Car ; k Cu + NE Mn PA Rne u L 1,— pire : = Suns Ke er Jar F Fe “ n re | M he, Pun * , ÿ Li : EL ': Ye Ps M. Nr à » \ 7 à, . . dE h _ LA . Ps ue 3 A en Den rs ne MDN “ # nd ere Te, = FE à 5 L LÀ E . rs : or d K Ru , de Ep é Fa ner r bo, 4, : £ ; 2 4e ” ea a) 2 EE ea è 2e À. Feb c AL À ass “ ls ) S- ren ie L M. te AE AUS Ha à . ” Ce RENE : “>< ’ 5 ; > me —. 4 ai M4 # +4 1 “ 'S BE % ré En à © ; Te 4 à re Ver Te ‘a Li 2 RSS Le ip | “ re À ” aŸ Es eZ mes ne. L Ÿ de _ dir ee À à des à VRAIES RERO a 2 à AA ner die ‘ = LE: É tes RE NL A EG ee Dh Sd = _ ao DT ge D TT SPP EE Ce 2 RPM : RES RON Tr ES LS Ses Ge 4 AIR. ( PT ER PE + ALES AGE - è LE d nee SR EI p- g eme © rene ; â : Re EDS AR LME ; OT AN RRRÉSUEE : Ü c md à » 4 rs * Fe T Te — : c pue # = y { Pt fr RE on CARE $ À V7 ARTS NS ro3.+68 W 3b HISTOIRE NATURELLE DES ILES CANARIES 9 | PAR Î MM. P. BARKER-WEBB ET SABIN BERTHELOT, Membres de plusieurs Aradémies et Sociétés savantes: | OUVRAGE PUBLIÉ SOUS LES AUSPICES De A. Guisok Aoinire de l'Smstructèn publique TOME DEUXIÈME. vromibre partit. Pr LA GÉOGRAPHIE ee , LA SEATISTIQUE ET LA GÉOLOGIE. 24 Zz 10129 PARIS. BÉTHUNE, ÉDITEUR, RUE DE VAUGIRARD, 36. MDCCCXXXIX. HÉNR QNE T te” À s* Ne HISTOIRE NATURELLE DES ILES CANARIES. FU ! roi (l Al pi € -& Rue de Vaugirard, 36. f GEOGRAPHIE DESCRIPTIVE. ACIURE HISTOIRE NATURELLE DES ILES CANARIES. INTRODUCTION (. COUP-D’OEIL SUR LA CHOROGRAPHIE DES ILES FORTUNÉES. Nos manel Oceanus circumvagus; arva, beala Pelamus arva, divites el insulas, etc. HOrACE, Epod., lib. 5, od. 11. Les premières notions sur la chorographie des îles Fortunées se perdent au milieu des allégories des temps fabuleux : les dialogues de Platon, en fixant l'attention de l'antiquité sur la fameuse At- lantide, n'ont fait qu'ajouter une fiction de plus aux vieilles annales de notre globe. Un de nos savans devanciers dans l'histoire de l'Archipel que nous allons décrire (2), remontant jusqu'aux siècles les plus reculés, a tâché de reconstruire ce monde que le philosophe grec semblait n'avoir créé que pour l'abimer sous les flots. Sans nous arrêter aux conjectures que l'on peut déduire de cette grande catastrophe, nous prendrons, à l'exemple de Gosselin (3), notre (1) Cette introduction a été lue dans l'assemblée générale de la Société de géographie , le 27 novem- bre 1835 , et a paru par extrait dans le bulletin de cette société , 2° série, t.1v , p. 289. @) M. Bory de Saint-Vincent, auteur des Essais sur les {les Fortunées. Paris, an xr. (3) « Ge serait nous écarter de l’objet de nos recherches , que de chercher à indiquer l'emplacement \ (4) point de départ d'une époque plus positive, nous bornent à ci- ter les diverses phases de cette chorographie des premiers âges à laquelle se trouve liée la connaissance du groupe des Canaries, Les îles quon appela successivement Atlantides et Hespérides, Elysiennes ou Fortunées, puis enfin Canaries, ont donné lieu à plus d'un commentaire. Ces différentes dénominations ‘établissent des époques distinctes et dépendent probablement de l'interprétation qu'y attachèrent les peuples navigateurs suivant leurs croyances religieuses, leurs connaissances géographiques et l'influence qu'ils exercèrent sur le reste du monde. | L'allégorie est le caractère dominant de la première époque qui comprend d'abord des traditions fondées sur une théogonie anté- rieure aux temps héroïques. Atlas, souverain de la Mauritanie, donne son nom à la chaîne de montagnes qui parcourt son empire, à la partie de l'Océan qui l’avoisine et à celte terre antique d'où il était venu. Les mythologues lui font épouser Hespérie, et les sept filles qui proviennent de cette union sont appelées alternati- vement Atlantides où Hespérides, dénominations que par allusion on a appliquées aux Fortunées. Dès le commencement de cette époque figure un être mystérieux, l'Hercule Phénicien, à la fois conquérant et civilisateur. Les Grecs attribuèrent ensuite à leur Hercule les hauts faits du demi-dieu qui présidaït aux destinées de l'opulente Tyr: leurs poètes chantèrent ses travaux, les filles d'Atlas arrachées à l'esclavage, le mont Calpé, séparé d'Abyla, l'Océan envahi et les ponimes d'or du jardin des Hespérides ornant le triomphe du héros victorieux. On à tenté d'interpréter ces fictions en s'appuyant d'hypothèses plus ou moins ingénieuses; ‘mais les différentes opi- » de l’île fantastique que le philosophe d’Athènes avait créée , et qu’il eut soin d’abimer au fond de » l'Océan , pour qu’on ne la cherchät plus après lui.» Gosselin , Recherches sur la géographie systémati- que et positive des anciens, tome 1, p. 144. (5) ions n’ont fait qu'accroître nos doutes et rendre plus obscures ces anciennes traditions. La seconde partie de l'époque que nous signalons remonte à plus de cinq siècles avant notre ère : dès-lors, l'ordre des événemens pa- raît mieux établi, et à défaut de documens authentiques, les rensei- gnemens donnés par les écrivains semblent accréditer des faits qui rentrent dans le domaine de l'histoire. Nous voyons d'abord les loin taines expéditions des peuples d'Orient dans lesquelles figurent tour- à-tour les Phéniciens, les Carthaginois, les Rhodiens, les Phocéens et quelques autres nations de l'ancienne Grèce. Un esprit de con- quête, mieux fondé que celui qui devait se manifester bien plus tard, poussa ces hardis navigateurs vers la gloire des découvertes dans l'espoir de fonder des établissemens utiles et d’unir les peuples par le commerce et la civilisation. S'élançant dans des mers jusqu'alors inconnues, les vaisseaux de Fyr pénètrent au-delà des colonnes d'Hercule, pour aller chercher de riches teintures dans les archipels d'Occident, et le nom de Purpuraires reste affecté à deux îles du groupe des Hespérides. Carthage, la fille de Tyr, l'œuvre de l'industrie phénicienne, profite de l'élan imprimé à la navigation pour étendre au loin sa puissance. Tandis qu'une de ses flottes, commandée par Himil- con, sort de la Méditerranée pour pénétrer dans la mer du Nord par le détroit des Gaules, une autre, guidée par le génie d'Han- non, redescend l'Atlantique et revient après cinq ans déposer son périple dans le temple de Saturne (435 ans avant Jésus-Christ). Euthimène, l'émule et le compatriote de Pytheas, part de l’an- tique Massalie, longe les côtes de l'Afrique occidentale et parvient, dit-on, jusqu'à l'équateur. Aïnsi, dès ces temps reculés, l'attention se trouva portée vers les îles voisines de cette vieille terre d'Atlas, déjà célèbre par tant de traditions; les Hespérides, dont l'imagination des peuples d'Orient j (6) exagérait les merveilles, ces îles fortunées, quon disait situées à l'extrémité du monde (1), durent être visitées plusieurs fois dans ces premières explorations, et quoique les documens historiques nous manquent, nous ne pouvons douter que ces contrées ne fus- sent bien connues des Carthaginois établis à Gadira (2) : mais peut- être, comme l'observe Diodore, entrait-il dans la politique de cette nation ambitieuse de cacher au monde ses relations commerciales afin de se réserver un monopole exclusif (3). Après la troisième guerre punique, lorsque l'orgueilleuse Carthage vit crouler sa puissance devant Rome victorieuse, l'attention du monde se tourna vers d'autres conquêtes, et les îles d'occident restèrent oubliées pendant plusieurs siècles. Quatre-vingt-deux ans environ avant notre ère, l'histoire fait de nouveau mention de cet archipel sous le nom d'îles Fortunées, et une nouvelle série d'explorations et d'événemens établit la seconde époque choro- graphique. Les armées romaines étaient en Espagne, où les dissensions politiques les avaient divisées en deux camps : Sertorius, attaché au parti de Marius et l'ennemi de Sylla, tenait encore en balance les destins de la république; le sénat, qui l'avait proscrit, venait d'envoyer contre lui une flotte puissante; le préteur rebelie se mit en mer avec la sienne pour combattre celle qu'on lui opposait, mais la tempête qui dispersa ses vaisseaux le força de se réfugier dans de petites îles de l'Océan. Cette circonstance a fait croire à Florus que le général romain avait pénétré jusqu'aux Fortu- nées (4), et d'autres historiens, adoptant en partie cette opinion. (1) Hesiode. Les trasaux et Les jours. V. 170 et 171. Ultima tellus. Ovid., Métamorp., Lib. 1v, fab. xvar. (2) -Cadix. (3) Diod., lib. v., cap. xvr. (4) Florus, Aist. rom., lib. ur, cap. xur. Ce) ont pensé qu'il était question de Madère et de Puerto-Santo (1). Une autre version semble pourtant plus probable; cest celle de Plutarque qui fait revenir Sertorius aux bouches du Betis, où des marins lusitaniens lui paritrent de ces heureuses contrées dont le biographe grec nous a laissé la description (2). « Ces îles s'appellent « Fortunées, dit-il; elles sont rafraïîchies par des vents agréables et « arrosées par des pluies périodiques ; leur sol fécond pourvoit abon- «damment aux besoins d’un peuple qui passe sa vie dans une douce «oisiveté. Rien n'altère dans ce climat la tranquillité de l'atmosphère; «le vent du midi, en arrivant dans ces heureuses contrées, y est déjà «amorti par le vaste espace qu'il a parcouru, et-malgré que les «brises de mer y apportent des nuages, la terre est seulement hu- «mectée par une rosée bienfaisante. On assure que ces îles sont les «champs ÆElyséens, séjour des dmes heureuses qu'Homère «à tant «célébré dans ses vers, et cette opinion s’est répandue méme parmi «les nations les plus barbares.» Voilà la première fois que la situation des Fortunées se trouve indiquée relativement à leur distance de l'Afrique; maïs il paraît que les navigateurs dont il est fait mention ne reconnurent que deux îles du groupe. « Elles sont séparées l’une de l’autre, ajoute Plutarque, par un » pétit bras de mer, et éloignées de mille stades de la côte occi- «dentale d'Afrique.» Le rapprochement de ces deux îles et leur distance du continent voisin paraîtraient indiquer Lancerotte et Fortaventure (3). Le récit séduisant des Lusitaniens sur la fertilité du sol et la douceur du climat de cet heureux pays, firent dé- sirer à Sertorius d'y chercher un refuge contre la mauvaise fortune, (4) Ruan, Hist. génér. de Cordov., tom. 1, cap. xx1v, pag- 308. ) Plutarque. De Sert. (3) M. Bory de Saint-Vincent a cru reconnaître Madère et Puerto-Santo dans les deux îles de Plu- tarque. 168) mais les circonstances l'empêchèrent de réaliser ce projet. Ainsi, ces îles, par leur ancienne renommée, semblaient promettre le bonheur même à ceux que le sort avait trahis; les Romains avaient adopté les croyances religieuses des Grecs, et ce beau nom de Fortunées, qui avait traversé les siècles, parlaït aussi à leur imagination. Vingt ans après la mort de Sertorius, Statius Sebosus donna quelques nouveaux renseignemens sur des contrées dont il ne parla que d’après le rapport des navigateurs de son temps. « Ses erreurs, dit Gosselin (1), ont influé pendant plus de quatorze siècles sur la situation des côtes occidentales d'Afrique. » On peut ajouter qu'elles ont contribué aussi à rendre presque inintelligible l'itinéraire qu'il a relaté. | Sebosus situait les Hespérides à un jour de navigation du pro- montoire du couchant (le cap de Nun); on y arrivait, en partant des Gorgones, après quarante jours de trajet le long de l'Atlas. Ces îles étaient au nombre de cinq, savoir : Junonia à 150 m. P. de Gades (Cadix), puis Plwialia et Capraria à 150 m. p. à l'ouest de la première ; à 250 m. p. plus loin, sur la gauche de la Mau- ritanie, et vers la neuvième heure du soleil, on rencontrait les grandes Fortunées, l'une appelée Convallis et l'autre Planaria, à cause de leur configuration. [l ajoute que Convallis avait 300 m. p. de circonférence, et que Pluvialia n'avait d'autre eau que celle des pluies (2). Nous n'entreprendrons pas d'interpréter cet itinéraire, dont proba- blement tous les points sont fautifs; cette navigation de quarante jours le long de l'Atlas est aussi incompréhensible que les dis- tances relatives des îles désignées par le narrateur. Cependant (1) Recher. sur la géog. syst. des anc., tom. 1, p. 146. (2) Statius Sebosus , apud Plin., lib. vr, cap. xxxvrr. (9) lillustre auteur des recherches sur la géographie systématique des anciens a voulu faire concider ces données avec des mesures réelles, en combinant les distances de l'allée et celles du retour. Malgré lérudition du commentateur, nous ne sommes pas peut-être les seuls que ses opinions n'ont pu convaincre. Tout ce qu'on peut déduire de certain de cet itinéraire , c’est que du temps de Sebo- sus, cinq îles du groupe des Fortunées avaient déjà reçu des noms distincts. La situation des Hespérides de Sebosus paraîtrait signaler encore Lancerotte et Fortaventure ; ainsi nous retrouverions avec ces deux îles tout l'archipel des Canaries. Gosselin à prétendu que la Junonia était le petit îlot de Graciosa, mais nous ne saurions admettre cette hypothèse en voyant reparaître plus tard ce même nom dans un autre itinéraire qui ne laisse plus aucun doute sur la dénomination particulière de chaque île et sur leur position relative. Il serait donc inutile de nous arrêter davantage aux in- dications trop vagues de Sebosus : hâtons-nous d'arriver aux ren- seignemens les plus précis que nous ait laissés l'antiquité, ceux des explorateurs du roi Juba, qui nous ont été aussi transmis par Pline. | | Le Juba dont il est ici question était fils du roi de Numidie du même nom, qui vit son empire envahi par les armées romaines ; Strabon et Tacite en parlent comme d'un des princes les plus ins- truits de son siècle; son savoir, dit Pline, lui acquit plus de respect que son diadème (1). Il passa sa jeunesse à Rome, dans les études et la méditation, et régna ensuite sur la Mauritanie, qu'August lui céda en échange des états que l'empire venait de conquérir De retour en Afrique, ce jeune prince mit à profit ses connais- (1) Ce prince mourut l’an 776 de Rome; il se concilia durant sa vie l'affection de tous ses sujets par sa sagesse et sa modération, et fut mis au rang des dieux après sa mort. ( Voy. la savante dissertation de l'abbé Sevin sur la vie et les écrits de Juba. ) IT. 2 Ÿ (10 ) sances géographiques, en envoyant une expédition pour explorer les îles Fortunées voisines de son royaume, et écrivit une relation de ce voyage qu'il dédia à l'empereur. Malheureusement cet ouvrage n'est pas parvenu jusqu'à nous, le léger fragment que Pline nous a transmis est tout ce qui nous en reste; le naturaliste romain s'exprime à-peu-près en ces termes: « Les îles Fortunées sont situées au sud-ouest à 625 m. p. des « Purpuraires : pour ÿ aller de ces dernières, on navigua d'abord « l'espace de 250 m. p. vers l'occident et ensuite 75 m. p. à l'orient. « La première s'appelle Ombrios, et n’a aucun vestige d'édifices ; « elle possède un étang au milieu des monts, et des arbres sem- « blables à des férules.... La seconde se nomme Junonia, et ren- « ferme un petit temple en pierre brute; auprès de celle-ci, ilen «existe une autre plus petite et du même nom; ensuite vient « Capraria, remplie de grands lézards. En face de ces îles est « située Nivaria, dont le nom provient de la neige et des brouil- « lards qui la couvrent sans cesse; non loin de Nivaria se présente « Canaria, ainsi appelée à cause de sés chiens nombreux et de « grande taille, dont deux furent apportés à Juba. On trouve « dans cette dernière des vestiges d'édifices. Toutes ces îles abon- « dent en pommes et en oiseaux de tout genre, en palmiers cou- « verts de dattes, etc. » (1) Les trois premiers noms de Sebosus reparaissent dans. cette (1) Juba de Fortunatis ita inquisivit : « Sud meridie positas esse prope occasum à Purpurariis « poxxv. M. passuum, sic ut ceu supra occasum navigatur: deinde per 1xxv. M. passuum ortus « petatur. Primam vocari Ombrion, nullis ædificiorum vestigiis; habere in montibus stagnum , «'arbores similes ferulæ , ex quibus aqua exprimatur , ex nigrisamara, ex candidioribus potui jucunda ; « alteram insulam Junoniam appellari ; in ea ædiculam esse tantum lapide extructam. Ab ea in vicino « eodem nomine minorem. Deinde Caprariam lacertis grandibus refertam. In conspectu earum esse « Nivariam, quæ hoc nomen accepit à perpetua nive nebulosam. Proximam ei Canariam vocari à « multitudine canum ingentis magnitudinis, ex quibus perducti sunt Jubæ duo : apparentque ibi « vestigia ædificiorum. Cum autem omnes copia pomorum , et avium omnis generis abundent , hanc « et palmetis caryotas ferentibus , ac nuce pinea abundare...etc. » Plin., Lib, vi, cap. xxxrr. (11) relation avec une légère modification qu'on peut considérer comme une synonymie, car Ombrios nest qu'un équivalent de Pluwialia ; les deux dernières îles seulement ont changé de dénomination, Convallis est devenue Nivaria, et l'on peut croire, par induction, que Planaria a été remplacée par Canaria, nom qui fut pris par Ja suïte, dans un sens collectif, pour désigner tout l'archipel. Quant à la petite île que Pline signale auprès de Junonia , et dont Sebosus n'a pas parlé, nous ne partageons pas l'opinion de ceux qui veulent que ce soït Graciosa, îlot voisin de Lancerotte : la narra- üon est trop explicite pour qu'on puisse admettre un pareil gise- ment. Le groupe d'îles, auquel la Junonia minor paraît avoir appartenu, est indiqué dans l'itinéraire comme entièrement séparé des Purpuraïres, et celles-ci, que nous croyons les Hespérides de Sebosus , ne peuvent étre que Lancerotte et Fortaventure, puisque les envoyés de Juba les placent à lorient des Fortunées. Cependant l'ilot voisin de la grande Junonia de Pline, une des îles du groupe occidental, ne se retrouve plus aujourd’hui; ce rocher, produit par quelque éruption volcanique, aura disparu peut-être dans une nouvelle catastrophe, et ce doute acquiert plus de fondement lorsqu'on à égard aux révolutions physiques qui ont bouleversé l'archipel à différentes époques. | - Mais à quelles îles doit-on rapporter chacun des noms de Pline ? Cette question a été plus d'une fois débattue, et pourtant elle est encore loin d'être éclaircie. Gosselin, qui l’a traitée d'une manière spéciale, est entré dans une longue dissertation sur les distances de l'itinéraire des explorateurs Mauritaniens, et ne pouvant se rendre raison de cette route qui les porta d'abord à l'Occident, puis ensuite vers l'Orient, il a pensé que les distances émises étaient fondées sur une combinaison de route semblable à celle qu'il avait cru reconnaître dans l'itinéraire de Sebosus. Dès-lors, il lui a fallu trouver une erreur dans le texte, afin d'interpréter \ (12) la navigation des envoyés de Juba dans un autre sens que celui de la relation. C'est aïnsi que, s'appuyant d'une correction rap- portée en marge d'une édition de Pline (1), il a rétabli par un chiffre cet accord de nombre dont il avait besoin pour cumuler ses distances et confirmer son opinion (2). Pour nous. le premier texte nous a semblé mieux expliquer l'itinéraire que la variante .. et nous avons préféré nous en tenir à son énoncé. Nous ne discuterons pas sur les 625 mille pas que Gosselin a considérés comme une distance absolue exprimant un double trajet, nous passerons de suite aux deux autres mesures qui parais- sent indiquer des distances relatives. En effet, les explorateurs en quittant les Purpuraires, c'est-à-dire Lancerotte et Fortaven- ture, se dirigent d'abord à l'Occident en parcourant un espace de 250 m. p. (Sicut CCL supra occasum navigatur.), et la première île qu'ils nomment est celle d'Ombrios. Or, l’île de ce nom ne peut être qu'une des plus occidentales du groupe, puisqu'il est hors de doute que les noms de Nivaria et de Canaria se rapportent aux deux grandes îles du centre. D'après la relation, l'Ombrios se distingue des autres par un étang au milieu des monts : à ce caractère on doit reconnaître l’île de Palma, et sa fameuse Caldera. Gomère et l’île de Fer noffrent, ni l'une ni l’autre, aucune lo- calité qui puisse faire soupçonner l'existence d'un ancien lac, tandis que dans l'île de Palma des indices irrécusables viennent attester que des eaux stagnantes ont occupé le fond de la vallée centrale. Cette enceinte volcanique qu'entourent de hautes montagnes a éprouvé plus d'un bouleversement, et la dernière débâcle y a laissé des traces profondes. Les sources qui jaïllissent de toutes (1) Plin. varior., tom. 1:, pag. 383. | (2) Gosselin , Recher. sur la géogr. syst. des anc., tom. 1, pag. 151 et 152. (13) parts du fond de cet immense gouffre, séchappent par le ravin de Las Angustias, qu'on peut considérer comme une vallée d'érosion. Ce ravin avait reçu des anciens habitans le nom d’'Axerxo qui signifiait grand torrent (1), ils désignaient en même temps la Caldera par celui d'Ecero ou d'Ecerxo. Cette enceinte était occupée alors par le prince Tanausu, qui avait établi sa résidence sur le plateau de Tabuventa. L'analogie de ces deux mots Æxerxo et Ecerxo pourrait bien avoir quelque rapport physique. En effet, si Æxerxo exprimait un torrent impétueux , Ecerxo indiquait peut-être une masse d'eau plus tranquille et concentrée dans certaines limites. Cette supposition, qui expli- querait l’habere in montibus stagnum de Pline, acquiert plus de valeur qu'une simple hypothèse, quand on sait que les auteurs canariens s'accordent en général sur la richesse d'expressions qui caractérisait cette langue toute descriptive des Guanche, dont on retrouve encore quelques fragmens dans les manuscrits de Gal- lindo. Les eaux du Ravin vont alimenter aujourd'hui les sucreries d'Argual et de Tazacorte : lorsque le centre de l'ile était plus boisé, ce torrent devait être bien plus considérable, à en juger surtout par les grands attérissemens qu'il a laïssés sur ses rives ; les énormes fragmens de rocher, qui barrent maintenant le Thalweg, attestent encore la débâcle qui eut lieu à l'époque où les eaux concentrées dans la Caldera s'ouvrirent tout-à-coup un passage. L'espace parcouru par les explorateurs de Juba, depuis les Purpuraires jusqu à Ombrios, peut encore fournir une autre induction sur la position de cette île, puisque les 250 m. p., qui représentent cette route, équivalent à 66 lieues 2/3 ou à la distance comprise entre la côte occidentale de Fortaventure et un des caps de l'ile de Palma (Puntallana.) (1) Gallindo. Mss., lb. mr, cap. vin. (14) Après avoir reconnu Ombrios, les envoyés mauritaniens nom- ment les autres îles du groupe d'occident qu'ils durent visiter successivement comme les plus voisines; d'abord Junonia, la plus rapprochée d'Ombrios, et que nous retrouvons dans l’île de Gomère. Ce nom de Junonia, déjà donné par Sebosus, date sans doute d'une époque plus reculée, et pourrait bien avoir été imposé à cette île par les Carthaginoïis, en l'honneur de Junon, leur déesse protectrice, Le petit temple en pierre brute, dont parle Pline, semblerait appuyer cette opinion. Capraria est la troisième île citée par les explorateurs de Juba, et ils la désignent comme remplie de grands lézards. Si l’ordre de l'itinéraire n'indiquait déjà l'île de Fer, nous la retrouverions encore à ce second caractère : en effet, les reptiles du genre lacerta y sont très-nombreux, et leurs dimensions dépassent de beaucoup celles des espèces d'Europe. Les chapelains de Béthencourt, qui visiterent l'île de Fer en 1402, ont constaté les premiers le fait énoncé par Pline. « Il y a des lézardes grandes comme des chats, disent-ils dans leur vieux style, mais elles ne font nul mal et sont bien hideuses à regarder (1). » Nous ajouterons que ce nom de Capraria, dérivé sans doute :du grand nombre de chèvres qu'on trouva dans cette île, peut aussi servir d'indication, et qu'il ne serait pas élonnant quil eût été ‘imposé de préférence à l'île de Fer, où ces animaux étaient en grand nombre, lorsque les aven- turiers normands envahirent le pays en 1402. Après avoir parcouru celte partie, la plus occidentale de l'ar- chipel , les navigateurs font route vers l'est, en franchissant un espace de trente lieues ( deinde 1xxv m. passuum ortus petatur ) , et abordent à Nivaria, située en face des trois îles qu'ils vien- nent d'explorer (2 conspeclu earum), puis de là ils passent à (1) Bontier et le Verrier, Æist. de la prem. découv. et conquét: des Can , pag. 122. (15) Canaria, qu'ils nomment la dernière. La nébuleuse Nivaria, cette terre au sommet couvert de neige (1), ne peut être que Téné- riffe et son pic dominant les vapeurs qui voilent sa base. Canaria a conservé, avec son nom romain ses chiens de grande taille. Cette race, dont Pline fait mention (2), n'a pas eu le sort des primitifs habiïtans des Canaries; elle est concentrée aujourd’hui dans l'île de Lancerotte. À l'époque de l’arrivée de Bethencourt, en 1402, la grande Canarie possédait encore beaucoup de chiens ; Bontier et le Verrier les qualifient de chiens sauvages qui semblent loups, mais qui sont plus petits (3). Viana, dans son poème patrio- tique, adoptant l'étymologie du nom de Canaria d’après les ren- seignemens de l'historien romain, s'est exprimé en ces termes : Unos afirman ser por muchos canes Que en la gran Canaria hasta hoy se crian. (4) _ Ainsi du temps du poète canarien, c'est-à-dire, vers la fin du xvi siècle, les chiens indigènes existaient encore dans cette île. N'oublions pas de faire remarquer en outre que la ville de las Palmas, capitale de la grande Canarie, a conservé dans son blason deux chiens rampants au pied d’un palmier, et que deux chiens soutenant un écusson, surmonté de la couronne d'Espagne, avec sept îles dans un champ d'azur, se voient aussi sur les armes commu- nes à tout l'archipel. Des monumens couvrirent, nous dit-on, le sol de la grande Canarie (5); ces édifices, dont les envoyés de Juba apercurent (1) « 4 perpetua nive nebulosam. » Plin., lib. vr, cap. xxxnr. @) « Proximam ei Canariam vocari à multitudine canum ingentis magnitudinis , ex quibus perducti sunt « Jubæ duo. » Plin. vr, cap. xxxui. (3) Conquét. des Canaries, chap. 69. (4) Antigued. de las isl, afortun., cant. 1, pag. 12. (5) Apparentque ibi vestigia ædificiorum. Plin., lib. vr, cap. xxxur. \ (16) encore quelques vestiges, ont entièrement disparu; mais l'on re- trouve là preuve d'anciennes constructions dans l'histoire de la conquête de cette île. Bontier et le Verrier citent les villes de Telde, d'Argonez et d'Arguyneguy (D. Abreu, Gallindo et Viera parlent de petits temples (oratorios ) bâtis sur la cime des mon- tagnes , de maisons fabriquées avec art, d'enceintes fortifiées (2), et le palais de Guanartème de Gardar ma été démoli que vers la fin du dernier siècle. | | Cette navigation des Purpuraires aux Fortunées paraîtra peut- être trop hardie pour une époque où l'art nautique avait fait encore peu de progrès; on objectera que, sans le secours de la boussole, les envoyés de Juba ne pouvaient perdre impunément la côte de vue, et s'aventurer ainsi dans la haute mer; on s'étonnera même que, dans ce trajet, ils n'aient pas eu connaissance de Canaria et du Pic de Ténériffe avant d'aborder aux îles situées à l'extré- mité de l'archipel. Nous répondrons à ces objections par des ob- servations déduites de la position relative des iles, de l'influence des vents régnans , et de quelques autres circonstances locales. Si l'on s'en tient au texte de Pline , Juba voulant se procurer, sur les îles Fortunées, des renseignemens moïns vagues que ceux qu'on avait eus jusqu'alors, envoya reconnaître cet archipel. L'expé- dition, exécutée sous les auspices de ce prince, fut un voyage de décourverte, et les explorateurs durent partir des Purpuraires sans direction arrêtée, car tout porte à croire que les notions des Phé- (1) « À demi-lieue près de la mer, du côté du nord-est, sont deux villes à deux lieues l’une de « l'autre, l'une nommée Telde, et l’autre Argonès, assises sur ruisseaux courans. Et à vingt-cinq « milles delà du côté du sud-est, si est une autre ville sur la mer... laquelle se nomme Arguyneguy. » ( Bontier et le Verrier, Hist. de la prem. découv. des Can., pag. 198. (2) Gallindo. Mss. lib. 1, cap. v. Te id... Lib. 1, cap. xxvr. Viera , Moticias de la hist. gener., tom. 1 , page 169. 0) | niciens et des Carthaginoïis sur les îles Atlantiques n'étaient pas parvenues Jusqu'à eux. Ils ne purent donc se diriger de suite sur Canaria qu'ils ne connaïssaient pas, puisque, malgré la proximité de cette île, on ne l'aperçoït pas même de la pointe la plus méri- dionale de Fortaventure, qui n'en est pourtant éloignée que de dix-sept lieues. Ce fut probablement en suivant l'impulsion des vents alizés que les vaisseaux mauritaniens furent entraînés vers l'ouest et atterrirent sur les dernières îles du groupe. Cette route dut les faire passer au nord de l'archipel, et à une assez grande distance des deux principales îles du centre (Canaria et Nivaria), pour qu'elles leur restassent cachées par les nuages qui d'ordinaire s’amoncèlent sur ces hautes montagnes (1). À la pratique près , les marins cana- riens ne sont guère plus avancés aujourd'hui en navigation que les envoyés de Juba. Les bâtimens pécheurs qui fréquentent la côte d'Afrique ne se guident que sur une routine souvent sujette à erreur ; aussi leur arrive-t-il bien des fois de manquer l’île sur laquelle ils se dirigent à leur retour, et, si par cas leur route les porte trop au nord, ils dépassent l'archipel et remettent le cap à l'est pour réparer leur fausse estime, heureux quand, dans ce second trajet, ils tombent sur l’île qu'ils cherchent, sans être obligés de retourner à la côte pour rectifier leur point de départ. | L'interprétation que nous venons de faire de l'itinéraire des envoyés de Juba nous semble d'accord avec l'esprit du texte, puisque ce dénombrement des îles en sens inverse de leur proximité du continent, prouve qu'on à voulu les indiquer dans l’ordre de leur exploration; et quoique notre manière d'expliquer les distances énoncées par Pline s'écarte de celle de Gosselin, nous différons peu cependant sur l'application des noms latins (2). Quant aux Purpu- (1) Les montagnes , étant alors plus boisées , devaient augmenter cette masse de vapeur. (2) Gosselin a fait l’application suivante des noms anciens aux différentes îles du groupe des Canari les. 1]. \ 3 2e TS ) raires, nous partageons l'opinion de ce savant commentateur qui, à l'exemple de d'Anville (1), a rapporté cette ancienne dénomina- tion à Lancerotte et à Fortaventure. Pline nous apprend que le nom de Purpurariæ, imposé à ces îles, provenait des établissemens que le roi Juba y avait fondés pour la teinture en pourpre (2), Gosselin n'a pas manqué de citer ce fait et s'est appuyé de l’auto- rité de d'Argenville (3), qui pensait que la couleur si estimée des anciens était extraite d'une espèce de coquille du genre murex, très-abondante dans ces parages. Ce nest pas ici le cas d'entrer dans une dissertation sur ce sujet, du reste déjà bien éclairci; les savantes recherches de Lister (4), Templeman (5), Duhamel (6) et autres ont suffisamment démontré que l'humeur lymphatique con- tenue, en si petite quantité, dans les mollusques soumis à leurs expériences, était loin de produire cette couleur brillante que le na- turaliste romain à caractérisée par cette phrase : Laus purpuræ summa, in colore sanguinis concreti, nigricans aspectu, idemque suspectu refulgens. Undè et Homero purpu- reus dicitur sanguis (1). M. Bory de Saint-Vincent pense que la matière colorante, qu'on Ombrios—Fer. Junonia—Palma. Capraria—Gomere. Nivaria—Ténériffe. Canaria—Canarie. Purpura- ria=Lancerotte et Fortaventure, Junonia minor—Graciosa. ( Rec. sur la géogr. syst. des anciens. ) M. Léopold de Buch à interprété ces noms ainsi qu’il suit : Ombrios—Lancerotte. Junonia magna— Fortaventure. Junonia minor—Canarie. Capraria—Fer. Canaria—Palma. Nivaria—Ténériffe. On voit, d’après cette répartition, que Gomere se trouve oubliée; M. de Buch pense que cette île a pu rester inconnue ou être prise seulement pour une portion de Ténériffe, (Physical. Beschreib. der Canar. Insel. Berlin, 1825. ) (1) D’Anville, Géogr. anc. abrég., tom. 1, pag. 117. (2) Plin., lib. vr, chap. xxxvi. (3) D’Argenv. Conchyolog. , pag. 82. (4) Transact. Philos. n° 197, an. 1692. (5) Templeman, Dissert. sur la pourpre des anciens. (6) Mémorre de l Académ. , pag. 6 , an. 1736. (7) Pl. , iv. 1x, ch. xxxvin. | (19) allait chercher dans ces îles, ne peut être que l'orseille (lichen roccella EL), si estimée pour la teinture (1). L'abondance de cette plante dans les îles de Lancerotte et Fortaventure semblerait confr- mer les assertions de M. Bory. L'emploi de l'orseille est connu de temps immémorial : sa préparation fut d'abord un mystère, mais devenue d'un usage général, cette plante prit rang alors parmi les productions les plus importantes des îles Fortunées. Les Phéniciens , les Carthaginois et les Massaliotes, qui fréquentèrent les premiers les archipels d'occident, eurent successivement le monopole de l'orseille; ce commerce dut passer plus tard aux Romains par l'intermédiaire des marchands mauritaniens; mais abandonné ensuite pendant près de quatorze cents ans pour n'être plus exploité que par quel- ques aventuriers, ce trafic ne reprit faveur qu'au commencement du xve siècle, lorsque Bethencourt et ses compagnons s’emparèrent de Fortaventure. « {/y croft une graine qui vaut beaucoup et qu'on appelle «orsolle, ont-ils dit, elle ‘sert à teindre drap ou autre chose, et si « cette île est une fois conquise et mise à la foi chrestienne, icelle « graine sera de grand valeur au sieur du pays » (2). Les notions que Ptolémée nous a transmises sur la situation des îles Fortunées, n'ont guère illustré les renseignemens de Pline : ses tables et ses cartes, reproduites dans divers ouvrages (3), d'après les manuscrits grecs et latins, nous ont fourni les premiers docu- mens graphiques sur les archipels de l'Afrique occidentale ; mais les projections dressées par ce géographe, d'après les données de Marin de Tyr, sont souvent inexactes, et le gisement des Canaries = (1) Essais sur les tles Fortunées ; pag. 377 et 378. (2) Bont. et le Verr., Conquest. des Can. , pag. 130. (3) Ptolém. , Géogr. Edit. prince. Venise, 1486. Bourdone Isolario ; Venise , 1528. Gosselin, Recher. sur la géogr., etc., tom. 1, etc. : (20) est tout-à-fait faux. Ptolémée plaça ces îles presque sous un même méridien, au terme le plus occidental de la terre connue (1); quel- ques-uns des noms de Sebosus et de Pline, qu'il adopta, ont été altérés par les copistes et rapportés dans l'ordre suivant : Aprositos, Hera seu Junonia, Pluitana, Casperia, Canaria et Pin- tuaria (2). La singulière disposition des îles du nord au sud (3), dans les cartes de Ptolémée, prouve que l'astronome d'Alexandrie n'eut pas connaissance de la relation de Pline, car l'itinéraire des envoyés de Juba l'eût empêché de commettre une pareille erreur. Gosselin croit qu Aprositos représente Fortaventure, maïs cette épi- thète d'inaccessible ne sauraït guère s'appliquer à une île basse et facilement abordable. Il en est probablement d'Aprositos comme des autres, les opinions qu’on pourrait adopter à cet égard ne seraient que des hypothèses. Les Fortunées perdues et retrouvées à plusieurs époques, ces îles que Juba avait décrites et que Ptolémée venait de signaler, restèrent (1) Ptolém. , Géogr., lib. :, cap. 11, pag. 18. (2) Ptolém., Géogr., cap. vi, tab. 1v. (3) « Les îles Fortunées sont, dans toutes nos éditions latinés, et dans la plupart des manuscrits grecs ou latins, sous un même méridien à un degré de longitude. Nous pensons que c’est une erreur que les copistes ont introduite dans le texte de Ptolémée. Get auteur plaçait les Fortunées au terme le plus occidental de la terre connue ; il fallait donc que les plus reculées dans l’ouest fussent , selon lui, sous le premier méridien ; sans quoi toutes Les longitudes de ses tables seraient fausses. Nous avons d’ailleurs à l'appui de notre opinion, le texte grec des éditions , qui fixe quatre de ces îles à £ zéro de longitude , c’est-à-dire sous le premier méridien, et deux seulement à un degré moins à l'ouest. » (Gosselin , Recher. sur la géogr. des anciens , tom. 1, pag. 158.) A cette observation importante nous ajouterons le tableau comparatif des latitudes et longitudes de Ptolémée , telles qu’elles ont été copiées dans le texte grec et les éditions latines. Texte grec. Éditions latines. Aprositos.. +: . . . 16° 0° lat. O O0’ long. 1° 16° de long. Mnona en nt, GAS: : 140: 1: 15 1/4 » Pluitana ou Pluriala. . 15 15. 0 0. TOTALE Casperia ou Capraria. . 12 30. . O O. NAN (Bet CE D EX 1 O. 1h til » Pintuaria ou Nivaria. . 11 O. 0 0. 1 10192 » (21) ncore oubliées pendant treize siècles ; l'invasion des barbares, en létruisant l'empire romain, replongea l'Europe dans l'ignorance et fit rétrograder la civilisation. Mais le génie des grandes découvertes devait se réveiller un jour dans Christophe Colomb et Vasco de Gama, et les Canaries, par leur heureuse situation , étaient desti- nées à devenir une échelle importante pour la navigation des deux Indes. L'histoire ne nous apprend pas si vers l'an 800 les conquêtes des Normands s'étendirent jusqu'aux archipels atlantiques; nous savons seulement qu'en 1170 le Scherif-el-Edrys, surnommé le géo- graphe de Nubie, fit mention de trois îles de l'Afrique occidentale. Cet auteur raconte (1) que des aventuriers parts de Medina Alisbona Lisbonne) furent portés par les vents vers les îles de Shierraham t Sciarram , séparées des côtes de la Mauritanie par un petit bras de mer et peu distantes de Capraria, Vîle des Chèvres. On présume que cette expédition eut lieu au commencement du xre siècle : dans ce temps-là les Arabes conquérans étaient seuls dépositaires des sciences; Benhonain leur avait traduit l’Almageste, et les Maures d'Espagne avaient eu connaissance des îles Fortunées, qu'ils appe- laient Gezayr el Khaledat (îles Heureuses.) Maïs ces notions appar- tiennent déjà à la troisième époque chorographique que nous nous sommes réservé de traîter séparément. | 1) Voy. les compilations de Joseph Conde sur les auteurs arabes (tom. r, cap. cix, pag. 526 ), etle: livre du Scherif-el-Edrys traduit en espagnol sous le titre d’El descoso de peregrinar la tierra. (22) ANALYSE GÉOGRAPHIQUE. Nous venons de voir qu'on eut long-temps de fausses données sur la situation géographique des Canaries : vers le milieu du se- cond siècle de notre ère, Ptolémée, qui plaçait cet archipel beau- coup trop au sud, entre le 11®%et le 16" degré de latitude nord, fit passer son premier méridien par quatre îles qui étaient regar- dées alors comme les plus occidentales du groupe (1). Cette déter- mination prévalut. pendant quelques années ; le cercle régulateur tracé par l’astronome d'Alexandrie fut pris comme point de départ de la longitude terrestre, maïs bientôt la position absolue et le gisement relatif des anciennes Fortunées ayant été mieux compris, l'île de Fer, presque ignorée jusqu'alors, mérita seule l'honneur du premier méridien (2). Tous les peuples navigateurs parurent s’accorder d’abord pour compter la longitude à partir de ce point, et une ordonnance de Louis XIIT obligea les géographes de France de se conformer à cette indication. Le cardinal de Richelieu vou- lut donner à cette mesure une célébrité européenne en convo- quant dans la salle de l'arsenal de Paris tous les mathématiciens les plus renommés : ce congrès scientifique tint sa séance le 25 avril 1634. Cependant la véritable situation de l’île qui était de- venue un des points de repère les plus importans pour les calculs des distances, n'avait jamais été bien déterminée ; ce ne fut qu'en 1724, c'est-à-dire quatre-vingt-dix ans après l'ordonnance de {1) Ces quatre îles étaient Aprositos, Pluvialiu, Capraria et Nivaria. Voy. la note 3, p. 20. (2) Plus tard Riccioli, s’érigeant en réformateur , prétendit que l’ile de Palma était la plus occi- dentale des Canaries et y fit passer le premier méridien. ( Voy. hist. univers., tom. 24 , liv. 20, chap. 4; et Lalande. Astronomie, tom. 1, Liv. 1.) Le pic de Teyde fut pris à son tour comme point de départ des longitudes terrestres dans plusieurs cartes hollandaises et espagnoles. (23 ) Louis XIII, que le P. Feuillée fut envoyé aux Canaries pour y vérifier, par des observations astronomiques, la différence en lon- gitude entre le méridien de l'île de Fer et celui de l'Observatoire de Paris. L'Espagne même ne put se procurer des renseignemens précis sur les positions réelles de cet archipel qu'après plus de trois cents ans de possession; car avant les travaux de Lopez, en 1780, il n'existait. dans ses dépôts aucune bonne carte des Canaries. Nous allons voir, en effet, que ces îles ne furent bien connues sous les rapports géographiques que vers la fm du dernier siècle; et pour- tant les Maures de la Péninsule les avaient fréquentées au temps de leur puissance : déjà, en 1291, elles étaient devenues le but des excursions des aventuriers (1), et, après que Béthencourt s'en fut rendu maître, le vénitien Cadamosto, Christophe Colomb et les. plus illustres navigateurs les visitèrent successivement (2). (4) Voy. Justiniani, Annales de Gênes , et Viera, Noticias de la hist. gen. de las 1sl. Can., tom. 1, pag. 267. (2) Cadamosto visita les Canaries en 1445 et 1446. Voy. Æist. des voyag. de l'abbé Prevots, édit. in-#, tom. 11, pag. 298. Christophe Colomb relâcha à la grande Canarie le’ 11 août 1492, d’où il repartit Le 1° septembre pour l’île de Gomere. Ce fut de cette dernière échelle qu'il fit voile pour le Nouveau-Monde qu'il dé- couvrit le 11 octobre. Il toucha de nouveau à la Gomere, le 5 octobre de l’an 1493. Le 19 mai 1498, il visita encore la même île ; enfin, lors de son quatrième voyage en Amérique, il relâcha une dernière _fois à Canaria,, le 19 mai 1502. Voy.. Herrera, Hist. génér. de Ind., lib. vin, cap. 1x4 Viera, Noticias , tom. 2, pag. 166, etc., et la digression géographique du supp. à la présente partie. Les principaux navigateurs qui visitèrent les Canaries avant la publication des cartes de Lopez, sont : Don Nicolas Ovando. . . . . . en 1502: Pierre Vandérdoes : 1 : . .' : en 1599. Alonzo Quintero avec Hernand ne mandats Robe Bikes. 4 ce 1057. P. Davila. . . + . . . . . . « 1514 Guillaume Dampier. . . . . . « 1699. Mivellan O0 OU ANOENM« 1019 De P'FémIlÉe 0. CN 1, KE 1724. F. de Montejo, conquérant du Yucatan. « 1526. Georges Glas. . . . . . . . « 1764. Jacques de Soria. . . . . . « 1570. Eveux de Fleurieu. . . « 1768. Don Alvaro de Bazan, génial _ Verdun de la Crenne, onda. et galères d'Espagne: . . . . . . « 1580. Pinote cu "an PS. + MONTMAUITTTE DER DS 0 RDOordanet Paysequr US Rs 17710: ER 0 cl JO ME LCApilaines Coke. eu: Là, 1776. (24) La carte de Fr. Picigano, faite à Venise en 1367 et conservée dans le cabinet du duc de Parme, est la plus ancienne de toutes celles où les Canaries ont été représentées. Téneriffe y est indiquée sous le nom de l'île de l'Enfer (Zsola del Inferno ): sa forme, de même que celle de Canaria, est tout-à-fait arbitraire, maïs la si- tuation réciproque des sept îles ne laisse aucun doute sur la con- naissance que les navigateurs de cette époque avaient déjà de l’archi- pel canarien. En 1436, Andrea Bianco dressa aussi à Venise une carte marine dans laquelle tout le groupe des Canaries se trouvait compris : la position relative de chaque île y est plus exacte encore que dans le plan antérieur, mais Ténériffe, Canaria, Palma, Gomere et Fer y sont représentées sous des formes imaginaires et les îlots placés au nord de Lancerotte ont un faux gisement. L'auteur de cette carte a désigné la petite île de Lobos sous la dénomination de Paruego, tandis qu'il a rapporté son vrai nom à un rocher voisin d'une île Chapela située presque en face du détroit de Gibraltar, par la longitude du pic de Ténériffe, et précisément à l'endroit où les routiers ont long-temps signalé plusieurs roches qui au- jourd'hui ne se montrent plus. Les îles Canaries se retrouvent encore figurées dans l’/solario de Bordone publié à Venise en 1528. On les voit d'abord sous le nom de Fortunate dans la carte plate et la mappemonde qui sont au com- mencement de cet ouvrage, puis on les retrouve sur deux petits plans qui font partie du livre premier; dans l'un, l'auteur les à dis- posées du nord au sud d'après l'ancienne indication de Ptolémée ; dans l'autre, il les a placées de lorient à l'occident selon des renseigne- mens plus modernes. Dans la partie de sa relation qui a rapport à la position géographique des Canaries, Bordone s'exprime en ces termes : « Nous différons beaucoup aujourd'hui des anciens écrivains sur le « nombre et la position de ces îles; auparavant on en comptait six ( 25 ) « toutes dans le sud, tandis que nos marins en connaissent dix au « couchant de la Lybie inférieure, et disposées successivement d'est à « ouest à 50 milles environ l’une de l'autre. La distance du continent « d'Afrique à la plus orientale est de 420 millés, et de 1020 à la plus « occidentale. Trois d’entre elles sont désertes (1) et sept sont habitées : « parmi celles-ci, quatre sont soumises au christianisme, savoir : « Lancerotte la première, ensuite Fortaventure; Gomere et l'ile de « Fer qui est la dernière. Les trois autres, c'est-à-dire, grande « Canaria, Ténériffe et Palma, n’ont pas encore été soumises et sont « habitées par des idolätres. Ténérife, la plus élevée de toutes, possède « un pic qu'on aperçoit de soixante lieues en mer dans les temps clairs. « Ces îles sont situées au milieu du second climat, par le sixième « parallèle; leur jour le plus long est de 13 heures et demie. » Cette relation de Bordone doit être rapportée à une époque plus ancienne que la publication de son ouvrage, probablement au temps de Cadamosto en 1445, car en 15928 il y avait déjà 32 ans qu'Alonzo Fernandez de Lugo avait achevé la conquête de Téné- riffe et de Palma, les deux dernières îles qui défendirent leur in- dépendance. | Nous n'avons pas l'intention de passer en revue toutes les cartes des Canaries qu'on a dressées après les deux dont nous venons de parler; il nous suffira de mentionner en note celles que nous avons eu occasion de consulter, et d'appeler seulement l'attention sur les travaux géographiques les plus importans. (1) Les trois îles désertes dont parle l’auteur de l’Zso/ario, sont situées le long de la côte d'Afrique au sud-est du groupe des sept principales. « La première, dit-il, s'appelle Blanche (Bianca) à cause du « sable dont elle est formée ; les Portugais ont donné à la seconde le nom de Cuori, et celui d’ile des « Pies (Zsola delle gaze) a été affecté à la troisième par rapport aux oiseaux qui l’habitent. » Voy. Bor- done. Zsolario , libro primo, fol. xvir. ie, 4 (26) Dans la masse des renseignemens qui ont avancé nos connais- sances. sur la chorographie canarienne, on doit placer au premier rang les observations des astronomes et des géographes français. Nous citerons d'abord celles du P. Feuillée : le voyage qu'il effectua aux Canaries en 1724 fut ordonné par le roi à la demande de l'Académie. MM. Cassini et Maratey redigèrent le rapport qui mo- tiva cette entreprise (1). Le gouvernement espagnol en conçut quel- que défiance et fit partir pour Ténériffe le brigadier des gardes- marines, Don Nicolas Guerrero, qui, sous prétexte de s'associer aux travaux de l'astronome français, devait surveiller ses opérations. Cet incident est raconté par le P. Feuillée avec une simplicité qui augmente l'intérêt de sa relation : « Ce jeune officier me déclara, dit, « qu’il avait ordre du roi d'Espagne d'observer conjointement avec mot; « je dui dis que j'en étais bien aïse,-car nos opérations en seraient « beaucoup plus assurées. Je lui demandais alors s'il avait de bons « instrumens, tl me répondit qu'il n’en avait pas porté et qu'il se ser- « wtrait des miens. Je lui fis comprendre que la chose était impossible « et que deux observateurs avec un seul instrument ne sauraient observer « tous les deux à la fois. Son dessein était, au retour en Espagne, de « présenter à S. M., non pas ses observations, mais les miennes. » Il paraît que le P. Feuillée, jaloux de sa propre gloire, ne souffrit pas qu'on exploïtât ses travaux, et qu'il ne communiqua rien au col- laborateur qu'on voulait lui imposer. « Même le dessinateur que j'avais « avec mot, ajoute-t-il naïvement, quoiqu'il comptét mon horloge dans (1) « Les géographes français, disaient-ils dans ce rapport, se conformant à l’ordonnance de 1634, « font passer le premier méridien par l’ile de Fer qui est la plus occidentale des Canaries : on a long- « temps souhaité de savoir la juste position de cette ile par rapport aux méridiens les plus célèbres, tels que celui de Paris, mais elle a été ignorée jusqu’à présent , les-personnes qu’on y avait envoyées « ny ayant pu aborder faute des officiers des vaisseaux qui aient voulu les y conduire. » Voy. actes de l’'Académ. Franç., année 1724, et le voyage MSS. du P. Feuillée. « (27 ) cle temps que j'observais, n'a jamais su le vrai temps de mes observa- « tions , parce que je lui cachaï toujours le vrai midi (1).» Si les résultats qu'obtint ce savant voyageur ne remplirent qu'en partie le but qu'on voulait atteindre, on doit pourtant rendre justice à son zèle et à son infatigable activité. Les heureuses améliorations qu'on a apportées de- puis dans la construction des instrumens et la précision des méthodes ont conduit à cette exactitude rigoureuse que réclament les calculs astronomiques. Dépourvu de ces moyens, le P. Feuillée fit tous ses efforts pour arriver aux évaluations les plus approximatives, et même encore aujourd hui on est obligé d'avoir recours à quelques-unes de ses données. N'ayant pu faire sur l'île de Fer des observations directes de longitude, il lia la position du pic de Ténériffe à celle de l'Orotava par des opérations géodésiques, et par un relèvement fait à la boussole. Un pareil relèvement du pic, pris du bourg de l'île de Fer, lui fit connaître la différence en longitude entre le bourg et le pic; enfin, deux relèvemens de l’île de Palma, quil exécuta en prenant pour base deux points connus, lui servirent à fixer la position de cette île. IL évalua en outre l'altitude du pic et celle de divers lieux, tint compte des variations de la boussole et de l'inclinaison de l'aiguille aimantée et détermina la latitude et la longitude des points principaux de Ténériffe. Un journal de ses opérations fut déposé à la Bibliothèque royale : ce précieux manuscrit, que nous avons eu sous les yeux (2), est accompagné d'une carte réduite (1) Voyez à la Bibl. roy., V’oyag. aux tles Can., par le P. L. Feuillée, minime, MSS., tom. 4. (2) Le manuscrit original, que nous avons aussi consulté, existe à la Bibliothèque de Marseille ; celui de la Bibliothèque royale n’en est qu’une copie, il porte pour titre : Voyage aux iles Canaries, ou Journal des observations physiques, mathématiques, botaniques et historiques faites par ordre de S. M. par le R. P. L. Feuillée, religieux minime et botaniste du roi, 1724. On lit en marge de ce manuscrit la note suivante signée de La Condamine : « Cette copie a été faite par mon ordre sur le manuscrit original du P. Feuillée. » (28 ) des Canaries que le géographe Delisle rectifia en 1726 (1), mais ces deux plans sont très-défectueux. Dans celui du P. Feuillée, le pa- rallèle qui coupe le vingt-huïtième degré de latitude passe par le centre de Fortaventure et de Canaria, la partie méridionale de Ténériffe, la pointe sud de Gomère, et ne s'éloigne que de deux mi- nutes de la partie septentrionale de l’île de Fer; de manière, qu'en exceptant Lancerotte et Palma, qui sont néanmoins beaucoup trop au midi, presque tout l'archipel se trouve sous le même parallèle. Ce plan offre encore plusieurs autres erreurs : Saint-Marcial de Ru- bicon, qu'il eût fallu situer sur la côte du sud de Lancerotte, dans le détroit de la Bocaña, tient la place du port de l'Arecife; Graciosa est faussement indiquée à l’orient du cap Farion, et Alegranza est portée vingt-cinq minutes plus au nord que son vrai gisement. On lit, dans un mémoire de M. de La Caille (2), les conclusions sui- vantes sur les résultats des observations du P. Feuillée : « Les la- « titudes et longitudes de la Laguna et de l'Orotava sont assez bien « déterminées; mais les observations qui ont servi à conclure la « position du pic de Ténérifle et de l’île de Fer, n'ont pas été faites (1) Guillaume Delisle avait déjà déterminé en 1700 la différence en longitude entre le méridien de l'ile de Fer et celui de l'observatoire de Paris. Voy. Journal des savans, même année. (2) Voy. Mémoire de M. l'abbé de La Caille sur le voyage du P. Feuillée; Hist. de V Acad. roy. des scienc., année 1751. Les principaux résultats des observations du P. Feuillée sont les suivans : Pic ne Ténémrre. Variation du mercure dans le baromètre, 17 p. 5 L; Hauteur absolue, 2,216 toises, O p., 8 p., 11 L., 4. Longit. à l'égard de Paris, 18° 52° 37; latit., 28° 12” 54”. La Lacuna. . . Variation du mercure dans le baromètre, 95 p., 11 L. ; Variation de la boussole, 13° 25”, N.-0. ; inclinaison de l'aiguille, 63° >. . Longit., 18° 39° 30” ; latit., 28° 29° 237. Nota. Cette longitude fut calculée sur deux immersions du premier satellite de Jupiter observées sur les lieux le 1* juillet 1724, puis le 24 septembre suivant, et simultanément à Paris par Cassini et Maraldi. .. Bourg. Longit., 19° 54 45”; latit., 27° 47° 20”. Côte occidentale (Port). Longit., 20° 1° 457; lattit., 28° 24 207. Iux DE Parma. . . Milieu. Longit., 19° 45° 28”. Ice DE FER. . (29) « avec toutes les précautions nécessaires et dans les circonstances « les plus favorables. Tout ce qu'on peut conclure de certain, c'est « que le vingtième degré de longitude, comptée depuis Paris, passe « par l'île de Fer, mais il n'est pas possible d'assigner le vrai point « de cette île où 1l passe. » | Jusqu'à présent les seules observations faites sur l'île de Fer sont celles du P. Feuillée; elles placent la côte occidentale de cette île (le port de Sainte-Croix) par 28° 24° 20” de latitude N., et 20° 1° 45° de longitude O. du méridien de Paris. Cette même longitude, prise par relèvement du mouillage de Tasacorte de Palma, et de- duite de la latitude de Feuillée et du gisement du pic de Ténériffe par les hydrographes de l'expédition de 1771, a été portée à 20°, 30°. I1 résulterait de cette nouvelle position que le vingtième méridien à l'ouest de Paris, ou celui qui est distant de vingt degrés du méridien de l'Observatoire royal, ne passerait pas par l'île de Fer. «Si donc, conformément à l'ordonnance de Louis XTIT, est-il dit dans la relation du voyage de la Flore (1), on veut faire passer le premier méridien par le point le plus occidental des Canaries, Paris ne sera pas par 20 degrés de longitude, comme on l'a supposé jusqu'à ce jour, mais par 20° 30.» Les travaux du P. Feuillée furent suivis de ceux d'Eveux de Fleurieu, qui arriva à Sainte-Croix de Ténériffe le 19 mars 1768, et s'occupa, durant sa courte exploration, de déterminer plusieurs posilions importantes (2). En 1772, Fleurieu publia deux eartes, dont l'une embrasse presque tout l'océan Atlantique (3), et l'autre (1) Foyage de la frégate la Flore en 1771 et 1772, tom. 1, suppl., pag. 384. (2) oyage fait par ordre du roi en 1768 et 1769 , a différentes parties du monde pour éprouver en mer les horloges marines, etc., par M. d'Eveux de Fleurieu; Paris, mocczxxrrr. Voy. la table des latit. et longit., tom. 1er, pag. 756. (3) Voy. ut supra, tom. 1%, pl. 1. Nouvelle carte réduite de l'océan Atlantique, comprenant les tles ( 30 ) ne contient que les îles Canaries, Madère et Porto-Santo (1). On lit au bas de ce plan une note ainsi conçue : Les positions-de toutes les îles situées à l'ouest de Ténériffe, de même que leur configuration et leur, étendue particulière, paraissent encore fort incertaines et exigent une vérification. Cet avertissement montre l'esprit consciencieux qui guida cèt habile officier dans toutes ses recherches : sa descrip- tion de la côte la plus septentrionale de Ténériffe peut passer encore aujourd'hui pour la meilleure. On doit compter aussi au nombre des bons renseignemens ceux qu'ila consignés dans la relation de son voyage sur le mouillage de Sainte-Croix, sur les marées et les vents qui règnent d'ordinaire dans la baie (2). Les observations qu'il fit à Ténériffe servirent à rectifier les travaux de.ses devanciers; mais le gisement qu'il assigna aux autres îles, en prenant des termes moyens entre les données de Feuillée et celles de Bellin (3), me Açores, Madère, Canaries, du Cap-Vert, les Antilles et le grand banc de Terre-Neuve, dressée, etc., par M. d’'Eveux de Fleurieu, enseigne des vaisseaux de S. M., 1772. (1) Voy. ut supra, tom. 1®, pl. u. Cafte des tles Canaries, Madère et Porto-S. anto, dressée sur de nou- velles observations, par M. d’Eveux de Fleurieu , 1772. (2) Voy. ut supra, tom. 1er, pag. 283. (3) Bellin, ingénieur de la marine, à publié de 1753 à 1766 différentes cartes où les Canaries se trouvent comprises. Ce géographe, se guidant sur la fausse opinion de Riccioli, plaça l’ile de Palma à huit minutes plus à l’ouest que l’île de Fer, erreur que d’autres ont répétée. La position et la forme qu’il a données aux îles Gomère, Canaria et Fortaventure sont très-défectueuses ; la petite île de Lobos se trouve trop à l’ouest; selon lui, Lancerotte a quinze minutes d’étendue au lieu de trente-six ; il place Graciosa à une lieue et demie à l'E.-N.-E. de cette dernière, tandis qu’elle n’en est séparée que par un canal qui a à peine un mille de large. En général, les îlots qui terminent l'archipel canarien du côté de l’est, ont un faux gisement dans les cartes de Bellin : Alegranza y est signalée à douze mi- nutes de Lancerotte au lieu de sept et demie. M. Bory de Saint-Vincent a relevé en habile critique les principales erreurs de Bellin dans les détails géographiques de ses Zssais sur les îles Fortunces. « Dans « la plupart des anciennes cartes, dit-il, les îlots qui sont au nord de Lancerotte avaient été jetés « comme au hasard; dans celle de 1753, dressée par ordre de M. Rouiller, ministre de la marine, « Alegranza est placée par 29° 19° de latitude et s’étend depuis 15° 46° jusqu’à 15° 56? de longitude « occidentale... On y désigne, sous le nom d’Inferro , une ilette qui doit être Roquete de l'Ouest, etc. « Dans la 93e carte du tome 3 de son Atlas maritime, Bellin a disposé les ilettes de la même ma- « nière. » Voy. Essais sur les îles Fortunées, pag. 19 et 20. ( 31 ) fournirent guère de notions plus précises sur l'hydrographie de cette partie de l'archipel. Aux explorations dont nous venons de rendre compte succédèrent celles de 1771 et 1776 : dans la première, le chevalier de Borda et Pingré accompagnaient Verdun de la Crenne, qui commandait la frégate la Flore (1). Les opérations de cette campagne se lient à celle de 1776. Cette seconde expédition partit de Brest sous les or- dres de Borda, commandant la Boussole, que suivit M. Chastenet de Puy-Segur, qui montait l'Espiègle. Le but de ce voyage était de rectifier les observations de 1771, en déterminant la position. absolue et relative de toutes les Canaries et de quelques parties de la côte adjacente (2). Deux officiers de la marine espagnole, don Joseph Varela, capitaine de frégate, et don Miguel d'Arguedas, concoururent à toutes les opérations. Les longitudes furent déter- minées au moyen de montres marines de Berthoud, dont M. de Fleurieu avait fait le premier essai, à bord de l'Isis, durant la cam- pagne de 1768; on fixa les latitudes d'après les observations faites en mer et quelquefois à terre; les relèvemens, combinés avec l’es- time des routes, servirent à tracer les côtes; et les aspects des îles, vues dans divers éloïignemens, furent dessinés avec beaucoup de vérité par le professeur Ozanne. Le journal manuscrit de cette im- portante expédition fut déposé à la hibliothèque de la marine et (1) Voy. Voyage fait par ordre du roi en 1771 et 1772 en diverses parties de l'Afrique et de | Amé- rique, etc., par Verdun de la Crenne, lieutenant de vaisseau, commandant la frégate {a Flore, le che- valier de Borda et Pingré ; Paris, mpccrxxvin. (2) Voici ce qui est dit dans la relation du premier voyage : « Le premier volume était imprimé et « l'impression du second fort avancée, lorsque celui de nous (Borda) qui avait présidé aux opérations « faites pour mesurer la hauteur du pic de Ténériffe, reçut l’ordre de se rendre à Brest pour prendre « le commandement de la frégate /& Boussole... Tobjet de cette nouvelle expédition était de déter- « mminer la position absolue et relative de toutes les îles Canaries et quelques parties au moins de la « côte d'Afrique voisine de ces îles. » Foyage de la Flore, tom. 1, pag. 378. (32) na Jamais été imprimé, mais les résultats des opérations se trou- vent consignés dans le supplément du J’oyage de la Flore et peuvent servir à comparer les observations faites pendant les deux cam- pagnes (1). Nous aurons occasion de revenir sur ces deux entre- prises également honorables pour les hommes qui les dirigèrent et pour le gouvernement qui les ordonna. La hauteur du pie de Té- nériffe mesurée pour la première fois avec exactitude par Borda et Pingré, sa position bien arrêtée, et une reconnaissance générale de l'archipel fournirent des données précieuses pour la construction de nouvelles cartes. Celle qui fut dressée en 1775 fait partie du Voyage de la Flore (2); ilen parut deux autres en 1780 : la première comprend les îles Canaries et les côtes occidentales de l’ancien con- tüinent, depuis le cap Saint - Vincent jusqu'au cap Bojador (3), et la seconde renferme le même groupe et la partie de la côte d'Afrique qui lui correspond (4). Il est à regretter que dans ce travail la ma- jeure partie des positions littorales n'aient pas été déterminées par des observations directes faites sur les lieux, et qu'on ait été obligé d'avoir recours trop souvent à la simple estime et à des relèvemens douteux. Dans ces sortes de reconnaissances hydrographiques, les détails sont ordinairement négligés quand le levé a lieu sur une (1) Voy. la table des positions comparées d’après les observations faites à différentes époques. (2) CARTE RÉDUITE D'UNE PARTIE DE L'OCÉAN ATLANTIQUE ou OccinENTAL, dressée sur plusieurs observa- tions astronomiques et d’après les déterminations de longitudes faites à la mer avec les horloges marines, dans la campagne de l’Isis en 1768 et 1769, sous le commandement de M. de Fleurieu, et dans celle de la Flore en 1771 et 1772 sous celui de M. Verdun de la Crenne, publiée par ordre du roi, par Verdun de la Crenne, Borda et Pingré, 1775. Cette carte contient une table des latitudes et des longitudes , et se trouve insérée dans le Voyage de la Flore, tom. 2. (3) Cartes DES ÎLES CANARIES ET D’UNE PARTIE DES CÔTES OCCIDENTALES D'AFRIQUE, dressée sous le ministère de M. de Sartine, secrétaire-d’étal au département de la marine, d’après les observations faites en 1776 sur la Boussole et l’Espiègle, publiée par ordre du roi, par le chevalier de Borda, capitaine de vaisseau et des acad. roy. des scienc. et de la marine, 1780. (4) CARTE PARTICULIÈRE DES ÎLES CANARIES ET DES CÔTES VOISINES D'AFRIQUE, dressée sous le muinis- tère de M. de Sartine, etc., par le chevalier de Borda, etc. (33) petite échelle. Aussi, quoique les cartes de Borda aient rempli le but qu'on s'était proposé, en fixant la véritable position des Canaries, on doit convenir pourtant qu'elles présentent encore beaucoup de vague sous le rapport des côtes, dont le tracé, formé de lignes an- guleuses qui lient les points de repère, rend inappréciables les nom- breux accidens du littoral, et nuit à la forme des îles. Après les plans de Borda, ceux du géographe espagnol don Thomas Lopez, publiés en 1779 et 1780, méritent une mention particulière : sa carte réduite des îles Canaries (1) fut levée d'après les documens communiqués par don Fernando de Magallon, et les observations des deux officiers de marine attachés à l'expédition de la Boussole et de l'Espriègle. Si l'on en juge par l'analyse géographique imprimée en légende de cette carte, Lopez n'aurait pas eu connaissance de celle de Borda, lorsqu'il la fit paraître, car dans l'examen raisonné auquel il se livre, il ne cite que les travaux de Feuillée, Wankeulen, Bellin, Fleurieu et des Angles (2). La configuration des îles est pourtant assez bien arrêtée, et les détails des côtes sont généralement exacts, mais les positions offrent. des différences très-marquantes avec les déterminations de Borda. Ainsi. par exemple, Lopez donne à Alegranza 29 3° de latitude et 14 45° de longitude, tandis que la carte française de 1780 place cette île par 29° 25° et 15° 51°. Il résulte de ce gisement que les îles, en conservant à peu près leurs distances relatives, s'avancent d'un degré six minutes de plus vers lorient, et de 22 minutes vers le midi. Quoique les différences soient moins fortes sur les autres points, elles ne laissent pas d'être très- notables : l'extrémité occidentale de l’île de Palma, que Borda si- (1) GarTa REDUCIDA DE Las 15L4s Canarras, dedicada al S. don Fernando de Magallon, ministro del supremo consejo de Indias, etc. , por don Tomas Lopez, geografo de los dominios de S. M., etc. ; Madrid, 1780. (2) Carte manuscrite communiquée au dépôt de la marine, par le chevalier de Fleurieu. ll 5 (34) tuait par 20° 22 de longitude, n'est portée qu'à 19° 57. La position de l'île de Fer présente aussi une variante: le cap le plus à l’ouest, que les observations de 1776 fixaient à 20° 30° de longitude, n'est porté qu'à 20° 1° 45”. On voit, d'après ces données, que Lopez s'est servi en partie des positions de Feuillée, sauf les changemens qui lui furent indiqués pour le tracé des côtes. Ayant à examiner plus avant les autres cartes particulières de cet auteur, nous n'entrerons pas dans de plus orands détails sur ce sujet; maïs quelles que soient les erreurs que nous aurons à relever, nous devons avant tout rendre hommage au géographe auquel l'Espagne est redevable de l’_Æ#las par provinces, œuvre immense qui lui coûta trente-trois ans d'étudeset de peines (1). Cet homme laborieux, doué d'une sorte d'instinct géographique, voyagea peu et n'eut recours la plupart du temps qu'à des documens particuliers, dont 1l eut toujours soin de faire connaître les sources, et qu'il commenta judicieusement dans des notes marginales afin qu'on pût déterminer le degré de confiance que méritaient ses tra- vaux. Ses cartes des îles Canaries ont été construites avec des élémens analogues et d'après les mêmes principes : tout imparfaites qu'elles sont, on ne peut disconvenir qu'elles offrent une foule de rensei- gnemens précieux sur un grand nombre de localités. D'autres Espagnols s'étaient occupés aussi des îles Canaries long- temps avant Lopez : l'ingénieur Prosper Casola en 1634, don Pedro del Castillo en 1688, et don Antonio Riviere en 1740. Leurs cartes inédites existent aux archives de la direction des fortifications, à Sainte-Croix-de-Ténériffe. Dans ces premiers essais, les positions ne ? P (1) Ce bel atlas fut dressé de 1765 à 1798 ; il se compose de 103 feuilles , format Jésus, et contient 44 cartes des diverses provinces d’Espagne. Ce que le savant Malte-Brun a dit de ce grand ouvrage nous dispense d’en faire l'éloge. (35) sont pas plus arrêtées que les formes, et l'archipel semble encore en ébauche. En 1762, don François-Xavier Machado présenta au roi d'Espagne un plan des Canaries dont Lopez fait mention dans sa carte de Lancerotte, ainsi que d'un autre sans date, mais plus exact, et avec le titre de Carta general de las afortunadas islas del reyno de Canarias. | | Quant à la carte annexée à l'ouvrage de Viera, 1772 (1), elle a été calquée sur celle de l'Écossais Georges Glas, 1764 (2), et ne mérite pas d'être citée comme renseignement chorographique. En 1776, le. marquis de Tavalosos, gouverneur des îles Canaries, en fit dresser une autre d'après les deux précédentes ; mais celle-ci, en changeant quelques positions, ne s’approcha guère plus de l'exactitude. Don André-Amat de Tortosa, lieutenant -colonel du génie et directeur des fortifications, doit être aussi mis au nombre des géogra- phes espagnols qui se sont occupés de l'archipel canarien, quoique la carte qu'il leva sur les lieux, vers la fin de 1776, ne soit qu'une compilation de celles déposées aux archives dont il avait la surveil- lance. Cette carte, sans graduation, n'est recommandable que par sa légende. On y lit une notice curieuse sur l'histoire des îles Ca- naries, avec la série des gouverneurs, évêques, régens d'audience et maisons titulaires ; le tout présenté dans un ordre chronologique (3). Enfin en 1786, don J oseph-Trinidad Herrera, de Ténérifte , fit pa- raître sa Carte avec plans et vues des îles Canaries, dans laquelle on fait voir leur véritable configuration, diverse de celle qu'on leur avait (1) Voy. Viera, Noticias, tom. 1. (2) Voy. Georges Glas, The history of the disco». and conq. of the Can. il. (3) Cette carte n’a jamais été impr imée, mais il en existe plusieurs copies manuscrites faites d’après le dessin original. (36) faussement donnée jusqu'alors, etc. (1). À ce titre singulier l'auteur ajoute la remarque suivante : « Dans l'embarras où il se trouvait au « milieu de toutes les variantes des cartes antérieures, Amat de Tor- « tosa n'avait indiqué n1 latitudes ni longitudes sur le plan qu'il leva « en 1776, se réservant de le faire dès qu'il aurait connu les résultats « des observations de don Joseph Varela et de don Miguel de Arguedas, « qui furent chargés d'explorer ces îles, accompagnés de M"Borda de _ © l'académie des sciences de Paris. » Cette carte d'Herrera, grossière- ment gravée par un moine de la Laguna, est dédiée au marquis de Branciforte; plusieurs de ses positions diffèrent essentiellement de celles de Lopez et ont été établies sur les données des pilotes du pays : c'est ce qui nous a engagés à les rapporter dans notre table des latitudes et longitudes comparées (2). Parmi les cartes qui traitent des îles Canaries, et qu'on à publiées en France, après les travaux de Lopez et les explorations de 1772 et 1776, il faut distinguer les suivantes : 1° Celle de l'Atlas de l'Encyclopédie méthodique (3) : les cartes de Wankeulen, du P. Feuillée, de M. des Angles, de T. Jefferys et de Lopez servirent à sa construction. M. Bonne, ingénieur hydro- graphe de la marine, auquel on est redevable de ce joli plan, se guida aussi sur les observations de Fleurieu, Verdun de la Crenne, de Borda et Pingré (4). Quoiqu'à petits points, cette carte ne laisse pas que d'être fort remarquable par ses détails: les côtes, dessinées avec soin, sont presque toujours rendues avec exactitude; et bien que les montagnes soient indiquées selon l’ancienne méthode (1) Mapa con planos y vistas de las islas de Canartas, en que se manifiestan sus verdaderas figuras, distintas de las que les han dado equivocadamente en mas de las mapas y carlas que corren, elc. (2) Voy. à la fin de l'analyse géographique. (3) Voy. dans l’A4ulas encyclopédique, etc., la carte des îles Canaries "108102 (4) Atlas encyclopédique, deuxième partie, pag. 50 et 51. (81) de projection, elles donnent pourtant une idée assez juste du Sys- tème orographique de chaque île. 2 Une autre carte du même auteur, insérée aussi dans l'Atlas de l'Encyclopédie et représentant les Canaries réduites à une plus petite échelle (1). 3° La carte générale de l'océan Atlantique ou Occidental, publiée par ordre du ministre en 1786. Elle fait partie de celles du dépôt et donne les positions des îles Canaries d'après Borda. | % Celle que M. Bory de St-Vincent fit paraître en 1801 dans ses Essais sur les fles Fortunées (2). Cette carte, dessinée avec soin par l'auteur, a été dressée sur les observations antérieures. Il existe aussi plusieurs cartes anglaises dans lesquelles on re- trouve les Canaries : la plus moderne est celle de 1817 insérée dans l'Atlas de l'amirauté (Ædmiralty charts. Africa et Asia) (3); elle comprend là côte d'Afrique depuis Mogador jusqu'à l'ile de Los avec les archipels adjacens. Cette carte a été dressée sur divers do- cumens déposés aux archives du geographical ofice et que nous n'avons pu consulter; les positions y diffèrent peu de celles qu'on détermina en 1716 (4), mais la configuration des îles à souffert quelques modifications. Les côtes de Gomère nous ont paru trop arrondies (5), et l'étendue qu'on a supposée à cette île est beaucoup (1) Atlas encyclopédique, deuxième partie, planche no 100. Carte de la partie occidentale de P Afrique, contenant les pays et les états voisins de la côte entre le cap St-V'incent et le cap Tagrin avec l'ile Ma Te les iles Canaries et celles du Cap-Vert, par M. Bonne, ing. hydrog. de la marine. (2) Carte des tles Canaries dressée par Bory de St-Vincent, pour servir aux essais sur les Fortunées, d’après les cartes et observations du P. Feuillée et de MM. Bellin, Fleurieu, de Borda et Pingré; l'an 9 de la république. (3) À chart of the coast of Africa from Mogadore to the isles of Los with the Madeira, Canary and Cap Verd island’s. From various documents in the geografical office, 1817. (4) Voy. la table des latit. et longit. comparées, (6) Voy. Atlas, pl. vir. (38 ) plus considérable que dans les cartes espagnoles. Ténériffe nous a offert aussi des changemens dans ses contours (1), et l'indication des pointes de Buenavista et de Teno reproduit une erreur que nous avions déjà notée dans les cartes de Borda (2). La carte générale des îles Canaries, la première de notre atlas, a été dressée en 1824 d'après les indications du capitaine de frégate don Domingo de Mesa, qui fut chargé de rectifier les travaux de Lopez. Nous nous sommes fait un devoir de suivre exactement les données de cet officier qui se trouvent presque toutes d'accord avec les positions de Borda (3). Les détails topographiques sont dus à celui de nous qui s'est plus spécialement consacré à cette partie et ont été déduïts des plans particuliers qu'il a levés sur les lieux. Les circonstances ne nous ayant pas permis d'explorer Gomère et l'île de Fer pendant notre séjour aux Canaries, nous avons tâché de rendre le relief de ces deux îles d’après divers itinéraires qui nous ont été communiqués. En comparant notre carte avec celles de Borda et de Lopez, on sapercevra que la configuration des îles diffère essentiellement de celle du premier et se rapproche davantage de celle du second. Cette observation n'est pas sans importance : si on étudie ces projections, on voit que les latitudes et les longitudes des points principaux de notre plan coïncident avec celles qu'on détermina (1) Voyez Atlas, pl. vir. (2) Les habitans de Ténériffe désignent par Punta de Buenavista une petite saillie de la côte , Située en face du village du même nom ; la dénomination de Punta de Teno, au contraire, est affectée à l'extrémité la plus occidentale de l'ile. Après avoir doublé ce promontoire, le rivage s'étend au S.-E. jusqu’à une autre saillie appelée Punta del Aguja, la même qu’on a indiquée comme la pointe de Teno dans les cartes de Borda et de l’amirauté. (3) Les différences qui résultent dans la latitude de certains points n’influent en rien sur les autres positions. Ces différences se trouvent indiquées dans notre table des latitudes et longitudes com- parées, et ne sont relatives qu’à la pointe de T'eno et aux ports de Sainte-Croix et de l’'Oratava. (39) en 1776. Ilest donc nécessaire, pour expliquer cette différence dans les formes, d'avoir recours aux élémens du tracé, Nous avons déjà dit que dans l'exploration de la Boussole et de l'Espiègle on détermina par des observations, la plupart faites sous voile, les positions principales qu'on limita à quatre ou cinq pour chaque île; ces données servirent ensuite à déduire les autres mouvemens du littoral dans les espaces intermédiaires. On concevra tout le vague qui dut résulter de ce tracé le long d'une côte inabordable aux petites embarcations et quon ne pouvait souvent approcher d'assez près avec de grands navires. [l fallut donc renoncer aux détails pour ne soccuper que de l'ensemble, et sous ce rapport on ne saurait assez louer le zèle et l'exactitude dont firent preuve le chevalier de Borda et ses collaborateurs, Si la carte que nous pré- sentons ajoute quelque chose à là masse des renseignemens qu'on avait déjà obtenus, nous sommes loin de vouloir nous faire un mérite du peu que nous avons ajouté aux travaux de nos illustres devanciers. Nous nous sommes principalement attachés à représenter sur une plus grande échelle la configuration et la structure des îles Canaries, afin qu'on püt saisir d'un coup d'œil le système orogra- phique de cet archipel. C'est la seule part que nous réclamons dans ce travail. | Avant les expéditions de 1771 et 1776, dont nous avons rendu compte, aucune bonne observation n'avait été faite à l'est de Ténériffe; aussi les cartes antérieures à ces deux époques présen- taient toutes des différences plus ou moins fortes sur l'espace qu'oc- cupe le groupe des Canaries. Borda et Lopez n'étaient pas d'accord sur l'étendue en longueur : le premier l'évaluait à 4° 49° 30”, et le second à 5° 23 20”; ils différaient aussi de 22 minutes dans l'étendue en largeur. Nous avons préféré toutefois nous en tenir aux cartes françaises dont les positions furent établies dans des reconnaissances ( 40 ) hydrographiques, plutôt qu'à celles de Lopez, qui n'eut recours qu'à de simples renseignemens. D'après ces données, les îles Canaries sont siluées entre 29° 26 30” et 27° 49 de latitude nord, en prenant pour points extrêmes Alegranza (pointe nord) et l'île de Fer (pointe rastinga). L'espace qu'elles embrassent en longeur s'étend depuis 15 41° 30” de lon- gitude occidentale, comptée du méridien de Paris, jusqu'à 20° 30’, en prenant pour limites le rocher de l'Est (roguete del Este) et l'extré- mité occidentale de l'île de Fer (/a dehessa). D'abord se présente Alegranza, puis Montaña Clara, Graciosa et les deux rochers qui les avoisinent. Tous ces îlots déserts sont groupés au nord de Lancerotte. Séparée de celle-ci par le canal de la Bocaña, Fortaventure se prolonge au midi jusqu'à l'isthme de la Pared, mais à partir de ce point ses côtes sont tournées vers l'occident et dessinent la presqu'île de Handia qu'il faut dépasser pour découvrir la grande Canarie. Bientôt après, en poursuivant la route à l'ouest, apparaissent Ténériffe et son pic gigantesque; Gomère vient ensuite; enfm, Palma et l'île de Fer, situées presque sous la même latitude, terminent l'archipel. La disposition de ces îles de lorient à l'occident, les unes à la suite des autres, et leur proximité du continent les ont fait considérer comme un chaînon détaché du grand système de montagnes de l'A- frique septentrionale. En effet, si, en suivant la direction du rameau ‘ de l'Atlas qui aboutit au cap de Geer, on tire une ligne jusqu'aux Ca- naries, elle passera par le rocher de l'Est, Lancerotte, Ténériffe et l'ile de Fer; Fortaventure et Canaria nes'en éloigneront guère, Palma restera un peu plus en dehors. (Voy. Arias, pl. 1) L'observation dé- duite de leur structure orographique, peut servir aussi à établir les rapports qui semblent les unir entre elles. Ainsi, par exemple, presque toutes leurs montagnes se prolongent dans le même sens: d'abord CAT ) celles de Famara, au nord de Lancerotte, qui, bien que déman- telées vers la partie centrale, parcourent l’île du nord-est au sud- ouest; ensuite le groupe de Æandia à Fortaventure, la chaîne d'Anaga à Ténérifte, et celle des Cañadas qui coupe cette île en deux bandes. Ce simple examen suffirait pour démontrer que ces monts, aujourd'hui isolés, ont fait partie autrefois d'un même sys- tème, si d'autres remarques ne venaient encore ‘confirmer une opinion déjà accréditée par Gosselin et d'autres géographes. Lors- quon fait attention au gisement des principaux caps, on s’aper- çoit qu'ils sont tous tournés dans une direction réciproque. Ces saillies abruptes savancent en mer comme des lambeaux de terre et portent l'empreinte du déchirement qui eut; lieu à l’époque de leur séparation. Placée à la suite des quatre petites îlettes qui com- mencent l'archipel, Lancerote paraît se rattacher à Graciosa par le cap Farion et à Fortaventure par sa partie méridionale. Les pointes de Pechiguera et de Papagayo sont en regard de Co- ralejo et Punta gorda, extrémités septentrionales de Fortaventure, et nen sont séparées que par un détroit de deux lieues de large dont la petite île de Lobos occupe un des points intermédiaires. Depuis Punta Rasca jusqu'à l'isthme de la Pared, une suite de col- lines mamelonées semblent une continuation de celles de Lancerotte : elles s'étendent aussi au sud-ouest et vont se réunir aux montagnes de la presqu'île qui se projettent à l'occident pour terminer brus- quement au cap de Handia. Ce promontoire se trouve ainsi le plus voisin de la Jsleta, autre presqu'île que l'isthme du Guanarteme joint à la grande Canarie. Si de Ià nous passons à Ténériffe, nous verrons la chaîne de montagnes d'Ænaga et le cap de ce nom s'a- vancer au nord-est dans la direction de la Isleta, ce même système de montagnes dominer encore à l’ouest et se prolonger jusqu'à la pointe de Teno qu'un bras de mer d'environ quatre lieues de large sépare 1. 6 (42) de Gomère. Les abords de cette île sont défendus de ce côté par un rempart de prismes basaltiques semblable à celui du littoral adjacent. Des analogies non moins frappantes se font remarquer aussi dans l'ile de Fer : mêmes rapports orographiques, même re- lation dans le gisement des caps. Enfin, Palma, située plus au nord, est traversée par une masse de montagne qui s'avance au midi jusqu'à la pointe de Fuencaliente, la plus rapprochée de l’île de Fer. Ce serait nous éloigner du plan que nous nous sommes tracé que d'entrer maintenant dans des considérations géologiques pour ap- puyer notre raisonnement; qu'il nous suffise de signaler l'identité qui existe dans les formations de premier ordre, dans ces basaltes qui entourent les côtes et parmi ces masses imposantes de trachytes qui dominent dans les principales îles du groupe; mais voulant réserver ce sujet pour une partie plus spéciale, nous poursuivrons notre analyse géographique. Les cartes particulières de chaque île et les observations qui ont servi à leur construction seront d'abord l'objet de nos recherches; nous terminerons cette revue par des descriptions locales. (43) DE LA CARTE DE TÉNÉRIFFE. Bellin, se fondant sur des renseignemens la plupart inexacts, publia en 1753 un premier plan de l'île de Ténériffe (1). Plus tard, des opérations géodésiques tendant à déterminer l'altitude des points culminans et l'étendue de certains districts, des rélèvemens pris dans diverses explorations et quelques observa- tions astronomiques servirent à fixer un grand nombre de positions importantes. Lopez réunit tous ces. matériaux épars et dressa ses cartes particulières des Canaries. Celle de Ténériffe, qu'il pu- blia à Madrid en 1779 (2), repose principalement sur les données du P. Feuillée et d'Eveux de Fleurieu; le pic s'y trouve situé par 28° 12 54° de latitude nord et par 18° 52’ de longitude occidentale du méridien de Paris. Le tracé de la côte donne à l'île une forme trop alongée et place plusieurs points du littoral dans une fausse position. Quoiqu'il ait employé l'ancienne méthode pour exprimer le relief du terrain, l'ensemble de la partie orographique est assez bien conçu, et notamment le groupe des montagnes centrales. Quiconque re parcouru le pays reconnaîtra que Lopez sut faire choix de bons renseignemens, et que sur tout l'espace qu'embrasse le grand cirque des Cañadas, 1l comprit les mouvemens du terrain avec une rare sagacité. Mais il ne fut pas aussi heureux pour la (1) Voy. dans le Petit Atlas maritime de Bellin, tom. 1, n° 94, la Carte de l'ile de Ténériffe, suivant les observ. astron. et les journaux des navigateurs. (2) Mapa de la isla de Tenerife, por don Tomas Lopez, geografo de los dominios de S. M.; Ma- drid , 1779. (44) partie qui se prolonge au nord-est de l’île depuis le Laguna jusqu'au cap d'Anaga, ni pour celle qui s'avance à l'occident et qu'occupent les montagnes de Xerjé, le massif de Teno et la vallée du Palmar : à, le système d'unité qui rattache les grands accidens du sol est impossible à saisir sur le plan, rien nest arrêté et presque tout restait à faire. Malgré ces lacunes la carte de Lopez est recomman- dable par une foule d'indications topographiques qu'on avait né- gligées avant lui. Lorsqu'on considère que ce eéographe exécuta ce travail sans avoir visité Ténériffe , qu'il n'eut recours qu'à des renseignemens disparates et parfois équivoques, que la compilation des documens géographiques ou descriptifs dont il fit usage dut l'entraîner souvent dans de fausses déterminations, on est bien plutôt porté à admirer sa persévérance qu'à critiquer ses erreurs. Après Lopez, M. Bory de St.-Vincent publia en 1801 une carte particulière de Ténériffe qui accompagne ses Essais sur les îles Fortunées (1). Ce petit plan décèle déjà toute l'habileté dont l'auteur fit preuve plutard dans sa carte physique de l'Espagne ; le littoral est tracé avec intelligence, et le système de montagne, quoique manquant de détail en raison de la réduction de l'échelle, est pour- tant bien entendu; quelques points importans que Lopez avait omis ou vaguement exprimés s'y trouvent bien indiqués; nous citerons entre autres le plateau des Rodeos et les nombreux ravins qui débouchent sur la côte méridionale. IL est à regretter qu'un trop court séjour à Ténériffe n'ait pas permis à M. Bory de donner la topographie complète d'une île dont il avait si bien saisi les formes générales. | En 1815 la paix vint ouvrir un nouveau champ aux explorations (1) Ténériffe pour servir aux Essais sur les les Fortunées. Bory de St-Vincent, Essais, etc., pag. 299, pl. 2: (45 ) scientifiques : M. Léopold de Buch, qui s'était déjà acquis une répu- tation européenne par son voyage au Cap Nord, eut l'heureuse idée d'aller visiter les Canaries sous les rapports géologiques, et associa à cette entreprise le trop malheureux Christian Smith, qui, em- porté par son zèle, devait sitôt trouver la mort sur les rives du Zaïre, Dix ans après son retour à Berlin, M. de Buch publia les résultats de ses observations. La carte physique de l’île de Ténériffe, insérée dans l'atlas de son ouvrage, ne parut cependant qu'en 1831 (1). Ce beau travail, dressé à l'échelle de ==, fut exécuté par l'habile burin de M. Pierre Tardieu. Lorsqu'on examine attentivement la carte de M. de Buch, on s'é- tonne de voir si peu de détails sur un plan à une si grande échelle : les contours ne sont marqués que par des lignes droites ou des courbes légèrement ondulées, rien n'indique les abords tourmentés d'une île volcanique ; on n aperçoit de toute part que des côtes basses et accessibles, au lieu de ressifs dangereux, de falaises escarpées, formées par des murailles de basalte qui bordent les rivages et se dressent du sein des eaux jusqu'à plus de deux cents pieds au-dessus. Si, pour se rendre raison de cette forme anomale, on compare ce tracé avec celui des cartes antérieures, on reconnaît aussitôt que la petite île de Ténériffe du beau plan de Borda (2) a servi de modèle à la carte physique de M. de Buch. En effet, en ramenant par le trait au moyen d'un pantographe le contour de l'un des plans à l'échelle de l’autre, on obtient celui des deux qu'on veut agrandir ou réduire. Mais dans le figuré hydrographique de 1776, on déter- (1) Carte PHYSIQUE DE L'ÎLE DE T'énérirre, levée sur les lieux par Léopold de Buch, en 1814. Il y a erreur de date dans le titre de cette carte, M. de Buch n'étant arrivé aux Canaries qu’au commencement de mai de l’année 1815. (2) Voy. la carte particulière des îles Canaries, dressée d’après les observations de 1776, par le che- valier de Borda. (46) mina seulement les points principaux du littoral, afin d'arrêter les formes générales de l'archipel et de fixer les positions relatives de chaque île. La manière expéditive avec laquelle on procéda imposait la nécessité de négliger les détails dans un tracé qui embrassait à peine 7 centimètres de longueur pour l'île de Ténériffe, la plus grande du groupe. En employant les mêmes élémens sur une échelle aussi vaste que celle de la Ténériffe de M. de Buch, on a rendu très- sensibles les négligences inappréciables du petit tracé de Borda. Dès lors l’île à pris une toute autre apparence, ses bords n'ont plus offert que de longues plages uniformes et sans anfractuosités; si on ex- ceple cinq ou six caps, on na pas tenu compte des autres accidens de la côte. Les criques situées à l'embouchure des ravins, un grand nombre de pointes et de petits promontoires qui s'avancent en mer (1), lilot de Garachico et les rochers isolés qui avoisinent le port d'O- rotava ne sont pas les seules omissions que nous pourrions signa- ler (2). (1) Ces pointes ont reçu les noms de Punta del Socorro, Punta de la Ladera, Punta Larga, Punta de Texina, Punta del mar del Viento, Punta de la Aguja,; Punta de Alcala, Punta del Camizo, Punta del Mal-Pais et Caleta de San-Marcos. À ces omissions nous ajouterons les criques ou anses qu’on désigne ainsi qu'il suit : Puerto de San-Blas, Puerto Cavallos, Puerto de la Madera, Puerto del Rincon, Puerto del buen Jesus. | (2) Nous sommes loin de vouloir reprocher ici à M. de Buch de s’être guidé d’après la carte de 1780 que nous considérons comme le travail Le plus exact et le plus consciencieux qui ait été publié sur la position géographique et l’ensemble des formes de larchipel Canarien. Nous observerons seulement qu’en grossissant le joli croquis du chevalier de Borda, M. de Buch l'a totalement défiguré ; et pour le, prouver nous aurons recours à une comparaison bien simple. Si l’on prend sur une carte de France à l'échelle de =——— le cours de la Seine depuis Charenton jusqu’à St-Germain, et qu’on ramène ensuite, au moyen du pantographe , le trait des deux rives à l'échelle de zx (C’est à peu près la proportion entre la petite île de Ténériffe de Borda et celle de M. de Buch), les deux lignes presque confondues d’abord dans leur parallélisme ne donneront, sur la première projection, que le trait du cours d’eau et s’écarteront en s’alongeant dans la seconde , sans qu’il en résulte pour cela le moindre avantage dans le tracé. On n’aura obtenu par cette opération qu’un fleuve aux bords uniformes; les détails du lit- toral seront supprimés comme auparavant , et ces négligences, inappréciables dans le modèle, devien- dront très-défectueuses sur la copie. Mais si, tenant compte des simuosités des deux rives, on veut indiquer tout ce qui est susceptible d'entrer dans le nouveau plan et d’en accroître l'intérêt, il faudra CAT) Limitation du joli dessm de Borda se reconnaît encore dans la structure que M. de Buch a donnée à l’île de Ténériffe, en y ajoutant toutefois plusieurs indications importantes. Or, en se guidant sur cette orographie ébauchée en 1776, l'illustre géologue est tombé dans le même inconvénient que pour l'hydrographie. Ce serait entrer maintenant dans de trop longs détails que de nous livrer à une critique minutieuse de la Carte physique, il nous suffira de relever quelques-unes des négligences les plus marquantes. Si l’on s’en tient aux données d'Escolar, qui, dès l'année 1810, avait entrepris sur Ténériffe une série d'observations du plus haut intérêt, le cirque des Cañadas occupe au centre de l'île un espace d'environ quatre lieues et demie en diamètre. Cette mesure, que nous croyons exacte, a été prise sur une carte manuscrite qu'il leva à la planchette (1). Si M. de Buch avait connu les travaux géodésiques sur lesquels nous nous fondons, il en eût sans doute admis les résultats, car, durant son séjour aux Canaries en 1815, il sut apprécier toute la portée des connaissances du naturaliste espagnol ; mais probablement qu'à cette époque Escolar n'avait pas encore terminé ses opérations. Dans la carte manuscrite que nous avons consultée, les montagnes des Ca- fadas décrivent un arc à peu près parallèle à la côte méridionale de l'île et reproduisent avec vérité l'immense cirque qui a été le sujet de tant de controverses depuis qu'il a été signalé comme un des plus beaux exemples des cratères du soulèvement. Dans l'esquisse de Borda, au contraire, cette enceinte rétrécie a perdu son principal alors réformer cette ébanche et dessiner avec soin les terres-plains , les gares , les quais et les écluses, puis les jetées et les îles qui divisent le cours du fleuve, enfin les grèves et les côtes qui le bordent. * Voilà précisément ce que M. de Buch n’a pas fait et ce qui rend sa carte si différente de celles où l’on a figuré toute ce qu’il a omis. (Note de M. Berthelot). (1) Voy. les détails que nous donnons plus avant sur les travaux d’Escolar. \ (48 ) caractère, la chaîne qui l'entoure est trop rapprochée du pic et sa direction est tout-à-fait idéale. M. de Buch, en adoptant le tracé de 1776, semble s'être encore éloigné davantage de l'exactitude. Vers le nord, il n'a guère mieux exprimé les énormes fragmens de ces mon- tagnes démantelées : depuis la base du pic jusqu'à la côte, le terrain paraît descendre brusquement par ondulations et ne présente qu'un seul massif. Mais il n'en est pas ainsi; la ligne de circonvallation, quoiqu'interrompue au Portillo-de-la-Villa, au talus d'Icod et à la descente de Vilma, est aussi bien marquée de ce côté que sur la bande du sud. Cette observation, qu'il est facile de faire du sommet du pic, ne peut avoir échappé au coup-d'œil exercé de M. de Buch, et nous sommes portés à croire que son dessin original aura été mal compris. Si sur ce point, déjà contesté, nos propres remarques et des souvenirs récens pouvaient nous tromper, nous aurions recours aux savantes notes du naturaliste qui fit une étude approfondie de ce système de montagne. On va voir en effet, par la traduction d'un passage de son journal manuscrit, qu Escolar sut aussi apprécier en géologue les révolutions volcaniques qui ont bouleversé l'enceinte dont il détermina avec précision la forme et l'étendue. « D'immenses torrens de lave sont sortis, dit-il, des flancs de « Teyde vers le midi et l'occident. Ces déjections successivement « accumulées se sont jointes à d’autres de différente nature et ont « encombré toute cette enceinte circulaire dont le diamètre est de « 4 à 5 lieues, et qu'on nomme aujourd'hui Cañadas del pico, « Gorges du pic. Ce cirque constitue un cratère très-ancien, an- « térieur à la formation du pic luimême, qui a pris naissance au « centre, et dont l'apparition à eu lieu probablement après la des- « truction d'un autre cône bien plus élevé que lui, surtout si l'on a « égard au circuit que forment les montagnes environnantes et à leurs « escarpemens extraordinaires. Cette cordillère ouverte au S.-S.-E. ( 49) « interrompue au S.-O., ne se montre plus que par débris dans les « autres endroits. Ce désordre ne peut avoir été occasioné que par les « commotions volcaniques; c'est cette terrible tourmente qui a isolé « au S.-E. le fragment qui se rattache au contre-fort de Guimar, « au nord celui qui se joint aux montagnes de Tygayga (la Fortaleza) «et vers l'ouest aux sommités de Erjos. Toutes ces brèches, qui « séparent ces parties démantelées, servent encore de jalons à l’ob- « servateur et lui font reconnaître la ligne de circonvallation qu'em- OS C À brassait l'ancienne chaîne > (1). Si de ces puissantes formations, qu'Escolar a si bien décrites, nous passons à l'examen des accidens secondaires indiqués sur la carte de M. de Buch, nous aurons encore des négligences à relever. Les ravins, dont ce géologue a tant exagéré la grandeur, sont des défilés profonds et sinueux qui partent des flancs des montagnes et descen- dent vers la côte. Dans la projection horizontale, on ne peut guère rendre ces longues déchirures du sol que par une simple ligne d’in- tersection bordée d'un trait d'ombre pour marquer l'escarpement des berges, car les ravins coupent en rayonnant les talus de l'île, sans influer sur le plan de pente. Cependant leur largeur, qui excède rarement trois cents pas sur le terrain, dépasse souvent une lieue sur la carte physique. Les cônes volcaniques et les contre-forts qui forment les limites naturelles des grands districts ne se dessinent pas sur ce plan d'une manière assez tranchée; la belle vallée du Palmar, concentrée au milieu du groupe des montagnes occidentales, n'a été indiquée que de nom; enfin, le val de Salazar et ceux de Ximenes., du Sabinal, de los campos, de Taourco et de Guama ont été omis. Nous bornerons là nos remarques sur les points de Za carte physique qui nous ont paru inexacts, et nous ferons connaître les (1) Escolar, Mss., Catalogo de algunos productos rolcanicos de la isla de Tenerife, y principalnente de los que se encuentran à las faldas del N.-0. del pico de Teyde, n° 57. , 1 17, (50 ) renseignemens les plus importans que nous devons à notre savant devancier. | Le chevalier de Borda s'étant restreint aux contours hydrogra- phiques et à l'esquisse des principaux massifs dans sa carte générale des Canaries, M. de Buch eut recours à la topographie de Lopez, qu'il enrichit d'un grand nombre de noms recueillis dans ses diverses explorations. Suivons-le sur sa carte, d'après ces nouvelles données. Le 22 août 1815, il part de Sainte-Croix de Ténérifle, et se dirige vers le Pic en longeant les crêtes des montagnes centrales. Durant ce trajet, il évalue les altitudes de dix-sept stations consécutives, depuis le niveau de la mer, jusqu'au sommet culminant, savoir : El Molino. . . .... 826 pieds. Cruz de Guimar. . . 5,974 pieds. Laguna... ...:...1,620 » Montana Blanca. ... 6,103 » Fuente-Guillen. ... 2,545 » Montaña d'Izaña. . . 6,920 » Esperanza. .. .. .. 2,563 » Angostura. . . . .. 6,205 » Fuente de-los-Berros 3,180 » Estancia abajo. . . . 7,156 » Fuente-Fria. . .. . 4038 » Estancia ariba.. . . . 8,673. » El Cuchillo. . . . .. SAINS Cueva de la nieve. . . 9,312 » Perexil. .-:..... 5,658 -» Alta vista. . .. ... 9,753 » Sommet du Pic, 11,624 ? Cette belle opération fixa successivement les côtes de hauteur sur une ligne de pente de 12 lieues environ d'étendue, de l'E.-N.-E. à l'O.-S.-0., et servit à apprécier les divers mouvemens du terrain le plus montueux de l'île. Dans des excursions subséquentes , l'infati- gable géologue calcula l'élévation verticale de plusieurs autres points, parmi lesquels nous citerons spécialement : Les deux plus hautes cimes de la chaîne du N.-E. qu'il évalua DD COR RE Spies. Le solcanide -Gamnar.. . Cas 2 2. 4160 > Le cold Guinar. MEET ES (té, CD Recbb de Gares ar ne: honda 8 spièds. Le col de Masca à San ago. _. . . . . . , .. 3943 » Le colsde Masca à Juan Lopez. . . . :.. , . 2302 » Le soleanides A\zulsjes; 4 os musee 41 1882010 Le volenrdé Chaos ds opt de Lou con 0216 M. de Buch détermina, en outre, les altitudes des chefs-lieux et des petits bourgs, ainsi que les limites des grandes masses de végé- tation (1). Quelques mois suffirent à ce zélé voyageur pour achever tant de travaux. En lisant les descriptions locales dont il a enrichi sa rela- tion, on reconnaît quil comprit bien mieux l'île de Ténérifte qu'il né la figura. Maïs quel que soit le vague des détails de sa carte physique. M. de Buch na pas moins le mérite d’avoir dessiné à grands traïts, et dans son ensemble, un système de montagnes dont Borda, Lopez et M. Bory donnèrent les premières esquisses et qu'on trouvait aupa- ravant éparpillé au hasard. Ces précieuses indications et d’autres non moins importantes compensent bien les inexactitudes que nous avons signalées. Les explorations de M. de Buch furent précédées et suivies de celles de plusieurs autres naturalistes qui fournirent aussi des notions intéressantes sur l'orographie de l’île. re En 1799, M. de Humboldt, se rendant en Amérique pour y com- mencer une longue série de recherches, s'arrêta quelques instans à Ténérifle, et consacra plus tard un chapitre de son grand ouvrage aux souvenirs de cette excursion (2). Nous ne suivrons pas l'illustre. auteur du l’oyage aux régions équinoxiales au milieu de ses savantes digressions ; les détails statistiques dans lesquels il est entré dépasse- (4) Voy. Physical. Beschr. der Canarisch Ins. von Léop. vor Buch, pag. 99 à 101. (2) Voy. J’oyage aux régions équinoxiales du nouveau continent, tom. 1. \ (52) raient les bornes de cette analyse, maïs nous résumerons la partie de ses observations qui se rattache plus spécialement à notre sujet. M. de Humboldt resta six jours à Ténériffe : le 13 juin, il visita le pic de Teyde ; la description qu'il a faite de ce volcan et du vaste panorama qu'on découvre de sa cime est pleine de cet enthousiasme qui s’accrut encore à la vue du Chimboraço et du Cotopaxi. Il déter- mina l'instant du lever du soleil, et reconnut que ses rayons arrivent sur le pic 11° 51” 3” plutôt que dans la plaine. Il analysa, au moyen d'an gaz nitreux, l'air atmosphérique de cette haute région , et trouva qu'il contenait 0,19 d'oxigène. Ses expériences sur la diminu- ion graduelle de la température, depuis la base jusqu’au sommet de l'île, confirmèrent en partie les données générales du célèbre de Saus- sure. Enfin, il porta la longitude du port de Sainte-Croix à 18° 33° 10” O. du méridien de Paris. | Quatre ans après que M. de Humboldt eut ainsi marqué son passage aux Canaries, M. le professeur Cordier alla visiter à son tour les hautes montagnes de Ténériffe, et apporta, dans l'étude de leur orga- nisation , cette sagacité de jugement qui l'a toujours distingué. Le 16 avril 1803 1 gravit au sommet du pic, et, selon l'observation qu'il fit sur le bord le plus élevé du cratère, le mercure se soutint dans le baromètre à dix-huit pouces quatre lignes. Le calcul déduit de cette donnée porte la hauteur verticale du pic à mille neuf cent une toises + et offre à peine neuf pieds de différence avec la mesure de Borda. M. Cordier parcourut plusieurs points qui étaient encore ignorés , et ne publia que deux lettres sur les résultats d'un voyage dont le monde savant eùt désiré connaître les moindres détails. « La « dernière éruption de Chaorra, écrivait-il le 1°” mai 1803 (1), a eu lieu « en 1798. Les nouvelles bouches, au nombre de trois, se sont ouver- (1) Lettre de M. Cordier à Devilliers fils ; Journal de phys., de chim. et d’hist. nat., tom. 57; pag. 63. (53 ) « tes à mille deux cent soixante-dix toises au-dessus de la mer, sur la « pente d'un énorme prolongement de la base du pic, vers le sud- « ouest. La forme des montagnes, de ce côté, justifiait mes regrets ; « aussi, je fis tous mes efforts pour réparer ma faute, et je puis dire « maintenant celle de tous les voyageurs qui m'ont précédé. Je gravis « péniblement pendant trois heures sur les pentes du prolongement; € parvenu à mille toises, je me trouvaissur les hords d’un vaste cratère, « auquel on ne peut comparer aucun de ceux que nous connaissons ; « ila près d'une lieue et demie de circonférence; quoiqu'il soit bien « ancien, il est très-escarpé à l'intérieur , et présente encore l'image « la plus effrayante de la violence des feux souterrains. Le pic s’est « élevé sur les bords de cette bouche monstrueuse. » Toute cette lettre est pleine d'intérêt; en décrivant le vieux pic (el pico. viejo) Chaorra et le Teyde, M. Cordier a mis le lecteur sur le terrain, et lui a montré, sous son véritable aspect, ce. massif pyramidal tour- menté par tant d'éruptions et qui domine l'île entière. Ce savant professeur sattacha particulièrement à étudier la for- mation de la partie centrale de l'île; plusieurs excursions dans cette région élevée lui dévoilèrent la structure de l'immense cirque des Cañadas. M. Cordier était alors à cet âge de la vie où l'on peut résister aux plus rudes privations; les obstacles redoublèrent son activité, et il poursuivit avec un zèle infatigable sept pénibles explorations qu'à bonnes raisons il a appelé ses campagnes géolo- giques. La connaissance de l'enceinte cratoriforme, qui appartient à une ancienne époque de volcanisation, est due à cette série de laborieuses recherches. M. Cordier a été le premier à décrire les Cañadas, et l’on nous saura gré sans doute de rapporter ici un autre fragment de sa relation. Les écrits consignés dans les ouvrages gé- néraux ne sont ouère lus qu'au moment de leur publication, et res- tent oubliés, après un certain temps , parmi les nombreuses produc- tions qui viennent accroître chaque jour les archives de la science. \ (54) Mais les faits observés par M. Cordier , il y a trente-trois ans, méri- tent de faire époque, et il est important de les rappeler aujourd'hui qu'on s'en est emparé pour établir de nouvelles théories. « Les laves « modernes ont jailli au milieu des ruines d'un ancien système de « déjection dont les immenses lambeaux forment la charpente de « l'île, et soutiennent le plateau sur lequel le pic s'est élevé. Leurs plus « grands escarpemens, tournés vers sa cime, s'élancent à plus de trois « cents toises au-dessus de tous les nouveaux produits. Une quantité « vraiment innombrable de nouveaux courans, descendus du pic ou « sortis de ses flancs, dessinent une infinité de sillons irréguliers qui « contournent ou côtoient de loin ces massifs antiques, et se perdent « à la mer du côtéde l'ouest et du nord. Plus de quatre-vingts cratères « sont épars sur ces courans, et augmentent de leurs débris la con- « fusion qui semble régner partout (1). » Plusieurs navigateurs distingués ont touché dans ces derniers temps aux îles Canaries, et ont tous profité de leur séjour pour faire quelques observations locales. Nous citerons plus spécialement M. le contre-amiral Roussin, qui, pendant sa belle exploration de la côte occidentale d'Afrique, vint mouiller à Sainte-Croix de Ténériffe en 1817, et fit dresser, sous sa direction, le plan de cette rade par M. Givry, ingénieur de la marine (2). Ce travail, fondé sur des observations rigoureuses, fut exécuté sur une grande échelle et fournit les renseignemens les plus précis sur la côte qui s'étend depuis le barranco seco jusqu'à la tour de San Juan. Tous les points (1) Lettre de L. Cordier à Devilliers fils; Journal de phys., de chim, et d’hist. nat., tom. 57. (2) PLan DE LA RADE DE Sanra-Cruz, située, etc. , et levé en 1817 dans la campagne de la corvette la Bayadère et de l’aviso le Levrier, par M. Givry, ing. hydrog. de la marine, et les officiers des deux bâtimens sous les ordres et la direction de M. le baron Roussin, contre-amiral, publié par ordre du roi, etc., 1829. Position de Sainte-Croix d’après ce plan. Lat., N. 28° 27° 58, Longit., O.. . .18 33 33. Variation, N.-0. 20 38 (février 1817). ( 55 ) défensifs de cette partie du littoral se trouvent compris dans ce plan, dont une note explicative augmente l'intérêt. Parmi les autres cartes levées durant cette campagne, nous de- vons mentionner aussi celle qui embrasse toute la côte depuis le cap Bojador jusqu'aux îles de Los. Cette carte réduite contient les Canaries et donne leur position relativement aux points du littoral d'Afrique compris dans le nouveau tracé (1). Après cet exposé des observations qui sont venues accroître suc- cessivement nos connaissances sur la géographie de Ténériffe et dont les résultats ont été publiés dans divers ouvrages, nous en- trerons dans quelques détails sur des travaux moins connus. Nous voulons parler de ceux d'Escolar, de Mesa et de Saviñon, sur les- quels nous avons fondé notre carte de Ténériffe (ATLAS, pl. n). On pourra juger, par cette partie de notre analyse, du degré de confiance que méritent les renseignemens dont nous avons fait choix. Don Francisco Escolar fit ses études à l'université de Gottingue et se décida de bonne heure aux sciences naturelles. Le gouverne- ment espagnol l'envoya aux Canaries en 1810 et le chargea de ren- dre compte de la constitution physique du sol, de ses produits, des progrès de l’agriculture et de l’état des populations, en un mot d'examiner tout ce qui pouvait contribuer à la prospérité du pays et à accroître ses ressources. Quoiqu'il fût porté à s'occuper plutôt de géologie que d'économie politique, Escolar ne négligea pas la mission qu'on lui avait confiée, et son rapport statistique ob- tint une approbation unanime par l'intérêt des détails et l’exacti- tude des résultats. Ce résumé général, connu aux Canaries sous le nom de. Estadistica de Escolar, passe pour le meilleur document (1) CARTE RÉDUITE DE LA CÔTE OCCIDENTALE D’ArriQue depuis le cap Bojador jusqu'aux iles de Los levée en 1817 et 1818, par M. Givry, etc., 1829. | \ (56) de ce genre. Ce naturaliste étudia avec soin la topographie des îles; sa carte de Ténérifle, que nous avons déjà eu occasion de citer, nous servit de guide dans nos premières excursions. Il avait tracé sur ce canevas trois grandes divisions territoriales, fondées sur des limites naturelles et désignées sous les noms de districts du Nord- Est, du Sud et de l'Ouest. Mais cette partie de ses travaux resta en ébauche, les événemens politiques de 1820 vinrent l'arracher aux recherches qu'il affectionnait pour le lancer dans une carrière qui abrégea ses jours. Il mourut en 1826, emportant les regrets de tous ceux qui l'avaient connu. Nous avons été assez heureux pour nous procurer une copie du journal de ses explorations; la lecture de ce précieux manuscrit nous a prouvé qu'Escolar avait compris du premier abord ce cirque volcanique qui a donné naiïs- sance au pic et sur lequel on s'est appuyé depuis, comme d'un fait nouveau, en faveur de la théorie des cratères de soulèvement. Faï- sant allusion à ces deux formations distinctes, il appelait souvent le pic de Teyde, e2 hijo de las Cañadas (le fils des Cañadas), voulant sans doute faire entendre par là que le cône central était sorti du milieu du cratère démantelé qui l'entoure. Il nous reste à faire connaître les observations simultanées du docteur Saviñon, professeur de physique à l'université de San-Fer- nando de la Laguna, et du capitaine de frégate don Domingo de Mesa, qui remplit pendant plusieurs années aux Canaries les fonc- tions de commandant de la marine. Nés tous les deux à la Laguna, et également versés dans les sciences mathématiques, ils voulurent compléter, par des observations rigoureuses, les notions déjà acquises sur la géographie de Ténériffe et utiliser aïnsi leur savoir au profit de leur patrie. Saviñon et Mesa n'ignoraïent rien de ce qui avait été fait par leurs devanciers, maïs ils ne pouvaient se dissimuler aussi la différence de leurs opinions sur certains points importans et notamment sur la véritable situation et la hauteur perpendicu- (5T) laire du pic de Teyde, ce pivot de toutes les autres positions. Ces con- sidérations les portèrent à déterminer son élévation au moyen de trois méthodes (1) qui, en se corrigeant entr'elles, devaient produire les résultats les plus positifs. Comme ils ne pouvaient obtenir les coordon- nées de la bauteur du cône central, sans chercher à connaître égale- ment les altitudes de plusieurs autres points, leurs azimuths et leur distance à la verticale du pic, ils espéraient réunir ainsi un grand nombre de données pour là carte topographique qui devait être le complément de leurs travaux. Saviñon et Mesa firent tous les frais de cette entreprise et se pourvurent à Paris et à Londres d'instrumens de meilleure cons- truction (@). Les résultats qu'ils obtinrent dès leur début leur faisaient espérer une entière réussite , lorsque la mort vint priver le professeur Saviñon de son collaborateur et renverser ses projets. Il nous a été permis d'extraire du journal des opérations tout ce qui avait rap- (1) L'observation du baromètre, la mesure trigonométrique et le nivellement. (2) Rien n'avait été épargné pour arriver au but que Mesa et le professeur Saviñon se proposaient d'atteindre. Voici un fragment d’une lettre que ce dernier écrivit à l’un de nous en lui remettant la liste que l’on va lire. | « Au moment de votre départ pour l’Europe, ce n’est point par vanité que je vous envoie la note « des instrumens que j’achetai pour nos opérations, mais j'ai voulu vous fournir une nouvelle « preuve des mesures que nous primes, Mesa et moi, pour obtenir un bon résultat dans l’entreprise «, qui n’a été réalisée qu’en partie. » Liste des instrumens : Un baromètre de Dollond. Deux baromètres de montagne, l’un de Blunt et l’autre de Watkins, avec leur thermomètre correspondant. Un autre baromètre de montagne de Gay-Lussac, construit par Le Noiré, et qui, par sa perfec- ton, pouvait servir de régulateur. L Trois thermomètres de Fahrenheït, construits par Dollond et gradués sur le tube. Un théodolite de Ramsden de dix pouces anglais, construit par Troughton. Une lunette méridienne de deux pieds, construction du même. Deux sextans de réflexion, un de six, l’autre de dix pouces anglais, construit par Troughton. Un cercle de réflexion (répétiteur de Borda) d’un pied anglais de diamètre, construit par le même. Un niveau à lunette de Gilkerson. Une lunette acromatique de trois pieds deux pouces anglais d'ouverture «construite par Dollond. Un chronomètre de Pegnniton. Une excellente pendule de Breguet, ii etc. IT, £& (58) port à la hauteur perpendiculaire de la ville de la Laguna, déduite de plusieurs observations barométriques correspondantes et d’un ni- vellement exécuté avec le plus grand soin. Dans cette série d'expériences, on employa trois baromètres et trois thermomètres exactement comparés entre eux pour connaître leur différence constante. Les observations se faisaient à huit heures du matin, à midi et à huit heures du soir; on tenait compte de la température du mercure dans le baromètre et de celle de l'air envi- ronnant. Les instraumens étaient placés à l'ombre et suspendus à l'air libre ; en un mot, toutes les précautions nécessaires furent prises pour prévenir les plus légères erreurs. Les baromètres supérieurs étant placés à la Laguna dans le cabimet du professeur Saviñon, et le baromètre inférieur à Sainte-Croix, dans la maison de Mesa, située à 0,16 toïses au-dessus du niveau moyen des eaux de la mer, on obtint les résultats suivans. Pour une première série de douze observations faites aux stations indiquées , depuis le 2 juin jusqu'au 10 juillet 1815, la hauteur calculée OR et nee de ei SP LOIS 0 to) Pour une deuxième série de cinq observations du 12 juillet ET. D dt nec Dr beau cchcamtgts + AN EE Pour une troisième série de huit observations du 20 août ALERTE à à 2. à de EE 0 MU DS Terme moyen des résultats des trois observations, . . . . 287, 35. Le baromètre supérieur restant toujours placé dans le même lieu, Mesa se transporta avec le sien au village de Candelaria, situé sur la côte orientale de l'île et à trois lieues et demie de la Laguna. Vingt-quatre observations simultanées donnèrent pour la hauteur Un COR NON ARR RER RE Le à Enfin un nivellement exécuté dans les mois d'octobre et de no- vembre de l’année 1818, à partir de la maison de Mesa à Sainte-Croix jusqu à celle du professeur Saviñon à la Laguna, portèrent l'altitude (59) de cette dernière station à mille huit cent trente-deux pieds onze pouces (mesure anglaise), qui réduits en pieds de Paris, d'après la proportion de 72 : 76, 733, produisent 1719 pieds # ou 286 toises % pour la hauteur absolue de la Laguna. | Ainsi, les résultats du nivellement comparés avec ceux des trois premières séries donnent à peine une différence de 34 centièmes de toise, preuve évidente de l'exactitude de cette belle opération. En publiant des travaux ignorés jusqu à ce jour, nous sommes heu- reux de pouvoir témoïgner toute notre gratitude envers le professeur Saviñon, dont les communications et les avis nous furent si utiles, et de rendre hommage en même temps à la mémoire de Mesa, qui fut notre ami. (4) | Les divers renseignemens que nous devons à ces deux savans cana- riens nous amènent à parler de la mesure que nous avons adoptée dans notre carte pour la latitude du pic de Teyde. M. Léopold de Buch, en arrivant à Ténériffe, trouva dans cette île des collaborateurs pleins de zèle auxquels il s'associa pour détermi- ner la hauteur du point culminant. Les observations faites simulta- nément, le 24 août 1815, à 10 heures du matin, par M. de Buch à la pointe du pic, par Escolar à Sainte-Croix et le professeur Saviñon à la (1) C’est une bien grande satisfaction pour moi de pouvoir, dans cette note, exprimer plus particu- lièrement ma reconnaissance au professeur Saviñon, dont la bienveillance ne se démentit pas un seul instant durant mon séjour à Ténériffe. Il est juste aussi de faire connaître tout ce que je dois à Mesa, avec lequel je fus intimement lié pendant les cinq dernières années de sa vie. A la com- munication qu'il voulut bien me faire du nouveau tracé hydrographique des principales îles du groupe, cet excellent officier ajouta plusieurs renseignemens sur les positions et les altitudes de divers lieux. Toujours prêt à me seconder. dans: mes levés topographiques, il guida mes premières excursions dans les montagnes du nord-est de Ténériffe , et m’aida de ses lumières pour déterminer par des relèvemens réciproques la position des points culminans de la chaîne d’Anaga et la direction des principaux contre-forts. Mais de simples relèvemens à la boussole, déduits de l'angle formé sous le méridien magnétique, eussent été sujets à de graves erreurs dans une ile où la nature des roches imprime à l'aiguille aimantée de fortes déviations, si mes observations n'avaient pas été rectifiées par des opérations plus rigoureuses, et c’est encore à Mesa que je suis redevable de ces corrections, (Note de M. Berthelot.) ( 60 ) Laguna, puis calculées par ce dernier en employant la formule baro- métrique de la Place et le coefficient de Ramond, donnèrent : Toises. Pour l'élévation du pic au-dessus de la Laguna. . . . . . 1608, 58. Pour l'élévation du pic au-dessus du niveau de la mer. . 1895, 90. Ainsi cette opération portait encore la hauteur absolue de la Laguna à 287 toises 34 centièmes, ce qui égale presque le résultat obtenu un mois auparavant, et ne produit qu'une différence de 0, 70 avec le ni- vellement qu'on exécuta trois ans plus tard. Cette coïncidence nous avait d'abord décidés à adopter le chiffre de 1895 toises 90 centièmes pour Ja hauteur du pic, lorsqu'à notre retour en Europe la lecture de l'ou- vrage de M. de Buch, et l'examen de sa carte, vinrent jeter des doutes sur l'exactitude de cette mesure. La hauteur calculée par ce géologue dans ses tables d'altitude est de 11,206 pieds (1), et le chiffre de sa carte indique 11,624 ; il y avaït donc erreur dans ses calculs ou dans ceux du professeur Saviñon. On trouve au reste des exemples de semblables différences dans les opérations exécutées à d’autres époques. En 1724, le P. Feuillée, qui avait observé sur le pic l'élévation du mercure à dix pouces sept lignes, avait évalué la hauteur du sommet à 13,278 pieds (2). Cassini, par un nouveau calcul, augmenta cette altitude de 2526 pieds, et Bouguer, croyant rectifier la première évaluation, la rabaïissa de 3432. Les résultats des observations du chevalier de Borda , en 1772, avaient d'abord donné 1742 toises pour l'altitude de ce point culmi- nant; mais une nouvelle vérification ayant fait découvrir une erreur de chiffre, la hauteur fut fixée définitivement à 1904 toises (3). (1) Voy. Physical. Beschr. der Canarisch. Ins. von Leop. von Buch, pag. 99 à 101. (2) « Les observations furent faites avec un petit quart de cercle; la base, qu’il eût fallu prolonger « davantage et qui fut prise sur un terrain peu nivelé, fut mesurée avec une chaîne; tout cela « dut occasioner des erreurs dans l'angle conclu au pic entre les deux stations et jeter une grande « incertitude sur le résultat de cette opération. » Rapport de M. de la Caïlle, hist. de l’académ. des Scienc. , 1746. (3) Voy. Voyage de la Flore, au résumé des opérations exécutées à bord dela Boussole et de l’Espiègle, inséré à la fin du deuxième volume. (61 ) Quels que soient les motifs qui aient conduit M. de Buch et le pro- fesseur Saviñon à d’autres résultats dans la détermination ‘de cette mesure, l'incertitude dans laquelle nous jetaient leurs variantes rous a engagés à adopter l'altitude de Borda comme la plus approximative. Ces explications nous amènent naturellement sur un terrain dont le tracé a donné lieu à plusieurs objections. Les débats qui se sont élevés dans le sein de l'Institut au sujet de notre carte de Ténériffe. nous obligent d'entrer dans quelques détails sur les élémens qui servi- rent à la construire. Nous voudrions simplifier la question en la dégageant de tout ce qui lui est étranger et éviter de parler encore de la carte de M. de Buch; maïs puisqu'on s'en est servi pour appuyer des assertions que nous devons détruire, nous sommes forcés d'y revenir malgré nous. Déjà, dans l’un de nos écrits (1), nous avons fait con- naître notre opinion sur cette carte; les discussions qui ont eu lieu et les attaques qu'elles ont provoquées contre la nôtre, ne nous la feront pas rétracter ici. Nous observerons seulement qu'on a fait une fausse comparaison de ces deux plans, car ils n'ont pas été construits dans le même but, et les indications qui se trouvent dans l'un eussent été inutiles dans l'autre. M. de Buch, ne voulant présenter que l'ensemble des formes de l’île, adopta le tracé de Borda, qui rendait son esquisse plus facile, sans l'obliger à entrer dans des détails superflus pour le système volcanique qu'il avait à développer, et les savantes considéra- üons qu'ilen a déduites. Parcourant Ténériffe plutôt comme géologue que comme géographe, il en dessina à grands traits la carte physique. Le titre de carte topographique, que nous avons donné à notre plani- métrie, nous imposait une autre tâche : nous voulions faire connaître le pays sous ses différens rapports; nos recherches embrassaient toute son histoire, les productions du sol, la position des lieux, la distribu- tion géographique des plantes; en un mot, la statistique générale de (1) Description orographique de l'ile de Ténériffe, par S. Berthelot. (Extrait du bulletin de la soc. de géog., avril 1833.) \ (62) l'archipel. Les cartes antérieures ne pouvaient donc suffire au but que nous nous proposions, et celle de M. de Buch, malgré tout ce qu'elle nous offrait de vrai, ne nous donnait pas assez de détails. Un grand nombre d'accidens, dessinés sans indications, jetaient beaucoup de vague dans certaines parties, les ravins n'y étaient pas nommés, nous n y retrouvions pas toutes les gorges et les vallées que nous avions explorées. S'agissait-il, par exemple, de faire connaître ce lieu célèbre par la victoire que les Guanches remportèrent sur les troupes d'Alonzo de Lugo, nous cherchions vainement sur la carte physique le grand ravin d'Acentejo, qui sépare la plaine des Rodéos des coteaux de Ma- tanza. Si, laissant l'histoire pour la botanique, nous voulions désigner l'endroit où croissent plusieurs plantes rares, il nous fallait figurer pour la première fois une des saiïllies les plus occidentales de l'île, la Punta del Aguja. C'est bien moins pour réparer de semblables omis- sions que pour confirmer nos découvertes que nous avons indiqué plusieurs îlots déserts où la végétation s'est conservée dans son état primitif. Mais ce serait peut-être attacher trop d'importance à de pa- reils faits que d'énumérer iei tous ceux dont il nous serait facile de nous prévaloir. Les naturalistes que l'amour de la science ramènera dans les lieux que nous avons parcourus pourront, en se guidant d'après les cartes que nous publions, suivre nos explorations au bord des falaises de la côte, dans les gorges des montagnes et Jusque sur les mornes les plus escarpés. Tous ces rochers aux formes bizarres ont des caractères propres que nous nous sommes efforcés de reproduire, des noms qu'il était important de recueillir, Ces recherches deman- daient beaucoup de temps; dix années d'expatrialion volontaire ont à peine suffi à celui de nous qui s'était chargé de ce pénible travail, et les nouveaux détails dans lesquels il est entré pour remplacer le vague des autres tracés, en donnant plus d'expression au relief du terrain, ont produit aussi des changemens dans les formes (4). (1) Les nouvelles indications que j'ai données dans ma carte de Ténériffe (et je ne veux parler ici que (63 ) Nous ne prétendons ‘pas cependant être arrivés à cette exactitude qu'exige une ‘carte fondée sur une triangulation rigoureuse; nous n'avons fait nous-mêmes aucune opération géodésique (1), mais les D de celles qui ont rapport aux contours et que M. de Buch avait omises dans la sienne) ne sauraient être contestées, puisque la plupart avaient déjà été signalées par Lopez et qu’elles sont toutes bien connues des marins canariens. Ainsi, par exemple, quand je désigne sur le littoral un endroit appelé Punta larga où Punta dela Aguja , ces dénominations , qu’on né peut traduire que par pointé Longue et pointe.de l’Aiguille, supposent des parties de côte qui s’avancent en mer. Par la même raison Punta de la ladera de Guimar n’est applicable qu’à l'extrémité d’un contre-fort. Ainsi encore Puerto de San- Blas, Puerto del buen Jesus, ete. , sont d’autres indications qui doivent marquer une enceinte quel- conque , soit que l’on donne ce nom à un vrai port ou à une anse. J’ai parcouru plusieurs fois toutes les sinuosités de ces rivages, en côtoyant de près tous les bords , dessinant leurs aspects, interrogeant les meilleurs pilotes, comparant leurs renseignemens, afin de juger de leur exactitude. Ces recon- naissances hydrographiques ne m’étaient pas tout-à-fait étrangères ; j'avais servi dans la marine et au besoin j'aurais pu les rendre plus complètes, car j'avais pris note de la nature et de la profondeur du fond dans les principaux mouillages, de l'influence des vents, des courans et des marées. \ (Note de M. Berthelot.) (1) IL n’est peut-être pas superflu de répéter ici ce que, le 8 juin 1835, j'écrivis à ce sujet à MM. Cordier et Bory de Saint-Vincent. .…….......... « J’exposerai en peu de mots les moyens dont je me suis servi pour la construction de ma carte. Comme étranger, toute opération tendant à lever le plan de l’ile m'était interdite, car elle eût paru suspecte à l’autorité militaire. Mes longues explora- tions avaient déjà fixé l'attention publique et donné lieu à de fausses suppositions; j'avais peine à persuader que lamour et l’intérêt de la science étaient le seul but de mes recherches, et l’on s’obstinait, malgré moi, à voir dans mes travaux plus d'importance qu'ils n’en méritaient, Il me fallut donc faire de la géographie sans paraître m’en occuper et m’en tenir uniquement à des moyens expéditifs. J’employais le plus souvent le levé à vue; avec cette ressource on peut arriver encore à d’assez bons résultats dans un pays qu’on est à même d’examiner tous les jours. Le beau mémoire du général Allent sur les reconnaissances militaires m'avait appris tout le parti que je pouvais tirer de ce genre de travail. Les savantes leçons de cet officier me servirent de guide : l'habitude de bien voir s’accrut à chaque nouvelle observation, et, avec cette pratique sans théorie, je me passai du secours des instrumens. Le naturaliste, isolé dans le pays qu’il explore, est forcé d’agir comme l'officier d'état-major chargé d’une reconnaissance; ses ressources sont très-bornées, mais les observations faites de volée peuvent s’augmenter ensuite de renseignemens fondés sur des opérations plus ri- goureuses. Voilà précisément quelle a été ma position et la marche que j'ai suivie. Mes cartes pro- viennent des divers canevas dressés sur le terrain et des communications d’Escolar , de Saviñon et de Mesa. Une fois le contour des côtes bien arrêté , il m'était facile de placer dans ce cadre le système crographique que j'avais étudié en détail; tous ces monts agglomérés et les accidens détachés des principaux massifs venaient successivement se ranger à leur place, car javais pour repère les points culminans dont je connaissais les altitudes et la position, les nœuds d’où partaient les grands contre- forts et les saillies de la côte où ils allaient aboutir. Après cela, les détails topographiques qu'il me restait à indiquer, se trouvant resserrés dans de petits espaces sur un plan déjà fort réduit, les inexactitudes qui pouvaient se glisser dans le cours du travail devenaient inappréciables, » (Note de M. Berthelot.) (64) observations qui nous ont été communiquées et dont nous nous sommes servis pour dresser notre planimétrie, ne sont pas de sim- ples évaluations. Quelle que soit la confiance qu'on leur accorde, nous ne craignons pas de les mettre en parallèle avec les renseignemens de nos devanciers, el nous discuterons ici les points de notre tracé qui ne coincident pas avec les indications de M. de Buch. Nous nous sommes guidés sur les mesures de ce géologue pour les côtes de hauteur de la chaîne des Cañadas, depuis l’Esparanza jusqu'à Guaxara, et nous avons eu recours, pour les altitudes du col d'Ucanca ( la Degollada) et du morne adjacent (el Sombrerito }, aux données de Mesa qui ne nous offraient pas moins de garantie. Les calculs de cet officier portent ces deux points à 9,300 et 9,330 pieds. Cette évaluation nous à semblé- probable: les crêtes des Cañadas sélèvent progressivement depuis le plateau des Rodeos jusqu'au roc d'Izaña, cest-à-dire le long de la ligne de pente mesurée par M. de Buch. Les montagnes qui font face au pic constituent le nœud de ce système, et leur élévation doit être plus forte que sur les autres points. En effet, du haut du Sombrerito, d'où l'on domine les deux prolongemens de la chaîne, on voit cette suite de sommités s'abaisser insensiblement à l'est et à l’ouest. On à prétendu qu'en adoptant les mesures de Mesa pour la hau- teur du Sombrerito et celles d'Escolar pour le cirque des Cañadas, l'interposition des montagnes qui limitent cette enceinte empécherait d'apercevoir la grande Canarie du sommet du pic; on a méme ajouté que la pointe de ce cône resterait cachée à l'observateur placé au sud de Ténériffe, à douze ou quinze lieues en mer. Ces ob- jections ont été appuyées par des chiffres, mais dans le premier cas on est parti d'une fausse donnée en supposant une tangente qui passait par un point du cirque beaucoup plus élevé que celui qui se trouve dans la direction de la grande Canarie, et dans le second, en voulant combattre une erreur imaginaire, on a prouvé une (465: ) vérité. Oui, l'interposition des montagnes de la bande méridionale empêche d’apercevoir le pic, non-seulement de tous les points du littoral ; depuis le môle de Sainte-Croix jusqu'au port de San-Yago, mais encore de plusieurs lieues en mer, suivant la position de l'ob- servateur (1). Les navigateurs qui partent de Ténériffe, en se dirigeant au sud, ne voyent le pic que lorsqu'ils sont déjà à une certaine distance de la côte; sa cime déborde alors au-dessus des crètes de la chaîne centrale; à mesure qu'on s'éloigne davantage. la ligne de circonvallation se confond insensiblement avec la base du cône, et l’île entière ne forme bientôt plus au-dessus de l'Océan qu'une masse pyramidale. Nous ferons observer, en outre, que Ténériffe et les autres îles du groupe des Canaries, se trou- vant situées sur la ligne des vents alizés qui soufflent cons- tamment dans la direction du nord-est, ne sont abordables quau vent, c'est-à-dire par la bande septentrionale. Les bâti- mens du pays, qui retournent de la Havane, sont obligés de remonter au nord pour prendre le mouillage de Sainte-Croix ou de l'Orotava. Il y a aussi une autre circonstance qui fait redou- ter, même aux caboteurs, l'attérage des côtes du sud; ce ‘sont les calmes que les marins craignent bien plus que la tempête. Les hautes montagnes qui parcourent Ténériffe du nord-est au sud-ouest, abritent toute la partie méridionale de l’île, et l'influence de leur interposition se fait sentir à une assez grande distance en mer. Georges Glas, dans son histoire des îles Canaries, à fait de bonnes observations sur ce sujet: des bâtimens souventés, et que les courans avaient entraînés au sud, ont mis souvent plu- sieurs semaines pour regagner un port. Si l'on pouvait. aborder (1) I faut être mouillé assez au large dans la rade de Ste-Croix, pour apercevoir l'extrémité du cône au-dessus des montagnes de l’Espéranza, et cependant dans cette direction la chaîne centrale est beaucoup moins élevée que sur les autres points de la bande méridionale. (Voy. partie histo- rique, pl. 16.) il. < 9 (66 ) sous le vent, à mesure qu'on s'approcherait, le pic disparaîtrait derrière les montagnes du cirque, et l'île ne seraït bientôt plus qu'un immense trapèze. Tel est l'aspect de Ténérifle du côté du sud; les calculs les plus ingénieux ne sauraient rien changer à cette configuration que notre carte et nos coupes reproduisent fidèlement. Les montagnes, vries à différentes distances, se pré- sentent sous des apparences diverses, et les marins qui ont relevé l'île dans la direction que mous venons d'indiquer, seront les meilleurs juges de nos assertions. Mais l'on s'est étrangement trompé sur les descriptions des navigateurs : ceux qui jusqu'ici ont parlé de l'aspect imposant de ce premier volcan de l'ancien monde, ne l'ont vu que du côté septentrional où se font tous les attérages, et cest sous cette apparence qu'ils l'ont dessiné. Dans cette direction, le pic de Teyde se montre dans son plus beau développement, les montagnes des Cañadas sont bien moins élevées, leur ligne de circonvallation est interrompue par de lar- ges brèches, le plateau qui sert de base au cône central est in- cliné au nord et saffaisse en talus jusqu'à la côte. Ainsi, nul obstacle ne vient s'interposer de ce côté entre le pic et l’obser- vateur; à trente lieues en mer, et même à quarante si les cir- constances atmosphériques sont favorables, on découvre la pointe du cône au-dessus des nuages amoncelés à l'horizon, sa base s'é- largit ensuite et semble reposer sur les montagnes qui l’entou- rent; plus on savance, plus ce tableau acquiert de majesté; le pic domine l'île comme un immense dôme, et on continue à le voir jusqu'au mouillage. C'est ainsi qu'il s'est montré à tous les navigateurs lorsqu'ils longeaient Ténériffe par le nord (1), et ro par le sud, comme on l'avait supposé. Cest sans doute de ce côté qu'il faut rapporter aussi l'observation de Dalrymphe, dont les (1) Voyez Atlas, pl. 12. (67 ) résultats ne s'accordent pas, dit-on, avec les dimensions que nous avons données au cirque des Cañadas. Nous ne nous arréterons pas davantage sur l'objection de la visibilité du pic par la bande mé- ridionale de l'île; notre conviction à cet égard est appuyée sur des souvenirs qui me peuvent nous tromper. Continuons donc nos explications sur les points de notre carte qui ne s'accordent pas avec les renseignemens antérieurs. Nous avons adopté, comme on a pu de voir, la mesure de Saviñon et de Mesa pour la hauteur de la Laguna qui diffère de cent deux pieds de celle de M. de Buch. Cette préférence est fondée sur l'importance des opérations simultanées qui servirent à déterminer cette altitude, et sur la coïncidence des résultats. Quant à la hauteur de deux mille trois cent trente-huit pieds que nous avons donnée à la montagne de la Mesa de Mota, située à l'occident de la Laguna, nous nous en sommes rapportés pour cette mesure à l'évaluation du P. Feuillée (1). Passons maïntenant à quelques autres positions qu'on à cru inexactes. Parmi les latitudes et les longitudes que Verdun de la Crenne, Borda et Pingré déterminèrent en 1771, durant leur explora- tion de Ténérifte, il en est plusieurs qu'ils ne donnèrent qu'avec doute, et dont on ne saurait se prévaloir pour contester celles qui nous ont servi à fixer quelques points de notre tracé. La re- lation des hydrographes de la Flore est bien explicite; on y pré- vient le lecteur sur le degré de confiance qu'il doit accorder aux différentes opérations exécutées pendant cette campagne. « Quant aux positions fondées sur nos observations, disent les auteurs de la relation, elles approchent plus de l'exactitude que celles du P. Feuillée, mais elles ne sont pas exemptes de tout défaut. Lorsque (4) Voy. l’oyage aux les Canaries , Mss., par le P. L. Feuillée , 1724. \ \ (68) nous observions la latitude à midi, nous faisions relever le pic, et de ce relèvement, nous concluions notre longitude. Nous agissions de même pour conclure notre latitude au moment des observations de longitude, et comme nous supposions au pic une position qu'il n'a- vait pas, nous ne pouvions éviter quelques erreurs dans la position que nous attribuions au vaisseau, et ces erreurs influaient nécessaï- rement sur la position des objets que nous relesions (À). » Les observations faites en 1776 offrent bien quelques diffé- rences avec celles de 1771, maïs on ne peut non plus s'y fier en tièrement. Dans la première campagne, Sainte-Croix de Ténériffe fut placé d'abord : | | par 28° 27 30” de latit. et 18° 34° 48” de longit., et dans la seconde, par 28° 28° 30” de latit. et 18° 36 » de longit. (2) : ainsi, Ce point était porté en 1776 à 1’ plus au nord et 1° 11” plus à l'ouest. C'est sans esprit de critique que nous citons cette légère variante; des observateurs non moins exercés et aussi con- sciencieux que Borda ont commis des erreurs bien plus graves sans avoir vu diminuer pour cela le crédit et la juste célébrité qu'ont mérités leurs travaux. M. de Humboldt nous apprend que La Condamine et Bouguer, ayant terminé leurs opérations en Amérique, firent graver sur une pierre du collége des Jésuites, en sortant de Quito, la longitude de cette ville, et cette position diffère d'un degré de celle qu'ils adoptèrent depuis en Europe (3). La longitude du môle de Sainte-Croix, prise par les navigateurs les plus célèbres qui ont touché à Ténériffe, à toujours offert des variantes. Les observations de Feuillée, Fleurieu, Cook, Hum- (1) Voyage de la Flore, tom. 1, pag. 381 et 382. (2) . . Id. . . . Id. (Supplém. au chap. vi, pour le résultat des opérations de 1776.) (3) Voy. Lettre de M. A. de Humboldt à Cavanilles. Annales du Muséum , tom. 4, p. 478. (69 ) boldt, Krusenstern, Givry, diffèrent plus ou moins entre elles. La carte canarienne d'Herrera donne encore une nouvelle position ; la latitude de cette ville y est indiquée par 28 33° et sa longi- tude par 18° 15° à l'ouest du méridien de Paris. Si nous comparons les observations du P. Feuillée, de Bellin et de Borda, la position du pic présente les mêmes incertitudes. Feuillée situait ce point culminant par 28° 15° 39” de latit. N. et 18° 52° 3” de longit. O. Bellin l'avait placé d’abord... . par 28° 33” » Id. et:18 49° » CR Borda, en 1971, l’indiquait. .par28° 16° » Id. ÉRoeb 03 01e ed: Et, en :1776,ille portait .par28° 17 » Id. COTON el Lopez, qui eût pu faire usage des données de Varela et d'Argue- das, préféra pourtant s'en tenir à celles du P. Feuillée. La position de la Laguna, quoiqu'établie sur des calculs rigou- reux, offre aussi quelques doutes: les observations du professeur Saviñon, analogues à celles du P. Feuillée en 1724, augmentent la latitude de cette ville d'une minute 4” et diminue sa longitude de 3 49”. Herrera, dans sa carte de Ténérifle, place la Laguna par _ 28° 35 de latitude et 18° 21° O. de Paris. Nous ne saurions non plus garantir la position du port de l'Oro- tava : En 17991, on l'avait situé. . . . par 28° 24° 20” delatit. et 18° 53° 15” de longit. En 1976 , de nouvelles observations portèrent sa longit. par 18 55° » Id. Lopezle plaça ensuite. | . . : par28° 19° 30” delatit. et18° 48° » Id. Et Herrera l’indiqua après . . . par28° 29° » delatit.et18° 40° » Id. Nous avons dans ce moment sous les yeux plusieurs tracés de l’île de Ténériffe; ce sont ceux de Feuillée, de Bellin, de Borda, de Lopez, d'Herrera, de M. de Buch et de la carte anglaise de l'amirauté ( voy. Arias, pl. vn); il n'en est pas un qui n'offre des différences très-nota- bles. Nous voyons sur le plan de Borda une erreur qu'on retrouve sur la carte de l’'amirauté et sur celle de M. de Buch. La pointe de Teno porte le nom de pointe de Buenarisia, et le petit promontoire que \ (70 ) les habitans de Ténériffe appellent Punta de la Aguja y figure sous la dénomination de Pointe de Teno. Par suite de cette transposi- tion, la véritable pointe de Buenavista est restée sans désignation. Si avant de discuter, comme 6n l'a fait, sur des points peu connus et mal signalés, on se fût entendu sur les noms, on se serait gardé alors d'attaquer les positions de notre carte qu'on rapportait à de fausses indications. Lorsque M. de Buch a cru se rappeler à Paris, que du port d'Orotava on ne pouvait voir la pointe de Buenavista, il voulait parler sans doute de celle de Teno qui se trouve cachée par la précédente. Entre l'Orotava et Buenavista il n'existe aucun accident le long de la côte qui puisse empé- cher d'apercevoir cette pointe; les vues prises dans cette direction suffisent pour le prouver (voy. partie historique, pl. 21). L'on peut consulter aussi la carte de Lopez dressée sur des renseignemens locaux, et l'on sera convaincu que le géographe espagnol avait mis liés noms à leur place, quoiqu'il portât la pointe de Teno à trois milles environ plus au sud-ouest. Au surplus on ne doit pas s'é- tonner de cette erreur, puisque Borda lui-même n'a donné qu'avec défiance les positions relatives à la partie occidentale de Ténériffe. | N'ayant pu relever la pointe de Teno en 1771, il adopta l'indication de la carte de 1753. « En donnant, dit-il, à cette pointe, la plus oc- cidentale de l'île, 28° 15° de latitude et 19 18° de longitude, nous avons voulu seulement lui conserver la même position qu'elle a sur la carte du dépôt, mais nous ne garantissons pas la précision des dé- ierminations que nous fondons sur cette carte.» ( Voyage de la Flore, tom. IT, p. 85). Quant au relèvement de 1776, on ne peut guère plus s'y fier, puisqu'il reproduit avec une très-petite différence les données de la première exploration. On ne s'est pas mieux entendu sur l'endroit de ia côte du nord-est auquel il fallait donner le nom de Punta de Anaga, de manière qu'il est assez difficile aujourd'hui de débrouiller la synonymie des (alu) indications. Cette confusion provient de l'emploi répété du mot Ænaga où Naga, dont on s'est servi pour désigner d’abord la chaîne de montagnes qui s'avance jusqu'à l'extrémité nord-est de l'ile ; puis les trois roches situées plus au nord, entre le val de Benijo et celui de /as Palmas, et enfin une autre saillie terminée par le rocher d'Antequera, qu'on aperçoit de la baïe de Sainte-Croix: celle Rà est pour nous, et pour tous les marins canariens, la véritable pointe d'Ænaga. Dans son premier voyage, Borda, incertain sur sa po- sition, adopta l'estime de Fleurien et la plaça tout-à-fait au nord. «C’est la pointe la plus septentrionale de l'île, dit-il; il y a quelques roches au large, mais nous ne sommes pas aussi assurés du gise- ment de cette partie de la côte, les résultats de nos relèvemens s’ac- cordant moins que nous ne le désirions ». ( Voyage de la Flore, tom. 1, chap. vi.) « Nous ne l'avons vue qu'une fois, et nous n'étions pas alors trop certains de notre position. » (Voyage de la Flore, tom. 2, pag. 84). Trois autres points que Borda signale plus au sud, en suivant la côte orientale, viennent jeter encore plus d'incertitude sur le vrai gisement de celle dont il est ici question. Enfin, dans son second voyage, rapportant son observation à la plus grosse des roches d'Anaga, il indique la pointe présumée à quatre lieues au nord de la véritable. M. de Buch, croyant sans doute se rapprocher davantage de l'exactitude, a pris pour la pointe d'Anaga l'extrémité du con- tre-fort qui sépare le val de las Palmas de celui du Sabinal. Même discordance sur la position des caps de la bande du sud. Les cartes de Borda et de M. de Buch indiquent, pour la pointe Rasca, une des saillies les plus méridionales de l'île, mais nous différons avec eux sur l'endroït de la côte auquel il faut rapporter cette dénomination. On désigne ordinairement par Punta Rasca un autre petit cap formé par le prolongement de (12) la baie de los Cristianos du côté de l'Est, et cette indication coïn- cide avec celle de Lopez qui porte, comme nous, les côtes méri- dionales de l'île plus au sud que Borda. Mesa, en rectifiant le tracé du géographe espagnol, trouva dans cette partie peu de chose à réformer. L'endroit qui a recu le nom de Punta Rasca dans la carte de 1776 avait d'abord été appelé Punta de las Gal- letas par les hydrographes de la Flore. Les auteurs de la relation signalaient en outre un îlot comme point de reconnaissance. Des renseignemens pris sur les lieux, et nos propres observations, nous ont donné la certitude que cette pointe, du reste bien peu sail- lante, n'est connue sous aucun nom, et quil ny a point d'ilot dans ces parages. On appelle Galletas la côte méridionale de Té- nérifle qui fait suite à la plage du Confital. Les galets et les concrétions calcaires dont ces plages sont couvertes ont donné lieu à ces dénominations (1). L'analyse des observations qui ont servi à dresser la planimé- trie de Ténériffe et la discordance des résultats prouvent évi- demment que nous ne connaissons pas encore d'une manière précise le gisement des caps qui influent le plus sur la configuration des côtes. Il n'est donc pas étonnant que les positions de notre tracé hydrographique ne coïncident pas avec celles de Borda où de M. de Buch, puisque leurs indications ne se rapportent pas aux mêmes points. Quant aux autres positions, nous avons fait choix de celles qui s'accordaient le mieux avec les échelles de distance de Viera généralement estimées aux Canaries (2). Les latitudes que nous avons adoptées pour le môle de Sainte-Croix , la ville de la La- guna et le port de l'Orotava, sont celles de la carte d'Herrera ; (1) Ces galets plats ressemblent assez à des biscuits (galletas en espagnol), et les concrétions à des confitures ( confites ou confital pris dans un sens collectif). (2) Voy. à l’appendice la table des distances relatives. (73 ) les longitudes de ces trois points ne diffèrent pas de. celles de Borda (1776), et nous nous en sommes rapportés entièrement à ce savant observateur’ pour la position du Pic. Nous ne garantissons pas cependant l'exactitude de ces données; les posilions que nous avons énoncées dans la légende de notre carte sont peut-être plus approximatives : de nouvelles observa- tons astronomiques et une triangulation fondée sur des opéra- tions rigoureuses pourront seules décider de la préférence qu'on doit leur accorder. Cette légende gratuite, qui a déjà donné lieu à de fausses interprétations, na été placée en marge qu'à ütre de renseignemens (1). Nous n'avons pas craint de faire figurer à (1) Les données de cette légende étaient extraites de divers documens que je consultai à mon retour en Europe. La position du mole de Sainte-Croix avait été déterminée , par le cap. Duperré, lors de l'expédition de la Coquille. Gelle de Laguna se référait aux observations de 1771. ( Voyage de la Flore.) Les cinq autres, savoir : le Pic, le port de l'Oratava et les pointes d’Anaga, d’Hidalgo et Rasca , étaient prises sur la carte de Borda (1776), et différaient parfois de quelques secondes avec les résul- tats des calculs. J'avais d’abord fait inscrire cette légende en marge de ma carte , sans en indiquer les sources, mais comme on s’en est prévalu pour contester les points de mon tracé qui ne s’y rapportaient pas, je l’ai fait effacer dans le second tirage, afin d’éviter à l'avenir toute fausse interprétation. Je sais que la forme que j'ai donnée à l’île de Ténériffe s’écarte un peu de celle qu’on pourrait déduire d’autres don- nées, mais quelque modification qu’éprouve le contour des côtes dans les tracés ultérieurs, le relief que j'ai figuré restera le même dans son ensemble. Cette partie , à laquelle j’ai attaché une grande im- portance , est la plus positive de mon travail. Peut-être me dira-t-on que j'ai traité la géographie en naturaliste. Je conviens que ma manière d'envisager cette science n’est pas tout-à-fait celle des astronomes. Les faits déduits d'observations consciencieuses ont pour moi autant de valeur que les chiffres, et je crois que mes dessins et mes descriptions peuvent suppléer à l’exactitude mathématique, dans un ouvrage qui a pour but l’étude des localités. Je laisse donc à de plus hautes intelligences le soin de rectifier mes évaluations par des calculs plus rigoureux. J'ai encore une autre explication à donner : en calquant sur la pierre mon dessin original , le graveur avait oublié de l’orienter d’après mon indication. Me trouvant absent à l’époque du tirage, cette er- reur , à laquelle il eût été facile de remédier de suite par Le signe de l’orientation , ne fut corrigée qu’a- près. Il en est résulté que, sur les premières épreuves, et notamment sur celle qui fut présentée à l’Institut, plusieurs positions littorales se trouvaient dans un faux gisement. Cependant , en comparant ma plani- métrie avec celle de Lopez ou de tout autre, on eût pu voir qu’elle n’était orientée ni au vrai nord , ni au nord magnétique , puisque l’ile se présentait tournée dans un autre sens. Si on oriente ma carte d’a- près le signe indicatif , on sera convaincu que les points contestés coïncident avec les latitudes et les longitudes dont j’ai fait choix. (Note de M. Berthelot, ) Il. \ 19 (T4 ) côté de notre planimétrie les élémens qui pourront servir à un meilleur cadre. Le tracé orographique est la seule partie de notre travail dont nous acceptions la responsabilité; ce sera pour les ex- plorations ultérieures un canevas bon à consulter, et la struc- ture de l'île, que nous avons tâché de représenter dans son en- semble et dans ses détails, pourra guider ceux qui seront appelés à compléter nos connaissances sur la géographie de l'archipel Canarien. Quant à nous, nous bornerons là ces explications : on va juger par la description que nous allons faire de l'ile de Té- nériffe si nous sommes parvenus à reproduire les grands acci- dens de cette terre volcanique. DESCRIPTION OROGRAPHIQUE DE L'ILE DE TÉNÉRIFFE. L'ile de Ténériffe, la Nvaria de Pline, a reçu aussi d’autres dé- nominations : en 1344, le pape Clément VE, dans sa bulle au prince de là Fortune, la désigne sous le nom de Mngaria, d'après Pto- lémée; on la retrouve ensuite sous celui d'#e de l'Enfer sur les an- ciennes cartes vénitiennes (1). Nous avons déjà parlé de l'étymologie du nom de Névaria (2): celui de Ningaria, qui nous à été transmis par les copistes de Pto- lemée, est sans doute une corruption du premier. La dénomination d'île de l'Enfer (/sola dell Inferno) a dû lui être appliquée à l'époque d'une nouvelle recrudescence du volcan qui la domine. Le mot Echeyde, dont T, eyde paraît un dérivé, signifiait enfer dans la langue guanche, et c'était par ce nom que les aborigènes désignaient le Pic (3). Cadamosto, qui aborda aux Canaries en 1445 “ affirme que, semblable à l'Etna, le Pic brûlaït sans interruption (4), et Bordone en 1528, se guidant sur les renseignemens du voyageur vénitien., (1) Voy. les cartes de Picigano, 1367, celle d’Andrea Bianco, 1436, dans la collection des grands et petits voyages, et la carte manuscrite de Beninchosa, 1466, du dépôt des cartes et plans de la Bi- bliothèque royale. ’îile de Ténériffe se retrouve encore indiquée sous le nom d’/sola dell Inferno sur la carte manuscrite que le Génois Barthélemi de Pareto dressa en 1456 : cette carte est assez d'accord avec la fameuse carte catalane de 1377. On peut consulter à la LEONE royale le calque qui a été gravé d’après . le manuscrit original. 1% (2) Voy. précédemment Coup d'œil sur la chorog. des &les Fortunées, pag. 15. (3) Voy. Viera, Noticias de la hist. gen. de las isl. de Can., tom. 1, p. 68. (4) Voy. Humboldt, Voyage aux rég. équin., tom. 1, pag. 386 et 387. \ (76) indiquait encore Ténériffe sous le nom d’Zsola dell’ Inferno (1). Plus tard (1555), sur les cartes manuscrites du précieux atlas de Guil- laume le Testu (2), on ne retrouve plus la désignation d’Inferno ; le simple nom de Pic indique l'île du grand volcan et sert à la distinguer des autres. Il paraît pourtant que dès le xv° siècle plu- sieurs géographes commencèrent à adopter le nom de Ténériffe ; déjà, dans la première relation de la conquête, l'île avait été appelée Ténerfis par les chapelains de Bethencourt (3). Selon les anciens his- toriens, les habitans de l'île de Palma imposèrent à l'île du Pic la dénomination qui a prévalu dans les temps modernes. Viana assure que Ténériffe fut d'abord peuplée par les Palmeros, et que son nom allusif au Teyde est un composé des mots Tener, neige, et yfe, montagne (4). Abreu Galindo et Nuñez de la Peña confir- ment cette opinion (5), que Viera pourtant est loin de partager. Les raisons sur lesquelles s'appuie ce dernier écrivain nous ont paru (1) Voy. Bordone, Isolario, libro primo, fol. 17. (2) Voy. Cosmographie universelle, selon les navigateurs tant anciens que modernes, par Guillaume le Testu, pilote en la mer du Ponent, de la ville Francoyse de Grace, an 1555, carte, fol. 18. M. le colonel Bory de Saint-Vincent, chef de la section historique au dépôt de la guerre, désireux de contribuer au complètement de l’histoire géographique d’un pays qui fut le premier champ de ses explorations, s’est empressé de nous communiquer l’ouvrage que nous venons de citer, et dont nous ignorions l'existence. Ce bel atlas, que l’auteur dédia à l'amiral Coligny, est un des manuscrits les plus précieux de la bibliothèque du dépôt ; les cartes dont il se compose, aussi bien que le texte explicatif, fournissent des renseignemens très-curieux sur les connaissances géographiques du xvr: siècle ; c'est sans contredit, pour cette époque, le travail le plus parfait qui ait été exécuté en ce genre sous le rapport de la richesse des ornemens et de la pureté de l’exécution. On a peine à concevoir, en parcourant ce magnifique recueil, que la patience d’un seul homme ait pu suffire à tant de détails. Nous avons tâché, dans la planche 13 de notre Atlas, de reproduire aussi fidèlement que possible ce qui concernait les îles Canaries. Le fac-simile que nous donnons est un fragment dega carte fol. 18, qui comprend les côtes occidentales de l’ancien continent , depuis Lisbonne jusqu’au Cap-Verd, avec les îles adjacentes. (3) Bontier et le Verrier, Conquest. des Can., chap. 68, p. 125. (4) Viana, cant. 1, pag. 16. (5) Galindo, Mss., Hb. 3, cap. 10. Nuñez de la Peña, lib. 1, cap. 2, pag. 18. (TT ) concluantes : « La conquête de Palma, dit-il, suivit celle des autres iles, et Ténériffe ne fut envahie qu'après. Mais les habitans de la grande Canarie, ceux de Gomère surtout, qui furent soumis bien avant , devaient avoir aussi un nom pour désigner l’île du Pic, qu'ils apercevaient ordinairement dans les temps clairs. Comment expli- quer alors cette préférence qu'accordèrent les conquérans à la dé- nomination empruntée aux Palméros? (1) Suivant une ancienne tradition (2), les neufs princes qui gouververnaient à Ténériffe, avant l'invasion étrangère, s'étaient partagé l'héritage de Tenerf ou Chenerf-le-Grand, et c'est dans ce nom vénéré qu'il faut chercher l'étymologie de celui de l’île. Le mot Guanche a lui-même rapport à ce nom, et nest que la syncope du mot Guanchenerfe, que les Es- pagnols adoptèrent des aborigènes, et par lequel ils désignaient collectivement tout ce qui appartenait à la nation guanche. Aïnsi, d'après l'ancienne langue, Guan signifiait homme, et CAenerf indiquait l'île : de à Guanchenerf, C'est-à-dire homme de Téné- riffe (3). Cette opinion paraît d'autant plus plausible qu'on retrouve encore le mot Chenerife pour Tenerife sur plusieurs anciens ma- nuscrits. | À une époque où les voyages d'outre-mer n'eurent pour but que la piraterie, l'audace tint lieu du savoir; les excursions des aven- turiers se bornèrent à quelques points de la côte, et la configu- ration des pays exploités resta long-temps inconnue. On ne s'at- tacha guère qu'à fixer la position relative des îles sur les routiers qui devaient guider les pilotes dans ces entreprises hasardeuses; on soccupa peu de la structure des terres, et tous les détails qui S'y rapportaient furent laissés au caprice des dessinateurs. Une (1) Viera, Noticias de la hist. gen., tom. 1, pag. 68. (2) Nuñez de la Peña, cap. 5, pag. 39. (3) Viera, Noticias de la ‘hist. gen., tom. 1, pag- 69. \ (78 ) échancrure dans les contours du littoral suffisait pour indiquer d'une manière plus ou moins approximative le gisement du port le plus fréquenté; le cap le plus apparent était le point vers lequel on faisait converger toutes les côtes, sans s'inquiéter si cette sin- gulière projection reproduisait ou non la figure de l'ile. Chaque géographe modifiait à son tour et à sa volonté cette planimétrie naissante, et souvent augmentait les erreurs. Tels furent les élé- mens qui servirent à tracer les grossières ébauches de Ténériffe et des îles voisines sur les cartes manuscrites des xv° et xvr' siècles. En examinant cette bizarre chorographie, on reconnaît le cachet de l'époque; le trait qui marque les contours est raide et anguleux comme la lettre, comme toutes les délinéations du style gothique (1). Les descriptions consignées dans les ouvrages du temps sont aussi vagues et non moins erronées que les renseignemens graphiques. Écoutons les chapelains de Bethencourt : L'isle d'Enfer, qui se dit Tenerfis, écrivaient-ils en 1402, esf en manière de herche, presque ainsi que la grand'Canare, et contient environ dix-huit lieues Jrançoises de long et dix de large, en tout le meilleur a une grand'montagne la plus haute qui soit en toutes les isles canariennes, et S'estent la patte de la montagne de tous costez par la plus grand'partie de toute l'isle; et tout entour sont les baricaves garnis de grands bocages, et belles fontaines courantes. (2) Après ces deux auteurs, Bordone ne donna guère, au commen- cement du xvr siècle, de renseignemens plus étendus : Tenerife, (1) Voy. à la Bibliot. roy. les cartes manuscrites de Beninchosa; Venise, 1466: et de Domingo de Villaroel , 1589, etc., etc. M. Jomard, conservateur du dépôt des cartes et plans de la Bibliot. roy., a daigné guider nos re- cherches dans cette partie intéressante de la chorographie : c’est à sa bienveillance que nous devons d’avoir pu examiner en détail et avec fruit la précieuse collection des cartes manuscrites confiée à sa direction. Cette simple note ne saurait nous suffire pour lui témoigner toute notre gratitude. , (2) Bontier et le Verrier, Conquest. des Can. , pag. 195. ( 79 ) disait-il, à la più alta isola del mondo, dalla quale con tempo se- reno sessanta leghe lontano in mare si pud vedere, et ha nel mezzo un monte, in modo d'una punta jfatto, altissimo, la quale conti- nuamente arde ({). Un passage du traité de navigation de Galien de Bethencourt (2) fournira un exemple des fausses notions qu'on avait encore en 1630 sur Ténérifle et son fameux pic : La terre est relevée en forme de costaux; au milieu d'icelle se voit une montagne grandement droite et ronde, qu'ils appelent Pico de Teiïthe, et contient en hauteur quinze grandes lieues : elle jette souvent feu et soufre. Voilà en analyse ce que nous avaient appris les anciennes des- criptions, lorsquen 1724 le P. Feuillée vint donner sur Ténériffe des renseignemens plus circonstanciés. La relation inédite de son voyage contient les résultats des observations qui l'occupèrent durant son séjour aux Canaries; pourtant l’on chercherait en vain dans ce journal des détails sur la structure des îles. Nous avons vu vers la fin du dernier siècle, et au commencement de celui-ci, les entre- prises scientifiques se succéder pour augmenter nos connaissances sur le gisement des côtes et fixer la position des points princi- paux; mais parmi les divers explorateurs de ces deux époques, aucun, avant M. de Buch, ne sétait appliqué à étudier dans son ensemble le système de montagnes de Ténériffe. Toutefois, malgré l'importance des travaux de l'illustre géologue, sa relation laisse encore à désirer sous les rapports orographiques. Chacune de ses excursions dans l’intérieur de l'ile lui donne lieu à une nar- ration détachée; le récit se trouve ainsi divisé en divers frag- (1) Bordone, Jsolario, texte, fol. 17. (2) C’est à Galien de Bethencourt, conseiller du roi au parlement de Rouen, et issu de la famille du premier conquérant des Canaries, qu’on doit la mise en lumière du manuscrit de Bontier et le “Verrier, qu’il fit imprimer à Paris en 1630. Get ouvrage est accompagné d’un Traicté de navigation et des voyages de descouverte. Voy., pour notre citation, à la pag. 226. \ ( 80 ) mens, le dénombrement des produits volcaniques vient s'inter- poser trop souvent dans ses explications, et le lecteur, arrêté à chaque pas par des considérations nouvelles, ne peut suivre les ramifications du système de montagnes, ni distinguer les acci- dens isolés des principaux massifs. Il est dans les groupes partiels des roches dont le gisement in- flue peu sur le relief du terrain; les grandes formations, au con- traire, suivant leur nature et leur degré de puissance, caractérisent le pays et déterminent sa structure. D'après ces principes, nous avons pensé qu'une description orographique gagnerait en con- cision et en clarté, si elle était dégagée des détails géologiques trop spéciaux. C'est en suivant cette marche que nous espérons com- pléter les observations déjà si importantes de notre savant de- vancier. | La forme de Ténériffe est très-irrégulière : l'île s'étend du nord- est au sud-ouest sur une ligne de 21 lieues de côte et n'en à guère plus de 12 sur sa plus grande largeur; la totalité de sa surface occupe un circuit d'environ 54 lieues. La partie qui se prolonge vers le nord-est est la plus étroïte et a moins de quatre lieues d'une côte à l'autre; elle offre de chaque bord de hautes falaises et de profondes anfractuosités au débouché des vallées côtières. Du centre de l'île sélève un pic gigantesque dont le sommet py- ramidal apparaît au-dessus des nuages; des montagnes secondaires se groupent autour de sa base, tandis quà lorient et à l'occi- dent deux chaînes de sommités prolongent leurs contreforts vers la côte et lancent sur l'Océan deux promontoires escarpés, le Cap de Teno et celui d'Anaga. La ville de Sainte-Croix (Santa- Cruz) est située sur la bande orientale de l'île, au pied d'un coteau dont la pente rapide est sil- Jonnée par plusieurs ravins. La côte s'étend d'une part vers le NE. et de l’autre vers le S.-0. : cette disposition du littoral donne lieu (81) à la baïe de Sainte-Croix. La rade, proprement dite, se trouve comprise dans le fond de cette enceinte entre le morne fortifié de Paso-_ Alto et l'embouchure du Barranco hondo que défend la tour de San Juan (1).(Voy. Part. hist., pl. 6, 16, 18: et Atlas, pl xi) Depuis Sainte-Croix jusquà la vallée de Guimar, le talus de l’île est encore plus incliné, ses côtes sont plus abruptes, et la plage de Can- delaria est le seul endroit où l’on peut aborder sans risque. Le fond de la vallée de Guimar s'élève en amphithéâtre et s'étend ensuite vers la mer en une plaine de tuf et de sable jusqu'auprès de trois grands mamelons volcaniques qui dominent la côte (2). La vallée est cer- née par deux puissans contre-forts; celui d'occident, ou de la La- dera, est presque coupé à pic du côté de la vallée, et forme une des berges du grand ravin de Badajos qui circule à sa base (3). Il faut traverser le ravin vers son embouchure, et gravir le for- midable escarpement par un chemin de corniche, pour sortir de cette enceinte. Alors le talus de l’île n'offre plus de larges dépressions ; c'est un terre-plein continu, entamé seulement par des Barrancos étroits quon ne distingue quau moment de les franchir. En longeant l'île par le sud, les escarpemens de la côte se succèdent sans autre interruption que celle des ravins. IL est encore plus dif- (1) « Sur le plateau qui forme le mouillage, le fond est généralement d’une bonne tenue; les « navires y peuvent séjourner avec sécurité en s’affourchant E.-S.-E. et O.-N.-0., la grande touéé « au large ; ils peuvent ainsi résister à la grosse mer que LS vents du large A lorsqu’ ils « soufflent pendant quelque temps ; mais il_est essentiel de faire flotter les câbles : sans cette pré- « caution ils courraient le: risque d’être dragués par les pense roulées sur le fond et par les ancres « perdues qui s’y trouvent en assez grand nombre. » Ces excellentes observations sont extraites du plan de la rade de Sainte-Croix, par M. Givry; nous renvoyons les lecteurs, pour tous les autres renseignemens CR. sur ce point important , aux travaux exécutés en 1817, sous les ordres de M. le contre-amiral Roussin, pen- dant la campagne d’exploration de la corvette la Bayadire. Le plan de la rade de Sainte-Croix, levé à une grande échelle, donne les positions des quatorze batteries qui défendent la côte et les différentes profondeurs du fond dans toute l’étendue de la baie. (2) Montaña grande, montaña de las Guirres et montaña de Alchaco. (Voy. Atlas, carte Rp°epRi que de Ténériffe, pl. n, et Part. hist., pl. 24). (3) Voy. Atlas, vue phytost., pl. 3. IT. N 11 (82) ficile de ce côté de trouver de bons débarcadaires: les alentours du port d’Æbona sont hérissés de basaltes et ne peuvent donner abri à aucun grand navire. L'ile offre à peu près le même aspect jusqu'à la plage de Medano qu'avoisine le petit promontoire de Montaña roxæa; seulement les cônes d'éruption qui accidentent les talus'se montrent en plus grand nombre. De là jusqu'à la pointe Rasca, le terrain descend vers la mer en pente plus douce, et le rivage est bordé par les grèves du GConfital et de las Galletas. En doublant Punta Rasca, la côte fuit à l'O.-N.-0.; les ravins qui coupent les massifs se répètent à chaque pas (1), et les anciennes coulées de lave débordent le littoral par masses agglomérées. Le paysage de cette partie de l'île n'a rien d'attrayant, sa teinte locale est triste et mo- notone, l'action des forces volcaniques s'est étendue partout et a frappé le sol d'une longue stérilité. Cependant , au milieu de cette inondation de matières dénaturées et modifiées par le feu, le vallon d'Adexe apparaît comme une oasis, et les eaux abondantes qui s'échappent du grand ravin de l'Enfer ( Barranco del Inferno) vien- nent fertiliser son terroir. Vers l’ouest, l’île est encore plus inabordable; le sol s'y reproduit sous une structure analogue à celle des montagnes orientales ; ce sont les mêmes roches, également stratifiées, et, par suite, des vallées à peu près semblables, resserrées par des contre-forts que couronnent ies mornes d'Ærchefe, d'Avache, d'Araza; du Taroucho, de Guama et de Taourco. Ces accidens des crêtes ont conservé leur dénomination primitive; il nous serait impossible aujourd'hui d'en expliquer l'éty- .mologie : reliques d'une langue perdue, ces noms ne disent plus rien à l'histoire. (1) Il eût été impossible de figurer tous ces ravins sur notre carte; on en compte plus de soixante- dix depuis la vallée de Guimar jusqu’à celle de San-Tago ; ceux de Tamadaya, de Xerqué, de Yeneché et del infierno méritent principalement d’être cités à cause de leur profondeur extraordinaire. (83 ) En s'approchant du cap de Teno, le ressac se fait sentir avec une violence extraordinaire; des nappes de lave, successivement ‘super- posées, s'élèvent en gradins le long du rivage; plus loin, la côté est tout-à-coup rehaussée par des prismes basaltiques dont le gisement est fort remarquable. Par leur disposition verticale, ces grands blocs, disposés en colonnes à cinq pans, sont étroitement liés les uns aux autres, et soutiennent le massif du littoral. Les têtes de ces co- lonnes arrivent toutes à la même hauteur et forment par leur nivelle- ment une espèce de pavé monstre qui rappelle la fameuse chaussée des Géans de la côte d'Irlande. Quoique la mer ait miné la base des falaises jusqu'à une assez grande distance et qu'elle batte avec im- pétuosité cette formidable digue, les colonnes sont tellement unies, que plusieurs ont cédé aux commotions du sol sans que celles des alentours en aient été ébranlées. Il en est résulté des trous’ d’une profondeur égale à celle du massif qu'ils traversent et qui pro- duisent ces énormes siphons si bien caractérisés sous le nom de Bufaderos. Yorsque la mer est très-agitée, elle pénètre dans les ca- vernes qu'elle s'est creusées sous le rivage ; l'air chassé s'échappe par les vides qu'il rencontre; une masse d'eau surgit tout-à-coup en colonne, et s'élève à plus de cent pieds. Dans les jours de tempête on peut jouir alors d'un spectacle imposant; l'océan en fureur semble saper l'île jusque dans ses fondemens, les coups redoublés du ressac ébran- lent tout le rivage,et les Bufaderos lancent leurs trombes dans les airs. L’enceinte de Teno fait partie du marquisat de Celada : cette petite vallée, flanquée de hautes montagnes, n’est ouverte quà la mer et embrasse l'espace compris depuis la pointe de l_Æguja jusqu'au cap le plus occidental, la Punta de Teno. La chaîne de montagnes, dont l'arète prolongée vient former cette dernière saillie de l’île, est remar- quable par les rochers aigus qui hérissent ses crètes; l'endroit appelé El Risco est signalé par une forte dépression. Les habitans du district de Teno ne craignent pas de franchir ce col dangereux, malgré \ ( 84 ) les précipices qui l'entourent. Ce passage conduit dans le vallon de Bujamé, et facilite la communication avec les districts du nord- ouest. Après avoir doublé le cap de Teno, on découvre la pointe de Buenavista, reconnaissable au cône volcanique qui la domine, /a montaña de Taco. (Voy. Part. hist., pl. 21). De ce point jusqu'à Gara- chico, la côte est plus basse, la pente est moins rapide.et les mon- tagnes s'éloignent du littoral. Des fermes riches en vignobles, des cultures variées, mélées de palmiers, d'orangers, de bananiers et d'autres arbres, contrastent agréablement avec l'aspect désolé de la bande du sud. | Aussitôt qu'on à dépassé Garachico, bien que la végétation con- serve le même ton, les formes géognostiques reprennent leur premier caractère : vue du large, on croirait l'île entourée de remparts. En longeant les masses de rochers à pic qui bordent la côte , on aperçoit par intervalle de grandes déchirures qui entament les flancs de la montagne et débouchent à la mer. (Voy. Atlas, pl. xm). Les talus, af- faissés en deux endroits, ont produit de ce côté les vallées d’Zcod et d'Orotava (1); deux puissans contre-forts, parfaitement analogues (2), partent de la haute région de l’île, et viennent borner à l'occident ces fertiles districts. Les montagnes qui limitent à lorient la vallée d'O- rotava (3) ne sont pas moins élevées que celles du bord opposé; des forêts de lauriers et de bruyères garnissent leurs berges et s'étendent en une ligne de verdure autour de cette enceinte; les vignes, éche- lonnées le long des pentes, forment plus bas une autre zône de (1) M. de Buch pense que cette vallée est le résultat de l’éboulement d’une partie de l’île, et que les deux montagnes qui la cernent sont les flancs découverts de la portion entraînée. « Le voisinage « d’un volcan aussi terrible que le Teyde, ajoute ce géologue, doit rendre cette supposition vraisem- « blable. » Voy. Physc. Besch. der Can. ins., pag. 204. * (2) El lomo de la Vega et la montagne de Tygayga. . (3) Ge sont celles de la Resbala et de la Florida qui partent du morne de Pedro Gil, un des points culminans de la haute région. ( 85 ) végétation. Dans le centre de la vallée, et au milieu des vergers des alentours, on aperçoit la villa et les bourgs réunis des deux Realexos; vers la côte, les montañetas (1), le port (2) et les beaux sites de la Gordejuela (3) et de la Rambla, puis, au-dessus de ce magni- fique amphithéâtre, le pic de Teyde, perçant le rideau de nuages qui voile sa base, apparaît dans les airs comme un point détaché de l'ile. Les ports de Garachico et d'Orotava n'offrent aucun havre com- mode aux bâtimens européens : le premier, que l'îlot d'EZ Roque sert à faire reconnaître, fut le meilleur mouillage de Ténériffe avant l'éruption volcanique qui le détruisit. En 1706, des torrens de lave, débordés des hauteurs voisines, le comblèrent presque en entier. La nouvelle ville, qui s'est élevée sur les ruines de l’ancienne, à perdu son importance maritime, et ses plages, encombrées de scories, at- testent encore son désastre. Depuis cette époque, le commerce de cette côte a pris une autre direction : le port d'Orotava est de- venu le rendez-vous des navires étrangers et des caboteurs; mais ce mouillage, ouvert à tous les vents et entouré de rescifs, est très-dangereux en hiver (4). En remontant vers le nord-est, la côte est toujours escarpée et ses anfractuosités ne permettent aucun abord à cause des brisans. Les coteaux pittoresques du Sauzal, de Tacoronte et du Y’al de Guerra (1) Les cônes volcaniques de las Arenas, de los Frayles et du Realexo. (2) La petite ville appelée Puerto de la Orotava, qui en peu d’années s’est élevée sur cette côte, est désignée souvent sous le simple nom d’Æ{ Puerto (le Port); une abréviation analogue (a villa) sert à distinguer la ville de por otaya, située à environ deux milles plus au sud, dans l’intérieur de la vallée. ! (3) Voy. Part. hist. , pl. 17. - (4) Les bâtimens mouillent , selon les circonstances , sur trois fonds différens : le premier, qui est le meilleur, est appelé Æ/ limpio, et varie depuis 35 jusqu’à 50 brasses; son gisement est dans l'O. N.-0. à 2 milles de terre et à 2 ! du port. Le second est nommé Æ! limpio de las Calaveras ; on le trouve dans la même direction, à une portée de canon du fort principal, par 18 et 35 brasses. Quelques navires mouillent aussi un peu plus au large par 40 et 50 brasses. Le troisième, connu des pêcheurs sous le nom d’E! rey, n’a que 6 à 12 brasses, mais ce mouillage a des roches au N.-0. \ (86) s'appuient sur ces falaises et sont dominés eux-mêmes par les agrestes campagnes de 7’ïctoria ét de Matanza; plus haut les forêts d’Agua Garcia étalent leurs frais ombrages, tandis que dans la région su- périeure quelques pins solitaires se groupent encore sur les crètes dévastées de la Cumbre (1). Vers Texina, le rivage n'est plus res- serré par les montagnes côtières, et un terrain sur lequel les ir- rigations ont favorisé les cultures, vient tout-à-coup modifier le littoral. Maïs à mesure qu'on s'approche de la pointe del! Hidalgo, les escarpemens recommencent : ce ne sont plus alors, jusqu'au cap d’'Anaga, que des gorges encaissées entre les rameaux de la chaîne du nord-est. D'épais brouillards couvrent souvent ces montagnes boisées : parfois, au milieu des échappées de vapeur, les crètes les plus saïllantes se détachent sur un fond d'azur, et l'on distingue alors dans le lointain des masses d'un vert sombre qui indiquent la position des grandes forêts. Avant de pousser plus avant cette revue de l'île, disons un mot des ravins en général, et fixons les différences qu'on doit établir entre eux. Le nom de Barranco est ordinairement affecté aux Canaries, aux longues fentes qui entament le massif de la montagne, et en sillon- nent les pentes. Ces sortes de crevasses ont un caractère propre qui les distingue des vallées enclavées entre deux contre-forts presque paral- lèles. Les gorges auxquelles le nom de Y’alle paraît devoir plus particu- lièrement s'appliquer reçoivent aussi quelquefois celui de Barranco. Les Barrancos sont des déchirures du sol; leur rayonnement au- tour de l'île semblerait indiquer que leur formation est due à une cause unique dont l'action a été subite et générale. Sans entrer main- tenant dans des considérations géologiques qui nous jetteraient hors de notre sujet, nous ferons remarquer qu'on ne peut regarder les (1) On désigne par la Cumbre toute la haute région de l'ile. (87 ) barrancos comme des vallées d'érosion, car l’action lente des eaux ne saurait être admise ici que comme cause secondaire. Nous pen- sons, peut-être avec plus de fondement, que ces fissures profondes ont été produites lors du soulèvement des roches et au moment de leur refroidissement. Quelques barrancos prennent naissance sur les plateaux supérieurs et se ramifient avec d’autres avant d'arriver à la mer; mais la plupart partent des flancs des montagnes et sui- vent une même direction jusqu'à la côte. On doït entendre par Val ou Vallée les gorges formées par le prolongement des montagnes, ainsi qu'en offrent des exemples la chaîne du nord-est de la partie occidentale de l'île. Ces longs défilés sont à sec ou bien parcourus par des cours d'eau; c'est en les re- montant qu'on parvient au point de départ des contre-forts et sur les cols qui traversent la Cumbre. Tel est l'aspect de Ténériffe et de ses innombrables ravins : si maintenant, pénétrant dans l'intérieur et examinant sa surface, nous ramenons nos pensées vers cette époque de tourmente géolo- gique où des formations puissantes s'élevèrent du sein des mers, nous ne pouvons croire que l’île offrit aussitôt la bizarre configura- tion qu'elle présente aujourd'hui. Ses côtes coupées à pic, ses caps déchirés, les masses démembrées de ses montagnes, ses cratères éteints, viennent nous signaler les réactions les plus terribles qui, -en séparant de l'Atlas la longue chaîne des monts Canariens, la par- tagèrent en plusieurs îles que l’action volcanique bouleversa de nou- veau. Et même encore de nos jours nous voyons cette action, dont la violence s'est calmée avec les siècles, réagir par intermittence et surgir tout-à-coup comme les dernières lueurs d'un grand in- cendie. Les révolutions physiques qui se sont succédé ont plus ou moins tourmenté la surface de Ténériffe : c'est probablement par suite de ces bouleversemens que le système orographique de cette île présente maintenant trois groupes de montagnes bien tranchés, N\ ( 88 ): Nous les nommerons groupe central, de l'ouest, et du nord-est. GROUPE CENTRAL. Ce premier groupe comprend toutes les som- mités qui entourent le pic de Teyde et les grands contre-forts qui se rattachent à cette chaîne. La ligne de circonvallation formée par ces monts trachytiques embrasse plus de dix lieues de tour. Cette enceinte volcanique, indiquée d’abord par M. Cordier (1) et décrite ensuite par Escolar (2), a fixé de nouveau toute l'attention des géo- logues, depuis que M. de Buch l'a signalée comme un vaste cratère de soulèvement. Ce cirque, dont nous ne discuterons pas maintenant les causes de formation, est connu dans le pays sous le nom de Cañadas, gorges, à cause des défilés qui le parcourent et dans les- quels il faut s'engager pour arriver au pic. C'est sans doute en raison de leur situation, par rapport à ce plateau, que les montagnes du pourtour ont reçu aussi la dénomination de Cañadas; leur hau- teur absolue varie depuis 1,300 jusqu'à 1,500 toises. Vues de l'in- térieur du cirque, ces montagnes présentent dans quelques endroits un boulevard de 900 pieds d'élévation; mais sur le revers opposé leurs pentes sont moins abruptes et descendent en talus jusquà la côte. Le Teyde, un des plus grands cônes volcaniques connus, oc- cupe le centre du plateau et lance sa pointe à plus de 1,900 toises au- dessus de. l'océan. Lorsqu'on parvient sur ce sommet, le spectacle qui se développe tout-à-coup est vraïment sublime : la vue embrasse tout l'archipel canarien, et l'observateur, isolé sur ce point perdu dans l'espace, se croit séparé de Ténériffe. Cette île, qu'il aperçoit à ses pieds, se montre alors sous un aspect étrange; le circuit de ses côtes, les divers enchaînemens de ses montagnes, ses plateaux et ses val- lées pittoresques forment un panorama plein d'intérêt; maïs, placé dans un trop grand éloignement pour en bien saisir tous les dé- . (4) Voy. avant, pag. 48 et 49. . @) Id. ..., pag. 94. (89) tails, ses yeux errent long-temps sur cette multitude de creux et de reliefs que lui indique le jeu des ombres, c'est en vain qu'il voudrait deviner toutes les localités et reconnaître chaque accident ; de cette région élevée les hauteurs et les distances se confondent, les montagnes elles-mêmes semblent s'être affaissées sous le Teyde. Le cratère qui occupe le sommet du pic n'est plus aujourd'hui qu'une solfatare d'environ 300 pieds de diamètre et 100 pieds de profondeur. Ce chapiteau volcanique a près de 500 pieds de haut et repose sur une ceinture de lave qui s'est épanchée en larges coulées le long des pentes du cône. Deux éminences considérables forment, à la base du Teyde, un seul et même groupe et occupent ensemble le centre des Cañadas sans la moindre discontinuité. L'une est /a Montaña blanca (1), immense amas de scories et de ponces qu'il faut traverser pour gravir la Estancia (2); l'autre, bien plus élévée, fait masse avec le grand pic; on ne peut Ja voir que de quel- ques points de l’île (3), et les guides la désignent ordinairement sous le nom de Pico viejo (vieux pic), ou Pico quebrado (pic rompu). Ce volcan, plus ancien que le Teyde, dut peut-être le surpasser en hauteur et offre à son sommet un énorme cratère. C'est celui que M. Cordier a reconnu en 1803 (4); les immenses torrens de lave sortis de ce gouffre, après avoir inondé le plateau central, se sont répandus en nappe dans les vallées inférieures. En 1798, les feux (1) M. de Buch désigne cette montagne de ponce sous le nom de Monte de Trigo. (Voy. Physical. Beschr. der Can. Ins., pag. 227.) (2) La Estancia est le lieu où l’on bivouaque lorsqu'on veut gravir au sommet du pic. (3) Voy. part. hist., pl. 23, 29 et 48. Ces trois vues ont été prises au S.-0. et au N.-O. de cette éminence; dans les autres directions l’interposition du Teyde empêche de l’apercevoir. (4) Voy. avant, pag. 53. M. Cordier a désigné le vieux pic sous le nom de Chaorra. M. de Buch, qui a adopté la même dénomination , évalue la hauteur de ce cône, prise du bord le plus élevé du cratère, à 9,276 pieds. D’après les indications qui nous ont été données par les habitans des villages les plus voisins, le nom de Chaorra ne doit s'appliquer qu’à la base de la montagne, précisément à l'endroit où se sont élevés les trois cônes volcaniques de l’éruption de 1798. LL. 12 \ (90 ) souterrains percèrent de nouveau la base de la montagne, et les matières en fusion vinrent accroître le désordre de cette région. La partie de la chaîne des Cañadas qui cerne le grand plateau, est rompue sur divers points : ces brêches, en donnant passage dans l'intérieur du cirque, communiquent avec les vallées côtières -com- prises entre les contre-forts adossés aux montagnes centrales. Dans certains endroits, ces cols sont produits par la brusque dépression des crêtes, mais dans d’autres la ligne de circonvallation est tout- à-fait interrompue et l'on parvient sur le plateau sans avoir de grands obstacles à franchir; partout ailleurs les abords des Caña- das sont inaccessibles. Nous allons indiquer les cols et Fe autres grandes brêches dont il est important de connaître la position : 1° Le col de Guaxara ( paso de Guaxara), sentier étroit par lequel les habitans de la côte méridionale communiquent avec ceux de la partie opposée. 2 Le col d'Ucanca (degollada d'Ucanca), défilé bordé de précipices et uniquement fréquenté par les bergers de CAasna. 3° Le col de las Arenas negras, formé par de grands éboule- mens, facilite l’accès du Zano de Manja, autre plateau supérieur situé à l'orient des Cañadas. 4 Les bouches du Tauzé (bocas del Tauze), gorge profonde qui coupe les montagnes du cirque au sud du Teyde. 5’ Le Portillo de la Villa, passage par lequel on se dirige ordi- nairement pour monter au pic, en partant de l'Grotava. Ce col est resserré d'un côté par le contre-fort de Tygayga, pris à son point de départ, et de l'autre par l'extrémité orientale des mon- tagnes du cirque. 6 Le col de Guimar (paso de Guimar) sert de communication du district de ce nom dans celui d'Orotava en traversant la Cum- bre. L'éruption de 1705 a amoncelé beaucoup de scories sur les bords (91) de ce passage. L'entrée du défilé, déjà très-resserrée par les monta- gnes des alentours, est presque entièrement occupée par les deux mamelons volcaniques dont les laves ont envahi la vallée de Guimar. (Voy. part. hist. pl. 10;et Atlas, pl. 1.) 7° Lünterruption des montagnes du cirque du côté de l'ouest forme une large ouverture et met à découvert tout le talus de V’ilma. Ce fat par là que débordèrent les coulées du vieux pic. La multitude de cônes volcaniques et l'encombrement des scories qui couvrent ce talus, prouvent que les éruptions ont tourmenté plus d'une fois cette partie de l'île. Rehaussées dans certains endroits et affaissées dans d’autres, les pentes rapides de la montagne n'of- frent partout que des crevasses, des effondremens, des cratères et de vastes amas de matières solidifées. 8° Enfin, le cirque des Cañadas est encore démantelé vers le talus d'Icod. De ce côté, le bouleversement na pas été moïndre; des laves vitrifñiées se sont épanchées en nappes et ont tout envahi. M. de Buch a tâché de représenter cette inondation d'obsidiennes dans sa carte de Ténériffe (1). = Plusieurs contre-forts s'appuyent aux fragmens de la chaîne centrale : celui du Tygayga, au nord du pic, part des hau- teurs de la Fortaleza et se prolonge jusquà la mer en une longue plate-forme. Du côté de l'Orotava, cette montagne pré- sente une muraille continue (2), sa partie supérieure n'offre aucune crête saillante; cest un massif uniforme, coupé par dE grands ravins et qui occupe l'espace compris entre la vallée d'Icod et celle d'Orotaya. L'autre contre-fort, ou /omo de la Vega, fait partie du massif de Garachico. Vers le sud, les rochers de Carasco (1) Voyez aussi, pour la position des différens cols et des grandes brêches que nous avons cités , notre carte topograph. de l’île de Ténériffe, Atlas, pl. 1. @) Voy. part. hist. , pl. 3 et 27. (92) et d'Hyo rehaussent les crêtes d'un autre rameau qui se rattache aux Cañadas par les bouches du Tauze. Ces sommités, que l’on aperçoit de la bande méridionale, dominent le petit vallon d'Adexe. (Voy. part. hist. pl. 33.) s | Les montagnes du cirque s'élargissent beaucoup à Fest du pic, et des éminences considérables cernent le petit plateau de Jano de Manja. Les mornes d'Izaña et de Pedro-Gil sont les points culmi- nans de ce groupe (1), et constituent le nœud d'où partent les autres grands conire-forts de Guimar et d'Orotava. Zzaña, dont on a évalué la hauteur absolue à 6,920 pieds, est ‘une des stations les plus intéressantes pour les observations orographiques : du faîte de ce morne on découvre les deux districts opposés (2), la ligne de partage de chaque versant et les dernières ramifications des Cañadas. Au-delà de Pedro-Gil, la crête des monts, qu'on ap- pelle ET Cuchillo, le couteau, n'est plus qu'une arête tranchante; cette chaîne prolongée conserve encore une élévation de 3,180 pieds au-dessus de l'Esperanza et finit par s’abattre entièrement en dessous de Fuente Guillen. Alors commence la belle plaine des Rodeos qui sépare le groupe central de celui du nord-est ou d'Anaga. | GROUPE DU NORD-EST. L'affaissement du sol dans la plaine des Rodeos et de la Laguna a rompu la ligne de continuité qui exista probablement entre la chaîne des montagnes centrales et celle du nord-est. Ce groupe isolé s'annonce de loin et s'avance jusqu'au cap d'AÆnaga; ses arêtes anguleuses le distinguent des monts trachy- tiques du centre (3), dont les formes massives et les contours ar- rondis laissent voir des ondulations plus régulières. Le point cul- (1) Les autres mornes ou cônes volcaniques de ce groupe sont : Montaña blanca, Volcan roxo, Montäña del Rosal et Montaña del Cedro. . (2) Le dictrict d’Orotava et celui de Guimar. (3) Le faïte des montagnes du nord-est est presque entièrement basaltique; plus bas, en descen- dant dans les gorges adjacentes, on retrouve des masses puissantes de trachyte. - (93 ) minant de cette chaîne s'élève à 3,160 pieds au-dessus du niveau de la mer; l'altitude du plateau des Rodeos n'excède pas 1,800 pieds, tandis que le bourg de l'Esperanza, situé sur le bord opposé du plateau, et à l'extrémité de la chaîne centrale, conserve encore une hauteur verticale de 2,563 pieds. Cette différence de niveau peut servir à faire apprécier la dépression de cette partie de l'île. La structure des montagnes d'Anaga est, du reste, assez analogue à celle du groupe de l’ouest : ce sont encore de longues gorgés suC- cessivement séparées par des contre-forts adjacens; mais ici l’arête de la chaîne, coupant en deux parties égales l'espace qu'elle par- court, lance sur les deux côtes un pareil nombre de rameaux. Les contre-forts de chaque bande, en partant successivement d'un point commun, produisent tous les exhaussemens de la crête, et ces ressauls répétés donnent lieu à autant de cols. Lorsque du haut de ces montagnes on se place de manière à pouvoir observer leurs deux versans, on aperçoit une suite de petites vallées Oppo- sées les unes aux autres et toutes ressemblantes par les escarpe- mens de leurs berges. Les contreforts s'arrétent tous sur une même ligne en arrivant à la côte; de là cette distribution orogra- phique si uniforme et qu'on croirait exagérée quand on l’examine sur la carte. (Voyez Atlas, pl. 1.) Les montagnes du nord-est sont couvertes de bois sur leurs deux versans; les beaux ombrages de las Mercedes et de Taganana peuvent rivaliser avec tout ce qu'on connaît de plus pittoresque en ce genre. Taganana, chef-lieu du district d'Anaga, est situé dans une des vallées de la bande du nord; les hameaux de la côte opposée dépendent de la juridiction de Sainte-Croix, et ceux de la partie occidentale de la chaîne relèvent de la Laguna. Cette an- cienne capitalé de Ténériffe est située sur les bords d'un lac que les défrichemens ont assaini; son terroir s'étend dans un vallon dominé d'un côté par les hauteurs de San Rogue, et de l'autre par \ ( 94) celles de San Diego del monte. La Laguna est placée à l'entrée de la plaine des Rodeos; les montagnes qui l'entourent sont des rameaux détachés dela chaîne d'Anaga. D'autres collines, qui laïssent entre elles d'étroïts passages, partent du morne de San Diego et vien- nent séparer le plateau supérieur du 7/al de Guerra et des riantes campagnes de Tegueste. Plus loin, vers l'occident, on découvre les Côteaux maritimes de Tacoronte et du Sauzal qui occupent les der- nières pentes des montagnes du centre. GROUPE DE, L'OUEST. Il est probable que les cimes de Xerjé firent partie des montagnes centrales; séparées aujourd’hui de ce système par la grande brêche de Vilma. elles se montrent comme les plus hauts sommets du groupe de l'ouest. En effet, ce nœud semble commander les hauteurs voisines et servir de point de départ à deux grands embranchemens. L'un aboutit sur la côte du nord, où les riches vignobles du Dauté couvrent ses derniers versans; l'autre, qui forme les limites naturelles des districts de l'ouest, se prolonge jusqu'à la mer. Le massif compris entre ces deux ra- meaux s'affaisse vers son centre en une vallée elliptique : c'est celle du: Palmar; découpée à l'orient par des collines boisées, ses berges opposées présentent un boulevard uniforme. Le revers occidental de la vallée est flanqué de nombreux contre-forts qui viennent produire autant de vallées côtières. Toutes ces gorges sont dominées par des rochers escarpés et suivent une direction presque parallèle depuis le cap de Teno jusqu'au port de San-lago. _ Les montagnes de ce groupe sont formées par des couches hori- zontales de laves amorphes alternant avec des bancs de tuf et de scorie. Ces couches sont traversées en plusieurs endroits par des filons de basalte schisteux de deux à trois mètres d'épaisseur. Les amas horizontaux, plus faciles à se décomposer en raison de leur ‘ nature, ont cédé à l'action du temps et des contacts extérieurs; mais ces mêmes causes ayant peu influé sur les basaltes, il en est (95 } résulté que ceux-ci ressortent en saillie par dessus la formation qui, les couvrit d'abord. On voit maintenant plusieurs de ces filons brider le val du Carizal et celui de Masca, déborder de la crête de ces monts décharnés, descendre le long de leurs berges et couper leurs cours d'eau. C'est par suite de la décomposition d'une partie du sol qu'est dû le singulier accident que les bergers appellent la Muraille- du-Diable. Ce mur naturel, qu'on prendrait de loin pour une con- struction cyclopienne ; traverse une des gorges les plus profondes. Les habitans de ces montagnes croient voir dans ces bizarres formations l'œuvre des anciens Guanches, et cest à cette race de prétendus géans qu'ils rapportent aussi le pavé basaltique de la côte de Teno, nommé par eux Calzada de los antiguos, la chaussée des anciens. Ténériffe vient de nous montrer un pic central, dôme immense qui égale en hauteur les points culminans de notre hémisphère, et autour duquel s'agglomèrent plusieurs fragmens démembrés de la masse primitive. On doit s'attendre à ne pas rencontrer de rivière dans une île qui, sur une circonférence fort réduite , parvient tout-à- coup à une si grande élévation. Les vallées côtières adossées aux ver- sans de ces monts anfractueux ont peu de profondeur , et leurs pentes sont très-rapides. Sur un terrain coupé par tant d'escarpemens, et exhaussé à chaque pas par de nouvelles assises, Îles eaux sauvages, perennes où passagères, suivent rapidement Île plan de pente, et se perdent aussitôt dans la mer en s'écoulant par les ravins et les gorges qu'elles rencontrent. Ténériffe possède pourtant un bon nombre de sources, mais plu- sieurs ne percent le sol que dans le voisinage de la côte. Les couches de lave compacte et de scorie qui couvrent l'île jusqu'à une grande pro- fondeur empêchent les eaux de surgir à sa surface. Le long du rivage et à l'occident du port de l'Orotava, on voit de belles cascades s'é- chapper du milieu des falaises. Celles du moulin de la Gordejuela, \ | AGO) sortent en dessous des grandes masses de basalte qui bordent le lit- toral. (Vôy. part. hist., pl. 17.) Il est toutefois d’autres sources qui forment des cours d’eau abon- dans, et dont les populations agricoles ont su profiter. La plupart prennent naissance dans les forêts laurifères , ou s'épanchent du flanc des montagnes centrales. Les plus importantes sont celles qui arrosent les districts d'Orotava, d'Icod, d’Adexe et de la Laguna (1). Les mon- tagnes du nord-est ont aussi les leurs : des ruisseaux limpides par- courent le val de San André et celui de T! aganana. À l'extrémité de l'île, vers la pointe d'Anaga, le petit vallon d’Igueste doït sa fertilité et ses bosquets de bananiers aux torrens qui le baïgnent. Dans la haute région, au-dessus du bourg de Chasna, et à environ 4,500 pieds d'alti- tude, la source du Traste est renommée pour la pureté de ses eaux. Plus haut, à 5,800 pieds au-dessus de la mer, on trouve, dans la gorge d'U- canca , la source acide d'Agua Agria. Ens'avançant dans les Cañadas , on rencontre encore d'autres sources, celles de l’Ængostura , de Fuente blanca, del Rosal, de la Piedra et de Guaxara. Enfin, sur le pic de Teyde, et à 9,312 pieds d'élévation, la fameuse Cueva de la Niève sert de (1) La source d’Agua mansa, à 4,100 pieds au-dessus de la mer, arrose les alentours de la ville et le plateau de la Paz, où se trouve situé le jardin botanique. La source de la Madre Juana coule dans la vallée d’Orotava, au-dessus du Realejo de Ariba, et celle de! Rey, dans la vallée d’Icod. | La source du ravin de las Aguas, qu’on a utilisé récemment, sert aux irrigations de la vallée de Guimar. Les eaux de la madre del Agua, qui surgissent dans la forêt de las Mercedes, sont conduites jusqu’à la Laguna. La Fuente del drago est une autre source très-abondante dans les environs de la Laguna. Les eaux d’Agua garcia, dans la forêt de ce nom, vont alimenter les riantes campagnes de Tacoronte. On trouve aussi plusieurs sources excellentes dans les environs de l’Esperanza : ce sont celles d’Agua guillen, de los berros et de los Milanos. Dans le district de Buenavista , la source del Cuerbo fertilise la belle propriété du comte de Siete Fuentes. Enfin, dans le vallon d’Adexe, celle du ravin de l'Enfer forme un des torrens les plus considérables de l’île. (597 7 réservoir aux eaux qui s'infiltrent dans cette cavité, à l'époque de la fonte des neiges. Nous bornerons là cette revue orographique : à mesure que nous avancerons dans la description des autres îles, les détails dans lesquels nous sommes entrés sur la structure de Ténériffe acquerront plus d'intérêt par les comparaisons qu'on pourra en déduire. L'action des forces volcaniques qui a rompu l’ancien système de montagnes, et l'a séparé par fragmens, ne sest pas restreinte aux îles Canaries; elle s'étend sur un plus large espace , et l’on peut en observer les effets depuis les Açores jusqu'aux îles du cap Vert. Cette action puissante, en isolant ces divers archipels, a donné lieu au bassin que M. de Hum- boldt a appelé la Jallée longitudinale de l'Atlantique (1). (1) Voy. Humbolt, Essai géognostique sur le gisement des roches dans les deux hémisph. Paris, 1893, DESCRIPTION OROGRAPHIQUE DE L'ILE DE CANARIA. ÉxvymoLocie. Nous avons vu que Pline, d'après un fragment de la relation du roi Juba, faisait dériver le nom de Canaria des chiens nombreux que les explorateurs mauritaniens avaient trouvés dans l'île (1). Cependant cette dénomination pourrait bien avoir aussi une autre origine et se référer à la Canaria extrema de Ptolémée, le cap Bojador des géographes modernes, promontoire qu'on savait voisin des îles Fortunées. Canaria serait dès-lors un mot de la langue nu- mide dont la vraie signification resterait inconnue. Les anciens ap- pelaient Canari les peuples qui habitaient la partie occidentale de l'Atlas (2), et les nègres des bords du Sénégal désignent encore sous le nom de Canar ou Ganar le pays situé entre le fleuve et les mon- tagnes de la Mauritanie (3). | Calepin fait dériver le nom de Canaria du latin canna (4), à cause des cannes à sucre dont la culture avait pris un grand développe- ment peu d'années après la conquête. Le célèbre lexicographe ne pouvait ignorer pourtant que l'île s'appelait déjà Canaria quatorze siècles avant l'introduction de la plante. (1) Voy. précédemment, p. 14. (2) Canarü, Africæ populi sunt circa Atlentem; habitantes in saltibus plenis elephantorum, ferorum et serpentum, ita dicti, quôd canum victus ipsis promiscuus sit. Vid. Plin., lib. 5, t. 1. (3) Georges Glas, Æistori of the Canary Islands, p. 64. (4) Hodie omnes illæ insulæ, quas veteres Fortunatas dixère, uno nomine Canariæ appellantur ; quarum nobilissima est Palma, præstantissimo saccharo, quod Canarium vocant , insignis. Vulgus nomen retinuit, Vide Amh. Calep. dicc. verb. Canaria, p. 236. Tridini, 1521. (99) . Nuñez de la Peña et le poète Viana, tous deux enthousiastes de leur pays , ont cherché dans l'histoire des premiers temps l’origine de ce nom si souvent controversé par leurs devanciers. Viana, dans son épopée, fait régner en Italie Crano, fils prétendu de Noë, probablement Chronos, le Temps ou Saturne des mythologues. Ce prince envoie des vaisseaux parcourir les mers lontaines; les ex- plorateurs découvrent les Canaries et imposent à ces îles le nom de Cranaria en l'honneur de leur souverain. « Plus tard, dit le poète, ce nom, que les Espagnols ne pouvaient prononcer, fut changé en celui de Canaria. > La R entre la C y À interveniente Quitaron, y el vocablo corrompieron ; De suerte que Canaria agora dicen, Pero el antiguo nombre fue Cranaria. Vrana. Cant.,r. Nuñez de la Peña va encore plus loin : il fait arriver aux Canaries Crano et Crana, deux enfans du patriarche dont Moïse n'a pas parlé, et il veut aussi que leurs noms, appliqués à une des principales îles de ce groupe, ou employés collectivement pour désigner tout l'archi- pel, aïent dégénéré en celui de Canaria (1). Le chanoine Viera n'a pu s'empêcher de plaisanter sur cette bizarre étymologie. «Sans doute, dit-il, que l'arche du déluge restée sur le mont Ararath dut figurer de nouveau dans cette longue navigation (2). » CONFIGURATION ET GISEMENT. L'île qui, par son importance et la résistance héroïque que ses habitans opposèrent aux attaques des Européens, mérita le surnom de grande (3), a été dans les premiers (1) Nuñez de la Peña, Conquista y antiquet. de las islas, Gb. 1, cap. 2, pag. 15. (@) Viera, Noticias de la hist. gener., tom. 1, p. 46. (8) Id. Id. p. 44. ( 100 ) temps aussi mal figurée que décrite. Les cartes manuscrites du quin- zième et du seizième siècles (1), dans lesquelles la grande Canarie se trouve comprise, et celles qui parurent ensuite (2), ne donnèrent an- cune idée de sa forme. En 1724 le P. Feuillée en traça les contours sur de faux renseignemens, et quarante ans après Bellin en dressa une planimétrie encore plus étrange (3).° Nous devons au chevalier de Borda d’avoir déterminé en 1776 la position d'une partie du littoral; mais M. de Chastenet, qu'il chargea de l'exploration des côtes, ne put achever sa mission. Les calmes, si funestes aux navires qui se laissent affaler dans le sud de l’île, et les vents coniraires qu'on rencontre ensuite lorsqu'on veut remon- ter la côte au nord-est, l'obligèrent à renoncer à son entreprise. Parti du mouillage de Sardina avec une forte brise, cet officier qui montait l'Espiègle, doubla d'abord la pointe de l'Æ/dea; mais pris tout-à-coup par un calme plat, il mit deux jours pour dépasser la pointe Decollada qui n'est guère éloignée de la première de plus d'un mille. Cinq jours lui suffirent à peine pour atteindre ensuite le cap Tenesé : en tournant ce promontoire qui l’abritait du vent du nord, de violentes raffales le mirent dans l'impossibilité de conti- nuer sa reconnaissance. Ce fait, consigné dans les manuscrits de Borda déposés à la bibliothèque de la marine (4), peut servir à ex- pliquer l'uniformité des contours et le peu de détails qu'on observe dans le figuré hydrographique de 1776 (5), les circonstances que nous (1) Voyez précédemment , p. 75 et 76 avec les notes. (2) Voy., au dépôt de la Bibliot. royale, la carte mss. de Dominique Sanches, Lisbonne 1618: une autre carte inédite d’auteur inconnu, et la mappemonde hollandaise de 1610. (3) Voy. Atlas, pl. vu. (4) Nous n’avons pu nous-mêmes vérifier ce manuscrit, qu’on ne retrouve plus au dépôt; mais nous citons le fait d’après MM. de Humboldt et de Buch. Voy. foyage aux régions équinox., toi. 1, p. 16, et Physical. Beschr. der Canarisch. Ins., p. 75. (5) Voy. Atlas, pl. vi. ( 101 ) venons d'indiquer ayant empêché de ranger la côte d'assez près pour en apprécier les sinuvsités et les différentes saïllies. La carte rai de Lopez (1) est la seule qui ait été be avant celle que nous avons levée sur les lieux : ce géographe la fit paraître en 1780 et la construisit d'après les données d'un plan iné- dit que l'ingénieur don Manuel Hernandez avait dressé en 1746. Les latitudes et les longitudes de Lopez s'écartent généralement de celles de Borda (2); la ville capitale, la Ciudad de las Palmas, que les ob- servations de 1776 plaçaient par 28 T de latit. N. et 17° 47 de longit. ©. Est portée par le géographe espagnol à 28° 1 de latit. N. et 17° 43 de longit. O. Quant au tracé des côtes, les marins canariens conviennent gé- néralement de son exactitude, et cette partie de la carte n’a éprouvé que de légères modifications par les corrections de Mesa. Le figuré du terrain laisse au contraire beaucoup à désirer, son relief n'est pas assez senti, et les grands accidens, presque tous isolés entre eux, ne donnent aucune idée de l'ensemble orographique. Les détails de topographie présentent le même vague, les chemins ne sont pas in- diqués, et l'on à peine à reconnaître les vallées et les principaux raAVIns. (1) Isla de la gran Canaria, por don Thomas Lopez, geografo, etc., Madrid, 1780. (2) Nous rapporterons dans cette note les latitudes et longitudes déterminées par Borda, et les positions correspondantes déduites de la carte de Lopez, afin que l’on puisse juger des différences qui en résultent. Borda. Partie septent. de la Isleta..….…. latit. N. 28° 13° 007} 4. Lopez. Id. Id. 98-630 | din RC Borda. Partie mérid. de la grande île. Id. 27 47 00 , Ar: Lopez. Ti. Td. … 2737030) PU 80 Borda. Partie orientale Id. longit. O. 17 43 00 | dif. 6 Lopez. Id. Id. Id. 17 37 00 Borda. Partie occidentale Id. Id. 18 11 00 | ai. F Lopez. Id. Id. Id. 18 12 00 (102) Il nous a donc fallu réformer entièrement cette ébauche et rendre à l'île tous ses caractères, cest-à-dire son aspérité locale, la proémi- nence de sa masse, l'énorme cratère et les profondes crevasses qui ont miné ses flancs. L En adoptant les positions de Borda comme les plus approxima- tives, nous avons suivi néanmoins le tracé de Lopez pour le con- tour des côtes, et avons tâché de donner plus d'expression aux es- carpemens qui les bordent (1). DescriPrion. Béthencourt et ses compagnons, ayant échoué dans leurs tentatives sur la grande Canarie, ne connurent guère que quel- ques points de la côte; aussi les deux historiens de cette époque, guidés par de faux renseignemens, ont supposé à l’île une forme et une étendue qu'elle n’a pas (2). L'Anglais Thomas Nicols, qui visita le pays en 1526, donna quel- ques notions plus exactes en -assignant à la Canaria douze lieues de long sur douze de large (3). Georges Glas, dans l'ouvrage qu'il pu- blia en 1764, ne dit rien de bien précis sur la structure de l’île. Ce navigateur s'attacha particulièrement à décrire les ports et les prin- cipaux mouillages. Ses excellentes observations sur le gisement des côtes et l'influence des vents sont fondées sur des connaissances pra- tiques et exposées avec beaucoup de sagacité. La description que Viera a donnée dans ses Noticias, en 1772, est la seule qui offre quelque intérêt sous les rapports statistiques. Dans ces dernières années deux observateurs également recomman- dables ont exploré la grande Canarie pour étudier l'organisation du sol : nous voulons parler d'Escolar, que nous aurons encore occasion (1) Voy. Atlas, pl. 1x. (2) « La Grand’Canare contient vingt lieues de long et douze de large, et est en manière de herche. Act. » (Bontier et Le Verier, Conquéte des Can. , p. 126.) (3) Vox. Hackluyt et Purches, part. 2, tom. 2, p. 8. ( 103 ) de citer, et de M. de Buch, qui visita l’île en 1815. En décrivant les mêmes lieux, nous n'envisagerons le système de montagnes que sous un seul point de vue, afin de saisir tout d'un coup et dans son ensemble ses formes extérieures. La grande Canarie est située à dix ou douze lieues des côtes orien- tales de Ténériffe; l'isthme de Guanarteme l'unit à la presqu'île de la Isleta:sans ce petit appendice, qui la prolonge au nord-est, sa forme serait presque ronde. L'île entière jointe ainsi à son îlot em- brasse une circonférence d'environ quarante lieues. Donnons d'abord une idée de la presqu'île : cinq cônes d'éruption s'élèvent au dessus de cette terre tourmentée ; celui de lÆfalaya do- mine tous les autres (1), sa hauteur est de 1100 pieds. La tour des signaux a été construite sur les bords escarpés de son cratère. À la base de ces exhaussemens les torrens de lave ont tout envahi; seu- lement quelques plantes sauvages sont éparses çà et là, et leur ver- dure cendrée est venue se mêler à la teinte locale. Dans les intervalles que laissent entre eux les cinq mamelons volcaniques, des tumulus de scorie recouvrent les ossemens des Aborigènes. Ce n'est que depuis quelques années que des éboulemens accidentels ont révélé l'exis- tence de ces anciens tombeaux (2). ‘Tel est l'aspect de la Zs/eta du côté du sud. Vers la bande opposée cette presqu'île prend une autre apparence : les grandes colonnes de basalte qui brident le rivage, rappellent le littoral de Teno et sa chaussée gigantesque (3). Les châ- teaux de San Fernando et de Santa Catalina, situés sur la côte mé- ridionale , défendent les abords du port de la Luz. On désigne ainsi le principal mouillage de l'île : cette baie, ouverte au vent d'est, est _(1) Nous citons cette mesure d’après les évaluations de M. de Buch. Il en sera de même de toutes celles que nous aurons occasion d'indiquer. 2É)NoY Compte-rendu des séances de l Acad. des scienc., 21 sept. 1835, p. 127 et 128. . (8) Voy. précédemment , p. 83. ( 104) abritée des vents du nord par le prolongement de la Isleta. L'isthme du Guanarteme, formée par une langue de sable blanc, sépare le port de la Luz de celui d'Arecife qu'on trouve sur l’autre bande. C'est dans cette anse que les bâtimens caboteurs débarquent leurs passagers, en venant de l'ouest, lorsque le gros temps ne leur permet pas de dou- bler d'une seule bordée la pointe septentrionale de la presqu'île. (Voy. part. hist., pl. 11.) De l'angle de la baie, l'Atalaya et les autres cônes d’éruption sem- blent faire partie d'un même enchaînement dirigé du nord-est au sud- ouest. Au midi, l'isthme est resserrée par les falaises de la grande île, et sa plage stérile, couverte de petites dunes de sable que les flots accu- mulent sans cesse, s'étend jusqu'aux portes de la Ciudad de las Palmas. On distingue dans le lointain. quelque commencement de culture, les édifices de la ville capitale, sa cathédrale et ses nombreux pal- miers. ( Voy. part. hist., pl. 12). En s’approchant davantage de ce côté, les falaises prennent plus de développement et se rattachent aux collines de l'intérieur ; derrière la Ciudad, elles sont coupées par le ravin de Giniguada qui sépare le faubourg de Triana de celui de la Vegueta. ( Voy. part. hist., pl. 38.) | Les falaises qui dominent la ville à l'ouest sont percées de grottes habitées par des familles d'artisans; on à pratiqué des sentiers sur les assises qui aboutissent à ces excavations. Lorsqu'après le coucher du soleil, la montagne projette ses grandes ombres, et que le quartier des troglodites commence à s'éclairer, tous ces feux aériens , qui bril- lent et s'éteignent instantanément, produisent un effet singulier. Le château principal (el Castillo del Rey), avec ses deux plate- formes, apparaît derrière le faubourg de ‘Triana, au-dessus de la falaise de San Nicolas : les murs d'enceinte partent d'un des bastions du château, et s'étendent au nord de la ville jusqu'à une autre for- teresse , celle de Casa mata. Ta ligne de défense se dirige ensuite vers la mer jusqu'au bastion de Santa Ana qui protège la côte, et près ( 105 ) duquel on a construit la porte qui conduit au port de la Luz. Un beau pont de pierre facilite la communication entre Triana et la Vegueta. ( Voy. part. hist., pl. 38). Après avoir traversé la seconde partie de la Ciudad , on trouve de l’autre côté la porte de los Reyes, où commence le chemin de Telde. Le Saucillo, qu'on aperçoit de la Ciudad , est un des points culmi- nans de l'île : lorsqu'on veut se placer sur cette éminence pour saisir d'un coup d'œil l’agglomération des montagnes qui forment le massif de la grande Canarie, la route de /a F’ega se présente comme la plus directe. En sortant de la ville, il faut d'abord franchir les falaises au débouché du ravin de Giniguada pour arriver sur le plateau du Len- fiscal, et pouvoir gravir jusqu'au sommet de Bandama qui domine tous les terrains des alentours. M. de Buch a donné une description très-exacte de cet ancien volcan; Escolar descendit aussi dans le cra- ière et en a le premier déterminé les dimensions. Nous traduirons ici une des notes manuscrites du savant Espagnol : « La Caldera de Bandama est située au sud-ouest de la ville capitale de las Palmas à un peu plus d’une lieue, et sur les confins de son S EN « territoire. Ce grand cratère est de forme circulaire, son diamètre « supérieur est de demi-mille, et l'inférieur conserve encore une « extension de cinq cents vares (environ trois mille pieds). On « peut y descendre même à cheval ; le sentier, quoique très-incliné, « n'offre pourtant aucun danger éminent, et ses nombreux détours « le rendent assez commode. En se voyant enseveli au milieu de « cette fournaise éteinte, on éprouve un sentiment mélé de terreur « et d'admiration; mais ce qui frappe surtout l'observateur, c’est la « disposition des couches de lave qui ont accru la masse du cône, «et dont la superposition graduelle est marquée sur les parois « intérieures, à partir du fond jusqu'aux bords échancrés du cratère (1). (1) Gatalogo de D. F. Escalar. Mss. ie 14 ( 106 ) Les détails suivans, que nous empruntons au bel ouvrage de M. de Buch, ne sont pas moins curieux. « Le volcan de Bandama, dit ce géologue, est peut-être le plus « remarquable de ceux qu'on observe à la surface du globe ; son « immense cratère est bien plus grand que celui du pic de Ténériffe, « et rappelle par son aspect et sa profondeur le Lago di Nemi, ou « mieux encore, le lac d’Ælbano. Une plaine fertile, couverte de vignes «et d'arbres fruitièrs s'étend au fond de ce gouffre. La pointe la « plus élevée du. bord du cratère est connue sous le nom de Pico de « Bandama; cette crête, qu'on aperçoit très-distinctement de la Ciu- « dad, est à 1,722 pieds au-dessus du niveau de la mer. Une maison, « bâtie sur la pente du sentier qui conduit dans la Caldéra, est à « 1,343 pieds d'altitude : le fond est par conséquent à 1,030 pieds « au-dessus du bord supérieur (1). » Ce passage de la relation de M. de Buch complète la description du cratère de Bandama, et nous ne saurions rien ajouter de plus à ces renseignemens. M De Bandama jusqu à la belle vallée de la Vega, le sol s'élève insensi- blement vers les montagnes ; on passe par les villages de Tafira et de Santa Brigida : San Matheo vient après et a déjà 2,406 pieds d'élévation; la Lechusa, qu'on traverse ensuite, est à 3,013 pieds. A partir de cette petite bourgade, la dernière de la vallée, le chemin devient toujours plus rude, et les escarpemens se multiplient à mesure (1) Voy. Buch. Physical. Beschr: der Can. Ins., p. 262. Ge géologue a donné quelques détails sur la contrée qui avoisine Bandama. « Deux autres cônes, dont la structure intérieure a beaucoup de rapport avec celle de la Caldera, «s'élèvent, dit-il, à l’entrée de la vallée de la Vega. L’un a reçu le nom de {as Cucvas de los Frayles « à cause des grottes qu'on y a creusées ; l’autre, qu'on aperçoit un peu plus haut, est appelé Pico « del Angostura. Cette masse de tuf volcanique est percée aussi d'habitations souterraines. A partir « de Bandama, les collines continuent sans interruption jusqu’au pic de l 4 talaya. On trouve encore «là un autre village de Troglodytes creusé dans le flanc de la montagne et sur les bords d’une vallée « qui se prolonge vers Bandama et Xinamar. » ( 107 ) qu'on se rapproche du Saucillo. La hauteur âbsolue de ce morne est de 5,306 pieds, les rochers qui l'environnent s'avancenten saillie, et l'on atteint sa cime en suivant les rebords de ces dangereuses corniches. Alors la vue embrasse toute la côte orientale, depuis /& Fsleta Jusqu'au cap Tenefe (1). Les collines qui s'adossent au massifcentral et limitent les vallées occupées par les populations agricoles, se dirigent toutes vers la mer : elles n'offrent pas de crêtes tranchantes et brusquement acci- dentées comme les contre-forts des Cañadas et de la chaîne d'Anaga à Ténériffe; leurs sommets élargis sont susceptibles de culture, la char- rue à sillonné leurs versans, et, dans les vallées adjacentes, les eaux des torrens se sont mieux prêtées aux irrigations. Ces avantages ont fait la richesse de la grande Canarie; aussi ses produits, plus que suffisans pour ses besoins, passent-ils journellement dans les autres îles. Le vallon de Tenteniguada, la Vega de los Mocanes et le hameau de al- sequillo se trouvent compris entre deux rameaux qui se prolongent vers Telde. Cette ville, la plus importante de la Canarie après La Ciu- dad de las Palmas, est située au milieu d'une plaine fertile, à 259 pieds au-dessus de la mer. En savançant à l'occident du Saucillo, La Cumbre, cette région culminante qui forme la croupe de l’île, acquiert plus d'extension et continue à s'élever jusqu'au Pozo de la Nieve, dont l'altitude est de 5,842 pieds. L'action des forces volcaniques se manifeste dans toute sa puissance aux alentours de ce pic; des crêtes escarpées ‘partent de sa base et se rehaussent encore pour produire l'aiguille pyra- midale du Nublo : plus loin , et toujours dans la direction de cet énorme monolithe (2), Bentayga apparaît comme une for teresse inexpugnable. Ce fut dans ce dernier retranchement que les intré- (1) La pointe de Melenera et celle du Gando, qu’on reconnait à l’ilot qui la termine, occupent l’espace intermédiaire. (2) Le roc du Nublo est formé d’un seul bloc de trachyte. \ | ( 108 ) pides Canariens défendirent en désespérés leur liberté expirante. Du sommet de Bentayga, l'île semble minée jusque dans ses fonde- mens, des précipices dangereux longent les crêtes qu'on vient de gravir, êt toutes les pentes fuient rapidement vers l'ouest. Du côté du sud, le ravin d'Æyacata s'enfonce dans un défilé étroit et bordé de rochers qui se surplombent; de l’autre côté, l’abîme est encore plus effrayant; l'œil plonge dans une des gorges les plus profondes, celle de Texeda, large déchirure qui pénètre dans le centre de l’île et s'étend jusqu'à la mer. Des fermes, dont on était loin de soupçonner l'exis- tence, des groupes de chaumières distribués çà et là sur les berges les plus accessibles, composent un district de 1,500 ames; plus bas, quelques restes d'antiques forêts ombragent les bords d'un tor- rent dont les eaux sauvages vont arroser la plaine de l’Æ/dea. Au nord de Texeda, le sol est encore entamé par un autre ravin qui se dirige vers la côte septentrionale. La plus affreuse solitude règne dans cette seconde enceinte; aux alentours tout est bouleversement et dé- vastation ; mais en arrivant au pied des rochers qui barrent le thal- weg, des voix d'hommes, des cris d'animaux se font entendre comme par enchantement, et viennent retentir dans le fond de la vallée. Alors, si l'on cherche à connaître la cause de ces bruits étranges, on aperçoit sur le flanc de la montagne les grottes d’Ærténara, comme des nids d'oiseaux de proie. Ces excavations, habitées par 1,200 Tro- glodytes, sont creusées dans le tuf à 3,694 pieds au-dessus du ni- veau de la mer et sur le bord d'un escarpement de 500 mètres de chute. Üne population industrieuse s'est réunie sur ces crêtes isolées, le pâtre ya conduit ses troupeaux et des mains hardies ont mis en culture les assises, les combes, les plateaux et jusqu'aux moindres corniches. En se plaçant de nouveau au sommet de Bentayga, pour bien comprendre cette orographie presque insaisissable au milieu de l'entassement des rochers, on reconnaît que le massif de l'ile, ruiné de toute part, a été divisé par fragmens. Ces parties démembrées ( 109 ) du système général forment plusieurs rameaux qui embrassent les grandes anfractuosités du centre. À partir du Pozo de la Nieve, la Cumbre s'étend au nord et commence à s'arquer vers l'ouest au-dessus - d'Artenara. Cette haute combe est coupée plus loin. par un ravin qui va déboucher sur la côte de la Gaete ; mais bien que son altitude di- minue sensiblement, elle se prolonge toujours vers l'ouest. La chaîne prend alors le nom de Tamadava, et ses versans sont garnis de bois de pins. Sur les confins de l'Æ/dea la montagne fait éperon; une de ses branches principales borne la vallée à lorient et se termine brus- quement à la grotte du midi, la cueva del mediodia, que domine le morne d'Aliæista. Les autres rameaux vont former au nord-ouest le plateau de Tirma et se projettent jusqu'à la pointe de l’Aldea, où des masses de rochers inaccessibles défendent les abords de la côte. Au sud de la vallée de l’Aldea, les falaises qui bordent le littoral ne sont pas moins escarpées que celles de la bande du nord; les monta- gnes sélèvent rapidement vers la partie culminante de l’île, et atteignent bientôt une hauteur de plus de 4,000 pieds. Elles sui- vent une direction à peu près parallèle à celles de Tamadava, les bois de Pajonal couvrent leurs versans méridionaux, et leurs flancs en saillie donnent lieu à des accidens analogues à ceux du rameau Opposé. Ainsi, le morne de Fuente-Blanca forme, sur le revers septentrional, l'extrémité d'un autre éperon qui fait face à la grotte du midi. Ces deux mornes laissent entre eux un passage étroit; c'est par-là que s'écoule le torrent de Texeda, et que les habitans de l’Aldea commu- niquent avec les bourgs enclavés dans les montagnes centrales. Le rameau du Pajonal ; en s'unissant à Bentayga et au Nublo, vient se rattacher au pic du Pozo de la Nieve qui constitue le nœud d'où partent les grands fragmens de ce système démantelé. Lors- qu'on descend de la haute région pour s'avancer vers la bande méri- dionale, on arrive tout-à-coup sur le bord d'une vallée profonde dont \ ( 110 ) À les berges décrivent une circonférence d'environ six lieues. Ce cirque imposant, qu'on appelle la Caldera de Tiraxana, a été considéré par M. de Buch comme un cratère primitif soulevé avec toute la masse de l'île; les crêtes qui l'entourent conservent une altitude de plus de 4,000 pieds sur une grande partie de leur prolongement. Cependant, de fortes dépressions viennent rompre dans divers en- droits cette ligne de circonvallation, et ouvrir des sentiers qui faci- litent la descente dans la vallée. Après avoir traversé le ravin d'Ayacata, on atteint le premier col, e/ paso de la plata, dont la hauteur verticale est de 3,642 pieds. On peut aussi pénétrer dans la Caldera par la descente de Taydia, las V’uelias de Taydia. Cette large brêche sest formée sur le bord oriental du cirque qui sur ce point na plus que 2,991 pieds d'élévation. Le sol est très-imégal dans le fond de la Caldera : Santa Lucia, bourg situé au pied de la descente , est à 2,109 pieds au-dessus de la mer, tandis que les villages de Tunte et de San Bartholomé, groupés à la base des escar- pemens du nord , sont à 2,590 pieds. Le centre de la vallée est rehaussé par la montagne d'Urera toute percée de grottes inha- bitées. Le district de Tiraxana renferme une population de 2,600 ames: les sources qui l’arrosent forment un cours d'eau assez considérable qui s'échappe par le ravin de la Gallega, défilé étroit dont il faut suivre les détours lorsqu'on veut sortir de cette enceinte pour se rendre sur la côte méridionale. On peut aussi franchir les montagnes du cirque au col de Manzanilla, vulgairement appelé la degollada.On trouve alors sur le revers occidental plusieurs ravins profonds (1) qui partent des flancs de la Cumbre et vont débou- cher à la mer. (1) Les principaux sont ceux de Chamorican , de las Palmitas , de la Negra et d’Arguinegury. ( 111) Les grands accidens qui ont miné la partie centrale de la Canarie ont imprimé à cette région un caractère étrange et tout particulier. Ces effondremens ont entre eux des rapports d'homogénéité qu'il est important de saisir : leur position et leurs divers embranchemens une fois expliqués et bien compris, le reste de l’île est facile à concevoir, car les mouvemens de terrain s'assimilent alors à ceux de tous les versans maritimes. La pente des montagnes, du côté de la mer, présente à peu près la même structure, et les différences qu'on observe ne re- posent que sur des détails secondaires. Ce sont toujours des vallées adossées aux grands massifs de l'intérieur et séparées les unes des autres par des rameaux prolongés vers la côte. La Cumbre, cette combe élevée qui embrasse toutes les sommités culminantes, forme la ligne de partage entre les versans extérieurs et les anfractuosités du centre. Une simple revue topographique des districts que nous n'avons pas encore nommés, suffira donc pour compléter notre description. ROUTE.DE LA CIUDAD À LA VALLÉE DE L'ALDEA PAR LA BANDE DU NORD. Lorsqu'en partant de la Ciudad de las Palmas on veut tourner l'île par le nord , après avoir traversé le ravin de Tamaraseyte, on par- vient, par des coteaux scabreux, jusqu'à la chapelle de San José del Ælamo; des sentiers plus faciles conduisent de là dans une vallée pittoresque que domine au midi le pic de ’ergara (1). La petite ville de Terror, qui commande ce district, contient 3,400 habitans : son terroir, fertilisé par des eaux abondantes, réunit les cultures les plus variées. Au sortir de Terror, on entre dans la belle forét de Doramas, en laissant sur la droite les bourgs de Frigas et d'Arucas, et on arrive à Moya après trois heures de marche. Ce village est placé sur un tertre presque à la sortie des bois et ne compte guère plus de (4) L’altitude de ce pic est de 2,756 pieds ; celle du bourg de Terror est de 1,681. \ ( 4429) 900 ames; le ruisseau qui coule dans son voisinage prend sa source dans la partie la plus ombragée de la forêt à 1,387 pieds au-dessus du niveau de la mer (1). La route de Moya à la côte est bien moins agréable que celle de la forêt de Doramas, maïs il convient de la prendre afin de franchir le ravin de San Felipe à son embouchure et remonter ensuite les falaises de la Cuesta de Silva, pour atteindre le plateau de Galdar. Cet autre district s'étend depuis la pointe de Guanarteme jusqu’à celle de Sardina : Galdar , ancienne résidence des princes aborigènes, en est le chef-lieu. Ce grand bourg, bâti au pied d'une montagne volcanique (Voy. part. hist., pl. 40), a pris depuis quelques années un accroissement considérable; sa population est maintenant d'environ 2,000 ames, Sur les hauteurs qui dominent le plateau du côté du midi, Guia, la rivale de Galdar, s'enorgueillit de quelques centaines d'habitans de plus et des tourelles de sa ba- silique. De Galdar à la Gaete ou 4gaeta, le chemin suit la côte en longeant la base des montagnes qui s'adossent à la Cumbre. On trouve sur cette bande les ports de Sardina, du Juncal et de Las Nieves. Le hameau de la Gaete communique avec Artenara et Texeda par une gorge profonde qui pénètre dans le centre de l'île ; à l'entrée de cette vallée étroite, on voit un cône d'éruption dont les torrens de lave ont inondé les alentours : des tumulus analogues à ceux de la isleta s'élèvent au milieu de ces terrains calcinés. À partir de la Gaete les montagnes flanquent la côte jusquà la pointe de l'Aldea ; il faut passer sur des assises en saillie, par des sentiers qui ont à peine deux mètres de large. Du haut de ces escarpemens on aperçoit la mer à plus de 300 pieds en dessous; lorsqu'on à franchi les plus mau- vais pas (2). on s'éloigne du littoral pour remonter le ravin de Tirma; et une fois parvenu sur le plateau supérieur, on descend à l'Aldea par le val de Furrery. (1) Cet endroit est connu sous le nom de las madres de Moya.. (2) Les passages les plus dangereux sont: el risco de las mugeres et los andenes de Goycdra. ( 118 ) ROUTE DE LA VALLÉE DE L'ALDEA À LA CIUDAD PAR LA BANDE DU SUD ET LA CÔTE ORIENTALE. Lorsqu'on a dépassé la masse de rochers qui cernent l’Aldea, les flancs de la montagne présentent une série de longues vallées dont les berges presque verticales augmentent à chaque pas les difficultés du chemin. Ces gorges découpent les versans. maritimes depuis la pointe Decollada jusqu'à celle de Taozo. Mogan est le chef-lieu de cette bande (1). En se rapprochant de Porto-Rico, les mouvemens de terrain sont moins prononcés ; les sommets du Tauroet de Roque-Gordo sélèvent sur les derniers gradins des montagnes côtières, et les talus de l'île n'offrent plus de brusques dépressions. À mesure qu'on s'a- vance vers la pointe de Maspalomas, le rivage s'élargit davantage, et les ravins du ZLechugal et d’Arguineguy sont les seuls obstacles qu'on ait à franchir. On rencontre plus bas le ruisseau de la Gallega, qui descend de Tiraxana et va se perdre, à la sortie des gorges, dans des lagunes entourées de dunes de sable et de petits bois de Tamaris. Les irrigations ont viviñé la plaine qui domine cette côte maréca- geuse; sans ce bienfait, Maspalomas serait encore un désert : main- tenant ces terrains régénérés ont changé d'aspect; des champs de maïs et quelques fermes bordent la route qui conduit à Juan- Grande. Aux approches de ce village le pays redevient montagneux; il faut encore gravir des collines et traverser d’autres ravins avant d'arriver au Carizal. Au-dessus de ce petit bourg s'ouvre une vallée profonde qui renferme deux autres villages, Aguimez et Temisas; ce dernier occupe la partie supérieure du vallon; son altitude est de 2108 pieds. En quittant le Carizal, on commence à monter vers le plateau de Telde. Ce district, par l'étendue de ses cultures et la douceur de son climat, rappelle ceux de la bande du nord. De Telde à la Ciudad, le (1) On trouve dans les gorgés adjacentes les hameaux de Tasarte, Tasartico et Feneguera. \ 11. 15 "A: (114) chemin passe auprès du gouffre de Xiramar et longe le littoral; plu- sieurs cônes de scories , qu'on aperçoit sur la gauche, semblent faire partie d'un même système volcanique et se rattacher au pic de Bandama. Enfin, lorsqu on a atteint le Salto del Castellano , une des falaises les plus escarpées de cette côte, on découvre de nouveau la ville capitale et les montagnes brülées de la Isleta. ( 115 ) DESCRIPTION DE L'ILE DE PALMA. ETrymoLoGte. Les primitifs habitans de Palma appelaient cette île Benahoave, qui signifiait mon pays suivant l'historien Abr. Ga- lindo (1); son nom moderne date d'avant la conquête de l'archipel canarien; on le retrouve sur un portulan de 1351 conservé dans la collection médicéenne de Florence, et dont il existe une notice curieuse dans un ouvrage du comte Baldelli (2). Une expédition com- posée de Florentins, de Génois et en grande partie de Majorquais, avait déjà visité les Canaries en 1341 (3). Peut-être que ces navigateurs, en abordant l'île dont il est ici question, lui donnèrent le nom de Palma, de celui de la capitale de Majorque. Cet opinion, qui est celle de Viera, ne paraît pas tout-à-faït mvraisemblable. D'autres auteurs, tels que Viana, Nuñûez de la Peña et don Christobal del Christo (4), font remonter l'origine de ce nom à des temps plus anciens; mais les tra- ditions sur lesquelles ils se fondent n'ont guère servi à éclaircir la. question. ConriGurATION. Les diverses planimétries qu'on a données de Palma offrent toutes des différences notables (5). M. de Buch à publié en 1824 une Carte physique de cette île, et a fait usage du tracé de côtes (1) Gal. Mss. lib. 3. cap. 5. (2) Voy. Storia del milione. cap. 42. nota. (3) Voy. Pétrarque. Zi. solit. lib. 11. sect. vr. cap. 3. (4) Voy. Viera. Noticias de la hist. gen. de las isl. Can. tom. 1. p. 65 et suiv. (5) Voy. notre Atlas, pl. vur. \ ( 116 ) de Borda (1) qui diffère essentiellement de celui de Lopez (2). Ce der- nier tracé, que le géographe espagnol exécuta sur de bons renseigne- mens, nous à paru plusexact, et c'est celui que nous avons adopté pour notre atlas (voy. pl. v), sauf quelques légères rectifications dont nous sommes redevables au capitaine don Domingo Mesa. Quant au figuré orographique, il nous a fallu le refaire en entier. Le plan de Borda , dressé sur une trop petite échelle, ne nous offrait à cet égard rien de précis , et celui de Lopez, bien que renfermé dans un meilleur cadre, manquait entièrement d'exactitude, donnait une fausse idée des formes générales, et n'exprimail qu'à demi les grands acci- dens volcaniques qui produisent, sur certains points, des mouvemens de terrains si extraordinaires. M. de Buch reconnut comme nous l'in- suffisance de ces projections, lorsqu'il visita le pays dans sa tournée géologique de 1815. Une excursion de douze jours lui suffit pour ap- précier dans son ensemble la structure de l'île, mais le temps lui manqua pour en saisir tous les détails. Sa carte physique (3) est re- marquable par la beauté de l'exécution. La gravure en fut confiée au talent de M. Pierre Tardieu , et il est à regretter que le défaut de ren- seignemens topographiques ait obligé cet habile artiste à rendre avec trop d'uniformité les nombreuses ondulations du sol. Nous ajoute- rons aussi que la dégradation du trait et des teintes n'est pas tou- jours en rapport avec l'inclinaison des pentes et de la hauteur des montagnes. Dans les projections qui représentent les pays de peu d'é- tendue et fortement accidentés, le système qui tend à reproduire le relief du terrain par les lignes de plus grande pente ne réussit bien qu'avec des moyens auxiliaires et subordonnés à la projection. Il est alors nécessaire d'introduire une opposition de lumière qui, quoique constante et fixe, rende sensible à l'œil la courbure des surfaces. leur (1) Voy. Carte particulière des tles Canaries , dressée d’après les observ. de 1776 (2) Voy. Mapa de la 1sla de la Palma , par don T. Lopez. Madrid. 1780. (3) Voy. Physical. Beschr. der Can. Ins. Atlas. ( PP) proéminence ou leur affaissement. On ne peut que difficilement revêtir ainsi la nature de toutes ses formes en éclairant la carte au zénith. Les moyens d'expression et de vérité qu'on peut se ménager dans le dessin topographique sont resserrés, il est vrai, dans d'étroites limites, car les projections horizontales ne donnent pour les objets que des tracés dont les dimensions se confondent. Toutefois l'artiste, dessinateur ou graveur, peut trouver dans les lois de la stéréotomie des modifications, qui, en augmentant ses ressources, le conduisent à de bons résultats. Les innovations qu'on a tâché d'introduire dans le figuré du terrain, pour la carte de M. de Buch , ne rendent pas ce que ce savant géclogue a voulu exprimer, et jettent trop de vague sur ce qu il a si bien compris. Les ravins, qui sillonnent l'île en tous sens, n'y sont guère mieux représentés que ceux de la carte de Ténériffe du même auteur; ces fentes, qui coupent les pentes de l'île vers le circuit extérieur et les séparent en massifs partiels, se trouvent indiquées sur ce plan comme des gorges d'une largeur considérable, tandis que la plu- part offrent des berges tellement rapprochées, quil serait facile de jeter des ponts suspendus d’un bord à l'autre (1). Cependant, malgré ces négligences, la carte de M. de Buch a facilité l'étude des formes géognostiques d'une des îles les plus curieuses de l'O- céan; la Caldera, ce cratère immense que Borda n'avait pas indi- (1) Bien que la plupart des ravins ou barrancos soient mal rendus dans la carte de M. de Buch, ce géologue , en appréciant les causes de leur formation avec la profondeur du jugement qui le distingue, les a parfaitement décrits dans sa relation : « Vus des hauteurs de Palma, dit-il, les barrancos sont » peu apparens , et leurs entailles tranchent à peine sur la ligne de pente que l’on domine. Ce phéno- » inène très-remarquable est plus frappant encore quand on parcourt les barrancos qui sillonnent l’ile » en si grand nombre, depuis le sommet jusqu’à la base, ou bien lorsqu'on les examine sur la carte. » On ne les aperçoit le plus souvent qu’en arrivant sur le sentier qui les borde. 11 faut descendre alors » le 1ong d’une berge de 4 à 500 pieds de chute, et remonter aussitôt à la même hauteur pour les fran- » chir ; mais à peine a-t-o0n fait un quart de lieue, qu'on en rencontre un nouveau aussi profond et bordé » également d’escarpemens à pic. Les ravins se succèdent ainsi de distance en distance , et les habita- » tions ne trouvent presque pas assez de place sur les espaces intermédiaires. Aucun cours d’eau ne coule » dans ces gorges, si ce n’est au temps des pluies d’hiver, ou bien à la fonte des neiges. ( Voy. l'ouvrage \ cité précédemment, p. 294. (118) qué dans le plan de 1780, et que Lopez avait à peine signalé sur le sien, s'y trouve beaucoup mieux figuré; et cette réforme, en pla- çant les montagnes de l'île dans leurs vraies limites, a reproduit avec bien plus d'exactitude leur circonvallation et le gouffre qu'elle ren- ferme. Les allitudes (1), que M. de Buch a calculées le premier pour cette île, nous ont servi de guide dans la nouvelle projection que nous présentons. Gisemenr. Nous avons vu qu'une triangulation exécutée par le P. Feuillée, en 1724, et dont les calculs furent vérifiés par l'abbé de La Caille, avait fixé le centre de l'ile de Palma par 19° 45° 28” dé longitude occidentale du méridien de Paris (2). Lopez adopta cette donnée et plaça : Le port principal (Santa-Cruz de la Palma) par 28°—367—30” de latit., et 19°—42—10” de longit. O. La pointe nord (de Juan-Aly).. . . .... » 280—47— » id. » 190—50— » id. La pointe de l’est (Punta-Llana) Lee, Me CO er, » 289—38 —307 id. » 19°—40 — » id. La pointe du sud (de Fuencaliente). . . . . » 28-98 — id. » 19°—49— , id. La pointe de l’ouest ( Punta-Gorda). . . . . » 280 45— , id. » 19—57—30” id. Le mouillage de Tazacorte. . . . : . . . .. » 280—39 30” id. » 19—54— , id. La reconnaissance hydrographique de Borda, en 1776, avait donné les résultats suivans : Le port principal (Santa-Cruz de la Palma) par 28°—49— » de latit. et 20°—6 —40” de longit. O. La pointe nord (de Juan-Aly), . . . . . .. » 28—53— » id. 5 20-18", F0 La pointe de l’est (Punta-Llana) . . . . . . » 280—45— ls ONE; id. La pointe du sud (de Fuencaliente) . . . . . » 28—929—307 id. » 20°—19- 30” id. La pointe de l’ouest ( Punta- Gordon » 280—47— , id. » 20°—99- 307 id. Le mouillagede Tazacorte. . . . . . . . .. » 28038 — , id. » 20018" — , + Ces positions portaient le centre de l’île par 28°—43- 907 id. » 200—15— at (1) En continuant de désigner par altitude la hauteur absolue des montagnes au-dessus du niveau de la mer , nous adoptons l’heureuse innovation de M. le baron Costaz, qui a le premier proposé ce mot parfaitement en harmonie avec ceux de longitude et de latitude. L'emploi que l'on a fait depuis de cette dénomination , dans des mémoires importans lus à la Société de géographie, en a consacré l’usage. M. Alex. Donnet, dans son Coup-d’œil sur la Chorographie de ? Espagne et du Portugal (Voy. le Spec- tateur militaire, 98° livraison) , en admettant aussi le mot altitude , a fait observer ayant nous combien il importait de conserver la symétrie dans les nomenclatures scientifiques. (2) Voyez précédemment , p. 28. ( 119 ) Celles dont nous avons fait usage, pour la construction de notre plan, correspondent presque toutes avec les déterminations de Borda, ou du moins en diffèrent très-peu. Pourtant le tracé de côtes re- produit dans son ensemble la forme que Lopez avait déjà assignée à l'île. Cette variante ne doit pas surprendre : les cinq points de littoral, dont Borda détermina la position, laissaient entre eux de trop grandes lacunes pour en détruire tous les autres contours. Le manque d'élémens se laissaient voir au premier coup-d'œil sur les cartes de M. Borda, soit par le peu de détails des côtes, soit par la régula- rité des lignes qui joignent les positions relevées pendant la cam- pagne de l'Espiègle et de la Boussole. D'après les renseignemens qui nous ont été communiqués et nos propres explorations, nous croyons nous être beaucoup plus rapprochés de la vérité en rendant à l'île les formes qu'on lui donne dans la plupart des cartes espagnoles, nous maintenant toutefois dans les limites fixées par les hydrogra- phes français. Cette observation, que nous avons déjà faite pour Ténériffe et la grande Canarie, est aussi applicable aux autres îles de ce groupe. Descriprion. L'île de Palma est de forme assez régulière, et se prolonge du nord au sud sur un espace d'environ dix lieues. Sa plus grande largeur, prise d'est à ouest vers la partie septentrio- nale, est d'un peu plus de six; mais elle diminue ensuite en. des- cendant vers le midi, et n'en a guère plus de quatre d’un côté à l'autre entre le port de Santa-Cruz de la Palma et la plage de Ta- monca ; plus bas, en se rapprochant de Fuencaliente, les deux bandes du littoral se resserrent encore davantage. Les principales saillies de l'île sont : La pointe de Juan-Aly, au nord; celle de Fuencaliente, au sud; celle de Barlovento, au nord- est ; et Punta-Gorda, au nord-ouest. Les côtes occidentales présentent bien moins de sinuosités que celles de l'est; elles s'étendent vers le sud en une ligne assez régulière \ ( 120 ) et légèrement ondulée. Sur le milieu de ce prolongement, une échan- crure du littoral signale le petit mouillage de Tazacorte, situé à l'embouchure du ravin de las Angustias, et abrité des vents du . nord par la pointe de Juan-Grage. Du côté de l'orient, au con- iraire, Gaviota, Barlovento, Puntà-Llana, la Sancha, Bajamar , El Ganado et Tigalate sont autant de saillies qui dessinent les dif- térentes inflexions du rivage. À partir de la pointe de la Sancha, la côte se recourbe en arc jusqu'à la pointe de Baxamar pour former une baie, au fond de laquelle se trouve le port principal et la capitale de l'île Santa-Cruz de la Palma. On peut mouiller en face de la ville sur un bon fond par 15 et 20 brasses. L'escarpement des montagnes du côté de la mer rend l'île pres- que inabordable sur la majeure partie de ses contours; ce n’est que vers le sud-ouest qu'on rencontre quelques plages accessibles, Les mon- tagnes qui se prolongent au midi s’affaissent insensiblement :il résulte de cette modification dans la structure orographique beaucoup moins d'inclinaison le long des versans maritimes de cette bande; le ri- vage nest plus bordé de falaises escarpées comme sur la côte du nord et du nord-est, ni coupé par de grands ravins, et de la pointe de Fuencaliente, en remontant vers Tazacarte, on peut débarquer sur trois poinis différens, la Caleta de Zamora, celle de los Paja- ros, et le port de Naos. La première description de Palma est due aux aumôniers de Bé- thencourt; mais les historiens de la conquête ne donnèrent que de vagues renseignemens, leurs compagnons n'ayant pu pénétrer dans l'intérieur de l'île. Toutefois, nous citerons ce qu'ils ont écrit sur ce sujet (1). (1) « L'isle de Palma, qui est la plus avant d’un costé de la mer océane , est plus grande qu’elle ne » se montre en la carte, et est très-haute et très-forte , garnie de grands bocages de diverses conditions, » comme de Pins et de Dragonniers portant sang de dragon, et d’autres arbres portant laict de grande (121) | La description topographique et statistique que Viera a insérée dans ses noticias (1) est fondée au contraire sur une connaissance exacte du pays. Suivant sa coutume, le savant chanoine y énumère en détail les villes, les bourgs, les hameaux et leurs distances res- pectives, les juridictions, paroïsses, chapelles et monastères, enfin leurs prôductions, la qualité des terrains et l'état progressif des populations. Nous nous sommes réservés de résumer ces données dans un tableau général. Ce qui frappe le plus en parcourant l'île de Palma, c'est sa hau- teur extraordinaire comparativement à la petite étendue de sa sur- face, car ses côtes nembrassent dans tous leurs contours qu'une circonférence de vingt-huit lieues, et pourtant le point culminant de la montagne atteint une élévation de 7234 au-dessus du niveau de la mer. Cette altitude, qui dépasse celle du glacier de Tuque- Rouye de la chaîne des Pyrénées, paraît encore bien plus consi- dérable, lorsque, placée sur la cime du pic de los Muchachos, le voyageur aperçoit d'une part les rochers qui bordent le littoral, et de l’autre l'immense cratère de la Caldera, dont la profondeur est d'environ 5000 pieds. « Ce gouffre effrayant, a dit M. de Buch, rend l'ile de Palma une des plus remarquables de l'archipel cana- rien; aucune ne montre aussi bien la forme primitive des îles basalti- tiques, aucune ne permet de pénétrer aussi profondément dans son in- térieur. Où pourrait-on trouver rien d'aussi prodigieux ? Où existe- t-il un cratère aussi gigantesque dans ses développemens, et autour » médecine, et de fruictages de diverses manières, et y court bonnes rivières parmy, et y sontles terres » bonnes pour tous labourages et bien garnies d’herbages. Le païs est fort et bien peuplé de gens; car il » n’a mie esté foullé comme les autres païs ont esté. Ils sont belles gens et ne vivent que de chair : et » est Le plus délectable païs que nous ayons trouvé ès isles de par-deçà, mais il est bien a desmain, car » c’est la plus lointainne isle de terre ferme. Toutefois il n’y a du cap de Bugeder, qui est terre ferme » des Sarrasins, que cent lieues françoises , et aussi c’est une isle où il y a fort bon air, ne jamais volon- » tiers on n’y est malade, et les gens y vivent longuement. » (Bontier et Le Verrier. Æist. de la prem. descouv. et conqueste des Can chap. xvr. p. 123.) (1) Voy. tom. nr. p. 494 et suiv. x DA - 16 Ç 122») duquel les rochers viennent dévoiler à l'observateur, sur une éléva- lion aussi extraordinaire, la nature des masses cachées sous le sol qu'il foule à ses pieds ? (1) » En effet, Palma se présente encore au- jourd'hui au géologue telle qu'elle fut à son origine, c'est-à-dire, creusée Jusque dans ses fondemens par un des plus grands cratères connus. Le fond de cet abîme est à 2257. pieds au-dessus de l'O- céan, son diamètre est d'environ deux lieues, le cercle de monta- gnes qui l'entoure constitue un massif puissant , qu'une éruption sous-marine du premier ordre fit surgir du sein des mers: cette masse, en s'affaissant vers le centre, donna naissance à la Caldera. Ce fut probablement à l'époque de cette tourmente, el au moment qu'ap- parut à la surface des eaux cette épouvantable formation, que les forces volcaniques, réagissant autour du foyer, se firent jour par un des flancs de la montagne et produisirent le ravin de las Augus- tias, gorge profonde qui débouche sur la côte du sud-ouest, et coupe ainsi le grand massif de l’île en deux parties depuis le centre jus- qu'au rivage. L'énorme masse qui se souleva en enveloppant la Caldera, se crevassa de toute part; de longues déchirures vinrent accidenter les pentes de la montagne, en rayonnant depuis le pourtour ex- térieur de la cavité centrale jusque sur le littoral. Telle est sans doute l'origine de ces barrancos si rapprochés, et dont la profon- deur est étonnante sur les versans les plus escarpés, mais qui finissent par disparaître dans la partie de l’île dont l'élévation n'offre plus rien de bien remarquable. L'action volcanique qui à manifesté sa puissance dans la Cal dera et ses alentours dût s'affaiblir en s'éloignant de ce foyer. C'est à cette cause qu'il faut attribuer l’affaissement progressif des montagnes à mesure quelles se prolongent vers le sud pour se (1) Physic. Besch. der. Can. Ins. p.284 et 292. ( 123 ) terminer à la pointe de Fuencaliente. Elles forment alors une petite chaîne rattachée aux grandes masses qui flanquent la Caldera, et divisent la partie de l'île qu'elles parcourent en deux régions dis- tinctes, celle du sud-est et celle du sud-ouest. Toutefois ces mon- tagnes secondaires n'ont pas été exemptes de bouleversement; un peu au-dessous de leur point de départ, les crêtes ne conservent déjà plus qu'une élévation de 4255 pieds; plus bas, vers le midi, elles s'aplatissent en forme de col, et leur altitude atteint à peine 2800 pieds, mais bientôt elles se relèvent plus loin en deux som- mités séparées, le pic de Bergoyo ou Tihuya, et le cône sulfureux qui domine Fuencaliente. Ce fut le long de cette ligne, que, dans des temps modernes, les feux souterrains s'ouvrirent de nouvelles issues et ravagèrent la contrée voisine. Lorsque la nature eut achevé ce grand travail, et qu'après plu- sieurs siècles de repos, l'île put recevoir des produits d'un autre ordre, les plantes semparèrent de cette terre volcanisée pour sy distribuer suivant les expositions, la température des lieux et la na- ture du sol. Une végétation aux formes africaines vint garnir le littoral et les coteaux adjacens, les berges des ravins se couvrirent d'espèces variées, et une ceinture de forêts s'étendit sur les ver- sans des montagnes. Au-dessus de cette régions de Lauriers, de Fougères et d'arbres verts, dominèrent les Bruyères; plus haut, des Pins robustes régnèrent presque seuls, et, sur les crêtes arides de la Cumbre, quelques plantes clairsemées rappelèrent la végétation al- pine. La Caldera même eût sa part dans ce second âge de créa- tion; mais, au fond de cet abîime, les végétaux ne se groupèrent plus d'après la loi commune. L'égalité de température, l'inclinai- son et l'escarpement des pentes, tous les accidens du terrain, en un mot, semblèrent se réunir dans cette enceinte pour y pro- duire la plus singulière des anomalies dans l'ordre des distribu- tions. La confusion des productions végétales au milieu de la Caldera, ( 124 ) en sharmonisant avec le bouleversement du sol, a fait de ce site un des plus curieux du globe (1). | Tandis que les plantes commençaient à couvrir le pays, les eaux jaïllissaient de différens points: ensuite la végétation, devenue plus puissanté, attira sur l'île une plus grande masse de vapeurs, et les sources alimentées s'échappèrent en torrens par les gorges de la montagne. Ce fut ainsi que prirent naissance au fond du cratère central les ruisseaux de l’Agua-Buena et de V Agua-Mala : réunis en masses d'eau qui se précipiiaient des berges environnan- tes, ils durent former d'abord un grand réservoir dont l'existence est antérieure à notre ère, si nous nous en tenons à la relation de Pline. Ce lac ayant rompu ses digues par le ravin de las Augustias, il s'établit alors un cours d'eau naturel, qui, utilisé de nos Jours, va fertiliser les plateaux agricoles d’Argual et de Tazacorte. Cette lerre, qui dans son principe n'avait présenté qu'une masse bouillonante et difforme, se reconstitua sous de nouveaux élémens : rafraichie par une végétation toujours renaissante, délayée par les infiltrations des sources et des eaux pluviales, elle prit un autre aspect. Bien qu'éloignée du continent et une des dernières de l'ar- chipel qui s’y rattache, l’île, en devenant habitable , ne pouvait rester long-lemps sans maîtres. Une race d'hommes partis de la chaîne de l'Atlas, selon les inductions les plus vraisemblables (voy. Part. hist.), aborda aux Fortunées, se répandit de proche en proche, et vint occuper cette lerre vierge. Les Guanches, en adoptant leur nouvelle patrie, la nommèrent Benahoave (mon pays), et ce mot seul, qui rappelle leur droït de priorité, dit bien plus que tous (1) Dans la partie de cet ouvrage qui traite dela Géogr. botanique (voy. tom. mr. première partie , p- 25, 66 et suiv. p. 144 et 145), nos observations sur la Caldera de Palma complètent les renseignemens que nous donnons ici. (Voy. aussi précédemment p. 12 et 13 de la part. Géogr. descrip., l’Appendice que nous insérons à la fin de cette description , et les pl. 9. v et vr de notre Atlas. ) ( 125 ) les actes de possession. Ces peuples pasteurs et guerriers, conduits sans doute par des chefs de tribus, arrivèrent avec leurs troupeaux, et s'installèrent dans les endroits les plus propices à leurs besoïns. Le pays fut subdivisé en douze districts ou principautés dont lhis- toire a heureusement conservé les dénominations. 1° Vers la bande occidentale et sur le revers méridional de la Caldera, les districts d’Aridane, de Tihuya et de Tamanca. 2° Sur la bande orientale, ceux d'Æbenguareme, de Tigalate, de Tedote, de Tenagua et d'Adeyahamen. 3° Sur la bande du nord ct du nord-ouest ceux de Tagaragre, de Galgen et d'Hiscaguan. 4° Enfin, au centre de l'île et dans les profondes anfractuosités de cette Caldera que la végétation avait revêtue d'une si riche pa- rure, s'établit le chef des tribus (1). Ce district, qui, par sa po- sition, commandait à tous les autres, reçut le nom d’Ecero ou Acero, et le plateau de Tabouventa, situé au milieu de son enceinte inex- pugnable, fut alors la capitale de l'île. Les paisibles possesseurs de Benahoave, conservaient depuis long- temps leur indépendance, lorsque, vers la fm du quinzième siècle, les Espagnols, conduits par Alonzo de Lugo, et déjà maîtres de la plus grande partie des îles Fortunées, vinrent les chasser de leur pays pour s'y établir par droit de conquête. Cette époque fut le prélude d’une statistique nouvelle : un autre ordre de choses vint remplacer celui qui avait prévalu jusqu'alors; la religion, les lois, les coutumes, les mœurs, le langage, tout changea avec l'oc- cupation des vainqueurs. L'influence dominatrice de ces heureux aventuriers fit mouvoir tous les ressorts de l'existence sociale, et l'industrie européenne, excitée par les avantages que lui offrait la nature du climat et du sol, changea bientôt la face du pays. Les (1) Abr. Galindo. Mss. ie ( 126) progrès furent rapides : à mesure que de nouveaux colons accou- raïent du dehors pour exploiter les terrains conquis et avoir droit à d’autres répartitions, un redoublement d'activité venait accroître les ressources ; en peu d'années les cultures prirent une grande extension, et la végétation indigène, refoulée sur les hauteurs ou dans les gorges les plus anfractueuses, céda le pas aux plantes in- troduites. Les coteaux maritimes susceptibles d'être exploités, les vallées et les plateaux furent mis en rapport; le territoire d’A4r- gual et de Tazacorte, dont les conquérans s'étaient d'abord em- parés, se couvrait de cannes à sucre, tandis que les Muüriers, les Amandiers et d'autres arbres utiles se multipliaient plus haut dans la belle vallée d'e! Paso. En même temps, les vignobles s'étendaient aux alentours de Mazo, des deux Breñas et de Buenavista, dans les anciens districts de Tigalate et de Tedote. Vers la partie septentrio- nale de l’île, les Bananiers, les Orangers, les Citronniers et plu- sieurs autres végétaux jusqu alors étrangers à la contrée, reproduï saient sur les bords de la mer les paysages des tropiques. L'inac- cessible Caldera resta seule en dehors de cette révolution agricole; ce district désert ne fut plus fréquenté que par les bergers des bourgs environnans; ceux de Tixarafe et de Time, dans l'ancienne prin- cipauté d'Hiscaguan, ÿ pénétrèrent par le défilé d'Ædamacansis () el vinrent y parquer leurs troupeaux; les habitans d’Argual et de los Llanos, situés au contraire sur la rive droite du ravin de las Angustias, s'internèrent dans les sinuosités de cette gorge et ar- rivèrent jusqu'à la Caldera en franchissant le Paso del Capitan (2). Tandis que tous les efforts des colons étaient dirigés vers l'agri- culture, et que l'accroissement des produits ouvrait les sources de la prospérité publique, une administration non moins active fon- (1) Voy. part. Géogr. bolan. p. 66. (note.) (2) Autre défilé par lequel Alonzo de Lugô pénétra dans la Caldera. Voy. Part. his. (127 ) dait partout des établissemens, et élevait de nouveaux édifices. La division territoriale fut changée, treize paroisses vinrent remplacer. les douze principautés. Parmi ces chefs-lieux, trois conservèrent leurs anciens noms Mazo, Guarafia et Tixarafe. Mazo, dont nous avons fait connaître plus haut la position, avait fait partie du cercle de Tigalate. Guarafia (la mas quebrada y aspera tierra del mundo, selon l'ex- pression de Viera), est un pays scabreux, coupé par de nombreux ravins. Ce canton, qui se trouvait enclavé auparavant dans la prin- cipauté de Galgen, est presque entièrement couvert de forêts de Pins comme tous ceux du nord de l’île. | Tixarafe, située au nord-est, dépendait du cercle d'Hiscaguan. Le territoire de ce district est fertile en blé, mais la majeure partie nest pas susceptible de culture à cause des accidens du sol. Bien avant d'arriver à Tixarafe, le Time apparaît comme une im- mense muraille, et ce n'est pas sans danger qu'on franchit les précipices qui bordent cet escarpement. Æguatar et Tinixara, deux hameaux de cette juridiction, ont aussi conservé leur nom guanche. Les autres paroisses, distribuées dans le nord de l’île, furent Punta-Gorda, los Sauces, San Andrès et Barlovento que dominent les cimes escarpées de la Cumbre (1). On trouve dans ce dernier canton le Caldera de Taburiente, vaste cratère dont le fond, devenu fertile, est arrosé par des sources abondantes, et pourvoit de pà- turage toute cette partie de l'île. | Sur la bande du sud-ouest, le bourg de os Llanos réunit dans ses environs les meilleurs terrains de Palma. La bande de l'est fut occupée par les paroïsses de Punta-Llana, de las Nieves, de Buena- (1) Ces cimes, dont M. de Buch a évalué altitude, forment l’arête des montagnes de la Caldera. Du côté du sud-est, le Pico del Cedro s'élève jusqu’à 6,803 pieds ; au nord apparaît le Pico de la Cruz à 7,082 pieds, et une lieue plus loin domine le Pico de los Muchachos à 7,234 pieds au-dessus du niveau de la mer. \ * ( 128 ) vista, de Breña-Alia et de la Ciudad. De ces cinq dernières, Bue- navista, située à 925 pieds au-dessus de niveau de la mer, se recom- mande par la douceur de son climat, la fertilité du sol et l'aspect pittoresque de sa campagne. Avant d'arriver sur ce plateau, on s'arrête avec plaisir au morne de la Conception pour jouir d'un des plus beaux points de vue de la contrée. Le panorama de Santa-Cruz de la Palma, que l'on domine, se développe dans ses moindres détails; on aperçoit toute la côte orientale depuis Barlovento, jusqu'à Baxamar, tandis qu'à l'horizon Ténériffe et Gomère, séparées par un canal étroit, semblent presque se joindre. Au-dessus de Buenavisla, les vignobles prospèrent aux alentours du village de Breña- Alta, et les cultures ne s'arrêtent qu'à 1620 pieds; plus haut, les forêts garnissent encore toutes les pentes de la montagne. _Santa-Cruz de la Palma, qui prend le titre de Ciudad, est située sur la côte de l’est. Cette ville s'érigea en capitale dès sa fondation, et vit se grouper sur les escarpemens de son littoral, les gothi- ques demeures des conquérans. Sa baïe, par son heureuse situa- tion, était destinée, comme celle de Sainte-Croix de Ténériffe, à devenir une des principales échelles du commerce de l'Amérique. Les bâtimens européens ne lardèrent pas à fréquenter ce mouil- lage; plus tard, on y établit des chantiers de construction, et les fo- rêts de l’île fournirent des matériaux pour la marine marchande. À l'occident, le petit port de Tazecorta eut aussi ses caboteurs, et, vers le point méridionale, les eaux thermales de Fuencaliente , connues sous le nom de Fuente-Santa, fontaine sainte, attirèrent long-temps dans ce canton de riches cultivateurs. Viera assure qu'on y accou- rait des îles voisines et même du continent; mais les feux souter- rains, concentrés dans la chaîne des montagnes qui s'étend vers le sud, vinrent ravager cette contrée fertile. En 1677 (1), après des UT: CRE se ——_—_— (1) C’est par erreur qu’on a indiqué sur la carte ( voy. notre Atlas) la date de 1766. a” D __#… . re dt ( 129) éruptions réitérées, accompagnées de violentes commotions, la Fuente-Santa disparut sous les scories et les cendres. Déjà, en 1585, des torrens de lave, sortis du cône de Tocande, avaient envahi la vallée d’e/ Paso, située sur le revers occidental du col de la Cumbre. | Malgré ces désastres, Palma se distingua toujours des autres îles du groupe par l'activité et l'industrie de ses habitans, les progrès de sa marine marchande, l'étendue de son commerce et la variété de ses productions, dont les principales consistent en soie (4), sucre, vin, eau-de-vie, résine et bois de construction. En 1491, lors- qu'Alonzo de ELugo entreprit la conquête- du pays, il débarqua à Tazacorte avec 800 hommes. Après ses succès, les émigrations de la Flandre vinrent peupler l'île de familles laborieuses. Pendant les premières années, cette population, réunie à quelques centaines d'indigènes que les vainqueurs avaient épargnés pour s'en servir comme des esclaves, s'accrut rapidement. Les données de Viera (9) nous apprennent qu'en 1668, c'est-à-dire 177 ans après la conquête, Palma contenait déjà 13,892 habitans; en 1768, ce chiffre s'élevait à 19,195; en 1789, il dépassait 20,000 ames; le dénombrement de 1805 le portait à 28,878, et celui de 1824 à 29,683. Ainsi, en 1768, la population de cette île s'était déjà augmentée de 5303 ames dans l'espace d'un siècle, et cinquante-six ans après cet accroïssement avait presque doublé. (1) On fabrique plusieurs genres d’étoffes de soie dans l’île de Palma : une partie sert à l’usage des habitans ; le reste est expédié à la Havane. (2) Voy. Viera. Noticias de la Hist. gen. de las 1sl, Can. tom. mr. p- 116 et 501. ( 130 ) APPENDICE A LA DESCRIPTION DE L'ILE DE PALMA. Le 25 septembre 1815, M. Léopold de Buch visita la Caldera de Palma, accompagné de Christian Smith, professeur de botanique à l'Université de Christiania; quelques jours après, les deux voya- geurs gravirent les pentes extérieures de l’île pour atteindre les cimes escarpées qui dominent le cratère central. En 1830, nous visitâmes la même contrée ; le 30 mai, nous pénétrions aussi dans cette enceinte profonde, long-temps ignorée des naturalistes, et que notre devan- cier venait de faire connaître sous les rapports géologiques. En li- sant l'ouvrage de M. de Buch, à notre retour en Europe, nous avons pu juger de son exactitude; les savantes considérations qui forment le texte du cinquième chapitre ont été pour nous une source d’a- gréable souvenir, et sauf quelques faits de détails qui auront échappé sans doute aux rapides observations du voyageur, tout ce qu'il a écrit sur l'île de Palma nous a paru plein d'intérêt et de précision. Nous allons extraire ici quelques passages de sa relation, afin que nos lecteurs puissent apprécier la part-qu'ils doivent lui faire dans la masse des connaissances acquises sur l'archipel des Canaries. « Santa-Cruz, capitale de Palma, est située sur la côte orientale en face de Ténériffe , et à peu près PL it où LL ie ronde de lil à suivr directi r i » vers l’endroit où la partie ronde de l’île commence à suivre une autre direction pour se terminer en » pointe. Cette plage escarpée laisse à peine l’espace nécessaire pour la ville ; les rues et les places sont » régulièrement bâties, et s’élèvent en terrasses les unes au-dessus des autres. A la sortie de Santa-Cruz, » le chemin est très-rude, et la montée qu'il faut gravir continue sans interruption l’espace d’une lieue » jusqu’à Buenavista. Là , les montagnes forment un petit plateau élevé de 925 pieds au-dessus du ( 131 ) » niveau de la mer. Plus loin, les pentes reprennent leur rapidité , et deux beaux villages , Breña-Baja »id’abord, et ensuite Breña-Alta, ont profité de leur heureuse situation pour réunir dans leurs alentours » les plus riches cultures. A cette hauteur, la végétation est encore très-active , les versans des monta- » gnes sont couverts de Figuiers-d’Inde (Opuntia Ficud Ind.),les Palmierscroissent jusque sur lesommet » des collines environnantes, et les vignobles garnissent'toutes les pentes jusque sur la lisière des forêts » à l’altitude de 1,620 pieds. Mais bientôt un profond ravin vient isoler cette campagne et la séparer des »crêtes arides de la Cumbre, dont les hautes crêtes entourent la Caldera et se prolongent vers la pointe » méridionale de l’île. Toute cette région est sans culture ; des forêts vierges la recouvrent encore en » grande partie ; les Lauriers végètent jusqu’à la hauteur de 3,556 pieds ; à 3,916 on rencontre encore des » Tlex et des Fayas (Zex Perado et Myrica Faya); au-dessus , ce ne sont plus que des Bruyères. Ces » bois touffus ne permettent guère d’observer la constitution du sol. Le chemin de la Cumbre conduit sur » la cime de la montagne, et l’on atteint alors l'altitude de 4,255 pieds. On franchit en quelques pas » la crête saïllante , qui forme la ligne de partage des deux versans, pour descendre aussitôt par une » pente rapide du côté de l’ouest. Bien que ces montagnes forment un système à part , elles se rattachent » à celles de la Caldera, dont les cimes les dominent de plus de 2,000 pieds. Vers le sud, la Cumbre s’a- » baisse de nouveau pour former un col dont la hauteur absolue n’a que 2,800 pieds, puis, se déviant » un peu Vers l’ouest , elle se relève en deux montagnes séparées. Un peu au-dessus du sol , on aperçoit » un énorme cône volcanique dont le cratère est ouvert à l’ouest. Ce fut de cette bouche que déborda , » en 1585, la grande coulée de lave qui traversa la vallée del Paso, en suivant son cours jusqu’à la mer. » Un Pin antique, sur lequel on a placé l’image de la Vierge (le Pino santo), s'élève à l'entrée de la » vallée. L’altitude de cette station est de 2,727 pieds. A partir de ce point , les pentes deviennent moins » rapides , et l’on arrive bientôt au milieu d’un petit bois d’Amandiers qui entoure le village del Paso, » dont la hauteur est de 1,980 pieds. Des bosquets de Figuiers, d’Orangers et de Grenadiers, où volti- » gent en chantant des milliers de serins, des habitations éparses dans la campagne , des Vignes qui » s'étendent en guirlande sur le penchant des collines, tel est l’aspect de la vallée de la Lavanda (ou » del Paso). Une seconde pente conduit vers Argual , qu’on découvre au bord d’une belle plaine , où l’on » cultive la canne à sucre; plus bas apparaissent les maisons de Tazacorte et Les plantations de ce bourg. » Les sommets de l’île sont fendus depuis la Caldera jusqu’à la mer en un profond barranco qui dé- » bouche près de Tazacorte et permet d’apercevoir, entre ses deux berges, l'intérieur du grand cratère. » Les rochers se dressent depuis le fond de la Caldera jusqu’au bord supérieur ; la Gumbre (la haute » région ), au lieu de former une chaîne continue , se creuse intérieurement ; les berges de la Caldera » se présentent avec tous les caractères des gorges des Alpes, et le vide qu’elles renferment s'étend jus- » qu'aux plus profondes cavités de l'ile. Le ravin qui sort de ce gouffre se nomme Barranco de las An- » gustias ; le bourg d’Argual est situé sur le bord méridional à 894 pieds au-dessus du fond. Les flancs » du barranco sont à pic comme seraient les parois d’une grande fissure ; un ruisseau considérable coule » dans cette gorge en bouillonnant à travers d'énormes blocs de rochers. À mesure qu'on avance, les » passages deviennent plus dangereux, les masses qui se pressent d’un bord à l’autre sont d’un aspect » majestueux ; on se croirait dans les grandes Alpes ; telle est, en effet, la vallée de Schællenen au Saint- » Gothard ou bien la Via-Mala dans les Grisons. n\ ( 132 ) » Au point où les rochers sont le plus rapprochés, les ruisseaux de l’4gua-Buena et de ? 4 gua-Mala, » sortis de la Caldera , coulent dans deux canaux différens , et vont grossir plus bas le torrent principal. » On est alors parvenu dans la plus grande profondeur du ravin , et le sol, qui se relève bientôt rapi- » dement , ramène sur les rochers basaltiques de l’intérieur de la Caldera. Cette enceinte s’offre tout- » à-coup au voyageur comme celle d’Urseren par le défilé de Schællenen ; il n’y manque que les villages » et les cultures. Des rochers inaccessibles de plusieurs milliers de pieds d’élévation cernent la Caldera » de toute part (1); au pied de ces escarpemens , des éboulemens accumulés ont formé une pente plus » douce que recouvrent maintenant des forêts de Pins, .de Lauriers, d’Ardisiers, d’Ilex et de Fayas ; tout » le sol est garni de Fougères ( Pteris Aquilina). » (Extrait du ne Besch. der. Can. Ins. pag. 284 et suiv. @ ) La Dans un autre passage de sa relation, M. de Buch s'exprime en ces termes sur la végétation de la Caldera. « Nous ne vimes pas de Palmiers dans cette enceinte. Le fond de la Caldera , qui est à 2,257 pieds » au-dessus du niveau de la mer, est déjà trop élevé pour que ces arbres puissent s’y développer, et » pourtant, à notre grande surprise , nous y trouvâmes le Cacalia Kleinia. » Nous devons ici relever une erreur de M. de Buch. Les Palmiers croissent dans la Caldera : lorsque nos guides nous conduisirent sur le plateau de Taboaventa, ils nous firent remarquer un rocher voisin qui se dressait sur plusieurs assises jusquà une grande hau- teur. Ce fut sur les saillies de cette pyramide de basalte que nous aperçûmes des Palmiers entourés de Pins robustes, de Lauriers, de Bruyères et d'autres arbres (»0y. notre atlas pl. 9). L'exis- tence des Palmiers dans la Caldera nous étaït connue avant notre excursion; les gens du pays nous en avaient parlé, et Viera n'avait pas oublié de citer le fait dans son ouvrage. Voici ce qu'il en dit: « Ecero est un vaste cratère entouré de montagnes escarpées. Au (4) « Lorsqu’après avoir monté pendant trois heures la gorge étroite de las Angustias , dit autre part » M. de Buch , on pénètre dans la Caldera , et que l’enceinte de ces immenses rochers coupés à pic s’ou- » vre sous les pieds du voyageur, on jouit alors d’un spectable sublime et que Dés de pays au monde » peuvent retracer. » (Voy. même ouvrage, p. 29.) (2) Get extrait est une analyse de la description de l’île de Palma qui fait partie du ve chapitre de l'ouvrage cité. Le mg ( 133 ) » pied des berges qui ferment ce cirque; le fond a deux lieues de » diamètre, et les Palmiers , les Dragoniers, les Pins, les Genêts » et les Bois de rose (Convokulus scoparius) le garnissent de toute » part (1).» , Les observations géologiques qui occupèrent plus spécialement M. de Buch dans son excursion à la Caldera, l’auront conduit probablement dans d'autres endroits que ceux que nous visitâmes. Une seule journée ne suffit pas pour explorer toute cette localité, et, suivant les sentiers qu'on choisit, il faut se priver de parcourir une partie de l'enceinte. Croire qu'au milieu de cet entassement de rochers et du désordre de la végétation, il n’y à pas de Palmiers, parce qu'on n'en à point vu, est donc une erreur bien excusable: mais laisser ignorer l'existence de ces arbres après les avoir observés nous-mêmes, surtout lorsque les rapports des habitans et les do- cumens historiques nous avaient prévenus de leur présence, serait bien moins pardonnable. Qu'on ne se méprenne pas sur le motif de nos remarques; en détruisant l’assertion de M. de Buch, nous avons voulu seulement constater un fait intéressant pour la géogra- phie botanique. | Nous continuerons à extraire de l'ouvrage de notre devancier les passages qui nous ont paru réunir les notions les plus importantes sur l'île de Palma et son immense cratère. | « La Caldera, dit-il, constitue le grand axe de Palma; les bords de l’île se développeraient presque » circulairement autour de cet axe, si un prolongement de montagne du côté méridional ne venait mo- » difier cette structure. Glas a supposé à la Caldera deux lieues de diamètre dans chaque sens. Cette » évaluation est assez juste; toutefois les dimensions du nord-est au sud-ouest nous ont semblé dé- » passer les autres. Aucun volcan dans le monde r’offre un vide aussi considérable ; dans aucune ile il » n'existe un cratère de soulèvement d’une telle circonférence et d’une aussi étonnante profondeur. (1) « Ecero es una vasta Galdera, formada de una cordillera de cerros escarpados, cuyas laderas ter- » minan en un fondo de dos leguas de diametro , todas vestidas de Pa/mas, Dragos ; Pinos , Laureles , » Retamas , Leña-Loel, etc. » (Noticias de la Hist, gen. de las isl Can. om. 1. p. 158.) \ ( 134) « On tenterait vainement de monter du fond de la Caldera vers la crête , ou de descendre de cette » haute région dans le fond. Pour parvenir au sommet, il faut gravir la montagne par le circuit exté- » rieur ; alors cette ascension se fait avec facilité. Quoique escarpés et très-fatigans , les sentiers qui » conduisent sur la crête, à partir de Santa-Cruz de la Palma , Sont sans dangers, et l'on ne se doute- » rait pas de l’immense hauteur à laquelle on s’est élevé si l’on n’en avait été prévenu par la transition » graduelle des différentes régions végétales qu’on a traversées, et par leur disparition successive à mesure » qu’on s’est rapproché des bords supérieurs de la Caldera. Cette arête est accidentée par trois pics, » savoir : e/ Pico del Cedro dont l'altitude est de 6,803 pieds, et, vers le nord, par ceux de /a Cruz et de » los Muchachos , Vun élevé de 7,082 pieds, et l’autre de 7,234 au-dessus du niveau de la mer. L'aspect » de la Galdera n’est pas moins frappant lorsqu'on est placé sur un de ces trois points ; on embrasse alors » d’un seul regard son épouvantable profondeur. Le fond de cet abime est élevé‘ de 2,257 pieds. Les ro- » chers verticaux, qui ferment l’enceinte, forment jusqu’à leur sommet des escarpemens de 4,000 pieds » de hauteur. | » De nombreux ravins partent tous des bords extérieurs de là Caldera comme d’un même centre , » et ne dépassent pas ces points d’origine. À mesure que les crêtes de la montagne s’éloignent du grand » cratère pour s’avancer vers la pointe méridionale de l’île , les barrancos deviennent moins fréquens, » et leur profondeur n’est alors sensible que sur la côte. Ces phénomènes, tous liés par les mêmes rap- » ports, se rattachent à une même cause. Qu'est-ce en effet que la Caldera, sinon le grand foyer , le » cratère de soulèvement par lequel s’est fait jour la force sous-marine qui a élevé l’île à la surface des » eaux ? C’est ce qui explique légalité d’inclinaison des couches et des pentes extérieures. Toute cette » masse dut éclater sur son contour et se fendre en innombrables ravins, puisqu’elle s’étendit aussitôt » sur un espace bien plus considérable que celui qu’elle occupait auparavant au fond de la mer. De pa- » reilles crevasses sont rares loin du cône d’éruption, car les mêmes causes de rupture ne s’y font plus » sentir. Le ravin de las Angustias, cette longue déchire qui s’étend depuis le cratère jusqu’à la mer, » n’est pas particulier à l’île de Palma ; mais dans aucune île du globe ces rapports remarquables ne sont » aussi prononcés et sur une plus grande échelle que dans celle-ci. » (Extrait du Phys. Besc. der. Can. Ins. chap. v.) ( 135 ) DESCRIPTION DE L'ILE DE LA GOMÈRE. ETymoroci. Viera a longuement commenté, dans son ouvrage (1), les différentes opinions des historiens sur l’origine du nom de la Go- mère. Nous résumerons dans une courte analyse ce qu'il a écrit sur ce. sujet. | Toutes les recherches du P. Abreu Galindo pour connaître la déri- vation de ce nom furent infructueuses. Antonio Viana et Nuñez de la Peña, moins exacts et plus hardis, prétendirent que le nom de Gomère provenait de celui de Gomer, petit-fils de Noé. Nous avons déjà vu que ces auteurs s'étaient appuyés sur une origine aussi bizarre au sujet de Canaria. Nebrixa. adoptant l'opinion de Léon l'Africain, qui cite les Gumeres ou Gomerites parmi les habitans de la chaîne de l'Atlas, « Gumeri in montibus Mauritaniæ habitant », suppose que ces peuples prirent pos- session de l’île de Gomère dans une de leurs émigrations, et qu'ils l’ap- pelèrent de leur nom (2). Cette étymologie que Viera désapprouve nous semble plus probable que celle qu'il propose. « Ne pourrait-on » pas admettre, dit-il, que, par esprit de dévotion, Jean de Bethen- » court ou son lieutenant Gadifer de la Sale aient voulu placer cette » île sous la protection de saint Gomer en l'appelant Gomère. » Mais Viera ignorait sans doute que ce nom est antérieur à l'arrivée des (4) Voy. Noticias de la Hist. gen. de las isl. Can., tom. 1, p. 58 et suiv. (2) Voy. Nebrixa, lib. 1v, décad. 1, cap. 3. ( 136 ) Normands, puisqu'on le trouve déjà sur les cartes manuscrites du quatorzième siècle (1). L'auteur des Noficias ne nous paraît guère plus fondé dans ses autres hypothèses (2), etsans nous arrêter davantage sur l'origine d'un nom qui peut-être n’ajouterait rien de bien important à l'histoire géographique du pays, nous passerons à des considérations d'un autre genre. CONFIGURATION ET GISEMENT. Pendant la campagne d'exploration de 1776, le chevalier de Borda détermina les positions suivantes : Le port de San-Sebastian par la latitude de 28°— 5° — 40” et la longitude de 19°— 98’. La pointe du Nord » 2813 » ». » » La pointe du Sud » Dos GE 307 » » » La pointe de l'Ouest » » » 5 ” 19— 44. Les gisemens des quatre points principaux de la côle portaient le centre de l’île par 28°—7 de latitude nord, et 19° —36 de longitude occidentale du méridien de Paris. Dans les cartes de Lopez, le port de San-Sebastian se trouve placé onze minutes plus à l'est, bien que le géographe espagnol se soit con- formé aux données de Borda pour les autres positions. | Nous avons suivi dans notre carte générale les indications ie hydro- graphes français. Quant à la forme et à la structure de l’île, nous nous en sommes rapportés aux renseignemens qui nous ont été communi- qués, les circonstances nous ayant empéchés d'exécuter l'exploration que nous avions projetée. La configuration des côtes de la Gomère nous offrait des différences si extraordinaires dans les cartes du P. Feuillée, de Borda et de Lopez (3), que nous n'osions choisir d'abord, entre ces trois planimétries, celle que nous devions admettre. Il serait difficile , (1) Voy. au Dépôt des cartes et plans, celles dont nous avons déjà fait mention précédemment. (2) L'auteur des Noticias voudrait aussi que le mot Gomère provint de Gomme, à cause du grand nombre d’arbres qui croissent dans l’île, et d’où découle la substance que les Espagnols ont appelée Goma de Almacigo; cette seconde désignation applique à l’espèce connue en botanique sous le nom de Pistacia Atlantica. (3) Voy. les planimétries de cette île, pl. vrr de notre Atlas. (487) en effet, d'imaginer trois figures plus disparates : Feuillée alongeait l’île vers le nord, Borda l’arrondissaït dans tous ses contours, et Lopez, traçant une espèce de quadrilatère, signalait quatre pointes bien dis- tinctes et presque également éloignées les unes des autres. Nous avons adopté toutefois ce dernier tracé; les connaissances pratiques des ma- rins du pays ne nous laissent aucun doute sur l'existence des quatre saillies que Borda à indiquées dans sa relation , mais qu'il n’a pas fait sentir sur sa carte, DescriPTioN. « L’isle de Gomère, à quatorze lieues par deçà (de Palma), » est très-forte isle en manière d'une trèfle, et le païs bien hoult et assez » plain, mais les baricaves y sont merveilleusement grandes , et est le païs » habité de grand peuple..., tout garny de Dragonniers et d’autres bois » assez, et de bestail menu, et de moult autres choses étranges qui seroient » longues à raconter. » C'est ainsi qu'en 1403 les aumôniers de Bethen- court s'exprimaient dans leur vieux langage, et ces vagues notions résument toute la géographie de la Gomère jusqu'en 1764, que George Glas vint donner quelques nouveaux renseignemens. « La baie de » San-Sébastien est sûre, dit-il; on peut y mouiller sur un bon fond » entre 7 et 15 brasses, mais il faut tenir le câble prêt à filer ; car, lors- » que le vent vient de terre, on peut facilement déraper. Au nord de » la baie , il y a une anse où les bâtimens de grand tonnelage peuvent » samarrer le long d’une côte escarpée, et même s'y caréner. La mer » est ordinairement très-tranquille dans cette seconde enceïnte, et, » lorsque la houle empêche les bateaux de débarquer dans la baïe, ils » peuvent toujours le faire sans risque dans l'anse qui communique » avec le port de San-Sébastien par un cheniin de corniche fort étroit » et qu'on tient fermé pendant la nuit. » L'île est riche en productions variées et peut se suffire à elle-même ; » ses forêts sont peuplées des mêmes arbres que celles de Ténériffe ; les » Pistachiers qui donnent la gomme (Pistacia Atlantica) ÿ sont très- » abondans ; maïs il n’y à pas de Pins ». IL. À 18 ( 138 ) On peut déduire de cette dernière observation de l'historien an- glais (1) la hauteur approximative des points culminans de la Go- mère. Les montagnes de l'île ne doivent guère dépasser 4,000 pieds, car cette altitude représente pour Canaria, Ténériffe et Palma, la ligne de démarcation entre l’Erica arborea et le Pinus C anariensis. I est à remarquer qu'il nest pas fait mention non plus des Pins par les auteurs canariens, et qu'on ne trouve sur la carte de Lopez (2) aucune indication qui puisse faire soupçonner leur existence. La description que nous allons donner de la Gomère est extraite en grande partie de l'ouvrage de Viera, auquel on doit, sans contredit, les renseignemens les plus circonstanciés (3). Cette île ést fertile, très-boisée, pourvue de sources limpides et du meilleur port de l'archipel. On trouve aussi le long de son littoral divers petits mouillages fréquentés par les caboteurs, et plusieurs plages de sable qui offrent des débarcadaires moins dangereux que dans les autres îles. Nous citerons principalement l’anse de /a Cueva del Conde, le petit port Wahona au nord , Puerto de Trigo à ouest , et la plage del Æzucar, la plus spacieuse de la bande septentrionale, où les habitans des vallées d’Ægulo et de Montoro vont prendre leurs ébats pendant la belle saison. | L'intérieur du pays est en général très-montueux; tout le sol est fendu par des ravins d'une profondeur extraordinaire, et, bien que sa constitution géologique soit de nature volcanique comme celle des îles voisines, on n'y remarque aucune trace d'éruption moderne. Le territoire est divisé en six districts, savoir : 1° SAN-SEBASTIAN, capitale de la Gomère et chef-lieu du premier (1) Voy. G. Glas, Hist. Can: isl., p. 271. (2) Voy. Mapa de la isla de la Gomera, par don Tomas Lopez; Madrid , 1780. (3) Voy. Noticias de la Hist. gén., tom. x, p. 88 et sui v. ( 1439 ) district. Cette petite ville, dominée par troïs montagnes (), est située sur la côte orientale, près dé la pointe du nord-est, Les hameaux com- pris dans sa juridiction sont : El Barranco, Laja, Ayamorna, Terduñe, Texiade, Pala, Meque- segue et Benchijigua. Ce dernier , où les anciens comtes de Gomère avaient établi leur résidence, se trouve placé au centre d'une des vallées les plus pittoresques de l’île; troïs immenses rochers bornent cette enceinte : l_Agando , l'Aragigual et \ Aragerode. 2 Alaxero, sur la côte du sud-est, à 4 lieues environ de la capitale, est le chef-lieu du second district. Les hameauxet cantons qui en dé- pendent sont : Ærasarode, Palmiarejo, Imada, Areguerode, Valle de la Negra, Magañas et Y’alle de Santiago, que.fertilisent les eaux réunies des vallons de Benchijigua et d'Imadea. Les Palmiers, qui abondent dans ce district, croissent confondus avec les arbres fruitiers de l'Europe. | Tagaragunche et Chimpa sont les deux montagnes les plus élevées des environs d'Alaxero; la culture des céréales s'étend le long de leur pente jusqu à une grande élévation. 3° Chipude, chef lieu du troisième district, est un des bourgs les plus considérables de la bande du sud. Cette juridiction embrasse quatre cantons, dont les hameaux sont cachés dans des gorges anfractueuses : el Valle de gran Rey, el Valle de Herque, Herquito et Taguluche, re- marquable par sa belle cascade (2) et ses vergers. La végétation la plus vigoureuse se déploie dans ce district qu'arrose le grand torrent d’Ariñule ; de toute part s'élèvent des rochers escarpés qu'on désigne par des noms particuliers dérivés de la langueguanche (3). (1) El roque de San-Sebastian, au nord ; El Machal , au sud ; El Lomo grande, au nord-est. (2) La cascade d’e/ Obispo. (3) Chegueleches, Ajugar, Guariñes, Teguerguenche, Cherérepi, Garojona, Arguayada et Alcon de - Ariñule. \ ( 140 ) D'épaisses forêts couvrent toutes les hauteurs de Chipude, où se sont propagés les cerfs que Sancho Herrera-le-Vieux transporta d'Afrique. 4° À l'occident de la capitale, on rencontre Æermigua ou Valle de Hermigua. Ce chef-lieu du quatrième district est situé dans une vallée délicieuse entourée de hautes montagnes, d'où s'échappent plusieurs torrens considérables; le seul ruisseau de Monfonte fait tourner huit moulins. La canne à sucre était cultivée autrefois dans ce terroir; maintenant le pays est couvert de riches vignobles, de champs de Maïs , de Palmiers, de Bananiers, de Pommiers et d'un grand nombre de Müûriers noirs, dont les feuilles servent pour la nourriture des vers à soie. | | Les hameaux et cantons compris dans le cercle Hermigua sont : Lo de Juana, dont la singulière dénomination rappelle un des fiefs de Doña Juana de Bobadilla, comtesse de Gomère (1) ; ET Palmar, très-fertile en blé ; | Montoro, abondant en pâturages ; | Et los Ælamos, renommé pour ses peupliers. La montagne d_Ansosa, couverte de forêts vierges, est la plus élevée du district : la fontaine d'ez Pajarito, que les cerfs préféraient à tout autre, coule sous ces beaux ombrages. La population d'Hermigua et des quatre cantons qui en dépendent: est de 1,690 habitans. 1 5° Le bourg d’Ægulo, compris dans la juridiction d'Hermigua jus- qu'en 1739, est le chef-lieu du cinquième district; trois hameaux, Lepe, el Cabo et Piedra-Gorda, se sont formés dans son voisinage. Tout ce pays est boisé et montueux; le Cherepin ou Cherepe et las Rocas de Sobre- Agulo sont les hauteurs qui le dominent. 6° J’alle-Hermoso, éloigné de cinq lieues environ de la capitale, com- mande au sixième district. Cette petite ville, la plus importante de l’île (1) Ab. Galind., Mss. lo de Juana, la propriété de Jeane. ( 141 ) après San-Sebastian, contient 1,700 ames. Elle est divisée en deux faubourgs par le ravin de Woncayo; les hameaux de sa juridiction sont : ÆAlaxera, dont le territoire est coupé par de grands Barrancos, la plupart avec cours d’eau. à Taso y Cubabia, pays presque inculte, bien que susceptible de produit. Arguamul, fertile en vin et en arbres fruitiers. Chegere, pays de bergers. OnservarTions. L'auteur des Notices sur l’histoire générale des îles Canaries donne à la Gomère huit lieues de long sur six de large, vingt- deux de circonférence et quarante-huit de surface. Ce dernier chiffre nous semble inexact si l'on comprend dans cette superficie toutes les pentes résultantes du grand nombre de montagnes isolées. Les sources abondantes qui arrosent le pays ont contribué à sa fer- tilité. Les habitans ont profité de ce bienfait pour varier les cultures suivant la nature des lieux, et les étendre dans tous les endroits suscep- tibles d'irrigation. Aussi, les produits de la Gomère sont-ils très-con- sidérables comparativement à l'étendue de l'île. En voici un aperçu pour l'année 1813, d'après les relevés du docteur don Juan Bandini (1) : Céréales (blé, orge, avoine et seigle). . . . 17,134 sacs du poids de 108 liv. chaque (2). Maïs'ou'blé de Turquie … . . . . . . : :.. 3,641 sacs. Légumes (haricots, fèves, lentilles, poids). 434 id. BORMES HERÉEREE re en = = + ne he sue 6,660 id. de 54 liv. chaque. Solesbnuter ee - pe Eee 1,248 livres. AA NL ess LR LES 2,820 Noixetchataignes. 2 ENRENENr 170 milliers. Orseilén ssh us DER TEE ete 12,590 livres. VAT a OR MR CEE TEE PE #4 2,301 pipes de 600 litres chaque. Line Pr ERP Er et ET n 2,000 livres. Fromase na cn Ces 3,000 id. Mielidébetlless men Ne 7.0 3,030 pintes. CREUSE LE AR ee El 2,500 livres. (1) Lecc. elem. de Agricul., p. 52 et suiv. (2) Cette mesure correspond à la fanega d’Espagne, qui se compose de douze almudes ; l’almud pèse environ neuf livres de notre ancien poids de marc. \ ( 142 ) L'île nourrit en outre 30,490 têtes de menu bétail, 431 bœufs, vaches et veaux, 1,200 cochons, et plus de 600 bêtes de charge. Le résumé statistique de don Francisco Escolar offre une augmen- tation notable pour la plupart des produits dont nous venons d'énon- cer les quantités. Aïnsi, de 1820 à 1824, nous trouvons pour une année COMMUNE : 2,650 pipes de vin au lieu de. . . . . . . . 2,301 19,520 sacs de céréales au lieu de. . . . . . 17,134 4,680 sacs de maïs au lieu de. . . . . . . . 3,641 3,820 sacs de légumes au lieu de. . . . .. 434 22,000 sacs de pommes-de-terre au lieu de 6,620 L'accroissement de la population ne présente pas moins d'intérêt. D'après les divers dénombremens conservés aux archives de l'ancien évêché des Canaries, l’île de Gomère contenait : BRMOZ BON PE ME 4,373 habitans. ÉoplOSSeuR et, at 4,661 id BAS REA Le 6,251 id En YGS:T- EL RNA 6,645 id En 774 CROSS 7,536 id ERA TS OD PERTE 7,915 id En ADAM ONE. FFT 9,437 - id Si l'émigration ne venait contrebalancer la marche ascendante d'une population resserrée dans d'étroites limites, il est probable que ce rapide accroissement finirait par compromettre l'avenir du pays. Chaque année un grand nombre de jeunes gens quittent leurs foyers et s'embarquent pour la Havane ou pour d'autres points de l'Amé- rique, dans l'espoir de s'y enrichir. Ces expatriations volontaires sont communes à toutes les îles. On calcule que sur cent émigrans, cinq seulement retournent aux Canaries après avoir réalisé leurs rêves de fortune. ( 143 ) DIGRESSION GÉOGRAPHIQUE. DU PORT DE LA GOMÈRE ET DE SON IMPORTANCE. L'ile de la Gomère était déjà connue des navigateurs européens avant la fin du quatorzième siècle, En 1386, des dissensions s'élevèrent entre le roi de Portugal, uni au duc de Lancastre, et don Juan de Castille; Fernando d'Ormel, comte d'Ureña, qui avait embrassé le parti du duc, croisaït avec une escadrille sur les côtes d'Espagne, lors- qu'il fut assailli par une tempête et jeté dans la pleine mer. Après avoir été poussé plusieurs jours par la tourmente, il se réfugia dans un port de la Gomère, qu'on suppose être celui de San-Sebastian , et re- tourna ensuite en Europe (1). Quelques années après cet événement, des aventuriers s'élançaient de divers points de la Péninsule hibérique pour s'emparer de ces groupes d'îles qu'on venait de retrouver sur les limites de l'Océan connu. Déjà , au commencement de ce quinzième siècle que l’art nau- tique devait vivifer, les Portugais étaient maîtres de Madère et de Porto-Santo; en 1448, Gonzalo Vallo s'aventurait à 200 lieues des côtes de la Eusitanie et arrivait aux Acores. Un horizon sans bornes cessa alors d'épouvanter les navigateurs ; les terres isolées à l'occident de l’ancien monde semblaient les convier à des découvertes plus im- portantes. Un homme à jamais célèbre osa porter le premier ses re- gards plus loïn et s'avancer avec audace à la recherche d'un monde nouveau. Il était dû à notre siècle, impatient de tout savoir, de connaître dans leurs moindres détails les différens voyages de Christophe Colomb. Le (1) Viera ex ab. Galin. Mss., lib. 1, cap. 15. ( 144 ) savant Navarrete a su rassembler les documens épars dans d'illustres archives et donner à l'Espagne un ouvrage écrit avec autant de con- science que de talent, dans lequel l'authenticité des faits est accom- pagnée de preuves irrécusables (1). Nous savons aujourd'hui tout ce qui peut intéresser sur la découverte de l'Amérique; les lettres de l'A- miral nous ont tout appris: il s'est peint lui-même dans sa relation, il nous à dévoilé son profond génie, son érudition peu commune pour le temps où 1l vivait; il s'est montré, en un mot, tel qu'il fut, toujours dominé par la grande pensée qu'il se crut appelé à mettre en œuvre, et qu'il accomplit avec tant de résolution. Dans l'admiration que doit nous causer la lecture de ces précieux documens, nous ne voudrions rien ignorer d'une vie si laborieuse, et pourtant nous ne savons pres- que rien de ce qui a rapport aux quarante premières années de l’exis- tence de Colomb. Ce grand homme apparaît tout-à-coup vers la fin du quinzième siècle comme un de ces brillans météores qu'on voit surgir un instant à l'horizon pour se perdre bientôt dans les vagues clartés qu'ils laissent sur leur passage. S'il faut en croire Ramusio et Bartolomé de Las Casas (2), Chris- tophe Colomb vint en Portugal en 1470; il avait alors quarante ans: il se maria à Lisbonne avec dofa Felipa Muñiz, dont le père Muñiz de Perestrello avait dirigé plusieurs expéditions maritimes sous les aus- pices de l'infant don Juan de Portugal (3). Doña Felipa raconta à son nouvel époux les voyages de Perestrello, et lui céda ses journaux de na- vigation. Il paraît que Colomb, enthousiasrné par ces récits et les docu- mens qui les confirmaient, voulut suivre la même carrière et explorer dans un but lucratif les pays que Perestrello avait visités. Selon quelques (1) Voy. Collection des voyag. et des découv. des Espag., par don M. F. Navarrete, traduct. de MM. de Verneuil-et de la Roquette. (2) Ramusio, Collect. de Voyag. maril., tom. 1v. B. de Las Casas, Hist. gén. des Indes, Miv. 1, chap. 22, et liv. 11, chap. 37. (3) Barros, De l'Asie, décad. 1, liv. 1, chap. 2. ( 145 ) auteurs (1), il habita successivement avec sa femme les îles de Porto- Santo et de Madère, fréquenta l'archipel des Canaries et (probable- ment) les contrées adjacentes déjà connues des Portugais plusieurs années auparavant (2). Il ne vint en Espagne qu'en 1484, c'est-à-dire quatorze ans après son arrivée à Lisbonne. Ainsi, les divers voyages qu'exécuta ce navigateur célèbre, pendant cet intervalle de quatorze années, ne sont guère mieux connus que ceux qui précédèrent son éta- blissement en Portugal; et pourtant son fils Diego affirme, dans son ouvrage, qu'il avait commencé à naviguer à l’âge de quatorze ans. Le manque absolu de renseignemens sur ces deux époques de la vie de Colomb laisse un si grand vide dans l’histoire de la géographie nautique du quinzième siècle, que les moindres indices sont dignes d'intérêt. Viera, qui a rapporté de bonne foi la fable du pilote San- chez (3), mais dont l'érudition et l'esprit consciencieux ne sauraient être contestés, assure, d'après le P. Abreu Galindo, que Christophe Colomb résida à la Gomère après son mariage. Dans un autre endroit de son ouvrage, l'auteur des Noticias, parlant de la relâche de l'amiral aux îles Canaries, lors de son premier voyage en Amérique, dit expressément qu'il vint mouiller dans l’île de Gomère, son ancienne residence , le 4 septembre 1492 (4). Il est de fait que dans ses voyages en (1) Voy. ceux cités par don M. F. Navarrete dans sa Relation des quatre voyages de Colomb. (2) Des capitaines portugais avaient reconnu le cap Bojador en 1433, et le cap Blanc en 1440. Trois ans après, Nuño Tristan doublait le cap Vert, et, deux ans plus tard , Gonzalo Vallo découvrait les îles Acores. (3) Les savantes recherches de don M. F. Navarrete ont prouvé que l’histoire de la prétendue navi- gation et révélation de don Alonzo Sanchez, pilote andaloux , naviguant d’Espagne aux îles Canaries en 1484, et jeté par la tempête jusque sur les attérages de Saint-Domingue, et qui de retour à l'ile Tercère communiqua à Colomb son itinéraire, est une fable de l’Inca Gracilaso. Alderete , Solarzano , Pivarro, Gomara, Acosta et autres, ont tous copié le passage de l’Inca. (Voy. Commentaires royaux, 1. 1, ch. 3.) Fernando de Oviédo, dans son Histoire générale des Indes, Liv. 11, chap. 2, regarde le récit de Gracilaso comme dénué de preuves, et l’assimile à un conte populaire. (Voy. Navarrete, Relation des quatre voya- ges de Colomb, tom. 1, p. 118). Viera, en rapportant la prétendue communication faite par le pilote Sanchez à Christophe Colomb, dit que ce dernier habitait alors l’ile de la Gomère, et s'appuie de Pauto- rité de Pizarro. (Æistor. de Ind., cap. 3.) (4) « Y el dia quatro (de septiembre) entro en la bahia de la Gomera, sx antiguo domicilio. » (Voy. Noticias de la Hist. gen. de las isl. Can., tom. u, p. 167 et 169.) II. À 19 ( 146 ) Amérique, l'amiral préféra cette île à toutes les autres pour y faire ses relâches, | | Le 3 août 1492, il part du cap de Palos, se trouve en vue des Cana- ries le 9, et mouille trois jours après dans le port de la Luz (gran Canaria) pour y radouber le gouvernail de la Pinta qui avait été dé- monté malicieusement pendant la route (1). L'amiral laisse son lieute- nant Pinzon chargé de ce soin, s'empresse de faire voile pour la Gomère le 12, et y séjourne jusqu'au 23. Il retourne ensuite à la grande Canarie pour rallier /a Pinta, et revient à la Gomère le 1" septembre. Après s'être ravitaillé dans cette île et avoir embarqué quelques ma- telots du pays pour compléter son équipage (2), il repart le 7 du même mois, et découvre l'Amérique le 11 octobre. Dans son second voyagé, Colomb vient mouiller de nouveau dans le port de la Gomère, le 5 octobre 1493, avec un convoi de dix-sept caravelles, embarque encore quelques hommes, s’y pourvoit de toutes sortes de provisions et de divers animaux domestiques qu'il voulait propager dans les pays nouvellement découverts (3); fait important pour les zoaologues qui s'occupent de l'origine des races ; car il prouve jusqu'à quel point les vrais caractères de certains quadrupèdes des grandes Antilles, d'espèces communes à l'Europe, ont été méconnus. Le 19 juin 1498, il relâche une troisième fois à la Gomère. Enfin, en 1503, lors de son dernier voyage, les îles Canaries le re- voient encore. Aïnsi, cet archipel était devenu pour Christophe Colomb une (1) « Salto y desencajose el gobernario à la Carabela Pinta, donde iba Martin Alonzo Pinzon, à lo que » se creyo ysespecho por industria de un Gomez Rascon y Cristobal Quintero, porque le pesaba ir a quel » viage, y dice el almirante que antes que partiese habian hallado en ciertos reveses y grisquetas, como » dicen à las dichas. » (Relation dé Colomb. Voy. Navarrete, Primer viage de Colon, t. 1, p. 4.) (2) Viera, Noticias, tom. u, p. 169. Humboldt, Examen critique de l’Hist. de la géog. du nouv. continent, p. 280. (3) Herrera, ist. gen. de Ind., Lib. n, cap. 9. L’amiral, dit cet historien, embarqua sur ses vaisseaux des vaches, des brebis, des chèvres, des co- chons et des poules, et y fit transporter aussi beaucoup de semences et de plantes. ( 147 ) échelle des plusimportantes: sa position géographique, la connaissance pratique qu'il avait acquise de ses meilleurs ports, les ressources que lui offrait surtout celui de la Gomère ses relations et ses alliances avec les is/eños (1), tous ces avantages réunis durent contribuer au succès de ses entreprises. La baie de San-Sebastian de la Gromère méritait en effet la préfé- rence que lui accorda l'amiral : elle est située sur la côte orientale de l'île; d'une part, le prolongement de la pointe de San-Cristobal, et le _morne sur lequel on à bâti la forteresse de Buen-Paso la protègent contre les rafales du nord et du nord-est; de l’autre, la pointe de os Canarios la met à l'abri des vents du sud-ouest. La tour du comte (la torre del conde), monument des anciens Perazas, s'élève à l’occi- dent de la ville, derrière une plage de sable. Cette tour, remarqua- ble par sa solidité, fat construite, vers la fin du quinzième siècle, par Fernand Peraza, et restaurée sous le comte don Guillen du même nom , après quelle eut éte démantelée et en partie détruite dans diffé- rentes invasions. En 1578, Philippe IT la ft monter d'une forte artil- lerie, et en 1580 on y déposa tous les trésors que Jean de Recalde avait apportés d'Amérique sur ses galions. Les bâtimens peuvent mouiller très-près de terre sur un bon fond; à l'entrée de la baïe, la sonde indique vingt brasses, et dix-huit vers un rocher isolé qui avoisine la morne de la forteresse; en se rapprochant du rivage, on trouve succes- sivement 12, 8 et À brasses de profondeur. Le chevalier de Borda a donné un petit plan de cette baie dans sa carte particulière des îles Canaries (1780); celui que nous avons repré- senté dans la pl. x de notre Atlas a été levé par don Sebastian de Celis, qui a bien voulu nous communiquer son dessin original (2). (1) Il existe aux îles Canaries une famille qui se dit descendante de l'amiral ; c’est celle des Columbo de la Laguna. (2) Voy. aussi la pl. 25 de la Part. hist. ( 148 ) Ce fut dans ce havre hospitalier que se réfugia, en 1502, l'escadrille de don Nicolas Ovando, commandeur de Larex, lorsqu'elle fut assaillie par une tempête dans sa traversée en Amérique. Don Nicolas Ovando se rendait à l'île espagnole pour ramener en Europe le gouverneur François de Bobadilla, qui s'était montré si inhumain envers Christo- phe Colomb. Ovando perdit un de ses vaisseaux pendant la tempête qui l’assaïllit , et le remplaca par un autre qu'il acheta dans le port de la Gomère. L'équipage de ce navire était composé en grande partie de gens du pays (1). | Le conquérant du Mexique, Hernan Cortez, y vint mouiller aussi avec ses vaisseaux en 1504. | Davila, dans son expédition au Darien, y ravitailla sa flottille en 1514 Cette baie reçut encore, en 1526, Francisco de Montejo, qui allait envahir le Yucatan (2), puis successivement, en 1580 et 1582, don Juan de Recalde, de retour d'Amérique avec ses galions, et le général des galères don Alvaro de Bazan, avec la flotte espagnole qu'il com- mandait (3). Le port de San-Sebastian fut long-temps le point de mire de toutes les attaques dirigées sur les îles Canaries, En 1570, Jacques de Soria, l'émule de l'amiral Coligni, y débarqua de vive force. L'année suivante, Jean Capdeville, aventurier béarnais, s'empara, par un coup de main hardi, de San-Sebastian qu'il saccagea, et remit sous voile avec un riche butin. (1) Voy. Viera, Moticias, tom. 11, p. 281. (2) Dans les expéditions antérieures, aussi bien que dans celle de Montejo, les conquérans de l’'Amé- rique s'étaient souvent pourvus de soldats volontaires, à leur passage aux Canaries, et, dans les guerres qu’on eut à soutenir avec les Indiens, les insulaires de cet archipel se firent toujours distinguer par leur bravoure. Les Lugo et les Benitez prirent une part très-active dans les conquêtes du Venezuela et de Rio de la Plata. (3) Viera, Noticias, tom. ur, p. 32. ( 149 ) En 1585, François Drake y fit plusieurs tentatives. La Gomère fut encore envahie, en 1590, par l’escadre hollandaise de Pierre Vanderdoes. Enfin, en 1617, les Maroquins s'en emparèrent à leur tour, déman- -telèrent la forteresse, brûlèrent une partie de la ville et notamment le manoir seigneurial des Perazas. Aujourd'hui les ports de Santa-Cruz, de Ténériffe et de l'Orotava, ceux de Canaria et de Lancerotte qui réunissent tout le commerce de ces îles, sont les seuls fréquentés par les bâtimens européens; la baie de la Gomère n’a plus qu'une importance secondaire, et n’est visitée que par les caboteurs. Dans ces dernières années, quelques Génois s’y sont établis pour s’y livrer à la pêche du thon. j À is | sans vrai ( 151 ) DESCRIPTION DE L'ILE DE FER. ErymoLoGis. Les Espagnols donnèrent le nom de Hierro à l'île de Fer, la terrella plus occidentale du monde connu des anciens. Cette dénomination , que les Français traduisirent par une expression équi- valente , esi dérivée de hero, qui signifiait fontaine dans la langue des Bimbaches (1), peuplade aborigène depuis long-temps anéantie, Viana, auquel l’histoire est redevable de ce renseignement (2), dit que les primitifs habitans de l’île de Fer appelaient heres les puits ou citernes : dont ils se servaient pour conserver les eaux pluviales. Cette expres- sion est encore en usage aujourd'hui dans le pays pour désigner ces réservoirs. Quelques auteurs ont supposé que la dénomination de Æierro, Fer, avait été appliquée à l'île à cause de l'abondance de ce métal; mais cette opinion est toute gratuite, et voici probablement ce qui y a donné lieu. Les roches de cette île ont, en général, un aspect ferru- gineux, et les autres produits volcaniques qui couvrent le sol ressem- blent assez à des scories de forges : à une époque où le merveilleux était en grande vogue, on aura pris pour réalité ce qui n'était qu'apparence. Cependant, dès le commencement du quinzième siècle , on savait déjà (1) La dénomination castillane de Bimbaches, que nous reproduisons en français, est probablement un composé de Beny Bacher. (2) Antonio Viana, Antiguedades de las Isl. Afortunad., cant. 1, p. 13. \ ( 152) à quoi s'en tenir à cet égard. Les gens de Bethencourt, qui traïitèrent si barbarement les malheureux Bimbaches, ne manquèrent pas d'ob- server que ces insulaires portoient grandes lances non ferrées (1). C'est ce qui a fait dire à Vierra que les Zerreños ne connurent d'autre fer que celui de leurs chaînes (2). | Nous éviterons de parler des autres dérivations de ce nom et de l'opinion qui lui attribue une origine grecque (3) ; celle de Viana nous a paru concluante : il serait donc superflu d'avoir recours à des hypo- thèses dans une question qu'on peut résoudre avec des traditions his- toriques dont on ne sauraït douter. CONFIGURATION ET GISEMENT. L'île de Fer est la plus fertile de l'ar- chipel Canarien. Si on la mesure depuis le fond de l'enceinte du Golfo jusqu'à la pointe Æjone, ou bien jusqu'au port del Hierro, sa largeur n'excède pas trois lieues; sa longueur, prise dans la plus grande exten- sion d'une côte à l’autre, n'en dépasse guère cinq; on en compte 14 où 15 en suivant le littoral dans tous ses contours. La forme de l’île imiterait assez bien celle d'un croissant, si la pointe Rastinga ne s'avan- çait pas autant dans la direction du sud-ouest. Quant au gisement, nous avons vu qu'en {724 le P. Feuillée avait assigné au bourg principal (7/alverde) 27°—47—30"” de latitude nord, et 19 —54—45" de longitude occidentale. Les observations de l'abbé de la Caïlle ont fait apprécier cette donnée (4). Après le P. Feuillée, les seules observations directes qui aient été faites pour déterminer la position de l'île de Fer sont celles de don Domingo Mesa. Elles placent le bourg de Valverde par 27°—45 de lati- (1) « Car, ajoutent les historiens de la conquête, 45 n’ont point de fer ne d'autre métail. » (Boutier et Le Verrier, Hist. de la première descouv. et conqueste des Can., pag. 122.) (2) Noticias de la Hist. gén., t. 1, p. 68. (3) Ibid. (4) Voy. précédemment, pag. 28 et 29. ( 153 ) tude , et 20°—-57 —45” de longitude occidentale, comptée du méridien de Paris. | Cette observation diffère de l'estime de Borda de plus de 20 minutes en longitude. Dans la petite carte qu'il annexa à celle de Lancerotte, Thomas Lopez adopta la donnée de Feuillée ; mais les renseignemens lui man- quèrent pour déterminer la forme de l’île d'une manière précise. Le plan que nous avons fait graver sur la planche de notre Atlas a été levé par don Sébastien de Celis. C'est jusqu'à ce jour le seul qui donne une idée exacte de la configuration et de la topographie d’une île qu'on trouve citée dans tant d'ouvrages à cause de sa position par rapport aux autres longitudes terrestres. Descrimon. Les circonstances qui nous empéchèrent de visiter en détail l'île de la Gomère, durant nos caravanes dans l'archipel des Canaries, nous privèrent aussi d'explorer l'île de Fer. Une fatalité semblait nous éloigner de ce point toutes les fois que nous tentions de nous en rapprocher. Déjà, en 1822, nous avions pris passage sur la goëlette qui facilite les communications entre Ténériffe et Hierro, lors- qu'un coup de vent de sud-est nous força de rentrer dans le petit port d’Abona avec de graves avaries. En 1830, nous espérions réaliser nos vœux en partant de Santa-Cruz de Palma, où nous nous trouvions alors, pour nous rendre d’abord à la Gomère et passer ensuite à l'île de Fer; mais il nous fallut encore une fois renoncer à ce projet. Un bâtiment, récemment arrivé de ces parages, avait apporté des nouvelles alarmantes : les deux îles que nous désirions explorer étaient infectées par une épidémie, et nous ne trouvâmes aucun caboteur qui voulût nous y conduire. Désespérés de ces fâcheux incidens, nous tâchâmes du moins d'y remédier par tous les moyens dont nous pouvions dispo- ser, ne cessant de prendre des renseignemens locaux, et comparant entre elles les diverses descriptions qu'on nous communiqua. Nous sommes redevables de notes importantes à don Sébastien de 20 Il. (154) Celis, qui a résidé long-temps à Valverde en qualité d'administrateur du fisc. Don Lorenzo Urtus nous permit aussi d'extraire des manus- crits de sa bibliothèque tout ce qui nous parut digne d'attention. Parmi les précieux documens que don Lorenzo nous confia , nous de- vons faire mention principalement d’une relation de son père, qui par- courut l'île de Fer en 1779. Les observations que renferme cet écrit dénotent beaucoup de jugement et d'instruction de la part de son auteur. Les distances relatives des lieux, la configuration du sol, l'état de l'agriculture, l'appréciation des produits et de la population, rien n'y est oublié; cest une statistique presque complète du pays, et que relèvent encore des peintures de mœurs pleines d'intérêt. Nous devons citer également, parmi les sources où nous avons puisé, l'ouvrage de Viera, qui nous a fourni aussi de bonnes notions pour compléter la description que nous donnons ici. | L'île de Fer est entourée d'une ceinture de lave qui la rend presque inabordable; elle s'élève rapidement depuis les falaises qui bordent le littoral jusqu'à une hauteur de plus de 3,300 pieds. Cependant, sur certains points, quelques petits plateaux, disposés en assises, rompent l'uniformité de la pente, et offrent un sol plus accessible. Tel est celui d'Inama, qu'on rencontre après avoir gra vi les escarpemens du Go/fo, vaste baïe située sur la bande septentrionale. Lorsqu'on aborde l’île de ce côté, on voit se développer , sur un espace d'environ quatre lieues, une enceinte de rochers d'un aspect imposant; une forêt de Lauriers, de Mocans et de grandes Bruyères, en garnit toutes les anfractuosités, C'est en s'engageant dans les sentiers pratiqués sur les rebords de la montagne qu'on parvient sur le plateau d'Inama ; bientôt après on traverse les Llanos de Nisdafe, les mieux cultivés de l’île, et deux heures de marche suffisent ensuite pour arriver au grand bourg de 7’akerde, résidence du gouverneur. De là, on descend vers le port d’eZ Hierro, sur la côte du sud-est. Ainsi, en moins d'une journée, on a parcouru le pays dans sa plus grande largeur. (655) Deux autres chemins partent de la capitale, et se dirigent en diver- geant vers les caps de Sa/more et de la Dehesa, qui limitent l'enceinte du Golf, l'un au nord, et l’autre au nord-ouest. Ces deux routes lon- gent les crêtes des montagnes, et permettent d'apercevoir, sur les deux bandes de l'île, les côtes opposées. Des cratères éteints, dont les flancs se sont recouverts d'une végétation vigoureuse, des nappes de laves et de scories, des cônes d’ cruption d'époque plus récente, accidentent à chaque pas cette haute région. Le promontoire de Salmore, qui s'a- vance vers le nord, domine tout le golfe et constitue la partie la plus élevée du Time, cette chaîne de rochers dont les terribles escarpemens forment les premiers gradins des montagnes supérieures. La chapelle de Notre Dame de /a Peña, qui avoisine le hameau de Guarazoca, à été bâtie sur le sommet du promontoire. Vers la pointe de la Dehesa, la pente n'est pas moins abrupte; et une autre chapelle, celle de Los Reyes. apparaît sur le point culminant du plateau. La structure orographique de l’île n'a pas permis aux habitans de s'établir sur le littoral; beaucoup de villages sont groupés sur les co- teaux maritimes les plus rapprochés du rivage; San-Andrés, Tiñor, Teguacinte, Tenecedra et Mocanal, occupent la seconde ligne sur les plateaux agricoles de l'intérieur. Telle est, dans son ensemble, l’île de Fer, dont les historiens de Bethencourt donnèrent à leur manière (en 1402) une description remarquable par son exactitude et la simplicité du style. «Si parlerons premièrement, disaient-ils, de l’isle de Fer, qui est une des plus loin- » taines. C’est une moult belle isle qui contient sept lieues de long et cinq de large : elle est » en manière d’un croissant et très-forte, car il n’y a ne bon port ne bon entrage, Elle à » esté visitée par le sieur de Bethencourt et par d’autres. Gadifer y fut bien longuement. » Elle souloit estre bien peuplée de gens, mais ils ont esté pris par plusieurs fois et menez » en chetifuoison et estranges contrées ; aujourd’hui y sont demeurez peu. Le païs est haut » et assez plain, garny de grands bocages de Pins et de Lauriers portans meures si grosses h \ ( 156 ) » et si longues que merveilles (1) et sont les terres bonnes pour labourer bleds, vin et » toutes autres choses. On y trouve mains autres arbres portans fruicts de diverses condi- » tions, et y sont faucons, esperviers, allouettes, cailles et une manière d’oiseaux de courte » vollée qui ont plume de faisans et la taille d’un papegaux (2). Les eaux y sont bonnes, et »Y a grand planté de bestes : c'est à savoir pourceaux, chiévres, brebis et des lesardes » grandes comme un chat, mais elles ne font nul mal, et sont bien hideuses à regarder. » Les habitans d’icelle sont moult belles gens, hommes et femmes. Il y croist bleds de toute » manière assez (3). » De hautes montagnes, où l'on retrouve des forêts vierges, attirent sur l'île une masse de vapeurs qui humectent et fertilisent le sol, bien que, dans plusieurs endroits, la compacité des laves et la nature des autres produits volcaniques retardent encore le développement de la végétation. Toutefois, aucun ruisseau n'arrose le pays depuis la perte de l’Arbol-Santo (4). Les seules sources existantes sont celles situées sur les hauteurs de /os Llanillos et de Sabinosa. Celle de los Lla- nillos fournit une eau potable, toujours limpide et très-froide ; l'eau de la seconde est presque chaude, son odeur est sulfureuse et sa saveur piquante; c'est la fontaine médicinale des Herreños ; ils en font usage contre les obstructions. Les vertus de cette source n’échappè- rent pas aux observations des chapelains de Bethencourt. » Quand on a tant mangé que on ne peut plus, écrivaient-ils, qu’on boit d’icelle eau, » ainchois qu'il soit une heure, la viande est toute digérée, tant qu’on a aussi grande vo- » lonté de manger qu’on avoit auparavant (5). » Pendant l'hiver, les habitans ont grand soin de recueillir les eaux pluviales dans les Aeres ou citernes. Au centre du vallon de Tefirafe , à un quart de lieue environ du bourg de Valverde, on en a creusé une (1) Bontier et Le Verrier ont voulu désigner ainsi les fruits du Laurus Indica. (2) L'oiseau dont il est ici question est probablement le Pterocles arenarius (3) Hist. de la prem. descouv. et conquest. des Can., pag. 121 et 122 (4) Voy. Géog. bot., pag. 113. (5) Conquest. des Can., pag. 123. ( 157 ) quarantaine dans l'épaisseur du tuf. Il en est dans ce nombre de très- spacieuses, qu'on attribue aux anciens Bimbaches; elles sont recou- vertes d'une voûte soutenue par des piliers. On en voit aussi de sem- blables dans d'autres vallées de l’île, et chaque commune entretient des gardiens auprès de ces précieux réservoirs. Dans les contrats de mariage et les legs testamentaires, le don d'une citerne est plus estimé que celui d'un champ. Dans les lieux éloignés des zeres, les pâtres de l'ile de Fer, à l'exem- ple des Bimbaches, se procurent aussi de l'eau potable en creusant des trous sur les troncs des Mocans, au départ des premières bran- ches. Les vapeurs que la rosée et les brouillards déposent sur les feuilles ne tardent pas, en s'écoulant le long des rameaux, de remplir ces pelits réservoirs, connus dans le pays sous l'ancien nom de guazimos. Les ingénieux Herreños ont admirablement secondé la nature pour accroître leurs ressources, et sont parvenus, à force de labeurs et de persévérance, à se passer des autres îles. Leurs récoltes excèdent la consommation, et les denrées qu'ils exportent à Sainte-Croix de Téné- riffe, où dans les autres ports de l'archipel, leur produisent chaque année un revenu de 125 mille francs. Cette somme est assez forte, si l'on a égard à la petite étendue d'un territoire dont la circonférence est d'environ 14 lieues, et au chiffre d'une population que le dernier dénombrement de 1835 portait à 4,440 habitans, ou 634 par lieue carrée. En France, le rapport est de 1,240 à 1. La fertilité du sol, dans l’île de Fer, favorise puissamment l'indus- trie agricole, Une fanegada de terre (1), plantée de vignes, rapporte annuellement neuf ou dix pipes de vin de six cents litres chaque, tandis qu'à Ténériffe ce produit ne dépasse guère cinq pipes. (1) La fanegada de terre, de l’île de Fer, est de 1,200 brasses carrées ; la brasse est d’environ 6 pieds. A Ténériffe, la fanegada est de 1,600 brasses. \ ( 158 ) Le tableau suivant donnera une idée des récoltes générales : VALEURS. Nate ete fe. PRODUITS. QUANTITES. VINEAISE LE 2,110 pipes de 600 litres chaque ORGES EN 9,300 jancgas | (1) Brain Le +: SOMBRE Es MT RER DÉIGDEs CE 300 14. ' | Mais Ste ISOUOTTS APTE RE DÉGUUES EN DNAOM ET ER EEE PU ER Pommes-nEe-TErrE. SODO ose O) LE LA (DRSEICTE ee TOTALE EN EE Freuxs sECHEs. . . HA000a. ed RESTE QU AINE Re en ere RO) Ca oo se de gi dv cha FRoMAGES . . . . . (GOT ONE A PT DE ide gta | 541 douzaines de chenevottes (manojos) NTEnENrs 22. 912 quartillo = 456 litres CIRE EEE 550 Less a DE JC LA: à à es, AÂGNEAUX. . « . » . SPA PPT AU PO ME PET CHEVREAUX . . . . SOUPE PNR CE SENPETRUENTE MAS CR 0 er SE CocHONS. + : : . . LOOSHE FFC EURL ES FRET SR RP Er: VALEUR TOTALE DES PRODUITS. . . . 168,300 fr. 37,411 » 7,000 » 14,980° » 7,500 » 18,000 » 20,000 » 30,000 » 13,000 » 2,000 » 500 » 800 » 9,000 » 3,400 » 700 » 2,400 » 334,991 fr. Dans les années d’abondance, ces produits augmentent considéra- blement : ainsi les récoltes des céréales (blés, orge et avoine) s'élevèrent à 17,430 fanegas. Les trois années suivantes ne furent pas moins fer- tiles, mais le chiffre de ces produits diminua de plus d'un tiers en 1778, et de près de la moïtié en 1779. On a évalué le total des troupeaux de moutons et de brebis à 12,000 têtes. Ces animaux ne se désaltèrent qu'avec la rosée; leur principale nourriture, dans ce pays sans herbages, consiste en feuilles d'Aspho- dèle (3), de Figuier et de Mürier noir. Les Figuiers de l'île de Fer sont vigoureux et peu élevés; leurs rameaux s'étendent au loin sur le sol, et couvrent de grands espaces. Un seul de ces arbres rapporte jusqu’à 400 livres de figues. (1) La fanega pèse environ 42 kilog. (2) Le costal pèse la moitié moins que la fanega. (3) Asphodellus ramosus. Les brebis broutent aussi la racine de cette plante. (4159) Les chèvres, bien moins délicates que les brebis, s'’accommodent de toutes les plantes sauvages sans distinction ; les Euphorbes même, dont le suc est si caustique, ne leur répugnent pas. Quant aux vaches, leur pâture est la même que celle des brebis. D'après les annotations de don Lorenzo Urtus, les revenus d'un riche fermier peuvent être évalués sur les données suivantes : 130 à 140 pipes de vin; 5 à 600 fanegas de blé; 18 à 20 costales de figues sèches. À ces produits annuels il faut ajouter la possession de 20 à 30 vaches, 2 ou 300 brebis, un certain nombre de chèvres et de cochons, plusieurs bêtes de charge , et quelques ruches à miel, puis ce que lui rapporte en laine et laïtage le gros et menu bétail. Presque tout le vin qu'on récolte est converti en eau-de-vie, dont la plus grande partie est expédiée à la Havane; le reste se consomme dans l'ile, et prend le nom de Mistela lorsqu'on y fait infuser une certaine quantité de cannelle, de girofle, d'anis et de pimens rouges mélés avec du miel. Cette liqueur incendiaire est très-goûtée des Herreños, et l'usage s'en est malheureusement répandu dans toutes les Canaries. Une trentaine d’alambics d'ancienne construction est affectée à la distillation de l'alcool. 1,200 pipes de vin rapportent environ 200 pipes d'eau-de-vie de qualité inférieure, fortement imprégnée d'empy- reume , et préférée par cela même à notre meilleur Cognac. Le pays est très-peu imposé : toutes les redevances se réduisent aux dimes , aux droïts communaux et au nouvel impôt de la police. La dîme est évaluée à 24,000 fr. environ. La toison du bélier et la valeur d'un fromage, à la naissance de l'agneau, reviennent de droit à la commune. Le nouvel impôt que perçoit l'administration générale de la police ne s'élève pas à 500 fr. pour toute l'ile. ( 160 ) Lorsqu'on compare les conditions d'existence des habitans de ce recoin du globe avec la position sociale des populations européennes, on ne sait trop de quel côté doit se trouver le vrai bonheur. D'une part, c'est le laisser-vivre du bon vieux temps, la société presque à son enfance et dans toute sa simplicité, n'employant encore que les pre- miers élémens de la civilisation pour arriver à un état plus prospère; mais aussi c'est un bien-être réel, effectif, à l'abri des caprices de la fortune et des chances du hasard. D'autre part, c'est la civilisation parvenue peut-être au plus haut degré des conditions humaines, et qui nous est imposée avec toutes ses conséquences comme un fait accompli; car, dans l'état de choses où nous vivons, il faut tout accepter pour savoir vivre : la loi du pays avec ses garanties ou ses abus, ses avantages ou ses préjudices, ses entraves ou ses i- bertés. | Dans l'aperçu statistique que nous venons de présenter d'une des plus petites îles de l'archipel Canarien,. nous avons montré les res- sources que les Herreños avaient tirées de leur rocher. Quelques ob- servations sur leur position sociale.et leurs coutumes, en complétant cette esquisse, serviront à faire apprécier ces insulaires sous des rap- ports plus philosophiques. , Le commerce intérieur est tout-à-fait nul à l’île de Fer, et cela doit étre ainsi dans un pays où chacun peut se passer de son voisin. Sauf cinq où six familles héritières d'anciens fiefs, le terrain est assez égale- ment réparti. Chaque propriétaire cultive son champ et en tire ses propres ressources. À l'époque des récoltes, la population entière sort de ses foyers dès le point du jour, et si l'on traversait alors un village on se croirait dans un pays abandonné. L'égalité des fortunes à amené celle des conditions : tous les Herreños ont la même allure; la chau- mière du pâtre, la ferme du laboureur, la maison du villageois, offrent la même uniformité. Une étable où un hangar pour les ani- maux domestiques, des celliers pour les vins, des greniers pour les ( 161 ) autres récoltes, constituent les dépendances de l'habitation; des in- Strumens de labourage, les ustensiles les plus nécessaires à la char- penterie, un moulin à bras pour les grains, des métiers à tisser, quelques nattes, des corbeilles et des coffres héréditaires composent tout l'ameublement. Le chef de la famille, les enfans et les serviteurs, chacun met la main à l'œuvre et s'occupe alternativement des soins intérieurs et des travaux des champs, confectionne chez soi meubles, ustensiles et vêtemens, tout enfin jusqu'aux chaussures. Les femmes ont leur bonne part dans ces travaux journaliers. Ainsi, celui. qui voudrait exercer exclusivement un métier ne trouverait rien à vendre aux autres. De cette suffisance des besoins de la vie résulte un bien- être qui exclut le luxe et éloigne la pauvreté; aussi la mendicité et tous les vices qu'elle entraîne sont inconnus chez ce peuple de bonnes gens. Si une famille trop nombreuse ne peut nourrir tous ses mem- bres, il est rare que les individus surnuméraires restent à charge au pays. Les Herreños sont les Auvergnats des Canaries : Viera les a com- parés aux Galiciens de la Péninsule (1). Beaucoup passent dans les îles voisines, et vendent leurs services aux plus offrans. Intéressés comme tous les montagnards, ils sont recherchés cependant pour leur pro- bité ; ingénieux par instinct, ils profitent d'abord de leurs loisirs pour s'apprendre à lire et à compter, et l'on a observé que c'était toujours par les chiffres qu'ils commencçaient leurs premiers exercices. Éco- nomes avant tout, ils retournent au pays avec des épargnes, s’y retrempent aux bonnes mœurs, et reprennent joyeux leur premier genre de vie. Parmi les coutumes de ce peuple, il en est de très-anciennes dont la religion s'est heureusement emparée pour accroître le respect de ses cérémonies les plus touchantes. Les Herreños conservent une pro- (1) « Los Herreños son los Gallegos y Asturianos de las Canarias. Todos se han aprovechado siempre » de ellos, y los han hallado prontos, ficles, humildes, ; qué importa que parezcan interesados ? » (Moti- cias de la Hist. gen., tom. ur, p. 104.) I. 21 ( 162 ) fonde vénération pour la mémoire des morts: chaque année, le second jour de novembre, ils se rendent en foule à la chapelle du couvent de Saint-François avec des outres de vin (1) et des corbeilles remplies de blé, d'orge, d'avoine et de figues sèches. Le prêtre suspend le service funèbre au moment de l'offerte : chacun dépose alors sur la tombe de ses proches le vin qu'il apporte et verse en même temps ses corbeilles de fruits sur de grandes nattes placées devant l'autel. Les moines recueillent l’offrande que le prêtre a bénie, et se chargent des libations dont les morts ne sauraient profiter. Ainsi, la pensée première qui consacra ce pieux usage n'a élé que modifiée : le but est resté le même dans ses conséquences morales comme dans ses résultats ma- tériels. | On évalue à cinq ou six pipes de vin et à plusieurs quintaux de fruits et de grains la totalité des dons qu'on dépose à cette époque dans les deux principales églises de l'île. | Isolés sur leur rocher, et privés souvent pendant plusieurs semaines de toute communication avec les autres îles, les Herreños vivent heu- reux et sans souci de l'avenir. Vierà les a dépeints comme nous, contens de leur sort et pleins d'amour pour le pays. « ls sont, dit-il, comme » Ja terre qui les a vus naître, forts, sains et féconds. Agiles de corps et » bien proportionnés, ils ont en général le teint plus blanc que les » autres insulaires. Vifs, gais, amateurs du chant et de la danse, ils » sont tous très-enclins au mariage. » Ajoutons que la douceur de la température, dans ce climat privilégié, est très-favorable aux vieil- lards, éloigne d'eux les infirmités, et leur permet de se passer de méde- cins. Les exemples de longévité sont assez communs dans l’île. Toute- fois, l'usage trop fréquent du poisson salé, celui plus nuisible encore (1) Les outres ou foles, dont se servent les Herreños pour renfermer le vin, sont en peau de chèvre ou de brebis. La manière de faire ces espèces de sacs sans couture exige beaucoup d’adresse et de soin ; on coupe d’abord la tête de l'animal, qu’il faut vider après par cette ouverture ; on tanne ensuite la peau en lui donnant une couleur rougeâtre avec de l’orseille commune. ( 163 ) des liqueurs fortes et de la perfide mistela, entraînent des maladies cutanées et certaines affections chroniques que l'ignorance des Curan- deros aggrave encore par des remèdes empiriques. Le docteur don Leonardo Perez, avantageusement connu par ses belles observations sur la fièvre jaune (1), fut déporté à l’île de Fer pendant les troubles politiques de 1823, et sa présence fut un véritable bienfait pour le pays. Ce philantrope se consacra au soulagement des malheureux : on le vit toujours plein de zèle, médecin et pharmacien à la fois, se pro- curer par des herborisations pénibles les ressources qui devaient se- conder son art. Dès le matin, Perez parcourait les montagnes, s'en- fonçait dans les ravins, gravissait les rochers les plus escarpés pour y recueillir les plantes officinales qui devaient faire le fond de ses ordon- nances. Nul intérêt ne le guidait ; jaloux de se concilier la bienveillance et l'estime des habitans, il voulut payer leur hospitalité par ses ser- vices, et continua son œuvre d'humanité jusqu'au moment où, à la chute de la constitution, un décret de Ferdinand vint mettre sa tête à prix. Mais la Providence veillait sur l'homme de bien ; les Herreños reconnaissans protégèrent sa fuite, et celui qu'ils appelaient leur père s'embarqua pour l'Amérique en emportant leurs regrets. Nous avions montré les Herreños laborieux, fidèles et vertueux, le fait que nous venons de citer dit bien plus encore que tous les éloges. À (1) Pendant l'épidémie de 1819. nu ni Cf sr def es A | DESCRIPTION DE L'ILE DE FORTAVENTURE. 4 Érvmoroc:. L'ile de Fortaventure, une des anciennes Purpu- raires (1), était connue sous le nom d'Aerbanie avant l'arrivée de Bethencourt (2). Cette dénomination, dérivée du latin, mais dont on ne retrouve pas l'origine dans les documens historiques, lui fut im- posée peut-être au quatorzième siècle par les premiers navigateurs qui fréquentèrent l'archipel des Canaries; Abreu Galindo suppose qu'elle provient des herbages qui couvraient toute l'île (3). Quant au nom moderne de Fortaventure, la relation de Bontier et le Verrier laisse entrevoir son étymologie; Forte- Adventure, d'après l'ortographe de ces écrivains, fait allusion aux rudes combats que les aventuriers normands eurent à soutenir pour s'emparer du pays (4). CONFIGURATION ET GISEMENT. L'île de Fortaventure, mesurée d'est à ouest dans sa plus grande largeur, n’a guère plus de six lieues, et cette (1) Voy. précédemment, pag. 18. (2) « L’isle de Forie- Adventure, que nous appelons Ærbanie, aussi font ceux de la Grand’Canarie. » (Boutier et Le Verrier, Conquest. des Can., p. 129.) | Obs. Les primitifs habitans de la Grande-Canarie ignorèrent long-temps l'existence de Fortaventure qu’ils ne pouvaient apercevoir à cause de son éloignement : en l'appelant du nom d’Æerbania, qui n’ap- partient pas à la langue guanche, ils employèrent une expression étrangère qu’ils tenaient probable_ ment des navigateurs qui avaient déjà fréquenté ces parages. (3) Galin., Mss., lib. 1, cap. 7. ex Viera. (4) Voy. Hist. de la conquest. et descouv. des Cap., chap. xx et suiv. ( 166 ) extension varie peu depuis Punta-Gorda et Punta-Roja au nord jusqu'à la plage de Guadalique et à la pointe de Jacomar au sud, c'est- à-dire sur un prolongement d'environ quator ze lieues. Les deux bandes du littoral, qui courent d'abord nord-est et sud-ouest, suivent ensuite une même direction à l'occident, et vont se terminer à la pointe du Pesebre d'une part, et au cap Handia de l'autre. L'île a un peu plus de vingt lieues, mesurée dans sa plus grande longueur depuis la pointe du Corralejo jusqu'au cap Handia. On peut évaluer à près de cinquante lieues le développement de la côte dans tous les contours. Ainsi, Fortaventure est, après Ténérifte, la plus grande de l'archipel Cana- rien. Sa forme est en général étroite et allongée; si l'on fait exception de la partie qui s'étend depuis la pointe de J'acomar jusqu à la plage de Sotavento , les deux bandes du littoral se prolongent dans une direction parallèle. L'île est divisée en deux parties distinctes par un isthme de trois quarts de lieue de large, compris entre la plage de Barlovento et celle de Sotavento, dont la vaste enceinte forme la baïe de la Pared. La première partie, ou la grande terre, reçut des aborigènes le nom de Maxorata; autre partie, ou la presqu'île, est encore désignée sous celui de Handia. Avant la conquête de Fortaventure, ces deux portions de territoire étaient occupées par deux peuples presque toujours en guerre, et dont le plus faible sans doute avait élevé sur l'isthme une forte mu- raille (Za Pared) pour se défendre des invasions du plus fort. Quelques fragmens de ce mur sont restés debout, et rappellent les constructions cyclopéennes. Fortaventure a été figurée sur les cartes sous différentes formes (1) : l'isthme de /a Pared n'avait pas été indiquée sur le plan du P. Feuillée ; les observations de Borda rectifièrent cette erreur, et fournirent les principaux élémens des tracés qu'on exécuta depuis. Toutefois, Lopez, faisant usage d’autres matériaux, publia, trois ans après Borda (1779), (1) Voy. Atlas, pl. vin. ( 167 ) une carte particulière de Fortaventure (1) où la configuration de l'île se trouve encore altérée. Ce plan, sans aucun effet de relief, n'est re- commandable que par ses indications topographiques ; le système de montagne n'offre aucune liaison, ou plutôt il n'y à pas de système : car les accidens de terrain, éparpillés au hasard, prouvent qu'on a tâché seulement de remplir des vides. Nous nous sommes guidés sur le plan de Borda pour la construction de la nouvelle carte que nous donnons dans notre Atlas ; nous avons modifié sur certains points le tracé littoral d'après les avis des pilotes cotiers; maïs ces réformes, qui ne reposent que sur des détails, ne changent rien aux positions déterminées. Quant à la structure orographique, nous ne la présentons que comme un simple croquis; à peine oserions-nous garantir l'exactitude de la partie centrale, la seule que nous ayons pu explorer avec soin ; pour le reste, tout a été fait sur des renseignemens, ou des vues prises de divers points de la côte, en rapportant ensuite sur le plan horizontal les coupes établies sur des élévations probables et les vues que nous dessinions à vol d'oiseau. Avec ces seules ressources, on ne peut aller loin, ni viser à la perfection. Sous une atmosphère embrasée, où le phé- nomène du mirage est assez fréquent, où la radiation est éblouissante, et la réfraction très-sensible, la perspective aérienne est souvent trom- peuse; l’on juge mal des reliefs, au milieu de la dégradation diffuse de la lumière et des ombres. Cette incertitude, dans l'appréciation des grandeurs optiques, augmente encore lorsqu'il s'agit de déterminer, sur de vagues données, les grandeurs géométrales des masses et leurs distances relatives. Les observations de Borda ont assigné les positions suivantes aux deux caps extrêmes de l'île, et ce sont celles que nous avons adoptées. (4) Mapa de la isla de Fuerteventura, por don Tomas Lopez, Madrid, 1779. ( 168 ) ÆExtrémité nord. Punta Gorda. Latit N. 28° 46’; longit. O. 16° 12° 30”. Extrémité sud. Punta de Handia. Latit. N. 28° 4; longit. O. 16° 51° » Les renseignemens du capitaine de frégate don Domingo Mesa nous ont fourni des données sur deux autres points importans, savoir : Antigua. Bourg du centre. Latit. IN. 28° 27° 50”; longit. O. 16° 29 » Puerto Cabras. Port principal. Latit. N. 28° 32 »; longit. O. 16° 12’ 50”. DescriTion. Les côtes de Fortaventure offrent plusieurs bons mouillages. Sur la bande orientale, celui de Puerto-Cabras est un des plus fréquentés ; on trouve aussi de ce côté Puerto de Lajas, Fuste, Pozo-Negro et Puerto-Toneles ; puis, en descendant vers le sud, la baïe de Gran-Tarajal, Tarajalejo, et la plage de la Pared. La presqu'île de Handia est beaucoup moins accessible : on peut aborder toutefois à son extrémité méridionale sur la plage de Ojos, située près de la pointe de Cotillo. En remontant vers le nord, on mouille sans risque le long du rivage de Barlovento, et ensuite successivement à Puerto-Nuevo, Puerto de la Peña et Puerto-Toston, où les bâtimens vont chercher un refuge contre le mauvais temps. Sur la côte la plus septentrionale de l'île, l’anse de Corralejo sert aussi d'abri aux caboteurs. | Le sol de Fortaventure est Beaucoup moins accidenté que celui des autres îles ; les plus hautes montagnes atteignent à peine 500 mètres d'élévation (1); la chaîne qu'elles forment parcourt la grande terre de Maxorata dans toute sa longueur; mais cette suite de sommités n'offre, dans certains endroits, que des collines basses, dont les ondulations ré- gulières indiquent un système orographique d'un autre ordre. Vers le centre de l'île, les montagnes projettent deux contreforts qui s’avan- cent sur la bande occidentale dans la direction du port de la Peña. La vallée de Rio-Palma se trouve comprise entre ces rameaux; Santa- Maria de Betancuria, l'ancienne capitale, est située dans une des (1) La hauteur approximative que nous indiquons n’a rapport qu'aux montagnes de la grande terre : celles de la presqu’ile doivent être beaucoup plus élevées. ( 169 ) gorges adjacentes. Sur la bande orientale, les versans de la chaîne centrale sont beaucoup plus uniformes : à partir du rivage, le sol s'élève insensiblement sans mouvemens de terrain bien prononcés ; quelques mamelons volcaniques sont les seuls obstacles qui viennent _borner l'horizon. Les vastes plaines qu'on rencontre de ce côté n'ont rien d'attrayant pour le voyageur, surtout après la moisson; ce sont alors de vrais saharas. On pourrait se croire dans les déserts de l’Afri- que lorsqu'on traverse les Z/anos de Triquibijate et de Hampuyenta pour se rendre à Antigua. Tout est sec et aride; des buissons épineux, parmi lesquels domi- nent des Euphorbes sans feuilles, se montrent de loin en loin; jamais d'arbres, pas même un Palmier, aucune source, rien enfin qui puisse procurer un peu d'ombre et de fraîcheur; partout, au contraire , un soleil scintillant sur un sol dépouillé de verdure, une atmosphère de feu et une chaleur étouffante. Mais , après la saison des pluies, la terre reprend une nouvelle vie et se recouvre de plantes; les champs, ren- dus à la fécondité, promettent de riches moiïssons, el Fortavénture redevient la verte Herbanie aux abondans pâturages. Les habitans, bien qu'acclimatés, redoutent les ardeurs de la ca- nicule et préfèrent plutôt voyager dans l’île la nuit que le jour. Mal- heureusement ce système ne convient guère aux naturalistes. C'était au mois de juillet (1829) que nous explorions le pays : nous étions partis de Puerto-Cabras dès l'aurore; après plusieurs heures de marche, au milieu d’une campagne aride et nue, nous fimes halte à la ferme de las Casillas , le seul endroït où nous trouvâmes de l'eau pour étancher la soif ardente qui nous dévorait. Au coucher du soleil, nous entrâmes à Antigua. Ce bourg agricole est situé à la base des montagnes , sur le penchant d'un côteau qui borde les plaines que nous venions de tra- verser. Le surlendemain, nous nous dirigeàmes au nord en longeant les collines du groupe de Manitaga. Au sortir du hameau d’Agua de Buey, qu'on trouve sur la route, notre guide nous fit arrêter un IT. à 99 ( 170 ) instant au pied de la Gayria, volcan d'époque moderne, bien que-sa dernière éruption soit antérieure à la conquête de l’île. Les laves qui ont débordé de la cime se sont répandues en torrens jusqu'à la mer. Cette inondation , que les Maxoreros appellent e/ Mal païs grande, à envahi la côte de Pozo-Negro. Le chemin que nous suivions nous COn- duisit sur le vaste plateau de Tiscamanita; de À jusqu'à Tuineje, la contrée est d'une monotonie désespérante; de distance en distance s'élèvent des buttes de tuf dont les teintes rembrunies tranchent sur la blancheur de la plaine et mdiquent un sol anciennement volcanisé. Bientôt après, nous découvrîmes le cône isolé de Tamasite au milieu d'un petit vallon. On exploite dans les environs un gypse lamelleux, mêlé à des fragmens de rochers basaltiques. Nous poussâmes une re- connaissance jusqu'au cratère de Tiguitar, dont les produits nous :pa- rurent de même époque que ceux de la Gayria ; mais nous ne pûmes aller plus loin, le vent avait passé au sud-est, et notre thermomètre marquait 35°, 56 C. Cette température devenait insupportable, le pays ne nous offrait aucune espèce de ressource ; notre chameau, quoi- qu'accoutumé à de longs jeünes, commençait à s'impatienter , et force nous fut de revenir sur nos pas. | Il était plus de neuf heures lorsque nous rentrâmes à Antigua les yeux sanguinolens et la peau brûlée par le soleil auquel nous étions restés exposés pendant plus de douze heures consécutives, Mais nous rapportions de beaux échantillons de roches, une outarde à mantelet noir (1), plusieurs gangas (2) , des court-vites (3), un vieux vautour (4), et ces heureux résultats de notre chasse compensaient au-delà les fati- gues de la journée. Ce serait empiéter maintenant sur la relation du voyage que de (1) Otis houbara. (2) Pterocles arenarius. (3) Cursorius isabellinus. (4) Fultur perenopterus. ss ( 171 ) décrire nos autres excursions : ajoutons seulement que peu de jours après nous franchissions la chaîne de montagnes qui court du nord au sud , pour descendre dans les vallées de la bande de l'ouest. Parvenus au fond d'une gorge qu'entourent de grandes masses trachytiques, nous découvrîmes la petite ville de Betancuria,; ainsi nommée de Jean de Bethencourt, son fondateur. Qu'on juge de notre surprise! nous n'a- vions traversé jusqu'alors que des hameaux de la plus chétive appa- rence, ét nous nous trouvions tout-à-coup au milieu d'une ville gothi- que. Ce n'étaient plus des granges et des chaumières rustiques jetées à et là autour d'un modeste presbytère ; maïs des maisons alignées, la plupart en pierre de taille , avec les portes et les fenêtres en ogive, les frises et les corniches à dentelures et à mascarons. En pénétrant par une rue étroite, nous arrivâmes au couvent de Saint-François, bâti” en 1455, par Diego de Herrera, seigneur de Fortaventure et de Lan- cerotte. Non loin de ce monastère, remarquable par sa solidité, s'élève la paroïsse de Notre-Dame-de-Bethencourt (1), qu'on restaura et em- bellit après l'invasion de 1539, lorsque les pirates maroquins, com- mandés par le Maure Xaban Arraez, saccagèrent la ville.et brülèrent les principaux édifices publics. La nouvelle église a été construite sur les ruines de l’ancienne chapelle dont Jean le Masson donna le plan et dirigea les travaux en 1410. « J'entends que l'église de Fortaventure, _ disait le conquérant dans une de ses ordonnances, soëf faite telle que Jean le Masson mon compère édifiera, car je lui ai conté et dit comme je veux l'avoir , et j'ay amené charpentiers et massons ; pourquoy on la peut bien faire (2). » Aïnsi, tout nous reportait au quinzième siècle; nous parcourions une ville qui, après plus de trois cents ans, s'était presque conservée dans son état primitif au milieu de sa vallée solitaire, Cet état d'isole- (1) S'anta-Maria-de-Betancuria. (2) Conquest. de Can., pag. 181. ( 172 ) ment a beaucoup influé sur les mœurs des habitans de Betancuria ; leur physionomie est encore empreinte du type originaire; on retrouve chez eux, avec les habitudes du bon vieux temps, quelques-unes des anciennes coutumes de Normandie que Bethencourt avait établies. La civilisation du moyen-âge, importée dans ce recoin de l'Atlantique, presque sur les bords du grand désert (1), en conservant ses allures, n'a fait que changer de langage et d’habit. Un costume pittoresque retrace encore l’'armure des gens de guerre; les descendans des con- quérans ont tout copié de leurs ancêtres : leurs guêtres de laine imitent les jambars ou les bottines métalliques; le gilet plastronné est un repré- sentant de la cuirasse ; le bonnet à double visière rappelle le casque et l’'armet ; ils portent un long bâton ferré auquel ils ont conservé le nom de lance, de sorte qu'à une certaine distance, lorsqu'un homme ainsi vêtu apparaît à l'horizon de la plaine ou sur les crêtes du vallon , on le prendraït pour un guerrier armé de pied en cap. Nous quittâmes Betancuria pour nous rendre à Rio-Palma. Ce val, qu'arrose un ruisseau limpide, est célèbre par ses nombreux Pal- miers (2). Nous suivimes le cours d'eau jusqu’au port de la Peña ; mais dans plusieurs endroïts nous fümes obligés de nous éloigner du torrent pour franchir, non sans peine, les grandes roches de syénite qui res- serrent le défilé. La description que Bontier et le Verrieront donnée du Ruissel des Palmes (Kio-Palma) est des plus exactes, et les difficultés qu'eurent à surmonter le chevalier Gadifer de la Salle et ses compa- gnons, au passage de las Peñas, n'ont pas été omises. Écoutons les narrateurs : | (1) On ne compte que vingt lieues de la ville de Betancuria sur la lisière du grand Sahara de l'Afrique occidentale. Le bras de mer qui sépare l'ile de Fortaventure de la terre ferme n’a que quinze ou seize lieues de large entre les deux points les plus rapprochés, le rivage de Tuineje et la côte de las Matillas qui s’avance à l’ouest entre le cap de Nun et le cap Bojador. Cette proximité du continent a donné lieu à ce dicton des pêcheurs canariens : De Tuineje en Berberia se va y se vuelve en un dia. « De Tuineje en » Barbarie, on va et l’on retourne en un jour. » (2) Voy. Hist. de la prem. descouv. et conquest. des Can., pag. 70. (Qi LS 2) & Là est l’entrée si étroite que c’est merveille, car elle ne dure que deux jets de pierre et » n’a que trois lances de large. Il fallut déchausser les souliers pour passer sur des pierres » de marbre, qui étoient si glissantes qu’on ne pouvoit tenir fort qu'à quatre pieds , et » encore convenoit-il que les premiers s’aidassent de leurs lances et tirassent les derniers » après eux (1). » Nos guides nous rendirent le même service. Après avoir franchi ce mauvais pas, et avant de poursuivre notre route par des sentiers moins dangereux, nous prîmes quelques instans de repos au bord du ruisseau , sous un bosquet de Tamaris, dans le même endroit peut-être où les Normands avaient fait halte, car ici encore la relation est très- explicite : « Et là se disnèrent sous le bel ombre, sur l’herbe verte près des ruisseaux courants ; » ct se reposèrent un petit, car ils étoient moult lassés (2). » Les courses que nous fimes dans d’autres directions complétèrent les notions que nous désirions acquérir sur la grande terre de Maxorata : mais les chaleurs excessives que nous endurâmes nous firent renoncer à notre projet d'exploration de la presqu'île de Handia. Les renseigne- mens que nous pümes nous procurer durant notre séjour à Antigua et à Pucrto-Cabras sur cette partie si peu connue des isleños, et qu'aucun Européen n’a encore visitée, se réduisent à peu près à ceux-ci : Handia est parcourue par des montagnes qui longent la côte septen- trionale de la presqu'ile; divers rameaux partent de cette chaîne et donnent lieu à des vallées étroïtes et profondes qui débouchent sur la côte de l’ouest et du sud. Ces vallées anfractueuses. ont recu des noms particuliers (3) et sont restées mhabitées depuis la conquête de Forta- (1) Voy. ist. de la prem. descouv. et conquest. des Can., pag. 69. (2) Voy. Idem, pag. 70. (3) Sur les bandes de l’ouest et du midi, on trouve les gorges suivantes : Z’alle de los Mosquitos, de los Escobones, Gran-V'alle, Valle del Cierro, de Jinamar, de Mal-nombre, del Esquinzo, de Butiondo, del Pez et de dos Canarios. Cofeté est la seule vallée de la bande du nord. Nous n’avions pas de données assez précises sur la position de ces vallées pour les indiquer sur la carte. \ ( 174 ) venture; les habitans de la grande terre y envoient parquer leurs troupeaux. Parmi les principales, on cite le val de /os Mosquitos, en face de la plage de Juan-Gomez, et Gran-Valle, que domine le pic d'el Frayle, un des points culminans de la presqu'île. Nous pouvons donner des renseignemens moins vagues sur la topo- graphie de la grande terre. | D'après le dénombrement de 1824 , la population de Fortaventure s'élève à 11,860 habitans répartis en trois grands districts. Le premier, dont Betancuria est le chef-lieu, embrasse la partie centrale de la bande de l'est et de l’ouest; il comprend trois bourgs considérables : Antigua, Casillas, Tetir, et plusieurs hameaux disper- sés dans de vastes plaines (1). Betancuria contient environ 800 habi- tans ; on en compte 2,000 à Antigua, et autant à Tetir et à Casillas ; mais il faut observer que la population de Betancuria est toute con- centrée dans cette petite capitale, tandis que celle des bourgs se trouve distribuée dans divers groupes d'habitations souvent assez éloignés les uns des autres. Pajara commande le second district, ou celui du sud, et compte plus de 1,200 ames. Le bourg de Tuyneje appartient à cette juridic- tion, dont le restant se compose de plusieurs hameaux isolés (2). Le cheflieu du troisième district est la Oliva, résidence du gou- verneur de Fortaventure; les hameaux qui en dépendent sont au nombre de dix (3), parmi lesquels se trouve compris celui de Riche- roque, où l'on voit les ruines du château de ce nom, que Bethencourt fit construire en 1405. Le territoire de ce district, le plus septentrional de l’île, est très-volcanisé. Trois cônes d’éruption, situés dans les envi- (1) Ces hameaux sont ceux d’Agua de Bueyes, de Triquibijate, de Hampuyenta, de Tafia, de Time et de S'an-Andres. Il faut ajouter aussi S'anta-Iñez, petit bourg situé dans un vallon de la bande occi- dentale. (2) Toto, Barjada, Eduegue, Chilegua, Mesquér, Mirabal, Tiscamanita, la Florida, Adeje et Tesegerague. (3) Toston, Tindaya, Manta, Matilla, Valdebron; Lajares, Roque (Richeroque), Caldereta, Pederguida et V’illaverde. ( 175 ) rons du hameau de /a Jares, ont couvert la plane d'une immense nappe de lave. La petite ville qui a commencé à s'élever, il y a quelques années, sur le rivage de Puerto-Cabras, rivalise déjà avec les bourgs les plus importans de l'intérieur. Cet établissement maritime semble destiné à devenir le chef-lieu d’un quatrième district, et peut-être plus tard la capitale de toute l’île. Les relations commerciales ont créé aujourd’hui d’autres centres de civilisation, et les anciennes villes titulaires n’exer- cent plus aux Canaries qu'une sorte de suprématie nominale. Cette observation trouve aussi des applications en Europe : dans les temps guerroyeurs, on avait tout calculé sur les moyens de défense pour l'emplacement des cités. Aïnsi, le sommet d’une montagne escarpée, l'enceinte d'un vallon flanqué de rochers d'un accès difficile, un pla- teau isolé, offrant d'abondantes ressources agricoles, furent les sites qu'on préféra. Alors chacun vivait sur les produits du sol, et le petit trafic était abandonné aux Juifs usuriers qui avaient jeté un mauvais renom sur tous ceux qui soccupaient de brocantage. Maïs, dans ce siècle d'industrie et de spéculation, l'esprit du lucre à tout changé, et les exigences du commerce sont venues fixer les grandes populations sur le littoral. Les exportations de la soude naturelle (a Barrilla), qui ont tant augmenté les ressources de Fortaventure dans ces dernières années , ont fait penser à l'établissement d'un entrepôt général dans le port d'embarquement. Tel est le principe qui a donné naissance à Puerto-Cabras. Quelques spéculateurs sont venus s'y établir pour faire leur marché sur place ; on a construit d’abord des barraques ; ensuite les négocians anglais ont fait bâtir des maisons plus confortables, et déjà plusieurs rues spacieuses commencent à s’aligner le long du littoral. La récolte de la Barrilla, qu'on extrait de la plante connue vulgai- rement sous le nom de Glaciale (1), s'élève à 33,000 quintaux. L'île (1) Mesembryanthemum cistallinum. ( 176 ) produit en outre 16,600 charges (1) de légumes, et 286,200 de céréales (blé, orge, seigle et maïs) du poids d'environ 108 livres. Ce chiffre n'a rapport qu'à une année commune ; car, dans les années abondantes, on a récolté jusqu'à 300,000 charges de blé et d'orge seulement. Il est vrai aussi que dans les années de sécheresse ces produits diminuent d'une manière effrayante, et la disette est telle alors que les malheu- reux Maxoreros sont forcés d'abandonner le pays pour aller implorer des secours dans les îles du groupe occidental, où les récoltes sont exposées à moins de chances. L'année 1770 et les deux suivantes furent des plus désastreuses à cause de l’excessive sécheresse; les pluies manquèrent totalement , et l'on vit se renouveler tous les maux qui avaient désolé le pays au com- mencement du siècle. Les habitans, pressés par la faim, émigrèrent en masse, et les navires, qui, chaque année, exportaient le blé dans les autres îles, arrivèrent chargés de familles exténuées et presque mourantes. Les rues de Sainte-Croix de Ténériffe et de la Laguna, celles des capitales de la grande Canarie et de Palma étaient encom- brées de malheureux qui imploraïient des secours. Le capitaine-général Fernandez de Heredia rivalisa de dévouement et de zèle avec l'évêque Servera, et toutes les communes s'empressèrent de suivre un si noble exemple. On fit venir des grains de Mogador, on expédia de l'eau et des vivres aux familles qui n'avaient pas quitté leurs foyers; dans la Ciudad de las Palmas, 1,500 rations furent distribuées chaque jour aux pauvres émigrans ; à Ténériffe, on reçut à l'hôpital de la Laguna tous ceux qui avaient le plus souffert, et chacun voulut contribuer pour sa part à l'œuvre de charité. La seule île de Palma donna asile à près de trois mille Maxoreros (2). | Toutefois, ces grandes calamités seraient moins fréquentes, et pour- (1) Nous entendons parler, sous cette dénomination, de la fanega d'Espagne. ï (2) Voy. Viera, Noticias de la Hist. gener. de las isl. Can ; tom. 11, pag. 465. (177) raient même ne plus offrir des exemples aussi affligeans, si les habitans de Fortaventure voulaient sortir de leur apathie pour mettre à profit les avantages du sol dans un pays où la nature, avare par intermit- tence, est ordinairement prodigue de ses dons. Un système d'économie rurale bien entendu amènerait une heureuse réforme, et placeraïit la fortune publique à un haut degré de prospérité. De grands espaces, encore incultes, ne fournissent guère que des pâturages pour les chè- vres etles chameaux (1). Les alentours de la baie de Gran-T arajal, que nous avons visités, les terres comprises entre Tuineje et Puerto-Toneles, celles qui avoisinent Punta-Roja au nord, et une grande partie de la bande du sud, sont de vrais déserts. Pourtant, tout ce pays n’a besoin que de bons labours pour changer d'aspect; mais il est dans le caractère des Maxoreros de se laisser aller à la fainéantise, et de vouloir rester pauvres au milieu d'un sol qui pourrait les enrichir; car, bien qu'ils fondent leurs principales ressources sur la récolte des céréales, ni la perspective d'une année abondante ni le souvenir des misères passées ne peut les engager à l'économie. Tourmentés du désir de vendre aussitôt qu'ils ont récolté, ils ne mettent jamais de grains en ré- serve, et livrent à très-bas prix des denrées qu’ils mendient en- suite plus tard. Leur nonchalance est devenue proverbiale. À l'époque des moissons, ils attendent qu'il leur arrive du monde des autres îles pour mettre la main à l'œuvre, et laissent perdre le blé déjà mür. Dios para todos! voilà leur devise. Indolens comme tous les peuples de l’A- frique occidentale, ils ne cherchent pas à se procurer un meilleur bien-être, et abandonnent à la Providence le soin de leur avenir. (1) Les chameaux que Jean de Bethencourt amena du continent d'Afrique se sont beaucoup propagés à Fortaventure ; Viera prétend qu’on en comptait déjà plus de 4,000 quelques années après leur introduc- tion. (Voy. Voticias, tom. 11, pag. 335.) Quant aux chèvres, Bontier et Le Verrier assurent qu’elles étaient si nombreuses au temps de la conquête qu’on aurait pu se procurer plus de 60,000 chevreaux tous les ans. (Voy. Conquest. des Can., cap. 1xx, pag. 131.) Aujourd’hui encore, les appréciations du professeur Bandini prouvent que ce nombre n’a guère diminué. (Voy. Lecc. elem. de Agricult., pag. 63.) Les brebis se sont moins multipliées, et pour ce qui concerne le gros bétail, il naît à peine 240 veaux par an. 1. ## (178 ) Nous terminerons là nos renseignemens sur Fortaventure, nous réservant de donner de plus grands détails, dans l'APPENDICE STATIS- TIQUE , sur la population de l'île et les différentes productions du sol. ( 179 ) DESCRIPTION DE L'ILE DE LANCEROTTE. ÉrymoLore. Vers la fin du quinzième siècle, quelques années avant l'arrivée de Bethencourt aux Canaries, un aventurier français nommé Lancelot de Maloisel avait envahi Lancerotte. Bontier et le Verrier assurent qu'on voyait-encore dans cette île les ruines du vieux bastion qu'il y avait fait construire (1). Ainsi, sans nous arrêter aux versions contradictoires de Nebrixa, du P. Abreu Galindo et de Viana (2), nous trouvons plus simple de nous en rapporter à celle des deux chapelains pour retrouver l'origine d'un nom qu'ils semblent avoir indiqué eux- mêmes par leur orthographe. En effet, l'#e de Lancelot est bien celle où Lancelot de Maloisel s'était fortifié; les aborigènes l'avaient appelé Tite- Roy-Gatra; mais nous ne saurions interpréter aujourd’hui cet ancien nom que les historiens de la conquête ont écrit probablement à leur manière. | CONFIGURATION ET GISEMENT. La forme de l’île est très-irrégulière, et n'a élé bien arrêtée que sur la carte particulière de Lopez (3); ses côtes (1) « Et aucuns jours après transmit Gadifer de ses gens pour querir de l’orge, car nous n’avions plus » de pain si peu non; si assemblerent une grande quantité et le mirent en un viel chastel que Lancelot » de Maloïisel avoit déjà fait faire, selon que l’on dit. » (Conquest. des Can., chap. xxxu, pag. 59.) (2) Voy. Viera, Noticias de la Hist. gen., pag. 54 et suiv. (3) Mapa de la isla de Lanzarote, par don Tomas Lopez ; Madrid , 1780. ( 180 ) sétendent du nord-est au sud-ouest sur un espace d'environ onze lieues depuis le cap Farion (Punta de F'ariones) jusqu'à Pechiguera (ou Punta de montaña Roja). Les différentes sinuosités du littoral offrent plusieurs autres saillies que nous devons signaler. Ce sont les pointes Rasa, Gaviota, Penedo et Ginate sur la bande de l’ouest et du nord, celles de Papagayo, du Roque del Ambar, d'Arrecife et de Ja- blillo sur la bande du sud et de l'est, Entre ces points opposés, l’île n'a guère que quatre lieues de large, et se rétrecit beaucoup plus vers sa partie septentrionale. On estime sa surface, en lieues carrées, à 34,252. Nous avons adopté, pour le tracé de notre carte de Lancerotte (voy. Atlas, pl. x), les gisemens indiqués par le chevalier de Borda en 1776, savoir : Pointe du nord (Punta Fariones). Latit. N 29° 15; longit. O. 15° 49’. — de l’ouest (Punta Rasa). Latit. N. 28° 55’; longit. O. 16° 12’. — dusud (Punta Papagayo). Latit. N. 28° 51°; longit. O. 16° 10° 30”. — del’est (Punta Mojon-Blanco). Latit. N. 29° 14; longit. O. 15° 45. Ces positions présentent les différences suivantes avec celles de la carte de Lopez : Punta Fariones. Latit. N. 28° 55; longit. O. 14° 46. Punta Rasa. Latit. N. 28° 37°; longit. O. 15° 12’. Punta Papagäyo. Latit. N. 28° 38; longit. O. 15 6. Punta Mojon-Blanco. Latit. N. 28° 52’; longit. O. 14° 41°. À ces renseignemens nous ajouterons ceux qui nous ont été com- muniqués sur la position de deux autres points importans, savoir :. Ville de Teguize (centre de l'ile). Latit. N. 29° 5’; longit. O. 15° 58’. — Arrecife (port principal). Latit. N. 28° 59 ; longit. O. 15° 5# (1). DescræTION. M. Léopold de Buch, qui a publié il y a sept ans une carte physique de Lancerotte (2), en reproduisant à plus grands points (1) C’est par erreur que la longitude du port d’Arrecife a été marquée 25° 54 au lieu de 15° 54 sur la légende de notre carte, pl. x. (2) Voy. Physical. Besch. der Can. Ins., Atlas. EU ( 181) la petite île du plan de Borda (1), n’a pas cru devoir combiner comme nous les résultats des observations faites pendant la campagne de 1776 avec le tracé du géographe Lopez. Nous n'entreprendrons pas un exa- men détaillé de cette carte, et appellerons seulement l'attention, dans le cours de notre description, sur certaines indications qui ne s'accor- dent pas avec les nôtres. S'il s'agissait de discuter sur des hypothèses, nous croirions devoir nous abstenir ; mais en détruisant, par des faits observés, des assertions fondées sur de fausses données ou des rensei- gnemens trompeurs, nous pensons (quelle que soit l'intention qu'on nous suppose) rendre un service à la science. Le savoir de M. de Buch n'avait pas besoin de nos éloges, car sa réputation est faite depuis long- temps ; nous avons cité avec plaisir ses descriptions toutes les fois que, par leur exactitude et la lucidité du raisonnement, elles pouvaient servir à illustrer notre texte. C'est toujours dans cet esprit de juste critique que nous signalons aussi des erreurs qu'on ne doit attribuer sans doute qu à l'impossibilité de pouvoir tout observer en détail dans un court espace de temps. M. de Buch nest resté que neuf jours à Lancerotte : les explora- tions précipitées auxquelles il s'est livré pendant cette courte rési- dence ne lui ont pas permis d'examiner tout par lui-même, et il a eu recours sans doute à des renseignemens souvent très-vagues ou inexacts. Il n'employa qu'un seul jour pour visiter toute la partie septentrionale de l'île en partant du port de Naos. « Le 18 octo- » bre 1815, dit-il lui-même, nous nous rendimes à Teguize.…. nous » gravimes ensuite les montagnes du nord... et descendîmes vers » la mer... nous ne pümes regagner le port de Naos que très-ayant » dans la nuït (2). » Ainsi, sans compter les détours et toutes les diffi- cultés de la route, le chemin parcouru dans cette seule journée, en (1) Voy. Carte partic, des tles Can., d'après les observ. faites en 1776 sur l'Espiègle et la Boussole. (2) Voyez sa Relation, pag. 35 et 36. \ ( 182 ) supposant même que M. de Buch ne soit rentré au port de Naos qu'à minuit, est au moins de quinze lieues de Castille, qui valent beaucoup plus de vingt au degré. Après cette marche forcée, l'infatigable géolo- gue ne se reposa qu'un seul jour à Arrecife, et en repartit le 21 pour visiter l'autre partie de l'île et la grande éruption de laves de 1730. Dans la carte que nous avons citée, M. de Buch place le volcan de la Corona sur la crête des montagnes du nord, tandis que l'énorme cône de rapille, que les habitans de la contrée désignent sous cette dé- nomination, s'élève à l'extrémité de la vallée de Magues sur la bande orientale de la chaîne de Famara. Les coulées de lave qui débordèrent de ce cratère envahirent la côte adjacente et se précipitèrent dans la mer après avoir formé une immense nappe aux environs de la pointe de Mojon-Blanco. M. de Buch, en figurant sur sa carte la trace d'un torrent de matières volcaniques dans la direction du nord, a voulu in- diquer sans doute une autre éruption que celle de Za Corona. « Le torrent de lave, dit ce géologue, laisse bientôt la pente orien- » tale, pour se diriger dans un vallon vers Rio; et À, ilse précipite » comme une cascade de la hauteur de 900 pieds depuis le sommet des » montagnes jusqu au rivage. L'aspect de ce torrent est encore des plus » remarquables. On est frappé de très-loin à la vue de cette bande » aride de matières qui,en s'épanchant sur les couches basaltiques ho- » rizontales, est restée empreinte de tous les caractères d'un liquide » noir qui à coulé de haut en bas de l'escarpement. Cette nappe de » lave s'étend au pied des rochers et a fait retirer la mer de la base des » falaises (1). » Il y a sans doute erreur dans ce passage de la relation de M. de Buch , et nous ne pouvons en rendre raison qu'en changeant le lieu de la scène; car nous sommes convaincus qu'il n'est question ici que de l'éruption du volcan de la Corona , dont l'inondation a envahi (1) Voy. Physical. Besch. der Can. Ins., pag. 316. ( 183 ) la côte orientale, et ne peut en aucune manière avoir surmonté la barrière que lui opposaient les montagnes du nord. L'enchaînement de sommités qui, à partir du centre de l’île (Teguize), s'étend jusqu'au cap Farion, borde la côte septentrionale de Lance- rotte, et offre sur ce versant un boulevart de rochers escarpés, dont les pentes verticales ont souvent plus de 1,200 pieds d'élévation. Le re- vers méridional de cette chaîne basaltique descend en talus vers la mer et projette des rameaux de collines entre lesquels se trouvent comprises les vallées de Guatisa, de Tabayesco, de Temisa, d'Haria et de M. agues. Lorsque après avoir traversé ce dernier vallon et tourné les bases des énormes cônes de la Corona, de Guatifay et de los Helechos, en se di- rigeant vers la côte du nord, on est parvenu sur le col de Famara , il faut descendre ensuite par de grands escarpemens vers la côte des Sa- lines. On n'est plus séparé alors de l’ilot de Za Graciosa que par le canal del Rio, petit bras de mer d'un quart de lieue de large. Le 5 juin 1829, après avoir exploré, pendant huit jours consécutifs, toutes les crêtes et les versans des montagnes du nord, nous suivimes l'itinéraire que nous venons d'indiquer pour nous rendre à la Graciosa. Ce fut de là que nous dessinâmes l'immense falaise qui borde la côte septentrionale de Lancerotte, et les crêtes déchirées des cratères de Gu atifay et de la Corona que nous apercevions derrière la chaîne que nous avions en face (voy. Atlas, pl. xnn). Des éboulemens considérables ont ruiné de distance en distance les versans inclinés de ces montagnes, dont les sommets atteignent 1,750 d'élévation absolue vers la chapelle de Notre- Dame de las Nieves. Les cimes de Guatifay et de la Corona ont 1,873 pieds d'altitude au-dessus du niveau de la mer, et dépassent d'environ 200 pieds les crêtes de la chaîne de Famara. Ainsi, il serait impossi- ble de supposer que les volcans situés sur le revers méridional aient pu verser leur lave du côté du nord, puisque le long de cette bande la position des montagnes vient former un obstacle insurmontable, et qu'il existe une vallée intermédiaire qui, bien qu'envahie déjà par ( 184) les matières volcaniques, offre un écoulement naturel vers la côte de l'est. Nous anticiperons ici sur les considérations que nous aurons à pré- senter plus tard dans la partie géologique et tâcherons de donner une idée exacte de ce système de volcanisation, afin de concilier, s’il est pos- sible , l'indication de M. Buch avec nos propres observations. À partir du cap Farion, les montagnes de Famara pénètrent Jus- qu'au centre de l'île, et se terminent en un plateau sur lequel on a bâti la petite ville de Teguize et le château qui la défend. Les points les plus élevés de cette partie occidentale de la chaîne que l'on appelle la Montaña sont Las Peñitas de Chache. Ces roches basaltiques dominent la chapelle de Notre-Dame de las Nieves, située sur une des crêtes adjacentes; des bruyères ra- . bougries et quelques fayas (1) croïissent encore sur ces hauteurs. Vers le nord-ouest, les montagnes se bifurquent et lancent sur la côte de Bajamar le morne escarpé du Castillejo. Lorsqu'on se place sur ces points culminants, on découvre tour-à-tour un horizon très- étendu; les îlots de Graciosa, de Montaña Clara et d'Alegranza, se montrent sur une même ligne dans la direction du nord-est, à lorient et au midi les plaines de Sd, de Bajamar et de Taji- che, qui s'étendent jusqu'au pied des escarpemens, séparent tout le pays dévasté par l'éruption de 1730 de la partie montagneuse dont on vient d'atteindre les sommets, et sur le versant oriental de la chaîne, on aperçoit les vallées de Guatiza, de Tabayesco et de Haria couvertes de Palmiers et de Figuiers. Vers le cap Farion et en descendant dans le vallon de Magues, on retrouve les traces récentes du grand système volcanique qui a prédominé sur toute l’île et dont l'action puissante s'est manifestée à différentes époques. La montagne de la Corona s'élève comme un dôme immense au milieu de cette en- (1) Myrica Faya. ( 185) ceinte. La Corona, par sa forme et sa grandeur, a l'aspect du pic de Ténériffe vu de l'intérieur des Cañadas, lorsqu'on commence à se rapprocher de sa base, et qu'on n’aperçoit plus le piton. qui le termine. Ici le sommet offre un cratère dont la profondeur égale presque la hauteur du cône; ses bords sont couronnés de roches saillanies qui laissent entre elles de larges ouvertures par où les laves ont débordé dans toutes les directions, mais plus abondamment vers l'est et le sud. De ce côté surtout. le sol présente un désor- dre épouvantable; des blocs énormes sont restés debout, entassés où à moitié ensevelis sous des amas de scories et de matières vol- caniques. Le ton général de ce terrain calciné est d'un rouge brun passant au noir, et mêlé parfois de teintes d'émail que le soleil fait rejaillir comme des incandescences. Le cratère est d'un abord dif- ficile, à cause des rapilles qui couvrent ses pentes extérieures; une couche de scorie pulvérisée tapisse tout l'intérieur. L'œil mesure ce gouffre avec effroi, et ce n'est pas sans danger que l'on par- court les escarpemens de ses bords. Le moindre faux pas pourrait entraîner dans un abîme de 500 pieds de profondeur, et malheur à celui qui n'aurait aucun témoin de sa catastrophe; tous ses ef- torts pour sortir de ce cratère seraient impuissans, car les talus unis et inclinés qu'il tenterait de gravir ne lui offriraient aucun point d'appui. L'espace qui s'étend depuis la base orientale de la montagne Jusqu'à la mer est_inondé par les éruptions du volcan; les gaz qui se sont fait jour à travers cette nappe de lave l'ont crevassée de toute part. La grotte de los l’erdes se trouve de ce côté : ce fut dans ses cavités souterraines que la population de Lan- cerotte se réfugia en 1618, lors de l'invasion des Maures. Les an- fractuosités de ces labyrinthes reçoivent du jour et de l'air par pluieurs soupiraux (1). Quelquefois un gonflement s'est opéré à (1) Les cavités qui se forment dans la pâte du pain , au moment de la cuite, peuvent donner une x 24 11. 2 ( 186 ) la surface du sol; la croûte volcanique rend alors un son reten- Lissant assez semblable à celui qu'on produirait en frappant sur un canon de fonte. On voit plusieurs de ces grandes bombes à demi- détruites, et dont les éclats couvrent les environs. Nous ne saurions dé- crire les nombreux accidens qui ont eu Heu lors du refroidissement des laves, et qui conservent encore tous leurs caractères bizarres. Non loin de la Corona s'élèvent deux autres cônes d’éruption, Los Helechos et Guatifay. Ce dernier, situé plus à l'occident, est aussi très-remarquable par sa hauteur et le développement de sa masse. Ces trois volcans paraissent avoir envahi le vallon de Ma- gues à peu près à la même époque; les montagnes de Famara, qui bornent l'enceinte vers le nord, portent au contraire les traces d’é- ruptions plus anciennes; leur évasement du côté du midi, le dé- sordre du sol sur la crête de cette chaîne et les formes orographi- ques de ce groupe de sommités sont autant de causes qui pourraient faire assimiler en quelque sorte le vallon de Magues avec les Cañadas de Ténériffe, la Corona avec le Teyde, les montagnes de Famara avec le système démantelé qui entoure le grand cirque. Ici, il est vrai, la ligne de circonvallation n'existe plus que d'un côté; l'action volcanique , toujours active après tant de siècles de travail, a réagi à différentes époques, et la débâcle qui a déchiré l’île sur tous ses con- tours à ruiné le cratère primitif. Mais si l'on à égard dans cette com- paraison à la différence qui existe dans la nature des roches, il y aurait peut-être un peu trop de hardiesse à soutenir une pareille hypothèse. Dans une de nos excursions géologiques, nous gravimes jusqu'au sommet des monts qui avoisinent le cône de Guatifay, et parvin- mes au bord d'un ancien torrent de lave qui s'est précipité par les versans du nord de toute la hauteur de la falaise. Telle est la idée assez juste de ces espèces de boursouflures , qui se ramifient avec d’autres, ou bien se trouvent obstruées par des parois de peu d’épaisseur. ( 187 ) cascade de 900 pieds de chute que M. de Buch semble avoir con- sidéré comme une éruption de la Corona, mais qui ne peut ap- parienir ni à ce volcan, ni à l'époque. de sa formation. Toute la partie de Lancerotte située. à l'occident des montagnes de Famara présente un terrain tourmenté par les volcans moder- nes: de grandes commotions accompagnées d'épouvantables désas- tres, en bouleversant la contrée, ont fait presque entièrement dis- paraître l'ancien système orographique; toutefois, on peut encore en suivre les traces .éparses au milieu de cette immense dévastation. Lorsqu on examine attentivement la forme allongée de Lancerotte, la direction de ses côtes, l'isolement du rameau des Æfaches vers la pointe du Papagayo, celui d'un autre groupe de collines qui vient se rattacher par l'occident au promontoire de. Montaña roja, et enfin le gisement N.E. et $S. O. des montagnes de Famara, on est porté naturellement à supposer la préexistence d'une chaîne de continuité entre ces différens groupes démantelés et séparés main- tenant les uns des autres. En effet, cet enchaïînement primitif est encore indiqué aujourd'hui par une suite de mamelons et de pies volcaniques disposés sur plusieurs lignes parallèles et dont Montaña del Fuego, la montagne de feu, qui atteint 1471 pieds de hauteur absolue, occupe le centre. Des exemples d'un système de volcanisation analogue avaient déjà été observés par M. de Hum- boldt sur la croupe des Andes : celui qui caractérise l’île de Lan- cerotte d'une manière si particulière a fixé aussi l'attention d'un observateur non moins exercé. « Quel fut mon étonnement, dit _» M. de Buch dans sa relation, lorsque du point où j'étais placé (1), je » vis se développer devant moi une série entière de cônes aussi élevés » que la Montaña del Fuego, tous dirigés sur une étendue de plus de » deux milles géographiques, suivant la même ligne et disposés avec (1) Montarña del Fuego. ( 188 ) » une telle régularilé, qu'ils restaient tous cachés les uns derrière » les autres, et qu'on ne pouvait les distinguer que par leur som- » met. Depuis la côte occidentale jusqu'auprès du village de la Flo- » rida, à un mille de Puerto de Naos, j'en ai compté douze (de » 8 à 400 pieds d'élévation), parmi lesquels la Montaña del Fuego » se trouvait placé le sixième. On en voit en outre beaucoup d'au- » tres rangés en partie entre les précédens et en partie hors de la » direction générale. C'est évidemment la répétition du phéno- » mène de Jorullo, ou de celui du Puys en Auvergne (1). » La vue que nous avons prise sur les lieux, et que la pl. xm de notre atlas reproduit fidèlement, peut donner une idée assez exacte de la description qu'on vient de lire: | Si l'on jette les yeux sur notre carte (2), on s'apercevra que toutes ces lignes de volcanisation semblent se rattacher d'une part aux deux grands embranchemens des montagnes de Famara, dont elles suivent la direction , et de l’autre aux principaux caps qui accidentent la côte. Aïnsi, la série de mamelons qui commence vers le centre de l’île, non loin de Teguize, s'avance jusqu'à Punta-Rasa; l’autre série, qui part du cône d'Uhique, à une lieue environ'au-dessus du port de Naos, suit les contours de la côte orientale, et vient, en se ralliant aux Afaches, aboutir à la pointe du Papagayo. Entre ces deux séries de mamelons, il en existe une autre intermédiaire le long de laquelle on retrouve de distance en distance de grands fragmens de roches basaltiques qui ont appartenu sans doute à l'enchaînement primitif (3). Celte troisième ligne, la plus démantelée, prend naissance auprès de Mosaga, un peu au-dessus du bourg de San-Bartholomé, où le sol a déjà plus de 767 pieds de hauteur absolue. Les cônes volcaniques qui la signalent sont moins (1) Physical. Besch. der Can. Ins., pag. 305. (2) Voy. Atlas, pl. x. (3) Nous avons désigné sur notre carte par les lettres O. O. O. le gisement de ces anciennes roches basaltiques. (Voy. la légende en marge.) ( 189 ) élevés que ceux des deux autres séries, et se prolongent par Diamar, la Jeria, Uga, Vaisa et Femes jusqu'au cap Pechiguera, que termine le promontoire de Montaña-Roja, autre volcan d'ancienne date. En dehors de ces trois grandes lignes de volcanisation, on observe plusieurs séries isolées, mais qui se rattachent au système général. Telle est celle des montagnes rouges (Wontañas Bermejas), situées au pied de la chaîne centrale, puis le groupe de /a Quemada, dont les laves ont recouvert le territoire d'Jguadin, et enfin l’ancienne ligne des cônes volcaniques de Timbaya, Tinajo et Tenesor, qui s'étend Jus- qu à la pointe de Gaviota. De l'examen que nous venons de faire, on peut déduire les probabi- lités suivantes : 1° La débâcle qui a rompu, vers le centre et à l'occident, la ligne de continuité des montagnes de Famara a dû se manifester d’abord par une éruption du premier ordre, dont l'action s'est prolongée le long d'une crevasse ouverte du nord-est au sud-ouest dans la direction du grand axe de l'île. M. de Buch a le premier manifesté cette opinion. « Cette grande faille, dit-il, a eu lieu sans doute avec d'autant plus de » force et de- violence qu'il n'existait pas auparavant de volcan ou de » cheminée en communication avec l'intérieur, et qui pût atténuer » l'intensité de l’action mise en jeu lors de cette éruption (1). » Quant à nous, nous n'oserions pousser aussi loin cette hypothèse. 2° Les fragmens basaltiques disséminés au milieu des produits des éruptions modernes sont évidemment des restes disloqués de l'ancien système de montagnes. Ces roches isolées, dont quelques-unes surgissent encore comme de grandes ruines au milieu des champs de lave, ont été aussi indiquées par notre savant devancier. «Il n'est pas difficile , » ajoute-t-il, de retrouver la roche que l’action du feu a fondue en » grande partie. Le sol de Mancha-Blanca est composé d'un basalte (1) Physical. Besch. der Can. 1ns., pag. 306. ( 190 ) » colonnaire compacte, contenant souvent de gros grains de péridot. » Cette roche ressemble entièrement aux basaltes de la côte du Rio » (montagnes de Famara). Au-dessus de cette ancienne formation » s'élève la chaîne des mamelons dont les éruptions ont brisé en » grande partie et entraîné à l'état fluide les roches primitives (1). » 3° Les phénomènes qui se sont manifestés de nos jours prouvent que la tourmente géologique a eu plusieurs époques de réaction, et que ses effets se sont toujours reproduits en suivant la direction primitive. L'activité permanente des foyers volcaniques sur divers points doit faire craindre que l’île n'éprouve encore de nouvelles révolutions. Donnons une analyse des faits : Le 1°” septembre 1730, on vit tout-à-coup le sol s'ouvrir avec fracas aux alentours de Timanfaya, dans le district de Za Jeria, et une énorme montagne enflammée sortir du sein de la terre (2). Quelques jours après, d’autres gouffres se formèrent à l'orient de Montaña del Fuego, sur la ligne des anciens cônes d'éruption. Le 18 octobre, le sol se crevassa de nouveau dans trois endroits diffé- rens, maïs toujours dans le sens du grand axe de l’île. Cette réaction donna naissance à une série de mamelons isolés qu'on aperçoit à l’occi- dent de la Jeria, et dont le plus grand a près de 300 pieds d’élévation. Ce fut de son cratère que s'échappèrent les torrens de matières incan- descentes qui détruisirent le bourg de Santa-Catalina , et envahirent tout son terroir. Le 28 du même mois, les vapeurs délétères qu'exhalaient plusieurs cratères en activité asphyxièrent le bétail ; dans toute la contrée, les chameaux, les chèvres, les brebis et les autres animaux domestiques furent frappés de mort presque en même temps. (1) Physicl. Besch. der Can. Ins., pag. 306. (2) Notice manuscrite du curé don Lorenzo Cuberto. Viera, Noticias, tom. 11, pag. 404, ex Davila, Constit. synod., pag. 505. G. Glas, His. of Can. Isl., pag. 200. (194, Le 3 février de l’année suivante, l'action volcanique produisit un nouveau cône dont les laves incendièrent le village de Rodeos. Le 7 mars, il s'en forma d'autres qui anéantirent Tngafa. Le 20, il en apparut encore plusieurs qui se rangèrent sur la même série à demi-lieue plus loin vers le nord. Le 13 avril, deux de ces montagnes s'affaissèrent avec fracas, à la suite d’une violente commotion. Le 1” mai, à un quart de lieue plus loin encore, on vit se produire de nouveaux volcans qui furent en grande activité jusqu'au 6. Le calme se rétablit ensuite, et les malheureux habitans espéraient enfin un terme à cette épouvantable dévastation, lorsque, le 4 juin, trois bouches s'ouvrirent à la fois au pied de WMontaña del Fuego, tou- jours dans le cercle de l'ancien foyer. Ces crevasses n'en firent bientôt plus qu'une seule, dont les déjections s'étendirent jusqu'à la mer. Le 18 juin , un autre cône s'éleva au-dessus des ruines des villages de Santa-Catalina, Mato et Tingafa. Il est à remarquer que ces divers phénomènes se manifestèrent constamment du nord-est au sud-ouest, comme si l'ile eût été fracturée dans ce sens. En octobre et novembre de la même année, de nouveaux tremble- mens de terre, accompagnés de grandes éruptions, vinrent encore bouleverser la contrée. Le 25 décembre, à la suite d'une secousse plus violente que toutes celles qu'on avait ressenties jusqu'alors, un courant de lave, sorti d'un mamelon qui s'était formé instantanément, se précipita sur le bourg de Jaretas, et se répandit jusqu'aux environs de Yaisa, où il incendia la chapelle de saint Jean-Baptiste. Les habitans, perdant toute espérance après des désastres si sou- vent répétés, abandonnèrent une île qu'ils craignaïent de voir s'en- gloutir avec eux, et se réfugièrent en masse à la grande Canarie. Pen- dant cinq années consécutives, les volcans continuèrent leurs ravages, et ne se calmèrent entièrement que le 16 avril 1736. Leur action \ (1929 s'était étendue à plusieurs reprises sur la ligne des premières éruptions ; des torrens de matières brülantes avaient dévasté la belle vallée de Tomara, englouti dans différentes directions huit villages, dont les noms ne se retrouvent plus sur la carte (1); le sol, bouleversé de fond en comble, s'était recouvert de scories et de cendres sur un espace occupé par quatorze hameaux (2). Aïnsi, presque le tiers de Lance- rotte avait été détruit; des fleuves de feu avaient formé un immense lac de lave d'où s'élevaient de proche en proche, comme autant d'ar- chipels, des groupes de montagnes isolées. La fournaise souterraine avait débordé par ces soupiraux : tantôt liquide et bouillonnante, la lave, en se précipitant par cataractes, avait entraîné au loin des ro- chers calcinés, et s'était amoncelée sur le rivage, où de noirs promon- toires signalent encore le terme de sa course ; tantôt compacte et plus lente dans sa marche, elle avait coulé comme un limon épais, pous- sant devant elle de grandes masses, s'agglomérant au pied d'un obsta- cle pour l'envahir, se détournant de ceux qu'elle ne pouvait surmonter, suivant toutes les inflexions du sol, se moulant sur toutes les formes. On la voit encore aujourd'hui comme dans ce ternps de désastreux souvenirs : le courant dévastateur s'étend ici sur une vaste plaine: R, il franchit un défilé entre deux collines pour venir déboucher sur cette partie de l'île qui à conservé le nom de Playa Quemada, plage brûlée : plus haut il cerne le district de San-Bartholomé , force le passage entre les ruines de Zonzamas et le village de Tajiche, menace Arrecife, et vient se perdre près du port de Naos. A l'occident, il envahit le petit golfe de Janubio, isole Montaña del Fuego, se répand depuis les pointes fiasa et Gaœiota jusqu'à Tao, sur un espace de plus de dix milles géographiques, et porte partout l'incendie et la dévastation. (1) Ces bourgs étaient ceux de Tingafa, Maretas, S'anta-Catalina, Jaretas, S an-Juan, Peña-de-Pal- mas, Testeyna et Rodeos. (2) Mancha-Blanca, Asomada, Yguadin, Jeria, Macintafe, Mosaga, San- Andrès ; S'an-Bartholomé Calderetas, Guagaro, Conil, Mardache, Guagime et Faisa. ( 195) Nous avons parcouru dans tous les sens cette région volcanique, nous avons gravi sur tous les sommets qui la dominent, et dont plu- sieurs sont encore fumans: l'imagination s'épouvante à l'aspect de ce grand désastre; c'est un spectacle à la fois curieux, imposant et su- blime ; il serait difficile d'en trouver un plus extraordinaire dans les autres parties du globe. Aussi l'île de Lancerotte offre un beau champ d'observations aux géologues, et les savantes descriptions de M. de Buch en sont une preuve convaincante. Maïs notre illustre devan- cier na pas tout vu; il n'a visilé que certains points, et, quelque exercé que soit son coup d'œil, il n'a pu embrasser qu'une partie de ce vaste système de volcanisation. Malgré ses explorations et les nôtres, il reste encore de grands espaces à parcourir et bien des faits à constater. Cette action volcanique si puissante, et qui, en 1730, réagit avec tant de violence pendant sept années, a donc eu ses temps d'arrêt et de retour; mais aujourd'hui, plus lente dans sa marche et moins active dans ses effets, elle paraît avoir atteint l'époque de ses dernières révo- lutions. En 1824, rois éruptions vinrent encore désoler le pays : la première eut lieu au centre de l’île, dans le voisinage du hameau de Tao et sur la ligne de volcanisation de la montagne del Fuego; elle produisit un nouveau mamelon qui envahit des terres labourées. Les deux autres éruptions percèrent la grande nappe de lave de 1730 à l'occident des montagnes brûlées (Montaña de la Quemada) (1). Plusieurs cratères s'ouvrirent à la base de cinq cônes de scories, et vomirent des torrens enflammés qui furent se perdre dans la mer. Ces phénomènes pré- sentèrent la même régularité dans leur marche du nord-est au sud- ouest, et se manifestèrent par diverses alternances durant l’espace de trois mois. (4) Voy. Atlas, pl. x, au renvoi g. I. | \ 25 (194) Les volcans de Lancerotte couvent peut-être d’autres incendies dans leurs cavités souterraïnes, et, après des intermittences plus ou moins longues, ils se feront jour de nouveau au travers de ce sol tourmenté. Toutefois, ces désastres seront encore compensés par des bienfaits; les immenses amas de matières volcaniques qui ont couvert le pays, notamment à l'époque des grandes éruptions de 1730-1736, lui ont procuré des avantages inattendus. La nature du sol a été changée sur une partie de sa surface, et ilen est résulté une modification dans ses produits. Ainsi, la vigne a prospéré dans tous les districts où une forte couche de scories est venue favoriser son développement. Cette cul- ture est aujourd’hui très-répandue aux alentours de la Jeria, Vaisa, Gaya, San-Bartholomé, Florida, etc., et ses produits dépassent an- nuellement 3,700 pipes de vin. Le maïs à prévalu dans les champs envahis par les rapilles et les cendres; les récoltes de cette céréale sont évaluées à 19,000 fanegas dans les bonnes années. La culture de la gla- ciale (1) a réparé aussi bien des pertes; on a semé cette plante le long du littoral et dans les terrains volcanisés susceptibles de labour. Tous les ans plus de 46,000 quintaux de soude naturelle (Barrilla) sont exportés en Angleterre. Si l’on fait exception de certaines vallées de la côte orientale, où la couche de terre végétale a laissé croître quelques arbres à fruits, il faut convenir que la campagne de Lancerotte est loin de présenter l'aspect séduisant des beaux sites de la Vega et de l'Oratava dans les îles de Canaria et de Ténériffe. Ici, la végétation, toujours masquée par des cônes d'éruption qui portent encore tous les caractères de leur origine, cachée dans des cratères devenus fertiles, ou encaissée entre deux torrens de lave, ne se montre que par lambeaux. Lorsque du haut d'une colline on promène la vue sur les champs des alentours, on est surpris d'apercevoir les vignes enfouies dans une multitude de petits (1) Mesembryanthemum crystallinum. ( 195 ) espaces circulaires qu'on a pris soin de déblayer. Des rameaux vigou- reux rampent sur la terre et tapissent ces cratères artificiels; maïs en traversant la plaine, toute cette végétation disparaît, on ne découvre plus alors devant soi que les noires ondulations du sol, et rien ne vient rompre la monotonie de ce triste paysage. Les arbres fruitiers, qu'on a multipliés dans quelques cantons, s'élèvent à peine sur cette campa- gne sans verdure ; il a fallu leur creuser de grandes fosses à travers la couche de lave pour leur procurer un sol plus propice ; les bords de ces espèces de blokhaus, qui garantissent les arbres contre les vents et les ardeurs du soleil, sont relevés par des murs de pierres ; une ouverture latérale donne entrée dans l'enceinte. Ces fosses, que nous rencon- trions de loin en loïn durant nos pénibles caravanes, remplacent à Lancerotte les oasis du désert. Elles avoisinent ordinairement les petites fermes, et l'on a pratiqué des citernes dans leurs environs. Là seulement on trouve la fraîcheur et l'ombre qu'on chercheraïit vaine- ment aux alentours. Il n'existe dans l’île aucun ruisseau courant : les habitans conservent les eaux pluviales dans de grands réservoirs. Sur le versant oriental des montagnes de Famara, au haut de la vallée de Temisa, on trouve une petite source, la Fuente de Chafariz (1). Il y en a une autre sur l'autre bande appelée Fuente de Aguza; elle est située au pied de grands escarpemens, en remontant vers le cap Farion. La position de ces deux sources, d'ailleurs fort peu abondantes, ne permet guère de profiter de leurs eaux. Durant notre séjour à Lancerotte, nous résidâmes plus d'un mois à Arrecife ; nos divers itinéraires à partir de ce point sont tous indiqués sur la carte. Ce que nous avons dit précédemment, dans notre des- cription de Fortaventure, de la prospérité croissante de Puerto-Ca- bras, et de la décadence de Betancuria, est aussi applicable à la ville (1) Voy la carte, pl. x de l'Atlas, au renvoi a. \ ( 196 ) d'Arrecife et à celle de Teguize. L'une s'agrandit chaque jour au détri- ment de l'autre. Le port d'Arrecife est un des plus sûrs de l'archipel des Canaries, mais les sables vaseux qui l'encombrent n’en permettent pas l'entrée aux navires d’un fort tonnage ; presque tous les bâtimens étrangers vont s'amarrer au port de Naos, situé un peu plus à l’est. Plusieurs îlots barrent ces deux mouillages, et les défendent contre les vents du sud. … Malgré la suprématie qu'exerce Arrecife par sa position et les avan- tages de son commerce, cette ville est soumise à la juridiction de Teguiïze, qui commande tous les bourgs du centre. Teguize , l’ancienne capitale de l'île, où les seigneurs de Lancerotte avaient jadis établi leur résidence, s'enorgueillit de quelques priviléges octroyés, dont les riches marchands d'Arrecife font fort peu de cas. Le trafic de /a Barilla et les bénéfices qu'on en retire ont opéré une révolution. Le commerce, en prenant une impulsion nouvelle, à amené de grands change- mens dans les fortunes, le luxe européen commence à s'introduire, et chaque jour une civilisation plus raffinée impose de nouveaux besoins. L'aristocratie des piastres et des onces d'or a presque tué l'antique-noblesse, et les habitans de l’orgueilleuse cité, dont les an- cêtres s'étaient enrichis des dépouilles des Maures sous les Herrera et les Peraza, sont devenus tributaires des négocians du port. Le bourg de Haria est le chef-lieu des villages compris dans les vallées du nord-est : Faisa commande à ceux de la partie occiden- tale de l’île; sa juridiction s'étend jusque sur la côte du détroit de la Bocayna et embrasse l’ancien district que Bethencourt occupa d’abord à l'époque de la conquête. On voit encore dans les environs de Femes la chapelle de Saint-Martial de Rubicon, construite par les Normands, et qui fut dans les premiers temps le siége de l'évêché des Canaries ; mais l'itinéraire que nous suivimes ne nous permit pas de pousser jusque là notre pèlerinage. Dans le village de la l’egeta, situé au nord-est de Vaisa, sur les bords de la grande nappe de lave, habitent encore quel- ( 197 ) ques-uns des descendans des conquérans. On les désigne dans le pays sous le nom de Mulatos, Mulätres. Ce singulier sobriquet leur a été ap- pliqué probablement à cause de l'alliance que leurs pères contractèrent avec les aborigènes. Un individu de l’ancienne famille de Bethen- court, que nous avons eu occasion de voir, avait en effet le teint plus basané que ses.autres compatriotes. C'était un homme d'une cinquan- taine d'années, d’une taille élevée et bien prise ; ses formes musculaires étaient très-prononcées, son visage régulier, le nez aquilin; ses cheveux frisés avaient été blonds dans sa jeunesse; l'expression de sa physionomie marquaït en général la hardiesse et la détermination; le regard semblait indiquer la pénétration et la ruse; on y retrouvait quelque chose de l'audace normande et de l'astuce africaine : c'était un mélange de ces deux natures, un véritable type de race caucasienne. Nous renvoyons à l’APPENDICE STATISTIQUE , qui accompagne nos des- criptions, pour les renseignemens relatifs à la population et aux diffé- rens produits de Lancerotie. | (1889 NOTICE SUR LES PETITES ILES DÉSERTES SITUÉES DANS LE VOISINAGE DE LANCEROTTE. La GracosA. Cette île est séparée de Lancerotte par le détroit d’el Rio; elle a environ cinq milles de long depuis la pointe sud-ouest (Montaña Amarilla) jusqu à celle du nord-est (Punta de Pedro Barba); sa plus grande largeur n'excède pas un mille. Elle est couverte en partie de sable blanc, mêlé d'une grande quantité de coquilles ter- restres, parmi lesquelles dominent principalement l'Æelix sarco- stoma, H. Pisana et le Bulimus decollatus. Sur la bande méridionale - la côte est rocailleuse , basse et facilement accessible; le sol s'étend vers l'orient et le nord en une plaine légèrement ondulée où abondent les chénopodées arborescentes. Vers le nord-ouest le littoral est beaucoup plus escarpé; des masses de basalte bordent le rivage, et trois cônes d'éruption, rangés sur la même ligne à partir de Montaña Amarilla . ne laissent aucun doute sur l’origine volcanique de cet îlot. Après les pluies d'automne, la Graciosa se couvre de plantes herba- cées qui se développent rapidement à l'ombre des grands buissons d'Atriplex et de Salsola; les habitans de la partie septentrionale de Lancerotte y envoient alors leurs troupeaux. MoxranA CrarA. Ce rocher apparaît à un quart de lieu au nord dela Graciosa, et s'élève au-dessus de la mer jusqu'à la hauteur de 300 pieds : une petite source, cachée dans sesanfractuosités, attirait autrefois une multitude de serins; maïs depuis que des pêcheurs incendièrent les broussailles qui en garnissaient les alentours, ces oiseaux ont disparu. (1995) Roquete del Oueste est un écueil voisin de Montaña Clara. ALEGRANZA , la Joyeuse de Bethencourt, et la première terre où il aborda, est située une lieue et demie plus au nord, et commence de ce côté l'archipel des Canaries. Cette petite île n’a guère plus d’une lieue d'étendue; les anciens seigneurs de Lancerotte et de Fortaventure s'en disputèrent long-temps la possession; elle appartient aujourd'hui à don Joseph Garcia de Lugo, qui en retire une rente annuelle de quatre mille piastres. On y cultive la glaciale, qu'on va récolter dans la saison pour en extraire la soude. La chasse des puffins, dont on vend la chair marinée, et celle des grands goélands (Larus Marinus), qui fournissent une espèce d'édredon, rapporte de gros bénéfices. L'ile paraît avoir été produite par un ancien volcan, qui a formé au centre un vaste cratère. À lorient de Lancerotte, on découvre un autre écueil, Roque del Este, presque inabordable et toujours entouré d'oiseaux de mer. Isra DE Logos. Cet îlot est situé dans le détroit de /a Bocayna, entre Lancerotte et Fortaventure, maïs beaucoup plus rapproché de cette dernière; il a environ une lieue de circonférence, et se fait remarquer par les anfractuosités de ses bords. Les phoques ou loups-marins, qui venaient se reposer autrefois sur les rochers du littoral, ne fréquentent plus ces parages ; les compagnons de Bethencourt les chassèrent à ou- trance, et ceux qui survécurent à cette guerre d'extermination furent chercher ailleurs un meilleur gîte. Bontier et Le Verrier ont cité sou- vent l’île des Loups dans leur ouvrage. « L’ile de Loupes, écrivaient-ils, est dépeuplée et presque ronde; du costé d’Erbanie » est très-bon port pour gallères. Là viennent tant de loups-marins que c’est merveille, » et on pourrait avoir chaque an des peaux et des graisses cinq cents doubles d’or ou » plus (1). » (1) Hist. de la prem. descouv. et conquest. des Can., pag. 132. \ ( 200 ) Dans un autre passage de leur relation, les bons chapelains rendent compte de la mésaventure du chevalier Gadifer de la Salle, qui, aban- donné sur cette île déserte et sans eau par le traître Berthin de Berne- val, manqua y périr de détresse (1). (1) Hist. de la prem. descouv. et conquest. des Can., pag. 29 et 23. APPENDICE STATISTIQUE. ÉCHELLE GÉOGRAPHIQUE INDIQUANT LES DISTANCES RELATIVES DES ILES CANARIES. CANARIE. 45 | FORTAVENTURE. 56 | 65 | FER. 24% | 52 | 41 | GOMÈRE. 52 | 2 | 78 | 65 | LANCEROTTE. 40 | 65 | 124 | 10 | 72 | PALME. 40 | 50 | 26 | 4 &| 45 | 15 | TÉNÉRIFFE. N. B. Les distances sont évaluées en lieues marines de vingt au degré. ÉCHELLE DES DISTANCES RELATIVES POUR LA GRANDE CANARIE. CIUDAD DE LAS PArmas. 8 | Agaete ou Gaete. 6 | 12 | Aguimez. 41215 #] 40 | Aldea. .[7 |[3?] 7 16 À| Artenara. = NE RSI SIEMENS" a 4 |S?115$| 8 | 5 | 5 | Valsequillo. SRE EP RES clrieiaissis115415i] À | Guia Bla l4il8isil sl] +151 5 1541 Moya. 223140151416 1551 2 1 9 19416 #1Tede. œ 3 [S|Sloi18|1117/S (84, 4 |[54|Teror. Til4l64164141l4$l44l44l4{] 4 | 5 | 4 | Texeda. 8 6 L]%5 | «6 | 4 £1 7 [4 40 | 10 [7 $152] 6 | | Tiraxana. 27141915 124124154184| 4 [241131 4 | 5 | Vega de Santa-Brigida. 5 [6e lsil7il4leil2ls 4181] 8 [4] 5 [44] 4 | Vega de San-Mateo. Avis. Les résultats des observations du P. Feuillée, du chevalier de Borda, de don Thomas Lopez, etc., ayant été déjà indiqués, dans nos descriptions des îles, aux articles GISEMENS, nous croyons superflu de présenter, à la suite des échelles de distances, le tableau comparatif des latitudes et longitudes que nous avions annoncé précé- demment à la page 58 de GER géographique. ‘ay94aeu 2p om9q oun uorrau»o p s£ed 9p ou U9 S9PN[EAY JUOS SOOUEISIP SOT °T ‘AT “euseyo no «oyeitA | € Ga Ten mlmlrelre [sr] 6 [6 81 6 l+slorlor|l+zl # l#el?rlrrl or lor]£sel®se| s [er "RHOJOIA | E SE ris lis |ErIEzISr]20orl 2 |l?slicl?el & lérlérl £ | + ltslémléelorl s 1471 8 |?2] sg [%r]l8e vunaL| & 191 8 lérlfeltilrr| es lr9l#zliselfrlérlFeltelrel 9 1éolSerlis| PRINTEMPS. ÉTÉ. AUTOMNE. HIVER. E = ê a ra Garçons| Filles. { Garcons| Filles. | Garçons Filles. ?Garçons| Filles. = À 1793 61 64 425 17 24 13 12 16 14 15 17 25 1794 69: 59 128 15 13 16 3 16 24 22 22 55 1795 85 93 1738 34 27 14 17 23 25 14 26 41 1796 74 69 140 14 19 13 12 20 19 24 19 29 1797 65 77 142 46 | 22 15 12 17 18 17 25 24 1798 62 60 122 16 17 16 12 14 16 16 45 24 ‘ 4799 66 73 144 14 19 13 15 19 20 20 30 28 1800 62 TA 1353 18 19 15 19 A1 414 14 19 29 - 4801 73 87 115 24 41 19 4 15 6 22 16 24 1802 84 84 165 25 27 17 18 135 45 29 21 41 PAROISSE DE LA CONCEPTION. a EH É 705 | 689 495 | 4189 | 449 | 4122 | 168 | 166 | 195 | 210 Do Ce D SE ne 2 1,592 1,592 582 275 554 403 308 fi PAROISSE DE SAINT-JEAN. OBSERVATIONS. Ce tableau donne lieu à plusieurs remarques : 4° L'année 4795 fut d’une fécondité extraordinaire , car les naissances s’élevèrent à 307 individus des deux sexes, la moyenne annuelle n’étant que de 234, 7; l'excès a donc été de 72, 5; \ ( 222 ) 2° Le chiffre des naissances de filles n’a dépassé que de 5 celui des garçons dans l’espace de dix ans, la somme totale étant de 1,451 garçons et 1,156 filles pour les deux paroisses ; 5° Les naissances présentent un chiffre beaucoup plus fort au printemps et en hiver qu'en été et en automne. Les moyennes annuelles de naissances par saison sont les suivantes : Printemps. ÆEié. Automne. Hiver. 64,1 18 36, 6 66 Il faut déduire de ces données que le printemps et l'été sont les saisons de l’année les plus favorables à la conception, et l'automne et l'hiver les moins propices (4) ; 4 En comparant le chiffre des mariages dans les deux localités, on s'aperçoit que celui de la paroisse de Saint-Jean n’est pas en rapport avec la population de ce faubourg, et qu'il présente une grande différence avec celui de la paroisse de la Conception. EXEMPLE : Faubourg de la Conception. — 3508 mariages en 40 ans ou 30, 8 par an sur une populat. de 5,866 habitans. Faubourg de Saint-Jean. — 184 id. id. ou 18, 4 id. id. 2.920 cd. Différences. 124 id. id. 12, 4 id. id. 946 id. La cause de cette différence dépend de l'émigration qui est beaucoup plus forte parmi les habitans du faubourg de Saint-Jean. Les émigrations, en se répétant chaque année, occasionnent un déficit dans la classe la plus prolifique , car ce sont toujours des jeunes gens qui quittent le pays pour aller chercher en Amérique une exis- tence plus heureuse. Aussi voit-on par le chiffre annuel des naissances que la population de cette paroisse a suivi une marche moins progressive. Toutefois, il faut convenir que l’émigration , et par suite la diminution dans le chiffre des mariages, vient heu- reusement arrêter le trop rapide accroissement de la population dans la classe indigente. Les apologistes de la propagation illimitée, comme base de la prospérité des états, ne sauraient envisager sous un autre point de vue les faits que nous citons ici. Les moyens de subsistance doivent toujours être en rapport avec la population, et les îles Canaries n'offrent pas assez de ressources pour soutenir cette juste proportion qui sert de garantie à l'avenir. Sans le contre-poids des émigrations, une propagation imprévoyante viendrait infailliblement augmenter la misère et démentir des théories qui ne trouvent leur application que dans des contrées d’une grande étendue, où l'in- dustrie, en se développant sur une vaste échelle, semble chaque jour appeler de nouveaux bras à son aide. (1) Dans l'ile de Cuba les époques où les pluies font baisser la température favorisent davantage la fécondité que celles où règnent la chaleur et la sécheresse. M. Ramon de la Sagra a classé dans l’ordre suivant les mois où la conception est plus forte, savoir : février, janvier, avril, décembre, mars et novembre. Par un arrangement semblable , ceux où elle est plus faible sont: juin, juillet, août, octobre, septembre et mai. ( Voy. Hist. économ. polit. y stadist. de la isla de Cuba, p. 36. Havana, 1851.) Des recherches analogues faites en France par M. Villermé établissent les mois de juin, juillet, mai, août, mars et janvier pour les plus féconds et signalent les mois d'automne comme ceux les plus stériles. ( Voy. le rapport lu à l'In- stitut, séance du 4 mai 1829.) D'après les tableaux de l'état-civil de Nantes, les mois d'été semblent aussi plus favorables à la propagation , car, en remontant des époques des naissances à celles de la conception, on trouve que 776 enfans ont été conçus en novembre, décembre, janvier et février, et 910 en juin, juillet, août et septembre. (Voy. les documens publiés par Mellinet en 1826. ) En Suède, les données fournies par les époques des naïssances depuis 1816 jusqu’en 1825 ne s'accordent pas avec les observations faites en France ; le mois de janvier serait, dans ce pays, le plus fécond et le mois d’octobre le plus stérile. ( Voy. Revue encyclop., février 1829.) Espérons que des recherches comparatives, faites à diverses latitudes, et dans lesquelles on tiendra compte de toutes les circonstances de localité et des habitudes de la vie, jetteront de nouvelles lu- mières sur une question qui n’est pas sans importance. ( 223 ) TABLEAU DES MORTALITÉS PAR ANNÉE, AGE ET SEXE. TOTAL TOTAL ENFANS. |ADOLESCENS.| ADULTES. | VIEILLARDS. | uw] [ea] E TS, D É PR. A pou en e Garçons. | rilles. | Garçons. | rilles. | nommes.| Femmes. | Hommes. Femmes. | SEXES? MASSE: A, | PR CS Zz, | 1795 1 4 4 6 40 14 411 7 26 51 37 © | 4794 25 17 6 2 5 410 7 16 | 45 45 88 E | 1795 11 5 1 5 9 8 8 41 29 25 54 & | 1796 9 8 2 4 41 44 11 49 | 55 42 | 75 © | 4797 9 4 3 0 3 9 41 18 | 96 84 | 57 & | 1798 6 8 5 6 8 5 14 44 | 50 55 | 65 © | 1799 6 7 6 D 8 17 18 23 | 58 52 90 <« | 1800 2 1 4 3 9 5 13 46 | 98 25 55 = | 1804 10 6 1 0 4 14 10 25 | 92 45 65 A | 1802 0 4 1 4 5 45 10 42 | 46 32 48 je 4 Ê re. h FA S £ 79 62 33 | 30 69 108 110 159 294 359 À 650 a] | D D D NU D NS [=] À 2 444 65 477 269 630 [7 1793 5 4 0 0 6 5 6 14 47 25 40 Z | 1794 20 51 0 4 2 4 5 11 27 47 74 < | 41795 8 9 4 0 4 4 4 41 14 24 38 E |4796 À 47 415 1 5 0 2 3 12 93 50 | 55 ea | 4797 5 11 4 0 2 5 9 12 17 26 45 Z | 1798 5 4 5 2 6 2 4 10 46 48 54 < | 4799 | 14 23 4 3 6 11 12 29 36 68 | 104 2 | 4800 2 6 3 1 4 9 18 16 27 32 59 A [1801 | 10 10 2 0 2 0 4 47 18 28 | 46 ra | 1802 5 5 4 1 4 5 11 18 21 29 50 un CD) M, SE SHIE Æ = 89 118 16 11 56 46 75 150 216 325 a H SR CS DU CS D D 207 27 82 295 341 544 È OBSERVATIONS. On peut déduire de ces tableaux les conséquences suivantes : 4° Si l’on compare réciproquement le chiffre de la population des deux paroisses avec celui des décès, on trouve ‘qu'il meurt proportionnellement plus de monde à Saint-Jean , où le nombre d'habitans est plus faible, qu’à la Conception , où il est plus fort. Cet excès dépend de la différence dans les conditions d’existence de la population des deux faubourgs. La paroisse de la Conception est affectée aux riches , tandis que celle de Saint-Jean réunit les artisans , les laboureurs, les gens de peine et en général toute la population indigente. Ainsi, d’une part règne la fortune et avec elle les aisances de la vie ou le bien-être ; d'autre part, c’est la misère et ses conséquences, c'est-à-dire le travail, les besoins et toutes les privations qui abrègent l'existence; aussi voit-on que les décès sont là en majorité, principalement dans les deux classes plus faibles et dont la vie est assujettie à \ ( 224 ) plus de chances, les enfans et les vieillards. Quant aux adolescens et aux adultes , les décès dans ces catégories sont proportionnellement plus nombreux à la Conception qu’à Saint-Jean : c’est qu’ici l’homme est alors parvenu à l’âge où il peut mieux supporter les chances de la vie et que la sobriété et l'exercice journalier entretiennent chez lui l'équilibre de ses facultés. A la Conception , au contraire , les loisirs imposent la nécessité des jouissances , les plaisirs faciles excitent à chaque instant la sensualité et déterminent l’intempérance; les plaisirs usent la vie et la mort arrive avant l’âge ; 2° En examinant le tableau des mortalités, on s'aperçoit que les années 4794 et 4799 furent fatales aux enfans et aux vieillards, car les décès dans ces deux classes dépassèrent de beaucoup le chiffre des autres années. Dans la paroisse de Saint-Jean, par exemple , les décès s’élevèrent à 404 en 4799, la moyenne n'étant que de 54, 1. MOYENNES DES MORTALITÉS EN DIX ANNÉES, PAR SEXE, AGE ET SAISON. TOTAL ENFANS. ADOLESCENS. } ADULTES VIEILLARDS. des | me À me moyennes PAR SEXES. SAISONS. Garçons. Filles. À Garçons. | Filles. | Hommes. Femmes.’ Hommes. Femmes. |Torar. EN MASSE. | PRINTEMPS. 16 10 - 27. 36 où] (e] (o) LS IMÉTE. 4... à 54 | 25 26 ee CA Le] [9/2] | AUTOMNE. . 20 15 24 (0 œ de] © 42 42 Et S [ee] E à New-York. 4 sur 58 en Angleterre. 4 sur 59 en France. Re (1) Ainsi , dans l'ile de Cuba , la vie est subordonnée à d’autres chances par la nature du climat et celle des alimens ; de fréquentes épidémies viennent frapper indistinctement toutes les classes de la population et renverser l’ordre des mortalités. Selon les judicieuses observations de M. Ramon de la Sagra , les mois de janvier, février et mars sont les plus mortels dans le premier âge de la vie, ceux de juillet et août pour les adolescens et ceux de juin et août pour les vieillards de la race blanche. Il en est de même pour les gens de couleur dans les deux premiers âges, mais les vieillards de cette classe meu- rent en plus grand nombre en novembre, décembre et janvier. Le plus grand nombre de décès a lieu à la Havane aux mois de mars, janvier et juillet, et le plus petit nombre en décembre, juin et octobre. Mais ces époques varient suivant les races : pour les blancs, les mois de mars et de juillet sont ceux de la plus forte mortalité, et les mois de novembre et d'avril ceux de la plus faible. Les nègres, au contraire, meurent en plus grand nombre en janvier et février, tandis que la mortalité semble se ralentir pour eux en juin et septembre. A New-York on a remärqué que les maxima de décès se présentaient pour les gens de couleur dans l’ordre suivant : août, juillet, septembre, octobre, mai, janvier, novembre, mars, février, juin et avril. (Voy. Don R. de la. Sagra. Hist. économ, polit. y estadist. de la isla de Cuba. Havana, 1831, p. 59 et 51.) — Ur 29 ( 226 ) 4 sur 25, 6 pour les blancs. 4 sur 20,9 dansl’île de Cuba. { pour les gens de couleur. ASUS 2 87 pour les deux classes (1). 5° Il est des années qui sont moins mortelles que d’autres pour certains âges : des tables nécrologiques et météorologiques comparatives pourraient seules nous guider dans l’étude difficile des causes qui font varier les pro- portions de mortalité. Toutefois, ces perturbations accidentelles semblent avoir moins d'influence aux Canaries sur les résultats qu'on peut tirer d'une série de faits observés pendant une période. Ainsi , nous trouvons que les termes moyens des contingens de mortalité par âges présentent les différences suivantes : Enfans. . . . 51, 9 pour ©. Adolescens.. 7, 6 — AUS EE 0 770 Vieillards. . 55, 8 _ Des recherches analogues ont fourni pour d’autres contrées les proportions de mortalité que nous reprodui- sons ici. HAVANE (2). — Blancs. Enfans. . . . 46 pour? .— New-York (5). Enfans. . . . 54, 2 pour !. — Adolescens.. 5 — Adolescens.. 4,2 — 1 MAduItES. . “MIMOT IN Adultes. .: . 32, 1 — — Vieillards. .. 21 — Vieillards. . 42,46 — Gens de couleur. Enfans. . . . 4% — BALTIMORE (3). Enfans. . . . 44,7 — — Adolescens: . 45 — Adolescens. . 6 — — » Adultes: … 0 54 = Adultes. ... 34, 8 — — Vieillards. .. 48 — Vieillards. . 12,38 — (1) Voy. Don Ramon de la Sagra. Op. cit., p.50. D'après des observations suivies avec une grande exactitude par don Jayme Badia, il meurt à Matanxa (île de Cuba) 1 individu blanc sur 18, et 1 de couleur sur 45. (2) Voy. Don Ramon de la Sagra. Op. cit., p. 80. (3) Voy. les états de mortalité publiés dans ces deux villes de 1827 à 1830. ( 227 ) TABLEAU DE LA POPULATION DE LA VILLE DE L'OROTAVA, EN 18092, DONNANT LE DÉNOMBREMENT DES HABITANS PAR AGE, SEXE ET CONDITION. DEP EE TN IRON EN NII NE Z , , © a ES NON-MARIÉS. MARIÉS. VEUFS. EE 4.8 à par | en —<—, = S Fi L Ê a #4 PANNES GARÇONS.| FILLES, HOMMES. | FEMMES,| HOMMES .| FEMMES. | © E A : jusqu'à 7 ans. 289 257 » » » » & (COMTE ESS 502 291 » » » » A de 14 à 925 » 347 B19 56 59 » » a de 25 à 40 » 106 225 299 252 5 45 | de 40 à 50 » 19 77 146 4154 9 59 o de 50 à 60 » 43 70 145 106 8 46 © de 60 à 70 » 40 45 54 36 9 75 © de 70 à 80 » 4 45 413 4 9 16 << de 80 à 90 » » 3 » » 4 7 = de 90 à 400 » » » » » » » ral A 1 EH] na RÉSULTATS PAR SEXES. el _ RÉSULTATS EN MASSE. < Ex TOTAL UNE. à 3,866 jusqu'à 7 ans. de 7 à 44 » _ de 14 à 95 » < de 25 à 40 » = de 40 à 50 « à de 50 à 60 » A de 60 à 70 » < de 70 à S0 » a) de 80 à 90 » A de 90 à 400 » ea un u v Oo RÉSULTATS PAR SEXES. FA = RÉSULTATS EN MASSE. MOTAT A PIE E 2,920 6,786 OBSERVATIONS. Les divers dénombremens de la population de l’Orotava que nous avons pu recueillir sont les suivans : D'apresilestdonnées de NIerA ES ET en 4768 . .. 5,741 habitans. — un recensement fait avec plus d'exactitude . . . .. en 1769... 6,189 id. — les documens présentés au Cabildo . . . . . . . .. en 4778 ... 6,549 id. — les registres de la commission de statistique, dont nous exposons les détails dans ce tableau . . . . . en 1802. . . 6,786 id. \ ( 228 ) Il résulte de ces données : 4° Que, de 1778 à 1802, l'augmentation de la population de l’Orotava n'aurait été que de 467 individus ; cependant, d’après les tableaux précédens, p. 125, l'excès annuel des naissances sur les décès a été (terme moyen) de 445, ce qui en 24 ans fait 2,760. En retranchant de ce chiffre (2,760) 467, c’est-à-dire l’excès indiqué par les dénombremens de 1778 et 1802, on aura 2,293 pour le nombre probable des absens ou de ceux qui ont émigré en 24 ans , soit 95 par an. 20 En admettant 415 pour la moyenne de l'excès annuel des naissances sur les décès , la population de l’'Orotava pourrait doubler en moins de 60 ans, si l'émigration ne venait diminuer son chiffre. 3° Si l'on compare les résultats partiels du tableau antérieur, on voit que le chiffre des vieillards est propor- tionnellement plus fort dans celle de la paroisse de la Conception que dans celle de Saint-Jean; ce qui est con- forme à l'observation que nous avons déjà faite sur les décès relatifs à cette classe. Le nombre d'individus de 50 ans et au-dessus, comparé à la masse de la population dans la paroisse de Saint-Jean, est de 14, 1 pour $, tandis que dans celle de la Conception le rapport est de 16, 9 pour ? . 4° Sur 4,067 vieillards (des deux sexes) répartis dans les deux paroisses, il s’en trouve 575 de 60 à 70 ans, 98 de 70 à 80 » 46 de 80 à 90 » et pas un centenaire. Ces trois ordres d’âges sont à la masse de la population dans les proportions suivantes : Ceux de 60 à 70 ans comme 5,9 : 1400, Ceux de 70 à 80 » comme 1,4 : 100, Ceux de 80 à 90 » comme 0,2 : 400. 5° Les contingens d'âges par sexes présentent les différences suivantes , sur le total de la population des deux paroisses : Enfans. . . 555 garçons et 549 filles, Adolescens 52% id. » 509 id., Adultes , 1,572 hommes » 2,010 femmes, Vieillards. 402 td. » 665 id. Tojail 2 2 à 3,053 id. » 3,758 id. Ainsi les hommes sont à la masse de la population dans le rapport de. . . . ... . . . . .. 44,9 à 100 (4), Cillesctemmes -® : A2 BAR CLR. CET LOT TN RE RE AR 55 à 100 Les différences relatives qui existent dans les contingens d’âges par sexes sont une preuve évidente de l’émigra- tion, car jusqu’à l’adolescence le chiffre des garçons excède celui des filles de 21, et pour les deux autres âges nous trouvons un excédant de 701 femmes. Pourtant l’excès annuel des naissances de filles sur celles de garçons n’a été que de 25 , et les décès de femmes n’ont dépassé ceux d'hommes que de 24. (4) Dans d’autres pays, des recherches analogues ont donné les résultats suivans : En France, hommes , 48,9 p. 0/0; femmes, 51,5 p. 0/0 (d'après les Documens statistiques sur la France, publiés par le ministère du commerce, 1837). En Angleterre, hommes , 48,9 p. 0/0 ; femmes, 51 p. 0/0 (d’après les Tableaux du revenu, de la population, du com- merce, etc, de la Grande= Bretagne , de 4820 à 1851 ; traduits par ordre du ministre du commerce, 1833). Aux États-Unis, d’après les états de 1810, les proportions ont été, pour les hommes, de 51 p. 0/0, et pour les femmes, de 49 p. 0/0. Enfin à la Havane, le rapport est 54 p. 0/0, hommes, et 45,9 p. 0/0 femmes (d'après don R. de la Sagra, Op. cit., p. 18). ( 229 ) DE LA PÊCHE SUR LA COTE OCCIDENTALE DE L'AFRIQUE. La mer qui baigne la côte occidentale d'Afrique depuis le cap de Geer jusqu'à l'embouchure du Sénégal est peut-être une des plus poissonneuses de l'Océan atlantique : les îles Canaries se trouvent si- tuées dans le voisinage de ces parages, et les pêcheurs de cet archipel ont profité de cette heureuse position pour exploiter une des branches les plus importantes de l'industrie maritime. Le poisson qu'ils vont pé- cher sur les attérages du cap Blanc et du cap Bojador, conservé au moyen de la salaison, pour être vendu ensuite dans les différens marchés des îles, est devenu la principale ressource alimentaire du peuple. Mais, en bornant jusqu'ici les produits de la pêche aux be- soins de la consommation, les Isleños ont négligé tous les avantages qu'ils pouvaient tirer des exportations. L'industrie qui les alimente est pourtant susceptible de grands développemens, et c’est en l'envisa- geant sous ce rapport, que nous donnerons, à la suite de cet aperçu statistique, l'histoire détaillée d’une pêche encore restreinte dans ses débouchés, maïs qui, dirigée par des spéculateurs plus éclairés, pour- rait soutenir la concurrence et rapporter même plus de profit que celle de Terre-Neuve et des mers du Nord. L'Écossais Georges Glas, qui explora les Canaries en bon observa- teur et visita divers points de la côte adjacente, eut souvent occasion de fréquenter les pêcheurs isleños. Glas était un habile marin : son gé- nie entreprenant avait conçu des projets qui éveillèrent la jalousie du \ ( 230 ) gouvernement des îles ; il voulut établir des relations avec les peuples de l'Afrique occidentale et fonder un comptoir sur ce littoral ; peut- être aussi chercha-t-il les moyens d'ouvrir un nouveau débouché à la pêche qu'il avait vu pratiquer dans ces parages. Mais on se méprit sur ses intentions; Glas passa toujours, dans l'esprit des Isleños, pour un espion dangereux, dont la mission avait pour but de nuire à leurs in- térêts; et Viera, se laissant aller à un sentiment de sympathie natio- nale, partagea l'opinion de ses compatriotes. Malgré tout le respect que nous professons pour l’auteur des Noficias, nous rendrons ici à l'aventurier écossais la justice qu'il lui refusa. Ce Georges Glas, qu'il à faussement accusé de plagiat, qu'il appelle dans sa préface un homme suspect au pays (1), a donné les premiers renseignemens sur une pêche ignorée avant lui des nations européennes : Viera lui-même a puisé dans la narration du navigateur une partie de ses annotations (2). Les observations de Glas parurent dans des circonstances peu fa- vorables à leur publicité : les intérêts de la politique dominaïent alors cet esprit d'association qui devait créer plus tard de si grandes (1) Viera, en citant dans son premier prologue le Père Abreu Galindo parmi les écrivains qui lui ont fourni les meilleurs matériaux pour ses Notices sur {l'histoire générale des les Canaries , reproche à Georges Glas de s’être attribué les manuscrits de cetauteur. GEL Lorsque l’illustre Galindo, dit-il, composa ces mémoires si dignes de nos éloges, il était loin de » penser, sans doute, qu’il travaillait pour un étranger, et, ce qui est pire encore, pour un homme suspect au » pays (sospechoso al pais). Les islenos ont eu lieu de s’élonner en apprenant la publication qu'on avait faite » à Londres d’un livre qui résume toute leur histoire, et dont Georges Glas, le soi-disant auteur ( que se » dice su autor), a enrichi l'Europe savante, après l'avoir traduit presque littéralement d’un manuscrit con- » servé dans nos archives. » (Voy. Noticias de la hist. gen. de las isl. Can., tom. 1. Prologo, 3.) Cette accusation de Viera est tout-à-fait sans fondement : Glas ne prétendit jamais usurper la gloire de Galindo en se parant d’une érudition étrangère; il n’a pas caché l’origine des renseigne- mens qu’il a donnés sur la conquête des îles Canaries et sur les mœurs et coutumes de leurs primitifs habitans. La partie de son ouvrage qui traite de l’histoire du pays au xve et xvi° siècle est franche- ment annoncée comme une traduction d’un manuscrit espagnol. (2) Viera , ordinairement si exact quand il s’agit de citer l’origine des documens dont il fait usage, évite de nommer Glas dans un chapitre de son ouvrage où il traite des relations entre les îles Canaries et la côte occidentale d’Afrique. Plusieurs passages du texte, relatifs à la pêche, et la longue note qui s’y rapporte, sont extraits en entier de la relation du navigateur anglais. ( Voy. Moticias, ete., tom. XL, chap. xxvn, pag 189 et la note.) ( 231 ) entreprises ; aussi le livre qu'il fit imprimer à Londres, en 1764,eut peu de lecteurs, et aujourd'hui encore il est à peine connu. Depuis le mi- lieu du dernier siècle, époque à laquelle il faut rapporter les explo- rations et les remarques du navigateur anglais, les pêcheurs isleños n'ont pas amélioré leur industrie routinière ; rien n'est changé dans leur mode de navigation , une longue pratique a suppléé chez eux à la théorie qui leur manque; connaissances nautiques, construction na- vale, grément, économie et mécanisme de la pêche, préparation de ses produits , tout est resté stationnaire, et en lisant la description de Glas, on la croirait écrite d'hier. « Les bâtimens employés à la pêche dela côte, dit-il, sont au nombre de trente, de vingt » à cinquante tonneaux, et montés de quinze à trente hommes. L’ile de Palma en équipe » deux ou trois, Ténériffe quatre, et le reste appartient à la Grand e-Canarie. L’armateur » fournit le sel et le biscuit (1); les matelots se pourvoient de lignes, d’hameçons et de » tous les ustensiles de pêche ; ils embarquent en outre, pour leur propre compte, du vin, » de l’huile, de l’eau-de-vie, des piments rouges et des oignons. » La péche se fait à la part, c’est-à-dire que tous les bénéfices qui en résultent sont par- 7 TZ tagés en société, d’après les anciens usages établis entre les caboteurs de la Méditerranée. La somme nette des produits, déduction faite des frais d’achat du sel, du biscuit et des Sn 2 autres dépenses de l’expédition, est répartie de la manière suivante : 2 TZ » La part du navire, qui se compose de plusieurs lots suivant sa capacité ; » Deux parts pour le patron; » Une part pour chaque matelot ; » Demi-part pour chaque novice ; » Un quart de part pour chaque mousse. » La pêche à lieu suivant la saison, sur différens points de la côte d'Afrique qui embras- » sent un espace d’environ dix degrés en latitude, depuis le cap de Non jusqu'en dessous » du cap Blanc. Ce littoral, qui constitue la limite occidentale du Grand-Sahara, est pres- » que désert ; on n’y trouvé aucun établissement ; quelques petites tribus d’Arabes y vivent » éparses sous des tentes, mais elles ne possèdent ni bateaux, ni pirogues, et ne sauraient (1) On embarque aussi, pour la nourriture journalière des équipages, une certaine quantité de gofo, blé torréfié et réduit en farine. (232 ) » cntraver par conséquent les opérations des pêcheurs (1). Quant aux croiseurs de Moga- » dor, les Canariens n’ont rien à craindre de leur part ; les bâtimens que l’empereur de » Maroc armerait dans des intentions hostiles n’oseraient jamais s’aventurer trop au sud, » ces parages leur étant tout-à-fait inconnus. » Dans le printemps et l’été la pêche se fait le long de la côte la plus septentrionale, » c'est-à-dire vers le cap de Non et même au-dessus; dans l’automne et l’hiver, elle a lieu » au contraire au sud, dans la direction du cap Blanc ; car on a observé que les bandes de » poissons remontaient au nord à la fin de l'hiver, pour redescendre ensuite graduellement » vers le midi : ainsi les bätimens pécheurs les suivent dans leurs migrations. » Lorsque les barques canariennes arrivent dans ces parages, elles cherchent d’abord à » se procurer l’appât, que l’on pêche’avec des lignes de main, dont les hamecçons sont gar- » nis d'espèces de mouches. Ces lignes sont faites avec six fils de cuivre tressés ensemble ; » les hameçons ont environ cinq pouces de long; ils sont sans barbillon ou crochet, la » verge est disposée de manière à rester horizontale et recouverte de peau de poisson jus- » qu’à sa partie recourbée. » Dés que les barques sont arrivées à un quart ou demi-lieue de la côte , elles forcent de » voile de manière à courir cinq nœuds à l’heure : alors trois ou quatre hommes laissent » filer leurs lignes par l’arrière. La vitesse du navire fait rester les appâts à la surface de :» l’eau, et les tasartes, les prenant pour des petits poissons, y mordent aussitôt. Ces ta- » sartes sont des poissons sans écailles, très-voraces, de la forme des grands maquereaux et » de la grosseur des saumons , avec lesquels on pourrait facilement les confondre quand ils » sont séchés; ils avalent tout l’hameçon, malgré sa longueur, et il faut les éventrer pour le » retirer. Trois hommes prennent souvent cent et même cent-cinquante tasartes dans une ) Ÿ demi-heure, et il est des barques qui ont complété leur -chargement avec cette seuie ) > espèce. » On pêche de la même manière un autre poisson appelé anjova, un peu plus grand que (1) Les faits avancés par Georges Glas nous ont été confirmés par les pêcheurs eux-mêmes. La partie du littoral qu’ils exploitent leur offre toute sorte de sécurité : les tribus côtières , vouées à l'existence la plus misérable et privées de ressources , ne sauraient s’opposer à leurs travaux. Au reste, dans les relations que les marins canariens entretiennent depuis long-temps avec ces tribus, malgré les prohi- bitions de la junte sanitaire des îles, ils ont su se concilier leur amitié par des échanges réciproques et dans lesquels les Africains ont été toujours favorisés. Du poisson, des hardes, des couvertures de laine, quelques quincailleries communes, des vieux câbles que l’on détord ensuite pour en faire des filets grossiers , sont troqués pour de l’eau et du menu bois à brüler dont les équipages ont besoin. Les Maures de l’intérieur , que les pauvres habitans de la côte redoutent bien plus que les Canariens, sont venus souvent les châtier lorsqu'ils ont eu connaissance de leurs relations avec les isleños. ( 233 ) le maquereau. Le cavallo, horse mackerel des Anglais, ou petit maquereau de la Méditer- 2 TZ » ranée, sert d’appât; il est très-abondant dans ces mers, et se laisse prendre avec la plus » grande facilité. | » Lorsqu'un bâtiment s’est suffisamment pourvu d’appâts, il laisse cinq ou six hommes » dans la chaloupe pour continuer la pêche des tasartes et des anjovas, et prend le large » pour continuer la grande pêche par vingt, trente et quarante brasses, souvent même par » cinquante et soixante de profondeur. Tout le monde jette ses lignes à la mer, les hame- » çons bien garnis, et les samas , les chernes où morues:, les curbinas , etc. , ne tardent » pas à s’y laisser prendre. Les lignes dont on se sert alors sônt plombées, car les espèces que » nous venons de nommer se tiennent près du fond. » Les vents alisés qui règnent sur cette côte soufflent avec violence et obligent souvent » les pêcheurs à mouiller au large, entre l’embelli des brises de terre et de mer. Lorsque le » vent de mer devient trop fort, ils se réfugient dans les baies du voisinage, s’abritent der- » rière un des promontoires de la côte, et s'occupent à préparer et à saler leurs poissons jus- » que vers cinq ou six heures du soir. C’est alors le moment de leurs repas, le seul qu'ils » prennent dans la journée. Leur cuisine est des plus simples : une pierre plate leur sert à » établir leur foyer, sur lequel ils suspendent une grosse marmite pour faire la soupe au » poisson, qu'ils mêlent avec des oignons et assaisonnent de piments rouges et de vinai- » gre. Rien n’est plus délicieux! Leur second plat se compose de poisson grillé, car celui » qui a bouilli pour la soupe est jeté à la mer. Chacun se blottit ensuite dans un coin de la » barque jusqu’au lendemain ; les couchettes et les hamacs seraient trop de luxe. Ils se re- » mettent à la voile au point du jour, et ne recommencent guère leur pêche avant midi. » Voici leur manière d’opérer pour conserver leur poisson. Après l’avoir éventré et lavé, » ils lui coupent la tête (1) et les nageoires, et l’empilent pour faire couler l’eau dont il est » imbibé ; ensuite ils le salent et l’entassent dans la cale. Ce poisson ainsi préparé ne se con- » serve pas plus de deux mois; il pourrait en passer six au moins s’ils le lavaient et le salaiïent une seconde fois, comme font les Français de Terre-Neuve. Cette pêche sur la côte d’Afri- TZ C7 LA que réunit de grands avantages à cause du climat sous lequel elle a lieu : en exposant le pois- son au soleil et aux brises, à l’exemple des Maures, il se sécherait sans avoir besoin de sel. 2 Z » Les bâtimens pêcheurs sont des brigantins étroits de l’avant et de l’arrière, larges vers C2 » le centre, afin de pouvoir soutenir une forte brise. Ils portent un petit hunier de l’avant, (1) Il est plusieurs espèces que les pêcheurs salent: en entier, et dont les têtes sont très-estimées des Canariens. Nous avons eu occasion d’en observer une qui, par sa forme et les dimensions de l'œil, semblait devoir se rapprocher beaucoup du Pomatomus Telescopium, qu’on pêche aussi entre les îles. \ Il. 30 ( 234 ) » mais ils n’ont ni grand hunier ni voile d’étai, et ne peuvent border qu’un simple foc. F’ai vu de ces barques qui, en douze jours, ont remonté en louvoyant du cap Blanc à la Grande- Ne 2 » Canarie. Pour franchir cette distance d’environ quatre cents milles, ils manœuvrent de la » sorte ; à six ou sept heures du matin ils mettent le capau large avec la brise de terre jus- Ne © qu’à midi; ensuitent ils virent de bord sur la côte avec le vent de mer; ils mouillent la » nuit, ou se soutiennent par de courtes bordées jusqu’au jour, alors ils tirent de nouveau au » large. La différence entre le vent de mer et celui de terre est, dans ces parages, d’environ » quatre quarts du compas. Les vents régnans soufflent ordinairement par belle brise frai- 4 ‘ DA che à porter les huniers. (4 fine fresh top-sail-gale.) Lorsque les bâtimens pécheurs » sont arrivés à dix ou quinze lieues nord-ouest du cap Bojador, ils font route pour la » Grande-Canarie. Si le vent est au nord-est, ils gagnent le port de Gando, situé au sud- » est de l’île, mais s’il souffle au nord-nord-est, ils passent au sud et remontent les calmes » (las Calmas), en poussant en avant jusqu’à ce qu’ils rencontrent des vents de sud-ouest, » qui les raménent sur Canaria etleur permettent de venir mouiller au port de la Luz(r). » Aprés avoir débarqué une partie de leur cargaison à la Ciudad de las Palmas, ils por- » tent le reste à Sainte-Croix de Ténériffe, au port de l’Orotava et à Santa-Cruz de Palma, » où leurs facteurs se chargent d’en effectuer la vente. Le prix du poisson est communément » de trois sous la livre double de trente-deux onces ; quelquefois il est fixé à deux sous, » mais rarement il s'élève jusqu’à quatre. Ce prix est toujours taxé par les Regidores. Ces » officiers municipaux , au lieu d'encourager la pêche, l’entravent de toutes les manières = 2 possibles. » Cependant, malgré cet état de choses, les bâtimens pêcheurs font huit ou neuf voyages par an : depuis la mi-février jusque vers la fin d'avril, ils restent au port, parce qu’alors D De er TZ les poissons sont descendus au sud-sud-ouest, et il faudrait aller les chercher sur une côte exposée aux coups de vents du nord-ouest assez fréquens dans cette saison. Lors de mon Ne Z S © arrivée aux Canaries, les pêcheurs ne s’aventuraient pas au-delà du cap Barbas, mais main- tenant quelques-uns poussent à trente lieues plus loiñ jusqu’au cap Blanc et même au-delà. 2 LS » Quoique le fonds de leur cargaison consiste en grandes brêmes, ils prennent aussi plu- » sieurs autres espèces. La morue de ces paragesest meilleure que celle du banc de Terre- (1) La hauteur des montagnes, en opposant une barrière aux vents généraux qui soufilent ordinaire- ment dans la direction du nord-est, abrite toute la bande méridionale des îles. Les isleños désignent par las Calmas, les calmes , l'étendue de mer qui baigne cette partie des côtes de l'archipel canarien Foy. les explications que nous avons données à ce sujet, p.65 de la Géogr. descrip. ). Les brigantins pêcheurs sont souvent obligés de remonter à la rame tout ce littoral, lorsque les vents de sud-ouest ne viennent pas les aider dans leur navigation. ( 235 ) » Neuve, l’anjova est délicieuse, la curbina est un gros poisson qui pèse trente livres. Ils » péchent aussi beaucoup de poissons plats et d’autres encore que je ne saurais décrire. » (G Glas, Hist. Can. Isl. )(x). Aux détails que l'on vient de lire et que nous avons extraits de l'ouvrage cité, on reconnaît que le narrateur s’en est tenu bien plus à ses propres observations qu'à de simples renseignemens : ceux que nous nous sommes procurés , durant notre résidence aux Canaries, ne sauraient guère ajouter à l'intérêt de sa relation. Nous nous borne- rons à présenter quelques considérations sur les résultats qu'on doit attendre des améliorations et des progrès d'une industrie dont Georges Glas avait compris comme nous toute l'importance. Cette grande pêche, qu'exploitent les Isleños sur la côte occidentale d'Afrique, pourrait accroître en effet d'une manière rapide la prospé- rité des îles Canaries, si, plus protégée par le gouvernement de la mé- tropole et moins vexée surtout par l'administration locale , elle était dirigée sur un plus vaste plan. Toutefois, malgré nos convictions, lors- qu'on considère que la péche de la morue, dans les mers du Nord, n'a commencé à progresser que dès l'instant où les nations commerçantes ont mis tout en œuvre pour s'emparer de cette grande industrie, où s'en partager les profits ; que cette concurrence, en excitant l'émulation des spéculateurs, lui a été profitable sous plusieurs rapports; que l'intervention des gouvernemens et leur puissante protection l'ont élevée au rang des plus grands commerces, il ne faut pas s'étonner que la pêche dans les mers d'Afrique, long-temps ignorée du reste du monde, et livrée à la seule routine des Isleños depuis plus de trois cents ans, soit restée stationnaire. Les progrès de la pêche aux alen- (1) Nous croyons pouvoir rapporter aux genres et espèces suivants quelques-uns des poissons men- tionnés par Glas : Tasarte, Cybium trutor ; Cavallo, Caranæ. Voy. Hist. des Poissons , par Cuv. et Val. , t. 9, p. 78; Curbina , Sciæna ? NX ( 236 ) tours de Terre-Neuve et du Grand-Banc ont été très-tardifs : plu- sieurs siècles s'écoulèrent avant que l’on songeât à tirer un parti avan- tageux de la mine d'inépuisable richesse que le hasard avait fait découvrir dans ces parages, et dont quatre ou cinq nations se dis- putèrent ensuite le partage. En 1497, le Vénitien Jean Gabot, envoyé par Henri VIT d'Angleterre à la recherche d'un passage qu'on pré- sumait devoir conduire à la Chine par le nord-ouest, reconnut une île qu'il appela Prima-Vista (1), et pourtant cette nouvelle contrée, dont la possession devait être plus tard pour la Grande-Bretagne un des principaux fondemens de sa puissance maritime, ne fut colo- nisée que bien long-temps après sa découverte. Les chartres octroyées par Henri VIT, pour y fonder des pêcheries, ne produisirent d'a- bord aucun résultat (2), et les Anglais ignorèrent pendant plus d'un siècle les immenses ressources qu'ils pouvaient tirer de leur New- Jundland (3). Le voyageur Hore, qui y aborda en 1536, manqua y périr de disette avec tous ses compagnons , faute d'y trouver des moyens de subsistance (4). Le Grand-Banc , cette station que les ban- des innombrables de morues semblent avoir choisie pour leur ren- dez-vous habituel, ne fut connu qu'au commencement du seizième siècle, lorsque le Portugais Corte Real signala pour la première fois cette mine féconde aux pêcheurs européens. En 1540, après que François [* eut fait explorer ces parages, d’abord. par J. Verazzono, puis par Jacques Cartier, de Saint-Malo, le meilleur marin de son temps (5), quelques navires français commencèrent à s'adonner à la pêche sur les attérages de Terre-Neuve; mais les établissemens sé- (1) C’est le nom que Gabot, où Gabetto, donna à Terre-Neuve. ( Voy. Forster, Æist. des découv. faites dans le Nord, t.u, p. 17.) (2) Voy. Forster, ut supra, p. 50. , (3) Newfundland, nouvelle terre, ou Terre-Neuve. (4) Forster, Aist. des découv. faites dans le Nord, t. 1, p. 52. (5) Manet, Bingraphie des Malouins célèbres, p. 44. — Anderson, History of the origin of commerce, t. 1, p. 363. ( 237 ) dentaires qu'on tenta de fonder sur. le littoral n'eurent pas, dans le principe, tout le succès qu'on s'était promis. Ce fut seulement sous le règne de Henri IV que le ministre Sully favorisa de tout son pouvoir la pêche de la morue, en la plaçant sous la protection immédiate du gouvernement. Les Anglais même n'acquirent leur prépondérance dans les mers du Nord qu'après que le célèbre Drake en eut chassé les Espagnols et les Portugais ; leur prise de possession à Terre-Neuve ne date qu'à partir decette guerre de flibusterie,en 1585 (1). L'île ne comptait encore que soixante-deux colons au commencement de l'année 1612, et le nombre de navires pêcheurs s'élevait au plus à une cinquantaine (2). Pourtant, à cette époque, il y avait déjà plus d'un siècle que les Canariens allaient pêcher sur la côte occidentale d'Afrique; mais la morue de Terre-Neuve, en devenant une des plus abondantes ressources de la subsistance des peuples, fat le mobile d'un commerce aussi vaste que lucratif, tandis que le poisson salé des Isleños ne s'est jamais élevé au rang des produits d'exportation. D'après les données extraites des documens les plus récents, la pêche de la morue emploie maïntenant six mille navires de différentes na- tions; cent vingt mille marins y sont occupés, et leur active industrie livre chaque année au commerce environ quarante-huit millions de poissons. Les îles Canaries emploient à la pêche de la côte d'Afrique sept cents matelots, répartis sur une trentaine de brigantins de vingt à cinquante tonneaux; ces bâtimens approvisionnent annuellement le pays d'environ cent cinquante mille quintaux de poisson salé qui, évalués au poids d'une morue ordinaire (3), forment un total de trois millions de poissons. On peut établir, d'après ces résultats, que cette (1) Forster, Hüst. des découv. ,t. 1, p. 60. (2) Purchas, Pigrimage or relations of the world. , p. 822. (3) Environ 2 kilog. et demi. \ & ( 238 ) pêche est bien plus abondante que celle de Terre-Neuve; car, en di- visant de part et d'autre le chiffre des produits par le nombre d'hom- mes employés, on trouve qu'un pêcheur canarien prend à lui seul quatre mille deux cent quatre-vingt-cinq poissons dans le courant de l'année, tandis que cette même quantité suppose à Terre-Neuve l’em- ploi de dix hommes. Cet avantage en faveur de la pêche sur la côte d'Afrique est confirmé en outre par les profits qui résultent de la vente des produits. Il est généralement reconnu, malgré le secours des primes, que la pêche de la morue à Terre-Neuve ne commence à donner des bénéfices aux armateurs qu'à la troisième année : aux Ca- naries le gain est assuré dès la première, quoique le gouvernement de la métropole n’accorde aux pêcheurs aucune espèce d’indemnité. Toutefois, de ces renseignemens généraux, on ne doit pas déduire le nombre absolu de poissons qu'un pêcheur peut prendre dans chaque parage en un temps donné. Pour obtenir à cet égard un résultat assez approximatif, il faudrait avoir recours à d'autres indica- tions. On sait, par exemple, que les produits en morues sèches sont évalués, pour la pêche de Terre-Neuve, à vingt quintaux par homme dans une campagne où l’on fait la péche complète, bien qu'une pareille pêche soit rare et qu'il ne convienne d'adopter pour base que deux tiers de pêche (1). En prenant pour terme moyen de la charge des brigantins canariens et du chiffre de leur équipage trente tonneaux et vingt-cinq hommes, et en tenant compte des huït ou neuf voyages que chaque bâtiment fait annuellement à la côte, on trouve deux cent quarante quintaux pour la part de pêche de chaque marin. Si l'on établit la comparaison sur la morue verte de Terre-Neuve, qu'on peut préparer en moins de temps, et dont la pêche est estimée depuis quinze cents jusqu à deux mille cinq cents morues par homme (1) Marec., Dissertation sur pluswurs questions concernant la pêche de la morue, p. 81. Paris 1831. ? ( 239 ) pendant la durée d'une campagne (1), on aura pour les Canaries , en réduisant les deux cent quarante quintaux au poids d'une morue or- dinaire, quatre mille huït cents poissons pour chaque homme. Voici une autre comparaison qu'on peut déduire de faits encore mieux constatés. Le nombre de morues qu'un homme peut prendre en un seul jour sur le banc de Terre-Neuve avec des lignes de fond a été diversement estimé; maïs, en admettant pour terme moyen des différentes évalua- tions quatre cents poissons, quantité déduite du total approximatif de la pêche d'une campagne, l'avantage est toujours en faveur des pé- cheurs canariens, puisqu'une de leurs barques du port de cinquante tonneaux et montée de trente hommes peut effectuer son chargement en quatre Jours. On assure que, sur le grand banc de Terre-Neuve, quatre hommes, pêchant dans un canot avec de simples lignes de main, prennent sou- vent plus de six cents morues en douze heures. D'après la relation de Georges Glas, confirmée par les renseignemens que nous avons pris sur les lieux , une chaloupe montée par un pareil nombre de pêcheurs canariens peut réaliser en quelques heures un chargement de /a- sartes, puisqu'il suffit d'une demi-heure pour en pêcher cent cin- | quante. Nous avons vu plus haut que les fasartes étaïent des poissons de la taille des saumons, et dont les brigantins des îles composaient souvent toute leur cargaison. Dans la comparaison que nous avons cherché à établir sur les ré- sultats des deux pêches, on pourrait croire peut-être que nous nous sommes prévalus en faveur des Canariens des huit ou neuf voyages qu'ils font à la côte dans le courant de l’année. Mais, si l'on réfléchit que depuis le mois de février jusquà la fin d'avril ils restent au port, (1) Renseignemens tirés d'un mémoire manuscrit adressé au ministre de la marine. (Voy. Milne Edwards, Mémoire sur la pêche de la morue à Terre-Neuve. Paris, 1839.) \ ( 240 ) et si l'on ajoute à ces trois mois de désarmement ie temps perdu dans les différens trajets, et les relâches de chaque retour, on ne peut guère évaluer qu'à quatre mois la durée effective de la pêche. Or, si l'on s'en tient aux termes des ordonnances (1), l'ouverture de la pêche n'ayant lieu que le 1" avril à Saint-Pierre et Miquelon, et dans le courant de mai, sur les côtes de Terre-Neuve, on doit aussi estimer à quatre mois (terme moyen) le service actif des bâtimens européens. Observons, en passant, que les pécheurs sédentaires de Saint-Pierre et de Terre- Neuve pouvant prolonger la pêche jusqu'en hiver, le sapplément de produits qui en résulte se trouve compris dans le chiffre qui nous a servi de base. Toutefois, nous allons voir bientôt que cet avantage de position peut encore être balancé aux Canaries, et qu'il dépend de l'activité et de la protection de l'administration locale de se créer des pêcheries sédentaires capables de rivaliser avec celles du Nord. Les faits que nous venons de citer, en faisant sentir la différence qui existe dans le chiffre proportionnel des produits, a pu donner une idée de la quantité innombrable de poissons qui parcourent pendant toute l'année la lisière de côtes comprise depuis le cap de Non jusqu'au- dessous du cap Blanc. Pour apprécier cette quantité numérique, tous les calculs de l'esprit humain donneraient à peine une approximation probable. La qualité des espèces qui fréquentent ces parages doit en- trer aussi dans la somme des avantages que la nature a répartis aux pécheurs canariens. Sur le grand banc et à Terre-Neuve, on ne prend guère que de la morue, le saumon et le hareng ; encore la pêche de ces deux dernières espèces est-elle généralement négligée par les Français. Le long de la côte d'Afrique, les Isleños pêchent huit ou dix qualités de poissons , toutes également propres à être séchées ou pré- parées en vert; mais dans ce nombre il faut distinguer surtout le cherne. Nous ne saurions décider d'une manière précise l'espèce à la- (1) Voy. Ordonnance du 21 novembre 1821. ( 241 ) quelle ce poisson appartient, et bien que Glas, dans sa relation, le dési- gne sous le nom de morue, nous ne pensons pas qu'on puisse le rappor- ter au genre gade, ni moins encore à l'espèce de Terre-Neuve (zadus morhua , L.) (1). La sama est aussi un poisson très-estimé des Cana- riens, et le #asarte ne lui cède en rien pour la délicatesse de la chair. Des données que nous avons présentées, on peut encore déduire d'autres conséquences. Nous avons dit que les sept cents matelots qui se vouent aux Canaries à la pêche de la côte étaient répartis sur trente petits brigantins bien inférieurs, sous le rapport de la capacité, aux bâtimens européens : si l'on fait attention que ces derniers, du port de soixante à cent cinquante tonneaux, n'ont guère plus de trente hommes d'équipage, et que les autres, dont le plus fort tonnage est de cinquante, montent à peu près le même nombre de matelots, on doit en conclure que si les Isleños adoptaient des procédés de pêche plus expéditifs, c'est-à-dire dont l'emploi réclameraït moïns de monde et de temps, ils pourraient doubler le nombre de leurs navires , et aug- menter considérablement le chiffre des produits sans accroître celui des équipages. La pêche à la seine, par exemple, qu'on pratique à Terre-Neuve depuis une vingtaine d'années, est une méthode dont les avantages sont garantis aujourd'hui par l'expérience (2), et les pé- cheurs des Canaries devraient s'empresser de l'adopter. Peut-être aussi leur conviendrait-il d'employer des navires d’un plus fort ton- nage, afin de se procurer à la fois une plus grande quantité de pro- (1) D’après l'opinion de M. le professeur Valenciennes, les poissons connus sous le nom de Cherne dans l'Océan Atlantique, ainsi que dans la mer des Indes, appartiennent la plupart aux grandes espèces de per- coïdes du genre Serranus. Celui que l'on pêche à l'Ile-de-France a reçu la dénomination de Serranus morhua, à cause de sa ressemblance avec la morue du Nord. Ce poisson , que l’on sale comme la morue, est très-estimé, et sa chair, par sa délicatesse , est même préférable à celle du gade de Terre-Neuve. (2) Cette pêche se fait dans de petites embarcations : « Il arrive parfois que les chaloupes prennent d’un seul coup de filet plus de poissons qu’elles n’en peuvent contenir. » — Mais on a dü régler les dimensions des mailles de la seine par des ordonnances (voy. celle du 21 novembre 1821, art. 33), afin de ne pas détruire le petit poisson. Avec ces sages mesures, la pêche à Ja seine a augmenté les produits sans être nuisible aux intérêts de l’avenir. (Voy. Milne-Edwards, Mém. sur la péche de la morue à Terre-Neuve. ) il. ù 31 (242 ) duits en une seule expédition, et d'éviter par à l'inconvénient des voyages multipliés, le temps perdu dans les différentes traversées et tous les frais qui s'ensuivent. Mais l'impossibilité de conserver long- temps le poisson , en suivant le mode de préparation adopté jusqu'ici, oblige les pêcheurs à n'apporter aux îles que de petits chargemens. L'accumulation du poisson par grandes masses dans les ports où les bâtimens viennent déposer leurs cargaisons pourrait compromettre la salubrité publique, si la vente se prolongeait plus de deux mois. Cet inconvénient priverait les pêcheurs d'une partie de leur bénéfice, car les regidors ne manqueraïent pas de faire jeier à la mer tout ce qui serait avarié. De À provient la nécessité de retourner plusieurs fois à la pêche et d'en régler les produits sur les besoins de la consom- mation. C'est donc vers la réforme de leur méthode de salaison que les isleños doivent porter toute leur sollicitude : en entrant dans cette voie d'amélioration , ils pourront rivaliser avec les produits des mers du Nord et mettre à profit la source de prospérité et de richesses que la nature a placée à leur porte. La grande étendue de mer qu'embrasse la pêche de la côte d'Afrique est une autre circonstance en faveur des Canaries : les navires euro- péens ont à sc disputer l'espace sur un banc de 150 lieues de longueur; les Isleños ont plus de dix degrés de latitude à parcourir sans rencon- trer aucun concurrent. Maïs dans la comparaison que nous faisons ici des deux pêches, il faut tenir compte surtout des différences qui existent de part et d'autre dans les chances de la navigation. Sur le banc et les attérages de Terre-Neuve, les coups de vent sont très-fréquens et occa- sionnent d'affreux sinistres; le froid y est excessif et semble devancer la saison (1); une impérieuse nécessité oblige le matelot à des dépenses qui le privent d'une partie de ses profits, car il doit avant tout se pré- (1) D’après le journal d’observations météorologiques tenu par M. Roy, capitaine de port à Saint- Pierre et Miquelon, l’état de l’atmosphère présente les variations suivantes dans le courant de l’année : ( 243 ) cautionner contre la rigueur du climat; ses lourds vêtemens, le ba- quet couvert dans lequel il se poste pour procéder à ses travaux Jour- naliers, le tiennent dans une gêne continuelle. Ces inconvéniens, auxquels les pêcheurs de morue sont assujettis dans l'Océan septentrio- nal, disparaissent sous les latitudes méridionales. Aïnsi, sur la côte d'Afrique, les brises, quoique très-fraîches, sont toujours régulières, la mer est moins tourmentée, l'état de la température et une heureuse combinaison de circonstances atmosphériques, dont nous donnerons bientôt l'explication, y viennent favoriser la dessiccation du poisson. Les pêcheurs canariens n'ont point à se garantir, dans ces parages, contre les intempéries ; vêtus à la légère, avec une chemise de coton et un simple calecon de toile, ils peuvent agir sans que rien ne les gêne; tranquilles sur le temps, leurs traditions ne citent aucun sinistre ; les plages sablonneuses du grand désert ont cessé d'être pour eux des rivages inhospitaliers, et depuis trois siècles ils s'aventurent gaîment sur cette mer qui les nourrit. Il est à remarquer que les Canariens se glorifient avec raison de n'avoir jamais perdu un seul navire, malgré leur imprévoyance habituelle. Les brigantins de pêche sont presque dépourvus de tout; le matériel de l'armement se réduit aux choses les plus indispensables; la plupart n'ont pas d'habi- tacle; le patron se pourvoit d'une méchante boussole pour la forme, et la tient renfermée dans un des coffres de sa cabane ; la nuït le ti- monier se guide sur les astres, et ce n'est guère que par un temps 87 jours de pluies, 92 » brume , 61 » neige n 109 » gelée , 195 » beau temps. Ces données se rapportent à l’année 1818 , mais les observations des années successives ont présenté peu de différences. Le maximum de la chaleur en été est de 16°. Les havres de Terre-Neuve sont encore fermés pendant les mois de mars ct d'avril, à cause des glaces. (Voy. Marec. et Milne-Edwards, Op. cit. ) \ (244 ) couvert qu'il envoie consulter l'instrument délaissé. Les agrès du navire sont ordinairement dans l'état le plus pitoyable, et, en dépit de cet abandon, l'équipage, dans l’occasion, est toujours prompt à la manœuvre et sait se créer des ressources inattendues. Il y a chez ces hommes de mer une sorte d’instinct providentiel qui les guide, et leur fait deviner toutes les chances de la navigation; leur sécurité intime a produit en eux cette insouciance qui les caractérise. « Nous avons dépassé la pointe de Tenefe, nous disait le patron d’une barque pendant une de nos traversées; /a tour de Gando est là devant nous sous ce gros nuage noir; à six heures du matin, nous mouillerons au port de la Luz; » et nous arrivâmes en effet à l'heure qu'il avait indiquée. Pourtant, lorsqu'il nous parlait ainsi, la nuit était des plus sombres ; de rares étoiles perçaient par intervalle les masses de vapeurs qui s'amoncelaient à l'horizon. Partis de Fortaventure depuis la veille pour nous rendre à la grande Canarie, nous courions à sec de voile sur une mer orageuse par une bourrasque de vent du nord qui nous avait assaillis en doublant la pointe de Æandia. La boussole gisaït à son poste accoutumé dans un recoïin de la chambre, et ne fut consultée qu'une seule fois, après un coup de mer qui manqua nous balayer tous. Un matelot quitta le pont un instant pour faire son observation à la lueur d'un cigarre, et certifia qu'on ne s'était pas écarté de la route : « Nous allons bien! » s'écria-t-il : cet avertissement suffit au pilote jusqu'au jour. Qu'on nous pardonne cette digression ; elle était nécessaire pour faire connaître la manière de naviguer des pêcheurs canariens, car la scène que nous venons de décrire se passait à bord d'une de leurs barques. Reprenons maintenant le sujet qui nous occupe. Si les isleños veulent profiter de tous les avantages de leur posi- tion et entrer dans un système de progrès, il est une question importante que nous avons déjà fait envisager, et qu'ils doivent prendre en considération : c'est de choisir un point du littoral pour ( 245 ) | le dépôt général des produits de la pêche, car on aura toujours beaucoup plus de facilité pour saler à terre qu'à bord des bâtimens. Cette opération, faite avec plus de méthode et de régularité, amènera une grande amélioration dans la qualité du poisson. L'ile de Graciosa, située à 45 lieues environ de la côte d'Afrique, se _ trouve bien placée pour une sécherie, et répondrait à toutes les exigen- ces. En y établissant des hangars pour les préparations , on aurait pres- que sous la main toutes les ressources nécessaires. Le canal del fo, qui sépare Graciosa de Lancerotte, n'a guère plus d'un mille de large et offre un très-bon mouillage. Nous avons visité en détail cette partie de l'archipel des Canaries, dont Georges Glas a donné un plan fort exact, que nous reproduisons ici. RSS CARPAN CRI ON SES. Le navigateur anglais avait bien compris l'importance de la station del Rio, quand il entreprit son exploration. Ce havre offre l'avantage d’une libre sortie, lorsque le vent est contraire vers une des embou- chures du canal. Les bâtimens du plus fort tonnage peuvent y entrer, ce qui n’a pas lieu au port de Naos ni à Arrecife (1); ils y sont à l'abri des vents du nord-est, et tiennent sans déraper sur un (1) Les bâtimens qui ont plus de 18 pieds de tirant d’eau ne peuvent entrer au port de Vaos qu’à \ ( 246 ) fond de sable blanc, mélé de rocaïlle, par 3,5, 7 et 9 brasses de profondeur. Îls peuvent s'amarrer très-près de l’île de Graciosa, dont le littoral ne présente aucun danger, car presque à toucher terre on trouve encore deux brasses. « Toutefois, il est prudent, dit Georges » Glas, d'avoir une bonne ancre et du câble prêt à filer, car les fortes » rafales qui descendent des montagnes de Famara, avec les vents » d'est et de sud-est, peuvent faire chasser les navires mouillés le long » de cette côte. » Dans toute l'étendue du Rio il n'existe qu'un seul bas-fonds, à droite en entrant, qu’on peui ranger sans crainte à la distance de quatre brasses. L'île étant inhabitée, et la côte de Lan- cerotte qui lui fait face n'ayant aucun point fortifié, un navire en temps de guerre peut mouiller en toute sûreté dans le canal, soit pour faire de l'eau ou bien pour se radouber. La mer, quoique moins calme qu'au port de Naos, y est assez tranquille tant que la brise ne souffle pas directement à l'est ou au sud-est; mais différemment on peut toujours sortir par la passe d'occident et venir mouiller sur l’autre bandede l’île, derrière la pointe de Montaña Amarilla (1). L LL Avec les vents d'ouest et de sud-ouest, peu fréquens du reste dans ces parages, les bâtimens ont leur libre sortie par la passe d'orient et trouvent à s'abriter derrière la pointe de Pedro-Barba, qui se pro- longe au nord-est. 00 | Si l’on se décidait à fonder une sècherie sur l’île de Graciosa, les salines de Lancerotte, situées sur la côte qui borde le canal, four- niraient aux pêcheurs tout le sel nécessaire à leurs préparations. La source d'Aguza n'est qu'à deux pas de là sur le même littoral, et peut donner par jour deux barriques d'eau potable (2). Le sol de la la marée haute. Dans les mêmes circonstances, un navire jaugeant plus de 12 pieds ne peut franchir la barre du port d’Arrecife sans s’échouer. (Voy. G. Glas , op. cit., p. 184.) (1) Dans le plan , page 245, lisez Amarilla au lieu d’Amadulla. (2) Selon G. Glas, cette eau contient un principe sulfureux, mais se conserve parfaitement à la mer. ( 247 ) petite île se prêterait à tous les besoins de l'établissement, soit qu’on voulüt sécher simplement le poisson à l'air, sur les rochers exposés au vent du nord, à la manière des Islandais, ou bien qu'on préférât le saler comme à Terre-Neuve. Par la première méthode, l'expérience nous à démontré que la dessiccation s'achèverait en quelques jours , et par la seconde nous sommes presque certains que le poisson surpas- serait en qualité la meilleure morue de Terre-Neuve. Il serait difficile de trouver un climat plus propre à ces deux opérations : l'humidité, ce principe de toute décomposition lorsqu'il est combiné avec le calo- rique, n'exerce ici aucune influence ; elle est tout-à-fait nulle tant que le vent souffle au nord-est, et, quoïque l'horizon apparaisse chargé de vapeurs quand la brise tourne à l'est, la pluie n’est jamais à craindre ; il faut pour cela le vent d'ouest, et celui-là semble fuir ces parages. L'est-nord-est, que les Isleños appellent brisa parda, brise brune, ra- fraîchit l'air sans humecter la terre; tout conserve sur le sol sa séche- resse habituelle, et cet état normal se manifeste au plus haut degré lorsque le vent passe au sud-est. Le long de la côte, dans les en- droits abrités, où l'action du soleil est très intense, le thermomètre s'élève alors jusquà 35° 56° C.; mais sur les rochers découverts, en rase campagne, et dans tous les lieux baiïgnés par la brise, la tem- pérature en été atteint à peine 33° C., et ne s'abaisse guère en hiver au- dessous de 18’. La sensation de la chaleur aux mois de juin et juillet, époque de notre séjour à Lancerotte et à Graciosa, en 1829, n'était pas en raison du degré de température, et nous nous trouvions par- faitement au milieu de cette atmosphère de fraîches brises ; souvent même nous préférions rester exposés au soleil et à tous les vents plutôt que de nous reposer à l'ombre dans un endroit abrité. Mais ce qui nous étonna le plus dans ce climat fut la prompte dessiccation de tous les objets que nous laïssions à l'air libre. La viande de boucherie que nous avions cru nécessaire de faire mortifier, parce qu'elle nous arrivait toule saignante, se durcissait au bout de deux \ ( 248 ) jours, perdait tout son suc et devenait pour ainsi dire inaltérable. Le poisson frais se séchaït en quelques heures. Du reste, cette propriété dessiccative du climat de Lancerotteet de Graciosa est commune aussi aux autres îles suivant les expositions. Sur la bande méridionale de Ténériffe la décomposition des cadavres n'a presque jamais lieu dans le cimetière de Guia. Cet endroit, situé au milieu d'une nappe de lave, est-exposé à toutes les ardeurs du soleil; nous y avons vu des morts qu'on avait adossés contre un mur de pierre ; ces corps ressem- blaient à des momies desséchées; tous les traits du visage, bien qu'al- térés par la tension des muscles, étaient encore assez bien marqués ; l'action du soleil avait seulement noirci et presque carbonisé la peau. La seule précaution qu'il y aurait à prendre à Graciosa seraït d'éla- blir des hangars bien ventilés, où le poisson füt à couvert des ardeurs du soleil, afin que sa chair ne noircit pas (1). Cette île nous semble- rait donc réunir toutes les conditions nécessaires à une sècherie, si les pêcheurs Isleños, abandonnant leur vieille routine, ne faisaient subir d'abord au poisson qu'un commencement de préparation, en le con- servant à mi-sel, pour prévenir toute avarie jusqu'au moment de leur arrivée à l'entrepôt général. Tant d'avantages doivent fixer l'attention et réveiller le zèle des Canariens influens dont la position sociale peut être profitable aux intérêts publics. Du succès de cette entreprise dépend l'avenir des îles; mais il faut que le poisson salé de la côte cesse d'être une simple denrée de consommation; il faut, par une préparation bien entendue, le mettre en état d'être exporté en Espagne et en Amérique. Alors la marine canarienne franchira les bornes restreintes du cabotage, et la pêche sera pour elle une pépinière de bons matelots qui, après (1) L'expérience a démontré que le soleil et le vent combinés constituaient le temps le plus propice pour sécher le poisson ; mais le soleil seul le brûle et accélère la décomposition de la chair : les morues qui sont restées trop long-temps exposées à son action sont désignées , par les pêcheurs de Terre-Neuve, sous le nom de morues cuites. ( 249 ) avoir contribué à la prospérité du pays, pourront accroître un jour la puissance de l'Etat. Il importe à la métropole de hâter cet avenir par tous les moyens dont elle peut encore disposer, si, malgré sa priorité, elle ne veut se voir disputer par d'autres nations son droit de pêche sur la côte d'Afrique. L'Espagne aujourd'hui ne peut plus envoyer ses bâtimens à Terre-Neuve (1) : par le traité conclu avec l’An- gleterre en 1763, $. M. Catholique a renoncé à ses prétentions sur le Grand-Banc et les côtes adjacentes. Depuis cet acte de désistement, la pêche qu'exploïtent les insulaires des Canaries a acquis pour l'Espagne une plus grande importance; et lorsque, de tous les points de ses anciens domaines, les peuples émancipés, brisant les liens qui faisaient sa force, livrent la métropole à elle-même, les provinces ultra-ma- rines, qui lui sont restées fidèles au milieu de la défection générale, ont acquis de nouveaux droits à sa sollicitude. La métropole ne peut plus compter sur les riches tributs que l'Amérique venait chaque année déposer à ses pieds ; mais d'autres grandes ressources lui restent encore; l'Océan qui baïgne les Canaries peut devenir pour elle une mine plus productive que celles du Mexique et du Pérou , car celle-là est inépuisable. C'est vers son exploitation directe que le gouvernement de la Péninsule doit diriger toutes ses vues. La pêche, appelée à bon droit l’agriculture de la mer, lui donnera plus de profit que toutes ces plantations qui trompent trop souvent les espérances du cultivateur : car ses produits sont toujours assurés, et les bénéfices qu'on en retire surpassent tous ceux qu'on peut obtenir du sol. Il est une vérité tri- viale que Franklin a popularisée dans ses argumens philosophiques : « Tout homme qui pêche un poisson tire de la mer une pièce de monnaie. » (1) En 1578, l'Espagne , réunie au Portugal , expédiait 150 navires à la pêche de la morue sur le banc de Terre-Neuve. À cette époque la France en armait un pareïl nombre pour la même destination , et l'Angleterre ne pouvait y envoyer alors que 50 navires. (Voy. dans la Collect. de Hackluit la relation du capitaine d’un vaisseau de Bristol. } Aujourd’hui l'Espagne ne possède pas _ seul bâtiment pêcheur, et , d’après les.certificats transmis au ministère de la marine par Rens des douanes , le com- merce français lui a fourni , en 1826 , 114,954 ns de morues d’exportation. II. 29 ( 250 ) Que l'Espagne fasse donc un appel à ses marins , en les encourageant par des primes, en employant tous les moyens mis en œuvre par d’autres puissances pour donner l'élan aux grandes spéculations; alors seulement un autre avenir lui est réservé, ses flottes de pêcheurs sil- lonneront les mers d'Afrique , et pourront la consoler de la-perte de ses galions. Par sa position géographique, il lui sera facile d'exercer sa surveillance sur une pêche susceptible d'un développement illimité et capable d'atteindre, sous une bonne direction et la garantie de réglemens tutélaires, le plus haut degré de prospérité. Mais son inter- vention doit être toute paternelle; les progrès de l'industrie maritime , dont nous venons de faire entrevoir les résultats, dépendent de l’ac- tion des bonnes lois, et celles qui ont régi jusqu à ce jour les pêcheurs canariens ont été incomplètes, et souvent injustes. Cette industrie à besoin d'un système plus étendu; il lui fout, selon l'expression du savant qui a traité ce sujet avec autant de talent que de philantro- pie (1), il lui faut des réglemens qui se combinent avec le progrès des sciences , avec la marche des découvertes et des idées libérales, et se montrent favorables à toutes les améliorations qui tendraïent à faire fleurir une des branches les plus importantes de la richesse publique et de la puissance de l'État. Qu'il nous soit permis d'appliquer à l'Es- pagne les conseils que l'illustre Noël de la Morinière adressait à un monarque appelé à réparer de grands maux : « Augmenter le nombre de pécheurs, multiplier la masse des subsistances emprunter des étran- gers leurs procédés de pêche quand ils sont plus productifs et moins dispendieux, en introduire, er propager l'usage, et accorder surtout des encouragemens qui en assurent le succès (2), telle est la tâche que sa position lui impose. Cette tâche, à la fois grande et noble, il est de son intérêt de la remplir; mais il est plus encore de l'intérét (1) Noël de la Morinière , auteur de l’Hist. générale des pêches anciennes et modernes , ouvrage d’une profonde érudition, conçu sur un vaste plan , mais dont il n’a été publié qu’un volume. (2) Voy. id., id., la Dédicace au roi. ; ( 251 ) de l'administration des îles d'accélérer les progrès de la pêche en lui donnant une nouvelle impulsion. Dès que le poisson salé devint pour les Isleños un aliment de pre- mière nécessité, les regidors déterminèrent d'en régler le prix dans les marchés de l'archipel, et retardèrent, par un zèle mal entendu pour les intérêts du peuple, l'industrie la plus profitable au pays. Il convient sous tous les rapports que les municipalités des îles ré- forment cette partie de leurs réglemens , en établissant des différences dans le prix du poisson suivant sa qualité, en accordant des primes pour encourager la pêche de certaines espèces plus estimées et de plus facile conservation. Ces réglemens sont susceptibles de modifications suivant les localités et les besoins des populations. La création de con- seils de prud'hommes nous semblerait pour ces îles une des mesures les plus conciliatrices dans les cas relatifs aux opérations de la pêche et à la vente de ses produits. Ces conseils devraient se composer de membres choisis entre les pêcheurs, et délibérer sous la présidence d’un regidor nommé par la municipalité: les intérêts des vendeurs et des consomma- :eurs se trouveraient ainsi représentés. Les décisions de ces tribunaux de paix devraient être sans appel, attend u que les affaires seraient tou- jours jugées avecentière connaissance de cause, sans qu'il fût nécessaire de s'en rapporter à des arbitres, dont les avis sont souvent influencés par les parties qui les paient. Que l'administration des îles se le per- suade bien , il faut qu'elle laisse aux pêcheurs le soin de régler tous les détails de leurs opérations; son intervention directe et absolue serait un obstacle aux progrès. Partout les pêcheurs ont reconnu le besoin d'une police librement consentie entre eux, et cette police maritime, qui se fonde sur le droit individuel et les intérêts réciproques, ils ont su toujours l'exercer avec justice, sans rixe et sans procédure. Ce que les municipalités des îles doivent bien comprendre, c'est d'améliorer la condition des pécheurs, de protéger leurs travaux et de ne pas re- jarder le développement de la pêche par des entraves qui la concen- \ ( 252 ) treraient dans les limites du petit trafic (1) ; les associations fondées sur de larges bases et de bonnes garanties pourront seules la tirer. de son état actuel, lui ouvrir la voie des exportations et la placer en première ligne parmi les industries les plus lucratives. Puissent nos vœux être entendus et notre espoir se réaliser! le bien qui en résultera pour le peuple qui nous donna tant de preuves de bienveillance et de syÿmpa- thie nous acquittera envers lui de sa franche et loyale hospitalité. (1) Le poisson salé se vend en détail dans les boutiques (lonjas) : les villes maritimes des îles Canaries possèdent un grand nombre de ces petits marchés qui remplacent nos poissonneries ; les halles sont a ffectées aux autres comestibles. Le poisson frais n’est vendu que sur la plage où on le débarque, et, malgré son excessive abondance, le peuple en fait fort peu de cas. Les côtes de l'archipel canarien sont pourtant fréquentées par une multitude innombrable de poissons d’espèces diverses , et nous ne croyons rien avancer de trop en assurant que les richesses ichtyologiques de ces parages n’ont rien de compa- rable dans les autres parties du globe. La petite pêche emploieun bon nombre d'hommes et ne se fait qu’à la ligne ; les filets, les nasses et les autres engins sont presque inconnus. Les pêcheurs de Sainte- Croix de Ténériffe, qu’on désigne vulgairement sous le nom de chicharreros , à cause de l'espèce de poisson qu’ils prennent plus communément , ne se livrent à leur industrie que pendant la nuit, à la clarté des flambeaux. Chaque soir, après le coucher du soleil, une trentaine de petits bateaux non pontés, et montés de cinq à six hommes, quittent le port et vont se poster au large vers l'embouchure des vallées côtières qui cernent la baie. La petite flotille allume bientôt ses feux; des faisceaux de bois résineux , faciles à s’enflammer , produisent une lumière brillante qui attire les poissons. Le foyer est placé de l'avant des bateaux , de manière à jeter son éclat sur la surface des eaux. Vue du fond de la rade , cette illumination , disposée sur une même ligne, est d’un singulier effet. Nous avons pu en juger aussi en venant du large par une nuit des plus obscures : le vent soufilait grand frais dans le canal qui sépare les deux îles (Ganarie et Ténériffe) ; mais , après avoir doublé le promontoire d’Anaga, nous nous trouvâmes tout-à-coup à l'abri de la bourrasque et au milieu de cette immense baie , dont les eaux plus tranquilles réfléchissaient mille fois les feux des pêcheurs. Nous avons tâché de reproduire dans la pl. 59 (part. hist.) le croquis que nous primes à la hâte en présence de ce spectacle inattendu. La lithographie de M. Saint-Aulaire est accompagnée d’une vue de la grande pêche sur la côte d’Afrique. ( 253 ) DES ENTREPRISES DES ISLENOS SUR LA CÔTE D'AFRIQUE ET DES REPRÉSAILLES DES MAURES. Cette grande pêche que font les Isleños sur la côte occidentale d'Afrique fut souvent inquiétée par les Maures, vers la fin du seizième siècle ; ils tentèrent à plusieurs reprises d'éloigner de leurs frontières ces hardis brigantins dont les nombreux équipages les rendaient soup- çonneux. Le souvenir des agressions qu'ils avaient souffertes justifiait leurs craïntes et palliait en quelque sorte leurs avanies. Dès le com- mencement du quinzième siècle, Bethencourt, déjà maître de Lance- rotte et de Fortaventure, avait poussé ses excursions en Afrique, explo- rant la côte depuis le cap Cantin jusqu’au-delà du cap Blanc : dans une seconde expédition, les historiens Bontier et le Verrier le font débarquer vers le cap Bojador et pénétrer dans l'intérieur du pays, d'où il revient ensuite aux Canaries, chargé d'esclaves et de chameaux (1). Les seigneurs de Lancerotte et de Fortaventure, héritiers de la conquête de l’aven- Ro ) (1) « Et quand M. de Bethencourt eust esté une pièce de temps au pays, il print journée d’aller à la » grand'Canare. Il ordonna que ce seroit le sixiesme jour d'octobre 1405. Et en icelle journée il fut » prest pour y aller avec tous les nouveaux hommes qu’il avoit amenés et plusieurs autres, » en mer, et se partirent trois galères, dont les deux estoient au dit seigneur, et l’autre estoit venue » du royaume d’Espagne que le roi lui avoit envoyée. Fortune vint dessus la mer que les barges furent » départis, et vinrent tous trois près des terres sarrazines, bien près du port de Bugeder, et là » descendit M. de Bethencourt et ses gens, et furent bien huict jours dans le pays, et prindrent » hommes et femmes qu’ils emmenèrent avec eux, et plus de trois mille chameaux ; mais ils ne les » peurent recueillir au navire , et en tuèrent et jarèrent, et puis s’en retournèrent à la Grand” etse mirent Canare, » comme M. de Bethencourt l’avoit ordonné ; mais fortune les print en chemin , que des trois bar | ges » l’une arriva en Erbanie et l’autre deuxiesme en l’isle de Palme, et là demeurèrent jusqu’à tant que » l’autre barge , là où estoit M. de Bethencourt , fust arrivée en faisant guerre à ceux du pays. » (Bont. et le Verr. Hist. de la première descouv. et conqueste de Can., p. 172.) N ( 254 ) turier normand, imitèrent son exemple en se jetant avec audace dans la carrière ouverte à leur ambition. Diego de Herrera fit construire, en 1476, le château de Santa-Cruz de mar pequeña, sur l'extrême fron- tière du royaume de Maroc. Cette forteresse devint aussitôt le point de ralliement de toutes les expéditions destinées contre les Sarrasins : c'était de ce quartier-général que partaïent ces croisades canariennes dont on dissimulait le véritable but sous un prétexte religieux. La con- version des infidèles à la foi chrétienne n'était qu'illusoire, et l'intérêt lucratif entrait en première ligne dans la masse des avantages qu'on retirait de ces entreprises à main armée. Enlever des esclaves, s'em- parer de chevaux de bonne race, faire maïn-basse sur tous les trou- peaux et prêcher ensuite l'Évangile aux mécréans qu'on amenaïit en captivité, telle est l’histoire de ces invasions légalisées par les bulles de Rome pour justifier le droit du plus fort. Le pape Alexandre VI, en confirmant les prétentions du roide Castille sur l'antique héritage des Pelage (1), autorisa une guerre qui n'eut d'autres résultats que le pillage et l'extermination. Don Pedro Hernandez de Saavedra, seigneur de Fortaventure, et ses successeurs, se distinguèrent dans des attaques réitérées , que les adelantados, ou gouverneurs conquérans de Téné- riffe, continuèrent ensuite jusqu'en 1541, toujours pour la plus grande gloire de Dieu et l'honneur de la chrétienté. S'il faut en croire les historiens (2), Augustin de Herrera, petit-neveu de don Diego, exé- cuta quatorze descentes sur la côte d'Afrique, avec des troupes levées à ses frais, et montra dans toutes les rencontres un courage digne des temps chevaleresques : Athomar, un des principaux chérifs, ayant été vaincu dans un combat singulier par l'intrépide Canarien, acheta sa li- bertépar la rançon de cinquante esclaves (3). Don Augustin amena dans (1) Bulle du pape Alexandre VI expédiée le 23 février 1494. { Voy. Viera , op. cit., tom. u, p. 175.) (2) Viera , op. cit., tom. 11, p. 177, p. 420 et suiv. Gallindo, mss., lib. r, cap. 40. (3) Viera , op. cit., tom. 11, p.327. ( 255 ) son domaine de Lancerotte plus de mille captifs; ces Mauritaniens, dont il avait composé sa garde, formaient alors plusieurs compagnies connues sous le nom de erberiscos. L'île de Fortaventure eut aussi ses milices africaines ; et lorsque Philippe LIT lança contre les Maures de la Péninsule son décret d'expulsion, les îles Canaries furent exceptées de cette mesure et conservèrent encore long-temps leurs esclaves. Mais à cette époque la civilisation marchaït déjà vers le progrès et avait. mis fin à la guerre d'outre-mer ; les prouesses des Herrera, des Lugo et des Saavedra n'étaient plus de mode, les mœurs avaient changé, et l'esprit d'association, dirigeant les Isleños vers un autre but, était venu rem- placer l'humeur chevaleresque de leurs aïeux. Le gouvernement, ne se régularisant, s'occupa plus directement des intérêts du pays, et dès le commencement de la découverte du Nouveau-Monde, on vit l'acti- vité des Canariens se tourner vers des entreprises plus lucratives et moins périlleuses. Les échecs qu'ils avaient éprouvés en Afrique les dégoütèrent d'une conquête que de nouvelles disgrâces rendirent bientôt impossible ; le château de Santa-Cruz de mar pequeña, atta- qué plusieurs fois par des forces supérieures et long-temps défendu avec opiniâtreté, leur fut enlevé en 1524, par le roi de Fez, après un siége des plus meurtriers. L'empereur Charles-Quint tenta vai- nement de ranimer l’ardeur des Isleños par des concessions et des franchises, maïs les licences qu'il actroya pour armer contre les Maures ne produisirent aucun résultat (1). Les maisons seigneuriales de Lan- cerotte et de Fortaventure, en perdant une partie de leurs priviléges, ne purent plus entraîner à leur suite des vassaux devenus sujets du roi de Castille et dégagés d'un honteux servage. Aussi, à peine aban- donna t-on le poste avancé qu'on avait établi sur le continent, que les (1) Par décret du 3 août 1525, l’empereur concédait au cabildo de Ténériffe le cinquième des prises faites sur les ennemis et déclarait en outre que ceux qui passeraient en Afrique pour faire des prison- niers ( que salieren a cautivar moros) seraient exempts du droit de quint. (Nuñez de la Peña, op. cit. lib. 2, p. 219.) k ( 256 ) Maures, devenus agresseurs, se vengèrent par de sanglantes repré- sailles de toutes les invasions qu'ils avaient souffertes. En 1569, une escadrille de neuf galères, portant sept étendards et six cents hommes de guerre, vint attaquer Lancerotte. L'expédition débarqua sans coup férir, mit le pays à feu et à sang, et amena en esclavage plus de neuf cents Isleños (1). Quatre ans après, une nouvelle tentative jeta l'épouvante dans la grande Canarie. En 1586, Lancerotte fui encore le théâtre d'une invasion : l'Algérien Amourat, commandant une croisière de sept galères, débarqua à la tête de quatre cenis Turcs et huit cents Barbaresques, marcha sur le château de Guanapaya qui défendait Teguize , la capitale de l’île, et l'enleva d'assaut. Le gouverneur, don Diego de Cabrera-Leme, se fit tuer sur les remparts. Les Africains victorieux pénétrèrent ensuite dans la ville, brûlèrent les principaux édifices publics et continuèrent leurs déprédations pendant un mois. Cette campagne valut à Amourat deux cents captifs (2), un immense butin, et 15,000 ducats que le marquis de Lancerotte fut obligé de lui payer pour la rançon de son épouse et de sa fille. Les malheureux habitans eurent à déplorer la perte de dix mille fanègues de blé, et les précieuses archives de la maison capitulaire devinrent la proie des flammes dans l'incendie de Téguize (3). L'irruption des Barbaresques, en 1618, ne fut pas moins désas- treuse : Lancerotte ayant été envahie de nouveau par des forces con- sidérables, la plupart des habitans se réfugièrent à Fortaventure. Ceux de la partie septentrionale de l’île, an nombre de neuf cents, qui s'étaient tenus cachés dans la caverne de los V’erdes, pour se sous- (1) Viera , op. cit, tom. 11, p. 182. (2) Quelques historiens portent ce nombre à 478. (3) Nuñez de la Peña , lib. 3, cap. 9, pag. 492. ( 2b7 ) traire à la fureur des ennemis, furent découverts par la trahison d'un des leurs et conduits en esclavage (1). Pendant près de deux siècles, les Maures vinrent désoler le pays à plusieurs reprises; Canaria, Fortaventure, Gomere et Palma éprou- vèrent successivement leur vengeance (2). Durant cette guerre de piraterie, les pêcheurs isleños eurent aussi à se défendre contre les corsaires barbaresques ; bien des fois la brusque apparition des croiseurs de Maroc vint troubler leurs travaux et les obliger à abandonner leurs parages accoutumés. Plusieurs brigantins canariens soutinrent de vifs engagemens avec des galères de Fez, et furent contraints de céder devant des équipages bien armés et toujours supérieurs en nombre. Les îles, ruinées par un ennemi implacable dont l'impunité semblait chaque jour accroître l'audace, voyaient leur avenir compromis; la pêche avait perdu toute son activité, et le pays allait être privé de sa principale ressource. Dans des conjonctures aussi graves, le conseil de la province avait demandé à la métropole une frégate garde-côte pour la protection de ses pêcheries. En 1698, le roi d'Espagne, sollicité de nouveau par le gouverneur-général, rendit l'ordonnance si long- temps désirée; mais le royal décret ne changea rien à la question, il autorisait seulement les îles Canaries à maintenir pour leur compte un bâtiment de guerre qu'elles devaient équiper à leurs frais. C'était exiger l'impossible; le trésor public ne put jamais fournir les fonds nécessaires à cet armement. Enfin, la paix conclue entre $S. M. Catho- lique et l'empereur de Maroc vint mettre un terme à ces calamités, et les prétentions de la couronne de Castille sur l'ancienne Mauritanie se réduisirent au droit de pêche exercé par les Canariens le long de la côte adjacente. Dès lors les pêcheurs cessèrent d'être inquiétés; des re- (1) Viera , op. cit., tom. 11, p. 185. (2) Casull., mss., lib. 3. . Ile À 33 ( 258 ) lations fondées sur des besoins réciproques entretinrent la bonne in- telligence entre les deux peuples. Mais si la force des circonstances a fait perdre aux Isleños les possessions qu'ils avaient conquises en Afrique , ils n'en conservent pas moins tout l'avantage de leur posi- tion, et ne sauraient voir sans ombrage une nation étrangère venir s'installer dans le voisinage de leur pêcherie. En 1764, Georges Glas, qui avait su apprécier tout le parti qu'on pouvait tirer d’un établissement situé dans ces parages, tenta d'exé- cuter un projet que la vigilance de l'Espagne fit échouer presque aus- sitôt, malgré la protection que le ministère anglais paraissait accorder au chef de l'entreprise. Il s'agissait de créer un comptoir au port de Guader, sur les ruines du château de Mar pequeña. Après avoir exploré les lieux et s'être mis en rapport avec trois Maures influens, qui de- vaient diriger les opérations en qualité de facteurs, Glas passa à Lan- cerotte dans l'intention d'y acheter un brigantin propre à la naviga- tion de la côte. Mais l'ambassadeur d'Espagne à Londres, instruit de cette affaire, en avait donné avis à la cour de Madrid, Le gouverneur des îles Canaries reçut ordre de surveiller toutes les démarches de l'aventurier écossais et de sévir contre lui. Arrêté à son début comme spoliateur des deniers de l'État (defraudador de la Real hacienda), Glas paya par une dure captivité sa téméraire entreprise. Après un an de détention dans le château de Saint-Christophe, à Sainte-Croix de Ténérifle , il fut réclamé par le gouvernement anglais, et n'obtint sa liberté que pour périr, quelques semaines plus tard, victime d’une affreuse catastrophe. L'établissement de Guader avait été bientôt abandonné après le départ du chef pour Lancerotte. Les Maures, toujours soupçonneux, profitèrent d'une rixe pour massacrer les Anglais qui devaient fonder la nouvelle colonie. La femme et la fille de Glas, aidées d’un serviteur fidèle et de quelques matelois, parvinrent à s'échapper dans deux chaloupes et se réfugièrent aux Canaries. Au sortir de sa prison , Glas js ( 259 ) rejoignit sa famille et s'embarqua pour Londres à bord d'un bâtiment richement chargé qui fit voile du port de l'Orotava ; mais, pendant la traversée, les gens de l'équipage formèrent le complot de s'emparer de la cargaison et d'égorger tous ceux qui pouvaient s'opposer à leur dessein. L'intrépide aventurier reçut la mort au moment qu'il s'appré- tait à venger celle du capitaine; son épouse et sa fille furent jetées à la mer, et le navire arriva en Irlande, où un jeune mousse, que les matelots avaient épargné, révéla à la justice du pays cet horrible attentat (1). | Telle fut la fin déplorable de cet homme qui, par ses connaissances nautiques, son esprit observateur et une expérience acquise dans de longs voyages, réunissait toutes les qualités nécessaires à la direction des grandes entreprises. (1) Viera , op. cit., tom. 1r, pag. 191 et suiv. ( 260 ) DES ENTREPRISES DES ISLENOS EN AMÉRIQUE ET DE LEURS RELATIONS COMMERCIALES AVEC CE CONTINENT. Nous avons vu que ce groupe d'îles dont Christophe Colomb avaït apprécié l’heureuse position , où plusieurs fois il ravitailla ses vaisseaux dans ses voyages de découverte ; devint bientôt l'échelle obligée des autres navigateurs (1). Les Isleños, déjà à mi-chemin d'Amérique, s'élancèrent à l’envi dans la carrière ouverte aux aventuriers, et les entreprises auxquelles ils s’associèrent furent presque toujours cou- ronnées du succès. Nous rappellerons ici les secours que tira des Ca- naries Nicolas Ovando, lorsqu'en 1502 il fut envoyé à l’île Espagnole pour pacifer le pays (2), et les services que rendirent les Isleños dans l'expédition de Davila (3). Dès 1520, les îles Canaries commencèrent à armer pour leur propre compte : un bâtiment, chargé de munitions de guerre, fut expédié à Vera-Cruz; il était monté de volontaires qui débarquèrent sur cette plage avec les chevaux qu'ils avaient amenés, et prirent part à la conquête du Mexique (4). En 1526, Francisco de Montejo envahit le Yucatan avec les ren- forts qu'il s'était procurés à son passage aux Canaries (5). Les fils des conquérans de Ténériffe, qui avaient hérité de l'humeur guerrière de leurs pères, levèrent à leurs propres frais trois compa- gnies de soldats, et suivirent, en 1535, la flotte de Mendoza, destinée (1) Voy. précédemment, pag. 146. (2) Voy., id., pag. 148. (3) Voy., id., pag. 148. (4) Solis, Conquista de Mexico, lib. 5 , cap. 9, pag. 220. (5) Viera, op. cit., tom. 11, pag. 282. ( 261 ) pour le Rio de la Plata. Don Pedro Benitez était le chef de cette expé- dition à laquelle s'agrégèrent plusieurs nobles aventuriers (1). Ce fut à la même époque que Don Pedro Fernandez de Lugo, second ade- lantado de Ténériffe, obtint licence de Charles-Quint pour conquérir le royaume de Terre-Ferme et la partie de l'isthme de Panama, voisine du golfe de Darien, d’un bord à l’autre des deux mers. Cette concession embrassait presque tous les États qu'on désigne aujour- d'hui sous le nom de Colombie. Les frais de l'entreprise étaient à la charge de l’adelantado, avec la promesse royale de conserver le titre de gouverneur perpétuel des pays conquis pour lui et ses descendans: en outre, le douzième des droits de la couronne lui était échu en toute propriété. Lugo équipa une escadre portant mille cinq cents hommes d’infan- terie et deux cents chevaux; cent Isleños de distinction, parmi les- quels il comptait plusieurs de ses proches parens, suivirent sa fortune. Cette petite armée débarqua près de Sainte-Marthe et eut à soutenir de rudes combats avec les indigènes. Le gouverneur général donna, dans toutes les occasions, l'exemple du courage et se montra digne de sa réputation. Il existe dans les montagnes voisines du fleuve de la Magdelaine un défilé appelé 7 paso del Adelantado, que Lugo franchit le premier à la tête de ses braves compagnons. Il fit bâtir la ville de Ténériffe, en mémoire de l'île conquise par son père Don Alonzo. Le nom de Sainte-Marthe, qui fut donné d’abord à une des provinces subjuguées, puis à sa capitale, était allusif à Santa- Martha de Oliguera, ancien patrimoine des Lugo en Galice, Les Isleños, guides par leur vaillant capitaine, soumirent le vaste terri- toire qu'on appela e/ Nuevo-Reyno (Nouvelle-Grenade) et les contrées (1) Les contrats relatifs à cet armement furent passés, le 13 octobre 1535, devant Juan Navarro, notaire à l’Orotava, et au port de Santa-Cruz, le 21 septembre de la même année, devant Hernan Gonzales. Viera cite en outre plusieurs autres documens qui ont rapport à cette expédition. (Voy. Mo- licias , tom. 11, pag. 911.) \ (262) adjacentes. Ce fut pour consacrer leur triomphe dans cette riche partie de l'Amérique méridionale qu'ils fondèrent la ville de Las Palmas (1). Don Pedro de Lugo mourut en 1539, à Sainte-Marthe, «riche de gloire, mais pauvre de biens » selon l'expression de Viera. Il avait aliéné son patrimoine pour soutenir la guerre et vendu jusqu'à son linge pour payer ses soldats. Dans ces temps chevaleresques, où les aventuriers rêvaient les trésors d'Eldorado, le noble preux ne son- geait qu'à soutenir l'honneur de sa race; ses aïeux avaient écrit sur leurs armes : Qui lance sait tenir A de quoi se nourrir (2). Fidèle à son blason, et peu soucieux de sa fortune, Don Pedro n'avait complé que sur son courage. Arr Son fils, Don Alonzo-Louis-Fernandez, troisième adelantado de Ténériffe, suivit la même carrière : plein d'ardeur et d'avenir, ce nou- veau conquérant enrôla sous ses drapeaux les meilleurs soldats des armées de Charles-Quint, et entraîna à sa suite un grand nombre d'Isleños de Ténériffe et de Palma. Les autres îles lui fournirent aussi quelques hommes avec des chevaux, des armes, des plantes et tous les bestiaux qu'il voulait propager dans les colonies de Terre-Ferme. On vit s'achever, sous son administration, la ville de Sainte-Marthe, (1) C’est sans doute la ville de Las Palmas de Tamalamèque , sur les bords de la Magdelaine; Viera dit, dans ses Noticias, tom. 11, pag. 314, « Llamada asi en obsequio de San-Miguel de la Palma, una de nuestras islas. » L'historien Herrera cite les compagnons de Lugo comme les premiers colons qui s’établirent à Santa-Fé de Bogota; il leur attribue toute la conquête de la Nouvelle-Grenade et des provinces de Castilla del Oro, Mussos, Esmeraldas y Colinas. (Voy. Hist. del Nuevo-Reyno, part. 1, lib. vin, cap. 1.) (2) Les armes de la famille des Lugo dataient de la bataille de Zas Navas de Tobosa; le timbre de l'écusson figurait un bras nu tenant une lance avec ces mots : « Quien lanza sabe mover, ella le dà de comer. » Viera prétend que la légende ne fut ajoutée aux anciennes armoiries, par faveur spéciale de la reine Doña Juana, qu’en 1512, lorsque l’adelantado Don Alonzo-Fernandez de Lugo obtint la faculté de fonder son majorat de Ténériffe. ( Voy. IVoticias , tom. 11, pag. 303.) ( 263 ) et plus tard celles qu’on nomma la Nouvelle-Cordoue et la Nouvelle- Séville. Il jeta les fondemens de la Cuidad de los Reyes dans la vallée de Upar, située entre les lagunes de Maracaybo et le fleuve de la. Magdelaine; la Téneriffe d'Amérique se peupla de colons isleños, et les villes de Las Palmas et d'Ocaña commencèrent à s’'agrandir dans la province de Tamalamèque. Ses compagnons le secondèrent avec ardeur et montrèrent dans les circonstances les plus critiques une résolution au-dessus de tous les éloges (1). | L'adelantado franchit, à la tête de ses troupes, les montagnes escar- pées situées entre Ocaña et Alunja, pour venir prêter son aide à la cité naissante de Santa-Fé. La ville de San-Miguel de Tocayma date de cette même époque (1543); son territoire fut réparti entre les conqué- rans, qui y plantèrent les vignes apportées de Ténériffe. On doit aussi aux Isleños de cette expédition la découverte de la belle mine d'argent de Las Layas, et la première exploitation des mines d'or de Sabandija, de Pamplona et de Los Remedios, d'où l'Espagne tira ensuite cette im- mense quantité de numéraïre qu'elle répandit sur l’ancien continent, et enfin la fondation de onze petites villes comprises dans les états d'Antioquia ({). Après tant de travaux, Don Alonzo de Lugo passa en Espagne pour rendre compte à Charles-Quint de ses heureux succès. Il avait conquis un territoire immense ; l'empire qu'il exerçait dans ces régions loin- taines , ses alliances avec les lieutenans de son armée avaient accru sa puissance. Investi des pouvoirs civils et militaires par son titre d’ADELANTADO, son influence sur les populations pouvait un jour balan- (1) Viera, sur la foi des historiens espagnols, rapporte que, pressés par la disette de vivres, les Isleños mangèrent leurs chevaux et firent bouillir leurs casques et leurs boucliers de cuir pour apaiser leur faim. (Voy. Noticias de la hist. gen. , tom. 11, pag. 315.) (2) D’après Herrera ,:les états d’Antioche (Gobierno de Antioquia) comprenaient un archevêché et deux évêchés. Les villes et les grands bourgs dont les Isleños jetèrent les premiers fondemens étaient les suivans: La Trinidad, Tunja , Pamplona, Merida, Velez, re Vague de la Victoria, San- Juan de los Llanos , San-Christobal, Zaragoza et Guamoco. ( 264 ) cer en Amérique la volonté du monarque Espagnol. Aussi l'astucieux Charles-Quint comprit que Lugo avait assez fait pour la gloire de la monarchie, et l'arrêta au milieu de ses triomphes. Il convenait à la politique d'un souverain jaloux de ses droïts d'employer ailleurs l'adelantado. C'etait ainsi qu'il en avait agi avec Fernand Cortez, en le récompensant par l'exil lorsqu'il achevait de conquérir un empire; car l'invasion de la Californie n'était qu'un prétexte pour l'éloigner du théâtre de ses exploits; la vice-royauté du Mexique fut adjugée à un autre. Lugo, accueilli avec distinction, acheva en Eu- rope sa carrière militaire : celui qui avait dirigé des armées levées à sa solde, ce héros d'outre-mer, conquérant et fondateur d'un état plus vaste que la Péninsule ibérique, reçut le commandement d'un régi- ment de cavalerie. Quelque temps après, il fut envoyé au secours de la Corse avec le grade de général et défendit cette île contre les tenta- tives des Turcs. Don Francisco Baamonde de Lugo, qu'il avaït rappelé auprès de lui, se signala dans cette campagne par plusieurs actions d'éclat. Don Alonzo passa plus tard en Allemagne, puis, de À, en Flandre, et termina ses jours à Gand (1). | Don Francisco Baamonde, capitaine des gardes de l'adelantado, s'était acquis une grande réputation dans la guerre contre les in- diens Panches, la plus valeureuse de toutes les tribus indépendantes qu'on tenta de soumettre au joug espagnol; il avait été élu le premier au rang de régidor de Santa-Fé de Bogota, et avait soutenu, dans le Pérou, la cause du vice-roi Nuñez de Vela contre les entreprises de Pizarre. Après la mort de Charles-Quint, son séjour en Europe fut de courte durée; Philippe IT le fit retourner en Amérique et l'investit du gouvernement de Porto-Rico. Il présida aux premières fortifica- tions de cette île et dispersa les hordes des Caraïbes qui étaient venues saccager le territoire de Guadiamilla. Ces Indiens, au nombre de cinq (1) Viera , op. cit, tom. 11, pag. 318. ( 265 ) cents, furent vaincus par quarante hommes commandés par Baa- monde , et laissèrent deux cents des leurs sur le champ de bataille. Le gouverneur eut le bras traversé d’une flèche empoisonnée et fut obligé de retourner en Europe pour se guérir de sa blessure. Renvoyé ensuite en Amérique avec le grade de capitaine général de Cartha- gène, il fit construire le château de Saint-Philippe et le défendit contre les attaques du célèbre Drack (1). | L'adelantado Don Alonzo de Lugo avait laissé le gouvernement de la Nouvelle-Grenade à son parent Don Lope de Montalvo, auquel succéda Don Juan Benitez Pereyra de Lugo. Ce gouverneur général . était parti de l’île de Ténérifte avec plusieurs compagnies à sa solde et un grand nombre de nouveaux colons. Il mourut sur les bords du fleuve dela Magdelaine peu de temps après son arrivée. Parmi les [sleños qui se distinguèrent le plus en Amérique, Viera mentionne principalement Juan de Santa-Cruz, lieutenant de Don Pedro de Lugo, Gonzalo Ximenez de Quesada, Miguel et Alonzo Lopez, et Benitez de las Cucvas. Juan de Santa-Cruz fut le premier gouverneur de Carthagène,et donna son nom à la ville de Santa-Cruz de Mopox. Quesada reçut le titre d'adelantado de! Dorado, pays ima- ginaire dont on médita la conquête. Les deux frères Lopez firent partie de l'expédition du Rio de la Plata, et Benitez de las Cuevas suivit Don Pedro de Lugo à la guerre de Terre-Ferme (2). Plusieurs indigènes des Canaries, qui avaient servi comme auxi- liaires pendant la conquête de Ténériffe et de Palma, prirent une (1) Viera , op. cit., tom. 11, pag. 319. (2) A cette liste des anciens conquérans de l’Amérique, nous ajouterons les noms de plusieurs Isleños qui occupèrent de grands emplois dans les colonies : Le comte Don Antonio de Roxas, capitaine général de Guatemala en 1635. Don Pedro de Ponte, marquis du Palmar, gouverneur du royaume de Terre-Ferme et président de l’audience de Panama en 1681, puis commandant-général des îles Canaries. Don Diego de Ponte, gouverneur de Porto-Rico. Don Juan de Guisla-Boot , de l’île de Palma, gouverneur de la ville de Todos los Santos. 5} Il 34 ( 266 ) part très-active dans les guerres d'Amérique. Castellanos a écrit l'éloge du canarien Augustin Delgado, dont Herrera a parlé dans ses Décades; cet auteur fait aussi mention de Gaspar de Santa-Fé et d'Anton le Guanche (1);il cite également Juan Canario, qui se rendit célèbre dans l'île Espagnole. L'auteur des Noticias n'a pas oublié de faire remar- quer que Santo-Domingo fut d'abord colonisée par les Isleños, et que les cinquante premières familles qui s'établirent à Montevideo prove- naient des îles Canaries (2). Nous trouvons encore.sur ce sujet un an- cien contrat, passé l'an 1523 devant Sébastien Ruiz, notaire à l'Oro- tava, donnant les noms de douze indigènes de la Grande-Canarie et de Ténériffe qui senrôlèrent sous les ordres de Louis de Aday pour combattre les Indiens. À mesure que l'Amérique se pacifait, les riches produits de cette terre vierge attiraient vers elle des colons Isleños qui allaient s'établir sur divers points du nouveau continent et dans les îles adjacentes. Plusieurs d'entre eux, après avoir amassé de grandes fortunes par leur industrie et l’activité qu'ils déployèrent dans toutes les entreprises, retournèrent dans leur patrie et employèrent leurs richesses à l'em- bellissement des villes et aux progrès de l’agriculture. On cite différens bourgs des Canaries qui ne doivent leur agrandissement et leur pro- spérité qu'à ces heureuses répatriations. Toutefois, les relations que les Isleños entretinrent avec le nouveau monde dès les premiers temps de la découverte leur acquirent un renom d'opulence qui leur coûta fort cher. Les rois d'Espagne , met- tant à profit la fidélité et le dévouement dont ces bons insulaires avaient donné tant de preuves, exigèrent souvent des secours en armes et en argent. Les demandes de la métropole furent toujours approuvées par le conseil de la province (Cabildo), influencé par les (1) Ils furent employés contre les Indiens des bords de l’Orénoque. (Voy. Juan de Castellanos, Elegias de Varones lustres de Indias. ) (2) Voy. Viera , op. cut., pag. 311. ( 267 ) seigneurs qui espéraient par là appeler ‘sur cux les faveurs de la Cour. Mais ces dons volontaires (donativos) , quiflattaient l’orgueil des grands et favorisaient l'ambition des chefs de l'administration publique, pri- : vèrent le pays de ses principales ressources. Les donativos n'étaient, dans le fond, que des contributions forcées qu'on réclamait sous divers prétextes. Ces quêtes usuraïres, perçues contre la volonté des peuples et presque toujours arrachées avec promesse de compensation, se répétèrent dans tous les temps. Lorsqu'en 1647, Philippe IV résolut de contracter alliance avec l’archiduchesse Marie-Anne d'Autriche, les îles Canaries furent obli- gées de contribuer, par un subside de dix mille ducats, aux frais de voyage de la nouvelle reine, qui était partie d'Allemagne pour se rendre à Madrid, où l’attendait son royal époux. Ce monarque exi- _geant avait déjà reçu des généreux Isleños plus de deux cent trente mille ducats à son mariage avec Isabelle de Bourbon et à la naïssance de Don Balthazar, prince des Asturies (1). L'alliance de Philippe V avec la princesse de Savoie fut encore le motif de nouvelles exigences. Le conseil de Ténériffe, d'accord avec l'audience de Canarie, avaït devancé l'élan des populations pour féli- citer le jeune monarque sur son heureux avénement. Un envoyé extraordinaire venait d'être nommé pour aller déposer au pied du trône l'expression de la fidélité des Isleños, lorsque, le 22 juin 1701, Sa Majesté fit écrire au Cabildo par l'intermédiaire du marquis de Campo-Ilanos, «qu'appréciant les sentimens que ses bons et fidèles vassaux des îles Canaries manifestaient pour sa personne, et prenant à cœur les embarras et les dépenses du voyage du gracieux messager , elle avait jugé convenable de l'en dispenser. » Toutefois, le roi termi- nait en demandant un nouveau donativo pour payer ses frais de noce. (1) La reine Doña Isabelle de Bourbon mourut en 1644, et son fils, Don Balthazar , en 1646. L'ar- chiduchesse d'Autriche, que Philippe IV épousa ensuite , avait été promise d’abord au prince des Asturies. ( 268 ) Une quête générale, publiée par les corps municipaux (ayuntamientos), produisit la somme de 20,486 écus d'argent que le capitaine général s'empressa d'expédier à Madrid (1). | Certes, les Isleños avaient droit d'espérer des concessions et des franchises après tant de sacrifices onéreux. Ils avaient défrayé les rois, leurs conquêtes dans le nouveau monde avaient accru leur puissance; ils avaient fourni des troupes pour les guerres de Flandre et des Pays-Bas; mais ni leur dévouement à la cause de la monarchie, ni leurs services en Amérique, ni leur généreuse adhésion aux exigences de la Cour, ne purent leur faire obtenir le libre commerce avec les Indes occidentales. Cette licence, si sou- vent réclamée, n'avait été d'abord accordée qu'avec de grandes res- trictions. En 1678, le roi d'Espagne permit, par grâce spéciale, la navigation marchande des îles Canaries à certains ports d'Amérique jusqu à la concurrence de mille tonneaux, imposant l'obligation aux navires isleños de transporter annuellement cinquante familles de cinq personnes chacune pour coloniser l'île Espagnole et de payer un droit de 17 réaux et demi par tonneau. Les revenus de cet impôt devaient être affectés au collége de marine de Séville (2). Moyennänt ces royales dispositions , il était accordé dix places à autant de jeunes Canariens destinés aux études de pilotage. Mais le voyage des élèves eût entraîné d'autres sacrifices, et tout se réduisit à payer l'impôt. Au reste, en renonçant à une faveur qu'il fallait acheter, les îles Ca- naries ne manquèrent pas pour cela de bons marins : leurs annales peuvent citer plusieurs Isleños qui réunirent à une pratique con- sommée les connaissances théoriques les plus étendues (3). (1) Voy. Viera, op. cit., tom. 111, pag. 349. (2) S'eminario de San-Telmo de Sevilla. (Voy. Viera , op. cit., tom. ur, pag. 341.) (3) L’amiral Don Joseph-Cabrera Bueno , de Ténériffe, auteur de la Navegacion especulativa y practica. Don Joseph-Fernandez Romero, de la Palma, id. Instruccion de las derrotas. Don Louis Sabala y Moreno, de la Palma, id. Derroteros de Poniente. Le capitaine Tomè Cano, de la Grande-Canarie, id. Arte para fabricar y aparear Naos. ( 269 ) En 1718 on prorogea la licence moyennant un nouveau droit de 1 p. 0/0. Cependant le commerce avec l'Amérique fut toujours pré- caire :entravé par des restrictions, limité à quelques points et régi par des lois vexatoires, il ne prit jamais un bien grand développement ; la métropole, toujours prête à réclamer sa part dans les bénéfices, ne le protégea que dans des vues intéressées. Ténériffe fut l’île privilégiée, et Garachico devint pendant quelque temps le rendez-vous des bâti- mens destinés à la navigation de long cours; mais, après le désastre qui bouleversa cetle ville de fond en comble (1), les ports de Sainte- Croix et de l'Orotava obtinrent la suprématie sur tous ceux des autres îles et l'ont conservée jusqu'à ce jour. Malgré leurs justes réclamations, les imdustrieux Palmeros (2) n'ont jamais pu jouir des avantages des expéditions directes dans leur commerce avec les colonies et ont été forcés d'en passer par le contrôle de la douane de Ténériffe. Telles sont les relations que les Isleños ont conservées avec les pays qu'avaient conquis leurs ancêtres. L'accroissement de la population, les nouvelles alliances, les droïts des lignes collatérales sur les anciens patrimoines, ont subdivisé les fortunes puissantes acquises les armes à la main. Un nouvel ordre de chose, fondé sur des intérêts mercan- tiles, a donné une autre impulsion aux rapports qui existent entre les îles Canaries et les possessions hispano-américaines ; dès-lors, les classes moyennes ont été appelées à jouir des avantages dont le mono- pole ne fut octroyé jadis qu'aux grandes maisons. Réunis sous les bannières des adelantados, dans ces temps de glo- rieux souvenirs où la monarchie espagnole prit tout-à-coup un si vaste agrandissement, on vit les Isleños envahir aussitôt les contrées que le génie de Colomb venait de signaler. La résistance opiniâtre des hordes indiennes, les obstacles que la nature semblait devoir opposer aux (1) Voyez précédemment, pag. 85. (2) On désigne ainsi les habitans de l’île de Palma. \ ( 270 ) conquérans, ne firent qu'accroître leur audace ; ils supportèrent avec résignation toutes les privations et les souffrances inséparables d'une guerre sans ressources ; d'éclatans succès furent le prix de leurs ef- forts. Et lorsqu'après trois siècles de tutelle, l'Amérique émancipée réclama son indépendance, les Isleños, toujours fidèles à la métropole, donnèrent de nouveau l'exemple du dévouement. Prodigues de leur sang et de leur vie pour une mauvaise cause, on doit les louer toutefois de leur courageuse persévérance. L'histoire appréciera les faïts dans ces combats acharnés qui ensanglantèrent le Venezuela : ce fut pen- dant cette guerre à mort, acceptée par les deux partis, qu'un berger canarien, arrivé des montagnes d'Aguimez, se présenta à l'armée espagnole pour prendre part à la grande querelle. Ce brave Isleño était Morales (1), son caractère résolu le fit bientôt distinguer; porté par acclamation au commandement des troupes royales à la retraite du comte de Carthagène (2), le général Morales ne capitula qu'à la dernière extrémité. Charles-Quint avait concédé la conquête de Terre-Ferme à l'ade- lantado de Ténériffe; Ferdinand VII donna le gouvernement des îles Canaries au pâtre d'Aguimez, dont la défense héroïque avait sauvé l'honneur espagnol dans les domaines qu'il venait de perdre. Ainsi, les Isleños, qui, au seizième siècle, avaient été les premiers à envahir le nouveau monde, abandonnèrent les derniers leur ancienne con- quête, lorsque les colonies, devenues puissances, levèrent l'étendard de la liberté. Deux ans après cette mémorable lutte, le roi Ferdinand voulut tenter un dernier effort, et ce fut encore à un Isleño qu'il confia sa cause dans les provinces insurgées. L'expédition du brigadier Barradas a eu trop de retentissement en Europe pour qu'il soït nécessaire de la (1) Voy. Géogr. botanig., pag. 142. (2) Le général Morillo. (271) retracer ici; disons seulement que le chef de cette entreprise désespérée aurait dû inspirer moins de confiance. Né sans génie et plein d'un ridicule amour-propre, il n'avait reçu aucune éducation; son ambition désordonnée le poussa à conseiller au roi un projet qui entraîna la perte de plusieurs centaines de Canariens enrûlés sous ses drapeaux (1). Depuis cette fatale épreuve, l'Espagne à paru se désister de ses pré- tentions; mais le s/atu quo dans lequel elle s'est maintenue envers les nouvelles républiques à empêché les Isleños de reprendre leurs an- ciennes relations avec le continent américain. Le commerce des îles Canaries avec les Indes occidentales se trouve concentré maintenant dans les deux grandes îles restées fidèles à la métropole, Cuba et Porto-Rico. Les exportations consis- tent principalement en eau-de-vie; on embarque aussi quelques pipes de vin et des soieries fabriquées dans l’île de Palma. Chaque navire amène un grand nombre de passagers qui vont tenter la for- tune; le prix du passage est d'une once d'or. Avant l'indépendance des colonies, les Isleños fréquentaient plusieurs points de la côte du Vene- zuela : ils étendaient même leur trafic jusqu'au Rio de la Plata, quand ils en obtenaient la licence. Aujourd'hui la plupart des expéditions se dirigent à la Havane et quelques-unes seulement à Montevideo, en- core celles-là n'ont d'autre but que l'émigration et se font ordinaire- ment sous pavillon étranger. | La Havane est devenue pour les Isleños une mine inépuisable qu'ils exploitent à l'envi. Depuis une vingtaine d'années, l'émigration vers cette terre de prédilection, l'unique but de tous leurs vœux, la pensée de tous leurs rêves, va toujours croissant. Cette belle colonie est main- tenant leur seule ressource; mieux qu'aucun autre peuple, ils savent les moyens d'y gagner de l'or. À peine arrivés de la veille, la bourse (1) Barradas avait obtenu la permission , quelques mois avant son expédition , de lever aux Canaries un régiment de douze cents hommes qu’on fit partir pour la Havane et qui fut agrégé ensuite au corps d'opération. ( 272 ) vide, mais le cœur plein d'espérance et de bon vouloir, leur répu- tation de probité et leur activité bien connue les font rechercher aussitôt. En peu de temps, guidés par l'instinct du commerce et une persévérance à toute épreuve, de serviteurs qu'ils étaient , on les voit passer maîtres, se placer dans les positions les plus avantageuses, di- riger les établissemens agricoles, ou bien se lancer dans les grandes spéculations. Alors, quand ils sont parvenus à s'enrichir, la nostalgie les attaque; ils veulent revoir ces îles qu’ils abandonnèrent dans leur pauvreté, ces parens qu'ils n'oublièrent jamais dans leur opulence, et le mal du pays les ramène vers la terre natale. Le tableau que nous traçons est exact; mais il ne faut pas cependant en faire une application trop générale, car toutes les émigrations ne produisent pas les mêmes résultats. Sur cent Isleños qui vont chercher fortune à la Havane, beaucoup périssent victimes du climat; il en est un certain nombre qui s’y fixent pour toujours, les autres s'en retournent au pays, et, parmi ces derniers, quelques-uns se contentent de rentrer chez eux après avoir réalisé de petits profits; il est vrai que ceux-là reviennent à la charge lorsque leurs fonds sont épuisés. Ces répatriations, souvent répétées, sont d'une grande importance dans la masse des avantages que les Canaries retirent de l’île de Cuba; le numéraire en circulation provient en grande partie des rapports que nous signalons: si ces rapports cessaient d'exister, les îles Canaries ne pourraient trouver aucune compensation équivalente, toutes les classes de la société se ressentiraient du déficit, et la misère serait à son comble. Le retour d'un bâtiment de la Havane est toujours regardé à Ténériffe comme un heureux événement ; on s'informe moins de la nature de la car- gaison que du nombre des passagers ; on s'inquiéta peu de ceux qu'il conduisit, mais on compte ceux qu'il ramène et surtout les onces d’or qu'ils rapportent. «Cest le Triton de la Palma, dira-t-on, 4 a dix Indianos à son bord! » La valeur du chargement est toute dans ces expressions : ces émigrans, lors de leur départ, étaient de pauvres (273 ) Tsleños , aujourd'hui ce sont des /ndianos et à l'avenir ils seront classés parmi les hommes fortunés qui ont acquis leurs richesses dans les : Indes d'occident. Rentrés dans leurs foyers et réunis à leurs compa- triotes, on les distinguera toujours ; maintenant, il est vrai, tout les fait reconnaître, ils portent le costume colonial, fament constam- ment leur fabaco, ne marchent qu'avec un jonc à pomme d'or, affec- tent des airs d'importance; mais peu à peuñces allures étrangères disparaîtront, ils achèteront des terres et reprendront l'andar du pays. Alors les habitudes les auront retrempés aux coutumes nationales et pourtant le nom d’/ndiano leur restcra. IL. 35 P qu C + Pa farèr rase LE F Œ 44 La 408 ’ Aie 0 ° LT « LA GEOLOGIE, GÉOLOGIE. NOTIONS PRÉLIMINAIRES. Trois hommes également recommandables par les services qu'ils ont rendus à la science, et qu'on doit placer au premier rang parmi les fondateurs de la Géologie moderne, MM. de Humboldt , Cordier et de Buch, ont visité successivement les îles Canaries en 1799, 1803 et 1815. Une description du pic de Teyde et quelques renseignemens généraux sur Ténériffe furent les résultats des explorations de M. de Humboldt. Quatre ans après, M. Cordier parcourut cette île plus en détail, et donna, le premier, une idée juste de la structure du volcan central et des deux grandes séries d'éruption qui l'ont précédé. Nous avons déjà eu occasion de citer dans la partie géographique les deux lettres que ce savant écrivit à ce sujet (1). Il précisa, par des observations importantes, les limites de l'immense cirque des Cañadas, et fit connaître l'emplacement de la montagne de Cha- horra, dont le cratère ruiné (pico viejo ou pico quebrado) vomit de nouveaux torrens de laves vers la fin du dernier siècle. Enfin, M. de Buch séjourna plusieurs mois dans l'archipel des Canaries, et publia à son retour en Europe une relation complète de son voyage. Cet ouvrage, rempli de considérations d'une haute portée sur la géologie volcanique, a soulevé une de ces questions de théorie toujours dif- ficiles à résoudre. Nous avons assisté à ces disputes chaleureuses : après huit années de discussions, les partisans du système des soulè- vemens et leurs antagonistes soutiennent leurs opinions avec la même opiniâtreté, et de chaque côté le raisonnement n'est pas moins re- marquable. Il faut pourtant l'avouer, souvent à demi convaincus, (1) Voy. précédemment, pag. 52,53 et 54. | ( 278 ) puis ramenés bientôt à de nouveaux doutes, nous n’osons encore nous prononcer en faveur d'un des partis. C'est sans arrière-pensée que nous faisons cette déclaration : en conservant la neutralité, nous livrons à chacun indistinctement les résultats de nos observations, bien certains, toutefois, que le problème ne sera pas résolu de si tôt. Dans les sciences de faït , la solution des questions organiques appar- tent rarement aux hommes qui les ont formulées; ceux-là com- battent jusqu'à leur dernière heure; à tort ou à raison, ils meurent sur la brêche en emportant leurs convictions dans la tombe; mais viennent ensuite d'autres hommes qui étudient sans discuter, ob- servent sans prévention et jugent à froid ces théories débattues avec chaleur et pour lesquelles on ne voulut rien concéder. £xo- riare aliquis ! | Parmi les géologues qui nous ont précédé aux Canaries, nous devons faire une mention spéciale de Don Francisco Escolar, savant modeste et consciencicux, dont les travaux sont restés inédits et les collections oubliées dans les salles du Muséum d'histoire naturelle de Madrid (1). La copie d'un catalogue, contenant la description des échantillons de roches que cet observateur avait recueillis, nous servit de guide durant nos explorations : nous aurons plus d'une fois occasion de citer ce manuscrit. L'ouvrage de M. de Buch nous aurait été sans doute d'un grand secours pour l'étude que nous avions entreprise; maïs ce fut en vain que nous le demandämes à nos correspondans, lorsque les journaux nous annoncèrent sa publication; nous n'avons pu le consulter qu'à notre retour à Paris, grâce à l'extrême obligeance de l'auteur luimême, qui s’est empressé de, nous en offrir un exemplaire. La lecture de cet ouvrage nous a été profitable sous plus d'un rapport : nous avons pu juger de la justesse des remarques du géologue, dont l'expérience et les con- (1) Voy. précédemment , pag. 55. ( 2191) naissances profondes sont incontestables pour tout ce qui est relatif aux phénomènes volcaniques. Dans un pays où l'on ne trouve sou- vent aucun sentier frayé, la profondeur des ravins qui coupent le sol en tous sens, l'escarpement des berges, l'entassement des masses de roches présentent à chaque pas des obstacles insurmontables, et obligent le voyageur à de longs détours qui l'éloignent des lieux qu'il voulait explorer. Notre savant devancier a dû, par conséquent, visiter certains endroits que nous n'avons pu voir nous-mêmes, suivant les différentes directions que nous prenions; dans ces sortes de cas nous aurons recours à ses descriptions. Quant à la coordina- tion de notre travail, nous adopterons le plan déjà tracé dans un mémoire que nous fimes paraître à notre arrivée en Europe (1). Ce simple aperçu de la structure des îles Canaries fut rédigé d'après des observations récentes et dégagées de tout esprit de système. Nous donnâmes alors une première idée des lieux que nous venions de parcourir : appelés maintenant à compléter cette description, nous le ferons encore en suivant la même marche; il nous suffira de dire ce que nous avons vu, nous raisonnerons sans hypothèses et laisserons le champ libre à ceux qui voudront se lancer dans une autre voie. DISTRIBUTION DES TERRAINS. S'il faut admettre des distinctions entre les forces physiques qui ont tourmenté la surface du globe à différentes époques, nous di- rons que la formation des iles Canaries et des {lots qui les avoisinent est due, sans exception aucune, à l'action plutonienne et à celle des volcans modernes. Les habitans de cet archipel seraient obligés, (1) Biblioth. unip. de Genève, avril 1833, t. 1. ( 280 ) comme ceux de Sainte-Hélène et de l'Ascension, d'aller chercher au loin, sur les continens, la matière calcaire nécessaire à leur bâtisse, Si la nature n'avait jeté çà et là sur les roches d'origine ignée quel- ques faibles couches tertiaires composées presqu'entièrement de gypse et de chaux carbonatée. Nous rangeons tous les terrains de ces îles en trois grandes divi- sions, savoir : les trachytes, les basaltes et les produits des volcans modernes. En décrivant chaque île séparément, d’après ces divisions géologiques, nous espérons pouvoir présenter un ensemble clair et concis de la structure générale de l'archipel, sans prétendre, toute- fois, arriver à une exactitude rigoureuse dans la répartition des localités, surtout pour celles comprises dans les deux grandes for- mations. On ne peut guère atteindre cette précision qu’en traitant des couches dues aux dépôts réguliers des lacs primordiaux. C'est ainsi encore que s'annoncent les bassins carbonifères ‘et ces terrains jurassiques remplis de coquilles et de polypiers, dont les dépôts suc- cessifs se sont opérés avec calme. Le géologue habitué à l'examen de ces formations si franchement indiquées se trouve tout-à-coup dépaysé au milieu du désordre des régions volcaniques. Arrété à chaque pas par de brusques transitions, il lui faut long-temps avant de se faire à cette nouvelle étude, et M. de Buch lui-même, mal- gré la pratique qu'il avaït acquise en parcourant les volcans de l'Au- vergne et les formations trachytiques de Fazza, de la Somma et de l'Etna, a été surpris du bouleversement extraordinaire et de la con- fusion qui règnent dans les gorges des Cañadas et aux alentours du massif cunéiforme qui domine: tout ce système démantelé. ( 281 ) TÉNÉRIFFE. ÊA TERRAINS TRACHYTIQUES ANCIENS. En abordant pour la première fois à Ténériffe, si l'on ne parcourt d'abord que cette partie de l’île devenue l'apanage de l'homme, et qui sétend depuis le rivage jusquà environ sept cents toises au- dessus, on se croirait dans une contrée entièrement basaltique, car la même roche se présente partout indistinctement, Mais à mesure qu'on laisse derrière soi le pays habité, les vallées pittoresques du littoral et les assises des premiers plateaux, pour s’avancer vers la haute région, on observe peu à peu la transition des basaltes aux trachytes; leurs masses noires commencent à se méler d'abord avec des cristaux de feldspath, les rochers deviennent de plus en plus grisätres et sont entrecoupés de tufs verts ou bigarrés qui décèlent les trachytes sur lesquels les basaltes reposent. En continuant cette ascension, On se trouve enfin au milieu de la vaste enceinte des Cañadas d'où est sorti le noyau trachytique de l’île. Nous ne reviendrons pas ici sur les descriptions que nous avons déjà faites de la chaîne des montagnes centrales (1). Nous rappelle- rons seulement que le grand cirque qui entoure le pic de Teyde est rompu sur plusieurs points, d'abord au sud-ouest, dans la direction de la vallée de Saint-Yago, au nord-ouest, du côté d'Ycod et de l'Oratava, puis vers le sud, aux bouches du Tauze; qu'il embrasse, selon les données d'Escolar , un espace de quatre à cinq lieues de dia- mètre, et que les montagnes des Cañadas, dont la partie centrale (1) Voy. Géog. descript., pag. 48 et 88. IT. 36 ( 282 ) formait l'ancienne ligne de circonvallation, se prolongent dans le nord-est en une chaîne de sommités secondaires qui vient expirer sur les bords du plateau des Rodeos. Selon Escolar, ce cirque immense , dont il traça le premier la véritable démarcation, est évidemment un cratère de premier ordre qui apparut après la destruction d'un cône plus élevé que celui qu'on voit de nos jours. D'après M. de Puch, c'est un cratère de soulèvement. Les escarpemens de la chaîne centrale forment les parois intérieures de ce cratère primitif et font face au pic de Teyde, dont le cône sillonné par d'innombrables torrens de laves aux teintes variées s'élève vers l'occident du cirque. Les montagnes qui entourent ce grand système volcanique sont acci- dentées par de larges déchirures et présentent sur certains points une dislocation complète. Les inégalités de leurs crêtes forment différentes sommités que nous avons indiquées sur notre carte et dans nos descriptions géographiques; les versans extérieurs descen- dent graduellement vers la mer et viennent s'unir aux basaltes de la côte par des transitions souvent difficiles à saisir. De grandes masses informes, souvent arrondies, ailleurs irrégulières, reposent confusément sur des énormes couches de tuf avec lesquelles elles alternent. Tels sont les caractères généraux de ces roches tantôt amoncelées, tantôt superposées avec les tufs et traversées dans d’autres endroits par d'immenses filons (dykes) quelquefois trachy- tiques , mais le plus souvent basaltiques. Ces couches sont très-épaisses du côté des Cañadas; en s'amincissant vers la mer, elles deviennent cunéiformes, et cette observation ferait présumer qu'elles ont été produites par les débordemens du cratère central. Si, après ce premier examen, on remonte vers les points culminans de ces montagnes ruinées pour observer l'enceinte qu'elles embras- sent, on découvre au sud-ouest les Æzulejos (1) et los Roques de las (1) M. de Buch désigne le col d’Ucanca par los Azuleos, qu’il écrit Adulejos. Ce nom est dérivé ( 283 ) Cañadas. Ce groupe de rochers, à en juger par sa disposition actuelle, a dû former une chaîne continue que les éruptions ont isolée. Placé au sommet du col d'Ucanca (degollada de Ucanca), on domine de neuf cents pieds environ le fond du grand cirque. A cette élévation, les vallées et les ravins creusés dans les flancs extérieurs des mon- tagnes sont à peme visibles.: le voyageur, arrêté tout-à-coup par le spectacle qui se développe devant lui, contemple avec étonnement l'en- ceinte volcanisée ; au centre, s'élève le gigantesque Teyde, pic célèbre que des fleuves de feu ont sillonné de toute part. Ces torrens de laves noires et rougeâtres tranchent sur la couche blanche des scories et des ponces. De la station d'Ucanca on peut voir distinctement que les mamelons des Æzujelos s'unissent par des éminences intermé- diaires au groupe de los Roques, et forment avec ces rochers un arc de cercle isolé qui cerne la base du pic du côté du sud-ouest. Tout semble indiquer dans cet endroït un autre cirque concentrique qui se forma à une époque où les laves en liquéfaction, dans l'intérieur du grand cratère, se refroidirent graduellement sur les points les plus éloignés du foyer. Alors cette immense fournaise dut se concentrer peu _à peu en accumulant de nouveaux produits sur ses bords. Lorsqu'on contemple cette région en désordre, on est bien moins surpris de la dé- solation et du silence qui y règnent, de l'escarpement des montagnes et de leur prodigieuse élévation, que de l'idée qu'on se fait aussitôt de l'embrasement général de cet épouvantable cratère. Rien de nos jours ne peut lui être comparable : l'imagination ne se reporte qu'avec effroi vers cette époque de grande tourmente et flotte incertaine dans ses conjectures. Cependant un pareil volcan a pu exister , et ia relation d'un voyageur vient tout récemment de nous en fournir la preuve. d’Azul, bleu, à cause de la couleur des tufs de cet endroit. Au milieu de la gorge d’Ucanca, on trouve aussi des terrains volcanisés d’une teinte bleuâtre, et cette circonstance a peut-être occasionné une erreur de localité qu’il était nécessaire de relever pour l’intelligence de ceux qui voudraient comparer nos renseignemens avec ceux de notre devancier. ( 284 ) M. Douglas a visité le cratère situé au sommet de Mouna-Roa, dans les îles Sandwich, et, à l'entendre , on croirait lire la description d'un contemporain des premières éruptions des Cañadas. « Mouna-Roa, dit-il, dont l'élévation n'est pas moindre de 13,517 pieds au-dessus du niveau de la mer, est une des montagnes les plus extraordinaires du globe. Un volcan de vingt-quatre milles de circonférence couronne son sommet; au centre de cet immense cratère (1) on en voit un autre de forme presque circulaire, mais de moïns grande dimension. C'est un-lac de feu dans un état con- tinuel d'effervescence, tantôt calme et tranquille, tantôt dans une agitation furieuse, roulant en tous sens ses vagues enflammées, et les lançant en colonnes depuis trente jusqu'à cent soixante-dix pieds d’é- lévation. Les laves, en se refroiïdissant, affectent mille formes bizar- res; quelquefois elles imitent les arches gothiques d'un monument colossal, et les torrens de matières brûlantes se précipitent à travers ces noirs portiques avec une vitesse de trois milles et un quart à l'heure. Ailleurs les laves tombent de chute en chute dans des abîmes sans fond. Les bords intérieurs de cette fournaise ont une circonfé- rence d'environ six milles et un quart. Le point culminant des crêtes du grand cirque, mesuré à la sonde, a 1,270 pieds au-dessus du fond, et, pourtant la base de l'escarpement se trouve encombrée dans cet en- droit par les éboulemens de la montagne. Ce cratère a lancé des blocs de laves, des cendres et du sable volcanique à plusieurs milles à la ronde. La montagne a été déchirée jusque dans ses fondemens, et il est impossible de juger, même avec la meilleure lunette, de la profon- deur des abîmes qui se sont creusés dans ce massif. Lorsque le grand cratère était en activité (sur toute son extension), il devait présenter un spectacle épouvantable. Les volcans connus jusqu'à ce jour ont (1) Il ne faut pas confondre ce cratère avec celui situé sur les flancs de la montagne dont les mission- aires et lord Byron ont parlé. ( 285 ) tous leur sommet terminé en cône; Mouna-Roa , au contraire, occupe un plateau élevé dont le large dôme paraît avoir été formé par les nombreuses couches de laves qui sont sorties de ses cratères (1). » La description que nous venons de reproduire servira à faire ap- précier les phénomènes qui eurent lieu à une autre époque sur le plateau de Ténériffe. Il nous eût été difficile, en effet, de donner une meilleure idée de l'origine des Cañadas et de l'aspect que dut offrir le grand cirque avant l'apparition du massif amoncelé au centre, et qui réunit aujourd'hui le pic de Teyde, la montagne de Chahorra et les débris du Pico-Fiejo. Poursuivons maintenant nos observations sur les terrains de for- mation trachytique. En commençant par la partie du nord-est de l'île, que parcourt dans toute son étendue une chaîne de monta- gnes presque entièrement basaltique, nous trouvons le trachyte en grandes masses auprès de Taganana; le ravin qui descend de la crête des monts jusqu'au village en offre une excellente étude. Ce trachyte est recouvert par des tufs basaltiques et des couches solides de basalte. M. de Buch à intercallé dans son texte une coupe de cette localité (2). Plus bas, autour du village, le trachyte se montre à nu et se redresse en colonnes jusqu’à la hauteur de 16 ou 1,800 pieds. On remarque dans le bas de la vallée deux rocs isolés de forme pyramidale; la hauteur d'un de ces mornes (voy. notre atlas, Vue phytost., pl. 8, fig. 4) est de 1,400 pieds, d'après les évaluations de M. de Buch. Le contre-fort escarpé qui borne la vallée du côté d'occident présente des accidens bizarres; les aiguilles de Los hombres semblent posées sur la crête de la montagne comme deux énormes (1) Extrait de la relation de M. Douglas. (Voy. Hooker, Comp. Bot, Mag., vol. 11, pag. 161 et 175.) Peu de temps après l’excursion de M. Douglas, ce zélé voyageur, auquel la botanique est redevable de tant de découvertes , périt misérablement , au milieu des bois, déchiré par un taureau sauvage, prove- nant de ceux que Vancouver avait laissés à l’époque de son séjour dans l'ile. (2) Voy. Phys. Besch., pag. 249. \ ( 286 ) monolithes. Le trachyte monte jusqu'aux sommets qui séparent la vallée de Taganana de celle de Saint-André, située sur la côte opposée. Les couches présentent tous les caractères des vrais tra- chytes. N'ayant pu rapporter des échantillons de cette localité , nous aurons recours à la description de M. de Buch. La roche, de même que celle du cirque des Cañadas, est formée d’une pâte feldspa- thique de couleur plus foncée: elle se sépare en feuilleis minces, et renferme beaucoup de petits cristaux de feldspath blancs et luisans. On y trouve parfois de longs cristaux de horneblende et des do- décaèdres de fer magnétique oxydulé. Lorsque la décomposition a blanchi la gangue, les cristaux noirs de horneblende deviennent plus visibles, ceux de feldspath sont aussi plus brillans et ressortent en dehors. Dans les endroits où la roche est plus compacte et pres- que homogène, elle ressemble aux porphyres schistoïdes de Bohéme. M. de Buch compare les strates columnaires du littoral aux pris- mes basaltiques qu'on voit sur les rives de l'Elbe et près d'Aussie en Bohême. Sur tous les autres points de la chaîne d'Anaga le trachyte est masqué par le basalte. Cette chaîne est séparée de celle qui domine dans l’autre partie de l’île par la plaine des Rodeos; les montagnes recommencent vers le village de l’Esperanza, mais ici les éruptions modernes ont recouvert le trachyte qu’on ne retrouve que plus loin. Après avoir franchi les crêtes scabreuses du Cuchillo, en suivant, par le chemin de la baute région (la cumbre), cette partie de la chaîne des Cañadas qui partage l’île en deux bandes (1), on arrive sur lc morne escarpé de Pedro-Gil (2), dont l'élévation est de 5,658 pieds au-dessus du niveau de la mer. Le trachyte se montre alors de nou- (1) Voy. Part. géogr., pag. 92 et 93. (2) M. de Buch à sans doute été induit en erreur par la prononciation incorrecte de ses guides , lors- qu'il a désigné ce morne sous le nom de Perexil. ( 287 ) veau. Le morne semble placé en contre-garde en avant du grand cirque, pour annoncer au géologue la formation puissante qui va bientôt dominer exclusivement aux alentours du Teyde. Pedro-Gil, que bordent de toutes parts des roches plus modernes, est formé d'un trachyte schistoïde mélé de cristaux de rhyakolite et de horneblende. En descendant vers la colonnade basaltique de /os Organos, où prennent naissance les belles sources d’Ægua-Mansa, on peut se convaincre que le morne, isolé en apparence, se rattache réellement à la formation trachytique des Cañadas ; car au-dessous des basal- tes, on trouve des couches évidemment feldspathiques, bien qu'elles soient fortement chargées de cristaux de horneblende. Ces couches forment des assises pareïlles à celles qui flanquent le Sombrerito et les autres escarpemens du grand cirque. Cette formation, cachée ailleurs par des produits moins anciens, doit constituer, avec Pedro-Gil, toute la masse intérieure des montagnes dépendantes de ce système. Les éruptions modernes ont envahi la haute région jusque vers los roques de Guimar, où la montagne présente une grande déchi- rure. Les couches qui bordent ce défilé semblent provenir d’un sou- lèvement du sol. M. de Buch a donné une coupe idéale de ce phé- nomène ( Voy. son ouvrage, p. 239); nous avons tâché de reproduire l'aspect des lieux dans notre atlas ( Voy. pl. xiv, fig. xn, n° 4 et pl. 10 de la part. hist.). La déchirure qui accidente le revers oriental de la mon- lagne ne dépasse pas la crête. C'est en pénétrant par cette gorge qu'on arrive dans la vallée de Guimar ; à l'entrée du col, l'enceinte s’élargit en demi-cercle; on croirait voir un cratère de soulèvement ouvert du côté de la mer; le milieu est encombré par deux cônes d'éruption qui se formèrent en 1705. Nous y reviendrons plus tard. Si l'on admet l'action d'un soulèvement, on doit supposer que les couches de /0s roques furent d'abord horizontales ; dans l'état actuel elles présentent, de chaque bande, une inclinaison de 30 degrés, d'ouest à est pour les berges orientales et en sens inverse pour celles d'occident (Voy. Atlas, ( 288 ) pour l'aspect des berges orientales, pl. xiv, fig. 1v). M. de Buch a distin- gué ces roches de toutes celles qu'il observa dans les autres localités. En effet, elles diffèrent par le brun foncé de leur teinte des trachytes blanchâtres qui entourent le cirque des Cañadas. Les couches infé- rieures sont homogènes, faiblement marbrées, avec des cristaux de rhyakolite à peine visibles, mais qu'on retrouve plus apparens et dis- séminés dans les couches supérieures. Ces cristaux, d’une blancheur éclatante , sont mêlés avec d'autres de horneblende remarquables par leur grosseur. Les facettes extérieures des cristaux de rhyakolite, que l'action atmosphérique a mis à nu, donnent souvent à cette roche un aspect singulier : on croirait voir au premier abord des inscriptions persépolitaines à pointes de flèche. Toute cette masse est percée de petits trous de dimensions inégales, les uns vides et les autres saupou- drés de zéolithes d'un blanc plus ou moins azuré. Les strates supé- rieurs en sont criblés et contiennent en outre du péridot. Ces couches se décomposent dans différens endroits, et l'on trouve parmi les ébou- lemens, au pied des berges, de beaux cristaux de horneblende entiè- rement libres ou presque détachés de leur gangue. Le massif est tra- versé par de longs filons de basalte schistoïde, moins inclinés que les couches feldspathiques ; les prismes dont se composent ces espèces de dykes sont dus probablement à la pression de la masse qui les enve- loppe. Lorsque, de la vallée de Guimar , on s'avance vers la haute région par le ravin de Badajos ou celui del Agua jusqu'à la source del Ma- labrigo, on ne rencontre plus lé trachyte, même après avoir dépassé le basalte; tout est recouvert de scories modernes, et les eaux de la source s'échappent à travers un banc de tuf volcanique. Mais au-des- sus des ravins, on trouve une immense couche de tuf jaunâtre avec du feldspath et des cristaux de horneblende. Cette formation est coupée par des filons d'une roche homogène remplie d'une infinité de petits cristaux de hyakolite. ( Voy. Atlas, pl. x1v, fig. 1.) ( 289 ) Depuis le point de départ du 3arranco del Agua jusque près du col -_ de l'Angostura (Paso de la Angostura), le sommet des montagnes est peu connu; M. de Buch n'en parle pas : il paraîtrait, d'après son itinéraire, qu'il suivit, comme nous, une autre route pour pénétrer dans le grand cirque. Cependant cette partie de /a cumbre mérite de fixer l'attention des naturalistes ; en s'internant par les barrancos qui sillonnent si profondément la vallée de Guimar, on peut visiter les sites les plus curieux de la contrée; les botanistes surtout doivent suivre cette direction de préférence à toute autre. Ce fut dans le ravin del Agua que nous trouvâmes en pleine floraison, au commence- ment de novembre, un des arbres les plus rares des Canaries, le Celastrus cassinoides, qu'on chercherait vainement ailleurs. Les bois d'arbousiers qui garnissaient les berges du ravin étaient alors chargés de fruits; de belles plantes se pressaient sur les bords des torrens et tapissaient les rochers des alentours (1); mais, plus haut, les anfractuosités de la montagne étaient sans végétation; un énorme massif se dressait au-dessus de nos têtes et cachait ses crêtes dans les nues. (Voy. Atlas, vue phytost., pl. 3, et partie historique , pl. 32 et 46.) _ À partir du col de l'Angostura, le trachyte du cirque se montre tout-à-fait à découvert par énormes couches grisätres qui reposent sur des assises irrégulières de tuf amorphe, mêlé de gros blocs de trachyte. Ces roches feldspathiques sont parsemées de cristaux, de ryakolite et d'autres plus petits de fer oxidulé. Les basaltes, qu'on ne retrouve plus ensuite sur les crêtes adjacentes, masquent encore la partie supérieure du massif. Toute la montagne est traversée par des filons schistoïdes de même nature que la masse principale, mais d’une couleur plus foncée, et qui se fendillent en plaques horizontales. Un . (4) Voyez nos explications sur les circonstances atmosphériques qui ont contribué à développer dans la vallée de Guimar cette riche végétation, (Géog. bot., vol. nr, 1'° part., pag. 63.) Il. 37 ( 290 ) de ces filons, décrit par M. de Buch , se dessine comme un long ruban sur les pentes de la montagne. Les bords du grand cirque s'élèvent de plus en plus à mesure qu'on s'avance vers le col de Guaxara, où le trachyte se présente par grandes masses , et continue à dominer jusque vers les gorges d'Ucanca. Il est alors beaucoup plus blanc, et cette différence de couleur provient sans doute de l’action des vapeurs acides. La chaleur volcanique doit avoir agi avec plus d'intensité dans cette partie de la chaîne, il est même pro- bable que les principaux sommets des Cañadas, et quelques mamelons qu'on aperçoit dans l’intérieur du grand cirque, auront formé autant de solfatares (1) après le refroïdissement du volcan central ; maïs les feux souterrains concentrés dans ces montagnes ne se seront pas éteints de suite, et pendant long-temps il y aura eu dégagement de gaz par divers soupiraux. : Sur les pentes extérieures du cirque, partout où la profondeur des ravins et les escarpemens des berges laissent voir la stratification des massifs jusqu'à une grande élévation, le trachyte est toujours recouvert par le basalte. IL est alors très-compact et sans altération sensible : le gisement qu'il affecte dans ces localités démontre son existence sur les montagnes où il est caché sous d’autres roches plus modernes. En re- montant le beau ravin de Tamadaya , situé dans le district d_Arico, on traverse une masse de trachyte d'un gris verdâtre, très-dure, par- semée de cristaux de ryakolite, brillans, non geminés, de trois à quatre lignes de long sur une à deux de large. Cette grande formation a toute (1) Les divers endroits où ces solfatares ont pu exister sont les hauteurs de Guaxara et du Sombre- rito, les gorges d’Ucanca et du Tause, le pic d’Almendro, les talus de Vilma et d’Icod, les rocs de la Fortaleza, le portillo de la Villa, le défilé de las Arenas-Nepras, le Ilano de Manja et la montagne d’Izaña ; tous ces escarpemens accidentent les bords du cirque et forment les crètes du pourtour. Dans l'intérieur de l'enceinte des Cañadas , les Azulejos , los Gorros , le Monton de Trigo , Fuente de la Pie- dra , los Roques, la Retama, los Cedros, Estancia de la Cera, Narices del Teyde, Chahorra, Pico- Viejo, etc. , sont autant de maämelons et de cratères isolés où , pendant long=temps, les gaz concentrés paraissent avoir exercé leur action. ( 291 ) l'apparence d’une phonolite trachytique et repose sur une bréche ir- régulière , grisâtre, mélée de fragmens anguleux, très-durs et d’une couleur plus foncée. Les cristaux de ryakolite, engagés dans cette Brêche, sont minces, luisans et la plupart geminés; on en trouve aussi de mica noir. Mais c'est principalement dans les environs de Chasna que la con- stitution géologique des montagnes centrales se montre plus distincte- men. Bien que le terroir de ce village ait été envahi par les éruptions modernes, il suffit de monter sur une éminence située à l'occident de l'église pour y rencontrer aussitôt le trachyte. Cette roche que nous avons considérée jusqu'ici comme la plus ancienne de l’île, vient alors céder le pas à une autre de primitive formation. Des blocs de diffé- rente grandeur, que le volcan central a évidemment rejetés, sont épars çà et là sur les versans des montagnes; plusieurs paraissent appartenir aux vrais granits et contiennent du feldspath blanc, quel- que peu de quartz, du mica noir à reflets et de l’amphibole ; d'autres semblent des fragmens de gneiss gris, peut-être des diorites gra- niioïdes compactes à feldspath grenu. Enfin, il en est qui con- stituent un agrégat caverneux de ryakolites dont les cristaux se croisent dans tous les sens et forment des vides hérissés d'amphibole aciculaire. Tous ces blocs, que nous retrouverons ‘plus tard à Forta- venture et dans l’île de Palma, sont visiblement altérés par les feux ; l'action puissante des forces volcaniques les à disséminés de loin en loin comme pour servir de points de repaire au milieu d’un sol en dé- sordre. Seuls restes d’une grande catastrophe, ces vieux débris font remonter la géogonie des îles Fortunées à la première ère de notre globe. La vallée de Chasna est arrosée par deux sources situées derrière le village : a fuente del Traste où de Doña Beatriz, et celle del Encage qu'on rencontre un peu plus haut. Les eaux de la première sont abon- dantes , très-pures et d’une agréable saveur ; celles de la seconde, au ( 292 ) contraire, sont acides et piquantes. En se rapprochant des hauteurs qui dominent la vallée, on traverse une coulée de lave moderne sortie des gorges d'Ucanca. Le trachyte apparaît de nouveau à l'entrée du défilé, et la fameuse source d'eau acidulée, connue sous le nom d’Agua- Ægria, bouïllonne à la base des escarpemens. Aux alentours de la source, la roche est blanchâtre et décomposée, mais sur les berges du défilé elle est d'un vert grisâtre, extrêmement dure et compacte, tantôt clairsemée de petits cristaux de ryakolite et d’'amphibole, tantôt presque homogène d'un vert tirant au noir avec quelques cristaux qui se perdent dans la masse. En savançant sur les bords du cirque, les accidens volcaniques deviennent plus appa- rens, surtout lorsqu'on descend par les sentiers escarpés de la Degol- lada. C'est après avoir franchi ces précipices qu'on arrive dans l'inté- rieur des Cañadas. Les Æzulejos se présentent d'abord flanqués de trachytes ; cette roche prend ici l'apparence d'une brêche qu'on pour- rait appeler Eurite porphyroïde; elle est de couleur isabelle, passe à l'état vitreux, et renferme alors de grands blocs de retinite noire. Cette formation repose sur des amas de tuf bleu-verdâtre , que nous classons parmi les argilophyres terreux de M. AL Brongniart ; ce sa- vant professeur, qui a bien voulu nous aider de ses conseils et auquel nous sommes redevables de la détermination de nos roches les plus importantes, a comparé celle dont il est ici question à l'argilophyre de la montagne de l'Esterel , près Fréjus (département du Var). En longeant le groupe des Æzulejos et de los Roques, on reconnaît que la masse de tufs colorés, qui tranche sur les laves noires des Caña- das, est identique à l'argilophyre du col d'Ucanca, bien'qu'elle soit plus bleuâtre et simplement tachetée de vert. Le trachyte ressemble aussi beaucoup à celui d'Ucanca et paraît avoir été altéré par les aci- des. Une source, moins (1) acidulée que celle d’Ægua- Agria , et qu'on (1) Du moins lors de notre passage en décenrbre 1828. ( 298 ) trouve dans les environs de /os Roques, vient établir encore un point de comparaison entre ces deux localités. On ne saurait douter que les Æzulejos et los Roques n'appartiennent à la même formation par l'identité des produits soulevés où accumulés dans cette partie de l'enceinte. L'argilophyre est surtout très-caractérisé vers l'endroit appelé las Escaleras. Plus loin, à la base des rochers, on découÿre un tuf rouge de brique, à cassure mate, très-ressemblant au grès rouge. Le trachyte qui domine au-dessus de ce tuf est brun, très- dur, fendu en blocs prismatiques, homogènes et remplis de petits cristaux de rhyakolite. Faut-il considérer ce massif comme une con- tinuation de l'argilophyre bigarré et des trachytes du groupe de Los Roques et des Æzulejos , ou bien doit-on le regarder comme une for- mation à part? Telles étaient les questions que nous nous fimes en présence de ces rochers, et qu'il eût été important de résoudre sur place, si la naït qui s'avançait ne nous eût forcés de nous éloigner de ces lieux de désolation pour aller chercher un gîte de l’autre côté des montagnes. Toutefois l'analogie qui existe entre les roches du groupe des Æzulejos et celles de la chaîne des Cañadas, la disposition cra- tériforme qu'elles affectent de part et d'autre, les signalent au pre- mier abord comme des modifications d'un même système. En remontant vers les crêtes qui forment le pourtour du cirque, on parvient jusqu'au Sombrerito (1). Ce morne escarpé s'arrondit en cy- lindre et s'élève, sur plusieurs assises, à plus de 9,000 pieds au-dessus du niveau de la mer. Un plateau de 400 pas de diamètre couronne son sommet : les pentes de la montagne sont coupées à pic du côté des Cañadas, et présentent un précipice de 8 à 900 pieds de profondeur. Tout le massifest composé d'un trachyte grisâtre, très-dur, et schis- toïde dans certains endroits. Cette roche, qu'on peut considérer comme le type de la formation trachytique des Cañadas, joue aussi (1) Ce morne a été ainsi nommé à cause de sa ressemblance avec un chapeau, sombrero. ( 294 ) un rôle important à la grande Canarie. Nous avions déjà constaté son existence dans l'île de Madère, à Porto-de-Cruz, sur le petit promon- toire qui abrite cette anse, et à Porto-Moniz, où elle surgit au milieu des basaltes. À Porto-Santo, elle apparaît sur Pico-de-Facho, point culminant de l’île; on la retrouveencore au sommet de Pico-Branco et d'Anna-Ferreira, ainsi que sur la croupe des principales montagnes. ous ne vimes pas sur les strates du Sombrerito le trachyte ver- dâtre d'Ucanca, mais vers les escarpemens des Cañadas nous trouvâmes l'eurite porphyroïde dont nous avons parlé précédemment. En sui- vant la crête des montagnes, on atteint bientôt le pic d’Æ/mendro, où la retinite noïre d'Ucanca reparaît de nouveau disséminée, avec de gros blocs de trachyte brun, homogène , au milieu d'immenses cou- ches de tuf blanc, tendre, passant à l’état de tripoli. Plus bas, le massif de la montagne est coupé par une gorge pro- fonde (las bocas del Tause); ensuite la chaîne continue à suivre la ligne de circonvallation jusque vers la grande brêche de Vilma, où elle est toutà-fait démantelée. Les mornes appelés &iro del Guancheet Roque de Chabado n'offrent rien de particulier dans leur constitution géolo- gique. Ce sont les mêmes roches que nous avons décrites et qu'on re- trouverait probablement dans les autres lambeaux de la chaîne, si elles n'étaient recouvertes par les éruptions modernes. Dans la partie septentrionale du cirque, le trachyte reparaît sur le roc de /a Forta- leza ; mais 1l n'existe pas sur les sommités du nord-ouest. Ce groupe de montagne, entièrement isolé du système central, appartient à la formation basaltique: M. de Buch en le comparant à Madère ne savait pas que cette île renfermait des trachytes dans deux différens endroits. Nous terminerons cette revue des trachytes de Ténériffe en parlant des sources qui se trouvent comprises dans cette formation. On en distingue de deux sortes : celles qui fournissent des eaux potables, pures et limpides; et celles dont les eaux sont acides et salées. La ques- tion de l'origine des sources a été long-temps débattue entre les physi- (295) ciens ; les uns les attribuent aux vapeurs atmosphériques qui se dissol- vent en rosée, où tombent en pluie et en neige; les autres, les faisant provenir des réservoirs souterrains, supposent que les vapeurs d'eau se refroïdissent graduellement en passant par les couches supérieures jusqu'à ce qu'elles jaïllissent en fontaines à la surface du sol. La tem- pérature des eaux minérales tend à confirmer cette dernière opinion, que nos observations sur les sources de la région trachytique ap- puient encore de nouvelles preuves. La source del Traste, dans les environs de Chasna, est la plus abondante de celles qu'on rencontre dans cette région (1); elle s'échappe à travers une couche de tuf in- tercalée entre deux massifs de roches dures, parcourt d'abord le beau verger du marquisat de las Palmas et va porter la fertilité dans les autres jardins de Villaflor. Dans l'intérieur du cirque des Cañadas, entre les Æzulejos et los Roques, on trouve une petite source d'eau douce, connue des bergers sous le nom de Fuente de la piedra : la température de ses eaux était à 9° 22 C. le 21 décembre à onze heures et demie A. M., et celle de l'air marquait 11° 11, l'atmosphère étant chargée de brouillards. D'après les observations de M. de Buch, la température de la source de l’4n- gostura, située à 6,400 pieds au-dessus du niveau de la mer, était au mois de mai à 5° 7 C., tandis que celle de l'air s'élevait à 12 3. Les eaux aiïgres et piquantes de Ténériffe doivent contenir une grande quantité d'acide carbonique (2) et plusieurs sels en dissolution; (1) Nous n’avons pas cru devoir ranger la source del Malabrigo parmi celle de cette région, attendu qu’elle filtre au travers des terrains d’éruptions modernes, bien qu’elle prenne naissance peut-être dans la formation trachytique. @) M. L. deS. Mouzinho d’Alburquerque, durant son exploration de l'ile de San-Miguel des Açores , a fait l'analyse des eaux acidulées de Ja source d’Agua azéda, située dans la vallée das Furnas. D’après les observations du savant portugais , ces eaux se soutiennent constamment à 17° C. et contiennent un volume d’acide carbonique égal à celui du liquide, plus les substances suivantes : Carbonate de fer. . . . .. FU 00007. id. eTGhAUX EE 0; 035: id. desoude ee Fr 0,140. ( 296 ) leur température, qui diffère de celle des eaux douces, fait supposer qu'elles ont à peu près la méme origine que les vapeurs aqueuses du Pic, dont nous parlerons bientôt. 11 n'est pas probable qu’elles pro- viennent des eaux pluviales qui, selon l'opinion admise, alimentent les autres sources, car leur température est beaucoup plus élevée. L'hiver, lorsque les eaux des pluies viennent se mêler aux eaux des sources acidulées, celles-ci se refroidissent et perdent une partie de leur aigreur. Ce fut dans cet état que nous trouvämes la Fuente del Encage,en décembre 1828, tandis que la source d’AÆgua Azria, située au-dessus de la région des nuages et hors de l'influence des vents pluvieux, conservait toujours son acidité et paraissait fort peu altérée par la saison. L'observation que nous fimes à cette station , le 21 décembre 1828 à dix heures du matin, donna les résultats suivans : | Température de l'air, à l'ombre. . . . . 8, 33 C. id. id. ausoleil es 7 15°, 56 td. de EAU. 22 rte: 13°, 33 Nous trouvâmes cette eau constamment à la température indiquée à toutes les heures du jour et de la nuit, car notre ami D. José Naudd bivouaqua aux alentours de la source, depuis le 21 jusqu'au 23 dé- cembre, malgré le froïd qu'on éprouvait alors dans cette haute région après le coucher du soleil. La nuit, le thermomètre descendait au- dessous du point de congélation, et pourtant les eaux de la source con- servaient le même degré de chaleur. | Suléites desoude HE NERe 0,016. Hydrochlorate de soude. . . . . 0,048. et quelques vestiges de matière organique, probablement de la barégine. (Voy. Observac. sobre a Itha de San-Miguel. Lisbonne , 1826, pag. 42.) Nous regrettons beaucoup de ne pouvoir donner à la suite de cette analyse celle de l’ Agua A gria de Ténériffe. Nous avions fait transporter sur les lieux, et à grands frais, tous les instrumens néces- saires à cette opération qu’un jeune physicien espagnol avait voulu entreprendre, mais qu'il ne put réaliser. Trop confiant dans la réussite de cette analyse, nous négligeâmes nous-mêmes d’examiner l’eau avec les réactifs. (29%) _ La source de Fuente salada, située dans le grand cirque, nous offrit le même phénomène le 28 décembre, à deux heures après midi; la lempérature de l'eau était à 16”, 67 C., tandis que celle de l'air environ- nant ne sélevait pas au-dessus de 13°, 34. Aïnsi, la chaleur de cette source était à peu près celle de l’Ægua- Azéda de San-Miguel, et il est probable que l'observation de Mouzinho sur l'égalité constante de température des sources de la vallée das Furnas peut s'appliquer aussi aux eaux minérales des Canaries. Plusieurs autres fontaines naturelles, douces ou acides, jaillissent des terrains trachytiques ; mais la quantité d'eau qui émane de ces dernières est fort restreinte, el la différence de leur température, comme nous l'avons déjà observé, semble indiquer une autre origine, bien qu'elles soient peu éloignées des sources d'eau douce. Ces diffé- rens spécifiques ajoutent de nouveaux faits à l'histoire physique du globe, et seront appréciés, sans doute, par ceux qui s'occupent de considérations générales sur cette partie de la science. 2 —— > Q 00 a TERRAINS DE LEUCOSTINE ET DE BASALTE. Quoique les leucostines aient été classées ordinairement parmi les laves, nous avons pensé devoir les réunir aux basaltes , à cause de leur liaison plus immédiate avec ces derniers. On trouve ordinairement les leucostines à la base des trachytes où elles forment presque toute la région subalpine de Ténériffe. Les terrains basaltiques occupent la partie inférieure de l’île où le trachyte et la leucostine ne sont pas à nu, et où le basalte lui-même n’a pas été recouvert par les éruptions modernes. Cette formation domine dans plusieurs endroits et em- brasse, dans le nord-est, presque toute la chaîne de montagnes qui s'avance jusqu'au cap d'Anaga, et celle qui s'étend au sud-ouest dans | ŒN les II. (52989) la direction du cap de Teno. Dans la partie centrale elle atteint uné grande élévation, mais en général on la distingue difficilement des leucostines, car, malgré nos systèmes et les caractères qu’on a assignés jusqu'ici à ces sortes de roches, les basaltes de Ténériffe contiennent ‘presque toujours un peu de feldspath. On tombe dans la même incer- titude lorsqu'on veut distinguer les leucostines ou les basaltes des cou- rans de laves modernes, car ceux-ci renferment ordinairement les mêmes substances. M. de Buch, dont l'expérience et la sagacité ne sont Jamais en défaut quand il s'agit de juger de la nature des roches, a été le premier à reconnaître que les vrais basaltes des Canaries offraient la particularité d’être toujours recouverts par la Tosca (1). La roche à la- quelle les habitans de ces îles ont donné ce nom est une pépérine pon- ceuse, blanchâtre, qui s'étend en nappe et contient parfois des cristaux de pyroxène et de feldspath. Elle est souvent mêlée de fragmens de ba- salte, et plus rarement de trachytes brisés en parcelles ou disséminés en blocs. Ces fragmens sont plus gros et plus nombreux dans les couches supérieures, du moins c'est ce que nous avons observé dans la vallée de Guimar. Sa pâte est aussi plus compacte, et dans certaines localités elle cimente à peine Îles parties hétérogènes qu'elle contient. Les blocs ou les fragmens basaltiques renfermés dans la tosca sontun peu altérés à leur surface, bien que leurs angles soient aigus. Les couches infé- rieures sont trèslégères et paraissent une agglomération de pierres ponces mêlées de débris de basalte. Ces terrains prennent alors une teinte jaunâtre et parfois légèrement rosée. La tosca est en général cal- carifère , maïs ne fait effervescence avec les acides que pendant quel- ques instans. La facilité avec laquelle elle se dessaisit de son carbone est peut-être une des causes de son excessive fertilité dans les endroits où elle est plus ponceuse et par conséquent plus propre aux labours. (1) Tosca provient sans doute de Tosco, grossier. En effet, cette roche a l'apparence terreuse et cre- vassée qui a fait donner le nom de calcaire grossier au calcaire inférieur du bassin de Paris. (299) Dans les couches supérieures, où elle est plus dure, son effervescénce est à peine sensible; aussi le sol qu'elle couvre est très-stérile. Toutefois les Canariens ont su tirer parti de sa compacité en la brisant par mor- ceaux de toutes les dimensions et en l'employant pour les bâtisses et les murs de clôture. Ses couches varient d'épaisseur et d’étendue sui- vant leur éloignement de la région du pic et la position qu'elles affec- tent sur les versans des montagnes. Dans la vallée de Guimar, la tosca a une épaisseur de 20 à 30 pieds et couvre une grande étendue de ter- rain sur la bande méridionale de l'île. Elle monte aussi plus ou moins haut : à Chiñama, on peut la suivre jusqu'à 1,800 pieds (1); mais à la base du pic, du côté du nord, elle n'en dépasse guère 800 (2), tandis que plus loïn, près de Sainte-Croix, elle atteint à peine 150 pieds. Les Guanches recherchèrent les lieux où ses couches étaient plus épaisses, principalement le long des berges des ravins, pour s'y creuser des habitations. On montre encore dans le district de Guimar plusieurs grottes spacieuses appelées las cuevas de los Reyes et situées sur les bords du ravin de Chimisay. Ces excavations ont 18 à 20 pieds de long sur une hauteur de 6 à 8; quelques-unes sont divisées en plusieurs chambres qui communiquent entre elles. Les colons espagnols, à l'exemple des Guanches, se sont logés dans ces demeures souterraines, et en ont même creusé de nouvelles. IL en existe de très-vastes dans les environs d'Abona, maïs cest surtout à la Grande-Canarie que ce genre d'habitation est plus usité. La tosca est extrêmement légère, sa pesanteur spécifique ne surpasse guère celle de l’eau dans les terrains où elle est plus friable et plus pon- ceuse ; le peu de cohésion de ses parties intégrantes et l'aspérité des fragmens basaltiques qu'elle contient sont autant de caractères qui doivent faire rejeter toute idée d'origine sous-marine. La puissance de (1) Voy. de Buch, Phys. Beschr., pag. 217. (2) Id. Id. pag. 209. \ ( 300 ) ses couches et leur multiplicité, à mesure qu'on se rapproche de la ré- gion du pic , feraient soupçonner plutôt qu'elle doit sa formation à des déjections boueuses sorties du grand cratère central. Quelle que soit du reste son origine, l'observation prouve qu'elle est toujours superficielle, car elle recouvre les basaltes et les leucostines, et ses couches agglomé- rées semblent s'être épanchées au-dessus de ces roches dures et com- pactes. Avant de donner de plus amples explications sur les terrains com- pris dans la seconde zone, nous dirons un mot des ravins ou barrancos. Nous avons déjà parlé de ces gorges singulières qui ont entamé la for- mation basaltique en la déchirant de toute part (1), nous avons décrit et figuré les principales (2), nous complèterons maintenant ces pre- miers renseignemens par des observations d’un autre genre. Les ravins sont toujours coupés à pic, leurs berges sont très-rapprochées, ils pé- nètrent dans toutes les couches du sol en parcourant de grands espa- ces; quelques-uns coupent les pentes de l'île depuis les Cañadas jusqu'au rivage; les angles saillans et rentrans de leurs berges coïncident entre eux, et la même correspondance se fait remarquer de part et d'autre dans leur stratification. Vers la côte, leur embouchure prend beaucoup plus d'extension (Voy. Atlas, vue phytost., pl. 2). M. de Buch, dans sa description des Canaries, et M. Mouzinho, dans celle de l'île de San-Miguel des Açores, n'ont pas manqué de faire remarquer l'avan- tage qu'offraient les ravins pour l'étude géologique de ces pays; mais ce dernier est dans l'erreur lorsqu'il attribue leur origine à l'action des eaux (3). La plupart des ravins de Ténériffe, comme ceux de San-Mi- (1) Voy. précédemment, Géog. descript., pag. 82. (2) Id. 14. pag. 86; Atlas, vue phytost., pl. 3, et Part. hist., pl. 4, 32 et 46. L (3) « Hum grande numero de ribeiras, que nos tempos chuvosos se tornäo caudalosas, tem retalhada » toda a ilha com ravinas profundas à que os naturaes chamäo grotas, cujas barreiras descarnadas, e » igualmente verticaes in muitos pontos, deixäo observar os stratos. » (Oéserv. sobre a ilha de San- Miguel, pag. 7.) ( 301 ) guel et des autres contrées, sont ordinairement à sec; les torrens ne les parcourent guère que dans la saison des pluies, et, parmi le petit nombre de ceux qui donnent issue aux eaux des sources, leurs ruis- seaux coulent impuissans sur ün lit de basalte que les plus forts torrens ne sauraient entamer. Les masses d'eau qui se précipitèrent de la ré- gion du pic et emportèrent des villages entiers , lors du terrible oura- gan de 1826, ouvrirent bien quelques ravines dans les terres meubles des vallées côtières et sur les pentes des montagnes, mais les barrancos conservèrent leurs formes primitives. Quelques-uns seulement restè- rent encombrés de roches roulées et de gravier : dans le ravin de Qui- guira , près de l'Orotava, ces dépôts s'élevèrent à plus de 50 pieds, et le barranco de las Cabezas fut comblé en partie par l'alluvion. Aïnsi, l'action des torrens les plus impétueux ne peut avoir creusé ces gorges profondes ; de plus grandes catastrophes semblent leur avoir donné naissance ; mais depuis long-temps les causes qui ont amené ces révo- lutions ont cessé d'agir. La manière ingénieuse avec laquelle M. de Buch explique l'origine des ravins se lie à son système des soulèvemens. Nous la rapporte- rons ici. D'après les observations de ce géologue, presque tous les anciens cratères sont formés de trachytes : cette roche à été pous- sée à travers les couches de basalte et de diorite. Lorsque la force ex- pansive des gaz comprimés a été assez puissante, de grands cratères se sont formés au milieu des matières rechassées au dehors. Quand cette force moins violente n'a pu percer la surface pour produire un cratère central, la masse s'est soulevée en forme de dômes ou de mornes tabu- laires couronnant les sommets des montagnes, comme on en voit sur la crête des Cañadas (sombrerito), sur les hauteurs de Porto-Santo et ailleurs. Les basaltes (qui offrent toujours une stratification régulière) ont été soulevés en même temps que les trachytes et se sont adossés pour ainsi dire à cette formation en se fendani suivant leur inclinai- son. De là ces longues crevasses qui rayonnent autour d'un centre ( 302 ) commun, Telle est la savante hypothèse qui a donné lieu à tant de discussions et qu'on a prétendu appuyer avec des chiffres. Les parti- sans de la théorie de M. de Buch ont été plus loin que leur maître; ils ont soulevé le globe dans tous les sens, et généralisant avant de préci- ser les faits, ils ont rapporté toutes les formations volcaniques à la même cause. Ainsi la question, de simple qu'elle était, est devenue complexe, et après bien des débats elle en est encore à son point de départ (1). Tandis que la partie de Ténériffe qui renferme le noyau trachytique est toute découpée par les barrancos, il est un fait digne de remarque, c'est que les deux extrémités de l’île (nord-est et sud-ouest), qui sont presque entièrement basaltiques , n'offrent aucune de ces longues dé- chirures qui caractérisent si singulièrement les autres districts. Une chaîne de montagnes, soulevée peut-être comme la plupart de celles du globe, y donne naissance à des contre-forts qui séparent des vallées ou gorges plus ou moins étroites, maïs où l'on ne rencontre plus de véritables barrancos. La grande vallée de l'Orotava, qui comprend tout l'ancien district de Taoro , quoique déchirée par plusieurs ravins, présente encore une autre apparence : elle est formée par deux longues montagnes qui des- cendent de la haute région, celle de la Resbala’ou de la Florida d'une part, et celle de Tigayga de l’autre. Les escarpemens de ces puissans contre-forts sont tournés vers l’intérieur de l'enceinte qu'ils em- brassent. La vallée, selon M. de Buch, aurait été produite par l'af- faissement de la partie du sol comprise aujourd'hui entre les deux berges mises à nu par suite de cette révolution, Ce géologue compare cet accident à celui du val del Bove sur les flancs de l'Etna. La vallée d'Ieod, bornée à l'occident par le /omo dé la Vega, celle de Guimar par (1) Ceux qui voudraient approfondir cette question doivent lire attentivement la lumineuse exposi- tion qu’en a faite M. de Buch à la suite de la géognosie des.îles Canaries. (Voy. Phys. Beschr., p. 323.) ( 303 ) la Ladera et les montagnes opposées, offrent une structure analogue, et leur formation serait due à un semblable phénomène. Ayant déjà donné une description orographique de ces localités (Voy. Géogr. descript.), nous n'ajouterons rien de plus à nos renseignemens, et reprendrons l'examen des roches de la seconde série. La leucostine de Ténériffe est compacte et bleuâtre : elle couvre, comme nous l'avons dit plus haut, une grande partie de la région moyenne de l'île. Lorsqu'après avoir dépassé le Portillo, on s'avance vers les Cañadas, on trouve cette roche sur le versant des montagnes où elle s'étend en larges nappes. Sa surface, polie et glissante, sans cesse balayée par les vents:et la pluie, à pris dans certains endroits une apparence métallique. C'est dans cette formation qu'est située la ca- verne où s'abritent les voyageurs qui vont au pic (Voy. Part. hist. pl. 34). | La leucostine est souvent parsemée de petits cristaux d'amphibole ; elle est parfaitement caractérisée à San-Nicolas, au-dessus de Gara- chico, où elle forme les grands escarpemens qui dominent la ville. On la rencontre aussi à la base des Roques de Guimar et dans beaucoup d'autres localités où il est facile de la confondre avec le basalte. Dans ces différens gisemens elle est accompagnée de la tephrine pérido- tique, belle roche à gros cristaux d'amphibole et toute criblée de ca- vités vésiculaires. Dans le ravin de Tamadaya, cette tephrine tire au noir ; dans celui de Badajos, elle est grisâtre, plus compacte et ressort en gros filons. À San-Nicolas, où nous l'avons trouvée aussi, elle se présente en masse et vient se mêler à la leucostine. Celle-ci est traver- sée en outre par des filons de basanite pyroxénique qui passent parfois à la dolérite vitreuse, mais dans laquelle pourtant le feldspath ne do- mine pas assez pour constituer une véritable dolérite. Le système géologique qui domine dans la chaîne du nord-est ou d'Anaga a éprouvé des bouleversemens extraordinaires. Cette grande formation se compose de basaltes , de scories et de conglomerats diver- ( 304) sement stratifiés et entrecoupés par un réseau de filons basaltiques plus compactes que les couches qu'ils traversent. Il est résulté de cette dis- position, et de la nature même des roches, que les massifs principaux, en se dégradant, ont découvert les filons qui ressortent en saillie, sil- lonnent les berges des vallées, traversent leurs thalwvegs et impriment à cette contrée l'aspect le plus bizarre. Quelques-uns descendent jus- qu'à la côte et pénètrent assez loin dans la mer, où ils forment des récifs dangereux. M. de Buch pense que la crête de la chaîne n'est elle- même qu'un immense filon; maïs, pour admettre cette opinion, il faudrait supposer aussi une semblable origine à plusieurs autres lignes de sommités qui déterminent certains systèmes orographiques dans d'autres parties du globe. | Les basaltes de Ténériffe sont ordinaïrement d'un noiïr plombé et contiennent toujours quelque peu de feldspath , mais les couches in- tercalées entre les massifs offrent plusieurs variétés. La plus remar- quable est la stéatite blanche que nous trouvâmes, entre deux fortes couches de basalte, dans la vallée de los Batanes, en descendant vers la mer, à une lieue environ des falaises qui bordent la côte. On voit aussi des bancs de tripoli parmi les amas de scories et de tufs. D'autres couches semblent avoir été colorées en rouge-sanguin par le peroxide de fer, et cette variété, que nous classons parmi les rubrica est très-apparente sur le plateau de la Mesa de Tegina, où elle se mon- tre en petits blocs prismatiques très-durs et fortement colorés. Ce ru- brica est engagé entre deux couches de basalte amorphe, et ressort en quelques endroits en petites colonnes verticales d’un à deux pieds de haut, et de deux à quatre pouces de diamètre (1). Au-dessus des basaltes, et non loin des rivages de l’île, on trouve un conglomerat de calcaire trèsmoderne, mêlé de fragmens basalti- (1) Non loin de là, on trouve sur les collines de San-Roque un basanite lavique de la nomenclature de M. le professeur Brongniart, renfermant dans ses cavités des concrétions d’arragonite fibreuse. ( 305 ) ques. Ce calcaire, toul-à-fait superficiel, remplace la fosca dans ces localités : il contient près de la côte différentes coquilles marines ; mais plus haut il ne renferme que des hélices ou d’autres mollusques ter- restres d'espèces actuellement existantes. Nous ne faisons qu'indiquer ici ce conglomérat, nous réservant d'en parler plus au long en traitant des formations modernes de Lancerotte et de Fortaventure. Lorsqu'en partant de Sainte-Croix, on monte vers la Laguna, on s'aperçoit que le système de montagnes du nord-est, qui embrasse toute la partie de l'île comprise depuis la pointe de Tegina jusqu'au cap d'Anaga , est entièrement isolé de celui du centre par le plateau des Rodeos. M. de Buch croit que cet isolement a été produit par des révo- lutions antérieures au soulèvement des Cañadas, et suppose un grand foyer volcanique préexistant dans l'emplacement de la vallée de la Laguna (1) et d’une partie de la belle plaine des Rodeos. Les caractères des roches qui forment la croupe de la montagne au pied de laquelle on a bâti la ville de Sainte-Croix sembleraient appuyer cette opinion. En effet , en montant la chaussée de la Cuesta, et après avoir dépassé les coteaux recouverts par cette {osca dure et stérile qu'on a rompue en divers endroits pour défricher les terres, on remarque sur le chemin des plaques de lave bleuâtre et toutes boursouflées. Ces laves ont l'as- pect d’une pâte qui aurait pris différentes formes en se refroïdissant ; ses ondulations sont encore très-marquées, et pourtant les roches qu’elles ont produites ne sont pas modernes; la tosca les recouvre presque partout, mais il n'est pas possible de reconnaître leur point (1) La vallée de la Laguna est ouverte du côté des Rodeos ; deux rameaux de collines escarpées , qui partent de la chaîne du nord-est , la bornent à l’orient et à l’occident ; vers le nord s'étendent les bois de Las Mercedes et toute la région forestière qui couvre les pentes des montagnes jusqu’au-dessus de Taganana. Un grand lac occupait autrefois le fond de la vallée ; Dampierre et plusieurs autres voya- geurs en ont donné des descriptions ; il existait encore du temps du P. Feuillée , et ses eaux venaient battre alors contre les maisons de la ville qui porte son nom. Maintenant il est entièrement desséché par les défrichemens, et la vallée de la Laguna, couverte de petites maisons de campagne, rivalise déjà de fertilité avec les meilleurs terroirs de l’île. jte 39 ( 306 ) d'origine, Toutefois, on peut rapporter leur formation à peu près à l'é- poque des basaltes avec lesquels elles ont des analogies, bien qu’elles ne soient pas agglomérées par grandes couches, et qu'elles ne forment pas des massifs isolés. | Les basaltes situés au dessous de ces laves, et qu'on peut si bien étu- dier dans les barrancos des alentours de Sainte-Croix, ne sont pas étendus en nappe; on les trouve toujours superposés par couches ré- gulières et alternant avec les bancs de scories et de tufs. Vers le haut du Barranco santo, on voit une belle formation de basalte prisma- tique ; les cristaux de rhyakolite que contiennent ces roches. colum- naires n'existent pas dans les laves des courans supérieurs. Ces différences dans les caractères des roches de cette partie de l'île, qui appartiennent à la série basaltique, démontreraient que la vallée de la Laguna et la plaine adjacente ont été le théâtre de grandes révolu- tions. La couche de terre argileuse qui domine dans ces deux endroits semble provenir en effet de quelque éruption boueuse ou bien devoir son origine à un tuf basaltique peu altéré par les feux. Cette terre ar- gileuse remonte très-haut : sur les coteaux qui avoisinent les bois de las Mercedes , et dans le vallon, elle forme une couche de 20 à 30 pieds d'épaisseur, et en a presque autant sur le plateau des Rodeos. Plusieurs cônes volcaniques (montañetas) s'élèvent dans cette enceinte: les prin- cipaux sont ceux de Guamaza, d'el Boqueron, de Tacoronte et d'Agua Guillen ; maïs ces mamelons, la plupart cratériformes, ne semblent pas avoir produit des coulées de lave, si ce n'est celui qu'on appelle Monte Uredo, situé près de la chapelle de NS. de Gracia, d'où est sorti un ancien torrent que M. de Buch a suivi jusqu'à son cratère. Le long de la bande orientale, en descendant vers San-Isidro, les pentes de l’île sont encore accidentées par d'autres cônes volcaniques : nous en avons indiqué plusieurs sur notre carte dans les environs de Greneto et de la Cuesta; le plus élevé (la Carbonera) est évasé à son sommet. ( 307 ) Au sud de Sainte-Croix toute la côte n'est qu'un amas de basaltes. Les cristaux et les autres substances que nous avons déjà nommées (1) se trouvent mêlés à ces roches noires dont l'amoncellement va en augmentant à mesure qu'on se rapproche de la vallée de Guimar. Il faut franchir les escarpemens de /a Ladera pour sortir de la vallée de Guimar. On entre alors dans le territoire de Las bandas; le sol devient plus uniforme; sa surface est moïns tourmentée; la tosca la recouvre presque partout, et l'on ne peut guère observer la stratifica- tion basaltique que dans les ravins qui coupent les talus (2). Sur les versans du nord, après avoir dépassé les Rodeos, les basaltes reparaïssent de nouveau avec les mêmes caractères que sur la côte orientale dans les ravins de Goyonje, d’Acentejo et dans le Barranco Hondo, qui descendent vers les beaux sites de T'acoronte et du Sauzal. Deux cônes volcaniques, pareils à ceux de la plaine des Rodeos, domi- nent les villages de la Matanza et de la Victoria ; la forêt d’'Agua- Garcia couvre de ses arbres verts les collines des environs. Partout où les défrichemens permettent d'apprécier la constitution du sol, on reconnaît que cette végétation puissante a pris naissance dans une forte couche de tuf grisâtre, tendre, facilement perméable (3), et qui “en se décomposant constitue un des meilleurs humus. En se dirigeant toujours par cette bande de l'île vers les districts du (1) On pourrait peut-être considérer ces roches comme des leucostines, car elles en ont toute l’ap- parence. Les cristaux de rhyakolite qu’elles contiennent sont très-petites, mais elles renferment en outre de grands et beaux cristaux d’amphibole. (2) On trouve souvent dans ces ravins des pépérines rougeâtres bien caractérisées, Ces formations, de même que les leucostines, sont traversées par des filons de téphrine pavimenteuse remplie de bulles d’air. La coupe du ravin de Badajos, que nous avons reproduite (Voy. Atlas, pl. xrv, fig. 2), en four- nit un exemple. La pépérine , dont l'inclinaison est de 25° vers l’est , est coupée par un filon de téphrine qui forme un angle d'environ 70°. Bien que l’amphibole indique le passage de ces roches aux vrais basaltes , nous devrions peut-être considérer toute cette section de l’île comme faisant partie de la série des leucostines. (3) Ce tuf, desséché et réduit en poussière, prend l’apparence de cendre volcanique ; mais, considéré dans sa compacité, nous n’hésitons pas à le ranger dans la série basaltique, attendu qu’il contient les mêmes minéraux que les roches de cette division. ( 308 ) nord-ouest, on atteint bientôt les coteaux de Saïinte-Ursule, et l’on descend alors le contre-fort qui borne à lorient h riante vallée de l'Oro- tava. Cette longue montagne part de Pedro Gil et se projette jusqu'à la mer. La coupe que M. de Buch a donnée de ce littoral (Voy. son ouvrage , p. 207) fournit de précieux renseignemens pour l'étude de la région basaltique de l’île (1). On peut sur ce simple croquis se faire une idée assez précise de toutes les modifications qu'affectent les roches de cette série, soit dans leurs élémens constitutifs, soit dans leur superpo- sition relative. Tous les ravins du district de Taoro présentent un sys- tème de stratificalion analogue , et qu'on peut, pour ainsi dire, étudier sur place, mais l'énumération des innombrables couches que ces déchi- rures du sol ont mises à découvert n'apprendrait rien de bien nou- veau. Pendant notre séjour à Ténériffe, MM. Auber et Alison sui- virent le ravin de Zlarena depuis son embouchure jusqu'à son origine, pour recueillir des échantillons de toutes les couches et tenir compte de leur nombre dans l'ordre de leur superposition. Cette collection, que nous avons examinée, offrait un assemblage curieux de basaltes gris, noirs ou rougeâtres, compactes, homogènes, plus ou moins char- gés de cristaux. La variété des tufs, scories et des autres produits argi- leux ou ponceux, n'était pas moins remarquable. M. de Buch a exploré de la même manière les berges escarpées du contre-fort de Tygayga, et en a classé les différens produits (2). Les résultats de son examen prou- vent évidemment que la constitution géologique de ce district est par- tout la même. (1) M. de Buch décrit ainsi les couches qui forment les falaises de ce littoral en les suivant de bas en haut : 1, conglomérat basaltique; 2, basalte solide; 3, banc de basalte scoriforme divisé en plusieurs couches ; 4, gras blocs de basaltes peu cohérens ; 5, banc d’argile rouge de brique de trois pieds d’épais- seur. Toute cette masse a 63 pieds d’élévation et est recouverte au-dessus par la tosca. (2) Voici l’ordre de ces couches en les suivant depuis le Realejo d’en haut (e/ Realejo de arriba) : 1, forte couche de conglomérat basaltique; 2, tuf basaltique ; 3, basalte très-compacte vers le milieu des falaises : 4, tuf ponceux ; 5, conglomérat ; 6, basalte compacte ; 7, tuf ponceux ; 8, conglomérat ; 9, basaltes avec soufflures et cavités. d ( 309 ) La montagne de Tigayga se prolonge jusqu'à la mer , où elle se ter- mine en falaises. La série des basalies et des couches intermédiaires se fait aussi remarquer sur ces escarpemens; les fragmens éboulés de cette formation ont recouvert la plage de leurs débris. Le rivage a reçu le nom del Callado à cause des galets qui l'encombrent : à la marée basse, il faut passer sur cet amas de roches roulées pour aller à Gara- chico. Au pied de l'escarpement qui borde la côte, les couches infé- rieures se divisent en colonnes prismatiques très-compactes, tandis que dans les strates supérieurs les basaltes sont de plus en plus remplis de soufflures et de cavités. Ce dernier caractère domine plus encore dans les couches du haut des falaises ; les ondulations qu'elles forment sembleraient avoir été produites par une matière qui aurait coulé. M. de Buch a cherché à s'expliquer l'origine des basaltes columnaires du Callado, et en général de toutes les formations analogues : suivant cet habile géologue, la pression de la masse aurait dégagé des vapeurs chaudes, un vide en serait résulté, et la matière comprimée aurait pris, en se contractant, la forme de colonnes. La dilatation des va- peurs chaudes, comprimées dans les massifs basaltiques à l'époque de leur apparition, aurait produit en même temps toutes les caver- nes situées dans les couches supérieures. Cette opinion nous semble très- vraisemblable, et il suffit pour s'en convaincre de visiter les nombreuses grottes naturelles que les Guanches choisirent pour de- meure , et dont on se sert encore aujourd'hui dans quelques districts pour renfermer les bestiaux. Depuis le contre-fort de la 7 ega, qui nes la vallée d'Icod du nord au sud , jusqu à la pointe de Teno, toute la côte est flanquée d'es- carpemens pareils à ceux du littoral de l'Oratova et disposés souvent par larges assises (1). La route passe d'abord au pied des vertes falaises (1) Dans la forêt de los Silos (monte del Agua), on trouve une roche qui diffère de toutes celles des environs. C’est un basanite compacte péridoteux ; les peridots-olivines sont d’un jaune-orangé très-remar- quable. La roche contient en outre quelques petits cristaux de rhyakolite. (310 ) du Guicho, de las Aguas et de los Batanes (Voy. Part. hist., pl. 22), puis après avoir traversé Garachico et sa plage hérissée de récifs (Voy. même part., pL 21 ), on remonte les coteaux du Daute pour arriver à Buenawista, bourg le plus important de ce littoral (1). À partir de là commence un autre groupe de montagnes basaltiques, celui de l'ouest dont nous avons déjà fait connaître la constitution géologique (Voy. précédemment Géogr. descrip., p. 94 et suiv.). Il serait donc superflu de revenir sur nos descriptions au sujet des filons qui traversent les différens massifs. Nous ne nous étendrons pas davan- tage non plus sur les Bufaderos de la côte de Teno. Ajoutons seulement que les basaltes columnaires qui bordent cette partie de l'île sont les mieux caractérisés de tous ceux de Ténériffe (2). Les principales sources de l'île se trouvent dans la série de roches que nous venons de décrire. Elles sortent ordinairement des couches interbasaltiques de scories et de pépérines. Leurs eaux contiennent en général très-peu de matières étrangères en dissolution; toutefois les sources de la bande méridionale présentent à cet égard quelques diffé- rences, et cette circonstance a fixé plus particulièrement notre atten- lion; nous en avons essayé plusieurs au moyen des réactifs, mais il reste encore beaucoup à faire. Donnons d'abord une idée générale des eaux de ce système. Les sources de la chaîne du nord-est où d'Anaga paraissent être ali- mentées en grande partie par les vapeurs aqueuses que les vents alisés tiennent amoncelées autour des forêts. Chaque vallée a son ruisseau, le territoire de Tegina est un des mieux arrosés. Le val du Bufadero, ceux de San- Andrès, de T'aganana, de los Batanes et des deux T egueste, sont parcourus par des torrens qui coulent sur des lits de basalte. Les (1) Les caboteurs ne peuvent aborder sur cette côte qu’au port d’e/ Buen-Jesus , petite anse située au débouché d’un ravin et entourée de toute part d’escarpemens dangereux. (2) Ces basaltes ressemblent beaucoup à ceux de l'Irlande et ne contiennent pas de cristaux de hyakolite. ( 311 ) eaux des fontaines de Sainte-croix ont été amenées à grands frais de cette même chaîne par le barranco de Æ/media. Celles de Laguna proviennent des sources de las Mercedes situées dans ce groupe de montagnes; mais dans tout le bassin de l'ancienne capitale on trouve l'eau à une certaine profondeur, non-seulement sous l'emplacement de l’ancien lac, mais encore dans les jardins de la ville. L'industrie des Canariens et l'usage croissant des noriahs rendront bientôt cette plaine aussi fertile que les Auertas d’Alicante et de Valence. Sur les bords des Rodeos on trouve les sources d’Ægua-Guillen et de l'Esperanza , et plus loin celles de la forêt d’Ægua-Garcia. Les vil- lages de Matanza, Sausal, Victoria et Santa-Ursula, ont aussi leurs fontaines. naturelles, et la source de Martianez sort du même massif, tout près du littoral. | La source la plus importante de la vallée de l'Orotava, celle de l'Agua-Mansa appartient probablement aux trachytes, mais la chaîne de Tigayga fournit plusieurs sources dont la plus importante est celle qui en sortant du vallon de la Laura (Voy. Atl., vues phyt., pl. 5) va porter ses eaux aux Éealejos. De cette chaîne surgissent aussi las Aguas del rey, utilisées pour le service du port de l'Orotava, les sources du Burgado, de la Gordejuela (Voy. Part. hist., pl. 5 et 17) et de la Rambla de Castro. Beaucoup d’autres filets d'eau moins considé- rables sortent des berges des ravins : à l'extrémité du grand contre- fort de Tigayea, les nappes d'eau qui ont suivi les couches intercalées entre les basaltes, jaïllissent des falaises et viennent tomber inutile- ment sur la plage du Callado. Les eaux qui s’échappent du contre-fort de la Vega baïgnent la jolie vallée d’Icod de los Vinos (Voy. Part. hist. pl. 30); vers la côte se trouvent les belles cascades del Guincho et de las Aguas de Garachico (Voy. Part. hist., pl. 22). Plus loin, des sources abondantes arrosent la campagne del Daute ; celles de la forêt de los Silos s'écoulent par le ravin de las Cuevas Negras ; elles filtrent au Monte de Agua d'un haut ( 312) talus de tufs basaltiques que couronne une masse du basanite compacte péridoteux dont nous avons déjà parlé. Buena Vista reçoit ses eaux de la vallée du Palmar et possède en outre la fuente del cuervo, qui surgit au milieu du basalte de la côte et arrose la belle propriété du comte de Siete Fuentes. A l'occident de ce bourg, la vallée de Bujamè et le Fincon ont aussi leurs petites sources. Les montagnes basaltiques de la partie occidentale ne versent pas _ leurs eaux du côté de Teno; le petit ruisseau qui filtre du ravin d'Itoba suffit à peine aux besoins de la population, tandis que le ver- sant oriental est assez bien arrosé. Un torrent impétueux s'échappe de la base du Taroucho et va porter la fertilité dans la vallée de Masca. Les eaux du midi de l’île sont généralement considérées comme lourdes par les habiïtans de las bandas, mais celles des barrancos de Badajos et de las Aguas n'ont pas ce caractère, elles ruissellent abon- damment des berges escarpées de ces ravins et ont été mises à profit par les populations agricoles de Guimar. Lx fontaine de Taco, située dans le barranco de ce nom, entre le village d'Arico et la mer, sort d'une berge ainsi stratifiée : 1" couche supérieure, la tosca ; 2°, pépe- rine ; 3°, forte masse de basalte compacte; 4°, pépérine ; 5°, autre couche de basalte compacte ; 6°, conglomérat basaltique assez dur. L'eau sort à la jonction de la deuxième couche de-basalte avec le conglomérat de la sixième. Elle est réputée tiède. Le 9 décembre 1828, à 2 heures p. m., l'air à l'ombre marquait 19° 44 C., tandis que l'eau à la source marquail 20° 55 C. Essayée avec des réactifs, elle donna par l’acétate de plomb un précipité blanc et épais montrant la présence de beau- coup d'acide carbonique; par le nitrate d'argent, un précipité laiteux indiquant une certaine quantité de sel commun. L'expérience faite avec un sel de baryte après le précipité obtenu par l'atétate de plomb, ne donna aucun résultat ; il en fut de même avec l'acide oxalique et avec le prussiate de potasse. Aïnsi, cette eau ne contient ni acide sulfurique, ni chaux, ni fer. L'absence de ces deux dernières substances est remar- ( 313 ) quable, puisque le basalte contient beaucoup de fer et que plusieurs sources voisines sont éminemment calcaires. La fontaine de Ciperchi, entre Fasnea et Arico, et celle de Chaxane, située dans ce Voisinage , donnèrent les mêmes résultats, mais les eaux de Chaxane étaient plus limpides. La source de Fasnea, au contraire, contient une quantité très-considérable de carbonate ‘de chaux qu'elle dépose sur ses bords et sur tous les objets environnans. Elle forme aussi dans son courant des véritables pisolites parfaitement rondes, si dures et si luisantes qu'on les croirait d'abord formées en grande partie de silex, mais elles se dissolvent entièrement dans les acides. Nous n'avons pas fait d'ex- périences sur les eaux de Tamadava, del Rio, et de la Juente de los Sauces (Voy. Part. hist., pl. 35). Nous n'avons pas essayé non plus celles de la Grenadilla qui ont la réputation d'être légères et très-pures. Les belles nappes d'eau qui tombent des berges du ravin de l'Enfer cou- vrent les roches d'une forte incrustation calcaire, colorée en dehors par quelque substance végétale à nuances de pourpre. Réunies en torrent, elles vont arroser le marquisat d’Adexe et servent aux usages journaliers, mais les habitans ne les boivent qu'avec appréhension. M. de Buch a fait les observations suivantes sur quelques-unes des sources de la série basaltique. 6 mai 1815, source de Martianez, 140 2 Réaum., température constante, 8 mai, las Aguas del Rey, 14 3 id. 7 juin et 8 septembre, même source, 14 8 id. 1# juin, source de la Gordejuela, 13° 3 id. 6 septembre, même source, 14 1 Ts De ces résultats, en ajoutant la température d'une source de l'île de Palma et d'une autre de Lancerotte, M. de Buch déduit que la tem- pérature moyenne du sol étant de 14° 4 Réaumur, et celle de l'atmo- sphère à Sainte-Croix étant, selon Escolar, de 17° 3 Réaumur, la température moyenne de l'air surpasse celle du sol de près de 3 degrés. Ce qui confirmerait l'opinion de M. de Humboldt, émise pour la pre- mr. 40 (314) mière fois dans les Annales de Gilbert, tom. 24, pag. 46, que dans les basses latitudes, la température de l'atmosphère surpasse toujours celle du sol. Cette observation est du plus haut intérêt pour l'histoire physique et géologique de notre globe; maïs il nous semble que pour ce qui concerne les îles Canaries, on ne saurait encore rien avancer de bien positif, car les données ne sont pas suffisantes. Il est surtout dans cette question une remarque importante, c'est que les trois sources de Ténériffe citées par M. de Buch sont toutes situées sur la côte nord- ouest de l'île, tandis que la température moyenne de Sainte-Croix, placée sur la. côle sud-est , est considérablement plus élevée que celle . du port de l'Orotava, en même temps que les températures moyennes de Santa-Cruz de la Palma et de l'île de Lancerotte diffèrent de toutes les deux. Ainsi, quoique la probabilité soit en faveur de l'opinion de M. de Buch, la question ne nous paraît pas encore tout-à-fait résolue. ( SYSTÈME DE VOLCANISATION MODERNE. Parmi les formations dépendantes du système de volcanisation mo- derne, nous placerons en première ligne le pic de Teyde, quiembrasse dans ses rapports tous les autres cônes d'éruption disséminés autour de sa base, sans en excepter ceux de Guimar , situés sur les pentes méri- dionales des montagnes des Cañadas (1). Il est probable que toutes ces bouches sont autant de soupiraux du volcan central. Les cratères du Teyde et du vieux pic (Pico viejo) s'étant obstrués, les feux souterrains se seront ouvert de nouvelles issues en communication avec le grand (1) M. de Buch a observé avec raison que, malgré leur position isolée, ces volcans n'étaient guère plus éloignés du Teyde que d’une lieue en ligne directe. ( 315 ) foyer (1). Il n'existe donc qu'un seul et même volcan à Ténériffe, et ses ramifications s'étendent peut-être dans tout l'archipel canarien. D'après les descriptions que nous ayons données du cratère des Ca- ñadas, il est bien établi que toutes les roches comprises dans cette vaste enceinte appartiennent exclusivement à la série des trachytes anciens : en poursuivant maintenant nos observations sur les autres points de la région culminante de l’île, nous verrons que le vieux pic et le Teyde lui-même, qu'Escolar a si heureusement appelé Æ7 Aijo de las Cañadas, forment un même massif dont les produits rentrent dans la catégorie des trachytes modernes. Les voyageurs qui tentent l'ascension du pic prennent presque tous la même route, celle de la vallée de l'Orotava, en remontant les pentes du nord-ouest. Lorsqu'en suivant ce chemin on est parvenu au som- met du pic, on découvre du côté du sud-ouest la grande Caldera de Pico viejo; mais de cette haute station l'œil ne saisit qu'à demi les formes géognostiques des terrains inférieurs, et l'on ne conçoit pas bien tout d'abord l'agglomération de cet énorme massif qui réunit aujourd'hui plusieurs cônes ensemble (2). La connaissance exacte du Pico viejo est due à M. Cordier: ce géologue, prenant une route nouvelle, monta au pic du côté d'Icod, et reconnut le premier l'emplacement d’un vaste cratère situé au sommet de la montagne de Chahorra. Nous avons consigné dans la partie géographique les intéressantes observations de M. Cordier relatives à ce volcan (3) ; M. de Buch en a donné après lui une description très-détaillée (4). Pour bien comprendre les relations qui existent entre le Teyde et la grande éminence qu'on a appelée tour à tour Chahorra, Pico viejo, (1) Cette opinion est devenue populaire aux Canaries : les habitans appellent respiraderos del Teyde tous les nouveaux volcans qui se sont formés aux alentours du pic. Ils ont aussi donné le nom de narices del Teyde à deux anciens soupiraux situés sur la montagne de Chahorra. (2) Voy. les renseignemens que nous avons déjà donnés à ce sujet, Géog. descript., pag. 89. (3) Voy. précédemment , pag. 52. (4) Voy. Physical Besch., pag. 233. (316) Pico quebrado, etc. il faut se placer à l'ouest du pic. Alors les crêtes du massif central se dessinent distinctement, le Teyde apparaît au centre et domine d’un côté Montaña blanca et de l'autre le vieux pic (Vory. Atlas, pl. x1v, fig. x1). Ainsi, en partant des bords de l'immense pla- teau qui entoure le Teyde pour gravir jusqu'au sommet culminant de l'île (le Piton), on compte quatre cratères bien distincts. D'abord, le cirque primordial et gigantesque des Cañadas, auquel a succédé la Caldera du Pico viejo, puis le Teyde, ou le Pic proprement dit, qui sest élevé sur ses ruines, et dont le cratère obstrué (24 Rambleta) a vomi des torrens dans toutes les directions; ensuite , le Piton, qui couronne l'énorme cône, et dont la cime, creusée en solfatare, atteste encore par un dégagement continuel de vapeurs chaudes l’état d'incandescence du volcan central. Il ne nous reste rien à dire sur les Cañadas et sur la priorité de cette formation : nous concentrerons maintenant toutes nos observations sur les trois autres cratères que nous venons d'indiquer. En franchissant le défilé du Portillo de la villa entre l'extrémité mé- ridionale du contre-fort de Tigayga et les pentes du Llano de Manja, on voit lout-à-coup surgir le Teyde dans la direction du sud-ouest. Il appa- raît au loin comme une immense pyramide ; ses flancs sont sillonnés de torrens de lave noïre qui tranchent sur les nappes blanches et ponceuses dont il est revêtu. À cette distance on le croirait couvert de neige, et c'est probablement à cette apparence qu'il faut attribuer le nom de Nivaria que les anciens donnèrent à l’île du Pic, car la présence de la neige sur ce volcan est beaucoup plus rare qu'on ne le croit (1). De cette première station on aperçoit déjà distinctement l’assise de la Rambleta et le Piton qui la domine (Voy. Atlas, pl. xiv, fig. vi). A (1) Pendant les hivers de 1828 et 1829, il n’est point tombé de neige sur le pic jusqu’au 12 janvier ; mais en 1830, qui fut pour l’Europe une année de grand froid , la neige séjourna long-temps sur les pentes du Teyde, et descendit même jusque sur la lisière des forêts de lauriers. ( 317 ) mesure qu'on pénètre dans le cirque des Cañadas, le Piton se dessine mieux au-dessus du cône inférieur (Voy. id. fig. vu) ; plus près encore le cratère de la Rambleta semble s'élargir et le Piton s'abaisser (Voy. id., fig. vin); enfin lorsqu'on arrive à la base du Teyde (/as faldas), le pyramidion disparaît ; la masse de la montagne et l'encombrement des roches qui bordent la Rambleta en interceptent la vue (Voy. id. , fig. IX). La masse entière du Teyde s'élève à 3,030 pieds au-dessus du plateau des Cañadas. La hauteur relative du Piton, à partir de l’assise de la Rambleta, est de 438 pieds (1), Le cratère du sommet a 2 à 300 pieds de diamètre, et nous avons évalué sa profondeur vers le bord le plus élevé à environ 195 pieds (2). Sa forme est elliptique, et ses bords sont (1) D’après les observations barométriques de Borda, calculées par Mathieu , la base du Piton serait de 11,352 pieds au-dessus du niveau de la mer, et le sommet à 11,856 pieds ; le Piton aurait dès-lors 504 pieds de hauteur relative ; mais il faut noter que, dans cette opération, l’observation barométrique donna au pic 426 pieds de plus que la mesure trigonométrique. D’après les évaluations de D. Domingo Mesa , la hauteur absolue du plateau des Cañadas » prise à la base septentrionale du Teyde, serait de 8,400 pieds, et celle de l’assise de la Rambleta de 10,992. La hauteur relative de toute la masse du Teyde et celle du Piton ont été déduites de ces données en admet- tant le chiffre de 11,430 pieds , résultat de la mesure trigonométrique de Borda , comme le plus pro- bable pour la hauteur absolue du pic. (Voy. dans la relation de M. de Humboldt, 7 0yag. aux régions équinox., tom. 1, pag. 275 et suiv., la note relative à toutes les déterminat. de hauteur qui ont précédé la sienne et ce que M. de Buch a écrit sur ce sujet, Physical. Besch., pag. 97.) — (Berrneror » Notes.) (2) Les différens voyageurs qui sont parvenus au sommet du Piton ne sont pas d’accord sur les dimen-- sions de son cratère. En 1715, Édens évalua sa profondeur à 40 vares du côté du midi; il lui en assigna 140 dans sa plus grande largeur, et 10 seulement dans sa partie la plus étroite ; mais ce dernier chiffre ne peut être exact. (Voy. Transact. philos., année 1716.) Le P. Feuillée, d’après le rapport de Varguin, son élève, dit que le grand diamètre est d'environ 40 toises et Le petit de 30. (Voy. sa relation manuscrite à la Biblioth. roy.) Suivant la mesure d’O’Donnel, il aurait 550 vares de circonférence (environ 236 toises). Lors du voyage de Lapeyrouse, Lamanon mesura aussi le cratère du Piton, le 17 octobre 1791, et d’après ce naturaliste le grand axe serait de 50 toises. En 1799, M. de Humboldt évalua le plus grand diamètre à 300-pieds et Le plus petit à 200. Ce savant voyageur prit un dessin du cratère. (Voy. sa relation dans le V’oyag. aux régions équinox., tom. 1, pag. 215, et son Ailas pitioresque , pl. Liv.) En 1803 , M. Cordier estima sa profondeur à 110 pieds. (Voy. Journal de Physiq., tom. vn, pag. 62.) En 1815, M. de Buch dit que la circonférence entière du cratère ne dépasse pas une demi-lieue. Sa profondeur, vers le point le plus élevé, -est de 160 pieds, mais ailleurs elle n’est guère plus de 100 pieds. ( 318 ) comme démantelés, surtout vers le sud-ouest (1). Le côté occidental est le plus élevé. Les roches qui cernent le cratère laissent voir la sub- stance dont le Piton est composé. C'est un trachyte gris ou jaunâtre ürant plus ou moins par la décomposition au brun rouge. Il est criblé de petits trous et parsemé plus ou moins de cristaux de rhyakolite. M. de Buch croit qu'il forme des couches qui plongent du nord-est au sud-est. Au fond du cratère, la roche est entièrement décomposée par les vapeurs chaudes qui s'exhalent de cette solfatare (2), et se fond en une substance humide, pâteuse et rougeâtre, sur laquelle on remarque une efflorescence de soufre cristallisé ; dans quelques endroits elle est blanche et moïns pâteuse. Elle ne brûle pas et peut se pétrir dans la main, mais elle se durcit bientôt dès qu'elle cesse d'être imbibée par les vapeurs. La couche paraît avoir peu d'épaisseur, car en enfonçant un bâton on rencontre souvent du vide; on le retire alors humide et fu- mant comme si on l'eüt plongé dans une chaudière d'eau bouillante ; dans les endroïts où la couche est plus épaisse et plus molle, il ressort couvert d'une croûte sulfureuse. Il s'échappe d'épaisses vapeurs de cette solfatare, principalement par les nombreuses crevasses qui se sont ouvertes dans l'intérieur ou sur les bords du cratère ; elles s'exhalent par intermittence et sont accom- pagnées d'un bruit sourd. Les paroïs des crevasses sont tapissées de soufre cristallisé en aiguille ; la largeur de ces petits soupiraux varie depuis un jusquà six pouces de diamètre (3). Ces vapeurs, selon Enfin , il est encore question de cette mesure dans plusieurs autres ouvrages. (Voy. J’oyage de la Flore, tom. 1,,pag. 94, et le Voyage de l'Astrolabe, tome 1* de la Relation du capitaine d’Urville, etc.) (BertaeLzor, Votes.) (1) A l’époque de ma seconde ascension, le 9 juillet 1827, je remarquai que les trombes d’eau qui s’é- taient précipitées sur la région du pic pendant le terrible ouragan de 1896, avaient ruiné les bords du cratère du côté du sud-ouest. (BerrneLor, Notes.) (2) La chaleur que l’on éprouve dans le cratère ne permet guère d’y rester long-temps ; toutefois l’état de sa température présente des variations notables en comparant entre elles les observations de diffé- rentes époques. Lorsque , le 4 juillet 1825, je parvins pour la première fois au sommet du pic, je tra- versai Le fond du cratère du nord au sud ; je m’arrêtai même pendant plus d’un quart d’heure près de ( 319 ) M. Cordier , ne se composent que de soufre et de l'eau parfaitement limpide. Elles ne contiennent ni acide sulfurique, ni soude, ni hydro- gène. Ce géologue a observé en outre qu'à côté du soufre il se formait sur les paroïs des crevasses des croûtes minces d'opale. L'extérieur du Piton est tout recouvert de pierres ponces qui ont été lancées probablement de son cratère. Elles sont très-blanches, et contiennent beaucoup de cristaux de rhyakolite. Lorsqu'après avoir atteint l’assise de la Rambleta, on veut gravir avec moins de difficulté les pentes inclinées du Piton, il faut éviter ces amas de pierres ponces, et choisir ses pas sur une des arêtes de trachyte qui partent du som- met et descendent en divergeant le long du petit cône. Elles sont pa- reilles à la roche des bords du cratère supérieur, et ressortaient en saillie au commencement du siècle passé, mais aujourd'hui elles sont recouvertes en partie par les éboulemens des pierres ponces. Le P. Feuil- lée, qui visita ces lieux en 1724 et fit un dessin très-exact du Piton (1), la crevasse la plus large et dans laquelle j’enfonçai tout le bras pour en retirer des cristaux de soufre. La chaleur était alors très-supportable. Le 9 juillet 1827, à l’époque de ma seconde ascension , la cha- leur était excessive; je ne pus rester long-temps au même endroit tant le sol était brülant dans l’inté- rieur du cratère , ies vapeurs en sortaient abondamment et sans interruption, l’odeur sulfureuse était insupportable , et je fus obligé de me retirer sur les rochers qui bordent l'enceinte pour pouvoir respirer plus à l’aise. (BerrueLor, JVotes.) (1) Voy. à la Biblioth. roy., Voyage aux les Canaries, mss., par le R. P. Feuillée, 1724. Nous donnerons ici un extrait de la relation manuscrite du P. Feuillée, à partir de la Æstancia de Arriba , qu’il appela l'Union des Deux-Couronnes. Gette station est située à 8,673 pieds au-dessus du niveau de la mer, c’est-à-dire à 917 pieds plus haut que la Estancia de los Ingleses que le révérend père nomma la S'éation de Saint-François-de-Paule et où il planta une croix. Le vent, qui était au nord-est à son départ de l’Orotava, soufilait au sud-ouest à son arrivée à la Æstancia , où il passa la nuit. « L'air » était froid, dit-il, et le lit fort dur. » À quatre heures du matin, le 4 août 1724, tout notre équipage fut alerte : après avoir pris le cho- » colat, nous commençâmes à grimper ce grand nombre de rochers entassés les uns sur les autres. Obli- » gés de marcher sur leurs pointes, combien de faux-pas ne se firent-ils pas? L’eau-de-vie ne nous fut » pas inutile, on en avoit porté provision ; sans ce secours, plusieurs de la compagnie auroient demeuré » entre deux roches. Plus de deux heures se passèrent avant d’arriver au pied du pain de sucre (c’est » ainsi que les guides nomment le Piton, e/ Par de azucar), où se termine ce grand amas de rochers qui » couvre la croupe de la montagne. Nous vimes bientôt sortir Le soleil sur la surface de la mer, nous » aperçümes aussi les îles Lancerotte à 45 lieues, Fortaventure à 30 et la Grande-Canarie à 10. Le » soleil ne fut pas à la hauteur de deux de ses diamètres au-dessus de l'horizon , qu’il se leya de gros ( 320 ) considère ces arêtes comme deux torrens de lave sortis du cratère supérieur. M. de Buch ne partage pas cette opinion ; il assure que ces roches n’ont pas l'apparence d’avoir coulé. Dans les torrens de lave les cristaux de rhyakolite sont posés sur le même sens et à la suïte les uns des autres, tandis que dans les trachytes qui entourent le cratère du Piton, ces cristaux se présentent de toutes les manières. Nos échantil- lons confirment, il est vrai, cette remarque; mais nous n'en avons pas des deux arêtes, et il serait à désirer, pour lever toute espèce de doute à cet égard, et confirmer peut-être une théorie dont nous n'avons eu connaissance qu'après avoir lu l'ouvrage de M. de Buch, d'examiner de nouveau ces roches sur place, car si l'on s'en tient uniquement aux observations du célèbre géognoste prussien, on doit conclure avec lui, » brouïllards qui nous cachèrent les îles, mais ces brouillards ne montèrent pas jusqu’à nous et se mon- » trèrent comme la surface d’une mer fort tranquille. » Arrivé au pied du Piton, le P. Feuillée ne put continuer son ascension. « Je m’étois blessé dans une » chute, ajoute-t-il, en montant sur les rochers, ce qui ne me permit pas de pousser plus loin. Le » médecin qui connoissoit l’importance de ma blessure, m’assura que je risqueroïis ma vie si j’allois plus » avant. Enfin six des nôtres, plus courageux, montèrent le pain de sucre : M. Porlier fut du nombre, » les deux fils du marquis de la Florida et M. Varguin, mon élève, à qui je remis la caisse de mes » tubes et une bouteille de mercure dont je voulois me servir pour faire à la pointe du pic l’expé- - » rience du vuide. Ce jeune ingénieur, au fait de ces matières, à son arrivée au sommet, nettoya un tube, » passa son Inercure par un linge à plusieurs doubles et trouva que ce liquide se soutenoit constam- » ment à 17 pouces 5 lignes. Avant de monter le pain de sucre, leurs montres marquoient 7 h. 30’, ils » arrivent au sommet à 8 h. 42”, donc ils demeurèrent à monter 1 h, 12’. » | Ce fut pendant l’opération de son élève que le P. Feuillée prit, de la base du Piton, le dessin dont nous avons parlé. M. Varguin descendit au fond du cratère, mais il ne put y rester long-temps à cause de la chaleur ; il évalua les dimensions de la solfatare et examina ses soupiraux. D’après l'expérience faite au pied du Piton , le mercure se soutint à 18 p. 7 1. 1/6. | « Lorsque ces messieurs étoient sur les bords du cratère , ajoute encore le P. Feuillée , ils commencè- » rent à nous appeler et nous répondimes à toutes leurs demandes , mais ils ne répondirent jamais aux » nôtres et prirent cela pour un mépris. À leur arrivée au pied du Piton, ils nous firent de grands re- » proches sur notre silence, ce qui leur avoit donné de l'inquiétude, craignant qu’il ne nous fût arrivé » quelque fâcheux accident. Nous répondimes à ces reproches sur le même ton, car à force de leur ré- » pondre nous nous étions égosillés. Ils nous protestèrent ingénuement qu’ils n’ayoient entendu aucune » de nos paroles, quoiqu'ils eussent prêté toute leur attention pour savoir ce qui se passoit au pied du » pic. Cependant d’en bas nous ne perdimes pas une des leurs, alors même qu'ils parloïent familièrement » entre eux. » Le P. Feuillée donne ensuite l’explication de ce phénomène d’acoustique que nous avons eu aussi occasion d'observer. ( 321 ) du manque de coulées et de la forme qu'affecte le Pilon, que ce cône a été produit par soulèvement. Dès-lors il serait difficile de croire que dans les temps historiques la solfatare du pyramidion ait jamais été en état de volcanisation. Toutefois nous citerons plusieurs renseignemens qui tendraïent à faire supposer le contraire. Nous avons déjà observé que le nom d’Echeyde 7. dont Teyde semble un dérivé et par lequel les Guanches désignaient le Pic, est peut-être une preuve de l’activité du volcan avant la conquête de l'île , et que sur la plupart des cartes manuscrites du xive et xv° siècle, Ténériffe se trouvait toujours indiquée sous le nom de l’#e de l'Enfer ( Voy. précédemment Géog. descrip., pag. 24, 75 et suiv.). M. de Hum- boldt, qui a traité cette question, a fait le premier la remarque que les Périples d'Hannon et de Scylax, de même que les relations de Sebosus et de Pline, ne mentionnaient aucune montagne volcanique dans l’ar- chipel des Fortunées , et déduit de là que le pic de Teyde était en repos au temps du roi Juba et même plusieurs siècles auparavant lors des voyages des Carthaginoïs le long des côtes occidentales d'Afrique. Depuis le commencement de notre ère, la navigation des îles d'occi- dent fut interrompue. Du moins, rien de relatif à ces archipels n’a été consigné dans les livres jusqu’à l'année 1291 , que les Génois repri- rent la route des Fortunées (1). Il est probable que le grand volcan de: Ténériffe ne resta pas dans l'inaction pendant cette longue période de douze siècles. Toutefois la relation d'un journal de navigation trans- crit par Boccace, et découvert récemment à Florence, nous apprend qu'en 1341, lors d'un voyage aux Canaries exécuté par des Florentins et des Génois, le pic de Teyde était en repos (). Ce fait, sans intérêt en (1) En 1291, deux capitaines génois, Tedice Doria et Ugolino Vivaldi, firent voile pour les îles Fortunées. Les résultats de cette expédition sont inconnus, mais le fait est cité dans plusieurs ou- vrages (Voy. Foglietta Hist. Genuens., lib. v; Pietro d’Albano , Concil. dissert., 67, et Pétrarque, Fi. solt., Gb. x, sect. vi, cap. 111.) (2) Monumenti d’un manoscritto autografo di Messer Gio. Boccacci da Certaldo trovati ed illustrati da If. 41 ( 322 ) apparence, devient très-important si on envisage les principaux vol- cans de notre hémisphère à la même époque. L'Etna eut alors une intermittence de plusieurs siècles , et le Vésuve, en repos depuis vingt- cinq ans, ne recommenca à lancer des flammes que plus d'un siècle après. Nous verrons plus tard qu'ils se réveillèrent tous en même temps au quinzième siècle. Sebastiano Ciampi. Florence , 1827. Le troisième article de cet intéressant recueil est intitulé De Canari et de insulis reliquis ultrà Hispaniam in Oceano noviler repertis , et renferme des renseignemens fort cu- rieux sur ces îles et sur le langage et les mœurs des indigènes. Ces notices sont extraites de lettres écrites par des négocians florentins établis à Séville, et recueillies de la bouche de Nicoloso da Recco, Génois, alter ex ducibus navium illarum. Boccace a soin de nous informer que l'expédition était com- mandée par le Florentin Angiolino del Tegghia de Corbizzi, cousin des fils de Gherardino di Gianni. Nous aurons occasion de mentionner ce singulier document dans la partie historique ; en attendant, nous rapporterons ici le passage qui se mble indiquer que le pic était alors dans le même état où nous le voyons aujourd’hui. « Invenerunt insuper et aliam insulam , in quam non descenderunt, nam ex eâ mirabile quoddam apparet. Dicunt enim in hâc montem existere altitudinis, pro æstimatione xxx mil- lia passuum, seu plurium, qui valdè à longè videtur, et apparet in ejus vertice quoddam album : et cum omnis lapideus mons sit, album illud videtur formam arcis cujusdam habere; attamen non arcem sed la- pidem unum acutissimum arbitrantur, cujus apparet in summitate malus magnitudinis in modum mali cujusdam navis, ad quem apprehensa pendet antenna cum velo magnæ latinæ navis in modum seuti retracto , quod in altitudinem tractum tumescit veñto, et extenditur plurimum ; deinde paulatim vi- detur deponi, similiter malus in morem longæ navis; demüm erigitur et sic continué agitur ; quod undique circumdantes insulam fieri advertere. Quod monstrum cantatis fieri carminibus arbitrantes, in eamdem insulam descendere ausi non sunt. » Nous traduisons ce passage qui est un peu embrouillé. « Ils découvrirent ensuite une autre île où ils ne voulurent pas débarquer, à cause du prodige qui s’offrit à leurs regards. On y voit, disent-ils, un mont de trente milles de hauteur, ou encore plus haut, et qu’on aperçoit de fort loin, et on découvre quelque chose de blanc sur le sommet ; et comme cette montagne est toute pierreuse , cette blancheur paraît avoir la forme d’une forteresse ; toutefois ce n’en est pas une, mais bien un roc très-aigu dont le sommet est terminé par un mât de la grandeur de celui d’un vaisseau avec une antenne à grande voile latine. Cette voile, gonflée par le vent, affecte la forme d’un écusson tourné en haut et prend beaucoup de développement , puis peu à peu elle s’abaisse , et le mât aussi comme dans les galères ; ensuite , elle se redresse pour s’abattre et se relever de nouveau. Ils firent le tour de l’île, et de tous les côtés ils virent se renouveler le même phénomène : alors , croyant que c'était l'effet de quelque enchantement, ils n’osèrent pas descendre à terre. » Cette description, toute merveilleuse qu’elle semble, a pourtant un fond de vérité: on ne peut douter que ce ne soit Ténériffe et son pic gigantesque qu’on ait voulu indiquer ; mais un phénomène qui se reproduit souvent au sommet du Teyde apparut aux yeux des navigateurs comme un prodige, et dès-lors l'imagination l’interpréta à sa manière. Toutefois il est facile d’en donner l'explication. La grande voile qu’ils croyaient attachée à un mât de vaisseau et que le vent faisait enfler, puis monter et descendre , n’était sans doute autre chose qu’un de ces gros nuages blancs qui enveloppent parfois la cime du Piton. Ces masses de vapeurs flottantes peuvent prendre toute sorte de formes ; la plus com- mune est la triangulaire, parce que le nuage qui couvre les pentes du pyramidion s’élargit alors vers sa ( 323 ) « De tous les témoignages écrits, dit M. de Humboldt, le plus ancien » que j'aie trouvé sur l’activité de ce volcan date du commencement du » seizième siècle. Il est contenu dans la relation d'Aloysio Cadamosto, » qui aborda aux Canaries en 1505. Ce voyageur ne fut témoin d'au- » Cune éruption ; mais il affirme positivement que, semblable à l'Etna, * cette montagne brülait sans cesse, et que le feu était aperçu par les » chrétiens retenus comme esclaves par les Guanches de Ténériffe (1).» Il y a sans doute erreur de date dans cette citation de M. de Hum- boldt, car en 1505 Ténériffe était au pouvoir des Espagnols, sa reddi- üon ayant eu lieu le 25 juillet 1496 (2); par conséquent, neuf ans après il ne pouvait y avoir aucun chrétien prisonnier dans l’île. C’est en 1444 qu'il faut rapporter le voyage de Cadamosto. Ce gentilhomme vénitien relâcha aux îles Canaries lorsque, par ordre de l'infant don Henri IT, il allait reconnaître, avec Vincent de Lagos, la partie de la côte d'Afrique qui avoisine le cap Blanc et les embouchures de la ri- vière de Gambie (3). Dans l’/solario de Bordoni, imprimé à Venise en mpxLvn, on irouve une description des îles Canaries qui reproduit un passage de la relation de Cadamosto. Il y est dit au sujet de Ténériffe : « Et ha nel mezzo un monte, in modo d’una punta fatto, altissimo, la quale continuamente arde. Et cost si aferma da chi quella ha veduta, et oltra accid dicono che questo monte havia d’altezza miglia sei. » Fol. xvrr. « Et il y a au milieu une montagne, en forme de pointe, très-élevée base et s’amincit vers le sommet. Les habitans de Ténériffe disent dans ce cas que 4 Teyde a le chapeau, indice certain de vent d’ouest et de temps pluvieux. (1) Voy. la relation de M. de Humboldt, J’oyag. aux rég. équinox., tom. 1, pag. 386. (2) Voy. Viera, Op. cit., tom. 11, pag. 250. (3) Voy. la relation de Cadamosto : Nayigatio ad terras ignotas, dans Ramusio : Nopus orbis regionum ac insularum veteribus incognitarum ; Basiliæ , an. 1532. La relation originale de Gadamosto a été écrite en italien et traduite ensuite en latin par Arcangelo Madrignano. Voy. aussi à ce sujet Navarette, Collecc. de los viag y descubrim., tom. 1, Introd., pag. xxvur. ( 324 ) et qui brûle continuellement. Et ceux qui l'ont vue l’affirment ainsi, et disent en outre que cette montagne a six milles de haut. » Mais il existe des documens qui paraissent assigner encore deux au- tres époques aux éruptions du Teyde. En 1393 (1), des aventuriers andaloux et biscayens se réunissent à Séville pour armer cinq bâtimens , avec la permission de l'infant don Henri LIT, et vont reconnaître la côte d'Afrique et les îles Canaries. Étant en vue de cet archipel, les flammes et la famée qui sortent du volcan de Ténériffe les effraient d’une telle manière qu'ils n’osent aborder. Ils la nomment l'#e de l'Enfer , et se dirigent sur Lancerotte qu'ils saccagent (2). | En 1492, lors du premier voyage de Christophe Colomb, ce célèbre navigateur ayant d'abord relâché à la grande Canarie pour faire ra- douber le gouvernail d'une de ses caravelles, se dirige ensuite sur la Gomère. Le 9 août se trouvant en vue de Ténériffe, il aperçoit la chaîne des montagnes (Za Sierra) de l'île tonte en feu. Le passage de la relation de l'amiral, qui a rapport à ce fait, ferait présumer que l'é- ruption partait du cratère du Piton, bien que l'expression de Colomb, la montagne de Ténériffe qui est extraordinairement élevée, ne désigne pas présisément le sommet du pic de Teyde. Nous transcrivons ici textuellement ce fragment de la relation : « Jueves 9 de Agosto. Despues tom el almirante à Canaria, y adobaron » muy bien la Pinta con mucho trabajo y diligencias del almirante, » de Martin Alonzo y de los demas; y al cabo vinieron a la Gomera. (1) D’après Lopez de Ayala, dans sa Chronique de Henri III, cap. xx. Gonzales Davila, dans son Æis- toire de Henri III, rapporte cette expédition à l’année 1399. Ortiz de Zuñiga, dans ses Annales de Sé- ville, et Viera, dans ses Moticias , ont adopté Le renseignement de Davila. (2) Voy- Collect. des voyag. et découv. des Espag., ad. de MM. Verneuil et de la Roquette, tom. 1, pag. 340, note ; et, pour plus de renseignemens, les Chroniques de Henri III de Lopez de Ayala et de Gil Gonzales de Séville ; l'Orbis maritimi, etc. ; Marian, Æist. gen. de Espar., lib. vr, cap. 14; Gomar, Hist. gen. de las Ind., cap. 223. ( 325 ) » Vieron salir gran fuego de la Sierra de la isla de Tenerife que es muy » alta en gran manera (1). » Toutes ces relations sont plus ou moins vagues; le fait le plus formel est celui cité par Cadamosio, quoiqu'il n'en parle que par ouï-dire. L'éruption de 1492, vue par Colomb (si toutefois elle a eu lieu de la cime du Piton), ne précéda que de quatre années l’époque de la con- quête de l'île (1496), et depuis lors aucun document historique ne fait mention d'une explosion du pic par son sommet. Mais dans le cas même que le volcan du Piton n'ait pas lancé des flammes pendant les cent ans qui s'écoulèrent entre les deux époques que nous avons citées (1393-1492), il paraît certain, d'après ces mêmes documens, que presque tout le quinzième siècle fut remarquable par les éruptions continuelles qui incendièrent Ténérifte. D'après la tradition des con- quérans, les Guanches d'Orotapala (Orotava) disaient avoir été té- moins des éruptions qui formèrent les grands mamelons de scories du district de Taoro (2). Suivant leurs indications, cette catastrophe aurait eu lieu vers 1430, et il est probable que ce fut aussi dans ce laps de temps que les feux souterrains se firent jour par beaucoup d'autres soupiraux , et que plusieurs des montañetas et malpays ou cou- lées de laves, dont l'apparence est assez récente, doïvent leur origine à la recrudescence volcanique de cette époque. Nous avons déjà noté leur repos simultané, et cest un faït digne de fixer l'attention, que ce fut aussi pendant cette période que les forces volcaniques réagirent sur divers autres points de notre hémisphère. Le Vésuve, éteint depuis long-temps, reprenait sa fureur (3); quatre éruptions de l'Etna eurent (1) Voy. Navarrete, Op. cit., Relac. del Alm., tom. 1, pag. 5. (2) Voy. à ce sujet le renseignement de Borda dans un manuscrit du dépôt des cartes et plans de la marine portant pour titre : Résumé des opérations de la campagne de la Boussole, 1770. M. de Humboldt à cité le même renseignement dans son Voyag. aux régions équinox., tom. 1, pag. 246. Nous avons repré- senté les trois cônes volcaniques dont il est ici question, dans notre Atlas, pl. xiv, fig. xrr. (8) Cette éruption eut lieu vers la fin du quinzième siècle et a été décrite par Ambroise Léon de Nole ; l'antérieure’, qui date de 1306, a été rapportée par Léandre Alberti. ( 326 ) lieu à cette même époque (1), et la plus terrible fut celle de 1444, qui forma le vaste cratère situé à son sommet. Le 5 février 1444, les bou- ches de Vulcano vomirent des torrens de feu après 1,300 ans de som- meïl. Ce fut encore en 1444 qu'un volcan épouvantable bouleversa l'île de Saint-Michel des Açores et fit voler en éclats un de ses pics les plus élevés (2). Il nous suffit d'indiquer ces coïncidences, maïs il est probable que des recherches plus spéciales conduiraïent à des résultats importans, et tendraient à confirmer l'opinion généralement reçue de la communication souterraine de tous les volcans avec ce qu'on est convenu d'appeler le feu central. Nous ne pousserons pas plus loin cette digression, et concentre- rons maintenant toutes nos observations sur le pic de Ténérifte. C'est du cratère de la Rambleta, dont nous avons déja indiqué la position, que sont sortis tous les courans de stigmites porphyroïdes (obsidian- porphyr), surtout du côté du nord et de l'ouest, et vers cette (1) Ce furent celles de 1408 , 1444, 1446, 1447. Elles avaient été précédées par l’éruption de 1381 et furent suivies par celle de 1536. (2) L'île de Saint-Michel des Açores fut découverte par Gonçalo Velho Cabral le 8 mai 1444. Le pilote qui l’accompagnait releva la pointe de l’est par le 37° degré 48° 2” de latitude N. et par le 16° degré 57’ 4” de longitude O. du méridien de Coïmbre, la pointe de l’ouest restant par 37° 54 3” de latitude N. et par 17° # 5” de longitude O. du même méridien. Il observa en outre que ces deux pointes étaient dominées par des pics aigus et très-élevés. Avant de quitter l’île, Gabral y laissa plusieurs nègres. Il re- tourna un an après pour prendre possession de Saint-Michel comme capitaine donataire ( Capitéo do- natario), titre que lui avait accordé l’infant don Henri, et pour y transporter des colons. En s’approchant des atterrages de l’île, il vit la mer couverte de pierres ponces, de plantes, et de troncs d’arbres qui paraissaient avoir été arrachés violemment et que les flots avaient entraînés au large. Mais ce qui surprit surtout son pilote, ce fut , après avoir relevé le pic de l’est, de ne plus retrouver le pic de l’ouest qu’il avait reconnu lors du premier voyage. Craignant d’avoir commis une erreur de route ou de relèvement, il commençait à croire que l’île qu’il avait en vue n’était pas celle qu'il avait relevée un an auparavant ; mais cette incertitude s’évanouit bientôt lorsqu'ils abordèrent sur la même plage où ils avaient débar- qué la première fois et qu’ils retrouvèrent quelques-uns des nègres qu'ils avaient laissés. Ces pauvres gens reçurent Cabral avec des transports de joie. Ils avaient éprouvé toutes sortes d’infortunes pendant son absence, et voici ce qu'ils lui racontèrent. Peu après son départ, un bruit souterrain s'était fait entendre : de fortes détonations avaient été suivies d’un violent tremblement de terre et de l'explosion d’un volcan. Pendant cette grande catastrophe , le pic de l’ouest que Cabral n’avait pas retrouvé fut détruit de fond en comble et ses débris lancés au loin. Sept mamelons volcaniques et un large cratère avaient remplacé le pic démantelé. Cet endroit est appelé aujourd’hui 7alle das sete cidades (N. Observ. sobre a ilha de S.-Miguel, par L. da Silva Mouzinho de Albuquerque. Lisb. 1826 , pag. 4 et 5.) ( 327 ) parte orientale du cône qu'on désigne communément sous le nom de Malpays del Teyde , et qu'il faut traverser pour arriver au sommet du pic. Au milieu de cet amas de laves se trouve la fameuse grotte appelée Cueva de la Nieve ; glacière naturelle qui approvisionne toutes les villes de la côte, Quand on arrive sur l’assise de la Rambleta, le Piton qui s'élève au milieu de l'enceinte bouleversée absorbe tel- lement l'attention qu'on ne peut saisir tout d'abord la cause de ce désordre; mais après un moment d'examen les caractères du terrain deviennent plus frappans, et décèlent un cratère antérieur à la forma- üon du pyramidion et bien plus puissant que celui de la cime. Ce n'est que de la plaine des Cañadas, et à une certaine distance du cône, qu'on peut apercevoir ce cratère tel que nous l'avons représenté dans la planche xiv de notre atlas, fig. x, 2. Lorsqu'on atteint cette sta- tion et qu'on parcourt les bords de l’assise , on ne peut guère distin- guer les bouches d'où sortirent les torrens de lave qui sillonnent les flancs de la montagne du côté de l'orient et du midi : les coulées pa- raissent provenir de la base du Piton, et il est probable que, pour la plupart, ces éruptions eurent lieu avant la formation de ce dernier cône, bien que quelques-unes peuvent s'être manifestées après son apparition. En général, les matières accumulées en si grande quantité sur les versans du Teyde ont débordé à la fois du même cratère, mais n'ont pu atteindre toutes jusqu à la base du grand cône, et l'examen géognostique des lieux tend à démontrer que le volcan épuisa plutôt ses forces du côté du nord et de l’ouest que du côté opposé. Le courant de lave qui arrive jusqu à l'Estancia de Abajo est un des plus forts de cette bande: sa pâte d'obsidienne est d’un noir foncé, parfois un peu verdâtre, et contient des masses qui affectent la forme de sphères à couches concentriques, dont les diverses parties rappellent la pierre ponce : ces masses de lave sont remplies d'une multitude de cristaux de rhyakolite disposés dans tous les sens. M. de Buch a fait l'observation, et nous l'avons aussi constatée, que ces cristaux abondaient davantage ( 328 ) dans le bas des coulées, sans doute parce qu'ils auront été entraînés par leur pesanteur spécifique qui est plus grande que celle de l'obsi- dienne. Cet amas de cristaux donne à ces sortes de lave l'apparence de roches primitives. | Avant ces éruptions, et probablement à une époque antérieure à la formation du Piton, le volcan de la Rambleta a inondé les Cañadas de pierres ponces qu'on commence à rencontrer peu après le passage du Portillo, bien qu'en plus petite quantité et de moindre dimension, vu la distance du foyer qui les produisit. C’est sur cette couche que les stigmites ont coulé : toutefois, il paraît que le Teyde en a vomi d’au- tres auparavant, et M. de Buch en a reconnu un ancien torrent re- couvert par les ponces sur un escarpement qui domine l'Estancia. I] est assez singulier de ne point trouver de cristaux de rhyakolite dans les pierres ponces, tandis que les stigmites en contiennent une si grande quantité. Cette circonstance, qui est due peut-être à la grande fluidité de l’obsidienne, les rend faciles à distinguer de celles dont nous avons déjà parlé et qui ont été rejetées postérieurement par le cratère du Piton. M. de Buch, en remarquant leur volume aux alentours de . l'Estancia de los ingleses, suppose que le foyer qui les a produites n'était pas très-éloigné de cette station. Nous sommes portés à croire qu'elles doivent leur origine au grand cratère obstrué de la Rambleta. Bien avant d'arriver à l'Esfancia, on rencontre de gros blocs de stigmites qui reposent sur la couche de pierres ponces et qu'on pourrait croire avoir été lancés par le volcan. M. de Buch ne pense pas que des pro- duits de ce calibre soïent sortis tout d'un coup de la bouche du cra- tère : aucune éruption, selon lui, ne peut avoir eu assez de puissance pour les soulever isolément. Ce géologue émet l'opinion que les blocs épars de stigmites se sont séparés des torrens de lave vitreuse, comme ces grosses lames de la même matière quil a vues se détacher de cou- rans analogues. Avant de décrire les torrens de stigmites qui ont débordé du cratère ( 329 ) de la Rambleta par les versans du nord-ouest, nous parlerons d'un troisième volcan, celui de Chajorra. Il est adossé au Teyde et situé à l'occident de ses deux autres cratères, à 2,148 pieds plus bas que celui du Piton et à 2,076 au-dessous de la Rambleta. Selon M. de Buch , ce volcan, d'une existence plus ancienne , fait partie d'un massif composé de plusieurs cônes ou mamelons, les uns superposés, les autres agelo- mérés autour de la base. M. Cordier, qui a parcouru le Chajorra , le considère comme le principal cratère du Teyde, et les dimensions de cette bouche volcanique justifient l'opinion du savant professeur. D’a- près ses observations, la circonférence seraït d’une lieue et demie : il a fallu plus d'une heure à M. de Buch pour en faire le tour, et ce géologue a estimé sa profondeur à 140 pieds. Vers l'occident, la montagne pré- sente un autre gouffre de 500 pieds, mais dont le circuit est moins vaste. Des torrens de stigmites ou laves vitreuses, plus ou moins char- gés de cristaux de rhyakolite, ont envahi toute cette contrée, maïs il est difficile de constater leur vrai point de départ, car ils peuvent être sortis de la base du Teyde et avoir débordé aussi des cratères de Chajorra. Ces épouvantables coulées se sont précipitées dans les vallées inférieures et sur les talus adjacens par une des brêches des Cañadas (1). Le torrent le plus formidable, et qu'on doit considérer peut-être comme plusieurs torrens réunis, à pris naissance sur le bord de la Rambleta , et, après avoir sillonné rapidement les flancs du grand cône, s'est répandu en nappe sur un terrain moins incliné. C'est à partir de là que commence la forêt de Pins (eZ Pinar) qui domine la vallée d'Icod de los Vinos (Voy. Part. hist., pl. 29). L'entassement des laves est prodigieux sur ce point : lorsque le soleil frappe de ses rayons ces roches vitreuses, on croirait voir de loin une mer tourmentée, dont les vagues seraient hé- rissées de glaçons. Des pins séculaires, qui ont pris racine dans les (1) Au-dessus du talus d’Icod , entre Le contre-fort de la Vega et la montagne de la Fortaleza, sur un des points où la chaîne circulaire se trouve démantelée. I1. 49 ( 330 ) crevasses du sol, ajoutent encore à la bizarrerie du tableau et attestent l'antiquité de ces terrains volcaniques. Combien d'années n'a-t-il pas fallu dans cette région sèche et aride pour que la végétation ait com- mencé à se montrer sur des laves vitrifiées ? Quel immense intervalle entre l'apparition des premiers lichens (1) et celle des grands arbres! Le fameux pino santo, qui croît sur les versans de la montagne, a pro- bablement plus de mille ans d'existence. Beaucoup d’autres plantes rares se sont réfugiées dans cette haute combe dont les arêtes tran- chantes présentent à chaque pas de nouveaux obstacles au voyageur. Le torrent d’obsidienne qui s'est étendu depuis le ravin de Za Fuente de la Guancha jusqu'à la moitié du Pinar, sur une largeur d'une demi- lieue environ, a parcouru le pays jusqu à la mer: il a envahi dans sa course presque toute la vallée d'Icod, les districts de Buenpaso , de la Guancha, de Santa Catalina et une partie du terroir de San Juan de la Rambla. M. de Buch indique l'espace compris entre le Teyde et le’ vieux pic comme le point de départ d'une autre grande coulée de lave vitreuse qui s'est jointe à celle que nous venons de décrire. La bouche de ce torrent, dit-il, est plus basse que toutes les autres, bien qu’elle soit située à 9,200 pieds au-dessus du niveau de la mer. Les coulées in- férieures sont formées en général de laves basaltiques ou plus propre- ment de basanites et quelquefois de leucostines feldspathiques. Escolar avait déjà fait cette observation. Selon M. de Buch, la pression que ces coulées ont éprouvée les a empêchées de se vitrifier. Après que les produits des éruptions eurent comblé les soupiraux du Teyde et du vieux pic, les forces volcaniques se frayèrent un nou- veau passage du côté de l'ouest. Nos savans devanciers furent frappés comme nous de la multitude de cônes d'éruption qui accidentent le talus de Vilma : M. Cordier en à compté plus de quatre-vingt, mais dans ce nombre il faut distinguer ceux qui ne constituent que de sim- (1) S'tereocaulon botryosum , Ach. ( 331 ) ples mamelons de scories et de rapilli, des cônes qui ont un cratère à leur sommet. Les torrens de lave, sortis de ces bouches, ont débordé par le talus de Vilma dans la vallée de Santiago (NVoy. Part. hist., pl. 48). Le torrent qui traverse le bourg, vers le manoir seigneurial, est fort ancien : sa surface inégale est blanchie par les lécidies et les verrucaires , et ses anfractuosités abritent des végétaux ligneux parmi lesquels dominent plusieurs espèces rares (1). Plus haut le torrent est recouvert dans quelques endroïts par des coulées plus modernes de basanites. Au-dessous de Santiago, d'immenses nappes de téphrine se sont précipitées aussi du talus de Vilma pour s'étendre jusqu'à la mer. Ces laves semblent plus modernes que celles de Santiago et couvrent les districts d’ÆArguayo, de Chio et de Guia. Les alhula- gas (2), les balos (3), les tabaybas (4) et d’autres plantes frutescentes de la côte s'y développent avec vigueur. Vers l'ouest, dans l'en- ceinte des Cañadas, plusieurs torrens de téphrine, qui présentent les mêmes caractères minéralogiques, sont sortis des bases du vieux pic : un d'eux arrive jusque sur les bords des gorges du Tauze (/as bo- cas del Tauze), et a été envahi en partie par l’éruption de 1798. Un autre torrent, d'un aspect moins rougeûtre, est venu se heurter contre les escarpemens du cirque, non loin des rochers de /as Escaleras de los Roques. À mesure qu'on s'éloigne des bases occidentales du Teyde, pour s'avancer vers l'orient, les bouches volcaniques devien- nent plus rares, et les laves qu'elles ont produites contiennent du péri- dot et du pyroxène au lieu de la rhyakolite, bien que ce minéral manque rarement, même dans les coulées les plus modernes. La côte méridionale de l'île au contraire est tellement parsemée de cônes d’éruption (montañetas) qu'il serait fastidieux de les énumérer tous et (1) L’Euphorbia atropurpurea , le Spartium monospermum et le Dichroanthus cinereus. (2) Prenanthes spinosa. (3) Plocama pendula. (4) Euphorbia piscatoria et balsamifera. ( 332 ) d'indiquer les divers torrens de lave sortis de leurs flancs ou de leur base : une pareille description nous entraînerait dans de trop longs détails, et nous bornerons cette statistique volcanique à quelques points qui ont fixé plus particulièrement notre attention. Un grand torrent de téphrine à colonnes prismatiques est sorti d'un cône de moyenne grandeur qui s'élève à l'entrée de la vallée d'Ucanca (district de Chasna) , près des bords du cirque des Cañadas, à 6,800 pieds au-dessus du niveau de la mer. Sa surface est raboteuse, et la téphrine bleuâtre, dont il se compose, est presque identique avec celle du courant de las Escaleras de los Roques. Entre Chasna et la mer on voit aussi une multitude de cônes: le principal est celui qu'on ap- pelle montaña de Xama. Sur la route d'Adexe, après avoir franchi le ravin de Bisechi, le talus offre un enfoncement cratériforme, qu'on désigne sous le nom de Wena : le fond de cette combe volcanique est devenu un champ productif. C'est sans doute celui qui est indiqué sous le nom de Caldera dans la carte de M. de Buch. Un autre cône d'éruption s'élève au milieu du Llano de Trebejo, plateau incliné cou- vert de pierres roulées et d'éboulemens ; on en rencontre ensuite plu- sieurs en descendant vers la mer, et. dans ce nombre le plus remar- quable est Monte-Mahon, d'où est sorti le courant de lave qui est venu déborder sur la côte méridionale, près de Puerto de los Cristianos. Dans le district de la Grenadilla, entre le bourg et la mer, sur un espace d'environ une lieue et demie en largeur, nous avons compté plus de douze mamelons ou cônes volcaniques. Le plus apparent de cette série est sans contredit celui de Montaña roja qui forme le pro- montoire du même nom. Ce cône, comme tous ceux du littoral, est assis sur une ancienne couche de leucostine pyroxénique, et pré- sente du côté de l'ouest une brêche grise à pâte de trachyte, D’au- tres cônes, pareils à celui qui avoisine la petite chapelle de NN. S. del Pino, sont composés de téphrine solide en nappes concentriques et superposées. En s'avançant à l'est sur la route del Rio, on traverse (333) une grande coulée de leucostine porphyroïde d'un gris verdâtre, mais dont nous n'avons pu constater le point de départ. Un courant sem- blable se retrouve dans le ravin de Tamadaya, près d’Arico, et re- pose sur une brêche remplie de pierres ponces de la même couleur: Depuis Arico jusqu'à Guimar, le talus qui descend vers la mer est dé- chiré par plus de quarante ravins, et ne présente aucun autre indice de l'action volcanique, si ce n’est plus haut, au-dessus du hameau de Fasnea. Mais après avoir franchi le contre-fort de la Ladera, on dé- couvre sur le littoral de la vallée de Guimar deux cônes jumeaux, et un troisième moins élevé (Voy. Part. hist., pl. 24). Le princi- pal, appelé Montaña grande, est situé au milieu des deux autres ; sa forme est régulière et son accès difficile. Un sable fin, noir et brillant, couvre ses pentes et semblerait au premier abord être un produit du volcan, mais en l'examinant avec attention on s'aperçoit qu'il est formé entièrement de petits cristaux de pyroxène et de péridot jaunes et rougeâtres provenant de fragmens basaltiques décomposés et que la mer à rejetés sur la côte (1). Montaña grande n'a pas moins de 900 à 1,000 pieds de hauteur; le cratère du sommet , dont les bords sont in- tacts, mesure 1,400 de nos pas: nous avons évalué sa profondeur, du côté le plus élevé qui est celui d'occident, à 500 pieds. L'intérieur du cratère est composé d'un basanite compacte coloré en brun rouge. Des couches horizontales de péperine friable s'étendent aux alentours du cône et semblent le produit d'une éruption boueuse. On trouve aussi sur les pentes extérieures des bombes volcaniques pareilles à celles des autres volcans. Du côté du nord, un grand courant de basa- nite, à cristaux de péridot, est sorti de la base de la montagne et a suivi SON Cours jusquà la mer. Cette coulée à un quart de lieue de large, sa teinte générale est bleue foncée, et sa surface, tourmentée en tout sens, est remplie de soufflures. La lave, en recouvrant les anfrac- (1) Ce sable envahit continuellement les champs de tosca des environs et les rend stériles. \ ( 334 ) tuosités du terrain, a formé une caverne semblable à celle d'Icod (1), mais de moindre dimension. Ce courant doit être très-ancien : les plantes de la côte sy sont multipliées et les lichens crustacés y pous- sent de toute part. Du côté oriental, le cône de Montaña grande avoi- sine celui d’Æchaco où d’Alchaca et s'unit à l'occident par une colline basse à la montagne de los Guirres (2) ou des Vautours. Ce troisième mamelon est moins élevé que celui du centre; son sommet, sans cra- tère, offre deux buttes de même formation que la colline intermédiaire : un courant de basanite prend naissance sur sa pente occidentale et s'est arrêté à quelques toises en dessous. Les échantillons de roches que nous avons recueillis dans les terrains que nous venons de décrire, nous ont offert les caractères suivans : (1) Parmi le grand nombre de cavités souterraines qu’on trouve dans les torrens de lave moderne , la plus remarquable est celle qui est située dans la vallée d’Zcod de los V'inos. L'entrée en est très-étroite et perce à travers la coulée de lave qui déborda du grand cratère des Cañadas et vint envahir la vallée. Cet immense torrent, dont il serait difficile d’assigner le vrai point d’origine, se compose d’une téphrine bleuâtre, tirant au noir ou au gris, toute remplie de petits trous et entremélée de cristaux de rhyako- lite et d’amphibole. La lave, en se répandant jusqu’à la mer, s’amoncela en talus le long du rivage, et forma les deux pointes qui cernent la cale de Saint-Marc (caleta de San-Marcos). La grotte d’Icod, comprise dans ce massif, se divise en plusieurs galeries souterraines , plus où moins tortueuses >etqui s’élargissent en voûtes spacieuses à leurs divers embranchemens. Dans quelques endroits, le sol est uni et couvert de sable noir ; dans d’autres, il est scabreux et accidenté par les soufflures de la lave. Cette matière volcanique , en se crevassant de toutes parts, a pris des formes bizarres : suspendue à la voûte, en Sstalactites, elle est enduite d’une incrustation de chaux‘carbonatée et amalgamée à une autre substance assez semblable à la croute qui recouvre les nodules siliceux de la craie , €t que l’action des acides ne peut détruire. Une heure ne suffit pas pour parcourir toutes les ramifications de ces gorges ténébreuses. M. Auber, qui y pénétra aussi, n’est sorti qu’après quatre heures d'exploration. Il résulte de son examen et du nôtre, que les principales galeries remontent la vallée, dans la direction du Teyde, et passent sous la ville d’Icod. Il en est une qui se prolonge vers la mer et se fait jour à travers la falaise de la cale de Saint-Marc ; mais la hauteur de cet escarpement , et les éboulemens qui ont eu lieu , ne permettent pas de pénétrer par cette ouverture. Toutefois, il paraît qu’anciennement la caverne était accessible de ce côté, si on en juge par les ossemens humains entassés à son entrée. Le grand nombre de squelettes qu’on retrouve dans les grottes sépulcrales de Ténériffe démontre que la méthode des embaumemens n’était pas générale parmi le peuple guanche, ou, du moins, que vers l’époque de la conquête de l'île cet usage n’était plus en pratique. (2) Au lieu du mot espagnol Buytre, les habitans des Canaries emploient le mot guanche Guirre pour désigner le Vultur perenopterus. L. Ces oiseaux se rassemblent, le soir, sur la montagne volcanique dont il est ici question, et y attendent le retour des pêcheurs pour se repaître des intestins de poisson que ceux-ci abandonnent sur la-plage. (335 ) VALLÉE DE SANTIAGO (Voy. pag. 331). Dans le torrent de lave derrière le manoir seigneurial : téphrine feldspathique brune, à cristaux de py- roxène, avec d’autres de rhyakolite géminés et très-nombreux, toute criblée de bulles d'air. TaLus DE Virma (Voy. pag. 331). Dans les nappes de lave qui ont envahi les terrains inférieurs : téphrine variant du noir au brun rouge, très- scoriée et tachetée de teintes bleuätres, texture presque vitreuse. MonTANA Rosa (Voy. pag. 332). Ce cône est composé d’un amas de té- phrine noire, scoriacée et oxidée à l'extérieur. On trouve du côté de l’ouest une brêche à demi décomposée avec fragmens de téphrine rou- gedtre, passant à la réténite, et remplie de'‘cristaux de rhyakolite. Ravin DE TAmapayA (Idem). Bréche ponceuse avec cristaux de rhyakolite remarquables par leur éclat perlé. | MoxTAxA GRANDE (Idem). Dans l'intérieur du cratère : basanite compacte rougedtre, avec cristaux de péridot et de pyroxène d’un beau noir. MonTANA DE Los GuiRREs (Voy. pag. 334 et 335). Téphrine scoriacée, rou- gedtre, presque vitrifiée à l'extérieur, et dont les couches plongent vers l’orient. Cette lave forme presque toute la masse du cône et des collines adjacentes. Lorsqu'en remontant la Cumbre on embrasse d’un coup-d'œil l'en- ceinte de Guimar, cette vallée se présente sous l'aspect d'un grand bassin semi-circulaire envahi par la fosca et sillonné de courans de lave, dont la teinte plus ou moins noire indique le rang d'ancienneté. Deux de ces torrens ont été recouverts en partie par l'éruption de 1705 : l'un, supérieur et très-rapproché de la haute région , se compose d'un basanite rempli de péridot; l’autre, très-noir et beaucoup plus moderne (1), commence à peine à se couvrir de végétation. Au-dessus (1) Ce torrent de lave ne contient pas de péridot. ( 336 ) des ravins de Badajos et del Agua, près de la source de Malabrigo , il existe un petit cône cratériforme de basanite rougeätre , dont la base a produit un courant de même nature, très-chargé de pyroxène et de péridot. On trouve sur les bords du cratère une pépérine terreuse, tout- à-fait identique à celle de Montaña grande. Plusieurs autres cônes s'élèvent aux alentours du Llano de Manja et dans le cirque des Cañadas, près du Portillo de la Villa; ces différentes bouches volcaniques n'ont pas été encore assez étudiées. Une d'elles a produit la grande coulée de basanite qu'on rencontre en montant vers Aguamansa ; d'autres courans ont débordé par le passage du Portillo. Le col de las Arenas negras, qui donne accès dans le Zlano de Manja, justifie son nom : les scories et les laves noïres qui encombrent ce défilé semblent appartenir à un volcan moderne, et les flammes que les na- vigateurs du quinzième siècle virent sortir de la montagne de Téné- riffe avaient peut-être leur foyer dans cet endroit. Les cônes d’éruption sont moins nombreux sur la bande septentrio- nale de l’île : parmi les plus apparens , celui de Taco mérite une men- tion particulière. Îl est situé dans les environs de Buenavista, près de la pointe de ce nom; le cratère profond qui occupe son sommet retenait autrefois les eaux pluviales, formait un lac pendant l'hiver; mais depuis qu'on l'a coupé d’un côté pour ouvrir une écluse, l'intérieur a été mis en culture, et l'on y sème maïntenant du blé et des légumi- neuses. Un grand nombre de plantes sauvages croissent aussi dans la nappe de lave qui, des bases du cône, s'étend jusquà la mer. On trouve sur ce Malpays (1), outre les lichens habituels, des euphorbes, des kleinies et plusieurs autres plantes recherchées des botanistes (2). Vers le cap de Teno, la pointe de l'Æguja est formée par plusieurs (1) Gette nappe de lave a beaucoup d’analogie avec celle de Montaña grande par ses crevasses , ses grottes et ses autres accidens. (@) Tenerium heterophyllum, Convobulus scoparius, Echium aculeatum, Lithospermum apulum, Matthiola parviflora, etc. (337) buttes de scories noires et rougeâtres qu'on dirait avoir été produites par un volcan sous-marin. Deux cônes d'éruption, d'une apparence moderne, s'élèvent à l'en- trée de la vallée circulaire du Palmar : ils se composent aussi de scories noires à reflets brillans. Les nuages qui flottent sans cesse sur les bois des alentours entretiennent la fraîcheur dans ces terrains volcani- ques, et les habitans de la vallée ont profité de la fertilité du sol pour étendre les cultures jusqu'au sommet des montañetas. Le cône le plus au nord a son cratère ouvert du côté de la mer, et un torrent de basanite, qui paraît être sorti de sa base, s'est dirigé vers la côte par le défilé qui conduit à Buenavista. La belle vallée de l'Orotava a aussi ses mamelons volcaniques (Voy. Atlas, pl xiv, fig. xm,15, 15, 15): celui que l’on désigne sous le nom de montañeta de las Arenas ou del Puerto est situé entre la ville et le port. C'est un cône de rapilli de 400 pieds d'élévation qui rappelle ceux du Palmar: le courant de téphrine qu'il a produit a suivi son cours jusqu'à la mer, s'est répandu en nappe au pied des falaises et a formé l'emplacement sur lequel on a élevé les constructions du port de la Cruz. Ce torrent a coulé sur les anciennes couches de #osca et de basalte à pyroxènes ; toutefois on aperçoït encore de beaux prismes de ces derniers à peu de distance du rivage. Le cône qui borde le littoral de la vallée (eZ pico de los Frayles), à l'occident de la montañeta del Puerto, a donné naissance à un autre torrent qui s'est précipité dans la mer. Enfin, au-dessus des villages de los Realejos domine un troi- sième mamelon dont la lave n’a parcouru qu’un très-court espace sans occasionner de grands changemens sur le sol. A 11. 43 ( 338 ) ÉRUPTIONS D’ÉPOQUES RÉCENTES. (DEPUIS LA CONQUÈÊTE DE L'ILE JUSQU’A NOS JOURS.) ÉRUPTIONS DE GUIMAR , EN 1704 ET 1705. Plus de deux siècles s'étaient écoulés depuis la conquête de Ténériffe par Alonzo de Lugo,en 1493, et rien ne décélait encore aux colons européens le feu qui couvait sous leurs pieds, lorsque dans la nuit du 24 décembre 1704 (la nochebuena, comme l'observe Viera) un épou- vantable tremblement de terre vint tout-à-coup jeter la terreur parmi les habitans. En moins de trois heures, les districts les plus voisins du volcan qui allait faire éruption comptèrent jusqu'à vingt- trois secousses. Le lendemain ces mouvemens convulsifs redoublèrent de violence et continuèrent par intermittence pendant trois mois, en se répétant jusqu à dix ou douze fois par jour. Le 31 décembre on aper- çut un grand embrasement sur le plateau de los Infantes, au-dessus d'Icore: le sol se crevassa, et la lave qui en sortit parcourut environ un tiers de mille. Cette coulée se voit encore sur le revers oriental des Cañadas, dans l'endroit appelé Za Cumbre de Fasnea, au sud-ouest de la Ladera de Guimar. Le terraïn offre une large crevasse qui part de la base d'un cône de scorie. Une seconde éruption s'opéra le 5 janvier (1705), à une lieue de la première, près de la Cañada ou gorge d’A/- merchiga : plus de trente bouches s’ouvrirent sur un espace d'un demi- mille. La lave forma un torrent qui combla le grand ravin d’Arezaou de Fasnea, depuis son point de départ jusqu'à plus d’une lieue en dessous. Ce volcan, qui s'éteignit le 13 du même mois (1), est situé aussi (1) Le récit qu'a fait Glas de ces éruptions est extrêmement confus et inexact. Il parle du Zlano de Manja et de la montaña Blanca qui sont de l’autre côté de la chaîne, puis d’un volcan qui éclata près de l’église de Guimar, etc. La relation de Viera, au contraire, se rapporte exactement aux lieux volca- nisés, et a été faite sur des documens authentiques. (339 ) sur le versant oriental dela chaîne, à l’ouest de la Ladera, et au sud- ouest du premier. Les cônes de scories qu'il a formés paraïssent encore très-récents. | Le 2 février la terre s'ébranla de nouveau avec une telle force (1) que les habitans des districts de Guimar et de l'Orotava abandonnèrent leurs maisons pour aller camper au milieu des champs (2). L'éruption eut lieu cette fois à deux lieues des premières, à l'est de la Ladera et à la. base de los Roques, sur les pentes orientales de la chaîne qui sépare les vallées (3) de l'Orotava et de Guimar (Voy. Part. hist. pl. 10). La lave se divisa d'abord en deux torrens: l'un déborda par le ravin d'Arafo, et s'arrêta près du rivage ; l'autre descendit par le coteau du Melosar , où il se divisa en deux branches, dont l’une faillit envahir le bourg de Guimar.Un lichen blanchâtre (stereocaulon botryosum),qu on prendrait de loin pour des flocons de neige, est la seule végétation qu'on observe encore sur ces laves noires, vers le haut de la vallée; mais près de la côte, les euphorbes, les prænanthes et les kleinies ont déjà commencé à se développer. Le volcan est situé dans la gorge de Zos Roques, qui forme, vers la Cumbre, le col de la vallée de Guimar. Un cône com- posé de scories noires et de masses de lave s'élève à l'entrée de ce pas- sage. La coulée s'est échappée de plusieurs crevasses qu’on ne peut guère distinguer aujourd'hui. Ce ne sont plus que des amas informes de roches entassées les unes sur les autres, et des talus de scories oxydées à l'extérieur. Les torrens de lave ont rempli tout l’espace entre (1) « Efecto sin duda, dit Viera, de que irritados los azufres, sales, aguas, y fuegos subterraneos, de que las Canarias Fee , por hallar el paso cerrado a la ordinaria respiracion del antiguo volcan del Teyde ; se daben prisa a reventar por sus faldas. » (Notic., tom. nr, pag. 351.) « Sans doute les matières sulfureuses, salines, aqueuses et ignées, entrant en grande fermentation (ürritées), et ne trouvant pas le passage libre par les soupiraux habituels du pic de Teyde, se hâtaient de se faire jour par les bases de l’ancien volcan. » (2) L’évêque don Bernardo Sanzo de Vicuña, qui a. Ft avec le clergé de lOrotava , mourut de peur dans une chaumière où on l'avait accueilli. (3) Les commotions étaient si fortes dans le district de l’Orotava : RQ on craignit un instant, à la ville, que le volcan ne fit explosion de ce côté. ; ( 340 ) l'escarpement occidental de la vallée et le cône principal. Les produits de cette éruption, comme ceux de Montaña Grande et des anciennes coulées de la vallée de Guimar, sont des basanites très-chargés de pé- ridot et de pyroxène. [ls présentent aussi une ressemblance remar- quable avec ceux du volcan de la Fuente de Malabrigo. ÉRUPTION DE GARACHICO, EN 1706. (Extrait d’une relation manuscrite.) Le 5 mai 17106, à trois heures et demie du matin, après le grand tremblement de terre qu'on avait res- senti dans la nuït, un volcan fit explosion à deux lieues de Garachico, sur les hauteurs qui avoisinent la ville, près de la montagne PBermeja. Un torrent de matières enflammées sorti de plusieurs cônes volca- niques se déchargea sur le hameau del Tanque, incendia l'église et plu- sieurs maisons ; puis, envahissant le chemin qui conduit de Garachico à San Pedro del Daute, il détruisit la chaussée et les vignobles des alentours. Vers les neuf heures du soir, une autre coulée (1), qui parvint Jus- qu'aux escarpemens de la côte, tomba sur la ville par sept endroits dif- férens. Cet épouvantable débordement de lave fit retirer la mer du ri- vage et combla le port. Le 13 du même mois, à huit heures du matin, un torrent encore plus fort que les précédens se précipita de la falaise de Saint-Jean del Reparo, longea le coteau de Saint-Nicolas, dévasta ses vergers, encombra les sources, dessécha les ruisseaux et ensevelit sous un amas de roches calcinées la chapelle de Saint-Elme et tous les moulins de ce quartier. Le faubourg de los Morales, composé de trois belles rues, fut réduit en cendres ; le couvent de Saint-François, cerné ——\i— (1) Les échantillons de la lave que nous avons recueillis dans un des torrens qui traversent la ville, présentent des caractères d’une tiphrine grise ou noirâtre remplie de cristaux de rhyakolite, Nos échantillons ne contiennent ni péridot, ni amphibole. ( 341 ). par les laves, eut aussi le même sort. L'incendie se communiqua en- suite de proche en proche depuis la paroisse jusqu'au port, et, après cet horrible désastre, il ne resta plus de Garachico que quelques rues désertes et trois couvens abandonnés (1). | ÉRUPTION DE CHAJORRA, EN 1798. Dans la nuit du 9 juin 1798, vers dix heures, les populations de la bande méridionale de Ténériffe, et notamment celles de Guia et de Chio , les plus voisines des Cañadas, entendirent une forte détonation et s'aperçurent que la montagne de Chajorra @), contiguë au pic de Teyde , lançait des flammes et des matières volcaniques. Ces déjections durèrent pendant trois jours, et furent accompagnées d’un bruit qui porta l'épouvante dans toute l’île. Un autre cratère s'ouvrit ensuite au sommet de la montagne, à un mille du premier qui ralentit son ac- tion. La nouvelle bouche vomit aussitôt des Lorrens de lave. À peu de distance de ce cratère, il s'en forma un troisième dont les explosions se succédèrent avec rapidité. Enfin des tourbillons de fumée et des pierres brülantes s'échappèrent d’une quatrième crevasse (3). Tous ces différens soupiraux s'ouvrirent successivement pendant les sept pre- (1) Toute la population avait cherché un refuge dans les villages voisins, et ne rentra à Garachico que plusieurs mois après. La lave conserva son incandescence pendant quarante jours. La ville a été rebâtie depuis, mais la perte du port est irréparable. (2) Les habitans de Ténériffe désignent cette montagne de différentes manières : les bergers qui fré- quentent les Cañadas la nomment Pico wiejo ou Pico quebrado ; à Guia et à Chio, elle est connue sous les noms de Montaña colorada, Chajorra où Chalahorra, et dans plusieurs relations elle est appelée Montaña de Benje. (Voyez, pour l'aspect du volcan, Atlas, pl. x1, fig, 17.) (3) Cette éruption produisit les quatre cônes que l’on voit aujourd’hui : M. de Buch les a visités en 1815. D’après les observations de ce géologue, ils sont situés sur une même ligne, qui s'étend du nord au sud, depuis la base de la montagne de Ghajorra jusqu’au pied des escarpemens du cirque des Cañadas, et cette remarque indiquerait la direction de la crevasse. Les quatre cônes se trouvent placés sur une pente tellement rapide que le premier semble très-élevé relativement à ceux d’en bas. Le courant prin- cipal est sorti du troisième cône , dont les parois sont encore couverts de soufre cristallisé. La lave a coulé dans l'enceinte des Gañadas, et s’est répandue jusqu’à la base de los Roques; ses caractères sont ceux d’un basanite mêlé de cristaux de rhyakolite et de scories noires à reflets métalliques.’ (342) | miers jours de la catastrophe. La lave coula à plusieurs reprises durant trois mois environ. Nous avons extrait ces renseignemens d'une relation de M. Bernard Cologan : « Les détonations du volcan, écrivait-il en présence de l’éruption, sont de différentes natures ; elles ressemblent aux éclats de la foudre, ou bien au bruit d’une grande masse d’eau en ébullition dans une immense chaudière, si toutefois on peut en imaginer une pareille. Tantôt l’explosion se fait tout d’un coup, comme une décharge d'artillerie soutenue et bien nourrie; tantôt elle imite, à s'y méprendre, le sifflement et l’éclat de la bombe. La détonation s’entend toujours plusieurs instans avant l’explosion. Les torrens de lave qui sont sortis des divers cratères ont formé, dans certains endroits, des amas de matières de plus de vingt pieds d’élévation, et bien que ces massifs ne soient pas enflam- més vers les points les plus éloignés des bouches qui les ont vomis, ils ne laissent pas de gagner du terrain. D’après nos expériences, ceux qui paraissaient les moins brûlans s’étaient avancés de douze pieds en deux heures. Ces laves n’exhalent presque aucune odeur, et l’on peut s’en approcher sans crainte. Les rochers lancés par le volcan atteignent une grande élévation ; le temps de leur ascension et celui de leur chute est de dix à quinze secondes. Ceux qui sortent du cratère supérieur s'élèvent perpendiculairement, tandis que la direc- tion des autres est oblique. » Je n’entreprendrai pas de décrire cette épouvantable éruption , ajoute M. Cologan:; il n’est pas de peinture qui puisse en donner une idée assez exacte , el pourtant l'imagination seule ne saurait concevoir un pareil tableau, surtout, lorsqu’au milieu de l’obscurité et du silence de la nuit, on entend les mugissemens de la montagne que répêtent les échos des alentours. Puis, tout-à-coup , des jets de flammes viennent éclairer ces lieux déserts; des rochers embrasés sillonnent l’atmosphère, s’entrechoquent, se brisent et lancent l’incendie dans toutes les directions. Ces explosions se renouvellent jusqu’à sept fois en une minute, et sont accompagnées des débordemens de la lave. Les sensations se multiplient en présence d’un spectacle aussi extraordinaire, et la nature, puissante et terrible, apparait encore plus imposante. » Don Nicolas de Franchi a décrit aussi les différens phénomènes ob- servés pendant l'éruption de Chajorra, et s'est exprimé en ces termes sur un de ceux qui lui parurent les plus notables : ( 343 ) « Dans la matinée du 14 juin , une fumée brillante et blanchâtre apparut tout-à-coup sur les bords du cratère, qui, jusqu'alors, n’avait vomi que des flammes, et, trois heures après, une épouvantable détonation se fit entendre. L'explosion qui la suivit fut des plus violentes; la terre s’ébranla et des masses de rochers se détachérent des montagnes environnantes. Dès cet instant l’éruption suivit une autre marche ; la fumée qu’exhalait une des crevasses de la montagne changea de direction , et sortit par une des bouches voisines. Le cratère supérieur répandit au loin une lumière éclatante ; des flammes argentées , mues sans doute par un tourbillon intérieur, s’agitaient en circulant autour du gouffre ; des globes de feu s’élevaient du milieu de la fournaise pour se perdre dans l'atmosphère ; et, dans les inter- valles que laissaient entre eux ces dégagemens de météores, on apercevait au-dessus du cratère toutes les couleurs de l'iris. » Le P. Joseph de Soto, prieur des Augustins de l'Orotava, visita le volcan de Chajorra seize mois après l'éruption que nous venons de rapporter, et donna des notions intéressantes sur l'état du cratère à cette époque. Nous traduisons ici un passage de sa relation manuscrite : « Le gouffre, d’où étaient sortis les torrens de lave qui envahirent les Cañadas, a plus de cinq cents pieds de diamètre. On éprouve une chaleur insupportable dans le voisinage de ce cratère , et il faut encore beaucoup de précautions pour s’en approcher, à cause de la fumée sulfureuse qu’il exhale. Son embouchure se rétrécit intérieurement ; le fond présente un vaste espace hérissé de grands rochers, et tout couvert de soufre cristallisé et de matières de différentes couleurs. Au centre, on aperçoit un trou qui paraît avoir plus de cent pieds de circonférence , mais dont il est impossible de juger la profondeur. De l’endroit où nous étions assis , sur les bords du cratère supérieur, on entendait un bruit semblable à celui de l’eau bouillante. Un de nos guides descendit dans la première enceinte et nous rapporta une matière bitumineuse, qui se durcissait à l’air en se séparant par couches minces et presque concentriques. » # 1 ( 344 ) CANARIA. ——) =—— COUP-D’CŒIL GÉNÉRAL. L'île de Canaria ou de la grande Canarie ressemble en quelque sorte à la partie centrale de Ténériffe ; mais au lieu d’un cirque im- mense et régulier dans ses contours, au lieu du pic qui s'élève si majestueusement au milieu de cette vaste enceinte, elle offre une chaîne de montagnes presque circulaire , dont le sommet s’élargit en plateau. Des mornes culminans dominent cette haute région qui suit le prolongement de la chaîne et constitue la Cumbre de l'île. Les vallées côtières prennent naissance sur les flancs de ce massif qu'accidentent, sur quelques points, de profondes brèches ; et c'est en pénétrant dans ces défilés ou en remontant les cols supérieurs qu'on parvient dans les districts du centre. Alors seulement des escarpemens formidables viennent dévoiler au géologue l'origine de Canaria et les phénomènes volcaniques qui déterminèrent sa structure: au milieu des éboule- mens du sol et des masses de conglomérats qui lui masquaient d'abord les formes primitives, il reconnait encore la ligne de circonvallation d'un ancien cratère, moins vaste sans doute que celui des Cañadas, mais dont l'enceinte, creusée par des ravins d'une effrayante profon- deur , laisse présumer les révolutions qui l'ont bouleversé de fond en comble. Les mêmes roches que nous avons décrites dans notre revue géolo- gique de Ténériffe abondent aussi à Canaria; le trachyte, qui domine partout, est rarement recouvert par les leucostines et les basaltes. Ce n'est que sur la côte occidentale, depuis l'Ældea jusqu'à la Cuesta de Sika, et sur la bande septentrionale de la Isleta, qu'on ( 345 ) trouve une formation de basalte en masse. Quelques cônes de scories isolés dans des vallées éloignées les unes des autres, indiquent des éruptions qui ne peuvent être bien anciennes, et cette dernière recru- descence de l’action volcanique est encore plus marquée aux alentours du pic de Bandama , sur la côte de Za Gaeta et dans la presqu'ile de /a Tsleta. Toutefois, depuis les temps historiques, aucune éruption n'est venue désoler le pays. La grande Canarie est en général moins élevée que Ténériffe ; ses points culminans atteignent au plus une altitude de 5,842 pieds. Le sol est moins tourmenté et plus susceptible de labour, aussi est-il mieux cultivé. Si l’on excepte la partie centrale, les talus de l'ile sont plus accessibles, les ravins plus larges et moins escarpés ; les torrens, au lieu de s'y précipiter en cascades, les parcourent sans fracas, et les eaux, mieux réparlies, viennent faciliter les irrigations. La nature même des trachytes a produit d'autres aspects ; ces puissantes masses, disposées en plateaux, présentent des formes plus arrondies, des pentes moins abruptes, et ce concours de circonstances géognostiques a influé ici, aussi bien que dans beaucoup d’autres contrées du globe, sur les progrès des cultures, l'abondance des ressources alimentaires et même sur les mœurs et le caractère des habitans. ROCHES DE PORPHYRE ET DE JASPE. Les roches les plus anciennes de l’île de Canaria appartiennent à la série des porphyres et des jaspes: cette formation se trouve amoncelée par couches sur les puissans massifs qui bornent à l'orient la vallée de Saint-Nicolas (Æ/dea de San-Nicolas). Les deux montagnes où nous avons observé le gisement de ces roches sont désignées par des noms particuliers ; l’une s'appelle /a Cueva del Mediodia ; et l'autre la Fuente blanca. Elles sont séparées par ün défilé; mais, lorsqu'on examine at- | | 44 Il, u ( 346 ) tentivement la stratification des deux berges opposées , on reconnaît aussitôt qu'elles durent faire partie d'un même massif. La régularité des couches, leur superposition par assises, l'identité de leurcomposition, et leur parfaite correspondance, soit du côté de l’Æ/dea, soit de celui du ravin, ne laissent aucun doute sur leur commune origine. La longue vallée de Texeda, qui prend naïssance au-dessous de la Cumbre del Sau- cillo (1), est très-resserrée au débouché des deux montagnes. À une épo- que où la tourmente géologique vint opérer de grands changemens, les eaux, en débordant de la vallée supérieure, rompirent le massif qui les tenait concentrées, et se frayèrent un-passage par l'étroit défilé que l'on voit aujourd'hui. Il est probable qu'elles se répandirent ensuite dans l'enceinte de l'Aldea pour y former un large bassin, et que plus tard cette grande masse d'eau rompit encore une fois ses digues : alors une nouvelle débâcle eut lieu vers la mer par l'endroit où s'ouvre la chaîne basaltique qui borde le littoral. Le désordre du sol, les roches erratiques amoncelées çà et là, les terrains d’alluvion qui encombrent la vallée, et tous les escarpemens des alentours, sont des preuves non équivoques des anciennes révolutions et de leurs épouvantables ra- vages. Telle est l'opinion d'Escolar sur les phénomènes géognostiques qui ont produit ces grands accidens : « Et sinon, dit-il, d'où provien- nent ces amas de pierres roulées qui forment presque exclusivement le sol de cette enceinte? » « F sinô4 de que provienen estas camadas de cantos rodados que for - man cast exclusivamente el suelo de este espactio ? (2) » Le district que nous allons décrire embrasse les montagnes de /a Cueva de Medio dia, de Fuente blanca, Furrel, Corral blanco, et celles qui forment les berges du ravin de la Negra (Barranquillo de la Negra). Elles sont toutes situées à l'est du village de l’Aldea de San-Nicolas, (1) Voy. la carte de notre Atlas, pl. 1x, et la description qui s’y rapporte, Géog'. descript., pag. 108. (2) Escolar, Catal. Moss. ( 347 ) après avoir dépassé la plaine rocailleuse dont nous venons de parler, los llanos de Tima. Escolar, qui visita ce pays, a énuméré dans son catalogue vingt- quatre espèces ou variétés de roches qu'il recueillit durant son explo- ration. Ïl est malheureux que cette partie de l’île ait échappé à l'obser- vation de M. de Buch, car l'intérêt géognostique qu'elle présente et la beauté des roches qui y dominent méritaient de fixer l'attention de ce grand géologue. Ces montagnes se composent d'une série de jaspes, de porphyres, et d'argilophyres porphyroïdes de couleurs très-éclatantes, rouges, verts, bleus et roses, le tout couronné par un immense dôme d'un eurite lamellaïre phonolithique très-dur , et parfois schistoïde; sa pâte, qui est d'un gris foncé, presque verdâtre, forme, en se fondant, un verre brun, clair, tacheté de noir (1). Nous l'avons retrouvé dans quelques autres endroits de l’île, et notamment dans les falaises escarpées entre la ville de las Palmas et Telde, et sur le monte Lentiscal : nous en par- lerons en traitant de ces localités. Les couches se succèdent ensuite , sur la montagne de Fuente Blanca, dans l'ordre suivant : D'abord une couche de leptynite formant un massif rougeâtre, puis une suite de variétés de petrosilex amphiboleux, rouge, à base de por- phyre, souvent chargé de dendrites de manganèse ferrugineux. Au premier coup-d'oil, cette roche, qui est parfois gréneuse, rap- pelle d’une manière étonnante quelques-unes des couches rubannées du psephite ou rothe todtlegende des Allemands. Elle se fond en un verre brun rougeâtre tacheté de noir, quelquefois elle passe au spilite, et renferme des nodules et des veines d'agate, d’autres fois au porphyre compacte brun-rouge. (1) M. le professeur Alexandre Brongniart a bien voulu faire fondre, dans les fourneaux de la ma- nufacture de Sèvres , des fragmens de cette suite de roches ; c’est grâce à son extrême obligeance que . Ft ,. . , . mE y , nous pouvons énoncer les divers caractères de vitrification des échantillons qui ont été essayés. ( 348 ) Entre ces roches s'entrelacent des couches de leucostine compacte verdâtre avec concrétions et incrustations quartzeuses blanches et bleues, qui se fondent en émail noir tacheté de blanc. Cette leucostine passe parfois en une belle argilophyre porphyroïde à veines vertes d’épidote; et, plus bas, devenue terreuse en se décomposant, elle prend l'apparence d'un tuf verdâtre. C'est de cette couche que jaillit la fontaine qui donne son nom à la montagne, en déposant un sédiment blanc. | Après cette couche, le petrosilex amphiboleux rouge se reproduit : il est un peu schistoïde, ses lames sont presque horizontales et offrent des cavités allongées dans le même sens, produites sans doute lors de la fusion de la roche par les gaz concentrés. La dernière couche que nous avons observée de ce côté esl un aphanite dur, noir, verdâtre avec cavités tapissées de concrétions d’agate, el un variolite vert à petits grains. Cette roche se fond fa- cilement en émail noir. De l'autre côté de la vallée, sur la montagne de la cueva del Medio dia, la roche la plus élevée que nous ayons atteint est un véritable porphyre rouge qui se fond difficilement au feu. A sa partie inférieure, elle devient un jaspe rouge mêlé de quelques cristaux de felspath. Un échantillon de cette roche, soumis à la même chaleur que les autres, ne s'est fondu que superficiellement. Dans certains endroits, la couche a presque l'apparence du porphyre rouge d'Égypte; elle est accompagnée par d’autres couches d'ophite varié, à grain vert altéré, et par un stigmite noir qui donne beau- coup d'eau en étant soumis à l'action du feu. On retrouve cette même roche dans le grand cratère de Tiraxana. À ces couches succède la série de petrosilex de Fuente blanca, que nous venons de décrire plus haut; et à peu près au niveau de la fon- taine se trouve le même tuf vert, qui est ici un ophite bien prononcé, et d'où s'échappent aussi de petites sources. ( 349 ) Viennent ensuite de belles leucostines roses et vertes par veines si- nueuses parallèles, qui se fondent en un émail noir très-foncé, et d’au- tres roches décomposées de la même série. Nous avons suivi l'ordre dans lequel nous avons ramassé nos échan- tillons, maïs toutes ces roches passent les unes dans les autres, au milieu d'anciens bouleversemens. Ce n'est pas sans raison qu'Escolar s'exprimait ainsi dans son catalogue : « Sous ces immenses torrens de » lave, sont situés les jaspes et les verres volcaniques (stigmites), Dans » certains endroits, ils disparaissentinsensiblement sous les laves (euri- » tes); maïs il me fut impossible d'en retirer des échantillons pour en » fournir des preuves, à cause de l'escarpement de la montagne. » (De- bajo de estos asombrosos corrientes estôn situados los jaspes y vidrios volcanicos. En algunas partes estas se pierden insensiblemente en la lava; per no me fue posible adquirir ejemplares que lo manifestasen, por lo es- carpado de las rocas). Nous avons déjà décrit les formes générales de la chaîne centrale, et la grande caldera ou cratère de Tiraxana, avec sa crevasse naturelle, le profond et étroit barranco de la Gallega (1). C'est le cratère primor- dial de l’île. M. de Buch considère la vallée de Tejeda comme une cre- vasse semblable à celle d'Ayacata, et qui entama les flancs de l’île lors du soulèvement du cratère. Cependant, lorsque du haut de la Cum- bre, nous observâmes cet immense enfoncement fermé de tous côtés, et n'ayant qu'une étroïte sortie vers l’Æ/dea, il nous sembla qu’au lieu d'une simple déchirure, ce bouleversement laissait soupconner les restes difformes d'un autre vaste cratère disloqué et tourmenté en tous sens, à une époque plus moderne. Le désordre de cette enceinte et la nature fragmentaire des couches dont elle se compose viennent à l'appui de cette opinion. Le cratère de Tiraxana s'est ouvert au milieu de plusieurs couches (1) Voy. Part. géog., pag. 110. ( 350 ) différentes ; ses rebords vers le sud-est se composent de basanites; du côté du nord et du nord-est, ils sont formés par les trachytes de la Cumbre. Ce n'est qu'au fond du cratère et sur ses bords du côté du sud- ouest, vers le défilé ou degollada de Manzanilla , que reparaît de nou- veau la série des roches porphyritiques et jaspoïdes. Au fond même du cratère, on trouve une roche fort remarquable, qu'on prendrait d'a- bord, comme cela a déjà eu lieu, pour une véritable roche graniti- que : elle se compose de plusieurs variétés de leptynite gneissique et granitique rougeâtre, très-dur, luisant el renfermant souvent une quantité notable de fer oligiste. Cette roche, qui se fond en un verre rougeâtre marbré de noir, se trouve en grande masse autour du village de Tunté, vers le nord du grand cratère, où elle forme la chaîne qui s'étend entre ce village et celui de San-Bartholomé. On la retrouve aussi sur l’'escarpement du nord à l'endroit appelé el risco blanco ; mais là, elle perd son caractère granitique, et devient un vé- ritable leptynite massif se perdant finalement dans le trachyte de la Cumbre. | | À la base de la Montañeta près de Tunté, on voit dominer en grande masse l'eurite phonolithique, mais plus noir et plus compacte qu'à l’Æ4/dea, et passant au stigmite. Au fond du cratère, à l'endroit appelé Solapôn de la Breviadera, on rencontre les jaspes de l’Aldea, mais ici ils sont entièrement décomposés, et se présentent sous la forme d’un argïlolite rouge ou blanc. Ces jaspes se retrouvent aussi sur les bords sud-est du cratère, à la Degollada de Manzanilla. Ils forment R un rocher verdâtre qui se décompose aussi à sa base en plusieurs variétés d'argilolite. (351 ) FORMATION TRACHYTIQUE. Quoique cette série forme le principal noyau de l’île, les roches dont elle est composée et la masse des montagnes où elle domine présentent tant d'uniformité que, pour en donner une idée générale, il nous suffira de décrire les localités les plus remarquables qu'elle occupe, et de noter quelques-unes’ des variations les plus saillantes dans sa com- position. En commençant par les montagnes les plus élevées, nous trouvons le trachyte fortement caractérisé au Saucillo, et quoique lessubstances dont sont composées les différentes couches soient diversement dis- posées, et que leurs couleurs varient depuis le brun jusqu'au gris-clair et même au blanc, cependant la grande masse rappelle parfaitement les trachyies grisâtres de Ténériffe, et surtout ceux du Sombrerito. Toutefois, la roche qui forme la crête du Saucillo, et sur laquelle on a planté une croix, n'est pas du trachyte. Ce sommet, aussi bien ‘ que celui de la montagne la plus élevée de l'île, le pic del Pozo de la Nieve, est formé de leucostines très-bien caractérisées, et sur les- quelles nous reviendrons plus tard. Un peu plus bas, on rencontre la grande masse trachytique. Elle est composée principalement d'une pâte grisâtre ou d'un blanc mat, presque homogène, renfermant des cristaux de rhyakolite en prismes tetraèdres obliques, terminés par un triangle à chaque extrémité. Ces cristaux tombent facilement de leur gangue en y laissant leur em- preinte. La roche qui les contient est surmontée par une couche de trachyte gris, peu dur, qui contient , outre des petits cristaux de rhya- kolite, d'autres assez gros de pyroxène. Cette roche diffère très-peu des variétés de trachyte qui se retrouvent au monte Lentiscäl , et aïl- leurs près de la côte. On la voit très-bien caractérisée et en couches d'une épaisseur énorme, au-dessous de la Cumbre, dans la partie supé- ( 352 ) rieure de la vallée de los Mocanes, près de la chute d'eau appelée eZ Caidero de Coruña. Le plateau de la Cumbre est composé lui-même de boules concentriques de trachyte gris de différentes grandeurs, for- mant masse avec une quantité de débris désaggrégés. En descendant vers la vallée de Tejeda , après avoir dépassé une formation basaltique qui lui est superposée, on trouve partout cette formation tourmentée d’une manière étonnante et dont la masse est traversée par une mul- titude de filons également de trachyte , tandis que Bentayga, le Nublo et les hautes montagnes qui entourent les autres points culminans, sont formés de trachyte solide et surgissent comme des obélisques du milieu de ces massifs bouleversés. Revenant au Saucillo, nous retrouvons plus bas un trachyte schis- teux, fort remarquable, qui reluit de loin au soleil en produisant le même effet que certains schistes chargés de mica. Ce phénomène est dû à l'état de cristallisation dans lequel se trouve le rhyakolite dont la roche est composée, tandis que dans les autres la même sub- stance est altérée ou amorphe. Cette variété remarquable de trachyte se retrouve de nouveau sur les rebords du grand cratère de Tiraxana et fait suite probablement à la couche du Saucillo. Elle est en état de décomposition , couvrant un grand espace de ses païllettes luisantes de rhyakolite. C'est à cause de ces reflets métalliques que le col qui tra- verse la crête de la montagne a reçu le nom de Paso de la Plata, pas- sage de l'argent. Au-dessous de ce col, on voit l'escarpement du trachyte de la Cumbre former l'enceinte septentrionale du cratère de Tiraxana. La roche est alors d'une blancheur si remarquable que les gens du pays l'ont appelée Bisco blanco. Au milieu même de l'enceinte s'élève la montagne d'Urera ou de las Cuevas. Ses couches inférieures se com- posent d'un trachyte grisâtre d'une apparence moderne, et son som- met, où la roche est moins dure, est percé de nombreuses grottes qu'habitèrent jadis les indigènes du pays. | (353 ) Après cet aperçu général du noyau trachytique de l’île, nous passe- rons à la partie de la côte qui avoisine la ville de las Palmas, où nous trouverons une série de couches plus modernes de cette même forma- ton. Arrétons-nous d'abord dans le magnifique cratère de Bandama, dont nous avons déjà donné la description détaillée (Voy. Géogr. des- cript., pag. 105), et qui domine dans cette partie de la grande Canarie. Lorsqu'on s'avance de ce côté, en se rapprochant de la région mari- time, on est frappé de retrouver de toute part une formation de conglomérat trachytique, qui, quoique moins bouleversé et composé de fragmens moins volumineux, rappelle suffisamment le trachyte de la vallée de Tejeda. Les blocs sont ici de toutes les dimen- sions; leur composition et les couleurs qu'ils affectent sont des plus variées ; en général, ils tirent au blanc et contiennent un peu de py- roxène ; ils sont amalgamés dans une pâte poreuse qui paraît n'être que le détritus résultant de leur décomposition. La partie inférieure de cette formation est composée presque entière- ment de ce détritus qui est extrêmement friable et renferme des pierres ponces, comme la tosca de Ténériffe, à laquelle cette roche ressemble beaucoup. Les couches suivent la pente de l’île, et, soit qu'elles aïent été soulevées du fond des eaux, soït que le niveau de la mer ait eu autrefois plus d'élévation, on ne peut guère douter qu'elles n'aient été produites telles que nous les voyons aujourd'hui, par l'action d'une grande masse d'eau. “ À l'appui de cette opinion, qui est d'ailleurs celle de M. de Buch, nous pouvons fournir des preuves nouvelles et décisives : au nord de la ville de las Palmas, dans un endroit de la côte plus élevé que le Castillo del Rey,et presque parallèle avec cette forteresse, nous avons découvert une couche de calcaire, intercalée entre deux couches de basanite compacte, et remplie de coquilles marines. Les basanites, comme nous verrons tantôt, sont superposées aux roches trachytiques en couches régulières et sans apparence de s'être épanchées d'un cratère. Le cal- 1 JELE 49 ( 354 ) caire, formé de coquilles triturées et renfermant de petits morceaux roulés de roches pyroxéniques , est extrêmement grossier, dur et diffi- cile à entamer. Les coquilles qu'il renferme sont peu reconnaissables ; nous avons recueilli des moules de Cardium et de Pecten couverts de très-jolies empreintes de corallines, mais il nous a été impossible de constater leur identité avec les espèces actuellement vivantes dans la mer des Canaries. M. de Buch a vu une pareïlle couche dans cette même direction, sur la route de Tamaraceyte ; elle n'était pas cependant re- couverte par le basa nite, et il l’a comparée avec raison au calcaire qui se forme journellement sur les côtes de l'île. Un phénomène analogue s'observe à Porto Santo, île essentiellement trachytique, à vingt lieues de Madère. Là , deux îlots, l'{/heo de Cima et l'Ilheo de Baixo, sont formés de couches basaltiques qui alternent avec des couches de calcaire conchylifère, très-semblable à celui de Canaria. Les coquilles qu'elles renferment sont certainement très-distinctes de celles des mers envi- ronnantes (1). À Madère aussi, où le basanite domine partout, on rencontre sur le contrefort qui sépare la paroisse de San-Vincente de celle de Santa-Anna, dans le nord de l’île, une forte couche de calcaire sous des couches solides de basanite de plusieurs centaines de pieds d'élévation. C'est un calcaire saccaroïde, d'une coeur souvent jJau- nâtre et ne renfermant aucun débris organique. Le calcaire , tel que nous l'avons vu derrière le Castillo, se retrouve intercalé avec les basanites sur la route qui conduit de la capitale à la ville de Telde. Nous avons donné (pl. xiv de l'Atlas, fig. m1) une coupe, faite sur les lieux, de cette série de roches éminemment instructive et (1) Voici la série descendante des couches dans l’J/keo de Baixo : 1° Calcaire très-grossier rempli de fragmens et de blocs de basanite ; 2° Série de couches de basanites et d’argilophyres confusément traversée, ainsi que les couches infé- rieures , par des filons également de basanite ; 3° Calcaire très-compacte renfermant quelques coquilles ; 4 Répétition du No 2 5° Argilophyre pyroxénique calcarifère rempli de fossiles. ( 355 ) que nous expliquerons ici en détail, 2 À sont des couches d'une brèche trachytique -grisâtre, renfermant des cristaux de rhyakolite et de petits fragmens à angle aigu de trachyte altéré. On yobserve aussi des petites cavités produites par les gaz. Cette roche est très-visible dans le ravin adjacent. Il est probable que c’est la couche la plus inférieure de toutes celles de la côte. Elle est souvent amalgamée avec des fragmens de pierres ponces grossières. On retrouve encore cette roche au fond des barrancos qui ont entamé cette partie de l'île. C'est. une pierre légère , facile à travailler, et qui se durcit à l'air. On en fait des dalles qui s'exportent à Ténériffe; celles des trottoirs du port de l'Orotava, de Sainte-Croix et des autres villes de cette île, proviennent toutes des carrières de Canaria. Notre ami M. E. da S. Mouzinho de Albu- querque, lors de son passage à Ténériffe, a remarqué ces dalles et les a reconnues comme parfaitement identiques avec les roches qu'il avait décrites de l’île de San-Miguel des Açores (1). : est une masse d'eurite lamellaire phonolitique, de couleur vert foncé , contenant quelques gros cristaux de rhyakolite clairsemés dans sa pâte. Ses couches sont en partie verticales et paraissent avoir surgi à la suite d'un bouleversement général opéré dans cette formation. On en fabrique de grosses dalles. # représente des couches d'argilophyre rougeñtre. / est une suite de basanites qui passe dans sa partie supé- rieure en un conglomérai dans lequel se trouvent intercalées des cou- ches de calcaire conchylifère. Ce basanite est une belle roche bien caractérisée, remplie de cristaux de pyroxène. Le calcaire est peu cohérent et formé entièrement de coquilles triturées. Immédiatement au-dessus de /, on trouve une couche de fosca (2), mêlée dans la masse antérieure et aussi caractérisée que celle de Ténérifte. Le cratère de Bandama offre la section suivante ( Voy. Atlas, (1) Voy. Observacoes sobre a ilha de S'an-Miguel , por L. das. M. de Albuquerque ; Lisboa , 1826, (2) Pour la description de cette roche , voyéz ci-dessus, pag. 298. ( 356 ) pl. xiv, fig. xiv), qui représente le côté tourné vers le N.-E. tel qu'il se trouve aujourd'hui. La première couche w contient les rapilles et sco- ries qui couvrent tous les alentours du volcan. » est une couche de basanite, apparemment très-moderne, remplie de cristaux de pyroxène et de graïns plus ou moins grands de péridot ; on n'aperçoit qu'un angle de cette couche. 00 sont des pans du mur trachytique du volcan, recouverts par des éboulemens y y, dans ses parties escarpées. æ est un conglomérat trachytique d'une couleur jaune rougeâtre qui se trouve à découvert dans plusieurs endroits, vers le fond du cratère. En dehors du volcan, sous les rapilles, on retrouve, comme à l'ordi- naire, le conglomérat trachytique qui domine sur les côtes de l'île. Non loin de Bandama, les sommités du Monte Lentiscal sont com- posées d'un trachyte gris d'une apparence extrêmement moderne, rempli de boursoufflures et de cavités longitudinales, tapissées souvent de zéolite amorphe. Au-dessous de cette roche, se trouve une leucos- tine porphyroïde compacte, contenant, outre des rhyakolites, des cristaux d'Adularia et quelques cavités lapissées de zéolites. Cette couche est suivie d'une formation d'eurite lamellaire exactement semblable à la roche que nous avons trouvée sur la côte (Voy. Atlas, pl. xiv, fig. m 2). Nous avons déjà parlé de cette formation remar- quable, en traitant des roches jaspoïdes de l'Aldea de San-Nicolas sur lesquelles elle est superposée : ici, au contraire, elle est recouverte par le trachyte. Ainsi, sa position géognostique se trouve parfaitement constatée dans la grande Canarie , et sa composition est si identique dans les trois localités indiquées, qu'il serait difficile d'en distinguer les échantillons. Au-dessus du Monte Lentiscal domine la montagne de l’Æfalaya, formée d'un trachyte très-tendre et tout perforé de grottes habitées par une population de deux mille âmes (Voy. notre Géog. descript., pag. 106). Ce village de troglodytes est composé en grande partie de pauvres gens; mais à Artenara, où le tuf, selon M. de Buch, est formé ( 357 ) de petits fragmens amalgamés de scories brunes, les grottes sont spacieuses, souvent à deux étages , et habitées par des laboureurs aisés. L'évêque de l'île trouva à s'y loger commodément à l'époque de sa visite pastorale. D'après les renseignemens de notre savant devancier, ce tuf d’Artenara ne paraîtrait pas être trachytique, mais nous n'avons pu le constater nous-mêmes. Le trachyte est aussi creusé pour des habitations à la Ciudad de las Palmas, où il existe un quartier de troglodytes sur les assises des falaises qui dominent la ville. TERRAINS DE LEUCOSTINES ET DE BASANITES. Nous avons déjà décrit des leucostines mêlées avec des couches tra- chytiques. La plus belle série est celle qui couronne les sommets du Saucillo et de la montagne du Pozo de las Nieves, points culminans de l'île. La roche qui forme la pointe la plus élevée du Saucillo, où l'on a planté une croix, est une leucostine porphyroïde tachetée, sa texture est grenue et sa cassure écailleuse; elle contient de nombreux points noirs d’augite, et une infinité de petites Laches rouges au milieu des- quelles on distingue des grains d’augite. Cette belle roche paraît faire le passage à l’eurite ; elle agit plus fortement sur l'aiguille aimantée que toutes les autres roches de l'île; ses couches se séparent en grands blocs tabulaires et reposent sur une leucostine amphibolique d'un gris verdâtre sale, avec des cristaux aciculaires d'amphibole disséminés dans sa pâte. Toutes les hauteurs à l'entour du Roque de la Cruz sont formées de cette leucostine. On trouve à sa base un mélaphyre demi- deuil bulleux, qui contient beaucoup de cristaux de feldspath lami- naire blanc, et dont la pâte est toute criblée de petites bulles beaucoup plus grandes et plus nombreuses dans la partie supérieure. Tout l'em- branchement du Rodeo se compose de cette roche. Cette formation est ( 358 ) recouverte en quelques endroits par des couches de basanite ét d’au- tres roches que nous décrirons dans leur série. Vers le haut de la ’ega de los Mocanes, on voit une leucostine com- pacte porphyroïde très-bien caractérisée, qui fait partie intégrante de cette série ; nous l'avons aussi observée dans la vallée de Tenteniguada, au-dessous de la Cumbre du Saucillo, près de l'endroit appelé le Cai- dero de Coruña. On la rencontre encore avec les mêmes caractères à la base du Risco blanco, et à la Montañeta de Tunte, dans la Caldera de Tiraxana, où elle se rapproche beaucoup de l'eurite schistoïde de la côte de Telde et de l'Aldea de San-Nicolas. Nous verrons aussi que les basanites de Goyedra sont traversées par des filons d'une roche analogue. Les basanites de Canaria forment deux séries assez distinctes, dont l'une, qui paraît être la plus ancienne, se fait remarquer sur la côte occidentale de l’île depuis l'embouchure du barranco de Mogan jus- qu'à celle du barranco de San-Felipe et de la célèbre Cuesta de Sika. L'autre série occupe l'ouest de l’île et plusieurs endroits de l’intérieur, où elle repose évidemment sur le trachyte. La première série est caractérisée par les minéraux qu'elle renferme. Nous allons la décrire comme nous l'avons vue nous-mêmes aux //n- denes de Goyedra, près du barranco de Tirma , dans les environs de la Gaete et près de la Punta de Sardina. Au midi de l’Aldea, M. de Buch l'a suivie jusqu'auprès de Mogan, où recommencent les trachytes de la Cumbre. Ce géologue nous apprend que les couches supérieures sont des véritables basaltes (1). Les autres couches sont formées d'un amyg- daloïde renfermant de l'analcime, de la mesotype et quelques petits cristaux de fer oligiste. Aux Andenes de Goyedra nous en avons trouvé une belle série. Les roches de cette localité sont coupées à pic et minées journellement par (1) Voy. Physic. Beschr., pag. 278. (359) les coups du ressac (1). Les falaises n’ont pas moins de 600 ou 800 pieds d'élévation, et c’est sur un petit rebord de ces formidables escar- pemens que passe le sentier qui conduit à l'Aldea. La partie supérieure est composée de couches de basanite pyroxénique, dont quelques-unes sont remplies de cavités et ne contiennent aucun corps étranger. Viennent ensuite des basanites variolitiques, dont les cavités sont tapis- sées de péridot vert et remplies de zéolites. Plus loin, la roche est pénétrée partout de matière calcaire cristalli- sée où amorphe , et quelquefois de telle sorte que le calcaire lui-même paraît prédominer sur le basanite. On y voit aussi des zéolites , ou bien des rognons de calcaire enveloppés probablement par le basanite au moment de sa fusion. Ces rognons sont d’une texture grenue et d'une dureté remarquable. On trouve aussi du quartz cristallisé dans les fentes, et quelquefois des veines qui parcourent la roche sous forme de calcédoine. M. de Buch a vu de la baryte sulfatée dans les échantillons récoltés par Escolar dans ce même endroit , fait remarquable comme il le dit lui-même, puisqu'on n'avait jamais trouvé cette substance auparavant dans les formations d'origine ignée. Il a rencontré aussi au port de las Nieves de belles druses composées de nombreux et gros cristaux de chabasites. Toute cette série de roches, peu commune dans ces îles, est traversée par des filons d’un petrosilex vert foncé schistoïde passant à la leucostine. Ces nombreux filons, composés de roches beaucoup plus dures que les variolites, résistent davantage à l'action des vagues et des orages, et s'étendent le long de la côte en murs gigantesques et inabordables. | | | Près de la Punta de Sardina le massif de basanite est très-escarpé, et forme des roches noires sur lesquelles des rognons blancs de cal- caire se dessinent en saillie et impriment à ces falaises un caractère (1) Voy. Géog. Descript., pag. 112. ( 360 ) tout-à-fait origimal. Nous n'avons remarqué nulle autre part dans l'île de Canarie ces nodules de calcaire siliceux compacte, concrétionnés et comme tuberculeux extérieurement. Leur extrême dureté, en les garantissant contre l'action des eaux, les fait ressortir maintenant par dessus le basanite qui les renferme et que les lavanges ont dé- gradé. | Après la Cuesta de Syla on ne retrouve les basanites que sur la côte nord de la presqu'île de l’Tsleta. Ts forment là une suite de falaises qui se prolongent dans la direction d'un rameau de collines de volcanisa- tion moderne. Quelques-unes de ces couches affectent des formes columnaires comme celles de Teno, à Ténériffe, dite la Calzada de los Antiguos. M. de Buch, qui les a examinées avec attention, les compare à la chaussée des Géans en Irlande, mais elles sont beaucoup moins grandioses. (Voy. sur ce sujet les belles observations de ce géologue. Phys. Beschr., pag. 271.) Nous avons déjà parlé du système basaltique de l'intérieur de l’île en citant les couches qui se trouvent aux alentours de la ville de las Palmas : M. de Buch à observé aussi entre les deux berges du ravin situé au midi du Castillo del Rey, une couche de basanite. Elle occupe presque toute la vallée et paraît s'être épanchée en forme de coulée, comme celles qu'on trouve entre Sainte-Croix de Ténériffe et la Laguna, maïs il lui a été impossible de la suivre jusqu’à un cratère d'éruption. Au centre même de l'île, sur les hautes sommités du Saucillo, on rencontre déjà des basanites qui reposent sur les formations trachy- tiques. On en voit une grande masse vers la partie supérieure de la vallée de Tenteniguada ; et de l’autre côté de la montagne, en descen- dant à Tejeda, on passe sur une puissante formation de basanite pyroxénique en couches plus ou moins horizontales, qui alternent souvent avec d'autres couches rouges, vertes, jaunes et blanchâtres d'argilophyre , et reposent sur des immenses bancs de la même roche. ( 361 ) Ces couches sont traversées par des filons composés aussi de basanite pyroxénique, mais d'une texture plus fine. Plus bas, on trouve un autre basanite pyroxénique dont les cavités sont tapissées de zéolites ; cette roche est divisée en petits prismes qui paraissent diverger de tous côtés, en partant d’un centre commun. Nous avons déjà dit que les bords orientaux du grand cratère de Tiraxana sont formés de basanites. Ce cirque fut peut-être le foyer de cette formation qui recouvre presque partout les trachytes et qui s'étend aux environs de Temisas, Aguimez, Telde, la belle vallée de la Lechusa et la Vega de San-Matheo. La roche de la Caldera est un basanite petrosiliceux très-compacte; elle est très-visible à la Monta- ñeta de Tunte, immédiatement au-dessus des eurites ; on la rencontre encore en forme de filon, coupant les roches plus anciennes, au sud de Tiraxana. Ce basanite est tabulaire : M. de Buch l'a trouvé aussi sous la forme de prismes dans le barranco de Santa-Lucia. Vers sa partie supérieure , sur les bords du cratère, cette roche est beaucoup moins compacte, contient des pyroxènes et de l’augite, et alterne alors avec. des argilophyres. | Au-dessus du village de la Lechusa, auprès de la montagne de Martin Gil, le sol est tout couvert de basanites scoriacés. Martin Gil, la Lavanda, et d'autres mornes plus bas, forment un rameau irré- gulier qui se détache de la chaîne centrale et vient s'abatire dans la Vega de San-Matheo. Au-dessous des scories superficielles , on aperçoit un basanite pyroxénique très-compacte rempli de péridot, et conte- nant en outre de grandes masses de péridot-olivine granulaire sou- vent très-altéré. Il nous a semblé distinguer des traces d'ondulations dans les endroits où la roche était à découvert, et ces coulées nous ont paru venir de Martin Gil, mais nous n'avons remarqué sur cette montagne aucune espèce de cratère. Pour bien faire connaître le plateau de Telde, il faudrait pour ainsi dire le décrire pas à pas; mais nos explorations dans cette partie de 46 In ( 362 ) l'île ayant été contrariées par la saison, nous ne pourrons en donner ici qu'une idée générale. Les couches supérieures sont formées de basa- nites roulés, mêlés de calcaire moderne. En descendant dans le ravin qui longe la ville, on aperçoit le basanite péridoteux en couches régu- lières séparées par des bancs d'argilophyre, et affectant, dans quelques endroits, une forme presque columnaire. Des sources abondantes jaillis- sent autour de Telde; la plus forte donne en été deux azadas d’eau, qui équivalent à l'arrosage de deux fanegadas de terre par jour. Le 20 août, l'air étant à 23° 89 C., la température de l'eau, prise à sa source, marquait 12° 78 C. On nous a assuré que cette eau était chaude en hiver, ce qui ferait présumer qu'elle maintient la même tempéra- ture pendant toute l'année. D'autres ruisseaux, qui prennent naissance dans les hauteurs voisines, ont été dirigés vers la ville, et à une demi- lieue de À, au bourg de los Llanos, le comte de Vega-Grande a su mettre à profit ces divers cours d'eau pour remplir un réservoir qui mesure quatre-vingt-dix pas de long sur cinquante-un de large. Plus baut, dans la Y’alle de los Nueve, à l'endroit appelé los Molinos de Tesén, le torrent fait tourner trois moulins à blé. Les argilophyres intercalés entre les basanites, sur les collines qui entourent la ville de Telde, servent d'habitation à la population troglodyte du district (1). En remontant la vallée, nous remarquâmes un tertre isolé de basanite péridoteux, soutenu par une couche moins dure d'argilophyre, et qui servait de toit à plusieurs grottes pratiquées dans le massif situé au- dessous. Les voisinages de Teror et le territoire qui couvrait jadis la belle forêt de Doramas sont composés aussi de roches pyroxéniques. Sur la rive droite du barranco de Teror, on trouve une source d'eau acidulée (Agua-Agria). D'autres sources de même nature s'échappent des (1) Ces grottes sont en très-grand nombre et creusées tout autour de la colline dans le massif d’ar- gilophyre. (363 ) berges de deux petits ravins qui se prolongent dans la même direction, à l'est de Guia ; une d'elles coule près de la maison de campagne de la famille Bethencourt. En général, l'eau de ces fontaines naturelles est plus faible que l’Agua- Agria de Ténériffe. Entre Arucas et Moya, il existe aussi une source d'eau thermale qui se maintient constamment à 35° C. ———<# ÿ—— TERRAINS VOLCANISÉS ET DE CALCAIRE MODERNE. L'île de Canaria, quoique peu éloignée du pic de Teyde, ce grand foyer volcanique de l'archipel canarien , ne présente que peu de traces de volcanisation moderne. On ne voit des cratères d'éruption que dans trois endroits différens de l’île ; ce sont ceux de Bandama, de Ginamar, de l'Isleta et du Malpays, près de la Gaete. D'après Escolar, toutes les laves de cette série sont pyroxéniques. Il est vrai que nous avons trouvé à Ja base du Saucillo un stigmite d'une apparence assez mo- derne ; mais nous noserions pourtant l’assurer. | La quantité de rapilles noirs vomis par le grand cratère de Ban- dama est vraiment prodigieuse ; les couches ont souvent une épaisseur de plus de six pieds. Ces terrains mis en culture donnent un très-bon vin : le fond méme du cratère constitue un des meilleurs crûs de l’île. Ces rapilles sont mélés d'une certaine quantité de fragmens blan- châtres formés de débris de zéolites. On ne trouve aucun courant de lave autour de ce cratère. M. de Buch pense que les volcans voisins de Ginamar étaient des soupiraux en communication avec le foyer prm- cipal. On passe auprès de ces volcans en allant de la Ciudad de las Palmas à Telde. Le plus grand s'appelle la Cima de Ginamar ; son cra- tère, qui vomit des rapilles, présente encore une ouverture d'une grande profondeur, à en juger par le bruit des cailloux que nous y jetâmes lors de notre passage. La bouche de ce cratère est oblongue ; nous aurions pu la croire de formation toute moderne et prête encore ( 364.) : à dégorger des vapeurs enflammées, si les bandes de pigeons sauvages (Golumba Liwia), qui viennent nicher dans les crevasses de ce gouffre, n'avaient pris le vol à notre approche. La coulée de lave de ce cratère, quoique la plus forte, a pris la direction du ravin et n’a pu arriver jusqu'au rivage; mais celle qui est sortie d'un des deux cônes de la Montaña de las Arenas, au nord-ouest de la Cima , forme une longue bande noïre qui se perd dans la mer. Au sud-est de la Cima, on voit plusieurs autres ouvertures. Vers le nord de Bandama, se trouve celle de las Cucvas de los Frayles, d'où s'échappa aussi un torrent de matières volcaniques. Le point culminant de l'Isleta (la montagne de l'Atalaya ou de la tour des Signaux), est couronné par un cratère qui a vomi une quan- tité extraordinaire de lave. M. de Buch a examiné cinq autres bouches, et toute cette partie de la presqu'île a été envahie par les éruptions de ces volcans. (Voy. Phys. Beschr, pag. 269, où l'on trouvera une des- cription fort étendue de toutes les roches de cette localité). Le volcan de la Gaete, qui appartient à la même série, a produit une coulée de lave analogue à ceux de l'Tsleta. Ce torrent , en arrivant sur le bord des escarpemens qui défendent la côte, s'est précipité dans la mer. On a trouvé dans cette nappe de scorie des tumulus pareils à ceux que les anciens Canariens élevèrent dans la presqu'île. Il est évident que tous ces volcans de l'archipel canarien forment une chaîne de continuité et que les cratères de la gran Canaria se rattachent d'un côté à ceux de Fortaventure et de Lancerotte, et de l’autre à la grande crevasse du pic de Teyde, qui s'étend à l'ouest et au sud-ouest jusqu'aux volcans de Palma et de l'île de Fer. Dans notre revue de l’île de Ténériffe, nous avons fait mention des pisolites que nous vimes se produire sous nos yeux (1) : des oolites aussi caractérisés que ceux du Jura, de Caen en Normandie, (1) Voyez ci-dessus, pag. 313. ( 365 ) ou de Bath en Angleterre, se forment journellement sur les plages de la grande Canarie. On en trouve de pareils sur les rivages de Fortaventure et de Lancerotte; l'île de Madère (Ponta de San-Lo- renzo) et celle de Porto-Santo nous en ont offert aussi de beaux exemples. Cest sur les plages exposées constamment à l’action des vents alisés que ce phénomène a lieu. Les débris de coquilles que les vagues déposent sur le rivage sont dispersés par les vents sous forme de sable à grains arrondis; une partie est disséminée dans l’in- térieur des terres et l’autre reste amoncelée sur le rivage : les eaux pluviales, plus chaudes que dans nos climats, en filtrant au travers de ce sable ou en formant des mares échauffées par le soleil, absorbent assez de calcaire pour le déposer ensuite et l’agglutiner, ou -bien encore, et cest plus particulièrement le cas à l'égard de la pierre à filtrer de la plage du Confitäl, ce sont les eaux de la mer qui servent de véhicule à la matière agglutinante. Quand cette roche est formée entièrement de débris de coquilles, elle est blanche ou jaunâtre et assez compacte; mais quand le vent charrie avec les coquilles une certaine quantité de sable provenant de roches volcaniques, ce mélange rend la pierre très-poreuse. C'est dans ce dernier état qu'elle sert à faire les excellentes pierres à filtrer dont on se sert dans toutes les maisons des îles Canaries. Ces pierres sont extraites de la roche qui se forme autour de la plage du Confitâl, au nord de l’isthme de Guanarteme. Le sable qui entre dans la formation de ces sortes de roches s’amal- game le long de la côte avec des débris de madrépores et des coquilles marines brisées ou entières, tandis que dans l'intérieur des terres l'agglutination se fait avec des coquilles terrestres, surtout avec des hélices , et plus particulièrement encore avec l'Helix sarcostoma, Nob. Ces mélanges et ces alternances de matières diverses peuvent servir à expliquer les phénomènes, si difficiles à comprendre, qu'on observe dans les terrains tertiaires. Parfois ces roches n'ont rien d'oolitique ( 366 ) et ressemblent alors à des couches lacustres de cetle même for- mation. On en voit des exemples dans la plaine de Carrizal. Sou- vent, comme dans la vallée de Galdar, elles contiennent de grands fragmens de laves qui paraissent encore intacts. Près de Galdar, on trouve de ces concrétions dendromorphes si communes sur la pointe de San-Lorenzo, à Madère. Il est probable qu'elles sont dues à l'agglo- mération des matières autour des troncs d'euphorbes et de kleimies, quoique nous n'ayons jamais pu découvrir parmi cette singulière {or- mation aucune trace de corps organiques, ni les moindres restes de végétaux. ( 367 ) PALMA. L'ile de Palma est presque entièrement basaltique et présente un des meilleurs exemples des cratères de soulèvement, tels que les a conçus M. de Buch; aussi la description qu'il en a donnée est des plus remarquables. Palma fut pour ce grand géologue la preuve évidente de son système ; il en a parlé avec enthousiasme, et ses belles obser- vations nous ont servi de guide dans l'aperçu orographique que nous avons déjà présenté. Nous nous bornerons maintenant à décrire cette île sous le rapport de sa constitution géologique; et dans ce nouvel examen, soit que nous fondions nos observations sur les notes que nous avons prises sur place ou qu'elles ressortent de l'analyse des roches de notre propre collection, on pourra croire encore que nous avons puisé à la même source, car nous ne saurions entreprendre une description exacte de Palma sans paraître répéter en partie celle de notre savant devancier. On peut considérer cette île, plus encore que Ténériffe, comme une montagne isolée qu'entoure la mer. On n'y voit nulle part de véri- tables plages, et rarement des côtes basses ; la ville capitale elle-même est groupée sur des rochers de basanite péridoteux qui s'élèvent les uns derrière les autres ; au midi, elle est adossée à des escarpemens analo- gues qui présentent toute l'apparence d'un vaste semi-cratère dominé par un petit plateau où l’on a bâti l’église de Notre-Dame de la Con- ception. On découvre de cet édifice la ville, les rians coteaux des deux Breñas (Breña alta y Breña baja) et tout le rivage de l’île couvert de vignobles entremêlés de palmiers'et de dragoniers jusqu'à Mazo, Ce à PE Ra "es ( 368 ) beau panorama ressemble à celui de la vallée de Taoro (Ténériffe) vu des hauteurs de Matanza, mais le coup-d'œil est peut-être plus agreste. Les ravins qui rayonnent autour des montagnes centrales déchi- rent l'île de toute part. Nous ne les décrivons pas à cause de leur par- faite identité avec ceux de Ténériffe, dont nous avons déjà parlé (1). Nous ne reviendrons pas non plus sur notre description des mon- tagnes centrales et du vaste cratère qu'elles embrassent (2). Ces mon- tagnes, après une petite dépression, se relèvent au mont Bergoyo et se projettent au midi en une chaîne qui va se perdre à Fuencaliente. La dépression de la crête au col de /a Cumbre donne de loin au profil de l'île l'apparence d'une montagne à deux sommités. Nous avons appelé l'attention dans notre géographie descriptive sur la grande crevasse du cratère central appelée le Barranco de las Angüstias (3). C'est à et au fond du cratère lui-même que nous trouvâmes les plus anciennes roches de l'île en blocs erratiques, les uns d'énorme dimension et d'autres dispersés par fragmens. Leur véritable gisement est caché par les basanites qui flanquent toute l'enceinte du cratère et forment la masse de l'île. Dans un seul endroit, du côté gauche du ravin, on trouve en place, sous le basanite, une puissante couche de diorite granitoïde. Cette roche est un peu serpentineuse, mais elle n’est point calcaire, comme les parties blanches qu'elle contient pourraient le faire soupçonner, et elle diffère essentiellement en cela de celles que nous allons décrire. Au fond du barranco des Augüstias, depuis Arguâl jusqu'à la mer, la vue est frappée par deux énormes talus qui s'étendent de chaque côté à plusieurs centaines de pieds d'élévation. Ces talus touchent ordinairement les berges escarpées du ravin, mais quelquefois ils en (1) Voyez ci-dessus, pag. 300 et suiv. (2) Voy. Géogr. descript., pag. 121 et 127, et l’excursion à la Caldera, tom. 1, part. 2°, Miscell. can., pag. 291 et suiv. (3) Voy. Géogr. descript., pag. 131, et Miscell. can., pag. 221 et suiv. ( 369 ) sont séparés, D'Arguäl à la Caldera, le ravin se rétrécit et les talus disparaissent, On ne rencontre plus ensuite des fragmens d'anciennes roches qu'au fond du cratère; partout aïlleurs, et même dans l'inté- rieur de cet immense cirque, le sol est jonché d'éboulemens basal- tiques. La position des talus du ravin, les contours arrondis des frag- mens dont ils se composent , tout annonce qu'ils proviennent du fond de la Caldera ; mais l'imagination s'effraie en pensant à l'épouvantable débâcle qui les aura entraînés jusqu'à l'endroit où ils se trouvent accu- mulés. Nous continuerons à décrire les roches en suivant leur ordre d'an- cienneté. M. de Buch a trouvé parmi ces blocs du véritable schiste micacé (1) et une roche qui paraissait un beau granit. Ce fait impor- tant était déjà parvenu à notre connaissance à l'époque de notre explo- ration, cependant toutes nos recherches furent infructueuses, nous ne pümes rencontrer ni le schiste , ni le véritable granit. La roche probablement la plus ancienne que nous ayons trouvée est un amphibolite granitoïde composé entièrement d’amphibole et d’al- bite , et contenant parfois du mica. Nous en prîmes des échantillons à l'entrée même de la Caldera. On rencontre au même endroit un ophio- lite grenu, calcarifère, gris ou verdâtre, faisant passage à l'ophicalce ; puis des diorites granitoïdes calcarifères, et des vrais ophicalces conte- nant du calcaire concrétionné, dont la pâte verte fait une vive effer- vescence avec l'acide. Ces roches se retrouvent abondamment dans le barranco. Le calcaire qui les enveloppe souvent, et qui remplit leur ca- vité, est blanc, cristallin et concrétionné. Il prend parfois l'apparence d'une prehnite calcarifère, qui produit dans l'acide une effervescence lente, maiscontinue.On trouve aussi, dans les talus du ra vin, des diorites granulaires altérés, se désagrégeant en petits sphéroïdes ; leurs fissures sont enduites ou pénétrées de calcaire spathique , de mésotype radiée, (D) Voy. Phys. Beschr., pag. 289. 11. 47 ru — ( 370 ) et les interstices sont souvent tapissés de cristaux d'analcime bien nets. Après ces roches vient une brèche d'aphanite et de calcaire, ou bien le calcaire se présente encore seul et prédomine très-souvent. Cette substance ressemble entièrement à celle qui accompagne les ophio- lites ; elle est probablement siliceuse, ses cavités sont tapissées, les unes de cristaux de quartz, les autres de dolomie rhomboïdale. La chaux qu'on tire ordinairement de Fortaventure, se vendant fort cher à Palma, les habitans des villages voisins ont profité de cette couche calcaire, el l'exploitent de temps à autre. L'aphanite contient en outre de l’arragonite, qui se trouve répandue en concrétions sur le calcaire, dans les cavités de la roche. | Le seul endroit de l'île où nous avons vu du trachite en couches est à Fuencaliente. Les anciennes roches qui surgissent cà et là, au milieu des rapilles et des scories de ce district volcanisé, sont trachytiques. C'est un trachyte gris-brun assez compacte , avec quelques cavités bul- leuses, et tout rempli de petits cristaux épars de pyroxène. La source thermale, qu'on appelait la Fuente Santa et que l'éruption de 1677 a fait disparaître, sortait probablement de cette roche. La lave moderne est entièrement pyroxénique, de sorte que la couleur de ces îlots tra- chytiques les fait distinguer au premier coup-d'œil des nappes de laves et de rapilles. Nous avons déjà parlé des nombreux filons qui coupent et boule- versent en tous sens les basanites des deux berges du ravin des Angus- tias. Ces filons ne sont pas de la même substance que la formation de basanites qu'ils traversent ; ce sont des trachytes gris foncés très-durs, souvent criblés de petits trous ronds et se divisant en colonnes trans- versales. À l'entrée de la Caldera, on aperçoit des filons plus larges d'une couleur bleue d’ardoise. Ces derniers sont formés de leucostine compacte presque homogène, mais ils contiennent quelques cristaux de rhyakolite. Les basanites du barranco des Angustias et ceux de l'intérieur du (371) cratère sont ordinairement très-bien caractérisés et remplis de péridot et de pyroxène. Les couches inférieures ne contiennent pas de cavités produites par les gaz, elles sont séparées par des bancs d’argilophyre. Sur le sommet des montagnes, les basanites sont beaucoup plus po- reux ; les échantillons que nous détachämes de la montagne appelée eZ Lomo del Biscayno étaient criblés de petites soufflures. ÉRUPTIONS MODERNES. Depuis la conquête de l’île en 1492, l'histoire ne fait mention que de quatre éruptions volcaniques. La première eut lieu le 18 avril 1585; Fray Alonso de Espinosa, qui écrivait en 1594, en à parlé en ces termes: « Nous le vimes de nos propres yeux l’an 1585, dans l’île de la Palma, sur le territoire » de los Llanos, près d’une petite source et au milieu d’une plaine. On vit croître la terre » en forme de volcan et s'élever progressivement comme une grande montagne, et aprés » beaucoup de fracas et de tremblemens de terre, un énorme gouffre vint à s’ouvrir en » vomissant un horrible incendie et des rochers enflammés. Et au bout de quelques jours » (avec de grandes détonations qu’on entendit dans les autres îles ), le volcan fit éruption » et dégorgea deux ou trois torrens de feu aussi larges qu’un tir d’escopette, et ils se » répandirent plus d’une lieue sur le sol jusqu’à la mer, et la chaleur de ces fleuves de feu » était si grande que l’eau de la mer en fut chauffée à demi-lieue au large et qu’elie fit » cuire les poissons et fondre le goudron des bâtimens (1) ». Ce volcan se trouve au sommet de la Cumbre, non loin du Pino Santo. (1) Lo vimos por nuestros ojos el año de 1585, en la isla de la Palma, en el termino de los Llanos, que junto a una fuentezita en un Ilano fue creciendo la tierra visiblemente en forma de volcan, Y se levanté en tan grande altura como una gran montaña , y aviendo precedido muchos terremotos y tem- blores de tierra , vino a abrir una boca grande echando por ella fuego espantoso y peñascos encendidos. Y al cabo de algunos dias (con gran estruendo que se oy6 en las otras islas) rebenté y eché de si dos o tres rios de fuego , tan anchos como un tiro de escopeta, y corrieron mas de legua por tietra hasta Ile_ gar a la mar. Ÿ fue tanta la furia que el fuego Ilevava , que media legua dentro en el mar calenté el agua, y se cozieron los peces que en ella avia. À los barcos se les derretia la brea, » Frax ALonzo De Espinosa, Historia de la Aparicion y milagros de la imagen de N. S. de Candelaria, 1594. (372 ) On y voit un cône avec son cratère composé de scories : l'ouverture est tournée vers la côte. Nous avons marqué sur la carte la coulée de lave qui en est sortie et qui va se perdre dans la mer. Ce torrent est ormé par un basanite péridotique scoriacé. La seconde éruption eut lieu en 1646, près de Tigalate, à quatre lieues de la capitale, et à peu près une lieue de Fuencaliente. Le vol- can s'ouvrit le13novembre, dit Viera, avec des tremblemens de terre et des coups de tonnerre si violens que les habitans mêmes des autres îles en furent épouvantés. Quatre torrens de lave, se joignant avec ceux des deux autres bouches qui s'étaient ouvertes sur la côte, se précipitèrent dans la mer et la firent reculer plus de trois cents brasses. Les pertes furent énormes, mais aucune ne fut plus sentie que celle de la Fuente Santa (1). IL paraît cependant que l'emplacement qu'elle occupait ne fut pas tout-à-fait encombré, mais l'éruption suivante finit par la faire disparaître entièrement. | Cette terrible catastrophe, généralement connue sous le nom de l'éruption de Fuencaliente , eut lieu de 1677 à 1678. Nous traduisons ici la description manuscrite qu'en a laissée Don Juan Pinto de Guisla : «Le 13 de novembre 1677, un quart d’heure après le coucher du soleil, on éprouva » dans l’île de Palma un fort tremblement de terre qui se fit ressentir dans la direction de » la Breña Baja jusqu’à T'asacorte , c’est-à-dire tout le long de la côte depuis le sud-est » jusqu’au sud-ouest , sur un espace d’environ treize lieues. Le centre d’activité de ce phé- » nomène parut de suite se fixer vers la pointe de Fuencaliente, où la secousse fut plus vio- » lente. Ces mouvemens convulsifs continuérent jusqu’au 17; mais bientôt la terre se cre- » vasse dans divers endroits voisins de Fuencaliente, dansle Zlano de los Canarios, situé » au-dessus du roc de la Fuenta Santa, puis vers la Cuesta Cansada et au sommet de la » montagne de los Corrales, mamelon volcanique éloigné d’environ une demi-lieue du » rivage. Cette dernière ouverture exhalait en même temps des vapeurs chaudes et sulfu- » reuses. Ce même jour (17 novembre), à quatre heures et demie de l'après-midi , les » secousses se firent sentir avec plus de violence qu'auparavant, dans les endroits déjà » indiqués, et l’on vit sortir des tourbillons de fumée par les crevasses de la Cuesta Can- » sada. Alors la terre trembla de nouveau avec force; ün cratère s’ouvrit, et après ses (1) Voy. Géog. Descript., pag. 198, » ») LA = 2 er = LS © DZ LD TZ » » » NA ) » (373 ) premières explosions , il commença à vomir de la lave en grande abondance. Dix-huit bouches se formèrent instantanément dans le même endroit et volcanisérent les alentours depuis le haut de la colline jusqu’à sa base. Les coulées de lave qui dégorgèrent de ces divers cratères formérent un torrent considérable qui inonda tout le Zlano de los Ca- narios et vint expirer sur les bords du chemin de la Fuente Santa. Un autre bras de lave, qui s'était dirigé à droite, suivit son cours vers la mer et déborda par les falaises de Puerto Viejo, où avaient débarqué les conquérans de l’île. » Le 19, à deux heures après midi, il se fit une autre explosion à la base occidentale de la montagne de Los Corrales ; de grands tourbillons de fumée , accompagnés de pierres enflammées, sortirent de cette nouvelle crevasse qui se referma le 20. Alors, l’ancien cratère de la montagne commença à exhaler beaucoup de vapeurs , ce qui dura jusqu’au jour suivant. Le 21 , les roulemens souterrains , qui se faisaient entendre depuis la veille , continuaient encore , et vers midi, le cratère de la montagne s’ouvrit tout-à-coup avec un horrible fracas. C'était comme un feu roulant de mousqueterie accompagné de coups de tonnerre ; alors, le gouffre vomit des flammes et lança dans les airs une énorme quan - tité de pierres. Vers le soir, les tourbillons de fumée qui s’étaient élevés par intervalles cessérent tout-à-fait, mais les détonations intérieures et léruption des matières que vo- missait le cratère furent en progression croissante. Les rochers qui étaient lancés dans les airs s’élevaient à perte de vue et avec une telle force de projection qu’ils ne mettaient pas dans leur ascension la cinquième partie du temps qu'il leur fallait pour opérer leur chute, et pourtant quelques-uns étaient plus gros que des tonneaux (1). La plupart allaient tomber dans la mer, dont le rivage est éloigné de demi-lieue de la base de la montagne. » Le 22, à trois heures du matin, la fumée recommença de nouveau pendant deux heures ; puis, le cratère vomit encore des flammes et lança des pierres avec plus de force qu'auparavant. » Le 23, à midi , les tourbillons de vapeurs se présentèrent encore, et l’éruption des ma- tières enflammées continua jusqu’à la nuït, suivie de roulemens de tonnerre et de détona- tions électriques. Vers neuf heures et demie, on ressentit une grande secousse qui ébranla tous les environs, et aussitôt le cratère lança trois météores, qui, après s’être élevés à une grande hauteur , en se dirigeant au sud, éclatèrent ensuite avec un bruit épouvantable. » Le 24, les déjections cessérent, et la tranquillité intérieure de la montagne parut se rétablir pendant une heure ; mais bientôt aprés la crevasse de la base de la montagne, qui jusqu'alors avait vomi des laves, s'étant refermée tout-à-coup, l’éruption du cratère de la cime recommenca avec plus de fureur. Les torrens de matières volcaniques obstruérent le vieux port ( Puerto Viejo ): la mer se retira plus d’un tir de fusil, et l’accumulation des laves forma des récifs où l’on comptait auparavant sept brasses de fond. Dans la nuit, le grand cratère de los Corrales lança plusieurs météores semblables à ceux des jours précédens. (1) « ….... Las piedras fueron volando lanlas que se perdian de vista, y tan despedidas que no ponian en subir la quinta parte del tiempo que en bajar , ÿ algünas eran mayores que toneles. » ( 374 ) _» Le 25, le volcan vomit des pierres plus que,jamais, et les détonations électriques » devinrent trés-fréquentes. » Le 26 , la bouche de la base de la montagne se rouvrit et recommença à dégorger de » la lave. Deux torrens se formèrent : l’un prit la direction de l’ancien volcan de os Ta- » casos et l’autre vint déborder sur Æuente-Santa. L'ouverture de la base occidentale » lança une telle quantité de cendres et de scories que les terrains des alentours en furent » couverts dans certains endroits jusqu’à quinze pieds de hauteur. » Le cône immense et imposant qui se forma pendant cette éruption existe encore tel qu'il a été produit. Il ne fume plus, maïs on trouve dans ses fentes des cristaux de soufre, et une substance blanche composée presque entièrement d’une sublimation de sel marin. Quel- ques scories contiennent des petits cristaux aciculaires de gypse. On y voit aussi d'assez gros morceaux d'amphibole rejetés par le volcan et altérés par les vapeurs chaudes. La lave est très-noire et luisante ; elle contient une grande quantité de petits cristaux de pyroxène. Ces tor- rens de matières renferment aussi des boules de péridot de la grosseur du poing, et peu altérées par l’action du feu. ( 375 ) LANCEROTTE. La roche la plus ancienrie qu'on trouve à Lancerotte est une dolérite porphyroïde qui contient aussi du péridot et qu'on pourrait confondre facilement avec le basanite commun. On rencontre cette roche. près de la côte orientale, aux alentours du Port de Naos , où elle est recou- verte par le calcaire moderne et s'étend probablement dans l'inté- rieur sous les couches de basanite auxquelles sans doute elle est su- bordonnée, Près du château qui défend le port, elle se fend en gros blocs que nous considérons avec M. de Buch comme des commence- mens de prismes. Le noyau de cette île bouleversée par les volcans anciens et mo- dernes est formé de basanites et de roches de la même série. La chaîne principale qui s'élève à pic vers les falaises de Famara présente des berges très-escarpées sur la côte du nord-est, tandis que vers l'est elle projette une série de contreforts dont le dernier vient expirer auprès de Teguise, la capitale de l’île. Ce système orographique a beau- coup de rapport avec celui du nord-ouest de Ténériffe et semblerait avoir été produit par la même cause. M. de Buch pense que les berges de Famara ne sont que les restes d'un de ces grands cratères de soulè- vement dont les paroïs opposées se trouvent ensevelies sous les flots, et cette opinion n'est pas tout-à-fait invraisemblable. Ici, cependant, il ne s'est pas formé de ravins proprement dits; de puissans contreforts enclavent les larges vallées de Maguez, Haria, Temisa, Tabayesco et Guatisa, qui, garanties des vents par les montagnes environnantes, sont couvertes de fermes et de hameaux entourés de vergers de dat- tiers et de figuiers. À ce pays montagneux succède une plaine inondée en partie par les (376 ) laves de l'épouvantable éruption de 1730. Ensuite, la ligne des som- mités qui traverse l’île du nord-est au sud-ouest se relève de nouveau en une suite de cônes, entre lesquels perce, de distance en distance, l'ancienne formation de basanite que les laves modernes ont envahie. Ces roches abritent dans leurs crevasses les derniers restes de la végé- tation indigène. Isolées maintenant au milieu de la nappe noire des volcans modernes, on les reconnaît de loin à la couleur blanche des lichens dont elles sont revêtues. Sur le point culminani de l'île, les Peñitas de Chache, on trouve un basanite un peu scoriacé contenant du péridot et des petits cris- taux de rhyakolites. Cette roche est d'une couleur brune nuancée en partie d'un bleu d'acier. En descendant de ces hauteurs, on découvre un basanite très-compacte contenant des concrétions zéolitiques; cette formation repose sur un argilophyre rouge, dont les nombreuses ca- vités et les soufflures sont tapissées de zéolites, et qui devient parfois un vrai variolite rougeâtre. Ce variolite, altéré dans sa partie infé- rieure, donne naïssance à plusieurs petites sources qui filtrent de ses fentes et forment le Chafariz ou fontaine de Tamisa. Il est probable que cetle source dut s'échapper en torrent lorsque les mornes de Chache étaient encore garnis de bois. On peut voir, aux falaises de Famara, un bel exemple de la série ba- sanitique (1). Les couches supérieures ont souvent une teinte bleuâtre comme celles de Chache, mais elles ne contiennent point de rhyako- lites, et renferment au contraire beaucoup de chaux carbonatée en lames et en cristaux. Ces couches alternent avec des argilophyres de différentes couleurs, et des masses de rubrica remplies l’une et l’autre de chaux carbonatée. On y remarque également des concrétions et des rognons zéolitiques. L'existence de la chaux carbonatée, dans les Rasa nites qui avoisinent la mer, est un fait remarquable, (1) Voy. A4, pl. xuu, fig. 1. ( 377 ) ANCIENS VOLCANS. Lancerotte est l'ile de l'archipel canarien qui a été la plus volcanisée, même ayant les temps historiques. Outre les chaînes de volcans du sud-ouest de l'île, les cônes imposans de la Corona, de Guatifay et de los Elechos dominent dans la partie du nord. Celui de la Corona est un des plus remarquables : on parvient à son sommet avec beaucoup de peine, à cause de la rapidité de sa pente et de l'épaisse couche de lapilli dont il est couvert. Les parois du cratère sont tout aussi rapides et entièrement revêtues de lapilli, de manière que la cime de la mon- tagne offre une corniche étroite et scabreuse bordée de chaque côté par un précipice dangereux (1). Les scories et les lapilli ont conservé toute leur fraîcheur et sont souvent à reflets métalliques. La lave est sortie du flanc méridional du cône et a obstrué les crevasses par où elle se fit jour. Cette grande coulée se dirige vers le sud-est et va se perdre dans la mer, en s'étendant sur la région dévastée qu'on appelle le Malpays. La lave elle-même est un basanite péridoteux qui contient dans ses cavités de la chaux carbonatée très-blanche. Les boursouf- flures de sa pâte ont formé des cavernes, dont une, celle de los F’erdes, est célèbre dans l'histoire du pays (2). D'autres volcans se sont ouverts sur le dernier contrefort de la chaîne de Famara, auprès de la ville de Teguise. Le château qui la défend est bâti sur les bords du cratère d'un de ces cônes, dominé lui- même par un autre qui l'avoisine. Trois autres cônes s'élèvent plus près de la mer : l'un, appelé l’Atalaya de T inamala , domine le village de Guatiza , situé au milieu d’un terroir que les matières décomposées (1) Voy., pour d’autres détails , Géogr. descript., pag. 183-4-5. (2) Voy. Géogr. descript., pag. 115. C’est par erreur que M. de Buch place ces cavernes dans l’an- cienne roche basanitique. IL. 48 (378 ) ont rendu à la culture et qui apparaît comme une verte oasis au mi- lieu du pays brülé. Un quatrième cône, situé plus au midi, et autour duquel le conglomérat calcaire de la plaine de Mala prédomine de nouveau , à reçu le nom de Montaña de Tajiche. Une coulée de lave très-ancienne est sortie de ce volcan. | Nous renvoyons le lecteur à la Géographie descriptive (Voy. pag. 187 et suiv.) pour la position et la direction des nombreux mamelons de la partie sud-ouest de l'île. Presque tous ces anciens cônes, dont nous ve- nons de parler, devaient être revêtus extérieurement de couches de lapilli; quelques-uns les conservent encôre, mais ces couches de scories ont disparu sur les pentes trop rapides, et se retrouvent alors amon- celées à la base des cônes. On rencontre aussi quelques cratères fort curieux au niveau du sol, qui ressemblent assez à ces espèces de combes qu'on voit dans les formations secondaires, telles que le Devils Punch- bowl dans la craie près Brighton , et celle qui se trouve dans la glauco- nie sableuse, près de Liphook en Angleterre. Il existe un cratère de ce genre entre Tinajo et Mancha Blanca, mais plus près de ce dernier endroit. Un autre, qui paraît être un cratère démantelé, est situé près des premiers volcans de 1824. Son fond est couvert de lapilli. On a planté un grand nombre de figuiers dans ces couches de scories où l'on trouve de l'eau potable à une petite profondeur (1). Il est une observation qui nous a frappés pendant le cours de nos explorations : la partie échancrée de tous les cratères de Lancerotte est toujours tournée vers le nord-est, c'est-à-dire du côté des vents alisés, qui ont poussé du côté opposé les matières rejetées par les érup- tions. On ne nous à cité que deux cônes qui ne sont pas dans ce cas, et il faut croire que l'éruption a eu lieu pendant l'hiver et sous l'influence des brises irrégulières. (1) La propriété absolue de ce cratère a été vendue, pendant notre séjour dans l’île, au prix de 20 pesos corrientes , ou à peu près 75 francs. On peut juger par là du peu de valeur des terres à Lancerotte. ( 379 ) Le plus remarquable des anciens cônes, celui qui paraît former le noyau de la chaîne centrale, est sans contredit la Montaña del Fuego. Ce volcan n'est pas en activité, comme son nom le ferait supposer ; c'est un amas énorme d'anciennes scories et de lapilli, dont le dôme s'est converti en une espèce de solfatare. La chaleur est probablement entretenue par la combustion de pyrites, car, outre le soufre sublimé, on trouve dans les fentes de la montagne de l’alun en abondance et de la chaux sulfatée très-blanche. Les scories sont colorées en rouge très- foncé par l'oxidation du fer; mais elles blanchissent rapidement sous l'influence de la vapeur. Cette vapeur, cependant, n’a aucune odeur sensible (1). Quand on est au sommet de la Montaña del Fuego, on reconnaît qu'elle à été produite à deux reprises. Le cratère supérieur n'a pas versé des laves; mais on aperçoit, sur les flancs de la montagne, un autre vaste semi-cratère d'où s'est échappée une large coulée de basa- nite. Un autre cratère plus petit, voisin de celui de la cime, est situé sur la plus haute crête de la montagne, que l'observation de M. de Buch porte à 1,378 pieds au-dessus de la mer (2). _ Les autres mamelons que nous visitâmes sont : la Quemada et Iguadin, volcans irès-anciens, déjà couverts de végétation ; puis, la Montañeta de Tisalaya, et celle de Tamia , qui s'élève au-dessus des champs de la Florida et les défend contre le souffle des vents géné- raux. Grâce à cet abri, on a pu planter là, en rase campagne, quelques arbres fruitiers (3). Tous ces mamelons sont formés de scories sembla- bles à celles que nous venons de décrire, et ne présentent aucune autre particularité digne de remarque. Cependant une statistique de tous (1) Nous avons même fait cuire de la viande dans un trou creusé dans les scories, et elle avait aussi bon goût que si elle eût été rôtie au four. (2) Voy. Géogr. descript., pag. 187. x (3) Partout ailleurs les arbres sont abrités par des murs de pierres. Voy. Géogr, descript., p. 195. ( 380 ) ces volcans, faïte par un géologue qui résiderait assez long-temps dans le pays, serait sans doute du plus haut intérêt. VOLCANS DES TEMPS HISTORIQUES. Dans la description que nous avons donnée de la grande éruption de 1730 (1); on a pu se faire une idée assez précise de l'étendue du pays envahi par les laves et les rapilles. Cette région brülée offre un aspect affligeant de solitude et de désolation ; elle semble frappée d'une stéri- lité éternelle ; la matière pétrifiée a conservé tous les caractères qu'elle présenta à l'instant de sa fusion. En parcourant ce désert noir et aride, on croirait que la catastrophe vient d'avoir lieu ; seulement le calme des élémens a remplacé la tourmente, maïs l'incendie en s'éteignant a laissé son désastre au grand jour, et la terre en deuil, bouleversée de fond en comble, abandonnée de ses habitans, privée de toute végétation, s'est couverte d'un manteau funèbre. Il faudra des siècles avant que l'homme puisse espérer de tirer des ressources de ce sol dévasté, les bes- tiaux mêmes n'y trouvent encore aucune espèce de pâture. Les sentiers qui traversent ce WMalpais ont à peine entamé sa surface; les plus fortes alpargatas , ces sandales de cuir brut dont on fait usage aux Canaries, peuvent à peine résister aux aspérités qui hérissent le sol et aux laves vitrifiées et tranchantes répandues sur sa surface. Au moment de la liquéfaction des matières volcaniques, le mouvement de rotation dé- terminé par des tourbillons de lave, leur a fait prendre dans certains endroits une forme circulaire; ces espèces de plaques, gonflées par les gaz concentrés, se sont soulevées comme une croûte mince et cassante (1) Voy. Géogr. descript., pag. 190, et la carte de Lancerotte, Atlas, pl. x. ( 381 ) qui se brise sous les pieds du voyageur et dont les éclats sont toujours dangereux. Quelquefois la roche est divisée en fragmens anguleux, ou bien les blocs, entassés les uns sur les autres, présentent des obstacles insurmontables. La lave est un basanite péridoteux, noir et compacte dans sa partie inférieure, On y rencontre des boules de péridot, souvent aussi grosses que la tête d'un homme. Ces boules sont enclavées dans la coulée, et M. de Buch a observé avec raison que la pesanteur des plus volumi- neuses a dü bientôt les fixer au milieu du torrent qui les entraîna ; il a remarqué. aussi qu'elles diminuaient insensiblement en nombre et en grandeur à mesure qu'on s'éloignait des cratères. Ainsi, entre Mosaga et Tao, où nous en rencontrâmes d'abord, elles n'étaient guère plus grosses que celles que nous avions déjà trouvées à Fuencaliente , dans l’île de Palma. M. de Buch assure n'en avoir jamais vu d'aussi grandes, si ce nest dans les laves du Vivarais. Les laves contiennent en outre des fragmens non fondus du basa- nite péridoteux du noyau de l’île, devenus grisâtres sous l'influence de la chaleur. Entre la Géria et la Montaña del Fuego, il existe deux rochers soulevés sur leur flanc à un angle de quarante degrés, qui contiennent des nodules de péridot tellement altérés par le feu, que le pyroxène qu'ils renferment est devenu d'un rouge très-vif et le péridot d’un blanc perlé, de manière qu'on pourrait les prendre pour des frag- mens d'une roche granitoïde. À Mosaga, on voit une caverne au milieu des laves, qui (si elle n'est pas produite toutefois par une grande boux- soufflure) pourrait devoir son origine à un affaissement du terrain ou à un ancien ravin recouvert par l'éruption. On nous a assuré qu'on l'avait exploré sur un espace de plus de quinze cents pieds détendue. Dans la partie que nous avons visitée, cette caverne présente une élé- vation de dix, douze et vingt pieds. Des stalactites volcaniques courtes et épaisses, remplies de vésicules aérifères, étaient suspendues à la voûte et nous rappelèrent celles de la grotte d'Icod , à Ténérifte. ( 382 ) Nous avons déjà parlé de la fertilité des lapilli de cette éruption (1). Il est probable que ces rapilles absorbent et retiennent l'humidité de l'atmosphère : l'air renfermé dans leurs soufflures doit aussi venir puissamment en aide de la végétation. Quand les plantes sont déjà sèches dans les plaines de calcaire moderne, on trouve encore là, en pleine fleur et avec leurs feuilles radicales , la Serraja (Microrhynchus nudicaulis, Less.) et la Serraja de los Conejos (Picridium ligulatum, VENT.) l'Ononis pedunculata, Linz. des Plantago, et d’autres végétaux pleins de vigueur et bien développés. La grande crevasse par où les éruptions se firent jour successive- ment, et qui réagit avec tant de violence en 1730, paraît exister en- core. Depuis environ un siècle les volcans de Lancerotte étaient en repos, lorsque de nouvelles bouches se rouvrirent en 1824. Voici les détails de cet événement. Nous traduisons ici textuellement les lettres qui nous furent adres- sées par D. Augustin Cabrera, habitant de Lancerotte et témoin oculaire de ces éruptions. Le récit simple et concis du narrateur, la franchise de son caractère doivent garantir l'authenticité des faits qu'il a rapportés. Du reste, celui de nous auquel ces lettres ont été adressées a pu se convaincre, en comparant la relation de Cabrera avec plusieurs autres, qu'elle était dégagée de toute exagération. PREMIÈRE LETTRE. Port d’Arrecife, 4er juillet 1824. « Hier vers six heures du matin, un gouffre volcanique s’est ouvert tout-à-coup dans le voisinage de Tao, au milieu d’une plaine. Cette éruption a été précédée d’un petit tremblement de terre ; toutefois cette première secousse ne s’est pas étendue fort (loin : au port d’Arrecife on n’a rien ressenti. Le cratère a pris d’abord l’apparence d’une large crevasse, et a dégorgé aussitôt une grande quantité de sable et de pierres enflammées. Ces déjections ont envahi en quelques heures la propriété rurale du curé Duarte, et incendié son habitation et ses greniers. Les ébranlemens du sol, aux alentours du volcan, ont entrainé la ruine de plusieurs citernes à Tiagua, perte d’autant plus sensible que ces réservoirs sont (1) Voy. Géogr. descript., pag. 194. ( 383 ) une des principales richesses dans un pays qui manque de sources. On craignait même pour Tiagua, parce qu’on s'était aperçu qu’une montañeta, située entre ce village et le vol- Can, avait commencé à dégorger de la fumée. » SECONDE LETTRE. 16 septembre. « L’éruption de la lave et des pierres a duré dix-huit heures; trois mamelons de scories se sont formés autour du cratère. Après cette première crise, le volcan n’a plus lancé pendant dix jours que d’épais tourbillons de fumée, qui s’échappaient par bouffées comme d’un tuyau de pompe à feu; leur ronflement s’entendait de plusieurs lieues à la ronde. Ce phénomène a été bientôt suivi d’un torrent d’eau bourbeuse et fétide, provenant de la montañeta qui avait auparavant lancé de la fumée, c’est-à-dire de celle située au milieu des deux autres. Le massif de scorie, produit par l’éruption, s’est fendu longitudinalement du sommet à la base, et dés cet instant le foyer volcanique a paru s’éteindre. Cependant hier on entendit encore un bruit sourd, et l’eau bourbeuse recommenca à sortir par Lorrens. Il s'échappe par fois une fumée très-dense, puis tout-à-coup elle s’éclaircit, et dans ces intervalles l’eau recommence à couler. » TROISIÈME LETTRE. 10 octobre. « Les volcans redoublent d'activité : le 29 du mois passé, à midi, une nouvelle éruption s’est manifestée près du village de Yaiza, à quatre lieues S.-O. du siége de la premiére et à trois lieues de la mer. Les feux souterrains ont percé la nappe de lave de 1730, et les torrens enflammés, après avoir suivi leurs cours jusqu’au rivage, ont formé une pointe qui s’avance à plus de trois cents pas dans la mer. Bien que nous soyons éloignés ici de six lieues environ du point de réaction, le tonnerre semble gronder sous nos pieds, et ses roulemens prolongés nous tiennent dans des craintes continuelles. Voilà trois nuits que nous passons en conjectures, car ce bruit sinistre ne nous laisse pas un seul instant de repos. L'atmosphère est chargée de vapeurs sulfureuses; c’est à ne pouvoir respirer. Les cendres volcaniques, dispersées dans les airs, retombent en pluie; nos terrasses en sont couvertes. Le tremblement de terre, sans avoir été très-violent, s’est pourtant fait ressenlir par toute l’île pendant les premiers instans de l’éruption. Le nouveau cratère s’ouvrit subitement comme celui de Tao, sans qu'aucun phénomène notable ne vint l’annoncer. C'était horrible à voir : la fournaise lança d’abord des roches brülantes et des torrens de lave liquide pendant cinq jours consécutifs; après une détonation terrible, le volcan est resté tout-à-coup dans l’inaction, mais ce repos apparent est loin de nous rassurer, nous sommes toujours sur le qui vive, incertains de quel côté éclatera encore l’incendie. À mon avis, l’île est minée de toute part, et la terre peut à chaque instant s’ouvrir sous nos pieds. Les désastres de 1730 vont-ils se renouveler? Alors, et durant sept années, vingt-cinq cratères s’ouvrirent successivement : voilà deux mois que la crise a recommencé, et nous comptons déjà deux éruptions! » QUATRIÈME LETTRE. s 48 octobre. « Il ne faut plus en douter, la fournaise est sous nos pieds; on croirait entendre une ( 384 ) forge en grand travail, de véritables coups d’enclume. Depuis douze jours le volcan s'était éteint, mais les ébranlemens du sol faisaient craindre une nouvelle crise. En effet, avant- hier, à six heures et demie du soir, la terre s’est ouverte au milieu de la nappe de lave de 1730, à demi-lieue au nord du dernier cratère, et le torrent de lave qui en est sorti a coulé pendant vingt-quatre heures. Maintenant tout est calme, mais qui peut prévoir l’avenir? . On m’a assuré que le nouveau volcan venait de lancer une colonne d’eau à plus de cent cinquante pieds d’élévation, et que cette trombe, en retombant sur les bords du cratère, avait formé plusieurs torrens. » D'après une relation plus circonstanciée, on éprouva une très-forte chaleur les jours qui précédèrent l'éruption ; les marins qui étaient en vue de Lancerotte ne pouvaient apercevoir l'île qu'à travers des échappées de brouillards, mais ils observèrent tous que les vapeurs ne S'élevaient guère au-dessus des montagnes. Le 29 juillet, on ressentit plusieurs secousses de tremblement de terre, qui augmentèrent d’in- tensité dans la nuit du 29 au 30. Ces ébranlemens semblaient partir du centre de l'île et s'étendre ensuite dans toutes les directions. Des météores suivis d'exhalaisons sulfureuses se montrèrent à plusieurs reprises dans la plaine de Tao. Dans la journée du 30, les convulsions du sol devinrent plus fréquentes, et le bruit souterrain prit un carac- ère si alarmant, qu'un grand nombre d’habitans abandonnèrent leur demeure pour camper en rase campagne et attendre l'événement. Le 31, à six heures du matin, une colonne de fumée s’éleya en tourbil- lonnant dans les airs. Cette masse de vapeurs, diversement colorée, se répandit sur les collines et obscurcit bientôt toute l'atmosphère. Un bruit semblable au roulement du tonnerre et à des décharges d'artil- lerie annonça alors l'instant de la crise; la terre s’agita par de vio- lentes secousses et se crevassa en dix-huit endroits différens dans la propriété de Don Louis Duarte, située entre le bourg de Tao et celui de Tiagua. Ces différentes ouvertures ne formèrent bientôt plus que trois gouffres distincts, dont le plus grand avait environ cent cin- quante pieds de diamètre. Ces cratères commencèrent à vomir des flammes et lancèrent ensuite des rochers et des laves. La nuit, l’île ( 385 ) entière paraissait en feu. Les déjections du volcan continuèrent jus- qu'au lendemain et formèrent un massif de scories d'environ trois cents pieds de haut. À dix heures du matin (1” août), le gouffre prin- cipal cessa de dégorger. Dans la matinée du 2 les tourbillons de fumée, qui s'échappaient des trois cratères, s'élevaient dans l'atmosphère en colonnes de différentes couleurs, l’une blanche, l’autre noire et la troisième rougeûtre. L'éruption du 29 septembre fut signalée par un phénomène remar- quable : une colonne de flamme sortit d'abord du cratère et s'éleva à une grande hauteur (Voy. Atlas, pl. XIV, fig. XV); à l'éclat qu'elle répandit dans l'atmosphère, le ciel prit l'apparence d'une aurore boréale (1). Nous visitâmes ces volcans au mois de juin 1829. Celui de Tao a laissé trois cônes réunis ensemble par une crête; les cratères sont encore ouverts, mais ils ne fument plus depuis long-temps, et les pigeons sauvages (columba livia ) s'y sont établis pour y nicher. La bouche des cratères est de forme elliptique , et se prolonge du nord-est et sud-ouest : cette ouverture à près de six pieds de long sur trois de large. On peut voir facilement l'intérieur de ces cavités sou- terraines jusqu’à une profondeur de vingt pieds, maïs ensuite l'ouver- ture se rétrécit tout-à-coup. Au nord-ouest des autres cônes d'éruption, il en existe un quatrième plus élevé, sans cratère; la lave est sortie de sa base, et n’a guère coulé que l’espace d'un demi-mille vers le nord- est. C'est un basanite lavique qui renferme souvent des fragmens in- tacts de l’ancien basanite de l’île. Âu sommet du cône, on trouve du soufre sublimé dans les fentes, et les scories dont il est composé sont altérées par les gaz acides. C'est un commencement de solfatare comme celle de la Montaña del Fuego, maïs qui s'est bientôt éteinte. Au sud-ouest , on aperçoit encore les traces du courant d'eau boueuse, (1) L’esquisse que nous donnons, dans la planche citée, a été faite par un témoin oculaire. | 49 Ile. ( 386 ) dont parle la relation. Il à formé une couche grisâtre faiblement ag- glutinée par la chaux carbonatée, et composée de coquilles et de cora- lines triturées avec le sable des roches basanitiques, tel qu'on en voit communément sur les bords de la mer, dont le volcan est éloigné de plus d'une lieue. Parmi les autres bouches qui se sont ouvertes au milieu de la lave de 1730, celle qui est située le plus à l'ouest a vomi le torrent de lave le plus considérable. Cette coulée est entrée assez en avant dans la mer. La matière volcanique de la troisième éruption ne s'est répandue qu'à une petile distance vers le nord. C'est un basanite excessivement noir renfermant du péridot d'un jaune pâle. Nous comptâmes cinq bou- ches ou respiraderos qui ont vomi des cendres et des rapilles. Un torrent de boue a coulé vers le sud, et forme aujourd'hui une argilo- phyre terreuse verdâtre contenant quelques restes de coquilles à peine distinctes, maïs la masse entière fait une forte effervescence avec les acides. Outre la lave qui à pris la direction du nord, nous remar- quâmes que le courant d'eau bouillante, dont il est question dans les lettres de Cabrera, avait déposé sur les rochers des alentours une couche jaunâtre assez dure de chaux carbonatée. Le calcaire moderne qui recouvre toute la partie basse de Lancerotte ressemble entièrement à celui de Canaria (Voy. ci-dessus, pag. 365). À Graciosa, trois cônes volcaniques, dont la base repose probable- ment sur l'ancien basanite, s'élèvent au centre de l'île. Tout le restant est couvert de ce calcaire qui se forme journellement. Il est rempli de coquilles d’hélices (Æelix Sarcostoma, Helix Pisana, Bulimus decolla- tus, Cryptella Canariensis), et d'autres espèces terrestres mêlées avec des débris de mollusques marins. On y voit aussi des concrétions oviformes vides, ouvertes à un de leurs bouts; et dont il nous fut d'abord assez difficile de nous expliquer l'origine; maïs nous avons reconnu depuis que ces concrétions n'étaient autre chose que des nids d'une espèce d'apiaire. ( 387 ) Dans la plaine brûlante de Mala le calcaire est très-pur et on l'ex- ploïte pour des usages économiques. La roche se présente, au milieu du conglomérat de basanite et de calcaire, en forme de dunes un peu élevées, élargies au sommet; ses couches supérieures sont argi- leuses et accompagnées par d’autres plus minces d'un calcaire ho- mogène assez dur, mais grossier. Elles sont presque horizontales, et marquées de lignes dans le sens de la stratification comme celles qu'on voit dans le calcaire déposé dans certains réservoirs. Il est dif- ficile de dire si cette formation a été produite à Lancerotte comme à Canaria, ou si elle est due plutôt à des dépôts lacustres soulevés plus tard. On la retrouve de nouveau près de Tahiche : on emploie à la construction des maisons les argiles amalgamées avec de la paille hachée. Il en est de même dans la plupart des villages de l’île. Dans les endroits où les vents alisés soufflent avec violence, mais où les sables qu'ils entraînent contiennent peu de coquilles, la masse n’est plus agglutinée. C'est ainsi que l’on voit près d'Argana une large bande de sable qui menace d'envahir l’île d'un bout à l’autre. ne Ÿ— — _ à 1% ( 388 ) FORTAVENTURE. L'île de Fortaventure fait suite à celle de Lancerotte. Ces deux terres se trouvent liées géologiquement par la Bocayna et la petite île de Lobos. Le canal qui les sépare n’a pas une grande profondeur, et le petit îlot qui établit entre elles la ligne de continuité et dont nous cô- toyâmes les bords, a l'apparence d’un cône volcanique qu'une éruption sous-marine fit surgir du sein des eaux. Dans le nord de l’île, des vol- cans modernes, antérieurs aux lemps historiques, accidentent les flancs d'une chaîne centrale, interrompue dans plusieurs endroits, et dont les sommets inégaux atteignent au plus une élévation de cinq cents mètres. En longeant la côte, on aperçoit facilement cette chaîne en partie démantelée et flanquée de cônes volcaniques. Près du Poxillo, on voit une ancienne coulée de lave déjà blanchie par les lichens. Le restant de l’île se compose de plaines ou de très-larges vallées dont le sol est formé d'un conglomérat moderne de chaux carbonatée et de blocs de basanite. Au-dessous de ce conglomérat, on trouve ordinaire- ment des couches assez minces de basanite en grandes nappes et su- perposées les unes aux autres à mesure qu'on monte les coteaux. Les roches les plus anciennes de l’île, et même de tout l'archipel des Fortunées, se trouvent sur la côte occidentale; elles font partie du groupe de montagnes appelé Riscos de la Peña, et se composent, à leur base, de superbes diorites granitoïdes, le plus souvent à gros cristaux et contenant une grande quantité de larges paillettes de mica noir; c’est alors probablement le sélagite d'Haüy. On rencontre cette formation en blocs énormes à la base des falaises du côté de la mer. Vers le som- met, la masse de la montagne offre un aggrégat cristallin de felspath ( 389 ) renfermant quelques cristaux d'amphibole. Dans sa partie inférieure, où la roche s’assimile au diorite, elle est à gros cristaux et contient en outre du mica noir. À mesure qu’on s'approche du sommet de la mon- tagne, le mica disparaît; on ne trouve presque plus d'amphibole, et le felspath seul domine, La masse rocheuse est quelquefois grise, d’autres fois couleur de chair, et se divise en gros blocs. Autour de la chapelle, toutes les montagnes sont formées de cet aggrégat, mais alors il est souvent plus pâteux et se rapproche du trachyte. Toute cette for- mation est traversée par des filons de pétrosilex qui s’'amincissent et finissent par se perdre entièrement sur le sommet de la chaîne, À Be- tancuria , le diorite granitoïde de la Peña reparaît de nouveau au-des- sous de l’aggrégat cristallin. La montagne qui sépare Betancuria d'Antigua, et du haut de laquelle on aperçoit ces deux petites villes, est formée de trachyte compacte, recouvert, sur ses deux flancs, par le basanite et le conglo- mérat moderne. Le trachyte est d'un gris très-foncé; on le voit à découvert sur la crête de la chaîne. Il est traversé par des filons de pétrosilex. | Pour rendre cette description plus intelligible , nous donnons une coupe de l'ile depuis Antigua jusqu'à la Peña. Betancuria. Chapelle, pena, Antigua. ï Ps et A \ (A CS “À RE NE) CRAN ENRESLES SRE \ tir \ TES } ë penses LL LD ë ; HEIN ° N { “A ù ÿ /) « DE PET Eee SR ( 40 DA 9 3 CERTES NUE SH»? à SL LV/ À L k in ) C LATEST y # d » D nn Cp CR AU RE ET SET » 1. Conglomérat et basanites qui recouvrent les flancs de la mon- tagne , entre Antigua et Betancuria. 2. Trachyte formant la masse de la montagne. 8. Conglomérat cristallin de felspath.du sommet de la Peña et dont se composent toutes les montagnes qui entourent la chapelle. ( 390 ) 4. Dolérite granitoïde des falaises de la Peña et de la vallée de Betan- curia , situé au-dessous de l’aggrégat cristallin. Outre les volcans du nord-est de l’île, une immense coulée de lave, connue sous le nom de Walpays grande, s'est répandue jusqu'à la mer, auprès de Pozo Negro. Ce torrent, qui a parcouru une étendue de deux lieues environ, est sorti du cône volcanique de la Guayria, au nord-nord-est de Tamasite et au midi des bouches de Tiguitar. Il est à remarquer que le cratère de la Guayria est ouvert vers le nord- ouest, l'éruption ayant eu lieu probablement pendant les mois d'hiver. Le calcaire moderne et le conglomérat de calcaire et de basanite sont beaucoup plus répandus à Fortaventure que dans les autres parties de l'archipel. C'est de cette formation que provient presque toute la chaux dont on se sert dans les autres îles. On en trouve même dans les interstices des diorites de la Peña. Le calcaire compacte, cou- leur isabelle, sans fossiles apparens, est très-commun; c'est celui qu'on exploite généralement. Le calcaire de Fortaventure se trouve lié à une formation gypseuse. Déjà , à Puerto de Cabras, on trouve du sable mêlé avec quelque peu de gypse, mais cette substance se montre en plus grande abondance près du village de Tuineje, dans une petite plaine cratériforme fermée vers le sud par le cône volcanique de Tamasite. Toute cette vallée, et les flancs des montagnes qui entourent le territoire de Tiscama- nita et d'Ortega, d'Agua de Bueyes, qu'on traverse en passant entre le volcan de la Guayria et la chaîne centrale, lorsqu'on va d'Antigua à Tuineje, sont couverts de monticules calcaires mêlés de fragmens de basanite. Il est possible que les vapeurs sulfureuses aient converti le calcaire de la plaine de Tuineje en chaux sulfatée. Le milieu de cette vallée semble indiquer l'origine d'un ancien lac : plusieurs étangs d'eau saumâtre en occupent le centre, et le gouverneur de l'île a fait ouvrir une tranchée pour y fonder une saline. Nous ne savons pas ce qui a empêché la réalisation de ce projet, maïs probablement ( 391 ) que les premiers produits n'ont pas été reconnus de bonne qualité. La surface de la vallée est formée d'une roche friable de gypse, d'un aspect terreux ou arénacé, avec des parties cristallisées et très-bril- lantes. Plus bas, cette couche se trouve remplie de cristaux de sélénite, et la partie la plus inférieure se compose entièrement de sélénites formant une brêche mêlée d'immenses blocs et de fragmens angu- leux de basanite. Nous avons donné une coupe de ce terrain, Atlas, pl. xIv, fig. v. L'eau est beaucoup plus abondante à Fortaventure qu'à Lancerotte, mais l'insouciance des habitans la laisse se perdre inutilement ; satis- faits des riches moissons qu'ils obtiennent quand les pluies ne man- quent pas, ils négligent la petite culture. L'eau des sources n'est pas toujours potable, mais elle pourrait servir pour l'irrigation. La vallée de Rio Palmas, située sur le versant occidental de la chaîne centrale et qu'avoisinent les petites villes de la Betancuria et de Pâjara, possède des sources abondantes et d'excellente qualité. De l'autre côté de l'île, en remontant les plaines qui s'étendent derrière Puerto Cabras, on traverse la vallée de Laguna formée par un petit rameau de collines qui se détache de la chaîne centrale près du village de Casillas. Nous remarquâmes dans cet endroït un ruisseau très-abondant : nous étions alors à la fin de juillet, l'eau n'avait aucun mauvais goût, et on la lais- sait perdre dans la campagne. Üne autre ligne de monticules sépare cette vallée de la vaste plaine d'Antigua, où l'eau existe aussi, mais en moins grande quantité. ( 392 ) TABLEAU DES ÉRUPTIONS DES VOLCANS CANARIENS PAR ORDRE CHRONOLOGIQUE. NOMS DES OBSERVATEURS || Ée ; DURÉE >: POINTS VOLCANISES. ILES. - ou L. L | A DEEE DOCUMENS AUTHENTIQUES. : Navigateurs biscayens et anda- || 1 4595 | Le pic de Teyde. . . .. Ténériffe. Inconnue. loux, d'aprés les Chroniques de Henri I | : ; Tradition des Guanches, trans- | 1450 ee vallée de l'Orotava. £ Idem. Idem. | mise aux conquérans. À 4444 | Le pic de Teyde. . .. . Idem. En éruption continue. | Relation de Cadamosto. Î C. Colomb, d’après son Journal || | 1492 ICeTRe ARENA 7 ee Idem. Inconnue. | de navigation. | Ë ; : Fray Alonzo Espinosa, auteur | 1585 | Vallée de los Llanos.. . Palma. 5 mois. | ARR ? || 4646 | Montagne de Tygalate. . Idem. 2 mois. | Déate RPEoVien dans ses AVo- | 4677 | Fuencaliente . . . . .. Idem. 4 mois environ. Idem. À Llano de los Infantes . [ 1 4704 } Gorge d’Almerchiga . Ténériffe. 2 mois environ. Idem. Los Roques de Guimar. | l Montaña Bermeja au-des- 1706 sus de Garachico (des- Idem. 4 mois environ. Idem. truction de cette ville). | { 1750 : É Une grande partie de Voy. Viera et nos SADENEr MM Lanogrtt, | 7ans. | Voy., Via dt n06 renscign | Î | Chahorra, à la base du inér : Voy. Viera et nos renseigne- || 1798 | pie de T'eyde en Ténériffe, 5 mois. reel | Û : 1824 no par “ | Lancerotte. 3 mois. Voy. notre relation. | SAR a ( 393 ) APPENDICE. Nous avons eu souvent occasion de citer le catalogue de Don Fran- cisco Escolar : en terminant la géologie de l'archipel canarien, nous sommes loin sans doute d'avoir décrit toutes les variétés de roches de cette région volcanique, et si nous avons ajouté de nouveaux faits à ceux observés par nos devanciers, il reste pourtant encore bien des détails à donner. C'est pour compléter en quelque sorte cette partie intéressante de l’histoire naturelle des anciennes Fortunées et remplir les lacunes qu'on ne saurait éviter dans l'exploration d'un pays aussi accidenté, que nous publions, à la suite de notre travail, le manuscrit . du géologue espagnol. Ce catalogue ne sera pas sans utilité pour les voyageurs qui visite- ront après nous les localités indiquées, avec tantd'exactitude, par Esco- lar. Ce savant modeste consacra sa vie à l'étude de la nature et mourut ignoré dans ces îles, dont il avait si bien compris la structure et sur lesquelles s'étendirent ses recherches pendant plusieurs années (1). Puisse l'hommage que nous rendons ici à sa mémoire, sauver de l'oubli le recueil où il consigna, dans un style simpleet concis, tous les résultats de ses observations consciencieuses. Nous avons fait imprimer ce manuscrit sans le traduire, afin de lui laisser son caractère original. Les nomenclatures modernes, celle de M. le professeur Brongniart surtout, que nous avons adoptée, sont sans doute préférables à celle de Werner, dont s'est servi Escolar ; cependant, nous n’aurions pu la changer sans courir le risque de (1) Voy. Géog. descript., pag. 55. : 0 Lu ( 394 ) tomber dans de graves erreurs. D'ailleurs, il sera facile aux minéralo- gistes qui ont étudié les œuvres du chef célèbre de l'école allemande, de suivre notre auteur dans tous ses détails. Ce catalogue a été copié sur un manuscrit qui nous fut communiqué à Ténériffe par le savant canarien Don Domingo Saviñon , professeur de physique à l’université de San Fernando de la Laguna. Nous avons indiqué les numéros des échantillons de la collection qu'Escolar envoya au muséum d’his- toire naturelle de Madrid. | dns ! 7 | (395) CATALOGUE DE QUELQUES PRODUITS VOLCANIQUES DES ILES CANARIES, PAR DON FRANCISCO ESCOLAR (TEXTE ORIGINAL). Catélogo de algunos productos volcänicos de la Isla de Tenerife y principalmente de los que se encuentran & las faldas del N, O. del pico de Teyde. 1. Lava compacta de color negro-gris, muy dura, pesada y frâgil; echa chispas con el eslabon ; tiene algunos cristales de feldespato que, aunque hendidos, conservan bastante frescura. Fué cojida en la corriente de lava que vomité el volcan que, en el año de 1798, reventé en los flancos del pico de Teyde al S. O. de él, y arrancada de una de las grietas de la corriente junto â las bocas laterales de la montañs de arena y escorias negras que formé el volcan por donde salia la lava. 9. Lava del mismo paraje, cojida en la superficie escabrosa de la misma corriente. Este y el ejem- plar anterior parece que corresponden al que Dolomieu describe bajo el nûmero 11 de su catälogo de las producciones del Etna. 3. Lava escoriforme , cojida en los bordes de uno de los conos inversos 6 crâteres, por donde lanzaba el volcan, sucesivamente y â prodigiosas alturas , lavas de esta especie, arenas y escorias. 4. Escorias con cambiantes de cuello de pichon, cojidas en el mismo paraje que el ejemplar an- terior. Uno y otro corresponden 4 los que Dolomieu describe en dicho catälogo con los nümeros 38, 39 y 40. 5. Azufre cristalizado, en pirämides tan pequeñas , que no es fâcil determinar la especie, y mucho ménos sus alteraciones ; cojido en las paredes del crâter superior de dicho volcan de 1798. 6. Lava basältica, de color negro-gris con feldespato y olivino, mas pesada y tenaz que la del nû- mero primero ; cojida en la superficie de la corriente de laya que destruyé en el año de 1706 el pueblo y puerto de Garachico, & orillas del mar donde este rio Ilega aun en las mareas mas Ilenas. 7. Fragmento de un prisma pentagonal de lava basältica, de 10 pulgadas de diämetro y 4 piés de alto, con su ängulo mas obtuso ; cojido en la misma corriente que el nümero anterior y donde el mar reyienta. Este ejemplar corresponde al 34 de dicho câtalogo. A pesar de las diligencias que hice para acercarme al paraje donde los prismas de lava basältica estaban pronunciados y eran de tamaños di- ferentes, no lo pude conseguir por la furia con que el mar batia en ellos, sin embargo de estar entera- mente vacio y no muy embravecido. Cuando el mar estä Ileno, los prismas permanecen sumergidos, y solo queda 4 descubierto de la misma corriente la porcion escabrosa é informe que vâ afectando la fi- gura prismätica, al paso que Ja cercania de las aguas es menor. Aunque las corrientes de lava basältica prismätica de diferente nümero de Jados, son muy frecuentes en esta y demas islas Canarias en las costas y cercanfias del mar, sin embargo no deja de haberlos tambien con bastante frecuencia en parajes muy ( 396 ) distantes de él, cerca de la cumbre y en la cumbre misma, donde no hay iadicios de que hayan sido sumergidos. 8. Fragmento de un prisma pentagonal de la lava basältica que los Franceses Ilaman basalte graveleux, de color gris negruzco, con partes dislintas prismäticas que parecen son los elementos del prisma. Es muy pesada, no muy dura, frâgil por mayor, pues 4 los martillazos saltan las partes distintas ; pero muy tenaz por menor. Fué cojida en el puerto mismo de Garachico y arrancada de la corriente de lava , sobre que estä fundado el pueblo de San Pedro de Daute, que quedé entre dos brazos de lava de la de Garachico 4 un tiro de piedra del paraje donde se cojiéron los nümeros 5 y 6. El mar sumerge, cuando estä Ileno, alguno de estos prismas, pero el ejemplar fué cojido en otra andanada de ellos que estân à 25 piés de altura sobre la actual superficie del mar y sobre los de la misma especie y corrientes que el mar bate en el dia. 9. Capa superior de los prismas en que el mar bate, que suelen tener por lo mismo la figura esfe- roidal por aquella parte. 10. Lava compacta pizarrosa, de color negro-rojizo con feldespato, dura y frâgil, cojida en las cercanias del pueblo de la Guancha y con trânsito 4 los nûmeros siguientes. 11. Lava de la misma especie y paraje que las anteriores , mas vitrificada. 12 ÿ 13. Vidrio pizarroso , del mismo paraje que los nümeros anteriores, opaco, negro, con lustre vidrioso y porciones de la lava anterior, que todavia no estân convertidas en vidrio. 14, 15,16, 17 y 18. Vidrios volcänicos , gris-negruzcos obscuros, opacos, echan chispas con el eslabon, y tienen algunos cristales de feldespato sin vitrificar, la textura original algo ostillosa, el lustre vitroso no muy inferno , y que me parecen idénticos al que en la Mineralogie des volcans describe M. Faujas, bajo la variedad segunda del capitulo de los vidrios. 19. Lava porfirica gris-verdosa, poco dura, con cristales de feldespato. Despues de humedecida y al tiempo de secarse , despide un olor grande de petroleo ; cojida en los inmensos corrientes de lava de esta especie que saliéron de la montaña que Ilaman Pico-Viejo al O. del Teyde. Ocupan las cor- rientes de esta lava mucha extension y terminäron en el mar, pero estän sobrepuestos 4 ellos, 6 con- vertidos quizä en ellos mismos en lava basältica mas 6 ménos caracterizada por las erupciones volcä- nicas sucesivas que, en épocas mas modernas y 4 menor distancia del mar, han hecho entrar diferentes veces en fusion esta lava del Pico-Viejo, y producen las inüumerables montañitas cônicas de arenas \ escorias, ya negras, ya rojizas, que hay al O. y N. O. del Teyde, de las cuales saliéron las corrientes nefas superficiales de lava basältica que se dirigiéron hâcia el pueblo de Guia, el valle de Santiago, el Tanque y ultimamente Garachico. 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26 ÿ 27. Lava de la misma especie y paraje que la del nümero ante- rior, gradualmente vitrificada , de tal modo que forma lränsito 4 la piedra pomez y vidrio vélcanico. 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34 y 35. Vidrio véleanico, verdoso, trasluciente en los contornos, de lustre vitroso, fractura grande céncava, y testura algo articulosa, con trânsito por la pomez 4 la lava del nümero 27, que, aunque bastante vitrificada , parece provenir de la roca cérnea à horenstein de los Alemanes : producen, frotändolos , olor 4 pedernal, y humedeciéndolos y al tiempo de secarse , olor à petroleo , no tan fuerte como el de los ejemplares de los nümeros anteriores. 36. Lava porfirina que, humedeciéndola y al tiempo de secarse ; despide olor fuerte de petroleo, de los parajes que Ilaman Arenero y el Cedro, de una corriente de lava muy grande que sale del Pico- Viejo, y est ântes de Ilegar al dela lava nümero 19, dirigiéndose del pueblo de la Guancha 4 las faldas del Teyde y Pico-Viejo, por encima del Pinar de Ycod de los vinos. 37, 38, 39, 40 y 41. La misma lava, dél mismo paraje, con trânsito por la pomez al vidrio vol- cânico porfirimo, 6 pérfido obsidiano, de color negro perfecto, lustre grasiento, Opaco y correspon- . ( 397 ) diente 4 la variedad de la Winéralogie des volcans deFaujas. Todos estos ejemplares despiden, al secarse, olor fuerte de petroleo ; pero los de los nûmeros 40 y 41, los despiden mas fuerte que ninguno. 42. Lava porfirica negra, compacta, dura, con muchos cristales de feldespato ; despide, humede- ciéndola , un olor sumamente fuerte 4 petrolco ; ‘echa chispas con el eslabon, y me parece ser la correspondiente à los nümeros 12 y 15 del catälogo de las producciones volcänicas del Elna por Do- lomieu. 43, 44, 45, 46, 47 y 48. Lava de la misma especie que la del nümero anterior, con tränsito 4 los vidrios volcänicos 46, 47 y 48, negros, con una lintura ligera de violados, opacos y con algunos cris- tales de feldespato. Estos ejemplares de los nûmeros 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34 y 35, y los de los nümeros 14, 15, 16, 17 y 18, aunque fuéron cojidos en diferentes puntos , son todos de la gran corriente que, desde el barranco de la fuente de la Guancha, se estiende hasta mitad del pinar que hay por encima de Ycod ; ocupa cosa de media legua de ancho ; salié junto 4 la cima del pico de Teyde, y termina en el mar, ocupando la mayor parte del valle de Ycod, lado del de Buenpaso, Guancha, Santa-Catalina , y parte de la Rambla. En esta inmensa corriente y en la de la lava nûmeros 19 y 36, es en donde se hallan todas las variedades de vidrios volcänicos que se pueden desear, ménos el vidrio volcänico blanco que yo no he podido encontrar sin embargo de haber hecho esquisitas diligencias para conseguirlo. 49. Lava porfirica ampollosa , negra, muy dura, con cristales de feldespato. Echa chispas con el eslabon, y fué cojida en las mismas corrientes de lava que los vidrios de los nümeros anteriores. 50, 51, 52, 53 y 54. La misma lava, del mismo paraje, mas vitrificada, con träasito 4 la pomez y vidrio volcänico. 55. Lava porfirina, cuya masa est enteramente en vidrio, de color negro perfecto, con cambiantes. Los cristales de feldespato conservan mucha frescura , y el ejemplar fué cojido al S. del Teyde , 4 media altura de él , en el extremo de una corriente de poca extension. 56. Vidrio volcänico, muy negro, con cambiantes , opaco, de lustre vitroso, muy intenso, cojido en el valle de la vega al S. del Teyde, fuera de las cañadas y montañas circulares y escarpadas que las rodean. Se halla en cantos sueltos este vidrio que, sin dudä puso 4 descubierto una erupcion volcänica, acaecida en este sitio posteriormente 4 la que formé los vidrios volcänicos de esta especie que son la obsediana caracteristica. La base de este vidrio parece haber sido un jaspe, segun muestra todayia el mismo ejemplar y la proximidad à que estä este y otros de su especie de un estrato de laya porfirina , cuya masa se acerca tanto al jaspe, que en muchas partes pasa 4 él enteramente. Sobre este estrato de lava, que tendrä de grueso de 14 4 16 piés, y afecta la figura prismäâtica informe, hendidos ios prismas paralelamente 4 su base, hay otro mucho mas grueso todavia que el de la piedra pomez. Sobre este, otro de la roca nümeros 62 y 63, que es el ültimo de todos y que forma el filo de las montañas circulares que cireunscribe la cañadas que Ilaman del Teyde, y estän escarpadas por la parte que mira hâcia ellas. Este ültimo estrato de lava y casi todos los de su especie , estän en masas informes y de un grueso pasmoso 6 afectan la figura cuneiforme, segun que las materias han experi- mentado mayor 6 menor fusion. 57. Lava porfirina de la corriente que estä inmediatamente al ojo de la lava del volcan de 1798. Es menuda, ampollosa y el feldespasto estâ bastante alterado por el fuego; lo cual, junto con las va- rias formas que tom la lava, cables torcidos y grandes ondulaciones que formé hâcia el tiempo de las erupciones , müestra haber estado en la gran liquefacion en que se hallaba. De esta especie de lava y afectando la misma figura, han salido inmensas corrientes de los flancos occidentales y meridionales del Teyde que se han es tendido y Ilenado sucesivamente, juntândose con otras corrientes de lava de dis- lintas calidades, el espacio circular de 4 4 5 leguas de diämetro, que hoy llaman las cañadas del (398) Teyde. Estas forman un crâter antiquisimo, anterior 4 la formacion del mismo Pico que ha nacido dentro de él, y que se ha formado quiz despues de haberse hundido otro Pico, mucho mas alto que el actual , si atendemos al grandisimo cireulo que describe la cordillera de montañas alias y escarpadas del lado que mira al Teyde, y que estä no interrumpida por el $. S.E. por elS. yS. O., aunque si ar- ruinada y desportillada en los demas puntos por las erupciones volcänicas que han salido posterior- mente del Teyde y que han dejado sin embargo, al S. E. la gran ladera de Guimar, al N. la delas vueltas de Tigaiga y al O. la cumbre de Erjos, montañas del Corrizol y Masco que tienen su origen en las mismas cañadas y vän declinando hâcia el mar hasta terminar en él ; sirviendo de mojones que guian al observador y le indican los puntos por donde pasaban las monlañas que cerraban este cireulo à crater. 58. Lava basältica porfirina, con lablas exagonales de feldespato y prismas hexagonales mellizos de blenda cérnea basällica, cojida en la cumbre que, del pueblo de la Esperanza vä 4 parar 4 las cañadas del Teyde al E. de él, pero äntes de Ilegar al paraje donde reventé el volcan, cuya lava pasé por junto al pueblo de Arafo. 59. Toba volcänica del paraje que Ilaman Carrasco, en el camino que vâ del pueblo de Adeje al de Chasna. Los bancos de toba de esta especie suelen estar debajo de las corrientes de lava balsâtica y sobrepuestos à los que, sin embargo de ser tambien de naturaleza balsâtica, forman el trânsito de la lava grünsténica, Ilamada asf por tener bastante semejanza en su carâcter con el grünstein. 60. Lava basältica, que casf no es otra cosa que un agregado de cristales de augito y blenda cérnea basältica; cojida en un paraje donde hay una gran corriente de lava de esta especie, ântes de Iegar 4 aquel en que se cojié el ejemplar del nmero 58. Esta especie de layas no son muy frecuentes en estas islas : las hay sin embargo en las de la Palma, Hierro y Canaria. 61. Lava cojida en las cañadas del Teyde en una corriente que salié de sus flancos S., dirigiéndose del N. N. E. al S. S. E., y paré cerca de los Azulejos, junto al camino que baja del valle de Ucanca à las Cañadas. Los ejemplares de esta lava singular, que parecé ser una arenisca 6 el gemner sandstein de los Alemanes, tienen tan pocas impresiones y señales del fuego, mirados aisladamente, que es pre- ciso, para convencerse de su origen volcänico, verlos en el corriente mismo de que hacen parte. 62, 63, 64, 65 y 66. Lavas granilicas de que se compone la mayor de las montañas que rodean las cañadas, las laderas de Guimar y Tigaiga, la cumbre de Erjos y montañas del Carrizal y Masca , resto de las antiquisimas erupciones volcänicas anteriores à la formacion del Teyde y 4 las de todas las demas montañas por la mayor parte basälticas y de origen volcänico que se hallan por debajo de ellos y 4 menor distancia del mar. Los caräcteres exteriores de estas lavas son los del grunstein de Werner, que pasa al pôrfido y al basalto, cuyas rocas forman los extremos de la transicion de ellos. Cuando se acercan mas al pérfido, las corrientes son de un espesor asombroso ; descansan casi siem- pre sobre bancos muy gruesos de piedra pomez, y no tienen regularmente estratificacion alguna , sino que se hallan en masas informes. Por el contrario, cuanto mas se acercan al basalto, las corrientes son de menor espesor, afectan la figura cuneiforme y prismâtica informe , que aunque muchos descansan sobre bancos de piedra pomez, estos no suelen ser de tanto grueso, y por ültimo las corrientes que forman los extremos de la serie, descansan por lo comun sobre bancos de toba semejante à la del nû- mero 59. — Esto mismo observé cuando viajaba por la isla de Canaria, de la cual tengo una serie de ejemplares escojidos que manifiestan ser el pérfido la base de casf todas las lavas que componen las montañas de aquella isla. Como los estragos y ruinas que el tiempo ha causado en esta isla , principalmente por las partes del S. S. O. y O. son mayores que las de Tenerife, he tenido mejor pro- porcion para observar en sus profundisimos barrancos, en sus ruinosas y tajadas montañas, la super- posicion y ancianidad de las lavas respectivas. Las porfirinas estân generalmente debajo de todas ; sobre ( 399 ) ellas las grünsténicas, y ültimamente las basälticas. Unas pasan por tränsitos insensibles y'todas al- ternan con sus tobas correspondientes, que son , en las basälticas , bancos de escorias y arenas volcä- nicas negras, muy cargadas de olivino y blenda cérnea basällica y comun ; en las grünstéicas, bancos de piedra pomez, y en las porfirinas estos mismos bancos de pomez , pero mas frecuentemente una especie de brecha volcänica, compuesta de pedacitos de pomez de diferentes colores , algunos de vidrios volcänicos y muchos cristales de feldespato , confusamente aglomerados. Esta toba liene bastante con- sistencia ; es sonora, fâcil de labrarse, y por lo mismo hacen mucho uso de ella los habitantes de estas islas para edificar y principalmente para enlosar las calles. Las rocas de pérfido que, en medio de las cañadas del Teyde se elevan 4 bastante altura, estân enfrente del paraje Ilamado de los Azulejos : los peñascos de esta misma roca que se encuentran en las montañas prôxima 4 Punta de Anaga, que son de las mas ruinosas de la isla, y la brecha volcänica del paraje, que Ilaman los Cristianos, y otras partes de la isla, manifiestan que se verifica en Tenerife , por lo que hace ä la naturaleza, posicion y an- cianidad respectiva de las lavas, lo mismo que en Canaria. 67. Lava de la misma especie que la de los nümeros anteriores, mas fundida que ellas, cojida en el corriente de los vidrios volcänicos de los némeros 29, 30, 31, etc., y arrancada en uno de los pe- fascos que se cncuentran en él. 68. Blenda cérnea comun, confusamente cristalizada y casi en masa, de la cumbre que, del pueblo de la Esperanza vä à parar ä las Cañadas del Teyde, cojida por encima y enfrente de Ygueste y de Candelaria. 69. Lava basältica, ampollosa, en prismas pentagonales por lo comun, cojida 4 un tiro de cañon distante del mar, de lo interior de la corriente de lava sobre que estä fundado el puerto de la Orotava, el cual salié de lo que llaman la Montañeta al S. del pueblo : la corriente de esta lava entré en el mar, en cuyas orillas la lava es muy compacta y afecta figuras prismäticas informes. 70. Lava escoriforme del mismo paraje , cojida debajo de los prismas-del ejemplar anterior, en una veta horizontal de ocre ferruginoso sobre que descansa. 71. Lava escoriforme del mismo paraje que la anterior que, expuesta al aire atmosférico, ha tomado el color que tiene. 72. Arenas y escorias volcänicas, cojidas en la Montañeta; casi todas son como estas , 6 rojizas , Y forman las inémerables montañitas cnicas que hay al rededor de toda la isla. Catälogo de las diversas rocas de que se componen las montañas de la Isla de la Gran-Canaria. 1, 2, 3 y 4. Lavas gris-rojizas, con cristales de feldespato, cavernosas por mayor y por menor. Ocupan la parte superior de las grandes corrientes que hay, al E. de la Aldea , en la cueva que llaman. del Mediodia , en Fuenteblanca, Furrel, Corral-Blanco, y barranquillo de los Negros, pasados los Ila- nos de Tirma. 5. Las mismas, donia y pedernal ademas de los cristales de feldespato. 6,7,8,9y 10. Las mismas, de los mismos sitios, pero compactas y en diferentes grados de fusion y descomposicion , formando serie, con los mismos cristales de feldespato, y vetas de pedernal que, à de los mismos sitios, cojidas en parte mas inferior de las corrientes ; tienen calce- veces , pasa à Calcedonia. ( 400 ) 11, 12, 13 y 14. Estos ejemplares muestran claramente que la base de las lavas anteriores es el prfido , puesto que ellos mismos son verdaderas lavas porfirinas , cojidas unas en Corral-Blanco \ otras eu el barranco de Tirajana, de un grueso estrato de corriente de lava que toca al fondo del mismo barranco. Es inegable que estas rocas han sido fundidas. Cuando los mismos ejemplares no lo probasen, la inspeccion de los estratos 4 que pertenecen, lo manifiesta. Por lo regular estas, y otras lavas de su especie, estân debajo de otras muchas de especies muy diversas, que son por consecuencia mas recientes. 14 1/2. Costra pizarrosa que tienen todas las corrientes de dicha lava en su superficie, particu= larmente las de la cueva del Mediodia, Fuenteblanca y Corral-Blanco : los ejemplares contienen man- ganesa negra superficial y manganesa gris. Debajo de estas asombrosas corrientes de lava estân situados los jaspes y vidrios volcänicos siguientes. En algunas partes se pierden estos insensiblemente en la lava; pero no me fué posible adquirir ejemplares que lo manifiestasen por lo escarpado de las rocas. 15. Jaspe verde oliva, puerco, en el que se ven todavia pedacitos de la lava anterior que no se han convertido en el de Fuenteblanca. 16. Jaspe mas puro que el anterior del mismo paraje. 17. Jaspe que pasa & vidrio volcänico, de la cueva del Mediodia. 18. Vidrios volcänicios que tienen pedacitos de jaspe y de lava que no se han verificado todavia : todo de la cueva del Mediodia. 19. Jaspe azul verdoso de Fuenteblanca en la Aldea. 20. Jaspe del mismo sitio y naturaleza que el anterior, algo mas vitrificado y con calcedonia es- taläctita. 21. Vidrio volcänico azul verdoso de Fuenteblanca que tiene pedacitos de su jaspe correspondiente que no se ha vitrificado todavia. 29. El jaspe anterior descompuesto por el agua de Fuenteblanca en una arcilla endurecida que, por varios tintes , se acerca al mismo jaspe, y se aleja de él hasta parar en una arcilla muy blanque- cina ; en cuyo caso està lan descompuesta que se deshace entre los dedos. 23. Lavas rojizas con calcedonia y cristales de feldespato, de la cueva del Mediodia , cojidas de una estrato 6 corriente, que estä debajo de los jaspes superiores; forman serie de transicion 4 los numeros siguientes. 24. Lavas que pasan à jaspe , de color de carne, con manganesa negra y gris folicular, esteätita blanco-rojiza, calcedonia y cristalitos de feldespato. En algunos se vén pedacitos de Java anterior que no se han convertido aun en jaspe, y otros que casi enteramente son ya esta substancia pura de la cueva del Mediodia. 25. Jaspe de color de carne, del mismo paraje que los ejemplares anteriores. 26. Jaspes rojo-sanguineos, pardo de higado y rojo-parduzcos, de Fuenteblanca y cueva del Mediodia debajo de los jaspes anteriores, encarnados , con trânsito 4 ellos y colocados sobre el estrato de los ejemplares siguientes. De esta especie de jaspes se encuentran en cantos rodados en Tirajana con bastante abundancia, y probablemente los habrâ tambien de las cspecies anteriores. 27. Pôrfdo de la cueva del Mediodfa en la Aldea sobre que descansan los jaspes anteriores y forma trânsito con la arcilla endurecida verdosa del nümero siguiente. 98. Arcilla endurecida verdosa de Fuenteblanca, Furel, y cueva del Mediodia en la Aldea. El agua de Fuenteblanca en este silio, y algunas otras causas en los demas, acceleran la descomposicion de estas substancias que 4 veces pasa al pérfido anterior, y 4 veces 4 los jaspes dichos. 29, 30, 31, 32, 34, 35, 36 y 37. Lavas basältico-porfirinas, ampollosas, con cristales de feldespato: dân chispas con el eslabon, y algunos ejemplares atraen la aguja imantada 4 2, 3 y 4 lineas de dis- ET ( 401 ) tancia. Fuéron cojidas en las montañas escarpadas que hay al O. de la Aldea, y en donde el mar bate con terrible furia, en los corrientes que forma la espalda de estas montañas que mira 4 dicho pueblo, junto â su cima, en donde empieza 4 formarse el barranquillo , Ilamado de las Arenas. Los ejemplares estân nümerados segun muestra la serie de transicion 4 las lavas-escoriformes que ellos mis- mos manifiestan. 38. Espato calizo duplicans, cojido en lo escarpado de las montañas que estän al O. de la Aldea , y en la parte que mira al mar, el cual bate aqui con mucha furia. Esta substancia se encuentra con mucha abundancia en éste sitio, infiltrada en las grielas y ampollas de las corrientes de lava que, de la cima de estas montañas hasta el mar, alternan con bancos de toba volcänica, ya rojizos, ya amari- Ilentos , los cuales tambien estän muy cargados de espato calizo : son muchas las corrientes de lava que se hallan en esta disposicion alternante en este sitio ; pero la especie particular de la lava de cada una, es imposible averiguarla, porque la escarpadura de las montañas se eleva perpendicularmente desde el mar. Los ejemplares siguientes explican bastante bien lo dicho, aunque fuéron tomados en las cimas de estas montañas, en la degollada que llaman de las Arenas. 39. Lava ampollosa basältica , gris-rojiza , cojida en la dicha degollada y con el espato calizo infil- trado en ella. Atrae 4 dos lineas de distancia la aguja imantada. 40. Lava mas compacta que la anterior, de la misma naturaleza, cojida de parte mas interior de la corriente, con el mismo espato calizo infiltrado, y que atrae la aguja 4 la misma distancia. 41. Lava basältiforme, del mismo paraje y mas compacta que la anterior, que atrae la aguja à la distancia de 34 lineas. 42. Toba volcänica que pasa 4 ser litomarga, con espato calizo, cojida de un cstrato bastante grueso, que estâ inmediatamente debajo de las lavas 39, 40 y 41. Atrae 4 la distancia de dos lineas la aguja magnética. 43. Toba volcänica rojiza, de otro estrato 6 banco bastante grueso, que estä inmediatamente debajo de los del ejemplar del nümero anterior. Tiene tambien espato calizo, y atrae la aguja imantada à la distancia de cuatro lineas. Sigue debajo de este banco de toba, otra corriente de lava, al parecer ba- sältica, debajo de la cual hay su correspondiente banco de toba; y en esta disposicion alternante se suceden las lavas y las tobas hasta tocar al mar, que se halla 4 una profundidad bastante grande , de donde se cojiéron los ejemplares anteriores. No se encuentran señales de que las rocas , 4 lo ménos las que forman el filo de esta escarpadura, hayan estado sumergidas en el mar; y el espato calizo, de que abundan , no me parece ser prueba suficiente para affrmarlo. 44. Lava basältiforme, con blenda côrnea basältica en decomposicion y espalto calizo infiltrado, del paraje, que Ilaman los Lomitos , que mira al pueblo, y son faldas de las montañas de donde se cojié- ron los ejemplares de los nümeros ültimos. Atraen la aguja 4 la distancia de dos lineas. 45. Laya de la misma especie y paraje que la anterior, mas descompuesta, con espato calizo, y que atrae la aguja 4 la distancia de dos lineas. 46. Lava de la misma especie y parage que la del nümero anterior, en entera descomposicion ella y el espato calizo que contiene. 47. Lava basältica, con blenda cérnea basältica, descompuesta y 4 medio descomponer, de la mon- taña que Jlaman el Lechugal en la aldéa al S. O. de ella. Atrae la aguja 4 la distancia de tres lineas. 48. Lavya basältica ampollosa , del mismo paraje que la del némero anterior, con la misma blenda cérnea en descomposicion mas adelantada y espato calizo infiltrado enella. Atrae la aguja à la distancia de tres lineas. 49. Escoria rojiza, del mismo paraje que las lavas de los nümeros anteriores, con la misma blenda cérnea basältica, algo de espato calizo, sobrepuesta 4 dichas lavas, y que atrae la aguja 4 la Ii. 51 éd ( 402 ) distancia 4 una linea y media. La montaña, en que estä la cueva del Mediodia y la otra en que se halla la Fuenteblanca, estân separadas por el barranco de Tejeda que tiene su origen en lo alto de la isla, casi en los bordes del enorme crâter primitivo de la isla, dentro del cual estâ la mayor parte de los - pagos, que componen la parroquia de Tirajana, y cuyo diâmelro tiene quizä mas de dos leguas. Des- pues de haber atravesado y surcado profundamente este y los demas barrancos que vienen 4 ;parar à él, y las montañas descarnadas que hay por el término de Tejeda, se abrié un paso angosto y pro- fundo por entre estas dos montañas que fuéron en sus principios una sola, como lo manifiesta la igualdad del nivel 4 que estän los estratos de las diferentes rocas que las forman y la idénlica natu- raleza de ellos. Rota esta primera valla, tuvo que romper là otra que, en una época, 4 mi parecer, muy posterior, le opusiéron las montañas volcänicas y escarpadas, que son hoy el baluarte en que el mar revienta con violenta furia, y donde se cojiéron los ejemplares anteriores desde el numero 29 inclusive; hasta que el barranco se abrié este nuevo paso; las avenidas debiéron formar un lago que , subiendo de nivel, se fuéron desaguando por los parajes mas bajos y arrastrando en sus corrientes los terrenos ménos sélidos, hasta abrirse el portillo por donde hoy entra en el mar. Pero entretanto este depésito grande de agua pudo y debid causar las ruinas y escarpaduras que se ven en las monta- ñas que le produjéron en las de Fuentablanca y cueva del Mediodia , y el espacio en que est4 actual- mente situado el pueblo de la Aldea y la mayor parte de sus tierras cultivadas. Y si no « de qué pro- vienen estas camadas de cantos rodados que forman! casi exclusivamente el suelo de este espacio ? Durante este tiempo pudiéron muy bien posarse las diferentes substancias que estaban en disolucion en esle flüido, y que pegadas ahora, unas 4 los f6siles, y otras infiltradas en ellas, hacen titubear al observador en la decision del origen verdaderamente volcänico de las rocas que hay por los cortornos de este pueblo. No es ménos 4 propésito para colectar minerales y observar la diferente estralificacion , sobreposiciones, edad relativa y naturaleza de las corrientes de lava, de que se compone esta isla, el visitar la célebre Caldera de Bandama , situada al S. O. de la ciudad capital, 4 poco mas de una legua de ella, en el confin del término ä que alcanza su parroquia, y donde empieza el de la vega de Santa Brigida, cerca del pago que Ilaman de la Atalaya. Esta caldera 6 crâter, de figura perfectamente cir- cular y cuyo diâmetro superior serâ de media milla y el inferior de 450 4 500 varas; liene de profun- didad dos tercias de milla, cuando ménos, y se halla 4 una legua escasa del mar. Esto, junio con las camadas de cantos rodados, embutidos en cal y en zeolita de diferentes especies, que se encuentran desde la ciudad à Telde, y estân debajo de las corrientes de lava que saliéron de este volcan formi- dable y de otros que de él dimanäron, como el de la Montaña pelada, los de Tapia y cueva de los frailes, prueba que, al tiempo de la erupcion , tenia comunicacion con el mar que se hallaba 4 menor distancia que ahora. Se baja à esta caldera comodamente 4 caballo por una vereda que , aunque pen- diente, no es muy peligrosa por las diferentes vueltas en que estä dispuesta. Cuando, recobrado el observador del temor y admiracion que causa el verse metido en este enorme crisol, se coloca en medio de él, lo que mas particularmente Ilama su atencion es la constante uniformidad con que, en derredor de la Caldera, estân sobrepuestas ÿ formando zonas, las diferentes corrientes 6 estratos de lava, cuyas especies pueden reducirse à tres ; los de la de basalto, con sus escorias que forman los bordes, y pri- mera zona de la Caldera ; los de la de grünsténica que estän inmediatemente debajo de estos formando la segunda zona y el tränsito de ellos; y los de la porfirina que forman la tercera zona, y tocan ya el fondo del crâter. En esta disposicion se encuentran, por el resto de esta isla, diferentes layas con po- cas alteraciones casuales y donde principalmente se hacen observaciones tan ütiles, y se recojen hechos de tanta importancia, es en el disforme crâter primitivo de la isla , que estâ casi en medio de ella y de donde son muchos de los ejemplares de que tenemos que hablar. Lavas de la primera zona 6 basälticas , que son las mas modernas de todas. ( 403 ) 50. Æscorias volcänicas con blenda cérnea y olivino, cojidas en los bordes de la Caldera de Ban- dama en el pico del mismo nombre, atraen la aguja à la distancia de una y dos lineas. 51. Lava basällica negro-gris, escoriforme de lo mas escabroso de las corrientes que forman la primera zona de la Caldera, inmediatamente debajo de las escorias anteriores, con blenda cérnea Y olivino : atraen la aguja 4 tres, cuatro y cinco lJineas. 52. Lavas compactas basälticas, del mismo color de la anterior, de lo mas interior de la corriente que forma la primera zona de la Caldera, con olivino en que parece se convierte el feldespato. Atraen la aguja 4 la distancia de una linea. : 53. Lavas basälticas compactas, del mismo color, paraje y naturaleza que las del nümero ante- rior, con sola la diferencia de atraer la aguja 4 dos lineas de distancia, y formar tränsito 4 la grünsténica. 54. Lava basältica gris-negruzca en descomposicion, con blenda cérnea basältica que tambien vâ descomponiéndose , de donde dimana que sus cristales tienen colores superficiales. Atra la aguja à la distancia de dos lfneas, y fué cojida en la primera zona de la misma caldera de Bandama » pero en paraje diâmetralmente opuesto 4 aquel en que se cojiéron los numeros anteriores. 55. Lava basältica, gris-negruzca y compacta , del mismo paraje que la del nümero anterior. La blenda cérnea basältica empieza 4 descomponerse ; pero la mayor parte de ella estä bastante fresca y tan dura que echa muchas chispas con el eslabon. La mas fuerte atrae la aguja 4 distancia de una linea, y la otra & la de dos, aunque la descomposicion se vâ manifestando. A estas especies de lavas corresponden las de los nümeros que siguen , cojidas en las corrientes que, por la parte septentrional de la isla, forman casi enteramente la zona 6 capa sélida mas superficial de ella , y que arrojäron los volcanes que reventäron aqui, en épocas mas modernas , aunque muy diversas. 56. Lava basältica compacta, negro-gris , con olivino y feldespato : dâ chispas con el eslabon, y atrae à la distancia de una pulgada y dos lineas : fué cojida en la corriente que salié de la Caldereta , que Ilaman de las cuevas de los frailes , la que se extendié por el fondo del barranco del Dragonal , que , al tiempo de la erupcion acaecida mucho ântes de la conquista de la isla, era ya tan profundo como ahora. 7. Lava basältica, escoriforme, rojiza , de la misma caldereta de las cuevas de los frailes ; con- serva todavia algunos cristalitos de feldespasto y atrae 4 distancia de una pulgada y dos lineas por un polo y rechaza otro tanto por el otro. 58. Lava escoriforme rojiza, con manganesa negra, arrancada de las cuevas mismas de los frailes. Conserva algunos cristalitos de feldespato y atrae 4 la distancia de una pulgada y dos lineas. 59. Escoria del mismo paraje que la lava escoriforme del nümero anterior : tiene todavia algun cristal de feldespato y atrae la aguja 4 la distancia de cinco lineas. 60. Lava basältica , negro-gris y compacta , del valle de Mazagan, al pié del lomo que Ilaman de los Hornos del Rey y faldas de la Montaña pelada , de la misma naturaleza y época que las de Ban- dama y cuevas de los frailes, y los mismos cristales de feldespato, que parece pasan 4 ser olivino : tiene este un poco de hierro micâceo, y atrae 4 la distancia de dos lineas. 61. Laya de la misma especie y del mismo paraje que la anterior, algo descompuesta su masa, y con mas olivino en ella. Atrae la aguja 4 la misma distancia. 62. Arenas volcänicas, cojidas de las que arrojäron los volcanes adjacentes al de Bandama y de la misma época que él. 63. Lava basältica compacta, negra , de tacto grasiento, de la isleta ; atrae la aguja à cuatro lineas de distancia. 64. Escoria negra y gris rojiza que casi es una yerdadera pomez, de la misma isleta. La negra atrae la aguja 4 cuatro lineas de distancia y la rojiza à dos. ( 404 ) 65. Lava basältica compacta, gris-negruzca, con blenda cérnea cristalizada en prismas pequeñas de seis lados , de los cuales dos opuestos son muy anchos respecto de los demas. La masa se v4 des- componiendo gradualmente y atrae la aguja à distancia de tres lineas ; ‘fué cojida en el término de Teror, donde Ilaman las Sierpas. | 66. Lava del mismo paraje y naturaleza que la del nümero anterior, con sola la diferencia de estar casi toda su masa convertida en un ejemplar en arcilla cenicienta, y en otro, blanco amarillenta, y la de atraer el primero la aguja 4 distancia de dos lineas, y el segundo 4 la cuatro. 67. Lava del mismo paraje, pero de distinta naturaleza que las de los numéros anteriores ; pues üene muchos cristales de feldespato en descomposicion ; por lo que su masa estä casi TR en verdadero Kaolin.6 arcilla de porcelana , no muy pura, por que tirando su masa 4 basällica, tiene algo de blenda cérnea que, al Pa intses la d& un tono algo negruzco. Atrae la aguja à fa ÿ media. 68. Arcilla en que se descomponen otras layas basälticas que hay por este mismo parage , y otras con yeso especular cristalizado en lentejas. 69. Lava basältica compacta de color negro-gris con olivino, y que atrae 4 la distancia de linea y media el ejemplar mayor, y à una pulgada el menor ; cojida en el valle de Agaete, del corriente que le inundé y se precipité en cascadas por los elevadisimos picos que forman el extremo que cierra el valle que, al tiempo de la erupcion, era tan profundo como ahora. 70. Lava escoriforme rojiza, del mismo paraje y corriente : atrae la aguja 4 dos lineas y media de distancia. 71. Lava basällica compacta, negro-azulada, de las corrientes que arrojé la montaña de las Pal- mas que eslà en Telde, del barranco que empieza & formarse al S. de ella : unos de los ejemplares | estâ gastado por el agua y atrae 4 la distancia de siele lineas. 72. Lava del cono que forma la misma montaña ; tiene olivino , y atrae à la distancia de una pul- gada y dos lineas. 73. Escoria rojiza de los bordes del crâter de esta misma montaña de las Palmas. 74. Arenas de la misma montaña de las Palmas. 75. Lavas basälticas compactas de la misma especie y propiedad que la del nümero 71, cojida en la montaña de Urera , que est dentro del gran crâter primitivo de la isla en Tirajana. 76. Lava basältica compacta , negra , con olivino , de las corrientes que forman. las paredes del barranco de Telde, en las cercanias de este pueblo ; atrae la aguja 4 la distancia de cuatro lineas. De esta especie de lava, mas 6 ménos ampollosa, mas 6 ménos compacta, y con mayor 6 menor porcion de blenda cérnea ü olivino, son todas las corrientes de esta villa, y que corresponden 4 una edad mas moderna. Los siguientes, aunque de la misma naturaleza basältica, son sin embargo de erup- ciones anteriores, pues que sobre ellos descansan regularmente los primeros. Tanto unos como otros alternan casi constantemente con bancos de arena, escorias y cenizas volcänicas correspondientes à ellos. 77. Lava basältica, de color negro-gris, con partes distintas, de una de las corrientes primeras que arrojé la montaña de las Palmas : atrae la aguja 4 cuatro lineas de distancia, yes el basalto graveleux de los Franceses, que se describié en el nûmero 7 del catälogo de lavas de Tenerife, 78. Lava basältica, de la misma naturaleza y con las mismas propiedades que la del numero ante- rior. Fué cojida cerca de la ciudad capital en el lomo que llaman de los Reoyos, de una corriente que descansa sobre la del nümero siguiente, cerca de las cuales hay señales manifiestas de que el mar Ilegé. Las partes distintas son mas pequeñas. 79. Lava basältica compacta que pasa 4 grünsténica; cojida en el lomo de los Reoyos, ÿ descansa sobre estratos de cantos rodados de lava, ya basältica, ya grünsténica , que forman una especie de pu- ( 405 ) dinga, con los cuales hay mezcladas conchas y camadas de arena caliza , de la que el mar arroja cerca de la isleta y forma el arrerife que separa esta de la isla. Atrae la aguja 4 dos lineas. A. Cantos rodados, con capas concéntricas de lava basältica, cojidos en el lomo de los Reoyos del amasizo que hay de ellos & mas de cien varas de la altura perpendicular sobre el nivel del mar, y de- bajo de las lavas del nümero anterior. Atrae la aguja 4 cuatro lineas de distancia. B. Canto rodado, de layva grünsténica, con muchos cristales de feldespalto, del mismo paraje que la letra À : atrae à dos lineas y media. C. Pudinga caliza, con manganesa gris , en que estän embutidos los cantos rodados anteriores y las conchas de la letra siguiente. D. Conchas marinas embutidas en la parte caliza anterior. E. Maganesa negra, cojida en el mismo estrato de pudinga de los némeros anteriores. F. Bancos de arena caliza que alternan con los de pudinga anterior. Cuando esta arena estä muy endurecida, que suele suceder cuando el mar la baña, como en el puerto de la Confital, enténces sirve para morteros de destilar agua. G. Cal estalactitica, en figura de confites, que dân sin duda nombre al puerto del Confital, de donde se cojiéron. 80. Lava basältica ampollosa, griz-parduzca, cojida junto al mar en el puerto de Melenera por de- bajo de Telde, con olivino y zeolita infiltrada en las ampollas ; de una corriente mas antigua que la del nümero 77 pues estä debajo de ella. Atrae la aguja à la distancia de tres l{neas. 81. Lava, del mismo paraje, naturaleza ÿ propiedades que la del nûmero anterior, mas compacta y barnizada de zeblita. 82. Lavas compactas, de la misma especie que las del nmero anterior y de las mismas propiedades, pero de distintos parajes. El mas pequeño es de las paredes del barranco de Telde, de una corriente sobre que descansa el de Ia lava del nümero 76. El mediano de las corrientes que estân inmediata- mente debajo de las que vomité la montaña de las Palmas en el valle de los nueve ; y el mayor del pa- raje que Ilaman Santatejo, en la vega de santa Brigida, cuya descomposicion forma el suelo cultivable de este sitio y otros de la misma vega, y por el cual se han extendido en varias épocas las corrientes de lava de esta y las dos especies anteriores que vomitäron las montañas de la Bodeguilla , Arenas , Lechusila , etc., etc., que estän en lo alto dela Vega al O.; los cuales, juntamente con las arenas , es- corias y cenizas descompuestas, forman ya el terreno cultivado de esta parte de la isla , la mas amena, deliciosa y abundante de ella. 83. Lava basältica , con olivino y blenda cérnea, de las mas antiguas de esta especie : se halla en los Andenes de Agaete principalmente , y en otras varias partes ; por lo regular corta perpendicular- mente las destrozadas montañas que hay por esta parte de la isla y se presenta de ordinario formando paredones aislados de seis 4 ocho pies de grueso, que resisten bastante tiempo la descomposicion, y no se arruinan tan pronto como las islas adjacentes 4 ellos ; porque los prismas, en que regularmente se devide la lava de eslos paredones , estän casi siempre colocados sobre sus planos laterales, y no sobre los verticales , como otras varias especies de lavas basälticas que hay por varias partes de la isla , y à distintas alturas deesta. Atrae la aguja 4 distancia de tres lineas. . 84. Lava basällica pizarrosa, compacta , que pasa 4 la grünsténica , con blenda cérnea basältica , de las cercanias del pueblo de Tejeda, formando paredones aislados, semejantes 4 los que forman las del nûmero anterior. Empieza 4 descomponerse y es de época mas anligua que la de las lavas, de que hemos hablado hasta aqui. Se acerca tambien esta lava bastante 4 la naturaleza de la pizarra por- firina , y acaso forma el tränsito à ella. Sus prismas y tablas estân colocadas en la misma forma que ( 406 ) los de la lava anterior, y resisten como ellos à la descomposicion mas que las rocas adyacentes. Atrae la aguja 4 distancia de cuatro, cinco y seis lineas. 85. Lava de la misma especie y paraje que la del nümero anterior, pero la masa se halla en entera descomposicion, y los cristales de blenda cérnea bastante frescos. Atrae Ja aguja: 4 la distancia de dos Jineas y media. 86. Lava de la misma especie y paraje que las del nümero anterior, pero mas vitrificada. Atrae la aguja à la distancia de siete lineas el uno y de tres el otro ejemplar. 87. Toba volcänica del paraje que Ilaman la Huerta-Grande en Artenara, pero con blenda cérnea en diferentes grados de frescura y descomposicion ; suele estar inmediata 4 las lavas de-los nümeros de que acabamos de hablar ; atrae à tres lineas de distancia. 88. Toba de la misma especie y paraje, pero con un fésil de color amarillo, 4 veces de color de oro, con lustre metälico y cristalizado en prismas de seis lados , dos anchos opuestos y cuatro estre- chos , terminändose en cortes, cuyos planos estän sobre los lados anchos. Puede ser la blenda cornea. 89. Escoria, cojida en el paraje que Ilaman Gallegos, 4 la entrada del gran crâter de Tirajana y . principio del barranco del mismo nombre que nace en él. Atrae la aguja 4 dos lineas y media. 90. Lava basältica del mismo paraje y de la cabeza superior de los prismas, no muy pronunciados, de donde son los ejemplares siguientes. 91. Lava basältica con feldespato y granos de hierro micâceo, embutidos en ella, del mismo paraje. Atrae 4 cinco pulgadas y media. 92. Cantos de hierro micâceo que se encuentran sueltos por Gallegos, y se han desprendido de lavas semejantes 4 las del nümero anterior. Atrae 4 diez y seis lineas. 93. Canto rodado de hierro micäceo puro y en miajas, encuentrado dentro del disforme crâter de Tirajana, en donde Ilaman risco blanco. No pude hallar el criadero de esta substancia, pero sin duda es en lavas de la misma especie que las de los Gallegos. Las paredes del crâter son por este lado muy altas y escarpadas, y es imposible acercarse 4 examinar las lavas que forman la primera zona. Las que tocan al fondo del crâter y estän al alcance del observador , son las de la segunda zona 6 grünsténica. Este canto atrae la aguja 4 la misma distancia que los del nümero anterior. FOSILES DIVERSOS QUE SE ENCUENTRAN CASI EXCLUSIVAMENTE EN LAS CORRIENTES DE LA PRIMERA ZONA. 94. Lavas y escorias volcänicas , casi enteramente descompuestas y convertidas en ocre de hierro, de donde Ilaman del lomo de los chorros y de otros varios parajes, principalmente de las montañas cénicas que hay cerca de la cumbre y correa del término de la Vega al de Teror. 95. Olivino en masa, y con algo de blenda cérnea que, se vâ descomponiendo, del lomo de Martin Gil, en la vega de San Mateo. 96. Blenda cérnea, en masa, de la Caldera de la cumbre, y de la montaña que Ilaman la Velanda en la vega de San Mateo. La de la cumbre atrae la aguja 4 dos lineas; la de la montaña de la Velanda à cinco lineas. Los ejemplares de la Caldera de la cumbre tienen algo de feldespato. 97. Blenda cérnea descompuesta casi enteramente, del lomo de Martin Gil. 98. Blenda cornea en masa, y descomponiéndose ; de la Huerta que Ilaman grande, en Atenara, Atrae à cinco lineas. ( 407 ) 99. Blenda cérnea, en cristales imperfectos y sueltos, de las montañas mismas de que es la que estä en masa. 100. Blenda cérnea, en prismas sueltos de ocho lados, terminados en corte por ambas extremi- dades. 101. Almagre con tränsito al bol, del paraje que Ilaman la Almagrera en Teror. Atrae 4 dos lineas. Hay mucha abundancia de este fésil al O. de Teror, y es una descomposicion de Has escorias y lavas escoriformes, muy ferruginosas, que arrojäron las montañas del pico de Vengara, Laguna y otras muchas que hay por aquel paraje. 102. Bol de la montaña de Arenas, entre San Mateo y Teror al O. de estos dos pucblos : atrae a aguja à la distancia de los lineas. Este f6sil abunda como el anterior y en los mismos parajes. 103. Lavas escoriformes descompuestos por los âcidos minerales del barranquillo de las Lobas y Cuesta del cabrito, en el gran crâter de Tirajana. La que estâ ménos descompuesta atrae à linea y media. 104. Lava descompuesta y desteñida por los âcidos minerales , del volcan de Bandama, cojida en los flancos exteriores del cono. 105. Yeso especular, envuelto en la arcilla del némero 68 , y cristalizado de lentejas. . 106. Arcilla pléstica, de los altos de Guia. <= 9 — LAVAS DE LA SEGUNDA ZONA, GRUNSTÉNICA 6 DE LA EDAD MEDIA. 107, 108, 109, 110 y 111. Lavas grünsténicas que forman serie de transicion 4 basälticas por el érden en que estän nümerados : de la caldera de Bandama, del anda 6 corriente que Ilaman de los Azulejos, colocado inmediatamente debajo del de las lavas basälticas del nûmero 53. Atraen la aguja progresivamente desde dos lineas 4 un tercio, segun la proximidad que tienen los ejemplares con las lavas basälticas , 6 el mayor 6 menor grado de frescura à descomposicion en que se hallan. 112, 113, 114, 115, 116 ÿ 117. Lavas de la misma naturaleza y paraje que las de los numeros anteriores , pero de otro érden 6 estrato que estä inmediatamente debajo del de aquellas. Abunda mas en cristales de feldespato; estos estân muy pronunciados, y se hallan colocados sobre los extratos 6 corrientes de las lavas porfirinas. Los ejemplares estân numerados por el érden progresivo de des- composicion en que se encuentran, y en este mismo afraen la aguja 4 linca y media de distancia. La descomposicion de estas rocas proviene de un manantial que hay en ellas. 118. Lava grünsténica, con cristales de feldespato tabular , de seis lados , del paraje que Ilaman la Laja, cerca de la ciudad de Canaria, espiramosa por mayor, y atrae la aguja 4 una linea de dis- tancia. Fué arrancada de un estrato muy grueso, cuyas rocas afectan la figura prismätica informe. 119. Lava de la misma especie y paraje que la del nümero anterior, pero tocada de descomposi- cion, colocada debajo de la anterior y continuacion de ella. Atrae 4 distancia de media linea. 120. Lava de la misma naturaleza y paraje que las anteriores, mas recocida que ellas, y colo: 4 cada sobre el banco de donde son los ejemplares del nûmero que sigue. Atrae & media linea de distancia. 121. Toba volcänica, que estä inmediatamente debajo de las lavas de los nümeros anteriores, for- mando banco bastante grueso. Atrae 4 media linea de distancia. 199. Laya grünstenica pizarrosa, con cristales de feldespato tabulares , de seis lados, cojida en los \ Ilanos de Tirma. ( 408 ) 123. Lava de la misma especie que la del nümero anterior, con las mismas tablas exagonales , algo alongadas ; pero con tendencia 4 la lava basältica y de los flancos de la montaña cénica que Ilaman Amagro, entre Agaete y Galdar. Atrae 4 distancia de una linea. 124, 125, 126, 197 y 128. Lava de la misma especie y con los mismos cristales de feldespato, del barranco de Moya, en descomposicion progresiva, segun el érden con que estän numerados los ejem— plares. De estos, solo el del nümero 128 atrae la aguja 4 una linea de distancia. El estrato Ô corriente es de un espesor asombroso ; estä hendido de arriba 4 bajo en forma de cuña. 129. Lava de la misma especie y parage que las anteriores, mas descompuesla, con ménos cris- tales de feldespato, pero con manganesa negra que la dé el color violado y las dendritas que tiene. Atrae 4 una linea de distancia. 130. La misma y del mismo parage que la del nûmero anterior, pero tan descompuesta que està ya casi convertida en esteatita. 131. La misma y del mismo paraje que los nümeros anteriores , con una costra gruesa de manga- nesa gris compacta. Âtrae à media linea de distancia. 132. Manganesa gris, compacta en masa , del mismo paraje que la anterior. 133. Toba volcänica, con cristales tabulares de feldespato, del mismo paraje que las lavas de los nû- meros anteriores , pero de un banco que estä sobrepuesto 4 ellas ; descübrense, ademas de los cris- tales tabulares , algunos prismas rectangulares de cuatro lados, terminados en corte en sus extre- midades. 134. Lavas con cristales de fedelspato tabulares de seis lados , sobrepuestos 4 las tobas del nümero anterior ; tienen maganesa que se vâ conyirtiendo en ocre, y descomponen los ejemplares : atrae la aguja 4 una linea. 135. Lavas escoriformes , del mismo paraje que las del nüumero anterior, sobrepuestas 4 ellas, con algunos cristales de feldespato y hojitas de mica : atraen la aguja 4 una linea , y forman un banco bastante grueso que tiene por mayor cavernas de bastante consideracion. La roca que sirvié de base 4 estas lavas , fué sin duda primitiva. 136. Toba volcänica, de la misma especie y paraje que las de los nümeros anteriores, con un ri- ñon de maganesa gris compacta. 137. Lava grünsténica de San José de la Vega de Santa Brigida. , 138. Lava grünsténica con dendritas, del paraje que Ilaman el Solapon , dentro del gran crâter de Tirajana y arrancada de una corriente 6 estrato sumamente grande , hendido de arriba abajo, en forma de cuña. Estä al O. del crâter, formando por aquel punto la pared de él. 139. Toba que pasa à ser Estealita, con manganesa, cojida en el mismo paraje que los ejemplares del némero anterior, pero colocado inmediatamente debajo del estracto de donde son ellos. 140. Lava grünsténica, del paraje que Ilaman Risco-Blanco, en el gran crâter de Tirajana al N. y en las paredes escarpadas de él. Los cristales que tiene son de feldespato adulario, pues tiene fuego de colores. 141. La misma, del mismo paraje y con los mismos cristales de adularia qe los del numero ante- rior, pero tocada de descomposicion. 142. Lava grünsténica, con cristales de feldespato, y manganesa que la tiñe de violado, del pago de Tunte, dentro del crâter de Tirajana. 143. Lava grünsténica con cristales de adularia, del mismo paraje que la del némero anterior. ( 409 ) FOSILES DIVERSOS QUE SE ENCUENTRAN ENTRE Ô DEBAJO DE LAS CORRIENTES DE LA SEGUNDA ZONA, Ô DE LA EDAD MEDIA. 144. Piedra pomez que casualmente se encontré entre las escorias volcänicas de la montaña de Lechusilla : atrae la aguja 4 la distancia de una linea. 145. Piedra pomez del barranco de Galdar, cojida de un banco grueso de una vara 6 poco mas. 146. Piedra pomez, mas pulverizada con trânsito à tripoli, colocada debajo de la anterior con otro banco casi del mismo grueso ; del mismo paraje. 147. Piedra pomez del pago que Ilaman de la Atalaya , arrancada de los gruesishnos bancos en que eslän abiertas las cuevas en que viven los vecinos de este pago. Alterna la pomez con eslrato no muy grande de una arcilla gris-rojiza en que hay embutidos algunos granos de la misma pomez. Los bancos alternantes de esta y la arcilla, forman una montañeta, casi aislada , de 60 & 80 varas de al- tura , compuesta casi exclusivamente de estas materias , en las que hay algo de maganesa. 148. Pomez pulverizada que pasa 4 ser tripoli algo impuro, colocado debajo de los bancos de pomez del nümero anterior. 149. Tripoli, cojido en el barranco de la ciudad’, donde Ilaman el molino de Berdejo, à cosa de un cuarto de legua del mar, de un estrato bastante grueso, que estâ debajo de otro, de que se arran- câron los ejemplares del nümero siguiente. Atraen la aguja 4 la distancia de una linea. 150. Del banco sobrepuesto al anterior de tripoli. Estän pegadas 4 estos ejemplares conchas bival- vas, prueba que la mar Ilegé hasta aqui : atrae 4 una linea. 151. Tripoli cojido en Guanärteme. LAVAS DE LA TERCERA ZONA, PORFIRINOS , Ô DE LA EDAD PRIMITIVA. 152. Lava porfirina de la caldera de Bandama, cojida donde Ilaman Risco colorado, el cual forma la tercera faja de las layas de esta caldera. La base de esta lava parece haber sido el pôrfido cérneo : atrae 4 la distancia de dos lineas. 153. Toba volcänica, cojida en la misma caldera , de un estrato grueso de mas de 10 varas que toca al fondo de la caldera, y est inmediatamente situado debajo de las lavas porfirinas del nümero siguiente : atrae 4 la distancia de una linea. Esta toba tiene cristales de feldespato , y chorlo, y tam- bien mica y algo de pomez. ; 154. Pomez que pasa 4 vidrio volcânico, con partes de la oba anterior en la cual estâ embutido. Atrae à la distancia de dos lineas , y tiene los cristales de feldespato, hendidos por el fuego. 155. Vidrio volcänico 4 que pasa la pomez anterior. El ejemplar no est enteramente vitrificado. Atrae à la misma distancia que los del numero anterior, que tiene los cristales de feldespato mas toca- dos del fuego. 156. Pérfdo cérneo con cristales de blenda cérnea, vitrificado casi todo él, y cojido en la caldera de Bandama , de cantos rodados que hay en fondo. Atrae 4 dos lineas. 157. Canto rodado, cojido en el fondo de la misma caldera. Estä casi enteramente vitrificado : tiene un nucleo de piedra pomez con algunos cristales de piedra pomez de feldespato que todavia no se han convertido en ella, y la base parece haber sido una roca cérnea. Atrae à dos lineas. 158, 159, 160, 161, 162, 163 y 164. Vidrio volcänico al parecer de base granitica con trânsito à una especie de esteatita en que est embutido de donde Ilaman la Degollada de manzanilla, en el gran crâter de Tirajana. Tienen los ejemplares bastante olor arcilloso ; ningun magnetismo : embe- Il. 52 ( 410 ) ben con ruido el agua, y el érden con que estän nümerados es el mismo que guardan en su trânsito à Ja esteatita. 165. Roca que forma un estrato muy grueso, colocado sobre las esteatitas anteriores, ‘las cuales parece pasar. Es un agregado de aristas de zéolitas compactas , embulidas en una masa, al parecer arciNosa, No tiene magnetismo alguno, pero si olor arcilloso. 166. Toba volcänica, con muchos cristales de feldespato, que se acerca en parte 4 la piedra pomez. Fué cojida en la montaña que Ilaman de la Atalaya de Aguimez, en el estrato superior de la cantera que hay abierta en la misma montaña, y atrae la aguja 4 media linea. 167. Vidrio volcänico con muchos cristales de feldespato, y casi frito por el fuego ; cojido en el mismo paraje que la toba anterior, pero debajo de ella. Atrae la aguja 4 media legua de distancia. 168. Toba volcänica, con cristales de feldespalo , cojido en el mismo sitio, de un estrato que està inmediatamente debajo del vidrio del nümero anterior. Atrae la aguja 4 la misma distancia que él. | 169. Toba volcänica verdosa, 6 mas bien brecha volcänica , cojida en el mismo paraje que la toba del numero anterior, de un estrato de mas de cuatro varas de grueso , que est debajo del. De esta roca, y mas comunmente de la del numero que sigue, se sirven estos isleños para enlosar las calles y construir los edificios por lo fâcil que es de trabajar. 170. Toba volcänica, cojida en la montaña abierta en la cantera de la montaña de la Atalaya de Aguimez. Con ella estä fabricada la iglesia de este lugar, y con ella y otras semejantes que abundan, principalmente 4 la parte de Arucas , estân construidos casi todos los principales edificios de la ciudad, y se remiten muchos cargamentos à Tenerife para enlosar las calles. De esta roca hay tambien bas- tante en Tenerife en la parte del S., principalmente donde Ilaman el puerto de los Cristianos. 171. Vidrio volcänico, semejante al del numero 167, cojido donde Ilaman Gallegos en el barranco de Tirajana, à ménos de media altura de sus paredes, à la falda oriental de la Atalaya de Amurga , y enfrente del pago que Ilaman el Lugarejillo. Este vidrio est enterrado en la que Ilaman aqui tosca, que es una verdadera toba volcänica. Atrae 4 la distancia de dos lineas y media. De 172 4 187. Lavas porfiricas formando serie de transicion à las basältiformes por el orden de su nümeracion, y por lo mismo manifiestan el estado progresivo de su frescura y descomposicion. Fue- ron cogidas en la cumbre de los [lanos que hay entre el roque del Saucillo y caldereta de la cumbre : algunas de ellas de masas enormes casi esféricas, dispuestas en capas concéntricas. Unos ejemplares atraen la aguja à una, otros à dos , tres y cuatro lineas de distancia, y otras como el 176 y 177 no: tienen magnetismo alguno. , 188. Bola de laya balsâtica porfirina, en capas concéniricas, cojida en la cumbre junto al roque del Saucillo : estân estas bolas, de las que hay varias corrientes en estos sitios, sobrepuestas à las lavas porfirinas de los némeros anteriores, à las cuales tiene , 4 veces , un verdadero tränsito. Se descomponen , guardando siempre esta misma disposicion de capas concéntricas, de modo que, en parajes, estän ya convertidas en tierra ÿ conservan la misma figura concéntrica esférica : atrae la aguja à una linea. De esta especie de bolas que se acercan, ya mas, ya ménos, al verdadero basälto , hay tambien en la Gomera en el confin de las parroquias del valle Hermoso y Agulo. 189. Molde de lava basältica en que estân bolas semejantes 4 la anterior, bien que de naturaleza mas basältica que ella; cojido tambien en el mismo sitio : atrae 4 tres lineas. 190. Lava basältica en bolas de capas concéntricas sonoras ; del mismo paraje que la del numero 188 : tiene virtud magnética, positiva y negativa, 4 una pulgada de distancia. 191. Del mismo paraje y naturaleza que la anterior, atrae 4 cuatro lineas, pero no tiene, como la anterior, virtud magnética. ( 411 ) 192. Del mismo paraje que la anterior, pero de la parte interior de la corriente. Atrae 4 tres lineas. 193. Lava basältica con algunos cristales de feldespato, de la caldera de la cumbre. Atrae 4 dos lineas. 494 y 195. Escoria volcânica del mismo paraje que la lava del nûmero anterior. La del primer nümero atrae à seis lineas y la del segundo à dos. 196. Lava porfirina, cojida en el lomo que Ilaman de la Cruz, entre el pueblo de Telde y la mon- taña cônica de las Palmas, de unas enormes bolas de esta misma materia, dispuestas en capas con- céntricas, que sin duda arroj6 el volcan de las Palmas por la boca superior 6 respiradero ; pues estân como sembrados en el terreno de dicho lomo. Son idénticas à las de los numeros 180 y 181 de la cum- bre, y atrae, como ellos , à dos lineas. 197. Lava porfirina del lomo de la Cruz, de la falda oriental de la montaña de las Palmas. La corriente que formé este lomo es probablemente anterior 4 la erupcion de las Palmas, 6 sino es de los primeros que vomité. Atrae à linea y media. 198. De las mismas bolas de lava porfirina del nümero 196, pero de la parte interna de ellas. Atrae 4 linea y media. 199. Laya porfirina que se va acercando 4 la basältica , de la misma montaña de las Palmas, pero de corrientes muy superficiales y modernos : forma el medio de tränsito entre las de los numeros anteriores, y las de los nümeros 71 y 72, puramente basälticos. 200. Lavas porfirinas , cojidas de una gruesa corriente que hay inmediatamente debajo de la es- pecie de tripoli del nümero 148, por encima de la caldera de Bundama. Sin duda que el mar llegaba por esta parte hasta este punto, ântes de la erupcion de este volcan disforme, como lo indica la zeolita que tienen dos de los ejemplares. OTROS VARIOS MINERALES QUE, AUNQUE NO SON DE ORIGEN VOLCANICO , SE ENCUENTRAN CON LOS PRODUCTOS DE LOS VOLCANES. 201. Zeolita fibrosa y radiada, cristalizada en estrella, y prismas de cuatro lados , terminados en punta muy aguda por otros cuatro lados; cojida en el lomo de los Hornos del Rey en el pago de Ginamar. Hay embutidos en ella pedazos de la Java y cantos rodados de varias especies que manifiestan haber estado sumergido este lomo en el mar , äntes de las erupciones contemporäneas 4 la de Ban- dama. 202. Zeolita radiada en masa, del mismo parage que la del nûmero anterior , formando estrato de una vara de grueso que corre horizontalmente, hendido en medio donde asoman arriba y abajo engargantando unas en otras, 4 manera de cardas, las puntas de los prismos en que cristaliza. 203. Zeolita fibrosa estalactitica del paraje que llaman el mârmol de Guia , cerca del mar, en una concavidad que forma una corriente de lava basältica. 204. Zeolitaradiada en manojos , del paraje que Ilaman el lomo de los Cardos, entre el pueblo de Tejeda y Artenara, à mucha altura del nivel actual del mar. 205. Zeolita radiada cristalizada , en prismas rectangulares , de cuatro lados, dos mas anchos que los otros dos, terminados en punta por cuatro planos colocados sobre los ängulos. Estos prismas dege- neran , 6 son mas bien una tabla hexagonal biselada en cuatro lados. À estos prismas acompañan la zeolita fibrosa y la folicular. Los ejemplares fuéron cojidos en el barranco de las arenas en el pue- blo de la aldea de San Nicolas, y arrancados de‘una lava basältiforme en entera descomposicion. ( 412) 206. Zeolita cübica, cristalizada en cubos perfectos , cojida en el puerto de las Nieves en Agaete, de una veta perpendicular en los escarpados micos que la componen. s 207. Zeolita compacta con cantos rodados, y en pedazos globulosos de figura de confites , del puerto de la Sardina en Galdar. Estä embutida, fermando riñones, en la montaña volcänica que forma el mismo-puerto. 208. La misma zeolita, acompañada de la misma lava, en que suele estar pegada 6 embutida ; el ejemplar atrae la aguja à tres lineas. 209. Zeolita fibrosa en capas cubo-concéntricas con un nücleo de color amarillo de ocre, que parece ser un granito de hierro piriforme. 210. Fôsil cojido en Teror, de color verde de Dont puerco, textura folicular, blando y con lustre metälico las hojas, que ignoro lo que sea. 211. Estaläctitica caliza de la cueva de Guadalupe en el barranco de Azuague. 212. Incrustaciones calizas de la misma cueva de Guadalupe, semejantes 4 las que hay en la Ram- bla de Tenerife, y el barranco delas Angustias en la isla de Palma. 213. Arena de la playa que Ilaman de la Laja. 214. Arena magnética del mismo paraje que la anterior inmediatamente debajo de ella, y crista- lizada en octaedros sumamente pequeños. Igual 4 esta arena la hay tambien en Tenerife. 215. Canto rodado de brecha volcänica del barranco de Telde en una costra de cal. 216 y 217. Cuartzo cariado y estaläctitico de la aldea, y calcedonia en lava basältiforme. 218. Esteatita blanco-verdosa, del barranco del valle de San Roque, en el término de Telde. 219, Esteatita encarnada del mismo paraje que la anterior. 220. Esteatita impura en que se convierten las rocas adyacentes 4 la esteatita anterior. 291. Rocas sobrepuestas 4 las esteatitas anteriores. 222. Sal de Glauber del barranco de câceres , en las inmediaciones à los manantiales abundantes de Jo que Ilaman agua agria que depositan esta sal en las piedras por donde pasa y hierve mucho por el mucho gas âcido carbonico que contiene. 223. Manganesa gris del barranco de câceres en el término de Telde. 294. La misma sobre (oba volcänica, cojida en la vega de Santa Brigida , en frente de San José. Atrae la aguja 4 la distancia de dos lineas. 225. Escoria volcänica tan cargada de manganesa, que casi no es otra cosa que la manganesa negra terrea. 296. Semiopalo cojido en Tirajana. 227. Espato calizo, en pirämides dobles de seis lados, con una costra de cuartzo : de los andenes de Agaete. 298. Espato calizo del mismo paraje que el del nümero anterior cristalizado en tablas biseladas con tendencia à la lenteja. 229. Espato baritico con costras de cuartzo y calcedonia, del mismo paraje que el del nüumero an- terior. 230. Lava porfirina con veta de pedernal, del barranco de Teror, cerca de la fuente que Ilaman del agua agria, por el mucho gas acido cârbonico que contiene. 231. Marga terrea del barranco de Juan de Espino en Tirajana. Hay de ella un banco bastante grueso ; hace efervescencia con el acido nitroso, y bastante en el agua, deshaciéndose en ella, 4 manera de litomarga, y volviéndolas de color blanquecino. Al soplete se funde en escoria negruzca. En fin es de las margas mas especiales para el abono de las tierras de toda especie, principalmente para las flojas y arenosas. (413) NOTICIA DE ALGUNOS MINERALES COLECTADOS EN TENERIFE EN LOS PRIMEROS VIAJES QUE HICE EN ELLA , DE QUE NO SE HACE MENCION EN EL CATALOGO, EN QUE SE HABLA DE LOS FOSILES DE DICHA ISLA. 232. Litomarga, cojida en el valle de San Andres y el de Higueste, en donde Ilaman la cueva de los Juncos. 233. Blenda cérnea basältica cristalizada en prismas de ocho lados, terminada en corte en ambas extremidades. Algunos cristales son mellizos , y unos y otros fuéron cojidos en el término que Ilaman de la colmena , entre el mismo valle de San Andres 6 Higueste. 234. Lava basältiforme con blenda côrnea, con colores superficiales de cuello de pichon , del bar- ranco de Añavigo en Arafo. 235. Lava basältiforme, con blenda côrnea y augito, del barranco de los Guirres en candelaria. 236. Lava basältiforme, que los Franceses Ilaman basalte graveleux , de donde Ilaman la cueva de las Gotas , entre el valle de San Andres é Higueste. 237. Lava basältiforme, con blenda cérnea negra, y de color de ladrillo, del barranco de Añavigo en Arafo. 238. Lava basältiforme, de grano muy fino, del barranco del infierno, en Adeje : puede servir de piedra de toque. 239. Prisma de lava basältica, pentagonal , con olivino, del valle de San Andres. 240. Lava basältiforme en tablas , del mismo paraje que la del prisma anterior. 241. Lava del techo de la cueva del socorro en Guimar. 242. Tova volcänica , con cristales de blenda cérnea basältica, de diferentes tomaños y bien pro- nunciados , cojida en el camino que vâ de Taganana 4 la Laguna. 243. Tova porfirina del puerto de los Cristianos ; semejante 4 la de esta especie la hay en Canaria. 244. Veso especular cristalizado en lentejas , del valle de San Andres : tambien lo hay de la misma especie en Candelaria. 245. Manganesa gris, compacta , cristalizada , del barranco de la Colmena , entre el valle de San Andres y el de Higueste. 246. Feldespato con chérlos tocados en ambas substancias del fuego, cojido en donde Jlaman la Florida, junto 4 San Andres. ; 247. Yeso especular cristalizado en lentejas, de la costa de Abona donde llaman el mojon, en tierras pertenecientes 4 la casa de Adeje. k j ie 4 j n + £ L s © è D 4 vnnP À ER Al PTE Ê 0 + à . * ‘ CRD RE MANN AOMMIENER. MA o ï h \ ) PMR NOTA | o ST à Ê 2! - et DEhetg des EL PEARL). PTIT 4 3 4 k ï MONT k , QUE ï : 1fñ-&LE HE L NP LE LE UT ES LE j à “4 | CEST, EN MR ALT ve HE £ Gus MR eUE { de 1 L A8 b Le ï n à ‘Hot ORAN, MELON ÿ tx Prat ATEN NET - { t . 4 k RUN ARE Ce AIT Fe b (ki ET EU VAN MON DTA TEL Re : HOT - LAS HUM 2 e. j 1 : $ : F iniact sh £ e { F > F1 Far 20764 l'ae) » L: Le — ÿ * o 3 ? 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EE MNT NOR: rm DE MCARDE DE MANETTES 2 43 DESCRIPTION OROGRAPHIQUE DE L'ÎLE DE TÉNÉRIFFE. . . . . + + . . + . . . + . . . . 75 DESCRIPTION OROGRAPHIQUE DE L'ÎLE DE CANARTAS .: PM est Cr at Oo oO 98 DESCRIPTION DE L'ÎLE DE PALMA. . . . . . .. . . .. , .. . ............. 115 APPENDICE À LA DESCRIPTION DE L'ÎLE DE PAEMA.. . . . . . . à. . . . . . . . . . . . . 130 DESCRIPTION DE L'ÎLE DE LA GOMÈRE. . ... . . . . «4 à «+ ee ue de 135 DicressioN GÉOGRAPHIQUE. — Du port de la Gomère et de son importance. . . . . . . . . 143 DESCRIPRIONSDERITE DE FER me eue ne eee eme one ee cul 2, (IN 0 © ROCH 151 DESCRIPTION DE L'ÎLE DE FORTAVENTURE. . . 4 . . : . . . . . à , . . à + . . . 165 DESCRIPTION DE L'ILE DE L'ANGEROTTE. . à « : & . . . . à + + + +. à ee à ee à 179 NOTICE SUR LES PETITES ÎLES DÉSERTES, situées dans le voisinage de Lancerotte.. . . . . . . 198 APPENDICE STATISTIQUE. Échelles géographiques. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . : . . . . . .. 201 Dénombrement de la population des îles Canaries en 1824... . . . . . . . . . . . . . .. 204 Tableau comparatif des divers dénombremens de la population , depuis 1742 jusqu’à 1829, et observations. . . . . . DIS LS OR ARRT: à te LE à + ON Te be - ME 206 Tableau des naissances, mariages et mortalités annuelles, depuis 1793 à 1802, et observat. . . 207 Premier tableau des productions de première classe, et observations. . . . . . . . D. 208 Deuxième tableau des productions JENPrENRETENCIASSE EUR NC ESPN . . 209 - Observations sur le tableau précédent. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 112110 Productions secondaires et observations. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 211 Dénombrement des bestiaux en 1804, et observations. . . .: . . . . . . . . . . . . . . . . 212 Relations commerciales et détail des importations. . . . . . . . . . D, TR x A ée L 213 Arrivages ; droits de tonnage et DRAC RE. NE CR 214 Force militaire : milice provinciale et fortifications. . . . . . . . . . . RS Na VER LA RER LOTS 216 Contributions et autres charges. . . . . « . . SRE. : Ne ne sec RE EN æ - y v Te LEZ Ordres relgieux. nt... 2 LM OA. RNA OMR RC nn 216 Hableautcomparatiftdes poids elIMeSUres ON N NO RREEST 217 N'aleur-comparatiye des More en : sv er CORRE EC 00 218 Droits communaux ou redevances municipales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 219 Gouyennementiemiltéticonseilsanitaite HEC 220 RENSEIGNEMENS SUPPLÉMENTAIRES. Etat des naissances, mariages et mortalités de la ville de l’Orotava , durant la période de dix ANNEES 40 LUN Late PL A Ar SR I RTE ADR AUNRE E UN TRE 221 Observations sur les données précédentes. . . . . . . . . . . . . A. A5 222 Tableau des mortalités par année, âge et sexe, avec observations. . . . . . . . . . . . . . 993 Moyennes des mortalités en dix années, par sexe , âge el saison. . . . . . . . . han 2224 Observations sur les données CHE . 226 Tableau de la population de la ville de l'Orotava en 1802, avec le dénombrement des res par Age. sséxesel conditions Mn MENT OU CRUE Rec OT 227 Observations sur les données précédentes. . . . . +. . 4 +. 4 40 ee à sus sn 298 De LA rÊcue sur la côte occidentale d'Afrique. . . . . . . . . . . . . . . ENT OT TT 2929 Des EnrReprises pes Îscenos , sur la côle d'Afrique et des représailles des Maures. . . . .. 253 Des ENTREPRISES DES IsLENos EN AuÉériQuE et de leurs relations commerciales avec ce con- binents + à de 0 EE Ja nt LS ENT A 2e te ECO RTE RER EEE 260 GEOLOGIE Note, BÉtTCOEE C U 07 277 Distribution des terrains... . . . . . . . . te tan ee pe COS Se POP VRS PÈRE 279 Mivemesn Lenrains trachytiQueS ARCICNS NE PER EEE ON |: 981 Terrains de leucostine et de basalte . . . . . . . . . . . . PRE Pianos 297 Système de volcanisation moderne. . . . . . . . . . . Re a 2 able 5117? ÉrRurTioNs p'ÉPOQUES RÉCENTES (depuis la conquête de l’île jusqu'à nos jours.) . . . . . . . 338 Éruption de Coton PO ET TR ER RE Te re tra dr Ibid. ÉruphondelGarchico enATOGENE". pe... NU 340 Éruption de Chajorra, en 1798... . . . . . . . . . . . .. LTD MR ENT in 341 Dante Cone-d'el RER RE tn nel cn 344 RODRESE PONT AMNAENTONESDE MES. COLE RS CRE 345 Formation trachytique. . . . . . . . . . . . . . . tre DS + CR CR CE 351 Terrains deleucostmes et. dé basanites et nn. 7, UN OR 357 Terrains volcanisés et dercalcaire moderne. … . . : .. . |, 5. 363 Darus Count deleCDORI PPS CCR CR 367 Éruptions modernes FE RUN TU R | 371 _LanceromTE. — Coup-d'œil général. : . . . . . . . . ... . . . . . . . . . . . . ... 375 Anciens volcans. . : . . . . . . . . EE DEN RE ARS inde nl y y FC DE : es volcans canariens par ordre chronologique. . | es Canaries, par D. Fr. Escolar (texte origin.) FA à L de. ed ERRATA DU SECOND VOLUME, 1" PARTIE. Pag-""0/" lignes 2; concider , lisez : coïncider. — 94, — 6, réciproque ; — relative. —— 59, — 7, note(1l) levés, — relevés. — 60, — 6, égale, — égala. — 77, — 93, pays exploités, — pays explorés. — 95, — 8, cyclopienne, — cyclopéenne. — 116, —— 29, de la hauteur, — la hauteur. — 119, — 8, se laissaient, — se laissait. — ibid. — 9%4et95, Tamonca, — Tamanca. — 191, — 6, leurs productions , — les productions. — 128, — 23, Tazecorta, — Tazacorte. — ibid. — 98, chaîne des montagnes, — chaîne de montagnes. — 131, — 4, ( Opuntia ficud. ind. ), — (Opuntia ficus. ind.) — ibid. — 7, hautes crêtes, — hautes cimes. — 137, — 921, tonnelage, — tonnage. — 141, — 22, poids, — pois. — 143, — 90, à la recherche, — à la rencontre. EG la plus fertile. EN ET plus petite. DO 0: ce que lui rapporte, — ce que rapportent. HER TR 1,750 d’élévation , — 1,750 pieds d’élévation. — 217, note (1), mître , — mètre. — 919, Tire, de l'Afrique, — d'Afrique. — 236, — 5, note (1) Jean Gabot, — Jean Cabot, — ibid. — 15,note(3) Fundland, — Foundland. (PAR OMISSION.) —ERRATA DU PREMIER VOLUME, II° PARTIE. Pag. 16, ligne 8, le chantre des mois, — le chantre des Bodas. 80, — 31, je ne tardais pas, — je ne-tardai pas. i 207, — 5, note (1), un autre sur les mois (los meses) — un autre sur les amours des plantes (los bodas de las plantas). 233, — 30, effacez depuis et de cet esprit, etc., jusqu’à diplomatique , pag. 236. 2. $ PURE EE CE en É EPS LA Te N 3 9088 00744 TU ANAUANUN 01570 9470