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'/I 4,. \ ". " '- /r \ . ,.i '\ 0L'Y - .....- x. I \ ,,- - "- . "4' ' '- --. \ 'J" t " 1 _/(: \ \ J\ .. þ.;. , I .;iII' _ _ C'\)IC ,\ . I t , ----r. ) l · ,. , \ t -Ikllc tl p t í:;'LL Ilf (rtL l I!-I ;r ;-- --- - , 2 /V AnnWU;/t! . HISTOIRE DU . CATHOLICIS IE LIBÉRAL OUVRAGES DE MONSEIGNEUR FÈVRE Le devoir pendant la persécution, 1 \'01. in-So de '120 p. . . . . La défense de l'Église sous Léon XIII, 1 \'01. in-So de 130 p. J ésus-Christ, modèle du chrétien, in-So . . . . . . . La liberté de l'enseignement supérieur, 1 vol. in-So Le budget du presbytère, 1 vol. in-8 0 , 2 e édition. . . . . . . , La mission de la bourgeoisie, 1 vol. in-i2 . < . . . . L'éducation des enfants, 1 vol. in-i8. Du mystère de la souffrance, t vol. in-i2. Du gouvernement de la Providence, 2 vol. in-12, Histoire du cardinal Gousset, 1 vol. in -8 0 . . . . . Vie de S. Camille de LeIlis, 1 vol. in-8 o illustré. Histoire apologétique de la papauté, 7 vol. in-So. Histoire générale de I'Église, 10 vol. ill-8 o . . . . . . Histoire universelle de l'Église, 15 vol. in-4 0 , 4 édition. . Les actes des Saints, 10 vol. in-4 0 < . . . . . . Bellarmini opera omnia, 12 vol, in-i: o . Dieu et la religion, in-12. Le easier ecclésiastique de M. l'abbé Fèvre, in-8 0 . La vie réelle dans les forges, in-8 o . La situation des instituteurs, in-8 o . . Mémoire pour la construction d'un chemin de fer, in-8 0 . Souvenirs de l'exposition chaumontaise, in-i8 o . . Vignettes romaines, in-8 o . . . . , . . . . . . . , . . Les constructions d'églises, in-So. . L'Église et les journaux impies, in-8 o . Du réalisme dans la littérature, in-Ro , 2 r )) 2 )) )) 3 )) ð )) 2 )) 1 )) 3 }) 6 )) {) )) 8 >> 42 )) 50 )) 120 )) 100 )) 120 )) 1 >> 2 )) 1 )) o 50 1 )) 1 )) 1 )) 050 2 )) 1 )) IIISTOIIlE CRITIQUE DU CATHOLICISHE lJIBÉRAL EN FRANCE JUSQU'AU PONTIFICAT DE LÉON XIII . , . COMPLEMENT DE TOUTES LES HISTOIRES DE L EGLISE PAR ( MONSEIGNEUR FÈVRE PROTONOT AIRE APOSTOLIQUE TO'llt est soumis altX clefs de Pierre, tout, rois et peuples, pasteuTs et troupeaux. (BOSSUET, Discours sur l'unit de l'Église). Le calholicisme libéral est une hérésie ; je serai cont1'aÏ1lt de Ie condamner. (Pa roles de Pie IX à l'auteur, 28 mai 1864). ") l'" SAINT-DIllER IMPRIMERIE G. SAINT-AUBi ET TIIEVENOT .f. TIIEYE ()T, S"TCCE:-' E{"n. 10, fORT DU fORT-fARRÉ, 10 1897 OUVRAGES DE MONSEIGNEUR FÈVRE (suite), Le clergé de France et la philosophie, in-So.. I' )) De la restauration des études philosophiques, in-8 o . De la restauration de la musique religieuse, in-So. Du devoir dans les épreuves de la France et de l'ÉgHse. 2 vol. in-32. . Le protestantisme devant Ie peuple français, 1 '"01. in-ö2. La libre pensée et les superstitions, in-So. Des conditions de paix entre la France et la République. in-8 o . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . , 1 )) La République et les Bourbons, t vol. in-12, 2 )) L'Église et la Révolution, 1 vol. in-12 . . . . . 3 )) , Vie et travaux de J. B. Carnandet, publiciste. 1 vol. in-So. )) Vie et travaux de Léon Moynet, statuaire.. . . 2 )) Vie et æuvres de Mgr Darboy, 2 e éd. '1 \"01. in-So. 2 )) Histoire de Louze, 1 vol. in-12. . . . . . . . . . < . 2 )) Souvenirs et monuments d'Eurville, in-So, illustré. . 3 )) Le pèlerinage de Blécourt, '1 vol. in-8 o . . . )) Le pèlerinage de Méchineix, 1 vol. in-'IS. 1 )} Histoire de Riaucourt, vol. in-So . . . H )) Le cartulaire de Riaucourt, 1 vol. in-So . . 3 )) ous PRE SSE : Histoire de la persécution libérale en France, depuis 17M ), 1 vol. in-So. . HISTOIRE DU ..""""':- 1iI ... ,, ....,\. t /,'.. ......9". ;:c .. \, / ' .,: -'to" , -- I '.' \ -.. . \ I 0,:. , t ".. .. ...,.' - .... -') f ... f...J._; \ \l -,\ ': '.... , , -: :"" . ... 4 I " ,I' l l' ' . ". .....,. !\ -;:,".'.-," " , .' :..;' '.,.(1.--- . , , ' (. \...' " " I ",..; 't\'\ : .1 r j , \. ,'\ \ :5( " I " .t \ í k "'" '!"" \:.. ," _y....;. l ..:: .... 4.,... , . f!. .. ,. . \:-. . \..J'tf, . ' ..,.. ...... ). .., ,,_. '";./. I , t:" --' \ '..; ". : . :. í , l' ' . - CATHOLICISME LIBÉI1AL I TP,"ODUCTI0N La filiation de l' erreur, au sein de l'humanité. aboutit, de nos jours, à la gran de hérésie du libéralisme. L'hornme est faible dans son esprit. Moills corrompu dans ses pensées que dans ses sentiments, il a générale- ment" du vrai, une conception plausible, et du bien, une notion suffisante. l\Iais, en présence du devoir, il défaille, hélas! trop volontiel's; s'il cède à l'entraînement des pas- sions, pour excuser sa faiblesse et apaiser sa conscience, il porte des j ugements faux (( Le cæur, dit Ie prover be, fait mal à la tête J) : Noluil in tellig ere , ut benè {{[Jerel. De là, tous ces préjugés, tOllS ces prétextes qui traitent. avec indulgence nos prévarications. De là, tous les systè- mes des poètes, des thé010giens, des philosophes, qui n'excusent pas seulenlenlle péché, mais s'efforcent de lui assurer les bénéfices d'une frauduleuse justification. f 2 TNTRODUCTION' Si vous jetez sur l'histoire un regard synthétique, VOlIS verrez que, dans tous les siècles, l'humanité va aux ahîmes. Dans les temps prilnitifs, l'hommedevient charnel; après Ie délugc, il ne se conlente plus de corrompre ses voies ; pour s'autoriser à la corruption, il reèourt aux idoles. L'i- dolâtrie, d'abord très simple, peu à peu se complique, et, par une logique, à peine consciente, déifie les astres du ciel, les forces de la nature, les plantes, les animaux, les poissons, les serpents, les héros, les anges déchus. Les philosophes de la Chine, les poètes de l'Inde, les théurgis- les de la Perse, les prêtres de Babylone, de Ninive et de lVIemphis, les mythologues de la Grèce et de Rome, sous des formes différentes, aboutissent aux mêmes résullats: Que, dans l'ordre humain, la connaissance du vrai Dieu n' existe presque pas; qu'il n'y a guère que des dieux rela- firs au temps et au pays; que les mæurs doivent se régler sur l' exenlple des dieux et les en eignements de la divina- tion. Par suite, Salan est Ie maître de l'humanité. A la fin, suivant Ie mot célèbre de Bossuet, tout élait Dieu, excepté Dien lui-rnême, et ce monde qne Dieu avait créé pour sa gloire, n' était plus qu'un grand tern pie d"idoles. A l'avènement de Jésus-Christ, les oracles so taisent; les sacrifices prennent fin ; sur les eaux retentit Ie cri fu- nèbre : Ie grand Pan est mort ! L soleil de l'Évangile se lève sur Ie monde ; les nations marchent à sa lurnière ; les siècles célèbrent sa gloire. La vérité divine a sauvé la race humaine de l'ignominie de rnæl1rs horribles et des chaìnes (1'un double esclavage. Le genre humain ne s'est pas lenu longtemps dehoul rlans la vérité. L' évolution des hérésies et des schisoles INTRODUCTION 3 suit nne espèce de loi. J)'abord les erreurs s'inlprègnenl des traditions de la Synagogue et de la nrythologie des Gelltils. ßientôl eUes s'attaquent à la natur'c de In. Trillilé el à la divillité des 1rois personnes. en Dieu. Du Ve au Xe siè- cle, les erreurs christologiques se déveloplJent ; et com me la InateelJité divine est Ie point autour' dnquel rugit l'erreur, l\larie seule extermine toutes les hérésies, soit directe- ment> par la proclamation de ses prérogatives; soit indi- rectement,parce que son pied, qui écrase la tête du serpent, empêche les peuples de déchoir dans la vertn. Depuis trois siècles, s'est rouvert Ie puits de l'abîme, Toule erreuI' nlaintenant se dresse contre toute vérité et vent, dans la législation du genre humain, la supplanter. Vne négation, totale et universelle, ramène l'humanité aux autels de Sa- tan; eL Lucifer, qui se dit Dieu bon, vient s'offrir llli-m,ême, aux adorations de Fimbécile espèce. l\Iais la logique du mal ne peut aIleI' jusqu'au bouf:; ce ser'ait la ruine, Ie retour au néant. l;ne erreur, en appa- rence moins destructive, est donc nécessaire, pour conci- lieI' la tolérance de l' erreu r et du vice avec les exigences glorieuses de la justice et de la vérité. J'ai nomlné Ie libé- ralisme. f\ vant d'entrer dans les récits de cetle histoire, je dois dire ce qu' est, dans ces princi pes faux, Ie libéralisIlle. CcHe étude dogrnatique esl essentielle pour hielJ saisir l'enselnble des faits et cOlnpr'endre Ie péril des événelnenls plus graves, qui doivent en sortir. Ð'aulres avant Inoi, d'autres avec moi, d'aulres après moi ont abordé ou ahorderonl ce grand sujeL COlllrc. Ie libéralisme, il n'y a pas seulClnellt nlaLièl e à une SOlllLue, 4 INTRODCCTIOr, mais lcs éléments d'une bibliothèque. Dans mon humble sphère, Ie combat que j'ai soutenu avec les Jésuites de la Civilla, avec les prêtres séculiers de la Scuo/a catto/ica et de la Si('jIÙI fallolitll, avec les Veuillot, les Galllne, les Ial1pied, Ies ,r entura, les IIilaire, les At, les Charles Périn, les Jules Tardivel, les Davin, les Vall Doren, les deux Pelletier, seul, vieilli, près d'eutrer dans Ie néan t de loule chair, je veux Ie continuer encore. De tous côtés, je n'aperçois plus que les tombes de mes pères el de Ines Inaîtres ; j'ai déjà vu disparaîlre plus d'un frère d'al Ines ; avec ces pierres tombales, je veux dresser, à leur Inémoire, un monument collectif, et élever, contre les errants, une nouvelle forteresse. Dieu me soit en aide! De lui seul j 'at- tends et j'espère la récompense de mes travaux. Nous sommes de Dieu et nous devons retourner à Dieu. J. - Qu 'est-ce que Ie libéralislne ? En soi, c'est l'exagé- ration faulive des justes doctrines sur la liberté ; pour les individus, c'est un péché ; pour les peuples, c'est un fléau. Mais pour entendre ces quelques paroles, il faut descendre jusqu'aux profondellrs de la science sociale. L'ordre social se produit par l'accord du pouvoir et dcs sujets. La conciliation harmOllieuse de l'ordre et de la li- berté s'obtient par l'application de la doctrine calholique : un pouvoir qui cOffilnande chrétiennement, au nom de Dieu, suivant les fins voulues de lJieu; des sujets qui obéis- sent chrétiennement, suivant l'ordre de la foi et avec le intcntions de la charité ; voilà l'ordre chréticlJ, résuItal surnaturel des doclr'jues révélées. Une ociété, qui sort de cet orùre sUI llaturcl, tOlnbe fahtlen1cllt dalJs lcualuralisme. Alors Ie pouvoir ne vent plus commander que d'après les INTRODUCTION 5 Autrefois, la société était conslituée selon l'ordl"e chré- tien ; non pas que cet ordre fût tOl1jonrs et partollt respecté, Inais il était accepté en principe et reconnn comine stric- temcnL obligaLoire. Depllis t.rois siècles, les sociétés, ci- devant chréLiennes, sorLelJt gradllellernent de l'ordre caLholique. D'abord, eUes out essayé d'obtelJir' l'ordre, en concentraut tous les pouvoi( s òaus Ies chefs de la société ci,'ile: ce fut l'ère d'absoll1tÏslne qui va, en France, de François [CI' à Louis XVI. Depuis, elles s'appliqucu1 à ob- leni( Ie mèlne résultat, en lransfél allt aux sujets l'absolu- Lislue des rois : c'est l'ère libérale qui date de 1789. On oppose vololltiers ces deux ères l'une à l'autre ; et il y a, en effet,dans leur organisation, une opposition ahsolue; mais, dans leur principe, iJ y a idenlilé. Sous Ie régime de l'absolutislne, Ie roi avail une existence antérieure et su- . périellre à la nation; ilIa créait à la leLtl'e en réglant l'ordre des personnes, des choses e1 desjugernents et, dans la nation, lout lui était assujetLi, pel sonnes el biens. Sons Ie régilne du libéralisme, il u'y a plus de sujets; Ie citoyen est libre et souvcrain, il déJèglle à ses lnandataires révoca- hies et responsables la gestion des affaires publiql1es, Inais tOllS doiveul, suiv(lnl scs volontés Inanifestées par des vo- tes, les régler. Dans l'un et l'autre cas, rholnme est tout; ])ieu, Jésus-Christ et son Eglise ne sont plus rien, au nloins SOllS le rapport social. Dès Ie X'-le siècle, Luther el lOllS les pseudo-réfornla- teurs avaient fait sorLir un certain Hombre de pays du giron ùe l'Eglise ; ils avaieut accordé {tux princes l'absolu- tisme; aux sujcts, Ie libre examen, l'indépelldance de la raisoll et de la cOlJscience. Des rois catholiq lies a vaien t 6 INTRODUCTIO imité de loin les princes p"olestant , mais sans pousser la scis iol1 à ses dernières extrémiLés. Depuis la fin du XV I II-e siècle, les ,'éfor'Inalelu's libéraux ont voulu ofl'rir aux peu- pIes de race laLine, l'équivaleut social du liLre examel1. De là, SOliS différents 1101118, un prolestalllÏsfile dogmaLi- que, Inoral, civil et politique å l'usage exclusif des peuples qui avaieut gardé l'organisatioll chrétienne : leUe cst Ia genèse histo.'ique tiu libéralisme. Le libéralisme s'élait opposé, d'abord, à l'absolulisme des princes; il se flaltaiLde rendl'c aux peuples les liLerlés confisquées par les ('ois. :\Iais, C0111me les monarques ab- solus avaient fait à l'Eglise et aux Souverains Ponlifes une guerre passionnée, les libéraux, légataires des mê- files passions, se donuèrent la làche satanique de rompre tOllS les freins divius et de rejeler lejoug dll Christ. Abso- lutisme ou libÖralisme, c'estle mêlue crime conlee Dieu et cOlltre son Egli8e. Le libéralisllle exisle, conlme idée, depuis. la révolte de Lucifer; il est passé, sous ce nom, dans les faits, dans les institulions el daBs les IlJQ 1 UrS, depuis 89; il s'éleud de- puis un siècle sur Ie corps social COlnlne line gangrèlJe, et il a tellelnent infecLé Ie sang politique du pays, que ses Inalheureuses victinles osent bien dClnalJder s'il e).isLe. Le libéralislne esL conlme la pesLe ; on ne Ie voil pas, mais on en meurL En quoi consisle-l-il? - Et d'auord, .'icn n'est plus difficile que dc donner ulle détiuitiOll brève et précisc du libéralis(neo (( Le libéralisme,disenL Ie évèqllcs de l'Equa- leur, lJ'esl Hi llllC cn'Cl1r isolée, ui un ablls délerminé; c'es! quelque chose ù'incertaill, rle vague, d'indélerminé qui INTRODUCTION 7 égare la raiso11, aUaque la foi, corron1pt la Inorale, combat l'Eglise et sape les fondemeuts uaturels de toute société, en érigeant en dl'oits uue gl'ande parlie des ltceugles ins- tincts de uotre nature déchue. ElJ Vhilosophie, Ie libéralisme est la rnétaphysique uébuleuse de l'erreur ; elJ politique, il est Ie palladium de l'erreur et du bouleversement ; en mo- rale, il estla proscription de 1a cOJJscience huo1a.ine, et en religion il est l'eunemi tantôt déclaré, tantôt caché, du Christ ef de on Eglise. )) Don Sarda procède avec plus de précision: {( Dans l' ordre des Ùlées, d it-iI, Ie libéralisme esluu ensemble d'idées fausses, et, dans l' ordre des fails, c'esl un enseo1ble de faits criminels, conséquences prati- ques de ces idées )) (J). Dans l' ortlre des idées, d' aprè DOll Sarda, les principes libéraux sont : la souverainelé absoille de l'individu avec une elltiere indépendance de l'autorÏlé diviue; lasouverai- llelé absolue de la sociélé, slIpérieur'e à loul ce qui ne pro- cède pas d' elle ; Ie droi t national de fai re des lois et de se gouverner par sa propr'e volonté, exprimée d'(tbord par suffrage, puis par Inajorité parleu1entaire; la liberté de pen er sans aueun freilJ, Hi en religion, ui elllTIorale, ni en politiq ue; la liberté absolue de la presse et des associa- tions. - Dans l'ordre des faits, Ie libéralisme est la réllnion d'ceuvres inspirées et réglées par ces principes : telles que des lois pour la disso1u tion des ordres religieux, la confis- cation de la propriélé eeclésiastique, 1a laïcisation du ma- riage et de l'enseigneinent, les aLtentaLs de toute nature (1) Le lil){;I'ali }Jlf' est Wt p(;rlté, passim. - Ce volume, parvenu à sa JOe édi- tion, esl à lire lout entier. 8 INTRODUCTION coulre la liherLé de l'Eglise, la corruption et l'erreur publi- qllenlent alltorisées, soil à la tribune, soil dans la pl'esse, soil dans les 1110'lH'S; la guerr>e systélnatique au calholicis- Inc, désigné par des 1110ls de théocralie, d 'uHnunontauis- me, ou de cléricalisme. Le libéralisme pratique est un Inonde complef ; il a ses maximes, ses rnodes, scs actes, sa liUératllre, sa diplolnatie, ses lois, ses Inachinations ef ses gllet-apens. C'eslle monde de Lucifer, déguisé SOLIS Ie libéralisnle, en guerre flagrante et constaule avec l'Eglise de Jésus-Christ. Le libéralisnle est, par lui-même, un péché mortel : 1 0 dans l'ordre des doctrines, parce que, basé sur Ie ratio- nalisme, ilnie en principe la révélation et Hie en parlicu- lieI' l'autorité de Dieu, la nlissi,on de Jésus-Christ, Ie nla gisLère de l'Eglise; 2 0 dans l'ol'dre des faits, parce que, rejetant la raison éternelle de ])ieu, il détruit Ie principe fondamenlal de tonte moralité, proclalne la morale indé- pendante et sanctionne, COn1111e nne source de progrès, la violation de tons les cOInn1andenlents. Par conséquent, saur Ie cas de bOllne foi, d'Ìguorauce eL d'irréflexion, Ie libé1'alisme, qui esl une hérésie-mère, el les ællvres li- bérales, qui sont des (l'uvres hérétiques, constituent un des plus grands péchés que connaisse Ie corle de la Foi. II. - Le libéralisrne, en Laut que s)-stème de doctrines, pent s'appeler école ; comIne organisation d'adeples, daus )e but de propager ses doctrines, c'est une 'ecte; comme groupe d'hommes s'eCforçant de les faire pr>évaloir dans Ie droiL public, c'est un partie l\lais, SOllS quelque aspect que YOllS Ie considériez, il otfre, dans son uniLé logique, une grande puissance de cohésion. .(\101'5, c'est un systè17ze de INTROD UCTION 9 doct.rines erronées, impies, ou opposées à la Foi. Quoiqu'il aUeigne, par l'enchaînement uaturel de ses idées, l'ordre individucl et l'ordre dOlllesliqlle, c'est surtout un système polilico-J'eligiellx, parce que, né des querclles sllscitées au X'TIlle siècle entre l'Eglise et l'Etat, il s'esf produit d'abord dans la Ðérlarctfion des droits de l'lzol1une, qu'il faut consi- dérer surlout com me la négation des droits de Dieu. lVla1s il fan t bien retenir que Ie lihéraIisn1e est UII, et que, 51 l'OIl admet, à Ull degré quelconque, son principe, on est fatalenlent entraîné à toutes les con équences. C'est ceUe logique implacable qui fait toute la force de la Révolution. Toulefois, malgré ceUe llnité Iogique, les écoles, les sectes elles partis Iibérau , en adhéran t au système, ne Ie dis- tribuent pas lous à égale dose. Les inlérêts, les considéra- Lions de fanlille, les relations rle sociélé, Ie respect humain, l'esprit de taclique règlent cette question de dosage, ceUe accentualion plus on n10ins forte. Le poisoll est plus ou mains dilué ; c'eslloujours Ie rnême poison. Or, dans celle diversilé presque i116nie de personnalités libérales, on distingue trois principaux systèmes: Ie libéralisme l adical, le libéralisme npJlnrtlilliste el Ie libé- ralisme callzolique. Ce qui caractérise ces systèmes, c'eslla situation qu'ils font à l'Eglise dans la société civile. Pour Ie libéralismc absolu, la formllie est: l' Eglise dans r E {at, enlendanl par ]à que Ie gouvenJemenl est l'arbitre absolu de tout droit, et que l'Eglise reçoit de l'Etal ses conditions d'existence. Pour Ie libéralisme mitigé, la fornlule esl : I'Eylise fibre dans l'Elat fióre; il vent dire que l'Etal est nlattre absolu de se acles, el qu'il n'esl pas obligé de tenil" cornpledes intérêts religiellx. Quant à l'Eglise, libre dans la 10 INTROD lJCTION sphère lnétaphysique du dognle, elle n'a allcun droit politi- que et social, Inais ne jouit que de la liberté individuelle S,ous la garantie du droit COlnn1111J. Pour Ie libél'alislIle soi- di a()l catholique, Ie plus hypocrite, Ie plus satanique et Ie plu s ilnpossible des trois, il n'a pas de forn1ule. Ell princi pe, iJ admet Ie catholicisme iulégral; en fait, il veut Ie marier' avec sa négatiùu. Avec sa bonhonliecalculée, il ditque, dans I'in1érêl des ârnes, l'Eglise doH c.éder au ten1ps e1 aux cir- conslances. L'individu est obligé de se SOUlneUre à la révé- latioll de JéSllS-Chl'isL ; n1ais rEt t, en tant qu'Etat, ne doil pas avoir de religion, ou it ne doit en avoir que dans la mesure qui ne gêne pas ceux qui n'en ont poiut. Conlradic- tiolJ puérile ! cHrsi 1'01J adn1et, pour la raison individuelle, nllc :;oumission obligatoire, on doit admettre, à plus foete raison, l' obligation de la raison collective, ou si l' on affran- chit l'une en luettanL l'autre OllS Ie joug, on pose Ie dua- lisn1e corume principe aulithélique de droit, et foyer fatal de gllcrre Pllblique. r; Si I'on considère l'illlllne essence du catholicisme liberal, on ,oi t q u' elle consis le daus uue fausse illterprétation de . l'acte de foi. Les catholiques sans épiLhèLe croieuL sur l'au- LoriLé illfaillible du ))ieu révélateur; les cathoJiq ues libé- raux fon t résider l' au tor'i Lé de la foi dans la libre adhésion de la raison individuelle. Ce ne sont pas des c.hrétieus sou- n1is au rnagistère de l'Egli e, ce sout des hommes qui se font juges des doch'iues, admeLLant les Hiles, rejetant les êlutres. éanlnoins, iis s'ÍutiLlIlent catholiques, parce qu'ils croielll fermell1enl à la révélation du Fih; de Bien; nlais ils tiennelllleur iutelligence pour libre de croire ou ùe ne pas croirc, Uès lor , iis ne yoicut pa , dalls I'incré- INTRODUCTION i1 dulité, un aVel1glelnent volontaire dll cæur et de l'espril, mais un acte licile, un malheur (Jeut-être, pas UlJ péché. ])e là Je respect avec lequel ils veulent qu'on Lraite Loutes les convictions; de là leur hOl'reur pour touLe pression extérieure qui chàLie ou pl'évienne l hérésie; de là encore leuI' lendance à jugel' de toutes choses, non dans leur rap- port avec Ie sahlt, nlais dans leur résulLat all profit de la civilisalion ; de là, enGn, leur Illauvaise entente de la piélé, qui n'e t plus qu'atTaire d'éIlloLion, une sorte de sénsua!iSJne spirituel. Si l'on considèl'e nlainLenant la raison d'êlre e.l.trinsèque du libéralisme, 011 voit qu'il consiste, surtout, dans la di- minution de la vérilé et l'énervelnent des åmes. Le libé- ralisme est Ie crépuscule de la vérité, qui commence à s'obscurcil dans l'iulelligence, ou de l'hérésie qui ll'en a pas encore pris entièrement possession. Sont d'ordinaire calholiques-libéraux, les catholiques qui cessent pell à pen d'être de fel'mes calholiques, elles libéraux purs qui, en partie désabu és de leu I'S erreurs, u' entrent pas encore pleinemenl dans Ie dOlnaine de la vérité. Un pied dans ehaque caUl p, des amis parlout, des sourires et des poi- gnées de lnain it tout Ie monde. :Vloyennant quoi, on est poussé, lil'é, hi sé; on moute et l'onarrive... aux bureaux de tabac. Le del'llier InoL pratique du libéralisme, ce ll'est pas atfaire de doctrine, e'est diminution de piété, prépon- dérallce dc l'intél'êt et victoire des passions. Ii faul di lingller ellcore entre Ie libéralisme péculatif et. Ie libér'alislne pratiquc. Les libéraux Lhéoriques :;ont les dogrnati eul' de la secte ; les libéraux pratiques ont les mouLuns de Pan urge, qui croienl ce que diseut les rnaìLres, 12 INTRODUCTION ou qui, sans Ie croire, les suivent. Ce sont les cOll1mÍs- voyageur du parti ; ils évitenL ave soiu de se faire pincer sur le terrain des doctrines, n1ais ils fon lIes frais du jour- nal libéral, appuient les combil1aisons libérales, ,'oLent pour Ie dépllté libéral eL acclament lous les cor 'phées du libéralisn1e. Ces factotulns Rout les enlpoisonneurs en titre dcs consciences cIH'étiennes, ceux qui sédllisent Ie plus tristemen ties àrnes sans défense. III. - Or, Ie libéralisme, à tous ses degr'és et sous tou- les ses formes, a été condamné par l'Eglise. Outre les ll10- tifs de malice inll'insèque qui Ie rendenl mauvais et crimi- nel, il a conLre lui, POUI' tout catholique fidèle, la suprêlne et définitive condamnalion de l'Eglise qui l'a frappé d'ana- thème. Pie \T[ foudroyaiL déjà celte fameuse DéclaJ'atioll des droits de r honllne, qui contien t en gerille tOll tes les fo- lies du libéralisme. Pic \Tf[ frappait Ie despotislne libéral envahissant Ie don1aille tenlpo[>el, et attenlant à la liberté personuelle du Pontife romaine Léon XII et Pie VIII pour- suivaienl le libéralisme jusque dans les repaires des socié- tés secrètes. Grégoire XVI publiait, conlre Lameunais, sou Encyclique Jlirari 1..'OS, condamnatioll explicite du li- béralislne, tel qu'il élait entendu, euseigné, pratiqué par les gouVerlJell1ents constitllLionncls. Dieu, POUl' couroll- ner cette série séculail'e de condamnalions, suscitait de nos jonfs le grand Poulife que l'hisLoire salue conl111e Ie /léau elu lihél'alisl1ze. Dans une lettre à Gaston de Ségur, Pie IX appelle Ie libé- rali me Ie pel'fide enneJni; dans nne r épolJse à l'évêque de Nevers, In vé/'ilahle raluJltllé (!rtitelle; dans nn Bref au cer- cle catholique de l\lilan, un partf! entre la justice el l'ini- INTRODUCTIOl\" 13 quité, IJllts luneste et plus dangerellt . 'lu' un enuenÛ déclaré ; dans LIne lettre à l'évêque de Quimper, un virus occu!tp: dans LIn Bref aux Belges, Ulle el'l"Cllr sOllJ'noise el insidieuse ; daus un autre Brcf à 'lgr Gaull1e, une peste tJ'ès lJel'nicicuse. Cependant, le libéralisme ponvait, avec nue cerlainc appar"ence de raison, se sOllstraire à ces documents d'ulJ caractère purement privé. Un document public, :5olenuel, d'un caractère généraI, ulliversellement promuIgué. étail done devenu nécessaire : ce fut Ie Syllabus de 18ß4. Le Syllabus est un catalogue officiel J'erreurs con tem- poraines, en forme de propositions concrètes, telles q u' on les reucontre, dans des auteurs qui les ont propagées. On y trouve en détail tout ce qui constitue Ie catholicisme li- béral. A la vérilé, il n'y est nommé qu'une fois, mais il est certain que la plupart des erreurs mises par Pie IX à ce pilori, sont des errellrs libérales. On en a la preuve dans r énuméralion mênle de ces propositions: condamnation de la liberté des cultes : propositions 15, 77 et 78 ; - con- damnation du placet gouvernemental : propositions 20 et 28 ; - condamnation de la confiscation des biens ecclé- siastiques: propositions 16 et 27 ; - condamnation de la suprématie absolue de l'Etat : proposition 39 ; - condam- nation du laïcisme dans l'enseignement: propositions 45, i7 et 48; - condamnation du droit absolu de légiférer saBS Dieu : proposition 56 ; - cOl1damnation du principedenon- intervention: propositiolJ 62; - condarnnatioll du droiL d'insul'reclion : propo i tion 63 ; - cOlldalnua tioll du rua- riage civil; l'roposi tions et autres; - cOlldiUU lJatiolJ dc la liberté de la presse: IH oposition 7U ; - condamnalioll du suffrage univPl'scl COlnnle source uniquc d'aulorilé: :14 INTRODUCTION proposition 68 . - enfin, condamnation du nom Inêlnè du libéralisnle : proposition 80. Un quart, au lTIoins, du Syllabus tOlnbe d'aplomb sur Ie libéralislne. A.ussi les libéruux l' on t- ils accllcilli avec ulle espèce de furcur. Quant nux catholiques libéraux, celte race d'endormeurs, les uus .onl dit qu'il u'était pas obliga- toire, les autres qu'il se bornait à réprouver certaines erreurs monstrueuses, dans lesquelles, eux, gens de grand sens, n' étaient pas tonlbés. l\Iais Ie soin de Léon XIII à prê- cher l' union entre catholiques, slIr les bases posées par les actes pontificaux, n10ntre ce qu'il rant penser de ces soi- disant interprétations, qui ne sont que des trahisons. Quan t à Pie IX, dans les dernières années de sa vie, il était tel- lement horripilé par la conduite astucieuse de ces sectai- res, qu'ilue parut, pendant dix ans, vivre que pour les flélrir. On doi t done se faire scrupule d' éviter les doctrines libé- rales, queUe qn'en soit la forme; on doit en conscience les éviter, en repoussant les jOLJrnaux et les revues qui les distillen!, en écartant les personnes qui les prêchent, en s'abstenant des actes qu'elles inspirent. DOll Sarda donne, à cet égard, des règles de conduite, et cornine son livre a pour but de diriger les consciences, Ie sage auteur entre dans les plus minutieux détails. Pour les bien connaître, il faut recourir à son livre, ouvrage d'ailleurs tellement important el décisif, que toul homme illtelligenl doH Ie lire; tout bon chrétien, Ie méditer ; ct tout prêlrc, s'en faire une armure. IV. - Don Sarda pose une question que BOllS ne voulons pas agiLer: Ya-t-il Oll peut-il yavoir dans l'Eglise, des INTRODUCTIO 15 ministres de Dieu, infectés de l'horrible contagion du libé- ralisnle ? Tout hOIIlme est menleur et delnande, pour s'autoriser au vice, des doctrinesdemensonge. Toutprêtreest homme; tout prêtre pent s'abandonner à ses faiblesses ou servir, par son ministère, les faiblesses d'autrui ! Dans Ie moude, tel qu'il est, l' erreur a toujours eu des serviteurs puissants ; mais dans Ie monde, tel que l'a fait la sainte Eglise, c'est surtout parmi les prêtres que l' erreur a voulu susciter ses hérauts. L'Eglise, il est vrai, a pour mandat divin, de prê- cher toutes les nations et de leur prescrire les saintes or- donnances du saInt. Cependant c' est à I'Eglise, instrun1ent prédestil1é de la sanctification des âmes, que l' esprit ma- lin cherche et réussit toujours à arracher quelques prêtres, pour en faire les agents de corruption. Le prêtre tout- puissant pour Ie bien, est au si l'homme qui sert Ie mieux la cause du mal. Toutes les grandes hérésies ont eu, pour complices, des prêtres ou des laïques de haute marque. Un menteur qui ment, ce n'est pas chose bien extraordinaire, et ça ne produit habituellement pas grand effet ; mais un homlne d'Eglise qui se fait homme d'erreur, un homme de Dieu qui se faiL homme du diable, voilà, ce semble, Ie per- sonnage que l'humanité acclame avec plus d'empresse- ment, pour en recevoir congé de libertinage. (( Lc prêLre apostat, dit notre auteur, est Ie premier fac- teur que recherche Ie diable pour réaliser son æuvre de rébelliol1. Il a besoin de la présenter aux regards des gens avec quclque apparence d'autorité; or rien ne sert autant sous ce rapport que Ie conlre-seing d'un ministrc de l'E... glisc. Et comme malheureusement il se trouve toujours, in , INTRODUCTIOl\ dans celtesainte Eglise, des ecclésiastiques corrompus dans leurs mæurs, corruption par OÙ l'hél'ésie chemine COffi- modément ; ou bien aveuglés par l'orgueil, cause très fré- quente aussi d'erreur, il résulte qne l'esprit mauvais, dans toutes ses n1anifestations, a eu de tout temps, à sa di po- silion, des apôtres et des fauteurs parmi Ie clergé. )}. (Page 142.) En présence de ces prêtres, infectés de libéralisme, Don Sarda se demande ce qu'il faut faire. Pour la conduite pri- vée, il pose quelques cas de direction et les résout d'après les hunières de la théologie. Dans sa préface il avait résolu ]a Inên1e question en opinant pour la bataille. La raison qu'il en donne est que, à chaque siècle, il y a une erreur capitale, contre laquelle il faut dégaîner. Combattre des ennemis vaincus et morts depuis des siècles, ou opiner sur des affirmations qui ne soulèvent aucun désaccord et n'onl rien d'hostile aux droHs de la vérité, n'est pas la condition des catholiques. Ce n' esl pas contre des ennemis imagi- naires, avec des armes sans portée, que l'Eglise est une armée rangée en bataille et que nous sommes, par les sa- crements, armés chevaliers d'une glorieuse milice. Jésus- Christ, son Vicaire saint Pierre, les apôtres et les Inartyrs sont tous morts au service de la vérité, méconnue ou tra- hie. (( Depuis lors, tout héros de notre glorieuse arméc a dû sa célébrité à la question brûlante dont la solution lui e t échue en partage, it la question brÙlante du jour, non à la question refroidie, arriérée, qui a perdu son intérêt, ni à la question future, qui se cache dans les secrets de l'avc- nir. Ce fut corps à corps avec le paganisme couronné e1 :\ssis sur Ie trône impérial, que lcs premiers apologiste INTRODUCTION 17 eurelJt à traiLer, au risque de leur' vie, Ia question brûlante du jour. La question brlîlante de I'arianisme qui boule- versa Ie monde enLier, valut à Athanase la perséclltion, l' exil, l' obligal.ion de fui r, des menaces de mort et des ex- conlmuuications de fan x conciles, Et Augustin, ce valeu- reux champion de toutes les questions brûlantes de son siècle, est-ce que par hasard, il eut peur des questions po- sées par les Pélagiens, parce que ces problèmes étaient de feu? Ainsi, de siècle en siècle, d'époque en époque, à c.ha- que question brûlanLe que l'antique ennemi de Dieu et rnis de se prendre aux person- nes et, dans ce cas, résolu affirmativen1enL, avec me Oll une partie de leurs revenllS, es::;ayant ainsi de mille manières de les réduire en sel'vitllue. Or, et nous Ie disons dans l'anlerLume de notre âme, quelq ues prélats, quelques per- sonnes ecclésiasliques, tremblanl là OÙ il n'y a point à cl'aindre, cherchant une paix fugilive el redoutant plus la majesté tempo- reHe que la majesté éternelle, se prêtent à cet abus, Inoins touLe- fois par lémérÏlé que pal' imprudence, rnais loutefois sans en avail' obtenu du Sipge apo tolique l POUVOil' et la faculté. )) En con équence; J 0 Ie PontHe porte des censures lerribles con- tre toule pel'sonne ecclé iasLique qui, sans Pautori aliun pontiti- cale, oserait, sous n'irnpode quel prélexte, accorùer une partie quelconque d u patriInoine de l'Eglise ; el 2 0 , il renouvelle les an- ciennes censul'es porlées contre les la'iques même rois ou empe- LES ORIGINES HÉTÉRODOXES DU lIBÉRALISME 27 reurs, qui, sans cette permission, requerraient ou forceraient les clercs de leur abandonner ce patrimoine. En ùeux mols, la bulle C le1'icis laìcos fait, pour la propriété ilcclésiastiq ue, ce qu'avaient fait pour la j uridiction spirituelle de l'Eglise, les céI<"hres bulles de Grégoire YH et d'Innocent III : c'est une rharle de liberLé. Et pour sauvegar'der la propriélé cléricale, elle rappelle les censures déjà purtées conlre ]es envahisseurs de ceUe propriété, n1ais n'innove q u'en ce sens qu'elJe porte des cen- .'Hlres conl1'e lcs ClC1'CS as::;cz peu fermes et sages pour livreI' eux- mêmes Ie Lien fJu'ils duivenL conserver. BossueL appelle celte décrélale l'élinceHe qui allunla l'incenc1ie. Après Bos::;uet, un grand non1bre d hisloriens disent que la bulle fut la cause, ils auraient mieux dit Ie prétexLe, des emportements de Philippe Ie Bel. Boniface, en eIfet, ne faisait point une constitu- tion nouyelle, mais il confirm aiL plutôL les sentences nùmLreuses et solennelles publiées avant lui par les conciles et paries papes pour lieI' les mains des la'(q ue:; lOUjOlll'S prêtes à s' étendre sur les hiens de l'Eg-lise. Le òix-neuvième canon du troisi( me concile de Latran f]'appe d'excommunication les laïques qui imposent des taxes sur ces biens; Ie quaranle-quatr'ième canon du concile de Lalran confirme ces censures et ajoule qu'on ne peut, môme en cas de néccssilé, lirer' des sub ides des églises, sans la permission du Pape. La Défense, comIne l'a judicieusf'menl observé Ie P. Bianchi, ne regal'dait pas seulemellt les barons et les vassaux du roi, elle concernaiL Loule puissance laïque en général, pal' conséquent, Ie chef SOli verai n de q ni les bar'ons lenaien t leurs droits (1). La bulle Clericis laïcos n'élait pas moins opportune en fait que fondée en principe. Certes. elle ne pourrait être taxée d'inopportunité c't une épof(ue Oll les princes et surtout Ie roi de'France dévoraient avide- menL les bien:-) ecclésiastiques. J)'ailleur's, elle n'était point particu- lif're à Phili ppe, qui n'y étail pas nommé, mais s'adressait à l'Eglise univer'selle; el si Philippe y lrouvait un obslacle à ses exactions, leg princes qui ]ui faisaient la guen'e n'l'laient pa nloins empè- (1) DIAl';Om, TntÏté de la pui,ç;sancl' crrlpsiaslÏqu(', li\', YI, 5, 28 CHAPITRE PREMIER cbés de tirel' du clergé de quoi con1baUre la France. Enfin, pour que Philippe ne pdt point on1Lrage de sa décrétale, Boniface lui aurait envoyé, à la 111ême époq ue, une lellre fort engage ante ap- pelant à Ronle Charles de Valois, frère du roi, pour y lrailer d'Ìm- portanles affaires. Sponde affirme que ]e Pape avait Ie dessein d'élever ce prince à la dignilé impériale et de Ie IneLLrr à la lêle d'une nouvelle croisade (1). Quoique ]a bulle Clericis lalcos fill fondée en droit, nécessaire en fait, oppol'Lune et régulière, applicable à lO,ule la Chrétienlé, eUe causa rUIneur à la Cour de France, OÙ 1'0n songeait à loute aulre chose qu'à respecter Ie droit. Les courlisans y virent un péril pour l'autocralie de la COl1ronne. Philippe, pour Inontrer Ie cas qu'il faisail d'une bulle et lâcher de retenir l'argent qui se défobait, défendit à tous ses sujels d'exporter l'argent hors du royaume; envahit les biens des églises de Laon, de Reims de Nal'bonne et de I\Iaguelonne; incarcéra par un acle de pure violence, diL Gui- zot, un légat du Saint-Si ge et lui fit son procès; refusa de rece- voil' un autre légal, défendit aux prélals de son royaume de se rendre au concile de Rome, enfin accaLla de charges énormes la noblesse, les universités el Ie peuple. Par lous ces attentals, Phi- lippe préludait aux envahissements de Louis XIV, de 1irabeau, de Napoléon et de Garibaldi. Nous n'avons pas à parler ici des huIles Ineffllbilis et _1 usculla (iii, pas plus que de celte série d'actes oil Boniface VIII essaie de contenir l'impéLuosilé de cet aveugle forban et s'e(force de maintenir Ie droit ùu Sainl-Siège. On ne sau- rail trop admirer la sagesse el la n}ansuélude du grand pontife ; on n'admirera pas moins sa décision consignée dans une autre bulle immortellc, la bulle Unam Sancta1n, En voici la traduction: (< La foi nous oblige de croire el de professcr que la sainte Eglise catholique et apostolique est une... C'est pourquoi l'Eglise une el unique n 'est qu'un seul corps, ayanl non pas deux chefs, chose monstrueuse, mais un seul chef, savoir, Ie Christ el Pierre, vicaire du Christ, ainsi que Ie successeur de Pierre, ]e Seigneur ayant dit (1) SPO DE, Aunales ecclésiastiques, An 1296, nO 2, LES ORIGINES nÉTÉRODOXES DU LIBÉRALISME 29 à Pierre lui-même: Pais mcs hrebis, en général: ce qui montre qu'illes Iui a confiées tontes sans exception. Si donc les Grecs et d'aul1'es encol'e disent qu'ils n'ont point été confiés à Pierre et it ses successeurs, il raut qu'ils avouent qu'ils ne sont pas des brebis du Christ, puisq LIe Ie SeigneuI' a dit selon saint Jean: Qu'il n'y a qu'lln seultpoupeau et qu'U'ìl seul pasteur. Qu'il ail en sa puissance les deux glaivps, l'lln spirituel, l'autre temporel, c'est ce que l'E- vangile nous apprend : car les Apôtres ayant ùil: Voicz deux glai- ves ici, c' est-å-dire dans l'Eglise, puisq ue c'étaien ties .A pÔ[res qui parlaìent, Ie SeigneuI' ne leuI' répondit pas: c'est trop, mais c'est assez. Assurément ceIui qui nie que Ie glaive tempore] soit en 1a puissance de Pierre, méconnaH ceHe parole du Sauveur : Remets lon glaive dans Ie (ou/Teau. Le glaive spirituel et Ie gIaive maté- riel son t donc l'un et l'autJ'e en la puissanre de I'Eglise ; nlais Ie second doit être employé pOll1' l'Eglise, et Ie premier par l'EgIise. Celui-d est dans la main des rois et des soldats, mais SOllS la direc- tion et la dépendnnce du prêtre. L'un de ces glaives doit êlre SUh01'- donné à l'aulre, et I'aulorilé tern porelle doH être soumise au pou- vail'spiriluel. Celles f) ni existent sont ordonnées de Dieu ; or elIes ne seraient pas ordonnées, si un glaive n'était pas soumis à l'autre glai\"e et, comme infédel1r, ramené par 1ui à l'exercice de la volonté souveraine. Car, suivant Ie B. Denis, c'est une loi de Ia divinit{l que ce qui est infirme soil coordonné par des intermé- diaires à ce qui est au-dessus de toul. Ainsi, en vertu des loi8 de runivers, loutes choses ne soot pas ramenées à l'ordre immédia- tement et de la n1ême manière: mais les choses hasses par des choses moyennes, ce qui est inrérieuI' par ce qui est supérieur. Or la puissance spirituelle surpasse en noblesse et en dignHé tonte puissance ter'restl'e, et nous devons tenir ccla pour aussi certain qu'il est clair que les choses spirituelles sont au-dessus des lem- poreHes. C'est ce que fonl voir' aussi non moins cIairen1enll'obla- lion, la bénédiction et Ia sanctification des dimes, l'institution de la puissance et les conditions nécessaires tIu gouvernement du monde. En effel, d'après Ie lémoignagede la Vérité même, il appar- tient à la puissance spir'Huelle d'inslituer la puissance terre lre el 30 CHAPITRE PREMIER de la j uger si eJIe n'esl pas bonne. Ainsi se ,'érifie l'oracle de Jéré- mie louchant l'Eglise et ]a puissance ecclésiastique: roilit que je t'ai établi SU1' les nations et les 1 oyoumes, el ]e reste comme il suit. Si done la puissance terl'estre d(}vie, elle sera jugée par la puissance spirituelle. Si la puissance spirituelle d'un ordre inférieur dévic, eUe sera jugée par son supérieur. Si c'est ]a puissance suprêIne, ee n'esl pas l'homme qui peut la jllger, mais Dieu selll, suivant la parole de rApt.tre: L'hofn'me spi1 itucl juge et n'est jU[jé lui-nlême pal' pPl'sunne. Or cette pui sance qui, bien qll'elle ait été donnée à l'homme et qll'eHe soit exercée par l'hommp, est non pas hun1aine mais plult)t divine: Pierre l'a reçue de la Louche divine eHe-même, el celui qu'il confessa l'a rendue, pour lui et ses successeurs, iné- h1'an[aúle comme la pierre. Car Ie Seigneur lui a dH: Tout ce que iu lieras, etc. Done quiconque résiste it eeHe puissance ainsi ordon- née de Dieu résiste à l'ordre même de Dieu, à moins que, comIne Ie n1aniehéen, il ll'imagine deux principes, ce que nous jugeons être une C1Teur et une 1té1'ésie. Aussi Moïse alteste que c'esl dans Ie principe et non dans les principes, que Dicu c1'éa Ie ciel et la le1'1'e. Ainsi Loute créature lzumaine doH être Roumise au Pontile 1 omain, et nous déclarons, affirmons, définissons et prononçons que cette soumis ion est absolument de nécessité de saluL J) Telle est, dans son texte aulhenlique, celte fameuse Bulle Unam Sanctau qui fait écumer de rage. non seulemenl les loups d u schisme et de l'hérésie, mais les hrebis du gallicanisme et les agneaux du libéralisme. L'Eglise une, sainte, catholique, apostolique, romaine, a reçu en héritage toules les nations de la terl'e. Jésus-Christ lui a confié ce domaine pour tous les siècles à venir. A Pierre, pl'ince des apôtres, il a confié deux clefs et deu glaives; des deux clef , rune ouvre Ie ciel, l'autre commande à la terre ; des deux glaives, l'un est manié par ]e Pontife romain, l'aulre doit r ter à son service et agir sou sa direction. L 'Eglise a droit strict à cette part des biens de la te1'I'e, indispensable à raCCfH}} plisscn1elll de son manùat dc rédemption ; eUe a droit aUðsi à ce concours du glaive temporel. nécessaire pour Ie gouvernement de l'humanité déchue. Lui enle- vel' ces biens, c'est entl'aver ::;on æuvre de sanctification; prélen- LES ORIGINES HÉTÉRODOXES De LIBÉRALISME 31 dre que César, 80US la direction de l'Eglise, ne doH pas lravailler au salut des :\nles, ce n'est pas seulement dég1'ade1' César, c'est in- te1've1'lir 1'ord1'e des institutions divines. Ce double droit aux biens terl'estres et an gOllvernernenllemporel, ici direction, lit pl'opriété, ce n'est pas tout; car Pierre ne doit pas sanctifier seulemenl César, il doit sauver aussi ses sujels et juger par conséquent, au spirituel, sur ]a terre, les actes dont la trame forme ici-bas leur exis- tence. Tout est soumis aux clefs et aux glaives de Pierre: tout, rois et peuples,pa teurs et troupeaux. La tradition Ie crie par toutes ses voix ]'Orient et l'Occident s'unissent pour Ie proclamer. Le suc- cesseur de Pien'r, a,oniface, l'a déclaré, affirrné, défini, et prononcé éternellement q ne ceLLe soumission est nécessaire au salut des Úmes. La double puissance du Vicaire de .Jésus-Christ est inébranlable comme la pierre angulaire de I'Eglise. Si vous contestez ce point capital, vous déchaînez la révolulion ; vous affirmez, pour Ie gou- vernenlent, Ie droit au despotislne ; pour les sujets, Ie droit à l'a- narch ie ; pOll r tous, Ia sainteté des a ppélits, la JiciLé de Lou tes les passions. Par Ie dualisme gouvernemental vous rejetez Jésus- Christ dans son Pontife dont vons avez restreint la puissancé, et vons livl'ez l'humaniLé à tous les emporlements, it toules les disso- luti(Jn , à toutes les ruines. 11. Quand l'aile ùe la mort eut balayé Philippe Ie Bel e1 toute sa famille, on vit monter sur Ie trûne de France un fils de ce comte de Valois que Boniface YIII avail créé vicaire du Saint-Siège e1 appelé Ie défenseur de I'Eglise. La peste d u servilisme, qui venait d'nLLirer la foudre sur Lant de rois, es.saya de Ie corrompre. Dans l'année qui suivit son avpnemenl, Ie 30 novelnbre 1.429, il réuniL à Paris les prélats et les barons du royaume. Pierre de Cugnières, procureur royal, arlicula, contre Ie clergé, soixanle-dix griefs, de- mandant pour cOllclu ion la llppression du for ecclésiastique, celIe des redevances, I'indépendance absolue du pouvoir royal, bref, Ia sécularisation de l'Eglise ella déification de l'Etat. L'évêque d'Au- tun, Pierre Bf'rLrand, lni répondit au nom du clergé. En parlant des prr>trrs et d s roi , qui suulles melnhres divers dl1 corp nni- 32 CIIAPITRE PREl\IIER que de l' Eglise, il dit: (< V oici les \Taies bornes de la j uridiction spirituelle et temporelle de l'Eglise: la juridiction Lemporelle ne s'étend point aux choses spiritueHes qu'elle ne connaîl en rien ; la j uridiclion spiril uelle, au conlraire, s'étcnd a ux actions des hOIn- ITIeS, relativemenl aux choses temporelles ordonnées pour les spi- riluelles comme à leur fin, en tant que l'ahlls que les hommes en font peut empêcher celle fin... Le Christ a confip, au bienheurcux Pierre, les droils de l'elnpire célesle et du terrest. e: Et celui qui enlève ce privilège à rEglise rOlnaine lomúe dans ['/iprésie et dOlt êt1 e nonl1np hél'étiqlle. )) Et, pour en finir, il cite la bulle Un am Sanctarn, définition ex calhed1>a, rrgle de foi. AJors Ie roi dit : (< Les droits de l'Eglise, je veux qu'on les augmente plutÔt que de Jes diminuer. )) Tous rendirenl gråce, et Ie roi mérita Ie surnon1 de catholique (1). Le concile de Constance ne fut pas moins ex près su. la même question: Ie conciliabule de Bâle, au contraire, se montra presque constammenl hostile à l'auLorilé et aux dl'oits du Saint-Siège. Lorsqu'Eugène IV reut transfél'é à Ferl are, Chades VII, comme pour rappeter maladroitement qu'il avail été roi de Boul'ges, réunit dans cetLe der-nipre ville les seigneurs laïques et un grand Hombre d'évêques, pour délibérer sur les affaires de I'Eglise. Le mauvais esprit de Bâle souffla sur crLLe assemblée; on y fit un recueil de décrets, et, Ie 7 juillet 1438, un édit royalles publia, en vingt--trois articles, sous Ie titre géné.>al dePragmatique-Sanction. Dans son ensemble, celle Pragmatique ne fait qll'édicLel' les réso- lulions sédilienses du conciliabulc de Bide, Dans If' premier arti- cle, supposant que Ie Concile est au-dcssus du Pape, on décrète la décennaliLé du concile général eL 1'0n dit Ie Pape punissable. s'il conLrevient aux décrels de Constance ou s'il veut dissoudre, lrans- férer ou prorogcr Ie concile de Bâle. Le second article porLe que Ie Pape jurera l'observatioH de ce d{'c.>et au jour de son exaltation. Le neu vième réd uil à vingt-q u:llre Ie nom bre des cardinaux. Dans d'autres, elle snpprime les annatef-:, les ré:;:erves el expecla- ('1) RA\NALDI, Annales, An 132H. 77 ; et Jlibliotlteca Patrlt1n. pp. 131 et W2. tES ORIGINES llÉTÉRODOXES DU LlBÉRALlSl\IE 33 tives, ajoutant que si Ie Pape ve!lait à scandaIiser I'Eglise, en se permeLtanL quplque chose conLre celte ordonnance, il faudraille déférer au Concile général. Le Pape, suhalLernisé dans I' Eglise est exclu de la société civile, c'est de plus en plus Ie mot d'ordre du gallicanisme. Uue telle ordonnaI!ce est radicalement nul/e. (( Il n'apparlient pas plus aux rois de France qu'à lout autre prince, dit Ie cardi- nal Gousset, de statueI', même de concert avec les évêques du pays, sur les droits du Pape et sur les rapports des églises dn noyaume avec Ie Pape. Une pragmatique, une ordonnance ell 1na.. iières ecclésiasliques, est sans valeur aucune, en ce qui concerne la discipline générale, à moins qu'elle n'ait été sanctionnée par Ie chef de l' Eglise 11 n iverselle. A défau t de cetle sancLion apostoli.. que, tout acte public de ce genre est un acle schismatique. " .\ ussi, dès q u'elle paru L, dit Robert Gagllin, fu t-e lIe regardée conlme une /uh'ésie pe1'nicieuse. Bernard de Rossergio, professeur de droit ecclésiastique et ar'chev('\que de Toulouse, puhlia un livre intitulé: La vé1'ilable lurniè1'e des F1'ançais allulIlée con ire ta lp1TeUl' de la Pl'agrnatique. Guillaume de Montjoie, consullé par Charles VII, n'hésila pas à condamnel' son acLe. Le sage Elie de Bourdeille, archevrque de Tours, en démontra égalementla nul- lité, par défaut visible de compêtence, etle jnconvénient , puis- que, en cas de contestation sur les élections, c'est allX parlemrnls qu'il appartenait dïnfirlner ou de confirmer les éVt ques. (( Pour ne rien exagérer, ajoute Ie cardinal Goussel, 1I0US dirons que la PragmaLique éLaiL au müins en'onée, schismatique, inju1'ieuse au Saint-Siège, pernicieuse, ou, pOllr nous sel'vir des expressions de Léon X et du cinquième concile de Latran, une corruption, C01'- f}'u]Jieta (1).)) Aussi, dès qu'Eugène IV la connlll, n'omit-il rien pour meltre opposition it ce règlement royal; tout ce qu'il put obLenir fut une ordonnance remédianL à certains abus qui s'étaient inlroòuits comme c'esl l'usage dans Papplication de la loi; Pie II, succe - (1) E;c}Josition des p,'incipes du d'þ'oit canúniqHl'. p. 484. 3 34 CllAPITRE PREMIER seur d'Eugène IV, se déclara encore plus vivement conlre la PragmaLique el en sollicita l'abolition. Louis XI, qui succédait sur ces entrefaHes à Chades VII, accéda aux væux du Pontife. (( La Pragmatique, dil Pie II, étaH une tache qui défigurait I'Eglise de France, un décrel qu'aucl1n concile génél al n'avait porlé, qu'au- cun Pape n'avait rcçu; un principp ùe désordre dans la hiérar- chie ecclésiastique, une confusion énorme de pouvoir, puisqu'ùn voyait que les laïques élaient devenus depuis ce temps-Ià 111aÎlres el juges du clergé ; que la puissance du glaive spirituel ne s'exrr- çait plus que sous Ip, bon plaisir de I'aulorité séculiè.'e; que Ie Ponlife ronlain, rnalgré la plénilude de juddiction aUachée à sa dignHé, n'avait plus de pouvoÙ' en Fl'ance qu'aulant qu'il plaisait flU Pal'Lement de lui en laisser. )) Louis XI écrivit au Pape une IeUre, en date du 7 novernbl'e 1461, leltre dans Jaquelle il s'exprimaÏl ainsi: (( Nous avons re- connu, Très Saint-Père, flue la Ptag1natique-Sanction pst altenla- toire it vol1 e allloril(;, à celie du Saint-Siège; que née dans un tern ps de schisI11e et de sédition, elle finirail par amene.' Ie ren- versement de l"ordre el des lois, puisql1'elle vous en1pêche d'exer- cer la souveraine puissance que Dien vous a déférée. C'e t par Ia P1 agn atique que la subordinalion est détrl1ite; que les prélals de nolre royaume élèvent un édifice de licence: que l'unité qui doH lieI' lous les chefs chréliens se tt'ou\-e rompue. Nous vous re- connaissons, Très aiÎ1t-Père, pour Ie chef de l'Eglise, pour Ie graud-prèLre, pour Ie pastfur du tt'ol1peau de Jésus-Chri:5t, et nous voulons demeure.' uni à volre personne et à la Chaire de saint Pierre. Ainsi nous cassons dès à présent el nous délruisons ]a Pragrnalique-Sanclion dans lous les pays de nolre dominalion ; nous voulons que Ie bienheureux apôlre saint Pierre, qui nous a toujours assislé, el vallS qui êles son successeur, ayez dans ce royau1l1e, Ia même autot'ÎLé pour Jes provisions de bénéfices qu'onl ('ue vns préd{>cesseurs, Marlin V el Eup;ène IV. NOlls "ous la l'pn,[(lllS celle au Lori Lé; VOU:5 pou vel déSOl'llHlÍ:5 l' exercl' l' tout entip1 e. )) Au reçu de ces leltres, Rome fit éclatel' sa joie; lout n'élaÏt pas LES ORIGINES llÉTÉRODOXES DC LIBÉRALISl\IE 35 . fini pourtallt, il fallaH encore que l'abolition de la PragUlatÎrlllC fùL re\'êLue des formes légales. Louis X [ relldiL donc une ùécla- raliun lJUO l'évèque d'Angers, cardinal de la Balue, fut chal'g0 de porler au Parlen1enL Le Pademenl refusa d'enregistrer les leUres <.raLoIition et Ie recteur de I'Universilé en appela au futur concile, appel qui 11 'é- tail qne Ie n1asque de la révolLe. Louis XI, qui ne s'érnouvait pas pout' si peu, cunclu L en 147'2, a vee Six I e I r, u It nou yeau trailé, Oll l'Oll l'églailles choses à peu près cornme elles étaient élahlies en Allemagne pal' Ie concorùat germanique. p(}J Ie fail, Loui X ( reconnaissait ((ue Ie Pape est SOllve}'ain dans l'Eglise et qu'il a, par suile, scul qualiLé pour statuer des intél'êf.s de l'.Eglise ùans la so- ciété civile: c'éLaÏl l'antithèse des passions gallicanes. Aussi Ie traité ne fnt-il pas plus roçu des ParlemellLs que les IeLLres d'aho- lition. Innocent VIII eL Ale\.andre VI firent de \'ains efforls POUI' obtenir de Charles VIII l'enLérinement du Concordat et la n1ise it néanl de la Pragmalique. Sous Louis XII, loin de s'améliorer, Ies afI'ail'es so gâtèrenl eL la France dériva jusqu'aux fronlières du schblne. Louis XII réuniL des conciliahules à Pisp, à Milan, à Lyon; il ne se contenlait pas de ré;.;isLer aux injonclions du Pare, il Vou- lait It"' déposer. Le Pape, c'étaiL Jules II, ponLife d'une bravouro inlt'épide, cassa les actes de ces conciJiabules, miL Ie roi eL son royallrne en inLenlit, et, dans la quaLl'il'lne session du concile de Latran, en IJI2, cita tOllS les fauteurs de la PragmaLique, roi el autres, it compal'aîLre dan:; soixante jours. La mort de Jules II fit proroger df soixanLe joul's l'exécuLion du n}oniloire; la morl de Louh; XII laissa à Fran 'ois leI' Ie Foin òe I'(!pondre à Léon .\. Le joune roi I'épondit q u'il se présen tel'aÏl it la citaLion Oll qu'il ferait queIque proposition de Concol'dat. CeLLe réponse fut Ia sen- lence de fi10rt de la Pragmatique. Lo 19 d(!cembl'e 1516, êl\'eC ]'ap- probation du Sain t Concile, Léon X pl'onll1lgua une Dulle qui pro- nOll ait sa révocaLion. Déjà Ie concile avail condamné fonl1f\lIc- ß1ell L cet acte séd itieu ,a \'ec défense, suus pf\illc (I 'CXCOßl m unication, de l'ill voguer et d'en faire usage: Omnia et singllla l'eVOCamllS, CflS- samllS, aln'oglllllw , il'l'itamus, anllulanuls, ac damuamlls, et pl'O 36 CHAPITRE PREMIER infectis, l'pvocali,-;, cassat is, abrogalis, in'itatis, llìllHtlatis ac damna- tis haberi vohnnus et dece'ì nimus. \insi, d'après la bulle de Léon X et Ie décret du cinC]uième con- cile de Lab'an. Ie pr'éteudll droit royal de faire des règlemenls en matière ecclésiastique, alor's même qu'il s'appuie sur des délibé- ralions préalables d'nne assemblée d'évêques et se bor'ne à édicler leurs décisions, n'a, pal' 1 ui-même, rien de fonùé, rien de canoni- que, et s'il n'est expressémenl ratifìé plus lard par le Sa.inl-Siège, doH être repol1ssé comme ouvl'ant la porle au schisme. La Pragmalique de Bourges fit place an Concor'dal pa::;sé enlre François Ier el Léon X ; ce Concordal est Ie premier trailé d'al- liance enh'e la France elle chef rle l'Eglise. Pal' Ie fait, c'eslla religion catholiqne romaine haulemenl et officiellemenl reconnue par la royauté ; c'esL sa supr'émalie dans l'or'dre spir'iluel el moral, s'exerçanl pal'lout eL en tout, ans obstacle corn me sans contl'ðle. De plus, puisqu'il y a eu lrailé, c'esl qu'il y avail en présence deux pouvoirs souverains ; il esl manifesle, en effel, par ceUe conven- tiOll, que Ie Souvrrain Lemporel de la France, pour lout ce qui re- gal'de les églises du royaume ellps inlérêls des âmes, n'a traité ni avec les seigneurs et Ie::; évêques français, ni avec Ie Pape comn1e souverain tempore] des ELals Romains, mais avec Léon X, Souve.. rain Ponlife, souverain spirituel de la sociélé des åmes. Dans les préliminaires du tra.ilé, Ie chancelier Duprat dit au Pape : << Léon, voici devanl vons volre fils soumis, vû{rp. ]Jar fa rcligion, vôt1'e pa1' Ic droit, vôt1'e PO]" l'exemple de ses an r éI1'es, vôlre 1)a1' La cOHtume, vôl1'e pa1' ta /,oi, V(Ît1 e par La voLoni,;. Ce fils uévoué esl prêt à dé- fendre, en toute occasion, vos droiLs sacr'és eL pal' la parole el par l' é P é e (1). )) Le pl'éamlJule du Concordat dit éqnivalemment qne Ie Pape et l' Eglise, c'esl toul un. (( La pl'imitive Eglise, fontlée pal' Nostre Sau- veur Jésus-Chrisl, est la picr're angulaire f'leyée par les prédica- lions des apôlres, consacrée et tll1g[nentée du sang des martyrs. Lorsque jadis prernièren1ent eUe comrnença à esmouvoir scs bras (1) HOSCOE, Hist, {ft' Léon X, 1. III. p. 4üG; ALDIN, Ibid., t. II, p. 15G. 'LES ORIGINES HÉTÉRODOXES DU LIBÉRALISME 37 par l'universelle terre, prudentement considérant les grands faix et charge pondéreuse mis sur ses épaules, combien de brebis illui fallait paislrp, et com bien garder el à com Lien el divers lieux pro.. chains el Iointains elle eslail conlrainle gecler sa veue, par divin conseil inslitua le8 paroisses, part it et sépara les diocèses, créa les évesfJues, et par dessus eux pré(bt el eslablit les nlétropoliLains. A ce que par eux correspondans el coadj u teurs, cornme membl'es au chef, elle gouvernast selon sa volonté salutairement toutes cho- ses. Et it ce qu'eux, comme ruisseaux dérivant de l'élernelle el perpétuelle fontaine, I'Eglise romaine, ne laissassent un seul coing de tont Ie divin el dominique champ, '1ui ne fut arronsé de doctl'Ìne salutaire. <( Par quoy, ainsi que les romains évesques noz prédécesseurs en leur temps ont mis toute leur cure, estude et sollicilude à la saincte union d'icelle Eglise, et que ainsi sans aucnne macule fust conservée; et Loutes ronces, e pines et herbes nuisanles, dÏcelle fussent exlirpées, parce que sa propre nalure d'icelle Eglise est inclinée ä priser les vel'tus et a.'racher les vicrs. <( Pareillement, nous en nostre temps el durant Ie présent con- cile, devons à toute diligence donner ordre aux choses nécessaires pt requises it l'union d'icelle Eglise. Et. partanl nous faison::; tout notre pou\"oir à oster toules cht)ses contraires el herbes empeschans icp.lle union, et qui ne laissenl cl'oistre la moisson de Noslre-Sei- gneur. El révoluans en lre les secrets de nost.t e penséc combien de ll'aictés ont eslé faicts en LI'e Pie l[, Six le IV, I nnocen L VI II, ,\ lexan- dre YI et Jule IJ, romaills évesqucs de très religieuse mémoire noz prédécesseurs, el les lrès chrétiens et de chère mémoire les rays de Prance, sur l'abrogation et abolition de cerlaine constitu- tinn observée au dict royaume de France, appelée la pragmatiqlle. Et conl bien que Ie prédicl Pie II eusl destiné el envoyé ses orateurs au lrès chrélien et de chère mémoirè Loys XI, roy de F.'ance, lui prrsl1adanl par plusipurs clères el evidenles raisons: lellement qu'ille fail condescendl'e el consenlil' it l'annulalion d'icelle prag- matique, comn1C née et procréée en temps de sédition el de schi - me, ainsil fJ u'il ê.t ppel'l par ses lcltl'es et palen les Sill' cr faictes. 38 CTIAPITRE PREMIER Néanmoins la ùicle ann111alion el abrogalion, ne les leth'es apo to- liques du prédict Sixle, exppdiérs sur l'accord fait avec les ambas- sadeurs du drssus dict roy Loys Xl, desLinées à iceluy ixte, n'aul'aienl été receups par les p,'élats et personne ecclésiastiques dudicl royal1me. )) Le Pape, continue Ie récil de ces pl'éliminaires, arrive au Concordat conclu (( en la ll'I S filiale obéissance qne Ie Roy lr'ès chrétien nous a exhibée )). Le Concorùat, dans ses articles, S'occl1pe de la pro n1oLion al1X chat'ges ecclésiastiques, des ahbayes el priellrés conventnels, des réserves et expeclalives, des prébendes, des études, des gl'ades, de la collation, de nHtndats aposloliques el des jugemenls, Pal' Oll I'on voil que Ie Pape est maître en ces choses et que ses déter- rninations, faites ceUe fois en concile, ont, par elles-mên1es, force de lois. Le Coneol'dat, il esl vrai. essuya de vives opposilions de la part du procureur général du Pal'lemenl, dll reeLenr de rUni- ver ilé et des ordres de PEtal. (( Dans les annales de nos églisrs, confesse Frayssinous lui-même, il est pen d'aetes allssi 1nhnm'(f- hIes et qui, apl'ès ù'aussi violenteH conlradictions, aient oLlenu un aussi comptet lriomplte \1.). )) Uais Ie Pape l'approuva (( pour êll'e inviolablemrnt el enlièl'pmenl gardé, avec force de perpétuelle fermelé )) ; Ie roi Ie publia de m{ me. La légitimité de son établis- semenl fouruit ain i un argulnenl de prescl'iplion. Par là même qllP Ie Concordat de Léon X et de François let> élait la règle offi- cielle des relations de l'Eglise et de l'Etat : par là ffipme q ur, ponr Ies questions laissées en dehors òes stipulalions diplomaliques, il étail pou rvu à tOllt pat' ]e droit canon: par là, toule fPuvre pl'ivée trndant Ù changer l'état légal des choses en se s,ubsliluant à une convention publique loule addition, Inême faiLe par l'une des par- tir:-; sans Ie consentement de l'antre, it la loi concordalaire, sans qu'on pn Plît dénonel la dpch{'ance ou pl'OVOqllé la révision : lout cpla élaÏl sans va]Plll' jUI'idique, !:;an titre sérieux an respect de ceux qu'on nHllail sOllmetlre it ces frallduleu es inventions. III. C'esl pourtanl là ee qui fut tenté, avec une audace inouï , (1) rlYtlS J)}'inripe. de l'Eglisp f/alli('aap, eh. V, LES ORIGINES HÉTÉRODOXES DU LIBÉRALISl\lE 39 sans précédent dans les annales législatives, par les simples par- ticuliers qui s'ingénièrent à dresser Ie code des liberlés de I'Eglise gallicane. Calvin avail réclalné une égli e avec rles laïqnes pour prêtres, un prince pour pape, Ie fatalisme pour règle, et s'élait élabli à Genève comme un sombre, fl'oid et cruell\1ahomet. De Ge- nève, Calvin chercha à révolutionner la France. Quelques no- bles prirenl son drapeau ; Ia COUI', mobile au gré de ses passions, lOLlr it lour I'adora elle brÚla ; 111ais lout ce que Ie pays recélail d'éléments nalionaux et traditionnels s'insurgea pou.' rOI'mer la Sainle-Ligue, (( expression s01ennelle, dil Canlu. de l'opinion do- minante )), véritahle représenlaLion de la FI'ance chrétienne. La Sorhonne et Ie Parlemenl de Paris élaienl à la tête de la palrioli- que el pieuse insl1rt'ection. Henri IV. pOLlr monler sur Ie lt òne, d 11 L se faire catholiql1e el français. VolLaire nous apprend que, pendanl que les pal'lemenls du royaume élaienl opposés it Henri de Navarre, calvinisle, Henri ll'aînail à sa suite un parlement à sa dévoLion, un pelit coìlège de légistes. Après sa conversion, (( un de ses premiers soins, c'est V ollail'e qui parle, fut de charger Ie chancelier Cheverny, d'arra- cher el de déchirel', au gl'effe du Parlement, toutes les délibéra- tions, tous les arrêts allen tatoi I'es (selon ] ui) à l' au tod té roya Ie. Le savanl Pierre Pithou s'acquilta de ce ministère par o1'(lre à ce défaul d'expression que Guy Coquille, député du Nivernais, composa, en 1591, son TNÛté SU1 les libertps de l'E""Yglisc de Fl'ance. L'historien protestanl de Thou, qui availlu cel ou- vrage, diL que Coquille (( y avail réuni avec Ie pLus gl>and soin, d'impol'tantes 'l'e'lna'l'qucs, SUI' Les droils de l'Egiise de France, lJui sonl rnaintenanl en conflil de loutes parls )). Ce lrailé de Coquille sel'vil de bases aux articles que l'édigea Pilhou, en 1.594. (( Nos liberlés, di L ce sa vanl, qui n 'étail point j urisconsulte et qui n' élail que mollemenl catholique, nos liberlés dérivent de deux n1aximes fondamenlales: La première est que les Papes pe peuvenl rien commander ni ordonner, soil en général, soil en particulier, de ce qui concel'ne les chases temporelles ès pays et, terres de l'obéis- sance el souverainelé du roy lrès chrétien ; el s'ils y commandenl ou statuent quelque chose, des sujels du roy, enro'l'C qu"its fusselll clel cs, ne sonl tenus de lenr obéir pOUl' ce regard. - La seconòe, qu'encore que Ie Pape soil recogneu pour suzerain (il ne òit pas souverain) ès choses spil'iluelles, toules fois en France la puis- sance absolue el indéfinie n'a poinllieu, mais est 1'etenue el b01'nt>e par les canons et règIes des anciens conciles receus en ce royaunle : E't in hoc maximè cOllsistit lihe)'[as ecclesiae .qallicanae. )) En effet, Pilhou a très bien défini La doclrine galLicane. D'un côlé, Ie pape n'esl pas souverain dans I'Eglise, il dépend, dans l'exercice de ses prérogalives, de ses subordonnés; et ce n'esl qu'al1lanlqu'ill'esle dépendanl qu'on lui doil respecl el obéÏbsance. D'autr'e part, il n'esl rien, absolumenl rien dans l'Elal. Pithou, plus calvinisle que calholique, a parfailemenl compris el hahile- ment dislillé Ie venin de la nouvelle hérésie. Aussi son commenta- leur rappelLe, cinquante ans plus lard, un grand homme ; d'A- guesseau dit que son traité est Ie palladiuul de la Fl'ance ; Ie pré- sident Hénault aUesle que (( ses maximes onl. en quelque sorte, /,o'l'ce de loi, quoiqu'elLes n'en aienl pas l'aulhenlicilé )) ; et Dupin LES ORIGINES HÉTÉRODOXES DU LIBÉRALISME 41 présenle ces articles comme la règle des Telations extérieu,'es de l'Etat avec l'Eg1ise, camme droit public extérieul' pour la police des cuHes, et comnle droit p7 ivé pour toutes les queslions et con- flits qui inté.'essent les simples citoyens. Nous enregistrons ces déclarations, mais nous ne voyons rien qui les justifie. Un pa('ticulier, plus que suspect, dans des temps de trouble, pour faire sa cour au vainqueur, broche nne collection d'articles au rebours de toute tradition et de tout droit. Cet indi- vidu publie son livre, et ce livre deviendrait Line loi? On croit rêver en présence de prélentions si ridicules. Les articles de PiLhou sout juridiquement sans valeur; aucun particulier n'a, comme leI, quaJité pour édicter des lois. Au point de vue théologique, ils sonl doublen1cnt faux, en ce qu'ils exagèrent, au delà de tonles limites, les prérogalives du pouvoir civil; et en ce qu'ils restreignent, d'une manière indue et révoUanle, les a.ttributions souveraines de la pa- paulé. Au point de vue hislurique, on allègue, en preuves de ces prélentiolls tyranniq ues, tous lcs excès des princes qui ont désho- noré les tables de l'histoire. Dans tout cet aUirail d'érudilion prise à conlresens, il y a un cercle vicieux : ce ne sont pas les excès des princes qui constituent Je droit; Ie droil, au contraire, oblige de flélril' les excès des princes. Uu reste, Pithou et Du puy, son baro- que comlnentaleur, sectaires passionnés et adulateurs servilcs, offrent sans malice Ie conlrepoison de leur fausse science: (( Ce qui regal'ùe la religion etles affaires de I'Eglise, dit Dupuy, doH être examiné. )) En pl;euve, iI cite Ie concile de Sardique, les paroles ù'Osius à Constance et les plaintes de saint Hilaire contre Ie nlême empereul': (( Comme il y a deux s rtes d'élats dans Ie monde, pour- suit-ii, celui des ecclésiastiques et celui des séculiers, iJ y a aussi deux puissances qui ont droit de faire des lois et de punir ceux qui les violent, l'ecclésiastique ctle séculier (1). >) On ne peut mieux se contredire. Ceb palinoùies ne trom pè.'cnt personne. La brochure de Pilllou ne fut regardée que comme un pamphlet Ùll collaboratcu(' de Ja (1) ]Jj'oci's-verbauJJ du clm'yé, t. II[, pièces justificatives, nO 1. 42 CllAPITRE PREMIER Snli're JlenipP';e, ulle variante de ses invectives contre Ie SatÏ1'icon d'Espagne el dllalie. Ce document resta en::;eveli jusqu'en 1639, aux pires jours de Hichelieu, oil il reparut pour' êlre qualifié, par Ie clergé français, asseo1hlé à Paris, de (( livre infâme (1.) )). IY. Crpendant, à la suile de ce faux magbtral, un o1agislralti- tulaire avail cherché à faire pl'évaIoir Calvin dans nos lois. C'étail )Iichel Servin. Ennemi juré des Jésuites, i1 demanda en 1û::JB, en plein Parlement de Pads, qu'on leul' fit signer les qualre arlidp:-; suivanls: (( 1 0 Que Ie concile esl au-dessus du Pape'; 2 0 Que ]e Pape u'a aucun pouvoir sur Ie telnporel des f'oi:.;, el quïl ne peut pas ]es en privel' par excommunication; 3 0 Qu'un prêtre qui srait par )a voye de la confession un aLLen tat ou conj uration contre Ie roi ou l'Elat, doil Ie ré,.é]er au magistral; 4 0 Que ]es ecclésiasliques sont sujets du prince séculier el du magistral polilique )). La demande rut écarlée. \lais il est it noter que Ie premier pl'ojet parlemenlaire de ce qui sera un joul' les -qualre arLicles de 1.682 est mêlé d'une denlande de violation tIu srcret de la confession, pour]e sel'vice des I'ois. Quant à l'auteur du projel, ceci suffit à Ie faire connaìtre; et 1'0n y joindra., si 1'0n veut, ce fail assez grave, arrivé ccHe an- née nlême: (( Les plus grande::; plaintes du Nonce Lombèl'enl sur Servin qu'il accusa d 'êlr'e hug uenol p l ]"wnsionnai1'e du 'J'oi d'A ll- fllel erre, )) Michel Servin, baUu en 16JO, revinL à la char'ge en lG14. Sons LOllis XIII, les seclail'es vuulul'ent vrufilel' de la jeunesse du roi pOUI' arrivel', par un biais, aux doctrines schisrnatiques d ï lenri V [11 et de Calvin, Dans Jes caul's el parlements du royaume, ils comp- taienl un certain noo1bre de parLisans secrets, qui afl'ecLaienl lous Ies dehors du catholicisn1e et se dOllnaienl pour les fervenls dé- ren eurs du puuyoi)' royal. Les courlisans de NabuchodOllosor et de Da1'Ïns, voulant anéanlir' Ie culLe rlu ,'rai Dieu, n'cspérèrent y n"ussi,' qu'en Inettant les Juifs Cll contr'avenlÏnn avec les orùres d L1 prince. LeR novaleurs fondi'rent Ie Inêule espoÏ1' sur l'arrêt qu'ils voulaienl faire adopter par les Elats du royaume. Sous l'in- (1; f>)'ocl's-ve1'l)(tI(,(' du dl.'I'W:. LE ORIGI ES nÉTÉRODO"\:ES DU LIBÉRALIS1\IE 43 fluence de Servin, les dépulés) an Tiers de la ville de Paris, pro- posèrent d'insél'er dans leur cahier et de faire déclarer loi fonda- mentale du royaume : (( Qu'il n'y a puissance en terre, queUe qu'elle soil, spil'ituelle ou lemporelle, qui ail aucun dl'oÏl sur Ie royauo1e pour en priver les personnes sacrées cle nos rois, ni dis- penser ou ahsoudre leurs sujets, de Ia fid{>lilé el obéis-sance qu'ils lui doivenl, pOl1r fJuelque causp ou préte:te que ce soit )). Un his- lOl'ien du temps, Dupléix, a fort sagemenL rrmarqué que (( celle proposition n'avait t'lé suggél'ép que par ceux qui désiraient faire entl'echoquel' Ia 1110narchie française et Ie Saint-Siège, el que leur intenlion tendail à un schisme manÏffste )). Sel'vin, qui appréhen- dail avec raison ql1t' son al'licle ne s'en allâl en fumée, SUppliC1. Ie Parlemenl d'infol'mer des brigucs que plusieurs per onnes fai- saient pour rompre la résolulion d'p"\.iger Ie serment. Servin ap- pclail brigl.les les déo1arches du cIergé pour déchirer les lramps de sa perfirlie. L'avocal général ajoutait qn'il élait averti de bonne parl qu'on se donuait la liberté de I'évofluer ell douLe ces maxi- mes reçues de toutleo1ps en France el nées avec la conronnr. A force d'intl'igues et de démal'ches, il vinl à hout de faire rendre, par Ie Parlement, un arrêl du 2 janvier 1615, qui tranchait la qucslion sous la runne comiqnc d'un arrêt de police. Ce jour-Ià même, Ie cardinal Dupel'ron, à la tête du cleJ'gé t de la noblesse, quïl avail éclairée el convaincl1P, soutint les droits de I'Eglise eL de ia Fl'auce el notre droit national, jnsqur-Ià vierge de tonles les pollutions de l'erreur cl lout irnprég'né des parfums ùe la pIns pure ol'lhoùoxie. Tout récemment, Ie cardinal ne s'étail pas gêné pour dire que les députés du Tiers, qui avaienl proposé l'article, étaient (( OHIS par les huguenots)) ; et que ceux qui niaient la puissance du Pape, di1'pcle (Ill spil'illlel et indi1'pcle all lpmpnrel, ,:faient :-;CHISì\IATIQUES ET nÉRf 'fIQPES. n1ême ccux ou Parlernelll qui avaient sucé Ie lail de Tours. A rheure pré-;ente, il allaque à fond: (( Or, dit-il, il Y a lrois poinls en la fo'llb:-;lallce de cellp loy fonùamenlalc. Le premiel' con- cerne In cl1reLé de la personne dps Hoys : et de cAstui-lil nous somn1CS LOlls d'accord, pt offrons de Ie signer, non de nolrc encre, 4 . CHAPl TRE PREMIER mais de 110tre sang. Le second est de la dignHé et souvel'ainelé tempol'elle des Roys de France: et de cestui-là nou,;; sornmes aussi d'accord. Car nous croyons que nos Roys sont souveraing de toute sorle de souveraineté temporelle en leut' royaume ;.et ne sont feu.. dataires ny du Pape, ni d'üucun aulre Prince: mais qu'en la nüe administration ùes choses tenlporclles, iis dépendent imlnédiate. ment de Dieu et ne recog oissent par dessus eux aucune autre puis- sance. Reste Ie troisième point qui est asçavoir si les Princes ayant faict, on eux ou leurs prédécesseurs, serment à Dieu eL à leurs pen- pIes, de vivre et monrir en la religion chrpLienne eL catholiqne, viennent à violeI' leur sermenl, et à. se reheller contre Jésus-Christ, et it lui déclarer la guerre ouverLe, c'est-à-dire viennenl non seu- . len}ent à tomber en manifeste profession d'hérésie, au d'aposlasie de la religion chrétienne, mais mfsme passent jusqu'à forcer leurs subjels en leurs consciences, et entreprennent de planter l'aria- nisme ou Ie mahométisme, ou autre semblable infidélité en leurs eslals, et y deslruire et exLerminer Ie Chris1ianisme ; leurs subjeLs peuvent eslre I'éciproquement déclarez absous du serment de fidé- lilé qu'ils leur ont fait: eL cela arrivant à qui il appartient de les en déclarer absous. Or, c'est ce point-Ià que nous disons estre contenlieux e1 disputé. Car yotre arLicle conlient la négation, as- çavoir qu'il n'y a nul cas auquel les subjeLs puissenl être absous du serment de fidélité qu'ils ont fait à leurs Princes. Et au con- traire, loutes les autres partirs de rEglise catholique, voire même touLe l'Eglise gaHicane, depuis que les escholes de théologie ont élé inslÏll1ées, jusques à la venue de Calvin, tiennent l'affirmation, asc,avoir, que quand un pl>ince vient à violeI' Ie serment qu'il a fait à Dieu e1 l ses subjels, de vivre el mourir dans la religion catho- lique, el non seulement se rend al'ien ou mahométan, mais passe jusques à déclarer la guerre à Jésus-Christ, c'esl-à-dire jusques à forcer ses subjftS en leurs consciences, et les contraindre d'embras- ser l'arianisme ou Ie mahométisme, ou autre semblable infidélité ; ce pdnce-là peut estre déclaré déehu de ses droits, comme coul- pahle de félonie envers celui à qui il 3. fait Ie sermenl de son Royau- me, c'est-à-dire envers Jésus-Christ ; eL ses suLjels eslre absous en LES ORIGINES HÉTÉRODOXES DU LIBÉRALlSl\IE 45 conscience et au tribunal spirituel et ecclésiastique, du serrrJenl de fidélité qu'i!s luy ont prêté : et que ce cas-)à arrivant c'est Ù l'autorilé de l'Eglise résidante ou en son chef, qui est Ie Pape, ou en son corps, f) ui est Ie concile, òe faire cetle déclaration. Et non seulement toutes les autrcs parties de l'Eglise caLholique, mais mesnle tous les ducteurs qui ont élé en France, depuis que les escholes de théologie y ont été instiluées, ont tenul'affirmation, asçavoir, qu'en cas de princes hérétiques ou infidelles et per- sécutants Ie Christianisme ou la religion catholique, les subjels pouvoien t estre absous d u serment de fidéliLé. Au moyen de quoy, quand la doctrine contraire seroi t la plus vraie du monùe, ce que toutes les autr'es parties de I'Eglise vous disputent, vous ne la pourriez tenir au plus, que, pour prublémaliq lle en rnalière de foy. J'appelle problérnatique en malière de foy, Loute doctrine qui n'esl point nécessaire de nécessité òe foy, et de laquelle la con- lradiction n'oblige point puur ceux qui la croient, à analhèrne et à perle de communion. )) Par'mi les quatre inconvénients que Ie cardinal Duperron lrouve à ceLte théorie, voici Ie t roisième : (( Le lroisièo1e in con vénien t, dit-il, est, que c' est nuus préci pileI' en sch isme évid en t et iné\-ita. ble. Car tous les autres peuples catholiques tenant cetLe doctrine, nuus ne puuvons la déclarer pour contraire à la parole de Di u, et pour impie e1 dé1esLabIe, que nons ne rrnoncions à la cornlnu- nion du chef et des autres parties de rEglise, et ne confessions que I'Eglise a esté depuis tant de siècles, non l'Eglise de Dieu, mais la synagogue de Satan, non l'épouse de Jésus-Christ, rnais l'épouse du Diable. (( La Inéthode que j'observeray, sera de montrer deux choses : l'une, que non seulemenl toutes les aulres parties de I'Eglise, qui sont aujourd'hui au rnonde, tiennent l'affirrnalion ascavoir, qu 'en cas de princes héréLiq ues ou aposlals, e1 perséculant la foy, les subjets peuvent estre absol1s ÙU ser'ment faicL à eUÀ, ou à leurs pré- décesseurs: mais messieurs que depuis 1100 ans, it n'y a eu siècle auquel, en diverses nations, cfste doctrine n'ait esté creuë et pra- tiquée. Et rautre, qu'elle a esLé constammenl .tenuë en France, OÙ 46 CllAPITRE PREMIER nos Roys et parliculièrement ceux de la dernière race, l'ont pro- tégl'e par leur al1lhorilé et par leurs al'nleS : où nos concHes l'ont appuyéc et mainlcnuë, oil tous nos évesques et docteurs scbolas- liqlles, rlepuis que l'eschole de la lhéologie est instituée, jusques à no jours, l'ont escrite, prêchée fit enseignée : et oÜ finalement, tOilS nos magislrats, offidel's et juri consuItes, l'ont suivie et faxo- risée, vuire souvent par des crime de religion plus légel' que l'h'"'I'ésie ell'aposlasie : mais desque]s néanlmoins je ne DJe prétens aider, sinun en lant qu'ils peuvent sel'yil' à défendre, Oll la lhl'se génél'aJr. asçavoir, qu'en quelques cas les subjels peuvent estre ab:-:ous du sel'menl faicl par rux à leurs princes: ou cesle hypo- Lhè e parliculière, qu'en cas de princes hél'étiques ou aposlals au per éculants la foy, les subjets peuvent estre dispenséz de leur obéir. Car a fin de vous osler lout on1brage, je ne veux déhallre volre arlicle, que pal'les Illesmes max irnes don tIes docleurs fran- çúi , qui ont escril pour défendl'e l'aulhorité lemporelle des Ruys, sont d'accord (1), )) Sill' ces éloquentes déclaralions, les Etals généraux rejelèrent les propositions héréliques, et l'inlégrité de la doclrine fut nlain- tenue, encore lllle fois, dans Ie royaume lrès chrétien. V, Nons arrivons à la période des essais de définilion dognlali- que, aux entreprises contre les traditions orthodoxes, aux lhèses témél'aires, aux déclaralions OÙ se complaît et s'élale avec une avel1- gle afrogance, l'esprÏl d'erreur. Sous Louis XIII, ce travail rnatériel d'h{>résie fut entrepris par un prêtre langl'ois, devenu syndic de la SOl'bonne, Edmond Richer. Jusqu'à lui, Ie gallicanisme n'avail guère été qu'l1ne suite d'alten- tats sans doctrines. Ii faul bien observer que ceLte erreur nalio- nale s'est. produite en France lorsque Ie pouvoir royal voulut per- dre son caractère de service public el de puissance limilée; Ie gallicani lne est enfant btttanl de l'absolutislne; c'est Illoins une ClTPUl' 4u'une lâchelé el uue trahison. SOlIS Philippe Ie Bel, on voiL le crilIle , Iuais nos églises ne fournissent point de Judas. Gerson, (1) æUV1'es rill ca/'úinal DU}JeJ'j'on, pp. 59V. U01, 60 . LES ORIGINES llÉTÉRODOXES DU LIBÉRALlSl\IE i7 Almain, 3Iajor, PieJ're d'A ill ', con tern porains dç la Pl'agmatique de Bourges, premier essai de dogmatisation gallicane, son tIes pre- miers théologiells qui se constituent les valets de cette entreprise ; beaucoup de confusion tuutefois dans leur esprit et quelque possi- bilité d'excuse dans l'obscurité des circonstances du schisme. Pen- dant les guerres de religion, la réaction contre Ie pouvoir des Va- lois, tl'OP souvenl complicesdes conjur'alions calvinisles, fait revenir aux meilleures traditions de la FI'ance. L'héro'ique insurrection ùe la Ligl1e pl'ête aux manifestations les plus éclatantes de l'ortho- doxie. A la conversion de Henri IV, l'f.eil de rhistorien discerne un premier effort dll régalis[ne, une revendication d'agrandisse- rnent pour Ie pOl1voir épiscopal et une prime donnée au protestan- tismc pal' l'Pflit de Nantf's. Bientôt Richeliell désedait toutes les traùitions ùe la politique chrélienne, et, dans l'intérêt mal compris de la royauté, s'aUachait à la théorie gallicane. Hicher, son contem- porain, en fit Ie pl'emier cssai de codification. Dès HH2, il avait cûndensé dans un pelitlivre, toute la quintessence de ses doclrine:5. En ce qui regarde la constitution de l'Eglise, Richer enseignait : 1 0 Uue la juridiclion ecclésiastique appartient premièrement et es- senliellement it rEg-lisp, et. n1inistérirllement seulement au pontife romain et aux autres évêques ; 2 0 Que Ie Christ a conféré immédia- tement par lui-mên1e, à 1'01'(lre hiél'archique, la juridiction, par la rni sion imn1édiate et réelle de tous les disciples. Dans I'ordre politique, il soutenait Ie droit divin des rois, l'indépendance abso- lue de l'ordl'e politique, l'autorité pUl'ement spirituelle de rEgli e et la puissance du pouvoir civil sur Ie temporel du culLe et la disci- pline ecclésiastique. Au deo1eurant, il ad[nellait toules le opinions propres à abaissel' I'autorit pontificale. C'e L ainsi qu'il atlribue an peuple Ie droit de nom mer les ministres du culte, qn'il attaque Ie concordat ùe Léon X eL de François fer, qu'il attribue au rois une institution divine, qu'il déclame contre les privilèges des I'é- gilliel's, q n' il d it Ie pOll v(,i I' monal'chi(l ue de Papes fon0 CBAPITRE PREMIER à confisquer (1). )) C'esl par les richesses et Ia confiscaLÍon qu'il voulut comnlencer la guerre. Clément IV et Grégoire X avaient concéJé, sur quelques évêché:-;, la régale au rois de France. Pal' régale. on entend Ie droit de per- ceyoir les fruits des bénéfices pendant la vacance du siège; dans l'intention du Pape, Ie roi devait les gardeI' pour Ie futur évêque, mais il troll va n1ieu x de se les approprier. C' est pourq uoi Ie Pa pe el les Conciles, arhilres snprêmes pn matière de prolJriétés ecclésias- tiques, ayaient rigoureusement défendu l'extension de]a régale. Ces défenses n'avaient pas toujours été respectées ; il restait POUI'- tant encore sept ou huH provinces exemples de celle servitude. Le roi voulut mettre la main su( tous les hénéfices, afin de lenÏ1' par Ià en servitude toutes les églises et toutes les g)'andes maisons du royaume. Les légistes firent valoir les prétendus droils de I'ÉtaL, seul propriétaire de tous les biens ten1porels et soutinrent que la capacité de I'Eglise d'acquérir ces biens ne lui vient que de la con- cession des rois. On aurail pu leur répondre que les rois, ayant concédé à l'Eglise Ie droit de propriélé, ne pouyaient plus Ie re- prendre. Ces esprits subtils et nés pour Ia servitude, alléguèl'ent que Ie roi a\Tail concédé et n'avail pas concédé et qu'il avait sur les biens ecclésiastiques quatre ortes de d.'oits, com me magistral polilique, comme seigneur féodal, protecteur et fondateur. Ces indignes hériliers de Papinien donnèrent encore nne autre raison, c'esl que la couronne étant ronde el fermée par en hauL, Ie droit de r gale ne comporlait pas d'exceplion. l\fais Ie vrai motif de la mainmise sur les biens ecclésiastiques, c'est qu'avec les évêchés, les abbayes eL autl'es biens d'Eglise, Ie roi pouvait doter tous les cadets de fanlilles nobles et faisait réLrogl'ader l'histoire j usqu'à la question des iovp:-;titures. En conséquence, Ull édil de 1G73 nolifia, nonobstant clamenr de haro et charte nOl'OlülHle, que désonnöis In régale s'élendnlil it tautes les église tIll I'uyaumc. SUI' cent trenl-si'\. é\'èques, deux el1lemenL résbti'l'enl au roi ; c'éLaienl Caulpl de Pamiers et PavilIon d'Alet. Le roi ne prcssa pas (1) ...VOll1.'eau.r pclaÍ1'Óss/J1t11'nls Silt' l'Assemblpt' de W82, p. 13. LES ORIGINES HÉTÉRODOXES DU LIBÉRALISl\lE :51 même l'exécution de )'édit. Les procédures par lesquelles l'évêque de Pamie,'s avail défendu Ie droit de rEglise, t'urent cassées par l'archevêque de Toulouse et par Ie Parlemen t. L"intrépide Caulet ne se crut pas moins obligé de résisler à Ia puissance qui l'oppri- mail; puis, voyant l'inulilité de sa résisLance, j} en appela au Pape. Par quatre brefs, Innocent XI cOlldanlna les actes tyranniques du gouvernement usurpaLeur. Les évêques osèrent lui répondre pour arguer, en outre, contre ce:5 brefs, 1e cas de nulIilé. L'un des deux confesseurs élant mort, Ie gouvernernenl mil la n1ain sur son dio- cèse et Ie tint par la tel'reur; quantI l'auhte mourut, Ie chapitre nomma un \icaire capitulaire, Ie gOl1\-ernenlent Ie fit enlever; il enleva de mênle un second vicaire ; Ie chapitre en nomma un troi- sième, Ie P. CerIe: (( Un ne voyait (Iue perséculion, exils, empri- sonnements el même condamnations à mort, pour soutenir, à ce qu'on préLendait, les droiLs de la couronne. La plus grande confu- sion régnait, surtout dans Ie diocèse de Pamiers. 'Iou t Ie chapilre était dispersé, plus de quatre-vingts curés emprisonnés, exilés ou obligés de se cacheI'. On voyait un vicaire capitulaire (pour Ie roi), contre Ie vicaire capitulaire (élu par Ie chapiLre). Le P. CerIe fut condamné à mort par contumace et exécuté en effigie. )) - (( Pres- que tout Ie monde fut saisi d'horreur d'un tel spectacle. Les gens de bien s'en affIigeaienl comme d'un malheur public et craignirelll a\Tec raison que Dieu n'en fit retomLer un jour Ie chàtiInent sur l' E La L (1.). ') Cumme penùant à ce bel exploit, Louis XIV ayait osé un atten- tal contre Ie monastère de Charunne. Le Concordat n 'avait pa dérogé aux règles des monaslères de fiUes. Temporaires ou pcrpé- Lucllcs, des abbesses devaient rester électives; mais Ies rois n'a- vaien t pu consenlir à ce qu'une si riche proie leur échappÙ l ; en supprimant les éleclions, ils gardaient les Illcnses abbatialcs pour les filles ou les sæurs tie leurs Inaìlresses, ùe Icurs favol'ið et de leurs cfJurtisans. La supéricul'e du n1onasLèl'f' de Charonne tant nlurLe, les religieuses lui avairnL donné un succes ellr légilime. (1) 1'I'ucf':H'el'ú{tl(,{' lilt clel'[/é, t. V, p. :Jt) ; HE AUDOT, J/dalt[jt's, l. lA, 52 CHAPITRE PREMIER Louis XIY donna, à une autre, Ie lilre d'abbesse. Les reJigieuses résislèrenl. Louis XIV, qui leur devait 80.000 francs, qu'il ne paya jamais, sous prélexte de mauvaise geslion, dispersa ces religieuses et su pprima Ie monaslère. La politiq ue religieuse de Louis XIV n' élait dès lors que du pur brigandage. Dans ce gâchis, Ja cour eull'idée de recourir à une assemblée du clerge. A la cour du perséculeur, il y avait toujours, comme à Byzance, un assez grand nombre d'évêques, infidèles à la loi cano- nique de la résidence, postulateurs éternels de tous les bénéfices vacants, plus ou moins mêlés à toutes les intrigues el à tontes les humilialions des adulaleurs de Louis XIV. Les réunir en assemblée pour avoir l'avis de ces indignes successeurs des apôtres n'était pas une idée recevable ; Ie projet n'en fit pas moins fortune, mais 11 l1e fait pas figure. Nons serions sous quelque Copronymfl, au milieu des femmes viles et des eunuques, nous n'aurions ni nlieux, ni pire. Sur l'extension de la régale, cassée par Ie Pape, les évê- ques déclarent, contrairement à loul droit et à leur devoir, qu'ils ont eu raison de J'accepter. Sur un li\Te de Gerbais, condamné par Ie Sainl-Siège, des évêques. moyennant quelques petites correc- tions, l'approu vent. Sur raffaire des religieuses de Cha1'onne, dont Harlay, J'archevêque liberlin de Paris, avait violé les règles et persécuté les personnes, excès réprouvés par Ie Pape, les évêques blÙment Ie Sainl-Siège. Enfin, sur l'affaire de Pamiers, ces mêmes évêques en appellent aux liberlés gallicanes, à un concile national, qll'ils prienl Ie roi de convoquer, non seulenàent sans litre, mais en violation formelle du droit. Cel appel fut la cause délerminallle de l'asseInblée de tü82. L'archevêque de Reims, Le Tellier, fils du ministre, et Colberl, l11inistre du 1'oi, rémois d'origine, en avaipnl suggéré l'idée au roi; leur but. élail de faire pr'éconiser, par celte assemblée d'intrus, les principes favorables aux attenLats de Louis IV. En vertu d'un droil qui n'a sa formule que dans la tête de son inventeur, il avait élé décidé que Passemblée, ecclésiastique par la qualilé de ses membres, polilique par Bon objet, se composerait de lrenle-qualre é\'êques el d'autant de dépulés du second ordl'P. La cour ollvl'it, LES ORIGINES HÉTÉRODOXES DU LIBÉRALISME 53 par une circulaire, la période électorale, désigna les membres à élire et dressa la forme du mandat qu'il s'agissait de conféI'er. GrAce à ce premier essai de candidature officielle et à la pression mise en usage pou,' assurer son triomphe, on élut parlout des hommes dont la nullité et la souplesse constiluaient toutle mé- rite. Saufles deux lneneurs, Harlay et Le Tenier, plus Bossuet, qui fut nommément désigné par Louis XI' , à cause de son génie et de son manque de nerf, Ie reste ne mérite même pas une mention. Tous les hommes illustres du temps, lascaron, Fléchier, Bourda- loue, Fénelon, Huet, Mabillon, Thornassin, Rancé, Brisacier, Thiberge, La Salle, eL tant d'autres, rrslaient en dehors de l'as- semblée. Devant cette synagogue de muets, la cour miL en discus- sion quatre arLicles libellés par des théologiens à gage. Le chan- celier de l'Eglise de Paris requit l'examen de ces propositions; des commissaires y procédèrenL avec la serviliLé voulue et Choi- seul du Plessis-Pralin, évêque de Tournai, fit Ie rapport avec une sorte de passion aveugle, qui parul Lrop découvril' l'assemblée. BossueL lui rut substilué. On ignore s'il y eut discussion; il n'existe pas de procès-verbaux. Enfin, Passemblée aùmiL les quatre arti- cles de la cour, articles que Ie préside nL Hénault résume en ces termes: 1. 0 Le Pape n'a aucune autorité, ni direcLe, ni indirecte, sur Ie temporel des rois ; 2 0 Le Concile est au-dessus du Pape; 3 0 L'u- sage de la puissance aposlolique doil êLre réglé par les canons, sans donneI' d'atteinte aux liberLés ùe I'Eglise gallicane ; 4 0 Il ap- partient principalement au Pape rle décider en matière de foi ; ses décrets obligen t lou tes les Eglises; mais ses décisions ne sont irréformables qu'aulanL que l'Eglise les accepte. Telle est ceLte fameuse déclaration qui réunÏl toutes les causes de nullité et lous les genres d'opprobres. Les causes de nulliLé sonl visibles. A la leUre, il n'y a pas cl'E- glh5e gallicane; à supposeI' qu'il y en ail une, eUe ne fut pas mo- ralemenL représentée en 1682 ; la déclaraLion est caduque et dans Ie fond el dans la forme. Les évêques de l'assemblée éLaienL sans mission; ils ne pouvaient avoir aucune qualité pour détern1iner avec anlol ité les dl'nils dn Souvrrain Pontife eL imposer à la 54 CllAPITRE. PREMIER créance det-; vér'i tés resLées à l' é tat d 'opinions à peine Hciles. De plus, Hs se meUaient en dehors de tontes les traditions de la chré- tienté et tombaienl dans cette contradiction violenle de s'atlr'i- buer à eux-mêmes, ce qu'ils refl1saient au Pape. Aussi, cel Rcte d'ingér'ence indiscrpte et de servilisrue révoltant fut-Ïl répudié par les controversistes, rejeté par les UniveI'sités, condamné dans un Concile et maintes fois frappé [d'anaLhème par Ie Saint-Siège. Ii n'y a pas un point que I'Eglise ait plus mauifeslement réprouvé que ceLte fornlule du gallicanisme. A l1 point de vue des principe:;:, res quatl'e articles résument les six articles de 1663 et peuvent. se ramener à deux points, les deux points conslitutionnels du galliranisme: 1 0 la sécularisation de 1'Etat et sa sépal'ation de l'Eglise ; 2 0 la subordinaLion du Pape à l'al1torité des évêques. Dans celle théorie, on pent représenter l'E- glise et I'Etat par deux cercles juxtaposés, mais qui ne se touchenl que par la ligne exler'ne de leur périolètre. Dans sa sphère,l'Elat pst Lout-puissant l'Eg-lise n'a rien à voir dans ses affaires. Dans la phère ecclésiastiq LIe, à la vérité, Ie Pape est au cpntre, nlais pas plus élevé que les aulres points et tirant ò'eux toute sa force. L' EtaL peut adnletlre telle constitution du pouvoir souvprain qu i lui agrée davantage, mais ce pouvoir esl soigneusement soustraÏl à toule influence religieuse, à tou1e autorité de l'Eglise et du Sainl- Siège. L'Eglise esl constituée de telle manière que son chef n'est souverain et n'exerce sa suuverainelé que Inoyennanl Ie consente- men! des é\'êques et Lout acte dl1 Souverain Pontife que ne l'atifien t pas les évêques est nul de plein dtoit. Dans Ie fail, Ie chef réel de I'Eglise, c' esl Ie corps des Pasleurs : Corpus l'aslol'um : l' Eglise est nne aristocralie. Du premier article entendu dans Ie sensde la séparation résnHent lagiquemenll'irresponsabililé et l'absolutisnle du pouvoir humain. Le chef de l'Etat peut lout ce qu'il veut; toul ce qui lui pIaU a force de loi, ce qui est la pl'opl'e fOrtnule de l'aulocr'alie des Césars. Que la monarchie absolue fasse place it la IllOnal'chie constitulion- nelle ou à la répub1ique, l'ahsolulisme n'en subsisle pas mains, soil par l'accord drs trois ponvoirs, Roil pnr les ]ois ò'unr Convention LES ORIGINES nJ TÉRODOXES DU LIHÉRALlSi\IE 55 poplilaire. ]}expulsion de l'Eglise implique la légilimilé de la ty- rannie; c'est la canonisalion civile du despotisme, la nation 1ivrée à une foule de tyr'ans ridicules, åpres à dévorer leur règne d'un mo.. men t. De ce même article découle logiquelnent la mainmise de l'ELat sur tout Ie ten1porel du culle, sur lüut ce par qlloi la religion et l'Eglise prennent pied SUI' la Lerr'e. De là, la négation de toute loi religieuse SUI' Ie Inariage, la falniJle et l' éducation ; la négation de la propriété ecclésiastique ; la négation du pouvoir temporel des Papes; la négatiun de toule aulodté ecclésiaslique sur les ordres religieu x ; la conslitulion civile du clergé et 1& proclamation du popisme. Vous avez là, en gerrue, toute::; les docLrines de la révo- lution. Ell fait, il n'en est jamais sorti autre chose. Au lieu de rendL'c à Dietl ce flui est à Dieu, un ne s'occupe plus, en France, qu'à exal- ter Césal', V oici comment Fénelun résume les brèches faites à la discipline ecclésiaslique : (( Libel'lés galJicanes : Le ['oi, dans la pl'a- tique, est plus chef de l'Eglise que Ie Pape; LiberLés à l'égard du Pape, ser'vituùes it l'égarJ du roi. - Autorilé du roi sur l'Eglisc dévolue aux jllges laïque : les laïques dominent les évêques. - Ablls énormes de rappel comme d'ahns ct des cas royaux. - 'AbllS dp ne pas sOl lrL'Ïr les conciles provinciaux. - Abus de ne pas laisscl' les évêqups conceder lout avec leur chef. -- ALus de vouloir que les laïques examinenlles bulles sur la foi. - Abus des assemblées du clcl'gé qui seraienl inl1Liles, si Ie clergé ne devait ricn foul'uir à l'Etal. C'esl-à-dire, pour résumer <-Pun nlot tous ccs abus, on Sll bstituaiL Ie pou voir tf'm porel au pou voir spirituel, ce qui est bien la plus terrible f1xagération qu'on en puisse faire. Fénelon aur'aU pu aj()uLer: AnéanLissement et corruption systélnaLiqup dp la noblesse, abuse - Suppression de Loutes les conslitutions d'E- tat, ahlls. - Confiscation de louLes les fr'anchises proyinciales et de toules Ie::, Iibel'tés communales au profit dll roi. abus. - Aug- menLatiuns efr/'ayantes de lïulpôt POUI' alimenler les guer'res égoïstes de COlumer'ce el d'alllbilion pour nuurrir all luxe Labylo- nien, abuse - Encouragements donnés :'t h r'ésLJrrf1ction du paganis- 56 CHAPITRE PREMIER me avec toutesses images lascives, toutes ses maximesrationalistes, césariennes et démocraliques, dans la liUérature, dans la pein- ture, à Yersailles, à Compiègne. à Fontainebleau, à Saint-Germain, partout, abus. - Travail incessant pour faire revivre, avec la cen- tralisalion du siècle d' Auguste, une civilisation corrompue et cor- ruptrice qui, énervantla France dans Ie sensuaLisme, devailla li- vreI' comme une proie au joug d u despotisme et aux fureurs de l'anarchie, abuse -- En un mol, abus dans la violation des princi- pes fondamentaux de l'antique consLÏlu lion française, si religieuse el si libérale, au profit du césarisme de Louis XIV; absorption de toutes les forces vives de la société dans une seule personne qui aurail pu dire ce mot très vraisemblable : (( L'Elat, c'est n10i ! )) L'abaissement de la papauté, voulu par les trois autres article . est, dans la déclaration, Ie fait des évêques et des prêtres. Les éV(L ques se débarrassent du Pape, les prêtres sont invités par là à se débarrasser des évêques et les fidèles it se débarrasser des prêlres. Ces trois articles ne sont pas seulement des erreurs, ce sont sur- toul des impiétés et des principes de dissolution. One fois admise cette fatale déclaration, tout décline, tout tombe. Le clergé fran- çais, placé dans une position fausse, a perdu les trois quarts dp- sa valeur. Ces protestants qu'il voulait ramener, il n'en convertit au- CUll. Lui-même est sans force contre Ie jansenisme, contre la for- mation de l'ourag'an révolutionnaire. Les mæurs se cor.r;:ompent; la logique, complice des passions, pousse aux altentats. Les Jésui- tes, sacrifiés les prelniers au Minolaure, entrainent dans }pur ruine toules les institutions. C'est un spectacle effroyable que celui de la France et du nlonde livré aux orgies de la Déclaration. Le clergé séculier a perdu tou te l'indépendance de son lllinistère el marche à l'ordre du parlement ; l'ordre lllonastiq ue est ruiné en France. De France, la persécu tion passe en Espagne, en Portugal, à Naples, en Toscane, en Autriche. Parlout, au nom du gallicanisme, on rejette la principauté aposto- lique, on prend les biens de I'Eglise et sécularise les couvents. Par une généralion authentique ou par des alliances contre nature, Ie gallicanisme enfante Ie libéralisme athée, les confiscat ions révolu- LES ORIGINES HÉTÉRODOXES DU LIBÉRALISME D7 tionnaires, les tueries, la conslitulion civile du cJergé el c Ue ré- volution anarchique, socialiste, radicale, qui agile Ie monde depuis un sipcle. Avec Ie second des fJuatre articles, Napoléon se vanle de pouvoir se passer du Pape. \vec Ie premier, Victor-Emmanuel, émule de :\firabeau, confisque Ie dernier débris de la propriélé ec- clésiastique, Ie patrimoine de sainlPierre. Aujourd'hui, la laïcisa- lion, la sécularisalion, ces mots terribles, ces systèmes destruc- leurs avec lesquels on dépouille l'Eglise depuis trop longtem ps, SOl1t Ie dernier mol des qualre articles. Le galLicanisme esl une épée à deux tranchants : par run, il veul faire lable rase dans I'Eglisp ; par l'aulre, il a fait table rase dans l'Etal. La séparation de J'E- glise d'avec l'école, d'avec la famille, d'avec la commune, Ie cime- tière, l'hospice, Ie séminaire, voilà Ie principe philosophique et Ie couronnement légal de la persécution : c'est Ie premier article de 1.682 qni passe, continuant ses ravages, poussant l'Eglise el Ie Saint-Siège aux abîmes. Les traditions de l'erreur en France SOllS l'ancien régime ont eu pour dernière formule, ]es qualre articles, et, pour premier ,"ésul- tat, ]a révolution qui dure encore, en s'aggravant tous les jours : Jlispric01'diæ /Jont"ini, quia non Sltml.lS cons'Umpti. CHAPITRE II r.():\DIE T LE LIBÉRALISl\IE E T, EN i\IA TIÈRE RELIGIEUSE, L' ÉQUIYALENT ET :\IÊ)IE UNE .\GGR.-\YATION DE L'A CJEN RÉGUIE. Jl1squ'en 17b9, Ia lradiLion rl'crreur, en France, ph'oLe sur deux points, sa\Toir: que 1(' Ponlife J'omain n'est pas un n1onarql1e 50U- verain dans l' EgJise, et qu'il n'8., comme pape, dans la suciéLé eivile, aucune autorité religieuse et I110rale, pour juger l'exercice des droits ociaux el représenler efficacement les inslitulions et les inlérêts de I' Eglise. En 1789, l'ancien régime d'absolulisme ('oyal fait place à un régiIne, soi-disanl nouveau, de libérali.sme. Or, ce régime pl'élendu libéral cst, en matièl'e religieuse eL súus plusienrs aulres rapports, avec des formes difi'érentes, l'équivalent el rnême une aggravation de l'ancien régime. C'est Ie point que IlOUS voulons établir dans ce chapitre. Dans l'ancien régime, Ia société était comme absorbée par la pl'rSOlH1e du roi. La royauLé, d'ahord éleetive, puis héréditaire, n'avait élé longtemps ql1'un service public et un pouyoir limité ; à Ia fin, lournant à l'absolulisme, eUe avail anéanti touLes les résis- lances et détl'uit à peu près les hiér'archies dontl'exislence assu- rait :=,a solidité. Du roi, mais comme prolongement de sa souyerai- neté absolue, émanaient les différentes classes de la société, parquées dans leurs compartimenls respectifs et jouissant de pri- vilèges plus ou moins éLendus, suivant que Ie bon plaisir du roi voulailles restreindre ou les éLendre. Au-dcssous de trois classes privilégiées vivait la masse du pruple, gagnant son pain à la sueur de bon front. Malgré ses injustices et ses yiulences, rancien l'éginle avail cela de bon que, sous Ie rapport du gouvernemenl, il main- lenait Ie pouvoir dans son unité par la personne du roi, et dans sa perpéluilé, par la succes ion de ses fils. Son plus grand tort est LE LIBÉRALISME RELIGIEUX ET L' A CIE RÉGDIE 59 d'être sorti de ses iimites, d'avoÏ1' neutralisé faction des clas es prépondérantes et prépar , par lû suppression des interméùiaires, l'avènement du Césarisme. En 1. 789, I'ancien régime est dt'-truit de fond en comble, quanL à son organisme social, Ie nouveau régime se dresse sur un plan t1iamélralement contraire. L'absolulisme est effacé; en attendant qu'on supprime Ie roi, on Ie domeslique; les trois classes privilé- giées sont anéanlies; Ie sujet devienl citoyen el Ie citoyen est d cIaré souvel'ain. Comnle une masse de peuple ne peut pa::; se gouvel'ner dir'eclement elle-même, eUe déIègue ses pouvoirs à des rep,'ésentants ; ses représentanls se con tiLuent en assemblées sou- vcraines, el sûus Ie til"e anonyme d'Etat, légifèrent, gouvernent par des ministres eL adrninislrenl par des fonctionnaire:;;. L'ElaL hériLe de l'absolutisme de la royauté. La royau té, concrétée dans la personne du roi, était en quelque sor'le coudamnée à ia bienfai- sanle bonté qu'inspire une si éminellte grandeur, el obligée à des ménagemenls, à des délicaLesses pour a::;surer, dans la race, l'hé- rédi lé d u trÔne. L' Etat libéral, incarné daus des représen Lan ts multiples et successifs, et dans des millislres éphémères, n'esl plus qll'ull 3.maR discordant de petites tyrannies, d'aulant plus åpres, qn'cllps n'ont fJu'une heure pour dévorer. L'ancien l'égime I110nar- chiq UP sau vegal'dait l'unité, la perpéLuiLé du pOllvoir, et, dans une certaille Inesure, sa limitation; Ie nuuveau régilne j répllblicain par sa base, pal'lementaire par ses institulions, n'a plus ni uuiLé, IIi perpétuité, ni limite. C'est ranal'chie organisée, eu atlendant qu'elJe se dissolve par ses di putes et se réfugie, à l'heure suprèIne, sous l'égiùe de In. dictature. On appplle ce régime libéral, pal'ce que, in litué en réaclion contre l'absolutisme, il est eensé devoir constiluer un gouvernc- ll1ent libre. On lui donne pour éliqlleUe : liberté, ég-alilé, fl'atel'nité. Le peuple joue à colin-maillal'd avec ces trois gràces eUes se rient de ses effol'ts pOll I' Ips atteindre ; pt, l,'op sou v(>nl, il n'atll'ape q HC la rnort, ou plu tÙL la tyrannie SODS tuules se forrnf's les plus vexatoires ; il nc voH se pl'oduire que la hai'H> pal'nli lcs honlmcs p L l' in!' t a h iJ it ( d a n I p ins tit n I ion s . 60 CHAPITRE II 1. Dans sa généralité, ce régime libéral se caractérise par l'om- nipotence de l'Etat, rnille fois pil'e que l'absolutisme des rois. Dans la nation ne s'établit point un pacte historique, comn1e la Fédéra- lion de Hollande en 1579 ou la déclaralion des droils de f648 en Angleterre, contrat conclu entre de::; hommes r('els et vivants, admeUant des situations acquises, des groupes fonnés, des fortu- nes étabHes, réùigé pour recunnaHre, préciser, garanlir et com- pléter un droit anlédeur. Ce n'est pas davantage, selon la doctr'inr américaine, une c01l1pagnie d'assurance rn uluelle, bornée dans son objet, restreinte dans son offìce, limilée dans ses pnuvoirs, el par laqueile les individ us, conservant pour eux-rnêmes la meilleu re part de leurs bienR et la libr'e disposition de leurs personnes, se prêtent, pour leur ulililé commune, une réciproque assistance. Les clauses du contI'at libéral se réduisent toutes à une seule: Ia sou- verainelé de lïndividu s'exerçant par Ie vote et Ie vole prononçan l'aliénation totale des droils du ciloyen, de sa famille, de sa pro- priélé et même de sa religion. V ous ne serez propriétaires que par déJégation <.Ie l'Etat; vous ne serez père que par l' Etat et à t;;on profit; vous cessez de vous appartenir par la pensée, par la parole el par l'action. Vous serez un peuple de rois, mais de rois escla- yes. La base du sysLème est l'éleclion; c'est l'élection qui crée Ie représentant. Pour obtenir ce titre glorieux et surlout lllcratif, une bande de démagogues se répand sur Ie pays comme 1Jne nuée de saulerelles, et jette, aux passions de l'électeur, les plus alléchantes promesses. Plus d'un candidal, cel'tainement, il faut Ie dire pour l'honneur de la nature humaiue, sera intelligent, honnête el bon patriote. Mais la masse n'aura qu'un but, arriveI'; et pour arriver tous les lnoyens lui sonl bons: Omnia se1'vilite'J' 1)1'0 dorninatione, dit Tacite. D'après la théorie républicaine, on clame que l'éleclellr a un flair infaillible, qu'il ne choisira que des hommes de valeur, que les élus formeront un sénat de demi-dieux. Dans la réalité, c'est tout Ie conlraire. Une nation livrée à l'anarchie des candida- tures, ven'a des partis et des coteries se disp 11 ter Ie pouvoir. Cha- que parti aura ses hommes, non pas les plus forls, mais les plus LE LIBÉRALIS!\IE RELIGIEU-X ET L'ANCIEN RÉGIME 61 nuls, souvent les plus vil . . Devant Ips urnes, ces charlatans ban- nissent toute pudeur; ils savent que les fous sont, depuis Adam, sur la terre, en majorité; il:; excellent surtont à jongler avec Les appâts qui ppuvent affriander la soUise. La pauvre multitude, sans guide, sans conseil, suit aveuglément ses passions excitées et vote pour Ie dernier òes misérahles, laissant de côté l'homme jusle : IVon hunc, sed B01'1'oúam. (( Le sufffage universel, disait Pie IX, c'estle mensonge univer- sel )) ; en pratique, c'est l'exaltation du sot, du fdpon et du scélé- rat. qui a su pnf]ammer les passions du peuple et captef sa faveur par les plus has es troB1peries. Vne fois élu, sans souci des passions qu'il vient de pousser it leur paroxysme, Ie député songe à se cou- 'Tit' de ses ffais d'élection et à se tailler un manteau. La bataiHe, commencée dans les élections, 5e continue au parlement; la COf- I'uption, qui avail semé a gangfp.ne dans les cornices électoraux, la dissémine maintenant dans les assemblées padementaires. II ne s'agil point de la patrie, mais des intérêts des parlis ; la succession des affaifes, Ie .leu des discours, Ja lrame des intrigues et Ie hasard des votes, font du régime libéral un état permanent de guerre. Le pays est sans cesse SUI' les bOfJS de l'abìme; et sans cesse il Jui faut drs sauveurs. C'est un régime d'agitations et d'aventures. All vice d'originp et à l'antagoni me de son fonctionnemenl, ce régime libéfal joint deux autres torts, I'un conlt'e Ie pouvoir, l'au- lre contre La société. Les Chambres, repré8en lalion distincte de la souveraineté populaife, ne soot pas seulement des foyefs de diYI- Bion et d'agilalÏon stédLe; elles tendent enCOfe, pal' jalousie, it s'effacpl' mutuellement, et, dans un jusLe sentiment de leuI' puis- sance, elles subaltprnisent Ie pouvoir rxécutif. Ce sont elles qui incarnent et résument les pOll VOifS de la nation. Si, pour l'applica- lion des lois et Ie gouvernement du pays, il faut un ponvoir exécuLif, soil roi constitution ne l soil présiden t rép ublicain, Ie déten leur de ce pouvoir ne peut être, pour les Chambfes, qu'une domesticilé dorée, et, suivnnt Ie mot dp Napoléon, qui ne ga7ail pas sa. pen- sée, un cochon à l'engrais. Le roi ri'gne et ne gouvPI'ne pas; Ie pré- sidenl se lient inerte et illeplp, dans Ia pénon1 hre, comme un 62 CliAPITRE II lama, n)ai , it la différence du grand lama, il est peu respecté; pouryu qu'il signe, on lui pern1et les petits divertissements el les petites éconon1ies. Le résullat de cet effacement du pouyoir, c'est que la société n'a pas de chef; elle n'a ni symbole d'unilé, ni agent COHeret de sa pu is ance, rien qui la dirige a\Tec une pensée fidèle etia conlienne avec une fidèle verlu. Vons avez vu les tlol de l'océan ; la 'Tague succède à la vague; la barque est portée par Ie flux et Ie reflux; Ie pilote est souvent obligé de se garantir con- tre les caprices de leurg cou ps : c' est l'image de Ia sociéLé libérale. D'autre part, les deux Chambres du pariement, miroil' vivanl de la souveraineté populaire, ne peuvent pas plus admettre des hiérarchies naturelles au-dessous d'elles qu'un pouvoir exéculif au-dessus. Pour réaliser dans son plein leur suuveraineté collec- tive, eUes sont obligées de tout effacer, et de supprimer, s'il en ex isle un, l'organisme historique de la nation. Tous les peuples de l'Europe on1 des antécédents; ils ont traversr diverses phases sous différentes fOI'me d"organisation, généralement avec un clergé et une noblesse. D'ailleurs, par droit de nature, la famille, la commune, son t des unités nécessaires de vip sociale. L'union des communes forme encore des agrégations différentes de dis- tricts, de département, de province. De plus, les forces éconon1i- ques du travail, Ia culture des arts, des sciences et des lettl'cs créen1 des r.ompagnies d'ouvriers on de savants qui aiment, pour décupler leur verlu etla contróler, à former des corps puissants. Or, dans la société libérale, la loi commune e!'t Ie llivellemenl; de gré ou de force, il faut que lout plie ou di paraisse. Les délHl- tés n'y sont pas poussés seulen1ent par leur orgueil; ils y sont CUll- traints surtout par leur égoï me, par Ie hesoin de se créer des compliccs qui don1plenlle suffrage universel eL éternisent les élus au pouvoil'. Du parlemenl doue partenL diver ol'dres de fonelion- naires. lous créatl1res des ùépl1lés ; Jevanl eux il n'y a que pous- sière hUlnaine ; parlout Ja prépolence de rELaL, et, sous sou juug écrasant, l'homme, Ie citoyen, Ie père de fau1ille, 1e l'cprésenlant des corporations inférieu res, réd uil au néanl du zéro double. Tel est, dans sa construction externe, Ie régilue libéral. La na- LE LIBÉRALISME RELIGIEUX ET L'A CIE RÉGDIE ö3 tion est Jivrée à mille rois qui la tympanisent et à mille rats qui la dévorenl. On a eu raudace d'appeler ceUe abdication du peuplo entre les Blains de la tyrannie, un gouvernementlibre, ou, plus simplemenL, Ia liberté. A jeter', sur ce régime, un coup d'æil su- perficiel, il ne produil que Ie mélange odieux de la corruption et du despotisme. La vérilé vraie est que, là oÙ Ie christianisme lutte avec avantage contre les passions de l'homme, là seulenlent l'honlme est libre ; et que Ie génie qui préside au développement du libéralisme, n'est pas Ie génie de la HberLé, mais Ie génie de la révol u tion. EL Ie fail est que lous nos essais de gou vernemen ts li- béraux, après leurs promesses ordinaires de corru plion éleclorale, d'agitation pi1rlem ntaire, de compétitions stériles, d'effacement du pouvoir el des hiérarchies sociales, la réaction nécessaire pour sauveI' la société mise en péril par les héros du parlement, n'a abouti jamais qu'à de nouveaux éclat:; du vulcan révolutionnaire. C'est un régimc fail pour les morLs, son cadavre esl encore Ie pire des néau . Nous n'entendons point, par là, faire Ie procès aux assemblées. Avec l'uni1é du pou voir royal, les peu pIes de l'Europe, surloutla France, ont loujours admis des conseils. Mais l'origine, I'espl'Ït, Ie but de ces assembIées f"LaiL diaméLralement contraire à l'esprit révolulionnaire des parlements souvel'ains. Il est impossible de trouver, entre les assemblées modernes et celles du moyen âge, aucnn point de contact, aucun rapport d'aucune espèce. Les an- ciennes assemblées n'étaient autre chose qu'une force sociale ; dans leur' rapport avec Ie pOllvoir souverain. résidant exclusi,'e-' ment dans Ie rui, elles étaient une résistance organique et une li- mite natureHe à son expan ion indéfinie. Les assemblées parle- mentaires ne sont pas Lonjours une force ni une linliLe, mais elles sont 10ujours un pouvuir prépondérant et, qui pis cst, un pOll voil' en l'i vali lé pel'p{.tuellc et en lu Ltc avec d 'auLres pou voirs. f:hpl'- cher un genre quelconqlle de res emblancc entre ces deu\. illsli- lulion,; me paraHr'ail un genre parlicu 1 icl' ÒP folie. II. Ce régime soi-disant libéral ne tire donc point un origine ni du hesoin ql1'éprouve 10ute société de pussédf..'r de fl'anchises 64 CllAPITRE 11 qui conlrehalancenll'aclion du pouvoir, ni de l'irnitalion plus ou llloins réus ie des liberlés traditionnelles des nations eUl'opéennes; illire exclusivement son origine de l'esprit révolutionnaire, ou, pour rnieux dire, il n'est que rabou tissemen l de cel esprit au terme présent de ces évolulions. C'esL ce qui explique, avant loule considération, pourquoi illutle toujours contre Ie pouvoir', condi- tion prernièl'e de l'ordl'e social; pourquoi surtoul il nourrit, con- tre la religion, l'Eglise et Ie Saint-Siège, une haine salanique. Nous tOl1chons ici au vrai næud de la question; au risque de Lrop allongeI' ce chapilre, on youdra bien me permeLLre quelques explications que je regarde camme de haute importance. Ce régime libéral a pour base philosophique l'autonomie de rinùiyidu. Dans l'EgJise, les petits possèdent une éminenle dignité; cependant iis doivent êlre soumis à l'antorité du pouvoir, el Ie pouvoir poliliqu el Ie pouvoir religieux, unis, mais hiérarchi- Rés, doivent, par leur concours, rassister dans la poursuile du bicn-êLre et l'accomplissemenl du salut. Dans Ia lhéorie anLi- chréliel1ne, cel ordre est renversé; l'individu l1'esl plus sujet, il . eðl suuverain; il est libre de sa pensée, libre de sa voIonté, libre de son aclion ; et de ses faculLés afl'ranchies de lout pouvoir, il tire, pat' des créaLions successÏ\res de sa raison ou de sa volonlé, lout l'ordre df's institutions religieuses el civiles. Tous les héréli- q ues, depuis I'rre de grAce, avaienl fagoUé leurs hérésies, en se préyalant des concepts obslinés el fautifs de leur libre examen ; Luther Ie premier fit, de ce libre examen, la règle de foi du pl O- -teslanLisme, règle qui a, depuis, envahi toutes les sphères de la spéculalion et de la pratique, règIe qui apparaît comme la force nloLrice de toules les révolutions. Luther donne encore, pour correclif, à la raison déchainée, Ie texle révélé des Ecrilures; seulement il abandonne ce texte au libre penseI' de ses disciples; et si, par une sorte de contradiction, il veul s'ériger en pape du protesLanlisme, Ie libre examen ne ca- pilule pas devanL les caprices de son ambition. A cÔlé de Luther et COIlL.'e ]ui, se dl'e senl Zwingle, Calyin, Jlrnri VIII, puis une nuée de réformaleurs subalternes. A Lelle enseigne (Iue des pays LE LIBÉRALISME RELIGIEUX ET L'ANCIEN RÉGIl\IE 63 Souf,traits à l'ohédience de Rome, deviennent bientôl des arènes de disputeurs, et pendant un siècle des champs de carnage. A Ia fin, l'aulocratie des rois s'affirme comme contrepoids nécessaire, aux dissolutions de Ia libre-pensée ; Ie pape est remplacé par des Cesars souverains pon1ifes; en sorte que vous voyez en bas, l'anarchie, en haut, comnle à conlrefil, Ie despotisme, despotisme nécessaire pour conserver une sociélé privée d'appuis moraux, bientôt empor- tée par des progrès matériels restés sans contrepoids. Un siècIe plus tard, les philosophes repl'ennent la thèse des hé- résiarques et agrandissent les sphères de la Iibre-pensée. Luf.hel' avait gardé Ia Bible; les philosophes l'écarlent e1 lablenL sur Ie doute métbodique. Leur raison supprime lout l'ordre des pl'incipes reçus et des inslitutions traditionnelles; il fail, comme on dit, table rase et essaie de rebâtir par sa seule raison, sur Ie terrain mou- vant des conceptions individuelles, l'ordre détruit par Ie douLe. Luther avail laissé, à Panarchie intellectuelle, quelques bornes ; il l'avaÏt tenlpéré encore par Ie respect. de queIque chose; dans la philosophie inquisitive, on ne respecte plus rien, et l'anarchie esl à son comble. Autanl de 1êtes pensanles, autant de sentiments el de systènles, sentiments conLradictoires, systèmes antagonistes, mise en poussière de toules les traditions du genre hunlain; d'où nécessité d'une concentration plus forle des pouvoirs politiques, pour maintenir au mnins par la force, un monde qui n'a plus l'appui des conviclions et l'appoinl des dévouements. C'esll'heure oÜ toutes les monarchies de l'Europe se réfugient dans l'absolulisme ; oÙ les princes, premiers bénéficiaires du doule méthodique el du libre exameu, entendeul agÌ1' à leur guise, sans supporlel' Ie frein de la religion et Ie conlrôle des papes. l\1ais ces princes si grands, si grands, qu'ils n'onl au-dessus d'eux que Dieu, sont faibles par plusieurs endroils: Hs sont faibles sur Ie chapitre des mæurs el donnent, à leurs sujels, l'exenlple funesle de la dépravation ; ils sonl faihles dans leur gouvernement, puis- qu'ils Pexagèrent au poinl d'empêcher l'Eglise d'exercer son minis- tère de gràce; ils sont faibies surtoul devant l'adulalion qui les prenJ par lelH'::; faiblesses pour les exploiter d'abord elles aLatLre 5 ô6 CllA PITRE II un jour. A l'ombre de ces monarchies asiatiques de l'Occident, provignen1les aven1uriers de la philosophie._Contraints au respect des institutions et des hommes, ils se rabattent sur l'Eglise, guer- roient contre Ie Christ eL on Vicaire. Par là, ils font coup double: ils ébranlentla foi e1 ]es mwurs et par lous leurs attentals n1inen1 la base des institutions. Les rois, du reste, par leur absolutisme, intéressent leurs sujets it la pratique e1 aux avantages de la souve- rainelé personnelle. Ce qu'étail un roi absolu, il n'y a pas un de leurs sujels qui, connaissant les imnll1nités du pouvoir royal, ne pÚL croire possible de s'adj uger des mêmes pl'érogatives. La révo- lulion est en gel'me dans cette simple réflexion. La révolution n'est, eHe- même, que la translation aux assenlblées, par l'intermédiaire dl1 peuple, de l'absolutisme des rois. Le jour oÙ les français se cl'ul'enL, par droit naturel, être tout ce que croyail êlre par traòi- lion el droit divin Ie roi de France, ce jour.là, ]a révolulion fut délenuinée dans son bu t, j l1stifiée dans sa nécessité. II ne fallait plu qu'un ouragan pour la faire passer en loi, par I'exppdient du crilne. Le lihéralisme, c'est la libre-pensée. III. On n'a pu, de Lulher à Mirabeau, ériger la libre-pensée en vérité certaine et sQuveraine, sans nier Dieu e1 affirmer rhomme, ou, du moins, sans nier de Dieu qu'il gouverne Ie monde, eL sans affinner, de l'homme, qu'il n'a pas éLé conçu dans Ie péché. En niant. Ie péché originel, on nie, parmi beaucoup d'autres choses, les suivantes : Que la vie tenlporelle soit une vie d'expiation, mais on affirme qu'eHe nous a été donnée pour no us élever, par nos propres efforts, et au moyen d'un pr'ogrès indéfini, aux plus hau tes perfections; on Hie que la lumière de la raison soil faible et vacil- lante, mais on affirme que, la raison de l'homme éLant saine, il n'y a pas de vérité à laquelle elle ne puisse atteindre, e1 que, hors de sa porlée, il ne peut y avoir de vérité; on nie que la volonté humaine soit infirme et malade, mais on affirnlc qu'il n'y a d'aulre péché que ceilli que la raison hUlnaine dil être péché, c'est-à-dire qu'il n'y a pas d'autre mal que Ie péché philosophique; on nie que Ie plaisir nous ail été offerl com me une tentalion, que la douleur soit un bien 101.squ'elle est acceptée par un molif surnalurel, que LE LIBÉRALISlIIIE REUGIEUX ET L'.ANCIE RÉGIl\IE ()7 l'homole ait besoin d'être sanctifié, et que Ie temps Iui ail élé ùnnné puur a sanctification; nlais on affirme que la raison élant droit e de soi n'a pas besoin d'être reclifiée, que l'homme est bon et sain ùe soi, qu'il faut fuir la douleur eL rechercheI' Ie plaisir, que Ie temp nous a été donné pour jouir du temps. Ces négations et ces affirmalions relatives à l'homlne condui cnl à des négalions et à des affirmations analogues relatives à Dil'u. De la supposition que l'humme n'est pas Lombé, on nie qu'il ait élé relevé; de la supposition que l'homme n'a pas été relevé, on arrive à Bier Ie mystère de 1'Incarnation et celui de la Réden)ption, Ie dugme de la personnalité extérieure du Verhe et Ie Yerbe lui- même, En supposant, d'nne part, l'iutégriLé nall1relle de la volonLé hl1maine, et pn refusant, d'autl'e part, de reconnaìtre ['existence d'Ull al1tr'e mal et d'un autre péché que Ie mal et Ie Véché philoso- phiques, on nie l'actioll sanctifiante de Dieu sur l'homme eL avec elle Ie dogme de la personnaIilé du Saint-Esprit. De tOl1tes ces né.. gations résu/Le la négation du dogme suuverain de la Très sainte Trinité, pierre angulaire de Bolre foi et fondement de lous les doglues catho] iqlu's. De là naH un vaste système de naturalisme, qui est la contradic- tion raùicale, universelle, ahsolue de tOl1tes nos croyances. NOllS, catholiques, nous croyons que l'homole est pécheur, qu'il a conti- nuellement besoin du secours de Dieu et que Dieu lui oclroie per- pétuellement ce secours par uoe assistance surnaturelle, æuyre merveillem:;e de son amour infini et de son infinie miséricorde. Tout ce vaste eL spJendide système de surnaLuralisme, réalisé dans la religion catholique etl'Eglise romaine, clef univcrselle et uni- verselle explication des choses humaines, est nié par ceux qui affir- menl la conceplion immaculée de l'honlme. Lit est l'cxplicatioll de louL ce que nous voyons, dans l'état OLL IlOUS son1mes tombés, enll'üînés pnr la logiquc de l'erreul'. En premier lieu, si la raison n'e::;t pas oL curcie, les prugrès de [a vérité dépenùent Jes progrès de la raison; les progrès de la raison ùévelldent de la ùiscussion qui les nlet en u. uvre ; Ia disclIs- sion est la loi fondamenlale ùes sOclélé:-; hUluaiues, Ie cl'euset d'oÜ 68 CHAPITRE II la yérité doH jaillir toujonrs plus abondanle et plus pUl'e. De ce principe sortenlla liberté de la presse, lïnviolabilité ùe la tribune et la sou veraineté réelle des parlenlcnls. En :second lieu, si la \'0- lonté ùe l'homme n'esl pas nlalade, si elle n'a pas besoin de secours surnaturel, si l'allrail tIu bien lui suffit, l'homn1e n'a pas hesoin de sacrements qui lui confèren1la grâce, ni de prières qui la lui pro- curent. Si la prière n'c8t pas nécessaire, elle esl inutile, et 8i elle est inutile, la vie contemplative est une pure oisiveté ; les commu- nautés religieuses doivenl disparaîtr'e. Si l'hoo1me n'a pas besoin de sacrements, il n'a pas besoin non plus de ceux qui les adIninis trenl: de là Ie nlépris ella pl'oscription du sacel'doce, partout oÜ ces idées ont pris racine. Le mépris du sacerdoce se résoul parlout dans Ie roépris de l'Eglise et Ie mépris de I'Eglise se rnesure au mépris de Dieu. Dieu est relégué dans Ie ciel et I'Eglise dans la sacristie. Tout ce qui est Rurnaturel éLant écarLé, rhomme se consacre exclusivement au cuIle des intérêls matériels: c'est l'heure des systèmes utilitaires, des fièvres de l'industrie, des grand dévelop- pements du commerce, des inso]ences des riches et des impalien- ces des pauvres. Cet elat de richesse matérielle et d'indigence religieuse est tonjours suivi d'une de ces catastrophes gigantes- ques que la tradition el l'histoire gravent dans la mérnoire des hon1mes. Les prudents et les habiles se réunissent en conseil pour les conjurer; l'ouragan se précipile, met en déroute leur conseiI, les emporle avec leur hahilelé, leur conjuration. (( De là, dit Donoso Codès, une impossibilité absolue d'eo1pêchel' l'invasion des révolutions e1 rayènement des tyrannies, qui ne sont au fond qu'une même chose, puisque révolutions ellyrannies se résument égalemenl dans la domination de la force, qui seule peut régner, lorsqu'on a relégué Dieu dans Ie ciel eL rEglise dans la sacrislie. Tenter de combler Ie vide que leur absence laisse dans la société, par une sorte de dislribution artificielle et équilibrée des pouvoirs publics, n'est qu'une foUe présomption, uoe tentative semblable à celle d'un homme qui, en rabsence des esprits vivants, voudrail reproduil'e &. force d'induslrie el pal' des moyens pure- LE LlBÉRALISl\'lE RELIGIEUX ET L'ANCIEN RÉGIME 69 ment mécaniques, les phénomènes de la vie. Dieu, l'Egiise ne sont pas des formes; aussi n'y a-l-il aucune forme qui puisse ren1plir Ie vide qu'ils IaiRsent, lorsqu'ils 5e relirenl des sociétés humaines. Au contrail'e, il n'y a aucune forme de gouvel nement qui soit essentiellement dangereuse, lorsque Dieu et son Eglise se meuvent libremenl, si, d'un autre cûté, les mæurs Iui sont amies el les temp favorables (1). )) Pour YenÍl mainlenanl aux appJications, il est hors de doute que lout ce qui a1LC: I'e la notion de l'homme el du gouvernement de Dieu, affecLe au même degl'é des gOllvernements institués dans les sociétés civile et religieuse. L'indépendance et la souveraineté de la raison huu1aine engendl'e, dans la sociélé civile, les monarchies parlementaires avec lenr division des pouvoirs, et, dans l'Eglise, Ie gallicanisme qui fait les évêques cohériliers de la snccession in- divise d u pouvoir apostolique. La rectitude parfaite de la volonté engendre Ie sysli'me répub1icain qui appelle taules les volantés à l'æuvre du gouvernement et Ie système presbylérien qui appelle tOllS les prêll'es au gouverneu1ent de l'Eglise. La légitimilé des appélits, conséquence de la conception immaculée de l'homme, rngendre Ie système socialiste qui suhordonne loul à la pl oùuction dll bien-être et Ie système de l'inspiration individuelle, qui met chaque âme en rapport dil'ect avec Dieu et rend inutile tout sacer- doce. Quant à l'Eglise, elle est affectéede diver es erreurs, suivant q u'on affj .'me q u 'elle est égale à l' EtaL, q u' elle Iui est ioférieure ou qu'elle ne doH avoir avec lui aucun rapport. La Lhéorie de l'égalilé eo tre l'Eglise et I'Etat, système des réga- !isles modérés, conduit à représenter comme élant de nalure laïque ce qui est de nature mixte, et comme étanl de nature rnixte cr qui est de nalure ecclésiastique. Ces régaIistes suot forcés de recou]'ir à ces usurpations pour constituer, à l'Etal, lIne sorte rIr paLrimoine reIigienx. D'apri's cette théorie, entre l'Eglise et rEtat, presque to us les points sunt controversables, ellol1t ce qui esl (I) mum"e." dr J Donoso Cm'It"'", t. II, p. 221. j() CBAPITRE II conlroversable doH e régler amiablement par un concordat. Du ]"estr, Ie placet pOUI' Ies actrs de I'autorilé ef'clésiastique est de rigueur, de même que ]a surveillance. l'inspection eL Ia censurr exercées sur I'Eglise au nom de rElat. La lhéorie de I Ïnfériori té de l'Eglise vis-à-vi:3 de I' ELal cond uiL les régalistes conséquents à proclamer Ie principe des églises naliooales, Ie droit d u pou voir civil de révoquer Ies arcorch; con- clus avec le Souverain Ponlife, de disposer à son gré des biens de I'Eglise, et enfin Ie òroit de gOl1verner l'Eglise par des décrets, æuvre òes asselublées parlcmentait es. La lhéorie qui consisLe à afIirmer que rEglise n'est ici-bas d'au- cune utilité, étant la négation de l'Eglise même, donne pour résul- tat, Ia suppression violenle de }'ordre sacerdotal par un décret qui trouve sa sanction nalurelle dans Ia persécution. TV, TouteR ces erreurs ont, drpuis 17R9, lenr contrecoup dans noLre histoire. Le libéralisme, nlise en æuvre de la lihre-pensée, n'esL pas une idée sociale qui vise à rorganisation de la libcrté, c"esL une arn1e qui vise à la destruction de l'Eglise, h l"anéantissE'- menl du christianisrne, et, par suite, à l'organisation d'une tyran- nie. impie par toutes ses passions, destructive par lous ses ern por- lemenls et satanique dans sa fureur. Le libéralisme pose les principes, }a révolulion tire les conséquences, Ie pariementarisme des assernblées souveraines est Ie vase où fermenle la fureur révo- lutionnaire, qui se déchaîne sur Ie n10nde pour effacer tout ce qui est de Dieu. On a besoin, pour cornprendl'e quelque chose à ce drame terrible, de se remémorel'les prophéties des derniers temps, de se rappeler que la durée des âges est une arène ouverLe à l'an- tagonisn1e de l'erreur rt de la YériLé, et de Be dire que no us tou- chons à }'un de ces épisodes par quoi Salan accélt-'re son triomphe. C'est l'heure aussi oÙ les chrétiens doivent se dire: Qui n'est pas avec Jésus-Chrisl eL son Eglise, est un agent, une dupe ou une yjctime de la révolution. ous enlendons, ici, par révolulion rensemLle des syslèmes anti- hréliens opposés òepuis trois siècles à I'Evangile et la société (le méchants qui ont fait pl évalojl' prp que partout ces systÞmes LE LIBÉR,\LISl\1E RELIGIEUX ET L'ANCIEN RÉGIl\IE 7 t politiques. Nous en avons vu l'origine dans Ie libre examen de Lu ther; nous en voyons la consécration sociale dans Irs lr()ités de 'Vestphalie et nous en reconnai sons l'avènemen l en France, par la Déclaration des droits de tlt01nme. Dne fois cette déclal a- lion posée, l'anarchie est de plein dl'oit, les journées révolulion- naires suivenl à brève échéance, la guerre contre fEg1ise com- mence avec la froide habilelé de Machiavel et la furie sanguinaire d'un Tamerlan. En vain, Ie roi a proclamé l'égalilé devanl l'impõt elle vole de l'impôl par Ips repl'ésentanls de Ia nation; en vain, dans la nuit du qualre aoÚl, Ie cIergé el Ia nohlesse se sonl dépouillés sponta- némenl de leurs priviIèges. L'assemhlée commence par supprinler les dimes et, de ce chef, fait, à tous les propriétaires, cade.an d'une redevance légitime, au détriment de ]a nation obligée de pourvoir it la subsistance du clergé. La dime supprimée, l'assemblée, entre les mains de qui l'argent fond comme eige, s'empare de l'argen- terie des églises et, après avoir déchargé Ie liers de ses devoirs, emplil ses poches. Cela fail, elle met les biens ecclésiastiques à la disposition de la nalion, el, avec l'argenterie des églises, la bour- geoisie française achèle leurs propriétés. fainlenanl qu'elle a dé- truilla base lerrestre de l'édifice religieux, eUe supprime Ie gl'and ord.'e monastique pour Ie présent et pour l'avenir. Il ne faul plus que des vocations héroïques créent, aux misères de l'humanilé, ùes serviteurs volontaires. A près la suppression de la vie monas- tif(ue, l'assemblép, pour qui l'épilh(\te de constÏluante sera un épigramme élerneI, broche pour Ie clergé une constitulion ci- vile. D'après celle conslitution, Ie Pape est déchu de toule su pré- matie religieuse et civile; les évêques sont élus par Ie penp]p, le diocl'ses sonl dé]imilés par rEtal ; les curés, élus par leurs parois- siens, o'ont CJu'à fie bien tenir, 'ils veulenl vivre en paix. L'Eglise pn France n'est plus qu'une sociélé sans chef, un chaos confus OÙ ton l Ie mond commande, excepté celui qui devrail commander. Le Pape lance l'analhi'me; Ie schisme el l'hérpsie, fonrlus dans celte constitution, sont l'ejetés par la parlie saine du clerg{'. Tout re que les éVPCJue ont de laré drvienl la charpenlp ell] schisme 72 CHAPITRE II constituLionnel. L'assemblée, qui voit son æuvre tomber sous Ie mép)"is et se discrédiler elle-même par sa pro pre infamie, édicLe des serments meurLriers. Ces serments sont rejetés com me la constitution ciyile. La répub1ique inaugure l'ère sanglRnte de I'a- Lhéisme persécuteur. L'exode du clergé commence; les prêtres q l1i ne cherchent pas un refuge dans l'émigration yolon taire, sont frappés de mandats d'arrêL, envoyés en exil ou à l'échafaud, La déesse raison va s'asseoir sur l'autel de Notre-Dame: une prosti- tuée à la place du Dieu de I'Eucharistie : c'est Ie der'nier mol òe la RévolutiQn. Je ne pense pas qu'on trouve, dans les ann ales de l'ancien régime, une période de tyrannie al1ssi longue eL aussi cruel1e, que ceUe orgie de Ia Révolution. Je ne dis rien de ces ridicules; je cherche seulemenl la conséquence qui se dégage de cetle lempête, et celte conséquence, c'est que l'ancienne tradition d'erreur relaLivement à l'Eglise, est dépassée sur toute Ia Iigne ; c'esl que les jansénisLes. après avoir réalisé to us les rêves des gal- licans, sont allés d'un bond jusqu'aux horreurs de I'athéisme. Au sorLir de la Révolulion, Ie premier consul veul rasseoir Ia société sur ses bases éternelles, et lui, qui pOLJrtant savait com- mander, se confesse incapable de gouverner un peuple qui avail lu Frédéric et Voltaire: il appelle à son secours la religion catho- liql1e. S'il appelle à son Ride Ie Diru de I'Evangile, resté vivant dans I'Eglise, c'est par conviction de chrétipn sans doute ; mais ce n'est pas sans s'êh'e convaincu, comme chef d'Etat, de la né- cessiLé d'une reJigion à Ia société: de l'impossibilité d'élahlir en France Ie prolestantisme fit de s'avenlurel' dans la création d'une religion nouvelle. Pnisqu'il a besoin, pOllr son gouvernement, du concours de I'Eglise Ron1aine, il serail bien juste de la prendre comme l'a faite son divin fondaLeur et de la cruire d'autant plus puissante qu'elle sera plus dégagée de particularisme. l\fais non, Bonaparte, qui est grand à beaucoup d'égards, n'est pas assez grand pour croire en toute humililé à la sagesse de Dieu el s'y confier. Tandis que, d'une main, il relève les autels, de l'antre,.il s'ingénie à prendre dans ses filets Ie vicaire de Jésus-Chrisl et les pasteurs des âmes. A cðlé ò u concordat, acte héro'iquemen t sau- LE LIBÉRALISME RELIGIEUX ET L'ANCIEN RÉGIME 73 VeUI', nlais qui ne fut tel que grâce aux saintes résistances du Saint-Siège, Ie Napoléon qui perce dans Bonaparte, place les Arti- cles organiques. Par Ie Coneordat, Napoléon pouvait être un Constantin; par les Articles organiques, il prend place dans l'his- loire, apl'ès les JusLinien, les Léonce et les Copronyme. La tyrannie qui n'avaiL pas pu se glisser dans Ie Concordat, s'éLaJe dans les Organiques, avec une splendeur naïve au point d'être ridicule. On vüit l'homme qui a besoin du prêtre, mais qui Ie redoute et qui vrut l'enchaînel'. Les Organiques, c'eslla désorganisation aurla- cieuse du Concordat, c'est presque Ie relour à la Constitulion ci- vile, c'est la plus belle colleclion de chaînes qu'ail forgées la main d u despolisme. L'iùée qui ohsède surloul Bonaparte, c'est l'idée ùe prémunir la France contre les aLteintes de Rome. Dans tous les discours officiels, prononcés à propos du Concordal, et Ie chiffre en esl long, ceLte idée revient avec une désolante et aveugle mo- nolonie. D'abord Bonaparte s'investit de pouvoirs en maLière de religion. (( Toul gouvernemenl exerce deux sorles de pouvoirs en maLière religieuse, dit PortaHs : celui qui compèle essenlielle- ment au magistral polilique en loul ce qui intéresse la société, et celui de prolecteur de Ia religion elle-même. )) Dans lïdée de protection, ce qui s'annonce, c'est l'oppression; mais voici qui explique miel1x les choses: (( On n'a plus à craindre aujourd'hui les sysLèmes ultramonLains et les excès qui ont pu en êlre la suite; nous pouvons êlre rassurés contre les désordres auxquels les lu- mières, la philosophie et. Pélal présent de loutes choses opposent des obstacles insurmontables. Dans ancun temps, les théologiens sages el instruits n'onl confondu les fausses prétenlions de la cour de Rome avec les prél'ogalives religieuses du Ponlife Romain. 11 est rnême jusle de rendl'e aux ecclésiasliques français ]e témoi- gnage qu'ils ont été les premiers (brau complimenl 1) it comballre les opinions ultramonLailles; nous cHons en preuve la déclaralion solennelle ùu clrrgé en IG82; par Ià il rendit un hommage écla- lant à l'indépendance du pouvoir civil el au droit universel des nations. Les minislres catholiques reconnaissent un chef visible qu'ils regardent comme un cenlre d'llnilé dans les matières de 74 CHAPITRE II foi; mais ils enseignent, en Inême temps, que Ie chef n'a OHcun pouvoir di1'ect ni indÙ'ect SU1' Ie temporel des Etats, et quïl n'a, dans les choses même purement spiritueIles, qll'une auLorité suhordonnée et réglée par les anciens canons. Ceux d'entre les ec- ch siasLiques qui seraienl assez aveugles pour croire que Ie Pontjfe romain ou tout autre PonUfe peut se mêler, en quelque manih'e que ce soit, du gouvernement des peuples, inspirel'aient de justes aIar- mes et ofIenseraient l'orùre social )). Ainsi parIait Porlalis dans son rapport au gouvernemenl ; dans son discours SUI' I'organisation des cuItes, iI piétine dans les Inê- mes idées e1 se fail I'écho complaisant des Iiberlés de PiLhou, de la Pragmatique Sanction, de tous les vienx documents des tyrannies de l'ancien régime. (( Voudrait-on, dil-il, nous a[al'mer par la crainte des entreprises de la COllI' de Home? Iais Ie Pape, comme souverain, ne pent plus plre redoutable à aucune puissance: il aura même toujours besoin de I'appui de la France et cetle cir- conslance ne peut qu'accrnHre l'influPf1ce du gOllvernemenl fran- çais dans les affa11'es génr;ì'oles de l'Eglise, presque toujours n1ê- lées à cflles de la politique. Comme chef d'une société religieusp, Ie Pape n'a qu'v,ne al.l.101'ité lintilpe par des maximes connues, qui ont été parliculièl'ement gardées par nous, mais qui apparliennenl au droit universel des nations. Le Pape a,TaiL aulrefois, dans les ordrcs religieux, u ne milice toujonrs disposée à propager les doc- trines u1tramontaines: nos lois ont licencié celle milice. Confor- mémenl à la discipline fondamentalp, nous n'aurons plus qu'un cleJ'gé sécuJier, c'esl-à-dire cles évêques e1 des prêtres, toujonrs in- tét'essés à défendre nos maximes comme leur propre liberté, puis- que leur liberté ne peut être garantie que pnr ces rnaximes )). Si méon au tribunal ne parle pas autrement que Portalis au corps législatif. Dans son discours, il analyse avec corn plaisance les me- sUJ'es prisps pour empêcher les rapports avec Home, pour fermer la f,'ontière aux légal , pour' défendre les assemblées ecclésiasti- ques et supprimer, par l'apppi C0l111l1e d'abus, lous les acles de la puissance religieuse qui pourraienl déplaiJ'e au pouvoir civil. (( Ainsi, dit-il naïvement, tOlltes les précautions ont étp prisps LE L1BÉRALlSl\IE RELIGIEU\: ET L'ANCIE RÉGUIE 7;) ponr Ie dedans et pour Ie dehors (1). )) On sourit malgré soi e L tristernenl, à la vue de ces chefs d'Etals qui, négocianL avec Ie chef de I'Eglise, au I ndemain du jour OÙ ils onl exigé de Iui racle Ie plus éc1atant òe Ja principauté apostolique, l'ecommandrnl tanl de précautions pour se meltre à l'abri de ses grÙces. Les précautions n'avaienl, sans doule, pas élé si bien prises que J e déclarail Si méon. Bientót Bonaparte ceignail son fron 1 dud ia- dème des Césars, et, conséquent avec son orgueil, se présumail Souverain ponLife. On Ie voil Lenler d'rntraìner Pie YII dans 1'01'- biLe de ses dcsseins dominaLeurs, et, parce qu'il ne peut fairf' t1é- chir sa vertu, ill'enlè\'e de ROIne, Ie Licnt captif pendant quatre ans, et, loul excommunié qu'il est, arrache enfin au Pontife, un instant vaincu, ce Concordat de Fontainebleau qui rend rail Napo- léon plus pape que Ie Pape. II faut remonler jusf}u'à Frédéric Bar- Lerousse el jusqu'à Henri TV d'Allemagne, pour lrol1ver une affrc- LaLion si effrontée à la monarchie universelle, un despotisme pour Jequell'Eglise n'est qu'un instrurnent de règne. L'idt e fal1sse que Ir Pape n'a dans l'Eglise qu'un pouyoir sl1balterne et qu'il n'a au- CtIn pou\'oir dans la société civilp conduit Napoléon à vouloir' faire dl1 Pape un valet de César, un serf de la pnlitique, un complire contraint de tous les excès de la l Tannie. Napoléon tom be. Les fils de S. Louis ::;on t ramenés, par' la force des cho es, incognito de la Providence, à la têLe d 11 royaume Lrès chrélien. Pendant vingl-cinq ans, ils ont pu yoÏI' les llourbons proscrjpLel1rs des ordres religieux et persécnteurs du Sainl-Siège, visilés par Jes plus grandes éprel1ves de leur hisloire ; eux-mêmes, pendant vingt-cinq ans, perséculés eL proscrits, ant vn ce que Dieu fail des adversaires de son' Christ. Ces long-nes épreuves ne leur on L ricn appris, et, rlcs excès d'autrefois contre I'Eglise, ils n'onl rien oublié. A peine élaLlis sur ce lrÔne que Ie Out révoluLionnaire va batlre et emporler, ils se fonlles complices de Ja tempête. En 181G, Ie minislre Lainé, en 1.8 4, Ie minislre COl'bière rendent, par OI'òonnance, obligaLoire, l'euseignemenL des quaLrr articles de (1) ANDnÉ. CO/.(YS dt> dnlit canon, l. II. V. Articles organique . 76 CHAPITRE II 1682. En 1817, l'an1bas adeur de France à Rome reçoit mission de réclamer un nouveau Concordat ou Ie relour au Concordat de Léon X avec annexes facultatives des liberlés de Pithou et des q uatre articles. Le retour à ce Concordat, si funesle par la faute des hon1n1e8 el à la France et à l'Eglise, n'a pas lieu; une conven- tion nouyelle, impliquant rejet des Articles organiques, n'est pas ad Inise des Chambres ; la Reslauration - si 1'0n peut parler ainsi - revienl au Concordat de 1801 et garde précieusement les Arti- cles organiques, code com plel de tyrannie en malière religieuse. En 1826, pour mieux accenLuer son gallicanisme, la ResLauraLion présenLe à la signature des évêques Ie premier article de la Décla- ration; eUe tient à faire proclamer, à la face de Dieu et des hom- mes, que Ie Pape esl destitué de toute auLoriLé sur Ie temporel des nations, que I'Eglise n'esL pas de ce monde, qu'il faut rendre à César ce qui est à César, comme si Charles X, posant en César, n'était pas un cas d'aliénaLion mentale. Le nouveau César porle la même année, par ordonnance, alleinte au droit épiscopal sur les séminaires eL deux ans plus tard, par une nouvelle ordonnance, fprme les collèges tenus par les J ésuÎtes. L'l1n des com plices de la Reslauration, Prayssinous, publie le8 V1'ais p1 incipes de l' E glise gallicane, comme si, dil Ie cardinal Gousset, il y avail de vrais principes conLre les droits sacrés du Sainl-Siège. Un aile]' ego de Frayssinous, Duclaux, supérieur général de Sainl-Sulpice, libelle une formule de sel'menL à jureI' par les ecclésiasLiques pour se lieI', pal' serment, aux quatre articles hérétiques eL schismatiques de 1682. Pour dorer, comme on dit, la pilule, Dl1claux insère dans sa fOI'n1ule, qu'on acceple et jure les quatre articles dans Ie sens de Bos uet, el non dans Ie sens plus odieux des parlemen laires. (( La meilleure inslruction de Bossuet là-dessus, pour ne pas dire l'uni- que bonne, c' est son Abeat quo libuerit... l\fais ceux qui voudront appuyer de l'autorité du grand Bossuet leurs dispositions hosliles, ne se diront-ils pas renvoyés principalen1ent à l'ouvrage où la dé- claration est enseignée ex professo, quoiqu'il soit demeuré si long- temps aux mains du neveu, l'évêque de Troyes, et de ses co-jan- sénistes. Là se trouvent, comme on sait, accusés el convaincus de LE LIBÉRALISME RELIGIEUX ET L'ANCIEN RÉGIME 77 graves et'reurs, un prodigieux nombre ùe Souverains Pontifes)) (1). Napoléon à Sainle-Hélène, Charles X à Prague expienl leurs' aLLentats contre I'Eglise. En 1830, la France incline un peu plu::; à gauche et préconise toutes les liberLés révol utionnaires de pen- sée, de presse et de culle ; mais, en même temps qu'elle lâche, aux passions, tous Ies fl'eins, eUe maintient contre l'Eglise, toules les oppressions du Césarisllle ; eUe étenù les immunités qu'il faudrait restreindre, eUe restreint celles qu'il faudrait étenàl'e. Sauf quel- ques excès des premières années, produHs ou favorisés par l'irn- puissance du gouvernen1ent, celle fausse politique n'amène pas, contre l'Eglise, beaucoup d'actes de tyrannie. Louis-Philippe était une sorle d'Ulysse; il gouvernail par la ru e et se proposait, comme but suprême de la prudence, l'exen1ption d'embarras causés par un trop grand zèle. Quelques appels cornme d'abus ulonLrèrent cependant que ce VolLairien libéral tenait nWl'diclis à la tradition césarienne des organiques ; les quatre articles étaient réputés palladium de la liberté fl'ançaise el Ie procureur général Dupin ùéfinissait Ie régime comme gonvernement qui nc se cOll(esse pas. Sur un seul point, les catholiques essayèrent de t'aire brèche au despotisme libéral ; ils revendiquèrent la liberlé d'enseignement promise par la Charte et rappelèrent an roi l'obligation sacrée ùu serment de l'hôtel de ville. A cbeyal ou à pied, cornIne Ie colos:,e de Rhodes, sur la corruption parlementaire et sur Ia paix à tout prix, Ie prince voyait défiler entre ses jambes, les projets ùe lois contradictoires où ses ministres rnellaient la liberté dans Ie Litre et Ie refus de la liberlé dans les articles; il voyait défilet', avec une égale ind ifl'érence, les pl'ocessioos de pétitionnaires, lo)'sq u' en février, il fut alteinl du chàtirnent ordinaire des gouvernemcnts convaincus d'Ünpénilence. Sainte-Hélène et Prague se coutilluè- rent à Claremont. Après une eourte station dans Ia République, l'Empire se rele\'a, se disant fidèle à loutes les liberLés de 8U el à toules les constitu- tions de l'Empit'e. Le titulaire du nouveau régime, un Césat' de (1) Lettre de fgr d'Aviau. archevêque de Bordeaux, à f. Ouc1aux, dans la F'ìYfYLCe et le Pape, par Ie Card. Villecourt. 78 CHAPITRE II rcnconlre, duni la fortune ne s'explique que pal' raveuglement de la nation, posa d'abord en anlf1goniste de la révolution, en vain- quem' du socialisme et de Yanarchie. Mais bientôt, par un travail de dérivation infiniLésimale, Ie Carbonaro devenu enlpereur mit de cÔlé son mandat populaire de sauveur et se fit Ie pionnier résolu de l'aUaque à la papaulé. Son oncle avait essayé d'aballre la pa- pauté pal' la force; il crut pouvoir mieux mener ce dessein par la ruse. Ð'un còté, iL posa en protecteur du Pontife Ronlain; de l'au1re, il se donna la lnission de lioéraleur de l'Ilalie. Libérateur de l'llalie n'étaÏt qu'un mot de passe; Ie vrai titre c'était sergent de :\lazzini pour 1\1l1ité de Ja [Jéninsule, e1 valet de Victor-Em- manuel pour écraser Home de sa protection. Ce monslre d'hypo- crisie mena l'afl'aire, disons miell la conspil'alion, avec une rare patience et une parfaiLe urbanité; il réussi1 tant et si bien que, vaincu à Sedan, iL aHa reprendre, à ChisJehul, t, La suite des 11lé- dilations de l'ermile de Claremont, mais, pour Napoléon Ie Petit, comnle pour Napoléon Ie Grand. Ie Grand objecLif de la politique élait toujours l'abaissement de la papauté el I'exallation des souverains. Le pouyoir ten1porel des papes supprimé, Ie pouvoÏl' spirituel des pontifes mis en échec pal' la révollllion i talienne, l'i re des schismes commence; la religion devient, pour chaque pays, une afl'aire nationale; César est ponlife, bientÔt dieu, et la vision des sept rois, qui foulent aux pied::; la croix du Christ, et boivent dans des crânes Ie sang hunlain, enfanlée par l'imagina- tion de Lamennais, menace de devenir une réalité de l'histoire. Nous en décou vl'ons les essais partiels dans les ex ploits des ban- des de chats-hualds et de ehacals, qui, sous couleur de RépubIi- que, sont en lrain de laïciser la France. La Iaïcisalion de la France e t la suite de l'affranchissement de l'ltalie; Ies répu blicains con- tinuenl l"æuvre satanique de Napoléon Ill. Le pape prisonnier au Vatican; Ie Concordat, instrument d'union, menacé de ruine et n'élant plus (lu'Une l'uine lui-mêlne; la séparaLion de I'EgJise ct de l'Etat pl'onoHcée demain par ce chifl'on de papier qu'ils appel- I eront une loi, ils façonnent J'avance l'Etat tel qu'il doH être après la séparaLion. L'Etat ne reconnalL eL ne salal'ie aucul1 culte, ex- LE LIBÉRALISME RELIGIEU'< ET L' ANCIEN RÉGIl\IE 7U cepLé Ie culte de la libre-pensée, armée en guerre conlre LouLes les croynnces; fEtal ne reconnail aucune associaLion, excepté la franc-rnaçonnerie armée en guerre contre Lous les ordres religieux proscriLs. Les religieux sonL cha sés de leurs couvenLs ; les scellés sonL Inis sur la porte de leur chapelle ; les religieuses sont chassées des hûpÏtaux, des hospices, des prisons, des écoles, des salles d'asile, de tOllS les établissemenLs OÙ eUes praLiquaienl, d'l1ne manière si touchanlp., la charité de Jésus-Christ. Les prêLres au- rnðnien; sont exclus des coIlèges, des prisons, de L'armée, de par- Lout OÙ ils pouvaienL porler une grâce de rédempLion. Le calé- chi:-.;me est chassé de l'école; l'école neutre est l'école du diable ; ellol':-.;que l'enfanL peut revenir au prêLre, iI est rivé dans Ie naLu- ralisIne. l..e recrutenlent du clergé est empêché par Ie reCl'ute- ment de l'armée ; c'est dans les casernes que les prêtres doiyent s'inilier à la vertu; c'est en tuanl quïls doivenl apprendre à bénir ; et c'est seulement lorsqu'ils auront été souillés ou soupçonnés lé- gilimement de l'être qu'ils pourront revenir au service du Dieu lrois fois saint. Le cimetière est laïque ; Ie presbytère rendu à la com- mune; Ie traiternent du curé est à la disposition du conseil mu- nicipal qui pOllrra remployer sur les chemins; l'églbe, si elle est laissée au culte, servira après aux exercices de gymnastique; al1 sociétés de musique, aux représentalions des saltimbanques. La guerre aux pasteurs des âmes est, partout, ardente et infatiga- ble. Dieu est relégl1é parn1i les chimère ; I'autre vie est. une in- venlion des prêtres ; la prièl'e pour les rnorls doit être reléguée parmi les escroqueri s qui relèvenl de la police cOl'rectionneJIe. Les pl'êlre , pour aulant qu'il en reste, sont voués it toutes les co- lères des populations, au mépris <.les horn Ines, aux blasphèrnes des femme aux injures des jennes flUes, al1X sévices même des en. rants. La lui menace tous leurs actes, la police épie toutes leurs démarches. De lemps en telnps, les gendarmes font nne n\fle ùe curés; un les enta se dans les prisons; eL, apl'ès un simulacre de j ugeInenl, on les deporte ou 011 les lue. Tel est l'ahoutisseruenl de la théorie qui diminue Ie pape dans I'Eglise et l'exclllt de la. société civile. D'abord il ne semble pas RO CliA PITRE II qu'on 61e rien à sa souveraineLé, ni que la société, gouvernée par des chrétiens, perde C].uelque chose à sa disparilion; mais bientôt l'Eglise, a1teÍnle dans son chef, voiL I'hérésie ra\Tager Jes âmes el Ie schisme déchiret' runité de sa communion. Dans les sociélés séparées de l'Eglise. on ne tarde guèl'e à se séparer de Dieu. La société, séparée de Dieu, passe des mains des chrétiens aux mains des libéraux, puis aux rnains ùes radicaux. Au lieu de mOll- tel', on descend toutes les pentes de la confusion et de la corrup- tion. Par10ut la division e1la gnerl'e. L'anarchie intellectuelle est à son comble ; la guerre civile est à l'ol'dre du jour. On ne se bat pas; on se dispute et on se déchil'e. Les modérés avaienL pron1Ís que Ie loup hérétique et l'agneau orthodoxe vivraien1 en paix; que Bélial et Jésus-Christ, sous la protection égale de César, joui- raient d'une égale liberté. Illusion puét'ile. Le monde est un chan1p clos pour l'éternel comba1 de l'erreur et de la \Térité ; les àmes sont l'enjeu du combat. Les errants, s'ils sontles plus faibles, ré- clament la tolérance ; s'iIs 1'0btiennenL, se fOl'tifìent à son ombre ; e1 dès qu'ils sont les plus forts, opprimenL. La coexistence pacifi- que de to utes les croyances esL un rêve ou une soUise e1 une 1ra- hison. II n'y a de vrai respect des croyances sincères que dans l'Eglise; partout ailleurs les croyances fautives sont favorisées et les croyances orthodoxes proscriles. Cherchez, à tous les poin1s de l'espace e1 du temps, Ie lieu et l'hcure OÙ ont pu se faire admellre vos yæux e1 se réaliser vos espérances. lei-bas, il n'y a qu'un moL d'ordre vraiment sérieux : Lenit' Satan à Ia chaîne, ou, si on l'af- franchit, suhir l'oppt'obre de sa domination en attendant qU'OH puisse Ie reprendre et, s'il se peut, I'écraser. II es1 prouve par l'histoire que Ie Iibérali;:,lne, conséquence eL 1ransforma1ion du gallicanisme, c'est finaIen1ent la ociété sans religion et I'E1at sans Dieu. CHAPITRE III LAMENNAIS ET LA PREl\I1ÈRE FORMULATION DU CATHOLICISME LIBÉHAL. La première form ulation des idées catholiq ues libérales date de 1830 ; eUe futl'æuvre d'un grand apologisle de la religion, La- mennais; elle ne visait point, daus sa pensée, à une concilialion etfective enlre Ie libéra1isme et l'orthodoxie ; elle tendait plutôt à lui assurer un puste favorable pour Ie combat; toulefois, par la force des choses, pour les besoins de Ia discussion eL les nécessités de l'apologie, une porte ful. ouverle SUI' une perspective d'accord entre l'Eglise et ce que les libéraux appelaienlla liberlé. Quant à lui, Lamennais étail l'adversaire acharné des libéraux ; il les Lrai- tait en continualeurs de Rousseau el de Marat ; leur rendail, avec avanlage, l1elTe pour guerre. Au lieu ùe songer à leur tendre Ja main, il professait conLre e ux des doclrines òe séparalion. Très hostile au gallicanisme, qu 'il avait vu, depnis 181 ., ressusciLcr' avec un surcroit d'aveuglement et ùe malveil1ance, il Jj'avait pas seule- ment défendu Ie SainL-Siège conh'e ce regain em poisonné de vieux gallicanisme, mai cumballu, dans Ie premier article de 1ß82, lïdée fausse et funesle de I'indépendance absolue de l'ELat. Un de ses ouvl'ages avail eu pour' objet d'établir l'uniun nécessaire des dcux ordres, la néce sité sociale de Ia religion et de l'Eglise, jusque-Ià qu'il se flattait, si 1'on se dérobail à son argulnentation, de réduire ses adversaires à l'aLhéisme et au néanL Dans un autre ouvrage, il décou vi'aiL, dans la guerre à }' Eglise, autant d'avances à la révolu.. lion el n'hésilait pas à pronostiquer, dans les coups qu'on lui por- taH, autant de principes de ruine pour la Restallralion. Avanl1S:10, Lamennais élait Ie pude-élendard des aines duclr'ines, Ie pionnier' pel'spicace et vigoureux qui, d'une main, abattait les erreur8 du passé, de ['autre, conjurait les pél'ils de l'avenir. 6 82 CHAPITRE III A cette époque, du reste, l'idée d'un accord qnelconque enlre Ie libéra1isme et l'Eglise n'eÙt paru qu'une monstruosilé. Depuis que Ie libéralisIne ré\Tolutionnaire avait pris, dans Ie gouvernement de Ia France, la place de l'absolutisme de l'ancien ,'ègimc, il avait été constamment perséculeur. De 1789 à 1800, il avait détruit enlière- ment la vicille organisation des églises, préconisé Ie sch isme, pros- crit Ie cuHe et tué les prêtres. De 1.800 à 1815, aLdiqllant aux mains de Napoléon, il avail renoncé aux formes politiques de ses préférences, à condition que Ie despotisme impérial continuerait son æuvre en Europe et l'achèverail à Rome. De 1815 à 1830, devenu opposition dans Ie r'égime constitutionnel, il fit la guerre à la légitimité des Bourbons parce q u'illes cr'oyail sympalhiq ues à l'Eglise; demanda et ohlint d'eux des pl'euvrs de libél'alisme par des actes de persécution contre les ordres religieux et les séminai- res. En 1.830, si Louis-Philippe, quoique Bourbon, avait oblenu les faveurs des libéraux, c'esl qu'ils Ie sa\'aient vollairien el espéraient Ie trouver obstiné, contre I'Eglise, dans ],injuslice. Si Lamennais eût pu songep à conciliation avec Louis-Philippe et ses bandes libér'ales, il n'eût élé qu'un sot el se fiìl acheminé à la trahison. l\Ialgré ses illu1jions postérieures, on ne peul croire qu'il se fùl abusé, dès les premiers jours, sur une æuvre qui, d'ailleurs, n'of- frail aucune chance de succès. II est rpmarquable, en effel, que toutes les conceptions fausses en matÏère de foi visent à la séparation. L'hérésie est, dès les pre- miers temps de l'Eglise, la préparation du schisme. Les fabrica- teurs de syslèmes hétérodoxes ne ongenl jamais à rester dans l'Eglise, mais Loujours à en sorlir, pour s'en attribuer Ie divin mandat. Les jansénistes les premiers changèrent celte vieille tac- tique de scission. Au lieu de se proclamer défectionnaires, ib se dirent obstinément fidèles lorsque l'Eglise les frappa d'excommu- nication, ils dirent qu'ils n'existaient pas et que loin de nourrir llne pensée étrangère, ils étaient les plus fidèIes enfants de la mère Eglise, les poursnivanls généreux des vertus antiques, Les elTeUI'S condamnée I1P (' lrOU\'llÌclll pas daBs Jan::;éniu5 : si elle::; ::;.y lroll- vaienl, ce n'élait pas dans Ie sen::; condamné ; si l'Eglise prétcnùait LAMENNAIS ET LA PREMIÈRE FORMVLATIO DU CATHOL1CIS1\lE LIBÉRAL H3 Ie contraire, au lieu d'acquiescer à ses prétentions, il fallaiL s'en- fermer oans un silence respectueux ella servir quand rnême. La négalion de l'erreur professée, la di tinction du fait et du dl oit, Ie silence respeclueux, Ia promesse d'obéissance aux décisions futu. res, pourvu qu'on ail licence de rejeter les décisions passées : tel fut leur programme, et telle fut aussi, depuis, la sLratégie des gal- licans et des caLholiques Iibéraux. Désormais les hérélique pré- tendenL être l'Eglise, former du moins sa meilleure parlie, la por- tion intelligente, verlueuse et dévouée. A rIle Ie monopole des talents, de la perspicacilé, des vertus et des sacrifìces. Et c'est là qu'est Ie péril de l'heure présente ; il est dans ce mélange du bien el du mal, dans ceUe prorniscuité des doctrines, dans cette hypo- crisie qui promet des conversions en corrompant les bons chrétiens et qui prédit une ère de gloire en no us menant aux plus miséra- bles prévat ications. L'abbé de Lamennais ne put entrevoir qu'obscurément ces mal- heurs; c'étaÏL une âme candide et pure, trop confiante à sa sagesse, mais convaincu que ceLLe sage sse ne pouvait prod uire que d'heu. reux fruits, Son exemple cependant uf1ìL à prouver Ie conlraire. Non seulemenl sa tactique ne ]ui procura allClln avantage, mais eUe ne sut pas nlême gar-del' sa foi. Pt êlre, libét'al d'ocrasion eL seulement pour Ie combat, il abouLit, par Ie libéralisn1e, à l'apos- tasie. Les catboliques lib{>rau\: ont compté depuis de nombreuses victimes; Us unt empêché toutes les conversions fJu'ils avaient pl'O- mises; ils ont occasionné toules les perversions auxquclles ils ne s'aUendaient pas; mais allcune chute n'est plus lamentable que celle de Latnennais. Vous voyez dans ce prêtre toutes les extrérni- tés des chose de foi: une suave piété d'ange et une froide impiété de démon ; des convictions d'une foi intransigeante et toutes Ies folies de l'incrédulilé radicaJe ; les ascensions au ciel et une chulC' foudroyante au plus profond des abîmes. C'est un phénoln(\ne qu'il faut étudier et se dire qu'il n'est point si étrange, mais qu'il offl'e, dans ses contradictions nlêmes, Ie pins bel échanlillon des incohé- rences de la IiLH"e-pensée s'inspirant du libénllisme. Si les Français 84 CllAPITRE III avaienl eu Ie sens commun, l'exemple seul de Lamennai::; eÙt dù les préserver de tout songe calholique-libéral (1). Hugues Félicilé Robert de Lamennais élaH né à Saint-:\Jalo, d'une famille d'armateul's, ennoblie pal' Louis XIV et éprouvée de- puis par des revers de fOI'tune. De bonne heul'e privé de sa mère, enfant rétif et obstiné, souvent enfermé dans une bibliothèque par }'oncle chargé de son éducalion, Félicité acquit, dl's ses jeunes années, une instr'uction ex lraoniinah"e pOll I' son Ùge e1 une précoce impiété: Le futur apologiste du christianisn1e ne fit sa première communion qu'à vingt-deux ans. Successivemenl pl"ofesseul' à Saint-Malo, I'éfugié en Angleterre, travaillant pour lui-même à ses heures, il cherche sa voie, et, en attendanl les indications de la Providence, éLudie sérienselnent les langues ancipnnes e1 mo- dernes. Prêtre en 1.816, il ayaH, dès 1.808, dressé, avec son frère Jean, el pllbIié un programme des réformes à efIecluer en France. En 1.814, avec la collaboration savan1e du rnême frère, pour ré- pondre aux idées schismatiqnes du temps, il avail ofrerl au public, en trois volumes in-8 o , la 1'1'adilion de l' E glise SU1' ['institution des évêques. En 1818, sans transition, Lamennais se révèle, par l' b'ssai SU1' l'indi/férel1ce, comme Ie prophète des ten1pS nouveaux, Ie suc- cesseur de Bo suet, ['oracle des églises de France. A partir de 1.820, une ombre déteint sur cetle gloil'e. Descartes, rebe1le aux 1ra.dilions de la scolastiql1e, avail fondé la philosophie sur Ie doule méthodique, et donné, à Ia raison, support unique de son syslème, )Jour critère, l'évidence: l'évidence du raisonnemen1 dans rordre 10gique, l'évidence du sens intiIne dans l'ordre psychologique, l'évidence des sens dans l'ordre phyt-:iq ue. LaIuennais, réagissant contre le s)'slènle orgueilleu x cl faible de Ðescal'Leci, récusa ceLle parfaile compétence de la raison, el par un paralogisme singulier, miL à sa place Ie sens comnlun, la It'adilion des peuples, Ie con- sen1ement universe!. Avec les ex plica1ions qu'il en donnait, La- mennais ne sorLait pas des limiLes de l'orlhodoxie, mais ses ta- lents, se écrils, son immense répulaLion lui ayaicnl susciLé dans (1) Hzsloi,.e génèiYfle de l' Eglise, t. XL, p. 559 et seq. LAl\IENNAIS ET LA PREMIÈRE FORMULATION DU CATHOLICISME LIBÉRAL 85 l'EgHse, ce qu'on y trouve toujours facilement, des envieux, âpres à Ie prendre en fa ute et trop heureux de l'écraser. Lamennais savait exciter les haines, il ignorait rart d'y répondre et s'en con.. solait par Ie dédain. Au demeurant, la tempêle que souleva son système rle certitude n'empêcha pas Ie vaillant breton de dresser un plan de campagne contre l'impiété révolutionnail'e et d'appe- leI' à son aide. pour l'accompIir, une légion de soldats. Fondateur de congrégalion. éerivain ascétique, journa.liste militant, Lamen.. nais s'élevait à la hauteur de tous les dévouements et savail aussi bien accornplir une ænvre que la concevoir. Nous n'avons pas à rendre com pte ici de tout ce que fit Lamennais pour la restaura- tion de la France et 1e triomphe de l'Eglise. Le point qui doit at- tireI' toute notre attention, c'est la suite d'idées qui l'amena à fonlluler Ie premier c1'edo du liLéralisme. Ces idées sont consignées dans les deux ouvrages: De la reli- gion dan.r; ses 1'appo1'ls avec t01'dr'e politique et civ l et Pl'Og1'PS de ta 'révolution el de la gucl're cont1'e tEglise. Ce ne sont pas des ou- vrages de principes, mais de circonstances; Ie premier otfre une vue d'ensemble sur la société française, telle que l'a faite la révo- lution ; Ie second montre comment, sous la Hestauration, l'action du gouvernement et du parti libé,'al continue l'æuvre de dissolu- tion révolutionnaire ; dans les deux, Lalnennais s'applifJue à prou- vcr que les principes et l'action de la sainte Eglise romaine sont nécessail'es au salut de la France. . Les dogmes font les sociétés. Les sociétés humaines s'élpvent ou s'abaisRent, vivent et meul'ent suivanL les principes des hommes qui les gouvernenL En thèse génél'ale, Ia religion esl Ie principe vital ue la sociélé, parce que seule elle peut unir les esprits dans une même pensée de vérité et soumeUre leR cæurs it une même loi de verLu. Par suite, la religion est la source des autl'es lois, la base, l'appui, Ie principe régulateur des Etats conslitués selon la nature ou la volonté de l'intelligence lIprême. l\11 nle dans l'allti- quité, les païens ne croyaient pas qu'une sociéLé pÙt s'éLahlir eL prospérer sans que la. religion lui servit de base. L'Eglise pal' sa hiérarchie, par ses lois, par ses tribunaux, par tout l'ensemble de 8ri CHAPITRE III ses institutions, avait constitué un ordre chrétien. Or, depuis Ie XVle siècle, Ie prolestantisme ébranle Ie systpme politifJue de rEurope et dépouille successivemenlIes pouvoirs de loul carac- tère religieux, de toute rnission sainte. A la monarchie chrélienne qui faisait, du tiLulaire de l'autorité puhlique, un..minislre de Dieu pour Ie bien, elle a substitué un ordre de déIégalion, qui fait du pouvoir une dompsticité Inisérable. A la sociélé chrétienne com- posée de familIes, de classes, de corpol'aLions oÙ l'on voyait avant tout, dans l'homme, l'enfant de Dieu, a succédé une sociélé éga- IHaire, où il n'y a pIn:; ni hiérarchie, ni classifìcalion, ni rangs, ni droits reconnus al1h'es que ceux acquis par la Ioi civile. A ]a base de cette société: OÙ un peu d'or de plus ou de moins fait toule la diffél'ence entre les hommes, vivote l'individu iso]é qu'on appelle citoYf>I1. Le ciloyen dél gue ses pouvoirs à deux Chambres ([ui font des lois, volent les impôts et, par leur accord, formeut l'exercice de la. souveraineté. Ces Chambres, souveraines pour la confection des lois, sont sOllvera.ines encore par Ie pOl1voir exécu- Lif du minislère. Le citoyen, roi ou président, qui offre, au-dessus du minbtère, un symbole vivant d'unité nation ale, est une idole : iI a des yeux pour ne point voir et des mains pour ne pas s'en servir. Le fond de 1'0rganisaLion sociale est républicain. Chaque espècc de gouvernement a son caraclère propre. Le caractè,'e de la dénlocl'atie, c'est la nwbilité; tout y est sans cesse en mouvemenl et change au gré des passiouR. Le pouvoir ne donne pas l'impuh.iÏon, ilia reçoiL Cen urel' est le besoin de tous; nulle faute n'est pardonnée. Dans les cornices électoraux, la mé- diocrité réussit mieux que Ie vrai talent, surtout lorsqu'il s'allie à un noble caractère ; pour plaire aux masses il faut la flaLLerie, la servilité, la hassesse, et tout Ie monde n"accepte pas la fortune à ce pl'ÏÀ. L'égalitr absolue ne laissant subsisler d'autres disLinc- tions que celles de la fortune, produil une impiétÚ extrême, une soif insatiable de ror: la plus avilissante des passions. Dans Ie désordre universel, chacl1l1 cherche avec anxiété la place due il son mériLe, it ses besoins ou à ses convoitises. Pour offrir, au moins, en e pél'ance llne pâture aux désirs, on mulliplie les spec- LAMENNAIS ET LA PREMIÈRE FOR1\IPLATION DU CATHOLICISME LIBÉRAL 87 tacles, les loteries, les maisons de jeu, les opéraliolls de crédit. Dne telle pratique sociale r'enferme, pour principe, l'athéisme, puisque Ie parlement, représentant loute fa force de la nation, peu t modifier radicalement ses institutions, sa religion Inême. En sorte que la démocratie, qu'on nous représente comme Ie terme e-xtrême de la liberté, n'est que l'hypocrisie du plus odieux despotislne. Despotisme qui s'exerce par l'admini::;tration, obéis- sant à toutes les vicissitudes des conflits parlemenlaires et ne te- nan t compte, dans ses agissemen ts, ni des services, ni des ti tres, mais seulement des intérêts privés du législateur. En sorte que ce système, qui paraît devoir ne s'incliner que devant Ie génie et élever la justice à la hauteur d'un pr'incipe, n'offre à tous les de- grps de l'échelle politique, que l'incohérence, Ie caprice égoïste et surtout la corruption. Plus de service gratuit, tout est payé. Toute charge est placée entre Ie mépris qu'elle inspire et la con.. voitise qu'elle excite. Un mouvemen sans but agile la société. Dans l'instabiliLé générale, chacun ne pense qu'à soi, surtout pour s'assurer une vie bien payée et sans travail. Les budgets s'al1g- mentent ù'autant ehaque année el atteignent des chiffres ruinrux pour la fortune des particuliers. Les ànles s:avilissenl et ne com- prennent plus aueun sentiment noble. L'administration marche sans gêne, parce qu'elle a tout gâté. La politique se borne aux intrigues inlérieures et n' offre plus, au dehors, que l'abaissement de la nation, Les sciences se matérialisent, la raison s'affaiblit vi- sihlement. Les juifs deviennentles rois de I'époque. On appelle crla Ie pays des lumières et du progrès. Dans celte société démocratisée, Ia religion est plaeée en dehors de la société polili'lue et civile; rEtat est athée. Uans les ancien- nes nlonarchies, I'Eglise était la première des institutions puhli- ques, et Ie cIergé le premier ordre de I'Etat, parce qu'on ne connais- sai t point, dans ce tern ps-Ià, de fonctions plus néce:-;sairp et plus élevées que les sienncs. Avec la noblesse etles dépulés des com- muues, il s'asseyail aux Etats généraux de la nation; il viva-it, ainsi et ['especté, au ll1ilieu d'une famille de frères, qui lui devait Res croyanees, ses luis et ses mceurs. La révolution a dètrllit tout 88 CHAPITRE III cela et mis partouL la haine. Le clergé en France reçoit un salaire, mais la (>eligion n'est point dotée et n'occupe aucune place dans Ie corps poJilique. Le nom de Dieu n'est inscriL ni dans la consti- tution, ni dans les codes; la prière pour les grands corps de l'Etat est répudiée comme une anomaIie. La sociélé matérialiste, inau.. gurée par la révolution française, s'est conservée sous tous les régimes, avec quelques décoralions religieuses apposées, pour trompeI' les simples, mais sans rien ébrécher aux fanfaronnades de son athéisme. (( La loi esl athée et doH l'êlre, disaiL Odilon Barrot; que si l'Etat admeL les citoyens à la profession d'un cu!te, il admet également tous les cuUes, sans se préoccuper de savoir s'ils sont vrais ou faux; elle ofl'r e à lous, avec une parfaite indiffé- renee, sa tulelle et exige de Lous, en retour, une entière soumis- sion. L'athéisme de la constitution et des principes politiques sont si peu conlestés, qu'on s'en fait, au contraire, une sorte de point d'honneur. Ces machurats de basse mine se disent sans Dieu et ils se croienl des génies constiluanls, de fins politiques. L'athéisme passe de la société civile dans la société domestique. La naissance, Ie mariage ella sépulture, les trois grands actes de la v.ie, sont l'objet d'une mention de trois Jignes sur un registre et c'est tout. L'union de l'homme et de ]a femme est un contrat pure- menl civil, révocable au gré des parties. "Gn homme a sa femelle et ses petits, voilà tout; et encore souvent ne sait.,on à qui ils appartiennenL L'éducation des enfanLs est une institution politi- que et dès lors elle n'inspire aux enfanLs que les sentiments de l'Etat, lïndifférence pour toute religion et la haine de la vérilé calholique. De là, celte espèce de doute contagieux, cetLe impiélé froide et lcnace, qu'on observe avec épouvante ùans la plupart des établissements d'insLruction publique. Les désordres des mæurs, bien que porLés à un degré autrefois inconnu, sont moins alar- manls pour l'avenir. On se corrige du vice, rarement on revient de l'incrédulité précoce. Plus de dimanche, plus de cérémonie pu- blique, plus de signe religieux, même sur la Lombe. La corruption till présent entraîne Ja corruption de l'avenir, appelle des fJéaux eL pl'ovoque In rnine. LA:\lENNAIS ET LA PREl\IIÈRE FORMULATION DU CATHOLICISME LIBÉRAL 89 (< Dès lors, qu'esl-ce que la religion pour Ie gúuvernement? Que doit être à ses yeux Ie chrislianisme? II est lrisle de Ie dire, une inslilution fondamenLalement opposée aux siennes, à ses princi- pes, à ses maximes, un ennemi; et eela, quels que soient les sen- timents personnels des hommes au pouvoir. L'Elat a ses doctrines, ùont chaque jour il tire les conséquences dans les acles, soil de législalion, soiL d'administralion. La Religion a ses doctrines essentiellement opposées, donL elle lire aussi les eonséquences dHns l'enseignement des devoirs eL de la foi, et dans rexercice du minisLère pastoral. II y a done entre eUe et I'ELat une guerre eon- tinuelle, mais qui ne saurail durer toujours. II faudra néeessaire- menL, ou que I'ELat redevienne chrétien, ou qu'il abolisse Ie chris- lianisme; projet insensé auLant qu'exécrable, et dont la seule tentative amènel'ait la dissolution totale eL dernière de la sociéLé. (< Déjà elle chanceHe de tou Les parts, déjà sa vie s'affaiblit mani- fesLement, à mesure qu'elle se sépare davanlage de la religion; et eetle effrayante séparation qll'on s'efforeerait en vain de ne pas apercevoir, s'accroît d'année en année. Dans l'impossibilité actuelle de prononeer son abolition légale, on combat son influence, on restreint son action, on la façonne à l'esclavage, pour en faire, s'il se peut, en la dénaturant, un docile instrument du pouvoir. On redollte, et l'on a raison de redouter, une lutte ouverte, OÙ rEg-lise, qu'on ne subjügue point, puiserail un nouveau courage eL des forces nou velles. A la place de la yiolence, on emploie con tre elle la ruse ella séduction. L'hahituer à la servitude, en la flaltanL eL en l'intimidant tour à Lour, voilà ee qu'on eherchc. On voudraiL, non pas former avec elle une alliance sainte pour Ie triomphe de I'ordre el de la vérité, mais qu'elle se fondit peu à peu dans l'ÉtaL tel qu'il est, en renonçant à ses eroyanees, à son propre gouverne- ment, à ses propres lois, c'est-à-dire en s'anéantissant elle-nlême, ce qui est arrivé partout OÙ l'unité catholique a été rompue. Les révolutionnaires de tout degré ne dissimulpnt point à eel égard leurs væux, el je les loue de leur franchise, parce qu'au moins ron sait clairemcnt h f}uoi s'cn Lenir SLIr' leurs deEoìseins. L'adnlinistra- lion tpnrl au mf me hut, en fpip:nHnt de le!=\ rornhaltr'e: on l'a déjà gO CHAPITRE III vu, el nous n'aurons encore qne trop d'occasions de Ie prouver. Hypocrite dans son langage, POUI' tromper les simples, eUe se refuse obstinément aux améliorations COInme aux réformes les plus nécessaires, à tout ce qui contredirait Ie grand principe de l'athéisme légal ; et il n 'est pas un senl de ses actes qui n'ail, sinon pour fin, du moins pour effet de propager dansles espI'ils l'opinion funeste de l'indifférence absolue des religions, devenue rune des maximes fondan1entales de notre droit public. H Déjà, dans les Chambres, on la défend comme Ie ploincipe 111ême de la civilisalion moderne, et de je ne sais q uelle fraternil(; unive1'selle, politique el1'eligieuse, dont Paris, dit-on, est Ie centre, dont les plaisirs sont Ie lien, et qui, pour Ie bonheur de l'huma- nité, doil unir à jamais, sans distinctions de croyances, tous les peuples à rOpéra. Les hommes qui parlent ainsi en présence d'une assemblée grave ou qui doit l'ê1re, pourraient se souvenir que Rome aussi eut une semblable civilisation: de tous les points du monde on accouraH à ses spectacles; les letlres et les arts tlel1rissaient; avec une extrême politesse de mæurs régnail une philosophie douce et voluplueuse. L'empire était heureux sans donte? Demandez-Ie à l'histoire : la félicitÖ de ces temps commence aux triumvirs et finit à Nél'Oll. (( Certes, nous sommes descpndus bien bas, si bas qu'à peine conçoit-on qu'il soit possibLe de descendre encore. Une nation peut se corrompre, et mêo1e périr par l'excès de la corruption: cela s'est vu; mais qu'un peuple rejette systématiquement de ses lois tout principe spirituel, tou1e vérité religieuse et par conséquent tou1e vérité morale, il n'en exislnit aucun exelnple; c'est un phé- nomène nouveau sur la terre. Cependantje m'élonne moins encore de ceUe prodigieuse dégradation que de l'espèce d'orgueil qu'elle inspire à certains êtres qu'il raut bien appeler humains puisqu'il ]eur resle Ia figure et Ie langage de l'homme )) (1.). De là, cel ensemble de vexations lyranniques à l'aide desquelles on proscrit Ie prêtre. On a chassé snccessiveolenl Ie pasteur des (1) Dc 1a i>cligion dans scs i'aplJUJ>ts a1'ce I'OJ'll1.C j/vlitiq1le cl cil'il. p, W2. LA)lENNAIS ET LA PREMIÈRE FORMULATION DU CATHOLICISME LIBÉRAL 91 âmes, de l'école, de l'hospice, du bureau de bienfaisance, de la salle d'asile ; on lui a dit de se tenir dans sa sacristie pour l'y mu- reI'. On défend aux évêques de tenir des synodes, de se réunir en concile, de se tenir en communication directe avec Ie pape. Si un pl'être apostasiail, on lui ferait. bel accueil; dès qu'iL se déclare irréconciLiable, on lui fait une gllerre à outrance. Le protestanlis- me se plie partout it ce qu'on delnande de lui, parce q u'il n'a rien it conserver, ni dogme, ni discip!ine; Ie philosophisrne accepte loutes les servitudes temporelles, parce que, dépoul'vU de sacer... doce, il n'a pas même Jes premiers éléments d'une société; Ie catholicisme seul, fort de la force de Dieu et de la grâce de Jésus- Christ, ne se prête pas aux souillures des manipulations hnmaines. De là cet état de contrainte où ron s'efforce de Ie maintenir, ce poids de servitude que sans cesse on aggrave sur lui, celte prédi- lection marquée pour les sectes, toujours plus docHes à mesure qu'elles sont plus vides; rle là les calomnies, les injures, les cris de rage du parti révolutionnaire, ses déclarations éternelles contre Ie clergé calholique et son chef; de lit, cel amour pour les libertés de rEg-lise gallicane, qui n'est que la haine de l'unHé calholique; de lit entin Ie projet exécrahIe, avoué des uns, mal dissimulé des aulres, de précipiter la France dans Ie schisme et de créer une re- ligion nationale. Telle apparaìt, dans son ensemble, à Lamennais, la sociélé fl'an- çaise de 1825. Après l'avoir considérée dans son ensemble, il l'étu- die dans Ie ponvoir qui la gouverne et dans Ie parti libéral, qui aspire à Ia gouverner. Pour constituer une fo'ociété parfaite, il faul: 1 0 ne reconnaìtre de souveraineté absolue et éternellement légitime qu'en Dieu, de qui Ia raison, la vél'ilé et la justice sout les lois; 2 0 ne con idérer Ie pouvoir humain et la souveraineté subalterne, que cornn1e Ie ministre de Dietl, et ne possédant dès lor qu'un droit condition- nel: légilimc, quand il gouverne suivant la raison, Ja vérité, la justice; sans autorilé dès qu'il les viole; 3 0 adrnettre qu'il existe un moyen infaillible de reconnaîlre la vérité et la justice, c'esl-à- dire la fl'gle légitime, la vraie loi, la loi divine, d'npl'ès Iaquelle , 92 CHAPITRE 111. Ie pouvoir' humain, Ie minislre de Dieu doit gouverner. Or, toutes ces choses, nous les trouyons dans Ie catholicisme; elles formenl Ie résumé com plet et exact de la doctrine sur la société : 1 0 il ne reconnaìt de souverain absolu et éternellement légitime que Dieu, Roi des rois et Seigneul' des seigneurs; 2 0 il ne considère le pou- voir humain que comme Ie ministre de Dieu pour Ie bien, obligé de gouverner selon sa loi, selon la vérité, la justice, el perdanl tout droit de commander, dès qu'il les viole fondamentalem&nt; 3 0 il enseigne enfin qu'il exisle, dans l'aulorité de l'Eglise,_ un moyen infaillible de connaitre loujours ceUe justice, cette vérité, règle légitime du pouvoir: ce qui lie élroitement, d'après un mode de subordination nécessaire, l'ordre politique etl'ordre re- li ieux, raction humaine etla raison divine; de sorle que, par Ie pl'incipe de son institulion, la souveraineté divine et l'être failli- hIe, n'est que la manifestation, l'exercice extérieur de la EOllve- rainelé de Dieu et la société est une comme l"homme même. Qu'on rejette, au conlraire, Ie catholicisme, on est obligé de nier l'e istence d'un moyen infaillible de connaìtre la loi divine. Le pouvoir n'a plus de règle que sa pensée propre. et il faul conclure qu'il n'y a point, sur la terre, de souveraineté de droit, point de droit de commander l'obéissance, point d'obligation de la don- neI'. La politique se réduit à une chose, la force. Or, telles sont les théories sociales du jonI'. Dien n'y apparaît que pour la formr; la souveraineté réelle n'apparlient qu'à la raison. Dès 101's la société est livrée à l'action de deux doctrines qui se combaUenl perpétuellemenl, sans qu'aucune d'elles ail pu obtenir un triomphe complet, parce qu'elles sont, à divers égarrls, égalemcn 1 fausses, égalemenl opposées aux lois essentielles de l'ordre social. L'une est pré entée comme l'égide des peuples con- tre la tyrannie des rois ; l'autre, comme la garantie des rois con- tre la rébellion des peuples. La première est Ia doctrine Iibérale ; l'autre est la doctrine royaliste, gallicane de l'ahsolulismr. Le libéralisme, considéré dans ce quïl offre d'uniyersel et de permanent, n'est autre chose que Ie désir invincible de libcrté inherent aux nations chrétiennes, qui ne sauraient supporter un LAMENNAIS ET LA PREMIÈRE FORMULATION DU CATHOLICIS1.IE LIBÉRAL 93 ponvoir arbitraire; et considéré en lui-même, dans ses doctrines perpétuellement variables, il n'est que Ie développement du prin- cipe protestant et philosophique, qui rend chacun j uge de ses croyances et par conséquent de ses devoirs. Le libéraI:sme doctri- nal est donc un principe essenLiellement opposé au caLholicisme. Son effet immédiat est de créer, avec l'anarchie des esprits, l'a- narchie polilique, et d' établi 1', sous q uelque forme de gouverne- ment que se constitue la sociélé, Ie despotisme et la servilude. D'où iL suit, d'un côté, que Ie Iibéralisme, à raison d'erreurs qui Ie délournent, en quelque sorte, de son cours naturel, tend h dé- truire I'Eglise et Ie Christianislne; et de l'autre, qu'il élève, par cela même, une barrière insurmontable entre les peuples et la li- berté qu'i!s désirent justement. D'autre part, Ie pouvoir royal ayant séparé, d'une manière ab- solue, la société politique de La société religieuse, et ne reconnais- sant sur la terre aucune aulorilé qui Ie limite et Ie dirige, d'après une règle imm uable et divine men t obligatoire de justice et de vé- rité, a substitué, dans la conduite des choses humaines, la force au droit: révolnLion funesle qui l'a placé dans un état de guerre constant ayec les lois naturelles et indestructibles de l'ordre so- cial, avec les peuples qui ne sauI'aient supporter Ie jOllg de l'homme, depuis qu'ils ont été affranchis par Jésus-Christ, avec l'Eglise'dont l'exislence seule proteste contre tout pouvoir arbi- traire et que tout pouvoir arbitraire doH nécessail'emen t, à cause de cela, s' efforcer d'asservir. II suit de là que, soit qu'elle envisage Ie soin de sa conser'va- tion, soit que, porLant ses regards sur les grands intér'êls sociaux, elle médite pour les nations des desLinées meilleures, et comme une vasle régénération fondée sur ['accord de l'ordre et de [a Ii. berté, une alliance entre l'Eglise et Ie Iibél'alisme, entre I'Eglise eL Ie pouvoir polilique, est également im possible. L'Eglise nr saurait s'allier avec Ie pouvoir poliLique qui travaillo it la döLr'uire en l'asservissant, afin d'éLabIir, UI' ses ruines, un despotisme absolu. L'Eglise ne sauraiL s'allier avec Ie libéralisme, que ses doctrines 94 CHAPITRE III actuelles rendent l'ennemi le plus ardent de l'EgIise et du Chris- tianisme: en mêrne temps qu'elles renversent la base de la société, et consacrent tous les genres de tyrannie et d'esclavage. Et d'ailleurs s'alliel' au libéralisme, tant qu'il restrra sous l'in- fluence des lhéorics qui l' égaren t mainlenant, ce serait s'allier à l'anarchie même, à ce qui n'a de force que pour dissoudre, sans pou voir reconstruire jamais ; et s'allier au pouvoir politique, tel que 1'0nt failles maximes at.hées qui l'aflranchissent de tonte rè- gle eL de toute dépendance, ce serail s'appuyer sur ce qui tombe, sur ce que nulle puissance morlell ne Raurail désormais contenir, et aliéner les peuples de la J>eligion, en sacrifiant, à quelques honllnes tristement aveugles, leurs droils les plus saints et leur plus légilime aveniI'. Ainsi exposée à la foi aux agressions des gouvernements el du parli qui partout s'efforce de renverser les guuvernements, I'E- glise, pour rester ce qu'elle doH être, sera conLrainte de s'isoler de la société polilique et de se con centreI' en elIe-même, afin de recouvrer, avec l'indépendance essenLielle à l'accomplissement de ses destinées ici-bas, sa force première et divine, la conserver afin de conserver la foi, préparer la renaissance de l'ordre, en ran1e- nantles intelligences à la vérilé : lelle eslla grande, la sublime mission que l'état du monde lui impose (1). C'est au pasteul suprême, au pape qu'il apparLient òe sauveI' la foi et I'ordre social. en rompanl les liens qui arrêtenl l'action de la puissance spirituelle. II esl temps qu'on srnle que la papauté ne meurl poinl et qu'elle ne craint rien des hommes. (( Toul ce qui avilit, dans l'imagination de la multilude, l'autorilé du Sainl- Siège, par une apparence de faiblesse, mène insensiblement les peuples au schisnle : c'est par là que les personnes zélées se dé- couragent, et que Ie parti croît en tén1érité ; plus on lui souffrc, plus il entreprend; c'estla patience dont on a usé jusqu'ici qui lui fait entreprendre les démarches les plus irrégulières. )) Aiusi parlait Pénelon, il y a p1us d'un siècle : que dirait-il mainLenant? (1) Prog)<ès de la révolution et de la guerre contre l'Eglise, p. 172. LA:MENNAIS ET LA PREMIÈRE FORMULATION DU CATBOLICISi\IE LIBÉRAL 95 C'est aux évêques à se grouper autour du pape pour l'assister dans son héroïque travail de défense eL de préservaLion. Le des- sein qu'on a conçu de les affaiblir en les isolant, n'esl que lrop manifesle: qu'ils réfléchissent aux actcs qu'entraînerait une dé- plorable condescendance, qu'ils regardent l'avenir et Ie courage de la foi donl ils donneronl l'exemple sauvera peut-êlre la so- ciété. Dans ces Lemps de silence eL de prudence, oÜ 1'0n tremble plus d'une vérilé dite que d'une vériLé niée, il ne sera pas inutile de rappeler encore ce que Fénelon écrivail à un évêque (1) : (( .Je suis très édifié, monseigneur, de volre zèlp- sinct>re conlre la nou- veauté et de volre constanle persuasion en faveur de la bonne cause. J'en espère de grands fruits, pourvu que la voix flatleuse de l'enchanteur, qui endort si dangel'eusemenl tant d'autres per- sonnes, d'ailJeurs très zélées, ne ralentisse point volre vigilance sur les périls de la saine doctrine. Rien n'affaibliL tanlles pasleurs qu'une témérilé colorée par de vains prétextes de paix, qu'une incertitude qui rend l'espril tlottant à louL vent de doclrine spé- cieuse; enfin que les ménagements d'une politique souvent bien plus mondaine qu'ils ne la croient eux-mêmes )) (2). De tontes ces considérations, développées d'un style enchanteur, Lamennais concluait : (( Abandonner à elle-même la société po- litique, qui se dissout eL meurt en reponssant Loule influence di- vine; ne prendre aucune part à la guerre des souverainetés et du libéralisme, qui combaUenl, celles-là, pour Ie despotisme, celui- ci pour l'anarchie. (( Le Seigneur s'est faLigué, dit Jérémie (1,19), à rappeler les peuples et les rois, et ils se sonl détournés de lui. C'est pourquoi il étendra sur eux sa main. Que ceux done qui doivent aller à la morl, aillenl à Ia mort; que ceux qui doivenl tonlber sous Ie glaive, lombent sous Ie glaive. )) PrêLres du Sei- gneur, s'il fut jamais une mission propre à enflammer Ie zèle, à fortifier l'âme et à réIever à la h uleur des plus grands sacrifices, c'esl 5an doule ceIle qu'il vous a confiée. Le sort rlu monrlp pst (I) Lcttre au p, Daubenton du 12 avril 1714, COJ'J'e8poJ dance, t. IV, p. 462, Paris, 1827. (2) OEltvl'eS de FéJlelOIl, l. II, p, 375, éù. de Versailles. 96 CHAPITRE III entre vos mains et pour Je sauveI', que faut-il? Une pal'ole qui parte du pied de la croix. Sor1ez donc, sortez de la maison de ser- vitude; brisez les fers qui vons dégradent et vous empêchent de remplir, selon toute son étendue, votre céles1e vocation; renlrez, par une volonté générellse, en possession de Ia liberté que Ie Christ vous a acquise de son sang. Le profond mystère d'iniquité qui s'àccornplil sous nos yeux, recouvre un mystère plus profond de douceur e1 de miséricorde. Vient Ie temps oÜ j] sera dit à ceux qui sont dans les ténèbres : voyez la lUlnière. Et ils se lèveront, et, Ie regard fixé sur cette divine splendeur, dans Ie repentir et dans l'étonnement, ils adoreront, pleins de joie, celui qui répare tout désordre, révèle toute vérité, éclaire toute intelligence: 01'iens ex alto. )) Telles étaient, aulant qu'on en peLIt juger par une brève ana- lyse, les idées de Lamennais. Dans leur ensemble, elles étaient plus à louer qu'à blâmer; la vigueUl' du coup d'æil augmenL3it leur crédit et toutes les richesses du style en doublaien1la puis- sance. Les circonstances d'ailleurs donnaient raison au vaillant apologis1e. Napoléon avail bridé la Révolution, mais ne l'avail pas tuée. Quand Hercule ne fut plus là, les deux têtes de l'hydre re- poussèrent, représenlant, l'une, l'impiété, J'autre, l'anarchie. Au bruit du canon succédèrent les blasphèmes contre Dieu. Le gou- vernement s'était appuyé sur Ie calholicisme ; ses ennemis cl'urent frappeI' la monarc ie en frappant I'Eglise ; J'opposition à Ia vérilé, deven ue opposiLion politiq ue, acq uit une populal'iLé f} ui accrut sa puissance. L'esprit public, que Ie régime irnpédal conLenait sans l'assainir, une fois libre, déborda comme un torrent. Toutes les turpitudes du dernier siècle, réimprimées à bon marché, saisirent l'attention du pays. Béranger I'Ïma POUI' Ie peuple des impiétés assaisonnées par la déballche. Des pamphlétaires lui apprirenL à se moquer de Dieu avec grâce. Le journalisme vulgarisa les gros volumes de I'Encyclopédie; rincrédulité passanl du ðalon à la rnansarde, la vile multitude devinl bel esprit. L'irréligion cherchail dans des tombes célèbres, des armes que ne lui fournbsaienl pas les apûlres du jour. Le piédeslal de Yollaire eL de Rousseau, l'esté LAMF.Ni\AIS ET LA PRE)Ill RE ["OR:\IULATION DU CATIIOLIC[S:\IE L1BÉRAL 97 dans les égouts, fut relevé; ces momies trouvèrent encore des adorateurs dans une nation qu'elles venaient de livr'er aux fureurs de l'athéisme et au cOl1peret de la guillotine. Le libéralislne justifiail amplement lous les analhèmes de La. mennais. Ce mot élaH moins un drapeau qu'un cri de guerre con- tre toules les traditions respeclables, un mot d'ordre pour toutes les nuances du pal'U révolutionnair e. En sorLant des cacheLLes oÜ Ie mépris général I'avait refoulé pour entreI' dans nos !ices parlemenlaires, Ie jacobinisme avail changé de nom, et, pour ca- cheI' ses crimes, au lieu de s'appeler sans-cllloLle, se disaillibé.. ral. La révolution, dissimulée sous celLe menleuse épithèle, lirait sur les prêtres et sur Ie roi. Sous prétexte de rendre la monarchie constituLionnelle, eUe travaillait à la rendre impossible; sons pl'étexle de l'endre la religion tolérante, elle s'appliquait à la ren.. dre odieuse. Durant quinze ans, elle joua sa comédie de lrahisun. Cependant la tribune ne tarissait pas en déclamaLions anti-catho... liques; on déféraÏt à des conseils laïques I s actes de la conscience épiscopale; on déchaÎnait contre certains refus de sépuIture des susceptibiliLés ignares el haineuses; on faisaiL, du pal'ti-pl'êl1'e, un fanlôme d'autant. plus terrible qu'on Ie signalaiL partout sans Ie rnontrer nulle part; enfin on bafouait les dogmes, on jetait In boue au front du sacerdoce, on em prison nail l'Eglise dans les règlements despoLiqlles de I'Empire : régime faLal qui avail donné ùu pain à la religion, sans lui donneI' l'air pour respireI'. L'aUiLude du gouVel'BeInent n'ofl'rait cl'ailleurs aucune garan- tie. En remontant SUI' Ie trôné, la hranche aînée avail cares é Ie rêve d'ull cInhras:ìemenl lInive(' eJ. \ la cour, los gentilshoInnlrs coudoyaienl Ics meurlricrs de leurs Pl'l'CS eL los Dourreaux de Louis XVI éLaient les conseillers de Louis XVIII. Dans Ie désil' de rallier tous les partis, Ie gouvernement oscillait sans cesse entre scs intentions bienveillanles et les nécessités poliliques. Tantût il favorisail la religion, tantÔt ilia poursuivail d'absllrdes rigup-urs. Dans cpUe luLte de quinze ans, on lrouve l'asservisscment des sé. minaircs Ü. cûlé du Concordat de 1..817; l'expulsion des jésuites à cÓLé ùe l'élablissement d'autres congrégalions ; la loi qui oblige 7 98 ClJAPITRE III à I'enseignement des quatre articles à cÔté des lois qui punissaient Ie sacrilège, dotaient les églises et encourageaient les missions. Dans les solutions poliliques, il vaut mieux suivre scrupuleuse- ment la justice que de chercher d'in1possibles équilibres. C'est une folIe illusion de hercher la satisfaction de parties contendantes, comme Salomon, en coupant Ie droit par Ie milieu. Les transac- tions n'excitent que des méconlentements: les Bourbons ne de- vaienl pas tarder à en faire l'expérience. Les Bourbons succombent en 1830, pour ne plus se relever. La- mennais avait cent fois prédit lenr chute et pronostiqué ce qll'il faudrait faire après. Le 27 aoùt 1830, il écrivait au baron de yitrul- les: (( Assez de foisj'ai répété que la société ne pouvail, pendant longtemps encore, qu'osciller entre l'anarchie et Ie despotisme et je Ie crois plus que jamais. Assurément ce qui se passe n'est point de nature à me faire changer d'opinion. Toutefois il y a un parti it prendre dans toule circonslancn, e1 ce parli dépend de la manière donlon envisage l'aveni[' et Ie présenl. - La ré\'olution, en ce qu'elle a de politique, est une réaction universelle des peuples contre Ie pouyoir arbitraire; son résultat définilif sera de Ie renverser partout, pour mettre à la place, qu'importe sous quelle forme, ce qu'on appelle des institutions libres, e1 ce résultat sera bon en lui- même" Mais, pour l' oLienir en réalilé et arriveI' à un étal stable, il faut un principe d'ordre et de fixité qui manque aujourd"hui lotalement. Ce principe es1la religion. On doil donc tendre à unh' la religion et la Libert'> ; et, de plus, nul moyen de conserver la re- ligion elle-même qu'en ]'alTl'anchissånt de La déjJendance du POllVOÙ' temporel; de sarte que, sous ce rapport, on doit désirer, on doil demander, la liberté, qui est Ie salut même (1). )) Troisjours après, écrivant à la comtesse de Scnill: . Les trois voyageur avaienl fait parvenir au Pape un mémoire jnstificatif de leurs principes et de lcurs actes : eL Ie syslème rll se qui ne laisse pas mêo1e al1X pèrf's rle famille la l>essource des précepteurs dOffiestiques. LA SITUATION PRISE PAR J..AMEi\:NAI SE CONTINUE 129 (( Cette constitution nous garantit la liberté de la presse, la Iiberlé de Ia tribune et Ie droiL de pétilion. (( Avec ces armes-là, mais moins bien assurées que les nôtl'es, les catholiques belges ont créé uue résislance légale au despotisme hollandais, et, après avoir renversé Ie trône de Nassau et fondé une constitution qui ne consacre pas un seul privilège à leur profit, c'lest encore avec ces armes, qu'ils maintiennent Ie droit commuu contre les libérâtl'es qui voudraient les en exclure. (( Avec ces armes-là, l'lrlande calholique, guidée par ses géné... reux évêques, a l'econquis ses droits, fait reculel' la puissanle An- gleterre et s'honore d'avoir accompli ce que tant d'!lommes d'Etat avaient si longtemps déclaré impossible, l'égalité politique des ca- tholiques el des protestants dans l'immense empire britannique. (( Avec ces armes-lit, les catholiques français peuvenl briser, au bout de quelques annécs d'efforts, et pour jamais, Ie joug d'une légbIalion abusive, qui est un attentat aux dl'oits de la conscience, de la famille et de la société (1). )) Depuis 18; O, les évêques n'avaient pas eu besoin de provuca- tion pour remp1iI', vis-it-vis du gouvernemcnt, leur devoir; rappel de Monl llembert moclifiait l'assiette ùu camp et la slratégie de la Lataille. Au lieu de s'appuyer sur Ie droit ùivin de Ia sainLe Eglise, il s'agi sait de s'armer de la législalion humaine, de tireI' profit (Iu droit consLÏtulionneL inauguré P:)I' la révolulion. Ce changement de front púuvait s'entendre de deux manières: ou bien l'on invo- querait Ie droit légal, posé par l'adversaiee, sans en adnlellre Ie principe, ou bien l'on admellraille principe du dl'oit commun et ron sauverail, selon l'expression de l\Jontalembert, la religion par la liberté. Suivanlle parLi qu'on prendrait, on se bornerail à tireI' pl'ofU de la situation ou 1'0n passerait, du terrain sacré de l'ortho- doxie, bur Ie terrain nlOllvant el perfide du rationalislne social. En dehors de ce diLemme, il n'y avail place que pour un tiers parti sans logique, invoquant, à l'instar d'un avocat, lous les argu- ments qui peuvent favoriser sa cause, Inais sans ueaucou p y croire, (1) l\1oNTALE\lBERT, æUV1'es complètes, L IV, p. 358: Du devoir des culholiques dans la question de la liberté d'enseignement. u 130 CHA PITRE IY content d'une situation indécise, pourvu qu'elle puisse aboutir Ù d'heureux résultats. :\lais les indécisions donnent pen de force; souvent elles perdent tuut, même l'honneur. Dans l'Eglise, qui est tout honneur et respect, on ne peut guère s'accrocher à ces plan- ches flollantes qui salissentles nlains et retardent pen la chute dans les abìnles. Les évêques deSCf'IHlil'ent donc dans l'al'ène des conlhal poliLi- qnes. Sans trop s'inquiéter de savoir s'ils épousaient, oui ou non, les uoctrines catholiques libérales, ils firenl, en s'appuyanl sur Ie droit social, æuvre de zèle, et tout en s'appuyant SUI' ce droit, Hs n'eurent garde de déponillel' leur caractère d'évêque. En quoi ils firent bien: un évêque est toujours un évêque : qu'il se fasse jour- nalisle ou compositeur ùe brochures, on voit toujours en lui Ie pré}at coiffé d'une mitre et crosse à la nlain ; q nand même il s' en dépouillerail facilement pour s'épargner des )'t'ql1isilions gaUicanes ou s'ajuster une arlnure constilutionnelle, Ie jouLeur ne disparaì- trait pas SOllS ses armes el l'opinion, obstinément fiùèle, ne vou- drait voir en lui qu'un évêque. Un fail malériel nous donnera une idée de cette vaillante hIlle. De 1830 à 1840, les évêq nes n'avaienl donné, sur ],instruction pu- hlique et la liberlé d'enseignement, tant mandemenls que leUr'es pastorales, que la matière d'l1n volnme. De 1841 à 1841, sans parler des æuvres pl'ivées, cinqllante documents fournissenlla matière de deux volumes. De 1844 à 1846, Ie Rec'tleil des actes épiscopaux fOrIne quatre volumes. Plus outre,jusqu'à la ré,'olution de févl'ier, les instructions, lettres el mandements sonl si nombreux qu'on ne peut plus en former une collection. Pour ce qui regarde l'extérieur de combat, on procédait ainsi: les jonrnaux reproduisaient ùes actes épiscopau , y ajoutaient leurs commentaires, leurs argu- ments propres à ce genre de force qui lient à la répétilion. Les orateurs politiques s'emparaient de ceUe masse d'écrits, el en fai- saienl ,"aloil' Ie crédit it la tl"ibllne. Le public ofTrail, à ces chaleu- reux efforts, un écho syrn paLhiq ue. De leur cûlé, les professeur de l'Université, les .lOll rna listes officieux ou d' opposition donnait'll t la réplique. Les ministres rt leul's banùc::; ministéricHes, placés LA SITUATION PRISE PAR LAl\IENNAIS SE CONTINUE 131 entre deux feux, s'efforçaient d'engager les évêques à se horneI' aux réclarnations pour les séminaires; prolnettant, s'ils étaient dociles à. la sagesse gouvernementale, de les combler des mille faveurs dn budget. La tentation était forte, n1ais ce n'était qu'une tentation: Haec omnia tibi dabo, si cadens adoravel'is me. On eût fait bon marché aux évêques, s'il8 eussent consenti non pas à brûler leur grain d'encens it la suprén1atie enseignante de l'Etat, mais seulement à s'abstenir. Les évêques répudièrent ce marché et se mire t à argumenter sur l'hypothèse du droit com- mun. Non qu'ils aient jamais négligé la cause des séminaires et des ordres religieux, bien moins encore les immunités du f9 r ecclésiastique ; mais, citoyens d'un pays libre, écrivant à des hommes politiques dépendant de leurs mandataires, s'adressant à un gouvernement obIigé de suhre les courants ùe l'opinion, ils s'appuyèrent aussi fortement Sllr Ie droit nouveau. Nous devons, ici, dresser une intéressante nomenclature des textes et des argu- ments consignés dans Ie liecueil des actes rFpistopau:x:. Dans un nlémoire adressé au roi Ie 6 mars 1844, par Denis-Au- guste Affre, archevêque de Paris, de concert avec Ies évêques de sa province, nous Iisons: (( II faut bien se rappeler que, comme Ie résultat du monopole ùe 1808 a été de concentrer tau t l'ensei- gnement dans la main de l'Université, Ie résuItat de lå liberté prolnise par la Chal'te de 1830 doil êtJ'e ùe donnel' à chacun, moyennant certaines conditions, Ie droit de former et de maiote- nil' ùes établissements en dehors et indépendan1ment de l'Univer- sité. Ou la Iiberté d'enseigneInent n'esl rieo, ou eUe est cela. Or, nous Ie demandons, que serait ce droit, que serait par conséquent cette liberté, si l'Universilé avait toujours la mission d'examiner, d'inspecter, de censurer les hommes et les choses de ces étahli se- ments ùéclal'és Iibres et indépendants d'elle ? Sel'ait-ce là une Ii- berté vél'itable, ou ne serait-ce pas plutût une déception grossière ct une aggravation de servitude? ui, ce nou\'el éLat serail pirc que Ie prernicr: parce que I('s chefs et autres maìlrcs de ce Illai- sonð répl1lf es libl'es auraient tle l'Université tou:-; Ies inconvénicnls sans en avoir Ie::; ayauLages ; parce quïls In lrouvel'aienl d'aulanl t: 2 CllAPITRE IV plus sévère qu'ils se présenteraient à eUe on conime ùes sujels qui ont "oulu secouer Ie joug, et sur qui, quand on peut les ressaisir, on aime à appesantir son bras, ou comme des antagonistes et des rivaux, donl Ill. concurrence pourrail Iui devenir dangereuse. >) Un peu plus loin, nous rencontrons eet 31'guInenl ad hominem co}'onatUln: (( La liberlé d'enseignement est une conséquence de nos autres liberlés et particulièrenlenl de la Iiberté de conscience. Comment, en effet, supposeI' l'une sans l'll.utre? N'est-ce pas l'ins- truclion religieuse, réducation qui pJ'éparent el délerminent Ill. foi de I'enfant, l'll.ffermis ent, en favorisent Ie développemenl ou en étouffenlle germe. II est vrai, les choses vont ainsi ! II n'y a pl1S une union plus intime enlre Ie corps et l'âme qu'il n'y a entre I'é- ducation el l'instruclion données aux élèves et Ia foi qu'ils pro- fesseront un jOUl'. II Y a, de part et d'aulre, action, lransmission, influence mystérieuse et certaine. Si donc un père de fan1ille ne peut choisir pour son fils leis maîtres qu'il juge it propos, ou si, ce qui revienl au mên1e, avec Ill. facuHé de choisir, il l1e tr'ouYe que des maîtres soumis au même monopole, ayant tous pal' conséquenl Ie nlÊ'me esprit, obéissant à Ill. même iInpulsion, n'esl-il pas ma.. nifeste que ce père ne pourra procurer à son fils la direction d'idées qu'il croil 13. meilleut'c, Ie placer dans ]es condilions religieuses que sa foi lui cornmande : qu'ain:si, iL ne sera pas plus libre cornrne croyant que comme père et qu'iL souffrira également dans sa conscience et dans sa lcndresse, dans ses droils et dans ses de yoirs (1). }) Le rnérnoire continue en n10ntrant que l'abúlition du monopole est Ie sen] n10yen de garanlir, par la libre concurrence, les inté- rêts de l'enseignPlnent pubLic el de la reLigion elle-même. Ces consiùérations d'ordre natuJ'el el J'nrdre rrligieux, pour décisives qu'elles soient, rentrent moins dans l'ohjet de ce travail. Dans des observations adressées à Ill. Charnbre des Pairs, Ie 12 mars, pat' Louis-Jacques-Mauricr, cardinal de BonaId, arche- vêque de Lyon, nous lisons : (( C'esl l'exéculion fid le de la Chartc (1) Recueil des actes episcopauæ, 1. I p. t:> C'l eq. LA SITUATION PRISE PAR LAMENNAIS SE CONTINUE 1.33 quejeviens revendiquer. L'article 69 de la loi fondamentale promet la liberté d'enseignement... NOllS n'avons tI'ol1vé, dans Ie projet de loi, que restriclions dans l'exercice des droits de,; pères de fa. miJIe, que nouvelles entraves apporLées à la liberlé d'enseigne- ment, ou plutôl qu'une complète servitude de l'ensei ncment, qu'l1n monopole, ilTévocablement placé dans les mains d'une cor- poration privilégiée... )) Le cardinal, pOl1rsuivant sa discussion, montre que la libertÓ d'enseignoment est la conséquence de la Iiherté de In presse, de l'admissibililé de tous aux emplois et de la ]iberté religieuse: (( II Y a, dit-il, parilé exacte entre ]a liberLé de In pressc et Ia liherlé d'enseignemenL Celle-ci est consliLution- nellemcnt Ia conséquence de l'autre ; et si la première est affran chic de toute mesure préventive, on ne voit pas pourquoi la seconde subirait ces humiliantes chaìnes. Qu'une loi soumetle au jury les délits de l'enseignemenl, comme une loi lui a soumis les délits de la presse : mais qu'il soit liLre à ùes Français d'enseigner, comme illeur est libre d'écrire ; qu'ils puissent sans entraves faire enlendl'e leur parole à des enfanls, comme ils peuyent la faire en tendl'e à des hommes faits; et que rien ne s'oppose à ce que des Français, de quelque communion q uïls soient, se réunissent pour instrllire la jeunesse, comme des citoyens peuvent se réllnir pour publier tous les matins leurs systèmes elleurs opinions. )) Au sujet de la liberLé de conscience, Ie cardinal ajoule: (( II n'y a plus de liberlé de conscience pour un père, qui ne peut plll choisir rins- tituteur quïl CfoÏl Ie plu capable de développer dans Ie cæl1r de son fils sos croyancfls, précieux héritage de famille; el lorsque, chrétien et calholique, il ne pourra confier qU'il un sceplique et à un alhée, Ie soin de former à la pratique des verlus évangéli- ques un enfant qu'il aimerait mieux yoir mourir que ùe. Ie voir vivre sans foi. 01', s'il n'y a pas de libre concurrence, il n'y a pas de liberté pour les familIes dans Ie choix d'un établissement d'é- ducation )). Le [1I'élat continue en faisant observer que Ie projet de loi ne g'OCCllpe ni d'édllcation, ni de religion; il critique ensl1Ïlr quelques points de détail et conclut ainsi: (( NOllS demandons la liberlé lcUe qu' ellc existc en Belgique; nous la demandons pour 13.1 CHAPITRE IV tout Ie monde. Naus demandons la Jibre concurrence d'un ensei- gncment l'eligieux et savant. Nous vonlons que l'enseignement soil SOUS la même surveillance que l'autorité f'xerce sur la presse, repoussant en lllatipl'e d'éd ucation ce contt'óle préventif que la loi repollsse quand il s'agiL de faire irnprimer son opinion. C'est dire asspz que nous réclamons pour tout Français Ia liberté d'ouvrir des écoles indépendantes du joug universitaire, et que nous de- mandons, pour nos écoles ecclésiastiques, l'affranchissen1 en t des ordonnances de 1828 (1). )) L'archevêque de ReinIs, Thomas Gousset, dans son mémoire qne signèrent, avec ses quatr'e suffragants, I'archevêque de Cam- hrai et Ie cal'dinal-év(\que d'Arras, den1andait : (( 1 0 La Iiberté pour tous de former, à côté des établissements universilaires, des étabIissements particuliers et indépendants, non de la surveillance que rElat a droit d'e ercer sur la famille et Ie cHoyen, mais de I'autorilé, de la direction et de la surveillance de l'Université ; 2 0 qu'on restreigne la nécessilé des grades, si toutefois on les juge nécessaires; et que, dans lous les cas, l'examen de ceux qui aspi- rent aux grades pour former une école ou entreI' dans l'enseigne- menl, soit fait par un jury tout à fait indppendant de r Univcl'sité ; 3 0 que les aspit'ants aux grades ne soient point tenus d'exhiber des certificals d'études, ni de rléclarer les lieux au établissements dans lesquels ils ont étudié. )) A rappui de ces revendications, I'ar- chevêque de Reims disail entre aulres : (( Le cleJ'gé, les pères de famille qui yeulenl que leurs enfanls professent et praliquent la religion, les citoyens qui tiennent à l'accomplissement des ]J1'ornesses dp La Cha1'le, désirenl vivement une loi pour la liberté d'enseigne- menL et de I'éducation morale et reIigieuse. Quiconque a ]Jr'pté Ie scrment de fidélilé all Roi et à nos Institu Lions doit, s'il comprend bien ses obliga lions, réclamer ceUe liberlé, autant pour accompliI' un engagement personnel et SflC1 é que paul' s'acquitter de ses de- yuirs de citoyen envers Ie gouvcI'nenlenl, et SUI' ce point comme sur taus les aulres qui inléressent la morale et ]:1 religion, les évêq ues doivent l' exemple. )) (1) Recueil de actes épiscopau.r, t. 1, p. 75, LA SITUATION PRISE PAR LAl\IENNAIS SE CONTINUE 13ä L'archevêque de Bourges, Célestin Dupont, dans llne adresse au roi en son conseil, ad resse que signèl'enlles évêques de Clermont, Limoges, Saint-Flour, Ie Puy et Tulle, écrivaiL : (( La liberté d'en- seignemenl a élé solennellement promise, La promesse est consi- gnée dans Ia Charte et, depuis qualorze ans, l'accomplissement s'en fait attendre. n est temps enfin de satisfaire à un besoin si viven1ent senti. Cetle Iiberté est une conséquence nécessaire de la li erté des cuItes. L'une ne peLIt exister sérieusement sans l'autre. La majorilé des Français est cathoLique. C'esl un fait reconnu par la Charle et J'Etat doit]a respecter; car ce fait est de la plus haute portée pour les deslinées temporelles de nolre pays. )) Plus loin: (( L'Etat ne saurait revendiquer ur l'éducalion les droits qu'il exerçait sous l'ancien régime ; car alors il y avait union entre I'E- glise et l'ELat, unité de croyance et par conséquent d'impu]sion. 1\J ais, à présen t, ce principe est aboli. La religion cathoIiqu e n' est pI us la religion de l' Etat, et l' Elat, qui s' est mis en dehors des croyances religieuses, ne peLIt aspireI' à dÍ1'ige)> l'éducation sans assel'vil' certaines croyances, peut-être toutes. )) L'archevêque d'AIbi, avec ses suffragants de Rodez, Cahors, Mende et Perpignan, s'associe aux alarrnes de l'épiscopaL: (( L'épis- copat, dit-il, ne peut qu'être unanime sur la manièl'e d'envisager cette question vitale. )) L'évêque de Rodez, dans un mémoire par- ticulier, appuie sur l'irréligion officielle de l'Université et con- clut en faveur de la liberLé d'enseignement; sinon la patrie el l'Eglise étaient en danger. Son collt'gue de Perpignan, François de Saunhac-Beicastel, dénonçait, dans Ie projet de loi, les attein- tes à la religion et à la liberLé. Sur ce dernier point, iJ disaiL fort spirituellement : (( Tout Français, fLgé de 25 ans, pourra former un établissement parliculier, POUI'VU qu'il présenle : 1 0 un cerlifi- cat de bonne vie et mwurs ; 2 0 un ou plusieul's diplt,mes délivrés par l'U niversi té ; :1 0 l'affirn1aLÏon écri te qu'il n' appal'tÏent pas à Dne congrégalion religieuse ; 4 0 Ie règlement inlérieur et Ie pro- gl'amme (l'études de son école ; 50 Ie plan du local choisi avec l'approbation dn mail'e. Les surveillants des élèves devront, en outre, êtr'e pourvus du certifical des maires et des diplômes d'U- 136 CliAPITRE IV niversité. )) L'évêque en concluait que ce régime de bandelettes n'était point un régime de lib rté, mais de momies. L archevêque de Bordeaux, Ferdinand Donnet, dans une lettre au roi, n'appuyait pas sur l'opposition du projet avec nos institu- tions politiques, la liberté des cuHes et Ia liherté de conscience, parce que de nombreux écrits lui avaient épargné ce b'avail ; nlais il montraÏl que ce projet n'aUeignait pas Ie but sollicité par l'épiscopat et les pères de famille. Les évêques de Luçon, La Ro- chelle, Angoulême, Poitiers, Agen, Périgueux, appuyaient les obseryations de leur métropolitain. L'évêque de Poi tiers deman- dait, pour l'enseignement, un édit dp Nantes. L'évêque d'Agen proteslait contre ]e rnonopole et réclamait Ia su ppression des entraves à Ia liberté. Angoulême et Pédgueux insisLaient sur la révocalion des orùonnances de 1.828. Clément Villecourt el René- François Régnier, depuis cardinaux, demandaient : (( Tout Fr'an- çais n'est-il pas recevable à réclamer, ('omme un droit, la résolu- tion d'une promesse écrite dans la Charte ? Ce droit perd-il de sa force parce que les évêques unissent leurs yæux à ceux de la partie la plus saine de la nation? Est-il raisonnable, esl-il j usle de pen- ser que ce qui a été jugé avanlageux lÌ lous par Ie ]égislateur, soit deyenu moins nécessaire depuis que les minislres de la religion en ont plus vivement senti que bien d'autres la haute im portance S'ils eussent laissé entrevoir Ie n10indre désir' pour la répression dp- cet élan vel'S la liberté, on leur en eÙt incontestahlement fait un crÏIne. l\Iaintenanl donc qu'ils reçoivent avec reconnaissance ce que la constitution de fEtal présente com1ne un bien{ail, on pourrait se persuader que leur satisfaction change la nature de la faveur promise! )) L'archevêque d'Anch, Augustin de la Croix d'Azolette, réclame une loi qui concilie les dl'oits de I'Elat a\Tec ceux de lïndividu et les droits du catholiq ne; il croi t nécessaires la Inise à néall t ò u projet Vi lIe main et la révocation des ordonnances de 1828. Son sllffragant d'Aix se rallie aux observations des archevêques de Paris et de Lyon. L'évêque de Tarbes se prononce pour la libcrlé pleine et entièl'e des établisscments d'inslruction publique. L'évê- LA SITUATION PRISE PAR LAME AIS SE CO TINUE 1.37 que de Bayonne, François Lacroix, dans une eUre à r Unive 's, dit : (( Le pacle fondamentaI exige qu'il soil pourvu par une loi à Ia liberté d'enseignement, il veut, par conséquent, que l'ensei- gn ment soit libre selon Louie l'acception du nlot, car il ne veu L nucune restriction à la volonté qu'il exprime. QueUe difficullé pourrail-il done y avoir à faire une sembIable loi ? y en al1raÏl-il à comprendre la liberté, à la déterminer ou à la donneI' ? Toul Ie Inonde comprend la liberté, parce que nous rayons tous reçue d u Créaleur et que nous la possédons tous au dedans de nous-nlêmes. En matière d'enseignemenl, c'est pour toul citoyen Ie dl'oit de communiqueI' l'instruction aux aulres el de se faire inslruire par qui bon lui semble. Il s'agirait donc tout simplemenl de recon- naître ce droit pal' une loi parliculière et de répl'imer, par des sages disposiLions, l'abus qu'on en pourrait faire. N'a-t-on pas suivi cetle règle au sujet des aulres libertés de même nalure oc.. troyées par la Charte? )) L'archevêque de Toulouse, David d'Astros, demande que les préceptes de la religion soient à la base de J'enseignen1ent, que los certificats d'études soient supprimés, que la necessité des gra- des soit reslreinte, que la surveillance ne soit pas exercée par des universitaires, que Ie nombre des élèves des sénlinaÌl'es soit illi- rnité. L'évêque de Pamiers ajouLe : (( II n'y aura pas de liberlé tant qu'il dépendra de l'Université d'accorder ou de refuser les grades cl diplÔnles; tant qu'elle sera chargée de représenter l'Etal, en ce qui concerne Ia surveillance; enfin tanl q u'il y aura exclusion pour les congrégations religieuses. )) L'archevÔque d'Aix, Joseph Bernet, réclame, pour les établisse- n1ents de I'ELal, une réforme nlorale et religieuse ; pour les éta- hlisscments libres, la Iiberlé it l'exclusion du monopole; et, POUI' les écoles secondaires, Ie rappel des ordonnances de 1828. L'évê- que de Marseille, Eugène de Mazenod, appuie longuemen t sur cello vérité que I'Universilé constituée seul corps enseignant, dislribu- trice arbilraire de la facullé d'enseigner, disLribulrice du hrevet de capacité aussi bien que des grades ; se réseryan t Ie droil de r('gIer', sl1Spendl'c, interdir'c à son gré la facl1ILé d'ensci ner: seulo 1.38 CHAPITRE IV juge, dan:; les e amens, du succès des études: que tout cela, au lieu de créer la Jiberlé d'enseignenlent, élablit et aggrave Ie plus abon1inable despotisme sur Jes Ô. mes, c'esL-à-dire sur ce qui com- porte Ie nloins la tyrannie. L'évêque de Digne, Dominique Sibour, s'écrie: (( Il n'y alB'a ja- maisde liberlé d'enseignen1ent, Landis que rUniversité, ennen1Íe de cette liberlé, en fixel'a les conditiol1!:;,en lracera les limites, inLer- viendra surlout pour limiter Ie droil de l'exercer. )) L'évêque d'A- jaccio, Raphaël Casanelli d'Istria, fait celle importanLe déclaralion: (( J'ai com pris que tant q u'il n'y aura pas pleine liber1é e1 affran- chissement con1plet, tant que nons serons sous La loi du Inonopole et que les restrictions odieuses des ordonnances de 18 8 8('ronl n1aintenllc , il y aura loujollrs malaise, défiance et luUp... Dll momenl que Ie principe de la liberté d'enseignemenl cOllsacré par la Charle a élé si mal entendu, quel que soil Ie sort que l'on pré- pare aux petits séminair'es, ce sort sera. Loujours h n1es yeus la- menlable, soit qu' on les consLÏtlle sur des priyilèges f) ui ne servi- ronl qu'à les déconsidérer et à les rendre odieux, soil qu'on les place dans Ie droit COlnmun qui ne sera désor ais que la servi- tude... Dans cet élat de choses, j'adjul'e pour ma part ceux des no- bles pairs dout Ie CCPllr bat encore pour la sainte cause de la liberté d'enseignemcnl, de laisser à d'alltres la tl'isle lâche de demander et de prononcer no1re aJ'rêl. Si la liberLé ne doit paR triompher dans la lutte oÜ ils onl si glorieu8enlcnl combaLtu, j'eslime 'lu'H vaut mieux succombel' avec eUe que de lui survivre. Nous ne V01l- ions êll'e libl'es qu'à !a condition de l'êll'e avec tout Ie monde, nOllS confiant à la divine Providence pour l'heure où il Ini plaira de nous affranch ir tous. )) Dans la province de Besançon, l'évt que de trasbol1rg, André Hws, réclame la liberté d'enseignement au nom de la liberté de conscience et de la liberté des cuHes. Le coadjuleur de Nancy, Alexis lenjaud, dit: (( Le monopole des intelligences est une sacrilège usurpation dont les résulLals peuvenl êlre les plus désas- h'eux. La liherté d'enseignrment est fondée sur 1a libel'lé des cultes. L'enseignen1ent donné au nom de l'Elal n'e5t plus légale- LA SITUATION PRISE PAR I..Al\IEN:';AIS SE CONTIl\"UE 1.39 ment astI'cinl à une croyance déterminée. Ceux qui professent une cl'oyance délerminée doivenl jouir de la facullé d"avoir des écoles oÜ ces cl'oyances soienl professées. )) L'évÔque de Metz, Paul Du- pont des Loges: (( Le projet n"accorde pas la liberté d'enseigne- ment : 1. 0 parce que les éla blissements parliculiers d'instruction secoudaire deviennenl plus que jamais dépendanls de I'Universilé "quant à leur formation et à leur existence; 2 0 parce que la condi- tion imposée d"affirmer qu'on n'appartient à aucune congréga- lion non reconnue, est une alteinte portée à la religion (1). )) En résumé, les évêq lies, pour revendiquer la liberté d'enseigne- ment, s'appuient cerLainement sur Ie droit divin de l'Eglise, de fan1illes chrétiennes et des ån1es baptisées. (( L'épiscopat français, écrivait éIoquemment et juslement l'évêque de Langres, l\Igr Pa- risis, l'épiscopat français, qui sait de l'Esprit-Saint que, s'il yale temps de se taire, il ya aussi Ie temps de parler, vient de se lever comme un seul homme, et, d"une voix solennelle, il demande, au nom de l'Eglise, au nom des familIes, au nom de la justice éter- nelle, l'exécution des promesses et des engagements du pacte social, déclarant que si on refuse de satisfaire à ceLLe delle sacrée, il ne pourra pas plus Iongtemps s'associer à l'injustice, ni coopé- reI' à un système destrucleur de Ia foi (2). )) Ailleurs, écrivant au cornle de Salvandy, Ie même prélat disait: (( Ce n'est pas comme un simple cHoyen, c'esl comme évêque catholique, con1me chargé de défendre les intérêts de In religion catholiq ue, que j 'ai I'hon- nrur de vous écrire. La profession de cette religion sainte par l'im- mense majorité des Français est un fail conslitutionnellement re- connu et consacré. De la reconnaissance et de la consécration consliLutionnelles de ce fait, combinées avec Ie principe de la lihert{' des cultes, il résulté que Ie gouvernement n'a pas Ie droit de proposer une loi subversive de la religion. )) ..\.iIleur encore, dans un opuscule sur les gouvernements raLionalis- tes: (( Révélalion! Rationalisn}e! c'est, dit-il, sous ccs deux dra- peaux que se rartage aujourd'hui Ie n1ondp.. Dire qu'il en est ainsi (1) Reclleil des actcs episcopauJ, t. II, p. 2G7. (2) LeUre au due ùe Broglie du 2 avril 1811, 140 CllAPITRE IV en France, c'est ne rien apprendre à personne.l\1ais ce qui n'a pas été assez remarqué, c'esl que la lutte actuelle de l'épiscopat avec Ie gouvernement se réduit absolument à ces deux termes, non seulement en ce qui regarde les docl1'ines, mais encore en ce qui concerne lcs ]Jouvoirs extrêmes qui sont en présence. )) Ce gl and évêque parle pour to us ses collègucs; il fu1le généralissime de cette croisade pour Ia liberLé d'enseignement e1 de lui aussi, on peut dire: Unus est insta1' omnium. Mais, en Inême temps qu'il table sur Ie droi1 t1ivin, il é1udie, dans ses brochures, la ques1ion au point de vue conslilulionnel el social; il se place sur Ie lerrain de la Chal'te c1 rétorque, à l'ad- versaire, tous les arguments emprl1ntés au droit commul1. Les autres évêques s'établissent sur ceLle base d'argumentation. Dans leurs écrits que nons avons Ius e1 relus avec aLtention, ils invo- quent la liberté d'enseignement cornme un droit privé du ci1oyen, comme un dr'oil colleclif des familles, comnle un droi1 fondé sur l'ensemble de nos lois civiles, politiques et éconon1iques. Quand Ie monopole metlailla religion à la base de l'éd ucalion et de l'ensei- gnement, le clergé pouvail ne pas se plaindre ; depuis que Ie gou- vernement est en tré dans la sphère du pur naturalisme, fEtal n'a plus, sous Ie rapport religieux en malière d'enseignemenl, aucune compélence. Si 1'on diL que la liberté détruirait. l'éducation natio- nale, an1ènerait des universilés d'alhéisme, ferail baisser Ie niveau d'études, donnerait trop de puissance au clergé, les évêques se débarrassent de ces objections et savent, au besoin, les mépriser. 1..e clergé n'onlrepasse point ses droits; il ne croit compromellre les intérêts de personne. Que Ie gouyernemenllui accorde la li- herté selon la Charte, la liúerlr comme en BcZgique; que Ie mo- nopole soil aLaltl1; que I'Cniversité ne soit plus qu'une æuvre privée; que les écoles libres jouissent des mêmes dr'oils que les écoles universilair'es; que l'enseignement soil une carrière libre con1me l'agriculLure, l'induslrie ou Ie commerce; flue la faculLé d'enseigner' soit sans enlrave comme la liherLé de conscience, de presse e1 ùe culLe : leIs élaienlles væux colleclifs du clergé. On s'est demandé, et c'est là l'intérêt de la question, si Ie clergé LA SITUATION PRISE PAR LAME NAIS SE CO TINUE 141 n'avait pas,en demandanlla liberté d'enseignement comme en Bel- gique, outrepassé ses droils et méconnu les exigences de l'ortho- doxie. A ne regarder que les expressions, il serait p81'mis de Ie craindre. Ainsi, dans une leLtre à Montalenlbert, l'al'chevêque de Paris se prononce pour la liLerlé donnée å {ous les citoyens comme au clergé; I'archevêque de Bordeaux demande ({ la liberté pour tous,sans aulre privilège que Ie droit comInu n )) ; Ie cardinal-arche- vêque de Lyon inaugure la formule: (\ La Iibel'lé comme en Bel- gique )) ; l'archevêque de Tours: ({ NOllS aurions désiré la liherté pour lous, sans privilège, comme sans exception pour personne )) ; l'évêque d' Amiens : (( L'Eglise ne demande ni privilège ni mono- pole, elle ne demande que Ie droit commun, nlais Ie droit commun dans la Hberté el non Ie droil commun dans la servitude )) ; l'évê- que de Nantes: {( LiberLé pour toutle monde, la"if}ues au ecclé- siastiques, lihres d'élever autel conlre aulel, d'opposer les métho- des aux Inéthodes, le5 écoles aux écoles )) ; l'archevêque d'AIbi et ses sllffraganLs: ({ La liberté d'enseignement franche et entière )) ; l'évêque du Mans: (( La liberté non seulemenl pour nous, mais pour tout Ie monùe, nne liberté franche et loyale, comme en Bel- gique)) ; l'évêqne de Saint-Floul': (( La liberté te11e que l'enLendenl nos voisins de Belgique )). En résumé, les évêques ne ùemandent pa8 la reconnaissance publique de leur mandat aposlolique; ils réelament la liberlé conslÏluLionnelIe eL sociale. la liberté d'enseignement pour lous, sans allache d'aucune sorte à l'UniversiLé. Un évêque, le grand évêque de Langres, alIa pI Uti loin. Dans un écriL inlitulé Cas de conscience sur l'accord de la doctrine catholique avec les gouver- nen1ents modernes, Mgr Parisis ose dire: {{ Les u ns nous accusen 1 de professer, en fait de liberté, ce que nous no croyons pas; les aulres nous reprochent de professer, sur ce point, ce que nous ne devons pas. D'un cûté, des attaques à noLre bonne foi ; de l'autre, des reproches à nolre conscience. Nous sommes bien sÙr que ces aUaques sont inj ustes, mais serait-il vrai que ces reproches fussen t fondés? Serait-il vrai que la forme de nolre gouvernoment fût en elle-même contraire à 1a doctrine calho1iquo? cI't('s, cette ques.. 142 CIiAPITRE n tion est grave; car, s'il en est ainsi, Ie gouvernement serait forcé, pour se maintenir tel qu'il est, de combaUre l'Eglise, puisqlle l'E- glise, par sa naLure, tendrait à Ie changer radicalement, c'est-à- dire à Ie rcnverser )). Le prélat continue en montrant que la liberlé constitutionnelle est ancrée en France,qu'elle s'est établie plus ou moins dans les deux mondes et que là où eUe ne subsiste pas, l'E- glise la réclame pour mettre, à l'abri des sévices, sa propaga.nde. Sur quai, Ie pieux évêque, implorant les lumières de Diell et soumettant son livre au jugement de l'Eglise romaine, pose sept ca de conscience sur la liberlé descultes, la religion d'Etat, Ie culte public, la séparation de l'Eglise et de PEtal, la liherté de la presse, la liberté d'enseignement et Ie journalisme. Sur chacun de ces cas, i opine en faveur de Ia liberté, soH pour évitel' un plu grand mal, soit pour y trouver Ie moyen de faire un plus , grand bien. D'où il conclut << quïl n'y a nulle antipathie entre la doctrine catholique la plus exacte et nos insti tutions consLi tu tion- nelles dans tout Ie développement de leurs Iibertés civiles )). Tou- tefuis, il pose cette question: (( Que faut-il penser en général de nos institutions Iibérales, surtout au point de vue de la foi et à part tonte question de personnes. A son gré, 1'0n pourrait (( soute"nir que, dans les circonstances actuelles, tout bien pris, nos institutions libérales, malgré leurs abus, sont les meilleures et pour l'Etat eL pour l'Eglise, et pour la morale et pour la foi, et pour l'ardre public eL pour la liberté de chacun )). Ces institutions, en eITet, se rédui- sent à deux choses : Liberlé et publicité; or, la liberté et la publi- cité, si eUes entraînenL d'aITreux désordres, procurent cependant de précieux avantages. On voit que Ie prélat même Ie plus liLéral, ne dépasse guère, s'illes dépasse, les limites de Ia tolérance civile. On doH ajouter à l'honneur de sa mémoire, qu'après I'Encyclique Quanta Curâ et Ie Syllabus erl'01'urn, Mgr Padsis, craignant d'être aIlé trop loin, donna, en 1865, Ulle seconde édition de son livre de 1847. Dans rin tervaUe, il avait sollicité de Rome, mais sans rub- tenir, l'approbation de ses Cas de conscience. En preseHce des atLeti pontificaux, il diminua de deux cents pages son écrit et Ie ramrna aux conditions d'un rigoureux accurd avec Ie Syllabu:3. Plus tal'ù, LA SITUATION PRISE PAR LAl\IENNAIS SE CONTINUE 143 il se défenc1it d'avoir approuvé un écrit de l'abbé Godard, qui se pronon<:ait pour l'acceplabilité en un certain sens des principes de 89. Loin d'avoir écrit la S0111me du catholicisme libéral, l\Igr Pa- )'isis fit ce qu'on avail fait de tOllS les temps: il se prêta aux ciI'constances, il usa de la loi sans canoniser son principe, sans po er Ie naturalislne social comme un idéal de perfection. NOlls qui avons connu Igr Parisis et qui nuus glorifions d'être Ie fils de ses pensée , nous devons dire (Iue ce grand évêque contiidérait, au contraire, Ie libéralis111e comme Ie principe doctrinal et logique de tontes les perversions contemporaines. La question de l'orthodoxie du Iibéralisme n'élait point posée alo.'s, ou si elle était posép, pIle étaÏt considérée COlnme résolue par l'En yclique IJ/iral'i vos. L'épiscopat français avec son flair si ûr, sa délicatesse rare, n'eut Inême pas lïdée d'allel' à l'encontre. Si la question de la liberté d'enseignernent l'invita à se cunvrir du principe de liberLé conslitutionnelle, ille fìt pour se servir de la loi ; s'il abonda dans son sens, ille fit oratoirement, non par ma- nière de déclaration dogmatique; el la preuve, c'est qu'on ne Lrouve dans ses leltres rien qui accuse, je ne dis pas ses intentions, mais l'expression même de la pensée. II est de fait que si les évê- flues avaient entendu admellre pour lOllS la licité du dogmatisille rt la p.'omiscuitédes doctrines, iIs n'eussent pas manqué seulement à la religion, mais à la raiso_n; et s'ils eussenl adrnis pour PEtal Ie ù.'oit de lout enseigner, c'eÙl été donneI' la dénlis ion de I'Eglise. Si quelques-uns allèrent nn peu loin, dès que Ie péril fut signalé, ils rélrogradèrent, et, à partIes seclaires d II cnlholicisme libéral, on ne trollve pas d'évêque complice de ceLte erreur, aulremenl que :;ans Ie sa voir. (( La question de l'enseignement, agitée dans ces derniers temps entre les universilaires el les catholiques françai , écrivait Ðonoso Corlès en IH52, n'a pas été posée par ceu"'{-ci dans ses vérilables ter- mes: et I'Eglisc univer:-;elll::} He peut l'adoplel' dans Ips ternles oìl ellc se pose. Elant données, d'un cóté, la liLerté des culLe::;, et, de rau Lre, les ci rcon lances tou tes parLicu Iil'res OLL sc trouve aujouI'- ù'hui la nation frnnçaisp, il est évidrnl que lcs calholiquc:-; de 141: f:llAPITRE lY France n'étaient pas en état de I'éclamei', pour l'Eglise, en fait d'enseignement, autre chose que la liberlé, et que ceLte liberlé étant, dans ce pays, de droit commun, ]JOuvait pour cette raison y sel'vir comn1e de boucl-ie,. ct de rrefuge à ]a vél'ité calhoIique. Mais Ie principe de la liberlé d'enseignernent considéré en lui- mên1e, et aústraction (aite des ci1'constances spécia]es oÜ il a élé pro- clamé, est un pl'incipe (aux que l'Eglise ne peut accepter. L'Eglise, en l'acceptant, se meltrait manifestement en contradiction avec loules ses doctrines: proclamer que l'enseignen1ent doit être libre, c'est proclamer, d'une part, qu'iI n'exisle pas une vérité déjà con- n ue qui doive être enseignée; ou, en d'aulres termes, que la vérité est une chose q u'on ne possède pas, que l'on cherche encore et qu'on n'espèl'e trouver que par la discussion approfondie de toutes les opinions c'est proclamer, d'autre part, que la vérité et l'erreur ont des droiLs égaux. Or I'Eglise aflil'mc que la vériLé existe, qu'eHe est connue, et que, pour la trouver avec certitude, on n'a qu'à la recevoir d'elle, sans qu'il soit besoin ùe la chercher par la discus- sion; elle affirme également que l'el reur naît, vit el [neurt sans avoir jamais aUClln droit, tandis que la vé.'ité demeure loujours en possession d u droit absoIu. L'EgIise donc, tou t en acceptant la Iiherlé Ià où, de fait, rien de plus n'est possible, ne peu t Ia rece voir camme terme de ses désirs, ni Ia saluer comme l'unique but de ses aspirations (1). )) II serait facile d'étendre la portée de cet argument; il suffirait d'appuyer sur Ia mission divine de l'Eglise pour Ie salut des horn... mes et Ia sanctification des âmes, sur Ie droit acquis qu'elle a pouI'l'éducation des âmes baplisées à l'exclusion de lout autre maìlre, qui vondrail diminuer ou cuntenil' reffusion de ses grâces. On en conclurait que rEglise seule a Ie droit d'enseigner Ia doc- tl'ine de salut, qu'elle a seule Ie droit de l'incnlquer aux généra- tions ch rétiennes, et que Loute Iiberté allentaloire à ce droit n'est pas une IiberLé Iégitime, mais une porte ouverle à ]a déchrisliani- sation des ûmes catholiques. (I) (Eu,/Ij'es de DmtOso COj.t/ S, t. II, p. 2 O. CIIAPITRE V LA RÉ OVATION CATBOLIQUE EN FRANCE; 5ES PR1 CIPAUX PROMOTEURS; VUES GÉNÉHALES SUR LEURS æUVRES. C'élaien l de beaux temps ceux OÙ les évêques français, d'un cæur unanime, réclamaient, au nom du dl'oit conslitutionnel, la liberté de l'enseignement ; ceux oÙ tous les écdvains catholiql1es, tous les prédicateurs, OÙ quelqnes orateurs de tribune faisaient écho à toutes les revendications des évêques ; ceux où, sans ombl'e au ciel, sans dissentinlenl sur la terre, la main dans Ia main, on montail à l'assaut du monopole et se proposait de fonder la Iiberté sociale en faisan 1 reconnaìtre la Iiherté de rEg-lise. Les éditeurs étaienl loujuurs prêts it publier un livre en faveuI' de ceUe sainie liberlé; les leeleurs avides se di putaienL ces Iivres el les dévo- raient. Cne leçon de S(Jl'bonnc, uue conférence de Nolre-Datne, un discours à la Cha m ore des pail's, une broch lll'e de Langres, un adi{'le de l' Unieel's, élaicnl des événclnenls. La jeunesse élait aux aguets de ces bonnes fortunes; rIle préférail Ionlalemhel'l à Démosthènes, Lacordaire à Bossuet, Veuillol à La Bruyère, Pari- sis it Tertullien, Guéranger el Goussel aux Pc'res de I'Eglise. Ah t qui lne l'endra ma jeunesse ! J'ai déjà beaucou p yécu ; j'ai vu mou- I'ir Goussel, Guéranger, Lacordaire, Monlalemberl, Veuil1ot, Pa- risis ; j'ai Vl1 mOl1rir Gerbet, Ozanam, Venlura, Giraud, Donnet, SaIinis, Bonnechose ; j'ai vu moul'Ïr quelques-uus de leurs élèvcs ; j'inclinerai demain vel'S la tombe. Ah ! j'ai déjà heaucoup vécu! Iais je vivrais mille ans et je verl'ais mille morts que je n 4 oubIie- rais point ces temps héroïques, eette croisadr de nos ég-lises Inili- lanles, ces généralissinles loujours au combat, ce réveil eh rétien, ceLLe l'énovation ralholique, cel en lhollsiasrne sUI'na lUJ'e1 qu i 50U to 11.6 f'lIAPITRE " levait fàme française et promeLLail un Lerme Pl'ochain à LouLe les impiétés de la révolution. Un tel fait n'est pas ræu'Te d un jour. Pour en appréciel'l'éten- due et l'importance, il faut prendre un point de départ et mar- queI' les étapes de ce 1110uvement régénérateur. (( Au {rr janvier 1800, dit l'ul1 des héros de Ia croisade, il n'y avail pas de pape. Pie V[ éLait mort à Valence, exilé et pl'Ìson- nier d'une république alhée. Rome sortaÏl à peine des mains d'une horde de païens qui a,.aient inauguré un semblant de république en proclamant la déchéance éleÍ'neIle de la papauLé. Ruit mnis du plus périlleux interrègne deyaient séparer la n10rt de Pie VI de l'éIeclion de Pie YH" Le sacré coHègr, chassé de Rome, ne pouyait se rassembler qu'à I'abri (rune armée schisma.tique yenue du fond de Ia l\Ioscovie pour arrêLer un inslanlles armes parricides d'un peuple qui naguère étaille premier des pellples catholiques" Quelques vieillal'ds se réunissent derrière les lignes russes, dans une île des Iagunes de Venise, de cette fière et habHe Venise qui venait de pél'ÌI', après s'êlre ::;ignalée par son hostilHé tracassière contre l'Eg1ise I"omaine, dont elle avail été, au moyen âge, Ie boule,'ard et l'honneur, Les cardinaux resten t cent ql1atre jonrs enfermés sans pouvoir se metll'e d'accord, préoccl1pés par ce ql1 un contemporain appeHe l'état de i1 ahison flag1'ante de l' E"Tu_ 1'ope catlwZ,ique. Leurs suffrages 'se réunissent enfin sur un moine dont l'obscul'ité était Ie principal litre. Les Autrichiens occupaient les légaLions ; les Napolitains étaient maÎlres de la vilLe de ROlne. Ce ne fut pas sans peine que les uns el les auh'es restiLuèrent it Pic VIIles Etals que Napoléon allait bienlt.t lui arracher de nou.. veall. Dans Ie royaume de Clovis el de Saint Louis, voici quel élaiL l'état de la religion catholique : L'épiscopal tout enlier dans l'exil ; le clergé décimé pal' la guil- lotine eL la déportalion ; les fidèles traf]ués el harceIés, Iongtemps condamnés à chohir cntt'e l'apostasie apparenle ou la mort, com- mençant à peine à respireI', à jouir en silence de la tolérance d u mépris. / LA RÉNOYATION CATHOLIQUE E FRANCE 147 Aucune ressource matérielle ni nlorale : Ie vaste patrimoine de l'Eglise, formé par l'amour et Ie lihre don de quarante généra- tions, réduit en poussière ; les ordres I'eligieux, après mille ans de gloire et de bienfai1s, gisant òéracinés et anéanlis ; trois mille mo- nastères des deux sexes abolis, et avec eux tous les collèges, tous les chapilres, tous les sancluaires, t.ous les asiles de la péni.. tence, de la retraite, de l'étude, de la prière. La FI ance, souillée par dix ans de révolulion, venait de se don ner un maitre en la peI'sonne d'un jeune vainqueur qui l'avaiL dé- livrée en n1ême temps de la licence et de la liberté. qui savait tout, pouvait tout, e1 vou]ait tout; qui en ItaIie avait imposé au Saint-Siège Ie cruel traité de Tolentino, qui en Egypte avail caressé l'islamisme, et qui n'était encore conou de l'Eglise, qu'il allait si glol'ieusemenl relever, que pour l'avoil' trompée et dé- pouillée. La pr.rsécution à peine éteinte avaH fait place à la vicloirc incontes1ée d u mal. La législalion, J'éducalion, les mæurs-, é1aien t en proie à la pratique de loutrs lcs lhéories du XVlIIe siècle. La fa- mille se décomposail sous l'action elu divorce. Dieu avail été chassé de par1oul. Pour avoir prononcé son nom, Bernardin de Saint- Pierre était insulLé en pleine Académie. VolLaire eÚt semblé trop réservé, et Rousseau ll op lnyslique, au sein de cette sociélé qui ne se drrobait aux pl'éoccupalions de ]a guerre et à l'infaillihiJilé des mathémaliques que pour se délecler avec Parni et Pigau1t- Lebrun (1). Deux ans apI'ès, la sc('ne changp-o La forte main de apolél)ll relève solennellement ]a religion de Jésus crucifié él ressuscité ct Ie brillant génie de Chaleaubl'ianu remet sous les yeux de la France les beau1és du chrislianisme. Le grand politique et Ie grand écrivain s'inclinent run el l'aulre devant la croix et par- tent de Ih, run pour recons1ruire en France l'Eglise catholiqur, l'aulre, pour émouvoir el charmer chréliennemen1la société fran- çaise. (1) MONTALEl\IDERT, Des intél'Î'ls catholiques au XIXe siècle, p. 4,. 148 CHAPITRE V On a fait de nos jours contre Ie Concordat et Ie Genie dll chl'l.s- tianisme de sérieuses objections. Des catholiques sincères et zélés relèvenlles vices de l'institution concordalaire; ils Ia lrouvenl tantôt incompIète, tantôt tyrannique ; iIs Iui reprochenl de porter atteinte aux droits de Ia société religieuse et d'énel'ver son in- n uence en en It'a vant sa liberté, D' au tres h'ou yen lPreu vre litléraire Sl1 perficielle, insuffisan te e1., par endroils, fa uti ve. J e suis prêt ü aJmettre, sur Ie livre et sur l'institulion concordataire, touLes les. objectiqns que voudra éle\Ter, tous les défauLs que pourra trouver une sévère critique. Ce concordat a été nne æuvre mêlée et im- parfaile, sujetle à de nombreux reproches et à de graves difficul- tés; Ie Génie du christianisme a payé SOlI LribuL aux préjugés et au faibIesses du temps. Cependant, après l"anal'chie et les orgies révoIutionnaires, la reconnaissance soiennelle du catholicisnle par l'ELat pOl1vail seule donneI' salisfactiolJ au senLiment. public et assurer, à l'int1uence ol'lhodoxe, la òignité tla slabil Lé. L'ini- lialive òu Concordat a été grande, et à lout prendre, l'æuvre est saine: elle a imprimé d'un seul coup, au réveil des âmes, nne sanction t une impulsion qu'aucun autre régime n'eÚt pu lui valoit,. Quant au livre, malp;ré ses défauls, sa gl'ande et salutaire aclion n'en subsisle pas ll1üins. (( Le (;énie dll Chl>islianisme, diL Guizot, a été, rrligicl1tiement et liltérairernenL parlant, un écla- taut et puissant ouvrage; il a forlement remué les Ùmes, renou- velé les imaginations, dominé et remis à leur rang les traditions et les inlpressions chréLiennes. II n'y a point de critiques, même légilimes, qui puissent Iui enIever Ia place qu'il a Lenlle dans l'his- toire religieuse etlittéraire de son t mps et de son pays (1). ]I Après Napoléon et ChateauLriand, les premiers que je renconLre sont deux grands écrivains catholiques, Louis de Bonald et Joseph de Maislre. Par une coIncidence remarquabIe, bien qur nall1re1Je, leurs premiers ouvrages, la Tlt('orie du pouvoÙ' et les Consid()l'ations S1.I1' la FI>ance, pal'urent en -1796 et à l'étranger. Les deux auteurs écrivaient dans la première aròeur de la réaclion anti-révolution- 0) GPIZOT, Mhlitat;on'i 8111' l'étftt ad/lel de la J1('ligion chì'étienne, p. 7. LA RÉNOVATION CATBOLIQUE EN FRA CE 149 naiI'e; Inais il ne paraìl pas que leurs disgrâces pri vées et les malhenrs publics aient fait fléchir leur raison et trembler leur main. Tous deux grands espI'its, n10ralistes profonds, écrivains éminents, l'un pIns philosophe, l'autre plus Lhrologien. Bonald est un pen- seur élevé et original, mais subtil, compliqué, enclin à se payer de comhinaisons mélaphysiques et de distinctions verbales, et laborieusement appliqué à ourdir, pou.' prendre son aùversaire, Ull vaste filet d'arguments. J. de Iaistre, au contraire, foudroie l'ennemi pal" ses assertions décisives, ses ironies poignantes, ses invectives magnifìquement éloqnentes : c'est, dans un causeur charmant, un puissant raisonneur. Donald s'ad.'esse plutôt aux esprits d'élile, de Iaistre, à tous les esprits cultivés; tons deux servent la rénovation chrëtienne et accroissent ses forces. Cha- teaubriand avait charmé les espriis, mais presque sans entreI' dans la sphère plus rigoureuse des dogmes et des lois. Bonald approfondil davanlage Ie génie des 10is; de Maistre, Ie mystère des dogmes. J. de Iaistre, de sa Inain puissante, a surtout abatlu les préj ugés du gallicanisme et rendu Ie pape à la France. Son livre Ihl pape et de r !!..'glise gallicane est Ie plus éclatant ùu XIXc sii'de. lci, ce n'est plus senlement avec Ie sentiment et la raison philosophique qu'on nous établit dans Ie christianisme, c'est avec la foi. La foi ne repose pas sur un homme ou SUI" l'humauitÓ, nlais sur Dietl et sur sa parole positive. Le pape, vicaire de .Tésu -Christ, est Ie pivot divin de la religion, qui est elle-même Ie pivot du rnonde el la Lase Je l'histoire. On a fait, contre ces deux grands écrivains, des objections. Ouizot, entre autres, leur reproche, au nom U I'tion dans les herceaux. Sous pré- Lexle J'une neulralité impossible, on forme, dans les écoles nor- males, de jeunes n1aHres qui seront, par Ia parole eL par l'exemple, des prédicateurs d'ÏInpiéLé. Avec Ie mot barbare de laïcisation, vous voyez exclure les religieuses des hôpitaux, des hospices, des orphelinaLs, des salles d'asile et meUre à leur place des merce- nait'es sans dévouen1enl quand elles ne sont pas sans verlu. Nul souci de religion de Ia part des pOl1voirs publics, mais plutôt un athÖi me, hall lain et perséculeur, descendant des ha uteuI's par la hiérarchie des fonctionnaires et poussant les populations au ma- L(;rialisn1e pratique. Plus d'auIncjniel's pour les solda.ls, plus de dimanche pour Ie peuple. La foi s'en va, les mæurs s'avachissent, les in térêLs son t tous en péril. L'agl>iculLure agonise, ('i ntI LIstrie végète, Ie commerce se ralentit. La liberté, ðtée à la vertu, est octroyée à tous le8 genres de prosLÏln tion. D'incessanles éleclions jellent aux masses souffrantes des promesses chimériques et de misérables provocations lanlûl à ranlll'chie, lantôt au Rocialisme. Les yieilles haines sont ravivées avec un art scélérat, des essais de séditions, des gr>èves, des discours de club, des échauffourées de carrefour soulèvenl les masses populail'es. Robespierre pent venit> avec sa machinr ; III France est à ses pieds. Ð'où vienl celte fin de siècle répondant si mal à ses commence- ments? La n10bilité nutul'elle des choses humaines, l'inclination naturelle des hommes au mal ont fourni, sans doute, à ce retour offensif, leur éternel aliment et la bonQe fortune des occasions, Le LA RÉNOVATION CATHOLIQUE EN FRA CE lä1 jeu destl'ueLeur des révolutions politiques, l'incurie ou la compli- cité des gouvernements, la mollesse et l'irrétlexion des masses n'ont pas manqué d'aggl'aver les torts de ces bonnes ou mauvaises [ol'll1nes. Louis-Philippe, Ie premier-, fit de la corruption un ins- lr'ument de règne. Sous Ie rapport de Ja corruption, Napoléon III ne fut qu'un Louis-Philippe net son aigle était encore plus libidi- neux, plus vorace, plus incontinent que Ie coq gaulois. La seconde république ouvrit, à l'anarchie et au socialisme, Ie puits de l'abìme; la troisième n'a paru venir aux affaires que pour déchaìner les ten1pêtes. Toutes les illusions elles impuretés de l'esprit humain, tontes les bassesses et toutes les làcheLés ùu cæur, louLes les illu a sions et to utes les ambitions de la vie publique, toules les enlre- prise du socialisme et de l'anarchie: c'esl cela même qu'elle a pris pour raison d'être. Un peuple sans Dieu, une nation san s cnlle, un assemblage incohérent d'imbéciles, de voleul's el de viveul's: c'est, ce semble, l'idéal dont elle poursuit la réalisation. Ces visées ne sont point un mystère; mais ennn COllllllent des aspirations si. rnonstrueuses ont-eUes pu affronter Ie grand joul' de In. vie publique eL caresser l'espél'ance du succès? Le D aoûl 1852, Louis-Napoléon écl'ivait à l'abbé de Ségllr: \( Je uis heureux de savoir que Ie Saint Père est Loujours animé dl' mêllles sentimenb it Inon égal d. NOllS avons bien besoin que son esprit supérieur et élevé plane au-de sus de toutes les petiLes rivaliLés qui enlretiennenl dans Ie clergé des dissensions déplora.- bles. Depuis que vous m'avez écrit, j'ai pu me convaincre que cc ne sont pas les évêques les plus gallicans qui se montrent froissés des mesures prises ou loléréps it Rome, mais, au contraire, les hommes les plus modé1"és et les plus distingués de répiscopat. Aujonrd'hui Ie plus dif.ficile de ma lâche l'este encore it accomplir ; car le plus difficile n'est pas de vaincre, mais d'assurer la vic- toire. J'ai triolnphé ùu socialisme avcc Ips principes de religion et d'autorite. Dieu vellilleque les honlmes qui J'cpréscntentccsprÏn- cipes se soutiennenl toujours mutuellempnt et qu'ils ne , e (assent jlllllais La guelTc ; cal' ce ne seraienl qUfJ IlOS ' 'ìHlf lIzis C01nmUIlS qui f5R CHAPITRE V pourraient en profiter (-1) n. Ces remarquables paroles ouvrent un jour sur les obscurilés de la situation. Le coup d'Etat du 2 décembre avait Pl'oduit, parmi les catholi- ques militants, une scission. Les uns, fidèles aux anciennes consi- gnes de I'orthodoxie. voulaient qu'on gal'dàt la paix, là OÙ Ie combat avait cessé, et qu'on soutìnt la lutte là OÙ continuait 1'a- gression ; les anLJ'es voulaient déserter l'ancienne voie de la con- troverse, pour reprendre Ie drapeau et l'allure des partis politiques. Ces derniers, vétérans des assen1blées parlenlentaires, avaient vu avec déplaisir s'inaugurer un réginle qui leur promettail de trop longues vacances. Dans leur modestie, ils se croyaient appelés au gouvernement du pays et assez forls pour Ie mener d'une main sage. Leur but immédiat était que les catholiques se formassent en ordre de bataille pour un combat injuste el impossible sur Ie ter- rain politique, mai qu'ils consentissent à s'allnuler dans une alliance incompréhensihle et in1possible sur Ie terrain des idées religieuses. D'après ce système,les calholiques eussent d û s' op poser à qui ne leur voulait point de n1al et se lieI' à qui ne leur voulait pas de bien. C'eût élé un coup habile de se tenir dt.1ns une hostiliLé au mains slérile et frivole à l'égard d'un gouvernement qui faisait pl'ofession de foi à la divinité de .résl1s-Chrisl et qui reconnaissait plus largement qu'on ne l'avait fait depuis longLemps les droits de l'Eglise ; et d'aller former nous ne savons quel pacte avec de vieux po1iliques et de vieux sophistes qui ne parlaient que pour se séparer de l"Eglise, du Saint-Siège et de Jésus-ChrisL. Et l'on etlt fait un beau coup de haute tactique ponr procul'er à la religion les avao- tages d u régime pal'lemrnLail'e, lorsque Ie régin1e parlemenLaire eut été réLabli par Ie génie et les forces combinées d'une fusion impossible entre les d'Orléans et Ia légiLimité. Des hommes animés de la généreuse pensée de servir la liberlé de l'Eglise, séparés un instant par Ics Iois :Falloux, divisés plus profondément par Ie coup d'Etat, ell vinrenl à la discussion, el en discutant s'aigrirent. La discu sion, tombée en contl'adiction, (1) SfGUR, SouvenÜ's el récîts dtun frêl'e, L. I, p. 19Ò. LA RÉNOVATION CATHOLIQUE EN FRANCE 159 produisit l'incerlitude. La division cerles étail regrettable; l'in- certitude qui en résulLait devait êlre funeste. Là devait se dissou- dl'e ce qu'ou a appelé Ie patt-i catholique, c'esl-à-dire ce noyau do chrétiens zélés, qui, plaçant au-dessus de tout l'inlé.'êl religieux, avaienl voulu former nne milice au service de J'Eglise, e1 par I'en. sen1ble de leurs efforts, procurer sa liberté, son accroisse menl et 80n triom phc. En dehors des æuvres ordinaires de foi et de piété, il n'y eut plus une marche commune, une ligne politique à suivre. Des fl'ère3 cessèrent de s'allier e1 devinrenl bientôt des ennemis. Sur que 1 point précis reparaît leur dissentiment. Des deux écoles (( l'une, dit Veuillot, Pl Op()Se une sorte d'hosLi- lité mal défìnie contre l'orùre politique actuel et une espèce d'al- liance ambigur avec les nuances modérées de l'espril philosophique et parlen1entaire; I'aulre, croyant rester dans la tradition du parli calho1ique, accepte les fails, refuse de pactisel' avec des doctrines qui lu; pal'aissent également dangereuses en politique et en reli- gion ; Ie dissenliment paraîl léger; au fond il est immense. D'unc part, en effet, on adople Ie symbole de 1789, et, tout en se flaLLan t de Ie ramener au Chl'islianisme, on est involontal1'ement enl.'alné Ù en adopter les conséquences les plus anti-chrét.iennes ; de l'al1Lrr, on rejette Ie prétendl1 évangile, qui substitue à la vérilé religieuse et politique, les incertaines conceptions elle mobile gouvernernent de la raison humaine. Les uns cl'oient que la société pent faire son chemin vel'S Dieu, dans les voies que la Ilévolulion a ouvel'les; les autres (lisent que ces voies mènent aux ablmes, que Ie chrislia- nisme s' en a/raihliJ a, que cet affaiblissemen t d u clll'istianisme sera la Î'uine de la libcl'té et de la société )) (1). Voilà, quant aux faits, les points de dissentiment des deux éco. les; si I'on se rappeHe ce que nous disions plus haut, on vel'ra que., sauf l'opposiLion des idées, Dupanloup el Veuillo1 sont d'accord pour la déterminaLion de l'objet de la querclle. C'esL sur une ap- préciation contradicLoire de 89 que nail la divcl'gence; de Ià, ;on (1) LOUIS VEl'ILLOT. Mélau[Jes, t. I, p. II. t.60 CHAPITRE V passe à des jugements contraires sur les hommes pt sur les choses du temps. suivant qu'ils sont plus ou moins sympathiques au hostiles aux doctrines de la Révolution. De la divergence d'idées, on passe à la guerre lorsqu'il s'agi t de savoir si l' on doi t, aui ou non, se rallier à l'Empire, ou plutðt s'abstenir de Ie con1battre. l\lais en perçant l'écorce des faits, en poussant au delà des vues des combattants, ce qui est en cause, c'e l la question de savoir si rEglise doil exercer quelque action sur les peuples, si Jésus- Christ est Ie législateur des nations rachetées et si Dieu, son Père, doil gardeI', sur l'évolution de Pordre social, la plénilude de son autorÏlé diyine. En d'autres lermes, il s'agil au fond de savair si l'Evangile a été apporté au monde seulen1enl pour Ie :;alut des particuliers, et s'il n'est pas obligaloire également pour la sociélé publique, au mains lorsqu'elle se cOin pose de chl'étiens. Les idées ne se précisent point tout d'abord avec cette décision et ce radicalisme. On se tint pluLôt sur les extrêmes conséquences et ce n'est que de fil en aiguille, qu'on devaiL remonter plus lard aux principes. En présence des principes, l'évidence des soluLions frappe les regards; sur Ie terrain, plus obscur, des conséquences, les batailles devaient plus facilemenl s'engager, et gn\ce à l'ohs- CLll'ité des points ell HUge, favoriser l'arJeul' des ad vcr aireb. Ðl'S hOlllmes én1inenls brillaienl à la lête des deux écolcs. \. ia tt'le de l'école libérale, vous voyez l\IonLalembert, Ie fondaleur de l'Ecu[e libre, Ie vaillant champion de l'Eglise à la Chambre des pairs; son livre Des inlh'êts catholiques au Xl.Lf e siècle, avail dnnné Ie signal du débat 8l sonné Ie coup de rlairon de longues polémiques. A la tête de l'école simplement Inais résolument catholique, brillail d'un non moins vif éclat Louis Veuillot, Pintrépide croyant, l'in- cOlnparable polémiste, dont la plume devait valoir, pour l'Eglise, plus que vingt épées. Les idées de Iontalembert avaient pour organe Ie Correspondanl; les principes de VenÍlJol avaienl pour arène l' Univers. Au-dessous de lonlalelnberl, des écrivains ha- biles, Théophile Foissel, Albert de Broglie, Alfred de Falloux, Co- chin, el dans la coulisse, Dupanlou p, évêque d'Orléans, disaient tout ce qui se peuL dire, soil pour l'alliance avec les parlementai- LA RÉ OV A TION CA THOLIQUE E:, FRANCE lßl res, comme Thiers et Guizot, eL les philosophes, camme Villemain et Cousin; soit contre les idées et les sentiments des calholiques qui n'agréaienL point ceLLe aHiancr. La rédaclion de l' Univers, moins brillante alors par les noms rle ses disciples, était plus forle par Ie nombre de ses adhérenLs, par l'aulorÏté de ses ancêtrcs, tels que Ie con1le dc l\Iaislre eL Donald, el par la qualilé ?e ses palrons, Gerbet, Salillis, ParisÏf.; et Ie cardinal Gonssct. On peu t ajouler, sans indiscrélion, que cclle humble phalange ralliaiL ä peu près Lous les prêtres les plus insll'uils du clergé français, Hohl'- bacher, Combalol, Bouix, Guéranger, el qu'elle ayail pour chef invisible, mais préscn t, Ie chef même de l'Eglise, l'irn model Pie IX. Le pI'ernier point par oÙ les calholiql1es libéraux souJignèrent leur dissenlimenl, ce fut la n1ise au rancart des paLrons contem- porains de la cause caLho1ique. Je ne parle pas de Chateaubrianù , Lrop mélangé, trop amphibie pour ne pas ofi'ril' sirnultanén1ent des attaches aux deux partis; je ne parle pas non plus de La- mennais, qui avail soulenu successiven1enl sur la société moderne deux opinions conlradictoires el que les parlis devaient 5e jeLer à la lêle, jusqu'à ce que Ie nouveau Terlullien ran1enât, par l'allrai L de la séducLion, à son sYlnbole foudroyé, non pas les disciples qui ra vaien t déserLé, mais les ad versaires qui I'avaien l maudiL Je parle de Donazo Corlès, marquis de Valdégamas, dis- ciple de S. Auguslin, donL Ie génie rendait des oracles em barras- sants pour les nouveaux doc Leurs et ql1'iIs écarlèrenL comme un pestiféré. Je parle de Jacques Balmès, Ie grand philosophe e pa. gnol, it qui les libéraux avaient d'abord souri lrès affcclueusement pour ramener à leur coLerie, mais qn'ils rejeLèrenL aussitûL qu'il refusa de s'engager dans celle petite ég1ise de conspirateurs. Je parle surtouL du vicolnle de Ronalò eL du comLe de 31aislrc, deux grands esprits qui avaient parcollru les horizons ouverls par Ie G nie du Ch1'is tjan iSlJlp, précisé les ùocll'Ìnes avec II nc I ucidité victorieuse eL sou Len u I a sai n te cause de J ésus-Ch risl, l'oi des na.. tions, avec les ressources réunics de la philosophic, dn droit eL de l'hisloire. On les enterl'a incognito; désorrnais il ne dcvail plus se compteI' d'hommes émincnts dans nos églises, que Dupan.. 11 1ß2 CH.\PITRE V loup, lonLalenlberl, FoisseL, Broglie, Cochin. Fallonx eL les au- tres, déclarés tels par Cochin, Broglie, FaJloux, Foisset, MonLa- lembert et Dupanluup. Ð'un côlé, Ie calholicisme libéral tint école de m( pris; de I'aulre, il ouvriL une école d'admÍìoation mu- tuelle. uivanL l'usage de toutes les petites coteries, engagées dans de mau,raises voies, on ent pour 111axime Ie vceu classique : lVul n'auTa de l'esprit, hors 110llS et nos ami. . Le second poinL par oÙ s accusa Ie dissenlin1ent, ce fut la gueJTe o.charnée, soLle eL déloyale qui fut déclarée à r Univc1's, LouL spé- cialenlenl à Veuillot. YeuiJIoL fut, it Ia letLre, Ie bouc émissaire de Lous les péchés que n'a,'ait pas comll1Ïs Israël. Pendant que les impies plaisanLaienl grossièrcment SUI' sa figure labourée par la -vérole, sur Ie temps où il louchail quinze cenls francs, C01l1111e scribe au ministpre, sur les fines padies qu'ils prêtaienL à sa sen- !3ualité eL s'oubliaient jusqu'à insuller sa mère, les calhoIiqucs li- béraux lui reprochaienlle fanalisme eL la sel'vililé ; ils I'accusaienl d'être l'ennemi de la raison, de la société Inûderne, de toule li- berLé religieuse, de LouLe liberté poliLique ; ils lui reprochaient de provoquer une réaction anLi-chrélienne, de l'alnener les ténè- h.oes, de vouloir étouffer PespriL humain entre Ie corps de garde e1 la sacrislie, enfin d'éloignel' les Académiciens de rEglise, de creu.. ser un abtme enLre l'Eglise et la société moderne, de provoqnel' par l'inj ure el l'inj ustice des représailles q u'il eût 111ieux val u ne point mérÏLer. Toutes ces invectives, cerLainement injustes eL injurieuses, étaienL signées, Foisset, Broglie, Lacordaire eL Munla- lemberl. Falloux, pour son conlple, écriviL une soi-disanL hisloire ùu parLi caLholique, où, par une série de réticences, d'e agéra- tions calculées el d'affirmations sans prcuves, il faisait de YeuilloL un grand criminel eL de l' Tnivers Ie dével'soir de toutes les insa- nilés et impuretés de l'rsprit humain. Et Ie pire, c'est que touLes ces absurdes violences éLaient déchaînées conlre Yeuillot, mais pas toujOUI'S pOllr son comple pel'sonnel, pIns souvent pour des é, ê r que:-; qu'on 1I'() aiL pas découvrir, et surtout pour le pape qn'on n'osail pas dt- igner même par une allusion. Dans tons les cas, les jmpips qui velllenl atLaql1er l'Eglise et Ie Saint-Sii'ge pell\'ent allpr LA Rl O\'ATIO:'; CATllOLIQ(,E EN FnA CE 163 fourJJil' des annes dan:; cel alelicr ùe Illcnsougcs acaJénliqucs; ils LrouveI'ont là, comme dans lo:-;hei.n ou dans VolLail'e, louLes les choses ineptes, grossières, vi()h ntes qui se peuvenl vomir conlre la religion; seulemeul ici elles sonL mises dans une forme moins répugnan te, vernies et damassées de façon à plaire aux esprits cultivés, n1ais reslés viis sous Ie vernis de leur fausse cui... tUl'e. C'est là au surplus que commrnce, contre les calholiques, ce lOl'rent d'iniquiLés devenu aujourd'hui une grande mc.', qui menace de tout enseveIir sous ses flots. Le:-; énergumènes d u conseil n1l1ni. cipal de Paris on t, pour premiers précurseurs, les cn tholiques libé.. raux. Toulce fatras d'invenLions peut-iL se co lureI' n1ême d'l1n préLe le? En principe, non. L'inimiLié entre Jésus-Christ et Ie monde, enLre les passions et la croix, est ÏITéducLihle. Depuis I'ère de gråce, tou. jours, sous une forme ou sons une autl e, la chair sera reuelle à I'esprit et les rébellions de la chair lrouveront, dans la société, des forces organisées, prf tes à offrir, contre la reJigion, leur con- COUI'S. ProlestanLisme, jansénisme, gallicanisme, Iibéralisme, radi- calisme, ce ne sonl lit que les divers noms d'une mên1e efl'cur plus ou moins développée, dont Ie trail commun esl que, SOllS des noms différenls, elle caresse toujours les bassesses du cæul'. S'exposer à ses a,'anies, c'cst un acte de vertu ; les encouriJ', c'csL une gloire. Au contrail'e, haisser pavilIon devanL Ie cri grossier des passiong humaines, c'est un conlre-sens; et lransiger c'est tl'ahir. En fait, ce n'est pas l' UniveJ's qui avaH e'XcÏlé les violences inju- rieuses de::; ennemis de rEgli e. La rédacLion de r Unive1's se com- pOðait alors d'écdvains trop peu en vue; I'im piélé les craignail à cause de leur foi, nlais ne s'abusait pas compli\tement sur leur faiblesse numérique. L Elat ell'Universilé, dans la pressr, dans les livrrs, aux deux tribunes, partout, s'indignaient el s'irritaienl conlt'e des personnages, autrement considél'ables, à qui I' UnivPJ's servait de porte-voix. C'étaient les manifestalions successives des é,'êque::;; Ie zèlr du clrrgp, Ie grand éclal dll talent de Monlalrmbrrt, la rc- naissance ùes ol'dres religicl1,", Ics Sl1ccè l'etelllis anls du P. de Ravignan et du P. Lacordaire, qui excilaient les alarmrs eL leB 1.64 CllAPITRE Y fureurs. Rappellerons-nous les n10ts d u tern ps? Personne ne doH les oublier. On parlail de l'émeute ppiscopale ; on se récriail contre les calornnies du clergé ; qU3,nd il parai sait une nouvelle lelLt'e de l'évêque de Chartres, une nouvelle brochure de pé,rêque de Lan- gres, les journallx ilnpies s'élonnaient de l'insolence de ces gens-là et les rappelaienl à la pratique de l'Evangile. Lo Journal des Débafs disait au P. de Ra\'ignan : (( Que rnïn1porLent vos vertlls, si vous m'lapportez la peste ))? Le lYalional disait aux religieux qui invo- qnaient Ie droit con1mun: (( On ne vous doit qne l'expulsion >>. E1ait-ce l' Univel's qui soule\'ait ces 1en1pêtes d'outrages? Les écrits des évêques, parLiculièremenl ceux des plus fermes et des plus vénél'és, les discol1rs de l\Ionlalembert, quelques brochures dues à quelques men1hres de la corn pagnie de Jésus ou à des prêtres res- pectables, cornrne Con1baloL etle chanoine SOl1chet, les pâques de Notre-Dan1e, la robe blanche du P. Lacordaire, restaurateur de l'ordre où l'on prenait les inquisiteurs, soulevaient plus de cla- 111eurs que tous les arlicles de r Un ivers, parce qu'ils inspiraienl, à jusLe titre, beaucoup plus d'effroi. L' Univcl's n'eut part à ces ou- trages que pour sa brave e1 loy-ale participation à tous les exploits de la cl'oisade catholique. Les partisans du monopole unÌ\Tersitaire, au surplus, n'avaient pas besoin d'excita1ion pour s'élever vio- lemn1elll conlre les catholiques, La. reyendicalion des droHs de l'homme, du citoyen, du chrélien, du pÒre de famille sufflsail amplement pour exaspérer' ers trisles persécuteurs. Que ran relise seulement leurs livres! En nommer les principaux auteurs, les Michelet, les Quinet, les Libri et d"autres, c'esl assez l'appeler que I'on avaH affaire à des esprits et à des passions qui ne se piql1aien l point de scrupule, qui n'aUendaient nlllJement d'être provoqués, pour tout se permeLLre en fait d'injures et de violences" Oui, sans doute, on a pu quelquefois déchirer avec colère ces Lissus gros iers qui enveloppaienl d'infamies ce que les chl'étiens ont de plus res- peclable et de plus cher, et }'on peut regretter parfois ces indigna. Lions, ces révoUes d"enfants qui voient outrageI' leur mère. Heurcux ceux qui pnrenl éyiler taule faute autt'ement qu'en se reLÏl'an1 de la lulle ou en gardant Ie silence! Si I'Eg'lise n'a,'ail pas eu d'auLres LA HÉ OYATIO CATllOLIQUE EN l"HA!,;CE 16;' soidats, elle n'eÚt pas été suffisamlnent défendl1e, ni rnême loujours représenLée. Pour nOllS, si no us avions à bIâmer q ueIqu'un, nous blàmerions d'abord ce athlètes à rebuul's qui, pouvant combaLlre avec les pIll::; humbles soldals, poussèrent l'héroïsme lout jusle à l'aLsLenlion. ,Mais que Ies coups cl'uels cL Inéchants, portés par Ies impies, aient éLé 71U:1'ités, qu'on puisse les qualifier de représailles, que Pinjure eL)'injusLÏce des catholiques les aient atlirés trop sou- venL ptU' des exeès ; que, parmi ces calholiques et dans ce cæur du camp si persévél'anL, si dévoué, si désinLéressé, d'ULL personne à }'heure du triolnphe n'esL SOI'Li pour lendl'e la n1ain aux récon1- penses, que là, il Y ail eu ùes plus dignes et des moins digncs, c'est ce qui n'esL point vl'ai. L'hisLoil'e ne trouve ici dïnùignes que ceux qui osent bien élever tie pal'eilles accusations. CHAPITRE VI FOH)L\'fln, HU r.nOUPE f:ATHOUQUE LTnt HAL; SF.S PRI CIP.\CX TEMHln.:s, o:\ cnEF ; LErns COM:\IUNE:; hoCTRTNES. (c Celui qui règne dans les cieux et de qui rell-vent tous les em- pires; à qui seul appal'LiennenL la gloir'e, la n1aje té, l'indépen- dance, est aussi Ie seul qui sache faire la loi aux rois el leut' donner, quand illui plaH, de grandes et lerribles leçons. )) La leçon qu'il donne de préférence, aux rois qui veulent s'aITranchir de son règne, c'esl de les précipitel' du Lrône oÌl illes a fait monter pour son service. Spectacle étrange, mais encore plus instructif! depuis trois siècles, c'esl la tendance des pouvoirs civils de se se- parer de l'Eglise eL d'assurer à leur puissance l'il'respon:::abilité; Inais plus ils croient affernlir et grandir leur puissance, plus i/s la rendent fragile et éphémère; el si l'hisLoire élaiL encore la llH1Î- tresse de la vie, il suffirait aux princes, POUI' venir à résipiscence, ùe prêter l'oreille à sos enseignemenls. Louis XYI à l'échafaud, Napoléon à Ste-LIélène, Charles X it IJolyrood, Louis-Philippe à Claremont ( apoléon ] [J à Wilhemshûhe, plus Lard), voilà, en iRi8, Ie bilan des succès du cé:3al'Ìsme. Le procédé pour l'expulsion dc:; princes se simplifie n1ême à vue d'æil ; pOlU' Ie rlernif'l' en daLl', il suffil de Ie meLtre en voiLure et: Fouette, cucher! Les couronnes royaIeg sonL Ie jouet de la RévoluLion. Or, c'esl en présence de ceLte fréquence des ré,'oluLiuns el dr celle fragilité des pouvoirs publics que commence à se fornler Ie groupp calholiq1l8 libéral, Ie groupe qui offre, pour Ie alul des !tmes et le progrès des nalions, it l'élernelle religion el à l'invieilli:ssable Eg-lise, l'alliance avec ses pCIlH'oir:;;; séparé òu Christ, vOHés d'avancc aux dieux infcrnaux de la démagogie. Certes, ]'idée est éLrange. fOIUIATION DU GROUPE CATllOLlQUE LlUÉRAL 1.67 mais Ie fait ne cornporte pas de dénéga tion, et, s'il plaide les cir- constances atténuantes de paix, de rapprochements éventuels, de nécessilé tJrgente, nous verrons ce que ces pl'étexles valent pour excuse. Le premier, après Lamennais, qui esquissa ce programme de pacification el d'aventul'es, fuL I'abbé Dupanloup. Dupanlou p rallia Falloux ef Ionlalembert ; par l\IonLalemhert et Falloux, il recrnLa Lacordaire, Broglie, Foissel, Cochin, Gratry e1 l'escadron volant ùe petits brochuriens; par ses intrigues, il prit pied dans l'épis- copal qu'j} scinda en deux; par f'a stratégie, il soule\Ta à pen près toutes les affaires contenLieuses, on s'y ingéra assez pronl ptenlcn t pour y jouer son rÙle, et, pendant trenLc années, enraya Ie mou- vemenl de réveil chréLien et de rénovation catholique dont Larrlen.. nais avait produiL l'éhranlement. Nous devons faire, avec tOllS ces personna.ges, connaissance SOffi- maire eL indiqucr la profession de foi doní ils ne devaient plus se départir. 1. Félix-Antoine-Philiberl Dupanloup naquil à Sainl-Félix, en Savoie, Ie t janvier 1802. Sa mère éLait la malheureuse nièce d'nn prêLJ>e; Ie père élaiL inconnu ou, du moins. non déclaré ; on paya II n pau vre diable pour endosser Ia responsabilité officielle de la IHHardisc, mais il ne remplit, bien entendu, aucun des tlevoÏl's de la paternilé. Celte tache ne devait pas gêner la fortune de l'enfant, au contraire; mais eUe donna à son âme je ne sais quel tempél'a- Inpul hftLard qui la prédesLinait aux rÙIe d'inlrigue et de compro- mis all il passera maitre. Félix fut élevé uniquemenl par sa mère rt grandit jl1squ'à huit ans au lllilieu des rnontagnes : ràme de Ia pal1vre femme déleignit SUI' la sensihilité du fils ella de de monLa- rwrd lui don na Ie trIn pérament robuste, l'humeur fH're, ce (!llel.. CIne chose de violent et de hrutal qu'il garda tOUjOUI>S, malgré ses plu,tis pris ùe eonciliation et son 80i-disallt espril de paix. A neuf ailS, il rut aInené à Paris, envoyé à ainLc-Barhe, puis à la petite commnnauLé de la rue du Regard; avec ::;on ftme simple, f'on esprit vif 0t sa vigo111'euse con lilulion, Ie petil Dupanloup rul ce qn on appelle un lravaiJIeur. Dès Ie déhut, il ndopla, POUI' Ie travail, IG8 CliAPITP..E V1 ceUe mélhode qu'il devail appliquer à tout: au lieu de beaucoup réf1échir', il voulait lou1lire et toujours écrire. Pour la rnoindre chose, il aInassait des cahier's de notes, les rédigeail en parLie, et au Heu d'illuminer son esprit par la compréhension, s'appliquait sUI'lou1 à l'en1plir conlme un magasin. Du resle, régulier, pieux, ailné des rnaHres, couronné aux dislributions de prix, un pelit phénix, chürgé conlme un mulet et pOl'tant sa charge avec désin- volLllre: tel futle jeune Dupanloup. II serait facile d'écdre 10nglleDlent sa vie, Pcu d'aul,ellrs ant, aulant que lui, padé d'eux dans leurs üuvl'ages e1, comme il a beaucou p écrit, même des Inédilalions pieuses ; comme il s'admi- rail nalurellenlcn l beaucou p, il n'y a, pour com poser son panégy- rique, qu'à se baisser. Celle lÙche a élé remplie par un valet de plume, trois volumes durant: it n'esl pas rnalaisé d'en donneI' Panalyse. Dupanloup rul un écolier sublime, un étudiant en théo- logie incon1parable, un caLéchiste tel qu'on n'en avait pas encore vu un prédicateur éminenl, un supérieur de séminaire digne d'ad- mil'ation, un professeur égalenlenl admirable, un chanoine lou- joul's anué POl\.I' Ie combat, un direc1eur de cOltsciences hors de pail', un politique sans égal, un diplonlate rompu à lous les secrets, un grand évêque, Ie plus gl'and évêque du XIX e siècle, et par des- SUB Ie marché un saint: leI est, en quelques DI0ls, Ie I'ésumé des trois volumes. A ce panégyril}ue, il y a des sourdines. L'éludianL incon1paraLIe 8e fit, paraîL-il, ulle fois au moin , expulser de Saint-S111pice, dont il deyait plus Lard repl'éscnLer fidèlernent Pesprit, conlpèl'e el conl- pagnon de Jacque::; Malhieu, auLre et dernière pétrification du gal- licanisnle sulpicien. Le caléchisLe inirnitaLle avail, dans son caLé- chisme, une vierge éclairée par un rayon d'en haut, de::; jel1x de lumière el des ré'"cI'Lél'ations de glaces pour captiveI' les enfanLs et 's'accrédiLer pl'ès des familIes, tant et si hien quc Ie pasLfur de- manda it être déLarrassé ù u viraire qui supplanlail Ie curé. Le su- périeur, digne d'admiraLion, se fit éconduire, après cinq ans, par son évêque Mgr Affre. Le professeur, égalelnent aÙlnil'aLle, Lomba de sa ehaire sous Ie::; sifflets. Le chanoine nlodèIe s'étüil fait dis- FOlU\IATION DU GHOUPE CATllOLIQUE LIBÉRAL 169 penseI' d'assister au chu\ur, pour vaCJuer plus tl'anquillement à ses peliLes et grandes affaires. CeL hOlnme spécial en lout et toujours sublime n'ellL, dans sa carril're sacerdotaIe,' que des disgrâces pour rabal-joie de tous ses Lriom plIes. On ne nie poin t q u'il eu 1 d u lalen t, (J u'il fu L Lra vaille ur ardent el homn1e inLrépide. La preuve ùe son Lalent, c'est qu'il put se re- lever de tontes les disgrâces avec un accl'oissement, ou, au moins, avec un altrail qui relevait hientôl sa forlune. La preuve de son travail et de son zèle, c'csl une sorte d'ubi(luité active, presque encombrante, ennuyeuse n1ême po r ses ami . (( Un ne peut rien faire sans l'abbé Dupanloup, disait l\lgr de Quélen, et a\'ec lui on ne peut rien faire. )) C'étaÌt, en effeL, l'hon1me touj? lrS mécontent de toutle monde, ne voyanl de beau que son idéal et se Lrouvant seul capable d'en poursuivre Ia réalisalion. On ne conlesle pas davantage que l'homme ne fÚl prédestiné à parvenir. Avec 5es Lalents, ses C}ualités et ses ycrlus, un prêlre ne peut s'effacer, ou, s'H s'efl'ace, et pal' cela mème qu'il s'efl'ace, il briBe davantage. Les postes qu'occupa !'abbé Dupanloup étaient lous des postes favorables à l'avancemenl. Caléchhite et sllpé1'Ïeur, il s'introduisait dans les familIes, par les enfallts, Ie grand moyen de crédit présent et fulur; confesseur, il sa vait choisir son n10nde et se faire agréer en hant lieu pour directclIl'; professeur de SQr- bonne, il se lrouvait sur Ie chandelier à sept branches; chanoine, 11 n'eul plus d'aulre souci q ne Il1i-mên1e. L'abbé Dl1 panloup étaH de ces prêtres qui s'adressent aux gens du Inonde, vivent avec eux, s'imprègnenL de leur espril, 'arpuienl de leul' recuInnlandation eL peuvenL dire: OLL ne nlontel'ai-je pas? Un est Illode::;Le, confit en humilité, un VCl' de LeITe, un grain de poussière ; rnais ]e grain de poussière vole aisément, Ie vcr sait rarnper avec noblesse, l'hll- IniliLé a de petits crochets J'ascensellL' et la modestie 'acconllllode de Lous les avanLages lerrestres. L'hon1me ùe rien devienl une toule-puissance. L'abbé Dupanloup ne se jugea jal11ais digne que dl1 premier rang, et, pOUl' y parvenir, à tnus ses mériles, il joignait Ie plus rare Lalentd'intrigue, une finr c exLraordinaire, uni0 à une exlra- 1"70 CllAPITRE YI ordinaire audace. Ce qu iI dépensa de soul'lesse dans sa vie est incalculable; ce qu'il devail dépen er d'audace ne se peut pa compteI'. Talents, qua1ités, veI:lu, il versa it lout avec snrabondance dans sa diploolatie el il fallaiL être bien surses gar-des pour ne pas se laissel' prendre; à Lou tes ses assiduités, à toutes ses sou- plesses, à toules ses effusions, i1 ajoulail des coups de force, d'in lrépidilé et iI faUait être bien solide pour ne pas se rend reo .\ u fond arrogant et don1inaleur, qnand il par1ail it un égal on l'eùt prÏ8 pour son supérleur ; quand il parIail à un évêque on l'eÙt pris pour un al'chevêq ue; quand il parlail à un archevêque, on I'eût pri pour un cardinal; quantI il parlait à un carùinal, on l'eùl pris pour Ie Pape; et quand il parIaH au Pape, on l'eùL pris pour la lroisi( me personne de Ia Sainle Trinilé. Ce hon mot fut diL au Candle; les Romains y ajoutèrenl une analyse élymolugique : /!;' pavone lupus: De-pan-loup. El avec taus ces talenls et toules ces ardeurs, bonhomme SUI'- toul eL hahile à Ie laissel voir. Mais, en même temps, excessif, agiLé, convubionnaire, ne tenant pas en place, vissé à sa table de travail et couranlle monde, attentif à tous Ies mouvemenLs des hommes, mêIé à lous les incidents des affaires, reInplis:-;ant l'uni- vcrs de ses discours el de ses 1etlres, ilupl'ovisant toujours, jardin, fleurs et volcan; lac paisible et vase plein de tempêles: lion, renal'd et colombe; homlne inépuisable sans avail' gl'and'chose it dire; pl'édicateur de paix ::;ans ce::;se voué ou condamné aux lUffiul- les : Opus lU1ìutltuw'Ül1n, mot lerrible qui fit l'ugir Dilpanioup, parce ql.1ïl avail percé son masque. II y avail, ùans eeL homme, lauLes les séducLions, tOllS les enLr'ains ; il éLait faiL pour êll'e un chef de secte, et, s'il ne rêva pas, ce que je crois, Ie l'ôle de Pilo- lius gallican, II devait prépal'el' les voies it cell1i qui entraÎnera nn jour 1a France dans Ie schismc. . n. C'est en 1845, au milieu de celte gl'anfle conLro\-el'se où l'é- piscopat halliL en Lri'che, å l'unanin}ilé, Ie pro.iet ViIlem::lÏn, que l'ahbé Du panlon p, sim pIc prêLre, posa un aete de scis ion el n t bande it pad; c'est dans un livre intilulé : Dr> In pacification 1'cli- !)iCllSC qu'il couva les élément::; d'une gnel're fratricide, de"Liu{'c it fORMATIO DU cìHUrPE CATHOLIQUE LIBERAL 171 durer' al1tanl que lui-rnÔn1e, sinon plus. A la vérilé, suivanl rusagc de lous les srclaires, il n 'aflicha pas ce dessein, qui, dll reste, l' eli t fait honnil', mais il en formula les doclrines avec plus d'audace fJ u'on n'aurait pu en altendre d'un si cauteleux esprit. Il ne fau l pas oublier que la Bitualiun doclrinale et les devoirs des calholi- ques envers PElal l'évolutionnaire avaienl élé déterminés depuis longteInps par les Constitutions apostoli(lues, qu'ils l'étaienl dcpuis plus longlemps par les théologiens, notamlnent par S, Thomas, De sorle qu'on ne pouvail changer l'a sielte du camp et l'incliner vel'S Ie libéralisme, sans fermer volontairement le yeux aux ensei- gnements de la tradition, el sans se Inellre, conlre Ie SainlpSiège, au moins cl'une nlanièl'e implicile, en élat de révolle, Les EncycIi({ues blâment et réprouvenl: 1 0 la HévoluLion, COlll- mencée en 89 el continuée depuis dans toute les conLrées de fEu- rope, d 'après certains principes nOliVeall.L , su bversifs el im pies; 2 0 la conslituLion de la sociélé publique, suivant cedaines idées natura/istes el Zaïques d 'a près lesq l1 elles on prétend SOl1str'aire celle sociélé à l'acLion de l'Eglise et la dispenser de reconnaÌtl'e ses droils surnaturels; 3 0 l'organis3tion ùe ceLle même sl'ciété nalu... relle el laique Buivanl cerLaines fUl'n1es pal'ZcmenlaÙ'es qui a suren t parloulle lriomphe de la Révulution ; 4 0 l'affirmalion, aujourdÏll1Í hél'éLique, que L'Eglise a éLé instiluée pa[' son fonùaleur en Lelle condition qu'elle peut se concilier avec Ie parlemenlarisme, I"Elat laïque eL toute la quinlessence des idées r'évolutionnait'es. De pI us, les Encycliq ues pon tificales, ) es brefs e L rescri ts pal'- Liculiers unlll'acé une ligne de conduite qui consiste: Lo à rendr'e une vérilahle el sincère soumii'sion aux Constitutions apoELoliques, soil docll'inales, soil disciplinaires; 2 0 à adopter' de préfércnce, it enseigner et faire enseigner, dans les choses conlroversées, les senLiments qu'on suit à Rome, el, sÏI s'agil elu Sainl-Sii'gc à suivre les enseignements les plus favorables à son auLorÏlé. - Celle conduite a été approuvée fort explicitement pal' lOl1 les Conciles provinciaux tenus en France depuis IRtO. En outre, des deux sys- l('1l1eS suivis rn France dans la défense de I'Eglise, Ie sysLème de J72 ClIAPITHE 'I fidélité aux encycliques pontificales a manifestement obtenu les préférences de Rome. L' ensemble de ces faits indiq uail, ce semble, une ligne de con dnite. el pour la suivre exactement, il ne fallail à toulle monde, a\'ec une dose COlnn1une de respect pOUI' la Chaire apostolique, qu'un pen de défiance de soi-même el de détachen1enl de 8es idées personnelles. Nul ne niera qu'nne déférence filiale n'eûl honora- hlemenl remplacé robéissance sur les points Oll l'obéissance n'é. tait pas cornmandée. Nous avons, ici, à examiner d'abord les opinions de l'abbé Du- panloup sur la l'évolution française. Ce poinl est très irnportant, cal' c'esL du jugement produil sur ce granù fail que les calholi- ques libéraux font sortir, par voie de conséquence légitime, leurs iJées sur les rapports de l'Eglise et de l'Etal, sur la conslitution régulière de la société civile et sur la nolion fausse quïlss'élaienl faile de la sociélé religieuse. La révoluLion de 8B n'esl pas seu- lemenl, pour eux, un fait, c'eslle ]Joint de dépa1.t d'une doctrine, un complémcnt aat'llrel ùe larévélation, une lumière qu'ils croient pouvoir iInposer même à la Chaire aposlolique, sons peine de méconnaître ce qu'ils appellenlles idées nwdei'Jzes, la société mo- de1'ne, Ie progrès, la civilisatioI1. POUI' apprécier sur ce sujel capital, les idéès d u fulnr évêque d'Orléans, il n'y a rien de plus sûr que de lui donneI' la parole. Dans son liVl'e DE LA PAr.IFICATIO REUGIEUSE, nous trouvons un pa- rag raphe inlilulé : COlUment it (aut entendre Ie VÉRITAllLE ESPRIT de Ia /'évúlulion f;'ançaise: no us devons en recueillir scrupuleusenlcnt les oracles. (( L'esprit de ]a révuLuLion, s'écriaiL l'aLbé Dupanloup, voilit un grand mot. l\1alheurcuselnenl c'e L un de ces mots indéfinis, cl ruêrne, }Jar la diversilé dcs idées el des faiLB qu'ils repl'ésenLenl, - presque indéfinissable, el par là aussi, d'un efl'el plus infaillible eL plus sûr auprès de la multitude des esprits préyenus ou irrétlé- chis. )) On a étrangemellt ahusé de ce mol: 1\1. Thiel's Ie rappelle sans cesse, cl je ne sais s'il y a rien dans ses discours qui f;Oit FORMATIO DU GROUPE cATHOLIQUE LIBÉRAL 173 plus so uvent in\'oqué conlre nons que l'esp1'it de La ?'évolulion (?'ançaise. )) S'il nons repousse, autanL qu 'ille peut, loin des fonclions ùe l'enseignement et de tout.es les fonctions publiques, c'esl pou r maintenir en France ['esprit de la révolutioJ1. ; s'il refuse la liberté aux congrégations religieuses, c'esl pour prévenir les périls qu'elles feraient courir à L' esprit de la 1'évolution; s'il va même j usq l1'à conlester la liberlé des pères de famille, j usqu'à consacrer un monopole il1j usle, j usqu':1 ll'ahil' les promesses de Ia Charle, c'est qu'avanl loul il faul sauver parmi nous l'espl'it de la ì'évolu- lion. )) Le clergé de France n'a pas, VII. 18. CHAPITRE VI nous interrogions Ie com1e de l\Iais1re, Ie vicomte de Bonald, Ie cardinal Pie ou Proudhon, la révoll1lion est toujours considérée comnle une æl1Vl'e antichrétienne, anticalholique, antidivine. Ni dang ceux qui la conçoivent, ni dans ceux qui l'exécutent, ni dans ceux qui en tirent des conséquences et des effets sociaux, elle n'offre rien qu'un Charlemagne puisse, je ne dis pas accompJir, mais imagineI'. La révolution, c'est Ie syncrélisnle philosophiC} ue de tou1es les inlpiélés et ùe loutes les révoltes ; c'est le naturalisme qui exclut toute révélation Jivine ; c'est la séparation qui exclut I'Evangile et la royaulé du Chl'isl: dans l'ensemble, c'est l'antithèse de la dogmatiq ue chrélienne el la formulation al1ùacieuse de l'a- théisme soi-disant hUlnanitaire. Ala considét'er comme une simple hypo1hèse, elle n'esl mêmc pas reccvable; sous son aspecl réeI, dans sa vie propre, la révolulion ne pactise jalnais avec la DiviniLé. A moins qu'on ne l'envisage en rêve, COllHl1e Ie P. Gratry, pour y reconnaîLre I'agTandissenlent du règne de Dieu, la révoIulion nc peut êlre considérée que comnle une élnanation de l'ellfer. Même en meLtant de cóLé ses crimes, ses excès, ses erreurs, it moins que, par ce mot, on n'enlende tout l'orùre de ses conceplions, il n'y a rien, absolument rien, dans l'esprit de la révoIution, qu'un pl'être puisse, à peine de forfaiture, LoIérer. III. La révolution française, acceplée COlume évolulion nalu- reI1e et légitime de l'ordre social, conduil à régler, sur les nou- vcaux principes, les rappol'ls de I'Eglise et de l'Etal. Du moment que la vie civile repose sur la théorie des droits de l'homme el que sa vie poli1ique esl réglée, en conséquence, par la théorie de la sé- culal'Ìsation, on est amené à considérer les deu puissances conlme réclpJ'oquement indépcndantes, la société civile comme complète par elIc-même, ella société religieuse comme un aide adnlissible ou rejelable au gré de la partie civile. Les afI"aires entre l'Eglise ct I Etat ne peuvent ê1re réglées que par cetle concotde clout padail un des fondateurs de la théorie gallicane, si mieux n'aime PELat 5e retrancher et se fol'lifiel' dcrrière son principe de séparatisnle. L'Eglise, il est vrai, est réputée Iibre dans les régions spiriluelles, mais on les cnlend d'ul1f' manièrC' Lellement métaphysique que FOlU\lATIO DU GHOUPE CATHOLIQUE LIBÉHAL 1.86 l' Eglise n'a guère qu'une exislence idéale. QuaQt à l' Etat, maìtre des biens et des personnes, en régentant les personnes et les biens, il finiL pal' supprimer toul l'ordre ecclésiasLique. lei, chaque mol a une valeur capitale, et, suivant la manière dont on enlend ces choses, on trouble 1'économie providenLielie des chases divines eL humaines. - Voyons ce qll'en pense rabbé Dupanloup. (( Les deux sociétés qui se partagent la lerre et dont l'union compose la société humaine, ession e,xtérieure de la ]J1>ovidence de Dieu. Pour nuus, ses d1'oits sonl sacl'és, sa gloire nous est chèJ'e, ses malheurs sout les nòlres ; HOUS partageons touLes ses desLinées, nous obéissons à ses lois : et, apl'ès Dieu, il n'esl rien qui solliciLe et remue plus profonùémen't nolt'e cæur, noire cons- cience, nolre dévouement, que ]e nom eL la voix de la pat1'Ïp. )} Tenlporellemenl soulnis au pouvoir temporel, crlui-ci nous 186 CIIAPI TRE YI gou\'el'ne, no us emploip, no us plie á tUllS ses besoin.'\, n tOlltes ses (onnes; mais, a -dessus drs choses de ce monde, Ia sociélé spir'i- Luelle l'éclame les rimes comme son d01naine sppcial, conlnle sa charge providenlielle. Elle Ies forme pour la soc'iélé lallJae, nulÏs elle nr s'en dépossède pas, rune en a l'usage clans son hut lemporf'l, raulre la responsabilité dans son but élernel. Ces deux sociétés, en un rnol, pw'allèles pluLc^lf que ri\Tales, sont failes pour' vivre ensenl- hIe sans se confondre ; toul cmpiélemenl de rune SUI' I'autre est un malheur; Ie problènle ne peut se résoudre que par leul' ind,:- pendancp récip1'oque c'esL-à-dire, par la Iiberté : Ia liberté, c'est la paix! (1). )) La première chose qui frappe, dans ce passage, c'esL Ie vagne des expressions. I...'auteur parle en homme de IeLtres beaur.oup plus qu'en lhéoIogien; ou, si c'esll1n théoIogien qui a eu ces con- ceptions, iI est facile de yoir que, pour les exprimer. iI a nlis de cûté Ia langue technique de l'école - langue nécessaire à qui vrut parler exactemenl, - et qu'il parle à la manii're ondoyanle et cliyerse des gens elu Inonde. S'iI agit ainsi pour se faire mieu"" comprendl'e, c'est un tempérament charitahle ; mais ces tempéra- ments ne sont permis qn'aulant qu'iI n'en résuIte, pour la doctrine, ancun pr'éjudice. Nons n'élèverons pas conll'e l'auleuI' l'injn- J'ieux soupçon d'avoir ,'oulu, par Ie vague de l'expression, voileI' sa pcnsée. Une seconùe chose à faire observer, c'est que l'auleur n'assigne, Ù In. sociélé spirituelle, pour domaine, que les âmes. C'est la propre fOl'mule du galJicanisme. Dan la lhéorie gallicane, toull'ordre cOt'porel appartient à la société temporelle; la société spirituelle n'a, en propre, que Ie gouvernemenl des âmes. CeLle affirmaLÏon ne répond ni à la notion qu'il faul se faire de I'Eglise, ni à l'évolu- Lion hisLorique de ses droits, ni à l'étendue de sa jUJ'idiction. L' Eglise esl, sans doute, une sociélé spirituelle par son objet eL sa fin, mais mênle par ce dHé, eUe a besoin que l'élément trmp 0 reI serve de véhicule à sa grâce. n faul une matièr'e aux sacre- (1) De 10 pacification 't'eligieuse, p. 5 ùe l'édition-princeps et Défensp de la libe}'té de l"Eglise. t. I, p. 129. FORMATION DU GROUPE CATHOLIQUE LIHÉRAL i8ï mCllts; il fant une InaLière au f\lH'rifice; il faut à ['hostie, un au- tel; à l'autel, un temple; al1X temples, des nlinisLres ; aux minis- lres, uoe table pour prendre leur aliment et un loit pour couvrir leur lêle. lême pour Ie missionnaire qui n'a pas oÍl reposeI' sa lête, il faul Ie vivre, Ie couvert. une chapelle an)bulanle, des su h- sides assurés. Chargée de sanctifier et de sauver les âmes, l' Eglise a son pied sur la terre, et de droit divin, il lui faut sa place. Aussi, dans tous les tern ps et chez taus les peu pies, l' Eglise ca- tholique a-t-elle possédé des biens ecclésiasliques, une principauté cidle dans rElat pontifical et exercé, sur les puissances tempo- relIes, sa j u ridiclion. Au fail, cette juridiction ne s'exerce pas seulement sur les âmes : elle s'étend sur l'iudividu tout enlier el s'applique à tontes les sphères de son existence, à )'l1sage des biens et à la conduHe des personnes, aux devoirs de famille et aux relations d'Etat. A raison de sa mission divine, de son ministère d'enspignement et de gou- vernenlent, tout est soumis à I'Eglise, tout, rois e1 pen pIes, pas- teurs et troupeal1x. La théorie qui réduit aux hmes Ie cham p d'action eccIésias- tique, est. conlt'e l'Eglise, une théorie d'excll1sion, une machine de guerre. La vérité, la pleine et entiere vérité est dans Ie principe contradictoire qui, des àmes faisant réagir, sur les corps, la force de la grâce et de sa lumière, embrasse rlans Ie cercle de la ré- dempLion toutes les existences et les assujettit toutes à la loi de I'EgIise catholique. Iais la grande, la terrible et funeste erreur de Dupanloup, c'est cette affirmation de deux sociétés pa.rallèles, réciproquement indé- pcndantes, chéminant séparées par la ligne des asymptotes, se rap- prochant ou s'éloignant au gré des parties pleinemenl maîlresses sur leur terrain et. ne résolvant. Ie problème d'un paraIIélisnle harmonieux que par la liberlé. Thèse que COUl'onne cette phrase crense, si elIe n'est pas un contre-sens : la liberté, c'est la paix. La liLerté, c'est la paix, lorsque la liberté est enfermée dans un cercle défini par un droit souverain au dans deux cercles ayant un mpme centre; mais lorsque la liherté s'exerce dans deux cercles 1.88 CliAPITRE \"1 qui ne se touchent que par un point de leur circonférence, la li- bprté des deux pOll\"oirs c'esl ]a discorde, c'esL la guerre, c'e!:;t l'a- narchie, c'est Ie monde ]ivré it la conlention des passions souve- raines et réalisant Ie moL du poète lalin: {)uidquid dpliì'alll reyes, plectllntll1' A cltivi. La société spiriluelle el 1& société temporelle sont cerlainemenl distinctes par leur origine, leur objet et leur but. La première vient directement de Dieu et de Jésus-Christ qui l'ont constituée ; la sc- conde ne vienL de Dieu que pal' l'intermédiaire deti hommes ; celle- ei a pour objeL Ie bien nlalériel, ceIle-là, Ie bien spiriLuel; l'une doiL nous conduire, par notre sanclificalion ici-bas, à la gloire de l'étel'nité, l'autre ne doil tie préoccuper que de nolre bien en ce n10nde, el subordonner l'acquisition et l'usage de ce bien pa!:'sager au bien supérieur de l'autre vie. Les deux sociétés sonlcerlainenlent di tinctes, n1ais elles doivenl t lre nécessairernent nnies, el unies par un lien de subordination. L'Elal, dans Ie droit catholique, ue peut être ni :3éparé, ni indé- pendant; il esl soumis à Dieu qui lui impose sa lni dogmatique et morale; il esl soumis à Jésus-Christ qui lui impose l'obligation de respecter son Evangile et son Eglise ; par suite, il est soumis à I'E- glise et à I'Evangile. Si l'Elat se soustrait à I'E\'angile, il n'est plus qu'un Etal de pure nature, de natuI>e déchue, un Etat héréLique, schisInalique, païen. Si l'Etat se soustrait it l'Eglise, il n'esl qu'llH étranger it la reli- gion révélée et bientÔt, par la force des choses. pel'sécl1teur. L'Elat laïqup, comnle l'appelle I'évêque d'Odéans, l'Etat jouis- saul de sa liberté dans l'indépendance, ne praliquant l'union à l'Eglise, avec ou sans rivalité, que dans Ie parallélisme, c'est peuL- êlre l'Etat catholique-Jibéral, ce n'est pas l'Elat chrélien, et c'esl lÔt ou tard, d'une manière ou d'une au tre, J'Etat sans Dieu. 1\fais écoutons .Mgr I'évêque de Poitiers: (( Par suite d'un vúisi- nage et d'un commerce continuel, diL l'adnlirable successeur de Saint-Hilaire, il est arrivé que Ie natu1'(dis1ne púlitique a déteinl su l' un christianisme qui s'esl q ualifié (( libéral )>. Le p1'og1'arnme de conciliation entre la doctrine chrétienne et les principes mo- FORMATIO DU GROUPE CATHOLIQUE LIBÉRAL l89 dernes a élé posé, développé, défendu par des plumes non moins habiles qu'honnêles. On s'esl laissé persuader, on a laissé ensei- gner et I'on a enseigné Soi-Illême, que la natul'e avaii ses provin- ces absolument libres; que la raison, dans son ordre propre, n'avait aucun compte à rendl'e à la foi ; que ni la science ni la phi- losophie n'élaient, à aueun titre, les servantes de la théologie, mais bien ses sæurs, et peul-être ses sæurs aînées; que la politi. que SU1'tOUt avaít son domaine non pas seulement I distinct, mais compIètement sépal'é eL indépendant. Par un effel de ces mada- ges trompeurs, Ie divin, là 'même oÙ /'on y cl'oyait, a perdu de son prestige, cl, partant, de son empire. Le surnaluI'el, même POUI' ceux qui I'acceptaient et en vivaient, a paru pIns restreint dans son étendue, plus IimiLé surlout dans Ia sphère de son action lé- gitime, qu'on n e l'avait pensé durant tout Ie cours des siècles pré. cédents. Le christianisme, tenu toujours pour religion céleste, et devant garder' ici-bas une place des plus honorables et vérita- blemenl sacrée, n'a plus été considéré comme Ie principe, la loi suprême et Ia fin dernière de touLes les choses humaines el tempo- relles. )) Jésus-Christ, reconnu roi des âmes et législateur su prême des consciences, a vu plus que contester sa royauté sur les nations et sur la créalion enti( re. Ell'on est sorti par là des voies de la vraie piélé: de la piété envers Ie père, qui esl Dieu; de la piélé égale- ment commandée, également nécessaire envers la mère, qui est Ia sainte Eglise. Si ron étail encore soumis, on avail cessé 'être fi- lial, parfois même d'êlre respeetueux. En obLempérant aux ol'dres, on l'efusait sa sympathie, et même son appI'obation aux conduites. On accusait pI'omptement et volon,tiers, on LlâmaH sans difficulLé ni scrupule. An nom de sa sage8se propl'e et de son expérience et de sa science, on mettaÏl en question, on révoquait en doule. on aUaquail plus ou moins ouvel'lement la science, l'expérience, Ja sage sse divine et surnaturelle de I'EgIise, spécialement de I'Eglise romaine et du Saint-Siège ; on réclamait conLrë plusiellrs de ses volontés déclarées, qu'on jugeait intempestives ( t altentatoires au droil et à la Iibpl'té des opinions. En 80[nn1e, la lumii'l'e baissait 1DO CIIAPITnE YI dans les esprits en mème temps que la foi et la charité dans les âmes; les princi pes s'y effaçaienL, les véri lés s'y dimin uaient, Ie gens catholique s'y émoussail. C'éLaÏl là un grand mal en lui-mêlue, et c'est aussi un imnlense donlmage à cause des divisions qui en ré- sullaienl, et qui, en rnetLant un obstacle a!Jsolu à la coalition plus n(:cessaÜ'c que iamais de toules les forces religieuses, donnaicn l sur nous à l'ennemi des avanlages de plus d'une sorle. )) Ces averlÏssements s'aJressenl à nuus Lou:;. Ce ne sonl pas seu- lenlenlles chrétiens du siècle, ce sonlles horn-mes mêrnes du sanc- tuai'J'e qui doivent scrl1lel' leur propl'e conscience, et reconnaHl'e la llWSU1'C dans laquelle ils ont cont1'ibué à ce malheur et pal'licipé à celle défaillance (1), )) Ainsi, d'après )Igr l'évêque de PoHiers, dans l'affirmaLion d u parallélisme social et de lïndépendauce réciproque des deux ordl'es, il n'y a pas seulement un oubli des pl'incipes constÏlulionnels du Christianisme, il y a encore la méconnaissance de la grande cons- piration oUl'die contre rEglise et les Etats monarchiq ues ; il y a encore l'oubli d u devoir qui nous presse de nOllS unir pour l'ésisLer. La révolutioo de 89, qui est à peine comn1encée, se compose d'un parti doctrinaire qui dresse des programnles et d'un parLi révolutionnaire qui les mel à exécution. Ð'après l'esprÏl révolutionnaire, l'ancien droit, en ce qui l'egarde la légitimité des gouvernemenls, ne fait plus loi pour personne. Les r'ois eux-Inêmes en font litière, quand il ne s'agil pas de leur propre autorÏté. On pl'oélalne. en conséquence, des principes supérieurs qui doivent dominer tout Ie resle. C'esl, premièrement, que Ie:; peuples ont Ie dl'oil de changer leur gouvernement, quand cela leur plait sans qu'ils aient à compter avec Dieu, pal' La gl'åce de qui les princes ool cru longlemps qu'ils régnaient; c'est, se- condement, que les gouvernenlellls ll'ayanll'apport qu'au inlérêl8 'h unlai IJS el aux alfaire luatél'ielles, doi yen l êLre par là rnêlue enlièrelnenl s(>culal'isés, soustl'ail8 à toute influence de la religion, à toule action de ses ministres, sous peine d'être arrèLés dans leur (1) .1 n....tì.uclion ::synodale sur la Constitution Ðbi Filius, no X. FORMATION DU GROUPE CATHOLIQUE LlBÉRAL lUl nlarche progressive, sous peine de manquer à leur vraie destina- tion, qui est de procurer à l'humanÏlé la plus grande somme d'avantages temporels. La civilisation 1'évolutionnail'e ne set'a vé- rilable, enlière, complète, que si la législation et les gouverne- menls sont pat'lout dégagés des règles l'eligieuses qui mellenl un ft'eiu à la satisfaction indéfinie des appélits sensuels. C'esl-à-dire encore que, tanl qu'il y aura des princes qui prélell- dent qu'on ne peul se révoHer contr'e eux, sans violeI' la loi divine, la liberlé ell'i ndépendance des peuples seront violées elles-mêlnes et méconnues. C'esl-à-dire encore que, tant quïl yaura, en ce monde, une Reli- gion constituée, parlan L au nom de Dieu en enseignan l qu'il y a, pour l'homme, une autre vie, une autre patde, d'aulres biens que les biens, la patrie et la vie de l'étal présenL, les inLérêts maté- riels seront fOl'cément sl.lúJrdonnés à ceux de la vie à venit, ; et Ja. rechet'che, la poursuite, la jûuissance des choses lerrestres, devr'a êLre réglée, ulodérée, arrêtée plus ou moins, en mille circonslan- ces, par les exigences absolues de la loi religieuse. La civilisalion nouvelle ne set'a done parfaite que si ron par- vien L, d'une part à rendre amovibles tous les souvet'ains; de l'au- tt'e, à exclure, des législali(Jns humaines, toute autorité l'eligieuse el divine. En conséquence, il faut proclamel', comme aulorité absolue, la souveraineté nationale et séculariser loutes ]es législaLions: :\Iais, pour atLeindre ce double but, deux chases sont néce3saires. La pt'emière, c'est de constilu'er les Elals el de formular les lois, de manière qu'elles ne renfer'ment pas un seul rnot de religion ni de mùrale, sauf ce qui pOutTait êtl'e considét'é comme un proùuit propre de la raison hUIllaine, mais sans révélation, sans inter- vention de Dieu. La seconde, c'est de ne laisser à personne la Ii- berté d'élever des récLamations contre cel élat de chases, au nom de Dieu el de la Ueligion, aUendu que ces réchunatiun sentient des aLleintes pOl'tées aux dl.oils de la raison et aux lois du pays. Et comnle il n'y a, en Europe, qu'une l'eligion vraiment puis- sante, laquelle ne se tail janlais, ne transige jamais, ne cède ja- ID2 CllAPITRE VI rnais malgré les persécutions violenles qu'elle a suhies dans Lous les temps, la Religion calholiqne, c'est à elle avanl tout qu'il faut imposer silence. Puisque seule elle fait opposition à la civilisalion révolulionnaire, en affirmant, en enseignant, an n0l11 de Dieu, que Loute âme doiL ètl'e soumise aux puissances élablies; que celui qui résisle à la pui sance légitime résiste à l'ordre de Dieu; que les pl'incipes de la morale chrétienne sonL supérieul's à toules les lois humaines eL qu'il doivenl êlre l'objel d'un inviolable res- pect, les hérauts de la ciyilisalion nouvelle n'ont-ils pas Ie droit, au nOfil de la raison et du progrès, sinon de la détruire, au moins de 111i imposel' silence; de lui ôler tous les moyens civils de faire entendre sa parole aux peuples; d'opposer enfin à l'intluence de ses enseignements toules les barrières qui sont en leur pouvoir. En deux mots, sui,'antl'esp1'il1nodel'lle, fhomme a Ie droit d'en- tendre SPS dcyoirs et sp int.rrêls, comme sa raison les lui monlre el de melt re son bonheu I' là oÜ il veut. L' Eglise ronlaine dille con- lraire, non pas au nom de la raison, mais au nom de Dieu, el, par là, disentles impies, elle délruil radicalenlenlla raison, la li- berlé, Ie progl'ès, la civilisation. II faut done la trailer en enne- mie du genre humain, l'écraser dans Ie sang Oll I'étouffer dans la boue. (( S'il est un fail évidpnl comme la lumière du saleH, écril Ie pel'spicace et couragellx évêque de 1\1onlauban,c'est qu'il existe en I ce filoment une conspÙ'ation générale et flagl'anle contre r Eglise, dans toule l'Europe chtétienne sans en exc1ure les Eta ls catholiq ucs. Longtemps soulerraine el plus ou moins cachée, dissimulanl ses desseins SOlIS Ie voile spécicux d'ahus à réfol'l11er, cUe a audacieu- sementlevé Ie dl'apeau de la revolte depuis plusieurs années elles plus hardis comme les pIns francs de ses adeples n 'hésilent pas ê:ì proclamer haulement que Ie but final qu'ils se propusent d'atlein. dre c'est de chasseI' de ce monde Dieu, son Eglise, son nom trois fois saint: Quiescel'e fodarnus OriOleS dies festos JJei à ten'd. voilà ce qu'ils disenl aujourd'hui sans périphl'ases el sans délour. lls YCU- lent à Lou 1 prix, pel' (as et llt>(as, q u'i I 11(' soil pIlls question de /Jieu Sll'l' fa terre, de son auloriLé, de sa jusLice et de sa IH'ovi(lrnce. FORl\IATION DU GROCPE CATHOLIQUE LIBERAL 193 JIs veulenl que l'homme soit libre, non seulement de penseI' dans son cæur, mais de dire, publier el faire toul ce qui lui plaira, sans qu'il y ail personne qui prélende, au nom de Dieu et de La 1'e- ligion, lui parler de vérilé, de Dlorale, de devoir, de responsabilité p[lr rapport à une vie future qui soit la'récompense ou Ie châti- menl des actes de la vie présente. Ou ils nient les lois de la cons- cience, au ils refusenl à Dieu lui-même Ie droit de l'éclait'er, de la régler el de la fixer en aucun point. lIs repoussent lnull'ordre de choses où l'action divine el l'aclion humaine concourraient en- senlLle au bon gouvernemenl des peu pies, celle-là par la direction qu'elle lui donnerait, celle-ci par sa subordinalion e1 son obéis- sance. D'après eux, chacun, par cela seul qu'il es1libre, a Ie dt'oil de se tracer à lui-même en toule chose, sa règle de conduite. En un rnot, ils òisen1 à Dieu, conUDe déjà les impies du temps de Job: NI)US ne voulons point d s lois que vous voudriez nous donner OU qu'on prétendrait nous imposer en volre nom. Laissez-nous user à nolre guise, de notre raison et de nolre liberlé. Pourquoi nous les avez-vous données, si ce u'esl POUI' en user, comme nous you. drions, à nos risques el périls? Recede à nohis; scientiarn vial um ivarum nolumus (1). )> Anéanlir Dieu, ou du moins annuler, supprimel', délruire touie influence de son nom et de son action en ce monde, e1 en même ternps exalLer l'homme jusqu'à u ne indépendance absoluè envers Dieu, Ie diviniser en lui aUribuant une autonomie qui Ie relève de toule dépendallce: leI rslle princi pe premier d.e la tradition .'é- volulionnaire. Qu'il y ail un Dieu créaleur du monde, ou qu'il n'y en ail pas, peu impot'le. S'il y en a un, après avoir créé ce moude, iI ne s'en occupe plus el ne doH plus s'en occuper. L'homme esl SUll pl'opre Dieu ; par la liberlé de sa pensée ell'indépendance de sa volonLé, il ne relève que ùe lui-même. Elre aulonome, it ne doH cornpte de ses æuvres it personne. La conspiralion de !'Împiélé conlre l'Eglise ne découvre pas ha. (1) :\Jgr DO EY, Leltres et mandements, p. 2'20. La suite de cet excellent vo- lume est consacrée jusfJ.u'å la fin à la réfutation des erreurs que nons combat- tons ici. i3 1.94 CBA PITRE VI bituellement ce dessein, mais tel est son plan. Enveloppée d'hy- pocrisie, elle révolterail les cùnsciences, même les plus timides, si elle découvraill'objeclif de sa conspil'ation; elle préfère les voies soutelTaines; elle aimc mieux élouffer que tuer. L'audace ne lui vient qu'avec Ie succès ; c'esl seulemenl aujourdu triomphe, qu'elle inaugure la guilloline. NOllS ne ferons pas à l'abbé Dupanloup l'inj ure de cl'oire q u'il ignore ces choses. NOllS savons qu'il combal, en vaillant paladin, I'alhéisme el Ie péril social. Mais nous nous dernandon'3 si, avec son parallélisme des deux sociétés, l'Eglise n'élanl que juxtaposée à l'Etat el réglant par traités sa condition, l\Igr Dupanloup ne pose pas ici Ie premier principe politique de l'alhéisme révolutionnaire. La sociélé civile s'élablil à son gré, eUe fait sa condition à sa fan- taisie, eUe s'organise suivant les idées couranles : c'esl bien la doc- trine de l'évêque d'Orléans. - Que celle doctrine expose la société à des périls, Mgr Dupanloup est là pour les combattre; mais Ie mal qu'H conjure avec une si haute éloquence, illui a ouverlla porte par l'indécision et Ie vague de ses enseignements. D'ailleurs ceUe lhéorie du parallélisme social ne déroge pas seu- lement au droit du christianisme; eUe n'oublie pas seulement la gl'ande conspiralion de fimpiété, conspiration qu'elle favorise sans Ie vouloir; eUe a encore Ie tort de porter un grave préjudice à 1'01'- d re civil. Nons admeltons avec Igr Du panlol1p : L'exislence d'un ordre surnalurel, certain eL sOllvcrain, 1'3.ulo- rilé d'une révélation divine, d'une religion, qui eslla religion chré- tifnne, et dont la fin, par l'ordre ella volonlé de Dieu, eslle salul élernel de l'homme par Jésus-Chrisl. La subordination de l'ordre nalurel etsocial à l'ordre surnaturel, au Chrislianisme et à rEglise, spécialcment en ce sens que l'ordre, la paix, la slabilité et (a prospérité de la sociélé civile dépendenl essentiellemenl de la foi à l'ordre surnaturel, rlu respect de la re- ligion et de la pratique sérieuse des verlus qu' eUe preseril. NOllS adlueUons égalemenl, puisque c'esL une conséquence né- cflssaire des vérÍtps que nous venons de reconnaìtre : FORl\IATION DU GROUPE CATHOLIQCE LIBÉRAL in;) Que la cause fondamcnlale de l'anarchie contemporaine el des désordres òonl nous pouvons devenir plus tard les victimes, c'est l'afIaiblissement de la foi à l'ordre surnatul el, à la religion révélée, à J'Evangile et à l'Eglise ; Que ce dépérissement ùe la foi chrétienne est Ie résultal naturel du ralionalisme, c'esl-à-dire des doctrines philosophiqueð qui ont pour base la raison seule, à J'exclusion del'enseignement religieux, qui est la manifestat.ion de la raison divine; Qu'ainsi tous les philosophes et politiques rationalistes sonl en même temps les ennemis de la religion e1 de la société ; Et, comme dernière conséquence, que lOllS les Prançais calhoIi- ques sonlobligés d'employer leur science, leurs talen ts, leurs efforls à faiJ'e revivre la foi au Christianjsme, Ie respect de ses enseigne- ments, la pralique de ses préceptes, pour prévenir la ruine entière de r ordre social. En présence de ces yérilés, quïl ne aurait contester, que fait Mgr Dupanloup ? A u nom de sa science privée et de sa sag-esse parfaite, il cantonne la société civile dans son indépendance ; il lui dil de régler sa con M dition, de se faire un ordre fécond et une Jiberté sans périls; il l'élablil enfin rì cðté de l'Eglise, et, pour que tout soil pour Ie mieux dans Ie meilleur d( s mondes, iJ inyiLe, éloquemment sans doute, mais enfin il ne peu 1 qu'invÏler l'Etat à faire sa paix avec l'Eglise. La paix, c'csl la librrté. Nous croyons que l\Igr Dnpanloup s'abuse autant et mème plus qu'il n'esl permis de se tromper. La lhéorie SUI' les rapports de l'Eglise el de l'Elat esl une lhéorie faulive en pl'ésence de la philo- sophic chrélienne; imprudenle en présence de 1a grande conspi- ration de lïm piélé con1re Dieu, contl'e l'Egliðe et la ðociélé ciyile : nuisible ennn, positivement nuisible it cette dernière soriélé, parce flue, ralifìanl enlre les deux orJres de Ja vie f:Jralique Je schislne efl'ectué par Descartes entre la foi ella raison, elle laissf l'Elat à 1{1 rnerci des sages, au expérirnonlaLiuns du Lalenl, il loules les chances filcheuscs et funesle de l'impuissance hun1aine. Quand ce dessein a pl'oduit ses fruils dr dissolulion, la société 196 CHAPlTRE YI n1eurl de mort natul'elle, parce qu'elle n'a pas puisé la vie au sein de I'Eglise. Ou bien Dieu se lève, illáche l'écluse aux fureurs po- pulaires qui ravagenl tout à ]'inlét'ieur, il abaisse les barri res devanl finvasion barbare qui vienl du dehors, lout anéantir, si tan t est quïl ne s'arme de sa foudre pour chàLier un peuple coupable d'aposlasie... mais parfai Lemenl cloîtré dans ce pal'allélisn1e social que lui octroie si bénévolen1enl Mgr Dupanloup. IV. - On s'imagine volontiel's que la royauté constilutionnelle, leUe qu'elle s'est praliquée en France, puis importée sans succès dans Ie monde enlier, avail élé amenée d'AngleLerre en 1814 el formée sur l'imitation de la monarchie représentalive d'OuLre- Ianche. Rien n'esl plus faux. En fait el en droit, iI y a, entre la monarchie représentalive ella royauté conslilulionnellr, la mème différence qu'entre Ie ciel ella terre. La monarchie.représenLative laisse subsister Ie pouvoÜ' dans son unité, sa perpéLuilé, son au- torÏlé morale et sa responsabililé. Elle Ie concilie d'ailleurs aisément avec la représenlaLion des droiLs acquis et des inlél'êts ]égitimes de la nation; enfin eUe s'allie parfailement à I'Eglise qui ne vil, comme cUe, que de ll'aditions; la royauté constitulionnelle n'a ni unilé, ni perpéluité, ni autoriLé, ni garanLie d'avcnir; eUe travaille sans cesse sur la sociélé comIne sur une lable rase eL eUe n'esl que 1a forme hypocrite de l'impiété révolutionnair . La monarchie re- présentative est une instilution chrélienne ; la rO)laulé conslÏlution- nelle, c'esl une machine de guerre contre l'Eglise : c'est la révo- lution endiguée, dissimulée, organisée, rendue acceptable, mais c'eslloujours la révolulion, Q'aulanl plus dangereuse qu'elle se monlre moins, d'autanl plus active qu'elle esl plus voilée. Avec la royanll' représenlalive, Ie roi est vraimrnt un pouvoie J un chef d'Etal; Ie roi conslilutionne], par Ie fait, n'est qu'un manche à balai, non u 11 porte-sceplre ; ce n 'esl pas un organe de gou vel'ne- menl, c'est un engin de destruction. Sous couleur de monarchie anglaise, Montesquicu llyait rê,'é celle l'oyauté fainéante ; mais elle n'est venue au monde que dans Ie sang de Louis XYI, au pied mêmf\ de son échafaud. Tant que Ie pouyoir révolutionnaire est aux lllains des scélérals, il peul beau- FORl\JATION ÐU GROUPE CATIIOUQUE LIBÉRAL 197 coup pOUt' Ie mal, Inais il n'est pas à craindre. Le crime n'esl pas conlagieux, en temps ordinaire du mains. )lais, dans les temps les plus agités, il y a toUjOUI'S un parli de soi-disant sages, plus scélérats que les scéléraLs, parce qu'ils répudient les crimes et fon t accepter les principes. Ce parti étaÏllrès puissan t déjà sous Ie DirecLoire ; c'esl à lui que nous devons ce gouvernement de boue substitué au gouvernement sanguinaire de la Convenlion. Certai- nement, sous cetle forme du Direcloire, il était plus répugnant, plus impuissant, plus viI que sous Ia forme de l'alhéisme conven- tionnel; il offraÏltoutefois un avantage, il sauvait les apparences : sans doule, il ne faisail rien, mais il se remuait ; sans donie il per- sécutait, rnais avec du papier Lim}H'é el des guillotines sèche . Sous l'empirc, il disp rut et se refiL sous les Bourbons, pour légiférer sous Ies d'Orléans. l\Iaintenant ce parLi règne un peu partout: et partuut oÍl il règne, il est un instrument aclif de perséculion, Ie croque-morl des peuples qu'il se vanle de régénérer. Le comle de l\1aislre, qui ayaH l'æil sur les affaires ùe rEu- rope, s'était arrêté d'abord aux jacobins pour les flétrir. Jeune, il écrivail son livre ironiquement inlituIé : Des hienfaits de la ì'f VOlll- lion. l\Iieux inslruÏl par une méditation profonde, il s'altacha à ces conslitulionnels qui empruntaient leur nom à l'arrogance avec laquelle ils s'arrogeaient Ie pou \'oir consliLuant el pl'étendaien l constÏtuer sans Dieu. Lui qui avaitle sens des haules opporlunilés, il écrivait, conlre les consLÏtutionnels, une partie de ses Considp- rations S1J7 La France, el bien tÔl son opuscule: Du }J'ì'incipe ghzél'a- leu]' des constitutions ])olitiques. L'idée- mère à u grand éc.'ivain, c'est que Dietl failles I'ois au pied de la letlre et que pal' lui seul les rois peuvenl l'égner. Puisque la constitution de l'auiorité est divine dans son principe, il 'ensuit que l'homme ne peut rien dans ce genre à moins qu'il ne s'appuie sur Dieu, dont il clevient alors I'instrumenl. L'hon1me, par lui-même, ne pent faire une conslitution légÏtime et nulle constitution légilime ne saurail êlre écrile. .Jamais on n'a écrit, jarnais on n 'écrira à p,.iOl'i Ie recueil des lois fondarnenLales qui doivent consliluer une sociélé civile ou religiel1se, Seulement, lorsque la sociélé se lrouve àéjà consLituée, 198 CRA PITRE \rI sans qu'on puisse dire cO'lnment, il est possible de faire déclarer ou expJiquer par écrit certains articles parliculiers; mais presque toujours ces déclaralions sontl'effel ou la cause de grands maux, et toujours elles coÙlenl aux peuples plu qu'elles ne valent. Ce sont là des vérilés .auxquelles Ie genre humain en corps n'a cessé de rendre Ie plus éclatanltémoignage. Sans nous engageI', ici, dans ces questions abstraites de philo- sophie sociale, nous aimons à proclamer que lout pouvoir vient de Dieu ; que la désignation de la personne 1itulaire du pouvoir est Ie fail de l'honlme; que la forrne sociale d'autorité suivant laq uelle ce titulaire exercera la souveraine puissance dépend éga- lement de la nation. D'où il résulle que, politiquement, Ie pouvoir est, toujours lin1ité et assisté: limité, horné à ce qui regarde }'in- térêt temporel du pays; assisté, dans la poursuite de ce bien, des conseils, du concours et de l'as::;istance efficace des représen- tanls <.Iu peuple. ì\Iais, religieusement parlant, Ie peuple qui choi- sit les représentants pour l'assistance du pouvoir, n'a aucune qua- liLé pour leur déléguer une sorte de toute-puissance, se dépouillel' pal' un blanc-tieing, livreI' la famille, l'Elal e1 rEglise à la tyran- nie aveugle eL violenLe des assemblées. D'aulre part, Ie pouvoir constitué au sein de la natiun, déjà politiquement limilé, l'est encore notablenlcH 1 par Ia loi de Dieu, par la constitution divine de la propriélé, de la famille et de I'Eglise. Dieu plane sur Loule la sociélé ; ce n'e::;t qu'en respeclant la loi souveraine que pruple, représentants du peu pIe, présidents, rois ou empereurs adminis- trenl plus qu'ils ne gouvernenl les personnes et les choses, au micux des intérêls et sans enlrepr'endre sur aucun droit. Le syslème parlementairr est diamétralc111ent contraire à ces doctrines orLhodoxes, el n'a éLé adn1Ïs que poul'les répudier. Le parlementarisme, c'est l'athéisme révolulionnaire invoqué comme principe d'instilulion sociale où l'acLion de l'homme est partout et Ie respect de Dieu nulle part. L'élecleur n'a d'aulre Dieu que ses idées, ses inlérêts et ses passions; l'élu n'a d'alltr'e règle que ses passions, ses idées el ses intén'.ts ; Ie prince n'a d'autre loi que sos inLérêls, ses pasRinns rt sos iùée . Le pouvoir peut touL, en ce FORMATION DU GROUPE CATHOLIQUE LIBÉRAL 1.U9 sens qu'il n' est aslreint a u respect d'aucune loi divine; Ie j uge ou Ie citoyen peut tout, parce qu'il n'a, non plus, aucune loi divine pour Ie contraindre, aucune foi pour l'éclairer; el Ie législatel1r, Ie démiul'ge du monde polilique, est Ie Dieu lerreslre dont la Chambre est Ie Sinaï, dont les lois sont les oracles, les gendarmes, les gardiens et la prison Ie dernier mol. De Dieu de Jé us-Chrisl, de son Eglise, il n'est question, dans ce système, que pour Ie fouler aux pieds. De ce règne des impies dale la ruine de l'humanité, et surtout ùe Ia France. Depuis qu'elle a quillé ses traditions historiques, la France a essayé vingt constitutions, to utes parfaites ou au moins per- feclibles; Ia sagesse des auteurs leur avait promis l'élernité. Au- cnne n'a recu la sanction de la durée. Avec ou sans constituLion, . . la France d'a ujourd'h ui est toujours, sauf quelq ues défaillances ùe mæurs, la vieille France. En présence des débris de vingt constitutions, les pariemenlai- res rêvent toujours de composer une constitution nouvelle. Pour qu'elle réalise lïdéal du genre, celle constitution doil comprenù,'e deux choses : 1 0 une organisalion de pouvoirs, - composée ùe deux chambres, avec superposiLion d'un roi qui règne, mais ne gouverne pas; 2 0 la reconnaissance des libertés de pensée, de presse, de conscience, de cuHe, enfin un régime de tolérance qu'on dit être Ie grand principe de SU. Nous savons déjà qne l'évêque d'Orléans accepte ces choses: (( Les institutions libres, dit-il, la liberlé de conscience, la Jiberlé polilique, la libel'té civile, la liberlé individuelle, la libcrlé ùes familIes, la liberLé de I'éducalion, la Iiberlé des opinions, l'égalité devanlla loi, l'égale réparlition des impôls et des eharges pnbli- ques, Lout cela, nous Ie prenons au séricux; nous l'accepton franchelnenl; nODS l'invoql1ons au grandjollr des discussions pu- bliques. Nous acceplons, nOll, invoquollS les ]J}'incipes el les libel.tés pròclamésen 1.7R9(1.).)) (1) Ðp la }Jaci{icatinn 'eligieuse, p. 2(j ; 2 H-, 306. 20U CHAPITRE VI L'homme qui a exercé, sur les illusions contemporaines, la plus décisive influence, Ie protestant Guizot, cite avec complaisance ces paroles de l'évêque d'Orléans. Puis, maliciellsement ou non, il fait observer qu' elles son t can traires au Sy llabus ; que les catho- liques, frappés par l'encycliqllc Quanta Cllra, sonl restés dans un silence respeclueux comme aulrefois les jansénisles ; que 1\fgr Ðu- panloup, au risque de se conlredire, a même défendu l'encycli- que et Ie Syllabus, mais qu'il n'en restera )Jas mains, ce qu'il est al jou 'd'kui dans l' Eglise de F1'1ance, Ie pillS éclaÏ1'é f'p}J1'ésentant dp. sa illission 'morale el soriale, comme Ie plus courageux défenseur de ses vrais et légilimes inlérêts. Après quai, expliquant ce qu'il entend par les intérêls de l'Eglise, Guizot conclut ainsi : (( Le Con- cor'dal a relevé l'édifice de l'Eglise catholique ; l'esp1'it libé1'alll'a. vaille ir y pénétre1' et à y ramener la sympathie polilique en y conservanlla foi. Que les calholiques sé1'ieux y regardent bien: . lá sont pou'/' eux Ie meilleur lJoint d'appui ella meillellre chancp d'avenir; maintenir fermemenl la forle constitution de leur Eglise et Qccepter franchement, en en usanl eux-mêmes, les libe1'lés de lelll' temps, garder leurs ancres et déployer leurs voiles, c'est la con- duite que leu1' p1'escrit l'int,h'pt sup1'êrne qui doil être leur loi, lïn- térêt de ravenir chrétien (i). )) L'évêque d'Orléans avait dit équivalemment, mais en termes plus vagues, qu'il apparlient à la r'eligion seule d'accomplir, dans la justice et la paix, l'alliance de la liberté gpné1'1el.lse et sincè1'e avec l'aulo1'ilp p1'otecl1'ice el puissante. (( Oui, s'écriait-il dans sa conclu- sion, quoi qu'on dise et quoi qu'on fasse à l'encontre, it y a une 'J'évolution religiellse; elle se fail, eUe esL invincible; taus la su- bissent de près au de loin; nul n'échappe à cette influence ir'résisLi- . hie. Ne vous en irritez pas! ce n'est pas la victoire de l'homme, ce n'est pas nous qui l'emporlons sur vous; c'est la victoire d Dieu, c'esl Ie tenlps, le hasa1'd, Ie bon sens qui l'emportent. On peut, sans rougir, céder à de telles puissances. )) El certes, nous leur avons bien cédé nous-mêmes les pre- m i ers ! (L) Jlêditations sw' l'êtat actuel dp la religion clu'étienne, p. 107. FORMATION DU GROUPE CATHOLIQUE LIBÉRAL 201 )) ..Vous acceptons, nous invoquons les p,.incipes et les libe1'tés pro- clamps en SU. )) Et dans ceUe discussion même, ne sentez-vous pas q u'il se passe entre vous el nous quelque chose d'exI1'aordinaÙ'e et de pro- fondément digne d'aUention ? 1\loi, hom,me du sanrtlloil'e, je ]Jarle un langage libé1'al, et VOIlS, homme de la révolu lion, vous parlez un langage religieux ! )) Je parle votre langue et vous entendez la mienne : j'invofJue vos principes et vous rendez hommage aux nôtres. )) Vos amis, en vous écoutant, soul'ient el doutent. Moi, j'aime mieux dire que vous êtes sincère; je soul'is el je ne doule pas (1). )) Naguère, un ministre protestant, Ie ùépulé Pressensé, douteur comme tant d'autres en présence du connubium calholique libéra], posait, à l'évêque d'Orléans, ce dilemme: (( Dans vos déclarations de libéralisme, ou vous n'êtes pas sincère, ou vous n'êtes pas 01'- thodoxe. )) L'évêque, sans s'arrêter à la question d'orthodoxie, répondit par la profession la moins mitigée de loutes les doctrines parlernen taires. NOllS croyons, pour notre compte, ces doctrines alhées, révolu- tionnaires, incompatibles avec les concordats, hostiles à I'Eglise et conlraires au .Symbole catholique. One sociélé est désemparée par un coup de révolution ; elle n'a plus qu'un gouvernement d'aventure. Quelques hOlllmes, qui tien- nent la société en leur pouvoir, se disent entre eux : (( Nous allons organiser cette société à la mesure de noh'e sagesse. Dans notre opinion, la nation, prise en bloc, est maîtresse d'elle-même el jouit, comIne telle, d'une indépendance absolue. Mais, parce qu.une multitude confuse ne pourrait s'administrer, nous inviterons les habitanls adultes à se choisil' des représentants; de rnanière, par exemple, qu'un député soil censé représenter cinquante mille (1) Pacification I'eligiellse, p, ROf). - Les paroles de I'évêque d'Orléans, ad- mirées par Guizot, Ie sont à plus forte raison, dans le brochures anonymes de la secte catholique libérale, notamment dans I'écrit intitulé: Le Concile et la Société rnoderne et dans Ie répugnant pamphlet: Ce qui se passe all Concile, p, 193. 202 CUAPITRE VI citoyens, pal"mi lesquels vingt-quatre mille auront pu voter contre. Nous pal'lagerons ces députés en deux chambres, parce qu'une seule assclnblée, 8i eUe venait à. faire des fulies, perdrait tout; d' ailleurs, des deux chambres, l'une sera supposée représen tel' davanlage les citoyens, l'autre, Ie pouvoir. Les députés feronl les lois à la majoriLé des voix, la moilié plus une. La mênle majorité se donner"a des minislres, choisis dans son sein, pour appliq uer les lois. Enfin, pour cuuronuer l'édificc, nous aurons un roi, mais qui ne sera roi flue de nom, un sir.ople symbole d'unité. La nation souveraine parlant par]a majorité des éleeteurs; la nlajorité des électeurs légifél'ant pal' la majorité des dépulés agissant par un ministère ; et Ie ministère ayant, pour président fictiC un manne- quin couronné : voilà Ie chef-d'wuvre de nolre polilique. )) J e cherche, dans ce chef-d'æuvre) où esl Dieu, OÙ est Jésus. Christ, Où e t son Eglise, je ne trouve aucune lr'ace de leur recon- naissance. L'idée d'un suffrage et la désignation des électeurs est Ie fait du pouvoir ; la majoriLé des électeurs et la rnajorilé des dé- pulés ne représenle qu'un chiffre; la publication des lois et leur application par les ministères n'est qu'un formaliLé légale. Les éleclions sont une pure loterie. Le député est dispensé de raison; Ie prince de conscience. La loi est athée. C'est fEtal sans Dieu. Les catholiques libéraux, dans leurs brochures anonyme , se récrienl contre celte imputation d'alhéisme ; mais ils rie parvien- nent pas à la repousser. Les personnes qui enlrent. à un titre f(ucl- conque, dans ce mécanisme gouvernemental, peuvent avoir et ont sans doute ulle raison élevée, une conscience délicale, une {tme piense; Ie système n'en a pas. La loi, fagoiée dans Ie cha sé-croisé des intrigues parlemenlaires et épanouie sur Ie fumier de la cor- ruption électorale, la 10i est l'aulorilé suprême; eUe a pour ga- rants, les gendarmes, les tribunaux et les bagnes. Le systèrne esl absolument sans religion. Si VOllS examinez, dans ce système, queUe est la composilion du pouvoir, vous découvrez deux chambres, des Ininistres et un prince. C'est la division appliquée it l'organisation des pouvoirs el c'e t, dit-on, lå première condition des institutions libres. L'u- FORMATION DU GROUPE CATHOLIQUE LIBERAL 203 niun UU i'oi, du ministre et des chambres, voilà l'autorité légale. Le pou voir se décom pose en lrois personnes; il n'im pose, à cha- cune, ancune espèce de responsabilité, sauf devant les électeurs ; il se renouveJle à chaque élection et à chaque crise rninisté- rieBe. Par Ie fait, Ie pouvoir est partout et il n'est nulle part; la loi elle-même est toujours susceptible d'être changée par un ordre du jour; ceux qui concourent à sa formation et ceux qui I'exécu- tent n'y sont que pour Ulle part infinitésimale; et Ie prince qui la contresigne peut, à meilleure raison que Pilate, s'en laver Ies mains. On ne sail à quoi se prendre dans ce monde de fantômes. Nous n'examinerons pas, dans Ie jeu de son mécanisme, celle singulière constitution dn pou voir. Nous ne dirons rien ni des élec- lions, ni des discussions, ni des offices ministéi'iels, oi de la siné- cure du prince. Nous remarquons seulement que Ie principe de cet état social, c'est Ia division; Ie fait ordinaire de son libre mou- vernent, ce sont les tripotages électoraux et parlen1entaires; son résultat ordinaire, c'est la guerre à coups de bulletins, de discours et de fllSils ; Ie produit net, une agitation stérile, un zéro gonflé en ballon qui se déchire au moindre vent. Le système, inventé tout exprès pour prévenir les coups d'Etat et soi-disant pour les rendre impossibles, ne vit qu'au milieu des cdses, jusqu'il ce qu'un coup d'épaule populaire le fasse chavirer dans Ie sang ou que Ie sabre d'un soldat substitue au parlage parlementaire la dictature. Cetle mobilité du système parlementaire cache un péril parti- culier pour I'Eglise. L'Eglise aujoui'd'hui ne peut plus guÒre rè- gIer, par Ie droit chrétien, ses rapports avec les Etats; eUe est réduHe, par Ie malheur des temps, à fixer, par des concordats, son mode d'union avec la société civile. Un concordat, pal' so i- même, c'est bien peu ; avec Ie régime parlementaire ce n'est plus rien. Sous èe régime, Ie pouvoir effectif se partage entre les cham- bres et les ministres, mais Ie législalif et l'exécutif sont assujettis à de si nornbreuses divisions, que Ie pouvoir, par Ie fait, ne se reu- contre nulle part. Une motion impi'évue, un amendement, un 01'- di'e du jour, un rien peuvent, à chaque instant, tout changer. Si I'on tient compte du fonù d'lwstililé qui sc cache, ùans Ie parle.. 20- CHAPITRE VI mentarisme, conlre l'Eglise. on verroa que la rescision des concor- dals est toujours inuninente et souvent effecLuée. Nous en avons eu récem ment des exem pIes en Espagne, en lLaLie, en Suisse, en Prusse, en Autriche, au Brésil, au Mexique; nous pourrions en avoil- aussi l'exemple en France, si d'aventure les radicaux parve- naienL au pouvoir. II n'y a pas d'exempLe qui prouve miellx Ie schisme latent que porle, en ses flancs, la constiLulion normale des pou ,"oil's parleInenlaires. Avec cette constitution politiq ue, u ne constitution civile du clergé est tOUjOUl S à craindre. Dieu a im posé au monde une loi sOllveraine, en vel'tu de laquelle l'unité et la diversité doivenl se retrouver plus ou moins en toutes choses, et c'esL pourquoi l'ensen1ble df' toutes choses porle Ie nom tfU ni vel'S, lnol qui décom posé signi fie l'unité et la di versité for- n1an1 IIn ordre plein d'harn10nies. Dans la société, l'unité se ma- nifesle par Ie pou voir, la diversité par les hiérarchies, nalurelles et hisloriques, en quelque façon nécessaires?- l'accon1pIissement des services et au respect des droits, et Ie pouvoir et ]es hiérar- chies sont inviolables et sacrés, parce que leur exislen'ce est à la fois l'accomplissement de la loi de Dieu et la garantie de La liberté des peuples. Lorsque Ie pouyoir est organisé suivant la forme parlementaire, il semble que l'aulol'ité perdant son uniLé, sa perpéluHé, sa res- ponsabililé, c'est-à-dire les trois conditions mOl'ales de sa puissance, devrait admettre, dans la société, les cOl'porations alltonomes, ]es circonscripLions indépendantes, les hiél'al'chies spontanées qui se produisenl puur la garde des intérêls. 11 n'en est rien. Les par- lements sont con1me l'ouLre d'Eole : ils ne s'ouvrent que pour lan- cer la tempêLe, et la tempt"'te oraloire, plus quP. toules les autres, se pron1ène, formidable cyclone, sur toules le institutions popu- laires. Suivant la loi de tous les pouvoirs irr'éguliers, les. par]ements sont violents et òespotiques. lIs ne veulenl d'existence que]a leul', d'autorité qu'eux-mêmes. Puurvu quïl y ail, dans la nation, des électeurs, cela suffit. L'électeur produit Ie dépulé ; Ie déplllé est roi, roi comn1e ces lyrans fabuleux de l'anliquilé, qui habitaienl des cavernes reùoulées el vOlni saif'nl des Oammes. Jclez les yenx FORMATION DU GROUPE CATHOLIQUE LIBÉRAL 205 sur tous les pays où s'est inlroduit, depuis un siècle, Ie pademen- Larisme: il a suffi fl'ouvrir des assemblées, pour tout délruire, La. FI'anee, en particulier, depuis la Constituante, esl un pays qui se déconstiLue, qui se démolit : et si nous n'avions pas eu d'intermit- lenee parlemenlaire, e'en serail fail de nous : Jlise1'ic01'diæ Domini, quia non SUl1HlS consumpti. Ce qui montre mieux encore eel esprit deslrucleur du parle- mentarisme, c cst son impuissance radicale à rien édifier. Nous n'avons plus, en France, ni corporations induslrielles, ni instÏlllts religieux, leIs, dn moins, qu'ils cxislaient autrefois: c'est un fait" Les plus impél'ieux besoins de la civilisaLion réclament des associa- tions de diffél'enle nature; el il s'en forme, en effet, soil par la vi- laliLé de l'espriL français, soil par l'appel de l'opinion, soit parcc qu'enfin la nécessité y fOI'ce. On les admet, d'une main effrayée et avare, mais on ne les adn1et qu'avec les restriclionf; ombrageuses de la peur. On ne pent pas les empêcher de naHre, on ne veut pas les laisser vivre. On ne Síl [) I'ait déclarer qu'il s'élablisse rieo qui ail puissance. D.'après la théorie parlemenLaire, entre Ie roi et les as- semblées, on ne doH admeUre d'auLr'c int1uence que celIe des mi- nisLres; et entre les parlements et Ie peuplc, pas d'autre que Ie corps électoral, agrégation arbitl'aire el confuse, qui se forme à un signal eonvenu, se disperse à un aulre signal. Le parlementa- risme, c'est la forme la micux réussie de la mort collective, la plus authentique négaLion de la vie eL de la liberlé. A défaut des hiérarchies indépendantes, dans un grand pays comme la France, Ie gouvel'nement parlementaire a besoin d'une aulorilé plus respectée et de fonclionnaÍres pour la faire respec- tel'. Ce double avantage s'obtient par Ia loi et par la bureaucratie. Cela s'appelle, par euphémisme, des in Lilutions libl'es ; et c est, je crois, un des plus ridicules mensongeö qui puisse frappeI' une oreille humaine. Que la loi soil faite par le roi ou ses conseils ou par une assemblée soi-disant populaire, mais toujours aristocrati- que, elle exige toujours l'obéis:sance et je ne comprends pas qu on la taxe, dans Ie premier cas, d'ab olulisme, eL dans Ie second de liberté. Mais ce que je comprends moins enCOl"e, c'est qU'OIl dit la 20ô CHAPITRE VI liberlé inLéressée à l'existence de bureaux, occupés par des va-nu- pieds de l'écritoire, bureaux sans lumièrc, sans indépendance, par- fois sans intégrité, et j'estime, pour mon comple, la liberté natio- nalr bcaucoup mieux servie par ùe braves gens, ayant pignon sur rue, ne demandant aucun salaire, el accomplis anl avec autanL dïn Lelligence el de dignilé que de dévouement des fonctions puLli- ques, pour lesquelles ils ne réclament rien, pas même de la recon- naissance. Y. - Nous savons déjà que Ie parlemenlarisme, par la conslÏ- lution qu'il donne au pouvoil', est impie el révolulionnaire; nOllS Ie verrons encore mieux en analysanlies liberlés qu'il pron1eL aux ciloyens. (( Nous acceplons, nous invoquons les libertés proclan1ées en 1789, >> dit l\Jgr Dl1panloup" Pour nnus, nous n'hésiLons pas un insLant à déclarer que de telles paroles, sous la plume d'un prêtre, jurent avec son caractère : Qu'esl-ce qu'un prêLre? C'esl l'homme de Dieu envoyé pou.' prêcher des homn1es, nalurel1en1ent libres, sans doute, mais puur leur imposer sut'naturellement une vérité révélée, une loi révélée, une Eglise divinement instituée. Un prê- tre qui réclame, qui invofJue, pour lui ou pour les autres. les droits de l'homrne, les libertés de pensée, de conscience, de culle, etc., c'esl un prêLre qui se découronne, et, s'il suit jusqu'au bout la 10- giq ue de son dessein, il Lrahit sa mission apostolique. Un prêtre a Ie droit de réclamer la liberté de l'Eglise an nom du droit divin: par son institution divine, I'Eglise est libre, disait Pie VIII; il peut, par hypothèse, comme argumenl ad hominem, invoquer la liberlé politique pour faire reconnaîlre Ie druit divin de I'Eglise. Un prêlre n'a pas Ie droit d'invof! uer les libertés nalu- relles, philosophiques et politique:s qui mènenl ceux qui en jouis- sent, à la négation de I'Eglise eL à la réprobaLion devant Dieu; il a même, je crois, Ie devoir de dire Ie contrairr, aussi bien à con- lre-telnps qu'à temps, et, s'il viole celte obligation rigoureuso, eucut"e llne fois, iltrahil ses p.'incipes, livre sa cause el cOlltredit son caractère sacré. Un protrstant, un rationalisme peuvenl crotrr aux libertés de 8B, FOR!\IATIO DU GROUPE CATIIOLIQUE LIBERAL 207 parce qu'ils trouvent, dans leur proclamation, la reconnaissance du libre examen; un catholique ne Ie veut pas, à moins qu'il ne veuille cesser d'êlre catholique. (( II faut être, dit Ie proverbe, chair on poisson: )) iI n'est pas possible d'être les deux à la fois. Les catholiques libéraux n'accepLenL pas moins et ne pronleLtent pas nloins aux peuples toutes les libertp.s. En quoi ils se montrent d'une arrogance singulière et d'une remarquable inintelligence. On est catholique ou on ne rest pas. Du moment qu'on rest, on jouit, devant rEglise, d'une parfaite égalité de condition. Ce fIu'un cathoJique peut prollleLtre, sans forfaire à Ia foi, tous Ie peuvent donner; et ce qu'un catholique doi t, en conscience, refuser, pas un, à peine de forfaiture, ne Ie peut prometlre. A vec leurs pro- lnesses libérales, avec leur affectation de générosité, en se sépa- rant de nous comme politiques, les catholiques libél'aux se mon- tl'ent de bien messéanls messieurs et des catholiques bien incon- séquents... à moins qu'avec leurs idées efIéminées, ils ne soienL Lout simplemenL des gens de peu, des enfants éternels. Pour venir maintenant au fond des choses, nous disons que toute discussion sur les liber1és parlementaires 5e rampne it une seule question: la tolérance. La tolérance est la patience avec laquelle on su ppode tIne chose mauvaise, nIais que I'on croiL convenable de ne point punir. La tolérance n'est donc point applicable pal' elle-mênle à la vérité,au droit, à 10. justice. Dire qu'il faut tolérer Ie vrai, Ie bien, Ie jusLe, ce serail blesscr les oreilles délicates, les 10is du langage et Ie sens moral. Chaclln sent que Ia vériLé et Ia vertl] ont des droils direct::;, positifs, absolus ; que ce n'est pas assez de les tolérel' dans les au- It'es; qu'on doH encore les accepter pour soi-même, en faire la règle de ses pensées et de 8es actions; et que, là Oll eUes sont atta- quées, eUes ont Ie droit d'être protégées eL défendues par Ie pou- voir politique. Ne leur accol'der Ie droit de se produire, de circu- lei' libl'emellt dans l'ordrp social, qu'à litre dïndulgence, ce sel'aiL hlesscl' Ie bon sens ella conscience des peuples. Appli((lH'r Ie ilI0t de tolérance au nom adorable de la divinité et à la reli ion calho- lique, serail une iInpiété e1 une folie. 208 CHAPITRE YI Que s'ensuit-il ? C'esl que Ie mot tolérance n'a pas été inlroduit en raveu!' de la vérilé et ùe Ia vertu, mais uniquement pour Ie profit de l'el'reur et du mal. Nous conyenons toulefois, sans réti- cence, que la tolérance du faux et du mal devient légilime,quand les moyens de répression seraienl impuissanls ou de nature à nuire au bien. La tolérance n'implique pas moins la condan1natÏon indirecte de ce qui est toléré. En ce point pratique, la différencc essentielle qui sépare l'erreur de la vérité, c'est que la vérité ca- tholique a, de soi, un d'J'oil abso11l à la liberté ; q u'elle peut la l'é- clamer, l'exiger n1ême, à ce titre seul qu'elle est la vérilé ; et que jamais les intérêts de l'ordre social n'en peuvent souffl'ir Ie moin- dl'e domrnage, car la vérité ne saurait produire Ie mal. (ais il n'en est pas de même du fauÀ ou de l'erreur. L'enseignement de l'er- reur ne peut pas avoir de droit proprement dit, même à la simple lolérance. On ne doH rien à l'erreur sinon de la repousser et de la combattre, autant qu'on Ie peut, au profit de la vérité, qui seule est bonne, utile et nécessaire. Quand la raison ou les circonstances conseillent ou comn1andenl d'exrrcer la. lolérance en faveur (rUne doctrine fausse, ce ne peut pas être parce qu'elle y aurait des droiLs en lant qu'en'eur; mais c'est en vertu d'un principe d'un autre ordre ; el parce que l'intolérance, quoique légitime en elle-mên1e, sel'ail de nalure, ùans une situation donnée,à nuire aux intérêts de l'ordre social. . Au fond et dans un cerlain sens,tout Ie n10nde est d'accord SUI' ce principe que la liberté n 'est due qu'à la vérité. Depuis les apûtres, l' E- glise réclame, C01l1n1e un droit souverain et irréfragable, la liberlé ùe prêcher la doctrine qu'elle a apprise de Jésus-Christ,qu'elle an- nonce par son ordre et en on nom, et qui, émanant de celte source divine, ne peut être qne la vérité. Les sectaires du XVle siè- cle ne réclamaienlla liberté que parce qu'ils pr'êchaient la pure parole de Diel1; et les philosophes contemporains ne la revendi- quent encore que comme interpl'èLes de la raison pure. l\lais, les uns exaltent cette raison jusqu'à une indépendance absolue à l'é- gard de toule auloriLé, Inême divine; ils en concll1ent nécessaire- ment que Ia liberté est l'apanage des philosophes, rnais que l'in- FORMATION DU GROUPE CATHOUQUE LIBÉRAL U9 tolérance esl due aux chréliens comme ennemis de Ia raison D'au- tres consentiraienl à loIérel' )a religion et l'Eglise, n1ais à condition que l'Evangile, comn1e disail naguère Ie prince de Bismarck, se subordonne à la politique, ce qui est nne manière de dire que Ia religion n'est pas divine et que l'Eglise est une inslitution rl'er- reur. D'aulres enfin, sans entrer dans la question de savoir s'il y a une religion révélée, reflls nt aux gouvernements temporels Je droit d'en juger. De Ià, ils tirent ceLte conséquence, que les gou- vernements sont obligés de tolérer indistinclement toutes les reli- gions et toutes les philo!:;ophies, sans en adopter aucune de préfé- rence i1 une autre. Ces philosophes ne nienl pas que la protection etla liberté ne soient dues à la vérité ; mais, partant de ce prin- cipe, que fEtat n'a pa qualité pOUt' discerner Ie vrai du faux, ils lui refuseut Ie droit d'appI'ouver ou d'improuver une doctrine. Ainsi l'intolérance est de plein droit; reste à savoir si les faits y répondenl. n y a d'abord un fait, c'est que tout ordre de choses, temporel ou spirituel, ne sauraiL exister sans lois et sans une autorité qui veille à leur observation. Or, Loute [oi esl un acte d'intolérance ; elle n'empêche pas toujours les crimes de se produire, mais elle les punit, el, en les punissanL, elle veul en prévenir Ie retonr. Aussi la question n'est-elle pas de savoil' si un gouvernement sera ou ne sel'a pas intolél'ant, mais de savoir sur quels faits, qualifiés délits, lombera son intolérance. Cela est si vrai que les philosophes, ou soi-disant tels, après avoir commencé par demander, pour toutes les religions, unc tolér'ance inùislincte, demandent aujourd'hui une intolérance absolue contre toule religion qui se pretendrait inves- tie de droiLs divins, c'est-à-dil'e contre la religion catholique, la seule qui ail, avec fondement, ceUe prétention. Cela ne prouve-t-il pas n1anifestement que ce qu'ils veulent oblenir, à l'aide de la. to- lérance, ce n 'est pas la suppression de l'intolérance, mais sa lrans- lation à d'autres mains et son application à d'aul1'es objels. La loi par exemple étaÏl, dans les ELats catholiques, intolérante au pl'O- fU de l'Eglise. Qù'a-t-on fait l On a d'abord mis en dehors de la lé gislalion civile luules les malières religieuses, ous Ie prélexte que 14 210 CUAPITRE VI l'autorité civile n'a pas à se préoccuper de ces questions qui ne re lèvent que de Dieu el de la conscience. Ensuite, comme il fallail concilier, à la législalion laïque et séculière, une aulol'ilé absolue et indépendanle, il est drvenu nécessaire de la souslrait'e, au poinl de vue de la lllorale et de la j uslice, au contrÔle de la religion qui, par l'ordre de Dieu, est la gal'dienne incorrupliLle de la jus- tice et de la morale. De Ià, néces ilé de fermer la bouche à l'Eglise, de l'en1prisonner, d'essayer même de l'anéanlil', si l'on ne l'éutjsil point it lieI' Ie Verbe de Dieu. l\Iais si l'inlolérance législative esl nécessaire aux Elals polHi- ques, el1e l'est, à plus forle raison et it des titres bien supérieurs, à une société religieuse, qui professe tenir de Dieu, sa doctrine, sa morale, sa constitulion, son autorité el ses lois fondamenlale . Les inslit.ulions humaines peuvent être modifiées par les hommes ; une institllLÏon divine ne peut l'êll'e que par ordre de Dieu. L'Eglise sera done essentiellement et toujours intolérante envers quiconquc l'attaqnera dans ses lois ou dans ses dogmes : elle frappera ù'ana- thème loule doctrine contrait'e à sun enseignemenl, eUe punira Ia violation de ses préceptes, elle exclura de son sein les héréliques obstinés, el jamais elle ne consenlira à reconnaìlre pou.' ses en- fants ceux qui se révolleraient conlee son pouvoir. La toIérance, pour l' Eglise, ce serail une abdica lion. Mais l'in tolérance religieuse peut être considérée SOllS deux as.. peels: ou dans Ia spl}( re spéculalive du dogme, ou dans l'appli- cation de la Ioi religieuse au sein d'llne sociéLé tenlporelle. Dans Ie premier cas, tout en ga.'dant le droit d'intliger des peines lempo- relIes, eUe ne condalnne, ne frappe el ne punit que les åmes. Dans Ie second, ]a répression, Ie châliment deviennent quelgue chose de matériel, comme les actes d u pouvoir temporel. Cela arri ve Iors- qu'un Etat porte des peines temporelles contre des crimes et délits qui, par nature, appartiennent à rorùre religieux, comnle l'héré- ie, Ie sacrilège ou Ie blasph lne. On s'esl demandé à ce p.'opos ; i 0 si l'Eglise a le droit d'appeler it son aide Ie bras séculier pour châtier, de peines temporelles, ùcs délits spit'ilurls ; 2 0 :5i Ie pOll\'oil' civil p8uL légilinlement lui prêlel' FORMATION DU GROUPE CATllOLlQUE LIBERAL 2.11 appui dans ces circonstances. Les apôtres de Ia tolérance répon- dent né aLivemenL à ces deux questions. Selon eux, I' Eglise n'a pas Ie droit òe se faire proléger, pal' Ie pouvoir civil, dans l'exer- cice de tous les droits qu'elle croil tenir de Dieu ; et Ie pouvoir tCIuporel ne doiL point intervenir dans les choses spiriLlIelles, qui ne sont point de son ressort. Leur væu serait même q.ue l'Elat ne toléràt pas les acles d'intolérance de la sainte Eglise. En sorle que d'a près eux, I'Etat ne pOl1rrait produire aucun acte de répressiun en faveu1',de rEglise ; mais il peuL et doit en produire contre, tou- tes les fois que Ies doctrines et les pratiques chréLiennes sont à l'en- contre des idées modernes. Ce qui revient à dire q uïl est légilin}e de ne pas tolérer les inlolérants, el comme I'Eglise est intoléranLe par nature, on en conclut qu'il faut ou la réprimel' ou Ia conlrain- dre à tel enseignement qui équivale à une abùication. En somme l'intolérance est de fait comme -de droit. faintenanl si nous interrogeons l'hisloire, que voyons-nous ? C'est un fait constant, en hisloire, que tontes les religions ont été intoléranLes, et que lous les gouvernemenls se sont associés à leur intoJérance, dans une mesure plus ou moins Jal'ge suivant les circonslances et l' esprit du tern ps. Les païens ont toujours persécuté violemment Ies chrétiens. De Constantin à la révoluLion, l'Eglise a pOllrsnivi, comme crimes religieux et sociaux Ie schisme et l'hérésie. Le mahomélisme de I'Arabie, Ie manichéisme persan, Ie schbme ru se, l'hérésie proLrstante ont repris conlre I'Eglise Ie glaive des Néron et des DÜInitien. Les encyclopédisles, apûlres de Ia lolé- rance, devenus législateurs, n'ont régné <{ue par la guilloLine ! L'athéisme conlcmporain, plus violent que Lou les les erreurs pas- sées, nous ran}( ne aux mæurs des bêtes fauves. I./iutolérance se produit constamment avec un cal'actère de sévérilé el de I'igueul' plus prononcé, en raison inverse du ùegré de vérité qui peut ap- parlenir à chaque confe siun. El cela se cumpl'end sans etforl. Quel est Ie sentimenl qui pousse à l'intolérance? C'esL l'amour de la vél'ité qu'on possl de ou qu'on cl'oil pussédel'. Ce sentiment, ùans rEg-lise, appliqué au synlbolr q u'elle profes::;e est UI] senti- menl pur, ans nléIange ; c'esL l'alnour de ('cUe \'él'ilé qui oLlige 12 CIIAPITRE 'I l'Eglise à défend.'e ðon symbole. Dans les sccles, leur SYUl bole esl positif, par' les vérités qu'plles enlpruntent au synlbole catholique ; et négatif, pal' les vér'iLés q u' elles rejelten t pou I' se constÏtuer en hél ésie. L'Eg1ise est in tolél'ante parce qu'elle aime les vérilés qu'elle professe ; les secles sont inlolérantes parce qu'elles haïssent les vérilés opposées anx négalions qui les constituent. Là est la raison de l'énorme différence qui doH se rencontrer dans la légis- lalion comparée des secles dissidentes et de Ia sainle Eglise. Ce serait un fait facile à établil' que Ie bilan de la l'épression dans rEglise est moindl e que partout ailleurs; nous n'avons, à cel égard, rien à craindre de lout hislorien qni se respeete. Et de plus, l'Eglise étail dans son droit. La l'eligion catholique, en effef, est Ia pensée el la voIonlé de Dieu, nolifiées anx hommes par Dieu lui-même. L'Eglise, qui en fail profession, possède done une aulo- rité supérieure, indépendanle, inaliénablr, imprescriptible. Les pouvoirs humains n'ont aucune prise sur eUe; ils lui doivenl, au eontraire, liberté et protection. Les seetes, qui ne sont telles que par l'eJ reur, n'onl aucun droit à la répression, et t0ut eo qu'clll's en ont produit, outre son caraetèr'e paJ ticuIier de fureur, esl un cl'Ìme dont Dieu punilles auleurs et honore Ips victimes. En pl ésence de ces principes, jc me demande ce que devienl Ie toléranlisme padementair'e. En soi, c'est une idée niaise, un propos de sol à l'adresse des imbrciles, comme disait Gl'imm ; dans l'em- ploi qu'on en fait, c'est une machine de guerre eontre I'EgHse ; et lorsque la eonspiraLion, à l'aide de eeL engin frauduleux, a obtenu Ie résulLat souhaité, lorsqu'elle est en force, eUe opprimc l'Eglise avec une fureur que ne eonnurent pas même Ies Césars païens. ous pl'ononcer pour une lel]e lolérance, n 'esl-ce pas lrahir la vérilé et fair'e un métier de dupe? Quand nOllS sommes les mai- tres, nous raisons respecter]a vél'ité chrélienne; quand nous ne Ie ser'ons plus, nous ne rencontrprnns jamais que les chaines elle poignal'd. CeUe misérable lhéorie de la tolerance universeIJe n'est posée quP comnle pJ incipp d'application des quall e libertés sacramell- leHes du pariementarisrne: libel'té de penspe. lihpI'té rl conscience, FOR IATIO Dl.J GROUPE CATHOLIQUE LIHÉRAL 213 Jiberté de presse, liberLé de culte. De ces quatre libertés, les deu\. premières, d'apl'ès I'Alcoran conslilulionne], consacrenL, dans Ie citoyen, les deux tilres de sa sOllveraineté individllelle: les deux 311lt'es en assuren L l' exercice plénier vis-à-vis de I' ElaL pal' la presse, vi -à-vis de l'Eglise par Ie culle Iiure. Mais ces quatre liberlés pra- Liques supposent elles-mêmes une question préjudicieHe de la Ii. herlé en général. C'est une queELion donL ]a solulion,prise dans un sens ou dans l'autre, délermine une application différente. II faut nous y arrêler. La liLerL( , dans l'homme, esl Ie pou,Toil' de faire ce qu'on veuL, sans y êlre nécessilé pal' llne impulsion intérieure, irrésisLiLle,con1- me cela arrive dans les animaux, ou contraint par une force ex Lé- rieure. L'homme est done, en génél':tl, libre de fail'e ce qu'il veut et, eomme par l'imperfeclion de sa nalure il peuL vouloi1 Ie mal ou Ie bien, à son gré, en ee seils il est libre aussi de faire run ou l'autre à sa volonté. EL c'est précisémenl ce qui Ie rend erin1inel, quand il veuL Ie rnal, méritant el digne de louanges quand il faille bien. Mais s'il a la liberté d u mal, il n'en a pas le droit. S'il en avail Ie droil, Ie mal ne serait plus mal, el ee que ehacun voudl'aillibre- menl faire, serait marqué au coin du droit. Aucl1ne action ne sm'ail cou pable ni devan tIes hommes, ni devant Dieu : allégalion monstrueuse qu'il est superflu de eombaUre. Ainsi rhomme est libre quanL DUX délerminalions de sa volorllé. Qu'ill'applique au bien ou an rnal, ille fait sans contrainLe du de- hors, sans néeessilé du dedans. :\fais la Liberti; ne lui donne pas Ie droit de Caire Ie mal, quoiqu'elle lui en donne la puissance, el elle lni laisse Ie devoir de faire Ie bien, quoiqu'elle ne Ie conlraigne nullemenl. Au-dessus de ]a liberlé de I'homnle, il y a la loi qui ell )'('gle souverainement I'exrrcice. Par la liberlé, l'homme peut tout fai) e ; mais par la loi religieuse, morale el même civile, il ne doH fai.'e que ce que la loi pl'escrit, ce qui est bien; il doit éviler ce que la loi défend, ce qui esl mal. Ainsi la loi n'ûle pas à l'horn mr sa liherté, clIe la lui laisse tout enLière; mais elle fixe ses ctruils, elle règle ses devoirs; et ùe l'indissoluble eonnexion de ces deux choses, la libel'lé et la loi, découlent Ie caraelère mOI'al et 214 CBAPITRE YI la personnalité qUI distinguent essentiellemenl les actions de l'homme. La société, avec ses institutions, ses pouvoirs et ses lois, est vou- lue de Dieu pour contenir ou réprimer les passions de l'homme ; pour déterminer ou régler l'usage normal de sa liherté, l'accom- plissement de ses devoirs et la jouissance de ses droits. L'élaLlis- sement de la ::;ociété suppose essenLieliement ces deux choses : In. répression du mal autant qu'on peut l'alteindre, et, pour la prati- que du bien, avec certaines facilités protech'ices, de nécessaires limites. Les libertés parlementaires ont pour objet de resserrer,dans Jes limiles les plus étroiles, Ie cercle des choses défendues et d'adou- cir'la répression,s'il n'est pas possible de la supprin1er entièrement.. On yeut un étal social oÙ l'homme soit libre de vivre selon ses pas- sions et ses caprices, autant du moins qu'il peut l'être, sans tl'oll- hler l'ordl'e el l'onlpre Ie lien de la société. Par conséquent, pour aUeindre ce but, on doit subsliluer, aux anciennes lois directrices et répressives, d'allll'es Lois religieuses et civiles qui laissent, aux mau vais penchants, un plus libre essor. El voilà pourquoi nous avons dit que tous ces grands mots le li- berté ne sont que des mots de passp pour voileI' une conspiI'ation satanique contre Jésus-Chrisl et son Eglise. Pour s'assurer un lriomphe direct, les conspirateurs vpulenl avant tout sUP1!1'inter' loule loi 'J'eligieuse, du moins autant qu'elle cntrprait dans la législation civile. El à l'appui de cette pxclusion, il déclinent deux motifs: Ie premier, c'esl qu'une loi religieuse, émanant de Dieu e1 proclamée en SOil non1, pèserait, sur la liherté humaine, d'un poids excessif et même l'anéanlirail, attendu que l'homme ne saurait avoil' la prl'tention d'êll'e indépendant de Dieu, l1i de s'atll'ibuer Ie droit de lui désobéir ; - Ie second, c'es1 qu'une 10i religieuse obligeraiL l'homrne it rappnrte" ses ac1es à une foi ultramondaine et pourrait en beaucoup de points se trouver en opposition avec la loi civile. C"est pourquoi, non content d'avoir sécularisé, conlme ils disent, toutes les institutions sociales, ils pro.. clament pour l'individu, la liberté dr penser comme hon lui sem- FOR IATION DU GROUPE CATHOLIQUE LIBÉRAL It 5 hie et octroient ce droit comme une fin de non recevoir opposée à toule révélation. La libre-pensée, voilà la loi primordiale ; et quoi- qn'on ne pense pas, cette Jiberté radicale implique l'éviction de toute loi surnaturelle. En second lieu, il falll bter à la religion toule existence publi- que et indépendante, la réduire à l'élat privé et individuel : au- ll'emenl son action exlérieure et son enseignernent ne seraient qu'une critique et une condarnnation de Ia Ioi civile. C'est pour- quoi, non contents d'avoir affranchi la pensée, les conspirateurs libéraux affranchissent encore la conscience. La conscience Ji- hre est une loi primitive comme la libre-pensée ; rt comme la libre- pensée exclut Loule religion, de même la Hbre-conscience pxclut tou1e Eglise. L'Eglii;e catholique pent avoir des dogmes sublinlef::, une morale admirable, un culle plein de magnificence, un passé rayonnant de gloire : les libéral1x n'y contredisent point, mais ils la mettent de côlè et se retranchenl, pour l'éconduir:e, dans Ie sanc- tuaire d'une conscience factice créée ex près pour éteindre la vraie conscience. En troisième lieu, comme les rois s'inti1ulent princes par la gn\ce de Dieu, et prétendenl qu'on ne peul ni leur désobéir ni les ren- verser, il fau1 qu'ils ne règnent plus désormais que par la grâce du peuple. Dans l'ancienne doctrine, Dieu donnait el ôlait Ie pou- voir selon son bon plaisir; dans la doctrine libérale, Ie peuple rem place Dieu; il donne et ôte selon ses convenances. Or, bien qu'il ail Ie droit de faire mal, si cela lui est agréable, il faut pour- tant qu'il n'agisse pas sans prudentes informations. La liberté de la presse lui est reconnue pour l'éclail'er. Chacun offre sa quote- part de lurnière ; leur addition produit I'opinion générale; l'opi- nion est la reine des peuples et par suite des rois ; c'est la maîlresse du nlonde. En ql1atrième lieu, il raut que la législation civile n'ait plus de rapports qu'aux inlél'êts matériels, et ql1'à cel égard, elle ouvrp la \'oie la plus large it l'exercice de la liberté individuelle, sans se Roucier si elle est en quelque chose conlraire aux lois de In. religion calholique, ni mêrne d'une religion quelconque. C'est pOllrquoi la 216 CIIAPITRE VI liberté des cuIles est proclamée en ce sens, non pa:; que les cultes sont libres, n}ais qu'on est 1ibJ'e de n'avoir pas de culte. Et comme, par la Iiberté de la presse, on avail latitude de disposer en son nom privé des institutions sociales, de même, par la liberté des cultes, chaque citoyen est maitre de .'égler, comme il l'enlend,les destinées de son hme et les intérêts de DietL Mais une fois établi cel ordre de libertés anLichr'étiennes, une répression sévère devl'a peser sur q uiconq ue essaiel'ait d'y porter atteinte. D'après Ie principe que l'ordre a Ie dr'oil d'être défendn par celui que la volonlé nalionale en a constitué Ie gardien, Ie des- potisme Ie plus absolu est légitime pour la protection de la liberté. Les libertés parlementaires disent comme !\fahonlet: Crois ou me u rs. Cel aboutissemenl explique pourquoi les gouvernements libé- raux et révolulionnaires - et on n'esll'un que pour devenir l'au- tre, - sont plus sévères, plus répressifs, tranchons Ie mol, plus despoliques que les aulres ; pourquoi Ie droit de législation pour régler l'exercice de la liberlé elle dr'oit de répression pour punir les infractions à la loi, sont admis, pratiqués, étendus par les amis de la liberté parlementaire beau coup plus que par les conseillers ùes rois. Dans leur pensée, il ne s'agit donc pas de rendre les hom- mes, ni plus libres, ni entièremenllibres; il s'agil simplement de leur accorder les libertés qui s'accordent avec les passions et de leur refuse... les liberlés qui mènent à la vertu. Nous oset'ons donc dire que les sectaires du libéralisme ne com- prennent ni la Iiberté, ni la morale historique, ni même la probité gouvernementale. Us ne comprennent pas la liberté, puisqu'ils la confondent avec Ie droit; ils méconnaissen1 l'expérience de l'his- toire et les principes de la morale, s'ils s'imaginent que les peuples sonl plus libres parce qu'ils ont plus de facililés pour Ia licence et sont moins défendus contre leurs faiblesses. Enfin, ils ne sont pas sincères ùevant Ie public, puisq u'en somme il ne s'agil pas pour eux d'augmenter la somme des liberlés populai.'es, mais seulement d'accorder des libertés immorales e1 de ne sévir plus que contre les choses sainles. FORMATIO Dl' GROFPE CATHOLlQUE LlBÉRAL 217 Un libéraI, c'esl un alhée honteux, qui s'enlol'lillp dans la poli- tique pour voiler son athéisme. Un Iibéral, c'esl, par la force de son principe et par Ie sens nécessaire des pratiques de la secte, un ennemi de Dieu, de .Jésus-Christ, de I'Egiise et du souverain pon- tiff'. Si vous me dites qu'un libéraJ peut être catholique, je dirai que c'est un fOll qu'il faut plaindre ou un coupable qu'il faut punir. En résumé, Ie système calholique libéral, conçu dès 184;) par I'abbé Dupanloup, comprenù trois choses : f 0 l'admission explicite des principes de Ia révolution fl>ançaise, constituant, malgré son athéisme,un ensemble de lois qu'eussent pu édicter un Suger et un Charlemagne; 2 0 l'établissement de rEglise et de rEtat dans deux sphères séparées, OÙ ils ne se renconlrent que sUI'leur frontière, pour signer des concordats; 3 0 la constitution de la société civile par la sécuJarisaLÏon des pouvoirs, la constitution ù'une sociélé laï- que, reposant SUI' les libertés de pensée, de conscience, de presse et de culle. A ces trois articles, s'en ajoutait un q uatrième relatif à la constitulion de l'Eglise, réglée aussi par Ie parlementarisme épiscopaI, de manièl'e que Ie Pape dépendait comme souverain du pouvoir subalterne des éVf ques el n'étaÏl souvel'ain que par leur accession. Cet article tenu en réserve ne devait paraHre qu'à Pé- poque du Concile.Or,dans ces quatre arLicles,tout est faux, tout est à rencontre des doctrines orthodoxes, tout esl également funeste à la société civile el à l' Eglise. C' est une conception monstrueuse d'où ne doivenl sorlir que des discordes, des ruines et des avorte- ments. C'est la révolution inlroduite dans I'Eglise et par l'EgLise précipilée sur Ie monde. Dne remarque est nécessail'e avant de finir.En répudianl, comme nons l'avons fail, 89, il faul bien distinguer, dans Ie Inouvement de celle époque, deux choses: les idées et les fails. Les faits, rela- lifs par exemple aux changemenls survenus dans l'élal ùps terl'es et l'élat des personnes, ces faits, nous les acceptons cumUle I'Eglise les accepte et dans la même mesure. Nous n'avons répudié q LIe ce que l'abbé Dupanloup, simple prêtre, acceptait, l'esprit de la ré- volution, (Iue nous croyons, pour nolre part, impie, athéc, el, pour vpnir au mot célèlwe du comle de l\Iaislre, sataniquc. 218 eRA PITRE YI De plus, en caracLérisant comme nous Ie raisons les idées de l'abbé Dupanloup, nous n'entendons contester et constater que ses idées. Nous ne mettons pas en cause ses intentions et sa per- sonne; nons avons reconnu ses talents et ses yertus ; il ne no LIS en coûlera rien de cél{'brer son courage, son éloquence et ses ser\'i- ces. Nous détachons seulement, de sa pren1ière æuvre de marqur, Ie symbole pel'sonnel d'idées libêl'ales d'où procédera di's 10rs la sé.'ie de ses actes el qui servil'onl de règle à sa condl1Ïle. CHAPITRE VII PRE:\IIER ESSAY DE CATIIOLICISME LlBÉRAL DANS LA F(r DATION DE L' ÈRE NOUVELLE. (( Noliie conformari huic saeculo: Gardez-vous de vous con for- mer au siècle présent )) : c'est uue recommandation du Sauvpur rt, conséquent avec lui-même, Ie divin Rédempteur, si ind ulgen t pour les auleurs du péché, se montre toujours implacable pon r Ie péché, et encore plus pour l'erreur qui est sa caU5e. Judaei si- gna pelunt et Græci sapientiam qtW!1 ent; nos aute'm p1'ædicamus Chrislum Dei virtutem et Dei sapientiam. dit S. Paul, et ailleurs, il déclare ne savoir rien autre chose que Jésus crucifié. Jésus cru- citié, nn cadavre Ii vide sur une croix: voilà J'objet de [a prédica- tion apostoIique. Au lieu de cette prédicalion, les J uifs, c'est- à-dire les hmes terrestres, asservies aux passions inférieures, demanden t des signes qui ébranlent le'ur mollesse ; les Grecs, c'est-à-dire les âmes orgueilleuses, asservies aux passions de ['es- pril, exigent des conceptions de la sagesse humaine pour édulco- reI' la croix fit humaniser les m rstères. C'esl par son sang et par sa cl'oix que J ésus triomphe des concupiscences de la chair el de l'orgueil de la vie; c'est allssi par sa croix et par son sang qu'il doH triompher de l'orgueil et des concupiscences de la politique. Un prêtre, en 1845, avail émis ceUe idée nouvelle, que les ca- tholiques de France, pour faire reconnaître Ie droit de la sainte Eglise, devaient se réconcilier avec 89, admettre en principe la séparalion de I'Eglise el de l"Elat, labler sur Ie parlemen- tarisme elle droit commun. Cette idée une fois émisr el acceptée comme rëgle, il devait se produire autant d'acles de conciliation qn'il pouvail éclater de révollltions dans Ie gouvernpment. En 220 CHAPITRE YII 1845, l'abbé Dupanloup avail proposé un tl'aité de paix avec Ja société moderne et la monarchie consli tlllionnelle ; en 184.8, La- cordaire, Maret et Ozananl propo èrenl un trailé de paix enlre la république ella démocralie. Leur convicLÏoll, à cel égard, étail si bien établie, q u'ils inlitull'ren t haròin1entle journal oÜ ils voulaienl vulgarism' ceUe opinion faulive, I' J 'J'e nouvelle. La répllolique inau- gllrait, dans Ie développement ùe I'hlln1anité, une nouvelle phase, et rordre des si clès devait, sur les orades nouveau , régler son cours. II était difHci1e de porler plus haut et de confesser plus naÏvemenL ses prétenLions. Nous devons en rele\'er brièvement les écarls elles 111écomples. Au sortir de la révolu Lion française, Ie clergé el les laïques piellx avaient repris rapologélique chrétienne telle qu'elle exislait avant 89. Dans les divers collèges, on enseignailles n1êmes au- teurs classiq lles ; dans les petits etles grands sémi naires, on avail repris les cours de philosophie et de théologic tel qu'ils avaient élé enseignés au paravant. Souvent les mêmes profes eul's répé- taient dans Ie 111' vieillesse ce q u'ils avaienlreçu et enseigné au commencemenl de leur vie. Etude des païens dans les hunlani- lés, cartésianisnle en philosophie, gallicanísme en lhéologie : tel élait à pen près Ie bilan des doctrines et dans l'école et dans la pl'esse. En 1814 et en 1817, Lanlennais commença à remuer puissammenL les esprits et it secouer les bases de l'ancienne mé- thode. En 1824, Salinis et Gerber, par la publicatiun du 1.1/éuw- 1'ial catlwlique, remuèrent encore plus fortement l'élile du jeune clergé et les laïques fidèles. A eux vinrent s'adjoindre Louis de Bonald, Chades de Haller, O'.Mahony, Thomas Gou set, .Jean Doney, Réné Rohrbachel', Pr-?sper Glléranger et Henri Lacor- daire, encore laïque; un grand nombre de prêlres et de fìdèles s'altachaient avec enthousiasme it ce recueil et à ses rédactions. Mai , en 1830, Ie .Lllérno1'ial rut absorbé pal' l'A l'eni1'. On sait queUe vigoureuse impulsion Ie nuuveau journal donna aux esprits, avec queUe fa\'eur prodigieuse furent accueillis, de la jeune généra- lion, ses principes de dévouement pour Ie Saint-Siège et de li- berlé en poliLique. Ces deu principes furent même poussés trop PREMIER ESSAI DE CATHOLICISl\lE LIBÉRAL 221 loin et Rome dut en arrêter l'éIao. Alors se déçlara une scission. Lamennais s'éloigna de Rome; il alIa se perdre dans Ie panthéis- me à reine déguisé de son Esqllisse d'une philosophie el dans Ie libéralisme radical, OÙ disparurent sa foi et son talent. Salinis et Gerbet suivit'enl, au contraire, la Iigne indiquée par Ie Saint-Siège ; ils gardt'l'ent, de Lamennais, son ancien dévouement à Rome, la nécessité pOUl' les calholiques de s'unir de plus en plus au Saint- Siège, la réforme chrétienne des études et. la philosophie qui fait entrer Jésus-Christ dans l'enseignement. Quelques autres disciples de Lamennais revinrent plus ou 1110ins Ü Bossuet, à Descartes, au spit'itualisme, au lihéralisme calholiques; ils eurent ainsi l'appro- balion dl1 pouvoir et en obtinrent les faveurs les plus lucralive . En 1829, un groupe de jeunes gens pleins de foi rondait, avec Ie concours de I' Association pour la défense de la religion catho- lique, Ie C01Tespondant ; ceUe revue avail pour but, comme rin- dique son litre, d'établir, enlre les amis restés à Paris et les con- disciples dispersés en province, une correspondance régulière. Le CO'iTespondant rut coulé par J'.JvenÙ'. En 1830, Augustin BonneHy fondait les Annales de philosophie, recueil ql1'il devait conduire jusqu'à son 9ße volu111e. En 1831, 1'abbé de Cazalès subs- tituaiL au C01','espondant défunt, la Revue EUl'op(;enne qui dUl'a jusqu'en 183 . A ceUe dale, son édiLeul' Bailly cédait la Revue EU1'oprennc aux abbés Salinis et Gerbet qui la remplacèrent par l'lj.niversité catholique. L' Univcl'sité et les Annales dp philosophie voguèrent ainsi de conserve, l'une donnanl ses cours à la revue des publications nouvelles, les autI'es se parlageant entre les ques- tions de philosophie et les I'echerches de pure érudition. L .arche- vêque de Paris, l\Igr Affre, ne se contenlait pas de les patronner ; il en reproduisaiL les doctrin s dan ses ouvrages el voulait, par la création d'un grand cours de religion, en vulgariser les ensei- gnements. Le pape Grégoir'e XVI lisait ]es Annales ; les cardinaux Lambl'l1schini, l\1ai, lVlezzofanli, Pacca leur étaienl favorables; les chefs d'ordres et religieux rliRtingl1{\s, VenLura, U ngarelli, Perone, Secchi, RooLhaan ne leur témoignaient pas de moindres SY111- pathies. Cela ne veut pas dire qu'il n'y eut rien à reprendre : il est 222 CRAPITRE YII impossible d'écrire une revue ou un livre qui plaisent à tout Ie monde: mais maIgré quelques légers dissentiments, il régnait, sur l'apologétique chrétienne, une grande unHé de vues. En 1R42. plusieurs rédacteurs de l' Univeì'sité catholique conçu- rent Ie dessein de e séparer el de faire revivre Ie COlTes]Jondant lllort depuis dix années. A près plusieurs négocialion:5, OÙ ils vuu- laient couper r Ultive 'sité en deux ou plus sinlplenlenllui Pl'endre ses abonnés, ils se retirèrent ans cause avouée eL ressuscitÒrenl Ie vieil urgane de correspondance. En 1846, nouvelles ouvel'lures pour ramener les forces catholiques à l'unité d'aclion; il s'agis- sail de confier l' Univc')'sitr à l'abLé Dupanloup qu'assisleraient les pères Lacordaire el Ravignan. La contradiction ou l'incohérence des vues firent avol'ler ce nouveau dessein. (( Nous avouons, dit Bonnetty, n'avoir pu conlprendre ce qui em pêcha cetle réunion d'efforls conlnluns. Nous ofIrions une revue en pleine prospérité; on ne demandait ni nlise de fonds, ni actionnaires, ni établisse- ments matériels : il n'y avait qu'à enlrer et continuer. Pourquoi done cetle séparation? Quand, en 1830, les Annalps de IJhilosophic, en i836, l' Unive?'sité catholique furent fondées, alors les Lenlps élaient difficiles, l'avenir chanceux, aussi tous les défenseurs se réunirent à ces deux Revues. l\Iais, en 1846, les choses étaienl plus slables, on voulail avoir une tente, élever un drapeau ; alors cha- cuo voulul faire son (J uvre et devenir' centl'e, et comnle il fallail faire ou dire quelque chose de différenl pour expliquer sa posi- tion, de là vinrent les divergences et les directions diverses. Telles nous apparaissenl les raisons des séparations qui se sonl fOI'l11ées au sein des apologisles catholiq ues (1). )) Bunnetly n'alLribue cette perle de l'unilé d'acLion qu'au con flit des égoïsmes ; il Y eut une autre cause dans les docLrines de di- vision posées en vedette par la soi-disanl pacification ?'eligìeuse de l'aLbé Dupanloup. Jusque-IÙ Lous les catholique illcère de France rivalisaienl de zèle pour se rapprocher de la Chaire ApostoIique et puisaient, dans ce sentitnenl, une grande force de charilé. L'ar (1) fTn;'l'eJ'S;"; ('at/lOLi'Illt', t. XL, p. 5 ':!. PREMIER ESSAI DE CATHOLICISl\1E LIBÉRAL 223 chevêque de Reims, Ie digne successeur de S. Hemi, d'IIincmar et de Gel'berL, était regardé, par tous les Gallo-Romains, comme Ie Pape des Gaules ou comme Ie légat dll Ponlife de Rome. Pal'i is, évêque de Langres, Ionnyer de Prilly, évêque de Châlun , Clau- rei de l\lontals, évêque de Chal'tre , paraissaient comme ses lieu- tenants; tous les chevaliers ùe la plume 111Uaient sous leurs aus- pices; et les églises de France, com me une arnlée raogée en bataille, sorlaient de leurs ruines plus belles et. plus pures. L'apparilion des doctrines de conciliation avec les sociétés modernes elle parle- nlenLarisme fut une cause terrible de stériIité et donna d'abord Ie branle aux divisions. Dès lors, il y eut deux nuances d'esprit : les uns, plus acquis aux docLrines ronlaines, les auLres pluLôt hostiles au mouvemenl de retour à l'unité. Ces nuances une fois déterrni- nées, lous les incidents de la vie publique ne pl1rent qu'en accuser l'opposition et rendre la séparalion définitive. C'esl une hisLoire ll'iste, mais enfin on ne peut effacer l'hi Loire. - Je passe la plume à BonneUy. En 1846, dil-il, <( eurenl Lieu deux affaires de peu d'inlporLance d'abol'd, mais qui contribuèrent grandement à la désunion de l'é- cole catholique. )) Mgr Sibour, évêque de Digne, notre ami, et dont nous faisions Loutes les commissions à Paris, venait de publiel'ses Institutions diocésaines. Il en espérail un grand succès et unc grande influence sur I'Eglise de France. Dans une conversation que nous eûmes avec lui dans notre passage à Digne, il nous avail dil qu'il regar- dail l'Eglise cornIne perdue si 1'0n n'adoptait pas les réformes (IU'il proposait. Des lors il no us fit écrire plusieul's fois pOlU pJ'é- co niseI' son æuvre dans nos revues; on no us avertissait même que nous sel'ions brouillé à tout jamais avec lui si nous ne faisions pas ce qu'il nous demanqait. Nous fümes fort embarl'assé, car d'aulre part, Mgr Afl're, en qui nous avions une enLière con fiance, nous dissuadaiL de louer l'ouvrage. Dans une réunion qui cut lien chez lui et Oll il y avait cinq des principaux prélats de France, un tìt observer que l'ouvraöe tOllchait à des qucstions qu'un é,"êquc isoll n'a vail pas Ie droiL de trancher et quP sa publication élait au 224 CHAPITRE YII moins intempestive. On no us conseilla dOen démontrer les parties faibLes el un vicait'e génél'al, présenl à la séance, s'offrit de nous en Caire La critique, ce que nous refusân1es, Quand nous f1mes part au préIat de nos scrupuLes, iL nous fit répondre que l'archevêque de Paris n'était pas réyêque de Loute la France et qu'en ce]a nou::; n'élions pas lenu de Iui obéir. Nons pel' istâmes poul'lant el promî- mes seulement de publier Ie bref dans Iequel Grégoire XVI, répon- dant à l'offr'ande quOiIlui en avait faile, lui disail: <( Dans Ie peu que nous avons eu la satisfaction d'en par'courir, nOllS avons de nouveau reconnu les beaux et religieux sentÍInenls de volr'e cæur H. Ajoulez à ceLa que dans l' UniveJ'silrJ un de nos r'éùacteurs se per- n1it de critiqueI' un passage sur les trois juridictions que Ie prélat atLribue au c coocile de Latran et qui sont une disposition du conciLe séparé de Bâle. Mgr Sibour, devenu archevêque de Paris, nous reprocha durement crUe conduile et ce fut Iui qui plus tard dénonça nos Annales à Ia congrégation de l'Index, en nous assurant pourtanL que ce n'étaÏl pas nous qu'il voulait atteindre. )) La seconde affaire qui désunit les apologistes catholiques fut L'alTivée de .M. Lenormant à la direction du COl 1 espondant, qui eut lieu Ie 6 février de cetle année. )) Jusqu'à ce momenlles principes généraux du COl l'espondallt élaient les mêmes que ceux de l' UniveJ'sité catholique. Les rédac- leurs étaient presque lous d'anciens rédacleurs de l' Universiié et La direction élait confiée à un de nos anciens collaborateul's, 1\1. \Vilson. Comme il nous disait lui-même: (< Entre Ie Cm'1 espon- dant et l' Université, il y avait des nuances et non des opposi- tions )). .Mais il n'en fut pas de même quand la direction Iui fut ûtée el confiée à I. Lenormant. )) M. Lenol'n1anl étail un élève de rUniversiLé royale et classi- que, helléniste, égyptologue, archéologue dislingué, il était alol's suppléant de M. Guizot it Ia chaire d'hi::stoÌl'e à la Sorbonne ; rnais il n'avait jamais eu jusqu'alors des rapport:; bien inlimes avec l'é- cole des Gerbet, des Salinis, des 'lontalenlbert, drs Lacordaire, etc., el on peut dire incarnéc dans ce mornent dans rUniversité ca- thulique. Les questions philosophiques réunies par to us ces auteul's PREMIER ESSAI DE CA THOLICISME LIBÉRAL C)C)'" ......t) lui étaient peu familières, à peine connues. Pour Iui, Rollin et Boileau pour les lettres, Descartes pour la philosophie, Frayssi- nus pour l'apologélique, étaient des maîtres au-dessus desquels il ne croyait pas qu'on pût s'élever. )) A cette époque, une émeute qui eu t lieu à la Sorbonne contre son enseignement qu'unejeunesse turbulenle lrouvait trop chl'élien, lui donna la répu talion nléritée d'un défenseur de l'Eglise. Les ac- lionnaires du Corl eslJondant qui voyaient que leur revue leur impo- sait de grands sacrifices, cl'ul'ent que la répu Lation de M. Lenonnant leur amènerait de nombl'eux abonnés ; c'esl pourquoi ils prièrent M. \Vilson de céder sa place à .M. Lenorrnant. Par cet acte ils in- troduisil'ent toutes les doctrines religieuses, philosophiq ues et Iit- tél'aires de I'Universilé royale dans l'école calholique et lous les ,efforts faits jusqu'à ce jour pour fonder un enseignement con1raire furenl sinon annihilés, au moins diminups et en partie 'J'épudiés. C'est ce que nous ferons observer plus lard, quand nous parJerons des études classiques, eL surtout de l'aUaque dirigée par Ie P. Chas- tel, contre lous les anciens apologistes ca1hoJiques de puis 1\1. de Bonald e1 de MaisLre jusqu'à tous Ies rédacteurs de I' Unive?'sité catholique e1 des Annales de philosophic Chl étienne, e1 dès son dé- but 1\1. Lenormanl rompil avec nos deux revues (1). Cet état de scission devait conlinuer en 1.847 et s'accentue,' davan1age en 1.848. Voilà donc l'Ere nouvelle fondée. Le P. Lacordaire est à la tête ; Ozanam et Maret sont ses lieutenants; de Coux a sa part d'action ; les collaboraLeurs ordinaires ne sont point des hommes du com- mun. La première observation à faire, avant d'ouvrir Ie journal, c'est que la rédacLion est cornposée presque exclusivement de pro- fesseurs el d'élèves tous distingués, je Ie veux, mais trop distingués pour former un corps compact. C'esl un corps qui a plus de têtes que de membres et des têtes pen assorlies au journalisme militant. Pour Ie P. Lacordaire, passer de Ia chaire de Notre-Dame dans un cabinel de lirailleur, rem placer rinspiration continue par la car- touche et la poudre, c'est une besogne qu'il avait peu réussi à (1) Unive1'sité catholique, 1. XL, p. 594. 5 22G CHAPIT RE VII l'AvenÏ1' et qu'il paraìt devoir IHoins I'éussir àl'b 1'e nouvelle. Ozananl et Maret, l'un Vhilosophe, ['autre hisLorien, gens d'érudition et de haul vol, c'est la pt'emière fois qu ilE\ allaient gl1erroyer à coup d'escopetle; or les gens du métier' savenL que Ie lir des armes courtes s'apprend plus difficilement que Ie rnanielnent des at'mes à longue portée. Ch. de COl1X étail encore plus théol'Ìcien. Les jeunes gens avaient leur enlhousiasme, mais I'enthousiasme n 'est pas l'esprit et ne peut pas Ie remplacer, surtout pour ce genre de com- bats où la force doH se òépenser ayec art et chaque coup porter. En retour, les rédacteurs éLaiûut pleins de confiance et il n'y a lelle que la confiance pour décupler Ie talent et créer Ie génie. (( Notre société, disait Lacordaire, esl un composé de trois ruines, d'une résurrection et d'une chirnèr'e. Les trois ruines sont l'Empire, la Restauration et la Révolution de 1830; la résurrection est la république conventionnelle; la chimère est Ie socialisrne. Jelez par là-dessus une ignorance pr'esque univer eHe de la foi religieuse, une foule de préj ugés antichrétiens, une peur effroyable d u vrai quand il touche à Dieu, et vous aurez la notion exacte de nus rnaux. Mais prenez-y garde, nons avons trois choses pour nous : la Inmière produite par ceLte accumulation suprême de dé ordt'es el de ruille ; la sainleté d'une multitude d"âme!:) qui ont conservé une foi sans égale dans Ie n10nde ; l'état de l'Eglise qui exige un seeour's exlrao)'- dinaire de Dieu. Vous pouvez donc poser COlnrrlC un axiome que nous serons sauvés. Tout ce qui précède depuis soixante ans n'est que Ie pr'élinlinaire de notre s(\lut et lor::;qu'on étudie la marche de la Providence dans ce laps de temps, on éprouve un saisisserrlent d'admiralion qui n'est égaléque par la certitude du suecès final (1) )). (( Tout Ie parLi queje prendrai à la politique, à laquelle personne he peut s'arracher aujoul'd'hui, écril Ozanam, se réduira donc au pen que je ferai pour l'h 1'e nouvelle, qui paraît décidémenl Ie 25 avril. Si vous venez ici dans quelques Herrlaines, vous ne tarderel pas à compt'endre pourquoi l' Univel's ne pent pas rester l'organe unique des catholiques. Nous voudriuns fonder une æuvre nouvelle (1) L.\CORDAIHE, Leltl'cs à JJadaml' SU'I'/l'ltine, p. 473. PREMIER ESSAI DE CATHOLlCISME LlllEHAL 21 pour des temps si nouveaux, qui ne proyoque pas les rnêmes res- sen LÏments et les mêmes soupçons. D'ailleurs, puisqu'il y a plusieu rs opinions parmi les catholiqueH, il vaul rnieux qu'elles soient plus fidèlenlent rerwésenlées par plusieurs journaux et que, pal' suite de leur diversilé mêmp, l'Eglise de France cesse d"êlre 1'esponsable de ce qui se pa se dans la têle d'l1njournaliste )). Un peu plus Lar'd, Ozanam écrit encore: << VOllS m'avez suivi avec un intérêt tendre el plein de solliciLude, vous m'avez peut-être bien souvent désap- prou vé dans ce peu de journalisrne que j'ai fail, quand j'étais inca- pable d'autre chose. J'ai éLé ce flue:\1. Lenormanl appelle Ie parti de la confiance ; j'ai cru, je cr'ois encore à la possibilité de la démo- cralie chréLienne, je ne crois même à rien autre en rnatière politi- que (1.) )). La confiance élait donc entière. Un ne comptait pas l'Ami de la 1'eligion pour ql1elque chose; on n 'espérait pas renverser l' Univel s, mais seulernent faire aulrement, c'est-à-dire : mieux jouer' Ie rnême air avec un plus suave instrument de musique. L' E1'e nouvelle sel'ait un journal à idylles; on y verrait bondir des agneaux, cOllIer du lail; la plume, converlie en cornernuse, ne jouerait que des airs délectables. Les pielTes n1ême en seraienl émues; les petits fauves du socialisme, touchés b. ces accents, dépollilleraient leur férocité et vienùraienl se livreI' à des danses in nocentes. L' E,'e nouvelle était l'aube de l'àge d'or. Quant à faire du journal une machine de guerre, de la plume un outil contondant rt de l'article un coup de feu: procédés vieillis, bons peut-être aulrefoi , mais malvfenus sous les auspices de la démocratie. En 1.8 i3, dans un discours sur les de. voil'S ]iLtérair'es des chréLiens, Ozanam avail I'endu, sur ce sujet, ses oracles. D'après Ie jeune pl'ofesseur, les règles de la discussion chré- lienne sont lellempnt forcées qu'il n'esl pas perm is de s'en écarler impunément. << Dans l'enlraînement du conlbat, dit-il, il Y a plus de péril qu'on ne pense. II esl facile d'y offenseI' Dieu. Les instincts violenls de la natul'e huolaine, réprimés par Ie chrisLianisme, s'échappent et reviennenl par ce côté... Que si }'on objecle l'auto- (1) OZANA f, æU1're,ç ('ompZNes, 1. Xl, pp. 227 et 21-7. 228 CHAPITRE YII rilé de S. Jérûme el de S. Hilah'e, etleurs paroles toules frémis- santes d'indignation religieuse, ce sont d'illustres exceptions, com- parables à ces martyrs qui brisèrent les statues ou arrachèl'ent les édits. L'Eglise les honore, mais sans cessel' ùe rappeler la loi qui interdit de provoquer la colèl'e... La dispute a d'autl'es dangers pour ceux qu'elle cherche à convaincre. Assurérnent, quand les chrétiens s'engagenl au laborieux service de la polémiqlle, c'est, avec la voIonlé dl'oile de servir Dieu et de gagner des âmes. II ne fau t point compromeltre la sainleté de la cause pal' la violence des moyens. En cherchant à se rendre compte de rétat deH intel- ligences, les espl'its se trouvenl dÏ\Tisés en trois classes: ceux qui cl'oienL, ceux qui doutent et ceux qui voienl(1)... )) Ozanam mon- LI'ait, pour chaque calégol>ie d'esprils, les avantages de la bien- veillance; il saluait d'ailleurs Ie mouvemenL des esprits vel's Ie chrislianislne et concluait qu'il faUail Ie eonduire et Ie modérer avec des solliciLudes infinies pour aIle I' jusqu'au bout et à bon tenn e. Théorie séduiRanLe, mais incomplète 1 Le journal, sans doute, est nne æuvre ù'espril ; sans doute, on n'ecrit que pour parler aux intelligences, que pour les éclairer, les animer au bien, tranchons Ie mot, lea sanctifier. Iais eh aq ue chose a sa manière propre : Ie joul'llal n'esl pas un livre; il a sa part de nouvelles el sa part de doctdnes; il sail faire un tl'i et un choix. D'ailleurs, il ne se borne pas à enseigner; il est SOllvent obligé de combaUre les sOlJhisles ; et, dans Ia lu He con lre les idées fausses, il ne su ffi t pas de discutm> spéeulativement, il faul encore se prendre aux pel'sonnes, et, s'il se peut, les IneLLre en quarlier. La plurne est tOUI' à Lour une épée, un lJâton, un balai, el soil qu'elle déeouse un chevalier du sophisme, soil qu'elle écarte un chien, soit qu'elle fasse disparaìtre une ordure, elle ne déroge pas à la dignilé de sa vocation. De plus, quand il s'agit òe journalisLe chréLien, ouLre qu'on exige de lui l'exacLitude de doctrine ell'espriL fratm'nel en- vel's ses compagnons d'armes, on ne demande pas moins que, sons (I) æuvl'es compli.tcs, 1. VII, p. '141. PREl\IIER ESSAI DE CA TIIOLICISl\IE LIBÉRAL 229 les forrnes reçues de la courtoisie JiLtéraire, il résiste avec une bra- voure inlrépide, à ces croisés du mal qui veulent tout briser dans rEgIise. Un jou r'naliste qui manquerail à celte fraternilé d'arrnes et à ces scrupules d'exaclitude, par ménagement pour l'ennemi, ne serait plus un soldat, mais un Judas. Aussi remarque-t-on que tou Les les feuilles publiques, après avoir promis miel et dragées, finissent par se jeteI' dans Ie feu de la bataille; si elles ménagent l'ennemi, c'est pour' lireI' sur ]es amis; et, quoique la charité ne soil pas notre fod, une telle déloyaulé révolle les consciences et.les distillateurs des choses douces et amères finissent par mouril' de consomption, sous Ie dédain du public. L'E1'e nouvelle parut : la curiosité, la nOl1veallté, Ie gl'and nom des rédacteurs, Ie prestige surtout d uP. Lacordaire, enlré dans la vie polilique par la députalion ella presse, atlirèrent un granrl Hombre de lecteur's. Le 30 juin, Ie P. Lacordah'e écrit: (( Nous ven- dons depuis quelques jours dix rnille nurnéros de I' E1'e nouvelle dans les rues el de nouvea ux abonnernenls viennent en grand nomhre. II y a en même ternps un redoublement de colère et de Jettr'es anonymes contre nous (Preuve fju'il ne suffit pas de vcndre du rniel pour amadouer lout Ie rnonde). C'est line V1'aie úalaille, la plus dl'ôle uu monde, tout eu élant fort sérieusc. Les uns nous disent: Votre journal est Ie plu honnêle du n1onde, no us IlOUS Y abonnons, - les autres crienL: Votr'ejournal est affreux, horrible, sans cuioLle. - II faut ne rien faire ici-bas, et encore un n'est pas sûr' d'y vivre tranquille. Des libraires de Houen, d'Orléans et d'au- tres villes nous pr'ennent jusqu'à cent et deux cents exemplair'es, qu'iJs vendent je ne sais à qui. Je snis persuadé qu'un autre homme que moi se rirait bien de toules les fureurs qui se jeltent sur nolr'e miel comme des guêpes. Je crois lìnalrment que celle der'nièr'e cornpar'aison explique ce qui se passe et je n'y pensais pas du lout avant de l'écrire )) (1). Lorsque l' E')'c nouvelle parul, Ie 15 avril, eUe tl'ouva r l/nivers dans l'opposiLion. Non pas dans une opposition systématique an (1) Lettl'es å .J.1Iadame Sluctcltine, p. 470. 2: O CllAPITRE YII principe et aux aspirations de la démocJ'atie, mais d[l ns une nppo- silion consciencieuse aux æU\TeS eL aux ten dances oi-disant délno- cratiques, où la raison chrétienne ne voiL flue des æuvres de ruine eL des ferments d'anarchie. L'E'1'e nouvellp- prit lout de suite une position contraire : el1e al'bora gaiernent avec Ies meilleures in- tentions du monde, son drapeau et appuya sur J'idenlité du chl'is- lianisme avec la dérnocratie. (Ju 'esL-ce que la déInocralie ? L' J "l'(' nouvelle en donne des définiLions nonlbreuses, plus savantes ct plus agréables que précises. Dans ses colonnes, la dénlocraLie esl un idéal de force, de paix et de charité, de progrrs et de gloire, la forme définitive des sociéLés chréliennes, Ie grand courant oil coule la France de l'avenir. A l'enlendre, on pOlll'rait croire que ce grand courant ramène l'humanilé sous les ornbJ'ages éternels, d'oÜ la colère dr Dieu chassa pour jamais Ie premier homme et sa lriste postérité. l\Iais si la démocralie n'est pas Lout à fait Ie paradis lerrestre, elle est au nloins la fl'aternilé, lajustice, la atisfaclion où aspirent invinciblement les \Tæux el les besoins nouveaux des sociélés hun1aines. Yoilà ce que dil et répèLe SUI' Lous les tons I' Ere nouvelle. Ce sont de grands moLs et 11 n plus grand problème, que Ie journal ne paraH avoir ni Lien posé, ni sagement résolu. La démocraLie compl'end deux choseF : l'élévation graduelle des classes inférieures à un degré plus élevé de digniLé, de liberLé et de hien-être, et ]a p.arLicipation de LouLes Irs classes de la société à son gouvernement. LOI'sque, des hauLeurs de la métaphysique on descend sur Ie LCl'rain de l'histoil'e, on l'ecûnnaH que la démo- cl'atir, dans Ie Pl'emier sens dll mol, est l'æu\Te propl'e de l'E\'an- gile et de l'Eglise; dans 1e second sens, rIle réslllte de l'aluélio- ration des mæul's et des concessions libél'ales des pouvoirs souve- rains. L'évoluLion hislorique de l'Europe s'esL faite sous l'égide du pouyoir royal. Le pouvoir royal s'appuyait presque parLonL sur Ie clergé et sur une noblesse héréditair'e. La noblesse dispuLaiL aux rois les prérngatives du pouvoil' snuvel'ain : les rois, ponr se dé- fendre des obsessions de la noblesse, s'appuyaienl sur les classes populaires et donnairnt la comm une lihre pOl1l conlrepoids au PREMIER ESSAI DE CATHOLlCIS:\IE LIBÉRAL 231 cht.teau féodal. Le clergé, recrulé surtout parmi les humbles, que recommandail la distinction des talents eL de la vertu, servait, en- tre les divers rouages du corps social, d'artoucissement et de frein. Après la constilution hiérarchique du clergé qui fut, pour les petits, une source féconde d'anoblissement, l'agent Ie plus actif de Ia dé- mocralie fut Ie pouvoir royal. II y a, dit Balmès, dans l'histoire de I'Europe, un fail capital: c'estla marchp, parallèle de deux dérnoc('alies CJ ui, parfois sembla- bles en apparénce, diffèl'enL en réaliLé de nature, d'origine et de Lut. L'une est basée sur la connaissance de la dignité de l'homme e1 du droit qui lui apparlient de jouir d'une certaine liberté con- forme à la raison et à la justice. Avec des idées plus au moins claires SUI' la vérila ble origine de la socié1é et d u pnuvoir, elle en a du moins de fort nelles sur leur véritable objet et leur fin. Que Ie pouvoir vienne directemrnt de Dieu ou qu'il soit communiqué pri- milivement par la sociélé, sa constante opinion est que Ie pouvoir existe pour Ie bien commun et que, 8'H ne dirige pas ses actions vers ce bien, il dégénère en tyrannie. Les privi\èges, les honneurs, les distinclions sont rapprochés, par la saine démocratie, de celte pierrr de touche, Ie bien com- mun: ce qui ,est contL'aire à ce bien est rejeté comme nuisible ; ce qui n'en est pas est éIoigné comme superflu. Les seules choses qui aient n ne valeur réeIle, digne d'être prise en considération dans }a distl'ibution des fonctions sociales, sont à. ses yeux, Ie savoir et la vedu ; elle réclame qu'on les cherche pour les élever au faìte du pouvoir et de !'honneur; eUe les v( uL aller chercher jus(Iu'au spin de l'obscurité la plus profonde ; si la noblesse, la naissance, les richesses obtirnnent de sa part quelque considéraLion, ce n'est point à cause du mériLe inlrinsèque de ces avantages, mais parce que ce sont autant dp signes qui font présumer Hoe éduca1ion plus accomplie, plus de savoir. plus de probité. Crtte démocratie, qui place au plus haut degré la dignité c)r rhommr. qui rappelle le dl'oH sans oubHer les devoirs, réprouve la Lyrannie rt cherche les moyens de la prl'vcnit'. Sage et calme comme il convien1 à la l'aison e1 au bon SPII , elle s'arrange fOl't 3 CHAPITRE VII bien de la monarchie ; mais on peut assurer que son désir, en gé- néral, a élé que les lois du pays mettent une borne aux excès des rois, Cetle prudente démocratie a compris que l'écueil contl'e le- quel la royauté courail Ie risque de se brisel', était l'excès des contributions imposées au peuple. Sa pensée favorite a été de res- treindre, en matière de contributions, les facuJtés illimitées du pouvoÌl . Dne alltr e pensée l'a dominée, celIe d'empêcher la volonté de l'homme de prévaloir dans l'application des lois; elle a désiré constamment d'être assurée que la volonté oe prendrait pas la place de la raison. Malheureusenlent, à cóté de cet esprit de raisonnable liberté, de sage gouvernement; à cÔté de ceLte noble et génpreuse délnocra- lie il s'eo est fornlé 'constamment uoe autre qui forme avec celle-là Ie plus vif contraste eL la dernière a empêché l'autre d'atteindre Ie juste, objet de ses prétentions. Erronée dans ses principes, perverse dans ses intentions, violente dans sa Inani(\re d'agÏl , ceUe démo- cratie a pris sa base dans les passions et placé son but dans la sa- tisfaction des appétits; loin de songer à élever l'homme, elle l'a- baisse comme les animaux m uets, à la vile pâture de la corruplion ; loin de procur'el aux peuples la vraie liber'lé, elle n'a servi qu'à leur enlever celIe qu'ils po sédaient déjà ; ou si effectivement elle les a lrouvés en pleurs SOllS Ie jong, eUe n'a élé propre qu'à faire river leur chaine. Complice des plus bas instincts, elle a loujours été la bannière de ee que la sociéLé compte de plus abject; ans ses conspiralions, elJe a toujours enl'ôlé les ignol'anls et les vicieux ; dans ses cohortes, eUe a toujours groupé les hommes maJintention- nés et turbulents. CeLte déluence de troubles, de 8candales, de hai- nrs acharnées, a porté enfin ses fruits naturels : la persécution, les pI'oscriptions, les échafauds. Le dogme fondamental de ceHe ùé-' 1110cralÏe sanguinaire a élé de Bier toute sorte d'aulorité : son but constant de la déLruire; la récompense qu'elle pl'ometlaiL à ses efforts, c'était un trûne sur des ruines et Ie partage d'un sanglant butin (1.). . ("I) Le p1'otestantisme compm'é au catholicisme, t. III, pp. 203 et 241. PRE)IIER ESSAI DE CATHOLICISME LlBÉRAL 233 CeUe démocl'atieanarchique et sanguinaire, derniet' reste des in- vasions du IVe siècle, remonte aux grandes compagnies du moyen âge, s'accenLue dans les sédilions de \Viclef et de Jean Huss, et vise, dans les guerres des a nabaplÜ:ites et des paysans, às'en1 pareI'd u pou- voir. Un instant abso('bee par les grandes guerres et nlatée par rab- soluLisme royal, el1e éclale ayec plus de force à la fin du XVlIIe siè- cle, dans la révolulion française el ne tarde pas à emhraser l'Eu- rope. Napoléon, c'est la révolution faite homme, pour renverser partout la société chrétienne, intet'vertit. l'ot'dre des rapporls so- ciaux et tout livrer à l'anarchie sous prétexte de la dompter par la force. A sa chute, Ie parlementarisme à fleur de terre et les sociétés secrètes dans l'ombre, font parloul échec au pouvoir. A l'abri des conflits parlementaires, sous Ie régime du laisse1'-faire et du laisser-passe1',le fait Ie plus remarquable, c'est l'explosion des égoïs.. meso L'envie aspire à les transformer en force réformatrice. En 1.790, la bourgeoisie française avait cru faire merveille en suppri- Juant politiquement et civilement Ie cIergé etla noblesse, en s'em- parant de leurs terres et de leurs prérogatives, pour réduire Ie pro- létaire libre au service exclusif ùes intérêb:i bourgeois. En 1.848, sous couleur de république, c'esl la révulution sociale qui s'avance. Le peuple, Ie qualdèlne état, conh'aint, par sa f!1isère persistante, trouve bon de continuer conlre Ie tiers, l'æuvre de spoliation d u tiers conlre Ie cIel'gé ella noblesse. Dans ses élapes successives, la révolulion française, n'a qll'un but double: changer Ie pouvoir de place el modiner l'assielte de la propriélé, l'assiette au bell1're, comme on dil vulgairement. Du reste, cette révolution n'affecte aucun caraclère religieux ; elle n'est pas seulement impie, eUe est athée, voire salanique ; elle veul détruire, par Ie fer elle feu, tous les cultes et dispenser Ie genre hun1ain de vertu. L'humanitÖ veut jouir: c'est là SOil but; des Mahomets de cuisine se chargenl à qui ßlieux mieux, de faire descendre Ie paradis sur la terre. II fall ail que des calholiques eussenl l'esprit bien à l'envers pour s'imaginer un inslant que Ia révolution de février pftt provenir du SUl'surn C01'da et consLiluer une mar'che en avant. Ce n'étaÍl qu'une 23í CHAPITRE \ II des ouvertur'es du puits de l'abîme, vomissantla lav p , lrð cendres et surtout )a fumée révolulionnaire. On pouvait conlenir Ie torrent, Ie modérer, Ie délourner de sa faus e voi , Ie faire remonler vel'S sa source el rentrer dans l'ablme; Inais pI'ofilel' de l'occasion pour criel' sur les toils: (( Le ChrisLianisme. c'estla déInocratie ! )> c'élait s'exposrr au moins à faire dire que Ie ChrisLianislne des démocra- tes n'avait l'Ïen de commun avec I'Evangile et son Christ rédenlp- teur. l' Él'P nouvelle, dans sa ferveur de néophyte, malgré la sa- ge5se connne el \Tanlée de ses inspir'aLeurs, ne manqua pas dr courir loules sortes d'avenlures, Dès Ie début eIte fut, ce qu'on pourrail appeler, en éloignant toule idée blessante, l1 n journal mi- nistériel et révoluLionnaire. On la vit succrssivement patroner Ies démagogues de Rome, d'IrIande et d'Allemagne. Jusqu'au 6 mai, eUe soulint les, ministr'es du gouvernement provisoire, applaudit à la for'mation malheul'euse de la commission exécuLive et approuva ce COI'pS à cinq têtes dans la pI u palt de ces actes, A près les terribles joul'nées de juin. cUe honora de son patienl concours, Ie gouver- nement du génér'al Cavaignac. En même temps, eUe sut ne point rom pre avec La fraction non socialisle de la Gauche, qui, sans, at- taquer précisément Ie chef du pouvoir, marchait cependant à la suite de Ledru-RolJin. 11 n'est pas jusqu'aux socialisles à qui rHe ne fit par'fois bon visage. On distinguait entre Ie bon etLe mauvais socialisme; on aHail à découvrir un socialisme chrétien. On avaiL un cerlain droit au tr'avail, un certain emprunl hypoLhécaire, decer- taines théories sur la chal'ité, qui appelaienties encouragemenls de la Démoc1'alie pacifique, joul'nal des disciples de Foul'ier. En un n10t l'i:1'e nouvplle était hien avec tout Ie monde, excepté avec Veuillot de ]' Univers, BonneLly de /' Unive}'sitp et des .Annalps. D ns son désir de ne point voileI' I'espél'ance, elle couvril d'un silence fraterne1, toul ce qui jelaiL quelques doutes sur les instincts si rassurants de la démocratie française. Dans un sentiment de délicatesse rUe nr re- produisait point les discours de Ledru-Rollin et les toasls incen- rliairrs au banquet du Chalel. POUI' ne désobliger personne, elle ne lémoignait guère aulrement qu'eHe ne les approuvait point, a démocl'atie, qui deviendrail catholique, qu'on finirait bien par bap- PHEl\lIEH ESSAI DE CA THOLICISl\lE LIBÉRAL 235 Liser', étaÌt comme uue jellne bêLe à laquelle il fallait bien permet- tre de jeter ses gourmes. Sur ces enLrefaites, l'abbé Dupallioup prenaiL la direction de rAmi de La Religion, que lui avait vendu j'ahbé Veyssière : il ame- nail avec lui, dans les combats quotidipnR de la po1itique, Ie P. de Ra vignan, jésllite, Montalembel'l, Falloux, Cham pagny, les frères de Riancey, Romain-Cornu, les abbés de Vall'oger et Chassay. Dès Ie 19 el Ie 24 octobre, l\Iontalenïberl y insél'a deux articles OÙ après {}voir signalé les principale aberrations qui menaçaient l'ordre social e1 l'avenÜ' de la France, il ajoutail : (( Pourquoi fau1-il qne de lelles aberrations aient rencon1ré parmi noui', non pas certes, des con1plices, mais quelquefois des dupes, et plus souvenl encore, des insfruments invoJontail'es. Dans la presse, à la tl'ibuné, dans Ja chaire même, un langage nouveau a élé Lenu, eL B'a pas tou- jours été compris ou approuvé par la majorilé des catholiques. Je crois fer'mement qu'il n'y a chez les homnles sél'Ïeux et éminents de cette école, que de siolples apparences de sym pathie pour l'er- reur; mais ces apparences mêrnes son1 à regrelter, dans un temps où la vérilé a plus que jamais besoin de touLe sa force e1 de Loute sa majesLé. Pourquoi faut-il d'ailleurs que ce soienL des calholi- ques qui nous aient donné un nouvel exemple de eel empresse- ment servile et passionné qu'épr'ouve l'humanité Ù sainer les pou- voil's nouveaux, à suivre Ie ven1 de la fortune. En parlant de l' E'1'e nouvelle, it disait: (( Quand rJes orateul'S pl des éCl'ivains ealholiq ues, se laissanl enLraÎner par l'aLLraÍt de la nOllveauté ou par' Ie désir de subvenir aux cl'uelles nécessités du moment, viennenl défendre Ie droit au travail, l'im pûl progressif, ]e papier-monnaie eL aulres erreurs de ce genr{\, on doil se plaindre, mais on peut se rassurer, car chacun sail mainlcnauL que la sociélé franGaise ne manquCl'a pas d'être éner'giqurment ùéfendue conlrc de folies inventions. )) I1:t de plus contre un article d'Ozanam: (( II n'esl pcrsonne qui ne doive s'éLonner et s'alarmel', IOl'sqne CPS nraleul's Oll ces rcri- \'ains nous Pl'êchent la Chal'ilé, en nous menaçanl, non plus seu- lemenl des peines élernelles, mais de la spoliation pour l'hi vcr 23ß CllA PITRE 'II prochain ; lorsqu'ils affirment que l'aurnðne, la simple aumÔne est une humiliation pour celui qui la reçoit ; lorsqu'ils semblent frayer la voie à rorganisalion de lacharité par Ia main de I'Etat ; lorsqu'ils protestent contre Ie droit qu'a toujours eu l'Eglise d'être proprié- taire; ou enfin lorsqu'ils proclament que Ie ChJ'istianisme est la dé- moc'ratie même et que la République date du Ca/vah'e. }} Le ChrislianisIne est ici-bas, non pas pour p1"ogrpsse1", pour se transformer, pour marcher avec Ie genre humain, comn1e Ie disent les courtisans de l'orgueilleuse hnmanilé ; mais pour montrer la voie, ponr tendre la main à ceUe pallvre orgueilleuse. Voilà ce qu'il faut proclamel' et répéter sans cesse, en face de l'orgueil dé- mesuré des pygmées de no1re temps, toujours disposés à se compter pour de géants, et prendre leur impression du Inoment pour la loi éternelle dn monde, et leur découverted'hierpour Ie typedu grand, du vrai et du beau. Pour moi, je ne puis me défendl'e de sourire quand j'entends déclarel' que Ie Ch1'istianisme c'est la dénwc1'a- tie (1) >>. Louis Venillol, Jans l' Univel"s, parla comme Montalembert dans l'Arni de la Religion; par quatre articles successifs, il Lallil en brèche tout Ie programme de l' Ère nouvelle. En théorie et en pra- tique, dans son application aux individus ou au x partis, Jans son application surtoul à l'Eglise, il ne concevait p3S bien ce qu'élait celte démocl'atie, ce que représenlaienlles besoins nouveaux et en quoi il élaiL urgent de réconcilier Ie Chrislianisme avec la démo- cratie. (( II est facile, dH-il, de se proclamer démocrale, tidèle an1ant, fidèle sujet de la démocratie et de dire que cette fanlasque souveraine est Ie ChristianisIne on que]que chose d'appl'ochant; rnais dans les diverses incarnations sous Iesquelles elle apparaît à nos yeux lnortels, il est fort difficile de reconnaître des dl'oits pat'- faitement chrétiens el catholiqlles, ceux des redacLeurs de l' j;re nouvelle exceptés. Et encore leur arrive-t-il un ll1alheur étrange: quand leurs amis catholiques les reconnaissent bien,leurs amis dé- mocrates ne les reconnaissenl plus. N'importe,la foi de I'È1'P nOll- (1) MONTALEMBERT, æuvrescomplètes, t. IV, p. 496. PREMIER ESSAI DE CA THOLICISl\IE LIBÉRAL 237 1Jelle n'en est point ébranlée. Heureuse de sa petite guérite à l'an- gle Ir moins fréquenté du camp démocratique, eUe voit tout en beau dans celte enceinte fermée à ce qu'elle appelle l'école du passé... Quant à nous, laissant ce vain Lapage de nlots, nOlls de- man dons à la démocratie ce que nous demandons à tout gouver- nement qui nous permeUra de lui soumettre un væu et de lui don- npr un conseil: la liberté. Si la démocratie n'est pas la I iberté civile et religieuse, eUe n'est qu'un des mille dr'apeaux de mensonge et de t.yrannie sous lesquels l'honnête homme peuL avoir' Ie mal- heur de vivre. Ii no us est indifférent que quelque barbouilleur de devises y dessine Ie bonnet de Danton, Ie coq de Louis-Philippe ou I'aigle de Bonaparte. A son ombre se grouperont des homn1es jll- gés d'avance : ils feront du mal, ils combleronL Ia mesure et leur pouvoir périra. Eh bien! cetle liberté, I'unique objet de nos com- bats sous Ie dernier régime, cette liberlé de la prière et du sacri- fice, celle liberté de l'enseignement, les démocrates de 1848 nous l'ont-ils donnée, nous l'ont-ils seulement promise? Nous ne les yoyons occupés qu'à fortifier les anciens monopoles et à en forger de nouveaux. Et plus iis sont démocrales, plus iis abondent en in- ventions despotiques, plus ils sont hostiles au Christianisme (1' )). Tel était dès lors et tel est de plus en plus aujourd'hui Ie caractère saillanl de ces démocrates: ils étaient les ennemis les plus vio- Ients de la religion, les partisans hypocrites de Ia plus misérable tyrannie. L'Èl'e nouvelle avail fait un faux déparl ; son programme ne ré- pondait à rien ; ses idées de conciliation ne pouvaien l se promet- tre aucun succès ; au bout de six mois elle avail perdu son crédit eL dévoré à peu près ses capitaux. Les fidÈ'les enfants de la sainie Eglise n'avaient plus, pour ses idées, aucune sympaLhie, même de simple curiosilé. II fallail disparaîlre. Le P. Lacordaire, que son imagination poussait aux aventures, mais que sa sagesse en reti- rail vile, se déroba Ie premier. Directenr du journal, en désac- cord avec ses plus importants collaborateurs, il prétexla ne pou- (1) VEUILLOT, Afélanges, ire série, t. I, p, 14. 38 CHAPITHE 'II voit gardeI' la dir'ectiun J'un journal ùun1le réJacleurs n'obéi - saient plus à ses inspirations. L'È1'e nouvelle en1ra dans une dé- mocratie plus avancée, avec l'aLbé Mare1 e1 Ozanam, Ie Iaret qui ùevail êLre plus lard un dévot de rEmpire. (( C'est, écrivait Lacordair'e, une ligne bien aulremenl tranchée qne celle que je suivais. _\la foi démocratique n'était pas assez robusle pour aile]' aussi loin que nos continualellrs et pellt-êtl'e él ait-ce un inconvé- nient. lain1enanL je n'en suis plus responsable. )) Mais, en quit- t(\nlle journal, il n'abandonnait pas Ie parti. (( Lrs calholiql1es de France, ajou1ai1-il, se sépal'ent netLernent aujourrl'hui en deux nuances: rune favorable à la reslauration de la rnonar'chie, l'au- tre acceptant avec sincérité Ie gonvernement républicain. Ol', il serait l7'ès malhe1l1'pux que Ie clergé elles catholiques de France, pour qui la ré\'olulion de février a élé si mit':)culeusement géné- reuse e1 qui ont réponùu à ce rn0l1vemen1 de générosilé populaire, vins5en1 à ehanger celle bonne sill.lfllioll par une conduite qui lais- så! pereer des arrière-pensécs. Vne volle-face déshonol'e1'a1t les catholiques de France e1 ne permeLLrait plus de voir en eux que les humble... valets de tous les événemenLs favorisés du sort. Pour nJa parL, j'ai accepLé sincèremenl Ie gOllvernement de la répuLli- que sans avoir pour elle aucune passion préexislante, ni Sllrve- nue: nlais, quoi qu'il arrive, je dois respecter ce que j'ai faiL.lJieu s'est se1'vi de moi dans la presse et à la tribune pour fondel' le pa1,ti catholique el lióé1'ol en France. II est vrai que j'ai craint d'alJer tr.op loin,de contraclel' des soHdarités danger'euses et que .ïai quiUé pr'onlptement la presse et la tribune pour revenir à mon ministère religieux : ç'a élé III un acte de prudence légitime, non llne l'é- l1'actation. .J'ai laissé Ie camp à de plus jeunes et de plus hardis que moi; ils Ie défendent sous leur propre responsabililé, e1 je ne dois rien faire Iégèrement qui tende à les affaiblir ou it les divi- se r )) (1.). :\lalgré les sympathies et l'appui du P. Lacordaire, Ie journal qui devait disparaHre fin aoû.t 1818, ne put Pl'olonger son exis- (1) COÞ'res]Jondance avec MnlC Swel('hirw, p. 178, PREMIER ESSAI DE CATHOLlCISME LIBÉRAL 239 tence au del de mai 1849. Les cou ps de masslle de V ellillol et de Monlalemberl l'avaienl liUél'alement anéanti; la di,;col'de élait, du reste, au camp d'AgTarnent. Les libéraux calholiques se dis- tinguaienl surtout par la su ceptibilité de l'épidenne: eux qui admeUent tou les les idées ou un fraternel accord, n'admeLLent sans doute pas cel accord entre les hom rnes et entre eux moins qu'en lO,us autres. Après Lacordaire, Ch. de Coux sorlit, puis l'abbé Maret; Ozanarn resla seul, et, à la fin, il se relira lui-même pour s'occuper d un livre. L' È1'e nouvelle, POUI' finir, avail dévoré les fonds de quelques grandes dames, mais sans jeler aucun éclal, n)ême littéraire. Le hiogTaphe et les édilel1rs des leLlres d'Ozanam ont biffé tout ce qui regardait Ie fiasco de l' b ' 1'e nouvplle. L'abbé Maret n'a rien transmis; on ne connaH pas encore les letlres de Mon- talembert. Le P. Lacordaire, qui enterrail là pruvisoirernent une de ses illusions, s' ex prime plus vel'temen t su I' ces fu nérailles. (( J e ne comprends pas, dit-il, celte levée de boucliers qui vient ù'avoir lieu. L'Èl'e nouvelle pouvait méritel des critiques, IDais non qu'on lirAt Ie canon d'alarme à ébranler ]a chrétienlé. II In'est doulou- reux de voir des amis entreI' dans celle voie d'accusation, où je n'avais renconlré jusqu'ici que desespl'its 1nédiocres eljaloux, prêls à voir des hérésies dans Loute opinion qui n'esl pas la leur, el dans tout hornme qui les gêne ou leuI' déplaH ; c'est un l'ôle qui n'abou- tit qu'à la discorde... Pour moi, j'aime rnieux m'êlre trornpé,puis- que j'ai acquis une certitude plus grande que je ne l'avais cru, des vérilables sentiments de lI1eS anciens amis )) (1). Celte eSlJèce de résignalion hautaine, était POUI' Sophie Swetchine, arnie de Mon- talernbeI'L,qu'il fallail ménager ; Inais, dans une leUre à un arni de province, Lacordaire, qui n'a jarnais su se refuser la salisfaction d'un coup de plume, nj d'un coup de langue, parle 8Ul' un bien au- tre lon : (( II s'en faut, dit-il, que I' ÈJ'e nouvelle ail été irl'éprochable, si on l'examine à la rigl1eur el dans lOllS les déLails; je suis loujours persuadé qu'on a lort de fail'e de la déruocraLie une lhèse absolue; (1) Ibid., p. 4H6, 240 CHAPITRE VII mais si ron s'arrêle à l'espril gënéral de celte feuille, on y recon- naîtra un grand esprit de charité, un libéraLisny,e sincèl'e, un éloi- gnemenl de tous les excf's, une fidélité à la ligne qu'avait suivie la presse calholique pendant de longues années, et qui lui avail val u l'honneur de contribuer à la bonne situation de l' Eglise en 1.R48. M. de Montalemberl, en se rejetanl dans une polilique touie hu- 'rna'ine et en y entraÌnant beaucoup des nôtres, détruiL de ses pro- pres n1ains l'édifice de toute sa vie, et nous prépaloe des maux dont il gémira plus tard. Lui et ses amis ont déployé conlre rÈ're nou- velle une lactique plus odieuse encore que celIe qui fut employée conlre l'AvenÏ1'. Ils ont sciemment détourné l'allenlion du vrai point de la question, pour persuader à leurs lecleurs que l'È1'e nouvelle étaÏl un journal révolutionnaire, démagogue, socialisle ; ils ont caché les réponses faites à leurs altaques, ils les ont cons- lamment dénaturées, en recouvrant leur' silence tantôt de ména-. gements hypocrites, tanlôt de violences calculées. Je n'ai jamais rien vu qui m'ait semblé de l'honnêteté. Aussi la sépa1>ation est com- pLète et Ù'ré1nédiable, el, pour moi, je rends grâce à Dieu qui m'a tiré authenliquelnen t de toute solidarilé avec des hommes dont j' ent1'evoyais depuis longternps l' esp1>it, doni je pl'essentais la (ausse direction, et avec lesquels on eut pu me confondre dans Ie pré- sent etdans l'avenir.Je suis libre,ces tristes liens sont publiquement brisés. lIs I'ont été par eux bien plus que par moi )) (1.). On ,oil ici, la vra.ie pensée du P. Lacordaire sur Montalem- bert, SUI' Dupanloup, sur taus les rédacleurs de l'Ami de La Religion. Parce que, malgré leur esprit fort enclin à la conciliation, ils se refusent à suivre, dans ses incal'lades, I'È1'e nouvelle, illes frappe d'analhème. On remarquera n1ême qu'il les soupçonnait depuis longlemps, selon nous, tr'ès à tort. Ce serait done seulernent une comérlie, un quiproquo, Faute de s'entendl'e. La séparation est contplèle, Ü'1'émédiable, et, de son côlé, Lacordaire a ten u parole: ce n'est pas lui qui est allé à eux, ce sont eux qui ont dû. veuir à ses idées. Libéral, il l'a toujours été, ill'étaÏt alors avec une es- (1) Lett1'es inéditcs à M. de Saillt-Beaussant, p. 187, PREMIER ESSAI DE CATIIOLICISME LIBÉRAL 241 pèce de fureur; à ce point qu'au lieu de permeUre une ombre sur l'impénitence de son ardeur libérale, il aima mieux rompre les conférences el quHter Notre-Dame. On n'a pas idée d'un pare il fa- natisme. Les textes sonL sous les yeux du lecleur; qu'il juge par lui-même et pèse les choses au poids d u sanctuaire. 16 CHAP[TRE YIII LA LOI SUI{ LA LIBEI{TÉ D 'ENSEIGNE)lE:\T. La loi du 15 mars 1850 sur la liberté d'enseignement fulla pre- luière application des idées de l'abbé Dupanloup sur la sociélé n10- derne, sur l'ordre de ses insLituLions et sur la parl qu'y peut pren- dre la sainte Église. Celte loi fut aussi, pour eet esprit timide, superficiel eL despotique, la première occasion de poser en chef de groupe en se séparant du parti catholique et en désertanlles con- signes préconisées par l'épiscopat. Double motifpour l'étudier avec soin eL la j uger en stricLe j ustiee. (( J'ai toujours crn, disait Leibnitz, qu'on réformerait Ie genre humain, si ]'on réformait l'éducalion )). C'esL une grande parole, souvent eiLée, quoiqu'elle ne soit pas d'une parfaite exactitude. Il est remarquable que Leibnilz ùit l'édllcalion el non pas l'instl'uC- lion; si 1'0n prend l'édueaLion dans sa plus haute généralité, corn- Ine formalion de l'hornme, il esl indubitable que moulant à son effigie les générations, elle doit, par là nlênle, exercet' sur un peu- pIe, une profonde intluence ; Inais l'éducalÏon, si puissante soil- eUe, subil elle-même des influences diverses e1 souvent des op- positions. Il y a, dans LOllS les tern ps et surtout du nôtre, trois grandes questions: la question religieuse, la question morale et la question sociale : la question religieuse est affaire de foi divine; la questiun Inorale est réglée par une loi surna1urelle; la question sociale, aujoun]'hui question ouvrière, es1 résolue þar l'acceptation de la foi chrétienne et des mæurs eatholiques ; aulrement eUe n'est qu'une matière à uLopies et un prétexLe à coups de fusH. La ques- tion de l'el1seignement, subsliLuée à tad, selon nous, à la question d'éducaLion posée par Leibnitz, tuuche d' une certaine manière à tou1es les grandes questions dr I'ordre public, LA LOl SUR LA LlBERTÉ D 'ENSEIGNEl\IENT 243 Danð l'ancienne France, l'Église ella monarchie avaient donné, à ce problème, une soLution magnifiq ue. Du Ve au X VlIle siècle, la :France, terre favorite ùe la Sapience: In Gallia Sapientia, avait Lraversé les âges vêlue d'une blanche tuni(l ue d'écoles el d'uni- versilés. }Iérovingiens, Carluvingiens, Capéliens avaienl mis suc- cessiveIl1enlla main à ceUe æuvre progressive; chaque époque avail eu ses docleurs ; el je ne sache rien qui honol'e plus notre génie, que l'hi toire litléraire de France. La Révolulion fit lable rase, sans s'essayer it rien qu'à des projels grandioses e1 vains de reconslruction. Napoléon, avec cel esprit de despoLisme qui Ie ca- racLérisait, avail créé l'Universilé avec son monopole, sorle de congrégation Iaïq ue, obligée par décret au célibat et à l'orlhodoxie. Cette cong.'égalion devait s'inspirer en LouL du dogme et de la mo. rale calholique, mais elle avail surlout pOUI' mandat de façonner la jeunesse aux desseins belliqueux et au joug terrible de l'Empire. AUS8i, par nne contradiction que l'ambilion seule expIiq ue, apo- Ip,on qui v(Julail, à la France très chrélienne, un monopole lrès chrétien, recrula les fonclionnaifes de l'Unive.'silé surlout parmi les coryphées du philosophisme encyclopédique e1 pat'mi les prê- trcs apostats. C'esl avec ces renégats et ces prêtresscandaleux qu'il vuuIul assouplir la France à ses volontés, et il ne se LrompaiL pas, 'n'étant leI qu'un làche pour former des esclaves. L'UniversiLé de- puis avail gardé ceUe marque d'ürigine; outre qu'enseignanl au nom d'un état déchu de l'o.'dre surnaturel, eUe ne pouvait avoil' de doctrine positive ni rien d'lefficace pour former les mæurs, elle élait condamnée, par les créateurs de ses traditions, à toules le8 Lrahi... sons et à tous les parjur s. Sous 1'Empire, l'Universilé avail formé des libéraux; sousla monarchie constitution nelle, des )'(\publicains. La Révolulion de 1848 mil à nu tOllS les vices de son enseigne- ment et Ie néant de son édncation. Ainsi, Jouffroy, Damiroll el au1rcs avaient, sous couleur de philosophie, semé Ie sceplicisme et l'incrérl ulilé ; Guizol, Thiel's, les deux Thierry, MicheleL t1 vaient, sous couleur d'hisluire, p.'opagé la haine de la vieille France et l'infatuation de l'idée révolutionnaire; ViHemain, Lamartine, Hugo, Sainte-Beuve, Eugène Sur, Georges Sand, sans cOIIlpter lIne 21:\ CllAPITRE \ïll foule de paperassiers, a vaient, à propos de letlres, préconisé Ie sen- sualisme. A la vieille morale qui dit à I'hon1me : Souffre eL abs- tiens-loi, on avail suhstitué la doctrine beaucoup plus commode de la jouissa nee et d u mépris. L'im piété el la cor'ru pLion a vaient jeLé partout l'esprit de méconLentement elles utopies, venant au secours de la haine, proposaient de démanlelrr l'ancien ordre de choses, pour organiset enfin, après six mille ans, Ie paradis sur la terre. On en étaÏt là, lorsque Ie cours des événements polHiques amena au minislère Ie comle de Falloux. Alfred de Falloux élail né à An- gers en 1811, d'l1ne famille de commerçants dont la Reslauralion avail récom pensé Ie zèle monarchiq ue pal' des leltres de noblesse. Jeune homme de talent et de zèle, Falloux avail publié, en 1840, un panégyrique de Louis XVI et en 1845, uneHistoÜ'c de S. Pie V, pon- tife dont il devait plus tard déserter singulièrement les doctrines. Ell 1846, les élecleurs censiLaires de rarrondissemenl de Segré l'envoyèrent à la Chambre; Ie jeune député prit place dans l'oppo. ilion de droite et souLint, contre Salvandy, la cause de la Jiberté d'enseignemenL. En 1848, Ie déparLement de ,Maine-et-Loire l'en- voyait.à la Consliluante, Ie dernier sur treize élus. A la Chanlbre, il déploya un vrai courage: au 15 mai, il défendit, contre fémeute, la représent.ation nalionale, et Ie dernier à quitter la Chambre, fut Ie prernier à y rentrer. Le 19 mai, nommé rappol'teur dans Ia question des ateliers nationaux, il conclul à la dissolution, mais en allouanL les fonds nécessaires pour rapatrier les ollvl'iers; par là tombe l'accusation de Vapereau-, qui lui impute d'avoir élé la cause des journées de j uin, éclatées trenLe j ou 1'S plus lard et parce que la commission exécutive ne sut pas tenir Lête à l'émeuLe. Alfred ùe Palloux avail approuvé l'ensemble de la Constitution et voLé des ren1erciemenls à Cavaignac, mais Iui avail .'efl1sé son concours pour La présidence, Le prince Louis Napoléon, élu présidenL, l'ap- pela Ie 10 décembre au minisLère de l'instrucLion publique et des cuIles: Yapereau dit encore que I'UniversiLé recevaH, en lui, pour chef, son ennemi personnel; c'est un propos que L'histoire dément ct, sïl éta1l vrai, il resterait à denlanùer pourquoi Ie premiel' chef LA LOI SCR LA LIBERTÉ D "ENSEIGNEl\IENT 2 de service de l'enseignement public est réduit à la condition de grand maitre de I'Gniversité, premier dignilaire d'un corps contre lequel il doit régler et diriger la concurrence. Mais Falloux ne devait pas justifier cetLe imputation. Le jeune minisLre, en rece- vant Ie portefeuille, y trouva ce projet de liberté d'enseignement successivement présenLé par Guizot, Villemain et Salvandy : il re- prit celte question etla manière dont ilIa posa, puis In. fit Lriom- pher, prouva qu'il était plutôL l'ami que l'ennemi de rUniversiLé. Odilon BaJTot, chef do ministère, dit de lui: <>. Le fait dn refns des propositions favorables au clrrgé, par l\IontalcmberL el Dupanloup, est confessé sans vergo- gne ; la raison qu'on en donne est moins plausible. En deçà du monopole, on pou,'ait accorder, aux curés, une situation consi- dérable, également j ustifiée par leul' capacité et leur caract.ère; situation qui n'est pas pIns un privilège qu'un monopole, mais Ia simple consécrnlion d'un fait; situation en dehors de Iaque])e les instÏtutenrs sont sans contrôle ou contrt)lés seulement par l'igno- rance et la passion politique, et rleviennenl alors ce qu'ils élaient, des anti-curés, des curés de l'athéisme et du socialisme. Quant à Ia liberté dans Ie droit commun, formule du catholicisme libéral, elle ne devait nnIlement être concédée par la Ioi de 1850 qui main- tinlle privilège de I'Université et y fit seulement une place à I'E- glise. En ce qui touche I'enseignement secondaire, sa liberté avail été édictée par Ia Constitu tion ; il s'agissait seuJemen t de I' organi:.;er. Sur ce point, simple en lui-même, si ron eût ,'oulu réellement la liberté pleine el entière, ropération était des plu,s faciles : il s'a- gissait rl'établir cette liberté SUI' Ie droit commun, rle l'accorder' à tout Ie monde el d'en placer l'exercice sous Ie contrðle du droit pénal de la Françe. fais sous ce prétexte qu'il fallail prendre des précautions contre Ie socialisme, les vieux roués du régime parle- menlaire firent admettre qu'il en fallait prendre aussi contre l'E- glise, et, sous couleur de droit commun, on appuya Ie droit propre de I'Etat, dont Ie bras droit étail l'Université. Thiel's, qui croyait la religion bonne pour Ie peuple, ne la croyait pas égalemenl n - cessaiJ'è à la bourgeoisie; iI ne pensait pas que l'EgIise ptît lieI' sa cause à ce1Le des jésuites ; enfin il réclamait, pour I'Etat, If' droit de fra pper ]a jeunesse à son effigie, el de maintenir, par Ie cf'rtifi- cat d'études, snr renseignemenllibre, une prépotence inali.énable. Ces pl'étention5 étaient-elles une ruse de guerre et Thiel's ne les meUail-il en avanl qne pour s'accorò. r, par des conce sions pré- "ues, }'elnbarras d'en faire d'al1lres : on n'en snit rien. Le fa es! _ \.. \Il' -" ,'.Þ ;.,....,. (" - ....... /' ,\. (1) Vie úe JIg I' DupanlnU}J, t. I, p. 493. . , j .p ' 'I'; t ": ,", I f ,1 1/1 . . ;.. '. ;. <...... t' \'/ (':.H "-. t I.t ß i,..1,t . 1"""'., 'V',I' I \; \.:) );:t:" , \ . . ,-..-\. , or. ... I '.ø 1/ \:.:; : ; _< ' _ f' v 252 CIlAPITRE "III que Thiel's sut inspirer, à Dupanloup, une admiration que Dupan- loup a souvent exprimée avec presque autant d'emphase que son biographe; et qu'il céda sur quelques points, à ses réql1isitions, avec une facilité qui óle beaucoup de mérite à Ia victoire. Ce que lui accordèrent les amis comprOlnettants de l'Eglise fut, à leurs yeux, si peu de chose, qu'ils demandèrenl Îrnmédialement et ob- tin rent sans délai une mitre pour ce prêtre, qui, sans mission autre que celIe de son ami Falloux, avait acceplé de stipuler au nom de l'Eglise, suivant ses opinions personnelles, mais non suivant les consignes mille fois dictées par les premiers pasteurs. L'æuvre qui sortH des lravaux de la commission, reposait sur l'idée d'une transaction entre les diverses nuances du parti des conservateurs sans religion et Ie parti catholique représenté par des hommes prêts à transiger. On dit, pour s'excuser, qu'après la spéculalion il faut l'action, et après Ie combat, un traité de paix : généralités vraies, mais l'action doit garder les Leintes de la pensée spéculative et la paix ne doit pas trahir les raisons déterminantes de la guerre. Quand Ie projet fut connu vel's Ie 18 juin 1849, il causa, parmi les catholiques purs, un vrai désillusionnement; plusieurs qui pouvaient stipuler pour eux, entre autr es Combalot et Rohrbacher, posèrenl publiq uement des réserves; les évêq ues exprimèrent confidentielJement des alarmes ; Ie C01 1'espondant fut même assez vif dans ses algarades. L' Unive1 s, arrivé déjà à un grand crédit, rédigé par cel homme qui porta loujours à un si haul degré Ie sens catholique, Louis Yeuillot, devait aussi. selon les usages de la presse, critiqueI' Ie projet. La critique étaÏt de droit commun; dans l'espèce, si elle étaitjuste, elle ne pouvait être qu'un bienfail, el, loin de la craindre, il fallait plutôtl'appeler de ses dé. sirs. Les libéraux catholiques de la commission ne jugèrent pas ainsi ; leur æuvre étaÏt, suivant l'expression de Montalembert, sa- crpe ; il faUait se borner à l'admil'ation et si ron se permetlait des regrets, c'élail un crime inexpiable. Un libéralisme de ceUe étrange espèce ressemble beaucoup au dilemme de .Mahomet: Crois ou meurs ! C'est Ie despolisme, plus l'hypocrisie. (( Le ministre, dit Veuillot, sachant que l'Univers combatLraitle LA LOI SCR LA LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT 2:53 projet de loi, se rendit chez Ie rédacleur en ch f; et là, dans un 'long entretien, fort calme de part et d'autre, chacun plaida sa cause. Les raisons du ministre furent celIes q u'on no us fait lire au- jourd'hui: la situation, l'esprit du temps, la nécessité d'en finir, l'impossibilité d'obtenir des conditions meilleures. Le rédacteur opposa les arguments que Ie journal a plus tard, développés: - On donnail aux catholiques autre chose que ce qu'ils avaient de- mandé. Ils avaient demandé la libert , on leur faisait simplelnen l une petite part dans Ie monopole. Celte situation offrirait de grands périls, si plus tard, comme on pouvait Ie redouter, I'UniversiLé, en ce moment jugée par ses fruits, ressaisissait son influence. Toute pensée de transaction étant un germe de division, cette loi, rejelée ou adoptée, aurait pour effet certain de briser prématurément Ie parti catholique. .Mieux vaudrail continuer Ie combat que de finir ainsi. Dans tous les cas, en admettant même Ie principe du projet, de graves améliorations ét ient nécessaires; il fallait combaUre pour les obtenir. (( Le ministre demandait si l'on avait pu raisonnablement espé- reI' de substituer Ie clergé à l'Université, et de faÙ'c soudainenwnt appa1'aîtl'e une soutane IJartoul où it y avait un frac ? Il appuyail sur la chimère, sur la témérité d'une pareiJIe entreprise. On lui répondait qu'il s'était agi parmi nous d'obtenir la liberlé d'ensei- gnement, la libre et loyale concurrence, et non pas Ie monopole. II insistait sur une autre pensée : la crainte d'un double échec pour les futures maisons religieuses d'éducation, si la loi permet- tait d'en multiplier trop aisément Ie nombre. Ou l'antipathie des parents, disait-il, empêchera qu'elles se remplissent ; ou l'incapa- cité des maHres, inévitable dans ces commencements hàtés, les fera décrier et les videra promptement. II doutait qu'il y eût en France, assez de parents catholiques pour peupler les colJèges catholiq ues ; e1, d'un autre côté, sans remarquer la contradiction, il demandaiL où ron trouverait assez de professeurs pour gouverner ces collèges qui manqueraient d'écoliers? L'interlocutcur du ministre répon- dait que les partisans de la liberté de l'enseignement s'étaient tou- jours sentis forls du v(eu des familIes, donl tout ce qui se passait 54 CHAPITHE YIII démonLloait la puissance. Que s'il y avail des catholiques assez igno- ranl de la responsabililé paternelle pour refuser leurs enfant aux collèges religieux, les incrédules y enve1'raient les leurs. Que dans loule chose on doit subir la difficullé des commencements, et que Ie 1110yen de fOI'I11e1' un clergé enseignant n'était pas de lui épar- gner plus longteInps les périls de l'e}..périence. (( Une ùernière aplJréhension semblait travailler l'esprii du mi- nistre et Ie portait à s'applaudir d'avoi1' laissé l'Eglise sous la Inain de I'UniveI"sité: il craig-nait que l'éducaLion donnée par les ecclc- siastiques ne répondît pas all exigences de I'e pril moderne. Ce sentiment 1'eparaìt dans son écril sur Ie parti calholique : (( II ne suffit pas, dit-il, pour sauveI' nne nation, que l'éducation des fa- nlilles d'éIite soit ir1'éprochable au point de vue religieux; il faul aussi que, dans tout ce qui est légitime, J'éducalion se mette en rapport avec Ie milieu social qui attend l'homme au sartiI' de la jeunesse. Gal'dons-nous q u'il ait jamais à rougÙo de ses Iuaìt res, qu'il soil tenlé de leur imputer jamais son infériorité dans Ie bar- reau, dans l'al'mée, dans quelque calTière que ce soil. Elever les jeulles gen:s au XIX e siècle, comme s'ils devaient, en franchissant Ie seuil de I'école, entrer dans la société de Gregoire VII et de S. Louis, serait aussi puéril que d'élever à Sail) t-Cyl' nos jeunes officiers dans Ie maniement du béIier et de la catapulte, en leur cachanll'usage de la poudtoe à canon )) (1). En Olnme, suivant la coutume, Ie catholique libéral devenu Iuinit'iLre, servait plus les intérêts du libéralisole que les inLérêts de la foi. A u fond, il se méfiait des catholiques et du clergé : il en a fail depuis la confession: il aHait jusqu'à leur prêter, sur réduca- lion, de pauvres idées qui n'avaienL place que dans son cerveau, A l'entendre, c'étail l'inlérêl ùe la religion et de l'Egli::;e en France, qu'on rurtifiàt, par l'accession des catholiq ues, I'Université... nla- chine formidable, inventée par Ie despolisme pour maler la na- tion, Inise en mouvement par Ie Iibérali5me pour tenir en échec I' Eglise el la religion. (1) VEUILLOT. Histoire du parti catlwlique, dans Ie 1 ec vol. des Jlelange . p. 4U8. LA LOl SUR LA LIBERTÉ D'ENSEIGNEMEl\T 255 L'{]nivers, en effel, di8cl1ta Ie projel de loi. L:abbé Dupanloup, dont Ie Jibéralisnle consistaH à parler tout seul et à soustraire ses acles à la critique, prélendit que la cau e elant porlée devant l'assemblée, j uge du fait el devant l'épiscopal, j uge du droit, Ie silence élait de slricte rigueur. Veuillot rejeta ces frivolilés, di- sant avec raison que la cause étant devant les tribunaux, c'était, au contraire, Ie momen t de l'éclaircir. Du resle, il se bornait à une loyale discussion: (( Nous n'accusons pas nos amis, dit-il, nous savons qu'ils cèdenl à des raisons puissantes. La question de la Iiþerté d'enseignelnenl n'est bien comprise que des universi- laires et des catholiques en lrop pelit nombre qui ont liv.'é pour elle tant de combals. La majorité conservalrice n'y enlend rien, pas plus qu'au péril qui Ia menace (1). Suivanl une autre parole COlIlm une au vicomte de .Melun el à :\lgr Parisis, leI élaiL l'aveu- glement de esprits, que, malgré Ie coup de lonnerre de février, on n'a pu rien faire inscrire de plus dans la loi. Dès 10rs ses pl'é- parateurs n'onL pas lieu de crier vicluire; puisqu'ils se ou t vus réduits à un pis-aller, ils autorisent par là toutes les critiques. Confesser que Ie projet n'a pas pu être amélioré comme ille de- vait, c'esl confesser q u'il n 'était pas sans fallte. (( Qu 'avons-nous demandé, loujours et unaninlement, ajou te Veuillot; la liberté! Que nous offre Ie projet, une faible part du IIlonopole. Le projel organise et fortifie Ie monopole; il nÏnsLitue pað la liberlé. II dun ne au clergé, aux ciloyens, plus de facilité peuL-êlre qu'ils n'en avaient pour cl'éer des élablissemenls univer- silaÙ'es ; il ne permet ni à l'Eglise, ni aux particuliers de créer des établisselnents réellemenl libl'es. Dans l'exposé des motifs comme dans lous le exposés des nlotifs et rapports que nous avolls ius depuis diÅ ans, il est qUècilion de liberte ; dans Ie::; arti- cles, daus la pratique, ceLLe liberté n'esl autre chose qu'une conl- plète el radicale absorption. L'U ni ve,'silé gOll verne les établisse- ments libres, autol ise les livres elles rnéthodes, confère les grades. En oulre, Ie projet ne recollnaìt Ie droit de disputer l'enseigne- ('1) VEUILLOT, llfélanges, Il'e série, t. V, p. 399. 256 CHAPITRE YIIl ment qu'aux congrégations alltm'isées par l'Etat. Ainsi, pour l'ins- truclion primaire, point d'autres congrégations que celles qui existent et qui sont insuffisantes; pour l'instruction secondaire, aucune, sauf les Lazaristcs, qui n'y sont pas spécialement voués et qui s'en occupent à peine. II ne sera que trop facile de Ie prou- vel': ce qu'on nous offre, nous Pavons loujours refusé; cc que nous avons toujours demandé, on no us Ie refuse. Dans la vaste enceinte du monopole, on trace un petit enclos dominé de toutes parts. On y place des sentinelles universitaires, une douane à l'entrée pour les livres, une douane à la sortie pour les examens, on y envoie des inspecteurs et on nous dit: Plantez-Ià volre dra- peau; c'csl Ie terrain libre )) (1). Un peu plus loin, Veuillot ajuutait: (( Nous avons demandé la liberté, rien de plus; nous demandons la liberté, rien de moins. Comment se peut-il que la liberté d'enseignement, cette partie si précieuse et si essentielle de la liberté religieuse, paraîtra aujour- d'hui, à des catholiques, avoir moins besoin de la plénitude qu'il y a dix-huit mois ? La situation morale du pays s'est-elle améliorée? les doctrines que nous voulions combattre envahissent-elles moins les consciences 'I les périls que nous voulions conjurer sont-Hs amoindris? quel est celui de nos anciens arguments qui ne peut plus servir, et dont les événements, au contraire, n'ont pas cen- tuplé la force? En ce temps-Ià, d'une voix unanime, fidèles échos de la grande voix de l'épiscopat, nous annoncions que les fruits mûrissaient à la chaleur malsaine de l'éducation universitaire. Les fruits sont mûrs, et nous en goûlons el toule la France en est nourrie, sont-Hs moins amers que nous ne l'avions annoncé? )). Les partisans du nouveau projet reprochaient à Veuillol de s idées trop absolues et pas assez d'espril politique: (( Phìt à Dieu, répond-il, qu'on eÚl, en ce temps-ci, plus d'idées absolues, c'est- à-dire plus de convictions et de principes arrêtés ! Les convictions fermes croient à l'avenir ; eUes confient volonliers leur triomphe à la juslice, à la discussion et au temps. Elles o'ont point recuurs à (1) .Jlélanges, 1 re série, t. V, p. 395. LA LOl SUR LA LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT 57 la violence, eUes ne :se laissenl point amoindrir par ce qu'on ap- pelle l'esprit politique, c'est-à-dire l'esprit de transaclion, ùonlle caractère est de comhiner sans cesse entre le vrai elle faux de mensongères alliances, bonues à produire de perpétuels avorte- ments"... Le minislère acluel nons ofrl e sans doute Ie type de l'espril politique. Son action la plus claire consiste à faire au so- cialisme toutes les concessions que la révolulion obtenait du dernier règne. Ule fait de la même manière, avec ]e Inême résul- tal; il sert, sans la satÏsfaire la cause qu:il vent et qu'il doi 1 combattre )). En deux mols, dans la luUe pour la Iiberté d'enseignement, l'é- piscopat, d'une voix unanime, avait déclaré qu'il demandail pour tous Ie droit de fonder des écoles absolument indépendants des écoles officielles : et on proposait un projet qui mettait toull'en- seignenlent sous la dépendance rle l'Etat el faisait de l'Eglise l'auxiliaire subalterne de l'Universilé. Au sujet de ce fameux es- prit de transaction, Veuillot posait co dilemme véritablement pro- phétique : (< De deux choses l'une : Ou la bourgeoisie liendra quel- que temps encore contl'e Ie socialisme, et dans ce cas, eUe re- prendra toutes ses allures, tout son orgueil, toute son incréduliLé et aussi lout son aveuglement d'avanl Févl'Ïer. Victorieuse des hordes démagogiques, elle oubliera commenl elle a failli se per- dre ; eUe n'a j amais su comment eUe pourrait se sau vel'. Alors I'Université, lriornphante avec et par la bourgeoisie, sera ce que nons la connaissons, ce qu'elle a toujours été, ce qu'elle ne veut pas cesser d'être, l'ennemie acharnée et persévérante du Chris- tianisme. Elle nous appliquera Ie fl ein que nous lui aurons f (1) La vérité sur la loi de l'enseignement, p. 36 et 38. ()8 CHAPITRE 'HI :\Igl' Parisis avail parlé; les évêques, malgré les bruits qui en avaienl couru, n'avaienl pas marqué d'hostilité publique ; trois ou quatre seulement ne dissimulèrenl pas la persisLance de leur op- position. Un document, émané de la cour de Rome, vin l d'ailleurs rassurer les consciences: il ne donnait pas, à la loi, ce cachet d'ex- plicite approbation qu'on eût désil'é, illui ôtail du moins l'aspect d'un concordat arbilrairement signé entre fEglise el I'Elat par des négociateurs sans titre. Le 15 Inai, Mgr FOI'nat'i, nonce apostoli- que, adl'essa aux évêqucs de France une circulaire dans laquelle il rappelail que (( si l'Eglise est loin de donneI' son approbation it ce qui s'oppose à ses principes et à ses droUs, elle sail assez sou- vent, dans JÏntérêt même de la sociélé civile, supporler quelques sacrifices compatibles avec son existence eL ses devoirs, pour ne pas compromeUre davantage les intérêts de la religion el lui faire une condition plus dimcile )). En conséquence, il recommandait (( l'union d'acLion dans Ie clergé )) ; il conlpLait (( Sllr Ie bon vou- lair du gouvernement )) ; il exprimait l'espoir que (( ceux du res- pectable corps épiscopal, qui, par Ie choix de leurs collègues, diri- geronl dans Ie conseil de l'insLrl1ction publique, par leur zèle el leur auLorité comme par leur doctrine et leur prudence, sauronL dans toutes les circonstances défendre avec courage la loi de Dieu et de l'Eglise, sauyegarder de LouLe l'énergie de leur ânle les doc- trines de notre sainte religion et appuyer de loutes leurs forces un enseignement pur et sain )). L' Unive1's enregisLra Ia JetLre du nonce: (( Plus noLre opposition à Ia loi, écrivait-iI quelques jours plus lard, a été vive el persévé- rante, plus il nous irrlporte qu'aucun nuage ne puiss s'élever sur la sincérité et l'intégrilé de notre soumission aux directions d 11 vicaire de Jésus-Christ. )) C'éLait remplir dignement son devoir jusqu'à la fin. Tant qu'H avail falJu combattre, Ie journal avait vaillamment faiL usage de ses armes et déployé son drapeau ; iI avait rempli Ie deyoir rll1 soldat qui, par les prouesses de ses coups d'épée, rend plus facHes les négociations des diplomates et plus larges les concessions des politiq ues. A ce till'e, l' Univeì's, par son opposition décidée el par la puissance ùe ses raisons, avail conLri- LA LOI SUR LA LIBERTÉ D'ENSEIGNEMENT 269 bué, pour line grande part,à améliorer Ie pl'ojet Thiers-Dupanloup. Ce service lui attira une vive et longue haine ; il n'était qu'un titre de plus à la reconnaissance. U ne haine, si inj usle el si déclarée, pl'OU ve au nloins qu' en fagoUant Ie projct ex tra-parlenlen taire, les fagoUeurs s'occupaient moins de biènfait à produire, que de principes à préconiser. On prenait posilion. Lorsque Ie nlinislre pria les évêques d"éJire quatre de leurs col- lègues pour Ie conseil supérieur, presq ue tous d éférèren t à ce Ue invitation; tous aussi s'empressèrent de procéder à l'exécution de la 10L La loi de 1.850, grâce aux concessions failes à I'Eglise, rendit de précieux services à la Prance; mais par Ie faux principe de rEtat enseignanl, elle fut bientôt blessée dans son économie et à la fin réduile à l'élal de ruine. C'est sur Ie double principe du droit naturel des pères de famille et du droit surnaturel de I'Eglise qu'eût dû se fonder une Ioi libérale de l'inslruction publique. On se sauve par des principes; par des concessions et des transac- tions, on ne peut que s'énerver et courir à la défaile. (( II est comnlun, écrivait Ie vicomte de Bonald, d'entendre blÙmel' les emportements de quelques sages du dernier siècle. Mais, en même temps, on rejeUe par forme de conlpensation, les doctrines opposées, corrlme un autre extrêrrle qu'il faut éviLel'. Les opinions qu'on décore du nom de rnodérées sont commodes, parce qu'elles sont toutes failes, et que, pour trouver Ie point oÜ il faut s'arrê- tel', il suffit de se tenir à égale distance des deux au lres. Les opi- nions modérées et qui ne sont que mitoyennes, s'accommodent d'elles-rrlêmes aux esprits moyens et médiocres, comme les partis moyens aux caractères faihles. Les bans esprits savent que la vé- rité est absolue; qu'elle n'esL pas, com me une quantité, suscepti- ble de plus au de mains, qu'elle est ou qu'elle n'est pas et qu'elle redoute rrloins les ennemis que les neutres. )) II fau t peser ces pa- roles; eUes tirent l'horoscope des concessions faites au principe révoluLionnaire de l'Etal enseignant. En ce qui concerne la reli- gion, I'enseignemènt, d'ennemi qu'il était, devint neutre ; mais si la parlie ecclésiastique resla neulre, la partie universitaire resta ennemie, ennenJÌe sourde, hypocrite pour un temps, d'aulant plus âpre, après quelques années, à refaire sa tyrannie. CHAPITRE IX L.\ QUESTION DES CLASSIQU ES. Après la promulgation de la loi sur l'enseignement secondaire, la question des classiques venait à l'ordre du jour. CeUe question n'était pas nouvelle: elle avail élé disculée récemment par plu- sieurs publicistes aulorisés; eUe avait été enlrevue plutôl qu'ap- profondie, depuis longtemps, par un grand nombl'e d'esprits sé- rieux; à vrai dire, elle étaH posée de-puis trois siècles, depuis que l'Europe, ahandonnanlles traditions chrétiennes de rens ignemenl classique, s'était éprise des liltératures païennes d'Athènes et de Rome et en avait inoculé Ie mauvais esprit par son enseignemenL Les facilités faites aux calholiques pour créer des maisons d'en- seignement libre, ne les invilaient done pas seu]ement à user de la liberlé, mais à déterrr1Ïner exactelnenl dans q uel sens ils de... vraient en user et par que lies voies plus stires, ils réaliseraienlle bien moral, objet de leur pie use ambition. Les évêques, les prê. tres, les fidèles en demandant, par la voie eonstitutionnelle de la pétition et par une longue controyerse, la liberté d'enseignement, ne sollicitaient pas cetle liberlé dans un intérêt de luere et sim- plemrnt pOlll' Caire concurrence aux marchands de soupe. Leur foi elleur charilé visaient plus haut; ils voulaient, par I' enseigne- ment elassique, rendre l'édueation chrétienne; el, pour rendre l'édueation ehrétienne, iis devaient la pénétrer de toutes les lu- mières et de toutes les grâces de la religion; une question, jus- que-là spéculative, s'imposait aux nécessités de la pratique etl'ur- gence de l'aelionexigeail une résolution que,jusque-Ià, ladiscussion n'avait pu fournir. · Celte question ful posée par l'abbé Gaume. Jean-Joseph Gaume était né à Fuans, Doubs, en tH02. En 1833, voyant son aìné pros. LA QUESTION DES CLASSIQUES 27f cril par l'archevêque de Besançon, il quilla Ie diocèse pour par- tager son exil. Elève et disciple du cardinal Gousset, il trouva, dans Ie diocèse de Nevers, un exil pl'opice. Successivement direc- teur du petit séminaire, professeur de théologie, chanoine et vicaire général du Inême diocèse, il fonda plusieurs inslitutions de charité et composa plusieurs ouvrages. Dès 1828, placé à la tête d'une maison d'éducation, il avait été frappé des inconvé- nients qu'entraìne l'usage exclusif des classiques païens ; en 1835, il en fill'objet de son premier ouvrage: Du catholicisme dans l'é- ducation. Ce premier-né de sa plume fit peu de bruit: les petits livres n'onl pas, conln1e les, petits enfants la ressource d'atlir r l'aUention par des pleurs. Le zèIe qui dévorail liUéralen1ent l'âme dp. Joseph Gaume s'épancha bientôl dans un ouvrage de plus longue haleine : Le catéchisme de pel'sévérance, en 8 vol. in-B, création ardente d'un esprit vigoureux, ouvrage neuf de fond et de forme, qui a édifié plus d'âmes qu'il u'a de leltres, car il a été traduit dans toules les langues des penples civilisés. Gaun1e s'éleva encore spécialement contre la profanation du dima.nche ; composa, en 1839, l'histoire de Ia société domestique; dressa, dans Uil allons-nous? un terrible inventaire de l'étal social des peuples modernes, el donna, en 1847, les T1'ois flomes, fruil d'un travail intelligent et d'une vaste lecture, Ie vrai guide religieux dans Rome et dans l'Halie. Dès lors sa plume ne cessa plus de pro.. duire, avec une fécondilé prodigieuse, des æuvres de foi, de science et de piété, où Ie vaillant apologiste s'appliquail surtout à ménager Ie triomphe du surnaturel. Dans la grande école catho- lique, dont Ie conlle de .Maistl'e est Ie père et Ie docteur, Gaume avail déployé Ia vaillance d'un soldat, l'intrépidité d'un zouave de la Chaire Apostolique. En 1851, suivanl celle marche ascension nelle, qui est la marche des bons esprits et des grands cæurs, Gaume posa, à brLÎle-pour- point, celle queslion de classiques el de mélhode d'enseignement dontles intérêts de I'Eglise réclamaienlia solution. Sous Ie titre: Le vel' rongeur des sociétés rnodel'nes ou Ie paganisme dans téduca- lion, il dénonça Ie paganisme de écoles comme Ie principe du 272 CHAPITRE n. paganisme qui s'étendait successivemenl aux mæurs, aux lois, à la famille, à la société civile et menaçait même I'Eglise dans son existence en Europe. (( Dans ces derniers lemps, dil-il, on s'est forl occupé de la liberlé de l'instruction on l'a réclamée avec énergie, avec persévérance, et comme une nécessilé el comme un droit. Honneur au courage, honneur au talent si noblemenl con- sacrés au succès de celte gl'ande cause f Pourtant, si grave qu'elle soit, ]a question de liberté esl dominée par une aulre plus grave encore. La liberlé n'esl pas un bul, c'est un moyen. Le point capi- tal n'esl pas de rendre l'enseignemenl lib1'e, c'est de Ie rendre chrélien. Aulrement la liberlé n'aura servi qu'à ouvrir un plus grand nombre de sources empoisonnées, OÙ la jeunesse viendra boire la n10rt. (( Rendre I'enseignemenl ch1'étien, voilà Ie dernier mot de la lulle ; voilà ce qu'il faut entreprendre, ce qu'il faut réaliser à lout prix. Cela veul dire avanl lout: (( lfaul suhstitue1'le c/u'istianisme au paganisme dans l'éducaLion. (( II faulrenouer la chaine de l'enseignement cat/lOll"que, mani- festement, sacrilègemenl, malheureusement rompue dans loute l'Europe, il r a quatre siècles. (( II faul replacer auprès du berceau des générations naissantes la source pu/'e de la vériLé, au lieu des cilernes impures de I'er- reur; Ie spÙ'itualísme. au lieu du sensualisme ; l'01'dl'e, au lieu du désordre ; la vie, au lieu de la mort. (( II faul informer de nouveau du p1'incipe catholique les sciences, les lettres, les al'ls, les mæUl'S, les institutions, afin de les guérir des maladies honteuses qui les dévorent, el de les soustraire au dur esclavage sous lequel ils gémissent. . (( II faut ainsi sauve1' la sociélé, si elle peul encore être sauvée, ou du moins empêcher que toute chair ne périsse dans]e cataclys- me effroyable qui nous menace. (( II faut ainsi secondel' les desseins ma.nifestes de la Providence, soH en ll'empatll comme l'acier ceux qui doivent soulenir ]e choc de la grande lulle, vel'S laqueHe nous nous acheminons rapide- menl; soH en consel'vont à la Religion un petit nombrc de fidëles, LA QUESTION DES CLASSIQUES 73 deslinés à devenir ]a semence d'un règne glorieux de paix et de justice, ou à perpétuer jusqu'à la fin, parmi de gloriel1ses épreu- Yes, Ia \'isibilité de l'Église )) (1). Par ce progralnme, t'abbé Gaume voulait être Ie prornoteur d'une réaction gigantesque, d'oü fût sorti ]e salut d']sraël et demandait it l"éducation chrélienne la force nécessaire pour tout régénérer. Dans Ie but d'associer, à sa croisade, toutes Ies résolutions géné- reuses, iI monlraitl'Europe égarée depuis quatre siècles dans lms senliers éLroits et tortueux du ralionalisme ; il atlribuait au paga.. nisme classique, une part de ces dévialions funestes; et, sans at- taquer personne, il proposait de christianiser l'enseignement. A l'appui de sa proposilion, il esquissait l'histoire des livres classi- ques depuis l'établissement du chrislianisme jusqu'à nos .lours et la divisait en trois époql1es: la pl'emière allanl de la pl'édicalion des apôtres au Ve siècle ; ]a seconde, d u ye au XVc siècle ; la troi- sième, dl1 XVle siècle jl1squ'à nous. (( Pendant les première époques, dit-il, les classiques pl'oprc- ment dils sonl : les Acles des martyrs, l'EcrÏLul'e sainle, les Pères de I'Église ; on n'éludie que secondairemenlles ouvrages pa'íens el seulemenl Jans radoJescence. Pendanlla lroisième époque, les livres classiques proprement diLs sont: les hisLoires des dieux du paganisme, les rabIes du paganisme; les livres des grands hommes du paganisme; on les éludie principalement, exclusivemenL, el cela dès la première enfance. (( Pendant les deux premières époques, l'enfance reste longlemps au sein de la famille, oil elle est fortement nourrie du pur [ail des vériLés chréliennes ; eUe no passe dans les écoles que pour rece.:. voir un aliment plus suhslantiel, mais non moins chrétien. Pen- danlla tt'oisiènle époque, l'enfance quille de lrès bonne heure Ie foyer domeslique, oil déjà elle reçoil une noun'Uure moilié chré- lienne et moitié paIenne : elle entre ensuite dans les écoles publi,; ques, oÙ elle ne trouve plus qu'une nourriture exclusivement païenne. (1) Le ver 1"ongew'des sociétés modernes; p. 3. 18 274 CllAPITRE 1\ (( Pendant les deux premières époques, on n'éludie les païens que dans un but reIigieux, et nuUement comme modèles de pen- seI', de senlit' et de padel'. Pendant la lroisième époque, on n'éLudie nullement les p ïens dans un but religieux müis COlnme modèles exclusifs de Ia perfecLion dans rart de penser, de senLÌI' et de parler (1) )). En sornme, d'après l'abbé Gaunle, pendant les deux premièr'es époques, les cla siques élaienl exclusivemenl chrétiens; pendant 1a troisième, ils sont exclusivement païens. Cel exclusivisme a diminué l'espril de foi, énervé les m(BUrS, poussé les institutions, à ce point que, la restauraLion elu paganisme en Europe est un fait en voie de s'accomplir. Sur quoi, Ie pieux el savant auteur', abordanlla lhèse des influences'du paganisn1e classique, monLre comment il a corrom pu les lellres, les arts, les sciences, ]a phi lu- sophie, la famille, In sociéLé et même ]a religion. Dne réaction conlre Ie paganisme, u ne restau ration d u Ch ristianisme par l' en- seignement chréLien, une réforme des classiques et un plan de biLliolhèque nouvelle: lelles sont les conclusions de I'abbé Gaun1e. Pour préciser plus clairemenL Ie point d u débat, nous cHons encore Ie vénérable auteur: (( Ce que j'ai Loujours demandé, dit-il, ce que je demande encore, se réduit à tr'ois choses, ni plus ni moins: 1. 0 l'expurgal on plus sévP7'e des auteurs païens ; 2 0 lïnlro- duclion plus Za"ge des auteurs chréliens ; 3 0 l'enseignement Chí'é- lien, autant que cela est possible, même des auLeurs païens. Telles sonl mes prélenlions. Tant qu'on n'aura pas prouvé qu'elles sont inj l1sles ou exagérées, peu conformes à l'csprH du chrisLianisn1e ou Íl'respeclueuses envers l'Eglise, ma thèse restera deboul. On pourra me trouver en défaul pour la forme, Inais je croirai avail' raison pour Ie fonds. (( La lhèse est exprin1ée par ]es deux p,'opositions sl1ivanLes: 1 0 Je n'exclus pas de l'enseignement. les auteurs païens; maisje nc veux pas qu'ils y tiennenl la première place; 2 0 je demande que les auteurs chréliens soienl les classiques e.J;ClllSifs des en(anls j usqu'à Ia quatrième inclusivement. (1) Ve1' l'ongeu)', p. 100. LA QUESTION DES CLASSIQUES 27ö (( Ce temps me paraH nécessaire pour bien des raisons, et entre autres: 1 0 paul' appI'endre con\Tenablementla langue latine chré. liennc, donlla connaissance si utile en elIe-même, est indispen- sable POUI' étudier avec profil Ies liUératures anciennes; 2 0 pour ne pas en1barrassel' la marche de l'enfanl par l'élude simultanée de deux langues ; 3 0 pour nOllrrir plus forlement que jamais de chrisLianisme nos jeunes générations, sorlies de farnilles la plu. part peu chréliennes et deslinées à vivre dans une société qui l'est encore moins; 4 0 pour modifier sérieuseInent Ie caractère heau... coup h'op profane, OU, comme parle Ie comte de l\laislre, heau- coup trop scienti(iquc de nolre édl1calion publiquc, et prévenir' ainsi les calamités prévl1es par l'illustre IJhilosophe. (( Toutes les in!;Litutions hl1maines, dH-il, sonl soumises à la mênle règle, et taules sont nulles ou dangereuses si elles ne repo- 8ent sur la base de loule existence. Ce principe étant incontesta- ble, que penser d'une généralion qui a tout mis en l'air, et jus- q u'aux bases mêmcs de l'édifice social, en rendant l' éducaliun p1.u'emcnt scienti(iq'lle '? Il éLaiL impossible de se trompeI' d'une rnanière plus terrible; car tout système d éducalion qui ne repose pas sur la religion Lombera en un clin d'æil, ou ne vel'sel'a que des poisons dans l'Elal : la religion étant, comme l'a dil excellemment Bacon, l'aromate qui empêche la science de se corron1pre... Si la science n'est pas mise pa1'tout å la seconde place, les maux qui DOUS aUendent sonl incalculables : nous serons abl'utis par la science, et c'est Ie dernier degré de l'abrutissemenl (1) )). (( Après la qualriè1fte les auteurs païens peuvent, toujours en sl1pposant les réserve::; relalives à l'expurgalÏon et à l'explication, êlre admis siml1Itanémenl avec les auteurs chréLiens. Telle est Inon opinion. J e la crois bien fondée; mais, si vi ve que soi t la nlanièl'e dont j'ai pu la défendre', je n'ai la prélenlion de lïmpo el' à personne. C'esl ma manière parliculière de furn1uler Ie peincipe admis aujollrd'hui pal' toulle lnonde, à savoir qu'il y a quclque chose á {(lire ( ) >). (1) pJ'incipe géneJ'atcw' de constitutions poliUques, g 37. (2) La question, des cla::;sÙjlwS J'éduile å sa plus ::;itnj>le e,lïHessivn, p. 3. 276 CIIAPITRE IX L'abbé GaUI11e ll'élail pas descendu dans la lice sans patron. Deux honlme:-;, deux gra.nds éyèques, les deux chefs de ce qu'on a appelé Ie pal'li caLholique, nlais que nous appellerons plus heu- reusement deux apologistes de la sainle Eglise, l'évêque de Lan- gres et ral'chevêque de Heinls, Igr Parisis etle cardinal Gousset, avaient appronvé Ia Lhèse de Gaunle. Après lecture du Ver 1'ongeu1' sur épreu,"es, Ie cardinal Goussel avail écrit à l'auteur : (( La lec- lure de cet ouvrage m'a vivement inléressé pal' la manièl'e dunl vous y avez tI'aité des questions de Ja plus haute imporlance. n tHe semble que vous avez parfailemeut dén10nlré que, depuis plu- sieul s siècles, l'usage à peu près exclusif des auleurs païens dans les écoles secondaires a exercé une funesle influence sur l'pduca- tion de la jeunesse ell'espdt des sociélés n10dernes. Dès lors, les am is de la religion et de l'ordre social comprendronl facilemenl, comme vous l'avez compris vous-mênle, la nécessilé de modifier, dans les élablissements d'insLruction puLlique, 1a direction des éLudes en ce qui concerne Ie choix des auteurs classiques, de nla- nièl'e à y fa ire do mine l' les auteUl'S chréLiens, grecs etlalin , clont les écriLs soul si propres à inspÏl er aux jeunes gens la pratique ùes verlus évangéliques, et à remellre dans loule leur vigucur les principes conslitulif de Ia sociélé. Celle idée pent renconlrer en- core des conlradicleul's ; maisj'ai lieu d'espérel' que volre ouvrage aura It)t ou lard d'heureux résuHals et que je ne puis que vous féliciler si n cèrern en l de celle pn blicalion )). De son côlé, Mgr Pal'Ìsis, écrÏ\Tanl dès 184;), aux professeurs de sun pelil séminaire, s'éLaÏt éleyé avec force contrc Ie paganisme dans l'éducation et a,Tail prescrit d'officc l'inlroduction des auteurs chréliens dans Ie:; classes. Nous ciLons quelques-unes de ces paro- les qui firenl tressaillir nolre jeunesse el que nous ne rappelons pa sans lIue lendl'e émoiion. (( Pendant pl'ès de lr'ois cents an:;, on II dil à loute la jeunesse éludianle, c'esl-à-dire à celie qui devait gouverner la sociélé : FOl'mez vull'e goÙl par l'éLude des bons ll10- dèles; or ces bons n10dëles grecs et latins sont exclusivement les auteurs païens de Rome et d'ALhènes. Quanl aux Pères, aux doc- leurs el à tous les éCl'ivains de l'Eglise, leur style est r1éfectueux LA QUESTION DES CLASSIQUES ':!.77 ellenI' goûl altéré : il faut donc bien se gardel' de se former it leur école. Yoilà ce qu'on a dit et surlou l ce qu'on a fait pl'aliquel' à tous les éludiants, å cel âge où il est rigoureusernent vrai que les habitudes deviennent une seconde nature. De là, messieurs, qu'est- il arrivé? ce qui devait arriver nécessairemenL: c'est d'abord que toute celle jeunesse s'est passionnée pour l'éLl1de des pl'oduclions du paganisme, et que de l'admiration des pal'oles eUe cst arrivée Ù celle des pensées et des actions.. En effet, n'est-ce pas aim's quc l'on a commencé à s'incliner devant les sept sages de la Grè e presque aulanl que devanlle quatl'e évangélisles, à s'exlasier sur les pen. sées d'un Marc-Aurèle et sur les æuvres philosophiques d'un Sé- nèque, de manière it laisser' croire qu'il n'y avaitl'ien de plus pro- fond ùans les Jivres sainls ; eofin, à vanter les verLus de Sparle ot de Rome au point de faire pâlir les verlus chréLiennes. CI'oH-on, messieurs, quP- de pareils enseigneo1enls, devewus unanimes et COll. tinuels, ne Jeraient pas à ]a longue faire baisser les senlÙnenls de la foi et surexci er démesurémenll'orgueil de la raison? Serait ce une témérité de dire qu'en rnellanl ainsi, en relief, les ællvres ùe rhomme au grand préjudice de la révélalion, qui est l'æU\Te de Dieu par excellence, on ]JJ'(:paí'a it les voies (( It 1,(jg'ìlC de ce 1'al io. nalislIlc effl'onté qui en est venu pnbliquement à n'adürer que luj. même. )) La lhèse de Gaume éLaiL ùonc solide et n1esul'ée ; eIle se préscn- tait avec des caraclèl'es d'urgence eL des chances de salut; clle étail trop manifestement appuyée pal' deux grands évêques pou)' la croire atlaquable du cÔlé des calholiques, Peul-êlre ne sm'ail-i) pas léméraire de dire que l'appui de ces deux évêques fut, au con- traire, pour Ie chef ùes cathuliq ues libéraux, un moyen de couvril' une aLlaquc conlre eux en aLlaq Ll3nt leur proLégé, de changer l'assieUe elu camp de rorlhodo ie etde suhsLHuer, Ù. une in1pulsion l1Itramon taine, une dictalure gallicane. On appréciera ceLle pré- somplion d'après les événemenls. (( La contradiction, dil Louis Veuillot, ne vinl pa d'alJord dn cûLé de I'Universilé, oÜ je l'allenùais, mais à ma grande surprise, du cÔlé de ca'holiq\1r , rt f\11e se nHu1ifrsla éncrgiqucmrnt, jp 27H CIIAPITRE IX puurrais même dire violemmenl. On s'étaiL moins échauffé aulre. fois Sllr Ie retour à Ia liturgie romlline eL sur la loi de l'enscigne- menl. Au fond. les dissentin1ents excilés dans ('es deux ren('onLres, s'ajou lanl' au levain de la diyision poliliq ue, plus que jamais en fermentalion depuis le.2 décembre, furenllrs véritables causes de celle effervescence, je ne fJuis du mains n1e l'expliquer autrement. La question en elle-même était essentiellement neutre, et de celles qui doivent réunir plutôt que diviser. Si les parLisans de l'introùuc- tion des classiques chréLiens dans l'enseignement de la jeunesse 5e trompaienL, leur erreur ne pouvaiL êlre bien dangereusc, et il sen1- bJait facile de garder la modération en les réfutant. (( II n' en fut pas ainsi. (( L'on signala les partisans des c1assiques chrétiens, sinon tout à fait. comme des ennemis déguisés de I'Eglise, du moins comme ses plus dangereux amis, qui diffamaient son passé, qui donnaienl liru de la décrier en la présentant au monde sous des coulcurs révoHantes et hideuses. Nous étions des barbares, des iconoclasLes, nous organisions une croisade en sabots contre les belles-leLLres, nous vou1iOl1S anéaniÙ' les plus augusl s monuments de l'espriL humain, etc. En nous adressant ces anlénilés, on ne manquait pas d'ajouter que suivant l'usage, pour Loutes raisons, nous accablions nos adversaires de calo'innies et d'inj ures. Vainement plusieurs évêques, plusieurs prêtres savants et respectés, plusieurs laïques disLingués parmi lesquels il faul citer Donoso CorLes et M, de Mon- talembert, avaient exprimé les mêmes pensées que nOllS et s'élaient mêlés à la lu Lte: on ne cessail de répéler que nous insultions et que nous compromeltions l'Eglise. Enfin ceUe question de péda- gogie pure devinl une affaire de parLi, la plus chaude par où je me souvienne d'avoir passé (1). >> Cetle controverse fut donc longue et chaude. II est su perfIu au- jourd'hui d'en raconter les différenles phases. Chaque combaUant descendaiL dans l'arène à son jour et suivant ses goÙLs. La lumière se fit pen à peu. Conlre la thèse de l'rbhé G3:ume pl'irent parti, (1) VF.UJLJ.OT. J[élanges, 2 e sél'ie, t. I, p. 144. LA QVESTIO DES CLASSIQUE 279 l'évêque d'Urléans, Ie P. Pilra, Ie P. Daniel, Ie P. Lacordaire, Ie P. Cahnur, rabbé Martin, I'abbé de Valrogci', l'ahhé Landriot, Lenorn1anL, Foisset et en général les rédacteurs de I'AntÏ de fa 1'eli,qion et du COI'J'Pspondant ; en sa faveur, ouLI'e Ie cardinal Guus- seL eL l'évêque de LaogTes, il faut ciLer l'évêque de MunLauban, Ie P. d'Alzon, Roux-Lavergne, Danjou, l\lonLalembert, Donaso Corles et en général Lous les rédacLeurs de I' Univel's. Les Gawnisles avaient pour eux Lous les bons chréliens: leurs adversaires étaienl sou- ten us fortement par lous les universilaires, Ie:;; Inécréanls elles impies. Ce dernier partage indique all se lrou\'ail Ie vrni point de 1a discussion el l'inLérêt de l'Eglise. Larsque des enfanls de la sainle Eglise se voienl appuyés par les yollairirns et les méchants. its doi,"enl modeslement se dire qu'ils ne savenl ce qu'ils fonl on qu'ils fOt1l une be ogne indigne d'eux. Selon nous, de parl et d'aulre, la quesLion fut trop réduile. Au lieu de se barricadeI' dans la q ueslion des classiq ues, il falIaÏl éLendre Ia lJueslion à touLes les Illatipres d'enseignemenL el aux principes n1êmes de la mélhode pédagogique. Pour des chrélicns fìddes et non abusés. il cst hors de douLe qu'ils doivrnl comballre Ie paganisrne. On doiL Ie combaUre à l'école comme ailleul's, plus peuL-êtl'e, parce que les premières impressions sonl plus durablcs et que l'adolescenl, même lorsqu'il a vieiIli, ne s'écal'le pas de la voie oÜ il cst entré dans a jeunesse. )lais ce combaL, conLre Ie pa- ganisme, ne devait pas se borneI' à l'emploi des auteul's ; il devail, comIne l"avail sagemenl prévu l'abbé Gaume, s'élendre à loules les malières d'inslrucLion, aux arLs, aux sciences, å Phisloire, à la philosophic, à l'organisalion des études, au respect de:3 inslilulions socialrs. Sur Ie terrain, ainsi éLend u, la conlroyerse eûL pOl'lé su I' un plus grand nom bre de questions, et, au lieu de pi(\tinel' sur place, elle eùl fourni, pour l'avenir d'abondanles lumières, Sur Ie terrain rélréci des elassiques paYens, ma1gré les fd\'oles déclamalions de ses advel'saires, l'abbé Gaume el ses parlisans ne manfJuèrenl pas de meUre, dans 1a circulation, d'excellenles idées. C'esL un devuir pour l'hisloricn, cL pour l'hisloil'e, un vir inlét'êl, de rappeler eel ap1->orl respeelif des pron1olcul'S Je la ré.. forme de l'enseignemenl. 280 CHAPITRE IX Premièrement, ils se trouvèrent, dans Ie présent e1 dans Ie passé, des amis résolus e1 d'augusLes patrons. D"abord en se voyant obligés d"é1udier, avec l'assiduilé nécessaire aujourd'hui, les auteurs païens, serait-il élonnant que des ecclésiasliques et des prêlres se surprissenl à se den1ander: (( Quel est done Ie but de tontes ces études profanes, et qu'en reste-t-il? Quel aliment y trouvenl ma foi, ma piété, l'esprit inlérieur el sacerdotal? Sonl-elles bien en harn10nie avec les connaissances propt'es à ma vocation? Ql1anù un jour il me faudra catéchiser, prêeher, confesser : les Fables d'E- sope, les Jlétarnorphoses cPOvide, les E-'gloglles de Virgile, me se- ront-311es d'une grande utilité? Si, au lieu de Cieéron ou de Tile- Live, je lisais assidùmen1 saint Paul, les Pères de l'Eglise, quelques acles de martyrs, mes discours seraienl-ils done vides de chases, et ma parole dépourvue des grÙees parlicL1lières qui convienncnl à l'orateur chrélien? Que me reviendra-t.il de toules ces beaulés }Jaïennes pour la conduite de n1a vie et de Ja vie des autres? N"y a-t-il done point d'oeeupation plus digne d'une âme ehrétienne et du cæur d'un prêtre? )) De plus, en enseignant les auteurs profanes, que fontles profes- seurs de petits séminaires et de maison d'éduealion chrétiennc? Ces malheureux perpétuent, et iis Ie savenl bien. une coutume donL saint Augustin disait, il y a quinze sièeles: (( Malheur à toi, torrent de la coutume! Qui arrêlera tes rava.ges? Quand seras-tu desséché? J usques à quand entraìneras-tu les fils d'Eve daus cetle mer" im- mense, formidable, que traversenl à grand'peine les passagers de ]a croix? N'es1-ce pas dans ceUe belle élude de l'anliquité païenne que j'ai appris à connaître Jupiter tonnan1 et aduItère? C'esl une fiction! s'écdent tous les maîtres. Fiction Lant qu'il vaus plaira; mais ceUe tìction fait que les crimes ne sonl plus des crimes, et f} u'en commettant de pareiHes infamies on a l'air d'imiler, non des hommes pervers, mais les dieux immurtels... (( J'ai appris it pleurer Didon, qui s'étaÏl tuée pour avoir troop aimé; et rnoi- mênw, t1'ouvaut la m01't en lisant ces cOllpables (olies, je n'avais pour moi aucune larme dans les yeux... J "st-il étonnant que toules ces vanités rn' aient ploi!Jné de vous, Û m011 J)ifU?.., Oue LA QUESTION DES CLASSIQUES :281 sont toules ces choses, sinon du venl et de la fumée? N'y a-t-il donc pas d'::.lutre moyen de culliver l'esprit el de former à l'élo- quence? Yos louanges, Seigneur, vos louanges si éloquemment chantées dans les Ecrilures auraienl soutenu Ie pampre pliant de rnon cæu1'. Ii nfeîlt pas pté en"po1'té dans Ie vide, proie déshono}'pe des esp1'its inz]Jlll's. II est plus d'une maniè?'e de sac?'i fie?' aux anges p,'évGl'icateu?'s (1). )) Le P. Possevin gémit aussi, en son nom et au nom des pr'ofes- scurs des maisons chrétiennes de son Lemps, slIr òe pareils abus : << Et c'est nous ! nous qui, par la grâce de Jésus-Christ, vivons au milieu des lumièl'es de l'Evangile, c'est nous qui perdrons l'esprit au point de devenir des inslrumenlR de damnation pour ces Úmes dont nous devons êLre les anges gardiens, les tuteurs et les guiùes vel'S Ie ciel! Après qu'ils ont reçu I'innocence baptislnale, c'est nous qui mellrons pendant plusieurs années de si lourdes entraves aux pieds de ces enfants, et les empêcherons, dans cel âge si enclin à la piété, de courir dans les voies de Dieu et de la sancti- fication ! )) (2). Au siècle suivant, Ie P. Thomassin fail enLendre des accents non mnins douloul'eux. (( Jc confesse, dit-il, qu'élant dans les mêmes engagements, j'ai suivi les 1'outes communes, et que je ne me suis aperçu de mes éga1'emenls que dans un åge plus avancé... Le sou- venir de mes égaremenls ne me décourage pas. II est bien jusLe que je m'applique à les expiel' en averLissa nt mes fl'ères de profi- leI' de mes faules, et de faire. que mon exenlple les en1pêche d'y tomber (3) )). (( Voyez un peu, s'écrie Napoléon, la gaucherie de ceux qui nous forlnent : ils devraienl éloigner de nOllS Ie paganisme et l'i- dolàtrie, parce que leur absurdilé provoq ue nos premiers raison- nemenls et nous pl'épare à résister à la croyance passive. Et pourtant ils nous élèvent au milieu des Grecs et des Romains avec leurs myriades de divinités. Telle a été, pour mon cornple et ('1) Co'itfcssiorl s , live I, ch. XVI, XVII. (2) Ragionamento del modo di conservare lo stato et la libe,#.ta t p. Ho (3) Métlwde d'enseigne'#' chJ'étiennement lcs lethoes, pl'éface. 2R2 CllAPITRE 1"X à Ia lellre; la marche de mon esprit, J'ai eu bcsoin de croire, j'ai eru; mais ma croyance s'esL lrouvée heurléc. incedainr, dès que j'ai Yl1 raisonner, eL cel3. m'esl arri\'é d'assez honnr lIeure, à Lrcize an s (1.). )) Il sel'ait facile d'ajouter à ces témoignl1ges, d'auLL'e texles con- cordants ou discordants, Inais revenant au m( me but. S. Jérû- me, S. Bernard, Bossuet, Housseau, fably, l\Ianzoni et vingt autres inveclivent conlre les périls que Ie paganisme fail courir à la foi et aux mæurs ou se réjouissenL dc ce que la Henaissance a enterré la barbaric du moyen âge. Un homIne qui figurait alol's parn1i les prophètes des temps nouveaux, ,Monlalenlbed, écrivait à l'abbé Gaume : (( Je suis con,-aincu que lûut esprit Iibre de pré- yention reconnaHra Ie mal que vous dénoncez si énergiquemenL. {ais il ne faut pas se Ie dissin1uler, les pl'évenlions sont nombreu- ses et à peu près univcrselles. Chacun se senLira bJessé dans ses anl(\cédents, dans ses habitudes. dans ses préjl1gés. On n'aime pas it se dire qu'on a été Inal élcvé, ct, ce qui est pire, qu'on a mal élcvé les aulres. V ous serez accus{} de nléconnaiLre les lois de la civilis3lÏon, du progrès, du bon sens, les saines tr3.diLions, les bonnes habitudes, etc. Mais que cela ne vous décourage pas. Les nlêmes objections ont été faites, les mêmes accusations onL été pOI>- Lées conlre ceux qui ont enlrepris la restauration de la liturgic romaine et la réhabililalion de l'archilecture du nloyen ttge. Or, ces deux causes sont aujourd'hui gagnées, au moins en théorie; Ja pratique suivra malgré les résislances acharnées de la routine el de l'amour-propre. Tenez pour certain que nOl1S serons égale- menl vainqueul's dans la croisade enlreprise conlre Ie paganisme dans l'éducation, qui n'esl fju'unc autre face de la même question. )) De son côté, Donoso Cortes a,'ait écrit : (( H n'y a que deux syslè- mes possiblps rl'éducatÏon: Ie païen etle chrélien. La reslaura- tion ùu premier nous a conduit à l'abìme dan lcql1el nous som- mes, et nous n' en sOl'Urons certai nem en L q 11 e par' la reslauration du dernier. )) Toules paroles qui vonl à dire: (( La nenaÌsst1nce a, (1) Mémorial de Sainte-Hélène. t. II, p. 123, LA QUESTION DES CLASSIQUES 283 plus que la Réform protestanle, alléré Ie sens chréLiell dans l'àme de l'Europe model'ne >>. En d'aulres Lermes snivant une expres- sion de \IgT Pal'isis, (( La Renaissance est une ùes pI us grandes épreuves de l'Eglise I). Aces témoignages, favorables à une réforme organique de I'en- seigncment, s'ajoulèrcnt des informations Sllr les meSllres de pru- dence el de réserve qll'avaÏl inspirées, chez tOllS les peuples, un sujet si délicat et d'u ne si haute im porla nee. La synagogue an- cienne élait toule caLhoLique; en d'aulres termes, elie renfermail en gerIne Ie pur catholicisme. La synagogue moderne continue de se lrouvel' d u c6té de Ia vraie Eglise con tre les hérésies elles schismes, tant quïl ne s'agil pas des deux arlicles qui Ia séparent du Christianisme. Ainsi il est prouvé, par les témoignages des an- ciens rabbins : 1 0 que Ia ynagogue prescril que l'édl1cation des jeunes Hehreux soiL e;rclllsivement 1'eligi-euse, c'esl-à-dire qu'on n'emploie dans leur inslruction que la Bible et les Ii vres des doc- teurs d'Israël ; 20 qu'elle défend au père de famille, sous peine de malédiction, d'enseigner à ses enfanls la philosophie et la liHéra- lure profane ùes païens, nommément des G1'ecs, parce que leurs livres nuisent à la vl'aie foi et corrom pen L la pureté des mæl1rs ; 3 0 qu'elle prononce l'exc1l1sion du salut élernel conlre tout indi- vidu d'Israël qui se livrerait aux mêmes études profanes. Elaient seuis exceptés de cetle disposition: 1. 0 les principaux raLbins, spé- cialemenl Ies membres du grand Sanhédrin, parce qu'ils avaient <'I réfu tel' les docll'ines pervel'ses des païens et à en garan tir les fidèles c1'oyanls; 2 0 ceux aUachés à Ia cour d'un souverain, parce que c'eût été pour eux un grand inconvénient de ne pas connaill'e les livres des écrivains grecs, attendu qu'à I'époql1e où furent pu- bliées ces défenses, on s'en entretenait habiluellement à la cour des princes païens. Mais celte exception n'allail pas jl1squ'à Ia permission de faire de ces éludes profanes son occupation cons- tanle et pl'incipale. Chez les anciens, nlalgré leur corruption, iIs ne négligeaient pas l'éducation des enfants. Juvénal a donn{\ Ia formule de leul' sage conduite: Jlaxima debetul' puero l'everenlia. En ce qui regarde 284 CBAPITRE IX spéeialementleurs poètes, tout Ie rnonde sait que Platon les cou- ronnait de fleurs etles bannissait de la républiqlle. En parlicll- lieI', il reproche à Honlèl'e d'avoir Inal parlé de Dieu. (( Gardons- nous, dil-il, de croire el de. laisser dit'e que Thésée et Pirilhulls aient tenté l'enU'vement de Proserpine, ni qu'aucun autre enfant des diel1x, aucun héros, se soit rendll coupable des cruaulés el des inl pié lés don ties poètes les aCCllsen t faussemenl. Contraignons les poètes de reconnaîlre que Ies héros n'onl janlais conlmis de pareilles actions, Oll s'ils les onl commises, qu'i]s ne sonl pas issus du sang des dieux. l\Iais ne leuI' pel'meUons jamais de dire qu'ils sont lout ensemble enfants des dieux et coupables de semblables crimes; ni d'enlreprendre de persuader à nos jeunes ens qne ]e dieux ont produit quelque chose de mauvais, el que les héros nr valent pas nlieux que de simples hommes. Car, conlme nous di- sions plus haul. ces sorles de discoul's ne sont ni vrais, ni l'el1- gieux, el nous aYOHS montré quïl répl1gne que les dieux soienl auteurs d'aucun nlal. - Cela est certain. - Ajoutons quc de leis discoul's sont très dangereux pour ceux qui les entendent. En eifel, quel homme ne juslifiera pas à ses yeux sa méchanceté, lursquïl sera per ,;uadé qu'il ne fait que ce que faisaient les en- rants des dieux, les descendants du gl'and Jupiler, qui ont au som- DIet de I'lda un autel oil ils sacrifienl it leuI' père, el qui portent encore dans leurs veines Ie sang des iUImortels? Par toules ces raisons, uannissons de nolre vi lie ces sorles de ficlions, de pe ur qu'elles n'engendrenl dans notre jeunesse une nlalheureu e faci- lité à commetlre les plus grands crirnes (1). Les anciens n 'ét aient pas sCI'upuleux en n1alière de verLu; mais ils lenaienl leurs poè- les ponr infâmes et les connaissaienllrop bien pOllr n'avoÍl' pa s dix mille fois raison de les proscrire des écoles. On comprend que no us ne pou\'on::; pas entreI' ici dans l'hisloire des écoles ch..éliennes et des livres qui furent adoplés, comme clas iques, dans ces écoles. L'hisloire remarque seulement, d'une DIanit>re générale, enlre l'élal de::; écoles et l'élat de la sociélé (1) PLATON, La R( pttblique, liv. HI, p. 105, éd. CharpenlÏpr. LA QUESTION DES CI.ASSIQUES 8ü chrétienne un certain parallélisme. Ce ne sout pas les écoles qui font les hommes, mais eUes les préparent à se former eux-mêmes et les assistent efficacernent dans ce tI'avail de formation person- nelle. On ne peut pas nicr que les anciens ne soient "des modèles de style; on ne pent pas Hier non plus qu'ils ne ::;oient des modè- les de grossièrelé, de corruption et de barbarie. C'est une conlpa- gnie où il y a beaucoup à prendre et beaucoup à laisser. Un triage intelligent peut d'ailleurs extraire, des païens, outre les q ua1ités du style, cer'taines pratiq ues de vertu naturelles et de précieux Lémoignages rendus aux traditions de l'hulnanilé. Quant à l'influence du paganisme dans les temps modernes, iI faudrail être fou pour ne pas la voir. Le paganisme, c'est Ie fond de l'homme déchu. (( Co/'}'umpe1 e el corl'umpi saeculurn vocatul' : Corrompre et être corrompu, voilà Ie siècle )), disait Tacile ; (( E'rl'Jl'e et (ornica/'i, mangel' et forniquer )), disaiL saint Jean, voilit RÜIne. Le paganisme de l'enseignement, complice aveugle ou volonlaire dll paganisme de la nature déçhue, car'essant toutes les faiblesses el loutes les passions de l'homme, ne peut que Ie dé-- gradel' et l'avilir. Cela n'a pas besoill d'être dén10ntré. La pr'udence oblige de n1anier les païens comme on manie les poisons ou les drogues de pharmacie, de manière à ne pas les prendre à contre- cmur et à ne pas s'empoisonner sous pr'étex te de se guér'il'. La question de style, dont on fit alors beaucou[1 de bruit, à sup" po er qu'on puisse s'aUacher tanl à la for'me sans se préoccuper du fond, est tout à fait secondaire: Nascunt1u poælæ {iUllt OJ'atOl'es : disaienl les anciens; la vél'ité esl qu'on naU écrivain et qu'on ne Ie devient ni par des maìlres ni par des livres. Les livres qui ensei- gnent à écrire sont ridicules; la pluparl des maîlre ne gavent m( n1e pas écrir'e , mais donnent tOllS, sur cet art qu'ils ignorent, de magnifiqucs leçons. Les résulLats sont n uls. De nos jours on ne sail plus, sauf dans I'Eglise, ni gr'ec, ni latin, ni français. On n'é- crit plus, on bal'bouille. Beaux r'ésulLals, bien dignes de ceLte pé.. dagogie a infatuée d'Homère et de Virgile. Le point important de la queslion, c'est Ie cûté moral. Ordinai... rement, dit tJ'ès bien Louis Veuillol, les gr'ands honlmes se forment 286 CllAPITRE IX pOl' leur proprc It'avail: on ne So)'l d'aucune école grand écrivain, grand artiste, grand savant, grand guerrier', grand poliliquc, ni 111ên1c grand chrélien. L'éducation est un apprenlissage qui doH fournil' à rhomme tous les moyens de perfeclionner son esprit, el surtout son nme. La n1eilleul'e éducalion a atteinlle hut, lor qu'elle a préparé ceLLe IJiélé que Bossuel voulaiL surlout in pirrr à son élève; celte règle inlérieure qui, gouvernant nos actions etjusqu'à nos désirs, par la tempérance,la probilé, la charilé, nous fera courageuseluent prendre les yoies de 13 justice eL nous donnera, q uelles que soient nos aptitudes, la force de sacrifier même la gloire eL les applaudissements du rnonde au suprême de\90il' de resler chréliens. Iais supposons qu'il e)..iste des méthodes pour pl'oduire les grands hommes, la q uesLion est de savoir: premièl'emcnt, si la re- ligion a dÚ se louer au se plaindre de la plupart ùe ces grands hommes des temps modernes; secondement, si ceux qui ant éLé vraiment grands, c'esl-à-dire si ceux qui ont véritablement et vo- lonlairement servi l'Eglise, lui ant élé donnés paries mélhodes dont la valeur est aujourd'hui en discussion. Toulle monde admet, suivanlla célèbre parole de 1\1. de Mais- tre, que depuis trois siècles l'histoi)'e a été une conspiralion per- manen le conlre la vérilé, en d'aulres termes, conlre l'Eglise, qui est Ie grand personnage des affaires humaines. Les adversaires mêmes de l'Eglise I'avouenl, et ceux qui ne l'avouenl pas Ie prou- vent. Or ce que 1\1. de l\Iaistl'e a dil de l'hisloire, il aurait pu Ie dire aussi juslcment de]a 1iLLérature, de ]a science, plus encore de la poliLique. Tous ses li\'l'es sonlun irréfulable développemenl de ceLle accusation générale conLre lïmpulsion donnée à l'espl'Ïl hu- main par la Renaissance et par la Réforme. l\fouvemenl terrihle dans sa fOl'ce et dans sa d urée; assez puissan l pour ébranler non pas, gràce à Dieu, I' Eglise, qui l'a conlLallu et qui Ie dom plel'a, mais quelques Eglises, donlles unes onl chaocelé et n'onl élé raf- feJ'mies que par Ie marlyre, donlles aull'es sool tombées sans que 1'0n puissc dire encore dans conll.>ien ù'années, dans com bien de siècles elles se relèveront. LA QUESTION DES CLASSIQUES 287 Pour ne parler que de la France, personne n'ignore el personne ne nie que Ie Calvinisme y rut inlroduil sous Ie manteau des belles- leUl'es grecques ctlatines. l\fgr révêque d'Orléans, défenòant Ie mouven1ent du scizième siècle sur un point où personne ne l'alla- que, nomIne quelqucs-uns òes sainls qui se levèrent en grand Hombre conlt'e la coalition ordinail'e du paganisme et de l'hérésie el semble croire, pDr une di lracLion évidenlc, que les amis des leUrcs chréliennes lraiLent de pai"ens ces saints eux-mêmes. (( Elran- ges païens, s'écl'ic-l-il, que lous ces hOInmcs qui aboutissent à Sainl Yincent de Paul et à BossueL! .)) Elranges, en effet, el il faudrait une passion plus rude que la nôlr'c, qui pourlanL n'esl pas médio- cre, pour pousser jusque-Ià rhorr ur des leUres païennes ! Mais sans être Ie moins du monde disposé à de leIs emp'ortements, nous pOl1rrons dire que les fondations pieuses et Ies hommes aposloli- ques des seizième et dix-septil me siècles ne caractérisent pas el ne dominent pas seuls ces temps maIheureux. .Malgré}l. Olier, mal- gl'é Saint Vincent de Paul, - que nous n'appeIons pas un païen, et que Ie savant Duvergier de Hanranne appclait un âne, à cause de son humble allachemcnt üu caléchisme, - l'esprH el les mé- lhodes de la renaissance eu.rent en Prance d'aull'es aboulÏssemenls. lIs Pl'oduisirenl, du vivant ùe Bossuet, l'AssembIée de 1682 eL sa déclaralion trap céIèbres, et un siècle-pll1s lard, la Constitution ci- vile du clergé. La marche génél'aIe de la lillérature n'a pas élé meilleure. L'es- prit humain peut sans do ute se glorifier de .Mon taigne, de IoliÈ're, ùe Lafontaine, de Boileau, de la I3l'uyère, de l\1onlesquieu, de Vol- laire; roais l'cspril ch1'élien ? L'honnêle Boileau, Ie plus reservé de tOllS, allail j usqu'à croire que 1'on ne saurait êlre Chl'étien en -vcrs. On l'appeia (( Iégislateur du Parnasse >). Quan t aux sciences, deven nes malérialistes sous la conduite ùe Bacon, elles Ie sonL encore pour longlem ps. Quelques sayanls ch)'éliens, qui sonL dcveuus savants ou qui sont reslés chréliens par la gn.\ce de Dieu, n'onl pas clllraîné Ia masse. Quant à la polilique, c'est là qu'éclale Ia funesLe influence de ceL enseignemcl1t qui propose à Ia jeune se. ponr premiers el sou- 288 CHAPITRE IX yent pour uniques olodèles, les héros ellcs sages païens. A part les souverains ponlifes, au milieu desquels rayonne l'immorlel Pie V, laule la porlion de la chrétienlé soumise aux idées de la Uenaissance a élé depuis trois Eiècles douloureusemenl slérile en poJiliques vraiment chrétiens. Les maximes de Machiavel onl plus ou moins guidé tons ccax qui onl conduit les affaires du monùe : Quel prince s'est assez préoccu pé de rétablil' dans Ja patrie el dans l'Europe Ie faisceau bl'isé de l'unilé catholique? Lequel a fait un effort POUI' relever celle Jérusalem lerreslre en lulle contre elle- même ella ramener au vrai lemple 2 Qui s'e t proposé de conqué- rir des peuples afin de les donneI' à Jésus-Chrisl ? Diviser Ie pays pour régner, ou diviser l'Europe pour s'agrandir; sacrifier tout, olême la fraLernilé religieuse, mrole Ja foijurée, tanlõl à l'orgueil et aux intél'êLs du Hoi, tantòt à }'orgueil el aux intérêts de la na- tion, voilà Ie 1110bile de la politique moderne, depuis François Icr et Charles-Quint jusqu'à Louis-Philippe. Polilique non seulement anLÌ-chrélienne el anti-humaine, mais insensée, qui, après trois siècles de discordes el de guel'l'eS, donne conlme résullals la Polo- gne anéanLie, 1'Irlande affamée el décimée, I'Espagne ruinée, 1'1- lalie folIe, la Suisse pn feu, toules les nations catholiques affaiblies, rhérésie prépondéranle, Ie schisme menaçant, ]a barbarie pour aveniI'. Lorsque ron voiL Ie rang que liennenl I'Angleterre et la I:tu sie, on s'élonne d'entendre glorifier les hommes d.Elat que I'é- ducation a fournis aux pays catholiq ues [ Qu'ils soient polis, diserts, quelquefois Inème chréLiens, toulle monde l'accorde. Néanmoins, dansces diplomates à courte vue el à courte haleine, reconnaìlrons- 110US les coutinuateursdes héros iLlellrés qui avaientconsliLué toule la chrélienté comme une seule famille, au sein de laquelle ne de- vail s'élever aucun tyran, sUI'Ies frontières de laquelle ne pouvail s'afl'ermir aucun ennemi ? Oui, Ie Ial a ell se!!; gl ands hommes, ses éCI'ivains, ses arlistes, ses savants, ses poliLiques; mais Ie Bien a perdu de son assuran- ce, de sa fécondité, de sa force', autrefois victorieuse. Depuis trois siècles, un venin subtil a ralenti et comme glacé celle sève de gé- nie qui voulail donner à l'hun1anité Ie Christ pour unique conqué- LA QUESTION DES CLASSIQUES 289 rant, pour unique législateur, pour unique Dieu; qui produi ait les sommes théologiques, les croisades, les cathédrales ; qui susci- tail des saint Bernard, des saint Thomas d'Aquin, des saint Etienne de Hongl'ie, des saint Louis de France, et qui leur donllaU des dis- ciples,des armées, des peuples pour accomp1ir lout ce qu'ils osaient entreprendre à la gloire de l'Evangile. Quels hommes et queUes æuvres ! lis dissipaient les restes de la barbarie européenne; ils élevaient une barrière conlre l'islamisme ; iis affranchissaientl'Es- pagne, ils enlamaient l'Afrique par la guerre, Ie plus lointain Orient par les missions; ils allaient décÇ)uvrir Ie Nouveau-Monde ; ils im- plantaient chez les peuples chrétiens des institutions dont Ie 10u- chant et majestueux ensemble nous remplit aujourd'hui d'élonne- ment et de regl'et. Ah ! ces hommes-Ià, peut-être, ne savaient pas tous Ie latin avec aulant de délicatesse qu'on l'a su depuis. lIs en savaient assez pour s'écrier', dans l'aUégresse prophétique de leur amour: Cltl'istus vincit, Chl'istus regnal, C hrislus im}Je 'at ! Clu'islus ab O1wni malo plebern suam libe'l'at. El l'humanité s'avançaiL, sous leur conduite vel'S des splenùeurs de paix el de lumière, dont Ie latin et Ie grec qu'elle sait aujourd'hui, ne Pont guÒre rappro- chée ! Ces considérations hisloriques sont d'une incontestable valeur. Le Chrislianisme à son avÙnement aurait pu faire table rase et créer de rien la civilisation de l'Europe, il a préféré purifier les monuments du paganisme et les approprier à son usage. C'esl sa grandeur et sa force d'avoir su tout dominer sans rien détruire, les langues comme Ie génie et l'instiLuLion des peuples. Barbare avec les barbares, il a su être grec avec tout ralticisme de l'Aca- démie et romain avec tout Ie purisme d'Auguste. El comme la sy- nagogue s'élait enrichie des vases de l'Egyple, l'Eg-lise s'est enri- chie de la Genlilité, mais, nous avons diL Ie moL décisif, en les ex- purgeant et en les contraignant à servir Jésus-Christ. Ainsi l'Eglise a emprunlé la forme liltéraire des païens,mais en la modifiant, en l'enrichissant de muls nouveaux et en versant dans ces oulres élé- gantes, Ie pur vin de l'Evangile et les gràces de l'EucharisLie. Ainsi encore I'Eglise a emprnnté certaines règIes de gran1maire 19 290 CHAPITRE IX et de rhétorique, de pq.ésie et composition, pal'faiLemenL com- patibles avec l'orlhodoxie. En vérité, disait juslement Ie P. Pi- lra, tout n'esl pas païen dans les au Leurs classiques. Depuis les rudiments de leur syntaxe jusqu'aux règles de leurs épopées, ils onl une foule de notions générales ou expérimenlales qui sont loul aussi inoffensives que les axiomes de la géomélrie. Yaurait- il plus de danger de paganisme à éludier les malhématiques dans Euclide ou la médecine dans HippocraLe, que la métaphysique dans Arislote, la logique dans Priscien, ou les sept arts lib.éraux dans .Marcianus Capella? Aulant vaudrait soulenir qu'il y a péril d'anglicanisme à lire la rhétorique de H ugues Blair ou la théorie de Newlon (i) )). , Il est donc incontestable qu'il y a, dans les anciens, des règles et des modèles de leçon littéraire, que Ie respect de lous les siècles a consacrés. II ne peut pas êlre question de répudier des trésors dont la conservation est l'æuvre pro pre de l'Eglise. II ne peul pas même être question de rom pre avec des traditions lilléraires an- lérieures aux classiques el plus anciennes même que Ie paganis- me. Le vÏ1' bonus dicendi pe1>itlls est de tous les âges ; les bonnes let- tres sont un héritage de l'hulnanité et il appartient à l'Eglise, hél'itière des Gentils et de la Synagogue, de revendiquer ce patri- moine. · Mais il eBt incontestable qu'il faut nettoyer, expurger Ie paga- nisme; qu'il faul en gal'dant les æuvres et en s'en servant pour l'enseignement, éliminer les idées, les sentiments, les arguments el les exemples propres à troubler les æuvres ou à faire dévier les esprits; en un mot il faut rendre l'éducation fOllcièrement chré- tienne. Des règles d'expurgation radicale sont absolument néces- saires; il est plus nécessaire encore qu.un maître intelligent et . ferme, en maniant ces auteurs, en exclue tou t ce qui peul créer un péril pour les âmes. Pour qui a vu de près l'éducation, il y a là un ministëre de loutes les heures, dont la sollicilude va bien au delà ùes Inoments de classes et d'éluùe::s, après Lout les moins (1) .lmi de la I:eligion, nil du 2D janvier 18;) . LA QUESTION DES CLASSIQUES 291 ernbal'l'aSsanb. C'esl dune la flueslion de mélboùe, atfaire de choix d'un bon maître. Dans ce magistère, il faut une sollicitude, une pudeur, une discrélion, qui se règlent sur les temps el sur les lieux et se résument dans la maxi me de Juvénal : ...1Jaxima debetu1' puero 'reve1'enria. (( S'il m'est démonlré, ajoute Quinlilien, que les écoles sont aussi utiles aux letlres que nuisibles aux mæurs, je n'hésiterai pas à préférer la vertu à l'éloquence. )) D'ailleurs, à côlé des rlassiques païens, entièremenl expurgés et chrétiennement expJiqués, il faut faire large part aux classiques chrétiens. (< Nous ne croyons pas avancer un paradoxe, dil encore Ie P. Pilra, en déclarant après une longue étude de la litléralure ancienne chr'étienne, qll'iJ est possible d'établIr, sans aucune inter- ruption depuis l'antiquité classique jusqu'au concile de Trenle, une série de pièces, toutes à peu près classiques el d'une perfection littéraire lrès suffisante pour servir de modèIes. On Ie niera diffi- cilemenl pour les Pères grecs jusqu'à Photius. Quant aux pères latins, aussi maljugés par les défenseurs exagérés de la lillérature chrétienne que par leurs adversaires exclusifs, de part et d'autre ils sont répulés trop barbares : les uns méconnaissent d'admirables pages qui n'auraient besoin,pour les passionner,que d'êtr-B présen A tées sous un pseudonyme classique. Les autres s'exagèrent les dé- fauts des æuvres les plus négligées et voienl une nouvelle langue là où il y a tout au plus la nuance d'une époque, Ie dialecle d'une province, la fatigue d'une improvisation hâtive. Nous serions ten- té de dire qu'un peu de grec et de lalin éJoigne de l'Egiise, que beaucoup de grec et une bonne lalinité y ramènent )). De plus, à côté des classiques, doivent marcher les grammaires ella rhétorique, les sciences et les arts, l'histoire et la philosophie, loutes ces choses bien éludiées, sérieusement approfondies, versées en bonne qualité et quantité dans l'âme desjeunes gens, avec cette part de travail personnrl, de lente appropriation et de discipline chrétienne qui caractérise les écoles de I'Eglisc : loules ces choses doivenl assurer un bon système d'éducation. L'abbé Gaume,puur assurer l'expurgalion ùes classiques païens, publia, en 1852, un volume de leUres à l'évêque (f'Orléans, Ie pa- 292 CHAPITRE IX lriat'che despolique du lihéralisme. CeR letlres ne pouvaient oole- nir aucun crédit près de cel esprit fermé ; mais Ie cardinal Gous- set, esprit plus ouverl, plus grand el plus solirle, les revêtil de l'approbalion suivanle: (( N'ayant pas été tout à fait étranger à Ia publication du Vel' 1'ongeur des sociélés rnodernes, je n'ai pu être insensible aux altaques violelltes donl vous avez élé l'objet à l'oc- casion de eel ouvrage. On ne peul vous accuser d'avoir émis des opinions exagh'ées, abs'urdes, l1'1'es]Jectueuses envel'S l'E"glise et ca- pables dp il'oubler les consciences, etc" sans faire tomber une accu- salion aussi grave sur ceux qui, en approuvanl v9tre livre d'une manière ou d'une aulre, comme je rai fail moi-même, se eraicnt rend us solidaires des errenrs qu'on vous reproche. Néanmoins, com me Ie procès me paraìt suffìsamment instruÏl,el que vos lettl'es à ..1/g1' l'évêque d'Orléans ne Jaissenlden it Jésirer, ni pour Ie fond, ni pour la forme, je n'enlrerai pas dans la discussion. Je préfère meUre la main à l'æuvre, en adoptant incessamrnent., pour les petits séminaires de mon diocèse, Ie plan d'éducation que vous proposez. Cet essai, je m'y attends, aura des contradictcul's ; mais it tort ou à raison, je suis persuadé que l'usage exclusif ou presque exclusif des auleurs pa'iens dans les élablissements d'instruction secondaire ne pent, sous aucun rapport, contribuer à l'amélioration de l'ordre social. II me semble mêrne que rien n'esl plus propre à favol'iser les efforts de ceux qui, au nom de progrès, travaillent à remplacer la civilisation chrélienne par la prélendue civilisalion des Grecs el ùes Romains >>. Paroles mémorables, et qui reçoivent ùes folies et des fureurs actuelles, une sinislr'e confh'mation. L'archevêqlle de Reims, Le digne successeur de Saint Remy, d'I1incmar et de Gerherl, remplissail alol's, comme une fonclion permanent.e, hommage dévolu par les évêques à la supél'iorité de ses médtes, la charge de légat du Sainl-Siège. Dans leurs diflìcultés, la plupart Ie consultaient, et, son avis entendu, se plaisaienl à Ie suivre. On pouvait Cl'oire que, tant que Ie cLergé français accepte- rail celle savanLe et sage direction, il n'accéderail point trop aux doclrines vagues et aventureuses de La pacification 1'eligieuse, aux cornpromis compromellanls de la loi Fallollx et aux intrigues dll LA QUESTION DES CLASSIQUES 293 néo-libéralisme. L'Eusèbe d'Orléans s'en doutaÏl bien un peu, mais il crut, suivant les inspirations de sa nature dominatrice, pouvoir prendre, dans l'affai.'e des claF'siques, un biais, pour détacher de l'archevêque de Reims, les évêques qui acceplaienl sa direction et créer pour lui-même une sorte de patriarcallatent qui lui eÚt fait prendre la tête de r épiscopat. De la parl d'un si jeune évêquc, c'élail un trait d'audace rare et de singulier aveuglement. Les évê- ques soot hommes graves et prudents ; ils se donnent à bon escient, et n'entendent pas se laisspr accaparer; mais la passion ne rai- sonne pas; la passion d'enlraîner, de diriger, de commander sur- tout sans aulorilé, raisoune encore moins que les autres. Dupan- loup, courant sur les idées de Bossuet, libella ceLte déclaralion : (( Les archevêq ues et évêques soussignés, Considé.'anl qu'il in1porte de faire cesser les b.'uits qu'on affecte de répandre dans Ie public au sujet de prétend ues divisions qui existent enlre les évêques sur des questions importanles touchant à l'autorité de leur saint ministère et à l'enseignement des Jelt.'es dans les écoles chréLiennes ; Déclarenlles points suivanls : 1 0 Que les actes rpiscopau.1: ne sunl, en aucune façon, justiciables des journaux, mais seulernenl du ainl-Siège pl de tépiscopat ; 2 0 Que rernploi, dans les écoles secondaires, des clas iques an- ciens, convenablemenl choisis, soigneusement expurgés et chré- tiennement expliqués, n'esl ni mauvais ni dangereux ; et que, p.'é- tend.'e Ie contraire, ce serait condao1ner la pratique constante de tuus les évêques calholiques et des plus saintes congrégations re- Hgieuses, puisqu'il est de notoriéLé publique que, ju qu'à ce temp , tous les évêq ues et tOllles les congrégations enseignanles ont ad- rnis les anciens cJassiques grecs et latins clans les écoles; 3 0 Que l'ernploi de ces classiques anciens ne doil pas toutefois être exclusif, mais qu'il est utile d'y joindre dans la mesure COIl- venable, comIne on Ie fait généralement dans Lou tes les maisons d'éducalion dirigées par Ie clergé, l'élude el rexplicaLion deg au- teurs chrétiens ; 4 0 Qur c'esl nux é\'êques senls qu'il appartienf, chacun dans 94 CHAPITRE IX son diocèse, et sans que les éerivains ou jonrnalistes aienl à cel égard aucun conl1'óle å exe1'ce1', de détel'miner dans quelle mesure les auteurs, soit païens, soit chrétiens, doivent être employés dans leurs petits séminaires et dans les écoles secondaires confiées à la direction du cJergé diocésain. )) Tel est l'acte par lequell'évêque d'Orléans prétendait se substi- tuer au cardinal-archevêque de Reims et ohtenir Ia succession gallicane de Bossuet. On pourrait fail'e sur ce ducument, au point de vue de la grammaire, de la logique, du droit et de la prudence, d'utiles réflexions. Le style est faible, fautif et marque, dan sa rédaclion, un visible embarras ; Ie fond esl martelé, raccommodé ; on voil, qu'avant de paraîlre au jour, il a été passé aux élamines. Les actes épiscopaux relèvent sans doute du Saint-Siège ; mais ils ne relèvent, en aucune façon, de l'épiscopat; il est puéril de les défendre conlre l'invasion des journaux catholiques; les autres ne s'y épargnent guère. L'emploi des classiqlles dans les séminaires peut, à coup sùr, êlre réglé par les évêques, qui généralement se déchargent de ce soin sur les professeurs. l\lais, dans leurs déci- sions, il faul di tinguer la prescription q u'ils im posent et les raisons de fait ou de droit sur lesquelles ils l'appuient. La décision doit être respectée ; mais toute la discussion qui la soutient peut être discutée ; autrement tuut ce qu'il plairail à un évêque de Caire entrer dans un acte épiscopal deviendrait matière réservée et sous- traite au domaine public. On eût dû ajouter que les actes du Saint- Siège el des congrégations romaines jouissent du même droit et à bien plus forte raison. La diplomatie d'Ol'léans n'admeUait pas ceUe addition; l' évêque entendait êlre indiscu table, mais il se ré- servail bien de discuter les actes ponlificaux, pour Ies soutenir, au besoin, pour les énerver. On eût pu, au reste, sur quatre arti- cles en supprimer deux et rédiger les deux aull'es en meilleure forme; à moins, ce qui eût été préférable, ,qu'on eût condamné leuI' berceau à leur servir de sépulture. Ce projet de déclaration, appoinlé de plusieul's leUres pour chaque évêque, fut distribué d'abord, par des écrivains, aux ami.;; du premier degré, qui ne lui épargnèrent pas les criliques sensi- LA QUESTION DES CLASSIQUES 295 bles à l'arnour-propre de l'auteur, mais acceptèrent pourtant l'acte au moins en principe. Ensuite Ie document fut transmis au"X amis du second degré, avec allégation des pl'emières signatures pour en obtenir d'autres, allégation qui ne fut pas toujours vraie, procédé qui, en tout cas, ne respectait pas suffisamment la dignité des signataires. Alors seulement Ia déclaration fut présentée aux amis du troisième degré, al1X évêques douteux ou suspects; mais on fit peser, sur leur indécision, Ie poids énorme des signatures obtenues, dunt Ie chiffre fut enflé généreusement, et, pour vain- cre leur résistance, on ne manqua pas de faire sonner haut Ie péril des divisions à craindre. Mais l'acte fut dérobé aux grands évêques qui tenaient la têle du mouvement cathoIique et tout spécialement à l'archevêque de Reims. Au total, Ia déclaration n'obtint, en chifI'res ronds, qu'une quarantaine de signatures; elles se trouvent par Ie fait en minorilé; et il est plus que proba- ble que si elJe avait dû, pour affronter Ie public, revêtir une forrne définitive, elle eût vu diminuer encore Ie nombre des adhél'ents. L' évêque d'Orléans avail espéré surprendre les évêq ues en les abordant isolément, à l'improviste, et avec ces procédés aslucieux; sans concert préalable, Ie plus grand nombre se déroba. A cÙté de ceux qui donnèrent leur signature par bienveillance, et sans y trop regardel', plusieurs mirent en pièce ce lriste essai de nouvelle déclaration. La France avait eu trop à se plaindre de la déclara- tion de 1.682 pour qu'on pùt oser réitérer un tel acle, et encore sous Ie vain prétexte d'une défense de l'unité. Mathias Debelay, archevêque d'A vignon, releva, dans Ie factum orléanais, l'absence totale de formes canoniques et l'absence de ces motifs graves et urgents qui peuvent décider une manifesta- lion épiscopale. (( Je vois, dit-il, peu d'avantages dans cette ma- nifestation ; j'y aperçois de grands inconvénients, je crains des résultats tout opposés à ceux qu'on désire oLtenir. En effet, on se propose de demontrer qu'il y a entente parfaite dans l'épiscopat sur la question des auteurs classiques et d'affermir l'autol'ité épis- cop ale contre certains empiétements de la presse. Or, la manifes- tation fera ressortir, par suite de l'abstention de plusieurs collè- 2ga CllAPITRE IX gues, une divergence inévitable sur l'appréciation d'une question, qui, dans son application pratique, se modifie nécessairement par la différence des besoins et par les tendances des esprits, tendan- ces et besoins divers selon les lieux. Celte divergence apparenle, qui ne proviendra que d'un dissentiment même accidentel, sel'a interprétée comme une scission profonde dans l'épiscopal. Les en- nemis de I'Eglise s'en saisiront, ils l'acclameront au loin; ils re- présenleronl, comme une division fondamentale, une différence d'appréciation sur une thèse qui ne touche pas à la foi et qui, de sa nature, est variable avec les époques et les pays. L'hérésie seule y gagnera. - Parmi les fidëles, les âmes faibles 5e scanda- liseront, les âmes pienses gémiront. Le clergé inférieur et les laÏ- ques caLholiques, qui, à tort ou à raison, ont des sentiments arrê- tés sur la question des classiques, se partageront en deux camps animés par des disputes rendues plus acerbes et plus irréconcilia- bIes, car, sanf Ie respect dû nux règlements diocésains, en ce qui tient à la pratique de l'enseignement, il sera toujOU1'S penuis de discuter contradictoirement et d'un point de vue spéculatif, des systèmes et des mé.thodes qui sont du domaine de la polémique. Hélas! pourquoi désuuir les soldats, quand l'ennemi est si près encore? (( La presse a ses embarras et ses passions; eUe a besoin d'être plus disciplinée, plus respectueuse, plus soumise : ici je ne parle pas seulement de la presse religieuse mise en suspicion en ce moment, mais, en général, de toute la presse, qui annonce sou- vent, comme décision de l'épiscopat, comme pensée du clergé, des avis personnels érnis sur des questions religieuses par des évê- ques réunis dans un salon et émeLtant leur opinion propre sans prétendre exprinler Ie sentiment ùe lout l'épiscopat, ni de tout Ie clergé qui ne leur ont pas conféré mandat. II y a en cela aLus grave, on trompe Ie lecteur confiant, on engage aux yeux du pu- blic l'épiscopat dans des solutions qui plaisent au journal, mais sur lesquelles l'épiscopat n'a point été appelé à se prononcer. - Malgré ces écarts, la presse religieuse a rendu et peut rendre de précieux services; la défiance solrnnellemenl prononcée contre LA QUESTION DES CLASSIQUES 197 elle ne fournirait-elle pas à la mauvaise presse une occasion ùe triomphe el d'applaudissements hunlilianls pour l'épiscopat ? N'é- touffera-l-elle pas des dévouemenls qui eussent élé d'uliles auxi- liaires, dans ces temps OÙ la cause de la religion n'a pas lrop de loutes ses forces vives? Puis ces sévérilés contre la presse religieuse ne donneront-elles pas prétexte de dire que l'épiscopat n'a de vi- gueur que pour soutenir ses prérogatives, tandis qu'il se tail sur les aUaques incessantes et violentes d'une autre presse conlre les dogmes de I'Eglise et les dl oits divins du Souverain Pontife. (( On aura précisément produit Ie mal qu'on voulail guérir ; l'autorité morale de l'épiscopal, bien loin d'être r,elevée, sera amoindrie, e1 l'on donnera un air d'opposition qui n'est pas dans leur pensée, à ceux de nos véri lables collègues qui, pour des molifs que nous devons respecter, croiront devoir garder Ie silence que leur conscience ne Ies oblige pas de rompre. )) Pierre de Dreux-Brézé, évêque de Moulins, appuyait, com me Malhias Debelay, sur l'irrégularilé de la mesure, sur l'oubli des tempéramen1s apportés par l'Eglise dans tou1es les manifestations régulièr'es de l'autorité épiscopale, sur Ie danger des divisions en voulanlles prévenÌl , et sur les périls d'une autre nature qui pour- raient résuller d'une semblable cause aux évêques. (( Quel parli en effet, ajoute Ie noble préIat, ne f'auraÏl pas tirer, de cette ma- nière d'agir, un pouvoir hostile à l'Eglise el à qui il suffir'ail de quelques instruments, qu'å toutes les époques, il a tl'OU1)és, pour exercer sur elle une pression dangereuse. Et qu'on n'objecle pas que ceUe pression s'exercera aussi bien sur un Concile réuni que sur les évêques disséminés, car un Concile ne peut avoir lieu sans Ie consenlement du Souverain Pontife, qui conserve toujonrs Ie droit de Ie dissoudre, et qui n'est lié par aucune des décisions qui y sonl prises. l\lais qui empêchera ces conciles dispersés, furmés sans l'agrément du Sainl-Siège. et avec l'intenlion de combaUre des doctrines qui, POU1' déplaÜ'e à quelquPs-lIns dans nolre pays, n'en sont pas moins ailleul's chères et vénérables à tous Jes c<.eurs catholiques? (( J'ajoule qu'un tel syslème aUl'ait pour etfet de faire prévaloil' 298 CBAPITRE IX dans l'esprit des fidèles, une opinion toul à fait erronér et dangr- reuse: c'est que, dans l'Eglise, comme dans tous les Élals consti- tutionnels, la vérité se décide par la '1najm'ité et que c'est Ie poids du nombre qui l'entraîne à sa suite. Or, précisément dans l'Eglise la plul'alité n'est rien, et tout dépend de l'adjoncLion avec Ie chef. La minorité qui lui est unie, est ]'Eglise. Elle seule fait la loi, ou, pour parler plus j uste, la proclame après lui, et, tant qu'il n'a pas parlé, les consciences demeurent libres. )) A ces dangers certains s'ajoute l'inutilité de la mesure. (( Quand votre décIaration aura paru, ne demeurât-il qu'un évêque pour la contredir , et il y en a déjà plusieurs, aucun des principes pro- clamés ne deviendra pour cela incontestable et il sera toujours loisible de les rontestel' sans f)ue Ia foi ail à en souffrir; d'où il suit que si les évêques peuvent avoir à se plaindre, ce n'est pas par de semblables mesures que leur autorité pourra êlre raffermie. Qu'ils aillent à la source de cette autorité, qu'ils fassent de I'Évê- que et du Père universelle confident de leurs douleurs, qu'ils s'a- dressent ri cette Choire p'1'incipale à laquelle il est nécessaÙ'e que toutes les aulres se réunissent, qû'ils demandentla protection decelui qui a Ie soin des pasteurs aussi bien f)ue des agneanx placés sous leur conduite. Qui osera dire que celte protection ait jamais man- qué aux évêques, surtout quand elle a été sollicitée par eux seuls, et sans l'intermédiail'e d'interventions exposées par leur puissance à prêter, à des plaintes respectables, Ie langage du mécontentr- ment et quelquefois même de la violence. (( Voilà bien des raisons de mon rerus, en yoici une plus décisive encore. Je ne mels pas ces intentions en doule. Cependant, il m'est bien perm is, à cólé de ces intentions et des intentions de l'épisco- pat, d'en démêler d'autres qui n'y ressemblent guère. J'examine done quels sont ceux qui attendent cette démarche, qui épient Ie moment oÙ elle va paraìlre, et qui s'en applaudissent déjà à l'a- vance. Je parle devant Dieu et je sais ce que ole dis. CE SONT LES DOCTRINES ROMAINES contre lesquelles ON A COMPLOTÉ DE HÉAGIR ; c'est ce qu'on appelle Ie parti ultramontain, que l'on a rpsolu d'abat- tre C'est un savant cardinal (Ie cardinal Goussel), mon ami et LA QUESTIOi\" DE CLASSIQUES 29B mon maître, auque1 on se promet de donnel' une leçon ; ce sont les (;vêques trop attachés aux privilèges du Saint-Siège, donL la nomi- nation, due à une imparlialilé inlelligente, a élé appelée un mal- heur el représenlée camme interrompant en France, les traditions de l'épiscopal, que ton espè1'e réduÙ'e. El pour achever d'un mot, ce que 1'on veul, c'est se fa-h'e c1"aind?'e (à Rome) là op ne doH êlre reçu d'aulre tribul que celui de nolre obéissance et rle nolre aOlour. l\le préserve Ie ciel d'altacher jamais ma signature, rûl-ce mème à la déclaration de la vérité. quand je sais que 1'0n médiLe ainsi de s'en servir. )) CeUe leUre donne Ie mol vrai de la situation. La déclaration de l'évêque d'Orléans n 'avail point pour but son objet même ; eUe visail à ruiner PUnivers, à renverser Ie crédit du cardinal Gous- set, à réduire les évt-ques, à abattre les ultramontains, à réagir contre Ies doctrines romaines, et à faire trembler Pie IX en pré- sence d'une sédition masquée, mais très réelle. Dupanloup était à la tête de ceUe belle æuvre, el, sauf quelques exceptions, ce sera, dans sa carrière épiscopale, Ie but ordinaire de ses efforts. L'évêque de Gap, Irenée Depéry, ne Ie prit pas de si haut, mais, par une imagination ingénieuse, il découvrH Ie compromis de l'évêque d'Orléans avec Ies ennemis de l'Eglise, compromis qui est encore un des grands faits de son existence: je parle, ici, des ennemis de l'Eglise en France, des gallicans, des académiciens, des parlementaires. Voici la profession de foi de l'évêque de Gap: (( Je crais en Dieu, créateur de l'Univers, mais je ne crois pas Ù la bonne foi de ceux qui veuIenl détruire I' Universe Je cl'ois en Jésus-Christ, qui a établi son Eglise avec les docleurs chl'éliens et non avec les docles du paganisme. Je crois au Saint-Esprit qui a parlé par les prophètes et non par les sibyHes. J e crois à la com- munion des saints, mais je ne veux pas être de celIe de ]a Gazette, du Siècle, des Débats, de la P1'esse et du Cha1'1va,'i. .Ie crois it la résurrection des morls, maisje crains beaucoup celIe des gallicans et ùes parlenlentaires. .Ie cl'ois à la vie éternelle, mais je ne veux pas de celIe des Champs-Elysées, quelque bplle que la fassent les poètes païens. C'esl-å-dire que je suis pour l'adoption des auleurR 300 CHAPITRE IX chrétiens dans une juste proportion, sans renoncer aux chefs- d'æuvre de Rome et d'Athènes soigneusement expurgés de r.e qu'ils ont, lrop sou, ent, de contraire aux bonnes mæurs et à Ia foi ca- tholique. )) Un autre évêque, Jean Doney, philosophe dis1ingué, controver- siste vaillant,_ prélat intrépide, Je prit moins gaiemenl, mais de plus haul. Sa motion, qui formait lout un traité, fut adressée con- fidentiellement à Lous les évêques. NOllS en dé1achons selliement, par voie d'analyse, ce qui regarde l'impossibilité, l'irrégularité eL Ie danger d'une publicité quelconque donnée au projel convenu de décIaration. L'évêque de Montauban fait observer d'abord ; Qu'approuver la déclaration et en ordonner Ja publicité, sonl deux choses essentiellement dislinctes, et que la seconde peut former des inconvénients d'une haute gravi1é qui peuvent ne pas se 1rou- vel' dans la première ; - Que, par suite, et en' prenant les faiLs teIs queIs, il y avait plus que de la convenance, mais une vérita- hIe nécessité d'inlerroger les évêques signataires sur la publicité à intervenir, parce qu'il est certain que Ie plus grand nombre d'cn- tre eux ign01'ait combien il y avait d'opposants et qu'ils eussent élé désagréablement surpris de se trouver en dissentiment public avec près de la moitié de leurs collègues. n y a plusicurb publica- tions de ceUe nature engageant et compromeltant l'épiscopat français tout entier, il n'eut pas été inutile de provoquer les suf- frages de tous les évêques. En ce cas, il n'es1 pas nécessaire de recherchel' quel nombre de suffrages favorables on auraìt re- cueillis. En second lieu, l'évêque de Monlauban argumenlait sur Ie nom- bre de suffrages pour et contre la décIara1ion. La déclaration avail été repoussée absolument pal' trente-sept évêques, modifiée par plus de six évêques et acceptée purement et simplement par mains de tl'ente-sepl évêq ues. Le projet primitif avaiL done été repoussé par la majorité, et Ie projet moùifié n'ayant pas été sou- mis à l'examen et à l'approbation des évêques, n'avait été I'ejeté ni appl'ouvé par personne. Par conséquent, il était impossible de pubJier la déclaration. l\1ême en admettant qu'elle eut été approu- LA QUESTION DES CLASSIQUES 301 \'ée par qua.'ante-q uaLre évêques, contre trenle-sept opposants, on ne pouvail pas davantage la publier sans excès et abus de pou- voir. Chaque évêque eût pu, sans doute, publiBr la Déclaration dans son diocèse. Mais aucun évêque n'ayant Ie droit de rien pu- blier dan::; d'autres diocèses que Ie sien, il est évident qu'une pu- blication collective eût été une usurpation de pouvoir e1 une al- teinte portée à l'indépendance de::; autres évêques. Le droit de publier une Déclaration doctrinale quelconque, implique Ie droi t de l'envoyer à ceux qu'eUe doit obliger. Eût-on pu l'adresser, même COlnme communication officieuse, aux 1rente-sept oppo- sants'l Evidemment non, car c'eût été leur dire: Nous avons con- tre you::; une majorité de trois voix et notre sentiment a plus de Pl'obabilité. - Ce n'est pas tout. Le Saint-Siège a imposé, aux Conciles provinciaux, l'obligation de ne publier leurs actes et dé- crets qu'après les avoir soumis à la révision romaine. Les raisons de ce devoir sont tou1es évidemment applicables à une déclara- lion ùoctrinale convenue et décidée par voie de correspondance, sans exanlen, sans discussion et sans délibération proprement dUe. - II restait, il est vrai, la voie des journaux ; mais chacun sent combien cetle voie est peu grave, peu canonique, peu con- venable pour des évêques el tout ce qu'elle pouvait avoir d'offen- sant pour les évêques opposés à Ja Déclaration. Car, ou les signa- taires veulent enseigner leurs diocésains seulemen1, ou ils veulent enseigner au delà: dans Ie premier cas, iis peu yen t prendre un aulre Dloyen. Avec Ie second, ils excèdent leurs pouvoirs, et alors le évêques opposants, attaqués su." leur pro pre terrain, peu- vent interdire les journaux qui leur apporteraient ceUe insolente Déclaration. L'évêque de l\Iontauban ajoute qu'un évêque peul fermer à un journal l'accès de son diocèse, mais il ne peut pas interdire à un journaliste la profession de doctrines libres dans I'Eglise, surlout la profession des doctrines romaines ; que s'il juge à propos de s'é- level' contre ce journalis1e, il n'a pas Ie droit de lui faire faire, en dehors de son diocèse, une signification personnelle. L'evêque d'Orléans avail dU qu'il accédait au væu de non-publicité et que ce 302 CHAPITP.E IX méllagemenl ue diminuerait en rien la force de son acte ; l'évf'\que de Montauban lui répond qu'il n'était pas libre de faire aulrement, que cet acte de déférence était commandé par la situation, et que Ies trente-sept évêques opposés à la déclaration avaienl droit à plus qu'un simple ménagement: l'évêque de l\'Iontauban dénonce encore Ie procédé singulier de pression et d'affirmations contraires à la vérité, pour obtenir les signatures des évêques; il se plaint aussi des communications faites invariablement, par des ecclésias- tiques, des secrets de celle affaire, aux journaux les pills impies. Comme conclusion, il désire infiniment qu'à ravenir on ne reCOUJ'e plus à un semblable moyen pour forcer les évêques à se prononcer sur quoi que ce soil, au risque de faire naîlre entre eux des défian- ces et des divisions. C'est pour I'empêcher, selon ses forces, que l'évêq ue a voulu communiqueI' confidentiellement ces observa- tions. A ses yeux, c'était un devoir à remplir envers l'Eg-lise, dans I'intérêt des principes et des règles canoniques, une øbligation de s'élever au-dessus de toules les considérations purempnt person- nelles, comme tant d' évêques l' ont fait dans tous les temps lorsq u'ils ont crn qu'il y aurail mal et danger dans Ie silence. Ces coups de crosse, portés d'une main sÚre, meltaient en pièces Ie projetde déclaration etréduisaientãnéanldesdesseins du meneur de la carn pagne. Les évêques signataires se lrouvaient fort embar- rassés de leur signature; les non-signataires ne songeaient guère à se départir de leur réserve. De part et d'aulre, on s'adressa au conseiller ordinaire des évêques, au cardinal Gousset; l'archevêque de Reims répondil à ces comm unications par la lettre suivanle : t( .Ie ne connais pas les qualre articles que '\1gr Dupanloup a pré- sentés à votr'e signature et à celIe de plusieurs de nos vénérables collègues. .J'ai bien appris que certains mandataires s'élaient pré- sentés de sa part ou en son nom, dans divers diocèses, principale- ment d u midi de la France, mais j'ignore encore ce qu'ils ont pro- posé et sollicité. .Ie crains flue, sous prétexle de prévenir toute discussion dans I 'épiscopal, on ait commencé par Ie fractionner en engageant par des signalures individuelles une partie des évê- ques à l'insu des aulres, (11 peul-êlre dans un bul direct d'opposi- LA QUESTION DES CLASSIQUES 303 lion. Quoi qu'il en soH de l'intentioll, je prévois que leð actes et les démarches de Mgr l'évêque d'Orléans n'auront point un résul- tat dont son zèle et sa þiété puissent se réjouir. Ce n'esl point par de semblables procédés que I'on arrivera à trancher définilivement les questions de la nature de celle dont il s'agit en ce moment; et je me permettrai de dire qu'on ne devrail pas en faire l'essai. Ce système d'adhpsions, provoquées ou sollicitées pel'sonnellement, en dehors de toute vue d'ensemble et de toute délibpl'ation, sans inter- vention du vicaire de Jésus-Christ, n'est point consac1'é dans l'E- glise. Ð'ailleurs il est facile 'de comprendre combien il serait fù- cheux qu'il y eÜl de la part d'un certain nomLre d'évêques une manifestation, désavouée par les aut1'es el non sanctionnée pal' Ie Saint Père. Or, sur Ie poinl dont il s'agit, on ne doH point comp- ter sur Ie silence des prélats non aùhérenls qui ne s'exposeraient point à ce que ce silence fût considéré par ceux qui ignorent les matières ecclésiastiques, comme une adhésion tacite à des actes qu'ils désapprouveraient en réalilé. Elqui peut se promettre,d'autre parl, que ces mêmesactes obtiendraientl'assenLiment du Souverain Pontife. (( Au fond, la polémique soulevée par M. l'abbé Gaume à pro- pos des auteurs classiques, encore qu'elle soit importanle en elle- même, et parfois trop chaleureuse dans ses expressions, ne porte évidemment point sur une question dogmatique, morale ou cano- nique; en un mot, ce n'esl poinl une c ntroverse théologique. C'est une question pédagogique, une affaire de mélhode, un sys- lème d'éducalion, au sujel duquelles évêques peuvent penser di- versement sans se compromettre en rien pour ce qui concerne Ie dépôt de la foi et de la doctrine de I'EgIise. J'ai donc élé singuliè- remenl étonné de voir des homInes éclairés faire intervenir ici l'infaillibiliLé de I'Eglise catholique. Les évêques, à mon avis, sout parfaitemenllibres, ou d'adopler Ie système de M. Gaume, que Ia pluparl de ses adversaires ne semhlenl pas avoir compris lout d'a- Lord, ou de conserver, comme Ie vénérable évêque d'Orléans, Ia mélhode qu'ils ont fait suivre j usqu'ici ùans leurs petits séminai- res. Cela posé, chaque évêque fera ce (IU'il croira Ie plus utile à 304 CHAPITRE IX son diocèse ; el, après quelques mois, on verra, je l'espère, des prélals favoriser plus ou moins l'usage des auleurs chrétiens, en les faisant même domineI' sur les auleurs païens, selon qu'ils seronl plus ou moins persuadés, comme je Ie suis nloi-même, que la société, parmi nous surtoul, a besoin d'êt.re régénérée, et qu'eHe ne peut l'êlre que par une instruction I'eligieuse plus approfondie el par une éducation complètement chré1ienne. La société étant malade, illui faut un autre régilne, un autre syslème d'éducation que celui qu'on a suivi dans ces derniers temps, puisque ce sys- tème n'a pu l'empêcher de tomber dans un état alarmant, où elle ne donne gnère de signes de vie que par ses convulsions >>. Après ces fortes critiques du cardinal archevêque de Reims, de l'al'chevêque d' A vignon, des évêques de !\Iontauban et de Moulins, la nlèche élait éventée, la mine envahie par les eaux vengeresses; la déclaration devail tomber. L'évêque d'Orléans comprit qu'il ne s'élait que trop risqué dans cette avenLure, et qu'en s'obstinant, il pel'drait ce qui lui restait de crédit. Sa connaissance du droit n'avail pas paru en beau jour; sa pratique du devoir avait paru se compromeHre par plus d'un excès. Félix Dupanloup remit aux journaux de son parti, une note qui semblait principalement diri- gée contre les divulgateurs maladroits de ses intentions. (( Ce qui devait être fait, disait l'évêque d.Orléans, a é1é fait: ce qui eð1 connn de cette affaire suffit; ceux qui devaient s'entendre's'étaient entendus; ceux qui avaient besoin d'être avertis I'ont été: peu importe que d'autres Ie sachent ou l'ignorent aujourd'hui. QU'OIl médile, avec Ie respect qui leur est dû, les sages et fortes paroles de plusieurs vénérables prélats, qui ont récemment écrit 10uchant cette affaire: il y a là des leçons salutaires pour tous, des expli- cations et des con seils qui ne seront perdl1s pour aucun de ceux qui savent lire et comprendre >>. Tout Ie monde vit là une reculade e1 un désaveu; on crut pouvoir espérer, de la résolulion finale, des fruits de paix. Dans I'Eglise de Jésus-Chrisl, il y a place mar- quée et il faut" s'y lenir: pour les uns, c'est la place de l'autorilé; pour les autres, celIe de l'obéissance ; pour tous celIe de la cha- rilé et du respect. LA QUESTION DES CLASSIQUES 305 On crut pouvoir d'autanl mieux l'espéret', que Rome en donnait Ie conseil. Le cardinal Gousset avait envoyé sa Iettre au Pape; Ie Pape lui fH répondre par Ie cardinal Antonelli: (( La parfaile con- naissance que l'on a de Ia sagesse et du profond discernement qui distinguent Volre Éminence était déjà une raison, plus que suffi- sante, ùe compler sur la justesse et l'étendue de vos vues dans l'appréciation de la susdile controverse. Cette assurance, conçue d'avance, et que Ie Sainl Père, à bon droit, partageait avec moi, a été parfaitemenl confirmée par Ie précieux document contenu dans la leUre par laquelle vous ave manifesté vos sentiments, à ceUe occasion, à quelques-uns de vos collègues qui vous avaient consulté. (( Sans avoir l'intention de censurer qui que ce soit, i1 faut bien remarquer, dans l'intérêt de la vérité, qu'il y a un point de la plus grave importance pour les évêques, et que Votre Éminence a si- gnalé forl à propos: c'est la nécessifé de conformer au.v règles et coutu'ntes établies par l'Eglise Ia nalU1'e et la f01'me des actes éma- nant du corps épiscopal; sans quoi on court un trop grand dan- ger de rom pre l'unité si nécessaire d'esprit el d'acLion, même dans les démarches par lesquelles on pourrait chercher quelquefois à l' é lablir. (( La force de ceUe observation fondamentale et des autres que V otre Éminence a si bien appliquées au cas présent, fait pressentir l'influence qu'elle a dû avoir pour arrêter la marche d'une affaire aussi 91'ave du côté des pa1'lies qui y étaient intéressées que 91'osse de conséquences drplo1'ables par suite de la manière dont eUe étaÏt engagée. (( Iaintenant grâce au parti prudenl auquel s'est décidé Ie per- sannage qui avait Ie rôle principal dans cette discussion, il sem- ble qu'il y a lieu de la considérer désormais comme assoupie et que dè8 lors l'intervenlion 3uprême donl parlait V otre Éminence, à la fin de la lettre dont eUe a bien voulu m'honorer, a cessé d'être né- cessai re. (( En applaqòissant haulC1nent à Pintérêl que Volre Éruinence a aLlaché à celte affaire et flu'eUe a fa.il ervir, avec un :.èle el une 20 306 CHAPITRE IX sagesse adn!Ï1Ylhles, it aUeindre un Inti pleirtement COnr01 me aux vues du Saint-Siège, je suis heureux de vous offrir, en même temps, l'assural1ce de nlon profond respect. )) L'évêque d'Ûrléans était vaincu. Toule son agitation contre la question classique réduite pal' lui à ces proportions misérables, ne devait pas avoir seulement pour effel de l'enterrer, mais d'ouvrir, par ces accusations, aux ennemis de l'Eglise une carrière de cor- ruption par l'école, carrière OÙ iis ne manqueront pas d'enLrer un jour. Mais sa fameuse machine contre Ie journalisme religieux, c'est-à-dire catholique romain, tombait par terre. .Mais son grand el hypocrite pl'ojet de terroriser Rome; de réduire les évêques, d'a- battre Ie cardinal Gousset et de se metlre à sa place, ce projet était abandonné par ses premiers adhérents, frappé par toutes les lumiè- res de répiscopat. Home venait de Ie rnettre au tom beau el de sceller la pierre de gon sépulcre. Debout sur cette pierre tombale, nous sentons qu'elle s'agite déjà sous nos pieds; peut-être ne larderons-nous pas â en voir sortir quelque monstre. La campagne étaÏl finie ; cependant quelques relardataires tirè- tent encore leur coup de feu. L'évêque de Chartres, Ie vieux Clau- sel de .ì\lonlals, exaspéré par les propos orléanais, fit, en favenr de la déclaraLion, un acte qu ïl fut difficile de soustraire aux coups de l'inùex; les cardinaux Donnet et de Donald écrivirent, avec quel- ques trails de ressentiment, des letlres qui devaient leur altirer les mortifications d'une enc clique. Ces leth es reslèrent sans écho. Dans tontes les affaires de l'Eg-lise, depuis Ie Concordat, dès qu'nn prêtre ou un laïque pieux soutient la cause de Rome ou pa- fall seulemenlla soulenir, c'esl uue sorle de vilaine coutume, que les parlicularisles français essaienl de se venger de leur impuis- sance, en lui portant des coups. Dès l'époque du Concordat, des évêques, réfugiés en _\llenlagne, appelaient toutes les foudres du ciel sur quelques journalisles coupables de défendre Ia pléniluùe ùe l'autorÍlé ponlißcale. Après la conclusion de ce traité, l'évêque ci-devanlconslitutionnel de drenoble, recevant l'abbé \.rvisenel, lui dit à brûle-pourpoinl: {( C'esl vous, monsieur, qui êtes l'auteur du livre fanatique intitulé ; Jlemo1'iale vitae sacetdotalis ! V ous n'aurez LA QUESTION DES CLASSIQUES 307 pas de fODction dans mon diocèse! )) El il proscrivit Ie prêtre dont il eût dû baiser, non seulemcnt les mains, mais les pieds. Lamen- nais, pour avoir aUaqué, de sa terrible plume, les malheureux qui s'essayaienl à galvaniser Ie cadavre du gallicanisme, fut envoyé en poHce correctionnelle, où Ie défendit Berryer. Dom Guéranger, pour avoir prêché, avec autant de science que d'él.oquence, Ie re- lour à I'unité Iilurgique, se vit dénoncé par des évêques, comme novateur et insulleur ; mais Pie IX Ie fit nommer consuHeur de I'lndex et des Riles; il devait plus tard l'appeler pour la révision du Bréviaire romain. La liste des victimes pour la défense de 1'01'- thodoxie n'est pas close encore... et nous sommes en France. Ce trait caractérise une situation. L'Ami de la Religion, journal gallican, fit paraltre deux leltres de l'évêque de Nevers. Dominique Dufètre, prédicateur dont il n'esl resté qu'un souvenir, déplorail la persévérance avec laquelle Gaume soutenait un système dont l'exagération, disait-il, révoltail tous les esprits sages et dont l'application serail aussi fataLe it l'Eglise, qu'étaient inj urieux pour elle les arguments à l'aide des- · queIs on essayait de Ie défendre. Sur Ie conseil du cardinal Gous- set Gaume écrivit un opuscnLe intitulé: La question des classiques l'amenée à sa plus si-mple expression, opuscnie où il réduisait à trois points ce qu'il avait demandé: 1. 0 ex purgation plus sévère des auteurs parens; 2 0 introduction plus large des auteurs chré- tiens ; 3 0 enseignement chrétien, autant que cela est possible, des auteurs païens. Dufêlre convenaH lui-même que cette thèse était très raisonnable ; mais, poussé par les séides du parli gallican, il demandail à Gaume d'exprimer: 1 0 Ie regrel d'avoir négligé de Pl'cndre son avis avant d'entamer celle grave discussion des clas- siques; 2 0 un désaveu formel des imputations outrageantes pour l'Eglise, ofl'ensanles pour ses adversairrs, que 1'0n croyait trouver dans ses OUVl'ages ; 3 0 La résoll1lion bien arl'êtée de ne pLu:5 rien publier à l'avenir sur ces questions qui avaienl déjà causé tant de troubles el, soi-òisan l, de scandales dans rEglise. Comme on re- connaìl bien, à ces exigences, l' esprit procédurier el vindicatif du gallicanisme. 308 CHAPITRE IX << Gaume, diL l'abbé Bel'gier, ne pouvail p'as accepter ces con- ditions; au contraire, accusé, d'une parl, d'avoir oulragé l'Eglise en allaquant Ie syslème acluel d'enseignemenl, el in\'ilé, de l'au- tre, à ne plus rien écrire en faveur de Ia réfornle des éludes, pour ne pas parler du reproche q u'on Iui faisaiL d 'avoir publié ses derniers ouvrages sans l'approbation de son évêque, il devait, à son honneur, de se faire j uger sur ces trois points par un tribunal supérieur : c'esl pourquoi il partit pour Rome, afin de soumeUre toutes choses à sa décision suprême (1). )) l\Iais d'abord it remit, à l'évêque de Nevers, ses Iettres de Yicaire général ; obligé de ré- pondre à des outrages, il ne voulul rien gardeI' de ce qui pouvait tourner à l'honneur de sa personne. L'!ndex refusa d'examiner les livres de Gaume, aUendu qu'il s'occupail de dogme et de morale, et non de questions pédago- giques ; un des consulteurs voulut néanmoins condescendre à ses væux. Or, après mûr examen et avis pris de savants canoniste::;, il déclara qu'il n'y ayaH point d'inj ure pour I'Eglise dans les ou- vrages de Gaume, l'Eglise n'ayanl jamais imposé, mais seulement toIéré I'usage des classiques païens; il ajoulail même que Ie con- seil donné par Gaume, étaH un moyen de seconder les vues de I'Eglise, toujours dirigées vel'S Ie plus granCil bien spirituel et éler- ne!. En somme, Gaume n'était pas répréhensible et mérilail plulôl des éloges. Au fait, des désordres graves el très répandus ont, à différentes époques, affligé I'EgIise. Alors la voix d'u n .Jérôme, d'u n Hildebrand, d'un Bernard, d'un Gaélan de Thienne se fH enten- dre. Au commencement, peut-être, Ies arcusa-t-on d'exciter des divisions et des scandales dans I'Eglise, d jeler Ie lrouble et l'in- certitude dans Ies consciences. A la fin, iIs onl obtenu gain de cause et ron a vu clairement que Dieu avaH voulu se servir d'eux pour faire connaîlre Ie mal, afin que la suprême autorité fûl plus pres- sée d'apporter le remède. Qui done, aujourd'hui, en présence des efforts de l'enfer pour déchristianiser l'enseignemenl, ne convien- (1) La question des classiques, note insérée dans I'Ristoire du retom' à l'u- nité liturgique, LA QUESTION DES CLASSIQUES 309 dra pas que Gaume, prêchanlla christianisaLion essenlielle, étail un ou vl'ier fidi.le aux consignes de la Providence. Quant à la question de l'approbation épisr.opale, Gaume, vi- caire généraI, òonnait ces approbations et n'avait pas à en de- mander; pour Ie surplus, ce n'étail qu'une quereIle de mauvais gallican. En principe, I'Eglise exige l'approbation pour to utes sortes d livres. En fait, ces lois n'ont jamais été en vigueur en France et sont, de temps immémol'ial, tombées en désuétude. De nos jour's, les concHes ant essayé de les faire revivre; mais, expé- rience faile, on est convenu que l'irnprimatu1' n'est exigible que pour les livres OlL l' on propose ou expose aux fidèles les clogmes de la religion, les histoires à l'usage des écoles e1 des catéchis- mes, des formules de prières, des recueils de canliques, des in- dulgences nouvelles, des pratiques de dévotion, enfin des récils de miracles non régulièrement reconnus. De plus, Ia pratique n'allribl1e l'examen du livre qu'à l'ordinaire de l'imprimeur et non de rauteur. L'Eglise s'occupe des livres et non pas des personnes; si Ie liv['p est mauvais, I'Eglise en empêche la circulation, mais eUe laisse en pah:. l'auteur qui a pu écrire de lrès bonne foi; s'il a commis quelque faute personnelle, c'est affaire de conscience, non matit'>re litigieuse au for extérieur. Au cas où un livre est mis à l'index, alaI's l'auLeur doit se soumeltre et retireI' au cor- riger son livre, mais alors la sentence qui atleint son ouvrage, loin de Ie diminuer 111i-même, ne, lui offre que matirre à une loua- ble soumission. Autrement l'Eglise est pleine de mansuétude et de considération pour les auteurs; elle les traite comme de braves soldats, comme des confesseurs dignes d'encouragement, elle n'en fail pas des martyrs. Au simple point de vue de son intérèt, ne seraÏl-ce pas une contradiction et une trahison, quand la loi civile laisse toute franchise à la mauvaise presse, que I'Eglise n'ait des liens et des peines que pour ses défenseurs? Et quand, dans un diocèse, vous voyez les pires journaux it l'étal de toutes les lihrai- ries, à la porte de taus les kiosques, ùans les gares de chemins de fer et sur la voiLure du colporteur, ne seraÏl-ce pas une mons- ll'uosilé que l'official n'eûl des rigue'urs que pour un prèlre criti- 310 CHAPITRE IX quant quelque mauvais livre -ou pour un vicaire général suspect seulement de zèle dans Ie service de l'Eglise ? Du chef de I'Intpri- 1ìlatu1', il n'y avail rien à reprocher à Gaume. Le consulteur concluail donc, qu'à son avis, Gaume pouvail sans inquiélude soulenir sa thèse, qui secondait les vues de l'E- glise au lieu de les conlrarier ; et qu'en publiant ses écrits, même sans approbation épiscopale, il n 'avait violé aucune loi caoonique ; en sorte que toute mesure prise contre lui ne serait poinll'exer- cice du droit, mais un ahus de la force. Enfin il manifeslail son espérance de voir, plus lard, reconnaîlre que Ie syslème d'éludes, préconisé par l'abbé Gaume, loin de conduire à la barbarie, COll- tribuerait à faire apprendre les langues mieux qu'on ne les ::;ait 3ujourd'hui el permeUrait à l'Eglise de mieux manifester, dans les sphères du vrai et d u beau, sa surnaturelle puissance. Quant à l'ahbé Gaume, dépouillé de son titre de vicaire généraJ de Nevers, il fut nommé vicaire général de Reims par Ie cardinal Gousset, vicaire général de l\Iontauban par l'inlrépide Jean Doney, vicaire général d'Aquila par Pra Luigi, savant évêque qui fit applaudir ses doctrines par une couronne de cardinaux, dans un discours prononcé à l'Académie de ]a religion calholique. enfin vicaire général au rnoins in pelto de Calvi par Bartolomeo d"A- vanzo, depuis cardinal. Pie IX donna au rnênle Gaume un bref, pour rassurer sa conscience et lui conféra Ie titre de ProlonolaÜ'e aposlolique. (( A coup sÙr, dill\lgr Gaume, s'il y avail en France un prêtre qui dût êll'e à tout jamais exclu des honneurs de la prélature rOlnaine, c'élait bien rauleur impénitenl du Vel'1 ongeu1 , l'insulteur de l'Eglise, Ie violateur des lois canoniques, Ie diffa- mateur des ordres religieux. Pourlanl ee prêtre est protonotaire apostolique. )) En 1874, Pie IX envoyait encore à Mgr Gau Ine un bref où nous lisons ces belles paroles: (( En vous voyant si plein de sollicitude pour nous, notre ardent désir esl que vo us jouis- siez de cette félicité de l'åme, que ni l'iniquité des temps, ni la haine des hommes ne penvent ôter aux justes et aux sages. Aussi, que les oppositions et les critiques malveillantes de quelques-nns ne vous émeuvenl pas, puisque, cumme vou::) Ie diles, Ie Lut uni- LA QUESTION DES CLASSIQUES 31 i que de vos écrits a été de défendre, dans la question des éturles, les règles que vous savie:; être pal' nous app ouvées; savoir faire étudier, à Ia jeunesse, avec les ouvrages classiques des anciens païens, purgés de toute souillure, les plus beaux écrits des auteurs anciens. C'est pourquoi nous jugeons à propos que vous hannis. siez toute anxiété, bien plus, que vous vous reposiez dans une parfaiLe tranquiIlité. Car ceux qui, dans leur conduiLe, ne se pro.. posent que la gloire de Dien et Ie salut des âmes, sont assnrés de s'acquérir des grands mérites devant Dieu et une solide gloire aux yeux des hommes sages. Et ce sonl des tilres de gloire préférables à ceux qui reposent sur les vains j ugements et opinions du vul.. gaire. Sorez donc plein de courage et d'ardeur et recevez, comme gage des faveurs divines, la bénédiction apostolique. )) Gaume, réconforté par ces paroles et par ces grâccs, se remit sans hésitation, avec sa vaillance ordinaire, au service de rEglise. D'abord il éCI'ivit, en douze volumes, l'histoire de Ia révolution en Europe et marqua, depuis Luther, les étapes confuses et san- glantes de sa généalogie. Destruction sociale et religieuse, des.. truction phiJosophique, artistique et liLléraire : voilà ce ql1'iJ découvre dans Ies causes, les agissements et les résllltaLs du VoIla i- rianisme, du Césarisme, du Rationalisme, du Proleslanlisme et de 13. Renaissance. A ses yeux, Révoilltion, cela veut dire qne Dieu c'est Ie mal, que la propl iété C' est Ie vol, que l'anarchie c' est r 01'- dre, et que, Sllr les ruines de taus les principes, de toules les croyances, du bon sens outrag'é et de la nature indignée, doit s'é- taLlir une forme de gouvernement, une sorte d'absll'action poli- tique, objet d'une idolâtrie universelle. Ceci enlendu, la Ilévo- lulion, c'est la mystique de alan, c'est la reconstruction <.Iu monde sens dessus dessous, e'est un embrassen1cnt sanglant de l'orgueil et de la con voitise au n1ilieu d u chaos, sans Dieu pOUI' féconder Ie néant. Par la force ùes preuve8, par l'érudition choi- sic, par les apel'çus lumineux qui la distinguent, la Révolulion de Gaume rappelle la hauteur des vues etla fermeté <.Ill coup d'æiI de J. de Maistre el de DOllOSO CorLès. Pour relldre pratique Ia I'éformc des études, Gaume composa 312 CHAPITRE IX une bibliolhèque classique OÙ il fit entrer nne trentaine de volumf\s consacrés aux classiques chrétienR et deux volumes de prosateurs et de poètes profanes, soigneusement expurgés snivant les pres- criptions du Saint Père. Cette bibliolhèque trouva sa place dans les séminaires de France, d'lLalie et du Canada. Après les jours sombres el agités de la tempête présente, elle reviendra au jour et sera d'un usage exclusif lorsque la société voudra redevenir chrétienne. En même temps, I'infatigable alhlète écrivait une série d'opus- cules sur les principes et la pratique de la religion. Dans Ie C'redo, il donne, aux esprits faibles et vacillanls des contemporains, la lumière et l'appui des dogmes révélés. Dans la lleligion dans le temps et dans l'éte1>nité, il établit que, outre les avantages de la vérité, Ie chrislianisme nous assure les gages de la vie présente et les promesses de la vie future. Dans un autre livre au litre un pen étrange : La vie n'est pas la vie, il essaie de nous déprendre des séductions de la terre pour nous fixer dans les splenrleurR rlu ciel. La religion catholique n'a pas seule ent un symbole ou formule de croyance, elle nous rattache encore, à ses lois, par une série ù'actes extérieurs. Le cimetière, Ie signe de la croix, l'eau bénite, Ie benedicite, la génuflexion, l' angelus sont autant de pratiques ordinaires dont Gaume relève Ie grand sens avec une parfaite phi- losophie. Les écrits consacrés à ces diverses pratiques du cuHe avaienl surtout pour objet de ramener les fidèles à une plus exacte obéissance et de réagir contre Ie naturalisme. Opportuns dans tous les temps, disait Pie IX en félicilant rauteur, ces écrits Ie sont surtout à l'époque actuelle, OÙ l'impiété, exerçant impunément ses ravages, les rênes semblent làchées plus que jamais aux puis- sances de l'enrer. A la demande de I'auteur, pour lui témoigner plus ample satisfaction, Pie IX voulul enrichir d'indulgences I'u- sage de l' eau bénite. Le surnaturel règne surtout par la piété. L'auteur du Catéchisme de persévé1"ance, pour y amener et y fixer les âmes fidèles, se com- plut dans cet élément de vie. On Ie retrouve, constant avec lui- même, soit qu'il s'agisse de la dévotion à Jésus enfant (Bethléem) ; LA QUESTION DES CLASSIQUES 313 de la dévotion aux souffrances du divin maître (Hotloge de la Pas- sion et i'ltistoil'e du úon La1'1'on); ùe la préparation à la première communion (Le grand j01Ð' app'i'oclte) ou de l'aclion de grâces après cet heureu"X jour dont il a tant contribué à exalLer les fa- veurs (Le Seigneur pst rnon partage) ; du sacrement de pénitence, des souvenirs bibliq ues les plus appropriés aux besoins de la piété contemporaine ; de la vie d'une petite esclave rnarLyrisée dans des circonstances horribles pour la nature (Supma) ou des merveilles de l'apostofat cathoIique (VoyogP du P. Ilorne1'). Au déclin de sa carrière, Gaume écrivait encore, dans les mêmes intentions de piété, une série de biographies des personnages du Sainl-Evangile. Au total, on peut estimer à cinquante Ie nombre des ouvrages de Gaume. La plupart ont été lraduits dans plusieurs langues; tous sont recommandables par l'exactilude des pensées, l'abon- dance de l'érudition, la chaleur du style et je ne sais quelle effu- sion où l'iÎme se complaît. On Iui a reproché pourtant un peu de désespérance, une certaine inclination à voir les choses en noir ('t à énerver les courages. Les faits prouvent trop que Bon opLique ne lui fournissail pas d'illusions; quant au courage, il ne faut Ie prendre ni Ie perdre dans la parole de l'homme; les sources do l'énergie coulenl de plus hauL Joseph Gaume mourut vel'S 1880. On dit que sur Ie lit de mort, la Vierge Iui apparut ; il mourul, en lout cas, de fa mort des pré- desLinés. Heureux les écrivains qui auront su, comme ce vaillant athlète, Lenir à longueur de lance les impies el les hérétiques, tout en raffermissant les faibles, en édifiant les ignorants et en élevant plus haul les vrais serviteurs de Dieu, ceux qui ne t1échis- sent pas Ie genou devant Baal. CIIA PITRE X DU REToun t\ L'UNITÉ UTURGIQUE ET DE LA nÉ ISTA 'XCE QU'OPPOSÈRE T LES GALUCA:'iS ET LES LlBÉRAUX. Ç'a été, pour nous. dans une controverse récenLe, à propos du gallicanisme, un sujet d'extraordinaire surprise, d'entendre un supérieur de congrégalion vou e à l'enseignement lhéologiquo, dire, de bonne foi, sans doute, qu 'en pratique les gallicans n'é- taient pas moins soumis au Saint-Siège que les ulLramonLains. La raison qu'en donnait, avec un aplomb singulier, cet étrange controversisle, c'est que si la déclaration de LG82 ne déclarait Ull jugemenl pontifical irréformable qu'après IÏntervenLion du con- senlement de l'Eglise, elle n'admettait pas de délai dans robéis- sance. l\Iais ailleurs, il avait dit que cetle obéissance n'élait que susIJensive, c'esl-à-dire que Ie consenlenlent de rEglise ne rali- fiant pas Ie jugement pontifical, cette obéissance sous bénéfice d'invenlaire éLait nulle et non avenue. D'où il suit que ces galli- cans, soi-disant soumis, ne l'élaient réellemenl pas; d'autanl plus que pal' la nécessité de l'exequalur, par l'appel au fulur concile et la décIaration d'aLus, ils puisaient, dans l'arsenal parIementaire, autant de moyens d'éluder les décisions des papes el de suppl i- mer praliquement Ie Saint-Siège. L'histoire, au besoin, nous fournirait vingt faits pour où il seraiL clair que l'obéissance gal- licane, vanlée aujourd'hui, n'étail autrefois que ]'euphémisme de Ill. l'évolte. Mais si l'erreur de fait nons étonne, l'erreur de droil nous sur- passe. Quoi ! Ie gallicanisme n'ayaÏl inlroduÏt, dans les tradilions de la France, qu'un certain mode de soumission au Pape! En en- tendant ces choses, on croit rêver. l\1ême fjl1and Ie galJicanisme n'eût fail que poser des limitrs à I'obéissance due, de droit divin, DU RETOUR A L'UNITÉ LITURGIQUE 315 au pouvoir spirituel, il eút erré assez profondément pour mettre en cause une condition de la foi et le principe même du gouver- nemenl de l'Egiise. Iais il faisait plus que toucher à l'économie du gouvernement ecclésiastique; iltroublait toutes les sphères et créait une erreur radicale. Dans I'Eglise, il ne voyait que la com- munion des fidèIes qui ont pour chef Ie Christ; il reconnaissait hien celte société pour une, sainte, caLholiql1e et apostolique ; ce- pendant il altribuait Lout pouvoir au corps des pasteurs et ne voyait dans Ie pape qu'un centre spécuiaLif d'unité, l'organe, l'ins- trl1ment de l'action des évêql1es. Le pape ne pos5édait rien par lui-même; il élait Ie premier, mais parmi ses égaux ; il avait bien une primauté d'honneur et de j uridiction, mais, dans l'exercice ùe ceLte primauté, il dépendait des évêques : ce n'était que rom- bre d'un grand nom. Dans leurs traités de théologie, les gaUicans ne parlaient du pape qu'après avail' exalté beaucoup les évêques ; et q uand ils venaient au pape, c'était seulenlent pour dire qu'il ne jouissait d'aucun pouvoir sur Ie temporeI; qu'Ï! n'était point in- faillible; qu'il était au-dessous du concile et l'homme-lige des saints canons. En conséquence, les gallicans avaient rejeté Ie droil pontifical et la lilurgie romaine. De plus, après avoir Lout révolu- lionné dans l'Eglise, iI mettaienl Ie prince teinporel au-desslls de tout et Ie déclal'aient inférieur seulement à Dieu : Ornnibus nlajor, ])co solo minor. Ð'autre part, ils admettaienl Ia licité de l'usure; el, par ceLte double aUeinte it l'ol'ganisation régulière de Ia pro- priété et du pouvoir civil, ils avaienllivré l'homme au despotisme ùe I'Etal, ainsi qu'à rexploitation du capital. En son genre, Ie gaUicanisrne était lIne en'eur Inoins profonde que Ie protestan tis- nle, mais aussi vaste. Dans tous les pays où iI a prévalu, il a dé- truit à peu près la sociélé chrétienne, fait it I'Eglise de cruelles blessures et mis Ie ::;aint-Siège aux prises avec les plus dures épreuves. S'il avait poussé j usqu'à ses del'nières conséquences son aboutissement logique, c'étaient Ie schisme, l'anarchie et I'es- clavage. Nous n)entenùons :certes pas que tous les gallicans aient élé consciemment attachés it des erl'eurs si misérables. Un grand 3tH CHAPITRE Homhre d'entre eux, par principe de foi Oll par défaut de talent, n'allaient pas si loin; ils admettaient les principes, mais sans voir les conséquences, et si ces conséquences fàcheuses leur élaient découvertes, ils vouIaient Ies rejeter. On ad met pour les person- nes, toutes les excuses que comporle Ia faiblesse et que la bonne foi réclame. L'esprit humain est si borné dans ses vues, l'âme est sì fragile devant Ie devoir, qu'il faut loujours, pour l'homme qui s'égare, une misédcordieuse indulgence. L'indulgence toulefois ne doit pas aveugler, et, si ron s'élève contre une erreur, il faut que ce soit avec ce regard profond qui en perce les obscurités, en sonde les abîmes, en prévoilles malheurs. D'autant que si, par aveuglement ou complaisance, nous venions à nous leurrer sur les résultats de l'erreur, Ie temps viendrait hientôt accuser notre mollesse et dessiller nos regards. L'hun\anilé marche lentemenl, mais elle marche toujours. Dans sa marche, eUe s'avance, comme Israël, sous la dirrction d'une nuée, et dès qu'elle accepte un principe, eUe saura, avec une dialeclique implacable, en tireI' tout ce qu'il recèle. Si Ie principe est vrai, l'humanité en Lircra force et gloire ; s'il est faux, eUe pourra s'y obslincr jusqu'à la mort, terme fatal de toutes les erreurs. En France, Ie gallicanisme avait produil tOllS ses fruils de mort. Lorsque Ie libéralismr vinl prendre sa place, il n'abj ura pas du jour au lendemain toutes ses erreurs ; il put, en les transformanl, essayer de les perpétuer et de s'y fixer, avec respoir toujours de les agrandir. L'Eglise gallicane, par exemple, avait, au XYIIlc siè- cle, rejeté à peu près complètemenl la liturgie romaine: eUe avail, au nom d'un prétendu droit épiscopal, livré à des hommcs sa.ns mission, sans doctrine et sans verlu, les formules de la prière, les mélodies du chant, les rites et les cérémonies du cuIle public. CeUe entreprise sacrilège n'avail paru, à ses rlébuts, qu'une ré- forme effectuee au nom du goút; dans la réalité elle éLait une forme de la révolte contre Ie Saint-Siège el de l'asservissement des évêques au pouvoir civil. BienliH, glissant sur celte pente, qui mène toujours facilemenl aux extrémilés, on s'élait porté aux plus révoItantes innovations. Un moine de Cluny, au nom ùe je ne DU RETOUR A L'UNITÉ LITURGIQUE 317 sais quel naluralisme imbécile, avail mis à néant Ie symbolis- me liturgique. Yigier, Mezenguy et Coffin avaient fait, du Bré- viaire de Paris, un réperloire de jansénisme. Un sulpicien, dont je do is laire Ie nom, par respect pour Ie ridicule, s'élait servi de rantienne de S. Pierre, prince des apÔlres, pour faire savoir au peuple chrétien, que Ie pontifical souverain ne s'étendait que sur les åmes. Par quoi ce rusé el naïf compère niail le pouvoir des papes sur les souverains, comme si Ie pun voir des ponLifes romains sur l'ordre tern porel ne ressortait pas de leur pouvoir sur les âmes. Bref, la faucille gallicane et la faux janséniste avaienl ra- vagé, avec une espèce de piélé à rebours el de fanalÏsme fou, Ie champ mystique ensemencé par les Léon, les Grégoire elles Inno- cent. Quand Ie libéralisme s'était. ingénié à la constitution civile de l'Eglise, il avail fail aussi æuvre de liturgie. Le constHuLio 1I1el Gré- goire proposail, enlre autres, de remplacerl'orgue par Ie tam-tam. Ce qu'il eût rétabli plus utilemenl, c'esl la fête des fous, avec les conlredanses du Kyrie eleison. Au rélablissement du culte, nos évêques, revenus de l'exil, se crurenl en droit de continuer les prouesses liturgiques de leurs devanciers, et, en 1839, lorsque Ie grand évêque de Langres, Igr Parisis, rétabHt la liturgie romaine, la lilurgie parisienne, æuvre préparatoire d u schisme, menaçait de loul envahir. n ne restait plus à entraìner dans la défection que dix ou douze diocèses. Vigier eûl écrasé S. Grégoire et ouvert les voies à Pholius. l\fais Ie veilleur d'Israël, deboul sur l'observatoire du Vatican, entendailla voix du prophèle : Custos, quid de nocle? Le nonce de Pal'Ïs avail remarqué que les évêques élus, dans l'exalnen qu'il Iflur faisail subir, élaienl plus ou moins gallicans ou infatués des nouveautés liturgiques; il en fit part au pape. Grégoire XVI, pour enrayer un si grand mal, conçut Ie pieux et habile projet de réta- blir en France la liturgie romaine, et par là, de metLre en déroute Ie gallicanisme doctrinal. Le plan, cerles, élait d'un grand capi- taine, mais comment Ie meltre à exécuLion ? Comment, par Ie droit ella lhéologie liturgiques, f'arnener au centre de l'unHé, dans la 318 CHAPITRE X plénitude des doctrines I'omaines,cette France qui avail désel'lé les gran des traditions de la Lhéologie et qui ne paraissail guère sou- cieuse d"y revenir? Quand Dieu inspire à un pape un grand dessein, il n'oublie ja... mais de lui fournil' des ouvriel's. II y avail alors, de par Ie monde, un prêtre manceau, qui avait déjà rompu des lances pour la litul'- gie romaine. Tour à tour secrétaire d'évêque, vicaire, un peu curé, prédestiné, ce semble, à entreI' dans l'état-major de son diocèse, il élait hanté, poursuivi par la pensée de se fail'e moine el de ré- tablir, au déclin des races latines, cet ordre de S. Benoit, qui en avait, pour une grande part, constitué la civilisation. C'était, pour Ie temps, une idée au ,moins singulière et qui ne promeltait pas une prornpte réussite. De la part du gouvernement qui dispersait les Trappistes et n'affectait, ponr I'Eglise, qu'une neutralilé mal- veillante, on ne pou,'aH s'allendre qu'à des avaries ; dans l'Eglise, s'il y avaH moins d'obstacles à franchiI', peuL-être n'étaiL-on pas sans avoir à vaincre quelques préjugés. Rome, du moins, \'ivait dans une autre atmosphère ; et Ie Pontife I'omain appartenait à cet ordre de S. Benoît qu'il s' agissaiL de rétablir. Ses sympathies étaient acquises d'avance. Nous n'avons pas à dire comment, à tl'a" vcrs les épreuves qu'inspire tOl1jours, aux æuvres naissantes, la sagesse de Rome pontificale, ]'ordre de S. Benoit fut rétabli au prieuré de Solesmes, ni COlllment fut remise la crosse abbatiale aux mains de dom Guél'anger, Ie chevalier' de la sainte liturgie. Nous notons seulement que Cìrégoire XVI, en rallumant ce flam- beau de son ordre, donna pour mission, à la Congrégation de France, de réchauffer, de ranimer les traditions dé(aillantes de la liturgie sacrée et du droit canon: Pontificii juris et sacrae Litur- giae l1Ylditiones labescentes con(ove1'e. Le plan de campagne qu'il avait conçu, Ie Pontife romain Ie confiait à la solidité d'une armée eL à la vaillance de son chef. L'Eglise jouiL, pour toutes ces entreprises d 1 une grAce que ne possèdent point les autres pouvoirs. A une æuvre sainte, confiée à des mains saintes, dès qne Ie pape a donné sa bénédiction, tout marche, pas sans combats, mais avec honneur. En 1841, dom Gué- DU RETOUR A L'UNITÉ LITURGIQUE 319 ranger, abbé de Solesmes, avail publié Ie premier volume d'un ouvrage intitulé : Institutions litui'giques; l'année suivante, il don- nait Ie second volume. Dans ces deux volumes, après quelques gé- néralités sur la liturgie" sur l'imporlance de son élude, son état au teI?ps des apÔlres, il en esquissait l'histoire en appuyanl sur les travaux de S. Grégoire Ie Grand, de S. Grégoire VIII et de la grande réforme lilurgique du XVIe siècle. Ensuite il venait à la grande aberration du XVIlI e siècle et signalait, avec une verve implacable, les excès commis dans la plu part des diocèses, notamlnent chez les Clunistes et it Paris, Ie Byzance de l'Occident. Cette histoire, faite sur pièces, après des éludes minutieuses, meltait Ie doigt sur la plaie invélérée au cæur de nos églises ; eUe voulait la guérir avec Ie fer de la pure doctrine. (( Soyons sincères, disait-il, à propos de toules les innovations iIlégales et o1al réussies, notre désir de perfeclibilité liturgique ne nous a-toil pas insensiblement réduiLs à l'élat que S. Pie V reprochait à nos pères du XVIe siècle ? Qu'est devenue cette unité de cuIle que Pépin et Charlemagne, de concert avec les PonLifes romains,avaient établie dans nos églises, que nos évêques et nos conciles du XVIe siècle promulguèrenl de nouveau avec tant tIe zèle et de 8uccès? Dix bréviaires et dix missels se par- tagent nos églises et Ie plus antique de ces livres n'existaiL pas à l'ouverLure dn XVJIr c siècle ; il en est Inême qui ont yule jour ùans Ie cours ùes ql1arante premières années du siècle où BOllS yivons. )) DOll1 Guéranger marquait l'irl'égulal'ilé de celte situation; il en ùénonçaÌt les périls pour la vraie piété el pour Ia science; mais il se tiéfendait absolun1ent de toule intention de vouloir troubler les consciences et pl'ovoquer une révolution. II esl bien permis de croire qu'un relour immédiat it l'unilé ne lui eÙt causé aucun deuil; "ans aucun doute il écrivait, comme tout auteur, pour agir SUI' l'opinion ; nIaLS si des redressements devaient se produire, il les atlendail tiu temps, de convictions lenlement acquises,de l'ac- tion de l'autol'ité épiscopale, enfin de tous les tern pél'amenls né- cessaires pour fah'e Ie bien en ménageant les passions, les illusions et les intérêts, Quant à l'esprit qui diclaÏt sa résolution, l'abbé de Solesmes n'en laissait pas ignorer Ia source. (( Faut-ille dire? 320 CIIAPITRE :\ nous sommes lout romain, On ne nous en fera sans douLe pas un crÏ1ne (Ie brave homme). Depuis assez Jonglem ps, il esL d'usage de dire en France que Ies livres liturgiques de Rome ne sont point à la hauteur de notre civilisation religieuse. II y a un siècle que nOIlS en avons fait la critique la pIns sanglanLe en la répudianL en lnasse et bàLissant a p7'io7'i des offices nouveaux, qui son1 en désaccorù complet avec ceux de la mère des Eglises. Ql1'il soit donc permis de relever le gant, de se faire un instant Ie champion òe l'Eglise romaine, de toutes celles de 1'0ccident, qui chantent encore et chanteront sans doute jusqu'à la fin les offices que S. Grégoire Ie Grand recueillH, il y a douze siècles, entre ceux que les Pontifes ses prédécesseurs avaient composées. Après tout, n'est-ce pas une chose louable que de faire l'apologie de l'unHé dans les choses de Ia religion? Est-il donc des points sur lesquels elle deviendrait dan- gereuse? N'a-t-elle pas existé, n'existait-elJe pas, celle unité litur- gique, en France, encore au XVle siècle? Depuis que nous l'avons rompue, notre Eglise a-t-elle éprouvé tanl de prospérités? On peut croire que, malgré ces précaulions, Guéranger ne se croyaH pas à l'abri des attaques; ses mesures de prudence indi- quent même qu'il sty attendaiL Pour rendre bonne justice à ses détracleurs, å propos du retour à l'architeclure ogivale, il ne man- quail pas de Caire observer qu'après tout, les paroles de la liturgie sont plus saintes, plus précieuses que les pierres qu'elle sanctifie. (( La liturgie, dit-il, Il'est-elle pas l'âme de vos cathédrales? sans elle, que sont-elles, sinon d'immenses cadavres dans lesquels est éteinte la parole vie? Or donc songez à leur rendre ce qu'elles onl perdu. Si eUes sont romaines, eUes vous redemandent ce rite 1'0- main que Pépin eL Charlemagne leur firent connaîlre ; si leurs arcs s'élèvent en ogive, elIes réclamenL ces chants que Saint Louis se plaisait à entendre redire à leurs échos; si la Uenaissance les a couronnées de ses guirlandes fIeuries, ntont-elles pas vu les évê- ques du XVIe siècle inaugurer, sous leurs jeunes voÙtes, les livres nouveaux que Rome venait de donner à leurs Eglises? Toute notre poésie nalionale, nos mceurs, nos institutions anciennes religieuses ou civiles,sont mêlées aux souvenirs de l'ancienne liturgie que nous pleurons. )) DU RETOUR A L'U ITÉ LlTURGIQlJE 3 1 Enfin, pOllssant sa charge it fond, l'abbé de Solesmes, avec nne ardeur qui paraìt presque naLve, expIique l'économie de son livre el annonce qu'il publiel'a lout après un autre ouvrage de mênlC dimension, et d'un genre analogue, qui portera Ie titre d'[nslilu- tions canoniques. (( On commence it senlir de toute pal"t, conclul-il, la nécessité de connaître et d'étudier Ie droil ecclésiastique. L'in- différence dans laquelle a vécu Ia France, depuis qllarante ans, sur la dio;;cipline générale et particulière de l'Eglise, esl un fail sans exeuzple dans les annales du chrislianisme. Les conséquences de cette longue indifférence se sont agg1'avées par Ie temps el ne lleuvent se guéril' qu'en recourant aux véritablcs sourcps de la lé- gislation ecclésiastique, aux graves et doctes écrils de canonistes irréprochables. Nous n'avons plus de Parlements aujourd'hui pour fausser les notions du droit, pour en travel' la juridiction ecclésias- tique ; plus de Gallicanisme, pOlll' paralyseI' }'action vivifiante d u chef de I'EgIise sur tous ses membres (1). )) lci dom Guéranger prenaiL ses væux pour des réalités définiti- ves; il ne devait pas t.arder à apprendre qu'il se trompait. Au momenloÙ les Institutions litza'giques prûduisaienl ces heureux redressements et ceUe puissante irradiation qui devait bientôt enl- porter à peu près toutes les résistances, l'archevêque de Toulouse, en 18i3, l'attaquait dans une brochure inlitulée: l'E'glise de F'l'ance Ï'ì1;justement IlétJ'ie. Paul- Thérèse-Da vid d'Astr'os élail un prélat distingué par la confession de la foi, par l'éminence de l'épiscopat, par uue longue vie consacrée au service de rEglise, mais forlement imprégné de gallicanisme. A ce titre, iI vénérait les anciens pon- tifes, recommandables sous d'aulres I'apports, mais blâmables pour avoir dévié des pures doctrines et ne pouvait supporter q u'on les censurât d'aucune manière. A prendre ainsi, à la lellre, les devoirs de la rélicence, par un respect malentend l1 pour les per- sonnes, on ne poureail jamais redt'esser aucun abl1s ni corriger aucun vice, A part cel illogisnle, l'archevêque prenail très habile- ment position el traçait une lice d'oit ceux qui souliendront Sll - (1) Institutions lit Ilf'[} iq IWS, t. 1. Introduction, Passim. 21 32 CIIAPITRE X cessi,.emenl la mÊ'n1e cause, ne ortironl plus. C'est, en e11'el, nn tuut' habile de se p.'ésenle,' comn1e Ie défenseur des tradition , de l'autol'ilé, de la pai des âmes et rIu reBpecl dû aux vieux services; Inais ce n' esl II u' un tour, et il est pI us facile d' en yoir l'hahilelé que d'en découvrir Ja décision. De plus, ces conlroversistes galli- cans, même lorsqu'ils se monlrent suus un verniR pacifique, sont, en général, fort durs pour leurs adver aires; leur Inodération n'est qu'une altitude; elle se trahH par les formes acerbes du dis- COUI'S. (( Pour moi, dit Guérang(\l" j'ai sonri parfois en lisanL sur vas pages énergiques, ces rude qualifications qui s'échappent de voh'e plume et me viennent imprimer les notes dïmprudence, de témérilé, d'injustice, d'absurdité, de calomnie, de fureur, de hIas.. phème, d'indécence, d'obscénité; sans parler de J'endroit OÙ vows signalez, dans man style, les caractères qui font ce]ui d'nn jeune impie. Pour moi, je ne suis point ennemi de la franchise rlu Jan gage, sans aIleI' pourtant jusqu'à regrelter les aménités liltérairrs des XVle et XVIIe siècles et d'ailleurs, dans ces jours où ron vou- drait, sous prétexte d'une soi-disant Inodéralinn, bannÜ' des dis- cussions la vigueur et l'énel'gie, j'aime à VOil' une aussi inlposante autorilé que la vótl'e, rappeler dans une polémique irn portante celte âpreté sans façon dont ne 5e scandalisaient pas nos pè- res (1.) . )) Dans Ie rorps de sa réponse it l'archevêque, Ie docte aLbé de Solesmes établissaÏl: 1 0 qu'il n'avail poinlrrfJfessé, sur ]e dr'oiL liturgique, d'aulres maximes que celles de I'Eglise ; 2 0 que si 1a nature de son travail l'avait amené â racolller des faits ùéplora- liles, il n'en avail pasimputé la solidal'ilé aux innocents. et n'avait point fail usage de Ia note d'lu!1'ésie ou d'hérétiq1le, sinon dans Ie cas où cUe était nécessaÍl'ement applicable; 3 0 qu'on ne pouvait lui adresser Ie reproche d'avoir, en excitant à des houle,'erse- menls violents, cherché à exciter du trouble dans les diocèses, \ ces arguments d'ensemble, il joint, en appendice, soixante-dix pa- ges du texte de son ad versaire ct répoud, e fédl.lcalion "fJligieuse des évêqllfS doil êt.re aLlribuée à tout écrh-ain non évêque qui \"ient à trailer des n1atit>res de pralique é piscopale, lous les prêlres désormais devront renoncer à écrire non seulement sur Ie droil canoniqlle, parce que les évêques sonl chargés d'office de l'appliquer, mais encore sur Ie dogme, parce q u 'ils sonl chargés de l'enseigner el d'en conserver Ie ùépûL ; sur Ja morale. pal ce que c'esl à ellX de l'expliquer au peuple dont ils sont les pasteurs. Cel te maxime a cependant été mise en avant, et je sais un diocèse oÜ 1'0n avail songé à inlerdire toute publica- tion, en maLière religieuse aux ecclésiasliques, sans la permission préalable de l'évêque. Et n'avOnS-11011S pas entendu metlre en question si les laïques pouvaient prendre publiquement la défense de l'Eglise. (( Certes, quand il s'agit de I'Ecrilure SainLe, des versions nou- ... velles, des commenlaires à publier sur ce tcxte divin, rien de plus sage que la disposition sou veraine d u sainl Concile de 'Irente qui soumel tous les travaux de celte nalure à la censure préalable de l'évêque. Le lexle sacl'é est la propl iéLé de l'Eglise enlièl'e; il n'est pas possible d'y rien ajouler, oi d'en rien relrancher. L'in- terprétation de ceUe divine parole apparlienl à l'Eglise seule ; son texle doil den1eurer sous la surveillance exclusive des évc'ques qui en doivenl compLe à leur troupeau et à loule l'Eglise. C'esl donc dans I'intérêt de la foi que des limiles ont élé apposées au zèle des pl'êll'es et des laïques qui veulenl livreI' au public Ie ré- suHal de leurs études sur la parole òe Dieu. Mais s'agil-il de ll'ailer des diverses sciences ecclésiasliques. il esl inouï qu'on ait pl'étendu que l'écrivain qui publie des travaux sur de lelles matières, 1I1éritàt d'être accusé ù'entreprendre sur Ie druil des évêques, el de se posel pour leur donner des lcçons. Assurémcnt, quand l'al1loriLé sacrée de l'ét)iscopat brille dans · 1'auleur d'un livre de science ecclésiastique, ce livre acquiert dès lors une gravilé toule parliculière; ainsi aimons-nous à vén{-'rer DU RETOUR A L'UNITÉ L1TURGIQUE 329 la quaIilé de ponlifes ùans les Grégoire, les Alhanase, les Chrysos.. lôme, les Augustin; mais la doctrine de vie n'esl pas ll10ins sÙre, ni moins lun1Ïneuse dans les Jéróme, les Bernard, les Tho- mas d'Aquin, Ies Suarez. Depuis l'époque des Docleurs de rE.. glise jusqu'aujourd'hui, Ie vasle champ de Ia science eccIésias.. tique a élé cultivé par de savants hOlnmes en lesquels l'orthodoxie a brillé aulanlllue l'érudiLion: la majeure partie de ces écrivains appartienl au cIergé du second ol'dre ; mais je ne sachc pas que Bossuel ait jamais rougi d'emprl1nter à leurs lumières sur la con- troverse, ni que BenoH XIY ail crn abdiquer la majesté de son tr(me, en inlerrogeanl lanl de savanls callonistes du second ordre sur la n1anièl'e donl il devail non seulemenl gouvel'ner I'EgIise de Bologne COlnll1e archevêque, nlais aussi régir' l'Eglise l1niverselle comme Souverain Ponlife. Ces principes généraux sont applicables à toul écrivain catholique, et je ne sais pas pOl1rql1oi Ie dernier des prêtres n'en réclamerait pas sa part (1) )). Dans trois lettres successives à l'évêque d'Orléans, l'abbé de So- leðmes j usUfia sa défìnition de la liturgie: ll10ntra que Ia litur- gie est un des instruments principaux de la tradition, et, après ayoir établi sa valeur dogmatique, démontra l'imporlance de l'u- nité dans la liturgie et la nécessiLé de mainlenir cette unité en la forme sanclionnée pal' I'Eglise. La mort de l'adversaire mit fin à Ia balaille; il devait avoil', pour Sl1ccesseur, sUl'le siège d'OrIéans, un prélat qui, malgré les apparences el beaucoup de protestations du contraire, devail prendre en France la lête de l'opposition au mouvement de retour vel'S Rome. Par ses réponses à Jacques Fayet, Louis Guél'anger étail revenu au point de départ de sa polérnique. L'archevêque de Reirns Il1i avait posé ces questions: 1 0 QuelIe est l'au torité d'un évêque parliculier, en matière de lilurgie, dans un diocèse üù la liturgie romaine se lrouve actuelle- ment. en usage '? L'abbé de Solesmes avail l'épondu : Les Eglises ql1'une presrrip- (I) Yollt'elle (/r:fensi> des institlltions litlO'gifJllcs, première partie, p. 22. 3:3U CliAPITHE X tion de deux cents a.n exernpla, au XVle siècle, dp l'ohligaLion fl'cmbrasscr Ie hrrviaÜ.e et Ie missel réformés de S. Pir V, 11'('n ont pas llloins lI nlls t, gardeI' la lilul'gie romaine, et u'unt pas. Ie droit de passer à une autre lilurgie, à l'ambrosienne, par é:\.em- pIe, bien moins encore de s'en fabriquer une nouvelle. 2 0 QuelIe est l'autorité ù'un évêque particulier en rl1nti01'e de Jiturgie, dans un diocl'se oil Ja lit rgie romaine n'est paF: aclueIlp- menl pn usage? L'abb de Sole:-;;rnes avail répondu : si Ie diocèse en question pst en possession d'une Ii t'urgíe légitime, du nombre df' celLes qui furent confirmées par la Bulle de S. Pie V, comlne ayant eu deux siècles d'ancienneté en tðBS, Ie diocèse est invioiahiemenl obligé au rite romain, mais cependant il exerce un certain droit de cor- rection sur ses prO}Jres Iivres. : o QueUe conduite doil garder un évêque, dans un dioci'se oìtla liturgie a été abolie depui Ia réception de la Bulle de S. Pie V dans ce rnême diOCt Sp. ? Ii faut distinguel': si la liturgie rumaine de S. Pie V a éLé enlevée it une cel'laine élJoque, pour faire place à une liturgie toujours romaine, quoique difIérente de celIe de S. Pie V, en quelques dé- tails de muinùre inl portance, une prescription suffisan te s' est for- mée; Ie diod'se est tenu simplement à la forme romaine, avec un certain droit de correction. Si la litur ie rOlnaine de S. Pie V a été enlevée depui:, un non)- hre d'années rnoindre que celui de la prescl'iption canonique, lJuelqne orLhodoxe et yérilable que fÙl d'aillcllrs la liLurgie (Ju'on eût sUDsliluée, la solution des questions relatives au droit litm'gique intéres:-;e la conscience à un plus haul degré. Dans cettè Eglise, quand rOrdinaire publie une nouvelle {'dition dps livres tlu diocèse, et qu'il s'élÒvf un JouLe s'il n'a point outrepassé re qui lui pst permis en fait de correction, dans ce doute, la présomption demeure pour l'Ordinaire, et les clCl'CS ne doivent point faire dif- fìculté d'user des livl'es qu'ilicur impose. Si cnfin la liturgie substituée, soit à celie de S. Pic V, dans les ò iucèses qui étaien t canon i quelnen l astrein ts à la u i vrp, :'ìoit :1 DU HETOUR A L'UNITÉ LITURGIVUE :i3t l'ancienne HOUlaine IJiocpsalne confirmée par S. Pie V, comme c;lant danti les conditions exjgée par les Bulles; 8i, dis-je, ceUe liLurgie nuuvelle n'e t plus n}ol'alernent Ia liturgie rumaine, mais une forme récente, sans racine dans la lradition, variable, dépour- vue de l'autorité que donnenl l'antiquité, runiversalité etl'immu- labililé, l'évêque qui trouve dans son diocèse une pareille liturgie, doit rt'unir tous ses efforls IJour faire ce ser ceL état de choses, en remonlant à runité romaine primitive. Ainsi l'exigent lïntérf t de ]a foi, Ie lien de la subordination hiérarchique, les besoins religieux des populations, Ie droit patriarcal des Eglises d'Occi- dent, Ie décret du Concile ùe Trenle, les Constitutions de S. Pie V, les canons de nos ConcHes français. Ces conclu ions Plai n t fra ppt es au coin fIe l' pvidence. La Ii lur- gie étaÏt l'objet d'une réserve aposlolique. Dès 1820, une Congré- gation romaine avait décidé que, dans les conditions déterminées par Ie droit, un prêtre, et à plus forle .raisolJ. un évêql1e, rehelle au devoir liturgique, ne pourrail pas recevoir l'absolution. Dans un bref à l'archevêque de Reims, Grégoire XVI avail ùénoncé la diversité liturgique comme un pél'il pOlO' l'B;glise, et sïl ne don- nait pas formellement l'ordre de l'evenir à l'unité, il lais ait du Inains voir queUe joie son cæur éprouvel ait de ce rptour effectif. Plus lard, Pie IX, à la vue de quarante diocèses revenus, en quel- q LIes années, à]a lit urgie romaine, Pie IX ll'hésita plus: il donna ol'dre de revenir quam ]JI'l1nUm, quam cilius: c'est-à-dire en bon françai:5, irnméJialement à Ia liturgie de S. Pie V. Tous les éVl'- q UfS fl'ançais, dans un sen timent de foi et de piété, s'inc1illèrent devanl rordre du pape ; les liturgies hétéroclites rUl'ent repoussées en principe; et Ie retour f' fiL jusle dans Ie délai nécPsst1ÏI'e POU)' régler quelques détails d'application. II n'y eut d'exception que pour quall'e d iocf'ses : Lyon, Besan- '.;on, Orléans et Paris. Oéjà l'opposition au Homain par actf'S pu- hlic avait élé Ie fait de òeu\. prélaL allicans dont uo éll'ye it Sa in t- LII pice, et l' autrr infatué de ses doctrines la mên1 e in- fluence so faisait sentiI' dan les qualrc diocèses réfraclaires à 1'01'- dre dll Pape. A Lyon, lOlllefois, It' J.efll d'avancer n'était pas 332 CllAPITRE X ræuvre du cardinal de Bonald, personnellement pieux envers Ie Sainl-Siège, mais d'une fraction dll clergé qui s'imaginait, dans sa ville féconde en brouillards de Lou te nature, que la liturgie lyon- naise remontait à S. Jean l'éyangélisle. A Besançon, à Ol'léans et à Paris, c'éLait la résolution bien arl'êtée des It'ois prélals de résis- tel', en y Inellant des furoles, à l'ordre du chef òe l'Église. L'ar- chevêque de Pads, Dominique Sibour, personnellemenl répub1i- cain, s'élaÏl montré ullrarnonlain à Digne; dans un livre sur les Institutions diocésaines, il a vail sul'lolll )e dessein de gouverner par les chapitres, l'officialilé et Ies aut res insliLulions voulues par Ie droit; une fois à Paris, par une volle-face inexplicable, il passa au gallicanisme intransigeant, el, avec les concoul's des Maret, des BauLain el de plusieurs aulres, il sou tint JJlordicus Ie projet d'en- ra.yer Ie mouvement de retour à Home. L'archevêque de Besançon, Césaire Mathieu, était corlllne pétrifié dans les idées sl1lpiciennes de son éducation cléricale et I'ésistait å Ia rénovation liturgi4, illallçaiL encore des fusées de phrases ponr se faire bien- venir dans un vo,\"age à Rome; mais beallcoup de phrases el point d'eft'ets: f)icta, fact is dejicicntihus, PI'uúescunf. L'hisloire ne doH pas adl'e er, à ce pauyre évèque. de trop cruels reproches: ce n'était ni un sot, ni un méchant homme; il était même bonetbrave; Inais, appliqué au\: catéchismes dès le grand séminaire, et, dans ]a suite, toujoul':-; absorbé par un surcrnit d'occupations, il n'3- vaitjatnais eu. on peutle démontrer mathématiqucnlenL, Ie temps, je ne dis pas de rien approfondir, mais de rien étudier. Avec cela, tr&s r('pandu, toujoul's pressé d'opiner sur toutes choses et de plus crentralner l'rsprit public, croyant peul-être que son génie pouvait Ie dispenser de science, il ne savait, sur chaque ehose, que ce qu'on lui souH1aiL SUI' la liturgie, oÜ la compétence ne s'inlprovise pas, il ne sayail pas bien à quoi il faUait tenir, mais l'opinion réfléchie, quïl n'avait pas, il ne la soutenait qu'avec plus d'ardeu)'. A ce point que, pressé par ses prêtres el surtoul par son chapHre, lié d'ailleurs par sa pro pre parole d'honneur, qu'il ne yùuIait pas lenir, il créa, un beau jour, uue volée de chanoines, (1) Dans son éloge funèbre, qui n'est ni une æuvre d'art, ni une æuvre de science, ni une æuvre de piété, l'évèque d' Autun a trouvé bon de nous pren- dre å partie en présenee des saints autels, de compte en tiers avec Mgr Pelle- tier et les rédacteurs de r Cnil.'el',<;. Nous ne relè\'erons pas ceUe haute ineon- venance; nous ferons seulement l'emarquer qUE' la pastorale de l'évèque ùe Viviers contre l' Univel's tomba juste au moment de I'Encyclique Intel' JIulti- plices avee lequel elle formait un eontraste parfait, et suecomba sous une avalan- che de fou rire. Son chàtiment cst qu'on ait pn s'en servir après la mort Ù(' son auteur. mais contre un Pare. DU RETOCR A L'UNITÉ LITURGIQUE a35 lilulaires sans titre canonique, donlla mission, peu s( rieuse étaÎt de couvrir la nlauvaise volonlé de l'évêque en assumant la respon- sabilité de la résistance. Tantût suus un prélexte, tantôL sous un autre, Dupanloup étouffa, pendant vingL-cÏIlI{ ans, la question li- turgique, l'é::\ista d'autant et ne se rendit qu'à l'heure ÜÙ il n'eClt plus pu soulenir la résistance que pal' la révolte. A Besançon, les circonstances ne permetlaient pas Ie procédé libéral de l'élouffement. Dès 1.R44, l'f'\Têque avail été person nelle- ment pressé de revenir à la liturgie. Dans sa ,'isite à Grégoire XVI, Ie prélal bisontin avail proposé de constÏluer son chapitre it Ia ma- nière semi-conven tuelle de S. Chrodegand ; Ie pape n était pas éloigné d'admetlre cette proposition; mais il remonlr'ait à l'évêque que Ie meilleur moyen de rapprocher les personnes et d'e1I'ec- tuer la communion des hmes, c élait l'nnité des prières, des riles et des solennités religieuses. Les instances du Ponlife avaient été vives; l'évêque avait résislé en face au Pontife. Dès lurs ce qu i n'avait été jusque-Ià qu'une routine, forlifiée par Ies habitudes de particularisme, dut être considéré comme un point de séparation réelle et comme un élément de division. Le retour de quatre-vingt diocèses à Ia liturgie romaine, - re- tour accompli aux applaudissements de toute l'EgIise, - avait obtenu, dans Ie diocèse de Besançon, d'unanin1es sympathies. Le clergé franc-comtois souffrail d'aulant plus de se voir précédé dans Ia confession des prérogatives de la Chaire apnstolique, qu'il était plus foncièrement romain: que, saisi de la qurstion liturgique par Ie voiðinage de Langres, ill'avait de bonne heure étudiée et réso- Iue avec la décision òu bon sens et de la piété envers Ie Saint-8il\ge. U'ailleul's les évêques qui tenaient Ia tête du mouvement de I'e- tour à Rome. les Gousset, Ips DOlley, Ips Cart, les faLille élaien t sortis de son sein, el ceUe campagne qu'ils menaienl a'"ec tant de gloirr, lcs prt\tres de Be ancon rnssent ,'ouln en ayoir Ies reflet.s elles grâce . L'arphrv{'qne e tenant coi, Ies prêtres lui firent part des conclusions de leurs études et des væux de leul' foi. En bon diplomate, Ie préIat fit ùes promesses qu il ne devait pas Lenir. Lrs pre'lres in istt\rpnt ; pn pl'é encp (l'insfancp pour line afI'ait'e 336 CRA PITRE Å qu'il ('royaH relever de son droit exclusif, Ie cardinal )Iathieu ne cacha point sa mauvaise humeur et ne craignit pas dr qualifier durement ce qu'illui plaisait d'appeler les innovations de J/g1' Pa- 1'isis. Les prêtres, éconùuils de ce côté, mais poussés par leur con- viction el leur conscience, s'adressèrent au nonce, qui Ies aulo- risa à revenir en leur particuJier au Bréviait'e romain, Cette déci- sion produisit l'effet d'une traìnée de poudre, qui vient de recevoir la f]alnme d'une aIlumeUe. Successivement plus de q uatre cents prêtres prirent Ie Bréviaire de S. Pie V. Le car.:dinal ne dontan t pas que Ie nombre des prêtres ne dût aIleI' en augmentant, crut étouffpr à son berceau le mouvelnent Iilurgique, en promcUant solennellement de s'occuper de la question; mais, à son insu, il Jaissa voir qu'il ne s'en occuperait au futur et au conrlitionnel, que puur créer des entraves et aboutir à un avortement. Alors la guerre éclata dans Ie diocèse de Besançon. En 1804, Boissy, cu ré de Y oray, a vait posé sagement e t exactement la q ucs- tion du retour à l'unité, En 1855, rabbé Maire, aumônier de l'hû- pital militaire, exposa, dans un écrit très Inesuré, IeR constitutions des papes, les décrets des congrégalions romaines et des conciles provinciaux de France. (( Ce livre, écrivait Ie cardinal Gou set, est un très bon livre; je dis plus, c'est une bonne action qui reslera quoiqu'il arrive, et, t6t ou tard, tous béniront rauteur d'avoil' si bien su concilier la force avec la simplicilé, la hardiesse avec la modél'ation eL Ie respect dû à l'autorité. >> Pour toute réponse, Ie cardinal Malhieu fit supprin1er l'aumûnerie et condamna l'abbé Maire à mourir de faim. En 1860, courant sur les brisées glorieuses de l'abbé Maire, Jean-François Bergier entra dans Ia lice et pal' une série de savantes bl'ochures soutint à Besançon la cause de rE lise romaine. Sans examen, sans jugement, sans aucune forme juridique, au mépris de toute raison, de tout droit el de tout deyoir, Ie premier écrit de Bergier fut condalnné et son auteur exclu de la maison des mis::;ionnaires diocésains. Pie IX bIån1Q. ce coup de force et ordonna ]a réintégralion du missionnaire. Le cardinal re- fu a d'obéir et déclara que, plul6t que de rétablir le missionnaire dans se;:; droits, il ùonncrait sa démission d'arche\'êque. C'élait Ie DU RETOUR A L'UNITÉ LITURGIQUE 337 cas de se rappcler l'axiome antique: Pate1'e lege'ln quam ipsp (e- cisti. Un quatrième défenseur de la lilurgie, qui, å cerLains égards fut Ie premier au combat et Ie dernier sur la brèche, Ie chanoine Victor Thiébaud vicaire généntl de Reims et de Montauban, pu- bJia, pour In. même cause, vingt brochures. Dans ces bl'efs et dé- cisif:; écrHs, il se plaìt à dévoiler, avec bonhomie, les ruses de l'ad- versaiJ'e eL à cribler de t1èches ses moyens dilaloires. Par une suiLe de déd llctions j ustes, solides et sou yen t piq uantes, il établit: to Que la liturgie n'est pas d'une acception facultalive, mais qu'elle est de droit strict et rigoureusernent obligatoire; 2 0 que les évêq ues eux-mêmes n'ont pas Ie droit de choisit' ni de temporiser eL encore moins de se souslrail'e à la pratique; 3 0 que Urégoire XVI et Pie IX ne se bornen t pas it invi tel' ; mais q u'ils ex priment corDme urgenLe la reprise canonique et qu'ils en pressent l'observation ; 4 0 que cc n' est pas tron bIer l' ord re hiérarchiq ue que de devancer son évêq ue pour obéir au pape ; 50 que si Ie législaleur admet des négociations pour des particlliariiés diocésaine , il conùamne et réprouve to ut ùéclinatoire qui troublerait ou enlraverait l'uniLé générale ; 6 0 tlue sans .luger les intentions de leur supérieuJ., les prêtres ne sont pas libJ'es de suivre l'indociliLé de leur évêque en'"ers Rome; 7 0 que la oumission au droit canonique a tOlljOl1rS élé el sera toujours un acte béni et digne de récompense. En principe, la cause était gagnée. ((' Le conclusion était bien simple: c'était en pt'éscnce d'un dJ'oil si clair et d'une volonté si déciùée, si unanime, taut du cIergé que des fiùèles, de revenir à la liturgie romaine, On ne pouvait cerlainement s'y refuser que par un aveuglement manifeste et un mauvais voulnir coupaLle. L'archevêql1e se tut, mais fit connaître, p::u'son silence, sllffi- samment sa volonté; ainsi, tous les prêtres qui, par ùéfaut de connaissances ou de vertu, ne pouvaient se promettre ce que dé- sirait leur ambition, s'empress rent de former une colerie, pour appl1yer dans sa résistance l'archevêque. En soi, c'élaÏlune indi- gnité; aus i l'effet fllt-il déplorahle et digne d 'une si exorhilante 338 CHAPITRE '( maladressc. Le dioc 'se prit feu: l'étincelle qu'on voulait étouffer, alluma un incendie. (( Les prêtres, qui palronaientle retour à la liturgie, frappés par une violence criminelle, en appelèl'enl à Hume qui leur donna rai- son. La cungrégation des rites posa à l'archevêque ceLte quesLion : Voll'e litul'gie est-elle, oui ou non, dans les conditions p?'escrites PO?' S. Pie V? La réponse dllt êlre négative. Lp Souverain PonLife rnanda alors à l'archevêque, que, les choses étant ainsi, il ne lui restait plus qu'à suivre l'exemple des autres diocèses de France, qnam prÍ1nun , quam citius. au plus vile, Ie plus tôl qu'il pourrait. Pour Luut autre, un mandat pontifical eÚt élé un ordl'e de Dieu; i1 n'en fut pas ainsi pour Ie ca.I'dinal. Avec un aveuglemenL obs- liné, qui afflige même ses plus zélés partisans, il demanda la per- mission de rcvenir à la liturgie que possédail Besançon avant les livres actuellemenl réprouvés ; refus de Rome; il dernanda à faire un mélange de toutes les liturgies du diocèse ce qui, de sa part, était se moquet' d u Pape, nouveau refus 1 Alors il demanda un dé- lai convenable pour efTecluer son retour à la liturgie romaine, pour préparer un pro pre diocésain et choisir une édilion de livrcs de chants. Rome accorda deux ans ; c'élait beaucoup plus de temps qu'il n'en fallaH. Dne sociélé de prêtres bizontins venait de pu- blier, en quaLre volumes, la vie des sainls de la Franche-Comlé ; des éditions de Jivres de chants, il y en avait à Dijon, à Digne, à Avignon, à Rennes, à Malines, et surtout à Paris. Pour choisir des livres de chants, il faUait cinq minutes; pour former un propre diocésain, il fallail à peine six mois, n faUut plus de vingt ans au cardinal Mathieu )) (1). Pour la composition d'un propre diocésain, au lieu de dr'esser lout simplementla li te liturgique des saints locaux, Ie cardinal fit venir de tous les coins du olonde, de vieux livres de Iiturgie. A chaque instant, il en arrivait, à Besan on, des caisses énornles. On ne cornprenail rien à ces achats e1 ceux qui connaissaient les goûts peu stuùieux du cardinal, s'amusaient volonticrs ùe ceLte (1) Hxa1nen ('l"itique de la vie du rat'dinal \1athiell. p, 32. DrJ RETOCR A L'UXITÉ LITURGIQUE 339 flamme sénile qui I'embrasait soudain. Le brave prélat se levait dès l'aurol'e ettravail1ait avec une activité <Ì faire tres aillir l'om- bre du cardinal Quignonez. Un beau jour, on apprit enfin que, sous couleur de propre, Ie cardinal avail composé, quoi un nou- veau bréviaire ! Quand l'æuvre rut à son gl'é, Ie liturgiste bizontin la porta lui-mêrne à Rome. A la vue de celie matière informe et indigeste, on se figure l'élonnement de Ia Congrégation des Hiles. (( On ne vous a pas autorisé, fut-il répondu, à composer un nou- veau bréviaire, mais seulement à soumeltre au Saint-Siège un [1ro- pre diocésain )). Que durent pensel' les savants consuHeurs de celle congrégalion en parconrant ce propre extra-liLurgique, fort de 1.00 pages, sans compterles renvois par quoi il corrige Ie bré- viaire romain. On croirait que celui qui s'est donné n1andaL de confeclionner ce tea vail de pure fan taisie, voulait conserver Ie sou- venir de tout ce que la déviation liturgique offl'ail de plus anor- mal. Par Ie fail, ce cinquième volume du bréviaire qui essayait d'e camoler les quatre autres, offrait un al'rangemeqt tellement insoIile, qu'il surchargeait les joul's préfixes et vous jetait, pour Ie lendema.in, dans un dédale d'oÜ il était impussible de sortir. Home ecarta cette compo ition encombranLe, Avoir consacré des rnois et des années à la corn posilion d'un bréviaire nouveau; avoir fondé sur sa dignite ecclé iastique, l'espoir de Ie faire admettre, et se voir rejeter sans appel, sans retour et se trouver au même point qu'auparavant, queUe déconveolle! Ceux qui ont conon Ie caractère du cardinal peuvent mcsurer la profoodeur sourde et violenle de on mécontenleolenl. (( L'archevêflue suivit la Inêole méthode pUUI' former Irs livl'cs de chants; mais on ne devinerail jamais ce que ce fin virtuose ima- gina pour aboutir. Les diverses éditions des livres de chants, de tOllS les pays, étaient I'éunies dans sa chambre. 1\'1. laLhieu fit ve- I nil' les enfants de la faîtrisr; on chanlait huÏl OLl rlh: introHs, par exemple, et on choisissait aux yoix, celui qui avait parll meil- leur it l' exérulion. Pends-Loi, Danjou; pendez-vo us, Lan1billotte, Haillard, Dufour, Cloiit, llonhomme, .Jaussens, 11'étis, Nisal'ù. COllS- semaker Vous cl'o 'ez, innocents, (Iue pour ('etrouver les chants \ 3\0 CJL-\PITRE \ grégoriens, il fallnil cher'cher les vieux manuscrits. comparerles canlilènes, pàlir sur Ie:-; neurnrs eL arracher à la \'énérable anli- quilé Ie secret de ses suaves rlléloùic ! rous éLiez dans I'erreur. Pour mener à bonne fin une si diffie-He enll'eprise. il suffit de se rappelcr que Dieu a rendu éloqucnLes les langues enfanline ; il suffit de prendre un Intro'll à Dijon, un A-Yl'ie it Digne, un (;lol'ia in cxce/sis à Hennes, un G7'adllc/ Ù Avignon, UB Credo it Paris, un O/fcrloÏl'c à Ma1ine . un Sanclus à Hatisbonne, un Agnus à Cam- bray et une Posl,c01nnlunion à Pékin. Le chant grégorieu, voyez- vous, doH se relrouvel', comme il a élé composé, d'inspil'aLion ; el pour y aLleindre, rappelez-yol1s done Boileau et ce (1'(Jlll nouveau londa, syulbole dc caudeu}'. (( Ce qui élonne lcs croyances, c'csl que 1\1. Mathieu fìl impri- InCI' son chanl, ainsi col1igé , dans d'rnormes in-folios qui coûLenL forl ChCl' et que les curés ne vo daient point aehcler. L'a1faire ful porlée au Conseil d'Etat pour réduire Irs récalciLrants, par un arrÔl <[ui serail un service. Enfin la lilurgie romaine fut adopLée peu de temps avanlla Inod dn cardinal. Un peu plus, f. )laLhieu 1l1ourait conlunlax et s'ell allaiL dans I'auLre vie, sans avoir l'élübli Ia liturgie romaine. A la pI' quelques évêques, au (1) Examf'n (T; t ;ll"l'. p. 34, DU RETOL'R A L'UNITÉ LITURGIQUE 3íl profit du gallicanisme, une espèce de palriarcal seCl'et. Prélats d'ailleurs mérilanls sous d'aul1'es rapporLs, bien qu'ils fl1ssent ex- lraordinail'emenl surfaits: l'un pédagogue répandu, oraLeUl' échauffé, polémisle de lalent; l'al1l1'e diplomale; lous deux d'une rare énergie. .Malheureusem enl, ilð ayaienl, sur la constilu Lion de l'Eglise, des idées courles, fÐusses, rélrogrades et rêvaienl je ne sllis quelle conciliation impossible enlre l'Eglise et la révoluLion. Leur vie He fut qu'une longue conspiraLion eñ fa\"eur du gallica- nisffip et plus lard en fayeur drs idées lihérales. Les éclals de leul's menées fUI'enL ral'es, dissimulées savarnment, lnais assez décou- verles pour qn'on pùLlellr résisler utilemenL 8t à propos. Le Pape, qui n 'jgnorait point ces lralnes, parfois s'en amusait; il appelait les IaLhieu eLlrs Dupanloup les ùeux paprs du gallicanisn1e: il Jlot01'e et it flloúite: celui qui pousse el celui qui enlraÎne. D'ail- leurs il tenail la main sur la garde de son épée el, sur certains bruits d'nne révolLe prochaine, avail fait rédiger une bulle de con- damnation. Le Pape ne frappa poinl ; mais ceLle Lulie reslée dans les archives de l'Eglise suffiL pour meLtre des sourdines aux hio- graphies qui ne sonl que drs CI'OCS en jambe à la \'él.ité ùe l'his- loire, des acles d'adu latioll po:;lhume el des manifestes en favcul' d u Ii béralislne. IIeureusement, ditle Psalm isLe, la justice ebt élernelle et 1a vé- riLé faiL loi : Justitia ,in ;pternWIl el lex vrl'iias. Grâce à l'heul'cuse i m pnlsio n d f'S Pon ti fes romain s, gràce h la doci Ii lé in lelligen le f't picuse des évêq ues fl'ançais, g1'élCe aux inllnorteLs Ll'a\"aux de dOln GUÓI'angpl', In question liturgique, savamment posée, sagemenL ùiscutée, vaillamment défend ue, a produÏt ses fruils de grâcc, de lumière et d'amour. La France c:;t renlrée daus Ie concert de In. chl'élienlé ; nus églises relenlissent des chants des Léon el des firégoire. Nous sommes re\"enus, POUI' Ja prière publique, à ces lemps bénis de l'ère patl'iarcale, Ol1 la lel'l'e n'avaiL flu'tIne lèvrc et qu'un di!'col1l'!' : 1'en'fl nUlf'lìl m'allahii 1.l11ius pi SC1'/lL01Hl1n eOl'lllll- dfJ1!t, CHAPITRE XI LE l\lÉ IOIHE SUR LA SITUATION PRÉSE TE DE L'ÉGLlSE GALLICANE. Le calholicismc libéral affecte, comme toutes les erreurs n10- dernes, les allures du serpenl it ne s'affinne pas avec andace, il ne publie pas de système dogmatique, il ne Jemande pas à paraì- tre rlan les conciles et à soutenir ses propositions. A u lieu de se montrer, il se cache; au lieu de dil'e qn'il veut réformer Ie calho licisme, il déc1are ne se présenler que pour Ie défendre; au lieu SUI'tout de se révolter ouvertement contre la plénitude de I'a uto- rité apostolique, - ce qui est d'ailleurs son fait, - il prétend bien n'avoir pas d'égaux dans la dévotion au pape et Ie dévoup- n1ent au Saint-Siège. Si vous l'écoutez, il est croyant, il est pieux, il est même saint, si vous l'examinez seulemenl par Ie dehors, il vous pal aîLra ne pas trop men tir à ces belles apparences. Pour Ie découvrir, il fau t Ie. surveiller dans la n uit ; il fau t le dépister dans ses allées et venues mystérieuses : il faut 8onder, d'une main clair- voyante, les profondeurs OÙ il s'enveloppe et les secrets par quoi il espère avancer ses affail'es. On a comparé Ie calholicisme libél'al au gallicanisme donl il est ],héritier, et au jansénisme dont il co- pie fidèlement les artifices et la diplomatie. Cette comparai on est juste : mais il faut ajouter qu'instruit par l'expér'ience des er- reurs vaincues, des écueils OÙ il poul'rait se briser, il les évite avec un grand soin. S'il venaiL à triompher, la France se trollve- rait avoir abdiqué politiquemenl l'Eglise, J ésus-Chl'ist ('l Dieu lui-même, à peu près sans Ie avoir, eL encore une fois se vÖri- fierait l'expression de S. Jérûnle, la Gaulc s'élollneraiL d'ptre de- venuf' arienne et n1ême athée en politique. Pour pénétrer, d'un regal'd sûr, les mystères du catholicisme SITCATIUN PH. :SENTE IJE L'ÉGLISE GALLICANE 313 libéral, il faut l'étudier de très près; iI faut Ie suivre dans la série de ses opéraLions.; iJ raut Ie saisir dans I'ensemble de ses acles; el, pour découvrir ses acte , il faut pl'enÙl'e au passage Ie fait qui les révèle et essayer d'en mesnrer exaclement la purtée. Nous avons vu naUre Ie libéralisme athée eL révolutionnaire en 1789 ; nous avons vu, en 1830, Lamennais accepter ses doctrines dans l'espoir de s'en servir pour repousser viclorieusemenl ses attentats; de 1840 à lR48, Irs évêques ont accepté, comrne La- mennais, la charte pour s'en faire nne arme. En même tern ps, un Lacordaire el un Dupanloup, venus de divers horizons, com men- cent à préconiser Ie IiLéralisme pour Iui-même ; à célébrer Ie droit commun comme un idéal de perfection poJitique; Ü laisser dans l'ombre Ie droit divin de la sainle Eglise et à voileI' ses bannières pour les faire accepter. A la révolntion de Février, Lacorclaire, :\Ioret, Ozanam essaient, dans l'.i re nouvelle, d'identifier Ie chris- tianisme avec la démocratie et d'ét'iger Ie Christ parlementaire en prototype du vrai républicain. BientôL un disciple des Lacordairc et des Dupanloup, au lieu d'inslÏluer Ia liberté de l'Eglise sur son droit de comm union surnatnrelle, se borne à l'introduire dans l'Universilé et en lui accordant une part de ses droits pose Ie prin- cipe qui les lui fera un jour tous refuser. L'application de celte Ioi soulève la question des classiq ues, question qui, prise dans son ensenlble, implique toute la question de l'enseignement chrétien; des catholiques de marque la font avorter el servent d'antant l'esprit de dissolution sociale. En même temps, un homme suscité de Dieu pour ramener la France à l'uniLé de la prière, pose la question liLurgique ; les mêmes champions du lihéralisme repous- sent la lilurgie romaine, cornIne iis ont rejeté Ia christianisation de renseignement. Voici maintenant une autre affaire oil nous relrou vons Ie catholicisme Iibéral fidèle à lui. même, conj uranl la diminution de la vérité, Ie rapetissement des âmes, m[)is ceUe t'ois découvl'anL plus son jeu contre la Chaire du prince des apû- tres. NOllS arrivons it l'affaire du l\Iénloire présenté à l'épiscopat pour la revendication du droit contumier. DI s 184H, DOlninique Siboul', archevêque ùe Paris, avait deman- 3 1 t4 CliAPITHE Xl dé, à Pie IX. la permission ùe convoquer un concile national. L'objectif ùe cel évêque, passé de l'ullran10ntanisme au gallica- nisme, éLait, dans ce concile, avec Ie concoul'S des Mathieu et des Dupanloup, de fairt' reprendre, à l'en'eul' gallicane, loul Ie ter- rain perdu depuis 1830. Les gallicans incorrigibles ne pouvaient pas se dissimuler que la renaissance des ordres religieux promet- tail au SainL-Siège des Iégions de soldats; que Ie rétablissement de l'unilé lilul'gique amènerait une plus exacle piéLé; que la ré- surreclion tIu droit canonique enlraînerail la ruine de ce droil fl'auduleux, insliLué depuis la réyolution, pour meUre de c{)lé Ie droit pontifical et créer, aux évêques, une sorle d'absolulisme. Un concile nalionalleur paraissait une assemblée propre à décider souverainen1cnt en faveur des évêques el à créer des litres que Ie Saint-Siège ne poun'ait pas décliner. Pie IX é\'enla Ie piège, rejela la den1ande, mais exprima Ie væu qu'on célébràt, selon l'ordre d u Concile de Trenle, des concHes provinciaux. Sibour, déçu dans ses espérances, espéra qu'un concile de sa province, sans avoir l'auLol'ilé d'un concile naLional, pourrait, Lenu promptcmenl, con- duire au même but. Une bulle de Sixte-tjuint, il est \Tai, obligeait de soumettre au pape, avant de les publier, les décl'els des con- ciles provinciaux ; Inais les ùocteurs parisiens du gallicanisIne, Lequeux, Maret, et plusieur:;: autres larves donl je dédaigne de percer les masfJ ues, prétendaien l que cette constitu lion n'a yail pas été reçue en France et que les décrets, pour valoir, n'avaient pas besoin d'être :5oumis au Saint-Siège. Mais si les conciles n'é- taienl pas cnyoyés it Rome, que ferait Ie Saint-Siège? Les rl jeLte- rail-il eomme anti-canoniques et les déclarerait-il nuls, et. alaI's quel scandale ! GarJerait-ille silence pour dissimuler l'altenlal et alors queUes suites fâcheuses n'avait-on pas à craindre? Un prêLre, Duminique Bouix, avec le.s encouragements du Nonce Fornari, écri\'Ïl, dans r Unive7' , un article pour souLenir l'obligalion créée par la bulle de Sixle-Quinl: Siboul' Lrisa ce prêlre. Puis, les nlains lcin les d u sang de ce défenseu I' de la Chaire a postoliquc. dans l'espoir d'enlnlîner pm' son exemple les aulres mélropoliLains, se hÚla de tcnir' son concilr. Nalurellcment il avail mis dans sps dé- SITUATION PRÉ ENTE l)} L'ÉGLlSE GALLlCA E :.345 crets lout ce qui de vail favoriser sa passion. lais Pie IX, au cou- rant de ceUe lrame pedìùe, réclama Ie concile de Paris et fit cordger ces décrels POUI" les ran1ener à la jusle mesure des doc- trines romaines. Quant aux dix aulres conciles, tenus presque simulLanén}ent en France, ils rivalisèrenl de zèIe dans Ja confes- sion des prérogalives du Sainl-Siège et l'exallalion des pontifes romains. La conspil'atioll ourdie en faveur du gallicanisme se con- verlissail en désastre. Le dépil, Ie mol n'esl pas a sez fort, Ia fureur qn'en conçut Do- Ininique Sibour, ne se peut exprimer. Depuis 1789, Ia France est loujours à Ja veille d'un schisme. La RévoluLion crnl y réussÏl' par Ja conslitution du clergé ; I'Empire, par Ia caplivité du Pape; Na- poléon III, par la chute du pouvoir ten1porel; GambeUa, par Ia séparation de I'EgIise et de l'Etal. JI n'est pas jusqu'à Lúuis-Phi- lippe, jl1squ'à Charles X qui ne se fussent bercés å l'idée d'une ré- slli"rection gallicane ct d'u n essai de palriarcat; Dieu brise lou t, en France, depuis cent ans, pour empêcher Ie schisme et gardel' Ie royaume lr&s chrétien. Dominique Sibour n'était cerlaincment ni un hérétique, ni un schismatique, mais il avail enlendu s'arro- gel' cel'lains droils disciplinaires qui lui eussent créé une situation exceptionnelle. En accusant les aulres de presbytérianisme, il voulail nleltre la main sur la pl'esse orlhodoxe el exercer òans tou Le la Frallce, une sUI"le de ha u t e!ll pire. L' échec de son concile, obligé, lui aussi, de célébrer la principauLé apostolique, lui causa done une imlnense décollvenue. On dit que, dans sa fureur, il parcourul Ia Bavièl'e, I'A u triche, la Hongrie, cherchant parLoul des com pIkes pour s'élever conll'e Pie IX. Ce qu'il trouva, nons l'ignorons; ce q u'il fit, nous l'allons voÍl'. Pie IX ne s'élait pas conLenté de corriger Ie concile de Paris; il avail fail meLLre à l'index la lhéoIogie jansénisle eL gallicane de Bit'illy, qu'uIl prêlre français a ait eu l'impudence de lui oppu8er ; il avait aLtaché, au nlême pilori, Rernier, vicait'e général d'Angers esprit borné et rélrograde, qui avail tl'ollvé bon de comLatLre dOlll Gl1éranger el de soulenil' rabsolutisnlC òe rElaL sur Ie lempore} drs culLrs; il avail fl'appé d'une m(".I)}e condan}nalion Ie Jlan1.u)l 346 CHAPITRE X I de droit canon composé pal' Lequeux, vicaire général de Paris, Iivl't1 üÙ ce t ancien su périeur d u sém inaire de Soissons soulrnait, parfois en les aggravant, les mêmes thèses que Bailly; il exigeait la correction des théologies du Mans el de Toulouse, dont les au- teurs, pieux sans doute, mais mal inspirés, avaienl abondé dans Ie sens gallican e1 mal compris ou mal exposé les prérogalives sou- veraines du Saint-Siège apostolique. Ces Inenaces et ces exéculiolls avaient produit, parmi les tenants du gallicanisme, une eSpl)Ce de lOITeUl', PHI' contre, l'allégresse débordait parmi les gallo-ro1l1ains, dans lOllles ces églises donlle jeune clergé, SallS la direction de la Providence, revenait en masse aux vieilles h"aditions de la France. On ne procédail plus par réformes timides, on allait par sauls, par bonds, par enjambées elle temps n'était pas loin OÙ Ia France, radicalemenl expurgée de tonles ces erreurs qui répugnent à son caracll're, allail se retrol1vel' la fiUe aìnée et très fidèle de la sainte Eglise, Pour enrayer un n10uvemenl si glorieux el si fécond, l'archevê- que de Paris, Dominique Sibour et sa bande de conspiraleurs anti- rumains, n'imagina rien de mieux qu'unc hrochure anonyme. Cette brochure, don1 les fabricateul's sont aujourd'hui conn us, paruL, dans Ie coun de l'année 1852, sans nom d'éditeur et fut adressée aux évêques ainsi qu 'aux supérieul's de grands séminai- res. Son tif re est: (( SUI' la situation présente de l' E glisc gallicanr relativenlenl au droit cOlltumier )). Dne note collée à l'intérieUl" de la couverlure dit que l'auteur soumet ce mérnoire tout confiden.tipl, il J'aUention rét1échie des meilleurs esprits; (( rnais il ne vent pas Ie faÏl'e servir d'aliment aux di. cussions Ï1Titantes et à la polpmique témérai1'e des journaux.)) Voici Inaintenan1 COffiluent les anonymrs expliquent l'objet de leur méInoire. (( On ne pent se dissin1uler qu'un changement très notable 8'0- pi re en France dans la discipline ecclésiastique. Des usages an- cien , dont la conRervation paraissait autrefois un privilège avan- tageux, son1 abandonnés, dans la pratique; bien plus, ils sont même ouverlemellt aUaqués el presque condamnés. ({ On a un tel effroi du gallicanisme, qu'on ne prononce plus SITVATIO:.\ PRÉSENTE UE L'J<:GU E GALUCANE 317 qu'avec une Bode de répugnance et d'inquiétude Ie nom même de l'Eglise gallicane. Par une disposition analogue et qui part du même principe, on presse dans leur rigueur beaucoup de points de droit commun auxquels on ne se croyait pas auparavant obligé dans l'Eglise de France, el on introduil, par tous les rnoyens, une dépendance plus absolue el plus immédiate, non seulement du Souverain Pontife lui.mênle, mais des congl'égations et des lriun- naux romalns. (( Avant que ce changement soil consommé, nous croyons qu'il est utile d'en considérer LouLe la portée, rl'examiner Ie point d'où nou sommes partis, la situation OÙ nuus nous trouvons, el Ie ter- me où nous pourrions arriveI'. C'esL aux évêques français qu'il est naturel d'adres:;er ces considérations; car c'est uon seulemenl à eux qu'il appartient J'examiner s'il y a quelque chose à faire; mais c'est d'eux-mêmes quïl s'agit directement; ce sont leut's pré- rogatiyes qui sont de jour en jour plus I'estreintes: c'est sur eux principalemenl que pèseront des obligations nouvelle que lie connaissaient point leurs prédécesseurs ; ils sont donc plus inlé- ressés que persûnne à peser Loutes choses et à rneHre dans la ha- lance les avantages et les inconvénients. (( Loin que cet écrit soil inspiré par un sentiment d'opposilicJI1 au siège apostolique, la suite prouvera qu'il a réelIement ponr but de défendre sa vérilable grandeur el son autorHé mêlne, que compromettenL les exagérations de quelques hommes dout Ie zi>le n 'est pas accoInpagné de la prudence. (( Nos consid ralions auront pour sujel : 1. 0 Les principes généraux sur lesquels repose la légitimilé dps eoutumes propres aux Eglises particulièl'es ; 2 0 L'application de ces principes aux usages suivis en Prance, soiL avant la fin du siècIe dernier, soit depuis la restauralion de rEglise de France en lH02 ; 3 0 La marchp suivie depuið pll1sieur an nées en opposilion a\'ec les mpmes usages, el ]a situation où I'Eglise Jp France commence à Ùlre placée ; 1 0 Les conséquences que nOllS prévoyons devoir découler de ce changement de discipline: 348 CllAPITHE \"1 50 QuehIues-uns òes Illoyens que les évêques pOlll'r(1ien t pren- dr'c pour prévenir ces inconvénients )). Le prenlier chapitre Lraite donc dcs pl'incipes spéclllalifs du dr'oit coutumier ; il pose, dans l'Eglise deux autorités de droit des pl>incipes du d1'oit canon de Dominique Bouix. - Au ql1atrième chapitre, les auleurs exposent les conséquences que peut alnener Ia situation nouvelle des égJises de France; ils pensent qu'jI raut I'envo .er au pape eulemenl les causes majeures et réserver exclusivemenlles au- lres aux évêques ; iis craignenL que la multiplication des réserves pontificales n'entrave l'adIninislration des diocèses et ne diminue l'autorité Inorale dps évèques; enfin ils prélendent que la multi- plicité des lois eL des uécisions, faisanl brèche au droit coutumier, simple dans ses principes, amèuera en pratique Ia confusion et nnÎl>a aux progrès de la science ecclésiastique. - En conséquence, au cinquième chapiLre, ils estiment ([u'il faut dresser, dans cha- que diocèse, un élat des cuutuInes locales; qu'iI faut maintcnil' ces coulumes par l'en eignement des séminaires et par l'enlente élablie entre les évêqlles ; et, POUI' écarter toute idée de schisme, il demande qu 'on im plore du Pape la ratificalion des coutumes du ga llicanisme. En d'aulres termes, ce mémoire clandeslin considérait Ie galli- canisme COffiIne l'expression de la vérité théologique ; il dénonçait, commr excessives et abusives, toules les démarches qui s'en écar- laient; et, pour remédier à ce qu'il appelaiL Ie mal, il proposaiL Ie relour pilI' et simple à la déclaralion de 1682. Les auus qu'il fal- lait flétrir et répI'ouvel', c'étaient Ie réveil chrétien depuis 1801 et la reslauraUon catholique; c'était Ie mouvement de rénovation romaine dont l'impulsion première était due à Lamennai ; c'é- taient les Institutions liturgiques de dom Guéranger et Jes deux lhéologies du cardinal Gousset, archevêque de Heims; c'était I'é- videnle eL conslanle coopération du Pape à ce retour de la FI.ance aux plus pures traditions de son antique urthodoxie. D'aprl's Ie mémoire, nos plus grands évêques et Ie Pape lui-même n'a\Taicnt rien compris au gou\Ternemenl de l'Eglise; et, pOUl revenir à Ia sagesse, iis ne devaient avoir rieo de plus pressé que de suivre les conseils des auteurs nnonymes. L'esprit d'un bon, ß}ais simple chréticn, se prêlera difficilcInent au exigences d'une si ingn1ièl'e infatuation. C'esl à croil'p que JeF; auteurs \'i\'aient dans un monde 350 CHAPITRE XI arbitraire et chimérique, car ils pl'pnnent tout à contresens. 11 fait bon vraiment de venir, avec des rlistinctions de cabinet, innocen- tel' Ie gallicanisme, quand Ie commenlaire vivant de ses doclrines, devenu fait européen, se ramène parlout à la désolalion df's égli- ses, à la perle dp la foi, à la mise en échec de la Chaire apostolique. On voil, par ce mémoire, lIue l'archevêque de Paris étaÏl revenu à lïdée de son concile national; qu'il visait toujours au but de ses démarches en Bavière, en Aulriche et en Hongl'ie; qu'il en- tendail ameuter les éyêques can tre Ie Saint-Siège, eL par leur con- cert, Ie tenir en respect devant les coutUITJes de France, inacces- sibles désormais aux coups du Pl'ince des ApÙl1'es, L'accord des éVl ques entre eux est certainemenl nécessaire ; il n'est pas seule- ment de conseil ; il est de préceple en tout ce qui tient à la disci- pline générale de l'Eg-Use et à la discipline particl1lière de chaq ne province. Mais comment former et enlretenir cel accord? Sera-ce par des brochures anonynles ou par des adhésions épistolaires, à, telle lllesnre proposée par un, deux au trois pri'lats? Non éviùem- ment; soit pal'ce que, dans l'élat présent. aucnn évêque français n'a lr droit d'initiaLive; soit parce que ce mode d'action est in- compatible avec la nlaturité que réclaIne un pl'ojet de loi au l'exa- men d'un règlement qui en ait la force; soit parce qu'une mesnre prise en dehors des ri gles canoniques ne peut lier par elle-même ni les évêques, ni lenrs uccesseurs; soil enfin parce que ce mode n'étant point consacré par l'Eglise, on ne pf'ut l'empêcher sans danger en aucun cas, pas mênle dans Ips circonslances cxtraordi- naires qui en imposeraienlla nécessilé, à moins qu'on ne soit dis- posé à soumettl'e l'acte qui en résulterait au jugpment du chef de rEglise. \ulrement ce serait vouloir éll1ùer les saints canons, qui défendent de tènir un concile sans Ie consenleInent dn Pare et d'en promulguer les déeision8 sans l'approbation du Saint-Si(\ge. Et qui done prêtail main forte à l'archevê'luc, dans la pu blica- tion de ce Mémoire présrnté à l'épiscopat? On ne peul pas douter un instant qu'il He fÙt chaudement appuyé, dans ceLte affaire, par Ie cardinal de Uesançon eL pal' I'évêque d'Orléans, lllah5 ni run ni l'autre n'était capaLIe de rédi er nne consultation si volurhineuse, :SITVATIO;S PRtSEN l'E DE L'ÉGLISE GALLICANE 351 savante d'ailleurs, précise en toutes ses parties, et bien au courant de toules les délicatesses de la doctrine; évidemment c' taill'æu- vre de quelque vieux théologien, rompu à la gymnastique des écoles et expert à cÔtoyel' les abìmes. L'opinion publique en dési- gna plusieurs, Gaduel, Mal'et, Lequeux : il paraîl aujourd'hui cer- tain que Ie Mémoire élait surtout l'æuvre de ce dernier, vicaire général de Paris, décoré des chevrons de I'Inde"\ et jaloux sans doute d'établir, encore une fois, son droit à les porter. ous savons d 'ailleurs que Lequeux avait été assisté de Galais, professeur à . Saint-Sulpice, qui s'attribuait même la plus grande part; nous avons, sur ce point spécial, des témoins au-dessus rle toute excep- tion. D'autres croient pouvoir conclure, de cerlains indices, que ce Iémoire était surtout l'æuvre de l'ancien ou cx-sulpicien GadueI. Un :\fémoire confidentiel, adressé à discrètes et scientifiques personnes, les supérieurs des grands sén1inaires et les évêques, ne pouvait faire grand bruit. La presse Ie Iaissa au j ugement de ceux qui étaienl en possession d'en connaÎtre. El puisque les au- teurs en appelaient aux évêques et Pl'oposaient Ie recours au Pape, pour savoir, sur ces questions pratiques, à quoi s'en tenir, il esl naturel e1 it suffit de s'en rapporter à la décision des evêques et au j ugement du Souverain Pontife. L'auteur et l'évêque Ie plus visé par Ie IJ1é'l1 oÙ'e, c'étail Ie car- dinal Gousset. (( M. Pal'isis et 1\1. Gousset, disait Ie cardinal \Iathieu, ont tout perdu dans l'Eglise de France >>. Le cardinal Gous et, et avec Iui Guéranger, Hohrbachcr, Bouix, étaient les principaux ecclésiastiques coupables de l'abandon des coutumes gallicanes et du retour à Rome. L'archevêque de Reims, par ses théologies y avait plus contribué que tout autre; Ie premier done il répondit à la provocation du lJ1émoÙ e. Dans ses Obse1'valions, il traite de la papauté et de l'épiscopat, de l'abrogation d'une coutume par Ie pape, des anciennes coutnmes de l'Eglise gallicàne, des anciens usages sur },Index et la Liturgie, de l'abolilion des anciennes cou- tumes par Ie Concordat, du nOllvrl ulLralnontanisme, du joul'na- lisme, des cunsultations aùressées au Sainl-Siège, de la correction ùes cOHciles provinr.iaux, ùu mOllvernt'nl liturgique, des récents 3 )2 CIIAPITRE XI décrels de l'Index, ùes communaulés religieu es approuvées par Ie Saint-Siège et du concerl des évêques entre eux sur les questions qui concernent la discipline. Aces différenls chefs, Ie cardinal rapporte de courts extrails du JJénw.ire, et, après avoir produit ces exlraits, en donnr la réfutaLÏon immédiate, brève et décis,ive. Ce n'est pas une réfu talÏon à la grande manière de Bianchi et de Zac- caria; il eÙt. fallu, pour cela, un volume, que les rassérénements de l'esprit public ne rendaient pas n cessaire; c'rst 11n anlidote, un contre-poison OÙ la condensation des arguments ne peut ql1'a- jouleI' à la force de la démonslralion. · Ce que dit, sur toules ces questions, l'archevêque de Reims, il esl facile de Ie résumer en peu de mots. Sur la question géné- rale du droit cOlltulnier, il ne peut y avoir de droit coull1mier con- trc Ir pape et lorsque Ie pape veut modifier ou abolir une cou- lume, lr droit coutumier ne peut fournil', conlre l'exe]'cice de son pouvoir souverain, un aJ'gument de prescription. Après l'abroga- tion d'une coulume par Ie pape, s"il résulLe, en pratique, qnelque inconvénient, il est certainement permis de les soulneltre au pape, mais la facuHé de presenter des observations n'impliqne pas ]e droit de dé obéir, A propos des anciennes coulumes des Eglises de France, on fait obseJ'vrr que la plnpart n'élaienl que des abus tolérés et non rles droiLs acqllis, L"Index, rJnquisition et les autres congrégalions romaines ne portent point atteinle aux droits des évêques; eUes les laissent entirr ; eUe forrnenl sellIement des ministères pour assister Ie pape dans Ie gouvernernent de I'Eglise, et leurs décisions, quand ]e pape les approu ve, on t tOllte l"aulo- I'ilé dont Ie pape en tend les revêtir, autorilé qu'on ne peul con- Lester sans se mettre en cas de rébellion. En 1801, Ie pape, SlIP: prirnant les anciens sièges supprilnait-il donc l'Eg1ise gallicane elle-même? (( Certainement, répond Ie cardinal: comment, en eITet, Ie pape aurait-il pu su pprimer ton tes les égJises particulières sans supprimel' en même temps l"Egllse gallicalle? Et en suppri- mant I'Eglise gallicane, il l'a supprimée comme les églises parti- culières on les divers diocèses, avec ses droits, privilèges et pré- rogalives. Et en élGblissant de nouvelles é lises arrhiépif'copales SITUATION PRI SE TE DE L'ÉGLISE GALLICANE 353 et épiscopales, il n'a point rétabli l'Eglise gaHicane; elle n' exisle plus que de 17,fnn. En eifet, canoniqucment et rigoureusement par- lant, on ne peut appeJer Eylise gallicane l'eusemble des Eglises de France qu 'autant que ces ég1ises auraicnt au moins un primat des Gaules, COlnme inLermédiaire entre eUes et Ie souverain pon- tife, ainsi que cela existait avant Ie Concordat de 1801. Ur, on en condent, et la sacrée congrégaLion des cardinaux inLerprètes du Concile de rl'ente l'a fait. I'emarquer al1X PèJ es des Conciles de Reims et de Lyon, il n'y a plus de [J,'irnatie dans les Gaules ; il n'y a done plus d'E'glise gallicane proprement dite (1) >). Par ceUe sim pie observation, Ie cardinal biffait Ie titre du mén10ire et cou- laiL bas lous ses artifices. Au sujet du nouvel ulLramontanisme, l\1gr Goussel défendait de Ie confondre, comme on Ie fait méchamment eL sottement, avec les erreurs de Lamennais. Quant à la presse catholique, (( encore qu'on ne puisse I'approuver en tout, elle mérile les encourage- nlents de l'épiscopat, dont Ie devoir' d'ailleurs est de la surveiller et de l'averLir, quand cUe s'écarte de la vérilé ou des règles de la sages e, sans loulefois la gêner dans ses allures, qui réclament une certaine liberté )>. Au sujet des consultations adressées au Sainl-Siège et des réponses de Rome, qui horripilaienl les galli. cans, Ie cardinal en conclut que les prèLres et les évêques ne croyaien t pas pou voir' continuer de suivre les vieilles coutumes. II est pet'mis à chacun d'interroger Ie pasteur suprême par rap" port à sa propre conduite, et, s'il oblient une réponse, rien ne l'oblige à la cachero (( On ne peut cerlainemcnl, dil Ie cardinal, approuver un prêtre qui sollicile une réponse du Saint-Siège dans Ie but d'agir sur l'épiscopat par esprit d'opposiLion. Ivlais il faut de bien fortes raisons pour supposer de semblables sentiment!; à un prêtre qui, jouissant de l'esUme et de la con fiance de son évêque, a recours à l'auLorilé supérieure pour dissiper ses douLcs sur un cas de conscience ou sur une question ùe droit. Si, comn1e il arrive quelquefois, ce prêtre fait connaìLre la décision qu'il a ('I) Ovsc}"vations sw' un mémoi'l'e adressé à l'épiscopat, p. 42. )., ..iJ 354 CliAPITRE XI reçue, soil sur la lilurgie, soil sur une coutuIne plus ou moins ancienne, ne doit-on pas croire, jusqu'à preuve de contraire, qu'il n'a pas d'autre dessein que d'être utile à ceux qui s'occupenl de la même question? De plus, si, comme on en con vient, il est permis à un prêtre de désirer que l'évêque adopte pour son dio- cèsp- telle ou telle rnesure, comme étanL généralement jugée plus conforn1e à la doctrine ou à l'espril de notre mère la sainte Eglbe romaine; il floit, par là même, Iui être perlnis de provoquer indi- rectement cettë meSl1re, en re,courant an chef de rEgiise, dont Irs décisions les moins solennelles soot Loujours accl1eillies avec res- pect par Ie clergé et Ies simples fidèlès, pouryu toulcfois qu'en agissant ainsi, ce prALre garde tóujours Ie respect et la déférence quïl doit à son évêque)) (page 55). Cette nécessité ou ceUe faculté de recourir à Rome nons paraît, dit-on, une plaie faite à l'aulorité mélropoliLaine. (( Non, répond Ie cGrrlinal, jamais un Inétropolitain ne se plaindr'a, comme d'nne plaie faite à son auloriLé, de ce que Ie Coneile de Trenle el Be- noH XIV ne permettent pas d'en appeler à son tribunal. Jamais il n 'aura Ia prétention -d' exercer des droits q u'il n'a pas re l1S ùe rE- glise, ou qui sont contraires aux canons, .1anlais il ne s'appuiera, dan:;; ]'exercice de son titre, sur un llsage conLraire au droil COln- mun, à mains que cel usage n'ait été sanclionné pal' Ie Saint-Siège ou que Ie Saint-Sii'ge ne Ie regarde comme légitime )). Au sujel de la correction des concHes pro\"inciaux, f( il n'yavait pas seulemenlune ulilité ypritable it ce fJup Ips décrels des ConcÍ- les soient soumis à l'autorilé du pape ; cela est nécpssaire, soil pour assurer I'uniformité de la discipline, soil afìn que ces décrets aienl une plus grande autorité paul' tout ce qui tient au dogme el à la morale, soil parce qu'ils ne peuvent ohliger Ies évêques de la pro- vince eL leurs successeurs, it mnins qu'i!s n'aient élé sanclionnrs par une autorilé supérieure... 11 ne peut y avoir un Concile cano- nique ou légitime dans lout ce qui Ie consliluè, it mains qu'il n'ail été approuvé par Ie Saint-Siège. 0[', la nécf\ssiLé de celte appro- bation emporte évidemment Ie droit d'admetll'e ou de rejeter ce Concile, de l'approuver ou de lui refUSPf l'approbation, d'y faire SITUATION PRÉSENTE DE L'É( LlSE GALLICANE 3DJ tontes les corrections jugées nécessaires ou utiles, c'est-à-dire ]es changements, les suppressions et les additions que réclament l'exacLitude du dogme, de la morale et de la discipline générale )) (page 69). Ces mots topiques répondaient aux prétenlions, fort échauffées de l'archevêque de Paris. Quant à son fameux concert d'évêques, par les moyens que proposait Ie 1Jlémoire, Ie cardinal]e met en pièces avec Ie Pontifical et Ie Corpus jU1>is. (( Quel sera donc, pour les évêques, Ie moyen de s'accorder en lre cux sur les questions touchant la discipline ecclésiastique? Ce moyen est bien simple; il est fondé sur la constitulion divine de l'Eglise : c'est que tous les évêques observent avec Loute la diligence possible et fassent obHer- vel' dans leurs diocèses, ainsi qu'ils 1'0nt promis dans la cérén10nie de leur sacre, les règles des saints Pères, les orùonnances ou dis- positions, réserves, provisions et commandemenls apostoliques; c'est qu'ils veuillent tous,. comme ils ont solennellement déclaré Ie vouloir, recevoir avec respect, enseigner et gardeI' les tradi- tions deg Pères orthodoxes, des décrets et constitutions du siège apostolique. Le moyen, pour les évêques, d'être en tout d'accorù entre eux, c'est d'êlre en tout d'accord avec Ie Saint-Siege, qui esl Ie centre de l'unité chrélienne ; c'est de faire ce que font géné- ralement les évêques français, en observant les décrets d u Concile de Trente et les constitu lions apostoliq ues avec les modifications toulefois qu'entraÎne l'état acluel des églises de France, et en con- servant cerlains usages, qui, étant élablis conforn1ément aux prin- cipes de ùroit commun, n'onl rien de contntil'e à l'e::;pl>it de notre rnère la sainte Eglise romaine, C'esl pour oblenir cet heureux ré- suHal, qui sera tnujours l'objet de sa solliciturle, que l'Eglise impose aux évêques de chaque province, l'obligation de tenir des Conciles et d'en soumettre les décrets à la censure du Sainl-Siège avant de les rendl'e publics. D'abord Ie p1'éceple qui enjoiut au rnétropolilain ùe convoquer des Conciles de lemps en temps, et à . seð sutl"raganls ù' r a::;sister', ne pellt êlre révoqué en doute. l\Iais I'Eglise n'alleindl'ait pas son but si, en ordonnant la teuue des Conciles, rHo les abandonllait à eux-mêmes... C'e t par le8 correc- 356 CllAPITRE XI tions, qu'elle fait d'après les instructions, les avis ou les ordres d u Sou verain POll Life, que la sacrée congrégaL ion nlain tien t ou ré- tablit l'uniLé en InaLière de discipline; clle mel d'accord entre eux les divers décrels des Conciles Pl'ovinciaux, dont elle modifie, s'il y a lieu, la rédaction. par dr.s changements, des suppressions et des additions )) (page H7). Nous transcrivons avec bon helll' ces observations de nolre Pèl'p en Dieu. Un décOl1\Tr miel1x, en Ie lisant, Ie néanL lhéologique de ses adYersaire , el, pal' les raisons qu'il donnr, on ne voiL que trnp à qlloi pouyaient aboutil' les menées anti-ponlificales des Sihour, des lalhieu et des Dupanloup. TouLefois, après avoir opiné con1me ùocteuI', l'archevêque de Reims ne croil pas avoir assez fail contre Ie IJlé'ìnoir'e. Lorsr!ue la lllort Ie surprendra, nOllS Ie sayons de science certaine, elle Ie trou- ,era encore argumenlant, ayec sa forte solliciludc, contre des pré- ten lions quasi-schismaLiques du droit coutunlier. En attendant, il appelle Ie Jlémoil'e du vi aire génél'al Lequeux el du Sulpicien Gallais ou de l'ex-Sulpicien Uadl1el, devanl son Concile d'Amiens, en 1.853; on voit, par son décI'et, qu'il veut anéantir radicalement ceLLe æU'Te perversr cL impie. (( II est tou- jours nécessaire, dit-il, de repousser les erreul's qui ébranlent ou diminuent l'obéissance due all Souverain Pontife ; mais, dans Ie ten1ps présent, el dans noire pays, des raisons toules pa1'ticu!iè1'cs in1 posen t r ubligation de mettre ceUe obéissance telleinen t. à l' a bri, qu'au nÜlieu de louLes les attaques, de toutes les emúûcltes, elle soil préservée et demeure entière et intacte. Parn1Ï ces raisons particulières, nous com prenons spécialement un écril sans nom d'auleur, sur la situation présenle de tt'glise gallicane relalivement au d1'oit cOlllul1lier; on l'a envoyé nun seulement aux évêques, mais aux supéf'ieurs des séminaires, et un grand nombre d'ecclé- siastiques }'on1 déjà lu. Quoi qu'il en soit des illusions au moyen desqllelles la conscience de l'auleur a pu se déguiser à elle-même Ie \'érilable ral actt'l'e ùe son Q'l1 \Te, cc livre it manifcstplnenL pour but de restl'riudre, d'enlt'aver l'exercicc de la IJuissance pou- Lirh'a1e. 11 rnspigne, en efret, Oll il ill!'inue cc qui suit: SITUATION PRÉSENTE DE L'ÉGLISE GALLICANE 3J 7 (( 1 0 Ce n'est point par Ie jugement du pape seul que doil être résolue la question, lorsqu'il s'agit de concilier Ie droit de réser- ves qui appartient au Souvcl'ain Pontife, avec Ie droit propre de l'évêque au gouvernen1ent ordinail'e de son diocèse. II faut alors faire intervenir Ie ùroit coutumier con1me une règle d'après la- queUe Ie différønd doit êlre décidé. (( 2 0 Soutenir que, lor que Ie Pape presse, dans certains ùiocp.. ses oÜ elle est encore en vigueur, l'abolitiol1 d'une COUlUlTIe con- tl'aire au droit commun, les évêques pcuvent légiLimernent s'op- poser à ce changement, aus i longtemps du moins que n'a pas été reconnue la nécessité qui Ie motive, est une opinion qui ne man- que poin t de probabililé. (( 3 0 Dans les contrées OÙ un lien avail été formé entre l'Eglise et l'Etat, ce fu t nne cou tume raisonnable de ne considérer comme obligatoires les constitutions apostoliql1es relatives à la discipline ùe l'Eglise, que lor:;qu'clles avaienl été préalablement promuI- \ guées dans chaque diocèse en vertu du placet du pouvoir civil. (( 4 0 Aujourd'hui les é\.êques français peuvent légitirnement, en vertu de la coutume et saur Ie cas extraordinaire, ne pas recon-. naitre comme obligatoires pour eux les constitutions apostoliques relatives à la discipline, qui n'ont pas encore été promuIguées dans les diocèses de France. (( 50 Chez nous, dans l'élat actuel de la queslion, un évêque pent légitimement, en vertll ùes principes du droit cOlltulnier, exclure de son ùiocèse, non pas selllen1ent d'une manière positive, mais absolument, la litul'gie romaine. (( 6 0 Dans un assez grand nomhre de leurs décisions récentes, les congrégalions romaines instituées par les SOllverains Pontifes ponr l'administralion générale de l'Eglise, suivenL une voie nuisi- hIe au bien des églises de France. (( 7 0 La nécessité de J'ecourir à Rome, conforn1élnent à la dÖci- sion de la congl'égation ùu concile, dans Ie cas où un prêtre est frappé de suspense ex infonnata conscipntia, para it blesser l'an to- rité mélropoliLaine. (( 8 0 On ne voit aucone raison à Ia prétenLion en YOl'tn elf' la- 3 )8 CHAPITRE Xl queUe la congrégation romaine du Concile, sons préLexLe de sup- pléel' des omi sions, s'est arl'ogé Ie droiL d'introduire des additions dans les actes des ConcHes provinciaux. (( go Le 1110uvement qui porte à embrasser la liturgie romaine l1e doit nnllen1ent être approl1vé. (( A ces assertions se rattachent di vel's au tres points, enseignés on insinués dans Ie livl'e en question. (( Nous tenons pour sOllverainement dignes de réprobation les affirmations eL opinions susdites, et nails les condamnons, soil comme contraires à la saine"doctrine, soil du moins comme oppo- sées à l'esprit de l'Eg-lise, comme inj urieuses pour Ie Saint-Siège apostoliq ue, et, SOLIS certains I'apports, pour les évêques. (( De plus, touL en donnant à entendre qu'il désire la continua- tion des COHciles provinciaux, l'auteur du J.lfémoÙ'c a soin de sug- gérer que les évêques ont une autre voie à suivre, et il représente la collection des églises de France qui n"onL aucun centre parti- culier d'au L riLé et de j uridiction, comnle un corps qui peu L déli- hérer, agir, rendre des décisions. Par là il introduit un pl'incipe suúveJ'sif du gouverne1J ent ecclésiastiqllc et plein de périls; car, I 'ex périence des LeIll ps passés l'aLtesle, des circonstances peu vent vcnir où un LeI principe favoriserait singulièrement les tentatives 8chismaliq ues. Il est d'ailleurs éviden t que ceLle préten tion égare el jette en dehors du droit chemin. C'est bien l'usage de l'Eglise, c'esl nlême rune de ses prescriptions, que sur un grand nombre de poinls, les évêques ùéliLt>rent par conseils et par actes com- muns, lorsque Ie bien ùe leurs diocèses Ie demande ; mais l'Eglise, qui est une armée dont rien ne trouble la bonne ordonnance et Oll lout se fait avec ordre, n'a pas youlu que ces résoluLions COID- In unes fussent prises en vertu d'un concert arbitraire, en dehot,s de tontes r:ègIes et sans l'intervention ùu Souverain Pontiff'. C'esl, en eITet l'ordre élaLli avec une gt-ande sagesse: d'ahord que les évêques de chaque province, con\"oqués par Ie métropolitain, se réunissenl pour tenil' Ull ConciIe en fOl'Ine; ensuite, que les dé- cl'eLs de tOllS les ConcHes principaux soient, a\Tant leul' publication s(\umis au jugemenl âu Saint-Siège, afin que l'action des évêques, SITUATION PRÉSENTE DE L'ÉGLISE GALLI CANE 359 ramenée à l'unité ùans Ie chef de l' Eglise, devienne véritablemenl commune. Lors donc que les évêques se trouvenl obligés de décla- reI' ou d'établir, en les revêtant d'une sanction commune, des règles touchant la doctrine, les mæurs et les choses ecclésiasti.. ques, les Conciles provinciau sont la bonne voie, conforme à Ia pratique de l'Eglise, la voie que tracent les canons et qu'approuve Ie Saint-Siège apostolique. A moins d'obstacles eL de nécessiLés extraol'dinaires et pressantes, dans lesq uelles même on ne doit. agir qu'avec l'inlention de soumeltre Ie plus tût possible au 80u-. verain Pontife tout ce qui aura été fait, nous reconnaissons haute.. ment que cetLe voie est la senle que nons devions suivre. Nous avaHS indiqué somnlairement ce que contient Ie livre en question. )lais si 1'on recherche d'oÙ émone l'PSP1'it que nous avans réprouvé dans cet écrit et dont il est pour ainsi dire lout infeclé, un examen approfondi et scrupuleux nous fait remonter à deux opinions d'où il sort comn1e l'eau de la source. La premH re de ces opinions nie que l'auturilé du Souverain Pontife soH pour Ie gouvernelnent de I'Eglise la puissance slIpl'ême, et proclame l'exis- lence d'une autl'e puissance qui serait sltp(;rielà'e à ceUe aulorité. La seconde affirme que les jugemrnts solennels du Souverain PonLife rend us ex cathedra, en matière de foi, ne ont pas h'réfor- maúles par eux-mêmes, et qu'ils ne deviennent leIs qu'en vertu de cN'Laine sanction qui leur est extrinsi'que. II est, en eIfet, aisé de comprendre cOIIlInent on peut pécher d'une infinité de manÏf\res cont['e Pautorité du Vicaire du Christ, dès qu'on cesse de reCOll- naiLre cetle aulorité, pour ce qu'elle esl réollelnent. C'est pourquoi nOllS défendons aúsolumcnt d'enseigncJ' lcs dfUX opinions susdi les dans les églises, les séminaÙ'cs elles écoles de nos diocèses )). Ce décl'et out, à Home, t'importance d'un événement; il y causa, on peut Ie dire, une satisfaction profonde. Les catholiques lilJé- raux, avec ce Mémoire qu'ils voulaient inlrnduire dans nos églises, comme Ie cheval de bois dans les mur d'llion, venaient de per- dre encore une LataiIle. CHAPITRE XII AFFAIRE DE DO OSO CORTÈS. Le 4 janvier' 1849, un memhre du parlement espagnol parul à la tl'ibune pour donneI' son avis dans uI1e discussion sur la politi- que générale. Ce député apparlenait à la majorité conser\"alrice, il venait répondre à I'un des chefs elu pal'Li progl'essiste, nommé Cortina. On débattait la thèse qui se disèule sans fin entre Ie gou- vernement et l'opposition, partout oil la tribune exerce quelql1e empire. Le gouvernement avait maintenu l'ordre au milieu des re- doulables crises de 1848 ; l'opposition lui l'epr'ochait d'avoir blessé la légalité. On s'était de part el d'aulre exercé assez éloquem- ment; la joute avail satisfait au décoì u1n parlementaire, elle pou- vail finir. Au fond il n' existaiL pas plus de division dans les esprits que de doute sur Ie vote. L'exemple de la France, de l'Alle- magne, de I'Italie, était là: progressistes et conservateurs voyaient sufllsamment clair aux lueurs de la fondre. L'honorable Cortina, tout Ie premier, s'accommodait d'une iIlégalité qui, écartant la ré- publique, Ie présenrait de l'ignominie d'être conseryateur à son tour. Un ùiscours de plus semblait done inutile; personne ne trou- vait nécessaire de réfuter davantage Corti na. Mais, dès que Ie nouvel orateur eut ouvert la bouche,l'assemblér s'aperçut qu'il restait quelque chose à dire, quelque chose que per- sonne encore n 'avait dit sur ce lhème tant reballu, oil la casuislique constitutionnelle pl'étend limiter dans un équilibre parfait les en- traînements de la liberlé et la résistance du ponvoir. La question changea de place et de face. En argumentant sur Ie point de fait, la majorité qui, 8en.blable Ü tontcs les majoriLés conECI'vatrices, se piqn ait d'êll'e Ii hðrale (' t DONOSO r.ORTÈS 361 nlême progressiste, avaH scrupuleusemenl respecté, comme son bien propre, Ie fonds doctrinal de tous ses adversaires. L'orateur commença par déclarer qu'il yenail enlerrer au pied de la tribune dans leur sépuHure legitime, toutes les idées de l'opposilion, c'est à..dire toutes les idées libérales: (( Idées stériles et désastreuses dans lesquelles se résument les erreurs i nventées depuis trois sièc1es pour troubler et dissoudre les sociétés humaines. )) II tint sa parole. Accoutumés pourtant aux hardiesses de son langage et de sa pro bité, ses audiLeurs ne s'aLtendaient pas à cel héroïsme de convic- tion qui venail heurter avec dédain, run après l'aotre, les dogmes les plus universellement reçus de la librrté moderne, qui prédisail à cette Ii herté sa mort imminente, qui flétrissait ceUe mort comme un suicide. Annonçant à la civilisation d u dix-neuvième sièc1e des humiliations aussi prodigieuses que les élans de son orgueil, et la montrant prochainement accroupie et tremblante sous q uelque dictature, illui criait: (( Tes adorateurs ne te sauveront pas, tes arts ne te seront d'aucun secours, tes armées hâteronl La perle; Ie despotisme même ll'ahil'a tes viles espérances : tu ne trouveras pas un despole : tu ramperas et tu périras sous les pieds de]a mul tHude, si tu ne t'inclines pas devant ]a croix! )) C'est là ce qui n'avait pas élé dH dans ]a discussion. Ceux qui l'avaient pu penseI' s'élonnaienl de 1'13ntendre : l'orateur lui-même se reportant un peu en arrière dans son propre passé, pouvail s'étonner de Ie dire. Ces idées, si nouvelles pour son auditoirp, étaient à peine moins nouvelles pour lui dans la brillante expres- sion qu'illeur donnait. II avaH partagé les iJIusions qu ïl venait déchirer. II avait cru à la presse, à la tribune, aux constilutions, aux assemblées, au progrès: son talent, ses succès anlérieurs, l'avaient sacré l'un des pontifes de ce culle de l'esprit humain dont il bafouait maintenant les supel'bes et frivoles mystÔres. l\fais il venait de perdre un fl'ère pieux et tendremenl aimé et il contem- plait les convulsions misérables au milieu desquelles la monarchie européenne, intìdèle à Diel1 depuis Jongtemps, périssait sans res- source. Ses yeux fails pour Ja vérité, déjà fI'appés de luel1rs mou- vantes, non encore Jessillés, avaien t enfi n vn dans son propl'e 362 CIIAPITRE "\.11 cæUI" et dans Ies choses hUlnaines tout ce q u'éclail'ent les flanl- beaux qui escorlent la mort. A celle lumiëre il étaÏl devenu chréLien. Le christianisme Ie tirait de ce groupe de penseurs sub- tils et bien disants, qui n'est que l'élite du vulgaire. Désormais ses pensées, ordonnées el illuminées par la foi, allaient retentir clans Ie monde. Son discours de la Diclatuf"e. tradnii par un journal catholitIUe français, ful immédiatement répélé par cent échos, et PEurope appriL,pour ne plus l'oublier, Ie nom jllsqu'alors à peu près inconnu. de Juan Donoso Cortès, marquis de Valde a- mas. Quatre ans après ce jour Oll il prit rang non seulemenl dans la célébrité, mais dans l'a utorité, Donoso Corlès étaiL nlort it q uaranle- ({uatre ans, plein de force, emporlant avec lui des cIart.és dont Ie monde avaiL hesoin. Cc fut un dcuil pgal pour I"Espagne, la patrie de son cæur; pour la France qui était comlne la patrie de son inLel- ligence ; pour rEg-lise, sa mère vénérée, et flui voyail en lui uo de ces enfants qui la consolent, grands, purs et humbles et sur lesqnels cUe s'appuie. La _ providence ayail alnené Donoso Cortès à Paris, au foyer principal des erreurs qu'il de\Tait combattre.Ceux qui l'ontapproché eL qui éLaienl dignes ùe Ie juger, l'ont lrouvé supérieur it sa répll- lalion. En deux ans, sans y prtStendre, il élait devenu l'un des chefs de la sociélé française. II exerçait lIne intluence considél"able, non seulelnenl sur les catholiques qui ne connaissent point enlre eux d'étrangers, nlais aussi dans Ie rnollde de la plIlitique et des leUres, oÜ il appurtail lout à la fois I 'aulorilé ùe son vaste esprit et Ie charme de son incomparable siInplicilé. Ses idées sans duute, étaient bien éloignées de celles qui règnenl encore dans ces régions mains éclairé.es fjuïI ne semble, el Oll l' uln bre se refait pI us vile q n' on nr Ie croiraiL. Des vicillards illustt'es, des personnages d'110 grand crédiL, des savants, ùes cherchcurs, des découvreurs enlourés de renomnlée, n'ont guèrr micux C001- pris Donoso Cortès qu'ib n'onl compris les événements de l'époque, si nalurels en même lemps que si prodigieux.. 'Iais de mênle quïl fallait bien compteI' Ies éyénernents. force était de compteI' avec ... l)O O O CORTÈS ;3ô3 cette raison vailianLe qui ne reculait devant aucun préjugé anti- catholique ou révolutionnaire, eest la même chose, et qui n'en lais- sait aucun sans alleinte. Au n1ilieu de sa carrière diplomatique, Donoso Cortès avail écrit un Essai SU1 le catholicisme, le lilJé1'alisme et le socialisrne. Cet écriL n'('Lail pas Ie grand ouvrage oÜ l'ambassadeur d'Espagne, émule ùu comle de l\Iaistre, voulait consigner l'ensemLle de ses pensées sUl'la marche de la civilisaLion conten1poraine ; ce n'en était guère que la préface. Dans sa brièveLé éloquenle, cel opuscule ofl"rait toutefois en substance, les idées de l'auteur sur les grandes erreurs du temps pl'ésent. Ð'après Valdegamas, l'affirn1alion catholique conLienL toute la vérité sans mélange d'erreur: Ie libéralisme est une théorie philosophique et gouvernemenLale OÙ I'on déchoit de la vérité révélée et par quoi I'on cherche à la trahir ; Ie socialisme esL l'aboutissement du libéralisme et l'antilhèse de l'Evangile. Pour éLablir ces différentes proposiLions, Ie diplomate espagnol ne se plaçait pas au point de vue d'une scolastique élémentaire ; il s'élançait, comme un géant, dans l'immensité des solutions méta. physiques et, du haut de ces hauteurs, il faisait tomber, sur les aberrations vulgaires, la foudre de ses victorieuses intuitions. A ses yeux, Dieu est la seule ex plication com plète de la nature et de ce qui est au-dessus de la nature; la théologie seule donne à toutes le sciences leur complémenL parfait; la religion catholique seule peut résoudre les probl' mes qui s'imposent chaque jour à la polilique; il n'y a que l'Eglise qui puisse sauver la société mOll. ranLe.En vain les libéraux et les socialistes se flattent de relllédier, au moyen de leurs doctrines et de leurs découvertes, aux maux de l'humanité ; si Ie libéralisme et Ie socialisme sonL vainqueurs, c'en est fait de l'ol.dre social et il fauL rcnoncer à Loule espérance d'heureuse rénovation. Tel est le fonds de l'ouvrage de Oonoso CorLè , thl me vasLe s'il en fûL el admil'ablement adapté aux be. soins de l'épuque. Sans se laisser effl'ayer par les difficulLés de son sujct, Ie gl'ltnù éCl'ivain l'aLorde hal'dirnent, ill'envisage de hauL, il en rnesul'e l'étcildue, il Ie par'coul't d'un pied fern1e el résolu, répandanL autonI' de lui àes torrents de IUlnièl'e qui renJent ac- 364 CHAPITRE XII cessibles, même aux intelligences communes, les questions les plus abstraites et les plus ardues. L'ouvrage est divisé en trois livres. Dans Ie prenlier, aprè avoir démontré que toute grande question politique inlpliql1e une ques- tion lhéologique, l'auteur retrace it grands traits et avec de yives couleurs, Ie tableau de la restHuralion du monde, de I'Etat, de la farnille, par l'action de la lhéologie catholique et de l'Eglise. Re- cherchant ensuite en verlll de quel principe intrinsèqne la société calholique a pu avoÍI' une lelle fécondité et produire tant de biens, il trouve que ce principe rst la loi de grâce el d'amour, grâce pleine de douceul' et de force qui attit'e à Dieu mystérieusemenlle cæur des hommes et qlli,en les atLirant à Diell,réalise entre eux Ia plus inlime union; grâce surnalurelle et cachée qui seule peut expliquer d'une manière salisfaisante Ie tl iomphe de Ia vértu sur Ie vice, de la vél'ité ur l'erreur, de Ia doctrine du Christ sur un monde corrompu et pervers. Dans Ie second livre, l'auleur affJ'onle cette vasle e1 difficile question: comment el pourquoi Ie nlal se rencontre-t-il dans Ie monde el dans tous les ordres ? Pour y répandre la lumière, il ex- pose d'abord la théorie de la vraie liberlé, considérée comme per- fection ou comme moyen d'y arriver. II parcourt ensuile les pha- ses que la liberté a eues dans Ie ciel et sur la tel're; il indique l'abus que les anges et les hommes en ont fait et les conséquences imn}édiales qui ont suivi cet abus; il combat Ie nouveau mani- chéisnle du socialisle Proudhon, et il fait voir comment, dans la doctrine catholique, Ia proyidence de Dieu se concilie parfaitement avec la liberté de l'homme. Passant de Jà au domaine de la na- ture et de l'histoire, iJ décril Ies secrètes analogies entl e les per- turbations physiques et les perLurbations morales, qui dérivent les unes et les autres du péché. Puis òans un récit raisonné du drame merveilleux qui a commencé dans Ie ciel et fini dans Ie paradis terrestre, il enseigne comment Dieu a tiré Ie hien du mal, l'ol'dre du désordre, la gloire du sein de la prévarication et iI s'é- crie à bon droit: (( Plus on pénèlre dans les profondeurs lIe ces dogmes effrayanls, plus on voit resplendir la souveraine conve- DONOSO CORTÈS 365 nance, la parfaite connexion el la merveilleuse harmonie des mystères ch.'étiens. La science des mystères, si l'on veut bien r réfléchir, est la science m( me de toules les solutions )), Après l'exposilion de la solution catholique vient l'examen des solutions proposées par l'école libérale et l'école socialiste, L'au- Leur fait ressortir ]a stérilité et rimpuissance inhél'entes aux doc. lrines libÖrales, même en politiqne it rappelLe comme contraste quelle est sons ce rapport, la fécondité d u catholicisme eL quels grands hommes politiqnes soot sortis de son sein; il prouve que la science de Dieu donne à celui qui Ia possède, la sagacilé et la force, qu'elle aignise l'esprÏt, agrandit les pensées, perfeclionne admirablement la connaissance pratique, el prodnit ce bon sens exql1is qui est Ie propre des hOlnmes sages el prudents; d'où il est conduit à dire que si Ie genre hnmain n'avait pas l'habitude de VOil' les chases à rebours, (( il choisirait pour conseillel's, entre tons les hOnUIJeS, les théologiens ; entre les théologiens, les mys- tiques fit entre les n1ystiques ceux qui ont 111ené la vie la plus reLirée du monde et des affaÜ'es. )) Pensée admirable chez un di- plomate illustre, que distinglle une connaissance si profonde des hommrs et de la société. La peinLure qu'il fait de l'école libérale n'est pas moins remar. quable de justesse et de viguel1r: (( De toutes les écoles, dit-iI, celle-ci est la plus stérile pal'ce qu'elle est la mains savante et la plus égoÏ::;te. Comme on vienL de Ie voir, elle ue sait absolument rien, ni sur la nature du mal, ni sur la nature du bien; elle a à peine une notion de Dieu : elle n'en a aucune de l'hornme. Irnpuis- sante pour Ie bien, parce qn'elle manq ue de toute affirmation dogmatiql1e, in1puissante pour Ie mal, parce qu'elle a hor'l'eur de toule négation intrépide et absolue, e]Je est condamnée, sans Ie savoir, it aller se jeter avec Ie vaisseau qui porte sa fortune, ou dans Ie port du catholicisme ou sur les écueils socialistes. CeUe école ne ùOlnine que Iorsque la socièlé se dissout: Ie moment de sa dominatiun est Ie rnomrnt transÏtoif(\ et fup;ilif oÙ le Inonde ne sait s'il choisira Barabas ou Jésus, et delllclIl'e en suspens entre UIlC' affirmation dngmatiqne et une négalion snpl'f"i me . La sociélé 366 CHAPITRE \H alaI's se lais:5c volontiers gouverner par une école qui jalnais n'ose dire: J'affil'UlP, qui n'ose pas non plus dire: je nie, mais qui ré- pond tOUjOUl'S: je distinglle. L'inté..êt supl'ême de ceUe école est que Ie jour ùes négations radicales ou des affirmations souverai- nes n'arrive pas; et, pour l'empêcher d'arriver, eUe a reCOUl'S à la discussion, vrai moyen de confondre toutes les notions et de pro. pager Ie scepticisme. EIle \Toil très bien qu'nn peuple qui entend des sophistes soulenir perpétl1ellemenl sur tautes choses Ie pour et Ie conlre, finit par ue plu savoir à quoi s'en Lenir SUI' rien, eL par se den1ander si réellement la yérité et l'erl'eur, Ie j llsle e t l'injusle, Ie honteux et l'honnête sont choses contraires, ou si ce ne serait pas plutût une même chose considérée à des points de vue divers? Si longues que puissent paraître dans la vie des pel1- pies les époques de transition eL d'aL1gois e où règne allssi l'école dont je parle, elles sont toujours de courte durée. I...'homme esl né pour agir, et la discussion perpétuelle, incompatible avec l'aclion. est trop contraire à la nalure hllmaine. Un jour arrive OÙ Ie peu- pIe, poussé par tons ses instincts, se répand sur les places publi- ques el dans les rues, demandant. résolument Barabas ou Jésus, et roulant dans la puussière Ia chaire des sophistes )). Les libéraux font consisler Ie n1al de la société dans Ie gonver- nement monarchique, subissant l'influence de Iïdée catholique, ou dans ranarchie produiLe pal' Ie socialisme; Ie désordre pour eux n'est que là el dan:5 les conséquence8 qui en ré:;;;nlLenL La so- eiété sera done heul'euse et prospère, Ie mal disparaìtra de ce moude quand Ie gouvernement des peuples passera aux mains des philosophes el de Ia bourgeoisie. Les soeialistes, de leur côté, souLiennent que l'homme est na- turellemenl saint el parfait, et que Ie mallui yient de Dieu, des lois et du gouvernemenl ; que par conséquent l'âge d'ol' annoncé par les poèles el allendu par les nations comrnencera sur la terre quand on YPl'ra s'évanouÏJ' la cl'oyance en Dieu, I'enlpil'e de la rai- son sur le sens et la dOlninaUun des gouvernanls sur les pelipIes : c'est-à-dire quand les multitudes abrl1tie se tiendl'ont lien à elJes- Inênles de diyinilé, de législation et ùe royaulé. DONO;:;O CORT S 367 Ces aberrations monslrueuses soot exposées, combattues dans Ie reste dl1 livre avec une Iogique si \Tigol1reuse et si serrée, avec une telle lucidité de raisonnement, une telle hauteur el nouvec1uté d'aperçus, que Ie lecleur se trouve à la fois convaincu, persuadé, ému et charmé. n n'esl pas de cæur Doble, d'âme honnêle qui n'éprouve un serrement douloureux en entendant les blasphèmes inspirés par renfeI' que les socialistes et Proudhon vomissent con- tre Dieu, l'appeIanl a\Tec un cynisrne inouï folie et bassesse, hypo- c?'isie el mensonge, tYl'an.nie et rnisèl'e elle défianl de les pulvériser avec toules ses foudres; mais comme l'esprit se repose ensuite sur ces belles paroles que rauteur recueille si à propos de la bouche même qui lout à l"heure bla phémait, el que la vériLé victo- riellse un instant conlraint de chanter ses louanges: (( Oh ! com- bien Ie catholicisme (s'écrie Proudhon), s'esl monlré plus prudent, eL com me il VOllS a surpassés tous, Saint-Simoniens, républicains, universitaires, économisles, dans la connaissance de l'homme el de Ia société! Le prètre sait que notre vie n'e8t qu'un voyage et que nolre perfectionnemenl ne peul se réaliser ici-bas, et it se contente d'ébauchel' sur Ia terre une éducalion qui doit lrouver son compIément dans Ie cieL L'homme que la religion a formé, conLen 1 de savoir, de fair'e el d' obLenir ce qui suillt à sa destinée terrestrf', ne peul jalnais devenir un emJ)arras pour Ie gouver'- nement: il en sel'ail plulôt Ie marlyr'e! 0 religion bien-aimée, raul-il qn'une bourgeoisie qui a tant besoin de toi,le méconnaisse ! )) o vérilé, dirons-nous, Ô grande el noble reine des intelligences, est-il possihle qu'un homn1e te voie si radieuse et si belle, et qu'il ne t'admire un moment que pour te lrahir! Après avoir monlré combieu esl satisfaisante rexplication que la doctrine ealholique donne de l'origine du mal, Ie philosophe catholique se pl'opose, dans son lroisiènle livre, eel autre probH'me : Poul'quoi Ie mal pr'oduit par une premiÖre faute se perpétue-l-il clan':) Ie 111onde, el se IransmcL-il du premier père au\. descPl1llanls les plus éloignés ? S'appuyanl sur Ies données de la révélation, il entre alors dans l'examen de ce grand n1ystère, de ce dogme de Ia solidarilé et de la transmission de la faute qui accompagne la 3G8 CHAPITRE \.II transmission de la peine. II fait \ oir qu ïl 11'y a rieo dans celle doctrine qui ne s'arcurde avec la raison, qu'elle lÏent par ùes liens dont il fauL nécessaÜ'emenL confesser l"existence, :.tux faits les plus incontestables et les plus éclatants, et qu'elle eRt en une parfaite hal'monie avec les lois universelles de la nature; il parle de la duuleur, et, recherchant ce qu'elle est en elle-même, il montre comment Dieu en change pour ainsi dire Ia nature, la transformant de mal en bien, de chttLiment en remède d'une incompal'able vertu. Ainsi s'explique et s'harmonise pour Ie ch,rétien la permanence de la faute et de la peine. L'écoIe libérale, au contraire, nie Ia solidarilé humaine dans l'ordre religieux et dans l'ordre polilique : dans l'ordre reIigieux, en rejetant la doctrine de la transmission de la peine et de Ia faule ; dans l'ordre politique, en proclamant Ia non-intervention, en détruisant la noblesse et en soutenant Ie droit de chacun aux dignités de l'Etal. l\lais, tout en niant la solidarité, les libéraux sont obligés de l'admeltre puisqu'iIs reconnaissent l'identité des naLions, l'hérédité de Ia monarchie eL la transmission des ri- chesses avec Ie sang, comme si Ie pouvoir des riches était plus légilirne et plus sacI'é que Ie pouvoir des noLles. L'auteur reproche avec raison des contradictions semblables à l'école socialiste. CeLte école soutient, contre les libéraux, que lorsqu'on rejette la solidariLé dans la famille, dans la politique et dans Ia religion, on ne doH pas l'accepler en faveur de la nation et de la 1110narchie. Mais que fait-elle à son tour? Après avoir con- damné et répl'ouvé la solidarité en Lous ces points, elle proclame la solidarité humaine. Prêcher la liherté, la (raternité et l'égalité, ne signifie absolun1cnt rien, ou cela signifie que les hommes sont solidaires entre eux. Or comment peut-il se faire que la naissance, l'état politique, n'établissenL aueun lien qui unisse les hommes les uns aux aulres el que l'humanilé entière soit une société de (1'ères participant égalemcnt à nne liberté commune. De plus Ie socialisme est contradictuire, pa"ce qu'il y a contr'a- diction dans les doctrines proclamées pal' les diverses écoles qui ]0 cnmpospnl. et l"autenr le òfÍmontrr pn ll'nçí:nl l'histnire dC's \'3,- DONOSO CORT:ÈS 369 riations dont Ie socialisme nous a en si peu de temps donné Ie spectacle. Enfin, cette théorie est la plus grande des contradic- tions, pal'ce que, de quelque cûté qu'on Ia considère, eUe aboutit à la nég-ation absolue. NégaLion absolue de l'homme, de la famille, de la société, de l'hurnanité, de Dieu, telles sont en effet les consé- quence:; auxquelles conduit succeRsivement l'hypoLhèse socialiste dès qu'on veutla presser avec une logique irrésistible com Ole Ie fait Pillustre écrivain dans Ie chapitrc V de son troisième livre. Dans Ie reste de l'ouvragc, la soliùarÏlé de Ia faute et de la chute Ll'ouve sa contre-parlie dans la solidarité du rachat et du mérile. lci retraçant les trndiLions des peupies et les illuminant par l'exposition du dogn1e catholique, l"autf'ur démontre Ia verlu ex... piatrice du sacrifice, vertu inexplicable si I'on s'en tient aux prin- cipes sociaJistes et libéraux. La rédemption, centre de tous les mystères et source de tou Les les solutions, se présenLe alors au reli oÀ gieux éCl'ivain dans son auguste maje té. II en met en lumière la haute convenance par rapport à Dieu, à l'homme, à l'ordre uni- versel; il fail voir comment dans Ie sacrifice de I'Holnme-Dieu 1 la fante est lavée, Ie monde vaincu et toute chose ramenée à son principe; c'esL ainsi qu'i! achève Ia démonstration de son sujet et qu'il demeure établi que les problèm.es fondamentaux de l'homme et de la société ne peuven t êtJ'e vériLablement expliqués sans lå révélalion et sans I'Eglise. Cette courle analyse nous dispense d'insisler sur les louanges dues à1'écrivain et à son ouvrage, dans lequel on ne sail ce qu'on doit Ie plus adn1Ìrer : la magnificence du sLyle ou la beauté du plan, la clarté et ]a hau teu r des pensées ou la vigueur de l'argu- mentation et la vivaciLé pénétrante de la polémiq ue, la profondeur de la doctrine ou In. pureté de la foi et la noblesse d'un sentÏInent toujours élevé, généreux, éminemment catholiql1e, qui est l'aUri-, but particulier de ceLle nation espagnole dont Ie marquis de Val- degamas est une gloire. Au sujeL de ce livre, voici ce qu'écriviL, dans f..l1ni de La reli... gian, l'abbé Gaduel, vicaire général d'Orléans : (( Ce n'est pas sans une longue hésitalion el une vive peine qdà 24 370 CHAPITRE :XII je l1)e suis déterIuiné à relever publiquement les gl'aves et nom- breUðCS erreurs théologiques et philosophiques échappées à la plume de l'honorable M. Donoso Cortès... .Mais on comprend qu'un ouvrage patronné par un journal si répandu et recommandé par des voix si connues et si bien écoutées, a dû rencontrer un fort grand accueil et pu exercer sur les esprits une intluence aussi considérable que dangereuse. C'est ce qui nous a déterminé à élever la voix. Le mal ayant é1é si public, Ie remède devait essayer de l'être aussi... ... Le jour viendra, et il n'est peul-être pas fort éloigné, OÙ l'on conlprendra enHn la nécessité de réviser et de 'réduÍ1'e à Leuì'jllste valeu1' ces Téputations usurpées et décevantes, si l'on ne veut tout à fait en finir parmi nOllS avec la science elle bon sens. En atten- dant, ce qui imporLe surtout, c'est d'empêcher que ces fausses répulations ne puissen1 nuire en servant de passe-port à l'erreur. Voilà ce qui m'a fail estimer utile et nécessaire de IneUre sous les yeux du public les erreurs lhéologiques de M. Donoso Cortès. (( Dieu, -la Tl'inité, - les anges, -la chute de l'hoInole, - les eITets du péché originel, - la révélation, - la raison, - Ie libre arbilre, - les sacrifices, - le rapports du paganisme avec la vraie religion, - l'incarnation, - la grâce, - l'établis- sement du chrislianisme, - rEglise, etc. M. Donoso Cortès tou- che toutes ces graves questions avec une témérité et une har- diesse qui ne sont égalées que par sa bonne foi. Sans qu'il s'en aperçoive, sans q u'il paraisse en avoir Ie moindre soupçon, les erreurs coulent de sa plume avec la plus élonnante facilité. Parmi ces erreurs, souvent très graves, il en est qui sont indubitablenlcnt dans son esprit; d'aulres ne sonL que dans l'expression de sa pen- sée, clc., etc. )). Dans une leltre à l'archevêque de Pal'is, Ie même Gaduel parle du mème livre dans les mêmes Lermes: (( J"ai commencé, dil-il, à lire l' I ""ssai sur Ie catlLO[icis't1 e, etc., sans pl'évention. Quel n'a pas éLé mon élonnement dr trouver dans ce livre une multitude d'er- rel1r évidenLes e1 Lrès graves contre la .,aine théologie, et contre la doctrine catholique ! J'ai Iu crlivre tout entier ; j'ai no1é et re- DONOSO CORTtS 371 cueilli les erreol's les pJus considérables ; fen ai fait une critiq e théologiql e, et après avoir soumis moo lravail à l'examen de lhéo- 10giens fort instruits, j'en ai puhlié une partie dans un recueil ecclésiastique, l'A rni de La Religion. En cela, je n 'ai pas pensé exer- cer seulement un droit; j'ai cru remplir un devoir. On a toujours re ardé comn1e utile et mên1e nécessaire dans l'Eglise de pré- munir Ie pub1ic contre les erreurs qui peuvent blesser ou altérer la pureté de la religion; et cela devien t particuIièrement im por- Lant, quand les livres qui contiennent ces erreurs sont, comme était celui-ci, très répandus, et se proùuisenl avec un éc1at de re- nommée propre à égarer l'opinion. Dans ce cas, un avertissement particulier adressé à l'auteur ne serait pas un remède suffisant >>. Dans une lettre à l'auteur de I' Essai, l'abbé Gaduel, de plus en plus salisfait de ses critiques, s'exprime ainsi: << Quand un homme, même que 1'00 ne connaìl pas, et qui a passé toute sa vie à éLuùier et à enseigner la religion, indique rlans un livre des er- reurs qu'il regarde comme considérables ; quand il cite les lextes où res erreurs sont exprimées, et met en regard de ces textes des vérités catholiques qu'il croit attaquées, ne vous paraîl-il pas, Monsieur, qu'il y aurait lieu à s'en occuper? Mon inquiétude devrait au moins excitel' la vótre, et il me semble qu'à volre place,je con- ccvrais ql1elque doute el m'appliquerais it voir si je ne suis pas teou vis-à-vis du bien public et de roes lecteurs, à quelque chose de plus qu'une déc1aration géoérale, laquelIf' certainemeot ne Buffit pas POUI' préml1nir vos lecteurs. (( Si je ne suis pa ici juge contre vous, je ne crois pas que vous puissicz l'êLre vous-même; mais vous avez des supérieurs ecclésiastiques que VOLlS respeclez et qui assurément vous hono- rent. Ii y a, si vons ne voulez remonter plus haul, un évêque au un archevêque dont vous êtes Ie diocésain. Pourquoi ne soumel- lriez-vous pas volre livre à leur jugemenL? Si je m'étais Lrompé, je suis prêt, à vous en faire des excuses puLJliques: n)ai si les juges de la doclrine reconnaissenl dans le écrils pubIiés par vous lcs erreurs quej'y ai moi-mÊ'nle vues, vous répareriel simlJleroent ces erreurs, de la luanière et dan la Inesure que la sagesse des' 372 CHAPITRE XII supérieurs aurait marquée, eL que yotre foi et vütre yerLu vous conseillrraien t. (( J'ajouLe que 1\1. Louis Veuillol ayanl publié et propagé volre livre dans une Bibliolhèque nouvelle de 1'eligion, destinée à un grand nombre de lecteur , il n'est pas douteux qu'il ne soil lenu au mêrne devoir'. (( Et il n'y a rien Ià qui puisse de votre pal't ni de la sienne, répugner à la sincérité, à la droilure et à la modeslie d'un calho- liq ue )) Le rédacleur de }' Univers, mis en cause, à peu pr'ès sans raison, par Ie censeur orléanais, répondit. séance tenanle: (( Pour qu'un auteur conçoive des inquiétudes sérieuses sur l'orthodoxie de es écrits, il ne suffit pas, ce nous semble, ql1'un journaJiste se plaise à y signaler des erreurs consirlérables : il fau l encore, mème quand cØe jourualiste a ('honneur d'êtrf' prêLI'e, même quand iI a pqssé toute sa vie à éludier et à enseigner la religion, que ses critiques ne soient pas de nalure à faire douter de sa compélence dans les matières qu'il traite, qu'eHes ne soienL pas rnanifestement inspirées pal' la passion et l'espl'it de p01"li, qu'elJes ne soient pas fondées sur des textes lronqurs, pe1'(idernenf isolés ou rìl,tíficieusement rap- ]Jl'ochés et lOUjOIl1'S accompagnrs d'une intel"prétation qui leul' donne un sens lout di/fh'ent de celui qu'ils nnt dans Ie livre même. Nous avouons que la critique de 1. l'abbé Gaduel ne nous a paru salisFaire à aucune de ces condilions, et nous démontrerons qn'en efIet eUe ne les remplit pas. Voilà pourquoi eUe n'excile en nous aucune inquiélude )). En d'aulres termes, les éc1ipses théologiques, visibles à 01'- léans, n'étaient pas visibles à Pads, ellos écJipses visibles à Paris ne l'étaienl pas à Odéans. Dans cetLe contradiction des observa- toires, iI faut nous adresser à Borne. Voici comment l'Annonia, journal de rabbé Margotti, jugeait Ie livre de Danoso Cortès et répondait sommairement aux criti. ques: (( En traiLant des question si profondes cl si élevérs, disaiL la feuille lurinoise, J'auteul' suille lraces d'un autre grand écri\'ain, DO OSO CORTÈS 373 Ie comle Joseph de l\Iaistre, qu'j} rappelle par Ie style, l'allure grande et majeslueuse qui est propre à cette école. II a des ta- bleaux peints de la manière la plus large et la plus vigoureuse, dont un seul a plus de valeur que les mille raffinemenls de cer- tains maîtres. Les Soirées de Saint-Péte1'sbou1'.q et Ie trailé sur les sacrifices du diploIllètte sarde semblent avoir inspiré la plume du diplumate espagnol. (( Nous nous arrêterions ici, si les critiques dirigées conLI'e eet ouvrage par un savant théologien français, ne nous obligeaient à ajouler quelques mols. Nous ne vouions pas nous engager dans une discussion avec rhonorable théulogien, étanl bien décidés à ne pas engageI' de polémique a vee nos amis, tant que nous avons des enne1nis en face. Toutefois, qu'il nous soil pern)is de présenter quelques observations plutDl pour rassurer nos leeleurs touchant les doctrines du marquis de Valdegamas, que POUl' répondre aux critiques de l'abbé Gaduel. (( Premièremenl, Ie style ella manière de notre auLeur et de son école ne se prêtent pas aux procédés de ceux qui voudraienl les peser minutieusement et ramener tout à J'exacLiLude théologique d'un traité de théoIogie élémentaire. Si ran voulait exarniner de la sorte les ouvragrs de Joseph de Maislre, queUes choses n'y lrOll- verait-on pas à noter? Ces écrits s'échappent avec impétuosiLé : Come torì'ente che alLa vena rJ'l'emp : ils ne discnt pas la cenlième partie de ce que l'auteur voit et sent. Les obstacles ne les arrêtent point, ils von t où les enlraîne la soif de la vérité, et iis s' épanchent là où ils renconlrent des mystères eL des paradoxe , sachant bien que la sagesse, c'est-à-dire la science des causes ne git pas à la superficie, et que l'ignorant seul ne trouve ni mysU'res, ni para- doxes dans Ie chemin de science. On peut dire d'eux comme des écrivains mystiques, qu'ils ont besoin d'êLre goûtés pour p,tre com- pris. (( Ð'aulre part, nous croyons que les censures adressées par l'ahbé Gadllel ne sont pas fondées, même abstraction faite de ce que nous venons de dh'e. II nOllS semble qu'en cerlains passages Ie docte censel1r n'a pas cornpris de quoi it est question, qne dans 374 CHAPITRE XII d'aulres, en isolant un membre de phrase du contexte, illui a laissé une crudilé d'expressions qui en fait réellement une erreur, 10rs. que l'aulel1r, par ce qui suit ou ce qui précède donne un vé- rilable sens à la pensée quïl \'eut exprimer. 8i Ie critique voulail exéculer sur quelqu'un des ouvrages de S. Augustin Ie travail ana- tomique qu'il fait subir à DonoHo Corlès, nous crayons que Ie sain t docleur s'en trouverait fort mal. )) La Civilta eattoliea, alors publiée à Rome par les Pères Jésllites, pour expliquer les propositions, hardies en apparr.llre, dp Donoso Corlès, proposail égalernent deux observations: (( D'abord, disait la Revue Romaine, Ie marquis de Valdegamas, doué comme ill'est d'une haute et vaste intelligence, d'un esprit ferme et résolu comme Ie sont d'ordinair'e les natures espagnoles, se trouve naturenement enclin à affirmer nettement ce qui lui pa- rail vrai; il doH être ennerni d'hésiLation e1 d'incertitudes qui ont parfois un effet de la prudence, rnais qui sou ven t au si son t l'in- dice d'une intelligence faible et limide. Voyant donc celle société qui l'entoure, travaillée pal'le doute, par Ie flux etle reflux des opinions, osciller perpétuellement entre l'erreur el la vérité, il a dû par une réaction nécessaire, sentiI' se fortifier et devenir encore pluB énergiques ses dispositions innées à la cel'li tude, à l'affirma- tion, au dogmaLisme et ayant à combatlre dans ses pcrils les scep- tiques et les libél'aux, il l1e s'est pas mis en peine de chercher dans les fausses doctrines ces vérilés fugitives et altérées qui accornpa- gnent toujol1rs l'erreur ; aux distinctions laboriensement élaborées de l'hornme qui discute avec rigueur, il a préféré les affirmations hardies, rnais nelles et précises, aUaquant ainsi ses adversaires de frunt et les terrassant par l'absolutisme de ses affirmations. Les ennernis qu'il avail à con1baUre niaient Dieu, ou, s'ils en adrnet- taient l'existence, ils l'exilaient pour ainsi dire de la création en expliquant tout par la seule inlervention de la nature eL de l'homme; et lui, il e t venu leur affirn1èl' que l'explication de la nature et de l'homme ne se tl'olIve qu'en Dieu et dans sa sagesse régulatrice des êtres et des événemenls. Le siècle incrédule auquel il s'adres- sait refuse de croire aux impénétrables mystères de la foi; iJ a voulu DONOSO CORTÈS 375 par des comparaisonB et des figures, rendre acceptable allX esprits rebelles, Ie plus profond et Ie plus auguste des secrets révélés: Dieu un et trine. A ceux qui nient l'existence de la faute originelle et l'infirmité de notrr nature, qui en est la peine, il s'est efforcé de pl'ouver que la première n'a rien de choquant puis(IU'eIle devient presque nécessaire à la manifestation des divins attribl1ls, et il a paru exagérer la seconde en disant que la nature humaine est dans tous ses actes esclave de la faute et de l'erreur. A ceux qui exaHent la liberté et l'indépendance de l'hornme, il a dit: <( Vnus n"êtes pas libres, mais esclaves La vraie liberté résido dans les saints, ùalls ceux qui usent de la force de la grâce pour se sou - traire à la possibilité de ]a faute )). Les miracles elles prophéties son1 relégués parmi les fables et ce qui devrait être un motif de croÜ'e est devenu une pierre de scandale ; à ceux qui sont dans ce cas il a dit d'une manière générale: C[ La religion du Christ n'la pas vaincu Ie monde paL les prophéties et les miracles 11. Ainsi l'ardenr de la lulle l'a. entraîné à quelques pas d'une grande hardiesse, et, pour êtl'e sûr de ne pas rester en deçà du but, il a paru quelquefnis Ie dépasser. (< A cette première raison, qui expliql1e les exagérations de l'il- lustre écrivain, ajoutons-en une autre qui est lrès vraie, et qui fera comprendre comment l'expression propre manque en certains pas- sages. Tout Ie monde sait qu'en pal'lant lips vérilés divinr 4"\t hu- maines, les anciens Pères, bien qu'unanimes dans la foi, n'onL pas toujours employé Le même langage pour exprimer les mêmes vé- rités; que les mêmes mots ont flU des significations diver'ses ehrz les différents auteurs, soil par La différence des temps ou des pays où ils vivaient, soit à cause des écoles de philosophie qll'ellx-mêmcs etleurs adversaires suivaient alors. soit que les explications dn dogme répétées ù'âge en âge rendissent nécessaire remploi de nouvelles locutions (Iue chacun adnptait suivant le besoin et les circonstances. Les conciles, par leur's définitions, ont ramené peu it peu l'uniformité dans lo langage scientifique ùe l'Eglise, et Irs docleurs de l'école ront réJuit à une précision pre que géolnétd- que. Dès lars, il a élé tacitement convenu entre les caLholiques ùe 376 CHAPITRE XII n'employer les mots scientifiques que dans Ie sens et avec la valeur universellement acceplée par les écoles, et de ne jamais viole I' cette règJe sans quelql1e raison, sans jamais Ie fai1'e sans en pI'évenir les lecteurs: sage et prudent conseil pour écarter ou rendre plus rares ùes disputes de lnots quand on est d'accord sur les idées. C'est pourquoi les hommes sages sont d'avis que, pour prof Her de la lecture des Pères, il fau t d'abord liI'e les docteul's qui ont enseigné dans les écoles. (( La Somme de S. Thomas, dit Ie savant Gerdil, est un chef-d'æuvre de Inéthode, d'ordre et de discussion, et l'abbé Duguet pense qu'il faut la lire ayant de se livreI' à la lecture des pères. Les maLières les plus difficiles y sont traitées avec to ute la clarté dont .eUes sont susceptibles et dans les termes les pIllS propres à préciser la doctrine, à em- pêcher les esprits d'aller au delà des jusLes lÌInites. Si certains docteurs qui sont venus dans la suite s'éLaient astreints au langage rommunément uRité dans les écoles, on n'aurait pas vu tant de malheureuses disputes, qui ont fait un grand tort à la religion (1). )) Or il nous spmble que Ie défaut de ces études scolastiques auxquel- les peut difficilement se IÏ\Ter un laïque, diplomate et publiciste, a été la vérilable cause de ces locutions impropres que 1'0n ren- contre dans l' E'ssai, et qui, après tout j ne sont pas rares 'même dans les écrits de bien des gens qui ont fréquenté les écoles. A part ces études particulières, éll'angères à son état, Ie marquis de Valdegamas, autant que Pon peut en juger pal' son ouvrage et par certains passages d'l1ne de ses leUres, sOest nourri de la lecture des Pères, il s'en est approprié la substance, et ses écrits portent l'em- preinte des locutions, des figures, des comparaisons qui étaient en usage de leurs temps, alors que ]e langage théologique n'avaiL pas encore atteint cette unité et ceUe perfection qu'il a eues depuis. En fait, nous croyons pouvoir dire sans trop de témérité que tou- tes ou presque toutes les expressions relevées par son critique se retrouveráient facilement, sous une forme semblable on équiva- lente, dans les écrits des anciens docteurs les plus célèhres. )) (1) GERDlL Opere, 1. I, p, 252, éd. de Rome, 1806. " DONOSO CORTÈS 377 Pour juger la valeur de la critique orIéanaise, nous crayons qu'il ne faul pas seulemenl se référer aux observations préjudicielles de I'A1 monia etdelaCivilta. On peutencore examinrr les observations en détail et s'assurer, sans peine, de leur peu de fondement. Les ca- tholiques ont eu quelquefois pour devise: Dieu et la libe1 lé. Sur ces deux pointscapitaux, voyons lesobjections de l'abbé Gaduel e1 mon- trons qu'elles reposenl sur Ie sophisme qu'on appelle, dans l'école, Ign01 atio elenchi. Le critique reproche à notre auteur d'avoir dit: (( Seul, Dieu est e créateur de tout ce qui existe, Ie eonservateur de tout ce qui subsisle, el Pauteur de tout ce qui arrive, comme on Ie voit par ces paroles de l'Eeelésiastique : Bona el mala, vita et mors, pauper- tas et honestas, a Deo sunt. C'est pOLlrquoi S. Basile dit qu'attri- hueI' tout à Dieu, e'est Ia somme de toute la philosophie chré- tÏenne. >) Le censeur, en rendant justice aux intentions catholiques de l'auteur, affirme que (( ces lignes ÊXPRIMENT (les majuscules ne sont pas de nous) Ie fatalisme Ie plus eru; en faisant Dieu auteur de tout ce qui a1 1 ive, elles Ie font par conséquent auteur du péché )). Or, à cel endroil Bolre auteur s'altache Ù démonLrer dans une longue suite de pages que (( les choses de l'ordre naturel, celles de l'ordre surnaturel, el celles qui, sorlant de l'ordre cornmun, natu- reI et surnature1, s'appellenl et sonl miraeuleuses, onl, sans cesser d'être différentes entre cUes, puisqll'elles sont gouvernées et régies par des lois difIérenles, ce caractère commun qu'plIes sont sous la dépendance absolue de la volonté divine )). Et cela pour faire voir que les miracles, loin d'êlre absurdes pour Dieu, lui soot chases égaies et communes, con1me tous les autres actes de la Providence. Par exemple, que les fontaines eoulent que les arbres portent des fruits, elc., ce sont là des faits qui attestentla souveraine puis- sance de Dieu, tout aussi bien que la résurreclion de Lazare, elc. Dans lout ce passage, il n'y a pas même un mot qui se rap- porte au mal m01 al. D'ailleurs, Pécrivain parle dans Ie sens de fEcclésiastique et de S. Mathieu qui, cerlainement, ne soot pas suspects. Ainsi ces paroles qui exprimenl Ie fatalisme Ie plus cru 378 CHAPITRE XII et qui font Dieu auteur du péché sous Ia plume du censeur, sont une vérité lrès simple sous la plume de l'auteur. Voilà pour Dieu, voici pour la Iiberté. Le censeur déclare Ie passage qui en traite, absolument faux, tendant au baianisrne, au iansénisme, au calvinisme et au luthél'ianisrne, el il a besoin' de se retenir pour ne pas Ie d clarer hérétique. Or, voici ce passage, où I'auteur, cherchant queUe est l'essence intÙne de la liberté, s'ex- prime ainsi: (( Abordant la véritable question qui est Ie sujet de ce chapitre, je dis que l'idée qu'on se fail généralement du lihl'e arbitre est fausse de taus points. Le libre arbitre ne consiste pas comme on Ie croil communément, à choisir enlre Ie bien et Ie mal, qui Ie sollicitent par des sollicitations 'conlraires. Si Ie libre arbilre consistait dans ceUe facuIté, il s'ensuivrait forcénlent deux consé- quences, l'une relative à l'homme, l'autre relative à Dieu, toutes deux d'une absurdité évidente. Quant à ce qui touche l'homme, il est manifesle que plus il deviendrait parfait, mains il serait libre, puisqu'il ne peut grandir qu'en' s'assujetlissant à l'empire de ce qui Ie solliciLe au bien... )) Il s'ensuivrait en second lieu que: (( Pour que Dieu fût libre, il faudrail qu'il pût choisir enlre Ie bien et Ie mal, entre Ia sainteté et Ie péché. )) On voit par là que l'auteu,' attaque ce préjugé vulgaire qui fait consister la liberlé dans la possibilité de pécher au de ne pas pé- cher. En quoi il n'affirme rien d'étrange; il ne fail que répéter ce que disait autrefois S. Augustin contre Julien: voici les paroles d u saint docteu r: (\ Tu dis : Ie libre arbitre n' est au tre chose que la possibilité de pécher ou de ne pas pécher. Par cette définilion, lu enlèves Ie libre arbitre d'abord à Dieu lui-même... ensuite it ses saints, qui dans Ie ciel ne pourronl plus pécher (1). )) S. Anselme faisait la mênle observation dans son dialogue snr Ie libre arbitre. Interrogé par un de ses disciples, Ie maitre répond : Je ne pense pas que Ie libre arbitl'e consiste dans la puisRance de pécher ou de ne pas pécher: Libe1'talem ar'bilJ'ii non plllo es e potentiam peccandi et non pfccandi. Et quelles raisons apporte-t-il (1) S. AUGl"ST., Op, cont. Julian., lib. VLn o 80. DONOSO CORTÈS 379 pour délruire ce préj ugé ? Les mêmes que }I. Ð0l1oS0 Cortès : (( Si cette définition était vraie, ni Dieu, ni I'ange, qui ne peuvent pécher, n'auraienl Ie libre arbitre, ce qu'on ne saurait soutenir sans im- piété... la volonté qui ne peut s'écarler de la loi est plus libre que celIe qui Ie peut (1) )). S'élevant ensuite à l'idée générale et première de la liberté, l'au- leur dit qu'elle ne consiste pas dans la faculté de choisir (sous-en- tendez entre Ie bien elle mal, com me il est expliqné ci-dessn et répété rnsuite plusieurs fois), mais dans La faculté de vouloÙ', (a- cult,; qui suppose celle de co'm71rend1'e. Ð'où i1 lire cette conséqupnce : (( Si la liberté consisLe dans la facullé d'entendre et de vonloir, la liherté parfaite consistera dan la perfection de l'intelligence et de la voIonté; ór Pintelligence n'est parfaite, la volonlé n'est parfaile qu'en Dieu seuI, il s'ensuit donc nécessairement que Dieu seul est libre )). Puis il conclnt : (( La faculté octroyée à l'homme, loin d'êh'e la condition nécessaire de la liberté, en estl'écueil, puisqu'en elle se trouve la possibilité de s'écarter du bien et de s'engager dans l'erreur, de renoncer à l'obéissance due à Dieu e1 de tomber entre les mains du tyran. Tous les efforts de l'homme doivent tendre à réduire au repos, avec l'aide de la grâce, cette faculté, jusqu'à la perdre entièrement, si cela était possible, en s'abstenanl conti- nuelLemellt d'en faire usage... Voilà pourquoi aucun de ceux qui sont vérilablement heureux n'a celte faculté de choisir entre l'er- reur et Ia vérité, enlre Ie mal elle bien, ni Dieu, ni ses saints, ni les chæurs de ses anges )). Or, dans lout cela, si on veut Ie comprendre comme il faul et sans y metLre une excessive rigueur, nous ne voyons qu'une doc- trine orthodoxe, Que Ie libre arbitre ne soit pas une facuHé dis- tincte de la volonté, saint Jean Damascène raffirme: Libn'um a1'- bit1'Ùan nihil alilld est quam voluutas (2) et saint Thomas l'accorde. Que la pos ihililé de pécher soit une imperfection et que rhomme (1) S. ANSEL. Dial. de lib. m'bit. (2) De fide orthodoxâ. lib. III, cap. XI \'. 380 CHAPITRE XII doive l'affaiblir en lui. même en s'abstenan t d'en faire usage, c'est chuse aussi cerlaine que l'impeccabilité de Dieu e1 des saints. Mais si ceUe n)anière de voil's'accorùe avec la pensée commune des docteurs, comment se fait-iI, dille critique, que l'écrivain combaUe une erreur vulgaire? La réponse est facile. Dans tout son livre 1\1. de Yaldegamas ne combat pas les écoles catho]iques, rnais les libéra ux et les soci alistes don lIes idées, person ne n 'en doute, sont singulièremenl obscurcies sur ces matières. II y a plus; quelques lignes avant d'enLrer dans cette discussion, l'au leur pro.. teste qu'il ne fait que suivre les maìLres catholiques négligés et ignorés de ses adversaires : (( Ces questions, dit-il, occupèrent tou- les les intelligences dans les siècles des grands docteurs. Elles sont dédaignées aujourd'hui par les imprudents sophistes dont la main habile ne pou rrait pas soulever les annes formidables que maniaient avec tant d'aisance ct d'humilité, ces puissants génies des âges catholiq ues )). La pensée de l'illustre écri vain devien t en- core plus manifesle par l'exposé d'une seconde erreur qu'il combat avec la première et qui consisle à croil'e, COll1me quelques-uns Ie font, que la liberlé et l'indépendance absolue ne ðont en réalité qu'ulle même chose: ceLLe opinion ne règne certainement pas ùans les écoles orlhodoxes, el eUe fail voir quels adversaires l'auteur 8'est proposé de combaUre. AjouLez que I'on pouvait sans trop s'éloigner de la vérité, dire que, même parmi les catholiques (nous parlons de ceux qui sont étr'angers à la science de I'école), il u'esl pas rare de renconlrer des homines qui regardent la faculté de choisir entre Ie bien et Ie mal COInme essrnlieHe à la liberté, con- fondant ainsi un fait universel dans ceLte vie d'épreuve avec les conditions essentielles d'une perfection qui doit convenir à tOllS les êtres in.lelligen ts. Si )a liberLé n'esl pas une puissance distincte de la volonté, si elle est la voJonté eUe-même, la Iiberté dès lors se concilie avec la. grâce nécessitante de Luther, de Calvin, de Baius, de Jansénius, poursuille docte censeur. A cette difficulté on peut donneI' plu- sieurs solutions; mais la plus simple et la plus catégorique est celIe que Donoso Cortès apporte lui-même vel'his amplissimis, et DONOSO CORTÈS 38i qui n'aurait pas dû échapper à l'æil cxercé de l'én1inent ecclésias- tique: (( D'autres prétendent ne pouvoir com prendre comment la grâce, par laquelle nous avons été remis en liberté et rachetés, se concilie avec cette liberté et ceLLe rédemption. Illeur semble que dans ceLte opération myslérieuse, Dieu seuI agit et que l'homrne n'y joue qu'un rôle passif; mais en cela ils se trompent com plèle- ment: ee grand mystère exigr Ie concours de Dieu et de l'homme ; il faut coopération de celui-ci à l'action divine, De là vient qu'en généraI et selon l'ol'dre ordinaire, il n'est accordé à l'homme d'au- lre grâce que celIe qui suffil pour mouvoir la volonté par une douce impulsion. Comnw s'il craignait de lu.i fa11'e violence, Dieu se eontente de Ie solliciter' IJar d'ineffables appels. De son côlé, q uand il se rend à cet appel de grâee, l'homme accourt avec des mouve- ments d'une joie et d'une douceur incomparables; et, Jorsque la volonté de rhomme qui se complaH à répondre à l'appel de la grâce ne fait plus qu'nne avec la volonlé de Dieu qui se com plait à Iui faire entendre cel appel, alors de suffisante qu'elle était. elle devient etficace par Ie concoul'S de ces deux volonLés. (( En expli- quant ainsi l'accord de Ia grftce et du libre arbitre, l'illustre auteur expose celui de to us les systèmes ealholiques qui favorise Ie plus la Jiberté et s'éloigne davantage des doctrines condamnées dans Ies hérétiques nommés lout à rheure. Exclure de la liherlé de l'homme mortella possibilité de péeher, n'est-ce pas une erreur monstrueuse, dit encore Ie docte censeur, et ceUe erreur ne ressol,t-ellp pas de la doctrine émise sur Ie libre arbilre ? )) 1\1. de Valdegamas a prévu cette difficuIté et il y a ré- pondu Ini-même lorsqu'il a éCl'it que l'homme ne serait pas [ibl e s'il ne pOllvait choisÙ' ent1'e le hien et le 1rl,al ; que sans la possibilité de filal faire la lihe-rlé humaine serait inconcevable ; propositions qui eonlienncnt el exagèrent jusq u'à un certain point une doctrine diamélralement opposée à ceJIe que l'on impute à l'auteur en vertu de ses définilions précédenles. Quel peut done être en lout eela Ie tort du grand éCl'ivain ? Nous l'avons déjà dit : son unique tort, si ['on pellt apl}(i[el> cela un t01>t, est d'avoil' pmployé des expres- sions eL des manières de par!rr qui s'élnigncnt queIquefois des 382 CllAPITRE XII locutions aujourd'hui en usage dans l'enseignemenl des écoles, locutions plus familières au savant professeur d'Orléans que celles dont se servait rantiquité chrétienne. Nous ne pousserons pas plus loin cet examen. n a été fait, en France, une édition de l'Essai, par Melchior Dulac, rooacteur de l' ffnive'J's. Dans cette édition, des notes, placées au bas des pages, répondent à toules les observations de l'abbé Gaduel. De toutes les criLiques par lesquelles Ie vicaire général de Mgr Dupanloup préLendait que l'ambassadeur d'Espagne était fataliste, baïaniste, jünséniste, calviniste, lulhérien, antitrinitaire, etc., il ne reste rien, sinon la preuve que l'abbé Gaduel est un esprit extraordinai- rement faux ou un censeur'remp1i de mauvais vouIoir. On remar- que mêrne que lui, qui se donne pour un maître ùans la science sacrée, n'est pas à l'abri des censures qu'il veuL infliger aux au- l1'es. Par exemple, en parlant du my tère de la Sainte- Trinité, il enseigne que ) L'écriL de Donoso CorLès, examiné par les juges ecclésiastiques, DONOSO CORTt:S :J8õ rut donc déc1aré non coupable ; et ce même livre, déféré au tri- bunal de I'lndex, non seulement en sortiL indemne, mais l'affaire fut vidée par la question préalable, sur une ordonnance de non- lieu. L'ouvrage par la recommandation du Pape fut même exa- miné dans la Civilta cattolica : Ie résullal de cet examen fut que Ie livre n'élait pas souillé pal' mille et une hérésies ; qu'il devait, au contraire, en des jours si profondémenl troublés, noos offrir conlre Ie libéralisme, une digue, et, pour la société, un moyen de alut. En présence de ces jugements réilérés, toujours concordanls, de la critique et de rEglise, que deviennent les accusations du vicaire général d'Orléans? - L'accusateur, du resle, ne fit aUCl1ne réparation au marquis de Valdegamas: l'ém ule des Bonald et des. de Maislre descendit dans la tom be, sans avoir reçu, des catholi- q ues libéraux, au tre chose que de miséra hies et ineptes injures. Personne, parmi les lectellrs, n'en éprouvera Ia moindre sur- prise. C'élait, pour ces apprenlis seclaires, un parti-pris d'écraser tous ceux qui ne cédèrent point à leurs séd uctions ; d'oublier lous les génies dont les æuvres conlredisaienlleur erreur ; el d'exalter parmi les conlemporaios, cenx-là seulement qui porlaienl Ie signe Oc la bêle Libél'ale. Jamais on ne pI'atiqua rnieux Ia devise de loutes les coleries : Nul n 'aura de l'csprit, hors nOllS et nos amis. Le temps a passé sur ces prétenLions. Les ou bliés et les òédaignés, les Balmès, les de Maislre, les BonHJd hrillenl de l'éclal d'une gloire incontestable; les Donoso Cortès, les Veuillot, les Gaume n'ont rien perdu aux procès qui devaient les ruiner; les Dupanloup et consorls sont fort avariés au milieu de leurs æU\TeS tumultl1ai- res, plus ou moins délnstrées. Je ne pense pas que pm'sonne puisse ( lre troublé dans son sommeit par les IHuriers de Gaducl, critique de Danoso Cortès, censeur des évt>qucs infaillihilisles au concile et pl'obablemcnt I'un des types Ie::; plus nbsurdes JII dix-neuyi(ìme siècle. 5 CIIAPITHE XIII LES PROCr;:S DU .JOURNAL L' (( V IVERS >>. La presse a {>Lé appelée souvenlie quatrième pouvoÜ' de l'Etat. Dans la Société telle que les événelnents ront faile et que nos mu urs la comportent, on peut dire que Ie journal a remplacé Ie livre, et que sous ceUe forme de journal quolidien, la pre sse n'est pas la qualrième, mais la premiòre puissance. Le journalisme fait l'opinion. l'opinion préside aux élections parlementaires, les élee- lions décident de la majorité des Chambres, la majorité fait les lois, les lois commandent au pouvoir. :Même dans les sociétés OÙ Ie pouvoir poliLique a l'iniliative des lois et la charge exclusive du gouvernement, il est influencé dans ses résolutions et ses ini- tiatives; el ]orsqu'il paraîl agir Ie plus par son propre mouve- menl, ne se déterminer que par sa propre prudence, il ne fait encore d'ordinaire que céder à rentraÎnement des esprits. Le jour- naliste, dans la Société contemporaine, est un prince; sa plump est un sceplr'e, souvenl méprisé, souvent brisé, mais toUjOU1'S re- doutable et toujours digne de l'être. Un tel crédit a dunné, à la presse, d'innombrables représentaul:;. Dans Ie monde. il se publie, ehaque jour, environ quinze cents gazettes, Ia plupart ilnpies, révolutionnaires, et au n1Ïeux, fort indifférenles en maLière de religion. II est done de la plus haute importance que la religion ail, dans la presse, des cham pions va- leureux et de solides défenseurs. Que Ie prêlre, que l'évêque même descende dans celte brÙlante arène, nuus n'y contrevenons pas, pourvu que Ie zèle ecclésiastique ne s'exerce que sur des objets assnrLis à sa condition e{ ne s'enlporte pac; au dplà des justes bor- ne . "üis qne Ie siulple fìdèle, dans ceUe carl'ière, ait au si sa place, nou IE' croyons indispensable. D'abord pat'ce que c'est LES PROCÈS DU .JOURNAL (( CUNIVERS )) 387 aujourd'hui un moyen de professer sa foi; ensuite parce que Ie fidèle, plus désintéressé en apparence, peut défendre la foi avec plus de crédit devant les laïql1es enfin parce que son conCOl1l'S est néces aire en certaines circonstances oil l'intervention du clergé est insuffisante, souvent même impossible. Sans prévenir sur les questions non définies Ie j ugement de I'Eglise, sans aspirer à de- venir, dans l'Eglise, une puissance envahisseuse el dominatrice, la pt'esse catholique a de grands devoirs à remplir. Nous pouvons ajouter qu'elle a su y faire honneur ; et de Chateaubriand à J. de l\Iaistre, de Bonald à Veuillot, nous pouvons ùire que l'apologéLi- que chrétienne a suscité des émules aux Juslin, aux Athénagore et aux Lactance. L'évêql1e d'Orléans, journaliste par nature, a compris ces cho- ses et payé souvent,de sa personne. '\[ais par une contradictioIJ difficile à expliquer, it a conçu contre ce f]uïl appelle une cel'laine presse, une animosité loujours croissanLe et poursuivi, conLee rhomlne Ie plus évidemment élu de Dieu pour défendre son Eglise avec une plume laïque, une série d'attaq ues allxquelles on refu- serait de croire, si l'incrédulitë étail possible. La uile de cc dessein esL une chose éll'ange, et, de la part d'un ancien compagnon d'armes, de la part d'un évêque, un acte aussi peu justiciable en principe que peu soutenable dans ses agrcssions réitérées. On a rarement affiché, avec plus d'audace, Ie projet d'exlerminer un homme par la force. Et eel homme, talent à part et abstraction faile ùe ses services, cel homme était un loyal chré- lien, un vaillant sold at de la Saintc Eglise, inlrépide comIne Du- guesclin, sans peur el sans reproche COInme Bayard. Non pas que j'impuLe it crime de légilime controverses. Ces choses sont de pJein droit, et quand l'homme s'y laisse un pen voir, il ne faut ni s'en étonner, oi s'en plaindre. Nous allons lrou- ypr, dans ce récit, quelque chose de plus. I. - Le lJ1'emier éclat de la passion bcllíquense contre Ie jour'- nail' Univers eut lieu à propos des clas iq lIes. L'évl'que d'Odean , par Ull acte ell fUl'lne de letLr'c au dil'ecLeun; tic ses petits élJli- naires, avail ùéfcnJu de ricn innuver òans la pratique sculail"c. :J8H CilAPITRE XIII . Par défaut de pI'pambule et de disposiLif, cel acte n1anquaiL des conditions ordinaires des acLes épiscopaux. Sauf Ie litre joint à la signature de J'auteur, cetle leUI'p, par son objet et par les consi- dérations qui la rrmplissaienl, n"était qu'un article de journal; elle pouvait faire Ioi dans Ie diocèse du lwélat signataire, non au dehors; d'aulanl que. pnbliée en la forole orrlinaire de brochure et reproduite dans les jouI'naux, eUe perdait son caraetèl'e primi- tif, sa raison inlent.ionnplle. pour ne représenter plus fJu'une opi- nion contestable. Ou si ron voulait lui donner force de loi, il fau- drait dire qu'une lettr'e puhliée à Orléans par l'évêque, sur peu imporle queUe conlroverse, aurait pour effet nécessaire de tran- cher la question dans I' Eglise uni vel'selle et d' en Sl1 pprimer par suite la discussion. Le pape rl'Orléans aurait parlé, Ia cause serait tinie. L'Univers se erut en droit de discuter lè opinions de fgl' Du- panioup sur l'emploi des classiques ; il contesta, en eIfet, et avec heaucoup de raison, plusieurs arguments du prélat, et prétendil même que l'évêque n'avait pas abordé la vraie question. Ce fai- sant, il se bornail à soutenir Ie sentiment d'autres évêques, à maintenir Ie droit de la presse, à défendre aussi. croyons- nous, les intérêts de l'éducalion chrétienne. L'évêqne d'Orlans crut voir, dans les articles de l' Un;vers : 1. 0 nne agression con t re son an tOl'ité; 2 0 une usurpation qui iraiL à établil' dans l'Eglise, en dehors du Saint-Siège et de l'épiscopal un .fJouvernement la'iql.le ou p1'esuyté- 1'ien (1) ce qui seraiL Ie renversement des principes les plus certains e1 des règles les plus incontestées de la hiérarchie. Pour pr'éserver . les séminaires diocésains de l'int1uenee d'l1n enseignemenL illégi- lime el dangereux, l'évêque protesta done conLr'e les témérilés de l' Univers el à la suite d'un long mandement oÜ il piéLinait ses adversaires de Ia plus belle façon, il défendit la lecture de cejour- nal. Puis, dans Ie projet de déclaration soumis à l"épiscopat fran- çais, il introduisit un article dont l'effet prémédilé dcvait êll'e òe faire supprimer partout I' Unive1's. L'idée que I' Unive1's eût voulu établir, dans l'Eglise, un gouver- nrment pTesbyth'ien et même laïquf' pst une imputation excessive LES PROCÈS DU JOURNAL (( L'UNIVERS )) 389 qui ne lllérile aucun examen. Le reproche d'allaque à l'autorité de l'évêque n'a pas meilleur fonJemenl: il ne s'agissail pas, dans la controver:5e, du règlernenl des éminai1'es d'Orléans, mais de la question bf'aucoup plus gén( rale et plus libre des classiques. Sur cette question générale, l'évêque avaH opéré librement: il élait loisible de Ie conll'edire, et, B'il s'était trompé ce n'élait pas lui n1anquel" d'égard, que d'en fournil' la preuve. Oil en serait-on, si I'on étaH coupaLle de vuuloir tout démolÜ' POUI' cel eul qll'on accuse un dissenlimenl? Dans une Ietlre au prélal accu aleur, Veuillol écrivait : (( Je n'avais vu, dans votre leUre, qu'une æuv('e de polémique, une opinion parlicnlièl'e t.'ès animée et très agressive, sur une ques- tion controver ée. Daignez remarquer que ce document a été livré à la publicité ]1al' un journal de Paris qui l'eçoit vol'ì'e dÙ'ection ; que d'autres journaux l'onl reproduit, commenté, invoqué avec force conlre la Lhèsc que nous avions défendue. J'ai c.'u qu'il étail perm is tIe Ie disculer, comme il élaÏl pennis de c01nbattre la lhèse contraire malgi'é l'aulo1'ité que lui donnaH Ie patt'onage public de deux éluinents prélals. Si j'ai franchi La lin1ÍLe d'une liberlé que l'Eglise n'inlerùit guère aux sirnples opinions, c'est POUI' Ia pl'emière fois et par erreur. Mais à tout prix el de loule ma force, je protesle conlre l'accusalion de déloyaulé el de ca- lomnie. Jamais, depuis ({ue je suis chréLien, je n'ai élé déloyal dans la discussion contre personne, it plus forte raison conLre. un évêque. (juant à l'accusation si douloureuse d'avoir calomnié, elle ne serait accueillie devanl'aucun tribunal, pas même devant ceux qui ne jugent que les acles exlérieurs, encore moins devanl celui qui connaìL les C(BUrS el les pensées )) (1). L'évêque d'Urléans, en frappant l' UniVf)]'S el en con pirant sa perte, avait éddemment excédé son droit el dépassé La mesure; iL s'était mêlne donné, fort à son ai e, les lorts qu'il imputail it ses anciens compagnons. Aussi fut-il l'f'jeté avec perte pal' plusieurs de seR collègues dans l'épiscopal. (( lalgl'é ses écarts, écrivait l'ar- (I) VEUILLOT, j}[l'lan[]l's, 2 e sérip, t. I, p, 'f.H3. 390 CHAPITRE XIII chevêque d A vignon, la presse religieuse a rendn et pent rendre de prl;cieux services; la défiance solennellement prononcée contre eUe ne fournira-l-elle pas à la mauvaise presse une occasion de triomphe et d'applaudissemenls humilianls pour l'épiscopat? N'étoufl'era-t-elle pas des dévonemenls qui eussent élé d'uLiles auxiliaires, dans ce temps oÙ la cause de la religion n'a pas trop de tonles ses forces vives? Puis ces sévérilés contre la presse reli- gieuse ne donneront-elles pas prétexte de dire qne l'épiscopat n'a de vigueur que pour sontenir ses prérogatives, tandis qu'il se tail sur les aUaques incessantes et violentes d'une autre presse conLre les dogmes de I'Eglise et les dr'oits divins du Souverain Pontife?.. )) (1). Dans sa réponse à plusieurs évêques, l'arehevêque de Reims, pal'lant de l'évêque d'Orléans, disait: (( Ce zélé prélat, ayant donné un agenda aux professeurs de son petit séminaire, dans une leltre épiscopale concernantl'usage des auteurs païens, a eru devoir altaquer les opinions de M. l'abhé Gaume, il était dans son droit. l\Iais il ne pouvait avoir la prélention de rendre ses propres opinions obligatoires. L' Unive'J's pouvait done continue'J'la polémique sur la question générale, en l considérant eOlnme une controverse libre. Le sentin1en t d'un é\Têque, quoique manifesté dans un aete officiel, ne peut ser\Tir de loi à ceu::\. qui sont étl'angers à son diocèse ; on peut seulement exiger que la règle de conduite qu'il trace à ses diocésains soit r'espectée par eux, tant qu'elle n'esL point improuvée par une autor'ilé supérieure. Or, l' Univers, Lout en disentant les opiniuns de l\lgr Dupanloup, n'a point blÙrné l'aele offieiel émané de l'aulorité de l'évêque. Cependant, l\1onsei- gneur publie son mandemenl eontre l' UniveJ's, en accusant ce journal de youloir diriger les évêques ou entravpr l'exerciee de 1(' ur j uridiclion )). V oilil po,ur racte de l' évêq ue, voici pour la j uslification de l' U- niveJ's: (( Je convicns, continuaiL Ie cardinal Gousset. que l' Un i- ver. a des rlpfauls. jlais si on peut lui ['eprocher d'être trop (I) 01'. dt., p. 311. LES PROCÈS DU .JuURNAL (( L'UNIVERS )) 3 H. ardent, ne peu t-on pas reprocher à d'an tres ,]ourn3.ux, d'aillel1fs estimablcs, de ne pas l'êlre assez, ou de confondre la prudence avec Ia peur, la modéralion avec Ia faihlesse. Et puis, convienl-Ïl il un évêque de tend're la lnain aux ennemis de la religion, en di- rigeant ses coups contre ceux qui, étant animés d'une foi vive, la défendenl courageusement, parce qu'il arrive à ceux-ci quelque- fois d'aller lrop loin et de nc pas conserver toujours, dans la chaleur d u conlbat, le '1node'ramen inclllpal f' l ul elæ? N e serait-ce pas un scan dale si nous nons montrions moins lolérants envers les écrivains qui prennent la défense de l'Eglise qu'envers ceux qui attaquent ses institutions? Le Saint-Siège condamne les mau- vais livres, nlais il les condamne lous sans acception de per- sonne. Que chacun dune prenne dans I' Univcrs ce qui lui convient, en tolérant ce qui ne lui convient pas, chel'chant à Ie redresser par des avis 0 u par la discussion s'iL le j llge à pl'OpO , tan t qu'il ne s'écarLe pas de l'enseignement caLholique : mais qu'on n'oublie ni de parl ni d'au lre ceLLe rnaxirne si conforme it l' esprit de l'Eglise: In necess(o'iis unitas, in dubiis libel'las. in omniúus rha- 1'itas )). Avant de poser la plLlIne, Thomas GOl1sset dénollçailla trame ourdie et Ie motif qui en inspirait les ardenrs: (( Je finirai, disait-iJ, par une pensée qui est peut...être fausse, mais queje ne crois point léméraire. La polémiql1e sur l'usage des classiques n'est pillS 'lu''llll ]J1'éleXle pour plusieurs adversaires de l' Univers. On veut {ai1'p f01nhe1' ce journal parce qu'il est it la fois plus {m'l que la pluparl (Ies au tres j Ol1rnaux religieux et plus zélé POIU' les doctrines 1'onzoi- UPS, travaillanl à resserrer de plus en plus les liens qui unissenl les Eglises de Fl'ance à l'Eglise romaine, mère et maîtrrsse de Lou- tes les Eglises )) (1.). Sur ce coup monté contre l' Un1've1's, l'év( que rl'Arras, Pierre- Louis Parisis, écrivait à son lour au redacleur en chef: (( D'ahord je serais très surpris que vous puissiez êtl'e condamné pour une opinion parfaitement libre sur Iaquelle jamais l'Eglise ne s'est en (I) Mélp,nyes, '!c série. t. [, p. 5U;2. 39 CHAPITRE XIII aucune façon prononcée: et je ne veux pas vous dissimuler ql1'à. Inoins J'une improbation quelconql1e du Saint-Sipge, ceUe opiniun re::-;lel'a la Inême, q uoiq u'il arri ve. (( Ce qui me fait croire que lous les évêques, quel que soit leur sentiment personnel, se monlreront très réservés, c'esl que voLre condamnation serait Ie triom phe de tous les journaux ÏlTéligieux, qui représenLent au plus haut degré les ennemis de Dieu pt de l'Eglise. C'est vraimenl un grand honneur pour vous de les avoir vous-même pour ennemis. (( Quant à l'existence de \'oLre feuille, je la regarde comme un bien pour la religiun. Je ne me suis jamais dissimulé \'os torls et je H.e vous les ai pas cachés à vous-même; mais les services que vaus avez I'endus sont incomparaLlement supérieurs à vos fautes. D'ailleur , qu'avez-vous besoin de mon témoignage, après avoir reçu, il y a peu d'années, dans des circonstances non moins criti- ques, des gages si précieux de l'estime et de la satisfaction du prince (1f s pasteurs. \( Je regal'derais la suppr ssion forcée et m<.'\me Ia suspension volonLaire de yotre feuille comme un malheur pour Ia cause catho- Iiqlle: non, sans doule, que PEglise ait besoin du journalisn1e, ce qu'il est fort inutile de répéler sans cesse, mais parce que Ie jOl1r- nalisme catholique est une arme tout à fait adapLée aux nécessi- tés des circonstances vraiment exceptionnelles dans Iesq uelIes nous vi vons )) (t). En présence de raisons si décisiyes, de leUres émanées d'a uto. rités si hautes, l'orage soulevé contre l' Univer.f\ n'étail qu'une épreuve où Ie journal devait puiser une foi plus parfaite. Mais, pour l'agresseur, ce n'était qu'un coup manqué et ce fut parlie remise à la première occasion. II. - En 1850, Ie rédacteur en chef de l' Univers avait entrepris la publication d'une petite Bibliothè(l',e nOllvellp pour' la propa- ganJe. Avec Ie COnCOl1fS d'écrivains honorablelnent conn us, iI se proposaiL d'offrir au public de petits volumes dont chacun de- (1) Op. cit., p, 512. LES PROCÈS DU JOUHJ\AL (( L'UNIVERS )) 39:1 vait être, (( pour la science, une introduction nette, précise et suffisamment étendue à. des connaissances plus \'asles; pour la liltérature et la philosophie, une ex position solide des princi pes; pour l'histoire, Ull résurné exact des faits )). Les écrivains qui avaient promis leur concours elaienL Louis Rondu, évêque d'An. necy, dom Guéranger, abbé de Solesmes, dom Pitra, religieux bé nédictin, l'aLbé l\Iartinrt, dortenr en lhéologie, Tbéophile Foisset, Paul Lamache, Melchior DuJac, Léon Aubineau, Roux-Lavergne, l'abbé Darras, dont il sutlH de citer les noms. Par cette entreprise on voulait, avec des livres consciencieux, mis à la porlée de tou- tes les intelligences et de tou1e5 les bourses, aplanÏr' l'effrayant amas de préj ugés et de rnensonges que trois siècles d'erreul' avaient élevé entre les regards de l'homme et l'æuvre de Dieu. Certes, l'æuvre était louahle et, d'avance, elIe a\'ait obtenu, avec l'approbaLion de plusieurs évêques, les sympathies du public. l\Iais, il faul I'avouer, une telle entreprise émut l'espl'il de l'abbé Gaduel, vicaire général d'Orléans. Lui, dout Ie patron n'était ha- bituellement environné que de laïques, éminellts sans doute, rnais sans caracLère dans l'Eglise, ne pouvait se faire à lïdée de voir des laïques en1reprendre une æuvre de défense con1mune. Dans des articles de journaux, - l'abbé Gaduel avait son journal, - il parJait de ce dessein avec épouvante, avec indignation, avec mo- querie. A l'elltendre, un n'avait jamais rien enLrepris de si témé raire ; et ce n'élait pas Ie nloindre de ses arguments pour prouver que les laïques étaient en train de tout perdre. Quoi! Parce que des laïques écriraient à l'adresse de la classe dite éclairée, des livres de propagande ; parce que celui-ci montre- rait Ie rôle général des saints dans la vio sociale et politiqlle; parce que celui-Ià, traçant un apel'çu de l'histoire de la Papauté, s'effol'- cerait de neutraliser 'espril faux et passionné d u judicieux Fleury; pal'ce qu'un troisième décril'ailles fêtes et -cérémonies de l'Eglise et ferait voir comment chaque heure et chaque action de la vie chrétienne peuvent êLre sanctifiées; parce qll'un quatriÙme racoo- teraH l"histoire des missions apostoliques et des ordres reljgieux ; parrf' qnr tou caux qui 'occuperaien' dr l'hislnire de\Taipnt :JH4 CHAPITRE IlI montrel' comment les nations ont grandi. comment elles onl décru, suivant qu'el1cs se sont rapprochées ou éloignées de l'Evangile, el indiqlìel aient, en s'occupant de schismes et des hérésies, la source de nos malheurs: pal'ce qu'à touLes ces æuvres populaires, on joindrait.. sur les leth es, les sciences el les arts, des écrit inspirés par Ie nlême sentiment, fauch'ait-il donc sériel1sement croiJ e que lout est perdu et que la religion va périr Ces pl'ésom ptions sont fausses el ces imputations misérahles. En présence dOune æuvre de propagande, 10rsql1e Ie sol se dérobe sous nos pas eL que Ie Lorrenl gl'ossit à vue d'æil, on ne peut s'atlendre à l'opposition d'un prêLre. Le seul reproche qu'un prêtre, vraiment animé de l'esprit apostolique, puisse se pernlellre décemmenl, c'est qu'on n'ait pas mis plus tûl la main à l'æuvre. La Bibliolhèque nouvelle publia incidemment un écrit de Donoso Codès contre Ie libéralisme. L'abbé Gaduel, vicaire général d'ür- léan , critiqua cel opuscule d'une manière encore plus im puisBante qu'indigne. Le rédacteur en chef de l' Univers, qui avait proyoq ué la rédaction de cel ouvl'age, crut devoir en prendre 13 défense. Dans ses arlicles, fort agréable[nent écrils et qui n'avaient, dans I' espèce, que Ie tort d'être trop décisifs, Louis Veuillot j ustifiai t Ie lJ'J'ospectus de la Bibliotlzèque nouvelle, et, par les ténloignages con- cordanLs de Bossuet, de Bourdaloue, de l\1gr Parisis el même de :\Igr Dupanloup, élabJissaiL Ie devoir, à plus forte raison Ie droit des laïques à défendre I'Eglise. Entre tßInps, Ie polémiste de l' Un i- ve1'S, Orléanais d'origine comme },Igr Parisis, plaisantaill'abbé Gaduel sur les mille el une hér'ésies que ce théologien, doublé de 'Vitasse, appelant forcené, et de Billuart, très digne de ne pas figurer en celle affaire, découvrait dans Donoso Cortès. (( Tant d'animosiLé contre les laïques qui se consacrent à la dtofen e (1(' I'Eglise, disait-il, avec une éloquente raiRon, nous parait un senti- ment si élt'ange chez un prêlre qne HOUS sommes lenté d'y voir ou run de ces travel':; d'espril qui ne ont susceptibles J'aucun re- dressement, ou l'un de ces travers de cæur qu'il faut souffrir en silence. On peut assurément faire peu de cas de nos services; il nous paraît impossible qu'on méconnaisse nolre honne voJonté. LES PROCÈS DU JOURNAL (( L'UNIVERS )) :J9i> Voilä vingt ans que l' Unive1's est sur la brèche. Durant ceUe longue carril re, ses rédacteurs ont dù faire des fautes; néanmoins, quoi- que ni les occasions ùifficiles, ni les adversaires, ni les ennemis ne leur aient manqué, iIs n'on1 élé repris à aucuu tribunal spirituel pour une erreur contre la foit à aucun tribunal civil pour une offense conlre les personnes. lIs n'ont rien cédé aux ennemis de I'Eglise, rien deInandé à ses amis. lIs n'ont brigué ni les emplois, ni les candidalures, on ne pent les oupçonner de courir les cano- nicats. Ils servenl une puissance qui ne peut rien pour eux, saur de bénir Jeur tombe, et ils la servent fidèlement. ,Malgré les défauts qui se mèlent à toul cela, comment tout cela ne touche-t-il point Ie cæur d'un prêlre? Que ce passé, à mesure qu'il se remplil des humbles feuvres que nons pouvons faire, no us signale chaque jour davantage à la haine et aux insultes de ceux qui haïssent et insul- tent par dessus tout ce que nous défendons, c'esl-à-dire l'autel et Je 'prêtre, rien de plus simple; mais comment expliquer que, parmi tant d'hoInmes ardents à nous diffamer, les plus ardents soient les prêlres? Travers d'espril ou lravers de cæur )) (1.). L'abbé Gaduel prit feu; i1 déf ra à l'archevêque de Paris les cinq articles de ]' UniveÎ's ; dans sa lettre au susdit prélat, on lit: (( Sans discuter ma critique et sans paraître rnême s'occuper Ie moins du monde de la question doct'rinale, qui était ici la vraie et la seule question, Ie r{1dacleur de l' Univers a eu recours contre rnoi aux sa 'caS'nles, aux outrages et à la colo1nnie et il a entrepris de me livrer aux risées eL au mépris du public. Dans cinq articles, em- preints de taus les traits de la satire et de loutes les violences de la colère, i1 me représente, tantðt directernent, tantôt par des insi- nuations perfides, comme un mauvais prudent qui reprend aigre- ment les zélés; comme un hornme (rUn esprit 1npc!taul qui fait dr la caricature et s'occupe à plaisanter, à ril e el à s'égayel' au\': rtp- pens du prochain; cornme un prêtre à petites passions, à petits intérêts qui COU?'t des canonicals e1 cherche des abonnements à un journal; carnme un théologien don1les critiques, de nature à faire (1) VErILLOT. Jlélanyes, 2 e série, t. I. p. 283, 3H6 CllAPITRE XIII douter de sa con1pélence sur les lnatières qu'il traite, sont mani- festenlenl inspirées par la passion et par l'esprit de parti, ardent à diffamer les rédacteurs de l' Univers, parcc qu'i1s n'onl pas Iu 'Yitasse et Billuarl; qui montre béant Ie gouffre de l'erreur à quiconque n'a pas éludié au Inoins ces deux théologiens; qui fait un crime à l'auteur de r.t:ssni de s'ètre occu pé des intérêts de la religion el d avoir étudié les problt'mes politiques ùans leurs rap- ports avec la théologie; qui dissèfJue les écrits d'un grand chrétien pour en faire sorlil' adroitemenl UB grain d'hérésie; qui .voudrait faire passer pour héréLiques des hommes illustres el d'une foi pure, parce qu'il leur est échappé des expressions douteuses, inexactes ou qui ne sont pas selon In. rigueur de l'école ; qui pousse enfin la mauvaise foi jusqu'à faire de fausses cilations et à se fonder sur des textes lronqués, perfidemenl isolés ou artificiellpment rappro- chés, et loujours accompagnés d'une interprétation qui leur donne un sens tout différent de celui qu'ils ont dans Ie livre. ". )) L'abbé Gaduel conlinue ainsi à se peindre lui-même d'après les données plaisanles de Veuillot; il réussil tout j usle à faire douler encore plus de son jugemenl que de son goût. Puis, allan! c1'escendu, il déclare tout net que, dans sa personne, la théologie est aUaq uée, raiHée, persiflée. Enfin, IneUant les deux mains SUI" son cæur, il se dit aUaqué dans ses sentiments et sa réputalion. (( Homme, con- tinue-t-H, je pourrais sacrifier ma réputation; mais chrélien, je dois conserver l'honneur de ma foi prêtre, je dois faire respecler la digni lé de Ulon caraclère ; professeur. je ne dois pas me laisser suspecter d'avoir, pendant sept années, semé de n1auvaises doctri- nes dans deux diocèses. Vicaire général, je dois justifier et hono- rer la confÌance que veut bien 01 'accorder un évèque dont la foi et Ie tendre altachemenl au Saillt-Siège sont connllS de touLe rE- glise. C'esl pourquoi je défère ces cinq articles comme injurieux, comn1e diffamaLoires eL comme scandaleux. Je les défère à l'au- torité ecclésiaslique, parce que l' Cnivel's n'est pas un simple jour- naL politique. Enfin, je fes ùéfère au jugement archiépiscopal, parce que l'auleur est diocésain de Paris, parce que Ip journal Oll ils ont été publiés s'imprime òans cr dio ('('se, et parce q 11f" la can:::.e donl LES PROCÈS DU JOURNAL (( L'UNIVERS )) 3D7 il s'agil ici, n'étant pas de celles que Ie droit appelle rnajeurps, c'est à votI'e tribunal quIcHe doH ressorlir cn premièl'e ins- tance )). On voil que 5i Ie sulpicicn Gaduel, avait peu dresser nne lhèse ou improviser un article, il excellail à Ininuter une procédure. La forme est correcte, Ie fond se1111aisse à dé8irer. On comprend mal qu'un théologien reproche à un laïque de ne pas s'occuper de la question doctrinale : et on ne comprend pas du tout qu'un prêtre assez maladroit pour se faire battt'e comme journaliste, se COllvre de vingt qualités hors de cause ponr crier it la garde. Dans l'espèce, l'abbé Gad uel avail bien agi con1me vicaire-général, comme ré- pondanl de son évêque; mais enfin, il n'élaiL ni vicaire-général, ni professellr, ni prêlre, mais simpJement collaboraleur de l'A.1ni de la Religion el auteur d'articles OÙ il sonnait faux d'un boul à l'autre. Le jugement de l'autorité compétente en a fourni per- tinemmen t la preuve. La eule vengeance à Lirer de l'adversaire, c'était de raisonner contre lui el df raisonner victorieusemenL Pren- dre des poses et faire des phrases, s'exclamer et dénoncer, c'est trop laissel' voir qu'on est baUu. II eûL élé plus habiJe de se dissi- muler. Mais, autour du siège pontifical d'Orléans, un vicaire doH équivaloir au moins à un cardinal et jouir comme tel de certaines immunités. Avec l'esprit processif que voiIent trop peu les appeJs incessants à la chnrilé el que trahissent rlïntel minables quereUeF, on crut généreux, noble el grand, d'intenter un procès. Qualre ou cinq jours après qu'il eul reçn celte plainte, l'arche- vêque de Paris, larie-Dominique-Al1gl1ste Sibour, y fit droil par une ordonnance qui prohibait la lecture de l' Univers dans les communautés religieuses, défendait aux prêtres du diocèse de le lire, et, sous peine de suspense, d'y écrire et de concourir en au- cune manière à sa rédaclion. Le prélat défendait, en outre à l' Univers et al1X autres journaux religieu"X in1primés à Paris, de reproduire, en manière de qualificatifs injurieux, les termes d'ul- tramonLains et de gallicans. Les nlotifs de cefle sent nce, Ll'ès Ion... gue eL lrès yéhémente, rérligés paraìt-il par l'abbé Darboy, depuis archpvêqup. élalpnt, pn partie, emprl1ntés it In plainle de l'ahbé 39B CHAPITRE XIII Gaduel, en partie anx correspondances ùu préIat. L'archevêque y ajoulait la menace d'excornmunication si ies rédacteurs del' Univers se permettaienl de discuter cet acte. L' Univel's publia ce documpnt et Ie lendemain, sans daigner si- gnaler Ie hurlement de joie qui s'élevait dans toute la presse in- crédule, iL se cuntenta de déclarer que son rédacteur en chef étnnt à Rome, sanrait là ce quïl avail à faire el ne rnanqnerait pas de remplir pieusernent son devoir. Veuillot en appela au Sonverain Pontife. (( J'ai trouvé, écrivail-il de Rome, que la sentence de l\lgr Sibour, quoique rendue à l'oc- casion d'un fait particulier, eInb,'assait néanIIloins toull'espril et toute la carrière du journal; qu'elle établissait contre nous nne jurisprudence et llnejuslice qui seraient illusoires pour nous ; que, par le nombre, la généralité et la gravité des inculpations, Ie vé- nérable prélat, fermant lui-même la pOl'te à tout moyen terme, ne nous laissait d'autre parti honorable et chréLien à prendre, que de nous retireI' purement el simplement, ou de demander pure- ment et simplement à un tribunal supérieur l'annulation de son arrêl. Les raisons de conscience, tout à fait élrangèl'es à nolre an1our-propre et à noLre intérèl, qui nous ont obligés jusqu'à pré- sent de mainlenir une æuvre si cl"uellement con1hattue d'une part, mais d'aulre part si glorieusement appl1yée subsistent toujours. .Je puis vous assurer que ces raisons n'ont reçu aucune atleinte, loin de là, pal' tout ce que fai pu voir et entendre depuis que je suis ici. J'ai done assez compté sur volre dévouemenL POUI' prendre la résolu- lion de ne pas supprimer Ie journal. J'appelle au Pape de la sen- tence de Mgr l'archevêque. J'en appelle pour nolre hounenr et nutre liberté trap méconnus. Jugés par Ie pè.'e commun des fidèles, par la plus haute autorité qui soit sur la terre, nous saurons avec certitude ee que nous devons faire et nons Ie ferons aussitôt )). Ialgré la popularité qu'obtinrenlles actes de l'arche\'êque, sur- lout dans la n1anvaise presse, peut-t'tre même à cause des éJûges (Iuïb ohtinrenL, plusieurs prélats voulurent monlrer IÏntérêt quïls porlaient à une wuvre traitée avec trop òe riguel1r. L'évèquc ùe Chtllons écrivait : (( Le réòaeleur de L' Univers est un homIne ùe LES PROCÈS DU .JOURNAL (( L'UNIVERS )) 39U zèle et de probité ; il est homme de foi et homme rl'espriL CeUe dernière qualité, qui If' rend supérieur à teIs ou leis qui courent la même carrière, n'esl pas propre à Ie leur faire aimer ; il y a de }'homo1e partout et ici beaucoup )). L'archevêql1e d'Avignon, per- meltant, comme l'évêque de ChÙlons, à ses prêtres de continuer leur abonnement à r Univers, disait de cette feuille: << Les services incontestables ql1'elle a rendus à la cause catholique sont la garan- lie de ceux qu'elle peut rendre encore. A une époque OÙ tant d'élé- ments dissoIvants tendent à amoindrir l'esprit religieux, à étendre l'indifférence et à relåcher les liens de subordination à l'a.uLo- rité suprême du ;:;ouverain Pontife dans les choses spiritueHes, il nOllS paraît sage de conserver au clergé comme aux fidèles de notre diocèse Ie journal qui, depuis plus de vingt ans, soutient avec courage et talenlies grands intérêts catholiques )). L'appçl de VeuiHot et les dissidences publiques de l'épiscopaL posaienl done, devant Ie tribunal de rEglise, la question de l' Un i- vel's. L'Eglise ne tarda pas à répondre. Le 9 mars 1.853, Ie secré- taire des leltres lalines de Sa Sainteté, l\Jgr Fioranlonli écrivait au rédacteur en chef de l' Univel's: (( Je voudrai::;, en cetle circon - lance, relever et raffermir volre coul'age par la parole du Souve- rain Pontife. La réputation que vous ont fail la distinction de votre talen t et la sincé)'ité de votre dé\ ouement envers Ie Siège Aposlo- lique m'y portant d'aiJIeurs, j'ai résolu de vous faire connaître sans arrière-pensée mon jugemenl, quel quïl puisse êlre, SUI' yotre journal. Et d'abord tout Ie moude ici l'avoue et Ie reconnaìt: c'e L une résoluLion inspiI ée par Ia piélé que celIe que vous avez pri8c d'écrire un journal religieux, afin de soutenir et de défendre cou- rageuselnent la vérité catholique et Ie Saint-Siège. lais ce qui mé- riLe assurément une 10uange parLiculière, c'esl que dans ce journal vons n'avez jamais rien mis au-dessus de la doctrine catholique, vous appliquant en même temps à donner sur les autres la préé- 111Ïnence aux institutions et aux staluls de l'Eglise rOfilaine, à les défcl1(I,'e et hies soutenir de grand cæur et avec résoll1Lion. Ue lit vicn t que volre journal, à raison des Inatil'res qui sont I'objet de vos travanx. excite ici, COlumf' en France el dans d'anlrf' conlt'ées 400 CllAPITRE "\::111 étrangères, un grand intérêt, et qu'on le J'egw'de cmnrne l1'ès p'ro]J?'e à traiter les choses qui doivent l'êlre òans Ie lemps présent.. Ce- pendant les personnes qui tiennent fortemenL à f>ertains principe , à certains usages, à certaines coulumes, ne portent pas du loul sur votre journal Ie même.i Ut;emen t. Comme ils ne peuvent pas ?'e- jete1' ouvel'tement ses doct1 ines, ils cherchent, dep1lis bien longternps, ce qu'ils pourraient reprocher au l'édacleur et s'ils n'auraienl pas autre chose à reprendre que la vivacilé de son ]angage et sa ma- nière de s'exprimel'. Les rédacteurs d'aulres feuilIes, bien qu'elles soient religieuses, se monlrent éga]ement prêts et Hrdents à atta- queI' votre journal selon l'occasion et avec violence. II en résuIte qu'ils font pénpt1'e1' peu à peu la défiance dans les âmes qu'aHère surtout en ce temps l'amour de la pure doctrine, et qu'ils 1'et01'- dent ainsi d'une maniè1'e déplm able Ie mouvement qui Jes entraîne par une impulsion chaque joul' pIns forte dans l'obéissance et l'a- mour du Saint-Siège. C'est poul'quoi il serait bon, non seulement pour vous-mênle, mais encore pour l'ulilité de l'Eglise, que tout en prenanl en main la. canse de la vérilé eL la défense des statuts el décrets du Siège Apostolique, vous examiniez d'abord avec grand soin toutes choses, et que surlout dans les questions oÜ il est licile de soutenir rune et l'autre opinion, ,TOUS évitie7 constammrnt d'imprimer au nom des hommes di!'tingués Ia, plus légère flétris- sure. Et, en eIfet, tout journal religieux s'imposanl l'obligation de défendre la cause de Dieu et de l'Egiise, pL Ie sOl1verain pouvoil' du Si( ge Apo:;tolique rloit être fait de lelle sorle que rien de con traire à Ja modération, rien de contraire à Ia douceur n'y viennc choquer Ie leeteur. C'cst Ie vrai moyen d'allirer sa bienveillanco eL de lui persuadpr plus aisément combien celle cause l'en1porte sur toutes les autres et quelle est J'cxreJIence du Siège ApostoIif(uc. Mais quoique les ressenliments et les divisions qui se sont fait jour paraissent avoir aLleint un certain rlrgré de grayilé et soient n1ain- tenanll1n obstacle à votre journal rrligieux, je ne pa1'viendrai i a - 'mais à rne persuade'l' que cela p1..lisse êlre dUJ'able. Loin òe là, j'ai la confiance que ceux qui, pour Ie fIloment, VOllS sonl contraires, seronL bientôl l1nanimes à loner Ie talent pt lr zèle avec lequel LES PROCÈS DU JOURNAL (( L'UNI\rERS )) \01 vous ne cessez de oLltenir la religion et Ie Siège apostolique )). Ainsi, continue Yeuillot dans l'Histoire du pa1'ti catholique, en nous donnanL des con seils qu'iI n'adressaH pas moins aux autres journaux religieux, Ie Secrétaire <.Ie Sa Saintelé daignaillouer spécialement e1 posiLivement notre æuvre. Lorsq e nous offrions de la supprimer, il no us répondait de la maintcnir, exprimant la confiance que ceux mêmes qui la blâmaient ne tarderaien t pas à la trailer plus favorablement.. (( L'éloge répélé d'avoir pris en main la cause de la religion el du Saint-Siège, laissait lomber ]e repr'oche si souvent formulé de toucher aux questions irritantes, n'y ayant poi nt de q uestion plus irritantes entre les enfants de l'Eglise et ses enncnlÌs que ces [Jo.ints, Ol:t historiques ou dogmatiques, sur lesquels l'esprit d'erreur a r[lS'" semblé taut de mensonges et cullivé tant de prévenlions. (( Une partie du mal que ces prévenlions peuvenL produire élait aUl'ibuée à la violence des aUaques dirigées conlre l' Unive1's par d'auLres journaux religieux : (( lis répandenL Ia défiance, el ils 1'e- lardent ainsi d'une maniè'l'e déplO1'able Ie mou\'emen t qui en[raîne Jes âmes )). (( On approuvait d'une manière particulière Ie soin de ne meL- tre rien au-dessus de la docll'ine catholique. (( Quant à la ligne politique, Ie silence calculé de la réponse no us laissait au moins Loute liberté )) (1). Assurémenl les an1Îs et les rédacteurs de l' Univers ne pouvaient rien désirer de pIns; et pourlanl i1s allaient recevoir une plus en- tière satisfaction. Le 21. mars, la pD role pon tificale elle-même se fit entendre, d'une manière plus générale, mais non moins claire, dans l'encyclique Inle1' multiplices. En plaçant Ia pre sse religicuse sous la paternelle surveillance des évêques, Ie Saint-Père la met- tait en même temps au rang de leu l' plus chère solliciLude. (( Nous ne pouvons, disait Ie Ponfife, nous empècher de rappe- leI' ici les conseils par Icsq uels, il y a quaLre ans, nons excitions al'ùemment les évêques de tout l'univcl's caLholique à ne rien np (1) J[élanges, 1 rc série" t. I, p. fJOG. 2G 402 CHAPITRE ÀIII gliger pour engager les hon1mes ren1arquables par Ie talent et la tiaine doctrine à publier des écrits propres à éclail'er les esprils et à dissiper les lénèbres des erreurs en vogue. C'est pourquoi, en \OUS efforçanl d'éloigner des fidèles commis à volre sollicilude Ie poison morlel des mauvais livres et des mauvais journàux, veuil- ] ez aussi, nous vous Ie demandons avec instance, poursuivre de toute votrl'e bienveillance et de toute votre p1 édilection )es hommes qui, anin1és de l'esprit catholique el versés dans les leltres el dans les sciences, consacrent leurs veilles à écrire et à publier desjou1'- naux, pour que la doctrine catholique soit propagée et défendue, pour que les droits dignes de toule 1)énération de re siège et ses actes aient loute leur force, pour que les senti1nenls el les opinions con- t1'ai1'es à ce saint siège, à son autorité, dispal'aissent, pour que l'obscurité des erreurs soil chassée et que les intelligences soienl inondées de la douce lumière de la vérité. Votre charilé et volre sollicilude épiscopales devront done excite1' l'a ' rdeu1' de ces éCI'i- yains catholiques animés d'un bon esprit, afin qu'ils continuent it défendre la cause de la vérilé catholique avec un soin attentif et vec savoir. Que s1, dans leu1's éC1'its. il leu1' a1Tive de rnanquer à quelque chose, vous devez les ave1,tir avec des paroles paternelles et avec prudence. )) C'est en ces lermes que la cause générale de ]a presse calholi- que et ùe la polémique religieuse fut jugée par Ie juge suprême, en 1853. Recommandation générale aux évêques de protégel' et d'honorer les éCl'ivains calholiques ; consigne donnée aux jour- naux de défendre les droits du Saint-Siège et de poursuivre les opinions conlraires ; avertissen1ents paternels à donner aux écri- vains, s'ils venaient à manquer en quelque chose : telle était la charte de la Chaire a poslolique, et, dans les circonslances, elle offrait évidemment à r Unive1's, je ne dis pas un hill d'amnisLÏe, Ie journal n'en avail pas besoin, mais une défense contre lout nou- \01 outrage. Enlt'e la letlre de 'lgr Fioran1011li el fEncyclique, Ie :-;aint.. iège :ivait d'ailleurs manifest{. forl explicitelnenl ses vues. Le concile de la province de Reims, Lenu à Amiens, avail constaté Ie concours LES PROCÈS DU .JOUR AL ({ L'UNIYERS )) < 03 que les écrivains laïq ues ont prêté, dans ces derniel':::; tern ps, à la bonne cause, particulièrement par la voie des journaux. Tou t en reconnaissant des iUlperfeclions dans ces æUVI'es, il avail cru de- voir les encourager et faire acLe de justice en louant par quelques phrases, évidemment à l'adresse de r Unive1 s, l'adnlirable lalent, Ie dévouement constant aux saintes doctrines, la persévérance et Ie désintéressement avec lesql1els ce journal a servi L'Eglise. L'é- vêque ù'Amiens, ,Antoine de Salinis, crnt done devoll' défendre à Rome Ie journal honoré d'une si irnposallte approbation, et en prenap..t sa défense il ne crut qu 'accompliI' la mi sion qui lui avail été confiée par les évêques de sa province, Du resle, les aUaques dont l' Univel's étaill'objet à cetle époqup appelèrent d'une manière toute spéciale l'attention de la congrégalion du concile sur Ie dé- creL du concile d'An1Ìens. Toutle monde à Rome s'occupa de ceUe affaire avec un soin particulier. Le décret disait en substance qu'il ne fallait pas s'ofI'usquer des faules quand l'ensemble de l'ouvrage étaÏl bon; qu'il fallail traiter les écrivains avec hénignité, non avec dU1 eté ; et rendre de justes louanges à leurs vertus, Ce décret sur la presse fut approuvé, et si on lit l'encyclique qui intervint quel- que temps après, on reconnaìlra que Ie jugement du concile pro.. vincial reGut, en ceUe circonstance, une sanction qui, pour les ca- lholiques, devait paraître définitive. En résumé, l' Univers, allaqué à peu peès sans raison et avec une très grande violence, à propos des classiql1cs païens et d'un écr-Ït lIe Donoso CorLès, avail été victorieus8ment défendu par un grand nombre d'évêques, innocenté par un concile provincial, loué avec effusion par Ie secrétaire parliculier du Pape et bientôl couvert, comme d'un bouclier, par une Encyclique pontificale. La l'éponse de l'archevêque de Pari!5 ne se fit pas aLLendl'e; eUe rut dig-ne de sa foi. Par ordonnance du 8 avril, Dominique Sibour I va la sen- tence portée contre l' UnivP1 s. L'lTn.ive1's puL continner a croisade contrc les trnanls de rinlpiÖté, dll libél'alisme el dn ()cialislne, sans avoil' Liré, de ceLle seconde épr'euve, venue d'Orléa ll , d'autre chÚLÍlnent que d'innomhrables Ylnpathies, ù'aull'es lllalheurg qn'un agranrlissement de format: 404 CHAPITRE XIII L'évêque d'Orléans n'imita pas 80n métl'opolitain, il He retira pas la sentence porlée à Orléans conlre l' Unive't's. l\Jalgl'é l'Ency- clique de Pie IX el la publiciLé de son jugement, l'imp]acable persécuteur de l' Univel s n'entendait pas désarmel'. Rien que ]a mort n'était capable d'expier les forfaits de maître Veuillol. NOLlS verrons bienlôt ce prélat porter de nouveaux coups. lIT. - Après l'Encyclique, l' UnivPTs gardail done sa posiLion. En politiq ue, en ph ilosophie, en littéralure, il resLait dans ses thèses, avec runiq ue devoir d'observer la j uslice et la modération. Enver Ie jou rnal, on ayait au moins Ie consei] de Ie prendre là ; Ie passé devail êll'e oublié, et, pour accuser de nouveau, il fallait laisser à l'[Tnivers Ie temps de commeltl'e des fautes. Sans se condamner à un silence élernel sur les idées ellps opinions qui pourraienl pa- raître l'ontestables, sans abdiquer ]e droil de défendt'e ses propres convictions, l'Unive7 s étail résolu d'y regarder à deux fois avant ù'entrer dans les discussions les plus légitimes. Le C01Tespon- dant, revue des catholiques libéraux, enLièrement à la dévoUon de 1\Igr Dupanloup, se mit plus à l'aise; il ne donna pas mème un mois de répit. Quinze jours après I'Encyclique, il contenait un article de LenoJ'mand contre l' Univel s ; dans la Jivraison suivante, nouvel arlicle de Foisset contre l' Unive s ; puis, pour changer, dans les numét'os successifs, articles du prince Albert de Broglie, du P. La- cordaire, de Montalem hert, de Falloux, de Cochin, contre l' Univcì's. Tous les ami5 de l'évêque d'Orléans donnèrent l'un aprps l'aulre, nous ne sayons s'il faut dire Jeur coup de collier ou leur coup de patte. Dans lous ces articles, ce qu'on reprochait it l' Univel s pro- cédait toujours de la rnême lhéorie, du libéralisme. L' Unive1's n'é- tail pas assez favorable aux prineipes de 89, à la société moderne, aux liberlés parlemenlaires, et, par ses fameux emportements, il irrilailles méchants, il rejetait les incertains) il empêchaiL d'illus- tres conversions, bref, il perdail to ut en France et dans l'Eglise. La passion politiq lIe n élait pas éLrangère à eps invecti ves, In pas- Ston gallicane ayait al1ssi :--;a part. L'UniveTs étail une têle de Turc pour recevoit' les coup qu'on n'osait porler à leur adresse yél'ita- bIe, à Napoléon III et à Pip IX. Pour les catholiques libéraux, LES PROCÈS DU .JOVRJ'\AL <( L'VNIVERS )) 105 comme pour les Jibéraux sans épithètes - au fond c'esl la même chose - l' Unive1's était Ie bouc émissaire de la situation créée par Ie coup d'Etat du 2 décembl'e. Ici se pl'ésente une question. L' Unive1's, con1me journal, avail élé, pour ses principes et ses æuvres, jugé favorablement par l'E- glise. Le C o1'res}Jondant se permettaiL ùe j ugel' à l'enconh'e, sans articuler de nouveaux griefs, s'en référant uniquelnent à un passé déclaré non coupable. Le C01'1'espondant portail ce j ugement con- traire à celui de I' EgIise , par la plume d'écrivains laïques, émi- nents sans dout.e, mais enfin de nulle autorité, au moins au point de vue canonique. En vel'to de quel principe osaÏt-on ainsi contrev.e- nil' au devoir'? De quel droit, des auteurs sans mission, sans carac- tpre, sans aulorité, se permeltaienl-ils de faire à leur tour, conlre Ie Saillt-Siège, ce qu'ils venaient de reprendre dans Venillot? On pense involonlairement et sans rire, au grief imaginaire de l'évê- que d'Orléans, au gouvernement pl'esbylérien et la:ique qui osait, au dire du prélat, se dl'esser en dehors de l'épiscopat et du Saint- Siège. Des laïques, 00 ne voyail pas autre chose, et si un siège épiscopal les inspirait, cerlainement il n'osail pas se montrel . Sans regarder Ie dessol1s des carles, on sail bien un peu lejeu qui se jouait. Lorsque rhistoir e pénéLrera Ie jeu puél'il de ces récrimi. nations aussi libérales que peu chréLiennes, elle ne lrouvera, je Ie crains, que peu ùe raisons à louer et beaucoup de déloyautés à tléh'ir. - Nous ne parlons pas du devoil catholique el de la verlu chrétienne ; il e t évident q n 'un en a\rait perd II la double noLion et que la guerre des catholiques libéraux conl1'e Ie rédacteur en chef de l'Univc1's n'élait plus qu'une affail'e de haine. En 1836, au mois de mai, I'Egél'ie poli Lique de l'évêque d'Ur- léans, Ie comle de Falloux, enLreprit une nouvelle campagne. Le Gaduel en robe cuurte s'y prenail, au resLe, d'une maniÖre forl maladroite. Par une fauLe, que la passion seuJe explique, il re- montail aux Lemp antédiluviens et repI.ochaiL à l' IJniLU'1's qcs crimes cOffirnis m('me avan18a naissance. Sons couleur de raconLel' l'histoire du pal'li calholique, il monLraiL ce jOl1rnalloujoul'S f((- neste à l'Eglise. par srs aveugleloenls cool1'e III lihel'lé el es pas- 406 t:HA PITRE XIll sions conll'e les représentants du libéralisme. A ces imputations, il T avail deux choses à répondre: c'est qUt l' Unive1's avaiL alors pour patrons les nouveaux amis du conlte de FaUoux et qUB l'Uni- ve1 S, en 1853, avait reçu au Inoins un bill d'inden1nité. L'accusa- tion était sans valeur; eUe n'avait pas Inêlne Ie Inérite de la vrai- semblance. Rien n' était plus facile que de la confondre. De sa meilleure plu me, Ie rédacteul' en chef de r Unive1 s entreprit cette tiî.che, et des vaines al1égations de l'accusateur, il ne laissa sub- sister rien, que Ie sou,Tenir de leur indignité. Les feuilles calho- ] iques libé)'ales, au mépris òe toule justice, ne propagèrent pas , luoins ces accusations si perLinemmrnl réfutées, eUes voulaient alnener la fusion entre les phi1ippistes elles légitimisles, c'est-il- dire la subordination des principes d'ordre aux idées révoluLion- naires, et, dans ce beau dessein, par une contradiction vraiment brlltale, elles accusaienl rUnive1's de sacrifier l'intérêt religieux à l'intérêt politique, l'Eglise à l'Empire. Le combat fut d'aiIJeurs long, et même vif, mais sans l'ésultat parce qu'il n'avait pas de raison d'être. L' Univers n'y perdil aucun de ses amis ; il en accrut plut6L Ie nombre par sa belle défense. On pouvait compteI' sur une paix durable, 101'squ'une attaque très imprévue, quoique souvent annoncée, d'une fornle étrange et toute nouvelle, jeta Ie journal calholique dans de nouvelles avenlures. Yers la fin de juillet 1856, parut, chez l'éditeur Dentu, un vol. in-8 o de 200 pages, intitulé: L' Univers jugP pa1 llti-n bne, ou Etu- des et documents SU1' le J01.l1'nal rUnivers de 1845 iT 1855. Pour la correction canoniq ue d u titre il aurait fallu de 1853 à IH5 , parce que les années précédentes innocentées par les juges naturels du journal, se dérobaienl par là même à l'accusation, et à peine de meltre de cûté Ie jl1gement de I'Eglise, on ne pouvait pousser plus loin. Mais la passion libél'ale ne se pique pas de respecter Ie Saint- Siège, et tanl qu'on n'a pas ratifié ses arrêts, les questions, même résûlues par Ie Pape, sonl toujoul's des questions à résoudl'e. L'o- pU:-icule se composail de prétendus lexles tirés de l'Unive1.s el en- tourés des commentaires les plus mah'eillants. C'élait l'application du pl'uverl)r qu'avec dix lignrs d'écrÏlures on peut faire pendre un LES PROCÈS DU .JOURXAL (( L'UNIVER )) 407 homme. L'écrit, ou plut()t, POUI' Iui donneI' tout de suile Ie nom qu'il reçul de plusieurs é\ êques, Ie libelle ne portaH point de nOlll d'auteur. )Iai:-5 Ie luxe de l'im pression, l'abondance des distribu- tions gratuÏles (Iui en furent faites à grands frais. la prodigalité des annonces, dans les juurnaux de toules cuuleurs, l'unanimité avec laquelle il élait vanté dans nne foule de réclames et de cor- respondances, lout montrait que l'auteur n'élait pas Ie premier venu. Ce fut d'ailleurs Ie sentiment général: les choses ne se font ainsi que quand un certain nombre de personnes s'y intél'essent. Immédiatemenl on accorda de LOllS côLes au libelle une imporlance que les æuvres anonymes o'out pas coutun1e d'obtenir, et que, par elle-même, celle-ci oe mérilail certes pas. L'ouvrage était, disait-on, instructif et piquant; c'était un coup de massue bien asséné ; enfin I' Unive1's, cette fois, allait 010urir de sa belle mort, sous Ie pied d'un pamphIétail'e libéral. Le Inystère avec lequel se produisent les écrils anonymes fait qu'on en cherche plus ardemment rauteur. On attribua bientõt cet écrit à l\Igr Dupanioup, évèque d'Orléans, assisté de plusieurs scribes aptes à ce métier. Celui qui se nomma devanL les tribunaux, quand Ie livre fut déféré à Ia justice, étail un abbé Cugnat, ecclé- siastiq lIe pen connu et très digne de ne pas l'êlre, au moins de celte façon. L'abbé Cognat était on allait devenir, ou allait cesser d'être (ces phrases contradictoires rendent bien Ia réalité), rédac- leur de l'Ami de la Religion, journal à la discrétion de Mgr Dupan- loup. De sa personne, c'était un tempérament mobile, un peu convulsif, j'allais dire convulsionnaire, par Ie fail lrès propl e à ce bas rôle qu'il sut remplir à la perfection. A cetLe époque, il élait Ie visileur assidu de l'évêché d'Orléans, et il n'est pas croyable qu'il fit ce beau coup sans consulter l'évêque. De plus, dans Ia fa- brication de son pamphlet, il avait eu congé on il avait cru pou- voir s'arroger licence de prendre, dans un mandement de l'évêque conlre l' Univel's, cel'taines choses qu'on ne s'aUribue pas sans pel'- ID ission. Ce mandemen t nO 2 contre l' Un ivers a vail été com posé après Ia sentence de l'archevêque de Paris et il avail élé impl'imé pour venir à rescousse: l'Encycliquf\ du 21 mars elnpêcha l'é- .i08 CIlA-PITRE XIII vêque de Ie lancer, mais grâce au biais reproducteur du p<1mphlet anonyme, ce fruit d'une ardente passion nc dcvait pas (}t.re pcrdu. Enfin on sut. bienUH que Ie manuscrit du libelle, rnanuscrit desliné it l'impression, avait élé transcrit par les élèves du grand sémi- naire d'Orléans; nous l'avons appris nous-même de plusieurs qui onl prêlé leur plume à l'ouvrage; or, on ne fera cI'oire à pel'sonne qu'un supérieur de granù éminaire fasse copier, à ses élèves, les feuilles d'un pamphlet, sans avoir, pour une te11e æuvre, Ie parfait agrément de l'évêq uc. L'évêque d'Orléans étaÏl done dans l'aft'ait'c. Après avoir aUaqué I' Univers de sa personne, apl'ès l'avoir allaqué par la plume du 'Vitassien Gaduel, ill'attaquait par la plume ùu convulsif Cognat, qui depuis recepit rnercedern suarn. L'auleur se proposait un but qu'il ne pouvait' atteindre. Dans son aveugle colère, il voulait prouver que l' Unive7 s avail été, pendant dix ans, et était encore un journal rév()luti()wì1(l'h e, turbu- lent, sans respect, sans charité, plein d'1njures et d'insulles, qui s'est jeté, au nom de I'Eglise, dans des contNldict'lons et des palinod'ies dont la solidaì'it(; la dfíslwnorera-it. Aux yeux mêmes des adversaiJ'es de I'Univers, ces conclusions excessives choquaienL Ie bon sens et ne pOl1vaient recevoir un semblanl de preuve que par la fraude. Le fail seul de l'exislence du journalles réfulait. Sans rappeler par qui et comment il avail été lOLJjours soulen u dans les moments qu'on l'atlaquait davantage, toutle monde devait finir parconlpren- dl'e qu'une publication qui aUI'aiL eu ces odieux caractères, n'auI'ait pas réussi à se faire Lolérer un instant dans rEglise. Les prétendues démonstraLions du libelle élaienl done plus injurieuses pour les catholiques qui lisent l'lInivers, que pour cejournal même. Dans la réalité, c' étail accuser les évêq lIes de France d 'avoir Lolél'é un long scandale et la plupart d'enlre eux, ù'y avoir connivé. Parmi ces reproches, il y en a un lout à fail bt. te, c'est celui qui rrpréscnle rUnivprs cornme I1njournal ré,'olulionnaire, fauteur de Ia démagogie, frayant. la ,-oie à l\Iazzini, KossuLh, Ledru-Rollin (.t Garibaldi. L' Univeí's est si peu révolutionnaire, qu'il est au contraire l'an litht se de 1a ré,'olu Lion. Les pl'éparateurs de Ia révolution, Vol- taire, Ilousscau, Montesquieu ; les aulpl1rs dp. la Révolution, l\Iira- LES PHOCÈS DU J()UH. AL (( L'U IVEH.S )) 409 beau, Danton, Robespierre, Napoléon ; les eontinualeurs politiques ou philosophiques de la révolulion, Guizol, Thiel's, Benjamin ConsLant, Proud'hon, ont Loujours été l'objel des aninladversions de rUnive;'s. II n'esL pDS, dans l'ordre de la pensée eL de l'aetion, nne seule sphère OÙ l' Univers n'ail ardemmenl poursuivi la révo- lution. Théologie, philosophie, morale, poliLique, écünomie poli- tique, histoire, sciences, arts et belles-Ieltres, Ie journal caLholique a partout combaUu l'ldée révolutionnaire. Exlerminer la révolution paul' défendre l'Eglise, c'e5t là son but, a raison d'êh'e, en un IDOL touLe son histoire. Hepl ocher à l'Univers l'esprÏl ré\'oluljon naire, c'esL un h'ait de rare ininlelligence. l\Jais il faul donner une idée de ce travail audacieux el peul-être unique dans l'histoire des discussions. Le libelle saisit un incidenl, ille commente à l'aide d'une phrase cou pée arbHrairement, qu'il souligne et détourne de son sens po. silif et visible. C'esl Ie procédé ordinaire, mais il a de nombl'eux perfectionnements. L'un des plus fréquenls consisLe à compléter eet exlrait par d'autres petits passages, LanLôt pris dans Ie n1ême adicle, tantól arrachès d'autres numéros d'une dale sonvent lrès éloignée en avant ou en arrière. Lorsque les auteurs du libelle renCOI1L1 ellt une phrase à leur convenance, iis ne se bornenl pas à risoler de celles qui l'éclair ent, pour la rapprocher d'aulres cita- tions qui la lransforrr}enl : ils la parent de letlres italiflues, de let- ll es capiLales et l'érigent en profession de foi. Ainsi une forme de polémique devient une affirmation; une ironie, un principe absolu. Au hesoin, pour que la citation marche mieux, soil plus significa- tive el n'indique pas par sa lournul'e une coupure trop arhitraire, on ajoute un mot, deux s'ils sont utiIes: on met Ie passé ou Ie fu- lur au lieu du présent, on bitre l'expression qui ferait devineI' une réserve ou un doute, on iñlerverlit l'ordre des phrases. Par une auLre ruse, des ohservalÏol1s loules simplef' deviennent orlieuses, rapprochées des calasU'ophes ou des doctrines auxqueI1es Ie libcllc les associe. Les elTeurs de date sont nonlbreuses. On use de lout; on descend à ùe vérilables enf'antillages. Les dissections d'al'ticles sont fréqurnlcs : c'esL tout simple, une citation compIèLe donnerail 410 CBAPITRE In la pensée de l' écri vain et l'uinerait la malhonnêle industrie Ù 11 com- menl\1 tOUI'. Pour tlonne.' un échantillon de ces coupllres, je cite l'article du 27 fén'ier IH48, article 0\1 Yeuillot donne, sur l'histoire des peuples chréliens, des aperçus qu'et'H signps l'évêque d'Hip- pone. Or, de cet article on cile : page 2, trois !ignes: page 5, qualre lig-nes; pape 24, trois lignes ; page 31, lroi lignes; page 50, trois lignes; page 77, trois lignes ; page 113, cinq lignes, deux fois cou- pées par des po,ints : total, vingt-cinq lignes. Je Ie demande à lout honnête homole un peu au coul'ant des livres: n'eÙt-il pas été plus simple, su rtout plus loyal, de prod uire l'arlicle en lieI', qui forme une bonne page in-8 0 , par soixanle lignes. Les auteurs n' ont gal'de d'oublier Ie célèbre chapitre des vio- lences. D'après eux et leurs congénèl'es, les rédacteurs de l' Uni- vel'S seraient des espèces de foux fllrieux, insultant tout Ie monde comme des crocheteurs ivres. Le rédacteur en chef notammenl a été souvent comparé à l'esclave qu'on grisait à Lacédémone, pour dégoûter du vin les .leunes Spartiates. C'est une manie pres- que passée en mode, mais facile à démoder, si l'on avail affaire à des antagonistes de bonne foi. Le fait est que tous les journaux se permcltenl el doivent se permettre des formes plus vives qu'un livre ou une revue. L'article est un coup de feu tiré dans l'ardeur ilu combat; Ie soldal cède à l'entraînement dn champ de bataille ; et si ce soldat est un Français, il est aisé de croire qu'il cédera à la fU1'ia f1'ancese ou à la causticilé gauloise. Nous sommes un vieux lpcteur de journaux ; nous avons Iu tous les journaux de France, beaucoup de journaux d'ltalie, d'Allemagne, d'Angleterre; nous en connaissons fort peu qui ne fasse, comme l' Univel's, son coup de plume et nous n'en connaissons pas qui les réussisse aussi bien. Et parmi les motifs d'accusalions de brutaliLés intentées à l'Univel's, la difficulté de régaler dans cette luUe n'esl pas pour !'ien dans l'accusaLion. Nous ne prétendons pas que jamais rUnivel's se soil permis une parole trap vive, ou une expres ion hlessante : les al'licles du journal ne se tirent pas au cordeau. Malgl'é les allures de la polérnique, l'Univel's avail loujours été asscz modéré enver's les personnes pour que l'adversaire eût dû LES PROCÈS DU .JUURNAL (( L'UNIVERS )) 4ft souvent présenter, comme des énormités, des plaisanteries fort ppn coupables et des reproches trop lég-itimes pour qu'il y eût lieu de les regretter. Afin de dönner à ses accu5ations une couleur de vraisemblance, l'agresseur avait multiplié les renvois. D'aucunes fois, il se con- tentait d'un renvoi général, par exemple 1848 ; en sorte que, pour vérifier une citation de quatre lignes, il eûl fallu lire les trois cent soixante numéros de l' Unive'rs publiés en 1848. C'est une ruse cou- sue de fil blanc. D'autre fois, les renvois sont conformes à l'usage et exacts quant à l'indication. On s'étonnera peut-être de l'audace su périeure dont il fau t être doué pour donner une date à des preuves qui tombent dès qu'on les vérifie. Il semble même que ]'audace soit poussée ici jusqu'à la maladresse. Du tou t ! Les libel- listes ont calculé que les collections d'un journal quolidien sont fort rares, et que, même parmi les rares lectenrs qui possèdent les moyens de vérification, plus rares encore sont ceux qui auraient Ie loisir et Ie courage de se livreI' à une pareille besogne. II faut une maîlresse haine pour relire dix-sept mille pages d'un journal, sans oublier même les nouvelles étrangères. C'est, pour la calom- nie une grande chance de faire son chemin. Tout ce qu'eHe sème ne lèvera pas, mais it en restera bien quelque chose. Les auteurs du libelle l'avait espéré, c'est pourquoi Us avaient dépensé tant de veilles et tant de points d'exclamation. C'est ce qu'ils appelaient se dévoUP1> Ò la v';ritr5. On' voit qu'en mentant comme Ie diable, ils avaienl aussi Ie mot pour rire. IV. - L' Univers, surpris par cette attaque aussi imprévue qu'an- noncée, essaya, d'abord de se défendl'e. Mais il avait fallu écrire déjà trente colonnes etl'on n 'était encore qu'à la troisième page d u libellee Pour répondre à ces deux cents pages, il aurait faUu en écrire deux mille: pages inu tiles pour les lecteurs ordinaires du journal, et non avenues, pour ceux qui, connaissant l'attaque, au- raienl eu besoin de connaître la défense. Après de longues délibé- ralions, les rédacteurs diffamés déférèrent Ie pamphlet aux tribu- naux, Outre Ie motif de ne pas faire l'honneur (rUne discussion à ùes adversaires inconnus ou du moins cachés, qui se mettaient 412 CllAPITRE ,III par leurs pratiques en dehors de toutes les lois de la loyaulé et par leur langage (1n dehors des convenanccs, ils avaicn tune raison considérable d'agir ainsi. lIs voulaient it la fois s'épargner les fali- gU(1S d'une polémiqlle interminable, à laquelle dOailleurs leurs a.dversaires ne se rendl'aient pas, et retireI' à ceux-ci un avantage dont ils profiteraient, mêrne baltus, ayant cOlltllme d'arguer des polémiques dont ils étaien ties provocateul's, pour trouver que I'lJnive1's lroublait la paix. (( On se ligue et on se relaie pour attaquer l'Univers, écrivait Veuillot, for( au courant de toutes les menées de la partie adverse. On fait to us les deux ou trois mois un article d'apparat qui åIi. mente toute la presse de la province; les lieutenants sllccèdent aux capitaines; les sous-officiers s'évertuent quand les oflìciers se re- posent ; les pamphlets accourent après les grands et les petits ar- ticles: tout cela tombe sans relâche sur la politique, sur la philo- sophie, sur l'histoire, sur la littéralure, Sllr Ie langage de r Unive'ì's. On accuse Ie passé, Ie présent, l'avenir, les intentions, Ie caractère, la foi, la probité même de I' Unive'ì's: la main sur la conscience et Ie stylet à la main, on atleste Dieu et les hommes que l' Unive1's trou hIe la paix. Et quand I' Unive1's se défend, on s' écrie: (( V ous voyez bien, il trou ble Ia paix )). Celle résolution d'intenler procès parut déconcerter un peu la ligue formée contre Ie journal. On prétendit que c'élait s'écarter des usages, même des convenances: et on insinua plus timide- ment que qui ne serait point embarrassé de répondre, ne songe- rait pas à s'adresser aux tribunallx. Le procès entamé, l' Univers déclara que, pour épargner à ses adversaires inconnus, Ie danger d'une comparution en police cor- rectionnelle, il retireraH sa plainte en présence d'un désaveu. Un grand nombre de prelals avaient blârné Ie système et la publica- tion de la brochure anonyme; (ralltre part, on insinuait qu'une trrntaine d'évêques se tenaient cachés derrière Ie pamphlétaire. En présence J'une situation qui menaçait d'allumer la guerre, les auteurs, par l'organe de leur éditeur, pouvaienl ùéclarer que sans condamnel' eux-même leul' éCI'it, ils le reliraienL Ponr un motif LES PROCtS DU JOURNAL << L'UNIVERS >> i13 de susceplibilite person nelle, ils préférèrent. user de négocialions par tiers. l\Iais, sur ces entr'efailes, l'abbé Sisson, successeur de l'abbé Cog-nat à l'A mi de La Religion, ayant ouvert son feu sur l' Uni- vers, auquel on voulait cette f01S reprocher des erreurs doclrina- les, ce surcroîl d'altaques, avec aflìchage d'impudence, provoqua, de la part du clergé, la plus imposante nlanifeslation : les évèques soi-disanl favorables au libeHe disparurrnt comme un mirage; les évêques, favorables à l' Uni'l'(;1'S, parlèrent avec une sympathie tou- chante et des accents vraiment apostoliques. II y a, dans I'histoÜ'e conternporaine, peu d'acles plus honorables pour la feuille ll1iséra.. blemen t accusée, sans (rUe ni ses talents, ni ses verlus, n i ses ser- vices puissent, de la part de l'advel'saire, faire espérer aulre chose qu'un surcroîl d'accusations. L'épiscopat jugea qu'il fallait en finir avec ces trames souterraines, ces accusations sans pudeul', cette furie qui avait juré la morl de l' ú'nivers et la mort dans l'infamie. Le premier qui éleva la voix fut I'évêque d'Arras, Pierre-Louis Parisis, lechefmilitanl du parti catholique. Le 2 août.1856, dans u ne leUre à l'abbé Sisson, iI disait : (( L' Univel s est., depuis quelque temps, en butte à des allaques tellement violentes de la part des hommes les plus conuus par leur dévouelnent à ]a religion, que 1'0n se demande avec anxiété q uel est Ie bul de ceUe coalilion élrange. (( Si r Unive1's était ce que l' on dit. et s'il n' était que cela, son procès serait tout fait; il faudrait Ie supprimer. Eh bien, je ne crains pas de Ie proclamcr avec une profonde conviction, la sup- pression de l' Unive1's serail pour la religion un malheu'f' public. )) Puis, par un retour sur rh istoÜ'e, Ie prélat assiInilait la tacLÏ- que des ennemis du journal à ]a taclique des ennemis des Jésuites au XVIIle siècle et il continuait : (( Les services rend us à la cause de l' Eglise par l' Ullivers sont ceux que rend partout Ie journalisme catholiq ue, dont per'sonne aujourd'hui ne méconnaît ni l'importance ni la nécessité; seule.. ment, ces services sonl plus grands (Iue ceux des au tI'es, parce q u'il est I ui-Inême Ie pI us grand, c' est- à-dire Ie plus influent et Ie plus rl'épandu des juurnaux catho]Ìflues. C'est luÌ qui les a lous pré- 414 CHAPITRE XIII cédés et, pour ainsi dire, produits. Ceux mêmes qui le combattent aujourd'hui, c'est lui qui les soulienl elles alimente, non seule- ment en PI'ance, Inais dans loules le contrées de l'Europe. (( En Italie, en Anglelerre, en Il'lande, partont j'ai rencontré I' Unive1's chez tous les prélats, comme chez tous les autres calho.. liques éminenls. Demandez aux missionnaires de l'Amérique ou de l'Océanie, des lodes ou de la Chine, queljournal ils voienl, tOllS vous répondront : I' Univers. (( Et en France, et à Paris, malgré toutes les concurrences qu'on lui fait, l' Univc1's n'est-il pas Ie seul qui marche de pair avec 1m; grands journaux de tous les partis 1 (( Qu'il vienne tout à coup à disparaîlre, q uel vide, quel isole- ment, quelle slupeur ! Qui est-ce qui Ie remplacera ? Quand est-ce qu'une autre feuille catholique aura conquis une posilion sembla- hie ou équivalente? (( N'esl-il pas vrai qu'à ce seul point de vue, si l' Unit'e1'S est un journal vraimenl religieux, et il est difficile de Ie nléconnaltre, sa disparition se1'ail un grand malÍieur. (( Au reste, pour bien savoir si la religion aurait ou non à gémir de ceLte suppression, veuillez réf1échiI' à ce que les impies en res- sentiraient; tous, certainemenl, tons en seraient réjouis, lrès ré- jouis. Donc, c'esl que la religion aurait à en souffrir du dommage el de la douleur. En général, défions-nous, éloignons-nous de tout ce qui doil réjouir les ennemis de Dieu; quand on s'y com plait, c'esl qu'on est, par' quelql1e côlé, de connivence avec eux. )) lci, Ie prélat revenail sur la 'lueslion des classiques, du lradi- tionalisme et autres questions secondaires OÙ l'Ami de la Religion avail eu Ie triste avantage de plaire aux indifl'érents eL aux mé- eréan Ls, tandis que l'lTnivp.1's avait eu la gloire de leur déplaire. (( Vous clites, ajoutait-il, que l' Univers a bien d'autres torts, et vons vous réjouissez de ce qu'une brochure récenle vient d'extraire de \'ingt volumes in-folio et de juxtaposer deð cilalions qui ne 1'em- IJli1'aienl pas en tout un nurnéro du journal, en donnanl pOllr con- elusion: Voilà l' Univel's, Je viens vous dire que l'auteur des ])1'0- vinciales vous a devancé dans cel art facile. J'ajoute que VOllS ne l'avp-z pHS égalé. LES PROCÈS DU .JOURXAL (( L'UNIYERS )) 415 (( II y a done, dans la collection de l' Univers, dans vingt volu- Ines in-folio (qui comprennent 6.300 numéros). quelques paroles malsonnantes, au moins pour quelques oreilles. Mais d'abord la merveille serait qu'iI n'y en eût pas. On a eu lort de juger la doc- trine de la Compagnie de Jésus par quelques propositions e trai- tes des ouvrages de quelques Jésnites espagno]s et pourlant ces Jésuites écrivaien t de Sel ng-froid et à loisir, ils n'étaient pas, com- me ]e journaliste, toujours dans l'excitation de la mêJée et Ie péril des improvisations. lIs n'avaient pas à subir les secousses violen- tes de ces transformations politiques qui inquirtent et font vacil- leI' les plus fermes intelligences. La seule question Sé1"iel.lse est done de savoir, non pas si l'Univers n'a pas un mot à retrancher ou à modifier, mais si, au fond et dans son ensemble, il soulient les bonnes ùoctrines et combat les mauvaises. Qui oserait dire que non? (( Ð'ailleurs, comment n'avez-vol1s pas remarqué que Ia plupart ùes phrases qu'on lui reproche sont anlérieures à 1853. Or, dans cetle année, parut une encyclique, thnoignage Ie plus glorieux, le lJlus doux, le plus e.'l:t1'ao1'dinai're qu'un journal ait jarnais reçu. Hélas I témoignage en même temps le plus 1'edoutahle par les ja- lousies profondes qu'il a suscitées et qui devaienl éeiater un .Jour. )) lei, nous ouvrons une parenthèse. L'évêque d'Arras paraît croire que la querelle de l' Univers jugé par lui-rnpmp. est entre l'Ami de la Religion el ce journal. C'est une erreur de bienveillance, erreur que Irs faits ne comportenl pas. Si des évrques du monde entier onl cru devoi r protester eontre le libelle, ee n 'était assl1rément pas pour défendre Veuillot contre les coups de I'abbé Sisson. L'abbé Sisson est, sans Joute, un théologien de première force, un po- lémiste redoutable, un Pascal qui n'a eu que Ie défaut de ne pas mÎlrir... cornme l'autre, du reste; mais enfin Yeuillot aurait pu se défendre, et si tant d'évêques vont abattre leurs coups de crosse foiur l'Ami tip la Rpligion ct sur l'lT U ;V('1'S JlIgé l)aJ' lui-m( 11le, ee n'est pas puur dépenser de la poudre Sl!r des Illoincau . L'évêquc d'AITas concluait: (( CeLle encyclique, eUe a jl1gé l'U- lliV(J1:. SUI' Lout son passé. Sans doute, eUe n'a pas pr{'lendu tout 416 CllAPITRE XIII justifier, [nais cllc a jugé que, nonobstanl ses défauts, l' Univer's UP mp1"itait pas La condarnnatioll don l il a é lé frappé ou m enacé : qu'au contraire, il mérilait des encouragements, des félicitations, des avis. De quel droit venez-vous done mainlenanl exhumer les pièces d'un procès jugé par Ie lribunalle plus élevé et Ie pIns si\r qu'il y ail au monele? Le Sainl-Si ge a vu ce que vous ne vOl1lez pas voir, qu'à eôté de quelques paroles que I'on vous permet de .i uger sévèremenl, iL y en a des rnillier,," qui mérilen t rapprohalion, sinon l'admiralion des eatholiqnes et les bénédictions de l'EgJi e. (( Au reste, si la erainte de procurer une joie abominable aux ennemis de Dieu et de donneI' un démenLi aux paroles aposloli. ques de 1853 ne suffisait pas à vos arnis pour les faire renoncrr au désir inqualifiable de la suppression de J' Univers, je vous conjul'e- rais de penseI' à ceux qui souffrenl persécution dans I'Eglise, quel- que part qu'ils soient. Demandez à Nosseigneurs de Fribourg, de Turin, de Genève, demandez aux catholiques de l'Espagne , de la Savoie, du Piémonl, de la Grande-Bretagne, des deux A111ériques, demandez-Ieur ce qu'ils pensent de l' Univers : ils vous dironl una- nimement que c'est dans la presse Ie plus puis anl, Ie plus inlel. ligent, Ie plus courageux. Ah! monsieur, gardons-nous de con- trister de telles âmes ou de dédaigner de telles appréciations. Les premiers chrétiens demandaient aux martyrs des leLtres de com- munion et c'était un titre sacré à l'indulgence de PEglise, Je ne reconnais pas que r Univers ail été bien coupahle; mais, l'eût-il élé, ]e térnoignage unanime des cunfessel1rs et des mal'fyrs de ce siècle devail suffire pour vous Ie rendre respectahle. (( La brochure qui vous réjouit cite un passage d'l1n de 111es écrits comme étant un blàme infligé à l' Unive1 s seu). C'fst un blâ- me infligé à tous les journalistes qui se servent de Ia presse corn me d'un organe à leuI's ressentiments et d'un instrument à leur yen- geance, en usanl d'ul1 langage que la charité ne peutjalnais a\'ouer, et, permettez-moi de Ie dire, si je l'écri\'ais :ll1jourd'hui, il s'adres- serait à rarlic1e qui m'a inspiré ces lignes. )) Celte lettre inaltend ue, si furte el si épiscopale, prod uisH u ne sensation profonde. L'abbé Sisson, vicaiI'e général d'Or1éa!ls 111 LES PROCÈS DU .JOURNAL (( L'UNn"ERS )) 417 pelto, répondit à l'évêque d'Arras pour Ie nlettl'e en poussière. L'évêque ne voulut point refuser, à rabbé Sisson, la publicité de l' Univers ; mais il voulul y joindre ceUe note: (( Si j'ai parlé, c'est comme évêque. J'ai vula religion intéressée dans -cette affaire, en ce qui conCCI"ne l'existence même de l' Tnive1 s, menacée pal'des p1'O- lets que je connais, que je déplore et que je ne puis pas ne pas craindl'e. Ce n'esl pas un journal que je défends, c'esll1ne g'1'ande institution catholique qui, depuis vingt ans, porle de plus en plus Ia défense de I'Eglise dans toutes les parties du monde, et que I'on veut faire briser par ceux mêmes à qui elle est dévouée. J'ai vu des passions violentes el d'incroyables illusions au service de ee p,'oiet délestablc, et j'ai jelé Ie cri d'alarme : voilà tout Ie secret ùe ma leUre. )) Cetle letll'e, si fortement épiscopale, produisit, dans l'épiscopat, une protestation el une acclamation, dont il y a peu d'exempJes dans I'histoÍl'e. Le cardinal Gousset félicile l'évêque d' Arras d'avoir saisi Ie moment opportun, pour arrêter ou au moins réprimer les inlrigues de ceux qni ne peuvenl pardonner à l' UnivC'l's, les servi- ces qu'il a rendus, en défendant la foi contre les et'reurs de la phi- losophie moderne, ainsi que les institutions de l'Eglise elles pré- rogatives du Saint-Siège contre les nouveautés du dernier siècle. Jean Doney, de l\Jontauban, applaudit pleinf!l1 ent el souscril sans rése}'vc Ù cetle défense de la vérHé, de la j uslice, d u dévouement Ie plus sincère elle plus ardent, à la cause la plus sacrée qu'il y ait au n1onde, celIe de I'Eglise, du Saint-8iège et du Pontife romain. Charles Thibault, de :\lontpellier, habituellement éLranger aux controverses, s'élève contre l'inutilitð de la brochure. Le cardinal de Bonald n'hésite pas à dire que la suppression de I'llnivPl's serait un U"talhcur. l\lellon July, de Sens, renchérissant sur Ie cardinal, dit que ce malheur set'ail Ï1''1'pparaúle pcut-êt} e et priverait la reli- gion d'un défensc1.l'1' plein de courage, de zèle, de lurniÙre, parfai- tement approprié au temps oÙ nous vivons. Pierre Mabille, de Saint-Claude, réprouve de loutes ses forces Ie Ðelendn Ca1'lha!Jo des ennernis de I'Onivers. Le cardinal Donnct, de Borde:Jux, aball- donne ceux qu'il avail suivisdans l'affaire des classiques eL se range 27 118 CllAPITRE "\.IIt parmi les défenseurs de I' Univers. Antoine de Salinis, d'Auch, cé- lèbre Ies Ùnrnenses services rendl1s par l' Univer's, Ù la cause catholi- que, depuis vingl ans. Le cal'dinal Clément Villecourl se dil 'J'avi de la letlre d' Arras et déclare que rien ne pouvait se dire de plus à }J"opos et de plus soLide. Louis-Edouard Pie, de Poitiers, oppose à l'Ami de la Religion, Ia question préalable, ordonnée par les juges naturels de Ia cause. Joseph-Armand Gignoux, de Beauvais, dit que r Univej's a pour 111i, la vérilé etia charilé. l\Iathias Debelay, d'A- vignon, mell'Arni de La Religion en contradiction avec lui-mêrne, par l'upposition irréductible de ses sages conseils et de sa conduile violente envers I' Univers. Philippe-Olympe Gerbet, de Pel'pignan, grand controversiste lui-même, adresse à Louis VeuiJIot les plus chaudes féIicitations. Irénée Depéry, de Gap, reproche à l'Ami, une guerre déloyale, sous pavillon anonyme, et pour tout dire d'un rnot, une flagr'ante trahison. Un évêque qui ne dit point son nom, reprend l'argument de Mathias Debelay et dans ses réprobations, joint très justement Ie C01'respondant à l'Ami. Joseph-Henri Jor- dany, de Frejus, relève, dans l'agresseur, ce rôle inadmissible d'un prêlre, sans autorité dans l'Eglise, qui se permettait de reviser Ie jugement du Pape et de condamner publiquement un journal pu- bliquement encouragé par Ie Sainl-Siège. L'évêque de Strasbourg, André Ræss, ordinaire de rabbé Sisson, l'invitait à de plus paci- fiques travallX, l'assurant qu'avec Ie système Cognal, Raint Augus- tin, Bossuet, Ie Concile de Trente et même I'Oraison dominicale ne seraient pas en sûreté. L'évêque de Rennes, Godffroy Brossais- Sainl-Marc,l'évêque de Quimper,René Sergent,l'évêque de Bayonne, Frallçois Lacroix, l'évêque de Tulle, Léonal'd Berlaud, l'évêque de Ia Basse-Terre, AugusLin Forcade, adressaient au rédacteur de l'Vnivel's des encouragements au milieu des épreuves, qui ne paraissaient, du reste, que propres à Ie grandir. L'évêque de Soissons, Ignace-Armand-G::.lston de Garsignies, imputait à l'abbé Sisson, des réflexions malséantes et Ie menaçait de se désaLonner 'il persévél'aiL. L'al'chevêque de SlnYl'ne el l'évêque òe Solie, Adolphe Marinelli, décIaraient que la buppl'ession de l' UnivcJ's serait u n m dheul' pl1blic, une calamilp. L'al'chevêql1e de New- York, LES PROCÈS DU JOURNAL (( L'UNIVERS )) 419 les évêques de Sainl-Hyacinthe et de London au Canada, l'évêque de 'Valel'ford, en lrlande, l'évêque d' Annecy, en Savoie, faisaien t, pour leurs pays respectifs, Ia même décIaration. (( lIs ont fait pour r Univel's, disait ce dernier prélat, ce que Vollaire, ce que les pro- testants, ce qne les impies font tous les jours pour les Ecritul'es. )) En résu1l1é, l' Unive1's étail accusé de tou les les erreurs, de lous les crimes, par un pamphlet anonyme de l'abbé Cognat, 'familier de l'évêque d'Orléans, par l'Ami de la Religion, journal à la dis- crétion de l'évêque d'Orléans, par Ie Correspondant, revue à la dévo- tion de l'évêque d'Orléans et par Ie Jlo17iteu1' du LoÏ1 et, pelil roquel qui mordait I' Univel's pour Ie compte de l'évêque d'Orléans. - Ð'autre part, I' Onivers élail défendu par lrenle évêques, qui exal- taient lrès haul les mériles, les services etles vert us de I' Univel's, qui déclaraient abominable Ia consvil ation ourdie contre une feuille si méritante, qui tenaient pour infàmes les procédés de la polémique, qui rejetaient comme absl1rdes les en'eurs imputées au journal catholique, qui l'innocentaient enfin de tous les griefs eL invilaient l'adversaire à 10urner contre l'ennerni commun des forces qu'il usail si misérablement con1re un frère d'armes. Hal's de France, la conspiration conlre l' Unive1 s était appuyée par pll1sieurs jOl1rnaux allemands, déjà favorables à ces idées de fausse conciliation, d'où est sortie Ia secte des vieux catholiques.Au fond, ce qu'on reprochail à r Univel's, c'étail sa fidélité, el, pour l'en punir, on Ie diffamait. En France el hot,S de France, lous les journaux acquis à Ia défense exclusive de la sainle Eglise, ne voyaien1, dans l' Unive1's jugé par lui-même, que l' {!niveì's calomnié par ses ennemis. En Belgique, Ie Jou1'nal de Bl uxelles, la l atl'ie de Bruges et Ie Bien puúlic de Gand ; en '\ngleterre, Ie Talliet ; en Espagne, la Esperanza; en Italie, I' ';'cho du lJ!onl-Blanc, la lJilan- cia, l'Amico callolico de :\lilan, rA1 monia et la Civilta catlolica considéraient la cause de r Unive1's cOlnme la cause de Ia Religion rles vrais pl'incipes calholiques et de I'indrprndance de Ia presse. Un répélai 1 parLou 1 'l ue l' {Tnivt'J's, cou \'l' 1'1 pal' llll èllcycliq ue lJontiHcale, après toutes les aUaque:; dont il avail éle l'ùbje1 et les lélnoi nages favorCtbles que )l1i avaient aUir'és CPS aUaque , 420 CHAPITRE Xln avail touLes Jes raisons de se croire òans la Lonne voie. (Juant à l' Unive1's, il se taisail ; il se bornail à enl'egislrer les faits. (( A part même toutes les raisons de conscience, lui écrivait l'évêque d'Ar- ras, il VOliS siérait de ne pas être plus que jamais digne, calme et modéré. On comprend l'agitation dans rimpulssance, on ne la comprend pas dans la force. Le reflet qui tombe maintenant sur votre æuvre doit VOliS la rendre tout à fait digne de respect. )) Quant au promoteur de celte triste campagne, saur les sympa- thies que lui accorda la presse impie, il n'eut presqu'aucun appro- bateur dans la presse catholique, et pas un seul qui se fit connaî- tre dans Pépiscopat. Le procès intenté à ]'abbé Cognat fut, sur l'engag'ement pris par l'abbé Cognat de ne pas réimprimer son libelle, supprimé apr'ès l'assassinal de l'archevêque de Paris, Si- bour, qui rut tué à Saint-Élienne-du-Mont, Ie 3 janvier 1857. Nuuc e1'ltdirnini ! CHAPITRE XIV LES ACCUSATIONS DU PÈRE CHASTEL. La campagne contre Ie rnonopole de I'Universilé avaiL prêLé ma- tière à plusieurs incidents. Faibles sur Ie terrain du droit, les par- tisans de cette tyrannie, pour soutenir les étranges préLenlions d'un ELaL sans doclrine à gardeI' Ie monopole de l'enseignement, avaienl allégué deux choses énormes : Ie danger que faisail courir, aux mæurs des clercs, la casuisUque de la formalion cléricale et Ie péril que suscitait conlre la liberlé civile, une soi-disanl conspi- ration de JésuiLes. De leur côlé, les défenseurs de l'Eglise, ren- dant coup pour coup, découvraienl ce chancre de corruplion qui dévOl'ait les collèges el celle puce maligne du philosophisme éclec- tique qui voulait prendre la place de l'Eglise. Sur ce deruier point, il n'avait pas élé difficile de couler has les lhéories humanitaires des u ns et les visées am bitieuses, mais stérilf s, des alllres, SUl'tou t de Cousin. On avaií pu reproduire les menaces vomies conlre PE- glise eL Inoulrer, dans les progrès de l'impiété, Ie germe d'une ré- volution. A cet égard, Ie coup d'æil des conlroversisLes orlhodoxes ayaH porté très loin; it avail dénoncé les envahissemenLs du so- cialisme eL les progrès de l'anarchie. TanL el si bien que Ia révolu- tion de févriel', éclatant comme un coup de lonnerre, dans Ie ciel embrasé du phi]osophisrne, avait couverlles philosolJhes de la plus exlrême confusion. Eux qui naguère se contentaient de lire)' leur chapeau à I'Evangile, parIaienL maintenant de renouer l'antique alliance de lareligion avec]a philosophie. Plusieurs parlaient même de se converLir. J usque-là que l'Académie, par une confession inl- plicile de 8es lorts, ouvrait une croisade Inorale et religieuse, pour tra vailler, selon ses forces, au sa] u L de Ia France. A ce momenL, on vit pal'aìtre en scène, un Jésuite, Ie P. Chaste!. 4 1..)\..) ........ CHAPITRE IV Depuis trois siècles, les Jésuites sont aux avant-postes du grand combat contre la révolution; depnis trois sièc1es, ils se font tuer sur toutes les hrèches et écr ser par to utes les persécutions. Sous ce ciel orageux de la cont['ovcrse, l'apparition d'un Jésuite promettait donc, à la bonne cause, un brave sold at de plus et au besoin un martyr. Pas du tout: Ie P. Chastel entraÏt en Rci'ne, car- quois au dos et flèches à la main, non pour tireI' sur les phiIoso- phes, mais pour les défendre ; non pour suivre les traces de ses devanciers, rnais pour entreI' dans les voies tortueuses de la conces- sion. Le rôle qu'il jOlla, n'a pas été encore bien compris, de nous, dll moin , et Ie rôle analugue de p]usieurs ne tombe pas plus que cellli-Ià, sous notre claire appréciation. PIllS d'une fois, en ce siècle, les J ésuites ont laissé à d'autres l'honneur de prendre leur place au feu: Lamennais, Gousset, Guéranger, Parisis, Bonnetty, Lacor- daire, Veuillol, tous les grands remueurs d'idées rénovatrices, tous les enchanteurs de la foule, n'appartenaient pas à l'admirable Com- pagnie; mais c'esL la première fois en ce siècle que nous voyons un Jésuite, non pas désarmer, mais se jeter entre les combattants, avec ces énervantes pensées de conciliation libérale, qui ne servent ja- mais à rien, qu'à favoriser Ie progrès de l'ennemi. A celte date, rien ne paraissait con1mander ceUe évolution. En 1845, Thiel's avait obtenu, contre les JésuÏles, un ordre de dissolu- tion. En 1849, les JésuÏles étaient revenus sur l'eau, et offraient, comme apologistes, comme pl'ofesseurs et comme religieux, au parti conservatellr, un précieux appoint. Leurs services n'éLaient plus dédaignés, on les recherchait. Dans les revues catholiques, ils avairnt des entrées gracieuses el savaient, comme toujours, en pro- fi ter. Les chefs du parti calholique les tenaient avec raison pour les meilleurs soldats du Saint-Siège. L 'évêque d'Amiens, Salinis, étaill'ami particulier du plus célèbre jésl1ite de répoque, Ie P. de Ravignan. A .\miens, lorsqn'il voulnt fonder un coll( ge calholique, ille confia aux Jésuites. et, en moins d'unejournée, il trouva cent nliJle francs: Ie collège de la Providence put s'ouvrir. Or, it ceUe heure, vivait a Saint-Acheul un jésuite parfaitement jnconnl1 nomme Chaste!. Ce jésuite preparait depuis longtemps, LES ACCUSATIONS 1)(1 PÈRE CllASTEL \23 dans l'ombre, une attaque inouïe contre les écrivains laïques, prê. tres, religieux, évêques, qui avaienl défendu, avec plus de succès, la. cause ca.thulique, depuis trente ans. Au moment OÙ les calholi- ques sans épilhèle couvraienl de leur protection cordiale son ordre persécuté, il crul devoir, au nom d'un ordre qui ne Ie démentil point, démasquer ses batteries el tireI' à mitraille conLre les chefs de l'armée catholique. Le C01Tespondanl. forteresse ouverte aux faux frères et déversoir habituel de toules les incohérences du li- béralisme, fut Ie lremplin où il commença son évolution. Les alta- ques ré\lnies fornl?\rent, en 1.850, un opuscuJe intitulé : (( Les ratio- nalisles et les lradiLionalistes on les écoles philosophiques de puis vingt ans h. Il faul citer, pour y croire, ces aberrations incroya- hIes. (( Depl1is plusieurs années, dit Ie jésuite, certains défenseurs de la religion. on t inventé pour elle un nouveau système de défense, nn système inol11 et dont elle-même s'esl éloignée. Pour mieux ven- gel' la foi et la révélation des excès de Ia philosophie et des abus de Ia raison, ils ont cru habile d'attaque1'la philosophic et fa 1 aison elle-même: c'est ce qu'ils appellent porter la guerre chez l'ennemi. On refusera de cl'oÙ'e unjour que ùes éCl'ivains 1'eligieux aient pensé rendre service à la cause de Dieu en niant la valeur de la raison, run des plus sublimes présents de Dieu. (( Bien des cathoJiques instruils, à qui Ie tern ps ne permet pas au- jourd'hui de lire tout ce qui se publie, ignorenl sans douLe la ma- nière humiliante pour eux clont on défend ce qu'ils onL de pIns sacré au monde. Us ignorent com bien de nouvealltés él1 anges, d'a1'- gumenls f1'ivoles et. de vaines théo1'ies inventenl et propagent dans leurs jou1'naux, leurs revues el leurs liv1'e , des hommes estimables, mais qui s'abusent j usqu'à se croire et s'appeler école calholique moderne. (( NOR adversaires nalurels, les ennemis de notre foi, ne sont point arrêtés parceUe tacLiql1e de nouveaux défenseurs du Chrisliani::;me. Au contraire ils en ll'iomphent ; et forls de notre faiblesse préten- due et de leur propre audace, ils conlinuent une guerre in ensée et se flatlcnt ùe substituer au règne du catholicisme, Ie- règne d'unp 4 -i CHAPIT RE XIV phiJosophie pU remen L naturelle)) (1.). Le j ésuite ne met cerLaine- Incnt pas sur Ie même pied les personnes et les intentions; mais il considère Ie raLionalisme eL Ie traditionalisnle, comme deux er- reurs funestes, et, à son sens, il u'es1 que temps, pour l'honneur de la cause catholique, de dévoiler les dangers de eet imprudent eL déplorable système du 1radilionalisme. Autrement l'Eglise courrait Ie risque de ne pouvoir plus démon1rer, à soi et aux autres, l'existence de Dieu. Voilà de bien grosses im pulalions; it eÙ1 faUu ùes preuves. Tout Ie monde est convaincu que l'esprit humain est fail pour la vérité et qu'il peut la connaìtre. II s'agit de savoir comment it pent y parvenir ; mais la question est résolue pal' Ie fail, puis- qu'on sait comInent il y est parvenu. Vue pure possibililé est une affaire de spéculation : ce qui iInporte, c'es! la réaJiLé. Or, la l'éa- lité es1 que Dieu a créé rhomme ad ulle, f{u'illui a donné une âme vivante, qu'il lui a fait connaître la loi de vérité e1 de vie, que l'homme l'ayan1 reçue s'y est soumis et l'a enseignée ensuiLe à ses descendants. Tous conviennent qu'une fois instruit par Dieu d'un cerlain nombre de vérilés. l'homme peut féconder Ie dépót qu'il a reçll; aux vérités q u' on lui enseigne, chercher et trou vel' un fondement ralionnel, une preuve, une démonsLration logique ; de ces vérilés premières, faire jaillil' par Ie raisonnement plusieurs autres vérités secondaires qui sly h'ouvaienl r'enfermées et qui en découlen1 comme conséquence. Mais avoil' une pensée avant toute révélation, ou après la révélation, découvrir une véri1é en- ti rement nouvelle, qui n'ait pas élé donnée par Dieu ou par ceux qui la tiennent de Dieu, voilà, selon Ie P. Chastel, ce que les 1ra- dilionalistes j ugent im poisiLle. Dans son Ii vre con tl'e les rationalistes et les tradilionalistes, Ie P. Chastel veut prouver Ie contraire par une discussion philoso- phique; it s'exerirne cent pages durant, contre ces impies nova- teurs; it appelle à son aide, S. August.in, S. Thomas, et ne ren1et l'épée au fourreau q u'après avoir exterminé ses ad vcrsaires. Si non e veì'O, e ben t1'ovato. (I) Les RatioJlalistes et les Traditiunalistes J préface. LES ACCUSATIONS DU PÈRE CllASTEL i25 Dans un second ouvrage, pubIié en 1852 et intilulé L' Eglise et les systèmes de lJhilosopltie, Ie P. Chaslel vient à rescousse. D'abord il pose Ie droit q u' a l'Eglise d'in tervenir dans les questions de philosophie. Ensuite, sans citer un nom, sans ciLer aucun livre, il choisit des phrases el des lambeal1x de phrases, les amalgame, les met sous la protection de guiJIemets, en fOI'me un système monstrueux qu'il appelle Ie traditionalisme et l'accable de ses analhèmes. A l'entendre, l'auteur de tout mal, c'est Lamennais. Larnennais niait la raison individuelle, ne se Hail qu'à la raison générale et à l'action de rautorité. Depuis, ses disciple , soumis en apparence, ont repris et aggravé toutes ses erreurs. Le P. Chastelle prouve par cinql1anle pages de citations; en voici quelques-unes : (( Notre raison est si incertaine par elle-même que lorsqu'elle sort de la foi, eUe ne peut plus lrouver Ie port sur Ie vaste océan des droits. Notre entendemen t ne peut Lenir la vériLé ; Ia foi seule peut lui donner un fond. (( La raison ne peut s'élever d'elle-même au-dessus des sens où elle ne tarde pas à expÍl'er comme dans Ie vide... il faut qu'elle emprunte Ie secours de la foi. (( L'élément hislorique, tradilionnel, est seul certain, fixe, réel, ùivin; Landis que l'élément personnel, etant assis sur la réflexion humaine, est mobile, changeant, nébuleux comme eIte. (( Les v rilés nécessaires, qui portent tout l'édifice de nos con- naissances, proviennent toutes en principe de nolre contact avec la société, où eUes sont infuses, Oll eUes existent par Ie fait, et oll lout se transmet et s'apPI'end, même Ia verlu. (( L'école catholique soutient que Ie principe des idées, la règle de nos aflirmations, est extérÍeure à I'homme. El1e Ies place dans la révélation conservée exlérieurement, dans la tradition, dans 1'Eg-lise. Voilà ce qui sépare les raLionalistes des calholiques )). (( L'ordre de foi doit lúujours précéder l'orclre ùe conceplion.- La raison, dans chaque homme, e l Ie l'ésuHat des enseignements reçns (1.) )). (I) L'Eglis(' el les sy..;t;'IIl(Js de 1J/ti/osophie tlWÚf'I'UC, pr. 11-0 it 179. 426 CIlAPITH.E XIV Le P. Chastel fait toutes ces citations, sans indiquer ni un titre de livre, oi un nom d'auteur, ni rien de ce qu'exige, en pareil cas, la plus vulgaire probité. On doil Ie croire, mais on ne peut y aIleI' voir. L'auteur, prévoyant l'objection qui se présente natu. rellement à l'esprit, dit. qu'il a dû tr'onquer les textes, par la rai- son qu'il ne pouvait produire d'innombrables pages; mais il pro- teste de l'exactitude des textes produits et n'admet pas Ie doute contre sa bonne foi. On peut, sans être de mauvaise foi, s'abuser ; et sans produire des VOll1nleS entiers, on pel1t allongeI' un peu plus ses citations pour en mieux faire ressortir Ie sens. RicheIieu disaiL: (( Donnez-moi ql1alre lignes d'un honlme et je me charge de Ie faire pendre )). Ql1atre lignes, en eITet, c'est tout juste ce qu'il faut pour dresser une potence; avec huit, ce serait moins facile. Mais ce qui est parfailement déraisonnable et déloyal, c'est d'attaquer vingt auteurs sans les regarder en face; c'est de les frappeI', par derrière, en se donnant, par une dernière inspiration de bassesse, Ie vernis de la loyauté. (( Nous pensons, conclut Ie P. Chastel, que ces doctrines ne sont guère différentes des propositions lamennistes que l'épiscopat français, en 1832, condamna et censura,. (( comme fausses, con- traires à la parole de Dieu et à la tradition constante des Saints Pères, eomme anéantissant l'l1n des plus grands et des plus in- contestables hienfaits de 1'Incarnation ; comme grièvement offen- sives des oreilles chrétiennes, en ce qu'elles assimilent Ie culle des anges et des saints à celui des divinités chimériques; eomme renversant toutes les notions que I'Ecriture et les Pères donnent de l'idolâtrie; comme injurieuses à la révélation mosaïque, dont elles anéantissenl un des eITets les plus pr(Ícieux, qui est d'avoir conservé Ie dépôl de la révélation primitive; comme injurieuses cnvers Ie Sauvrur, à qui elles enlèvent la gloire d'avoir tiré les hommes des tén('bres de l'erreur )). II est done vrai que, sur les points les plu fondamentaux, les traditionalistes d'aujourd'hui ne sont que trop fidèles il l'esprit de l'école qu'ils continuent, et que Ie concile de Rennes a eu grandrment raison de signaler les efforts de résurrection d 11 lamcnnisme en France. )) LES ACCUSATIONS' DU PÈRE CHASTEL 427 Les deux allégations du P. Chastel, à l'appui de sa conclusion, étaient fausses. La censure de Toulouse contre Lamennais. n'avait pas été confirmée à Rome, et Ie cardinal Morlot, président du con- cile de Rennes, déclara que cette assemblée n'avait pas prononcé une sentence contre Ie traditionalisme. En 1.852, Ie P. Chastel, .pieusement obstiné, du moins, il Ie croyait, attaquailles traditipnalistes dans un troisième ouvrage sur l'origine des connaissances humaines d'après l'Ecriture sainte. << L'école nouvelle des traditionalistes, dit-il (p. 2), a pour dogme fondamental, cette supposition inventée par elle, que la raison humaine ne pent acquérir et posséder aucune notion religieuse, morale et intellectuelle, si ces notions ne lui sont communiquées, transmises par quelque intelligence antérieure, qui l'enseigne. L'homme, disent-ils, est essentiellement un animal enseigné; et la vérité lui arrive, comme les autres biens de famille, par héri- tage, par transmission. )) Le 'P. Chastel, dans toutes ces algarades, ne cilait personne, mais il avait soin d'ajouter: << On devinera sans peine à qui cela doit s'adresser )). Un correspond ant osa demander au P. Chastel de vouloir bien user des formes, convenances, usages, droits et j nstices, acceptés par les honnêtes gens dans une polémique. Afin que 1'on püt dire que les catholiques discutent entre eux comme d'honnêtes gens, on Ie priait de citeI' les noms propres et d'indi- queries citations. (< Pour les doctrines que je signale, répondit-il, chacun est lib1 e de les laisser à d'au tres comme leur appartenant ou de les défendre pour soi et de les défenrlre comme siennes. )) On com prendrait cette réponse, si Ie P. Chastel a vait fait des ob- jections générales, mais telle n'était pas sa polémique. L'obscur jésuite avail dénoncé au monde, une école composée de to us ceux qui, depuis vingt ans, défendaient l'Eglise; et c'était gràce à ces défenseurs que la cause catholique avait fait des progrès teIs, que lui, Chastel, pouvait se dire ouvertementjésl1ite et que sa Compa- gnie pouvait ouvrir partont .des collèges. Or, c'élaienl ces mêmes apoloçistes, qui tous avaient défendu la Compagnie, qu'il accusait d'être en révo1te cont.'e les concHes ct cnntre rEglise. .Mais, en 428 CHAPITRE XIV les dénonçanl ainsi, en signalanlleurs erreurs, sans indiquer au- cun texte ni aucun nom, voulait-il, du moins, qu'ils demeuras- sent ineonnus! Non; lui-même faisait eel affiigeant aveu: (( De celte manière, sans que leur nom soillivré au public, les auteurs d'abord, et ensuite ceux qui les liront, velTont à qui et à queUes er1"eUrS peut s'appliquel' Ie blÙme du eoncile. Nous tenons à le faire remarquer, parmi les nombl'eu.,x auteurs que nous alions ei- ler, nous ne voulons pas dire quels sont ceux que Ie concile a eu directemenl en vue, ni à qui il entendait spécialement s'adres- ser (1) >>. Explique qui pourl'a cette logomachie. Telle était la nlélhode d uP. Chaslel. Quant à sa loyauté, il don- nail sa parole de chrétien, de prêtre et de religieux : (< Quiconque, disait-il, croirait devoir publier un doute SUI' quelqu'une de nos citations et sur Ie sens qu'elle pent avoir, nous nous offrons à Ie satisfai1'e, pourvu qu'il s'engage : 1. 0 à publier que nous l'avons sa- tisfait : 2 0 à ne pas divlliguer Ie nom que no us lui aurions révé]é )). Ainsi la conspiration était parfaitement ourdie. Qui, en effet, parmi les lecteurs ordinaires, et surtout parmi les lecteurs chrétiens, aurait misen doute la parole d'un prêlre parlant avec tant d'assu- rance, avec une si belle fermeté? Les auteurs incl'iminés devaient, à ce coup, douter eux-mêmes d'eux-mêmes eL se dire: << Serait il possible que de telles expressions fussenl sorties de ma plume? ne me suis-je pas trompé grossièrement et, ne raut-il pas rétracLer mon erreur? >> Les bruits, on Ie pense bien, allaient leur train. On disaiL: (( C'est celui-ci, c'est ceIui-Ià. Le P. Chastel aUaque tel évêque, tel al'chevêque, tel cardinal >>. L'auteur, COlllme tous les hülnmes engagés dans une mauvaise affaire, n'élait pas bien sÙr de son fail et encore mains de sa situation. Pour replâtrel' les brèches qu'y faisaient les morSUl'es de l'opinion publique, il donnait de vive voix ou par écrÏl, différenles l'éponses. On ne demandait que plus fort ce que voulail cet écrivain, OÙ il voulail abUll tir, quel hon- neur, quel profit il pouvait espérer de sa polémique? Questions ('1) COì'}'espoudaut, t. ÀJX, p. 1't. . LES ACCUSATIONS DU PÈRE CHASTEL 429 importante , mais insolubles, à moins, ce qll'ün ne doil jamais faire, ùe pénétrer dans la conscience du censeur pour lui impu- tel' un crime. Ce que ne disail pas Ie P. Chastel, d'autres Ie dirent; ce que Ie P. Chastel ne faisait qu'en cacheUe, d'autres voulurent Ie publier sur les toits. Un autrejésuile, Ie P.Deschamps, dans un livre inti- t.ulé: Du paganisme dans l'éducation ou défense des auteurs catho- liques des quatre derniers siècles contre les altaques de nosjours, nomma l'évêque d'Amiens, Salinis, et, avec l'évêque, Charles de Coux, Montalembert, Bonnetty, Ventura, Gaume. Un certain abbé Delacouture, dans un ouvrage intitulé: Obse1'vations sur- un dé- ere! de l'Index du 27 septembre (c'est celui qui avail frappé Ie droit c3.l1on de Lequeux,) ajouta, comme coupables au premier chef du trarlilionalisme démasqué par Ie P. Chastel: Ie cornte de laistre, dont il ne savait pas orthographier Ie nom et qu'il appelait un certain Demaistre ; Ie vicomte de Bonald, l'auteur de la Législalion p1'irnitive; Äuguste Nicolas, I'auteur des Etudes philosophiques SU1' le C hl'istianisme ; Charles Sainle-Foi, Ie traducteur de la lJlystique de Goerrès et de vingt aulres ouvrages; Veuillot, Dulac de Monl- vert et Coquille, rédacteur de l' Univers ; l'abbé Morel, collabora- teur du même Journal; Ie docteur Bouix, l'auteur du COU1'S de d1'oil canon; Ie docteur MarLinet, l'auteur de la Solution de grands pl'oblèmes et de deux Lhéologies, plus d'un trailé sur l'accord de la foi avec la raison; l'abbé Gerbet, l'auteur de Rome Ch1'étientte ; rabbé Combalot, Ie grand orateur, auteur d'un trailé de l'Incar- nalion ; Parisis, évêque de Langres, Ie Pierre l'Ermite de la Cl'oi- sade pour la liberté d'enseignement; Jean Doney, évêque de .Mon- tauban, un des maìtres de la philosophie ; et, comme digne couronnement, Ie grand cardinal Goussel, digne successeur de S. Remy, d'Hincmar et de Gerbert. Tels sont les hommes que De- lacouture, Deschamps et Chastel, trois grandes trompettes de la vérité, dénonçaient, en Galaad, comme les coryphées de la grande hérésie contre la raison. Par Ie contraste qui s'établit, spontané- ment; entre les accusaleurs et les accusés, on se demande s'il faut prendre au sérieux l'accusation et s'il ne serail pas plus court d'envoyer les dénonciateurs dans une maison de fou . 430 CllAPITRE XIV Le grand pourfendeur, Ie P. Chastel, n'était pas lui-même si bien aulorisé qu'on peut Ie croire. Dans ses cogitations, si forte- menl improbatives, contre d'illustres apologisles, il osait, entre autres énormilés, soutenir les proposiLions suivantes : (( Anté'ì'iell- r'ernent à la prescr'iption et à la volonté divine, il y a bien et mal mo- ral, il y a obligation morale.. .Car si Dien ordonne ou défend,il faul qu'il y ait ou non une r'aison antér'ieu'ì'e d'accep1er sa volonté et de lasuivre. II ya toujours obligation morale, devoir réel, quand rnême on fer'ait abst1'Qrtion de Dieu el de la religion... II y aurait q uelque obligation naturelle, quand rnême on accurderait, ce qui ne se peut, qu'il n'y a point de Divinité, ou en faisant abstrac1ion pour un moment de son existence )) (1). De ces paroles, il résulte: [0 qu'on peut mettre en supposition que Dieu n'existe pas; o que dans cette supposilion, il y aurait toujours une morale 3 0 que cette morale serait obUgatoire.(( Voilà, dit Bonnelty, la profession de foi du P. Chastel. Nous accep10ns toutes ces paroles telles qu'il nous les doune et no us les déclarons abominables. Oui, abomillables et souverainement dangereuses, parce qu'elles enseignent à l'homme civil, à l'homme politique, aux gouvernements, à croire qu'ils peuven1 se passer de Dieu ; et, à plus forte raison, qu'ils peuvent se passer du Christ e1 de l'Eglise, et, par suile, de son Chef et de ses évêq ues : c'est la justification des atten1ats sacrilèges de Mazzini e1 de tous ceux qui ont chassé Pie IX de llome. Aussi, sur celte queslion, nous n'acceptons l'auto- rité d'aucun philosophe, d'aucun écrivain, à moins qu'il ne nous appor1e rautorité de I'Eglise, devant laquelle nous faisons profes- sion de soumettre notre entendement, parce que nous reconnais- sons en elle la conservation et l'organe des révélations de Dieu I> (2). Ces paroles ne sont pas trop fortes. Le p, Chastel ressuscitai1, probablement sans Ie savoir, la théorie païenne de Socrate e1 de Platon ; il se mettait à la suite de Cousin, Ie patriarche de l'éclec- tisme, Ie propagatellr en France du panthéismc d'Allemagne, in- vasion qui prépal'ait celIe des fusils pl'u sirlls. 01', Cousiu, PI'tJlli.lI11 (1) Les 'J'ationnlistes et les tl'aditiurtalistes, p. 4i-45 et sq. (2) Annales de philosophie ch,'étienne. t. 4i, p, 268. LES ACCUSATIONS DU PÈRE CHASTEL 431. les idées de Platon, voulait supprimer tOl1te révélalion extérieure de Dieu. Pour revenir au fait du P. Chastel, ce jésuite reprenait tout simplement, contre les plus vaillanls défenseurs de l'Eglise, la méthode employée, contre les jésuiles, au XVIIIe siècle, dans les E'xt1 aits des assertions, qui servirent tant à la proscription de la Compagnie. Or les Ext1'aits des asse1 tions avaient été fails avec une formidable apparence de droiture et d'impartialité. En tête de chaque article figure d'ahord en grosses leth'es Ie nom de l'auteur, à la suite vienlle titre entie1" de son liV1'e. suivi du nom du supé- rieur qui l' a app)'ouvé; la page gauche con tien 1 Ie texie latin, la page droite Ia traduction française, et, en marge, l'indication du volume, Ie titre du chapitre et la page où est prise la citation. Bien plus, on a eu Ie rand soin de marquer par des points, les endroils où l'on omet quelque chose de la citation. Enfin, au quatrième volume se trouve une table des auteurs renfermant, pour chaque question, l'année de l'édition, Ie nom de l'auteur e1 la page du livre cité. C'est à l'aide de ces indications qu'on a pu prouver facilernent que ces citations étaient souvent fausses, tou- jours dénaturées e1 perfides. Le P. Chastel n'a pas imité ceUe adroite fourberie. D'abord il ne cite ni un auteu1 , ni un nom, ú.i un lim'e, ni une page; il n'y a là qu'un auteur responsable, c'est l'école h aditionaliste. Toutes les cita lions, dit-iI, sont j ustes, fiòèles, conformes au sens ofrert pa Ie P. Chastel ; et c'est lui seul qui en témoigne. Testis unus, tes- tis nullus, dit un apophtegme du droit. V oici ensuite ce que Ie P. Chastel a fait de ces extraits mis l'un à cóté des aulres. On connaît les C,)ntons d'Homère et de Vir- gile. On désigne ainsi Ie travail de quelques auteurs qui ont pu- blié l'histoire en1ière de l'ancien et du nouveau Testament, seule- ment avec des vel'S de Yirgile e1 ò'Homère. Le P. Chastel fait la même chose pour composer ce qu'il appelle les el'1'eurs des tradi- Lionali tes. D'une main haLile, il a découpé (on ne peut pas dire cilé) dans le auteurs catholiques çit e1 là, des phrases, et, après les avoil' c()upée , en les rajustant, il a essayé de composer les dogrnes 432 CHAPITRE \.IV de je ne sais quel système, et, pour y réussil', il ne s'esL pas fait faute de violer tOl}tes les I'ègles reçues des écrivains, non pas seu- lement religieux, mais incrédules et n1ême révolutionnaires. Ainsi, il est d'llsage qu' u ne citation se mette en tre guillemets ; cela signifie que les paroles citées apparliennent à un seul auteuI'. Le P. Chastel se moq l1e de cette règle ; il prend plusieurs phrases dans plusieurs éCl'ivains et les met à la suite Ies unes des autres, sans séparation et sous les mêmes guillemets. Ainsi, quand on cite plusieurs phrases sans les séparer par des points, c'esl que ces phrases suivent dans l'auteur cité. 0.', Ie P. Chastel ne s'astreint pas à cette règle de justice et même de convenance puél'ile et honnête; il joint des phrases pl'Ïses à trois ou qual1'e ans d'intervalle ; il supprime un mot au milieu de ces phra- ses, sans dire pourquoi, ni comnlenl. Et si ron réclame contre ces pI'océdés sans pl1deur, il répond : Que chacun reprenne son bien où ille Íl'ouve. Mais ne voyez-volls pas que quand votre lecteur aura reconnu quelques phrases pour être d'un auteur, i1 se croira autorisé à altribuer au même auteur la suite des phrases? et vous qui l'y aurez autorisé, ne euntinuerez-vous pas à faire calomnier eet auteur et par conséquent à Ie calomnier' vous-même? Le P. Chastel sent bien que de tels procédés provoquent. dejl1s- tes plaintes ; il sent qu'il peut s'élever des doutes sur la fid('lité des citations et sur Ie sens qu'illui plait de leur attribuer. Alol's il offre, à tout plaignant. une satisfaction, mais à huis clos; et c'est au plaignant lui-même qu'incombera la charge de se dire, coram po- pulo, satisfait. On comprend que cela peut se faire à un homme préscnt et qui vous parle; mais est-ce sérieusement qu'on offrc òe satisfaire tous les lecteurs qui, en Europe et Amériq u e, auron t ell connaissance d'accusations? Supposez que cela fut possible du vi- yant de l'accusateur, apl'ès sa mort, queUe ressource restera à ceux qui concevront des doutes sur sa loyauté? Les voilà contraints de se fier à une pal'ole erronée et lrompeuse, Qu'eussenl dit les .Jésuites si, lor::5que Pascal publia ses P1'ovin.. riales, il avait fail celte déclaralion: (< Je tiens à Ie faire remar- queI', si parmi les nombreux auteurs que je vais eitel', je ne veux LES ACCVSATIO ))U PÈRE CHASTEL .133 point dire quels sont ceux que j'ai directemeQt en vue, ni á qui j'entends spécialement m'adresser; je parlerai cependant de Ola- nière que, sans livr81' lenr' nom au public, les auteurs d'abord et en:suite tous mes lecteurs ven'ont à queUes eITeU1'S et à quels auteu1'S doivent s'appliquer files critiques )). Si Pascal eût parlé de la sorle, tout Ie monde eût cri é à la calomnie. Ce que Pascal n'a pas osé, Ie P. Chastelle faisaiL Tout auteur cité a droil Ù ce que son livre parle pour lui ; il a. dr'oit à ce que celui à qui 1'on cite sa parole puisse voir comment eUe a été placée par son auteur'. En refusant de Ie citer, vous lui òtez un droit acqnis ; en manipulant ses paro- les, VOLlS violez toutes les règles, vous foulez aux pieds Ie droit des gens. Que sera-ce si nous examinons les citations du P. Chastel? Le P. Chastel reproche à Auguste Nicolas d')avoir dit que la phi- losophie n'est 1'ien et qu'elle ne se1'a jamais rien. Or, Nicolas avait cité ces paroles de Jouffroy : (( L'objet IJ1 écis de Ja philosophie n'a pas enC01'e été déterminé ; et voilà ce qui a fait faillir et les Lenta- lives d' Aristote, et celles de Bacon, et ceHes de Descartes, pour réformer la philosophie proprement dite n. Jouffroy, dit Pierre Leroux, s'était donné en exemple à la jeunesse, <( dans Ie but de démonlrer la douloureuse situation de l'esprit humain, dépouillé à jamais de foi aux dogmes re!igieux du passé, et n'ayant, pour y suppléer, que la 1'adicale impuissance J.'une philosophie qui s'igno1'e elle-même, puisqu'elle ignore son objet véritable )). Nicolas citait encore des paroles senlblables de Laromiguièl'e eL de Hegel. Puis, fidèle à son rôle d'apologiste, il repoussait (( celle philosophie fal- lacieuse qui ruine les bases de la raison, pour empêcher la religion de s'y appuyer )). Faisons toulefois, ajoutait-il, des réserves en (a- veU1" de la philosophie vPl'itable et sau vons-Ia, avec la foi, des. n}ains de leurs communs ennemis. La philosophie est quelque chose de v1'ai, de g1'and, de beau, de saint; car c'est une assimilation de la sagesse éternelle. C'est elle que suivait Platon et pour laquelle mourait Socrate ; c'est eUe que recueillait Cicéron et qu'iI défen- ùail contre les s?phistes, comme il défendait HOlne conLre les ùe- vastateurs; c'est elle qui vinL se réfugier moul'anle au sein du 28 4:34 CIIAPITRE XIV Christianisme, el qui, l'avivée par lui, a pris un vol si hardi et si soulenu sous la plullle des grands Jocleurs de la foi chrétienne, et notamment de S. A ugustin, de S. Anselme et de S, Thomas; qui depuis a inspiré de si beaux traités, orgueil légitime de la rai- son, à Malebranche, à Leibnilz, it Bossuet, à Pascal, à Fénelon, à Clarke, à Schlégel, à Euler, et qui a produit, dans notre siècle, les deux seuls noms philosophiques qui passel'olll à la postérité : de :\faistre et Bonald. Celle-Ià est une v1'aie science en possession de son objet et qui manifesle sa vie par ses æuvres )). Ainsi avail parlé Auguste Nicolas. Que penser de rimbécile men. songe de Chastel et de Delacoulure qui lui prêtaient les paroles de Jouffroy et de Pierre Leroux, quand Auguste Nicolas fie les avait produiles que pour les réprouvel' et dire précispment Ie con. t1'aÌ1'e de ce que Iui prêtaient ces deux censeurs? Lui qui fait des réserves en faveur de la philosophie véritable; lui qui }'appelle quelque chose de vrai, de grand, de beau, de saint; lui qui rassi- mile à la sagesse éternelle et glorifie ses créalions : c'esllui qu'on vent faire passer pour un iconoclaste de la philosophie. Le P. Chastelavait reproché, au P. Ventura, d'être partisandu système de Lamennais, Or, Ie P. Ventura avail dit: (( La philoso- phie chrétienne, prenant de Jésus-Christ la lumière pour connaî- tre". a reconnu que l'homme a en lui Ie principe de la certitude, . mais non pas une certitude absolue sur toule chose; que l'homme a en lui la ce7,titude complète des premiers principes, certitude de ces vérités premièl'es par lesquelles l'entendelnent de l'homlne est comme constitué... et par conséquent, disait S. Thomas: (( L'in- telligence en tant qu'elle ne fail que percevoir est toujours dans Ie vrai )). Il en étaÏl de même des senSe La philosophie chrétienne ne dédaignait pas leur témoignage ; elle plaçait, au contraire, dans les sens, la certitude des vérités de l'ordre physique. Voilà com- ment la philosophie chrétienne conciliait les droit.s de la raison avec les droits du sens commun )). Puis, combattant Lamennais, le P . Ventura, s'appuyanl sur la Somme de philosophie du domi- nicain Hosellius, disail: (( La cerlitude résultaut du lémoignage tommun, I'epo e principalement SUI' des ce1.titud,'s pal,ticl1lièn J s, LES ACCUSATIONS DL PÈRE CHASTEL t3:5 comme Ie nombre esl formé des unités qu'il comprend. On con- çoit que plusieurs hommes, n'ayant que de faibles ressourccs, en réunissant leurs fonds, puissent former un grand capital; Inais on ne conçoit pas comment un grand capital pent se former par plusieurs hommes ne possedant aúso[umenl rien. Fonder donc la certitude sur Ie témoignage universel des hOlnmes, tanùis qu'on leur refuse tout moyen de certitude parlicuIièl"e, c'est absul'de et même ridicule. C'est cependant Ia méprise OÙ est tombé l'auleur de I' E'ssai, ayanl prétendu que l'homme seul ne peut être ce1'lain de l'ien, pas même de sa propre existence; et que des homme5 qui, sépa7'ément, ne sont certains de rien, en s'accordanl à affirmer une chose, puissent produire un témoignage d'infaillible certi.. t u de)) ( f ) . Ainsi, Ie P _ Ventura avait proclamé les certitudes de la philoso.. phie chrétienne; 11 avait combaltu expressément Ie système de Lamennais et Ie P. Chastellui avail reproché de Ie soutenir, quand, par ailleurs, il étail hisloriquement certain que Ie P. Ventura avait repoussé les aberrations de l'auteur de l' Essai S111 l'indiffé- I'cnce. Quel nom donner à une pareilLe ignorance pt à uoe telle audace '! Le P. Chastel avait reproché aux Annales de philosophie chré... tienne d'être l'organe attÏlré du traditionalisme et avail essayé de Ie prouver par des textes découpés OÙ Bonnetty ne relevait pas muins de dix a1téralions (2). Delacouture, précisant le griefs de Chastel, ayait prêté à Bonnetty, ceUe phrase décisive : (( La rai- son dans chaque homlne est)e résuHat des enseignements qu'il a reçus )); preuve accablante, en effet, de son traditionalisme. Or Bonnetty avait dit : (( La raison, selon nOllS, est, dans J'homme : 1 0 la (acultéinnée, natllrelle de connaîtl'e el de com prendre plus ou moins ce qu'on enseigne : l'âme humaine, comme Ie dit S. Thomas, est 'llne table ]'ase sur laqueJIe il n'y a rien d'écrit. - Elle est: 2 0 Ie résultat de l'enseignement qu'il a reçn. M. Maret eL M. Freppel di- (1) La J'aison philosúphique et la raison catholiqllc, t. [, p, 158-W2. (2) Armules nt! philosophic ch/'(Jtiertnc. t. XI....IV p. H07. 43() CliAPI1'RE \(V sent que c'est une vérilable révélation de Dieu : que nos lecLeurs prononcent )) (1.). C'es sur ceLte conception de la raison nalurelle, que les Anna- les de philosophie recueillaient, comme preuve de la révélation prirniLive, les rayons brisés de cetLe tradiLion, cOllsignés dans les livres des Gentils. En les recueilLanL, les Annales ne négligeaienL pas defail'e observer que ces texLes n'étaient pas compris de la foulc; que les iniliés seuls les connaissaient bien, et encore pas toujOl1l'S ; et que nous, gràce aux révélalions du ChJ'ist, nous ]es connaissons mieux que les initiés des mystères païens. l..e P. Chastelleur re- prochait d'enseigner que les païens en étaient arriyés lä par la puissance native de leur esprit; que c'est là que Ie Christ auraH pris les principaux articles du symbole; qu'ainsi l'esprÏt humain n'aurait eu besoin ni du Christ, ni de l'Eglise, pour savoir ce qu'il faul croire et ce qu'il faul faire, puisque les vérilés du symbole leur auraient été données par la raison et par]a conscience. A quoi les Annales répliquaienl naturellement qu'impuler des indignités pal eilles à des catholiques de n1arque, c'esl un comhle de soltise. En eifeL, prouvel' ]a révélation primitive par des témoignages païens, ce n'est pas démonlrer la parfaite suffisance de la raison naturelle, c'ost prouver, au contraire, son insuffisance. Du reste, sur le fait capital des traditions anciennes, objeclées à tous les fabricanls de religions naturelles, on ne peut en contester sérieu- sement l'existence. Pour les J uifs, ces tradilions ont élé recueil. lies dans Ie Thahnud, et, (JUUI' les Gentils, outre qu'ils pouvaient les connaìlre par la révélation primitive, iIs pouvaientles puiscr encore dans les anciens Jiyres canoniques, non parvenus jusqu'ã no us. Ces livres sonl en grand nombre ; no us citons ici la Pl'ophé- tie d'Hénoch (Epit. de S. Jude, 4); Ie LÙ'1'e de ['alliance (Exod.,XXIV, 7) ; Ie Lim'e des gue1'res du Seigneu1"' (Nomb., XXI, 14) ; Ie Liv1'e des Justes (Jos., X, 1:J et II Rois, I, is); ]e Lim'p. du Seigneu1 (Isaïe, XXXIV, 16) ; les LiV7'es d/J Samuel, de 1.Yathan, de Gad, de Séméias, d'Addo, d'Allias, de Jehu (I Paralip., XXIX, , et II Par., IX, !J- (1) Annates, t. XL, p. 147. LES ACCUSÁTIONS DU ptRE CllASTEL 437 30 ; XII, 15 ; XIII, 22 ; XX, 23); Les discOU1'S d'Osa'i (Par., XXXIII, f 7): Les A.ct-ions d'Osias, écriles par Isaïe (II Par., XXVI, 12) ; T1'ois 1nille Paraboles, par Salomon (III Hois, IV, 32-33); l"J;lille et cinq cantiques, par Ie même ; I'llistoire lIat1.lrelle, par Ie même ; I' Epi- tl'edu proplu1te Elie au roi d'!sl'a;;! (II Par., XXI, 12): Le livre dp, Jean fJÜ'can (I Mach., XVI, 2/ ) ; Les Descriptions de Jérr;rnie (II Mach., 11,1); Les livres de Jason ([bid., 24). Voilà üù il faut ren- voyer ceux qui nous disenlles dogmes chrétiens sortis des livres de la Gentililé. Qu'ils 1l0US prollvent que les Gentils o'ont pas puisé leurs traditions dans ceH livres, dans Ie Thalmud ou dans les Sain- les crilures. Quant au P. Chastel, trouvant que ces témoigoages, fournis par les tradilions de ]a GenliliLé, exaltent trop la raison, c'est un paralogisme qu'il est sl1perflu de discutel'. Cependant Ie P. Chaslel vivail à St-Acheul, sous la direction de :\lgl' de Salinis, qui avail donné, aux JésuiLes, Ie beau collège de la Providence. En reprochant, aux traditionalistes, de vouloi,' dé- truire la rai!.'on, i1 aLlirait naLurellement, à sa compagnie, les sym.. pathies des ralionalisles, des universilaires et du gouvernenlenl. A cÔlé du P. Cha tel, se lrouvait un autre jésuite, qui aùopla sa thèse et reprocha, avec une grande hauteur, l'expression de ra- Lionalisme catholiq ue, ùont s'étail srrvi l'évêq ue de Mon lauban : (( Nous estimons, disait-il. q u'il fau t one rare audace, ou une lé- gèreté pIllS ral'e encore, pour jeteI' à des hommes dont l'orthodoxie ne peut êLre mise en suspicion, la dénomination, pour Ie moins étrange, de rationalisles calholiques. II n'y a pas d"hérésie calho- lique; iI n'y a pas de schisme catholique ; el quiconque en suLit Ie rept'oche auraiL Ie droit de se croire insulté )) (1). L'évêqued'Amiens futjuslement ému de voir de semblables alla- ques se produire contre des écrivains digneð de la plus haute consi- dération el contre dïllusll'es évêques, au nombre desf]uels il avail l'honneur de compteI'. Le P. Chastel ctle P. Félix fl1,'enl done mandés devant lui, el aux objurgations qui leur' furenl faites, ils ne répondirent qu'une chose: (( C'est qu'ils avaient obéi it ùP 0['- (1) Ann de la Religion, t. 151. p. ffi7. 138 CllAPITRE XIV dres. )) Cependant ils fUl'ent retirés d'l\miens et intronisés à Paris. Le P. Félix s'est relevé depnis nohlernent d'un Oloment de fai- blesse, et si la Compagnie avait poussé ses voltig-f\urs contre les tenants de la plus stricte orthodoxie, elle se retroLlve dig-ne d'elle- même en encourant de nouvelles persécutions. Quai qll'il en soil des caLholiques et des prélats, mis en cause par les Jésuites, il est clair que, fussent-ils disciples de Lamen- nais, de Jansénius on de Calvin; fussent-ils m('\me panthéistes on athées, ils ne devaient pas être aUaqués pat' le:-; procédés non re- cevables et très regrettables du P. Chastel. . CHAPITRE XV LES PETITES PERSÉCUTIONS COt\TRE BONNETTY. La levée de boucliers du P. Chastel contre certains écrivains qui niaient, soi-disant, toute force à la raison naturelle de l'homme, n'était que la préface anonyme d'une conspiration ourdie, depui quelque temps, conlre Bonnelly, directeur des Annales dp rhiloso- phip Ch1'étienne. CeUe conspiration va écla1er; nuus voudrions la reprendre dans ses origines, la suivre dans ses mouvements, la caractériser dans ses résultats. 'Iais d'abord un mot sur Ie vaillant apologiste de la religion, de l'Eglise et du Saint-Siège que les ca- tholiques libéraux voulaient accabler et écraser, par une tactique dont ils n'ont pas abandonné l'usage, SOliS des coups surpris mé- chamment à la Chaire apostolique. Augustin Ronnetty é1ait né en 1798, à Entrevaux dans les Basses-Alpes. . Au terme d'une jeunessc laborieuse qui devail Ie conduire au sacerdoce, it résolut de rester laïque pour se cons a- ereI' plus efficacement à la défense de l'Eglise. En 1.825, débutant à Paris, il visilait les bibliothèques, .formail des relations savantes, suivail les cours publics et les grandes prédications. En is:!7, il en trait dans la Société des étudrs liltéloaires, association de jeunes gens pour compléter, par des travaux personnels, leurs "tudes classiques: il s'y fit remal'f(uer par l'abondance e1 la soli- di1é précoce de ses compositions. En 1828, grâce au crédit de Lamennais, Gerbet et Salinis, i1 étail a.dmis dan l'association pour la défense de I'Eglise catholique, sorte de grandp corpora- tion où tous les catholiques militants mettaient en commun leurs effol'ts. Pour sa part, Bannetty adminislra la gestion du C O1'res- pondant et composa deux volumes d'histoire ecclé iaslique En iiO CHAPITRE XV lsao, sous les cou ps d u canon de j uillet, il corrigeait les épreuves de I'æuvre à laquel1e Dieu Ie prédestinait ; je veux parler des An- nales de philosopltir chr(5fienne. L'æuvre I'épondait si bien aux væux du public éclairé, elle élaÌt pl'ése n tée avec une bonhomie si atliran te et si spirituelle, qu'eUe prit d'emblée sa place au soleil dévorant de la publicilé. Quinze jOUJ'S après l'envoi du prospectus, Donnelly avaH dix mille francs dans sa caisse. Conh'e toute aUente, m'ême de la pal't du fondateul', les A.llnales rnal'chaient tout seul; elles devaient marcher ainsi pendant cinquante ans, sans comité, sans subsi- des, sans dettes et sans actionnaires. Dans la pensée du fonda- teur, elles étaient destinées à préconiser une philosophie chré- lienne, dont Jésus-Chl'ist cst Ie centre et remédier ainsi it lous les maux de la libre-pensée. De plus, elles devaient recueillir tous les rayons de la révélaLion primitive, pour autant qu'ils s'étaient conservés dans les traditions des Gentils. C'était une granrle en- treprise. , En 1836, Salinis et Gerbet fondaientl'Unive1'sité catholique, rivale qui devait, dans la pensée de ses auteurs, former une concurrence liltéraire eL scientifique à l'enseignement rationaliste tIe l'Univer- sité d'Etat. Pendant ce lemps-Ià, Ie premier C01Tcspondant, éclipsé par l'Aveni1', avail été remplacé par la Revue eUì'opéenne qui, ne faisant pas ses fl'ais, devait, en 1837, se fondre dans l'Uni- versité catholique. L'Univel'sité catllOlique, qui comptaiL une légion tIe rédacteurs distingués, n'avait pas un hon adrninisLrateur, dIe pl'it Bonnetty, qui, en outJ'e de ses mérites prop res, excellait à bien tenir une administration. Dès lors, Bonnetty, seul avec un secrétaire, dirigea les .J nnales de philosophie chrétienne et l'llniver- sité catholiq,ue ; il poussa l' Univcl'silé jl1squ'à q uaran te volumes et les A nnales, jusqu'au qualre-vingl-lreizième, en cours de publica- tion, lorsql1'il mourut. Ces deux revues forrnent nne encyclopédie de la science catholique et conliennent tous les monuments de r histoire de r Eglise au X I X e siècle. On voudl'ait croirp qu'une vie consacrée it ces t.ravaux tIe pro- sélvtisme, s'écou]a dans Ie calole d'un apostolat pacifique et rcs- LES PETITES PEHSÉCPTJO:\S CO THE BON ETT' 411 pecté; nlais ce serait peu recoI111aìtre l'hulnaine misère. Sans doute, Bonnetty rut honoré des plus glorieux patronages. Mgr Af- fre, jusqu'à sa InorL, lui témoigna la meilleure gnlce. Salinis et Gerbet, au milieu de leurs fortunes diverses, restèrent toujours ses patrons. Gousset, Parisis, De Ladoue, 'Iontalembert et la pI u- þart des écrivains ecclésiastiques furent ses amis, ses lecteurs et ses abonnés fidèle:;. Hors de Fr'ance, en Belgique, en Angleterre, en AHemagne et en Halie, les Annales et l' [fniversité étaient comme les deux contreforLs des sciences ecclésiasLiques. A Rome, les membres les plus dislingués du Sacl'é Collège honoraient au- tant Ie savoir que les vertus de BonnetLy ; plusieurs l'honoraient de leur arnitié. Grégoire XVI et Pie IX lui firenl éprouver les effets de leur auguste bienveillance ; Léon XIII devait bénir son agonie. Ialgré tous ces patronages, Bonnetty trouva en France, parn1Ï ses anciens frères d'armes, d'âpres adversaires, des ennemis acharnés, qui, ne pouvanl rien ôter à ses succès, ni rien censurer sérieuse- . rnent dans ses doctrines, poussèrent la passion jusqu'à vouloil' Ie supprimer. Quanquant animus lnel1tinisse hOl'I'et, tuclHque l'efugìt, nc'tp'tarn . Le premier qui entra en lice rut l'abbé .\lare!. Les Annates de philosophie chl'étienne a vaient it rem pHI' un m inislère de criLiq ne; elles ne trouvaient que trap souvent occasion de l'exercer. S'il ne se fÜt agi que de dissidence d'opinions, les critiques eussent pu arnener des conlroverses, pen t-être sans résuItat ; rnai Bonnetty, pOUl' cl"iliquer, se plaçail sur Ie terrain de l'orthodoxie et donnait la chasse particulirrement à ceUe philosophie décapitée qui vent constiLuer nne religion sans Rédern pteur, Pour porter des coups pIu8 décisifs, il frappait les têtes les plus élevées, celles dont les aherrations peuvent entl'aÎner les pires conséquences. Sans être line grandeur, J'abbé Maret, s'il n'offrait pas aux coups une tête élevée, prêlait au mains Ie flanc aux piqûres de dame critique. C' était un pcclésiastiqu e reçu en Sorbonne, comme su ppléa nt, sans titre connu eL à peu pl'ès sans ùocll'ine. Son caractère Ie poussaiL å se cornpronletlrc, il en suivil Loute sa vie les inclina- tions. Un beau JOUI', il avail publif une théorie oÜ il disait que 4!i CHAPITRE \. V (( la raison hUInaine est un p('oulement de cette éternelle Lumière qui éclai're Dipu lui-même et qu'elle n'existe qu'à La condition d'une union 1'(;elle avec la raison infinie n. Un thèologien avait cri- tiqué ce galimatias; l'abbé Maret lui répundit dans les Annales ; sa réponse avait été aposlillée par BonnetLy, et, ainsi corrigée, elLe devait paraître aussi dans Ie C01'respondant. Lenormant, Ie directeur, en digne libéral, supprima les notes de Bonnetty, et malgré les con ventions contraires, l'abbé Maret triompha." par Ie silence forcé de son adversaire.' C'est ordinairenlent dans ce conditions de silence que les libérallx monLent au Capitole. L'abbé l\Iaret appartenait, par ses illusions, à cetLe erreur qui s'est appelée rOntologisme. Malgré la faibles e notoire de son esprit, il se flatlait de concevoil' Dieu, de Ie voir, d'en praliquer l'intuition. Or, qu'a-t-il vu ? Lui-même va nous l'apprendre. En 181-4, date de la première édiLion de sa Théodicée chrétienne, 'éleYant à la conception de Dieu, l'abbé Maretlui trouve une exis- tence indéterminf>e; en 1849, date de la 2 e édiLion, il voil claire- ment que Dieu renferme toute perfection. En 1844, l'abbé .Maret trouve que la première perfection de Dieu est de pouvoir êLre, que cet être est une causaliff> qui réalise a substance; en 1849 il trouve que l'essence de Dieu est, par clle- même: qu'elle est la source et la cause première, sans supposition de causalité réalisant sa suhstance. En 1844, l'abbé Maret voyait en Dieu, des facultés: en 1849, il voyait qu'en Dieu, tout est acte pur. En 1844, l'abbé Maret voyait en Dieu trois principes formant trois personnes; en 1849, il ne voyaH plus que trois pet'sonnes, mais non trois principes. En 1844, l'abbé Maret voyait la substance divine se communique,. à trois principes coéternels; en 1849, il voyait la nature divine commune aux trois personnes. L'abbé Maret avail fait toutes ces corrections sur les indications de BonneLly ; il n'en soutenait pas moins que les Annalf!s avaient dénaturé ses paroles par une critique inju te: logiq ue de SOl bonne, mal d'accord avec elle-même, et d'aulant plus fìère de SCH vertns. LES PETITES PERS CUTIONS CONTRE BONNETTY 443 En 1.846, un bénédictin, dom Gardereau, sans provocalion d'au.. cune part, attaquait les réponses faites à Maret; Bönnetly dut lui reprocher celte proposition: ({ L'homme voil tout dans ceUe clarté primitive qui illumine Inême les objels finis dont l'âme aCl{uiert la connaissance par l'internlédiaire des sens; il voit lout en elle, et cette IUlnière esl, dit S. Bonaventure, la [urlliè1'e émanée de l'êi1'e infini, quoiq ue reçue dans l'àme d'une manière objective el finie )). Dorn Gardereau venait aux erreurs de Ialebranche; il dul s'amen- del'. Cependant les Bénédictins, du moins plusieurs, d'ailleurs dé- voués à tous les intérêts de l'Eglise, gardèrenl quelque rancune aux Annates de phìlosophie. En 1.847, discussion philosophique avec Lequeux, supérieur du séminaire de Soissons, qui disait: (( Les essences des choses sont la substance même de Dieu )): proposition enlachée de pan- théisme. En t848, à propos de l'Ère nouvelle et de la retraile forcée dll .P. Lacordaire à la Chambre, les Dominicains se séparenl des An- nales de philosophie. En t849, à propos de l'équipée du P. Chastel, c'est Ie tour des .Tésuites, si admirables d'ailleurs, mais qui, entin, sont des hommes. Entre temps, d'autres discussions avec l'élernel Maret; avec .Freppel qui venait Ie défendre, mais pas en tout; avec Darboy, à qui les Annales reprochaient une façon pen orthodoxe d'expliquer l' accession des âmes à la foi. Ces discussions engendrèrent des haines ; et ces haines provoquè- rent aisément des désirs de représailles ; l'épiscopal de Mg-r Sibour vint leur offrir un lien de cohésion et une force offensive. Ce prélat était bon, mais c'était un méridional, d'une impression- nahililé exlrêrne el d'llne facilité étonnante à subir l'excitalion du dehors. Son épiscopat fut une longue bataille OÙ l'administration diocésaine prenait fait et cau e conLre les écrivains ]es plus devoués au Saint-Siège. Dans tou1es les rencontres, Bonnetty eut sa pal't rl'horions ; il eut aussi son afl'aire à part. L'archevêque, voulant une place dans la presse calholique, avail essayé de fonder un petit J/oniteur. Oarboy, Jacquernel et ßautain 4i1: CHAPITRE XY y brûlèrenl successiveOlent des cartouches, mais sans succès. Bon- neUy, sans manq uer d' égards à ses compagnons d'armes, disaiL à taus son fail, sans penser à mal. Un beau jou.' Ie voilà qui re<.. ans après, en 1855, l'archevêque et son grand-vicaire Dar- boy, étant allés à Horne, insistèrent pour avoir une réponse. CetLe réponse ful Jonnée Ie;) juillet L855, par deux documents: une LES PETITES PEHSÉCUTIONS CO TRE BONNETT\ 449 leUre et un formulaire. La leltre, du P. Ange \Jodéna, s'exprime en ces terrnes: (( Connaissant, par beaucoup de pl'ellVe , l'intentioll el l'espril du Rédacteur, qui n'est pas ::;eulemenl orlhodoxe, ß)ais en'core très dévoué au Sainl-Siège, et qui a bien mérité de la Reli- gion par beaucoup de travaux et par les ineessantes fatigues aux- queUes il se livre depllis longlemps pour Ie soulien des saintes doctrines, on a vouln user envers lui des égards óÙmveillants el distingués, pratiqués d'autres fois, dans des cas semblables, enver les écrivains éminemrnent catholiques, en ne jJroTnulguant, au dé. l/ intent de le l'J rpputation, aucun jugement qui déclare au ERRO- NÉES, OU SUSPECTES, OU DANGEREUSES, leurs opinions. Mais, d'aulre part, c'est un devoir sacré et obligatoire, de prévenir avec toute la vigilance et Ie soin possible, les occasions d'aehoppement que d'autres personnes ]Joun>aient se fair'e à raison, sinon des théories, du moins certainernent des conséquences prochaines ou élùignées, que d'autres pour1 aient en déduire, surtout en matière de foi. On a done adopté l'expédient de prescrire à l'auteur susnommé une formule de déclaration tellement explicite et nette,qu'elle ne laisse, aux lecteurs de celte Revue, lieu à aucun doule, ni Quant aux principes, ni quant à l'application qui doH en être faite. )) Voici Ie lexte authentique des qualre propositions: (( 1 0 Quoique la foi soit au-dessus de la raison, il ne peutjamais exister entre eUes, aucune opposition, aucune contradiction, puis- que toutes deux viennenl de la seule et rnême source immuab]e de la vérilé, de Dieu très bon et très grand et qu 'ainsi eUes se prêtent un mutuel secours. 2 0 Le raisonnement peut prouver avec certitude l'existence de Dieu, la spirilualité de l'âme, la liberté de l'homlDe. La foi est postérieure à la révéIation ; on ne pent donc convenablement l'al- léguer pour prouvel' l'existence de Dieu contre l'athée, pour prou- verla spirilualité eLla ]iberlé de l'âme raisonnable contre Ie sec- tatrur du naluralisme et du fatalism'e. 3 0 L'usage de la raison précède la foi et y conduit l'homme par Ie secours de la l'évélation et de la grâce. \0 La mélhode donl se sont se.'vi5 S. Thomas, S. Bonaventure 29 1:50 CHAPITRE xv elles autres scolastiques après eux, ne conòuit poinl au rationa.. lisme eL n a point été cause de ce que, dans les écoles contempo- raines, la philosophie est lombée dans Ie rationa1isme et Ie pan- théisIne. En conséquence, il n'est pas permis de faire un crime à ces docteurs et à ces mailres de s'être ser,'is de celte méthode, sur- touf en pré,sence de l'approbation on au moins du silence de rE- glise. )) Le mieux de l'affaire, c'est que, sur quatre propositions, deux avaienl éLé autrefois signées par BauLain, grand-,'icaire de SiLour et que la machine de Sibour conLre l30nnelly se Loul'nait, pour moiLié, conLre les hommes du prélat. Donnelly, mandé à la noncia- ture, se déclara prêt à souscrire Irs qualre propositions sans les lire et souscrivit en ces lermes : (( J'adhère volontiers, de cæur et d'âme, aux susdites proposilions. )) Puis la pièce signée fut re- tournée secrèlement à Rome. Ce secret déjouait les manæuvres de Sibour ; il 5e plaignit. De là, une nouvelle leLtre du P. :\lodena, üù il est dil: 1. 0 De donner connaissance des qualre propo::;ilions à lgr Sibour, 1nais de ne pas llli en donne}' copie, pour qu'illes publiåL ; 2 e Que ceUe publication ne devait être faiLe que par Bunnelty dans les A nnales ; 3 0 Que]a Congrégation de l'lndex ne pouvait accéder à ]a de- mande de Mgr Sibour, au sujet du Compendium, jU1'is canonici, de son grand-vicaire Lequeux, C01npendium mb à l'lndex Ie 27 sep- lemhre 18 H. Sibour, de moins en moins satisfail, éc1ata de colère el oblint, grâce à cel artifice, les q ualre propositions. Malgré la défense de Rome, ilies publia par une lellre officielle du t2 décen1bre 1853. Mais dans ce document, Ie prélat supprime : 1. 0 La lettre du P. Modena porlanl 4ue la signature des proposi- tions n'impliquait pas un jugement qui déclarait erronées, sus- pectes ou dangereuses, ]es opinions de Bonnetty, mais donnaiL seulemenl un guide, une règle de conduite pour tOllS les écrivains français. 2 0 La mention piquante eL dé opilanLe que deux de propositions onl déjà élé ou!':crites pal' ]e vicail'e grnéral Haulain. LES PETITES PERSÉCUTI0 S DE BON SETTY 451 3 0 De plus, il tranche hardiment en disanl que Ie tradilionalisme enlève, h la raison humaine, toule sa force. 4 0 Surtout, voulant englobeI' tous les ultramonlains dans cetle prétendue condamnation, it ose dire : (( Nous avons vu, avec une lrès grande satisfaction, Cel.l.T qui étaient la cause parmi nous de doctrines semblables, souscrire franchement et sans délai, aux qualre propositions envoyées de Rome, à leur signature. )) Cetle dernière allégation étail absolument fausse ; la signature avait été demandée au seul Bûnnetty, et à aucun autre, surlout à ancun des auteurs que Ie P. Chastel avait enveloppés dans ses réquisitions. L'allégationque Ie tradilionalisme historiqne est con- damné, n' est pas plus vraie ; fa vérité est qu'il ne fut condarnné, ni aloI's, ni depuis. Le Concile du Vatican, auquel cette condam.. naLion rut demandée, Ia repoussa et indiqua par là même impli- citement que ce traditionalisme hislorique n'est pas condan1nable. Sibour n'avait pas moins joué, au Sainl-Sit>ge, un bon, je veux dh'e un mauvais tonr. Tous les journaux rationalisles et ennemis de rEglise, 5'empressèrent de publier sa leUre : I' Ami de la Reli9ion Ie SÙ 1 cle, la Pl'esse, les D(;bats exaltent cette leltre de Igr Sibour ; iis assurent unanimement (( que les quatre proposilions relè- vent Ia philosophie et proclament les droits de la raison huo:; maine )). Cne leUre désapprobative ful adressée de Rome à l'archevêque de Paris; Ie prélat, si jaloux de publier les quatre proposiLions, n'eut garde de publier cette dépêcheo La lettre resta secrète, et l'on sait Ie cas que les gallicans faisaienl en France de I'autorÍté de Home, quanù elle ne leur élail pas favorable (1). )lalgré la désappl'obation de Ronle, rex-pÒJ'e Hyacinthe et \lgr Dupanloup reproduisirent depuis, les propositions avec diffé- rentes coupures. Le carme trop déchaussé, au poinl de se montloer toul nu, dil avec sa suffisance élourdie : (( La raison précède la foi. )) C'est nne falsification. ROIne a dit : l'1tsage de la raison; Lan- dis qu'en portanlla raison seule, 011 en fait une puissance divine (1) CnÜ'cl'sité catholique, 1. XL, p. 748. I . }J....G) 1:0.... CllAPITRE XV qui conduit l'homme à ]a foi, sans la grttce de Dieu. Dupanloup, lui, aussi faible que le père Hyacinlhe, supprime tuut implenlent: (( El Y conduit rhomnle à l'aide de la révélalion el de la gràce. )) Outre que ce relranchement est, contre un document ponlifical, un atlental, la proposition, ainsi écourtée, peut être exacle philo- sophiquenlent, n'a plus ni la fidélilé de l'histoire, ni l'exaclilude de rorlhudoxie" De 18i>5 à la fin de sa carrière, Bonnelly, loujonrs sons les ar- Ines, toujours cOlnbattant à ses risques el périls, souvent à Res frais, ne fut plus J'objeL d"aucune atlaque. Ce patdarche de J'apo- logélique chrélienne, devait 1l1ourir plein de jours et de mériLes ; sa miséricurde cst une hénédiclion. L"histoit'e refuse aux persécuteurs de Bonnelly, un emblable hommage. CHAPITHE XVI MA ùEUVRES POUR SUUSTHAIHE COUSI AU JUGE IENT DE L'INDEX. Vilipender les défenseurs de I'Eglise el Hatter ses perséculeurs, censurer BonneLly et préconiser Cousin, livl'er run au:\.jugemenLs de I'Eglise et y sousll ail'e rauLre : cela paraît monsLrueux eL pour- tant tel fut Ie procédé, absolument blâmable el lrès significalif, des caLholiques libéraux. Nous avons parlé des avanies dont ils surent abreuver Donnelly; nous ùevons parler des manæuvres q u'ils effectuèren t pour souslrail'e Cousin aux j usLes flélriss ures de l'lndex. Viclor Cousin, né à Pads en 1792, élait, en 1814, maiLre des COIl- férences et en iRiG suppléanl de Royer-CnllarJ. Profes8eur ardent et enthol1siaste, il appartenait, par ses convictions, an liLél'alisme, eL, par ses sympaLhies, aux sociélés secrèLes; en public, il Lirait, disait-il, son chapeau au calhoJicisme, parce qu'il en avail encore pour lrois cents ans dans Ie venLre; n1ais, en pelit comilé, il avouail, aux jeunes gens, ses profondes sympathies pour l\rarat. Suspendu en 1820, rappelé à la Sorbonne en 1828, il avaiL profité habilement de ses disgrâces pour se donner I'intéressant relief de la persécution et courir l'Allemagne pour y faire une remonle d'idées. La révolulion de IH O Ie mit au pinacic. Conseiller d'Etat, conseiller de I'universilé, puis, grand-maîll'e, officier de Ia Légion d'honneur, membre de plusieurs académies, pair de France, mi- nistre, apri's avoir combaLlu les cumuls et les sinécures, il garnis- sail de cercles d'or Ie lonneau de Diogène, Pal' sa philosophie, ce professeul' fut l'arbilre des cours el l'oracle des doclrines; mai par les conséquences logiques de ses ductrines, ce libre-pen el1r fut l'un des plus aclifs promoteurs de l'anarchie et du socialisme, 4;)4 CBAPITRE XVI Ie destrueleur du régime qui ayait fail sa fortune. La révolution de 1848 Ie rendit à la vie privée etle ramrna à ses éLudes. En pré- senee du désordre des idées et de la fureur des passions, Ie patriar- che de l'éeleetisme, pour conj urer les misères et les malheurs de 80n enseignement, ne trouva ricn de mieu:\. que de publier quoi? la profession de foi du vicaire Savoyard. Après quoi, tournant bride, Ie philosophe se fit amant des belles dames; Ie restaurateur soi-disant de la philosophie devint Ie chroniqucur des rueHes el finit en continuateur à peine amendé de Branlt.me. Ce vieux polis- 80n devait mourir, je ne dis pas sans renùre à la religion des hom- mages, mais sans donne.', à I'Eglise, aucune satisfaction. Dans sa longue earrière, Cousin n'avait point affiché une impiété erue et un eynisnle provocateur: il avail de la tenue : mais il avail payé largement son tribut aux faiblesses de l'humanité, trop POUI' Ie rÔle auquel il osait prétendre. C'était, disaÎl Sainte-Beuve, un lièyre qui avait des yeux d'aigle; du lièvre, il avait la bravoure et lr jarret ; jaloux de places, d'inf) uenee el d'argent, il avait tou- .lours su flatter les mauvais penchants de ses contemporains el faire coïncider, avec ses publicatioas, les remaniemenLs des pro- grammes d'examens universitaires. En son privé, il s'était altaché au char d'une muse charmanle et lui fit gagner plus de palmes à l'académie qu'il ne lui prépara de couronnes pour Ie jugement dernier. Du resle, grand parleur de vertu, il avail toujours pro- testé conLre les accusations de panthéisme; il s'élail posé en dé- fenseur du spiriLualisme cal'lésien; iJ avail assuré les catholiques de son respect ponr leur créance; il avait même prétendu, par sa philosophie, venir en aide au christianism.. Dans les conversa- tions parliculières, il reconnaissait même la nécessité d u pouvoir temporel des papes, et, pour s'épargner des censures trop mérilées, promettail de réjoui., I'Eglise par l'effacement de toutes les doc- trines opposées à la r{'\'élation. Au fond, la philosophie de Cousin. c'élail un spir'itualisme sans religion, ou une religion sans Christ, ou un Christ idéal et élasti- que, mais sans Eglise, sans credo, sans décalogue, et sans pr(1tres. Sa philosophic se subslit\lail it l'Evangilc rt lui, Cousin, en { lail l\IA (M':PVHES POUR :-\OOSTRAIHE COUSIN AIJ .IUGEMENT DE L'IN))E i5 Ie Messie. Sous des formes polies et des apparences de savoir, Cousin n'élait qu'un patriarche d'impiété et plus un charlatan qu'un philosophe. Bon chrétien jusqu'à ving1 ans, puis aposlal, il étail de ces hommes dont la vie est une descente dans l'abìme et qu'on pent croire incapables de remonter. Pour donneI' uue idée de son désarroi peu philosophique, nous citerons des pages très expressives de ses écrÏts. (( Dieu, dit-il, e t un et plusieurs; étel'nité et temps; espace et nOlnbre ; principe, fin el milieu; au somInet de l' êlre et à son plus humble degré ; infini et fini tout ensemble; c'est-à-dire à la fois, Dieu, nature et humanilé. Si Dieu n' est pas tout, il n' est rien)) (Fragments lJhilo- sopk., ire éd., p. 39). (( Dieu esl I'être ahsolu, substance COInmu ne et comme un idéal du moi e1 du non-moi; qui les comprend tous les deux et en est I'identité : identité absolue du moi et du non-moi, de l'homme, de la natul'e et de Dieu )) (Ibid., préface de hi. 2 0 éd., p. 28). Cousin ajoute que son Dieu n'esl pas le Dieu abstJoait et solitaire de la scolastique ; il ne lui reproche pas de vivre en dehors de ce monde ; mais au nom de la raison, iliui défend de se mêler de la direction des hOInmes, par des miracles et des prophéties, des récompenses et des châtiments. Après avoir posé Dieu comme substance unique, de laquellc découlent to us les êtres, Cousin aborde Ie redoutable proLlème de l'origine des êtres et s'en tire avec la même désinvollurc. (( Ct'éer, dit-il, est une chose très peu difficile à cuncevoir; car c'csl une chose que nous faisons à loutes les minules. En eITeL, nous créons loules les fois que nous faisons un acte libt'e,.. L'homme ne tire pas du néanl l'action qu'il n)a pas encore faite; il la tire ùe Ia puissance qu'il a de la faire ; il la tire de lui-mên1e. La création divine est de la même nature. Dieu, s'il esl une cause, peut créer; et, s'il est une cause absolue, il ne peut pas ne pas créer. Et en créant l'univers, il ne Ie tire pas du néant, il Ie tire de lui-1uhne )) (In/rod. à i'llist. de La philos., leçon V). On voil si Cousin a su éviter l'écueil du duaIisme el du panthéisme; on peut douter mt'me qu ïI ait en la notion d u mot créer. · La créalion, ainsi expliqure, on devinp ce qu'est Ia raison. La 4i)() fHAPITRE X, I raison absnll1e, c'est Dieu et la raison de l'homn1e, c'cst Dieu saisi par l'intclligence et goúté par la conscience. (( II y a, dil Cou- sin, clans chaque homme, une raison, non individuelle, mais gé- nérale, qui, élant Ia même dans tous, parce qu'elle n'est indivi- duelle dans aucun, constitue la véritable fraternité des hommes et Ie patrimoine commun de l'humanité... La raison eslle médiateur nécessaire entre Dieu et l'homme... homme à la fois et Dieu tout ensemble. Ce n'est pas, sans doutp, Ie Dieu absolu dans sa majes- tueuse indivisibiIité, mais sa manifesLation en esprit et en yériLé, ce n'esL pas l'rtre des êtres, mais c'esl le Dieu du gen1 e humain )) (F'ì'og. philos., préf.). On ne peu t exprimer plus Cl'Ílmen t Ie pan- théisme. Faible et faux sur la théodicée, Cousin prétendait se rarheter sur la psychologie, dont il fait une science expérimentale comme la physique. C'est une erreur de sa part; la philosophie est la science des premiers princi pes, qu 'elIe accepte tels qu'ils se pré- sentent, avec leul' douLle caractère d'évidence et de réalité. Par conséquent, s'il est bon d'observer les phénom( nes de sens intinH' etde conscience, il seraiL aventurellX d'en fa ÍI"eIe fondemenl uniqup de la philosophie. Quand il vient à la détermi nation de la per- sonnalité hllmaine. il n'est pas plus sÙr; il identifie la volonLé ayec l'êlre de la personne et ne yoit pas un cl'ÍInc dans Ie suicide. La liberté n'existe pas; l'hi toire n'est qu'une géométrie rigou- reuse. A la sanction morale du devoir, Cousin suhslilue Ie succès; tIll reste, à ses yeux, l'obligation est indépendante de Dieu. Après quoi, Cousin, déjà vieilli, parIaH de son ombre, du séjour des mânes et de l'honneur qu'il se réservait, de figurer', aux Champs- . Elysées, comme disciple de Socrate. Une morale sans loi ulilement obligatoire, une psychologie à ]'aventure, une théodicée panthéiste : yoilà Ie biJan po itif de Cou- sin, Le principe général de t.outes ses spéculations philosophiques, c'est la souveraineté de Ia raison individueIle, t1uLrement If' ratio- naIisme. Du mument que Ia raison humaine individualise la raison divine, il n'y a plus, ni révélation, oi croyances. (( La philoso- phie est la lumière des lumières, l'autorité des autorités, }'unique ?tIANæUVRES POUR SOCSTRAIRE COfJSIX AU .JUGEMENT DE L'INDEX 157 aulorité... Or, Ia philosophie, c'est la pensée réfléchie, ella pensée sous sa forme naturelle, ce sont les idées, el les idées ne représen- tenl rien, absolumenl rien qu'elles-mêmes)) (Int1>od. à l'!list. dr la philos., leç. 1.). (( Le règne de la. foi est consommé, celui de la raison commence; eUe réduit enfin les mystè1'es rì des (aits lill1>ernent psyclwlogiques )) (ibid., leçon V). C'est ainsi que Ie philosophe fail litière de tous les dogmes. A la place d u Dieu en trois personnes, il met un Dieu lri pIe, c'esl-à-dire it Ia fois Diell, natu1'e et humanité. L'Incarnalion, le Verbe fail chair de S. Jean, c'est la raison infinie apparaissant, dans la conscience de chaq ue homn1e. Jésus-Christ est Dieu, mais à la façon des Al'iens, c'est-à-dire que c'est un homme divino La reli- gion n'étend pas son empire doctrinal au delà des vérités perçues par la r'aison; la seule diffél'ence entre la foi religieuse et la philo- sophie, c'est que la prßmière est il'fétléchie, affaire d'enfanls el de bonnes femmes, tandis que l'autre procède par réflexion et ne s'adresse qu'à l'élite des intelligences. Les rnystères de la religion sont des symholes, des Iuythes ; les miracles sont des naïvelés de la légende ; res prophélies, des effeLs d'enthousiasme. La foi théo- logique signifie l'adhésion nécessaire aux premiers principes de la raison; la révéIation,'l'inspiration, c'estl'enthousiasme poétique du monde au berceau. Le christianisme se tronve réduit à quelques maximes mOl'ales prises çà et Ià dans l"Evangile. Pour tout Ie reste, dès qu'une question religieuse se présente, on prend parti pour les gnostiques contre les premiers Pères, pour Abailard contre S. Bernard, pour Luther can Lre Léon X, pour .Tansénius et Port- Rayal contre Ie Saint-Siège. En t.out, Cousin est radversaire de I'Eglise et aux antipodes du C hristianisme. Or ce philosophe, qui, pendant quarante ans, avail fail à l'Eglise une guerre sourde, et avait vu mettre successivement à l'index tOUð ses ouvrages, sans se soumeUre allCl1nemenL aux dé- crets du Siège apostolique, - Cousin, sur ses vieux jOlll'S devcnu el'mite, voyait venir à lui des calholiques liLéraux, soucieux sans doute d'otfrir, comme appoint de leurs idées, ceLle conversion. Monlalembert Ie croyait déjà converti cl voyail là, pour' ses visées i::;8 CHAPITRE XYI de modération, un triomphe éclatanl; sajoie débordait parce que Cousin avait dit sa philosophie, alliée sincè1'e du chdstianisme (qui pouvait n'être pas, dans sa pensee, la religion cathoJique, apostoJique, romaine). Dans tous les temps, Cousin avait fait des protestations analogues, mais sans se compromettre avec les éclcctiq ues, habitués aux arlifices de son langage. Dès 1827, La- mennais Ie voyaH beaucoup et vint bienlôt à s'en défier, parce que Cousin ne Ie contredisait jamais et affectaiL même, dans son langage, les termes de l'orthodoxie Ia plus méticuleuse. (( Tu vois t disait Foisset à ce propos, qu'on est aussi sou vent dupe de la mé- fiance que d'une confiance excessive. Toutefois quand un homme a fait ses preuves de duplicité, il est permis de ne Ie croire qu'à bon escienl, surtout quand il se lient dans des termes tl'ès géné- raux)) (1). Ce qu'il y a d'évident, c'esL que Cousin ne 'J'étpartail ,quoi que ce soH, mais se bornait. à protester de ses exceHentes intention,ç envers Ie christianisme, eL uniquement pour éviter de nouvelles censures de 1'Index et fournir un argument aux catho- liques libéraux qui avaient entrepris Ia tàche ingrate de Ie blan- c Ii ÏI- . Pour faire apprécier l'épaisseur d'aveuglement dont étaient atleints ces pauvres libéraux, je cite un passage de Lacordaire, répondant aux doules de Foisset: (( Je viens de lire, d'un hout à l';uh'e, sans en excepter une page, sa philosophie, soit treize vo- lumes, etfy ai ajoulé quelques-uns de ses écriLs liUéraires ou politi- ques, afin de la saisir dans tout l'ensemble de ses conceptions, Or, à part quelques phrases de son CaUl'S de 1828, phrases f} u'iI a expliquées rès aisérnent dans un sens orthodoxe, je n 'ai pu dé- couvrir dans la suite de ses pensées, 'J'ien qui offense Ie dogmr chrétien. C'est la philosophie Ia plus sensée ella plus sincèrenlent spiritualiste qui me soit jusqu'ici lombée sous la main, et je n'hé- siterai pas à dire qu'elle continue, en Ia pel'fectionnant, Ia philo- sophie de Platon, de S. Augustin et de Bossuet. Les phrases de 1828 ne sont, dans l'ensembIe, qu'une épisode sans valeur, non (1) Lell1'l's du P. La('m'dail'e ù Tit. Fo;ssel, t. II, p, J82. l\IA WEUVRES POUR OUSTRAIRE COUSI AT I .JUt El\IE T DE L'INDEX \:59 seulement parce flu' elles anl été expliquées, mais parce que, prises dans la suite de la doclrine, elles se rectifient d'elles-mê- meso Je ne comprends même pas conl01enl un homme qui semble avoir véCl1 hors du christianisme a pu s'élever à une trame si com- plèlement chrétienne et quand on vienl à regal'der OÙ en élait la philosophie en France, sons Ie régime de Locke, de Condillac et de Caban is, -on admire l'ingratitud'Ð avec laquelle a été accueillie une doclrine consacrée toul enlil're au renversement du Sf\nsna- lisme el du sceplicisme, et à l'établissement des vérités fondamen- tales sur lesquelles repose, rationnellemenl parlant, l'édifice lui- même du christianisme. (( Maintenant, M. Cousin est-il chrétien? Je l'ignore. Est-ce une intelligence amie de Platon, éclairée par l'esprit de M. Royer- Collard et demeurée fidèle aux impressions de sa première initia- live doclrinale ? Cela peut êlre. Ou bien est-ce une âme droite, honnête, généreuse, que Dieu a illuminée peu à pen, qui s'est trouvée prise dans les lacs de Ia vérité par un enlendemenl parfai- tement sain, et qui, aujourd'hui encore, mûrie par l'âge el!'expé- rience, penche de plus en plus vel's Jésu!:5-Christ et son Eglise? Cela pent être ainsi. .NI. Cousin ne rétracte rien, pal'ce qu'il n'a rien (', rétracter, el rnoi-ntê1ne, auteur à sa place de ses ouvrages, ,je n'en 1'ét1'acle1'ais pas une li,qne. II ne s'affìr'me pas chrélien, c'es l vrai, et ceIa même est un signe de sincé1'ité. II est si près de nous qu'il poul'raiL réclamer, sans hypocrisie, Ie bénéfice de nolre foi, cl, s'il ne Ie fail pas. on pent croire qu'illui manfJue ce dernicr ('oup (Ie grâce qui fait descendre In Iumière de Ia raison au cO'ur et sans Iequel l'.intelligence In plus chrélienne n'est pourtanl pas encore baplisée )) (1). Ainsi parlail du philosuphp ralionalisLe, I'Oraleur de Notre- Dame. Cousin élait un chl'étien infidèle el rehelle à I'Eglise; sa philosophic était une n1achine de guerre contl'e l'Evangile e(, ]a révélation... el Lacordaire est en admiration devant l'homme et rlevanl son æuvre. Pour parler ainsi il falJait être étranger aux lramcs du philosophisme écleclique, ennemi violenl de toule reli- (1) Lettres du P. Lacordaire å Tit. Foisset, t. II, p. 187. 460 CRAPITRE x n gion suruaLurrlle, on avoir perdu Ie sens chréLien sons l'oblitéra- tion du libéralisme. Ce qu'écrivail Lacordair , d'aulres Ie pensaient elle disaient avec plus de liberté eL d'effusion. Dupanloup el Palloux étaienl bons amis de Cousin; ils lui témoignaienl les tendl'esses qu'ils refusaient aux apologistes orthodoxes, tout llliel POUI' run, tout tiel pour les aulres. L'archevêque de Paris, Sibour, dans l'inten- tion louable de réconcilier la religion avec la philosoph ie, s'éLait mis en relations amicales avec Cousin. Trolnpé par les élogesfal.. lacieux que faisait Ie philosophe du Chrislianisme, ill'invitail à ses soirées el àses diners. Cousin, qui nimail ces renconlres, s'y trouvait d'ailleurs en honne compagnie; dans les salons de l'ar- chevêque, il condoyait Lequeux et Gioberli, lous deux chevrol1nés de l'Index. Llli qui purlait en relaps, ce triple chevron, depuis 1844, ne glorifiait que plus chaleureusement l'union quïl se flal- tail d'avoir fait prévaloir entre l'Eglise et l'écleclisme. La chaude controverse que soutenaienl alors Vacherot et Gratry n'en était pas précisément la preuve. Sibotll', esprit superficiel el mal équili- bré, ne croyait pas moins Ie philosophe lout prêt à rcvenil' au Dieu qui a\Tait réjoui sa jeunesse : il oubliail que Cousin n'availja- mais rétracLé aucune de ses opinions, même apI'ès la mise à l'in- dex de ses ol1vrages ; il élail d'ailleurs trop abusé par ses propres opinions pOll I' s'apercevoir que Cousin, au lieu de soumeLLre sa phi- losophie à rEglise, voulait englobeI' rEglise dans son ChrisLianisme sans Ch ri t. C'est pour consacrer cette alliance hylH'ide qu'ji voulut créer la fête des ,Ecoles, fête qu'il inaugurait, à Sainle-Geneviève,le 27 no- vembre 1853. L'archevêque y appela tous Jes écoliers de Paris, ayant à leur tf"\te les professeurs et proyiseurs, Cousin eL les plus renommés de universilaires y fignraient sur des sièges d'honnel1r, Le pl'elat y prononça un discours en l'honneur de la philosophic, discollrs qui fut puhlié en 18ä5. Tous les universitaires en fUJ'cnl pnchantés; il y eut, Ie soil', à l'archevêché, diner pt rél1nion. L'in- teI'lIonco Vecchiolti, chargé de la noncinlul'c, no \'uull.ll assisler ni au diner, ni au discours. l\IA (ÆLYRES POUR SOUSTRAIRE COUSI:S At: .JUGEMENT DE L'INDEX 461 Dans Ie discours, l'archevêque avait fait, de Cousin, un éloge pompeu),., qui fut aLténué Jans l'impression. Vous n'y relrou\-ez plus que ces paroles: (( Le vrai, ]e beau et Ie bien, voilà les trois points fondarnenlaux de la cience philosophique, ainsi que l'a établi un célèbre philosophe de nos jours. )) Par ces paroles, Ie prélat faisaÏt allusion au tiLre J'un OU\Tage récemmen t publié par Cousin, et qui fut plus Lard mis à IÏndex. En note, l'évêque ajou- tail: (( Nous ne douLons pas que l'espril supérieur anquel nous fai- sons allusion, après avoir pénéLré dans touLes les profondeurs de la science philosophique, ne soil enfin ru'rivp à la seule conclusion qui satisfasse l'esprit et]e cu:,ur, e1 que sur toutes les questions les plus vitales de cette science, c'est-à-dire celles qui inléressenl Ie salut éterneJ, son dernier mol ne soil cellli rlll grand Augustin: (( La vraie philosophie n'est point différente de la vraie religion. )) Cet espoir ne devait pas se réaliser; il marque seulemrntla Lonne foi elles illusions de l'archevêque. Voici quelques autres extraits, d'où il ressort que Sibour lui- même n'était en philosophie qu'un simple écolier'. (( Descartes, Pascal, .I.\1alebranche, dit-il, présentaient ce que la philosophie a de plus sublime, ce que la morale a de plus clai1', ce que les leltres ont de plus élevé et de plus parfail, toujours uni aux lumières et aux soumissions de la foi. )) V oici maintenanl les dogmes de l'E- glise cousiniste (( La raison est un rayon de l'éterneJIe beau té. )) Et comme Ie rayon est de mème nature que Ie foyer dont il est l'écoulement, nous voilà en plein panthéisme. (( Notre connais- sance n'es1, pour ainsi dire, que la 1'éponse que no us fait Ia vérilé élernelle que nous consullons intp.rieurement )) (p. 53). (( La Ioi a été éC1'ite primitivement dans Ie cæur de tous les hommes )) (p.62). C'esL Ie systrme des idées innées, de la l'évélation dil'ecte de Dieu à l'homme, à l'exclusion du l\1édiateur, du Verbe-Jésus. )) Voici maintenant l'Eglise avec Ie Christ: (< La lumière de la raison ne doit jamais êLre séparée de la foi. )) La conclusion nons amène à celle anlinomie que la raison, rayon de l'éternelle beauté, réponse de la vérilé consultée inLérieurement, écrile Jans Ie creur de taus les hommes, doit cependant êlre réglée par une règle meilleure que 4ß2 CHAPITRE X, I la voix directe de Dieu. - Ailleurs Ie prélat assure l'idenlité de la doctrine de S. Augustin avec celIe de Descartes mis à l'index et aussi n1algré quelques petites différences, avec celIe de Cousin, chevronné des pieds à la tête. (( Lorsqu'un aveugle, disait Ie Sauveur, en conduit un autre, iis tombent tous les deux dans la fosse. )) Tous les évêques n'avaient pas, pour Cousin, les yeux de Sibour, Un mandat pontifical de Léon XIl,invoqué itéralivement par Pie IX, avail rappelé, aux évêques, l'obligation pastorale de veiHcl' aux livres et de faire une exacte police. Les mauvais livres sont 8i non1- breux, les mauvais journaux si répandns que la Congrégation de . 1'lndex, telle du moins qu'elle est ol'ganisée, ne peut sl1ffire it la défense des sainles doctrines. Il y a, d'ailleurs, dans les diverses régions de la chrétienté, des nuances d'erreurs et des artifices d'illusions, qui échappent au argus Romains, si personne ne leur signale ces incohérences. C'est donc aux évêques qu'il appartienL de juger n première instance. Un jrune évêque qui,dès Ie débl1L de son épiscopat, avait présenté la science d'un grand docteur, don- nait alors, dans ses instructions synodales, la chasse aux philoso- phes et particulièrement à l'assembleur de nuages éclecliques. L'évêque de Poitiers ne conleslait pas la compétence de la raison. A ses yeux, démolir ]a raison, c'était détruire Ie sujet auqllella foi s'adresse eL sans la 1ibre adhésion duquell'acle de foi n'exisle pas; nier tout principe humain de cerlitude, c'est supprimer les motifs de crédibilité qui sont les préliminaires nécessaires de lou te révélation,mais la compétence de la raison n'implique ni son émanci- paLion,ni son indépendance.EIl vain on no us dira: ou la philosophie n'est pas, ou elle est la dernière explication des choses. Nous di- rons, nous: ou 1a religion révélée n'existe pas, ou elie est l'expli- cation de mille chases que n'explique pas la philosophie: au Ie christianisme n-'existe pas, ou il faut admellre qu'il enseigne à l'homme des vériLés que sa raison n'avait pas découvertes, quïl lui impose des devoirs positifs que sa conscience seule ne lui dic- tail pas, entin quïl lui assigne unr ùestinée à laquelle sa nature ne pouvail prétendre et qn'H est iInpossible d'atteindre par les 1\IANOEUVRES POUR SOUSTRAIRE COUSIN AU JUGE!\IENT DE L'I DE"X 163 seules ressources de la morale humaine. Le surnaturel est donc indispensable à la philosophie ; autI'eolenl eUe est incomplèle, con- lradicloire, allentatoire à Dien et à J ésus-Christ, une poul'voyeuse de renfer, une æuvre de Salan. (( Non, s'écdail Mgr Pie, Ie Christ de ces philosophes n'esl pas Ie Seigneur Jésus-Christ que j'adore. C'est un Chrisl psychologi- que, conçu de l'espril de I'homme, né de son intelligence; celui que ma foi me révèle est conçu du Saint-Esprit, né de la bienheu- reuse Yiel ge Marie. Leur Christ est venu d'en bas,jailli des entrailles de l'humanilé ; mon Jésus est descenòu d'en haul; il est sorli òu sein du Père élerneI. Leur Chrisl n'est que consubstanLiel à l'homme, Ie mien est consubslantiel it Dieu. C"esl leur propre raison qu'ils adoren! en adoranlle Yerbe aLstrait qu'ils ont fail; et moij'humi- lie ma raison devant celIe de Dieu, en adoran tIe Yerbe inearné qui m'est prêché. Que parlez-vous de rapprochement et d'entente, quand nous sommes loujours séparéspar un ablme? Prophèle com... plaisant, comment osez-vous dit e que, malgré quelques apparen- ces conlraires, la paix esl à la veille de se faire? Des apparences, granù Dieu ! comme 8i Ie point de lilige entre eux et nous, entre rEglise et ce quïls appellent l'hun1anité, enlt'e le5 défen5cIJrs de la fui,et les grands.prêtres de la raison, ce n;élait pas la question nlême de la divinilé de Jésus-Chrisl et de sa doctrine .? Je Ie dirais hardiment avec Saint-Hilaire: (( La cause qui nous force de parler aujourd'hui n'esL rien moins que la cause de Jésus-Christ)) (1). L'évêque de Poitiers, qui ne tenaiL d'ailleurs par aucune allache à l'école tradilionalisle, avail ùénoncé les récentes publications de Cousin, à la Congrégalion de 11nùex. L'archevêque de Paris pril fail el cause pour Ie philosuphe menacé de trop j ustes censures. Le 3 décembre 1855, il écrivail au Pape : (( On m'a dit que, comme revanche des q ualre propositions de I'!ndex, Ie parli qui se regardc comme alleint el blessé, s'agile pour faire condamner à Rome, Ie derniel paru et Ie mains répréhen ible des livres de I. Cousin, in- lilulé: le vI'ai, le beau et Ie bien. II y verrait un double avanlage ; (1) Mgr Pie, Disco ll". ,J[ Inst1'/wtious JJw;tul'ales. t. II, p. 410. 464 CllAPITRE XVI car Ie livre de 1\1. Cousin, pour ce qu'il renfel'me de bien, comme Iuarque du travail et du mouvement qui s'est fait vel's la vérité, dans cel éminent esprit, à cause surtout des espérances qu'il a fail naître d'un retoul' cOlllpleL, a été loué par beaucoup de catholiqups de France, par des écrivains très orthodoxes et même par des pré- lats. Donc, en Ie frappanL, on aUeindrait du même coup touLes ces complaisances pour Ie salut ò'une âme qui semble vouloir s'amender, mais qui ne mérile aucun égard, parce que c'estl'åme d'un philosophe el d'un homlne de grand esprit. Ainsi l'arme de )'lndcx serait à deux tranchants, Donc, en frappant 1\1.. Cousin, Ia sacrée CongrégaLioiì frapperait d'auLres que 1\1. Cousin et rendl'ait Ie retour de ceIui-ci à jamais impossible. Je ne sais pas ce qu'il pent y avoil' de vrai dans ces bruits; mais, en tout cas, je veux communiquer à Votre Saintelé, une lettre que je viens de recevoir d'un ecclésiastique distingué et très pieux. II a de relalions avec )1. Cousin. J'ai youlu savoir ce q u'il fallait penseI' au fond des dis- positions de ce philosophe par rapport à la religion. II me répond comme Votre Sainteté va Ie voir et 1'on peut ajouter une foi enlière à son témoignage. )) L'ecclésiaslique distingué et pieux, dont parle ici l'archevêque, était Henri .Mal'et, professeur de dogme à la faculté civile de -théo- logie. C'élaÏl un prêtre sans talent et sans caractère, un esprit prétentieux et faux, dont la vie était pleine de forfailures, ou au moins de forLes irrégularités. A l'arrivée de Sibour, il avait écril une brochul'e OÙ illouait avec emphase les réformes romaines de l'évêque de Digne, et lui Maret était gallican. Pour se faire rece- yoir docteur, il avail composé une thèse mal venue ell'avait, par un faux en écriture, nantie de l'approbation du doyen; sur la plainte de ce doyen, Ie doyen fut cassé et Maret mis à sa place. Nommé plus tard é\'êque de Yanne , Maret parut résister au Pape qui ne voulait point d'un si faible esprit pour Ie gouvernernent d'une église, et Maret dut expliquer Ie retard de sa soumis ion, Auteur de plusieurs ouvrages contre Ie panthéisme, sur la théodi- cée chrétienne,la dignité de la raison et la constitution de l'Eglise, il était plus digne de l'lndex que capable d'en sauveI' Cousin. Un fe- MANCEUVRES POUR SOUSTHAIRE COUSIN AU .J UGEMENT DE L'INDEX 465 rait une histoire de ses erreurs el si 1'on meUail,en parallèle,l'his- toire de ses bonnes fortunes,on verrait que Ie talent est inutile au succès et que les défaillances d'espril n'empêchent. pas les grasses sinécures. l\laret écrivait donc à Sibour : (( Mes relations avèc M. Cousin avaient été fort rares, lorsqu'au mois d'avril 1853, il vint me voir pour me prier de reviser avec lui quelques parties d'un livre qu'il alJail publiel' et il m'en laissa les épreuves. Nous prìmes jour et heure ; je me rendis chez lui. 11 me fit aim's connaître sa pensée. Depuis longtemps, il était préoccupé, me dil-il, du désir de Iaisser un livre irréprochable, que les pères et mères de famille chréliens pussent voir sans crainte dans les mains de leurs enfanLs. II ne pouvait se faire à l'idée de porter Ie trouble dans les consciences. J'applaudis vivement à de pareiIs sentiments. Le vrai moyen, lui dis-je, pour arriveI' à ce ré ultat, serait une profession de foi catho- Iiq ue et il serait bien facile de l'inlrod uire dans Ie livre qui allait paraîlre. Je lui proposai alors des nlodifications qui auraient équi- valu à cetle profession de foi. II me répondit qu'il n'en était pas encore là; qu'il était arrêté par des doutes sur la constitution his to- rique du christianisme, qu'il n'avait pas la foi positive, mais qu'il ne disait pas qu'il n'irait pas plus loin plus tard. Après lui avoir exprimé mes respects et mes væux, croyant qu'il voulait ménager une transition, je lui proposai de relrancher de son livre tout ce qui pouvait directement ou indirectement, posilivement ou néga- tivement, êlre contraire au dogme chrélien; en particulier de s'abstenir de loute affirmation impliquant les suffisances de la rai- son et de la philosophie ou la négation de l'ordre surnalurel et Cousin accepta avec empressement cette proposition, disant qu'il se renfermerait dans Ie pur philosophique et qu'i! ne voulait pas prononcer une parole qui pût être prise pour une négalion de la divinité du christianisrne. En résumé, je crois à la sincérité de M. Cousin... Par conséquent., il pent paraître con venable d'user à son égard de heaucoup de nlénagemenLs. )) En même temps qu'il envoyait cette letlre au pape, I'archevêque éCl'ivait au cardinal d' Andréa, préfet de 1'lndex: (( A l'insligation 30 -lUG CliAPITRE XVI du parLi qui s'est Lrouvé atLeint par les quatre propositions, l\Igr Pie, évêque de Poitiers, a cru devoir appeler les sévérilés de fopinion surun livre intitulé: Le vrai, Ie beau ei le bien. J'apprends, en outre, qu'à Rome, Monseigneur de Poiliers pout'suit, près de la Congrégation de l'Index, la condamnaliol1 de ce livre. C'est làce qui 111e paraH }Jì'ofondément regrettable... D'abord Ie livre n'a pas Ie caraclèreagressifetantichrétien que Monseigneur de Poitiers lui at- tribue, en employant un procédé queje ne veux pas qualifier. Quand l\lonseigneur de Poiliers a publié son mandement, non seulement il pouvail, mais il rlevaiL e an1iner la 3 e édition du livre de M. Cousin, qui venait de paraître eL qui, étant la plus récente, contenail sa pensée dernière et témoignait de ses sentiments actuels. II est vrai que cela ne faisait pas Ie compte du parti; car la 3 e édition cst Ù'l'éprochable, sauf peut-être quelques-unes de ces légères inexac- titudes qui échappent aux homnles du monde les mieux intention- nés quand ils parlent théologie. De plus, par une méprise étrange, Mgr Pie, pour se donner beau jeu, regarde comme étant dit du chrbtianisme ce que 1\1. Cousin dit du mysticisme: ce qui est calomnie1' positivement et à plaisir les intentions de 1\1. Cow in. Or, est-ce loyal d'accuser 1\1. Cousin, en s'appuyant sur la 2 e édition oÙ se trouvent, en eITeL, des paroles répréhensibles, quand il venait de les désavouer, en publiant la 3 e édition oÚ il n'y a p1'esque pas Heu à la moindre critique fj La Sacrée Congrégalion ne semblerait- cUe pas se rendre complice de cette malveillance e1 de celte dé- loyaulé, si elle introduisait Ie procès de M. Cousin sur des paroles qu'il a désavouées, puisqu'il ne les a pas repruduites ou bien sur l'inconvenante méprise de Monseigneur de Poiliers. l\'1ais je laisse de cûté la question elje prie Volre Eminence de la considércr suus un aspect plus grave encore. Quelle que saitia valeur doclrinale du livre et quelque jugement qu'il faille en pOI'ter, la situalion d'esprit dans laquelle se trouve I. Cousin mérite qu'on en Henne un grand compte et que la Sacrée Congrégalion suspende sa Sèn- tence, si elle croyait qu 1 une sentence doH inLervenir au sujet du livre incriminé. )) Suit un long plaiduyer en faveul' de l'ouvrage de Cousin. MANæUVRÈS POUR SOUSTRAIRE COUSIN AU .JUGEMENT DE L'INDEX 467 En reproduisant ces textes, nous ne raisons aucune remarque sur Ie mauvais ton de ce style épistolairß; mais nous devons dire que les imputaLions de I'archevêque de Pa..is contre l"évêque de Poitiers sont fausses. En l'absence de tout mysticisme ,'isible, ce que Cousin dit du mysticisme Lombe réellement sur Ie christia- nisme; eL Ie reproche de s'être servi de la deuxième édition ' est une erreur grossière, car il suffit d'ouvrir la pastorale de l\Igl' Pie pour voir qu'il s'est servi de la i: e édition. Quant aux conclusions, eUes sont plus fausses encore. Iaret Ie doyen' et Sibour l'archevê- flue se portent garanls des dispositions de Cousin et de I"ortho- doxie de son ouvrage. Ce que pensail Cousin en son f01' inlérieur, personne ne peut Ie savoir, ce qu'il fit personne ne peut l'ignorer. L'ouvrage innocenté par Maret, corrigé même par ce fin aristar... que, longuement défendu par Auguste Sibour, cet ouvrage était devenu, par sa correction de pure diplomatie, plus voilé, mais plus perfidement mauvais qu'avant. Voici, au surplus, Ie juge.. ment qn'en porlait Pie IX: (( Le temps qui s'esl écoulé depuis l'arrivée de vOtre leltre (trois mois) est une preuve de plus du calme avec Iequelle Saint.. Siège examine pour ne pas précipitrr ses jugen1ents. Vons dites que M. Cousin, en qui je respecte les dons et les faveurs que Dieu lui a si largement départi5, est sur la voie du retour au sains principes et vons delnandez qu'aux anciennes condamnalions dont il a été robjet, ne vienne pas s'en joindre une nouvelle qui l'arrêLerait dans la voie du retour. On ne peut rien proposer de ll1ieux au Père commun des fidèles, et je complerais au numbre de roes plus grandes consolations celIe d'embrasser et de bénir Ie savant philosophe, en l'exhortant à devenir un champion de la vérité el un fils obéissanl de Ia vraie et unique Eglise de Jésus... Christ. Vous me dites encore qu'une preuve de son retour, c'esl son ouvrage : lJu vì'ai, du beau et du bien, qui est en ce moment soumis à la Congrégation de l' ndex. l\1ais il me paraît clair que, dans ce livre, non seulement il ne 1"éll>acte 1 ien de ses anciennes e1Teurs, ma.is quïl déclare persévérel' dans ses doctrines. On sait el tOllS Ie savent que M. Cousin Die toute révélation et n'admet iß8 CHAPITRE XVI point l'origine surnalurelle de la religion. Ur, pour revenir à nous, il est nécessaire qu'il fasse une profession explicile du fondemenl de nolre foi. Respeclons 1\1. Cousin, trailons-Ie avec toule la cha- rilé possible, mais Ie flatter serait un c1'ime. )) Au reçu de celte leltre, Ie 31 mars 1856, Auguste Siboul' répon- dit: (( Les principes sur lesquels se fonde V olre Sainteté sout incontestables, et il est bien vrai q u'un auleur qui a professé des erreurs ne peut arriver à l'orthodoxie qu'en faisant une déc1aration formelle de ses nouveaux sentiments. conformes aux principes de notre foi et en rétractant loutes ses précédentes erreurs. ì\lais j'ai affirmé que 1\1. Cousin élait sur la ,"oie ùu retour à la foi chré- tienne et calholique el je n'ai pas dit qu'il y rût arrivé encore. C'esl une àme travaillée par la gràce, ce n'est pas encore une âme vaincue et complètement soumise. Le chemin que ce philosophe a fait vel'S la religion pent se mesurer par ses dispositions ac- tuelles. Des amis, bons caLholiques, qui Ie voienl sou vent, assurent lui avoir enlendu dire, dans Ie secret de l'inlimité, qui exclut toule contrainle et toute dissimulation, qu'il n'avail pas encore Ie bonheur d 'a voir la foi, mais qu'il éLail dans un tel élat q u 'iJ don- nerait son sang plutðl que d'affirmer que Ie christianisme n'est pas divine II demande à ses amis pieux de prier pour luL Celle année, je l'ai vu assidúment aux conférences de Nolre-Dame, ce qu'il n'avait pas faiL encore. Enfin, son livre, s'il n'est pas tout à fait irrépréhensible, témoigne certainement d'une amélioralion très sensible et de nouveaux efforts fails par cel éminent esprit du côté de la vérilé. Maintenant, cela élant ainsi, serail-il opporlun de sévir conlre 1\1. Cousin et de s'exposer peut-ptre à arrêter les lendances de celte âme, qui le porlent de plus en plus vel's la re- ligion? Là est toute la question: Votre Saintelé en est Ie juge suprême. )) II nous semble qu'au lieu de, s'occuper tant d'une condamna- Lion à intervenir, il eût beaucoup mieux valu s'occuper des con- damnations passées. Puisque Ie philosophe se vantait d'ayoir fail disparaître, de ses anciens ouvrages, toutes les Laches, c'est qu'il les avail reconnl1S fautifs el dès lors il ne devail rien lui coûler de MA flErVRES POUR OUSTRAIRE COUSIN AU .JUGEl\IENT DE L'INDEX 6!J se soumettre à un arrêl ratifié pal' sa conscience. Or, on Ie laissait, de gaieté de cæUI', rebelle à l'Eglise ; on tenait pOUI' non avenues des conrlamnalions solennelles, el, quand on marquail pour ces condamnations si peu (l'esUme, on feignaiL, pour une condamna- tion év ntuelle, des frayeurs qui cad rent mal avec une telle obsti- nation. Il y a là évidemment quelque chose de conlradicloit'e. Si Cousin élait soumis, un nouveau jugement serait un nouveau bienfait, une nouvelle sou rce de lumière ; sïl ne l'élait pas, pour- quoi Ie ménager. Au reste, par de Ià ces questions de personne, iI y a l'intérêt public, les droils de la vérité et les exigences de l'orlhodoxie. On ne joue pas avec les poisons de rerreul . Mais Cousin avait peur, et pour éviter Ie coup suspendu sur sa vieille tête, il alia trouver son premier pasteur et lui faire une déclaralion de ses sentiments. Douze jours après, Sibour écrivait au Pape: (( 1.\1. Cousin proLesle que son intention formelle a élé d'éviLer, dans ce livre, tout ce qui, de près ou de loin, pou rait paraîll'e opposé à la religion. S'il n'y a pas réussi, ce serait à son insu ou par inadvc'rlance. II est donc disposé à e/facer , à changer', à sU]Jpr'imer tout ce qu'on lui signalera comme pouvant offenser la plus rigourense orthodoxie. Si un passage, une phrase, un mot de son livre paraìt contenir quelque erreur ou seulement prêter à des interprétations équivoques, il s'emp1'essel a de les s1.lppl'imel'1 avec une docililé parfaile, avec reconnaissa.nce même et sans dis- cussion. Il a fait un livre de philosophie; mais, dans ses convic- lions, pour que ce livre soil bon, il ne doH contredil e en 'l"ien les vérités chrétiennes. Ii fer'a tout ce qu'on voudl a pour cela... Quanl à ses anciens ouvrages, qui, la plupart, ont éLé l'objet d'une condamnation de l'Index, voici sa réponse: (( Tous ses livres an- ciens condamnés ont été revus el corrigés dans des éditions nou- velles et c'est à celles-là qu'il renvoie. Puis, ces renvois n'ont trait qu'à des vérités philosophiques inconteslables, qui font la base des doctrines spiritualistes, quïl défend contre les tendances matérialistes d'une autre époque n. 1\1. Cousin fail, m 'a-t-il dit, en ce moment, une édition nouvelle de son livre Du ví'ai, du beau et du bien. II désire ardemment n'y laisser aUCl1ne expression, 470 CHAPITRE XVI aueune pensée qui ne seraient pas eomplètement saines. C'est une occasion pour meUre à l'épreuve sa bonne volonté. Que V otre Sainteté ordonne de faire, pour 1. Cousin, ce qui a lieu quelque- fois: qu'on lui donne communication des passages répréhensibles de son livre, el je suis persuadé que tout ce qu'on demandera sern obtenu e1 que toutes les corrections jugées nécessaires seron1 faites. )) Aces déclaralions de l'archevêque, Cousin voulut bienlÔt jo}n- dre une lettre directe au Souverain Pontife; celle letLre est du 30 avril 1856 : (( Très Saint Père, l\Igr l'archevêque de Paris a bien voulu me communiquer une leLLre de Votre Sainteté, remplie de tant de bonté et si digl1e du cu ur paternel de Pie IX, que je cède au be- soin de vous en ex primer ma sincère et profonde reconnaissance. Oui, Très Saint Père, on vous a dit vrai ; loin de nourrir aucun mauvais dessrin contre la religion chrétienne, j'ai POUI' eUe les sentiments de la plus profonde vénération; j'aurais horreur de lui porter direclement ou indirectement la moindl'e atteinLe; el c'esl dans Ie triomphe et la propagation du christianisme que je place toutes mes espérances pour l'avenir de l'humanité. Affligé d'avoir vu autrefois mes intentions trahies par de fausses appa- rences, j'ai vonlu, en ces derniers temps, faire un livl'e de philoso- phie entièrement irréprochable; et, ne me fiant point à mes sen- tin1en1s les plus sincères, à mes études, à mon âge, j'ai recherché les conseils d'amis sages et pieux, d'ecclésiastiques éclairés et au- torisés. . (( Les sacrifice d'amour-pl'opre ne me sont rien auprès d u gl'and but que je poursuis : l'établissemenl d'une philosophie irré- prochable, ct1nie sincl're du christianislne. Si done, malgré tous mes soins et ceux de mes doctes conseillers, quelques passages nous avaient échappé qui peuvent troubleI' Ie cæur de Votre Sain- teté, qu'on me les signale e1 je les ûlerai de bien bon cæur, ne demandant qu'à me perfectionner sans cesse, et n10i et mes hum- bles écrits. (( Te]s sont mes sentiments, Très Saint Père. Fiez-vous à volre MANæuvRES POUR SOUSTRAIRE COUSIN AU JUGEMENT DE L'I:.'iDEX 471 cæur, et, rose Ie dire, aussi à ma parole. C' est celIe d'un homme qui n'a jamais trompé personne, el qui, touchant au terme de sa carrière et voué å la retraite, ne connaìl aucun intérêt sur la terre capable de lui faire prendre un masque et déguiser ce qu'il croit la vérilé. )) Les sentiments exprimés par Ie philosophe et par l'archevêque ne ]aissaient rien å désirer. A rappui de ces protestations, il avail été fait un travail de notes et de renvois aux æuvres de Cousin. Par les notes, on expliquailles passages incriminés; par les ren.. VOiR, on entendail prouver que précédemment Cousin, fìdèle it lui-même, avait exprimé déjà ces mêmes convictions philosophi... ques. Si les renvois et les notes eussent été péremptoires, eUes eussent sauvé Cousin. 1\laIheureusement ce travail avait été fait par Ie triste doyen Maret, avec ceUe suffisance et cette insuffisance qui Ie caractérisaient ; Ie travail n'était ni complet, ni décisif; non seulement il ne couvrait pas Cousin, mais ille livrail. A Rome, on ne joue pas avec la vérÍlé, bien moins encore avec les intérêts de l'Eglise. Quand une vérité est connue, on sait ne pas la taire mal à propos; et quand l'intérêt de l'Eglise exige sa proclamation, il y a un Pape qui sait rompre Ie silence. Dans une séance tenue au Vatican Ie 7 avril 1856, la Congrégalion de l'Index, à l'unanimité des cardinaux présents, décida que Ie livre Du vl'ai, du beau et du hien devail ètre proscrit, comme il avait été déjà condamné en 1844 dans Ie C OU1'S d' histoÍ1'e de la philosophie. Le Souverain Ponlife approuva ce décret. Toutefois, Ie Sa.int P( l'e, touché des bons sen- timents de Cousin, suspendit la promulgation du décret, el ol'donna de Ie communiqueI' à l'auteur, afin qu'on pût ajouter à la suite: L'auteur s'esl louablement soumis et a réprouvé &on ouvrage. Le nonce, Charles Sacconi, fit part à J'archevêque de la décision de Rome; I'archevêque en fut très irrité; il se répandit en plaintes contre l'évc que de PoiLipl's, contre I' Univers ; allégua contre, Ion. talembert, Falloux, Broglie, naudon, Ie Cm'respondant, l'Alltl ti(> La Religion; et annonça que Cousin était ùans l'intention lrès fern1e dr se soumeltre, non pas å la condamnation, 1nais aux cOl l'ections. \72 CHAPITRE XTI Dès lors les efforts des alnis du célèbre philosophe e tournent it obtenir de Pie IX la révocation du décreL de 1'lndex. La leUre de Cousin n'avait pas élé envoyée au Pape. L'archevê- que ne voulait pas que Ie philosophe pùt l'accuser de s'être vu poussé à éCl'ire pour conjurer une condamnalion, lorsque ceLLe condamnation élait déjà porlée. Alfred de Falloux, Ie grand né- gociateur du parti, alléguant que Ie philosophe avail voulu sur- tout parler au cceur du pape, supplia l'archevêque d'envoyer à Pie IX la lettre de Cousin. Sibour Ie fit par une grande lettl'e du 8 mai 1856, par Iaquelle il protestail de plus en plus des intentions du philosophe : il s'agissait de sauver une grande âme, il fallait Iui tenir compte des améliorations successives el de ses dispositions présentes, mais sans exiger une profession de foi formelle. On ne s'explique guère que Ie prélat put s'abuser à ce point. On n'avait pas à juger Cousin d'après ses intentions, mais d'après ses écrits. Or, il est de toute évidence qu'avec son écIectisme philosophiq ue. Cousin espérait fonder une EgIise chrétienne sans ]e Christ; il as- pirail à lui dérober son Evangile e l à se meUre à sa place. Tous ses disciples ronl compris de la sorle ; ses biographes n'en font pas mystère. On Ie célèbre pour avoir ressuscilé Ie rationalisme carlé- sien, ranimé Ie goÙl de l'histoire de la philosophie, maintenu sur- tout I'indépendance de la raison et de la philosophie, au regard de la théologie el de la foi. Et Sibour, peu compétent pour rendre des oracles, osail rappeler Ie plus grand philosophe du XIXe siècle. La leltre de Cousin fut don envoyée par SiboUl' et subsidiaire- ment par Falloux. Falloux, avec sa logique ordinaire, prétendait que Ia leLtre du philosophe changeait la situation et créail un d1'oit st1'ict à l'indulgence. ParaIlèlement, on envoyait de Rome à Cousin une formuie de sou mission à signer; ceUe formule Iui ful remise par Ie nonce Sacconi. Cousin Iogeait en Sorbonne ; il avail, pour voisin, Ie doyen Maret, logé dans l'étage au-dessus. l\Iarel, qui n 'étaÏl pas des plus spirituels, faisaH volontiers ceUe bonne plai- santerie, autorisée par son étage au-dessus, c'est qu'il dominait de très haut la philosophie de Cousin, logée un étage au-dessous. Sa domination ne dépassail guère Ies degrés de l'escalier, ou pIu- ?tIAN OEUVRES POUR SOUSTRAIRE l:OUSIN AU JCGEl\IENT DE L'INDEX 473 tût son ascension ne s'expliquait pas alltrement. L'archevêque priait ce prêlre d'user de son crédit près du philosophe: (( Volre savoir, volre douceur, voh'e suavilé de paroles el de manières, et surtout votre charité, celie onction évangélique que Dieu vous a donnée" onl concouru à l'amener au poinl oÜ il en est. Achevez votre æuvre ; faÏles un dernier effort. Après avoir prié avec ferveur, allez Ie lrouver. Ayez avec lui un entretien à fond et Ia foi, avec la divine Iumièl'e, descendra dans son åme. Alors rien ne lui coû- tera pour la vérité. Lui-même voudra proclamer son triomphe dans sa belle intelligence et dans son cæur si dr'oil. Il entr ra ainsi non seulement sans résislance, mais avec bonheur dans les vues du vicaire de Jésus-Christ. Voilà, je crois, Ia seule chose à faire. >> C'élaÏt, en eifet, la seule chose à faire pour ramener Cousin, mais Ie négociateur ne paraît pas avoir suivi celte voie ; il piéline toujours dans les mêmes idées. (( J'ai vu hier M. Cousin, écrit-il; il m'a dit avoir déclaré au Nonce, qu'il ne signerait pas la profes- sion de foi qu'on lui impose, quoique pour rien au monde il ne voulûl signer Ie contraire. II écrira au pape ; il n'est pas encore bien arrêlé sur la forme de sa leltre. Le Nonce a paru lrès contra- rié de la détermination de M. Cousin. II est probable qu'à Rome, on la prendra pour un refus et qu'on publiera Ie décret. Telle est Ia situation; il peut en résulter un immense scandale, qu'on 1'eg1'et- té1'a peut-êl1'e quand il se sera prodllit. Ne serait-il pas opporlun de faire un dernirr appel au cæur, au cæur seul du Saint Père. L'inlérêt des âmes ne mérile-t.il pas un peu de palience ? >) Ainsi parlait :l\1aret et ce langage explique assez, près de Cousin, la sté- rilité de sa mission. Le 28 juilIell856, l'archevêque fit, près de Pie IX, un appel su- prême et l'adressa expressément au cæur du Pontife: (( Je sais, dit-il, que vous trouverez dans ce cæur des ressources et des indus- tries infinies pour préserver une ("tme et la religion elle-mên1e d'un malheur irréparable. Toul se réduil à ne rien fixe1 (1) et à atten- dre les momenls de Ia grâce. Si Votre Sainlelé n'est pas pleinemenl salisfaite de la réponse de M. Cousin, qu'elle veuille bien encore \74 CHAPITRE XVI palienler. Je la supplie de lui faire indiquer ce qui doH être cor- I'igé dans son livre, il Ie fera avec une docililé d'enfant. Je la con- jure, avec les plus ardenles supplications, de ne pas faire pubHer Ie ùécret de la Congrégation de l'Index. M. Cousin ne peut pas se faire à l'idée que, même après sa soun1ission, Ie décret sera rendu public. Il ne conçoit pas q u'on refuse de lui épargner cette humi- liation ; il den1ande si, pour récompenser un enfant de son ohéis- sance, de sa dociIité, il est juste de lui donneI' les étrivières. Celle pub1ication enfin est-elle nécessaire? et la charité, unie au souve- rain pouvoir, ne peut-elle faire une e'\;:ceptÏon à des lois ou à des usages respeclables d'ailleurs ? Ah ! qu'H trouve donc en Pie IX un cæur généreux el patient? La patience convienl à celui qui est 1(\ fondement d'une religion élernelle. >> Le pape répondit Ie 1.1. août: Vous donnez de grands éloges à la réponse que nons avons faile... mais vous nous failes connaìlre, en même temps, que la profession de foi explicite que naus avons demandée au philosophe Cousin, répugne à sa conscience, par la raison quïl n'est pas encore persuadé de la divinité des vérités chrétiennes quïl devraiL professel , et en parliculier de celles que nous devons croire de cæur et pI'ofesser de bouche, à savoir que Ie Fils uniq ue de Dieu est Ie fondateur de la seule vraie et très sainte religion catholique, apostolique, romaine. Ce divin fondateur du christianisme demande de nous to us une soumission parfaile de notre intelligence au vérilés de la foi, de même qu'il exige notre hommage suprême à ces mêmes enseignements divins. El ici, il est nécessaire que nous déclarions de nouveau que Ie der- nier ouvrage de M. Cousin est très certainemen t digne de censure et qu'il ne peut nullement être partiellement C01'í'igé. Cela étanl, comment pourl ions-nous supporter que notre silence fût pris, dans Ie monde en tier, comme une marque que ce livre n'a rien de dan- gereux, qu'il ne n1érHe pas d'être censuI'é, et que les fidèles peu- vent Ie lire sans danger pour leur foi? Si nous gardions un tel silence, cerLainement notre conscience ne pourrait être en paix, surtout puisqu'il s'agit ici d'une affair'e qui ne peul plus être secrèlc el connue seulen1ent d'un pelit nombre de personnes, mais qui est MANOEUVRES POUR SOUSTRAIRE COUSIN AP .JUGEMENT DE L'INDEX \75 devenue noloire et connue de chacun... )) Le pape rappelle les tempéramenls dont on a usé pour Cousin; il croil qu'on ne peut l'assister efficacement que par des prière . (( Quant it vous, conclut 1(1 Pape, comme nous vous savons animé d'un vél'ilable zèle pour Ie salut des âmes, nous ne pouvons avoil' rombl'e d'un doute que vons puissiez tolérer qu'un livre dangcreux, capable d'affaiblir la foi, de provoquer dans les esprits des do utes sur la divinilé d'une religion quïls professent par un bienfait singllliel de Dieu,demeure dans les mains des fidèles... Que si, ce q u'à Dieu ne plaise, nos ef- fOl'ts demeurent inutiles, VOllS comprendl'ez facilemenl que, selon Ie devoir de nolre charge, nOllS prendrons une détermination qui soil en favellr de la défense de notre lrès sainte religion et de la doctrine catholique. )) Cousin répondit Ie 19 août18;)f) : (( Je m'attlige, dit-il, de voir que l'on ail, à ce point, sl1l'pris el troublé Ie cæur de V otre Sain- teté qu'elle me semble craindl'e que j'aie cûmbattu ou révoqué en cloute el affaibli )e moins du monde, dans l'esprit des hommes, les grandes vérilés, à la fois si nécessaires et si évidentes, qu'elle veut bien me rappeler, tandis que je n'ai cessé de témoignel' de mon loyal et profond respect pour les unes el que j'ai consacré ma vie it établir, à défendre, à propager le autres. En même temps il m'est bien doux de pouvoir con soler el réjouir Ie cæur paternel de Volre Saintelé et de répondre à Lous Ies sentiments affectueux qu'elle daigne m'exprÏmer en l'assurant ðincèrement que, loin d'éprouver Ie moindre embarras d'adhérer aux divers articles mentionnés dans la lettre apostolique, je Ie fais bien volontiers, pleinement et sans réserve. Sans doute, une telle déclaration avec mes intentions et mes opinions bien connues, était su pertlue ; mais puisque Ie pi're des fidèles, puisque Pie [1. me]a demande, après l'avoil' tant de fois consignée dans différents ouvrages, j e la renouvelle une fois de plus sans hésiter, par une jusle condescendance pour une vérilé qui m'esl chère. Afin qu'aucune incerlitude ne subsiste dans l'es- pril de Votre Sainteté, je rassemble ici, sur les divers points indi- qués, des réponses d cisives et péren1 ptoires, tirées de mes écrits depuis longlemps publiés et parliculièrement des derniers. Sur cet 476 CHAPITRE ,(VI ensemble de citations, on voÏt que j'ai aRSfZ hautement fait paraì tre n1e convictions. .raime à ajouter que je saisil'ai avec empres- sement toules les occasions qui se pré enteronl de rrnùl'e encore hommage à la vérité. Fiez-vous à moi; volre confiance ne sel'a point trompée. Jamais Ie chrislianisme ne souffl'ira. de ma part, Ie plus petit dommage. Puissiez-vous un juur reconnaître que. dans la mesure de mes forces et selon la nature de mes travaux, je n'ai pas éH tout h fait in utile à ceUe grande et sainte cause)) (1). En même temps, Cousin éerivait à l'archevêque : (( Jc vons ùirai de nouveau, plus j'accorde plus on exige. l\fais je ne ferai pas un pas de plus et m'en liens à la leltre que vous avez approuvée. )) Sur ces enLrefaiLes, arl'ivèl'enlles vacances. L'archevêque partit en ßavière et en Hongrie, avec des desseins très pen favorables, sinon toul à fail hostiles, au SainL-Siège. l\1ais la Providence, qui se joue des desseins des hommes, serna ce voyage de mésaven- lures et presque all reLonr, l'archevêque Lomba sous Ie poignard d'un assassin. Dix ans après, rnourait it Cannes, au sorlir de ùé- jenner, l'écleclique Cousin, sans avoir rien failje ne dið pas pour se rapprocher du Chrislianisme, Inais pour se soumeLlre à l'Eglise. Son fameux livre est resté clour au pilori de l'Index. De ceLte af- faire sans résuHat, il ne reste que Ie souvenir des excessifs tempé- raments des catholiques libéranx pour l'?n des gl'ands hérrsi"ar- ques du XIX e siècle. Si ron rapproche ces ménagements illiciles pour un ennemi de l'Eglise, des rigueurs odieuses cbnlre la plupart de ses défenseurs, il me semble que cela donne bien l'idée d'nnc secte dont Ie signe caractérislique est toujours ce même parti pris d'iniquiLé, allanl j usqu'au fanaLisme. (1) Nons avons extrait toute cette correspondance, des Nouvelles annales de philosophie Ch1'élienne, t. II, passim. Ces lettres avaient été remises an direc- teur de cette Revue par M. Bonnetty, qui les tenait ùe l'ahhé Dedone, secrétaire de l\fgr Sibour. On ne peut mettre en doutc leur au thenlicité. CHAPITRE XVII LES PRINCIPES DE 8U ET LA TIIÉOLOGIE DE TOULOUSE. Dans la longue lutte entre les catholiques libéraux elles catho- liqlles sans épilhète, l'année 1.8Gl offrit deux incidents qui méri- tent une courte mention; la publication d'un opuscule justificatif des principes de 89 eL la corl'ection de la théologie de Toulouse. I. - L'opuscule intilulé : Les principes de 89 et la do('l1 ine calholique, était l'æuvre de l'abbé Godard, professeur au grand séminaire de Langres. Louis-Léon Godard éLait né en 1825, à Chau... mont-en-Bassigny. Prêtre en 1.848, professeul' de géologie, d'ar- chéologie et- d 'histoire, il étail, avant tout el après lout, un homme simple el bon intelligent etlaborieux. Dans son enseignement, il suivait Rohrbacher, peu suspect de libéralisme ; pendanl ses vacances, avec les subsides que lui allouait Ie gouvernement, il visilail rEspagne, Ie littoral-Nord de l'Afrique depuis Ie Maroc jusqu'à I'Egypte et l'Italie, Grâce à Ia singulière précision de son esprit, dans une vie, sous certains rapports, ahsorbée, et, sous d'autres, fort répandue, il avait trouvé moyen de lraduire divers ouvrages et d'en composer d'autres où 1'0n relrouvait Ie charme parliculier qui s'exhalail de sa personne. S'il eúl vécu, c'eüt été un homme de haule importance; mais il ll'ouva sur son chemin, ou plutût on plaça sous ses pas une pierre OÙ il vint se briser. Les cathoIiques IiLéraux voulaient faire canoniser les principes de 89, mais ils n'osèrent poinl se risqueI' à en faire instruire Ie pro.. cès. Sauf les échappées, un peu vaporeuses, de Dupanloup en 18i5, Ie chef du parti, ses compagnons et ses lieutenants, se plai aient à des volLiges, sur ce thème périlleux ; toutefois, dans leurs exer- cicefoi d"acrobates, se tenaien L à une distance I'espectueuse du foyer, 478 CllAPITRE XVII pour ne pas se brÙler les pieds ou les ailes. Cependanl rien n 'étail fait si 1'on n'enlevail pas ceUe redoute el si on laissait à 8U cel anathème de salanisme que Ie comle de Maistre avail buriné sur son front, cel autre analhème doctrinal Fulminé par Ie pape Pie VI. Pour arracher ce double sligmate, il fallaH un jeune soldat, brave el expérimenLé, égalen1enl propre it être décoré de la Légion d'hon- neur et à se faire tuer sur la brèche. Les calholiques libéraux ne manquaienl pas de jeunes gens, n1ais trop peu en vue, trop réser'Tés ou trop compl omeUants, ne présentant, ni run ni l'autre, l'ap- parence d'un docteur. L'abbé Godard étail cçnnu ; de sa province, iI venail ìL Paris; un l'avait vu dans ces cercles donl les libéral1x ont toujours su écrémer les personnages possibles; il plut, on l'invita à se passer la colle de rnaille et it entreprendre ce péril- leux panégyrique de 89. Le pauvre abbé crnl avoil' lrouvé Ie che- min du Capitole; il allait se précipiter du haul de la roche Tar- péienne. A ceUe date, la scission entre les catholiques purs el les catho- liques libéraux, définilivemenl effectl1ée en 1.852, étåit arrivée à son maxÏIuum d'échauffcrnent. On ne voyail peut-êlre pas parlout aussi clair qu'aujourd'hui, mais on se laissait aller à loutes les flammes de sa belle ardeur. On ne discntait oi sur la condition actuelle de l'état des personnes e1 de l'état des propriétés; ni sur les formes poliliques plus ou moins favorables à l'indépendance du ciloyen ; ni sur les progrès scien tifiques ou malériels; n i sur les immunilés industrielles ou commerciales. Sur ces questions, cha- que calholique pouvail à sun gré se prononcer pour telle ou telle opinion; sur Ie problème capital de savoir si les sociétés étaienl moralement indépendantes de .Jésus-Christ et de son Eglise, il y avail bataille soutenue de part et d'aulre avec acharnemenl. Le point Iitigieux, posé entre les parties contend antes, n'élait pas de se prononcer sur la royauté de Jésus-Christ : de ce chef la contro- verse eûl été difficile parce que la solution élaiL trop prouvée, pres- que évidente ; les calholiques libéraux avaient mieux cbuisi Ie point obscur Oll ils ëspéraient pouvoir se défendre. Le gros des calho- liques, sur l'accord entre l'Eglise et les sociétés modernes, s'en LES PRINCIPES DE 89 ET LA TnÉOLOGIE DE TOULOUSE \7U tenait aux données de la tradition et aux décisions de I'Eglise. Les calholiques libéraux acceplaienl en lhéorie l'aulorité de l'Eglise; mais, dans l'enseignen1enl tradiLionnel, ils faisaient deux parts, rune, contre les erreurs anciennes, dont ils croyaient la con- damnation légitime; l'autre, conlre les idées modernes, qu'ils abandonnaienl pour élever les idées libérales à la dignité de prin- cipes. Entre Ie gros de l'armée et les libéraux s'élaiL dessiné un tiers parli, qui, tout en repoussant les sédilieuses tendances des libéraux, demandait à I'Eglise de ne rien faire contre ces liber- tés qui, passées dans Ie sang de la société n10derne, constituent en quelque sorte Ie fond de son être. Fallait-il done renoncer à tout espoir de s'entendre. Oui, évidemmenl, s'il s'agil des doctri- nes; Ie oui etle non ne peuvenl s'accorder ensenlble. (( On n'est plus catholique, dit Ie P. Hami re, du mornent que, pour obéir à l'autorilé de l'Eglise, on impose à l'Eglise l'obligation de suivre nos idées )) (1.). Bien différen le était ] a d isposilion des scissionnaires. Les calho- liques, qui se gratifiaient de l'épithi:;te de libéraux, sc donnaient invariablemenl pour bons et fidèles catholiques. SOl1venl même Us protestaienl que leur::; doctrines ne différaient pas au fond des décisions des souverains pontifes ; et, s'ils adoptaient une lactique différente, c'était, selon eux, dans Ie bul et avec la certilude de mieux sauvegarder les docll'ines de l'Eglise. De 1.8: O à 1.848, les é\'êques avaienl suivi c"eUe tactique sans que personne y prît garde; ils avaient fait, des promesses d'une charte rationali le, un argument ad hominf!1n, et, s'ils avaient eu affaire à des aùver- saires honnêtes ellogiljues, ils les eussent forcés dans leur relran- chement. Les libéraux, non contents de celle situation, enlen- daienl appuyer sur la licité docLrinale de leurs théol'ies; s'ils ne les présenlaient pas encore comme un idéal, ils entendaient certaÌ- nement soutenir Ie non-désaccord de ces principes avec les prin- cipes de l'Eglis . Après en avoir longtemps délibéré entre eux, plaidé Ie pour et Ie contre, examiné les avantages et le incullvé- (1) Des doct1'ines romaines BU1 4 le libéralis'tlze, p. XII. 480 CIIAPITRE À VII nients de celie initiative, les chefs du catholicisme libéral se dé- cidèl'ent à choisir l'abbé Godard pour tenter l'aventure, L'aLbé Godard était un soldat d'avant-garde; on Ie poussait sous Ie feu des canons du Vatican; sïl pouvaH se frayer un chemin entre les projectiles, on Ie bombardait évêqlle; s'il se faisait tuer, on en serait q uitte pour Ie lrailer de maladroit elle désavouer. Qu'il soil pern1is d'accepter les principes de 89 comme aulant d'al'licles de droil posilif français, de leur promettre obéissance et de prêler serInent à la constitution dont iis forment l'avant-propos, aucun doute sur ce point. Les décisions émanées du Saint-Siège, la conduite des évêques, la pratique d'une foule de fonctionnaires chréLiens, qui aimeraient mieux perdre leur place et leur têle, que de signrr un sern1ent impie, prouvent surabondamment q u'il est pennis de s'engager à respecter les principes de 89. Mais peut- on exiger davantage des catholiques (1.)? peut-on exiger que l'état social où s'exercent ces principes soit admiré par eux comme l'i- déal de la perfection? ne doit-on pas craindre au contraire que cet état libél'al, préparé par les encyclopédisles, inauguré par les révolulionnaires, triomphant par une série d'excès, d 'atlentats et de crimes abominables, ne so it plutôt une machine de guerre con- tre la religion, l'Eglise etla Chaire apostolique ? On doH d'autant plus craindre que les mécréants sont tous fa- natiques de 89 el ne cachent pas ce qu'ils espèrent en tirer. (( On dit et ron répète, - c'esl Pabbé Godard qui parle ainsi, - que les principes de 89 constituen t un droit nouveau; q u'ils sonlla condamnation de la société antique et Ie fondement inébranlable de la société moderne. Alors on tire ou on laisse lireI' cette con- clusion que les catholiques fidèles à leur foi sont nécessairement hostiles au gOl1vernement, qui procIame ces principes et à leur pays qui les admel. La manæuvre, on l'espère, donnera Ie change à ropinion puhlique; les peuples se détacheront peu à peu de l'Eglise; ils finiront par la considérer comme une ennemie et Ie pouvoir lui-mênle croira veiller à son propre salul, en dirigeant ('1) .Tt;LES MOREL, Lcs catholiques libèJ'aux, p. 175, LES PRINCIPES DE 89 ET LA TllÉOLOGIE DE TOULOUSE t81 contre elle des mesures protectrices. Pour déjouer cetle manæu- vre, il serait utile de rechercher, d'nne part, ce que ont les prin- cipes de 89, et ces principes une fois définis, de moo lrer, d'aulre part, que, loin d'pt1'e j'epoussés par I'Eglise en tout étrzt de société, ils on t été, au contI'aÏt'e, enseignés paries théologiens calholiqlles, a van t ceux qui les prônen t comme s'ils en étaient les révélate urs (1). )). Telle est la thèse de l'abbé Godard; il veut montrer l'accord des J11'incipes de 89 avec la docl1'1ne catholique; or Ie mot principe affublé d'un 89 n'a pas de sens, Les principes sont éternels ou ils ne sont pas principes. Par principes de 89, l'abbé Godard n'entend ni Ie 89 national des bailliages, ni Ie R9 royal de Louis XVI mais Ie 89 révolulion- naire de la Consliluante. Encore réduit-il Ie 89 à la pièce lllh'a- révolulionnaire, la 1Jéclaralioil des d1'oils de l'honunc et du citoyen. Par une inspiration qui paraU au moins singulière, il veut enlu- miner Ie texte de ce docnment d'un commentaire catholique ; et, ce commentaire, ill'emprunle à S. Thomas, à Suarez, à Bellarmin, aux princes de la théologie. L'ange de l'Ecole approuvailMiraLeau et innocentailla Déclaration ; il faut convenir que Ie tl'ait est pit... toresque. J e sais bien que Pabbé Godard n'acceptait la Déclaration que dans son bon sens et la rejetail dans ["autre: tel était même Ie but de son travail; mais par là même qu'illui reconnaissait deux sens ; il eût dò. à toul Ie moins constater que c'était une constitution amphibologique, par conséquent, une loi détestable. Quant à l'ensemble d'idées qu'il émettait là-dessus, sous Ie cou- vert malvenu des scolastiques, qui n'avaient ni prévu, ni lraité celte question, elles embrassaient la liberté et J'égalité nahtfell,', la sociélé politique, la souveraineté nationale, la liberté indivi- ' duellc et civile, la puissance législative et l'égalité devanl la loi, la sécurité individaelle et les formes jl..ldiciaÏ1'(>s, la liberté de la pl'es e et des opinions l'eligieuses, la force publique et la ré islance à l'oppression, enfin tout l'ensemble d'une con titutiun nalionale. (1) Les j1I'Ìtwip,.s de 8H ('If,, ,zoctl';ne callwfi'lue. p. 2, ;{1 482 CllAPITRE XnI Nous ne saurions examiner ici en délail ces idées, mais la pell- sée qui les engendre ella lhéurie qui les résume, se réduil à ccs lennes: qu'une société normale peul très bien exister en dehors de I'ordre surnaturel.; que Ie pouvoir politique, constiLué par ceLle société civile, peut parfaitement ne pas se croire en dehors de 1'01'- dre orthodoxe ; qu'enfin rElal alhée peut s'arranger avec l'Eglise. L'abbé Godard n'a pas condensé sa pensée dans d'aussi courles formules; il s'esl délayé en longs commenlaires, mais leUe est bien la quintessence de son ouvrage. One société en dehors de la reli- gion el de l'Eglise, acceptable en principe à I'Eglise et non réprou- vée par la religion, voilà tout l'opuscule sur les p1'incipes de 89. Or, la Déclarafion des dJ'oits de fho1Jl'1nc a été, (m fail, relative- 111ent condamnée par Ie Saint-Siège, eomrne conlraire aux drûits de la religion et de la société; elle moins qu'on puisse dire, en droit, c'est qu'elle n'esl pas conforrne aux constitutions dogmati- ques du Pontife Homain. J ésus-Christ n'a pas racheté seulernent l'hornrne individ uellernent pris ; il a rachelé aussi rhomme social; ii l'a régénéré par sa gl'âce, surnaluralisé par son enseignernent lout l'ordre de propriété, de rnal'iage, de farnille et d'ordf'e public. Par conséquent, il n'est point vrai qu'on puisse dire une société, purernent naturelle, conforrne, par son organisalion, à l'enseignement catholique et au plan lli- VIne On peul irnaginer, par hypothèse, une société fictive, de pure nature, où l'Eglise se l1'ouvanl élahlie, toujours par hypothèse, pourrait, en fait, s'accommoder par force à une dérogaLion à ses principes el tirer Ie bien du mal. On ne peut préconiser, comrne tlu se, une société apostasiant le chrislianisrne, se constituant sur l'absolutisme du génie humain, déclaré par une assemblée elre- présentanll'idéal de la société chrétienne. La coterie libérale acclama Ie livre de l'abbé Godard. Le C01'- J'espolldant Ie loua à outrance, l' A 1iÛ de la lleli,qion et Ie Jounzal des villes ct ca1Jtpagnes firent chorus; la vieille Union, après qùel- q ues réserves gallicanes, donna six articles de com plirnen ts ; Co- chin, ettement, l'pvêque de Sura ha.Uirent des Dlains ; I' ffnivrTs LES 1'IU:\'CIPES DE 9 ET LA THÉOLOGIE DE TOULOUSE it;3 ct Ie .Jlonde lroubli1rentla fête. Dans ce dernier journal, l'abbé Jules Morel fit une critique lrès délaillée de l'ouvrage, eloblint, de Pie IX, qui lut son travail, une approbation enlière. Ces al'licIes oblinl'enl, dan's l'épiscopat, un égal succès. L'évêque de Lang-res ùéclara qu'il n'avail point approuvé l'ou\-rage canoniquement; l'évêque d'Arras fit dénlentir Ie bruit qui Ie représenlait comrne fa- vorable au livre dont il avait pl'évu la rnalheureu e fin ; I'archevê- que de Paris, qu'on disail aussi approbaleur, fit sa voir qu'il n'avait pas même vu Ie livre dont Ie litre lui paraissait uoe faute ; Ie car- dinal Gousset imputail à l'abbé Godard Ie tort possible de nous faire perdre Ie peu de bons chrétiens qui nous restenl; enfin un évêque dont on ne dil pas Ie nom, dénonça cel opuscule au Sainl- Siège. A près mùr exarnen, l'ouvrage fut mis à l'index. L'abbé Godard se soumit, et courut à Rome se jeter aux pieds du Saint Père Pie IX, touché de ses larmes, par une faveur rarement accordée, lui permit de corriger son écrit d'après les observations des théolo- giens rornains. L'ouvrage rut done expurgé à Rome, mais au seul point de vue de l'orlhodoxie ; rordinaire resta libre d'en permettre la publication. On ne saurait prétendre que Ie livre corrigé à Rome, autorisé à Langres, soil comme l'a dit NeUement, un V}'ai JlaHuel à mettre entre les mains de tous les catholiques. C'est un livre où il y a encore des citations mal comprises, mais ce n'est plus un IÍ\Tre à l'index. L'aLbé Godard, avant de courir à Rome, avait publié un d iscours de Mgr Nardi, å l'académie de la Religion calhoIique, sur les prin- cipcs de 89. Ce discours est beaucoup plus correct que les opus- cules ùu traducleur français ; mais Ie fail de l'avoir lraduit et pu- blié étail déjà, de la part de l'abbé Godard, u ne rétractalion. Sauf donc l'engagement léméraire que l'abbé Godard avail acceplé on pl'i dans les convenlicules libél'aux de Paris, de réconcilier I'Eglise avec la révolulion, l'abbé Godal d se conduisit, dans ces conjonc- tures difIiciles,co-nlme un bon prêLre. Si son livre fùt passé indemne, l'anteu (' eCt l éLé prom 1I Ü l'épiscopal ; Dicu Iu i nlénagea u He ö ràce plus précict1 L', il Ie rclira ùe ce Illonde. 181 CHAPITRE XVII Toul est bien qui finit hien, diL Ie proverbe. II. - (( Un des incidents remarquables du mouvemenl doctrinal opéré de nos jours, en France, dans Ie sens romain, dit Mgr Jac- quenet, mort évêque d'Amien:5, eslle sort des OU\Tages éléloen- taires de théologie. Rédigés la plupart à une époque OÙ les tradi- tions des grandes écoles catholiques allaienl en s'alléran l, ils portaienl presque tous plus on mains les traces des mauvaises doctrines qui, sous l'intluence de diverses causes, avaient pris cours parmi nous. On les suivail exaclement, ou 1'0n s'en écartait, i1 est vrai, selon que l'on conservait plus d'altachement pour les opinions réputées anciennes et nationales, ou que l' on inclinait vel'S Ie changement providentiel, dont Ie but, de plus en plus !na nifeste, était, en resserranlles liens des églises parliculières au centre de runité, de préparer la milice sainte à de nouveaux com- hats. Mai , saur ces modifications dans l'usage qu'on en fait;ait, ces ouvrages, toujours défectueux quand ils ne se trouvaienL pas fon- cièrement mauvais, étaient en pleine possession de nos écoles théo- logiques. (( Tout à coup on apprend que Ie plus répandu d'entre eu},., ce- lui que 1'0n pouvait regarder comme un legs de l'ancien clergé français au nOli veau, celui qui étaÏl aux mains des professeurs e1 des élèves dans Ie plus grand nombre des séminaires, que la Théo- Logie de Bailly, enfin, vient d'être condamnée à Rome! Rappelons- Ie à l'honneur d u clergé français, saur quelques tergiversations qui ne comptent pas, la soumission fut universelle. l\lais on éprouva un certain enlbarras quand il fallul remplacer l'ouvrage condamné. On s'aperçut que la plupart de nos auteurs élémentaires n'élaienl guère moills répréhensibles que Bailly. Des prélats n'hésitèrent pas alors à emprunter à 1'( l1>ange1' ce qui nous manq uait, et ce fut ainsi que Ie P. Perrone et l\f. Scavini reçurent Ie droit de cité parmi nous. Ð'aulres, préférant se raUacher aux ouvrages indi- genes, se rabattirent principalement sur la Théologie de l\fgr Bou- vier, évêque du Mans, el sur la Tltéologie dile de Toulouse, du nonl ùe la ville où elle a vu Ie jOU1'. Ce projet eut aussi ses difficuHes. Le bruit se répandit bientôt que l'ouvrage dc Mgr Bouvier avail LES PHINCIPES HE H ET LA THÉOLOGIE DE TOULOUSE 485 été déféré à la Congrégation de l'lndex ; et en réaIité Ie vénérable auteur n'évila une sentence de condamnalion qu'en promeUant de fait'e à son ouvrage des corrections que la mort ne Iui a pas per- 11lis d'achever, mais à Ia faveur desquelles il a pris pied el se Inain- lienl dans quelques séminaires. Quant à la T!téologie de Toulouse, pour laquelle on avail lout lieu de concevnir des appréhensions sen1bIables, l'éditeur annonça que les théoIogiens bien inlention- nés s'élaient mis en rapport avec Rome, et qu'ils feraient dispa- raître de l'ouvrage tou t ce qui pourrait déplaire au Saint-Siègf'. Celle assurance fit conserver cette Théologie dans douze séminai- res de France, en atlendant Ia nouvelle édition promise pour 1.856, qui parut seulement trois ans après )). Nous sommes en i8BO. Le Pape a exigé la correction de la théo. logie classique dans Ia petite Congrégation de nos bons messieurs de Saint-Sulpice; nos messieurs, pour éviler l'Index, onl promis de se corriger radicalement. Sans aueun doute, ils ront fait dans la plénitude de la science et de la piété envers Ie Saint- Siège. Eux qui osent se vanter de leur dévouemenl lraditionnel Ù la Chaire du Prince des A pÔtres, ont, pour faire monlre de ce dé- vouement, une occasion magnifique. NOllS n'aurons qu'à louer, dans Ie nouvel ouvrage, une rupture définitive avec les doetl'Ìnes fausses et séditieuses du gallicanisme; nous n'aurons plus qu'il acclamer une conversion éclatante, une admirable pl'oclamation des prérogatives souveraines el uniques du vicaire de Jésus-Christ. Voilà ce que nous attendons, et voilà ce que nous allons ne poin t trouver. (( Le lraité de l'Eglise, surtout dans les circonstanees présentes, dit encore Mgr .Jacquenet, est comme la pierre de louche d'un conI'S de théologie. Si l'auteur est profondément pénétré des doc- trines romaines, s'il mel en relief Ia constitulion divine de l'Eglise, il en l'ejaillil sur tout Ie reste une lun1ière qui in1pl'in1e bien avant la vérité dans l'esprit des élèves. Si au conlraÌl>e l'auteur n'esl pas décidément altaché aux vrais principes, si par suile (['opinions p1'pconçues ou route de voir sufflsamment claÙ' dans Ie sujet, son langage amhigu a toujours hpsoin Ò'UI1 inlerprt\le, il en résuIlr 4 6 CHAPITRE XYII une obscurité fâcheuse qui se répand sur l'enscmble de l'ouvI'age el dans l'rsprit des lecteurs. Ð'après ces m.aximes, snggérées Pill' la raison et confirmées par l'ex périence, essayons d'apprécier l'ex. position de la doctrine de notre auteur sur l'Eglise. Le principe de l'uniLé sociale de rEglise con iste, suivant les théologiens romains, dans l'l.lnitp de son Chrf visible, Ie Souverain- PonLife. C'esllà ce pasteur unique des Saintes ECl'ilures, par lequel il n'y a qu'un seul tl'oupeau ; c'est celui qui occupe Ie siège auquel, suivant saint Irénée, tOllS les fidèles de Lontes les conlrées doivenl s'nnir à cause de son éminente principauté; c'esl celui qn'ont PO vue tous les Pères, quand ils parlenl du centre de l'unité calholi- que (f) )). Le principe de l'unité, pour noLre pauvre sulpicien, ce n'est pas Ie pape, c'esL Ie magistère de ceu./J qui représentent Ia pet'sonne de Jésus-Christ et auxquels tous les hommes sont Lenns d'adhérer COlnme à Jésus-Christ Iui-mÊ'n1e. Ces représentants, ces inLernonces de Jésus-Christ, constituent dans leu I' rhinion, Ie principe visible de la société humaine et spirituelle qui estl'Eglise et forment un spul corps qui est le 'ìnême que Ie ColIège Apostolique (Insl. Théol., 1. I, p. 350). En d'autres termes, tou1e la raison de l'unilé de l'E- glise c'est Ie Pape et les évêques, de manièr'e que, sans les évêques, Ie Pape n'est rien et ne peut rien. L'Eglise n'esl pas une monúr- chie, c'est une arislocratie gouvrl née pal' Ia réunion des personnes qui composentle magistère. Le corps de l'Eglisr a un chef dans lequel se résoutle principe de l'uniLé ; mais ce chef5ìe compose de plusieur:5 personnes et I'unité ne s'obLient que par la cohésion de la pluralité. Quand .Jésus-Christ a dit : (( Tll es Piel re )) ; il a youlu dire, parlant au ColIège Apostolique : (( Vous êtes un tas de Pierres )). Le caractère essentiel, la o1arque distinctive de J'Eglise, d'après Ie sulpicien, c'esl l'instilulion et rexistence pel'pétuelle du collège apostolique. Les évêques sonl en tout les successeurs des Apôtres et forment un coHège apostolique permanent. L'Eglise a deux (1) Observations critiques sur l'oUtwage intitulé, COMPENDIOSAE INSTIT{JTIO'" NE') TIIEOLOGHE AD USUM SEMlNARII TOI OSANI, Pp, 1 et 5. LES PRINCIPE DE H ET LA TllÉOLOGIE DE TOULOUSE i87 lêtes: Ie Corps apo loliq ue ct Ie chef de ce Corps. Les ApÔtl'es en... voient leurs successeurs, comme Jésus-Cbrislles avail eux-même envoyés, non seulemenl en leur donnanl Ie caraclère épiscopal, mais en leur lransmeUant, comnle en hériLage, Ie pouvoir d'ensei... gner infailliblenwnt (Pag. 369 et ?SOl). Le chef du Corps aposloli. que est un membre inrrle; au lieu d'attirer et de concenlrer en lui l'unilé rl'acLion, il n'a qu'à la laissel' faire. (( D'après leur mis- sion el Ie précepte des Apôtres, leurs successeurs, comme les A pû... tres cux-mênles, Stcut etipsi Jposloli, enseignenll'Eglise de Dieu; les fidèles les écoulent elleur sonl soumis. Par eux sonl résolus lous les doutes, dirinlées toutes les controverses, condamn( es to utes les innovations, arrachés de l'Eglise tous les hérétiques opi- niâtres. Et cela se fait, ou dans les Conciles ou par Ie Pape, mais toute l'Eglise l'acclamant : Universa accalmenle Ecclesia )) (P. 371.). Apl'ès avoir forn1ulé celte espèce de dualisme, l'auteur entre en matière et écrit plus de cent pages renlplies de propositions équi.. voques, d'assertions fausses, qui ne peuvent se lireI' à un sens 01'- Lhodoxe, que par des cor'recUfs el des explications, dont souvenl J'ouvl'age ne porte pas trace. De Ià, dans ce chapitre, une obscu- rité, une incertitude, des en'eurs mêmes qui décèlent un théoJo- gien peu fixé sur les rautes des éditions précédelltes et qui sonl très propres à tenil' en illusion ou à induire en erreur l'esprit des élèves. I Les conclusions du sulpicien ne sont donc ni plus claires, oi plus exactes que ses principes. De la perpétuilé du coIlège apos- tolique par Ie corps épiscopaI, il tire ces conséquences: Que Ie collège aposloliql1e est infaillible louchant les faits dogn1atiques et la discipline; il donne encore un corollaire relatif it la canoni- sation des Saints, cause majeure pourtanl réservée, depuis Alexan- dre III, au jugement du ouverain Pontife. Le magislère infaiIli- hie a élé accordé an collège apostolique: les seuls évêques sonl les sujels perlnancnts du Ininistère infailIibJe: proposition vi- cieuse dans son 3rgl11nentalion et son développemenL Mais il y a pil'e, ce sont les auteurs que ce lrisle lhéologien appellc en preuve. Ce sont Fleury,Tillemont,.Jansénius, Saint-Cyran, Quesnel 8 CllAPITRE YII et IJas d'aut1'es. Après avoh- cilé tranquillement un passage de Quesnel, tiré de ses notes sur Saint Léon-Ie-Grand, il empruntr avec la Inême confiance, ces paroles de Fleury, dans l'lnstitution au, droit ecclésiastique: (( L'évèque est Ie seul j uge ol'dinaire et naturel de tout ce qui regarde la religion, et c'est à lui de décider les questions de foi el de morale )), proposition fausse pt schisma- tique. (( La citation de pareilles autorités dans un ouvrage élé- mcnlaire, dil i\lgr .Jacquenet, m{ me quand elle ne pOI'terait que Rur des passages irréprocha ble8, no us semble inconvenante el dangereuse: inconvenantc, puisque, rnoyennant une pl'écaution insignifianLe, on présenle comme des théologiens et des canl'nis- les en réputation dans l'école, des écrivains condamnés par l'-E- glise; dangereuse, parce qu'elle tend à inspirer aux jeunes ecclésiasliques de l'estime pour des auteurs dont on ne saurait trop se défier. Et, ajoutons-Ie, afin de ne pas y revenir, il pst fâcheux que Ie resle de rouvrage donne lieu trop souvent à une pareiHe observation )) (Pag. 1.6). Observation d'ailleurs applica- ble, jusqu'en 1870, à la plupart des ouvrages théologiques de Saint-Sulpice, Saint-Sulpice n'exclut pas absolument les auteurs anti-gallican5; rnais les gallicans et les jansénistes sont manifes- Lement l'objet de ses préférences; ce sont les Pères de son Eglise. L'auleur continue de pal'ler de l'infaillibilité du corps épisco- pal, soit dispersé, soit réuni en Concile. (( Le magislère infaillible, conclut-il, confél'é par Jésl1s-Christ aux douze Apôtres el qui sr peJ pétue sur' la terre, pour enseigner aux hommes la religion ré- vélée, réside: t o dans les seuIs évêques; 2 0 dans l'nnanimilé morale des évêques. soil dispersés dans Ie OIonde, soit réunis en Concile général )) (lnst. théol., 1. r. p. 409). Et dans tout cela, pas un mot du Souverain Pontife. Le magistère infaillible, c'est ceUc fameuse llïlanimifé 1n01'ale. dont il fut fait si grand bruit au Con- cile du Vatican. L'adhésion aux vêques, dispersés ou réunis, voilà Ie moyen de jouir des bénéfìces doctrinaux de l'infaillibiIilé. A près avail' parlé du collège apostolique des éVf'ques, l'auleur vient it parler du pape, tenu jusque-Ià dans l'ombre. La thl'se se réduit it deux propositions: Jésus-Christ a donné it Pierre Ia pri- LES PRI C[PES DE 89 ET LA THt:O LOGIE DE TOULOUSE 489 nlauté pour enseigner et gouverner les autres Apntres ; el celte primauté, donnée à Pierre, est perpétuelle dans l' Eglise. Pour Ie sulpicien, il ne pal'ail pas pleinement dén10ntré que Ia primauté soil une note posilive de l'Eglise; cepenç1ant toule société qui manque de la primauté élablie de droit divin, n'a pas la constitu- tion permanenle et essentielle de l'Eglise de Jésus-Christ. Or, les principales prérogaLives du jJl'imat, je veux dire du pape, sonl l'ohjet de plusieurs corollaires. Le premier a rapporl au pOllvoir de juridiction, question à peine efIleurée. Le second coneerne Ie pOl1voir de porler des décrets en malièl'e de foi et de discipline générale, dont on omet de dire qu'ils sont obligatoil'es. Ð'aull'es ont trait aux causes majeures, aux appels aux conciles et la doc- trine ici exposée déroge heureusement au"X antécédents de rou- vrage. Le dernier corollaire se réfère à l'infaillibilité. A ce propos, Ie sulpicien s'élève, d'une façon fort peu con venable, surtout dans un livre élémentaire,. contre ces théologiens catholiques, qui 80U- tiennent sans rnodération les j ugements du Pape et, loin df' défendre I'autorité du Pape, ne réussissenl qu'à la ruiner: sortip que Ie P. Gratry répétera en 1870, avec une virulence étourdie, conlre ces Romains qui foulenl aux pieds toute discrétion, rava- gent rEglise sous Ie masqne de I'orthodoxie et minent Ia pri- mauté de la Chaire apostolique, en voulant la défendre par I'adu- lation et Ie nlensonge. Ensuite iI dil que l'infaillibilité du Pape ex catlledrrl est Ie senlimênt ll'ès commun de presque lous les catho- liques; n1ais ce n'est qu'une opinion. En preuve, il citp des auteurs connus pOlll' :-ioutenir Ie conlraire: Fleury, La Luzerne, Frayssi- nous et même BosslIet. (( POUI' renforcer la preuve, on ciLe en nole la Ðr>{ensio Declaí'atiunis Cle1 i gallical1i)) (lnst. tlléol., t. I, p. 447), comme si eet ouyrage. n'avail pas pOUI' but de bath'c en hl'i'che l'infaiLIibilité du Pape.! cOin me si Bossuel n'avait pas consacré vingl années de sa vie à en faÏr'e Ie palladiunl des quatre articles, qui sonlla charte du gallicanisnle ! Vainenlent essaie-t-on de lirer de ses paroles une conclusion favorable, à Ia Lhèse: il s'ensuit seulement qu'on doil obéir au Pape el que par conspquent il a droit de commander, mais nulIpmrnt qnïl pst infailliblp, tHO CHAPITRE XVII comme )'auleur ell! nouveau caul'::;; òe droit canoniql1e professé à Saint-SuJpice a bien soin de Ie faire remarq uer (Pl';p[cclioncs Juris canonici, t. I, p. 115). Il arrive même à notre autclIr lres français étaienl aIlc's étudiel à nome et commençaicnt à en reycnil'; l'espril qu'ils rapporLaienl élail respril romain, l'anlilhèse de l'esprit gaUican, ct, pour nous servir d'une expression du Sauveur, c'éLaÏl Ie vin nOUyeall qui, \'ersé dans les vieilles ouL'res, devait les faire cl'aquer. l\Jais les vieilles oulre avaienl la peau dure ell'on pouvail croire tlll'elles n'éclateraient pa sans résistance. Le moyen de s'acheminer à cetle restauralion du droit pontifi- cal n'élait pas facile à lrouver. On a\'ail la ressource des lh res, n1ais les liyres n'agissent que lentement; d'ailleufs il se trouve toujours des Inodérés, des sages pOUl enLI'avel leur action et ca- noniser les abus. Le Ineilleur moyen pour faire avaneer les idée el hiller les réformes, c'esL Ie comhat. Dans les afTaires d'espriL comme dans les afl'aires de 1a politiquc, la voie la plus décisivc pour trancheI' la question, c'est Ie champ de hataille. Je ne sais pourqlloi, les drfrnseurs de la honne cause y r{ pugnent yolontiers el laissent, aux novateurs, Ie olonopole des Lrames secrètes et des Inarches hal'dies. CeLte fois cependant, par exception, quelques bons esprits imaginèrent une petite machine, belliqueuse comme le journal, doctrinale com01e le livrp ; La C01>,.es]Jondance de /lorne parul. Cette correspondance élait l'æuvre de quelques jeunes prêtres ; eUe avail pour but de Caire enlrer en France, les nouvelles de la capitale du monde chrélien, cl avec ces nouvelles, les décisions des congl'ég3LÏuns 8avantes qui assisteulle pape dans Ie gouvcI'ne Inenl de l'Eglbe. En soi, c'éLaiL llne elllrepl'ise bien Il10deste el en Illên1e temp::; ll'ès uLile, surtout pour balll'e en brèche les pl'éjugés virillis òu parLicularisnle fl ançai:5. S'in}agine-L-on bien quP, flepuis LA S(JPPRESSIOl" DE LA CORHESPONDAl'CE DE ROl\lE 49H t..oi ðÏl"cles, la fille aìnée de l'EgIise, la France, étail du côlé de Home. un pays fern1é? Les bulles et brefs des papes étaienl consi- gnés it la fl'onLière. On disait, avec une sorte de solle arrogance, que les décrets ùe Congrégations romaines n 'étaient pas reçl1 en FI'ance. La plup:.1 rl des théologiens et des canonistes fl'ançais paraissaient accordcr plus d'autorilé aux édits des rois el aux arl'êts des parlemenLs, qu'aux ::tctes du Saint-Siège et aux consti- tutions apostoliques. Les nns de bonne foi, les autres par espriL de parti, avaient soutenu un syst(\me, qui s'appuyant sur Ie droit coutuIl1ier, ne tenòait qu'à restrein(h'e, à enLrayer, et, à Ia fin, devait upprimer la puissance législative ùe l'Eglise. C'était au nom ùes anc.iens usa[Jes de l'Eglise gallicane que 1'0n s'élait dis- pensé de l'observalion de certains décrets du Concile de Trente et dr la Chaire ApnstoIifIlle; on aHéguai t fermement qu'ils n'avaient jamais été publiés Oll '}ue la coutume cûntraire avail prévalu: comme si une loi générale cessait d'obliger soit parce qu'on ne l'a jarnais ob::;el'vée, soil parce qu'on ne l'observe pIm;;;, malgré la vo- lunté contraire du législateul'. Depuis Ie Concol'dat, un étail revenu it peu pl'ès au x andens el'rcmenLs ; Ies malheurs de rEglise en France n'avaienl ouyert les yel1x de presque personne et la Lulle Qui Chl'isti qui avail fait tablr rase, était restée leUre morle. On compl'end donc qu'une fcuille de droit canon, nolifiant !Ies principe:; dn droit en forme J'arrêLs, eùt inLrodllit peu à peu, et comrne gouLle à goulle, Ia IUlnii're, dans ceUe situation eluhar- rassée et Obscul'e de nos égliseE. Iai il y fallait un grand créd.it de hauts pah'onages el une singulit re prudence. I)'autanl, il faut Ie dire sans ùétOUl', que la redoute à prendl'c i éLait Ia del'nière, mais la pIns difficile à enlever. Sur Ie terl'ain dll dogmr, on avait mis en dél'oute les quatre articles; sur Ie terrain de la n10rale, on avait triomphé tIu rigorisme jansénien ; en litul'gie, on vcnail d'empOl'Ler un magnifìf}llr triomphe. Sur Ie terrain du droit, à c()té du droit, facile à reconnaìtl'e, il y a des intél'êls d'anloul'-propre et des difrÎcullés (Ie situation. Lrs ùiffi- cultés son t d ifficiles à vaincl'e; Ies amol1l's-p roprrs sou till vin- ('ihles. Dn moins, nn ne PPl1t gnèr'p SP flatter dr If's J'éduirf' par 500 CHAPITRE XVIII des coups de volLigeul' el des combats d'avanl-garde. Une bulle du Pape ne serait pas de lrop, avec un règlement ù'applicalion pour tOll t décidel' nlême en pralique. Avec ips lempéraments ha- biluels à la sainle Eglise ronlaine, on ne pou,-ait espérer une si haute el si décisive intervention. Faule de mieux, on s'étail rabaUu sur des escarmouches ; c'est avec des flèchcs, lancées avec une cerlaine discréLion, sur un bul voiié, qu'on voulail enroncer un mur d'airain. Les canonisles, qui rédigeaient la C01Tespondance, élaienl ex posés à de graves périls. Les espèces qu'ils étaient appelés à faÜ'e valoir', devaient exciter des on1brages ; le5 consultations auxquel- les iis devaient répondre, dcvaiellt, quelle que fÙL Ia réponse, paraHre des leçons offertes et pcul-être des coups portés aux évê- qnes. De bans prêtres pouvaienl certainement obtenir, de ces con- sulteurs bénéyoles, d'uliles lumières ; mais de n1au,oais prêtres pou- vaient exploiter leur candeur.ll n'ya sages5e qui tienne. LOl'sque vous ou vrez boulique de sapience, on ne voil pas d'un n1auvais æill'affiuence du public. Pour peu que Ie Sl1ccès vous porte, on se laisse aller doucemenL avec une inlime satisfaction. La Darllue vogue sur un not propice ; n1ais à chaque coup de ralne vons POll- vez provoq uer la tern pêLe. L'orage exislait à l'élat lalent dès qu'a\OaÏl paru la COl'res]Jol1 A dance. Le gallicanisme éLaÏt une errenr qui, dans son ensemble, faussait l'esprit de la religion et altérait l'ordre des instilulions de l'Eglise; il a,'ait sul'lout l'esprit de secte, et au service de son pal'- ticl1larisme, il a yail LOl1jou 1'5 a ppelé la violen ce. La réfû tation de ses erreul'S lui avail loujol1rs paru un crime, ct Ies n1esurcs p['ises pour Ie délruire dans l'applicalion, n:étaient à ses yeux '1Ile des a ttenlals. En adn1eLtant Ie principe que tout étail \Tai, sage el pieux dans rEglise gallicane ; que lous les é\'( qucs étaient savants de prmnier ordre eL saints avanlla letlre, on ne pouyait admeLL1'e ni correction, ni avertisscment. Si I'on avaiL poussé Ia 10giLJue jusqu'au bout, on cut même dÙ dire que si tout était bien en France, lout élait nlal à Rome; Inais l'e pl'it gaJIican avait ses bornes, il reculait ùeyanl ceLLe impiélé el se couLenlait puur COl1- LA SUPPRESSION BE LA CORRESPO;,\DA CE DE ROl\IF 501 vrir' ses errc n rs, d 'in voq er les nì.ces de In variété dans l'Eglise. TouLefuis, Ù part un groupe solide d'évêques ulLramonlains, on cÙt bien trouvé quaranle Oil cinquanlc prélats décidés à mainlenir en tout Ie statu quo et tout en se disanl Homains, It'ès décidés, mal- gré lell!' savoir el leurs verll1s, pn favel1r de la pratique abusiye d u gallicanisITle. En dehors d'une actiun direcle el positive de l'aulorité pontifi- cale, on ne pouvail done faire brèche que par les aUaql1es; mais 011 ne pOll vail se les permeUl'e sans pro\'oquer les rési:;Lanees de convictions honorables sans cloute, mais fnusses, ou dll moins tri's mélangées, 00 eÙl écrit des thÙ es positives de droit canon, c'eûl été la même chosc, Toute affirrnaLion dll druit ne pouvail (Ille dé- plaire á ses violateurs ; un livl'c n'eûl pas offert plus d'avantages qll'un journal. Le journal crpendant devail déplail'e plus que Ie livre, parce qll'il offraiL plus de reSSOllrces pour Ie combat. Dès que la C01'1'eslJOndance dp Rome élaÏt sortie de ses langes, il y avait eu, conLre elle, arrêt de Inod. L'exécution commença l Iarseille Dans Ie no du 14jllillet 1851, avait parll une série de dix-sept questions anxquelles Ie journal promeltait de répondre prochainen1cnl. Ce (Iue lions, Envoyécs pal' quelques prètres, parurenl une crilique présomptive, plu ùu 1l1oins rléguisée, de l'adminislr'ation épiscopale de l\Igr dc Mazenoù. A dessein probablement, les questions avaient élé modifiées, tirées dans des sens di VCl'S, de manièl'e à ne pas paraitre lumber i1 plein sur Ie successcur de S. Lazar'e. Dll reste, les queslioll pnr clLes- mêmes ne consLitllaient qll'UI1 doute et un doute n'esl pas Ull jugr- mont; ce n'esl même pas une affirmation. Là OÙ l'affail'e eÙl éló Lout à fait fitcheuse pour'l'évêque, c'estsi lè réponses avaienl suivi les demandes el avaient emporté condamnalion. En puhlianlles questions, Ie journal dunnailla preuve de sa loyaulé; et si ecs q ueslions pOI'taienl à faux, ù'aprè le usages òe ]a pre se, rien n', lait plus facile qne de les rorriger par lpttre. Pfllt-êLre eÙt-il élé plus habile de les lai er [Hl Ser; dn rnoment qu'elles repo- saicn t su t' lc fall x, cUes ne consLiLuaien t plus que òes (I uestions spéc111alives, des cas, plus on moins chimériques, posés unique- ;)U CllAPlTHE XVIII ment pour développer, d'l1ne manii're cxplicite. QIlf'lfJl1e point fie doctrine. Nous nc ('om pn:\nons pas bien ùrs coli'res coni re un qur - lionnaire qu 'on to urn e à inj L1 re, lout en reconnaissan t que I' eSpi'Cl) ne caùre pa avec la ::;itualioll de ...\IarðeilJe. (( La pal'ole esl d'argenl, Ie silence est d' or )), dil Ie proverbe arabe. L'évêque de Marseille était, à coup sÙr, un fort bl'aye homrne. Successeur de son oncle, fonctaLeur des Oblats de Marie, déjà avancé en àge, il était un des Nestor de l'épi copal; mais son Ùge l'expo- sait à ressenlir d'aulant nlÌeux les influences gallicanes, qu'il avail plus de vénération pour les talents eL les verLus de l'ancienne Eglise de Fl'ance. En dehors de toute critique personnelle, il éLait hostile à la C01Tespondancc de Home, bien qu'il fût très soumis et très dévoué au Pape. A ses yeux, si j'en crois son biographe, celte publication, (( étail évidemment cOllll'aire aux saintes lois de 13 hiérarchie, divinement élabIie dans I'Eglise. Les évèques ne reIè- vent, dans J'exercice de leur autorilé épiscopale, que du jugement du Pasteur des pasteurs, et nun de celui des journalistes, fusseul- ils prêLr'es, docteurs, écrivains à Rome. CeIa aus i étaÏl très dan- gereux, car c'étail saper à la base l'autorilé ùes éyêques, en lever Ie respect qui est dÙ à leurs actes, la confiance à leurs lumières et . la soumission à leurs décisions ; c'élail enfin ouvrir une porte aux récriminations, donneI' une voix pubsante, fournir une arme òé- loyale à tous les mécon ten ls, à tous les cu rieux, à tous les dé- \"oyés du sanctuaire. ASSl1rément, aucun bien ne pouvait pn résul- ter, car si, d\lne part, Ie journal donnait un écho formidable aux plaintes eL aux réclamatiolls Les plus inj usles et les plus passiûnnées, iL étail très ordinairemenl inlpossible, ne fût-ce que par dignité pt convenance, d'y répondre. Et d'ailleurs les réclamations fussenl- elles fondées, étaÏl-ce par cette voie qu'eJles devaient se produire? De queI droit les rédacleurs de la C 01Tcs]Jondance de Rome eussent- ils voulu im poser leur décision à ceu x q u' i]s a yair n t Ia préten Lion de rappeler à leu I' devuir? (1) )). Kous constalnns ees présomptinns, nons n'pn relevons pas Irs (1) TIA UHERT, Vie de Myr elf> J.fazenod, 1. 11, p. 34. )( ):-> LA UPPHES IU ]IE LA CQHHESPuN)lA CI HE RO:\lE ,) eXC(\s. Selon nons, un journal do Ùl'oit canun, publié à Home, avec ragn;menl dl1 Pape et ia ('en lIre ùn \'ice-gérant de nome, n'ilnpli- que pas ees inconvénicnts. Les critiques qui résultcraient ùe sos décisious soul des lumières et non pas des inj ures; i les faits qui Ies motivent sont faux, il ne peuvent fail'e Lort à personne; sïls sont vl'ais et que Ies décisions soienL justes, nnus ne comprenons gup.'e, sauf pOlll' Ie décorum, flu'on Pllisse s'en plainch'e. Des hom- mcs qui ne sont ni infailliblrs, ni impcccabIes, remis dans leur chcrnin pal' lr droit, c'esl l'orùre nlême de lOlltes le instiLutions sociales eL, en soi, un hieufait. Le questionnaire ùe la Co}'}'.]spondance de Home irrita Ics curés de Iarseille ; iis se réunireu L en as:-;enlbIée générale et adressè- rent une protesLation au Pape. Dan8 ce document, iis accn:-;ent de faux Ies faits allégués parIes consultants; olais puisque les faits élaient faux pULlr Marseille, pl1isque ni l'évêq ue, ni Ie diocèse n'é- taient nommés, iIB pouvaient bien penser que cela ne les re. gl1rdait pas. De sun côté, l'évêque écrivit également au rape el dénonça formellement Ia COI'I'espondallce. (( Suus pl'élexLe de répon- dre aux dOlltes prop"sés, dit Ie prélat, cette feuille donne des décision:3 qu'elle (Jl'ésente comme re.rp,.e sioa de fa pensée tie l'au- torilé auprt>s de laquelLe elle esl écdle. Elle se couvre furnlelle- ment ùe cette auLorité sacrée en se prévalant de ce qu'clle n'a ricn d'imprimé avant d'avoir passé par Ia censure romaine (C'est, en eITet, une garantie). .\insi eUe hlêÎme profondément la dignité des évêques, qu'elle régente avec insolence, et ene compromet les Congrégations romaines qui semblent l'appuyf!'/' et dont elle fail rntendre qu'elle reçoilles communications, en nlêll1e lemps que plusieurs de ses t.héologiens sonl ses cunlplices (sic). Cela fail en France Ie plus grand mal. C'est une lPuvre qui favoriserait l'e8- pril du presbytérianisme, tuujours si vivace chez nous depuis Ie .ianséni me et si fOl'tcment excilé par les idées révulutionnaires. Cet esprit, vaincu dans nos diocèses pal' la vigueuJ' des évèques soutenns de l'autorité. du SainL-Sit"ge, se tl'ouve heureux de voir ses hatteries éLablies à Home, même sou::; Ie masque d'un gran(l z{,Ie pour 18:-; droils ùu Chef de l'Eglise. Les pronloteul'S de eeHe ;)U4 ClJA PIT HE X "HI nouvelle laclique ne font que suivre la voie ouverte par Lan1en- nais, qui n'exallait lant Ie Pape, auquel il devait ensuite donner de si cruels déplaisirs, que pour aviLir l'aulorilé épiscopale. C'est une mauyaise æuvre, une æuvre de scandale; ses tendances ne sont plus douLeuses pour personne et tout ce qu'il y a de mauvais prêtres s'y raLLache avec un g.'and en1pressement et une coupable sympathie. Ils en font une arme conlre leur supérieur immédiat, et les diocèses seraienl bienLÔt ingollvernables si de Leis moyens pouvaienl prévaloir )). Plus Join, l'évêque se disait plein de re:;.;- pecl et de soumissiûn à tOll tee que Ie Saint Père poul'rait ordonner. (( .Mais, ajoulait-il, ce sera avec un souverain mépris et nne juste indignation que je lraiterai ces décisions de docleurs sans mis- sion, qui, provoq ués par des q ueslions de mauvais prêtres, me signìfieront les règles de l'Eglise en sens inveî'se de la hiéra1'chie el par Ie moyen révollllionnaÙ'e de Ia publiciLé pél'iodique: ce n'esl pas de has en haul et par les jonrnaux, qu'aura lieu auprès lle moi l'action it Iaquelle j'obéirai >>. Le Pape aurait pu l'épondl'e que quand il auraiL q uelq ue chose à signifier à l'évêque, it en1ploiel'ait la voie hiérarchique; mais que Ie journal n'étanl pas une signific3tion et n'ayanl pas d'aulre autorité que celles des saines doctrines, on pouvait se conduire à son égard conlme envers un livre: p.'endre ou laisser suivant se goûts el ses convictions. Le pape fit mieux ; il ne répondit pas el son silence indique assez qu'i! ne voyait pas, à la C01Tespon- dance de Rorne, eet esprit de presbyLél'ianisme et de révoUe. Au fail, si ces imputations sout vraies, il faudrait en dire antant du Corp as jU1'is. Le corps du droit canon ne serait plus qu'UI1 nid à vipères el Luther aurait eu raison de Ie brûler sur la place de 'ViUemberg. La plainte de Alarseille, puUt' Ie n1oment, n'eut pas de suite. Un an après, dans Ie couranl d'avriI18:>2, Ics évêchés de France re- çurent un 111érnoil'e anonyme conLre In. Correspondal1ce de Rome. Dans ce mélDoire, Ie journal éLait accusé de semel' Ie ll'onLle clla division par ses polémil[ues conlre les usages liturgiques de la plupart des c1iocèses français ; de susciler par ses décisions, aux L\. l'J'PHESSIO DE LA COHHESPOi\'DANCE DE HOME 503 adnlinistraLions épiscopales, des rmbarras nombreu\:; enfin d'être par sa façon de discuter les questions eccIésiasli<]nes, un ins- trumenl destructeur de l'aulorilé et de la hiérarchie. Le mé- moire appuyail ces accusations pl'incipafement sur Ie question- naire publié I'année précédente, q uesLion naire rcsté sans réponse, mais üù l' on a ,'ai t cru voir rin tention de tireI' sur l' évèq ue de Marseille. Le journal avail donc conlinué de pal'aître saus les yeux du Pape et avec la censure du vice-géranl de Home ; puisqu on ne I ui reprochail pas au lre chose, c'est donc que, depuis, il n 'avail pas foul'ni d'au Lre préLex Le aux accusations. Les griefs allégués con tre, sout, en gros, les mêo1es que ceux de l'é'Têquc de .\farseiL- Ie ; seulen1ent ils sont ramenés à trois chefs, par OÙ 1'011 voit que Ie rédacleur visail SUI'tout à couvrir Ie gallicanisme. La critique d'usages Iiturgiques était juste; it a fallu depuis les abandonner. Les décisions rapporlées par Ie journal pouvaienl se contester en détail, si eUes n'étaient pas nloLivées; si eUes l'élaient, on ne voil pas en quoi elles pellvent conlrariel' un évêque également sou- cieux du droit et du devoir. La manière de disculer des questions, ne doil pas présenler des incon vénients graves, lorsque Roule n'y voil rien à reprendre, On ne comprend guère qu'un anonyme se cl'oie auloris{' it reprendre près des é\Têques, des choses approu- vées par Ie vieaire du Pape; du n)oin on no ,voit pas Ie cal'aclère qui l'y encourage ni les raisons lJlausibles qui l'y décident, encore 1110ins la bravoul'e qu'H y Inontl'c en so COllvrant d'un maS(!Uè. NUllS sommes en pré encc d'ul1 parti iOlplacable, qui ne passe rieo, qui n'oublie rien, et qui exploìte 'Usque ad nauseam, avec une ardeur digne d'llne IIleiJle111'e cau e, des griefs qu'il croit pOl1\'oir articuler. Un questionnaire reslé sans réponse, des doutes posés san olulion donnée, voilà Ie crime énorrrJe pour lequel on solli- cHait par une voie qui n'a rien ùe callonique, les évêques de France à sr coaliser pour pl'esser sur Ie Saint- iège et amener Ia n10rt de la C01Tf>slJondallce. Un II S cos sort es {raffai res, il fall t ,'oil' moi ns lr raisons alléguées ({ue Ie but ponrsuivi. Les raisons alléguéos {'laient déplorablelnent fausses, injul'ieuses olênle pour Ie vicaire dn Pape; mais Ie bn t éLaÏt bien clair: Un ne voulait pas que Ie 50ß t:liAPITRE XYllI droit pontifical put pénétrer en France, et malgró les injonctiolls de Concilp.s fJlli pl'{':';; (1it'nL de l'éLudier dans Les p;rands srnlinairc:-:, on n' r vou]ait point yenir on ne l'enseigner que d'une mallil I'O qui ne tiråt poin t Ù. conséq uence. Devanl colle publication inalteudue et. quelque peu n1ystél'ieuse, l'évêqup de l\lar'seiLle crut devoir ayertir ses collègues dans l'épi - copat qu'il n'élait pour den dans la conlposition du mémoire ca- nonique. Iais, en nlême temps, pour effacer la fàchcusp impres- sion que la reproduction des doutes de la C01'l'espondancp. de R01nr pouvait laisser dans It's esprits, i1 leur' comn1uniqua l'adresse des curés de Marseille et sa lettre au Sainl-Père. II paraìt que l'évêqne de Marseille ne s'élnÌt pas conLenlé d'écrire au Pape et aux évêques, mais qu'il s'élait adressé encore au gouvernemenl français. Le cardinal Gousset, archevêquf' de Reims, en réponse à ces comn1U- nications extra-canoniques, crut devoir adresser à la plupart des évêques de France, une JeHre oil il reprochait à l\Igl' de Mazenod d 'avoir dénoncé ]a COl'l'espondance de Rome au gou vernemenl et J'avoir cédé en cela it des rancunes gallicanes. Le cardinal n'ap- prouvail pas en tout point la CO'/Tespondancf de Rome; illui sou- haitait plus de discernement dans Ie choix ùes queslions it trailer el des honlmes à consulter; iL la voulail, dans sa J'édaclion plus habile, plus éclairée et plus prudente; mais y voyanL, dans ces conditions de science et de sagesse. une æuvre utile, il ne pouyait admettre qu'on l'empêchâl de resserrer de plus en plus les liens qui unissent les Eglises de France à l'Eglise romaine, /fèrc ct )1 aÎll'esse de tou les les Eglises. L'émotion de [gr de Mazenod fut vive et sa douleur profoude. II se voyait accusé par un prince de l'Eglise romaine, de ce donl il s'étail défendu tnute sa vie conlOle d'nne corruption de l'espriL sacerdotal; de ce ql1'il avail toujours regardé comme Ie plus grand péril des églises de France; de ce quïl avail Ie plus conslammenl con1ballu, dès sa jeunesse. CeLIe accusation l'aLteignait encore plus profondément sur un autre point: car, en quelle mésestime allaienl ton1ber los Oblats de l\1arie, si l'on venait à se ppr:;;uader que leur fouJateur el su périour général ftaiL gallican ? N'en éLaÏl- LA SUPPRESSION DE LA C(JRRESPO HANCE l)f RUl\IE :>07 ce pas fait de Ia conflancr de l'épiscopat et du clergé de France? Ql1elIes consèf{uences cela n'al1rait-il pas à Ron1e surtout t qu'nl- lail-il e prodllire au sein d.e sa Congrégation Lien-airnée? Allssi l' évêq ue de 1\1 arseille He vuulu t-il pas rester un in tan t suus Ie cou p des imputations de l'archevêq ue de Heirns. Dans une letlre, lon gue de dix grandes pages, il plaida 7)1'0 do'i1w SUfÎ et présenta l'apu- logie de ses sentiments tout romains et tout français, Par Ià même q lI'il déclare répudier les q uatre arlicles et croire à l'infaillihili té du Pape, on doil certainement Ie croire. Mais tous les arguments ne sont pas solides 'et toutes ses conclusions ne sont pas justes. Par eÀemple I'éloge qu'il fait de l'ancien clergé, òe sa fidélité pendant la révolution et de ses vertus en exil, - éloge que no us ne contestons point, - n'empêcha pas ce clergé de se Iaisser aI- leI', lIne partie au jansénis1l1e, un plus grand nombre au gallica- nisme et presque tous au rigorisme. Qu'esl-ce qu'une piéLé qui s'accommode de si grav s erreurs eL qui se fonde, en droit canon, .sul'les Institutes de Fleury, en liturgie, sur les fantaisies grotesques de Foinard ? 011 doit croit'e à la bonne foi, il faut louer loutes les verll1s, mais on a hesoin d'indulgence {Jour ne pas frapper d réprobalion des évêques qui s'atlribuaienL Ie droit de remanier, à leur fantaisie, les ]ivres de la prière et refusaient de se rendre au'\. constitulÌons aposloliques qui les obligeaient à l'unité òe la sainie liturgie. Tel était Ie cas de I\lgr de Iazenod, et puisqu'il ne se croyail pas gallican avec de lelles créanres, il faut lui laisser toutle hénéfice de sa 1>onne foi. Le cardinal Gousset ne répondit poinL à l'évêque de Marseille. l.e cardinal écrivail beaucoup, mai il n'était pas h0mme de letl]:es, en ce sens q u'il répondait rarement aux letlres. Sur Ie point en question, il savait à quoi s'en lenir; les sentiments de I'évêque de Marseille lui étaient connus; les préj ugés et les er- reurs qui 5e mêlaient encore, dans son espriL, à une jllste créance, se trouvaient assez exprimés dans sa leUre ; pour Ie surplus, c'est- Ù-òire pour les agisseIIlcnts conll'e la CO'J"respondance de Rorn l ), il n'cn avail pas été question dans la lettre de l'évêque. Le silence .élail un aveu. Du l'estp, considérant Ja COl'í'pspondonce romme 50H CHAPITRE XVIII nne CCU\Te d'hypocri ie, de séclition ct de scandale. l'évP'lue n'eÙt pas élé conséqllcnt a\Tec lui-mêlne, s'iI n'en eCrt píl pl'OVOf}llP la su ppreSSlon. L'é\'êquf de :\IaJ'seille, désespél'ant d'oblenÏl' une réponse de rarcheyêque de Reims, envoya sa Jetlre aux éyêques de France, en demandant Ie secret. Ses co]]ègl1es dans répi copat lni répon- dirent dans les termes rle 1a plus jnsle et d Ia plus affectueuse estÏme. L'é\Têque de Monlauban, Ie savant et courageux Doney, disail entre autres, dans sa réponse: (( Vos sentiments sont bien connns, et j'avoue, en toute franchi e, que j'ai regrellé que vos justes gt'iefs VOllS eussent délern1Ïné à senlbler embrassel' dans son tout une cause que VOllS ne pOll\'iez soulenir qu'en partie. VOllS voyez que les mérnoires anonyoles pleuvent sur nous. Nous en sommcs au troisi&me depuis cinq mois. J'ai peine à croil'e qu'i1s nous soienl envoyés avec l'assentiment de quelques é\Têques, car c'est trop étrange de se cacheI' quanel il s'agit dÏntérêLs qu'on juge anssi graves. Je pense, COUlme vous, qu'au lieu de lout ce mouve- n1ent souterrain, il serait plus sio1ple, plus sûr et plus conyenable de s'adl'esser dh'ectement au Souverain Ponlife >>. L'évêque de I\Iontauball parlait d'or. S'adresser au Pape pour lui reprpsenler les soltises de Ia CO/Tes]Jondance de /lome, si eUe en avail à sa charge, c'eût élé Ie plus simple, Ie plus convenable et Ie plus sûr. Le Pape eÙl exalniné 13 question et décidé dans sa sagesse. Iais la passion q 1i animaiL les meneurs contl'e Ie droit pontifical, n'élait pas de cclles qui demanrleul à Home, LIne satis- faction. Le padi s'aJI'essa à l'évê(lue du dehors il fit sa\Toir à Louis Bonaparte, que Ie droit canonique, c'éLait la négation des libel'lés del' Eglisc gallicüne, un altcn In t à l' au Lonomie ùes évê- ques et à l'indépendance du pOl1voir ciyil, la mise à néan l des adminislrations ùiocé.5aines, teUes qu'eUes cxislaienl de puis Ie Concordat. Louis Bonapal'le, était chatouillel1,{ sur ce point; sur les inslances de plusieul's é\-f'\ques (lui-rll('\llle ('11 a fait la confi- dence), il J.emanda au rape la su ppression de la Corrfspondance de Rome (1). Le Pape en épl'ouva une double peiue, et parce qu'il ('1) Parmi les fanatiques partisans de cette suppression, il faut citer Pierr('- LA SUPPRESSION DE LA CORRESPONDANCE DE ROME 509 avail vu des évêques s'eo1busquer derriè.'e Ie pOllvoir civil - pratique essentiellement gallicane, mais ql1 i n 'est pas reçue dans l'Eglise, - et parce qu'il était oþligé, par les convenances diplo- matiques, de supprimel un organe des doctrines romaines, spé- cialement ulile à la Frallce. Ainsi disparul Ia COlTespondance de /lame. Mais it quelque chose malheul' esl Lon. Nous n'étÏons plus au temps où La suppression <-run joul'nal pouvail condamner les doclrines rOInaines au silence. La renaissance parmi nous de la piété envers Ie Saint-Siège, était si fondée en principe, si bien appuyée sur les ùoctrines, si vaillante dans ses conviclions, qu'un obstacle de plus à vaincre ne pou\'ait être que l'occasion d'un n.ouveau lriomphe. Un prêlt'e se rencon.. lra pour relever, dans une nleilleure forme, Ie jour'nal supprimé d'oflìce, A Ia place de 10. Con'espondance de ROHle parurenlles ilnalecln juris pontiflcÙ, revue plus savanLe sous taus les rap- ports, dont les fascicules superposés conslituent aujourcl'hl1i une Bibliothèque pontificale analogue à celle de Schclestrate. Gl'âce aux Analecta, tous ces vieux livres qui dormaient ùans la poussière des bibliothèques, nous ont offert les grâces ùu r6nou- veau; des thèses plus jeunes ont servi de contrefort aux anciennes constructions; les décisions des congrégations romaines onl cir- cuIé parmi nous en loulc franchise. Que dis-je? A rôté des _tna tecta ont paru les .Annalps de jlll'ispnldence canonique du Inarquis Liberati; La Ret 1 ue de dl'oii cruwn du docteur Grandclaude; les Acles officiels du Saint-Siège. .\u-dessus des revues se sonl dressés les Livres, les quinze volun1es de Bouix, les huÏt volumes d'André, Ics CaUl's classiques de Hoquette de Malvès, Soglia. Ferrari, Hu- guen in, Camillis, GohyellÒche, et Ie clel'gé fl'ançai:-:, s'il n 'cst pas Louis Cecu}', évêque de Troyes. Ce Cæur appelait l'archevèque de Paris (l Ie pre- mier chef de la catholicitt; fran 'aise )), dénOinination faussc en fait et l'n droit; il (lonnait à rappl1i de scs déIais d'obéissance, cette raison qUl' I'Eglise a deux fondements, Ie pape et Irs évêqucs et pour pronver que les é\'êques élaicnl fon- den1Pnls avec Pierre, il allé>guait quïls Maient cités dans Ie canon dC' Ia l1l('s e. Dans ce canon. il est fait mention au:;si de pl'ètrcs, dc diac['cs et ..Ie saintc femmes, et si la raison du pl'éIat gallicllll cst décisive, nous glisson dans Ie muItitudinisme. 51U CllAPlTRE YIlI venu encore à une connaissance parfaite du droit canon, en a ùn moins, généralemenl Ie désir e1 peut en trouver ous les moycns. EL pen(lanl qne ces liv es e't ces l'eVl1eS cil'culent Iibre- Olenl' la hiéral'chie n'est pas déLrllite, les évêchés ne sonL pas en ruine et les évêques continuent. de gouverner tranquillement, Ie plus possihle selon Ie droit, leurs diocèses respecLifs. C'est, ponr l'avenit', un gage de sécurité. (( Si vousjetez, sur les siècles, un regard synthétique. \T(HIS distinguerez, ponr rEglisc, deux é(als contraires: dans l'un, l'Eglise est libre ; elle se gOl1- verne selon son droil; eUe jouit de to utes ses immunilés Stlrua- tureIles; eUe a ses chapilres, ses officialités, ses synodes, ses con- ciles, ses pèlerinages, ses fêtes, lou t l'ensrmble de sa vitalilé mo- rale et sociale ; dans I'autre, l'Eglise n'est plus entièrernent libre ; eUe est assuj eLtie à diyerses restriction , elle s ubil la con trainte d'u n d roi 1 ci viI ecclésia t iql1e, parfois Ii ée rle man ière Ù. n .agit' plus qu'avec une difficulté extrême. Dan l'état de liberlé, l'Eglise est forte et féconde; dans l'état de sel'vitude, l'Eglise, ervanLe ou esclave, au lieu d'être l'cine, e l enlt avée dans la magnitìcence de son minislère. On ne Ia reconnaÌl plus, elle ne se reconnaU pIllS elle-même, et, pour cOInble d'injustice, on lui impule à crime lous les torls qu'on lui fait en gènant son action )) (1.). Si done rEgli e revient à ses immt1nité parmi nous, - et son droit pt'opre en est Ia meillcllre garantie, - c'est, dirons-nol1s, pour l'avenil' une pl'ornesse de force, de fécondité et de saluL. (1) Histoit'e dll cw'diltal GOlIssel, p. 3íO. CHAPIT HE XIX L'l CHIPTIUN DE L\ HOCIlE-EN-llHENIL. Le con1le de Montalembert possédait un château à la Hoche-en- Brenil, dans la CÔte-d'Or. Après 1871, un visileur de ce chàleau remarqua dans la chapelle, unc illscription qui dunnait à pcnser el la l'eleva. Louis VeuilIot, à qui rut communiqué ce document. rut frappé des intentions snspectes qui se cachaient ou se monlr dent dans ces paroles súlennelles, auxquelles Ie style lapidail'e laissait sa concision, sans leur con1muoiquer son élégance: il fìt part de ses inquiétudes au public. Voici dans son texle allthentique e1 dans sa forine lapidaire, ceUe inscription; chacun }.>ourl'a juger des i III pressions q u' elle fait naHre. J n hoc sacello, Felix, A urelianensis episcopu ranem verbi tribuit et panen1 vitæ Chrislianorum amicorum pusillo gregi Qui pro Ecclesift liher:\ in liherà palriÙ ComnlHilare jamrludunl 8uLili Itidrnl Deo et libertati Annos vita' reliquos Devovendi pactuin inslaurarunl Die Octobris XIII Anno DOInini l\IDCCCLXII Aderant ALfredus comes de Fallou\. Thcophilus Foisset Augu tinus Cuchin Carol us, comes de \Iun taLr III bert, A bsen q uillenl curpore, praesens aulrm spi ritu Alhprtus, prin('eps de ß,'og-lif-> 51 CH \PITRE XIX Lorsque cette inscription rut publiée, eUe éveilla, tr';'s j ustement, les soupçons que comporle son texLe. VoiCÍ Ie récit qu'en fail La- grange dans sa Vie dc Algi' Dllpanloup, L. H, p. 39;{: (( Di x ans après l'événemenl, en 1871. lorsque I'é\'Pque d'Odéans fut envoyé comme dépuLé à l'assemblée nalionale sO'LlVCrai17P, et qn'on prêtait à )1. Thiel's rintention de nOIIlmel' ambassadcur à Home, M. Co- chin: pour mnoindl'll' rau tori té de l'évêqlIe d'Odéans à l'assem- blée et soulevcr des 17lla[lPs aulour de I. Cochin, nn imn,qina de révéler au monde ce qu'on appela (( Ie com plot )), el, comme on disait en ol'e (( ]C3 Mystèrcs )) de la Roche-en-Brenil mystèl'cs donl l'é\-êqlle d'Orléans ayait été Ie (( pI'ésident I). On dit que ce jour-là s'était formée (( une coalition )), élait née (( une secte )), (( une cotrL'Ïe inexorable )), lIne secte de calho]iqncs (( selon Ca- your )) ! et l pieuse aHocution de l'évêque rut pré enlée comme (( Ie IIHtnifeste de la secte )), rnanifrste qu'on voulait d'abord, rnais qu 'on n 'osait plus publier. Et, de no u yeau, en 1871, aIor que 1\1. de Broglie, après la chute trap tardive de r. Thiel's, était pré- sidenl d u Conseil, on essaya de nouyeau con trr lni, de la rnênle arme félonne )). Lagrange donne Ie tcxte d'une courte allocution, prononcée par Mgl' Dupanloup, avant la communion que firent à sa messe, Ies hôtes de Ia Roche-en-BI'enil, et dit, en note: (( Dne inscription commémoralive de ce souvenir avait élé quelques mois aprils, à l'insl1 rnême de Ia plupart de ceux qui s'étaient trouvés IiI, placée pal' M. de !\Iontalemberl, dans la chapelle, pour fair'e pendnnt à une autre inscription, rappelant que Ie P. Lacordaire avait ansF-:i célébré la messc dans cet. oratoire M. de l\Iontnlembert y avail ... inséré sa formule à lui: J..'E'glise lib?'e dans l'E'tat libJ'e. Mais: 1 0 cette formule est Ia sienne ; 2 0 elle n'est pas née ce jour-1ft, cllc était, depuis ]ongtemps, connuc ; 3 0 I. de I()nlalcnlher t 3vait ex. pliqué déjà, dans ses célèbres lrllres à M. de Cavonr. en quel sens, bien oppo é à 1\1. de CaYOlll', iJ l'enlen(iail. Néanmoins, au moment oÜ ces lignes s'impriInent, un parnphlet vicnt de paraHl'e, dans ]e- quclle fantÔme de la Roche-cn-BI'enil est sans cesse agité. On y lit, enlre anlres rrt!omnies, flue tous Ies cat holiqnes de]a Hnche- L ' INSCRIPTIO:\" DE LA ROCBE-EN-llRENIL 513 en-Brenil voulaient la séparation de rEglise et d l'Etat. Qui ne sait que l'évêq ue d'Orléans, en pal,ticu lieI', étail Ie pI us concordalairc des évêques ? - Et dans une récenLe histoil'e ecclésiaslique desli- née aux séminaires, il est dit que la formnle devint ce jour-là Ie lien d'une association 1n'ilitante. Ronnes gens, à ce point serfs d"un journal, et étudiant là. pour l'enseigner au jeune clergé, l'histoire de l'Eglise. )) Lagral)ge est lui-même un bonhomme qui enLasse les gros mols et multip1ie les hypothèse , sans arriveI' it Ia malice, mais en s'é- lnignant beaucoup de la vériLé. Que dit l'inscriplion en son pauvre latin ? Qne, dans celLe cbapeJlr, Félix, évêque d'Orléans, a disli'i- bué Ie pain de la parole et Ie pain de vie à un petit tl'oupeau d'amis chrétiens, qui, accoulumés depllis IOl1gtemps à conlbaltre pour l'/!..... glise lilJ'ì'e dans l' Etal liln p, ont l'enouvelé Ie pacte de consacrer Ie resle de leur .vie à, flieu et à la libel'tp. Là éLaient présents Falloux. Foisset, Cochin, Montalembel't ; de Broglie, absent de corps, était présent d'espriL. Aux terme de l'i nscI'i ption qui ne peut êt re nlcn tense qua nt au fait, it resle done que Ie 19 oclobre 1862 se tint, à la Roche-en. llrenil, une sorte de Concile de PEglise libérale, apl'ès convocation régulil're et en queIque sorte obligaioire, puisque l'un drs Pères duL s'excuser de son absence. Lagrange limite ce procès-verbal au fait d'une messe basse et d'une allocution avant la communion des fìdèles pl'ésents. En dehors de cetle messe, pendant les quelques jOUl'S pas::-;és ensemble, les amis de Mcntalembert dUJ'ent, au sa- lon, à table, en promenade, dans leurs chambres respecLives échanger leu rs vues, former des résol u Lions, concerter leurs dé- marches. Un chercherait vainement à persuader ql1'ils passèren t la semaine aussi murls qu'it la messe ba se ou se bornèrent à par- ler de la pluie et cIn beau temps. Le discol1rs de l'évêque ne porte pas un écho de lours conversations: c'est possible, mais nous n'en aYons rien, puisque nons n'avons pas I'alloculion en son en LieI'. Qui ne sail, au SlHl)lus, que Ie discours de clÔlure d'un concilc ne révèle I.ioll de ce qui s'est passé dans le ::-;éallees. Les ùélihéraLions · : 3 Jli CIIAPITRE XI\. onl élé secrèLes ; les décrets sonl Ius ou seront imprimés; Ie dis- cours final se borne aux acclamations. La justification de Lagrange ne va à rien moins qu'à accuser Montalembert d'un faux en écriture monumentale. Si les jonrs passés à la Roche-en-Brenil n'onl pas touché aux affaires du libé- raIislne, - supposition absolument invraiselnblable, - Monla- lembert a menti; Lagrange lui-même l'assure implicitenlent par ses explications. l\fontalemberl, après Ie départ de ses visileurs, a baclé, avec Foisset, une inscription qui n 'a pas Ie sens commun ; les yisiteurs n'en ont rien su, et voilà. Mais n'ont-ils rien su de celte inscription? Après Ie départ, ils ont dû, au moins par politesse, remercier leur hÙte de son bun accueil ; l'hôte, dans ses réponses, n'a pas manqué de leur faire savoir qu'une inscription lapidail'e rappelle leur passage et perpétue son bonheur. Personne n'ayant réclamé, il est fort à craindre que l'inscription n'ait bien lraduil la pensée de la plupart, sinon de l"évêque d'Orléans. En [pnant compte des restrictions de Lagrange; en adm ltant que l'évêque, dans son allocution, n'a pas fait même la plus petite allusion au catholicisme libéral; en concédant que l'EgIise libre dans l'Etatlibre, cela signifie I'Eglise libre e1 la patrie libre, il faut bien, à peine de déraison, Lenir compte du survlus. Un his- Loden qui coupe les textes en deux, n'esL pas un hbtorien, c'esl un faussaire. Toules réserves failes, il en re te encore assez pour justifier la Ineilleu re part dps soupçons que celle inscription doi t suggérer. <( D'abord, dil Jules Morel, il y avail un rendez-vous, et ceux qui étaient légitimement empêchés devaient être signalés comme des absents par congé qui auraient volé pour. Les assistants éLaiellt célèbres par leurs comLats pour la liberté de I'Eglise et la liberté d u pays légal. Or, d 'après leurs propres ex plications, Ie pays n. est libre dans Ie sens qu'ils attachent à ce mol, qu'autant qu'il jouit des quatre libertés constitutionnelles: culte enseignement, presse, association et qu'il po sÙde un plU'lelnenl ayanl it sa base le suffrage u ni versel ou it peu prèð. L'Eglisc n' est libre au sein de . cetle patrie libre que par le droit commun des ciluyens, qui excLut L'[ì\SCRIPTIÚ BE LA IHJCHE-El\-BRENIL 51 se::; anciens priviLèges el ilnml1nilés, )) Ces quall'e liberlés, ce droit commun, cette religion ne possédant pa:3 d'autre franchise que la pensée hurnaine, ceLLe Eglise ne jouissanl pas d'autres droits que Ie droit pel'sonnpl du citoyen : tout cela, c'est Ie libéralisme et Ie plus eru. (Juanl au pacte que les associés ont juré de nouveau, il avait pour but leur consécralion à Dieu et à la Iibel'té. Ce dernier point a été trop pen remarqué ; c'est peut-être Ie point capi,tal. Les visi- teurs de Montalemhert, à son château de La Roche, ne se rencon.. lraient point pour la première fois; ils étaient unis d'anÚtié depuis longtemps,; et depuis 1854 au moins, ils formaient un groupe connu de catholiqlles libérallX lrès explicites dans l'expression de leurs sentiments, très hardis dans la défense de leurs convictions. A ceLie date, depuis huH ans, ils ava.ient adopté Ia revue men- ;uelle : /"e CO'i''i'espondnnt, pour leur organe offieiel. Chaque mem- brc de Ia petite ehapelle' y venait officier à son tour. Falloux, Broglie, Cochin, Ozanam, Foisset, l\1ontalernbert formaient Ie con- seil de rédaction : et, dans leurs articles respeetifs, distillaient, à qui nlieux nlÌenx, les drogues flu libéralisme. En se rencontrant à la Roche-en-Brenil, ils étaienl là, comme un étal-major qui tient conseil; ils se coolmuniquaienl leurs idées, leurs prajels d'ouvra- geg, leurs plans de campagne. Au pied de la letl1'e, ils faisaient ce que font de temps en temps les direeLeurs de journaux : ils délibê- raient et se proposaient de continuer. Montalembert mellanl cela fin épigraphie, était sans don te un peu soIenneI ; mais il ne men... tail pas, lui, Ie mains lnenleur des hommes. Tout au plus, d'après les suites, pourrail-on dire qu'il divulguait ce que les cOInpères voulaient tenir caché ; il a été sine re el fidèle historien. Dieu ella liber'té signifienl.ils quelql1e chose d'innocent comme, pal' exemple, saus la Reslauralion: Dieu et Ie Roi'l Faut-ill'en- tendr'e camme l'inscriplion gravée snr l'anoflau de S. Louis: Dieu, Fl'ance etl\largucrite, 1101'S cet allel n'ai point d'alllour? La dévo- liun lle nuuveaux chevalier's devail-clle aussi e pal'tager, dan::; la proportion nécessairp, entre Dicu el Ia libcrté? Cel échappatoil'c ne peut plu::; se pIaider, NOl1 avons, dr l'inscription, des com- 516 CUAPITHE XIX mentaires ofneiel ; il est impossible d'en dégager autre chose qu'nn atlachemenl éqnilibré entre Ia liberté et Dieu. En sorle qu'on ne VOUdl"ail pas servir Dieu sans Ia liberlé et qu'on ne voudl'ait pas, non pLus, servir Ia liberLé sans Dietl. On prétend servir run el Pautl"e solidairemenl, comme si la seconde était une émanatiun divine du prernirr. Tel est Ie langage de l\fonlalemberl dans un discours de l\1a lines, dans ses Iettres et dans son abominable éeril : L'Espagne et la libe1'té. Le fluc de Broglie a élé aussi loin, lorsqu'il compare Ja religion et la liberté à deux puissances suprêmes qui ont peul' rune de I'autre et que leurs partisans doivent conh'aindre à se mettre d'accord. Falluux Ies dépasse, si possi ble, q nand iI a ppelle Dieu el Ia liberté, les deux pôles dn monde. Foissel s'exprime de la même façon, dans la Vie du ]1. Lacol'daÙ'e, ct Cochin nous dil que Ie plus ardent des conjurés, sur son lit de morl, empol'lait dans l'aulre mande un cuisant rrgrel, Ie regret de n'avoil' pas vu sur la terre la réconciliation de l' Eglise catholique avec la 1iberlé moderne. Ces témoignages acquis à l'histoire, - et il serait trop facile d'en multiplier Ie nombre, - iL Y a, dans l'inscriplion de la Roehe- en-Bl enil et Ie pacle renou velé par l'assislanee, tout ce qn"il fa ut pour constituer nne secte. S'engager, en e11'el, à défendre exclusi vement une nouvelle Jiberlé de I'Eglise, qui consisterail seuLement dans la jouis ance ùes qualre Iibel'lés conslillltionnelles, avec la n1aehine parlementaÏI e du suffrage public au-dessous ; se .dé\Touer, par un pacle, à servir ensemble Dieu et La liberté cumme ùeux puissances sonveraines dorénavant inséparaLles dans leurs mani- festations lerresLres: il y a Ià cerLainen1enL u ne nouveau Lé dans l'Eglise, une invention héréLique, quelque chose donl Ia tradition ne renferme pas Ie germe, par conséquent une erreur-n1ère qui doH enfanler un sehisme. Ce schisme esL d'auLanl plus cuupable qu'on sait mieux son his- Loire. Celte hisloire dale de 8B elue renlonle guère plus haul que cetle hégil'e. Le Dieu el la liLerLé de Ia Roche-rn-Brenil ! qui done a Ie prelnier prononcé ce rnonstrueux accouplernenl? C'est Ie pa- L'IN CRIPTIO DE LA ROCHE-E -ßRE IL ;)17 tI'iarche de Ferney bénissant Ie fils de Franklin et l'armant che- valier de la société moùerne. Qui a repris cette bénédiction ùe Voltaire, oubliée depuis la révolution ? qui I'a traduite de l'anglais, sa première langue? C'est l'aLbé de Lamennais, arboranl cette épigraphe en têle de son journal I'AvenÏ1', condamné depuis par GI'égoire XVI? Qui a relevé cetle devis(1 de l'anathème sous lequel eUe gisait à terre, qui lui a conféré les honneurs de la langue li- tUI'gique en la gravant en lalin sur la pierre de la Hoche-en-Brenil : Deo et libel'lali? On ne Ie sait que trope Ni Jes hontes de Voltaire, ni la chute du solitaire de la Chennaie, oi Ja condamnation du Souvel'ain Pontife, n'ont pt1 empêcher ce scandale. Le Syllabus a-t-il eu, an moins, la puissance de rabolir? Pas davantage. L'ins... criplion a survécu six ans sous la garde de l\IontaLembert, huit ans sous la garde dp Cochin, qui l'invoquaÏl dans l'éloge funèbre de son ami, dix ans suus la garde de Falloux, qui ose bien, dans Ie C01 respondant rIe 1874, parler encore des deux pûles du monde religieux, nlol'al et politique : Dieu et la liherté. Dieu et la liberté! C'était aussi un mot d'ordre de la franc-ma.. çonnerie. La fl'anc-maçonnel'ie rend ail hoolmage au grand archi- teete de l'llnivers, mais ne lui demandail qu'une chose, Ie droit, Ie pðuvoii', la liberlé de s'abandonner à toules ses passions. L'affranchissement des passions, la réhabilitation d(1 la chair, c'était la liberlé et Ie droit: Dien n'élait plu que Ie témoin iln... puis ant <.Iu désorJre, un roi désarmé, contraint, par Ie progrès des temp:;, d'assistm' muet à la dégradation de l'homme et de subir lous les outrages de l'indifl'érence. Mais ce Dieu avachi n'élait qu'un Dieu spécnlalif, presque fantaslique, bon tout au plus COlnme Inachine de guerre conLre Jésus-Christ et son Eglise. Depuis, ils olll I'enié Dieu el ils l'ont [nh; de c{\lé. La liberLé suffit à leur philosophic, à leul' nlorale et à leur polilique. La liberlé, c'estla Inisc à néant de la religion el la proscription de l' Eglise. La liberlé, ce sout les congrégations religieuses con ti:-;- quées, les n10ines pl'oscrils, les curés ðac au dos, les oblations des 1ìdl'le:-; soumist-'s à Ja geslion de I'ELat, l'école neutl'e Jivl'ée au diablp, les hôpitanx et les hospices laïcisés, Ies ol'pheJinats trans- :;18 CHAPITRE XIX formés en porcheries, les cimetières expurgés de la croix, Ie monde entier livré à Satan. Viens, Satan, Ie caIomnip des pl'êtres! La libertc\ qui COIlVI'P .Jésus-Christ de son anathèlne, va férigrr des auteJs. C'est l'aboll- tissement de Ia fOrn1l1Ie : Dieu el la liberté. CHAPITHE XX LES CATHOLIQUES LIBÉRAUX A MALINES. Du 1R au 22 aoÙL 18ô;1 et du 2 août au 3 seplembre 18ö4, Ips catholiques flu monde entier, ou, du moins, les plus éminents d'enlre eux, courant sur les brisées des catholiques allemands, se réunirenl à lalines, en Belgique. Dans ces asseo1Llées générales, Ie but était d'étudier ensemble toutes les questions qui inléressent l'Eglise, et, sans déroger au respect dû au pouvoir hiérarchique, de se concerter sur les conclusions à prendre, sUI'les résolutions à intervenir. Pour atteindre ce but, on avait pris d'avance l'agré- ment de l'autol'Ïté ecclésiaslique et pris, pr'ës du pouvoir civil, toutes les provisions légales. En soi, l'idée n'était pas mauvaise : il est toujours bon de se voir et de s'entendr'e: mais la chose n 'étaÌt pas sans péril. Les hommes isolés sont plus sages; réunis, iis se communiquent nn certain magnétisme, stimpriment une certaine impulsion qui ne cadrent pas toujours parfaitement avec la sage prudence. La nouveauté de l'initiative avait inspiré un grand enthollsiasme; il y eut foule, surtout de France. L'assem- blée s'ouvrit par des actes de religion et s'inaugura, comme eUe devait se clore, par de grands discours. Dans l'intervaUe des so- lennités, il y eut, de la part des hommes d'une exceptionnelle compétence, de sérieuses études. C'est de quoi on s'est occupé Ie moins et c'esl par là surtout que les congrès ont le r imporlance pratique, Le premier Congrès s'était partagé en cinq sections, La pre- mière, consacrée aux æuvres religieuses, s"occupa du denier de Saint-Pierre, des zouaves pontificaux, de l'enterr'ement des pau- vres, de Ja sanctification rIu dimanche, de la propRgation rlR Ia 5 () CllAPlTH.E XX - foi, de l'éreclion à Londres d'lln sén1inaire pour lp missions, de la n1Ïssion de I'Herzégovine, d'une église caLholique à SainL-Pét.el' - bourg, d'une mission belg-e Cll Chine et des pl'lerinages à Runle. - La seconde seclion affeclée aux æuvl'es chariLaLle , éLuù in. les æuvres libres et les obstacle qu'eHes rencontrent, Ies enlre- prbes qui correspondent anx Le oins les plus urgenls, la sociélé de Saint Vincent-de-Paul, l'æu \'l'e de Françob- Xavier et d u CUIn- pagnonnage de l'abbé KæIping, Ie projet d'une maison de relraile, enfin Ies æu vres de miséricorde e1 des rnère de famille. - La lroisii'me section, formée POUI' l'instruction eL réducalioll chré- tiennes, chercha les Inoyens de propagel' l'enseignement et les écoles calholiques, de répandre les bons livres, de former des biblioLhèques, ù'inslruire les sourds-muels, de créer à Louvain une école des mines, et ùe constituer, pour lout l'univers, une académie catholique. - La q uatrième section, vouée à l'al't chré- tipn, s'occupe de son enseignement eL de sa diffusion, de l'archéo- logie, de la décora1ion des églises, des æU\TeS dïmaginalion eL de critique aulanl qu'elles peuvent trouvpr place dan les églisef', el de la réédification de Ia basiliq ue dp Saint-l\1artin à Tours. - La cinq uième section, pour la liberté religieuse, s'enquierL de la publicilé, de l'association, de la correspondance, ùe la slatistique, des cel'des e1 ùe divers au Lres sujets relaLifs à l'ill térêt génél'al de l'Eglise. ' Le second congrès se parLagea également en ciuq sections. La première, pour les æuvres reIigieuses, s'occupa des ordres monas- tiques, des associations catholiques, de la fondation d'une ociéLé en ]rlande pour cOlllbaLLre la propagande pI'olesLante, du denier de Saint-Pierre, de l'extension des pèlel'inages. enfin des Inoyens de confirmer les populations dans la foi et dans la pratique chl'é- tiennes. - La seconde secLion, elite d'économie chrélienne, dis- ruta sur l'intel'venlion de l'auLorité publique ùans les quêLes, sur I'organisation de l'industrie moderne, sur la condition des fem- mes dans la classe ouvrière, SUI' l'emprisonnement ceJlulail'e, Sill' la muLualilé eL l'association, sur Ie compagnonnage et. Ie palro- nage, sur les ffioyens de comballre l'intempérance et d'améliorel' LES CATUOLlQUES UBÉRAF\: A MALINE 521 les hahila lions d'ouvriers. - La troisième ection exarnina Ia c(Hnbinaison de l'inslrllclÍon priInaire avec l'enseignemenl profes- sionnel, l'emploi ùe:; c1assiques païens dans les humanités, eL l'enseigneInent de l'econonlie polilique. - La quatrième section, vouée à rart, revendique l'applicalion des règles nlorales aux æuvres d'art et de liUératl1re, cherche des moyens de moraliser l'art, traile de l'imagerie relig'iel1se, du Inuulage cles teuvres de sculpture, de l'inlervenlion de l'Etat en matière d'art et de la Inis ioll, ùalls les arls el les letli"es, ùe l'as ocialion libre; une sous-section agilc lC5 questions de plain-chant et de musique re- ligieuse. - La cinqllième sectiun, sur'la liberté religieuse, discute Ie prulJ1èole d'un journal international, des publications catho1i- ques, du colportage, des nloyens de rectificr' les erreurs ct de re- pOllsser les mensonges, elu cadre d'une statislique catholique el de divers concours d'art et de propagande. C'est par ces étudcs, disons-nous, que le8 congr( s peuvent être précieux. Ces assemblées sunt comme les veillées d'armes de 80L- flals de la sainte EgLise, Ie concert préparatoire aux Iulles à sou- leni[' pour la vérité" Iais un enfant gÚlé elu paI"li libéral, ùans ses J.Votes et souvenirs, l'abhp Rouq ueLte, nOlls appl'end que La pLus [(u'ge ]J(f1'l avail été laissée au\: partisans du catholicisllIe libéral ; il ajollte naïvemenl que ( J'évêque d'Urléanb et Falluux se passè- 'rent 'j'écip7'o(/uement l' encensoÜ' et en usèren l aussi l7'ès 1'éciprolj ue- menl >>. Là n'est pas Ie Inal ; Ie oIal, c'e::;t que les calho}Ü-Iues libé- raux de France se donuèr'ent rendez-vous à lalines et y dislilll'renl leur erreur avec Ie plus d'enlrain et la plus singulière cl'udité. Le peLit cénacle bourguignon s 'était ou\-erl en octobre 1862; lïnscriplion de la Hoche-en-Brenil avait été gravée dans les pre- IDiers IDOlS de 18ß:3 ; Ie 18 aoùt de la même annèe se réunissait Ie congrès de l\Ialines. l\Iunlalembel't éLait tout plein des lumièr{--'s el des tlaIHnles de son convent donle::;tique. 01', quel sujet \'a.t-il trailer dans son discours L'EgJise lihre dans l'ELat liLl'e: la pro- lwe f(WIDllle de l'!n criplion. devienl sa lhèse de propagande. Plus répalulu ell françai:;; qu'en épj Taphie, un seul discours nf' lui sunil pas, illui en faut deux, maintpnant écouLons : ...' '-)G) J...... l.:HAPITHE XX (( C'est à la Belgique qu nous avons empl'unlé les exemples, les idées, les solutions, réunis dans une fOt'mule déjà célèbre : L'Eglise libre dan:::; l'Elal libre, et qui, pour en avoir été dé- robée par un grand coupable, n'eo reste pas nloins Ie symbole de nos convictions et de nos espérances. En arborant celte devise, nous entendon réclamer la liberté de l'Eglise. (ondée sur les liúel'- tps publiques... La Belgique, calholique et libérale, a trouvé fa solution la plu difficile du monde nouveau, Elle a compris les condit1.ons nouvelles de la vie publique et l'indépendance 1'éciproque d u pouvoir spirituel et du pouvoir tempore!... Elle a gravé tous les pl'incipes de la libel'té modpí'ne dans sa glorieuse constitu lion, la meilleure des continents européens (pour ne pas faire tort à I'Amérique). (( Ce l'égiIne de Iiberté et de responsabililé, qui enseigne à l'homme l'art de se contier en soi et de se contrôler soi-mème, c'est ce qui manq ue Ie plus, en dehors de la Belgique, aux catho- liques Il10dernes... Les catholiques sont infédeurs à leurs adver- saires, parce q u'ils n'ont pas encore pris leur' parti de la grande révoluLion qui a enfanlé la société moderne, la vie moderne des peuples... Elle leur a fait peur. (On auraÏt peur à moins.) Dans l'Ol'd1'e ancien, les catholiques n'ont i'ien à 1'egrettel' ; dans l'ordl'e nouveau, 1'iptl à redouter... Quand je parle de libel'té, j'entends la liberté tout entièl'e, la liberté fondée sur l' égalité et Ie d1'oit C01/l- mun... L'avenir de la société dépend de ces deux problt\mes: cor- riger la démocratie par la liberté, conciliel' Ie catholicisme avec la démocl'atie. )) Le libéralisme, d'après l\1ontalembert, est un symbole qui va ajouter une douzainf d'articles au symbole des A\ põtres; il a trouvé la solution la plus difficile des temps nouveaux; il accepte tons lfs principes de la Iiberté moderne; il asseoit I'Eglise sur Ie droit comlnun et ne s'aperçoÏl pas qu'il dépouille l'Eglise de son dr'oit propre, de son droit divino Et l'orateur répète vingt fois qu'il ne veut pas faire de lll(;ologie. De la théologie, en voilà et de la pire. Pour dogrnatisel' si légèr'ement, l\1011talembert peut suffire: mais puur' con.cilier Ie calholici rne avec Ie libéralisme, il fauth'aiL, ce emble, l'inlervention dll Pape. lES CATHUUQUE UBf HAU\ A MALI E 5 3 (( Pour mettre à couvert. des orage:-, du temp rindépendance du pouvoir spirituel, proclan1ons, en toute occasion, lïndépendance ÒU pOLlvoir civil... Dieu n'aime I'ien t.ant au rflonde que la Jiberté de son Eglise, a dit S. An elme. La liberté esL donc pour cUe Ie premier àes biens. Mais l'Eglise OP peut êlre libre qu'au sein de la lihert.é générale... Pour moi, je l'avune franchement : dans cetle solidarilé de la liberlé du catholicisme avec la libel'té publique, je vois n progrès réel. Je conçois très hien qu'on en juge aulre- menL; mais je rfgimbe dès qu'on prélend érigfr les regrets en règle de conscience. )) '. l\Iontalembert déraisonne jusql1'à l'absurde, lorsqu'il ronde la paix de I'Eglise sur l'indépendance du puuvoir civil. La séparation de l'Eglise etùe l'Etat, c'est Ie divorce, et Ie divorce, c'est la guerre. La liberté dont S. Anseln1e prête à Dieu I'amuur, c'est la liberté fondée sur l'imnlunilé de droit divilJ, non pas la liberté Ino erne. L'ancienne liberLé, c'élait la liberté à laquelle I'Eglise, camme telle, a droit strict; Ia liberlé model'ne n'est pas un droit dont l'Eglise pnis e effectuer la revendicaliun, saufpar un argumentadhominem; c'est une gràce q u'elle posspde dans la personne de ses enfanls, mais ses enfants n'en jouissent qu'autant que la fortune politiquc l)U pays leur en assul'e la jouissance. Avec la centralisation admi- nistrative, avec l'e pril révolutionnaire de la démocratie, avec la corruption et l'indifférentisme des masses populaires, les calholi- ques courent toutes chances de perdre la liberlé moderne, soil dans les élections, soil dans les disputes parlemenlaires. C'esl d'ordi- naire dans les pays qu'on dit libres, que les catholiques sont plus esclaves. . (( Henri IV, poul'suil Montalembert, introduisit, en France, la lihfrté de conscience, sous une forme incomplète, [nais la seule que pût supporter' la socit"té d'alors: il donna l'édit de Nantes. Aussi- lût éclata celle magnifiqlle efflorescence dugénie, de la discipline, de l'éloqucnce, de la piété el de Ia charité catholique, qui place Ie <1ix-seplième siècle au prernier rang des grandssiècles Je l'Eglise... La révocalion de l'édit de Nantes ne donna pas seulenlent Ie signal d'une odieuse pcrsécution, elle rut une rles principales causes du 524 CHAPITRE xx l'elâchement du clel'ge. La foi et les 111æurs disparaissent gl'arluel- lement quand la Hé\'olution dnl p.'oscr'ÏI'e l'Eglise. )) L'éùit de NanLes cst une cÜllcession exce:;sive et maladl'oite que Richelieu dul cOlllbatlre et que Louis XIY dut supprinler: Monta- lemhert, foulant ces deux grandeurs, oublie sa condition, altribue les gl'andeuI's du XYIIe siècIe à Pédit de Nanles, c'rst u ne pau vreté qui ne dernandc pas de l'éponse. Croil'e que la révoeation de CAt édit fut une des causes principales du relàchrment de l'ordre S(l- ecrdotaI eel a, non plus, n'exige pas de réfutation. C'esll'igno- r'ance pure s'élevant, a\'ec audace ou avec naïveté, jl1sfjl1'au dog- 01atis01e. Comment nous plaindre des forbans qui 11lalt.railentnotre histoil'e, si les catholiques lihéraux la l1'aitent avec ceLte désinyol- 1 u re ? (( Je ne vais pas jusqu'à prétendre que 1a religion seule puisse suffir it défendl'e Ie moude moderne de ]a rnine qui Ie menace. (Q ueUe im piélé 1) L' exam pIe de l'em pire romai n devellu ch1'étien et lomhé sous Ie n001 de has-empire au dernier rang d u mépri::;, me présel'vel'ait de cette illusion, )) L'empire roolain n'est pas devenu chl'étieo; il a, au contl'ail'e, violé tOllS les principes de la foi, outragé les mæl1rs chrétiennes, méeonnu la constitution de l'Eglise rt supprimé ses droits. Tant qu'il dura, les granùes (-tmes cherchèl'enl, dans Ie désert, un aln'i POUI' leur vertu. Dieu Ie réprou\'a et Jean, dit Bossuet, ehante sa ruine. Quant au bas-empire, Ie dire chrétien, c'est encore un acle de haute ignorance. Le has-em pire étaiL bas sous tous les rap- ports; il étail trop has pour connaîtl'e autr'e chose que l'hél'ésie, pOUl' ne pas aboutir au schi me et finir dans les ténèhres et dans la honle. (( Le catho1icislIle n'a ricn à redou tel' de la dém(lcratie libérale. il a lout à espérel' dl1 développement des liberLés qu'elle comporlp. Le catholicisme a toul inlérêt à cornbattl'e, (HHlI' son propre comp- te, ce qui menace et compromet la sociélé rnodel'ne et la libel'té... Toutes les extensions de Ia lihel'le civile et politique, sont favora- LIes Ù I' Eglise ; loules les restrictions lou rneron t con tre elle. Qllelie est dooe la Iiberté moderne qui ne soit désormais Oll nécessail'e LES CATIlOLIQUES LIBÉRAUX A IALI ES 525 uu lrè:3 ulile à l'Eglise? C'est pourqlloi, il ne raut pas cesser de redire ces fortes paroles, écrites il y a vingl ans, par ('elui qui est devenll Ie plus illustre de nos évêques, lgr Dupanloup et dont chaque jour écoulé depllis lors, n'a pu qll'aCC['oître la glûrieuse aulorlté: (( Ces libertés si chères à ceux qui nous accusent ùe ne pas les ahner, HOUS les p1'oclamons, nous les invoquons pour nous COlnme pour les auLI'es. NOllS acceptons, nous invoquons les priu- cipes et les libertés proclamés en 89. )) Voilà bien la formule du catholicisme lihéral. Si l'Eglise ne s'i. dentifie pas avec les qualre libertés de pensée, de conscience, ùe presse et de culte, d,u moins elle les Pl'oclame comIne vérité, eUe les accepte comIne formule de droit, elle les invofJue comme palla- dium, eUe les défend comme bouclier de la religion. Or, les ql1a- tre libertés ne sont que des concessions au o1alheur des temps et à la malice des homrnes; eUes son t la négalion d u droit divin de la sainte Eglise ; eUes n'ont que momentanément servi sa cause; elles ont été surtout uliles pour la con1batlre et l'opprimer. La- grange protestant conlre Ie sens de l'inscription de la Roche-en- Brenil, ne fail plus, ici, que figure dïgnorant ou de maladroit. (( En venant ici, je me sllis arrêté, comme toujours, avec une én1olion profonde, devant Ie monument du congrès et de la cons- titution, élevé à votre indépendance nationale par les mains de la Jiberté satisfaite, Au-dessous de la statue du roi, j'ai vu qllatre autres statues qui représentent les qualre alltI'es libertés que vo- lre constitution a données it la Belgique pour palrimoine, el all múndp pour exemple: la liberté d'enseignement, Ia liLerté t!'asso- ciation, la liberté de la presse, la libcl'té des cultes. II n'y a pas une seule de ces libertés qui, aujourd'hui comme en 1830, ne nous soient indispensabl(Js, à nous, à tous, á lOl1S les calholiques du monde! )) Le di cours de )Ialines est la suite chronologique, ]ogique f't théologique de l'inscription de la Roche-en-Brenil. L'autcur de l'inscription en donne Ie con101entaire auLhenLÏque, en vel'Lu de son autorilé propr et de son incontestable avoir. l\lontalembert est dans Ie faux j usq u'au COLI, j l1sq ue par-de ssus la tête; mai" il ;>26 CHAPITRE xx ne di:-,::;ÎIuule pa::;, il u"équivoque pas, l ne plaide pas les circons- lances attén uanLes: il se fait gloire. au contraire, de es 3 berra- tions. A la liberté des culles, natul'eJlempnt. (( la plus aimée, la plus ðacrée, la plus précieuse, Ia plus légitime, Ja plus nécessaire >>, aux yeux de I'Eglise liLre dans l' Etat libre, MonLalembel't consa- ere son second discours. A ::;on avis, nOllS arrivons à la plénitude des temps, Le passé du monde étaH une période d'enrance et de protection; l'ère nouvelle, l'ère de rémancipation commence. (( Pour condamner Ie passé, il faudrait ne lui rien devoir... L'Europe lui doiL d'être demeurée chré ienne: Mais c'est précisé- menl pour cela que la justice a gJ'a'ildi dans les åmes et qur la li- berLé peltt rnfin s'établir dans les fails. C'est précisément quand la tl1trlle 3 élé effìcace que l'enfanl devienl digne d'en être affranchi. et qllïl peuL l1nÍl à une \'ive reconnaissanf'e Ie droit de s'en passer. >> Si la justice surnatl1relle était si fOJ'tement éLablie dans les âmes, que la Iiberté exlérieure en soit [,irradialion nécesf-'aire, nOllS ne songel ions pas à nous en plaindre. C'est Ie contraire qu'an \ eut ; on veut la liberté pour se passel de j usLice et s' en af{['an- chir: on veut la liberté pour avoil' Ie droit de se passer de I'Eglise, de In l epousser et, à la fin, de l'anéantir. C'est pourquoi la liberté des cultes fait peur aux catholiques. (( Si ron recherche Ies motifs de cet effroi, on pourra Ies rame- ner à trois pl'incipau"X : les calholi,ques la croient rl'()ri ine anti- ehrélienne; ils la voient surtout invoquée par Ieð ennemis de 1 Eglise; ils croienl avoir plus à y peròre qu'à y gagneI'. De ce::; trois ()bjections, je ne sais yraiment laquelle e t la mains fondée el la plus chimérique. Je les con teste toutes les trois de toute l'é- nergie de nlon åme. Non, la libel't{ de con cience n'a pas une origine anti-chrétienne, elle a, au conh'aire, la Inême origine que Ie chrislianisme et I'Egli e... C'cst par el1e et ponr eUe que l'Eglise a élé fondé8... C'e l par cUr el a\Tec elle seule que I'Eg]ise a f(1it LouLe=-, ses conqu{'les. L'a\'enir, sur ce point, rép"ndl'a au pa::;::;e. " Toul à ['lieure, l'uraleur BOUS digail que Ia libel'té u'a pl1 s"éLa- h1ii' qllf' tardivernent, parce flue la justice ne s'( tait pa l1ffi am- LE CATllOLIQUE LlBt:RAUX A MALI ES 527 Inent ancl'ée dans les âmes, Uaintenant, il n'y a jamait5 eu de luteHe, la liberté est née avec I'Eglise; c'esl, par eUe, que Ie monde s'est converti et que Ie christianisme a effeclué toules srs conquêtes. lais alors il est bien étonnant que les caLholiques, les prêlres, les évêques ignorent, à ce point, l'in litution de l'Eglise et son histoire. Non, ils ne l'ignorent pas l'Eglise s'est élablie en revendiquant on droit divin ; eUe a versé son sang, prêéhé l'E- vangile, constitué Ie monùe chl'élien et refusé la 1iberlé aux pas- sions des hommes. Le5 passions ont repris depuis Luther leur Jiberlé; elles ne l'exercent que conlre la religion el l'Eglise, d'abord en demandanl Ie droit de ne pas suhir leur aulorité, en- uite en prenant Ie druit de les détrllire. Tel est l'enseignemenl de l'histoire. (( Le code pénal contre les catholiques anglais et idandais; les lois qui ont suivi la constitution civile du clergé en France, suffi- sent pour montrer à quels aUentats la foi catholique est exposée sous l'empire de législalions qui méconnaissenlla liberlé religieu- se. Ah I sans donte, rhistoire du catholicisme n'esl pas pure de ceUe tache elle a aussi plus d'une page sanglante et à jamais re- grettable. )) La conclusion à tireI', c'esL qu'il n'y a pas, sur la lel're, de so- ciété divine; qu'il y a seulemenl des systèmes en présence, systè- mes également plausibIes, également fondés en droit, tous par la faiblesse de leurs adeptcs, prrsécutrl1rs, Par sa liberlé moderne, l'orateur les empêche de s'entre-tuer. 11ais s'il y a, en présence, une sociéLé légitime et des el'reurs illégitimes, la situation change du tout au toul. La. société légitime réprime justement les écarls : l'erTPur, en per'sécutanl celle société, comrnet un crime, digne de pitié. Au nom de son principe, elle devrail lout tolérer; au nom du nûtre, DOUS devons repousser loutes les erreurs, même par la force. L'oraleur nous rappelle qll'à Rome, les deu pOllvoil's sont dans la rnt'BH' maill, pour flu'ils oienL disUucts pal'Loul ailleur.s et,de faiL, separes. Puurquoi Ie pape n'ü-t-il pat5 dunné à l'Italie, ell pal'- ticulier à ps Etats, ceUe Iiberté des culLes qui a l,té creée et mise 528 CHAPITRE xx au monde pal' saint Pierre? Pourquoi a-l-il prélendu étabIir' à HOIl1e. (( un Llocus hermétique contre l'esprit nlodernc? (( L'Espagne et l'lLalie, ces paradis de l'absolulisn1e religicux, sonl de,-enus Ie scandale et Ie désfspoir de tous les catholiq ues. )) Poul'quoi Ie Pape, qui Ie pouvait, n'a-t-il pas pl'êché la cl'()isade en faveur des quatre glorieuses lihel'Lés. L'orateur cite à contre-sens Ie comte de Maistre; avec plus de raison, Fraysinous et les sept évêques, signataires, en 186; , d'une adresse aux éleclellrs. J. de 1aistre est Ie théol'icien Ie pIns ferme rle l'absoluLisme l'eligieux; Ie gall ican Fraysi nous est aux an ti- }Jodes de J. ùe l\Iaistre. Des sept évêqnes dn tiers parti, cÏn(I aban- donnèrent leur acle, Ie sixième mouru t: Ie eptièll1e, Dupanlol1 p, resta seul échoué sur la quille de son naYÌI'e brisé, dont il enten- dail bien se faire un piédeslal. (( Voilà de quoi mettre à l'abri de tou t soupçon d'hérésie, les partisans de la libel'té de conscience et de la liLerté polilique. Je sais bien que plus d'une de ces déclaralions a été prornulguée òans des circonstances critiques" . laisje n'admets pas f{U'Oll ait pu arJJo- reI' ces généreux principes pour les besoins du rnornenL, saufà Irs renier lorsqu'on se lrouvera dans un aut.'e camp. L'oraleur a raison. I] n'y avait pas d'amhitieux pal'mi les p.'élals ; rnais il y avail des hommes faillibles, qui ont senti, cumme Augus- tin, Ie besoin de se l'étracLer. (( Chacun est libre de trouvel' l'étaL moderne préfé.'ahle à celui qui l'a pl'écédé; j'arbore bien haut cetle préférence.Ce u'est pas, du resle, quP je veuille faire de ce l'égime nouveau l'élat normal de la sociélé, car je ne connais pas d'élat normal. .J'altends qu'on vel1ille bien me monlre.', dans l'histoirp, un temps eL un pays on ce pl'etendu état normal aiL exisle. )) Ridicule sophisme ou haute ignorance! Pour les individus el pour les peuples, it y a un élat normal, et, en principe, un loi df prr- fection. C'esL Ie devuir des peuples eLaussi des indjvidu::;, de tendrf' sans ces:,e à cetLe perfection, d'aRpirer it cet élat. Que si. par fai- hlesse ù'esprit ou défaillance de cæur, ils n'y pardenllcnL pa tOL1- jours, el, lorsllu'ils y parvienllcnt, n\ re Lent pas longtemps, s'en- LES CATliOLIQUES LIBÉRAUX A l\IALINES 529 suit-il qu'ils aient Ie droit de tourner Ie dos à la védLé, à la verlu et à la justice. Les délits et les crimes n'empêchent pas la sagesse du Code ;les prévaricalions des peuples ne peuvenl pl'évaloir contre l'aulorité sainle de l'Evangile. (( Répétons ces immortelles paroles de nolre grand et cher La- cordaire: (( Entendez-Ie biûlJ, catholiques ; si VOllS voulez la liLerlé pour vous, il faul la vouloir pour lOllS les hommes et SallS lous les cieux. Si vous ne la demandez que pour vous, on ne vous l'accor- derajamais. Donnez-la oÜ vous êtes les maìlres, afin qu'on vous la donne là où vous êles esclaves. )) Quand Lacordaire commettail cet excès de parole, il ne s'occu- pail pas de savoir comn1ent il relierait son libéralisme au passé de l'Eglise ; comment il éviterait de lomber dans ranarchie ; el COffi- bien peu il respectait Pie IX, chef d Etal, indocile à ses conseils. (( Je dirais volonliers des entreprises engagées par les caLholi- ques libéraux ce qu on a dit des Croisades : chacune, prise en soi. a échoué, mais tonles ont réussi. Doe opinion catholique libérale s' est fondée, eUe existe partout, elle grandit chaque jour un peu. )) Montalembert confesse done qu'H y a en des ent1'ep1'ises catho- liques libérales et qu'elles onlloutes échoué : Habernus confilenle1J 1'eum. Quant au succès général qu'elles ont obtenu, on ne peut nier qu'elles aient troublé les esprits, affolé des consciences, égaré une certaine portion de la jeunesse. Mais Rome, pour conlrecarrer ces entreprises, n'a épargné ni les con seils, ni les exhortations, ni les enseignements dogmaliques, Les libérau , qui se disent soumis à l'infaillible autorité, qu'ils conlesteront bienlût, o'ont rien entendu, II n'y a pires sourds, ditle proverbe, que ceux qui ne veulenl pas entendre. Et qu'on ne dise pas que ces frasques de Montalembert tiennent it son esprit exaJté et aventureux. La pelite église libérale con1ptaÏl une demÎ-douzaine d'apôlres. Sur six, cinq étaient à Malines; pas un ne désavoua l\lonLalemberL ; lous célébrèrent les hautes vérités pruclamées par' l'éloqucnl orateur; tous plaignirenlla France de nc pas posséder les liberlés de la Belgique; tons, à Malines et ail- leurs, dirent équivalemment la même chose que Jonta]en1bert. Le :u 53U CHAPITRE XX fait est lellement noloire, quïl est superflu d'en mulliplier les preu- ve . De tous, on peut dit'e ce que Broglie disait à Lacorùaire et ee que Lavedan disait de Dupanloup: la conciliation de la France moderne avec ses Iibertés, c'élaÌt sa pensée la pI us chère et l'un des thèmes favoris de ses insh'uctions. Je ne dis plus rien du second discours de Montalembert, conçu dans Ie même but que Ie précédent, pour innocenter la liberté des cultes, après avoir innocenté les trois au1res liberlés. Nous avons n1Ïeux. Après Ia publication du Syllabus, contradiction absolue et cun- damnation formelle des deux discours de Iontalembert à Maline:s, les Jésuites de la Civilta puLlièrent de nombreux articles, non pas pour adultérer, comme Dupanloup, Ie sens de ce document, mais pour en donner Ie vrai sens e1 justifier cetle juste inlerprétation. II faut entendre commenll\1ontalembert les ll'aite en 1868: (( Les jésuites de Rome, dit-il, prennen1 chaque jOllr a tåche en défendant I'Eglise, et Ie Saint-Siège, d'oul1'age'J' La l'a7'son, La justice et I' honneu1'. (( Je ne peux ni ne veux me taire sur les monsl1'ueux articles de la Civiltà callo/ica pubIiés en ceUe même année 1868 contre la liberté en géoéral et précisément contre les libéraux catholiques qui ont eu la naïveté comme moi de faire valoir e1 triompher à la tribune parlemenLaire Ie droit public des jésuites, au nom de la liberté. (( D'après les pères de Ia Civiltà cattolica, rEglise ne peut coexister avec aucune libcr1é moderne. C'esL M. Renan parmi Ies publicistes contemporains qui, toujours seion eux, a Ie pren1Ïer et Ie mieux compris la vérité quand il a procIamé, ùès 1848, que rEglise n'a jamais été tolérante et ne Ie sera jamais, e1 qu'un ca- tholique libéral ou un libéral catholique ne pouvait être qu'un hypocrite 011 qu'un sot. Nous autres qui en cette même année 1Rt8 et 18iU I'éclamions et ob1euions Ie droit d'enseigncr pour les jé:suiLe:s, comnle pour tons les au tres Français au nom de la li- berlé et de la toIérance, nous n'étions pas de bOflne fOl:, car aucun catholique libéral l1e peut êlre de Lonne foi ; nous sommes Ie juste LES CATHOLIQUES LIHÉRAU"\ A lALINES 5:31 objet de la dérision el des calholiques qui ne sont pas libéraux et des libéraux qui ne sont pas cathoIiques. (( Pour bien servir la cause catholique dans la seconde moilié du XIX e sièc1e, il n'y a rien de tel que d'étaler aux yeux de rEu- rope contemporaine toutes les théories et to us les exemples de persécution que 1'on peut découvrir dans Ie moyen âge et de les justifier en les pJaçant sous l'étiqnetle d'un pape ou d'un saint. Pour l'Espagne, par ex empIe, il raut avoir soin avec un à-propos divinatoire de remettre une certaine instruction de saint Pie V au nonce accrédité près de Philippe II pour déplorer la mollesse de ce roi dans la pOl1rsuile des hérétiques et pour insister sur la nécessiLé de leur infliger des châtiments temporels. (( En thèse générale, iI raut déclarel' tout haut et tout nel qll'il n'y a pas de liberté mod erne qui ne soil en elle-même u ne chose déréglée, pernicieuse, << mortplle en ses effels )), non pas la li- berlé absoIue et ilIimiLée, mais telle liberté en soi est une peste, une peste spirituelle el bien plus funesle que la peste corporelle ; Ie tout assaisonné de citations, de déflnitions et de dissert:Ùion:-3 lhéologiques, que l'on a parfailement résumées en bon français ainsi qu'iJ suit: (( II n'y a pas de liberté saine, Loute liberté esl une maladie; it n'y a pas de liberté sage, tou le liberté est un délire. II n'y a pas une bonne rt une mauvaise liberté de la presse, c'est toute liberté de la presse qui esl, en elle-même, essenLieHemenl mauvaise. II n'y a pas une bonne et une mal1vaise libel'lé de conscience, c'rst la liberté de conscience, qui porte en elle-même sa propre con- damnalion. II n'y a pas une bonne et :une mauvaise libel'lé des culLes. C'eslla liberté des cuIles qui doit lêtre réprouvée en elIe- même d'une manière absolue, el ainsi de suite pour toutes les li- bertés, toutes les franchises, tou tes les émancipations donl se glo- rifle la société moderne. ,( Sur quoi je remarqne que, f(uand rues contemporains et rnoi, nous avons réclamé pendant. vingt ans, à la Chambre des pairs, à la Chambre des députés el à I'Assemblée nationale, au profit de fEglise et spécialement < Celte longue citalion est extraite d'un long article SUI' l' E'spa- gne et la libel'té; cet article avaiL éLé composé pour Ie Cm'respon- dant ; Ie conseil d'administration, l'estimant pen sage, peu exact, susceptible peut-être d'aLtÌl'er les censures de Rome, refusa de Ie publiel'. Monlalembert en fit tirer une épreuve qu'il distdbna à des amis du premiel' degré, avec chal'ge de Ie faire connaîlre après sa mort. Un de ces exemplaires avail éLé remis au P. Hyacin- the; Ie P. Hyacinthe, devenu Loyson comme devant, publia cel article en 187G, dans la Revue suissp. ùe Lauðanne. CeL article fit esc1andre dans I'Eglise; pour ne pa taxer l\fontalembert d'héré- sie on de sédition, il fallaille croire fOll. Néanmoins Jules Morel en fit la réfutaLion, une des n1eilleures qu'il ail écrite. La Ineil- leure réfutaLion fut faiLe par la famine; elle actionna Layson de- vant les Lribunaux pour abus de confiance et outrage à la mémoire de l'orateur catholh[ue. Un jugemenL, conforme à a demanùe, atteignil Loyson. Trisle el lerrible extrémité! POU1' honorer Ie souvenir de Monlalembert, il faut supprimer ses derniers écrits el brûler, paraît-il, sa correspondance. L'homme qui avait diL: (( L'Eglise est une rnère ! )> avail écril, quelques jonrs avant son agonie: (( Du pape, on a fail une idole )). Pour aller du premier point à l'aull'e, il a faBu descendre bien des escaliers. Le calholi- cisme libéI'al avail Lué physiquemenl, inlellecLueIlenlent et mora- len1cnt ce pauvre :Montalemberl. 334 CliAPITRE xx. En présence de sa tombe nous ne voulon pas oublier ses servi- ces et taire sa gloire. A dix-sepl ans, ce His des preux, Ie premier de sa fanlille qui ne fut pas d'épée, roulail dans sa lête mille pro- jets d'entreprises grandioses: à yingt ans, il guerroyait dans uue aventure de la presse religieuse ; à vingt-trois ans il ouvrait une croisade contre Ie vandalislne dans l'art; à vingt-cinq ans, il renouvelait la composition historique de la vie des saints, et pre- nait, dans une assemblée souveraine, une place qu'iI ne devait céder qu'à la force; encore remplaça-t-il j usqu'à la fin la parole par la plume, ]e discours par Ie livre. Nature d'orateur et d'homme de guerre, mélange de feu et de fer, il ne pouvai1 être et il n'a été que soldal. COlnme Ie::; héros de la Jb'usalem délim'ée, tous ses coups ou\'rent nne large blessure ou em portent Ie mor- ceau; camme eux aussi ce fils des croisés ne guerroie longtemps que contre les fils de Voltaire. Trop heureux s'il \Ie se fû1laissé enlraÎner dans Ie jardin OÙ chantent les sirènes du libéralisme ; plus heureux eL dix fois plus grand, s'H ne se fûl, un jour, retiré sous la tenle e1 n'en fû1 sarti que pour cOlnbaUre ses compagnons llarmes. Nous avons done trouvé en lui-même et nous avons dû relever ses aberrations. Ce devoir ren1pli, nons rendons hom- mage au vaiHant champion de l'Eglise, au paladin qui mil son épée au service des faibles et ne se dévoua Ionglemps que pour les sainles causes (1.). (1) Lorsque Pierre Mabille était curé-doyen de Villersexel, Montalembert était avec lui en relations cordiales. A force d'in tances, il décida Ie curé franc- comtois à faire Ie voyage de Paris et lui otTrit l'hospitalité, )IabiHe tomba rue du Bac un jour que Montalembert recevait ses amis en soirée. Le bon curé, assis sur un canapé å côté de Madame, demandait naïvement Ie nom des visi- teurs et donnait naÏvement aussi son petit mot d'appréciation. Tout å coup, entre, brusquement et sans aucune forme de politesse, un prêtre que naturel- lement ne connaissait pas :Wabille: (( Et cet eCclésiastique, qui entre sans céré- monie, qui est-ce? - C'est, répond Madame, Ie mauvais génie de mon mari, c'est l'abbé DupanJoup )). CONCIJUSION Nous terminons ici ce volume. Non pas que la matière soit épui- sée; mais l'Histoire du catholicisme lilJf l'al doH -:;e continucr pl se compléter par l'IJisloÙ'e de La pcrsécution l'eligie11.se en J?rance. Nous n'insistons pas; nous n'ajoutons point: Jlanent opera inter- TUllta: nOllS ne les inlerromprolls pa une minute; ou plulót ce nouveau travail est à point comme éluùe; il n'aUenù que sa ré- daction définitive, chose aisée pour tout esprit informé et COIl- valncu. Dans ceUe conclusion, nous devons rappeler brièvemenlla con- duite des catholiques libéraux avant, pendant et après Ie Concile. En présence de ces grandes assises de la chrétienlé vous pourriez croire que Ie parti libéral se pÙma d'aise : c'étaÏt, à ses yeux, l'ouverture des Etats généraux de l'Eglise. Délrompez-yous. La magnifiq ue initiative de Pie IX lui arl'acha bien q LIelq ues acclama- tions de pure forme; mais, au fond, ce parli, ou plutôt cette fac- tion, qui est essenliellement parleuse, quand elle vit la parole don- née à l'épiscopat, se pril à trembler de tous ses membres. Au fait, la coterie française du catholicisme libéral n'est qu'une petite cha- pelle de La Roche-en-Brenil, une SOl'te d'église à huis-clos, donl Dupanloup est Ie pontife suprême et dont lous les évêqnes sont des laïq LIes, intelligents sans doute, mais qui ne se mesurent pas h leur condition. Ces messieurs senUrent, qu'au moment oÜ les vrais évêques allaient ouvrir la bouche, leur pourpre devait ins- tantanémenl se décolorer et même snbir une éclipse. Inde ir;e. Avant d'enlrer dans Ie I'écit de celle échaufl'ourée, derniel' effort du gallicanisme expil'anl, nons devons dil'e, au regard du Concilc, les dispositions de la France. Par France, nous n'entendons, ni Ie gouvernemrnt qui se montra plus l'évolutionnaire que calholiqufI :J3H CO C1USIO et plus allemand que français; ni ceUe faction libérale, provisoi- rement inféodée à Napoléon III, qui, lanlÔt yn1pathique, LanLÔL hostile au gouveenenlent, essayaiL, par Ie libéralisme, de nleltre la Inain dessus. Nous entendOIls par France, les catholiques, Ie clergé unanimement fiùèle et cet admirable épiscopat qui, tenté par la fortune, sollicité par un soi-disant génie, non seulemcnt sut résister à ceUe double séduction, mais rivalisa de zèle dans l'aflìnnation des dl'oits de la Chaire apostolique. A pad quelques exceptions, plus bruyantes q u'autorisées, l'é- piscopaL professait, quant aux questions du Syllabus eL à l'infail- libilité d Ll Pape, la doctrine des évêq ues d u monde enLier. Iais, en ce qui regarde la discipline, la situation des églises de France ne ressemblail point à celle des autres provinces de]a caLholicité. Ces églises devaient donc se promettre, des décisions du Concile, des fruils abondanls et sal u Laires. Ce point est d'une telle gravité, qu'on peutl'appeler une question de vie et de IDort. Depuis Ie Concordat, la situation du clergé français est excep- tionnellr., non seulen1enl dan ses rapports avec Ie rgouvernement, mais dans sa discipLine intél'iezlTe. Le droit canon n'existe plus en France; il s'y renconlI'e encore peut-êlre deux douzaines de cano- nistes. En pratique, il n'y a plus de droit pontifical. L'aholitiun des bénéfices, la spoliation des biens du clergé, Ie lraÏlen1ent assi- gné aux cnrés par l'Etal sonlles principales causes de l'oubli dans lequelle droit canon est tombé. On a cessé de l'étudier Ie jour OÙ i\ n'a. plus été d'aucune application pratique. Les fidèles, les prt.- tres et même un certain numbre d'évêques se préoccupenL vive- menl de cel état irrégulier, cause pel'InanenLe de faiblesse, et pa['fois prétex Le à violence. En conséquence, l'adminisll'alion épiscopale s'exel'ce SUI.' Ie clergé, presque exclusivement, par des décisions ex infonnata consC'ientia. Les nombl'eux recours à Rome, qui ont eu lieu depuis cinquante ans, 1'0nt faiL com prendre, et, en mênle temps, ont prouvé, plus d'une fois, que les formes solennelles, très simples d'ailleurs, que Ie droit exige dans ce genre de proc dure, n'avaient élé omises que par ignorance. L'hisLoire attcste n1ême quP de- CONCLUSION 537 puis Arvisenet, auteur du JUernoriale vitæ sace1'dotalis, jusqu'à l'auteur (de ceLLe hisloil e, it y a, en France, un mal'lyrologc du clergé, une lisLe de prêLl'es immolés par la passion, non pour des torts ùe conduile personnelle ou des défauts de geslion pastorale, bien moins encore pour des erreurs de doctrine, mais uniquement pour la probité de leurs convictions, l'éclat de leurs æuvres et l'élendue de leurs services. Sous un régime si funeste, les églises ne peuvent que dépérir. Dans cette situation lamenlable de l'inamovibilité ad nUlll1n des succursalisles, on voulait, à peu près unanirnement, un retour au régime du droit établi par Ie Concile de Trente et actualisé depuis pal' les décrels des congrégations pontificales. On ne peut pas se faire, parmi nous, à l'idée d'un prêtre irréprochable, en fonction depuis quarante ou cinquanle ans, louable dans son ministère, plus louable encore pour les æuvres de son initiative privée, qu'un vicait'e général de fortune destituera un beau maLin, n 'appellera pas à d'autres fonctions, privera des prérogalives curiales, mena- cera même de lui relirer Ie dl'oit de monter à Paulel et de porter ]a sainte roLe du sacerdoce. On ne peut pas, dis-je, s'habiluer à de si nlonsLrueux excès ; ou s'ils passaient indemnes, on poul'rait dire: Jam fa tel: la putréfaction commence. Les lecLeurs de celle histoire ne peuvent pas ignorer que les cathoJiques de Prance se divisent fllalheureusement en ùeux par- lis: les calholiques sans épilhète el les catholiques libéraux. La population des campagnes est étrangère à ces divisions; la popu- lation des villes en subit plus ou moins l'influence. Des sentiments divers, sinon opposés, agitaient les deux partis. Quant aux væux relatifs aux opérations du Concile, les catho- liques purs, les vrais catholiques désiraient la définition uogma- lique de l'infaillibilité pontificale et de l'assomption de la Sainte Vicrge; la mise en forme positive des condan1nations du Sylla. hus ; eile retour à ce droit canon qui éclaire pal' sa doctrine et f( conde par sa vel'lu. Pour com p.'endre ces pressen timen is, il n 'est pas nécessairc ùe I'appeler les granùs travaux Je Lamcnnais, de Gous el, de Guéran- 3H CONCLUSIOi\ gel', de Gerbet, de Parisis, de Bouix, de Rohrbacher, et de tant d'aulres que je ne nomme pas, mais que personne n'oublie. II suffirait de lire, au Pontifical, les cérémonies dl1 sacre des évêq ups, sur10ut Ie serment qui les lie au Souverain Pon1ife. 11 fauL assul'é- rnent beaucoup de subtilité, po ur concilier ensemble)e lex le de ce serment avec les confusions du libéralism et les trahison:5 de l'opportunisme. L'épiscopat français, représenté par la majorilé de ses mem- bres, s'unissait au Pape avec une parfaite unanimité de cæur et d'esprit. L'épiscopat élait avec Pie IX condalnnant les propositions du Syllabus; avec Pie IX invoquanlles saints et les martyrs qu'il canonisait; avec Pie IX rappelant aux princes chrétiens leurs de- voirs sacrés; avec Pie IX affìrmant la pleine puissance que Ie Pape a reçue de Jésus-Christ pour paîlre, enseigner, régir l'E- glise universelle; ayec Pie IX exerçan1 sa pléni1ude d'au1orilé pour faire des lois et en dispenser; avec Pie IX maintenanl au Papr le droit de convoquer, de présider et de confirmer les conciles. L'épiscopat, de cæur e1 d'esprit avec Pie IX. c'étailla condamna- lion des doctrines de 1682, du libéralisme et de tou les les pré- tentions surannées du particularisme français. Vne France nou- velle devait sortir des décrets du Vatican. Vne série d'actes épiscopaux, dont Ie tome XIVe de Rohrbacher, édition Vivès, reproduit les tex1es, aLteste cetle unanimité morale des évêques et leur espérance. Henri Plantier de Nîmes et Ie prince de la Tour d'Auvergne, archevêque de Bourges, composent deux ouvrages dans ce but. Un autre prélat réfute les crainles des libéraux à propos du Concile. René Régnier de Camhrai et Godefroi de Brossais-Saint-Marc de Rennes, se rangent dans la ca1égorie des ultramonlains fougueux, qui conlmence à S. lrénée, se continue par S. Jérolne, S. Augustin, S. Ambroise, S. Thomas, ßellarmin et toutes les école catholiques jusques e1 y compris S. François de Sales, S. Alphonse de Liguori el Fénelon. Pierre 1\1abille de Versailles, salue, dans Ie concile, I'obstacle providenliel aux des1ructions révolutionnaires. Eusèbe Caverol de Saint-Dié, Charles Fillion du Mans, LéonarJ Ucrtaud de Tulle, La llouillerie CONCJ.-USIOl\ 539 de Carcassonne, par des considérations diverses abondent dans Ie même sens. Autrefois Soardi, BarrueI, Villecourt, Gousset avaient recueilli les ténloignages des évêques français en faveur de la principauté des Papes; sur Ie seuil du Concile, nos évêques ren- dent presque tous de semblables tén10ignages. Tous les siècles en France sont d'accord sur ce chapitre; la Scolaslique et les P&es confirment cette unanimité ; Bossuet même, malgré les appa- rences, n'y fait pas exception. Le premier qui vient jeter, dans ce concert, une note discor- dante, fut Ie P. Hyacinthe. C'étaÎt un ex-Dominicain, devenu Carme déchaussé et qui se déchaussa, en effeL, jusqu'à se montrer sans culolte. De son nom de famille, il s'appelait Loyson, nom bien approprié à ses dispositions d'esprit, surtout à son défaut de fixité et d'équilibre. Nature d'ailleurs éloquente, qui eût pu, sous une forte direction, faire Ie bien, cet enfant gâté du libéralisme, con- férencier à Notre-Dame, excellait surtout à dire des mots compro- meltan ts et à lancer des boulets dans la flotte catholiq ue. C'est bien de lui que viennent ces phrases retentissantes: (< L 'organisa- tion politique du Christianisme s'écroule dans Ie sang el dans la boue )) ; - (( Si 89 n'existait pas, il faudrait l'inventer " ; - {( C'est un fait éclatant qu'il n'y a de place au soleil du monde civilisé que pour trois sociétés religieuses, Ie calholicisme, Ie protestantisme, Ie judaïsme )) : à cela près qu'elles représentent des civilisations peu d'accord ent.re elles. -- Pour ces paroles désaslreuses et pour Ie laxisme de son enseignement, Ie P. Hyacinthe ayaH été repris, plusieurs fois, par Ie préposé général de son ordre. Le 20 septenl- bre lS69, illui répondit qu'il descendait de la chaire de Notre- Dame, pour n'y pas porter une parole faussée par un mot d' ord1'e ou mutilée ]Jal' des 'j'éticences ; q u'i! sortait de son COl1ven t deven u, pour lui, une prison de l'ârne, cessail de dire la messe et jetait Ie frac aux orties ; que restanl d'ailleurs prêtre, il proleslail conlre ces doctrines et ces pratiques, qui se disenl1'omaines, ITlais ne :-5uot pas ch,'ptipnnes, et qui, dans leurs envahissements toujours plus audacieux et plus funestes, lendent à changer la constitz1ti.on de l'Eg-lise, Ie fond COlnme la f01'mr df' son enseignen1cnl eL jusqu'à 540 CONCLUSIO l'esp1'il de sa piété ; qu'iI s'insurgeait enfin contre l'opposition de plus en plus radicale de l'Eglise catholiCfue, à la nafU're humaine, à la sociélé mode;'ne et au vél'itable Evangile de Jésus-Christ. - CetLe apostasie fit esclandre; elle réjouit les libres-penseurs et aUéra les catholiques libéraux. Dne fois évadé de son couvenl, ce ridicule personnage ne sut plus se fixer à rien. On Ie voyait anx quatre points cardinaux, très elnbarl'assé de lui-rnême, très em- barrassant pour les autres, muItiplian1les écritures frivoles, pour justifier son cas. Pour faire une fin, - la fin ordinaire des apos- tats, - Loyson aùressa, au pape, un mémoire sur les cinq plaies de l'Eglise, notarnment sur Ie célibat et pdt femme. Prêtre marié, il s'aboucha successivernent avec les anglicans de Henri VIII, les jansénistes de Hollande, les schismatiques d'Orient, les H ussites d' Allemagne et les athées de Genève. Depuis, it est devenu reli- gionnaire en chamhre ; ne pas confondre avec la boutique en face. Beaucoup de bruil, beaucoup de mouvement pour rien. Loyson est mort; n'en cherchez pas la cause, c'est un suicide, pour cause de catholicisme libéral. Au moment oÙ Ie P. Hyacinthe paraissait e1 disparaissait, comme une fusée ridicule, se publiait, en deux gros volumes, un ouvrage intitulé: .Du Concile géné1'al el de la paix 'J'eligieuse. L'auteur était Mal'et, évêque de Sura in pal'tibus infidplÜan et doyen ecclésiasli- que de la Facullé civile de théologie, in pa1'tibllS S o1'bonnic01'uUl. Cet auteur, relativement fécond et trè étudié, avait mal'qué dans les lettres chréliennes: c'élait un de ces auteurs savants etlourds qu'on eslime (]'autant plus qu'on les lit moins; à la lecture, ils per- dent leur prestige. En faisant, à ces écrits, une juste part de Iou an- ges, l'équilé oblige à certaines réserves. L'Essai sur le panthéisme affecte une logique à outrance, qui a permis à l'adversaire de con- tester, non sans rai on, la victoire. La Théodicée chrétienne con- tienL plusieurs passages, qui, d'après un bon critique, Adolphe Peltier, s'écartent sensiblement de la théodicée catholique. La Dignité de La 'J'aison hU'lnaÙze témo}gne certaines complaisances, assul'ément fort habiles, mais qui ont appelé les observations de dom Guérangel' et éveillé, j usqu'à Lou vain, des oluhrRges, En 18-18, CONCLUSION 5il l'auteur censl1ré, devenu rédacteur de l'b"'re nouvelle, lrébuchait sur ]a question des rapports du Chrislianisme avec la démocratie. Maintenant 1e démocrate, évêque refusé, chanoine sinécuriste de Saint-Denis, dignitaire de l'Université impériale,revendique, pour Napoléon III, des prérogatives abandonnées par Louis X]V, et ré- clame, entre autres, pour les métropolitains, Ie droit d'instiluer les évêques. On voil percer Ie bout de ['oreille. Autrement, ce bon apótre veut procurer la paix religieuse. !lien n'est plus précieux que la paix. Au milieu des anxiétés du dedaus et des combats du dehors, il est douteux qu'on l'oblienne par des variantes sur la déc1aration de 1.682, - qui touche de prè8 à 89 - dout la défense a été déjà vainement composée par Bossuet et La Luzerne. L'auteur, il est vrai, édulcore Ie gallicanisme, Ie réduil à sa pJ us simple expression, à son minimum de réserves; au fond, H veut signer la paix en réfol'mant la constitution de l'Eglise. La théorie, soutenue dans les lourds lomes de Maret, se l'amène à ces deux propositions: 1. 0 Que Ie pape, à la vérilé, est souverain infaillible de l'Eglise, Inais seulemenl par l'accession des évêques : c'est un roi dont la souveraineté dépend de ses sujets; 2 0 Que, pour assure. à Ia souveraineté épiscopale son exercice régulier, il faut revenir à la décennalité des conciles. Thèse contraire à i'E. vangile, insensée jusqu'à l'absurde, hérélique, schismatique et propre seulement à favoriser l'apostasie des nations latines. \vanl sa publication, l'ouvrage, qu'on disait patronné par I'Em- pereur, théologien dont l'approbation courail risque de compro- meUre la lhèse, avail encou ru les éloges flélrissants des feuilles officieuses et les j ustes réserves de l' Univel's. Entre temps, des maHos s'étaient fait un jeu de contester à févêque in I}artibus, Ie droit d'opiner dans les concHes. Après la mise au jour des deu, volumes, les réfulations vinrent de divers cótés. Dans l'épiscopat, Louis-Edouard Pie, Henri Plan tier, Edward l\Janning et Auguste Dela1le criblèrenl Mal'el de flèches victo.'ieuses. En dehors de l'épiscopat, Ie jésuite Hamièrc, Ie P. :\fatignon, dom Guéranger accablèrent ce revenant dl1 conciliabule de I3Ù.le. Finalen1ent, Ie concile condarnna ilnpliciLemenl Marel par ses définilions, el r>4 CO CLUSIO Maret duL pour' ne pas LambeI' sous les censures, réprouver son ouvrage. (( llelle retraite, disail Napoléon, mais c'cst une re- traile. >) AlaI's entre en scène Ie plus g1'and évêque du XIXe siècle. Dès l'annonce du concile, Dupanloup l'avail salué, non comme un couchant. mais une aurore qui devail, sans doule, amener son so- leil au zénilh. Depuis, suivant sa nalure ardente et rusée, il avail agilé Ie monde enlier par sa correspondance et visité personnelle- menllps bords dn Rhin et l'AUemagne. Le résullat de cette agita- tion avait été, en Allemagne, Ia formation de comités Iibéraux; les adresses de Mayence, de Coblentz el de Bonn; cette campagne diplomalique de la llavière ; et divers écrits de Doellinger, d'où sorlira bientôlla secle des vieux calholiques ; el, dans tout l'nni- vel'S, celle pelite brochure qui fut publiée simultanément dans toutes les langues, pour couler bas la définilion de l'infaillibililé, broch ure dont Ie seul effet sera de trou bIer la paix du monde et d'amener un schisme en Orient. Après avoil' beaucoup agité Ie monde par d'aulres, Dupanloup pal'taul au concile vel's la mi-novmnbre, voulut l'agiter par lui- mème, tout en prolestant, selon sa coulume, qu'il n'écrivait que puur calmer. Coup sur coup il publía deux brochul'es, l'une contre 1'0pportunHé d'une définilion dogmalique, l'aulre contre . Veuillol, qu'il voulail, on ne sail pourquoi, pul vériser pour la dixième fois. Sans loucheI' au fond de la question lh ologique, Ie prélat voyail à l'opportunité, mille difficuUés: 1. 0 DifficuItés lirées de la nécessité de définir les conditions de l'acle e,T cathedra, tous Ie=:; actes ponlifi aux n'ayant pas ce caractère ; 2 0 difficulLés tirées dl1 double caractère du Pape, considéré soit comme docteur privé, soil comme pape; 3 0 difficultés tirées des multiples questions de fait qui peuvent se poser à propos de tout acte e,T cathedl'a ; 4 0 dif- ficullés lirées du passé el des fails hisloriques; 50 difficu1tés lirées dll fond même de Ia question; 6 0 diffìcuHés enfin ti,'écs de rétat des esprits contemporains. La leth'e à Veuillot rabâche SUI' ces mêmes questions; ce n'esl plus que l'effel d'une monomanie Ie suivre ùans sa I'ésistance à Home. Le bruit en avait COUI'U en eifel; Pie IX, qui ne I'igllorait pas, avait fait préparer une bulle d'excommu- nicatioll ; et, parlant de Dupanloup, Ie chef de la bande, il disait : Sara colpito. 5 4 CONCLUSION digressions sur Libère, Vigile el Honorius, Ie 'J'omanisnw insensé de l'infaillibHité privée du pape, les di.fficultés illusoires sur la posi- lion des évêques après la définilion et J'inutilité ulLérieure des con- ciles. Sur Ie lroisième point, sans contester q u'H y ail au dog me de l'infaillibilité des profondeurs théologiques, il croil cependa nt facile de Ie ranlener à trois condiLions : les définiLions ex callie d1'â viennent du pape comme pape; eUes proposenl à croire, comme dogme de foi, une vérité contenue dans Ie dépôl de la révélalion. Ceci est, en eITel, très clair; pour se dérober à ces évidences, il faut avoir failles ténèbres dans son âme ou s'êlre enveloppé la têle d'une épaisseur de toiles d'araignée. Cette lettre de l'archevêque fut, pour Ie P. Gratry, l'occasion d'enlrer dans rarène. Elève de l'école poly technique, devenu, par la grâce de Dieu, prêtre de Jésus-Christ, il avail élé l'apôtre de la jeunesse, l'adversaire des sophistes allemands, el, pour son comple, un philosophe idéaliste, auteur de deux écrits sur la connaissance de Dieu et la connaissance de l'âme. CeUe âme contemplative et douce avait un fond de naïveté ; à force de regarder les étoiles, Ie bonhomme tombail parfois dans Ie puils et faisait rire les témoins de son aventure. Ci-devant oratorien, ci-devant chérubin du con- grès de la paix, ce reIigieux vol age avaH eu jusque-Ià Ie défaul unique de vouloir embrasser tout Ie monde ; maintenanl il dégaî- nailles deux épées qui ceignaient sa robe cléricale d'académicien ; et, pour prouver qu'il était homme de prière et de paix, iI s'appli- quait à dévaliser la lradition; il allail j usqu'à ravager son bré- viail'e. Uyez les preuves. Marel et Dupanloup avaient été battus, c'est certain. Commenl s'y prendre pour les Lirer des abîmes de la con- fusion. Le P. Gratry, monlé sur un grand cheval de balaille, af- tirme que les adversaires ont travaillé sur des documents faux, ef, pal' conséquent, leur argumentation tombe. (( je parle, dil Gralry, de falsifications proprement diles, d'interpolations, de mutilations f1'auduleuses, introduites dans les texles les plus certains et les plus respectables. Je dis qu'il y a une école d'apologétique, OÙ He trouvent des saints et de très grands esprits, lesquels ont été CONCLUSION 545 lrompés par l'aveugle passion d'un certain nombre de théologiens, par]a rnédiocre honne foi de plusieurs, par des mensonges p ' i'Op1'e- ment dits el par des falsifications sciemmenl }J1'atiquées. II faut tout cela pour expliquer ce que dit et imprime ceUe école... Depuis des siècles, l'école de dissimulation et de mensonge travaille à étouffer l'histoire révélalrice du Pape Honorius. On supprime l'antique nréviaire romain du VIle siècle. On supprime Ie Libe1 Ðiu1'nus.. .Jamais il n'y eut, en histoire, une plus {ludacieuse fou1'beì'ie, une plus insolente supp1'ession des fails les plus con idérables. Le men- songe profitera-l-il à Dieu, à l'Eglise, à la papanté? Tous ceux qui, . malgré ces raisons el ces fails, pourraient prononcer dans les ténè- bres, en rendron t com pte au tribuna] de Dieu. Pour moi, je crois t.rès fermemenl écrire ceci par fOI'dre de Dieu et de N. S. Jésus- Chri::;t-, par amour pour son Eglise. Les derniers des hommes peu- vent recevoir des ordres de Dieu. J'en ai reçu, et, pour obéir, je souffrirai ce qu'il faudra souffrir. >> . Cette première leUre esl suivie d'une seconde sur les fausses uécrétales, d'une troisième contre une bulle de Paul IV, d'une "quatrième où 1'on revient sur Honorius. Entre temps, l'accusateul' nous apprend qu'ils travaillent, qualre ou dnq, depuis six mois, sur les textes; qu'il n 'est, lui, que le Pascal de ces nouvelles pro- vinciales, expédiées d'Orléans à tout l'univers, mais aux frais de la boîte à Pé?'ette du libéralisme. Ce scandale surpassail l'apostasie du P. Hyacinthe; il fut ac- clamé de tous les impies. Les bénéficiaires de I'envoi réclamèrent conlre l'injure. Le controversistes découvrirent, dans les écrits antérieurs du P. Gralry, des passages qui réfutaient ses leUres. L'archevêque de Malines répondit avec une grande mansuétude et une grande force de doctrine. Le P. Gralry eut, dans la lice, d'autres adversaires, non moins décisifs : Joseph Chantre], Théo- dore Rambouillel, Amédée de .Margerie, et surtout dom Guéran- gel', qui fil loucher du doigt la honteuse ignorance de Gratry (1). (I) Je veux Doter ici que, parmi tous ces iusulteurs du Concile et de l'Eglise depuis Ie Concordat, aucno n'a été dans sa personne, l'objet d'une rigueur quelconque. On a pu réprimer leurs excès,on ne les a pas frappés autrement,ni 35 54n CONCLUSIOi' Les évêques si sottemrnt admonestés, répondirent it l'atlaque, par des censures. Le premier qui parla, par la plulne de Freppel, fut Ie pieux André RoesE', évêque de Slrasbourg, Ordinaire de l'auteur. Après lui, Eust"be Caverot, Flot'ian Desprez, Delalle, Fil- lion, GérauH de Langalerie, Louis Nogret, .Joseph LequeLte portè- rent, dans des formes différenles, des condamnations semLlable3. Dans leurs nlandements, iIs réprollvent ces lettres comme inj u- rieuses à rEglise romaine, contraires à I'enseignemenl tJ'adition- nel des écoles, dangereuses surtout pour les fidèles, parce qu'elles présentent, SOllS l'apparence d'une fausse érudition, des objections cent fois réfutées, sans rien dire des réponses faites par les plus graves théologiens, sans rien dire des textes des Ecritures, des concHes et des pères qui montrenlla question sous son vrai jour. Le P. Gratry mourul en 1872; avant de rendre Ie dernier soupir, it avail rétracté ses leUre et s'élait souolis aux dècr'ets du YaLi. can; en termes un peu couds, mais il ne faut pas h'op demander à un homme d'esprit qui caUBe falniJièrernent avec les étoiles. Le P. Hyacinthe étail passé comme un méléore, espèce de feu follet sorli des marais pour y retomber sans retour; l'évêque de Sura avec ses VOlUl11eS sur les concHes d'Ephèse, de Chalcédoine, de Constantinople, n'avait exercé aucune influence sur l'opinion ùans leur considération, ni dans leur fonction, ni dans leurs intél'èts. A u con. traire, tous les prêtres, auteurs de livres, qui ont été frappés dans leur per- sonne, 1'0nt été pour des ouvrages consacrés à la défense des bonnes doctrines et surtout des doctrines romaines. Je cite ici, parmi les plus illustres, Arvise- net, Lamennais, ]es frères ABignol, Ie docteur André, Gridel, Maire, Bergier, Gaume,Thiébaud, Jacquenet, Rohrbacher,Combalot, Migne. Ségur, Bouix, Davin, et une quinzaine d'autres qu'il est superflu de nom mer pour faire ma preuve. Ce fait prouve deux choses: 10 Que la vérité est seule tolérante et ne persécute jamais personne, elle se .borne à empêcher de faire]e mal; 20 que l'erreur esl essentiellement intolérante, et que, dès qu'elle se sent en force, école, parti ou secte, elle Hent å manifester sa puissance en suppl'imant ses adversaires, en les injuriant, surtout en les empèchant de parler. Le droit de parler. très pré- conisé des Jibéraux, au point qu'ils l'inscrivent dans la constitution et en font l'élérnent privilégié du parlcmentarisme, ne leur paraît acceptable que s'il leur assure les immunités de monologue et empèche toute critique. L'objet qui leur pIaU Ie plus, c'est l'encensoir, pour eux, et, pour leurs adversaires. des chaines ou Ie bâillon. CONCLrSION 5t7 el s'élait fait batLI'e affreusemenl par ses acl.versaires; l'évêque d'Orléans avaH élé très propremenl remis ù sa place, d'où il intri- guera j usqu'à la fin ; Ie P. Gratry, de cette échauffourrée malvenue, avail fait une débauche d'insolence et une orgie d'ignorance. Toul cela est tombé : Peri it Cll1n sonitu. Le parti cathüliq ue libéral est en pleine déroute. Les cheîs ec- clésiasliques ont lous payé de leur personne; leur intervention aboutit à une défaÍle presque ridicule. Cette déconvenue nf fait pas Ie cornple du parti. Celte armpe, OÙ ron compte plus de généranx que de soldats, plus de laïques que de gens d'Eglise, vaincue sur Ie champ de balaille, ne peut plus se relever que par un coup de Jarnac. El comme il est plus aisé d'inlriguer que de raisonner ; que les intrigues sont moins périlleuses que les argu- Inen ts et souvent plus profit3.bles, la coterie cherche, comme au- ll'efois les Ariens, à se faufiler avec un iota frauduleux el à en trainer les esprits sans les éclairer. Le plus grand assembleur de nuages fut Ie prince de Broglie, ambassadeur manqué de l'Empire au Concile. Par ['article mani- fesle du C o1'l'espondont, Ie., octobre 18()9, il salue, dans Ie Concile l'Eglise déliv1'ée de ses enll aves et rendue à la plénitude de ses 01'- ganes; il lraile longuement de l'OPpOl'[1.lnitr; il prône fort l'aulo- rité des grands sÙ ges ; il revendique, pour les décrels à intel'venit', l'unanimilé morale. Bref, ce français, mêlé de sang genevois, ce calholique qui tient par ses origines an protestantisme, dresso Ie progl'amme de ['upposition; iI met debout toutes les rrJachinrs qui manæuvrent successivemenl conlre l'infaillibilité à définir. Broglie, c'est Ie fondateul' de 1& Sodéir5 des bâtons dans les 1'OUCS du char de l'Eglise. Après Broglie, Fallollx; monarcbisle, il n'esl pas avec Ie roi catholique, il n'est pas avec Ie pape; c'est un fusionniste, un co- cardiel', habile à distiller quelques gouUes de poison dans rOl'goat de son eloquence. .A ce moment soJennel, il a un mot Lopique, publié ùans la Ga:ette d'Augs!JOlll'g: (( L'Eglise, comme fa sociélt civile, a besoin d'un 8U )). 1\Iot habile, phrase où se trouve con- densé ]r J ibéralisme et qui pout causer tIe grands ravages. Pip IX 548 COJS'CLUSION en est informé; il prend sa verge vigilanle et fustige la phrase impie: (( Qui a dit qu'il fallail, à l'Eglise, son SÐ; celui-IÜ, quel qu'il soil, a bIasphémé: je Ie COUVI'C de mon analhènle. >>. Le fouel du pape avail nlarqué la figure du Llasphémateur; il disparut et nia son ca:s. Le pire fut Montalenlbert, mourant, ràla.nt déjà l'agonie, il déclame encore contre l'idole du Vatican. (( Janlais, écril-il Ie 28 février 1870, huiljol1rs avant sa mort, jamais, grâce au ciel, je n'ai pensé, dil ou écrÏl rien de favorable à l'infaillibilité person- nelle et séparée du Pape, telle qu'on veut nous l'imposer ; ni Ù La théoc,>alie ou à la dictal1tl'e de l'Eglise, que j'ai réprouvée de lnon Inieux dans l'Histoire des moines d'Occident ; l1i enfin à eet ahsolu- lism,e de Rome dont j'ai contesté l'existence, même au moyen Age, tandis qu'il fornle aujourd'hui Ie symbole et Ie programme de la (action dominante parmi nous. Je sens queje cornbatt,'ais enC01'e, ce que je comballais alors. C'est pourquoi je saIue, avec la plus re- connaissante admiration, Ie grand évêque d'Orléans, puis Ie prêtre éIoquenl et intrépide, qui ont eu Ie coul'age de se metlre en travers du torrent d'adulation, d'i1npostu'>e et de sel'vilité, üÙ nous risquons d'être engloulis. Je n'ai qu'un regì'et, e'est d'être · empêché par Ia maladie, de descendre à leur suile dans l'arène. Je mériterais ainsi ma part dans ces litanies d'injutes journellemenl décochées contre mes illustres amis, par une pm'tion t,'op nom- breu,c;:e de ces pauvres prêlt'es qui se préparent de si tristes desli- nées )>. - Voilà Ie dernier mot du pacte de la Roche-en-BreniI, Ie commentaire de lïnscription par son auteur. Et notez que to us ces rabâchages, insipides jusqu'au dégoût, faux jusqu'à l'absurde,des Hyacinthe, desl\1aret,des Dupanloup, des Gratry, des Broglie, des Fálloux, des lontalembert, trouvent des échos complaisants parmi les savants exclus du concile. En Alle- magne, Doellinger, caché sous le nom de Janus vomit contre I'E- glise romaine les plus infàmes calomnies; en Angleterre, e'Yman se borne au rt)le de sophisle et de jongleur POUI' n1euler les mas- ses eonlre l'Eglise. Au-dessous de ces enlraîneurs, il y a une nuée de pamphlélaires anonymes, de eorrespondanls anonymes, de ré- CONCLUSION 549 dacLeurs anonymes des feuilles Iibérales. Le monde catholique est envahi par to us les nuages du mensonge; c esl une tempête qui voudrait être un cyclone, lempête où, selan la fine remarque de Pie IX, l'homnJe et Ie démon font jouer toutes leurs machines pour rendl'e plus éclatante la vicloire de l'Esprit de Dieu. En France, foyer du libéraJisme, Ie déchaînement csl plus fu- rieux qu'ailleurs. Les paladins du parti ont juré l'exlern1in3- tion de l'infaillibilité pontificale el du Syllabus dont ils ont fait l'horreur des classes dirigeantes et l'épouvante des masses. A ()r- léans l'infalualiou et lïdolàlrie sout à ce point que les doigts déli- cats des grandes dames lissenl une chasuble Oll Dupanloup., sousles trails de rarchange saint Michel, terra sse un démon qui n 'est pas en enfet' et I'archange lui-même fera faire un livre oÙ Ie pontificat de Pie IX, présenté comme c1'ise de l'E-'glise, pet'met de craindre que I'Eglise ne succombe enfin. Contre l'EgJise de Rome, Ie gouvernement libéral est d'accord avec toutes les opposilions qui veulent la détruire; ses journaux encouragent les masses populaires; ses ministres sourient aUJ\ coups de leurs ennemis. Le Memorandum-Dal'u montre que no grands poliliques fonl chorus avec les allemands, demain envahis- seurs de ]a France. Dne circulaire de Bufi'et dénonce la monnaie du Pape comme fansse ; et cette monnaie, fabriquée en Franre, d'un titre supérieur à la nôtre, est répudiée, pour que Pie IX en- coure l'injure de faux-monnayage. L'archevêque de Paris, Ie grand aumônier de l'Empereur, écrit itérativement à Napaléon HI, pour demander Ie retrait du corps d'occupalion française, pour calom- nier Ie Concile, peser sur ses décisions et ouvrÍl' à la Ré\'olulion les portes de la cilé sainte, terme fatal de la conspiration ourdie entre ]e Piémonl ella France, tous deux organes souverains d u libéralisme. Pendant que la tempêle se déchaîne contre la barque de PierrE', Ie Concile poursuil ses délibérations et porle ses décrets libéra- teurs. TOllS ces ners parangons de libéralisme, qui voulaient l'cm- pt'cher d'agir, rentrent sous Lerre pour un temps, puis se sOllmrl- tent en grima<:ant un ppu I'expression de leUl' dociliLé. On les vcrra 550 CONCLUSION bien encore se montrer parfois, pour écarter les pétitions en faveur du Pape, pour laisser disparaitre des eaux de l' Adriatique la fré- gate qui pourrait servir de refuge au souverain ponlife el pour empêcher la restauration de la monarchie. Vains f'fforls, impuis- santes rancunes t Le catholicisme libéral est vaincu et les décrels définÏloires de l'infaillibililé ùu ponlife romain régissent désor- mais sans con teste Ie monde orthodoxe. Dès lors, Ie libéralisme n arfiche plus de prétenlion à l'orlho- doxie : il ne figure plus, chez ses partisans que comme disposition d'esprÏl conciliateur; chez les libéraux purs, il se déclare, au COll- traire, inconciliable avec Ie catholicisme, el s'aulorise de cetLe dé- claration pour persécuter l'Eglise, Spectacle bien fait pour conver- tir les catholif{ues libéraux, si Ifllu' opposition à la vérilé ne venait pas d'un défaul de vertu ! La doctdne libérale qu'ils voulaient as- socier au christianisme, pour régler, par ce mariage, l'avenir de la civilisation, cette doctrine se dit inconciIiable avec l'Evangi1e et veut, par la ruse, plus lard par la force, l'effacer de la terre. Les destinées de la France se poursuivent, depuis vingl ans, sur ce théâtre de combat; elle foul'nissent la matière d'une histoire de la persécution en France, par les forces combinées du libéra- lisme. Ce fait écrase sans relour les illusions du catholicisme libéral. 1 1 ,,\BLE DES 1.A_ TIÈRES Pages INTRODUCTION. - Filiation des erreurs dans l'humanité aboutissant au libéralisme. . . . . . .. 1 1. Ce qu'esl en soi Ie libéralismc. - II. Trois principaux systèm(' d(' IihéraJisme. - III. Condamnation spécifique du libéralisme sons tou- tes ses formes. - IV. Des prètres infectés de libéralisme. - V. De Ia conduite du pape et de la nôtre au regard du libéralisme. CRAPITRE PREMIER. - Origines hétérodoxes du libéralisme. 23 1. Première manifestation sons Philippe-Ie-Bel, Bulle Unarn sanelarn. - II. La Pragmatique-Sanction de Bourges. effacée par Ie Concordat de L( on X et de François ler. - III. Premières formulcs des Jihertés dc l'ÉgIise gallicane par Pithou, Dupuy et Servin, rt futée par Ie cardinal Duperron. - IV, Essais de définitions dogmatiques par Richer et par l'assembIée de 1682. Résultats génpraux. CHAPITRE II. - Comment Ie libéralisme moderne est une ag- gravation de l'ancien régime. . . . . . . .. 58 Opposition et idel1tité de l'absolutisme el du libéralisme. - Du système parlementaire et de la difmrence de ses assemblées avec les anciennes assemblées de 1a monarchie chrétienne. - De l'hétérodoxie du systènw parlementaire en 178fJ et de ses aUentats successifs contre rÉglise. jus- qu'å nos jours. CHAPIrRE III. - Lamennais et la première formulation du catholicisme libéral. ,. ........ K1 lliographie de Lamennais. - Ses id6es consignées dans d('ux onvrages. - Comment l'Église, suivant Lamennais, ne pent s'aHier avec Ie pou- voir politique. - Comment Ie libéralisme justifif' les anathèmcs de Lamennais. - S)1stème de stratégie défensive après 1830, par adoption (les id{.es con titutionnell('s tournée contre leurs inven(eurs. - La cam.. pag-ne de l'Al!CnÜ'.-Sa condamnation par l'Encyclique 1\Iirm'i '1'OS. 552 TABLE DES MATIÈRES CIL\PITRE IV, - Comment la situation prise par Lamennais, se continua jusqu'en 1848. . , . . . . . .. 124. La tléfense de l'Église par Ia revt'ndication de la liberté tl'enst'ignement. - Campagne fondée sur Ia charte de 1830, prise commt' argument dl' droit public et de bonne Iogique. - Recueil des actes (>piscopaux. - Grand ròle de Mgr Parisis, - Observation capitale de Donoso Cortès. CHAPITRE V, - Réveil chrétien et rénovation catholique en France . . . . . . . . . '11,5 Í tat de l'J glise en 1800. - Rpveil chrétien par Ie Concordat et Ie Gc'n;e du clwistiauisrnc. - Comment aprè>s 1:1. chute de Lamenllais, ses dis- ciples combattent et détruisent Ies aberrations du particularisme fran- :ais. - Rpnovation catholiquc en France par le rattachemcnt it Rome. - Les commencements dn catholicisme libéral comme parti anti- romaine CHAPITRE VI. - Formation du groupe catholique libéral, son chef, ses doctrines. . . . . , . . . . . . .. 1Gß I. lliographie sommaire de Dupanloup. - H. Son livre sur Ia pacification religieuse fait scission avec Ia campagne des évpques; il avait été réfuté ù'avance par Ie comte de Maistre et par Ie vicomte de Donald, il n'a- houtit qu'à la préconisation du naturalisme. - Ill. Comment sa théo- rie des rapports de I'ÉgIise et de rÉtat est funeste it. l'ÉgIise, favorable it 13 grande conspiration de l'impiété et préjudiciable à rÉtat. - IV. Comment cette théorie règIe la constitution de rÉtat et oblige :i l'oc- lroi des libertés constitutionnelles. - V. Dc la q: estion capita Ie de la tolérance et du péril qui résuIte de sa mauvaise interprétation. CIL\PITHE VIII. - Première application de catholicisme libé- ral par l'ère nouvelle . . , . . . . . . . . . 21V Des feuilles catholiques depuis Ie Concordat. - Scission, - L'] re nou- yelle en 1848 prêche l'identité dll christianisme avec Ia démocratie, - Ses incertitudes, ses fautes, sa chute. CHAPITRE YIll. - La loi de i850 sur la liberté d'enseignement. 2 2 Le comte de Falloux, ses idées, sa grande commission, son projet de Ioi faulif par son principe. - Comment it est critiqué, discuté, amélio- ré, en fin admis, faute de mieux, par Ies catholiques. CIIAPITRE IX. - La question des classiques. . . 2ïO L'abbé Gaume. - Le 11m' 'J'ongeto', 50n but, ses trois propositiollS.- Le danger de l'exclusivisme en fa\'enl' des cJassiques païcns prouvp par "des témoignages et par la pratique. - Question de stIle, dïdé('s et de bonnes mcpurs, - La tlérla..ation Dnpanloup proposée it Ia signatnre dC's TABLE DES i\[ATIÈRES 553 évèques, leurs réponses. - Critiques à fond de l\Igl' Doney. - Inter- vention du cardinal Gousset et du cardinal Antonelli. - Rcfus de I'ln- dex d'examiner. -- Gaume nommé protonolaire. CIIAPITRE X. - Du retour à I'unité liturgique. 3H La liturgie romaine répudiée par lè gallicanisme, - Funestes effets de sa diminution. - Écrits de dom Guél'anger. - Controverses avec Tou- louse et Orléans. - Consultations de Reims. - Résistances prolongées d'Orléans, de Besançon et de Paris, les trois foyers d libéralisme, CHAPITRE XI. - Mémoire sur Ie droit coutumier. . . . . . . . 342 Un projet de Concile national. - La correction des ConcHes provinciaux. - Portée du droit coutumier pour la restauration du gallicanisme. - Réponse du cardinal Gou8set, - Condamnation tIu Concile d'Amiens, confirmée å Rome. CHAPITRE XII. - Affaire de Donoso Cortès. 360 Un orateur espagnol devenu ambassadpur. - Es. ai s")'1' Ie libéralisme; sa haute doctrine. - Critiques borgnes de l'abhé Gaduel. - Répons s sommaires de l' Unita et de la Civilta. - Exemples du mal fondé de ces critiques, - Le Jivre de Donoso Cortès, soumis à l'Index, sort in- demne de son examen. CHAPITRE XIII. - Les procès du journaIl'Univers. 3RG nòle de Ia presse dans la société moderne. - I. Premier procès d'Or- léans å propos de la question des classiques paiens. - TI. Second procès d'Orléans à pl'OpOS de la Bibliothèque nouvelle et des critiques de l'abbé Gaduel. Condamnation en première instance, vives contro- verses. Encyclique pour rappeler aux évêques leurs devoirs envers les journaux catholiques. - Ill. Troisième procès d'Orléans, annoncé par l' Histoire d'lt pal,ti catlwlique, engagé par la publication de l' Univcl's jugé pm' .zui-mêrne, tcrminé par ]a victorieusc intervention de Mgr Paris is, dont l'épiscopat tout entier soulient la décision. CHAPlTRE XIV. - Les accusations du P. Chastel. . 421 En quoi consistent ces accusations et contre qui. - Inconvenance et illogisme de cette pl'océdure. - Fausseté absolue des griefs imputés. - Congé du P. Chaste!. f.:HAPITRE X V. - Les petites persécutions contre Bonnetty. 4 n Biographie de Bonnetty. - Attaque de Maret et lle plusieurs autres. - M( moire de Mgr Sibour à Rome. - Réponse de l'lndex et sou mission exemplaire d.? Don netty, - Puhlication inconvenante et fausse de l'ar- chevêque. 554 TARLE DES MATIÈRES CHAPITRE XVI. - Manæuvres pour soustraireCousin à l'Index. 453 Impiétés philosophiques de Cousin. - Son s)'stème exclut la religion et I'Eglise, - Fausse appréciation qu'en fait Lacordaire. - La f,"te païenne des écoles et discours de l'arche\'êque. - Jugement contraire de Mgr Pie. - Projet d'un livre de Cousin qui deviendra Ie manuel des famil- Ies. - Maret chargé de la révision. - Oénonciation du livre å Rome par Mgr Pie. - Correspondance de )Jgr Sibour avee Pie IX. - Non- sou mission finale de Cousin et mise de son livre à l'Inllex. CHAPITHE XVII. - Les principes de 89 et la théologie de Tou- louse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. 477 I. L'abbé Godard et les principes de 89. - Son Ih're prenant 89 dans la Déclaration des d.'oits de l'homme est faux historiquement et conclut dogmatiquement au naturalisme. - Cet opuscule, condamné à Rome, cst rédsé par son auteur avec permission de Pie IX. - II. Insuffi- sance des classiques français en théologie. - Correction ordonnée par Ie Pape. - La théologie de Yieuse, résumé des erreurs gallicanes, est admise par Saint-Sui pice ; un sulpicien entreprend de la corriger. - Le cardinal Gousset charge Mgr Jacquenet de critiqueI' cette édition nouvelle. - Les observations du censeur rémois, approuyées par Ie cardinal Gousset, sont rapportées textuellement dans ce chapitre. CIIAPITRE XVIII. - La suppression de la C01'ì'cspondailce de Rome. 4 )7 :\Ianque de livres orthodoxes sur Ie droit canon et aveuglement des es- prits. - La CmTespondance de Rome publiée pour percer ce mur de ténè>bres. - Comrne elle est mal accueillie et attaquée. - Comment cUe est dt fendue. - La suppression demandée par Louis-Bonaparte, tromp(\ il l'a dit depuis, par quelques évêques. CIIAPITRE XIX. - Lïnscription de La Roche-en-Brenil. 511 Texte de l"inscription. - Ce qu'on dit qu'elle n'est pas. Ce qu'elle dit qu'elle est et comment. CHAPITRE XX. - Les catholiques libéraux à Malines. Les deux Congrès et leur æuvre utile. - Les catholiques libéraux ùe France essaient de s'en fail'e un tremplin. - Les deux disconrs de :\fontalembert; leur réfutation. - Comment l'écrit du même sur I'Es- pagne et la libm'té aggrave encore ses discours. - La famille et les amis Ie désavouent. - Services glorieux de ::\Iontalembert. 519 COJS"CLU IO . . . 5 "- ,),) Attitude des catholiques de France au regard du Concile; ce qu'ils en espèrent pour la codification du Syllabus, Ie retour au droit canon et l'inf ilIibilité pontificalf'. - l\Janifestes de l'épiscopat. - Cancert trou- TABLE DES MATIÈRES "'IU,,", Ðt)t) blé d'abord par Ie P. Hyacinthe, qui, pour rester pur libéral, aposta- sie. - Opposition gallicane de deux gl'OS volumes, plus embrouillés que savants, de l\Igr Maret. - Opposition anti-infaillibilisle de deux brochures de l\lgr Dupanloup. - Opposition ùe quatre brochures scan- daleuses du P. Gratry. - Opposition des chefs laïqut's du catholicisme libéral. - Opposition ùu gouvernement impérial, de l'archevèque de Paris et de deux savants étrangers. - Triomph(' de l'Eglise au Concile du Vaticau. - D( sormais Ie lihéralismc n'affichc plus de pl'{.tention à l'orthoùoxie; il Sf' pr, tènd, au coutraire, incompatihlc avcc l'Eglise et se fait, de son incompatibilité prétcndue, un titre de persécution. TABLE RAISONNÉE DES )'IATIÈRES . , . . . . . . . . . . . . 551 ERRATUM Au chapilre X, sur Ie retour à l'unité liturgique, Ie défant de deux adverbes amèuc uue contradiction d(' fait. Le fait réel, c'est que l'archevèquc de Tou- louse tout cl'abm'd ne répondit rien, mais, beaucoup plus tm'd donna, sur cc sujet, un second volume. Les faits de retour avaient marché i vite, que Ie vo- lume ne parut que pour disparaìtre el se faire ouhlier. Imp. G. Saint-AuLin et Thevenot. - J. ThevenJt, 8uccesSeur, St-Dizler (Hte-Marne). . - 2f. 1/111 ----- ......- I , ..-- A.. ... '-- - -." , I' "J . . '- "" -- .--f , \.... I .'1!".... \or ......... " " \ I ---- , , " " ' . , \, .\ -, , \ \ \ )' ./ ' -- ....... - - '.............., " ' , -... ' , '""'-, L. / , \ r ) , . ., \ , , , ,. }. '"" 'f" \. -'" \ , ) --' -..... ./ \ A . , \\ '- ; 1 \ ... .. ..... I " " .'". \ , , I . -. '---- ...:::. '. ( '--1 \, ". \. \ \ '\., " ... \ \ " \ ,'. r- ( ,,- I ,. / --. >. ........ J-- , " , \'. . --..:; .... ", \ I ; ., '- \. "..'- I \1 t \ - t , ,,- I I \ ---- "a. '- "" ,1 . -A., - ,.j. -r ...- '"- - --....;.. ::: " .... . ' '\ þ- \1 \. ,- ;J ' I -<< '\ "---'" ): " -,)1' I. J " ,.---- ' ") . t" 1 .I ; - - ,' ! \ -y , " " J \.., .\ '\ , . . \,.{ ) ! ' -:- '-- -, , "'-......... , --.....'" . r __ . Ii .., , ,"",' '., ..... \ y.,r '\' ,I , }; , _____ '1' .... ..... '. t r