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"GEST SU CZ “SUR ‘Xneuanof xne juour)sop squesodxo SOT ‘AIX onb soououue səp sed 9319 ƏS OU LIQ] 9p MOSTE VS ƏND 9 ‘ KoMISOAXA,1 A YATLNOJN IJ SULP UOTJOSUL | JUOLEIOISIP SIL JUOP SƏNI of Inod NOI LOVAAY AA SIVHA SNAONAV 9PUEWEP 3149 anə; exo ou qr,nb squesodxo say ‘NN JuorAQId ‘orysnpurg g Ən əSesano un qərqnd op onb yuq one p eu mb ‘joioy ‘W “ATIAILNASSA NOLLVAUASIO ‘SJuesodx9 SƏ IN OP Soadne 971p9199e Je J210% uosteux ex onb juoge 109$ 9] 39 9SBIANO,[ ƏP SINOJBIOQRIIOO səp Un ‘INOUUOF p-UOIS9T Vl 9P IALA “NTXUVHO TA € SUOI 9)? 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Pr se ei sisi À 1 apaiser ESSAIS. S DE LOOLOGIE GÉNÉRALE, f oU MÉMOIRES ET NOTICES > LA ZOOLOGIE &ÉNÉRALE, L'ANTHROPOLOGIE , : ET L’HISTOIRE DE LA SCIENCE ; 3 PAR | M. Isinore GEOFFROY SAINT-HILAIRE, ; E DE L'INSTITUT ( AGADÉMIE DES SCIENGES), ETG. | 7 PARIS. 2 A LA LIBRAIRIE ENCYCLOPÉDIQUE DE RORET, RUE HAUTEFEUILLE, N° 40 sis. 3 à Re VS 22) ER CS RS ' : 18414. 7 ; | ; e Le A i t i + | i =o 7 x pe paid Er an = Er FEE PP te os D ad 3 = ET TES n E De > HSE É. a — Sa e ss RC le où à z ~ aena ES s | RE > ê PER E i ALAA AT a ESP CT © EE T EEE aS # Te gt jus Le TRAIT LId499Y WALWOAT d i es A < | A : © a| : aJi; ae s dE Y'a sl male el AA, E AN. Serres, Sank de CË Academe LA dia bras. Le. Puissent les idées exposées dans ce livre lui paraître de quelque intérêt pour la science! Puisse cet hommage ne lui sembler trop au- dessous, ni des conseils éclairés par lesquels il a bien voulu, avec mon père, m'ouvrir les voies de la science, ni des inspirations que j'ai essayé de puiser dans la méditation de ses belles lois organogéniques, ni des sentiments d'amitié et de vive reconnaissance que je ne _cesserai de lui porter! Is. GEOFFROY SAINT-HILAIRE, ARTS CLR EN A EEE EE + i AET Te TEETE E. S Ka $ $ £ a { 2 i 1 LA RS poemes Sie nn PRÉFACE “, Ce volüme se compose dë quinze notices et mémoires, les uns déjà publié il y à quelques années, les autres noüveäux et inédits, sür là zoologie générale, sur l'anthropologie ét sür l'histoire de la science. C'est Uone un tech d'articles détachés, bien Plutôt qu'un livre, que je publie aujourd'hui. Toutefois, éntre les diverses parties de cet ouvrage, quelque nom qu'on lui donne, il existe un lien intime qui ne Saurait échapper au lecteur attentif; et ce lien, au défaut de l’ünité de date et de sujet, résulte de l’unité de pensée. AR den : | J'essaierai de le rendre Sensible, dès à présent, par quelques remarques générales Sur l’état de la science , qui trouveront à la fois, dans la suite D (1) J'avais eu l'intention de placer en tête de ce volume , et comme une introduction à laquelle se seraient rattachées ses diverses parties, quelques considérations nouvelles sur les rapports généraux des sciences entre elles, sur les méthodes scientifiques, et principalement sur la mé- thode en histoire naturelle. Ce travail, qui m'a occupé pendant deux mois , est fort avancé; mais l'extension qu'il a graduellement prise, ne me permet plus de lui donner place ici , et m'oblige à le réserver pour une publication spéciale. VII PRÉFACE. de cet ouvrage, leurs développements et leur complément. Chaque siècle a ses besoins et ses tendances, comme ses facultés et sa puissance propre. Ge qui, à un moment donné, est prudence et louable réserve, peut devenir plus tard timidité exces- sive. Ce qui, dans une époque, doit paraître témé- rité et présomption, pourra être jugé, dans une autre, sagesse et juste intelligence de sa force. Dans la course rapide d’une science vers le pro- grès, il est donc parfois utile, il est nécessaire de faire halte durant quelques instants, afin de por- ter ses regards au loin de soi, et de mesurer par la pensée l’espace déjà parcouru, l’espace qui reste à parcourir. L'état actuel des sciences naturelles, et spécia- lement de la zoologie, a été, comme tout le monde le sait, le sujet de graves dissentiments et de débats plusieurs fois renouvelés entre les na- turalistes les plusillustres de notre époque. Depuis un assez grand nombre d'années , deux écoles, l’une et l’autre recommandables par denombreux services, se partagent les esprits : deux écoles que l’on peut caractériser en peu de mots , l’une par la recherche presque exclusive des faits à l’aide de l’observation; l’autre par ses tendances con- stantes vers la généralisation et l’abstraction. La première, l’école positive, ainsi qu'elle se qualifie elle-même, l’école timide, ainsi que d'autres pÅ ENEP ESS S T aan a a : PRÉFACE, IX lont nommée, accorde, par conséquent, la pré- éminence aux faits sur les idées : par l’organe de son chef le plus illustre, elle a même déclaré à plusieurs reprises repousser toute théorie comme nécessairement entachée d'erreur, ou ne l’accep- ter qu'à titre provisoire, et en vue des faits nou- veaux qu’elle peut faire apercevoir, La seconde i l'école systématique, selon les uns, l’école pro- gressive ou philosophique, selon les autres, sub- ordonne, au contraire, l'observation à l’abstrac- tion, et, pour ainsi dire, tient les faits au service des idées : celles-ci sont le but véritable de la science, et les faits, seulement la voie qui doit y conduire. > Ces dissentiments, ce conflit, caractéristiques du moment actuel, ne sauraient étonner , et encore moins affliger celui qui a quelque peu médité sur leurs causes. Ils tiennent à l’état même de la science, encore indécise et flottante entre la phi- _losophie de deux époques, dont l’une finit, et dont l’autre commence (1). Ils ont aussi leurs Causes dans la nature même des choses, dans la diversité des tendances intellectuelles dont cha- cun de nous a apporté le germe en naissant , OU qu'il a reçues de l'éducation et des circonstances. (1) Voyez les Considérations historiques sur la Zoologie, et la Seconde addition à cet article. ” Faite DOS ce PAPE Se NE EE roro RENE © ed xX PREFACE, Pascal a remarqué qu'il existe deux sortes d'esprits; les uns qui pénètrent vivement et pro- fondément les conséquences des principes ou des faits; les autres qui comprennent un grand nombre de principes ou de faits sans les confon- dre. De cette différence dans la nature des esprits, il résulte que les uns sont plus disposés à em- ployer le raisonnement , à recourir à labstrac- tion, qu’ils poursuivent avec ardeur les consé- queñices les plus éloignées des faits; qu'ils tendent toujours vers là généralisation. Les autres, au contraire, plus portés vers l'observation et l'analyse, tendent surtout à augmenter le nombre des faits, et n’accordent qu’une moindre impor- tance aux généralités, aux théories. Ces deux dispositions d'esprit; également louables et excel- lentes en elles-mêmes, peuvent être exagérées. Aussi il arrive que quelques-uns hégligent entiè- rement les faits pour les conséquences, et que d’autres se jettent dans l'excès contraire. Quel- quefois même les premiers prétendent ériger en lois générales de la nature les résultats d’un petit nombred’observations, veulentembrasser tousles faits dans des théories improvisées , et se perdent en de vagües abstractions. Les seconds, à leur tour , repoussent comme de vaines déductions de l'esprit, les faits généraux les mieux établis : tout ce que leurs yeux ne peuvent voir, n’existe pas pour eux. Quelques-uns ne veulent et ne vou- PRÉFACE. XI dront jamais admettre qu'une seüle idée théo- rique : c’est qu'il ne faut pas de théories. Les deux écoles auxquelles ces doctrines di- verses ont donné naissance , Se jugent mutuelle- ment d'une manière défavorable, et il n’en peut être autrement; car, placées à des points, de vue opposés, tendant vers des buts inverses; parlant en quelque sorte des langues différentes, elles ne sauraientmême se comprendre. Chacüme voit surtout dans sa rivale les exagéralions où elle est quelquefois tombée. La première accuse la seconde de témérité, de folle et présomptueuse ambition; de poésie (reproche que celle-ci eût dû accepter peut-être à titre d’éloge). A son tour, aux yeux de la seconde, la première est timide Outre mesure, puüsillanime, stationnaire : elle nie le mouvement, parce qu’elle-même n'ose marcher. | i Ces jugements sévères ne sont point entière- ment faux, mais ils sont incomplets. Ces critiques que se renvoient l’une à l’autre les deux écoles adverses, ne sont pas sans fondement; mais elles s’effacent devant les immenses services que toutes deux ont rendus à la science. L'école positive a démontré à jamais, a consacré ja nécessité de s'appuyer constamment sur la base inébranlable de l'observation et des faits. Au point où nous sommes aujourd’hui parvenus, hous avons besoin Plus que jamais de science positive et solide; et, + - He E ` e e RE + Ar su o. XII PRÉFACE. hors de cette base, nous ne saurions élever que des édifices fragiles, éphémères, ruinés peut-être ' avant d’être achevés. Nous devons donc nous gar- der de l'esprit de système, craindre les générali- sations hâtives, bannir entièrement de la science ces conceptions vagues dont le moindre inconvé- nient est de nous dissimuler à nous-mêmes notre ignorance , et de jeter un voile sur des lacunes qu'autrement nous nous efforcerions de rem- plir. Les services rendus par lécole progressive sont autres, mais ne sont pas moins grands, et ils complètent ceux-ci. La première ayant jeté les solides et durables fondements de lédifice scientifique , la seconde en commence aussitôt la construction. Que le plan ait été d’abord impar- faitement conçu; que quelques parties, préma- turément construites, doivent être démolies et reprises dès leurs fondements, je ne nie pas ces inévitables erreurs ; mais je n’y attache qu’une importance secondaire. Le progrès réel est ail- leurs : il réside tout entier dans l'émancipation de la pensée, enchaînée par l’autre école à la suite des faits et de l'observation. Il réside dans la né- cessité logique, rendue à Pavenir incontestable, du raisonnement et de l’abstraction, auxquels appartient essentiellement la découverte des rap- ports, comme à l'observation celle des faits. La science, comme elle a deux ordres de vérités à PRÉFACE. XIII connaitre, aura désormais deux méthodes. Après avoir recueilli tous les- enseignements qu'elle peut devoir au témoignage des sens, elle osera s'élever par la pensée vers de plus générales et de plus hautes vérités ; et dans cette lutte si inégale de l'esprit humain contre les difficultés sans nom- bre de l'étude des êtres vivants, il ne se présen- tera plus désarmé de ses plus belles etplus nobles facultés, et semblable au soldat qui, de peur dese blesser lui-même, aurait jeté ses armes sur le champ de bataille. R Si ces remarques générales ont quelque fonde- ment, et je crois pouvoir dire qu’elles seront pleinement justifiées dans la suite dé ce volume, il y a mieux à faire aujourd’hui que de discuter sur la prééminence de l’une ou de l’autre des écoles rivales. Notre époque a une grande tâche à accomplir, leur conciliation, et, par elle, Pal- liance, en une juste proportion , de l'observation et du raisonnement; l’une, élément dé certitude ; Tautre, de puissance et de grandeur; l’une, source Unique de la connaissance des faits naturels ; l’autre , de la découverte des rapports, des géné- ralités , et finalement des lois de la nature. Quand ce progrès vraiment fondamental sera réalisé par esprit humain » Cest ce que nul ne peut dire présentement. Les difficultés à vaincre Sont grandes, immenses encore, et l’œuvre est au-dessus des forces de chacun de nous. Par cela is. T dn baine m p hi ent eig ation date mer cg á à o : n gan nn «e Re. na e oe on rate me > v a ten ne EE mm a Rd or corn 7 rise a aasan tarsan anem- aE E AT Re aa asoras A : = a XIV PRÉFACE. même, nous devons nous y employer tous avec ardeur et persévérance. SE C'est sous ce point de vue que, depuis douze ans (1), je wai cessé.de considérer la science , aux progrès de laquelle j'ai consacré mes faibles efforts. Selon l'exemple déjà donné, en anatomie surtout, par quelques savants illustres (2) ; sou- vent sur les traces de celui que j'appellerais mon premier maître , si je n’avais à lui donner un nom plus cher, et parfois aussi à l’aide de méthodes nouvelles , j'ai cherché à montrer que le moment de la généralisation et de l'abstraction est enfin venu pour la zoologie; à préparer même et à commencer la fondation sur des- bases dura- bles, des théories dans lesquelles doivent se ré- sumer tous les faits particuliers de la science. La coordination rationnelle, l’enchaînement métho- dique de tous les résultats généraux déjà obte- nus , detous les rapports jusqu’à présent déduits par d’autres ou par moi-même; tel est Spé- cialement le but vers lequel j'ai dirigé mes recherches, et dont je wai paru m'écarter Mo- mentanément que pour m'ouvrir vers lui, par v (x) Et je pourrais dire depuis seize, si je devais tenir compte de quelques aperçus déja jetés dans mes premières publications. ; (2) Voyez , par exemple, la belle série de Mémoires que M. Sennes a publiés dans les Annales de Sciences naturelles , SOS le titre de Be- cherches d'Anatomie transcendante, PRÉFACE. XV l'étude des faits tératologiques, une voie moins directe, mais plus sûre peut-être et plus facile. Me sera-t-il jamais donné d'atteindre ce but, encore bien éloigné de moi ? Et si je ne dois pas latteindre , en approcherai-je du moins d'assez près pour que les résultats de mes recherches puissent un jour former un ensemble , en tête duquel il soit permis d'écrire sans trop de pré- Somption ces mots : Traité de zoologie générale? Je wose dire que telle est mon espérance ; mais telle est mon ambition , sans doute au-dessus de mes forces. Déjà, à trois reprises différentes, en 1831 , en 1837 , en 1839, dans des cours , les seuls peut-être qu’on ait entrepris sur l’ezsemble de la zoologie générale , et les seuls assurément que l’on ait faits sur ces bases , j'ai exposé l’en- semble de mes idées et le plan de mes recher- ches Aujourd’hui ce sont quelques parties, un peu plus avancées que les autres, de ce travail gé- néral , que je présente réunies dans ce volume : puisse le jugement que portera sur elles le public n'être point pour moi un motif de découragement dans l’œuvre si difficile à laquelle j'ai voué mes efforts ! Au Port-Marly, le 14 septembre 1840. Ne E mure DS + ns 9 ri LS 2 ? mm a e aparans ea q2 e eal is QJ um) e] pam p GA E ia ik © ou un ns ==] ZOOLOGIE GÉNÉRALE. D ane 2 mr ee F RTE ET) ES a Le CH ls: E da TS L CON SIDÉRATIONS HISTORIQUES + En ne me D er an SUR A SEDED S e A o LA ZOOLOGIE.” Já Dans ce siècle où l’histoire philosophique de la littérature a été le sujet de si nombreux travaux , je me suis souvent étonné de voir l'histoire philoso- phique des sciences naturelles rester en dehors du cercle habituel des recherches et des méditations des savants. Entièrement négligé par la plupart, ce ma- gnifique sujet d’études a été seulement abordé par un. petit nombre d'esprits éminents de notre époque; et een ORe annann n ENESE (x) Get article a été publié déjà dans la Revue des Deux Mondes, n° du 1° avril 1837, p. 105. J'ai cru devoir le laisser ici, à quelques passages près, tel qu'il a ete COMPOSÉ; mais , outre quelques notes pla- cées au bas des pages, J'ai cherché à le compléter par plusieurs 4ddi- tions que l'on trouvera réunies à la fin de l'article, 4 HISTOIRE DE LA ZOOLOGIE. sı quelques parties en ont été traitées, c'est, presque toujours , afin d'établir ou de réfuter par les enseigne- ments de l’histoire certaines théories plus ou moins contestables , et par conséquent sous un point de vue spécial et partiel. Les articles historiques eux-mêmes de M. Cuvier, ses éloges, ses notices biographiques, et jusqu'aux leçons, si justement célèbres , par les- quelles il a illustré la chaire du Collége de France, offrent ce caractère incomplet. Ils forment dans leur ensemble, et sans doute ils resteront longtemps encore le plus beau monumént que lon ait élevé en aucun pays à l’histoire des sciences naturelles; mais ils doivent bien plutôt cette haute supériorité à l'éru- dition lucide de l'auteur, à l'habileté spirituelle de son exposition, qu'à la profondeur de ses jugements sur la valeur des faits ét de ses aperçus sur leur enchaîne- ment et leur portée dans l'avenir. C'est, au contraire, d’une histoire vraiment philosophique que M. Am- père paraît avoir conçu le plan pour les sciences na- turelles , comme pour toutes les autres branches des connaissances humaines (1); mais si l'exécution d'une œuvre aussi immense ne surpassait pas la puissance de pensée et le savoir encyclopédique de cet homme de génie, elle était du moins trop au-dessus de ses forces physiques : il est mort , sans l'avoir même com- mencée ! G) Voyez, à la fin de cet article, la première Addition, page 15. INTRODUCTION. 5 Il est douteux, disons plus , il est hors de tout es- poir que la conception grandiose de M. Ampère puisse être réalisée avant de longues années ; mais il est pos- sible et il importe dès aujourd'hui de préparer par des travaux partiels et de hâter le moment où ce progrès pourra être accompli. En d'autres termes , l'histoire générale des sciences, l'examen philosophique de leurs rapports de filiation et des influences mutuelles qu’elles ont exercées les unes sur les autres, la détermination du but commun vers lequel elles tendent et de la dis- tance quì en sépare chacune d'elles, toutes ces hautes questions ,-et plusieurs autres encore qui dérivent de celles-ci, nous restent encore en grande partie inac- cessibles. Mais le moment semble venu où les rela- tions de chaque science en particulier avéc les sciences voisines, où son origine et les phases diverses de son évolution, appréciées sous un point de vue philoso- phique, peuvent conduire à l'intelligence vue et précise de ses progrès passés et de ar a enk, et, par elle, à des enseignéments précieux , 1mpos- sibles par toute autre méthode , sur ses progrès futurs et sur la direction qu'il convient de lui imprimer. C'est avec cette pensée que j'ai présenté, il y a quel- ques années , dans un autre travail, l’histoire de la té- ratologie, et montré comment cette science a com- mencé, est restée stationnaire, puis tout à coup à grandi et s'est développée selon les lois voulues par ses rapports de filiation et par ses connexions avec D: armee — ~ E EEA O pene m Ce r -+ RE er an = D np meen 0 a E aam BNBO oe erran + eee — nr - a a seen enema a rm ns me 6 HISTOIRE DE LA ZOOLOGIE. les autres sciences de l’organisation (1). C'est encore avec les mêmes idées que je vais aborder aujourd’hui Fhistoire de la zoologie, considérée dans son ensem- ble, et que peut-être j'essaierai par la suite de retracer celle de la physiologie et des diverses branches de l'anatomie. IL. Soit que nous considérions la zoologie dans sa vaste et harmonieuse unité, soit que nous déroulions de- vant nous la longue série de ses branches diverses, elle nous apparaît également comme une science im- mense par le nombre et la variété des êtres qui ap- partiennent à son domaine, immense encore par le nombre et la variété des problèmes qui sont à ré- soudre pour chacun d'eux. Comment l’homme a triomphé graduellement de tant de difficultés amon- celées devant lui; comment il a grandi à leur égal son génie d'investigation; comment lui, humble parcelle de la création animale, s’est levé au milieu d'elle pour la connaître tout entière; tel est l'immense problème dans lequel se résume le sujet tout entier que je me propose de traiter. Il mentre pas sans doute, (1) Voyez l'introduction de mon Histoire générale et particuliére des anomalies, t, I, 183. On trouvera reproduites. plus bas ces considérations historiques sur ~la tératologie. Leur sujet, plus spécial, les place naturellement à la suite de cet article sur l'ensemble de la zoologie, dont elles forment , à quelques égards , le complément, INTRODUCTION, 7 il ne peut entrer dans mes idées de tracer ici le tableau complet des développements et des progrès de la z00- logie , et de suivre dans son cours le long enfantement de cette science (1); mais j'essaierai au moins d'es- quisser à grands traits, dans cet article général, le ta- bleau de la lutte victorieuse qui a déjà valu à l’homme la découverte de plusieurs des mystères de la création animale, et lui a ouvert la voie vers des conquêtes plus hardies encore et plus belles, ~ Cette lutte a été longue; les phases en ont été di- vérses. L'esprit humain, longtemps incertain sur la route qu'il. devait suivre, est souvent resté station- naire, a quelquefois été rétrograde; mais, en dépit de tous les obstacles, chaque génération de travail- leurs a porté sa part de matériaux à l'édifice commun b jusqu'à ce qu'enfin, comme il l’est aujourd’hui, de plan de son ensemble fût nettement tracé, et par là le but clairement signalé aux efforts de chacun. (1) Un jeune zoologiste déjà connu par plusieurs travaux zoologi- ques et physiologiques, M. Vıcror Meunier, n'a pas été cffrayé de la grandeur d'une telle entreprise. Il a annoncé il y a quelques mois un ouvrage en quatre volumes, sous ce titre : Histoire Philosophique des PrOBEÈs de la zoologie générale, principalement depuis Buffon (1749) jus- qua nos jours, (Depuis que cette note a été écrite, le premier volume, contenant une introduction générale, a été mis en vente : il parait de- voir être prochainement suivi d'un second dang lequel sera faite Fhis- toire de la science dans l'antiquité.) — Il serait à désirer que l'on publiât aussi la série des lecons faites cette année (1839) à la Faculté des Sciences parM. DE BLAINVILLE, et qui ont en également pour sujet l’his- toire de la zoologie. 5 Ka a nr E E EA O annee re sés ren EN arime otaa me png Dame ep ms ijl | DT i | et ee Co Sue ESS HISTOIRE DE LA ZOOLOGIE. Au milieu de toutes les alternatives qu'a présentées la zoologie dans sa marche inégalement progressive, trois périodes principales peuvent être distinguées ; trois périodes qui ont existé ou existeront aussi pour toutes les autres sciences d'observation (1). Dans l’une, période d'essai et de confusion avec les autres branches des connaissances humaines , le sage, pour employer l'expression des anciens, le savant, selon l'expression des modernes, comprend, dans ses larges mais vagues méditations, tous les phéno- mènes que les mondes extérieur et intérieur offrent à ses yeux ou à sa pensée. Ardente, avide, téméraire A comparable à un enfant dont les facultés nouvelles , dont la jeune intelligence s'exercent incessamment , sans réserve et sans choix, sur tout ce qui l'entoure, la science de cette période se hâte de recueillir des faits dans toutes les directions , et d’enfanter des Sys- tèmes pour l'explication de tous les phénomènes ; mais ces faits, non soumis à l'analyse , ces systèmes , œuvres brillantes mais fragiles de l'imagination , in- struisent moins l'esprit qu'ils ne lui plaisent et ne l'étonnent. La poésie s’en inspire, mais la science , au langage sévère et précis, n’en conclut rien, C'est l'analyse, au contraire, qui règne dans la se- conde période. Le règne animal a désormais ses ob- ser valeurs spéciaux; et de cette division du travail (a) Voyez, p. 55, la seconde Addition. INTRODECTION. 9 naissent immédiatement une précision „une rigūeur jusqu'alors inconnues. Aussi la zoologie, jusque-là sans faits, sans principes, sans nom, s'enrichit rapi- dement de faits authentiquement constatés , examinés avec soin dans toutes leurs circonstances , dans leurs détails, ou, pour tout dire en un mot, de faits bien observés. Dès lors elle prend place, elle ac- quiert un rang distinct et important dans le cercle des Connaissances humaines. Ge n’est pas qu'elle soit en- core une science constituée; mais une base solide et durable est désormais offerte aux tr gistes futurs, et la voie du progrès e verte. + : _ Aussi , dans la troisième période ; les découvertes succèdent aussi rapidement qu’elles étaient rares d'à bord; et chaque jour leur importance croît comme leur nombre. Une multitude de faits étant connus, il devient à la fois possible et nécessaire de saisir entre eux une foule de rapports inapercus, d'en dé- duire des généralités, d’en rechercher les lois. Et dès qu'il devient possible de généraliser, de comprendre l'expression d’une foule de faits dans une formule gé- nérale, les barrières qui séparaient chaque ordre de faits et d'idées tombent; et les sciences , divisées pour l'étude des faits de détail, s'unissent pour la découverte des grandes lois de la na ture. Alors ap- paraissent de nouveau des conceptions aussi larges, des systèmes aussi vastes que le règne animal , que la création elle-même. Comme à l’origine de la science, avaux des zoolo- st largement ou- si longtemps analysés bi ici EAS. N Eo eE e. + En aa ra van SE ne EEE EC s i res To HISTOIRE DE LA ZOOLOGIE. mais avec” raison pour guide, l'imagination peut déployer ses ailes vers les sommités les plus élevées : et la poésie, effrayée un instant par les formes sèches et le langage aride de l'analyse, retrouve de sublimes inspirations dans la contemplation des harmonies de la nature et de ses éternelles lois. Ainsi, confusion de toutes les sciences, et essais au- dacieux dans toutes les directions; isolement de la zoologie, etanalyse des faits ; association de la zoologie avec les autres sciences, et généralisation des faits; tels sont les caractères des trois périodes qu'a présentées le cours progressif des développements de la zoologie, et dônt il me reste, après avoir indiqué les traits gé- néraux ; à montrer les phases principales et l’enchai- nement. | LIL. La Genèse ; ce monument mystérieux de l'origine de notre globe et de l'origine de notre espèce , nous représente Adam , à peine sorti des mains de Dieu , et avant même la création de la femme, occupé à dé- nommer les animaux de la terre et les oiseaux du ciel ; et les noms qu'il leur donna furent , dit la Ge- nèse, les vrais noms (1). Nous serions donc en droit (x) Chapitre IL, versets 19 et 20. — Voici le texte de ce passage re- marquable : | « Formatis igitur, Dominus Deus, de humo cunctis animantibus terre, PREMIÈRE PÉRIODE. 11 de dire que le premier homme fut aussi le premier zoologiste , et que la zoologie, antérieure à toutes les autres sciences, a précédé même l'achèvement de la Création de notre espèce. Dans l'antiquité la plus reculée à laquelle puisse remonter l'histoire authentique, la zoologie nous ap- paraît de même , sinon distincte , et elle ne pouvait l'être à une époque dont le caractère le plus essentiel est la confusion de toutes les sciences, au moins cul- tivée à l'égal de toutes les autres branches des con- naissances humaines. Chez les Egyptiens et les autres peuples divisés en castes, l’une d'elles se trouve dé- positaire à la fois de toutes les sciences , de toutes leg lettres, de tous les arts libéraux. Le prêtre est à la fois le seul philosophe, le seul lettré , le seul savant, et même le seul médecin. Le droit de savoir est Pune de ses prérogatives , et cette prérogative , il la con- serve précieusement. Tout le trésor des connaissances humaines > il le place dans le temple, entre lui et son Dieu ; il en honore, il en agrandit la religion, et n’en révèle au peuple que quelques notions, présentées sous le voile de lallésorie, et comme des mystères que l'on doit révérer sans oser les comprendre. Ce qu'était la zoologie à cette époque reculée , quels fu- « et volatilibus cœli, adduxit ea ad Adam ut videret quid vocaret ea : « omne enim quod vocavit Adam animæ viventis ipsum e$t nomen jus. « Appellaviique Adam nominibus suis cuncta animalia, et universa « Polatilia cœli, et omnes bestias terre... » e o eteen ee + abs e Ears DAR raa e n E o 12 HISTOIRE DE LA ZOOLOGIE., - rent le nombre et l'importance des faits déjà recueillis, nul ne peut le dire ayec précision. Même après les découvertes de ces deux illustres émules, Young et Champollion , qui oserait concevoir la pensée d’arra- cher aujourd’hui à la science égyptienne les voiles à travers lesquels les Égyptiens eux-mêmes ne faisaient qu'entrevoir quelques douteuses lueurs? On est donc et sans doute on sera toujours réduit à se contenter d’une approximation dont même on ne saurait me- surer l'erreur ; mais cette approximation nous suffit ici pleinement. Le voisinage du désert, l'étendue de PE- gypte, et par suite la difliculté de voyager, sous un climat aussi ardent, sans l’aide d'animaux domesti- ques; le grand nombre de mammifères et de serpents redoutables à homme que nourrit l'Egypte, aussi bien que toutes les autres terres africaines; la multi- tude des poissons alimentaires qui peuplent le Nil, et des reptiles qui vivent sur ses bords et s'avancent avec lui chaque année lors de ses inondations; toutes ces conditions imposaient aux Égyptiens la nécessité, en même temps qu’ellesleur donnaient de faciles moyens de recueillir une foule de faits et de notions sur les animaux. Le savoir zoologique des Égyptiens est en effet mis hors de doute par les témoignages de l'histoire sur la religion égyptienne dont chaque mys- tère était l'expression allégorique de lun des grands phénomènes naturels; par les peintures des monuments _ sur lesquels une multitude d'animaux sont représentés, et presque toujours avec une entente admirable de PREMIÈRE PÉRIODE, "13 leurs habitudes ; par les momies, les statuettes d’añi= maux, et d'autres documents. de diverses sortes qui Ont été recueillis dans les temples et les catacom- bes; enfin par les récits d'Hérodote, dont admirable Ouvrage est une histoire scientifique, religieuse et Morale en même temps que politique. Les détails qu'Hérodote nous a transmis sur l’organisation de plusieurs animaux de l'Égypte, les récits si fidèlement naïfs qu'il nous a faits de leurs mœurs, ne sont sans doute qu'un pâle reflet du savoir des Égyptiens ; et cependant , tels qu'ils sont , ils eussent suffi pour faire vivre à jamais le nom d'Hérodote, alors même que le père de l'histoire eût perdu, par la destruction du reste de son admirable livre, tous ses titres à une autre et plus brillante immortalité (1). IV. La Grèce n’a pas plus échappé que l'Égypte à cette loi de l'esprit humain, qui le condamne à s'essayer à la fois, à l’origine de ses études, dans toutes les bran- ches des connaissances , et, par suite, à s'arrêter, dès les premiers pas, dans chacune d'elles. Un philosophe nn nn EU SL (1) Mon père, durant son séjour en Égypte, s'est att circonstances les plus remarquables des récits tion etles mœurs des animauxdontiltr observations, par lesquelles la véracit dote, a été mise dans tout son jour, aché à vérifier les d'Hérodote sur l'organisa- aite. Les résultats de ces curieuses e; quelquefois contestée , d'Héro- j sont consignés dans le grand ou- vrage sur l'Egypte et dans les Annales du Muséum d'histoire naturelle. A eem oa o a a e gs - ed de ~ is EL PE RP ET IE Re LEE are PR dr A 14 HISTOIRE DE LA ZOOLOGIE. grec, comme sun prêtre égyptien, cultivait, non la’ philosophie telle que nous l’entendons aujourd’hui, mais toutes les sciences alors indistinctes. Thalès „de premier des sages de la Grèce, était physicien, astro- nome, géomètre et moraliste ; Anaxagoras, natura- liste, géologue, anatomiste , physicien et métaphysi- cien; Démocrite, anatomiste, médecin, naturaliste , géomètre et moraliste. Pythagore, Zénon d'Élée et plusieurs autres n'avaient pas une instruction moins étendue, moins diverse. Mais ni eux, ni leurs con- temporains, ne paraissent avoir fait faire à l’histoire naturelle aucun pas important , et la Grèce antique serait restée presque étrangère aux progrès de cette science, si elle n'avait à s’honorer d’avoir donné nais- sance à Théophraste et à Aristote. Théophraste, contemporain et ami d'Aristote, élève avec lui de Platon , et digne de l'amitié d’un tel condisciple et d'un tel maitre, a cultivé à la fois, Comme presque tous les philosophes grecs qui l'ont précédé ou suivi, toutes les branches des connaissances humaines. On sait qu'il avait étudié d’une manière approfondie les trois règnes de la nature, et exposé leur histoire complète dans plusieurs traités Spéciaux; mais:son livre sur les animaux n’est pas venu jusqu'à nous, et quelques fragments, retrouvés en divers lieux , ne suffisent pas pour nous en donner une idée exacte. C'est une perte que nous devons déplorer : les œuvres botaniques de Théophraste attestent en lui un talent remarquable d'observation et d’a- PREMIÈRE PÉRIODE, 15 nalyse, qualités éminemment rares chez les Grecs, en même temps que cette hauteur de vues qui forme un. des brillants caractères de leur esprit Disons aussi qu'une autre cause encore a diminué, auprès de la postérité, l'illustration à laquelle Théophraste avait droit : elle a été éclipsée par les rayons plus brillants de celle d’Aristote. Si Aristote n’eût existé en même temps que lui, la postérité eût admiré à quelle hau- teur Théophraste avait porté l’histoire naturelle : en présence d'Aristote, elle a surtout remarqué combien Aristote a su l’élever plus haut encore. . Le génie ď Aristote est, dans l’histoire humain , un de ces phénomènes exce de toute notre admiration, et, pluse de l'esprit ptionnels dignes ncore peut-être, de tout notre étonnement. Plusieurs des grandes fi- gures de l'antiquité brillent d’un éclat plus grand peut-être ; mais aucune ne nous apparait entourée d'une gloire plus diverse et plus surprenante pour Quiconque veut s'en rendre compte psychologique- ment, Aristote, le prince des naturalistes de lanti- quité, et qui serait aussi, si Platon n’eût existé, le Prince de ses philosophes; Aristote sé serait immor- talisé. Par ses seuls travaux sur la poétique, sur la rhétorique , sur la politique, sur la physique et las- tronomie, mais surtout sur l'anatomie. Ainsi ce grand homme offre bien, par l'universalité sances , le caractère commun de tous les esprits émi- nents de son siècle et des siècles précédents : maïs, chez lui, l'universalité n'exclut pas la profondeur. Si, i de ses-connais- à _ à G 28 7 SR non mo eneee ne mn nd creme marrer ER N nd a D consid wmr eE mo ae 1e nes. pes" m soma qe Dh maa is ms + oo E A man | | ii i 16 HISTOIRE DE LA ZOOLOGIE. lors de l'invasion des barbares, dans ce grand nau- frage de la civilisation antique qui a englouti tant et de si beaux monuments des temps passés, le non et le souvenir d'Aristote eussent été effacés de la mé- moire des hommes, le recueil de ses Ouvrages eût été pris sans doute par la postérité pour une vaste en- cyclopédie, écrite en commun par l'élite des littéra- teurs, des philosophes et des savants de l'une des plus grandes époques de la civilisation grecque : tant on trouve partout, dans cette œuvre étonnante, de notions précises et certaines; tant les idées y sont complètes et arrêtées; tant l'auteur, si l’on peut s'ex- primer ainsi, sy montre partout spécial. Dans ses œuvres ‘zoologiques en particulier, et il ne map- partient pas de le suivre ici hors du cercle de la zoo- logie, non-seulement Aristote expose une multitude de faits, les uns sur les formes extérieures et lorga- nisation interne, les autres sur les mœurs des ani- maux ; non-seulement ces faits sont analysés dans leurs circonstances principales, et discutés avec une sagacité et un scepticisme critique jusque-là sans exemple, mais la généralisation , ce caractère essentiel des travaux de l’époque la plus avancée de la science, vient souvent compléter l'exposition des faits, Quel- quefois même elle s'élève à une telle hauteur que, dépassant la zoologie et l'anatomie comparée ordinai- res, eS Conséquences remontent jusqu'aux vérités abstraites de la zoologie et de l'anatomie philosophi- ques, jusqu'à Ja notion elle-même de l'unité de com- PREMIÈRE PÉRIODE, 17 position organique (1), cette conquête toute récente encore, inachevée même 5 de l'esprit humain. ~ Aristote est donc un de ces hommes à part qui n'ont de rang que dans l’histoire chronologique de la science , non dans son histoire philosophique. Du sein de la première période de la science à laquelle ses écrits appartiennent par leur date , Aristote s’avance au loin vers lavenir; et, par un privilége accordé à lui seul entre tous, vingt et un siècles et demi après sa mort, il se trouve encore, par plusieurs de ses hau- tes Conceptions, un auteur progressif et nouveau. E Passer d’'Aristote aux auteurs qui lont suivi, à Pline, Oppien , Athénée, Elien , Ausone, c'est retom- ber de toute la hauteur qui sépare linvention et le génie de la compilation fleurie et de la causerie spiri- tuelle. Tous ces hommes, que la longue flatterie des modernes envers l'antiquité a décorés si souvent du titre de naturalistes illustres, ne sont, à vrai dire, que des littérateurs à propos de l’histoire naturelle (2). Re PER ER (1) Voyez la quatrième Addition, p- 69. (2) Lorsque cet article a paru dans la Revue des deux Mondes: deta phrase, et les développements qui suivent > Ont été relevés comme in- justes et irrévérencieux envers plusieurs des quité, envers Pline surtout. J'ai relu Pline, et j'ai conservé ma phrase. — Dans J publié sur Buffon ( voyez, à la fin de cet article, la troisième Addition, P.66), M. VILLEMAIN, amené par son sujet à apprécier en quelques mots ZOOLOGIE GÉNÉRALE, 2 grands écrivains de l'anti- je l'ai étudié de nouveau, éloquent article qu'il a récemment ss sectes = ES r ~ — - P + Lite e = S aa = ES PRE AT Re OR SE A PT à ae pe e : aaae e a ee a aa a e Il | | ie oo pe ne 18 HISTOIRE DE LA ZOOLOGIE. Pline lui-même n’est, comme les autres, qu'un compilateur, plus élégant peut-être, plus spirituel, mais tout aussi peu scrupuleux. On peut le lire avec plus de plaisir, maïs non avec plus de profit. Son but évident est d’amuser, non d'instruire. Soutenir le contraire serait même, selon nous, se rendre cou- pable envers lui d’une injure grave : ce serait lui im- puter d’avoir cru et rapporté sérieusement toutes ces fables absurdes , tous ces contes de bonne femme dont il a rempli tant de pages de son livre, en dépit de la raison et du soin qu'Aristote avait pris, quatre siècles auparavant , de réduire à leur juste valeur Ja plupart de ces inepties populaires. Que l’on cesse donc enfin, dans l'intérêt de Pline lui-même, de le qualifier de naturaliste ; car la voix de la vérité devrait lui devenir sévère. Et surtout que l’on bannisse enfin de l'histoire de la science tous ces parallèles, si chers aux rhéteurs, entre Aristote et Pline, entre Pline et Buffon ; Buffon, que ses contemporains ont cru flatter, et que la pos- térité a voulu louer en le décorant du nom de Pline français, qu'un seul homme a mérité peut-être, le disert, mais peu scientifique Valmont de Bomare. l'œuvre de Pline, s'est exprimé sur lui dans le même sens : « Pline appar- tenait à cette école d’ imagination plutôt que de goût qui produisit dans Tacite un peintre incomparable, mais qui partout ailleurs est empreinte de déclamation et de subtilité. Zomme de lettres, bien plus que de sciences, Pline jette souvent sur des fables ou des idées fausses un style recherché. » Te Le nn PREMIÈRE PÉRIODE, 19 VI. Ce que je viens de dire des auteurs anciens posté- rieurs x Aristote, je dois l'appliquer à plus forte rai- son au petit nombre d'écrivains du moyen âge, Isidore de Séville, Albert le Grand, Manuel Phile, Vincent de Beauvais et quelques autres, qui ont décrit ou in- diqué'‘un plus ou moins grand nombre d'animaux dans leurs ouvrages. Tous ces hommes, érudits plu- tôt que savants, sont aussi des compilateurs (1); et ce qu'ils ont compilé, ce sont surtout les compilations de Pline et des autres auteurs des premiers siècles de l'empire romain, les ouvrages d Aristote n'ayant été connus pendant une partie du moyen âge que par des extraits faits sur une traduction arabe. Dans les siècles suivants, et jusque dans la première moitié du seizième, les zoologistes, si tant est qu’on puisse ainsi les nommer, continuent à compiler les anciens. Étudier l'histoire naturelle, cest, à cette épo- que, examiner et analyser, non les productions de la nature, mais les livres des naturalistes anciens ; con- tribuer aux progrès de la science, ce n’est pas lenri- chir de notions nouvelles, mais classer dans un ordre nouveau ce qui était su déjà depuis plusieurs siècles. Tel est. évidemment, à quelques rares exceptions près, le seul mérite auquel aient pu prétendre Gyllius, dei ad (1) Voyez le troisième Article, à a na me +; mme ous Rama fnac terre mama a EE 470 à SCENE n D n panne À F : RS PS EN RES ne pme E re mt pt 20 HISTOIRE DE LA ZOOLOGIE. Wotton, Lonicerus et leurs contemporains : auteurs dont il faut signaler toutefois les compilations comme mieux faites que les précédentes, grâce à une nou- velle traduction d’Aristote, faite par un réfugié grec après la prise de Constantinople. Conrad Gesner, de Zurich, contemporain de Wot- ton et de Lonicerus, est aussi un compilateur, et nul même n'a plus compilé que lui : mais Gesner, obser- vateur instruit en même temps que Commentateur érudit, n'est plus un simple compilateur; et le titre de restaurateur de l’histoire naturelle, donné dans les siècles suivants à cet homme laborieux et sagace , n'est que la juste expression des importants services rendus par lui à la science. J'avoue n'avoir jamais eu la patience de lire dans son entier cet im- mense ouvrage que Gesner cependant a eu la patience bien plus grande de composer ; je pense même que pas un des zoologistes modernes ne sest engagé plus que moi dans des études devenues évidemment impossibles à une époque où l’histoire naturelle est riche de plus de livres qu'elle ne possédait de pages au temps du naturaliste de Zurich. Mais, si Gesner n’a plus de lecteurs, il est encore consulté chaque jour, il ne cessera jamais de l'être; et ceux qui le consulte- ront, le feront toujours avec un immense profit pour eux et une égale admiration pour lui. Sa grande Histoire des animaux, dont les diverses parties pa- rurent de 1551 à 1587, west pas un simple traité, mais bien plutót une bibliothèque complète de zoolo- PREMIÈRE PÉRIODE. , 21 gie. Tout cé qu'on savait alors sur les animaux, tout ce que l'antiquité et le moyen âge avaient transmis aux temps modernes de notions zoologiques, tout sy trouve fidèlement rapporté, méthodiquement classé, et, de plus, augmenté d’un certain nombre de faits habilement observés par Gesner lui-même. Cette œu- vre résume donc en elle tous les livres précédents avec un immense avantage , et les complète par les premiers résultats de la science moderne : c'est tont à la fois l'époque de la compilation qui se clot , et celle de l'observation qui s'ouvre : c'est le passé qui finit , et l'avenir qui commence. _ Ce double caractère, Qui marque en traits si évi- dents la transition d’une époque à une autre, nous le trouvons aussi imprimé aux ouvrages de Rondelet et Bélon. Ces deux illustres contemporains de Gesner se montrent partout, comme lui, livrés à l'étude di- recte de la nature, aussi bien qu'à celle des livres anciens. Ils observent lune avec habileté, ils com- mentent les autres avec sagacité : par leurs efforts sj- multanés, et par ceux de Salviani, l’une des branches les plus importantes et les plus difficiles de Ja zoologie, l'histoire des poissons, se trouve dès lors portée très- loin. Mais ce mérite, auquel tous deux ont des droits égaux , n'est pas le seul dont la Postérité doive leur tenir compte. A Rondelet, il appartient d’avoir, dans son ichthyologie, préparé par de justes et ingénieux rapprochements, d'avoir ébauché même yne classifi- cation rationnelle; premier pas vers l’un des progrès 22 HISTOIRE DE LA ZOOLOGIE. les plus importants et alors les plus difficiles de la zoologie. Bélon , selon nous bien supérieur encore à Rondelet, ouvre à la science deux nouvelles voies. Voyageur en Italie, en Grèce, dans l'Orient, il se montre partout observateur plein de sagacité, et ajoute à lui seul au trésor commun des connaissances plus de richesses que tous ses prédécesseurs, depuis l'antiquité, et tous ses contemporains à la fois ; puis, penseur audacieux dans ses ouvrages , il ose pour la première fois, à la tête de son traité sur les oiseaux, dresser le squelette d’un oiseau en face de celui de l'homme, et désigner par des signes communs toutes les parties communes de l'un et de l’autre (1). Pensée d'une immense portée, d’une inconcevable audace pour une époque aussi reculée , et qui assure à Bélon l'honneur du premier essai tenté pour la démonstra- tion de l'unité de composition organique, comme à Aristote la gloire première de sa conception théorique. VIT. La fin du seizième siècle et le dix-septième pré- sentent à nos souvenirs plusieurs noms célèbres ; mais les uns, tels que ceux d'Ulysse Aldrovande et de Jonston , ne rappellent que des travaux de com- piation , faits le plus souvent sans intelligence et saus idée de progrès. C'est l'ouvrage de Gesner qui sert de pas ns, (1) Voyez, à la fin de cet article, la quatrième Addition, p. 71. COMMENCEMENT DE LA SECONDE PÉRIODE. 23 texte principal à Aldrovande, puis celui d’Aldrovande à Jonston ; sorte de métempsycose des mêmes idées et des mêmes faits dont le seul résultat fut d'y intro- duire quelques erreurs de plus. À ; Les ouvrages de F abio Colonna, plus connu sous le nom de Fabius Columna , et ceux de Thomas Mou- fet, méritent une plus haute estime , parce que lob- servation y tient une plus grande place. Mais , si im- -portants qu'ils puissent être dans l’histoire particu- lière de quelques branches de la science, ils wont exercé qu'une influence à peine sensible sur les pro- grès de la zoologie considérée dans son ensemble. - Colonna et Moufet n’ont fait, Pun pour une partie des animaux à coquilles, l’autre pour les insectes i que ce que Gesner, Rondelet, Bélon, avaient déjà réalisé pour d'autres classes; et ils lont fait, malgré la diffé- rence des temps, sans une supériorité marquée sur ces illustres fondateurs de la science. L’un et l’autre sont donc du nombre de ces hommes estimables qui marchent habilement sur les traces de leurs deyan- ciers, et non de ces génies, seuls dignes de notre ad- miration, qui entraînent les autres à leur suite. Aussi placons-nous au-dessus et à une grande dis- tance, non-seulement d’Aldrovande et de Jonston, mails aussi de Colonna et de Moufet, l'illustre Jean Ray (1), dont les travaux appartiennent à la seconde moitié du dix-septième siècle, P i (1) En latin Rijus. Tananan Ar ai n r pat ; ad x wo mema e re ea + ama e n b ait qe. i nt ms env SE > aE aE AREE ae an RES RES rt res e. Te | | 24 HISTOIRE DE ŁA ZOOLOGIE. Ray, qu'il faut distinguer avec soin d’un autre zoo- logiste du même nom (1), mais d’un autre pays , d’un autre siècle et d’une bien moindre portée: Ray fut un de ces esprits sagaces qui, entre ces deux voies tou- jours ouvertes devant nous vers le passé ou vers ľave- nir, choisissent sans hésitation le progrès, et se por- tent hardiment et habilement au-devant de lui. Dans un temps où tant d’autres en étaient encore à ignorer les premières règles de l’art d'observer, Ray concut et osa tenter un de ces perfectionnements capitaux qui suflisent à caractériser une époque : l'établissement , pour plusieurs classes du règne animal, de classifica- tions régulières et rationnelles. Une telle conception, une telle tentative, suffiraient à l'illustration de leur auteur, alors qu'il y eût échoué ; mais il ne s’en tint pas à ouvrir la voie aux efforts des autres zo0lo- gistes (2) : lui-même la parcourut avec succès, et, le premier, il atteignit un but que le premier il avait aperçu. Ses classifications sont tellement remarqua- . bles qu’elles sont restées longtemps en usage chez les Anglais, et que plusieurs de ses divisions subsistent encore aujourd'hui dans la science et sans doute y resteront à jamais. (1) Aveusrin Ray, zoologiste français , auteur d'une Zoologie univer- selle et portative, publiée en 1788. (2) Je dis des zoologistes, et non des naturalistes en général : car il y avait déjà près d’un siècle que la voie était ouverte aux botanistes par les admirables essais de CEÉSALPIN, COMMENCEMENT DE LA SECONDE PÉRIODE. 25. Soit par luismême, soit par son élève et ami Wil- Jughby dont il a complété et publié les travaux, Ray a donc eu le double mérite d'enrichir la science de faits Nouveaux, et, par le classement des êtres déjà connus, d'ouvrir une voie facile aux inyestigations des observateurs futurs. L’Angleterre peut s’honorer d’avoir en lui donné naissance au précurseur de Linné. ` VII. Dans cette même et mémorable époque, pendant que Ray s’essaie à coordonner l’ensemble de la zoolo- gie, d’autres progrès s’accomplissent. Claude Perrault, Timmortel auteur de la colonnade du Louvre, et Du- verney, fondent, je ne puis dire encore l'anatomie com- parée , car leurs descriptions ne sont jamais compara- tives, mais au moins l'anatomie zoologique ; et deux Hollandais, dont les noms doivent être immortels , Leuwenhoeck et Hartsocker, font faire à la science un progrès dont aujourd’hui nous n’osons encore mesurer toute la portée. | A Jusqu'au dix-septième siècle, et même encore pen- dant une grande partie de sa durée, les Z00logistes n'avaient porté leurs études que sur les grands ani- maux. Non-seulement on n'observait pastous ces petits êtres dont l'immense multitude remplit les classes inférieures; et comment alors eût-on pu pénétrer dans les mystères de leur Organisation ? mais encore il existait depuis longtemps parmi les zoologistes 36 HISTOIRE DE LA ZOOLÓGIE., comme un accord tacite pour en déclärér la connais- “sance inutile. Pareillement pour les grandes espèces , on n'étudiait que les détails principaux, dans les rares occasions où l’on songeait à en faire l'anatomie. Guil- laume Harvey, si célèbre par sa brillante découverte de la circulation du sang, et non moins digne de l'être par ses beaux travaux sur la génération, son maître Fabrice d'Aquapendente, et quelques autres médecins éminents de divers pays, étaient presque les seuls qui eussent cherché dans l'analyse des organes la solution des problèmes que ne résout pas leur exa- men superficiel. Tous les petits animaux, et tout ce qui est petit dans les grands, restait ainsi, à peu d’exceptions près, en dehors de la science , comme si la grandeur matérielle d’un objet était la juste mesure de son intérêt. 7 Ce fut donc toute une révolution qu'opérèrent Leuwenhoeck d’abord , puis Hartsoeker, lorsque, par le perfectionnement du microscope, et son application à l’histoire naturelle, ils appelèrent à leur suite tous les observateurs , non-seulement à l'étude des petites choses, mais même à l'exploration de ce monde in- visible dont l'homme avait si longtemps ignoré jūs- qu'à l'existence. À l'instant même, et dès l'annonce des premiers résultats obtenus, les naturalistes, comme il arrive après toutes les grandes découvertes, se divi- sèrent en deux camps, les hommes du passé et ceux de lavenir, les uns aussi empressés de nier le progrès que les autres d'y applaudir et d'y prendre part. Mais COMMENCEMENT DE LA SECONDE PÉRIODE, 27 l'opposition rétrograde et envieuse dut tomber bien- tôt devant des faits que chacun pouvait voir, pourvu "Qu'il voulût les regarder. Si le danger dés illusions mi- Croscopiques fut dés-Jors signalé et démontré , Kin- portance et le mérite des observations bieñ faites n’en ressortirent que mieux; et leur nombre men alla pas moins croissant chaque jour. Aussi l'application du microscope à la zoologie datait à peine d’un petit nombre d'années , et déjà cette science devait à Leu- Wenhoeck , à Hartsocker, et à quelques autres , la dé: couverte d'une multitude d'infusoires , à Malpighi un grand nombre d'observations d’un haut intérêt pour l'anatomie et la physiologie comparée, et à Swam- mérdam la connaissance de l'organisation et des mé- tamorphoses des insectes, et, par elle, la première fondation de lentomologie. IX. C'est à cette mémorable époque des Ray, des Leu- wenhoeck, des Hartsoeker, des Swammerdam , que lon doit faire commencer la seconde période de la zoologie. Tous les caractères que je lui à assignés, sont, en effet, déjà marqués à un haut degré dans tous les travaux de Leuwenhoeck, de Hartsoeker , de Swammerdam surtout, et ils S’'apercoivent aussi, quoique moins manifestement, dans ceux de Ray. Placé intermédiairement sur les confins de deux pé- riodes, homme de transition , Si l’on peut s'exprimer ` : Cr ü PET RANITE nee À ER PRE EE PES ER PR > RSR a a aa 28 HISTOIRE DE LA ZOOLOGIE. ainsi, Ray offre bien encore, dans la direction de son esprit et dans le mode de son travail, plusieurs des caractères de la première période. Comme tous ses prédécesseurs, on le voit s’essayer dans presque toutes les voies ouvertes aux spéculations de l’homme, On - sent qu'il se croirait un savant incomplet, s'il n’était un savant universel. Ainsi ses études n’embrassent pas seulement toutes les branches de l’histoire natu- relle : la littérature, la philosophie, la théologie, les mathématiques, il étudie tout ou veut tout étudier; il fait plus, il enseigne tout. On le voit à de courts intervalles ou même concurremment , et ce n’est pas un des traits les moins caractéristiques de ce temps, professeur de mathématiques, professeur d’humanités, et prédicateur. Mais, en même temps, lorsqu'il re- vient à ses études de prédilection , à l’histoire natu- relle, Ray sait étudier les détails des faits ; il analyse avec soin et sagacité : témoin ses classifications qui dénotent en lui une connaissance si précise de l'organisation externe et des traits distinctifs des animaux. X. Dans le dix-huitième siècle, l'analyse exacte des faits, et la division du travail , tel est le double ca- ractère dont nous allons désormais trouver l'empreinte de plus en plus profonde dans les œuvres de tous les grands zoologistes. Les préceptes de Bacon commen- cent à être compris : on ne croit plus aveuglément SECONDE PÉRIODE 29 les anciens sur parole ; car trop de fois déjà on lesa surpris en flagrant délit d'erreur. De Jà l'analyse qui veut tout voir et vérifier par elle-même : c'est, sous une autre forme, cette lutte, sans cesse renouvelée dans les dix-septième et dix-huitième siècles, du scepticisme philosophique contre la tradition et Ja foj. En même temps, la division du travail s'opère en- _ tre les observateurs : la tendance commune des esprits vers l'analyse le veut ainsi; et c'est ce que com- mande également l'accroissement numérique des es- pèces connues, devenu de plus en plus considéra- ble par les pérégrinations lointaines de Bélon, de Bontius ; de Marcgraaf, d Hernandez » de Pison et de tant d'autres voyageurs Contemporains de ceux-ci ou d’une époque postérieure. kug Le dix-huitième. siècle, ’ouvrant sous l'influence de ces nouvelles idées, ne pouvait manquer d'ê- tre marqué pour la zoologie par d'éclatants pro- grès : il n'avait, on peut le dire, qu'à suivre son cours pour s'avancer de succès en succès. Les esprits les plus éminents de cette époque l'ont espéré sans doute; mais leurs prévisions sur la grandeur future de leur siècle n’ont pu, si sagaces qu’on les suppose, s'élever jusqu'à la réalité, en approcher même, Dans tous les siècles précédents, la zoologie n’a présenté à notre admiration qu'un seul grand homme, Aristote : le dix-huitième siècle nous en présente deux, Linné et Buffon. Qui eût osé espérer de la Providence qu’elle doterait à la fois l'humanité de deux de ces rares gé- 30 HISTOIRE DE LA ZOOLOGIE: nies qu'elle se plaît d'ordinaire à nous montrer de loin en loin, comme ces météores éclatants qui tra- versent tout à coup le ciel aux acclamations des peu- ples, et dont le magnifique spectacle ne doit se re- nouveler ni pour les hommes qui l'ont une fois contemplé, ni après eux pour plusieurs générations ? Je n'agiterai pas ici la vaine question de la supé- riorité de Linné sur Buffon, ou de Buffon sur Linné : comment mesurer la grandeur intellectuelle de ces hommes qui nous dépassent de si haut? Pour des génies aussi éminents , le terme de comparaison man- que: à peine pouvons-nous essayer un Jugement sur la valeur absolue des services qu'ils ont rendus à T'es- prit humain ; car nous ne voyons que le passé et le présent, et leurs idées appartiennent aussi à l'avenir. C’est en effet, dans ma pensée, une erreur grave de croire que, parce que nous vivons un demi-siècle après Linné et Buffon , nous ayons laissé loin derrière nousyces grands hommes, et qu'il ne nous reste plus qu'à retourner sur nos pas pour les admirer. Ce que jai dit plus haut d'Aristote, je dois le dire, à plus forte raison, de Linné et de Buffon. Tous deux sont encore aujourd'hui des hommes nouveaux et pro- gressifs ; car si les faits se sont, après eux, multipliés au centuple , il s’en faut de beaucoup que nous ayons déroulé toutes les conséquences de leurs idées, que nous ayons parcouru , jusqu'à leur terme, les voies nouvelles qu'ils ont ouvertes à leurs successeurs. Et qui sen étonnerait? Ignore-t-on encore que le plus SECONDE PÉRIODE, 3 beau privilége du génie est de deviner, sur peu d'élé- ments , ce que les autres déduiront plus tard pénible- ment? Et si les poëtes ont donné des ailes au génie, si cette Image, belle par elle-même, est aujourd’hui usée et presque triviale, n'est-ce pas à cause de la vérité ‘trop évidente de l’idée qu'elle exprime ? C'est parce qu'il en est ainsi, c'est Parce que bien des siècles sont souvent nécessaires à l'intelligence complète des œuvres d'un grand homme, que la pos- térité porte sur eux tant de jugements successifs etdi- vers. Pensera-t-on , dans quelques années ; Sur Linné ce Qu'on en a pensé il y a cinquante ans, ce qu’on en pense aujourd’hui ? Et l'opinion que les naturalistes du commencement de notre siècle ont eue de Buffon, est-elle celle qu’acceptera la postérité? Je ne saurais le croire, et il y à également à revenir sur ce qu’on a loué en eux, et sur ce qu'on a cru pouvoir blâmer. Linné et Buffon sont nés précisément dans la même année, et à quatre mois seulement de distance, l’un en mai, l’autre en septembre 1707; mais cette pres- que identité de dates, la puissance de leur génie, et la grandeur des services qu'ils ont rendus à l’histoire naturelle, sont les seules similitudes réelles que l’on puisse signaler entre eux. Linné naquit pauvre dans un petit Village de la Suède guerrière et encore Lors, bare de Charles XIE; Buffon, au sein d'une noble et riche famille, dans cette France que le règne de 2 à € a dabord de se faire apprenti cordonnier , eut à sous Louis XIV venait de faire si grande, Linné, contraint i TR i E LE TNA PEREIS, Cie éd itih nid ii RESE i ne -= re se ` re eE R Drm 32 HISTOIRE DE LA ZOOLOGIE. ` tenir une longue et pénible lutte contre adversité : si Buflon eut besoin d’une ferme volonté, ce fut pour résister aux séductions de cette vie molle et oisive dont sa fortune et son rang lui offraient le privilége. Tous deux enfin avaient reçu de la nature des ten- dances intellectuelles plus diverses encore peut-être que les circonstances au milieu desquelles ils durent se développer : Linné, homme aussi patient, aussi sagace dans la recherche des faits qu'ingénieux à les coordonner ; précis et rigoureux dans son exposition, et n'y recherchant d'autre élégance que celle quivré- sulte de la simplicité des moyens et de l'élévation des idées; plus prudent que hardi dans ses conclu- sions, ne s'avançant jamais, même lorsqu'il attaque les questions les plus ardues, qu'appuyé pas à pas sur des faits positifs et des raisonnements logiquement ri- goureux ; habile à faire des hypothèses vraisembla- bles, mais ne les prenant jamais, par une illusion trop habituelle aux savants de nos jours, pour des vé- rités démontrées ; ; appréciant, en un mot, chaque fait, chaque idée, chaque généralité à sa juste importance, et ne didni pas de se tenir longtemps terre à terre, perdu en apparence au milieu d'innombrables détails, pour s'élever ensuite avec plus de sûreté vers t Tee rm poma les hautes régions de la science : Buffon, sagace, in- génieux comme Linné, mais dans un autre ordre d'idées; négligeant de créer, de multiplier autour de , lui les faits d observation, mais en saisissant toutes les conséquences, et, sur une base en apparence SECONDE PÉRIODE, 33 étroite et fragile, élevant hardiment un édifice dont lui seul et la postérité concevront le gigantesque plan; dédaignant les détails techniques, les divisions sys- tématiques, parce qu’il sait planer au-dessus d'eux dans ses hautes conceptions, et cependant, par une heureuse contradiction, créant lui-même un jour une classification méthodique digne de servir de modèle à tous; s’'égarant quelquefois dans ces espaces incon- nus où il s'élance sans guide, mais de ses erreurs même sachant faire naître des vérités utiles ; passionné pour tout ce qui est beau, pour tout ce qui est grand; avide de contempler la nature dans son ensemble, et appelant à son aide, pour en peindre dignement les grandes scènes, tous les trésors d’une éloquence que nulle autre n’a surpassée : Linné, un de ces types de la perfection de l'intelligence humaine où la synthèse et l'analyse se complètent l'une l’autre, et, pour ainsi dire, se font équilibre : Buffon , un de ces hom- mes qui ne terminent rien, mais qui osent tout com- mencer; un de ces hommes puissants par la synthèse, qui, franchissant d’un pied hardi les limites de leur époque, marchent seuls en avant, et s'avancent vers les siècles futurs en tenant tout de leur génie comme un conquérant de son épée. Telle est l'idée que je me fais des deux grands z60- logistes du, dix-huitième siècle ; tel est le caractère que j'ai cru trouver empreint dans leurs ouvrages. Si maintenant j'essaie de dire quels pas chacun d’eux a fait faire à la zoologie, ici encore j'aurai à protester ZOOLOGIE GÉNÉRALE, 3 34 HISTOIRE DE LA ZOOLOGIE. contre ces jugements faux ou incomplets que les na- turalistes de notre époque ont hérités et acceptés de la génération à laquelle ils succèdent. XI. Les ouvrages de Linné ont été vivement admirés, je dirai même trop admirés; car l'admiration s'est quelquefois exaltée jusqu'au fanatisme exclusif et jus- qu'à l'injustice envers Buffon ; mais ni cette admira- tion, ni les critiques sévères par lesquelles plusieurs l'ont tempérée, ne se sont jamais adressées à l'œuvre tout entière accomplie par Linné. La conception gran- diose et neuye alors d’un catalogue général et mé- thodique de toutes les productions de la nature ; son exécution si supérieure aux tentatives partielles de Ray ; la création de la nomenclature binaire, admi- rable invention qui permet de dénommer tous les êtres des deux règnes organiques sans multiplier à l'infini le nombre des mots , qui introduit dans toutes les parties de la science un ordre uniforme, et fournit, en même temps, la plus heureuse et la plus simple expression des affinités naturelles les plus fondamen- tales; l'art, pour la première fois mis en usage, de caractériser rigoureusement, de définir les êtres, et de déterminer d’une manière fixe et exempte d’arbitraire le rang que chacun d'eux doit occuper dans la série; en un mot, des formes nouvelles , des principes nou- veaux , une langue nouvelle, donnés en même temps SECONDE PÉRIODE, D et pour toujours à la science; telle est la révolution immédiatement accomplie par Linné en zoologie Comme aussi en botanique, et qui a fait aussitôt de tous les naturalistes du monde, Buffon et quelques autres exceptés, les admirateurs et les disciples de Linné, : SES Et cependant, ce n’est pas encore là Linné tout en- tier, Indépendamment de ses autres ouvrages, riches de tant de yues fécondes sur la zoologie générale, et sans franchir les limites de ce livre si peu volumineux et cependant si immense, le Systema naturæ, un autre progrès, une autre innovation capitale est encore à signaler : l'invention de la méthode naturelle, Le système botanique de Linné, fondé sur Pune des découvertes les plus brillantes de la physiologie végétale, excita, au moment de son apparition, un enthousiasme au milieu duquel on n’aperçut pas (et peut-être Linné lui-même ne l’avait-il pas nettement comprise) la diversité des principes sur lesquels repo- sent sa classification botanique et sa classification z00- logique: l’une, système éminemment ingénieux, mais, après tout, artificiel et insuffisant ; une de ces œuvres dont le mérite brille d’abord à tous les yeux, mais qui, par leur nature même, ne Peuvent avoir une existence durable dans la science : l’autre , fondée es- sentiellement sur l'ensemble des différences organi- ques des êtres, et régie évidemment sinon par une perception nette, au moins par un sentiment pro- fond de la subordination des caractères ; une de ces 1 H | E | LI | hod F7 ne dia RS PSRNNNENENNER 2. À Lx OR nee men nn ie EN prr 4 36 i HISTOIRE DE LA ZOOLOGIE. A œuvres dans la destinée desquelles il est d’être, non détruite, mais perfectionnée par les progrès ultérieurs. Aussi qu'est-il arrivé? Le dix-huitième siècle n’était pas achevé, que déjà Bernard de Jussieu avait concu et Laurent de Jussieu presque réalisé la substitution, au système linnéen, de la méthode naturelle ; tandis que tous les travaux de Cuvier et de son école ont tendu, non à renverser, mais à compléter, à rectifier et à développer la méthode zoologique de Linné. Et sil est besoin de citer ici des preuves à l'appui de cette vérité trop longtemps laissée dans l'oubli, rappelons ici que la plupart des groupes établis par Linné subsistent encore, souvent avec les mêmes noms, dans la science actuelle; et surtout, citons un exemple déjà signalé dans un autre travail (1) comme digne de toute l'attention des zoologistes. On sait que la classification des mammifères, que suivent au- jourd'hui presque tous les auteurs, eut pour fonda- teurs, en 1797, MM. Cuvier et Geoffroy Saint-Hilaire. Les travaux déjà nombreux à cette époque, le savoir étendu et profond des deux collaborateurs, avaient dès l’abord amené cette classification à un haut point de perfectionnement. Cependant diverses améliora- (1) Voyezmes Considérations générales sur les mammifères (avril 1826), p. 12, Ou l'article Mammalogie du Dictionnaire Classique d'histoire na- turelle, t. X, p. G9.—J'ai depuis présenté sur le même sujet, dans l'ar- ticle Zoologie de l'Encyclopédie du dix-neuviéme siècle, des considéra- tions qui seront reprises et développées plus bas dans un article spécial sur les travaux de Linné. SECONDE PÉRIODE, 37 tions furent reconnues utiles, et la classification fat modifiée par Cuvier à plusieurs reprises, jusqu’à ce qu'enfin en 1818 elle fut présentée comme définitive. Or, que l’on suive Cuvier dans ces remaniements suc- cessifs , et Pon reconnaîtra que chaque pas de Cuvier vers le progrès est un pas vers Linné, si bien que, pour le nombre des ordres et leurs caractères fonda- mentaux , la classification s’est trouvée finalement re- placée sur les mêmes bases où l'avait créée dès abord le génie de ce grand homme. Restituons donc à Linné l’honneur d’avoir le pre- mier inventé la méthode naturelle ; reconnaissons en lui l’auteur, non-seulement des formes présentes, mais aussi du fond actuel de la classification zoologi- que ; et que, dans l'accomplissement définitif de cette œuvre capitale, chacun reprenne enfin la part de gloire qui lui appartient. XII. La postérité qui a, comme les contemporains, ses préjugés, ses prédilections, et souvent même ses pré- . ` Papi F i LA r ventions injustes, n’a pas non plus, jusqu’à present, rendu pleine justice à Buffon. Quelques lignes écrites par Gœthe peu d'années avant que S'éteignit cette lumière de l'Allemagne (1), et, dans Ja patrie même tnt (1) Voyez le second des articles publiés par Gorrur sur les Principes de Philosophie zoologique de mon pére. Cet article, le dernier que SES rene Ge a a re : ja i en a i e: e eyr ama eaea ae = = ar pe TD A RE REP SRE Te = - Der “se ne = HE N 7 di di om e an Pepee am one 39 HISTOIRE DE LA ZOOLOGIE. de Buffon, un article de mon père (1), tels étaient peut-être, il y a deux années encore (2), les seuls į juge- ments équitables qui eussent été rendus sur l'un de ños plus grands hommes. Le littérateur éloquent a trop longtemps éclipsé en lui le penseur profond. Dire, comme tant d'auteurs modernes, que Buffon a donné à la science la meilleure ou , pour mieux dire, la seule histoire qu'elle possède des mammifères et des oiseaux; le proclamer l’auteur fondamental pour ces deux branches importantes de la zoologie; lui at- tribuer le mérite d’avoir, par la richesse et la poésie de son style, répandu dans toutes les classes le goût Gathie ait écrit , Sê trouve dans l'étcéliente traduction de ses OEuvres d'Histoire naturelle par M. Manriss, p. 161. (1) L'article Burron de l'Encyclopédie nouvelle par MM. Leroux et Reywaun. Voyez t. MI, p. 105. — Voici le début de cet article, qui en résume en peu de mots l'esprit et la tendance générale : « Buffon, que la voix publique plaça avec Voltaire, Rousseau et taie au premier rang des écrivains du dix-huitième siècle, attend encore peut-être du savoir philosophique de nos jours le salut d'admiration dû , Selon moi, au plus grand naturaliste des âges mo- dernes.... » = J'ai signalé cet article comme étant, lorsqu’ ila paru, le seul į Just équitable rendu en France sur le génie et les tra- vaux de Buffon. On ne-saurait en effet considérer comme de véritables jugements sur Buffon , Si mérités, si justes et si éloquents qu’ils soient d'ailleurs, ni les éloges obligés de son digne successeur à l'Académie française, Vicq d'Azyr, ni cette belle phrase, Majestati naturæ par in- geniu, inscrite du vivant de Buffon au pied d'une statue érigée bien plutôt par la flatterie et l'égoïsme que par une sincère et pure admi- ration. (2) Voyez , à la fin de cet article, p, 59, la troisième Addition, rela- tive à quelques écrits récemment publiés sur Buffon. SECONDE PÉRIODE. 30 de l'histoire naturelle, entraîné tous les esprits vers cette science, et imprimé ainsi une vive impülsion à Sa marche progressive, d'est beaucoup sans doute, et ce serait assez pour la gloire immortelle d’un homme ; mais la justice veut plus encore. Où se révèle toute la püissance d'invention, où së mesure la Jointaine portée du regard dé Buffon, c’est lorsque > Sur les ra- res éléments qu'il voit épärs autour de lui, il déduit, ou plutôt il devine les lois principales de la distri- bution géographique des êtres, et même aussi de leur apparition successive à la surface du globe : lorsqu'il retrace des harmonies variées des animaux, et les coñtrastes des diverses créations locales ; lorsqw’enfin il s'élève jusqu'à la conception de l'unité de plan dans le règne animal, du principe non moins fonda- mental de la variabilité des espèces, et de plusieurs autres de ces hautes vérités dont les unes viennent à peine d’être rendues accessibles à la démonstration, et dont les autres, encore à demi comprises aujour- d'hui, appartiennent moins au présent qu'à lavenir de la zoologie. xX. De la science telle que Linné et Buffon Yont faite, nous pourrions passer sans transition A la science de notre siècle ; mais nous devons ici nous arrêter quel- ques instants, ou plutôt, au moment où nous tou- chons aux confins de notre époque, révenir sur nos pas pour nous rendre compte de tous les éléments “ 40 HISTOIRE DE LA ZOOLOGIE, qui ont concouru à l'accélération si rapide du progrès dans ces derniers temps. Nous manquerions aussi no- tre but, si nous n'essayions de payer, non pas à tous les services rendus, les bornes de cet article sont loin de le permettre, mais à toutes les gloires, même aux moins brillantes, le tribut auquel elles ont droit. Linné et Buffon semblent remplir, par l'immensité de leurs travaux, le dix-huitième siècle tout entier; et cependant il est vrai de dire que ce siècle resterait encore grand pour la zoologie, alors même que ni Linné ni Buffon n’eussent existé. Quels noms en effet, même après ceux de ces deux chefs de la science, que ceux de Fabricius, second fondateur de l'entomologie ; d'Othon Frédéric Muller, qui est presque pour les in- fusoires ce que Fabricius est pour les insectes ; de cet observateur ingénieux, T rembley, dont les mer- veilleuses expériences sont connues de tout le monde ; de Lyonnet, ce prodige de persévérance et d'adresse - de Peyssonnel, en partie précédé par Rumph, qui fit reconnaître enfin des animaux dans ces élégantes fleurs de la mer, les coraux et les madrépores ; de Réaumur, qui a su pénétrer, à force de patience et de sagacité, les mystères les plus cachés de la vie et des mœurs des insectes ; de Degeer , digne d’être cité à côté de Réaumur ; de Spallanzani , expérimentateur si habile, quelquefois si audacieux ; de Pierre Cam- per, qui a mérité d’être nommé par Cuvier un ana- tomiste plein de géme ; de Haller, dont la grande physiologie, bien que consacrée surtout à la connais- SECONDE PÉRIODE. 4i sance de l’homme, renferme tant de faits nouveaux et importants sur les animaux ; de Daubenton , ce collaborateur laborieux de Buffon qui a fait seul tous ses travaux, et sans lequel peut-être Buffon n’eût pas fait les siens; de Vicq-d'Azyr, dont les conceptions aussi belles qu'éloquemment exprimées se sont plu- sieurs fois élevées jusqu'à l'anatomie philosophique elle-même(r); enfin, et par dessus tous, de Charles Bon- net et de Pallas : Bonnet, observateur aussi ingénieux que son compatriote Trembley et que notre Réaumur, penseur profond et audacieux presque à l'égal de Buffon lui-même : Pallas, qui a tant fait pour la science par ses voyages, et plus encore peut-être par ses beaux travaux sur la classification des zoophytes et des infusoires, sur l'anatomie des vertébrés, sur la zoologie générale, et sur la zoologie fossile ; Pallas, dont les travaux sont si nombreux et si parfaits mal- gré leur nombre, que quelques zoologistes modernes ont hésité à le proclamer, en présence de Linné et de Buffon, le premier naturaliste du dix-huitième siècle. XIV. Ainsi, au moment où s'ouvre notre siècle , ou plu- tôt, où commence la révolution française, car l’école zoologique contemporaine a précédé de quelques an- nées le dix-neuvième siècle ; à ce moment même dont” =. G) Voyez la quatrième Addition , p. 82. FL DR WRR RE DE Hi Re me $ 42 HISTOIRE DE LA ZOOLOGIE. où peut dater une ère nouvelle pour la zoologie, déjà il n’était aucune des branches de l’histoire des ani- maux qui n'eût été dans le dix-huitième siècle de sujet de quelques travaux, aucune direction dans la- quelle on n’eût fait au moins quelques pas. Pour la zoologie systématique , après Linné, Pallas, F abricius, Muller ; pour l'étude de l'organisation, après Dau- benton, Vicq-d’Azyr, Camper, Lyonnet; pour Tob- servation des mœurs, après Bonnet, Réaumur, Buffon, - Pallas; pour la Zoologie générale, après Buffon, Linné, Bonnet, Pallas, il est manifeste que les voies étaient . Ouvertes à l'avance au dix-neuvième siècle par le dix- huitième. Et s'il n’en est pas de même de la zoologie fossile, de là philosophie zoologique et anatomique, si ces deux branches doivent rester la propriété presque exclusive et la gloire principale de l'époque modérne, encore est-il juste de rappeler ici, pour l’une d'elles, les recherches de Pallas sur les grands ossements fos- siles du nord de l'Europe; pour lautre, les hautes conceptions de Buffon et les idées, moins générales, mais mieux précisées , de Vicq-d'Azyr. - Ainsi, dans quelque direction que ce soit, il est vrai de dire que notre siècle a son point de départ dans les découvertes du siècle précédent. Mais com- bien il s’est éloigné rapidement de ce point de départ! Combien il l'a laissé loin derrière lui! On Fa dit souvent , et je le pense aussi : les cinquante années qui viennent de s'écouler, ont plus fait à elles seules pour la zoologie que tous les siècles qui les ont pré- SBCONDE PÉRIODE. 43 cédées. Admirable exemple de ce progrès coñtinu qui entraine les sciences avec une vitesse toujours crois- sante, comme la pierre qui tombe, s'élänce de plus en plig rapide \ vers lé point 1 “elle doit atteindre. J'aurais aimé à continuer ici pour l'école moderne, pour cette école dont j'ai eu le bonheur de connaître presque tous les chefs principaux, ce que je viens de faire pour les zoologistes des siècles précédents ; à đé- terminer quelle part chacun a prise aux progrès de la science; à juger, selon ma conscience, sa tendance in- tellectuelle et la portée de ses travaux. Mais comment: apprécier avec justesse des hommes au milieu desquels nous avons vécu, au milieu desquels nous vivons eń- core? De même qu'un objet, trop rapproché de nos yeux, ne saurait être nettement perçu par eux, ne de- vons-nous pas craindre d'être égarés par des illusions devant des travaux dont nous avons été presque té- moins, et qui ne sauraient nous apparaître, quoi que” nous puissions faire, sous le point de vue où ils ap- paraitront à la postérité? Et pour ne parler ici que es savants dont la science a déjà eu à déplorer la perte, s'il est vrai, comme on a dit tant de fois, que la mort d'un homme ouvre à la vérité tous ses droits sur lui, ne faut-il pas reconnaître aussi que la vérité ne peut en user aussitôt, puisque chaque con- | temporain , quel que puisse être son amour pour la justice et l'indépendance de son esprit, ne saurait en- tièrement franchir le cercle des idées, des opinions, je dirai même des passions de son époque, et se DE ren à n ” gs Nes - here à MERE ET 44 HISTOIRE DE LA ZOOLOGIE, trouve ainsi enlacé dans une multitude.de liens réels et puissants, bien qu'invisibles pour lui? ` | Je ne renonce pas cependant à compléter cet article par un apercu des progrès les plus importants que la science doit à l’école moderne; mais ici je mexpri- merai avec plus de réserve, et si j'ose hasarder quel- ques jugements, je suis le premier à les déclarer in- complets et en quelque sorte provisoires. Parmi les zoologistes que la mort a récemment moissonnés, la postérité distinguera sans doute, comme l'ont fait leurs contemporains, Lacépède, dont les ouvrages sur les cétacés, sur les reptiles et les poissons , trop loués pendant sa vie, ont été trop sé- vèrement jugés après sa mort; Everard Home , auquel on doit un si grand nombre de recherches impor- tantes d'anatomie comparée; Meckel, supérieur en- core à Home comme zootomiste, et, de plus, l’un des fondateurs de la tératologie ; Rudolphi , auteur aussi de plusieurs travaux remarquables sur l'anatomie comparée, mais surtout auteur d’un ouvrage sur les entozoaires qui restera à jamais dans la science ; Huber, de Genève, qui, aveugle dès son enfance , a su se con- quérir une place au rang des observateurs les plus sa- gaces; Latreille, que la voix unanime de ses contem- porains a nommé le prince des entomologistes ; enfin, et ces deux noms, bien qu'inégalement célebres , méritent d'être associés l'un à l'autre, Lamarck ét Cuvier. À z | a: | La longue et honorable vie de Lamarck se divise SECONDE PÉRIODE. - 45 en deux époques. Botaniste éminent dans le der- nier tiers du dix-huitième siècle, Lamarck est , mal- gré lui, appelé, en 1793, à l'enseignement de la Zoologie, jusque-là étrangère à ses travaux. Ainsi le voulait un décret de la Convention, qui changeait en même temps la destinée de mon père, alors minéralogiste ; tant la zoologie était encore à cette époque peu cultivée en France! Lamarck obéit au dé- _cretde la Convention ainsi qu'il convenait à un homme tel que lui : de botaniste distingué, il se créa zoolo- giste illustre. Il avait fait la Flore Jrançaise , il fit le Système des animaux Sans vertèbres , et la Philoso- phie zoologique : deux Ouvrages dont l'un, œuvre linnéenne, présente pour la première fois, méthodi- quement classés dans leur ensemble, tous les groupes inférieurs du règne animal; l'autre, livre jusque-là sans modèle, aborde et traite d’une manière scien- tifique la grande question de la variabilité des espè- ces, et plusieurs de ces immenses problèmes que l’on eût pu croire accessibles tout au plus aux spéculations sans base , aux rêveries de la métaphysique. La des- tinée de ces ouvrages , si différents dans leur plan, si inégaux dans leur portée, devait être et fut bien di- verse. Le premier, immédiatement intelligible à tous, . fut immédiatement admiré de tous. Oserai-je dire que le second , non-seulement resta d’abord incom- pris'et fut vivement critiqué, malheur inévitable pour une œuvre aussi nouvelle; mais que ces esprits légers, toujours prêts à aceueillir par la plaisanterie ce b a E ue e n a A n edge ptite À ae Dee ts ET a sa Philosophie zoolo 46 HISTOIRE DE LA ZOOLOGIE. qui est au-dessus de leur portée, ne virent dans les magnifiques idées de Lamarck qu'une occasion de faire rire le public aux dépens d’un homme de génie ? Oserai-je dire surtout que plusieurs savants distingués firent eux-mêmes comme le public, et que quelques autres crurent être cléments en pardonnant à Lamarck gique en faveur de son Système des animaux sans vertèbres ? i Plus heureux que Lamarck, dont la. vie sest écoulée modeste et presque obscure, et qui, sur sa tombe même, n’a pas obtenu justice, Cuvier a vu pendant sa vie, et presque dès sa jeunesse, ses travaux récompensés par une admiration que lui conservera sans nul doute la postérité. C’est presque aujourd'hui un lieu commun que de louer Cuvier. Qui ne sait que son ouvrage sur l'anatomie comparée a fondé cette science, riche avant lui de faits nombreux , Mais que nul, si ce n’est quelquefois Vicq-d’Azyr, n'avait encore rendue comparative? Qui ignore ce que les recherches de Cuvier ont jeté de jour sur l’organisa- tion de ces êtres innombrables que Linné avait con- fondus sous le nom de Vers? Et surtout qui n’admire dans Cuvier le créateur de la zoologie fossile? Ainsi, par un privilége accordé à lui seul peut-être , il était donné à Cuvier d'opérer, par chacun de ses ouvrages, une révolution dans la science, et de la faire immé- diatement accepter par tous (1)! D. un ee > (1) Voyez le cinquième Article, FT TROISIÈME PÉRIODE. 47 XV. L'époque à laquelle ont paru les grands travaux de Cuvier, de Lamarck , des z00logistes que j'ai cités avant eux, et aussi de plusieurs autres hommes émi- nents dont la science s'honore encore aujourd’hui ; cette époque, l’une des plus mémorables dans lhis- toire de la zoologie , est toute récente : un quart de siècle environ nous en sépare. Et cependant, déjà, depuis elle, une ère nouvelle a commencé pour la zoologie; une autre révolution s’est opérée ! Telle est, en effet, la marche constante des sciences : plus une époque est progressive, et plus Courte est sa durée ; car plus nombreux sont les progrès accomplis, et plus proches sont les progrès qui doivent naître de ceux - CI. * Cuvier et ses contemporains , tous imbus des mêmes idées que lui, tous travaillant , même ceux qui de- vaient par la suite s’en écarter le plus, dans la même direction , avaient multiplié à linfini le nombre des faits, et complété en quelque sorte la période d’obser- vation : il était temps que vint celle de généralisa- tion. De là l'école philosophique qui compte aujour- d'hui dans ses rangs presque tous les z00logistes éminents de l’Europe, principalement de la France et de l'Allemagne. | | | Sans doute ni mon père en F rance , ni les illustres philosophes allemands, Gœthe par exemple, qui ont marché en même temps que lui dans les mêmes voies, 48 HISTOIRE DE LA ZOOLOGIE. ne sont les premiers qui aient considéré la science des animaux sous un point de vue philosophique. Dès le dix-huitième siècle, Buffon, Vicq-d’Azyr et d'autres encore; dès le drsftns Harvey, et bien longtemps avant eux tous, Aristote, avaient émis, et j'ai eu le soin de constater plus haut ces exceptions si glorieuses pour leurs auteurs, des idées plus ou moins explicites et plus ou moins larges, soit sur la zoologie philosophique proprement dite, soit même sur la philosophie anato- mique. La doctrine de Tunité de composition, en particulier, a reparu si souvent à toutes les époques de la science, qu’il est presque vrai de dire qu’elle n’a jamais cessé d’avoir des partisans (1). Mais la diffé- rence est grande entre tous les travaux antérieurs à 1807, et ceux dont mon père commença alors la longue série (2). Ceux-ci étaient entrepris dans le but formel et explicite de parvenir, par de longues et pé- nibles recherches, à une expression nouvelle des ca- ractères généraux des êtres. Dans les travaux antérieurs au contraire , au moins en ce qui concerne la philoso- phie anatomique, si des rapports d’une haute portée sont quelquefois trouvés, jamais ils ne sont, ni cher- chés par ‘des efforts spécialement dirigés vers leur découverte, ni, par suite, rigoureusement et scienti- fiquement TER Le plus souvent c "est une idée grande et féconde qui surgit, à l'occasion d’un fait G) Voyez, a la fin de cet article, P 68, la quatrième Addition, (2) Voyez la cinquième Addition. TROISIÈME PÉRIODE, Â9 . zd remarquable, dans l'esprit d'un penseur profond, et qui est saisie avec le même empressement qu'un observateur ordinaire eût nus à la repousser comme une vaine hypothèse. | | Aussi quelle différence immense dans les résultats obtenus! Dans les siècles précédents nous voyons briller de loin en loin quelques idées philosophiques d'une grande portée, mais incomplètes, sans bases positives, sans preuves, sans autres partisans que leur auteur , sans adversaires même qui les repoussent. Au contraire, la théorie de l'unité de composition orga- nique, et le principe des inégalités de développe- ment (1), fondés enfin sur des bases solides ; la loidu développement centripète presque aussitôt démontrée que découverte (2); ces vérités fondamentales et plu- sieurs autres encore, ouvrant, à peine établies dans la science , autant de voies diverses vers la découverte d’une multitude de faits nouveaux; la série des es- pèces animales , celle des âges et des divers états du (1) La considération des arréts et celle des excès de développement ne peuvent être séparées seus un point de vue philosophique. Ce qui est arrét pour une espèce, est souvent excès pour une autre, et dans le même être; dans l'homme par exemple, des arréts sur un point co- existent toujours avec des excès sur un autre. Il n'y a donc à vrai dire, pour les faits de cet ordre, ni théorie des arrêts, ni théorie det excès, mais bien une seule théorie générale, la théorie des inégalités de dé- veloppement, ainsi que je l'ai nommée dans le troisième volume de mon Histoire des anomalies. (2) Voyez l'Anatomie comparée du cerveau, par M. Serres , et surtout ses mémoires sur l'£natomie transcendante, insérés dans les Annales des sciences naturelles. ZOOLOGIE GÉNÉRALE. A 5o HISTOIRE DE LA ZOOLOGIE, fœtus ;celle des états anomaux et même aussi des états pathologiques de l’organisation, ramenées à des lois analogues ou identiques, et, par là, l'unité fondamen- tale de la zoologie , jusque là simple vue théorique, élevée au rang d’une vérité positive : tel est le spec- tacle qu'offre à nos méditations le quart de siècle qui vient de s'écouler! | | Dire maintenant la part que chacun a prise à cet immense Mouvement , dire où il s'arrêtera ; juger, en un mot, la nouvelle période de la science dans son court passé et dans son long avenir, d'est ce que l’on me demandera peut-être, et cependant ce que je ne ferai pas. De ces deux questions, l'une, purement historique, serait d’une solution facile; mais ma posi- tion particulière m'interdit de l'essayer, moi qui trouverais partout au premier plan des travaux qu'il m'appartient de vénérer et non de juger. L'autre, àu contraire , serait libre pour moi comme pour tout autre, si le temps en était venu ; mais comment me- surer la direction et la vitesse d'un mouvement si près encore de son origine? Lorsqu'un astre inconnu apparaît dans le ciel, le géomètre ne se hâte pas d’en calculer la course rapide à travers l'espace. Attendons comme lui, pour déterminer lavenir lointain auquel tend la pensée humaine, qu’elle se soit avancée plus loin dans son orbite, IL. ADDITIONS AUX CONSIDÉRATIONS HISTORIQUES SUR LA ZOOLOGIE (1) neea L DES VUES DE M. AMPÈRE SUR D'HISTOIRE PHILOSOPHIQUE DES SCIENCES (2). En attribuant à M. Ampère la pensée d’un travail sur l'histoire philosophique des sciences, j'ai dû mex primer avec quelque doute. Ni dans les écrits de cet illustre savant, ni dans plusieurs entretiens scienti- fiques qu'il voulut bien avoir avec moi en 1833, 1834 et 1835, je n'ai pu acquérir la preuve que l’histoire philosophique des sciences eût occupé l'esprit de M. Ampère à légal des autres branches de la philoso- phie des sciences. Voici, par exemple, comment il trace, dans son livre sur la classification des scien- ces (3), le plan de l'ouvrage , bien autrement étendu et important, qu'il se proposait de publier sur Pen- semble des connaissances humaines. (1) Je réunis sous ce titre plusieurs fragments qui sont autant d'ad- ditions et de développements relatifs à divers points de l’article précé- dent. Des renvois indiquent , pour chacune de ces additions, les pas- sages auxquels elle se rapporte. (2) Voyez pages 4 et 5. | Q) ssai sur la philosophie des sciences , t. I, p.22 et 23. 52 PREMIÈRE ADDITION. « L'ouvrage qu’on va lire n’est que le programme d'un Traité de mathésiologie plus complet que j'aurais publié à la ne de cet Essai, si le temps nv’eût permis de l'écrire, Alors j jau- rais eu soin, en parlant de chaque science, de ne pas me bor- ner à en donner une idée générale; je me serais appliqué à faire connaître les vérités fondamentales sur lesquelles elle re- pose ; les méthodes qu’il convient de suivre, soit pour l'étudier, soit pour lui faire faire de nouveaux progrès; Ceux qu’on peut espérer suivant le degré de perfection auquel elle est déjà ar- rivée; j'aurais signalé les nouvelles découvertes, indiqué le but et les principaux résultats des travaux des hommes qui s’en occupent, et quand deux ou plusieurs opinions, sur les bases même de la science, partagent encore les savants, j’au- rais exposé et comparé leurs systèmes, montré l’origine de leurs dissentiments, et fait voir comment on peut concilier ce que ces systèmes offrent d’incontestable.…. » Celui qui s'intéresse à ces progrès, et qui, sans former le pro- jet insensé de connaître toutes les sciences à fond, voudrait ce- pendant avoir de chacune une idée suffisante pour comprendre le but qu’elle se propose, les fondements sur lesquels elle s’ap- puie, le degré de perfection auquel elle est accordée, les grandes questions qui restent à résoudre, et pouvoir ensuite, avec toutes ces notions préliminaires , se faire une idée juste des travaux actuels des savants dans chaque partie, des gran- des découvertes qui ont illustré notre siècle, de celles qu’elles préparent, etc., c’est dans le cours ou dans l'ouvrage dont je parle, que cet ami des sciences trouverait à satisfaire son no- ble désir (1). » (1) Ce passage remarquable a été cité en partie dans le savant et in- téressant article publié sur M. Ampère dans la Revue des Deux Mon- des (no dn 15 février 1837, p. 437), par MM. Lurrré et Satnre-Bruve, « Il est trés-regrettable, ajoute M. Littré après avoir cité ce passage, que M. Ampère n'ait pas exécuté un pareil projet. Un homme qui, VUES DE M: AMPÈRE. 53 Certes, dans ce passage, M. Ampère se montre beaucoup plus occupé du présent et de lavenir de la science que de son passé, et ses pensées tendent évi- demment vers un but tout autré que l'étude philoso- phique de l'enchaînement des faits et des idées dans les siècles antérieurs. Un lecteur superficiel et peu attentif pourrait même penser que cette étude n’a rien de commun avec le plan tracé par M. Ampère, Elle y tient au contraire, dans ma conviction, une très-grande place. Est-il encore nécessaire de démon- trer que l'intelligence approfondie du présent de la science ; et, bien plus encore, la prévision de son ave- nir; sont absolument impossibles sans la connaissance de son passé? Faire un exposé philosophique. de ses vérités fondamentales , sans rechercher comment et sous l'influence de quelles idées elles ont été conçues, démontrées, mises en lumière, quel accueil leur a été fait à leur apparition première, et jusqu'à quel point elles ont modifié la marche ultérieure de la science; ju- ger des méthodes qu’il convient de suivre, sans tenir compte des vérités que ces méthodes ont dévoilées ou des erreurs qu’elles ont produites ; signaler les nou- comme lui, s'était occupé'avec tt de toutes les sciences, et en avait approfondi quelques-unes, était éminemment propre à cette tå- che... C'est, par uñ détour, revenir à l'investigation de l'esprit humain; c'est contempler l'instrument dans ses œuvres, la cause dans ses effets, et, à toute époque, une puissante étude ressortira de l'examen compa- ratif entre les sciences que l'homme erée, et les Beuli qu'il emploie à cette création. » 54 PREMIÈRE ADDITION. velles découvertes sans remonter aux découvertes an- térieures d’où elles dérivent ; montrer l'origine du dissentiment des savants et de la diversité des sys- tèmes, sans la chercher où elle est, dans l'influence des doctrines transmises autant et quelquefois plus que dans la diversité native des esprits ; apprécier la grandeur des découvertes qui ont illustrénotre siècle, et de celles qw’elles préparent, sans avoir apprécié la grandeur de celles qui les ont elles-mêmes préparées : tels seraient autant de contre-sens, autant de fautes contre la logique, qu’il n’est pas permis d'attribuer à un penseur aussi profond que l'était M. Ampère. Aussi, en reconnaissant que le passage cité plus haut laisse quelques doutes, en admettant même que M. Ampère, ait pu, dans la première conception du plan de son ouvrage sur la philosophie des sciences, ne point faire une large part à leur histoire , J oserai du moins aflirmer que ce plan eût été modifié par son illustre auteur. Si sa vie se fût prolongée’, si, de la conception, il eût pu passer à l'exécution de son œuvre, la rigueur de son esprit l'eût conduit , inévita- blement et dès le début , à faire, d’une étude philoso- phique du passé de la science, la base solide d’une appréciation vraie de son état présent et de ses pro- grès futurs. Alors seulement il eût pu élever un mo- nument durable, et les illusions de sa vieillesse sur l'importance de ses travaux mathésiologiques, illu- sions si préjudiciables à la science, eussent été une glorieuse réalité. : PÉRIODES DE L HISTOIRE DES SCIENCES. I DE LA DIVISION DES SCIENCES ET DE LEUR ASSOCIATION , CONSIDÉRÉES COMME CONDITIONS NÉCESSAIRES DE LEURS PROGRÈS (1). Toute science physique résulte essentiellement de deux ordres de faits : les faits particuliers, que révèle l'observation ; les faits généraux , que le raisonne- ment fait découvrir. Embrassés dans de communes études , ils se fécondent , se vivifient mutuellement. Considérés isolément, les premiers ne seraient que de (x) Voyez pages 8, get 10. Dans mes considérations sur l’histoire de la zoologie, j'ai distin- güé pour cette science, et indiqué pour les autres sciences d'obserya- tions, trois périodes principales, que l'on peut ainsi nommer ét ca- ractériser : j | 0h Première période, ou PÉRIODE DE conrusion des sciences. Point de méthode déterminée, Pour résultats, des hypothèses. Seconde période, ou Périons De mivision. Pour méthode, l'analyse Pour résultats, des faits. ` Troisième période, ou PÉRIODE D'ASSOCIATION, Pour. méthode , la syn- “thèse. Pour résultats, des théories. Selon ces vues, les progrès dans les sciences sont dus premièrement à à leur division, d'où l'analyse qui découvre les faits; puis à leur association, d'où la synthèse qui les généralise et les coordonne. La considération de ces trois périodes a plus d'importance qu'on ne serait peut-être porté à le penser au premier abord. Je me propose de faire bientôt de leur succession logique le sujet d'un travail spécial, et de signaler quelques-unes des conséquences qui en découlent. En attendant ce travail plus complet, j'ai placé ici un fragment déjà inséré par moi dans mon Histoire Générale des anomalies (préface, p. vi), qui complétera et éclaircira en même temps le passage auquel Le rapporte cette Addition. Te aai ia ci e a airs ren Je RÉ : ne = eng Mes ce Pts | ste ide tia nil PSS mms Lors = 56 SECONDE ADDITION. stériles matériaux, les seconds que de futiles hypo- thèses. Une sciençge ne saurait pas plus exister sans les uns ou les autres, qu’un raisonnement sans pré- misses ou sans conséquence. À ces deux ordres de faits dont se compose toute science, au double besoin qu’elle a d'étudier les dé- tails et de les généraliser, correspond une double tendance que nous révèle d’une manière positive lhis- toire de toutes les branches très-avancées des con- naissances humaines, et dont toutes les autres pré- sentent déjà des indices d'autant plus manifestes qu'elles sont moins imparfaites. | Ainsi, dans toutes les branches des sciences, les faits dé détail étant extrêmement nombreux , et cha- cune d'elles ayant une marche, un but, un mode d'observation qui lui sont propres, il devient néces- saire, à mesure qu’elles se perfectionnent, que lon s'en partage l'étude. Plus s'agrandit le cercle des con- naissances humaines, et plus il devient impossible d'en embrasser l'immense étendue ; plus la nécessité d'une division se fait sentir. Ainsi la physique, à mesure que les faits se sont multipliés, a dû se par- tager en branches qui toutes ont aujourd'hui leurs observateurs spéciaux. De même, l'histoire naturelle, après s'être divisée en trois vastes sections, s’est de nouveau Subdivisée en un grand nombre de rameaux secondaires ; et c'est à peine si , parmi les naturalistes distingués de notre époque, on en peut compter quelques-uns dont les recherches #étendent à Pen- PÉRIODES DE L'HISTOIRE DES SCIENCES. 57 semble du règne végétal et surtout du règne animal. Enfin l'anatomie elle-même s’est fractionnée à mesure qu'elle sest enrichie ; et il est devenu impossible d'embrasser dans de communes études l'immense étendue de l'anatomie descriptive, de l'anatomie chirurgicale, de l'anatomie vétérinaire , de änatomje des tissus, de l'anatomie pathologique , de lembryo- génie, de l'anatomie comparée, enfin de l'anatomie philosophique, conquête toute récente encore et due aux travaux Contemporains. | D'un autre côté, en même temps qu'une science, par l'accroissement numérique de ses faits particu- liers, tend à se diviser, d'autres progrès lni font éprouver un autre besoin, lui impriment une ten- dance en apparence contradictoire : celle d’une asso- ciation avec toutes les branches analogues des con- naissances humaines. À mesure qu'elle s'élève à des généralités plus nombreuses et plus vastes, l'intervalle, d'abord immense, qui l'isolait, se comble et s'efface peu à peu; et bientôt une alliance intime, féconde, également utile à toutes , ne permet plus de voir entre les sciences de même ordre que des rameaux distincts, mais étroitement unis, d'une même tige. Ainsi, par la grande loi de l'attraction neWtonienne, l’histoire tout entière des corps inorganiques repose sur des bases communes, et ne semble plus qu'un vaste et immense corollaire du même principe. L'étude des êtres organisés, plus variés, plus complexes, modifiés à chaque instant par les phénomènes encore inexpli- 58 SECONDE ADDITION, qués de la vie, n’a vu être embrassée dans une aussi haute généralité; mais déjà des principes communs à tout le règne animal, à tout le règne végétal et même à l’ensemble des deux règnes organiques, sont les magnifiques préludes des succès futurs (x). Ajouterai-je que déjà même il est permis d'entrevoir l'instant de haut progrès scientifique où, par les lois des courants, un admirable lien s'étendra sur la nature entière, et où se trouvera réalisé cet enchainement de toutes les parties du grand ensemble vers lequel tendent de- puis si longtemps les efforts prématurés d'esprits audacieux (2)? | 6 à Ainsi, toute science tend à se fractionner, à se diviser pour l'étude des faits de détail, à unir, à s'associer pour la recherche des faits généraux. Ses progrès ont été ou seront l’œuvre d’une heureuse division du travail entre un grand nombre d'hommes spéciaux, et d’une association, d’une coordination éclairée de tous les efforts vers un but commun. emma (1) J'ai essayé de le montrer dans les généralités de mon Histoire générale des Anomalies. Voyez, dans le tom. III, la quatrième partie et les deux derniers chapitres de la cinquième. | (2) « L'Univers, a dit D'Azemserr (Discours préliminaire de 1 Encr- clopédie, t. 1, p. 1x), pour qui saurait l'embrasser d'un seul point de vue, ne serait , S'il est permis de le dire, qu'un fait unique etune grande vé- rité. » Et de plus, ajoute mademoiselle Sorne Germar, en citant cette belle pensée : « Un fait nécessaire. » Voyez (p. 57 et 59) l'ouvrage jus- qu'à présent si peu connu, et cependant si digne de l'être, qui a été publié après la mort de mademoiselle Germain sous ce titre : Considé- rations générales sur l'état des sciences et des lettres, in-8, Paris, 1833. TRAVAUX SCIENTIFIQUES DE BUFFON, 59 IL. DES JUGEMENTS PORTÉS SUR BUFFON , ET SPÉCIALEMENT DÈ QUELQUES HOMMAGES | NOUVELLEMENT RENDUS A SA GLOIRE SCIENTIFIQUE, F A l'époque où j'écrivis, sur les progrèsde la zoologie, l'article, qui précède, je recherchai et je relus les di- vers jugements portés par les auteurs modernes sur Buffon. L'impression que me laissèrent ces lectures, eut quelque chose de ce sentiment pénible qu’on éprouve, avant toute réflexion, à la Yué ou au récit d’un acte d’injustice. Je vis partout les hommages les plus éclatants ren- dus à la gloire littéraire de Buffon. N ul écho, dans notre siècle, de ces reproches qui osèrent, au dix- huitième, s'attaquer à l'admirable style de F Histoire naturelle; nul vestige de ces critiques auxquelles Voltaire, homme de goût, maïs encore plus homme de passion (1), eut le tort de s'associer par une célèbre i (1) Voltaire ayait été critiqué et même, pour tout dire, raillé par Buffon au sujet de quelques opinions géologiques qu'il était en effet difficile de réfuter sérieusement, Comment un homme qui ayait osé plaisanter sur les prétentions scientifiques de Voltaire, eùt- ses yeux, un grand écrivain? Plus tard, cependant, il y eut réconci- liation entre Buffon et Voltaire, et échange mutuel de politesses et de louanges. On sait comment Voltaire, ayant recu de Buffon un volume nouveau de l'Histoire naturelle, l'en remercia par un billet où il lui parlait de son prédécesseur Archimède premier. Ce rapprochement, plus flatteur qu'exact, avec l'illustre géomètre de Syracuse, valut à Voltaire ce compliment qui. est encore et pourra bien rester à toujours une vé- rité ; On ne dira jamais Voltaire second. il pu étre , à 60 TROISIÈME ADDITION. et trop transparente allusion (1). Je ne trouvai plus qu’un seul sentiment sur Buffon , proclamé par tous Yune des gloires littéraires les plus brillantes du siècle où vécurent Voltaire et Montesquieu ; où vécut Jean-Jacques Rousseau. Mais , en faisant si grande la part de l'écrivain, a-t-on rendu une complète justice au naturaliste? Je ne pus le penser, quand je vis, dans la patrie même de Buffon, ce grand homme placé , d'un accord pres- que unanime, à une immense distance au-dessous de Linné; quand je trouvai, dans tant d'ouvrages mo- dernes, une si grande place accordée à la réfutation de ses hypothèses, de ses erreurs, on l’a dit même, de ses aberrations ; quand, à côté de tant de critiques, je lus quelques lignes consacrées à des éloges timides et pleins de restrictions sur ces vues sublinies de phi- losophie naturelle, sur ces voies nouvelles ouvertes à l'esprit humain, sur ces lois générales et fécondes qui attesteront à jamais la grandeur du génie créa- teur de Buffon ; quand, en un mot, on semble s'être complu à étendre les ombres et à voiler la lumière ; enfin, quand je vis M. Cuvier lui-même, dans un jugement qui a presque fait loi pour les zoologistes contemporains, placer le mérite le plus réel de Buffon dans ses droits au titre d'auteur fondamental pour p l'histoire des quadrupèdes! Oui, ses droits à ce titre (1) Dans un style ampoulé parlez-nous de physique, TRAVAUX SCIENTIFIQUES DE BUFFON. 61 sont incontestables ; mais sa gloire n'est pas là. Si Buffon ne fût pas venu, l’histoire des quadrupèdes eùt pu être éċrite par un autre ; mais qui se fût élevé à la conception de ces idées générales ; à la découverte de ces lois qui, dès le dix-huitième siècle, ont jeté les inébranlables fondements de la géographie zoologi- que et de la zoologie philosophique ? Les regrets que m inspira en 1837 cette justice si incomplète rendue à Buffon, sont heureusement, depuis cette époque, devenus beaucoup moins fondés. Dès l’année suivante, deux articles étendus et im- portants furent publiés, l'un spécialement scientifi- que par mon père (1), l'autre littéraire et philoso- phique par M. Villemain, où le génie et les travaux de Buffon se trouvent enfin appréciés avec une haute supériorité. Si ces articles eussent précédé mon Essai sur l'histoire de la zoologie, j'eusse sans doute jugé inutile d'insister autant sur les titres scientifiques de Buffon ; puisqu'ils ont paru après lui, qu'il me soit du moins permis de le compléter en leur empruntant Tipe fragments. L'article écrit par mon père : sur Buffon a été d'a- bord placé en tête d’une nouvelle édition de l Histoire naturelle (2), puis bientôt réimprimé dans un ou- G) J'ai rappelé (p. 38, note 1) , un autre article publié un an aupa- vant par mon père dans l'Encyclopédie nouvelle. (2) La seconde des éditions publiées par le libraire Pillot: 62 TROISIÈME ADDITION. vrage à part (1). Comme il appartenait : a mon père, C'est une étude approfondie des titres scientifiques de Buflon comme zoologiste, comme géologue, et aussi j comme intendant-général du Jardin du Roi. Voici le début de.cet article : _« Il n’y eut jamais plus d’empressement que dans l’époque actuelle à reproduire l’œuvre monumentale de Buffon... Dans ces hommages rendus au génie de Buffon sont les signes d’un grand progrès scientifique’, une révélation de la marche des idées philosophiques: je vais essayer de dire comment. » Les lumières et le sayoir profond du dix-neuvième siècle s’identifient aujourd’hui avec les écrits de notre grand natu- raliste, publiés de 1749 à 1788, quand au contraire le siècle précédent ne s'était ému que devant la magnificence de son style. Pour que les prévisions du génie de Buffon , pour que la valeur de ses pensées et la portée de ses conceptions fussent dignement appréciées, il fallait que l'humanité eût perfectionné sa raison et fût entrée profondément dans le savoir philoso- phique des choses. » Ceci, qui ne fut point d’abord aperçu, laissa Buffon in- compris durant un demi-siècle; mais aujourd’hui on revient à ses conceptions sut les rapports des êtres, comme à des pro- phéties déjà placées dans le souvenir des hommes, et dont les progrès récents de la science permettent mieux de jour en jour l'intelligence. a » Notre poque seule devait reconnaitre en lui, telle est (1) Fragments biographiques par M. Grorrroy Samr-Hinaire, un volume in-8, Paris, 1838. L'article sur Buffon est le morceau le plus important de cet ouvrage, qui renferme en outre des notices biographi- ques sur Daubenton, Thouin, Pinel, Lamarck, Cuvier, Sérullas, Meyranx et Latreille, TRAVAUX SCIENTIFIQUES DE BUFFON. 63 ma ferme conviction, le plus grand penseur de l’humanité au- quel il fut donné d’embrasser les âges, les temps, la nature des choses, et de plus les harmonies de Dieu et de l'univers... » La magnifique élocution de Buffon ne devait être considérée ni comme le sujet d’un mérite à part, ni surtout comme son principal titre de gloire. La beauté de son style n’était et ne pouvait être que la conséquence nécessaire de la grandeur de ses conceptions. Ce sont ses pensées, s’exaltant et croissant comme le sujet de ses études, qui forment toute l'essence de Buffon, et qui ainsi deviennent le séyle-Bufjon, pour nous renfermer dans l'énoncé de ce mot aphoristique. Les allures de son langage majestueux et étincelant d'images, répondant à la grandeur des scènes qu’il avait à peindre, ilen résultait, si lon peut s'exprimer ainsi, une sorte de vestiture et des formes convenables pour l'exposition des faits de cet ordre. `» De ceci il faut conclure que Buffon ne donna jamais mo- tif aux deux jugements prononcés à son sujet, Son œuvre n’a point manqué au caractère d'unité, empreint dans tout bon ouvrage; ses qualités de grand écrivain etses qualités de grand penseur sont liées intimement, et pour ainsi dire se confondent. Les aperçus incomplets d’un premier âge humanitaire ont pu seuls faire penser le contraire, et si Buffon a apparu, depuis la production de ses écrits, comme porteur de deux faces à part produites l’une après l’autre, cette distinction , bien qu’il yait eu progrès chez lui d'année en année, est seulement le fait d’un des progrès incessants de l'esprit humain, dont l'in- struction s’étendit graduellement et est venue naturellement aboutir au savoir de notre âge. » Je regrette de ne pouvoir transcrire ici en entier les pages dans lesquelles mon père cite et commente un magnifique passage, écrit par Buffon dans sa vieil- lesse, et auquel on avait à peine jusqu'alors accordé t Biia mn a Ż e — Xe + di DE e t- -a s De a areias a w r s s 5 ; A 5 Le ES Voici le passage lui-même de Newton ; il se trouve placé à la fin de son immortel livre De l'Optique (2). er (1) Philosophie anatomique, t. 1%; Discours préliminaire, p. 16. (2) Page 411 de la traduction latine de Samvez CLanke, et p- 590 de la traduction française de Goste, 2° édition, Paris, 1722. C'est cette édition de 1722 que j'ai citée. en 74 QUATRIÈME ADDITION. « Une uniformité si merveilleuse dans le système plané- taire, doit être nécessairement regardée comme. l'effet du choix. Il en est de même de l’uniformité qui parait dans les corps des animaux. Car, en général, les animaux ont deux côtés , l’un droit, et l’autre gauche, . formés de la même ma- nière; et, sur les deux côtés, deux jambes par derrière, et deux bras ou deux jambes ou deux ailes par devant sur les épau- les; et entre leurs épaules un cou qui tient par en bas à l’é- pine du dos avec une tête par-dessus, où il y a deux oreilles, deux yeux, un nez, une bouche et une langue, dans une même situation (1). Si, après cela, vous considérez à part la première formation de ces mêmes parties, dont la structure est si exquise..... vous conviendrez que tout cet artifice ne peut être que l'effet: de la sagesse et de l'intelligence : d’un agent puissant et toujours vivant, qui, par cela qu'il est'pré- sent partout, est plus capable de mouvoir par sa volonté les corps dans son sensorium uniforme et infini , et par ce moyen de former et de réformer les parties de lunivers, que nous ne le sommes, par notre volonté, de mettre-en: mouvement les parties de notre propre corps. » On sait que parmi les objections opposées par Cu- (G) Cette derniére partie de la phrase a été défigurée par le traduc- teur, et a perdu presque tout son intérêt : à peine peut-on encore yretrou- ver l'expression de l'unité de composition, même restreinte à une par- tie du règne animal. La traduction latine est bien autrement explicite : «Idemque dici possit DE UNIFORMITATE ILLA QUE EST IN CORPORIBUS ANIMALIUM. Habent videlicet animalia pleraque omnia bina latera , dextrum et sinis- trum, formá consimili; et in lateribus illis a posteriore quidem corporis sui parte, pedes binos ; ab anteriori autem parte, binos armos, vel pedes, vel alas, humeris affixas, interque humeros collum, in spinam excurrens, cui affixum est caput ; in eoque capite binas aures, binos oculos, nasum, os et linguam ; SIMILITER POSITA OMNIA, IN OMNIBUS FERE ANIMALIBUS. UNITÉ DE COMPOSITION ORGANIQUE. 75 vier à la théorie de l'unité de composition, Tune des plus graves par bee. et surtout par les circ con- stances dans lesquelles elle fut pr oduite, fut tirée des prétendues entraves apportées, selon cette théorie, à la liberté et à la puissance du Créateur. La plu- part des théologiens s'empressèrent d'accueillir cette objection, de la développer, et de repousser comme irréligieuses les idées de mon père. Son repos fut plus d’une fois troublé, et il l'a été tout récemment encore. pee ces accusations extrascientifi iques. On es Le voir sous quel point de vue différent, et avec quelle haute philosophie, Newton considère l'unité de composition. S'il se complait à en recher- cher quelques preuves dans une rapide étude de l'organisation des animaux, Si cette idée, quand elle se présente a son esprit, est avidement saisie par lui, cest précisément parce qu'elle lui fait aperce- voir sous un jour nouveau la grandeur et la toute- puissance du Créateur. 4. eaa i Buffon sur le PLAN COMMUN , en 1753 et 1706. Le passage précédent de Newton, auquel le nom de son auteur et le point de vue auquel il s'est placé donnent un si haut degré d'intérêt, est d'ailleurs, on doit en convenir, vague et peu explicite. Il apparte- nait à Buffon de proclamer le premier, avec netteté, le principe de l'unité de composition. C'est presque dès le début de ses travaux zoologiques quel immortel nd hd ms E mt om he mr 76 QUATRIÈME ADDITION. auteur de l istoire naturelle a écrit le fragment sui- vant, jusqu'à présent oublié par la plupart des au- teurs qui se sont occupés de l'histoire de la science. Quoiïqu'un peu long, l'importance de ce passage m'o- blige de le citer presque dans son entier (1). « Si, dans l'immense variété que nous présentent tous les êtres animés qui peuplent l'univers, nous choisissons un animal, ou même le corps de l’homme, pour servir de base à nos connaissances , et y rapporter, par la voie de la compa- raison, les autres êtres organisés, nous trouverons que, quoi- que tous ces êtres existent solitairement, et que tous varient par des différences graduées à l'infini, il existe en même temps un dessein primitif et général qu’on pourrait suivre très-long- temps, et dont les dégradations sont bien plus lentes que celles des figures et des autres rapports apparents; car, sans parler des organes de la digestion , de la circulation et de la généra- tion qui appartiennent à tous les animaux, et sans lesquels l'animal cesserait d’être animal et ne pourrait ni subsister ni se reproduire, il ya, dans les parties mêmes qui : contri- buent le plus à la variété de la forme extérieure , une prodi- gieuse ressemblance qui nous rappelle nécessairement l’idée d’un premier dessein sur lequel tout semble avoir été conçu : le corps du cheval, par exemple, qui, du premier coup d’æœil, paraît si différent du corps de l’homme, lorsqu'on vient à le comparer en détail et par parties, au lieu de surprendre par la différence, n’étonne plus que par la ressemblance singu- lière et presque complète qu’on y trouve... Mais pour sui- vre ces rapports encore plus loin, que l’on considère séparé- (1) Ge passage fait partie de l'article sur l'Æne, tome IV de l'Histoire naturelle, p. 379. Il a paru en 1553. Eee UNITÉ DE COMPOSITION ORGANIQUE. 77 ment quelques parties essentielles à la forme, les côtes, par . exemple, on les trouvera dans l’homme, dans tous les qua- drupèdes, dans les oiseaux, dans les poissons, et on en sui- vra les vestiges jusque dans la tortue, où elles paraissent en- core dessinées par les sillons qui sont sous son écaille; que l'on considère, comme l’a remarqué M. Daubenton, que le pied d’un cheval, en apparence si différent de la main d’un homme, est cependant composé des mêmes 05.....: et: l’on jugera si cette ressemblance cachée n’est pas plus merveilleuse que les différences apparentes, si cette conformité constante et ce dessein suivi de l’homme aux quadrupèdes, des quadru- pèdes aux cétacés, des cétacés aux oiseaux , des oiseaux aux reptiles; des reptiles aux poissons, etc., dans lesquels les par- „ties essentielles, comme le cœur, les intestins, l’épine du dos, les sens, etc., se trouvent toujours, ne snif pas indiquer qu’en créant les animaux l'Etre supr ême n’a voulu employer qu’une idée, et la varier en même temps de toutes les ma- nières possibles, afin que l’homme půt admirer également et la magnificence de l'exécution et la anipe du dessein. s Dans ce point de vue, non-seulement l’âne et le cheval (1), mais même l’homme, le singe, le quadrupède, et tous les animaux, pourraient être regardés comme ne formant que la même famille. » | Ce passage est le plus remarquable et le plus ex- plicite, mais non le seul dans lequel Buffon ait indi- qué l'unité de plan. Dans les considérations générales qu'il a placées à la tête de l’histoire des singes (2), il revient, et presque dans les mêmes termes, sur ce di 0 de voir que ce FES pes est placé aw com- mencement de l'article sur l'Anc. (2) Tome XIV, p. 28 et 29. Ce volume a paru en n 1756. 78 QUATRIÈME ADDITION. grand tableau des ressemblances dans lequel Luni- VERS VIVANT se présente comme ne. faisant qu'une méme famille. « L'homme qui:a voulu savoir, :a vu... qu'en dissé- quant le singe, on pouvait donner l’anatomie de l’homme ; ‘qu'en prenant un autre animal, on trouvait toujours le même fond d'organisation. ; il a trouvé dans tous un cœur, des veines et des artères. ; dans tous, une charpente solide , com- posée des mêmes pièces assemblées de la même manière; et ce plan , toujours le même, toujours suivi de l’homme au singe, du singe aux quadrupèdes, des quadrupèdes aux céta- cés, aux oiseaux, aux poissons, aux reptiles ; ce plan, dis-je, bien saisi par l'esprit humain , est un exemplaire fidèle de la nature vivante, et la vue la plus simple et la plus générale sous laquelle on puisse la considérer : et lorsqu'on veut l’éten- dre et passer de ce qui vit à ce qui végète , on voit que ce plan, qui d'abord n’avait varié que par nuances, se déforme par de- grés des reptiles aux insectes, des-insectes aux vers, des’ vers aux zoophytes , des zoophytes aux plantes; et, quoique altéré dans toutes ses parties extérieures, conserve néanmoins le même fond, le même caractère, dont les traits: principaux sont la nutrition, le développement et la reproduction ; traits généraux et communs à toute substance organisée ; traits éter- nels et divins que le temps, loin d'effacer ou de détruire, ne fait que renouveler et rendre plus évidents. » m 5. Vues philosophiques de Herder en 1984. A mesure que l’on se rapproche de notre époque, . JRA LE e E a i en à on voit l'idée de. l'unité de composition , non-seule- ment conçue et comprise par un plus grand-nombre UNITÉ DE COMPOSITION ORGANIQUE. 79 d'hommes éminents, mais en même se, exprimées par eux avec plus de netteté. Le fragment de Herder que je vais citer des au plus haut degré ce caractère ; maïs il est plus remar- quable encore sous un autre point de vue. L'illustre philosophe de Weimar semble considérer l'unité de composition, non comme un résultat, entrevu à à Fa- vance , des progrès futurs de la science, mais comme une haute et incontestable vérité dont déjà même il essaye de tirer de sublimes corollaires. | Voici, en effet, en quels termes il $ exprime G Æ « Il est incontestable que, dans toute la création ani- mée, on voit dominer, parmi tant d'êtres différents, une cer- taine conformité d'organisation , et, pour ainsi dire, un type exemplaire, qui se modifie au sein de la plus abondante va- riété (2). On voit, au premier coup d'œil, combien il ya de ressemblance dans la structure osseuse de tous les ani- maux terrestres. Les parties pr incipales dans tous sont la tête, le corps, les mains et les pieds, et même leurs mem- bres principaux sont configurés d’après un seul prototype di- versifié à l'infini. La structure intime des animaux rend cette LS om encore plus évidente, et plusieurs formes, gros- sières à l'extérieur, ressemblent beaucoup à celles: de homme dans leurs parties internes. L’amphibies ‘éloigne davantage de (1) Idées sur la philosophie et l'histoire de l'humanité, t. I, p: 89, dé Pas. cellente traduction due à notre célèbre poëte et philosophe Encan Quxer. (2) Cette phrase rappelle, par l'expression , la célèbre formule de Lemrz : l'unité dans la variété ; formule qui, aujourd'hui ,ne-s'ap- as pas moins heureusement à l'unité de composition organique qu'à l'unité Pavriue de l'univers. B SE ren a c, me ST TR Re TE = yoegan ~ vr in x sr £ , a 80 © “QUATRIÈME ADDITION. ‘ce modèle, moins pourtant que les oiseaux, les poissons, les insectes et les animaux aquatiques, qui vont à la fin se per- dre dans le monde végétal ou fossile. Nos yeux ne peuvent pas pénétrer plus avant; mais ces transitions n’empéchent pas de conjecturer que dans Pi productions marines, dans les plan- tes et dans les objets inanimés, comme on les appelle, il ne se trouve un seul et même type d'organisation, quoique infi- niment plus grossier et plus confus. À l'œil de Etre éternel, qui voit toutes choses dans un seul tout indivisible, peut- être que la forme d’une par celle de glace telle qu’elle est en- gendrée, et que le flocon de neige qui se développe par elle, ont quelque analogie avec l'embryon dans le sein qui le nour- rit. Nous pouvons donc encore admettre cette grande propo- sition : plus les créatures se rapprochént de l’homme, plus elles ont de ressemblance avec lui dans leur forme générale, et la nature, dans la variété infinie qu’elle aime, semble avoir construit toutes les créatures vivantes sur notre terre d'après Un seul et même type d'organisation. Ainsi il est évident que, comme ce type doit varier nécessairement avec la race, l'es- pèce, la destination. et les éléments, une copie est à UP par une autre copie. Ge que la nature a donné à un animal comme accessoire, elle l’a fait fondamental dans un autre, soit qu’elle le produise au jour, qu’elle l’agrandisse ou qu’elle y fasse concourir les autres parties, toujours dans une harmo- nie parfaite. Ailleurs ce sont ces parties dépendantes qui pré- dominent; ainsi, tous les êtres de la création organique appa- raissent comme disjecti membra poelæ. Celui qui veut les étu- dier, doit les étudier l’un dans l’autre. Une partie semble- t-elle négligée ou cachée, il a recours à une autre créature, dans laquelle elle à été achevée et développée par la nature. Cette vérité se confirme par tous les phénomènes qui résul- tent de l'extrême divergence des êtres... L'homme semble ‘être, parmi les animaux, cette parfaite créature centrale qui, sans briser l’individualité de sa destinée, réunit en elle le UNITÉ DE COMPOSITION ORGANIQUE. 8L plus grand nombre possible de rayons et de formes. Si nous lui comparions les animaux qui se rapprochent le plùs de lui, nous pourrions presque nous hasarder à dire qu’ils sont des rayons divergents de son image, réfractés par un miroir ca- toptrique, et ainsi nous pouvons admettre que l’homme est une créature centrale entre les animaux ; C'est-à-dire, la forme la plus parfaite qui réunit les traits de tous dans pa le plus complet. » J'espère que la similitude dént j je parle entre l’homme et les animaux ne sera confondue par personne avec ce jeu de l'imagination qui a fait découvrir des images de la figure hu- maine dans les plantes , dans les pierres , et qui, d’après cela, a bâti des systèmes (1). Tout homme raisonnable sourit de ces chimères; car la nature créatrice couvre et cache la simili- tude interne de str ucture sous la différence des formes exter- nes... L'enfance et la première jeunesse peuvent seules se con- tenter, dans l’histoire naturelle, de quelques distinctions de formes extérieures, pour aider l'œil et la mémoire ; l’homme et le philosophe! observent à la fois la structure interne et externe de l'animal , pour les comparer avec son mode de vie, ` et découvrir son caractère et le degré qu'il occupe dans l'é- chelle; c’est ce que l’on a appelé, par rapport aux plantes, (x) Ce passage est évidemment une allusion au bizarre système de Rosier, publié de 1561 à 1568, sous ce titre : Considérations philoso- phiques sur la gradation naturelle des formes de l'être, ou Essai de La na- ture pour apprendre à former l'homme. Herder ne semble-t-il pas avoir prévu que la confusion de cet absurde système avec la théorie de l'u nité de composition et celle des inégalités de développement (et'de même la confusion du système de Demaillet avec la théorie de la va- riabilité des êtres) deviendrait au dix-neuvième siècle une arme püis- sante dans les mains de plusieurs auteurs, de M. Cuvier lui-même ; contre des idées qui méritaient au moins d'être combattues par des ar- guments scientifiques ? ZOOLOGIE GÉNÉRALE, 6 T E Lo 82 QUATRIÈME ADDITION. la méthode naturelle : Vanatomie comparée est le guide qui doit nous y conduire pas à pas dans l'étude des animaux. » 6. Vues de Vicq-d'Azyr, en 1786. À la même ‘époque où l'idée de l'unité de com- position organique était conçue en Allemagne par Herder, et, comme on va le voir tout à l'heure, par Goethe, Vicq-d’ Azyr la concevait aussi en France, et déjà même s'en inspirait pour l'explication et la découverte des faits į jusqu'alors incompris ou ignorés. Le fragment suivant du discours général sur l Zna- tomie (1) est assurément digne de l’auteur de l'admi- rable mémoire Sur le parallèle des extrémités (2). « En disséquant les FAR ER des quadr upèdes, j j'ai trouvé, dans quelques-uns, des clavicules bien formées, dont au- cun anatomiste n'avait eu connaissance, et dans d’ autres, des os placés dans la même région , que l’on pourrait appe- ler du nom de RIRES, et que l’on n’avait point encore observés , parce qu'on n'avait point examiné les muscles entre lesquels ils sont flottants. On demandera peut-être quels sont les usages de ces os formés à limitation des clavi- cules, dont cependant ils n ’ont pas la solidité, puisqu'ils ne s de pas de l’omoplate au sternum; mais ne trouve-t-on pas évidemment ici la marche de lanature , qui semble opérer . (1) Voyez le Tr aité d'Anatomie, in-folio, p. 9, ou les Œuvres de Vico- v'Azye, tome IV, p. 25. (2) Voyez Mémoires de l'Académie des Sciences , ann. 1954, p. 254, ou Œuvres, t. IV, p. 515. UNITÉ DE COMPOSITION ORGANIQUE. _83 toujours d’après un modèle primitif el général dont ellene sé- carte qu'à regret, et dont on rencontre partout les traces ? Peut- on se défendre de cette pensée, en Voyant le plus intelligent peut-être de tousles animaux, l'éléphant, pourvu d’un carpe , d’un métacarpe et de doigts semblables à ceux de l’homme, mais encroûtés d’une masse solide qui s'oppose à leurs mouve- ments , et réduit ces grands animaux, sous ce rapport , à Ja condition de solipèdes ? Peut-on se refuser à cette pensée, en observant les deux petits doigts extérieurs situés, dans quel- ques quadrupèdes , au-dessus des doigts moyens, qui sont les plus longs et les seuls utiles; en examinant ce faisceau charnu si délié , qui tient, dans le chien et dans plusieurs fissipèdes , la olies du long supinateur? Péut-on s’y refuser enfin, en comparant les os mazillaires antérieurs -que j ’appelle ncisifs dans les quadrupèdes, avec cette pièce osseuse qui soutient les dents incisives supérieures dans l’homme , où elle est séparée de Vos maxillaire par une petite fèlure très-remarquable dans les fœtus, à peine visible dans les adultes, et dont personne wavait connu l'usage (1)?... Accoutumés à voir des dispositions dont ils ignorent les causes et la fin, les anatomistes étaient restés dans le silence de l’étonnement ; mais qu'ils jettent avec moi les yeux sur les os de la face des solipèdes et des bisulques, dans lesquels cette région est très-prolongée : ils apercevront aussitôt que ces pièces, dont la petitesse les avait surpr 18, Soht - ici très-étendues ; que c’est vraiment dans les quadrupèdes que les os de la face jouissent de tout leur développement ; que dans Phomme on n’en trouve que le raccourci » Mais que l’ordre et ta SES générale sont les mêmes dans tous. » (1) On verra plus loin, dans un article spécial sur les travaux de Goethe, que ce grand poëte était conduit aussi de son côté, à la même époque et par les mêmes idées, à la’ découverte de l'intermaxillaire chez l'homme. D 6 E $ | n il | | BL i E f | 84 CINQUIÈME ADDITION, 7. Fues de Goethe et de M. Geoffroy-Saint- Hilaire, de 1786 4 1800. N Pour compléter cet exposé des vues émises, anté- rieurement au dix-neuvièmé siècle, sur l'unité de composition organique ou l'unité de plan, il me res- terait à citer plusieurs passages non moins remarqua- bles que les précédents, les uns écrits par Goethe, les autres par mon père; mais il me suffit de les rap- peler ici pour mémoire. A l'égard de ces derniers, Y Addition suivante, et à l'égard des vues de Goethe , un article spécial et étendu, que l'on trouvera plus bas, renfermeront tous les documents que lon eût pu désirer ici comme complément de cette Addition. Na DE LA DATE (1807) ASSIGNÉE AUX TRAVAUX DE M. GEOFFROY SAINT-HILAIR | SUR L'UNITÉ DE COMPOSITION. $ | Les auteurs qui, Jusqu'à présent, se sont occupés de la théorie de Tunité de composition sous le point de vue historique , sont loin de s'être accordés sur la véritable date qui doit être assignée aux premières recherches de mon père. En exposant par quels mo- tifs j'ai cru devoir fixer cette date à l'année 1807 (1), #2 jai moms pour but de résoudre une question de D (a) Voyez p.48. UNITÉ DE COMPOSITION ORGANIQUE» 85 priorité (1), que de faire nettement sentir ce qui dis- tingue essentiellement les éravaux de mon père sur l'unité de composition, des brillants aperçus rappelés dans Addition précédente. : La différence fondamentale entre les uns et les autres est celle-ci : dans les ouvrages de Bélon, de Newton, de Buffon et des autres auteurs du dix-hui- tième siècle plus haut cités, on voit l'idée de l'unité decomposition pressentie ou proclamée par ces grands hommes, et leur inspirant les belles pages que l’on vient de lire; mais une fois ces pages écrites et livrées à l'admiration de la postérité seule (car les contem- porains ne les comprennent pas), ils s'arrêtent , et la (1) Mon pére, dans le Discours préliminaire de son Histoire nathréllé des mammifères, p. 19, a lui-même réfuté un passage de la Revue Fran- çaise (publié en 1829), dans lequel on présentait Kielmeyer et son illustre élève, Meckel, comme ouvrant la carrière en 1811 , Tiedemann la parcou- rant en 1316, et les Francais arrivant seulement à leur suite en 1815 et 1818, | La question de priorité a encore été soulevée tout récemment par M. Dovervoy dans ses Lecons sur l’histoire naturelle des corps organisés professées au Collége de France, leçons qui ont paru imprimées il y a quelques mois. Dans le texte de ces leçons (p.54), M. Duvernoy rapporte aussi les travaux de mon père à l’année 1818, date de la publication du premier volume de la Philosophie anatomique, et il fait remarquer que des vues analogues avaient été publiées en 1816, par conséquent deux années auparavant, par M. Savigny. Mais, dans les notes ajoutées à la fin de ses Leçons, et avec une impartialité qui lui est d'autant plus honorable qu'aucune rectification ne lui avait été demandée, M. Du- vernoy reprend la question ( p. 95 ), et reconnaît que le mémoire de mon père, publié en 1807, sur la composition de la tête osseuse, as- signe sans contredit à son auteur une longue antériorité de publication. 86 x CINQUIÈME ADDITION. sublime vérité qui avait un moment jeté de si vives lueurs dans leur intelligence , semble bientôt oubliée d'eux-mêmes. Cies En 1796, mon père, encore dans la première jeu- nesse, et presque au début de ses travaux, s'élève à son tour à la conception de la même idée; il la proclame avec enthousiasme. Comme Bélon, comme Buffon, comme Vicq-d'Azyr, il reste incompris; et la page où il a déposé le premier germe de ses idées , est bientôt oubliée de tous. Mais il ne se décourage pas; il sent que l'idée qu'il a conçue a de l'avenir, et, dès lors, elle reste invariablement fixée dans son esprit. On la voit empreinte dans toutes ses productions ultérieu- res; et dès que, revenu d'Égypte, il peut rentrer dans da vie méditative, dès qu’il se sent riche de faits et ca- pable d’asseoir ses idées sur une base solide, il aborde, pour ne plus s'en écarter, la démonstration scienti- fique de ce qui, jusque-là, n'avait été chez lui, comme chez ses prédécesseurs, qu'un pressentiment, une conviction personnelle et intime. Tel est, à partir de 1807, l'invariable caractère de ses travaux, tous dirigés vers le même but, avec une persévérance sans exemple peut-être dans l’histoire des sciences depuis immortel Kepler. | Ainsi, dans ses divers travaux sur l'unité de comi- position, deux phases, deux périodes qu'il importe de distinguer avec soin, si l’on veut en avoir Y'intelli- gence complète : la conception , la proclamation de l'idée, en 1796 et dans les années suivantes ; sa véri- UNITÉ DE COMPOSITION ORGANIQUE. 87 fication scientifique, son développement , sa démon- stration, en 1807 et pendant trente années après. Quelques citations empruntées aux premiers mé- moires de mon père, et aux principaux des mé- moires de 1807, vont à la fois éclaircir et justifier ` cette assertion. C'est à la tête dun mémoire sur les quadru- manes (1) que mon père a, pour la première fois ; en 1706, énoncé ses idées sur l'unité de plan. Yoiet le début de ce mémoire que tous les auteurs ont cité pour les faits de détail quil renferme, sans avoir donné attention à la page, bien autrement impor- tante, qui en forme le début. « Une vérité constante pour l’homme qui observé un grand nombre de productions du globe, c’est qu’il existe entre toutes leurs parties une grande harmonie et des rapports nécessaires ; c’est qu'il semble que la nature s’est renfermée dans de cer- taines limites , et wa formé tous les étresvivants quesur un plan unique, essentiellement le méme dans son principe, mais qu'elle a varié de mille manières dans toutes ses parties accessoires. Si nous considérons particulièrement une classe d'animaux, c’est là surtout que son plan nous paraîtra évident : nous trouverons que les formes diverses sous lesquelles elle s’est plu à faire exister chaque espèce, dérivent toutes les unes des autres ; il lui suffit de changer quelques-unes des proportions des organes pour les rendre propres à de:nouvelles fonctions , ou pour en étendre ou réstreindre les usages. La poche osseuse de Va- í) Mémoire sur les rapports naturels des makis, dans ie Magasin ÆEncyclopédique, tome Í, p. 20. PT LD Po PP SEE ac ip tt er otregge 88 CINQUIÈME ADDITION. louate, qui donne à cet animal une voix si éclatante, et qui est pa au-devant de son cou par une bosse d’une grosseur si extraordinaire, n’est qu’un renflement de la base de los hyoïde; la bourse des didelphes femelles, un repli de la peau qui a beaucoup de profondeur ; la trompe de l’élé- phant, un prolongement excessif de ses narines; la corne du rhinocéros, un amas considérable de poils qui adhèrent entre eux , etc. Ainsi, les formes, dans chaque classe d’ani- maux, quelque variées qu’elles soient, résultent toutes, au fond, d'organes communs à tous : la nature se refuse àen em- ployer de nouveaux. Ainsi, toutes les différences les plus essen- tielles qui affectent chaque famille dépendante d'une même alasse, viennent seulement d'un autre arrangement, d’une autre zomplication, d’une modification enfin de ces mêmesorganes. » Si mon père s'était borné à placer dans l'un de ses mémoires la page remarquable que je viens de citer, il s’en serait tenu précisément au même point que Buffon, quarante ans avant lui, et surtout que Vicq- d'Azyr et Herder. Mais si lon parcourt ses mémoires ultérieurs, on voit que, ni son départ pour l'Égypte, ni l'étude de cette contrée si belle et si riche en sou- venirs, ni les grands et poétiques événements auxquels il prit part, n'eurent le pouvoir de le distraire de la poursuite d’une idée dont il avait su, dès l’abord, apprécier toute l'importance. Il a composé, durant son séjour en Égypte, trois mémoires, dont deux ont été imprimés au Caire même; et dans tous trois se trouvent des passages moins remarquables sans doute, mais analogues à celui qui vient d'être cité. Ainsi, je Lis dans le premier qui fut communiqué UNITÉ DE COMPOSITION ORGANIQUE. 89 à l'Institut d'Égypte peu de temps après sa fondation, et qui a pour sujet l'aile de l'autruche (1) : « Ces rudiments de fourchette n’ont pas été supprimés, . Parce que la nature ne marche jamais par sauts rapides, et qu’elle laisse toujours des vestiges d’un organe, lors même qu'il est tout à fait superflu, si cet organe a joué un rôle im- portant dans les autres espèces de la même famille, Ainsi se retrouvent sous la peau des flancs les vestiges de l'aile du ca- soar ; ainsi se voit dans l’homme, à langle interne de l'œil , un boursouflement de la peau qu’on reconnaît pour le RE de la membrane nyctitante dont beaucoup de quadrupèdes et d'oiseaux sont pourvus , etc. » Le second , lu à l'Institut du Caire un an après, a pour sujet l'étude des appendices des raies et des squales, et la démonstration de leur identité avec les corps caverneux des animaux supérieurs (2). Le troisième, écrit durant le siége d'Alexandrie, mais imprimé seulement en France en 1802 (3), a eu beaucoup plus de célébrité que les deux précédents, à cause de l'extrême intérêt de son sujet : l'anatomie comparée des organes électriques de la torpille, du G7 anie et du silure trembleur. En voici un passage : «P avais aussi eu occasion, dans mes voyages , de voir des tor pilles... Je ne doutais. pas que j'eusse sous les yeux les or- (1) Observations sur l'aile de l’autruche, dans la Décade égyptienne, édition du Caire, tom. I, pag. 46, an VII. (2) Voyez la Décade égyptienne, tome IL, p. 230, an VIII. (3) Dans les Annales du Muséum, t. I, p. 392. Ce mémoire a été composé en Ég gypte, mais sa rédaction a été refaite à Paris. 90 = CINQUIÈME ADDITION, ganes aŭ moyen desquels la torpille se rend si redoutable au sein des eaux...; mais alors j'ignorais si d’autres , avant moi, avaient remarqué cette organisation, et, dans ce cas, quel complément aux observations déjà faites là science pouvait exiger de moi. Enfermé dans Alexandrie assiégée , privé de ma bibliothèque, je me consolais de ne pouvoir sur-le-champ éclaircir mes doutes, en me flattant qu’au moins ces organes ne seraient pas connus dans leur relation -avec la physiologie générale. Pour parvenir donc à acquérir cette connaissance , je cherchais opiniâtrément quelque chose dans les autres raies, persuadé que c'était moins à la pré- sénce de cet organe qu’à une disposition qui lui était particu- lière, que les torpilles avaient, exclusivément aux autres raies, cette étonnante faculté de foudroyer en quelque sorte les petites espèces de la mer. Il ne faut pas ayoir comparé entre eux beaucoup d’animaux, pour être averti qu’il wy a jamais parmi eux d'organes nouveaux, surtout dans des espèces qui = se” réSemblent autant que des raies : il était plus naturel de croire que les tuyaux renfermant une substance gélatineuse dans la torpili, existaient masqués dans les autres raies, eton va yoir que j'ai en effet trouvé dans celles-ci une organisation analogue, âvec des différences auxquelles doivent se rapporter les différentes manières d’être et d'agir de chaque espèce, » Ainsi , dès l’époque de son séjour en Égypte , soit qu'il étudie le moignon de l’autruche et le compare à l'aile des autres oiseaux, soit qu'il cherche à se rendre compte de l’organisation des appendices des sélaciens , soit qu'il fixe son attention sur l'appareil électrique de la torpille, il a présente à l'esprit l'idée féconde de l'unité de plan, et déjà, se laissant guider par elle, il cherche Opinidtrément , selon sa propre expression, des rapports et des analogies. UNITÉ DE COMPOSITION ORGANIQUE. gi Le même esprit est plus ou moins évidemment empreint dans tous ceux des mémoires de mon père où, de 18or à 1806, il a traité des questions physio- logiques ou anatomiques en même temps que zoolo- giques; par exemple , dans son premier mémoire sur l'anatomie du crocodile (1), et bien mieux encore dans son travail sur les poly ptères (2), si intéressant à plusieurs égards. Je n’emprunterai toutefois aucune citation à ces mémoires, et je passe immédiatement à indication des travaux publiés en 1807. Dans cette seule année 1807, mon père a publié sept mémoires , dont cinq sont spécialement dirigés vers -Jla démonstration de l'unité de plan. Voici leurs titres, assurément bien nouveaux pour cette époque, et quelques lignes de chacun d’entre eux, . Premier mémoire sur les poissons , où lon compare les ar osseuses de leurs nageoires pectorales avec les os de Vex- trémilé antérieure des autres animaux à vertèbres (mars 1807). Je citerai seulement le passage suivant (3) : « Pai eu la satisfaction de découvrir que les organes mêmes qui. s'étaient le plus constamment refusés à toute COMparaison, retrouvent leurs analogues chez les autres animaux vertébrés. Je vais essayer d'en fournir une première preuvé..… # (1) Observations anatomiques sur le crocodile du Nil, dans les Annales du Muséum, tome II, p. 37, 1803: (2) Description anatomique X iha ibid. , tonie I, p: 57, 1802. (3) Annales du Muséum, tome IX, p. 358. 92 CINQUIÈME ABDITION. nr. Second mémoire. Considérations sur l’os furculaire. En voici le début Cr à ` « Dans notre pr écédent mémoire , nous avons fait connaître Yos furculaire : nous avons indiqué ses relations avec les autres pièces de la nageoire pectorale > €t nous croyons avoir prouvé qu’il est analogue à l’une des branches de la four- Re F pan chette des oiseaux. Nous allons le considérer dans cet article sous le rapport des changements qu’il subit dans les diverses familles de poissons. FL . Troisième mémoire sur les poissons, où l’on traite de es sternum sous le point de vue de sa détermination et de ses formes générales. Dans ce mémoire , le sternum des poissons est com- paré aux diverses pièces du sternum chez les jeunes oiseaux. « J’imaginai de chercher dans ces derniers (les oiseaux) les grands os des rayons et de la membrane branchiostége. Quoi- que l'état de la science me laissât sans renseignement à cet égard , l’analogie m'en avait assez dit pour que je persévérasse dans cette recherche. Je crus d’abord que les familles les plus éloignées de la plupart des oiseaux me les montreraient ; mais je fus ee plus heureux ; car je les découvris dans toutes, non pas à la vérité pour tous les âges, mais du moins dans tous les individus qui n ont pas acquis leur entier dévelop- pement (2). » On lit aussi dans le même mémoire ces lignes remarquables = (1) Annales du Muséum, tome IX, p. 413. @) Mida A X, pe 7. : ES LNE UNITÉ DE COMPOSITION ORGANIQUE. 93 « On ne s’est pas aperçu qu’en se laissant aller à ces consé- quences ( admission d’une organisation toute nouvelle , spé- cialement relative à la classe des poissons), et qu’en supposant avoir des organes nouveaux, On arrivait à un résultat beau- coup plus extraordinaire que celui auquel peut conduire le désir de ramener les formes variées des poissons à celles des animaux vertébrés. iv. Détermination des pièces qui composent le crâne des crocodiles (1). Le commencement de ce mémoire en indique le sujet : « Des raisons particulières me décident à publier ce frag- ment : il fait partie d’un ouvrage plus étendu, où Je cherche à déterminer les pièces dont se compose le crâne des vertébrés. Ayant eu besoin, pour mes recherches sur l'anatomie des poissons, de connaître avec précision les analogues de plu- sieurs parties de leur crâne, j'ai été entrainé dans une com- paraison très-suivie des différents os dont la tête est formée dans chaque famille. » v. Considérations sur les pièces de la tête osseuse des ani- maux vertébrés, et particulièrement sur celles des oiseaux (2). Voici ‘quelques passages de ce mémoire, plus re- marquable encore que les précédents : « Désirant donner à mes recherches sur l'anatomie générale des poissons toute l’étendue dont elles sont susceptibles, j'ai continué à m'occuper de l’examen des parties de leur squelette sur lesquelles on n'avait pas encore de notions précises. (1) Annales du Muséum, tome X, p. 240. (2) Ibid. p. 342. 94 __ GINQUIÈME ADDITION. Quelques pièces, d’une forme et d’un usage uniquement pro- pres aux poissons , telles que les opercules, ont surtout contri- bué à faire croire que si, du moins dans la formation de ces êtres singuliers, la nature n’a pas abandonné le plan qu’elle a suivi à l’ égard des autres animaux vertébrés, elle a dû, pour les mettre en état d'exister au sein des eaux, D telle- ment leurs principaux organes, qu’il n’est resté de ce plan primitif que quelques traits épars et difficiles à saisir. Un pareil résultat n’offrait rien de satisfaisant. On sait que la nature tra- vaille constamment avec les mêmes matériaux ; elle west ingé- nieuse qu'à en varier les formes. Comme si en effet elle était soumise à dé premières données , on la voit tendre toujours à _ faire reparaître les mêmes éléments, en même nombre, dans les mêmes circonstances, et avec les mêmes connexions: S'il arrive qu'un organe prenne un accroissement extraordinaire , Vin- fluence en devient sensible sur les parties voisines, qui dés lors ne parviennent plus à leur développement habituel... ; elles deviennent comme autant de rudiments qui témoignent en quelque sorte de la permanence du plan général. » Il reprend plus bas, après avoir Eei k le parti que l’on peut tirer de Topka de ces vues à la détermination des pièces du crâne des poissons : P | p « Toutefois j’ai cru un moment que, nonobstant ces réduc- tions, le crâne des poissons renfermait encore plus de pièces que n’en montre celui des autres animaux vertébrés ; mais j'en ai pris une autre opinion, dès que j'ai eu songé à considérer les os du crâne de l’homme dans un âge plus rapproché de l’époque de leur formation. Ayant imaginé de compter autant d'os qu'il y a de centres d’ossification distincts, et ayant éssayé de suite cette manière de faire, j'ai eu lieu d'apprécier la jus- tesse de cette idée : les poissons, dans leur premier âge, étant dans.les mêmes conditions, relativement à leur développement, UNITÉ DE COMPOSITION ORGANIQUE. 95 que les fætus des mammifères, la théorie woffrait rien de con- traire à cette supposition. » | Onlit plus bas encore : « D’après ce principe, je n'aurai jamais à me décider, dans ES . . Ag a x A , à la détermination des os de la tête des poissons, d’après la con- sidération de leur forme, mais d’après celle de leur connexion. » Et à la fin du mémoire, sous forme de conclusion : « Si ces observations, d’où il résulte que le crâne des oiseaux est formé d’autant et de semblables pièces que celui de l’homme et des mammifères, montrent , jusque dans les plus petits détails, que tous les animaux vertébrés sont faits sur un même modèle , elles établissent aussi qu’il ya un type secon- daire et particulier pour les oiseaux... » HSE: Enfin, voici un passage d’une note très-remar- quable qui termine le mémoire, et dans laquelle mon père fait connaître l'existence de germes den- taires chez les jeunes baleines (1) : r « J’ai rapporté cette observation pour donner une nou- velle preuve de la tendance de la nature à faire reparaître partout les mêmes organes , et pour faire voir que > Si quelques uns de ceux qui appartiennent à des classes man- quent quelquefois dans certaines espèces, on en doit chercher la cause dans le développement excessif d'organes contigus ou voisins. Cet aperçu ne serait-il pas applicable aux oiseaux eux- mêmes , en tant qu’ils manquent de dents (2)?.. t. ») (1) Annales du Museum, p. 364 et 365. (2) On sait comment, quatorze ans plus tard, mon père a changé ce 96 CINQUIÈME ADDITION. Sans doute, les citations qui précèdent sont loin dé donner une idée complète de l'importance des mémoires d'anatomie philosophique publiés en 1807 par mon père; mais elles suffisent pleinement pour le but que je m'étais proposé. Elles montrent, avec la dernière évidence, que dès cette époque la dé- monstration de l'unité de plan avait été entreprise, à l'égard des vertébrés, par des recherches vraiment scientifiques ; que, guidé par ce principe nouveau, mon père n'avait pas craint, dès lors, d'aborder des questions très-complexes et d’un ordre très-élevé ; qu'il avait fait porter sa comparaison, non-seulement sur les organes entiers, mais aussi sur les éléments organiques; qu'il avait- signalé, comme offrant la meilleure base de détermination, les caractères de connexion ; qu’il avait nettement aperçu le principe fécond qu'il a depuis nommé loi du balancement des organes ; enfin, et c'est là l’un des points capitaux, qu'il avait considéré les vertébrés inférieurs comme comparables aux fœtus des animaux supérieurs (1), l doute, émis à priori en une certitude. Voyez son mémoire sur l'existence dun appareil dentaire chez les oiseaux dans l'ouvrage intitulé Système dentaire des mammifères et des oiseaux, Paris, in-8, 1824. Ce mémoire a été composé et lu à l'Académie des Sciences en 1821. (1) L'importance de cette idée n'a pas échappé à M. Serres, et ne pou- yait échapper en effet à un savant qui l'a suivie si loin dans ses admi- rables travaux sur l'encéphale des animaux vertébrés. « Au moment, dit-il, où l'idée que les poissons sont, pour un grand nombre de leurs organes, des embryons permanents des classes supérieures, devient en quelque sorte classique parmi les zoologistes, la justice nous fait un UNITÉ DE COMPOSITION ORGANIQUE. 97 et reconnu Je lien intime qui existe entre la théorie de l'unité de composition et celle des inégalités de déve- loppement ; théories qui se complètent et s'expliquent mutuellement, et dont la Pr sans la seconde ne serait même à jamais qu un brillant apercu de l'es- prit, et non une vérité susceptible de démonstration. Tels sont les résultats incontestablement. renfer- més dans les mémoires de 1807. On voit mainte- nant si les recherches scientifiques de mon père sur l'unité de composition, si ses efforts pour s’éle- ver à la démonstration de ce principe, datent de 1807, ou s’il est juste d'en reculer l'époque, comme l'ont fait quelques savants allemands (1), jusqu'à l'année 1818, époque de la publication du premier volume de la Philécaphtée anatomique. devoir de rappeler que M. le professeur Geoffroy Saint-Hilaire a le pre- mier émis cette grande vérité. Il imagina, pour son travail des parties analogues du crâne (Mémoires de 1807), de compter autant d'os qu'il y a de centres d'ossification distincts, ct il eut lieu d'apprécier la justesse de cette idée, etc. » en Anatomie comparée du cerveau, tome i, P. 188. (1) Et même quelques-uns de nos compatriotes qui ont cru de- voir réclamer aussi au profit de l Allemagne l'honneur d'un progrès ap- partenant essentiellement à la France. Voyez la note de la page 85. ZOOLOGIE GENERALE, I. SUR LES NATURALISTES COMPILATEURS DU SEIZIÈME ET DU DIX-SEPTIÈME SIÈCLE. E: -Le caractère commun des naturalistes du seizième siècle et d’une partie du dix-septième, cest la compilation. Les uns compilent et commentent les ouvrages des anciens; les autres , les compilations des auteurs précédents : les uns le font avec une érudi- tion lucide et intelligente; les autres, sans goût , sans critique : maïs tous, interprètes habiles ou plats . et serviles copistes, tous poursuivent le même œuvre, marchent vers le même but. l Pourquoi cette tendance commune, ces efforts una- nimes vers l'étude des livres, et non vers celle dela na- ture elle-même? Cette tendance était-elle irrationnelle, ou conforme à la-raison et aux vrais intérêts de l'esprit humain? Ces efforts étaient-ils rétrogrades, ou de- vaient-ils, bien que dirigés vers le passé, exercer sur la marche de l'histoire naturelle une influence utile et progressive? | | Du point de vue de la science actuelle, et si l’on NATURALISTES COMPILATEURS, 99 ne tenait compte de la différencé des temps, on ne saurait se défendre de les juger défavorablement. Les travaux de compilation sont aujourd’hui peu estimés, et non sans raison, Il y a mieux à faire, au dix-neu- vième siècle , que de chercher à revêtir de nouvelles formes , à classer dans un nouvel ordre, à reprendre, sous quelque rapport que ce soit, les faits déjà connus, les idées déjà émises. C’est mal connaître son époque; cest mal employer son temps que de remuer le passé de la science, quand un si large avenir est ouvert devant elle. C'est donc à juste titre qu'aujourd'hui la compi- lation , même bien faite, jouit d’une estime médiocre, et que la compilation servile et inintelligente est complétement dédaignée. = Mais, en nous reportant au quinzième, au seizième siècle, au commencement du dix-septième, la coni- pilation va nous apparaître sous un tout autre point de vue. Si tous les esprits se portaient alors avec ar- deur vers l'étude des livres de l'antiquité, ce n’était pas seulement par une juste admiration pour ces glo- rieux et impérissables débris des civilisations grecque et romaine; il y avait de plus un sentiment irréfléchi, instinctif, si l’on veut, mais assurément vrai de l'état et des besoins de toutes les branches des connais- sances humaines et de celles de l'histoire naturelle. Un siècle ne peut apprécier lui-même , d’une ma- nière absolue, l'étendue et le degré de son savoir : ce qui, à un moment donné, nous paraît lumière, peut, 100 NATURALISTES COMPILATEURS. dans un autre instant , et par comparaison, nous parał- tre ombre. L'époque où l'on vit renaître les sciences, ne put donc avoir complétement conscience de son ignorance, et se juger elle-même comme nous Ja ju- geons aujourd'hui. Mais si elle ne reconnut pas com- bien elle savait peu, une facile comparaison lui apprit du moins qu’on avait su davantage autrefois. Que de textes en effet dont le vrai sens était perdu! Que d'idées dont l’enchaînement n'était plus saisi! Que de récits admirables dont quelques mots oubliés ou incompris rendaient l'intelligence incomplète! Que de précieux monuments sur le seuil desquels on se voyait arrêté! Au quinzième, au seizième siècle, et même plus tard encore, ceux qui, les premiers, consacrèrent leurs veilles à l'étude de l'histoire naturelle ne purent donc ignorer que beaucoup de faits, connus autrefois, ne l'étaient plus de leur temps, ou ne étaient qu'in- complétement. Dès lors le but vers lequel on devait tendre, ne pouvait être douteux. -On voyait, dans les livres des anciens, d'immenses trésors à exploi- ter; on sentait que, par leur conquête, on se trouve- rait tout à coup riche dune multitude de notions nouvelles (1). Fallait-il reculer devant les obstacles qui en défendaient l'approche, tenter de refaire par (1) La position des naturalistes du seizième siècle en presence de ees trésors de l'antiquité grecque et latine est comparable, à quelques égards , à celle où se trouvent les savants de notre époque devant les NATURALISTES COMPILATEURS. 101 ses propres forces ce qui avait été fait autrefois? Ou bien: devait-on engager contre ces obstacles une lutte opiniâtre, et se décider à les vaincre à tout prix? Ce dernier parti était évidemment le plus ra- tionnel : il fut celui qu'on adopta. Comparables à ces bataillons pleins d: ardeur et de courage qui, dans un mo difficile, se succèdent les uns aux autres jusqu'à ce que la brèche soit faite, l'assaut donné et la victoire remportée, Gesner, ceux qui l'ont précédé , ceux qui l'ont suivi , tous se succédant de génération en génération , ne s'arrêtèrent que quand ils crurent avoir atteint leur but, la conquête du savoir des anciens. Mais, pour y parvenir, que de difficultés à vaincre! Essayons de nous rendre compte de la prin- cipale, de la plus grave d'entre elles. Ce qui vient ‘être dit suflit déjà pour montrer que la compila- tion des anciens a été, dans Pune des phases de la science , le premier de ses besoins. Les remarques que je vais ajouter, feront comprendre pourquoi cette phase s’est prolongée si longtemps. - IL. Le premier problème à résoudre pour qui veut pé- nétrer un peu profondément dans l'étude de l’histoire monuments RE La aussi on entrevoit d'immenses richesses, mais sans pouvoir encore s'en rendre cmnplétement maître, Que d'efforts déja faite! Que d'efforts a feito encore | y PR annee. + ne 102 NATURALISTES COMPILATEURS, naturelle , c'est évidemment la distinction nette et précise des êtres les uns par rapport aux autres. Les observations les plus curieuses sur les mœurs d’un animal, les recherches les plus sagaces sur son orga- nisation , les expériences les plus ingénieuses sur ses fonctions perdent évidemment presque tout leur prix, si l'auteur, faute d'indiquer exactement à ses contemporains et à ses successeurs l'espèce qwil a étudiée, les met dans l'impossibilité de constater, de compléter, et, au besoin, de rectifier les résultats ob- tenus par lui-même. | Cette vérité est trop évidente pour qu'on puisse supposer qu'elle ait été méconnue par les naturalistes anciens ; et cependant, soit qu'ils aient cru que les noms usités de leur temps devaient être impéris- sables , soit toute autre cause, ils ne se sont jamais attachés à déterminer, à rendre reconnaissables par des notes caractéristiques, les êtres dont ils s’occu- pent. Lorsque Aristote ou Pline font un de ces beaux tableaux de mœurs si souvent imités, si rarement surpassés par les modernes ; lorsque Aristote expose l'organisation anatomique ou les fonctions d’un ani- mal, ils se bornent presque toujours à le nommer : tout au plus ajoutent-ils à son nom l'indication de quelqu'une des circonstances qui le rendent remar- quable (1). On chercherait en vain dans l'ouvrage eue ns (1) Gette remarque a été déjà faite par plusieurs auteurs, et notam- ment par M. Cuvir. Voyez ses Leçons du Collége de France, recueillies NATURALISTES COMPILATEURS, 103 tout entier de Pline, et on trouve à peine dans les livres eux-mêmes d'Aristote, quelques passages que l'on puisse considérer comme renfermant en eux soit une description zoologique , soit surtout une classification. Tel a été, lors de la renaissance des sciences , l'un des obstacles qui ont le plus contribué à en retarder les progrès; telle a été la cause qui a prolongé, pen- dant plusieurs siècles, la lutte des modernes contre les difficultés de l'interprétation des anciens. Les com- mentateurs les plus habiles d’Aristote, de Pline, d'Elien, commettaient eux-mêmes de fréquentes et inévitables erreurs en appliquant à un animal les faits de l’histoire d'une autre espèce; et souvent, quand les éléments de détermination manquaient plus com- plétement encore, ils s'arrêtaient devant le danger trop évident auquel les eussent exposés leurs conjec= tures sans vraisemblance, Il fallait donc qu'après eux, d'autres , armés de nouveaux textes, et forts en même temps des notions récemment acquises par l’obser vation, -vinssent tenter la rectification des erreurs commises et la solution des doutes laissés sur tant de points importants ; double travail dont la difficulté eût découragé, au début, les esprits les plus persévé- rants, s'ils eussent pu s'en rendre compte à l'avance. et publiées par M. Macpezeine De Samnr-Acy, première partie, p. 166. — Je l'ai aussi moi-même consignée dans l’article Zoologie de l'Ency- elopédie du dix-neuvième siècle, article auquel j'ai même emprunté cette page tout entière. TOETS bis 104 NATURALISTES COMPITATEURS. Après avoir occupé presque exclusivement les savants du seizième siècle, sans parler de ceux des siècles an- térieurs, ce même travail a tenu une place importante parmi les recherches du dix-septième, s'est continué dans le dix-huitième, se poursuit encore de nos jours, et sans nul doute se poursuivra après nous. L'inter- prétation complète des anciens est un de ces buts dont on se rapprochera davantage à chaque nouveau progrès de l'observation , mais que l'on n’atteindra jamais. m. Nous ne devons donc reprocher aux naturalistes du seizième siècle ni de s'être portés avec ardeur sur l'étude des livres dės anciens, car cette étude était nécessaire, ni de lui avoir consacré tant de temps, car elle était éminemment difficile. Ce qui a été fait, était précisément ce qu’il fallait faire ; et ceux de nos contemporains qui, du haut de la science de leur siècle , ont jugé sévèrement , et presque avec dé- dain , les travaux de cette époque reculée, ont fait aéte à la fois d’injustice et d’ingratitude, Ces hommes laborieux et persévérants, qui ont consumé leur vie dans les recherches les plus abstruses et les plus arides , et, par elles, ouvert la voie à leurs successeurs, ne sont-ils pas en effet pour nous de véritables an- cêtres Scientifiques, auxquels nous devons notre reconnaissance autant que notre estime? . En essayant de rendre justice à ces vénérables res- taurateurs de la science, je suis, d'ailleurs, loin de + NATURALISTES COMPILATEURS. 105- prétendre que tous les travaux de compilation du seizième siècle et du commencement du dix-sep- tième aient droit aux mêmes éloges. Comme il y a aujourd’hui de bons et de mauyais observateurs, il y avait alors de bons et de mauvais compilateurs. Ceux que nous ne saurions trop louer, sont ceux qui étaient savants en même temps qu ’érudits ; ceux qui faisaient marcher de front l'étude de la nature elle-même et celle des livres qui en traitent, et savaient aina, dans leurs travaux de compilation, S'éclairer habi- lement des premières lueurs de la science moderne. C'est la gloire de Gesner, et ce n’est pas l’un des mé- rites les moins éminents de Bélon et de Rondelet, d’avoir les premiers compris la nécessité de cette alliance féconde de l'érudition et de l'observation, et, par là , ouvert une voie où ils furent bientôt suivis par toutes les intelligences d'élite de leur siècle et du siècle suivant. N. DES TRAVAUX DE LINNÉ SUR LA NOMENCLATURE ET LA CLASSIFICATION ZOOLOGIQUES, £ Il est des illustrations que le temps grandit; il en est d'autres , et en plus grand nombre , qu'il diminue. Il est aussi des gloires qui , reconnues et honorées par les Contemporains, brillent d’un éclat égal dans les siècles suivants. La postérité, juge en dernier ressort , et seul juge impartial, semble, à légard ‘de celles- ci, confirmer les jugements contemporains ; mais en réalité, dans ces cas eux-mêmes, il est très-rare qu'il en soit complétement ainsi. Si la grandeur d’un homme paraît plusieurs siècles après sa mort ce qu'elle paraissait sur le seuil de sa tombe, on trouvera, si l'on en fait avec soin l'analyse, que les motifs qui déterminent admiration réfléchie de la postérité , diffèrent presque toujours de ceux qui avaient causé l'entraînement enthousiaste des contemporains. Linné est du petit nombre de ces hommes dont la gloire n’a rien à perdre par le temps. Le dix-neu- vième siècle lui doit et lui rend hommage comme le CLASSIFICATION DE LINNÉ, 107 dix-huitième ; les siècles suivants lui. accorderont à leur tour les mêmes honneurs. Pour ma part, du moins, je n’en fais nul doute. Mais suit-il de là que le jugement porté sur Linné par ses contemporains et ses premiers successeurs , ait été complétement équitable? Devons-nous le louer aujourd’hui. comme l'ont loué, sur sa tombe récemment fermée, le roi de Suède Gustave IT, Condorcet et Vicq-d'Azyr? Et les éloges que nous pouvons aujourd’hui lui décerner, seront-ils répétés par la postérité ? Je nele pense pas, et je dirai plus : Linné pourrait être un naturaliste digne de toute notre estime, mais il ne serait pas un grand homme, si l'on avait pu si promptement mesurer étendue des services rendus par lui à la science jesi admiration avait pu, dès labord, s'adresser à son œuvre tout entière. Un grand homme, a-t-on dit quelquefois, n’est pas de son siècle : c'est une propo- sition que je repousse comme fausse, mais pour y substituer cette autre : Un homme véritablement grand est, tout à la fois, de son siècle et des siècles suivants; car, après avoir exercé une grande influence sur són époque par ses pensées ou ses actes, il agit encore puissamment sur les siècles suivants par les développements longtemps imprévus , par les consé- quences inaperçues de ces mêmes pensées et de ces mêmes actes. T R. C'est dans cette conviction que j'ai repris Vétude de la classification zoologique de Linné. Bien qu'un siècle se fût écoulé depuis sa première publication , 108 CLASSIFICATION DE LINNÉ. bien qu'un grand nombre d'hommes éminents se fussent succédé dans son étude, il pouvait y avoir lieu d'examiner si elle ne resterait pas encore incomprise à quelques égards. Et même, pour peu qu’on y réflé- chit, il n’y avait pas seulement possibilité, mais cer- titude qu’une étude nouvelle dût conduire à des aper- çus nouveaux. Comment, en nous plaçant au point de vue de la science actuelle, n’aurions-nous pas un ho- rizon plus étendu que celui sur lequel s’arrêtaient les re- gards de nos devanciers? Si, à la distance plus grande où nous sommes, des détails, clairement aperçus de ceux-ci, nous échappent ou ne nous apparaissent que confusément, ne devons-nous pas, par compensation, embrasser dans notre champ visuel un espace plus vaste , et, par là même , nous former une idée plus -exacte de limportance relative des parties aperçues par les premiers observateurs? Nous ne saurions donc aujourd’hui nous en te- nir sur l’œuvre de Linné à ces jugements du dix- huitième siècle, jusqu'à ce jour si complétement acceptés, si fidèlement reproduits par presque tous les naturalistes; pas plus que nos propres juge- ments ne sauraient être l'expression exacte des opi- nions de l'avenir. Lun ou l’autre serait également contraire aux lois du développement et du progrès de l'esprit humain. F aire de nos opinions actuelles la règle de celles des époques suivantes, ce serait pousser la présomption an delà de toute raison ; mais aussi, accepter sans nouvel examen celles du siècle | CLASSIFICATION DE LINNÉ. 109 passé , ce serait user envers lui d’une déférence non moins irrationnelle et non moins contraire aux inté- rêts de la science. L'article que lon va lire, est un premier essai concu dans cet esprit. Je ne m'y suis point proposé pour but la révision complète des classifications de Linné. Un tel travail, exigeant à la fois des connais- sances étendues en zoologie et en botanique, est trop au-dessus de mes forces. Mais j'espère pouvoir mon- trer comment, en admirant dans l'œuvre de Linné la langue et les formes nouvelles dont elle a doté la AE on a trop perdu de vue les progrès non moins impor tants Lu lui doit le fond même de Ja ` science. IL. Le Systema naturæ à eu, dans l’espace de trente- six ans , et pendant la vie de son auteur, de 1755 à 1770, jusqu'à quatorze éditions publiées en Suède, en Allemagne, en France, en Hollande, enftalie(1). Parmi elles , neuf sont de simples réimpressions, et cinq aŭ' . (1) Trois autres encore ont été publiées depuis la mort de Linné; la première par Gméu, 1588, en 9 volumes; une seconde, imprimée à Lyon, et qui n'est qu une contrefaçon assez imparfaite de celle-ci ; la troisième enfin , par les soins de M. Fée, 1830, en 1 volume, ou plutôt en une simple brochure. PRE est une réimpression de la premiére édition (editio prima reedita). — On doit en outre à M. Fée une Xie de Linné, 1 volume in-8°, faisant partie des Mémoires de la Société royale des Sciences de Lille, année 3832. On y trouve un grand nombre de documents intéressants sur la vie et les écrits de Linné. i 10 CLASSIFICATION DE LINNÉ. contraire des œuvres presque nouvelles dans plusieurs de leurs parties, et quelquefois dans leur ensemble. C’est ainsi que cet immortel ouvrage, d’abord simple essai , publié en un petit cahier composé de trois ta- bleaux, est devenu, à sa treizième édition (1), un traité résumant en plusieurs volumes lhistoire naturelle tout entière dans sa partie Systématique. À sa première apparition, le Systema naturæ ne fut pas accueilli avec la même faveur par tous les na- turalistes. Comment tous eussent-ils compris des idées aussi nouvelles ? Et comment, parmi ceux qui les comprirent, ne se serait-il pas trouvé quelques esprits jaloux d’une aussi haute supériorité? Le Systema naluræ n'échappa donc pas au sort commun de toute œuvre vraiment réformatrice : il fut en butte à de vives attaques, à des critiques dont la sévérité alla parfois jusqu'à la censure la plus acerbe. Mais il ne tarda pas à en triompher complétement. En dévelop- pant davantage ses idées , dans les éditions successives de ses ouvrages, Linné les rendit de plus en plus claires; et quand il fut intelligible à tous, l'admiration pu- blique vint bientôt forcer au silence presque tous ceux qui S'opiniâtraient à ne pas accepter la réforme. En vain, pour ne citer ici que cet exemple d'autant plus (1) Douzième , d'après son titre, parce qu'on n’a pas tenu comte x p ; parce q p p d'une édition publiée à Lucques, en 1758. Voyez Fér, Vie de Linné, p. 340. — Je cite spécialement cette douzième édition, parce qu'elle est la dermierce qui ait été revue par Linné lui-même, CLASSIFICATION DE LINNÉ. III déplorable qu’il nous est fourni par un homme plus illustre, en vain Haller s'élevait-il avec amertume contre les fautes de Linné en botanique, contre son insupportable domination en zoologie (1), et contre son caractère; en vain quelques autres naturalistes se faisaient-ils les échos de cette voix puissante, Moins de douze années après la première édition de l'ou- vrage de Linné, son système botanique jouissait d’une juste autorité dans tous les pays où les sciences sont cultivées; et si, à la même époque, la classifica- tion zoologique avait moins de partisans , c’est seule- ment parce que la zoologie était alors beaucoup moins cultivée que la botanique. Et non-seulement, pour ce qui concerne le règne animal , l'influence de Linné resta puissante en présence même des admirables tra- vaux de Buffon; mais il est vrai de dire que par ceux-ci elle devint de plus en plus prédominante, grâce au (1) Le passage de Harrer dans lequel se trouve exprimée cette plainte, est curieux sous plusieurs points de vue. On y aperçoit bien la mauvaise humeur d'un homme qui voit triompher des idées qui ne sont pas les’ siennes. On y trouve aussi, et par cette raison même exprimées plus clai- rement, et si l'on peut s'exprimer ainsi, plus crûment, des critiques adres- sées déjà fort souvent, mais en termes plus polis, à l'illustre auteur du Systema naturæ ! —Voici comment M. Fée (p. 299)cite ce passage : e L'in- supportable domination dont Linné s'est emparé pour le règne animal, a été désagréable à plusieurs personnes. Il se considère comme un autré Adam , et donne des noms à tous les animaux d'après leurs caractères distinctifs, sans avoir les moindres égards pour ses prédécesseurs. Íl ose à peine décider que l'homme n'est pas un singe, et que le singe n'est pas un homme.» 112 CLASSIFICATION DE LINNÉ. grand nombre d'intelligences qui furent tout à coup appelées à la culture de l’histoire naturelle, et dont la plupart s’empressèrent d'adopter la dsifcrtion et la nomenclature de Linné. Les principaux progrès immédiatement accomplis par l’ensemble des travaux du naturaliste suédois, ceux que les premiers successeurs et les contemporains eux-mêmes de Linné ont presque tous acceptés, et qui lui ont valu , dès son vivant, le titre de législateur de l'histoire naturelle, peuvent être ramenés à trois prin- cipaux : l'invention de la nomenclature binaire; l’éta- blissement d’une langue rigoureusement descriptive; la création d’une classification embrassant pour la première fois tous les êtres naturels. Examinons en peu de mots l'influence de chacun de ces progrès. 1. La nomenclature binaire, appliquée à la désigna- tion de tous les animaux et de toutes les plantes, est, de tous les progrès accomplis par Linné, celui dont l'importance a été le mieux comprise, et celui aussi dont l'invention lui a été le plus exclusivement attri- buée. Ces deux expressions, Nomenclature binaire et Nomenclature linnéenne, sont même devenues au- jourd'hui des synonymes si parfaits qu’on les prend indifféremment Yune pour l'autre. Ce n'est pas qu'avant Linné quelques natura- listes, dans plusieurs parties de leurs ouvrages, CLASSIFICATION DE LINNÉ. 113 et même, avant toute étude sérieuse de l’histoire na- turelle , tous les peuples, dans le langage vulgaire , n'aient FREE éun certain nombre d'animaux et de plantes par l'association de deux mots, lun exprimant leurs rapports , l'autre leurs différences avec d’autres êtres (1). Mais, avant Linné, ce mode de nomencla- turé était l'exception, et non la règle. On avait cou- tume de désigner les animaux et les plantes par un nom commun à plusieurs, auquel on ajoutait une - phrase descriptive et caractéristique. De là résultait une terminologie d’une excessive complication ; en sorte qu'à cette époque même où les catalogues ne renfermaient qu'un nombre peu considérable d'ani- maux et de plantes, il était également difficile à Pes- prit le plus lucide d’en saisir nettement les rapports, et à la mémoire la plus exercée d'en retenir les noms. Il était donc évident que, sans une réforme, les nouvelles acquisitions de la science deviendraient pour elle un embarras au moins autant qu’une richesse. Heureusement Linné comprit ce qu'il fallait faire, et il le fit. Il continua à rapporter à un même groupe tous les êtres très-semblables entre eux, et à les com- prendre sous un nom commun, dont il définit et -(1) Dans un grand nombre de cas, les noms usités chez des peuples sauvages où barbares se sont même trouvés tellement conformes -aux principes de la nomenclature linnéenne, que les naturalistes n’ont pu mieux faire que de les traduire et de les adopter. Voyez, entre autres exemples, ceux qué mon pére et moi avons cités dans le grand Ouvrage sur l'Égypte, Histoire des reptiles et des poissons. ZOOLOGIE GÉNÉR AL E. ; 8 114 CLASSIFICATION DE LINNÉ. régla la valeur, et qui, dès lors, devint uu nom véri- tablement générique ; maïs la phrase descriptive ordinairement ajoutée au nom commun fut rem- placée par un nom spécifique , tantôtiSimple pijes, se rapportant à l'une des qualités extérieures de l'être, tantôt l'un de ses noms usuels , et, dans tous les cas, mot simple et facile à retenir. Ainsi fut créée la no- menclature binaire, essentiellement caractérisée par l'application, à chaque être, de deux noms se com- plétant mutuellement ; l’un générique, exprimant les conditions communes par lesquelles il se lie avec les êtres les plus rapprochés de lui; l’autre, spécifique , les caractères propres par DE il s’en distingue. Dans ce mode : ingénieux de nomenclature, adopté par tous presque aussitôt que proposé par son auteur, les naturalistes ont vu surtout un moyen de soulager la mémoire, en diminuant considérablement le nombre des mots nécessaires à l'histoire naturelle. Telle fut la cause. du succès si prompt et si général de la réforme terminologique de Linné. Comment eût-il pu en être autrement, quand, par elle, la science, et chaque na- turaliste en particulier, se trouvait tout à coup débarrassé d’entraves par lesquelles il s'était senti si longtemps gêné ou arrêté dans sa marche ? Ces. avantages de la nouvelle nomenclature , les seuls que l'on ait d’abord aperçus, les seuls même sur lesquels aient insisté les modernes, sont assez grands pour constituer à eux seuls un immense service rendu à l'histoire naturelle. Cependant , dans l'état présent des connaissances zoologiques et botaniques, il est CLASSIFICATION DE LINNÉ. 115 un autre point de vue sous lequel on doit attribuer plus d'importance encore à létablissement de la nomenclature binaire. On n'aurait d'elle qu'une idée non-seulement incomplète, mais tout à fait fausse, si l'on se bornait à la considérer comme un artifice ingé- nieux, propre à soulager notre mémoire. Pour qui- conque ľa bien comprise dans son essence et ses principes, elle constitue en même temps une méthode éminemment philosophique à l'aide de laquelle nous pouvons à la fois abréger notre travail et en étendre au loin les conséquences. Renfermer dans le nom de chaque être l'indication des ressemblances et des dif- férences qui existent entre lui et les autres espèces du même genre, c'est exprimer évidemment ses affi- nités les plus directes et les plus fondamentales ; c’est mettre en évidence les analogies essentielles de êtres, sans en exagérer la valeur, et donner aux naturalistes des moyens sûrs en même temps que faciles de géné- raliser dans leur juste limite , et d'appliquer immé- diatement à un plus ou moins grand. nombre d'êtres, les résultats que l'observation directe a d’ ahora TÉVÉ- lés pour un seul. i Tous ces avantages de la réforme terminologique de Linné sont tellement manifestes qu’on ne sau- rait assez s'étonner de les voir encore incompris de plusieurs naturalistes distingués. On a vu, vers le com- mencement de ce siècle , quelques z0ologistes délaisser presque complétement l’emploi de la nomenclature binaire : il a fallu que d’autres vinssent après eux ache- ver leur œuvre en ramenant leur terminologie arbi- er arame RDS RP OT «à BE ~mm 116 ` GLASSIFICATION DE LINNÉ. traire aux règles et aux principes linnéens , consacrés aujourd'hui autant par l'usage que par la raison. Plus récemment et jusque dans ces dernières années, d’au- tres auteurs ont cru devoir, sans renoncer à la no- menclature linnéenne, admettre concurremment avec elle une autre nomenclature entièrement arbitraire. J'avoue queje préférerais encore, s'il fallait opter entre lun et l'autre, l'abandon complet de la nomenclature linnéenne, à ce système faux et bâtard qui double inu- tilement la terminologie, dans une science où la termi- nologie nécessaire est, à elle seule, si immense et si hors de proportion avec l'étendue de notre mémoire. A quoi bon, par exemple, donner à chaque mammifère deux noms, Fun latin, composé de deux mots com- binés selon les principes linnéens, l’autre français, ou prétendu tel, formé d’un nom de pays arbitrairement modifié, ou même d’un mot forgé selon l'idée du mo- ment, et en l'absence de toute règle ? Si de tels exemples trouvaient de nombreux imita- teurs, ce déplorable retour à la nomenclature des Seba, des Hernandez, des Nierenberg, ne saurait manquer de plonger, après quelques années, la zoo- logie systématique dans la confusion la plus cofipiète et la plus inextricable; et bientôt, le désordre dans les idées étant l'inévitable conséquence du désordre dans les mots (1), la science tout entière deviendrait un véritable chaos. . (1) Nomina si nescis, perit cognitio rerum, - CLASSIFICATION DE LINNÉ. 117 Je n'ignore pas qu’en repoussant la nomenclature linnéenne, ou en adoptant une double et vicieuse no- menclature, on a cru pouvoir s'autoriser de l'exemple de notre immortel Buffon. Mais on eût dû remarquer que Buffon, composant ses ouvrages à l’époque même où Linné publiait les siens, suivant en quelque sorte une voie parallèle à celle de son illustre émule, ne se trouvait pas placé , par rapport aux travaux de Linné, dans les conditions où nous nous trouvons aujourd’hui ; il n’a pu ni comprendre nettement, ni juger avec impartialité, ni mettre à profit des idées contraires à celles qu'il avait d’abord adoptées. Ne faisons donc pas intervenir le grand nom de Buffon dans des débats où son autorité serait de nulle va- leur ; pénétrons, à la suite de Buffon s’il est possible, dans les voies où il s'est montré si admirablement novateur ; mais, dans celles où il conserve la tradition du passé, sachons l’abandonner, et chercher ailleurs le progrès : ce sera lui rendre un hommage plus digne de lui et plus utile à la science. * IV. Si la nomenclature binaire me paraît un progrès plus important même que ne l'ont jugé les contem- porains et les successeurs de. Linné, cest dans un autre sens que je m'écarterai de leurs opinions sur-une autre partie de l'œuvre de Linné : l'introduction dans la zoologie de cette langue descriptive si précise , et 115 CLASSIFICATION DE LINNÉ, en même temps si concise, dont -Linné s'est servi avec tant d'habileté. Il est juste de remarquer en premier” lieu que ce progrès constitue plutôt une amélioration, un per- fectionnement, qu'une innovation. Le style que l’on appelle aüjourd'hui Zinncen, était réellement en usage avant Linné; son emploi était même l’une des conditions RARES de la nomenclature du commencement du dix- - septième siècle. On a vu plus haut comment, faute de noms spécifiques, il fallait, avant Linné, joindre au nom générique une courte phrase caractéristique dont le mérite consistait essentiellement dans l'alliance d’une précision suffi- . sante et d’une extrême concision. Bien loin que Linné dit donné à la science de nouvelles formes de langage, rendues nécessaires par sa nouvelle nomenclature, on serait donc en droit de dire que celle-ci tendait au contraire à rendre moins, indispensable à Linné le style concis de ses devanciers. Mais Linné n’était pas homme , parce qu’il opérait un progrès, à en délaisser un autre déjà préparé et commenté avant lui. Par la rigueur avec laquelle il définit les termes déjà usités, par la sagacité qu il montra dans le choix et la for- mation des mots nouveaux, par les règles ingénieuses auxquelles il soumit l'usage des uns ét des autres, en un mot, par l'habileté avec laquelle il perfectionna une langue encore si imparfaite avant lui , il se Fap- propria véritablement, et mérita de lui donner son nom. ; ; CLASSIFICATION DE LINNÉ. | 119 La création de cette langue, fût-elle entièrement due à Linné, ne saurait d’ailleurs être considérée, com- parativement à l’ensemble des travaux de ce grand na- turaliste, que comme une œuvre très-secondaire. Toute science a sa langue technique indispensable à la discus- sion , ou même à l'exposition de certaines questions : mais cette langue technique n'est après tout qu’un ins- trument de la science, et non la science elle-même. C'est ce que n’ont compris, ni certains détracteurs de Linné, ni les naturalistes beaucoup plus nombreux auxquels on pourrait, au contraire, reprocher d'avoir poussé jusqu'à l'exagératiôn l'éloge et l'imitation de leur maître. Š m -Les uns, séduits par la beauté et la poésie du style de Buffon, ont reproché à Linné l'aridité -deses phrases caractéristiques : esprits faux et légers qui ne comprenaient pas que le naturaliste doit se placer à tous les points de vue dans l'observation de la nature, tantôt examinant avec une minutieuse précision les détails des choses, et les exprimant dans un langage qui est parfait, s'il est clair et précis; tantôt planant au-dessus des détails, contemplant les grandes scènes de la création, et élevant son style au niveau de leur magnificence. | | | Par une erreur contraire, d’autres zoologistes, dé- tracteurs non moins injustes de Buffon, ont voulu faire de l'emploi du style descriptif linnéen la con- dition nécessaire de tout travail scientifique , et res- serrer l’histoire zoologique de chaque être dans une 120 CLASSIFICATION DE LINNÉ, ou quelques phrases caractéristiques : autre exagéra- tion non moins grave , et que Linné lui-même avait condamnée à l'avance, lui si précis, et, pour dire toute la vérité, quelquefois si aride (1) dans son S ys- tema, mais si ingénieux, si élégant, quelquefois même si poétique (2), quoique toùjours si concis, dans ses autres ouvrages ; lui qui savait si bien qu'un ca- talogue exact des productions de la nature est une G) On peut reprocher parfois aussi , au style de Linné, de l'affecta- tion et de la bizarrerie; je citerai comm? exemple un passage dans le- quel il compare l'ancienne nomenclature botanique à un chaos : Cujus mater est barbaries, pater auctoritas, et præjudicium nutrix. E- (2) M. Fée { Vie de Linné, page 290 et 291) cite, comme exemples de la poésie du style de Linné, deux passages qui sont en effet très-re- marquables : l'un sar l'histoire de la botanique, dont Linné compare les progrès successifs au développement d'une plante; l'autre, sur l'4»- dromeda, dans laquelle il voit l'Andromède de la mythologie enchaî- née sur un rocher que l'eau environne de toutes parts. Je ne reprodui- rai pas ici ces passages , mais je citerai un autre fragment ; c'est le dé- but du Systema naturæ. f- À A « Éternel immense, sachant tout, pouvant tout, que Dieu se laisse entrevoir, et je suis confondu! J'ai recueilli quelques-unes de ses traces dans les choses créées ; et dans toutes, dans les plus petites même, quelle force ! quelle sagesse! quelle inexplicable perfection ! Les ani- maux, les végétaux et les minéraux empruntant et rendant à la terre les éléments qui servent à leur formation; la terre emportée dans son cours immuable autour du soleil , dont elle reçoit la vie; le soleil lui-même tournant avec les autres astres, et le système entier des étoiles suspendu et mis en mouvement dans l'abime du vide par celui qu'on ne peut comprendre : le premier moteur, l'être des êtres, la cause des causes, le conservateur, le protecteur universel et le souverain ar- tisan du monde. Qu'on l'appelle Destin , on n'erre point ; ilest celui de qui tout dépend : qu'on l'appelle Nature „ On n'erre point encore; car CLASSIFICATION DE LINNÉ, 121 , ME. + . . ° œuvre d’une immense importance scientifique , mals que ; cette œuvre accomplie, l'édifice de la science n'est pas élevé, mais seulement ses fondements jetés ; lui, enfin, qu n'arrive au développement de sa clas- TU qu'après avoir posé comme un immense frontispice de son œuvre ces grandes questions : Quis sit homo? Undè ortus? Quò tendat: P nu hic? Quo munere ? La création d’un système embrassant à la fois tous les animaux et même aussi, car tel est le plan gigan- tesque que s'était tracé Linné, toutes les plantes et tous les minéraux ; ; en d'autres termes, l'exécution d'un immense inventaire des productions des trois règnes de la nature, est une de ces œuvres dont il serait superflu de chercher à faire ressortir le caractère grandiose. La pensée seule d'un Systema naturæ honorerait à jamais Linné, et suffirait à attester l'é- tendue et la puissance de son esprit (1). Mais Linné il est celui de qui tout est né: qu'on l'appelle Providence, on dit vrai; car € ‘est sa seule volonté = soutient le monde... » (Traduction dut née par M. Fér, Loc. cit, p. 70.) (1) C'est d'elle surtout que l’on peut répéter ce que Vico-p'Agvr a dit dans sonéloge de Linné, au sujet de la réforme botanique due àl'illustre zoologiste suédois. « L'homme qui a Conçu un projet aussi vaste, pou- vait être regardé comme témérairè avant d'en avoir commencé l'exé- cution; mais il a des droits à notre admiration et à notre reconnais- sance, s'il a réussi. En vain on lui reprocheïra quelques erreurs dans une révolution pareille; on doit être moins étonné de ses fautes que de ses succès. » Voyez Œuvres de Vico-»'Azve, t. I, p.180. 122 CLASSIFICATION DE LINNÉ, - mest pas moins admirable pour l'exécution que pour la concéption de son œuvre. En botanique, il a créé, de l'aveu de tous, le plus facile et le plus He des systèmes : la Akado naturelle pouvait seule pré- valoir sur lui. En zoologie , Linné a fait plus encore; car sa classification ne tient pas seulement une place importante dans l’histoire de la science ; elle subsiste encore, et sans nul doute subsistera _— dans skient de ses parties. Pourquoi cette destinée si contraire de ces deux - parties d'une même œuvre, la classification zoologique de Linné, et sa classification botanique? Pourquoi la première, moins admirée que celle-ci par les contem- porains, et encore aujourd’hui moins célèbre, a- t-elle été perfectionnée, étendue, rectifiée, modifiée de toutes manières, mais jamais renversée par les pro- grès ultérieurs de la science ? Et pourquoi, au con- traire, la seconde, accueillie à son apparition par l'admiration , et, ce n'est pas trop dire, par l’enthou- siasmie universel , a-t-elle eu dans la science aussi peu de durée qu'elle y a jeté d'éclat? Pourquoi, elle à peine publiée, Bernard de Jussieu, renonçant à la perfectionner, crut-il nécessaire de construire à neuf, et sur des bases toutes différentes, une autre classifi- cation, bientôt adoptée, quoique moins simple et moins élégante, par les botanistes les plus éminents de tous les pays? ; Į} est curieux que les aia non-seulement waient jamais répondu à toutes ces qüestions, mais CLASSIFICATION DE LINNÉ. 123 même ne les ajent jamais nettement posées , et qu'i ils aient ainsi laissé dans l'oubli un Sujet qui intéresse à un aussi haut degré l’histoire de leur science? Essayons, en attendant des trayaux approfondis et spéciaux, de l'éclairer par quelques remarques générales (1), VI. La découverte du sexe des plantes, bien qu'entre- yue fort anciennement et bien qu'établie dès le dix- septième siècle par des démonstrations rigoureuses, était restée jusqu au dix-huitième siècle , sinon igno- rée, au moins négligée par les botanistes. À cette époque, au contraire, divers travaux particuliers et le progrès général des esprits la mirent tout d’un coup en évidence , en firent sentir la haute valeur, et chan- gèrent bientôt l'indifférence des savants et du public en un intérêt qui, s’accroissant chaque jour, alla pres- que jusqu’à l'enthousiasme, En créant une classifica- tion générale, rationnelle, d’un usage facile ee la _ détermination des plantes, et en la fondant précisé- ment sur ces organes sexuels dont les fonctions, ré cemment connues, fixaient l'attention du monde savant, Linné avait réuni dans son œuvre nouvelle rte i (1) Les yemargues qui vont suivre, et quelques-unes de celles qui précédent, ont déjà été présentées dans l'article Zoologie de l'Encyclo- : pédie du dix-neuvième siècle, et, en partie, indiquées dans mes Considé. rations historiques sur la zoologie, Voyez plus haut , page 35. 124 CLASSIFICATION DE LINNÉ, tous les éléments d'une immense popularité. Son succès fut, en effet, rapide et complet. Mais peu d an- nées s'étaient écoulées que, tout en conservant une juste admiration pour l'i ingénieuse et élégante classi- fication de Linné, les esprits les plus avancés (1) durent reconnaître son insuffisance pour l'expression des rapports naturels des êtres; et bientôt apparut * dans la science une méthode nouvelle : méthode moins satisfaisante au premier abord, d'un usage beaucoup plus diflicile ; méthode beaucoup plus com- pliquée surtout, mais par cela même mieux en rela- tion avec la Late des choses. $ Vainement en effet nous essaierions de faire ren- trer les phénomènes ou les êtres naturels dans ces divisions artificielles fondées sur des considérations simples ou même imaginées 4 priori, dans ces cadres dont la régularité presque géométrique plaît tant à notre raison. Ce réseau presque inextricable d He nies, d’analogies, de rapports et de différences de toute espèce, que nous avons finalement à resserrer dans uneclassification; cette multitude innombrable d'êtres dont nous avons à indiquer l'ordre et le rang, veulent une expression, sinon plus confuse (car l'étendue n’ex- EEE SUR (1) Sans excepter Linné lui-même, Malgré l'éclatant succès de son système botanique, Linné n'a jamais cessé de désirer et de rechercher une méthode basée sur les véritables rapports naturels. Il a laissé des travaux botaniques importants dans cette direction. Voyez surtout son ouyrage intitulé : Genera plantarum earumque characteres naturales, CLASSIFICATION DE LINNÉ. o clut pas la lucidité), au moins plus complexe. C'est ce qui fait d'une manière générale que les classifications artificielles, si séduisantes pour l'esprit, et adoptées si universellement dans une première époque de la science , font place, quand les faits se sont multipliés et quand on a pénétré plus profondément dans leur étude, à des classifications naturelles; œuvres que l’on crée péniblement et par une longue et difficile ana- lyse de l'ensemble de l'organisation de chaque être, mais qui, du moins, une fois établies, et en raison même de leur origine, reposent sur des bases solides et indéfiniment durables. | 4 Ces considérations, dont la vérité est aujourd'hui universellement reconnue, nous expliquent à la fois pourquoi la classification botanique de Linné, si promptement comprise et si vivement admirée par ses contemporains, n'a eu dans la science qu'une exis- tence passagère ; et pourquoi , au contraire, sa classi- fication zoologique, plus difficile à comprendre et à appliquer, et par suite moins bien accueillie lors de leur commune apparition, lui a survécu, et sans doute subsistera, non toutefois sans de nombreux et graves iginte, jusque dans l'avenir le plus reculé de la zoologie. Sans doute Linné lui-même, en créant successive- ment sa classification des plantes et sa classification des animaux, ne comprit pas complétement la diver- sité des principes sur lesquels reposent l'une et Tau- tre ; et lorsque toutes deux parurent dans le même 126 CLASSIFICATION DE LINNÉ. livre, revêtues des mêmes formes et exposées dans le même langage, il put croire, et tout le monde crut avec lui, qu'une œuvre identique venait d’être ac- complie pour les deux règnes de la nature organique. C'était une erreur naturelle, inévitable même à cette époque; mais comment concevoir, si lon ne savait avec quelle confiance aveugle les opinions scientifi- ques d’une génération sonit acceptées sans examen par la génération qui la suit, comment expliquer que l'erreur n'ait pas été reconnue et repoussée au mo- ment même où les deux Jussieu montrèrent par leurs préceptes et leur exemple la différence des classifica- tions naturelles et artificielles? Et cependant tous les modernes s'accordent, sinon à ranger explicitement la méthode de Linné parmi les classifications artifi- cielles, au moins , ce qui revient au même, à attri- buer aux naturalistes de l’époque actuelle l'honneur d’avoir, pour la première fois, appliqué à la zoologie les principes de la méthode naturelle; et cela, en pré- sence de ces exposés, si admirables pour lé époque où ils ont été faits, où Linné résume pour chaque groupe, en les classant selon l'ordre de leur importance (1), les caractères de l’ensemble de l'être; en présence de cette classification tout entière ; qui est si manifeste- ment, non-seulement dans ses formes et dans ses principes, mais aussi, sauf d'immenses perfectionne- (1) Voyez à ce sujet un passage remarquable de TÆ bone de Linné par CONDORCET; recueil des Z loges des Académiciens, t. IL, P 131. CLASSIFICATION DE LINNÉ, 127 ments , dans son fondet son essence Ja même que presque tous les zoologistes, à leur insu, suivent en- core aujourd’hui. s | =: VIL. Je n’essaierai pas de présenter ici avec détail les preuves de cette dernière assertion : un volume entier suffirait à peine à une comparaison qui devrait des-. cendre successivement des classes aux ordres, des, ordres aux genres. Mais je puis du moins citer quel. ques exemples, auxquels chaque zoologiste, dans sa spécialité, en ajoutera facilement une multitude d'autres. re z 3 La classification de Cuvier est celle qui compte au- jourd'hui le plus grand nombre de partisans : elle représente, en quelque sorte, l’état actuel de la science. C'est donc celle qu'il importe surtout de comparer à la classification de Linné. Chacun sait que Linné avait divisé le règne animal en six classes. Cuvier en a admis un nombre plus que triple, dix-neuf. En se rendant compte de cette diflérence numé- rique, on trouve qu'une des classes de Linné , la der- nière, vermes , a donné à elle seule douze des classes de Cuvier, les unes placées au bas, les autres vers le milieu de l'échelle. Ici Cuvier s'éloigne donc consi- dérablement de Linné, mais évidemment en raison de la différence, non de leurs principes, mais des temps, Linné ayant écrit à une époque où lhistoire 128 CLASSIFICATION DE LINNÉ. des vermes n'était encore et ne pouvait être qu'un véritable chaos (1). Et néanmoins, dans cette partie même de la science, un grand nômbre de groupes secondaires et tertiaires aujourd'hui admis ne sont autres que des genres linnéens élevés, en raison de l'accroissement considérable du nombre des êtres, au rang de familles ou d'ordres. Par une semblable raison, la classe des insecta est “devenue un groupe d’un ordre supérieur ; mais, qu’on sla subdivise en trois classes, avec Cuvier et Latreille, ou en quatre, selon des idées plus récentes, il n’en est pas moins vrai que ces trois ou ces quatre classes sont étroitement unies par leurs rapports naturels : aussi voit-on qu'elles se suivent, sans nulle intercalation , dans toutes les classifications. En outre, parmi les in- secta, ce n’est pas seulement une multitude de genres de Linné, ce sont aussi ses ordres que lon trouve . généralement conservés, sous les mêmes noms de coléoptères , névroptères, lépidoptères, etc. La quatrième classe, pisces, et la troisième, am- phibia, ont été adoptées par Cuvier dans leur en- semble; et en remontant à l'origine de ses travaux de classification , à son T'ableau élémentaire de l'histoire naturelle, on voit qu'il avait même suivi Linné pour la division de ces classes en ordres et la subdi- vision des ordres en genres. Vavez l'avtic HAVE Š i ; ig ` : (1) Voyez l'article suivant sur les travaux de classification de Curvier. CLASSIFICATION DE LINNÉ. 129 „Tl en a été de même de la seconde classe, aves, mais avec cette différence, à l'avantage de Linné, qu'après avoir admis les ordres du Systema naturæ : Cuvier les a conservés depuis dans tous ses ouvrages, en se bornant à franciser leurs noms et à les disposer dans un autre ordre. Les seuls changements qu'il crut devoir faire au fond de la classification, furent le rejet du second ordre de Linné, picæ, et l'établissement d’un ordre nouveau, celui des grimpeurs ; mais ces deux changements, en réalité, tendent à s'annuler réci- proquement ; car les grimpeurs et les picæ se corres- pondent en grande partie les uns aux autres (1). La classification ornithologique de Cuvier, encore au- jour’ hui si généralement suivie, n’est Es à vrai dire, autre que la classification ornithologique de Linné, modifiée et perfectionnée par Cuvier. On peut - (1) Tous les grimpeurs de Cuvier, sans exception , sont des picæ pour Linné, qui joint en outre aux espèces zygodactyles ( pedibus‘ scan- soriis) , les syndactyles de Cuvier (pedibus gressoriis), quelques-uns de- ses ténuirostres et les corbeaux; en un mot, toutes les espèces qui s'é- cartent par quelques modifications remarquables de l'ensemble des passereaux. C’est donc d’une section des picæ, section nettement distin- guée par Linné, que Cuvier a fait son ordre des grimpeurs.. - Au surplus, dans l'état présent de la science, il n’est plus permis de considérer comme de véritables ordres naturels, ni le Sroupe des picæ de Linné, ni celui des grimpeurs de Cuvier. Les picæ ou grimpe ou mieux (puisqu'une partie des oiseaux dits urs , Srimpeurs ne grimpent - jamias) les zygodactyles, ne sont, comme les syndactyles, que l'une des TARN prenes. des papereant. Les syndactyles ont même des ppo Drong PR PES avec les zygodactyles que les passe- reaux ordinaires où deodactyles. ZOOLOGIE GÉNÉRALE, 0 130 CLASSIFICATION DE LINNÉ, en juger par le tableau comparatif suivant, où cha- que ordre de Cuvier est: placé à côté de Tordre lin- néen correspondant. | | rare qe DE LINNÉ. | CLASSIFICATION DE CUVIER. Ordo I. Accirirees. ‘| ORDRE I. OISEAUX DE PROIE. O. M Pre. 0. . GRIMPEURS. "Q: III. ANSERES. O. VI. PALMIPÈDES. . GraLLæ (1). . ECHASSIERS. 0 . GALLING. O. IV. GALLINACÉS. 0 . PASSERES. . PASSEREAUX. Nous da trouver la même concordance entre Ja classification mammalogique de Linné et celle de Cuvier, mais iċi avec une circonstance qui la rend beaucoup plus remarquable. A l'égard de plusieurs des classes précédentes, et spécialement des oiseaux 3 Cuvier a reconnu que sa classification procède de celle de Linné, et , pour ainsi dire, n’est que cette dernière bratia et perfectionnée ilad les besoins nouveaux et les progrès de la science. Mais à l'égard des mammifères, il en a été tout autrement. Pour cette première classe du règne animal, Cuvier, alors associé à mon père , entreprit de fonder une clas~ sification entièrement nouvelle, d’après une étude (1) Scolopuces, dans les premières éditions. CLASSIFICATION DE LINNÉ, 131 approfondie de tous les genres connus. Le travail commun. de Cuvier et de mon père parut en 1797, dans Pun des recueils scientifiques du temps (1). La classe y était divisée en trois embranchements : les es- pèces à ongles, les espèces à sabots , les espèces mari- nes, et subdivisée en quatorze ordres. OEuvre com- mune de deux zoologistes profondément instruits, cette classification exprimait déjà d'une manière satis- faisante l’ensemble des rapports des espèces qui com- posent la première classe du règne animal: néan- moins des recherches ultérieures indiquèrent la né- cessité de quelques remaniements destinés surtout à réduire au rang de simples familles des divisions auxquelles on avait attribué d’abord une valeur or- dinale. Ces remaniements furent faits dans les années suivantes, non plus par les deux auteurs, l’un d'eux étant alors livré à d’autres travaux, mais par Cuvier seul, d'abord en 1798 , dans son Tableau elémen- taire , puis, quelques années plus tard, dans les ta- bleaux annexés à Anatomie comparée, enfin, en 1817, dans le Règne animal. > fs Le résultat de ces divers remaniements est ex- _trêmement remarquable, et j'appelle sur lui, comme déjà je l'ai fait ailleurs (2), l'attention de ceux qui croient comme moi que la connaissance du passé de (1) Le Magasin encyclopédique. - (2) Considérations générales sur les mammifères (1826), p. 56: ou article Mammalogie du Dictionnaire classique d'histoire naturelle, t. X, Pe ge : 13 CLASSIFICATION DE LINNÉ. la science, si intéressante historiquement, a aussi une importance : réelle par les enseignements précieux, im- possibles par toute autre méthode, qu’elle nous donne sur l'avenir. Ayant pour point de départ une classifi- cation fort différente du système de Linné, on voit Cuvier établir entre l'une et Vautre, à chaque rema- niement nouveau , quelques resi de plus, ct finalement reproduire et rétablir dans la science, sous des noms nouveaux, et sans que lui-même ni personne à cette époque s'en aperçût, tous les ordres primitivement établis par Linné. Je le demande, est-il une preuve plus convain- cante et plus belle de la solidité des bases sur les- quelles repose la classification de illustre natura- liste suédois, de l'identité fondamentale de sa méthode avec celle de Cuvier ? Est-il un hommage plus éclatant au génie de Linné, que ce retour de la science, RS par les mains d'un zoologiste tel que Cuvier , à des idées conçues trois quarts de siècle Mara Voici la concordance des ordres linnéens, au nom- bre de sept, avec les ordres de Cuvier, tels qu’on les trouve dans la première édition du Règne animal (1). | fi (1) Dans la seconde édition, Cuvier a séparé les marsupiaux des car- uassiers, et en a formé un ordre distinct. Voyez t. I, p. 172. — Il est à remarquer que Cuvier, en établissant ce groupe, nele considérait pas lui-même comme un véritable ordre, Il remarque en termes exprès que lon y observe en quelque sorte la représentation de trois ordres trés-diffe- rents: I a donc adopté, au fond, l'idée de quelques zoologistes récents, de M. de Blainville en particulier, qui voient dans les marsupiaux une se- conde série Ou sous-classe, parallele à celle des mammiferes ordinaires. CHASSTFIGATION. DE LINNÉ. 133 Je hé: de côté l'ordre: des bimanes, que Cuvier n'avait point admis dans son premier travail, et qui est fondé sur des considérations philosophiques bien plutôt que zoologiques. CLASSIFICATION DE LINNÉ. | CLASSIFICATION DE CUVIER. Orno I. Primates | Orre Il. QUADRUMANES.. 6... Brura s O.. V. Épexrés. O. III. Ferg. O. TII. CARNAŚSIERS. O. IV. Gumes. O. IV. Roxczurs. 0.. V. Pecora. a O. VIL Romxanrs. O. VI. BELLUS. O O. VII CETE. O. VIII. VI. PACHYDERNES. VU. Céracis, La classification zoologique de Linné n'est donc point essentiellement différente de la classification | de Cuvier; elle repose sur les mêmes bases , elle tend vers le même but, elle conduit aux mêmes conséquences. Elle n’a point été, par les travaux de Cuvier, rem- placée et effacée de la zoologie, mais développée, agrandie , perfectionnée. Elle vit dans la science, comme y vivra la classification de Cuvier lorsqu'elle aura, à son tour, subi la loi du temps; lorsque les suc- cesseurs de ce grand maître , éclairés par de nouveaux progrès auxquels + trs aura puissamment CON 134 CLASSIFICATION DE LINNÉ, | tribué, seront venus la modifier, la rectifier, la dé- velopper: LE bete A vrai dire même, et sous un point de vue philoso- phique, il n’y a point une classification de Linné et une classification de Cuvier. Il. y a des systèmes artificiels, ceux de Ray et de Brisson, par exemple ; mais une seule classification naturelle, une seule méthode, fondée par Linné, et perfectionnée par Cuvier. Ces systèmes sont tombés, et ne figurent plus que dans le passé de la science ; ils n’ont plus de place que dans son histoire. Cette méthode unique, au contraire, durera autant que la science elle-même, variant sans cesse dans ses résultats secondaires , mais toujours la même dans ses principes et ses faits fondamentaux, toujours tendant vers ce but dont elle se rapprochera de plus en plus sans l’atteindre jamais : l'expression exacte des rap- ports naturels des êtres. SUR LE RÈGNE ANIMAL DE CUVIER; ET SUR LA CLASSIFICATION ADOPTÉE DANS CET OUVRAGE. Aa D I. En cherchant, dans mon Essai historique sur la Zoologie (1), à apprécier les travaux de Cuvier, jai indiqué, comme ses trois grands et durables titres à l'admiration de la postérité, ses Leçons d Anatomie Comparée, le recueil de ses Mémoires sur les Mol- lusques, et ses Recherches sur les ossements Jos- siles; Il est peut-être nécessaire de dire pourquoi, à ces trois ouvrages, je wai pas cru devoir ajouter le Règne: Animal, dont la célébrité et l'influence actuelle sur la science égalent celles même des Le- cons d Anatomie y et des Recherches sur les Fossiles. | | Le Règne Animal est sans nul doute un ouvrage fort ernircriablen il pourrait suffire à l'illustration de (1) Voyez page 46. 136 CLASSIFICATION DE CUVIER. son auteur. S'il est aujourd’hui entre les mains de tout le monde, c'est sans nul doute parce qu'il est au-dessus de tout ce qui ayait paru avant lui. Un succès aussi éclatant et aussi soutenu est la meilleure garantie d'une haute supériorité. : Mais ce succès, si éclatant, si soutenu, ét de plus si légitime, assure-t-il au Règne Animal un rang aussi élevé qu'aux trois autres ouvrages de son auteur? La postérité pensera-t-elle sur lui ce que pensent en- core la plupart des naturalistes de nos jours? Cette question nous conduit à celle-ci: le Règne Animal a-t-il ouvert une nouvelle voie à la zoologie? Et à cette autre : les résultats auxquels l’auteur est arrivé, le plan général et les détails principaux de sa classifica- tion, doivent-ils être considérés comme définitive- ment et pour jamais établis dans la science ? | _ Le Règne Animal a-t-il ouvert une voie nouvelle ? Il en serait ainsi, s’il était vrai que l'application des principes de la méthode naturelle y eût été faite pour la première fois à la zoologie. Ce mérite éminent, et _ce n’est pas trop dire pour l'accomplissement d’un tel progrès, cette gloire a été attribuée à Cuvier par la plupart de ses contemporains; elle l’est même en- core aujourd'hui très-généralement à Tillustre zoolo- giste; et cependant, elle ne lui appartient pas. Linné a incontestablement précédé Cuvier dans l'application de la méthode naturelle à la zoologie (x) (1) Voyez l'article précédent, pag. 121 et suivantes. PT gear me CLASSIFICATION DE CUVIER. 137 Si, par le Règne Animal, Cuvier n’a pas ouvert dla voie, s'y est-il du moins avancé tellement loin qu'il l'ait, pour ainsi dire, close après lui? Ne reste- t-il à ses successeurs qu'à revenir sur ses pas, pour remplir quelques lacunes, pour rectifier et améliorer quelques détails ? Cette gloire ne serait pour Cuvier m1 moindre que la première, ni moins digne de l'admiration de la postérité. S'il est beau de tracer le plan et de jeter les fondements d'un édifice, il ne lest pas moins de l'achever et d'en poo le cou- ronnement. Une remarque est ici nécessaire. Cuier ma jamais revendiqué pour lui-même la première application de la méthode naturelle à la zoologie : son profond savoir historique et sa bonne foi scientifique Yont toujours préservé de cette injustice. C'est la voix de ses contemporains, c’est celle surtout des zoologistes venus immédiatement après lui, qui se sont laissé entrainer à la commettre. De même, ce mest pas Cuvier, et ce ne pouvait être lui, mais ce sont ses _ contemporains et ses successeurs, qui ont exagéré, au delà de toute limite, l'importance des résultats ob- tenus par lui. Le plan et les détails principaux de sa classification ont été regardés par plusieurs d’entre eux comme à jamais et immuablement établis ; et dans une science d'observation, dans une science’ où chaque jour, grâce à de nouveaux faits, le plus hum- ble disciple peut avec certitude résoudre les doutes ou même rectifier les erreurs du maître, on a vu plus 130 CLASSIFICATION DE CUVIER, d’une fois l'innovation repoussée, au lieu d’argu- miehts, par le trop célèbre ¿ps dixit des anciennes écoles de philosophie, | Cette disposition de tant d'esprits à en tenir aux idées de Cuvier, est sans nul doute honorable, glorieuse même pour lui; elle atteste. l'impression profonde _ produite sur tous les esprits par ses travaux de classifi- cation, si supérieurs à ceux de ses devanciers: Mais ce qui me semble plus honorable encore pour Cuvier que cette erreur d’un grand nombre de ses contem- porains, C'est que lui-même, évidemment, ne Ja point partagée. Sa classification n’eut jamais à ses yeux qu’une valeur relative à l'état présent de la science ; et il sentit toujours le besoin de la modifier, de la perfectionner, de la mettre en harmonie avec les progrès nouveaux. La preuve èn est dans les nom: breux changements qu 711 Jui fit succéssivement subir, Sans parler de quelques mémoires publiés à part, que Ton mette en regard le Tableau élémentaire d His- toire naturelle, les tableaux annexés à l Anatomie comparée, les deux éditions du Règne animal, et en dernier lieu louvre age sur les poissons; et l’on re- connaîtra que Cuvier wa pas publié deux ouvrages, pas même deux éditions successives d’un ouvrage, sans se réformer sur plusieurs points importants. Parfois même on l’a vu sacrifier des idées dont l'établissement lui avait autrefois coûté beaucoup de recherches; ou reprendre dès les premiers fondements des parties en- tières de son œuvre. CLASSIFICATION DE CUVIER, 139 Cuvier a donc évidemment compris que, par sa classification, il n’a pas plus fermé la voie qu'il ne l'avait ouverte. Tant qu'il a été conservé aux sciences, il n’a cessé de perfectionner sa méthode en toute oc- casion, et de donner ainsi aux autres un- noble et utile exemple. Pourquoi donc aujourd'hui devrait-on S'arrêter ? Pourquoi faudrait-il renoncer à faire pour Cuvier ce que Cuvier a fait pour Linné, ce que déjà il avait commencé à faire pour lui-même ? 5 A ceux qui considèrent la classification du Règne Animal comme définitivement établie dans la science, à ceux qui prétendent devoir borner les ef- forts des successeurs de Cuvier à quelques rema- niements partiels, je pourrais donc presque me borner à rappeler le témoignage de Cuvier: lui-même. Mais je ferai plus : j'essaierai, par une pren classification de Cuvier, d'apprécier ce qui, en eli paraît. devoir rester à jamais, ce qui, au contraire, paraît. devoir disparaitre peu à peu devant les nou- veaux progrès. de la science. I H. Toute œuvre intellectuelle porte en elle une dou- ble empreinte : celle des qualités particulières et des tendances propres de l'esprit de son auteur; celle des circonstances de temps et de lieu où élle a été conçue et s’est accomplie. La classification de Cuvier, par exemple, ne saurait être appréciée avec justesse , 140 CLASSIFICATION DE CUVIER. si, en rendant hommage à la lucidité et à la puissance de son esprit, on ne tenait compte aussi de l'époque et des lieux où il a commencé ses travaux. | Linné, qui avait précédé Cuvier d’un demi-siècle, avait, Comme chacun sait , et comme je l'ai rappelé dans l'article précédent, divisé le règne animal en six classes : mammalia, aves, amphibia, pisces, insecta et vermes. De ces classes , les cinq premières étaient fondées sur une appréciation exacte des rap- ports naturels des. êtres : mais il n'en était pas de même de la sixième ; celle-ci était purement artifi- cielle; et, si l'on analyse avec un peu d'attention le Systema naturæ , on reconnait aussitôt la cause de . cette différence. | Il est évident que Linné, après avoir habilement groupé dans les cinq premières classes tous les animaux qui lui étaient le mieux connus , avait relégué dans la sixième une multitude d'espèces, presque toutes habitantes des rivières, des étangs, des lacs, et sur- tout des mers. La science manquait alors de notions exactes sur l'organisation de ces espèces; mais le peu que l'on savait sur elles, suffisait pour que l’on reconnût l'impossibilité de les faire rentrer, soit dans le groupe des insecta , soit, à plus forte raison , dans les classes supérieures. | Par un heureux concours de circonstances, cette sixième classe, que Linné lui-même avait été contraint de laisser si confuseet si obscure ; cette sixième classe, presque comparable aux species incertæ sedis des | CLASSIFICATION DE CUVIER. 141 botanistes, fut précisément Tune de celles que Cuvier, dès le début de ses travaux, se trouva le mieux à por- tée d'étudier. Instituteur des enfants d’une noble fa- mille dont le château était situé en Normandie , sur les bords de la mer, Cuvier, encore inconnu des z00- logistes, et déjà presque digne d'être placé à leur tête, consacrait ses loisirs à l'observation de ces myriades d'êtres marins dont quelques naturalistes avaient à peine essayé avant lui de pénétrer l'organisation. Seul, avec quelques livres, son ardeur-de savoir, sa persévérante sagacité, et pour ne pas oublier cette cause en apparence accessoire, en réalité si puissante de ses premiers succès, avec son immense talent de dessin , il marchait de découvertes en découvertes, et préparait pour la classe des vers une réforme qu'à peine arrivé à Paris, il put en effet proclamer et bien- tôt faire accepter de tous. Dans les prétendus vermes, il avait reconnu trois types principaux : les véritables vers, ou, selon la nomenclature actuelle, les annélides qui ont de nombreux rapports avec les iasecta de Linné; puis les mollusques et les zoophytes; grou- pes immenses, eux-mêmes subdivisibles en plusieurs vastes sections que l’on reconnut bientôt correspon- dre par leur degré d'importance, non à des ordres, mais à ce que Linnéet tous les naturalistes depuis lui ont nommé et nomment des classes. C'est ainsi que Cuvier fut conduit à reprendre par sa base la classification de Linné, et qu'il devint le second législateur de la zoologie. PTE, nr ere A A RON VAE Po dt ms D ape A me A 214 CLASSIFICATION DE CUVIER. Les innovations qu’il opéra, se ramènent à deux principales. La première fut l'addition aux quatre premières classes de Linné d’un grand nombre d’au- tres classes formées aux dépens des insecta et des ver- mes. La seconde , rendue nécessaire par la première, fut l'établissement, entre les classes devenues si nombreuses, et le. groupe suprême, le règne ani- mal, de divisions d’un ordre intermédiaire qui furent nommées embranchements. Ainsi fut fondée la cé- lèbre classification dont le. Règne animal, après divers essais et changements partiels, offrit enfin, en 1817, unua complète et le TR ae Jen indiquerai, autant qu'il est possible en quel- ques pages, l'esprit, la valeur, et d’abord, sans entrer dans aucun détail, le plan général (1). EL. Soit qu'on essaie, comme on le fait d'ordinaire ; de rapporter tous les animaux à üne seule série li- néaire , soit que l'on veuille considérer avec moi tous les groupes nombreux comme divisibles en plusieurs séries parallèles , une classification naturelle tend tou- jours au même but, savoir : disposer, selon l'ordre de leurs affinités , tous les êtres que comprend la classifi- cation ; en d’ autres termes, placer les uns près des autres ceux qui se ressemblent le plus, et écarter à (1) Les remarques qui vont suivre , ont déja ete présentées en. partie dans l'article Zoologie de l'Encyclépèdié du dix-neuvième siècle. CLASSIFICATION DE CUVIER. 143 très-grande distance ceux qui diffèrent profondément _ par leur organisation. La conséquence logique et nécessaire de cette don- née fondamentale de toute classification naturelle, est que les deux types les plus différents, où si l’on veut, les deux modifications extrêmes de l’animalité, se trouvent placés aux deux extrémités du Règne ani- mal, tous les autres êtres étant disposés intermé- diairement. Or, ces deux types-extrêmes sont né- cessairement le type le plus complexe, celui dont le développement organique a été porté le plus loin, et le type le plus simple; ou encore, et quoique je considère ces expressions comme peu exactes, je les cite parce qu'elles sont généralement usitées, le type ‘le plus parfait et l'ébauche, la plus in- forme de l'animalité. De ces' deux types, le pre- mier est re: par l’homme, le second par la monade. Les deux points éatrénise de la série animale étant ainsi déterminés , cette. question se présente aussitôt : est-il plus rationnel de placer l’homme en tête dela sé- rie animale, et de descendre graduellement de ce type’ plus complexe, par des or ganisations de plus en plus simples, jusqu’à la monade, dernier terme de la sé- rie? Ou bien , vaut-il mieux, selon un ordre inverse, s'élever, en partant de la monade, vers des êtres moins simples, de ceux-ci à d’autres plus complexes encore, çt ainsi de suite, jusqu’à l’homme qui serait alors le terme extrême, et comme le couronnement 2. l 44 CLASSIFICATION DE CUVIER. du règne animal ? Autrement, la série doit-elle être descendante ou ascendante ? | Les deux méthodes, précisément inverses , que je viens d'indiquer, ont eu toutes deux leurs partisans, et il en devait être ainsi; car l’une et l’autre ont égale- ment en leur faveur un précepte logique. Classer le règne animal en série descendante , c'est procéder du connu à l'inconnu ; car l'homme, après lui les mam- mifères, et après eux, les autres vertébrés , sont né- cessairement les mieux connus de tous les animaux, tandis que l’histoire des êtres les plus simples, tous petits ou mêmes invisibles sans le secours du micro- scope , presque tous habitants des eaux, reste encore enveloppée de ténèbres profondes. D'un autre côté, classer le règne animal en série ascendante , c'est pro- céder du sim ple au composé ; Cest s’avancer suivant l’ordre de la nature elle-même : car c’est ainsi qu’elle- même procède dans Ja formation de chaque être en particulier, et qu'elle semble avoir procédé, sous un point de vue général, dans la création du règne ani- mal tout entier. | Pour quiconque réfléchit sur les conséquences qui dérivent de ces aperçus, il sera évident que de ces deux méthodes inverses, l’une, par série ascendante, procédant du simple au composé, est, sous le point de vue théorique, la plus rationnelle : mais l'autre, par série descendante , procédant du connu à in- connu, est la plus facile dans la pratique, disons méme la seule praticable dans l étude des faits de dé- CLASSIFICATION DE CUVIER. 145 tail et dans toutes les recherches spéciales; par con- séquent , celle qu'il convient de préférer, sinon dans les travaux d’un ordre élevé et philosophique, au moins dans ceux qui constituent lœuvre ordinaire du zoologiste. De là il est arrivé que Lamarck , esprit méditatif, synthétique, essentiellement dirigé vers la théorie et abstraction, a adopté l’ordre ascendant comme le plus: rigoureusement rationnel, comme celui qui sa- tisfait le plus complétement l'esprit. Cuvier, au con- traire, esprit plus positif, et dirigé plutôt vers la découverte des: faits par l’analyse que vers leur ab- straction et leur généralisation par la synthèse; Cuvier, comme avant lui Linné et plusieurs autres, a suivi l'ordre descendant : l’homme est pour lui le premier terme de l'animalité, la monade le dernier, et tous les êtres intermédiaires offrent autant de degrés de simplification successive, ou, suivant l'expression ordinairement usitée, de- dégradation. Cet ordre descendant est aussi celui qu'ont adopté presque tous Jes auteurs qui ont écrit depuis Cuvier, et ilestaujour- d'hui consacré par l'usage en même temps qu'impé- rieusement commandé, pour l'étude et l'analyse des faits, par les besoins actuels de la science. IV. . Le plan général de la classification de Cuvier doit donc rester en dehors de toute contestation; -mais ZOOLOGIE GÉNÉRALE, 10 DR A E a OE 146 CLASSIFICATION DE CUVIER. entre l'homme, premier terme ; et la monade, dernier terme de la série, tous les animaux occupent-ils le rang qui. leur est rationnellement assigné par leur degré d'organisation ? La série qui, d'e après le principe gé- néral de sa coordination , est descendante ; qui pro- cède du composé au simple , est-elle en effet disposée de telle sorte que chaque groupe présente une orga- nisation plus simple que le groupe qui le précède, plus complexe que le groupe qui le suit? C'est ce qu'exigent les impérieuses nécessités de la logique, et malheureusement , il faut le reconnaître, c’est ce qui n'existe pas toujours. À part quelques modifica- tions de détail dont il est inutile de parler, et dont assurément Cüvier eût été le premier à faire justice sil eût pu mettre à profit les résultats des progrès ré- cents de, la science, il est une interversion telle+ ment importante, tellement grave, que je ne puis me dispenser de la signaler ici : celle de l'embran- chement tout entier des mollusques et de l’embran- chement des articulés. Considérer les mollusques comme supérieurs par Ja complication et la perfection de leurs organismes, aux articulés, en d’autres teriñes, et les résultats de cette comparaison plus spéciale séront plus fr appants, s; placer un céphalopode au- dessus d’un crustacé, un ptéropode ou un gastéropode au-dessus d’une arachnide, un avéphale ou un bra- chiopode au-dessus d'un insecte, Cest ‘sacrifier évi- demiment une foule de considérations de la plus haute importance à un seul ordre de caractères, ceux que CLASSIFICATION DE CUVIER. 147 fournit la circulation. C’est, sans nul doute, en décou- vrant dans les poulpés , dans les sèches, dans les cal- mars, cet appareil circulatoire si riche et si bien comparable à celui des vertébrés , que Cuvier s'est laissé entraîner à voir en eux les êtres les plus rappro- chés de ceux-ci. Mais cette perfection de Vappareil circulatoire, qui avait si vivement frappé: Cuvier chez les céphalopodes, ne peut aujourd hùi être considérée comme un sup tes en faveur de la su- périorité des mollusques sur les articulés : car une partie de ceux-ci, et tels sont surtout les crusta- cés décapodes, ont une circulation tout aussi com- plète et tout aussi compliquée que celle des cépha- lopodes eux-mêmes. De plus, non-seulément les crustacés, maïs aussi les arachnides et les insectés . l'emportent infiniment sur l'ensemble des mollusques, soit par l’organisation de tous les autres systèmes, notamment de leurs organes des sens , de leurs mem- bres articulés, de leur squelette dont la disposition est si remarquable, et de leur système nerveux; soit sur- tout par les phénomènes infiniment variés et par les admirables instincts qui rendent si intéressante l'étude de chacun de leurs genres. Dans ces derniers temps, la question a d’ailleurs été tranchée d’une manière directe et décisive : en démontrant que le système | nerveux des mollusques représente le Système nerveux des articulés tel qu'on l'observe avant son entière évo» lution, chez les larves par exemple, M. Serres a con- s r 4 aa A ? ° Eaa “ firmé, par un argument d’une immense valeur, toutes A 7 a S RE PETER LME RÉ mir 7 -148 CLASSIFICATION DE CUVIER. lés autres preuves que l’on pouvait donner de la supé- riorité des articulés sur les mollusques. Ainsi déjà, et en supposant que les quatre em- branchements doivent subsister avec leur caractéris- tique et leurs limites actuelles, l’ordre selon lequel Cuvier les a rangés , doit subir une modification très- importante : le troisième embranchement doit être reporté avant le second. Si maintenant nous passons à à l'examen de la com- position elle-même des embranchements, d'autres remarques non moins importantes se présentent aussitôt. Est-il, en effet, conforme aux véritables rapports naturels de doii le règne animal en quatre embranchéments? Et si les quatre embranchements doivent être admis, doivent-ils rester composés et limités, comme ils le sont dans la classification de Cuvier ? - Fe M. de Bhrville + est le premier qui se soit refusé à adopter la division, presque consacrée par l'usage, en quatre embranchements. Selon lui, le règne animal doit être par tagé, non en quatre groupes principaux, mais en trois, le premier, comprenant trois des embranchements de Cuvier; les deux derniers groupes, correspondant au codé: tous deux en- semble, à un seul des embranchements de Cuvier, le dernier. M. de Blainville réunit donc plus intime- ment que Cuvier les embranchements supérieurs; il établit , au contraire ; parmi les animaux inférieurs, une division fondamentale négligée par Cuvier. | CLASSIFICATION DE CEVIER. 149 Ce n’est pas ici le lieu d'exposer les principes sur lesquels M. de Blainville a basé la nouvelle classifica- tion proposée par lui ; encore moins ai-je à signaler ici la confirmation remarquable des idées de M. de Blain- ville que j'ai trouvée, sans même l'avoir cherchée, dans une autre série de travaux (1), et à déter- miner si la préférence doit être accordée à la mé- thode de Cuvier ou à celle de M. de Blainville, si le règne animal doit être divisé en quatre groupes principaux, ou en trois, dont l’un subdivisible à son tour en trois autres. Maïs il suffit qu’un zoologiste aussi éminent que M. de Blainville ait cru devoir proposer, si peu de temps après les travaux de Cu- vier, de nouvelles bases de classification, il suffit que les esprits soient dès aujourd'hui partagés, pour que la conservation, dans un avenir éloigné des quatre embranchements, doive être regardée comme très- peu probable. RRR Si cependant , up mes prévisions , l'avenir donnait gain de cause à Cuvier, si la célèbre division du règne animal en quatre embranchements était cénshorée par les progrès ultérieurs de .la science, j'oserais du moins affirmer que ces quatre aina chements ne resteront pas définis et limités comme ils l'ont été par leur premier fondâteur. Le premier, ou celui des vertébrés, est le seul qui paraisse ne (1) On peut consulter à ce sujet mon Histoire générale et particulière des Anomalies, t, IL, p. 397: et t. IIT, p. 459. 150 CLASSIFICATION DE CUVIER devoir pas éprouver de modifications fondamentales. À l'égard des autres, non-seulement la nécessité en est évidente pour lavenir ; mais, dès à présent , elle se fait vivement sentir, et déjà même pelle est en partie démontrée par divers travaux récents. Parmi les rayonnés, par exemple, la classe des in- testinaux, celle des infusoires, ne peuvent être évidem- ment considérées que comme dés groupes provisoires, et telle était au reste l'opinion de Cuvier lui-même. Mais, de plus, une grande partie des êtres compris dans l’une et l'autre de ces deux classes n’ont aucun ou presque aucun des caractères qui, d'après la dé- finition _ générale , distinguent un animal rayonné. Quant aux infusoires en particulier , classe fondée sur cette présomption admise tacitement et sans examen, qu'un animal invisible à l'œil nu doit être très- simple, les observations récentes ď Ehrenberg ont en quelque sorte renouvelé cette partie de la zoologie : il est démontré aujourd’hui que l'infinie petitesse n'exclut pas une très-grande complication dans Por- ganisation interne. Dans embranchement des articulés , les annélides s écartent beaucoup plus de toutes les autres classes que celles-ci ne diffèrent entre elles. La classification subira sans doute & encore ici un changement de quel- que importance. , Enfin l’une des classes que Cuvier comprenait dans le second embranchement, les cirrhopodes, ou, comme on les nomme plus ordinairement, les cirripèdes, | CLASSIFICATION DE CUVIER, 151 ont été séparés des mollusques, d'abord par M. de Blainville et quelques zoologistes qui ont vu en eux un type intermédiaire entre les mollusques et les articulés; puis, tout récemment, par d'autres observa- teurs, et notamment par mon savant ami M. Martin Saint-Ange, qui ont fait plus encore : car les recher- ches approfondies auxquelles ils se sont livrés sur lor- ganisation des cirripèdes, et leurs observations sur l’état primitif et sur les métamorphoses de ces singu- liers animaux , ont montré qu'il faut reconnaître en eux de véritables articulés. Ainsi, dans l'état présent de la science, les cirripèdes ne sont plus des mol- lusques par lesquels s'opère la transition du second ‘embranchement de Cuvier aux animaux articulés, mais au contraire des articulés qui lient, sous plu- sieurs points de vue, leur embranchement avec celui des mollusques. Si de telles modifications sont indiquées pour un avenir prochain ou même déjà réalisées; si, dès au- jourd’hui, la nécessité a été reconnue d'un changement dans ordre relatif, dans les limites, et peut-être même dans le nombre des embranchements principaux du règne animal; si, par les seuls progrès accomplis en quelques années, l'édifice a été ébranlé jusque dans ses fondements, il est évident qu'il devra en être un jour de la classification de Cuvier comme de celle de Linné. Après avoir, comparativement à celle-ci dont elle procède, constitué dans la science un immense perfectionnement , elle devra à son tour 152 CLASSIFICATION DE CUVIER. être profondément modifiée : ainsi le veut la marche incessamment progressive de l'esprit humain. Cuvier Ini-même, comme je lai déjà indiqué, avait prévu à avance et accepté cette nécessité avec ce lucide juge- ment qui formait l'un des caractères éminents de son esprit; et j'oserais affirmer que s'il eût été con- servé à la science, il eût été le premier à accueillir des innovations dans la méthode, que d’autres, par un respect plus honorable que sagement entendu, se sont empressés de repousser en son nom. | - Dans la série des travaux par lesquels la classifica- tion offrira enfin une expression vraiment satis- faisante : des. rapports des êtres, le Règne animal tiendra donc toujours une place élevée, mais non un rang éminent entre tous. Il pourra être placé à côté, mais non au-dessus de la méthode du Systema na- turæ et des principales méthodes auxquelles on sera conduit. par les progrès: ultérieurs de la science. : Dans la longue chaine qui représenterait tous ces tra- vaux, le Règne animal ne serait donc ni le premier ni le dernier anneau ; et c’est pourquoi , quelle que soit l'importance momentanée de ce livre, quelle qu'ait été son. influence sur les zoologistes de l'époque ac- tuelle, il ne saurait vivre aussi longtemps dans la postérité , et, dès aujourd'hui, il ne doit pas occuper dans notre estime une place aussi élevée que les trois autres grands ouvrages de Cuvier. SUR LES TRAVAUX ZOOLOGIQUES ET ANATOMIQUES DE GOETHE. - Rapport fait à l’Académie des Sciences, dans sa séance du 12 mars 1838 re L'Académie a renvoyé à l'examen de deux de ses membres, M. Auguste de Saint-Hilaire et moi, la traduction des OEuvres d'histoire naturelle de Goethe, tout récemment faite et publiée par M. le docteur Martins. M. Auguste de Saint-Hilaire, que l'état de sa santé retient malheureusement loin de l'Académie, lui enverra prochainement de Montpel- lier son rapport sur la partie botanique de cet im- portant ouvrage os je présente aujourd’ hui la portion du travail dont ÿ jai été spécialement chargé, c c'est-à- dire l'analyse des principaux travaux zo0logiques et anatomiques de Goethe. ; (1) Cet article étant un rapport demandé par l'Académie dé LS ces, jai cru conyenable de le reproduire ici sans aucune modification, et tel qu'il a été inséré dans les Comptes rendus des séances de l'Aca- démie, t. VI, page 320. (2) Voyez Comptes rendus, t. VIT, p. 434. io DÉS A RON 6 5 mg = DE a 154 TRAVAUX ZOOTOMIQUES DE GOETHE. Vos Commissaires, en. effet, ont Pun et l'autre pensé que la mission qu'ils tiennent de l'Académie ne saurait se borner à une simple appréciation de la fidélité et de l'opportunité de la traduction; mais qu'ils devaient remonter jusqu'à l’auteur lui-même, et essayer de le suivre dans la voie scientifique où, l'un des premiers parmi les zootomistes allemands, il s'est engagé et s’est avancé sans cesse d'un pas si ferme. En donnant à nos rapports cette extension , nous avons cru les rendre : à la fois plus dignes Š l'Académie et plus. ntiles à la science; ils pourront contribuer à détruire des opinions très-inexactes et encore très-généralement répandues sur Îles travaux scientifiques de Goethe, et hâter le moment où ce grand nom prendra, dans l'histoire de l'anatomie philosophique, le rang élevé auquel il a droit. I. La gloire littéraire de Goethe a longtemps éclipsé, sinon pour l'Allemagne, au moins pour l’étra anger, son mérite scientifique, En saluant en lui dès la ûn du dix-huitième siècle, et ayec une admiration presque égale à celle de l Allemagne'elle-même, le plus illustre représentant de la littérature germanique tout entière , Europe, et la France en particulier, a tenu, jusqu'il y a dix ans, ses travaux d'anatomie philoso- phique dans un oubli presque complet, En 1820, et plus tard encore, les biographes et les critiques fran- cais se taisaient encore entièrement sur eux, OÙ bien, TRAVAUX ZOOTOMIQUES DE GOETHE. 155 pour faire sentir l'universalité des connaissances du poëte de Weimar, se bornaient à remarquer qu’il était aussi, comme Voltaire, auteur de quelques écrits scien- tifiques: et par là, on croyait presque faire preuve d’une érudition Fe da qui d'ailleurs ne s'éten- dait jamais jusqu’à la connaissance directe, ‘et encore bien moins jusqu’ à l'appréciation de ces écrits. En 1830 même, quoique trois ans auparavant justice eût été rendue par M. de Candolle aux travaux botaniques de Goethe, son intervention dans une discussion cé- lèbre élevée au sein de cette Académie étonna encore . comme un événement imprévu et presque singulier, Enfin, aujourd hui, beaucoup de personnes instruites ignorent encore si Goethe s'est borné à revêtir des couleurs -de son admirable style et à propager des idées déjà existant dans la science, ou s'il a pré- tendu à la gloire plus brillante de l'inventeur; et les naturalistes eux-mêmes hésitent à reconnaître pour un des leurs celui qu'ils se sont accoutumés depuis si longtemps à admirer ccomme poëte dramatique , comme romancier, et même comme chansonnier, Cette hésitation, quoique Goethe ait paru quel- quefois en être blessé , me.semble elle-même glorieuse pour lui. Elle marque, mieux que ne pourrait le faire une longue et minutieuse analyse, et , pour ainsi dire , mesure toute la distance qui sépare les œuvres poétiques et souvent fantastiques qui ont rendu le nom de Goethe populaire dans toute l'Europe, de ces recherches positives , de ces déductions ration- 156 TRAVAUX ZOOTOMIQUES DE GOETHE. nelles qui seules peuvent être reconnues et admises par la prudente sévérité de la science. Plus cette dis- tance est immense et peut sembler infranchissable , plus on a de peine à concevoir que la même main, qui a écrit Werther et Hermann, Faust et Eg- mont, ait pu tenir habilement le scalpel de l’anato- miste, et plus il est admirable de voir ce prodige accompli par la plus rare alliance de qualités intel- lectuelles ordinairement exclues l'une par l’autre. Pour essayer de détruire enfin les opinions précon- çues qui ont refusé si longtemps et contestent encore à Goethe le titre de naturaliste, la simple indication de quelques faits, tous authentiques et empruntés à Goethe lui-même, la citation de quelques dates, sont les meilleurs et les plus courts arguments que je puisse invoquer. Et ici, l'intérêt qu'offre pour lhis- toire de la science l'appréciation des travaux d'un homme tel que Goethe, et la grandeur exceptionnelle de ce nom, me serviraient sans doute d’excuse aux yeux de l'Académie, si quelques-uns des courts dé- tails qui vont suivre lui paraïssaient sortir du cercle de’ses occupations habituelles, IL. Le goût prononcé de Goethe pour l'histoire natu- relle, depuis son adolescence jusque dans son extrême vicillesse, est attesté par une multitude de témoi- gnages. Enfant, Goethe, presque à son insu, nour- rissait déjà son esprit des premières notions de cette TRAVAUX ZOOTOMIQUES DE GOETHE. 157 science, en visitant et rangeant une petite collection possédée par son père (1). Jeune homme, il suivait avec ardeur les enseignements scientifiques des prin- cipaux professeurs i cette époque : au point que venu, vers 1770, à Strasbourg, pour y prendre le ass de duta en droit, il se décida prompte- ment à n'apprendre de jurisprudence que ce qui lui était nécessaire pour ses examens, €t se livra avec ardeur à étude de la chimie, de l'anato- mie, de la médecine et de Vart lui-même des ac- couchements : le chimiste Spielmann et l’anatomiste Lobstein le comptèrent alors au nombre de leurs élèves les plus assidus (2). Un peu plus tard, rentré en Allemagne, il passe, de ces premières notions élémentaires, à une investigation plus profonde des phénomènes naturels. Il fait, avec de jeunes amis, des courses géologiques et surtout des herborisations, tour à tour observant les faits, en cherchant les con- séquences, et surtout iiai profondément sur la détermination des organes des végétaux. A cette époque, dans laquelle il se qualifie modestement d'écolier auto-didactique (3), les trois noms qui agissaient le plus sur son esprit, étaient , lui-même le dit (4), Shakespeare, Spinosa et Linné; trois (1) Mémoires de GorrTHE. (2) Mémoires de GOETHE. (3) Voyez, dans la Traduction de M. Manvivs, page 200, l'histoire que Goethe donne lui-même de ses travaux botaniques. (4) Ibid. page 205. TT ÉONECIC ESS = / HR PTE T eaa ne 158 TRAVAUX ZOOTOMIQUES DE GOETHE. grands noms dont l'association dans’ la’ pensée de Groéthe exprime admirablement l'ardeur juvénile de ce génie, hésitant encore entre la poésie, la philoso- phie et la science , ou plutôt concevant déjà la pensée de se conquérir dans lavenir une triple gloire. Dans les années suivantes, en Allemagne et ensuite en Italie, Goethe poursuit son plan de travaux scien- tifiques en même temps que littéraires. En 1780 , en particulier, sous la direction du professeur Loder dont il devient l'élève le plus assidu et l'ami , il achève de se faire anatomiste, et déjà même, peu satisfait de la science de son temps, il essaie d’en franchir les limites en se créant des méthodes nouvelles. Tel était alors son désir de s'instruire , et cet exemple seul montre- rait par quelles études solides et positives Goethe a préludé à ses publications scientifiques; tel était sóni zèle pour l'anatomie, qu'il fit , de cette même main qui déjà avait écrit Goetz ét Werther, un grand nombre de préparations ostéologiques , destinées à enrichir le musée d'Iéna, en même temps qu'à Jui fournir à lui-même des matériaux et des moyens de vérification (1 (1). Ce fut en 1786 que fut composé. (mais non pu- blié) le premier mémoire zootomique de Goethe , et dès lors, jusqu’à la fin du dix-huitième fte de nouvelles publications, toujours dirigées suivant les 1) Voyez l'Histoire: des travaux anntómiguessde l'anteir. traduction 4 ; de M. Martins, pe 96. TRAVAUX ZOOTOMIQUES DE GOETHE. 159 mêmes idées , se succèdent : à des intérvalles assez rap- prochés, Ainsi trois mémoires Où articles appar- tiennent aux années 1 793; I 59 et 1796, Après eux, tiðüs trouvons , il est vrai, une lacüñe. En laissant de côté la traduction faite, en 1803, de l'ouvrage du cé- lèbre Benvenuto Cellini , bien que ce grand artiste y ait'placé plusieurs chapitres d'anatomie pittoresque, et que Goethe se soit sans nul doute complu dans leur étude; en omettant aussi une note assez courte ré- digée en 1807, les travaux zootomiques de Goethe ne recommencent avec activité qu’en 1819 : mais aussi, après cetje année, trouvons-nous à peine quelque interruptiôn un peu longue, comme le montre la sé- rie des années 1620, 1822, 1823, 1824, 1830 et 1832, toutes marquées par la publication d’un ou de deux articles zootomiques de Goethe. Ces mémoires ou no- tices, dont le nombre est de quatorze, ont paru pour la plupart, et ce n’est pas la moindre preuve du zèle actif et persévérant de leur auteur pour la science, dans un Journal d'histoire naturelle, fondé et dirigé par Goethe lui-même (1). En outre, et sans pbs ici de ses mémoires non moins nombreux sur la physiologie végétale, de ses notices géologiques sur plusieurs contrées de Alle magne , et surtout de son ouvrage sur l'optique et les couleurs, qui restent tout à fait en dehors de mon a) Zur Natur e ie dé überhatpt, besonders zur r Morphotos fe. Statigardt et Tubingue, 4 vol., 1817 à 1825. 160 TRAVAUX ZOOTOMIQUES DE GOETHE: examen, on doit à la jeunesse de Goethe plusieurs autres travaux zootomiques que l’auteur wa point lui-même mis au jour, mais qui, communiqués par lui à divers anatomistes allemands, et honorablement cités par eux, sont un peu plus tard entrés dans la science. Il en est ainsi, par exemple, des recherches de Goethe sur le crâne des mammifères, dont les ré- sultats , publiés en partie par Loder et Sœmmering > ont surtout contribué à fixer l'attention des anatomis- - tes sur une pièce tour à tour appelée os transversal, pa- riétal impair, épactal, os de Goethe (1) et interpariétal. En présence de faits qui attestent des études pré- liminaires , solides, pratiques et poursuivies avec per- sévérance pendant quinze années; en présence de travaux aussi nombreux et continués par lauteur presque jusque sur son lit de mort (2), les droits de Goethe au titre de naturaliste ne sauraient être un instant douteux. Assurément , si l'homme qui a fait tout cela , n'eùt pas été en même temps l’un des plus grands poètes, le plus grand peut-être de l'Allemagne, l’idée ne fût venue à personne de n’attribuer à Goethe que des vues poétiques sur la nature , ou bien , selon les expressions employées par lui-même pour carac- tériser quelques pensées jetées dans ses premiers ou- a (1) Os Gœthianum. (2) Le second des articles consacrés par Goethe à la célèbre discus- sion de 1830, a été composé trés-peu de temps avant la mort de ce grand homme; c'est le dernier écrit qui soit sorti de sa plume. TRAVAUX ZOOTOMIQUES DE GOETHE. 16: vrages littéraires, des désirs de Connaître qui s'éva- poraient en vagues et inutiles contemplations. Et surtout, si la vie de Goethe, cette vie dans toutes les phases de laquelle la science a eu une si belle part , eût été plus complétement connue, nul n’eüt admis cette erreur, encore partagée par plusieurs, que les travaux scientifiques de Goethe se réduisent à quelques brillants essais de jeune homme et à quel- ques réminiscences de vieillard. Toutes ces opinions préconçues, que j'avoue avoir conservées très-long- temps, et qui ne sont tombées que devant un examen approfondi des faits, sont nées du sentiment, exagéré peut-être , que nous avons tous, sans même y avoir réfléchi, sur l'immense différence des conditions psy- chologiques qui tendent à constituer le poëte et le na- turaliste, et des facultés par lesquelles ils se distinguent: lun s’élançant hardiment vers l'idéal; lautre fixant ses sens et sa pensée sur le monde réel et sur les faits positifs, sans cependant qu'il lui soit interdit de s'élever parfois, et pour ainsi dire de planer à une grande hauteur au-dessus d'eux, pour en contempler l'ensemble. IL. J'essaierai maintenant de donner une idée de la direction et des résultats des travaux zootomiques de Goethe. Ici, à la difliculté de parler dignement de Goethe, de ce génie à l'égard duquel, selon une cé- lèbre expression , l'examen n’est même pas permis; à ZOOLOGIE GÉNÉRALE. 11 162 TRAVAUX ZOOTOMIQUES DE GOETHE. cette difficulté, si grande pour tous , S'ajoute encore pour moi celle d'analyser des travaux qui offrent, avec ceux de mon père, une analogie frappanté, et parfois même une identité complète. L'un en Alle- magne, l'autre en France, n’ont cessé de marcher parallèlement, et souvent de front, sans le savoir, et même, comme on le verra, sans qu'il leur fåt pos- sible de le savoir, vers une semblable rénovation de l'anatomie comparée. RS o an PRE RE RE TRE E anena -y Il est donc ici, on le sentira facilement, plusieurs questions que je ne puis aborder, au moins dans un moment où j'ai Thonneur de parler comme rappor- teur de l'Académie, et je me serais même entière- ment abstenu, si, pour ce qui concerne Goethe en particulier, de hautes convenances ne m'imposaient de devoir de présenter ici de simples remarques histo- riques bien plutôt que d'émettre un jugement scien- tifique sur des travaux signés d’un aussi grand nom. Cette similitude et, pour ainsi dire, ce parallélisme des idées de Goethe et de celles de mon père, va d’ailleurs, à quelques égards, simplifier et abréger ma tâche, puisqu'il s'agira pour moi, non d'exposer des vues particulières à Goethe, plus ou moins com- plétement nouvelles pour nos esprits, et par suite inntelligibles sans de longs développements, mais seulement de faire connaître la pensée de Goethe sur des questions souvent controversées dans le sein même de l'Académie. ! | L'illustre auteur de ? Allemagne , cherchant à ap- TRAVAUX ZOOTOMIQUES DE GOETHE. 163 précier Goethe sous le rapport littéraire, a dit :* x Quand il s'agit de penser, rien ne l'arrête, ni son > siècle , ni ses habitudes, ni ses relations, » Tel est aussi Goethe sous le rapport scientifique. Pour me restreindre ici à ses travaux zootomiques, dès ses Premières études sur l’organisation, il repousse loin de lui le joug d'opinions que l’asséntiment unanime des auteurs et la parole si respectée de ses maîtres tendaient également à lui imposer : opinions dont la puissance était telle qu'aujourd'hui même, après un demi-sièclé et plus; une partie d’entre elles règnent encore souveraines dans plus d’une école de haut enseignement. Ce qui; au premier abord, blesse surtout cet esprit ami de la simplicité et de l'unité ) cest la diversité bizarre et contradictoire de toutes ces nomenclatures anatomiques , vétérinaires et autres encore, imposant des noms différents à des orga- nes analogues (1), et scindant ainsi la science en . parties presque étrangères les unes aux autres ; c’est aussi l'arbitraire et l'empirisme aveugle qui président à la détermination et à la description: des diverses : parties de l'être > par exemple, à celles des os de la tête humaine telle qu'elle était alôrs considé- rée (2), et je puis ajouter, telle qu’elle l’est encore le plus souveñt par les anthropotomistes ; c’est enfin le partage de presque tous les naturalistes d'alors en (1) Voyez, dans la traduction de M. Martins, p: 24 et 65! (2) Zbid,, p. 44 164 TRAVAUX ZOOTOMIQUES DE GOETHE. deux classes, les uns attachant servilement au fait matériel (1), les autres recourant sans cesse aux causes finales , et par là, dit Goethe, s'éloignant de plus en plus de l'idée vraie d'un étre vivant. Après avoir fait ces critiques et dressé cette sorte d'acte d'accusation contre l’état de la science vers la fin du dix-huitième siècle, Goethe cherche comment une voie nouvelle et meilleure pourrait être ouverte aux investigations des auteurs; et aussitôt il signale deux progrès à accomplir. Lun, et celui-ci est aujourd’hui si bien consacré, au moins en principe, qu’il est nécessaire de mettre à côté de ces idées leurs dates, 1786, 1795, 1796 , C'est l'intime fusion de l'anatomie humaine et deľanatomie comparée. La dissection des animaux, dit-il dans un passage dont M. Martins a fidèlement rendu le sens général, mais que je préfère traduire ici plus littéralement, doit toujours étre à côté de celle de l'homme (2). Le second progrès , par lequel seul, suivant Goethe, peut être renouvelée ou plutôt fon- dée l'anatomie comparée, et c'est vers celui-ci que l'auteur a constamment dirigé ses travaux, c’est l’éta- blissement, autant que possible d'après les fonc- tions, d'un ype anatomique (axaromisemer Typus), nantes à re à APP z D PERS eene = T pi! ma TE PO rer e - m i en. | A) i aaie aeaii n ÿ BE £] | f | [| Ei 1 nr "ot" a (1) Voyez dans la traduction de M. Martins, p. 24 (2) Erster Etnwurf einer allgemeinen Einleitung in die vergleichende Anatomie, dans le Zur Morphologie, t. I, p. 147. La même idée est ensuite reproduite dans les Vortræge über den Entwurf, etc., ibid., p. 261 et 262. Voyez la traduction de M. Martins, p.23 et 63. TRAVAUX ZOOTOMIQUES DE GOETHE. 165 d'un modèle universel (ALLGrMEINES Brp), lequel, dit l'auteur, doit être idéal, et ne saurait exister dans aucun être vivant en particulier, la partie ne pouvant être l'image du tout (1). La pensée de Goethe, enve- loppée ici dans des expressions très-abstraites , est Mise heureusement dans tout son jour par d’autres passages, éclairée par la discussion de plusieurs cas particuliers donnés comme exemples, et jusqu'à un Certain point complétée par l'indication des deux faits généraux que mon père a nommés principe du balan- cemeñt des organes et principe des connexions; tant ces trois idées générales sont intimement liées entre elles, et tant l'esprit qui a concu l’une se trouve in vinciblement entraîné vers les deux autres par ses méditations ultérieures. Voici le passage très-explicite dans lequel Goethe indique le principe du balance- ment des organes, et les lignes moins précises dans lesquelles il énonce son opinion sur la fixité des con- nexions. « Il existe, dit-il, une loi en vertu de laquelle » une partie ne saurait augmenter de volume qu'aux » dépens d’une autre, et vice versä. Telles sont les _» barrières dans l’enceinte desquelles la force plasti- que se joue de la manière la plus bizarre et la plus arbitraire, sans pouvoir jamais les dépasser ; cette force plastique règne en souveraine dans ces limites (1) Erster Entwurf, etc., loc, cit., p. 150; traduction de M. Mar- tins, p. 26. 166 TRAVAUX ZOOTOMIQUES DE GOETHE. » peu étendues, mais suffisantes à son développe- » ment. Le total général, au budget de la nature, » est fixé; mais elle est libre d'affecter les sommes » partielles à telle dépense qu'il ui plaît (1). » L'au- tre principe est ainsi exprimé : « L'ostéogénie est con- '» stante en ce qu'un même os est toujours à la » méme place et a la même destination (2). » Et ail- leurs , presque dans les mêmes termes : « Ce qui est » constant, Cest la place qu'un os occupe dans » l'économie, et le rôle qu'il y joue (3). » Tous ces passages , que leur intérêt pour Fhistoire de la science me commandait de citer textuellement, sont extraits de deux Mémoires étendus, les plus im- portants peut-être que l'auteur ait composés, et cèpendant modestement intitulés par lui: Plan d'une introduction générale à l'anatomie comparée, basée sur l’ostéologie. Je serai doublement juste, en no- tant ici l’époque de leur rédaction, et celle, très-diffé- rente, de leur publication. Ils ont été achevés, l’un en 1705 , l’autre en 1796, comme le prouve leur commu- nication dès lors faite à plusieurs des sommités scien- tifiques de l'Allemagne, à Camper, à Loder, à Sœmme- ring, à Blumenbach, à notre illustre confrère M. de Humboldt; mais ils wont été publiés que beaucoup plus tard, en 1820. « Pour l’histoire de la science, » `i (1) Traduction de M. Martins, p.30: {ay Ibid.. p. 4te (3) Ibid., p- 49. TRAVAUX ZOOTOMIQUES DE GOETHE. 167 dit M. Martins après avoir cité ces dates dans sa préface (1), « il est intéressant de constater que les créateurs de l'anatomie philosophique en France ne Pouvaient avoir aucune connaissance des travaux (restés inédits) du poëte allemand, et que cette grande idée a été conçue en même pu et à la même époque chez les deux nations. i Dans un autre ordre de iaai dont la liaison est d’ailleurs évidenteavec celles qui précèdent, Goethe, de même encore “ie mon père, et dé même de la FETES des causes finales , et admet l’action des modific icateurs ambiants sur PaA ; d'où résultent , ajoute-t-il, sa Perfection intérieure et [harmonie que présente son extérieur avec le monde objectif (2). Cette idée, simplement jetée en ces termes au milieu du Mémoire de 1795, est reprise et développée en 1822 par Goethe, dans une note écrite à loccasion de divers débris fossiles de tau- reaux, découverts en 1819 et 1820, dans le Wurtem- berg. Là, Goethe cite en entier, déclare approuver complétement, et appuie de quelques remarques nouvelles un passage du docteur Koerte , destiné à expliquer comment les formes crâniennes du . taureau fossile ont pu se modifier peu à peu, et + (1) Page v. (2) Traduction. p. 30. 168 TRAVAUX ZOOTOMIQUES DE GOETHE. donner lieu finalement aux formes que nous aper- cevons aujourd'hui dans diverses races vivantes. Enfin, si étroites que soient les limites entre les- quelles je dois resserrer cette analyse, je citerai encore le Mémoire, écrit en 1793 , dans lequel l’auteur, en faisant quelques emprunts au système de Kant, traite de l'expérience considérée comme médiatrice entre l'objet et le sujet. Dans ce travail, que le traducteur a placé comme une excellente introduction à la tête de l'ouvrage tout entier, Goethe insiste sur la nécessité de composer la science, non pas seulement d’obser- vations isolées et de vues très-générales, mais aussi de vérités d’un ordre intermédiaire; d’aller de proche en proche, et de tirer les conséquences les unes des autres (1). « Cette méthode prudente, dit-il, nous » vient des mathématiciens, et quoique nous ne » ‘fassions pas usage de calculs, nous devons toujours a. PNS comme si nous avions à rendre compte » de nos travaux à un géomètre sévère. » On peut juger, par cette phrase, si Goethe, dans la science encore , croyait devoir rester poëte et se laisser aller à toutes les inspirations de sa brillante imagi- nation. IV. Je craindrais d'abuser desmoments de l Académiesi, ; TRA Cr: K i de l'analyse des idées générales de Goethe, je passais 5 Jep me (1) Traduction, p. 12. TRAVAUX ZOOTOMIQUES DE GOETHE. 169 à l'indication des nombreuses applications qu'il en a faites à diverses questions particulières. Il en est deux, toutefois, que je ne puis omettre entièrement, ne füt-ce qu’à cause de l'importance très-grande qu'at- tachait Goethe, et que les Zo0tomistes les plus distingués de l'Allemagne attachent encore à l'une et à l’autre. ag a | Si Fon en croit les témoignages de Bojanus, de Carus, de plusieurs autres encore, et la déclaration formelle de Goethe lui-même, il aurait le premier abordé une question très-importante et surtout très- difficile, à la solution de laquelle se rattachent, à des titres divers, les noms de trois membres de cette Académie ,-M. Duméril, en 1808 ; M. de Blainville, en 1816 ; mon père, en 1824. Cette question est celle de la composition vertébrale de la tête. Goethe se promenait, en 1791, dans le cimetière des Juifs, au Lido, lorsqu'à la vue d’un crâne de mouton gisant sur le sol, il concut tout à coup la pensée que la tête résulte de l'union de plusieurs vertèbres modifiées . dans leurs formes et leurs dimensions. Malheureuse- ment pour l’anatomie philosophique , qui peut-être eût fait dès lors un pas important, Goethe s'en tint à ce vague pressentiment, où sil entreprit quelques travaux, il ne les livra pas à la publicité, Ce fut seule- ment en 1820, douze ans après qùe la découverte qu'il avait été sur le point de faire fut entrée dans la science par les travaux presque simultanés d'Oken et de M. Duméril ; ce fut même après les recherches 15 TRAVAUX ZOOTOMIQUES BE GOETHE., de plusieurs autres zootomistes, que Goethe reprit enfin les idées conçues par lui si anciennement, Le système dans lequel il les coordonna alors, ne s'ac- corde entièrement avec celui d'aucun autre auteur, mais les détails seuls varient et le fond des idées est exactement le même. T est donc impossible de consi- _dérer Goethe, avec Carus et surtout Bojanus, comme l’auteur d’une découverte qu'il a seulement entrevue : toutefois, la conception seule, si incomplète qu’on la suppose, d’une vérité aussi difficile à démontrer, méritera d'être citée dans la science comme un re- marquable exemple de la puissance d'invention et de la force synthétique de son auteur. | = L'existence de l'intermaxillaire humain est une question d'une moindre importance, mais à la solu- tion de laquelle Goethe a pris une beaucoup plus grande part. Plusieurs anatomistes , Vésale , Winslow, Albinus, Nerbitt, avaient depuis longtemps remar- qué, sur quelques crânes, la séparation de la portion de la mâchoire supérieure qui porte les incisives; mais ces cas particuliers avaient été négligés , et Cam- per, en cela suivi par Blumenbach, plaçait même au rang des caractères distinctifs de l’homme par rapport aux singes l'absence d’un intermaxillaire distinct. Goethe, alors au début de ses recherches, apercevant une contradiction entre l'existence de cet os dans les singes et son absence chez l'homme qui a cependant le même nombre d’incisives semblable- ment disposées, chercha et trouva l’intermaxillaire TRAVAUX ZOOTOMIQUES DE GOFTHE. 171 humain : ce fut là, dit Sœmmering, son essai plein de génie. Cette découverte, dont l'intérêt ne nous frappe plus autant aujourd’hut, n'était alors , en effet, ni sans importance, ni sans quelque difficulté, té- moin la vive opposition qu'elle éprouva, dès le pre- mier moment, en Allemagne, de la part de l'illustre Camper, et qui se continua longtemps encore apès lui : il fallut, remarque quelque part Goethe , qua- rante ans pour faire admettre de tous un aussi petit fait! La découverte de Goethe est de 1786; et la même année, Vicq-d'Azyr indiquait en France l'in- | termaxillaire humain dans un passage très-remar- quable, bien que non encore cité (1), de lun de ses discours généraux sur l'anatomie ; passage dans le- quel l'unité de type se trouve aussi nettement for- mulée. Vicq-d'Azyr a ainsi la priorité de publi- cation sur Goethe dont le Mémoire ne fut connu que l'année suivante, en 1787, par les citations de Loder (2), et beaucoup plus tard, en 1817, par son insertion intégrale dans le Zur Morpholo- gie (3). C'est un exemple à ajouter à tant d’autres infiniment plus remarquables de ces découvertes simultanément faîtes en des lieux différents et quel- (1) L'oubli dans lequel on avait laissé ce passage a Ar ma décidé àle citer dans son entier. Voyez plus haut, p. 82 et 83. (2) Voyez son Manuel anatomique, p. 89. (3) Tome Í, p. 201. — On le trouve aussi réimprimé et complété par de nombreux dessins dans les Nova Acta Naturæ Curiosorum t. L, 172 TRAVAUX ZOOTOMIQUES DE GOETHE. quefois par des esprits de genres divers, et qui ont si souvent donné lieu à des accusations de plagiat, quand il s'en présentait une explication si simple et si honorable pour tous dans les rapports de filiation de ces découvertes avec les acquisitions antérieures de la science. J'ai dû rechercher pourquoi les travaux de Goethe sur l’intermaxillaire, et tant d’autres, sont restés iné- dits pendant plusieurs années, et ont été privés ainsi par leur auteur de leur juste influence sur la marche de l'anatomie philosophique. J'ai trouvé nettement exprimées , dans plusieurs passages de ses ouvrages, | deux raisons de ces longs retards, également préjudi- cables à la science et à la gloire scientifique de Goethe. L’une est le découragement qu’il éprouva trop souvent en se voyant incompris par des hommes qu'il supposait ses juges naturels; par exemple, lors- qu'il soumit son mémoire sur lintermaxillaire au plus vénéré de ses maîtres, à Camper, et qu'il en reçut, ` pour toute réponse, des éloges sur le format et lé- criture de son manuscrit. L'autre, et assurément notreamour pour la science n'est pas assez exclusif pour aller jusqu'à regretter celle-ci, est l'entrainement passionné qui le porta de nouveau vers la poésie, lors- que ses liaisons avec Schiller vinrent , suivant son ex- pression , l'arracher de son ossuaire scientifique. La publication du journal Les Heures, la composition d Hermann, d'Achilléis, vinren talors l'occuper pen- dant quelques années; etla moisissure, comme il le TRAVAUX ZOOTOMIQUES RE GOETHE. 175 dit lui-même, envahit ses préparations anatomiques. C'est dans ce sens, mais dans ce sens seulement, qu'il pourrait être vrai de dire que le grand poëte a em- pêché, dans Goethe, le grand naturaliste : les maté- riaux étaient prêts, le plan était tracé, le temps seul a manqué pour construire. | Les divers travaux de Goethe, dont j'ai essayé de donner l'analyse, n'avaient point encore été réunis tous en un corps d'ouvrage : disséminés dans plusieurs recueils, il était assez difficile de les y trouver, et de suivre, par leur comparaison, la filiation des idées qui s'y trouvent contenues ; sujet si intéressant gga tudes, lorsqu'il s’agit d'un homme tel que Goethe! J'ai vu pour ma part,avec une satisfaction que l'Académie partagera sans doute , la France précéder l'Allemagne dans le soin de recueillir et de coordonner ces docu- ments épars, si précieux pour l'histoire de la science. Les Allemands nous ont reproché quelquefois d’igno- rer et de méconnaître les travaux zootomiques de Goethe : cest un reproche dont la traduction de M. Martins nous justifie pleinement , au moins pour l'avenir. Elle est en effet claire, élégante, fidèle, enri- chie de notes instructives, et telle, j'oserai le dire, que Goethe n’eût pu manquer d'en approuver et d'en voir avec plaisir la publication. Obligé d'exprimer ici toute ma pensée, j'ajouterai toutefois qu'il est quelques passages dont j'eusse désiré une traduc- tion, non pas plus fidèle, car le sens est toujours ui ai nes DE M DRE EDS RS es RS sai pééstsins | KE: a < - a prm PRE D ae 174 TRAVAUX ZOOTOMIQUES DE GOETHE. exact, mais plus littérale : pour ma part, et peut- être cette opinion personnelle dé votre rapporteur n’aura-t-elle d'autre partisan que lui, la reproduction _de la pensée de Goethe, avec les formes mêmes dans lesquelles elle a été conçue, ne m'eût pas paru achetée trop cher au prix même de quelques germanismes. M. le docteur Martins était déjà connu par plu- sieurs mémoires originaux , justement estimés : par son excellente traduction des OEuvres d'histoire natu- relle de Goethe, il me parait ne pas avoir moins bien mérité d’une science qu’il s'apprête, en ce moment même, à servir plus activement encore par un voyage dans les régions arctiques (1). (1) L'opinion que j'émettais dans ce rapport, 1l y a près de deux ans, a été confirmée par l'accueil trés-favorable que la traduction de M: Martins a reçu du public éclairé , non-seulement en France, mais encore en Allemagne. Entre plusieurs témoignages éminemment ho- norables pour M. Martins, je citerai ici celui de M. Nees d Esenbeck , président de l'Académie des Curieux de la Nature. Selon cet illustre savant, M. Martins a rendu à la science un service qu'un étranger à la France, qu'un compatriote de Goethe surtout, avait seul le droit de proclamer. Ce service consiste à avoir fait passer les résultats des tra- vaux de Goethe dans une langue qui a le privilége, entre toutes, de faire comprendre et de propager les idées nouvelles : Car, dit M. Nees d'Esenbeck , nous ne pouvons pas nous dissimuler que ce n'est qu'em français qu'on est universellement et complétement compris par tout homme intelligent et éclairé. Le] yI. CONSIDÉRATIONS HISTORIQUES SUR LA TÉRATOLOGIE”. I. Les phénomènes de la monstruosité ont fixé Yat- tention des savants et des philosophes de tous les siècles. Si l'antiquité d'une science ajoutait quelque chose à son importance réelle, on serait en droit de faire remonter l'origine de la tératologie à une époque aussi reculée que celle de la zoologie et de l'anatomie ellemême : Démocrite, Empédocle, Hippocrate, Aristote, Pline, Galien, pourraient être cités comme M reier tératologues. Mais des faits dont les con- Séquences ne sont pas déduites, et des opinions qui ne reposent pas sur des faits, de simples observations et des systèmes hasardés, ne peuvent être justement honorés du nom de science; et sans Contester ni le mérite ni l'utilité des notions que nous ont transmises un grand nombre d'auteurs, il est vrai de dire que la tératologie est encore, après tous leurs essais, une nes $ G) Voyez la note de la page 6. 176 HISTOIRE DE LA TÉRATOLOGIE. science nouvelle, une science dont la création est es- sentiellement due aux anatomistes contemporains. Avant eux, une multitude de faits avaient été recueillis; de graves questions avaient été soulevées; des hypo- thèses plus ou moins satisfaisantes, des théories plus ou moins ingénieuses , avaient été proposées ; mais, à quelques exceptions près, des observations sans au- thenticité, admises sans défiance et commentées sans discernement ; point de direction philosophique, point de but déterminé; nul ensemble dans les vues, nulle liaison entre les résultats déjà obtenus; en un mot, des essais plus ou moins heureux, de simples études, et non des travaux vraiment scientifiques : voilà ce qu'on remarque dans la plupart des ouvrages anté- _rieurs à notre siècle. Le génie et la science profonde, les vues élevées et immense érudition du plus illustre tératologue du dix- huitième siècle, Haller, n’ont pas toujours suffi pour prséerver ce grand physiologiste lui-même d'erreurs que personne ne conmettrait plus aujourd’hui, et plu- sieurs passages de son excellent traité de Monstris pré- sentent d’une manière frappante l'empreinte de l'é- poque où il a été composé. C'est que les efforts de Hal- ler, comme ceux de ses contemporains, devaient échouer devant des obstacles alors insurmontables. Le dix-huitième siècle pouvait bien préparer les bases de la science, et recueillir pour l'avenir de riches, et précieux matériaux; il le pouvait, et il l'a fait; mais il ne lui appartenait pas d’aller plus loin. Avant que # INTRODUCTION: | 177 les connaissances acquises sur les anomalies pussent revêtir un caractère vraiment scientifique, avant que la tératologie püt être créée, il fallait de toute néces- sité que l'embryogénie eût révélé les véritables lois du développement des organes, et que l'anatomie comparée fût entrée dans les voies nouvelles et phi- losophiques où nous la voyons aujourd'hui marcher avec tant de succès. et d'éclat. C'est là un fait capital, et sur lequel nous ne sau- rions trop insister, Si nous voulons saisir la loi des développements de la tératologie. Elle est née après toutes les autres branches de la grande science de l'or- ganisation ; parce qu'elle devait emprunter à chacune d'elles l'une de ses bases. Elle constitue présentement un dernier progrès préparé par les travaux de plu- sieurs siècles, mais qu'il n’était donné à aucune épo- que, la nôtre exceptée, de réaliser, et peut-être même de prévoir. Telle est en eflet la marche constante de l'esprit humain. Une découverte déjà faite est tou- jours le chemin d’une découverte nouvelle; chaque vérité arrive à son tour dans l’ordre des temps, comme dans une chaîne chaque. anneau conduit à l'anneau ui le suit;.et les sciences elles-mêmes se lient en- tre elles par des rapport de subordination, et si je puis parler ainsi , de filiation, qui apparaissent quel- quefois avec évidence, mais que souvent une analyse exacte peut seule révéler.. aje Ces rapports de filiation, essayons de les démêler et de les suivre au milieu des diverses phases qu'a ZOOLOGIE GÉNÉRALE. 12 ; 178 HISTOIRE DE LA TÉRATOLOGIE. présentées la tératologie; cherchons à apprécier lin- fluence qu'ont exercée sur elles les progrès des autres sciences de l’organisation, subordonnées à leur tour aux idées générales, tour à tour superstitieuses et philosophiques, qui ont dominé dans chaque époque. Par là il deviendra possible de comprendre pour- quoi la tératologie, presque stationnaire pendant plusieurs siècles, a brillé tout à coup d'un vif éclat; pourquoi les mêmes découvertes ont été faites à la fois par plusieurs auteurs, et sur plusieurs points de l'Europe; pourquoi enfin les conséquences de faits an- ciennement connus, après avoir échappé pendant long- temps à tous les anatomistes, sont devenues presque ‘en même tenips évidentes pour tous. Sans doute, par cette étude curieuse et instructive du passé, il nous sera donné de comprendre mieux l'état présent de la science et d’entrevoir son avenir. < L'histoire de la tératologie présente trois périodes marquées par une tendance particulière des es- piits, et que je vais chercher à faire connaître par leurs traits les plus saillants et les plus caractéristi- ques. Je les désignerai dans cet article sous les noms de période fabuleuse, période positive et période scientifique (1). ab = (1) Les divisions et les noms que j'adopte ici n'ont rien dé con- tradictoire avec les remarques générales que j'ai présentées plus haut (page 8 et page 55) sur la succession ; logiquement nécessaire dans les sciences d'observation, de trois périodes , l'une de confusion, l'autre de division, et la troisième d'association, On va voir, en éflet, que PÉRIODE FABULEUSE, US l Des observations vagues, incomplètes , recueillies ` au hasard; des ouvrages où l’on voit à peine briller une vérité utile au milieu de cent erreurs grossières ; les plus absurdes préjugés admis sans hésitation , et de nouvelles preuves apportées sans cesse à org appui ; des ‘explications enfantées par la superstition et toujours dignes d'une telle origine : tels sont les tristes caractères de la période fabuleuse. Cette période ne se termine pas au temps d’ Am- þroise Paré, comme on pourrait le conclure de remar- ques faites dans plusieurs ouvrages modernes. Tous les travaux, ou pour mieux dire, tous les. essais de l'antiquité, du moyen âge et des siècles suivants, jusqu'au commencement du dix-huitième , doivent être rapportés à cette longue enfance de la science. L'étude des popibyur que publiés daps le . la tératologie a été d'abord PRE avec les autres sciences, a eu ensuite ses observateurs spéciaux , puis enfiñ s’est associée avec ces mêmes sciences au milieu desquelles elle était confondue à son origine. Les trois périodes que j'ai distinguées plus haut pour la zoologie, pour- raient donc l'être aussi pour la tératologie, et la même formule géné- rale est applicable à à l’une et à l'autre. Si j'ai admis dans cet article des divisions fondées sur d'autres considérations, c'est parce que j'ai dû me proposer ici pour but, non d'établir une uniformité qu'il suffit de constater au point de vue philosophique, mais d'adopter , dans l'exposition des progrés successifs de la tératologie , l'ordre et le plan le mieux appropriés à l'histoire particulière de cette science. 180 HISTOIRE DE LA TÉRATOLOGIE. cours de cette période, si elle excite souvent la cu- riosité et même l'étonnement , est rarement instruc- tive. On ne saurait s’y livrer sans éprouver une im- pression de tristesse et de regret, à la vue de tant d'efforts faits en pure perte. Et même, ce n’est pas la philosophie seule, c'est aussi la morale qui gémit des erreurs vers lesquelles la superstition a si longtemps entrainé les hommes instruits aussi bien que le vulgaire. Je présenterai de courtes remarques , d'abord sur les faits, puis sur les idées et les explications alors admises. 2: À l'égard des faits, le caractère le plus remarquable de cette période, et celui que rappelle le nom sous lequel je l'ai désignée, est l'aveugle crédulité de tous les tératologues. Dans le seizième, dans le dix-sep- tième siècle, et même encore au commencement du dix-huitième , un auteur, trompé par de fausses apparences ou par un bruit populaire, n'avait pas plutôt annoncé un fait paradoxal, un phénomène insolite, qu'ils étaient admis par tous, et toujours avec d'autant plus d'empressement qu'ils devaient paraitre plus incroyables. On eût dit qu'’alors la science avait pour büt la recherche, non du vrai, mais du merveilleux, Souvent même, lorsqu'un auteur avait donné, d'un être monstrueux, une de ces désigna- tions vagues qui tenaient alors lieu de descriptions, ses successeurs ne se faisaient aucun scrupule d'ima- giner, d'après ces seules et insuffisantes données, une figure que tous les ouvrages ultérieurs reproduisaient PÉRIODE FABULEUSE. Z 181 eomme authentique. Il n’est pas jusqu'aux monstres nés dans l'antiquité dont la figure n'ait été parfois con- truite sur quelques mots vagues de Tite-Live, de Valère-Maxime ou de quelque autre auteur d'une égale autorité scientifique. De là toutes ces fausses anomalies, tous ces faux monstres, Ces hommes à tête ou à membres de chien, de mouton, d’éléphant, d'oiseau, de licorne même, ces monstres faits à limage du diable, ces centaures, ces dragons ; ces sirènes, dònt tous les anciens tératologues ont rempli leurs ouvrages; et cela, jusque dans une époque où plusieurs sciences, et l'anatomie elle-même, savan- çaient à grand pas dans la voie du progrès. - I] est presque inutile de dire que les explications de ces prétendus faits n'avaient pas une valeur plus scientifique. La cause la plus généralement assignée à la naissance des monstres, c’est la volonté de Dieu, soit qu'ils fussent destinés à attester par l'étrangeté de leurs formes la puissance sans limites du Créateur, soit surtout qu’ils fussent envoyés comme preuves de sa co- lère et comme présages des calamités publiques. Au- cune vérité ne fut jamais crue plus fermement et plus universellement que cette dernière et déplorable er- reur. On trouve, en un grand nombre d'ouvrages, des maximes ou axiomes tels que ceux-ci: Portendit iram quodlibet monstrum Dei. Monstrum omne belli tempore extat crebrius. Une antre cause encore, très-généralement ássi- gnée à l'apparition des monstres, est l'intervention , 182 HISTOIRE DE LA TÉRATOLOGIE. ou, selon expression consacrée à cette époque, l'ope- ration du démon, ce principe du mal presque tou- jours placé après Dieu , par un accord singulier de la superstition grossière des peuples, de la plupart des religions, et de la philosophie d'un grand nombre de sectes. Tantôt, disent les anciens tératologues, Je démon fait glisser dans la matrice des causes de monstruosité ; tantôt, au moment même de la nais- sance, il substitue au fœtus un monstre apporté d’ail- leurs; parfois encore, il fascine les yeux des specta- teurs, et fait paraître monstrueux un enfant qui, en réalité, est bien conformé. Enfin les exemples ne manquent pas de monstres attribués à des unions adultères entre l'homme et la brute, par de déplorables préjugés que des malheu- reux, accusés de débauches invraisemblables et souvent impossibles, ont plus d’une fois payés de leur liberté ou expiés dans les supplices. Les anciens tératolo- gues, par exemple, n'hésitent pas, d'après d’absurdes traditions populaires, à assigner pour bisaïeul à Sué- con, roi de Danemark, un homme tout velu, fils dun ours. Licetus lui-même regarde ce fait et plu- sieurs autres analogues comme si bien constatés, qu’il s'en autorise pour admettre comme vraisemblable la fable du Minotaure et l’origine assignée par les haines populaires à Attila , fils d'un chien, selon quelques anciennes chroniques. | On ne s'étonnera pas que, dominés par de telles croyances, restes des superstitionsdu moyen âge, les PÉRIODE FABULEUSE, 183 auteurs du dix-septième siècle approuvent presque unanimement la barbarie des lois grecques et romai- nes qui condamnaient à mort les enfants affectés de monstruosité ou d'hermaphrodisme.. Quelle pitié pouvait-on ressentir pour des êtres dans lesquels on voyait les messagers de la colère divine, les produits de l'opération du démon, ou les fruits d'unions coupables, de profanations grossières et dégoûtantes de la dignité humaine ? Mais ce qui pourra paraître singulier dans le siècle éclairé où nous vivons c'est de voir, dans quelques ouvrages du temps, Ces lois, non moins ab- surdes que cruelles, justifiées par de prétendues con- sidérations philosophiques. Il est aussi impossible de ne pas éprouver quelque surprise, lorsqu'on voit Jean Riolan lui-même, homme vraiment supérieur à son époque, établir, comme une nouveauté hardie,quel'on peut se dispenser de faire périr les sexdigitaires, les in- dividus à tête disproportionnée , les géants et les nains, et qu'il suffit de les reléguer loin de tous les regards, Ainsi Riolan, en leur faisant grâce de la vie, les exile du moins de la société, n'osant se dérober entière- ment au joug des préjugés et de la superstition qui pèsent sur ses contemporains. | TII. Dans la série des ouvrages qui appartiennent à cette longue et déplorable période de la science, on est heureux d'avoir, bien rarement sans doute, à reposer son esprit Sur des écrits empreints d’une véritable 184 HISTOIRE DE LA TÉRATOLOGIE. philosophie. A toutes les époques il a existé des hom- mes qui ont fait mieux, et d'autres plus mal que leurs contemporains. I] ne me serait que trop facile de citer des auteurs qui, écrivant au dix-neuvième siècle, appartiennent véritablement encore à la première période dont ils ont conservé la manière vague, in- correcte, inexacte, et même, en grande partie , les préjugés. En revanche, plusieurs écrits, quoique ap- partenant par leur date à la première période, se rapportent véritablement par leur esprit à la seconde, quelquefois même à la troisième. Je puis citer pour exemple un passage que Montaigne écrivit vers 1580, à l’occasion d’un monstre double , du genre hétéradelphe, qu'il avait eu occasion de voir vivant (r). Les phrases dans lesquelles Montaigne résume ses pensées sur les êtres anomaux, peuvent encore au- jourd'hui être adoptées comme le résumé philoso- phique de la tératologie : on s'étonne, en les lisant, de voir exposées dans la langue naïve du temps d'Henri IE des idées que l'on peut aujourd'hui ap- peler toutes nouvelles, et qui même commencent à peine à avoir droit de cité dans nos écoles. Voici les proprès expressions de Montaigne se | -« Ce que nous appelons monstres ne le sont pas à Dieu qui veoid en immensité de son ouvrage l’infi- nité des formes qu'il y a comprinses (2)... De sa toute > (a) Voyez Essais , livre Il, chap. XXI. (a) « Et est à croire, ajoute ici Montaigne, que cette figure qui nous PÉRIODE FABULEUSE. 185 sagesse il ne part rien que bon, commun et réglé ; mais nous n’en voyons pas l'assortiment et la rela- tion... Nous appelons contre nature ce qui advient contre la coustume; rien n'est que selon elle, quel qu'il soit. Que cette raison universelle et naturelle chasse de nous l'erreur et l’estonnement que la nou- velleté nous apporte (1). » En pensant que des idées si vraies, si judicieuses, ont été conçues et exprimées avec cette lucidité dès 1580, je ne sais en vérité si je dois davantage admirer là puissance ou déplorer la faiblesse de l'esprit hu- main. Il est beau de voir un auteur du seizième siècle s'élever par les seules forces de sa pensée à d'aussi hautes conceptions; mais il est triste d’avoir à ajouter que la raison publique a eu besoin de deux siècles et demi pour parvenir pas à pas à la réinvention et à la démonstration des mêmes idées. estonne se rapporte et tient à quelqne anltre figure de mesme genre incogneu à l'homme. Cette phrase est la seule, dans le passage en- tier , qui n'exprime pas une idée complétement exacte. LE (1) La phrase suivante du Novum organum de Bacon (livre IT, $ XXIX ) est moins remarquable, sans doute, que le passage de Mon- taigne ; mais elle renferme une idée qui a échappé à l'auteur des Essais : « Qui enim pias naturæ noverit, ‘is deviationes etiam Facilis observabit. At rursüs, qui deviationes noverit, is accuratiùs vias des- cribet. » : gea à | S Le savant traducteur du Novum organum, M. Lasaize ( OEuvres, tom. V, p. 287, note), attribue aussi à Bacon la pensée suivante : « On peut regarder ce qu'on appelle un monstre comme un assemblage ex- traordinaire de choses ordinaires ; comme une espèce de quine. » Cette ` pensée, un peu bizarre dans l'expression, mais vraie et ingénieuse au fond, ne se trouve nullement exprimée dans le texte original. 186 HISTOIRE DE LA TÉRATOLOGIF. IV. Dans la seconde période, la tératologie perd le ca- ractère merveilleux et mystique qu'elle avait revêtu dans la première ; elle devient positive. Ainsi s'opère la transition des fables du premier âgeaux conceptions scientifiques et philosophiques dela période suivante. Dans le cours de cette période, qui comprend en- viron la première moitié du dix-huitième siècle, la tératologie offre dans son ensemble un spectacle satisfaisant : les progrès vers le bien sont évidents. Sans doute de fausses explications exercent encore une fâcheuse influence sur les hommes les plus distingués de ce temps; les préjugés du siècle précé- dent n’ont point encore entièrement disparu de- vant cet esprit d'examen et de sage critique qui forme l’un des caractères de l’époque suivante : mais déjà l'importance de l'observation commence à être comprise , etun grand nombre de faits sont recueillis avec soin et exactitude. A la vérité, la plupart des anatomistes qui se livrent à des recherches sur les monstres, y sont portés moins par un véritable sentiment de l'utilité de leurs études nouvelles, que par un intérêt né de la curiosité et de ce goût pour la nouveauté qui.est si naturel à l’homme. Habitués à la vue de certaines formes, n’apercevant pour ainsi dire dans tous les individus d’une même epoce qu'un seul et même individu, ils s'étonnent à l'apparition de ces formes insolites, de « ces combi- PÉRIODE POSITIVE, 187 naisons inattendues qu'il leur arrive quelquefois de rencontrer. Bientôt de l’étonnement ils passent à l'intérêt : ils se complaisent dans un spectacle tout nouveau pour eux, et notent avec empressement toutes les anomalies qu’ils observent. : La science, qui profite de ces travaux, n’en est point, comme on le voit, le but réel. De tels obser- vateurs ne sont point animés d’un zèle véritablement scientifique. Leurs sentiments, leurs plaisirs sont comparables à ceux qu'éprouve, en arrivant dans des montagnes escarpées, en apercevant autour de lui des traces de bouleversement, le voyageur qui long- temps n’avait eu sous les yeux que le spectacle beau, mais un peu monotone, d’une tranquille vallée. À l'aspect de cette nature des montagnes , au milieu de ces immuables monuments du monde primitif, l'âme de l'habitant des villes ne peut se défendre d'une vive émotion ; un genre de sensations , de jouissances jusqu'alors inconnues , naît pour lui de la contempla- tion d’un tableau dont la magnificence surpasse telle- ment les merveilles des arts. Mais qu'il y a loin de ces impressions vagues, fugitives, de cette admi- ration sans résultat, aux méditations dans lesquelles le même tableau entraîne la pensée du géologue! Lui aussi, il admire; mais, de plus, il comprend, il s'ex- plique le spectacle qu'il a sous les yeux; il y puise une instruction profonde : chaque site nouveau, cha- que accident de terrain lui révèle un fait de l’histoire de la création ; et quelquefois même , lisant le passé 188 HISTOIRE DE LA TÉRATOLOGIF, dans le présent, il se reporte vers ce monde antique qui a précédé l’homme de tant de siècles, et assiste par la pensée à la formation de ces débris gigantesques de l’ancien ordre des choses. Dans la seconde période , si les Houstres ne sont plus des objets d'épouvante, ils ne sont donc point encore les sujets d’études vraiment scientifiques : les sentiments qu'ils inspirent aux anatonnistes, sont ceux d'un intérêt et d’une curiosité vagues; et si des résultats positifs et utiles sont dès lors obtenus, c’est parce que les auteurs qui cultivent la tératologie, sont des anato- mistes, et qu'ils portent dans l'observation des êtres anomaux l'exactitude habituelle et l'esprit sévère de leur science , déjà si avancée à cette époque. 7 PE à Parmi les travaux de la première moitié du dix- huitième siècle, il faut distinguer toutefois, comme faits dans des vues plus réellement scientifiques, et placer hors de rang ceux de plusieurs mem- bres de l'Académie des sciences de cette époque, Méry, Duverney, Winslow, Lémery, Littre, et de quelques autres anatomistes français et étrangers. Non- - seulement on trouve dans les écrits de ces hommes justement célèbres des faits bien observés ; mais des remarques judicieuses en font presque toujours ressor- tir l'intérêt, et déjà de vives attaques, dirigées contre les anciens préjugés, attestent un progrès rapide vers la vérité. Aux explications des phénomènes de la PÉRIODE POSITIVE. ` 189 monstruosité admises par la superstition de l'époque ; précédente, on cherche à substituer des théories qui z . s'accordent avec les faits et que la raison puisse avouer, Les causes de la monstruosité occupent sur tout vivement les esprits ; beaucoup d'erreurs sont admises, car les faits sont encore trop peu nombreux Pour que ces premiers essais puissent être heureux ; mais, du moins, on reconnaît que la plus grande diffi- culté réside dans cette question : si les êtres ano- maux sont originairement tels, ou si anomalie est acquise, accidentelle. Lémery et Winslow surtout consacrent à _sa solution une suite de mémoires im- portants, et commencent avec éclat, au sein de l Aca- démie des sciences, des débats (1) qui ne sont point encore entièrement terminés de nos jours. Enfin , au milieu de ces eflorts pour embrasser dans une théorie les faits de la monstruosité, on commence aussi à soupçonner V influence heureuse que leur étude peut “exercer sur les sciences anatomiques ; et même, quel- ques essais d'application à la physiologie sont faits d’une main peu sûre encore, mais pe” avec un succès réel. Ces tentatives plus ou moins heureuses attestent au moins dans leurs auteurs un amour vrai de la (1) L'influence q que ces débats académiques ont exercée" sur les pro- grès de Ja tératologie, a été telle que j'ai cru devoir consacrer à leur histoire et à l'examen des arguments produits de part et d'autre, un chapitre presque entier de mon Histoire Sénérale des anomalies. Voer t. I, p. 473. pr tn ot té Si 190 HISTOIRE DE LA TÉRATOLOGIE, science et un sentiment réfléchi de l'importance des études tératologiques, et par elles un lien intime se trouve établi entre les recherches des savants acadé- miciens et celles dont il reste à tracer le tableau. VI. Après des travaux qui n'avaient rien de scientifique ni dans leur but, ni dans leurs moyens, ni dans leurs résultats, nous venons de voir des travaux nés quel- quefois d’un intérêt de curiosité, mais cependant utiles à la science, ou, en d’autres termes, scienti- fiques dans leurs moyens et leurs résultats ; quoique ne l'étant pas toujours dans leur origine et leur but. Dans la troisième période, sauf quelques exceptions rares et peu honorables pour leurs auteurs; nous ne trouvons plus que des travaux entrepris aussi bien qu'exécutés dans les vrais intérêts de la. science. Les faits sont recueillis avec plus de soin encore que dans la seconde période ; mais surtout leurs conséquences sont mieux déduites, leur valeur est mieux sentie. © Le commencement de cette période , justement nommée scientifique, est marqué par la publication de l'excellent traité de Monstris de Haller; ouvrage däns lequel l'auteur, faisant un résumé fidèle et lu- cide des Connaissances de cette époque, montre, avec . une science profonde et une immense érudition, un esprit de sage critique inconnu avant lui. - L'influence de ce livre sur les progrès de la térato- logie fut très-grande. On peut dire que, par lui, Haller PÉRIODE SCIENTIFIQUE, igt renouvela la science des anomalies, comme plus tard il devait renouveler, par ses Æ leiomen, la phase elle-même... Ce n’est pas, à vrai dire, que Haller ait beaucoup enrichi Ja science par les résultats de ses recherches propres. Il se montre bien plutôt, dans son traité de Monstris , savant et habile commentateur qu’auteur original. Les observations nouvelles qu 1] y a consi- gnées , les descriptions anatomiques dont il l'a énri- chi, et qui sont autant de modèles du genre, sont sans nul doute et seront toujours d'un grand prix pour la tératologie. Mais là n’est ni le mérite prin= cipal de Haller , ni surtout le secret de son immense influence sur les progrès ultérieurs de la science. Le progrès capital que Haller accomplit, c'est la dis- tinction faite , avec une sûreté de jugement que Fon ne saurait trop admirer, entre les erreurs et les vérités qui composaient, je ne dirai pas le trésor, mais la masse, le chaos des connaissances de cette époque. Le départ, la séparation du vrai et du faux une fois opé- rée; la Mhhlogie se trouva tout à coup affranchie des entraves qui s’opposaient à son avancement. La fausse science des siècles antérieurs fut écartée pour ja- mais, et le vrai savoir gs commencer à être mis en œuyre. | Il faut bien remarquer en effet , que; jusqu'à à Haller, par cela même que la science était pauvre, il lui était difficile de tirer parti du peu qu’elle possédait. Les observations étaient éparses dans plusieurs recueils pu- 192 HISTOIRE DE LA TÉRATOLOGIE. bliés en diverses langues et dans différents pays. Lors- que des faits nouveaux étaient annoncés, il était donc fort difficile de trouver des termes de comparaison, et par conséquent, de se procurer desmoyens de vérifica- tion pour des faits qui, à cause de leur nouveauté et de leur intérêt même, ne pouvaient être admis tant qu'il restait la moindre place au doute. Aussi, tandis que les uns acceptaient pour vrai ce qui ne l'était pas, les meilleurs esprits rejetaient sans hésiter les résultats des observations les plus positives : chacun se décidait à peu près selon ses convictions théoriques. Comme on le fait, au reste, encore aujourd'hui en d’autres branches des sciences physiologiques, on admettait ce que l’on croyait pouvoir expliquer par les hypo- thèses régnantes , et l’on rejetait ce que l’on jugeait inexplicable. C’est ainsi, pour citer un exemple remar- quable, qu'un anatomiste italien, Vogli, ayant publié la description d’un monstre acéphalien et signalé l'ab- sence du cœur, Vallisneri , son illustre maître, ne pouvant concilier un tel fait avec les idées embryogé- niques alors admises, prit le parti de le déclarer faux. Cependant deux anatomistes distingués avaient assisté à la dissection, et confirmaient l’assertion de Vogli. Mais que pouvaient ces témoignages contre la convic- tion du sceptique Vallisneri? Cet homme si difficile à convaincre, cautus homo et difficilis , comme l'ap- pelle Haller, se serait au contraire aussitôt rendu , s'il eût pu savoir que déjà plusieurs faits analogues étaient consignés dans les annales de la science. PÉRIODE SCIENTIFIQUE. adan VIL r | On comprendra, par cet exemple mieux que par de longs développements, le service que Haller rendit à la tératologie, en faisant le relevé des faits connus de son temps, en rassemblant dans son. Ouvrage tous ceux qui offraient un caractère d'authenticité, en les classant avėc méthode. Des moyens de vérification furent ainsi mis à la portée de chacun : les résultats d’une obsérvation eurent désormais pour garants ceux de toutes les observations du même ordre. Du moment où la critique devint possible en téra- tologie, où l'on put distinguer avec certitude le vrai du faux, on sentit la possibilité et le besoin de con- struire sur la base désormais solide que l’on devait à Haller. L’utilité de l'étude des êtres anomaux pour l'avancement de la physiologie, fut généralement com- prise, et bientôt de nombreuses applications furent faites. L'absence du cerveau et de la moelle épi- nière chez les monstres anencéphaliens qui cependant peuvent vivre quelques heures, et même quelques jours, hors du sein de leur mère; celle de la tête tout entière chez les acéphaliens, et, avec elle, celle du cœur, des poumons et de la plupart des viscères abdo- minaux; Fimperforation de la bouche, l'interruption de œsophage dans d'autres cas; tels sont les faits té- ratologiques que les anciens physiologistes ont le plus souvent appelés à l'appui de leurs théories. Cepen- ZOOLOGIE GÉNÉRALE, 13 » a n NON 194 HISTOIRE DE LA TÉRATOLOGIE. ` dant, quelque parti qu'ils aient su en tirer, jamais ils n’ont soupçonné la richesse de la mine qu’ils venaient d'ouvrir. Nul n’a su voir dans les phénomènes tératolo- giques des expériences que la nature nous donne toutes faites, en prenant elle-même le soin d’écarter ces nombreuses causes d'erreur qui, dans les cas ordinai- res, viennent compliquer etvoiler les résultats obtenus. Disons-le même : c’est dans ces dernières années seulement qu'on a compris le véritable point de vue sous lequel doit être embrassée l'étude physiologique des monstruosités. Plus tôt, un tel progrès était abso- lument impossible, non-seulement parce que les faits n'étaient point assez nombreux, mais surtout parce que des opinions erronées et des hypothèses dou- teuses composaient encore toute la philosophie de la science. Or, pour que des faits d’un ordre nouveau puissent fournir de nombreuses applications, pour qu'ils puissent être élevés à toute leur valeur comme preuves scientifiques , deux conditions sont indispen- sables. La première, déjà remplie avec succès par Haller, est que ces faits soient eux-mêmes bien démon- trés. La seconde est qu'ils soient compris dans leur nature, et, s'il se peut, dans leurs causes. Or, jusqu’à présent, de nombreux essais , mais peu de résultats précis et utiles, voilà ce que nous a présenté l’his- toire de la science. C'est aussi à ce défaut de théories et d’ explications exactes qu'il faut attribuer l'inutilité presque com- plète de la science des anomalies pour l'avance- PÉRIODE SCIENTIFIQUE. 199 ment de l'anatomie, soit avant l’époque de Haller, soit même après la publication de son ouvrage. Ilest à remarquer, en effet, et cest là un point histori- que très-digne d'attention , que la tératologie, culti- vée par les anatomistes les plus distingués de toutes les époques, est arrivée presque jusqu'à nos Jours sans avoir rendu à l'anatomie aucun Service réel et Signalé; car on ne peut regarder comme ayant exercé une grande influence sur les progrès de cette der- nière science ; ni les secours indirects que l'étude des anomalies a pu lui prêter en contribuant aux progrès de la physiologie, ni les faits nombreux, mais toujours sté- riles et sans résultats, que les auteurs avaient consignés dans leurs ouvrages. Ces faits, riches et précieux ma- tériaux , renfermaient sans doute le germe de décou- vertes importantes ; mais ce germe ne pouvait se dé~- velopper que lorsqu'un grand progrès scientifique serait venu le féconder; et ce progrès, C'est presque entièrement aux recherches entreprises de nos jours par quelques auteurs français et allemands qu’en doit être rapporté l'honneur. | VII. Les recherches que je rappelle ici, quoique étran- gères par leur point de départ à la science des ano- malies, signalent pour elle une époque mémorable. Je dois faire connaître en peu de mots le but où elles tendaient , et l'esprit qui leur avait donné naissance. Harvey et les auteurs du dix-septième siècle, Haller DA 1 NU O 196 HISTOIRE DE LA TÉRATOLOGIE. et ceux du dix-huitième, s'étaient occupés avec un immense succès de l’histoire anatomique de l’homme. On put croire un instant, au commencement de notre époque, que la science était achevée, et qu'il ne restait plus qu'à glaner péniblement dans un champ où tant d'hommes distingués avaient prélevé de si riches moissons. Mais , dès la première année de notre siècle, Bichat crée une anatomie nouvelle ; et, vers la même époque, la zootomie, jusqu'alors Sale collection de faits, s'enrichit de théories , prend un caractère philosophique , et s'élève au rang des sciences. Ainsi, presque en même temps, s'ouvrent deux routes nouvelles vers la connaissance de lorga- nisation , et bientôt d’habiles observateurs se signalent dans l’une et dans l’autre par de brillantes découvertes. -De tels succès devaient en enfanter d’autres. En- couragés par l'exemple, entraînés par la vive impul- sion que tant d'efforts ont imprimée à l'anatomie, quelques hommes , doués d’un génie vraiment créa- teur, veulent sortir de ces voies si nouvelles encore, mais qui déjà ne leur suflisent plus. Ils comprennent que d’autres sciences , fondées sur l'étude de lorga- misation , peuvent encore étendre le domaine de l'es- prit humain. Les faits sont déjà connus et coordonnés; leursrapports prochains sont déduits et appréciés; mais ces faits et ces rapports dépendent de lois générales qu'un voile épais couvre encore. C'est ce voile qu'il importe de soulever. Bientôt des observations sont faites dans un nouvel esprit. Les faits déjà connus PÉRIODE SCISNTIFIQUE. 197 sont repris et ‘étudiés avec soin ; une méthode puis- sante leur demande et en obtient des conséquences auxquelles personne n'avait jamais songé. L'homme adulte est comparé à l'embryon; puis les animaux sont comparés à Phomme adulte et à l'embryon ; et de cette double comparaison , faite Sous inspiration d'idées neuves et philosophiques , naissent. deux branches dont Texistence était à peine soupçonnée il ya vingt ans, et qui, aujourd hui, dominent la science anatomique tout entière. ; L'une nous révèle les véritables lois des formations organiques ; l'autre embrasse dans leur immense étendue les faits généraux de l’organisation animale considérée dans toutes les espèces et dans tous les âges; toutes deux nous font de précieuses révélations sur l'essence des organes, sur la composition intime des appareils. L'une nous fait assister à leur création ; l’autre les décompose par une savante analyse, et nous montre des éléments partout identiques, disposés selon des règles invariables. Dès lors, l'embryogénie est placée sur ses véritables bases , et l'anatomie phi- losophique est créée. IX. Nous venons de voir ces deux sciences naître de l'ana- tomie générale et de l'anatomie comparée , telles que les avaient faites les premières années de notre siècle nous allons les voir donner à leur tour naissance à la 198 HISTOIRE DE LA TÉRATOLOGIE. tératologie. En effet , dans la marche constamment progressive de l'esprit humain, une découverte a presque toujours une double valeur : importante par elle-même, elle l’est encore par les découvertes qu’elle promet à avenir, et dont le germe, caché en elle, se développera tôt ou tard. Ainsi, un succès obtenu est un pas vers de nouveaux succès : plus nous savons, et plus il nous est facile d'apprendre encore. L'anatomie philosophique, par la theorie de lu- nité de composition organique, nous avait montré les animaux composés de matériaux toujours sembla- bles et toujours disposés suivant les mêmes lois ; elle nous avait fait apercevoir, entre les êtres des degrés les plus éloignés de l'échelle, des rapports curieux et inattendus ; enfin elle nous avait appris à ne voir, pour ainsi dire, dans tous les animaux d’un même embranchement, qu'un seul et même animal, et à distinguer, au milieu des diversités icfinies qu'y in- troduisent le sexe, l'âge, l'espèce, ce fond commun dont la nature, fidèle à l'unité, ne consent presque jamais à s'écarter. Ces idées grandes et ingénieuses appartiennent essentiellement à notre époque ; les travaux contemporains en ont seuls donné la démon- stration (1), quoiqu’elles eussent été pressenties et admises ‘par avance sur de vagues observations par G) Voyez plus haut la cinquième dddition à mes Considérations his- toriques sur la zoologie, p. 84. PÉRIODE SCIENTIFIQUE. | 199 Aristote et par quelques modernes (1), et quoiqu'on eût pu au besoin les concevoir à priori; car, sile créateur est un, pourquoi la création ne serait-elle pas une? La possibilité de ramener les monstres au type commun était une déduction nécessaire et facile, un corollaire indispensable de la théorie de unité de composition organique. Lorsqu'on reconnaissait que des classes entières du règne animal sont établies sur un seul et même type, il devenait difficile et presque absurde d'admettre l'existence de plusieurs types dans une seule et même espèce. Cependant il ne suf- fisait pas d'établir théoriquement un fait aussi impor- tant ; et d'ailleurs, la doctrine naissante de l'unité de composition, bien loin de pouvoir servir de base à d'autres théories, réclamait elle-même encore de nou- vellés preuves. L'anatomie philosophique ne devait donc que poser la question. Une solution fut deman- dée à l'embryogénie, et celle-ci répondit par la théo- rie de l'arrêt du retardement , Ou mieux et d’une manière générale, des inégalités de développement. La création de cette théorie signale une époque importante par elle-même , et plus importante encore par les progrès rapides qu’elle annonce et prépare pour l'avenir, Jusqu'alors on n'avait vu dans les phé- nomènes tératologiques que des arrangements irré- guliers, des formations bizarres et désordonnées: sanae (1) Voyez la quatrième Addition, p. 68. 200 HISTOIRE DE LA TÉRATOLOGIE. vain spectacle par lequel la nature prenait plaisir à se jouer des observateurs en s’affranchissant de ses lois ordinaires (1). La théorie des inégalités de dévéloppement montre enfin le vide caché sous de telles explications. Elle fait voir que jusqu'alors on s'était payé de mots, et qu'on avait délaissé les faits. A Vidée d'êtres bizarres, irréguliers, elle substitue celle plus vraie et plus philosophique d'êtres entravés dans leurs dévelop- pements, et, où des organes de l'âge embryonnaire, conservés jusqu’à la naissance , sont venus s'associer aux organes de l’âge fæœtal. La monstruosité n’est plus un désordre aveugle, mais un autre ordre également régulier, également soumis à des lois ; ou, si l’on veut, c'est le mélange d’un ordre ancien et d’un ordre nou- veau, la présence simultanée de deux états qui, ordi- nairement , se succèdent l’un à l’autre. Dès ce moment, les faits tératologiques sont liés entre eux; leurs rapports peuvent être saisis; leur valeur est comprise; un avenir fertile en succès s'ouvre devant les observateurs : il existe enfin une véritable science des anomalies, et nous emploie- rons à Vavenir, à juste titre, cette expression adoptée déjà par anticipation, et faute d’un terme plus exact. En effet, l'ingénieuse théorie des inégalités de déve- es (1) Ludibria sibi > nobis miracula ingeniosa fecit natura. Cette phrase de Pune (Hist. nat., lib. VIL, cap. 2) résume en elle toute l'ancienne philosophie tératologiques, ay PÉRIODE SCIENTIFIQUE. 201 loppement jette une vive lumière , sinon sur la cause efficiente des anomalies , au moins sur leur cause pro- chaine; et si elle ne nous donne pas immédiatement les moyens de les expliquer, du moins elle nous les fait comprendre, dans leur nature et leur formation. Dès ce moment aussi, la science des anomalies est liée d’une manière intime avec l'anatomie, et surtout avec celle de ses branches qui s'occupe de dé- terminer l'ordre d'apparition et les lois du dévelop- pement de nos organes. Les êtres anomaux, d'après la nouvelle théorie, sont à quelques égards Fe em- bryons permanents; ils nous montrent à leur naissance des organes simples comme aux premiers jours de for- mation; comme si la nature se fût arrêtée en chemin, pour donner à notre observation trop lente le temps et les moyens de atteindre. La tératologie devient donc inséparable, à l'avenir, de l’'embryogénie. Elle contribuera d’une manière eflicace à ses progrès, et en recevra à son tour des services non moins signalés. - En un mot, il y aura entre lune et l autre liaison intime, secours mutuel et avantage réciproque. Toutefois, la théorie des inégalités de développe- ment wembrassait point dans son ensemble tous les phénomènes tératologiques. Elle nous apprenait beau- coup sur. les monstres par défaut, mais presque rien sur les monstres dits par excès. L’ embryogénie, consultée une première fois avec tant de bonheur, fut encore interrogée, et Un nouveau succès répondit à une nouvelle tentative. La formation du système 202 HISTOIRE DE LA TÉRATOLOGIE. vasculaire, étudiée sous un point de vue neuf et phi | Josophique, et sous l'inspiration dé la belle théorie du développement centripète , révéla une loi impor- tante à l’aide de laquelle les monstruosités par excès peuvent être, à quelques égards, rapportés à leur cause prochaine. Lorsqu'un organe est double, le tronc ou la branche vasculaire qui le nourrit, est double aussi, de même que l'absence d’une partie est liée nécessai- - rement à celle de son artère. Cette loi, simple, eten apparence facile à déduire, est cependant d’une haute importance pour la science; car elle pose à là monstruosité des bornes certaines et nécessaires, et nous explique pourquoi toutes ces créa- tions désordonnées, tous ces assemblages bizarres que nos pères s étaient plu à imaginer, ne 5e Sont jamais réalisés pour nous. ` L'époque mémorable dont je viens de retracer les- prit et les succès, est toute moderne; c’est à elle que se rapportent la plupart des travaux contemporains. Cependant, une époque plus récente encore peut être admise, et doit maintenant nous occuper. Ame- née par la tendance nouvelle des esprits, préparée surtout par la théorie des inégalités de développe- ment, elle devait la suivre de près. Imitant l'exemple heureux de la physiologie et de l'anatomie, la philosophie naturelle et la zoologie viennent à leur tour apporter et demander des lu- PÉRIODE SCIENTIFIQUE. 203 mières, à la science des monstruosités. Les êtres ano- maux d'après la théorie de l'arrêt de développement, pouvaient former une série comparable et parallèle à la série des âges de l'embryon et du fœtus. Celle-ci à son tour, d’après de nouvelles et profondes recher- ches inspirées par l'anatomie philosophique, était comparable à la grande série des espèces zoolo- giques. | | De là découlait un rapprochement naturel entre les degrés divers de la monstruosité et ceux de l'échelle animale. De là résultait aussi la démonstration com- plète de cette proposition déjà énoncée , que la mons- truosité est, non un désordre aveugle, mais un ordre particulier soumis à des règles constantes et. pré- cises. Enfin, une troisième et non moins importante conséquence, c'était la possibilité d'appliquer à la classification des monstres les formes et les principes des méthodes linnéennes. C’est en effet ce qui a été entrepris avec un véritable succès par mon père, qui a donné à la fois les premiers ; préceptes et le premier exemple, et ce que d'autres ont continué de- puis avec persévérance, L'entreprise difficile de créer our les monstres une classification vraiment natu- relle, de substituer une méthode vraiment satisfai- sante aux anciens systèmes , CSt sans doute loin d’être terminée ; mais il est permis d'affirmer que la téra- tologie est aujourd'hui plus voisine que la zoologie de ce but , que ni l'une ni Vautre ne saurait au reste atteindre complétement. 1 204 HISTOIRE DE LA TÉRATOLOGIE. XI. Enfin, il me reste, pour compléter ce tableau de la marche et des progrès de la tératologie, à signaler une loi générale dont la découverte est toute récente encore, mais déjà établie sur des bases trop solides pour qu'il me soit permis de la passer ici sous silence. Plusieurs anatomistes de diverses époques, se livrant à l'examen de quelques cas de monstruosité double, avaient été frappés des rapports remarquables de si- tuation et de connexion qu'offraient l’un à l'égard de l'autre les deux sujets réunis. On les trouve, par exemple, nettement exprimés dans les deux. vers suivants, que j'extrais d’une longue pièce ge AE sée à l’occasion d’un monstre double né à Paris en 1750 : Opposita oppositis spectantes oribus ora, Alternasque manus alternaque crura pedesque. Mais c'est dans ces dernières années seulement qu'on a accordé toute l'attention dont ils sont dignes à ces rapports de position, et que cet esprit philosophique -et généralisateur qui forme l'un des caractères émi- nents de l'époque actuelle, a conduit à puiser dans leurétude un résultat de la plus grande importance. La régularité de la disposition que présentent entre eux deux sujets réunis , n’est pas, comme l'ont cru quel- ques auteurs, de circonstance rare, individuelle, caractéristique pour certains monstres, et les rendant PÉRIODE SCIENTIFIQUE. 00 remarquables entre tous les autres; mais, d'après les travaux de mon père, elle est constante, com- mune à tous, et se rapporte à un fait de premier ordre, qui, dans sa haute généralité, embrasse en. quelque sorte, comme ses corollaires, tous les autres faits de l'histoire de la monstruosité double. Les deux Sujets qui composent un monstre complétement ou partiellement double , sont toujours unis par les fa- ces homologues de leurs corps, c'est-à-dire opposés côté à côté, se | regardant mutuellement, ou bien encore, adossés l'un à l'autre. Chaque partie, chaque organe chez l'un correspond constamment à une par- tie, à un organe similaire chez l’autre. Chaque vais- seau, chaque nerf, chaque muscle, placé sur l'axe d'u- nion , va retrouver, au milieu de la complication ap- parente de toute l'organisation, le vaisseau , le nerf, le muscle de même nom, appartenant à l’autre Sujet; comme, dans l’état normal, les deux moitiés primitive- ment distinctes et latérales d'un organe unique et médian viennent se conjoindre et s'unir entre elles sur la ligne médiane, au moment voulu par les lois de leur formation et de leur développement. Ces faits généraux, très-importants par eux-mêmes, ne le sont pas moins par les nombreuses conséquen- ces qu'on en peut déduire. Ainsi, non-seulement ils confirment de nouveau cette proposition, que lor- ganisation des monstres est soumise à des lois très- constantes et très-précises , mais ils montrent de plus la possibilité de ramener ces lois à celles qui régis- 1 206 HISTOIRE DE LA TÉRATOLOGIE. sent l'organisation des êtres normaux eux-mêmes. Ils conduisent à cette considération très-curieuse et très-propre à simplifier au plus haut degré l'étude de la monstruosité double, que deux sujets réunis sont entre eux ce que sont l’une à l’autre la moitié droite et la moitié gauche d’un individu normal; en sorte qu'un monstre double mest, si l'on peut s'ex- primer ainsi, qu'un être composé de quatre moitiés plus ou moins complètes, au lieu de deux. `La possibilité de diviser les monstres doubles en un certain nombre de groupes naturels de diverses va- lcurs, de caractériser et de dénommer les groupes de la manière la plus précise à la fois et la plus simple; en un mot, de créer pour les monstres doubles une no- menclature rationnelle et parfaitement régulière, en même temps que méthodique et de l'usage le plus facile; telle est encore l’une des conséquences des faits généraux que je viens de rappeler. Enfin par eux, mieux encore; que par tout autre ordre de considérations, nous voyons pourquoi tou- tes les aberrations de la monstruosité ne franchissent ` jamais certaines limites ; et désormais il nous devient possible , en parcourant les descriptions et les nom- breuses figures consignées dans les anciens ouvrages tératologiques , de distinguer quelle combinaison monstrueuse a dû réellement exister z quelle autre n'est que le produit bizarre et irrégulier d'une super- cherie ou d’un jeu de l'imagination. Je viens d'indiquer les principales conséquences PÉRIODE SCIENTIFIQUE. 207 de la Loi de position similaire , mais seulement en ce qui concerne les monstres doubles; car elle peut encore recevoir une bien plus grande, une im- mense extension. C’est, en effet, la loi de l'union et de la fusion des appareils organiques, des organes, même des simples portions d'organes, aussi bien que des in- dividus entiers. C’est encore celle de la réunion normale des deux moitiés qui composent primitivement tout Organe unique et médian. Enfin, c'est elle qui a con- duit à examiner, à comprendre sous le point de vuele plus élevé les rapports physiologiques qui existent dans l'organisation entre les parties similaires, et qui a fait apercevoir entre elles cette tendance au rappro- chement et à l'union, cette sorte d'attraction intime, dont la découverte a été proclamée par mon père sous le nom heureusement concis de Zoi de l'affinité de soi pour soi; loi dans laquelle on ne peut mécon- naître aujourd’hui lun des faits généraux les plus importants et déjà les mieux constatés, quoique Pun des plus nouveaux dont notre époque ait en- richi la physiologie. Ainsi, le dernier des progrès faits par la tératologie, n’est plus seulement une loi tératologique, mais une loi qui domine les faits de l'ordre normal aussi bien que de l'ordre ano- mal, et qui, vraie du règne animal tout entier, est, sans nul doute, applicable aussi au règne végétal. C'est, en un mot, un fait primordial, une des lois les plus universelles que nous révèle Phistoire des êtres vivants ; et la tératologie, en dotant la grande 208 HISTOIRE DE LA TÉRATOLOGIE. science de l'organisation d’une de ces vérités mères, sources inépuisables de découvertes d’un ordre secon- daire, nous apparait, au terme comme au début de sa période scientifique, mais avec un succès et un éclat proportionnés à son développement moderne, l'auxi- liaire puissante de la physiologie générale. C'est ainsi que, tantôt les résultats de l'étude des êtres normaux étant étendus aux êtres anomaux, et tantôt, à leur tour, les conséquences des faits de la té- ratologie étant rendues communes à la zoologie, ces deux sciences ont contracté des liens intimes, et sont devenues le complément nécessaire l’une de l’autre. C'est ainsi que l’on a pu arriver finalement à ce résul- tat général dans lequel se résument les recherches les plus récentes sur les anomalies de l’organisation : non- seulement les êtres dits anomaux, considérés en eux-mêmes, ne sont pas moins réguliers que les êtres normaux, et il existe des lois tératologiques aussi bien que des lois zoologiques; mais les unes et les autres ont entre elles une analogie qui va jusqu’à l'i- dentité absolue, toutes les fois qu'on sait se placer dans la comparaison à un point de vue suflisamment élevé. À vrai dire, point de lois spécialement zoolo- giques, point de lois tératologiques , mais des lois générales applicables à toutes les manifestations de l'organisation animale, et embrassant comme au- tant de considérations secondaires toutes les généra- lités restreintes à un seul ordre de faits. RÉSUMÉ. - XII. Arrivé ; ici à la fin de cette ezponikioR, puisque je le suis à époque actuelle, qu'on me permette de re- porter quelques instants mes regards en arrière. J'ai à cœur de faire sentir nettement ce que l'on wa peut- être pas aperon assez clairement à travers les détails dans lesquels ĵ’ jai dû entrer, savoir : l'influence de la direc- tion philosophique nouvellement imprimée à l'étude des sciences de l'organisation , et, en particulier , de la recherche difficile, mais féconde, des analogies sub- stituée à la simple, mais stérile observation des différen- ces. Par ce seul changement de point de vue, tout a paru sous un nouveau jour : pour la tératologie en particulier, la rénovation de la méthode a été, à elle seule, plus qu un progrès ; : elle a été toute une révo- lution scientifique. Et d’abord, pour la tératologie ASE hN en elle-” même , les progrès accomplis sont immenses et évi- dents. LS anciens auteurs décrivaient les anomalies ; ils les mettaient en parallèle avec les conditions nor- males ; ils appréciaient, ils mesuraient pour ainsi dire la différence des unes et des autres ; ils s’étonnaient devant elle, si elle était grande et frappante; et leur œuvre était presque accomplie. Dans la nouvelle direction de la science, la connaissance des rapports des êtres anomaux entre eux et avec les êtres nor- maux devenait le but principal des recherches : dès ZOOLOGIE GÉNÉRALE, | M4 210 HISTOIRE DE LA TÉRATOLOGIE. lors la découverte en devint le prix. Des analogies fu- rent aperçues, des généralisations furent faites, d’a- bord restreintes à un petit nombre, et d'un faible inté- rêt, puis de plus en plus multipliées et plus impor- tantes, jusqu’à ce qu'enfin toutes pussent se résumer dans cette vaste proposition : toute loi tératologique a sa loi correspondante dans l’ordre des faits normaux, et toutes deux rentrent, comme cas particuliers, dans une autre loi plus générale encore. Les anciens auteurs tiraient timidement de leurs études sur les anomalies quelques corollaires anato- miques où physiologiques; encore étaient-ils le plus souvent inexacts. Les études analogiques sur les anomalies ont eu pour un de leurs premiers résul- tats, de faciliter, de multiplier et d'assurer les ap- plications pour l'anatomie et la physiologie , et de les étendre à la zoologie. Mais le progrès ne s’est pas arrêté là. L'histoire des êtres anomaux s’est presque faite une avec celle des êtres normaux par la simili- tude de leurs bases et de leurs méthodes, conséquence nécessaire de la similitude de leurs lois générales. Les anciens auteurs, enfin, lorsqu'ils voulaient s'é- lever à l'appréciation philosophique des anomalies, voyaient , dans les monstres, des êtres destinés à faire éclater la gloire de Dieu par le miracle de leur exis- tence étrangère aux règles et aux fins ordinaires de la nature, Je dirai volontiers, après eux, mais non dans le même sens, que les anomalies nous offrent ’éclatantes manifestations de la grandeur suprême 1 RÉSUMÉ. 211 du Créateur. A la science moderne il appartient, non plus de gincliner, étonnée et admiratrice, devant d apparentes merveilles, mais d'en pénétrer le mys- tère; mais de démontrer l'harmonie et la régularité de toutes les formes, même anomales , des êtres vi- vants, et de se créer à elle-même de sublimes i images de l'unité, de l’invariabilité, de la majesté divines, par la découverte des lois générales de la nature, toutes unitaires, invariables, majestuéuses comme leur cause première. FIN DE LA PARTIE HISTORIQUE. TABLE DES AUTEURS CITÉS DANS LA PARTIE HISTORIQUE: À. ALBERT LE Crus — Travaux de compilation, page 19. Ausnus.— Avait quelquefois apercu l'intermaxillaire de l'homme, 170. AzorovANDE (Uzysse). — Travaux de compilation, 22. Azemserr (D’). — Pensée sur l'unité de l'univers, 58.. Ampère. — Ses travaux sur la philosophie des sciences, 5 et bi aCi- tation d'un passage remarquable, 52. — Le plan que M. Ampère s'était tracé, le conduisait nécessairement à des recherches sur l'his- toire philosophique des sciences, 53 et 54. Anaxacoras. — Étendue et diversité deses connaissances, 14. : Aquarexpenre (Fasrice »'). — L'un des premiers qui aient observé les petits organes et les parties difficilement visibles des animaux, 26. Anisrore.— Étendue et diversité de ses connaissances, 15 et 16.—Haute importance de ses travaux en histoire naturelle, 14-17- — Sa supé- riorité sur Pline, 18. — Il est encore aujourd'hui, par plusieurs de ses hautes conceptions, un auteur progressif et nouveau, 17, 30. —A pressenti la théorie de l'unité de composition organique, 16, 48, 6G9.— Citation d'un passage sur les analogies ; 70. — Ses ouvrages très-im- parfaitement connus pendant plusieurs siècles , 19 et 20. — Il ne dé- crit point les animaux dont il Rs 102. — Il a Dire. quelques re- marques sur les monstres , 175. ATHÉNÉE. — N'est point un naturaliste, 17. Avcosrtis (Saint). — Pensée remarquable sur l'unité, Ji Ausoxe, — N'est point un naturaliste, 17. papaa ESN L à à K ne, E AASS n ppn a Re mr en Ra ve 214 TABLE DES AUTEURS CITÉS, B. Bacon. — Influence de ses préceptes philosophiques sur les travaux des naturalistes, 28. — Passage remarquable sur les monstruosités, 185. Béion. — Caractère et importance de ses travaux zoologiques , 21 et 105. — Ses voyages ; 22, 29. — Comparaison hardie du squelette de l'homme et de celui de l'oiseau, 22, 69, 71. — Citation de quelques lignes servant de titre à une figure du squelette humain, 71. Bicuar. — Créateur d'une anatomie nouvelle, 196. Bzamvuze ( Ducroray ne). — Leçons sur l'histoire de la zoologie , 7. — Idées sur la classification du règne animal, très-différentes de celles de Cuvier, 148, 149 et 151. — Il s’est occupé de la question de la composition vertébrale de la tête, 169. BLUMENBACH. — A eu communication des travaux inédits de Goethe, 166. — Considérait l'absence de l'intermaxillaire comme un des ca- _ ractères distinctifs de l'homme ; 170. Boranus. — Goethe serait, suivant lui, l'auteuride la découverte de la composition vertébrale de la tête, 170. Bonnert (Garzes). — Mérite d'être admiré à la fois comme observateur _ et comme penseur, 41 et 42. Boxrws. — Utile à l'histoire naturelle par ses voyages , 29- Burrox. — A été comparé à tort à Pline, 18. — Secours qu'il a uve dans la collaboration de Daubenton, 41.—Son éxemple invoqué à tort contre l'emploi dela nomenclature linnéenne, 117.—Éclat et grandeur de ses travaux , 29, 30-42. — Parallèle avec Linné, 31-33, — Éloge de Buffon fait à l'Académie française par Vicq. d'Azyr, 38. — Appré- ciation incomplète par Cuvier, 6o.-— Le grand écrivain a longtemps éclipsé dans Buffon le grand naturaliste, 37, 38, 60. — Goethe et M. Geoffroy Saint-Hilaire étaient, il y à peu de temps encore, presque les seuls qui lui eussent rendu une complète justice , 37 et 38.— Pu- blication récente de deux articles, l'un dè M. Geoffroy Saint-Hilaire , l'autre de M. Villemain, où les travaux de Buffon se trouvent digne- ment appréciés, 61.—Citation de deux passages de l’article de M. Geof- froy Saint-Hilaire, 62-65 ; et de deux passages de celui de M. Ville- main , 66-68. — Vues hardies de Buffon en anatomie philosophique, 39, 48 , 69 , 75. — Il a lë premier proclamé avec netteté le principe de l'unité de composition, 75 et 76- — Citation de deux passages re- ; marquables où ce principe se trouvé Sopo , 76, 78. — Iá admis, TABLE DES AUTEURS CITÉS. 215 comme l'ont fait depuis Lamarck et Goethe, l'action modificatrice du monde ambiant, 167. C. Camper (Prrnne).—Importance de ses travaux anatomiques, 4o et 42.— Ses rapports avec Goethe, 166. — N'a point admis l'existence de l'in- termaxillaire chez l'homme, 171, 172: Canpozee (DE). — À dignement apprécié les travaux, botaniques de Goethe , 155. RER | Carus. — Goethe, selon lui, aurait découvert la composition vertébrale de la tête, 170. - ; Certi (Bexvenuro). — À eu Goethe pour traducteur, 159. Cozonsa (Fasio) ou Famus Cozumxa. — Travaux estimables sur les animaux à coquilles ; 23. Conporcer. — À fait un éloge de Linné, 107. Cover (Grorce). — Ses leçons sur l'histoire des sciences naturelles, 4. Il a remarqué que l'on ne trouve point de descriptions dans les ou- vrages des anciens, 102. — Son opinion sur Camper, 4o ; et sur Buffon, 60. — Ila attribué à Aristote la première vue de la doctrine de l'unité de composition organique , 69.— À repoussé cette doctrine comme apportant des entraves à la liberté du créateur, 75. — À considéré cette doctrine et la théorie de la variabilité des êtres comme unesimple extension des systèmes bizarres de Robinet et de Demaillet, 81.—Appréciation sommaire des travaux de Cuvier, 46.—II a opéré par chacun de ses ouvrages une révolution dans la science, ibid.—Ses travaux ont puissamment contribué, en multipliant le nombre des faits, à amener l'époque de généralisation , 47— Il est auteur, avec M. Geoffroy Saint-Hilaire , d'une classification mammälogique qu'il a modifiée ensuite et rendue très-semblable à celle de Linné, 36 et ‘130. — Comparaison de l'ensemble de sa classification avec celle de Linné , 127-133. — L'une et l'autre ne diffèrent pas fondamentale- ment, 134 et 136. — Examen général de la classification de Cuvier, 139-151. — Progrès principaux dans la classification , dus à Cuvier, 139-142. == Comparaison du plan suivi par Cuvier et du plan suivi ar Lamarck, 142-145. — Modifications à introduire dans la classifi- cation de Cuvier, 145-151. | TABLE DES AUTEURS CITÉS, D. DausenTON. — Importance de ses travaux , 41 et 43. Dern. — Auteur d'observations importantes sur les insectes, 40. DemaILLET. — Auteur d'un système bizarre que plusieurs ont confondu avec la théorie de la variabilité des êtres , 8x. | Démocnre. — Etendue et diversité de-ses connaissances, 15.— À pré- senté quelques remarques sur les monstres , 155. Dunér. — A, l'un des premiers, reconnu la composition vertébrale de la tête, 169. Duvennéy. — L'un des fondateurs de l'anatomie comparée, 25. — Au- teur de travaux estimables en tératologie, 188. Duvernoy. — Son opinion sur une question de priorité, relative à la théorie des analogues, 85. i E. Erien. — N'est point un véritable naturaliste, 17. Empéoocze. — Pourrait être cité comme l'un des premiers tératolo- gues, 175. , F. Fasnicus, — Second fondateur de l’entomologie, 4o et 42. Fie. — Auteur d'une vie de Linné où se trouvent un grand nombre de documents intéressants, 109. G. Garn. — Pourrait être cité comme l'un des premiers tératologues. G£orrroy Sainr-Hizaire (Étienne). — Devenu zoologiste par suite d'un décret de la Convention, 45. — A remarqué que la nomenclature binaire est en usage chez quelques peuples, 113. — Est auteur , avec Cüvier, d'une classification mammalogique que Cuvier a de- puis modifiée, 36 et 130. — A , l'un des premiers, rendu une entière justice à Buffon, considéré comme naturaliste, 37,38; et a publié récemment, sur ce. grand homme, un article étendu , 61. — Citation de deux passages de ce dernier article , 62-65. — A présenté Aristote comme ayant, le premier, conçu l'idée de l'unité de com- position organique , 69.—A cité un passage remarquable de Newton TABLE DES AUTEURS CITÉS. 217 où se trouve aussi indiquée Ja même idée , 173. — Différence entre ses recherches sur l'unité de composition à partir de 1807, et les vues émises antérieurement par lui-même ou par d'autres sur cette théo- rie, 47-49, 84-86 et 96-97. — Il l'a conçue pour la première fois en 1996, 86-87. — Citation du passage remarquable où elle est énoncée, 85-88. — Citation de divers passages écrits de 1796 à 1806, 89-90.— Citation de passages écrits en 1807, o1-95.— Il s'est occupé de la ques- tion de la composition vertébrale de la tête » 169- — Application à la tératologie d'idées déduites de la théorie de l'unité de composition et de celle des inégalités de développement, 198. eo Travaux sur la classification tératologique, 203. — Loi de position similaire des in- dividus réunis et formant un monstre composé, 205-206.— Loi del'af- finité de soi pour soi, 207. | German (Mademoiselle Sorne ). — Pensée sur la nécessité de l'uni- vers, 58. Gesner (Conrad). — Sa supériorité sur les compilateurs précédents, 20-21, 105. — A mérité le titre de Restaurateur de l'histoire natu- relle, 20. Gozrue. — A, l'un des premiers, rendu une entière justice à Buffon considéré comme naturaliste, 37.— Nouveauté et importance de ses vues en anatomie philosophique, 47, 69, 82, 84. — Exposé de ces vues, et analyse des travaux zoologiques et anatomiques de Goethe, 153-174. — Ses droits incontestables au titre de naturaliste, 154-161. — Ses vues sur l'existence d'un type ou modèle universel, 164-167. — Sur l'action modificatrice du monde ambiant, 169-168. — Ses vues sur la composition vertébrale de la tête, 169-170.—Ses travaux sur l'existence de l'intermaxillaire chez l'homme, 170-172- Gustavs III, roi de Suède. — A fait un éloge de Linné, 107- Gyzuius, — Travaux de compilation, 19» H. Harrer. —Ses critiques acerbes des ouvrages de Linné, 111.—Sa grande physiologie riche en faits précieux pour l'anatomie comparée , 41 r < | , . — DR "o ses ge en tératologie , 176, 190, 191.—Appré- ciation des services rendus à la science par la publication du ttnité de Monstris, 191, 192. Hanrsoëxer. — Perfectionnement du microscope , et observations im- portantes sur les animaux microscopiques, 25-27. OT ar ce SPA UBE Î jh 14 å e hj k 4 ý A | w 4 218 TABLE DES AUTEURS CITÉS. Harvey (GUILLAUME). — Illustre à double titre, 26, 195. Herner. — À conçu l'idée générale de l'unité de composition organique, 69, 79+ — Citation du passage remarquable où cette idée se tronve exprimée, 79-82, — Herder y réfute le système de Robinet, 81. Hernannez. — Utile à l'histoire naturelle par ses voyages, 29. Hénonore. — Importance de ses livres historiques sous le point de vue de l'histoire naturelle, 13. — Sa véracité, ibid. Hippocrate, — Pourrait être cité comme Tun des premiers tératolo- gues, 175. Home ( Éverann ). — Importance de ses travaux zootomiques , 44. Huser pe Genève. — Observateur sagace, quoique aveugle, 44, Housozor. — À eu communication de divers travaux de Goethe avant leur publication, 166. I. Isinore DE Sévaux. — Travaux de compilation, 19. J. Joxsrox. — Travaux de compilation, 22. .Jussru( Bernarn et Laurent ). — Créateurs de la méthode naturelle en botanique, 36 et 126. K. Kant. = Goethe lui a emprunté quelques idées, 168. Kieuwever, — Cité à tort comme ayant précédé M. Geoffroy Saint-Hi- laire dans la recherche de l'unité de composition , 85. Korrre.—Idées sur les taureaux actuellement vivants, considérés comme descendant des taureaux fossiles, 167. L. LacéPèDE, — Trop loué pendant sa vie, jugé trop sévèrement aprés sa mort, 44. | Lamarck. — Botaniste distingué et zoologiste illustre, 44 et 45. — Ses contemporains ne lui ont pas rendu une complète justice, 45 et 46.— Comparaison du plan de sa classification et du plan de la classifica- tion de Cuvier, 142-145,—Ses idées sur l'influence modificatrice du monde ambiant ont été partagées par Goethe, 167. TABLE DES AUTEURS CITÉS, 219 Lasalle. — En traduisant Bacon, lui attribue sur les monstres une idée qui n'est pas dans le texte, 185. 3 LATREILLE. — Importance de ses travaux entomologiques, 44. | Léerr. — Auteur de travaux importants de tératologie, 188. — Dis- cussion célèbre de Lémery et de Winslow ; 160. Leuwennoscr. — Perfectionnement du microscope ; et observations importantes sur les animaux microscopiques ; 25-27. Licerus. — Admettait que les monstres doivent parfois leur origine à des unions adultères entre l'homme et la brute, 183. es Liné. — Jean-Ray a été, à quelques égards, son précurseur, 25-34. — ‘Éclat et grandeur de ses travaux, 29; 30, 42, 106. — Comment son nom agissait sur Goethe, 157. — Parallèle avec Buffon , 31-33. — Appréciation sommaire de l'importance de ses travaux, 34-37.—Ap- préciation détaillée, 106-134. = Invention de la nomenclature bi- maire, 84, et xx2-x19. — Langue descriptive et terminologie, 34, et 127-121. — Ensemble de la classification , 34, et 121-134. =— Accueil fait au Systema naturæ par les contemporains et les successeurs de Linné, 34-35, et 109-112. — Causes du succès immédiat de la-partie botanique de sa classification, 35-36, et 123-126.— Pourquoi sa par- tie zoologique, moins bien accueillie à l'origine que sa partie bota- nique , a été plus durable qu'elle, 36, et 125-127. — La classification zoologique de Linné est une classification naturelle, 126-127. — Sa comparaison avec la classification de Cuvier, 127-134, et 140-141. — Remarques sur la classification des oiseaux en particulier, 129-130 ; et sur celle des mammifères, 130-133. — Identité fondamentale des classifications actuellement suivies avec la classification de Linné, 134. Liró. — Remarque sur un passage de M. Ampère, 53. Losstein. — À eu Goethe pour élève, 157. i i Loner. — A eu Goethe pour élève, 158. =— A connu avant leur publi- cation et fait connaître plusieurs trayaux scientifiques de ce grand poëte, 160, 166. Loncerus. — Travaux de compilation, 20. Lyonnet. — Célèbre par ses travaux sur l'anatomie de la chenille du saule, 40 et 42. M. ` Mazpremr. — Observations importantes pour l'anatomie et la physiolo- gie comparées, 27. ; 220 TABLE DES AUTEURS CITÉS. Manvez Paie. — Travaux de compilation, 19. Mancenaar. — Utile à l'histoire naturelle par ses voyages, 29. Martın Sanwr-Ance. — Travaux sur les cirripèdes, 151. Manrins.— À traduit les œuvres d'histoire naturelle de Goethe, 153.- _— Utilité et mérite de cette traduction, 178 et 174. — Il à remarqué que T'anatomie philosophique a été créée en France et en Allemagne sans qu'il y ait eu communication et échange d'idées entre les anatomistes de ces deux pays, 167. Mecrez. — Importance de ses travaux Z00tomiques et tératologiques, 44. — Cité à tort comme ayant précédé M. Geoffroy Saint-Hilaire dans la recherche de l'unité de composition organique, 85. — Tra- vaux importants sur la théorie des arrêts de développement , et spé- cialement sur son application à la tératologie, 199. Méry. — Auteur de travaux estimables en tératologie, 189. Meunier (Victor). — Auteur d'un ouvrage sur l'histoire de la zoologie générale , 7. Moxrarene. — Idées philosophiques sur les monstruosités , 184 et 185. Mocrer (Tuomas). Travaux estimables sur les insectes, 23. Murren ( Ornox-Frénénic ). — Importance de ses travaux sur les infu- soires, 4o et 42, N. Nensirr. — A, l'un des premiers, aperçu l'intermaxillaire humain chez quelques sujets, 170. Neres »'Esensecr.—Remarque que la langue française a, entre toutes, 'le _privilége de faire comprendre et de répandre les idées nouvelles, 174. Newrown. — À pressenti l'idée de l'unité. de composition organique, 69, 73. — Citation du passage remarquable où cette idée se trouve in- diquée, 74. — Newton la considère comme éminemment religieuse en même temps que philosophique, 75. 0. Oxex. — L'un des auteurs principaux dela découverte de la composition vertébrale de la tête, 169. OpPPIEN. — N'est point véritablement un naturaliste, 17. TABLE DES AUTEURS CITÉS. P. Parras, — Diversité et haute importance de ses travaux, 41 et 42. Paré ( Amsrorse ). Ses travaux tératologiques appartiennent à la pre- mière période de la science , 179. Perrauzr (CLaune). — L'un des fondateurs de l'anatomie comparée, 25. Pevssonnez. — Travaux sur les zoophytes , 40. Pison. — Utile à l'histoire naturelle par ses voyages, 29° Pire. — Est le plus élégant et le plus spirituel des compilateurs de l'antiquité, 17 et 18. — Ne décrit. pas les animaux dont il parle, 102. — S'est occupé de tératologie, 17- — Phrase célèbre dans laquelle il résume les idées tératologiques de son temps, 200.—C'est à tort qu'il a été comparé à Aristote et à Buffon, 18.—Opinion de M. Villemain sur Pline, ibid. 3 Pyruacons. — Étendue et diversité de ses connaissances, 14. R. Rasus.— Voyez Jean Ray. i Ray (Aucusrin).— Auteur d'une Zoologie universelle et portative, 24. Ray (Jean) ou Rasus. — Importance et nouveauté des travaux qu'il entreprit au dix-septième siècle, sur la classification zoologique, 24 et 25. — Sa vie et ses travaux offrent essentiellement le caractère de l'époque de transition à laquelle il appartient, 27 et 28. RÉAUMUR. — Auteur d'admirables travaux sur les mœurs des insectes, 40 et 42. ° ; RIOLAN (Jean). — Établit comme une nouveauté hardie qu'il n'est pas nécessaire de tuer les géants, les nains , etc., 183. | RorineT. — Auteur d'un système bizarre que plusieurs ont confondu avec la théorie de l'unité de composition organique, 81. Roxpezer. — Caractère et importance de ses travaux zoologiques, 21, 105.— Essai d'une classification ichthyologique, 21. suis STE ir de ses travaux zootomiques ct de son ouvrage surles entozoaires, 44. ; Rupr. — Travaux sur les zoophytes, do. TABLE DES AUTEURS CITÉS. S. Sanr-Hizarre (Aueusre pE).—A fait un rapport sur les trayaux de Goethe en physiologie végétale, 153. Sazvianr, — Importance de ses travaux ichthyologiques, 21. Savienx. — À fait dès 1816 des travaux d'anatomie philosophique, 85, Scauicer. — Comment il commente un passage remarquable d'Aristote, 7i. Semzzer, — Goethe a été détourné. par ses liaisons ayec lui, de ses tra- vaux d'histoire naturelle, Serres. — Inventeur de la loi du développement centripète, 49 , 202. —Règle importante de tératologie déduite de ses recherches embryo- géniques , 201, — Application de ses recherches sur le système ner- veux à une question de classification zoologique, 151. — Il rappelle le travail de M. Geoffroy Saint-Hilaire en 1807, où les poissons sont considérés, sous un point de vue, comme des embryons permanents des classes supérieures , 96. SHAKRESPEARE.— Comment son nom agissait sur l'esprit de Goethe, 157. SoëmMMERING. — A fait connaître quelques travaux de Goethe, 160, 166, 171. < SPALLANZANI, — Son habileté comme expérimêntateur, 40- Sriezmanx. — A eu Goethe pour élève, 157. ji Srinosa. — Comment son nom agissait sur l'esprit de Goethe, 153. STAEL (Me DE). — Opinion sur Goethe, 163. SwammenDan. — Trayaux importants sur l'organisation et les métamor- phoses des insectes, 27. E. Tacite. — Est, selon M. Villemain, de la même école que Pline, mais avec une grande supériorité sur lui, 18. Tuazks. — Étendue et diversité de ses connaissances, 14. Taéopurasre.— Importance de ses travaux en histoire naturelle, 14 et 15. TigDEMANN. — Cité à tort comme ayant précédé les auteurs français dans la recherche des analogies, 85. Tire-Live. — Les monstres dont il rapporte la naissance , ont été €n partie figurés par les modernes, 181. Tremeuex, — Expériences célèbres sur les polypes, 4o. TABLE DES AUTEURS CITÉS, 223 y. Vartre-Maxme, — Les monstres dont il rapporte la naissance, ont été en partie figurés par les modernes, 181. Vazuisnerr. — Appelé par Haller cautus homo et difficilis , 199. | Vazmonr pe Bomare. — Comparable à Pline à quelques égards, 18. Vésaze. — Avait aperçu l'intermaxillaire chez l'homme, 191, ~- Vico-n'Azyn. — A fait l'éloge de Buffon, son prédécesseur à l'Acadé- mie française , 38 ; et celui de Linné, 107 et 121: — Est le seul qui ait fait de l'anatomie vraiment comparative avant Cuvier, 46. — S'est élevé à plusieurs conceptions importantes en anatomie philosophique, 41, 42, 48, 69, 82. — Citation d’un passage où la doctrine de l'unité de composition organique est clairement indiquée , 62, 83. — L'au- teur y signale l'existence, chez l'homme, de l'intermaxillaire que Goethe, de son côté, découvrait à la même époque, 83 et 171. Viszema. — Son opinion sur Pline, 17.— Article étendu et important récemment publié par lui sur Buffon, 61, 66. — Citation de deux passages remarquables de cet article, 66, 68. Vaxcenr DE Beauvais. — Travaux de compilation, 19. Voczr.— Auteur de travaux tératologiques , 192. Vorrame. — Critiqué par Buffon, et le critiquant à son tour, 58 et 59. W. Wairrucnsy. — Élève et collaborateur de Jean Ray, 25. Wixszow. — Avait apercu, longtemps avant Vicq-d'Azyr et Goethe, l'intérmaxillaire humain chez quelques sujets, 170. — Auteur eo travaux tératologiques importants, 188.— Discussion célébre de Lé- mery et de Winslow , 189. Worton. — Travaux de compilation, 20. Z. Zévon d'Érée. — Étendue et diversité de ses connaissances, 14. PS us te Rs SA oi ; a DR JS = pese Es = fams miai z sm À + CE = r P ZOOLOGIE GÉNÉRALE ANTHROPOLOGIE. ZOOLOGIE GÉNÉRALE. E DE LA POSSIBILITÉ D ÉCLAIRER L'HISTOIRE NATURELLE DE L'HOMME PAR L'ÉTUDE DES ANIMAUX DOMESTIQUES (1). "> De toutes les branches de l’histoire naturelle, la plus intéressante pour l’homme est sans doute l’histoire na- - turelle de l’homme lui-même. De là le zèle toujours croissant que les voyageurs, les naturalistes, les mé- decins de toutes les époques et de tous les pays ont mis ar enrichir d’une multitude de faits et d'observations, auxquels des observations et des faits nouveaux vien- nent encore s'ajouter de jour en jour. Si le degré de af mat p - ra (1) Ce travail, composé au Mont-Dore en août 1834 , a été commu- niqué à la Société des Sciences naturelles le 8 avril 1835, et lu à l'Aca- . démie des Sciences le $ mai 1837. Il a été analysé dans le Bulletin de la Société des Sciences naturelles, p. 53, et imprimé dans les Comptes rendus des séances de l'Académie, t. IV, p- 662 et suiv., y 228 ÉTUDE DES ANIMAUX DOMESTIQUES. perfectionnement d’une science devait se mesurer ar le nombre des faits qu'elle possède, nul doute que l'anthropologie ne fût l'une des branches les plus avancées de nos connaissances. Mais si l’on at- tache moins d'importance au nombre matériel des observations qu’à leur valeur scientifique, s'il est plus rationnel de peser les faits que de les compter, il faut porter un jugement tout contraire, et avouer même que presque toutes les branches de la zoolo- gie ont devancé, par leurs progrès, l'histoire naturelle de l'homme. C’est là peut-être une circonstance singulière et pa- radoxale , une anomalie grave dans la marche de la science, mais une vérité incontestable et dont les preuves ne sont que trop nombreuses. Des observa- tions, pour la plupart incomplètes, qu'aucun lien méthodique ne coordonne entre elles, et dont les conséquences sont souvent nulles ou douteuses ; des matériaux préparés pour l'avenir bien ph tôt que les éléments présentement utiles d’une science déjà avancée dans la voie du perfection- nement : tels sont les imparfaits résultats auxquels une sévère , mais juste critique, réduit presque tous les travaux anthropologiques publiés jusqu'à ce jour. Aussi les zoologistes qui ont su établir parmi les innombrables êtres, sujets de leurs études, des divisions de tout rang, pour la plupart nettement caractérisées et heureusement enchainées les unes aux autres, qui Ont presque réussi à classer l'en- cer ES $ à are EN] i APPLICATION A L'ANTHROPOLOGIE. 229 semble du règne animal dans un ordre à la fois naturel et logique, ne sont-ils point encore parvenus à déterminer , avec quelque précision , les divers types que présente le genre humain, pas même, sauf de rares exceptions, à les décrire d’une manière satisfai- sante. _ À quelles causes faut-il attribuer cet état si impar- fait, cette enfance si prolongée de l'anthropologie ? Lois del imputer au défaut dezèle ou à l’inhabileté des auteurs qui ont cultivé cette branche de la science zoologique, nous devons reconnaître qu'ils ont fait pour la plupart tout ce qu’il était en leur pouvoir de faire. L'immense difficulté du sujet a seule privé leurs travaux de cette précision et deçcette exac- titude rigoureuse, sans lesquelles il n’est point de ré- sultats vraiment scientifiques. IT. L'histoire naturelle de l’homme , comme toutes les autres branches des sciences physiques , comprend des résultats de deux genres; ; savoir, des faits parti- culiers, que donne immédiatement l'observation , et des faits généraux, déduits des faits d'observation par le raisonnement. En deux mots, elle est positive et spéculative, et doit en effet offrir ce double caractère : les faits du premier genre, sans les seconds, seraient des prémisses sans conséquences : les seconds, sans les premiers , des conséquences sans prémisses: 230 ÉTUDE DES ANIMAUX DOMESTIQUES. L'étude des caractères des races humaines est l’une des parties principales de l’histoire naturelle positive de l'homme. Grâce aux travaux d’un grand nombre d’observateurs, parmi lesquels se placent, en pre- mière ligne, les commandants et les naturalistes de nos récentes et si mémorables expéditions autour du monde, la population d'une très-grande partie de la surface du globe se trouve, dès à présent, connue d’une manière plus ou moins exacte. Mais alors même que cet. immense travail serait complété pour toutes les races, alors même que leurs innombrables varia- tions de forme , de couleur, de taille, auraient été étudiées, figurées, décrites par des observateurs in- struits, que d'obstacles s'opposeraient encore à ce que les mille et mille faits, fruits de ces longs et pénibles travaux, pussent être coordonnés d’une manière sa- tisfaisante, et surtout à ce qu’une détermination ri- goureuse et une classification exacte des divers types humains vint enfin fournir une base solide aux théo- ries anthropologiques ! Les immenses progrès qu'ont faits, depuis quarante années, les sciences zoologi- ques, datent de l’époque où de grands musées scien- tifiques, fondés sur plusieurs points du monde sa- vant, Ont permis aux z0ologistes de substituer à la- _nalyse de descriptions encore insuflisantes, alors | même qu'elles sont le plus précises, l'examen direct et comparatif des objets de leurs études. Le temps est loin où d'aussi puissantes ressources seront mises à la disposition des anthropologistes, Il sera difficile de APPLICATION A L'ANTHROPOLOGIE. 231 triompher des obstacles matériels qui tendent à em- pêcher ce progrès, plus difficile encore de vaincre ceux que lui opposent presque partout les supersti- tions et les préjugés nationaux. osk A moins de circonstances favorables: qui ne sof- frent à lui que bien rarement, l'anthropologiste, lors- qu'il veut se rendre compte des rapports et des diffé- rences de deux ou plusieurs types; est donc presque toujours réduit à la seule comparaison de descriptions et-de figures, quelquefois infidèles, presque toujours manquant de précision. Si les caractères nets et tran- chés de deux espèces animales disparaissent souvent et , pour ainsi dire, s'effacent dans leurs descriptions au point qu'une analyse habile, éclairée par la com- paraison directe des objets analogues, puisse seule les y apercevoir, comment l'anthropologiste, privé de tout moyen direct de comparaison, pourra=t-il sai- sir, dansles- descriptions de deux types voisins, les différences si légères qui seules les distinguent entre eux? Ces différences ne sont en effet que des nuances fugitives; presque inappréciables, et je dirais même au-dessus de toute expression, si quelques auteurs ré- cents, et principalement M. William Edwards, en nous montrant par leur exemple que tout ce qui peut être constaté par l'observation peut aussi être exprimé par des paroles, ne nous eussent révélé ce qu'on peut appeler Tart des descriptions anthropologiques (1). (1) Voyez sa lettre à M. Amédée Thierry sur es caractères physiolo- 232 ÉTUDE DES ANIMAUX DOMESTIQUES. Si la partie positive de l'histoire naturelle de l'homme est arrêtée dans sa marche par d'aussi puissants ob- stacles, il est évident que de graves difficultés s'oppo- seront de même aux progrès de sa partie spéculative; -car l'uncest la base unique et nécessaire de l’autre, et de faits imparfaitement connus ne peuvent naître que des conséquences imparfaites , € 'est--dine, 0 ou in- complètes, ou douteuses. Aussi, dans cette partie de la science, trouve-t-on, pour une vérité bien établie, dix assertions purement hypothétiques, et souvent directement contradic- toires. Même après les remarquables travaux de M. Bory de Vincent et de plusieurs autres anthro- pologistes , ces questions elles-mêmes, si souvent dis- cutées , s’il existe dans le genre humain un ou plu- sieurs types spécifiques, et.quelles sont ses races prin- cipales ; ces questions, auxquelles toutes les autres se lient et pour ainsi dire se subordonnent d'une manière intime et nécessaire, ne sont point encore résolues, au moins avec quelque certitude. Ouvrez en effet les livres anthropologiques, et si vous faites abstrac- tion de ceux où l’on n’a fait que copier Blumenbach ou Cuvier, si vous ne faites entrer en ligne de compte que les ouvrages originaux, vous trouvez exactement giques des races humaines, in-80, 1829. M. Edwards prépare en ce mo- ment une seconde édition de cet important mémoire. Il est à désirer qu'elle soit promptement suivie dé la publication des autres travaux anthropologiques de l'auteur. ae = si ne SRE > APPLICATION A L'ANTHROPOLOGIE. 233 autant de solutions qu'il y a d'auteurs. Or, quand tant d'opinions se partagent les esprits, est-il besoin de dire que la vérité ne règne point dans la science , elle dont l'unité, la simplicité, l'évidence, dès que sa dé- monstration est complète et vraiment satisfaisante, forment presque toujours le triple caractère? > Un nouvel examen de presque toutes les questions relatives à l’histoire naturelle de l'homme, une ré- vision de l'anthropologie presque tout entière, sont donc impérieusement réclamés par l'état présent de la science : ses progrès futurs sont à ce prix. Cette œuvre immense, dont le succès complet , à peu près impossible aujourd'hui, est surtout infiniment au- - dessus de mes forces, n’est nullement celle que je me propose d'entreprendre, soit dansun ouvrage que je prépare depuis plusieurs années sur l’anthropologie(1), soit, à plus forte raison, dans ce travail, beaucoup plus spécial dans son but et beaucoup moins vaste dans son plan. Reprendre et soumettre à un nouvel examen plusieurs questions déjà traitées par les an- (1) Mes études et mes recherches sur l'anthropologie datent de 1830. J'en ai indiqué les résultats, d'abord trés-imparfaits, dans un come de zoologie fait à l'Athénée en 1831, puis, moins incomplets, dans des cours faits en 1834, 1835, 1837 et 1838, au Muséum d'histoire naturelle, sur les mammifères, eten 1837, à la Faculté des sciences, sur la zoologie générale. Plusieurs des résultats que j'ai établis ou indiqués ont été consignés dans les analyses que divers journaux ont cru devoir don- ner, soit de quelques-unes de mes lecons, soit même de la totalité de trois de mes cours. 234 ÉTUDE DES ANIMAUX DOMESTIQUES. thropologistes, mais dont ils ne me paraissent pas avoir autant avancé la solution qu'ils le pouvaient en mettant à profit toutes les ressources présentes de la science; introduire dans la discussion plusieurs don- nées jusqu’à présent négligées; enfin, appuyé sur ces bases nouvelles, substituer sur divers points des ré- sultats démontrés à des opinions seulement hypothé- tiques, quelquefois aussi des conséquences probables à de simples conjectures : telle est la seule tâche que j'aie pu et puisse me proposer dans mes recherches; et encore est-elle d’une immense étendue. C'est l’une des questions préliminaires qui s'y rattachent, et l’une des plus simples, que l'on va trouver discutée dans ce mémoire, destiné à faire partie des prolégomènes d’un ouvrage plus étendu sur l'anthropologie. T garii < Les -éléments de détermination- ordinairement employés pour. la solution des problèmes relatifs à Thistoire naturelle de l'homme, sont, en première ligne, la comparaison directe des caractères des races ; en seconde ligne, la comparaison de leurs langues, de leurs coutumes, de leurs traditions, de. leurs mo- numents de tout genre , et des circonstances de leur habitat. Sans doute ce sont là autant de sources excellentes d'inductions : il n’est aucune d'elles qui - wait déjà concouru à enrichir la science de résultats intéressants, et qui ne lui en promette encore une ample moisson. | APPLICATION A L'ANTHROPOLOGIE: 235 Mais ces éléments de détermination, quelle que soit leur valeur, suffisent-ils toujours à la solution des questions si difficiles et si complexes de l’anthropolo- gie ? N’arrive-t-il pas trop fréquemment qu'appuyés sur leur seul emploi , les efforts même les mieux dirigés ne puissent x entrevoir et indiquer , “mais non démontrer ;, d importants résultats, où même qu'ils échouent complétement devant des difficultés encore insurmontables ? Et s'il en est ainsi, ne de- vons-nous pas chercher dans la dati de faits jusqu’à présent négligés, et dans leur application aux problèmes encore irrésolus , les moyens d'introduire dans leur discussion de nouveaux éléments, et parsuite de nous ouvrir de nouvelles voies vers leur solution ? Ces nouveaux éléments, ces nouvelles voies de solution, je les ai cherchés dans l'application à l'histoire de l'homme, de divers faits, quelques- “uns peu connus, la plupart vulgaires et presque triviaux , de l’histoire des animaux domestiques. -Ce-w’est donc plus par des’ faits anthropologiques que je vais essayer d'éclairer l'anthropologie , mais par des considérations empruntées à une branche collatérale de la science. Je substituerai ainsi aux méthodes ordinaires , ou plutôt j'appellerai à leur aide et comme auxiliaire, une méthode beaucoup moins directe, il faut l'avouer, et dont l'emploi, par cela même, offre qéelgte difficulté. Quim- “porte au reste que cette méthode indirecte paraisse nous éloigner du bùt, si elle nous y ramène heureu- 236 ÉTUDE DES ANIMAUX DOMESTIQUES. sement, et si nous pouvons quelquefois parvenir, par ses voies détournées, à des résultats où ne saurait conduire. une voie plus directe ? Il s’en faut d'ailleurs de beaucoup que les variations des animaux domestiques et les variations des races humaines aient seulement entre elles des rapports aussi éloignés et aussi indirects que pourrait le faire penser un premier et superficiel examen. Loin qu'il en soit ainsi, on va voir que ces rapports résultent, je ne dirai pas seulement de liens intimes, mais même de doubles liens , savoir : des liens d’analogie, et des liens de causahté; d’analogie, parce que les variations dés races humaines et celles des races domestiques se font suivant les mêmes lois et présentent de semblables caractères ; de causalité, parce que les modifications diverses des races domestiques sont dues à l'influence de l'homme, exercée diversement suivant les temps, les lieux et les circonstances. Ainsi, on peut déjà le prévoir, la considération des races domestiques, intro- duite dans la discussion des problèmes anthropolo- giques, les éclairera par des données de deux genres, et de cet unique , mais double élément, vont décou- ler deux sources fécondes en inductions. IV. Examimons d’abord les rapports d’analogie qui existent entre les variations des races animales do- mestiques et celles des races humaines : essayons de APPLICATION A L'ANTHROPOLOGIE. 237 les apptécier dans leur nature et, autant qu'il est pos- sible , d'en déterminer et pour ainsi dire d’en mesurer la valeur. : i ' ; Lorsque l'on compare entre eux plusieurs indivi- dus d’une espèce sauvage pris dans des régions très- différentes par la température, la disposition topo- graphique, et, d’une manière générale, par tout ce qu'on peut comprendre sous le nom de circonstances locales; lorsqu'on soumet ces divers individus à un examen suffisamment attentif, on-arrive toujours à reconnaître qu'ils présentent entre eux des différences plus ou moins marquées. Sauf le cas tout à fait étran- ger à notre sujet, d'une modification accidentelle ou tératologique, les traits différentiels de chacun des individus pris pour types de la comparaison sont d’ailleurs loin de lui appartenir en propre. Ils se re- trouvent chez tous les individus vivant dans le même pays et dans les mêmes circonstances locales, et se transmettent par voie de génération. Ils caractérisent donc des variétés héréditaires, en d’autres termes , et précisément dans le même sens où l’on emploie ce mot chez l’homme et les animaux domestiques, des races. ES Les caractères différentiels des races, principale- ment relatifs dans la plupart des cas à la coloration et à la taille , sont, dans quelques espèces, très-pro- noncés et manifestés dès le premier coup d'œil; dans d'autres, ils sont plus difficilement appréciables, quelquefois même presque nuls. Ces diversités ren- 238 ÉTUDE DES ANIMAUX: DOMESTIQUES. dent un peu plus difficile à constater le fait général que je viens d'indiquer, mais elles ne l'infirment nullement , et leur explication peut même se déduire de considérations assez simples. D'une part, en effet , il suffit de réfléchir aux variations si graves et si mul- tipliées que présentent les espèces animales dans leur genre de vie et dans leur habitat, pour concevoir que toutes ne doivent pas ressentir au même degré. Vin- fluence du climat, de la disposition topographique et des autres circonstances locales des pays qu’elles habitent. D'un autre côté, l'observation nous révèle une seconde cause, un peu plus difficile à prévoir par le raisonnement , dans les différences mêmes d’orga- misation : il est de fait que certains types résistent mieux, que d’autres cèdent plus facilement à Vin- fluence des circonstances locales, alors même que celles-ci sont ou du moins nous paraissent exactement les mêmes pour les uns et pour les autres. A cette notion que les espèces sauvages sont va~ riables sous l'influence de circonstances locales diffé- rentes, qu'il existe des variétés héréditaires où races parmi elles comme parmi les animaux domestiques, il faut donc ajouter cet autre résultat qu’elles sont va- riäblés à des degrés inégaux : l’un et l'autre sont également incontestables. Mais cette inégalité ne doit pas empêcher et n'empêche pas qu’il n’existe, dans les limites de variation propres à chaque espèce, un rapport bien déterminé entre l'intensité des modi- fications et celle des différences sous : l'influence APPLICATION A L'ANTHROPOLOGIE. 239 desquelles elles se produisent. Ici, comme partout, l'effet est en raison de da cause, et l'observation , aussi bien que la théorie , nous autorise à considérer dans les espèces sauvages les différences des races comme Proportionnelles, toutes choses égales d’ailleurs, à la différence des circonstances au milieu ns vivent ces races. L'application de ces notions sur r les variétés hërédi- taires ou races sauvages aux variétés héréditaires ou races chez les animaux domestiques et l’homme, est directe et facile. Les modifications si diverses, si complexes, en apparence si inintelligibles , que pré- sentent ceux-ci, sont les mêmes modifications que nous présentent les animaux sauvages, mais repro- duites sur une plus grande échelle. Les causes des pre- mières sont les causes des secondes, 1 mais multipliées en nombre et en intensité. À moins qu’une espèce sauvage ne vive à la fois dans des lieux très-différents par leur élévation, et, par suite, par leur température et leur pression atmo- sphérique, ce qui n’a lieu que très-rarement ; à moins qu elle ne se trouve répandue à la fois dans des lieux très-secs et d’autres très-humides, ce qui est peut- être plus rare encore; il faut de toute nécessité , pour trouver dans une espèce des diversités très-marquées, prendre pour termes de comparaison des individus ap- artenant à des régions très-éloignées. Mais cette possibilité est elle-même renfermée dans un cercle déterminé , et le plus souvent très-étroit. La distribu- 240 ÉTUDE DES ANIMAUX DOMESTIQUES. tion géographique de chaque être est rigoureuse- ment fixée par ses besoins et ses convenances. Là où des circonstances locales très-différentes eussent pu amener d'importantes modifications dans organisa- tion d'une espèce, et par cela même qu'il en est ainsi, elle ne se trouve plus ; car, libre de se mouvoir à son gré, elle s'étend où les circonstances lui sont favora- bles, c'est-à-dire où, concordant avec les données de- son organisation, elles tendent à en conserver le type, et non à le modifier par une puissante et par cela même fâcheuse réaction. | | Les conditions de variation sont bien différentes pour les animaux domestiques. En premier lieu, des modifications très-marquées s’observent sans une dif- férence proportionnelle dans la région habitée : car la toute-puissance de l’homme, agissant diversement sur les espèces qu'il s'est soumises, crée pour elles dans la même région les circonstances locales les plus différentes. En second lieu, le nombre et l'in- tensité des modifications deviennent pour ainsi dire illimités : car il n'y a plus pour une espèce domes- tique ni nourriture, ni habitudes, ni climat déter- minés ; autant de fois la volonté humaine s'exerce sur elle d’une manière différente, autant il existe pour elle de causes de variations. Il en est exactement ainsi, et par les mêmes causes, des variétés si nombreuses qui se transmettent héréditairement chez l'homme. Habitant sous tous les climats et presque à toutes les températures , Va- APPLICATION A L'ANTHROPOLOGIE. 241 riant de cent et cent manières la qualité et la quantité desa nourriture, se livrant aux professions les plus di- verses, il présente dans la multiplicité de ses races, de ses SOus-races, et l’on peut ajouter de ses innombrables variétés individuelles, l'effet naturel et nécessaire de la multiplicité des causes qui exercent sur lui et pue si longtemps leur influence. o Ainsi, d’un côté, chez les animaux sauvages, des causes de variation restreintes dans des limites très- étroites, et, par s suite, des variétés peu nombreuses et peu tranchées ; de l’autre, chez les animaux domes- tiques, et chez l’homme qu il faut. leur assimiler sous ce point de vue, des causes , et par suite, des effets - de variation dont les limites en nombre et en inten- sité peuvent à peine être tracées. Mais s'il existe sous ce rapport une immense différence entre les uns et les autres, il est. facile de reconnaître que l’état de civilisation chez l’homme, et la domesticité qui lui correspond si exactement chez les animaux, n’ont point dans la réalité créé un ordre nouveau de causes , et d'effets, mais seulement ont multiplié, grandi et varié de le détail les causes et les effets déjà exis- tant chez les animaux sauvages. Chez les uns comme Chez les autres, les modifications sont tou- jours les circonstances locales, notamment l’habita- tion , le genre de vie et le regime diététique : les ef- fets, des variations, d’ abord dans la taille et la couleur, puis dans la proportion et la forme des différents ` organes : double similitude que je pourrais sui- ZOOLOGIE GÉNÉRALE, 16 242 ÉTUDE DES ANIMAUX DOMESTIQUES. vre jusque dans les derniers détails, et dont je donnerais ainsi une. longue et pénible, mais rigou- reuse démonstration, si les remarques qui précèdent et la confirmation qu’elles reçoivent d'une multitude a # LA r . hd de faits généralement connus, pouvaient encore lais- ser désirer quelques preuves: La conséquence qui est à déduire de ces con- sidérations pour le sujet spécial de ce travail, est, comme on va le voir, directe et importante. Si les variations physiques qui se produisent chez l'homme, sous l'influence de son état de civilisation, étaient des phénomènes d’un ordre particulier ; si notre es- pèce se trouvait à cet égard, comme sous tant d'au- tres rapports , hors de rang dans la création , il est évident que nous serions réduits à ne point sortir, dans l'étude des races humaines, du cercle des faits anthropologiques : tout emprunt fait à une autre branche des sciences ne serait qu'une source d'erreurs, et rien de plus. Mais si les variations physiques de Thomme offrent des relations manifestes avec les va- riations des animaux , si elles consistent dans de sem- blables effets, explicables par les mêmes causes, et réductibles aux mêmes lois ; s'il en est ainsi, et c'est ce dont on ne peut douter, l'analogie pourra devenir, pour l'étude des races humaines, un guide aussi utile qu'il était dangereux dans ma première supposition. Enfin, si l'on vient à reconnaître que ces mêmes variations physiques de l'homme, géné- ralement analogues par leur nature aux variations des APPLICATION A L ANTHROPOLOGIE. 243 races chez les animaux, sont en particulier exacte- ment et de tout point comparables à celles des es- pèces domestiques, l'étude des races humaines et celle des races animales domestiques deviennent ma- nifestement, l’une pour l'autre, un complément ré» Ciproque et nécessaire ; et les isoler , c’est m ppe, parmi les données des difficiles problèmes qui s’y rap- portent , la moitié des éléments qui peuvent et doi- vent concourir à leur solution, V. Je viens d'indiquer un premier genre d’appli- cations presque entièrement négligées , quoique les rapports d'où elles dérivent , aient été depuis long- temps aperçus, il est vrai, d’une manière très-confuse. Voici maintenant une autre série d'applications plus complétement négligées encore, et dont le principe même a été à peine introduit dans la science. Faisons pour quelques instants abstraction de l'ana- logie que nous venons de constater entre les variations des races humaines et celles des animaux domesti- ques; sans nous occuper ni de la nature de celles- ci, ni de leur mode de production , bornons-nous à considérer les effets dans leur relation avec leur cause générale. Les variations des races domestiques sont de deux ordres : variations des races par rapport au type sau- vage et primitif variations des races entre elles, Les 244 ÉTUDE DES ANIMAUX DOMESTIQUES. ` unes et les autres ont été attribuées dès les premiers commencements de la science à l'influence de la domesticité ; et les remarques que j'ai présentées plus haut, suffisent pour établir que cette expli- cation est aussi juste qu'ancienne. Or, il est de toute évidence que l'influence de la domesticité n’est autre chose que l'influence tantôt directe, tantôt indirecte, du pouvoir de homme, AA à son joug les espèces utiles à sa nourriture, à son industrie, à ses plaisirs, et créant ainsi pour elles des conditions très-différentes de celles dela vie sauvage et primitive. Considérés sous ce point de vue, les animaux do- mestiques sont donc eux-mêmes de véritables ou- vrages de l’homme ; ils présentent dans toutes les modifications qui les éloignent de leurs types pri- mitifs, autant de traces irrécusables de l'influence et du pouvoir humains dans les âges antérieurs. Ce sont en un mot, s'il m ’ est permis de m exprimer ainsi , des monuments d’un genre particulier ; momies aussi durables qu'aucun de ceux auxquels on réserve ordinairement ce nom. N'est-ce pas, en effet, l’homme qui a fait le chien, le cheval, le mouton et tant d’autres animaux tels que nous les voyons aujour- d'hui, c'est-à-dire, qui, les soumettant à son joug dans une époque très-reculée et dont la date se perd pres- que toujours dans la nuit des temps, a successive- ment modifié ces utiles espèces, a développé en eux des facultés et des instincts étrangers, du moins en apparence, à leur état primitif, leur a imprimé les APPLICATION A L'ANTHROPOLOGIE. 24) formes et les caractères qu'ils présentent aujourd'hui, et d’un point du globe où la nature avait fixé leur patrie, les a transportés et répandus dans toutes les régions du monde civilisé (1)? : Ainsi, organisation , instincts, habitudes, patrie, l’homme a tout modifié chez les espèces domestiques, ployant et soumettant partout l'ordre primitif à la loi de ses besoins, de ses volontés, de ses désirs; œuvre immense par elle-même et par ses résultats ; première preuve et première base tout à la fois de la puissance presque illimitée de l’industrie humaine. De ces relations importantes de causalité entre le pouvoir de l'homme, diversement exercé selon les temps, les lieux, les circonstances, et les modifications diverses des animaux domestiques; de ces liens entre deux ordres d’actions et de phénomènes qu’on pouvait croire au premier aspect entièrement étrangers l'un à l’autre, découle manifestement la possibilité d'é- clairer l'étude de l'un par celle de l’autre; et de là cette seconde et précieuse source dans laquelle nous pouvons puiser d’autres et non moins utiles applica- tions à l'anthropologie. | À la vérité, le raisonnement démontre seulement la possibilité générale et absolue , mais non présente et immédiate de telles applications ; et il se pourrait que l'état actuel de la science, en nous les promettant prenne nn] (1) Voyez l'article suivant , p- 249. 246 ÉTUDE DES ANIMAUX DOMESTIQUES. pour l'avenir, nous interdit de les réaliser dès au- jourd’hui. Heureusement il n'en est point tout à fait ainsi, et l'on peut déjà, par un examen approfondi de diverses questions, s'élever à des corollaires dont le nombre et l'importance s’accroitraient nécessaire- ment en raison des progrès futurs de la zoologie gé- nérale. Ainsi, pour citer quelques exemples, ne con- coit-on pas assez facilement , au moins d'une manière générale, comment la détermination de la patrie ori- ginaire (1) des espèces aujourd’hui répandues sur pres- que toute la surface du globe, peut fournir des no- tions sur le lieu primitif de leur domestication, et, par suite, jeter quelque jour sur les relations an- ciennes de diverses nations ? Ne peut-on même prévoir qu'en fixant, par une méthode quelconque , l'ordre _relatif de la domestication des espèces , ce qui est dès | à présent possible pour quelques-unes, on doit arri- ver à d’utiles inductions sur l'ancienneté relative de la civilisation chez divers peuples ? Enfin , n'est-il pas évident que les idées émises par divers auteurs sur les analogies et les diversités , sur la communauté ou la différence d'origine de certains peuples, peuvent (1) Déjà même d'importantes recherches ont été commencées dans ce but par M. Dorrau ne La MALLE. Voyez ses Vues générales sur la con- figuration du globe et les anciennes migrations des peuples, dans les Comptes rendus des séances de l’Académie des sciences, t. XV, p. 547; 1837. — On doit aussi à M. Dureau de la Malle un mémoire sur la patrie primitive et l'ancienneté de la domestication du chat. Voyez les Annales des Sciences naturelles, t. XVIL, p. 165. . APPLICATION A L'ANTHROPOLOGIE. 247 être , au moins dans quelques cas, confirmées ou in- firmées par l'étude comparative de leurs animaux do- mestiques, aussi bien que par celles de leurs langues et de leurs monuments de tout genre? VI. Je viens d'exposer les idées sur lesquelles je crois pouvoir baser de nouvelles et utiles applications de la zoologie à l'histoire naturelle de lhomme. Toutes découlent directement ou indirectement de la théorie de l'influence modificatrice exercée par les circon- stances locales sur les êtres vivants : théorie presque entièrement stérile, si l'on veut la juger par le petit nombre des résultats qu'elle a produits jusqu'à pré- sent , entravée qu'elle était par une puissante, mais non invincible opposition ; théorie éminemment fé- conde au contraire , si l’on mesure par la pensée tous les progrès qui doivent suivre son admission défini- tive dans la science (1). pe (1) Les trayaux de Lamarck sur l'influence modificatrice exercée . par les circonstances extérieures , seront peut-être aux yeux de la postérité le plus beau titre de gloire de leur auteur. Il est triste d'a- voir à ajouter que leur apparition dans la science n’a été saluée que par la critique acerbe de quelques erreurs de détail et de quel- ques écarts d'imagination, taches déplorables , mais inévitables peut- être dans une œuvre aussi hardie. s r On a vu plus haut ( dans la partie historique de cet ouvrage, p. 167) que Buffon et Goethe ont admis, comme Lamarck , l'action modifica- trice du monde ambiant , à la démonstration de laquelle mon père a depuis consacré plusieurs mémoires étendus, T A Men QT MNT en TAE pr ai 248 ÉTUDE DES ANIMAUX DOMESTIQUES. Si simples que soient en elles-mêmes les idées expo- sées dans ce travail , il m'a paru nécessaire de les dis- cuter et de les développer avant d'arriver aux corol- laires que je me propose d'en déduire dans plusieurs mémoires ultérieurs. Les liens intimes qui unissent ces idées, et par suite ces corollaires eux-mêmes, à une théorie longtemps contestée et souvent encore mal comprise, me faisaient une nécessité de ce tra- vail préliminaire. N'est-il pas d’ailleurs rationnel et presque indispensable, quand on veut employer un instrument nouveau ou peu connu , d'examiner d'a- bord avec soin tout le parti qu’on peut en tirer, et, pour ainsi dire, d'en mesurer la puissance? JL DE LA DOMESTICATION = DES ANIMAUX (1). I. INTRODUCTION. L'origine et la chute des empires, des républiques, des villes qui se sont succédé à la surface du globe; les luttes des peuples les uns contre les autres, et leurs discordes intestines; leurs combats, leurs vic- toires, leurs revers, depuis plusieurs milliers d’an- nées, ont été habilement retracés par les historiens, et sauvés par eux de l'oubli. Les auteurs qui ont ainsi déroulé devant leurs contemporains et devant Ja pos- térité la trame sanglante de l’histoire humaine , ont fait beaucoup pour l'instruction des hommes et pour la satisfaction d’un besoin que le genre humain tout entier éprouve, comme chacun de nous le res- sent en lui, le besoin de se souvenir. Mais l'œuvre rames cms (1) Extrait, avec quelques modifications, de l'AHreg claque nouvelle, publiée par MM. Leroux et Revwau , t IV, ‘250 DOMESTICATION DES ANIMAUX. entreprise par les historiens est loin d’être complète. Avant toutes ces-histoires partielles des peuples et des empires, ilest une autre histoire bien plus grande, bien plus philosophique encore; histoire de luttes toutes pacifiques et toujours fécondes, dont le théâtre est le globe terrestre, et le héros, l’homme de tous. les pays et de tous les temps. C'est celle des déve- loppements de la puissance humaine, et de cette suite séculaire de progrès par lesquels notre espèce, con- fondue à l’origine dans le sein de la création terres- tre comme une humble partie dans un vaste ensem- ble, s'est faite finalement la dominatrice de tout ce qui l'entoure et la première après Dieu. Cette immense histoire n’a jamais été écrite dans son ensemble : longtemps même on a dû croire” qu'elle ne le serait jamais. La conquête du globe ter- restre par l’homme, œuvre toujours continuée ; mais toujours inachévée, est destinée peut-être à n'avoir d'au- tre terme que celui de l'existence elle-même de Pes- pèce humaine; c'est une histoire vivante dont nous sommes à notre tour les témoins et les acteurs, mais dont les commencements et la fin se perdent dans la nuit également obscure des temps anciens et de l'ave- nir. Et dans ce passé si reculé, sur lequel l'histoire, qui est la mémoire du genre humain, reste muette ; dans ce passé oublié de nous tous, comme le sont de chacun de nous les premières années de sa vie, se trouvent précisément confondus les événements dont la connaissance nous importerait le plus , parce qu en ENTRODUCTION. 251 eux se trouve la raison de tous les autres : ceux qui ont commencé cette suprématie de l’homme sur tous les autres êtres, qui, une fois établie, ne pouvait manquer de se prononcer de plus en plus, et de se changer finalement en une domination chaque siècle plus étendue et plus complète, bien que jamais ab- solue. Là doncse trouve le nœud du problème; sa solution est impossible, tant que quelques rayons de lumière n'auront pas percé cette nuit profonde qui enveloppe les premiers siècles de la vie du genre humain. ER. a Cette lumière, dont la source doit sembler au pre- mier abord éteinte pour jamais, jai la confiance qu'elle jaillira des progrès nouveaux de l'esprit hu- main, et peut-être dans un avenir peu éloigné de nous : déjà même nous pouvons en apercevoir les premières lueurs à l'horizon. La tradition, il est vrai, est ici sans enseignements; tout au plus les diverses mythologies des peuples anciens ont-elles conservé, mais en les couvrant d’un voile, le souvenir de quel- ques vérités qu'une interprétation, malheureusement toujours plus ou moins conjecturale, pourra par la suite restituer à l'histoire. Mais il est une autre voie “bien plus largement ouverte à nos investigations : au défaut de souvenirs que le genre humain ne saurait désormais plus retrouver, il peut, par la science, de ce qui est aujourd'hui, déduire ce qui a été. Pour reprendre ici un exemple déjà plus haut employé, et qui est d’une application évidente et directe à no- 552 DOMESTICATION DES ANIMAUX. tre sujet, chacun de nous, à l’état adulte, essaierait en vain de faire revivre en sa mémoire le souvenir des premiers phénomènes de sa vie, de.ses sensations premières, des joies et des douleurs de sa première enfance; tous ces événements de l’origine de notre vie sont oubliés pour jamais; mais, pour être oubliés, ils ne sont pas absolument perdus. Chacun de nous peut retrouver les traces de leur existence passée par l'examen comparatif de lui-même et des autres hommes , et il les retrouve en effet d'autant plus exac- tement et plus complétement que son examen a été fait avec plus de soin et de lumières ; au point, qu'en mettant à profit toutes les ressources de la science actuelle, il puisse être certain d’avoir autrefois, outre les phénomènes communs à tous les individus dans leur première enfance, éprouvé tel accident ou telle ma- ladie, ressenti telle action , en un mot, présenté telle particularité dont les preuves en effet se trouvent em- preintes dans son organisation définitive. Eh bien ! ce qu’elle fait icien petit pour l'enfance d’un homme, pourquoi la science, dont la grandeur, continuelle- ment et indéfiniment progressive, doit être un jour si au-dessus de toutes nos conceptions actuelles , pourquoi ne le ferait-elle pas en grand pour l'enfance du genre humain tout entier? Pourquoi désespére- rions-nous de voir des conséquences fécondes naître de la comparaison scientifique de l’état moderne et de l'état ancien de l’homme et du globe; de leur état moderne livré à l'investigation directe de nos devan- INTRODUCTION. 59 ciers et de nous-mêmes : deleur état passé, que nous ne saurions voir oculairement, Mais dont des traces irrécusables peuvent être découvertes, par un ‘emploi habile du raisonnement et par le secours d'analogies rationnelles, dans les faits même de l’âge actuel qui, après tout, en sont des conséquences certaines et nécessaires, bien qu'éloignées. La méthode que j'indique ici, n ‘est pas nouvelle dans les sciences. C'est par elle que la géologie mo- dernea été fondée, science qui, sans perdre entière- ment la hardiesse de la géologie ancienne, est deve- nue aussi rationnelle et aussi positive que celle-ci était conjecturale. C'est par elle ‘encore que des animaux, disparus de la surface du globe bien des siècles avant que Phomme , dernier né de la création, y apparût à son tour , ont pu revivre pour l'esprit humain, et que Cuvier est parvenu à retracer, comme s'il les avait devant les yeux, l'organisation , la patrie, et souvent SE aux mœurs de ces êtres que nul œil humain ma jamais contemplés. L'application de la méthode que je viens d'indiquer, à des faits qui ne sont pas sans analogie avec les précédents, et qui même se rapportent à une moindre antiquité, n’est donc pas seulement rationnelle en elle-même : elle offre de grandes probabilités de succès pour le mo- ment où, par la recherche habilement faite et assi- dûment continuée des traces encore subsistantes de l'ancien ordre de choses , un nombre suffisant de faits 254 DOMESTICATION DES ANIMAUX. aura été découvert, et une base solide offerte à nos raisonnements. Une autre méthode très-analogue à la précédente, et qui même se confond presque avec elle dans beau- coup de cas, consiste dans la détermination, pour une classe de faits, de la loi générale ou de l'ordre naturel auquel on peut les ramener; puis des pertur- bations, des exceptions à la règle qui ont été l'œuvre de Ja puissance humaine, modifiant , après coup, des faits d’abord conformes à la loi générale. Pour citer un exemple des plus simples, il est évident que les naturalistes n’ont pas besoin de savoir historique- ment le cheval importé en Amérique pour être cer- tains de son introduction dans cette contrée par les soins de l'homme, et, par conséquent, de commu- nications, dont l'époque pourrait même être déter- minée approximativement. par la science , entre Fan- cien et le nouveau continent : en effet , les lois de la distribution géographique des mammifères, bien étudiées et bien comprises, démontrent suffisamment l'absence du cheval en Amérique dans les temps an- ciens. Et ce que je dis ici d’une perturbation de l'or- dre primitif opérée par l’homme à une époque ré- cente et attestée par l’histoire, la science peut l'affir- mer de même de semblables perturbations opérées dans une haute antiquité , et sur lesquelles l’histoire écrite , les monuments et la mythologie elle-même se taisent également, - Ainsi, d'une part, l'étude des vestiges encore sub- INTRODUCTION. 255 sistants de l'ancien état des choses ; de l’autre, celle plus difficile encore , mais plus philosophique et sur- tout plus féconde, des modifications apportées par la Puissance humaine dans des faits soumis à des lois générales déjà déterminées ou déterminables dans l'avenir : telles sont, en dernière analyse, deux méthodes par lesquelles on conçoit dès à présent Ja possibilité de rassembler peu à peu les éléments de cette histoire inconnue dont je traçais au com- mencement de éet article l'immense programme. Et puisqu'il en est ainsi, l'espoir, non pas peut-être pour notre époque, si rapide que soit sa course vers le progrès, mais au moins pour l'avenir, de retrou- ver une partie des souvenirs, depuis tant de siècles effacés, de l'enfance du genre humain , cet espoir n’a rien de chimérique ; et dès à présent, nous ne saurions tous mettre trop de zèle à préparer, par tous les moyens qui sont en nous, et. à hâter le moment où il sera réalisé. Sans doute les efforts de chacun de nous en présence d’un tel but sont de peu de valeur ; ‘ici; Comme partout, l’homme ne peut rien quand il est isolé ; mais il peut tout, quand ses forces sont multipliées par la double puissance du nombre et de l'association. : On comprend maintenant que je ne saurais voir dans la question de la domestication des animaux une simple question de zoologie appliquée, ainsi que tant d'auteurs lont considérée. Sans la négliger sous ce point de vue, je vois en elle l'une des plus grandes 256. DOMESTICATION DES ANIMAUX. _ questions de la physiologie générale et de la philoso- „phie zoologique, en même temps que je reconnais, dans la conquête par l’homme d'êtres doués de vo- lonté et d'intelligence, le fait le plus caractéristique de la suprématie de notre espèce, et lacte le plus significatif de propriété qu’elle ait jamais accompli sur le globe. De là l'étendue que j'ai cru devoir donner à cet article, et le soin que je vais mettre à traiter successivement sous tous les points de vue la queue très-complexe qui en fait le sujet. IL. NOTIONS PRÉLIMINÂTRES SUR LES DIVERS MODES DE POSSESSION DES ANIMAUX. : PAR L'HOMME. La question de la domestication des animaux, malgré sa haute importance , a tellement été négligée par presque tous les auteurs que l’on n’est pas encore fixé sur ce que Yon doit entendre par animaux do- mestiques. Par opposition aux animaux qui vivent libres dans l'état de nature, et que l'on appelle sau- vages, on étend généralement le nom d'animaux domestiques, synonyme parfait dans ce sens de cette expression complexe animaux de la maison, à ceux que l’homme nourrit dans l’intérieur ou au voisinage de ses demeures, soit pour satisfaire par leur posses- sion des besoins réels ou factices , soit simplement en vue de ses plaisirs. Plusieurs auteurs, au contraire, apportent diverses restrictions à cette large, mais trop vague définition qui me paraît confondre en effet trois KS NOTIONS PRÉLIMINAIRES. 257 états très-distincts : la captivité, lapprivoisement , et la véritable domesticité. Pete La captivité et l'apprivoisement ont cela de com- mun qu'ils n’ont lieu que par rapport à des individus isolés, Si l'asservissement de ces individus est très- incomplet et se réduit presque à la privation de leur liberté, ils sont dits simplement captifs. Si leur as- Servissement est complet, si le joug de Thomme a été accepté par eux et de nouvelles habitudes contractées selon le vouloir de leur maître , ils ne sont plus sim- plement captifs, mais apprivoisés, ou, comme on le dit aussi, privés. L'apprivoisement d’un animal commence le jour où son maître peut cesser d'en- chaîner son corps, parce qu'il a su enchaîner sa vo- lonté. Un animal captif est comparable à un prison- nier arraché violemment à ses habitudes, et prêt à reprendre sa liberté à la première occasion favorable. Un animal apprivoisé, au contraire, peut être assi- milé à un esclave qui, réduit en servitude dès son enfance ou depuis de longues années, vit paisible- ment, Sans espoir, souvent même sans désir de liber- té, sous un joug que l'habitude lui a rendu léger. La captivité n'étant; en définitive, autre chose qu'un état purement passif, résultat de la privation de la liberté, tous les animaux, ceux exceptés que leur excessive petitesse ou quelques conditions spé- ciales d'existence dérobent à Taction de l'homme, peuvent évidemment y être soumis. es L'apprivoisement est au contraire un état actif qui Z00LOGIE GÉNÉRALE. 17 258 DOMESTIGATION DES ANIMAUX. suppose la possibilité de se plier à de nouvelles ha- bitudes, la connaissance du maître, et par consé- quent un certain degré d'intelligence et de volonté. Aussi un grand nombre d'animaux, et notamment tous ceux des classes inférieures, ne sauraient être véritablement apprivoisés , mais seulement pliés, ou, si l'on veut, acclimatés par une longue habitude aux conditions de la vie captive. La captivité peut donc être considérée comme un premier pas fait vers l'ap- privoisément, mais comme un premier pas que les espèces inintelligentes ne sauraient franchir. En retenant captifs et en apprivoisant des animaux, souvent au prix de beaucoup de peines et de dépen- ses , l'homme peut n’avoir d'autre but que de se pro- curer quelques plaisirs; par exemple, la vue d’un oiseau paré de brillantes couleurs, l'audition de son chant, ou même la simple possession d’un objet rare. Mais la captivité et l’apprivoisement des animaux ont souvent aussi lieu en vue d’une utilité réelle. Ainsi plusieurs oiseaux comestibles, les ortolans , par exem- ple, dans quelques parties de la France, avant d’être livrés à la consommation, sont retenus captifs pen- dant quelque temps, et gorgés d'une nourriture abon- dante qui doit rendre leur chair plus succulente encore. Ainsi encore, des civettes, des autruches, des marabouts sont souvent élevés en Afrique par les na- turels , désireux de se procurer pour eux-mêmes; et surtout pour le commerce, les produits précieux de ces animaux. Des exemples bien remarquables encore, NOTIONS PRÉLIMINAIRES. 259 puisqu'il s’agit ici non plus de simple captivité, mais d'apprivoisement porté aussi loin que possible, nous sont offerts par le gerfaut, le faucon, le hobereau, et d’autres espèces d'oiseaux de proie , dressés par les fauconniers à la chasse des autres oiseaux et même des petits mammifères ; par le guépard que les In- diens ont quelquefois contraint à leur rendre de sem- blables services ; enfin , et par-dessus tout, par Félé- phané, dont les Indiens, à toutes les époques histo- riques, et les peuples du nord de l'Afrique , dans l'antiquité, ont su se faire à la fois un esclave si docile pendant la paix et un si redoutable allié pendant la guerre. Ces derniers exemples nous montrent des animaux apprivoisés , émules , par les services qu'ils rendent à l'homme, des animaux eux-mêmes les plus complé- ‘tement domestiques. Une différence importante, ca- pitale , sépare néanmoins encore les uns et les autres : l'impossibilité où l'homme a toujours été, où il est encore , de multiplier, selon ses besoins, et ces ani- maux dont il a su se faire des compagnons de chasse fidèles et intelligents presque à légal du chien, et l'éléphant lui-même, si supérieur par sa vigueur et ses instincts d'affection à tous les autres animaux de transport. Dans cette dernière espèce , il est vrai , des exemples de reproduction. ont été obtenus par des soins habilement dirigés; maïs ce sont de rares ex- ceptions qui, sı elles indiquent pour l'avenir la pos- sibilité de la domestication complète de l'éléphant, 260 DOMESTICATION DES ANIMAUX. sont loin de nous mettre en droit de considérer ce progrès comme dès à présent accompli. Ici donc l'homme ne possède , comme dans tous les autres cas “d’apprivoisement, que des individus en plus ou moins grand nombre, enlevés isolément à la vie sauvage, et non une suite d'individus issus les uns des autres, une race. Ce n’est encore qu’une conquête imparfaite, mal assurée, et que l'homme doit maintenir sans cesse par l'emploi des mêmes moyens violents qui Tont autrefois fondée; car la mort diminuant de jour en jour le nombre des individus soumis , chaque gé- nération humaine se voit contrainte de reprendre l'œuvre de ses ainées, et de se faire par la force de nouveaux esclaves pour réparer ses pertes. La véritable domesticité , au contraire , nous offre pour caractère essentiel la possession acquise à l’homme, non pas seulement d'individus isolés, si | nombreux et si apprivoisés qu’on veuille les supposer, | mais d’une race. Ici la conquête est complète, assurée, indéfiniment durable ; les générations d'autrefois, en domestiquant les animaux, en les obligeant , après s'être livrés eux-mêmes à l’homme, de lui livrer aussi leur postérité, ont transmis aux générations fu- tures , non-seulement leur exemple et leurs enseigne- ments, mais les résultats eux-mêmes, et, pour ainsi dire, les produits matériels de leur industrie :. biens inépuisables, puisqu'ils se reproduisent sans cesse, et susceptibles même d’être accrus indéfini- ment par des soins faciles et tout pacifiques: C'est NOTIONS PRÉLIMINAIRES. 261 ainsi qu'aujourd'hui , nous, hommes du dix-neu- vième siècle, nous jouissons du fruit des travaux ac- complis dans les temps anciens , le plus souvent même dans les âges anté-historiques, et dont les au- teurs inconnus, après avoir été les bienfaiteurs de nos pères, doivent l'être de nos descendants jusque dans lavenir le plus reculé, sans que cette transmission a continuée de siècle en siècle, doive jamais avoir gau- tre terme que celui de l'existence elle-même du genre humain. | i La puissance de l’homme à l'égard des animaux domestiques ne reconnaît guère plus de limites dans l'espace que dans le temps. La domesticité d’une espèce, ce n’est pas seulement sa conquête une fois ac- complie au profit des hommes de tous les temps; c'est aussi, et avec non moins d'évidence, sa possession trans- mise par un peuple à presque tous les autres. S'être rendu complétement maître d'une race, cest, pour le genre humain , avoir en ses mains le pouvoir, non=- | seulement de la multiplier presque autant qu'il le ; veut , mais aussi presque partout où il le veut: Les différences elles-mêmes des climats, les plus fortes barrières que la nature ait opposées à l'expansion in- définie des espèces, ne sauraient arrêter l'homme dans la propagation graduelle d’une race domestique , opé- rée par les soins lentement prudents de plusieurs générations successives, comme elle l'arrête trop souvent dans ses efforts individuels pour enlever brusquement un animal à sa vie de natureet à sa 262 DOMESTICATION DES ANIMAUX. patrie. Pour une race domestique , il s'agit, en effet, ñon de ployer violemment à des conditions toutes nouvelles une organisation vierge qui résiste et réagit, mais d'obtenir peu à peu, Par une suite de change- ments exercés de génération en génération, l’accli- matement d'êtres déjà déshabitués de la vie sauvage. Sauf quelques climats d’une rigueur exceptionnelle , le succès final est ici infaillible en raison de la perpé- tuité du genre humain : perpétuité qui entraîne comme ses conséquences nécessaires, et la possibilité de tenter un nombre indéfini d'essais, et celle de marcher, dans chacun d'eux, vers le but, par un mouvement tellement lent qu'il devienne insensible. J'insiste sur ces conditions, non-seulement en raison de leur intérêt propre, mais aussi parce que je trouve en elles les éléments les plus positifs et les plus pets de la distinction, selon moi très-importante, que Von doit établir entre ces deux degrés d’asservis- sement des animaux par Phomme, l'apprivoisement et la domesticité. I] résulte tdtesth Menton de ce qui précède, qu'autant l’apprivoisement , qui est la conquête complète de l'individu , emporte, soit par ses résultats utiles, soit comme témoignage de la puissance humaine, sur la simple captivité, autant, et plus encore, il est au-dessous de la véritable do- mesticité , qui est la conquête de la race. Confondre Fun et l'autre, comme le font encore généralement les naturalistes , c'est donc négliger des différences fonda- mentales pour s'attacher à quelques analogies super- CLASSIFICATION DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 263 ficielles ; c'est fermer les yeux sur l'immense distance qui sépare un fait individuel et Momentané, œuvre industrieuse de quelques hommes, d'un fait général et perpétuel, créé dans l'antiquité , et continué d'âge en âge par une si longue suite de générations, qu'on est presque en droit de le considérer comme l'œuvre du genre humain tout entier. JUL. DES DIVERS DEGRÉS DE DOMESTICATION DES ANIMAUX DOMESTIQUES, ET DE LEURS DIVERS MODES D'UTILITÉ. Toutes les espèces d'animaux qui ont été réduites en domesticité, et dont le nombre est présentement de quarante , ne sauraient évidemment ni être utiles à l'homme au même degré, ni lui être utiles de la même manière. Cette double diversité résulte, comme conséquence nécessaire , des différences organiques qui existent entre toutes ces espèces, prises, une moi- tié environ dans la classe des mammifères; d’autres, en grand nombre aussi, dans celle des oiseaux ; quelques autres enfin , parmi les poissons et parmi les insectes. Etmême, sans franchir les limites d’une seule classe zoologique , il est évident que Phomme ne sau- rajt demander le même genre de services à des es- pèces aussi différentes d’instincts, et de taille aussı inégale , que le sont, par exemple, Foie, la poule et le serin parmi les oiseaux, le dromadaire, le chien et le cochon d'Inde parmi les mammifères. 264 DOMESTICATION DES ANIMAUX. Pour fixer les idées sur ces divers degrés et ces di- vers modes d'utilité des animaux domestiques, je les diviserai , d'après la nature des services qu'ils rendent à l’homme, en quatre groupes principaux auxquels on peut donner les noms d'animaux auxiliaires, alimentaires , industriels et accessoires. Telle est la classification que j'ai cru devoir adopter comme Vex- pression la plus simple et la plus nette des rapports et des différences des animaux domestiques, con- sidérés par rapport à l’homme, et abstraction faite des types classiques auxquels ils appartiennent. Comme tous les groupements par lesquels les natura- listes essaient de faciliter l'étude si complexe des faits naturels, cette classification , je m'empresse de le reconnaître, est d’ailleurs loin d'être rigoureuse- ment exacte : plusieurs espèces se placent, par Pen- semble de leurs rapports, presque sur les limites de + deux groupes, et tendent ainsi à combler l'inter- valle qui les sépare. Les animaux domestiques accessoires , par les- quels je commencerai pour plus de clarté dans mon exposition, Sont, comme l'indiquent leur nom et leur rang dans la classification , ceux dont l’homme ne retire ni services directs, ni produits utiles soit à son alimentation, soit à son industrie, Ils sont donc gé- néralement, ou tout à fait inutiles à notre espèce , ou bien employés seulement , et pour ainsi dire par oc- casion , à des usages en vue desquels il est d’ailleurs | évident qu'ils wont pas été domestiqués. Soit donc CLASSIFICATION DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 265 E TRR Tua ’ i qu'ils aient ce genre d'utilité accessoire et en quelque sorte fortuite, soit qu'ils restent complétement inu- tiles, il n’est pas moins exact de considérer les es- pèces de ce premier groupe Comme conservées et multipliées par l'homme , non parce qu'elles lui sont utiles, mais parce qu'il trouve quelque plaisir dans leur possession : différence nette et caractéristique entre ceux-ci et les groupes dont l'indication va être donnée plus bas. La classe des oiseaux, si riche en espèces remar- quables par la beauté de leur plumage ou par la mélodie de leur voix, est celle qui a fourni à l'homme le plus grand nombre de ses animaux do- mestiques accessoires. Tels sont le serin, la tourte- relle, après lesquels il faut placer, bien que les riches se nourrissent quelquefois de leur chair, le faisan doré, le faisan argenté, le faisan à collier, le paon , loie de Guinée et le cygne; espèces qui, en effet, sont recherchées surtout à cause de leur beauté ou de leur rareté, pour l'ornement de nos basses-cours et de nos volières. Parmi les poissons, le cyprin dis de la Chine le dispute , par l'éclat de ses couleurs, aux oiseaux les plus brillants, et les surpasse de beaucoup en fécon- dité. Aussi ne le voit-on pas seulement multiplié en nombre immense dans les viviers et les bassins des riches : un cyprin doré, emprisonné dans un étroit : bocal. où il peut à peine se mouvoir, est LM, 528 le seul luxe du pana: , 266 DOMESTICATION DES ANIMAUX. Enfin les mammifères fournissent aussi une espèce au groupe des animaux domestiques accessoires : c’est le cobaye ou cochon d'Inde. C'est ici, en effet, qu'il faut placer ce rongeur, bien qu'il ait été employé à divers usages. Le pauvre S'en est quelquefois nourri faute de mieux, et le physiologiste, trouvant en lui le plus petit, le plus fécond, et par suite le moins cher de tous les mammifères domestiques ; en a fait souvent le sujet de ses sanglantes expériences. La possession de cette espèce n’est donc pas sans quelques résultats utiles pour l'homme ; mais ces ré- sultats ne sont nullement ceux en vue desquels on nourrit et multiplie le cochon d'Inde. La véritable cause de sa domestication est , comme chacun le sait, le plaisir, assurément peu envié de la plupart de mes lecteurs , qu'une multitude de personnes trouvent, en raison sans doute du peu de peine et de frais qu'elle entraîne , dans l'éducation de ce fétide et lascif animal. | ce La classe des insectés, qui ne comprend aucune espèce d'animaux domestiques accessoires, em com- prend plusieurs au contraire qui se rapportent au second groupe, celui des animaux domestiques in- dustriels, et qui même le composent en entier. Ici doivent en eflet se placer, comme utiles par les pro- duits qu'ils fournissent à l'industrie humaine, la co- chenille du nopal, le bombyce du mäûrier ou ver-à- soie , et quelques-uns de ses congénères, notamment le bombyce mylite et le bombyce eynthie, qui,eulti- CLASSIFICATION DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 267 vés depuis longtemps en Chine et dans l'Inde, restent encore à importer parmi nous. Après eux, je men- tionnerai l'abeille qui, en même temps qu'elle donne la cire à l'industrie de homme, prépare dans le miel l'un de ses plus doux aliments, et par là, sans être encore une espèce véritablement alimentaire , lie cependant d'une manière assez intime le troisième et le second groupe. Si l’on excepte la carpe qui, bien que propagée et multipliée par Phomme loin de sa patrie originelle, n’est même pas encore une espèce complétement do- mestiquée, c'est dans là classe des mammifères et dans celle des oiseaux que l'homme a pris tous les animaux . domestiques alimentaires. I doit à celle-ci le canard ordinaire , le canard musqué, si improprement connu sous le nom de canard de Barbarie, oie, le dindon, lä pintade , le faisan commun, et, aussi utile peut- être à elle seule que tous les autres ensemble, la poule. La classe des mammifères lui a fourni le lapin, la brebis, la chèvre, et cette autre espèce dont l'utilité est devenue proverbiale, le cochon. Ces animaux, essentiellement alimentaires, sont en même temps utiles à l’homme par divers produits qu’ils livrent à son industrie. Les plumes de presque tous les oiseaux de basse-cour, les pennes de l'oie, la fourrure du lapin, le poil de la chèvre, la laine de la brebis, les cornes de l'une et de l'autre, la graisse du cochon, de la chèvre, de la brebis, les os de presque tous ces animaux, Ont des usages multipliés qu'il serait 268 DOMESTICATION DES ANIMAUX. superflu d’énumérer ici, Un animal utile à l'alimenta- tion de l'homme est donc en même temps presque tou- jours utile à son industrie; et si je l'appelle alimen- taire, ce n’est pas qu’il ait seulement ce genre d’uti- lité; c’est parce que ce genre d'utilité, entre tous ceux qu'il peut présenter, est le plus grand, et celui qui a surtout déterminé la domestication et la multiplica- tion de l'espèce. De même, lesanimaux auxiliaires, c'est-à-direceux qui sont élevés par l’homme pour les services directs qu'il en retire pendant leur vie, ceux qui vivent au- près de lui comme ses esclaves et quelquefois ses com- pagnons, sont tous alimentaires, industrels, ou même les deux ensemble, en même temps qu’auxiliaires. Pour peu que l’on y réfléchisse, cette double ou triple utilité devait même nécessairement exister. Devenues la propriété de l'homme, soumises, pour les circon- stances principales de leur conservation et de leur multiplication , à sa volonté intelligente, ces espèces, par cela même qu'elles étaient des auxiliaires émi- nemment utiles pour lui, devaient devenir presque infiniment nombreuses; et elles ne le pouvaient de- venir, sans que l’homme cherchât et trouvât les moyens d'employer avec avantage les immenses pro- duits qui se trouvaient ainsi créés autour de lui et mis à sa libre disposition. - Les animaux auxiliaires ont presque tous été pris dans la classe où l'intelligence est le plus développée ` celle des mammifères ; et il en devait être ainsi, dès CLASSIFICATION DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 269 qu'il s'agissait d'animaux destinés à entrer, avec Thomme, en participation de ses travaux. L'ordre des quadrumanes , le premier par le développement de ses facultés intellectuelles comme par sa ressem- blance avec l'homme , n’a cependant, fait très-remar- quable, fourni aucune espèce : mais l’ordre des car- nassiers, qui vient presque immédiatement après lui, en a donné trois, le chien, le chat, le furet. Parmi les herbivores, je trouve à citer jusqu'à neuf espè- ces, savoir : cinq répandués jusqu'à présent dans un petit nombre de contrées seulement , le renne, des régions polaires, le lama, des Andes péruviennes et chiliennes, l’yack ou buffle à queue de cheval, et le chameau, de ľ Asie centrale, le dromadaire , de l'Asie méridionale et de l'Afrique septentrionale; une autre, propagée déjà dans plusieurs contrées fort distantes les unes des autres , le buffle; et trois qui sont aujour- d'hui devenues cosmopolites, l'âne, la vache, et sur- tout le cheval. Après tous ces mammifères, je puis citer, parmi les oiseaux, le pigeon , messager rapide de l'homme, dont les admirables instincts, connus et mis à profit par les Orientaux depuis un temps immé- morial , restent encore entièrement inexpliqués. Cette espèce est la seule étrangère à la classe des mammifères que l’on puisse considérer comme auxi- ‘ Jiaire de l'homme ; et encore est-il évident qu’elle est en somme beaucoup plus utile encore comme animal alimentaire. Aussi , dans tous les pays où l'on élève 270 DOMESTICATION DES ANIMAUX. des pigeons, C'est principalement pour la nourriture de l'homme; et il west point douteux que les- pèce n'ait été primitivement domestiquée dans le même but. Cette dernière remarque, que je pourrais étendre avec vraisemblance à plusieurs des mammifères do- mestiques auxiliaires, suffirait pour placer sous son véritable point de vue Ja classification que je viens d'exposer; c’est-à-dire, pour faire voir en elle l'expression des différents modes d'utilité que pré- sentent les animaux domestiques dans l’état actuel des choses, mais non de ceux qu'ils ont pu présenter autrefois ou pourraient présenter dans l'avenir. Les progrès de la civilisation chez un peuple, et encore plus les communications établies entre les divers peuples , peuvent avoir et ont eu même très-certai- nement pour effet, soit d'ajouter, soit d'ôter à Putilité de plusieurs espèces , soit même de changer le genre de cette utilité. La brebis pourrait être citée comme un exemple remarquable de ces changements, si l’on pouvait s'en rapporter à une peinture égyptienne, antérieure de mille ans à Hérodote, selon M. Cham- pollion , et qui représente des béliers employés aux travaux de l’agriculture. Un autre exemple plus re- marquable encore, et surtout plus authentique, est celui du lama , si précieux aux Américains, avant la conquête, comme bête de transport, et si multiplié dans le Pérou surtout , que Grégoire de Bolivar, par une exagération d'ailleurs bien évidente, ne craint CLASSIFICATION DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 271 pas de porter à trois cent mille le nombre des indivi- dus employés dans la seule exploitation desimines du Potose. Aujourd'hui le cheval, l'âne et le mulet ont remplacé le lama dans plusieurs localités; et dans quelques-unes de celles où il est encore élevé en assez grand nombre, c'est presque uniquement comme ani- mal de boucherie ; en sorte que le moment peut être prévu où , comme autrefois la brebis en Égypte, le lama se confondra, pour une partie de PAmérique, parmi les espèces seulement alimentaires, après avoir tenu uñ si haut rang parmi les auxiliaires de homme. Il est même permis de concevoir pour l'avenir la pos- sibilité que le bœuf et le mouton y préférés par les peuples de race européenne qui possèdent aujour- d'hui l'Amérique, se substituent encore au lama dans cet emploi nouveau et secondaire, et que sa race do- mestique, autrefois la première en Amérique, se ré- duise encore à une importance et à un nombre ra moindre, et même, ce que je regarderais comme une perte très-regrettable pour l'espèce humaine, finisse par s'éteindre entièrement. IV. RÉSUMÉ DES FAITS PRÉCÉDENTS. Le tableau synoptique suivant résume, de la ma- nière la plus abrégée, tous les faits qui viennent d’être * exposés dans le paragraphe précédent, Fs 'DOMESTICATION DES ANIMAUX. 3% i NOMBRE ; i ; des INDICATION ANIMAUX DOMESTIQUES. DES GROUPES ZOOLOGIQUES. Industriels. Accessoires, Carnassiers. . . Rongeurs.. . Pachydermes. Ruminants. . MAMMIFÈRES MU y | Alimentaires. Passereaux ORN T Oiseaux. . d © Gallinacés. . x + ayx A O S | Auxiliaires. Palmipèdes Poissons. . . Malacoptérygiens. . T Wo œ o D EE || INSECTES. .. Divers ordres. . “Torat pour les mammifères. , Toraz pour les oiseaux Toraz pour les poissons. . . . Toraz pour les insectes. . . . TOTAL GÉNÉRAL. oe , « En jetant les yeux sur ce tableau synoptique, on = peut 0 d'être frappé de la répartition EFS inégale des espèces domestiques dans les divers CLASSIFICATION DES ANIMAUX DOMESTIQUES. 273 groupes zoologiques. Sur vingt classes dont se compose le règne animal , seize n’ont pas même, prises toutes . ensemble , RS à l'homme un seul de ses animaux domestiques ; et le partage de ceux-ci est tel entre les quatre autres classes > que deux d entre elles, les mammifères et les oiseaux, renferment à elles seules trente-trois espèces sur quarante , £ "est-à-dire plus des quatre cinquièmes. | Cette disproportion, déjà si mar quée , va devenir bien plus frappante encore, si, de la comparaison des classes, nous passons à celle des ordres, Sur les dix-sept mammifères domestiques, douze, et ce sont | précisément, le chien excepté, toutes les espèces dont la possession importe le plus à l'homme, appar- tiennent au groupe des mammifères herbivores, prin~ cipalement aux ruminants. Parmi les oiseaux, l'ordre des gallinacés, qui offre des analogies si remarquables et si multipliées avec les mammifères herbivores, a donné de même un nombre proportionnellement très-grand d'espèces domestiques presque toutes très- importantes, savoir, huit (non compris le pigeon et la tourterelle) sur seize; encore faut-il remarquer que parmi les huit oiseaux domestiques des autres ordres, se trouvent jusqu'à cinq espèces d'une famille très- voisine, sous beaucoup de rapports, des gallinacés celles des palmipèdes lamellirostres. Ainsi, fait bien remarquable, sur les quarante anı; maux réduits par l'homme en domesticité, nous en trouvons jusqu'à vingt-cinq pris dans ces trois grou- ZOOLOGIE GÉNÉRALE, 18 a DOMESTICATION DES ANIMAUX. . les mammifères herbivores, les gallinacés , les Fe lamellirostres ; groupes tous trois peu nombreux en espèces, et qui ne comprennent pas même à beaucoup près, tous. ensemble, ‘un centième des espèces sauvages, | Assurément il ne viendra à l'esprit de personne qu'une telle disproportion puisse être l'effet du hasard: elle résulte évidemment comme conséquence néces- saire de causes dont nous devrions reconnaître lexis- tence sans hésiter, alors même qu "elles nous resteraient entièrement inconnues, Si l’homme a pris la plupart de ses animaux domestiques, et notamment les plus importants d'entre eux, dans tel groupe plutôt que dans tel autre, il est‘par cela même certain que la conquête des espèces du premier, en raison des con- ditions particulières de son organisation et de leur genre de vie primitif, s'est trouvée, ou plus facile, ou plus avantageuse, ou l'un et l'autre à la fois. La question que j indique ici, na encore été ni traitée, .n1 même posée par aucun auteur dans toute sa généralité, -Elle est cependant bien digne d'occuper les méditations de Phomme, puisqu’en elle doit se trouver, lorsqu’ elle sera complétement résolue; Yexplication de l’un des -faits principaux, du fait principal. et, initia] peut-être, de la domination de Thomme à la surface du globe. Aussi vais-je es- sayer de présenter au moins quelques aperçus sur ce grave sujet, en attendant que les progrès de la science permettent dele traiter d’une manière complète. _ REMARQUES GÉNÉRALES. 279 . x . + DES MOTIFS QUI ONT DÉTERMINÉ LA DOMESTICATION DES ESPÈCES ANIMALES PRÉSENTEMENT. ASSERVIES À L'HOMME. Pour peu que lon compare entre eux les quatre groupes que j'ai distingués parmi les espèces ani- males présentement asseryies à Phomme, on re- connaît aussitôt combien est inégale l'utilité des animaux industriels et accessoires, d’une part, des animaux auxiliaires et alimentaires , de lautre; des auxiliaires surtout, puisque , Comme on, l'a vu, la plupart d’entre eux sont en même temps alimentaires, L'utilité des uns et des autres n’est pas seulement très-inégalement grande, mais aussi très- inégalement générale, La possession des animaux industriels et, accessoires wa pour l’homme qu’une importance ou secondaire ou même nulle; et cette importance , à l'égard de ceux même qui en ont le plus, n'existe que pour les nations civilisées, et encore parmi elles, presque uniquement pour les -classes riches ct amies du luxe. Leur destruction, s'il était possible qu'elle fût tout à coup effectuée par une cause quelconque A resterait entièrement inaperçue de tous les peuples sauvages ou barbares; et le préjudice même qu "elle porterait à l'industrie des nations civilisées , si grand qu'il püût être, serait en partie Le dus à l'aide des produits plus ou moins analogues d'autres espèces soit animales, soit même végétales, Pour les 276 DOMESTICATION DES ANIMAUX. ammaux auxiliaires et alimentaires, l'inverse a précisé- ment lieu : ils sont pour l’homme d’une telle impor- tance que nous saurions à peine concevoir l'existence d’une nation civilisée qui n’en posséderait aucune espèce, et que, d’une autre part, il n’est pas un peu- ple, si sauvage et si grossier qu'il soit, pour lequel r addition d’une ou de quelques espèces de plus au petit nombre de celles qu'il possède déjà, ne constituât un immense progr ès. Si les animaux accessoires et industriels ne sont, en dernière analyse, que des objets de luxe; si, au contraire, les animaux auxiliaires et alimentaires sont, pour l’homme sauvage et barbare aussi bien que ci- vilisé, d’une utilité réelle et positive, presque d'une nécessité absolue, nous devons penser que les pre- miers n’ont dû être domestiqués, comparativement aux seconds, que très-tardivement. Les sociétés hu- maines ont dû en effet procéder comme procèdent les individus : assurer d’abord leur conservation par la possession du nécessaire ; puis, le nécessaire acquis, acquérir le superflu, et par lui multiplier leur jouis- sance , accroître leur bien-être. L'histoire et la science fournissent en effet dé nom- breusés preuves de l'antériorité de la domestication de la plupart des animaux auxiliaires et alimentaires. Tandis que l'époque et le lieu de l’asservissement des animaux industriels et surtout accessoires sont, pour presque tous, connus historiquement, au moins d'une manière approximative, la tradition et les monu- ` REMARQUES GÉNÉRALES. - 277 ments se taisent également sur la domestication de presque tous les animaux auxiliaires et alimentaires; domestication dont l'origine semble se confondre avec l'origine même des sociétés humaines. La date com- parativement récente de la domestication des pre- miers peut encore, indépendamment de tous les témoignages historiques, être démontrée scientifique- ment par la conservation chez ceux-ci de presque tous les caractères de leur type sauvage, par le petit nombre et les caractères peu tranchés des races qui se sont formées parmi eux, par leur expansion encore très-restreinte hors dè la contrée natale, enfin, pour plusieurs espèces même , par les difficultés très-gran- des que l'homme éprouve encore, et dont il ne _ triomphe qu’à force de soins, pour les conserver et les multiplier. Les espèces auxiliaires et alimentaires couvrent au contraire presque toute la surface du - globe de leurs innombrables races, la plupart très- différentes entre elles, et si différentes aussi du type | sauvage, que l’on a peine , quelquefois même que on ne peut parvenir avec certitude à en reconnaître en elles les caractères fondamentaux. 3 Les animaux alimentaires et auxiliaires sont donc, comme ils devaient l'être, ceux que l'homme a conquis les premiers, et cela, par cette raison très-simple qu'il avait d'abord besoin d'eux, et non des autres. Si maintenant je montre que les abat adii- liaires et les animaux alimentaires ne pouvaient être pris que là où ils ont été, les premiers presque uni- 278 DOMÉSTICATION DES ANIMAUX. quernent parmi les mammifères, les seconds parmi les mammiféres et les oiscaux herbivores , frugivores, granivores, j'aurai achevé de montrer, au moins d'üñe manière générale, avec quel sentiment éclairé de ses propres forcés, avec quelle haute intelligence de lä hatute ét des itistincts des animaux, l'homme a agi dans le choix des espèces destinées par lui, les unes à devenir ses compagnes de trävVaux , les autres à multiplier autour de Jui et pour lui les produits les mieux appropriés à son alimentation. | Cés groupes drfithologiqués les gallinacés et les páålmipèdes lamellirostres, et de même, ces groupes marmalogiques ; les ruminants et les pachydermes, dans lesquels l'hommë a choisi le plus grand nombre, ét, à üne exception près, les plus précieux de ses animaux domestiques , étaientsils, en effet; ceux dont les espèces étaient les plus faciies à _domestiquér ? Etaientals réellement ceux dont la domestication dë- vait offrir le plus d avantages ? La première de ces questions est, à mon sens, très- complexe. Le petit nombre d'auteurs modernes qui l'ont traitée, et M. Frédéric Cuvier luismême, celui de tous qui a porté lé plus de savoir dans son exa- men (1 PE paraissent at contraire l'avoir jugée t très- simple. Suivant eux, elle se résoudruit presque tout entière par üne seule condition : celle de Pin- (1) Voyez, dans les Minis du Musèum d'Histoire natur elle,t. XII, p.406, son Essai sur la doinesticité des animaux. REMARQUES GÉNÉRALES. 279 fluence puissante que doit exercer la sociabilité des | animaux sur le succès des tentatives faites pour les domestiquer. Cette influence, jé la reconnais com- plétement avec ces auteurs; et M. Frédéric Cuvier, | en fixant spécialement sur elle l'attention des zoo- logistes , me parait avoir rendu à la science un important service. Tout animal naturellement soli- taire est rebelle à la domestication; non cependant, comme on l’a dit, d’une manière constante et absolue, témoin, sans franchir même les limites de la classe des mammifères, le chat et le furet. La domination d'un animal par ‘Thomme n’est en effet , après tout, qu'un mode particulier d'association contractée , par les soins et à l'avantage de Pun d'eux, entre deux êtres très-diflérents et très-inégalement puissants. Or, s'il doit être difficile de changer tellement le vaturel d’un animal, qu'il accepte, au lieu de la société de ses semblables, ou en participation avec “elle, la société d’un.être si dissemblable à lui-même ; si l’on ne peut atteindre ce résultat qu'en modifiant profondément les ineffaçables instincts qui lient entre cux, peeun þesoin d'affection mutuelle et d association , tous les individus d’une espèce; à plus forte raison doit-on être arrêté par d'immenses dificultés, Jorsqu’ is agit, non plus de donner le change à ces instincts, mais de les créer là où ils n'existent pas. De là le très-petit nombre de succès, encore sont-ils presque toujours incomplets, que l'homme a obtenus F l'égard des animaux solitaires. FH | aT A 280 DOMESTICATION DES ANIMAUX. L'observation montre que les animaux carnassiers sont ordinairement solitaires, tandis que les herbi- vores, les gallinacés, les palmipèdes lamellirostres, vivent en troupes plus ou moins nombreuses ; diffé- rences dont il est assez facile de concevoir la raison générale. Dans les espèces vivant de proie, chaque individu, obligé de conquérir par la ruse ou la force, et presque toujours après une longue attente ou de patientes recherches, une nourriture toujours rare, trouve dans chacun de ses semblables un rival luttant avec lui de pâtience , de ruse, et quelquefois de force, pour la lui disputer : de là les habitudes solitaires de ces espèces dans lesquelles le mâle et la femelle ne se réunissent même que momentanément, dans les- quelles aussi la mère, ses petits une fois élevés, ne man- que pas de les chasser et de les disperser au loin. Pour les herbivores , au contraire , auxquels la nature offre partout une abondante et facile nourriture, la vie so- ciale ne saurait plus être une cause de disette ; d’où la réunion du père, de la mère, des enfants : presque toujours même de plusieurs BETA en troupes, dans lesquelles chaque individu, faible isolément , vient multiplier ses forces par celles de ses semblables. L'association de tous fait ici la sûreté de chacun. Les habitudes sociales des mammifères herbivores, des gallinacés, des palmipèdes lamellirostres , se lient ainsi par des connexions nécessaires avec les condi- tions spéciales de leur régime alimentaire; et à leur tour, elles entraïnent comme conséquence la facilité REMARQUES GÉNÉRALES. 281 plus grande de la domestication , toutes choses égales d'ailleurs. Yadmets pleinement ce fait général que le raisonnement indique et que l'observation démontre : j'attache même à sa considération une très- -grande importance , mais non une importance exclusive. Aller au delà, comme l'ont fait quelques ` auteurs; voir en lui, non pas seulement l’une des données principales d'un problème très-complexe, mais la base suffisante d’une explication générale, Cest tomber dans une exagération erronée et pleine de dangers. Qu il y ait d’autres données dont il im- porte aussi de tenir compte, je ne puis en douter, ne füt-ce que parce qu'il existe un grand nombre de groupes Zoologiques très-remarquables par leurs habi- tudes sociales, et dans lesquels cependant l’homme n'a pas pris un seul de ses animaux domestiques; ce qui montre avec évidence que la direction et le succès de ses essais de domestication ne sont pas seulement en raison des instincts plus ou moins sociaux des es- pèces. Et s'il en est ainsi, s'il existe d'autres données connues ou inconnues, on conçoit immédiatement que l'influence favorable à la domestication qu'exer- cent sur les animaux leurs instincts de sociabilité, peut être contre-balancée et annulée par d’autres con- ditions tendant , au contraire, à les soustraire au pou- voir de l homme; d’où la possibilité qu en somme une _ espèce , bien que sociable, puisse n'être que très chi ficilement réduite en nee ci On ne saurait non plus expliquer uniquement; et a og iran ee ni ©! 282 DOMESTICATION DES ANIMAUX. c'est au reste ce qui n’a été tenté par aucun zoologiste instruit, la prédominance des animaux herbivores et granivores parmi nos races domestiques , par la faci- lité de nourrir ceux-ci, opposée à la difficulté d'ali- menter des espèces carnassières. [ci encore je trouve une donnée à laquelle il importe d’avoir égard , mais qui est loin d’être à elle seule tout le problème : et le même raisonnement qu ue je viens de faire à à l'égard de l'influence des habitudes sociales, pourrait être au besoin reproduit ici avec plus de force encore. Il y a donc licu, même après tout ce qui a été écrit, : d'examiner de nouveau quels motifs ont déterminé l’homme dans le choix des espèces qu'il s'est asser- vies, quelles conditions ont favorisé et facilité ses tentatives. Pour qu’une espèce- ‘soit facile à domestiquer , il. faut de toute évidence qu'ellesoit fucile à apprivoiser, puis, ce qui est tout différent, Jacile à multiplier. Je suis donc obligé ici de diviser la question pour lexa- miner brièvement sous sa double face, d'abord à Pé- gard des oiseaux , puis à l'égard des mammifères. La faculté d'apprivoiser un animal étant, toutes choses égales d’ailleurs, en raison du développement de ses facultés intellectuelles, on peut déjà prévoir “que les gallinacés et encore moins les palmipèdes ne sauraient être considérés comme les oiseaux les mieux prédisposés à l'apprivoisement. Ilest de touteévidence „que les PERS les oiseaux de proie, les corbeaux; les pies, popu qui renferment d'ailleurs un grand REMARQUES GÉNÉRALES. ` 283 nombre d'espèces vivant en société , l'emportent de beaucoup à cet égard sur les gallinacés et les palmi- pèdes. Mais ceux-ci sont véritablement hors de ligne par les circonstances de leur reproduction, qui tendent éminemment à multiplier, Mais surtout à conserver les jeunes individus. Chez la plupart des palmipèdes lamellirostres, aussi bien que chez les gallinacés, le nombre des mâles est, dans un rapport d'ailleurs variable, toujours ‘inférieur à celui des femelles. Par compensation , l'ardeur et l'énergie généra- trice dés premiers, destinés à satisfaire à la fois plusieurs f femelles, est au-dessus de tout cé que nòus connaissons dans les autres espèces ; d'où le naturel farouche et irritable de ces mâles et la violence de AC À en compa- gnons, en amis quelquefois, des êtres que la nature avait placés au-devant de lui indifférents ou hostiles ; leur imposant de nouveaux instincts; diminuant, augmentant, modifiant à son gré leurs organes; en un mot; et l'énoncé seul de ce fait suffit pour en faire ressortir la grandeur, changeant la nature même des espèces pour faire du bouquetin et du mouflon la chè- vre et la brebis, du sanglier le porc , du chacal et du loup le chien, et du cheval sauvage, le plus noble, le plus beau , et, si le chien n'existait, le plus docile des animaux domestiques? Assurément si, à l’origine des sociétés humaines, un esprit hardi eût conçu pour un avenir éloigné la possibilité de telles transforma- tions; s’il eût osé montrer l’homme usurpant ainsi , dans les siècles futurs, la puissance créatrice, nos pères eussent accueilli ses fabuleuses promesses comme l'ont été de nos jours ces rêveriés devenues si célèbres sur l'anti-lion et l'anti-girafe, qui ont failli un instant vouer au ridicule l’un des noms les plus respectables de notre époque. VIL. EDU RETOUR DES ANIMAUX DOMESTIQUES A L'ÉTAT SAUVAGE. La domestication des animaux nous apparaît, par tous les faits qui précèdent , comme une gigantesque expérience assidûment continuée pendant une longue EFFETS DE LA DOMESTICITÉ. 301 suite de siècles et par toute la terre, et dont l'une des conséquences finales A digne de couronner une si im- . mense prémisse , est la démonstration rigoureuse du principe de la variabilité des espèces. On va voir maintenant les phénomènes qui accompagnent le re- tour des animaux domestiques à l'état sauvage four- niren faveur de ce même principe des preuves d’un genre inverse, mais non moins positives; tant, comme dit Bacon, la vérité est surabondante. | Les soins de notre espèce, en favorisant la multi- plication des races domestiques, en rendant plus grand de jour en jour le nombre des individus, ont quelquefois amené, dans certaines localités, un in- stant où ce nombre a dépassé les limites, soit des besoins de l’homme, soit des moyens dont il pouvait disposer pour la nourriture ou la conservation de ses. animaux. De là il est arrivé qu'une partie de ceux-ci ont été rendus à l’état sauvage ou demi-sauvage, soit que, mal nourris et mal surveillés, ils se soient échap- pés et aient repris la vie libre de leurs premiers an- cêtres, soit même que leurs maîtres eux-mêmes les aient volontairement chassés de leurs demeures. | La restitution à l’état sauvage d'animaux précieux à l’homme a été quelquefois aussi amenée par des causes diverses et spéciales à certaines espèces ; par exemple, par Yhabitude que les chevaux sauvages ont d'appe- Jer à eux les chevaux domestiques qu’ils viennent à rencontrer, et qui, souvent, si apprivoisés qu'ils soient, ne résistent pas au désir de vivre libres, se- 302 DOMESTICATION DES ANIMAUX. lon l'état de nature, au milieu de leurs semblables. C'est ainsi qu'aujourd'hui les plaines et les bois de - diverses contrées de l'Océanie, mais surtout de Amé- rique, nourrissent des descendants sauvages des chiens, des chats, des cochons, des chevaux, des vaches, transportés par les Européens dans ces de. parties du monde, De même, les steppes de Asie centrale ren- ferment des troupes de chevaux sauvages, vivant aujourd hui dans les mêmes lieux d'où l'espèce est originaire, mais composées en partie de chevaux re- devenus sauvages ou de leurs descendants. Quelles modifications se sont produites dans ces races échappées des mains de l'homme, et soustraites, depuis un temps dont la durée nous est quelquefois exactement connue, à l'influence si puissante de la domesticité ? Ces descendants sauvages d'animaux autrefois asservis sont-ils restés semblables à nos in- dividus domestiques , ou bien ont-ils repris les carac- -tèrés de leur type originel ? L importance de ces questions a été jusqu à présent si peu comprise, que lon ne possède encore, dans aucun musée de l'Europe, ni les squelettes , ni même les peaux de ces animaux redevenus sauvages , dont chaque année des milliers sont tués pour les besoins du commerce ou de l’économie domestique. La comparaison directe n'a donc pu être faite en- core; mais, à son défaut, je trouve des renseigne- ments très-précis et très-authentiques dans les ouvra~ -ges d’un assez grand nombre d'auteurs, notamment EFFETS DE LA DOMESTICITÉ. 303 dans ceux de Pallas , et dans un mémoire spécial (1) publié par M. Roulin sur les animaux domestiques de l'Amérique. | 7 | Les résultats que, nous ont transmis ces auteurs sont exactement ceux que l'on aurait pu déduire à l'avance de là théorie de la variabilité des espèces en raison des circonstances locales. La restitution d’une race aux habitudes de la vie sauvage a constamment pour effet la disparition graduelle de toutes ces différences de coloration, de taille, de formes, dont le nombre K parmi les animaux domestiques , est aussi grand que celui des causes de variation. Tous les individus finissent par se trouver établis sur un seul et même type, très-rapproché du type sauvage primitif, et qui en diffère d'autant moins ? rar r 5 + que l'espèce a été replacée plus exactement dans les conditions de sa vie primitive. Toutefois, de même que, dans le passage de l'état sauvage à la vie domestique, des. variétés remarquables ne se produisent qu'après plusieurs générations , de même aussi , lors du retour à l'état sauvage, c'est après un certain nombre de générations seulement que lon . {à Recherches sur quelques changements. observés dans les animaux domestiques transportés de l'ancien dans le nouveau continent. Voyez les Mémoires des Savants étrangers , publiés par l'Académie des Sciences, t. VI, p 319, 1836. — Ce travail de M. Roulin a été le sujet d'un rapport étendu fait à l'Académie par mon père (en son nom et au nom de M. Seares ), imprimé dans les Mémoires du Muséum d'histoire ‘na- turelle, t. xvii, p. 209, 1928. | © © I or 304 DOMESTICATION DES ANIMAUX. voitt outes les variétés effacées et des caractères fixes et unitaires reproduits chez tous les individus. La dé- viation du type primitif et sa restitution s'accom- plissent ainsi à peu près dans le même espace de temps et par une série de changements dont l’ordre est directement inverse, les caractères les plus acces- soires et les plus variables, ceux de la couleur par exemple, étant les derniers à redevenir fixes, comme ils avaient été les premiers à cesser de l'être lors de la domestication. On voit par là que les tentatives faites, vers la fin de notre révolution, pour repeupler nos forêts de sangliers, en rendant des cochons à la liberté, étaient parfaitement rationnelles, et ne pouvaient manquer de réussir, si l’on eût eu la patience d’en attendre le succès. Je désirerais, pour ma part, les voir reprises un jour dans l'intérêt de la science, qui pourrait, cette fois au moins , suivre pas à pas et dans tous ses progrès cette même transformation , qui s'est accom- plie, sans qu’on lait ni cherchée ni observée , au sein des forêts et dans les plaines de l'Amérique. On doit rapprocher des phénomènes qui ont lieu dans le retour à l'état sauvage, ceux qu'éprouvent des animaux domestiques transportés par un peuple très-civilisé chez un autre qui l’est moins. Plus loin, en effet , est portée la civilisation d’une nation , plus elle demande à ses animaux domestiques des services variés ; plus elle les soumet , suivant les localités, à des régimes divers; plus elle exerce d'influence sur EFFETS DE LA DOMESTICITÉ, 305 l'époque et les circonstances de leur reproduction, sur l'éducation des jeunes; plus, en un mot, sont multipliées les causes de variation dont elle entoure ses animaux. Quelle comparaison, par exemple, _ peut-on établir entre les fonctions multiples que le chien remplit chez les diverses nations civilisées de TEurope, et ses conditions d existence, si simples, si uniformes, chez un. peuple uniquement pasteur ou uniquement chasseur, qui ne saurait évidemment lui offrir tous les jours et partout que la même nourri- ture, comme il ne peut que lui demander les mêmes services? ` Des animaux domestiques , en devenant la pro- priété d'un peuple moins riche et moins civilisé, doivent donc tendre à se rapprocher davantage d'un type fixe et unitaire, et c’est en effet ce qui a con- stamment lieu. Uia d’une race chez un peuple peu civilisé peut être assimilé pour elle à un retour incomplet vers, l'état sauvage : il a constam- ment pour effets des changements qui tendent à la rapprocher de son type primitif, et exactement en raison du degré de barbarie de ses nouveaux maîtres. C'est ce qu établissent une multitude de preuves, parmi lesquelles je. citerai, comme exemptes de toute objection , les graves différences existant aujour- dhui, malgré la communauté incontestable de leur origine, entre nos animaux domestiques et ceux de divers peuples de l'Amérique. L analogie qui existe entre le retour d’une race à ZOOLOGIE GÉNÉRALE, 20 306 DOMESTICATION DES ANIMAUX. état sauvage et sa possession par un peuple peu où point civilisé fournit l'explication d’un fait général que) avais aperçu et signalé il y a quelques années au sujet de divers animaux domestiques, - mais princi- palement du chien. Presque aussi universellement répandue sur la surface du globe que l'homme lui- même , cette espèce présente, chez les nations civi- lisées, une multitude de races pour la plupart traidif- férentes entre elles, et très-différentes aussi du type sauvage. Au contraire, les chiens des peuples restés encore. à l’état sauvage ou barbare ont eux-mêmes conservé les caractères de leur type. sauvage : leur physionomie, leur allure, leurs formes sont celles du loup et du chacal; et telle est même la con- stance de ces résultats, que j'ai pu dire le degré de domestication du chien presque partout pro- portionnel au degré de civilisation de l’homme. Or, maintenant, nous voyons non-seulement que ce rap- “port existe, mais qu'il ne pouvait manquer d'exister; car si les peuples barbares doivent être considérés comme auteurs par eux-mêmes de la domestication de leurs animaux, ils n’ont pu imprimer des change- ments bien profonds à l’organisation de ceux-ci, ce qui résulte de tous les faits RSR - et s'ils les ont reçus de nations plus avancées qu'eux dans les voies de la civilisation , on voit maintenant qu ls ont dû les laisser : mtberader vers les conditions du type sauvage. PROGRÈS A ACCOMPLIR. 307 yii. DES PROGRÈS QUI RESTENT A ACCOMPLIR RELATIVEMENT A LA DOMESTICATIO DES ANIMAUX. 2 J'ai essayé de montrer dans cet article et dans Je précédent comment l'anthropologie, arrêtée par le Manque de méthodes suffisamment puissantes din- vestigation , comment la zoologie, de même retenue et comme entravée dans sa marche par un faux prin- cipe, ne peuvent manquer de recevoir une vive et heu- reuse impulsion, par l'application faite à l’une et à Fau- tre des connaissances acquises sur les animaux domes- tiques. N’eût-on d’autres résultats à en attendre, cette dernière branche si négligée jusqu’à ce jour, me pa- raîtrait par cela même l’une de celles dont la culture importe le plus au progrès de la philosophie naturelle, Mais il est un autre point de vue sous lequel l'étude ` des animaux domestiques se montre, sinon plus im- portante encore, au moins susceptible d’une influence plus directe sur le bien-être de l'humanité, Elleseule, en effet, en nous apprenant comment a été accomplie la conquête des animaux domestiques, et jusqu’ où elle a été portée, peut nous indiquer ce qui reste à faire à nous-mêmes et à nos descendants pour pour- suivre et compléter l’œuvre si admirablement com- mencée par nos par es. Or, sans que j'ose déterminer le rapport de ce qui a été fait et de ce qui reste à faire , je crois du moins pouvoir aflrmer que les progrès à accomplir sont im- Te N 308 DOMESTICATION DES ANIMAUX. menses. Depuis une longue suite de siècles , l'homme s'est ralenti , je dirais presque s’est arrêté, comme satisfait de son œuvre, dans les voies où il avait d’abord marché avec une si haute intelligence de ses besoins. C'est même à peine si l'on peut citer quel- ques animaux véritablement utiles, conquis par notre espèce après ces âges antiques dont il ne reste au genre humain que de vagues et fabuleux souvenirs. Le s $ Ici la civilisation si avancée des peuples modernes peut et doit venir, par une exception peut-être unique, reprendre et continuer des travaux interrompus pres- que dès la constitution des premières sociétés. Delà l'immensité des progrès qui restent à accom- plir, qu'il s'agisse , soit de conquérir les espèces encore insoumises qui pourraient être utiles, soit de consoli- der, de compléter , d'utiliser de plus en plus la con- quête des espèces déjà asservies. Pour indiquer en deux mots tout ce qui est à faire dans cette double direc- tion, je dirai que le nombre des espèces dont la domestication pourrait être utile surpasse assurément de beaucoup celui des espèces déjà conquises par l'homme ; et parmi celles-ci , il n’en est pas une seule à l'égard de laquelle d'importantes améliorations ne puissent être conçues et ne doivent être désiréés. Mon intention n'est pas et ne saurait être de trai- ter ici un aussi vaste sujet. Les questions si impor- | ie RG tanba A ; i tantes de physiologie et de philosophie naturelle, qu Le à DZ s , . . t 4 se rattachent à l'étude des animaux domestiques, ont du, pour moi qui écris ici un article et non un PROGRÈS A ACCOMPLIR, 309 ouvrage , passer avant toutes les questions d’applica- tion et de pratique ; non assurément que j'attache un moindre intérêt à ces dernières, dont les con- séquences touchent si directement au bien-être des hommes, mais parce que leur nature même exclut la possibilité d’une discussion seulement générale, Je présenterai toutefois quelques remarques sans lesquelles mon article resterait par trop incomplet , et qui ont d'ailleurs des rapports intimes -avec plu- sieurs des questions précédemment traitées. On ne s'étonnera pas; après ce qui a été dit plus haut (1), de me voir citer comme devant surtout pro- curer à l’homme de nouveaux animaux domestiques , précisément les mêmes classes qui lui ont déjà fourni tous ceux qu'il possède actuellement. Et même, c'est encore de la classe des mammifères, et plus spéciale- ment des ruminants et des solipèdes, que nous avons à espérer les dons-les plus nombreux et les plus pré- cieux. en ter | Parmi les ruminants, il n’est pas une seule espèce dont la domestication ne puisse être de quelque avan- tage pour l’homme. Les grandes antilopes entre autres lui fourniraient une alimentation saine ct agréable par Jeur chair et leur lait; mais leur utilité, en rais son de l'importance des animaux alimentaires déjà pris dans le même groupe, ne serait jamais que se- 1 (1) Voir p. 278 et suivantes. és rer dam) Ta E AT Le A Se T7 ar S eae a nn En 310 DOMESTICATION DES ANIMAUX, condaire; etje n'oserais affirmer qu'elle dût offrir une compensation suffisante pour toutes les difficultés à vaincre. Au nombre des espèces dont la destiids serait éminemment utile, et même devrait être commencée le plus tôt possible, je placerai , an contraire, la vi- gogne, Son importation dans les localités convenables serait assurément l’un des progrès que nous devons le plus désirer de voir accomplir. Peut-être viendra-t-il un temps Où la chair, et surtout la laine si abondante, si fine, si douce de ce précieux quadrupède, formeront Tune des richesses principales de nos montagnar ds des Alpes et des Pyrénées. Parmi les pachydermes, il est un animal dont la domestication-me semble aussi devoir être immédia- tement tentée : c’est le tapir, et plus spécialement l'espèce américaine, qu’il serait si aisé de se procurer par la Guyane et le Brésil. Non moins facile à nourrir que le cochon, le tapir m'a semblé, par ses instincts naturels, éminemment disposé à la domestication. Au défaut de la société de ses semblables, je Pai vu re- chercher celle de tous les animaux placés près de lui, avec un empressement. sans exemple chez les autres mammifères. L'utilité du tapir serait double pour l’homme. Sa chair, surtout améliorée par un régime convenable, fournirait un aliment à la fois sain ct agréable. En même temps, d’une taille bien supé- riéure à celle du cochon, le tapir pourrait rendre d'im- portants services comme bête de somme, d’abord aux PROGRÈS A AGCOMPLIR, 311 habitants de l'Europe méridionale, puis, avecle temps, dans tous les pays tempérés. Je regarde comme pouvant aussi être utile, quoique à un degré moindre , la domestication de l’hémione, du zèbre et des autres solipèdes restés sauvages, J'exa- minerai avec soin dans un article spécial (1), en ce qui les concerne , la question que je traite ici d'une ma- nière générale, et j'essaierai alors de montrer qu'après toutes les races issues du cheval, de l'âne et de leur croisement, de nouvelles races de solipèdes pour- raient encore être employées avec grand avantage dans certaines localités ou pour des usages spéciaux, En dehors de l'ordre des ruminants et des pachy- dermes, et dans un groupe qui, en raison de la contrée qu'il habite, n’a encore fourni à l'homme aucune es- pèce domestique, je citérai encore comme aussi utiles que faciles à asservir , les kangurous de l'Australasie. La chair de ces marsupiaux, sans être comparable pour la saveur à celle d'aucun de nos animaux alimentaires actuels, n’est. ni moins saine, ni moins agréable au goût; et leur poil, doux et laineux, pourrait aussi très- certainement être utilisé par notre industrie. Il est surtout une espèce qui, sous ce dernier rapport, serait d'un prix inestimable : c’est le kangurou ou gerboïde. laineux (2), aussi utile, selon toute apparence, que les (1) Voyez l'article suivant, p, 319. (2) C'est à MM, Quoy et Gamard qu'on doit la connaissance de ce Q f 3 x , 1e r . récieux animal. Voyez la Zoologie de l'Astrolabe, où il est décrit sous Š d ? € + 312 DOMESTICATION DES ANIMAUX. vrais kangurous par les qualités de sa chair, et enmême temps aussi précieux que la vigogne elle-même par la riche fourrure dont il est revêtu. Lorsque les Euro- péens pourront pénétrer librement dans les provinces où cette espèce, encore très-rare dans les collections, se trouve répandue en abondance, rien ne devra être né- gligé pour en accomplir promptement la conquête. ‘En-attendant, celle des diverses espèces de kangurous proprement dits devra être tentée dès qu'une occasion favorable se présentera ; et elle le sera, si l'entreprise est bien conduite, avec de très-grandes chances de suc- cès, en raison des instincts sociaux de ces animaux, de leur naturel très-susceptible d’apprivoisement, et de la facilité, déjà constatée par l'expérience , avec la- quelle ils vivent et se reproduisent dans nos cli- mats. i : J'indiquerai encore parmi les mammifères, comme plus où moins faciles à domestiquer , mais comme beaucoup moins utiles, diverses espèces de rongeurs, principalement de la famille des caviens, telles que le dolichotis ou lièvre pampa, les agoutis , le cabiai , et surtout les pacas, qui seraient employés avec avantage comme animaux alimentaires ; puis, plusieurs carnas- siers, par exemple, léguépard, les coatis, la loutre; et surtout les mangoustes, qui pourraient seconder le nom de kangurow laineux. J'ai depuis reconnu que ce marsupial, pour lequel j'ai proposé le nom de gerboïde , doit êtrè séparé des Vra15 “kangurous, et former un genre distinct. PROGRÈS A ACCOMPLIR, 313 l’homme dans la recherche et dans la poursuite des ani- maux, soit de nos forêts, de nos champs ou de nos ri- vières , Soit de l'intérieur de nos demeures. Quant aux singes , aux phoques, et , parmi les mammifèr es bipè- des, aux lamantins, si remarquables par la douceur de Los naturel, le développement de leur intelligence, leurs i instincts éminemment sociaux, et, par suite, par la facilité de leur apprivoisement, je ne doute pas que, | si l'on réussissait à les faire reproduire facilement en | domesticité, ils ne pussent devenir éminemment utiles à l’homme, au moins dans certaines localités. Il est d’ailleurs à peu près impossible de déterminer à la- vance la nature des services que notre espèce pourrait exiger d'eux : on peut seulement prévoir qu'ils de- vront être fort différents de ceux que nous rendent nos carnassiers, nos pachydermes, nos ruminants do- mestiques. Parmi les oiseaux , le groupe des gallinacés est ce- lui qui peut nous fournir encore le plus d'espèces utiles, comme il est déjà cé dans lequel l'homme en a pris le plus grand nombre. Il serait très-certai- nement facile de domestiquer les hoccos (1), les pé- _nélopes, les catracas , les lophophores, les napauls, et d’autres encore dont la chair prendrait utilement place sur nos ta ables entre celle du dindon et celle de la Re Eee, (1) Déjà quelques essais heureux ont été faits pour le hocco mitupo- ranga, principalement en Angleterre et en Hollande. Voyez Tem- MINCR, Histoire nat. gên. des Galini , t. III, p. 12 et suivantes, 314 DOMESTICATION DES ANIMAUX. poüle, et dont les derniers, en même temps, seraient pour nos parcs et nos basses-cours de si magnifiques ornements. ete La conquête infiniment plus importante du nandou, des casoars et même de autruche, serait plus difficile b ; b] 3 x Le ai 7 à à accomplir; mais d'apt ès les circonstances de la repro- duction dans ces espèces , je ne doute point qu’on ne parvint, par des soins habilement dirigés, et avec quelque persévérance , à- vaincre tous les obstacles, si graves qu'ils puissent paraître au premier abord. Après ces oiseaux, je citerai l’agami, trop facile à apprivoiser pour qu’on n’en doivepas tenter la domes- tication, ne fût-ce que pour l'ornement de nos basses- cours, et qui paraît d'ailleurs pouvoir être utilisé pour la garde et peut-être la conduite des autres oiseaux ; quelques pigeons, et surtout le goura qui, en raison de sa grande taille, deviendrait l’une de nos plus pré- cieuses volailles ; enfin le marabou et d’autres oiseaux que Ton fecherclie pour la beauté de quelques-unes de leurs plumes. Mais ces dernières espèces seraient beaucoup plus difficiles à propager que les premières, et leur domestication ne saurait guère être espéréeque pour un avenir éloigné. ge Dans les classes inférieures du règne animal, j'ose. à peine donner quelques indications; non que ces classes ne puissent et ne doivent aussi par la suite ac- croître nos richesses, mais parce que je manque pres- que complétement à leur égard des documents nécés- saires pour donner à mes prévisions une base certaine. TS PROGRÈS A ACÉOMPLIR, 315 Qu'il me suffise d'indiquer, comme pouvant être es- sayée avec quelques chances de succès, la multiplica- tion de divers poissons alimentaires exotiques, par exemple, le binny du Nil, si précieux par sa grande taille et exquise délicatesse de sa chair; de quelques insectes fileurs, notamment de plusieurs bombyces, dont les produits, pour être inférieurs en qualité à la Soie; n’en seraient pas moins susceptibles d'un emploi utile ; de divers insectes carnassiers qui, selon une idée ingénieuse récemment émise, pourraient, bien que par eux-mêmes inutiles à l'homme, lui rendre indirecte- ment de très-grands services comme destructeurs des insectes nuisibles; enfin et surtout de la sangsue offi- cinale , déjà presque entièrement détruite dans plu- sieurs pays, et qui pourra finir par disparaître entière- ment de la surface du globe, si cette utile espèce ne devient enfin, comme elle devrait l'être chez toutes les nations civilisées , l'objet de soins intelligents et assidus. Tapar] Tels sont les bienfaits que notre siècle doit s'effor- cer de léguer aux siècles futurs, en même temps qu'il doit tendre aussi à rendré.de jour en jour plus com- plets, par la propagation et l'amélioration graduelle des races domestiquées , ceux que lui-même à reçus des siècles passés. bee : L'amélioration des races, soit par le croisement d'individus convenablement choisis, soit par lin- fluence d'un régime et de circonstances favorables d'habitation, est maintenant l'objet des efforts plus 316 DOMESTICATION DES ANIMAUX. ou moins bien entendus, soit des gouvernements de la plupart des peuples : civilisés , soit g un grand nombre d citoyens isolés. Les rmétliodes employées sont loin ’être toujours Fes meilleures ; mais les progrès ne sauraient manquer d'être rapides, par cela seul que le besoin en est universellement senti. Mais là ne se borne pas la tâche que l'homme doit se proposer à l'égard des animaux domestiques. On aura peine à croire un jour qu'au dix-neuvième siècle les nations les plus civilisées de l'Europe aient négligé de se pro- curer, non-seulement des races, mais jusqu'à des espèces éminemment précieuses, domestiquées ail- leurs depuis un temps immémorial! Les difficultés de l'asservissement d’une espèce sauvage sont grandes, jele reconnais, et il faut assurément quelque force de volonté pour lutter contre elles et en triompher; mais la domestication une fois accomplie sur un point du globe, ne l'est-elle pas pour ainsi dire au profit du monde entier? Les relations fréquentes des peuples entre eux, en amenant par le commerce l'échange quotidien de produits souvent dénués de toute utilité, _ peuvent-elles, sans qu'il y ait là la plus singulière et la plus déplorable contradiction, laisser de côté et comme oublier les animaux domestiques ? Je ne sau- rals concevoir comment on a pu porter l'incurie jus- qu’à laisser presque s éteindre en plusieurs lieux une race aussi précieuse que celle du lama , au lieu de la propager dans les montagnes de TEurope; comment le chameau et le dromadaire, que nulle autre espèce oar aan o — a mii ME sai tt a PROGRÈS A ACCOMPLIR. 317 ne saurait remplacer dans certaines localités, mais surtout le dromadaire, si commun chez une multitude de peuples avec lesquels nous avons des relations continuelles, n’ont encore été l'objet que de quelques essais locaux et tentés seulement sur une petite échelle ; comment, pour tout dire en un mot, il reste encore aujourd'hui, dix ans après la conquête d'Al- ger, un animal rare en Europe? Espérons que dans ce moment où tant d'esprits éclairés dirigent leurs méditations vers les applications industrielles, on comprendra enfin que l'importation d'espèces aussi utiles est lun des plus grands services qui puissent être rendus au pays , l'un de ceux dont un gouverne- ment éclairé devrait le plus s'efforcer de provoquer, de tenter l'accomplissement, de développer les bienfai- santes conséquences. _ Pour moi; une étude attentive de tous les, élé- ments de la question m'a donné à cet égard une en- tière conviction; et je crois même pouvoir signaler sans hésitation comme le progrès qui doit précéder et amener tous les autres, la fondation d'une ménagerie de naturalisation dans le midi de la France. Un tel établissement, dirigé selon les principes de la saine physiologie , enrichirait sans nul doute la France, dans un avenir peu éloigné, d’un grand nombre de races précieuses dont la possession ne saurait man- quer de faire naître bientôt plusieurs industries nou- velles, et de créer enfin, pour diverses localités qui’ en sont encore aujourd'hui presque totalement dé- 4 + 318 DOMESTICATION DES ANIMAUX. pourvues, des éléments de richesse et de prospérité impossibles par toute autre voie. J'appelle donc de tous mes vœux ce progrès ; je vois dans son accom- plissement l'un de ces bienfaits peu brillants, peu retentissants peut-être, mais durables, solides, et destinés à se perpétuer d'âge en âge, pour lesquels il est une récompense plus belle encore que l'admiration des hommes, leur reconnaissance. | HI. DE LA DOMESTICATION DES SOLIPÈDES RESTÉS ENCORE SAUVAGES (1)- EL Le genre cheval, ou, selon une expression plus gé- néralement employée, le groupe des solipèdes, est composé, comme on l'a reconnu depuis quelques an- er (1) Bien que, dans l’article précédent, je me fusse proposé pour but Spécial l'étude théorique de la domestication des animaux, j'ai cru de- voir présenter de courtes remarques sur la partie pratique de cet im- portant sujet, et spécialement indiquer quelques animaux dont la con- quête me paraît à la fois utile et possible. Ces animaux peuvent être rapportés à deux groupes : ceux qui n'ont point d'analogues par mi nos animaux domestiques actuels, et ceux dont Thomme , au contraire, ` possède déjà un ou plusieurs congéneres ; telles sont, en particulier, les espèces de solipèdes restéés encore sauvages. A l'égard des premiers, l'utilité de la domestication est pour ainsi dire Pre par elle-même : il est clair que leur conquête mettrait aux mains de l'homme des ri- chesses entièrement nouvelles. Mais la question n'est pas également Simple en ce qui concerne les seconds, et peut-être, au premier abord, au lieu de considérer ayec moi la conquête de ces espèces comme d'une utilité secondaire, mais réelle, serait-on porté à la déclarer compléte- ment inutile. Quelques remarques ne seront donc pas superflues ici Der Po mn SE En gg 4 { | AE aaae e ne 320 DOMESTICATION DES ANIMAUX. rA ê nées , de Six espèces, parmi lesquelles trois asiatiques, toutes de couleur uniforme, trois africaines , toutes plus ou moins zébrées. Sur ces six espèces, deux, le che- ‘valet l'âne, l'une et l’autre, comme chacun le sait, d'o- rigine asiatique, sont asservies de temps immémorial; les quatre autres , savoir, l’une des espèces asiatiques, l'hémione, et les trois espèces africaines, le zèbre, le dauw, le couagga, sont restées sauvages. L’hémione est, ilest vrai, dressé fréquemment aux travaux agricoles dans quelques cantons de l'Indostan ; il pest même pas rare qu'il s'y reproduise en captivité (1); mais il n’a jamais été transporté hors de l'Inde, si ce n’est exceptionnellement , et comme un animal rare et cu- rieux (2). On ne saurait de même, et à bien plus forte raison, considérer comme domestiques les trois es- pèces africaines , toutes vivant encore complétement i pour justifier une opinion qui, si les motifs nen étaient pas déduits, resterait douteuse ou paraîtrait erronée. (1) Ce renseignement intéressant est dù au savant et infortuné yoya- geur AzrreD DUVAUCEL. Voyez l'article publié sur l'hémione , par M. Fréosgic Cuvier, dans VHistoire naturelle des Mammifères, livrai- son XL. T (2) La ménagerie du Muséum d'histoire naturelle possède en, ce m0- ment trois individus , les premiers que l'on ait vus en France. Il les doit tous trois à M. Dussumier, dont le zèle éclairé pour la zoologie est aujourd'hui connu de tous les amis de la science. Le même établissement a successivement possédé les trois solipèdes africains. L'un d'eux, le dauw, y est même en ce moment représente par quatre individus. dont l'un est né, en 1835, à la ménagerie dun père qui lui-même y était né en 1829. e SE ea S Caan N = i i e T Ro tee or" A à | a DES AEE aer MP re teen a REMARQUES SUR LES SOLIPÈDES. 321 à l’état sauvage. à l'exception de quelques individus, ge, P quelq les uns nourris dans diverses ménageries, les autres . acquis et dressés à grands frais par quelques particu- liers qui se plaisent à étonner les regards par le luxe in- solite de leurs montures et de leurs attelages zébrés(r). Ces tentatives déjà faites, non-seulement au Cap , mais même aussi en Europe, peuvent être des com- mencements précieux de domestication ; mais elles "e sont pas la domestication elle-même qui consiste es- sentiellement dans l’asservissement ; non de quelques individus seulement, mais d’une race (2), et que des modifications plus ou moins importantes du type spé- cifique accompagnent toujours, èt, pour ainsi dire» caractérisent lorsqu'elle est complète. La domestication de quelques-uns au moins des so- lipèdes, est un résultat que devaient amener prompte- ment les progrès des premières sociétés humaines. Les solipèdes ne pouvaient manquer de fournir à notre espèce une partie de ses premiers et de ses plus utiles auxiliaires :on peut dire, à la lettre , que tout en eux les appelait à cette destinée ; par exemple, leurs in- stincts de sociabilité, leur énergie native, les qualités précieuses de leur organisation physique la propor- tion même de leur taille avec la nôtre, enfin Thabi- (1) Ces essais remontent à une époque assez ancienne. SPARRMANN et Araman , d'aprés le général Gonpox, en font déjà mention pour le couagga. Ils ne sont pas trés-rares non plus à l'égard du dauw. (2) Voy. plus haut, p.260. | ZOOLOGIE GÉNÉRALE, 21 Ke LE re a RES tr E A S aan ee o e DORAS a PTS * 322 DOMESTICATION DES ANIMAUX. tation de plusieurs de leurs espèces, et spécialement de l'une des plus belles et des plus vigoureuses, dans unerégion où tous les documents s'accordent à placer au moins l'un des premiers foyers de la civilisation. - Lorsqu'on pèse la valeur de ces considérations, on reconnaît que si quelque chose devait nous étonner dans la domestication des solipèdes , ceserait, non pas qu'elle ait été étendue à deux espèces, mais bien plu- tôt qu'elle ne l'ait pas été à plus de deux. Pourquoi les quatre autres espèces ont-elles échappé au joug -de l’homme? | | Si l'on examine avec quelque soin cette question, on trouve d’abord: les éléments d'une réponse assez satisfaisante dans diverses circonstances. particuliè- res. Telle est, pour les espèces propres à l'Afrique, leur habitation exclusive vers le sud et. vers l'ouest de cette vaste partie du monde, c'est-à-dire, dans des. régions plongées de toute antiquité dans la bar- barie da plus complète. Quant aux peuples civi- lisés qui. maintenant ont porté leurs recherches et étendu leur domination ou leur commerce sur une si grande partie de l'Asie et de l'Afrique, s'ils n'ont encore enrichi l'Europe mi de l'hémione ni de ses congénères africains, on pourrait. én accuser. cette incurie dont ils ont malheureusement donné bien d’autres et de plus fâcheuses preuves, en négligeant l'introduction de tant d'espèces encore sans anar | logues dans notre économie domestique et notre indice: par exemple, pour me borner à cette cita- REMARQUES SUR LES SOLIPÈDES. 323 tion, en laissant à l'Amérique son précieux tapir, sa vigogne et son alpaca plus précieux encore. Mais il ya, en ce qui concerne les espèces non encore dó- mestiquées de solipèdes , une donnée de plus dont il importe de tenir compte : c'est l'intimité de leurs rap- ports avec le cheval et l'âne qui, en étant les congénères, et par conséquent les analogues à tous égards, peuvent paraitre aptes à nous rendre tous les mêmes. services que nous aurions à attendre de l none et des soli- pèdes africains. | De là, sur utilité réelle de ces espèces, un doute qui à pu, et qui ns contribuer à en empêcher l'introduction. | La multiplicité et la variété des races domestiques issues du cheval et de l'âne, sont telles que linutilité absolue de conquêtes nouvelles faites parmi les soli- pèdes, peut même sembler, au premier abord, en être la conséquence rationnelle. C'est le désir de fixer mes idées à cet égard, qui m'a conduit à reprendre la ques- tion dans son ensemble, et, par suite , à écrire cet-ar- ticle (1). (1) Il a été écrit à l'époque et à l'occasion de l'arrivée en France du premier des hémiones ramenés du Cuteh par M. Dussumier. Il ser- yait de préambule à un article assez étendu sur l'histoire naturelle de l'equus hemionus; article qui n'entre pas dans le cadre de cet ouvrage ; et pour lequel je renvoie aux Nouvelles Annales du Muséum, t IV. J'ai cru, au contraire, qu'il ne serait pas inutile de reproduire ici (en en faisant améliorer le coloriage) une figure de l'hémione qui est due à l'habile pinceau de M. Wernen, peintre du Muséum d'histoire naturelle. ph GR rs eee à z; mu e> = ~ = oi ru ee z T one = se an ÈS, rene mere, a DD nase 324 DOMESTICATION DES ANIMAUX. IT. Soumis de toute antiquité au joug de l'homme, transportés successivement et naturalisés par lui dans presque toutes les régions du globe, employés à des travaux aussi variés que les besoins réels ou factices de la civilisation humaine, livrés ainsi pendant une longue série de siècles à T influence modificatrice d’une multitude de climats, de genres de vie, de régimes diététiques divers , le cheval et l'âne ont dû s'écarter graduellement, et suivant une multitude de directions différentes, des conditions de leurs types primitifs. C'est en effet ce qui a eu lieu pour ces deux solipè- des; pour lâne, à un faible degré , en raison de la variété moindre des circonstances extérieures au mi- lieu desquelles vit cette espèce; pour le cheval, d’une manière bien plus marquée, en raison de l'extension plus grande de sa distribution géographique, et sur- tout de la diversité plus tranchée des influences qui réagissent sur lui. De là, surtoutsi l'on fait entrer en ligne de compte les variétés hybrides, le mulet et le bardeau, une multitude de races, liées toutes en- semble d’une manière intime et passant les unes aux autres par nuances presque insensibles, mais en même temps, d’un extrême à l’autre, différant consi- dérablement en puissance musculaire, en taille, en proportions, en formes, et, par suite, en agilité, €” vigueur, et même en intelligence. Quel contraste, par REMARQUES SUR LES SOLIPÈDES. 325 exemple , entre ces ânes chétifs et hideux de nos cam- pagnes de l'Ile-de-France et de la Brie, et ces pré- cieuses races chevalines, si parfaites à divers égards ) que nourrissent l'Arabie, la Perse, l'Angleterre, l An- dalousie! | z Aussi, lorsque lon compare toutes ces variétés d’un même type, lorsqu'on se les représente disposées gra- duellement et comme échelonnées depuis les plus im- parfaites jusqu'aux plus belles , il semble qu’il ne soit aucun besoin, aucun caprice même de notre civilisa- tion, qui ne puisse trouver à se satisfaire par Tun des térmes de cette immense série. N’existe-t-il pas, en effet, pour tous les degrés de la richesse et du luxe, de magnifiques races de trait ou de course, puissantes en vigueur et en agilité , en même temps que remar- quables par la beauté de leurs formes? Les besoins si variés du commerce, de l'industrie, de l'agriculture, ne trouvent-ils pas dans une multitude d’autres races des ressources non moins variées qu’eux-mêmes ? Et si nous descendons aux derniers termes de la série, les conditions de ces races inférieures, inélégantes , souvent très-mal conformées, mais robustes , patientes au travail, faciles sur le choix de la nourriture, ne sont-elles pas heureusement coordonnées avec les res- soûrces plus que modiques de certaines classes de tra- vailleurs qui voudraient en vain donner à leurs ani- maux domestiques des soins dont elles-mêmes sont privées? Enfin , indépendamment de toutes ces diffé- rences générales , chaque disposition du sol, chaque 326 DOMESTICATION DES ANIMAUX. sorte de relief, et jusqu'aux lieux, eux-mêmes les plus abruptes et les moins praticables en apparence pour le sabot d’un solipède, n’ont-ils pas leurs variétés par- ticulières de chevaux, de mulets, d’Anes, qui, dépla- cées partout ailleurs , se plient i ici heureusement aux accidents de localités pour lesquelles le naturel et quel- quefois l'organisation de leur type se sont sensible- ment modifiés ? a ‘En présence decette multi plicité de ressources four- nies par les produits de deux seules espèces, la pre- mière idée qui se présente naturellement à l'esprit, est celle de l'inutilité de nouveaux emprunts faits, dans Jes régions étrangères, au type des solipèdes. On a tant obtenu déjà, qu'il semble impossible de rien obtenir de plus : il resterait seulement, pour l'industrie hu- maine, à conserver, à perfectionner, à propager toutes les races et variétés secondaires qu’elle a créées. C'est là sans doute ce qu on est porté à penser au premier ‘abord. Mais l'appréciation exacte et réfléchie des faits confirme-t-elle ce jugement? Je devrais assurément en convenir, s’il était prouvé que dé lhémione, du zèbre, du dauw, du couagga, dussent provenir seulement des races exactement semblables à celles qui sont issues de l'âne et du cheval. Serait-il sage d'aller, à grands frais et au travers de grandes difficultés , puiser dans une source éloignée des produits que nous avons déjà tout créés et en grand nombre autour de nous? Mais s'il wen était pas ainsi , si les races issues, soit | REMARQUES SUR LES SOLIPÈDES. 327 de lhémione , soit des solipèdes africains , devaient être douées de caractères et de qualités propres, l'état de la question serait tout autre, et sa solution bien différente: car ces nouvelles races seraient évidem- ment autant de ressources surajoutées à celles que nous possédons déjà, autant de moyens nouveaux d'action heureusement applicables à quelques spécia- lités , et dont la civilisation européenne ne saurait laisser longtemps l'emploi hors du cercle toujours croissant de son industrie. T'asservissement des espèces encore sauvages du genre cheval , complétement inutile dans la première hypothèse, aurait donc au contraire, dans la seconde, de grandes chances d'utilité : elle pourrait constituer un véritable service rendu à l'humanité. Réduite à ces termes, la question devient beaucoup plus simple et d’une solution plus facile; car il ne Sagit plus que de prononcer sur la valeur de mes deux hypothèses; et, rentrant ici dans le domaine de la zoologie proprement dite et de la physiologie, je vais trouver pour guides des analogies dont on ne saurait récuser la valeur. nuai TI. L'observation nous apprend que, si multipliées, si diverses que soient les races issues du cheval et de Y'âne, la ligne de démarcation qui existait originaire- ment entre ces deux espèces, subsiste encore entre TR S ps Lao ps ur ji À $ Fr « a nan 7e "ad re ET di RE in 0 me Re pote sq ip td x sait 5x zi n acids PER utatensté SÉË pa e ARSA di e 4 bus - TR a TR A Fu ” Fer F -aadi x 3 7 4 or ati“ ni LINE POS TNE D PR i ps CPR < D PSN LE ~ a Eu Pr dE ft ne = ps car cb re 27 328 DOMESTICATION DES ANIMAUX. les innombrables variétés de l’une et de l’autre.Quoi qu’elle ait pu faire, l'influence de l'homme, ou, comme on l'exprime quelquefois, la culture n’a point trans- porté à lâne. toutes les qualités du cheval, ni récipro- quement au cheval toutes celles de l'âne; et c’est pré- cisément parce qu'il en est ainsi que tous deux sont restés et sans doute resteront toujours concurremment utiles, chacun étant spécialement appliqué aux tra- vaux ou aux localités dans lesquels se trouve l'emploi utile de, ses qualités propres. Bien plus : l'intervalle qui sépare l'âne du cheval est encore assez large pour qu'entre eux se soient placés deux autres types, le mulet et le bardeäu , tous deux voisins, mais distincts, soit de l'âne et du cheval, soit l'un de l'autre; tous deux doués en propre de qualités natives qui leur as- signent un rôle déterminé parmi nos animaux domes- tiques , tous deux par conséquent pouvant être plus ou moins suppléés, mais non complétement rempla- cés par les espèces qui leur ont donné naissance. Ces faits qui, pour être très-vulgaires , n’en sont pas moins éminemment remarquables et féconds en induc- tions utiles, résolvent nos doutes par toute l'autorité d’analogies prochaines et presque immédiates. Ce qui est arrivé pour l'âne et le cheval, est, au moins dans certaines limites, ce qui devrait arriver pour l'hé- mione et pour nos solipèdes zébrés d'Afrique. Que Tune ou plusieurs de ces espèces soient asservies et définitivement acquises à notre industrie, leurs for- mes, leur taille, leurs couleurs , l’ensemble de leur REMARQUES SUR LES SOLIPÈDES. 329 organisation et leur naturel, se modifieront plus ou moins gravement ; mais il serait contre toutes les pro- babilités que les races nouvelles, créées par ces modi- fications, vinssent à reproduire exactement par leurs caractères et leurs instincts les caractères et les in- stincts de l'âne et du cheval, et à se confondre ainsi, malgré leur origine si distincte , avec nos races do- mestiques actuelles. Loin de là, elles seraient à l’âne et au cheval ce que ceux-ci sont entre eux, des êtres analogues, mais non semblables ; par suite, dans l'ap- plication , des auxiliaires dont l'utilité né saurait être douteuse. Ces auxiliaires, en effet (et je dirais ces succédanés , s’il m'était permis d'emprunter ce terme à la thérapeutique), pourraient être indifféremment substitués l'un à l’autre dans certaines circonstances où sufhrait l'emploi des qualités communes à tous les solipèdes; mais chacun d’eux aussi, en raison de ses qualités propres, aurait une incontestable supériorité dans des travaux ou des localités dont la nature spé- ciale ne tarderait pas à être déterminée par l'expé- rence : ; . Ainsi, indépendamment des croisements nouveaux, et peut-être heureux , dont la possibilité nous serait offerte, multiplier le nombre des espèces domestiques de solipèdes, ce serait, suivant toute probabilité, mul- tiplier et varier les services que notre industrie peut demander à ces animaux. L'âne, et, malgré l’excel- lence de plusieurs de ses races , le cheval lui-même, laissent encore à côté d'eux une utile place à leurs con- uggi “pa a A nee ee K e rpari t pi br RP er s x 330 DOMESTICATION DES ANIMAUX. génères ; et ces nouveaux présents faits à notre civi- lisation, sans être à beaucoup près ceux dont la possession est présentement le plus désirable, seraient un véritable service rendu , et un titre important ac- Le à la reconnaissance publique. IV ET V., RECHERCHES ©. ZOOLOGIQUES ET PHYSIOLOGIQUES sur LES VARIATIONS DE LA TAILLE CHEZ LES ANIMAUX SAUVAGES ET DOMESTIQUES ET Bini teb RACES HUMAINES. INTRODUCTION. I. Le nombre considérable d'espèces nouvelles dont les découvertes des voyageurs enrichissent chaqué jou» la-zoologie, et plus encore les recherches aux- quelles on se livre de tous côtés sur r l'organisation et memes (1) Lues à l'Académie royale des Sciences, dans Les séances du 18 dé- cembre 1831 et du 2 janvier 1832. Elles ont été imprimées, par ordre de l'Académie , et conformément aux conclusions d'une commission dont M. Durnocuer était le rapporteur, dans le recueil des Mémoires des savants étrangers , t. III, pages 503 à 572. J'ai cru devoir laisser ce travail tel qu’il a été présenté à l'Académie, -Sauf quelques changements absolument indispensables ; pat exemple, la conversion des mesures anciennes en mesures métriques , la suppres- r7 PR = re ra -aN pcs ss 2 z 332 VARIATIONS DE LA TAILLE. les mœurs des espèces anciennement connues, ont élevé, dans ces dernières années, toutes les branches spéciales de la zoologie à un haut degré de perfection- nement. Mais, au milieu de ces immenses progrès , et plutôt à cause de l'immensité même de ces progrès, il est une branche de l'histoire naturelle des animaux, et la plus importante peut-être de toutes, qui, loin de participer au rapide mouvement de la science , reste presque stationnaire, et véritablement , si l'on peut s'exprimer ainsi, languit comme étouffée entre toutes les autres. Cette branche, c'est la zoologie générale, fondée et cultivée avec tant d’éclat par Linné et par Buffon , mais encore aujourd’hui plus riche d’aperçus ingénieux que de résultats démontrés, d’hypothèses que de faits. A l’époque où écrivaient ces deux grands hommes, les observations, les faits de détail, seule base sur laquelle des faits généraux puissent et doivent reposer, étaient encore en petit nombre ; et trop sou- vent les vérifications de lavenir ont manqué aux dé- sion de quelques passages qui eussent fait double emploi avec diverses parties des mémoires précédents, etc. Ces changements portent sim” plement sur des détails de rédaction, à l'exception toutefois d'un seul, relatif à une note sur la taille des femimes, qui a été supprimée ici. Di- vers faits, dus aux observations de M. »'Orsiexy en Amérique, de MM. Bravais et Martiis dans le Nord ; etc., ne s'accordent pas avee l'opinion que j'avais émise dans cette note sur la taille des femmes , A considérée comme beaucoup moins variable que celle des hommes: s et ya lieu aujourd'hui de reprendre la question dans son ‘ensemble 5, c'est ce que je ferai, dès que j'aurai recueilli tous les matériaux a tabl saires. | ; INTRODUCTION. 333 ductions, ou, plus exactement, aux hautes prévisions de Buffon. Quelquefois même notre grand naturaliste donna le triste spectacle d’hésitations, de doutes, de rétractations ; preuve trop positive que le génieseulne saurait suppléer au grand enseignement de l'obserya- tion et des faits. T Aujourd’hui, au contraire; la zoologie, enrichie de-. puis quarante années par tant de recherches exactes, précises, ingénieuses, possède un nombre presqué in- fini de faits, et il n’y a nul doute que de leur rappro- chement , de leur comparaison, puissent naître enfin des conséquences générales positives et vraiment scientifiques. Il semblerait donc que la zoologie gé- nérale, qui résume véritablement en elle toutes les branches spéciales de la science , eût dû les suivre au moins dans leur marche si rapidement progressive; et c'est cependant ce qui n'a pas eu lieu. De graves obstacles se sont rencontrés dans la multitude même des résultats particuliers, dans leur nombre si dispro- portionné avec les limites de notre esprit. Comment; en effet, saisir une conséquence générale , quand les” faits qui lui servent de base, et dont sa découverte exige la connaissance, sont en nombre presque infini ; quand l'immense extension de la science a contraint les naturalistes de s’en partager, et, pour ainsi dire, d'en fractionner Tétude; de vouer leurs méditations à l'avancement de telle ou telle branche spéciale ; en un mot, de se placer, dans l'observation de la nature, à un point de vue si rapproché, qu'il laisse les détails 934 VARIATIONS DE LA TAILLE. apparaître seuls avec exactitude , et dérobe entière- ment le spectacle de l’ensemble (1)? IL. Cependant un tel état de choses est-il vraiment sans remède? L'extrême richesse de la science doit-elle, comme sa pauvreté première, nous priver à jamais de : ces résultats généraux, si dignes d'intérêt par eux- mêmes, et tout à la fois si utiles pour la recherche et l'appréciation des faits de détail, puisqu'ils sont, par x. 1) Dans l'enfance des sciences , il était facile de les cultiver toutes à la fois; car chacune d'elles se composait uniquement de quelques faits, base commune des hypothèses les plus contraires, Dans l'antiquité (comme je l'ai remarqué dans la premiére partie de cet ouvrage, p. II et suivantes, et p. 55), ét de même, lors de la renaissance des lettreset des sciences, toutes les branches des connaissances étaient cultivées. par les mêmes hommes. Ce ne fut guère qu'au dix-huitième siècleque l'on comprit qu'un seul homme, de quelque génie que la nature l'ait doué, ne peut embrasser toutes les sciences dans ses méditations + x non-seule- ment parce que le nombre des vérités qu'il importe de découvrit est immense et hors de toute proportion avec les limites étroites de notre intelligence ; mais aussi parce qu'il existe plusieurs ordres de vérités, dont chacun exige , dans celui qui veut s'occuper avec fruit de leur re- cherche, une aptitude d'esprit, une méthode et des connaissances spécia- les. Aussi, dans le dix-huitième siècle, si nous voyons encore quelques hommes cultiver avec éclat plusieurs sciences à la fois, nous remarquons que ces sciences ont toujours des principes communs, que souvent elles sont établies sur les mêmes bases, et qu'il existe entre elles, si l'on peut parler ainsi ; des liens nombreux de fraternité. Pascal , philosophe su- blime , géomètre profond , a enrichi la physique de plusieurs décou- vertes; mais jamais il ne cultiva nil'histoirenaturelle ni la médecine: Au contraire, Linné, que l'on a nomméle prince des naturalistes, fut aussiun INTRODUCTION. 335 leur essence même, de véritables formules renfermant -en elles une multitude de notions secondaires?, Qu bien, chacun de ceux qui ambitionnent de concourir aux progrès de la science, ne pourrait-il ; dans le cer- cle des faits dont il a acquis par des études spéciales une connaissance complète et approfondie, Chercher à Saisir des rapprochements dont les résultats pourraient être élevés ensuite par lui-même ou par d'autres à toute leur importancephilosophique, à toute leur généralité? Cette marche est celle que j'ai essayé de suivre. En médecin distingué : mais la chimie, les mathématiques , sont toujours restées étrangères à ses recherches. Dans le dix-neuvième siècle, la divi- sion a été portée bien plus loin encore. De nos jours , non-seulement ~ Fhistoire naturelle s’est isolée des autressciences; maisses trois branches principales sont elles-mêmes devenues des sciences bien séparées , bien distinctes et déjà trop vastes pour l'intelligence et pour la vie d'un homme: c'est à peine si, parmi les naturalistes distingués de notre épo- que, on peut en compter quelques-uns dont les recherches s'étendent à lensenble du règne végétal ou du règne animal. En ce qui concerne les détails-de la science, on ne cultive plus véritablement la_zoolo- gie, mais seulement l'ornithologie, l'histoire naturelle des mammi- fères, l'ichthyologie, ou quelque autre division de la science : encore est-il une de ses branches; l'entomologie, dont il est devenu né- cessaire de subdiviser l'immense étendue. Comment, en: effet, pour- rait-il en être autrement, lorsqu'il est tel ordre, celui des coléoptères, par exemple, qui comprend à lui seul plus d'un millier de genres, pres- que tous composés eux-mêmes de nombreuses espèces! Et qui ne conçoit l'immense difficulté de saisir, au milieu de cette diversité presque infinie de caractères, d'organisation et de mœurs, quelques-uns de ces aperçus philosophiques, dont chacun lie entre eux elrésume.c lui une multitude de faitsspéciaux, semblable à ces formules algébriques où se trouvent à la fois, sous une forme simple et générale, la solution de tant de cas particuliers ? l E 336 VARIATIONS DE LA TAILLE. m'appuyant spécialement sur l'examen des classes les plus rapprochées de l’homme, et des races humai- nies elles-mêmes, en étudiant sous un point de vue comparatif les modifications de la taille, de la forme et de la couleur dans la série zoologique, j'ai recher- ché si les faits de détail, relatifs à ces trois conditions organiques réputées avec raison les plus variables de toutes , ne pourraient , malgré leur nombre immense et leur diversité presque infinie, seramenr à un pe- tit nombre de résultats généraux ; si toutes leurs mo- difications ne présenteraient pas des relations constan- tes et remarquables avec les circonstances dans les- quelles les animaux se trouvent placés par la nature, avec l’ensemble de leur organisation, et avec leur genre de vie. Le travail que l’on va lire, exposera les principaux résultats auxquels ma conduit l'examen comparatif des variations de la taille chez les animaux et dans les races humaines : résultats dont plusieurs pourront jeter quelque jour sur ces harmonies géné- | rales de la nature, devenues si souvent le texte de dé- clamations, et si rarement le sujet d’études exactes et positives. a ; Ce travail comprendra la solution de deux ordres de questions, très-différents par eux-mêmes, et non moins divers par le genre des considérations et la na- ture des faits sur lesquels j'ai dû m’appuyer dans mes recherches relatives à l’un et à l’autre. J'aurai en effet à traiter en premier lieu des varia- tions de la taille sous le point de vue le plus général, INTRODUCTION. i 337 et par rapport aux différents groupes zoologiques comparés entre eux d’une manière abstraite. Tel sera le sujet d'un premier mémoire, dans lequel je cher- cherai ainsi à ramener les faits particuliers à quelques aperçus très-généraux , et, s'il m'est permis de mex- primer ainsi, à poser les lois des variations de la taille dans les divers groupes du règne ani mal. = Dans un second mémoire, je comparerai entre eux, sous le rapport de leur taille, soit les différentes races d'animaux domestiques , soit les différentes races hu- maines. Descendant ainsi à l'examen des diverses cau- ses particulières et locales qui peuvent faire varier la taille chez les animaux et l'homme, je chercherai à apprécier la valeur des principales de ces causes. Je serai ainsi conduit à montrer comment leur action, etsurtout celle toute puissante dela domesticité, vien- nent quelquefois compenser et annuler l'influence des uses les plus générales, et rendre très-inexactes Pour les animaux domestiques et les races humaines les lois précédemment établies sur l'examen des va- riations de la taille chez les animaux sauvages (1). . (1) De ces deux mémoires, le premier et l'introduction qui précède ont été lus à l'Académie des sciences le 18 décembre 1831; et le résumé qui termine cés Recherches; le 2 janvier 1832 le second ZOOLOGIE GÉNÉRALE, PREMIER MÉMOIRE. ES DES VARIATIONS GÉNÉRALES DE LA TAILLE DANS LE RÈGNE ANIMAL. © Dans ces recherches sur les variations générales de la taille, je prendrai toujours pour sujet principal de mes considérations et pour point de départ la classe des mammifètes. C'est, en effet, de toutes les grandes divisions du règne animal, celle qui nous intéresse le plus, puisque l’homme lui-même, sous le rapport pu- rement physique, n’est que le premier des mammi- fères, . et en même temps celle où les groupes ordi- maux et génériques sont le mieux définis , et les espèces le plus complétement connues et caracté- risées avec le plus de précision. Au surplus , il sera toujours facile de déterminer jusqu’à quel point des propositions établies Spécialement à l'égard des mam- mifères sont applicables aux autres classes zoologi- ques ; et moi-même, sans avoir la prétention detraiter 1ci toutes les questions de ce genre pour l'immense étendue du règne animal entier, je chercherai à don- ner à Cet égard quelques indications dont je me propose de développer ailleurs une partie, VARIATIONS DE LA TAILLE, ETC. . 339 PREMIÈRE PARTIE. LIMITES DES VARIATIONS DE LA TAILLE CHEZ LES MAMMIFÈRES. LE La première question qui se présente à mon exa- men, et sans la solution de laquelle je me trou- verais arrêté dès les premiers pas, c'est la détermi- nation des limites dans lesquelles les variations de la taille se renferment chez les animaux, et principale- ment chez les mammifères, dont l'étude , à cet égard plus encore que sous tous les autres points de yue, offre un intérêt tout spécial. On sait en effet qu'il n’est aucune autre classe où l’on rencontre des différences plus considérables de volume. Ainsi les plus grands de tous les animaux, les baleines et les cachalots, sont des mammifères; et il est d’autres espèces, par exem- ple, plusieurs musaraignes (1), dont la taille excède à peine celle du plus petit des oiseaux-mouches. Or, en prenant pour unités la longueur de ces petits (x) Telle est l'espèce trésintéressante que M. Pau S avi a décou- verte en Toscane et appelée sorex etruscus ; tels sont encore le sorex pulchellus de M. Licurenste, et les deux espèces décrites par moi- même sous les noms de sorex religiosus et de sorex personatus, 340 VARIATIONS DE LA TAILLE insectivores et leur masse, la longueur de la baleine franche et celle du rorqual seraient exprimées par 700, 700, etmême 80o, et leur masse parle nombre immense de plusieurs centaines de millions. Mais ces animaux, si différents entre eux par leur taille, le sont en même temps par leur organisation ; et si nous descendons à des considérations moins gé- nérales, nous voyons les différences de taille se ren- fermer entre des limites plus étroites à mesure que les rapports deviennent plus intimes. Ainsi elles sont beaucoup plus restreintes entre le plus grand et le plus petit des animaux d’un même ordre, d’une même tribu, et surtout d’une même famille naturelle ; et lorsqu'enfin nous arrivons à la comparaison directe des espèces congénères, nous trouvons même que toutes. celles qui diffèrent d’une manière très-sensible par leur taille, différent en même temps par la conforma- tion de quelques-uns des organes dont les conditions d'existence fournissent ordinairement les caractères génériques. C'est ce qui résulte des faits suivants. IL. Les singes forment l’une des familles dont la taille générale est la plus constante, en même temps que l'une des familles les plus naturelles. Tous les genres offrent même des dimensions peu différentes, excepté les orangs ct les cynocéphales, les plus grands de tous, et surtout les ouistitis, genre très-isolé par ses rap- CHEZ LES MAMMIFÈRES. 341 ports, et en même temps beaucoup plus petit que tous les autres. Or, parmi les vrais cynocéphales, on trouvetoujours, en mesurant la tête et le corps, envi- ron = de mêtre(r); et les ouistitis, genretrès-nombreux en espèces , présentent encore un résultat très-remar- quable. En comparant toutes les espèces connues, jai trouvé leur longueur moyenne égale à 0",209. Ce nombre ne diffère que de 0,033 de la taille réelle, soit de la plus grande, soit de la plus petite “espèce. Mais de plus, si Ton divise le genre en trois sections, comme Pont fait quelques auteurs, et qu'on les compare entre elles , on trouve que, dans chaque section, la différence entre la taille moyenne et les deux limites extrêmes ne dépasse pas 0,013. J'insiste sur cet exemple qui me paraît très-propre à exprimer ma pensée ; en eflet, en comparant les ouisti- tis, soit avec les autres singes, soit entre eux, On voit les différences de taille toujours en raison inverse de l'intimité des rapports naturels. Parmi les chauves-souris, il est un genre, celui des roussettes, qui semblait former une exception remar- quable; mais un examen attentif nva conduit à ce ré- (1) Le cynocephalus niger où malayanus des auteurs est, il est vrai, d'une taille bien inférieure à ces dimensions, et formerait une grave ex- ception ; mais des caractères importants le distinguent de tous les vrais cynocéphales, et ilforme un genre trés-distinct, auquel j'ai donné dans un autre travail le nom de cynopithèque, Voyez la zoologie du Voyage aux Indes orientales de M. BELANGER. Fe 342 © VARIATIONS DE LA TAILLE sultat, déjà publié dans un autre travail (1), que les grandes espèces sont différentes des petites par les formes du crâne et par d’autres caractères non moins importants. Plusieurs autres exceptions apparentes se sont de même évanouies devant une étude exacte, dont le résultat a été la détermination de plusieurs genres nouveaux. | l Les genres felis , canis , mustela , viverra, parmi les carnassiers , renferment des espèces de dimensions très-inégales ; mais ce sont des genres par transition, et non des genres parfaitement naturels. Aussi ont-ils été divisés par les zoologistes modernes, et notamment par M. Cuvier, en plusieurs sous-genres ou sections, d'après des différences organiques auxquelles corres- pondent constamment des différences de taille. C'est ce qui a lieu, dans les premiers de ces groupes, pour les chats proprement dits, les lynx et plusieurs au- tres petits groupes; dans le second, pour les loups, les chacals et les renards ; dans le troisième, pour les mar- tes proprement dites et les putois; enfin, dans le der- nier, pour les civettes proprement dites , les genettes et les mangoustes. en est exactement de même, parmi les insecti- vores, les rongeurs et les édentés, de quelques genres qui réunissent des espèces de taille très-inégale. Ainsi, parmi les fourmiliers, le tamanoir, beaucoup plus ts (1) Vôyez Remarques sur quelques caractères des chauves-souris Jre- givores , dans les Annales des Sciences naturelles , t. XV, octobre 1828- CHEZ LES MAMMIFÈRES. 343 grand, et le didactyle, beaucoup-plus petit que tous les autres, forment deux genres, dont le second surtout est très-tranché(r). | : Les pachydermes et les cétacés ne dansé jia à aucune difficulté réelle. Quant aux ruminants , il est vrai que les cerfs et les antilopes comprennent un - grand nombre d'espèces de taille très-différente; mais ces deux grands genres sont subdivisés en plusieurs groupes, d’après des caractères organiquesauxquels cor- respondent parfaitementtoutes les différences de taille. Enfin j J ’ajouterai gag animal du musc , que lon ré- unit ordinairement aux -chevrotains, est précisément à leur égard ce que sont les vraies civettes à l'égard. des-genettes et des mangoustes, c’est-à-dire un genre distinct; et je rappellerai que M. de Blainville a déjà depuis longtemps séparé des autres bœufs, pour en former un genre à part, le petit bœuf musqué, ine termédiaire aux bœufs et aux moutons par ses rapports naturels, comme il l'est par sa taille. J arrive maintenant aux animaux marsupiaux. Ges- mammifères, considérés sous le rapport de leur taille, présentent un fait que sa généralité rend très-remar- quable. Ghogue groupe prinsipal renferme, avec plu- : (x) Ce second genre diffère à la fois des vrais Hüttniliers par lé nom- bre des doigts, par l'ensemble des caractères extérieurs , par le sque- lette et par les habitudes. (Depuis la publication dece mémoire, legenre dont le fourmilier didactyle est le type, a recu de moi le aind Dionyx. Voyez le résumé de mes lecons de Mamm alogie, publiées par Ma Gavars (1835), p. 54). 344 VARIATIONS DE LA TAILLE : sieurs espèces de grande taille , une autre si petite, que tous les auteurs se sont accordés à lui donner le nom de naine ou de pygmée. Ainsi l’on trouve décrit dans tous les ouvrages zoologiques un didelphe nain, un dasyure nain, un phalanger nain, un pétauriste pygmée; et čest aussi à la petitesse de sa taille qu’une espèce du groupe des kangurous a dû le nom de kan- gurou rat. Au reste, ce fait curieux , propre aux ani- maux à bourse, et qui peut-être se rattache à leur mode particulier de développement, bien loin de ren- verser, comme on pourrait le croire, les principes que je viens d'indiquer, en offre une confirmation remar- quable ; car toutes ces petites espèces se distinguent des grandes par quelques caractères organiques , et déjà même M. Frédéric Cuvier et quelques autres zoo- logistes les ont isolées, à une exception près, dans des genres ðu sous-genres particuliers. ee De ces remarques sur différents groupes de la classe des mammifères, et de quelques autres que j'aurais pu y joindre, résultent les deux faits généraux suj- vants: 3 | 1° Avec des différences importantes dans la taille coincident toujours des différences organiques portant sur un ou plusieurs des organes dont les conditions yora Š : ‘ , d'existence fournissent ordinairement les caractères génériques ; 2° Toutes les fois que deuxou plusieurs espèces sont liées par des rapports très-intimes, leur taille est la même ou diffère à peine. 5 CHEZ LES MAMMIFÈRES, 345 SECONDE PARTIE. RAPPORTS DES VARIATIONS DE LA TAILLE DES MAMMIFÈRES. AVEC LEUR GENRE DE VIE. Aprèsavoir établi que la taille présente des diffé- rences d'autant moindres que l'organisation des ani- maux que l’on compare, et par conséquent aussi leur genre de vie, sont plus complétement analogues , je dois chercher à déterminer les rapports qui existent entre les variations de la taille, d’une part, et, de l'au- tre, l'organisation et le genre de vie des animaux , et surtout les circonstances diverses dans lesquelles ils se trouvent placés par la nature, On va voir que ces rapports peuvent être exprimés par un petit nombre de propositions générales auxquelles se rattachent et dans lesquelles se-résument tous les faits particuliers. I. VARIATIONS D'APRÈS LE LIEU D'HABITATION. Tout le monde sait que les mammifères qui vivent dans la mer, ou les cétacés, sont remarquables REY tous par leur grande taille; mais ce n’est là qu'un fait atteste chat. ER em" © em © pe Le M. A C iaioa p n 2 es: < OT 346 VARIATIONS DE LA TAILLE. particulier qui rentre dansun autre fait beaucoup plus général et par conséquent beaucoup plus digne d’at- tention. Ce fait général peut être exprimé ainsi : Tous les animaux qui habitent au sein des eaux, ou y passent une partie de leur vie, parviennent à une grande taille, comparativement avec les autres ani- maux du groupeauquelils appartiennent ; et ilsemble même que l'accroissement deleurs dimensions soit en raison directe de la durée de leur séjour dans l’eau. Ce fait peut être également démontré par la com- paraison des familles, des genres, et même des espèces, pour les genres peu naturels qui renferment à la fois des espèces aquatiques et d’autres purement terrestres. _ Ainsi aucun carnassier terrestre n’approche de la taille du lion marin , du phoque à trompe et de plu- sieurs autres amphibies; animaux qui se trouvent ainsi en rapport avec les cétacés par- leurs gran- des dimensions comme par leur organisation essen- tiellement aquatique. Dans le groupe si nombreux des mustela de Linné, se trouve un genre aquatique, les loutres, beaucoup plus grand que tous les car- nassiers terrestres de la même famille; et l'on peut même remarquer, en comparant entre elles les diverses loutres , que la saricovienne , et surtout la loutre de mer, qui sont les plus essentiellement aquatiques, sont aussi celles qui atteignent les plus grandes dimensions- Parmi les rongeurs, les mêmes rapports se présentent : Yondatra ; les hydromys, le myopotame, et surtout les castors, sont remarquables à la fois, dans Ja famille CHEZ LES MAMMIFÈRES. 347 des muriens, par leur grande taille et par leurs habi- tudes aquatiques. Parmi les caviens, nous voyons de même deux genres se distinguer par leur grande taille, et ces genres, le cabiaï et les pacas , Sont encore des genres aquatiques. Enfin, dans le sous-ordre des in- sectivores , il en est encore ainsi des desmans compa- rés aux musaraignes, et même, parmi celles-ci, des espèces aquatiques comparées aux espèces essentielle- ment terrestres. : : C’est donc un fait très-général que la taille des es- pèces, des genres, dés familles, comparés aux autres espèces,auxautres genres, aux autres familles du même groupe, est d'autant plus grande, toutes choses égales d’ailleurs, que leurs habitudes sont plus essentielle- ment aquatiques. T | Les genres qui vivent sur les arbres ou qui sont or- _ ganisés pour le vol, ces derniers surtout, n’atteignent jamais au contraire que des dimensions peu considé- rables. Ce fait pourrait être déduit facilement de con- sidérations 4 priori, et ne mérite pas de nous arrêter. Entre ces derniers, qui sont jusqu'à un certain point des habitants de l'air, et les mammifères aqua- tiques, se trouvent ceux qui vivent à la surface du sol, et que l'on peut nommer par excellence les mammi- fères terrestres. La plupart sont de taille moyenne, C'est-à-dire moindres que les genres aquatiques, plus grands que ceux qui volent ou vivent sur les arbres. Cependant c’est parmi eux que se trouvent les plus volumineux de tous après les espèces marines, et les 348 VARIATIONS DE LA TAILLE plus petits peut-être sans aucune exception. ll.n’y a donc rien d’absolument général à cet égard pour les espèces terrestres, dont nous allons voir en effet la taille varier suivant d'autres rapports. IL. VARIATIONS D'APRÈS LE GENRE DE NOURRITURE. Les mammifères quivivent à terre ou sur les arbres peuvent être rapportés, d’après leur genre € de nourri- ture, à quatre groupes principaux, savoir : les herbi- vores, qui vivent principalement de petits végétaux et de feuilles ; les frugivores, qui se nourrissent de fruits et aussi de racines; les ¿insectivores , et les vrais car- nassiers ou carnivores. Les premiers, ou les pachy- dermes et les ruminants, sont en général les plus vO- lumineux de tous ; viennent ensuite les carnivores, puis les frugivores , qui sont tous de taille moyenne ; enfin les plus petits de tous sont les insectivores. En effet, la taille varie, chez les herbivores, de celle des éléphants à celle des chevrotains ; chez les carnivores; de celle du lion et du tigre à celle de l'hermine; chez les frugivores , de celle des plus grands singes à celle des petites roussettes; enfin, chez les insectivores, de celle du tamanoir et de l’oryctérope à celle des petites musaraignes. Or, si l’on réfléchit à la masse immense de végétaux herbacés et de parties foliacées qui $€ trouve répandue à la surface du globe, et que l'on com- CHEZ LES MAMMIFÈRES. 349 pare d’une manière générale le volume des êtres dont se repaissent ordinairement les carnivores à celui des fruits qui nourrissent les frugivores et des animaux dont les insectivores font leur proie, on arrive à ce résultat remarquable, qu'il serait d’ailleurs possible d'obtenir å priori : Les animaux les plus volumineux se nourrissent de substances que la nature leur offre presque partout en abondance; et parmi les autres , la taille est géné- ralement Sbportionnelle à la masse des animaux ou des portions de plantes dont la conformation de leurs organes digestifs les appelle à se nourrir. D’où il suit qu'il existe une coordination parfaite entre la quantité de nourriture nécessaire aux animaux et celle qui leur est offerte par la nature. Parmi les mammifères ailés, de sentlilables rapports se présentent avec non moins d'évidence. Les plus petites espèces se nourrissent toutes d'insectes; les plus grandes, qui elles-mêmes ont une taille peu considérable, sont frugivores. Il n’y a parmi elles au- cune espèce essentiellement herbivore ou carnivore, de même qu'il n’y en a aucune dont les dimensions soient très-considérables. Quant aux mammifères marins, rien d'analogue ne peut être établi à leur égard ; car les baleines, les plus grands de tous les animaux, se nourrissent de mol- lusques et de très-petits poissons. Le rapport que. je viens dindigner pour les mammifères terrestres et ailés, n’est donc pas vrai à l'égard des genres marins ; 350 VARIATIONS DE LA TAILLE exception dont il est facile de se rendre compte par les conditions particulières du Las dentaire de la pren des cétacés. : M, VARIATIONS D'APRÈS LA DISPOSITION DES LIEUX HABITÉS. On a remarqué depuis longtemps que les îles très- petites ou isolées, ou ne contiennent que des espèces de petite taille, qui même y sont peu nombreuses, ou sont noue privées de mammifères. Les vs animaux de cette classe se trouvent tous en effet dans les continents, dans les grandes îles, et dans quelques îles peu étendues, mais qui, tfès-rapprochées d’un continent, semblent en dépendre et lui appartenir par leur position etleur constitution physique, comme par la nature des animaux et des végétaux dont elles se trouvent peuplées. De même, parmi les animaux aquatiques , les es- pèces marines sont les plus grandes de toutes, ainsi qu'on le sait généralement. La nature a donc partout proportionné la taille des mammifères à l'étendue des lieux qui doivent les re- cevoir, réservant les grandes espèces pour les mers, les _ grandes îles et les continents, et les petites pour lesri= vières et les îles peu étendues. | On peut a jouter } à ces considérations que, parmi les mammifères terrestres, ceux qui vivent sur les mon- CHEZ LES MAMMIFÈRES. 351 tagnes atteignent ordinairement des dimensions moins considérables que ceux des plaines, et surtout ceux des lisières des grands déserts. Ce fait, déjà indiqué par quelques auteurs, et surtout par M. Virey (1 À Peut être établi d’une manière assez générale, soit en Comparant entre elles des espèces congénères, comme l’yâck avec les bœufs sauvages qui vivent dans w plaines , soit surtout en rapprochant entre eux des genres voisins, comme les mouflons et les bæufs, les lamas et les chameaux. Cependant des rapports in- verses se présentent à l'égard de quelques genres et surtout de quelques espèces, et forment des exceptions dont il est souvent difficile ou même impossible de se rendre compte. . IV. VARIATIONS D'APRÈS LA RÉGION HABITÉE, Les considérations trés-importantes qui se rappor- tent à ce quatrième ordre de variations, ont été moins négligées par les zoologistes que celles qui précèdent; et lon doit, entre autres, à Buffon un fait très-remar- quable, aujourd'hui connu de tous les zoologistes, et devenu même presque vulgaire : c'est que les ani- maux américains sontgénéralement d’une taille moins considérable que ceux qui leur correspondent dans je - a G) Voyez l'article Géants du Dictionnaire des sciences médicales, 352 VARIATIONS DE LA TAILLE l'ancien monde (1). Quelques exceptions peuvent, il est vrai, êtresignalées, mais elles sont peu nombreuses; et si le principe posé par Buffon n’a pas toute la gé- néralité que lui attribuait l’illustre auteur de l His- toire naturelle, du moïns est-il admissible pour l'immense majorité des cas. Buffon, après avoir constaté cette infériorité des animaux du nouveau monde par rapport à ceux de l'ancien, en a recherché les causes, et a cru lestrouver f (1) « Nous avons remarqué comme une chose très-singulière, dit Bur- FON, que dans le nouveau continent les animaux des provinces mé- ridionales:sónt_ tous très-petits en comparaison des animaux des pays chauds de l’ancien continent. Il n'y a, en effet, nulle comparaison pour la grandeur de l'éléphant, du rhinocéros, de l'hippopotame, de la girafe, du chameau, du lion, du tigre, etc., tous animaux naturels et propres à l'ancien continent, et du tapir , du cabiai, du fourmilier, du lama, du puma , du jaguar, etc., qui sont les plus grands animaux du Nouveau-Monde; les premiers sont quatre, six, huit et dix fois plus gros que les derniers. Une autre observation qui vient encore à l'appui de ce fait général, c'est que tous les animaux qui ont été transportés d'Europe en Amérique , comme les chevaux, les ânes, les bœufs, les brebis, les chèvres, les cochons, les chiens, etc., tous ces animaux, dis-je, y sont devenus plus petits ; et que ceux qui n'y ont pas | été transportés et qui y sont allés d'eux-mêmes, ceux en un mot qui sont communs aux deux mondes , tels que les loups, les renards, les cerfs , les chevreuils, les élans, sont aussi considérablement plus petits en Amérique qu'en Europe, et cela sans aucune exception. Il y a donc dans la combinaison des éléments et des autres causes physiques quelque chose de contraire à l'agrandissement de la nature vivante dans le Nouveau-Monde ; il y a des obstacles au développement, et peut-être à la formation des grands germes. » Discours sur les ani- maux communs aux deux continents, tome IX de l'Histoire natur elle; pages 102 et 103. CHEZ LES MAMMIFÈRES. 353 dans la chaleur moindre et l'humidité plus grande du continent américain. Sans entrer dans les développe- ments nécessaires pour apprécier la valeur de cette explication tout hypothétique (x), je me bornerai à remarquer que le fait indiqué par Buflon rentre comme ĉas particulier dans la proposition.générale que jai énoncée plus haut, savoir : qu'il existe un rapport entre la taille des animaux et l'étendue des lieux des- tinés à les recevoir: Chacune des deux vastes régions _ Que l’on comprend sous le nom d'Amérique, est à peu près équivalente à la mo itié de l’Afrique ou de l'Asie, et Puneet l’autre (mais principalement l Amérique du Sud, plus isolée des autres grandes terres du globe) sont peuplées en général d'espèces inférieures à celles de l'Afrique et de l'Asie. Ce rapport remarquable est véritablement un corollaire de la proposition que je viens de rappeler. | | Au contraire, la Nouvelle-Hollande, environ une fois moins étendue que l'Amérique du Sud, et très- isolée comme elle, ne renferme que des animaux gé- néralement très-inférieurs à ceux de Amérique : en sorte que la proposition que j'ai déduite de la compa- raison des animaux des îles avec ceux des continents, est encore vraie al égard des animaux des divers conti- nents. —————— (1) On peut consulter sur cette question mes Considérations géné- rales sur les mammif. ères, page 247, OU l'article Mammiféres du Diction- naire classique d'histoire naturelle, tome X, page 125. + ZOOLOGIE GÉNÉRALE. 23 354 VARIATIONS DE LA TAILLE Après avoir comparé d’une manière générale les animaux de l’ancien monde et ceux du nouveau, il impòrte de comparer ceux de l'hémisphère austral et ceux de l'hémisphère boréal. En mettant hors de ligne Sumatra, Bornéo et l'Afrique tout entière, que l'équa- teur coupe dans leur région moyenne, et où les mêmes espèces se trouvent également répandues des deux côtés de la ligne équinoxiale , les grandes terres de Phase austral sont la Nouvelle-Hollande, la Nouvelle - Guinée , Madagascar et KART du Sud. | | 4 à Sd Les espèces des trois premières de ces grandes ter- . res doivent se trouver, d'après les propositions précé- dentes, et se trouvent en effet généralement très-infé- rieures à celles qui peuplent l'immense étendue de l'Europe et de l'Asie. | D'un autre côté , les espèces de Y Amérique méri- dionale , dont les és grandes sont les tapirs, le cou- guar, lei jaguar et quelques ruminants , le cèdent é éga- lement à celles de iius septentrionale, dont Fétendue est à peu près la même, mais qui, loin d’être isolée comme elle, se trouve presque continue avec le continent RE asiatique | Les mammifères de I hékaiephée austral sont donc, en général, moins grands que ceux de l'hémisphère boréal, en plaçant hors de considération l’Afrique ; Bornéo et Sumatra, où les mêmes espèces se tr rouvent répandues à la fois au sud et au nord de l spam CHEZ LES MAMMIFÈRES, V. VARIATIONS D'APRÈS LE CLIMAT, pi Il me reste à considérer les variations de la taille chez les animaux, dans leurs rapports avec les différen- ces de latitude et de climat. L'examen de ce dernier ordre de questions conduit à plusieurs résultats inté- Tessants, mais non à un résultat général et unique. Ainsi, parmi les mammifères ailés, les espèces in- tertropicales (et il suffit de rappeler ici, pour l’ancien monde, les roussettes, et, pour le nouveau, les vam- pires)sont les plus grandes detoutes, et l’on voit, dans l'hémisphère boréal, leurs dimensions décroïtre à me- | sure qu'on s'approche du Nord. | Les mêmes rapports ont lieu, mais d’une manière moins constante, pour les animaux grimpeurs, et pour plusieurs groupes de mammifères terrestres , notam- ment parmi les insectivores et les frugivores. ` … Au contraire, il est aussi, parmi les herbivores et Surtout parmi les carnassiers, un grand nombre de fa- milles qui présentent les rapports précisément in- verses. Ainsi, dans notre hémisphère, les loups, les renards, les cerfs deviennent plus grands à mesure qu’on les observe plus près du cercle arctique; et cela est également vrai, que l'on compare des espèces congénères Où bien des individus de la même espèce. - On ne connaît point au contraire de mammifères qui, ayant leurs plus grands individus ou leurs plus grandes espèces danslesclimats tempérés, présententunetaille 356 < VARIATIONS DE LA TAILLE deplus en plus restreinte à mesure qu’on se rapproche soit de l équateur, soit du pôle. Quant aux espèces marines , on en trouve de très- grandes dans toutes les mers, et principalement dans celles du Nord. l Ainsi la plupart des genres ét des espèces parvien- nent à leur maximum de taille dans les contrées les plus chaudes du globe, et descendent à leur minimum | dans les régionsfroides. D’autres, mais en moins grand nombre , ont au contraire leur maximum dans les régions les plus froides, et leur minimum dans les plus chaudes. D'où il suit que, parmi les grandes es- pèces de mammifères , les unes habitent la zône tor- ride, lesautresse portent au contraire au Nord presque jusqu'aux limites au delà desquelles l’abaissement extrême de la température rend impossibles toute vé- gétation et toute vie. Au contraire, aucun genre n'a ses plus grandes espèces, aucune espèce ses plus grands individus, dansles climats tempérés, un peu chauds ou un peu froids : résultat non-seulement différent, mais même précisément inverse de celui qui est univer- sellement admis, si l'on en croit cette phrase d’un savant déjà cité : « T est généralement reconnu que » le froid très-vif comme une chaleur sèche s 'oppo- ,» sent au développement compat de la taille chez » toutes les créatures, tandis qu'une chaleur douce > » Où tempérée le favorise considérablement (1): ” LA ah 3i RS Hi DE LE A 1,4 Ru RE a LS (1) J'aurai occasion; dans la suite de ce travail, d'apprécier a Sa DANS LE RÈGNE ANIMAL. TROISIÈME PARTIE. GÉNÉRALISATION DES FAITS PRÉCÉDENTS, ET APPLICATION A L'ENSEMBLE DU RÈGNE ANIMAL. REMARQUES PRÉLIMINAIRES - J'ai exposé dans les paragraphes précédents les ré- sultats principaux que j'ai pu déduire d’un examen attentif des variations de la taille, considérées sous un point de vue général chez les mammifères sauvages. L'analyse des faits de détail m'a permis de les rame- ner à un petit nombre de propositions que je crois pouvoir présenter, non pas comme de simples aperçus hypothétiques, mais bien comme des faits généraux, aussi positifs et aussi incontestables que les faits spé- ciaux eux-mêmes qui leur servent de base, et dontils ne sont véritablement. que l'expression abrégée, ab- straite, philosophique. LE > - Maintenant deux questions graves, compliquées, et juste valeur cette assertion d'un savant distingué. On verra que, si elle est contredite par les résultats auxquels conduisent l'examen et la discussion analytique de l'ensemble des faits, elle se trouve vraie pour un grand nombre de cás particuliers. Elle n’est donc pas par elle-même fausse et erronée : seulementson auteur l'a rendue inexacte en vou- lant la rendre trés-générale. en rame o SE 358 VARIATIONS DE LA TAILLE dont la solution est en quelque sorte le complément naturel et nécessaire des considérations précédentes, se présentent à notre examen: -1° Les propositions générales, qui viennent d'être établies à l'égard des mammifères sauvages, sont- elles applicables aux autres classes du règne anima 2° Sont-elles applicables aux races humaines et aux animaux domestiques, soumis, ainsi que chacun le sait, à l'influence d’une multitude de causes spéciales , et lol qui n’agissent nullement et ne sauraient agir sur les animaux sauvages i T La solution de cette seconde question, fondée né- cessairement sur des considératións d' un autre ordre que celles que j'ai présentées Jusqu ici, sera le sujet d'un mémoire spécial (1), et je la traiterai avec le soin et l'étendue que comporte sa haute impor- tance zoologique et physiologique. Quant à la pre- mière question , je ne saurais en donner la solution complète sans reproduire successivement , pour cha- cune des classes dw règne animal, le travail que je viens de présenter à P égard des EUR et par conséquent, sans me livrer à la discussion, peu diffi- cile, mais longue et fastidieuse, d’une es de détails dont l'exposition ne saurait trouver place dans ce mé- moire. Aussi me bornerai -je ici à quelques aperçus propres à faire apprécier la génér alité des propositions uen (1) Voyez ci-après, pages 378 et suivantes. DANS LE RÈGNE ANIMAL. _ 359 précédemment établies, me réservant de revenir sur elles dans un autre travail pour en présenter le déve- loppement et en compléter la démonstration par des préuves positives. Ces preuves seront d'ailleurs assez analogues à celles que j'ai citées ci-dessus à l'égard des ` mammifères, pour que toutes les personnes versées dans Pétude de la zoologie puissent à l'avance en satsir la nature et même en apprécier la valeur. ei H. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES, Il suffit de fixer son attention sur les faits que f'ai précédemment exposés ou rappelés, pour reconnaitre que la taille d’un animal dépend de deux ordres de | causes générales què lon peut ramener à deux faits principaux, savoir : le type sur lequel il se trouve éta- bli, et les circonstances particulières dans lesquelles il se trouve placé par la nature. ceme _ En effet, on a vu (1) que chaque groupea véritable- ment ses conditions générales de táille; comme il ases: caractères généraux d'organisation ; c'est-à-dire, que Von peut déterminer pour chaque groupe des dimen- sions que présente où dont se rapproche la presque totalité des espèces dont il se compose, Ainsi les qua- A LD mener nm (1) Dans la première partie de ce volume, pages 339 et suivantes. = 360 VARIATIONS DE LA TAILLE drumanes sont de taillé moyenne ; les rongeurs sont petits; les pachydermes et les ruminants, de grande _ taille; les cétacés, plus grands encore. D'un autre côté, il est dans chaque groupe un petit nombre d'animaüx dont la taille présente des différences notables, soit en moins, soit en plus, et qui forment par conséquent des exceptions plus où moins remarquables. C'est sur ces exceptions que j'ai fixé spécialement mon attention : c'est leur expli- cation philosophique , ce sont leurs rapports et leur enchaînement avec tous les faits de même ordre, que j'ai surtout cherché à déterminer. Par là, j'ai été conduit à reconnaître l'influence générale qu'exercent sur la taille des animaux certaines conditions d’exis- tence, de mœurs, d'habitation , telles que les ha- bitudes aquatiques , l'habitation près du pôle ou de l'équateur, etc. ES La taille d’un animal est donc celle du type auquel il appartient, modifiée quelquefois par les circon- stances spéciales de ses mœurs et de son habitation ; circonstances dont l'influence est tellement constante, qu'il serait sans aucun doute possible de la calculer approximativement , et d'en renfermer l'expression générale dans une sorte de formule algébrique. C'est seulement en appliquant et étendant ces idées à l’ensemble du règne animal que nous pourrons sai- sir sous leur véritable point de vue les rapports exis- tant entre les faits établis plus haut à l'égard des mammifères, et les faits résultant de Tétude des autres í DANS LE RÈGNE ANIMAL. 361 classes de la série zoologique. Si, par exemple, nous avonsà comparer sous le rapport deleur taille un mam- mifère et un oiseau, ou, à plus forte raison, un verté- bré et un invertébré dont les habitudes, l'habitation et le régime diététique offrent de l'analogie, nous ne nous étonnerons pas de voir quelquefois Pun et l'autre présenter des dimensions extrémement diffé- rentes. Ce n’est point du tout, en effet, une identité de taille que nous devrons chercher entre EUX, MAIS seu- lement ‘une influence de même ordre, exercée par les (circonstances communes, sur les conditions générales des groupes auxquels appartiennent l'un et l'autre. Or, si les conditions générales sont très-différentes pour tous deux (et c'est précisément ce qui a presque toujours lieu, lorsqu'on met en parallèle des êtres ap- partenant à des classes diverses), il est évident que le mammifère et l'oiseau, que le vertébré et linvertébré, sujets de la comparaison , devront , quoique sembla- blement modifiés par l'influence de causes communes agissant également sur l’un et sur l'autre, présenter entre eux desdifférences notables et proportionnelles à la diversité des conditions générales de taille appar- tenant aux groupes dont ils font partie. Ils sont exac- tement entre eux, à cet égard, dans le cas de deux nombres que l'on vient à multiplier ou à diviser par la même quantité : par cette opération, tous deux se trouvent augmentés Où diminués dans la même raison ; mais, bien loin qu'ils arrivent à l'égalité, le rapport primitif subsiste. CE VARIATIONS DE LA TAILLE H. - DES LIMITES DES VARIATIONS DE LA TAILLE DANS LES DIVERS GROUPES ZOOLOGIQUES. Avant de rechercher jusqu'où s'étend dans la série zoologique l'influence des causes générales que j'ai déterminées ét appréciées à l'égard des mammi- fères, il importe de présenter quelques remarques sur les limites des variations de la taille dansles autres classes du règne animal. Ces limites sont-elles les mêmes ou diffèrent-elles des mammifères aux Oi- seaux , des oiseaux aux vertébrés inférieurs, des yer- tébrés eee aux invertébrés ? Déjà, en comparant entre eux les différents groupes zoologiques secondaires, tertiaires, et d’un ordre in- férieur, que l’on a établis y parmi les mammifères, nous avons pu remarquer que ces limites ne sont pas exac- tement les mêmes pour tous. Ainsi le groupe tout entier des singes nous à offert des dimensions très- -peu différentes : et quand nous sommes descendus à l'exa- men des genres , nous avons même vu les différences s évanouir presque complétement. Les variations de. taille dans ce groupe zoologique, le premier de tous et le plus rapproché de l’homme , sont donc renfer- mées dans des limites très-étroites. Il en est de même des lémuriens, et à peu près de même des chauves- souris, On commence , au contraire , à trouver, lors- DANS LE RÈGNE ANIMAL. 363. qu'on arrive aux carnassiers, quelques-uns de ces gen- res peu naturels où la taille présente des différences ‘assez marquées; et l'on voit le nombre de ces genres, en même temps que l'étendue. des différences, aug- menter encore lorsqu’ on descend aux ordres infé- rieurs » par exemple, aux rongeurs , aux édentés, et RE aux ruminants, aux cétacés. L'examen: com- paratif des variations de la taille dans Pensemble des mammifères conduit donc à ce résultat , que plus on s'éloigne de l'homme, plus on se rapproche des der- _niers groupes de la classe, et moins ces variations sont renfermées entre des limites étroites et pré- cises (1 F (x) Ilimporte derapprocher ce fait général d'un autre résultatauquel j'ai été conduit en cherchant à apprécier et à généraliser des faits d'un autre ordre ; c'est que plus on s ‘éloigne de l'homme, et moins la distribution géographique des mammifères se trouve soumise à des lois exactes et précises (voyez Annales des sciences naturelles, avril 1824). Au pre- - mier aspect, on n'aperçoit aucun lien, aucun rapport , entre ces deux résultats déduits de deux ordres de faits très-différents, et cependant il existe certainement entre eux une connexion intime. Il suffit, poux s ‘en convaincre, de remarquer qu'en général, lorsque la disttibation géo- ` graphique. des espèces d'un genre n'est pas soumise à des lois bien pré- cises, lorsque, par exemple, ce genre se trouve répandu à la fois dans les deux continents, les variations de la taille de ses espèces ne sont pas non plus renfermées dans d'étroites limites, C'est ce qui a lieu, par exemple, pour les vespertilions , les musaraignes , les martes , les chats, les chiens, et un grand nombre d'autres groupes plus ou moins compléte- ment cosmopolites. Au contraire, lorsqu'un genre se trouve dans une seule région, ses’ espèces, il est vrai moins nombreuses dans ce sécond cas que dans le premier, sont toutes presque exactement de même taille. Je citerai comme exemples tousles genres de singes, presque tous les genres de chauves-souris , etc. 364 VARIATIONS DE LA TAILLE Ce premier résultat, fourni par l'étude des seuls mam- mifères, indique déjà que, si l'on fr anchit les limites de la première classe du règne animal, si l’on descend aux oiseaux, aux reptiles, aux poissons , aux articulés, aux mollusques, aux radiaires, on doit s'attendre à voir les limites des variations de la taille perdre encore de cette précision si remarquable à laquelle elles étaient soumises dans les groupes les plus rapprochés de l'homme. L'observation prouveeneffet qu'ilenestainsi le plus souvent : mais elle montre en même temps que Von s'exprimerait d’une manière beaucoup trop géné- rale, et par conséquent inexacte, en présentant les va- riations de la taille comme renfermées dans une classe entre des limites d'autant plus étroites que cette classe occupe un rang plus élevé dans l'échelle ani- male. Il existe en effet des exceptions, en apparence très-irrégulières , mais qui peuvent elles-mêmes se ramener à deux faits généraux, ou, si l’on veut, à deux lois que j’énoncerai de la manière suivante : ° Les variations de taille dans une classe sont, toutes choses égales d'ailleurs, renfermées dans pex limites d'autant moins précises que cette classe est moins naturelle, ze Lorsqu’ une classe se trouve composée d'êtres dont l'accroissement se continue pendant la presque ` totalité de la vie, et qui se reproduisent avant d’avoir atteint tout leur développement, les variations de la taille sont extrêmement étendues, et leurs limites très-vagues et mal déterminées. | DANS LE RÈGNE ANIMAL. 365 De ces deux faits généraux, l'un ést en quelque sorte justifié à l'avance par les remarques déjà présentées sur les mammifères; remarques qui m'ont conduit (1) à établir un rapport constant entre l'intimité des rap- ports naturels des animaux et le peu d'étendue des différences de taille qu'ils présentent. L'autre est, pour ainsi dire, évidente d'elle-même : car, pour des ani- maux qui croissent presque pendant toute leur vie, il est difficile, pour ne pas dire impossible, de déter- miner la taille des espèces elles-mêmes; et quand la détermination de la taille des espèces ne peut être donnée d’une manière précise, comment s'élever à celle de la taille des genres, des familles et des poao d’un ordre supérieur ? Je présenterai à à l'appui de ces remarques gliz considérations , plutôt comme exemples propres à les faire bicn concevoir, que comme preuves desti- nées à les démontrer. Les faits qui pourraient servir à les établir rigoureusement, sont tellement nom- breux, quun mémoire tout entier sufhrait à peine à leur simple citation, et en même temps tellement connus ou ralement faciles à connaître, que leur omission ne saurait offrir le plus léger inconvénient. Comparons d'abord d'une manière générale la se- conde classe du règne animal à la première, La classe des oiseaux est l'une des plus naturelles x ` (1) Voyez la première partie de ce mémoire, page 344. 366 VARIATIONS DE LA TAILLE de la série zoologique , et peut-être même la plus na- -turelle de toutes : C'est du moins le seul groupe clas- sique qui ait été admis de tout temps, le seul qu au- cun naturaliste mait jamais eu l'idée ni de diviser ‘ni d'associer à d’autres groupes. Aussi. l'espace qui existe entre les limites extrêmes des variations de la taille dans cette classe, quelque étendu qu'il soit, est-il loin de l'être autant que l'intervalle dont les classes moins naturelles, et, par exemple, celles des mammifères, des poissons, des crustacés, nous offrent des exemples. La différence de volume qui existe entre l’autruche et le plus petit des oi- seaux-mouches, serait sans aucun doute exprimée par un nombre énorme; mais ce nombre lui-même paraîtrait peu considérable par rapport aux nom- bres qui donneraient l'expression numérique de la différence de volume existant entre une petitemu- saraigne et un rorqual, entre un véron et un pè- lerin , entre un monocle microsco pripe et une lan- gouste., etc. . Si maintenant nous descendons à l'examen -des ions de la classe, si nous comparons ses divers ordres, ses pote, ses tribus. et surtout ses genres, les variations de la taille nous parai- tront à plus forte raison renfermées dans des li- mites assez bien déterminées. Il en est de même en- core de presque tous les genres d'oiseaux, au moins de presque tons ceux que l’on peut considérer comme parfaitement naturels, On peut sen convaincre Cn- DANS LE RÈGNE ANIMAL. 367 comparant entre elles les diverses espèces de vau- tours (1), de cathartes, d’aigles proprement dits, de pygargues (2), de caracaras, de buses , de busards, etc. Mais , d'un autre côté, il existe déjà is la série or- nithologique quelques véritables exceptions qu'il est impossible d'expliquer, comme s'expliquent toutes celles qui existent parmi les mammifères. Je citerai comme exemple l'énorme différence de taille que l’on remarque entre le Jalco aurantius , aussi grand que le faucon ordinaire, notre hobereau „falco subbuteo, et le falco cærulescens de Inde, à peine plus grand qu'un moineau ; trois espèces qui se trouvent unies cependant par les rapports les plus intimes, et qui se ressemblent jusque par les couleurs de leur plumage. En résumé, les variations de la taille se trouvent, chez les oiseaux , renfermées entre des limites encore assez précises, quoique déjà moins bien déterminées que dans la première classe du règne animal. () Le condor, vultur gryphus des auteurs, semble seul faire exception parsa grande taille; mais plusicurs caractères véritablement génériques le distinguent, soit de tous les vautours proprement dits, soit du sarcoramphe, ct il doit former un genre nouveau, genre que j'ai fait connaitre dans mes cours sous les noms de Condor, gryphus. (2) L'a aigle botté, falco pennatus, est, il est vrai, beaucoup plus petit que les véritables aigles, et l'a igle de EOE Jalco ponticerianus , est de même d'une taille bien inférieure à celle des vrais Pp mais tous deux, le premier surtout, différent à plusieurs ég gards, par leurs caractères organiques , des espèces avec lesquelles les “érnithôlo- gistes les ont classés, et doivent former des sections à part dans les- genres aigle ef pygargue. BES "auas 368 , VARIATIONS DE LA TAILLE Il est intéressant d'opposer sous ce rapport aux oi- ` seaux le groupe encore plus étendu des poissons. Ges derniers , comme tout le monde le sait, occupent le dernier rang dans la série des vertébrés. Comme on le sait aussi , ils composent une classe peu naturelle, ainsi que l'attestent les essais tentés par plusieurs zoo- logistes distingués pour la partager en deux classes ` distinctes. Enfin, et il importe surtout d'insister sur ce dernier ordre de considérations, les poissons vivent très-longtemps, croissent presque pendant toute la durée de leur vie, et fraient longtemps avant d’avoir complétement atteint la taille à laquelle leur espèce peut parvenir. Par suite, les variations de taille que lon observe dans cette classe, et dans lesquelles on serait porté, au premier aspect, à recherchér des diffé- rences spécifiques, appartiennent souvent dáns la réa- lité aux individus bien plutôt qu'aux espèces; elles ne sont pas héréditaires, mais véritablement accidentelles, et dépendent en grande partie des circonstances au mi- lieu desquelles le sujet se développe, surtout de la- qualité et de la quantité de nourriture qui lui est of- ferte (1). .() Ainsi de; jeunes poissons , nés d'individus de grande taille, mais placés dans des conditions défavorables , resteront petits, et récipro- quement. Quoique ces faits physiologiques paraissent assez bien établis dans la science pour qu'il me soit permis de m'appuyer sur eux et inutile de chercher à les démontrer par de nouvelles preuves , je citerai l obser- vation suivante, due à M. Bory pe Sawr-Vincenr. Des cyprins , dorés » âgés d'un an et longs d'un pouce et demi, furent placés dans un bocal à à DANS LE RÈGNE ANIMAL. 369 TL n’est aucune des considérations que je viens de rappeler qui ne conduise à prévoir le défaut de limites exactes pour les variations de la taille chez les poissons. Or les faits sont ici parfaitement d'accord avec les données théoriques. Non-seulement il existe une énorme différence entre les deux extrêmes de grandeur dans la classe des poissons, mais la taille des ordres, celle des familles, celle même des genres, ne peuvent être presque toujours déterminées que d’une manière très-vague. Parmi les exemples pres- que infiniment nombreux que je pourrais citer ici, je me bornerai à mentionner le genre thynnus, où sé trouvent avec le thon d’assez petites espèces, et, parmi les silures, le genre schilbé, composé seulement de deux espèces, dont l’une est plus que double en lon- gueur de l'autre. Parmi les animaux invertébrés , je me bornerai à comparer entre eux d'une manière générale les in- étroit, et y restèrent onze années : au bout de ce vhe esphve de temps, ils n'avaient pas sensiblement grandi. Transportés alors dans un grand ` bassin , ils commencèrent au contraire à croître avec une rapidité telle, qu'au bout de dix mois leur longueur était triplée. Au reste ,iln'ya nul doute que des causes analogues ou inverses, agissant sur les ani- maux des autres classes , et sur Thomme lui-même , ne puissent rendre de même l'accroissement lent ou précoce, ou même produire la dimi- nution ou l'augmentation de la taille : seulement leur action est ici moins puissante , leur effet moins marqué. Voyez à ce sujet les chapitres que j'ai consacrés à l'étude des conditions du nanisme et du géantisme dans Mon Histoire générale et particulière des anomalies de l’organisation Chez l’homme et les animaux, tome I. ZOOLOGIE GÉNÉRALE. 24 370 VARIATIONS DE LA TAILLE sectes, pour l'embranchement des articulés „et les gastéropodes > Pour celui des mollusques. … Lès premiers, sous le rapport des variations de leur taille, peuvent être rapprochés des mammifères et des oiseaux; la période de leur accroissement est parfaitement déterminée , et ce n’est qu’ après avoir achevé leur développement qu'ils deviennent aptes à la reproduction. Aussi la plupart de leurs genres, en exceptant les espèces qui ne paraissent pas unies avec leurs congénères par des liens aussi intimes, sont-ils composés d'animaux peu différents par leur grandeur : dans tel genre, par exemple, on ne trouve que de très-petites espèces; dans tel autre, que des espèces de grande taille, proportion gardée avec les: dimen- sions moyennes de la classe des insectes, Toutefois.il existe aussi un grand nombre d’exceptions, dont quel- ques-unes très-remarquables ; exceptions qu'il était d'ailleurs facile de prévoir à avance, et de déduire. du principe général établi au commencement de ce paragraphe, la classe des insectes se trouvant placée très-bas dans la série zoologique. Quant aux mollusques, et plus spécialement aux gastéropodes , toutes les considérations que je viens de présenter à l'égard des poissons peuvent aussi leur êétreappliquées plus ou moins complétement. La taille doit donc présenter des variations très-nornbreuses et très-étendues chez les mollusques comme chez les poissons , et même plus nombreuses encore chez les premiers , à cause du rang peu élevé qu'ils occupent DANS LE RÈGNE ANIMAL, 371 dans l'échelle animale. C'est en effet ce qui a lieu : il suffit de rappeler, pourle prouver, lé énorme différence de volume qui existe entre la porcelaine tigre , au- rore ou la cervine , et la porcelaine grain-de-riz , entre la mitre papale ou l’épiscopale, et ces espèces dont les noms de pediculus , d'oniscina , de dermestina, de tabanula, expriment la petitesse; enfin, pour citer un dernier exemple, entre l’hélice vésicale, dont le dia- mètre est double de celui des plus grandes espèces eu- ropéennés, et l’hélice mignonne, dont l’observation rend presque nécessaire l'emploi de la loupe. Remar- quons toutefois que dans les genres que je viens d'in- diquer, et dans paS que je pourrais citer à leur suite, il existe généralement des différences de forme assez marquées entre les espèces très-différentes par leurs dimensions. Réciproquement, les espèces dont la taille diffère le moins sont en même temps celles qui se trouvent liées par les rapports les plus intimes. Ainsi, et telle est la conséquence générale de toutes les remarques qui précèdent, dans tous les groupes où nous poursuivons l'étude des limites des variations de la taille, et lors même que nous descendons vers des êtres placés très-bas dans l'échelle animale, nous aper- cevons toujours une relation entre l'étendue des dif- férences de taille existant entre deux animaux et le degré d'intimité des rapports naturels qui les umssent l'un à l'autre. Ays NS. E DRE RES A A me g AE aie aara A rh grd VARIATIONS DE LA TAILLE IV. GÉNÉRALISATION DES FAITS PRÉCÉDEMMENT ÉTABLIS. Le résultat auquel je viens d'arriver pour les li- mites des variations de la taille, est très-analogue à celui auquel on peut parvenir en recherchant la na- ture même de ces variations et le sens dans lequel elles ont lieu; en d’autres termes, en continuant à appli- quer et à étendre à l’ensemble du règne animal les conséquences générales déduites plus haut de l'obser- vation et de l'analyse des faits présentés par les mam- _mifères. En effet, de même que nous avons vu cette relation entre l'intimité desrapports naturels des êtres et le degré de diversité de leur taille, si marquée et si manifeste chez les animaux les plus rapprochés de l’homme , subsister encore, mais obscure et quelque- fois presque douteuse, jusque dans des classes placées très-bas dans la série zoologique, de même aussi | toutes les causes générales dont j'ai démontré la puissance chez les mammifères conservent dans les classes inférieures une influence incontestable, mais plus faible. Les propositions établies pour les mammi- fères dans la seconde partie de ce mémoire, et qui sont pour eux des vérités presque toutes sans aucune exception, perdent donc plus ou moins de leur géné- ralité lorsqu'on les applique aux autres classes, et finissent, quand on arrive aux êtres les plus éloignés DANS LE RÈGNE ANIMAL. | 373 de l’homme, par n'être plus que desapercus vrais pour le plus grand nombre des cas, mais soumis à des ex- ceptions multipliées. | Je n’entrerai pas ici dans cette niied de détails qui seraient nécessaires pour suivre dans chacune des classes du règne animal toutes les causes d'influence sur lesquelles j'ai appelé l'attention dans la seconde partie de ce mémoire. Ce travail serait utile sans au- cun doute, en ce qu'il donnerait les moyens d'appré- cier avec exactitude le degré de généralité de chacune de ces causes : mais il m’obligerait à reproduire , au- tant de fois qu'il existe de classes d'animaux , les con- sidérations très-étendues que j'ai présentées à l'égard des mammifères ; et, sans m'engager dans une entre- prise aussi longue et aussi fastidieuse, il me suffira de montrer par quelques remarques la possibilité déle- ver les principes précédemment établis à un plus haut degré de généralité. x Ainsi ce n’est pas seulement aux mammifères, mais plus ou moins manifestement à la presque totalité des classes zoologiques, que peut être appliqué ce que jai dit des variations de la taille dans leurs rapports avec le genre de nourriture des animaux. Dans tous lesgroupes zoologiques où il en existe, les insectivores sont ordinairement très-petits , les frugivores un. peu plus grands, les carnivores et les herbivores les plus grands de tous. Je puis citer surtout pour exemples les divers groupes des deux classes qui suivent immé- diatement les mammifères , et notamment ceux de la 374 VARIATIONS DE LA TAILLE classe des oiseaux, sur laquelle je reviendrai bientót d’une manière plus spéciale. | On peut remarquer aussi que dans beaucoup de classes comme dans celle des mammifères, la plupart des genres ont leurs plus grandes espèces dans la zone torride ou du moins dans les climats chauds : tels sont surtout presque tous les reptiles etun très-grand nombre de mollusques et deradiaires. Quelquesautres genres,au contraire, ont leurs plus grandes espèces dans les contrées froides, et ne se trouvent plus représen- tés dans les contrées chaudes de notre hémisphère que par des espèces de moindre dimension. Les oiseaux, et principalement les échassiers et les palmipèdes, nous offrent plusieurs exemples de ce second cas. La petitesse de la taille des animaux ailés ou vivant sur les arbres est un fait plus général encore. Ainsi, la plupart des grands oiseaux ne perchent pas, mais vivent à terre ou sur l’eau ; et tout le monde sait que, par une exception bien remarquable aux caractères de cette classe, celles de ses espèces qui atteignent les plus grandes dimensions ne volent même pas du tout, -et wont que des ailes rudimentaires. | Der supériorité de la taille des animaux de plaine sur Ceux qui vivent dans les montagnes n’est pas, comme je l'ai dit, un fait absolument général pour les mammifères ; et cependant nous apercevons cette même supériorité dans un grand nombre de groupes appartenant à d’autres classes. Il arrive même dans quelques-unes, si une espèce : se trouve répandue-à la DANS LE RÈGNE ANIMAL. 375 fois dans une plaine et sur une haute montagne, que les individus de la plaine, d’ailleurs semblables à ceux de la montagne, les surpassent considérablement en volume, | | C'est également un fait assez général dans toutes les classes que les animaux américains, Où du moins ceux qui peuplent l'Amérique méridionale, le cèdent en volume à ceux qui peuvent être considérés comme leurs représentants dans l'ancien continent. Ce fait Pour toutes les classes où il est possible de l'établir, rentre, comme pour les mammifères, dans cet autre principe, beaucoup plus général, que la nature a par- tout proportionné la taille des animaux à l'étendue | des lieux où elle les a placés, réservant les grandes es- pèces terrestres pour les continents et les grandes îles, les petites pour les petites îles ; lés grandes es- “pèces aquatiques pour les mers , pour les fleuves et Surtout pour leur embouchure , les ge pour les rivières. Enfin j'insisterai encore sur la grande généralité du principe de la supériorité de la taille des espèces aquatiques sur les espèces terrestres ; principe dont j'ai donné la démonstration complète à l'égard des mammifères, et qui est également applicable à pres- que toutes les classes du règne animal. Ainsi, parmi les oiseaux, tous les genres aquatiques ou FR te tiques sont de grande taille, proportion gardée avec les dimensions que cette Hé présente ordinaire- ment. De même, parmi les reptiles, nous voyons les nean A EEN iii nr anii nn. — 2 PO RS RES le ar CR 6 ANNÉES DU 376 VARIATIONS DE LA TAILLE crocodiliens, groupe éminemment aquatique, l'em- porter de beaucoup sur tous les groupes de sau- riens, comme, en descendant à l'examen plus spé- cial de ces groupes, nous voyons les genres ou les espèces les plus aquatiques (par exemple, les tupi- nambis aquatiques) supérieurs aux genres ou aux espèces purement terrestres. Je wai ici aucune con- sidération à présenter au sujet des poissons, classe qui vit tout entière au sein des eaux : mais les invertébrés présentent d’autres faits analogues à ceux que je viens de rappeler. Chacun sait, par exemple, que tous les grands crustacés (1) et tous les grands mollusques, soit céphalopodes, soit. gastéropodes, soit-acéphales, se trouvent parmi les genres marins; et c'est également dans la mer que se trouvent les grands annélides. Comme tous les autres résultats de mes observa- tions sur les mammifères, et plus qu'eux peut-être, le principe de la supériorité des espèces aquatiques, et surtout marines, sur les espèces terrestres , s’il ne conserve pas, à l'égard des classes inférieures, toute (1) La petitesse extrême des entomostracés semble, au premier as- pect, en contradiction avec ces remarques. Mais il faut se rappeler que ces petits articulés sont établis sur un type spécial, et n'ont véritable- ment avec les autres crustacés que des rapports éloignés. Déja même? dans sa classification générale des animaux, M. de Blainville à élevé le groupe des entomostracés au rang d’une classe distincte , et plusieurs autres zoologistes ont émis ou adopté des idées plus ou moins ana- logues. DANS LE RÈGNE ANIMAL, 377 sa généralité, se trouve du moins en pma accord avec l’ensemble des faits. Je ne poursuivrai pas plus loin ces considérations, dont je dois réserver le développement pour un mé- moire spécial , mais qu i] était au moins nécessaire d'indiquer ici sommairement. Il m'importait beau- coup de montrer que tous les résultats déduits en premier lieu de l'analyse de faits relatifs à Pune des classes du` règne animal, sont plus ou moins complétement applicables aux autres. Faire voir la possibilité de cette application, c’est en effet mon- trer que ces résultats dépendent de causes très-gé- _nérales; causes dont le mode d'action nous échappe encore presque complétement dans l’état présent de la physiologie, mais dont il n'importe pas moins de constater la valeur. k Il me reste maintenant à apprécier, par l'analyse des faits zoologiques, d’autres causes de variations de taille, dont l’action spéciale et presque uniquement hate: mais toute-puissante, vient quelquefois s'ajouter à l'influence des causes générales, mais le plus souvent en modifie ou même en annule com- plétement les effets. Tel sera le sujet de mon second mémoire, consacré à l'étude comparative et à l'analyse des variations de la taille dans les races humaines et chez les animaux domestiques. hi seien dai e ae me déni dis» opposer aimer Diagem E OE CPRD de BA RE o E 378 VARIATIONS DE LA TAILLE SECOND MÉMOIRE. feann DES VARIATIONS DE LA TAILLE CHEZ LES ANIMAUX DOMESTIQUES ET DANS LES RAGES HUMAINES, maeme Le petit nombre d'auteurs qui se sont occupés jus- qu'à présent des variations de la taille, et qui ont cherché à en déterminer les conditions générales et les causes, ont cru pouvoir également conclure des animaux sauvages aux animaux domestiques, des uns et des autres aux races humaines, et réciproquement. Ils ont ainsi confondu les considérations d'ordre très- différent avec lesquelles les variations de la taille se trouvent en rapport chez les uns et chez les autres. Delà l'admission de plusieurs propositions, très-vraies dans certaines limites, mais devenant très-inexactes. par l'extrême généralité qu’on leur attribuait à tort. Aussi devons-nous chercheravanttout à nous formerune idée exacte et précise des limites et des conditions spéciales des variations de la taille dans les diverses races d'a- nimaux domestiques. Tel sera le sujet de la première partie de ce mémoire. a e CHEZ LES ANIMAUX DOMESTIQUES. 379 PREMERE PARTIE. À DES VARIATIONS DE LA TAILLE CHEZ LES ANIMAUX DOMESTIQUES. PNR O En mg om qe TE Les limites des variations de la taille sont loin d’être les mêmes dans toutes les espèces réduites en domesticité. On conçoit très-bien que les animaux sur lesquels l'homme a étendu son empire le plus ; anciennement et de la manière la plus complète, doi- vent présenter des variations plus nombreuses et plus remarquables que ceux qu’il a soumis à sa domination seulement depuis un petit nombre de siècles, ou qui ne sont qu'à demi domestiques. L’aperçu rapide que je vais présenter sur les principales variations de la taille dans les espèces domestiques de mammifères et d'oiseaux (1), montrera en effet combien est grande PARCS ASO la puissance d'action de cette première cause; mais on se tromperait beaucoup si l'on voulait la faire entrer seule en ligne de compte, et c est ce xp RE des faits qui vont être ‘exposés. | RS Re (1) Lesmammifères et les oiseaux (comme on l'a vu plus haut, pages 264 et suivantes) ne sont pas les seules classes -dont l'homme ait réduit quelques espèces en domesticité. Quelques poissons alimentai- res, mais surtout le cyprin doré de la Chine, que la richesse et l'éclat de ses couleurs ont fait naturaliser dans toute l'Europe , plusients a: sectes utiles, sont de véritables espèces domestiques, présentant des variétés plus ou moins nombreuses, plus où moins remarquables. Mais ces variétés ne doivent pas nous OCCuper. ici; car ce n'est pas par des différences de taille qu'elles sont caractérisées. VARIATIONS DE LA TAILLE E E ` VARIATIONS CHEZ LES MAMMIFÈRES GARNASSIERS. Parmi les mammifères carnassiers , trois espèces sont aujourd'hui réduites en domesticité, le chien, le chat et le furet. Le chien est, après l’homme , celui de tous les êtres qui est le plus universellement répandu à la surface du globe. On le trouve dans les pays les plus chauds comme dans les pays les plus froids. Il existait en Amérique et dans les îles de la mer du Sud avant leur découverte. Lesmodifications qu ’asubiesle pren offrent partout un rapport très-remarquable avec ledegré de civilisa- tion des peuples qui le possèdent. Chez ceux qui sont restés sauvages ou barbares , on ne trouve qu'une ou quelques races à physionomie et à formes de chacal. Chez les nations civilisées, ľ espèce du chien présente, au contraire, un grand nombre de races dont la plu- part diffèrent tellement du type sauvage, qu'on ne pourrait éviter, si l’on voulait leur appliquer les règles ordinaires de la zoologie, de les considérer comme formant non-seulement des espèces , mais même des genres distincts. Len Le chien a donc suivi l'homme par toute la terre; il s'est modifié pour tous les climats comme aa toutes les habitudes que notre espèce lui a imposées: 7i qe me AR PR aana ee ee nee o CHEZ LES ANIMAUX DOMESTIQUES. 381 Aussi nul animal n’a subi, sous le rapport de sa taille comme sous tous les autres, d'aussi remarquables mo- difications. On en jugera d'après le tableau suivant, où j indique les dimensions des principales races dechiens, d'après des mesures prises, les unes par Daubenton, les autres par moi-même : | | D rm TS 67 | LONGUEUR | HAUTEUR _: NOMS DES RACES. i biegi gesa comprise). | devant, mèt. mèt, Grand chien de montagne 4,240 | 0,764 ; Mep Dogue de forte race. . . 4 : 4,494 0,776 PR Ss à ne à araia ; 4,437 | 0,690 Chien de Terre-Neuve. , , . . .., , | 4,086 | 0,690 Grand EIE 4, 4 oo + 1,042 | 0,629 HS SFR | 0,947 | 0,656 Chien des Esquimaux. . . PET. 0,900 0,595 Chien courant ô .. | 0,892 0,588 Dogue de moyenne race T 0,825 | 0,541 | Bahet anes : | 0,842 | 0,487 Basset à jambes torses. . , . . Pr 0,812 0,297 Braque de Bengale ".. | 0,774 | 0,469 Chien marron de la Nouvelle-Hollande. . . 0,744 0,568 Chien de berger , 0,751 0,546 Lévrier de moyenne race. . . . à 0,643 0,565 De ee Eee PE ara a e ae Tomai men a gi == Li E pertes race. , Ce 0,534 0,363 Petit danois. . e ss . . , . . . .. | 0,565 | 0,225 Épagneul de petite taille. . . . ., .. | 0,509 | 0,462 382 -> VARIATIONS DE LA TAILLE La taille ordinaire du chien est, comme on le voit, de “quatre-vingts centimètres environ, et se trouve ainsi intermédiaire entre'celle du loup, d'une part, et celle du chacal et du renard, de l’autre. I est à remarquer qu'il existe souvent, parmi les chiens, des différences de taille très-considérables entre des races extrêmement voisines par leur organisation , comme entre le grand et le petit lévrier , le grand et le petit danois; ete. Ce fait est la plus forte preuve que l'on puisse donner pour établir, sans entrer dans la ques- tion encore irrésolue et peut-être insoluble de l'unité spécifique des diverses races de chiens, que leurs va- riations de taille, prises dans leurs limites extrêmes, sont, au moins en partie, de véritables anomalies, non- seulement par rapport à l'ordre normal actuel, mais par rapport au type spécifique primitif. En effet, que tous les chiens domestiques descendent uniquement du loup, du chacal, du renard ou de tout autre canis, ou qu'ils soient des races bâtardes nées du croisement de deux ou plusieurs de ces espèces, on ne pourra se re- fuser à admettre que deux variétés très-différentes par leur taille , mais entièrement semblables par leur or- ganisation, aient une origine commune. Ces remarques sont en partie applicables à presque tous les autres animaux domestiques , et, par exem- ple, a au furet et au chat lui-même. En effet, les natura- listes n’ontäueune donnée positive sur l’origine du pre mier, et il est pour le moins douteux que tousles'chats domestiques descendent du chat sauvage d'Europe. CHEZ LES ANIMAUX DOMESTIQUES. 383 Ces deux carnassiers ne présentent d’ailleurs rien de remarquable, quant aux variations de leur taille. Le chat lui-même, quoique réduit en domesticité dès les temps les plus anciens, ainsi que M. Dureau de la Malle Ya établisur un grand nombre de preuves (1, ne diffère pas ou ne diffère qu'à peine par ses dimen- sions, soit du chat sauvage d'Europe, soit des autres espèces africaines et asiatiques, parmi lesquelles on peut également chercher son type primitif. Il est vrai que le chat , quoique habitant de nos maisons , n’est guère qu'à aka domestique : presque toujours il a conservé quelque chose dé ses habitudes de l’état sau- vage; il vient et se retire quand il lui plaît; il veut à part de son maitre : il est resté libre. VARIATIONS CHEZ LES MAMMIFÈRES RONGEURS ET HERBIVORES, Je ne m’arrêterai pas sur les deux seuls rongeurs qui soient réduitsen domesticité, le lapin et le cochon d'Inde. Leur taille, sensiblement plus grande que celle de leurs types primitifs, le lapin sauvage et l'a- péréa, varie peu dans leurs diverses races. Le cochon , quoique soumis très-anciennement et d’une manière complète à la domination de l'homme conserve aussi assez généralement la même taille. Ila CES (1)Voyez les Annales des sciences naturelles, tome XVII, page 165, 384 VARIATIONS DE LA TAILLE subi des modifications remarquables, mais qui portent principalement sur ses formes et sur ses parties tégu- mentaires. À la vérité, il existe quelques races beau- coup plus petites que le cochon commun, qui lui- même est un peu inférieur au sanglier, son type pri- mitif. Tels sont les cochons de Siam et de Chine, du Cap de Bonne-Espérance et des îles de la mer du Sud, ete.; mais il est peu vraisemblable que ces races de petite taille descendent du sanglier ordinaire. La communauté d origine des diverses races de chevaux est beaucoup mieux constatée ; et ce fait est d'autant plus important qu’ aucune espèce, le chien “excepté, n’offre un plus grand nombre de variétés. On a distingué plus de trente races de chevaux très-diffé- rentes par leur taille, leurs formes et la nature de leur pelage; et la plupart de ces races comprennent elles-mêmes plusieurs sous-races ou variétés secon- daires. La taille la plus ordinaire dans l espèce est de 3%, 45 à 1%, 55 de hauteurau garrot ; mais quelques- unes, par exemple une sous-race de Frise , dépassent de beaucoup ces dimensions. D’autres races, au con- traire, sont loin de les atteindre. Les chevaux corses et camargues n'ont guère que 1", 38. La race galloise commune, et surtout les chevaux de l’île d'Ouessant, sont ordinairement d’une taille inférieure encore- Enfin il existe en Laponie une race qui n’a qu’un mè- tre environ; c'est à elle qu'appartenaient deux che- vaux amenés à Paris il y a quelques années, et qui ont excité assez vivement la curiosité publique. En 1624, Tr < CHE? LES ANIMAUX DOMESTIQUES. époque à laquelle jeus occasion de les examiner, ils étaient presque toutà fait adultes, à en juger par leurs dents, et avaient au garrot, l'un 0™,947, l'autre o" seulement. C’est, à quelques centimètres près, là taie du grand chien de montagne ou du dogue de fort Face. > re L'âne présente aussi un assez grand nombre de va- riétés. En Arabie, en Égypte, en Perse, et dans tous les pays où il est soigné et nourri aussi bien que le cheval, il le cède à peine à ce dernier en grandeur, en force , en beauté. Dans la plus grande partie de l'Europe , principalement dans les contrées froides, il EST petet MER = oe | Le cheval primitif n'est point connu encore des - naturalistes, quoiqu'il paraisse exister encore dans les déserts de la Tartarie et de la basse Arabie; mais on sait que les chevaux rendus depuis plusieurs générations à la vie sauvage sont de petite taille, et que leurs formes se rapprochent de celles de l'âne. L'onagre ou âne sauvage est, au contraire, sensible- ment plus grand que la plupart des races domes- tiques qui en sont descendues : ila environ 1,30 au garrot, et davantage encore à la croupe. Je ne dirai rien ici des éléphants; ces animaux ne se reproduisent que rarement en captivité (1). (1) Voyez, sur les différences essentielles qui existent entre la cap- tivité et la domesticité, le paragraphe IT de l’article : Sur La Domestica- tion des animaux ; p. 256 et suivantes. ZOOLOGIE GÉNÉRALE. 25 Ao \ | k zS + Gros v À: èy À i mask, k S? ead a pei hd Y ” ` Š C2 t R AA nl: ` ` dé te > Se dabai à. F7 \, mec | VARIATIONS DE LA TAÏLLE t L'homme n’a donc soumis à sa domination qüe des `M individus, et non pas l'espèce elle-même; et il wa pu y crégr de nouvelles races. | ; Les diverses espèces dé chameaux et de ts ré- duites en domesticité, ne présentent qu’ un petit nom- bre de races qui diffèrent peu par leur taille. On con- naît cependant deux races de dromadaires distinguées quelquefois par les noms de grande et de petite : mais ‘elles diffèrent moins par leur taille elle-même que par leurs proportions ; l’une, le dromadaire de course, étant plus svelte, et l'autre, le dromadaire de trans- port, étant plus forte et plus trapue. _ Le chameau et le lama proprement dits paraissent, dans l’état de domesticité, être devenus un pin plus petits TS leurs types sauvages. On n’a aucune donnée certaine sur la taille p primi- tive du dromadaire. | Le renne, quoique domestique chez plusieurs peu- ples de l'Europe et de l'Asie septentrionales, ne pré- sente aucune variété remarquable , au moins sous le rapport de sa taille. Là chèvre et le bœuf existent aujourd’ hui non seulement dans toute l'Europe, mais encore dans tous les pays où les Européens se sont établis. Tous deux présentent un grand nombre de’ variétés » entre ‘lesquelles il existe des différences remar- quables. | La hauteur moyenne de la chèvre domestique 6st, au garrot, de 75 centimètres environ. Quelques races ? CHEZ LES ANIMAUX DOMESTIQUES. | 387 s'élèvent un peu au delà de ces dimensions ; d’autres ont au contraire moins de 60 centimètres, Telles sont surtout la chèvre de Juida et la chèvre naine, qui ne s'élèvent guère au delà d’un demi-mètre. IL est à re- Marquer que toutes les races de chèvres , même les plus grandes, ont une taille un peu inférieure à celle de l'égagre, qui en est regardé comme le typé primi- tif. Il existe d’autres espèces de bouquetins ou chèvres Sauvages, dont la taille diffère à peine au contraire de celle de la plupart des races domestiques : tel est en particulier le bouquetin de la Haute-Égypte (1). La taille du bœuf s'élève dans plusieurs races à 2 mètres de hauteur. On rapporte à la même espèce, mais sans que leur identité spécifique soit bien dé- montrée , les bœufs à bosse, où zébus, dont une race surpasse à peine en volume un cochon de grosseur ` ordinaire, Le type primitif du bœuf domestique n'est point connu; l'analogie et les renseignements que (1) Les naturalistes européens ‘ont toujours er retrouver parmi les animaux sauvages de notre Europe les ancêtres de nos animaux do- mestiques ; peut-être eùt-il été plus rationnel de les chercher, au moins en partie, dans l'Orient. En effet, les nations les plus anciennement civilisées n'ont-elles pas dů porter et naturaliser leurs animaux do- mestiques chez les peuples qu'elles instruisirent dans les arts et l'a- griculture, comme les Européens civilisés à leur tour ont fait pour ceux de l'Amérique , de l'Afrique et des îles de la mer du Sud? Pour- quoi ne posséderions-nous pas aujourd'hui des races originaires de l'Europe, et d'autres originaires de l'Orient, comme nous voyons aujourd'hui l'Amérique du Sud nourrir ayec le lama, la vigogne ct V'alpaca plusieurs races d'origine européenne? ; | 388 VARIATIONS DE LA TAILLE lon possède sur plusieurs races redevenues sauvages ou demi-Sauvages, ne permettent guère de douter que la taille du bœuf primitif ne surpassät sensible- ment la taille de notre race commune. ` ; -Deux autres espèces du genre bœuf, l'yack et le buf- fle, ont aussi été asservies par l’homme, l’une chez les Mongols et les Kalmouks, l'autre dans plusieurs contrées de l'Asie et de l'Europe méridionale. Toutes deux présentent plusieurs variétés de taille assez dis- tinctes. . Quant au mouton, quoique réduit de toute anti- quité à l'état le plus complet de domesticité, il con- serve presque constamment la même taille dans ses nombreuses races. La plus grande de toutes est le morvan; mais c'est presque uniquement à la longueur proportionnelle de ses jambes, et non à un accroisse- ment réel du volume de son corps, que cette race doit la supériorité de sa taille. i Que le mouflon de Corse soit , comme le pensent la plupart des zoologistes, le mouton primitif, ou que nos races descendent de largali , l'espèce aurait con- servé dans l'état domestique la même taille que dans l'état sauvages A. | VARIATIONS CHEZ LES OISEAUX. ? : x Fr z 0 . r Í L'homme a réduit en domesticité un assez grand rA. / . A nombre d'oiseaux , dont la plupart sont des gallinaces ou des palmipèdes, Le serin est même le seul qui \ CHEZ LES ANIMAUX DOMESTIQUES. 389 n’appartienne pas à l’un de ces ordres. Quant au fau- con , au cormoran, à l'ortolan, au marabou, au perro- quet, etc. , que lon élevait autrefois ou que Ton élève encore dans les maisons , soit pour les dresser à la _ chasse ou à la pêche, soit dansle but de tirer parti de leur chair ou de leurs plumes , soit comme objets de simple amusement , toutes ces espèces et une foule d’autres ne peuvent être considérées comme réduites en domesticité, quoique quelques-unes se reprodui: sent plus ou moins fréquemment en captivité. Le serin , les divers palmipèdes domestiques, les faisans, le Sr le paon, la pintade, la tourterelle, présentent plusieurs races, qui toutes sont caractéri- sées par des différences de ions et-de couleur, et non de taille, et sur lesquelles il est inutile d'insister. Je ne m'arréterai pas non plus sur le pigeon, quoiqu'il y ait des différences de taille assez prononcées entre plusieurs de ces races : par exemple, entre le pigeon romain, le plus grand de tous; le pigeon commun, qui conserve la taille du biset sauvage; et le pigeon à cravate, qui n’est guère plus Loue qu “une tourte- relle. | Le coq est, de toutes sé espèces, celle qui présente leplus grand nombredevariétés remarquables, comme celle qui est le plus utile à l’homme, et par consé- quent aussi celle que l'homme a le pu cherché à per- _fectionner et à modifier par ses soins. Ilest difficile, pour ne Fe dire impossible, de dé- terminer laquelle des espèces sauvages de coqs est le 390 VARIATIONS DE LA TAILLE type primitif de nos races domestiques; rien ne prouve même que toutes les races aient , comme on le pense généralement, une origine commune; mais cette in- certitude ne peut donner lieu à aucune difficulté , re- lativement à l'appréciation des différences de dimen- sion qui existent entre elles. En effet, tous les coqs sauvages ont sensiblement la même nl. et. cette taille est précisément celle du plus grand ia de nos races domestiques. Il n'ya donc aucune difficulté à considérer lesraces très-grandes ou très-petites comme des FRGER GÉALes ou naines , non-seulement par rap- port à la plupart des variétés existant aujourd'hui, mais même par port au type SARYRGE quelque soit ce dernier, . La faille de la plupart des races domestiques, comme je viens de le dire, diffère peu de celle des espèces sau- vages; mais on connaît des races presque ume. fois plus petites et d’autres presque doubles. Le coq nain d'Angleterre, le petit cog de Java, sont de la grosseur d’un pigeon ordinaire, tandis que le coq de Caux et celui de Padoue égalent presque en hauteur le dindon. Nulle autre espèce ne présente des exemples de diffé- rences aussi remarquables, si ce n'est le chien et peut- être le bœuf. IV. CONSÉQUENCES PRINCIPALES DES FAITS PRÉCÉDENTS. Ur sulte. des faits et “des remarques qui précèdent que, dans les cas mêmes où nous ignorons l'origine CHEZ LES ANIMAUX DOMESTIQUES. 391 d’une espèce domestique , et où nous ne pouvons dé- terminer par l'observation directe les conditions de son type primitif, il nous est le plus souvent possible de suppléer par diverses considérations aux faits qui nous manquent. Nous pouvons retrouver, et, pour ainsi dire, mesurer la taille que devait avoir l'espèce à l'état sauvage, et savoir, au MOINS approximativement, quelles modifications.elle a subies sous r influence de la. domesticité, Les résultats que Ton peut obtenir dinsi indirectement et d'une manière détournée, sont ordinairement assez précis-pour qu'on soit en droit de les faire entrer en ligne de compte, et de les pla- cer à côté de ceux que fournit la comparaison directe entre le type sauvage et les races domestiques. Jecrois même pouvoir m'appuyer à la fois sur les uns et les autres pour généraliser les propositions suivantes : constatées par l'observation pour la plupart des ani- maux asservis par l'homme, établies par diverses considérations à l'égard de plusieurs autres ; elles sem- blent pouvoir être aussi admises par analogie pour une ou deux autres espèces, les seules dont on ne puisse, -dans l'état présent de la science, déterminer d'une manière directe ou indirecte la taille primitive. Les espèces domestiques peuvent être distinguées en deux groupes : celles dont les races ont toutes la même taille ou une taille peu différente, et celles qui renferment à la fois de Pi lnrs et de très-petites races. Dans le premier cas, la taille des races ou variétés Susitie pt e eg em ct « en ho m ata ass agé till ein sen dt: mamie di dodo 6 PRET 392 - VARIATIONS DE LA TAILLE peut ne pas différer de la taille du type sauvage ; elle peut aussi présenter une différence , soit en plus, soit en moins; mais cette différence est toujours très- faible. | | Dans le second cas , il existe des races domestiques beaucoup plus grandes, et d’autres beaucoup plus pe- tites que le type sauvage; mais la taille moyenne des races domestiques , taille qui se retrouve exacte- ment ou presque exactement dans plusieurs d’entre elles, diffère à peine ou même ne diffère pas sensi- blement de la taille du type sauvage. a: Ainsi la taille moyenne ou normale des espèces qui varient: beaucoup, de même qùe la taille ordinaire des espèces qui varient peu, ne diffère pas sensible- ment ou diffère très-peu de la taille du type sauvage. En d'autres termes, les espèces domestiques wont généralement que très-peu ou n’ont point augmenté ou diminué, et leur taille primitive est à peu près restée leur taille moyenne au milieu des nombreuses variations qu’elles présentent, | On sait généralement que les races domestiques qui vivent sur les hautes montagnes ou dans les pays _très-froids, sont, dans la plupart des espèces (mais non dans toutes), plus petites que celles qui vivent dans les régions chaudes ou tempérées. La petitesse de leur taille dépend, en premier lieu (mais non uni- quement, comme on a toujours ou presque toujours dit), de l'influence du froid excessif , et en segona lieu, de celle d’une mauvaise nourriture et du man- CHEZ LES ANIMAUX DOMESTIQUES, 393 - que de soins. On sait en effet que les montagnards et les peuples des pays septentrionaux sont, en général, pauvres et mal nourris; et l'on conçoit facilement que le petit nombre d'animaux domestiques qu'ils possèdent, doivent se ressentir de la misère de leurs Maîtres. F | | _ Je ne présenterai ici aucun développement au su- jet de l'influence que peuvent exercer sur la taille des espèces domestiques les soins de l'homme qui leur donne une, nourriture plus abondante et de meil- leure nature et choisit, pour. créer et propager de belles races, les individus les plus grands, les plus robustes et de l'âge le plus convenable. Je wai pas ici, en effet, à tracer les règles pratiques à l'aide desquel- les l’homme peut chercher le plus utilement à mo- difier l'organisation des espèces qu'il s’est asservies, et exercer ce pouvoir en quelque sorte créateur qu'il a su conquérir par le secours tout puissant de la science et des arts. Je dois me borner à constater ce pouvoir, en ajoutant que, si des espèces arrachées à l'état de nature peuvent être améliorées par Findustrie bumaine, elles peuvent aussi se détériorer, même dans les climats chauds ou tempérés, lorsque des soins continuels et bien entendus ne viennent pas | compenser le désavantage qui résulte pour elles de la perte de leur liberté. C'est ce que prouvent plusieurs faits que j'ai rapportés plus haut, et principalement celui de lâne qui, chez les Orientaux, surpasse en force et en beauté son type sauvage, lonagre, et qui, 394 VARIATIONS DE LA TAILLE dans presque toute l'Europe, deriensa à la fois faible, petit et mal fait. SECONDE PARTIE. VARIATIONS DE LA TAILLE DANS LES RACES HUMAINES, I, LIMITES DES. VARIATIONS, ET EXEMPLES DIVERS. Parmi les animaux domestiques, les variations in- dividuelles et accidentelles de la taille, en d’autres termes, les anomalies, sont rares et presque toujours peu étendues, et au contraire, les variations de race _trés-nombreuses et très-remarquables. L'inverse a lieu dans l'espèce humaine. En effet, même en me ren- fermant dans le cercle des. faits les mieux consta- tés (x), je trouve que la hauteur des plus petits des nains est à celle des plus grands des géants, presque exactement :: 1:4, et par conséquent, en les sup. posant bien proportionnés, la masse du corps des premiers à celle des seconds, environ :: 1 : 64. La hauteur moyenne de la plus petite des races, et celle de la plus grande dont l'existence soit bien au- ‘+ thentique, sont au contraire entre elles ; : x : 1 ?, et nn (1) È existence de nains ayant seulement un peu plus des daa tiers d'un mètre, et de géants ayant près de trois mètres est constatée Pa" plusieurs témoignages authentiques. Voyez Histoire générale dés ano- malies, tome L, pages 140 et suivantes, DANS LES RACES HUMAINES. 395 par conséquent la masse du Corps, comparée dans Tune et dans l’autre, à peu près : : 1 : 3,5. Cette différence d'étendue que présentent les varia- tions de la taille humaine dans les races et dans les individus , peut s'exprimer d’une manière peut-être plus frappante encore par d’autres résultats numé- riques. En effet, le nombre qui exprime 3 taille moyenne de la plus petite des races “humaines, étant diminué de moitié, donne la taille du plus petit des nains dont l existence soit bien constatée. Au contraire, le nombre qui. exprime la taille moyenne de la plus grande des races humaines, étant augmenté de moitié, donne presque exacte- ment la taille du plus grand des géants sur Y'authen- ticité desquels il n'existe aucun doute. : Ainsi, en appelant 1 la taille de la plus petite race, celle du plus petit nain.sera ?, En appelant 1 la taille de la pus pue race, celle du plus grand. ds géants sera 1 =. -Pai déduit ces rapports d une analyse exacte d'une multitude d'observations publiées par les auteurs, soit sur les variations anomales, soit sur les yaria- tions “héréditaires et normales- de la taille Ke Phomme. Je laisse ici de côté toutes les remarques qui concernent le. premier de ces deux genres de mo- difications (1), pour porter toute mon attention sur (1) J'en ai traité dans un autre travail, qui fait partie du premier vo- 396 VARIATIONS DE LA TAÏLLE les variations héréditaires; encore le nombre im- mense de faits de détail qui se rapportent à cette | grave question, ne me permet-il pas d'en faire le su- jet spécial d’une discussion dans ce mémoire déjà très-étendu. Je ne puis que résumer dans les ta- bleaux synoptiques suivants les notions les plus di- gnes d'intérêt que les voyageurs nous aient transmi- ses sur la hauteur des peuples les plus grands et les plus petits du globe, J'ai joint aux nombres contenus dans ces tableaux (1) quelques renseignements sur la température et la position géographique des lieux qu'ils habitent, et sur la race à laquelle ils LE cor) nent. lume de mon Histoire générale des anomalies ‘de l'organisation, et qui avait été lu en 1830 à la Société d'histoire naturelle de Paris. Un extrait de ma lecture, fort étendu, et remarquable par l'exactitude et la lucidité de sa rédaction , a paru vers cette époque: dans une feuille quotidienne , le journal Ze Temps, n° du 19 janvier 1831. (1) J'ai préféré, pour résumer tous ces faits, la forme à la fois plus claire et plus concise de tableaux synoptiques, à celle d'une exposition verbale. Mais je dois présenter uné remarque préliminaire, nécessaire à l'intelligence de ces tableaux, et applicable à presque tous les nom- bres qui s’ y trouvent indiqués : c'est qu'ils résultent de la comparaison d'observations souvént contradictoires et toujours incomplètes , ét par conséquent ne peuvent être considérés que comme exprimant la taille d'un certain nombre d'individus, et non exactement la taille moyenne des races. Les renseignements Kits dans les Fe tableaux synoptiques, sont empruntés pour la plupart aux ouvrages des auteurs cités. Quelques autres m'ont été communiqués par MM. Quoy, Gaïmann, A. Bravats et Manris. ; 39 7 à AE try Des PRE “Apur, p O1ŒUIOU ‘18 un sa4de,p ouuaÂon "NUIT D JU PE FA Z Ls < = D = N S] O Žž laa a FA a] Nn Z < (æ “ATST ‘JUOANOS SNIA ‘u : ‘ANVHOUVJL "SOU SIT | “NOSSTT 19 LONUYD “VHVZY *ATTOANNH casnougd VA ‘Ua W FT *ANDIAUQ A *HITIANIVONOG *LAUALUVN 99 SITIYM "YINOOTVA ‘NOAG 98L ‘T 98L°T £TS'T Ti8°T 898 ‘T L68 ‘T OSL'F 096 ‘T “uap *opuryə-s31} "dwa, ‘opunea nəd dW, *opaeyo ‘Jodueg *opuryo-s01 dwar ‘Opory IIdu *9p1014 nəd un ‘dur “pns “JEL n0F ‘pus gerot | "pns ‘IEI o8 8 SE ‘Pus “EL oTe X 03 ‘pus ‘FUI 007 R 8 “pus ‘eI ott “pns JET 008$ X 0% “PT FEFA EA “ouuarunjidou chEN CE 4 “UP "OUIBOIOUE PAST « “ouosvjed 029dsx “upr “uəpI ‘Ore reu 09PH “ua pI "OUIVOHQUE JILA *OTCIEUX 90PY pr "QUICONQUE IVY *SASINVUVIL SITI SIA 'AYHİÝ * ‘SNAILIHVLO SATH *SIVUNVIJZ XAYAANON A SVAVAR ‘ +9 E SIATY) ‘SYNALVƏIAYN SATI S4 SINVIIAYH Y “uapI “U9PI “upi *SKOOVEYd ‘SNOILVAUASAO ‘SonbIpur saxquou sal j uano; quo mb SYAALNV “iTeE "AUALYUIANAL 39 LVKIT9 "IITE NOIDA "JUDUA -IMVS 0p ATOS ‘iy saade,p fonbyroods ədå} np NOILYNƏISJA *SINIML SƏP Jednrd er saade, p 99LI PI ƏP NOILYNƏIS YA “STTANTA SH SHON op) opuoab mog) wd sopqonbavwos Sojinod $ 'AVATAVL vf : R SANIVKNH SAIJVY SAT SNVG ATTIVL VI AA SNOLLVIVA STIVALIINIMA SAA SHNÔILLdONAS XAVAIIVE A E pa i | A1 ai < En | a a un Z © pi Es < amj e > Î-somuroy T739 moy HSY soxde,p euuoAo ‘we PT soa pemrxoIdde quowoməs AMPL “s93 -1099-101 NP 110d ne səsd-satnson ‘NOUGA ‘ mouuvg ‘079 ‘AMV 44 ‘ENUVAH 099 MVA AG SNUTLS -NASAUM “ASNOUGA VI NOSST 19 LONUV9 "SNILUVIL 90 SIVAVUSY DUDU OT “SQOUT4 VI ‘SOUIQUL SIT “TUVHKIVH 49 AONË) ‘opuro nad ‘duoy “apr ‘OPIONJ-S941 ‘AWOL “opneqo-sə1) “dE, “upr ‘wopr “OPIOIJ-S94 ‘Éd WAL | “UOPT “opunea ‘JOUE ‘PAS API 00€ PIOU “Pel 602 ‘DIOU'}I ORL R09 ` "PUS ‘JUL 1Fo0 "PIOU" JU oFA E 69 ‘paou PL 600 Te ‘PIOU ‘JL otg à ‘PS ‘J0I o8T ‘Pas ‘JEI oge ‘SNOILVAUHSIO ‘Sonbrpur soxquiou CE f yuanoj quo mb SUATILAY RLL “AUNLVERANAL 39 - LYIT SAMI | KOI9YY "9707497704 290484 “OP ‘ouuoaroquol {y odds « auuopdoqrodAy 09944 "U9pT ‘onbrq}Âos ovgdsa QUUDIUPIOU IIASA fHUUOT[PIISNE 99047 ‘ouuordory oven “UOPI “108 U0ur-00 is SA oey (è) wopr "AO pF “OJOSUOW 9984 “upr ‘ouuordory oey { DRE nie e e "(sauvxo HNINON) SNYVHSIHOSOY PL CPAS SE XAVXIQÜS IE ss ses candrs DUV JTOUTI AT LAVN "HOVAIQ,T SILEK S004Ÿd * * ‘HUVANIJ AG SNOdY *ONONINVA T0 SENVLIEVHI ~s e "AANVTIOH-ATIAR -0N VI- A4 SINFLIIVH “JUITA UPS 9p ÂIOY ‘IN sgade,p anbyro9ds odAy np NOILVNƏISAT ‘SINML səp jaedard ersgIde,p SILT LLOP NOILYNOISHE ‘SATANHd SAA SKON "071207 Id ana) md sojqonbuvwas sopdnag ‘AVATAIVE Ç À Ne SE re DANS LES RACES HUMAINES. 399 IL. CONSÉQUENCES PRINCIPALES DES FAITS PRÉCÉDENTS, Quoique les faits contenus dans les tableaux (1) qui précèdent, soient peu nombreux, ils suffisent pour conduire à B eines conséquences intéressantes, ét notamment à quelques rapprochements curieux sur la distribution géographique des races humaines re- marquables par leur taille très-grande ou très-petite. _ Onsait depuis longtemps que les peuples dont la taille est la plus petite habitent presque tous l'hé- misphère boréal dans sa partie la plus septentrionale. Le tableau.ci-joint fournirait au besoin la démons- (1) Il importe de remarquer que ces tableaux, à une exception près que j'ai soigneusement notée , indiquent la taille des hommes seulement, et non celle des femmes. J'avais cru d'abord pouvoir dé- duire de la comparaison d'un grand nombre de faits, que les femmes sont beaucoup plus petites, proportion gardée avec les hommes, daris les contrées où ceux-ci atteignent une tailleytrès-élevée. Ainsi, dans les pays où ‚les hommes sont très-grands, il y aurait une différence considérable entre la taille des deux sexes; dans ceux où les hommes sont tres-petits , la différence serait au contraire faible : les variations de la taille des femmes seraient donc renfermées dans des limites beaucoup plus étroites que celles de la taille des hommes. Ce rapport serait d'autant plus remarquable, que des faits d’un autre genre m'ont conduit précisément au même résultat à l'égard des variations indivi- duelles ou anomalies detaille. Mais de nouveaux faits, dont les uns ont été publiés par M. d'Ormieny (voyez son travail sur l'Homme amé- ricain), €t dont d’autres m'ont été communiqués par MM. A. Bravais €t Martins, 1e S accordent pas exactement avec le résultat quej ayais cru pouvoir admettre dans Ja première édition de ce travail. 400 VARIATIONS DE LA TAILLE tration de ce fait, d’ailleurs généralement admis; mais il montre aussi qu'il y a quelques exceptions. Les principales sont relatives à quelques hordes de Papous vivant à Waigiou, presqué sous l'équateur, aux habitants de la Terre de Feu, à une tribu hottentote des montagnes du Cap de Bonne-Espé- rance, et à quelques autres peuplades de montagnards et d'insulaires. Ces exceptions, en très-petit nom- bre, doivent être notées avec soin : néanmoins le rapport que je viens de rappeler, conserve un haut degré de généralité et d'intérèt. + Fe peuples les plus remarquables par leur grande taille peuvent donner lieu à des rapprochements jus- qu'à présent tout à fait négligé, et cependant très-di- gnes d'attention. Ainsi, en général, ces peuples habi- tent dans l'hémisphère austral, les uns vivant sur le continent dans l'Amérique méridionale , et les autres dans plusieurs des archipels qui se trouvent situés dans l'Océan austral entre l'Amérique du Sud et la Nouvelle-Hlollande. Les premiers s'étendent, mais avec plusieurs interruptions , depuis la région habitée par des peuples caribes qui a été indiquée plus haut, jusqu'au détroit de Magellan, et les seconds, des Marquises à la Nouvelle-Zélande. Ils forment, par conséquent, deux séries, l’une continentale, l'autre insulaire, toutes deux assez irrégulières, mais com- mençant également à à 8 ou 10° de latitude sud, et se terminant aux environs du 50° degré. apt Toutefois il existe aussi dans l'hémisphère austral DANS LES RACES HUMAINES. _ 40: plusieurs peuples dont la taille, sans être extrême- ment petite, est au-dessous de la moyenne, et dans l'hémisphère boréal, au contraire, d’autres dont la stature est assez élevée. Or, en comparant la position géographique -de ces peuples de petite et de grande taille avec la position des peuples dont la taille est - extrêmement grande ou extrêmement petite, on ar rive à un résultat très-curieux et en apparence para- doxal, quoiqu'il soit facile de l'expliquer en partie : Cest que des peuples de petite taille vivent presque partout près des nations, les plus grandes du monde entier, et réciproquement, des peuples de grande taille près des nations les plus remarquables par l’exi- guité de leur stature. Par exemple, dans I hémisphère austral, la Terre de Feu , Séparée seulement de la Pa- tagonie par le détroit de Magellan, et les Nouvelles- Hébrides, placées à peu de distance des îles des Navi- gateurs , sont habitées par des hommes petits et mal faits. Réciproquement , dans l'hémisphère boréal, les peuples de la Suède et de la F inlande, qui confites avec la Laponie, sont d’une taille supérieure à la moyenne. De ces faits, sans doute remarquables en eux- mêmes, deux conséquences en quelque sorte opposées peuvent être déduites : l'une; que l'influence dudli- mat sur la taille des races humaines est réelle et in- contestable; l'autre, que cette influence est souvent modifiée et comme annulée par l'action de diverses causes.’ ZOOLOGIE GÉNÉRALE. 26 402 VARIATIONS DE LA TAILLE D'une part, en effet, il est impossible de révoquer - en doute ce fait dès longtemps admis dans la science, que le froid très-vif tend à arrêter chez l'homme le développement de la taille, et qu'au contraire le froid modéré lui est favorable, Nous. voyons que non-seu- lement dans l'hémisphère boréal tous les peuples des climats les plus froids de l’Europe, de l'Asie et de l'Amérique, les Lapons, les Samoïèdes, les Esqui- maux, etc., sont d'une taille extrêmement petite, mais que de même, dans l'hémisphère austral , les pueples des contrées très-froïides, comme ceux de la Terre de Feu, sont très-petits. VERT à Nous voyons au contraire que, dans presque tous les pays que nous pouvons appeler un peu {froids par rapport au climat de la France, les peuples sont gé- néralement d'une taille élevée : tels sont, dans notre hémisphère, les Suédois , les Finlandais, auxquels on peut ajouter les Saxons, les habitants de l'Ukraine, et plusieurs autres nations ou peuplades de l'Europe F de l'Asie et de T Amérique septentrionale > et surtout; dans l'hémisphère austral, les Patagons. - On peut retrouver de semblables rapports en com- parant entre eux les habitants des diverses régions des hautes montagnes intertropicales, montagnes dont chacune représente en petit un hémisphère tout en- tier, et où l’on peut. aussi distinguer une zone torride, une zone tempérée, une zone glaciale- aes habitants des plateaux peu élevés sont en 8é- néral grands et robustes, tandis qu'on ne trouve plus DANS LES RACES HUMAINES. 403 que des hommes de petite taille dans les hautes ré- gions voisines de ces cimes, désertes comme le pôle, et, comme lui aussi , couvertes de glaces éternelles. Dans les montagnes des climats tempérés, et surtout des climats froids, la taille des'peuples des plateaux même peu élevés diminue rapidement, en raison de l'abais+ sement plus marqué de la température. Toutefois, d’après de récentes et importantes recherches (1), ces rapports ne sont pas entièrement constants : : les mon- tagnards du Puy-de-Dôme et surtout de la Suisse 4 Non quelques cantons riches, d’une taille non- S nent moyenne, mais même assez élevée. Je passe maintenant à l'exposé rapide des faits qui montrent que l'influence du climat est loin d’être la seule cause des variations de la taille dans lés races humaines. Les tableaux synoptiques que j'ai présentés, mon- trent qu'ilexiste dansles pays très-chauds des peuples très-grands et d’autres tr ès-petits; mais ce résultat peut être rendu beaucoup plus général, et l'on peut dire que, sauf les régions froides, il existe presque toujours à la fois, sous la même ligne isotherme , des peuples d'une grid taille, d’autres d une petite taille, d'autres d'une stature moyenne. On trouve souvent, même dans des régions très-rapprochées , et peu ou point différentes par leur température, quel- Ces : cdi G) Voyez VILLERMÉ , Mémoire sur la taille de l’homme en France, dans les Annales d'hygiène , juillet 1829, page 351. -~ 404 VARIATIONS DE. LA TAILLE quefois dans la même région, des races de taille très- différente. Ainsi les Hottentots , voisins des Cafres, mais appartenant incontestablement à un autre type, sont beaucoup plus petits; et, ce qui est plus remar- quable encore, on trouve réunies dans plusieurs îles, par exemple dans celles des Amis, de la Société, aux Sandwich , deux classes d'hommes de taille très-in- _ égale. Je transcris. ici textuellement une note qu'a bien voulu me communiquer M. Gaimard : « Aux > iles Sandwich, dit notre célèbre et infatigable voya- » geur, la population est divisée en deux classes a » distinctes , les chefs et les hommes du peupl » premiers ont une nourriture plus abondante , -# » animale , ne sont jamais obligés de se livrer à des » travaux excessifs, et ont l'habitude de s'allier entre » eux: ils sont grands, forts et bien constitués. Les » seconds ne possèdent aucune terre, n’ont pas tou- » jours de bons aliments: ilssont généralement d’une » taille inférieure et d’une force moindre. » L'efficacité des causes par lesquelles M. Gaimard explique l'infériorité de la taille de la classe pauvre, est mise hors de doute par les résultats de l'important travail statistique que M. Villermé,a publié sur la- taille de l'homme en F rance. Ce savant médecin a dé- montré en effet d'une manière générale ce fait, déjà indiqué par Haller et plusieurs autres physiologistes» que la taille de l’homme devient d'autant plus haute, toutes choses égales d’ailleurs, que le pays est plus riche et l'aisance plus générale; qe les logements, } les pitos DANS LES RACES HUMAINES. … 405 ments, et surtout la nourriture, sont meilleurs ; que les peines, les fatigues, les privations éprouvées dans l'en- fance et dans la première jeunesse sont moins grandes. De ces faits, M. Villermé conclut que la vie misérable de la plupart des peuples montagnards doit être mise au nombre des causes qui arrêtent chez eux le déve- loppement de la taille ; conséquence fort juste, et qui doit être étendue aux peuples hyperboréens soumis, Comme les montagnards et d’une manière encore plus marquée, à la double action du froid et de la misère- Ainsi, dans les cas mêmes où l'influence du climat pa- raît le plus évidente , elle ne s'exerce pas seule; et, si l'on ne peut la contester, du moins on ne peut non plus lui attribuer tous les effets obtenus. Quant à la différence de taille qui existe entre plu- sieurs peuples de l'Afrique australe, ce fait et un grand nombre d’autres ne peuvent s'expliquer entièrement ni par l’une ni par l'autre des causes que je viens d'in- diquer , ni même par l’action simultanée de toutes deux. Ils paraissent dépendre principalement d’une différence de race, et indiquent que les conditions du type originel (je ne dis pas primitif) exercent aussi sur le développement dela tailleune influence dont il im- porte de tenir compte. | On peut même remarquer d’une manière générale que les peuples de race malaie sont ordinairement un peu plus grands, et les peuples de race mongole presque constamment plus petits que les peuples de race caucasique et de race américaine. La taille de la 406 VARIATIONS DE LA TAILLE race éthiopienne est extrêmement variable; et il est impossible de s'exprimer d'une manière générale à son égard, parce qu'on a confondu sous ce nom plusieurs variétés très-distinctes. — Enfin une preuve plus décisive encore en faveur de l'influence qu’exercent les conditions du type sur la taille des races, a été donnée par M, Edwards dans l'ouvrage , également remarquable par la nouveauté de la méthode employée et par l'intérêt des ré~ sultats obtenus, que cet habile physiologiste a pu- blié sur les races humaines (1). On se rappelle, en effet, que M. Edwards est parvenu à reconnaître et à démontrer que plusieurs peuples gaulois, décrits par les anciens auteurs, -sont restés distincts jusqu'à ce jour, et ont conservé au moins dans un certain nom- bre d'individus, leur taille primitive, aussi bien que leur physionomie et leurs formes propres; fait d’au- tant plus remarquable, que tous ces peuples et plu- sieurs autres, établis dans la Gaule à plusieurs époques, vivent depuis plusieurs siècles en un seul corps. de nation, ont pris les mêmes mœurs , adopté le même L) genre de vie, et se sont croisés un nombre presque in= fini de fois par voie de génération. | On est donc conduit, par l'étude générale et com- parative des variations héréditaires de la taille, à re- connaitre qu’une race a une tendance très-prononcée (1) Des caractères physiologiques des races humaines , in-8°, Pants, 1829. | DANS LES RACES HUMAINES. 407 à se perpétuer avec les mêmes caractères , et que des causes d'action puissantes, énergiques, peuvent seules la faire dévier de la ligne qui lui est comme tracée à l'avance par la nature. Ces causes de déviation et cette tendance à la reproduction constante des mêmes ca- ractères, agissant en sens inverse, se modifient réci- proquement, croisent et mêlent, pour ainsi dire, leur action ; et de là naissent des effets qui sont le résultat d'une sorte de lutte entre elles. La tendance à se perpétuer avec les mêmes carac- tères est d'autant plus prononcée dans une race, que _cette race est plus ancienne; proposition vraie à l'é- gard des animaux aussi bien que pour l'homme. Les espèces sauvages , et l'on ne peut guère douter qu'un grand nombre de ces espèces ne soient des races dont Torigine se perd dans la nuit des temps, sont, comme on l’a vu, extrêmement constantes. Parmi les espèces domestiques, les races les plus anciennes sont égale- ment très-constantes ; mais celles qui sont toutes ré- centes encore, se conservent difficilement et tendent à rentrer dans l’un des types qui leuront donné nais- sance; Ce qui arrive presque journellement sous nos yeux, principalement dans l'espèce du chien, où des croisements de races produisent si fréquemment des types nouveaux et peu durables. - Ces remarques tendent à faire reporter à une haute antiquité la formation première des principales races humaines. Leurs caractères sont en effet parvenus à un degré de constance et de fixité qu'on ne retrouve 408 VARIATIONS DE LA TAILLE guère que parmi les espèces sauvages, et cela, non pas seulement à une époque récente, mais bien depuis un grand nombre de siècles. En effet, plusieurs colonies, établies presque de temps immémorial sous un climat beaucoup plus chaud où beaucoup plus froid que celui qu'elles avaient quitté, ont conservé leurs caractères primitifs presquesans aucunealtération, et sont restées de leur race, malgré l'action longue et continue d’un grand nombre de causes de variations. L'étude phy- siologique des races humaines peut souvent ainsi se faire l'utile auxiliaire de l’histoire, comme M. Edwards l'a si bien montré par son exemple; et quelquefois même elle peut, lorsque l'histoire se tait sur l’origine d’une colonie, suppléer à son silence, renouer le fil interrompu des traditions , et, lisant le passé dans le présent , rétablir la généalogie des nations. TROISIÈME PARTIE. EXAMEN DE CETTE QUESTION : SI LA TAILLE DES HOMMES A DIMINUÉ DEPUIS LES TEMPS ANCIENS. ÉTAT DE LA QUESTION. J’examinerai d’une manière succincte cette ques- tion intéressante, souvent controversée, mais dont on n'a jamais donné une solution aussi complète que létat présent de la science permet , ce me semble, de le faire. | DANS LES RACES. HUMAINES. 409 C'est une opinion fort généralement répandue que la taille de l'espèce humaine a toujours été en dimi- nuant, Un grand nombre de personnes pensent en- core que, fils dégénérés d’ancêtres robustes et presque géants, les hommes les plus g grands de nos jours ne. sont guère que les moins petits d’entre les nains. Ces croyances ont-elles quelque fondement réel ? Ou ne ‘sont-elles que de vains préjugés, nés peut-être de cette disposition d esprit qui porte les vieillards à se faire les détracteurs du temps présent au profit du temps passé ? Ce qu'il y a de certain, c'est que cette croyance à la diminution de la taille de l'espèce humaine est fort ancienne : on la trouve exprimée dans les ouvrages de plusieurs poëtes (1) ou philosophes latins; on la retrouve également, et d'une manière non moins po- sitive, dans Homère lui-même. Mais un préjugé, pour avoir été admis par lesauteurs de tous les siècles, n’en est pas moins une opinion prématurée et sans va- : leur : l'erreur est pe la seule chose au monde qui, en vieillissant, n’ acquière pas le droit d’être res- pectée. - Les philosophes qui ont adopté les anciennes idées sur le décroissement des races humaines , se sont fon- dés sur quelques faits faux ou mal compris, tels que la prétendue découverte de squelettes humains de (1) Terra malos homines. nunc educat atque pusillos. (JuvÉNáL.) PR ES me 410 . VARIATIONS DE LA TAILLE taille gigantesque, la croyance de toute l'antiquité à unerace de géants, enfin l'existence, avant les derniers cataclysmes du globe, d'animaux incontestablement plus grands que les espèces ou les genres analogues aujourd'hui vivants. | _ Je ne reviendrai pas sur les prétendus os de géants trouvés sur divers points du globe. On sait, depuis les beaux travaux de M. Cuvier, ce qu'il faut penser de ces découvertes si pompeusement annoncées par la fausse science, et quelquefois si habilement exploitées “par le charlatanisme. Je ne nierai pas que la croyance à l'existence de géants dans les temps les plus anciens ait été répan- due chez plusieurs nations de l'antiquité; j'ajouterai même que, lors de la découverte du Nouveau-Monde, on a retrouvé quelques traces de ces mêmes idées chez quelques peuples américains, chez les Péruviens par exemple. Mais cette presque unanimité de croy ance ne peut rien prouver, tant qu’on sera en droit d'ad- mettre, comme le font aujourd’hui un grand nombre de philosophes , et comme il semble résulter de plu- sieurs genres d'indices, qu'un peuple déjà civilisé à ‘une époque à laquelle ne remontent les annales d'au- cune nation, a pu transmettre médiatement à un grand nombre d’autres peuples, avec le précieux dépôt de ses arts et de son industrie naissante, ses sciences et sa religion, c’est-à-dire ses opinions et ses dogmes. Mais ily a plus : l'antiquité, qui croyait aux géants, croyait aussi aux pygmées, aux troglodytes, aux Myr- DANS LES RACES HUMAINES. A1x midons. Or, si de la premièré de ces croyances on prétendait pouvoir conclure que la taille de l’homme a diminué, ne serait-on pas tout aussi fondé à déduire la seconde la conséquence précisément inverse, et à soutenir que les hommes des temps modernes dé- passent de beaucoup la taille de leurs premiers an- cêtres? . ga js | | Quant à l'existence, avant les derniers pires du globe, d'animaux de très-grande taille, elle ne prouve absolument rien dans la question. Ces espè- ces gigantesques, pour la plüpèrt aquatiques, sur les quelles on voulait surtout s'appuyer, bien loin d’être contemporaines de l’homme, Pont précédé d'un long espace de temps; le globe terrestre à in- bouleversé et comme renouvelé plusieurs fois entre ‘époque de . leur perte et celle qui vit naître notre espèce. En effet, le découverte de quelques débris humains fossiles, faite récemment dans plusieurs lieux, et principale- ment dans les cavernes à ossements de l’Allemagne, de la France et de l'Italie, devra peut-être restrein- dre et modifier à quelques égards, mais elle ne ren- versera pas les idées de M. Qaida sur l'apparition tardive de notre espèce à la surface du globe; idées dontil n’est pas plus permis aujourd'hui de contester la {vérité que la haute importance philosophique. D'ailleurs ces os fossiles, même ceux qui semblent porter le cachet d'une plus haute mn ou ont appar- | tenu à des hommes de taille ordinaire, et non à des géants, née. se te ares re nn punrricrssqre 412 VARIATIONS DE LA TAILLE La haute stature que plusieurs auteurs attribuent aux anciens Germains et Bourguignons est révoquée en doute par d'autres. Dans tous les cas, en adoptant l'opinion des premiers, of ne pourrait en conclure autre chose, si ce n’est que quelques races humaines ont un peu diminué, de même que d’autres, par exemple les Hollandais établis au Cap, ont un peu augmenté; variations uniquement dues à l’action de causes toutes locales dont il est plus ou moins facile de se rendre compte, et ne pouvant donner lieu à au- cune conséquence générale, lors même qu’elles reste- raient entièrement inexpliquées. IL. PREUVES QUE LA TAILLE HUMAINE N’A PAS CHANGÉ DEPUIS LES TEMPS : HISTORIQUES. nii Si les preuves par lesquelles on a voulu établir le prétendu décroissement de la taille humaine, sont toutes sans valeur réelle, on peut, au contraire , Citer contre lui un grand nombre de faits positifs et de té- moignages irrécusables. : Je n’insisterai pas sur ce raisonnement de Haller (1), que des hommes de vingt ou même de neuf pieds ne sauraient subsister , parce qu'ils seraient hors de pro- portion avec le blé, les arbres, les bœufs et les che- vaux, Si évidemment destinés, dit-il, à nous servir de S n aeaa a) Elementa physiologiæ , tom. VIIL, pag. 43. ` DANS LES RACES HUMAINES. 413 montures. Cette prétendue impossibilité ne prouve absolument rien ; car, une fois entré dans le champ des hypothèses, qui empêchera , si l’on admet lexis- tence d'hommes géants, de supposer aussi du blé, des arbres, des bœufs et des chevaux géants, comme Ja fait Swift dans ses ingénieuses fictions ! Heureusement la science possède une infinité de preuves beaucoup plus concluantes que ces conséquen- ces très-contestables de raisonnements hypothétiques de Haller. Divers passages où quelques auteurs grecs et romains présentent des remarques, soit sur la taille elle-même « de l’homme , soit sur les dimensions qu'il convient de donner aux lits ; d’autres où lon trouve l'indication exacte des doses d’ellébore noir qu'on administrait comme purgatifs au temps d’Hippocrate ; mais surtout les observations faites par les modernes “sur un grand nombre de monuments antiques , sur les tombeaux , les sarcophages, les momies des Egyp- tiens et de plusieurs autres peuples, sur des peintu- res, des statues, des armes, des casques , des bagues, des poteries très-anciennes, etc., ne permettent pas de douter que la taille de l’homme ne soit aujour- dhui exactement ou presque exactement ce qu’elle était, non seulement au temps des Grecs et des Ro- mains, mais même à une époque encore beaucoup plus reculée que lon peut faire remonter au moins à quatre mille ans. | 414 VARIATIONS DE LA TAILLE JE. LA TAILLE HUMAINE A-T-ELLE CHANGÉ ANTÉRIEUREMENT AUX ÉPOQUES HISTORIQUES? Les preuves que je ‘viens de rappeler, et dent la plupart ont été exposées avec soin par Haller , d'An- cora, M. Virey et quelques autres physiologistes (1 1), . sont sans aucun doute très-concluantes ; maïs elles sont loin de résoudre la question dans toute son étendue. En effet, ces preuves sont déduites, les unes de témoi- gnages historiques, les autres de l'examen des pronis durables d'arts compliqués ; difficiles, et qui n’ont pu naître ‘que dans une époque de civilisation déja avan- cée. Par leur nature même, elles ne peuvent donc rien nous apprendre que sur des peuples déjà civili- sés, et elles nous laissent dans une ignorance com- plète sur la stature de l homme vivant encore à l'état sauvage, ou faisant les premiers pas dans les voies de la civilisation. Or, l’époque sur laquelle se taisent l’histoire et les monuments, est précisément celle dont la connaissance pourrait jeter le plus de jour sur . notre sujet. En effet, én supposant que la taille humaine ait subi un changement notable, il est peu vraisemblable qu W ait dù s'opérer lorsque les hom- Sa v z à j % pd (1) Voyez Puoran, Gigantomachia; Harek, loc, cit.; D'Ancora, Sull istoria e la natura dei giganti, dans les Memorie della Società italiana» tom. VI, pag. 371; Viney, article Géants du Dictionnaire des sciences médicales, DANS LES RACES HUMAINES. 415 mes, déja réunis en corps de nation et civilisés, wa- vaient plus qu'à s'élever par dés progrès lents et insensibles vers un état social plus parfait, Ce chan- gement devrait être bien plutôt rapporté au moment où, à la voix de ces premiers bienfaiteurs de. l’huma- nité auxquels la reconnaissance publique dressa depuis des autels, les hommes quittèrent la vie sauvage et aventureuse de leurs ancêtres, apptirent par l’agri- culture à faire naître du sein de la terre des aliments jusqu'alors inconnus, et, se soumettant à des. mœurs toutes nouvelles, subirent la première et la plus grande des révolutions. Mais ce que la raison indique _ ici commie le plus probable, l’histoire ne vient pas le confirmer. Cette première époque de la vie du genre humain est presque ‘entièrement effacée de Ja mé- moire des hommes, de même que chacun de nous ne garde aucun souvenir des événements de sa pre- mière enfance. _ Au défaut de tout témoignage positif, recherchons si la- science ne peut nous fournir les moyens de A remonter par la pensée à cette époque. où ne re- monte pas l'histoire. Ex: J'ai fait voir que tous les animaux és, à quelque classe qu ils appartiennent , et quelque grandes et nombreuses que soient les variations de taille, n’ont, au: total, que très-peu où n’ont point augmenté ou diminué, c'est-à-dire que leur taille moyenne ne differe pas ou diffère très-peu de la taille de leur type sauvage, et par conséquent de leur taille 416 VARIATIONS DE LA TAILLE primitive. On a même pu remarquer que le petit nombre d'espèces qui présentent'une légère différence en moins, se trouvent toutes parmi celles que l'homme néglige habituellement, et auxquelles il ne donne qu'une nourriture mauvaise ou- peü abondante. Tou- . tes celles, au contraire, que l’homme soigne et nour- rit bien, wont rien perdu de leur taille primitive, ou même présentent une légère différence en plus. Or, si Ton se rappelle que les changements pro- duits chez l'homme par la civilisation sont en tout point analogues à ceux que la domesticité produit chez les animaux (ce qui est généralement connu, et ce qui, au besoin , tél même -des faits que j'ai exposés); si l’on ajoute que l’homme à nécessairement eu la volonté constante, et qu'il a presque toujours eu le pouvoir, dans l'état de civilisation, de se pro- curer une nourriture meilleure, de se défendre mieux contre les intempéries des saisons , enfin de se placer dans des conditions plus favorables que dans la vie. sauvage ; si l'on remarque que le fait général que je viens de rappeler au sujet des animaux domestiques a été vérifié sur un grand nombre d’espèces, les unes rap- prochées de homme par leur organisation , d’autres beaucoup plus éloignées , et d'autres enfin, ainsi que je l'ai aussi constaté, appartenantoà une classe très- différente, celle des oiseaux; si,- de-là, on conclut, comme onle doit, que ce fait tient à des causes très générales et d’un ordre très-élevé, et si l'on ne veut pas établir pour l’homme une exception qui serait i DANS LES RACES HUMAINES. 4x7 peu vraisemblable, puisqu'elle serait unique, on sera conduit à admettre la conséquence suivante, confir- mée d’ailleurs par tout ce que nous savons sur les peuples encore sauvages : la taille moyenne des hom- mes civilisés de nos jours ne diffère pas ou ne diffère que très-peu, non-seulement de celle des hommes civilisés des temps anciens, mais même de celle des hommes vivant encore à l’état sauvage , avant toute Civilisation. | Plusieurs voyageurs, et principalement Péron, ont constaté que les peuples sauvages, loin d’être plus forts que les peuples civilisés, sont ordinairement plus faibles. L'homme , en se civilisant , n’a donc rien perdu de sa force. En montrant qu'il doit aussi avoir conservé sa taille primitive, j'apporte un argument, qui west pas non plus sans quelque valeur , contre cette philosophie, plus ingénieuse qu’exacte, qui nous montre ce qu'on a nommé l'état de nature comme un état de perfection physique dont l’homme doit chercher à se rapprocher. Non, l'homme n’a pas dé- chu en se civilisant ; il n’est pas devenu faible en de- venant intelligent ; il n’a rien perdu de sa force réelle _et de sa grandeur première en les multipliant par l'adresse et l’industrie ; et ce n’est pas en retournant sur ses pas qu'il avancera plus rapidement vers le but où ses efforts n’ont cessé de tendre, quelquefois à son _ insu : le développement moral, intellectuel et phy- sique du genre humain. ZOOLOGIE GÉNÉRALE. Aara C T =“ E, mE | mers ais de. ae ont tm — =m VARIATIONS DE LA TAILLE. RESUME DES DEUX MÉMOIRES PRÉCÉDENTS, Le nombre considérable de faits que j'ai dû dis- cuter dans les deux mémoires précédents, et l'étendue que j'ai été obligé de donner à diverses parties de ces mémoires, m'ont fait penser qu'il ne serait pas inutile de présenter ici, isolés et réduits à leur plus simple expression, les résultats que j'ai cru pouvoir déduire de mes recherches. J'ai done cherché, dans les pro- positions qui suivent, à donner l'expression la plus nette et en même temps la plus concise de ces résul- tats, renvoyant pour leur développement et leur dé- monstration aux deux mémoires qui précèdent. PREMIER MÉMOIRE. L. Toutes les fois quë deux ou plusieurs espèces de mammifères se ressemblent parfaitement par leurs _ caractères génériques, leur taille est la même où très- peu différente. IL. Les familles, les genres, les espèces qui habi- tent au sein des eaux ou y passent anë partie de leur vie, parviennent à une grande taille, compa- rativément aux autres familles, genres ; espèces des mêmes groupes; et l'accroissement de leurs dimen- sions est mêmé d'autant plus grand, toutes choses égales d’ailleurs, que leur organisation les rend plus essentiellement aquatiques. RÉSUMÉ. 419 I. Les genres ailés ou vivant Sur les arbres mat- teignent jamais au contraire que de pétites dimen- sions. IV. Les mammifères purement terrestres peuvent être classés dans l'ordre suivant d'après léur taille, très-grande dans les premiers, moindre dans les se- conds, et ainsi de suite : les herbivores, lés carnivores, les frugivores, enfin les insectivores. V. Cette proposition peut en quelque sorte se tra- duire par la suivante : il existe une coordination par- faite entre le volume des animaux et le volume ou la quantité des êtres organisés dont la conformation de leurs organes digestifs les appelle à se nourrir. VI. Il existe un rapport non moins constant entre la taille des mammifères et l’étendué des lieux où ils vivent, les grandes espèces habitant les mers, les con- tinents et les grandes îles; les petites, les rivières et les petites îles. VII. En général même, les mammifères des plus vastes continents surpassent leurs analogues des con- tinents moins étendus. VII. Les mammifères dé l'hémisphère boréal sur- passent les animaux analogues vivant dans lhémi- sphère austral. IX. La taille des mammifères qui vivent sur les montagnes est le plus souvent , maïs non toujours, in- férieure à celle des animaux analogues qui peuplent les plaines et les déserts. X. Dans l'hémisphère boréal, les genres et les es- 420 ‘VARIATIONS DE LA TAILLE. pèces de la plupart des familles parviennent à leur maximum de taille dans les contrées les plus méri- dionales, et descendent à leur minimum dans les climats les plus septentrionaux; d’autres ont leur maximum dans les régions voisines du cercle arcti- que, et leur minimum dans la zone intertropicale; mais il n’en existe pas qui, ayant leurs plus grandes espèces dans les contrées tempérées ou peu chaudes, présentent une taille moindre à mesure qu'on les suit vers l'équateur ou vers le pôle. | XI. Les propositions précédentes, vraies presque sans aucune exception à l'égard des mammifères, perdent plus ou moins de leur généralité à mesure qu'on les applique à des classes placées plus bas dans l'échelle des êtres : elles finissent, pour les animaux les plus éloignés de l’homme, par n'être plus que des aperçus applicables encore à l’ensemble des cas, mais Soumis à de nombreuses exceptions. ; XII. Il est aussi à remarquer que les variations de la taille dans une classe sont, toutes choses égales d’ailleurs, renfermées dans des limites d'autant plus précises que cette classe est plus naturelle. XII. Enfin, lorsqu'une classe se trouve composée d'êtres dont l'accroissement se continue pendant une grande partie de la vie, et qui se reproduisent avant d'avoir achevé leur développement, les variations de la taille sont très-considérables et renfermées seule- ment entre des limites mal déterminées. RÉSUMÉ, SECOND MÉMOIRE. ANIMAUX DOMESTIQUES. XIV. Les propositions précédentes sont loin d’être généralement applicables aux animaux domestiques. XV. Dans plusieurs espèces domestiques , la taille primitive s’est conservée, ou n’a été que très-légère- ment modifiée. ; | - XVI. Dans d'autres espèces, il existe des races beaucoup plus grandes, d’autres beaucoup plus pe- tites que le type primitif ; mais la taille moyenne des races diffère peu où ne diffère pas de ce type; en sorte que l'espèce, considérée dans son ensemble, n'a au total que peu ou n’a point augmenté ou di- minué. ù XVII. Les espèces qui ont subi une légère dimi- nution, sont toutes au nombre de celles que l'homme néglige généralement et nourrit mal. XVIII. Les variations individuelles de la taille sont renfermées dans des limites beaucoup plus étroites qm les variations de race. RACES HUMAINES. XIX. Au contraire de ce qui a lieu pour les ani- maux domestiques, les variations de race sont, chez l’homme, renfermées dans des limites beaucoup plus étroites que les variations individuelles. XX. Les peuples les plus remarquables par leur rs oa aaa me Ts aa HS $ aas TONo AEE E e T VEE LES + ie -r OS me a a Ea a a 422 VARIATIONS DE LA TAILLE. grande taille habitent généralement l'hémisphère austral (les peuples de très-petite taille se trouvant au contraire presque tous dans l'hémisphère boréal, comme on l'a indiqué depuis longtemps). XXI. Parmi ces peuples de très-grande taille, les uns vivent sur le continent de l'Amérique méridio- nale; les autres, dans divers archipels de l'Océan du Sud; et on peut même remarquer qu'ils forment ainsi dans l'hémisphère austral deux séries, l’une con- tinentale, l’autre insulaire , toutes deux assez irrégu- lières et plusieurs fois interrompues , mais commen- çant également à 8 ou 10 degrés de latitude sud, et se terminant aux environs du 50° degré. XXII. Toutefois il existé aussi dans l'hémisphère | austral des peuples dont la taille est au-dessous de la moyenne, et réciproquement, dans le boréal, des peuples dont la taille surpasse cette moyenne, Or, en comparant la position géographique de ces peuples à celle des peuples extrêmement grands ou extrême- ment petits, on arrive à ce résultat, en apparence paradoxal , et cependant facile à expliquer en partie, que des peuples de petite taille vivent presque par- tout près des nations les plus grandes du monde en- üer, et réciproquement, des peuples de haute taille près des nations les plus remarquables par l'exiguité de leur stature. XXII. Les variations de taille des races s’'expli- quent, mais en partie seulement, par l'influence du climat, du régime diététique et du genre de vie. RÉSUMÉ. 4a XXIV. Il est au moins extrêmement probable que la taille du genre humain , malgré quelques variations locales, n’a pas sensiblement diminué. Il en est ainsi, non pas seulement, comme l'établissent tant de genres de preuves, et comme il est universellement connu, depuis les premiers siècles historiques , mais même depuis l'époque la plus ancienne que l'on puisse con- cevoir dans la vie du genre humain, la science pouvant suppléer ; pour cette question si souvent controversée, à l’absence de tout monument, et re- monter au delà de toute époque historique. PR } "i FAR! (4! reg Pg pu KiF + FX Be H H IR $ : à 14 i | | RUE $ ÿ Art $ =f r N Í Ki bi Ag RE Vi 20h iy AF l H A Y y S Fr ! dE 5 Eg 1 S ME ! 11 EE ms DRE M 22 "Res aii “€ HE ma ee REMARQUES GÉNÉRALES VI. FRAGMENTS SUR LA ZOOLOGIE GÉOGRAPHIQUE, I. REMARQUES GÉNÉRALES ET APERÇU HISTORIQUE SUR CETTE SCIENCE. La zoologie géographique, comme toutes les autres parties de l’histoire naturelle des animaux , peut être considérée sous deux points de vue, étudiée de deux manières : elle peut et doit être positive; elle peut et doit être spéculative. Tantôt, procédant par lob- servation , elle détermine avec soin la patrie de cha- que espèce, et s'efforce de dresser, pour les diverses contrées du globe, un inventaire exact de sa popula- tion zoologique ; tantôt , et elle peut alors être dite théorique ou générale , elle compare entre eux tous les résultats directement ou médiatement fournis par l'observation, et en déduit, par le raisonnement, des généralités qui elles-mêmes sont de deux ordres. Dans ses COMparalsons et ses raisonnements elle peut en eflet se proposer la détermination, pour une ou SUR LA ZOOLOGIE GÉOGRAPHIQUE. 425 plusieurs contrées du globe, du caractère général de ses races zoologiques , ou bien , s'élevant à des consi- dérations bien plus vastes encore et d’un ordre bien plus élevé, la découverte des lois qui régissent la dis- tribution des animaux à la surface du globe. La zoologie géographique spéciale ou d'observation a nécessairement précédé la zoologie géographique générale : elle est à celle-ci ce que dans un raisonne- ment les prémisses sont à la conséquence. Sans re- monter jusqu'aux anciens, qui ont presque entière- ment négligé cette branche si importante de la science, On peut en reporter l’origine au quinzième et au seizième siècle. Elle naquit de ce mouvement gé- néral des esprits vers linvestigation du globe, dont lun des auteurs principaux fut le prince Henri de Portugal , peu digne de renom pour ce qu'il fit, mais à jamais illustre par ce qu'il fit faire. Epoque mémo- rable dans laquelle humanité s'ouvrit à la fois des “voies nouvelles, à travers l'Océan, vers des terres ignorées, et, dans les champs de la pensée, vers une philosophie et des sciences inconnues; époque qui commenga la rénovation intellectuelle du monde en même temps qu’elle en doublait l'étendue. C'est au milieu de ces grandes et éclatantes décou- vertes que devait naître et que naquit obscurément la zoologie géographique. Connaître une contrée nou- velle, ce n’est pas seulement en avoir vu l'aspect et les habitants, en avoir déterminé plus ou moins exacte- ment l'étendue et la position, c’est aussi avoir étudié mo gr Lure ss a t - > < -o = qd + ET om ET — Rec RTS ET ns A E ee er a n PRE Eas e 426 REMARQUES GÉNÉRALES ses productions naturelles, La nécessité de ce supplé- ment de connaissances est si évidente qu'elle a été re- connue par les premiers auteurs des relations de voya- ges, tous empressés d'associer quelques notions de géo- graphie zoologique à leurs:trayaux ou à leurs essais sur la géographie proprement dite, Mais ces auteurs ne s'étant préparés par aucune étude préliminaire à écrire sur l'histoire naturelle, toutes leurs produc- tions n’ont vraiment pour la science que l'intérêt pu- rement. historique qui s'attache à la constatation de sa première origine. C’est même seulement dans la seconde moitié du dix-huitième siècle (1) et dans le (1) Avant le dix-huitième siècle , je ne trouve guère à citer comme ayant été réellement utiles à la zoologie géographique que Tuéver , l'un des premiers explorateurs du Brésil; Jean ne Lery, qui le suivit de près dans la même contrée; HERNANDEZ , envoyé au Mexique par le roi Philippe Il; notre illustre BÉLON, Pison, Manrcerarr, JACQUES Boxrius , auquel on doit d'importantes publications sur les animaux de Java, et Prumer, l'un des premiers qui aient fait connaître quelques- unes des productions des Antilles. Dans le dix-huitième siècle ; AU con- traire, je mentionnerai , et la liste est loin d'être complète, Caressy , pour plusieurs parties de l'Amérique septentrionale; Bosman , pour la Guinée; Korse, pour le Cap de Bonne- Espérance ; VarentyN, pour l'Inde ; plus tard Sparrman , pour le Cap de Bonne-Espérance; Son- ` NERAT, pour Madagascar; FORSKAL et HaässeLQuIist, pour l'Égypte et l'Arabie; Mansnes, pour Sumatra ; Taunserc, pour le Japon ; Parzas, illustre à tant de titres, Lerpecmn et Gueun, pour l'empire russe ; Azara, pour le Brésil ; Morisa , auteur qu'il faut souvent consulter malgré son inexactitude, pour le Chili; SreLLER et Ornon Fapricws . pour les régions septentrionales de notre hémisphère ; CommeRSON ; Banxs , SOLANDER, FORSTER, compagnons , le premier de BOUGAINVILLE » les autres de Coor , dans leurs voyages autour du monde; plus tard encore , et pour ainsi dire sur les confins du dix-huitième et du dis- SUR LA ZOOLOGIE GÉOGRAPHIQUE. 427 dix-neuvième qu'on peut en trouver les véritables commencements scientifiques, et en suivre avec un intérêt réel le développement et les progrès. La zoologie géographique générale est née beau- coup plus tard, à compter le nombre des années qui se sont Rare entre sa création et les travaux que je viens de rappeler; et néanmoins, dans l’ordre phi- losophique, il est vrai de dire qu’elle a de beaucoup devancé l’époque à laquelle on pouvait rationnelle- neuvième siècle, mon père et M. Savienv, pour l'Égypte, librement explorée par eux dans toutes ses parties., a mesure que la conquête ‘les y faisait pénétrer. Si je poursuis cette énumération dans le dix- neuvième siècle, les noms à citer deviennent bien plus nombreux en- core. Tels sont (et une multitude d'autres pourraient être àjoutés) , parmi les savants étrangers, Huwsozpr, EHRENBERG, le prince de Nev- wiED, Rurpezz, Spix, Tinesius , Mevey, Kunt, Van HASSELT, SIEBOLD A Burcer , Naccarr, NarDo, Scoressy, Guamisso, Rarries, HORSTIELD', Syres, Ricnarnson, Sapin, le major: Loxe, le capitaine Fraxkuw, le doc- teur Smıru, Wess; parmi nos compatriotes, Péron, dont le mémorable voyage autour du monde a commencé avec notre siècle; DELALANDE, qui, paï ses seules explorations au Cap de Bonne-Espérance, a enrichi le Mu- séum d'histoire naturelle de près de quatorze mille animaux; Lescour- nauLr , Duvaucez , Jacouewonr, Roux, tous martyrs de la science ; M. LESUEUR , déne collaborateur de Péron ; notre illustre botaniste , M. Avcusre DE Sarr-Hirame; M. Bonpzann , devenu si célèbre par sa longue détention au Paraguay; M. Gamarn, dont deux voyages autour du monde etquatre voyages dans le nord n’ont pointencore épuisé le zèle; M. Quoy, qui deux fois aussi a fait le tour du monde, recueillant, obser- yant, décrivant partoyt les productions du règne animal: enfin MM. d'Or- BIGNY, GAUDICHAUD , Ménérriés , Gay, Lesson, Garvor, Dussune, BELAN- GER , VERREAUX, RANG., JOANNIS „ DIARD, DE uat Bernire, Gouno?, Seanzin, Berrmeor, auxquels la zoologie proprement dite et la géogra- phie zoologique, doivent également l'acquisition d’une multitude de faits importants, x -a n TN a i RE E E a e A aa TEN R F r S3 PS -mœ 428 REMARQUES GÉNÉRALES ment s'attendre à la voir se produire à son tour dans Ja science. Nul , en effet, ne peut contester à Buffon l'honneur de l'avoir créée , élevée même dès lors à un haut degré de généralité, et cela , à une époque où nul ne Soupçonnait même la possibilité de son existence. Je ne nierai pas que Buffon ; privé des connaissan- ces de l’anatomiste, et porté peut-être par ses vues théoriques à exagérer l'influence du climat sur le dé- veloppement des animaux, n'ait été entrainé dans quelques erreurs plus ou moins graves dont lui-même, au reste, a reconnu dans la suite et rectifié plu- sieurs. Mais il n’en reste pas moins vrai, non-seu- lement que la création de la zoologie, géographique générale est l’un des titres de gloire de Buffon, mais même que, dans aucune autre partie de son œuvre, il n'a donné des preuves plus éclatantes de Ja puissance d'invention, et je dirais volontiers de divination, que la nature lui avait accordée. En dépit de tout ce qu'on a dit et répété si souvent sur la nécessité de faire de l'observation l'unique mé- thode d'investigation en histoire naturelle, les lois de la distribution géographique des animaux, que Buffon a établies ou indiquées, ne sont nullement des déductions logiques et rigoureuses des faits alors existants dans la science. On ne peut méconnaître en elles de hardies abstractions , des hypothèses conçues avec audace sur la vue de quelques faits , ‘et soumises ensuite au contrôle de quelques autres, insuffisants d'ailleurs pour la confirmation, comme ils l’eussent SUR LA ZOOLOGIE GÉOGRAPHIQUE. 429 été pour la découverte de rapports quelque peu gé- néraux. I faut lire les livres de cette époque , il faut lire Buffon lui-même, pour voir , parmi le petit nom- bre d'animaux alors connus, combien il en est dont l'origine restait ignorée, et de combien d’autres la patrie avait été faussement indiquée. Ainsi, c’est quand la géographie zoologique ne possédait que des faits très-incomplets et en grande partie inexacts, c'est sur ces éléments imparfaits que Buffon a concu et proclamé des lois dont lavenir a démontré et démontrera de plus en plus l'exactitude et la haute généralité (1). : | | II. DES RAPPORTS DE LA ZOOLOGIE GÉOGRAPHIQUE AVEC LA PALÉONTOLOGIE. L'une des questions les plus importantes, mais les plus difliciles et les plus négligées de la zoologie géo- (1) Les principales lois ou généralités auxquelles Buffôn a essayé de ramener la distribution géographique des animaux, sont trop connues pour que Je croie utile de les exposer ici. Je l'ai fait déjà dans mes Considérations générales sur Les mammifères, 1 vol. in-18, 1824 ; p: 241, ou l'article Mammifères du Dictionnaire classique d'histoire na- turelle,t. X, p. 123. On peut consülter aussi l’article déjà cité, que mon père a récemment publié sur Buffon (Voyez Fragments biogra- phiques, 1 vol. in-8, 1838 , p. 58). On verra dans le Passage auquel je renvoie ici, comment Buffon, dans ses travaux sur les lois de la distribution géographique , a su plus d'une fois s'élever à de hautes généralités d'une incontestable vérité, en concluant non-seulement sur des faits peu nombreux, mais même dans quelques cas contre des faits qui semblaient directement opposés à ses vues. 430 | REMARQUES GÉNÉRALES graphique ; c'est celle de la distribution primitive des êtres vivants à la surface du globe. Sans doute, ce grand problème que tant de données viennent com- pliquer ; restera longtemps encore insoluble : disons plus; l'esprit humain ñe parviendra jamais, selon toute probabilité, à l’embrasser dans son ensemble. Mais si lon ne peut espérer d'atteindre le but, il sera encore utile , il sera beau d'en approcher; et la | science, si elle mose aspirer à déchirer le voile qui couvre le mystère de la formation des espèces ani- males ct végétales, ne saurait du moins renoncer à le soulever. | Sans doute, pour celui qui se renferme dans le cercle étroit de l'observation directe et de ses consé- quences immédiates (1), il n’y a de possible que la connaissance , même imparfaite , des faits matériels de l'ordre actuel des choses, Mais pour celui qui croit pouvoir non- seulement observer, expérimenter , mais aussi raisonner, mille routes nouvelles sont ouvertes : le but grandit comme les moyens ; l’espace (1) J'emprunte cette expression à une phrase remarquable de l'un des derniers écrits sortis ‘de la plume de Cuvir. Exposant le plan qu'il convient de suivre dans ume collection nouvelle de mémoi- res Sur les sciences naturelles , il s'exprime ainsi : « Sans s’interdire absolument la faculté d'indiquer les conséquences immédiates qui leur paraîtront dériver des faits qu'ils auront observés , C'est principalement de l'exposé de ces faits et du détail de leurs circonstances qu'ils (les au- teurs) ont résolu de composer leurs collections .…. Ce recueil me sera composé que de faits positifs, » SUR LA ZOOLOGIE GÉOGRAPHIQUE. 48: . et le temps n’ont plus de limites. Toute la zoologie se compose de ces trois immenses problèmes : étudier ce qu'est l'animalité; de son état présent, déduire ce qu'elle a été; par la comparaison de son état passé et de son état présent , s'élever même à la prévision dé ce qu'elle sera (1). Vastes questions dont la pensée humaine ne saurait embrasser limmënse étendue; Mais pour la solution desquelles il est donné à cha- cun de réunir quelques éléments nouveaux. C'est ainsi que la grande question de la distribu- tion des espèces dans les temps anciens, inacces- sible aux naturalistes exclusivement observateurs, cesse de l’être pour ceux qui, aux moyens de Yob- servation, ajoutent toutes les ressources dont les con- naissances actuelles leur permettent de tirer parti dans leurs raisonnements. Les siècles passés, les siè- cles même qui ont précédé l'homme, n’ont pas dis- paru tout entiers. Par la toute-puissance de l’observa- tion ; aidée , éclairée, fécondée par le raisonnement, les débris du monde ancien ont été exhumés de la nuit des âges; ses habitants ont une seconde fois échappé au néant; et l’homme a conquis l'entrée et i ,à (1) M. Avueusre Comte, dans son Cours de Ph ilosophie Dosilive très-bién établi que la possibilité de prévoir est l'un des Caracté stants de toute science digne de ce nom. La même y rés con- érité a été récemment proclamée par M. de Bzarnvizze dans les termes suivants , remarqua- bles par leur précision : «La prévision est le caractère essentiel d’un ensemble de connaissances parvenues à l'état de science.» Voyez Comptes rendus des séances de l'Académie des sciences, t. 1X, p. 65. i 432 __ REMARQUES GÉNÉRALES s’est fait le contemporain de cette terre antique, dont le Créateur lavait séparé par tant de siècles et tant de bouleversements. | Buffon , Pallas, mais surtout Cuvier (1), ont depuis longtemps appelé tous les zoologistes à venir à leur suite puiser, dans cette source si féconde de haute instruction , des lumières sur la distribution des es- pèces dans le monde antique. Mais cette voie est-elle la seule qui nous soit ouverte? Est-ce seulement par leurs débris, par les traces qu'ils ont laissées dans les couches de la terre, que nous pouvons étudier et connaître ses antiques habitants? La nature ac- tuelle ne peut-elle aussi nous éclairer sur la nature des temps anciens? Si l’on rassemble dans sa pensée les principaux éléments de la question, si l’on réfléchit avec quelque attention aux relations nécessaires de l’ordre ancien avec l’ordre actuel des choses , on reconnaît d’abord d'une manière générale que l’un a inévitablement laissé dans l'autre des traces profondes. Pourquoi donc le raisonnement , appuyé sur l’observation, ne saurait-il suivre ces traces, de même qu'un œil exercé parvient à retrouver les traits principaux de la physionomie d’un enfant j Jusque sous les rides de la vieillesse ? N’en est- il pas en grand de l'évolution du globe comme de | (1) Les travaux de Cuvier sur les fossiles sont et resteront toujours la réfutation la plus éloquente des idées que résume la phrase citée dans l'une des notes précédentes ( p. 430). SUR LA ZOOLOGIE GÉOGRAPHIQUE. © 433 ‘évolution d’un individu? Un âge succède à un au- tre; il imprime les changements qui le caractérisent; il modifie, il altère, mais il ne renouvelle pas ; et au milieu de toutes les transformations, on retrouve toujours quelque chose de constant et d’identique. . Cette analogie, vague et obscure, cette conséquence, douteuse et contestable, lorsqu'on l’applique en gé- néral à la comparaison du monde actuel et du monde ` antique, deviennent au contraire exemptes de toute objection, dès qu’on se borne à comparer la distri- bution géographique des êtres contemporains avec celle des races antiques. N'est-ce pas en effet parmi. celles-ci qu'il faut chercher la. source, l’origine des premiers? Deux systèmes se partagent aujourd’hui les esprits; Pun à la défense duquel mon père a suc- cessivement consacré plusieurs mémoires (1); l’autre qui a pour lui l'autorité de Cuvier; et dans l'un comme dans l'autre, la réponse à la question que- je viens de poser, est au fond la même. Dans le premier, dés changements survenus dans la température, probablement aussi dans la compo- sition de l'atmosphère , en ún mot, et d'une manière générale, dans les circonstances extérieures, ont en- a) Voyez, entre antres : Mémoire sur le degré d'influencé du monde ambiant, dans les Mém. de l'Acad. des Sc., t..XII ; P- 93- Ce même yolume renferme plusieurs autres mémoires importants de mon pére sur les crocodiliens fossiles et sur les dents antérieures des rongeurs. ; ZOOLOGIE GÉNÉRALE. 28 RE ES PR 434 REMARQUES GÉNÉRALES trainé l'extinction d’une partie des espèces antiques , la transformation graduelle d’un certain nombre d'au- tres. Celles-ci ; peu à peu et plus ou moins profondé- ment modifiées dans leurs dimensions, leurs propor- tions , leurs formes, sont devenues telles que nous les voyons aujourd hui. Ainsi, pour prendre des exemples propres à fixer nos idées, les éléphants, les crocodiles d'aujourd'hui , malgré les différences qu'ils possèdent à quelques égards par rapport aux éléphants, aux crocodiles antiques, sont issus de ceux-ci : ils en sont les rejetons modifiés, dégénérés si l’on veut, mais, quelque terme que l'on emploie, ayant acquis une organisation harmonique avec les conditions actuelles du monde ambiant. Selon les idées de Cuvier, au contraire, les espèces sont invariables , ou ne sont variables que dans des : limites excessivement restreintes, et seulement dans leur taille, leurs caractères tésumentaires, etc. La transformation des espèces antiques et leur passage aux formes actuelles sont impossibles. Les éléphants, les crocodiles , tous les animaux vivant actuellement à la surface du globe, ne sont point issus etne sau- raient l'être des espèces analogues dont les débris ou les empreintes ont été retrouvés dans les en- trailles ou à la surface du sol. Toutes ces espèces ana- logues, mais essentiellement différentes, ont péri; et d'autres, après un temps plus ou moins long, .sont venues les remplacer. Mais si les ancêtres de celles- ci ne sont point les animaux, specifi iquemer t diffé- SUR LA ZOOLOGIE GÉOGRAPHIQUE. 435 rents, Mais analogues, que nous connaissons par leurs débris fossiles, ces ancêtres n’existaient pas moins dans le monde antique ; seulement ils existaient dans des localités différentes de celles où nous voyons au- jourd'hui leurs descendants. Les changements que le globe a subis à sa surface , en détruisant un plus ou moins grand. nombre d'espèces, ont changé, à l'égard de celles qu'ils ont laissé subsister, non leur organi- sation regardée comme invariable, mais leur distri- bution géographique (1). | | Ces deux systèmes, dérivés lun de la doctrine (1) Cuvier a eu recours , pour exprimer nettement ses idées sur cette grave question , à une supposition qu’il ne sera pas inutile de repro- duire ici : « Supposons, dit-il (voyez Discours sur les révolutions de la surface du globe, dans le grand ouvrage sur les oss. fossiles, t. L, 2° édi- tion, p. 63 et 64), qu'une grande irruption de la mer couvre d'un amas de sable ou d’autres débris le continent de la Nouvelle-Hollande; elle `y enfouit les cadavres des kanguroos, des phascolomes, des dasyures , des péraméles, des phalangers-volants , des échidnés et des ornitho- thynques, et elle détruira entièrement les espèces de tous ces genres, puisque aucun d'eux n'existe maintenant en d’autres pays. Que -cette même révolution mette à sec les petits détroits multipliés qui séparent la Nouvelle-Hollande du continent de l'Asie : elle ouvrira un chemin aux éléphants, aux rhinocéros, aux bufles , aux chevaux, aux cha- meaux , aux tigres et ä tous les autres quadrupèdes asiatiques qui viendront peupler une terre où ils avaient été auparavant inconnus. Qu'ensuite un naturaliste, après avoir bien étudié toute cette nature vivante, s'avise de fouiller le sol sur lequel elle vit; il y trouvera des restes d'êtres tout différents.» « Ce que la Nouvelle-Hollande serait, ajoute Cuvier, dans la suppo- sition que nous venons de faire, l'Europe , 1 a Sibérie, une grande partie de l'Amérique, le sont effectivement; et peut-être. trouvera-t-on un Jour , quand on examinera les autres contrées, et la Nouvelle-Hollande 436 REMARQUES GÉNÉRALES de la variabilité des êtres sous l'influence des con- trées extrêmes, l'autre du principe de la fixité, de Yimmutabilité des espèces, sont, comme il est facile de le voir, essentiellement opposés l'un à l’autre. Mais ils s'accordent sur un point, et ce point est celui qui importe à la question spéciale que je traite ici, savoir : l'existence dans les temps antiques d'êtres dont une partie seulement a été détruite par les révolutions du globe, les autres s'étant perpétués jusqu'à nous. Ce point accordé, la divergence des opinions commence immédiatement, les uns voulant que des premie ancêtres aux descendants actuels il y ait eu transfor? mation ; les autres, simple déplacement. Mais, dans la première comme dans la seconde hypothèse, le même corollaire est à déduire au sujet des liens qui existent entre la distribution géographique des espèces antiques et celle des espèces actuelles. L'une est évi- demment au nombre des données principales qui ont elle-même, qu'elles ont toutes éprouvé des révolutions semblables Je dirais presque des échanges mutuels de productions... Après un passage aussi explicite, placé dans le lb Discours sur les révolutions du globe, qui sert d'introduction au principal ouvrage de son auteur; aprés les discussions et les commentaires auxquels il a donné lieu de la part de plusieurs géologues distingués , on a peine à concevoir que Cuvier ait pu être cité comme lifiventeur du système des créations successives. Il en a été cependant ainsi trés-souvent , et non-Seulement dans ces articles prétendus scientifiques que chaque jour voit naître et mourir , mais même dans des écrits auxquels leur mérite SOUS d'autres rapports, le nom de leurs auteurs, et, pour l'un d'eux, les circonstances où, il a paru , donnent une VERS HApOr- tance historique, SUR LA ZOOLOGIE GÉOGRAPHIQUE. 437 déterminé l’autre. Supposez, en effet, pour telle espèce en particulier, le déplacement nul : son état actuel, quant à la distribution géographique, n’est que la con- tinuation de son état ancien , et par conséquent en dérive immédiatement. Poussez, au contraire , Phy- pothèse du déplacement à ses dernières limites „et, dans ce cas extrême lui-même, il existe entre la posi- tion géographique de l'espèce dansles temps anciens et Sa position actuelle, une relation de même ordre que celle qui existe entre une prémisse et une consé- quence. | La distribution géographique cles êtres contempo- rains dérive donc plus où moins directement, selon l'hypothèse que l’on croira devoir adopter, mais xé- cessairement dans toute hypothèse, de la distribu- tion de leurs ancêtres dans les temps anciens. L'or- dre et arrangement des espèces à la surface du globe se sont modifiés un plus ou moins grand nombre de fois ; mais chaque ordre successif n’a été que l'effet de pacte précédent, comme lui-même a été l’une des causes de Fordre suivant , jusqu à celui que nous ‘avons aujourd'hui sous les yeux, et où nous-mêmes, à notre tour, nous occupons une place et tenons notre rang. | En s'élevant à ce point de vue , l'étude de la zoo- logie, et de même, de la e cie géographique, ac- quiert évidemment un intérêt et une importance plus grande encore qu on ne le reconnaît généralement. Ces deux branches de la science contractent des liens À 438 REMARQUES GÉNÉRALES | intimes avec la paléontologie; et le moment peut être prévu où, considérées sous un point de vue général et comparatif, elles deviendront les sources les plus fé- condes d’inductions utiles et de résultats curieux sur l’origine des espèces et sur leur distribution aux diffé: rentes époques de l'évolution du globe. IT. REMARQUES SUR LA FAUNE INDIENNE (1). Il n’est guun très-petit nombre de familles natu- relles qui n’aient point de représentants dans l'Inde, soit continentale, soit insulaire. Très-éloignée de l'Europe, de l'Asie orientale et de TAa mais réunie à ces contrées par une continuité de terres; très-éloignée de l'Australasie, mais liée à ce con- tinent par un grand. nombre d'îles considérables par leur étendue, et qui forment comme une chaîne intermédiaire à ces deux régions, l'Inde se trouve occuper une position en quelque sorte centrale par rapport à toutes les contrées chaudes et tempérées de l'ancien, monde , et réunit des représentants, de pres- que tous les types. La-plupart des animaux de l’Europe méridionale se retrouvent, plusieurs avec des modifications à (1) Extraites, sauf quelques modifications et additions, de 1a partie Z0ologiqué du Voyage aux Indes orientales de M, Béraneëk SUR LA ZOOLOGIE GÉOGRAPHIQUE. 439 peine appréciables, dans le continent ou les atchi- _ pels indiens. Lorsque les espèces ne sont pas comi- munes ; il y a du moins ressemblance générique. Il en est ainsi, non-seulement des genres très-ré- pandus à la surface du globe, mais fnême de ceux qui, ne comprenant qu'un petit nombre d'espèces ot Même une seule, sont, pout a ainsi dire, propres à ces _ Contrées. On né retrôüve pas ordinairement dans l’Inde lës mammifères et les reptiles de l'Europe occidentale ; mais présque toujours leurs congénères. “ Les espèces indiennes sont souvent plus grandés que les nôtres, principalement que celles du nord dé l'Europe et de l'Asie; mais parfois aussi elles sont plus petites. Ce résultat est conforme à cette règle générale, établie dans un autre travail (1), que la taille des animaux de l'hémisphère septentrional, compa- rés entre eux, soit spécifiquement, soit générique ment, décroît, pour les uns, à partir du voisinage du cercle arctique vers l'équateur , et pour les autres, au contraire , de l'équateur au cercle arctique. En comparant, Sous le rapport de la coloration, les espèces indiennes et européennes, on trouve que celles-ci sont généralement parées de couleurs moins brillantes et surtout moins variées. (1) Voie, plus haut, le Mémoire sur lës variations générales de la taille, p. 355. : 440 REMARQUES GÉNÉRALES Les oiseaux de l'Inde présentent souvent des orne- ments de plumage qui manquent aux oiseaux ana- logues d'Europe. Les animaux du nord de l'Asie, comme ceux du nord de l’Europe, différent presque toujours spécifi- quement de ceux de l'Inde. Presque tous les genres africains ont des représen- tants dans l'Inde : il n'y a guère d'exception que pour le petit nombre de ceux qui sont propres à l’extré- mité méridionale de l Afrique (1). | Une grande partie des oiseaux de l'Égypte et de la Nubie et quelques animaux des autres classes se re- trouvent identiquement les mêmes dans l'Inde. 1] en est ainsi, en particulier, de la plupart des animaux A (1) Il existe généralement, entre les animaux du sud et ceux du nord de l'Afrique, des relations d’analogie fort remarquables , mais non une identité complète. Il faut excepter, bien entendu, les espèces auxquelles la rapidité et la facilité de leur locomotion, ou plus spécialement, aux- quelles la puissance de leur vol permet de se transporter en peu de temps à de. grandes distances, et qui peuvent ainsi, comme le font tant d'oiseaux , être tour à tour habitants du sud, du centre et du nord de l'Afrique. Mais , hors de ces cas particuliers , et parmi les mammi- féres surtout, la remarque que je viens de présenter, est d'une applica-. tion très-générale. Je n'en veux ici pour preuves que les discussions si souvent élevées sur l'identité ou la diversité spécifique des animaux afri- cains du sud et du nord , par exemple, et pour me borner à ces deux remarquables animaux, sur l'identité ou la diversité spécifique des gir rafes et des hippopotames du sud et du nord. Les opinions sont encore aujourd'hui divisées sur ces questions, et il pourra en être ainsi tant qu'on n'aura pas cherché à se faire une idée plus philosophiquement exacte des caractères et de la valeur de l'espèce. Cette difficulté, quelque grande qu'elle soit, l’est cependant bien SUR LA ZOOLOGIE GÉOGRAPHIQUE. 441 que les anciens Egyptiens honoraient -d’un culte, et que l'on retrouve à l’état de momies dans les cata: combes et les puits sacrés de Thèbes et de Memphis. L'ile Maurice , sous le rapport des animaux qui la ` peuplent, ressemble à l'Inde au moins autant qu'à l'Afrique, quoique très-rapprochée'de celle-ci, et'ex- trêmement éloignée, non-seulement du continent, mais aussi des grandes îles de l'Inde. | L'ile de Madagascar, placée entre Maurice et l'A fri- que australe, et peu éloignée de ce vaste continent, en diffère d’une manière remarquable. Presque tous ceux de ses oiseaux qui, -pourvus.-d'ailes.. courtes ou même médiocres, n’ont pu se répandre à de grandes distances, ne se retrouvent en aucune autre terre. Il en est de même de ses chauves-souris. Ses reptiles, ses moins encore que celle qu'oppose aux efforts des zoologistes la déter- mination des espèces de l'Amérique méridionale, surtout.en ce qui concerne les mammifères. À l'égard de ceux-ci, je crois avoir démon- tré depuis plusieurs années, dans mes cours, qu'en adôptant lês no- tions ordinairement admises sur l'espèce , il est mon-seulement très- dificile, mais même absolument impossible de déterminer spécifique- ment ceux des mammifères sud-américains qui appartiennent a des genres nombreux en individus et répandus sur un grand espace. Tels sont, pour rappeler ici quelques-uns des genres à l'égard desquels les zoologistes ont pu le micux se convaincre de leur Impuissance, leurs, les sajous, les ouistitis, les phyllostomes, les coatis ‘et Amè partie des chats et des cerfs. Cette impossibilité, comme la difficulté plus haut signalée à l'égard des animaux africains , est parfaitement en rapport avec la théorie de la variabilité des espèces sous l'in fluence des circonstances extérieures, et tellement qu'on peut regarder l'une et les hur- l'autre comme des conséquences nécessaires de cette théorie. hour édition ia Pape ` 442 REMARQUES GÉNÉRALES insectes offrent presque tous une physionomie parti- culière: Ses mammifères terrestres diffèrent, non- seulemeñt spécifiquement, mais presque toujours aussi génériquement de tous ceux des autres con- , trées. Aucun groupe voisin n'existe même dans l'Afrique australe, et pour trouver les genres les plus rapprochés par leur organisation, cest dans l’Inde continentale et insulaire qu'il faut les chercher. Il est même quelques genres qui paraissent être communs à Madagascar et aux Moluques. En résumé, si l’on avait à classer l’île de Madagas- car seulement d’après ses productions zoologiques , et sans tenir compte ni de son étendue ni de sa si- tuation géographique; on devrait ne voir en elle, ni une île asiatique, ni une île africaine , mais bien une terre isolée, et presque un quatrième continent, l'Amérique , l’ancien continent, l'Australasie étant les trôis autres. Et cette terre isolée, ce quatrième con- tinent différerait beaucoup plus encore, sous le rap- port des animaux qui le peuplent ; de l Afrique dont il est voisin, quë de l'Inde, malgré la distance con- sidérable qui sépare celle-ci d Madagascar. L'Australasie est comparable, sous beaucoup de rapports, à Madagascar ; elle a, en quelque sorte, comme cette île remarquable, une création qui lui est propre: De même encore ; si ses animaux trouvent quelques analogues parmi ceux des autres parties du monde, c’est surtout parmi ceux de l'Inde. Ses oiseaux, en exceptant ceux dont le vol est étendu; et ses SUR LA ZOOLOGIE GÉOGRAPHIQUE. 443 chauves-souris , diffèrent spécifiquement, ét souvent même génériquement , de ceux de toutes les contrées du globe, l'Inde exceptée. Tous ses mammifères ter- restres, hormis quelques espèces de rongeurs, et le chien marron qui forme une exception d’un ordre particulier, appartiennent, ou au groupe des mono- trêmes ou à celui des marsupiaux. Les premiers n’ont de représentants dans aucune autre contrée ; les së- conds forment toujours des genres , ou bien propres à l'Australäsie, ou bien communs à l'Australasie et à T archipel Indien. I est à remarquer que la contrée qui ; après l'Inde insulaire , offre le plus d’analogie avec l'Australasié , -sous le rapport des animaux dont elle est peuplée, c’est l'Amérique méridionale , située à une immense distance d’elle , mais faisant également partie de l'hé- misphère austral. L'Amérique est, en effet, après la Nouvelle-Hollande , les terres qui l'avoisinent et Yat- chipel Indien , la seule contrée où il existe des mar- supiaux : tels sont les didelphes ; les hémiures, les chi- ronectes , animaux qui diffèrent génériquenient ;1l est vrai , de tous les autres, mais que des rapports assez intimes lient avee le groupe des dasyures , qui est propre à l'Australasie. Enfin Cest aussi dans l’ Amé- rique méridionale que l'on retrouve le genre le plus rapproché, par son organisation, des myopo- tames , qui sont les plus remarquables des rongeurs australasiens ; et qui ont été pendant longtemps les seuls connus. i Dem A PUR: TP dé cé 444 REMARQUES GÉNÉRALES La Nouvelle-Guinée , voisine de la Nouvelle-Hol- lande, voisine aussi de morok des Moluques , est presque entièrentent peuplée de genres qui lui sont communs avec l’une comme avec l'autre; et il est presque toujours difficile de trouver aux animaux qui l'habitent des caractères spécifiques tranchés, quoi- qu'ils diffèrent le plus souvent , par quelques modifi- cations, de ceux de la Nouvelle-Hollande et des Mo- luques. En d'autres termes, la Nouvelle-Guinée semble en grande partie peuplée de variétés des espèces des terres voisines. | Ces remarques sont applicables aux oiseaux ; mais il, faut excepter les oiseaux de paradis et toutes les espèces qui, comme eux ; se font remar- quer par l'extrême développement de leur plumage ou par l'éclat de leurs: couleurs. Les contrées froides de l'Amérique n’offrent aucun rapport avec l'Inde, sous le rapport de la distribution géographique des animaux ; mais il existe quelques rapports entre l'Inde et l'Amérique méridionale. Les orangs et semnopithèques et les atèles et ériodes, les mégadermes et les phyllostomes, les nyctinomes et les molosses, les ours de TInde et l'ours des Cordi- lières, Ja panthère et le jaguar , les pangolins et les myrmécophages , tamanduas et dionyx, le tapir de l'Inde et les tapirs américains et un grand nombre d’autres mammifères ; les brèves et les fourmiliers , le calyptomène et les coqs de roche, les coucou- rous indiens et américains, le casoar de l'Inde et le SUR LA ZOOLOGIE GÉOGRAPHIQUE. 445 nandou, et une foule d’autres animaux de toutes les classes, présentent entre eux, d’une contrée à l'autre, la plus grande analogie. L Tide. qui possède des représentants de presque toutes les familles, possède en outre un très-grand nombre de genres qui ne se retrouvent dans aucune autre contrée. Les mêmes espèces, celles exceptées qui vivent dans les montagnes ou dans des localités remarqua- bles par quelque circonstance particulière, existent ordinairement , mais non toujours, dans toute l’éten- due de l'Inde continentale. On les retrouve souvent aussi dans les îles de l'archipel Indien. Ceylan, île trè ès-rapprochée du continent, présente presque tou- jours les mêmes espèces qui vivent sur le continent. Mais en comparant un grand nombre d'individus du Pégou et de Ceylan (1), on trouve: que, dans plu- sieurs espèces d'oiseaux appartenant à divers ordres, les individus de Ceylan diffèrent un peu, par leurs couleurs, de ceux du Pégou, et sont un peu plus pe- tits. Il existe donc, dans ce cas , une variété continen- tale et une variété insulaire. On peut apercevoir une relation entre ce fair et Ja remarque générale, ailleurs présentée (2), que Ja ( 1) La riche collection recueillie par M. Revwaun ; i , Chirurgien-major de la marine, dans l'expédition de la Che vrelle, m'a fourni les maté- iaux de la comparaison dont ; Jindique ici le résultát. (2) Voyez, plus haut, p. 351 et suivantes. Pi s | | | ag Be as vo MA 446 ZOOLOGIE GÉOGRAPHIQUE. taille des animaux est généralement en rapport avec l'étendue des lieux destinés à les recevoir ; les espèces qui vivent dans les vastes continents ou dans les mers étant ordinairement plus grandes que les espèces analogues des îles et des rivières. Mais il importe de nier que cette remarque n’est point ordinaire- ment applicable aux grandes îles rapprochées des continents. Les espèces -qui peuplent ces dernières, paraissent ne pas différer généralement de celles qui peuplent le continent. L'ile de Ceylan se trouve donc, sous ce rapport, dans un cas exceptionnel ; mais elle rentre d’ailleurs dans la règle commune quant au grand nombre des espèces qui la peuplent, et dont la taille est égale à celle de leurs analogues sur le continent. Enfin (et je terminerai par cette remarque ces considérations de zoologie géographique), le vaste continent dont l'Inde fait partie, offre lui-même, dans son ensemble, une application de la règle générale - que je viens $ rappeler. De même, en effet, qu'il surpasse par son étendue toutes lés autres mod terres du globe, les espèces qui le peuplent, sont presque constamment supérieures, par leur taille, aux espèces de même genre ou de même famille qui peu- plent les autres régions isothermes des deux hémi- sphères. ML CONSIDÉRATIONS SUR LES CARACTÈRES EMPLOYÉS EN ORNITHOLOGIE POUR LA DISTINCTION DES GENRES, DES FAMILLES ET DES ORDRES (1). \ Toute classification est d'autant moins imparfaite et d'autant plus conforme à l’ordre naturel , que les êtres qui en sont les objets, s'y trouvent “appréciés sous un plus grand nombre de rapports. Les anciens systèmes zoologiques de Klein, de Brisson et de tant d’autres, et, pour citer un exemple plus mémorable, le célèbre système botanique de Linné reposaient sur des considérations très- -simples déduites du seul examen d’un très-petit. nombre d'organes ; mais si leur emploi conduisait d’ une manière facile et sûre à la détermina- tion des animaux et des végétaux déjà connus et déjà introduits dans le système, ces classifications, pure- (1) Ce Mémoire a déjà paru dans les Nouvellés Annales du Muséum d'Histoire naturelle, t. L, p. 357 et suivantes. La bienveillance avec laquelle il a été accueilli par les ornithologistes , m'a fait penser qu'il pourait être utile de le reproduire ici , En 7 ajoutant deux planches de caractères. GE | fl l | ji ý jijin paii < atie n a E 6 Fe er pied ain de pe rose - SRE De PE ge. EE he so ne 448 CONSIDÉRATIONS ment artificielles , laissaient inaperçus une multitude de rapports, brisaient toutes les affinités naturelles, et restaient presque entièrement inutiles pour l'étude des êtres nouveaux. Les méthodes aujourd'hui uni- versellement adoptées en zoologie comme en bota- nique, se fondent au contraire sur l'examen d’ un très- grand nombre d'organes , et sont par conséquent très- compliquées et d’un usage trè és-peu commode ; mais leur utilité réelle augmente en raison de feur com- plication. Lorsqu'elles sont bien faites, c'est-à-dire établies sur des caractères importants, ETA subordonnés, et appréciés, autant que possible, à leur juste Air les ordres, les familles, les genres, se trouvent groupés suivant leurs affinités : et dès lors une multitude de rapports, jusqu'alors i MR, se révèlent pour ainsi dire d'eux-mêmes; les faits s'é- clairent mutuellement; une découverte fiie dans un genre est facilement étendue aux genres voisins, et l'analogie devient pour l'observateur un guide assuré. En un mot, l'emploi du système est très- -simple et facile, mais son utilité très-bornée ; l'emploi de la méthode est difficile, mais son utilité immense. Le premier n’embrasse que le passé de la science ; la se- conde comprend à l'avance tous les faits à venir. — Grâce aux travaux des zoologistes modernes, à ceux de Cuvier surtout, ces idées sont aujourd'hui parfai- tement établies en zoologie; elles y sont même, on peut le dire, devenues des vérités tout à fait vulgaires et presque triviales. Mais, universellement admises . SUR LES CARACTÈRES ORNITHOLOGIQUES. 449 en théorie, ont-elles été toujours appliquées, tou- jours suivies dans la pratique? Et la classification repose-t-elle, en effet, dans toutes les branches de la zoologie , sur une appréciation exacte de la valeur des caractères employés ? En est-il ainsi , par exem- ple , en ornithologie ? La classification des oiseaux a sans doute BE de- puis quelques années, de grands progrès, ae aux travaux de MM. Cuvier, Vieillot, Temminck, Vigors, et de plasieurs autres orni ithologistes (1). Cependant peut-on affirmer que tous les caractères généralement employés pour la distinction des T des familles et des genres , aient réellement une akar or dinale, sub-ordinale et générique? D'un autre côté, tous + caractères dont la considération ne saurait être négli- gée dans une. classification vraiment naturelle, sont- ils employés par les ornithologistes et appréciés à toute leur valeur? C'est l'examen de ces deux ques- tions que je vais entreprendre dans ce Mémoire, en m'appuyant soit sur plusieurs faits déjà établis dés la science, soit sur un assez grand nombre d’observa- tions nouvelles qui me sont propres, et qui, rappro- chées des premiers, les éclaireront et les compléte- ront tout à la fois. (1) Depuis la premiére publication de ce mémoire, la classification _des oiseaux a éncore été de sujet de plusieurs travaux remarquables. Tels sont, entre autres, ceux de M. Jourdan, directeur du musée d'histoire naturelle de Lyon, et du prince Charles Bonaparte de Mu. signano. ZOOLOGIE GÉNÉRALE, 29 Re he 7 Dr on Leg re 111: "i ni 450 CONSIDÉRATIONS Devant passer en revue les principaux caractères que l'on emploie en ornithologie pour la distinction des groupes ordinaux , sub-ordinaux et génériques, et obligé de me renfermer dans les limites d’un simple mémoire, je me bornerai ici à l'indication succincte de ceux de ces caractères qui sont généralement bien connus et appréciés, et j'insisterai seulement, pour les soumettre à une discussion plus ou moins éten- due, sur ceux qui ne me paraissent pas avoir été suf- fisamment étudiés , ou dont l'importance me semble avoir été ou méconnue ou exagérée. DES CARACTÈRES FOURNIS PAR LE BEC. Les caractères fournis par le bec, traduisant à l'ex- térieur les principales modifications de l'appareil de la nutrition, ont été regardés de tout temps comme très-importants , et le sont en effet; mais, comime on va le voir, il s’en faut de beaucoup que leur valeur relative ait été toujours appréciée avec exactitude. Variations de la forme générale. Elles fournis- sent , en général , des caractères génériques excellents en eux-mêmes, et qui ne laisseraient rien à désirer s’il n'était malheureusement très-difficile , dans une mul- titude de cas, de les exprimer avec précision. Ces caractères, sauf quelques exceptions de détail, sont d’ailleurs appréciés à leur juste valeur, et il est abso- Jument inutile d’insister ici sur eux. ` SUR LES CARACTÈRES ORNITHOLOGIQUES. 45i Variations de la structure. Les caractères que l’on peut déduire de la structure de étui corné du bec, ont été généralement négligés. Cette structure est ce- pendant susceptible de quelques modifications qui, se présentant à la fois dans toutes les espèces vrai- ment analogues par le reste de leur organisation ; peuvent fournir de véritables caractères génériques. Ainsi l'étui corné du bec est, dans la plupart des oiseaux, d’un tissu très-serré, très-compacte, très-dur : dans d’autres, ce tissu devient au contraire très-peu dense, plus ou moins mou, et quelquefois translucide. C'est ce que l'on voit, par exemple, pour les pas- sereaux , dans le genre Langrayen ou Ocyptère; pour l’ordre des oiseaux de proie, chez les ‘caracaras. Les rapports de la structure du bec de ces derniers avec leurs habitudes, si analogues à celles des vautours, sont trop évidents pour que j'insiste sur eux. Ils con- fitment, par une preuve de plus, la valeur assez grande d’un genre de caractères dont il n’est pas même question dans les traités d’ornithologie. Existence de dentelures sur les bords des man- dibules. Un assez grand nombre d'oiseaux présen- tent , sur les bords de leurs mandibules, des dente- lures dont la forme, la disposition, mais surtout le nombre , Sont très-variables. S Ainsi leur nombre est quelquefois indéterminé. Dans ce cas, les mandibules peuvent être dentelées même sur toute leur longueur. Cette modification , à laquelle on a quelquefois attribué une grande valeur, 452 CONSIDÉRATIONS est incontestablement plus curieuse que réellement importante, et, loin de pouvoir fournir un caractère d'ordre ou de famille, ellene peut même avoir toujours une valeur générique. Elle est, en effet, sans influence sur les habitudes des oiseaux qui les présentent , au moins sur celles d’une partie d'entre eux , par exem- ple , des toucans ; ce que j'ai constaté soit par l’obser- vation d’un toucan vivant, soit par la comparaison des divers âges des toucans et des aracaris qui par- viennent presque jusqu'à I état adulte, ainsi que je m'en suis assuré, avant que leur bec présente aucune trace de dentelures. Le défaut d'importance de ces dentelures , comme caractères génériques, est d’ail- leurs établi positivement par l'existence de quelques | genres évidemment très-naturels, et comprenant ce- pendant des espèces à bec en scie et d’autres à bec non dentelé. _ Au contraire, le nombre des dentelures est quel- quefois déterminé. Il en existe alors une ou deux au plus de chaque côté, soit à la mandibule supérieure seulement, soit aux deux mandibules : dans ce der- nier cas, celles de la mandibule inférieure sont tou- jours moins marquées. L'une et l'autre de ces modifi- cations s’observent chez les oiseaux de proie dits nobles, où les dentelures ont depuis longtemps fixé l'attention, et portent spécialement le nom de dents. Ces dents étant , dans ce groupe ornithologique „En nombre rigoureusement déterminé et toujours très- fortes , Jeur utilité étant d’ ailleurs i ici très-réelle, leur SUR LES CARACTÈRES ORNITHOLOGIQUES. 453 existence et leurs modifications doivent être plus im- portantes que celles des dentelures en nombre indé- terminé dont nous venons de parler, et fournir de bons caractères pour la détermination des genres. C’est en effet, malgré l'opinion contraire de quelques auteurs, ce que confirment des observations faites il y a quelques années par un savant ornithologiste, M. de la Fresnaye, et ce que d’autres qui me sont propres achèvent de mettre hors de doute. D'uné part, en effet, M. de la Fresnaye a établi ce fait , déjà indiqué par Nauman (1), que le gerfaut a natu- rellement le bec denté comme les faucons, et que l'erreur généralement admise à son égard vient de l'habitude qu’ont les fauconniers de limer les dents du bec de ce redoutable oiseau. Il suit de là que exis- tence des dentelures mandibulaires est un caractère plus général qu'on ne l'avait cru, et qu'il appartient sans aucune exception à tous les oiseaux de proie no- bles. D'un autre côté, je suis maintenant en mesure de prouver que le nombre même de ces dentelures est loin d'être sans importance, J'ai en eflet constaté, par la comparaison de toutes les espèces d'oiseaux de proie nobles, que celles qui ont le bec unidenté, présentent seules le système alaire que Cuvier; M, Temminck et les autres ornithologistes attribuent au groupe tout entier : celles qui ont le bec bidenté, ont au con- a Histoire naturelle des oiseaux d’ Allemagne, t. I 3 aaa i i 2 Ré dd ; r n ééente sp i i E = Te ji iise ai F + P: Se nié E + pins Š à PAU RS bai n ` 454 __. GONSIDÉRATIONS traire les organes du vol établis sur un type, non- seulement différent, mais même presque directement inverse. 2 s Existence d'échancrures sur les bords des. mandibules. Elles peuvent être, comme les dente- lures, en nombre indéterminé ou en nombre dé- terminé. Je ne m'arrêterai pas sur les échancrures en nombre indéterminé, qui coexistent nécessairement avec une série de dentelures, et sur lesquelles je n’ai rien à ajouter à ce qui a été dit plus haut. Lorsque les échancrures sont en nombre déterminé, on n'en compte généralement qu'une ou deux au plus de chaque côté; encore ce dernier nombre ne se trou- ve-t-il que parmi les oiseaux de proie bidentés. Il peut exister des échancrures à la mandibule inférieure, et il en existe même dans un très-grand nombre de pas- sereaux , quoique aucun auteur n’en ait fait mention : mais il est beaucoup plus commun encore d'en obser- ver à la mandibule supérieure, et tellement, que le nombre des oiseaux à bec non échancré surpasse à peine le nombre des oiseaux à bec échaneré. L'extrême fréquence de ce dernier caractère dans la série ornithologique est pour nous un premier mo- tif de chercher à apprécier sa valeur avec toute l'exac- titude possible ; nous en trouvons un second dans la haute importance qui lui a été attribuée par presque _tous les zoologistes modernes, et spécialement par Cuvier. On sait, en effet, que dans la méthode orni- thologique que ce grand naturaliste a établie dans Île SUR LES CARACTÈRES ORNITHOLOGIQUES. 455 Règne animal, et qui depuis a été si généralement adoptée , le groupe: des passereaux , qui comprend à lui seul plus de la moitié des oiseaux connus , est divisé en cinq grandes sections Ou Sous-ordres, dé- nommés et rangés ainsi qu il suit : D cosirer i ES issirostres , conirostres , ténuirostres et syndac- tyles. De ces cinq sous-ordres, le premier, qui est de beaucoup le plus étendu , a précisément pour carac- tère général l'existence d’une échancrure de chaque côté de la pointe du bec : caractère auquel se trou- vent par conséquent subordonnées toutes les modifi- | cations que peuvent présenter, parmi les dentirostres, les pieds, les ailes , les organes des sens et le bec lui- même , considéré dans sa conformation générale. Or, ce caractère a-t-il en effet la haute importance qui bi a été attribuée ? Malgré l'autorité de l'illustre auteur du Règne animal, je ne puis m'empêcher d'émettre une opinion contraire, basée, comme on va le voir , sur un grand nombre de faits déjà établis dans la science et d observations nouvelles ; observa- tions qui m’ ont conduit à ce résultat, qu ’il est des familles où les caractères des échancrures mandibu- laires sont même absolument sans valeur. Pour traiter ici la. question d'une manière com- plète , j'aurais à examiner : 1° si le caractère des échancrures mandibulaires est en effet d’une impor- tance supérieure à celle de tous les autres caractères : en d’autres termes, s'il doit être subordonné à ceux- ĉi, ou si ceux-ci doivent lui être subordonnés ; 2° si | pal H E i. | 1 | 1 2 & >» | f | 456 CONSIDÉRATIONS : ce caractère ne réunit pas des êtres très-éloignés par leurs rapports naturels ; 3° si, enfin, il n’éloigne pas les uns des autres des êtres liés intimement par len- semble de leur organisation. Mais, obligé de me renfermer dans les limites d’un simple mémoire, ` je me bornérai à traiter avec quelque détail ce dernier point, parce que je crois pouvoir en don- ner une solution tellement complète, qu'elle em- brassera véritablement celle de toutes les parties de la question. > Ainsi, pour rappeler d'abord quelques faits déjà établis dans la science, il y a plusieurs exemples d'oiseaux liés intimement par l’ensemble de leur organisation, et qui cependant se trouvent , selon la classification du Règne animal » Séparés par d’im- menses intervalles , parce que les uns ont le bec échancré , d'autres non échancré. L'exemple le plus remarquable que je puisse citer, est celui des chocards et des craves, entre lesquels se trouvent intercalés jusqu’à soixante-six genres, c’est-à-dire un cinquième de tous les genres composant la série ornithologique. Les craves et les chocards sont cependant des oi- seaux tellement voisins, qu'ils offrent exactement , sauf quelques différences dans la conformation de leur bec, tous les mêmes caractères génériques (1); ils sont de même taille et de même couleur, et ont (G) Plusieurs ornithologistes, M, Temminck entre autres, les ont même réunis génériquement. | a- SUR LES CARACTÈRES ORNITHOLOGIQUES. 457 exactement les mêmes habitudes; au point que le crave et le chocard d'Europe vivent dans les mêmes lieux, et se voient fréquemment par troupes compo- sées à la fois d'individus des deux espèces. | Cet exemple, auquel je pourrais ajouter quelques autres faits analogues, rend, ce me semble, aussi évidente que possible cette proposition, importante, dans l’état présent de la science, pour la classifica- tion ornithologique : deux genres , très-Voisins par l'ensemble de leurs rapports naturels, peuvent différer cependant par le bec échancré dans l'un, non échancré dans l'autre. Mais il y a plus en- core : des Lu très-naturels Peuvent présenter des espèces à bec échancré, d'autres à bec non échancré » et qui par conséquent , Si lon voulait suivre rigoureusement la lettre des classifications au lieu de se pénétrer de leur esprit, appartien- draient, quoique évidemment re a deux sous-ordres différents. Je citerai en premier lieu, comme exemple, le genre Mainate, d’après Giver lui-même, qui, dans la seconde édition de son Règne animal (1), et avec la bonne foi d'un homme voulant avant tout la yé- rité, a signalé cette exception aux données générales de sa classification. i (1) Tome I, p. 377. « iien ne doit être plus désespérant pour les » méthodistes, ajoute Cuvier, que cette différence de bec dans des » oiseaux si semblables. » 458 | CONSIDÉRATIONS Il est vrai que cette exception, alors unique et pré- sentée par un genre aussi singulier et aussi anomal à tous égards que celui des Maïnates, devait peu ébran- ler la conviction de notre illustre zoologiste sur lex- cellence d’une classification d'ailleurs conforme à tant d'égards à l'ordre naturel. Mais il wen est plus de même aujourd'hui. Bien loin que le fait présenté par le genre Mainate soit une exception unique, il se trouve en parfaite harmonie avec les résultats de mes obser- vations sur les geures les plus voisins, c’est-à-dire sur les Corvus et Paradisæa de Linné. T ai retrouvé en effet des échancrures mandibulaires , assez peu mar- quées , il est vrai, chez un grand An d'oiseaux de ces groupes où elles n’avaient point été signa- lées, tels que le paradis sifilet, plusieurs corbeaux pr oprement dits, un grand FRA de pies et de geais. Dans ce dernier genre, qui me parait sur- tout lier intimement les Corvus de Linné aux La- nius Gi les échancrüres sont même presque con- stantes. Voici donc un groupe ornithologique tout entier dans lequel les échancrures mandibulaires dis- paraissent d’une espèce, peut-être, même d’un indi- vidu à l’autre, et peuvent tout au plus fournir des caractères de dernière valeur. (1) Je crois avoir démontré de la manière la plus positive, dans le premier fascicule de mes Études zoulogiques , que le groupe des Lanius et celui des Corvus Sont liés entre eux si intimement qu'on peut à peine les séparer avec quelque précision. SUR LES CARACTÈRES ORNITHOLOGIQUES. 459 Jai retrouvé aussi un fait analogue dans un autre groupe placé par Cuvier, comme celui des Corvus , dans le sous-ordre des conirostres. Je veux parler des mésanges, dont une espèce nra présenté, du moins dans quelques individus, une échancrure assez dis- tincte. Cette espèce est la mésange de Nanquin, De tous ces faits, je crois pouvoir déduire ces ré- sultats : que les caractères tirés de la présence ou de l'absence des échancrures mandibulaires n'ont pas, à beaucoup près, toute l'importance qui leur a été at- tribuée ; et que peut-être, dans quelques genres, ils n’ont pas même une valeur spécifique. Du reste, je suis loin de prétendre que dans d'au- tres groupes , ces caractères ne puissent être employés avec le plus grand avantage pour la distinction et la détermination des genres, ainsi que la fait si souvent et si habilement l'illustre auteur du Règne animal. L'observation a en effet dès longtemps appris aux naturalistes que des caractères, constants et vraiment essentiels pour certaines familles, deviennent dans d’autres des modifications organiques dépourvues de toute influence, fugitives presque d'une espèce à l'au- tre, et ne pouvant plus servir de base à aucune con- sidération. 7 J'ai à peine besoin de dire, en terminant ce para- graphe, que les observations nouvelles, dont je viens de présenter le résumé, ont pour conséquence la né- cessité de soumettre à une révision la méthode orni- thologique la plus généralement adoptée, et de lui 460 CONSIDÉRATIONS faire subir de graves modifications en ce qui concerne la classification des passereaux. Nous verrons bientôt que d’autres faits tendent également à démontrer la nécessité de modifier la méthode de Cuvier, mais non, comme l'ont pensé quelques auteurs guidés par des considérations d'un autre ordre, celle de la reje- ter ou de la renouveler presque entièrement. Malgré les imperfections que je viens d’être obligé de signa- ler, malgré celles que Charles Bonaparte a notées de son côté (1), et que pourront aussi relever d’autres zoologistes, là méthode ornithologique du Règne animal n’en est pas moins celle qui exprime le mieux les rapports et l’enchainement naturel des familles. Les progrès futurs de la science exigeront seulement que l'on cherche à faire pour Cuvier ce que Cuvier a lui-même fait pour Linné, c’est-à-dire à conserver, en perfectionnant, s'il se peut, les détails, l'ensemble d'un édifice fondé sur une appréciation savante des affinités des êtres et sur une connaissance approfon- die de leur organisation (2). (1) Voyez l'ouvrage que ce célèbre ornithologiste a publié sous le titre d'Osservazioni sulla seconda edizione del regno animale. (2) Voyez, dans la première partie de cetouvrage, p. 135 et suiv., les remarques que j'ai présentées sur l'ensemble de la classification de ` Cuvier. | : | SUR LES CARACTÈRES ORNITHOIOGIQUES. 461 IL. DES CARACTÈRES FOURNIS PAR LES ORGANES DES SENS ET PAR LES TÉGUMENTS. Je passerai rapidement sur tous ces caractères, n'ayant que peu de remarques nouvelles à présenter à leur égard. | Organes du goût. J'ai signalé dans un autre travail (1) les rapports généraux qui existent entre la conformation de la langue et celle de | lappa- reil dentaire. Ces rapports se retrouvent chez les oi- ` seaux eux-mêmes, malgré les conditions toutes spé- ciales des parties qui chez eux représentent les dents. Il n’est en effet aucune modification , réellement 1m- portante, de la langue, qui ne coïncide avec une mo- dification remarquable du bec , et qui par conséquent n’appartienne en propre à une famille ou à un genre particulier. Il me suffit de citer comme exemples les perroquets, les pics, les toucans, les mot-mots et les phénicoptères, tous également caractérisés et par les conditions de leur langue et par celles de leur bec. Organes de lodorat. La forme des narines, leur situation , leur disposition , peuvent presque égale- ment fournir de bons caractères. , pe (1) Considérations générales sur les mammiféres , p. 142 et 143. 462 CONSIDÉRATIONS Quant à la forme , les narines peuvent être rondes, ovales, ou linéaires. En comparant entre eux, sous ce rapport, un très-grand nombre d'oiseaux , On voit que, dans le même genre naturel, les narines peuvent être rondes ou ovales, ovales ou linéaires. Mais jai constamment trouvé que les genres composés à la fois d'espèces à narines rondes et d’autres à narines li- néaires , C'est-à-dire présentant les formes diamétra- lement opposées, étaient établis artificiellement, et devaient être subdivisés. Les différences de situation et de disposition des narines fournissent , lorsqu'elles sont bien tranchées, de bons caractères fort anciennement employés dans la science. Aussi me bornerai-je à insister sur ceux par lesquels Linné et les anciens auteurs ont ca- ractérisé d’une manière très-heureuse le groupe des Corvus ; groupe très-naturel que MM. de Blainville et Temminck ont cependant presque seuls conservé dans les nouvelles classifications. Organes de la vue. Le volume du globe soulie est le SR caractère dont on fasse un emploi utile dans l’état présent de la science, et je wai rien à ajou- ter à son égard. La disposition des paupières et la forme de la pupille ne me sont point encore connues dans un assez grand nombre d'oiseaux pour que je puisse donner à leur sujet aucun résultat général. Organes de l'ouïe. Ce n’est guère qu'à la classifi- cation des oiseaux de proie nocturnes qu'il est pos- sible d'appliquer quelques caractères déduits de la SUR LES CARACTÈRES ORNITHOLOGIQUES. 463 considération des organes de louïe : mais au moins ces caractères ont-ils dans cette famille une très- rs valeur, et j'aurais ici à insister sur eux, si je n'avais déjà, dans un autre travail, appelé l'attention des ornithologistes sur les modifications très-importantes que présentent la conque auditive et le disque (x). Téguments. Je ne crois pas nécessaire de démon- trer ici, tant ce principe me paraît évident , que des genres ne peuvent être caractérisés par le seul dé- veloppement soit de quelques parties du plumage , : soit de quelques parties de la peau. Une mul- ttude de divisions génériques ont cependant été proposées à diverses époques d’après de telles modi- fications des téguments , et plusieurs ont été admises universellement: Sans insister sur le défaut d'impor- tance de tous ces caractères déduits de l'existence de panaches , de huppes, de caroncules, ne suflit-il pas de remarquer que la caractéristique des genres établis sur de telles bases ne saurait même, dans la plupart des cas, convenir à une espèce entière, les femelles étant nthetiment dépourvues , aussi bien que les jeunes mäles, de tous ces ornements accessoires ? Les caractères déduits, à l'égard des oiseaux de proie nocturnes , de l'existence ou de l'absence des Re n’ont réellement pas plus d'importance, quoiqu'on leur ait quelquefois subordonné toutes (1) Voyez Remarques sur les caractéres et la classification des oiseaux de proie nocturnes, dans les Annales des sciences naturelles ; t; XXI, 464 CONSIDÉRATIONS les modifications que présente dans cette famille re- marquable r ensemble de l'organisation. Les faits pro- noncent ici de la manière la plus positive : non-seu- lement des espèces à aigrettes ont les rapports les plus intimes avec les espèces sans aigrettes ; mais, chez la chouette commune, on voit même les aigrettes manquer chez la femelle et exister chez le måle. Ce dernier se trouve ainsi , d'après les définitions des au- teurs, appartenir, non pas al genre dont son espèce est le type, mais tout au contraire au genre Duc, dans lequel il a en effet été souvent placé. La disposition plus ou moins emplumée des pattes, et l'arrangement des écailles qui les recouvrent dans la portion nue , ont plus d'importance que les modi- fications qui précèdent ; mais elles sont loin d’avoir toute la valeur qui leur est attribuée, au moins à I égard des oiseaux de proie. Chez les rapaces nocturnes même, mais chez eux seulement, des oiseaux telles ment voisins par l ensemble de leur organisation qu'on pourrait presque les ranger dans la même espèce, ont présenté les plus grandes différences relativement à l’état emplumé ou non emplumé de leurs doigts ou de leurs tarses. Ces. oiseaux ont été, pour ce seul mo- tif, séparés en des genres où sous-genres distincts , dont l’un, caractérisé par des nudités moins étendues, se trouve comprendre les variétés venant du nord, et l'autre, distinct par le caractère inverse, les variétés des pays chauds. Je citerai comme exemples la chevêche Tengman, lachevéchecommune, etlachevéchehrame, SUR LES CARAGTÈRES ORNITHOLOGIQUES. 465 toutes trois semblables par l'ensemble de leur orga- nisation , ayant la même taille , présentant les mêmes couleurs, et paraissant n'être que de légères mo- difications d’un type commun, produites sous Pin- fluence de climats différents. En effet, la chevêche Tengmaln, qui vient du nord de l'Europe, est cou- verte, comme tous les animaux des pays froids, de plumes très-molles et trè »s-abondantes , ct est fourrée, si je puis m'exprimer ainsi, jusqu'aux ongles ; la che- vêche commune , qui habite l'Europe tempérée , a le plumage moins épais et les doigts couverts seulement de poils et de plumes rudimentaires très-clair-semés ; enfin la chevêche brame, qui vient de l'Inde, à les tarses en grande partie nus. De là, la répartition de ces trois oiseaux dans trois petits sous-genres aux- quels on ne pourrait d'ailleurs assigner aucun autre caractère. DÉS CARACTÈRES FOURNIS PAR LES AILES. En laissant de-côté deux ou trois genres sur lesquels les anomalies multipliées de leur organisation ‘ont appelé l'attention des zoologistes de tous les temps, les ailes ne présentent guère que deux genres de ya- riations ; savoir, des variations de longueur, et des variations de disposition. Tous les ornithologistes ont reconnu que limpor- tance des premières est proportionnelle à leur éten- due ; et ils n’ont ds D D dans la caractérise ZOOLOGIE GÉNÉRALE 30 i DEE. ey net iea iA a 2 wosa à 466 CONSIDÉRATIONS _ tique des genres , de mentionner la longueur relative des ailes. Les caractères, que fournissent la disposi- tion et la proportion des pennes, n’ont fixé l'attention que plus récemment : on peut dire cependant que leur importance générique est aujourd’hui assez uni- versellement reconnue, et les ornithologistes les plus distingués de notre époque ne manquent jamais, lorsqu'ils donnent la définition d'un genre, d'y faire entrer l'indication de l'arrangement que présentent chez lui les pennes alaïres, Malheureusement cette indication n’a pas toujours été donnée avec l'exacti- tude désirable ; ou plutôt, on peut le dire au moins des travaux d’un très-grand nombre d'auteurs, elle ne ľa été, dans la plupart des familles, que comme “une considération entièrement accessoire, et à la- quelle on n'avait le plus souvent même aucun égard. Aussi une grande partie des genres établis dans la science comprennent des espèces à ailes établies sur un type, non pas seulement très-diflérent , mais même directement inverse de celui qu'indiquent pour eux les auteurs, d’où il suit que leur caractéristique est devenue extrêmement inexacte. Les nombreuses erreurs de ce genre, que je pour- rais signaler dans presque toutes les familles, tiennent à deux causes. L'une d'elles est que les ornithologistes, lorsqu'ils ont à classer des oiseaux nouveaux , se déci- dent trop souvent , d’après quelques rapports géné- raux de conformation, quelquefois même d’après le facies, tandis qu'une espèce ne devrait jamais être SUR LES CARACTÈRES ORNITHOLOGIQUES. 467 rapportée à un genre, sans que l’on eût constaté, par une analyse rigoureuse , qu’elle en présente en effet tous les caractères. D'un autre côté, les principales variations de l'aile des oiseaux n’ont peut-être jamais été embrassées, par les ornithologistes proprement dits, sous un point de vue général, et rapportées, comme il importe de le faire, à leurs types princi- paux. J’essaierai ici de remplir cette lacune. Lorsque l’on compare entre elles les ailes d'un grand nombre d'oiseaux, on voit qu'elles peuvent présenter une foule de modifications, la plus longue penne pouvant être soit la première ou la seconde, soit la troisième ou la quatrième, soit même la cin- quième. Mais, au milieu de toutes ces différences, il est facile de reconnaître deux formes principales, deux types remarquables dont les conditions peu- vent être exprimées par les noms d'aile aiguë et d'aile obtuse. Tantôt, en effet, les premières pennes sont les plus longues de toutes ; d'où il suit que l'aile, lors- qu’elle est étendue, se termine par un angle très-aigu. Chez un très-grand nombre d’autres oiseaux , au con- traire , les pennes antérieures , et surtout la première, étant très-courtes, ce sont -a pennes du miliéu de Faile qui sont les plus longues, et Faile est alors comme tronquée; elle se termine par un angle plus où moins obtus. Ainsi, dans le premier cas, il y a décroissement depuis les premières pénnes jusqu’à celles du milieu de l'aile : dans le second y il ya accroissement. Chez le plus grand nombre des oiseaux à ailes ái- HR AE ART Slim, I GES 2 on AN EEE Ea AS “ès Ring gene aa ee Émis m Ê - = NE non E BÉ ieai a e a a 2 ro SANT 468 | CONSIDÉRATIONS guës, la seconde penne est la plus longue de toutes, et par conséquent surpasse la première et la troisième, égales entre elles ou à peu près égales : c'est ce que Yon voit, par exemple, dans la plupart des oiseaux de proie nobles. Mais deux modifications peuvent se présenter : l’une , assez rare, consiste dans lallonge- ment de la première penne qui égale ou surpasse la seconde ; d’où résulte une véritable exagération du caractère de l'aile aiguë ordinaire ; c'est ce qui a lieu, parexemple, chez les hirondelles , où l'aile peut être dite sur-aiguë. Il est beaucoup plus commun, au con- traire , de voir la troisième penne s'allonger à l'égal de la seconde , comme chez les vautours, où l'aile par conséquent ne sera plus que sub-aiguë. L’aile obtuse présente également deux modifica- tions sur lesquelles il importe de fixer notre attention. Dans le plus grand nombre des oiseaux qui présentent ce type, la quatrième penne est la plus longue de toutes; ce qui constitue pour nous l'aile obtuse pro- prement dite. Mais il est aussi des espèces où la cin- quième penne égale ou surpasse la quatrième, ce qui rend l'aile plus obtuse encore que dans les précédents, ou sur-obtuse. Dans d’autres oiseaux, au contraire, et même chez un très-grand nombre d'espèces , c'est la troisième qui devient égale ou supérieure à la qua- trième ; ce qui rend Vaile sub-obtuse. Les variations de l'aile peuvent donc être rappor- tées à deux groupes principaux subdivisibles de Ja manière suivante : Se SUR LES CARÂCTÈRES ORNITHOLOGIQUES. 469 EXEMPLES : - 1 Aile suraigné.. - . Les vrais langrayeñs, les vrais étourneaux, les colibris, les vraies hirondelles, Les sternes, | les frégates. o. Aile aiguë... . . . Les vrais faucons, les balbuzards. 3. Aile sub-aiguë . . . Le gypaète, plusieurs autres oiseaux de proie, Mi et un grand nombre de passereaux. 4. Aile sub-obtuse. . . Les brèves, les vrais kakatoës. 5. Aile obtusé. . . . . Les aigles, et la plupart des oiseaux de proie è ditsignobles;un grandnombrede gallinacés. 6. Aile sur-obtuse. . + Les geais , les coqs-de-roche, la lyre , les tou- 5 ; racos, et un grand nombre de gallinacés (1). Il est à peine besoin de remarquer que ces six formes sont, dans ce tableau synoptique, classées . dans un ordre tel, que chacune d'elles diffère peu, soit de celle qui la précède , soit de celle qui la suit, et fait le passage de l’une à l’autre. Les formes ex. trêmes diffèrent au contraire considérablement , puis- qu’elles ne sont pas seulement diverses, mais inverses. Aussi pourrait-on établir & priori que la différence d’une forme à celle qui la suit immédiatement ne suffit pas pour produire une différence notable dans le vol, tandis qu’il en est tout autrement, si l'on compare entre elles deux formes placées, dans notre tableau synoptique , à quelque distance l'une de Pau- tre. C’est en effet ce qui résulte des belles observa- tions d'Huber de Genève sur les oiseaux employés mire u) Voyez les planches IT et HI. 470 GONSIDÉRATIONS en fauconnerie, et des distinctions établies, par ce célèbre naturaliste, entre les rameurs ou espèces de haut vol, qui ont les ailes aiguës, et les voiliers ou espèces de bas vol, qui les ont obtuses. IL est également facile de prévoir à priori que dans le même genre pourront se présenter de légères va- riations dans la conformation des ailes, mais jamais des différences assez importantes pour modifier le vol d’une manière bien sensible. C’est encore ce que l'ob- servation confirme et démontre. La révision à laquelle j'ai soumis, pour éclairer ce point important de lor- nithologie, une multitude de genres de divers ordres, et notamment tous les oiseaux de proie, m'a fourni précisément les résultats que j'en attendais, et m'a même permis d'en donner l'expression la plus précise par les propositions suivantes. Deux formes voisines peuvent se trouver réunies dans les mêmes genres; encore n’en est-il pas ainsi dans les genres qui, de l’aveu de tous les ornitholo- gistes, sont éminemment naturels. Il n’est au contraire aucun genre basé sur une res- semblance évidente de l'ensemble de l’organisation, aucun genre vraiment naturel, où lon observe à la fois des formes d'ailes assez différentes pour n'être pas placées immédiatement à la suite l'une de l’autre. Ainsi des espèces à ailes aiguës sont quelquefois congénères d'espèces à ailes soit sur-aiguës, soit sub- aiguës, mais jamais d'espèces à ailes obtuses, et réci- proquement. De même, des espèces à ailes sub-abtuses SUR LES CARACTÈRES ORANITHOLOGIQUES. 471 sont congénères d'espèces à ailes soit sub-aiguës , soit obtuses, mais jamais d’espèces à aïles soit sur-obtuses, soit agua ou sur-aiguës. Ce west pas que, dans plusieurs genres ornitholo- giques, tels qu’ils ont été établis par les auteurs, on ne trouve assez fréquemment réunies des espèces très- différentes par leur système alaire, et quelquefois même , des espèces à ailes sur-aiguës et d'autres à ailes obtuses. Mais, dans tous les cas où il en est ainsi , la nécessité de subdiviser est facile à démon- trer, même en laissant de côté les importants carac- tères que présente l'appareil du vol; car, avec ceux-ci, coïncident constamment de nombreuses modifica- tions, soit du bec et des organes des sens, soit des pieds , soit même le plus souvent _ uns et des autres à la fois. LV. DES CARACTÈRES FOURNIS PAR LES PIEDS. Les modifications des. pieds sont extrêmement nombreuses et variées dans la série ornithologique, mais presque toutes bien connues et utilisées de tout temps pour la classification. Aussi n'insisterai-je que sur un seul point, la disposition des doigts, qui ne me paraît pas encore avoir été suffisamment étudiée. Disposition des doigts. Sur les quatre doigts des oiseaux, que je désignera, selon l'usage, sous les ie CONSIDÉRATIONS noms d’interne, de médian, d'externe et de pouce, il en est deux, l'externe et le médian, dont l'existence cst constante ; deux, l’ interne et le pouce; qui peu- vent manquer, soit ensemble, ce qui n'a lieu que chez l’autruche, soit séparément. L’interne, lorsqu'il existe, et le médian sont con- stamment , l’externe le plus souvent, et le pouce très- rarement , dirigés en avant. Toutefois les martinets ne sont pas les seuls , comme on Pa dit si souvent, qui présentent ce dernier caractère, le pouce état chez la plupart des pelecanus de Linné, aussi bien que chez ces passereaux, dirigé, sinon compléte- ment en avant, au moins en dedans. Le pouce est constamment distinct des autres doigts dans la presque totalité de sa longueur. Il en est dè même du doigt interne, si l’on excepte les jacamars, mais non du médian et surtout de l’externe, dont les conditions, très-variables, et pouvant fournir de nombreux et excellents caractères, doivent être étu- diées avec soin. Ce dernier doigt peut présenter quatre dispositions, dont l’une, très-remarquable en ce qu'elle fait le pas- _ sage de la première aux deux dernières, a compléte- ment échappé à la plupart des ornithologistes, et n’a été indiquée que très-légèrement par les autres. La plus commune, et l'on pourrait dire la plus régulière de ces dispositions, est celle où le doigt externe, bien distinct dans la presque totalité de sa longueur, est dirigé en avant comme l’interne, et sensiblement SUR LES CARACTÈRES ORNITHOLOGIQUES. 473 de même longueur que lui. Cette disposition, qui rend le pied symétrique, se rétrouve environ dans les neuf dixièmes de la série ornithologique (1). Le cas le plus rare de tous est, au contraire , celui où le doigt externe, conservant la même disposition générale, devient beaucoup plus long que l’interne ; caractère que j'ai trouvé chez les picucules et dans tous les genres qui se trouvent liés avec eux par des rapports vraiment intimes. (1) Le pied est de mêmé symétrique chez quelques oiseaux tridac- tyles, et chez plusieurs de ceux qui ont deux doigts en avant et deux en arrière. On peut donc dire que l'immense majorité des oiseaux a Le. pied symétrique et régulier, et que la forme asymétrique, irrégulière , que présente le pied dans quelques autres, est exceptionnelle , et con- stitue en quelque sorte une déviation du type essentiellement normal. Cette remarque peut être rendue beaucoup plus générale. Par exemple, en passant en revue la série des mammifères , on trouvera que les huit dixièmes environ de ces animaux sont établis sur l'un des types suivants , types tous également réguliers et symétriques : 1° cinq doigts dont le médian est le plus long , le second et le quatrième plus courts, les deux extrêmes plus courts encore ; 2° quatre doigts, dont les deux médians plus longs, les deux extrêmes plus courts; 3° trois doigts, dont le médian plus long, les deux latéraux plus courts ; 4o deux doigts égaux; 5° un seul doigt symétrique : d'où il suit que l'extrémité du membre peut presque toujours être divisée par un axe longitudinal en deux moitiés analogues - entre elles. Ce fait général, qui n’a point encore été établi, est un des nombreux exemples par lesquels je crois pouvoir démontrer de la ma- nière la plus complète ce que jai nommé ailleurs la Zoi de parité, et établir qu'une tendance très-marquée à la symétrie se manifeste éga- lement dans toute la série zoologique ( même parmi les êtres regardés ! comme les plus asymétriques), soit à l'égard des animaux eux-mêmes, soit à l'égard de leurs organes. Voyez, à ce sujet, mon Histoire génc- rale des anomalies, t; L, p. 459 et 46o. . 474 CONSIDÉRATIONS Enfin on voit chez d’autres oiseaux le doigt externe, tout en conservant Ja même conformation générale et les mêmes proportions que chez les picucules , pré- senter deux dispositions très-différentes l'une de l’au- tre, C'est-à-dire se diriger en arrière, comme chez les perroquets et les pics, ou bien se souder dans une grande partie de sa longueur avec le doigt médian. De ces deux Hspasipions , la première a valu aux oi- seaux qui la présentent le nom de Zygodactyles , la seconde le nom de Syndactyles. La modification qui caractérise les zygodactyles, a-t-elle une importance de beaucoup supérieure à celle qui caractérise les syndactyles? En d’autres termes, les faits confirment-ils l'opinion d'un grand nombre d'auteurs, et de Cuvier lui-même, qui éta- blissent pour les zygodactyles un ordre à part , et qui ne font des syndactyles qu’une simple division de l'ordre des passereaux; division qu’ils placent sur le même rang que le groupe des ténuirostres ou celui des fissirostres ? Je ne puis ici démontrer, comme je crois avoir réussi à le faire dans le cours d’ornitholo- gie du Muséum (en plaçant à la fois un grand nombre d'oiseaux sous les yeux de mes auditeurs), que le groupe des zygodactyles et celui des syndactyles for- ment deux séries parallèles, presque entièrement composées de genres réciproquement analogues (1). on (1) Cette proposition n'est point du tout , comme elle peut le paraître au premier aspect, en contradiction avec ce que je dis plus bas de la SUR LES CARACTÈRES ORNITHOLOGIQUES. 475 Mais je crois du moins pouvoir établir que ces deux groupes sont égaux entre eux en importance , et doi- nécessité de placer les zygodactyles à la tête des passereaux. Les diverses espèces d’un genre, les divers genres d'une famille, les diverses familles d’un ordre, et de même encore les divers ordres d’une classe (et il en serait encore ainsi des groupes d'un rang plus élevé), forment presque constamment , d'après des recherches que j'ai déja pu étendre à quatre classes zoologiques (les trois premières des vertébrés et les crustacés), des séries manifestement parallèles à celles qui les précédent et à celles qui les suivent, comprenant des êtres fort analogues à ceux que renferment celles-ci , mais étant cependant dans leur ensemble inférieures aux pre- mières, supérieures aux secondes. La série supérieure et l'inférieure ont, en effet , si je puis employer cette expression à la langue des mathé- maticiens , beaucoup de termes communs. Mais les premiers termes de la série supérieure n'ont point d'équivalents dans l'inférieure, et les der- niers de l'inférieure sont également sans analogues dans la supérieure. Ainsi (et peut-être ces idées un peu abstraites paraîtront-elles moins obscures, exprimées sous cette forme), si la première série est représen- tée par les lettres &, b, c, d, e (la lettre a indiquant les êtres les plus élevés en organisation, et e, ceux qui sont placés le plus bas dans l'échelle animale), la seconde le sera par b, c, d, e, f, la troisième par c,d, e, f, g, et ainsi de suite. El est évident que ce seront la autant de séries, se composant en partie de termes communs et pouvant être dites parallèles, mais auxquelles on peut cependant assigner des rangs inégaux, puisque chacune d'elles s'élève moins haut et descend plus bas que celle qui la précède. : za Ces idées, que je ne puis indiquer ici que d'une manière sommaire et par cela même obscure, ont été ailleurs, non-seulement exposées ayec plus de soin , mais appliquées jusque dans leurs derniéres conséquences, en sorte qu'il est aujourd'hui facile à chacun de les apprécier à leur juste valeur, pour peu qu’il veuille bien faire une étude attentive dé tous les éléments de la question. En effet, la classification des monstruosités unitaires et composées que j'ai donnée dans les tomes IT et ILI de mon Histoire générale des anomalies, est essentiellement une classification parallélique , c'est-à-dire rigoureusement faite selon les vues qui vien- nent d'être indiquées. 476 j CONSIDÉRATIONS vent tenir le même rang dans la classification, la valeur de l'un d'eux, les zygodactyles, ayant été exa- gérée , et celle de l'autre, les syndactyles, appréciée au contraire beaucoup trop bas. Et d’abord, quant aux zygodactyles, le caractère qui les réunit a-t-il une grande importance? Change- t-il essentiellement en grimpeurs tous les oiseaux qui le présentent ? Non, sans doute, puisqu'un très- grand nombre de zygodactyles ne grimpent pas, mais sautent et se perchent à la manière des passereaux ordinaires, et que, d’un autre côté, un grand nombre de passereaux ordinaires grimpent tout aussi bien que les perroquets et les pics. | . Ce caractère est-il au moins bien tranché ? Les oi- seaux qui le présentent diffèrent-ils beaucoup de ceux qui ne le présentent pas? C’est encore ce qui n’a pas lieu. J'ai déjà fait remarquer, en effet, que les picu- cules, si voisins des pics par l’ensemble de leur or- ganisation , leur ressemblent encore par la conforma- tion générale du doigt externe lui-même qui fournit le caractère différentiel. Tout le monde sait d’ailleurs que, dans plusieurs genres, le doigt externe peut à la volonté de l'oiseau se porter en avant ou en arrière : et cela a lieu , non pas seulement chez les touracos et les musophages, dont les rapports naturels sont si incertains, mais aussi chez plusieurs oiseaux de proie nocturnes. Ajoutons enfin qu'il y a sans aucun doute, entre les perroquets et les zygodactyles ordinaires , beaucoup plus de différences essentielles qu'entre SUR LES CARACTÈRES ORNITHOLOGIQUES. 47} ceux-ci et le reste des passereaux , ainsi que l'ont éta- bli déjà M. de Blainville et plusieurs autres z00- logistes distingués. ; wei Il est donc bien évident que la rétroversion du doigt externe est loin d’avoir toute l'importance qu’on lui a attribuée; qu’elle n'indique, entre les êtres chez lesquels on l'observe, ni une conformité générale d'organisation, ni une analogie de mœurs et d'habi- tudes. Par conséquent, elle ne peut en aucune fa- con caractériser un ordre. La valeur que l'on a attribuée au groupe des syn- dactyles, n'est-elle pas au contraire trop faible? Ne surpasse-t-elle en rien celle des autres divisions établies _ parmi les passereaux , © est-à-dire les ténuirostres, les conirostres, les fissirostres et les dentirostres ? Cette dernière question étant ainsi posée, je ne crois pas qu'il soit possible d’hésiter même un seul instant sur sa solution. Tout le monde sait que les conirostres et les ténuirostres passent les uns aux autres, notam- ment par les merops, upupa et paradisæa-de Linné; et les uns et les autres, de même que les fissirostres , n'ont jamais été distingués d’une manière précise des dentirostres que par le défaut d’échancrures au bec. O jai montré plus haut que l'absence des échancrures n’est-pas, comme on l'avait pensé, un caractère général pour les -conirostres , €t, par con- séquent, j'ai établi à l'avance l'impossibilité de cir- conscrire nettement le groupe des dentirostres , par rapport aux sous-ordres suivants, J'ai à peine besoin 478 : ` CONSIDÉRATIONS d'ajouter que les syndactyles forment; au contraire, une division bien mieux tranchée, soit que lon ait égard spécialement au caractère tiré de la disposition de leurs doigts, soit que l’on considère l’ensemble de leur organisation et de leurs habitudes. Ces considérations, et plusieurs autres que j'in- voquerais à leur appui, si je ne les croyais véritable- ment superflues, montrent dans les syndactyles un groupe d’un rang très-supérieur à celui qui leur avait été attribué, et, par suite, conduisent à proposer un autre changement dans la classification de Cuvier. La série ornithologique nous offre quelques exemples de genres remarquables en même temps par la sou- dure partielle de leurs doigts externe et médian et par leur bec échancré ; en d’autres termes, à la fois syndactyles et dentirostres. A quel groupe de tels oiseaux devront-ils être rapportés? Faudra-t-il les placer parmi les dentirostres ou les ranger parmi les syndactyles? Subordonnant implicitement le carac- tère de la soudure des doigts à celui de l'existence des échancrures mandibulaires, Cuvier et presque tous les ornithologistes, même ceux qui ont généralement suivi d’autres principes de classification, ont adopté la première opinion. Les considérations que j'ai présentées plus haut, et qui me font voir dans la soudure de deux dos un caractère supérieur en importance à l'existence de pe- tites échancrures au bec, mobligent, au contraire, d'adopter la seconde, que j'ai été assez heureux SUR LES CARACTÈRES ORNITHOLOGIQUES. 479 pour voir confirmée de la manière la plus posi- tive par la découverte de l'Eurycère (1). Ce genre remarquable lie en effet d’une manière intime, comme l'indique son nom, les buceros de Linné, ou les calaos, avec les eurylaimes, l'un de ces groupes de syndactyles à bec échancré que lon a placés parmi ` les dentirostres. Mais il y a plus encore. Les bords de la mandibule supérieure de l'Eurycère présentent une échancrure large et obtuse, qui, par sa disposition et son étendue, tient exactement le milieu entre ce qu'on observe , d’une part chez les pipra et les eury- laimus, et de l’autre , chez plusieurs espèces d'alcedo, formant aujourd’hui de petits sous-genres, entre au- tres chez le choucas et chez le dacelo macrorhinus de MM. Lesson et Garnot. Les premiers ont , en effet, des échäncrures semblables à celles de la plupart des passereaux insectivores ; encore celles des eurylaimes commencent-elles à être peu marquées et obtuses. Chez les seconds , au contraire, les bords des mandi- bules présentent de chaque côté une sinuosité pro- fonde, un enfoncement que la connaissance que nous avons maintenant de l'Eurycère, conduit à regar- der, quelque différent qu'il en paraisse au premier aspect, comme une échancrure, à la vérité modifiée d’une manière remarquable, et devenue extrême- ment obtuse. (1) C'est à M. Lesson qu'est dù l'établissement de ce genre. Voyez sa Centurie 200logique, 430 | CONSIDÉRATIONS Les applications que l’on peut faire des remarques précédentes à la classification des oiseaux, et que j'ai déjà tentées en partie, sont très-nombreuses. Dans l'impossibilité où je suis de les indiquer toutes ici (ce qui me conduirait à remanier dans son entier la clas- sification ornithologique , et m'entrainerait ainsi dans un travail pour l'exécution duquel je n'ai point en- core réuni des matériaux assez nombreux), je me bornerai à indiquer les principaux résultats que j'ai obtenus en ce qui concerne les passereaux'; résultats que je crois pouvoir présenter comme des corollaires rigoureusement déduits des faits et des remarques qui précèdent. 1° Le groupe des zygodactyles ou grimpeurs ne constitue pas un ordre distinct, et doit être réuni. aux passereaux. 2° L'ordre des passereaux se partage naturellement en trois grandes sections ou sous-ordres , caractérisés de la manière suivante :. | A. Doigt externe (1) dirigé en arrière. . . . . . Les ZYGODACTYLES. B. Doigt externe dirigé en avant et soudé. . . . Les Synnacrytes. C. Doigt externe dirigé en avant et libre... , . Les Déopacrvyzes (2). (x) Les auteurs définissent ordinairement les zygodactyles des oiseaux ayant deux doigts en avant et deux en arrière. Cette définition est a peu prés équivalente, pour la plupart des cas, à celle que je donne ici; mais elle est très-inexacte à l'égard de plusieurs genres tridactyles que l'ensemble de leurs rapports place parmi les zygodactyles. La caracté- ristique que je donne ici, est au contraire constamment applicable- (2) Je suis obligé d'employer ici un nom nouyeau, ‘qui, an reste ; ~ SUR LES CARACTÈRES ORNITHOLOGIQUES. 461 3° Ces sous-ordres, comprenant tous un grand nombre de genres, pourront être et seront utilement subdivisés en groupes secondaires; groupes qui mal- heureusement seront toujours peu distincts et mal limités. Ainsi les syndactyles pourront être partagés exprime bien le caractère du groupe auquel je l'applique, et est en par- faite analogie avec les autres termes consacrés par l'usage. Le mot déodactyle , dæodactylus, est en effet formé des mots d'éxrunos, doigt, | et daiw, je divise (doigts divisés). Il correspond donc au mot fissi- dactyle qu'un savant ornithologiste a récemment poah mais que le vice de son étymologie ne permet pas d'admettre. Cette. division des passereaux en trois groupes principaux est celle que j'ai suivie dans tous mes cours d'ornithologie, depuis la première publication de ce mémoire ( 1832), et chaque année m'a convaincu de plus en plus des avantages qu'elle offre pour l'expression des véritables rapports naturels des oiseaux. Je n'ai cessé d’ailleurs, soit rélativement aux coupes d'un ordre inférieur, soit par rapport aux groupes supé- rieuts, d'introduire dans la classification ornithologique les change- ments que me paraît réclamer son état actuel. Mais, soit en ce qui concerne lés oiseaux; soit même en ce qui concerne les mammi- fères, quoique plus avancé à leur égard, je ne regarde “point les résultats auxquels je suis parvenu ,comme vraiment satisfai- sants et comme - dignes d'être proposés à l'adoption dés autres zoolo- gistes. C'est pourquoi j'ai cru devoir, jusqu'à ce jour, au lieu de les publier dans des mémoires ex professo; me borner à les utiliser pour mon enseignement, qu ‘ils m'ont souvent permis de rendre plus simple, plus clair et plus méthodique. M. Vicror Mrumer a du reste fait connaître, par une suite d'articles insérés dans TÆcho du monde savant, la clas- sification ornithologique que j'ai adoptée dans mon cours en 1836; et c'est de même d'après l'exposition que j'en ai faite oralement, qu'elle _ a été citée dans divers traités et dictionnaires d'histoire naturelle. La classification mammalogique que je suis depuis plusieurs années a de même été publiée en tout ou en partie par divers zoologistes, et notamment par M. Guérin Ménevize, qui en a inséré une analyse succincte, mais exacte, dans le Magasin de Zoologie. | ZOOLOGIE GÉNÉRALE, 31 432 SUR LES CARACTÈRES ORNITHOLOGIQUES. en dentirostres, et non- dentirostres ; les déodactyles en dentirostres, fissirostres, conirostres et ténuiros- tres, et ces dernières subdivisions, malgré l'impossi- _bilité où l'on sera toujours de leur assigner des carac- tères bien précis , Seront néanmoins “extrêmement utiles, eh raison du nombre immense des passereaux qui appartiennent au groupe des déodactyltes. L'ordre suivant lequel.-je viens de ranger les trois divisions primaires des passereaux; me paraît prescrit par l’ensemble des rapports naturels. La pre- mière de ces trois subdivisions comprend en effet les perroquets, que la conformation générale de leur bec, la cire qui enveloppe la base de leur mandibule su- périeure ; les conditions générales de leur système nerveux, et la conformation de plusieurs parties im- portantes, lient avec les oiseaux de proie , parmi les- quels se trouvent d'ailleurs, ainsi que je Yai fait remarquer plus haut , plusieurs espèces à doigt ex- terne versatile. D’un autre côté, ceux des déodactyles qui sont le plus essentiellement granivorés, téls qué la plupart des conirostres de M. Cuvier, terminent très-heureusement, ce me semble, la grande série des passereaux , et la lient aux gallinacés, dont les alouettes prennent même , avec le régime diététique, les formes générales, le port , le système de colora- tion , ét jusqu'aux habitudes, 1 o es VS 5 SUR LES MUES CHEZ LES ANIMAUX , ET SPÉCIALEMENT SUR DES FEMELLES D'OISEAUX A PLUMAGE DE MALES. PREMIÈRE PARTIE. à REMARQUES GÉNÉRALES. L Lesanimaux sont, à certaines époques de leur vie; sujets à deux sortes de changements : les uns connus sous le nom de métamorphoses, et les autres sous celui de mues. La métamorphose, metamorphosis; ‘est, comme l'indique la composition de ce mot; le chañgement dans lequel il y a transformation, cest- à-dire où la forme nouvelle que revêt l'animal est différente de celle qu’elle remplace: La mue, muta- tio , est le changement dans lequel il n’y a pas trans- formation, c'est-à-dire dans lequel la forme primitive de animal s’est conservée. L'altération ou la persis- tance de la forme est donc ce qui distingue essentiel- lément la simple mue de la métamorphose. Les phénomènes connus sous le nom de metamor- phoses ont fixé, de- tout temps, et ne pouvaient 484 . MUES DES ANIMAUX. manquer de fixer au plus haut degré l'attention des observateurs : les physiologistes en ont fait le sujet d’un très-grand nombre de recherches. Au contraire, ils ont négligé, je dirai presque ils ont dédaigné l'étude attentive et approfondie de la mue; et les zoologistes, auxquels elle restait ainsi abandonnée presque sans partage, ne lont guère considérée que sous un point de vue tout spécial : la nécessité de dis- tinguer d’une manière nette et précise les caractères permanents et vraiment spécifiques des animaux, des caractères transitoires qu'ils présentent à certaines Tr de leur vie. Cette répartition de l'étude dela métamorphosé etde Tétude de la mue entre les physiologistes et les zoolo- gistes s'est opérée , en quelque sorte, d'elle-même et par le cours naturel des choses. L'étude de la mue paraît assez facile et assez simple; elle est relative à des organés pour la plupart extérieurs; elle est d’une ‘application immédiate à la dinit des êtres : elle ne pouvait donc être négligée par les zoologistes. L'étude des métamorphoses, j'entends leur étude véritablement rationnelle et scientifique , soulève plusieurs hautes questions ďd'organogénie ; elle est, sans nul doute, de la plus haute importance pour la zoologie; mais elle plane en quelque sorte au-dessus de ses détails, à la connaissance desquels il suffit d'appliquer quelques conséquences partielles des résultats généraux de lob- servation ; elle exige, d’ailleurs, des méthodes expé- rimentales , très-différentes de la méthode ordinaire REMARQUES GÉNÉRALES. -485 des zoologistes : sous tous les rapports , elle est donc du domaine de la physiologie.. - Ce partage était donc inévitables à mais les zoolo= gistes et les physiologistes eussent dû reconnaître que les uns, dans l'observation des phénomènes de la mue, les autres, dans celle des métamorphoses, ne faisaient, après tout, que traiter deux parties d’une seule et même question. La mue et la métamorphose , en effet, pour qui y réfléchit mürement , ne présentent entre elles aucune différence er o aucune autre différence que celle qui existe entre le plus et le-moïns. Toutes deux sont, en dernière analyse, des phénomènes de même ordre, des phénomènes produits par une même cause , c’est-à-dire par une métastase qui dépend elle- même de l'antagonisme de deux artères. Tel est, ainsi que je lai déjà indiqué ailleurs (1), le te point de vue sous lequel doivent être envisagées les ressemblances par lesquelles les mues se rapprochent des métamorphoses, et les caractères par lesquels elles - sen distinguent ; ; caractères sur lesquels il ne sera pas inutile de présenter quelques remarques. Eog L'altération de la forme primitive dans la méta- morphose, sa conservation dans la mue, sont les effets mas (1) Dictionnaire classiqrie d'Histoire naturelle, t. XE, p. 277 et suiva 486 MUES DES ANIMAUX. des trois différences générales que l'observation montre entre l’une et l’autre; et lon va voir que, dans au- cune de ces dférenble générales, il n’y a rien de con- traire à l'analogie essentielle des deux genres de phé- nomènes que nous venons de Comparer entre eux. La première différence est que , dans les métamor- phoses, la métastase se produit à l'égard d'organes d’une haute importance, tandis que, dans la mue, elle a lieu entre des organes d’une importance secon- daire. Le plus souvent même, ces derniers sont sim- plement des parties du système téguméntaire, et il est même beaucoup d'espèces chez lesquelles la mue ne s'étend pas au delà. Chez d’autres, au contraire, il y a quelque chose de plus. Ainsi la reproduction annuelle du bois , chez les ruminants à prolongements frontaux caduques, est évidemment un phénomène de mue. Le remplacement des dents de lait par celles de la seconde dentition est encore un phénomène que l'on ne peut séparer des mues proprement dites, lorsqu'on veut se placer, dans ms étude, au point de vue physiologique. Une seconde différence entre la mue et Ja méta- morphose, différence plus importante et plus ca- ractéristique que la première, est la suivante. Dans la mue, aussi bien que dans la métamorphose, il y a bien , comme il vient d’être dit, métastase d’un or- gane à un autre ; mais, dans le premier cas, le nou- i vel organe est anene analogue : à ES qu if remplace, et il y a toujours même, entre Fun et REMARQUES GÉNÉRALES. __ 487 l'autre, sinon une similitüde parfaite, du moins beau- coup de ressemblance. Ainsi un poil ou une plume est toujours remplacé par un poil ou par une plume, et la différence qui peut exister entre la couleur, les dimensions, la forme de l'un et de l’autre, wem- pêche pas qu'il ny ait entre eux, non-seulement de Y'analogie , mais même une ressemblance frappante. De même , une dent de la seconde dentition , quelque différente qu’elle puisse être de la dent de lait à la- quelle elle a succédé, a toujours avec elle beaucoup de rapports, et le cerf dont le bois a déjà quelques andouillers diffère encore peu du daguet. Au con- traire , dans la métamorphose , la métastase s'effectue, du moins le plus souvent, entre deux organes qui n’ont point d’analogie l’un avec l’autre, et entre lesquels on ne peut trouver d'autre relation que celle qui existe entre deux organes dépendant du même appareil et appartenant à la même fonction. Et même il n’est pas rigoureusement nécessaire qu'il en soit ainsi : on peut très-bien concevoir une métastase entre deux parties étrangères l'une à l'autre , même sous Ce der- nier point de vue. A | Il existe encore entre la mue et la métamorphose une troisième différence, qui n'est évidemment qu'un simple corollaire de la précédente. Les deux organes à l'égard desquels se fait la métastase ont, dans la mue, la même position, et Tun se développe à la place ou près de la place qu'occupait l'autre; en sorte que tous deux ne se ressemblent pas moins par leur ea H {IX x (4 i$ ki A à n. aSa | |} $ | Š 4: 4: ‘Eh p Re © À $ LE A : | LUS | fé En ! LE LEE © no i li HE - k ] | T X t PL Lt $ re h t DE E à LE ! | CRF di | { ! i; < Pi T ra 1 DAT 438 MUES DES ANIMAUX. position que par leur nature. Il en est tout autrement dans la métamorphose, comme le montre si bien l'exemple des batraciensanoures , chez lesquels, comme au reste chez l'embryon FER , la métastase a lieu de la queue aux membres. On ne saurait, en effet, imaginer entre deux organes une différence de posi- tion plus marquée que celle qui existe entre le pro- longement caudal, placé sur la ligne médiane et ap- partenant à la colonne vertébrale, et les membres, appendices pairs, et situés PEERI On de remarquer, d'ailleurs, que ces derniers sont appelés à remplir la même fonction que remplissait primitive- ment la queue, et qu'ils peuvent être considérés comme appartenant au même appareil, celui de la locomotion. 7 | Après ces trois différées ; que résume toutes à la fois la notion générale de la persistance de la forme primitive dans la mue et de son altération dans la métamorphose , il en est une autre encore, non moins remarquable, dans l’ordre selon lequel se succèdent les métamorphoses et les mues. Par les unes, l'être passe successivement, de la forme simple qu'il pré- sente primitivement, à une formé d’autant plus dif- férente de celle-ci, et d'autant plus complexe, qu'il est placé plus haut de la série (1). Les autres sont en- suite , pendant une portion plus ou moins longue de (1) Les êtres qui subissent les plus nombreuses et les plus remar- quables métamorphoses sont précisément, en grande ppm, ceux que REMARQUES GÉNÉRALES. 489 la vie, les seules et faibles modifications qui rappel- lent les changements si Re des premiers âges GX. 1. Les animaux ; ou , plus exactement, un très-grand nombre d'animaux, sont soumis à deux sortes de) mues : celles qui s'effectuent au passage d'une saison | à une autre, et celles qui s'effectuent au passage d'un âge à un autre. Les premières sont peu serisiblés dans quelques espèces; elles produisent dans d'autres des change- ments importants, et tendent toujours à mettre Fani- mal en plus parfaite harmonie avec les circonstances extérieures. C’est ainsi que tout le monde sait que le poil devient, en hiver, plus touffu, plus fin, plus moelleux, plus long, chez les mammifères, et d'au- tant plus qu'ils habitent une zone plus Foie: Cest les zoologistes disent exempts de-métamorphoses, parce qu'ils ne tien- nent compte que des métamorphoses postérieures à la naissance. (1) Plusieurs auteurs , inspirés par diverses doctrines philosophiques, et, par exemple , par les doctrines Panthéistiques , ont comparé l'évo- lution des animaux, celle de l'homme en particulier , à l'évolution du globe terrestre tout entier. Ils auraient pu invoquer, en témoignage de analogie qu'ils voulaient établir, le fait remarquable que je viens de rappeler. Les métamorphoses et les mues d'un être en particulier, pris à ses différents âges , eussent pu être comparées avec les révolutions du globe dans les temps anciens, et avec les modifications essen- tiellement analogues à celles-ci, mais comparativement si peu impor- tantes, qui s'accomplissent chaji Jour encore à sa surface. eme Pt ag mg En À- : me i ` n D 18 $ Ki |j F ll 490 MUES DES ANIMAUX. | encore ainsi qu'un certain nombre de mammifères et ` d'oiseaux, parmi ceux qui habitent le voisinage du cercle polaire ou les sommités des montagnes, de- viennent , pendant l'hiver, d’une couleur trés-claire ou même d’un blanc de neige (1); et ce fait est assu- | rément l’un des exemples les plus remarquables d’ har- : | monie qu'ait fait connaitre l'étude du règne animal. On sait, en effet, depuis longtemps, par l'expérience, que les vêtements blancs, plus frais que ceux de toute autre couleur pendant les chaleurs de l'été, sont, au contraire, les plus chauds pendant les temps froids ; et la physique a donné de ces faits une explication très-satisfaisante, fondée sur les résultats des célèbres expériences de Rumford et de Leslie. Les mues qui s'effectuent au passage d'un âge à l'autre ont beaucoup d'analogie avec éelles dont je viens de parler. Chez les oiseaux, par ‘exemple, le mâle, en hiver, ressemble dans beaucoup-d'espèces au jeune ; et le premier, lorsqu'il prend le plumage été, subit à peu près le même changement que le second lorsqu'il prend les couleurs de l'adulte, Ce sont toutes ces variations de plumage, ce sont les immenses différences qu'elles produisent entre les di- vers individus de la même espèce, qui rendent si difficile l'étude de l’ornithologie ; et ne peuvent mán- quer d'entraîner en de graves errenrs tous ceux qui CRE ad - (1) Sauf les parties noires, qui ne changent pas. La queue de l'her- mine en fournit un exemple connu de tout le monde. REMARQUES GÉNÉRALES. Â91 l'abordent sans une sage défiance. Ces erreurs étaient inévitables, même pour les plus habiles, à une époque encore assez rapprothée de nous; et de là cette mul- titude d'espèces nominales admises dans le Systema naturæ et conservées même longtemps après. Je wai nullement l'intention de traiter ici, dans son ensemble, la question des mues, mais seulement de fixer l'attention sur quelques circonstances remar- quables des mues par a s'opère, chez les oiseaux, le passage d’un âge à l'autre (1 7 Tout le monde sait que, chez les oiseaux, les jeunes des deux sexes ét les femelles de tout âge se ressemblent ordinairement, et que le mâle seul pré- sente ce rite de couleurs, ce développement t de plu- m (x) Dans un Sera test t aaie Mammiféres du Dictionnaire clas- sique d "Histoire naturelle, t. X, p. 113, ou Considérations générales sur les Mammifères, p. 198), j'ai présenté quelques remarques, qu'il ne ` sera pas inutile de reproduire ici, sur la livrée des jeunes mammifères» Cette livrée ; ornement que l'animal perd avec l'âge , pour prendre des couleurs plus simples et plus uniformes., résulte du mélange de deux couleurs, dont l’une forme le fond du pelage, et dont l'autre est dispo- sée par taches ou bandes., Ces tâches, que l'on peut nommer taches de livrée, varient, selon les espèces, par leur disposition et leur couleur ; mais, sous l'un et l'autre point de vue, représentent d'une manière’ transitoire, chez ces espèces, ce qui a lieu d'une manière permanente dans d'autres espèces congénères. C'est.ainsi que les taches de livr des E noires chez les Honceaux et les jeunes couguars, et blanches chez les faons de cerfs, de même que la plupart des chats sont rayés ou tachetés de noir, et que l'axis et plusieurs autres cerfs le sont de blanc. Sous un point de vue théorique, ces dernières espèces doivent donc être consi- dérées , non comme n'ayant pas de livrée dans le jeune âge, mais, au contraire , comme conservant la livrée pendañt toute la durée de la vie, 492 -MUES DES ANIMAUX. mage qui rendent si remarquables un grand nombre d'espèces de cette classe. Cette ressemblance entre les jeunes et la femelle a été aperçue de tout temps; et les ormithologistes lont exprimée en disant que le jeune des deux sexes a le plumage de la femelle. Cette expression est-elle parfaitement exacte? Est-ce bien le mâle qui a momentanément, dans sa jeunesse, le plumage permanent de la femelle ? Ou bien ; Ce qui est théoriquement fort différent, ne serait-ce pas la femelle qui conserverait plus ou moins complétement le plumage du jeune âge; qui, relativement à ses couleurs, s’arréterait dans son développement, et ne parviendrait pas aux conditions caractéristiques de l'état parfait de l'espèce ? Es Sirelies Sous ce rapport, et à quelques autres égards encore, les observations qui vont suivre peuvent paraître di- gnes de quelque intérêt. Elles montreront que l’on doit admettre théoriquement, non pas l’existence, dans la plupart des espèces d’oiseaux, d’un plumage éclatant propre au mâle ; d’un autre terne, propre à la femelle; mais, en général, de deux plumages, l’un imparfait, appartenant spécialement aux jeunes, l'autre parfait, que les måles prennent généralement de très-bonne heure, et que les femelles tendent aussi à prendre, mais dans un âge beaucoup plus avancé, ou dans certaines circonstances particulières. Tamai 2 paa D Pa i esse F FEMELLES A PLUMAGE DE MALES. 493 | SECONDE PARTIE. SUR DES FEMELLES D'OISEAUX , SPÉCIALEMENT DE FAISANS , © < A PLUMAGE DE MALES (1). E Les chasseurs connaissent depuis longtemps, sous le nom de coquards (2), des faisans qui ressemblent par leurs couleurs à des måles dont le plumage serait terne et décoloré. On a cru très-généralement, et l'inspection de leurs couleurs conduisait à cette erreur encore très-accréditée parmi les chasseurs, que les faisans coquards sont des mâles malades ou en mau- vais état de plumage. Mais les ornithologistes savent depuis longtemps, d’une manière positive, que ces coquards ou prétendus coqs sont, au contraire, des femelles. C'est ce qu'ont remarqué, d’une part, ceux qui, élevant ces oiseaux , ont pu suivre leur dévelop- pement, et ce que, d’un autre côté, l'anatomie a re- connu à son tour et constaté par des dissections. Vicq- (1) Extrait, sauf quelques additions et rectifications, des Annales des sciences naturelles, t. VII. | (2) Le nom de coquards , et quelquefois faisans coquards , est aussi donné, et même beaucoup plus généralement, aux produits métis de poule et de faisan. Il est important de ne pas confondte ces métis avec Les véritables faisans dont il est ici question. Voyez les planches 6, 7 et8, où j'ai fait représenter trois métis, dont l’un de faisan doré avec le fai- san commun, et les deux autres de faisan argenté avec la même espèce. 494. MUES DES ANIMAUX. d Azyr et Mauduyt, en France, John Hunter et But- ter, en Angleterre, s'étant, en effet, procuré de ces coquards ou coqs-faisans à plumage terne, ainsi qu’on les appelait avant eux, l'inspection des orgañes sexuels leur révéla le véritable sexe de ces prétendus mâles. Mauduyt, auteur de la partie ornithologique de TEncyclopédie méthodique, est jusqu'ici le seul en France qui nous ait fourni quelques documents sur ce fait intéressant (x). Ils sont consignés dans cet ou- vrage (2), au mot faisan. | « Un fait de leur histoire connu des chasseurs, dit ce savant, et dont je ne sache pas que les natu- ralistes aient parlé, mérite cependant de n'être pas” omis : les femélles qui vieillissent, et qui ont proba- blement atteint cinq à six ans, non-seulement ces- sent d'être fécondes ou ne le sont que très-peu, ce - qui est dans le cours ordinaire des choses ; mais elles prennent un plumage qui tient de celui du mâle, et qui en approche d'autant plus qu’elles sont plus vieilles, en sorte qu’elles ressemblent à un måle dont Je plumage serait terne et décoloré. » , I nous apprend ensuite qu’il a disséqué un coquard vers 1770; que Vicq-d’Azyr en a depuis disséqué (1) Buffon, dans son Histoire naturelle des Oiseaux st IE, p: 357, s'en est occupé, maïs non d'après ses propres observations. Presque tout ce qu'il dit est emprunté à Edwards ( Glanures , t. III), lequel ne fait lui-même que transcrire une note de son ami Colinson. (2) Partie ornithologique, t, IL, p. 5. FEMELLES A PLUMAGE DE MALES. 495 plusieurs , et que tous étaient des femelles où presque toujours l'ovaire était, selon son expression, «si oblitéré qu'on n’a pu le découvrir. » IL ajoute qu'un inspecteur des chasses de la forêt de Saint-Germain a aussi reconnu que les vieilles poules faisanes qui ne pondent plus ou ne pondent que très-peu ; prenaïent un plumage approchant de celui du mâle, « Ce fait; dit-il en terminant, a sans doute échappé dans les faisanderies , parce qu’on n y conserve que de jeunes femelles, et on Va depuis vérifié par rapport à la fe- melle du faisan doré de la Chine, parce que l'on con- serve ces animaux rares tout le temps de leur vie. » On doit des observations analogues à plusieuts zoologistes et physiologistes anglais, notamment à John Hunter, à: Everard Home, à John Butter, et beaucoup plus récemment à Yarrell. La plupart des observations de Hunter et d'Everard Home (1) sont relatives à des faisans tués sauvages , et à l'égard desquels ils ne purent, par conséquent, que-constater la coexistence du sexe féminin avec un plumage maseulin. Hunter a toutefois aussi fait men- tion d’une poule faisane domestique qui, après avoir produit plusieurs fois, prit les couleurs du mâle, et dès lors fut stérile. Cette dernière observation est, (1) Voyez Hunter , Account of an extraordinary pheasant, dans les Philosophical Transactions , t. LXX, part, II P- 527, 1980.—Everann Hoxe , même recueil, ann. 1709, P. 157 et suive , et Lectures of com- parat, Anat., t. t. IIL, lec, x1. ; 496 MUES DES ANIMAUX. d’ailleurs, presque aussi incomplète que les autres, l'auteur ne faisant connaître, ni la manière dont s'opéra graduellement le changement de plumage, ni le degré auquel fut portée la ressemblance des cou- leurs de cette femelle avec celles du mâle. Les mémoires de Hunter et d'Everard Home ne sont, d’ailleurs , pas seulement relatifs à des faisans femelles à plumage de mâles. Celui de Hunter ren- ferme une observation analogue faite sur une femelle de paon; observation que sa rareté, comme on le verra plus bas, rend doublement intéressante. Dans celui de Home, qui est un travail fort étendu sur l’hermaphrodisme , on trouve une observation sur la poule et une autre sur le canard. Les circonstances de cette dernière la rendent extrêmement remarquable. Le travail de Butter (1) est assez étendu, et se re- commande, outre une bonne observation , par le soin que l'auteur a mis à recueillir divers exemples de chan- gement de plumage, publiés avant lui , chez divers oi- seaux. Il croit pouvoir citer jusqu’à dix espèces dans lesquelles on aurait constaté, chez des femelles, des caractères extérieurs normalement propres aux mâles. Enfin, on doit à M. Yarrell (2) des observations qui (1) An account of the change of plumage exhibited by many species of female birds, dans les Memoirs of the Wernerian natural history society, t. II , p. 183, 1821. ‘R 5 ; : (2) On the change in ‘the plumage of some hen-pheasants , dans les Philosophical Transactions, année 1827, part. Il, p. 268.— On trouvé - un extrait de ce Mémoire dans le t. XIII des Annales des Sciences FEMELLES A PLUMAGE DE MALES. 497 tendent à montrer que le changement de plumage ne se produit pas seulement chez de vieilles femelles de faisan, mais parfois aussi chez des sujets encore jeunes, mais dont les ovaires sont malades. Quoique plusieurs des observations qui viennent d'être rappelées, ou qui le sont dans les mémoires de ces auteurs, remontent à une époque déjà assez éloi- gnée de nous, on wa donné que peu d'attention à l'intéressant phénomène auquel elles se rapportent, et le plus souvent même il a été omis dans les ouvrages modernes sur l’ornithologie et sur la physiologie comparée (1). Aussi ne me parait-il pas sans quelque naturelles. — Plus récemment, M. Yarrell a présenté à la Société zoo- logique de Londres ( voyez ses Proceedings, 1830-1831, p. 22) un nou- vel exemple de changement de plumage chez l'oiseau que les Anglais désignent sous le nom de common game fowl. (1) Il est mentionné toutefois dans l'Histoire naturelle des Gallina- cés de M. Temminck et dans le Dictionnaire d'histoire naturelle, ouvrage où les articles d'ornithologie ont été faits par M. Vieillot, Dans sa Philosophie anatomique (t. IT, p. 360) , non-seulement mon père a aussi rappelé le phénomène qui fait le sujet de ce travail, mais en a abordé l'explication physiologique. Voici sous quel point de vue il Fa considéré : Es « Ces développements, dit-il, donnent la clef de bien d’autres phé- nomènes. La différence entre les sexes est d'autant plus forte que les femelles livrent une plus grande quantité de produits de génération. Et, en effet, la surabondance de la nourriture, pour me servir d’une expression de Buffon qui recoit ici une juste application „ se répartit très-inégalement entre les sexes, surtout chez les oiseaux ; la richesse et les vives couleurs du plumage , chez ces derniers, sont des signes exté- rieurs qui témoignent de toute l'énergie vitale des mâles, comme l'a- bondance des pontes témoigne de la Puissance génératrice des femelles, laquelle, pour se manifester, n'a pas même besoin des excitations de ZOOLOGIE GÉNÉRALE. 32 498 - MUES DES ANIMAUX. intérêt de faire connaître plusieurs faits que j'ai eu occasion de recueillir il y a quelques années (1), et qui sont beaucoup plus complets, en ce que mon observation s’est étendue à un plus grand nombre d'années ; ce qui me permettra de donner, sur les circonstances du changement de plumage, plus de détails qu'on n’en possédait encore, et surtout de montrer que le passage, que les auteurs n’ont jamais vu s’opérer que partiellement , peut s'effectuer de la manière la plus complète. IT. Les observations que je vais rapporter ont été faites sur des femelles de faisan commun ( phasianus col- chicus), de faisan argenté ( phasianus nycthemeros), et de faisan à collier (phasianus torquatus). PREMIÈRE OBSERVATION. Poule faisane commune. Cette femelle avait été élevée dans la faisanderie du Muséum. Elle cessa de pondre vers l’âge de cinq ans, l'autre sexe, La tristesse du plumage, chez les femelles d'oiseaux, tient si manifestement à une prédominance partielle et locale du sang arté- riel, à celle du sang dont les afflux énergiques sont réservés aux organes de la génération , que, lorsqu'elles cessent de pondre, et qu'il n'est plus en elles d'organe, sous ce rapport, privilégié, elles reprennent les formes et le plumage du mâle’, non entièrement, il est vrai, mais tout autant que cela devient possible dans un âge qui touche à celui de la décré- _pitude. » | (x) Deux de ces observations ont été publiées, pour la première fois, dans les Mémoires du muséum d'histoire naturelle, t. XII , 1825, et la troisième , dans les Annales des sciences naturelles , t. VII, 1826. - FEMELLES A PLUMAGE DE MALES. 499 et le changement de plumage commença à devenir apparent vers la même époque. Il se manifesta d’a- bord sur le ventre, qui prit une teinte plus jaune, et sur le col, qui se colora plus vivement, et bientôt tout le corps eut changé de couleur. L'année suivante, les teintes de ses plumes prirent encore beaucoup plus de l'éclat et de la vivacité de celles du mâle, et dès lors il fut possible de dire que la poule faisane était semblable à un mále dont le plumage serait terne “et décoloré. Enfin , l'année suivante, c’est-à-dire, la troisième depuis que le changement de coloration avait commencé à se manifester , son plumage ayant pris encore un nouvel éclat, il devint presque impos- sible de ne pas se méprendre sur son véritable sexe, d'après la seule inspection de ses couleurs, surtout . lorsqu'on n'avait pas en même temps un faisan mâle sous les yeux ; car la ressemblance était très-grande, mais non encore parfaite, Tel était l'état du plumage de cette femelle, vers l'âge de huit ans; elle mangeait bien, jouissait d’une bonne santé, et il y avait tout lieu d’espérer qu'on la verrait , l'année suivante, revêtir le plumage parfait du måle , lorsqu'un accident la fit périr inopinément. Cette femelle avait toujours vécu, comme les au- tres poules faisanes, avec des måles ; mais, depuis que le changement de plumage avait apparu, elle n’était plus pour eux qu’un objet indifférent. Elle-même, depuis la même époque, ne les cherchait plus, se confondant ainsi avec eux sous plusieurs rapports, 5oo MUES DES ANIMAUX. autant par ses manières que par son extérieur. Lors de sa mort, sòn plumage ressemblait telle- ment à celui d’un måle , que des personnes, habituées à voir et même à soigner des faisans, furent trompées par sa couleur, et crurent que C'était un mâle qui venait de périr. Néanmoins la ressemblance n’était pas encore complète, comme nous allons la voir dans un second exemple. | SECONDE OBSERVATION, Poule faisane argentée. . Cet exemple nous présentera beaucoup plus d'intérêt, parce que l'observation est “beaucoup plus SRE sh été continuée pendant quatre ans et demi ; et si j'ai fait connaître avec détail le premier, c’est prin- cipalement afin de pouvoir apprécier mieux et d’une manière plus générale les circonstances que présente le changement de plumage, et de connaître le laps de temps dont il a besoin pour s opérer. Cette femelle avait été élevée en société avec un mâle, dans la maison de campagne d’un ancien ami de ma famille, M. Mortaud, notaire à Paris; mais dans sa vieillesse, elle fut donnée au Muséum. Celle-ci ne commença à passer au plumage du måle qu'à l'âge de huit ou dix ans; ; beaucoup plus tard, par conséquent , que la première poule faisane. Une autre circonstance remarquable est qu'elle avait déjà cessé de pondre depuis trois ou quatre ans, lors- que le changement commença à s'opérer. Dans l'exemple précédent, au contraire, le commence- ment de ce phénomène et la cessation des pontes - FEMELLES A PLUMAGE DE MALES. 501 avaient coïncidé. Des plumes blanches, qui se mélè- rent aux plumes brunâtres de l’état normal , annon— cèrent d’abord le passage aux couleurs du mâle. Ce passage se prononça davantage l’année suivante ? mais ce ne fut véritablement qu’à la troisième année qu'on put dire le changement opéré. La quatrième année, la ressemblance devint complète; la huppe et la queue s'étaient même allongées à légal de ce que Fon voit chez les mâles, en même temps qu'elle se parait des plus belles couleurs; et cette circonstance doit être notée avec soin, parce qu'ici. nous voyons changer, non plus seulement la coloration des plumes, mais même leurs proportions normales. La cinquième année, il n'était pas possible d’apercevoir la moindre différence entre le plumage de cette femelle et celui d'un mâle : elle représentait l'apparence d’un coq adulte, orné de sa plus brillante parure. Le mâle vivait encore à l’époque où le changement avait commencé à paraitre. Sans doute, parce qu’elle était son unique compagne , elle ne lui était pas en- core devenue indifférente : pour elle, au contraire, elle paraissait importunée de la présence de son måle, et l'évitait lorsqu'elle pouvait se soustraire à son voj- sinage. Cependant celui-ci étant venu à mourir , elle parut s'ennuyer de son isolement, et c'est pourquoi elle fut envoyée au Muséum, où on la conserva quelque temps. Mais bientôt les infirmités de la vieil- lesse firent regarder sa mort comme prochaine; et dans le désir de conserver sa dépouille intacte, on se 7 502 MUES DES ANIMAUX. décida à la tuer, avant que la beauté de son plumage fût altérée par les effets de la caducité ou de la maladie. Lors de sa mort, dont l’époque, comme on le voit, a même été avancée, elle avait treize ou qua- torze ans, et il y avait quatre ans et six mois environ que le plumage avait commencé à changer de cou- leur. Elle ressemblait alors exactement au mâle dans son plus beau plumage ; c’est ce dont chacun peut se convaincre, en examinant sa dépouille aujourd’hui placée dans les galeries de zoologie du Muséum , OÙ en jetant les yeux sur l’une des planches de ce Mé- moire, où elle a été fidèlement représentée par l'ha- bile pinceau de M. Prêtre, | La dissection des organes sexuels a montré, à côté de l'ovaire, toujours subsistant, deux petites lan- guettes paraissant les vestiges des derniers ovules échappés du sac ovarien. La portion de l’oviducte, que mon père considère comme Yaduterum, était très-distincte ét de forme ôvoïde. La présence de lo- vaire est importante à noter, à cause des observations, à ce sujet , de Mauduit ét de Vicq-d’Azÿr, qui n’ont pu apercevoir cet organe. Les plumes tombées dans les années qui ont pré- cédé la dernière mue, ont aussi été conservées par les soins éclairés des premiers possesseurs de l'oiseau ; et c'est à cette circonstance, ainsi qu'aux renseignements qu'ils ont bien voulu me fournir, que je dois la con= naissance d’une grande partie des détails que je viens de donner. l | FEMELLES A PLUMAGE DE MALES. 5o03 TROISIÈME OBSERVATION: Poule faisane å collier. La femelle dont il me reste à parler avait été , comme la précédente, élevée à Paris, chez un particulier , et ‘elle fut de même donnée, dans sa vieillesse, à la mé- nagerie du Muséum. Les renseignements fournis par le donateur apprirent qu'elle avait plusieurs fois pondu chez lui. Néanmoins , comme le changement de plumage se trouvait déjà fort avancé, et qu'elle présentait dès lors plutôt les caractères extérieurs d'un mâle que ceux d’une femelle, on ne crut entiè- rement à la réalité du sexe annoncé qu'après l'avoir vérifié lors de sa mort, qui eut lieu peu de temps après. La dépouille de cette poule faisane à collier est conservée, comme celle de la précédente, dans les galeries du Muséum, et figurée avec soin dans les lanches de cet ouvrage. En examinant, soit cette dépouille elle-même, soit la figure, on voit que les couleurs sont, en effet, fort semblables à celles du mâle. Toutefois les couvertures supérieures de la ueue et des ailes sont rousses, comme le reste du corps; le collier est moins marqué, et le ventre beau- coup moins noir que chez le mâle; en sorte que l’on ne trouve point, à beaucoup près , chez cette femelle, cette entière et complète ressemblance dont je viens de donner un exemple. Aussi ne me serais-je pas ar- rêté sur cette femelle, qe je n'ai pas vue vivante, et dont par conséquent je n'ai pu suivre le. développe- ment; si elle ne présentait, sous un autre rapport, 504 MUES DES ANIMAUX. beaucoup d'intérêt. L’ergot, ce caractère propre au sexe måle, se retrouve chez elle, et il est même presque aussi considérable qu'on le trouve normale- ment chez le mâle. En mentionnant l'existence de lergot chez une femelle à plumage de måle » je dois cependant faire une remarque qui tend à renfermer dans de justes limites les Conséquences à déduire de ce fait. Je n'aflirme pas, bien que je le regarde comme très- vraisemblable, que le développement de lergot , dans Tunique cas où je l'ai vu, se soit fait , comme le chan- gement de plumage, à la suite et à cause de la cessa- tion des pontes (1). On sait, en effet, qu'il n’est pas très-rare de voir les ergots se développer , dès la jeu- nesse, chez des femelles, dans des espèces domesti= ques dont les mâles sont ordinairement seuls éperon- nés, et particulièrement chez les poules (2). Le CS (1) En effet, comme je l'ai dit > cette poule faisane ne m'est connue que par sa dépouille et par quelques renseignements transmis par une personne étrangère à la science. (2) Chez les poules éperonnées, les ergots non-seulement sont beau- coup moindres que ceux qui arment les tarses des cogs ; mais ils por- tent presque constamment les caractères d’un organe anormal et comme pathologique. Ainsi, le plus souvent » les deux ergots présentent ; d'une patte à l'autre, un développement fort inégal, et par conséquent échappent à la loi générale de symétrie. Quelquefois même, tandis qu'une patte est fortement éperonnée, l’autre ne l'est pas du tout. Et par là il arrive qu’on peut souvent distinguer de son mâle une femelle éperonnée, même en ne se fondant, Pour arriver à cette distinction, que sur la considération des ergots eux-mêmes. Le faisan étant domestique comme la poule, et sen rapprochant FEMELLES A PLUMAGE DE MALES, | 505 développement de l’ergot paraît donc tenir à des causes en partie différentes de celles qui produisent le changement de plumage; et il se pourrait, à la ri- gueur, que, chez notre poule faisane à collier, l'un de ces phénomènes eût précédé l'autre , sans qu'il y eût entre eux aucune relation directe. UT. On voit, par les trois observations que je viens de rapporter, qu'une femelle de faisan peut, dans un certain laps de temps, revêtir exactement les cou- leurs du mâle, en prendre même les ornements de plumage. L'ergot lui-même n'est pas tellement le partage exclusif du måle , qu'il ne puisse exister aussi chez la femelle. Lorsque tous ces caractères sont réu- nis chez la même femelle, elle se confond entièrement avec l’autre sexe par l'ensemble de ses caractères ex- térieurs. Tout au plus reste-t-il, comme différence, un peu moins de développement dans la membrane rouge circumorbitaire, et encore cette membrane est- elle, chez les femelles à plumage de mâles, à peu près ce qu’elle est, chez le måle, dans la saison la plus éloignée du rut. beaucoup par son organisation , il était facile de penser qu'il en serait de même à son égard; et c "est, en effet, ce que nous avons pu vérifier sur notre poule faisane à collier, Ses ergots différent , par la forme, de ceux du mâle; le gauche est beaucoup plus développé que le doit, ` mais il est étroit et comme bossué sur toute sa surface. 506 MUES DES ANIMAUX. À l'époque où le changement de plumage s'opère, la ressemblance des femelles avec les mâles se pro- nonce également sous d’autres rapports. Les habi- tudes, les instincts du sexe féminin disparaissent en même temps que le plumage et la voix féminine. Ainsi, les femelles à plumage de mâles ne sont plus recherchées des mâles, et ne les recherchent plus; par- fois même elles les fuient et les évitent (1). La voix change, et devient.plus ou moins semblable à celle du mâle, fait qui est très-bien connu, à l'égard des poules, dans les campagnes , Où même le changement de voix est regardé comme un signe malheureux, (1) Everard Home a mentionné, chez le canard, un fait extrême- ment remarquable. Une vieille femelle , ayant pris divers Caractères extérieurs du mâle, non-seulement n'était plus recherchée pat les indi- vidus de l’autre sexe > et ne leš recherchait plus; mais on la vit elle- même poursuivre d’autres femelles, et cocher üne de celles-ci en simu- lant, à son égard, les actes d'un véritable mêle. Voyez le Mémoire, plus haut cité, d'Everard Home. Voyez aussi Roose, Beytrage zur offentl. und gericht, arzeneikunde , t. IT, p. 230, Des faits de ce genre étaient, au reste, déjà connus des anciens. On lit, à ce sujet, dans Aristote ( Histoire des Animaux, liv. IX, ch. 49), un passage fort remarquable, que je citerai d'aprés la traduction de Camus : « Comme dans tous les animaux leurs actions sont conformes à leurs passions, réciproquement aussi leur caractère change, les actions venant à changer, et ce changement influe jusque sur certaines parties de leur corps. On en à des exemples chez les oiseaux. Une poule qui a vaincu un coq; prend son chant ; elle veut iiiter les mâles et essaye de cocher comme eux : leur crête et leur queue s'élèvent; au point qu'il y en a qu'on a de la peiné à reconnaître pour femelles ; quelquefois méme il leur pousse des espèces de petits érgots. » FEMELLES A PLUMAGE DE MALES. 507 sans doute parce qu'on a fait la remarque que les poules qui prennent la voix du cog deviennent aussi- tôt stériles. Sc La vieille femelle, dans la série de ces phénomènes | remarquables qui tendent à la rendre de plus en plus semblable au mâle, semble donc tendre à passer par toutes les mêmes phases que traverse, dans sa jeunesse, le faisan måle. Une femelle, quand les _ pontes vont cesser ou viennent de cesser, et un jeune mâle, sont dans des conditions que l’on peut compa- rer sous plusieurs rapports. Tous deux ont le même plumage, le plumage imparfait ; tous deux auront encore ; dans un temps plus ou moins éloigné, le même plumage, le plumage parfait de l'espèce. Le même changement doit donc sopérer de part et d'autre, puisque le point de départ est le même, et que la vieille femelle et le jeune mâle tendent vers le même but. Mais le changement se fait, chez l’une et chez l’autre, RPM vite : à l’une il faut plusieurs années, à l’autre une seule année suflit. En outre, l’ordre bles léquel s'opère le changement n’est pas non plus exactément le même. Il suffira de com- parer les jeunes mâles conservés dans tous les musées, avec les détails que j'ai donnés sur les vieilles femelles, pour s'apercevoir que, dans lun et lautre cas, le changement s opère d'une manière différente, Il n’est jamais possible de dire d'une vieille poule faisane, chez laquelle le changement à commencé, qu'elle a exactement le plumage d'un jeune faisan mâle de tel 508 MUES DES ANIMAUX, ou tel âge, C’est donc par deux voies différentes que la nature, dans l'un et l’autre cas, marche vers un résultat finalement semblable. Quoi qu'il en soit, les observations de divers au- teurs avaient déjà montré que les poules faisanes res- semblent, dans leur vieillesse, à des mâles ; que le changement de plumage s'opère peu à peu, se pro- nonçant toujours de plus en plus, à mesure que l’ani- mal vieillit davantage; et que l'ovaire est si rudi- mentaire, dans plusieurs de ces femelles à plumage de mâles, qu'on en retrouve à peine quelques ves- tiges. Il était présumable que celles dont l'ovaire a ainsi presque disparu sont celles chez lesquelles le changement est le plus complet; ce qui n’est pas, puisque cet organe ne s’est pas trouvé chez des fe- melles qui ne ressemblaient qu'imparfaitement aux mâles, tandis qu'il s'est retrouvé chez celle où nous avons vu la ressemblance parfaite. À ces résultats des observations antérieures $ les faits que j'ai rapportés permettent d'ajouter : que le changement de plumage commence beaucoup plus tôt chez certaines femelles que chez d'autres; qu'il peut ne se manifester que plusieurs années après la cessation des pontes , quoiqu'il doive dépendre, d’une manière plus ou moins directe, de ce phénomène, avec lequel il peut coïncider ; que c’est dans la qua- trième année que le changement paraît se compléter; qu'alors la femelle n’a pas seulement les couleurs, mais qu'elle a aussi l'éclat du mâle, auquel elle res- FEMELLES A PLUMAGE DE MALES, 509 semble même par les divers ornements de son plu- mage ; qu'elle peut même être éperonnée comme lui; enfin , que le passage des couleurs ternes se fait d'une manière différente chez le jeune måle et chez la vieille femelle, quoique finalement, chez l'un comme chez l’autre, le résultat soit le même. IV. Quelques auteurs ont paru croire que le phéno- mène remarquable que je viens d'étudier, et dont j'ai rapporté trois exemples nouveaux chez les faisans , ne s'observe guère que dans ce genre et parmi les poules domestiques, si voisines des poules faisanes sous tous les points de vue, qu'à peine est-il possible de les en distinguer génériquement. On a vu plus haut, par le court résumé que j'ai cru devoir donner des mémoires importants de plusieurs zoologistes et _physiologistes anglais, que des exemples sont connus chez d’autres oiseaux ; et depuis que l'attention a été spécialement appelée sur cette question, plusieurs autres encore ont été connus. Je crois devoir terminer ce mémoire par l'énumération des espèces dans les~ quelles des femelles à plumage de mâles ont été observées. | Les faisans sont incontestablement, de tous les genres, celui dans lequel le phénomène qui fait le sujet de ce mémoire s'est présenté le plus fréquem- ment ; et c'est un fait que l'immense différence exis- 510 MUES DES ANIMAUX. tant, dans ce genre, entre les deux sexes (1), rend aussi remarquable qu’il est bien constaté. Ainsi, chez _les quatre espèces qui ont été transportées et vivent dans nôtre pays, il n’en est aucune où on ne l'ait observé. J’en ai rapporté un exemple chez le faisan argenté, un autre chez le faisan à collier.. Chez le fai- san doré, des observations sont dues à Etiwards , Ou plutôt à Colinson (2). J'ai moi-même vu le changement commencé chez plusieurs autres individus de cette espèce. Quant au faisan ordinaire, plusieurs observations m'ont été (1) Au milieu de ces nombreuses et brillantes légions d'oiseaux, ' admirables productions des deux Indes, dans cette famille même qui fournit au luxe européen ses parures les plus magnifiques , et dont le nom même indique un éclat plus que terrestre, un bien petit nombre peut, par la richesse de son plumage, être comparé aux faisans mâles. La nature leur a donné des couleurs si magnifiques , des teintes si éblouissantes, que l'imagination ne saurait leur en prêter de plus belles. C'est un mélange harmonieux des couleurs que nous admirons dans les gemmes et dans les métaux les plus précieux; c'est un éclat que la plume ne peut rendre et que le pinceau ne saurait imiter. Et toute cette incomparable richesse est encore rehaussée par des parures que l'oiseau agite avec grâce, ét qui donnent à son plumage ce qui manque aux pierres précieuses , la variété, le mouvement , la vie. Mais , à cet oiseau si magnifique, opposez sa femelle. L'œil étonné cherche en vain chez elle quelques traces d'éclat; Tor, la pourpre et lazur ont fait place aux couleurs les plus ternes. Toute parure a disparu. Rien ne rap- pelle plus ce mâle si richement orné; et lon croirait que la nature , en. associant deux oiseaux si dissemblables, a destiné l'un à faire ressortir, par la tristesse et la monotonie de ses couleurs, la variété et la splen- deur du plumage de l’autre. | (2) Voyez les Glanures of natural History d'Edwards , troisième par- tie, p. 268. FEMELLES A PLUMAGE DE MALES. Bi: communiquées, indépendamment de l'exemple que jai rapporté plus haut , et des faits très-nombreux que rapportent les auteurs, Le changement a été assuré- ment vu un plus grand nombre de fois chez le faisan ordinaire que chez la poule elle-même, malgré la multitude des individus de cette dee espèce que nourrissent nos basses-cours. | Parmi les gallinacés , un exemple est encore connu chez le paon par les observations de Hunter (1) ;°et Bechstein (2) mentionne des poules d'Inde qui au- raient pris quelques-uns des caractères du mâle. Je ne connais , dans l’ordre des échassiers, aucun fait qui soit exactement comparable aux précédents (3); mais, parmi les palmipèdes , le changement de plu- mage a été observé chez le canard domestique (4), et même avec des circonstances plus remarquables, sous quelques rapports, que dans aucune autre obser- vation. Les observations nous manquent moins encore dansW’ordre si vaste des passereaux. Parmi les zygo- dactyles, ou grimpeurs de Cuvier, le changement est constaté, dans le genre coucou , par Levaillant (5), (1) Loco cit, p.534. (2) Voyez Gem. Naturgeschichte Deutschlands , t. TIL. (3) Butter, dans son savant mémoire déjà cité, mentionne toutefois, chez l'outarde et là spatule , d’après d'autres auteurs, des faits qui ne sont pas sans analogie avec les précédents. (4) Voyez plus haut, p. 506. (5) Histoire naturelle des Oiseaux d'Afrique, t. V, p. 42. Levaillant 5r2 MUES DES ANIMAUX. pour l'édolio, et par M. Payraudeau (1), pour le coucou commun. L'observation de Levaillant est ren- due fort intéressante par la présence d’un œuf prêt à sortir Chez la femelle du mâle du coucou édolio, qu’il vit revêtue des couleurs du måle, | Parmi les déodactyles ou passereaux ordinaires ; _des exemples me sont connus, par diverses communi- cations, dans six genres. Feu M. Dufrêne „ancien chef du laboratoire de zoologie au Muséum d'histoire na- turelle, ma assuré qu’il a constaté le changement de plumage chez de vieilles femelles de cotingas. M. Flo- rent Prévot a vu le changement commencé chez plu- sieurs femelles de pinsons. De semblables observations Ont été faites à l'égard de la femelle du rouge-queue et de celle de l’étourneau. Enfin, plus récemment, un cas analogue a été publié, chez le bouvreuil, par M. Ménétriés (2); et M. Baillon, d'Abbeville, m'a communiqué une femelle de bec-croisé, dont le plu- mage était devenu beaucoup plus semblable à celui du mâle qu’à celui de la femelle. Le changement de plumage est, comme on le voit par ces divers exemples , un fait très-général parmi les espèces d'oiseaux où les deux sexes ont normalement dit, à cette occasion, qu'il avait déjà autrefois constaté le changement de plumage chez quelques femelles d'oiseaux. Malheureusement il ne dit pas quelles espèces lui avaient fourni ces premières observations, (1) Bulletin des Sciences naturelles, t. XIIL, P. 243. (2) Voyez son Catalogue raisonné des objets recueillis dans son voyage au Caucase. x vol. in-4, Pétersbourg , 1832, p. 43. TA NET d m A Ar RES Dz aE _— FEMELLES A PLUMAGE DE MALES. 513 des couleurs différentes. Toutes en sont très-pro- bablement susceptibles; mais, par des raisons qui nous échappent entièrement dans l'état présent de la science, Ce phénomène se produit beaucoup plus fré- quemment dans certains groupes ornithologiques que dans d’autres. Parmi les gallinacés , par exemple, Fun des genres les plus voisins des faisans, celui des paons, ne le présente presque jamais. L'exemple rap- porté. par Hunter, reste encore aujourd'hui un fait unique. Au Muséum d'histoire naturelle même, quelque considérable que soit le nombre des paons qui ont successivement fait partie de la ménagerie de cet établissement, et quoiqu'on y laisse toujours ces oiseaux périr de leur mort naturelle, je wai jamais vu, ni avant la première publication de mes obser- vations sur les faisans , ni depuis, une seule femelle de paon présenter, même imparfaitement , les carac- tères de lautre sexe. - En insistant sur l'existence, chez un très-grand nombre d'oiseaux, du phénomène que j'ai, plus haut, étudié spécialement chez les faisans, je ne donnerais pas encore une idée suffisante de sa généralité, si je ne faisais remarquer qu'il n’est pas sans analogues dans d’autres classes et dans l'espèce humaine elle- même. Dans le genre Cerf, on voit quelquefois des bois se développer chez de vieilles biches, comme le plumage prend les caractères du mâle chez les vieilles femelles d'oiseaux : on trouve, par exemple, hez le chevreuil; jusqu'à ci i chez le chevreuil, jusqu'à cinq exemples de cette Cs] ZOOLOGIE GÉNÉRALE, F5 514 MUES DES ANIMAUX. anomalie , cités par Otto, dans son Anatomie pa- thologique (x). Enfin, tout le monde sait que, chez beaucoup de femmes, après la cessation des règles, le menton et la lèvre supérieure se garnissent d’une véritable barbe; phénomène dont on ne peut nier non plus le rapport avec le développement du plu- mage chez nos poules-faisanes. | La tendance que les femelles ont à subir, après l'époque de la fécondité , les mêmes changements que subissent les mâles dans leur jeunesse, est donc très- générale, et, par conséquent, dépend de causes, et peut conduire à des conséquences dignes de toute l'attention des physiologistes. Il n’est point de sujet dont l'étude puisse jeter plus de jour, soit sur la ques- tion si complexe de l'hermaphrodisme, soit sur. la théorie générale des sexes et de l'influence de l'appa- reil générateur sur l’ensemble de l'organisation et des fonctions (2). C’est sous ce point de vue que tes ob- servations contenues dans ce mémoire me semblent offrir quelque intérêt, et que J'ai cru devoir les re- produire ici, non comme des faits plus on moins curieux d’ornithologie, mais comme pouvant jeter quelque jour sur l'une des questions les plus impor- tantes et les plus complexes de la physiologie générale. (1) Lehrbuch der path. Anatomie, t. I, § 123, notes. (2) Voyez l'histoire que j'ai donnée de l'hermaphrodisme, dans mon Histoire générale des anomalies de l’organisation , t. IL, p. 30 et suiv. EXPLICATION. DES PLANCHES JOINTES A CE MÉMOIRE. J'ai fait représenter, à la suite de ce Mémoire, deux des poules faisanes à plumage de mâles qui y ont été décrites , et j’y ai ajouté, comme complément, la figure de quelques-uns de ces métis de faisan , auxquels on a donné aussi le nom de coquards. Ces di- vers oiseaux sont les sujets des planches IV, V, VI, VII et VIII. PLANCHE IV. Poule-faisane argentée, vieille, présentant exac- tement les couleurs du mâle. C’est le sujet de la seconde obser- vation. Voyez, plus haut, page 500. PLancre V. Poule-faisane à collier, vieille, présentant presque exactement les couleurs du mâle, et éperonnée, C’est le sujet de la troisième observation. Voyez, plus haut, page 503. Prancne VI. Métis de faisan doré et de faisan commun (1). Cet individu est un jeune mâle qui a vécu à la ménagerie du Muséum, PLancaes VIT et VIIM. Le sujet de la planche VII est un mâle celui de la planche VII, une femelle, l’un et l’autre nés à Ver- sailles, probablement dans la même couvée. Je ne possède aucun renseignement: certain sur l’origine de ces deux métis ; mais la coloration du mâle ne permet pas de douter qu'il ne soit né du croisement du faisan argenté et du faisan commun. Il a, en effet, presque exactement les couleurs du faisan argenté, en dessus, et celles du faisan commun , en dessous. J'ai vu, d’ailleurs, plu- sieurs autres individus exactement semblables, dont l’origine était constatée par des renseignements positifs. A ces trois métis, nés du croisement de deux espèces du genre (1) Je n'ai pu malheureusement savoir si ce sujet est né d'un coq doré et d'une _ poule commune, ou si le contraire a eu lieu. dE n $ rh. AE rE me - 516 EXPLICATION DES PLANCHES. m mern o rye ve Faisan , je wai pas cru devoir joindre le coguard proprement dit, ou métis du faisan ordinaire et de la poule; oiseautrop commun et trop connu pour qu’il puisse être utile de le figurer. Il me suffit de rappeler que , dans toutes les nombreuses variétés de coquards: qui se présentent à l'observation, Comme dans les métis que j'ai fait représenter , le plumage est toujours intermédiaire entre celui du père et de la mère. Tout le monde sait que le croisement d’un coq et d’une poule de même espèce, mais de couleur ow de taille différente, donne souvent au contraire des produits exclu- sivement semblables , soit au père, soit la mère. Ainsi se trou- vent ‘confirmés, chez les oiseaux, les deux faits généraux suivants , que j'ai déduits, en 1826, d'observations faites spécialement chez as les mammifères. 1° Le produit de deux individus d’espèce différente présente généralement des caractères constants , fixes , et qui sont en partie ceux du père , en partie ceux de la mère. | 2 Au contraire, le produit du croisement de deux variétés de la même espèce tient souvent de l’une et de l’autre ; mais , Souvent aussi, ressemble entièrement à Pun des individus qui lui ont donné naissance. (Voyez Considérations générales sur les Mam- mifères (1826), p. 231; et Histoire générale des Anomalies, t. 1, p: 306.) ERRATUM. Page 263, dans le titre, supprimez le mot domestiques CET re OEE 27 m Caj á Rs ex TABLE DES-MATIÈRES (1). Première Partie. HISTOIRE DE LA SCIENCE. L.UCONSIDÉRATIONS: HISTORIQUES SUR LA ZOOLOGIE. ss , IT: ADDITIONS AUX CONSIDÉRATIONS HISTORIQUES SUR LA ZOOLOGIE: , Des vues de M. Ampère sur l'histoire philosophique des . o EAEE os sciences. SR er À 7 De la division dessciences et de leur association, considé- rées comme conditions nécessaires de leurs progrès. . . Des jugements portés sur Buffon , et spécialement de quel- ques hommages nouvellement rendus à sa gloire scien- RS o . . . …. Des yues émises à diverses époques sur l'unité sition ou l'unité de plan. o... ESES Jp De la date ( 1807 ) assignée aux travaux de M. Geoffroy Saint-Hilaire sur l'unité de composition. . .. .. + TII. Sur LES NATURALISTES COMPILATEURS DU SEIZIÈME ET DU DIX-SEP- MAN SOS. ne rte dit Eee STAR CE IV. Des TRAVAUX DE LINNÉ SUR LA NOMENCLATURE ET LA CLASSIFICA- . a + 1 de. compo- TION-:LOOLUEIDARSS es nu ea ele den ere) « a V. Sur LE RÈGNE ANIMAL DE CUVIER, ET SUR LA CLASSIFICATION ADOPTÉE GET OUNRAGR, … n77 Gr lune à Me le +, VI: SUR LES TRAVAUX ZOOLOGIQUES ET ANATOMIQUES DE GOETHE, VII. ConsIDÉRATIONS HISTORIQUES SUR LA TERATOLOGIE.. Seconde Partie. ZOOLOGIE GÉNÉRALE ET ANTHROPOLOGIE. I. Dg 1a Possimmé D'ÉCLAIRER L'HISTOIRE NATURELLE DE L'HOMME PAR L'ÉTUDE DES ANIMAUX DOMESTIQUES. + « « oo + +. «à . . TI. DE LA DOMESTICATION DES ammaux. | 1 Introductions: ARE. Re Notions préliminaires sur les divers modes de possession des animaux par l'homme. a . o sa. F5... 208 Des divers degrés de domestication des animaux, et de leurs divers modes d'utilité. . . . . . . Résumé des faits précédents. . . . . a ET Des motifs qui ont déterminé la domestication des espèces animales, présentement asservies à l’homme. . . - - . Des variations subies par les animaux sous l'influence de la domesticité. CEE Meet 4 à D 3 51 pe . ? r A . Voyez, p. 213, la table des anteurs cités dans la partie historiques arr ASOR WE L 518 TABLE DES MATIÈRES. Du retour des animaux domestiques à l'état sauvage... . Des progrès qui restent à accomplir relativement à la do- mestication des Animaux: . :. . :. @.... 248.4 III. De LA DOMESTICATION DES SOLIPÈDES RESTÉS ENCORE SAUVAGES. . IV et V. RECHERCHES ZOOLOGIQUES ET PHYSIOLOGIQUES SUR TES VARIA- TIONS DE LA TAILLE CHEZ LES, ANIMAUX SAUVAGES ET DOMESTIQUES ET DANS LES RACES HUMAINES. + + a Roe a + . 4 L. 7 Je NOUS. 47 A A à 6 à TES, LH DETTE Premier Mémoire. Des VARIATIONS GÉNÉRALES DE LA TAILLE DANS - AE ADONC MANINA À + +. 7e. voie ea se SAR S Première partie. Limites des variations de la taille aed les a EEA aanle M AAEE EURAS SPESSA Seconde partie. Rapports as E eea de Ii taille des mammifères avec leur genre devié.. as... -i Troisième partie. Généralisation des. % précédents, et application à l'ensemble du règné änimal. dE: . Secosp Memore. DES VARIATIONS DE LA TAILLE CHEZ LES ANIMAUX DOMESTIQUES ET DANSLES RACES HUMAINES. « < . . . . . . . . Première partie. Variations de la taille chez les animaux d'OS LS LS ES NT IO LITE IA TARA RUE AUE Seconde partie. Variations de la taille dans les races hu- Tanes HA HIVER LUE A AA ANG IGEA E Troisième partie. Examen de cette question + Si la taille des-hommes a diminué M à les temps anciens. . . . RÉSUMÉ DESIDEUX Mémornes PRECEDENTS. -. . . …, . . . . VI. Fracments sur LAMZOOLOGIE GÉOGRAPHIQUE. . + + F : , . . Remarques générales et aperçu historique sur cette science. Des rapports de la zoologie géographique avec la paléon- tologie: +. . . ME. 2, . : RS e o a. s s e Remarques sur la Faune indienne: ora an 7... . VII. CONSIDERATIONS SUR LES CARACTÈRES EMPLOYÉS EN ORNITHOLOGIE POUR LA DISTINCTION DE» GENRES, DES FAMILLES ET DES ORDRES. ." « Des caractères fournis parle bec, aoa 4, 4 1 eg, 3 © Des caractères fournis par les organes des sens et par les téguments. +, : . n PB BRESTIR BOIRE Des caractères futé par les ailes: CE HUGUES A Des caractères fournis par les pieds. . >s . , . . VIII. Sur LES MUES CHEZ LES ANIMAUX, ET SPÉCIALEMENT SUR DES FEMELLES A PLUMAGE DE MALES; « oleee se » Le dei ei à b Remarques générales. , sics s .. DAA Sur des era d'oiseaux , et bent sur des fe- melles de faisans à plumage de mâles, + . Explication des planches de ce mémoire, . TABLE DES MATIÈRES. . FIN. SR: articles raisonnés dont MM. les exposants auront demandé l'insertion. Ces articles seront d'autant plus en saillie qu’ils paraitront dans un cadre tout spécial. Il est évident que si la publicité est un des ressorts les plus actifs qui puissent contribuer au développement du commerce et de l’industrie, cette publicité n’est féconde en heureux résultats que quand elle se renouvelle et se perpétue. Le Moniteur pe v’ Ex- rosirion aura ce double caractère d'utilité : vendu à bas prix, il comptera bientôt un grand nombre d'acheteurs, et comme tous les soins seront apportés à la rédac- —— tion et à la fabrication matérielle de ce livre, il sera conservé pour devenir le meilleur guide à consulter. MM. les exposants, en se conformant aux conditions ci-après exprimées, pour- nt faire insérer les articles, explications et avis qu’ils jugeront convenables à surs intérêts ou nécessaires pour l'intelligence de leurs inventions; toutefois ds diteurs se réservent le droit d'exercer leur contrôle sur la rédaction, de telle sort ue Le Moniteur pe L’Exposirion ne soit ouvert ni aux personnalités, ni aux jalou- bies de rivalité; de telle sorte encore que l’appréciation des produits exposés soit “légagée de tout charlatanisme et ne soit pas un piége tendu à la crédulité publique. e west qu'à ces seules conditions que la maison de M. Roret a pu prêter à ce nouvel ouvrage son patronage et son appui; à ces conditions seules, d’ailleurs, e Monireur ne L'Exposirion pouvait être une œuvre honorable par ses tendances, t utile par ses résultats. Des mesures ont été prises pour que la rédaction de ce livre fût à la hauteur de L * mission qu’il s'est imposée ; c’est ainsi que des hommes spéciaux, attachant à cette publication le degré d'importance qu’elle mérite, ont bien voulu promettre leur SA Fconcours aux éditeurs toutes les fois qu’il serait nécessaire que les notes fourniez="" oar les exposants reçussent quelques développements scientifiques. à Le 15 mai prochain est le terme le plus éloigné que les éditeurs du Monrreur pe Exposition aient pu fixer pour faire droit aux demandes d'insertion que MM. les exposants devront faire parvenir directement à M. RORET, libraire, rue Haute- feuille, n° 10 bis, à Paris, à moins que les articles n’aient été remis à M. CHARRIN, © chevalier de la Légion-d'Honneur, l’un des collaborateurs de Touvrage et le seul agent que la maison Roret ait accrédité auprès de MM. les exposants. OBSERVATION ESSENTIELLE, M. Roret, qui n'a d'autre but que de publier un ouvrage Utile à l'industrie, prévient A MM. les exposants qu'il ne pourra leur être demandé AUCUNS FRAIS DE RÉDACTION pour” < u développement du commerce et de l'industrie, cette publicité n’est fécondd eureux résultats que quand elle se renouvelle et se perpétue. Le MONITEUR De L osrrion aura ce double caractère d'utilité : vendu à bas prix, il comptera bie in grand nombre d'acheteurs, et comme tous les soins seront apportés à la ré ion et à la fabrication matérielle de ce livre, il sera conservé pour deveni meilleur guide à consulter. | MM. les exposants, en se conformant aux conditions ci-après exprimées, p4 ont faire insérer les articles, explications et avis qu'ils jugeront convenabl leurs intérêts ou nécessaires pour l'intelligence de leurs inventions; toutefois iditeurs se réservent le droit d'exercer leur contrôle sur la rédaction, de telle s que Le Moniteur ne L’Exposirion ne soit ouvert ni aux personnalités, ni aux ja sies de rivalité; de telle sorte encore que l'appréciation des produits exposés légagée de tout charlatanisme et ne soit pas un piége tendu à la crédulité publid e west qu'à ces seules conditions que la maison de M. Roret a pu prêter à ouvel ouvrage son patronage et son appüi; à ces conditions seules, aille Æ Moniteur pe L'Exposition pouvait être une œuvre honorable par ses tendan t utile par ses résultats. „Des mesures ont été prises pour que la rédaction de ce livre fût à la hauteur £ ission qu il s’est imposée ; c’est ainsi que des hommes spéciaux, attachant à publication le degré d'importance qu’elle mérite, ont bien voulu promettre ‘oncours aux éditeurs toutes les fois qu'il serait nécessaire que les notes fou bar les exposants recussent quelques développements scientifiques: : Le 15 mai prochain est le terme le plus éloigné que les éditeurs du Monrreu Exposition aient pu fixer pour faire droit aux demandes d'insertion que MM ‘xposants devront faire parvenir directement à M. RORET, libraire, rue Ha euille, n° 10 bis, à Paris, à moins que les articles n’aient été remis à M. CHARH “hevalier de la Légion-d'Honneur, l’un des collaborateurs de louvrage et le agent que la maison Roret ait accrédité auprès de MM. les exposants. OBSERVATION ESSENTIELLE. M. Roret, qui na d'autre but que de publier un ouvragë Utile à l'industrie, pré MM. les exposants qu'il ne pourra leur être demandé AUCUNS FRAIS DE RÉDACTION is articles dont ils désireraient l'insertion dans le MONITEUR DE L'EXPOSITION , et que sa mé borairie ne se charge pas des annonces que MM, les eXPOSants destinent aux. joga Le a ARN s ae daaa ST 3 L'air: u ENTOYOL GU pour Les Re i w Joctetes | 4 MINERALOGIE > ER rA SR )ELAFOSSE | 5 ESSON Memtre cor éspri zal de Lis i G. ES de au Mada- | Zusreur a hochejart, eir (COOP Cint A s apr R d “ É \COUART, Directeur da Mecs ont e, auteur des Diptères du Nord € ede. FDIPFRRES } MILNE-EDWARS, er reser Prier PC, UM | Naturelle, dembre tle diber ger Sre EBIS SON, r | savantes, tete. elea (RC SENCÉS) oy auteur des | es deia | TEPEERTIER DE SANT FARGA “orc de Normandie.( VIES CRYPEOGAMES), 27 rident de it Toit? anio nmolog pt ADE CANDOLLE., de Genève, | audit lé La Monografihie des Teu:hrédut v); Membre dé d'Inséieis (KES ele ele AMEN OP TÈRES I) icat genai Pur dei. ue, | SPACH, Aüte-Naldrélialte ii Wirz 24 (PLANTES PHANCHOGAMES) ondun de į WABCEFN A d'Prcule Suites a Butfor VOLUMES itt- D CIORTOT p UIPL NES KEE.: 7 4 e 7 e O Aa ? f LAS Ja Sorel SUT Ced ri > PATAU SUJJUSAN É ZOUE VEG «4 a / A TBE donte l Cnu COn VENA Le. € Aill SOLAR EP E Pac rieme AE LA: “ent collector! ° ; $ $ a wpet prè tous Les iola UN DOUTE i. PP : z LO piarnchès Mai Cs oa cotrrieer., que Doluriie Í (notre. 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