ORAISON FUNEBRE

De Très -Haute, Très - Puissante, Très - Excellente Princesse, MARIE- ANTOINETTE, Archi- duchesse d'Autriche , Reine de France et de Navarre,

Sjsconde Édition, mot pour mot sur la première.

Venï, et coronaberis. Venez, et vous serez couronnée. (Cantique des CantU/ues, Chap. 4. v. 8.J

X el fut autrefois , Messieurs, l'hommage qu'un des plus grands Rois du monde rendit à la naissance auguste , aux qualités intéressantes de l'illustre et infortunée Princesse dont nous pleurons la mort, lorsqu'il la choisit parmi toutes les Familles souveraines de l'Europe , pour l'associer aux destinées de l'héritier de sa puissance , et la faire asseoir un jour sur le Trône devoit monter son petit-Fils. Tel fut alors pour elle le voeu universel de cette nation , qui lui «t élevé pendant si long-tems des autels dans son cœur, et qui vient de lui dresser 1 échafaud , sur lequel elle a terminé une agonie de quatre ans.

Tel est aujourd'hui en sa faveur l'accord unanime de toutes les Puissances célestes ; telle est la récompense qu'assigne a ses souffrances , à son courage , à son héroïsme , ce Dieu qui pesé dans sa balance les bonnes et les mauvaises actions des hommes, dont la justice se désarme par le repentir, et se saris* fait par l'expiation.

Venez , lui a-t-il dit du haut de son Trône éternel , venez , vous avez sanctifié vos malheurs par votre soumission : et , au moment vous êtes tombée victime d'une rage que je ne laisserai point impunie, vous vous êtes offerte à moi comme victime volontaire : vous avez volé vers moi dans votre amour, je vous reçois dans ma miséricorde : la terre sur laquelle vous régniez, souillée de meurtres et de forfaits, empestée par l'air de l'impiété et du sacrilège , n'étoit pas digne de vous posséder; le séjour de ma gloire va devenir le vôtre : Veniy et coroTiaheris*

Cette confiance en la miséricorde de Dieu sur la Reine, est. la seule, mais précieuse consolation qui adoucisse poux-

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nous l'impression ineffaçable des horreurs qu'on a exercéei envers elle. François , et François fidèles , nous devons la pleurer et la regretter : Chrétiens , et Chrétiens éclairés par une Religion dont la lumière ne trompe point , nous devons nous réjouir de son admission glorieuse dans un monde plus heureux , comme nous frémissons des tourmens par lesquels elle a disparu de ce monde pervers : mais ne craignez pas , Messieurs, qu'en détournant la source de vos lames, je cherche à la tarir^ et qu'en portant vos esprits sur le bonheur dont nous devons espérer que la Reine jouit aujourd'hui, j 'affoiblis.se le sentiment qu'inspirent ses malheurs» Vous en occuper , m'en occuper moi-même, est un besoin pour mon Coeur : et les pleurs que je répands, vous disent assez que je n'ai ni la volonté, ni le pouvoir d'essuyer les vôtres.

François ! qui m'avez chargé d'être l'interprète de votre douleur , d'exposer à tous les yeux les plaies affreuses et in- curables qui font saigner vos cœurs fidèles ; respectables Mi- nistres de notre Religion sainte, qui en êtes devenus les défenseurs intrépides, et qui ne portez envie qu'à ceux qui ont eu Je bonheur d'en être les martyrs ; et vous , guerriers > plus nobles encore par vos sentimens que par ce sang qui , dans les veines de vos ancêtres, a toujours coulé pour vos Rois; vous, dont les mains enchaînées n'ont pu empêcher de crouler ce trône élevé , défendu par celles de vos pères , n'attendez de moi ni plan dans ce lugubre discours , ni ri- chesse dans les expressions, ni ordre dans les idées. Des idées ! l'esprit peut-il en avoir, lorsque le coeur est oppressé de sentimens si douloureux ? irai -je rechercher une vaine pompe de style , dans un sujet la sensibilité ne laisse rien •à faire à l'éloquence ? Je ne viens point jetter des Heurs sur le tombeau de la Reine , je viens l'arroser de vos larmes ; et ces larmes , qui sont l'unique décoration de cette triste céré- monie , payeront mieux que ne feroient les paroles les plus recherchées , le tribut de louanges et de regrets que nous devons aux vertus dignes d'un meilleur sort, et à la mémoire éternellement chère à nos coeurs , de très - haute, très- puissante ET TRÈS - EXCELLENTE PRINCESSE , MARIE - ANTOI- NETTE , Archiduchesse d'Autriche > Reine db France et de Navarre.

Détournons nos regards, Messieurs, du tableau déchirant auquel nous n'arriverons que trop-tôt, et reportons-nous à cette époque qui , après avoir eu tout le brillant de l'éclair , n'en a eu malheureusement que la durée ; car les jours du bonheur sont courts et fugitifs, et ceux du malheur longs et pesans. Reportons-nous à ce teins oùLouis XV en deman-

(3) dànt à Marie-Thérèse une épouse pour son petît-Fils , sem^ bla la venger de tous les maux qu'il lui avoit faits dans cette guerre , elle déploya toutes les ressources du génie , toute la fermeté d'une ame héroïque, et où, plus heureuse encore par les sentimens qu'elle inspira que par les qualités qui les lui méritèrent , elle reçut de ses braves Hongrois ces témoi- gnages touchans d'amour et de fidélité , qui établirent entre eux et les François d'alors une rivalité si honorable pour lès? deux nations. Louis XV et Marie-Thérèse avoient récipro- quement étouffé ces anciennes querelles , que souvent la. politique des Rois allume et perpétue , lors même que leurs coeurs en sont le plus éloignés. Un traité solemnel avoit lié des intérêts opposés pendant tant de siècles : la France et l'Autriche , semblables à deux arbres pompeux , voyoient depuis près de trois lustres leurs habitans fortunés se reposer sous leurs ombres fraternelles , lorsque Marie-Antoinette fut destinée à en enchaîner à jamais les rameaux. Quelle joie universelle excita la nouvelle de son arrivée ! Représentons- nous-la depuis le moment où, poursuivie par les regrets de tous les sujets du vaste Empire et de ses aïeux 9 elle franchit les limites qui séparent la patrie qu'elle ne devoit plus revoir , d'avec celle qu'elle venoit em- bellir. Peignons - nous , depuis l'Alsace jusqu'à Paris , dans toutes les provinces elle passa, les peuples confondant sur elle leurs avides regards , tirant de chacun de ses attraits un augure de bonheur , et prolongeant leurs accla- mations au point que tant de voix réunies pour la célébrer paroissoient ne former qu'une voix unique , comme un seul et uniforme sentiment en produisoit l'explosion. C'est ainsi que Marie-Antoinette traversa la France au milieu des cris de joie, des hommages universels de ce peuple qui depuis... mais alors il thérissoit ses Rois , il adoroit son Dieu ; l'esprit de vertige , d'erreur et d'impiété n'a voit point dé- naturé son coeur ; il reçut avec transport l'a fille de Marie- Thérese. Sur son visage , paré de tous les charmes de la jeu- nesse et de la beauté , chacun appiaudissoit aux grâces qui tempéroient i'éclat de la Majesté, et admiroit la majesté qui n'ôtoit rien aux grâces. Tout le monde se réjouissoit de yoir tant d'attraits , tant de qualités aimables , destinées à faire le bonheur d'un jeune Prince déjà connu dans l'Eu- rope par, une probité sévère , par une pureté de mœurs qui n'a jamais été altérée, et dont on prévoyoit que le régne seroit celui de l'ordre et de la justice. Les cérémonies de ce mariage auguste, auquel appiaudissoit non -seulement le sentiment qui alors nous rendoit heureux du bonheur per- sonnel de nos maîtres > mais encore la politique , puisqu'un

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Ses effets de cette heureuse alliance étoit de cimenter l'u- nion entre deux Etats long-tems rivaux , excitèrent de nouveaux transports. Les fêtes se succédèrent : ali î qu'ai- je dit , des fêtes ? et quel souvenir douloureux elles vous rappellent , Messieurs ! C'est celui du premier événement sinistre qui ait troublé ces momens de bonheur : nous nous souvenons tous, comment ces jours de joie furent changés en des jours de deuil ; les cris d'allégresse , en des cris fu- néraires. Grand Dieu î dont les décrets sont impénétrables , de quel augure sinistre avez-vous frappé les commence- mens de cette union , que vous aviez approuvée , puisque rien ne se fait dans le inonde que par votre ordre ou votre permission ? Hélas î tous les présages désastreux que notre imagination effrayée pouvoit tirer de l'horreur des pre- miers jours ces liens ont été formés , ont été surpassés par l'horreur des derniers qui les ont vu briser. Mais n'anti- cipons pas sur des événemens auxquels notre douleur nous ramené toujours ; retardons le moment nous aurons des larmes à verser sur le sort de ces infortunés époux ; mêlons- les , dans cette circonstance , à celles qu'ils versèrent eux- mêmes sur les malheureuses victimes qui payèrent de leur vie cet empressement respectable à venir partagrr l'allégresse commune. Si quelque chose put calmer l'impression cruelle que nous fit éprouver un malheur si imprévu , ce fut de voir la douleur vive et profonde qu'en témoignèrent M. le Dau- phin et Mde. la Dauphine : les vertus de ceux qui sont as- sis sur les Trônes , et de ceux qui sont destinés à y monter, sont le gage du bonheur des peuples qui vivent sous leur» loix. La sensibilité que ceux qui dévoient être un jour nos Souverains , montrèrent dans cet affreux événement ; les secours qu'ils s'empressèrent de donner aux époux , aux épouses , aux parens , plus à plaindre encore que les vic- times mêmes , puisqu'ils avoient le malheur de leur sur- vivre ; l'occupation continuelle ils furent de ce qui pou- voit adoucir cette infortune ; le regret qu'ils manifestèrent d'en avoir été l'occasion , portèrent dans tous les coeurs la seule consolation dont ils fussent susceptibles. On pensa que le trône de Louis le bien-aimé seroit occupé par un Prince non-seulement raisonnable et juste ; mais bon et sensible. On pensa que la Princesse dont , pour ainsi dire , les pre- miers regards avoient été attristés par une scène qui l'avoit *i vivement émue , feroit asseoir sur ce trône la sensibilité et la bienfaisance. . . . Ah î vous n'avez point été trompés , Vous qui, dès cette époque, avez formé ce présage conso- lant : Marie- Antoinette Ta rempli dans toute son étendue , et aux yeux de l'Europe , qui l'a admirée et qui la regrette ;

(5 ) aux yeux rie la partie saine de la France , qui ïa pleure ; à ceux même de la partie impie et sacrilège , qui l'a immolée : elle a toujours été sensible et bienfaisante ; et cette bienfai- sance, devenue un besoin de son ame, toujours renaissant quoique toujours satisfait , l'avoit déjà fait régner sur tout les cœurs François , avant qu'elle régnât sur la France.

Ici , Messieurs , s'ouvre pour elle une nouvelle carrière : Louis le bien-aimé est enlevé à son peuple ; nos voeux ne peuvent déiourner la main du Très-Haut qui le frappe. Un venin mortel répandu dans les veines du plus ancien des Rois , a défiguré ce visage auguste , sur lequel sembloit être réunie toute la 'majesté des Rois ses aïeux. Cette tête blanchie sous le diadème, tombe sous la faulx de la mort; efi l'Europe , après avoir donné de justes regrets à un Sou- verain que soixante ans de règne , un caractère de douceur et de modération qu'il avoit montré même au milieu de ses victoires , lui présentoient depuis si long-tems comme l'objet de sa vénération , contemple avec respect le sang des Césars, s'asseyant pour la cinquième fois (*) sur le Trône de France ? à côté du sang de S. Louis. Tout le monde sait que le nouveau Roi qui recueilloit cet immense héritage de puissance , fut bien moins flatté d'une élévation à laquelle il n'étoit arrivé que sur le tombeau d'un aïeul qu'il ché- rissoit , qu'effrayé des devoirs de son nouveau rang. On sait que cette frayeur lui inspira ce cri qui , parti de son ame , alla retentir dans celle de tous les François : « Je suis Roi , a et je n'ai que vingt ans »!.. Ah ! comme il regretta en ce mo- ment ce père que le ciel jaloux avoit enlevé à la terre ; ce père qui , ayant mûri par de longues réflexions les connois- sances qu'il avoit acquises par de longues études , auroit porté sur le trône toutes les vertus qui font les saints Rois 9 toutes les qualités qui font les grands Rois , toutes les lu- mières qui font les Rois' éclairés ! Avec quelle respectable défiance de lui-même , il se vit chargé de ce fardeau im- mense ! il lui auroit paru bien plus pesant encore } s'il n'a- voit pensé que tant de soins seroient adoucis par les char- mes , par la tendresse d'une épouse pour qui son cœur n'a- voit point de secrets > avec qui il concerterait les moyens les

(*) Eleonore d'Autriche, seconde femme de François I. Elizàbeth d'Autriche, femme de Charles IX. Anne d'Autriche, femme de Louis XIII. Marie-Thêrese d'Autriche, femme de Louis XLV. Ma rie- Antoinette d'Autriche, femme de Louis XVI*

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plus prompts et les plus efficaces de rendre heureux ce peuple dont il étoit devenu le pore , au bonheur de qui , étant Dau- phin^ il n'avoit pu contribuer que par ses vœux. Oui, Mes- sieurs, le bonhejjr de la France , le désir d'y mettre la pre- mière main , en diminuant les impôts qu'une longue guerre avoit rendu nécessaires, tel étoit le sujet des entretiens de vos maîtres ; et avec quelle vérité , quelle sincérité d'esprit et de cœur , le Roi renouvella ce vœu entre les mains du Pontife qui lui donna l'Onction Sainte ! Hélas ! Messieurs , je ne dirai pas par quelle fatalité, (des chrétien? ne con- noissent pas l'empire de la fatalité ) ; mais par quel arrêt sé- vère du Très-Haut , ces jours de fête pour' toute la France qui les attendoit , alloient être consacrés , sous les yeux çfe l'Eternel , ces liens qui enchaînent le Souverain au Peu- ple , et le Peuple au Souverain , furent-ils précédés par une de ces secousses qui troublent la paix intérieure des Em- pires , affligent le cœur des bons Rois , et suspendent quel- quefois la justice que les peuples leur doivent , en faisant soupçonner leur prévoyance de n'être pas assez active pour leurs besoins ?

Mon Dieu! pourquoi, à côté des époques les plus brillantes de la vie de Louis XVI et de Marie- Antoinette, avez-vous placé des contrastes aussi lugubres ? A peine le flambeau de leur hymen étoit-il allumé ? que vous l'avez enveloppé d'un crêpe funèbre; à peine aviez-vous ceinç leur front du diadème, et déjà ce diadème a été obscurci par les ombres de la douleur. Vouliez-vous leur faire sentir que lerang suprême exclut le bonheur bien plus qu'il ne le donne? que la couronne que portent les Rois ? n'est le plus souvent qu'une couronne d'épines, qui ensanglante leurs fronts, même en le décorant , et que la seule couronne qui rend heureux ceux qui la portent , est celle dont vous parez vos élus ? Ah ! sans doute ( cette confiance nous est permise) , c'est de cette couronne que brille à présent notre infortunée Reine r bien plus grande aujourd'hui , en occupant la der- nière place dans votre royaume, qu'elle ne le fut au moment îe plus éclatant de son règne , si court et si cruellement terminé. Hélas ! que de chagrins cruels en ont même em- poisonné les instans les plus brillans! Elle a vu s'éteindre cette lumière qui avoit guidé ses jeunes ans : Marie-Therese, la gloire de son sexe, le modèle des souverains, qui avoit reçu élu ciel toutes lès leçons >àe l'adversité , et donné à la terre toutes celles du courage le plus éprouvé, de la sagesse la plus constante, de la piété la plus solide, de l'administra- tion la plus éclairée , est descendue dans la tombe, empor- tant avec elle les regrets de son peuple , l'admiration de

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tpus; laissant à ses enfans , placés sur les différens Trônes de l'Europe, l'exemple de ses vertus, et celui de son Gou- vernement. Cette perte fut pour le cœur de la Reine une plaie toujours saignante, et elle ne chercha à l'adoucir, qu'en transmettant les vertus de îa mère que le Ciel lui avoit ôtée , à la fille qu'jl lui avoit donnée. Ah ! lorsqu'elle remercioit la Providence du présent qu'elle lui avoit fait, lorsqu'elle voyoit ses soins pour son éducation payés par ce succès, la plus douce récompense des mères; lorsqu'elle suivoit avec joie le développement des qualités qu'elle faisoit germer dans son ame ; lorsqu'elle jouissoit de la tendresse de cette Princesse intéressante pour les Auteurs de ses jours , pouvoit-elle prévoir qu'elle la laisseront entre les mains de ses assassins, que la vertu seroit sous la garde du vice, la pudeur et l'innocence entre les mains de l'audace qui brave tout , du sacrilège qui viole tout ? Que vous avez été bien plus heureux , jeune enfant, dont les yeux fermés à la lumière n'ont vu que le commencement des attentats , par lesquels on a renversé ce trône qui vous étoit destiné: le Ciel vous avoit prévenu de ses dons, il avoit mis dans votre ame les plus heureuses dispositions : mais le plus grand de ses bienfaits envers vous , a été de vous appeiler à lui. Votre raison, qui devançoit vos années, vous auroit fait mesurer la profondeur de l'abyme on précipitoit ce royaume , le patrimoine de vos pères, dont les ruines seroient aujour- d'hui le vôtre. Quel cri affreux auroit jette en vous la na- ture indignée , lorsque vous auriez vu le glaive assassin .... Mais ne troublons point la paix dont cet enfant jouit dans le sein de Dieu , par l'image des horreurs dont Dieu n'a pas voulu qu'il fût le témoin: disons que sa mort prématurée perça d'un trait mortel le cœur de la Reine. Hélas ! ce coup, le premier porté à son cœur maternel , est encore le moins cruel qu'il ait reçu. Le tems approche, la destinée de ses enfans qu'elle laissera sur la terre, lui coûtera bien d'autres larmes que le sort de celui qui en a disparu.

Il n'est point dans mon sujet , Messieurs , de vous peindre lesévénemens successifs qui ont agité le Royaume pendant plusieurs années; ces chocs que la prudence humaine ne peut ni prévoir ni parer , parce qu'ils sont tous les instru- mensdeceDieu qui soulevé et calme les Empires avec la même facilité et la même puissance qu'il soulevé et calme les flots de la mer. Les Sages du siècle cherchant l'histoire du tems présent dans l'histoire du tems passé , trouveront chez tpus les peuples les mêmes effets produits par les mêmes causes ; découvriront le premier nuage qui produit ces tem- pêtes politiques , le premier soulHe de ces vents impétueux

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qui agitent ces flots , dont Dieu permet quelquefois à des mains humaines d'appaiser la fureur : mais nous , Ministres de Dieu, nous, qui ne voyons que sa main, soit qu'il bâtisse, soit qu'il détruise , soit qu'il élevé , soit qu'il précipite , nous vous dirons que ce Dieu annonce dans tous les tems ïa décadence des Etats par des signes assez frappans , pour qu'on ait le tems de la prévenir en retournant à lui, en arrêtant , par un pieux et sincère retour , sa foudre toujours suspendue par l'attente du repentir. Nous vous dirons : Lorsque le poison de l'irréligion se glisse dans les esprits par les écrits , dans les coeurs par la violation des moeurs publi- ques ; quand les esprits prenant pour une lumière qui les guide , un météore qui les égare, se permettent de juger ce qu'ils doivent respecter; quand la raison est devenue es- clave des passions qu'elle devroit maîtriser ; quand l'audace des discours altère le respect qu'on doit à Dieu , et à ceux qui sur la terre sont ses images : Nations ! tremblez , votre dernier jour arrive. Prosternez-vous aux pieds de l'Eternel ; priez-le de retenir son souffle vengeur : s'il le laisse échap- per , l'édifice croule ; et ses ruines éparses attestent bientôt à l'Univers, et la perversité de celui qui l'habitoit, et la justice du maître tout-puissant qui l'a renversé.

Ce Dieu, qui avoit permis les malheurs de la France, avoit mis dans l'ame du Roi le désir d'en arrêter le cours. Vous étiez dans le secret de cette ame bonne et sensible ; vous en partagiez les vives sollicitudes ; vous en receviez les tendres épancnemens , ô Reine ! dont le cœur répondoit si "bien au sien. Ah! Messieurs , ceux qui ont joui de la confiance intime de nos maîtres, ceux même qui en ont abusé, vous diroient que le moyen de rendre à la France la félicité dont elle étoit privée, étoit le but de toutes leurs recherches, leur occupation de tous les momens. Les sacrifices personnels qu'ils vouloient faire, pour que tout ce qu'ils diminue- roient de la pompe attachée à leurs personnes , refluât sur 3e peuple , leur paroissoient des jouissances ; et cette union si constante de sentiment entre le Roi et la Reine , ne fut jamais plus parfaite que dans ceux qui avoient pour objet le soulagement du peuple , la renaissance de la France à des destinées plus heureuses. C'est avec cette satisfaction qu'ins- pire un projet conçu pour le bonheur de ceux qu'on aime, que la Reine applaudit aux résolutions que prit successi- vement le Roi d'appeller les Notables de son Royaume; et enfin d'assembler autour de lui les enfans de cette famille immense, dont il étoit le père, pour écouter leurs voix plaintives qui auroient être toujours respectueuses, et pour ouvrir, de concert avec eux, toutes les sources de la

prospérité qu'il auroit voulu répandre sur le Royaume, Avec quel plaisir la Reine voyoit Famé du Roi jouir de cette idée consolatrice, que bientôt son peuple seroit heu- reux.' avec quelle effusion touchante elle en parloit à ses amis! (car elle en eut, Messieurs; elle en eut pendant sa vie, elle en conserve dans sa tombe; et pour l'honneur de l'humanité , tous ne sont pas ingrats.) Hélas ! cette époque si hâtée par les voeux du maître et des sujets, qui devoit faire le bonheur de tous , est devenue celle de la destruc- tion de Fempire qu'elle devoit régénérer ; des autels, dont elle devoit revivifier le culte ; des moeurs , qu'elle devoit épurer : et la France n'offre plus aux yeux de l'univers indigné, qu'un amas de ruines entassées par le crime, et un amas de criminels dominant sur des ruines.

Orateur évangélique , je n'entrerai point dans le domaine de l'histoire : c'est à elle à vous dire par quels degrés le goût des nouveautés , l'esprit d'indépendance , celui plus dangereux encore d'irréligion propagé par des conseillers pervers, a miné cette puissante Monarchie, qui comptoit quatorze siècles de durée et de gloire : c'est à elle à vous apprendre comment des hommes choisis pour rétablir cette vaste machine appelîée le Gouvernement , ont pris la hache en main pour en briser à la fois tous les ressorts , et la faire tomber en éclats : c'est à elle à vous montrer un Roi bon, prenant en pitié l'égarement de son peuple , regardant comme une erreur de l'esprit ce qui étoit déjà une scélé- ratesse du cœur, venant au milieu de ses enfans égarés, cherchant à les ramener par la persuasion et la douceur , leur exposant son voeu pour la régénération de l'Empire; voeu qui n'étoit que la réunion de tous ceux qu'eux-mêmes avoient formés , imposant silence à ces foudres de la terre , par lesquelles il pouvoit punir leur désobéissance , comme Dieu avoit puni la témérité des Anges rebelles : c'est à elle à vous dire les efforts inutiles des serviteurs fidèles de leur Dieu et de leur Roi , pour s'opposer aux entreprises impies de ceux qui dominoient dans cette assemblée profanatrice , et ne se consoler du malheur d'être leurs collègues , que par le témoignage qu'ils se rendoient, de ne devenir jamais leurs complices : c'est à elle à tremper ses pinceaux dans le sang, à vous tracer les meurtres commis dans la capitale, préludes d'attentats encore plus inouis : c'est à elle à vous peindre une horde impie, marchant vers le palais de son Roi, profanant l'enceinte sacrée qui le renferme, massa- crant ces gardes fidèles , à qui il avoit bien pu ordonner de combattre pour lui, mais qu'il ne pouvoit empêcher de mourir à ses pieds, ou sous ses yeux ; c'est à elle à vous dire,

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que sans cet ordre ércïané de la bonté du Roi, sans cet ordre auquel il est si glorieux d'avoir cédé , puisque ceux qui n'immoloient pas en se défendant , étoient sûrs d'être im- molés en ne se défendant pas , cette nuit auroit été la der- nière nuit , si non des crimes , du moins des plus grands des criminels , et que pendant son cours désastreux , chefs , soldats de cette armée sacrilège , ne se seroient endormis que du sommeil de la mort. Notre ministère répugne à tracer ces scènes sanglantes : parmi tant d'horreurs ,]ene dois vous parler que de celles qui ont fait gémir notre Reli- gion sous les coups qui lui ont été directement portés , et celles dont a été personnellement l'objet l'auguste Reine, aux malheurs , aux vertus de laquelle ce discours est con- sacré. Quelle tache horrible j'ai à remplir, Messieurs! et je sens, hélas! que dans cette strie immense des maux qu'elle a soufferts, je ne suis encore qu'aux premiers. Mon Dieu! soutenez mon courage; donnez -moi la force dépeindre l'épouse de mon Roi , arrachée au sommeil par les cris de ses gardes , qui , au prix de leur vie , sauvoient la sienne , ayant à peine le tems d'échapper à la mort, ou plutôt cou- rant à pas précipités pour la chercher aux pieds de son époux. C'est qu'elle vouïoit la recevoir ; et elle l'avoit dit ce jour même à ceux qui l'avoient engagée à partir, pour se soustraire à la fureur qui paroissoit dirigée contre elle : « Si les Parisiens viennent ici pour m'assassiner, c'est aux « pieds de mon mari que je le serai ; mais je ne fuirai pas »• Ah ! Messieurs , nous qui cherchons dans l'antiquité des modèles de vertu , que nous trouverions chez nos contem- porains , si nous voulions les y voir , quel exemple trouvons- nous dans l'histoire des femmes courageuses cle tous les siècles, d'un pareil héroïsme de l'attachement conjugal? Ah ! cette, famille auguste , si méconnue , si indignement traitée , devoit donc offrir à la terre tous les exemples du courage le plus inoui que puissent produire tous les genres d'attachement les plus dignes du respect des hommes et des regards de Dieu. Vos cœurs me devancent , Messieurs , et nomment cette Princesse, qui, déjà l'héroïne de la Cour et du siècle par ses vertus , vient de réaliser , de laisser bien loin d'elle tous les prodiges d'amour fraternel qu'a pu en- fanter l'imagination de tous les siècles. Vous n'avez pas permis, ô mon Dieu! que l'auguste Elizabeth s'assît sur un Trône étranger , parce que vous la réserviez pour être la consolation de ce Roi que yous vouliez punir des péchés de son peuple, pour répandre quelque baume sur les plaies dont il vous a plu de l'affliger. Vous vouliez qu'elle tint lieu do l'époux qu'elle devoit perdre ? à cette Reine , dont

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vous n'avez retardé la mort, que pour la rendre plus serrir blable à celle de votre Fils : préservez-la , ô mon Dieu I du glaive déjà levé sur elle ; laissez du moins cette seconde mère a ces orphelins , qui n'ont plus que vous pour père : que le voeu qu'elle forme de rejoindre son frère dans votre sein , soit le seul de ses voeux que vous n'exauciez pas ! Son ame est le sanctuaire le plus sacré qui reste à votre Religion dans ce Royaume, elle a été si outragée !

Ah! Messieurs, quelle langue pourra jamais exprimer, quelle bouche pourra jamais prononcer tous les outrages qu'a reçu cette Religion sainte? Pour décrire tant de cala- mités, tant de profanations, tant de sacrilèges, empruntons les paroles du Prophète Roi, qui semble dans les malheurs de Jérusalem déplorer les nôtres : » Seigneur, les impies y sont entrés dans votre héritage ; ils ont souillé votre 5? saint temple : Deus , venerunt génies in hereditatem, » tuain } po/iuerunt templum sanctinn tuum. Ils ont exposé 3> les entrailles de vos serviteurs pour servir de pâture aux ?> oiseaux du ciel, et la chair de vos Saints pour être dévorée 5) par les animaux de la terre : Posuerunt morticina servo- v> rum ttionnn escas volatitibus cœli , et carnes sanctorum 3> bestiis terrœ. Ils ont répandu leur sang comme de l'eau v dans l'enceinte de Jérusalem , et il n'y avoit personne 3> pour les ensevelir : Effuderunt sanguinem eorum tan- r> quam aquam in circuitu Jérusalem , et non erat qui 3> sepeliret. Nous sommes devenus un sujet d'opprobre aux v yeux de nos voisins, un objet de mépris pour ceux qui » sont dans le même lieu que nous : Facti sumus oppro- 3> brium vicinis nos tris subsannatio et illasio his qui in 3> circuitu nostro sunt». Fut -il jamais une conformité de malheurs plus parfaite ? Et nous aussi, nous avons vu l'héritage du Seigneur envahi, ses saints temples souillés; nous aussi , nous avons vu ruisseler le sang de ses servi- teurs , nous avons vu nos Prêtres , nos Pontifes égorgés ; îe nom de François est devenu un titre de proscription ; et nous n'échappons à l'horreur que ce nom porte avec 3ui , que par l'intérêt que nous inspirons. Nous le méri- tons sans doute , cet intérêt , nous qui , en fuyant notre Patrie, avons emporté dans nos coeurs l'image de notre Dieu, celle de notre Roi ; nous le méritons , cet intérêt : et dans combien de cœurs ne l'avons-nous pas trouvé, ne le trouvons- nous pas encore tous les jours ! Puisse notre reconnoissance nous acquitter envers nos bienfaiteurs; et pour rassembler en un seul tous les voeux qu'elle nous dicte pour eux, que l'universalité des peuples qui nous ont accueillis , qui ont protégé notre infortuue, se préserve, par une vie sainte,

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par des moeurs pures , par sa soumission aux îoix r par son respect pour ses Souverains , des calamités que les péchés de la France ont attirées sur elle !

Je ne suivrai point le cours de ces calamités ; je n'exposerai point à vos yeux Tordre successif des attentats par lesquels les dominateurs sanguinaires de ce peuple enivré de fureur et de fanatisme , prenant les désordres de la licence pour les élans de la liberté , séduit par l'espoir d'une égalité chimé- rique , aveuglé par le fantôme d'une souveraineté dont le poids de ses chaînes devroit dissiper l'illusion , l'ont conduit de crimes en crimes à celui dont il paroissoit le plus éloigné par sa nature. Le peuple distingué parmi tous les peuples de la terre par son attachement à ses Souverains , a méconnu tout ce que son Roi avoit fait pour lui, a abusé de sa bonté , a osé forger des crimes imaginaires à celui dont il devoit ado- rer les vertus , a renfermé son maître dans un lieu inacces- sible à tout autre qu'à ceux qui , dans leurs coeurs , étoient déjà ses bourreaux > a osé interroger, Juger son Roi. Ah î Mes- sieurs , si vous ne pouvez entendre sans frissonner le récit de tant d'atrocités, si vous frémissez d'horreur au seul tableau de cruautés dont vos yeux n'ont pas été les témoins , quelle a donc été la situation de la Reine , compagne de l'infortune, de la prison de son époux î Ne pas se séparer de lui un mo- ment , s'attacher à tous ses pas, détourner sur elle , si elle îe pouvoit, tous les dangers qui le menacent, partager le calice d'amertume dans lequel on lui fait boire l'humilia- tion goutte à goutte , telle est la seule consolation qui lui reste; s'entretenir ensemble de leurs malheurs , demander à Dieu de faire tomber le bandeau qui couvre les yeux de la France aveuglée , puiser respectivement dans leurs coeurs le courage dont ils ont besoin pour supporter tant de maux , recevoir les caresses de leurs enfans , leur donner des leçons dans leur exemple , est la plus imposante et la plus sévère ; telles sont les occupations qui mêlent quelques douceurs passagères aux ombres de la douleur dont ils sont entou- rés. Ah ! sans doute leurs coeurs détachés de la terre par l'ingratitude des monstres qui la souillent , ne formoient qu'un vœu , celui de ne pas se séparer jusqu'au dernier moment ; mourir ensemble et sous le même coup , leur auroit paru le plus grand des bonheurs. Hélas ! celui-là même leur sera refusé. Quel moment pour la Reine que celui on vient arracher le Roi de ses bras ! quel tourment que celui d'être dans le même lieu que lui , et de ne le pas voir ; de penser qu'en ces circonstances douloureuses , il n'a pas un cœur contre lequel appuie le sien ! Enfin elle le revoit , il lui est rendu. ........ Dieu aur oit-il fait tonner dans le cœur des

( *3) scélérats sa voix terrible? auroit-il fait tomber de leurs mains

le glaive homicide? Non : ce moment est le dernier

elle verra son époux ; ce sont ses tendres et éternels adieux qu'il vient lui dire; les embrassemens qu'il donne à elle, à sa

soeur , à ses enfans , sont les derniers Il les quitte , en

les recommandant à ce Dieu auquel sa foi lui dit qu'il va se

réunir. Il ne les verra plus L'enfer a dicté l'arrêt ; ses

suppôts font prononcé; la France a perdu son Roi; et le Fils de Saint Louis est monté au Ciel.

Mon Dieu ! nous est-il permis de sonder respectueusement la profondeur de vos décrets? Pourquoi avez- vous voulu que la Reine survécût à la moitié d'elle-même? Pourquoi n'avez- vous pas éteint la vie qui lui restoit , avec celle qu'elle venoir de perdre? Quatre ans de douleurs , d'expiations, de suppli- ces toujours renaissans, ne l'avoient-ils pas assez purifiée? Pouviez - vous voir encore quelques taches dans cette ame , que de vertus en vertus vous aviez élevée à la plus grande , a la plus difficile de toutes , au pardon des injures; dans cette ame noble , généreuse et chrétienne , dont étoit partie cette réponse sublime , à ceux qui osoient l'interroger sur des at- tentats dont elle avoit été le témoin , l'objet , et presque la victime : « J'ai tout vu , tout entendu :fai tout oublié ». Après l'avoir crucifiée dans son époux, vous avez voulu la crucifier dans elle-même. Vous avez voulu qu'un renouvellement de souffrances personnelles lui fit déployer un courage qu'elle tenoit de vous. Ah î sans doute , vous aviez obtenu pour elle . du Très-Haut cette force surnaturelle , vous dont elle avoir, si souvent cherché, découvert, soulagé la misère, images vivantes de notre Dieu crucifié ; vous , sur qui ses yeux furent toujours ouverts du haut de son trône; vous, dont sa main appauvrie dans les jours de sa détresse , essuya encore quel- ques larmes , et qui n'êtes jamais sorties de son cœur lors- qu'elle n'eut plus à vous offrir que les vœux stériles et les soupirs impuissans de son cœur déchiré.

Faut-il, Messieurs, que je vous conduise dans cette de- meure du crime, clans cet antre autrefois les seuls scélé- rats , déjà condamnés par leurs remords et par la renommée de leurs forfaits , venoient attendre l'arrêt qui devoit purger la terre et venger le Ciel de leur monstrueuse existence ? C'est que le sang des Césars , la fille , la sœur de tant de Souverains , la femme ,1a mère du nôtre , languit, renfermée dans un cachot , seule avec Dieu , le témoin et le prix de tant de douleurs , n'ayant pour soutenir sa vie défaillante qu'un pain grossier qu'elle trempe de ses larmes , expirante sous le poids de ses humiliations , et sous l'amertume de ses souvenirs ; l'ombre de sa mère , celle de son fijs , celles de

ses deux frères enlevés à sa tendresse, celle de cette Princesse son amie , victime de son attachement pour elle ; celles de ses serviteurs égorgés sous ses yeux , à ses pieds , pour avoir voulu sauver la vie du Roi et la sienne, errent autour d'elle : elle tend les bras à son époux , qui l'appelle du haut du Ciel ; a ses enfans , qui la réclament , à sa sœur , qui voudrait la suivre : elle va faire à Dieu un sacrifice bien plus grand que celui de sa vie, celui de sa dignité personnelle > de cette dignité qu'elle a conservée dans le fond des cachots , et qui a déjà plus d'une fois Bût pâlir ses assassins. Elle s'abaisse à comparaître devant eux : sa bouche , qui ne devoit jamais leur donner que des ordres , daigne répondre à des ques- tions, dont l'atrocité est pour elle plus affreuse que la mort , qui en sera le résultat ; enfin , après avoir , comme Jesus- Christ, son modèle et sa récompense, passé par tous les de- grés de l'insulte et de l'humiliation , elle meurt, comme lui , par les mains du peuple , dont elle étoit la Souveraine et bienfaitrice.

Qui de nous , Messieurs , après avoir parcouru , par la pensée 9 cette longue et immense carrière de malheurs , dont' tant de grandeur , tant de puissance sembloient devoir à jamais préserver nos Souverains ; qui de nous , après avoir vu tomber sous le glaive de la scélératesse et de l'injustice ces têtes augustes, sur lesquelles à peine osions- nous fixer nos regards respectueux ; qui de nous oseroit encore se plaindre de sa destinée? Ah! plutôt reconnois- sons ce Dieu qui a placé les trésors de sa miséricorde auprès de ceux de sa colère ! Il a coupé l'arbre dans sa racine ; mais il en a sauvé le rejetton : un nouveau Joas vit au milieu des ruines de Jérusalem. Dieu ! prenez-le sous votre garde ; que les Anges du Ciel rangent autour de lui leurs escadrons invisibles : mais si cette innocente victime étoit encore la proie des loups dévorans ; si vous ne per- mettiez pas qu'il montât sur ce trône teint du sang de son père, les petits-Fils de saint Louis et d'Henri IV régneraient encore sur nous. Les frères de Louis XVI ont , par votre grâce , échappé à la rage homicide qui les poursuivoit ; ils vivent , pour l'appui et pour l'exemple des François fidèles : écoutez les voeux qu'ils vous adressent pour la oonservatiori de ce fils précieux de leur malheureux frère ; de cet enfant dont ils guideront l'inexpérience , et dont ils exerceront l'au- torité : ils lui apprendront par un exemple , hélas ! trop près de lui , et dont son jeune coeur se souviendra , que les Rois îès plus puissans ont au-dessus de leur tête un Souverain plus puissant qu'eux , qui renverse les trônes , et ceuxqui sont assis sur les trônes. Us lui diront que la Religion, la jus-

( i5 ) îrice et les mœurs sont les bases immuables des Empires ; et que si ces bases s'écroulent, les Empires et les Souverains précipités tombent bientôt dans cet abyme , vont tôt tard s'engloutir toutes les puissances , toutes les dominations de la terre: ils lui inspireront les sentimens qu'ils ont sou- vent manifestés eux-mêmes pour ces Ministres de la Reli- gion , qui a reçu par la fidélité des uns , par le martyre des autres , un témoignage dont l'apostasie d'un petit nombre n'a point affoibli l'éclat ; pour cette Noblesse , dont le sang a cimenté le berceau de la Monarchie Françoise , et vient d'en arroser les ruines ; pour ces hommes de tous les états , de toutes les conditions, qui , constamment attachés à leur Dieu et à leur Roi , ne forment plus qu'un peuple de frères réunis par le même sentiment.

Grand Dieu! nous ne vous dirons pas, comme David, de «qui nous avons déjà emprunté les expressions pour peindre nos malheurs : « Manifestez devant les nations , la vengeance « du sang de vos serviteurs qui a été répandu : Et inno- « tescat in nationibus ultio sangiiinis sej-voruwz tiiorum rc quieffusus est >a Ces intrépides martyrs de la Religion, •ces honorables victimes de leur amour pour leur Roi , nous désavoueroient , si nous demandions vengeance pour eux ; mais nous vous dirons : Faites marcher l'Ange de la victoire devant ces légions que les Puissances , unies par une sainte confédération, envo)rent de toutes les parties de l'Europe, pour rendre à la France son Roi , ses loix , ses autels ; pour rendre à l'Univers ébranlé la paix et la stabilité. Présidez aux Conseils des chefs des armées ; que la restauration de la France , que le retour sincère des François à votre autorité méconnue , à celle que vous avez établie sur la terre à l'image de la vôtre , soient la récompense des Généraux et des Soldats. Couronnez , par ce prix , le seul auquel ils aspirent , le courage et la persévérance de ces Princes , héri- tiers du sang et de la valeur du Grand Condé , dans qui la horde régicide même , contre laquelle ils combattent , voit avec une terreur et un respect involontaire , les images des héros de leur race. Accordez ce juste salaire de leurs nobles travaux , aux guerriers qui , sur leurs traces , volent dans ]es combats , et ne se sont enchaînés à leur gloire , qu'en se dé- vouant à leurs périls.

Ce seroit , ô mon Dieu ! ressembler à ce peuple aveugle, qui avoit des yeux pour ne point voir , à ce peuple toujours insensible aux merveilles de votre grâce , que ne pas recon- noitre votre main invisible , guidant cette armée , dont la formation , dont l'existence , dont les succès sont un miracle perpétuel de votre puissance ; cette armée qui , portant

( '6 ) dans ses rangs et sur son cœur la croix de votre Fils , établit sa confiance, « non sur la bravoure de ses combattans , non « sur la rapidité de ses chars , non sur l'impétuosité de ses « chevaux , mais sur le nom du Seigneur : Hi in çurribus ec « in equis , nos autetn in no mine Domini ».

O Roi ! que nous ne cesserons de pleurer , ô Reine ï que nous devons croire associée au bonheur de son éternité , comme vous avez été enchaînée à ses malheurs sur la terre >

{'ettez les yeux sur vos serviteurs fidèles, qui arrosent de eurs larmes , qui font retentir des cris de leurs douleurs les différentes parties de l'univers , les attache une hos- pitalité bienfaisante : obtenez du Très-Haut que la persé- cution qu'ils éprouvent , serve d'expiation pour leurs pé- chés , et les fasse jouir dans la patrie céleste d'un bonheur plus pur , plus durable 9 que celui qu'ils auroient pu espérer dans la patrie qu'ils ont perdue.

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