie. 4. PÉRIODE, DE 393 ANS; DEPUIS AUGUSTE JUSQU'À L’'EMPIRE D'ORIENT. Enfin tout devoit bientôt être écrasé par ce colosse de puissance, et l'Égypte fut réduite par Auguste en province Romaine. Cette occupation se fit sans se- cousse : le vainqueur d'Antoine n’eut besoin que de s'emparer du tombeau de Cléopatre pour succéder au pouvoir de la dernière fille des Ptolémées. Mais, peu de temps avant cette époque, pendant la guerre de Jules César, les édifices d'Alexandrie, et notamment la fameuse bibliothèque, avoient éprouvé des ra- vages et des pertes irréparables. L'école même de cette ville avoit déjà perdu une partie de cet éclat qu'elle avoit jeté sous les premiers Ptolémées. Néanmoins ces monumens et cette académie se soutinrent pendant la quatrième période, jusqu’au passage de l'Égypte sous la domination des empereurs d'Orient, vers l'an 364, où se fit le partage de l'empire Romain; mais Alexandrie n’étoit plus, à côté de Rome, que la seconde ville du monde. ; Le christianisme, né dans le voisinage de l'Égypte, revint sy propager, après que les empereurs de Rome eurent cessé de le combattre, et que ceux de Cons- (1) Les colonies que les Grecs avoienr reçues leur donnoïent effectivement une origine en quelque sorte La Egyptienne. BAS DEN SE SMENNERONS., CHAR AEX PT. $ tantinople leurent hautement protégé depuis Constantin. Plusieurs patriarches et pères de l'Église rendirent l'école chrétienne d'Alexandrie aussi célèbre que son école profane l’avoit été et l'éroit encore. On voit, pendant ces quatre premiers siècles de notre ère, l'Égypte conquise par Zénobie, reine de Palmyre, en 269; Alexandrie reprise presque aussitôt par Aurélien ; plusieurs tyrans s'emparer du pouvoir dans ce malheureux pays, et la ville assiégée et prise de nouveau, en 298, par Dioclétien. S-* PÉRIODE, DE 277 ANS, DEPUIS LE PARTAGE DE L'EMPIRE JUSQU'À O' MAR, Cependant le partage de l'empire fut encore assez avantageux à l'Égypte, et, ce qui est désormais une même chose, à Alexandrie; car, tandis que, sous cette cinquième période, qui dura 277 ans, l'empire d'Occident tomboiït dans la bar- barie par l'effet de l'invasion des peuples du Nord {1}, les sciences et les arts furent cultivés et conservés à l'Europe par les Grecs, malgré l'apathie des empe- reurs et les disputes théologiques auxquelles se livrèrent ces princes ét les savans de l'Orient; et Alexandrie conserva encore un beau rang parmi les villes impor- tantes du monde. La religion chrétienne s’étendoit de plus en plus dans fOrient et l'Occident, et se fortifioit sur-tout dans l'église d'Alexandrie. Ses dogmes se consolidèrent par les discussions des concilés et par la poursuite des hérésies (2). D’innombrables anachorètes, qui s'étoient réfugiés en Égypte pendant les persécutions, conti- nuèrent de peupler les déserts voisins du Nil et ceux de la Thébaïde ; des monas- tères s'élevèrent à Alexandrie et dans les provinces voisines. Maïs la haïne que les Chrétiens devoient naturellement porter à l'idolâtrie Égyptienne, les poussa à détruire de toutes parts ce culte, et avec lui les chefs-d’œuvre de l'architecture et de la sculpture qu'on y avoit consacrés. Alexandrie fut le principal théâtre des ravages des Chrétiens du Bas- Empire : on en voit encore des traces par toute l'Égypte; mais il reste peu d'ouvrages de leur industrie. Il est donc à remarquer que l'ancienne religion des Égyptiens, et celle des Grecs, qui en dérivoit et s'y étoit de nouveau mélée, particulièrement sous le règne des Ptolémées et des empereurs Romains, ont dû influer au moins autant que la nôtre sur le nombre et le caractère des ruines que nous retrouvons à Alexandrie. Cette triple action s’est fait également sentir sur les mœurs et l’état général du pays. Nous aurons occasion d'en découvrir plusieurs traces dans le cours de cette description. Peu après ces grands changemens, une des hérésies les Ve graves qui aient désolé l'Église naïssante, celle d'Eutychès, s'établit sur le siége même d'Alexandrie, s'enracina dans le reste de l Égypte , remplit sa capitale de troubles et de désordres, et finit par la séparer entièrement de Constantinople et de Rome. Malgré tous ces bouleversemens et ces agitations (3), le commerce d'Alexandrie (1) IT finit en 476, et le royaume d'Italie commence. (3) Alexandrie fut encore prise par les Perses en 615. (2) Principalement celles d’Arius et de Nestorius. 6 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE fleurit, et la magnificence de cette cité se soutint sous les Ptolémées, les empe- reurs Romains et ceux de Constantinople. C’est, en général, à ces trois périodes qu'il faut rapporter les principaux monumens dont nous aurons à parler. 6. PÉRIODE, DE 329 ANS, DEPUIS O©O MAR JUSQU'AUX CALIFES FATIMITES. Cette ville perdit sa splendeur et se changea pour nous en une cité moderne, lors de l'invasion de l'Égypte sous O’mar (1), l'un des premiers successeurs de Mahomet, et, par conséquent, à une époque célèbre dans l'histoire du monde, où l’on vit un petit peuple presque inconnu et une religion nouvelle s'emparer de l'Asie, de l'Afrique, et pénétrer ensuite dans la partie la plus occidentale de l'Europe. Le christianisme fut étouffé en Orient par le mahométisme, qui continua, dans la basse Égypte, le ravage des monumens antiques et religieux , commencé par le premier de ces deux cultes. Alexandrie, qui étoit encore alors la capitale ou du moins la ville la plus importante de tout le pays, essuya de terribles désastres (2), que nous aurons occasion de faire remarquer sur les lieux avec détail. Le vain- queur fonda Fostät ou le vieux Kaire, qui rivalisa bientôt avec la cité d'Alexandre et devint le siége du gouvernement. La population d'Alexandrie diminua tous les jours, et son enceinte dut être, dans la suite, considérablement resserrée ; plus tard encore celle-ci fut totalement abandonnée, et la ville moderne portée en entier hors de cette enceinte. … Cependant l'empire d'Orient, qui venoit de faire une perte si cruelle, succes- sivement dépouillé depuis cette époque par les Arabes, et réduit à la moitié de son étendue et de sa puissance, se soutenoit, et subsista encore pendant huit cents ans. Les petites monarchies qu'avoient formées dans l'Europe occidentale les peuples du Nord, s'agitoient en tout sens depuis deux siècles, se méloïent et se séparoïent alternativement comme les élémens dans le chaos, et préparoiïent l'état où est parvenue, dans les temps modernes, cette autre portion de l’ancien empire Romain. Mais le trône d'Occident n'étoit pas encore relevé ou recomposé; ses dé- bris épars ne furent rassemblés par Charlemagne que deux cents ans après. Cette partie du monde, qui devoit bientôt en être la plus remarquable, étoit dans une sorte d'enfance ou retombée dans la barbarie. Elle ne faisoit point de grand com- merce maritime qui lui appartint en propre; et Alexandrie, quoique déchue entre les maïns des Sarrasins, étroit encore le centre du riche négoce dont cette nation avoit hérité, Cette ville conserva donc une partie de son ancienne importance ; elle ne fut pas la dernière à profiter des puissans encouragemens que les califes Abbassides, fondateurs de Bagdad, et sur-tout le célèbre al-Mâmoun, donnèrent aux sciences; et les monumens Arabes succédèrent à ceux de larchitecture Grecque. Cependant, vers la fin de cette sixième période de l’histoire d'Alexandrie, (1) Cest aussi le terme où, d’aprés la division adoptée pour la Description de l'Égypte, es monumens d'Alexandrie, telle qu’elle existoit alors, prennent le nom d’antiquités, (2) Eîle far prise, après un siége de quatorze moïs, par À’mrou, général du calife, ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. 0 l'Égypte secoua le joug des califes de Bagdad {1}, et fut gouvernée par leurs lieu- tenans rebelles pendant environ cent ans. 7. PÉRIODE, DE 202 ANS, DEPUIS LES FATIMITES JUSQU'À SALADIN, Les califes Fatimites finirent par s'emparer de l'Égypte en 069, et bâtirent le Kaire. [l5 accordèrent quelque protection aux sciences, aux arts et au commerce ; mais le sort d'Alexandrie s'embellit peu. Le siége du gouvernement s'établit dans leur nouvelle ville, qui devint la capitale de l'empire, plus particulièrement que Fostât (2) ne l'avoit été précédemment, et Alexandrie tomba pour jamais au second rang des villes d'Égypte. Bientôt des relations s’établirent entre l'Europe et le Levant. Les croïsades commencèrent une grande révolution dans le monde civilisé (3). Les deux pre- mières n'apportèrent pas de grands changemens dans la situation d’Alexandrie jusqu'en 1171 (4) [3], où lon voit figurer Salah ed-dyn, ou Saladin, avec le titre nouveau de soultân, ou soudan, comme les Francs l’appelèrent. 8 PÉRIODE, DE 79 ANS, DEPUIS SALADIN JUSQU'AUX MAMLOUKS. Ce prince, chef de la dynastie des Ayoubites et d’une armée de Turcomans et de Curdes, renversa la puissance des Fatimites et chassa les croisés de la Syrie ($ ). Les croisades se renouvelèrent sans succès (6); celle de S. Louis, quoïqu’elle eût été dirigée particulièrement contre l'Égypte, fut sans effet sur l’état de cette contrée (7) : les soudans continuèrent de régner et de siéger au Kaire. Le gou- vernement de Saladin, aïnsi que celui de ses successeurs , fut assez favorable à l'Égypte; mais Alexandrie y trouva peu d'avantages particuliers. Ces princes fon- dèrent des académies, à l'exemple de Saladin, qui avoit protégé les lettres; et ce fut le Kaire qui jouit principalement du fruit de ces établissemens. 9. PÉRIODE, DE 267 ANS, DEPUIS LES MAMLOUKS JUSQU'AUX OTTOMANS. L'un des derniers de ces soudans forma une troupe d'esclaves étrangers sortis des environs du Caucase. Ces serviteurs firent bientôt la loi à leur maître, et fon- dèrent, peu après le départ de S. Louis, un gouvernement monstrueux, qui s’est successivement reproduit en Égypte, avec diverses formes, jusqu’à nos jours, sous le nom d’empire des Mamlouks : leur chef prit aussi le titre générique de sultan ou commandant. (1) En 868. (2) Les califes Fatimites résidèrent au Kaire ; ceux d'Arabie et de Bagdad n’avoient eu que des lieutenans en Égypte ou dans Fostât. (3) La première croisade eut lieu en 1096; et la seconde , en 1148. (4) Cependant, s’il fant en croire d’Anville, cette ville sontint encore un siége contre les Francs en 1166 [ 3]. (s) Prise de Jérusalem par Saladin et fin du royaume de ce nom en 1187. Troisième croisade. (6) La quatrième croisade sort de Venise en 1202 et prend Constantinople; la cinquième, celle de S. Louis, de 1248 à 1250. (7) Excepté toutefois la malheureuse Alexandrie, Les Français et les Vénitiens, voyant qu'ils ne pouvoïent la garder, y mirert le feu en 1250. 8 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE L'histoire de ce gouvernement, mélange bizarre de démocratie, d'esclavage et de despotisme, ne parle que du Kaire et de la partie de Égypte voisine de cette capitale, théâtre des révolutions de chaque jour. On sait seulement qu'Alexandrie conserva quelque importance comme ville de commerce (1), mais non plus comme siége des études. Elle dépérit tous les jours davantage. | A mesure que l'Égypte et son ancienne métropole s'enfonçoient, pour ainsi dire, de plus en plus dans la barbarie, l'Europe en sortoit rapidement ; les lettres y:re- naissoient, et, sans parler d’une foule de découvertes importantes qui préparoient l'état où nous sommes aujourd’hui parvenus, je rappellerai seulement celle de la boussole {2), qui influa plus directement sur la destinée d'Alexandrie. 10.° PÉRIODE, DE 299 ANS, DEPUIS LE SULTAN SELYM JUSQU'À NOS JOURS. Enfin ce gouvernement sauvage des Mamlouks fut renversé, en 1517, par une puissance non moins barbare, qui, du fond des déserts de la haute Asie, vint envahir d'abord la plus belle province qui restoit aux empereurs de Cons-: tantinople (3); puis cette capitale elle-même, et enfin l'Égypte. Cette nation succéda en même temps à ce long et foible empire d'Orient et à celui que les Arabes en avoient autrefois séparé. Aïnsi la moitié de l'empire Romain appartint et elle appartient encore presque tout entière aux Turcs. Mais, grâce au pouvoir de la civilisation et du courage animé par l'honneur, les nations Européennes arrétèrent ce torrent et conservèrent l'autre moitié de cet empire, qu'elles s'étoient autrefois partagée. Sous l'administration Ottomane , destructrice de toute prospérité, la ruine d'Alexandrie fit des progrès plus rapides : bientôt il n’exista plus aucune portion de cette ville dans l'enceinte resserrée que les Arabes lui avoient donnée; et les beys Mamlouks qui exercèrent le pouvoir, alternativement subordonnés et rebelles au grand seigneur, acheverent de la réduire à l’état déplorable dans lequel nous l'avons trouvée. La découverte du cap de Bonne-Espérance, qui eut lieu vers le commence- ment de cette époque, concourut puissamment à cette ruine. Elle attira toutes les nations civilisées de l'Europe occidentale dans lInde, en détournant leur commerce de la voie d'Alexandrie. Celui de l'Égypte se trouva réduit aux produits de l'Arabie et à quelques-uns de ceux que pouvoïient lui expédier les villes du nord et de l'est de la Méditerranée. Il ne falloit pas moins que cette grande découverte, qui changeoït la face du monde connu et ses relations, qu'Alexandre avoit si profondément conçues ‘et combinées, pour entrainer Ja chute complète de établissement que ce prince avoit formé; tant cet habile fondateur avoit bien choisi l'emplacement de sa cité favorite! (1) Par le moyen des Vénitiens. L’un même de ces (3) L’Asie mineure, envahie par les Turcs à la fin du sultans Mamlouks fit une expédition navale contre les X111.° siècle; ils pénétrèrent en Europe au milieu du x1v.® Portugais sur la mer Rouge en 1504, pour tâcher de Mahomet Il prend Constantinople et met fin à Pempire ramener le commerce en Egypte et à Alexandrie. d'Orient au milieu du Xw.° (2) En 1302. RÉSUMÉ. ET DE SES ENVIRONS. CRHAP,,XXVI, 9 RÉSUMÉ. En reportant ses regards sur le tableau que nous venons de présenter, on remarquera dans lexistence d'Alexandrie, depuis sa fondation, au moment où les villes de la vieille Égypte étoient déjà en décadence ou en ruine , trois périodes brillantes, sous les Macédoniens ou Grecs, sous l'empire de Rome, et sous les empereurs Romains devenus Grecs et Chrétiens: ensuite cinq périodes d’abaissement commençant par une chute brusque, sous les nations musulmanes: califes Arabes successeurs de Mahomet, califes d'Égypte ou Fatimites, soudans ou Ayoubites, Mamlouks Baharites et Circassiens, et enfin sous les empereurs Turcs de Constantinople, servis par les beys et leurs nouveaux Mamlouks. L'invasion féroce, la religion intolérante et le gouvernement stupide des Ma- hométans, et sur-tout des trois dernières puissances, ont apporté dans cette ville les changemens les plus considérables, dont ses ruines nous présenteront des traces profondes. Ces huit époques, renfermant vingt-un siècles et demi, offrent encore ce résultat général : qu'elles ont été accompagnées d’une décroïssance continue et plus ou moins lente dans la prospérité d'Alexandrie , sous le rapport du com- merce, des arts et des lettres, depuis la première période, ou plutôt depuis les premiers Ptolémées, jusqu'à l'expédition fameuse qui, de nos jours, fut destinée à rendre à l'Égypte, et principalement à cette ville, tous ces titres de leur ancienne gloire. DIVISION DE CE MÉMOIRE. LE but de la description des antiquités d'Alexandrie et de ses environs étant de bien faire connoître ses monumens, et ce que fut cette ville dans les temps de sa are nous avons divisé notre travail en trois parties principales et distinctes; savoir : 1.° Description des lieux; 2.° Considérations générales et historiques , dans lesquelles nous acheverons de donner une idée de la splendeur et de la puissance d'Alexandrie, et nous tâcherons de découvrir sur le terrain le théâtre de plusieurs grands événemens; 3.° Recherches et Éclaircissemens, dans lesquels nous reJetterons, en suivant l'ordre des deux premières parties, les discussions et notes qui en embarrasseroient la marche. Cette troisième partie forme un appendice placé à la suite du Mémoire. 10 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE DESCRIPTION DES LIEUX. APERCUMPBIES CREIENIES. Pour se faire une idée générale d'Alexandrie antique, de ses environs, et de l'aspect que présentent ses ruines, il faut jeter les yeux sur la carte où l’on voit ses côtes, ses rades, ses ports, ses anciennes limites et ses dehors (1). Le voya- geur qui vient d'Europe par mer, arrive ordinairement par l'extrémité occiden- tale de ce plan. La forme excessivement aplatie et monotone d’une côte parfaite- ment blanche lui permet à peine de reconnoître le sol de l'Égypte, lorsqu'il en est déjà fort près. Un des premiers objets qu'il découvre cependant, celui qui sert utilement à diriger les marins, est la tour dite des Arabes (2), élevée sur un emplacement vraisemblablement dépendant de l'ancienne 7. aposiris, et qui avoit peut-être la même destination qu’elle a aujourd’hui, de servir de guide aux vaisseaux; on la retrouvera dans la description particulière de cette dernière ville. Bientôt on aperçoit cette colonne remarquable au loin par sa hauteur colossale et son isolement | quoiqu'elle soit derrière la ville), et qu’on appelle vulgaire- ment Colonne de Pompée. Enfin on double le cap de l’ancienne Chersonesus, nommée aujourd'hui 4 Marabou, et Von pénètre, par l'une des passes assez difhciles pour les vaisseaux modernes, dans l'immense rade et bientôt dans le port d’£z- noste de l'antique Alexandrie. Vers le fond de la courbe qu'il forme, s'élève la colline de Rhacotis. Le port d'Eunoste est fermé au sud-est par l'emplacement du petit port A%bôtos, et au nord-ouest par la presqu'ile de Pharos. Le prolongement de cette langue de terre, et quelques récifs liés entre eux par la nature et par l'art, forment, de l'autre côté, le grand port, dont le promontoire de Lochias achevoit autrefois de’ resserrer et ne couvre aujourd'hui qu'imparfaitement l'entrée. À peu près au milieu du contour de ce second bassin, on distingue de loin le grand obé- lisque, qui est encore debout. Ces deux ports principaux étoïent séparés par des ouvrages d'art; ils le sont encore aujourd’hui par un atterrissement qui a recouvert ces constructions, et sur lequel est assise la »i/e moderne. Derrière celle-ci se trouvoit la fe d'Alexandre et des Ptolémées, dont une partie, comprise dans l'exceinte Arabe, est dessinée par un double rang de muraïlles mu- nies de tours nombreuses. En arrière encore de cette enceinte, s'étendent, vers le sud-est, les décombres de la ville antique : on les retroûve aussi au nord-est, en suivant la côte, après le cap Lochias. Bientôt ces monticules s'arrêtent brusquement dans la plaine, et la ligne qui les borne se retourne directement au midi. Une autre ligne à peu près parallèle à celle-ci, et tirée des environs de l'emplacement du port X%ôtos, limite, au couchant, les ruines de l'ancienne cité. (1) Voyez 4, vol, V, pl, 2r. (2) Elle est hors et à l’ouest du plan n.° 31. AS DEL SES ŒENVIIRONS. CHA P, UXOPIT.: LÉ En parcourant ses environs, et commençant par la partie orientale, on dé- couvre l'emplacement de l'antique Mcopolis, qui se lioit avec Alexandrie par une chaîne continue d'habitations, dont les traces sont sur-tout remarquables sur l'espèce de crête qui longe la mer. Vers le sud-est de Nicopolis, se trouvent les hauteurs de lancien bourg d'Éeusine | 1). Ensuite, sur une ligne parallèle À la côte de la mer, et qui se dirige de cette extrémité de la carte vers le point d'où nous sommes partis, on rencontre d'abord le /z Ma’dyeh, reste de l'an- cienne bouche Canopique du Nil, et précédemment séparé du Mareotis par une digue qui supportoit le canal amenant les eaux du Nil à Alexandrie. En suivant toujours cette ligne, on voit Îe fac Mareotis, aujourd'hui rempli d'eau de la mer par une coupure. Le canal. qui suit les contours de ce lac et de l'espèce de plateau que forme le terrain, embrasse les monticules de ruines qui se trouvent vis-à-vis de la ville moderne et de l’enceinte des Arabes, et qui indiquent eux-mêmes le périmètre de la ville antique dans cette partie. On se rapproche ensuite de la grande colonne placée sur une de ces collines de décombres. En côtoyant le lac Mareotis jusqu'à l'extrémité gauche du plan, on remarque quelques petites anses, des ruines de môles, et une côte calcaire percée de carrières et de catacombes, dont une partie formoit Mecropolis, ou la ville des Morts. Cet isthme étroit est coupé vers le milieu de sa longueur par un canal trans- versal, et présente sur son promontoire septentrional le Marabou, et plus loin la tour des Arabes, premier objet que nous ayons aperçu en approchant d'Alexandrie. Quelques routes peu nombreuses, partant des issues principales de la ville, communiquoient avec l'extérieur et les pays environnans. Toute la contrée que nous venons d'explorer est d’une nudité, d’une blan- cheur et d’une aridité extrêmes. Le sol est par-tout pierreux, salin, et soutenu par une roche calcaire en décomposition et peu élevée. Les parties moins solides de ce terrain ne sont que poussière, sable et décombres. On n’y voit que quelques bouquets épars de palmiers, une grande quantité de lézards errant sur les pierres, peu de débris de monumens qui soient conservés ou passablement reconnoissables ; et l'on a d’abord quelque peine à se figurer comment des jardins si délicieux, que l'antiquité nous a décrits, ont pu exister sur un sol aussi ingrat: mais quelques enclos où lon entretient encore parmi les décombres, à l’aide d'un peu d’arrosement, une misérable végétation, et l'existence des restes des ou- vrages qui avoient été faits pour amener des eaux douces à Alexandrie, expliquent ces récits des auteurs anciens. Malheureusement tous nos dessins, ainsi que le sol luimême, nous montrent par-tout des ruines plutôt que des monumens. Otez cette immense colonne et cet obélisque si entier, il ne restera plus que des décombres. Mais leur ensemble ne devient-il pas lui-même un monument important, puisqu'il atteste la caducité, l'inévitable anéantissement des plus puissans empires, et qu'il peut servir à nous en faire découvrir et méditer les causes! (1) Dans un plan d'Alexandrie restituée, j'ai placé ce bourg, À. vol. V, plus loin vers lorient qu’il ne l’est dans la planche 31, que nous parcourons ici. AVE; B 2 12 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE DIVISION DE LA DESCRIPTION. Le coup-d'œil qu'on vient de jeter sur tout cet ensemble, fournit une division naturelle et méthodique de Ja description détaillée que nous avons à faire, en deux sections principales : 1.° la ville; 2.° ses environs. Nous y: observerons Îa même marche qu'on vient de suivre dans cet aperçu général des ruines. Le) SECTION PREMIÈRE. Ville d'Alexandrie. Pour suivre avec une entière clarté la description des antiquités de la ville, il faut considérer alternativement le plan particulier qui montre les ruines qu'on trouve maintenant sur le sol de l’ancienne cité (1); la carte générale que nous venons de parcourir, et sur laquelle on a indiqué en partie ce que ces restes furent autrefois; enfin le dessin intitulé A/xandria restiuta (2), dans lequel nous avons tâché de mettre chaque monument à sa place, d’après l'examen des vestiges comparés aux témoignages des auteurs anciens, afin de donner une image la plus fidèle possible d'Alexandrie dans les temps de sa splendeur. On doit comprendre dans la surface de la wi%e antique, dont nous avons fait apercevoir Îles contours ( entre la mer, Nicopols, Éleusine, le lac Mareotis et Necropols), la presqu'ile du Phare, les ports, et l'intervalle qui les séparoït autre- fois comme aujourd'hui. Ces quatre objets principaux faisoient essentiellement partie de l’ancienne Alexandrie, ou des établissemens qui en dépendoïent, et auxquels elle devoit sa première existence. Leur réunion forme la partie maritime de cette ville, ou le $. [.° de cette section; la partie intérieure formera le S.II, SRE Partie maritime. RHACOTIS ET AUTRES QUARTIERS. UX des premiers objets qu'on a pu remarquer en entrant dans Alexandrie par le port Eunoste, est un monticule très-élevé qui le domine, ainsi que tout le ter- ritoire environnant. C'est aussi ce point qui fut le premier distingué dans tous les temps, le plus anciennement occupé, et comme % noyau de la ville d'A- lexandre. Il est naturel de commencer par-là cette description : l’ordre géogra- phique et l’ordre chronologique sont ici d’accord. On ne trouve point de ruines antiques sur cette espèce de montagne, parce qu'elle a été recouverte de décombres dans les temps modernes [4] I est vrai- semblable cependant qu'on pourroïit y en découvrir quelques-unes, si l’on par- venoit jusqu'à l’ancien sol; car il n’est pas douteux que ce ne füt là le quartier (1) Voyez £, M. vol. IT, pl, 84. (2) Voyez À. vol, V;pl. 42. ETADELSESS ENVERONS:. CHAPS XX PT, 13 appelé Rhacotis, qui, suivant Strabon, dominoit | $ | les arsenaux. Or nous ver- rons qu'il y avoit des arsenaux, de part et d'autre de ce point, dans chacun des deux ports. Le même auteur {1} raconte que « les anciens rois d'Égypte, contens de leur » bien-être, et desirant peu limportation des produits du dehors, avoïent la plus » grande aversion pour tous les marins étrangers, sur-tout pour les Grecs, que » la misère de leur pays portoit à convoiter les richesses des autres contrées et à » les piller. C’est pourquoi ils fortifièrent ces lieux, en y mettant une garnison » qu'ils logèrent dans un endroit qu'on nommoït Rhacotis, qui fait, dit-il, main- » tenant partie d'Alexandrie, et qui étoit alors un hameau. » Indépendamment des décombres qui ont exhaussé cet emplacement, ïl est très- vraisemblable qu'il étoit déjà élevé naturellement, vu le choïx qu'on en avoit fait pour un point de défense. S'il n’a pas été conservé comme forteresse, lors de la première fondation d'Alexandrie, il a dû successivement se couvrir de bâtimens civils, et Strabon dit effectivement que ce quartier s'élevoit de son temps au-dessus de la mer. L'habitude d'y porter les déblais de la ville moderne vint encore accroître cette éminence au point où nous la voyons aujourd'hui [ 6 |. L'espace qui entouroit Rhacotis, « fut confié { par ces mêmes Pharaons) à des » pâtres qui avoient aussi des forces et des moyens pour repousser les étran- » gers (2).» Ainsi ce désert, séparé de l'Égypte, étoit alors habité, comme le sont encore de temps en temps les environs d'Alexandrie, par de misérables tribus [7]. Les mœurs et les habitudes des hommes ont aussi peu changé en Orient que la nature des choses et des lieux. Tel étoit donc lemplacement qu'Alexandre choisit pour y fonder une ville de toutes pièces, et qu'il reconnut propre à devenir le centre du monde. Les chétives huttes de ÆR/acotis devinrent un quartier considérable et brillant d'A- lexandrie, comme Strabon vient de le dire, et qui conserva long-temps son nom. Ptolémée l'astronome désigne la ville même sous les deux dénominations d’A- lexandrie et de Rhacotis. Tacite nous apprend,aussi que le temple de Sérapis fut bâti dans le quartier qui se nommoit Rhacotis. Jablonski (3) assure que les Égyp- tiens indigènes se servirent pendant long-temps de ce dernier nom et l'ont tou- jours conservé. Il remarque que les interprètes Qobtes du nouveau Testament, toutes les fois qu'il est fait mention d'Alexandrie dans le texte Grec, traduisent ce mot par Rakot, et que la même chose s'observe dans les livres d'église Qobtes. Il paroît effectivement qu'il y avoit des quartiers distincts dans Alexandrie, et qu'ils se désignoïent par les cinq premières lettres de l'alphabet. Nous ne pou- vons, sur ce nombre, en marquer que deux avec certitude : celui de Rhacotis, et le Bruchion, que nous verrons dans la suite. Les deux auteurs Juifs Philon et Josèphe | 8 ] prétendent que les Juifs avoient donné leur nom à deux quartiers de la ville; mais on n'est certain d'autre chose, sinon qu'une partie de leurs ha- bitations étoit voisine du bord de la mer et du Bruchion, comme nous aurons occasion de le remarquer. Ces divisions d’une si grande ville étoïent, au reste, (1) Strab. Gengr. lib. Xvi1. (2) /bid. (3) Panth. Ægypr, Bb. 11, cap. v, I À DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE fort étendues, ainsi qu'on peut en juger par leur petit nombre, par la position du Serapeum, renfermé, suivant Tacite, dans Rhacotis, qui embrassoit lui-même tout le voisinage de la mer et la partie gauche du plan de la ville antique; enfin par la surface de ce même Bruchion et des palais, dont nous -ferons apprécier limmensité. Les troïs autres quartiers, qui nous sont inconnus, s’étendoient donc en arrière de ces deux premiers, jusque vers le lac Mareotis. PORT DEUNOSTE. On ne trouve point d'antiquités remarquables et qui appartiennent spéciale- ment à la marine, dans la partie enfoncée du port vieux qui baïgne l'extrémité de l'enceinte Arabe et le pied de la ville moderne. Celles que nous verrons plus loin dépendoïent et dépendent encore de l'ile Pharos. Quoiqu'il soit donc jusqu'à présent assez difficile de déterminer la position des anciens quais du port d'Eunoste, il est à croire qu'ils existoient dans la partie méridionale du port vieux, c'esta-dire, le long de la portion de l’enceinte Arabe baïgnée par la mer. Les sondes, si elles eussent été faites avec plus de détail, et spécialement pour cette recherche, justiferoient plus complétement qu’elles ne le font cette conjecture. Il n’est pas d’ailleurs présumable qu'on ait travaillé à dé- truire ces vestiges sous l’eau : on devroit donc en trouver quelques-uns. Il reste encore, dans cette partie du port vieux, des débris de maçonnerie qui semblent confirmer ce soupçon. Il est de même probable que les Sarrasins, en resserrant l'enceinte de la ville Grecque et abandonnant les parties inhabitées, avoient con- servé dans leurs nouvelles limites les objets dont l'usage continuoïit de leur être nécessaire et le voisinage commode, comme les quais, sur lesquels ils ont dû avancer immédiatement [eur clôture; comme aussi le canal ou aqueduc dérivé du Nil, qui débouchoït en ce point des murs Arabes, et servoit aux besoins des établissemens du port et d'aiguade [ 9 | aux vaisseaux. | On trouve cependant une masse de fragmens antiques, mais hors de leur situa- tion primitive, dans le port d'Eunoste : c’est la cale d'embarquement, la seule de cette espèce qui se trouve dans ce port. Elle est composée de troncs de co- lonne. On rapporte que ces fûts, tirés des ruines de la ville d'Alexandre, comme cela se pratique depuis environ neuf cents ans, avoient été successivement dé- posés au bord de Feau pour être transportés en Europe, maïs que les Turcs en formèrent une jetée indispensable dans cet endroit. Quoi qu'il en soit, tout le terrain bordant le port d'Eunoste a été tellement travaillé par le temps, par la mer, et par la main des hommes, depuis les pre- miers ravages qu Alexandrie a éprouvés jusqu'aux dernières époques où tous les établissemens et la ville moderne elle-même, attirés, comme c’est l'ordinaire, par le voisinage des eaux, s'y sont peu à peu transportés, qu'il doit y rester moins de traces des anciens ouvrages que dans les parties qui ont été le plus tôt et le plus complétement abandonnées. L’inspection des lieux autour de ce port, et surtout l'existence du courant principal de l'ouest à l’est, le long des côtes d'Alexandrie, que nous aurons souvent l’occasion de considérer, prouvent que la mer a empiété LL. EP DE. SESÆNVIRONS,. CHAP: XXPVT, F5 dans la région la plus orientale du port vieux. L’effort des vents régnans du nord- ouest a dû concourir à cet effet, et tendre par conséquent à faire ensabler l'empla- cement actuel de la ville moderne; de sorte qu'à mesure que l’un.de ces agens dé- truisoit une portion des rives du port d'Eunoste, l'autre couvroit la seconde [10]. Toutes ces circonstances ont donc contribué à effacer les vestiges de construc- tions autour de ce bassin ou dans son intérieur. Strabon décrit parfaitement les ports d'Alexandrie tels qu’ils existoient de son temps. J1 dit que « l'entrée de celui d'Eunoste, quoiqu'elle soit peu sûre, ne » Manque pas néanmoins de certains avantages. » Cette difficulté étoit cependant moins grande pour Îa navigation ancienne que pour celle de nos jours, puisque les vaisseaux d'alors tiroïent beaucoup moins d’eau que les nôtres [11]. H est donc probable qu’elle provenoit du défaut de largeur de cette passe et des habitudes des navigateurs de l'antiquité, qui, à cette époque, venoient plus fréquemment de la Syrie et des côtes orientales de l'Égypte que d’ailleurs, route qui s’opposoit à ce qu'ils pénétrassent avec le même vent, par ce passage, dans l’intérieur du port d’Eunoste. Par ces avantages que Île géographe ancien indique et sur lesquels il ne s'étend pas, il faut entendre sans doute la grande profondeur d’eau de ce port, qui per- mettoit aux galères et autres bâtimens plats d'y tenir, sans courir trop de risques du tangage occasionné par les vents auxquels ce havre étoit trop ouvert. On doit y comprendre aussi l'étendue dont ce port étoit susceptible. Je me sers de cette expression, parce que nous verrons que le port proprement dit des anciens étoit peu vaste, et que c'est le port neuf d'aujourd'hui qu'on qualifioit par l'épithète de grand. Un autre avantagé que Strabon sous-entend certainement par le mot povoiæs (1), c'est l'abri sûr qu'on devoit trouver et dont on jouit encore aujourd’hui dans la partie nord du bassin, sous la presqu'ile de Pharos, et qui faisoit partie ou dépendoit de ce que les Alexandrins appeloïent portus Eunosti [12]. En effet, Strabon dit positivement que l'entrée de fouest forme le port. Je pense, d'après cela, que cette passe est celle qu'on a appelée passe des djermes dans la carte générale; que le port d'Eunoste proprement dit étoit situé immédia- tement sous la presqu'ile Pharos, qui l'abritoit en s'étendant le long de l’Hepta- stadium, dont nous parlerons bientôt, et de l'enceinte Arabe actuelle, jusqu'à la pointe saillante que forme cette enceinte; de sorte qu'il étoit à peu près borné en avant par une ligne tirée de cette pointe vers celle de l'île PAaros, aujourd'hui cap des Figuiers, et qu'il étoit bien loin d'occuper tout cet espace que les mo- dérnes appellent port vieux. 1 ne renfermoit donc pas le petit port A%ôtos, comme quelques-uns l'ont cru. Il étoit ouvert de toutes parts, comme on le voit, et se composoit, si l'on veut, de toute la partie bien abritée du port vieux actuel, qui n'étoit pas occupée par le bassin de Xibôtos et ses abords [13 |. On l'appeloit portus Eunosti, qui signifie de bon retour : étoit-ce une allusion à quelque événement heureux qui s'y étoit passé, ou plutôt une dénomination provenant de ce que le commerce de long cours avoit, à certaines époques, ses (1) Où puy moavme y déimes meprolas. « Il n’exige cependant pas autant de précaution.» ( Lib. XVII. ) 1 6 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE principales habitudes dans les pays de l'Europe situés au nord-ouest d'Alexandrie et de l'Egypte; quil en rapportoit ses plus riches conquêtes, et que les vents ré- gnans, ou ceux qui €toient Îes plus rapides et accompagnés des plus beaux temps, conduisoient naturellement dans ce port [ 14 |! PORT KIBOTOS, \ On ne rencontre pas plus de ruines antiques en parcourant la courbe du port vieux actuel, à Ja suite du port d'Eunoste, vers le sud-ouest, que nous n'en avons trouvé dans Îa partie supérieure ou nord de cette courbe : maïs on voit un reste d'enfoncement naturel dans son contour, immédiatement après l'angle saïllant que forme une des principales masses de constructions de l'enceinte Arabe; c'est là très-vraisemblablement qu'étoit situé le petit port Aïftos. Plusieurs raisons m'engagent à le placer dans cet enfoncement; d’abord, parce que ce bassin étoit creusé de main d'homme, et fèrmé, conditions auxquelles cetté position et la nature du sol, par-tout aïlleurs rocailleux, conviennent beaucoup. Cette ligne de rochers qui borde fa rade depuis le Marabou jusqu'à Alexandrie, ne se prolonge pas jus- qu'à l'enceinte Arabe; mais, à quelque distance du massif de tours avancé dans l'eau, elle entre dans la plaine en se dirigeant vers Fest et s’écartant de la mer. De plus, elle forme une vallée arrondie, et elle a une entrée étroite du côté de la rade; de sorte que la portion de côte comprise entre ce point d'inflexion et l'origine que nous avons marquée au port d'Eunoste, de ce côté, est un atter- rissement qui, à la vérité, s'est exhaussé par les débris amoncelés depuis, maïs qui présentoit sans doute le bassin primitif du port Aïbôtos. On n'aura plus eu qu'à achever de le creuser, et à le fermer par une Jetée partant de la saïllie des tours et du rocher sur lequel elles sont assises, aïnsi que le reste de l'enceinte Arabe. Cette clôture a pu aisément être détruite depuis, par suite de l'abandon du port Aôtos et du rétrécissement de la ville par les Arabes, qui trouvoient un port suflisant dans l'Eunoste [1 5 |, et par l'effet des courans latéraux et des vagues soulevées par les vents régnans dont nous avons parlé [16 |. L'excavation dans les terres aura aussi été facilement comblée par les mêmes causes et par les construc- tions successives d’une ville dont toutes les parties ont été si fréquemment remuées. On pourroit vraisemblablement découvrir, lorsque la mer est bien calme, quelques vestiges du môle de clôture de X%ôtos ; car il y a, au pied de la grande tour, un massif de maçonnerie avancé dans l'eau, qui sert actuellement d’em- barcadère, et ïl présente quelques caractères qui permettent de supposer que c'est un reste de l’ancienne jetée [17] Le nom de X%ôtos, qui signifie proprement cofffe, provenoiït évidemment de la parfaite clôture de ce port. I est vraisemblable que c'est de lui que parle Léon d'Afrique sous le nom de Maza el-Silsili | darse (1) de la chaîne], parce qu'il se fermoit avec une chaîne, comme c’est encore l'usage dans plusieurs ports de la Méditerranée, et à Toulon même, où l'on emploie, pour clore les bassins pendant la nuit, des barres de bois armées de fer | 18 |. (1) Bassin. Strabon ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. 17 Strabon dit positivement que le canal qui communiquoit au lac Mareotis, aboutissoit dans ce port. Ï est vraï qu'il ajoute à ce cañal l'épithète de navioable ; et l'on pourroit vouloir en conclure que c'est de l'extrémité du canal du Nil, débouchant dans l'aïguade, qu'il s'agit, et, par conséquent, que le port A%/dtos étoit renfermé dans le croissant des murailles Arabes. Mais tout ceci s ’expliquera très-bien par l’état actuel des localités, lorsque nous traiterons de ce canal navi- gable en son véritable lieu [19 ]. Enfin notre géographe ajoute que la ville s'étendoit un peu au-delà du même canal : or, comme il y a toute apparence que de port X#ütos, qui étoit clos de toutes parts, ne se trouvoit pas plus hors de la ville que la communication na- vigable, les positions que nous leur avons données se trouvent encore confirmées par cette considération [20 | On ne sait point positivement quel étoit l'usage | 21] de ce petit port, et s'il avoit une destination particulière. Strabon nous apprend seulement qu’il avoit des arsenaux pour la marine : il étoit donc d’une assez grande importance. On avoit pris la peine de l’approfondir, et ce travail avoit dû être assez considérable dans un terrain dont le fond devoit être aussi rocaïlleux que le reste de la côte. Sa communication, d'une part, avec la Méditerranée, et, de l’autre, avec l'inté- rieur de l'Égypte, par le canal navigable et le lac Mareotis, qui étoient le théâtre d’un grand commerce et d’une navigation active, dont Xiétos étoit le terme, fait présumer l'usage principal de cette darse, et augmente cette importance que nous lui avons soupçonnée. Cependant on ne voit plus de traces d’une surface aussi considérable, et nous avons été réduits à hésiter sur le choix de son emplacement; tant les fondemens de la prospérité d'Alexandrie ont disparu! ÎLE PHAROS. L'ile Pharos; qui ferme, du côté du nord-ouest, la vaste enceinte du port vieux, offre une grânde quantité de ruines. On y retrouve sur-tout des vestiges ; ue e IT 7 . ) . . d'anciennes citernes taillées dans le roc et enduites d’un ciment qui s’est bien conservé. Ces citernes sont particulièrement remarquables dans la face abrupte du rocher, sur le bord de la mer, en avant de la côte, en dehors et en dedans du port vieux; elles se reconnoissent facilement parmi beaucoup d’autres ruines qui règnent le long de la partie occidentale de ce port. [| y en a encore dans les deux écucils situés au-delà du cap des Figuiers, et la plupart sont encore révêtues, dans l'intérieur, d’une couche de ciment. Ces citernes pouvoïent aussi bien être alimentées par des canaux tirés du‘Nil, comme on le verra, que par l'eau des pluies, toujours rares à Alexandrie, quoïqu'elles le soient moins là que dans l'Égypte supérieure. On trouve encore, dans la partie occidentale de l'île, des restes de catacombes taïllées dans le roc; on a levé le plan de quelques-unes. Les parois de ces cata- combes avoïent été recouvertes, ainsi que leur plafond, d'un enduit sur lequel il ya encore quelques peintures à fresque [22]. Celles-ci sont situées plus dans l'in- térieur de l'ile, et notamment vers cette large saillie qu'elle forme directement 407 c 1 8 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE au nord-ouest, au milieu environ de sa longueur. Elles présentent plusieurs pièces liées les unes aux autres, et maintenant ensablées en partie. On trouve, dans quelques-unes de ces catacombes, des cavités prismatiques, comme celles que nous verrons plus en détail dans la ville des Morts; et en général, les excavations de lle Pharos sont du même genre que celles de la côte de Necropolis. La mer couvre maintenant, dans tout le pourtour de file, des restes de maçonnerie; ce qui prouve que son territoire étoit autrefois habité et rempli d’établissemens importans. On y voit en effet un monticule très remarquable, qui, par sa position, son volume, sa forme, paroît être l'emplacement du bourg dont parle César dans 2: Guerre civile. « Il y avoit, ditil, dans l’île, des maisons » Égyptiennes et un bourg aussi grand qu'une ville ordinaire; les habitans étoient » dans l'usage de piller en tous lieux, comme font les pirates, tous les navires » qui, par imprudence ou par l'effet du mauvais temps, s'écartoient tant soit » peu de leur route [ 23] » Hirtius ajoute, dans 4 Guerre d'Alexandrie, « que » cette petite ville du Phare étoit fortifiée par de hautes tours jointes les unes » aux autres {ou qui se touchoïent presque }, et qui tenoient lieu de rempart {ou » muraïlles continues }; enfin, que le genre des édifices qu'elle renfermoit n’étoit » pas très-différent de ceux d'Alexandrie. » Toutefois ces maisons étoient plus basses que celles de la ville d'Alexandre, puisqu'un peu plus loin il ne donne à plusieurs d’entre elles que trente pieds de hauteur. César, s'étant rendu maître de Pharos, livra le bourg au pillage, et il paroît qu'il fut ravagé de fond en comble, comme Strabon le dira de toute la presqu'ile [ 24 ], On trouve dans les auteurs anciens beaucoup de descriptions de l'île Pharos ; elles sont généralement intéressantes et se rapportent assez bien à l'état des lieux. Nous avons continué de l'appeler indifféremment /X ou presqu'ile : on voit en effet et l’on sait que, depuis long-temps, elle est liée à la terre ferme, et même confondue avec elle, par un élargissement formé de dépôts dont nous explique- rons la cause, et sur lequel on a assis la ville moderne. Homère, le plus ancien de ces auteurs, comme géographe et comme histo- rien [25] aussi-bien que comme poëte, fait dire à Ménélas, qui étoit entré en Égypte, après Paris et Hélène [26], par la bouche Canopique du Nil, non loin de l'île du Phare, que « dans la mer d'Égypte, vis-à-vis du Nil, ïl y a une certaine » île qu'on appelle Pfaros; qu'elle est éloïgnée d’une des embouchures de ce » fleuve d'autant de chemin qu'en peut faire en un jour un vaisseau qui a le » vent en POoUupE. » Ce passage a beaucoup fait travailler les commentateurs, les géographes et les voyageurs. Maïs d’abord il faut rabattre beaucoup de la précision mathématique qu'on voudroit attendre d’un poëte : il faut ensuite faire attention que par les mots ws-à-vis du Nil Homère ne peut entendre qu'en face où à peu près perpen- diculairement au cours général de ce fleuve; ce qui est vrai, en tirant du phare une ligne vers le nord-est, chemin pour aller au Nil. La distance qu'il donne peut se prendre par rapport à toute autre des sept embouchures du fleuve, aussi bien que par rapport à la Canopique, attendu que rien n'indique, dans ce passage EM DE, SES 2ENVIRONS. CH AP, XXI. | T9 d'Homère, qu'il s'agisse de faire un voyage du phare à cette bouche : cette dis- tance peut même être relative à l’intérieur du Delta, dont les extrémités, ou les issues du Nil, s avançoient moins dans la mer au temps de Ménélas et de Protée, c'est-à-dire, il y a plus de trois mille ans, en suivant le système de chronologie adopté. Enfin il faut considérer que la journée de navigation étoit une mesure conventionnelle assez petite. N’est-il pas vraisemblable que Pline, qui cite cette assertion d'Homère, et qui écrivoit dans un siècle où les connoïssances géogra- phiques étoïent plus généralement répandues, auroïit relevé l'erreur si elle eût été choquante' Mais, au contraire, il se sert de la même expression dans la description qu'il donne; il ajoute même une nuit à ce qu'on entend par journée de navigation. Nous trouverons presque par-tout la même variation dans les valeurs des mesures données par les anciens (1). Au reste, peu importe la précision plus ou moins parfaite du poëte, pourvu qu'il en résulte que l'île du Phare a peu changé par rapport au sol environnant Alexandrie, et cette vérité importante, qu'elle étoit avant les temps historiques beaucoup plus éloignée qu’elle ne l’est aujourd’hui du Delta ou de l'Égypte propre- ment dite; pourvu encore qu'elle confirme cette ingénieuse explication de la for- mation et des progrès de ce Delta, connue du père de l'histoire, et qu'il a si bien rendue par cette belle expression : « L'Égypte (2) est un présent du Ni[27| » Ménélas ajoute : « L'ile a un bon port, dans lequel je fus retenu. » Voila donc le premier et le plus ancien renseignement que nous trouvons sur l’état où. étoit la contrée d'Alexandrie et de Pharos, bien avant la fondation de la ville (3). Il est évident que ce port n’étoit que l'abri formé au nord-ouest par l'ile même, qui faisoit, comme nous le verrons, un crochet vers le fort Turc qui se trouve aujourd'hui sur ce bord du port vieux. Il est évident que ce port particulier ne peut étre celui des Pharites, port dont nous parlerons plus bas, puisque Ménélas en vante la bonté : or l’anse des pirates du Phare étoit assez dangereuse. De plus, Homère parle d’une époque où les deux grands ports n'étoient point encore séparés; et certainement on ne regardoit alors comme le véritable havre de ces parages, que la côte méridionale de l'ile. Hérodote, qui voyageoïit en Égypte (4) à une époque où l’on pensoit à peine à la contrée d'Alexandrie, ne parle point de l'ile du Phare. I est néanmoins sur- prenant quil ne rappelle point ce qu'en avoit dit Homère, dont il connoissoit si bien les ouvrages. Strabon, qui vient immédiatement après ces deux peintres de l'antiquité, décrit très-bien l'ile Paros, « oblongue, voisine du continent, qui forme auprès d'elle » un double port par l'effet des sinuosités du rivage, qui présente deux caps avan- » cés dans la mer { $), entre lesquels gît cette île qui s'oppose, suivant sa longueur, (1) Cette réflexion ne s'applique pas à la géographie voyage en Ésypte, et qu’il supposoit être celui du temps d'Hipparque et d’ Ératosthène. __ de Protée et de Ménélas. (2) Herod. Æisr, Kb. 11. (4) En 460 avant J. C, (3) Dans notre première période, guerre de Troie, (5) L’Acrolochias à Vest, et Chersonesus à l'extrémité ‘1184 ans avant J. C. De plus, Homère peut avoir voulu gauche de la planche 2r. décrire un état des lieux encore plus antérieur à son ANCIDS C2 20 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE » à cette mer. » Son grand axe, parfaitement parallèle à la côte, étoit comme un môle ou une barrière placée en avant contre les vagues du large; et lon s'aperçoit, d’après cette disposition, qu’il n’y avoit plus à établir dans la mer qu'une ligne de séparation intérieure, semblable à celle qui supporte aujourd’hui la ville moderne, nour former deux excellens ports, comme on verra que les anciens le proje- tèrent sur-le-champ. Quinte-Curce dit même (tant la forme et la situation de l'île étoient avantageuses )} qu'Alexandre, « à son retour du temple de Jupiter » Ammon, ayant examiné la position des lieux entre la mer et le lac Mareotis, » avoit d’abord résolu de bâtir sa nouvelle ville dans l’île même du Phare; maïs » qu'ayant remarqué quelsa surface ne pouvoit pas contenir un grand établissement, » il choisit l'emplacement où se trouve maintenant Alexandrie. » L'ile du Phare s'étendoit donc autrefois du couchant au levant, à partir de l'extrémité la plus avancée du cap des Figuiers, vers le château actuel du phare. Elle étoit séparée du continent par un intervalle de neuf cents pas, dont nous parlerons ailleurs. I est présumable qu'au temps de Strabon le corps de l’île pro- prement dite se bornoït à ce que nous avons indiqué dans l’Aexandria restituta. Son prolongement par une suite de rochers qu'on voit en avant de l'anse sablon- neuse actuelle, où fut le port des pirates Pharites, et peut-être par la digue au- jourd'hui existante jusqu'au château moderne du phare, étoit vraisemblablement très-étroit. Cette foible barrière a pu être en partie détruite par la mer, qui frappe là avec toute sa violence, et qui n'aura laissé subsister que la ligne de récifs qu'on voit aujourd’hui. Ces roches, avec l'île elle-même et une partie des bancs des passes du port vieux, formoient l’ancien sol, dont la masse étoit encore plus im- posante dans les temps antérieurs à Alexandre, et faisoit qu'on pensoit à y placer une ville [28 |. « Par la situation qu’Alexandre avoit choisie, dit Diodore de Sicile, » il avoit procuré à sa ville l'avantage d'avoir dans son port l'île du Phare.» Cette île se prolongeoit donc très-certainement d'une manière quelconque dans le grand port [29] En effet, l'Île tout entière n’est qu'un rocher calcaire arénacé, très- décomposable par l'air et par l'eau, comme l'indiquent principalement le vaste plateau inférieur et les récifs qui l'entourent. Au nord et au sud, la partie supé- rieure de ses bords est escarpée généralement, et ïl est aisé d'y remarquer les effets destructifs, soit des pluies, soit de la mer, qui en sapent continuellement le pied. Cependant cette corrosion.s'étend à une moindre distance dans le port vieux, parcé que cette partie de la presqu'’ile est à l'abri des vents régnans et des vagues du large. Là le plateau supérieur est formé de tranches verticales ou à demi renver- sées, comme si cette position résultoit d’un éboulement semblable à celui de nos falaises de Normandie. Le sable qui provient de la destruction de la côte exté- rieure, est porté par les vents d'ouest et de nord-ouest vers l'extrémité orientale de l’île, derrière laquelle il forme un atterrissement dans la petite baie abritée par les récifs, au nord; et, au sud, dans le fond du port Eunoste. Cette corrosion est sur-tout remarquable à la pointe occidentale de l'île, qui est coupée à pic et séparée d’un écueil à fleur d’eau qui en faisoit autrefois partie, Enfin les foibles marées de la Méditerranée doivent concourir encore à la destruction de la côte. ET DE SES ENVIRONS. CHAP.XXVI.: 21 Cette baie du nord qui s'est d’abord agrandie par la rupturé de la barre de récifs, puis approfondie par l’action de la mer, et ensuite comblée au point où nous la voyons, ne peut être que le petit port des pirates Pharites, dont ïl est question dans l’article 23 de l'Appendice; du moins le récit que fait Hirtius d’une fausse attaque de César, le prouve assez clairement [30 | En parlant de l'ile en général, Strabon dit: « De notre temps, César, pendant » la guerre d'Alexandrie, dans laquelle cette Île prit parti pour ses rois, la ravagea. » Elle étoit donc, par son étendue, sa population et ses ressources, un objet de quelque importance dans les affaires générales du royaume, et assez considérable “par rapport à la grande ville. I paroît que Strabon veut parler d’un ravage de fond en comble que cette île éprouva; car il ajoute que néanmoins, de son temps encore, C'est-à-dire, sous Auguste, ou environ un demi-siècle après la guerre, quelques marins habitoient près de Ia tour du phare, à l'extrémité orientale de file. Mais il faut que la ville et les autres établissemens de l'île Pharos aïent été rétablis peu de temps après Strabon, suivant le texte de Pline, qui attribue à César lui- même l'envoi qui y fut fait d’une colonie pour la repeupler | 3 1]. TOUR DU PHARE. Autour de l'emplacement où nous reconnoîtrons que se trouvoit la fameuse tour du phare, on ne connofît d'autres restes d’antiquité que quelques piliers qu’on aperçoit sous l'eau quand la mer est tranquille, au-dedans de l'entrée du port neuf. Peut-être sont-ce les restes d’une partie des fondations de l'ancien phare, où de quelques constructions faites en prolongement du plateau sur lequel cet édifice et ses accessoires se trouvolent assis. C’est en cet endroit, bien clairement indiqué sur les trois planches, et qui sup- porte le château moderne, qu'étoit évidemment construit l’ancien phare. Le pro- anontotre (oriental) de l'île Pharos, dit Strabon, est un rocher aussi entonré par la mer que les récifs dont il à été question dans l'article précédent [ 32]. Nous pouvons donc regarder le rocher du phare comme un cap anciennement détaché de la grande île. Josèphe, confondant pour un moment, comme la plupart des auteurs anciens, le rocher du phare avec la grande île Pharos, dit « qu’elle supporte la tour du » phare, et qu'autour de cette île ont été construits des murs énormes qui brisent » la mér et rendent l'entrée du grand port plus difficile et plus périlleuse par son » resserrement. » Il est évident qu'on ne peut supposer des constructions aussi considérables qu'autour du rocher de la tour ; et encore auroïent-elles été immenses à cause de la profondeur des eaux qui baïgnent cet flot. Les restes apparens de piliers dont il a été question tout-à-l’heure appartenoient peut-être aux fondations de ce revêtement, dont la mer à rongé les bases [33] La tour, suivant Strabon, « étoit faite de pierre blanche » , exploitée vraisem- blablement dans les bancs de la côte, ou dans le rocher même qui lui servoit de base [34]. « Elle étoit merveilleusement construite et composée de nombreux » étages. » Elle fut effectivement comptée parmi les merveilles du monde. II 242 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE -paroît que ces étages étoient voûtés. Le géographe de Nubie, auteur qui vivoit il y a plus de sept cents ans, parle de cette tour comme d’un édifice qui existoit encore de son temps, et donne quelques renseignemens sur la forme qu'elle avoit alors. Elle est bâtie de pierres dures, jointes, dit-il, avec des ligatures en plomb, ou plutôt, sans doute, scellées en plomb [35]. Elle étoit assez large dans sa base pour qu'on y eût construit des maisons. Nous verrons que les modernes ont aussi établi des habitations sur ce plateau, ou ont successivement relevé celles que les Grecs y avoient bâties. Quelques commentateurs anciens (1) attestent que la tour étoit carrée, et le même géographe ajoute que la partie inférieure, qui étoit fort large (le soubassement }, s’élevoit jusqu'à la moitié de la hauteur totale de la tour ; que l'étage au-dessus de la première voûte étoit beaucoup moins large que le précédent, ce qui formoit une plate-forme servant de promenoir. Il s'explique d'une manière plus vague sur les étages supérieurs, et dit seulement que les escaliers devenoient moins longs à mesure qu'on s’élevoit; ce qui fait présumer que ces étages alloient en diminuant progressivement de hauteur, comme l'indique Félé- vation du premier ou du soubassement. Enfin, dit-il, il y avoit de toutes parts des fenêtres pour éclairer ces escaliers. dé Voilà tout ce que j'ai pu recueillir sur la forme du phare antique (2); voyons ce qu'on sait sur ses dimensions. Nous ne trouverons pas des renseignemens plus précis ou du moins plus complets; maïs ils nous donneront une grande idée de la majesté de lédifice. Le commentaire de César de Bello civil, Pline, Josèphe, et presque tous les auteurs, assurent que c’étoit une tour extrêmement élevée. Un commentateur (3) de Lucien prétend même que, pour la grandeur, elle pouvoit être comparée aux pyramides d'Égypte, et que ses côtés avoient près d’un stade de longueur; ce qui, vu le degré de précision qu'on doit attendre de ces expres- sions, se rapproche assez de la grandeur de la base ordinaire des pyramides d'Égypte, en prenant le stade Olympique, celui de quatre-vingt-quinze toises | 36 |. Mais le rocher actuel du phare, qui n'a que deux cents mètres environ dans son plus grand diamètre, présente à peine une surface suffisante pour contenir une base aussi étendue, sans même la supposer égale à la grande pyramide de Gyzeh, qui a sept cent seize pieds six pouces de côté. Cela donne lieu de présumer que le rocher appelé L Diamant, dont les anciens ne parlent pas dans leurs descrip- tions minutieuses de l’étroite entrée du grand port, tandis qu'il est aujourd'hui fort remarquable, faisoit autrefois partie du plateau du phare, dont la mer l'aura peu à peu séparé, ainsi que Jes trois autres écucils au nord-ouest (4); cela confirme encore ce que j'ai dit du prolongement de île Pharos jusqu’au plateau du phare par une chaîne de rocs plus ou moins continue. Le géographe de Nubie, déjà cité, nous apprend que la hauteur de la tour alloit jusqu'à trois cents coudées ou cent statures; ce qui se rapproche encore passablement de celle de la grande pyramide, que les Français ont trouvée de cent trente-huit mètres, ou quatre cent vingt-un pieds neuf pouces huit lignes. (1) Isaac. Voss. ad Pomp. Melam. (5) Isaac. Voss. ad Pomp. Melam. (2) Voyez cependant l’article 36 de PAppendice. (4) Planche 84, ET DE SES ENVIRONS. CHAP, XX VI. 23 Au surplus, toutes les mesures que fournissent les auteurs anciens sont rarement précises; je ne les cite ordinairement ici que pour donner une idée des dimen- sions des objets [ 37]. L'un des commentateurs anciens dont j'ai parlé, prétend que, du sommet du phare, on découvroit jusqu'à cent milles (1) en mer; et Josèphe, que « ses feux » éclairoient les navigateurs jusqu’à trois cents stades, afin que, du plus loin pos- » sible, ils prévissent les dangers de l'approche. » Tous ces renseignemens anciens sont encore vagues et incohérens. On en trouve chez Îles modernes beaucoup d’autres de cette espèce et de bien plus exagérés. I suflit, pour se faire une idée assez approchée de l'effet que produisoit la lumière du phare, de dire que, d’après la courbure de la mer à cette latitude, et en supposant à la tour quatre cents pieds d'élévation, on pouvoit l'apercevoir à vingt mille huit cent soïxante-huit toises de distance; reste à savoir maintenant si, dans un état ordinaire de l'air, l'œil peut découvrir un feu terrestre d'aussi loin [38] _ Il résulte de tout ce que nous venons de voir, que le phare était destiné à recevoir des feux pour éclairer pendant la nuit les navires qui abordoient aux ports d'Alexandrie. Tous les auteurs anciens sont d'accord avec les voyageurs modernes sur la difficulté des entrées de ces bassins, comme nous le verrons encore à l'article du grand port, et aussi sur les dangers que présentoit toute la plage des environs. Nous avons dit que, du temps d'Homère, bien avant qu'il y eût à Alexandrie tour ou fanal, l'ile s’appeloit Pharos. Le phare /pharus ] a pris, selon tous les té- moignages, le nom du lieu sur lequel il étoit bâti. Ce nom devint générique à cause de la beauté du monument, et servit à désigner ceux même qui existoïent auparavant, comme les tours du promontoire de Sigée, du Pirée d'Athènes, &c. : mais celles-ci étoient d’une structure fort simple. I paroît que la tour d'Alexandrie servit de type aux autres phares construits dans la suite, tels que celui de Caprée, et notamment celui d'Ostie, dont on atteste la ressemblance avec ce nouveau modèle | 39 |. Pline achève de nous faire concevoir la grandeur, la beauté et l'importance de ce monument, en nous disant que la tour avoit coûté 800 talens (2,400,000 frs, en évaluant le talent à mille écus) [ 40 |, et que le roi Ptolémée (Philadelphe) avoit permis à l'architecte d'y inscrire son nom. Strabon rapporte textuellement l'inscription, en disant que « Sostrate de Cnide, am des rois, avoit placé cette » tour pour le salut des navigateurs; ce qui est indiqué, poursuit-il, par l'inscrip- » tion suivante : Sosirate de Cnide, fils de Dexiphane, aux dieux conservateurs, pour » Les navigateurs. » Lucien a accrédité un trait de supercherie de la part de l'archi- tecte. Sostrate fit graver, dit-il, d’une manière durable, l'inscription qui portoit son nom à la postérité, et le couvrit d’un enduit sur lequel il écrivit celui du roi : les injures du temps détruisirent à la longue cet enduit, et ne laïissèrent voir que le nom de l'architecte. Il paroît que ce conte avoit été imaginé pour expliquer com- ment il avoit pu se faire que Philadelphe, si grand dans ses entreprises, et qui (1) Environ trente lieues. 24 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE avoit attaché son nom à plusieurs d’entre elles, eût consenti À ce qu'il n’entrât pas même dans l'inscription d’un monument si glorieux. Cependant l'inscription existoit, telle que nous la donnons, du temps de Strabon et de Pline : estil vrai- semblable (LS, si. les successeurs da second Ptolémée, amis de la gloire de leurs ancêtres, s'étoient aperçus, comme cela ne pouvoit manquer d'arriver, que ce changement de nom fût le résultat même très-lent d’une ancienne fourberie, ils n'eussent pas au moins fait ajouter le nom de Pliladelphe à celui de Sostrate! [l'est donc plus LS de supposer que le prince avoit autorisé son architecte, dont il étoit satisfait, à graver RCE telle qu'on la rapporte, renonçant, pour quelque motif que nous ignorons, à y placer son nom | 41 |. Il est difficile de suivre sans interruption et sans incertitude les traces de l’exis- tence de ce grand monument pendant toute la suite des temps. Tout ce que nous savons, après ce que nous a assuré le géographe de Nubie il y a sept cents ans, c'est que le phare de Sostrate subsistoit encore au xu1.° siècle, à en juger d’après Abou-I-fedà, prince et géographe Syrien, qui régnoit et écrivoit en 1320; par conséquent, les soudans d’ Égypte, descendans de Saladin, ne l’avoient point'encore détruit : mais au xv.° siècle il n’existoit plus, et l’on avoit déjà construit le phare actuel. Il n’y a pas de doute que celui-ci n’occupe le même flot ou promontoire sur lequel étoit PAGE la tour des Ptolémées, et il faut supposer, d’après ce qui précède, et Jusqu'à ce qu'on ait découvert des renseïgnemens plus précis, que ce sont les Mamlouks Baharites qui ont élevé le château moderne sur les ruines de la tour antique | 42 |. DIGUE DU PHARE. On trouve une grande quantité 4 débris antiques fort remarquables employés en fondations d’une digue, entre la presqu'île actuelle du Phare et le rocher que nous quittons. Le corps de cette digue est supporté par un enrochement qui pré- sente un large empatement. Il est composé de tronçons de colonnes de granit, de marbre, de pierre numismale et autres matériaux, restes de l'ancienne Alexan- drie [43]: On y voit de beaux fûts entiers de ce granit Oriental si répandu dans la haute Égypte : on remarque même, dans la partie supérieure, des chapiteaux à boutons de lotus tronqués, en granit; chose qu'on n'a pas vue ailleurs. Ils sont placés avec des tronçons de colonnes dans le chemin couvert de la digue. Parmi les nombreux blocs de pierre et de granit qui ont été jetés au pied pour arrêter l'effort des flots qui battent avec fracas du côté de la pleine mer, on reconnoft que beaucoup de fûts et de portions de colonnes sont de forme DEC, Nous re- marquerons, en parlant de la colonne dite de Pompée, qu'il ne paroïît pas que les Grecs aïent fait de ces exploitations de granit ez sasses colossales , à la maniere des anciens Égyptiens : mais on reconnoît qu'ils ont pu extraire des carrières les colonnes de dimensions ordinaires que nous voyons, ou qu'ils ont retouché presque tous les débris de Memphis et des autres villes abandonnées de l'Égypte supérieure [ 44 | On voit, dans un autre endroit, un fragment de triglyphe en granit noir et un morceau de corniche assez bien conservé. Aussi ne peut-on douter, ET DE SES ÆENVIRONS. «COHAP XX VI: 25 douter, non-seulement que les Grecs n’aïent façonné la plus grande partie de ces colonnes de granit qu'on trouve dans les ruines d'Alexandrie, mais aussi qu'ils n'aient été dans l'usage d'exécuter dans les édifices de cette ville les autres membres d'architecture avec la même matière. ( Quelle richesse et quelle solidité ne devoit-il pas en résulter! ) Toutes ces assertions sont confirmées par la petite quantité de granit qu'ils ont laissée dans les monumens des anciens Égyptiens : or on sait que ceux-ci le prodiguoïent beaucoup dans leurs constructions, puisqu “ils en avoient revêtu l’une des trois grandes pyramides de Gyzeh [ 45 |. Nous avons démontré qu'il n'y avoit dans l'antiquité aucune grande construc- tion sur l'emplacement de la digue, et que la ligne de rochers formoit, à une certaine Époque, une communication continue avec le plateau du phare. Lors- qu'elle s'est interrompue ou simplement détériorée, les anciens ont bien pu y faire quelques enrochemens pour continuer d'aboutir par terre et plus commo- dément au phare {quoïque des géographes nous aient quelquefois peint le plateau du phare comme un îlot parfait ) : mais leurs travaux ont dû se borner là; et encore leurs enrochemens étoïent-ils placés sur la ligne même des récifs, bien en avant de la digue actuelle : car ïls n'ont certainement pas fait les fondations grossières de cette jetée; ils en ont seulement fourni l'idée | 46 ] La digue actuelle est donc moderne; et ce qui achève de le prouver, c’est la manière barbare dont plusieurs des beaux restes d’antiquité que nous venons d’in- diquer y sont employés. Les fûts de colonne sont couchés horizontalement et en travers, pour faire masse dans les enrochemens et liaison dans la partie sApéneure pre fondations de la jetée. I seroit naturel de rapporter sa construction à peu près à l'époque où le château actuel du phare fut bâti : or on a vu que celui-ci l’étoit déjà en 1517, lors de la conquête des Turcs; mais la destruction du prolonge- ment naturel de l'île, et la nécessité de jeter une digue en arrière, ont pu avoir lieu plus tôt. On sait enfin que les murs de l'enceinte Arabe, où nous verrons des colonnes horizontales, furent élevés vers 875. Il faut donc ranger la formation de la digue dans cet intervalle d'environ six cent quarante ans [ 47 |, et attribuer aux Arabes de la fin du 1x.° siècle ce système bizarre de construction, qui consiste à employer horizontalement des colonnes dans les murs, et que nous retrouverons fréquemment dans les ruines d'Alexandrie. HEPTASTADIUM. EMPLACEMENT DE LA VILLE MODERNE. La ville moderne, située, comme on le voit, sur une langue de terre entre les deux ports, a couvert toutes les antiquités qui se trouvoient sur son CNREREE D'ailleurs il n’y avoit là qu'un monument principal, et il étoit de nature à pouvoir être complétement caché, et par les atterrissemens que nous y voyons, et par une ville qui les recouvre encore eux-mêmes : c’est le môle appelé Heptastadium. On ne peut donc en retrouver le moindre vestige; il y a même quelques incer- titudes sur la véritable position de cette énorme masse : nous dissiperons celles qui régnoient sur sa direction. A. D. | D 26 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE Strabon appelle cette digue ou levée une espèce de pont qui se dirigeoit du continent vers la partie occidentale de File Pharos. Quelques auteurs recomman- dables, et notamment le judicieux d'Anville, ont pensé qu'il y avoit erreur dans ce passage, et que Strabon auroïit dû dire que l'Aeptastadium joïgnoïit l'ile à Focci- dent de la tour du phare, et non pas à l'extrémité occidentale de l'île. Maïs ce nest point ce que dit Strabon. Dirigé vers la partie occidentale, ne signifie pas que le môle touchoit cette extrémité. Au reste, la position du bourg du Phare et des autres monticules plus rapprochés de la ville (monticules qui prouvent que l'île formoit, de ce côté, un crochet ou pointe occidentale par rapport au cap oriental de la tour) permettroit encore de supposer, comme d’Anville, que l'Aeptastadium Joignoit l'île en ce point auquel nous rattacherons effectivement ce môle. Mais, dans tous les cas, on ne pourra jamais supposer à cette digue une drection con- traire à celle que j'ai adoptée. Toutes les autorités que nous avons vues et celles que je citerai encore concernant les deux principaux ports d'Alexandrie, l'ile Plaros et leurs alentours, enfin la description de l'Heptastadium lui-même, seront d'accord pour confirmer cette direction | 48 ]. Le même Strabon dit, en parlant de ces deux ports : « [ls se prolongent chacun » dans l’enfoncement formé par l’Heptastadium, chaussée de sept stades de lon- » gueur, qui les sépare [ 49]. » Il explique le sens de la dénomination de pont qu'il a donnée à la digue, en ajoutant « qu’elle laïssoit seulement deux entrées » navigables du grand port dans l'Eunoste. » On voit, par les détails de la guerre de César, que ces deux passages étoïent, l'un, à une extrémité du môle, près de la ville d'Alexandrie, et l'autre, à l'extrémité opposée, près de l'ile Pharos. Cette communication avoit l'avantage de permettre aux vaisseaux l'entrée et la sortie d'Alexandrie presque en tout temps, vu la différence des vents propres aux pas- sages des deux ports principaux. Remarquez cependant que Strabon ne définit ces deux ouvertures que comme donnant principalement entrée dans le port d'Eu- noste. C’est parce que le grand port étoit alors le plus important, le port par excel- lence, et que l'Eunoste n’étoit considéré que comme une de ses dépendances. Il paroît encore, d'après cela, qu'on entroit ordinairement dans le port d'Eunoste en : passant d’abord par le grand port, à cause de la difficulté des passes du premier, dont Strabon nous a avertis. Ces deux canaux navigables, continue-t-il, étoient joints par un pont, c'est-à-dire qu'on avoit jeté sur ces ouvertures, pratiquées dans toute la largeur de la base du môle, et, par conséquent, aussi longues que cette largeur, une voûte plus étroite que le corps de la digue, ou même que son dessus, puisqu'il regarde cette espèce de pont comme un ouvrage distinct du môle, D'autres auteurs de l'antiquité appellent aussi l’Aeptastadium un pont. Effective- ment, les massifs du milieu et des extrémités de cette digue pouvoïent être consi- dérés’, lun, comme une très-large pile intermédiaire, et les autres, comme des culées [so |. ; Nous verrons, dans 2: Guerre d'Alexandrie, que Jules César fit fortifter une espèce de château qui étoit à la tête du pont le plus proche de l'île Pharos. Hirtius ajoute que la tête de l’autre pont, près de la ville, étoit mieux fortifiée, et qu'il y avoit ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. 27 un château dont les Alexandrins augmentèrent, pendant la guerre, les fortifica- tions et les machines. Ce mot près détermine assez bien la position de arche et du fort voisin de la ville; et les deux autres doivent naturellement se placer avec symétrie à l'autre bout de l'Heptastade, On reconnofîtra donc que les ruines de ce fort, du côté de l’île, coïncident avec le principal des deux ou trois monticules qui sont à l'ouest de celui qui marque l'emplacement du bourg de Pharos. Au reste, on ne voit plus d’autres vestiges de ces châteaux, ni, à plus forte raïson, de ces ponts : il y a seulement un fort Turc aux environs, et sur le bord du port vieux, pour remplacer sans doute les anciennes défenses. « La masse entière de l'Aeptastadium, ajoute Strabon dans sa description, » étoit non-seulement un pont de communication avec l'île Pheros, maïs un » aqueduc, lorsque cette île étoit habitée. » Voïlà donc un nouvel objet d'utilité de ce grand ouvrage, et l'explication qu’il nous restoit à trouver de existence d'une population dans File. J'en avois déjà fait remarquer les preuves dans les ca- tacombes, les citernes et les vestiges de maçonnerie qui la bordent. Au reste, il paroït, par les expressions de Strabon, que l’aqueduc lui-même de l'Heptastadium souflrit beaucoup de la dévastation opérée par César et de la dépopulation de l'île, ou fut peut-être complétement ruiné; mais nous avons vu qu'il devoit avoir / été rétabli du temps de Pline [sr ] Les Commentaires de César et d'Hirtius nous donnent peu d’éclaircissemens sur le genre de construction et le reste de la forme du môle : ils disent seulement, d'une manière expresse, que sinon sa masse, du moins le chemin pratiqué au- dessus étoit étroit. Maïs ce n'est vraisemblablement pas dans un sens absolu qu'ils l'entendent, et c’est seulement par rapport à la gène des évolutions militaires qu'il s'agissoit de faire sur la crête; car ce chemin devoit être assez large pour faciliter le passage très-actif des voitures et des piétons, et il avoit à ses extrémités deux ponts d'une largeur suffisante pour ce service, et vraisemblablement déjà plus étroits que le reste de la chaussée. Nous n'avons pas de renseïgnemens plus précis sur l'épaisseur de l'Heptastade : on voit seulement qu’elle devoit être fort grande, et les talus trés-inclinés et remplis d’aspérités, puisque les troupes de César et les Alexandrins les parcouroïent si facilement | 52]. Voyons maintenant la fameuse longueur de cet ouvrage. Cette mesure, quoique bien définie par le nom même du mêle, a fait naître beaucoup de commentaires qui nous deviennent inutiles. César, & Bello civil, lui donne neuf cents pas, qui s'accordent parfaitement avec sept stades Olympiques de quatre-vingt-quinze toises chacun, et aucune objection solide n’exige que nous cherchions un autre stade [ 3]. Ayant déterminé à peu près la direction dont l'Heptastadium ne pouvoit sortir, nous n’aurons plus qu’à fixer son point de départ et appliquer sa longueur sur le terrain, pour trouver son véritable emplacement. Je porte donc les sept stades, suivant la ligne nord-ouest, entre le mur d'enceinte Arabe, à peu près vis-à-vis de la butte de Rhacotis, et les premiers des deux ou trois gros monticules de l'ile Paros. Ce parti satisfait à toutes les conditions : il rend au grand port tout.son ancien enfoncement et ses autres avantages tels que 1 ADF D : 28 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE nous les avons vus; il laisse les atterrissemens les plus plats et les plus larges se former dans ce port et à leur place reconnue. Cet axe enfile ces buttes qui pré- sentent sur une même ligne les emplacemens du fort, des culées et des têtes de pont, du côté de fîle Pharos ; il se rattache au roc de Rhacotis, noyau de lan- cienne ville, autrefois baigné immédiatement par la mer, sur l’ancien rivage de laquelle on a dû relever et entretenir constamment l’enceinte antique; il part d’un point de cette enceinte près duquel se trouve une porte dont on a vraisem- blablement toujours conservé l'usage ; il tombe évidemment sur l'ancien sol de l'île Pharos; enfin ïl est perpendiculaire au grand axe de cette île, et mesure réellement sa distance par rapport au continent ! $4 | En avant de l’enceinte Arabe, il y a, dans la ville moderne, une citerne re- marquable par sa position peu éloignée de l'ancien Heptastadium : maïs, n’ayant pas de certitude sur son antiquité, je n'ai pas cru devoir la considérer dans le choix de emplacement de 'Heptastadinm. EMe est trop en avant pour avoir pu appartenir, dans les temps antiques, au continent, qui probablement n'avançoït pas jusque là; et, à partir de son emplacement, la longueur de sept stades franchi- roit l’île Pharos tout entière. En partant des murailles et traversant la citerne dans la direction des trois buttes, l'Heptastade ne satisferoit pas complétement aux conditions précédentes, ni à la première de toutes, celle de tendre vers la partie occidentale de ile. L'examen du genre dé construction de cette citerne, qu'on croit pourtant assez ancienne, pourroit jeter du jour sur l’époque où l'on a aban- donné l'usage de la digue de sept stades pour la communication avec l’île Pharos, et où l'on a achevé de défigurer les ports antiques par d’autres constructions [ 55 ]. Ammien Marcellin, qui attribue faussement à une Cléopatre la construction du phare, ajoute que la même reine fit bâtir l'Heptastadium « avec une célérité » aussi étonnante que la grandeur de l'ouvrage. » Le récit qu'il arrange là-dessus a bien l’apparence du merveïlleux, que cet historien paroît aïmer beaucoup, à en juger par son style recherché. Le fait est qu'on ne connoît pas positivement le Ptolémée auteur de la construction de l'Heptastadium ; maïs tout annonce que ce monument existoit bien avant Cléopatre If, et vraisemblablement sous les pre- miers Ptolémées, ou même dès le temps d'Alexandre. Un ouvrage aussi utile a dû être fait au moins aussitôt qu'on a commencé à perfectionner les établissemens maritimes de ce grand fondateur | $6 |. On ne peut faire que des conjectures sur ce qu'est devenu successivement l'Heptastade, et sur l’époque où il a disparu entièrement. La position de cette masse entre les deux ports a toujours tendu à arrêter le mouvement alternatif de la mer derrière File Pharos, et à faire combler le grand port vers l’angle à droite de l'origine du môle contre la ville. Ce môle lui-même s'est donc ensablé naturel- lement, lorsque, sous les gouvernemens négligens, on a cessé d'en curer le pied et d'entretenir les deux passages navigables qui le traversoïent ; notamment au xvi.® siècle, et lors de la conquête des Turcs, qui se rapporte à nos dernières périodes chronologiques, la ville des Arabes fut peu à peu délaissée, et la moderne successivement accrue. Vraisemblablement on démoli alors les parties supérieures » / ET DE SES ENVIRONS. CHAP, XXVI. 29 du mêle, qui devenoientinutiles et pouvoient servir à de nouvelles constructions; car nous n'en avons Vu aucun vestige, et nous n'avons pas où dire que personne en ait découvert. L'art a peutêtre aussi aïdé la nature dans cet élargissement {1} d'un chemin étroit qui est devenu l'emplacement d’une ville. On peut donc attribuer fabandon successif de l'Heptastadium aux Arabes, et sur-tout à leurs successeurs, et enfin sa disparition complète aux Turcs [57]. Dans le voisinage de l'emplacement de cet ancien môle, il y a encore au- jourd’hui des antiquités; entre autres, un grand nombre de colonnes couchées, qui feront l’objet de l'article suivant : il y en a aussi quelques-unes en granit, employées debout et à la manière des Arabes dans les bâtimens modernes. Voilà tous les restes de l'ancienne Alexandrie dont la nouvelle s’est ornée, et de quelle manière! Voilà donc aussi la ville qui a succédé à l'immense et magni- fique cité d'Alexandre, des Ptolémées et des Romains. Ce n’est plus aujourd’hui qu'une grande bourgade, assez misérable, médiocrement bâtie et avec peu d'ordre; dépourvue de places publiques; n'ayant que des rues étroites, malpropres et sans pavé; contenant environ huit mille habitans (2); mais encore commerçante par la seule cause de la bonté et de la position avantageuse de son port, unique sur route cette côte de la Méditerranée, et communiquant avec la mer des Indes [ 58] MASSIFS DE COLONNES ANTIQUES SOUS LE QUARTIER DES CONSULATS. On rencontre encore beaucoup d'antiquités du même genre que celles de la digue du phare, entre le quartier des consulats et la douane {3). Ces bâtimens sont élevés, du côté du port neuf, sur le bord de l'eau. On les a fondés sur une multitude de troncs de colonnes en granit de toutes les couleurs, et dont la grosseur s'élève souvent jusqu'à trois et quatre pieds de diamètre. Ces enro- chemens offrent le même aspect et font naître les mêmes observations générales que les premiers massifs de colonnes que nous avons déjà vus; mais on a par- ticulièrement remarqué, parmi celles que nous examinons ici, deux fragmens de fût qui ont la forme de ces colonnes de Lougsor à grosses côtes arrondies, et dont la tige est resserrée par le bas. Nous avons trouvé encore un de ces cha- piteaux qui appartiennent ordinairement à ce genre de colonne : c'est une espèce d’ellipsoïde tronqué et formé d’un faisceau de nervures semblables aussi à des côtes de melon. Il faut enfin se rappeler et ranger dans la même catégorie le chapiteau à bouton de lotus trouvé à la digue du phare. Tous ces fragmens paroissent bien être l’ouvrage des anciens Égyptiens : ils portent des luéroglyphes ; et lun de ces tronçons, qui est l'extrémité inférieure d’un füt, est décoré avec des espèces de chevrons brisés, ainsi que cela se rencontre dans presque toutes les colonnes en pierre calcaire ou grès de la haute Égypte. À cette vue, on séroit tenté de sortir d’un doute que nous n'avons pu lever jusquà présent. I] (1) Par tous ces massifs de colonnes en enrochement dont il est question dans l’article 57 de l’Appendice. (2) "La population de la ville moderne est portée à douze mille individus. (3) Planche 84, 30 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE s'agit de savoir si les anciens Égyptiens ont fait des colonnes en granit, attendu qu'on n'en trouve aucune dans es édifices de la haute Égypte. On se sent porté à supposer que les Grecs ou les Romains n’ont point imité ces colonnes, parce qu'elles ont des formes qui devoient répugner beaucoup à leur goût et à leurs habitudes; mais, quand ils élevoient des temples à des divinités Égyptiennes, limitation du style local, tout bizarre qu'il pouvoit paroître, devenoit pour eux une obligation. N’en avons-nous pas un exemple dans ces statues et autres monu- mens antiques faits à Rome avec le granit d'Égypte! On pencheroït encore à croire que les hiéroglyphes gravés sur ces fragmens de colonne décident la question suivant le premier sens; mais, par les mêmes raisons, les Grecs et les Romains ont dû, pour rendre limitation plus parfaite, copier ou se faire dicter des hiéroglyphes’par les prêtres Égyptiens, dont le collége subsistoit encore de leur temps. N'at-on pas employé de ces caractères sous Ptolémée Épiphane, dans la triple inscription de la fameuse pierre de Rosette! Ainsi il est au moins douteux qu'il subsiste encore des colonnes en granit qui soient l’ouvrage des Égyptiens de la Thébaïde (1) [59 | Les modernes, et particulièrement les Turcs, qui ont bâti les maisons du port neuf, ont imité l'emploi que les Arabes avoiïent fait, avec plus de régularité, de ces colonnes horizontales dans les murs de leur grande enceinte; car ici, et dans la digue du phare, elles ont principalement pour objet de faire masse dans les enrochemens et les fondations, tandis que nous verrons que, dans les mu- raïlles Arabes, c’étoit plutôt par un système recherché de construction. Mais quelle quantité prodigieuse de colonnes ce double usage a dû absorber, puisque les modernes constructeurs s’en servent encore tous les jours, même en détruisant ce que les Arabes avoient édifié après avoir détruit eux-mêmes les monumens antiques! Quelle idée cela ne donne+-il pas encore de la splendeur de l’ancienne ville! II faut joindre à tous ces restes, outre la digue du phare et l’embarcadère du port vieux, les débris de la mosquée aux mille colonnes antiques et toutes celles que nous rencontrerons aïlleurs. Ces remarques expliquent en même temps la nudité absolue des ruines d'Alexandrie, et comment les nombreuses colonnes que le P. Sicard ou quelques autres voyageurs ont vues encore debout, ne $’aper- çoivent plus [60]. GRAND PORT. En visitant l'île Pharos, la tour, le rocher du phare, leur digue actuelle et l'Heptastadinm , nous avons suivi une partie des Bords du port neuf : nous allons maintenant examiner son ensemble, c'est-à-dire, son sntérieur, ses mouillages, sa passe; et nous parcourrons ensuite Z reste de son pourtour, qui nest pas moins intéressant et qui achevera de nous le faire bien connoître. Ce port a généralement beaucoup perdu dé sa profondeur. On y voit plu- sieurs bas-fonds, et il n’y a que très-peu d’eau sur les parties de rochers qui sont dans son intérieur. Il n'offre point d’antiquités remarquables ; mais, en se QG) ll fat excepter les antiquités du Delta, ET, DE SES ENVIRONS. CHAP. XXFVI. 3 1 promenant en chaloupe sur ces bas-fonds, dans un temps calme, on y aperçoit encore des ruines d’édifices, des fragmens de statues et des colonnes renversées. Le plus remarquable de ces rochers est presque à fleur d’eau, vis-à-vis le milieu et à deux cent cinquante toises environ de la ville moderne. On a cru que ce pouvoit être l'île d'Antirrhode; maïs nous verrons le contraire. I est bien vrai- semblable que les Grecs, qui avoïent couvert ce port de tant d'ouvrages, tirèrent quelque parti de cet îlot, qui devoit être encore plus apparent autrefois; mais je n'en ai trouvé d'autres traces que les débris dont je viens de parler. Ce port avoit jadis à peu près la même forme que nous lui voyons aujourd’hui, sauf les modifications que nous avons déjà observées, et que nous continuerons d'indiquer dans cet article, comme dans ceux où nous parcourrons ensuite le reste de son vaste contour. Son entrée étoit extrêmement difhcile, comme aujourd’hui; et tous les auteurs anciens, de même que les voyageurs modernes, s’attachent à le dire. Is exposent aussi, en termes très-forts, les dangers de sa plage et de toute la côte d'Alexandrie, et ils font sentir en même temps combien cet abri étoit précieux pour le commerce de l'antiquité [61]. Diodore nomme simplement ce port Æ Phare. On voit que c’est bien le port principal d'Alexandrie, ou le port par excellence, qui se trouvoit immédiatement sous la tour du phare elle-même, qu'il a en vue. Il ne distingue pas autre chose sur la côte qui l’avoisine. Tout 4e reste, ajoute-t-il, est une rade dangereuse. Strabon dit aussi « que le rivage étoit, » de part et d'autre de la ville, bas et sans abri, rempli d’écueïls et de bas-fonds, et . » qu'on avoit besoin d’un signe élevé et lumineux au moyen duquel les vaisseaux » venant de la haute mer pussent atteindre l'entrée du port. » Remarquons que c’est du port neuf qu'il parle dans ce passage, et que le phare sembloit particulière- ment fait pour ce bassin, ainsi que l'indique leur position respective; comme aussi toute la suite nous prouvera que c’étoit bien là le port principal d'Alexandrie. « Des deux promontoires de File Pharos, continuet-il, celui du levant (le » rocher du phare) s'approche plus du continent et du cap qui lui est opposé » (lAcrolochias) que celui du couchant {la pointe des Figuiers) ne s'approche » de la Chersonèse {le Marabou). Cette proximité du phare et du promontoire » de Lochias forme le port et rend son entrée fort étroite. A cette difficulté de » la passe se joint celle qu'occasionnent les rochers qui se trouvent dans l’eau » entre ces deux caps, les uns couverts par la mer, les autres s’élevant au-dessus » d'elle et refoulant les flots qui arrivent sans cesse du large. » Les choses sont encore à peu près dans le même état aujourd’hui, quant à la difhculté de l'entrée. Nous verrons seulement que l'Acrolochias a été rongé et très-raccourci par les eaux, comme nous avons vu que le promontoire de l'île Paros l’a été lui-même, mais moins considérablement. La passe est à l’est du Diamant, et fort près de ce rocher, qu'il faut serrer beaucoup pour éviter les bas-fonds de F'autre côté [ 62]. Pline dit, ainsi que Solin, qui l’a copié, qu'il n’y a que trois canaux de mer (ou passes) qui conduisent à Alexandrie; ils les nomment Tegamus, Posileus ou Posidonius , et Taurus. H est probable que ce sont deux entrées dans le port d'Eunoste, l’une du côté de Chersonesus, Vautre du côté du cap des Figuiïers, et 3 2 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE la troisième, celle du grand port que nous examinons. C’est celle-ci sans doute qui s'appeloit Posideium , d'un surnom de Neptune. JI y avoit d'ailleurs dans le grand port un temple de ce dieu, ou une partie du rivage, qu'on nommoiït 4 Posideium, et que nous verrons bientôt [63]. D'après toutes ces difficultés, on sent bien maintenant le motif et l'utilité de la construction du fanal du phare, et du choix de son emplacement. On voit aussi quel trait de génie et de hardiesse c'étoit de la part des anciens, pour les usages desquels les ports fermés étoient indispensables, d’avoir choisi celui-ci de préférence sur le reste de l'espace du port d'Eunoste, et de lavoir clos ensuite en coupant lancienne rade par le môle de sept stades et profitant d’une saillie de l'île Pharos. « Le grand port est très-bien fermé par la nature {à l'entrée) et » par d'Aeptastadium (ou par Fart) », dit Strabon [64]. I lui donne le nom de maximus, Sous lequel il a toujours été désigné dans l'antiquité. C’est même de lui que parlent Josèphe et tous les autres auteurs anciens, lorsqu'ils disent sim- plement le port d'Alexandrie ÉTÉ on peut le vérifier par les détails que renferment à son sujet les passages où ils le désignent ainsi}; soit parce qu'on aboutissoit de là dans tous lès autres bassins, qui n'en étoient que dés subdivisions, et même dans J'Eunoste, l’une de ses dépendances; soit par les autres circons- tances que nous allons voir. En supprimant un moment par la pensée le môle de l'Heptastadium | supposé placé dans la direction que je lui ai donnée plus haut}, on voit, par l'examen de l'état des lieux et par l'historique de la fondation, pourquoi les anciens n’eurent d'abord en vue que ce port, avantageusément resserré à son entrée, et lui don- nèrent ensuite le nom de maximus : il se trouvoit presque tout fait et d’une capacité suffisante, et ils l'appelèrent souvent, par cette raison, X Port [6$ |] I ne fit que conservér son nom générique, et l'on n'eut plus qu’à en donner un nouveau au port d'Eunoste. De plus, par la construction de l'Heptastadium , À se trouvoit le plus grand de tous, et ils Pappelèrent, par comparaison, maximus. Aussi est-ce lui que les fondateurs eurent premièrement en vue dans le placement de leurs établissemens, et dont ils faisoïent l'usage le plus fréquent et le plus important : ils rassemblèrent autour de lui leurs édifices de luxe, qu'ils étendirent princi- palement le long de sa partie orientale, la moins avantageuse pour la marine; ils laïssèrent leurs établissemens d’utilité publique dans son enfoncement le plus profond et le plus calme, autour de Racotis, l'ancienne cité, et des bassins d'Eunoste et de Atos, qui étoïent des succursales du grand port. « I] étoit si profond même sur ses bords, selon Strabon, que les plus grands » vaisseaux pouvoient approcher sans danger jusqu'à toucher les degrés qu’on y » avoit pratiqués. » Ces marches devoient se trouver dans toute la partie voisine de l'origine de l'Heptastadium , où nous verrons qu’étoïent les établissemens de marine nommés apostases. « Mais il se subdivisoit en plusieurs ports (1). » C'étoient sans doute de petites démarcations faites le long du rivage pour sé- parer les stations des navires d'espèces, de nations ou de commerces différens, (1) Strab. Geogr. lib. xvr1. comme EILPDENSES ENNVIRONS, CAP. XX 1. 3 3 comme cela se pratique encore chez nous. Les petits ports des Rois, d’An- tirrhode, et les Apostases, que nous parcourrons, sont des preuves de ce que javance [ 66 |. Josèphe ajoute à ces qualités, que l'intérieur du grand port étoit très-sûr, et il Jui donne trente stades détendue. En prenant toujours le stade Grec de quatre- vingt-quinze toises, le portant autour du port neuf, depuis le rocher du phare jusqu'au-delà de l'Acrolochias actuel, et se rapprochant du port d'Eunoste, à cause de l’ensablement plus grand du port neuf et de la direction occidentale de l'Heptastadium, on trouve cette mesure d’une justesse très-satisfaisante. Elle vient encore confirmer tout ce que nous avons dit sur la forme et la position de divers objets : elle fait voir combien le grand port s'est rapetissé. Quant à la profondeur et à la sûreté, elles sont pareïllement bien diminuées aujourd'hui, et ce double changement est dû à la même cause. Les vents de nord-ouest, qui sont les plus violens et les plus habituels, ont corrodé, élargi la passe, et comblé avec ses débris l'intérieur du bassin, en le laissant ouvert à toutes les agitations de la haute mer [67]. On peut estimer la hauteur de cet encombrement par le moyen des sondes : celles de la passe du grand port sont à peu près les mêmes que celles du centre du port vieux; et comme le fond de celui-ci a été aussi un peu exhaussé par le lest des navires et par les causes phy- siques que j'ai indiquées, je crois pouvoir supposer que sa profondeur réduite étoit autrefois de trente-six pieds, et qu'elle étoit commune au grand port: or les sondes réduites du centre de ce dernier bassin ne sont plus aujourd'hui que de douze pieds environ, d’où il suit que son ensablement, depuis deux mille ans, pourroit s'évaluer à vingt-quatre pieds. RESTE DU PÉRIMÈTRE DU GRAND PORT. Nous continuerons maintenant de parcourir le reste du pourtour du grand port ancien depuis l'origine de l'Aeptastadinm jusqu'à la dernière extrémité du vieux promontoire de Lochias, et d'examiner les autres ruines qui s’y trouvent. GRANDE PLACE. On n'aperçoit point de ruines antiques à l’origine que nous avons fixée pour le môle de l'Heptastadium, parce que cette partie a été singulièrement modifiée par les divers établissemens qui se sont successivement portés vers ce point important : mais il y a au pied du monticule de Rhacotis un espace vide assez remarquable; et en avant de la muraille Arabe on voit la suite de cet espace, où se trouve aujourd'hui un cimetière Turc qui renferme plusieurs tombes assez riches et élégantes. C'est là sans doute que s’ouvroit la grande place qu'Hirtius nous dit être au-devant du fort placé à la tête du premier port de l'Heptastadiumr, et sur laquelle l’armée d'Alexandrie se mit en bataille. Cette circonstance suppose une surface assez considérable, et nous voyons que cet espace est en effet très- vaste. L'ensemble du récit d'Hirtius, et le nom d’area qu'il emploie au lieu de platea, indiquent que ce local étoit absolument nu, qu'il ne faisoit point partie de A. D. E 3 À DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE l'intérieur de la ville, qu'il séparoit les arsenaux des deux ports, et que la muraille Arabe a pu être placée au travers de cette esplanade et un peu en avant du mur antique, à mesure quon avançoit l'enceinte vers la mer qui se retiroit, On aura continué de laisser cet espace libre de constructions, et l’on aura placé sur la partie extérieure le cimetière que nous y voyons, tant que la ville Arabe aura été habitée, où à mesure que la bourgade moderne se sera peu à peu formée: aussi voit-on que tout l'espace, tant en dehors qu'en dedans de la muraïlle, est plat et a toujours été peu garni d'édifrces. ARSENAUX. Dans toute la partie à la suite et à droite de la tête de l'Heptastadium , jusqu'aux obélisques, on ne voit pas plus de ruines reconnoïssables comme évidemment antiques. Cependant il est probable que les murs de l'enceinte Arabe ont été placés en ce point 4 bord de la mer, à mesure qu'elle s’éloïgnoit; que ces ruines antiques se trouvent au pied de ces murs, tant en dedans qu'en dehors; que les constructions anciennes de intérieur ont été peu à peu démolies pour faire place aux bâtimens Sarrasins, et que le banc de sable qui a pris son principal volume en cet endroit, a fait abandonner celles du dehors et en a recouvert les fondations. C’est donc à peu près en ce point, où la ville moderne vient toucher l'enceinte Arabe, que se trouvoient les arsenaux de la marine pour le grand port, depuis l'Hcptastadium même, selon Strabon, en s'étendant au nord-est. La convenance de cet emplacement des arsenaux et chantiers du grand port est bien confirmée par la forme aplatie et propre aux constructions que conserve encore aujourd'hui la plage en ce point; la profondeur d’eau étoit suffisante d’ailleurs pour mettre à flot des navires qui étoient, en général, plus plats que les nôtres, et vraisemblablement tous du genre de nos galères, dont l'usage étoit particulier à la Méditerranée et sy est maintenu jusqu'à nos jours [68 ] APOSTASES. Je viens de confondre des chantiers avec les arsenaux de la marine, wavaba. Sous cette dénomination, on peut entendre l’un et l'autre; et ces deux établisse- mens, s'ils sont distincts, sont communément contigus. Les arsenaux dont il s’agit ici, étant affectés au service de la marine, contenoient sans doute les agrès et autres objets propres à l'armement des vaisseaux. On doit donc, d’après le sens suivi de Strabon, regarder ces établissemens de même genre comme se prolongeant dans le grand port, selon la même direction, au nord-est, depuis l'Heptastade jusqu'à l'endroit que ce géographe appelle Apostases (1), quasi abscessus, et comme com- prenant peut-être ce dernier lieu lui-même. Ce mot abscessus, qui signifie propre- inent espèce de retraite, indique que c'étoit une place plus abritée qu'aucune autre pour les vaisseaux, ou même des formes où darses couvertes pour les réparer commodément dans tous les temps. L'espace appelé maintenant esplanade (2) et celui qui est à la suite, vers l'enfoncement de la muraille Arabe, paroïssent bien, (1) De d7ro', bin, et de sms, repos; station reculée. (2) Voyez É, M. pl. 84. EI DE SES ENVIRONS,. CHAPIXXVI. 35 par leur forme aplatie, ensablée de niveau, sans ruines solides, et avancée sur l'ancien rivage de la mer, être le reste de ces bassins comblés par elle [ 69 |. On peut donc regarder les Apostases comme une suite et une dépendance des arsenaux et chantiers de la marine. EMPORIUM. Après les apostases venoit le marché. Strabon l'appelle simplement Emporium, ou marché par excellence, comme s'il eût été le seul de son espèce : or il est très-vraïsemblable qu'il existoit bien d’autres marchés ordinaires dans une si grande ville pour les usages communs de la vie; et j'en conclus que celui-ci servoit principalement à la vente des produits du commerce maritime. C’étoit sans doute comme nos bourses modernes. Au reste, que ce fût l’un ou l’autre de ces établisse- mens (bourse ou simplement marché), lEmporium étoit fort bien placé en ce point, entre le grand port et le milieu du périmètre de la ville, avec laquelle il commu- niquoît aussi facilement qu'avec la marine [ 70]. OBÉLISQUES. — CÆSARIUM. À la suite et auprès de l'emplacement que j'ai supposé être celui de l'Emporium, se trouvent les deux obélisques (1). Un peu avant d'y arriver, on voit, au bord de la mer, vers le fond du port et le long des murailles Arabes, des ruines de divers âges, battues et défigurées par les flots. On y distingue encore des colonnes engagées horizontalement, et qui, se trouvant peu élevées au-dessus du niveau de l’eau, présentent l’image de batteries rasantes [ 71 | Les voyageurs modernes, d’après les Frances, ont appelé ces deux grands mo- nolithes, argwlles de Cléopatre. Le nom et l’histoire de cette reine célèbre se trou- vant par-tout et à la portée des Européens les moins instruits, ïl leur a paru plus commode et plus simple de lui attribuer presque tout ce qui subsiste de remar- quable parmi les ruines d'Alexandrie | 72]. L'un de ces obélisques est renversé, et l'autre est debout. Ils sont tous deux, suivant l'usage, d’un seul bloc de ce granit rose d'Égypte ou Oriental qui se trouve, comme on sait, aux environs de la première cataracte (2). Ils sont couverts d’hié- roglyphes depuis le haut jusqu'au bas (3); ce qui n’a pas lieu sur tous les monu- mens de ce genre qui nous restent | 73 || Quoiqu'il ait paru jusqu'à présent impossible de comprendre d’une manière suivie le sens des emblèmes ou discours gravés sur les faces de ces deux monu- mens, on peut du moins faire quelques remaïques sur ce qui est apparent, et quelques rapprochemens entre les choses qui se ressemblent. D'abord, les figures des deux obélisques ont entre elles une certaine correspondance qui, jointe aux autres similitudes que nous observerons, semblent en faire deux monumens (1) Voyez la planche 72. Remarquez-y la tour des (2) On voit encore, dans la montagne au-dessus de Romains, ainsi que le pharillon élevé sur les rochers de Syène, un obélisque à demi exploité. PAcrolochias. (3) Voyez pl. 77. AD: Ex (l 36 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D ALEXANDRIE Jumeaux. Les faces de leurs pyramidions sont sculptées : dans fun, ce sont des dessins d'ornement du genre des étrusques, mais qui peuvent être hiéroglyphiques, puisque nous les retrouvons dans la suite des inscriptions des deux obélisques: dans l'autre, ce sont des scènes religieuses (1). Ils ont tous les deux trois rangées longitudinales de sculptures qui se correspondent encore de l'un à l’autre dans la distribution des masses ou des cadres. Souvent même ce ne sont pas seulement ces masses ou groupes, mais les individus mêmes, qui se ressemblent, C'est sur- tout dans l'ordre horizontal que ces espèces de phrases ou tableaux se répondent bien d'un monolithe à l'autre. Immédiatement au-dessous des deux pyramidions, on remarque par-tout trois éperviers coiflés de la même manière: au - dessous encore, trois cadres parallélogrammiques, où le taureau, la charrue, et Osiris, Horus, ou différentes figures de dieux assises et ayant des têtes diverses, jouent un rôle presque semblable; ensuite trois masses d’étrusques; puis trois scarabées aux ailes déployées et semblables, entremélés de bâtons auguraux ou d’épées; après cela, par-tout six demi-lunes ou hémisphères : au-dessous, les trois cadres oblongs se répètent horizontalement, maïs arrondis par les angles, et les quatre des bords de chaque face se ressemblent z10t à mot, si je puis m'exprimer ainsi. Ensuite la ressemblance des groupes ou des détails dans le sens horizontal commence à se perdre. On la retrouve cependant, un peu plus bas, dans les quatre cadres paral- lélogrammiques arrondis et externes qu'on rencontre les premiers en descendant: puis encore, dans les deux rangs suivans de même espèce vers la base. On voit que le premier tiers de la longueur des deux obélisques est presque absolument semblable pour le sens, et qu'il l'est sans doute complétement pour le sujet général du discours. Maïntenant on pourroit fairé des observations analogues entre les deux faces dessinées de chaque obélisque séparément, puis entre les trois zones verticales d'une seule face, observées chacune d’abord en descendant et ensuite transversalement., et l’on y trouveroit sans doute beaucoup plus de choses : maïs il suffit d’avoir mis le lecteur sur la voie. On peut toujours tirer du coup-d'œil que nous venons de jeter, ce résultat général, que la symétrie des masses diminue en descendant, et à mesure qu'on passe des deux obélisques à un seul; de ses quatre faces examinées horizontalement, à deux; de deux à une; des deux rangs longitudinaux extrêmes de la même face, comparés entre eux, à ces deux mêmes rangs pris ensemble et con- frontés avec celui du milieu. Enfin la variété des détails augmente dans le même ordre et jusque dans la même colonne; c’est-à-dire que lorsqu'il y a plusieurs objets semblables ou analogues entre eux qui se trouvent rapprochés, c'est dans le sens horizontal que la similitude ou l’analogie règne. Il me paroît évident aussi, d'après les encadremens des petits tableaux, l’enchaînement de plusieurs objets danslesens vertical, leur défaut de suite numérique dans le sens horizontal, et l'aspect général du dessin, que ces sortes d'inscriptions se lisoient par colonne en descendant; qu'on pouvoit bien établir en même temps un certain rapport momentané intuitif (1) Cette gravure des pyramidions, et surtout des ne lavons pas ob'ervée sur les autres obélisques, dont tableaux d’offrandes, est une chose remarquable : nous les pyramidions sont ordinairement unis. ETRDELSES ENVIRONS. CHAPXXPE. 37 ou de symétrie entre plusieurs masses prises horizontalement, et sur-tout éntre les deux cadres correspondans des zones externes, mais que, même dans un groupe pris à part, on lisoit presque toujours en descendant [74 ] Ces résultats généraux s'accordent avec la marche de l'esprit humain dans toute composition ou classification d'objets. Pour rendre cette observation plus sen- sible, je vais en faire une explication /ypothétique. Je suppose que, sur les deux obélisques, on ait voulu traiter un sujet religieux et astronomique : le culte du Soleil, ou un hommage à Osiris, &c. Les deux monolithes forment ensemble le livre. Chacun d'eux, pris séparément, en est un grand chapitre, divisé en quatre parties principales qui correspondent au nombre des faces. Chacune de ces parties est subdivisée en trois colonnes, dont les deux extrêmes ont entre elles un rapport de symétrie plus particulier que celui qu'elles ont avec la bande intermédiaire. Enfin ces bandes se partagent en cadres ou groupes semblables à des paragraphes de cette quatrième subdivision de l'ouvrage ; les groupes se subdivisent eux-mêmes ensuite en autant d'idées qu'il y a d’emblèmes, ou en autant de membres de phrase qu'il y a d'emblèmes collectifs, et en autant de signes d'idées ou de mots qu’il y a de caractères hiéroglyphiques | 75 ]. Les auteurs de cette espèce de livre ont établi une telle harmonie dans la distri. bution des matières comprises dans les divers chapitres, divisions et subdivisions, qu'il en résulte aux yeux cette symétrie de dessin que j'ai fait remarquer dans l'ordre horizontal, On conçoit bien maintenant comment, avec du soin et l'esprit d'ordre et d’ana- lyse si remarquables parmi les anciens Égyptiens (1), les prêtres, les savans et les sculpteurs eux-mêmes pouvoient s'entendre pour former ces espèces de tableaux synoptiques qu'ils rendoïent symétriques jusque dans l'étendue des idées et du discours, et conséquemment dans le dessin des emblèmes. On conçoit encore comment ils pouvoient appliquer un semblable système de distribution métho- dique, non-seulement à la religion, à l'astronomie, mais encore à toute autre théorie ; à la morale, la législation, la médecine, et même à une classification d’his- toire naturelle ou de bibliothèque, &c. Mais ici je crois que le sujet de l'ouvrage est particulièrement astronomique et religieux , Vié à l'agriculture, et par conséquent aussi au régime dy IN. Les éperviers, les scarabées, le taureau, les gémeaux, le sphinx, le cynocéphale, la lune ou Ja terre, le phallus ou le signe de la génération, les instrumens aratoires, l'emblème de l'eau, le lotus, le crocodile, l'ibis, le ca- nard, le serpent, &c., semblent l'indiquer assez clairement, La division des légendes de chaque obélisque sur quatre faces et en douze bandes pourroït bien aussi avoir quelque rapport aux quatre saisons et aux douze mois de année. Si tous les signes étoient tellement bien dessinés, et les objets usuels qu’ils repré- sentent tellement connus de nous, que nous pussions /es nommer, Je présume qu'au moyen des observations que je viens de faire, on pourroit lire ces vingt-quatre (1) La belle régularité de leurs plans d'architecture, esprit méthodique parmi les artistes comme parmi les la distribution de leurs ornemens et sculptures, l’exécu- autres Égyptiens. tion technique des figures elles: mêmes, tout prouve cet 38 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE inscriptions, ou du moins en 7econnoître le sens général. La connoïssance même imparfaite que nous avons de Îa théogonie, des sciences, des arts, des lois et des mœurs de l'Égypte, suffiroit pour atteindre à ce dernier but. Ce qui le prouve, c'est que la signification très-généralisée que je viens de supposer à ces légendes incomplètes, paroît peu susceptible d’être contestée : elle m'a frappé dès la première vue. : Tous ces hiéroglyphes sont gravés ex relief dans un creux, disposition très-propre à la conservation des sculptures, qui sont en effet parfaitement conservées. L'obélisque debout (1) a soïxante-trois pieds | 20°,46 | de hauteur depuis la fin de l'écornure de sa base jusqu'au sommet du pyramidion, et sept pieds trois pouces de largeur de côté, mesuré à ce même point de la base écornée. Les arêtes de cet obélisque sont vives; le poli des surfaces ouest et sud est assez beau. Il est d’ailleurs probable que cet ouvrage, indubitablement antique Égyptien, avoit reçu des mains des artistes du pays le même degré de perfection que ceux du même genre qu'on voit ailleurs. Cependant il a déjà éprouvé les ravages du temps. Les hiéroglyphes des deux pans du ord et de l'est qui regardent la mer 47 port neuf, sont presque entièrement effacés : c'est pour cela qu'on ne les a pas dessinés. Un morceau entier a été enlevé à peu près à la moitié de la hauteur de ces deux faces | 76 | Il ne paroït pas, d’après les dessins, que cet obélisque ait été raccourci à sa base. L'un de ces dessins se trouve bien arrêté en bas, à peu près comme ceux de Lougpsor. Les faces sont de largeur inégale, chose que nous n'avions pas remarquée dans les autres monumens de ce genre (2). Cette différence est d’un douzième de la largeur. Le 21 messidor an 6 [9 juillet 1798 |, on fit des fouilles en creusant à douze ou quinze pieds sous lobélisque debout, et c'est ce qui a permis d'en donner les dessins complets. On a trouvé un trés-beau bloc de granit qui le soutient. Ce bloc a deux mètres | six pieds un pouce } de hauteur sur deux mètres quatre-vingt-sept centimètres [ huit pieds dix pouces | de largeur. Il est supporté lui-même par trois gradins qui règnent autour. [| est remarquable que la base de l’obélisque est brisée en dessous, à peu près comme celle de l'obélisque renversé, et peut-être par la même cause; mais ses angles sont plus écornés. Cette base, de forme irrégulièrement arrondie, est soutenue sur le bloc par une espèce de maçonnerie qui en rachète les inégalités et donne à l'obélisque de la stabilité. Les marches sont en granit. Leur construction est antique; mais il n'y a point d'hiéroglyphes, non plus que sur de dé. La maçonnerie d'enveloppe paroît plus moderne. Tous ces caractères me semblent prouver que tout le soubassement de l’obélisque a été fait sous les Ptolémées, dans cet emplacement même que nous verrons lui avoir été destiné par eux. Il est possible que ce monolithe ait été renversé, comme l'autre, et ensuite relevé par les Arabes ou par les Grecs du Bas-Empire, qui auront trouvé les fondemens tout faits et auront construit la maçonnerie, que les anciens n’au- roïent certainement pas laissé paroître telle que nous la, voyons. Cela explique (1) Fig. r et 2, (2) Excepté dans l'obélisque singulier de Crocodilopolis, dont un côté est le double de l'autre. ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. 3 9 tous Îles changemens qu'ils ont pu faire à la base de lobélisque, pourquoi les quatre cavités carrées dont il sera question tout-àl’heure n'y paroïssent pas, &c.; du reste nous avons vu à Louqsor que les anciens Égyptiens, de qui les Ptolémées ont emprunté ces monumens, les élevoient sur un socle de médiocre hauteur. Les rois Grecs ont formé ici un soubassement dans leur style particulier, et l'ont adapté à l'usage et à l'effet auxquels ils destinoient le monolithe. Quoïque nous n'ayons pas vérifié si le gradin inférieur étoit le dernier de tous, ce qui nous auroït donné le niveau du sol de la ville en cet endroit à une cer- taine époque, ou même nous auroit éclairci un grand nombre de questions fon- damentales sur tout ce qui est relatif à ces obélisques, on voit au moins que ce niveau étoit eaucoup au-dessous du sol actuel de la ville Arabe Er L'obélisque renversé (1) avoit, quand nous arrivâmes, sa base brisée et à moitié enterrée par le gros bout, qui paroïssoit sur environ dix-huit pieds de long. On s'est convaincu, d’après les fouilles faites, qu'il étoit à peu près des mêmes di- mensions que le précédent. Il est aussi orné d’hiéroglyphes, maïs il est plus usé. I à dix-huit mètres cinquante-deux centimètres | cinquante-sept pieds ] de hauteur depuis sa base jusqu'a celle du pyramidion; celui-ci a deux mètres vingt centi- mètres | sept pieds | de hauteur : ce qui fait en tout soixante-trois pieds huit pouces, longueur bien inférieure à celle des obélisques de Thèbes et de quelques-uns de ceux de Rome. | | Les voyageurs l'avoiïent cru brisé. Il peut seulement avoir été tronqué à sa base, mais vraisemblablement d’une petite quantité; car sa face n.° 2 annonce bien, par la manière dont le dessin des hiéroglyphes se termine dans le bas, que cette face, et par conséquent le corps du monolithe { à peu près comme à ceux de Louqsor ), ne se prolongeoïent pas beaucoup plus. Sa ressemblance particulière avec le premier, que j'ai déjà remarquée, et qui résulte encore de l'inégalité des faces deux à deux, me fait présumer que ces deux monolithes se ressembloient aussi par la longueur, et qu'ils provenoïient d’un même édifice de la haute Égypte pour lequel ils avoient été faits. Les quatre coins de la base de cet obélisque couché sont cassés. En voici pro- bablement la cause. On remarque qu'à ces quatre coins il y a eu quatre entailles carrées, et dont on voit une portion en forme d'équerre, fig. 7. Il n’est pas dou- teux qu'il n'y ait eu là des crampons ou liens quelconques. H est vraisemblable que c'étoient des pièces de métal qui tenoïent au socle, et que ces quatre cavités étoient destinées à recevoir. C'est ainsi que lobélisque de la place de l'Hippo- drome à Constantinople est soutenu par quatre cubes de bronze. Nous voyons aussi, dans Pline, que l'obélisque de quatre-vingts coudées que Philadelphe érigea, à Alexandrie, en l'honneur d’Arsinoé [78], sa sœur et son épouse, fut posé sur six cubes taïllés dans la même montagne. Lors donc qu’on aura renversé l'obélisque n.* 3 et 4, ces supports auront fait éclater les quatre angies de la pierre, ou plutôt on les aura brisés pour dégager les mêmes supports et faciliter la chute, ou sim- plement pour enlever le métal. I est vraisemblable qûe ce monument n’a pas eu (1) Fig. z et 5. ÂO DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE le sort, comme le précédent, d’être relevé par les Arabes, et que c’est pour cela que les angles de sa base sont mieux conservés que ceux de l'autre. On n'a pas fait de fouilles pour cet obélisque, dans une position symétrique par rapport au soubassement de celui qui est debout. II est probable qu'on auroït trouvé son piédestal particulier. On en auroit tiré bien d’autres avantages, et notamment la découverte de l'axe de l'édifice qu'ils ornoïent tous les deux; maïs l'opposition de son pied peut servir à faire connoître cette ligne. Ce que nous avons dit des cassures et autres altérations qui existoient à ces deux obélisques, lors même qu'ils ont été dressés en cet endroit, prouve qu'ils étoient déjà frustes à cette époque, et qu'ils provenoïent de quelque monument Égyptien antique; et la suite achevera de démontrer que les Alexandrins, les Pto- lémées, les Romains, et les Grecs même, dans les plus beaux temps de leurs arts, n'ont point éxploité ni gravé de ces monolithes, et qu'ils les avoient tous tirés du Saïd, comme firent les empereurs de Rome et de Constantinople. Pline, qui donne l’origine de plusieurs obélisques qu'on voyoit de son temps en Égypte et à Rome, ne spécifie point le lieu d’où provenoïent ceux d'Alexandrie. I] dit cependant qu'ils ont été taillés par les ordres du roi #esphéès, et lon ne peut confondre avec eux aucun des autres monolithes dont il parle. Quoïqu’on ne retrouve pas littéralement ce nom propre dans la liste incomplète et confuse des anciens rois d'Égypte, il est toujours certain que celui-ci régnoît bien avant qu'Alexandrie existât | 79 ]. Ainsi cela confirme que les Ptolémées n’ont point fait tailler ces deux monumens, et que les obélisques, en général (maïs sur-tout ceux qui portent des hiéroglyphes d’un beau travail), sont un genre d'ouvrage particulier aux anciens Égyptiens. Le même Pline décrit les moyens employés par Philadelphe pour transporter une de ces masses. Les principaux consistoient à ouvrir un canal jusqu'au pied et en travers de l'obélisque; à y introduire, au-dessous du bloc, un bateau fait exprès ou une espèce de radeau formé de deux bateaux accolés, qu’on lestoit et vidoit ensuite, pour soutenir le monolithe. Le cube de celui qui est debout à Alexandrie, est de soixante-dix mètres vingt centièmes, et, en prenant cent quatre-vingt-cinq livres douze onces quatre gros cinquante-trois grains pour le poids du pied cube dé granit d'Égypte, il doit peser cent quatre-vingt-six mille deux cent quarante- six kilogrammes soïxante-trois centigrammes. Les réflexions que je pourrois faire ici sur ces grandes entreprises, sur l’avance- ment qu'elles supposent dans les sciences et dans les arts libéraux et mécaniques de la part des anciens Égyptiens, sur le caractère laborieux et patient de ce peuple, ‘se présentent d’elles-mêmes à l'esprit. La vue ou la description de l'obélisque dit tout. Ces observations se retrouvent d’ailleurs aussi naturellement amenées dans tous les auteurs qui ont traité de ce genre de monumens. Je remarquerai seule- ment ici que ce sont encore les Égyptiens qui ont donné aux autres nations l’idée et le modèle d'exécution de ces hardis projets; que les Grecs d'Alexandrie sont aussi les premiers qui en ajent imité une partie importante, en transférant au loin ces immenses fardeaux et en adaptant à leur propre architecture la belle décoration que les obélisques leur offroient. Les anciens Romains et les Européens modernes n'ont ET, DE.SES ENVIRONS. CHAP. XXVI.  I n'ont plus fait que copier les Alexandrins dans ces deux choses, sauf que les pre- miers y ajoutèrent le transport si difficile de ces lourdes masses à travers les flots de la mer [80] La forme de ces deux monumens fait naître plusieurs observations générales. Il n'est pas nécessaire sans doute de faire remarquer que le cor ps du monolithe est un tronc de pyramide quadrangulaire très-alongé; qu’il est toujours terminé par une petite pyramide non tronquée. I] n'existe point, que je sache, d’obélisque Égyptien qui ne réunisse ces conditions caractéristiques du genre de ces monu- mens; excepté toujours celui de Crocodilopolis, qui sort entièrement de la classe commune. Dans ceux d'Alexandrie, on peut examiner les dimensions principales, et lon verra, en les comparant entre elles, qu'elles ne s’écartent pas d’une ma- nière sensible de certaines proportions que j'ai déduites de l'étude du plus grand nombre des beaux obélisques connus tant en Égypte qu'en Europe: c'est-à-dire, que la hauteur du pyramidion est à peu près égale à la largeur de la base, qui est elle-même entre le neuvième et le dixième de la hauteur totale. Nous ne con- noïssons point assez les mesures des parties supérieures, comme la largeur de la base des pyramidions, pour établir la proportion de lamaigrissement du corps de l'obélisque; mais on peut, en s'assurant de ces dernières mesures, compléter les rapprochemens que je viens de faire, et qui serviroient à trouver une sorte de module de ce genre de monument, particulier à l'architecture Égyptienne. On sent, au surplus, que les deux proportions qui viennent d’être établies ne sont que des limites. Les signes hiéroglyphiques de ces deux aiguilles ont plus d’un pouce de pro- fondeur sur les bords. Ils sont bruts, et le plan de la face de l'obélisque est poli [81] Pline dit que la forme que nous avons décrite toutàl’heure étoit un emblème de celle des rayons du soleil; que le mot obélisque avoit cette signification dans la apnée Égyptienne. Il ajoute expressément que ces monumens étoient consacrés à la divinité de cet astre; et il assure aïlleurs que les inscriptions dont sont chargés ceux d'Auguste au grand Cirque et au Champ de Mars, contiennent /’ explication de la nature selon la philosophie des Égyptiens. Lorsque Pline écrivoit ces asser- tions, il ny avoit pas long-temps que ces deux monolithes avoient été JRARSpORés à Rome, où les mystères Égyptiens étoient pratiqués. Au moment même où. on les enleva d'Égypte, la doctrine de ce pays y étoit assez conservée pour qu'on eût retenu au moins les traditions générales et publiques sur les obélisques. Les antiquaires ont établi divers systèmes pour expliquer l’objet de ces monumens:; leurs conjectures sont toutes plus ou moins plausibles : maïs nous ne voyons pas pourquoi, d’après la remarque précédente, on ne préféreroit pas l'autorité de Pline [82]. On a cru que les anciens Égyptiens tiroient parti de ces aiguilles déjà consa- crées au soleil, pour marquer en même temps les mouvemens de cet astre par le moyen de leur ombre. Rien de ce que nous avons vu en Égypte ne confirme cette opinion, qui est née à Rome. Toujours est-il certain que les plus anciens Ptolémées, qui auroient les premiers imité cet usage des Égyptiens, et dont l’école 4: De F À 2 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE étoit d'ailleurs déjà savante en astronomie, s'en écartèrent au contraire beaucoup, par l'exhaussement qu'ils donnèrent au soubassement des obélisques d'Alexandrie, et qui, au moins, n'annonce pas. la construction d’un cadran horizontal à leur pied [ 83 | | Pline dit expressément que « les deux obélisques de Mesphéès sont» (de son temps) «à Alexandrie, près du port, dans le temple de César. » Il n'y a pas de doute que ce ne soient les deux qu'on y voit aujourd’hui. Tout ce qu'il en dit se rapporté aux lieux que nous examinons : le nombre de ces monolithes, le voist- nage du grand port, et le Cæsarium, que Strabon place effectivement en cet endroit; enfin la hauteur de quarante-deux coudées que Pline leur donne [ 84 ie Après avoir marché si long-temps au milieu de ruines presque effacées, nous trouvons donc enfin dans ces obélisques un monument beau, entier et subsistant encore à sa place dans cette malheureuse cité ! Maïs on ne reconnoît plus rien, du moins avec certitude, de ce temple de César. On aperçoit pourtant à quelques pas de là, et aussi sur le bord de la mer, des ruines formant la base d’une cons- truction Arabe, et qui appartenoïent à un édifice Grec ou Romain : on y reconnoît des chapiteaux de colonnes engagées qui se rapportent à l’ordre Dorique; leurs fûts s'élèvent du fond de la mer. Voilà tout ce qu'on peut raisonnablement attri- buer au Cæsartum. H n'existe pas même de description de ce temple; maïs on doit supposer que son axe étoït dirigé du sud-est au nord-ouest, entre les bases des deux obélisques (1), soit que lentrée de l'édifice fût tournée du côté de la mer pour laisser voir de loin ces deux aiguilles, soit qu'elle s'ouvrit du côté de la ville et que le fond du temple se dirigeât vers la mer. Cette direction s'adapte d'ailleurs trèsbien au terrain, aux monumens voisins et à l'espace libre qu'elle rencontre | 85 |. Le temple de César existoit du temps de Strabon, qui vécut trente-deux ans sous l'empire d'Auguste. H a donc dû être élevé par Antoine, le partisan et Fami du dictateur, et par Cléopatre, qui fut la maîtresse de l’un et de l’autre, ou enfin par Octave, son neveu, son héritier et son successeur à l'empire. Antoine et Cléopatre eurent le temps de faire faire cet ouvrage pendant leurs longues amours à Alexandrie; car il s'écoula treize années depuis la mort de César, époque où le sénat Romain décréta que ce grand homme seroït honoré comme un dieu, jusqu'à celle d'Antoine et de Cléopatre [ 86 |. Il paroît toutefois que les Arabes renfermèrent dans leur enceinte une partie de ces restes des beaux édifices qui entouroïent le grand port, ainsi qu’on le voit par la position de ces murailles et de ces ruines. Le temple de César fut au moins soumis à cette disposition, comme on en juge par la situation des deux obélisques. TOUR DITE DES ROMAINS. Nous sommes déja entrés plusieurs fois dans l'enceinte Arabe, dont nous consi- dérerons l'ensemble en son lieu, et après avoir achevé le tour du port neuf et 1) Voyez ces bases planche 84. y P ET DE SES ENVIRONS. CHAP, XXVI. 43 de la partie maritime d'Alexandrie antique, afin de ne point détourner l'attention par cette construction, considérable à la vérité, mais qui n'est qu'une modifica- tion accidentelle et passagère de ces antiquités. Cependant nous ne pouvons nous refuser à arrêter dès à présent nos regards sur une tour remarquable (1) qui fait partie de cette enceinte, et qu’on rencontre tout près des obélisques et du Cæsarium. Cette tour est située à l'angle saïllant formé par la réunion du front de la mer et de celui qui retourne au sud-est. Elle est parfaitement cireulaire, et paroît peu engagée par sa base dans les fondemens de l'ancien système de fortifications, sur une partie desquels s'élèvent les murailles Arabes qui aboutissent à ce point; mais elle est liée, du côté du sud-ouest, à un massif (2) qui semble moins antique, maïs qui l’est certainement plus que les constructions Sarrasines. Elle a trois étages intérieurs (en comptant pour un le rez-de-chaussée }, recouverts par une voûte en forme de calotte aplatie, dont le dessus {3) donnoit naïssance à un troisième étage extérieur, garanti seulement par la hauteur du parapet. Les paroïs du rez-de-chaussée sont percées tout autour de dix niches, au fond des- quelles sont pratiqués autant de créneaux. La calotte qui le recouvroït est ouverte dans son milieu, et paroît s'être enfoncée par l'effet de son trop grand aplatis- sement (4) : il n’en existe que les naissances, qui, régnant tout autour de l'édifice, servent encore de galerie pour aboutir à pareil nombre de niches et de créneaux qui garnissent le plan supérieur ou second étage. Cette disposition, soit qu'elle ait été faite avec intention, soit qu'elle résulte d’un accident, ne se retrouve dans aucune autre des nombreuses tours qui forment lenceinte Arabe. On voit en dedans et autour de celle-ci beaucoup de voûtes en plein cintre, plates-bandes, murs et corniches antiques, et même une espèce de colonne engagée Dorique, couronnée par un assemblage de moulures formant le chapiteau de cet ordre (5). Le tout est d’un goût assez bon, ou qui du moins est plutôt antique qu’Arabe, demême que la construction en briques qui enchâsse cet ouvrage, si toutefois cette construction n'est pas décidément Romaine. I faut remarquer aussi la face de ce massif portant uné corniche d’un bon profil et des assises de belle pierre d'environ un mètre de hauteur (6). L'appareïl de la tour, comme celui de ces accessoires, est régulier, fort et beau; les blocs sont retenus les uns aux autres au moyen d’ancres de fer : mais on a taillé postérieurement des fenêtres dans le parement extérieur sans en déranger les pierres; ce qui fait que ces ouver- tures ne présentent aucun appareil en dehors, et nous porte à penser que les Sarrasins ont fait ou du moins retouché et modifié la distribution intérieure. On se confirme encore dans cette idée en examinant attentivement la voûte supérieure subsistante et composée de petits blocs bien inférieurs en beauté à tout le reste. La pierre qui compose tout le revêtement extérieur et une bonne partie du dedans de cette tour, est calcaire numismale. Les Arabes ou les (1) Voyez À, vol. V, pl, 32 et 25; voyez aussi E, M. (4) Fig. 7 et 9. vol, IE pl 88. (5) Fie. 7, C, el fig. 9. (2) Fe, >, pl.>s, a,b, ce (6) Fig. 2,5 et 6. (3) Fig. 4. A DL F  DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE Turcs ont remplacé celles qui se trouvoient mauvaises et en ont plâtré d’autres: La cassure de cette pierre, dont les anciens paroïssent avoir seuls connu ou exploité la carrière, et les Arabes n'avoir employé que les blocs provenant de démolition, est d'un très-beau blanc, parsemée de petits cristaux de spath : mais ce qu'il y a de plus remarquable est sa contexture, qui présente une multitude de formes semblables à celle d’une lentille ou d’une petite pièce de monnoie, très- prononcées et disposées irrégulièrement entre elles; ce qui lui a fait donner son nom de pierre numismale Où lenticulaire [87 | Tout le monde appelle ce monument our des Romains, d’après une certaine apparence qu'elle présente, et une différence assez vague, si l’on veut, avec les autres tours de l'enceinte (1). Cependant on n'a point appuyé sur des motifs précis cette opinion qu'on a de son antiquité. Voici les caractères qui pourront former ces motifs. D'abord, cette tour n’a point ces proportions grêles ou élé- gantes que les Arabes ou les Grecs ont introduites jusque dans leurs construc- tions purement d'utilité publique, et même dans leur architecture militaire; elle a, au contraire, ces formes épaisses et raccourcies dont les Romains faisoient usage, même dans leurs édifices de luxe. Les pleins cintres, plates-bandes, mou- lures, colonnes engagées et autres objets de ce genre qu'on y trouve, la font contraster complétement avec les autres tours de l'enceinte, même avec celles dont l'enveloppe paroït être Grecque du Bas-Empire, et certainement elle n’est point Arabe. On n'y voit pas non plus de ces colonnes horizontales qu’on trouve dans presque toutes les autres. Cette voûte du premier étage, primitivement percée, ou dont les naïssances ont si bien résisté, et cette calotte du second plan, si surbaïssée, ne se retrouvent pas non plus aïlleurs. On ne voit dans l'enceinte Arabe que des voûtes en ogive à nervures surhaussées, des arcs de cloître et doubleaux, des voûtes d'arête, annulaires, ou des dômes hémisphériques. Si cette tour n’est pas Arabe, il n’est guère vraisemblable non plus qu’elle soit Grecque. Il me semble donc qu'elle a été bien nommée; et comme elle appartient à un front de l'enceinte Arabe qui paroît, par sa position, par la forme du rivage corrodé à droite et ensablé à gauche, par les constructions de tous les temps et de tous les genres, sur lesquelles il a été successivement rebâti, avoir fait partie de l'ancien bord de la mer, les Sarrasins ont apparemment conservé cette tour dans leur polygone, et l'ont appropriée à la défense de leur ville : je dis appro- priée, parce qu'elle auroït pu originairement être une dépendance du Cæsarium, comme je lai observé [ 88]. On remarque, au pied de la tour des Romains , sur le rivage de la mer et à très-peu de hauteur au-dessus de l'eau, des restes d'une chaussée pavée de cette pierre vulgairement appelée Basalte. Nous en verrons d’autres vestiges en suivant cette côte vers Abouqyr; maïs il est probable que ceux-ci sont d’une construction postérieure, attendu qu'ils se trouvent établis sur un sol de ruines. C’est sans doute la continuation de la communication de Mcopols, Canope, et du reste de l'isthme (1) Pour sentir cette différence, on peut comparer les vues É, M. vol. IT , planches &5 jusqu'a 99, avec celle de la planche 75. ET DE SES ENVIRONS. CHAP, XXVI. À S oriental, avec Z port d'Alexandrie, dans les basses époques. À mesure que la ville et ses abords éprouvoiïent des changemens, cette extrémité de la communication subissoit des modifications correspondantes. APERÇU DES ANTIQUITÉS DU RESTE DES BORDS DU PORT NEUF. La mer a beaucoup rongé le reste du périmètre du port neuf, depuis la tour des Romains jusqu'au cap Lochias, au prolongement actuel de ce promontoire, et aux récifs qui s'avançoient autrefois encore plus loïn sous les eaux; de manière que ce rivage présente par-tout une grande confusion de ruines antiques et assez considérables pour qu'on doive en donner ici un aperçu général, avant de dé- terminer celles qui sont encore un peu reconnoissables. En plusieurs endroits, les fondations de ces ruines sont beaucoup au-dessous du niveau des eaux; on en voit encore une grande quantité dans la mer, et l'on en tire souvent de très- belles colonnes. On trouve, sur les bords, des massifs de maçonnerie en briques, dont les parois intérieures sont enduites de ciment et présentent de chaque côté une file de trous pour y poser les pieds et descendre au fond. Les canaux qui établissent la communication avec ces espèces de réservoirs, font conjecturer que c’étoient des citernes pour l'usage des maïsons particulières, comme le dit Hirtius, et pour celui des palais et des autres édifices qui couvroient cette côte. La plupart des maçonneries de remplissage ou de soubassement sont aussi en briques , unies par de si bon mortier, que des pans énormes que la mer a ren- versés sur elle-même en sapant la côte, et qu'elle bat sans cesse depuis des siècles, conservent toute leur intégrité. Dans plusieurs de ces ruines, on remarque des pavés d'appartement, des bassins demi-circulaires et d’autres formes diverses, logés dans des murs épais; des espèces de cuves d’inégale largeur à leurs extré- mités, comme des sarcophages où plutôt des baïgnoiïres d'environ deux mètres de longueur, accompagnées d’une sorte de jarre qui semble avoir servi à ali- menter la cuve. Il règne encore, swr de bord supérieur de toute cette courbe, aujourd'hui coupé à pic, une grande épaisseur de monceaux de décombres fort confus, et ce nest que dans cette section verticale et parallèle au rivage qu'on reconnoît tous ces objets. La petitesse des conduits, les échelons et le peu de largeur des puisards, les dimensions très-médiocres des chambres et leur dispro- portion avec l'énorme épaisseur des maçonneries, démontrent qu'il y avoit là non-seulement des citernes, mais sur-tout beaucoup de baïns particuliers d’eau douce et d’eau de mer; car on ne peut pas supposer des bains publics aussi éten- dus et occupant toute cette côte, consacrée particulièrement aux palais et autres édifices de ce genre. Une chose très-remarquable parmi ces canaux, c’est que, la pente de ceux du dessous se dirigeant de la terre vers la mer, ceux qui sont au-dessus ont leur inclinaison en sens contraire. Il est évident que cette disposition étoit faite pour distribuer l'eau du Nil ou de la mer, amenée par des machines, dans les bains pratiqués parmi ces réservoirs, et à la faire dégorger ensuite dans le port. 46 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE Le niveau de l'embouchure du canal inférieur n’est souvent pas élevé de 0",60 au-dessus de celui de la mer. Cette remarque n’est pas favorable à l'opinion de ceux qui croïent que la mer a considérablement baïssé depuis les Grécs; car on ne voit pas à quoi auroient pu servir ces canaux inférieurs, s'ils euséent été de trois ou quatre mètres au-dessous de la Méditerranée [89]. Des vestiges qui subsistent le long de cette rive, l’un des plus intéressans est un plan incliné qui a encore beaucoup d’étendue. I est formé de pierraille et de mortier. Ce mélange a acquis une telle dureté, qu'on a de la peine à se per- suader que ce ne soit pas le rocher lui-même. Il paroît que la mer brisoit an- ciennement en cet endroit, comme aujourd'hui, avec beaucoup de force, et que, pour amortir sa violence, on a formé ce plan incliné [90]. On rencontre aussi un massif considérable de maçonnerie en briques, qui s'avance d'environ vingt mètres dans la mer, et dont les fondemens, composés de forts blocs de pierre de taille, sont couverts par les eaux, sans qu'on puisse, d’après la situation bien horizontale des assises, supposer que le sol se soit affaissé dans cet endroit. Au reste, les bords de cette courbe ont fort peu de profondeur, dans un espace de plus de cinquante mètres en avant dans l'eau; et tout prouve de plus en plus que’ ce terrain a été conquis par la mer. Dans toute cette étendue, on trouve encore beaucoup de vestiges de cons- tuctions en pierre numismale; mais c'est la brique qui domine le plus. II y à des restes nombreux de citernes sur le bord intérieur des terres, et des citernes presque tout entières, dont les murs, les voûtes et les plafonds inférieurs sont faits avec de belles briques épaisses de deux pouces. Quelques-unes de ces citernes ne sont qe des puits cylindriques : d’autres sont au voisinage de bassins qui paroïssent n'avoir point été recouverts. Nous avons vu des conduits dont le fond est plaqué de briques de cette épaisseur : ces citernes sont aussi revêtues d’un excellent ciment de chaux et de brique pilée. Les briques qui se rencontrent dans les constructions antiques d'Alexandrie, ont, pour la plupart, huit pouces en carré et un pouce d'épaisseur. [| y en a d’autres, maïs en petit nombre, qui ont près de deux pieds en carré; on en trouve aussi qui sont très- -petites et n'ont que trois ou quatre pouces. Elles servoient à faire des aires, et sont placées de champ et disposées en fougère. La plupart de ces constructions sont formées de plusieurs rangs de briques et d’autres rangs de pierres de huit pouces de hauteur seulement. Il y a, en général, beaucoup de mortier dans ces ouvrages. Dans le mois de janvier 1801, l'on trouva, près du bord de la mer, entre l'obélisque et le promontoire de Lochias, dans des ruines qui n’avoient pas encore été fouillées, deux statues en marbre blanc : l’une, qui est plus grande que nature, est la statue de Septime Sévère; l'autre, qui est de grandeur naturelle, est celle de Marc-Aurèle. La première a le costume d’un guerrier, mais re- couvert d'un manteau Grec; la seconde est revêtue de la toge. Ces deux statues sont presque entières; elles sont assez belles pour mériter d’être conservées. On verra par la suite combien la mémoire de Sévère devoit être en vénération à Alexandrie [ o1 | ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. A? POS NDTIUM, = TEMPLE DE NEPTUNE. —= TIMONWUM. En suivant et examinant en détail le rivage, après le Cæsarium et la tour dite des Romains, on trouve d'abord un sol plat, qui n'offre point de masses remar- quables de ruines et n'indique l'existence d'aucun édifice antique; maïs on ren- contre ensuite une première et petite presqu'ile que forme la côte en cet endroit. Elle est chargée dé ruines, et présente à son extrémité des espèces d'ilots qui annoncent qu'elle a pu se prolonger davantage autrefois, comme nous le verrons tout-à-J'heure. En continuant de marcher vers l’est, on trouve, à cent mètres environ de dis- tance, des ruines avancées vers la mer et qui sont les plus considérables de toutes celles que présente cette partie de la côte (1). Elles doivent leur conservation, d'abord à ce que l'édifice avoit été fondé sur le rocher qui paroît avoir été dressé pour le recevoir; ensuite à la nature des matériaux qui ont été mis en œuvré, et au bon emploi qu'on en a fait. Voici l'ordre des différentes espèces de maçon- nerie quon a employées dans la construction d’une partie de ce monument. I y a d'abord une assise de blocs de pierre calcaire posée sur le roc et dressée de niveau; elle est recouverte d’un lit composé de petits moellons d’un déci- mètre cube environ, jetés sans ordre dans un baïn de mortier. C'est l'opus in- certum de Vitruve. Cette couche est recouverte d’une assise de carreaux de terré cuite, sur lesquels porte une nouvelle couche de maçonnerie de béton, qui diffèré de la précédente en ce qu'elle contient des blocs de pierre équarris, posés sans suite et sans ordre entre eux, et souvent isolément, maïs toujours bien horizon- talement. Au-dessus de ce quatrième lit, se trouvent alternativement deux assises de pierres de médiocre grosseur, esmillées, et trois assises de briques jusqu’au niveau de la plaine [02]. Il est à remarquer que les joints de ces lits alternatifs sont presque de la même épaisseur que les briques, et que le mortier est composé de chaux et de pouzzolane. On y trouve aussi quantité de fragmens de ave dé la grosseur d'une petite noix. Les briques employées dans cette construction sont carrées. Pour bien s'assurer de l'usage auquel cet édifice étoit consacré, il faudroit en avoir un plan exact, et ïl est bien à regretter que les circonstances n'aient pas permis de le lever. Quoi qu'il en soit, la portion que nous en voyons paroît avoir été un établissement thermal. On peut remarquer, dans la partie inférieure du monument, de petites voûtes en briques, communiquant les unes aux autres et répondant aux bouches de plusieurs fours dans lesquels il paroît qu’on entretenoit le feu qui circuloit dans ces voûtes, soit pour échauffer l'eau des baïns, soit pour porter à un degré déterminé la chaleur des étuves. On reconnoît, au-dessus de ces voûtes, des plans circulaires de quatre ou cinq pieds de diamètre, revêtus en briques, dont la surface est vitrifiée en quelques endroits, et qui portent toutes l'empreinte de l'action du feu. Ces parties circulaires étoient probablement des fourneaux. (1) Ce sont celles qui sont nommées palais ruiné sur la planche 84, E. M. ÀS DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE Tout le massif de cette maçonnerie de briques est pénétré par des tuyaux de terre cuite qui portoient les eaux d’un endroit à l’autre. Le plan inférieur à celui des voûtes en briques, dont nous avons parlé, laisse à découvert, du côté d'Alexandrie, la section de deux réservoirs À demi détruits. Le fond de ces deux espèces de cuves est de cinq ou six décimètres au-dessus du niveau de la mer : il est composé d’un lit de maçonnerie recouvert d’une couche de béton de deux décimètres d'épaisseur, revêtue elle-même de carreaux de terre cuite très-petits, posés de champ et en épi. Il paroît que ces cuves, et peut-être d’autres encore que la mer a rongées, étoient remplies au moyen d'un réservoir de forme demi-circulaire, assez bien conservé dans la partie supérieure de ces ruines. Ce réservoir se trouve À très- peu près de niveau avec le sol adjacent : il est recouvert, dans son intérieur, d’un enduit ou d’un dépôt cristallin. Ce même dépôt se retrouve encore dans la section d'un aqueduc qui passoit derrière l'édifice, et qui probablement amenoit des eaux douces , Maïs toujours un peu chargées de sel dans ce pays. Avant d'arriver à cette grande ruine, et après lavoir dépassée, en allant de l'obélisque au cap Lochias, on trouve les restes de deux jetées enracinées dans le sol de la terre ferme, et_qui se prolongeoïent dans l'intérieur du port. Ces jetées, de quatre mètres d'épaisseur, sont composées de grosses pierres ayant alternative- ment trois mètres et un mètre de longueur : elles sont disposées par assises d’un mètre de hauteur environ. Au-delà de ces mêmes bains, on voit, sur le bord de la mer, une assez longue suite de pierres de taille qui paroïssent être les restes d'un quai dont la partie supérieure auroit été démolie pour en employer les ma- tériaux à quelque édifice moderne. Pour expliquer plus complétement à quel ensemble d'établissemens antiques ont pu appartenir ces masses de constructions et l'espèce de presqu'ile que nous avons rencontrée la première, nous observerons que Strabon décrit, « 2mméaiate- » ment après le Cæsarium [93], une partie courbe du rivage appelée Posidum » (espèce de coude ou langue de terre), dont linflexion partoit de l'Emporum, » et sur laquelle s’élevoit un temple de Neptune. » D'abord nous avons trouvé et pu reconnoître l'origine de cette courbe de la rive, qui étoit plate sans doute, et qui na fait que s’ensabler et se combler davantage, là où sont des Jardins sur l'emplacement de l'Emporium. L'autre pointe ou extrémité du coude qui passoit sous le front actuellement avancé de l'enceinte Arabe, où j'ai dit que commençoit ‘la corrosion du rivage, se prolongeoït sans doute jusqu'à nos deux massifs cou- verts de ruines, et a dû être détruite par les vagues de la mer, qui entre plus librement qu'autrefois dans le grand port, et a tout ravagé jusqu'au promontoire, de Lochias. Une partie aussi distincte du rivage pouvoit être plus particulièrement consacrée à Neptune, dieu de la mer, à cause de la facilité que sa forme aplatie offroit aux embarquemens et débarquemens : aussi portoit-elle un nom dérivé d'un des surnoms Grecs de ce dieu, comme si l'on eût dit Neptunium. Nous venons de voir d’ailleurs qu'il y avoit là un temple de Neptune, lequel pouvoit avoir donné son ET DE:SES ENVIRONS. CHAP, XXVI. 49 son nom à tout l'espace adjacent | 94 | « Là, continue le géographe Grec, » Antoine, ayant ajouté un môle plus avancé vers le milieu du port, construisit » une maison royale qu'il appela Timonium [95] Ce n'est que sur la fin de sa » vie qu'il bâtit cette retraite, lorsqu'abandonné par ses partisans, après la catas- > trophe d’Actium, il se retira à Alexandrie et résolut de vivre solitaire comme » Timon, ayant donné ordre à tous ses amis de s'éloigner. » Le Timonum étroit donc sur la plage appelée Posidium; et nous avons vu que la petite presqu'ile qu'on rencontre la première appartenoit à cette plage; qu’elle offroit des restes de maçonnerie à sa surface, et des traces d’une extension artifi- cielle opérée à son extrémité. La forme de cette espèce de jetée, son médiocre volume et les autres circonstances concourent à faire conjecturer que ce prolon- E4 gement avoit pour objet d'y asseoir une maïson de fantaisie d’un grand person nage qui veut vivre en simple particulier. Tout porte donc à penser que c’est là, et en avant dans l'eau, qu'étoit le Tironium, que d’ailleurs Strabon place immédia- tement après le Cæsarium, en suivant toujours l'horizon yx de l'intérieur du port. Comme il indique le temple de Neptune sur le coude ou la pointe que formoit la courbe du Posidium allant se confondre avec la rive de l'Eporium, fort loin de. là; que ce coude finissoit, comme nous l'avons vu, vers l'extrémité de la grande ruine en briques et en pierres de taille, et qu'il n'y a point, dans le voisinage de la mer [96], d'autre masse considérable de constructions qu'on puisse attribuer à un bâtiment de l'importance du plus médiocre temple, je ne vois pas qu'on puisse placer celui de Neptune plus convenablement que sur le cap en ma- connerie qu'on avoit déjà nommé palais ruiné, à cause de son apparence | 97]. Les compartimens de thermes qui se font le plus remarquer parmi ce qu'il en reste, ne sopposent point à cette détermination. Dans cette masse d'environ soixante mètres d'épaisseur, il y a bien d'autres ouvrages que des fourneaux et des cuves; on a pu y pratiquer des thermes et toute sorte d’établissemens après la ruine du temple, ou même simultanément. Les belles fondations de ce mo- nument, assises sur le roc, ont dû appeler dans tous les temps les projets et les reconstructions | 98 |. Nous n'avons point de descriptions du Tomumm et du temple de Neptune plus détaillées que les renseignemens que je viens d'en donner et le peu de mots que Strabon en dit : maïs il est aisé de se figurer que ce temple sur-tout devoit avoir de l'étendue et de la magnificence dans une ville si riche en monumens, et dont l'existence étoit, pour ainsi dire, toute maritime; attendu aussi que cet édifice s'élevoit sur un terrain particulièrement consacré au dieu de la mer. THÉÂTRE. Il ny a point de ruine importante entre le temple de Neptune et le cap suivant, mais Strabon place immédiatement après le Posidum, en décrivant tou- jours le périmètre du port, 4 theâtre, sur lequel il ne donne aucun détail. Il dit seulement qu'il étoit a-dessus de l'ile Antirrhode, dont nous parlerons toutà- l'heure: c’est-à-dire, qu'il étoit ékvé, comme le Cæsarium, sur la plaine voisine À, D. G $ © DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE ou plateau de Ja ville que nous avons déjà aperçu plus d’une fois, et 44-dessus de la courbe suivant laquelle étoïient rangés la plupart des objets qu'il récapitule dans ce passage de sa Géographie, et dont la plupart aussi bordoïent immédiate- ment le grand port. Aïnsi le théâtre étoit sensiblement ex arrière du rivage; et je n'ai voulu, en le nommant ici avec Strabon, que faire entendre, comme cet auteur, quon apercevoit de l'intérieur du port une façade ou extrémité de cet édifice. J'indiquerai donc plus tard son emplacement entier dans l’éntérieur de la ville. On ne découvre point, en effet, de monticule remarquable de dé- combres svr le bord de cette partie du contour du platean supérieur, immédiate- ment après le Posidum. W y avoit là sans doute une place ou grand espace libre qui permettoit de voir, du port, au moins une face de la partie supérieure de ce bâtiment, qui devoit être assez haut, et d'y aboutir commodément de tous côtés par de vastes issues, toujours nécessaires dans les lieux publics. Le port creusé et d’autres établissemens maritimes occupoient le plan inférieur de la rive, dans l'intervalle que nous parcourons. PORT CREUSÉ. On trouve, à la suite du Posidium, sur le bord de la mer, un môle swn6, fort avancé dans l'eau. Je n'ai rien de particulier à dire sur l'état actuel de cette masse, qui n'est absolument qu'une ruiné assez informe. C’est vraïsemblablement auprès de ce môle, où le rivage se trouve bas et dépourvu de monticules ou autres accidens de terrain, qu'étoit situé le port creusé de main d'homme dont parle Strabon, et qu'il cite immédiatement après le théâtre, en le plaçant aw-dessons de ce grand édifice, derrière Vîile Antirrhode. Cette forme générale de la côte en ce point, laquelle se prêtoit facilement à des déchiremens et des comblemens qu'elle annonce encore de la part des vagues, convient parfaitement à une fouille faite par art. Le môle subsistant couvroit sans doute une partie du côté occidental de ce bassin et y servoit d'embarcadère, tandis qu'un autre resté de constructions saillantes qu'on aperçoït à deux cents mètres de là, remplissoit le mêmé office sur son côté oriental. Strabon ne donne pas de détails concernant ce port : mais, comme il en cite un assez grand nombre d’autres petits et d’une destination toute particulière, et comme il dit ailleurs, en parlant en général du grand port public, qu'il se parta- geoit en plusieurs autres, il devient certain que celui dont il s'agit ici étoit une de ces subdivisions; il devoit servir aux usages communs que Strabon a déjà fait connoître, et voilà pourquoi il n’en dit rien de particulier, tandis qu’il spécifie davantage la destination exclusive des autres | 09 |. D’après cette remarque, le port creusé devoit avoir une certaine étendue, et pouvoit se rapprocher beaucoup du premier établissement par son extrémité orientale, que nous découvrirons à sa suite sur le bord de l'eau. On observera en effet que l’espace libre que nous lui assignons, à partir du môle ruiné, occupe de toutes parts une grande surface, et l’on verra que les emplacemens que j'affecterai aux autres établissemens mentionnés par les auteurs, sont assez distans de ce point. EE DE SES ENVMIRONS., CHAP::X XVI. $1 ILE ANTIRRHODE, On n'aperçoit, au premier coup-d'œil, aucune ruine antique, ni même aucun massif de terrain dans la mer, en avant de l'emplacement du mêle ruiné et du port creusé, quel que soit au juste ce dernier emplacement. I] seroit cependant intéressant d'y faire des recherches soïgnées. En attendant, je remarqueraï, dans la position qui nous occupe, un espace dont les cotes de profondeur d’eau, six, sept et huit pieds, sont les plus foibles detoute cette partie du rivage du port (1), et présentent un contraste frappant avec celles qui les avoisinent. Elles dessinent symétriquement les abords de droite et de gauche du port creusé, dont l’enfonce- ment se trouve ainsi abrité en avant et au-dessous du niveau de l'eau par un bas- fond dont le point culminant doit être aux environs de la cote 6. C’est sans doute vers ce point qu'étoit située l'ile appelée Artrrhodus, que Strabon place au-dessous des palais intérieurs (et du théâtre, dont ils étoient voisins ), et devant le port creusé [ r00 |. Strabon ajoute clairement qu'il y avoit dans cette île un palais et encore # petit port particulier. Celui-ci étoit certainement formé par quelque petite anse de lle, ou par l'abri seul que présentoit son rivage méridional sur le bras de mer qui la séparoit du continent. II servoit probablement aux barques qui faisoient le service de ce palais. Aujourd’hui cet édifice et son port ont disparu; et cela n’est pas surprenant, puisque l’île même ne se voit plus. Elle a pu être ruinée comme le reste des constructions qui couvroïent le rivage, la plaine voisine, et le pro- montoire de Lochias. Une cause de destruction de plus l’a minée : c’est la mer, qui est devenue si terrible dans cette partie du grand port, depuis que son étroite entrée s'est ouverte par le laps du temps; au lieu qu’autrefois l'Acrolochias et les digues sous-marines existant à sa suite couvroient particulièrement cette portion du rivage; et, après la construction de l'Heptastadium , les vents de nord-est, qui presque seuls troubloient le port, alloïent frapper contre cette forte digue et revenoient déposer les detritus de la côte extérieure dans l'emplacement calme de l'île Antirrhode. Cette île avoit donc pu être premièrement formée par ces remous sur le noyau que la sonde 6 nous indique; et cette hypothèse, en éta- blissant le défaut de dureté de ce terrain d’alluvion, concourt à expliquer la destruction torale d’une masse qui devoit être très-considérable, tandis que nous voyons subsister autour d'elle tant de ruines d’un médiocre volume. IH falloit, comme on vient de le remarquer, que le port creusé, l'île Antir- rhode et son palais, son port privé et les établissemens maritimes environnans, fussent importans, puisque Strabon dit que l'île tiroit son nom de ce qu'elle étoit, en quelque sorte, l'émule de Rhode [ro | PORT CACHÉ ET FERMÉ. — VUE DES PALAIS INTÉRIEURS. On trouve ensuite un dernier cap avancé du nord-est au sud-ouest, et cour- vert de ruines (2), du genre de celles que nous avons décrites, en général, sur (1) Voyez ces cotés, Ë, M. planche 84. (2) Elles sont dessinées sur la planche 84, É, M. ED G 2 $ 2 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE cette côte. On ne peut placer aïlleurs ni plus convenablement qu'autour de ce massif de constructions, et dans l'espèce de crochet qu'elles forment, le dernier port de Strabon. H'étoit nécessairement petit, comme cet espace lannonce, puisque le géographe observe qu'il ne servoit que pour l'usage ‘des rois ( Pto- lémées ), auxquels il appartenoït, pour ainsi dire, ez propre. Leurs palais intérieurs, que nous verrons tout-à-lheure, et dont on découvroit les masses du point de vue de Strabon dans le grand port, comme nous avons aperçu le théâtre ét le Cœsarium, étoïent directement au-dessus de ce bassin. II le place effectivement, d'abord, après l'île Antirrhode et le port creusé qui étoit vis-à-vis d'elle sur la rive. Il dit, de plus, qu'il étoit fermé et caché, par opposition sans doute au port creusé, et qui, par sa grandeur et la forme du rivage que nous avons vue, ne pouvoit quêtre frès-onvert entre ses deux extrémités naturelles ou ses môles. Les vestiges de maçonnerie que nous trouvons au dernier petit cap, indiquent encore que le port des roïs étoit fermé par art, et que ces constructions hydrau- liques établies en crochet, de même que les édifices qui s'y élevoient, le cachoïent complétement, Elles conviennent donc très-bien à cette détermination de lem- placement du port des palais. PROMONTOIRE ET PALAIS DE LOCHIAS. L'’extrémité actuelle du promontoire où nous sommes parvenus, paroît avoir beaucoup changé de forme (1), quoique sa masse soit épaisse et forte, comme cela est arrivé à l'île Pharos, dont le rocher est de même nature. L’Acro/ochias et les récifs à la suite l'ont garantie pendant long-temps; mais, quand ces barrières ont été franchies par la mer, elles n’ont servi qu'à donner aux eaux plus d'action sur le promontoire, par les brisans que ces bas-fonds occasionnoient en même temps qu'ils le laissoient à découvert. I n’y a donc point, ef sur-tout à la surface supérieure de ce cap, de ruines smportantes; nous n’en avons vu qu'une multipli- cité de bien médiocres. Quoiqu'on doive, d’après les observations qui précèdent, avancer un peu par la pensée l'extrémité antique de ce promontoire, laquelle supportoit le palais principal, on devroit pourtant trouver encore en arrière quelques ruines; car cet édifice devoit être considérable (Strabon dit même qu'il y avoit plusieurs palais sur le Lochias), et non-seulement la racine (2) de ce cap étoit occupée par lui, maïs toute la plaine voisine étoit au loin couverte de bâtimens royaux, ainsi que nous le verrons. Au reste, comme le palais du Lochias étoit le monument le plus éloïgné et le premier sans doute que les Grecs, et ensuite les Arabes, abandonnèrent, en conservant peut-être quelques palais intérieurs (3), lorsqu'ils resserrèrent la ville, il n’est pas étonnant qu'ils l’aient entièrement rasé pour en employer les matériaux aux réparations de ceux qu'ils conservoient ou à leurs nouvelles constructions, et toujours aïnsi, en se retirant successivement. Cette supposition naturelle explique la nudité absolue du plateau du cap Lochas. (1) Voyez ce qui est dit de son extrémité ou Acrolochias, page 54. (2) J'appelle ainsi fa base du triangle hoirzontal formé par la surface supérieure du promontoire. (3) Nous verrons plus loin ces palais intérieurs. EX DE, SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. 53 Strabon y place d’abord, en entrant dans le port, le paluis, que j'ai supposé, par cette raison, avoir été, de son temps, le palais principal ou par excellence. II dit ensuite, en parlant de ceux de l'intérieur que nous avons aperçus, « qu’ils » faisoient suite à céux qui étoient sur le Lochias »; de manière que cela formoit, comme nous le verrons en examinant en détail les premiers, un enchaînemeñt continu de demeures royales. En effet, tous les auteurs disent indistinctement, tantôt X palus, tantôt Les palais, en parlant de tout l'espace depuis le cap jus- qu'à l'enceinte Arabe, et suivant une grande largeur. Ce n’est que pour plus de clarté, et parce que le premier mot de Strabon {Baoiei au singulier) m'y autorise, que j'ai distingué un palais par excellence, occupant Île promontoire proprement dit | 102 |. Strabon place ce palais immédiatement au-dessus du petit port que nous venons de voir, et que, par suite, il met aussi au-dessous des palais intérieurs dont il montre la perspective prise du port. Cet embarcadère servoit indistinctement à tous ces édifices royaux, puisqu'ils communiquoient éntre eux. Soit qu'on suppose que le palais du Lochras étoit la demeure habituelle des Pioléméés, soit qu'on admette seulement qu'il étoit une maison de plaisance où uné succursale de leurs habitations intérieures, il est toujours certain que ces souverains fastueux dé l'Égypte durent donner à sa construction un grand dé- veloppement ét uné magnificence Orientale. Qu'on se représente maintenant ce bord du promontoire couvert de maisons royales, les palais intérieurs, celui d'Antirrhode, le théâtre, le temple de Neptune, le Timonium, la tour Romaïne, le temple de César et ses obélisques, le Bazar [ 103 | ou Ewporiun, les arsenaux, la grande place, l'Heptastadium et sés deux forts, la tour, le bourg et les autres constructions dé l'île Pharos, la multiplicité de petits ports et de navires distribués au pied de tous ces monumens et des autres édifices publics ou particuliers qué Strabon ne nomme pas, et l'on aura une idée du superbe panorama que présentoit l'intérieur du grand port d'Alexandrie. ACROLOCHIAS,—CAUTES, En descendant de la pointe du promontoire, et s'avançant dans la mer, on marche sur une chaîne de rochers tant naturels qu'artificiels, sur le milieu de laquelle règne une espèce de digue bien antique, dont le tracé est très-marqué et régulier, quoïque la direction en soit sinueuse et angulaire. Elle est parsemée dé ruines d'habitations modernes, et environnéé de bancs à fleur d’eau; elle aboutit à l’un de ces rochers, plus large que les autres, sur lequel est bâtie une mosquée abandonnée qu’on appelle Pharillon (1), et qui fait, avec tous ces accessoires, le pendant parfait, maïs sur une moindre échelle, du phare moderne, de son pla- teau, de sa digue et de ses récifs. La chaussée du Pharillon est aujourd'hui brisée (2) en quelques endroits, notamment à son origine près du cap et à la moitié environ de sa longueur. On reconnoît, parmi les matériaux qui la composent, beaucoup de débris de (1) Voyez la vue, 4. pl 32; É. M. pl 85, 88, 97. (2) Voyez É, M. planche 84. ÿ 4 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D’ALEXANDRIE colonnes et de gros blocs de pierre numismale qui avoient été trouvés tout taillés dans les ruines, et que les Grecs ont pu employer ici lorsqu'ils ont réparé l'an- cienne digue naturelle ou artificielle, usée par les vagues [104]. Josèphe nous apprend effectivement que cette partie du grand port étoit embrassée par des _mmêles faits de main d'homme. __ Cette digue de rochers a.été par-tout travaillée par les Grecs et par les Arabes. Ces derniers paroïssent avoir borné leurs soins à la réparation et au maintien d’un passage ou chaussée pour joindre la mosquée et quelques médiocres bâti- mens à la terre ferme. Le mortier qu'ils ont employé à cette œuvre a acquis une grande dureté : cependant il est inférieur en bonté à celui dont les Grecs se sont servis. Pour que les Arabes aient eu besoin de Joindre le rocher du Pharillon au continent, il faut qu'une bonne partie de cette ligne de récifs en ait été séparée depuis Strabon; car. d’après ses descriptions, on voit clairement que le cap se prolongeoït naturellement et sans interruption jusqu’à son extrémité trés-alongée €t terminée ex pointe, comme son nom. d Acro/ochias l'indique. Il est difficile de déterminer à quel point du mêle actuel, dont Josèphe a, fait mention, s'appli- quoit ce nom étymologique, et si ce n’étoit pas plutôt le plateau de la mosquée moderne qui formoit autrefois cette extrémité. Maïs ce qui confirme toutes ces conjectures, et particulièrement la dernière, c’est que Strabon, en nous faisant entrer de la mer dans le grand port, et peignant, comme tous les auteurs an- ciens, l'excessif resserrement de la passe, nous montre d’abord à gauche les 4as- fonds que nous verrons tout-à-l'heure bien en avant de la mosquée; et immédia- tement après il indique le promontoire de Lochias, dont le point cherché, ou ce gros rocher qui subsiste encore au-dessus des eaux, n'étoit que le sommet. Ainsi non-seulement cette extrémité du cap a été séparée du continent, et c’est alors que, depuïs Strabon, on aura fait les fondemens Grecs de ce bras artificiel dont parle Josèphe, mais encore elle s’est presque totalement perdue; en sorte que l'entrée du port neuf, autrefois si étroite, est aujourd’hui fort large. Je dis l'entrée, et non /4 passe; car celle-ci est toujours resserrée par les bancs sous-marins. Les causes de toutes ces destructions de rochers autrefois très-apparens n'ont plus besoin d’être indiquées. La mosquée, par sa position, son genre de construction et celui des autres murs crénelés, paroît avoir dû servir de fortification correspondante à celle du château du phare. D'après cela, et d’après tout ce qu'on vient d'observer, il y a lieu de croire qu'il n'y avoit, dans l'antiquité, sur cette langue étroite, que quelques vigies semblables, et point d'habitations étendues; car Strabon n’en fait point mention,.et, je le répète, il n'indique, au premier abord, que le Lochias et SON Cap. " En face du Pharillon, on voit encore, quand la mer est calme, les brisans qui fermoient le grand port. Ainsi l’Acro/ochias actuel pouvoit non-seulement étre jadis, comme je l'ai supposé, le commencement de cette chaîne de bancs de roche dont une partie s’élevoit à fleur d’eau, mais encore s’avancer plus loin ÊT DE SES ENVIRONS. CHAP, XXVI. SS dans là mer. Cette chaîne si usée se prolonge maintenant sous l’eau, sur une longueur de trois cents toises au-delà de sa partie apparente, Jusqu'à la dernière sonde, cotée dix pieds, et ne laisse qu’une ouverture de cinq cents et quelques toises entre elle ét / Diamant; ce sont à ces cantes [xotes%s ] si redoutables que Strabon nous montre avant tout. C’est aïnsi que se trouvoit complétée cette clô- ture exacte du grand port dont tous les anciens ont célébré les avantages, et qui, si l'on veut pousser le terme des conjectures beaucoup plus loin que celui auquel remonte forigine de leurs traditions, permettoit à peine de passer entre les récifs et du Lochras et du Phare; enfin c’est aïnsi que des saïllies de côte les plus solides se minent, que leurs anfractuosités se comblent, et que toutes leurs iné- galités s’effacent insensiblement, À 1 COTÉ ORIENTAL DU PROMONTOIRE DE LOCHIAS. En continuant de parcourir la partie maritime de l’ancienne Afexandrié, et suivant d'abord à côte orientale du promontoire de Zochias, on s'aperçoit que ce cap a été fortement corrodé de ce côté. Liorsque la mer est calme, elle laisse à découvert une assez grande surface dé rochers qui ont été taillés dans presque toute leur étendue. On trouve d’abord , en face de la jetée que nous avons vue tout-àl'heure, plusieurs canaux pratiqués sur ce rocher aplati, pour faire passer l'eau de la mer dans de petits bassins capables de contenir aisément le corps d'un homme. Ces cänaux, entièrement creusés dans le roc; sont fort dégradés; leur voûte est détruite, et il n’y en a que deux qui aïent conservé des parties propres à faire reconnoître leur première construction. Lorsqu'il y 4 un peu de houle, ces aqueducs se remplissent : mais, dans le calme, il n’y a pas seize dé- cimètres d'eau sur le radier; ils doivent même étre à sec quand le vent vient du côté de la terre. Mais, en admettant même qu'ils eussent autréfois introduit l’eau à plein canal dans les bassins, cela confirmeroit toujours ce que nous avons dit du peu d'abaïssement de la Méditerranée depuis les premiers Ptolémées, et res- serreroit encore beaucoup la limité que nous avons fixée à cette diminution progressive de sa hauteur. On trouve encore à la suite, en quittant les énvirons du cap, un grand nombre de canaux qui ont un à deux pieds de largeur et qui forment divers contours. Tous ces canaux ont bien clairement leur pente dirigée vers la mer, et plusieurs partent de puits circulaires. La plupart aussi sont actuellement découverts, et n'ont qu'un ou deux pieds de profondeur, ainsi que les puits. Mais, dans les endroits où le sol n’a pas été autant usé, ces canaux passent sous le rocher à travers lequel ils sont creusés en voûte, et ils ont, depuis le fond jusqu'à l'intrados, trois à quatre pieds de hauteur. Outre ces canaux, on voit d’autres ouvertures plus larges : il y en a plusieurs qui devoient former des chambres et peut-être des salles de bain. On sait, par tous les témoignages, que le promontoire de Lochias étoit couvert dé palais et de jardins, et que ses environs étoient très-habitéss On ne doit donc pas être surpris de trouver la côte ainsi travaillée par-tout. Outre qu'on $6 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE devoit, conformément aux habitudes Orientales, établir dans chaque maïson un peu riche des salles de baïn, on pouvoit encore creuser dans ce rocher, très- maniable, des logemens souterrains parfaitement secs. Quant aux canaux subsis- tans, quelques-uns pouvoïent avoir pour but d'amener l’eau dé la mer dans les thermes; maïs la plupart, aboutissant, comme on le remarque, à des puits étroits, pourroient bien n'avoir été que des égouts, ou avoir servi à distribuer aux diverses habitations une grande abondance d’eau du Nil. Maïs pourquoi ces grandes di- mensions dans de simples conduits de distribution! D'ailleurs, la pente À la‘mer ‘est plus favorable à la seconde opinion : que le plus grand nombre de ces aque- ducs n'étoient autre chose que des égouts. Lorsque la mer est calme, les canaux de cette partie de la côte sont à son niveau : circonstance remarquable et bien contraire au sentiment de quelques. personnes qui ont imaginé que le niveau de la mer s'étoit élevé depuis deux mille ans; car, si la destination de ces aqueducs étoit de servir d’égouts, il est certain qu'on a dû les établir de manière que, dans les temps les plus calmes, ils pussent encore être lavés par la mer. L'aspect de toutes les chambres et de tous les canaux creusés dans le roc explique facilement les grands changemens qui se sont opérés en si peu de temps sur tout ce rivage, et les invasions insensibles, maïs considérables, de la mer; car il est aisé de concevoir qu'il lui a sufhi de ronger des cloisons assez peu épaisses, et dans une pierre dont j'ai fait connoître la nature peu résistante, pour s’intro- duire dans l'intérieur du rocher et des vastes excavations que les hommes y avoient faites. : On trouve des ruines analogues à celles du pourtour et du dessus du pro- montoire de Lochias, et qui bordent toute la côte, jusqu'à la ligne que j'estime avoir borné la ville Grecque de ce côté. Le relief du terrain, les restes de cons- tructions et de fouilles, les débris de poteries et autres fragmens, le texte des auteurs anciens et les traditions, tout enfin nous prouve que la ville, à une cer- taine époque, s’étendoit jusque là. Il est même évident que cet espace étoit non- seulement peuplé, mais plein de magnificence; on finit par être aussi frappé de cette idée, qu'attristé du ravage de ces beaux monumens, et fatigué de la mul- tiplicité de ruines du même genre qui couvrent sans interruption toute la partie maritime de l’ancienne Alexandrie que nous venons d'examiner. $. IT. Partie moyenne ou intérieure de’ la Ville, Pour parcourir maintenant, sans qu'aucun objet intéressant échappe à nos regards, la partie intérieure de la ville antique, nous suivrons, en partant du point où nous venons de nous arrêter, une ligne moyenne circulant autour du grand espace qui se trouve au midi, ayant à gauche le lac Marcotis, à droite les murailles Arabes jusqu'à leur extrémité occidentale; rentrant ensuite, par un grand ET DE SES ENVIRONS. CHAP, XXVI. 57 grand contour dirigé vers le nord-ouest, dans cette enceinte moderne, mais pleine d'antiquités, et la traversant dans le milieu de sa longueur pour en sortir par son extrémité orientale, et se diriger vers le promontoire de Lochias et le derrière du grand port. | Nous allons donc d’abord directement, du bord de la mer où nous étions, au sud-est, et à travers des monticules de décombres peu reconnoissables, Jusque vers le milieu de la ligne qui les sépare de la plaine, dont le niveau plus bas et plus uni tranche beaucoup avec la surface élevée et tourmentée du plateau de l’ancienne ville que nous avons à droite. Nous entrons ensuite dans cette partie que les Arabes laïssèrent en dehors de leur enceinte, et qui s'étend jusque sur les bords du canal et du lac Mareotis. On juge, par cet abandon qu’en firent les con- quérans, qu'elle fut dépeuplée et ruinée la première : aussi n'offre-t-elle qu'un vaste champ de débris, parsemé de quelques collines, bien plus nu que l'intérieur de la cité Sarrasine; et l’on n’y trouve que bien peu de monumens remarquables. Cependant ces tas de décombres figurés sur le plan marquent bien 4 ville antique, et font juger, au simple coup-d'œil, qu'elle s’étendoit jusque 1à. La suite des auto- rités que nous apporterons continuera de fortifier cette preuve. La formation de ces collines, que nous aurons souvent à considérer, et que l'on prendroit d’abord pour des dunes, s'explique, dans plusieurs cas, par l'existence de quelque grand édifice successivement ruiné, réparé ou rebâti ensuite, pour être encore renversé, démoli et fouillé jusque dans ses fondemens, maïs plus généra- lement par la destruction successive des les de maisons qui formoient les rues d'Alexandrie. On conçoit comment cet effet a pu se produire, et pourquoi aussi les monticules éloignés de l’enceinte Arabe, fouillés depuis plus long-temps, sont plus méconnoiïssables. Il paroît cependant que, lorsqu'on fonda Alexandrie, on ne prit pas la peine (et c'eût été effectivement une trop grande et trop inutile entreprise ) d'aplanir les fortes inégalités de ce sol rocailleux; car plusieurs des collines de l’ancienne ville ont pour base des bancs de cette pierre calcaire arénacée, composée de fragmens hétérogènes et susceptibles de se détruire par l'effet de l'air et sur-tout des pluies. Ces eaux en délaient et en entraînent les parties les plus friables, et contribuent de plus en plus à effacer les ruines dans cette espèce de désert que nous découvrons devant nous au sud-ouest. C’est-là aussi , ce me semble, l'origine des sables que l’on voit dans ces plaines comme sur le bord de la mer. GRANDE RUE LONGITUDINALE. — PORTE CANOPIQUE. Le premier objet remarquable que nous rencontrons parmi ces collines, à peu près au milieu de cette ligne qui s'étend de la mer au sud-est (1), est une dépression de terrain représentant une espèce de fossé que nous croyons être une ancienne rue de la ville Grecque, et qui va jouer un rôle important dans tout ce qui suivra. Elle se dirige de l’est-nord'est à l'ouest-sudouest, en suivant un espace tantôt libre d'un côté, tantôt bordé de l'autre par un premier front de l'enceinte Arabe, au (r) Voyez planche 84, Ê. M. Ce point est marqué V sur le plan d’A/exandrie restituée. Âe D. H s8 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE rétrécissement de laquelle cette rue aura servi de limite naturelle dans cette partie: mais le plus souvent ce même espace est dessiné à droite et à gauche par des mon- ticules remarquables de décombres. L’axe entre ensuite dans cette enceinte, sort par la porte des catacombes, dont les Sarrasins auront conservé l'ouverture habi- tuelle, et aboutit dans la mer, il est vrai, maïs par sa seule extrémité, et il faut considérer que, suivant Strabon, la ville n’avoit que près de trente stades de lon- gueur; que la côte, dans cette partie, a été prodigieusement corrodée, et que cette rue pouvoit, par conséquent, se joindre à une autre qui traversoit Necropols, et qui s'est successivement reculée et conservée dans ce chemin, qui longe au- Je ne prétends pas donner à ces conjectures plus d'importance qu’elles n’en méritent : j'ai voulu faire ces restaurations plutôt suivant la Ættre des auteurs, afin . de les accorder entre eux et avec le reste de leurs descriptions, que d’après les jourd’hui la crête des catacombes (1). mouvemens du terrain et d’autres traces qui n'étoïent pas susceptibles de se con- server. Mes dernières remarques sont donc seulement utiles pour que les mesures les plus longues, que Diodore va bientôt nous donner, puissent se prolonger assez directement dans le faubourg de Necropolis. Aïnsi j'observerai encore que le parallélisme de mon tracé avec la rue actuelle de la porte de Rosette est une condition indispensable relativement à tout ce qu'on sait ou qu'on retrouve du plan d'Alexandrie antique, et à cet autre front des muraïlles Sarrasines qui s'étend de la pointe du fort triangulaire jusqu'après la porte de /4 Colonne. Il est vraisem- blable en effet que les Arabes auront fondé cette dernière partie de leur enceinte sur une rue parallèle aux autres, puisqu'on sait qu'elles étoïent toutes parallèles entre elles. C'est sur la direction que j'ai choisie pour la grande rue longitudinale, et à peu de distance de son origine, que nous trouvons des massifs de ces collines dont j'ai parlé, qui pouvoient appartenir à l'enceinte Grecque, au faubourg et à la porte de Canope. Les positions respectives de ces derniers objets résultent de l'examen des dimensions et de la distribution de la ville Grecque, que cette dépression de terrain va nous donner occasion de connoître, aïnsi que l'enceinte Arabe, à mesure que nous la rencontrerons. Cet espace, qui environne Je point de départ où nous sommes, a été entièrement laissé en dehors, abandonné et démoli, lorsque les Arabes ont rétréci la ville de moitié du côté du lac Mareotss, et la dépression du terrain se sera conservée par cette raison, et suivant l'explica- tion que j'en ai donnée tout-à-lheure, à l'occasion des traces d'îles de maisons. I y a même un chemin fort remarquable qui la suit exactement, sauf quelques écarts occasionnés par l'établissement de l’enceinte Arabe, et les habitudes qui en ont été la conséquence. 4 Suivant Strabon, « toute la ville étoit divisée en rues où les chevaux et les chars D pouvoient circuler, et il y en avoit deux très-larges qui avoïent plus d’un jugère » d'ouverture | 105 |. » Il désigne ensuite plus particulièrement la direction de ces deux rues, lorsqu'après avoir dit « qu’elles se coupent à angles droits dans leur {1) On le voit sur les planches 21, A., et64, É. M, ET DE SES ENVIRONS. CHAP, XXVI. $9 milieu », il ajoute aïlleurs: « que lune d’elles s'étend en longueur depuis Mecropolis » Jusqu'à la porte Canopique | 106 ]> ; et, selon Diodore, « elle étoit environnée -» de temples et de maisons magnifiques. » C'est de celle-ci que nous allons nous occuper plus particulièrement. D'abord, nous venons de voir sa largeur et sa magnificence; et l'on sent le bel effet que son alignement produisoit, puisque, cette rue et la grande rue transversale se coupant à angles droits, les portes de Necropolis et de Canope devoïent être vues d’un bout à l’autre. - En effet, la dépression actuelle du terrain satisfait à toutes les conditions que je viens de rapporter. Il ne nous manquera plus que de déterminer les masses des deux portes antiques, ou du moins de celle de Canope, la seule que citent les anciens. Nous verrons que celle-ci devoit être à peu près où je l'ai supposée. Quant à celle de Nccropolis, on ne retrouve aucun monceau de ruines qu’on puisse présumer lui appartenir; circonstance qui s'accorde avec l’hypothèse qu'elle a été détruite par la mer. Sur la longueur de cette rue et celle de la ville, Strabon nous apprend que « le sol d'Alexandrie a la forme d’une chlamyde dont les côtés, qui s'étendent » en longueur, sont baïgnés par les eaux { du Mareotis et de la mer), et ont près » de trente stades | deux mille huit ceñt cinquante toises | de diamètre. » Or il est évident qu'on peut appliquer à la rue ce qu'il dit de la longueur des côtés de la ville. On verra même que Diodore fait cette rue encore plus longue. J osèphe, de Bello Judaïco, donne aussi à la cité trente stades de longueur. Or, en partant de la limite où nous sommes, et qui est indiquée d’une manière sûre par la cessa- tion des décombres, les trente stades portent le compas #1 peu au-delà du canal navigable qui communiquoit du Marcotis dans le port Aïbôtos, et au-delà duquel nous Savons, par Strabon, que la ville s’'étendoit. Diodore donne à la rue ou grande place indistinctement, et d’une porte à l'autre, une longueur de quarante stades (1); mais il est constant que cet auteur se sérvoit d'un stade plus court que ceux de Strabon et de Josèphe. Le temps peut avoir amené ces diflérences avec beaucoup d’autres | 107] Achillès Tatius, d'Alexandrie, fait dire au héros de son roman que les habitans, en parcourant cette rue, sembloïient entreprendre un voyage; tant sa perspective étoit longue [108]! PREMIER ET SECOND AQUEDUCS SOUTERRAINS, En suivant la ligne sinueuse qui nous guide maintenant dans la partie moyenne de la ville d'Alexandrie, on traverse d’abord un premier canal souterrain, puis un second qui se trouve au milieu des collines qui bordent le khalyg au nord. Ces monticules sont des masses de roche calcaire de même espèce que celles qui règnent vers la côte. Ces sommets de rocher, apparens dans presque toute leur étendue, sont recouverts d'un sol de décombres; ce qui a pu faire penser à ceux qui ne les ont observés que légèrement, qu'ils étoient uniquement formés de ruines entassées les unes sur les autres. (1) Bibliorh. hist, Vib. XVIL. AD; H 2 60 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D’ALEXANDRIE Nous ne parlerons pas en détail de Fobjet de ces aqueducs, et je me borne à les décrire à mesure que nous les rencontrons sous nos pas, afin de ne pas trop -interrompre le tableau de la forme et des dimensions de l'ancienne ville, dont nous venons de commencer à prendre connoïssance dans l'article précédent. Corneille Île Bruyn dit que « les citernes d'Alexandrie se remplissoient encore » de son temps (1) par un conduit souterrain qui étoit hors de la porte de Ro- » sette, et qui, à un quart de lieue environ de la ville, prenoït son eau dans » le canal d'Alexandrie. » C’est le premier de ceux que nous examinons; il est ‘aujourd’hui absolument oblitéré et abandonné. Il part du grand canal un peu à Tamont du troisième pont. k Il y en avoit encore un plus grand nombte autrefois; mais les uns sont engorgés, et les autres n'aboutissent pis qu'à quelques jardins. + Celui de ces aqueducs qu'on voit entre le second et le troïsième pont du grand canal d'Alexandrie, est d'ouvrage Romain ou Grec. Il est très-étroit, et il étoit “évidemment destiné à porter les eaux dans Ja partie de la ville ancienne vers laquelle ïl se dirige. Il est visible qu'il sort de ce canal qui amène actuellement le Nil à Alexandrie. Il n’a que cinq à six pieds de largeur. La partie inférieure des pieds-droits est revêtue en grosses pierres de taïlle, par assises réglées; et da supérieure, en briques antiques. Cet ouvrage étoit probablement recouvert par une voûte en briques : aujourd'hui il est découvert dans une longueur de cinquante -pas, au bout de laquelle on voit que son lit est encore plus étroit et n'a que deux pieds de largeur. Cette partie n’est pas couverte en berceau, maïs en toit formé par des briques mises successivement en saillie les unes sur les autres, les deux dernières se joignant au sommet du triangle que présente la section de cette espèce de voûte. On voit que cet ouvrage a été réparé en partie par les Sarrasins; mais on dis- tingue bien aussi les deux mains, c'est-à-dire, la réparation Arabe et la cons- truction primitive et antique. Le ciel du canal n’est pas ouvert ailleurs que dans cet endroit; mais on reconnoît fort bien sa direction, et l’on sait qu'elle aboutit à l’ancienne ville des Arabes. Les petites ouvertures carrées qu'on aperçoit à fa partie supérieure de tous ces aqueducs, sont des puisards plus grands à l’origine que dans le reste de la longueur du conduit. [ls servoient à descendre dans ces souterrains pour les nettoyer, et à y puiser de l’eau quand ils étoient remplis par la crue du Nil. L’embouchure de quelques-uns est murée. On rompoit autrefois cette sépa- ration, ou celle que formoit simplement la digue du canal principal, lorsque Jeau du Nil s’étoit suffisamment élevée; cette opération étoit accompagnée de très-grandes cérémonies; ensuite, les citernes auxquelles les aqueducs condui- soient étant remplies, on rétablissoit la barrière, et les eaux continuoïent à couler vers la mer. Il y a encore, comme nous le verrons, deux autres aqueducs parallèles à ceux- ci, et dont le dernier est le prolongement du canal du Nil sous la ville Arabe. (1) En 1700. ET DE SES ENVIRONS. CHAP, XXVI. 61 GRANDE RUE TRANSVERSALE, FORME ET DIMENSIONS DE LA VILLE ANTIQUE. À mesure qu'on parcourt ces collines dont j'ai parlé au commencement de d'article précédent, on rencontre plusieurs lignes de dépression qui les traversent à peu près perpendiculairement à la grande rue longitudinale et vers son milieu, en se dirigeant des environs du zxôe ruiné (x )-et des ports du fleuve (2) sur la partie plate du grand port, où se trouvoient les apostases et autres établissemens mari- times. Il y en a une sur-tout, fort remarquable, qui remplit toutes ces conditions. Elle part du fond de la grande anse de l'ancien port du fleuve, à côté du mêle antique ; elle suit à peu près la partie découverte du second aqueduc parallèle qui conduisoit vers ces établissemens de commerce, la partie voütée de ce même aqueduc, et sa dépression très-marquée à travers les monticules; elle coupe la grande rue longitudinale justement au milieu, et en est coupée «elle-même à peu près semblablement; elle passe, sur sa droite, au pied du fort Crétin, emplace- ment d’un grand édifice antique, et, sur sa gauche, auprès du palais ruiné (3); elle rencontre plus loin une grande butte qui a pu appartenir à une porte de ville {celle de la Lune), longe le Cæsarium, et tombe ensuite sur le commencement de da partie du grand port appelée Posidium, vers la droite, en ayant l'Erporium à gauche; elle coupe d'abord l'enceinte Arabe au point où celle-ci commence à s'élargir au sud, et elle la traverse au nord sur le bord du grand port, dans une partie où nous avons reconnu que les muraïlles Sarrasines avoient été cons- truites sur d'anciens fondemens de quais; enfin elle est parallèle, comme la grande nue longitudinale, à toutes des enceintes de jardins, masses de villages et autres propriétés voisines de la porte de la Colonne: elle l’est aussi à une autre rue qui a dû passer par cette porte et par B4f el-Bahr, ou porte de la mer. Je-présume que tel «est l'emplacement de la seconde des deux larges rues de Strabon «et des autres auteurs, lesquelles se coupoient à angles droits dans leur milieu. Leur dépression n’est pas par-tout, il est vrai, aussi parfaitement marquée que celle que nous trouverons à la rue longitudinale intérieure de l'enceinte Arabe, vers la porte de Rosette; mais c'est parce qu’elles n'ont pas été aussi long- témps conservées que celle-ci par les Sarrasins, et que les parties du sol aban- données par eux ont été constamment fouillées et effacées. Au surplus, cette direction de la grande rue transversale remplira aussi bien les conditions qui vont encore se développer successivement que celles qu'on a déjà vues. D'abord nous savons que cette rue avoit la même largeur de plus d’un jugère, un plèthre de cent pieds, qu'avoit sa perpendiculaire. On verra, par la forme de la chlamyde appliquée au terrain, que le waximum de la largeur de la ville se trouvoit sur l'emplacement de cette rue, à laquelle il faut, par conséquent, donner pour longueur la mesure de la largeur de cette ville. Or Josèphe dit « qu'Alexandrie n'a pas moins de dix stades [| neuf cent cinquante toises ] de » largeur » ; ce qui donne {a longueur de la rue transversale à dix stades. La (1) PL 84, É. M. (2) PL 3r, À. (3) PL 84, Ë. M. G2 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE considération de l'intersection des deux rues par leur milieu environ est ici d’une grande importance pour la détermination de l'emplacement #4 de l'ancienne ville, comme elle la été pour la fixation de ses limites es et ouest, et de la lon- gueur de l'autre grande rue : car, dans le sens de la largeur de la ville, la première moitié de la rue transversale aboutit bien au grand port, et la seconde; aux bornes des collines de décombres; et toutes les deux se coupent bien dans le centre de la masse bâtie de la cité antique. Le reste de la distance, depuis ces bornes des monticules jusqu'aux ports du fleuve, a toujours été un terrain libre, quoique plus couvert autrefois par le lac Marcotis, distribué en jardins et parsemé peutêtre de quelques petits faubourgs dont il reste très-peu de vestiges. Je remarque à cette occasion que le second aqueduc, en partie découvert, à dû servir aux Grecs et à ces faubourgs ou parties dé la ville élargie, sous le Bas- “Empire, pour embarquer les marchandises et communiquer avec Fañse-des ports du fleuve, parce que les dix stades de largeur de la villé proprement dite n’attei- gnoïent pas ces ports. C’est effectivement à partir de l'extrémité de ces dix stades que le canal commence à être transformé en aqueduc vogté, pour conduire l'eau du Nil dans Alexandrie. | Philon nous peint le bel effet de cette rue, lorsqu'il dit, dans ses Discours contre Flaccus, qu'on rapportoit par le lac les armes saisies dans l’intérieur de l'Égypte ; qu'on les débarquoit aux ports du fleuve; que les chariots et les bêtes de somme qui les transportoïent formoïent de longues files sur une ligne d’en- viron dix stades, qui se trouvoient entre les ports du fleuve et l'arsenal, dans le quartier des palais. Achillès Tatius fait aborder le héros de son roman à Alexandrie par le lac Mareotis , et conséquemment aux ports du fleuve. Il lui fait dire : « En entrant dans Alexandrie par la porte du Soleil, mes yeux » furent agréablement frappés de la beauté de cette ville : car, depuis cette » porte jusqu'à celle de la Lune, on voyoit, de part et d'autre, des rangs de > colonnes; et au milieu étoit une place traversée par une longue rue. » Elle étoit donc plus large que la rue qui la traversoit [ 109 |. On devine aisément le beau coup-d'œil que ces deux rues, qui se croïsoient, devoient offrir, sur-tout à leur intersection, par leur décoration et la perspective de leurs extrémités .sur les ports du lac et de la mer, et sur les portes des longs faubourgs de Mcopoks, ou, au moins, de Mecropolis. De cette intersection résultoit une grande place que Fatius vient d'agrandir encore, et dont Diodore dit « qu’elle est dans le » milieu de la ville; qu'elle est admirable par sa forme et par sa grandeur : car, » allant, par la communication de deux rues, d’une porte à l'autre de la ville, elle » est, en ce cas, de la longueur de quarante stades sur la largeur d’un arpént dans » son milieu [110]. Alexandre, en traçant le plan de la ville, ajoute-t-il, eut » attention que les vents du nord pussent enfiler outes les rues [111 |, pour les » rafraîchir; et, en eflet, ces vents, ayant traversé toute la largeur de la Méditer- » rance, apportent dans Alexandrie une fraîcheur très-agréable et très-salutaire. » Îl l'enferma de murailles qui n’étoient pas moins admirables par leur extrême » solidité que par leur étendue prodigieuse; car, comme elle est bornée au midi NV Vv LV ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. 63 » par le grand lac, et au septentrion par la mer même, les murs des deux autres » côtés ne laissent en leur milieu qu'une entrée assez étroite, et qu'il est très-aisé de » défendre. La ville ressemble, de ces deux côtés, à une cuirasse (1) dont le bas- » vient aboutir de part et d'autre à une place (2) située dans le milieu [112] » Strabon, de qui Diodore a beaucoup emprunté dans ce passage, détaille davan- tage sa description : il dit que la ville offre des commodités de toute espèce; il peint sa position entre deux nappes d’eau communiquant, pour le commerce, aux deux continens opposés, l'Afrique et l'Europe; sa surface rafraîchie par les vents étésiens et ayant la forme d’une chlamyde, &c. Pline décrit plus spécialement, mais d'une manière encore trop concise et trop obscure, la forme de ce manteau appliquée au plan d'Alexandrie. « L'architecte » Jui donna, dit-il, la figure d’une chlamyde Macédonienne, dentelée dans son » contour, et se prolongeant en pointe à droite et à gauche. » Plutarque vient ensuite, et s'exprime ainsi : « Les architectes tracèrent une enceinte en forme de » croissant, dont les deux bras longs et droits renfermoïent tout l’espace compris » dans cette enceïnte, en forme d’un manteau à la macédonienne, qui va peu » à peu en s’étrécissant également (3). » On reconnofît d'abord à ces déux prolongemens en pointe, ou bras longs et droits, les deux entrées étroites de Diodore de Sicile et l’extension #es côtés, que Strabon a figurée ci-dessus, p. fo. Mais j'avoue que je ne vois que cet alongement qui soit certain, et encore sans que la forme en soit bien déterminée. Le reste du contour l'est beaucoup moins. La chlamyde, soit qu'elle fût Grecque ou Macé- donienne, soit qu'elle fût civile ou militaire, étoit un carré long : on ne peut supposer qu'elle doive être complétement développée ici; car il faudroit inscrire entièrement ce parallélogramme déployé dans une ellipse parfaite, pour trouver tous les 4rrondis- semens et prolongemens qui sont indiqués par nos quatre auteurs; et alors pourquoi, le quadrilatère étant ainsi totalement défiguré, auroit-on nommé {a chlamyde comme ayant servi de patron, plutôt qu'une ellipse alongée en pointe! Je crois donc que, pour entendre ces descriptions, il faut supposer au manteau antique la forme qu’il a lorsqu'il est posé sur le corps, comme on le voit dans toutes les figures antiques: c'est-à-dire, agrafé sur la poitrine, les extrémités d’abord retroussées sur les bras et tombant à terre, puis relevées en les tirant en longueur pour étendre les triangles qu'elles forment, et Appliquer le tout sur un ne Dans cet état, ce vêtement a une forme particulière qu’on peut désigner comme type caractéristique et remar- quable d'un objet d'imitation. C'est à peu près suivant cette figure que j'ai fait varier les contours de l'enceinte d'Alexandrie, en prenant la longueur et la largeur de trente et de dix stades donnés pour limites, et m'astreignant à quelques autres conditions de rigueur, comme de faire partager la ville en quatre parties égales par ses deux rues principales, de suivre les mouvemens du terrain, et de conserver dans l’enceinte les lieux importans qui ont dû nécessairement y être renfermés. (1) L'abbé Terrasson a sans doute employé ce mot, (2} On verra plus tard qu’il faut également entendre parce que la chlamyde dont il s’agit ici, et quiservoiraux ici une rue. jeunes gens, aux voyageurs et aux chasseurs, étoit aussi (3) Traduction d'André Dacier. un manteau militaire propre à la défense. G DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE I suffisoit de trouver à peu près le galbe de la chlamyde et de l’enceinte de la ville; car les lignes intermédiaires de raccordement entre les extrémités des deux axes sont indéterminées, aïnsi que les proportions particulières et de détail de ce manteau Macédonien que nous ne connoïssons pas d’une manière certaine | 113 |. Je n'ai donc fait ces recherches que comme objet de pure curiosité, et je n’ai tracé cette figure sur le plan d'Alexandrie restituée que pour donner une idée de la forme que pouvoit avoir la ville des Macédoniens [ 114] D'après ce que vient de dire Diodore de 1a direction #ord et sud de toutes les rues transversales , | est permis de conjecturer, comme on peut le voir, que la distribution intérieure d'Alexandrie avoit la forme d'un échiquier. Nous pouvons aussi maintenant, pour achever de faire connoître l’ancienne ville, chercher sa circonférence et donner un aperçu de sa surface; maïs, comme, dans la figure que j'ai adoptée pour l'enceinte primitive d'Alexandrie, plusieurs élémens sont incertains et arbitraires, comme la ville reçut beaucoup d'extension à diverses époques (et on le voit par ses vestiges ), comme enfin cette enceinte fut plusieurs fois ravagée et détruite, notamment sous Aurélien, au rapport d'Ammien Mar- cellin, il est inutile de calculer rigoureusement la superficie de cette figure. Il est plus intéressant de voir comment les anciens l'ont évaluée dans un certain temps ; cela donnera également une idée suffisante de l’immensité de l'établissement d'Alexandre dans ces siècles reculés; et encore faudra+-il, pour le comparer aux principales villes antiques et modernes, y ajouter par la pensée toutes les portions de surface comprises entre les limites des décombres et la figure de la chlamyde; plus, les parties maritimes à l’est, à l’ouest, et jusque dans l'ile PAaros. Quinte-Curce dit « qu’ Alexandre, embrassant tout l’espace qui se trouvoit entre » Je lac et la mer, fixa le circuit des murs de la ville à quatre-vingts stades [115 ]» ; or, d'après ce que nous avons vu, un parallélogramme construit sur la longueur et la largeur de la ville auroit juste quatre-vingts stades | sept mille six cents toises] de développement, et trois cents stades | deux millions sept cent sept mille cinq cents toises | carrés d'étendue superficielle. Il paroît que c’est une espèce de gzadrature de la chlamyde, que Quinte-Curce a rapportée ou faïte lui-même, et qui étoit fondée sur les deux dimensions connues. C’étoit un calcul ex gros qui compensoit les iné- galités des contours et de la forme auxquelles on n’avoit point égard en détail, dans cette zzesure linéaire d'un circuit, vu que ces contours étoient à peu près ceux d’une ellipse, et que l’alongement vers les deux portes de Canope et de Necro- polis y apportoit une augmentation considérable dont il falloit tenir ainsi quelque compte. Je crois donc qu'en conséquence de toutes ces observations, notam- ment de celles qui sont relatives aux diverses manières de considérer les limites de la ville proprement dite, et d'après les remarques consignées | 1 16 ], on ne doit point rejeter la mesure de Pline qui porte la circonférence à quinze mille pas [onze mille trois cent quarante toises |, et la surface à six millions vingt-sept mille neuf cent dix-huit toises soixante- quinze centièmes, si l’on carre le parallélo- gramme semblable à celui de Quinte-Curce : maïs, dans ce cas, il n'est pas dou- teux que Pline n’eût compris dans son développement toutes les habitations où bâtimens ET DE SES ENVIRONS. CHAP, XXVI. 6s$ bâtimens voisins de Micopolis, ceux des bourgs de Pharos, et même d’une partie de Necropols. Une chose assez remarquable, c’est que, si l’on rabat sur le plan d'Alexandrie antique les quatre angles du quadrilatère circonscrit à la chlamyde, qui ont donné la superficie de deux millions sept cent sept mille cinq cents toises déduites du texte de Quinte-Curce, ils couvriront assez bien, toute compensation faite au simple coup-d'œil, la surface entière des décombres qui se trouvent sur la partie continentale de la ville, sans y comprendre MNecropolis et Nicopolis proprement dites. J'étois donc doublement autorisé à faire ma première quadrature, que j'ap- pellerai celle de Quinte-Curce, de la manière que je l'ai établie : elle donne à Alexandrie une assez belle surface de ville du premier ordre. Quant à la seconde quadrature, celle de Pline, il est encore à remarquer que la circonférence totale de quinze mille pas est parfaitement la même que celle de Rome, à l'époque où Aurélien l’avoit entourée de murs. II n’est donc pas sur- prenant que les anciens et les modernes aïent si souvent avancé qu Alexandrie pouvoit le disputer en étendue à Rome même. On peut maïntenant comparer la superficie que je leur suppose à l’une et à l'autre, d’après Pline, avec celle des principales villes de l'Europe. Paris a cinq millions neuf cent quatre - vingt mille cinq cent soixante-dix toises carrées; Londres, quatre millions deux cent soixante- quatre mille; Berlin, trois millions quatre cent soixante-dix-neuf mille huit cent soixante ; Vienne, troïs millions cent soixante-onze mille huit cent cinquante; et Rome moderne, un million neuf cent vingt-six mille deux cent trente seulement. Mais Memphis , a l'enceinte de laquelle, suivant Diodore de Sicile, Uchoréus, son fondateur, donna cent cinquante stades de tour, surpassoit de beaucoup en gran- deur toutes ces villes anciennes et modernes. Ces cent cinquante stades, en prenant toujours la même valeur pour chacun, font quatorze mille deux cent cin- quante toïses, tandis qu' Alexandrie n’en avoit, même en comptant tout d'après Pline, que onze mille trois cent quarante de circonférence. Quoi qu'il en soit de cette mesure de cent cinquante stades qui donneroit l'infériorité à Alexandrie, mais qui est peut-être exagérée par Diodore, cette dernière ville excédoit Paris en surface d’une quantité notable. Que sera-ce si l'on ajoute aux édifices que Pline avoit déjà compris dans son calcul, ces villes, ces bourgs, ces villages, ces maisons de plaisance, tous liés entre eux, et dont on aperçoit encore tant de vestiges depuis Chersonesus jusqu'à Canope, sur les bords de la mer et du lac Mareotrs ! On trouvera encore une dernière image de l’immense étendue, sur-tout en lon- gueur, de la ville des Ptolémées, dans la description minutieuse qu'Athénée a con- servée de la pompe du couronnement de Philadelphe. Cette espèce de procession, alongée peut-être par l'exagération du narrateur, suppose néanmoins, comme les triomphes des Romaïns vers la fin de la république, un développement très-con- sidérable dans l'intérieur de la ville qui en étoit le théâtre. Le cortége employa tout un jour à défiler par la grande rue d'Alexandrie ; et Athénée, dans son inter- minable description, ne parle que de /7 pompe de Bacchus, tandis que les autres A,1D, I GG ‘DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE dieux, en grand nombre, de même qu’Alexandre et le père et la mère du prince couronné, avoient chacun la leur. On y comptoit plus de douze cents chars, cin- quante - sept mille six cents hommes d'infanterie, et vingt-trois mille deux cents de cavalerie pour l'escorte. | TROISIÈME AQUEDUC. — COLONNÉ DE DIOCLÉTIEN. Après l'emplacement de la grande rue transversale, on franchit le troisième canal souterrain, qui n'offre rien de particulier à observer que sa ressemblance parfaite avec le premier des quatre qui subsistent. Il nous a paru avoir la même largeur de deux pieds. L'objet le plus remarquable que lon rencontre dans cette vaste surface méri- dionale de la ville, et en même temps le plus magnifique, sans contredit, de tous ceux que présente non-seulement Alexandrie, maïs encore la plus grande partie de l'Égypte [ 1 17]; plus beau par la pureté de sa forme dans une si grande masse, et aussi étonnant sans doute, par la difficulté de son érection en trois pièces diffé- rentes, que les plus grands obélisques de Thèbes ou de Rome; c’est la colonne (1) connue jusqu à présent sous le nom de Pompée, à qui on lattribuoit communément, sans autre motif apparemment que le souvenir de la mort que cet illustre Romain trouva en Égypte. On savoit que cette colonne avoit dû porter une statue à son sommet; et il a suffi du rapprochement facile d’un fait historique connu de tout le monde pour faire rapporter à cet événement tragique l'établissement de ce mo- nument, comme on fit pour les prétendus bains et obélisques de Cléopatre. Cette colonne est non -seulement le premier objet qui frappe la vue ét excite l’étonne- ment lorsqu'on parcourt le sol d'Alexandrie, maïs de loin elle domine la ville, les minarets, les obélisques, et le château du phare : elle sert en mer de reconnois- sance aux vaisseaux, et guide les Arabes dans les plaines non moins vastes et nues du désert. Quoique M. Norry en ait fait une description spéciale, dans laquelle il donne toutes les dimensions de ce colosse, qu'il me soit permis d’en citer ici les prin- cipales, On ne peut parler d’un objet aussi étonnant sans rappeler les traits essen- tiels qui constituent ce caractère par lequel il nous frappe. De plus, ces dimensions nous serviront dans les remarques que nous aurons à faire, et qui se borneront à celles que nous n'aurons pas trouvées ailleurs. Ce monument a vingt-sept mètres soixante-quinze centimètres de hauteur totale; et le fût, d'une seule pièce | sauf la petite base dont il sera question ci-après), vingt mètres cinquante centimètres : son diamètre est de huit pieds quatre pouces, au zaximmm du renflement. D'après les dessins exacts qu'on en a donnés, ce fût est d'ordre dorique. C'est la seule pièce des trois qui soit d’un goût assez pur et par conséquent antique. Le chapiteau, et sur-tout le piédestal, trop courts, ont évidemment été ajoutés après coup. La base, qui est aussi d’un autre morceau lié au fût, a son socle beaucoup trop élevé; et, par l'habitude que l'œil a de la joindre à ce fût dans l'estimation de la hauteur des ordres, elle contribue sans doute, (1) Voyez pl 34, À. vol. V. ET DE-SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. 67 avec la forme corinthienne du chapiteau et l'isolement de la colonne, à faire paroïître celle-ci d’une proportion plus légère que le dorique. C’est du moins l'impression qu'elle nous a faite sur les lieux, et qui est encore assez sensible dans la vue perspective de la planche 34. On n'est pas même très-frappé de la grandeur absolue de tout le monument, lorsqu'on le voit à quelque distance; maïs, dès que l'on commence à pouvoir le comparer à soi-même, ou à quelque autre objet peu éloïgné, on se sent comme accablé de sa masse majestueuse. On peut encore se procurer une partie de ces illusions en cachant et découvrant successi- vement le bas de la planche 34. Le chapiteau n'est qu ébauché, comme ce dessin l'indique. _ Ce seroït ici le lieu de présenter quelques considérations sur la nature et la grandeur du travail mécanique pour manier le pesant monolithe du fût de cette colonne, et lui donner, malgré cette difficulté et celle qui provenoit de la dureté de la matière, un galbe et un poli si parfaits : mais nous avons déjà fait de sem- blables réflexions à l'occasion des obélisques. La seule différence importante à noter ici, c'est que la délicatesse du profil générateur de la colonne, destiné à produire une surface de révolution bien pure, sans pourtant faire tourner ce corps si lourd, rendoit l'exécution de cet ouvrage bien plus difficile que celle des surfaces planes du plus grand obélisque. Ce n’est que pour faire mieux apprécier cette circonstance que jai calculé exactement le poïds des différentes parties du monument. J'ai trouvé que le fût pesoit deux cent quatre-vingtneuf mille huit cent soixante-neuf kilogrammes cinquante-quatre centigrammes; le chapiteau, quarante- sept mille neuf cent cinquante-un kïilogrammes soixante-dix-neuf centigrammes ; la: base, cinquante mille cinq cent soixante-sept kilogrammes soixante-dix centi- grammes, et le piédestal, cent soixante-deux mille cent trois kilogrammes dix-neuf centigrammes. Larcher trouve, il est vrai, dans sa traduction d'Hérodote (1), le poids d’un monolithe Égyptien de trentesept millions trois cent trente-six mille deux cent cinquante livres : maïs, outre qu'il a exagéré de près d’un tiers, en portant la pesanteur spécifique de granit à deux cent cinquante livres, au lieu de cent quatre-vingt-six livres environ, cette prodigieuse masse, qui surpasseroit encore de beaucoup toutes celles de cette espèce que la main des hommes a osé mouvoir et façonner, ne pourroit néanmoins ravir à notre admirable colonne le genre de supériorité que nous venons de lui reconnoître. Non, il n'y a que des peuples avancés dans les arts et les sciences, doués en même temps du goût le plus épuré, comme les Grecs et les Romains, et succédant à un peuple géant, tel que les Égyptiens, qui aïent pu allier ainsi les perfections du beau idéal aux formes les plus colossales. Le fût est altéré près de la base, du côté du sud-est ou du désert, d’où est prise la vue perspective. Cette dégradation règne, d'après ce dessin, sur une bonne partie de la hauteur de ce côté : mais elle est plus marquée aux deux extrémités du für, sur-tout dans celle d'en bas, sur une hauteur de cinq mètres; et la fêlure ou cassure (:) Tome I‘, note 496. À, D. T2 68 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D’ALEXANDRIE est encore plus profonde dans la circonférence de sa partie inférieure (1). Cette corrosion est due à la différence qu'on observe entre l'humidité et la fraîcheur des nuits à Alexandrie, et la chaleur, souvent même la sécheresse du milieu du jour. Quoiqu'il ne gèle point en Égypte, cette différence de température est assez grande et assez rapide pour faire déliter les pierres les plus dures aussi-bien que dans nos climats. Les vapeurs sont répandues avec plus d'abondance dans la partie la plus basse de l'atmosphère; elles se dissipent plus brusquement du côté de l’est, qui est plus sec à Alexandrie, et du côté du midi, qui est plus chaud. Or on vient de voir que c'est du côté du sud-est, et dans une hauteur reconnue pour être celle où ce phénomène a généralement lieu sur ce territoire, que cette corrosion se montre, On conçoit, au surplus, comment cette évaporation subite et chaque jour répétée fait éclater peu à peu le granit lui-même, d'une manière analogue, en petit, à l'effet si prompt de la gelée et du mauvais temps dans nos climats [ 118]. La colonne penche sensiblement vers l’ouest. Cette inclinaison est de dix-neuf centimètres | sept pouces |, et paroît due aux travaux faits à diverses époques sous le piédestal, et que nous allons examiner (2). Le dessous de la colonne a été cons- truit de la manière la plus grossière. Des blocs de pierre de toute espèce, et de toute sorte de formes et de dimensions, y sont placés sans aucun ordre. On y trouve même des troncs de colonne disposés horizontalement, et un morceau verticalement. Les pierres des angles de cette maçonnerie sont dérangées et bri- sées. On y voit encore l'enclave des queues d’aronde en fer ou en bronze qui les lioient. Un de ces blocs angulaires (3) est un beau morceau d’albätre dont les hiéroglyphes sont extrêmement nets, et se trouvent placés, de même que la pierre, sens dessus dessous, Ce fragment aïnsi sculpté est d’une espèce rare en Égypte, et sur-tout dans les ruines d'Alexandrie [ 119 |. On voit dans l’enfoncement de la même maçonnerie { 4) un bloc aussi remar- quable par sa position que par sa nature; car il soutient presque seul la colonne. C’est un tronçon d’obélisque renversé, d’une espèce de poudingue, ou plutôt brèche siliceuse, grisâtre, dont les cailloux ou morceaux anguleux logés dans la pâte sont de différentes couleurs. C'est le seul ‘obélisque de cette espèce que nous ayons vu en Égypte [120]. On peut remarquer que ce système de sup- port et le genre de la maçonnerie d'entourage sont semblables à ce que nous avons vu sous l’obélisque du Cæsarium. Ici, l'on a renversé le tronçon d’obélisque pour qu'il fit l'office d’un pieu parfaitement enveloppé par cette maçonnerie qui le supportoit, en quelque sorte, par frottement, à cause de son amincisse- ment par le bas. II présentoit en même temps plus de surface pour recevoir Ja colonne par l'excès de sa largeur dans le haut. La maçonnerie supérieure que nous voyons, peut et paroît avoir été retouchée à diverses époques : maïs il est impossible qu'on ait jamais démoli une grande partie de celle du dessous, qui descend vraïsemblablement très-bas, ainsi que l'obélisque; car alors tout le (:) I y a d’ailleurs de l’exagération dans le haut du (3) Voyez sa position, fig. 8, et son dessin en grand, dessin, comme on a eu soin de le dire dans lexplication fie. 9. de la planche 34. (4) Fig. 2, (2) Voyez les quatre figures à gauche de la planche 34. * ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. 69 monument seroit tombé. Or il est évident, par toute la description qui précède, qu'on a tenté, à diverses époques, de faire cette démolition, soit totale, soit seu- lement de la maçonnerie supérieure d’'entourage, puisqu'on voit que des pierres ont été arrachées et ont laissé à découvert le support du milieu. Pococke, qui lavoit vu à nu dans un premier voyage à Alexandrie, dit qu’à son retour on avoit réparé le massif de maçonnerie, de manière que la retraite inférieure servoit de banc pour s'asseoir. Les Français l'ont trouvé démoli de nouveau, et dans l’état où nous le voyons ici. Toutes ces tentatives s'expliquent parfaitement, ou par la simple curiosité qu’on a eue de voir le système de fondation d’un monument si étonnant, ou par le pré- jugé des Arabes, qui croient que des trésors sont enfouis dans tous les édifices antiques, et qu'ils sont le motif de l'empressement des Européens à les visiter. Quoi qu'il en soit, il paroît que la colonne est toujours restée dans les temps modernes à la place où elle fut élevée dans l'antiquité; qu'on n’a pas tenté, dans ces mêmes temps, de la renverser, parce que les frais ne pouvoient compenser l'usage qu'on auroit pu faire de ses débris [ 121 ], attendu qu’on en trouvoit suff- samment d’autres dans les ruines; qu’on se sera aperçu, en sapant le pied, que le monument ne portoit plus que sur le tronc d’obélisque, et que ce travail, de pure curiosité, ébranloit le fût au point de le faire pencher comme nous le voyons. Alors on se sera arrêté, et l'on aura réparé le soubassement avec les matériaux que nous y trouvons. Nous ne reviendrons pas, quant au fond, sur la discussion concernant l’origine de cette colonne. Je me contenterai d'observer que le témoignage d’Abou-l-fedà, prince assez instruit, et qui dit qu Alexandrie possède la colonne de Sévère {1}, peut se concilier avec la fameuse inscription qui atteste seulement que ce monu- ment a été consacré à Dioclétien; car la colonne, comme le remarque fort justement M. de Chateaubriand , « est elle-même bien plus ancienne que sa dédicace. »,Son style est Grec et d'une époque antérieure au règne de Dioclétien. Maïs elle n’exis- toit pas même du temps de Pline et de Josèphe, auteurs assez tardifs, et qui ont cité les monumens Îes plus remarquables d'Alexandrie | 1 22 |; et l'on peut bien, en remontant l'origine de cet ouvrage le plus haut possible, le rapporter au temps de Septime Sévère, à la fin du deuxième siècle. Les Romains alors conservoïent encore assez de bon goût en architecture pour avoir fait à Alexandrie, ville Grecque, une colonne de style Grec. Elle a donc pu être primitivement érigée à Septime Sévère, subir diverses modifications, et être ensuite consacrée par un préfet, Pomponius ou Pompée (2), à Dioclétien | 123 |. Cette supposition seroit encore d'accord avec ce que nous avons vu ci-dessus et dans les Recherches er Éclaircissemens, sur les renversemens , redressemens et autres vicissitudes que ce monument peut avoir subis dans les temps antiques. Je l'appellerai donc désormais, pour plus (1) Abou--fedà l’appelle a’amoud [colonne] Severi. Ce »l’imperfection de l'écriture Arabe, on écrit avec les mot a’amoud est décisif, et ne permet guère d'admettre » mêmes caractères que le mot Sévère; ce qui a donné l'explication d'un voyageur moderne, qui dit que les »lieu à l'erreur. » Arabes appellent ce monument « el-Souari (ou plutôt (2) De là peut-être le nom accrédité de colonne de »es-Souari) , nom qui signifie /a colonne, et que, dans Pompée, 7O DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE d’exactitude, colonne dédiée à Dioclétien, puisque la dédicace est la seule chose dont nous soyons bien sûrs; ou, pour plus de briéveté, colomme Dioclétienne, comme on dit Zrajane, Antonine, rc. | On objectera peut-être que, quoique Pline et Strabon n'aient pas parlé de la colonne, elle pourroit avoir été faite par des architectes Grecs sous les Ptolé-' mées, puisque Strabon, écrivain si exact et qui a bien plus détaillé les-monumens d'Alexandrie que Pline, ne dit pas un mot des obélisques, qui, bien certainement, y existoient au moins du temps de ce naturaliste. D'abord, il est possible que ces obélisques aïent été placés devant le temple de César, entre l'époque du voyage de Strabon et celle où Pline écrivoit. Quant à la colonne, ïl est bien: vrai qu'on faisoit encore de grandes choses sous les Ptolémées; mais ces ouvrages consistoient en constructions formées avec des blocs de grosseur moyenne, et non pas à faire de ces exploitations dont le travail, énorme pour une seule pièce, convenoîit entièrement au caractère dés anciens Égyptiens, comme on l'a démontré. Il ne paroît pas même que les rois Grecs aïent retaillé des pièces colossales pour les employer avec les mêmes proportions ; car ils transportoïent les obélisques, et les plaçoïent à peu près comme ils les avoient trouvés. Ces Grecs, ou même les Romains du temps de Sévère, étoient éncore moins disposés à extraire de pareils monolithes dans les montagnes des cataractes, si l’on en juge du moins par les dimensions modérées des constructions que ces derniers ont faites en Égypte, sous Adrien, dans la ville d'Antinoé. Maïs, à cette même époque, ces sortes de colonnes votives, portant des statues, devinrent én usage [124], comme le prouvent celles de Trajan, d'Antonin à Rome, et d'Alexandre Sévère à Antinoé. Or nous avons remarqué qu'il étoit à peine probable que les anciens Égyptiens eussent fait des colonnes en granit; à plus forte raïson, celle-ci, qui est Grecque. On ne peut pas dire non plus que les Romains aient ainsi réfaçonné une antique colonne Égyptienne. Nous devons donc conclure de tout ce qui précède, que les artistes du temps de Septime, à peu près, ont arrondi quelque ancien obélisque pour en tirer le beau fût que nous voyons. Nous avons vu effectivement des obélisques de dimensions suffisantes pour cela ( puisque la co- lonne n’a que huit pieds quatre pouces dans son plus grand diamètre, et à son astragale, deux mètres cinquante centimètres), notamment celui de quatre-vingts coudées de hauteur qui fut transporté à Alexandrie (voyez la note 78), ét dont on ignore le sort. On ne le retrouve nulle part, quoiqu'il dût être bien recon- noissable par sa troncature; ses débris mêmes le seroïent encore, vu leur prodi- gieuse grosseur, qui s'opposoit à sa destruction totale, Son défaut d’hiéroglyphes invitoit à l'employer, comme bloc, à un autre usage, et la beauté de ses dimen- sions et de sa matière méritoit que les empereurs en tirassent parti, au lieu de le détruire, comme il faudroit sans cela supposer qu'ils l'ont fait. Il est donc très- vraisemblable que c’est de lui qu'ils ont formé la grande colonne Dioclétienne. La petite éminence sur laquelle repose ce monument, n’est vraiment qu'un monceau de décombres, de même que toutes les petites collines des environs. D'après cela, et l’état et le genre de construction du soubassement, on juge que ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. 71 le sol de ce tas de ruines, ou bien quelques marches construites tout autour, comme à lobélisque du Cæsarium, couvroient cette grossière maçonnerie. Ge terrain environnant s’est peu à peu rabaissé par l'effet des vents et des pluies au point où on le voit; ou les degrés ont été démolis et les fondations dé- chaussées, lorsqu'on y a fait des recherches, soit pour employer les matériaux de ces retraites à d'autres constructions, soit pour y trouver de prétendus trésors, soit enfin par ce seul fanatisme aveugle qui a fait ravager le reste des Dâtimens d'Alexandrie. Il est effectivement très-vraisemblable, sur-tout si nous ne trouvons pas autour de la colonne les traces de quelque grand édifice qui lui ait appartenu, qu'il existoit quelque parvis ou entourage coordonné à ce monument isolé, et qu'on ne l'avoit pas érigé à Dioclétien, Sévère, ou tout autre empereur, sur un emplacement brut ou encombré, sans y joindre quelque accompagnement au moins au niveau du terrain naturel ou du sol environnant. Nous avons peu de renseïgnemens sur lédifice qui pourroïit avoir existé autour de cette colonne, et nous y voyons peu de vestiges. Les auteurs Arabes sont les seuls qui semblent en parler (1); mais ils sont si peu exacts et si exagérateurs ! Nous venons de reconnoître d’abord que le fût n’avoit pas été tiré tout formé d'un autre édifice. Il ne se trouve pas, dans les ruines d'Alexandrie, au bord de la mer ou ailleurs, de colonne en granit de ce diamètre (on n’en voit pas même en Égypte [125], à Rome, ou dans le monde entier ) qui puisse faire penser qu'elle appartenoit à quelque édifice renfermant d’autres colonnes pareilles. Mais quelques voyageurs modernes ont trouvé auprès de son emplacement des frag- mens de colonnes de même matière, et de quatre pieds de diamètre, quelques vieux fondemens et des constructions formant un carré d’une assez grande pro- portion; toutes choses qui semblent se prêter un peu aux récits des Arabes des xr1.® et xIv.° siècles. Cependant la colonne est placée sur un des lieux les plus élevés du sol de l'ancienne cité : elle occupe à peu près le point culminant de ce monticule ; ce sommet ne présentoit pas un plateau assez spacieux pour un édifice un peu considérable qui auroit été coordonné à ce monument, et dont celui-ci auroit lui-même ft partie. Il me semble que les vieilles fondations qu'on voit aux environs attestent plus clairement que la colonne a été élevée sur des ruines de la ville antique (2), et, par conséquent, dans des temps postérieurs à sa grande prospérité; au commencement du 111.° siècle, par exemple. Le sys- tème de construction de ses fondemens le prouve encore; car, le piédestal étant placé sur un tronçon d’obélisque [ 126], et sur une maçonnerie d’entourage et de support, qui, bien qu'elle fût cachée, se trouvoit déjà très-élevée, le tout devoït reposer, à une assez grande profondeur, sur de vieïlles constructions, et non sur les terres rapportées autour. Si elle portoit sur le terrain naturel, c'étoit plus bas encore, et le soubassement revêtu que nous voyons se seroit trouvé dominer l'édifice environnant et placé au niveau du sol primitif et général. Nous verrions, (1) Voyez ce que j'aï rapporté, page 14, d’un débar- (2) Nous verrons effectivement bientôt, à l’occasion cadère que les capitaines d’une flotte Turque firent du stade, qu’il y avoit dans ce quartier plusieurs vieux faire avec des tronçons de colonnes extraits des ruines temples déjà abandonnés du temps de Strabon. d'Alexandrie. 7 2 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE malgré cette choquante disposition, les restes des murs de l'édifice accessoiré s'élever, en quelques parties, au moins au niveau du piédestal du parvis ou des degrés dont j'ai parlé. On peut conjecturer, d’après toutes ces observations, que la colonne d'Alexandrie a été placée isolément sur les ruines désertes de la ville, du moins À l'époque de Dioclétien. Cette conjecture s'accorde encore avec le caractère d’un monument composé de pièces hétérogènes, restauré d’une manière assez barbare, et qu'il plut à un préfet d'Égypte de consacrer, par une nouvelle dédicace, au cruel Dioclétien. STADE ANCIENNEMENT ABANDONNÉ. En descendant au pied de cette colline, directement vers le sud, on entre dans une gorge artificielle [ 127], ou que du moins on avoit achevé de creuser dans le roc. Flle est oblongue, spacieuse et assez profonde, entourée de ruines d’édifices souterrains comblés, et son fond a été disposé pour servir à des jeux publics de courses. C'est cet espace désigné par les noms de Cirque sur la pl. 84, É. M., et d'Aippodrome (1) sur la pl 31, A. Cette ruine semble d’abord n'avoir rien de fort remarquable, si ce n'est l'ére (en latin, spéna, par analogie avec l'épine du dos), dont on voit encore un reste bien reconnoissable s'élever un peu au-dessus du sol (2). Celle-ci avoit été ménagée dans la masse du rocher, qu'on avoit creusée plus profondément de part et d'autre; c’étoit la partie essentielle des stades, cirques et hippodromes des anciens, une espèce de plate-forme longue et étroite autour de laquelle tournoiïent les athlètes en doublant et évitant la borne /weta]. On voit encore ici, auprès de l’épine, les traces de colonnes de granit qui servoient à dessiner et orner cette plate-forme | 128 |. Cette extrémité occidentale du plan, qui se trouve assez bien conservée, à la suite de l’épine, est terminée en demi-cercle, comme toutes les arènes connues. Sa forme a servi à retrouver celle de l’autre bout (qui n'est pas aussi remarquable au premier abord ), sans qu'on ait été obligé de faire dans le dessin aucune restau- ration hasardée. L’amphithéâtre qui régnoit autour paroît avoir été composé de deux plans inclinés, séparés par une allée horizontale et assez large. Le talus su- périeur, par sa forme aujourd’hui peu déterminée sur le terrain, mais qui paroît toujours avoir été fort alongée, permettoit la vue des jeux à un plus grand nombre de spectateurs. Le sommet du plan incliné le plus bas étoit bordé par une espèce de parapet, dont on voit encore les restes, avec ceux des gradins qui couvroient ce talus. Son pied s’appuyoit sur une dernière banquette appelée stylobate dans l'explication de la planche. Ce soubassement correspondoit, quoique plus étroit, à l'allée ou esplanade intermédiaire, et faïsoit le même oflice, s'il ne servoit pas plutôt à asseoir les premiers spectateurs et à former un rang de places privilé- giées (3); car il avoit environ sept pieds de hauteur, et l’on y aperçoit aussi des vestiges de gradins. (1) Les gens du pays lui donnent divers noms, etentre (3) Le podium, par exemple. On sait aussi que, dans autres celui de Girceh, tous Îles jeux, les principaux personnages se plaçoïent sur (2) Voyez aussi le plan particulier, fre. 2, pl. 29, A. cette première ligne, vol, V, et la coupe, fig. 2. PASDEN SES EN YIRONS. SCA PART D 73 On trouve, sur le côté septentrional du stylobate, vers l'extrémité orientale, les fondations d’une petite salle qui pouvoit bien être le podium, cette place qu’oc- cupoïent les juges et directeurs des jeux, ou quelque autre dépendance de leur administration. Elle étoit toujours, comme celle-ci, sur le côté, à peu près vis- à-vis la borne de départ et de retour [ 129]. Un peu plus au nord, et vers le milieu d’une parallèle à la longueur du stade, on voit les fondemens d’un bassin en brique revêtu d’un enduit de ciment, et qui reçoit l'eau du Nil par une petite dérivation du grand canal d'Alexandrie. Presque vis-à-vis, au sud, et dans une gorge assez grande et symétriquement formée, suivant une direction perpendi- culaire au centre de l’excavation (1), sont encore les restes de deux réservoirs : ils sont à l'alignement de la crête extérieure du rocher. Il est évident que tous ces bassins dépendoïent du stade et appartenoient au service de l'établissement, soit pour baïgner les coureurs, soit pour arroser la lice ou l'amphithéâtre et ses abords et pour garantir de Ja poussière; car nous verrons que ce monument n’étoit point un cirque, qu'on ne pouvoit point y exécuter de naumachies, et qu'il n’y avoit pas d’'euripes auxquels ces eaux fussent destinées (2). De tous côtés, et particulièrement au bout oriental de l’épine, on aperçoit des débris nombreux de colonnes en granit et un petit fragment d’obélisque qui feroïent croire que la spna en étoit ornée, et que le monument lui-même étoit entouré de galeries en péristyle..Les buttes de décombres qu'on voit au sud et à l'ouest, de même que dans l'emplacement de la /orne et d’une partie de l’épine, prouvent du moins qu'on y a fait beaucoup de démolitions et de fouilles. On re- connoît aussi, dans la partie orientale, plusieurs ruines qui correspondent aux contours de la partie opposée, et qui ont servi à dessiner cette extrémité plus bouleversée que la seconde. En général, l'ouvrage étoit creusé dans le roc, et plusieurs de ces ruines de maçonnerie qu'on rencontre ont dû servir de rem- plissage dans les endroits où le rocher a manqué. Ce qu’il y a de remarquable, c'est que le demi-cercle occidental qui est creusé dans Île rochèér est d’un niveau un peu plus élevé que le sol de l'arène, comme le profil n.° 3 le fait voir; de même quil montre les divers plans inclinés ou horizontaux et la saïllie de la Spina, Cette différence de niveau provient de ce que le sol étoit recouvert d’un pavé en pierres de taille assez épaisses et formant aujourd'hui des éminences très-sen- sibles. On voit des vestiges fort reconnoissables de ce pavé en plusieurs endroits, et il est à remarquer qu'il a par-tout une largeur déterminée, régulière, et qui étoit moindre que celle du fond de la cuvette excavée dans le roc, comme s'il eût existé tout autour une zone ou allée, dépourvue de pavé, ou propre à l’enchässer. Rien, au reste, ne semble indiquer que cette zone soit un ancien euripe comblé. On voit que ce pavé a été démoli pour en employer les matériaux aïlleurs et pour labourer et cultiver le fond. La nécessité d'y fairé arriver de tous côtés les eaux pluviales, si rares dans ce pays, et de les faire circuler sur toute la superfrcie (1) C’est sans doute par cette gorge que les athlètes euripe, large fossé qui, dans les hippodromes, servoit à descendoient dans larène : on n’y voit pas d’autre issue. garantir des chars Les spectateurs. (2) Vaumachie, représentation d’un combat naval; AD, K 7 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D ALEXANDRIE du fond, a fait pousser les fouilles très-profondément; ét, en effet, toutes les parties un peu basses où Îles eaux peuvent affluer sont semées en orge, comme on le voit dans le dessin, où tous ces filets et les lignes des sillons sont indiqués. Ce terrain, aujourd’hui inférieur au niveau de l'ancien sol du stade, est sablon- neux, comme celui de tous les environs d'Alexandrie. Ce pavé, au surplus, est la première preuve que cet emplacement n’étoit pas un cirque ou un hippodrome. Comment auroit-on fait courir des chevaux de selle ou de char sur des dalles en pierre de taille! Où trouve-t-on même lapparence d'une rampe qui indique la possibilité de les faire descendre dans cette excavation! La gorge que j'ai fait remarquer étoit obstruée par des réservoirs. Où auroïent été encore les carceres, d'où s'élançoient les chevaux etles chars! Pourquoi l’épine estelle au milieu de la largeur de l'arène déjà si petite, tandis que, dans les cirques, il étoit d'usage de la partager en deux parties inégales, afin de donner plus d'espace aux chars sur le côté d’où ils partoient tous de front que sur celui où ils arrivoïent sépa- rément! On voit encore cette inégalité dans le cirque de Caracalla hors de Rome. Maintenant, en examinant attentivement l'arène, on verra qu'elle n’a que cinquante-un mètres soixante centimètres | vingt-six toises deux pieds dix pouces] de largeur intérieure, en y comprenant même les deux trottoirs ou allées qui en- touroient le pavé et qui ne servoient peut-être pas à la course. Il est important d'observer que ces vingt-six toises et demie sont beaucoup moïns que le tiers et pas beaucoup plus que le quart de la largeur ordinaire des cirques ou hippodromes antiques, si l’on admet qu'elle étoit d'un stade ou quatre-vingt-quinze toiïses; elle n’en sera que la moitié assez juste, si l'on prend celle-ci à un demi-stade ou quatre jugères [ 130]. L'épre, mesurée sur la coupe, a près de quatre toises | vingt-un pieds au moins | de largeur; ce qui réduit celle de l'arène , de chaque côté de lépine, à douze toises moins dix-huit pouces. Cet espace étoit donc évidemment trop étroit pour des courses de chars, et il est facile d'en juger en le comparant aux chaussées ordinaires de nos grandes routes, qui ont trois toises de largeur pour permettre à deux voitures, ayant ne vitesse médiocre , de se croiser sans péril. On peut en faire une comparaison plus directe encore avec la largeur des hippodromes de lammiquicé les mieux connus [130]; elle viendra tout à l'appui de l'opinion que j'ai émise, et sa Fo EenE sera que cette EE étoit seulement destinée à la course pédestre. Je m'en assure encore d’une manière plus positive, en trouvant, dans la géographie du Voyage du jeune Anacharsis, Va largeur du stade d'Olympie absolument égale à celle du monument Alexandrin. Comme les dimensions des arènes antiques auxquelles je veux comparer celle- ci, nous sont données d’une manière générale dans la note 130 des Éclaircissemens , sans rien spécifier relativement à la spwz, je prendrai la longueur intérieure entre les deux extrémités du stylobate; hypothèse la plus défavorable à la mienne. Or je trouve sur le plan que cette distance est de deux cent quatre-vingt-quatre toises un tiers, ou trois stades infiniment justes, c'est-à-dire, les trois quarts de la longueur des cirques et hippodromes, laquelle étoit communément de quatre stades [ ou trois cent quatre-vingts toises]. Il n'y a pas de doute que ce ne soit le EX DESSESeENVIRONS, CHAPIKXVI. TS stade Olympique qu'il faut employer ici, parce que les jeux de la course à pied, et cette place qu'on y avoit destinée dans une ville telle qu Alexandrie, étoient d'nstitution Grecque (1 ). On sait que par toute la Grèce on nommoit stades les lieux destinés à la course à pied; et quoique leurs dimensions et la mesure appelée de ce nom aïent sensi- blement varié, sur-tout dans les premiers temps, la grandeur de ces emplacemens pour la course n'outre-passa pas certaines limites et se rapportoit au stade Olym- pique. Ainsi il y avoit, outre le diaule pour la course pédestre, l'Appicon, qui servoit aux jeux de l'hippodrome. La forme générale de cette arène vient encore confirmer mes conjectures. Cette forme très-alongée et symétrique est bien celle des stades qu'on trouve dans les gymnases et palestres d'Athènes, dans ceux de Byzance, d'Olympie [x 30], 1&c S'il n'est pas parfaitement certain que les stades étoient toujours fermés aux deux bouts par des demi-cercles égaux, comme celui d'Alexandrie, du moins est-il vrai que tous les crques Romains étoient terminés par une ligne droite à l’une de leurs extrémités pour ranger les chars; chose qu'on ne trouve point dans ce stade bien caractérisé. On ne peut même pas l'appeler de ce nom de cirque , Qui n'étoit chez les Latins que le synonyme de Fhippodrome des Grecs. Je suis donc de plus en plus convaincu que cette place n’a pu servir qu'à la destination que jai annoncée, ou à des jeux analogues, tels que la lutte, le pugilat, le disque ou le palet, le saut, le javelot [ 132], &c. C'est une chose remarquable que l'accord qui existe ici entre cette ruine et les notions historiques sur les exercices qui se pratiquoient dens le stade. I] est égale- ment intéressant d’avoir maintenant un théâtre spécial de la course à pied chez les anciens , monument qu'on ne trouve nulle part, que je sache, parmi ceux de l'antiquité , Où qu'on ne voit, du moins, que dans les indications incomplètes qui nous sont fournies sur ceux que j'ai précédemment cités. Tous les commentaires qu'on a faits, avec des recherches si pénibles, sur cette sorte d’exercice gymnas- tique, et pour le nombre ou la durée des courses, peuvent s'éclaircir au moyen de ce dessin. La plupart des conjectures qu’on a émises sur les usages qui s'obser : voient dans ces jeux, sur la distribution des spectateurs, &c., trouvent facilement ici leur vérification ou leur rectification. Ainsi l’on n'avoit pas pu jusqu’à présent déterminer la largeur des stades: et nous la trouvons bien clairement exprimée, ou du moins nous voyons une de celles qu'on leur donnoit quelquefois; car il paroît que ces dimensions étoient bien plus variables qu'on ne lavoit cru. On pensoit encore que l'arène pour la course pé- destre n'avoit jamais (disoit-on positivement) qu'un stade de longueur ; et nous découvrons ici la preuve du contraire he) Je n'ai pas prétendu, dans tout cet examen, déterminer les formes et les dimen- sions des diverses places consacrées aux jeux publics des anciens; matière obscure, féconde en données variables et incertaines, qui a fait faire, jusque dans ces derniers (1) Je dis sur-tout dans Alexandrie, ville Grecque, exercices auxquels elles étoient destinées paroïssent être parce que les grandes places carrées de Thèbes et les de nature et d’origine différentes. AL K 2 76 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE temps, un si grand nombre de recherches curieuses. J'ai voulu seulement prouver, par la considération de ces formes et dimensions, que cette arène n'avoit pas pu être un crque ou hippodrome, et n'étoit autre chose qu'un stade vraisemblablement diaule, maïs qui sort des proportions les plus connues et prouve qu'on a eu tort de prétendre que tous ces édifices étoient faits comme sur un modèle commun. Il est donc hors de doute maïntenant que ce stade est autre chose que le cirque ( de la porte de Canope ) dont parle Strabon. Effectivement, ce géographe distingue clairement le stade de lhippodrome. II n'en compte qu'un de chaque espèce, comme nous le verrons ; et ceci confirme encore mieux toutes mes conjectures. Celui-ci est bien le stade de Strabon placé dans l'intérieur de la cité. En parlant de l’espace où nous sommes parvenus et qui s'étend sur toute la ligne du sud-est au nord-ouest, en-deçà du canal, des temples antiques qui s'y trouvent presque aban- donnés à cause de la construction de ceux de Micopohs, des jeux du stade et de lamphithéâtre, &c. qui se célèbrent tous dans ce dernier endroit, ajoute : Ceux (et le stade y est évidemment compris } gui ont été anciennement établis [en-deçà du canal ), sont amjourd'hut négligés. Voïlà donc le vieux stade Nécropolique de Strabon retrouvé | 134]. Je dis Nécropolique : car, suivant cette version, qui pa- roît la meilleure, il devoit y avoir encore un stade et un amphithéâtre à Mcopoës, comme nous l'examinerons en son lieu; ou simplement, les courses et autres jeux du stade se faisoient dans cet amphithéâtre bâti par les Romaïns. CANAL NAVIGABLE. — QUATRIÈME AQUEDUC PARALLÈLE. En sortant du stade , la route que nous suivons traverse une partie du canal longeant le Mareotis, qui se retourne brusquement et se dirige d’abord vers le port Kibôtos. Sa largeur, de sept à huit mètres, diminue de plus en plus et se réduit à peu près aux dimensions du dernier conduit parallèle. Cette branche traverse, à ciel ouvert, la partie sud-ouest de Ia ville antique, et, sous terre, toute la largeur de la ville Arabe; puis elle va former l’aiguade actuelle { 1) du port d'Eunoste, On voit, à son extrémité, à gauche et au coude même qu'elle forme pour entrer dans la ville antique, la coupure qui établissoït sa communication avec le lac Marcotis, d’une part, et avec le port X#ôtos, de l'autre, par le fossé extérieur de l'enceinte Arabe, lequel aboutit lui-même à la mer. Personne n'a parlé de cette coupure remarquable. Nous ne lui avons trouvé aucun caractère extérieur qui s'oppose à ce qu'elle soit regardée comme antique. Elle se trouve dans le lit même de la petite vallée dont nous avons vu l'embouchure à l'article PORT KIBÔTOS, et elle forme bien le prolongement du canal de Strabon : #sque ad Mareotidem per- ducta ( fossa navigabilis ). Le sol dans lequel cet embranchement est creusé, depuis les collines qui bordent le grand canal actuel et qui s'arrêtent près du stade antique jusqu'au conduit souterrain, est considérablement déprimé. Ce terrain est de niveau sur une grande étendue , et paroît composé de dépôts formés par les eaux, quoiqu'il ne soit plus inondé. On voit, au surplus, que ce canal de communication, de quelque point qu’il fût (1) Cet aqueduc paroït moderne. ETX DEs SES ŒENVNIRONS. CHAP. XX VI. 74 dirigé, ne pouvoit guère s'écarter de la dépression de terrain où nous sommes, et qu'il ne pouvoit pas être non plus ce ffeuve du Nil dont parle Hirtius, qui servoit, dit-il, à abreuver le peuple, et à remplir les citernes des maisons parti- culières. Quelle apparence y a-t-il qu’il eût donné ce nom et cette destination im- portante à ce court fossé, ouvert entre deux grands bassins d’eau saumâtre ou salée, tandis que le canal tiré de Canope méritoit bien mieux ce titre! Celui dont ül s’agit ici na donc pu être qu'un moyen supplétif de communication des ports avec le lac Mareotis | qui communiquoit encore avec / rade par une autre ou- verture faite dans le rocher, et que nous verrons plus loin). Ce n’est peut-être qu'à une époque postérieure à Strabon que la partie inférieure du grand canal d'Alexandrie au Nil, destinée de tout temps au remplissage des citernes, et à la- quelle étoient adaptés les quatre aqueducs parallèles antiques, a été jetée vers la mer dans cette branche navigable (1}. Celle-ci, dans sa première direction, passoit entre deux monticules remarquables formés par des ruines. Ils sont nette- ‘ment figurés sur la penche 84,E. M., et peuvent appartenir aux culées d’un pont qui aura été postérieurement construit plus loin vers l'est (il y est désigné par les mots de 1.” pont), comme on le verra tout-à-lheure. Lorsqu'ensuite les Arabes ont bâti leur enceinte du côté de Necropos, ils ont conservé, pour leur servir de fossé le long de cette partie des muraïlles , le pro- longement de ce canal et son embouchure dans le Æbétos et dans la mer. Ce n'est que plus tard encore, lorsque ce petit port a été entièrement comblé, et la navigation du lac à la mer absolument abandonnée, qu’ils ont détourné le canal navigable au pied des deux monticules, l’ont conduit vers / premier pont qui est propre à donner passage aux bateaux, et l'ont fait aboutir, comme on le voit, dans le dernier aqueduc, pour lui faire porter ces bateaux jusqu'au pied de leurs mu- railles qu’ils avoient resserrées, et amener de l’eau douce dans la partie de l'an- cienne ville qu'ils avoient conservée. II est dès à présent très-vraisemblable que la partie aujourd'hui couverte de ce canal, depuis les environs de l'enceinte au sud-est jusqu'au port d'Eunoste, a été construite lorsqu'on a fait tous ces change - mens, ou bien qu'on a profité d’un de ces aqueducs souterrains antiques qui dis- tribuoïient les eaux du Nil dans la ville d'Alexandre et des Ptolémées. Le canal ravigable antique, défiguré par tous ces changemens de direction et de destination, par le défaut d'entretien et l’envahissement des sables et des décombres, a beaucoup perdu de sa largeur. I devoit avoir de très-belles proportions, puis- qu'il servoit de passage à cet immense commerce du lac et des parties supérieures et inférieures de l'Égypte avec les ports Xbôtos et d'Eunoste, et de là dans toute la Méditerranée. Tous nos auteurs anciens parlent de l’étonnante activité de ces échanges. Le premier pont est tout-à-fait Arabe (2), et sa description sort de mon sujet: mais sa position est singulière, et paroît hors d'œuvre maintenant. Quel étoit autrefois son usage! où aboutissoit-il immédiatement ! il seroit curieux de le (1) Car Strabon ne peint pas le canal du 1Vil comme (2) Voyez planche 99, É. M., le deuxième pont, qui se perdant en ce point. est du même genre. 78 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D ALEXANDRIE connoître. On voit bien que les autres ponts du canal servent maintenant à com- muniquer de la ville Turque avec les parties cultivées du lac desséché! et la lioïent autrefois avec le reste de la campagne, dans les siècles où le grand canal restoit long-temps remph et navigable chaque année. Les positions qu’ils. occupent sont vraisemblablement les points de passage des anciennes communications pour les habitans de la ville, sous le Bas-Empire; mais ce premier pont est aujourd'hui, et depuis long-temps, inutile. Toutefois les Sarrasins, en reculant la partie sud- ouest de l'enceinte, ont dû conserver des habitudes dans les ruines de cette partie qui étoient d’abord devenues des faubourgs et des jardins de la ville Arabe. II falloit aux habitans de ces quartiers extérieurs des moyens de sortir de l'espèce de cir- convallation que le grand canal formoit autour d’eux, et de communiquer avec l'isthme, les catacombes et la ville de Necropolis. Lors donc qu'ils ont fait fléchir la direction du canal navigable au pied des deux monticules, ils ont dû rem- placer le pont Grec ou une communication équivalente qui existoit nécessairement, soit sur la grande rue longitudinale seule, soit sur plusieurs de ses parallèles, et construire ce premter pont Sur quelque reste de voie antique (1), toujours pour l'usage de ces faubourgs et des cultivateurs et atelots du lac qui les habitoient. PORTE DE NECROPOLIS, EXTRÉMITÉ OCCIDENTALE DE LA VILLE ANTIQUE. De l'autre côté du canal navigable, on aperçoit de vastes catacombes qui se trou- voient hors de la ville, d'après la forme que nous lui avons reconnue, et qui dépendoïent de Necropolis, comme nous le verrons. Voilà pourquoi j'en renvoie l'examen à celui que je ferai des dehors de la ville. En suivant la courbe que for- moit l’alongement de l'enceinte antique, on arrive vers l'emplacement de la porte de ce faubourg, qui devoit être quelque part aux environs, en un point voisin du bord de la mer, et l'on commence à apercevoir quelques-unes des catacombes du rivage qui se trouvoient aussi hors des contours des murailles Grecques. Il y a là quelques monticules remarquables pour la position de cette porte ou des murs latéraux de cette enceinte. On ne découvre pas d’autres antiquités dans cette partie extérieure à l'enceinte Arabe, sur-tout dans la direction de la grande rue longitudinale, depuis l’ancienne porte de Necropolis jusqu'au canal navigable qui longeoït à peu près les fossés de la ville Sarrasine; et effectivement, il devoit y avoir peu d’édifices dans cette partie étroite, d’après la forme de la chlamyde Macédonienne, et parce que « la ville », comme Îe dit Strabon, « s'étendoit pez au-delà du canal. » On peut remarquer ici l'accord satisfaisant qui règne entre les autorités, les vestiges que présente le ter- rain, les interprétations que j'ai essayé d'en donner, et les principales dimensions que j'ai adoptées pour tous ces objets. I{ n'est pas étonnant non plus qu'on ne trouve point de ruines autour du petit port X%/6tos, qui a été abandonné, comblé, et en arrière duquel les Arabes ont reculé l'enceinte. (1) On voit, sur la planche 84, que l'axe de ce pont les rues longitudinales de l’échiquier. Cet axe peut donc est parallèle aux deux fronts de l'enceinte Arabeetätoutes avoir été celui d’une de ces rues. ET DE SES ENVIRONS. CHAP, XXVI. 79 On voit encore les sentiers conservés par un usage constant, et qui appar- tiennent à l'ancienne rue longitudinale, sortir de lenceinte Arabe, aboutir vers l'ancienne porte de Necropolis, et se prolonger dans l'emplacement de ce fau- bourg. Il est évident que tout ici dépend de la position du canal navigable {laquelle n'est pas douteuse ), attendu que Strabon lui coordonne les autres monumens que nous verrons bientôt, et que la question de la longueur de la ville, résolue par d’autres considérations, est encore confirmée par les expressions de ce géographe: Extra fossam itaque restat urbs panlulim. ANTIQUITÉS DE L'ENCEINTE ARABE ET DE SES PORTES. Nous entrons dans la ville Arabe par la porte dite des Catacombes, et nous avons une idée suflisante de la cité d'Alexandre et de son enceinte, pour pouvoir lui comparer celle-ci que nous rencontrerons souvent désormais | 1 35 | Quoiqu'elle appartienne spécialement à l'état moderne, elle rentre dans les antiquités, du moins quant à ce rapprochement que nous ne pouvons nous dispenser de faire. L'enceinte des Arabes n’a pas besoin de description écrite, pour en indiquer les diverses directions. On voit qu’elle est composée de deux lignes. L’extérieure n'étoit autre chose qu'un mur de peu d'épaisseur, percé de créneaux, et ayant de quinze à vingt pieds de hauteur au plus. L’enceinte intérieure, distante de la pre- mière de six ou huit mètres, étoit formée d’un rempart et de tours plus ou moins considérables. La ligne extérieure, bâtie en pierres brutes, paroît fort ancienne, bien construite; et, particulièrement du côté de la porte de Rosette, elle est régulièrement défendue par des tours de vingt pieds de diamètre, espacées d’en- viron cent trente pieds. Les murailles de lenceinte intérieure sont plus fortes et plus hautes que les précédentes, et flanquées de grosses tours pareïllement très- élevées. Ces deux lignes subsistent presque par-tout, excepté sur les parties jadis immédiatement baignées par la mer, qui, offrant une défense naturelle, rendoit inutile le second rang de murailles. La portion que nous voyons en face de nous, entre le fort triangulaire et la porte des Catacombes, ne fait point exception à cette règle; car on y voit des restes de la ligne intérieure de murs et de tours. Elle aura été démolie depuis le xv.° siècle pour servir à des constructions dans la ville moderne. Cette observation générale sert à reconnoître d’un coup-d'œil les changemens survenus aux environs, et, par exemple, dans les ports, depuis l'établissement de l'enceinte Arabe. Ainsi l’on voit que sa ligne est simple le long du croissant qu’elle forme sur une partie du port d'Eunoste; et par conséquent ce croissant est bâti sur des fondemens de l'enceinte Grecque, ou du moins très-anciens. L’enceinte Sarra- sine devient double sur le front aligné devant l'Heptastadium, parce que l'atterrisse- ment qui s'étoit formé autour de ce mêle, étoit déjà large lors de la construction des fortifications Arabes; ce qui en réndoit l'accès trop facile. File devient simple ensuite jusqu'à la tour des Romains, parce qu’à la même époque la mer baïignoit encore ce front, et que l’ensablement de l'esplanade n’étoit pas encore formé tel que 80 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE nous le voyons aujourd'hui. C'est pourtant au voisinage de cette partie que le comblement du port neuf s'est principalement opéré dans tous fes temps, mais plus au sud-ouest; et c'est réellement vers le couchant seul que l'alluvion de l’'Hep- tastade facilitoit les approches { par terre) de la place. D'ailleurs, au point où nous sommes, il y avoit, à l'époque de la construction Arabe, un grand appareïl de fortifications, de tours et de portes formant une espèce de fort carré et en saïllie, pour communiquer avec l’atterrissement déjà existant de l’Æeptastadium, et résister aux grandes attaques du côté de cette digue. Tout ce front, depuis le croissant du port d'Eunoste jusqu'à la tour des Ro- mains, me paroît, par les divers motifs que je viens de rechercher, élevé à peu près sur les fondations Grecques. I faut avouer que l'aspect de ces fondations, qui se découvrent dans quelques endroits, fortifre bien cette conjecture. On voit aussi que les massifs de fortifications, et les tours en particulier, sont plus considérables aux autres angles saillans, notamment aux deux extrémités du front courbe que nous avons en face de nous, dans le fort triangulaire et dans ce grand ensemble de belles et fortes tours qui s’avancent dans la mer, et que je crois modernes en grande partie {sauf celle qui est ronde et qui paroît antique, comme on le verra bientôt ). | On prétend qu'il y avoit cent tours dans l'enceinte Arabe. I en reste beau- coup moins aujourd'hui, depuis qu'elle est elle-même abandonnée et en partie démolie. Celles de la ligne extérieure, dont j'ai indiqué l’espacement et le mé- diocre diamètre, ont chacune un escalier pour monter aux mâchicoulis, dont le parapet est soutenu par des arcades. Elles sont toutes voûtées, ainsi que celles de Ja ligne intérieure, On remarquera que les unes et les autres lient quelquefois les deux enceïntes en se raccordant par des faces droites avec la ligne du dedans, et qu'on passoit sous la partie intermédiaire de l'édifice pour parcourir le chemin de ronde existant entre les deux enveloppes. La plus grande partie de ces tours, sur-tout celles de l’intérieur et les grandes du dehors et des angles, sont construites sur un même plan qui leur est particulier : elles sont composées d’une portion demi- cylindrique qui est en saïllie sur le nu du mur, et d’une portion rectan- gulaire et souvent en retraite au-dedans de l'enceinte. La distribution intérieure de ces tours est très- variée; quelques-unes ont jusqu'à trois étages ; elles sont aussi recouvertes d’une plate-forme entourée d’une espèce de rempart en pa- rapet | 136]. On voit, dans quelques-unes de ces tours, des colonnes de granit, restes d’an- tiquités, servant de point d'appui à des voûtes annulaires. Leur chapiteau est de marbre ou de pierre, et il est séparé du fût par une tablette de bars plus ou moins épaisse et qui s’est pourrie [137 |. Nous avons vu que quelques parties de l’enceinte Arabe étoïent évidemment élevées sur les fondemens antiques; plusieurs même semblent être des restes des murailles Grecques. J'ai démontré l'antiquité de la tour dite des Romains; on en trouve encore trois autres qui paroïssent aussi fort anciennes, et qui diffèrent par leur construction de celles des Sarrasins. D'abord deux demi-tours construites de la A même ET DE SES ENVIRONS. CHAP, XXVI. Si même pierre wwmismale que celle de la tour dite des Romains , se voient à quelque distance l’une de l'autre, sur le front qui s'étend depuis la grande place d’Alexan- drie jusqu'à la porte de la Marine (r). Ces deux demi-tours différent cependant un peu entre elles, en ce que l’une pourroit avoir été réédifiée ou restaurée par les Arabes ou par les Grecs du Bas-Empire, qui auroiïent suppléé aux pierres qui leur manquoïent par des tronçons de colonnes de marbre ou de granit, disposés horizontalement | 138]. Enfin la quatrième est celle qui termine, sur le bord de la mer, dans le port vieux, le front appuyé sur le fort triangulaire. Cette tour a une grande ressemblance extérieure avec celle dite des Romains (2); du moins elles sont toutes les deux incontestablement situées dans des points de lenceinte antique qui n'ont pas changé. Il y avoit, comme on peut le remarquer, ærg portes maîtresses dans l'enceinte des Sarrasins , remplaçant les anciennes issues principales de la ville des Ptolémées ; et nous verrons par-là comment celle-ci n’a été resserrée qu'en faisant rentrer ses limites et ses grandes ouvertures vers son centre, dans trois ou quatre sens principaux. Ces portes sont, 1.° la porte dite des Catacombes, par où nous en- trons maintenant, établie pour conserver l'ancienne sortie vers Necropols ; 2.° celle du Cimetière, pour Joindre l'ÆHeptastadinm et ensuite la ville moderne; 3.° celle de l’Esplanade, pour communiquer à la partie du grand port où aboutissoit la porte de la Lune; 4° celle dite 4 4 Colonne, ou Bäb el-Sedr, vers les ports du fleuve, en remplacement de celle du Soleil: 5. enfin celle de Rosette, pour l’ancienne issue vers Canope, aujourd’hui Abouqyr [139] Ces portes sont, en général, revêtues de placage en granit ou de colonnes de cette matière, qui leur servent de jambages (3). On en voit à-des portes du côté du fort triangulaire, qui sont formés de longs et beaux blocs de pierre numismale polie. Le seuil, aïnsi que le sommier, de ces Ouvertures principales, est souvent une colonne couchée en travers, et qu'on n’a pas même pris le soin d’aplanir; ce . qui n'étoit pas indispensable, puisque les Turcs ne se servent pas de voitures. Les bandeaux de la porte de Rosette, qui est très-élevée, sont d’un seul morceau de granit, de même que la colonne qui lui sert de seuil. Nous avons vu, dans le parement des pieds-droits d’une de ces portes, des pierres provenant d’une frise de granit d’une très-grande dimension [140]. Au surplus, il règne, comme on peut s’en apercevoir, une grande confusion d'âge et de caractère dans toutes ces constructions Grecques, Sarrasines et Turques des fondemens et des murailles de la ville Arabe. Les tours Sarrasines et modernes sont chargées, en différens endroits, d'inscriptions en caractères Koufiques et Arabes. Les murs de cette enceinte sont communément construits en petits moellons revêtus de grosses pierres de taïlle. En général, ceux de leurs matériaux qui ne proviennent pas de la démolition d’édifices antiques, sont d’une espèce plus grossière de pierre lenticulaire, formée d’un assemblage de petits co- quillages fossiles et spathiques liés, sans aucun ordre, par une sorte de ciment. (1) Voyez planche 84, É, M. , et la suite, jusqu’à 90, (2) Voyez planches 88 et 8. 97 et 98. ’ (3) Voyez les planches modernes déjà citées. À. D, | L 8 2 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE Elle est dure et approche beaucoup de la pierre numismale : c’est la première maçonnerie. On n'y voit des pierres ordinaires que dans les parties réparées ou bâties plus récemment. Celles-ci sur-tout sont tendres, mauvaises et remplies de vides. Souvent aussi l’extérieur des murs est enduit d’une espèce de mortier. Ces remparts portent par-tout des traces de la corrosion dont nous avons parlé en détail aïlleurs, à l’occasion des granits; mais ici, où les matériaux sont calcaires, l'action des divers sels muriatiques qui se forment ou se décomposent en si grande quantité sur le territoire d'Alexandrie, vient encore se joindre d’une ma- nière très-eflicace aux autres causes que nous avons assignées à cette destruction universelle de ses monumens. Dans une tour ruinée, les moellons ont fusé à l'air comme auroit fait la chaux vive, tandis que les mortiers sont restés dans leur intégrité. La même particularité s’observe dans d’autres tours près du port vieux. Aussi leurs voûtes, quoiqu'en pierres de taille, sont souvent revêtues d’un enduit propre à les conserver. L'enceinte Grecque fut maïntenue assez long-temps après la conquête des Sarrasins, qui ne bâtirent la leur que bien après [ 141 |. Suivant Abou-l-fedä, A’mrou ebn-el-A’s, général d'O’mar, la prit d’assaut après un siége de quatorze mois, la dixième année de lhégire (ou plutôt vers 640). Quoique les Arabes, dans la première fougue de leurs conquêtes et le premier élan de leur grandeur, fussent loin de ravager tout ce qui ne choquoït pas leur fanatisme { 1), d’autres intérêts leur faisant négliger Alexandrie, la population diminua considérable- ment ; et, vers le milieu du 1x.° siècle, -suivant Elmacin, sous le califat d’el- Motaouakel, c’est-à-dire, plus de deux siècles après la conquête, Ebn Touloun, gouverneur de l'Égypte, fit abattre les murs antiques et construire ceux que nous voyons. Beaucoup de leurs réparations sont postérieures encore, et ne remontent guère au-delà de lexpédition de Selym [L°, au commencement du xvi.° siècle [ 142 |. | On se servit, pour l'enceinte de Touloun, des matériaux de l'ancienne : de à cette confusion qui règne dans l'emploi de ces matériaux de toutes les espèces et de toutes les formes. Elle fut réduite, comme on le voit, de plus de moitié [ 143 |, et l'on ne conserva que les parties les plus essentielles et les plus voisines de la marine. Les Arabes abandonnèrent principalement les bords du lac Mareots, qui se desséchoït par suite de l'encombrement des canaux supérieurs tirés du Nil. C'est encore un immense ouvrage que cette enceinte, quoiqu'elle ait été si fort restreinte par les Sarrasins, qui étoient, à cette époque, très-portés aux grandes choses. Ils retirèrent leurs limites, d’une manière très-reconnoissable, sur le front par lequel nous entrons, en contournant sensiblement le bassin de Æôtos, laissé en dehors, ainsi que le canal navigable qui leur servit de fossé et de défense; puis, pour être maîtres des eaux potables, ils Les firent entrer dans leur ville en détournant l'extrémité de ce canal, comme nous l’avons vu, et bâtirent le premier pont qui est dessus | 144]. Plusieurs tours et groupes de tours, tels que ceux que nous voyons aux deux (1) On sait que c’est le fanatisme, bien plus que l'ignorance, qui leur fit détruire la bibliothèque. ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. 83 extrémités de ce front, offrent encore de belles masses, qui se prétoient à une grande résistance. Leur vaste capacité et la solidité des muraïlles en faisoient autant de forteresses : aussi l’enceinte actuelle soutint-elle plusieurs siéges ou attaques plus ou moins sérieuses [ 145 | ; En jetant un coup-d'œil général sur la ville Arabe, on n’y voit que quelques hameaux mal bâtis, maïs assez peuplés ; quelques portes de baïns, une couple de mosquées et deux ou trois couvens. Les restes d'habitations sont entourés d’une quantité de petits jardins plantés de palmiers cultivés par les propriétaires de ces deux villages [ 146 |. On est frappé du contraste de cette verdure avec le sol aride des décombres, avec ces deux montagnes de poussière et de terres rapportées, l'une à gauche et l'autre à droite de la ville, ainsi qu'avec ces énormes tours et ces hautes murailles en lambeaux. Une image continuelle de destruction, qui semble vous poursuivre, fatigue l'œil et attriste lame. L’amoncellement successif de tous ces débris a élevé toute la surface du terrain: on l'exploite et on le retourne sans cesse dans tous les sens, pour construire ou orner la ville moderne, ou pour découvrir des antiquités à vendre; on y trouve des scories qui indiquent qu'on y a fait des fours à chaux, et c’est avec les beaux fragmens d’antiquités en marbre et en pierre calcaire qu'on les alimentoit. La ville Sarrasine contient encore, en effet, une foule de débris de monumens, sur-tout beaucoup de piédestaux, de cor- niches, de chapiteaux, de bases et de fûts de colonnes. Plusieurs de ces bases, qu'on a forées, forment des margelles de puits ou de citerne: des troncs de füt sciés servent de meules de moulin : nous avons vu un chef-d'œuvre de sculpture en marbre blanc employé comme moellon dans un mauvais mur. On trouve par- tout, et principalement dans les monticules de décombres grands et petits, beau- COUP de têts de vases de terre. Leur quantité prodigieuse est fort difficile à expliquer : ne pourroit-on pas, par cette raison, supposer qu’une partie provient de la décomposition des mortiers de béton et de remplissage, dans lesquels on sait que les anciens en faisoient entrer une certaine quantité! Il est singulier, au reste, que cette frêle espèce de débris soit presque la seule qui ait parfaitement résisté à l'action du climat, qui ronge les matériaux les plus durs et les plus pré- cieux dont avoient été formés les monumens d'Alexandrie [147] L'enceïnte Arabe renferme des antiquités remarquables encore debout, les fon- dations de quelques édifices fameux, et les emplacemens de plusieurs autres que nous examinerons dans les articles suivans. ANCIENNE BASILIQUE DITE DES SEPTANTE | 148 |, OU MOSQUÉE DES MILLE COLONNES. Après être entré par la porte moderne dite des Catacombes , on trouve immé- diatement à gauche un édifice carré qui est une mosquée qu’on a désignée sous le nom de mosquée des mille Colonnes ou des Septante. Ce plan (1), par sa beauté, sa grandeur, sa pureté, a tous les caractères de l'antiquité ; de plus, la matière de l'édifice, c'est-à-dire, cette belle forêt de colonnes qu’on y remarque et qui domine (1) Voyez planche 77, À, vol. V. A, D. | L 2 8AÂ DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D’ALEXANDRIE sur tout le reste de sa composition, est antique. Le minaret et l'enceinte de la mosquée (qu'on n'a même élevés peut-être que sur le plan et les fondations de l'ancien bâtiment) ne forment en quelque sorte que l'encadrement de toutes ces antiquités et sont seuls modernes. On a donc eu raison de ranger ce monument dans la première partie de ouvrage [ 1 49 |. La plus noble simplicité et la plus parfaite symétrie ont été observées ici par les Arabes, d’après les beaux modèles qu'ils avoient sous les yeux dans Alexandrie; et ïls'ont pratiqué les mêmes règles de composition dans leur beau siècle et à l'époque où le goût de leur architecture étoit le plus pur {1}: par conséquent, la mosquée est très-ancienne. Ce plan est bien celui de l'intérieur de la plupart de leurs bâtimens religieux; maïs ceux qui sont modernes sont plus tourmentés dans leurs parties accessoires, et leurs portiques intérieurs même ne sont pas aussi rigoureusement symétriques que celui ci [150 |. Ce qu'il y a de très-remarquable dans cet édifice, c’est cette quantité prodi- gieuse de colonnes en granit, porphyre ou marbre précieux, qui lui a fait donner son nom vulgaire. Elles sont évidemment de style Grec, et proviennent des débris de l'ancienne Alexandrie, rassemblés de toutes parts. Quelle nouvelle et grande idée cela nous donne encore de Îa richesse des anciens monumens de cette ville, de la destruction immense qui a eu lieu, et des diverses métamorphoses que l'emploi de leurs matériaux à d’autres constructions leur a fait subir ! Toutes ces colonnes sont de proportions très-inégales, de couleurs variées comme leur matière, et amalgamées suivant lusage des Sarrasins (2). Elles étoient encore debout à notre arrivée à Alexandrie ; les événemens de la guerre et les dispositions faites pour notre établissement dans le pays en ont fait détruire une grande partie ( 3). Les roches, la plupart primitives, dont elles sont formées, portent, malgré leur extrême dureté, des signes frappans de la corrosion dont j'ai tâché d’expliquer les loïs à l'occasion de la colonne Dioclétienne. Quelques personnes prétendent que c'est dans cette basilique que se fit la célèbre traduction Grecque de la Bible : maïs nous verrons que cette tradition, tirée de l’histoire romanesque d’un Juif helléniste qui porte le faux nom d’Arstée, dit premièrement que l'interprétation fut faite dans l’île Pharas, où l’on avoit logé les soixante-douze docteurs, et non dans l’intérieur de la ville ou le quartier Rhacotes, où nous sommes. Maïs, n’y eût-il que ce simple fait, que la tradition dont il s’agit, et qui, conservée depuis long-temps, s'est appliquée, sans qu'on sache comment, à ce monument, cela prouveroit au moins l'antiquité de la mosquée; on verroit qu'il y avoit là quelque édifice Grec (peut-être l’un de ces antiqua fana [151] dont nous parlerons tout-à-l'heure), employé par les patriarches du temps de Théo- phile, et auquel la mosquée aura succédé. Aussi l'opinion la plus générale et la mieux arrêtée se réduit-elle à ces termes, que cette mosquée est une ancienne : église rebâtie parles Arabes. (1) Voyez toutefois la note 172. (3) On y avoit établi les ateliers de Partillerie : le (2) Même note 172. | reste de la mosquée n’existe plus aujourd'hui. ET DE SES ENVIRONS, CHAP. XXVI. 85 CITERNES ANTIQUES. Ontrouve, en quittant la mosquée des mille Colonnes, et immédiatement après avoir traversé le quatrième canal souterrain, un groupe nombreux d'ouvertures de citernes que cet aqueduc alimente. On en voit de semblables en plusieurs endroits de la ville antique, dans sa partie renfermée par l'enceinte Arabe, dans celle qui se trouve hors de cette enceinte, comme on l'observera ci-après, sur le bord du #4alyg dans la campagne, près de la synagogue des Juifs, de la mosquée dite de Saint-Athanase, du fort Crétin, &c. On en rencontre d’isolées et d’éparses sur plusieurs points, et enfin presque par-tout (x). Avant de faire connoître leur ensemble, j'en décrirai une (2) très-remarquable par sa beauté, son antiquité, et plusieurs singularités qu'elle présente ; et elle nous donnera une idée assez exacte de toutes les autres. Elle est située dans l'enceinte Arabe, à droite du canal, en venant du lac M4- reotis, dans le voisinage du lieu où nous sommes parvenus. Son architecture est fort belle. Quarante-sept colonnes de marbre, bien conservées et placées en quin- conce régulier, sur un sol également en arbre blanc, soutiennent une première suite d’arceaux coupés par un plan horizontal, au-dessus duquel, dans le prolon- gement de l'axe des colonnes, s'élèvent, sans pied -droït, les voûtes d’arête en plein cintre qui recouvrent toute la citerne : elles sont percées par quatre ouver- tures, dont trois circulaires, et celle du milieu carrée, au niveau du sol supérieur. Dans le plan vertical d’une de ses paroïs, sont pratiquées huit niches correspon- dantes aux entre-colonnemens, et dont on ne devine pas aisément Flobjet. Une sorte de puits ménagé dans les angles des murs, et garni d’entailles de part et d'autre, servoit à y descendre. Des espèces de pilastres sont en avant-corps sur tous les paremens, pour correspondre aux colonnes et supporter la retombée des arcs. Les chapiteaux sont variés dans leurs détails, mais symétriques dans leur masse et par leurs proportions générales, comme dans les péristyles et portiques de la haute Égypte, avec lesquels ils ont, dans leur ensemble, une certaine analogie. Plusieurs de ces chapiteaux ont des ornemens analogues à ceux des chapiteaux Égyptiens antiques; d’autres, chose assez singulière, portent, dans leurs ornemens sculptés, une croix Grecque inscrite dans un cercle, et assez semblable à celle de Malte ou des croisés. Cette circonstance, en rappelant l'époque du culte chrétien sous le Bas-Empire Grec, achève de prouver que les citernes, et même leur res- tauration, si ceci en est une, sont bien antérieures aux Arabes. Celles de la rive droite du 4#haWg, vis-à-vis de la partie abandonnée de la ville d'Alexandrie, sont nombreuses, et quelques-unes ont le caractère des ouvrages Grecs ou Romains; mais la plupart ont été défigurées par les réparations modernes. La cage de celle-ci est bien antique, et ses arceaux n’ont pas non plus été altérés. Maïs les colonnes, (1) Celles qui se trouvent dans l'enceinte Arabe, sont planche 37, pour faire un choïx parmi ces nombreux mo- presque les seules qui soïent bien conservées. numens. Îl faut observer que les citernes, fie, 6 et #, (2) Planche 36. On en a représenté huit autres dansla appartiennent au quartier que nous décrivons. 86 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D’ALEXANDRIE et sur-tout les chapiteaux antiques en granit ou de quelque autre matière plus précieuse que le marbre, ont été enlevés et remplacés dans des réparations faites à diverses époques. Peut-être aussi n’a-t-on fait autre chose que relever les an- ciennes colonnes. Plusieurs de ces restaurations paroïssent avoir eu lieu dans le temps de la primitive église, depuis Constantin. La forme des citernes varie à l'infini; elles sont ordinairement divisées en plu- sieurs compartimens. Celle que nous venons de voir présente un rétrécissement quadrangulaire dans un des angles de son plan, lequel est dû, selon toutes les apparences, à la reconstruction qu'on auroït faite d’une partie de ses deux paroïs, pour remédier à des pertes d’eau. Elles ont souvent trois et même quatre étages de colonnes ou d’arcades. Ces colonnes sont ordinaïrement en beau granit rouge de Syène; leurs parois sont en briques revêtues d’un ciment de couleur naturelle, très-solide, et qui a subsisté sans altération. Le sol inférieur de la citerne a tou- jours une légère pente vers le puits, et les angles sont communément rachetés par une courbe. L'ouverture de ces réservoirs est presque toujours formée par des troncs de grosses colonnes ou des bases en marbre et en granit évidées [ 152 | Ces ouvertures se trouvent souvent au-dessus du niveau de l’eau du canal qui sert à les remplir, même lorsqu'elle est parvenue au #aximum de son élévation. Par conséquent, autrefois comme à présent, on étoit presque toujours obligé d'introduire d'abord l'eau amenée du Nil par le canal principal, dans les conduits particuliers qui se ramifioient dans tous les sens, et dont nous avons vu quelques- uns qui subsistoient encore ; ces branches sont creusées, la plupart, dans la roche coquillière tendre qui forme le sol d'Alexandrie. L'eau étoit ensuite élevée par des roues à pots dont les modernes ont conservé l'usage, et versée dans les rigoles qui l’'amenoïent à chaque réservoir. De tout ce qui reste d’antiques vestiges à Alexandrie, les plus extraordinaires, sans doute, consistent dans l’ensemble de ces citernes. C’est une chose vraïment admirable que le nombre, la capacité et la magnificence de ces réservoirs : ce sont de superbes portiques élevés les uns sur les autres et aussi élégamment dessinés que solidement batis. Quelle immensité de travaux en excavations, constructions et revétemens ne supposent-ils pas ! Ici l’industrie des Grecs, provoquée par la pre- mière de toutes les nécessités pour la fondation d’une ville privée d’eau, a égalé les efforts gigantesques des anciens Égyptiens en travaux de patience, et les a empreints de son goût pur et de l'élégance qui lui étoit naturelle. Elle est par- venue à former wne seconde Alexandrie souterraine, aussi vaste que la première ; et ce qui en subsiste aujourd'hui est certainement l’une des plus grandes et des plus belles antiquités de l'Égypte. Hirtius dit, dans son commentaire sur la guerre d'Alexandrie : « Cette ville est » presque toute minée en dessous, et il y a de ces souterrains qui communiquent » avec le Nil» (c'est-à-dire, le canal dérivé du Nil, dont nous parlerons en son lieu). « Ils conduisent l’eau dans les maïsons particulières. Cette eau se » clarifre en déposant peu à peu son sédiment, et sert aux maîtres de maison et » à leur famille; car celle qui est apportée » (à ciel ouvert) « par le f#uve, est si ET DE SESSENVIRONS. CHAP: XX PA. 87 » trouble et si limoneuse, qu’elle occasionne plusieurs sortes de maladies : mais » le peuple et la classe indigente sont obligés de s'en contenter, parce qu'il n'y » a aucune source dans la ville [153] » Nous avons vu les principaux de ces aqueducs qui subsistent. Plusieurs con- duisent encore les eaux dans des réservoirs, d’où on les élève, au moyen de cha- pelets mus par des chevaux, dans de petits conduits qui les distribuent à diverses citernes de la ville. Il y a encore soixante-douze de ces roues en activité. Ces citernes particulières d'Hirtius, ainsi que les autres, communiquoient entre elles par groupes correspondant aux principales branches de dérivation du grand canal, comme aujourd'hui. Elles étoient placées sous les maïsons mêmes auxquelles elles appartenoïent; de là ce grand nombre de citernes de médiocre grandeur, que nous avons vues sous diverses ruines, notamment dans des restes d'habitations autour du port neuf et du promontoire de Lochias. On a laissé perdre les petites, et la plupart des grandes sont comblées. Celles de cette seconde espèce, qu'on est obligé de conserver et d'entretenir aujourd’hui, sont vraisemblablement les réservoirs publies d'autrefois. Elles ont grand besoin de réparations. Un trés-grand nombre sert à l'arrosement de quelques jardins pratiqués, à la faveur de ces citernes, au milieu des décombres de la ville Arabe : ce sont les plus éloignées de la ville moderne. Il n’est pas rare qu’on en découvre encore de nouvelles dans les fouilles qu'on fait tous les jours parmi ces ruines [ 1 54]. On a laïssé obstruer divers canaux qui circuloient hors de l’enceinte des Sarrasins, dans laquelle se trouvent renfer- mées toutes les citernes dont les Turcs de la ville moderne se servent aujourd’hui : ce sont même les seules dont on puisse faire usage [155]. On a, depuis bien long-temps, négligé celles du dehors : car c’est un fait bien constant, qu'il existe de ces réservoirs, non-seulement dans la ville Arabe, mais encore sous les dé- combres de l’ancienne cité des Grecs et des Romaïns; circonstance importante à observer, autant pour résoudre la question de l'antiquité des citernes que j'ai dé- crites [156], que pour confirmer Fexistence d’une population très-considérable de Alexandrie Grecque et Romaine, entre la ligne extérieure des muraïlles Sar- rasines et les bords du lac Mareotis. Un autre effet de la négligence des Turcs modernes pour les citernes qu’ils ont conservées, c'est que la plupart, ayant leur ouverture az-dessous du niveau du terrain environvant, reçoivent les eaux des pluies qui lessivent les sels abondans que lon voit effleurir sur toute la surface. du sol d'Alexandrie. On ne comptoit, pendant notre séjour en Égypte , qu'environ trois cent huit citernes antiques conservées, grandes et petites; comme on ne les répare plus depuis long-temps, ce nombre diminuera encore. Elles fournissoient suffisamment à la consommation des habitans de la ville moderne et des animaux pendant dix-huit mois, et même à l’approvisionnement des navires qui mouilloient dans le port. On ne s’est pas aperçu que l'augmentation de la garnison Française habituelle ait amené la disette d’eau ; seulement, lors du séjour d’une quinzaine de mille hommes faisant partie de l’armée, pendant le dernier siége, on fut obligé de prendre quelques précautions dans la distribution pour régler la consommation. 88 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE Qu'on imagine maintenant l’immensité des travaux dont Hirtius veut parler et qui sufhisoient à l'approvisionnement d’une capitale dont la population étoit si considérable, et dont le commerce s’étendoit sur toute la Méditerranée, puisque la population actuelle, qui n'est que d'environ huit mille habitans, et dont les re- lations maritimes sont assez bornées, exige encore plus de trois cents de ces réser- voirs. Qu'on se représente encore la situation d’une ville au milieu du désert, sur un rocher absolument dépourvu d’eau douce; et l’on verra que son existence tout entière étoit attachée à ses citernes. On concevra aussi de quelle importance il étoit pour l’armée qui tenoit César assiégé dans les édifices voisins du grand port, de luï couper ou d’empoisonner l'eau du Nil [rs7]. SERAPEUMM ET. SA BIBLIOTHÈQUE. En suivant toujours notre ligne moyenne, après la mosquée des mille Colonnes et le premier groupe de citernes, on monte sur un monceau oblong de décom- bres, sur les étages inférieurs duquel on trouve diverses ruines. On y remarque sur-tout un massif de maçonnerie en pierre calcaire, entremélée d'assises com- posées de plusieurs rangs de briques du genre que nous avons déjà vu, et dont la construction est évidemment antique; car on y reconnoît particulièrement et d'une manière très-claire la méthode que les anciens ont généralement pratiquée à Alexandrie pour bâtir de grandes masses et la maçonnerie de remplissage. Cette construction, et sur-tout beaucoup de débris adjacens, sont placés sur une hauteur. Nous verrons que le Serzpeum Vétoit aussi, et que cet édifice lui- même étoit fort élevé. Or Strabon dit que le Serapeum est en-deçà du canal navigable ( que nous avons vu), et vers l'intérieur de la ville; position qui convient parfaitement aux ruines et au monticule que je viens de montrer. Tous les auteurs anciens s'ac- cordent à observer de plus que ce temple étoit dans le quartier de Rhacous, où nous sommes évidemment; et Sozomène | 1 58] dit qu'il étoit situé sur une petite colline. | Voilà donc la position de ce temple, sur la forme duquel les auteurs anciens nous apprennent beaucoup de particularités intéressantes, déterminée avec vrai- semblance. Suivant Pausanias, il yavoit en Égypte plusieurs temples de Sérapis : maïs le plus célèbre et le plus considérable de tous étoit celui d'Alexandrie: et le plus ancien, celui de Memphis. « [| y a dans Alexandrie, ajoute Ammien Marcellin, » beaucoup de temples imposans par la hauteur de leur faîte, et que surpasse pour- » tant encore le Serapeum. Nos foïbles expressions ne sauroïent peindre la beauté » de cet édifice. I est tellement orné de grands portiques à colonnes, de statues » presque animées, et d'une multitude d’autres ouvrages, qu'après le Capitole, qui » immortalise la vénérable Rome, l'univers n'offre rien de plus magnifique.» — « L'emplacement est formé », dit Rufhn, qui habitoit Alexandrie vers la seconde moitié du 1v.° siècle [159], « non par la nature, maïs par la main de l'homme » et par des constructions. If est, pour ainsi dire, porté dans les airs, et lon y » monte par plus de cent degrés. Il s'étend de tous côtés en carré et sur de grandes dimensions. ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. 89 \ » dimensions. Toute la partie infériéure, jusqu'au niveau du pavé de l'édifice, » est voûtée. Ce soubassement est distribué en vastes corridors et en vestibules » carrés et séparés entre eux, qui servoient à diverses fonctions et ministères » secrets | 160]. En dehors et au-dessus de cette partie voûtée, les extrémités de » tout le contour de la plate-forme sont occupées par des salles de conférences, » des porches et des maïsons extrêmement élevées qu'habitoient ordinairement » les préposés à la garde et aux soïns du temple, et ceux qu'on appelle ague- » noutes, Cest-à-dire, qui sont voués à la chasteté, Derrière ces bâtimens, en » dedans, des portiques régnoient en carré tout autour du plan. Âu centre » de la surface s’élevoit le temple orné de colonnes de belle matière, et dont » l'intérieur étoit magnifiquement construit en marbre, qu’on y avoit employé avec » profusion. » | Dans les Recherches et Éclaircissemens [161 |, on verra le récit curieux de Tacite, dans lequel cet historien, aussi judicieux appréciateur des traditions que profond politique et grand écrivain, assure que 4 mouvean temple de Sérapis, celui dont nous nous occupons, fut digne de la grandeur de la ville, et bâti par Ptolémée- Soter dans un emplacement du quartier Rhacots, où 4! y avoit eu anciennement une chapelle consacrée à Isis et à Sérapis dieu tutélaire des habitans de cette antique bourgade, On voit donc d’abord, et c'est un fait positif et important à remarquer, que les rois Grecs avoient admis le culte des anciens Egyptiens dans leur nouvelle ville. Sérapis avoit aussi à Canope un temple fameux, dont Strabon fait mention, liv. xvur | 162] On sait que le Sérapis des anciens Égyptiens étoit l'emblème du soleil au solstice d'hiver ou inférieur, que les Grecs ont comparé à leur Pluton dieu des enfers, dont la statue de Sinope portoit quelques attributs [ 163 |. L’antique Sérapis ca mêmes Égyptiens étoit aussi le dieu auteur des crues du Nil. Quoi qu'il en fût, on conçoit comment les habitans de Rhacotis ou d'Alexandrie, dans leur posi- tion isolée, au milieu d’un aride désert, devoient être dévots à la divinité qui influoit sur l’inondation. On portoit, suivant Ruffin, liv.1r, la mesure du Nil dans le temple de Sérapis [ 164 ]. Elle fut placée par la suite dans l'église chrétienne. Selon Socrate | 165], ce dernier usage commença sous Constantin; et Julien l'Apostat rétablit ensuite l’ancienne coutume, qui cessa sans doute sous le pa- triarche Théophile et sous Théodose par la destruction du Serapeum. L'autorité de Ruffin est d’un grand poids dans tout ceci; car il étoit à Alexandrie avant cette destruction du temple de Sérapis. Nous verrons plus bas comment le pa- triarche opéra le renversement de ce magnifique édifice. Outre l'étymologie donnée au mot Sérapis, dont le sens est Miomètre, on verra encore dans nos Recherches celle du tombeau d'Apis [166]. Maïs pourquoi vouloir tirer d grec la signification du nom d’un dieu Ægyptien tres Ce qu'il nous importe le plus de savoir pour notre description d'Alexandrie, c'est que le fameux Serapeum de la ville des Prolémées étoit tout simplement un temple du dieu Sérapis. Ammien Marcellin, dont j'ai rapporté le passage concernant l'édifice du AS M 90 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE Serapeum , ajoute qu'il renfermoit des bibliothèques d'un prix inestimable. I constate ainsi l'existence d’une collection de livres dans ce temple; mais il la confond ensuite avec /4 grande bibliothèque, qui étoit, comme nous le verrons, dans le quar- tier des Palais ou du Bruchion, lorsqu'il observe que « sept cent mille volumes » rassemblés par les soins infatigables des Piolémées furent brûlés pendant la » guerre d'Alexandrie, dans le bouleversement de la ville, sous le dictateur » César. » D'après Vitruve, il y avoit effectivement à Alexandrie une bibliothèque autre que /4 grande, et ce ne peut être que celle du Serapeum, dont Ammien Mar- cellin a parlé. Celle-ci paroît aussi avoir été beaucoup plus connue des Pères de l'Église [167], ainsi que les temples voisins qu'ils frent détruire, que la grande bibliothèque, laquelle semble avoir souffert bien davantage de l'incendie de César, et s'être fort peu rétablie jusqu’au temps de ces patriarches. Tout ce qu'on sait relativement à l'origine de la collection de manuscrits du Serapeum (1), c'est qu'elle existoit avant lembrasement de celle du quartier des Palais. Fille étoit moins riche qu’elle : aussi l’appeloit-on s4 file, où /4 petite bibliothèque. Elle étoit vraisemblablement placée dans ces vastes appartemens qui environnoient le temple de Sérapis, et dont Ruffin nous a donné le plan. Elle se trouvoit par conséquent très-éloïgnée du grand port, dont les vaisseaux embrasés portèrent la flamme jusque dans la grande bibliothèque, située encore plus à lorient. Il est donc peu probable que la collection du Serapeum aït été brûlée par la même cause. D'aïlleurs, personne n’a parlé d’un embrasement aussi désastreux que l’auroit été celui du beau temple de Sérapis. Cependant, pour pouvoir faire usage d'un grand nombre d’autorités du genre de celle d'Ammien, et pour les concilier entre elles, il faut adopter ce que quelques-unes racontent de lincendie qu'allumèrent dans divers quartiers les troupes auxiliaires des Alexandrins pen- dant la guerre de César | 168], et admettre qu'il y avoit trois cent mille volumes dans le Serapeum. Quoi qu'il en soit, la bibliothèque de ce temple se trouvoit, peu de temps après, très-considérable. Celle de Pergame, qui contenoit deux cent mille volumes qu'Antoine donna à Cléopatre, y fut vraisemblablement déposée; car il n’est plus question nulle part de /z grande depuis l'incendie de César. I est donc permis de présumer encore que c’est La petite qui se multiplia assez par la suite pour servir à la restauration de celles de lempire Romain sous Domitien [r69 |. C'est d’elle aussi que fut intendant Denys d'Alexandrie, sous cet empereur et jusqu'à Trajan. | Après cet embrasement de la grande bibliothèque par César, et la ruine du quartier où étoit le Musée par Aurélien, ruine dont parle Ammien Mar- cellin dans la description que j'ai citée, comme d’un événement antérieur au temps où il vivoit, il est évident que c'est le Serapeum qui remplaça le Musée, et que c'est dans ce même lieu que l'école d'Alexandrie se soutint dans l'état bril- lant où cet auteur nous la représente encore à la fin du 1v.° siècle. (1) Quelques commentateurs en attribuent la fondation à Ptolémée Physcon ; maïs ce n’est qu'une conjecture. EN DENSES ENVIRONS. CHAP OXXVI. AI Enfin le temple de Sérapis et sa bibliothèque furent détruits [ 170 |, environ dix ans après la mort d’'Ammien Marcellin, par les soins du patriarche Théophile (comme nous le verrons ailleurs }, malgré la résistance du peuple et de quelques philosophes et grammairiens qui s’étoient réunis dans cette espèce de forteresse et qui soutinrent une sorte de siége. Peu de temps après, on bâtit sur cet empla- cement une église à laquelle on donna le nom d’Arcadins, successeur de Théo- dose-le-Grand, qui avoit autorisé la démolition du Serapeum et de tous les temples d'Alexandrie. La grosse ruine dont j'ai décrit la maçonnerie de remplissage, doit être un reste des souterrains dont parle Ruffn. L AUTRES TEMPLES ANTIQUES. Sur la direction du Serapeum vers le stade, on trouve, comme ailleurs, une quantité considérable de collines de ruines. Mais c’est autour de cette ligne et parmi ces monticules, de préférence, qu'on doit ranger quelques temples antiques du temps même de Strabon, et qu'il indique, avec celui de Sérapis, en-deçà du canal navigable : « En dedans du canal, dit-il (allant du lac au Ki46tos), sont le Sera- » peum et d'autres temples antiques {1).» On peut même les chercher à une assez grande distance hors de l'enceinte Arabe, comme nous l'avons fait pour le stade; car le géographe met dans la même catégorie ce stade que nous avons déjà ren- contré. « Ces temples étoient presque abandonnés, ajoute Strabon, à cause de » la construction des édifices sacrés qui avoient été élevés à Nicopols » , du temps d'Auguste vraisemblablement, puisque nous verrons que ce prince orna beaucoup cette dernière ville. Cependant il subsistoit encore un bon nombre de ces anciens édifices au 1v.° siècle, et ils renfermoient sans doute d’autres petites biblio- thèques qui dépendoïent de celle du Serapeum, puisque dans l'expédition de Théo- phile, qui avoit obtenu l'autorisation d’abolir tous ces temples, les livres y furent dispersés par les chrétiens; et environ vingt ans après, Orose visita ces bâtimens et y vit les rayons vides. [I est vraisemblable que les chrétiens tirèrent parti de ces édifices pour en faire des églises, comme on a vu qu'ils en construisirent une à la place du Serapeum. Peut-être la mosquée dite aujourd'hui des mille Colonnes, dont j'ai indiqué l'an- tique origine, et les traditions qui sy rapportent, at-elle succédé à quelqu'une de ces anciennes basiliques décorées, comme elle, de colonnes tirées des vastes por- tiques du Serapeum qui fut démoli, et des autres temples voisins qui subirent le même sort, ou furent simplement abandonnés. É On voit toujours, d’après ces recherches et ces conjectures, que la ville étoit embellie, dès l'origine, par un grand nombre d’édifices publics, dans les envi- rons du Serapeum, du quartier Racotis et de toute la région qui s’étendoit sur Ja rive droite du canal navigable, tiré du lac Mareous au port Xiétos. C'est d’une partie de ces édifices sacrés que Strabon veut parler, lorsqu'il dit, dans un autre endroit, « que l'intérieur de la ville étoit orné de superbes temples. » 2 (1) On peut donc en rapporter [a construction à l’époque de la première fondation d’Alexandrie et des travaux de larchitecte Dinocrate. | ANS DE M 2 92 DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D ALEXANDRIE ANCIENNE BASILIQUE VULGAIREMENT APPELÉE MOSQUÉE DE SAINT-ATHANASE. Nous arrivons à l'édifice vulgairement appelé #osquée de Saint-Athanase (1). On l'a rangé parmi les antiquités, quoique, par sa construction extérieure, il soit arabe, que son usage soit moderne, et qu'il semble conséquemment appartenir à la se- conde.partie de louvrage. Mais, d’abord, cette mosquée est composée, comme celle des mille Colonnes, de beaucoup de matériaux antiques et précieux; elle renfermoit notamment un sarcophage qui est le plus beau monument connu parmi les antiquités Égyptiennes, et qui, par son importance, entraîne avec lui tout le reste des constructions ou fragmens anciens qui l'entouroient. L'existence de ce monolithe, dans une position centrale par rapport à l'édifice qui semble lui avoir été coordonné tout entier; la grande vénération dans laquelle il fut toujours chez les Chrétiens comme chez les Mahométans; l'apparence qu'il y a que cette cuve servit au baptème des premiers néophytes ; la tradition que le nom de S. Athanase [ 171 ] nous rappelle sans cesse, et qui porte qu’il y avoit là une ancienne église chrétienne mise sous son invocation, et rebâtie depuis par les Arabes; d’autres traditions qui nous apprennent en général qu'il y avoit de très- belles basiliques à Alexandrie; toutes ces considérations et plusieurs autres moins fortes, mais qui ne devoïent point être négligées, sufhisoient pour faire penser que ce bassin a été placé là dans le temps de la primitive église, et pour faire ranger la mosquée elle-même avec lui dans la division des antiquités de l'ouvrage. Les mêmes raisons m'autorisent à parler ici de cette mosquée. Ce ne sera néan- moins que le plus succinctement que je pourrai, et sous le rapport seul de état antique d'Alexandrie [172]. On voit d'abord que la projection de lédifice est simple et régulière; maïs il renferme, comme je l'ai dit des mosquées en gé- néral, un plus grand nombre de nefs dans le fond que sur les côtés, et le devant n’a qu'un seul rang de colonnes. Le pavé des portiques est en marbre, et com- posé, en grande partie, de belles mosaïques dont les dessins sont assez purs et les couleurs très- variées. La grande cour carrée du milieu est aussi pavée en marbre. Les colonnes antiques, toutes de marbre chipollin, à l'exception de quelques-unes en granit, sont fort belles, et nombreuses comme on le voit; elles diffèrent entre elles par leurs proportions, par la forme et les dimensions des chapiteaux, et des bases avec ou sans piédestal : maïs les entre-colonnemens sont égaux; et, le tout étant disposé sur un plan symétrique et vaste, les irrégularités des détails s'évanouissent au coup-d'œil. Les murs latéraux sont en partie couverts, à l'intérieur, de marbre disposé en mosaïque; leur large frise est dessinée par de grands caractères en mosaïque d'émail, exprimant des sentences tirées du Qorän; on y trouve aussi une niche en mosaïque, et une chaire en boïs de sycomore travaillée avec beaucoup d'art, et que le temps a recouverte de mousse de couleurs variées. Son air antique feroit croire qu'elle appartenoït à la basilique chrétienne avant sa transformation en mosquée. Enfin tout cet ensemble donne une Juste (1) Voyez À, pl. ?5, 28 &t 30, ET DE SES ENVIRONS. CHAP, XXVI. 93 idée de la manière assez heureuse dont les Arabes tiroient ordinairement parti des débris de monumens anciens; maïs il fait concevoir aussi la dévastation qu’ils y ont exercée, même dans le temps où ils avoient quelques vues grandes et créa- trices. On voit encore dans cet édifice plusieurs cadrans horizontaux sur lesquels sont tracées des paraboles, l’écliptique et les projections des différentes courbes parcourues par le soleil dans les diverses saisons de l’année. Ce bâtiment est fort ancien. En le regardant comme une éghse primitive oc- cupée postérieurement par les Arabes dans l'état où ils l'ont d’abord trouvée, on voit qu'elle a été ensuite rebâtie par eux; car l'édifice est bien une vraie #05- quée par sa forme et sa distribution, mais c'est une des plus anciennes. Effective- ment, celles dont la construction remonte aux premiers temps des Sarrasins, à cette époque d’exaltation chez le peuple Arabe pour sa religion, pour les con- quêtes, et pour la culture des lettres, des sciences et des arts, ont un caractère frappant de grandeur (1), de pureté dans le dessin, et de luxe dans l'exécution : elles annoncent même un certain goût que les plus belles mosquées Arabes modernes, et sur-tout celles des autres nations Mahométanes, ne présentent pas : aussi dit-on que celle-ci a été construite par un des premiers califes. I resteroit à savoir maïntenant à quelle église chrétienne cette mosquée suc- céda, et ensuite quel monument antique et profane cette église elle-même rem- plaça. Quoiqu'il soit à peu près impossible de parvenir à cette découverte, une petite circonstance qui se rattache à notre idée première, que la mosquée a été reconstruite sur l'emplacement ou avec les débris d’une ancienne basilique ou de monumens plus antiques encore | 173 |, peut nous mettre sur la voie. On a trouvé, à côté du sarcophage Égyptien que nous allons examiner tout-à-l'heure, et sur un morceau de marbre gris faisant partie du pavé de la mosquée, une inscription Grecque, maïs écrite avec des caractères Romains. Comme elle étoït à moitié effacée, on n'a pu y distinguer, au premier coup-d'œil, que le mot CONSTANTINON. Ce fragment provient vraisemblablement de l’ancienne église chrétienne; et je me contenterai de rappeler, pour diriger les conjectures sans m'y livrer moi- même plus longuement, que Constantin avoit transféré l'empire Latin en Grèce, qu'il protégea le premier ouvertement le christianisme, et que S. Athanase, dont la basilique rebâtie porte encore le nom, vécut sous cet empereur. On peut au moins reporter la dédicace de cette basilique au 1v.° siècle environ. On avoit construit, dans la cour de la mosquée, un petit bâtiment octogone terminé par une coupole en briques, pour couvrir la belle cuve antique (2). Celle- ci servoit aux ablutions des musulmans, comme ces dispositions l'indiquent. Elle étoit certainement fort petite pour un tel usage, si on da compare aux bassins construits dans les autres mosquées ; mais sa beauté et sa valeur intrinsèque, appré- ciées par des Arabes et les Turcs même, comme par les chrétiens et par tout le monde, la leur auront fait préférer pour ce service [174]. Elle est percée, dans (1) La mosquée dite des mille Colonnes a cent vingt mètres de côté [environ soixante toises ]; celle dite de Saint- Athanase, soïxante-onze métres. (2) Voyez À, vol. V, pl. 40 et 41. 9Q4Â DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D'ALEXANDRIE le bas, de trois ou quatre ouvertures circulaires de deux pouces de diamètre, prati- quées après coup. Elle a 3",126 de longueur, 1",626 de largeur à la tête, 1,281 aux pieds, et 1,150 de hauteur. Le plus grand des deux petits côtés de son pa- rallélogramme est arrondi comme dans une baïgnoire. Elle provient d’un seul bloc de brèche d'Égypte de la plus grande beauté et d’un poli parfait, et que les Jtaliens connoïssent sous le nom de Éreccia verde d’'Egitto (1). Elle est d’une cou- leur brune ou vert très-foncé, parsemée de fragmens verts, jaunes, blancs, noirs et rougeâtres, qui forment un mélange du plus bel effet. Cette roche est, comme on sait, excessivement.dure : mais ce bloc est d’une nature plus homogène que les brèches ordinaires [ 175$ |; ce qui l'aura fait préférer par les anciens pour la facilité du travail, et sur-tout pour la pureté de la sculpture. Cependant ce travail, pour le seul creusement du bloc, sur la foïble épaisseur de huit pouces que présentent les côtés, a dü être très-considérable et exiger de grandes précautions; maïs le travail, le soin et la patience sont le caractère dominant des ouvrages des anciens Égyptiens. En voici un autre témoïgnage dans la décoration de ce monolithe, qui est orné et tout couvert en dehors et en dedans de figures hiéroglyphiques fort nombreuses, petites, très-fines, très-délicatement tracées et on ne peut pas plus nettes. Quelques-unes semblent avoir rapport au passage du Styx, que les Grecs paroïssent avoir emprunté aux Égyptiens, ainsi que d’autres parties de leur fable des enfers. Plusieurs personnages sont dans des barques emblématiques du genre de celles qu'on voit si fréquemment sur les murs des temples et des grottes de la haute Égypte. On y trouve l'ichneumon assez bien représenté [176 | Les hiéroglyphes du dedans de la cuve sont en moïndre quantité que ceux du dehors. | N auroit été intéressant pour le lecteur de trouver ici une description plus dé- taillée de ce beau monument, que les relations des voyageurs modernes ont déjà rendu célèbre dans toute l’Europe; d'en comparer les dimensions avec celles des sarcophages des tombeaux des Roïs et des pyramides de Memphis, et avec celles de la cuve que lon a trouvée au pied de la mosquée du Kaïre, bâtie dans le lieu appelé Qaläa't el-Qabch | Château du Mouton |. Ce dernier monolithe ressemble à celui d'Alexandrie pour la distribution des ornemens. Nous nous bornons à renvoyer ici à l'explication des planches (2). Au reste, il n'est pas douteux, aux yeux de celui qui a parcouru les monumens de la haute Égypte, et visité l'intérieur de la grande pyramide, que le mono- lithe d'Alexandrie ne fût un sarcophage. Ceux des tombeaux des Rois sont, comme celui-ci, arrondis à une extrémité et équarris à l’autre. Ici, le dessus manque, et il paroît, d’après les autres tombes dont nous avons trouvé les couvercles encore en place, et chargés d'une figure en pied et en bas-relief couchée sur le dos, comme on en voit sur nos tombeaux du xv.° siècle, il paroît, dis-je, que les sarcophages d'Égypte avoient tous une fermeture de même matière, quoique la momie y fût déjà revêtue d’enveloppes très-solides. C’est, sans doute, ce qui (1) Voyez H. N. Minéralogie, pl. 9, et l'explication. (2) Voyez À. vol. V, pl, 40 et 4r. ÉTADE SESVENMERONSUMEE A PALXX PT, 95 a fait prétendre à quelques personnes de l'expédition, qu’on avoit trouvé le cou- vercle de celui-ci dans une rue d'Alexandrie moderne, chose que nous n'avons pas pu vérifier. | Ce monument si précieux par le travail et par son antiquité l'est encore par la rareté des morceaux sculptés autant que par la beauté de la matière. Nous n'avons vu en brèche semblable qu'un fragment de colonne qui étoit dans un des jardins voisins de la place Æzbekyeh au Kaire. Les Égyptiens seuls ont travaillé cette roche; et, s’il est permis de comparer des masses très-différentes, je ne crois pas quon pese accorder autant d'importance et de prix à la colonne Dioclétienne elle-même qu’au sarcophage d'Alexandrie. Il appartenoït probablement à l'édifice antique, antérieur à la primitive église, comme, en d’autres temps, à la mosquée : mais il n’y avoit été transporté qu’a- près avoir été extrait, comme les Ds iLe de quelque grotte sépulcrale bien plus antique qu'Alexandrie elle-même; car on saït que les monolithes de ce genre, employés dans les tombeaux du Sa’yd par les anciens Égyptiens, étoient étrangers à Alexandrie, ville Grecque et moderne relativement à la vieille Égypte. 1 We pr) H ; Lu , 510€ 2e 4 : À : ‘3 | : x 2») ne ii Ha Sup ile 310. LS © PA a RAS ve “ee nt ex D asus as Et 184 Het 136) ei "y | ; HAS à | 1 HOTEL a] up Dale Pl ALES W vie 2 RS AOS te Fan af TNT ES AE APPENDICE À LA DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS D’ALEXANDRIE ET DE SES ENVIRONS, PAR M. SAINT-GENIS, INGÉNIEUR EN CHEF DES PoNTs ET CHAUSSÉES: MISES LISE SPSS LISS SIT RECHERCHES ET ÉCLAIRCISSEMENS. Ox a observé dans cet Appendice le même ordre et la même marche que dans la Description des lieux et-dans les Considérations générales et listoriques, de manière qu'il peut se lire isolément, et cependant avec une certaine suite ; il fera repasser le voyageur sur les mêmes lieux, et ramenera naturellement les questions ou les faits qu'il est destiné à éclaircir plus complétement. Ainsi lon peut continuer sans interruption la lecture des deux premières parties, et ne pas suivre pied à pied les renvois en chiffres placés entre des crochets | ] qu’elles renferment. D'un autre côté, ces chifires donneront la facilité de venir examiner isolément ici ceux des articles particuliers du texte de ces mêmes parties qu’on jugera à propos de consulter. ; On à rejeté ici, comme le titre ci-dessus l'indique, les discussions détaillées ou trop arides sur les textes des auteurs, sur les opinions des voyageurs, les rapprochemens accessoires, &c. OBSERVATION PRÉLIMINAIRE. [1] La place qu'occupe ce Mémoire dans l'ouvrage, indique assez qu'il s'agit spécialement d’A/xandrie ancienne. Un de nos collaborateurs a composé un autre Mémoire sur Alexandrie en général, qui doit rouler principalement sur l’état mo- derne de cette ville; par conséquent, la place de ce dernier écrit est marquée dans une autre subdivision de l’ouvrage. Je m'interdirai donc tout ce qui pourroit être regardé comme une description de l’état actuel d'Alexandrie, et non comme un simple et inévitable rapprochement entre la position ou l’état antique et l’état mo- derne des lieux : ainsi je ne décrirai point en détail la ville nouvelle, les villages de l’enceinte Arabe, les monastères, jardins, bains, fortifications et établissemens 4. D. S FA 2 APPENDICE :À LA DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS actuels, le commerce, l’imdustrie, les mœurs, les lois, les usages et les cultes modernes, &c. J'avoue cependant qu'il est à regretter que cette ville puisse aïnsi faire l’objet de deux écrits distincts; ce qui ne peut manquer de nuire à l'unité des notions que nous donnerons sur son existence, et à la suite de son histoire. _Ce partage forcé est encore une circonstance qui n'appartient qu'à Alexandrie, et qui provient de ce qu'aucune autre cité de FÉgypte n’a conservé son emplace- ment, son même nom et son importance depuis les temps anciens jusqu'à nos jours, Pour remédier autant qu'il est possible à cet inconvénient, j'aurai soin, dans les rapprochemens dont je viens de parler, de laisser à notre collègue M. Gratien Le Père la description détaillée de l'état moderne de chaque chose depuis Fhégire, et le récit circonstancié des événemens à nt de la même époque, ou plus précisément depuis la conquête d'A’mrou. Voici, au reste, la marche générale que j'aï suivie le plus constamment et avec le plus d’uniformité que je l'ai pu dans chaque article de ma Description : 1.” j'examine en détail les antiquités existant sur chaque point, ou l'emplacement seulement, lorsqu'il n'offre pas de vestiges antiques remarquables; 2.° dans le pre- mier cas, je dis ce qu'étoient ces ruines, et dans le second, cet emplacement, et je décris, d’après les auteurs anciens, le monument antique que je crois y avoir été élevé; 3.° j'indique ce que l'objet ou le lieu est devenu, et son état actuel; 4. je rappellé brièvement les événemens remarquables qui s’y sont passés, lors- qu'ils ne forment pas une suite historique ancienne, et propre à être rangée dans la IL.° partie / Considérations générales et historiques), où dans la II].° partie { Re- cherches. er Éclaircissemens ). APERÇU CHRONOLOGIQUE ET GÉNÉRAL. 1. PÉRIODE. [2] On pourroit diviser toute l’histoire de l'Égypte, par rapport à Alexandrie, en trois grandes parties parfaitement distinctes; qu'on appelleroiït store ancienne, histoire moyenne, et histoire moderne. C’est à la première qu'il faudroit rapporter tout ce que nous savons ou voyons encore de merveilleux sur l'antique Égypte; ses rois naturels, appelés Pharaons par V'Écriture ; sa mythologie, ses sciences, ses lois et ses vieilles mœurs; ses villes de Thèbes, Memphis et autres; ses pyramides, obé- figues temples, grottes, palais, lac Meæris , travaux du Nil et autres monumens: à la seconde, tout ce qui est la suite des relations de l'Égypte avec les peuples dont nous commençons dès-lors à avoir lhistoire presque contemporaine, depuis la conquête des Perses, et, par conséquent, tout ce qui appantiens à Alexandrie antique fondée après l'invasion de Cambyse, époque où l'Égypte commençoit à devenir Grecque: à la troisième, tout ce qui regarde l'Égypte devenue Mahométane et Alexandrie moderne, après leur conquête pat les Sarrasins. D'ALEXANDRIE ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. 3 7< PÉRIODE, DEPUIS LES FATIMITES JUSQU'À SALADIN. [3] Je n'ai point trouvé de témoignage positif sur le siége d'Alexandrie par les Francs, dont parle d’Anville : on sait seulement que l’ambitieux et imprudent Amauri [.', l'un des derniers rois Français de Jérusalem, fit, vers cette époque (en 1168), une première expédition contre le Kaïre et Damiette, et ensuite une seconde contre Damiette seule. Cette dernière entreprise, plus malheureuse encore que la première, attira Saladin dans son royaume, et en amena bientôt la destruction. Maïs il ne paroît pas que Lusignan, son gendre et son général, et Amauri lui-même, aient passé la branche orientale du Nil pour se porter sur Alexandrie. DESCRIPTION DES LIEUX. — Secr. L'° RHACOTIS ET AUTRES QUARTIERS. [4] On sait que les Égyptiens modernes sont dans l’usage de transporter hors de leurs villes les déblais de toute espèce et les ordures de leurs maïsons, et d’en former des tas qui peu à peu deviennent de véritables collines, dont l'entrée de ces villes est souvent masquée. À mesure que l’enceinte Arabe d'Alexandrie aura été abandonnée, les habitans de la ville moderne, placée entièrement en dehors, auront porté leurs décombres sur ce point. Ce qui prouve que l'enveloppe de cette montagne est artificielle, c’est que les déblaïs considérables que les Françaïs y ont faits, ainsi que sur le fort Crétin que nous verrons, sont composés de poussière de plätras, de débris de toute espèce de poteries, de briques, de marbre, de granit, de porphyre et de haïllons. J'ai supposé qu'il pouvoit rester quelques ruines d'édifices antiques au-dessous : et la pratique Égyptienne que je viens de citer, loin de détruire ce soupçon, vient au contraire le confirmer : car on a pu constamment observer, dans la haute Égypte, que les habitans des villages bâtis sur les plafonds ou dans le voisinage des temples ont choïsi pour dépôt des immondices l’intérieur et les cours de ces édifices, qu'ils en ont entièrement encombrés. Il est probable aussi que les Alexandrins ont voulu former en même temps par ces dépôts une hauteur qui pût, avec le phare moderne, servir de balises aux marins, aider à découvrir en mer et remplacer en partie l’ancien phare. [5] Strabon, dont il est question pour la première fois dans cet article du texte, étôit natif d'Amasie en Cappadoce. Il florissoit sous Auguste et sous Tibère, et écrivoit sa Géographie dans les premières années de ce dernier em- pereur, au commencement de la 4.° période de notre Aperçu listorique, et, par conséquent, pendant les beaux temps d'Alexandrie. I fut philosophe et historien; mais son plus beau titre est celui que lui donne sa Géographie, le seul de: ses ouvrages qui nous soit parvenu. Îl avoit voyagé en divers pays, et notamment depuis PArménie jusqu'au fond de Arabie, et en Égypte. I donne dans son À, D. TA 1 APPÉNDICE À LA DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS ouvrage une belle description d'Alexandrie teHe qu’elle .étoit de son temps. Ce sont les renseignemens les plus détaillés et les plus complets que nous ait laissés l'antiquité sur les édifices de cette magnifique ville. Ils reviendront fréquemment dans ce Mémoire, et c’est précisément au tableau qu’ils présentent d'Alexandrie que se rapporte la restauration que j'at faite dans le dessin d'Alexandrie restitnée, Je suivrai, dans les citations que jé donnerai quelquefois sans les traduiré en français, limterprèté Latin de Strabon. [6 | Ce qui prouve l’ancienne élévation de Rhacotis au-dessus du sof, qui est presque aussi plat que la mer, ce sont les expressions zwminens navakbrrs dont se sert ici cet interprète. Les anciens roïs d'Égypte dont parle Strabon, et qui avoient horreur de la na- vigation, sont ceux que j'ai désignés sous la dénomination générale de Pharaon, et qui régnèrent pendant la 1." période. Dans ces temps-là, les Égyptiens regar- doïent comme infames ceux qui se livroïent à cette profession. On voit, au reste, que la position d'Alexandrie avoit de tout temps paru très-propre à servir d'abri aux navigateurs, puisqu'on y tenoit une garnison pour les empêcher d’ap- procher. Cette opinion sur les avantages de cet emplacement a dû contribuer à le faire choisir par Alexandre pour y fonder sa ville. Les Français ont construit, sur la hauteur que nous examinons, un /ort appelé Caffarelli, du nom d’un illustre général qui commandoit le génie militaire et qui fut tué au siége d'Acre. Ainsi, après tant de siècles, l'emplacement du hameau de Rhacotis à repris sa première destination de forteresse, de même que le reste du sol environnant, jadis si ma- gnifiquement orné, a repris sa nudité PEN [7] H n'y avoit pas plus de prairies qu'à présent aux environs de Rhacots , et les pâtres, que l'interprète de Strabôn appelle #vcok (id est, bubulei), étoient nécessairement nomades comme les Arabes actuels. Suivant Héliodore, le terrain qui étoit autour de Rhacotis se nommoït Bouc, et Capitolinus appelle ucokci milites les soldats en garnison dans les endroïts de l'Égypte nommés #zcohés. On voit donc que le désert d'Alexandrie n’étoit pas sï inconnu aux anciens rois d'Égypte qu'on l'a prétendu. II y eut même, suivant Hérodote (1), une bataille décisive entre Apriès et Amasis, peu avant la conquête de Cambyse, à Momem- plus, sur le bord du lac Mareotis, et près de Rhacotis. Diodore de Sicile dit que ce combat se livra vers le village de Mareia, qui est encore plus loin à Focci- dent. Apriès fut fait prisonnier et étranglé ensuite. À cette époque, les Pharaons avoïent aussi renoncé depuis long-temps à leur aversion pour les navigateurs et les Grecs. [8] Philon, Juif, étoit né à Alexandrie. Les renseïgnemens qu'on tire de ses écrits sur l’état de cette ville et des Juifs qui l'habitoïent, sont précieux. H étoit né d’une famille illustre et sacérdotale; il fut mis à la tête de la députation que ses coreligionnaires d'Alexandrie envoyèrent, contre les Grecs de la même ville, auprès de Caligula, vers Fan 40. Il a laissé des mémoires à ce sujet, ou Discours contre Flaccus (et plusieurs autres ouvrages, presque tous sur l'Écriture (1) Hisr. lib. 11, $. 163. D'ALEXANDRIE ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. ÿ sainte ). Il ne fut point écouté favorablement par Caïus, irrité de ce que les Juifs d'Alexandrie, toujours récalcitrans, comme le reste des habitans de cette puis- sante ville, avoient refusé de placer ses statues et ses images dans leurs syna- gogues. Ces mémoires prouvent qu'il déploya dans cette mission beaucoup de dévouement, de sagesse, de fermeté et de talent : mais il faut, en se servant des renseignemens qu'ils contiennent sur l'état des Juifs d'Alexandrie, user de beaucoup de circonspection , par rapport à ses préventions naturelles et aux circonstances dans lesquelles il écrivoit. Josèphe, Juif de Jérusalem, vivoit sous Néron et mourut sous Domitien, en 93. Outre son Histoire et ses Antiquités Judaïques, H écrivit deux livres contre Apion, grammairien d'Alexandrie, grand ennemi des Juifs, et que nous verrons figurer parmi les savans de cette ville. Josèphe et Philon sont les deux seuls auteurs qui nous fassent connoître le nombre des quartiers d'Alexandrie. PORT D'EUNOSTE. [9] L'aïguade actuelle se trouve au tiers de la longueur de espèce de croissant existant entre les deux angles des murs avancés dans l’eau (1). EHe reçoit les eaux du Nil, après le’ remplissage des citernes de la ville Arabe. C'est une construction peu considérable ; elle ne paroît pas antique, et peut avoir été faite par les Sarrasins lors de la réduction de l'enceinte. H est vraisemblable que c’est seule- ment un reste d'une des anciennes issues de ces branches du canal du Nil qui, dans tous les remps, ont distribué les eaux jusque dans les parties les plus reculées de la ville. Aujourd'hui, ces eaux ne peuvent couler dans l’aiguade qu'au dernier moment de la crue du fleuve. [10] Ce courant principal de l’ouest à Fest, et les vents régnans du nord- ouest, ont encore plus détruit les bords de Ia rade voisine de Necropols et des catacombes qui se trouvent à la suîte. On sait que les vents soufflent dans cette direction pendant la plus grande partie de l'été, et font que cette saison est celle des arrivages d'Europe, qui ont lieu souvent en moins de quinze jours. I faut encore joindre à ces causes de la disparition des constructions dans le port d'Eunoste, l'habitude funeste qu'ont les Turcs, depuis plus de deux cents ans, d'y jeter le lest des navires. [11] Comme l'entrée principale de Strabon n’est qu'une des passes fréquentées pär les vaisseaux modernes, je parleraï ailleurs de tous ces passages ensemble, et des sondes que les ingénieurs des ponts et chaussées ont faites pour les déterminer. Il suffit de voir maïntenant que l'entrée de l'Eunoste avoit assez de profondeur pour les navires anciens. Ces avantages dont parle Strabon, sont bien plus sensibles aujourd’hui, à cause du tirant d'eau de nos vaisseaux modernes, qui trouvent un fond sufhisant dans le port vieux, malgré le comblement journalier opéré par les Turcs; tandis que le port neuf, grâce à ce qu'il étoit bien fermé autrefois, offroit un mouillage con- venable aux anciens, et qu'il ne peut plus recevoir un grand navire moderne. (1) Voyez É, M. pl. 84. G APPENDICE À LA DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS Ainsi les avantages et les inconvéniens réciproques de ces deux ports ont subi un changement tout-à-fait inverse. Le port vieux est aussi le plus propre à la construction de nos vaisseaux et à notre manière de les lancer à la mer; on ne trouvoit cependant, à notre arrivée, aucun des établissemens nécessaires à la marine. Les ingénieurs des ponts et chaussées avoient été chargés de les pro- jeter; et c'est autour de cette belle courbe que nous examinons qu'ils les auroient placés, si les événemens avoient permis de prendre une assiette solide dans le pays. En attendant, les Français avoïent réuni dans le port d'Eunoste tous leurs établissemens provisoires, tels que les chantiers de construction et les magasins de la marine indiqués sur les planches. [12] En conséquence de cet abri parfait, de cette profondeur d'eau, et des autres avantages du port vieux, le gouvernement Turc, dans son aveugle par- tialité contre les étrangers (qu'il auroïit dû au contraire chercher à attirer, puis- que son commerce a besoin d'eux, et qu'il ne peut prétendre, comme nos nations civilisées, à l'exclusion de l’industrie foraïne }, contraïgnoit les Européens non musulmans à relâcher dans le port neuf, qui n'étoit pas tenable, Lors même qu'un de leurs navires étoit forcé par quelque accident à pénétrer dans le port vieux, il devoit, aussitôt que cela devenoit possible, passer dans le port neuf, affecté aux bâtimens chrétiens. Nous savons maintenant que ceux-ci sont reçus, comme les vaisseaux des Mahométans, dans le port vieux; réforme heureuse, qui est un beau reste de l'influence de l'expédition Française sur les usages de l'Égypte. [13] C'est bien l'entrée du port d'Eunoste que Strabon veut désigner, lorsqu'il dit occiduum etiam ostium (waduction Latine), &c., et non la passe occidentale du grand port, entre / Diamant et le phare; car il vient de parler de ce grand port, comme du havré par excellence, ou du double port formé par la position de l'ile Pharos : ancipitem ad cam portum faciens. W décrit l'entrée étroite du levant, et ensuite celle du couchant, occiduum. Les djermes sont de petits bateaux à quille et à voiles latines, non pontés, qui viennent par mer des bouches du Nil. Cependant elles entrent rarement dans le port vieux. | On peut remarquer, pour la détermination de la forme et de l'étendue du port d'Eunoste, que Strabon ajoute, dans sa description, que ce port étoit placé avant, où devant, le port fermé et creusé de main d'homme; c’est-à-dire, le port Kibôtos, que nous verrons ensuite. Il dit devanr, parce qu'il vient de parler de l'ile Pharos, qui est au nord; car il insiste ailleurs de cette manière : « En par- » tant de l'Heptastadium, ce qui signifie, du côté du grand port, se trouve le port » d'Eunoste, et au-dessus de celui-ci est le port creusé, appelé aussi Crhotus. » Puisque ce dernier étoit creusé (dans les terres, sans aucun doute }, et qu'il est tantôt au-dessous, tantôt au derrière du premier, il est évident que l'Eunoste étoit borné de ce côté par la saillie que forme encore l'enceinte Arabe actuelle, et par quelque môle ou autre construction qui fermoît le petit port Awôtos, Sï: l'Eunoste lui-même eût été directement fermé par quelque grand ouvrage de ce ; : : 4 . : D genre, Strabon nauroït pas manqué de le dire, comme il le fait pour le Kibôtos, D'ALEXANDRIE ET DE SES ENVIRONS. CHAP, XXVI, 7 dont le môle étoit bien moins considérable. Ces remarques concourront en même temps à déterminer l'emplacement de ce second bassin. | Je ne m'attacherai point ici, non plus que dans le reste de ce Mémoire, à rele- ver les erreurs de topographie , ou de toute autre espèce, des écrivains ou voyageurs qui se sont occupés d'Alexandrie : il suflira de faire remarquer ces erreurs et d'indiquer les principaux argumens qui les détruisent, lorsqu'elles auront formé une autorité de quelque importance. [14] Pour se faire une idée de la rapidité des retours d'Europe dans le port d'Eunoste, il sufhira de dire que nous avons vu, pendant lété, des brigs venir des côtes de la Provence en quinze, douze et même neuf jours de traversée. PORT KIBÔTOS. [15] Les Arabes, en resserrant l'enceinte qui, avant eux, renfermoit le port Kïbôtos, ont pu continuer de s’en servir pendant quelque temps , et profiter des commodités que cet établissement leur offroit : aussi ont-ils retourné en ce point la direction de cette enceinte vers le sud-est, en formant encore de ce côté une espèce de croissant qui embrassoit ce petit port; aussi y a-t-il là une issue prin- cipale de la ville Sarrasine, qu'on a nommée porte des Catacombes. [16] Les vents et les courans régnans tendent toujours à combler les anses par l'effet des remous qui s’y rencontrent. [17] Strabon, en disant que le Xôtos étoit fermé, indique qu'il l'étoit vraisem: blablement par art, ou parce qu'on avoit eu soin de laïsser subsister dans les fouilles du rocher, au bord de la mer, une arête servant de noyau à la digue de clôture. C'est pour cela que j'ai supposé une jetée ou môle qui avoit quelque éten- due, quoique j'aie appelé étroite l'ouverture de la petite vallée du Xï4étos dans la mer. Ce môle étoit donc indispensable pour fermer hermétiquement ce bassin et le garantir des vagues de la haute mer qui y frappent directement. [18] Léon d'Afrique écrivoit au commencement du xvi.° siècle; ce qui feroit supposer que labandon total du port X#6tos, que j'ai expliqué dans le texte, n’a eu lieu que depuis l'invasion des Turcs en Égypte. Cette supposition est aussi d'accord avec la formation de la s/le moderne et la désertion de l'enceinte Arabe. [19 | Je parlerai aïlleurs de l'embouchure du canal navigable de Xïbôtos dans celui du Nil et dans le lac Mureotis, et du grand commerce qui se faisoit par cette communication. | [20] On trouve, dans les observations que nous avons faites pour la déter- mination du port d'Eunoste, et dans l'emplacement que j'adopterai pour l'origine de l’Heptastadium qu'on voit sur l'A/exandria restituta, plusieurs raisonnemens qui, sans former pétition de principes, concourent encore à confirmer le choix que j'ai fait de la position du port Atbôtos. Ainsi, cette origine du môle de sept stades étant plus enfoncée dans les terres, suivant la direction sud-ouest, que le croissant des murailles Arabes, et Strabon disant, Deinde à Septemstadio est Eunosti portus, et supra hanc Cibotus, celui-ci, qui étoit creusé dans ces terres, ne peut guère l'avoir été dans le roc vers Rhacotis, Cependant je ne puis dissimuler qu'un petit nombre 8 APPENDICE À LA DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS de voyageurs modernes placent ce dernier port dans l’enfoncement où se trouve l’aiguade : on peut juger maintenant ces deux hypothèses. [21] Le surnom de zaximus ‘donné au port neuf que nous avons déjà aperçu, et dont on peut comparer la surface , donne occasion de remarquer, en général, sur tous ceux qu'on voit ici, que le port d'Eunoste, évidemment plus grand que le port neuf pour les usages de notre marine actuelle, ne l'étoit pas pour les habi- tudes des anciens, et qu'ils appeloient ports des lieux plus abrités, plus circonscrits et plus resserrés à l'entrée par la nature ou par l'art, comme ce que nous appelons aujourd’hui /assin. Ce qui le prouve, c’est qu'ils distinguoïent , dans notre port vieux luimême , l'Eunoste et le X6&os, vers cet enfoncement en dehors duquel mouillent hardiment aujourd'hui nos grands vaisseaux. Notre port actuel étoit donc, en grande partie, une rade pour les anciens. ÎLE PHAROS. [22] Si les peintures des catacombes sont réellément des arabesques , comme je -crois me rappeler que quelques-unes paroïssoient l'être, ce seroit seulement des dessins modernes sur un ouvrage antique. [23] Le livre mm de {4 Guerre civile et celui de / Guerre d'Alexandrie nous reportent à la fin de la 3. période de l'Aperçu chronologique et général, appro- chant du siècle de Strabon. Le mot hique qu'emploie César en parlant des pira- teries des Pharites , prouve qu'elles ne se bornoïent pas à la côte de l'île, mais qu'elles s’étendoiïent sur tous les parages de l'Égypte, et, par conséquent, que ces pirates étoient marins : aussi Verrons-nous, dans /7 Guerre d'Alexandrie, qu'ils avoient un port assez grand dans l’île Pharos. Le bourg dont parle César pouvoit être aussi considéré comme un faubourg ‘par rapport à la ville d'Alexandrie , attendu qu’elle étoit liée sans interruption à l’île Pharos par un pont ou levée, comme nous lé verrons. [24] Hirtius Pansa, consul, compagnon de César dans les guerres qu'il a dé- crites, écrivoit pendant ou peu après la guerre d'Alexandrie, de sorte qu’il fournit sur cette ville des renseïgnemens très-précieux, maïs moins exacts et moins précis que ceux du géographe Strabon. I ne survécut à César que d’une année. La chaîne de tours presque contiguës qui composoit l'enceinte du bourg de Pharos, qu'il décrit et qui devoit représenter une espèce de feston, formoit un genre de fortification assez singulier. On sent que, d’après la manière dont les anciens attaquoient et défendoïient les places, méthode qui leur faisoit faire de part et d'autre un grand usage des tours, ils n'avoient pas toujours besoin, comme nous, de grandes courtines; que ces parties de fortification, au contraire, se trouvoient très-foibles, et qu'en les raccourcissant ou en les faisant disparoître presque entière- ment, comme ici, ils augmentoient beaucoup la résistance. Le bourg du Phare devoit donc être très-fort, comme le prouve d’ailleurs assez la manière dont les Romains s'en emparèrent. Les renseignemens qu'Hirtius fournit sur la hauteur de quelques maisons de Fîle Pharos, sont intéressans, en ce qu'ils donnent une idée des habitations des Alexandrins. Sur trente pieds d’élévation, il pouvoit y avoir D'ALEXANDRIE ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. 9 avoir au moins un étage au-dessus du rez-de-chaussée. I est rare que les maisons modernes de ce pays en aïent davantage. Les Européens ont fait construire un lazaret sur le monticule du bourg de Pharos. On voit aussi, par les citernes, les catacombes et les restes de maçonnerie dont il est question dans ma description, que toute l’île étoit habitée. Son inté- rieur ofire moins de ruines que ses bords, parce qu'on Fa plus travaïllé pour y pratiquer un peu de culture. Il paroît bien, d’après Hirtius et les autres auteurs, qu'il y avoit, outre le bourg, des maisons de plaisance et des bâtimens dépendans du port d'Eunoste, qui s'étendoit le long de la partie occidentale de l'île. L'eau du Nil, nécessaire à toutes ces habitations, y étoit amenée par un aqueduc qui traversoit l'emplacement de la ville moderne. [2 25] Homère, selon les marbres d’'Arundel, florissoit environ neuf siècles avant J. C., par conséquent quatre cents ans avant Cambyse et cinq cents ans avant Hérodote. Aïnsi ce qu'il dit de lle Pharos, nous peint un état des lieux antérieur à tout ce que nous en connoissons, et qui se rapporte à notre 1."° pé- riode. Fomère est non-seulement le plus excellent des poëtes, maïs encore un des meilleurs géographes et historiens de l'antiquité; et, quand on veut rechercher des renseignemens sur la géographie et l'histoire des temps les plus reculés, on est presque toujours obligé de recourir à lui. Il avoit voyagé en Égypte, suivant Diodore de Sicile. __ [26] Protée, roi de la basse Égypte dans le temps de la guerre de Troie, retint Päris et Hélène, jetés par la tempête sur cette côte. H étoit sage, adroit, dissimulé, prudent : de là viennent cette supposition qu’il connoiïssoit avenir, et ses méta- morphoses inventées par les Grecs. Ammien Marcellin parlera aussi de lui dans ce qu'il nous apprendra sur le phare. [27] La distance donnée par Homère de l'île Pharos au Nil pouvoit s'en- tendre de la branche principale, qui, selon Hérodote, est celle du milieu, par laquelle le Delta se trouve coupé en deux parties. On peut juger, par le passage suivant d'Hérodote, du peu de longueur de la mesure itinéraire qu’on appeloit Journée de navigation. « D'Heliopolis à Thèbes, » on remonte le fleuve pendant neuf jours; ce qui fait quatre mille huit cent » soixante stades, c'est-à-dire, quatre-vingt-un schœnes (1).» Il s’ensuit qu'il évalue la journée de navigation à cinq cent quarante stades. Pline, qui mourut environ soixante-dix ans après Strabon, et dont l’érudition paroît si vaste dans son étonnant ouvrage, avoit, par conséquent, de bons rensei- gnemens sur ces localités : mais, outre qu’il fait la journée de ReNIBAON de vingt- quatre heures, il fait remarquer encore que c'est de la marche à la voile qu'il s'agit. Il est vrai qu'il établit sa distance en question entre l'ile Pharos et la terre d'Égypte, et non pas le Nil. Mais ce fleuve portoit du (bé d'Homère le nom d’'Ægyptus, qu'il a donné au pays lui-même, avant qu'il eût pris celui de M7 d’un de ses rois appelé N/éus. (Selon Diodore, ce Niléus fut successeur de Mendès, et passoit pour avoir donné son nom au fleuve qu'on appeloit auparavant Æo yptus. ) (1) Æist. lib. 11, S. 0. À; D: QE 10 APPENDICE À LA DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS Or cette manière de lire Homère n'est-elle pas aussi une explication de l’exacti- tude de son passage! Ne peut-on pas entendre, en effet, que le Delta formoit la terre d'Égypte proprement dite, et que le territoire d'Alexandrie, qui en étoit séparé par des déserts (et même par la mer ou de vastes lacs ), et qui étoit d’une nature toute différente, ne faisoit pas essentiellèment partie de ce pays cultivé! Quand je traiterai de l'origine du lac Mareotis et du sol qui l’environnoit au loin, on verra qu'ils ont pu être formés par la même loi générale que le Delta et le reste de l'Égypte ; par conséquent, la distance d' Homère ou de Pline, sion veut entendre par rapport au continent Égyptien en général, pouvoit, dans un temps très-reculé, se prendre directement en face de l’île Pharos jusqu'au-delà du fond sud-est actuel du lac Mareotis (1). [28] On peut comparer la forme ancienne de File avec celle de la presqu'île actuelle dans les trois planches que nous suivons continuellement, 44, r et #2. I faut bien que le prolongement naturel de cette île vers la tour du phare par une chaîne de rochers ait existé, et que le prolongement artificiel qu'on voit au- jourd'hui ait été un médiocre ouvrage dans l'antiquité | si toutefois il y en avoit alors un de cette espèce ), puisque les auteurs n'en parlent pas, ce qu'ils n’auroïent pas manqué de faire, si c’eût été une grande construction; puisque, d’un autre côté, l'on sait que la tour antique du phare étoit sur un rocher fe, et que tous les auteurs indiquent que le môle de l'Heptastadinm, que nous verrons bientôt, aboutissoit du continent au corps de la grande île Pharos proprement dite. [29 | Diodore écrivoit à Rome sous Auguste, et il a vécu sous Jules César. H dit lui-même qu’?/ étoit en Egypte du vivant de Prolémée-Aulètes, Son témoignage sera donc d’un très-grand poids dans tout ce Mémoire, et particulièrement dans Ja recherche qui nous occupe : car, quoïque cet auteur aïme beaucoup les récits fabuleux, on remarquera qu'il n’est point question ici de détails de cette nature; il s'agit seulement du sens que doit avoir donné à ses expressions un homme qui avoit vu le port d'Alexandrie. Sous ce rapport et sous celui des temps, je rangerai toujours Diodore avec Jules César, Hirtius et Strabon. De plus, cet historien a l'avantage, relativement aux faits plus anciens, d’avoir joint à ses propres obser- vations des renseïgnemens puisés dans Hécatée de Milet, qui avoit voyagé en Égypte sous le règne de Darius fils d'Hystaspe, peu après Cambyse et bien avant Hérodote. Nous verrons encore par Îa citation des paroles mêmes d'Hirtius, « que file » du Phare opposée à Alexandrie forme le port» (c'est-à-dire, le port par excel- lence, ou le port neuf actuel ); que, de quelque manière qu'on dirige la digue qui la séparoit de l'Eunoste (lÆeptastadinm ), falloit, pour que cette expression forme fût juste, que le corps de File eût au moins un prolongement étroit tel que je le suppose. [30] La mer a gagné de tous côtés sur l'ile Phares, excepté celui du midi, vers le fort Turc. Les restes de maçonnerie qu'elle couvre maintenant dans tout le pourtour de l'île, prouvent la destruction continuelle de la côte. (1) Voyez la carte hydrographique, vol. 1, pl. 10. D'ALEXANDRIE ET DE SES ENVIRONS. CHAP, XX FI. [LT On peut parcourir dans toute son étendue l’écueil à Heur d’eau qui borde, à vingt-cinq ou trente pas de distance, le contour du cap des Figuiers. Cet écueil est élevé de quelques pieds au-dessus de l'eau. G’est un rocher de grès calcaire précisément de la même nature que ceux qui forment le noyau de File : sa partie la plus tendre ayant été réduite en sable par l’action des eaux, il ne reste que le squelette, en quelque sorte, de la portion de l'île qui s’avançoit jusque là, et peut-être encore plus loin. La preuve que ce banc servoit autrefois de base à une partie de l’île, sur laquelle il existoit même des habitations, se tire aisément des restes de citernes taillées dans le roc, que l’on y trouve encore revêtues de leur enduit. Nous avons vu qu'il y avoit aussi de ces citernes sur le côté occi- dental de l'ile. On voit aussi, dans la petite anse sablonneuse des pirates Pharites, beaucoup de végétaux marins desséchés, et qui marquent par un gros bourrelet la laïsse de la mer; ce qui prouve encore que les courans et les vents régnans qui longent cette côte à peu près de l'ouest à l'est, et même les vagues qui usent les récifs placés en avant, parce qu'ils leur présentent de la résistance, tendent sans cesse à combler dans cette partie les enfoncemens de la côte. Cette tendance concourra à nous expliquer comment ce dernier espace reculé, entre le prolongement de l'ile et le sol de la ville antique, s’est facilement rempli. On a pu même y établir un grand cimetière Turc et beaucoup de maisons. Il y a encore un moulin à vent sur la plage basse et sablonneuse de la petite anse. Un établissement de cette espèce en Égypte est une chose remarquable, mais moins à Alexandrie, qui est une ville plus Européenne que les autres. Les Français en ont établi un seul dans l'ile de Roudah, près du Kaire. Celui d'Alexandrie a huit aïles, qui forment une espèce de plan circulaire offert presque tout entier à l’action du vent, dont une moindre partie se trouve ainsi perdue. Tout le sol de File, son extrémité rocailleuse et aujourd’hui couverte de dé- combres, et celle qui se lie à la ville moderne, ont donc toujours formé une plage basse, blanchâtre, couverte d’une petite quantité de sable très-peu fertile, mais rendu productif à force d'art par les anciens Alexandrins. Maintenant même ce terrain, presque entièrement abandonné, paroît très-bien convenir, par la réver- bération qui s'y opère de la chaleur du soleil, à la culture de quelques figuiers que nous y trouvâmes. Leur végétation étoit très-active. On les enveloppoit d’une palissade de joncs et de branches de palmier, qui les préservoit des vents de mer, des coups de soleil et du pillage : ils recevoient par le haut les pluies et les rosées abondantes de l'été. Quelques voyageurs ont vu même semer une petite quantité de blé sur le peu de terre végétale qu'on trouve dans cette partie. Les figuiers ont été détruits dans les dernières guerres; mais il sera aisé de juger du parti que les anciens avoïent tiré de la végétation pour lembellissement de leurs maisons de Phuros par ce qu'ils avoient fait autour d'Alexandrie. C’est immédiatement sous cette couche meuble que se trouve la roche tendre, calcaire, et semblable à celle de la côte. On remarque pendant l'hiver, dans une À, D. aire 1 2 APPENDICE À LA DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS partie de la surface, un bassin d’eau salée qui sèche au printemps, et fournit en été un sel assez abondant. Les Français avoient placé des batteries à la pointe de la presqu'île. On ne pouvoit, vu la distance, attendre un grand effet de leur correspondance avec celles du Marabou. Les anciens, dont les machines portoient bien moins loin que notre artillerie, préféroient la clôture étroite du port neuf; et nous verrons aussi que c'étoit-là leur port principal. [31] est difficile d'accorder, à l'égard de la reconstruction des établissemens de l'ile PAaros, le texte de Strabon avec celui de Pline et de Solin, qui l'appellent une colone du dictateur César. H est vrai que Solin est venu bien peu après Pline et la copié; car il écrivoit, jeune encore, pendant la vieillesse du naturaliste Romain : mais il est vraisemblable aussi que tous les deux, ayant vécu bien après Strabon (puisque Pline mourut environ soixante-dix ans plus tard que luï ), auront trouvé la colonie grossie et ayant déjà repeuplé file, tandis que du temps de Strabon elle étoit encore à sa naïssance et se bornoït au petit nombre de ma- rins dont il fait mention. Voici la phrase laconique de Pline : Zusula juncta ponte Alexandriæ, colonia Cæsaris dictatoris, Pharus, M étoit naturel qu'il présumät que cette nouvelle population avoit été établie par Jules César, qui, à la fin de toutes ses guerres, « fit transporter, dit Suétone, quatre-vingt mille citoyens Romains » dans les colonies au-delà de la mer. » TOUR DU PHARE. [32] Si les expressions de Strabon, qui avoit vu les lieux, et qui est ordinaï- rement fort exact, sont justes {’/psum aded insulæe promontorium est petra quædam mari Circumdata, turrim habens rc. ), elles confirment l'existence, autrefois, de ce prolongement de l'île par la chaîne de rochers dont j'aï parlé, et elles indiquent en même temps que la distance du plateau du phare à File Pharos étoit si petite, qu'on pouvoit considérer ce plateau comme faisant partie de l’île; que, d’un autre côté, il a dû y être joint par quelque ouvrage d'art, dont la digue actuelle qu’on voit sur les planches 31 et #/ seroïit la suite; mais que cet ouvrage d'art étoit anciennement assez peu considérable pour que Strabon n’en eût pas fait mention, ou plutôt qu'il n'a été commencé qu'après lui. Les détails de la guerre de César à Alexandrie ne sont point contraires à cette hypothèse. Toutes ces remarques sont nécessaires pour concilier les auteurs anciens, qui considèrent le rocher de la tour, tantôt comme un îlot séparé, tantôt comme une partie de File Pharos elle-même. (Elles serviront aussi quand j'examinerai la digue actuelle en particu- lier.) Effectivement, le Commentaire de César de Bello civil dit positivement » que la tour du phare est dans l'ile Pharos, d'où elle a pris son nom. » Josèphe dit aussi « que cette // supporte la tour. » [33] Les constructions que cet historien Juif suppose, ne sont pas dénuées de fondement, malgré la profondeur actuelle de l’eau, sur-tout du côté de la passe du port neuf. La mer a détruit les bases de ces maçonneries; mais le fond a pu D'ALEXANDRIE ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. 13 autrefois se trouver à la portée des constructeurs, et ils avoient sans doute des méthodes de fonder en mer analogues ou équivalentes aux nôtres. ti [34] Il est vraisemblable que les habitans d'Alexandrie, en faisant les excava- tions de leurs immenses catacombes et de leurs citernes, en tiroient la pierre qu'ils employoïent, suivant ses différentes qualités, aux diverses parties de leurs constructions nouvelles. Cependant les revêtemens apparens et soignés de leurs édifices étoient formés de cette pierre #umismale d'une nature analogue à toute celle du voisinage, et dont on trouve encore de si beaux blocs dans les construc- tions de la ville Arabe. Cette pierre, au poli, est ou devient d’un jaune assez roux, et non pas blanche, comme celle dont parle Strabon. Mais le plateau du phare peut aussi avoir fourni à la construction de sa tour; car il est évident qu’on la exploité pour en aplanir les fondations, ou au moins pour construire le château moderne. On y voit beaucoup de traces de cette exploitation. [35] 1 me semble d'abord que ce ne sont pas les ligatures mêmes des pierres de la tour, dont parle le géographe de Nubie, qui étoient en plomb, et que ces sortes de crampons auroient été trop foibles et presque sans effet. Cependant, si les liens eussent été en fer, seulement scellés en plomb, il est probable qu'il n'auroït pas manqué de nommer aussi le premier de ces deux métaux, qui faisoit la principale force de la liaison. Il est donc très-possible que ces attaches fussent analogues à celles que nous avons trouvées dans de vieux murs d’un temple de Thèbes, et qui consistoient en une espèce de clef en bois, terminée à chaque bout par une queue d’aronde, et logée dans une entaille faite par moitié dans chacune des deux pierres contiguës, et qu'elles fussent scellées avec du plomb, seul métal que le géographe aura cité, comme indiquant [a force, le soin et la dépense qu'on avoit réunis dans cet ouvrage. [ 36 | Bélidor admet huit étages dans la hauteur totale de la tour du phare; mais je ne sais où il a puisé ce renseignement sur leur nombre, non plus que la longueur de cent quatre toises qu'il a donnée à chaque côté de la base. I est vraisemblable qu'il est parti de la comparaison qu'on avoit dit pouvoir être faite entre la grandeur de la tour du phare et celle des pyramides d'Égypte. Effecti- vement, la grande pyramide, à laquelle nous avons trouvé sept cent seize pieds six pouces de longueur totale sur chaque côté de sa base, avoit été mesurée ou estimée précédemment par plusieurs voyageurs, et quelques-unes de leurs évaluations se rapprochoïent de ce nombre de cent quatre toises. D'autres enfin ont donné cette valeur au stade employé par le scholiaste, au lieu de quatre-vingt-quinze toises. On peut juger maintenant par-là, et par ce qui est dit dans le texte, de l’immensité de l’ancien édifice du phare, puisque l'enceinte du fort actuel, dont la surface est beaucoup plus petite, paroïît aussi grande qu’une ville ordinaire, et qu’elle pourroit contenir presque tous les habitans d'Alexandrie moderne avec une nombreuse garnison pour le défendre. [37] La mesure de trois cents coudées donnée par le géographe de Nubie n'est qu'un -peu-près. Le doute qui en résulte est encore augmenté par l’indéter- mination de l'espèce de coudée dont il s'agit ici, et l’on saït que la coudée a varié à I À APPENDICE À LA DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS l'infini dans les différens temps et les divers pays. De plus, le géographe égale les trois cents coudées à cent statures d'homme, tandis qu'ordinairement on comptoit quatre coudées dans cette dernière mesure. Caylus prétend que la coudée Egyp- tienne, que Fréret, d’Anville et Baïlly ont égalée à vingt pouces six lignes, augmenta sous les Ptolémées, sous les Romains et sous les Arabes. D'autres antiquaires conviennent quelle varia en différens temps ; que le schœne n'avoit pas la même valeur par toute l'Égypte : Strabon, en effet, le dit expressément. Je ne m'enga- gerai donc point ici ni ailleurs dans les difficultés des systèmes propres à accorder entre eux tous ces auteurs anciens, qui d'ailleurs peuvent n'avoir pas été exacts dans leurs mesures, ou même avoir été altérés dans leurs textes. Je n’aborderai ces questions que lorsque la détermination de la nature, de l'emplacement ou de la forme d’un objet important dépendra absolument d'elles : dans tout autre cas, ne nous sufhra-t-il pas de savoir que cet objet étoit plus ou moins considérable, que tel auteur ancien lui donne telles dimensions en stades, coudées, &c. ; qu'un autre auteur moderne suffisamment accrédité les évalue à tant ! [38] I ne faut pas prendre les expressions de Josèphe à la lettre, lorsqu'il dit que les feux du phare éairoient les navigateurs jusqu’à trois cents stades. Cette distance seroit de vingt-huit mille cinq cents toises, ou dix lieues marines de vingt au degré. On doit entendre seulement de ceci et de tout ce que disent à cet égard les divers auteurs, que la lumière du phare pouvoit géométriquement se distinguer à cette distance. En effet, ces trois cents stades ne s’éloignent pas excessivement du résultat de vingt mille huit cent soixante-huit toises que le calcul m'a donné. Je ne reviendrai pas ici sur tout ce qui a été dit de merveilleux ou seulement de vraisemblable sur la hauteur de la tour et sur la distance à laquelle on aperce- voit sa lumière : maïs il est encore une fable Arabe à ce sujet, qui s'est trop accré- ditée pour être passée entièrement sous silence. Les Orientaux prétendent que les Grecs avoient placé au haut de la tour une grande glace d’acier poli, qui réflé- chissoit l'image des navires qui arrivoient, avant qu'ils fussent visibles à l'œil. Mais ce miroir, pour répéter les objets cachés sous l'horizon, auroit dû être placé beau- coup plus haut que l'œil de l'observateur, qui se trouvoit déjà fort élevé au sommet de la tour. En quoi pouvoit:il être utile de découvrir un peu plus loin qu’on ne faisoit naturellement du haut de cet observatoire! Les objets devoient déjà paroître fort vagues à l'œil nu , à vingt mille huit cent soixante-huit toises de distance, et un miroir ne pouvoit évidemment les éclaircir. [39] 1 paroît que c'est avec un feu ordinaire de bois qu’on éclairoit le phare d'Alexandrie; on a long temps employé le même moyen en Europe, jusqu'à ce qu'on ait imaginé l'usage d’un grand faisceau de lampes à double courant d'air, placées sur une pyramide à plusieurs faces, alternativement éclairées et obscures, et tournant sur un axe vertical, au moyen d’une horloge ; de manière qu'il en ré- sulte une lumière intermittente, qui ne peut pas être confondue par le navigateur avec celle des astres ou d’un autre point du rivage, ni occasionner aucun des fu- nestes accidens que produisent ces méprises. Aussi Pline dit-il: Perrcudun in corrivu- D'ALEXANDRIE ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. I $ tione (ou continuatione, où même coruscatione ) ignium, ne sidus existimetur, quoniam è donginquo similis flammarum aspectus est. ( Les navigateurs trompés, se dirigeant ailleurs, alloïent se jeter dans les sables de la Marmarique.) Il ajoute que de son temps il existoit en plusieurs endroits des phares semblables à celui d'Alexandrie, et il cite ceux de Pouzzol et de Ravenne. Il y en avoit encore sur le bosphore de Thrace. Suétone dit positivement que l'empereur Claude fit construire le phare d'Ostie sur le modèle de celui d'Alexandrie. Maïs malheureusement nous n'avons pas de description plus détaillée du premier que du second. Hérodien, historien Grec du 11.° au ui.° siècle, nous en fait cependant connoître la forme générale, en les comparant aux catafalques composés d’une suite de prismes posés en retraite les uns sur les autres; ce qui complète l'idée donnée par le géographe de Nubie. | La tour de Cordouan et tous les phares modernes furent depuis élevés à l'instar de la tour antique. H est curieux de faire un nouveau rapprochement de notre magnificence en constructions avec celle des anciens, quoique ces comparai- sons soient souvent à notre désavantage. Le rocher sur lequel repose la tour de Cordouan peut avoir, en basse mer, cinq cents toises de long et deux cents de large : il est environné d'écueïls, que l’eau de la mer couvre de trois ou quatre pieds. L'édifice fut commencé sous Henri II, à une-époque où les arts, apportés d'Italie, commençoient à agrandir nos idées, et achevé sous Henri IV. Le feu étoit aperçu, lors de la première réparation qui y fut faite en 1720, et dont la marine étoit satisfaite, à deux lieues en mer. { On voit donc l'inutilité qu'il y avoit à ce que la lumière de celui d'Alexandrie portät si loin, et l’on apprécie l’exagé- ration des historiens à cet égard.) La tour de Cordouan avoit alors cent soixante- quinze pieds de hauteur, depuis la base jusqu'à la girouette ; il y avoit quatre étages d’appartemens où chambres, et le diamètre du massif qui formoit le soubas- sement étoit de vingt-une toises. On a encore élevé le sommet de la tour et la lanterne dans ces derniers temps ; maïs on voit aisément que ce phare, qui étoit, il y a cinquante ans, plus beau de l'Europe, est bien inférieur à la merveille d'Alexandrie. [ 40 ] J'ai porté le prix qu'avoit coûté la tour à deux millions quatre cent mille francs, en évaluant le talent sur le pied de la monnoïe d'Athènes; car les Romains se servirent du talent Attique. Si on le rapportoïit à la monnoïe d'Alexandrie, ce seroit presque le double. [41] Pline attribue encore au même architecte dont il parle la construction de promenades suspendues à Cnide, sa patrie. Philadelphe, le second des Prolémées, fut celui qui éleva Alexandrie au plus haut point de prospérité, comme nous aurons occasion de le voir par l’ensemble des faits contenus dans ce Mémoire. Plusieurs grands monumens de sa magnifi- cence portoient son nom, entre autres, et le plus important de tous sans doute, le canal de la mer Rouge, qu'il fit achever, et qui s'appela feuve de Ptolémée. Lucien, littérateur Grec, et par conséquent ami des fables, mourut en l'année 180 de J. C., la première de Commode. Comment se trouve-til le seul qui 16 ‘APPENDICE À LA DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS raconte la ruse de Sostrate, tandis que des géographes Romains, qui avoient visité les lieux long-temps avant et peu après la réduction de l'Égypte en province de l'Empire, n'en parlent pas! I] faudroit supposer, pour établir la vérité du fait, que lenduit placé par Sostrate sur son nom, et qui avoit résisté sans altération sous les Prolémées et pendant plus de trois siècles, étoit tombé presque subitement entre l'époque de Pline et celle de Lucien. Comment se fait-il maintenant qu'Amimien Marcellin ait dit que la haute tour du phare, car il la désigne aïnsi, comme tous les autres auteurs, avoit été bâtie par Cléopatre, la dernière des monarques de la dynastie des Ptolémées! {Il est probable du moins que c'est de celle-là qu'il veut parler.) Je ne puis disconvenir que cette assertion ne s'explique par l'incertitude que la tromperie attribuée à Sostrate auroit pu Jeter sur le véritable fondateur ; incertitude qui auroiït régné du temps de Lucien et d'Ammien Marcellin, celui-ci auteur de la fin du 1v.° siècle : mais cet écrivain est démenti dans ce qu'il avance ici par tous ceux qui l'ont pré- cédé, et qui attribuent la construction du phare au second Ptolémée. [42] Le château actuel du phare, dont on voit les dessins E, M. pl. 87 est composé d'une grande enceinte, dont le fort n’occupe qu’une bien petite partie, et nous avons vu que cette enceinte elle-même étoit beaucoup moins spacieuse que le soubassement du phare Grec, comme aussi la surface du rochér est moins étendue qu'autrefois. On voit encore les maisons que les modernes y ont cons- truites à limitation des anciens : mais, par suite de ces réductions, et d’après les expressions du géographe de Nubie, on conçoit que les maïsons antiques ou celles qui leur avoient succédé de son temps, étoient placées dans l'intérieur de la tour même ou de son soubassement; ce qui achève de donner une grande idée dé sa masse. Les Français ont détruit ces habitations et même des rues qui s’y trou- voient, de manière à en faire un fort bien défendu par trois enceintes. Ce fort carré et très-symétrique ressemble beaucoup à nos anciens châteaux seïgneuriaux. II y a effectivement beaucoup d’analogie entre ces constructions gothiques et celles des Sarrasins du temps des croisades, époque où l’Europe et l'Orient communi- quèrent fréquemment ensemble. Sa forme est très-agréable et d’un bel effet en perspective. Le minaret est grêle et très-élevé; il appartient à une mosquée ruinée dans le fort. Nous avons inutilement cherché si les Alexandrins avoïent conservé dans la dénomination Arabe de cet édifice une trace de celle de l'ancien phare : mais ils l’appellent seulement gasr [ château fort |; et les Francs, qui ont tout confondu ou dénaturé, le nomment grand pharillon, pour le distinguer de leur petit pharillon placé sur le cap Lochias , au lieu d’avoir donné à celui-ci le nom diminutif et appelé l'autre tout simplement phare. À notre arrivée, nous avons trouvé dans le phare moderne, outre ses maïsons et ses rues, beaucoup de dé- bris de l'ancienne ville, tels que bassins de marbre, tombeaux, colonnes de gra- nit, chapiteaux, &c.; des formes de créneaux d’un genre particulier et qui carac- térisent les édifices Arabes : nous avons vu en batterie, depuis des siècles sans doute, de longues coulevrines dans la lumière desquelles on peut placer le doigt; des débris d’affüts et de canons rongés par le vert-de-gris, épars çà et là dans les fossés ; D'ALEXANDRIE ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. 17 fossés; des boulets de pierre de tout calibre, dont quelques-uns étoïent énormes et nous rappeloient ceux auxquels les Turcs font traverser le détroit des Dar- danelles. On voyoit aussi, dans quelques-unes des salles, de belles mosaïques, des restes d’armures qui remontent peut-être à des temps plus reculés que l'hégire; des casques, des arbalètes, des flèches et de grands sabres. Au surplus, il sera donné une description exacte et détaillée du phare mo- dernè dans le Mémoire de M. Gratien Le Père, comme de tout ce qui concerne Alexandrie depuis le siége d'A’mrou. Mais la comparaison abrégée que nous venons de faire des deux édifices, étoit nécessaire pour faire sentir la magnifi- cence et limmensité du monument antique. DIGUE DU PHARE. [43] Les débris antiques de la digue du phare se trouvent spécialement sur lé côté de cette jetée qui regarde la mer, soit pour le garantir, comme je l'ai dit, soit qu'ils proviennent d’édifices qui existoient entre l'ilot et le château du phare. On rencontre encore beaucoup de fragmens semblables en parcourant les bords du port neuf, à commencer du point où abordent les djermes jusqu’au- près du fort carré qui servoit de magasin à poudre (1). La pierre numismale se trouve aussi en blocs parallélipipèdes. J'en ferai connoître la nature à l’occasion de la tour dite des Romans. [44] Nous verrons par nos remarques sur les fragmens antiques situés sous le quartier des consulats, que les anciens Égyptiens ont pu faire aussi des co- lonnes en granit, puisqu'on en trouve deux façonnées à leur manière : mais ils n'ont certainement pas taillé celles de forme Grecque qu’on rencontre en si grande abondance dans les ruines d'Alexandrie ; et comme on ne trouve d’an- ciennes colonnes Æzyptiennes en granit que celles dont je viens de parler, il est permis de dire qu'elles pouvoient être une imitation du style Égyptien, faite par des artistes Grecs, qui étoient obligés de l'employer, malgré leur répugnance, dans lédifice dont ces deux colonnes devoient faire partie. [45]. Quoique les anciens Égyptiens aient employé le granit avec profusion dans leurs temples et leurs palais de la haute Égypte, on ne trouve plus aujour- d'huï que quelques statues, quelques obélisques, le revêtement d’une salle de Karnak, celui de la chambre de la grande pyramide, quelques niches monolithes, sarcophages, &c. La plupart de ces objets en granit n’ont pu être découverts, extraits ou employés aïlleurs, et voilà pourquoi ils sont restés en place. D'un autre côté, s'il est vraisemblable que ces vieux Égyptiens ont fait des colonnes en granit, les Grecs les ont routes enlevées ou remaniées: c’est pour cela qu'ils n'ont eu qu'à retoucher et n’ont pas exploité eux-mêmes le granit en très-grandes masses, mais seulement pour se procurer quelques colonnes qui pouvoient leur manquer. Les entreprises gigantesques appartiennent donc tout entières à leurs pré- décesseurs, et les ouvrages de goût sont restés le partage des derniers venus. [46] On ne peut pas supposer, comme quelques-uns Font fait, que Ja digue (1) Voyez planche 84. 4. D. * 18 APPENDICE À LA DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS moderne du phare étoit un reste de lantique Heptastadium , que nous verrons dans l'article suivant. Si cette dernière levée, qui se dirigeoït presque du sud-est au nord-ouest, eût formé un coude aussi remarquable aux approches de la tour, les géographes en auroïent certainement parlé. D'ailleurs, la longueur de l’Hepta- stadium se trouveroit considérablement excédée par cette addition , et il n'auroit pas reçu le nom qu'il portoit. La digue moderne est située entre le château et la presqu'île actuelle du Phare, et non entre l'île Phares et le continent, comme l'étoit l'Heptastadium : elle n'a que huit pieds de largeur, et, comme communi- cation principale de da ville à l'île Pharos, qui étoit si peuplée et si commer- çante, elle auroit été trop étroite. Quoique l'Aeptastadium fût aussi un angustum iter (1), il étoit certainement plus large, ne fût-ce que pour le passage des voitures. [47] Dans le même temps où l'Heptastadium s'encombroit, la communica- tion de l’île Pharos avec le phare, par les rochers en avant de Îa digue actuelle, se trouvoit de plus en plus interrompue par la mer. Il aura fallu faire successt- vement des restaurations de la portion de chemin que les anciens avoient en- trétenue près de la tour, ou plutôt une digue nouvelle, qui est celle d’aujour- d’hui : je ne crois pas même que la partie de cette jetée la plus voisine de la ville moderne soit une réparation de l’ancien Æeptastadium. Le genre de construction de sa masse supérieure prouve, aussi-bien que celui de sa base, qu'elle n'est pas antique. Je dois l’examiner avec quelque détaïl par cette raison. Elle est entièrement sinueuse et offre des angles fréquens, Cette disposition a eu pour objet non-seulement de profiter des rochers épars que le sol présentoit, maïs encore d'empêcher le chemin couvert d'être enfilé par l'ar- tillerie, On ne reconnoït pas là cette régularité que les anciens auroient observée. La digue est percée par des canaux qui établissent la communication entre Îa pleine mer et le port neuf. On ne peut pas confondre ces espèces d'aquedues avec les deux votes bien plus considérables qui étoïent pratiquées dans l'Hepta- stadium, pour la communication du grand port et de l'Eunoste. Ces canaux ont été faits pour franchir les interruptions des récifs qui servoient de fondemens, et pour qu'un ouvrage frêle et exposé aux vagues de la haute mer éprouvât moïns de ravage, en leur laissant un libre passage. Au lieu de cela, les anciens auroïent jeté un môle énorme et solide, et se seroïent bien gardés d'introduire des flots agités dans leur port principal, dont le calme et l'étroite ouverture sont d’ailleurs reconnus par toute l'antiquité. Sur les arêtes des revêtemens de Îa jetée, sont élevés deux murs parallèles, dont les directions se composent de l'assemblage de ” plusieurs lignes droites. Ces murs sont crénelés dans le genre mauresque. HEPTASTADIUM. EMPLACEMENT DE LA VILLE MODERNE. [48] D'Anville, malgré sa remarque, qui ne porte que sur la lettre de Strabon, n'a pas dirigé l'Heptastadium dans un sens contraire à celui de cet auteur. Ce- pendant, en admettant une faute dans le texte Latin, on a supposé qu'il falloit y (1) Jul. Cæs, de Bello civili. D'ALEXANDRIE ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. 19 mettre orientalem au lieu d’occidentalem, et rapprocher la direction de lHeptasta- dium de la digue moderne du phare, que quelques personnes croyoïent construite par Alexandre; mais, de cette manière, on ne trouvera jamais sept stades, comme l'indique le mot Æeptastadium, pour la longueur de ce môle, quelque espèce de stade qu'on veuille y employer. [49] D'ailleurs, ce seroit anéantir le port neuf, le principal port des anciens, pour augmenter inutilement la rade du port d'Eunoste, déjà trop grande pour eux. Pourquoi, construisant de toutes pièces une jetée pour joindre l'île Paros au continent et former leur grand port, auroientils sacrifié l'abri qu'ils trouvoient au pied du prolongement oriental de l’île Pharos ! Comment cette île auroit-elle formée grand port, s'ils l’avoïent rejetée en dehors et à l’ouest de l'Heptastadium ! Il est démontré que ce grand port a été beaucoup plus ensablé que l'Eunoste; ce qui prouve encore que ce môle se portoit à gauche de la ville moderne. Strabon le confirme aussi, lorsqu'il décrit un enfoncement formé par chacun des deux ports -contre l'Aeptastadium. Si vous portez la digue tout entière d'un côté des deux ports, alors il n’y a plus d’enfoncement le long / continni ) de ce côté de l'Heptastade. [so] La position des deux arches de l'Heptastadium doit se combiner aussi avec la longueur et la direction de ce môle. Quoique la communication qu'il lais- soit-entre les deux ports n'existe plus, aujourd’hui encore toute la petite naviga- tion, particulièrement celle qui se fait avec Rosette et le reste de l'Égypte, passe par l'entrée du port neuf pour aboutir à Alexandrie. [ 51] Lorsque Strabon 2 dit que l'Heptastade étoit un aqueduc, j'ai cru devoir traduire le reste de la phrase aïnsi, dans le temps où l'ile Pharos étoit habitée, et non pas, attend que l'ile étoit habitée, parce qu'il parle aussitôt après de la dépo- pulation de cette île par César. [52] D'après tout ce que nous avons vu et l’ancienne profondeur générale des eaux, qu'il faut prendre dans les sondes du port d'Eunoste, il est vraisemblable que la digue étoit fondée par enrochement. Les Macédoniens avoient fait depuis peu un mémorable essai de ce genre de construction au siége de T'yr, pour tra- verser un bras de mer de quatre stades de largeur, très-profond, et exposé à des coups affreux du vent d'Afrique. À Alexandrie, ils n’avoient pas toutes ces difh- cultés, mais seulement plus de lonsuent d'ouvrage à faire. J’estime que la profon- deur- d’eau n'étoit que de trente à trente-six pieds dans cet emplacement : aussi n'employèrent-ils pas de bois, comme à Tyr. Ces grands arbres, outre qu'ils au- roïent nui à la solidité d'une construction qui devoit être permanente, auroient trop embarrassé le pied de l'Aeptastadium et encombré les ports. Par les mêmes raisons, leur enrochement ne dut s'élever que le moins haut possible au-dessous de la mer. Des talus ou des retraites en maçonnerie réglèrent les flancs de la digue et le pied des culées des deux ponts, afin que le passage des vaisseaux sous ces voûtes ne fût pas obstrué. Après avoir formé sur une épaisseur suffisante ces culées en bonne maçonnerie, tant pour soutenir l'effort des voütes que pour servir de base aux deux forteresses, ils purent achever le reste de la longueur intermédiaire en pierres perdues et maçonneries de remplissage. Ces culées devoient être un 4. D. er 20 APPENDICE À LA DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS très-grand ouvrage, et tout cet énisemble suppose beaucoup de ressources et de connoïssances de la part des anciens pour les constructions hydrauliques. [53] Il y a plusieurs espèces de stades admises par les géographes pour expli- quer et accorder entre eux les historiens. On a mis trois principaux stades sur les planches que nous examinons. Le plus petit y est fixé à cinquante-une toisés, au lieu de cinquante toïsés et une fraction légèrement variable que leur ajoute d'Anville. Premièrement ce stade n’approche pas du tout du septième de la longueur du mêle donnée par Hirtius. En partant même bien en avant du pied de la butte de Rhacous, vers lequel on doit chercher lorigine de l'Heptastadum, les sept stades de cinquante-une toïses tombent presque au milieu dé la ville mo- dèrne. Ensuite le stade moyen des trois (ou de soïxante-seize toises), que d’An- ville regarde comme suffisamment approchant des neuf cents pas, né s'accorde point avec cette dernière mesure, et le géographe Français est obligé de supposer qu'Hirtius n'a voulu donner qu'un 4-peu-près. Voïlà donc uné première difficulté, qui est l'accord à mettre éntre cet auteur et les autres anciens. Maïnténant il y en a une autre, C’est que d'Anville, ne trouvant pas le stade de cinquante à cin- quante-une toises, qu'on a appelé stade d’Hérodote où dé l'Érypte antique, propre à être appliqué sept fois entre la ville et la masse ancienne de l'île Pharos, à tiré de cette même distance mesurée { comme cela se pratique ordinairement pour conclure les mesures anciennes } une nouvelle espèce de stade, qui est le stadé de soixante-seize toises dont je viens de parler. Maïs ce savant géographe opéroiït sur un plan d'Alexandrie moderne qui avoit été fait par un Français dont il ne connois- soit pas le nom, et les deux points extrêmes de l'Heptastadium étoïent indéter- minés; il lui étoit bien permis, en cherchant à les fixer le plus raisonnablement possible, de partir de cette longueur une fois connue pour déterminer une mesure propre à évaluer ensuite les dimensions de tous les monumens d'Alexandrie: mais ici mon objet est tout-à-fait inverse. Je veux, au moyen d'un stade connu, trouver l'emplacement de la digue; et, d'après ce qui précède, il est évident que je ferois un cercle vicieux si je voulois conclure immédiatement quelque chose que ce fût, dans mes recherches sur Alexandrie, en me servant du stade de d'An- ville; tandis que je trouve le stade Olympique de quatre-vingt-quinze toises, qui s'accorde parfaitement-avec les neuf cents pas d'Hirtius, déterminé d'avance et propre à déterminer lui-même les autres objets que je recherche. D’Anville recon- noît ailleurs que ce dernier stade étoit le plus usité du temps de Strabon. De plus, n'est-il pas particulièrement naturel ici que les Grecs parlant d'Alexandrie, ville Grecque, et sur-tout de l'Heptastadium , ainsi nommé d'un mot pris dans leur langue, Aepta, entendissent se servir du stade Grec! D’Anville dit bien que celui qu'il semble avoir inventé étoit connu dans l'antiquité; mais il ne l’étoit pas assez généralement pour qu'on püt lui appliquer ces dernières considérations. [ sÂ] Les sept stades, de la manière que je les dirige, tombent bien perpendicu- lairement sur le rivage méridional de l'île Pharos. Pourquoi auroït-on toujours dit, dans l'antiquité, que la distance de cette île au continent étoit de sept stades ou neuf cents pas, s'il falloit suivre une direction oblique, comme font fait D'ALEXANDRIE ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. 2H plusieurs auteurs, pour trouver ces nombres! Cette manière d'interpréter feroit trouver toutes Îes mesures possibles. Les anciens ne pouvoïent, au contraire, en- tendre par ces expressions qu'une distance perpendiculaire à l'axe de la digue ou au rivage, s’il étoit uniforme; ou bien, s’il ne l'étoit pas, à la partie de sa masse la plus rapprochée du continent, comme j'en aï supposé une formée par le crochet occi- dental de l'ile. Ce stade Olympique, Æ plis grandde tous, dirigé vers la tour du phare, est bien loin d'y atteindre; il confirme donc mes conjectures sur les deux digues distinctes de l'Heptastadinm et des rochers du phare , et il tombe entièrement dans les eaux du grand: port. [ss] La citerne que l'Heptastade, aligné sur le phare, rencontreroit, n’a pas des caractères tels, et n’est pas un objet si considérable, qu'ils doivent trop influer sur la détermination d’autres points plus importans. D’abord il est peu probable qu'on l'ait construite dans le môle même, à cause de la difficulté de cette cons- truction, de la profondeur et de la largeur qu’elle auroît exigées dans cette digue étroite : or elle doït être très-spacieuse, puisqu'elle servoit abondamment à la population de la ville moderne et à la garnison d'Alexandrie, pendant le siége, à la fin de l'expédition Française. D'ailleurs les anciens pouvoient s’en passer en tenant des réservoirs aux deux extrémités de l’Heptastadium, qui ne servoit que d'aquedne, et non de citerne; ce que les géographes soigneux, comme Strabon, n'auroïent pas négligé de nous dire. Enfin le chemin étroit du dessus de la jetée ne présentoit pas un espace sufhisant pour les abords et le service d’une citerne. Je pense donc que l'origine de celle-ci est bien postérieure au temps de Strabon et à la durée du môle. Elle ne présente qu'un petit orifice circulaire assez mesquin, et qui ne laisse apercevoir autour de lui aucune apparence de belle antiquité. Per- sonne, que je sache, n'y est descendu; il seroïit cependant curieux de la visiter et de déterminer par les caractères de sa construction si c’est aux Grecs du Bas-Em- pire, aux Arabes, ou même aux Turcs, qu'il faut l’attribuer. Pour moi, je la croi- rois, en attendant, plutôt faite par les premiers fondateurs et pour l'usage de 1a ville moderne, que par des peuples qui n’en avoient pas besoin, lorsqu'ils habi- toient la ville ancienne et que l'Heptastade n’étoit pas ensablé. Enfin les sept stades Olympiques dirigés de la même pointe la plus avancée de l'enceinte Arabe qu'a choisie d’Anville, vers la partie occidentale de le, tombent dans Îles eaux du port d'Eunoste, où l’on ne connofît aucun vestige du môle, et dépassent en partie l'emplacement du bourg de Pharos sur nos plans. Sur celui de d'Anville, ils traversent même cette île, parce que ce plan étoit inexact; et ce sont vraisemblablement ces fausses hypothèses ou données qui ont conduit l'ingénieux géographe à chercher un autre stade que celui de quatre-vingt-quinze toises. [s6] Ammien Marcellin, qui mourut en 380, sous Théodose le Grand et Valentinien II, avoit servi sous Constant, Julien et Valens; ïl écrivit à Rome son Histoire, qu'on vante principalement pour limpartialité, l'exactitude des faits, et parce qu'elle suppose un esprit cultivé par l’étude des sciences et des beaux-arts. Les deux assertions que nous avons citées de lui démentent un peu ces dernières qualités. « Les motifs de Cléopatre, dit-il dans cette occasion, sont connus, et 2 2 APPENDICE À LA DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS - » rendoient indispensable son entreprise de fonder l'Heptastadium. L'ile du Phare, ».où Homère a placé en beaux vers la fable de Protée gardant ses troupeaux de » phoques, séparée du rivage de la ville par un intervalle de mille pas » ( voilà encore une autre mesure de l'Æeptastadiim ; maïs aucune des trois espèces de stades ne peut la faire accorder avec les témoignages de l'antiquité et le nom même de la digue }, « étoit sujette aux tributs que levoïent les Rhodiens. Quelques-uns d’entre » eux étant venus demander des augmentations trop fortes de cet impôt, cette » reine, toujours consommée dans la fraude, ayant conduit avec elle ces percep- » teurs dans des maisons de plaïsance aux environs de la ville, sous prétexte de » les faire assister à des fêtes solennelles, avoit ordonné de pousser sans relâche les » travaux de cette construction, et, en sept Jours, sept stades de longueur de môle » fondés dans la mer réunirent File voisine à la terre ferme. Ayant ensuite par- » couru tous ces lieux en voiture, Les Rhodiens se trompent, dit-elle; c'est sur les îles, - » etnon sur le continent, qu'ils lèvent des droits de navigation. » Au surplus, le caractère artificieux qu Ammien Marcellin prête à cette Cléopatre, paroîtroit indiquer que c'est la troisième de ce nom et la dernière reine d'Égypte. Or l'Heptastadium exis- toit du temps de la guerre d'Alexandrie, et César n'avoit pas encore mis alors : cette princesse sur le trône; du moins elle n'y étoit pas encore seule, et maîtresse absolue de traiter avec les étrangers, tels que les Rhodiens. Rollin, en citant Tzetzès, - poëte Grec du x11.° siècle, qui a composé en vers prétendus poktiques des histoires mêlées, écrites d’un style emphatique et pleines d'inutilités insipides, dit que la reine Cléopatre fit construire l'Heptastade par l'architecte Dexiphane, natif de l'ile de Chypre; qu'elle luï donna pour récompense une charge auprès d'elle, la ton- duite de ses bâtimens, &c.; mais qu'on croit qu'il vaut mieux attribuer cet ouvrage à Ptolémée-Philadelphe : disons plutôt, à son père Soter ; car nous avons vu que l'architecte Sostrate, qui vivoit sous le second Ptolémée, étoit fils de Dexiphane, qui vécut par conséquent sous le premier de ces rois. Dinocrate n'avoit donc aussi fondé, sous Alexandre, que les principaux établissemens sur la terre ferme. [s7] Outre les causes d’atterrissement provenant de la digue elle-même et de l'obstruction des canaux de communication propres à conserver un courant entre les deux ports, il faut considérer que la continuité de l'ile Pharos jusqu'à la tour augmentoit, dès l'antiquité la plus reculée, l'effort et la tendance des mouvemens latéraux de la mer, dont j'ai parlé ; à combler le grand port, en soutenant les’eaux, . comme l'auroit fait un épi, jusqu'au cap Lochias. Les detritus de l'ile eux-mêmes alimentoient cette cause d’encombrement, et les courans retomboïent, avec ces troubles , du cap Lochias contre l'Aeptastadium , -où les remous et le calme les : faisoïent déposer. Ce Cap lui-même, successivement rongé par les vagues, gros- sissoit le dépôt de ses débris particuliers. Il donnoit, par l’agrandissement de la passe, un plus libre accès aux flots et aux sables; et toutes les autres causes qui tendoient à former l’isthme actuel de la ville moderne, agissoient tous les jours plus facilement. Des effets analogues, mais moindres, ont dû avoir lieu dans le port d'Eunoste, par l’action des eaux contre la côte de Necropoks, et par le dépôt de leurs troubles contre l'Heptastade et l'île Plaros : ainsi ce môle se couvroit D'ALEXANDRIE ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXWI. 23 des deux côtés. Son atterrissement a dû se produire principalement sous les Arabes et leurs successeurs, qui habitoïent encore l'enceinte Sarrasine. Maïs, lorsque les Turcs, à mesure que tout dépérissoit autour d’eux, voulant se rapprocher de là mer et se tirer de l'isolement où ils se trouvoient dans cette enceinte déserte, allèrent peu à peu habiter l'alluvion de l’Æeptastadium , ils purent employer les matériaux de ce môle à la construction de leurs maïsons, et en agrandir l'emplacement par des transports de décombres. Nous en voyons d'assez récens dans les jetées de colonnes horizontales qui paroissent au bord sud-est du port neuf. Elles supportent les plus beaux bâtimens d'Alexandrie actuelle, qui sont des o’ke/ ( espèces d’hô- telleries et de magasins }, ou des maisons habitées par les divers consuls. [58] Je n'ai pas poussé plus loin le parallèle entre l’ancienne et la nouvelle Alexandrie, parce qu'il ressort tout entier de la description qui fait l’objet dé ce Mémoire; d'un autre côté, cette dernière ville est si connue des Européens, qué Belon même, qui voyageoit en Égypte en 1530, sous le règne de François L®, déclare que sa description ne pouvoit se composer que de redites. D'ailleurs, d'après la division de l'ouvrage, la ville Turque fait partie de ce qu’on a appelé Etat moderne. J'observerai seulement que les avantages de la position et des ports d'Alexandrie sont si réels, qu'ils se font encore sentir malgré la découverte du cap de Bonne-Espérance et l’action du Pons ignorant et opprésseur des pâchäs et des béys Mamlouks. Cette ville pourroit même encore recouvrer la plus grande partie de sa prospérité primitive, comme nous l'avons démontré dans le discours préliminaire du Mémoire sur le canal de la mer Rouge à la Méditerranée. Je dois ajouter, afin de donner plus d’exactitude à ce que j'ai avancé dans le texte, que, pour une ville Musulmane, Alexandrie a encore quelque apparence et quelque régularité dans le tracé de ses principales rues; que, cinq ans après le départ des Français, elle fut privée de la seule eau potable qu’elle possédoit, et que sa population se trouvoit réduite alors à environ cinq mille habitans. MASSIFS DE COLONNES ANTIQUES SOUS LE QUARTIER DES CONSULATS. [59 | On sait que les Grecs, pendant leur domination à Alexandrie, introdui- sirent en Égypte leurs divinités , ainsi que leur manière de travailler , et qué, dé leur côté, ils adoptèrent une partie des usages de ce pays. On trouve même, parmi les monumens du style Égyptien smité, plusieurs statues et autres fragmens qui portent des hiéroglyphes. [6o| On trouveroït, en remontant de destruction en destruction et de cons- truction en construction, que ces monumens d'Alexandrie démolis par les Arabes étoient faits avec des matériaux de Memphis, qui avoit été ornée des débris de Thèbes, &c. Le granit d'Égypte est vraiment une matière admirable et la plus précieuse ressource pour les grandes fabriques, par son abondance, la beauté de son poli et de ses couleurs, et par son indestructibilité. Il y à peut-être telle colonne, encore très-belle après avoir subi tous les usages que je viens de dire, qui, placée aujourd'hui dans une misérable échoppe Turque, provient du plus 24 APPENDICE À LA DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS : ancien palais ou du plus magnifique temple de la vieille Égypte. Plusieurs maisons modernes ont des cours et des galeries ornées de colonnes antiques de granit. La distribution intérieure qui en résulte, et qui est particulière aux maisons d'Alexandrie, est très-agréable, comme on peut le voir dans les planches. Elle me paroît être une suite des bons modèles d'architecture que les Alexandrins ont tou- jours eus autour d'eux. Les Turcs emploient encore des colonnes de marbre dans leurs édifices 4 la nouvelle ville. Elles proviennent aussi de la destruction des monumens de la cité d'Alexandre. On voit tous les jours ces hommes aller lés déterrer dans deg ruines ; mais la mine s'épuise. On scie. par tranches les flüts de toute espèce et on les emploie à faire des meules que fait tourner un seul cheval ou même un âne. | Les moulins de ce genre sont encore plus nombreux à Alexandrie que dans le reste de l'Égypte. GRAND PORT. [61] « Depuis le promontoire de Libye, dit Diodore, jusqu'à Joppé en Cœlé- » syrie, ce qui fait un espace de cinq mille stades » | deux cent huit lieues de France, distance un peu trop foible ], «iln’y a de port assuré que le Phare. » Ce dénûüment de refuge est vraiment remarquable dans une aussi grande étendue de la Méditerranée, et fait bien sentir le prix de l'asile qu'offroit Alexandrie: On voit ici que le port et la ville elle-même sont désignés par le mot Phare, commedans Homère. Nous remarquerons effectivement, dans Plutarque, que Cléopatre se désignoit par le titre de rene du Phare, à cause de la magnificence et de la célé- brité de ce lieu et de ses monumens. « Tout le reste, continue Diodore, est » une rade dangereuse pour ceux qui ne l'ont pas fréquentée. Les uns, croyant » aborder, échouent et brisent leurs vaisseaux sur des rochers couverts; les autres, » ne découvrant pas l'Égypte ,quiest fort basse, d’assez loin pour choisir un endroit » propre à une descente, vont prendre terre en ces lieux marécageux, ou sur des » sables déserts dont nous avons dit qu'elle étoit entourée {1). » Ammien Mar- cellin rapporte à son tour (2) « qu'avant la construction du phare, les navires qui ve- » noient de fa Grèce, de l'Italie ou de la Libye, côtoyant des rivages sinueux et dé- » pouillés, sans apercevoir aucune montagne ou colline qui leur servit de repèré, » s’échouoïent et se brisoient sur une plage sablonneuse, molle et tenace. » Ajoutez que, vu l'aplatissement de la côte, qui ressemble parfaitement à l’estran des côtes de Flandre, si dangereux pour les vaisseaux, la mer brise à des distances énormes : aussi avons-nous vu, pendant l'expédition d'Égypte, beaucoup de bâtimens y échouer. [62] Tous les rochers de la mer d'Alexandrie, étant d’une médiocre dureté, ont été rongés par la mer; maïs l'extrémité du promontoire de Lochias, plus exposée aux Courans habituels et aux vents violens, a été plus corrodée que l'île Pharos elle-même. Le Diamant n'a été détaché de cette île que depuis peu de siècles. Il fait bien sentir l'étranglement de.l’ancienne entrée du grand bassin. Les bas fonds, restes de l'Acrolochias, sont couverts d'une petite hauteur d’eau. {1) Traduction de l'abbé Terrasson. (2) Livre xx11. Une D'ALEXANDRIE ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. 2$ Une bonne opération que j'aurois proposée, si nous avions eu des projets géné- raux à rédiger pour les ports d'Alexandrie, eût été de joindre le plateau du Phare au Diamant, en prolongeant par des enrochemens la digue moderne. Le #axi- mum de la profondeur de la mer en cet endroit n’est que de quinze pieds. La lame entreroït avec moins de violence, et la partie du port la plus avantageuse augmenteroit en surface ; car c’est le long de cette digue qu'on mouille, et les vaisseaux de guerre, qui tirent plus d’eau, jettent l'ancre dès qu'ils ont doublé le Diamant. Après la passe, en se dirigeant vers le pharillon, on trouve le fond à cinq ou six brasses, maïs sans être abrité; et, en s’en approchant encore davan- tage, on rencontre le rocher plus près de la surface de l’eau. Une autre chose extrémement utile seroit de rouvrir au moins un des passages du grand port dans l'Eunoste, à travers l'isthme, et de rétablir le plus loin possible, par des enro- chemens, la pointe de l’Acrolochias. Au surplus, tout avoit été si favorablement disposé par la nature et si ingénieusement modifié par les anciens pour le per- _fectionnement des établissemens maritimes d'Alexandrie, que le meilleur système à suivre, dans un projet général, seroit de tâcher de rétablir ce qui existoit autre- fois : aussi s’est-on beaucoup rapproché de cette idée dans la partie du Mémoire sur la communication de la mer Rouge à la Méditerranée qui concerne Alexandrie [63] Comme Pline et Solin parlent ici des dangers de la côte d'Alexandrie et de l'utilité du phare qui marquoit les entrées ou les approches de /a ville, laquelle s'étendoit particulièrement sur le port principal, ils ont voulu peut-être aussi désigner, outre la passe propre du grand port, les deux autres qui sont assez près de l'île et de la tour du phare, à l’ouest du cap des Figuïers (1), et qui conduisoient à Alexandrie par le port d'Eunoste, ou bien enfin les deux canaux voûtés qui, de ce dernier port, conduisoient dans le grand, en traversant l'Heptastadium. [64] I étoit encore indispensable pour les habitudes des anciens, comme il lauroit été aussi pour les nôtres, de resserrer ce port et de l’enclore davantage par l'Heprastadium , afin d'arrêter la communication des vagues et des courans par le derrière de l'ile Phares : aussi le Commentaire de César de Bello civil repré- sente-t-il toujours cette île comme ayant servi à former le grand port. [6 s | Pour créer un port bien approprié à leurs usages dans la rade occidentale, les anciens auroïent été obligés de le construire en entier, au moyen d'ouvrages propres à le limiter. En laissant, comme ils l'ont fait, le port d'Eunoste tel qu'il étoit, celui-ci se réduisoit pour eux à une assez médiocre surface, et ils ne pou- voient le regarder comme le port par excellence : aussi ont-ils donné ce titre-à celui du levant. On l'appelle aujourd’hui port neuf, par opposition avec le surnom de vieux donné, on ne sait pourquoi, par les modernes, au port d'Eunoste. II paroît pourtant qu'à l'époque de la translation de la ville dans listhme, on fit dans le grand port plusieurs ouvrages neufs, comme les digues en enrochemens, les cales, embarcadères, &c. On fonda les établissemens propres aux relations avec les étrangers, comme la douane, le fort, le quartier des consulats, les o’ke/, et on laissa dans le port vieux, qu'on réservoit exclusivement aux Musulmans et à (1) Sur la planche ?r, elles sont nommées passe des djermes et petite passe. AT. D 26 APPENDICE À LA DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS la marine militaire du grand seigneur, parce qu'il n'étoit pas aussi encombré que Jautre, les chantiers de construction, l'arsenal et les magasins de la marine. [66] Les marches, ou espèce d'escalier, dont parle Strabon, ne pouvotïent étre répandues tout le long du grand port, à cause des autres établissemens, assez étrangers à la marine, que nous verrons un peu après l'Aeptastadium , en allant vers l'est. Elles ne dévoient pas être non plus sur les talus de ce môle lui-même, ou du moins de sa partie entre les deux ponts, parce que c'étoit un chemin étroit, qui ne pouvoiït être obstrué par l'embarquement et le débarquement des voyageurs et sur-tout des marchandises. | | [67] Les rochers de l'Acrolochias, quoïqu'usés à leur surface supérieure, et n'arrétant plus la lame, restent toujours sous l’eau, et l'entrée n’en est pas plus facile qu'autrefois : au contraire, elle n'est que plus trompeuse par la disparition de ces écueïls; plus difhcile pour nos vaisseaux modernes, qui tirent plus d’eau que ceux des anciens; et l’intérieur du port n'en est que plus agité. Nous avons vu comment la mer a formé l’atterrissement de l'ÆHeptastadinm ; on conçoïit aussi comment les flots, qui s'éteignent sur le rivage aplani et y brisent en même temps avec force, amoncellent ces sables, qu'ils labourent pourtant sans cesse, et ont tantôt formé une zone qui rétrécit le pourtour du port, et tantôt corrodé les cons- tructions résistantes qui le bordoient en quelques endroits. II n’y a donc presque pas de profondeur dans le port neuf et dans sa passe; et les vagues énormes qui y pénètrent facilement, font frapper les moindres vaisseaux sur le fond, ou les font s’entre-choquer sur le rivage. Les roches qui s'y trouvent, coupent les câbles pen- dant ces tempêtes: aussi les petits bâtimens qui sont obligés de se resserrer contre la digue du phare, y sont exposés à des avaries terribles. Les navigateurs étrangers se sont constamment plaints de ce danger. C'est là cependant que le gouvernement Turc forçoitles bâtimens chrétiens à stationner, leur interdisant, sous un prétexte superstitieux, l'entrée du port vieux, le seul où il y aït aujourd'hui quelque sûreté dans les mauvais. temps. On assure même que les Turcs, il y a une centaine d'années, obligeoïent les vaisseaux étrangers À mouiller et à décharger leurs marchandises près du pharillon, sur la mauvaise digue du cap Lochias, et leur défendoïent le mouillage sous le château du phare. Quelle aveugle injustice! Quelle grossière ignorance de leurs propres intérêts! A présent que le préjugé à cet égard est vaincu, comme Je l'ai dit aïlleurs, il reste à surmonter une autre dificulté; c’est l’existence des magasins, de la douane et des autres édifices modernes sur les bords du port neuf, qui obligera d'assu- jettir, jusqu'à un. certain point, les navires à fréquenter le port neuf. Quoi qu'il en soit, on sent encore davantage maintenant combien sont grands les vices de ce port, ét que ce sont eux qui nous l’avoïent fait abandonner pour le service de toute notre marine, malgré les établissemens que nous y trouvions tout pré- parés pour le commerce. | ARSENAU X. [68] L'existence de quelques galeres ailleurs que dans la Méditerranée, et D'ALEXANDRIE ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. 27 même d’une petite flotte composée entièrement de navires de ce genre et en- tretenue par la Suède sur la mer Baltique, ne renverse pas l'espèce de règle qué j'ai établie, que la galère étoit le vaisseau primitif de la première de ces mers, ni les conséquences que j'en tire pour l'emplacement des arsenaux et chantiers d'Alexandrie. Du reste, ce que Plutarque et quelques anciens nous disent des galères à seize et même à quarante rangs de rames, ne détruit pas non plus ce que j'ai avancé sur la convenance du bas-fond de f’esplanade du grand port pour la construction des vaisseaux anciens : car Plutarque observe lui-même que cette galère d'Alexandrie à quarante bancs de rameurs ne pouvoit servir ; et l’on sait que les galères à peu de rangs de rames et tirant peu d’eau étoient seules en usage. Voyez les dessins de la colonne Trajane, et ce qui est dit des batailles navales d'Alexandrie dans la IL.° partie / Considérations générales et historiques ). APOSTASES. [69] L'usage des darses ou bassins artificiels formés par des môles de ma- çonnerie s'est aussi conservé dans tous les ports de la Méditerranée. On y voit encore des formes dont quelques-unes sont couvertes, pour mettre les ouvriers et les boïs à l'abri des injures de l'air. L’esplanade, qui occupe aujourd'hui lem- placement des anciens ravalia où apostases , offroit aux Français fixés à Alexandrie pendant l'expédition une promenade habituelle et bien nécessaire, maïs d’une humidité extraordinaire et très-dangereuse. Cette rosée du soir étoit occasionnée par les vents de mer qui règnent tout l'été, et par la chute rapide des vapeurs abondantes qu'avoit produites le soleil brûlant de ces climats : elle se manifestoit immédiatement après le coucher de cet astre. A peine avoit-on passé un moment sur cette place, que tous les vêtemens étoient mouillés comme si l’on venoit d’essuyer une pluie assez forte. Au commencement de l'expédition, en frimaire an 7 [ décembre 1798 |, on y voyoit campée une grande partie de l'armée Française. Elle s'étoit fait de fort jolies tentes avec des feuilles de palmier. Au fond de cette place est une grande plantation de dattiers, dont les bouquets produisoient, avec l’ensemble des objets voisins et le camp lui-même, un effet très-pittoresque (1). C’est sur cette même place que, trois ans après, le général Menou campa pendant si long-temps, et qu'il fit construire un nouveau front de fortifications sur le bord de la mer, dans l'emplacement des vayalia antiques, pour couvrir son quartier général du côté du port neuf. Au bord de la mer en face, la soude croît en grande quantité. On voit beaucoup de lézards et des sala- mandres sur les pans des vieux murs environnans. EMPORIUM. [70] Quelques personnes ont remarqué que le mot Æmporium signifioit, non pas un lieu consacré dans une ville à la vente de certains’ objets, maïs une ville même Ou place de commerce. Cela est vrai en général; maïs ici, où Strabon in- dique dans Alexandrie, ville qui étoit déjà une place de ce genre par rapport au (1) Voyez É. M. pl. 97 et 98. 4. D. HQE 2 8 APPENDICE À LA DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS reste du monde, un emplacement particulier sous le nom d'Ersporium, c'est évi- demment un bazar ou bourse dont il s’agit. Les juges qu’Amasis avoit établis en faveur des Grecs commerçant dans-un petit nombre de villes Égyptiennes , avant la domination des Perses, et qu’on appeloit æesç-àra éumoplou, étoient sans doute à peu prés ce que sont nos juges de commerce ou consuls, et siégeoient dans ces marchés ou tribunaux qu'on appeloit emporia. OBÉLISQUES. — CÆSARIUM. [71] On reconnoît dans les ruines, le long de l'enceinte Arabe, vers le fond du port, des vestiges de bains, dont il subsiste encore plusieurs chambres prati- quées dans de vieilles murailles. Les grandes constructions Arabes qu’on trouve _encore plus près de l'emplacement de l'Eporium présentent aussi quelques détails assez riches : il y a des frises ornées de triglyphes Doriques, supportant des voûtes en arc d'ogive; mélange fait par les Sarrasins du goût ou des fragmens de l’archi- tecture Grecque dans leurs propres constructions, Les portes dé ces bâtimens sont faites de ce même bois de sycomore dont nous avons trouvé des morceaux dans les vieux murs de Thebes. Ici, où il étoit exposé à l'air, sous un climat plus sujet à la pluie et à l'humidité de la mer, il s'est aussi parfaitement conservé que dans les maçonneries antiques du Saïd, tandis que les ferrures en ont entièrement dis- paru. Il paroît que l'Égypte a été, dans tous les temps, aussi pauvre qu’elle l'est aujourd'hui en epèRes variées de bois de construction, et qu'elle n'a présque jamais employé à cet usage que le sycomore. Derrière les tours de l'enceinte Sarrasine dont il vient d’être question, sont dé bains Turcs modernes. [72] On distingue sous le nom générique de Francs ( Frandji en langage Alexandrin ) les négocians Français et même Italiens ou autres Européens chré- tiens qui se sont établis en Égypte. Ce sont eux qui ont inventé aussi le nom des prétendus /ains de Cléopatre, Quelques-uns de nous ont remarqué que l’obélisque debout étoït appelé dans le pays e/Fara'oun, comme si lon disoit en arabe l'œuvre des Pharaons. W est à observer qu'il existe dans l'Égypte plusieurs traces dé ce nom générique de ses anciens rois. [73] Sur dix obélisques que Rome renferme encore, sept sont sculptés, et trois unis. [74] M. Zoëga avoit remarqué que, dans les hiéroglyphes , en général, le dernier signe de chaque rangée horizontale se trouvoit répété au commencement de la suivante; et c’est par des remarques de cette nature qu’il a jugé si les hiéro- glyphes devoiïent se lire de gauche à droïte, ou de droite à gauche. Maïs on ne voit point que cette rpÉfel ait été observée par les sculpteurs sur ces deux obélisques. [75] On a distingué deux espèces de représentations hiéroglyphiques : 1.° Les tableaux retraçant des scènes religieuses, domestiques ou militaires, et relatifs aux dieux ou aux princes, ou bien aux actes de la vie civile; 2.° les hiéroglyphes simples ou symboles isolés, qui accompagnent ordinairement les tableaux précédens. À D'ALEXANDRIE ET DE SES ENVIRONS. CHAP,. XXVI. 29 l'égard des signes d'écriture qu'on peut regarder comme cursifs, ils ont bien pu tirer leur forme des seconds : on y reconnoît les configurations des figures embléma- tiques. Mais ce sont les seconds, ou vrais hiéroglyphes, qui dominent sur ces deux monumens, comme par-tout ailleurs. Enfin on les trouve mêlés à dés tableaux comme on vient de le dire, sur les pyramidions. Maïs il est à remarquer qu'on ne voit pas de ces tableaux sur Îe reste du corps des obélisques. [76] La ternissure générale du poli de l'obélisque debout peut être due au voi- sinage de la mer { comme le prouve l'exposition des faces détériorées } et aux propriétés du climat d'Alexandrie, dont je parlerai à l’occasion des trois grandes colonnes debout et de celle de Pompée. Les hiéroglyphes des obélisques qui subsistent à Rome et en Égypte même (à Karnak et à Louqsor}, sont mieux con- servés, parce que, dans ces lieux, ils se trouvent à l'abri de ces causes de dégrada- tion. Cependant, parmi ceux-ci, plusieurs ne présentent d’hiéroglyphes que suivant une bande longitudinale de chaque face, tandis que ceux d'Alexandrie en étoient tout couverts. Ces derniers peuvent donc être comparés à tous les autres pour {a beauté, quoïque quelques-uns les surpassent en hauteur, Le plus élevé que l'on connoisse, celui de Saint-Jean de Latran, a quatre-vingt-dix-neuf pieds de haut, et neuf pieds de large à sa partie inférieure. C’est celui de Ramessès, dont parle Pline; il est chargé d'hiéroglyphes. Il fut transporté de Thèbes à Alexandrie par Constantin, et d'Alexandrie à Rome par son fils Constance. C'étoit dans ce port commode ( d'Alexandrie) que se faisoient toutes ces grandes entreprises du transport de ces pesans monolithes en Europe, L'obélisque de la place du Peuple, tiré d'Aelopolis par Auguste pour être mis dans le grand Cirque, avoit été primi- tivement élevé par Sésostris ; il est orné d’hiéroglyphes , et a soixante-quatorzé pieds de hauteur. Son wif est de huit pieds de large. Gelui de Monte Citorio, communément appelé obélisque solaire d'Auguste, et de même origine en tout point que le précédent, est aussi décoré de sculptures. Il a soixante-huïit pieds de haut; un de ses côtés est effacé, comme cela est arrivé en partie à celui qui subsiste encore à Æekopolis. L'obélisque du Vatican, sans hiéroglyphes, le seul qui n'ait pas été renversé, et ensuite relevé par les soins des papes, a soïxante- dix-huit pieds de hauteur, et sa plus grande largeur est de huit pieds quatre pouces. On dépensa 202,000 livres pour le transporter depuis la sacristie, qui fut bâtie dans l'emplacement du cirque de Caligula au Vatican, orné ensuite par Néron, jusqu'à son emplacement actuel. Ces citations devant servir dans les autres recherches que j'aurai à faire sur les obélisques d'Alexandrie, j'ai cru devoir les placer ici comme données préliminaires. [77 |] Tout le sol de la ville antique, et même de ses faubourgs, a été considé- rablement exhaussé par les constructions, démolitions et reconstructions qui se sont successivement répétées sur chaque point, et par l'invasion des sables du désert, de la mer et des lacs, que les vents y déposent depuis que ce terrain est abandonné : aussi le pied de tous les vieux murs, colonnes et autres monu- mens, est-il plus ou moins enfoui. Celui de lobélisque debout étoit recouvert de sable et de décombres sur une épaisseur d'environ quatre mètres quatre-vingt-dix 30 . APPENDICE À LA DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS centimètres; ce qui donneroit à peu près quinze P d’exhaussement du sol de la ville en cet endroit depuis dix-huit siècles. [78] Lorsque Pline dit de l'obélisque de quatre-vingts coudées, sans sculpture, que Philadelphe érigea à Alexandrie, qu'il le plaça #7 at il faut entendre, dans un lieu d'Alexandrie consacré à Arsinoé, et non pas dans la ville d'Arsinoë ou Clcopatris, qui étoit sur la mer Rouge, près de Suez; car cela impliqueroit con- tradiction avec ce que Pline a déjà annoncé de l'érection dans Alexandrie méme. Mon interprétation est plus naturelle que de supposer qu'il y a une lacune dans ce passage de Pline, et qu'ensuite on exécuta ce genre de transport dont il décrit les moyens, l'emploi de deux bateaux accolés, &c., sans parler des canaux de Suez et peutêtre d'Alexandrie, qu'il auroit été nécessaire de traverser. H n° y a pas de raïson pour supposer non plus que l'érection eut lieu d’abord dans une autre ville d'Ar: sinoé ou Crocodilopolis au Fayoum; et si l’on étoit tenté de croire te l'obélisque dessiné par M. Caristie sur les ruines de cette seconde ville, est le même que celui de Pline, parce qu'il manque, comme lui, de pyramidion, je ferois remarquer qu'il n'a que douze mètres soixante-dix centimètres de hauteur, au lieu de quatre-vingts coudées , et qu'il a des figures sculptées, au lieu d’être "1. Le reste du récit de Pline convient également à mon interprétation, lorsqu'il dit : « Maïs, comme cet obé- » lisque génoit Æ port, un préfet d'Égypte, nommé Maxime, le transporta dns » la place publique, après en avoir fait couper le sommet. Il vouloit ÿ substituer » un faîte doré : ce projet resta sans exécution. » On ne sait ce qu'est devenu cet obélisque, qui seroit fort reconnoissable à Rome et à Constantinople par l'en- lèvement de son pyramidion. Nous verrons qu'il a pu servir à la fabrication de la colonne Dioclétienne. Voilà donc encore un autre renseignement sur les antiquités d'Alexandrie. I y avoit un édifice, un temple, un palais, ou simplement un lieu consacré à Ar- sinoé, dans les arsenaux, ou sur les Bords du port, puisque le monolithe y génoit le service de la marine; ensuite un obélisque sans sculpture et tronqué fut élevé sur la place publique de la ville / forum ]. _ Iest naturel de supposer que les premières cassures des bases des deux obé- li isques ont été faites lorsque les premiers Ptolémées les firent enlever de la haute Égypte; et voilà pourquoi les entailles carrées sont un peu près de la fin des ins- criptions hiéroglyphiques. Ensuite ils firent bâtir le soubassement que nous voyons, firent creuser ces entaiïlles, et poser les monolithes sur les supports de métal ; puis, dans les ravages qu’ Alexandrie éprouva, ces obélisques ayant été renversés, les Grecs du Bas-Empire ou les Arabes en relevèrent un sw son ancien soubasse- ment, écornèrent sa base par éclats, en faisant disparoître ses cavités angulaires, de manière à lui donner une forme pyramidale renversée, et à l'envelopper dans la maçonnerie récente et grossière qu’on voit autour. Il reste donc douteux qu'ils aient relevé celui que nous voyons encore couché. [79] Plusieurs de ces obélisques qu’on voyoit à Rome du temps de Pline, sy trouvent encore, après avoir été renversés lors des nombreux saccagemens de cette ville, et ensuite relevés ou transplantés par les soins des papes. Ce naturaliste D'ALEXANDRIE ET DE SES ENVIRONS. CHAP, XXVI, 3 I indique ce qu'en avoient fait les divers empereurs, et c'est en les retrouvant dans certains emplacemens des ruines de l’ancienne Rome que les modernes ont conclu l’origine de chacun d'eux. Mitrès, Mestrès où Mesphéès, Sochis ( Hérodote et Dio- dore n’ont fait mention ni de Mitrès ni de Sochis), Ramessès , Smarrès, Éraphius, Nectabis, Sennesertée, Sésostris et Nuncorée, sont les anciens rois d'Égypte que Pline désigne comme auteurs d’obélisques. Ceux de Smarrès et d'Éphrée ou Éraphius furent portés par Claude devant le mausolée d'Auguste, L'un est à Saïnte-Marie- Majeure et l’autre à Monte Cavallo. On trouve dans les légendes un Mesphéès, roi d'Égypte, 1665 ans avant J. C., antérieurement à l'immigration des Éthiopiens, Les obélisques de Smarrès, Éraphius et Nectabis, étoient, dit Pline, sans hiéro- glyphes, et c’est le dernier, de quatre-vingts coudées de hauteur, que Philadelphe fit placer à Alexandrie et dédia à Arsinoé; aïnsi l'on ne peut le confondre avec aucun des deux qui y subsistent : mais il ne paroît pas qu'il y en aït eu d’autres que ces trois dans cette ville. Le seul qui ait été tiré d'Alexandrie même, est celui de Saint-Jean de Latran dont j'ai parlé. Cependant il est à présumer qu'il n’y fut pas érigé, maïs seulement déposé, puisque, d'abord après Constantin, qui le destinoit à Byzance, son fils Constance le fit enlever. [80 ] Il est probable qu'Auguste, Caligula, dont Pline cite les entreprises pour l'enlèvement de ces pesans fardeaux, et les autres empereurs qui rivalisèrent en- suite avec eux, employèrent des moyens analogues à ceux de Philadelphe, pour les transporter de la haute Égypte ou d'Alexandrie au bord de la mer. On se servoit ensuite d’un navire fait exprès pour traverser Ja Méditerranée. Ceux d’Au- guête et de Caligula, dont Pline fait l'histoire, étoient merveïlleux (1); mais il est essentiel de remarquer que tout ce qu'il dit après avoir parlé des deux obé- lisques d'Alexandrie, se rapporte à la difficulté du transport de ces monolithes en général, à ces vaïsseaux construits exprès, maïs non à ces deux obélisques en particulier. Sans cela, on seroit tenté de croire, comme l'ont fait presque tous les interprètes, que ce sont ces deux monumens d'Alexandrie dont Auguste trans- porta le premier, et Caligula, / second ; tandis que Pline continue de dire qu'Au- guste fit placer dans le grand Cirque son obélisque taillé par Sennesertée, et dans le Champ de Mars, l’autre qui l’avoit été par Sésostris. Or nous avons vu que ce sont ceux de la place du Peuple et de Monte Citorio. Celui de Caligula (2) n'étoit pas non plus un de nos deux monolithes d'Alexandrie, puisque Pline dit plus loin qu'il étoit placé sur le Vatican, et que nous avons vu qu'il n’avoit point d'hiéro- glyphes. Cette remarque étoit importante à faire pour maintenir toutes celles que j'ai rassemblées sur l'origine désormais bien certaine des deux obélisques qu'on trouve encore à Alexandrie. Du temps de Pline on ne voyoit que ces trois obélisques à Rome. Ce ne fut que bien long-temps après, que Constance fit transporter celui de Saint-Jean de La- tran dans le grand Cirque, où étoit déjà celui d’Auguste. (1) Suétone ajoute encore à l’idée qu’en donne Pline, »et qu’on avoit fait enfoncer. Sur cette digue s’élevoit lorsqu'il dit, dans la Wie de Claude : « I construisit, à » une tourtrès-haute, semblable au phare d'Alexandrie, » » l'entrée du port d’Ostie, une digue érablie sur un vais- (Traduction de La Harpe, ) » seau qui avoit apporté d'Égypte un obélisque immense, (2) Pline décrit aussi le navire qui l'apporta. 32 APPENDICE À LA DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS Le poids et les autres détails que j'ai donnés sur ces monolithes doivent faire bien apprécier le mérite de ces monumens, l'importance que tous les peuples y attachèrent, la grandeur du travail du chevalier Fontana, qui en transporta.et érigea un si grand nombre sous le pontificat de Sixte-Quint, et l’immensité des:ser: vices que ce pape et quelques-uns de ses prédécesseurs ou successeurs rendirent aux arts. Pourquoi les modernes Européens n'auroïent-ils pas fait une entreprise aussi hardie que celles des anciens et des nouveaüx Romains en transportant ces deuxobélisques sur notre sol! Le rocher de Pétersbourg, amené d'assez, loin, ne pesoit-il pas près de deux millions de livres de plus que l’obélisque debout ! [8 1] L'opposition entre le poli de la surface générale des obélisques etle at des reliefs en creux indique que ce poli a été donné par un frottement uniforme sur toute la superficie; que les figures, gravées avant ou après cette opération, s’ache- voient plus tard, et que les anciens Égyptiens avoïent des méthodes particulières pour polir les petites surfaces en bosse. On voit effectivement dans la haute Égypte des obélisques dont les sculptures sont polies, et d’autres où elles né le sont pas. Ge travail devoit être très-long et très-dispendieux à cause de la dureté de là ma- tière. C’est pour cela, sans doute, que. plusieurs de cés grands monumens:ont été élevés avant d'avoir pu être perfectionnés. Ils étoient assez prodigieux sans cela. [82 ] Sans faire un système exprès pour expliquer les motifs de l'érection dé ces obélisques, il me paroït tout simple, en se rapprochant du sentiment général de Pline, de supposer qu'en ornant ces monumens d'hiéroglyphes, l'intention a été la même que celle qui a fait couvrir de ces figures et caractères toutes lés sur- faces des murs ét plafonds des temples devant lesquels on les avoit placés. C’étoit à l'entrée d’un temple quiéroenr és deux aiguilles de PA , et probablement aussi «celle d'Helopolis. Nous verrons qu'en cela Philadelphe imita les Égyptiens dans l'emploi des obélisques d'Alexandrie. Ils étoient donc, comme les autres, leérécueil des préceptes de la religion, de la philosophie, de l'histoire et de toutes les sciences, Ces monolithes servoient en même temps à décorer l'entrée des palais. Les deux de Louqsor, et les quatre de Karnak, dans Thèbes, sont placés aux diverses entrées de deux palas. Pline dit encore que Ramessès, au temps de la prise de Troie, en -plaça un dans l'endroit où fut le palais de Mnévis. Peut-être alors étoïent-ils-consa- -crés à la gloire des souverains; leurs inscriptions n'étoient pas entièrement reli- gieuses, et avoïent rapport à cette autre destination. Pline dit effectivement que -Mestrès, qui régnoit à Thèbes, et qui fut le premier à élever des obélisques, en avoit æeçu l’ordre en songe , comme le portoit l'inscription. Maïs rien n'empêche d’ailleurs -dé supposer que les anciens rois d'Égypte, si soumis à la direction des colléges des prêtres, consacroient dans leurs demeures des emblèmes purement religieux. : [83] Ce qui a pu donner lieu à l'opinion que les anciens Égyptiens se servoient de ces aïguilles comme de gnomons, c'est que les Romains en appliquèrent une à ce dernier usage; et l'on en aura conclu qu'ils avoient.en cela copié ce qu'ils avoient vu en Égypte. Cependant Pline ne l'assure pas; il n'en parle même pas à l'occa- sion de tant d’obélisques transportés à Rome par les empereurs Auguste, Caligula ct Claude. Il ne le dit que de celui d'Auguste dans le Champ de Mars; et il se sert D'ALEXANDRIE ET DE SES ENVIRONS. CHAP, XXŸ1. 3 3 sert de l'expression remarquable, addidit { mirabilem usum ad deprehendendas solis umbras, ère. ). Lorsque Benoît XIV fit déterrer cet obélisque dans son ancien emplacement, pour l'ériger ensuite vers le milieu du dernier siècle, on trouva quelques morceaux du cadran, composé de règles de bronze enchâssées dans des dalles de marbre. [84] L'expression sunt du même Pline, sur la présence, de son temps, des deux obélisques de Mesphéès à Alexandrie, achève de prouver que ce ne sont pas ces deux dont immédiatement après il décrit l'enlèvement par Auguste et Caligula. De ce que Strabon ne parle point de nos monolithes, on n’est pas forcé de con- clure qu'ils ont été dressés 2? postérieurement à son voyage : car il est beaucoup d’autres objets qu'il passe sous silence; et lorsqu'il cite le Cæsarinm lui-même, il ne donne qu'une nomenclature sèche d’une foule de monumens tout aussi mer- weilleux. L'agencement des fondations antiques placées auprès des obélisques d'Alexandrie au bord de la mer, et sur lesquelles s'élèvent des constructions Sar- _rasines, confirme encore ce que j'ai conjecturé sur l’histoire de ces deux mo- nolithes, et prouve que les Arabes ont ménagé le sol sur lequel se trouvoient ces fondemens pour y bâtir eux-mêmes à leur tour. En supposant la coudée Égyptienne de vingt pouces six lignes, suivant l'esti- mation ordinaire, on a, pour les quarante-deux de Pline, soixante-onze pieds neuf pouces, qui s'éloignent bien plus des deux différentes hauteurs de nos deux obélisques que les cinquante-neuf pieds huit pouces qu'on trouve en évaluant la coudée à quatre cent soixante-deux millimètres, comme l’a fait M. Jomard dans son Mémoire sur le système métrique des anciens Égyptiens. H faudroit, pour adopter la première hypothèse, supposer que le plus petit des deux monolithes a été rogné de sept pieds neuf pouces; or nous avons vu que cela étoit peu probable : la seconde ne donne que deux pieds dix pouces de différence ; elle est donc bien préférable, et mes conjectures, ainsi que le témoignage de Pline, se vérifient en s'accordant ici d’une manière très-satisfaisante. [8 s] Le voisinage de la tour antique que nous verrons bientôt, ne s'oppose point à ce que l'axe du temple de César soit dirigé du sud-est au nord-ouest, parce qu'il y a suffisamment d'espace entre ces deux monumens. D'ailleurs, la tour peut avoir été bâtie beaucoup plus tard, ou même avoir eu certains rapports avec le temple. Sa forme cylindrique est celle de la plupart des grands tombeaux Romains, tels que ceux de Plautius près de Tivoli, de Cécilia Métella et d’Adrien, encore subsistans, celui d'Auguste, &c.; et lon ne peut refuser de convenir que les rapports que je suppose entre un tombeau et un temple élevé en l'honneur d’un homme, sont assez naturels. La mer a tellement rongé et ensablé alternativement toute cette côte, que le fond du Cæsarium peut très-bien aussi s'être avancé autrefois sur l’ancien rivage (1). [86] Ces honneurs divins décernés par le sénat à César, et qui furent depuis si servilement prostitués à ses successeurs et à leurs femmes, étoïent déjà anciennement en usage à Alexandrie à l'égard de personnages non moins cruels, insensés ou corrompus, les membres de la dynastie des Ptélémées; mais, si (1) Voyez la page 44 de la Description. À 1 Sa: 3 À APPENDICE À LA DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS Antoine et Cléopatre avoient déjà élevé le temple de César lorsqu’ Auguste vint à Alexandrie, comment ne l'auroit-il pas visité, lui qui honora si bien le tom- beau d'Alexandre? et comment Strabon; qui a eu soin de rapporter cette visite, ne fait-il aucune autre mention du Cæsarium que celle de son nom! Pendant le dernier siége d'Alexandrie, les Français construisirent un fort sur la hauteur voisine du Cæsarium, et l'appelèrent redoute de Cléopatre. Ainsi nous reportions le théâtre de la guerre presque sur le même point où César en avoit soutenu une semblable dix-huit siècles et demi auparavant , lorsqu'il fut assiégé dans le quartier des palais, qui s'étendoit jusque là. TOUR DITE DES ROMAINS. [87] La pierre lenticulaire ou numismale est excellente par sa solidité et sa beauté. T1 est remarquable que c'est avec cette matière que sont faites presque toutes les constructions antigues quon voit encore debout dans la vieille ville. Toutes ces pierres sont saines et entières, tandis que celles que les Arabes ont employées, is qu’elles aient été mises en place long-temps après, sont toutes rongées jusqu'au fond; on croit que la carrière des premières est éloïgnée d'Alexandrie, Cependant, comme la composition de la pierre enticulaire a beaucoup d’analogie avec la roche coquillière qui forme la base de tout le territoire d'Alexandrie, il est possible qu'on l'ait trouvée dans l’île Pharos, ou dans quelque veine des citernes et des catacombes nombreuses qu'on a creusées dans cette ville et ses environs ; sa contexture, que j'ai décrite, et cette ressemblance avec la pierre coquillière, n’empêchent pas qu’elle ne ‘prenne un fort beau poli, qu'elle conserve malgré les effets du climat d'Alexandrie. Ce banc de roche tendre, à la vérité, qui forme le sol d'Alexandrie et qui domine au cap des Figuiers, s'étend sans interruption jusqu'au promontoire d'Abouqyr (l’ancienne Canope) et à l'ile du Marabou (l'ancienne Chersonesus ): on le retrouve lorsqu’en remontant on suit les branches qui forment la vallée du Nil et la charpente de la basse et moyenne Égypte. Hérodote en avoit lui-même reconnu la nature, lorsqu'il parloiït des coquillages trouvés sur ces montagnes. I est évident que celles-ci ont été formées par une action des eaux de la mer, semblable à celle qui a donné naissance au sol d'Alexandrie. Je ne peux point assurer que la pierre numismale n’a pas été beaucoup em. ployée par les Arabes dans les autres tours de leur enceinte : maïs il est certain qu'elle ne la point été avec autant de profusion que dans la tour dite æs Romains ; et comme cest généralement dans les ruines antiques qu'on la trouve, Ja présence de cette pierre forme une présomption de plus en faveur de l'opi- nion qui attribue cette construction aux Romains. [88] La tour ayant pu appartenir au temple de César, il y auroit, dira-ton, peu de vraisemblance que les Romains eussent placé là une construction mili- taire. Maïs ce nom de Romains, rapproché d’un édifice consacré à César et d’un lieu où il soutint un siége fameux (1), n'infirme pas au moins l'antiquité présumée (1) C’est peut-être aussi la connoissance de ce siége qui aura fait appeler ce monument par les Francs er les voya- geurs, tour des Romains. D'ALEXANDRIE ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXI. 35 de la tour, s’il ne la prouve pas complétement. Au surplus, il reste toujours démontré que cet ouvrage est beaucoup mieux construit que les autres tours, dont quelques-unes sont déjà fort bien bâties; qu'il a des caractères très-différens des leurs, et qu'il appartient à quelque vieille construction conservée par les anciens après la ruine du Cæsarium , et ensuite par les Sarrasins dans leur nouvelle enceinte. | APERÇU DES ANTIQUITÉS DU RESTE DES BORDS DU PORT NEUF. [89] Quelques observations faites en Europe tendroient à faire baisser la Méditerranée de plus de trois mètres et demi sur les côtes de cette partie du monde depuis les Grecs. D'autres personnes , au contraire, ont pensé ( et les ruines qu'on voit sous la mer le long de toute la côte d'Alexandrie, sembloïent les y autoriser) que le niveau de cette mer avoit haussé dans l'espace de plus de deux mille ans : maïs je démontrerai facilement le contraire dans la suite (1). On est seulement obligé, pour expliquer certains faïts, d'admettre plutôt l'abais- sement dont il a été d'abord question, maïs pas aussi considérable à beaucoup près que troïs mètres cinquante centimètres : le #aximum de soïxante centimètres d’élé- vation des embouchures des aqueducs inférieurs que nous avons trouvés, seroit tout au plus la limite de cet abaissement, qui a dû être très-lent. Les natura- listes de la Suède ont observé que la mer du Nord baïssoit à peu près de quatre pieds six pouces en cent ans. Tous les habitans du golfe de Bothnie sont telle- ment convaincus de la diminution de sa hauteur, qu'on se donne un ridicule à leurs yeux quand on soutient l’opinion contraire. Nous avons des exemples sem- blables dans notre ancien port d’Aïgues-mortes, où s’embarqua S. Louis et qui se trouve aujourd'hui bien en arrière dans les terres, et dans celui qu Auguste avoit fait construire à Ravenne, lequel est aussi maintenant éloigné du rivage et porte le nom de classe. Maïs souvent les dépôts des eaux du continent contribuent à cet abaissement relatif et apparent des mers. On voit, au reste, que ces change- mens de niveau ne sont pas par-tout les mêmes, qu'ils ont dû avoir des phases, et que la mer a pu s'élever sur une côte en $'abaïssant sur une autre éloignée : mais en Égypte elle paroît s'être bornée à une décroissance fort lente que j'ai indiquée. [90] Le plan incliné et très-avancé dans l'eau, qu'on trouve sur le bord du port neuf, démontre, avec beaucoup d’autres constructions analogues des en- virons, que les Alexandrins connoissoient l'usage de ce que nous appelons 4éton, celui de la pouzzolane, et la méthode de fonder ex pleine mer par ce moyen. [91] Les deux statues de Sévère et de Marc-Aurèle sont restées à Alexan- drie lors du départ de l’armée Française; elles ont dû demeurer au pouvoir des Anglais, et probablement on les a transportées en Angleterre : cette petite cir- constance rappelle la grande expédition de Sévère dans cette île, où il mourut après avoir fait construire la fameuse muraille qui la traverse. (1) Voyez la Description, pag. $$ et suiv. À, D. À Fa 3 6 APPENDICE À LA DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS POSIDIUM, — TEMPLE DE NEPTUNE — TIMONIUM, [92] La première assise inférieure de maçonnerie | en gros libages) a un mètre de hauteur; la seconde au-dessus /'opus incertum ), cinquante centimètres ; la troi- sième { d’un seul rang de briques), dix centimètres; la troisième ( de béton, par- semé de pierres équarries ), quatre-vingt-dix centimètres; la quatrième (de deux rangs de moellons esmillés), trente centimètres; la cinquième { de trois rangées de briques ), dix-huit centimètres, et ainsi de suite, alternativement 0",3o1etro ui, Jusqu'au niveau du sol supérieur environnant. [93] La marche que je suis pour la description de la partie maritime d’Alexan- drie, est l'inverse de celle que présente un passage de Strabon, pour les points où nous sommes. Ainsi, quand je tire quelque induction de ce qu'il place un objet immédiatement avant ou LCA un autre, je ne fais que substituer l’une de ces deux prépositions contraires, à l'autre. ! [94] Le nom de Neptune, Poseidôn | brise-vaisseaux, suivant Noël Jou Pose, deôr, a fourni la dénomination de plusieurs objets : le sixième mois Attique étoit ainsi appelé; Athènes, capitale des états de Cranaïüs, avoit d'abord été nommée par ce prince Posidonie; les Posidonies étoïent des fêtes Grecques en lhonneur de Neptune; il étoit lui-même la grande divinité des Libyens, voisins de la contrée d'Alexandrie. [os | J'ai traduit mot à mot regia domus par maison royale, au lieu de piatéta “ pour ne pas contrarier ce qu'on raconte du modeste établissement que fit An- toine devenu misanthrope, et la médiocrité de l'espace et des vestiges que nous retrouvons ici. [96] Je remarquerai, en passant, que, d’après la description faite par Strabon de cette partie courbe et basse du rivage appelée Posidium, puisqu til la distingue spécialement et sur une longue étendue au-delà du Cæsarium, de part et d'autre de ce temple, et qu'il nomme à part les deux édifices {le Trmonium et le temple de Neptune } placés sur ce rivage, le Cæsarium n'avançoit pas, comme eux, sur ce plan inférieur; mais il se trouvoit sur un point élevé ou plateau de la côte, comme je l'ai naturellement placé. [97] I y a sur la planche 84, É. M., bien en avant de ces masses, une coté de sonde fort remarquable, en ce qu'elle n'indique que six pieds de profondeur d'eau; ce qui est d'accord avec tout ce qu'on sait sur la corrosion de cette rive, sur ses constructions saillantes, &c. J'ai opté, de la manière qu'on a vu, entre les deux caps et les deux ruines pour les emplacemens respectifs du. Timonum et du temple de Neptune, parce que le second avance moins dans l'eau, qu'il est plus vaste, n'offre point d'indices de prolongement artificiel, et se termine aux ruines mêmes du temple de Neptune. I est inutile de supposer qu'Antoïne avoit établi son Tzmonmm en prolongeant ce dernier cap, naturellement avancé, tandis que l'autre avoit réellement besoin de travaux pour être rendu saïllant. Comment, d’ailleurs, si cela étoit, Strabon ne diroit-il pas quelles constructions importantes il y avoit sur le premier, si remarquable aujourd'hui par lui-même! D'ALEXANDRIE ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. 37 : [98] Rien n'empêche qu’on ne suppose qu’il y a eu des bains autour du temple de Neptune, dans le même temps où ce temple subsistoit, puisque ces bains n'occupent principalement que la partie du soubassement inférieure au niveau général de la plaine voisine, et que le parvis de la partie du temple fréquentée par le public pouvoit s'élever, du côté de la ville, au-dessus du premier plan. On voit, dans plusieurs villes anciennes, des thermes placés non-seulement autour des palais, maïs encore des édifices religieux : témoin les thermes d’Agrippa, légués par lui au peuple Romaïn, et qui étoient auprès du Panthéon, qu'il avoit également bâti. I n’est pas étonnant que des bains d'eau de mer (comme le prouvent pour ceux-ci les cristallisations abondantes attachées aux conduits) fussent établis sous un édifice et dans une partie du rivage particulièrement consacrés à Neptune. Au surplus, je ne prétends pas donner plus d'importance qu'il ne faut à la déter- mination rigoureuse de ces emplacemens incertains et de la plupart de ceux qui suivront : il suffit qu'ils soient établis d’une manière assez vraisemblable et qui ne se trouve pas en opposition avec les témoïgnages de l'antiquité , pour pouvoir dresser un plan de l’ancienne Alexandrie propre à donner une idée approchée et raisonnable de ce qu'étoit jadis cette grande ville. PORT CREUSÉ. [99 | Il n’est pas surprenant que Strabon ne s’appesantisse pas plus sur l'usage particulier du port creusé. Ces subdivisions du grand port n'étoient, comme je l'ai dit ailleurs, que des démarcations naturelles dans le rivage, auxquelles on ajou- toit quelquefois des ouvrages d'art, comme on l’a fait ici en fouillant pour appro- fondir le sol, pour enfoncer la courbure du bassin dans les terres, et aussi en construisant des môles pour l'agrandir davantage, la fermer, et servir de quais et d'embarcadères. J1 ne faut pas confondre ce port, assez étendu (/effossus), avec le petit bassin naturel ('occultus ac clausus ) qui étoit réservé pour l'usage des rois, et que nous verrons plus loin. Outre que leurs qualités que Strabon indique par ces épithètes, sont fort différentes, il a eu soin de les désigner séparément l'un de l'autre, quoi- qu'il ne fasse que citer le premier en passant, comme étant d’un usage commun. ÎLE ANTIRRHODE. [roo] Puisqu'Antirrhodus étoit une île, elle devoit se trouver avant ou devant le port creusé, dans le sens de la mer à la terre, perpendiculairement à la cour- bure du rivage, et non pas en suivant parallèlement les points de cette courbe que Strabon parcourt de l'œil en se plaçant dans le grand port. On pourroit, à la rigueur, entendre le mot ante de cette manière : mais alors il faudroit supposer que le port creusé étoit beaucoup plus grand; qu’il s’enfonçoit dans les terres vers le Posidium et derrière le môle ruiné ; que ce môle n’est autre chose qu'un reste de l'ile Antirrhode et des constructions qui s’y trouvoient élevées; que le bras de mer qui séparoit cette île de la terre ferme et du port creusé, s’est comblé avec le port lui-même, &c. Cette supposition reculeroit beaucoup l’ancien rivage, ce 38 APPENDICE À LA DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS qui est contraire aux apparences qu'il offre, et elle le rapprocheroïit trop des ruines dé fintérieur de la ville. [ro1 ] La rivalité entre Rhode et Alexandrie, pour la puissance et le commerce maritime, étoit bien naturelle. Mais lorsque, dans une comparaison entre de si grands objets, on voit l'immense et magnifique Alexandrie représentée par un petit ilot d'alluvion, on ne peut s'empêcher de penser que cette étymologie pourroit bien avoir quelque rapport avec la suprématie que Rhode avoit exercée sur toute cette côte dans l'enfance d'Alexandrie, et avec la manière fine et dédaïgneuse dont Cléopatre l'en fit déchoir, selon Ammien Marcellin. Dans ce cas, le nom d'Antirrhode seroit une véritable ironie, comme toute l'anecdote rapportée par cet historien sur la construction de l'Heptastadium par Cléopatre. PROMONTOIRE ET PALAIS DE LOCHIAS. [102] Peut-être, au contraire, le palais du cap Lochias n'étoit:il originairement qu'une dépendance des palais intérieurs, un palais d'agrément bâti par extension hors de l'ancienne ville, à mesure que le luxe des Ptolémées s’accrut, et ne seroit:il devenu le palais par excellence que vers le temps de Strabon; peut-être aussi, dans l’origine, les autres étoient-ils les principaux, appelés snteriores par la même raison. Ils avoient d’ailleurs des abords plus développés, formoient un grand en- semble qui communiquoit aux autres établissemens royaux et plus facilement avec la ville. ( Voyez leur article particulier dans la Description, section L, $. IL.) Au surplus, tout cela n'est ici que des conjectures plus ou moins fondées, pour accor- der les expressions des auteurs. I suffit, en pareil cas, que les hypothèses vraisem: blables soïent nécessairement peu nombreuses, et alors elles satisfont PRES autant l'esprit qu'un fait unique et asie [103] Le nom de Bazar me paroît convenir assez bien à lEmporium. Les usages et les habitudes des Orientaux ont toujours été presque immuables. Les Ptolémées, dont le chef avoit suivi Alexandre dans ses expéditions, ont dû con: server ces coutumes dans une ville tout Orientale. Les bazars modernes du Le: vant doivent donc représenter ses anciens emporta. ACROLOCHIAS. — CAUTES, [104] J'admets seulement ict que les anciens Grecs ont pu employer, comme les barbares, des débris de colonnes, parce que ce ne sont que des fragmens peu susceptibles d'être employés ailleurs autrement qu'en remplissage, circonstance importante à remarquer. Il faut observer encore que les fondemens que nous examinons sont antiques; tandis que par-tout aïlleurs où nous avons trouvé des colonnes employées horizontalement, les fondations, comme les édifices eux- mêmes, étoient modernes. GRANDE RUE LONGITUDINALE. — PORTE CANOPIQUE. [os] Le nom de platea, ou espèce de longue place, cours, que Strabon donne, dans un de ses deux passages, à la grande rue longitudinale d'Alexandrie, D'ALEXANDRIE ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. 39 justifie la belle largeur qu’on lui attribue. Cette largeur étoit de cent pieds, ou d'un plèthre. Diodore confirme cette dimension. Selon Paucton, le plèthre, me- sure linéaire et itinéraire de l'Asie et de l'Égypte, égale quatorze toises deux cent soixante-sept millièmes de nos toises. Suivant Romé de Fsle, le plèthre ou jugère des Latins est de quatorze toises un pied six pouces; il ne distingue point d'autre mesure de ce nom. Strabon s'est servi du mot de p#thron, et son interprète Latin, de celui de ugerum. Maïs, quelque terme qu'on emploie, fât-ce même celui d'erpent, il faut entendre ici une mesure Znéaire ou le côté d'une mesure superficielle propre à l'arpentage, laquelle vaudra quatre-vingt-cinq pieds et demi, selon nos deux mé- trologues Français, qui s'accordent parfaitement en ce point. C'étoit donc une lar- geur imposante qu'on avoit donnée aux deux premières rues d'Alexandrie. On peut la comparer maintenant à la largeur des rues de nos plus grandes villes, et même à celle de nos routes royales, généralement plus grandes en France qu'ailleurs, et qui pourtant n'ont communément que soixante pieds d'ouverture. Dans l'ancienne Rome même, où le transport des grands fardeaux n'étoit permis que pendant la nuit, la largeur des rues droites avoit pu, par cette raison, demeurer bornée à huit pieds | sept pieds trois pouces de France |, et celle des rues tortueuses, à quatorze et demi de nos pieds, soit qu'elles fussent militaires, consulaires ou pré- toriennes, C'est-à-dire, principales, ou bien seulement wcinales, et communiquant entre les précédentes. Lorsque Néron rebâtit une partie de la ville, et qu'il en élargit les communications, il fut loin de les égaler à celles d'Alexandrie, La belle rue pavée qu'on a déblayée à Pompeïi, n’a que quatre toises, y compris ses deux trottoirs de quatre pieds chacun. Notez qu'à Alexandrie les chevaux et les chars passoient facilement de front dans toutes les autres rues, et vous aurez une idée de la magnificence relative de cette ville dans l'antiquité, et même au temps de la plus grande splendeur de sa rivale, devenue le centre du monde civilisé. [106] Remarquons que Strabon ne dit pas que cette rue s’étendoit d’une porte de la ville à l’autre, mais de Mecropolis à la porte de Canope; ce qui annonce, ou que le grand cours se prolongeoit dans le faubourg qui portoit le nom de w/e des Morts, ou que ce faubourg touchoit immédiatement à la porte opposée à la Canopique, d'où la rue pouvoit alors partir. Cette remarque donne de la latitude pour la détermination de l'emplacement de l'enceinte antique et de Necropols à l'extrémité occidentale, et pour l'explication de la longueur de quarante stades assignée par Diodore de Sicile. [107] Le mot près de trente stades qu'emploie ee pour la longueur de la ville, est remarquable. Il prouve que dans ces grandes mesures les géographes ne-prétendoient pas mettre plus de précision que nous n'en mettons ordinaire- ment en pareil cas. Cela laisse une sorte d’indécision sur la distinction des fau- bourgs de la ville, leurs limites respectives, &c., et se prête à l'accord à mettre entre les quantités variables que donnent les auteurs pour les dimensions de la ville antique. On peut aussi appliquer à la grande rue ce que disent Strabon de la longueur des côtés de la chlamyde, et Josèphe, de celle de la ville {r); car (1) Joseph. de Bello Jud. Wib. 11, cap. xvI. 40 APPENDICE À LA DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS tous les auteurs ont soin de distinguer les fzubourgs de la cité, lorsqu'il est question de ces faubourgs; et, selon le texte précis de Strabon, la rue s’étendoit depuis Necropolis jusqu'à la porte Canopique. | J'emploie toujours ici, pour accorder ces auteurs, le stade Grec qui leur étoit commun. Cependant, comment Diodore de Sicile, qui avoit visité l'Égypte, porte- t-il quarante stades d’une porte à l’autre! Mais j'ai déjà remarqué que toujours cet auteur se sert de stades plus petits que ceux de Strabon et de Josèphe {celui que d'Anville a cherché à tirer de l’Heptastadium approcheroït assez, en en prenant quarante, de la mesure de ces deux auteurs, laquelle ne seroit excédée que de cent quatre-vingt-dix toises ou deux stades Olympiques). Diodore dit, d’ailleurs, que la ville s’alongeoïit en pointe étroite à ces deux extrémités: et il est possible que Stra- bon et Josèphe, qui n'indiquent pas avec autant de précision la position des deux portes, et qui ne parlent que de la longueur de Ja ville en général, n'aient considéré que sa masse principale, comme on le verra par la forme de la chlamyde. De plus, Diodore étant venu après ces deux auteurs, il est bien possible que, la ville croissant en prospérité depuis Alexandre, on l'ait étendue au-delà des murs que son fonda- teur avoit bâtis, comme le prouve, au moins sur les côtés du Lochias et du Mareotis, l'élargissement que ses ruines ont reçu. Enfin tout annonce que les rues se prolon- geoïent en faubourgs au-delà des portes, du moins du côté de Necropolis. [108] Achillès Tatius, « qui nous a appris les amours de Clitophon et de Leu- » cippe, étoit d'Alexandrie d'Égypte », dit M. Huet dans sa lettre à Segrais sur l'origine des romans. Il abjura le paganisme et devint évêque. L'époque où il vivoit n’est pas bien certaine; on est sûr au moins qu'elle est antérieure au règne de l’em- pereur Constance Il, qui commença à la mort de son père Constantin le Grand, en 337. Outre le roman qu’on lui attribue, et dont la morale licencieuse ne peut appartenir qu'à la première jeunesse de l'auteur, on a de lui deux ouvrages sur les Phénomenes d'Aratus, traduits par le P. Petau dans ses traités de chronologie. Le roman, écrit avec peu de naturel, a été traduit par Duperron de Castera, et nous fournira aïlleurs des renseignemens curieux sur Alexandrie au 11° siècle. GRANDE RUE TRANSVERSALE, FORME ET DIMENSIONS DE LA VILLE ANTIQUE. [109] Il est à remarquer que la grande rue transversale, telle que je l'ai dis- posée, aboutit mieux au quartier des palais, conformément à l’assertion de Philon. [ 110 | Je trouve que l'abbé Terrasson a mal traduit la phrase citée dans la Des- cription, page 62. Pour conserver cette version, il faut supposer que dans le premier mémbre il est question de la place formée par les deux rues, et dans le. second, de ces deux rues elles-mêmes et de leurs dimensions. Au reste, en prenant la phrase telle qu'elle est traduite, il est évident que cette largeur d’un arpent et tout le reste se rapportent à la place-rue, et non à la ville; alors les quarante stades, qui excèdent les trente de Strabon, ne s’'appliqueroient pas de toute nécessité à la sw{e seule, mais aussi. au faubourg dans lequel cette rue pouvoit se prolonger. Voici toute- fois la version littérale de Diodore : « La ville a une grande we qui la partage » presque D'ALEXANDRIE ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. Â1 » presque par la moitié, et qui est très-remarquable par salon gueur et par sa lar- » geur. En effet, allant d’une porte à l’autre, elle a quarante stades en longueur » et un plèthre en largeur, &c. » Ce nouveau sens, qui devroit maïntenant se rapporter à l'article de la grande rue longitudinale, s’accommoderoiïit également avec les explications que ces mêmes articles renferment. [111] Toutes les rues étoient donc ouvertes de la mer au lac Mareotis. L’inter- section rectangulaire des deux principales, et la forme, originairement rectangu- laire aussi, de la chlamyde antique, amènent naturellement la division du plan en échiquier. Il n'y avoit pas de raison pour qu'on s'efforçât péniblement de gâter ce plan, en s'écartant du parallélisme par rapport à tous ces grands cadres. Je crois que c'est par des réflexions semblables que plusieurs personnes ont regardé comme une chose reconnue, que l'intérieur d'Alexandrie étoit divisé en échiquier ; mais aucun historien ou géographe ancien, que je sache, ne l'assure positivement. [ 1 r2] Cet auteur nous apprend donc positivement qu’Alexandrie étoit entourée de murailles, et que ces muraïlles furent bâties dès sa première fondation. C’est à ces murailles que doit s'appliquer la forme de la chlamyde, et il paroît bien que les palais du Lochias et les faubourgs indiqués par les limites carrées des col- lines de décombres sur toute cette extrémité orientale ont été ajoutés depuis. Au reste, il est évident que, dans tout ce passage et sa suite, que je ne donne pas ici, Diodore a résumé Strabon. Ses dernières expressions , si l’on veut conserver le mot place, signifreront que le sommet de la courbure, ou le bas de la chlamyde, de chaque côté zord et sud, est ouvert par une grande rue { la rue transversale), et vient par ce moyen aboutir à la place du centre. [113] La chlamyde des Grecs, comme le manteau de guerre des Romains et tous Jes vétemens de cette espèce que les anciens portoient en surtout, étoit un parallélogramme rectangle, dont la largeur, qu'on faisoit communément égale à la hauteur qui se trouve entre le cou et le gras de jambe, étoit la moitié de sa longueur. Nous voyons de ces surtouts beaucoup plus courts sur plusieurs statues antiques de femme, de soldat, &c. : mais c'est toujours la même pièce d’étoffe, mais dont les proportions sont variées, et qui est diversement attachée et drapée. Aïnsi nous savons, et on le voit encore sur plusieurs statues d'Alexandre, que la chlamyde Macédonienne descendoit jusqu'aux talons; notre Le Brun a fort bien observé cette forme dans son beau tableau de la famille de Darius, que tout le monde connoît : mais on ignore les autres proportions de cette espèce particulière de chlamyde, c'est-à-dire, la largeur d’où découle tout le reste. On conçoit pour- tant que celle-ci devoit être plus considérable que dans la chlamyde Grecque proprement dite, et que le manteau Macédonien ne devoit différer des autres que par l'ampleur de ses deux dimensions; car on sait que les anciens le distin- guoient de celui du reste des Grecs, et lui donnoient par cette raison ce nom de chlamyde Macédonienne. Elle s’attachoit, comme toutes les autres, sur la poitrine ou sur une épaule, au moyen de deux agrafes placées à peu près à chaque tiers de la longueur d’un des deux grands côtés, et les bouts du côté opposé se relevoient sur les bras, et pou- AT, ŸF 4 2 APPENDICE À LA DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS voient descendre jusqu'à terre. Il étoit naturel que cela fût ainsi dans la chlamyde Macédonienne, déjà haute, et l'on voit qu'elle ne se rapprochoït pas plus du carré parfait que les autres manteaux de ce genre : aussi Strabon (1) a-til comparé la forme oblongue du monde connu des anciens à celle de la chlamydé Ma- cédonienne développée. Le rapport de 10 à 30, ou de 1 à 3, qui se trouve entre les deux axes du plan d'Alexandrie, est donc bien convenable. Remarquons d’ailleurs que, suivant les expressions de Pline (ad effigiem Macedonicæ chlamydis, orbe gyrato laciniosam, dextré læväque anguloso procursu ), ce n’est pas la chla- myde qui avoit rigoureusement la forme qu’il décrit; maïs c'est la fioure de ce man- teau qui avoit reçu, dans le tracé de l'enceinte, les modifications qu'il indique. Le nombre singulier qu'il emploie pour désigner le contour arrondi, semble bien indiquer qu'il s’agit seulement 4 bas de la chlamyde, et que le côté opposé du rec- tangle étoit resté droit, comme je l'ai tracé. Rien n'exige, du moins, qu'on le sup- pose pareïllement arrondi; et la courbure qui résulte { pour la partie inférieure des mesures données, est si foible, que la symétrie n’en souffre point. De plus, cétte interprétation s'accorde avec ce que dit Diodore 4 las du manteau, que Plutarque arrondit en un seul croissant. La dentelure des contours dé l’enceinté ré- sultoit de la distribution des tours le long des murailles. Suivant le texte précis de Pline, la figure de la chlamyde avoit été dentelée en courbe dans le bas et dentelée en pointe sur les côtés. Tout cela posé, voici comment je trouve la forme que j'ai tracée sur le plan d'Alexandrie restituée. Je suppose une pièce d’étoffe, un châle, de dix décimètres de hauteur sur trente de longueur (2), attaché sur la poitrine d’un homme par les points #, e, placés un peu plus près des coins 4, d, que le tiers de cette longueur, comme cela se trouve sur la plupart des figures antiques : les deux coins inférieurs a’, c', passent sur les bras en arrondissant en plis le bas du rectangle jusque vers les coudes f, g, et retombent sur le pied en formant les pointes »#, c; f, g, cor- respondent aux agrafes , «, et à peu près à la moitié de la hauteur du Corps : LC, et f, #, sont évidemment des lignes droites, comme le disent Pline, Dio- dore et Plutarque ; et les deux coïns 2, 4, viennent se confondre en plis verticaux sur les lignes 4 # et e « également droites. Maintenant, enlevez cette draperie de dessus le corps; étendez-la sur un plan, en tirant les deux bouts « x à droite et à gauche, effaçant par conséquent le jarret qui existoit en f et g, sans qu'il soit nécessaire de beaucoup déployer les bases eg et 0 f des deux triangles extrêmes. Laissez les quatre autres triangles des quatre coins du parallélogramme confondus avec les lignes ##, ec, fn,g ce, comme ils l'étoient dans leur position verticale, et vous aurez la figure que je crois appro- cher le plus de celle que nous connoïssons à la chlamyde Macédonienne apée et à l'enceinte d'Alexandrie antique. Vous verrez qu’elle s'adapte bien aux pro- ; (1) Geogr, Bb. XvIL. c, suivant une largeur de cinquante toises, environ le (2) Représentant des stades. Il faut seulement supposer triple de celle de fa grande rue longitudinale, pour lais- un peu plus de longueur au grand côté, pour quen'etc" ser de chaque côté de cette communication un massif viennent aboutir à netcsur le terrain, comme on le verra de construction propre aux fortifications des portes » ci-dessous. J’ai encore, après cela, coupé ces pointes n,. ( Nécropolique ) et c { Canopique ). D'ALEXANDRIE ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. 43 portions/du corps humain; aux limites des ruines principales de la ville, aux ion- gueurs des deux axes donnés par les auteurs, à leur intersection au centre de figure, &c.; enfin, que les textes que j'ai recueillis s'y appliquent mot à mot {1}. Il est inutile d'analyser davantage ici ces applications littérales. [114] H y a d’autres manières hypothétiques de restaurer les deux grandes rues, lesquelles satisfont mieux à certaines conditions, maïs en heurtent tota- lement quelques autres qui sont très-essentielles : par exemple, on pourroit faire partir la rue transversale du point V dans la direction du nord-est au sud-ouest, en suivant un espace toujours libre et toujours bordé à droite et à gauche par des collines de ruines bien prononcées ; elle traverseroit le premier pont du grand canal, qu'on pourroit conjecturér avoir été construit par les Arabes pour conserver cette ancienne et principale communication avec les nouveaux dehors de leur cité; enfin, à son extrémité occidentale V”, elle déboucheroït svr la terre ferme et dans un chemin subsistant qui peut être un reste de son ancien pro- longement à travers 47 wile des Morts. Mais on voit que le premier défaut de cette direction seroit de porter la cité antique HOp au sud, et de mettre hors de son enceinte, au nord, des points importans qu'on sait en avoir fait partie, comme Rhacotis, le bord de la mer dans le port d'Eunoste, l'origine de l'Aepta- stadium , le temple de César, &c. : son second défaut seroit de n'être pas paral- léle aux grandes lignes de l'enceinte Arabe et de son intérieur, dont les direc- tions ont nécessairement éfé conservées par les Sarrasins; condition que Je crois la plus indispensable de toutes à remplir. La rue transversale perpendiculaire à celle-ci partiroit d môle même des ports du fleuve, traverseroit deux forts mon- ticules de décombres, suivant un chemin encore pratiqué aujourd'hui, rencontre- roit à gauche le monastère chrétien (2) qui doit avoir été bâti sur un des côtés de cette rue, et à droite, une colline de décombres provenant des édifices opposés à ce monastère. Elle sortiroit enfin par une porte de l'enceinte Arabe, à travers laquelle on a dû conserver cette ancienne issue : maïs, outre son défaut commun avec la précédente { de ne point conserver le parallélisme dont on vient de parler ), cette rue auroit le grand inconvénient de ne pas couper la grande communication longitudinale à peu près dans leur centre commun. La seconde hypothèse consiste à conduire cette dernière grande rue depuis Necropolis jusqu'au - delà du cap Lochias sur le bord de la mer, en suivant la trace des monticules de décombres alongée de ce côté vers Mcopolis et sans atteindre jusqu'à cette petite ville. C'est bien là la plus grande longueur bâtie de l'ancienne Alexandrie, à une époque indéterminée et dans une certaine direc- tion, en y comprenant toutes les buttes de décombres; maïs ce n’est pas la lon- gueur de son enceinte murée. Ces monticules, qui se prolongent aux extrémités de la ligne, sont des débris de constructions extérieures ou ajoutées après coup, comme nous le verrons par toute la suite : de plus, cette ligné auroit le vice (1) Et même en substituant, dans celui de Diodore, »aboutir de part et d’autre/n, c) à une rue (la longi- Je mot rue au mot place qu'emploie l'abbé T'errasson, »tudinale) située dans le milieu ( de la ville ). » on voit bien comment « le bas de la chlamyde vient (2) £. M. planche 84. A. D. RS L3 À À . APPENDICE À LA DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS radical de ne se raccorder à aucune ruine ou trace remarquable ; de ne laisser aucune largeur à la chlamyde ou à toute autre forme de l'enceinte Grecque, au.nord de la grande rue longitudinale; de faire tomber ce côté septentrional tout entier dans la mer ; ou bien, en décrivant avec l'extrémité méridionale de cet axe un arc vers le sud, la porte de Mecropolis entreroit dans le lac Mareotis, et le grand quartier de Rhacotis , avec tous ses accessoires, seroit rejeté hors. des murailles antiques. Il me semble avoir trouvé toute cette longueur bâtie qu'on cherche, suivant le grand axe de la cité murée, et cela par une méthode préfé- rable à celle qu’on vient de voir, et qui ne laisse aucun moyen d'ajuster une rue perpendiculaire partant des ports du fleuve, se coupant avec la précédente vers le milieu de toutes les deux, et remplissant les autres conditions de rigueur, telles que le parallélisme, &c. I y à un troisième tracé hypothétique qui n’est qu'une modification de celui que j'ai établi sur le plan d'A/exandrie restituée, tant pour les deux grandes rues que pour la forme de la chlamyde, avec laquelle elles s'accordent toujours; il ne s’agit que de faire mouvoir ce cadre parallèlement aux axes, en le portant un peu plus au sud et à lest: ps au sud, afin de ne pas le faire sortir des limites des collines de décombres de la porte Canopique, dont la rue longitu- dinale rencontreroit ainsi beaucoup mieux la pointe la plus avancée qui pouvoit être le prolongement indiqué par Diodore de Sicile; plus à l'est, afin de ne pas tant faire tomber dans la mer, ou sur le bord de l'eau, l'extrémité ( que j'appellerai Nécropolique) de cette rue. La communication transversale laisseroit alors le fort Crétin à gauche, ainsi que le Cæsarium ; elle se dirigeroit sur la tour des Romains, qui pourroit avoir été une portion des bâtimens antiques dépen- dans de la porte d& 4 Lune. La ligne de l'enceinte Arabe , qui part de R pour se diriger au sud-est, et ensuite au levant, pourroit avoir été construite sur l'emplacement devenu libre de cette rue. Le quartier des palais, de la citadelle et du Bruchion, seroit plus en dehors de la chlamyde (1},et le côté nord du parallélogramme oriental et rétréci de l'enceinte Sarrasine se prêteroit encore mieux à la conjecture, que ce côté est un reste de cette antique citadelle. Enfin il se trouveroit une butte de débris d’édifices pour l’ancienne porte 4 Soleil, et le croisement des deux diamètres de l’ellipse s’opéreroit à merveille, &c. Le port Xibétos Sarrangeroit peut-être un peu mieux dans ce tracé que dans celui que j'ai définitivement restauré : mais Rhacotis, Yangle saillant et remar- quable de l’enceinte Sarrasine qui enveloppe ce quartier de la ville antique, massif qui a dû être toujours conservé, enfin plusieurs parties maritimes et importantes de la cité, seroient rejetées en dehors de l'enceinte antique; ou bien, si lon vouloit, pour les y conserver, se porter moins au sud, on sortiroit des limites des ruines hors de la porte Canopique; la grande communication transversale tômberoit sur beaucoup de massifs d'îles de maisons, au lieu de suivre des dépressions d'anciennes rues ; et cela sur les deux planches 31 et 84 également. | (1) On verra ailleurs les raisons qui font présumer que ces quartiers-étoient hors de Ia cité. D'ALEXANDRIE ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. À 5 . J'ai donc pris un parti moyen entre toutes ces combinaisons, et je me suis arrêté à celle qui donnoit la solution du plus grand nombre de cas. {115 ] D’après tout ce que j'ai dit sur la largeur et la circonférence d’Alexan- drie, qui occupoit, suivant Quinte-Curce, avec quatre-vingts stades seulement de circuit ou dix stades de largeur, tout l'espace qui se trouvoit entre la mer er le lac, il est évident que ce côté Maréotique s'est élargi depuis, comme tous les autres témoïgnages historiques et physiques annoncent, soit par des allu- vions, soit par da retraite des eaux du lac. [ 116 ] Suivant Beauzée, Quinte-Curce est placé par les uns sous Auguste ou Tibère, par d'autres sous Vespasien, et par quelques-uns sous Trajan. Blair le fait vivre sous Néron, du temps de Pline le Naturaliste. Maintenant, comment se fait-il que Pline aït donné quinze mille pas au circuit de la ville! ce qui, suivant les évaluations ordinaires, fait environ uné moitié en sus du compte de Quinte-Curce déduit des mesures de Strabon et de Josèphe. Ceci peut s’ex- pliquer par plusieurs hypothèses fort naturelles, sans qu’il soit nécessaire d’ad- mettre que Quinte-Curce a vécu beaucoup plus tôt que Pline, et que Penceinte proprement dite avoit reçu pendant cet intervalle un accroissement d’autant moins probable qu'Alexandrie commençoit à déchoir vers ces époques. L’une de ces suppositions est que le naturaliste a fait entrer dans son calcul le dé- veloppement des constructions situées en dehors des murs d'Alexandrie , bien au-delà des sommets de l'ellipse ; car il parle de route la surface Pâte, tandis que l'historien, qui ne donne que le périmètre des zwrailles, et par une mé- thode approximative, n'a pas tenu compte de ces constructions : la seconde hypothèse consiste a admettre que Pline, en réduisant, suivant un usage qui lui est familier, les mesures Grecques en mesures Romaines, à raison d’un nombre rond de stades par wxlle, se sera trompé, dans l'expression de ce rapport, ou sur Ja quantité de stades qui lui étoit donnée, ou même sur l'espèce de ces dernières mesures, qui étoïent si variées dans l'antiquité. COLONNE DE DIOCLÉTIEN. . [117] La colonne l'emporte, comme monument, même sur les obélisques plus grands qu'elle, parce qu'elle joint à l'énormité de sa masse, qui approche beaucoup de la leur, la beauté des proportions, et l'excellence du goût, qui est de- venu celui de toutes les nations. [1:18] Les faces des parties carrées de la colonne sont assez exactement orientées, nord-ouest vers la mer, nord-est vers Canope, sud-est vers le lac, sud- ouest vers Necropolis. Cette orientation sert à démêler les causes de la dégrada- tion que j'ai fait remarquer. Ce phénomène dela corrosion des pierres les plus dures est plus particulier au climat d'Alexandrie, dont j'ai fait connoître l'excessive humidité en parlant de l’esplanade : cependant il est commun à toute l'Égypte, par les causes générales que j'ai indiquées dans le texte. Cette corrosion, ainsi que la propriété délites- cente du climat et de l'air de l'Égypte, avoit été bien observée par les anciens, 46 APPENDICE À LA DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS et Hérodote l'explique à sa manière, ou suivant l'opinion des prêtres Égyptiens, lorsqu'il dit qu'il « y règne une vapeur salée qui ronge même les pyramides. » D'abord on ne peut pas ici, comme pour les monumens ex pierre calcaire, où l'état salin de tout le sol d'Alexandrie contribue évidemment à faire de grands ravages, attribuer la corrosion 44 granit à ces sels qui ne peuvent pas lattaquer, et dont il ne porte aucune empreinte. Dans l'explication que j'ai donnée, les molé- cules d’eau logées dans les petites mégalités ou pores imperceptibles de la surface la plus polie font, en s'évaporant promptement, l'effet de petits coins, comme là gelée qui donne plus de volume dans nos climats à ces molécules. C’est à cette cause de da différence d'humidité et de fraîcheur des nuits avec la sécheresse où la chaleur des jours qu'il faut rapporter l'effet que quelques personnes attribuent chez nous à l'action des foibles rayons de la lune sur les marbres, La dégradation | marquée des déux faces de l’obélisque debout, quoïqu'elle existe sur presque toute leur hauteur, bien au-dessus de cinq mètres, et sur des côtés opposés à ceux où j'ai dit que régnoit ce phénomène, loin de contrarier l'explication que j’en ai don- née, la confirme; d’abord, parce que l'altération générale due au climat règne tout autour dans le bas; et ensuite, parce que l’obélisque est au bord de la mer, tan- dis que la colonne en est assez éloignée, et que les vents du large portent sur toutes ces deux faces du premier monolithe une quantité d’eau bien plus considé- rable encore que celle qui provient de la condensation des vapeurs, terrestres. On voit, du reste, que l’action des vents régnans où des sables du désert, prise isolément, ne produit point ce phénomène remarquable dont j'ai cru intéressant d'approfondir et de bien distinguer les causes. On ne peut pas supposer que l'inclinaison de la selbane a occasionné les deux fortes cassures inférieure et supérieure du fût. On pourroit bien conce- voir comment cette dernière, qui tourne autour de Îa base jusque vers le nord-ouest, côté vers lequel penche la colonne, commencée par les causes que j'ai indiquées, auroit pu se continuer de ce côté, s'agrandir ou même se former primitivement par l'effet de la compression des parties situées le long de la ligne verticale de l’ouest. Mais comment attribuer de la même manière à cette inclinaison la séparation de lécaille qui paroft enlevée à la partie supé- rieure du fût, sous l’astragale au sud-est, et la dégradation longitudinale du même côté! On pourroit plutôt admettre, au contraire, que ce sont les cas- sures qui ont aidé à occasionner l'inclinaison du monument vers l'ouest par la différence de poids qui en résultoit sur les apothèmes opposés. Cette félure d’en haut me semble donc plus probablement due à un accident qui aura eu lieu dans le transport ou l'érection du monument, ou bien à un défaut dans cette partie du bloc. [119] La pierre angulaire chargée d’hiéroglyphes paroît être une espèce de spath calcaire quelquefoïs appelé vulgairement abätre. On voit quelques statues colossales faites avec une matière semblable dans les ruines de Karnak. [r20] Nous verrons, par le précieux de la matière et du trävail du sarco- phage de la basilique de Saint-Athanase, analogues à ceux du bloc qui soutient la D'ALEXANDRIE ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. 47 colonne, combien un obélisque entier de ce genre devoit être beau, rare à trouver dans les carrières, et difficile à en extraire. [121 | Une autre preuve qu'on n'a pas relevé la colonne après l'avoir ren- vérsée, dans les temps modernes, et que les Turcs en faisoient quelque usage, ou au moins donnoïent quelques soins à sa conservation, ce sont les réparations qu'ils ont faites au soubassement. Les Français renouvelèrent ces réparations, en en fer- mant toutes les ouvertures et formant avec la dernière retraite un socle régu- lier, pour la célébration d'une fête publique, qui eut lieu deux ou trois mois après leur arrivée. Nous verrons que la colonne peut bien avoir été abattue dans les temps an- tiques, et relevée ensuite en l'honneur de Dioclétien, après avoir été primitive- ment consacrée à Septime Sévère (1); et cela expliqueroit comment s'est faite la grande cassure d'en haut : maïs le système de fondation, semblable À celui de lobélisque du Cæsarium, que j'ai démontré être antique, n’en conservéroit pas moins aussi son caractère d’antiquité. [122] Pline surtout n'a pas manqué de parler des obélisques du Cxsarinm. Comment auroit-il oublié de citer la colonne, comme une chose étonnante, dans son chapitre sur les grands ouvrages en granit syénit ! [123] Je crois que M. de Chateaubriand est le premier voyageur qui ait rap- porté l'inscription en France. On la doit à quelques officiers Anglais qui en prirent des empreintes en plâtre. L'illustre écrivain a déchiffré, à l'œil, le mot AIOK , qui est décisif, quant au personnage qui fut l'objet de la dernière dédicace. Voici le sens de Finscription restaurée et traduite par l’auteur de fItinéraire de Paris à Jérusalem : Az très-sage empereur, protecteur d'Alexandrie, Dioclétien Auguste, po... préfet d'Égypte. H est plus vraisemblable de penser qu'un préfet, homme de l’empereur, ait pris sur lui de dédier ce monument à Dioclétien { ce qui étoit facile par une simple ins: cription), qu'il ne l’est d’en attribuer l'érection à la reconnoïssance ou à l'affection des Alexandrins pour ce prince. Il eut occasion, au contraire, d'user à leur égard d’une grande dureté. Pour renverser les entreprises d'un certain Achillas, homme puissant dans la ville, et qui cherchoit à se rendre indépendant, Dioclétien fit faire le siége d'Alexandrie, et ruina ensuite Busiris et Coptos. Il exerça de grandes vengeances, et fit des réformes sévères dans l'administration du pays. La persécution qui porte son nom, s'étendit aux Qobtes ou Égyptiens indigènes, devenus chrétiens dans cette dernière ville. Cependant il fit faire le premier des distributions de grains au peuple d'Alexandrie. La conduite de Septime Sévère envers les Alexandrins rend bien plus vraisemblable l'érection d’un monument de reconnoissance dé leur part à sa mémoire, « L'empereur Sévère , dit Spartien, se rendit dans la villé » d'Alexandrie; il accorda un sénat à ses habitans, qui, jusqu'alors, soumis à l’au- » torité d’un seul magistrat Romain, avoient vécu sans conseil national, comme » sous les Ptolémées, où la volonté du prince étoit leur loi. Sévère ne borna (1) Du temps de Sévêre on avoit trop de goût pour avoir donné à ce beau fût des accessoires aussi bruts que le chapiteau et aussi barbares que son piédestal. A8 APPENDICE À LA DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS » pas là ses bienfaits ; il changea plusieurs lois en leur faveur. » On verra, à l’article du Séma, d'autres actes de bienveillance du même empereur envers les Alexan- drins. Enfin, quelle apparence, que si la colonne avoit été faite et dressée exprès pour Dioclétien, cette grande entreprise ne fût pas exprimée dans l'inscription, et qu'on se füt borné à citer les noms de l’empereur et du préfet! D'ailleurs, cette inscription est placée comme au hasard sur le socle de la base, lequel est trop haut de proportion, et formé d’un granit de couleur différente de celui du fût et qui n'a point été poli. Il devient donc assez probable qu’on ne fit que remplacer alors la base sur laquelle étoit gravée l'inscription des Alexandrins en l'honneur de Septime Sévère. L'expédition de trois années que fit cet empereur en Orient et en Égypte, date de l'an 200. Alexandre Sévère alla aussi en Orient en 234; mais il ne paroît pas qu'il soit entré en Égypte. Le siége d'Alexandrie par Dio- clétien est de 298. [124] Le dessus du chapiteau de la colonne d’ note porte, comme celles qui étoient en usage à l’époque que j'ai indiquée, lencastrement qui a servi à placer la statue, IT est circulaire, sur six pieds trois pouces de diamètre, et deux pouces seulement de profondeur. Ilparoît que cette statue étoit en porphyre. M. le comte de Choiseul-Gouflier a trouvé au pied de la colonne un fragment de colosse qui est maintenant à Paris. [125] Les plus grosses colonnes qu’on ait rencontrées à Karnak dans Thèbes, ont, il est vrai, onze pieds de diamètre; mais elles sont en pierre de grès, et non en granit. De plus, elles sont /äties par tambours de hauteur médiocre, compara- tivement à celle de la colonne Dioclétienne. Les trois beaux fûts encore debout près de la basilique de Saint-Athanase, dans l'enceinte Sarrasine d'Alexandrie, n’ap- prochent pas de la grosseur de cette colonne, si enterrés qu'on puisse les supposer. Enfin les amas de tronçons dont j'ai parlé dans la Description, page 14, n'offrent pas de diamètres plus forts que ces trois dernières. Rien n’assure même que ces amas, quoique peu éloignés de la colonne d'Alexandrie, proviennent dk son Voisi- nage ou de quelque édifice qui lui étoit coordonné. [126] Quoique j'aie vu des monumens antiques Égyptiens dans lesquels on a employé en remplissage des pierres provenant de démolitions plus anciennes qu'eux, et couvertes d’hiéroglyphes sur un de leurs joints ou paremens cachés, l'emploi d'un tronçon d’obélisque de si belle matière à un si obscur usage me porte à penser qu'Alexandrie, où on ne l'avoit assurément transporté que pour servir d'ornement, avoit déjà subi une certaine décadence à l'époque de la cons- truction de ce singulier soubassement. La colonne ne pouvoit guère être placée seule dans un édifice accessoire, même bâti sur le plateau du monticule actuel, et qui n’auroit pu la couvrir en partie, en se coordonnant avec sa masse. Qu'elle fût seulement entourée jus- qu'à une certaine hauteur par cet édifice de clôture, et se trouvât ainsi placée dans une cour étroite, c'étoit nuire beaucoup à l'effet qu'elle étoit destinée à produire à la vue. Elle étoit donc vraisemblablement isolée et sur une espèce de place ou lieu découvert et abandonné, D'ALEXANDRIE ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. 49 Quelles que soient l'origine et la destination de ce monument, il fut sur le point d'en être détourné d'une manière assez étrange, à la fin de l’expédition Française en Égypte. On fit entrer dans le système de défense de la place d’A- lexandrie assiégée par les Anglais la construction d’un fort sur la hauteur où repose la colonne, et qui domine tout lespace entre la mer et le lac Mareous, comme on avoit fait pour la redoute dite de Cléopatre près des obélisques. Ainsi ces deux monumens les plus beaux d'Alexandrie, et qu'on auroïit pu se proposer un jour de transporter en France, ont failli éprouver les mêmes ravages occa- sionnés par la guerre. C’est encore aïnsi que la plupart des autres ont péri peu à peu, à mesure qu'on les subordonnoiït à divers projets de constructions nouvelles. Tout ce que Jai dit sur le transport des obélisques, soit des carrières de Syène par le Nil {et de leur dressement sur place ), soit d'Égypte en Europe par mer, s'applique à la colonne d'Alexandrie, qui a la même origine que ces grands monolithes, et une masse analogue à la leur. La partie des ruines de l'ancienne ville où nous sommes est tout-à-fait déserte et livrée au vagabondage des Arabes du voisinage. En allant visiter la colonne dans les premiers jours de notre débarquement à Alexandrie, nous trouvâmes au pied du monument le corps d’un canonnier de la marine que la curiosité y avoit attiré, et qui venoit d'être tué d'un coup de fusil par ces Arabes. STADE ANCIENNEMENT ABANDONNÉ. [ 127] Ce stade se trouve naturellement placé hors de l'enceinte déterminée par la chlamyde Macédonienne : maïs j'ai cru devoir en parler ici { première section , S. Il, Partie intérieure), parce qu'il étoit fort voisin de cetté enceinte, qui, après tout, n'est pas retrouvée d’une manière absolument certaine. À la rigueur, ce monument auroit dû être décrit dans la section Il, Ænyirons de la ville. [128] L’éne étoit souvent décorée de colonnes, comme ici, de statues, et même, à Rome, d’obélisques Égyptiens, qu'on y avoit transportés exprès, ainsi que nous l'avons vu pour plusieurs cirques en parlant des obélisques. Dans la plupart des grands cirques ou hippodromes, il falloit que les bornes qui se pla- çoïent aux deux extrémités fussent des constructions très-solides et faites de plu- sieurs pièces : mais on sent que, pour la course à pied, ou les autres exercices du stade, ces masses n'étoïent pas nécessaires, et que de simples colonnes pouvoient sufhire. Cette remarque indique déjà que l'emplacement que nous examinons, et dont la spina s'élevoit d’ailleurs si peu au-dessus du sol, ne servoit pas à des courses de chars ou de chevaux de selle. Dans les vraïs cirques , tels que celui de Caracalla à Rome, l'épine étoit très-haute, afin que les chars ne pussent pas heurter les statues, temples, tours et autels qui la décoroiïent. [129] Tous les emplacemens pour les jeux avoïent, outre l’épine et les bornes posées à ses deux extrémités, une barrière qui n’étoit quelquefois qu'une corde tendue, suivant la largeur, devant la file des concurrens, et qu’on laissoit tomber au premier signal donné. Sur un côté du stade, s’asseyoient les juges des jeux, placés de manière que c’étoit toujours devant eux que s’arrétoient les À. D. , ne so APPENDICE À LA DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS athlètes en achevant de fournir leur course. Il est à remarquer encore que le devant de la petite salle que nous voyons est bien exactement aligné sw le bord intérieur de l'arène et du soubassement, comme devoit l'être le podium. [130] L’hippodrome de Constantinople, commencé par Sévère, achevé par Constantin, et dont la place subsiste encore , a cent vingt pas de largeur et cinq cents de longueur. Le grand cirque, à Rome, avoit quatre Jugères ou cinquante- sept toises sept centièmes de large et trois stades et demi de long, suivant Pline, ou trois cent trente-deux toises cinquante centièmes, en supposant les stades Olympiques. Le cirque de Tarquin avoit pareïllement trois stades et demi de longueur et quatre jugères de largeur. On reconnoît, par l’enceinte des murs du cirque de Caracalla, qu'il étoit long de mille cinq cent vingt-quatre pieds et large de trois cent quatre-vingt-quinze, dit Vasi. « Il étoit certainement un » des médiocres », ajoute cet auteur de l'Itinéraire de Rome. Je me suis assuré que cette dernière dimension excède peu quatre jugères. La longueur de lhippo- drome d'Athènes étoit de quatre stades, selon Plutarque, et sa largeur, d’un stade, suivant Sophocle. M. de la Barre {1) donne aussi un stade de large à celui d'Olympie; ce qui est plus de moitié en sus de quatre jugères. [Il est vrai que M. Barbié du Bocage, dans ses Essais sur la topographie d’Olympie et de Sparte, paroît réduire la largeur des hippodromes de ces deux villes à un demi-stade; mais c'est encore près du double de celle de larène d'Alexandrie. [131] Le stade de Domitien à Rome, dont parle Suétone et dans lequel cet empereur fit courir de jeunes vierges, étoit aussi une grande allée, disent les antiquaires Romaïns, entourée de murailles, et qui servoit, ajoutent-ils, pour la course à pied; c'étoit par conséquent aussi un espace étroit et oblong. [132] On peut effectivement diviser les places qui servoient aux jeux publics dans l'antiquité, et plus particulièrement chez les Grecs, en deux grandes classes fort différentes : l’une, pour la course pédestre et les autres exercices que j'ai rappelés dans le texte ; l'autre, pour les courses de chevaux de selle, de chars ou de mules, et pour les naumachies. Ces derniers cirques ou grandes arènes appelés Azppodromes en Grèce (2), où ils ne servoient qu'aux courses de chevaux, comme le nom ‘l'indique, prirent chez les Romains celui de circus, soit à cause de la forme de lédifice, qui étoit presque circulaire et par-tout entouré, comme deux théâtres réunis par leur diamètre, soit parce que les chevaux et chars «r- culoient autour de lépine et de la borne. Chez ce dernier peuple, ils servirent aussi pour des combats de gladiateurs et de bêtes féroces, pour des chasses et autres exercices qui exigeoient un grand espace. Le théâtre même de Marcellus servoit aussi aux combats de gladiateurs, mais c'étoit encore un vaste emplacement. Les Romains n’avoient point de place particulière, comme le stade des Grecs, pour la course à pied, le pugilat, la lutte et les autres jeux de ce genre; ils fai- soient ces exercices dans leurs cirques. Il est donc prouvé encore que le monu- ment que nous examinons étoit un stade Grec de la première fondation d'Alexandre (1) Mémoires de l’Académie des inscriptions et belles- (2) Circus, qui græcè hippodromus appellatur, dit lettres. l'interprète Latin de Strabon d’après son auteur. D'ALEXANDRIE ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. st ou des Prolémées, et antérieure à la domination et à l'introduction des usages des Romains dans cette contrée. [1 33 | En effet, commentauroit-on tenu par-tout, dansdes pays et à des époques où les usages devenoïent différens, à un seul type pour les arènes! Ne varioit-on pas aussi les exercices dans le même emplacement! Ne tournoït-on pas un plus ou moins grand nombre de fois, dans la même course, autour de l'épine et des bornes! N'y avoit-il pas la course à pied du diaule (1) ou deux stades, celle de l'Acppicon ou de quatre, selon Plutarque ; la dolique où longue course, de six tours de borne’ Ce nom de daule donné à la course n’a-t-il pas été appliqué aussi à l'emplacement de cette course dans les cirques eux-mêmes’ A Rome, ne tour- noit-on pas jusqu'à sept fois (2) autour des wetæ, pour remporter le prix! Dans les hippodromes des Grecs, ne faisoit-on pas autant de fois, ou même, selon quelques antiquaires, douze fois, le tour de la borne! [134] I est bon de rapporter ici la phrase entière de Strabon : Zutra fossam sunt Serapium et alia quæedam antiqua fana, abolita ferè propter templorum factam ex- structionem Nicopol : nam et amplutheatrum et stadium et guinquennala certamina ibi celebrantur ; antiquitès verd instituta viluerunt, On a vu, dans le texte, le sens que j'ai donné au mot #x (à Nrcopolis): maïs, si lon veut supposer qu'il se rapporte à la partie occidentale et zntérieure de la ville, que Strabon décrit dans ce passage, et si l’on prétend qu'il n’est pas vraisemblable qu'au milieu de sa description il ait voulu placer le stade et l'amphithéâtre de Mrcopols, ville qu’il examine plus loin, alors il restera ce sens : « Les jeux du stade et de l'amphithéäâtre se célèbrent ze: » (dans l’intérieur d'Alexandrie, en deçà du canal). Et ce sera encore ce stade de Strabon que nous aurons retrouvé : dans ce cas, il devroït toujours y avoir un amplhithéätre dans l'intérieur de la ville antique; mais nous n’en avons point vu de vestiges distincts. D'ailleurs il n'est pas probable que les Grecs, qui ne prati- quoient pas ces jeux barbares inventés par les Romaïns, eussent bâti un amphi- théâtre dens leur ville : il est plus vraisemblable que ce furent les Romains qui le construisirent. Notre vieux stade Grec ne pouvoit plus effectivement leur suffre, et c'est pour cela qu'il tomba en désuétude à cette époque, comme Strabon nous l'apprend. ANTIQUITÉS DE L'ENCEINTE ARABE ET DE SES PORTES. [135 | Il auroit peut-être été mieux, pour faire accorder ici l’ordre chronolo- gique des constructions avec la marche géographique qui nous conduit sur leurs vestiges, et pour montrer le parti que les Sarrasins ont tiré de la ville Grecque, de ne décrire les antiquités que renferme lenceïinte Arabe qu'après avoir achevé de parcourir la première et de la faire bien connoître : maïs le peu de temps qui me reste ne me permet pas d'entreprendre les changemens que cette disposition exigeroit dans mon travail, et j'ai tâché d'éviter qu'aucune obscurité ne résultât de l'absence de ce petit perfectionnement dans la distribution des parties de ce Mémoire. l (1) Afavros , espace du stade parcouru deux fois. (2) Virgile dit même bis septem. 4. D. it $ 2 APPENDICE À LA DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS [136] Les escaliers pour communiquer d’un étage à l’autre, dans les grandes tours de l'enceinte Arabe, sont ordinairement des vis de Saint-Gilles à noyau. On remarque en général, en visitant ces tours, soit dans la distribution de f’inté- rieur , soit dans le raccordement des différentes voûtes, une sorte de régularité qui suppose dans les constructeurs quelques connoïssances de stéréotomie. Les pénétrations des divers solides sont bien prononcées, et ce qui reste de ces voûtes est encore assez régulier pour indiquer la loï suivant laquelle elles ont été engen- drées. Ce sont communément des voûtes annulaires, des voûtes en arc de cloître, des dômes, et particulièrement des portions de voûtes demi-sphériques pénétrées par des cylindres horizontaux ayant pour diamètre la corde de quatre-vingt-dix degrés du cercle générateur de la voûte sphérique. On ne retrouve point le même art ni les mêmes connoïssances dans la cons- truction. Toutes ces voûtes sont, en général, mal appareïllées et formées de ma- tériaux hétérogènes. [137] Gette pratique des Sarrasins d'introduire du boïs dans la maçonnerie, et même dans ses parties essentielles, toute vicieuse qu'elle est, s’est conservée jusqu'à présent chez les Turcs, et il est diflicile d'en rendre raison. Îls emploient même des cours entiers de planches de sapin placés horizontalement dans leurs murs, [138] L'emploi de colonnes horizontales dans des murs de fortification ne prouveroit pas nécessairement qu'ils sont modernes; sur-tout si, comme quelques personnes le pensent, les Grecs du Bas-Empire en avoient fait usage, non-seule- ment dans l'intention de faire Laison et parpaïng dans des muraïlles très-épaisses, et d'y former de grands lits de niveau, maïs encore de les diviser en pans suscep- tibles de tomber séparément, sans entraîner la chute du reste, lorsqu'ils seroient battus en brèche par le belier et devroïent inévitablement céder. Les deux plus grosses tours sont, comme on le voit, dans cette espèce de fort carré dont il est question dans le texte, et où se trouve la porte dite B46 e-Bahr, ou porte de la Marine. Celle qui s’avance au nord servoit autrefois de douane, et appartenoit dans les derniers temps à l'aghà. L'autre est abandonnée; elle a trois étages et des citernes au-dessous. On y voit effectivement aboutir un de ces aque- ducs transversaux antiques dont il a été question. L'existence des citernes vient encore confirmer l'antiquité, au moins des fondemens, de cette partie de l'enceinte et de ses tours. Il existe aussi, dans une des tours rondes à deux étages, un puits entièrement ruiné; et les gens du pays prétendent qu'il y en a encore dans les autres tours. [139] Outre les portes régulières de la ville Arabe, il y a aussi dans les murs quelques brèches qui servent de passage, comme celui qui traverse les jardins au bout de l’esplanade pl #4. [ 140] C’est une insouciance assez remarquable, parce qu'elle est caractéristique, que celle qui empêche les Tyres de se servir de voitures pour leur commodité, au moins à la ville et dans les grands travaux. Il paroît, d'après la forme des seuils des portes, et suivant d’autres observations, que les Arabes, fidèles aux anciennes D'ALEXANDRIE ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. 53 habitudes Orientales, ne faisoient pas non plus usage de chariots, et n'employoïent que des bêtes de somme, comme ïls font toujours maintenant et comme fai- soient les patriarches eux-mêmes. Cette constance ou path originaire est à observer ici, puisque les Égyptiens ont fort bien pu connoître dans tous les temps les avantages que leurs voisins tiroient des voitures, et qu'on trouve même des chars sculptés sur les murs des palais de Karnak. Les Grecs d'Alexandrie en em- ployoient certainement : c'est donc encore un usage que les Arabes ont fait perdre à ce pays. Les vantaux de la porte de Rosette furent hachés par les troupes Françaises lorsque celles-ci entrèrent de vive force dans l'enceinte Arabe. Ses fortifications avoient fourni aux Turcs le moyen de leur opposer quelque résistance. On y vayoi encore toutes les horreurs de la guerre, lorsque je la visitai. On trouve à f'ap- proche intérieure de cette porte, ainsi que dans le voisinage de B4b el-Sedr, quelques maisons modernes formant une espèce de village. Les premières sont assez neuves, et ont, suivant l'usage Turc, les fenêtres de l'étage supérieur au- dessus des trumeaux du rez-de-chaussée. Au-delà de ce faubourg, sont les buttes ou espèces de dunes de sable sur lesquelles ces troupes étoient campées pendant le premier hiver. [141 ] Je dis que l'enceinte Grecque fut conservée long-temps par les Arabes, c'està-dire, la partie qui pouvoit en subsister encore et avoir été reconstruite à neuf par les Romains ou par les Grecs du Bas-Empire, puisque les murailles d'Alexandrie furent abattues sous Aurélien { vers les trois quarts du m1.° siècle), comme l'atteste Ammien Marcellin. [142] Le siége d'Alexandrie, vers l'année 640, coûta, suivant les auteurs Arabes, vingt-trois mille hommes à A’mrou. L’apathique Héraclius n’envoya pas un seul vaisseau de Byzance y porter du secours; une grande partie de la jeunesse d'Alexandrie périt courageusement dans ces combats. L’éloignement du siége du nouvel empire, placé à Bagdad, ne permit guère aux califes Ommiades ou Abbas- sides d'encourager les arts et le commerce d'Alexandrie. D’Anville dit, pag. 63 de ses Mémoires, qu Aron démantela Alexandrie. Je n’aï rien trouvé qui confirme cette assertion, que l'auteur, au surplus, ne me semble pas énoncer d’une manière très-positive. Ce sultan Touloun est un de ces gouverneurs rebelles de l'Égypte dont j'ai parlé dans VApergu historique, et qui méditoïent dès-lors de se rendre indépendans, sous le règne du dixième calife Abbasside, le trente-neuvième depuis Mahomet. [1 est célèbre dans l’histoire d'Alexandrie et du Kaïre, et a laissé une très-belle mosquée dans cette dernière ville: Les restaurations considérables qui ont pu être faites depuis son gouvernement aux fortifications d'Alexandrie, ont donné lieu à l'opinion de quelques voyageurs modernes qui attribuent le renversement des murailles antiques et la construction des nouvelles à l’un des successeurs de Sala- din, c'est-à-dire, vers lan 1212 de notre ère. Mais ce seroit pousser encore plus loin, et sans doute beaucoup trop, la durée de l'enceinte Grecque, et contra- rier, sans preuves fortes du contraire, le témoignage précis d'Elmacin, $S 4 APPENDICE À LA DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS [143 ] La circonférence de l'enceinte Sarrasine, mesurée sur la pl #4, E. M, est d'environ quatre mille trois cents toises, un peu plus de deux lieues de poste. On peut la comparer à celle d'Alexandrie Grecque, qui étoit de onze mille trois cent quarante toises, et dont il 4 été question pag. 64 et 6$ du texte; et à celle d'une ville Française bien connue, Bordeaux, par exemple, qui à avec elle quelques rapports peu éloignés que je vais établir. Le pourtour de la partie de Bordeaux couverte de maïsons étoit, avant la révolution, d'environ cinq mille cinq cents toises. On peut comparer encore l’étendue de la ville Arabe avec celle du Kaire, qui a près de vingt-quatre mille mètres ou douze mille toïses de circon- férence , et qui nous servira à évaluer la population de [a première d’une manière assez satisfaisante, à cause de la similitude qui a dû exister entre les usages des habitans musulmans d'Alexandrie et du Kaiïre, tels que ceux de n'avoir qu'un ou deux étages à leurs maisons et de n’y loger qu'une famille. La superficie de la ville Sarrasine, mesurée sur la même planche 84, est de sept à huit cent mille toises. On peut aussi la rapprocher de celles des villes désignées dans les pages 64 et 65, citées ci-dessus. On verra, comme je l'ai annoncé dans le texte correspondant à la présente note, que cette surface est bien au-dessous de la moitié de celle de la ville Grecque. On reconnoîtra encore qu'elle est infé- rieure à celle de Bordeaux, que je trouve d'environ un million trois cent quatre mille cinq cents toises, et dont on évaluoit la population, avant 1789, à près de cent mille ames. Mais, d’après ce que je viens de dire de la similitude des usages du Kaiïre avec ceux d'Alexandrie Arabe, c'est avec la première de ces deux villes qu'il convient le mieux de confronter la seconde pour se faire une idée suffisante de ce qu’elle fut autrefois, et du sort que subit la «té antique. Ox la superficie du Kaire est de 793", 04" [ 2320"7,6 — 20885 {0 toises carrées |; et sa population, de deux cent cinquante mille habitans environ : ce qui donneroït, par analogie, quatre-vingt-dix mille habitans pour la ville Sarrasine, et feroit voir combien l Alexandrie Grecque fut réduite en population et en prospérité, dans son passage sous la domination des gouvernemens musulmans. [144] La ville des Arabes étoit encore florissante au xim.° siècle, suivant Abou-l-fedà. Ses rues étoient alignées en échiquier, forme qu'il étoit impos- sible de né pas conserver comme un reste de la distribution intérieure de la ville Grecque, dont on ne rasa et ne rebâtit certainement pas toutes a-la-fois les maï- sons habitées. Elle avoit conservé une partie de ses grands édifices internes, et continuoit de commercer au loin par les deux mers, et même encore un peu par le lac dans le temps des crues. J'ai dit ce qui subsistoit alors du célèbre phare de Philadelphe : la conquête des Turcs achevä la décadence de antique cité, et la population se porta toute vers la ville moderne. [145 | L’enceinte Sarrasine peut encore servir de défense dans certains cas, et contribue du moins efficacement à arrêter les brigandages des Arabes. Malgré les dispositions prises par les Mamlouks et la résistance de leurs troupes, une poignée de Français nouvellement débarqués, sans artillerie et presque sans muni- tions, l’emportèrent à l'escalade en peu d'instans. C'est sur le front qui s'étend D'ALEXANDRIE ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. S5 devant nous, qu'ils dirigèrent leur principales attaques et que le général Menou et lillustre Kléber furent blessés. Pendant le siége qu’un reste de ces Français soutinrent ensuite, à la fin de l'expédition, ils tirèrent parti d’une portion de l'enceinte, du phare, du fort triangulaire, &c., pour former une ligne de défense Hanquée par des redoutes coupées dans les plus hautes collines de décombres, et dont quelques-unes avoient été successivement revêtues : mais les ruines qui les entourent en rendent les approches trop faciles, et ne permettent pas à cette fortification de résister plusieurs jours à une attaque régulière. Quelques-unes des constructions Françaises, quelques pans de vieux murs réparés, ont été conservés par les Turcs, et pourroïent, avec des travaux additionnels, acquérir une cer- taine importance; mais ils dépérissent de nouveau par la négligence du gouver- nement, et ne peuvent être regardés comme des ouvrages respectables que pour les habitans et les troupes du pays, peu initiés dans l’art militaire. [146] On cultive dans les jardins de l Alexandrie Arabe, à force de travail et d'arrosage, outre les plantes potagères, le dattier, le henné, le sébestier , le citronnier , l'oranger, le figuier, le mûrier, le jujubier, l’abricotier , le prunier et le grenadier. Ces trois derniers arbres à fruit y sont cependant assez rares. [147] Il est possible aussi, et même plus vraisemblable, ce me semble, que les débris immenses de poteries qu'on trouve par tout le sol d'Alexandrie, pro- viennent de la destruction annuelle des chapelets à pots dont on se sert pour faire passer des puisards dans les citernes les eaux amenées par le khalyg. ANCIENNE BASILIQUE DITE DES SEPTANTE, OU MOSQUÉE DES MILLE COLONNES. [148] L'emploi du mot basilique, pour désigner cet édifice, exige une expli- cation. Les Romaïns appliquèrent ce nom à de beaux bâtimens { Barraixor, maison royale) construits à côté des forum et où les magistrats rendoient la justice, lorsque le mauvais temps ne leur permettoit pas de siéger en plein air. Les pre- miers édifices que Constantin et les autres empereurs Romaïns ses successeurs consacrèrent à la religion chrétienne, étoient sans doute de ce genre, ou du moins ils portèrent le nom de basilique , conservé par les Romains modernes aux anciennes églises et à celles qu’on a quelquefois bâties au-dessus , comme on le voit à Saint-Pierre de Rome et à d’autres églises. Le nom de basilique, où bâtiment royal, convient donc à cet emplacement, qui a pu recevoir des souve- rains de l'Égypte plusieurs destinations successives, comme il étoit d'usage de le faire dans ces temps-là, c'està-dire qu'il a pu être affecté par Ptolémée-Phi- ladelphe, si l'on adopte la tradition qui le rapporte, aux réunions des soixante- douze docteurs Juifs; ensuite, par les empereurs Romaïns, à un jorwm judiciale ; puis, par les empereurs Grecs, aux cérémonies de la religion chrétienne ; et enfin, par les califes, au culte musulman. [149] Quelques traditions confirment l'antiquité de la mosquée des mille Colonnes elle-même, et porteroient à penser qu'elle étoit construite sur quelque basilique de la primitive Église; car on prétend qu'il y avoit là une église de $6 APPENDICE À LA DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS S. Marc, où le patriarche d'Alexandrie faisoit sa résidence ‘et que cet évangéliste y fut martyrisé. [iso] I y a ordinairement, dans l'intérieur des mosquées modernes, un côté particulièrement consacré aux cérémonies de la prière, de la prédication et des lectures du Qorân, et qui est composé d’une suite de nefs accolées et formées par plusieurs rangs de colonnes. Ce côté est beaucoup plus large que les autres, qui ne servent que de galeries et n’ont ordinairement qu’une file de colonnes. [151] Les collines de décombres l’une auprès et en-deçà de la porte dite ds Catacombes, l'autre devant la basilique des Septante, doivent appartenir , ainsi que cette mosquée, à quelques-uns de ces temples abandonnés dont parle Strabon. CITERNES ANTIQUES, [152] Les ouvertures supérieures des citernes principales de la ville Arabe sont aussi souvent oblongues et d'une médiocre largeur, pour y placer les roues à chapelet ou à auges au moyen desquelles leur eau est élevée et se transporte ensuite dans la ville moderne, dans des outres et à dos de chameau. On remplit aussi par le même procédé lés petites citernes ou réservoirs des maisons de cette ville, en allant puiser l’eau directement au canal d'Alexandrie dans le temps de la crue du Nïil. [153] J'ai traduit le mot fons d'Hirtius par celui de source, lorsqu'il dit qu'il n'y en avoit pas du tout dans Alexandrie : car il n’est pas probable que dans une ville aussi policée il n'y eût point de fontaine artificielle ou puisard public de cette eau du Nil telle qu’elle arrivoit toute trouble, puisqu'il en existe encore aujour- d'hui sous le gouvernement Turc dans Alexandrie moderne. On voit aussi, pl 36, fig. 9, la forme de celles qu'on avoit pratiquées dans la ville Sarrasine. Le 54] Lorsqu'on découvre une ancienne citerne abandonnée, dans les fouilles qu'on entreprend de temps en temps ; si elle est près de la ville moderne, elle est consacrée aux besoins publics; si elle en est éloïgnée, elle sert à former un jardin de plus. [155] Les Turcs nettoient de temps en temps les citernes qu'ils ont con- servées ; mais ils le font mal, et pas assez souvent : aussi l’eau en est-elle souvent mauvaise par cette raison et par leflet du lavage des sels dont on a parlé; elle offre aussi, vers la fin de la saison, quantité d'insectes. Celle des citernes qui sont soignées, comme au couvent des Latins,.est toujours excellente. [156] Les citernes de la ville Arabe sont-elles antiques ou Sarrasines ! En attendant qu'un examen détaillé de leur construction et de leurs matériaux ait fourni la solution et la démonstration, on pourroit avancer, et ceci fortifrera les preuves tirées de l'inspection des objets, que les divers conquérans qui se sont succédé à Alexandrie, ayant eu le plus grand intérêt à y former un établisse- ment de commerce, ou plutôt à conserver celui qui existoit, ont été également intéressés à fournir les objets de première nécessité aux habitans qu'ils y laïssoïent ou y faisoient venir; et comme ils auroient manqué d’eau s'ils eussent détruit les citernes existantes, il s'ensuit qu'un des premiers soins du vainqueur a été de D'ALEXANDRIE ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. $7 de soustraire à la dévastation générale les réservoirs des eaux du Nil. Ce que les Français firent pour leur conservation, les Turcs, les Arabes, les Grecs du Bas- Empire, les Romains, ont dû le faire avant eux. Il semble donc raisonnable de penser que si toutes les citernes ne paroiïssent pas antiques à la première vue, c'est qu'elles ont été restaurées dans ces derniers temps. D'un autre côté, l’on a vu que, depuis la conquête d'Alexandrie par César et Auguste, son état alla toujours en déclinant. Les citernes devenant moins nécessaires par la dimimu- tion de la population, on a négligé d’en entretenir un grand nombre dont on ne trouve plus que des débris. Mais il ne paroît pas naturel qu'après les avoir détruites toutes, les Sarrasins ou les Turcs en aïent construit de nouvelles : ïls se sont servis de celles qui leur ont paru les plus commodes, et l’on ne peut pas supposer non plus que ces ouvrages si solidement faits, et placés dans un banc de roche, aïent dépéri au point qu'il ait fallu peu à peu les refaire tous et en- tièrement à neuf. \ Ce raisonnement acquiert plus de force, si l’on fait attention que le kayg ou d’autres branches de canaux ont, dès les temps les plus reculés, amené les eaux du Nil à Alexandrie, et que depuïs la confection de ce canal il a fallu re- cevoir les eaux dans des réservoirs, sans lesquels la ville seroit devenue déserte, au moins pendant un temps dont l’histoire nous auroit conservé le souvenir. Enfin ïl est bien évident que les Sarrasins n'auront pas construit les citernes que j'ai dit et qu'on sait exister sous les décombres de l’ancienne ville des Grecs et des Romains, puisque celles qui restoïent à portée de leurs habitations rendoient celles-ci inutiles. Voilà donc une classe de réservoirs reconnus bien certainement antiques. [ ne s'agiroit plus maintenant que d'y faire des fouilles, et de les com- parer à ceux qui existent dans l'enceinte Arabe, afin de Juger, par lespèce des matériaux et la manière dont ils sont mis en œuvre, si leur construction date de la même époque. Or on peut assurer, d'après les observations qui ont été faites, aux citernes de la rive droite du kkabyg, et que je rapporterai, que cette similitude a vraïment lieu entre les unes et les autres. [157] Lorsqu'après le départ de l’armée Française le canal du Nil à Alexandrie fut coupé près de Damanhour par l'ordre d’Elfy-bey, la ville n’eut pas d'autre ressource que l'eau saumâtre de quelques puits, ou celle que quelques djermes apportoient par mer. SERAPEUM ET SA BIBLIOTHÈQUE. [1 58 | Sozomène de Palestine, avocat à Constantinople, a écrit l’histoire de son temps, de 324 à 439. I semble n’avoir fait que copier celle de Socrate, dont il sera question ci-après. I mourut vers 450. [1 59] Ruffin, né en Italie, vers le milieu du 1v.° siècle, ami de S. Jérôme, alla en Égypte, visita tous les solitaires, et séjourna à Alexandrie. Il traduisit Origène, et se brouiïlla à cause de lui avec S. Jérôme. Il fut persécuté par les AÂriïens, et a écrit plusieurs ouvrages. Il fut aussi l'ami de Théophile, que nous verrons jouer un grand rôle dans la destruction du Serapeum et des temples païens en général. À. D. *H 58 APPENDICE À LA DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS [160] On célébroit vraisemblablement dans les pièces secrètes du soubasse- ment du Serapeum les mystères de Sérapis, dont nous verrons tout-à-lheure une exposition. ] [1 6 1] Vespasien, après avoir fait la guerre aux Juifs, soutenu dans son projet de s'emparer de l'empire par Tibérius Alexandre, Égyptien d’origine et préfet d'Égypte, proclamé empereur en premier lieu dans Alexandrie, s'empresse d'oc- cuper les barrières de l'Égypte, y apprend la défaite de l’armée de son rival à Cré- mone et presse sa marche vers Alexandrie, afin de réduire aussi par la famine Rome, qu'il approvisionne ensuite. Toujours hésitant à accepter l'empire, et consultant, dans sa confiance superstitieuse, les astrologues et les devins « pendant les trois ou » quatre mois qu'il passa à Alexandrie pour attendre les vents d'été, is’opéra, dit » Tacite (1), plusieurs prodiges en sa faveur. » Vespasien lui-même guérit un paralytique et un aveugle qui, « inspirés par Le dieu Sérapis, que ce peuple, livré » aux superstitions, adore préférablement aux autres divinités », supplioïent l'em- pereur de les toucher. « Ces prodiges redoublèrent dans Vespasien le desir d'aller visiter la demeure » de Sérapis pour le consulter au sujet de l'empire. I fait éloïgner tout le monde » du temple : à peine entré, comme le dieu occupoit toutes ses pensées, il aper- » çoit derrière lui un des principaux Égyptiens, nommé Basihide, &c...... » Autre miracle, car on vérifia que cet homme étoïit réellement à quatre vingts milles d'Alexandrie. ..… « Vespasien expliqua le nom de Basilide (2) comme la réponse <- » même de l'oracle. » Jusqu'ici nos auteurs n’ont rien écrit touchant l’origine de ce dieu : voici ce » que les prêtres Égyptiens en rapportent. Sous le règne de Ptolémée (3), celui » qui établit le premier en Égypte la monarchie des Macédoniens, comme ce » prince s’occupoit des embellissemens de la nouvelle ville d'Alexandrie, qu'il » Jui donnoit des remparts, des temples et un culte, il aperçut en songe un » jeune homme d'une beauté éclatante, et plus grand que nature, qui lui prescrivit » d'envoyer dans le Pont des hommes de confiance pour y prendre sa statue, ajou- » tant qu'elle feroit la prospérité du royaume, qu'elle donneroït de la grandeur » et de l'éclat à la ville qui la posséderoiït. En même temps il vit le jeune homme » remonter au ciel dans un tourbillon 4e feu. » Ptolémée, frappé de la promesse et du prodige, envoie chercher les prêtres » Égyptiens qui sont en possession d'expliquer les songes ; il leur fait part du » sien : mais, comme ces prêtres connoissoient peu le Pont, et, en général, ce » qui n'est pas leur pays, | s'adresse à Timothée, un Athénien de la race des » Eumolpides (4), qu'il avoit fait venir d'Eleusis (5) pour présider aux mystères » de Cérès. » Timothée, ayant questionné des gens qui avoïent voyagé dans le Pont, ap- » prend qu'il y avoit dans cette contrée une ville nommée Srope, et, non loin de (1) Au livre 1v de ses Histoires, Je me sers de la tra- (4) Prêtres de Cérès, ainsi nommés parce qu’ils des- duction de Dureau de Lamalle. : cendoient d’Eumolpus, fils de Musée, selon Suidas. (2) Bacineve, roi, (s) Ville fameuse par son temple de Cérès, où se (3) Ptolémée-Soter. célébroient les mystères des initiés. > 2 > ÿ > LA > ; NV >) L°2 > Ÿ 2 NV > VJ > 2 2 L 2 2 LA > VV 2 V 2 V > VU 3 | 2 V 2 V >} NV > V > V » » 3) [2 2 V 2 SJ > V » D Le > V > LA VU D) » » » » D'ALEXANDRIE ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. 59 cette ville, un temple que, suivant une ancienne tradition du pays, on croyoit consacré à Jupiter Pluton. En effet, on voyoït auprès de ce dieu là ffgure d’une femme, qu'on jugeoit être assez généralement Proserpine. » Ptolémée, par cette légéreté naturelle aux princes, non moins prompt à se rassurer qu'à s'alarmer, et bien plus occupé de ses plaisirs que des dieux, perdit de vue insensiblement cet objet, et il se livroït à tout autre soin lorsqu'il revit le même jeune homme, mais terrible et plus pressant cette fois, qui le menaça de le perdre lui et son royaume s’il n'exécutoit ses ordres : alors il fait partir en diligence des députés avec des présens pour Scydrothémis { c'étoit le sou- verain qui régnoit à Sinope). I recommande aux bâtimens de relâcher à Dé- los, pour y consulter l'oracle d’Apollon Pythien. Leur navigation fut heureuse; Apollon, s'expliquant sans ambiguïté, leur dit de poursuivre leur route, de rap- porter la statue de son pere, de laïsser celle de sa sœur. » Arrivés à Sinope, ils portent les présens, les prières, les instructions de leur roi à Scydrothémis. Celui-ci fut combattu, tantôt par la peur du dieu, tantôt par les menaces et l'opposition du peuple : souvent aussi les présens des députés et leurs promesses le tentoïent. ‘» Il se passa trois ans dans cette indécision, pendant lesquels Ptolémée ne ra- lentit point sa poursuite et ses prières, il augmentoit la pompe de lambassade, le nombre des vaïsseaux, la richesse des présens. Pour lors le jeune homme apparoît tout courroucé à Scydrothémis, et lui commande de ne plus retarder la destination d'un dieu. Comme ïäl reculoit encore, les désastres de toute espèce, les maladies, l'accablèrent, et de jour en jour la colère du ciel s’appe- santissoit plus visiblement. » Ayant assemblé le peuple, il lui expose les ordres du dieu, sa vision, celle de Ptolémée,‘les maux qui les affligent. Le peuple ne vouloit rien entendre : il étoit jaloux de l'Égypte; il craïgnoït pour lui-même, et il ne cessoit d’in- vestir le temple. C'est-là ce qui a fort accrédité l'opinion, que la statue s’étoit transportée elle-même au rivage pour s'embarquer. Puis, par un autre prodige, quoique le trajet fût immense, on ne mit que trois jours pour se rendre à Alexandrie. » Le temple fut digne de la grandeur de la ville : on le bâtit dans le quartier qui se nomme R/acots, où il y avoit eu anciennement une chapelle consacrée à Sérapis et à sis. » Telle est, sur l’origine et sur la translation de ce dieu, la tradition la plus constante. Je n'ignore pas cependant que quelques-uns le font venir, sous le troisième Ptolémée, de Séleucie, ville de Syrie, et d’autres, de Memphis , autre- fois si célèbre, boulevart de l’ancienne Égypte. » À l'égard du dieu lui-même, comme il guérit les malades, plusieurs veulent que ce soit Esculape, et quelques-uns, Ossris, la plus ancienne divinité du pays : d’autres prétendent que c’est Jupiter, à cause de la souveraine puissance qu'on lui attribue ; maïs le plus grand nombre le croit Pluton, sur divers attributs qui le désignent plus ou moiïns clairement. ». À. D. *H 2 60 APPENDICE À LA DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS [162] Des prêtres étoient chargés d'écrire les guérisons de maladies qu'on rapportoit au dieu de Canope Sérapis, et les oracles qui se rendoient en son nom. On lui attribuoiït aussi le don de prédire l'avenir; la preuve de toutes ces facultés se trouve dans la visite que Vespasien fit à son temple d'Alexandrie pour le consulter, et les guérisons que cet empereur opéra et quil rapportoit vraisemblablement au dieu qu'il visitoit. [163] Le récit de Tacite a bien l'air d’une fable inventée par les Grecs pour établir l'analogie entre le dieu de Sinope, le nouveau Sérapis, qu’ils voyoient _ ou croyoïent adoré de leur temps à Alexandrie, et l'ancien Sérapis des premiers Égyptiens. Plutarque raconte aussi lanecdote que nous venons de voir, et dit qu'aussitôt que Timothée et Manéthon le Sébennyte eurent vu la statue colossale qu'on avoit apportée de Sinope, ils conjecturèrent, d’après un cerbère (1) et un dragon qui y étoient représentés, .que c'étoit une statue de Pluton, et ils per- suadèrent à Prolémée que ce ne pouvoit être que celle de Sérapis. Ce n’étoit pas ainsi qu'on l'appeloit à Sinope; mais, arrivé à Alexandrie, il y reçut ce nom que les Égyptiens donnoient à Pluton. Tacite, qui vivoit dans le même temps que Plutarque, c’est-à-dire, sous Do- mitien et Trajan, au deuxième siècle, a parlé d’après le récit des prêtres Égyp- tiens eux-mêmes. Cependant Jablonski prétend qu'il ne s'agit pas dans ce récit de la ville de Sinope, maïs d’un mont Snopius dans le voisinage de Memphis. Au reste, son assertion n'a pour but que d'établir l'identité entre le Sérapis d’'A- lexandrie et celui de l'antique Égypte adoré à Memphis. On peut, sans cela, concilier la fable de Tacite et de Plutarque avec ce point de l'ancienne théo- . gonie Égyptienne. Il est bien vrai que quelques personnes ont prétendu, d’après cette fable sans doute, que les Ptolémées avoient introduit en Égypte le culte de Sérapis céleste; maïs on voit par tout ce qui précède qu'ils n’ont fait qu'y apporter une statue de ce dieu ou de quelque autre divinité Grecque ayant du rapport avec lui, et que ces rois Grecs ne connoïssoient peut-être pas bien avant le culte RENE de Sérapis. On voit encore qu'une chapelle du même dieu existoit déjà à Alexandrie, et l’on sait qu'il étoit dès long-temps adoré en Égypte, témoin son beau temple à Memphis. Sérapis est, comme la plupart des divinités de l'Égypte et Osiris lui-même, un emblème du soleil, ou plutôt cet astre dans une position particulière; c’est le soleïl inférieur ou près du solstice d'hiver (2), ou le dieu inférieur que les Grecs ont appelé Pluton du nom de celle de leurs divinités qui pouvoit le mieux lui être comparée. En effet, « Osiris, dit Diodore {liv. 1, sect. 1 }, a été nommé par les » uns ou par les autres Serapis, Dionysius, Pluton, Ammon, Jupiter et Pan; quelques- » uns assurent pourtant que le Sérapis des Égyptiens est le P/uron des Grecs. » [164] Tout prouve cependant qu'il y eut un autre Sérapis qu'on peut appeler terrestre, et qui présidoit à la crue du Nil, ou peut-être qu'on attribuoït au même (1) Le cerbère des Grecs avoit beaucoup de rapport Pluton. Voyez Diodore de Sicile, Macrobe et Dupuis, avec le cynocéphale, l'Anubis des Égyptiens, lequel en cités par Mongez, article Cerbère, avoit à son tour avec Sérapis, comme celui-ci avec Pluton: (2) Euseb, Præpar, evang, d’après Porphyre. aussi voit-on souvent Cerbère placé aux pieds de Sérapis- D'ALEXANDRIE ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. G1 Sérapis primitif la faculté de faire croître ce fleuve, quoique ce phénomène eût lieu vers le solstice d'été. Les colonnes des nilomètres s’'appeloient ser: api, co- lonne de mesurage, en égyptien {selon Jablonski); des coudées ou nilomètres de bois furent l'emblème de Sérapis. Voyez les notes de l'abbé Ricard, pag. 322 et suiv. de la traduction du Traé d'Isis et Osrris. [ 165 | Socrate 4 Scholastique, né à Constantinople vers 380, homme du barreau, a écrit l'histoire ecclésiastique, de 306 à 439. [166] Plutarque a combattu l'opinion de ceux que cite $. Clément d’Alexan- drie, et qui veulent que Szrapis ou Soroapis signifie un monument sépulcral d’A pis. S. Augustin la rapporte d'après Varron : « Le tombeau, dit-il, que nous appelons » sarcophage, Sappelle en grec copos.......... On fit d'abord Soroapis, et par » le changement d’une lettre on lappela Serapis. » Quoi qu'il en soit, tous les auteurs appellent indistinctement ce temple Serapeon, Serapœum, Serapeium et Serapium , consacré à Sérapis. [167] S. Jean Chrysostome parle aussi de la bibliothèque du Serapeum. [168] Au surplus, la discussion sur l'incendie de la bibliothèque du Serapeum est peu importante, puisqu'il dut en échapper assez de volumes pour servir de noyau à la nouvelle bibliothèque de ce temple, celle dont font mention, depuis la guerre d'Alexandrie, toutes les autorités que j'ai rapportées. [169] Domitien fit réparer à grands frais des bibliothèques brûlées, fit recher- cher de toutes parts des exemplaires, et envoya jusque dans Alexandrie pour tirer des copies exactes des ouvrages perdus { Suétone ). [170] Les Alexandrins devenus chrétiens durent former, sous la direction des patriarches et dans d’autres emplacemens, de nouvelles bibliothèques mêlées des restes de la philosophie païenne et de la doctrine chrétienne. Ce sont celles-là que A’mrou brüûla après que le fanatique O’mar eut prononcé son fameux di- lemme de condamnation. ANCIENNE BASILIQUE VULGAIREMENT APPELÉE MOSQUÉE DE SAINT-ATHANASE, [171]S. Athanase, nommé en 326 patriarche de l’église d'Alexandrie, fut un de ceux qui lillustrèrent le plus, ainsi que la fameuse école de cette ville, par leurs vertus et leurs talens. Il sera plus particulièrement question de lui dans la Il.° partie de ce Mémoire. [172] La description soderne et détaillée de la mosquée dite de Saint - Athanase appartient à l'État moderne de cet ouvrage. Je remarquerai seulement, pour bien faire connoître le système d'amalgame des antiquités que les Arabes ont particu- lièrement affectionné, qu'ils ont placé ici une petite colonne tout auprès d'une autre d'un diamètre plus fort: la base est souvent mise à la place du chapiteau, qui, à son tour, occupe celle de la base; des colonnes Égyptiennes sont mélées avec celles des Sarrasins; le chapiteau Corinthien est à côté d’un chapiteau bizarre en forme de corbeille; tous les fûts sont liés entre eux par des pièces de bois minces : néanmoins l’ensemble en est beau, parce qu'en architecture tout ce qui 62 APPENDICE À LA DESCRIPTION DES ANTIQUITÉS est grand et symétrique en masse, plaît à l'œil; le minaret est très-élégant, et l'effet que produit la décoration intérieure de la mosquée est tres-agréable. On retrouve ce même contraste de ruine et de restauration, de magnificence et de barbarie, dans les édifices des beaux temps des Arabes, répandus par toute l'Égypte; on le reconnoît dans la construction de l'enceinte Sarrasine d’Alexan- drie, du château du Phare et de la mosquée des mille Colonnes; on le rencontre jusqu'en Espagne dans la fameuse mosquée de Cordoue et dans le palais de l'Alhambra à Grenade. Mais au moins ce peuple, en exerçant les ravages auxquels le poussoit son fanatisme, ne se livroit pas à cette passion avec un entier aveugle- ment et par la seule fureur de détruire sans réédifier, comme l'ont fait les Qobtes dans la haute Égypte, et les Turcs d'aujourd'hui presque par-tout : {es Arabes avoient le goût des sciences et des arts; et quand même tous les monumens et l’histoire moderne ne nous attesteroïent pas ce fait, nous en trouverions un té- moignage certain dans la mosquée de Saint-Athanase. [173] On a vu, note 148, le rapport qu'avoient les #asihques avec les forum. Ces rapports pourroïent permettre, faute d’autres données, de supposer de pré- férence que le forum judiciale avoit précédemment occupé lemplacement de l'église et de la mosquée de Saïnt-Athanase. Strabon ne dit qu'un mot de ce forum après avoir parlé du gymnase, à la suite duquel il étoit effectivement en venant de la porte de Rosette vers la basilique d’Athanase. [174] Le petit bâtiment élevé dans la cour est de la forme en usage pour ces sortes de réduits destinés à loger le bassin des ablutions des musulmans. Ce bassin est communément une grande cuve en maçonnerie, revêtue d’un enduit et encas- trée dans la terre. Le sarcophage qui en tenoit lieu ici, étoit, comme on le voit, bien plus petit. [175] On appelle communément l'espèce de serpentin dont est formé ce beau monolithe, éreccia verde d'Egitto, nom générique donné en Italie à des objets de matière analogue venus d'Égypte. Ici la couleur générale de la pâte est noirâtre, ou, si l'on veut, verte, mais extrêmement foncée. Il se trouve du porphyre et du granit dans cette brèche. Les fragmens de diverses natures qui se voient dans cette pâte, d'une composition particulière et analogue au pétro-silex, sont anguleux, comme dans toutes les brèches, et non pas roulés ou arrondis comme dans les poudingues. [176] L'ichneumon, grande mangouste de Buffon, viverra ichneumon de Linné, communément appelé rat de Pharaon, et sur lequel les historiens Grecs ont ra- conté tant de choses merveilleuses par rapport au crocodile, se reconnoît facile- ment parmi les figures de la cuve : il est bien certain seulement que ce petit animal dévore les œufs de cet amphibie; de là les fables. [177] La cuve du Kaire fut enlevée par les soins de M. Coutelle, conduite à Alexandrie, et destinée à être transportée en France lors de notre premier em- barquement, après la convention du général Kléber pour l'évacuation de l'Égypte. À l'époque de la reddition définitive d'Alexandrie, sous le commandement du général Menou, on avoit inséré dans la capitulation un article relatif à la cession D'ALEXANDRIE ET DE SES ENVIRONS. CHAP. XXVI. 6; des collections des membres de l’Institut et de la Commission des arts. Ceux-ci résistèrent courageusement et avec succès, en menaçant de brüler leurs dessins et de détruire leurs collections. On ne laïssa que les propriétés publiques | quelques statues et trois sarcophages ). Le sarcophage d'Alexandrie a donc mérité d’être l’objet d’un traité, et c’est ainsi que les nations Européennes, depuis les Romains, se sont toujours disputé la possession des précieux restes des antiquités Égyp- tiennes. Le gouvernement Anglais a volontiers accordé à celui de France la faculté de faire dessiner le monolithe Alexandrin, et d’en prendre des empreïntes pour compléter notre ouvrage sur l'Égypte (1). La société des antiquaires de Londres l'a fait aussi graver en partie. Aïnsi les. arts ne seront point privés de la connois- sance de ce beau monument, qu'il avoit toujours été très-difficile aux Européens de dessiner et même de voir sur les lieux. Les Français eux-mêmes, qui venoïent d'entrer en vainqueurs à Alexandrie, ne pénétroïent que très-rarement dans la mos- quée qui le receloit, à cause des ordres sévères du nouveau gouvernement pour faire respecter les usages et sur-tout la religion des Turcs. Cependant, après le combat naval d’Abouqyr, on fit de la mosquée de Saint-Athanase un hôpital pour la marine. On n’avoit eu jusqu’à présent qu'une foible idée de la forme du sarcophage, telle que pouvoit la donner un dessin qu'on voyoit il y a quarante ans à Paris, chez M. de Bertin, ministre de la marine : mais les hiéroglyphes y étoïent tracés d’ima- gination et comme au hasard. (1) C’étoit l’objet principal de la mission donnée à de la collection Française, transportés à Londres en 1802, M. Jomard en 1814. Ce monolithe et les autres fragmens ont été à cette époque dessinés et gravés dans l'ouvrage. PEN 0." 13 ot "4 ’ ñ. à : , ES FEUX Eu LL 6 MAGA LT 3 sn, : , 4 LULUX (EL 1e ue JU ÉFÉSOTOTLENTAEE Lo : LC 1% - X 4 à Eu b : RUE | NES EEE LUS Hate À F pipe : CHIPS EU STARTER TAN d4 PL EE | »* E 4 is A Â \ cs 4 : ts 9 4 x er dut SE ÉUR À (LFB À PA 1 A "ii } TAURS-E ‘4 ; e . LS , : A ETS Ces NP D É SEA AN 9 1 , ë g | M en PES à NN 1) QU DESCRIPTION DE LA COLONNE DITE DE POMPÉE ? A ALEXANDRIE; PAR M NORRY, ARCHITECTE. II TS AT TS TT TS TS TS I I TS TT A 17° SUITE DU CHAPITRE XXVI. I TT IT TT TS A AT ET AO TT AS AT A M Le premier objet que l'œil découvre en approchant d'Alexandrie, est la colonne vulgairement appelée colonne de Pompée : elle se détache sur l'horizon, au sud des murailles de cette ville, dont elle n’est éloignée que d'environ 1 500 mètres. Sa construction est formée de quatre morceaux de granit, piédestal, base, tût et chapiteau, qui, ensemble, ont de hauteur 28",75 [88 pieds 6 pouces | I est surprenant que Pococke, Norden et les derniers voyageurs Anglais qui l'ont vue et décrite, ne fassent mention que de troïs morceaux. Quant à sa position, elle présente un tertre assez élevé, entouré de débris qui, plus considérables autrefois, ont fait croire avec vraisemblance à beaucoup d'auteurs qu’elle formoit le centre d'un vaste édifice. | Ce seroït se jeter dans le champ des conjectures que de chercher à éclaircir ou mettre en accord les différentes opinions, plus ou moins accréditées, au sujet de l'édifice dont cette colonne a pu faire partie. D'anciens auteurs Arabes parlent d’un palais immense, situé en cet endroit, appelé 4 maison de la Sagesse. D'autres rapportent que plus de quatre cents colonnes de même matière, mais d'un moindre diamètre, entouroïent celle-ci, et que, vers 1171 de l'ère vulgaire, elles furent mutilées par l’ordre d’un gouverneur d'Alexandrie, qui fit porter une partie de leurs tronçons près du port sur le bord de la mer, pour contenir les flots, ou plutôt encore pour empêcher la descente des ennemis. Abd-allatif, médecin Arabe, qui fit un voyage de Baghdäd en Égypte au x1v.* siècle, assure avoir vu encore sur pied beaucoup de ces colonnes rompues vers le milieu; elles étoient destinées par leur disposition à former des galeries couvertes. | Quelques auteurs pensent que c’est en cet endroit qu'étoit l'académie fondée par Alexandre, où Aristote et ses disciples enseignèrent. Pococke , qui avoit aussi remarqué diverses ruines autour de la colonne, rapporte, de son côté, que la tradition plaçoit en ce lieu un palais de César. ARE D DFA 2 DESCRIPTION DE LA COLONNE M. Langlès, dans ses commentaires sur Norden, croit reconnoître, d’après les diverses descriptions citées plus haut, le gymnase, dont les portiques, suivant Strabon (1), s'étendoient sur une longueur de plus d’un stade. M. de Sacy, dans les notes qui accompagnent la traduction qu'il a donnée de la Relation de l'Égypte composée par Abd-allatif (2), imagine que c’est là qu'étoit situé le Serapeum , ou temple de Sérapis, et que le monument improprement appelé colonne de Pompée, dont le véritable nom, selon ce savant, étoit colonne des Pihers, à cause du nombre considérable d’autres colonnes qui l'entouroient, faisoit partie de ce temple. Toutes ces citations n'éclaircissent point l'usage, la forme et l'étendue de l'édifice dont il s'agit; elles portent seulement à penser que la colonne qu'on voit aujourd'hui n'a point été érigée isolément, et qu’elle a sans doute fait partie d’un édifice magnifique, dont, par la suite, on pourra découvrir les traces par le moyen des fouilles, si la barbarie ou la cupidité ne les a pas fait disparoître entiè- rement. Forcé donc de renoncer à toute espèce de recherches sur l'édifice qui a pu exister en cet endroit, puisqu'elles seroient infructueuses, je me bornérai dans cet article à traiter uniquement de la colonne. La plupart des auteurs qui ont parlé de ce monument extraordinaire (3), ont cherché à déterminer, soit par l’histoire, soit par l'art, la date qui pouvoit être assignée à son érection. Shaw et Pococke observent que la colonne de Pompée n'existoit pas du temps de Strabon, puisque ce géographe n'en parle pas : le dernier suppose qu'elle a pu être érigée en l'honneur de Titus ou d’Adrien, qui, comme on sait, séjour- nèrent en Égypte. Norden pense que cette colonne est d’origine Égyptienne, qu’elle a reçu ensuite d'autres formes, et qu'elle fut élevée sous les Prolémées. Un auteur Arabe prétend qu'elle étoit surmontée d’une statue d’airain tournée du côté de la mer et montrant du doigt Constantinople; maïs que, par l'ordre d'un gouverneur d'Alexandrie, cette statue fut abattue et convertie en petites pièces de monnoïe. M. de Choiseul-Gouffier possède deux fragmens en porphyre d'une figure colossale découverte par M. Cassas au bord de la mer, dans le port neuf d'Alexandrie, et apportés en France par M. l'amiral Truguet, alors capitaine de vaisseau. L’un de ces fragmens paroît former la partie supérieure de la cuisse d’un guerrier vêtu d'une cuirasse. M. Cassas avoit pensé que la figure d'où pro- vient ce morceau, avoit pu couronner la colonne {4) : maïs, d’après la longueur de ce reste, elle auroit eu environ 7 mètres de hauteur [ 21 pieds 6 pouces |; ce qui seroit le tiers du fût, et par conséquent d’une proportion évidemment trop forte, (1) Geogr. lib. XVI1, pag. 795. un fût de colonne de 20,50 [634 1° 31] de longueur (2) Publiée en 1811; de l’imprimerie du Gouverne- sur 2,66 [845 2r0 21] de diamètre, dont le poids équi- ment. vaut à 283,910 kil. [ environ 580 milliers ]. (3) On doit en effet regarder comme extraordinaire (4) Dans son Voyage dela Syrie et de Ja basse Égypte. DITE DE POMPÉE. 1° SUITE DU CHAP. XXFVI. 3 puisque des exemples analogues font connoître. que les statues qui terminent les monumens de ce genre n'ont qu'environ la huitième partie de leur hauteur (1). Maïs, s'il reste de l'incertitude sur l'érection primitive de ce monument et sur les accessoires dont nous venons de parler, on est du moins éclairé maintenant sur la dédicace qui en a été faite à une époque fixe de l'histoire. Pococke, en exa- minant l'ensemble de cette colonne, et en relevant ses principales dimensions, avoit déjà remarqué, aux rayons du soleil, entre onze heures et midi, la trace d'une inscription Grecque sur la plinthe de la base, côté de l’ouest : il la rapporte dans son ouvrage; mais les lacunes de cette inscription et les formes indécises de plusieurs lettres avoïent empêché d'en déterminer le sens, en sorte que la tradition continuoit d'attribuer cette colonne à quelques empereurs {notamment à l’em- pereur Alexandre Sévère), maïs plus généralement à Pompée-le-Grand. Nous sommes aujourd'hui plus avancés sur ce point. Plusieurs savans, tant Anpglais (2) que Français (3), sont parvenus, avec des soins particuliers, à relever l'inscription de manière à la rendre intelligible; ils ont reconnu unanimement que ce monument avoit été dédié à Dioclétien par un préfet d'Égypte, en recon- noissance des bienfaits de cet empereur pour les habitans d'Alexandrie. A la vérité, . ils diffèrent sur le nom du préfet, à cause des lacunes de l'inscription, ou du vague qu'elle offre particulièrement dans ce nom; en sorte que les uns appellent le préfet Pollion ; d'autres, Pontius ; quelques-uns, Pompée ; et enfin le savant Villoïison, Pablius, ‘ou peut-être Porponius, qui fut consul l’an 288, avec Maximin. Quoi qu’il en soit, la version qui attribue cette dédicace à un Pompée, préfet, pourroit être préférée, à quelques égards, sur-tout parce qu'elle a sur les autres l'avantage de justifier la tradition dominante. En effet, ne peut-on pas penser que ce nom, illisible maintenant sur l'inscription, a pu y être distingué visiblement dans les siècles précédent On croit que c'est ici le lieu de rapporter cette inscription telle qu'elle a été relevée par divers savans, comme plus correcte que celle de Pococke; on y Joindra. à la suite la traduction qu'en donne Villoïison : mais on se dispensera en mème temps de rapporter les variantes intercalées par les différens savans; ces variantes, étant destinées plus particulièrement aux discussions paléographiques, seroient étrangères ici. TOM. "OTALON: ATYTOKPATOPA TON HCAIOYXON AAEZANAPEIAC STOMESIANONTONTE ATON 10... EITAPXO AILYIITOY. Publius (ou Pomponius), préfet d'Égypte, à consacré ce monument à la gloire du très-saint empereur Dioclétien Auguste, le génie tutélaire d'Alexandrie. (1) Celle de Trajan est représentée ainsi. (3) M. Jaubert, d’après lequel feu M. de Villoison a (2) MM. Desade, Dundas, Ouvrage sur la campagne _ fait le commentaire de cette inscription, Magasin ency- d'Égypte, publié par Walsh, à Londres, en 1803. clopédique, VI11. année, tom. V, pag. ss. MM. Clarke, Hamilton, &c. Archéologie Anglaise, M. de Châteaubriand, /tinéraire de Paris à Jérusalem, vol. V, pag. 60. tom, III, pag. 105. APCE À : Â DESCRIPTION DE LA COLONNE Quel que soit le nom du préfet, il est maintenant hors de doute que cette colonne a été consacrée à Dioclétien; mais, en se rapportant à ce qui a été dit précédemment sur l'édifice qui lentouroit et sur l'opinion qui donne à cette colonne une plus’haute antiquité, il reste toujours à déterminer l'époque de son érection première. Ici l'observation du monument, considéré sous le rapport de F'art, peut servir de guide pour faire une distinction essentielle entre ses parties, qui diffèrent les unes des autres par la perfection du travail et même un peu par la qualité de la matière. En effet, le füt, qui èst de granit rose, est d’un très-beau galbe, d’une fort bonne exécution et d’un poli admirable, excepté du côté du désert, où il a souffert par les sables. Le piédestal, la base et le chapiteau, dont le granit est grisâtre, sont au contraire d'un travail très-brut et de proportions médiocres (ainsi que le sont les ouvrages du Bas-Empire). Le piédestal est visiblement trop bas, les profils sont ronds et lourds, la plinthe de la base est trop élevée; enfin les diverses parties du chapiteau, ses feuilles et ses caulicoles, sont massées d'une manière molle et très-négligée. I est donc possible que ce fût, qui est évidemment d’un travail Grec, aitété érigé primitivement en cet endroit, et que depuis il ait été renversé, ses parties accessoires détruites et mutilées, et qu'on l'ait ensuite réédifié pour le consacrer à Dioclétien, en y ajoutant le piédestal, la base et le chapiteau, qui, ainsi qu'on le dit, diffèrent sensiblement du fût, tant pour le goût que pour la teinte de la matiere. Un des caractères distinctifs et très-particuliers de la fondation de ce monument est le point d'appui qui lui sert de support principal. Les tentatives qu'on a vrai- semblablement faites pour renverser cette colonne à quelque époque, afin d’en découvrir les fondations, dans l'espérance d'y trouver des trésors, ont fait mettre à nu la pes du centre au-dessous du DIÉROAÈE vers l'ouest-sud-ouest. Cette pierre, d’une pe de brèche jaunâtre, analogue à celle qu'on appelle poudingue, est elle-même un ancien fragment d'un monument Égyptien, dont on aura fait usage ici à cause de son extrême dureté : elle est couverte de caractères hiéroglyphiques qui sont renversés ; ce qui fait connoître qu'on l'a mise en œuvre en sens contraire de sa première position. Elle a un mètre et demi | 4 pieds 7 pouces ] de large sur sa face antérieure : sa hauteur, qui est plus grande, ne peut être mesurée facile- ment, à cause des autres fragmens de marbre, de granit et de pierre, qui l'en- tourent, et qui sont plus ou moins en désordre dans leur liaison; circonstance qui porte à croire qu'il y a eu un grand ébranlement dans toute la fondation. Cette opinion est encore fortifiée par l'inclinaison de la colonne d'environ 19 cen- timètres [7 pouces | du côté du sud-ouest, aïnsi que par une crevasse verti- cale de plusieurs mètres de longueur à sa partie inférieure , occasionnée sans doute par le tassement inégalement réparti. On remarque, comme Norden, que plusieurs des morceaux de marbre et de pierre formant les fondations sont cou- verts de caractères Égyptiens. , Après avoir décrit cette colonne, soit comme monument historique, soit DITE DÉ POMPÉE. 1. SUITE DU CHAP. XXVI comme monument d'art, il reste à rendre compte des moyens qu'on a employés pour s'élever sur son chapiteau, et des précautions quon a prises pour en obtenir les dimensions avec exactitude. pre Pour remplir ce but, plusieurs membres de là Commission des arts (1), protégés par une escorte, se rendirent, le 15 fructidor an 6 [ 30 août 1798 |, à cinq heures du matin, au pied du monument, munis des instrumens nécessaires pour le me- surer : quelques marins et plusieurs officiers de terre assistèrent à cette opération, notamment le frère du général en chef, Louis Bonaparte. Afin de parvenir à monter sur le chapiteau, on éleva un cerf-volant, à l'attache duquel étoit suspendue une corde d'une longueur indéfinie ; lorsque ce cerf-volant fut enlevé et passé par-dessus et au-delà du chapiteau, la corde pendante fut saisie de la main, le cerf-volant abattu, séparé de sa corde, qui se trouva ainsi passée au-dessus du chapiteau comme sur la circonférence d'une poulie: à cette première corde on en substitua une plus grosse, et à celle-ci une troisième qui fut fixée par des piquets au pied de la colonne, et qui étoit assez forte pour qu'un mousse püt se hisser sur le chapiteau, et y préparer, par le moyen de cordages autour d’une volute d'angle, une moufle propre à élever tour-à-tour plusieurs personnes assises a cet effet sur un banc suspendu. Après ces dispositions , en quelques minutes, quatre ou cinq personnes se trouvèrent portées sur le sommet du chapiteau, dont elles prirent les mesures, tandis que d’autres s’occupoient à relever celles de la base et du piédestal , et qu'en même temps aussi l’on obtenoïit, par le moyen d’une corde tendue du haut en bas, la mesure générale, qui fut elle-même vérifiée par le graphomètre. Les divers diamètres du fût furent aussi pris par l'un des artistes, élevé et main- tenu successivement à la hauteur de la base, à la partie moyenne du fût, et près de l'astragale. Afin d'obtenir d’une manière exacte les différens diamètres, cet artiste se servoit d’une grande équerre embrassant horizontalement le fût de la colonne: à cette équerre se trouvoit adaptée une flèche mobile dans un coulisseau, par- tageant l'angle droit en deux, et s'avançant dans la direction du rayon de Ia colonne, jusqu'au point de contact de sa circonférence ; en sorte que, les hy- poténuses des triangles déterminés à chacune des stations par la longueur de la flèche, étant considérées comme côtés d’octogones, les cercles inscrits à ces divers octogones donnoient les diamètres cherchés (2). C'est par ces divers moyens, et avec quelques précautions de détail, que les mesures de diamètre et toutes celles des différentes parties de cette colonne ont été obtenues avec beaucoup de précision, aïnsi qu'on peut en juger par la planche gravée, sur laquelle les cotes ont été soigneusement rapportées (3 ). On terminera cet article en faisant remarquer, ainsi que lexpriment les dessins gravés, que le dessus du chapiteau est creusé circulairement sur 2 mètres (1) MM. Le Père, Dutertre, Protain, Norry. (2) Cet instrument, aussi simple qu’ingénieux, avoit été imaginé et disposé par M. Le Père. (3) Voyez pl. 34, À, vol, V, 6 DESCRIPTION DE LA COLONNE DITE DE POMPÉE. [environ 6 pieds | de diamètre, et sur 7 centimètres le pouces 6 lignes | de profondeur; il est probable que ce creux étoit destiné à l’encastrement du socle ou piédestal qui a dû porter la figure colossale dont on a parlé plus haut. Enfin, au centre de ce cercle, on trouva un petit pavillon en fer battu : ce pavillon étoit renversé, et l'on y avoit gravé qu'en 1789 Fauvel, artiste Français, avoit mesuré la hauteur totale du monument, et lui avoit trouvé 86 pieds 9 pouces, dimension fort rapprochée de celle qu'ont relevée les artistes de la Commission qui se sont livrés à ce travail, | NOTICE SUR UN GRAND MONUMENT SOUTERRAIN, À L'OUEST DE LA VILLE D'ALEXANDRIE; PAR P. MARTIN, INGÉNIEUR Au Corps ROYAL DES PoNTs ET CHAUSSÉES. II A OS I TT TS TT TT I TS ST II; SUITE DU CHAPITRE XXVI. II I OT OS IT A IS OT TS TS A Ex donnant la description des monumens de l'antiquité encore existans dans la ville d'Alexandrie ou près de ses murs, presque tous les voyageurs ont parlé de catacombes et de baïns, et parmi ces derniers il en est un à qui ils ont donné le nom de bains de Cléopatre ; mais aucun n’a parlé, au moins avec exactitude ou avec quelques détails, d’un grand monument souterrain que l'on peut attri- buer aux anciens rois d'Alexandrie. Pococke et Norden, qui seuls paroissent en avoir connu l'existence, laissent même douter s'ils l'ont vu, par le vague et l'abrégé de la description qu'ils en donnent. Le premier, qui cependant est un des plus estimables voyageurs , S'ex- prime ainsi dans son magnifique Voyage en Orient: « Les plus belles de ces cata- » combés sont à l'extrémité de l'ancienne Mecropolis : elles sont taïllées dans le roc, » et plusieurs ont des niches ornées d’une espèce de piliers d'ordre Dorique. » II y joint une planche, mais qui na presque point de rapport avec la fabrique en question. Le second ne parle qu'imparfaitement de la rotonde sous le nom du Grand Temple , qu'il présume avoir dû être le tombeau de quelque grand seigneur, peut- être même, dit-il, d'un roi (1). Il est donc important de faire connoître ce monument précieux, le seul qui conserve encore un ensemble de grandeur et de régularité. Son caractère d’archi- tecture indique évidemment qu’il appartient au premier âge de cette ville fameuse, pendant lequel cet art florissoit en Grèce. Laiïssant à d’autres le soin d'établir des conjectures sur sa véritable destination, je vais seulement détailler sa position et son état actuel, d’après les plans et coupes que j'ai levés avec mon collègue M. Faye, en frimaire de l'an 8 [ décembre 1709 |. Si l'on suit le rivage de la mer à l'ouest, après avoir passé le port vieux (1) Voyage en Égypte et en Nubie, tom. [.%, pag. 24. 8 NOTICE SUR UN MONUMENT SOUTERRAIN d'Alexandrie, on rencontre à chaque pas des restes de catacombes taïllées dans le rocher, qui sont actuellement recouverts par la mer. La construction uniforme de ces fabriques composées dé salles dans lesquelles sont pratiqués plusieurs rangs de niches aussi taïllées dans le roc et de dimensions propres à recevoir des corps encaissés, fait voir qu'elles avoient été établies pour servir de sépulture à ces corps et les y conserver embaumés. On en voit quelques-unes ainsi disposées dans l'intérieur des terres, particulièrement à côté de la mosquée ruinée que l'on rencontre sur le bord du lac Mureotis. Au milieu de ces ruines, toujours sur le rivage de la mer et à environ quatre mille mètres des murs d'Alexandrie, on voit les baïns qui portent le nom de Cléopatre. C'est dans cet endroit que se trouve le monument souterrain dont Jé veux parler, et que l’on peut présumer être le tombeau des rois. Le plan général en représente la masse et les accessoires. Les accidens du rivage forment, à environ 60 mètres à l'est de ces bains, une petite baie de 26 mètres de largeur, sur 60 mètres de profondeur : fouverture en est entièrement fermée par deux gros rochers qui ne laissent qu’une petite passe pour les canots. Au fond de cette baie, le terrain s'élève assez brusquement, et l’on voit au milieu de la pente un petit trou qui forme l'entrée actuelle du monu- ment, et par lequel on ne descend qu'avec une grande peine. (On doit avoir soin de se munir de flambeaux.) Après avoir parcouru une longueur de 10 mètres, on se trouve dans une: première salle, où l’on peut déjà se tenir debout. A droite et à gauche sont de petites chambres carrées, encombrées de sable (1), maïs où l'on voit de belles voûtes soutenues sur des pilastres et sur une corniche de fortes proportions; elles présentent des pénétrations de cylindres horizontaux à angle droit, portant le caractère du bon goût, et sont couvertes d’un enduit cris- tallisé, sur lequel on voit tracées des lignes rouges de projection, tirées de la naissance vers la clef, où est dessiné un soleil. Autour des côtés de ces carrés, on a pratiqué des niches voûtées en berceau et ornées aussi de pilastres pliés dans l'angle, soutenant une corniche : cette première salle a 8",40 de longueur, sur 8,80 de largeur. On entre ensuite dans une plus grande salle par une porte qui est dans le mi- lieu et qui a 3,40 de largeur : nous n'avons pu en voir l'extrémité, parce qu'elle est remplie de terre jusqu'au plafond. De légères dépenses que l’on feroit pour pratiquer un petit chemin le long des murs, pourroient faire reconnoître les autres parties , qui, malgré nos recherches opiniâtres, nous sont restées inconnues. Aux deux côtés de cette salle sont encore deux petites chambres semblables aux précédentes. En cherchant autour de celle qui est à droite, nous avons trouvé dans le mur une coupure qui nous a conduits dans un vaste corridor à moitié encombré de terres, et dans le plafond duquel on voit trois puits en pierres sèches, que nous avons présumés être les trous par lesquels on a jeté les terres qui encombrent le monument, Ce corridor a 12 mètres de longueur sur deux largeurs , lune de (1) Voyez le plan, 4. vol. V, pl. 4r, fig. 2, À L'OUEST D'ALEXANDRIE. 11° SUITE DUCHAP.XXVI. 9 s",60, l’autre de 3 mètres. Il donne entrée dans un autre corridor qui conduit à une grande salle carrée dont je parlerai plus bas. Il communique enfin à une belle salle dont les dimensions lui donnent pour longueur exacte la diagonale du carré construit sur sa largeur (6”,80 sur 9",60). Sa décoration est simple et convenable au caractère de la fabrique. Quatre por- tiques sont ouverts sur les quatre faces. Trois de ces portiques sont enrichis de pilastres supportant des frontons ornés de modillons et denticules, et surmontés d’un croissant. Aux deux côtés de la face à gauche, se trouvent deux petites portes dont les dessus sont décorés d’une riche corniche, aussi denticulée, que présente la coupe € D (1). Le reste des murs est absolument nu, et le plafond présente une grande voûte en berceau, où l'on voit encore des lignes rouges qui indiquent que lon devoit la décorer de caïssons à rosaces, De cette salle on entre, à gauche, dans une belle rotonde qui paroït être le but et le centre principal du monument; elle 27 mètres de diamètre, et $”,83 de hau- teur depuis le sol du roc, y compris la coupole, de 2",2$5 de flèche au-dessus de la corniche du pourtour. Cette rotonde est régulièrement décorée de pilastres d’une ordonnance particulière, ainsi qu'on le voit dans la coupe À B (2). Autour sont pratiqués neuf tombeaux décorés comme ceux dont j'ai donné le détail dans la première salle. Nous avions déjà fait fouiller jusqu'au pied d’un des pilastres, et nous avions trouvé l'eau salée un peu au-dessous du socle qui en forme le, piédestal. Nous hésitions à croire que ce fût l’eau de la mer, pouvant encore supposer que c'étoit une filtration d’eau de pluie, imprégnée des sels dont ces terres sont chargées: mais nous navons plus conservé de doute, lorsqu'ayant trouvé la même eau dans les niches qui entourent la rotonde, et ayant fait le nivellement de ce point à la mer, nous l'avons reconnu plus bas seulement de 0",078, différence que produit l'effet ordinaire du siphon par filtration; ce qui nous a prouvé que le sol du monument ne pouvoit pas être plus bas que la base de ce piédestal des pilastres. Le nivellement dont je viens de parler, nous a donné $",092 pour l'épaisseur des terres ou du rocher au-dessus de la coupole. Rien n’est étonnant et ne frappe comme l'effet de cette rotonde souterraine, éclairée par une grande quantité de flambeaux ; leur lumière réfléchie sur l’enduit cristallisé dont elle est couverte, présente des effets agréables d'optique. On admire cette pièce avec d'autant plus de plaisir, qu'on la voit dans toute sa hauteur, ainsi que les tombeaux qui l'entourent; car elle n’est point du tout encombrée de terre, comme les autres salles, qui en sont tellement remplies, qu'il est impossible d'en considérer toutes les parties et de juger de leur ensemble. | Revenant dans la salle qui précède cette rotonde, on entre dans un corridor qui forme le prolongement du premier dont j'ai parlé, et qui, disposé dans la même symétrie, donne entrée à la grande salle carrée que j'ai déjà annoncée. A l'extrémité de ce corridor, on trouve une petite salle de 4”,10 de longueur sur 5,70 de largeur. Au milieu est un puits dans le plafond, et la salle est (1) Voyez vol. V, pl. 4r, fig. 4. (2) Ibid. fig. 2. A+. D. dut : 1O .… NOTICE SUR UN MONUMENT SOUTERRAIN entourée, dans son intérieur et dans le milieu de sa hauteur , d’une voûte en brique dont on ne voit que la naïssance, et qui semble n'avoir été construite que pour soutenir une galerie däns le pourtour. Au-dessous de cette voûte est pratiqué un uou carré de 0,66 de côté. Nous nous y sommes glissés à plat ventre : nous avons reconnu qu'il s'élargissoit ét prenoit une forme sinueuse : mais nous n'avons puy pénétrer bien avant, à cause des terres qui l'encombrent et de l'eau qu'on y trouve. Sà position sur le plan peut faire croire qu'il servoit à des mystères religieux, et qu'il cachoït au vulgaire quelques supercheries des prêtres. : Revenant encore dans la salle qui précède la rotonde, et suivant l'axe de ces deux belles pièces, on trouve sur le même prolongement une magnifique salle carrée de 16",20 de côté, dans laquelle on entré par une large porte de 4",20 d'ouverture. Au milieu ie cette salle sont pores douze gros piliers pour en supporter le plafond, qui est horizontal. Nous n'avons pu pénétrer au centre; mais il nôus à paru que lé carré limité par ces piliers forme un grand puits, ainsi qu'on peut en juger par les terres qui descendent en talus du dessus du chapi- teau-dans la salle : l'ordonnance de ces espèces de pilastres est la même que celle des pilastres de plus petites dimensions que nous avons vus dans les pièces pré- cédentes. La décoration de la salle conserve toujours le même caractère de gran- deur et de simplicité que nous avons déjà remarqué. Les deux côtés parallèles à l'axe sont semblables, ou au moins il paroît qu'ils devoient l'être; car il faut observer que ce monument n’a point été achevé : fes dessins tracés en rouge que nous avons déjà cités, et qui se trouvent en plus grand nombre dans cette salle, indiquent assez qu'on n'y avoit pas mis la dernière main. Chacune de ces faces est décorée de trois portiques, qui ont, savoir, celui du milieu , 220 d'ouverture, et ceux des côtés, 2"20: cés derniers seuls sont surmontés de frontons, qui sont seulement tracés en rouge. Les deux côtés per- pendiculaires à l’axe n’ont aucun ornement. Une remarque, peut-être peu impor- tante, mais du moins curieuse, que nous avons faite dans cette salle, est, que les directions des deux diagonales sont exactement situées aux vrais points car- dinaux du ciel. En suivant toujours le prolongement de l'axe, on trouve, sur un des côtés perpendiculaires, une porte de 3",20 d'ouverture, où l’on n'aborde qu'avec la plus grande peine. Nous avons fait tous nos efforts pour pénétrer dans l'issue où elle conduit; mais il nous a été impossible de reconnoître où se termine ce grand axe, que l’on suit depuis le fond de la rotonde : les terres nous ont entiè- rement bouché le passage dans cet endroit; ce qui nous a obligés de revenir sur nos pas. Nous sommes alors entrés dans le portique du milieu d’un des côtés parallèles au grand axe , et nous avons reconnu une assez belle salle dont le plafond est hori- zontal. Elle a 9,20 de largeur, sur $",00 de profondeur. De chaque côté s'élèvent lun sur l’autre trois rangs de trous pratiqués pour recevoir des corps embaumés (1) . sur 2" de profondeur, 0",60 de largeur, et 0",90 de hauteur. Ces sépultures sont (1) Voyez la coupe E F, vol, V, pl. 4r, fig. s L ! À L'OUEST D'ALEXANDRIE. J1* SUITE DU CHAP. XXVI. 11 actuellement arrachées, et l'on en voit seulement la trace sur les murs et au pla- fond. Le milieu de cette salle est percé d’une porte de 2",20 d'ouverture, garnie de pilastres supportant un petit fronton. Cette porte donne entrée dans une petite pièce voütée en berceau, décorée de deux pilastres, et dans laquelle on voit un conduit où un homme peut se glisser à peine. Nous y sommes entrés; et après l'avoir suivi très-long-temps , nous avons rencontré l’eau de la mer : ce qui nous a empéchés d'aller plus loin, quoique le conduit se prolongeät davantage. Aux deux côtés de la salle des sépultures sont deux très-petites pièces qui répondent aux deux portiques couronnés de frontons dont j'ai parlé dans le détail de la grande salle carrée. Le second côté, parallèle à l'axe du monument, est, comme je l'ai déjà dit, absolument semblable au premier, et l'on voit de même une salle à sépultures dans le portique du milieu. L'impossibilité de pénétrer plus avant dans le prolongement de l'axe nous auroit fait terminer là nos recherches, si nous n’eussions trouvé dans la petite pièce à droite de la première salle des sépultures dont j'ai parlé , un trou de 0,25 de diamètre, pratiqué par violence dans le mur, pour laïsser passer un homme. Nous y avons pénétré , et nous sommes entrés dans une grande salle carrée de 107,90 de côté, maïs qui n'avoit aucun ornement ni aucune décoration. Le plafond en est horizontal. Nous avons découvert, sur un des côtés, une porte bouchée par les terres, et qui, d'après le rapport sur le plan, conduit nécessairement à l'allée du prolongement du grand axe, où l'encombrement des terres nous a empéchés de pénétrer. On voit un puits dans le milieu de Îa salle. Sur un autre des côtés, est un corridor de 2",10 de largeur et 4",80 de lon- gueur, qui conduit dans un péristyle soutenu de piliers. Malgré l'encombrement, nous sommes parvenus à en reconnoître quatre ; et, en suivant le côté de ce péris- tyle perpendiculaire à l'axe, nous avons vu une porte que cet axe traverse dans son milieu. Nous avons encore été arrêtés à cette porte qui est entièrement bouchée. Les murs de ce péristyle sont recouverts d’un enduit de ciment, qui tient peu , et dont la qualité est très-inférieure à celui de la rotonde et des tom- beaux qui sont tout autour. | Tels sont les détails de ce grand monument souterrain, dont la construction étonne lorsque l'on voit que cette grande quantité de salles, aïnsi que celles dont nous n'avons pu voir que les abords, sont toutes creusées dans un seul rocher et piquées à la pointe du marteau. En jetant les yeux actuellement sur l'ensemble du plan, on en remarque la régularité, et lon reconnoît la place des parties qui nous sont restées cachées, mais dont l’existence nous est démontrée. L'entrée principale étoit vraïsembla- blement à la dernière porte que nous avons aperçue et qui se trouve près du bord de la mer. De l'autre côté de l'axe se place naturellement une partie semblable du péristyle dont nous avons vu les quatre piliers. Du même côté, on trace le corridor et la salle carrée semblable à celle par où nous avons pénétré dans le péristyle. En régularisant enfin les parties que nous avons observées, on peut raisonnable- ment croire qu'il existe, à droite du monument, un corps semblable à celui qui se } 2 NOTICE SUR UN MONUMENT SOUTERRAIN. compose des deux premières salles dont j'ai parlé; et si lon prolonge la seconde de ces deux salles, on peut imaginer un corridor qui, derrière la re.onde, réuniroit ces deux corps latéraux , et alors on voit se dessiner un ensémble grand et majes- tueux. Qu'on ne croie pas que l'hypothèse de ces additions ne soit fondée que sur imagination; car, si l'impossibilité de pénétrer à travers les terres ne nous a laissé rién voir dans l'intérieur qui puisse appuyer ces idées, nous avons reconnu à la surface extérieure plusieurs puits semblables à ceux dont jai parlé, et qui ré- pondent aux parties que nous supposons exister (ai Nous avions pensé d'abord que ce qu'on appelle es bains de Cléopatre faisoit partie de ce monument, et que la manière dont ils lui seroient liés nous donneroit quelques idées sur sa destination. Nous avons, en conséquence, levé le plan de tous les accessoires; maïs nous avons reconnu que ces prétendus baïns n’ont aucun rapport avec le monument. Ils paroïssent de construction Arabe, aïnsi qu'une citerne qui est à côté, et une grande mosaïque dont on voit les restes au-dessus . des baïns. D'après les détails ci-dessus, et sur-tout d’après la position de ce monument au milieu de l'ancienne Necropols , il paroît certain que c'étoit un tombeau destiné à renfermer dans la rotonde le corps de quelque grand personnage , et autour, ceux de ses parens qui le touchoiïent de plus près. Les deux salles des sépultures que nous avons vues aux deux côtés de la grande salle carrée, paroissent avoir été des- tinées à conserver les corps des princes ou autres personnages remarquables : les autres salles et les deux grands corps latéraux étoient vraisemblablement affectés aux cérémonies religieuses et funèbres du temple dédié à Hécate, ainsi que Pin- diquent les croïssans qui se voient sur la partie supérieure des frontons : le conduit souterrain que nous avons reconnu au-dessous de la voûte en brique , pourroit faire croire, comme je l'ai déjà observé, que la célébration de quelques mystères n'étoit pas étrangère aux cérémonies pratiquées dans ces tombeaux. Enfin le petit conduit qui mène de la salle des sépultures à la mer, étoit bien évidem- ment destiné à la purification des corps que l’on devoit embaumer. Étoit-ce donc là le tombeau des Ptolémées, que les Alexandrins paroïssoient si empressés de montrer à Octave, après que ce nouveau maître de l'Égypte eut visité celui d'Alexandre (2)! Étoit-ce le magnifique tombeau, orné d’un grand nombre de niches et caveaux, où Fhistoire nous apprend que Cléopatre se réfugia , et où elle fut prise vivante par Proculeïus, lieutenant d'Octave , après la défaite et la mort d'Antoine (3)! C'est ce que je ne discuterai point, ne m'étant proposé ici que de donner un détail circonstancié des beaux restes de ce monument. (1) Voyez le plan général, vol. V, pl. 41, fig. r. (2) Sueton. in Aug. cap. XVIII. {3) Rollin, Æist. rom, tome XVI, liv. LIT, pag. 110. TABLE DES DESCRIPTIONS CONTENUES DANS LE TOME II. Dsscr IPTION des antiquités de Denderah , par MM. Jollois et Devilliers, ingénieurs des ponts et chaussées, chevaliers de l'ordre royal de la Légion d'hon- RE PRIT ET EP NE RE EN D 0) L'ANPE LE chapitre X. Notice sur les ruines de Keft et de Qous, par les mêmes. (Suite du chapitre X.) Description des antiquités d'Abydus, par M. Jomard...,......... XI. Notice sur les restes de l'ancienne ville de Chemmis oz Panopolis, aigourd hui Aklmym, et sur ses environs, par M. Saïnt-Genis, ingé- nieur en chef des ponts et chaussées. (L'"° Suite du chap. XI.) Notice sur les antiquités que l'on trouve à Cheykh el. Harydy, He M. Jomard. ( Il.° Suite du chapitre XI. ) Description des antiquités d’Antæopolis, par M. Jomard.......... XIL Description de Syout et des antiquités qui paroissent avoir appartenu à l'ancienne ville de Lycopolis, par MM. Jollois et Devilliers. .. XIIT. Description des ruines d’Achmouneyn ou Hermopolis Magna, par IE CORRE PEN ER RE Te XIV. Dérbhhod Anne parle méme, ne ee deu à XV. Description des antiquités de l'Heptanomide, par le même. .......... XVL. Description des antiquités du nome Arsinoïte, aujourd'hui le Fayoum . XVI. SECTION L.*, par M. Jomard. SECTION Il, par le méme. SECTION III, per MM. Jomard et Caristie. Description de l'obélisque de Begyg, auprès de l'ancienne Croco- dilopolis, par M. Caristie. (Suite du chapitre XVII.) Description générale de Memphis et des Pyramides, accompagnée de re- marques et de recherches géographiques et historiques, par M. Jomard. XVII Description de la Babylone d'Éy ypte, par A. du Bois-Aymé, corres- pondant de l'Institut de France , membre de Ia Commission des sciences RU ein ne CL. XIX. Description des antiquités de la ville et de dx province du Kare, par RIRE RER ll NS eo dr XX. À. D, TOME II. 2 TABLE DES DESCRIPTIONS. Description d'Heliopolis, par MM. Lancret et du Bois-Aymé, ingénieurs des ponts et chaussées, membres de la Commission des sciences et arts d'Egypte. chap. XXL Description des antiquités d'Athribis, de Thmuis, et de plusieurs nomes du Delta oriental, par M. Jomard............. CSA LLANS Description des ruines de San [ T'anis des anciens |, par M. Louis Cordier , inspecteur divisionnaire au corps royal des mines... .... sn Description des antiquités situées dans l'isthme de Suez, par M. De- villiers , éngénieur en chef des ponts et chaussées. ............... : Description des principales ruines situées dans la portion de l'ancien Delta comprise entre les branches de Rosette et de Darmiette, par MM. Jollois et du Boiïs - Aymé, membres de la Commission des sciences et arts d'Éy ypte, ingénieurs des ponts et chaussées, chevalers de la Lépion ORNE: LES ER PER RE RE UE D LMP re Description des antiquités d'Alexandrie et de ses environs, par M. Saint. Genis, engémieur en chef des ponts ét CROSS LE aa x a dre S die APPENDICE à la Description des antiquités d'Alexandrie, par le même. Description de la colonne dite de Pompée (I. Suite du cha- pitre XXVI), par M.Norry, architecte. Notice sur un grand monument souterrain à l ouest d'Alexandrie (IL° Suite du chapitre XXVI), per M. P. Martin, sngénieur au corps royal des ponts et chaussées. FIN DE LA TABLE. XXIT. XXIIL * XXIV. XXV. XXVI. Re 4 ‘à À 3 t ï LU LE ee Pre és CS DEEE TUE 88 00 SMITHSONIAN INSTITUTION LIBRARIES