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AU

PAYS DES AJONCS

AVANT LE SOIR

DU MEME AUTEUR

Le Livre de la Patrie i vol.

Émaux bressans i vol.

Les Déliquescences, poèmes décadents d'Adoré Floupette (en collaboration avec Henri Beau- clair) I vol

Quatre-vingt-neuf i vol.

Le Miracle de Saint Nicolas i vol.

Marie-Madeleine i vol.

Fleurs d'avril, comédie (en collaboration avec

Jules Truffier) ; i vol.

A LA BONNE FRANQUETTE I Vol.

Au Bois joli i vol.

La Farce du mari refondu (en collaboration

avec Jules Truffier) i vol .

Le Clos des fées i vol.

Tous droits de reproduction et de traduction réservés pour tous les pays y compris la Suède et la Norwège.

GABRIEL VICAIRE

AU

PAYS DES AJONCS

A FA NT LE SOIR

Paris librairie henri leclerc

219, RUE SAINT-HONORÉ, 219

MDCCCCI

^ (Si tas BI3L10THECA

I

Ces derniers vers de Gabriel Vicaire ont été achevés d'imprimer jour pour jour un an après sa mort. Quand la longue et douloureuse maladie, à laquelle il devait succomber le 2} septembre i^oo, vint le surprendre en pleine force, en pleine maturité, le poète des Emaux bressans, de /'Heure enchantée et de tant d'autres charmantes œuvres avait en préparation deux nouveaux volumes de poésies. Lui-même en avait choisi les titres : Au Pays des ajoncs et Avant le soir. Malheureusement, aucun de ces deux recueils n était encore arrivé à terme et le nombre de pièces de chacun était trop restreint pour qu il fîtt possible de les publier séparément.

La mort na point laissé à Gabriel Vicaire le temps de parachever son œuvre et de réaliser ses projets. C'est donc à moi qu'incombe aujourd'hui le devoir d'imprimer les derniers vers de celui qui fut mon cousin par le sang et mon frère par V affection.

II AVERTISSEMENT

J'ai respecté aussi fidèlement que possible les intentions du poète, et si Au Pays des ajoncs et Avant le soir, au lieu de paraître en volumes séparés, paraissent ici, pour les raisons que je viens d'indiquer, réunis sous une même couverture, les deux œuvres, très distinctes, nen conservent pas moins chacune leur autonomie.

Parmi les pièces que Vicaire avait projeté de publier dans Au Pays des ajoncs, il en est trois dont, sauf les titres, je nai pu trouver aucune trace soit dans ses manuscrits, soit dans les revues auxquelles il collaborait : Fantôme sur la mer, Dans la lande et Bêtes et gens de Bretagne. Si quelque ami du poète possédait ces trois poésies ou en connaissait V existence dans telle ou telle revue, je lui serais particulièrement reconnaissant de vouloir bien m'en donner communication ou me fournir les renseignements qui me permettraient de les retrouver.

GEORGES VICAIRE.

AU

PAYS DES AJONCS

ADIEU PARIS

ADIEU PARIS

Adieu, Paris, ville de fer. Ville de vent, ville de rêve, Cher Paris l'amour se lève. Doux Paris j'ai tant souffert !

Et le train file, file, file. Comme un éclair en pleine nuit... Mon cœur fait encor plus de bruit, Mon cœur qui n'est jamais tranquille.

\'oici, sous la lune de mai, La plaine qu'on dit pittoresque, La verte combe j'ai ri presque, La colline j'ai presque aimé.

AC PAYS OKS AJONCS

L'histoire est-elle vraie ou fausse ? Suis-je un bon, un mauvais témoin? Qu'importe ? Voici déjà loin Les mornes plaines delà Beauce.

Puis rien. Du noir, du noir partout. Noir dans le ciel et sur la terre, Noir surtout au cœur solitaire. Gonflé de ras^e et de déoroût.

Et le train file et le train vole Avec ses gros yeux qui font peur. Le train file à toute vapeur Comme une béte à moitié folle.

Un vent mauvais semble frémir Dans les verdures qu'on effleure ; j'entends comme une âme qui pleure.., Mon Dieu ? si je pouvais dormir !

Toujours, toujours, toujours la béte Aux crocs baveux, aux flancs repus l Toujours ces mots interrompus Qui s'entrechoquent dans ma tête l

Les lourds pays indifférents Montrent un coin de leur visage ;

ADIEU PARIS

La tristesse du paysage Répond à mes rcves errants.

Mais qu'est-ce ? On dirait de la joie. Tout n'était donc pas mort encor. Un trait rose, une barre d'or, Et Finfini rit et flamboie.

Ce bleu tendre, ce bleu divin î Qu'ai-je vu ? C'est la mer immense tout linit et recommence, Que nul jamais n'invoque en vain.

O consolatrice du monde ! Puissante mer, ô grande mer ! Si j'ai quelque chose d'amer. Qu'il se noie en ton eau profonde !

Dame de sonoe et de lanfjueur. Ensorceleuse de la brume. Ce n'est que dans ton amertume Que je pourrai laver mon cœur !

LA VAGUE

LA VAGUE

Est-ce la nuit? Non, c'est le jour, un jour livide, Un jour qui désespère, empli d'un morne effroi. Tout est noir. Au lointain s'enfle la mer avide, Et comme un mur d'horreur, apparu dans le vide, La vague gigantesque a surgi devant moi.

Elle agite, en hurlant, ses longs cheveux d'écume, Indomptable cavale au poil toujours fumant ; Au-dessus de Teau noire elle oscille un moment; Puis, dans le vent terrible et la pluie et la brume, Sur les sombres récifs s'écrase lourdement.

Une autre la remplace, elle crie, elle approche ; Fille du même père, elle aura même sort.

lO

AU PAYS DHS AJON'CS

Un oiseau se lamente au sommet d'une roche; D'un village voisin arrive un son de cloche; Et c'est à la fois triste et doux comme la mort.

Mais un souffle a frémi sur l'océan sublime, Un prompt rais de soleil l'illumine en passant, Le visage de Teau devient presque innocent. Et je crois voir monter du profond de l'abîme Ta face radieuse et calme, ô Tout-Puissant.

EN BRETAGNE

EN BRETAGNE

C'est vrai, j'ai filé comme Hercule Aux pieds d'Omphale, la jolie; Je fus servant de sa folie ; On m'a trouvé bien ridicule.

Mon cœur au hasard s'envola, Sanglant, sur Tabîme fleuri. J'ai reposé mon front meurtri Sur les seins durs de Dalila.

Mais la Bretagne, rude et franche, M'accueille au bord de sa feuillée. Mon enfance s'est réveillée Au son des cloches du dimanche.

14 AU PAYS DliS AJONCS

En ce doux et charmant décor On peut aimer sans en mourir, Les ajoncs viennent.de fleurir; Toutes les routes sont en or.

Et l'oiseau chante, chante, chante Son chant breton qui s'évertue. En ce grand cahne, elle s'est tue, La vie imbécile et méchante.

Adieu, mon immense rancœur ! Plus rien de Laid, plus rien d'amer. Le bleu céleste de la mer. Tout le bleu tendre est dans mon cœur

KERIS

KÊRIS

Pctra "0 ncvc':;^ c Ker-Is

Mar d'eo hen drant ar iaoïtanl;}:^,

Ha mar kJevan ar hiiriou

Ar vomhard ha g ann têlennou (i)

1

Comme, sur un rocher de l'île, loin des grèves. Les yeux demi-perdus dans le soleil levant, J'abandonnais ma loque aux tourbillons du vent Et laissais choir mon cœur dans l'infini des rêves,

Je vis surgir du fond, du profond de la mer.

Un porche en fleurs, des bois, une ombre de prairie.

Et je pensai : « C'est quelque idéale féerie.

Fille de l'eau menteuse et des esprits de l'ai'r. »

(i) Voir la très belle pièce d'Olivier Souvcstre dont la deuxième partie de ce poème s'est largement inspirée.

l8 AU PAYS DES AJONCS

Mais le bois s'allongea, puis une étroite allée Se mit à serpenter au milieu des ajoncs. Avec ses hautes tours et ses mille donjons M'apparut une ville noble et désolée.

Tremblante, elle baignait son front dans la clarté, Comme une veuve en deuil, encore désirable. On eût dit que je ne sais quoi d'irréparable S'était, un jour, appesanti sur la cité.

Une herbe d'un vert pâle envahissait les rues. Les fontaines coulaient à peine, indolemment. La vie était muette en ce château dormant, Et la campagne, au loin, n'avait pas de charrues.

Tant de logis d'amour, et pas un damoiseau ! Tant de clochers bien ajourés, et pas un prêtre ! Nul sourire de blonde à l'étroite fenêtre, Pas même, sur la lande, un petit chant d'oiseau.

Et tout ce formidable et morne paysage Oscillait doucement au remous du matin, Et j'aurais bien voulu cueillir un brin de thym Sur cette terre à moitié morte et sans visage.

Je disais : « Qii'est-ce ? Quels goujats sont venus Saccager le jardin avec ses roses blanches ?

KÉRIS 19

Quel enfant de tristesse est resté sous les branches ? Qu'a-t-on fait de la belle Emeraude aux seins nus ? »

II

Kéris, Kéris ! Eh ! c'est l'impudique endormie, La Ville aux yeux mauvais, dont on m'a tant parlé, La Ville de Gralon et de saint Guennolé, Toute suante encor de sa vieille infamie!

C'est qu'on a craché sur le Dieu mort en croix. Que le vin ruisselait sur les nappes rougies ; C'est qu'Ahès la folle a mené ses orgies Qui faisaient frissonner jusqu'aux bêtes des bois.

Tandis que le vieux roi, dans sa cellule close, Epelle lentement l'Evangile du jour, Sa fille incomparable est au château d'amour, Entre le serpent jaune et la mauvaise rose.

Les septs péchés mortels sont sortis de l'enfer Afin d'auréoler sa merveilleuse tête. Et sa luxure fait comme un bruit de tempête, Par une nuit épouvantable, sur la mer.

Partout rires et cris, tonnerres de bombardes. Ruffians sans pudeur, affreux musiciens.

20 AU PAYS DES AJONCS

Qu'un pauvre se présente, on lui lâclie les chiens ; C'est l'or pris au bon Dieu qui fait chanter les bardes.

La ronce croit au seuil des autels profanés. Les vieux saints désertés sano^lotent en silence. Tandis que recommence encore et recommence La ronde fourmillante et folle des damnés.

Et le prince est venu qu'on attendait, tout rouge, Avec la barbe étincelante et l'œil méchant. Comme dans une auberge il entre, trébuchant, En ce palais, jadis royal, qui n'est qu'un bouge.

Salut, garçons légers, fille du vieux Gralon ! Vous croyez rire et votre ivresse est lamentable. Laissez-moi seulement m'asseoir à votre table, Avant qu'il soit longtemps, vous en apprendrez long.

Connais-tu, par hasard, quelque nouveau blasphème? Suis moi, bel étranger, et sois le bienvenu.

Tout le mal, je le sais. Rien ne m'est inconnu. Je suis pire que Dieu lui-même. Alors, je t'aime.

Ahès se pend au cou du sombre visiteur, Et le bal de nouveau court, pétille, flamboie. Les danseurs sont hideux, plus hideuse est leur joie. C'est à qui jettera sa bave au Créateur.

( KERIS 21.

Fille du flot pervers, dit le prince, ô ma douce ! Je veux céans t'offrir un divertissement.

Il te plaira. Qu'on aille à Kéris seulement

Me quérir crucifix et croix, tant qu'il en pousse.

Trois ribauds sont partis saccager les moutiers ; Trois autres sont allés piller les sanctuaires. Ils volent tout, flambeaux, coff'rets et reliquaires, Ils brisent tout, autels, tombes et bénitiers.

La canaille à ce jeu s'est assez divertie. Chacun rentre suant, les bras lourds de butin. Et voici qu'au milieu des hontes du festin. En son ciboire d'or brille la Sainte Hostie.

Dés que le prince rouge a vu le corps de Dieu :

Joie à vous tous, dit-il encor, gloire au plus digne ! Il rit, grince des dents, bave, écume, trépigne.

Et dans ses yeux maudits tourbillonne du feu.

Il crache sur le pain consacré par le prêtre, L'écrase sous sa botte à grands coups de talons. Ceux de Kéris, pareils à de noirs étalons. Bondissent, dans l'orgie infâme, autour du Maître.

Maudite soit la croix ! maudit le Dieu vivant ! Et tous de se ruer sur la vaisselle sainte.

22 AU PAYS DES AJONCS

Le calice adorable, ils y boivent sans crainte ; La cendre des vieux saints, ils la jettent au vent.

Et la danse reprend, nue, horrible, sauvage, Les anneaux repliés comme un serpent qui fuit. Ce qu'a vu son œil triste a fait pleurer la nuit. Et l'ange de Bretagne a voilé son visage.

Soudain, dans le ciel calme un éclair a couru, Tout le palais chancelle et le tonnerre éclate. Il passe des feux verts, une flamme écarlate : Danseurs, danseuses, baladins ont disparu.

Prés d'Ahés qui sourit et que la foudre éclaire. Le prince est resté seul, diaboliquement beau, Dieu, dit-il, nous devait ce merveilleux flambeau. Ne m'entends-je pas bien à le mettre en colère ?

O douce de mon âme, ô toi qui me rends fou, J'ai grand désir de voir la clef de vos écluses ! Tu l'as sûrement. Las ! mon amour, tu t'abuses. C'est le vieillard Gralon qui la porte à son cou.

En sa chambre de moine, à cette heure, il repose. Comment faire ? Vraiment, trembles-tu pour si peu ? Et dans les yeux d'Ahés il met ses yeux de feu ; Il baise sa main blanche et ses lèvres de rose.

KÉRIS 25

Gracieux comme un ange au clair du firmament, Tant la vieillesse avec l'innocence a de charmes, Le roi dormait, le cœur dolent et tout en larmes. Quelqu'un dans la cellule est entré doucement.

C'est la princesse de tout mal, que rien ne touche. Elle rit de celui qui peut l'aimer encor. Quand au cou de son père elle a pris la clef d'or. Un éclair de triomphe illumine sa bouche...

La mer, la mer, la grande mer, la mer qui bout ! Comme un dogue en fureur, elle a brisé sa chaîne. Plus hurlante toujours sous le vent qui l'entraîne. De son suaire immense elle recouvre tout.

Déjà plus de rivage, et le flot roule, roule. Un morne et long troupeau de cadavres le suit. On entend dans la nuit, l'interminable nuit. Le bruit terrifiant de Kéris qui s'écroule.

Alors saint Guennolé s'en va trouver le roi.

Roi, léve-toi, car la grande écluse est ouverte.

Léve-toi, si tu veux échapper à ta perte.

La mort est à deux pas, qui n'attend plus que toi.

Je t'avais dit que Dieu vengerait son offense. A cheval, sauve-toi ! Le moment est venu.

24 AU PAYS DES AJON'CS

Et Gralon, hors de lui, grelottant, presque nu, Pleure et cric : Oh ! ma pauvre ville sans défense !

Tous deux partent sous les éclairs, au son des glas. Ils vont, ils vont vers le salut, vers la campagne. La voix terrible de la mer les accompagne ; Il leur faut enjamber des morts à chaque pas.

Et juste à la même heure, au milieu des décombres De ces mille palais qui n'ont plus de vivants, Ahès errait à droite, à gauche, à tous les vents. Belle en son désespoir, comme l'esprit des ombres.

Plus léger qu'un blasphème, a fui l'amant félon. Elle erre dans la mort, sans même une suivante. Deux chevaux ont passé devant son épouvante. Vite, elle a reconnu le saint avec Gralon.

Sauve-moi, père, père ! Et sa voix ensorcelle, Et son visage éclate en ses cheveux d'ars^ent.

Fuyons, dit Guennolé. Mais le père indulgent Prend sa fille et l'assoit doucement sur la selle.

Aussitôt la mer gronde et bondit sur leurs pas. Elle envoie en avant son haleine effroyable.

Gralon, dit Guennolé, rejette à l'eau ce diable ! Mais le père ne voit que l'enfant dans ses bras.

\

KÉRIS 25,

Il réchauffe son corps glacé, sans un reproche. Puisque ses vieilles mains ont pu la soulever, Il n'a plus qu'un désir et c'est de la sauver. La mer surgit, la mer grandit, la mer approche.

Elle baigne déjà le pied blanc des chevaux.

Elle hurle à la mort et réclame sa proie.

Et le père, plein d'une amére et triste joie.

Berce l'enfant aux yeux de pervenche, au cœur faux.

Les chevaux sont dans l'eau, la crinière éperdue. Ils sentent sur leur cou glisser un souffle froid Qui hérisse leurs poils et les glace d'efîroi. Ils hennissent lugubrement dans l'étendue.

Et la mer monte encor d'un furieux galop. Elle vient de toucher les fuyards à l'épaule. C'est la fin. Guennolé prend son bâton de saule Se signe, et frappe Ahès qui roule au premier flot.

D'un brusque mouvement toute la mer recule. Elle écrase Kéris de son linceul croulant. A l'horizon des bois se lève un jour sanglant. Et cette aurore a des reflets de crépuscule.

Gralon chevauche près du saint, l'œil égaré.

Ses mains tremblent de peur et sa vieille âme soufTre.

26 AU PAYS DES AJON'CS

Il a vu son enfant s'abîmer clans le goufire ; Il entendra toujours son cri désespéré.

Mais voici qu'au sommet de la plus haute vague S'allume on ne sait quoi qui scintille en dansant. Au ras des flots s'égrène un rire éblouissant. Une forme sur":it, délicieuse et va":ue.

Désormais elle est fée, Ahès au cœur de fer, Elle a changée de nom en chanf^eant de fortune, Et c'est Mary- Morgan qui chante au clair de lune. En peignant ses cheveux de blonde, sur la mer.

III

Je méditais, pensif, cette lugubre histoire. Plaignant Kéris la grande en son lourd châtiment. Quant se fît dans l'abîme un léger tournoiement : Je vis au fond de l'eau s'ouvrir un oratoire.

Sur le seuil apparut un prêtre en cheveux blancs. Les traits durs, droit encore en sa chape râpée. Il portait le Saint-Sacrement comme une épée. Et dans la cité morte il s'en fut à pas lents.

Un pâle enfant de chœur, en noire soutanelle, Asfitait devant lui la crécelle de bois.

KÉRIS 27

Sur cette terre ingrate, en ce pays sans voix, C'était comme un écho de la vie éternelle,

Et tout, portes et murs, parut se balancer. Les palais oscillaient et soulevaient leurs dômes ; Il en sortait, sans bruit, un peuple de fantômes Qui sur le velours de la mer semblait glisser ;

Dragueurs, marins, pécheurs, ouvriers de la terre, Nobles et gens de rien, tous étaient confondus. Tous au même récif honteux s'étaient perdus. Avaient du même coup sombré dans le mystère.

Et la vague passa vingt fois et repassa ; Une lueur brilla, qui ne fit qu'apparaître En un frisson d'angoisse ; à la suite du prêtre, Une procession sinistre s'avança.

Au premier rang flottaient d'innombrables bannières de très vieux martyrs montraient leurs poings san-

[glants.] Les vierges qui suivaient avaient les yeux dolents. De ces yeux sans espoir qu'on voit aux prisonnières.

Cent kloareks, le front rasé, venaient après. Chacun jetant sa plainte, égrenant son rosaire. Puis quatre matelots, vrais piliers de misère. Qui portaient un navire avec tous ses agrès.

28 AU PAYS DES AJON'CS

Ce qui venait ensuite effrayait comme un rêve. Tant de Saints convulsés, de Christs noyés de pleurs, Tant d'images de la Vierge des Sept Douleurs, Le cœur agonisant sous le tranchant du glaive !

Et derrière, une foule étrange, aux cheveux longs, Qui toujours grossissait dans un bruit d'avalanche. Hommes en bragou-braz, femmes en coiffe blanche, Avec leurs châles noirs traînant sur les talons.

Et les vagues grondaient, et des larmes améres Ruisselaient à longs flots de tous ces pauvres yeux : Les jeunes gens pleuraient sur l'épaule des vieux, Les enfants sanglotaient aux jupes de leurs mères.

Du plus haut des beffrois tout à coup s'envola Une mélancolique et claire sonnerie. Comme au jour de Noël ou de Pâques fleurie Toutes les cloches d'Ys chantèrent à la fois.

Mais ce chant qui mourait en tintements funèbres N'était pas l'hymne heureux d'un monde jeune et beau. On eût dit que ces voix qui sortaient du tombeau Célébraient tour à tour l'office de Ténèbres.

La triste foule était tombée à deux genoux. Quelques-uns défaillaient sous la houle marine.

KÉRIS 29

D'autres en furieux se frappaient la poitrine,

Et tous criaient : « Seigneur, ayez pitié de nous !

O Dieu, mon Dieu ! maître du ciel et de la terre, Qui soulevez la mer immense et la calmez, Jésus mort sur la croix pour nous avoir aimés, Quand visiterez-vous la maison solitaire ?

Nous avons tout jeté dans le gouffre écumant, La fleur de notre corps et la foi de notre âme. Nous avons jusqu'au bout suivi la route infâme ; Seigneur, vous le savez, nous souffrons justement.

La luxure nous a noyés dans son abîme. L'orgueil a pris nos cœurs et les a desséchés ; Nous ne pouvons porter le poids de nos péchés. Et toujours devant nous resplendit l'ancien crime.

Oli ! l'afiVcux souvenir qui hurle et nous poursuit ! Allés, le prince avec son rouge sortilège, Les blasphèmes sans nom, l'inouï sacrilège Par qui flamboie encor l'épouvantable nuit !...

Misérable vermine, insensés que nous sommes ! Si nous souftVons, mon Dieu, nous l'avons mérité, Mais vous êtes aussi l'éternelle bonté Et vous avez pleuré sur le malheur des hommes.

30 AU PAYS DES AJONCS

O source de miséricorde ! ô Dieu clément ! Avons-nous donc commis le mal irréparable ? Ne verrons-nous jamais votre face adorable ? Languirons-nous toujours, privés du sacrement ? »

Et cette humble prière et ce cri d'agonie Vers le ciel implacable essayaient de monter, Un invisible vent semblait les ballotter ; Ils roulaient, au hasard, dans la vague infinie.

Sur les eaux se levait un parterre enchanté des lys de lumière étoilaient chaque branche. L'étincelant miroir de la mer toute blanche Réfléchissait, tranquille et pur, l'immensité.

A la pointe des flots, au loin, se fit entendre Une musique étrange et qui serrait le cœur. C'était comme un long rire au caprice moqueur, Comme un appel d'amour, idéalement tendre.

L'impassible horizon s'illumina soudain, Le soleil balaya ce qui restait de brume. Je vis un corps suave et ruisselant d'écume Grandir parmi les fleurs du féerique jardin.

Oh ! ce torse éclatant d'immortelle statue, Ce visage adorable et pétri de clarté,

KÉRIS 3 1

Ces jeunes seins, plus frais que la rose d'été ! Je reconnus Mary-Morgan, celle qui tue.

Distraite, elle peignait ses cheveux merveilleux Quii, légers, s'envolaient sur l'Océan farouche. Toute la volupté frétillait sur sa bouche, Tout l'infini du mal éclatait dans ses yeux.

Elle chantait, la fée implacablement blonde,

La perte inévitable et l'impossible amour.

Et sa voix douloureuse et folle tour à tour.

Sa voix d'argent semblait venir d'un autre monde.

Parfois elle priait délicieusement :

On eût dit une lente et subtile caresse.

Puis elle commandait durement, en maîtresse.

Et bientôt s'éplorait comme une âme en tourment.

Mais diabolique ou tendre, amoureux ou terrible. Ce chant, comme une vague immense, emportait tout. Il vous aspirait l'àme et le cœur d'un seul coup. Son appel vers la mort était irrésistible.

Les damnés de là-bas l'avaient-ils entendu ? Sans doute. Car leur cri m'arrivait plus sauvage. Une clameur montait de la mer sans rivage : Ahés, Ahès, l'horrible Ahés qui m'a perdu !

32 AU PAYS ni-S AJOKCS

Elle revient, l'infâme, avec son maléfice. Le venin fume encore aux longs crocs du serpent. Va-t-il donc retomber, le cœur qui se repent ? Seigneur, épargnez-nous l'horreur de ce calice!

L'ostensoir un instant s'éleva dans la nuit. J'entendis l'oraison qui préserve des charmes. Il passa, frénétique, un ouragan de larmes ; Le vent soulîla du large et tout s'évanouit.

O joie ! Ils avaient fui, les yeux de la Sirène ! L'infini de l'azur scintillait au lointain. Les flots cabrés, pareils aux chevaux du matin. Disaient le noble orgueil de la mer souveraine.

Mais dans cet or du jour et cet enchantement. Quelque chose pleurait encor sur l'eau tremblante. C'était le morne adieu de la cité dolente. Les cloches de Kéris qui sonnaient tristement.

IV

Sonnez, cloches de deuil, dans l'eau mélancolique Entre l'algue marine et le noir ooémon ! O pauvres voix qu'avait fait taire le démon. Élevez jusqu'à Dieu votre ardente supplique !

KÉRIS 33

Et toi, ville engloutie aux lueurs de Téclair, Réjouis-toi, Kéris, et fais ta pénitence. Espère. Le Seigneur bénira ta constance. Et tu refleuriras, ô rose de la mer !

Ah ! je suis comme toi, la ville abandonnée,

l'herbe pousse autour des croix, qui meurt sans bruit ;

Celle qui de l'abîme nul astre ne luit.

Crie en pleurant: Quand donc serai-je pardonnée ?

A l'heure le soleil s'abaisse à l'horizon. Elle a senti passer l'aile du mauvais ange. Quel souffle d'au-delà balaiera cette fange ? Qui saura retrouver les clefs de la prison ?

La chapelle en plein bois, l'église de l'aurore Qui vit mon innocence et reçut mes aveux, L'église de mon âme a-t-elle éteint ses feux ? L'Angelus du printemps chantera-t-il encore ?

Hélas ! tant de faiblesse lâche et de rancœur !

Ils sont loin, les matins dorés de la colombe.

Et j'entends, plein d'effroi quand la lourde nuit tombe,

Mary-Morgan chanter sur la mer de mon cœur !

LE LIT CLOS

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LE LIT CLOS

D'abord cet humble lit ne me dit pas grand'chose. A parler franchement, il n'était pas trop beau Avec son cofïre usé qui servait d'escabeau Et ses rideaux fanés de percaline rose.

Mais il avait un air d'extrême honnêteté ! Puis, tout paraît charmant à celui qui navigue... En dépit de son âge, il tenta ma fatigue, Et je m'applaudis fort lorsque j'y fus monté.

Ah ! le cher lit, cassé comme un bon patriarche, Confortable pourtant, moelleux, presque douillet ! Les rudes draps, fleurant la lavande et l'œillet ! L'oreiller du repos, si doux après la marche !

38 AU PAYS DES AJON'CS

On est comme un moine en son petit couvent; Rien ne vous pèse plus des choses de ce monde; Et, le cœur endormi dans une paix profonde, On écoute au dehors tourbillonner le vent.

La mer, à quelques pas, déferle sur la grève. Et son chant monotone et large vous poursuit. Elle parle plus franc au tomber de la nuit ; En cet abri rustique on comprend mieux son rêve.

Tant d'êtres primitifs ont dormi dans ces draps. Tant de marins partis pour la grande aventure, Tant de durs laboureurs, tant d'hommes de nature. Gagnant leur pauvre vie à la force des bras !

Simples, ils n'étaient pas de ceux-là qu'on acclame. Leurs dévouements obscurs, on les a méprisés. Mais ce lit, confident de tant d'espoirs brisés, A gardé, j'en suis sûr, une part de leur âme.

C'est lui qui, par un soir trop vite évanoui, Accueillit le hardi jeune homme avec sa douce. Il leur a fait un nid plus tendre que la mousse ; Leurs honnêtes baisers l'ont souvent réjoui.

11 a connu le trouble et l'abandon des vierges. Il fut l'ami des vieux et leur dernier soutien.

LE LIT CLOS 39

ïl a vu la naissance et la mort du chrétien. Il finira lui-même à la lueur des cierges.

Et comme je partais pour l'éternel azur Avec ces braves gens et leurs vertus cachées, Les images de Saints, prés de l'âtre accrochées, Parurent tout à coup se détacher du mur.

Je vis venir à moi des bonshommes de plâtre. Peinturlurés de vert, de jaune et de carmin, Et tous me saluaient, tous avaient à la main La crosse de l'évéque ou le bâton du pâtre.

L'un surtout souriait avec aménité ! C'était un beau vieillard à la barbe fleurie. Je reconnus le clerc de la Vierge Marie, Le pasteur et le juge, Yves de Vérité !

Il regarda mon lit avec des yeux d'ancêtre. Son regard sans malice avait mille douceurs ; Et celui devant qui tremblent les oppresseurs Parla divinement en ce cadre champêtre.

« Que tu viennes de France ou d'un monde inconnu, Que tes pieds aient foulé la plaine ou la montagne, Mon fils, je te salue au nom de la Bretagne Entre sur mon domaine, et sois le bienvenu !

40 AC l'AVS DhS AJO.VCS

Nos genêts d'or, nos clairs ajoncs, nos blanches roses. Si tu comprends leur àme, enchanteront tes yeux ; Notre mer te dira le secret des aïeux; Ecoute-la parler ! Elle sait bien des choses...

En ces bois d'où le siècle est à jamais banni, Tu pourras entrevoir un coin du grand mystère ; Un charme d'innocence est resté sur ma terre, Elle peut sans effroi contempler l'infini.

Peut-être apportes-tu quelque penser frivole : Laisse échapper, mon fils, cet oiselet doré. Souviens-toi que ce sol est un lieu consacré D'où, comme un pur encens, la prière s'envole.

Pense à ceux que la vague a naguère engloutis Et qui t'ont précédé dans cette humble demeure. Eux aussi souriaient aux délices de l'heure, C'est l'espérance aux yeux que tous étaient partis.

Mais quand un vent de mort a secoué leurs voiles. Leur cœur au sacrifice était déjà tout prêt ; Ils ont baissé la tête, et, sans même un regret, Se sont évanouis dans la paix des étoiles.

Songe à ces laboureurs qui creusent leur sillon, Sans se lasser jamais, dans la pierre ou le sable ;

LE LIT CLOS 41

A tous ces travailleurs que la fatigue accable, A ces bœufs, patients et doux sous l'aiguillon.

Ils ne se plaignent pas. Rien ne les décourage. Leur âme a la candeur et la foi du ciel bleu. Pour oublier leur peine et monter jusqu'à Dieu, Il leur suffit d'entendre un oiseau dans Torage.

Toi que hante, à cette heure, un souvenir mortel, Regarde ces vaillants et prends-les pour exemple. Dépouille ton orgueil à la porte du temple ; Agenouille ton cœur devant le pur autel.

Le chagrin qui t'oppresse est pareil aux mouettes Qu'emporte sur la mer le vent qui rajeunit, Puisses-tu, délivré des pièges du Maudit, Redevenir enfant avec les alouettes î

Vois ! La sainte Bretagne a pour toi revêtu Sa parure d'ajoncs, son manteau de bruyères. Un esprit bienfaisant respire dans ces pierres ; De ces mille fleurs d'or s'exhale une vertu.

C'est un rêve d'argent qui bat le pied des roches ; D'angéliques parfums s'élèvent du ravin ; Et, comme un frais écho du royaume divin, Dans l'azur infini passe le chant des cloches.

42 AU PAYS DES AJOKCS

O mon fils, c'est ici la terre de beauté, C'est le pays d'amour le soleil se couche. Si quelque chant léger s'envole de ta bouche. Qu'il soit fait d'innocence et de simplicité ! »

« Ainsi-soit-il î >■> pensai-je, et soudain je m'éveille. Qu'est-ce donc ? A ma porte apparaît un jour cru. Avec sa barbe d'or l'évêque a disparu Mais son accent breton m'est resté dans l'oreille.

O bonhomme Héloury, vous enseignez l'amour. La vertu du lit clos opère à sa manière. Me voici désormais une âme printanière, Une âme de granit... avec des fleurs autour.

C'est un cœur trégorrois qui bat dans ma poitrine, Un large cœur, sincère et droit, qui ne ment pas. J'emiplirai mes poumons du bon air de là-bas Et je me fleurirai les yeux d'algue marine.

J'étais l'indiff'érent qui ne s'attache à rien. Le mauvais ouvrier qui meurt de sa paresse ; Les cloches de la mer comprendront ma détresse Et m'apprendront peut-être à faire un peu de bien.

La fraîcheur de la lande a passé dans mon être. J'ai franchi la rivière et sauté Téchalier.

LE LIT CLOS 43

Les calvaires m'ont fait un salut familier.

Tout le charme d'Arvor m*entoure et me pénétre.

Je ne demande plus que la douceur du chant. Si j'ai des ennemis, je n'en veux à personne. Je suis l'oiseau qui vole et l'Angelus qui sonne Pour le sage et le fou, même pour le méchant.

Et voici, grâce à Dieu, ma plantureuse hôtesse Qui m'apporte la goutte et le cidre mousseux. ' « Encore au lit, dit-elle, ètes-vous paresseux ! » Comment ne pas répondre à tant de politesse ?

Bretagne hospitalière et franche, à ta santé ! Aux filles de Trégor, à tous ses rudes hommes ! Comme eux, je rends hommage au noble jus des pommes. J'étais déjà Breton sans m'en être douté.

NOTRE DAME DE LA CLARTÉ

NOTRE DAME DE LA CLARTÉ

1

Avec ses tendres yeux que dorent

Les rayons du soleil d'été,

Notre Dame de la Clarté

Est douce à tous ceux qui Timplorent.

On m'a conté qu'au temps lointain, Au temps fleurissant de l'hermine, Un chevalier de haute mine Se lamentait soir et matin.

Ses compagnons tenaient campagne ; Plus d'un pour la terre de Dieu, Avait quitté son pays bleu, Ses blanches landes de Bretagne.

48 AU PAYS DKS AJONCS

Lui restait seul en son manoir, Pauvre aveugle noyé dans l'ombre, Et son âme était toujours sombre. Et son ciel était toujours noir.

Il invoquait, en sa souffrance. Tous les saiilts dont on a parlé, Guirec, Efflam et Guennolé ; Saint Yve avait sa préférence.

Mais il aimait encor bien mieux Evoquer Madame Marie, Toute verdoyante et fleurie, Sur le balcon doré des cieux.

« Dame de joie enveloppée. Très Sainte Vierge, disait-il, Voici venir le mois d'avril Que fleurissent les coups d'épée.

Moi, je languis en ma maison Sans une âme qui me soutienne, Tendez-moi votre main chrétienne Et je sortirai de prison.

J'entends les oiseaux sur la lande. Ah ! si je voyais leurs couleurs !

NOTRE DAME DE LA CLARTÉ 49

Damr, ayez pitié de mes pleurs, Écoutez ma peine si grande ! »

Or, la Vierge un jour l'entendit, Comme elle regardait la terre. Elle s'en fut en grand mystère, \'ers son serviteur descei^dit.

Sur les ajoncs, à la rosée, Elle flottait si doucement! Son visage était si charmant Sous la coiffe de l'épousée!

Lui, morne, toujours anxieux, Se lamentait encore, encore. D'un doigt plus léger que l'aurore. Elle effleura ses pauvres yeux.

O joie, ô féerie, ô merveille ! Le jour se lève sur les bois, Et, sauvage et douce à la fois, La Bretao^ne au laroe s'éveille.

Il voit le guetteur à sa tour, Il voit les campagnes tranquilles, Et Ploumanac'h et les Sept Iles La grande mer tout à l'entour !

JO AU PAYS DES AJONXS

Plein de larmes comme une femme, Il laisse déborder son cœur; 11 voudrait dire son bonheur A la très chère et bonne dame.

Hclas ! au pays des bandits A peine l'a^t-on reconnue, Qu'elle a regagné, dans la nue. Son clair jardin du Paradis.

Mais il est resté quelque chose De l'image d'azur et d*or ; Un bout d'écharpe flotte encor Entre la mer et le ciel rose.

La mer î Elle est d'un si doux bleu. D'un bleu si fin, d'un bleu si tendre! Sa voix qu'il fait si bon entendre Monte lentement jusqu'à Dieu.

Une invisible ritournelle Tourne, tourne autour des ravins ; Les yeux des fleurs sont plus divins, La vie est un peu moins cruelle.

Quant au digne et preux chevalier. Qu'advint-il de lui ? Je l'ignore.

NOTRE DAME DE LA CLARTÉ 5I

Peut-être bien qu'il court encore Entre la lande et l'échalier.

Heureux ceux que le Christ appelle ! Il fut de ceux-là sans mentir ; Mais dévot, avant de partir, Il fit bâtir une chapelle.

Une chapelle au toit pointu. Resplendissante comme un cierge. Qui dit les grâces de la Vierge Et son mérite et sa vertu.

De tous les points du paysage Chacun la voit à son réveil. Son fin granit rit au soleil Au dessus de la mer sauvage.

Dés que revient le bel été, Tout franc disciple de saint Yve Invoque, en son âme naïve. Notre Dame de la Clarté.

II

C'est le quinze août la grande fête. Le jour si longtemps attendu. Le sacristain au pied tordu Carillonne à fendre la tcte.

52 AU PAYS DES AJONCS

Kt la fanfare de Tréguier, Bonne à coup sûr parmi les bonnes, Fait à grand renfort de trombones, Un bruit qu'on ne peut oublier.

Est-ce un Pardon ? Est-ce une foire ? Le gwin-ardent coule à pleins bords. On boit à la santé des morts, Pauvres gens qui n'ont plus à boire.

Des fûts, largement défoncés, Coule à flots le cidre mystique. Le hoquet se mêle au cantique, La danse au chant des trépassés.

Mais la prière est si fervente

Qu'au Calvaire on entonne en chœur !

Si sincère est le pauvre cœur

Entre Tivresse et l'épouvante !

De fins garçons tôt sont venus De la mer ou de la campagne. Lurons que la Vierge accompagne. Tous ivrognes, tous ingénus.

Il sont venus du bout du monde. De Trégastel ou de Pleumeur,

NOTRE DAME DE LA CLARTÉ 53

Compagnons de joyeuse humeur, Gais pèlerins à tête ronde.

Plus d'un marin est débarqué, Tout goudronné, de la Grande Ile. D'autres arrivent de la ville, De Louannec ou de Saint-Quay.

Puis voici la horde fidèle Des commères aux maigres cous ; Elles font sur leurs vieux genoux Trois fois le tour de la chapelle.

Triste à mourir comme un adieu, Se traîne leur boiteuse antienne. Elle rejoint, humble chrétienne, Celle des pauvres du bon Dieu.

Oh ! Tous ces pauvres sous la porte ! Boiteux, galeux, rogneux, lépreux. Comme ils sont beaux les malingreux. Les yeux morts dans la face morte !

Leurs cris aigus déchirent l'air Comme la cloche des dimanches. Mais bas, que de coiffes blanches, Folles mouettes sur la mer î

54 AU PAYS DES AJON'CS

En châle jaune, en robe noire,

Ce sont les belles d'alentour

Que guette le rustique amour

Cent fois plus doux qu'on ne peut croire.

Les jambes pendant sur le mur Du cimetière sont les roses, Elles vont entendre des choses, Qui leur feront un cœur d'azur.

Et la fontaine de la Vierge ! Qui n'y voudrait tremper ses mains ? On y court par tous les chemins, On s'y presse comme à l'auberge.

'Car c'est l'eau pure, sans défaut, Qui dissipe l'ombre mortelle. Nulle part on n'en voit de telle. Sa grande vertu vient d'en haut.

Si la couleur en est peu franche. Elle ne guérira que mieux. On s'en frotte cent fois les yeux. On en verse un peu dans sa manche.

Et Notre Dame sait très bien Qui mérite d'être à la fête.

NOTRE DAME DE LA CLARTÉ 5.5

Qu'elle fasse un signe de tête, L'aveugle renverra son chien.

Allez donc, troupeau lamentable. Procession des affligés ! On portera les plus âgés ; Tous ont place à la grande table.

Echappez-vous de la prison, Stropiats et paralytiques ; Marchez dans le vent des cantiques A l'éternelle guérison !

Pauvres, tendez votre besace. Qu'il y tombe un rayon de miel ! Aujourd'hui s'entr'ouvre le ciel. Et tout chrétien trouve sa place,

La richesse est aux indigents, La santé revient aux malades ! Avec de joyeux camarades J'ai bien ri de ces bonnes gens.

,111

J'ai ri de leur naïve offrande, De leur prière au ciel brumeux, Et maintenant je suis comme eux ; Ma misère est encor plus grande.

$6 AU PAYS DES AJONCS

Depuis longtemps n'a plus souri Qui me rendait l'àme contente. L'heure, au matin, n'est plus chantante, Le vert sentier s'est défleuri.

Aveugle, dans la nuit profonde, Je m'en vais, les bras en avant. Dans la rafale, sous le vent, Je fais le tour du triste monde.

O Notre Dame aux yeux d'amour. Si belle au haut de la montaçrnc, Lys immaculé de Bretagne, Vous la candeur et vous l'amour.

Dame trônant dans la lumière, L'ange d'or à votre côté, Frappez sur ce cœur irrité. Rendez-lui sa douceur première.

O vous, qui du parvis des cieux Regardez mon humble souffrance. Joie, amour pur et délivrance?, Sainte Marie, ouvrez mes veux !

LA MER

LA ME%

Entre les durs rochers qui bordent le ravin J'ai vu monter au ciel l'éblouissante aurore ; La face de la mer était d'un bleu divin.

D'une brume idéale enveloppée encore,

La mer ouvre son cœur, indomptable et charmant.

Au soleil matinal dont le feu la colore.

Elle sourit à son impérial amant,

Au héros casqué d'or, qui s'enflamme pour elle;

Elle sourit, candide et bleue, infiniment.

ï

6o AU PAYS DES AJONCS

La Vierge a retrouvé sa grâce naturelle,

Ses yeux de pur amour et son calme enchante,

Et dans l'azur profond j'entends la tourterelle.

Mais du tranquille abime un soupir est monté, La lumière pâlit et la brume s'allonge Comme une robe d'ombre autour de la beauté.

11 a surgi sur l'eau des visages de songe Lentement tout le ciel à la mer s'est uni, Et voici se dresser le palais du mensonge.

II

Oh ! quelles îles d'or et quel pays béni S'épanouissent tout là-bas, dans le mystère ? Ne vois-je pas le grand chemin de l'infini ?

Au large resplendit le splendide parterre. Le jardin sans pareil qui s'émaille, au matin, D'éblouissantes fleurs qu'on ne voit pras sur terre.

Sur des flots de velours, de moire et de satin

Glisse nonchalamment la flotille des fées ;

Leurs rames que j'entends font un bruit argentin.

Elles s'en vont sur l'eau, d'algues vertes coiffées, Elles vont. Leur gaîté s'éparpille dans l'air. L'odeur de leurs bouquets m'arrive par bouffées.

LA MER 6l

Plus loin, à l'horizon, les nymphes de la mer Poussent de joyeux cris sur leurs cavales franches Et jamais bataillon ne me parut si fier;

Un flot de verts cheveux leur inonde les hanches,

Une lueur de brume illumine leurs yeux ;

Sur l'azur formidable, elles sont toutes blanches.

Et voici maintenant le rocher merveilleux

D'où, quand la nuit descend, Mary-Morgane chante

Aux matelots perdus son chant délicieux.

Sa voix de pur argent, sa voix qui les enchante Monte comme un appel au ciel en floraison. Douce, folle, ironique et quelquefois méchante.

Mais tout homme est bien prés de perdre la raison, Quand, sous la lune claire, il a vu la sirène De sa bouche de fleur lui tendre le poison ;

En sa grotte de nacre et d'azur elle est reine ; Chacun de ses regards est un commandement, Sa magie au profond du gouflVe vous entraîne.

Et l'heure a tressailli du orand enchantement. Une ville de rêve apparaît dans l'abîme. Des cloches ont tinté mélancoliquement.

62 AU PAYS DKS AJONCS

Lentement, lentement, quel fantôme s'anime ? Kéris, ah ! c'est Kcris, l'impudique cité, Kéris, qui dans la mort expie encor son crime !

III

Et puis rien... Par degrés, le jour s'est attristé. Un vent tumultueux s'élève, et du ciel tombe Sur la mer somnolente une morne clarté.

donc est maintenant l'aile de la colombe ?

donc les bleus vaisseaux avec leurs drapeaux blancs ?

On a le cœur serré comme autour d'une tombe.

Un cri de mort s'abat sur les récifs branlants, Le flot sinistrement bat les roches meurtries, Lugubre est, dans Tair froid, l'adieu des goélands ;

Et rien n'est demeuré des sublimes féeries Qui se jouaient naguère en ce divin décor, A la grâce du vent et des vagues fleuries.

L'oiseau miraculeux vient de prendre l'essor, Il plane, il plane, et comme lui s'est envolée La fée au clair visage avec ses cheveux d'or ;

Déjà s'est laissé choir sur la mer désolée

La nuit, lourde d'angoisse et grosse de sanglots ;

On n'entend que le bruit de la vague écroulée.

LA MER 63

Le vent a redoublé de fureur, et les flots, Plus courroucés toujours, escaladent la dune. La douce Vierge ait en pitié les matelots !

IV

O mer, ô mer, ô mer, coureuse de fortune. Chercheuse d'infini par de les grands monts, Toi que le soleil brûle et que fleurit la lune ;

Belle au front couronné de sombres goémons.

Nous savons le secret de la tendresse brève.

Et tes 3'eux sont pareils à ceux que nous aimons.

Tes vagues doucement viennent baiser la grève, C'est toi la bonne hôtesse au souriant accueil, La princesse idéale et la dame du Rêve.

Mais le havre tranquille est voisin de l'écueil,

Et sitôt qu'a soufflé le vent de ta colère,

La terre s'inquiète et tremble et prend le deuil.

Courtisane d'amour qui ne songeais qu'à plaire, Quelle âme de douleur est en toi maintenant ? Quel brouillard a soudain voilé ta face claire ?

Toi qui riais, joyeuse et libre, à tout venant,

Tu sombres dans la nuit, tu t'embrumes de larmes.

Plus même une lumière à ton front rayonnant.

64 AU PAYS DES AJOXCS

Apres rinstant béni, pourquoi ce vent d'alarmes ?

Je ne sais quel dégoût monte de ta beauté,

Un relent d'amertume est au fond de tes charmes.

Et notre cœur aussi, brusquement arrêté,

Se demande s'il rêve et quel fardeau l'oppresse ;

Notre rancœur se noie en ton immensité.

Puis tu deviens la sombre et terrible maîtresse Qui, pâle, se redresse, et gronde, et brise tout; Une flamme a jailli de ta morne détresse.

Pourquoi pleurer ? N'es-tu donc pas celle qui bout ? Le feu damné, le feu d'enfer ? Ta maie rage, Cent meurtres consommés, n'est pas encore à bout.

Et tu grinces des dents comme sous un outrasse. C'est toi l'affreux récif droit en travers du port, C'est toi l'horrijjle voix qui hurle dans l'orage.

Tu bondis, et les rocs croulent sous ton efîbrt. Le monde tout entier tremble de la secousse ; La mort, la mort, la mort, à l'infini la mort !...

O mer, ô folle mer, tu redeviendras douce, Avant qu'il soit longtemps refleuriront tes yeux, Tes yeux d'amour candide et que rien ne courrouce.

I.A MER 6)

Apres réclair tragique et l'assaut furieux,

Les voilà tout à coup pleins des choses qu'on aime ;

Ils vont se teindre encor de la couleur des cieux.

Et, tout émerveillés du sublime poème Que murmure le flot au rayon matinal, Jusque dans tes fureurs nous t'adorons quand même.

A côté de recueil a brillé le fanal,

Le vent frais qui se lève a balayé les brumes

Et ton charme demeure à jamais virginal.

Dormez sur l'eau tranquille, ô flottantes écumes Champs de la bleue immensité, fleurissez-vous Emportez nos ardeurs avec nos amertumes.

Une âme de fierté s'agite en vos remous.

Un chant d'espoir en sort, un chant qui nous enivre ;

L'âpre sel de la mer est infiniment doux.

Rien de vil, rien de laid. Oh ! comme il fait bon vivre ! Quelle candeur limpide a la nappe d'argent ! C'est un hiver tranquille, enguirlandé de givre.

O mer, reflète encor le grand ciel indulgent, Fais toujours, gaie ou triste, incft'ablement belle. Une claire ceinture à l'univers chançreant.

GG

AU PAYS DKS AjON'CS

Trempe pour les combats le cœur qui se rebelle, Rends-nous libres et fiers comme toi sans retour, O divin réservoir de la vie éternelle,

Symbole trois fois saint de l'éternel amour !

LE KORANDON

LE KORANDON(i)

Le jour de Notre Dame, Au retour du Pardon, J'ai vu le Korandon Et sa petite femme.

Ils se tenaient les mains Et dansaient sur la lande, Ma surprise fut grande En regardant ces nains.

(i) Les Korandons, Konicmdmis ou Korn^ants sont les gnomes de la Brefao-ne.

70 AU PAYS DES AJON'CS

Je crois, Dieu me pardonne, Qu'ils avaient un peu bu. Le Korandon barbu Serrait sa Korandone,

Ht, comme des cabris, Tous deux sur l'herbe folle Faisaient la cabriole Avec de petits cris.

Ils me virent ensemble Et, sans se déranger, « Salut, bel étranger, Le diable te ressemble.

Veux-tu boire avec nous ? On va se mettre à table. Le cidre est délectable, L'hydromel aussi doux. »

Il passait sur les choses Comme un souffle enchanté. Une molle clarté Baignait les champs de roses.

Tout à fait enj^aoreant Etait le menu couple

LE KORAXDON

71

Et quelle échine souple Et quels cheveux d'argent !

Hélas ! Le petit verre Ne tenait pas beaucoup. Mais j'ai bu plus d'un coup. Heureux qui persévère !

Alors le Korandon Tira sa barbe blanche, Mit le poing sur sa hanche, Se frappa le bedon,

Et, dans une embrassade, Déjà très familier, « Ah ! c'est particulier, Je t'aime, camarade,

Ta binette me plait Encor qu'un peu palote, Elle est à point falotte Et sent le gobelet.

Mais pourquoi ces yeux mornes Et cet air fatigué ? Tu n'es vraiment pas gai Porterais-tu des cornes ?

AU PAYS DES AJONCS

Bah ! bah ! ce n'est qu'un sot Qui prend sitôt la mouche. Ne sois pas trop farouche, Imite-moi plutôt.

Nous autres, petits hommes, Qui vivons dans les bois, Nous rendons, tu le vois, Hommage au jus des pommes.

Moi, je suis vieux, très vieux, Presque l'âge du monde. J'ai vu la fée Habonde Et j'ai connu ses yeux.

Morgane me fut chère Dont le cœur n'est pas sur. Avec le noble Arthur J'ai longtemps fait la guerre.

Et cassé maintenant, Lourd, la tète chenue. Tu vois, je continue A rire à tout venant.

J'ai la bouche friande

Et le cœur toujours chaud.

IT. KORANDON' 73

Parfois, dans un sabot, Je vais sur la mer grande.

Sous le rosier discret, En gars qui s'émancipe, J'aime à fumer ma pipe, Quand la lune apparaît.

Vieille est ma ménagère, Elle n"a qu'une dent. Nous dormons cependant Sous la même fougère.

Jette ce chagrin Qui jour et nuit t'oppresse. Fais-nous une maîtresse Qui te maintienne en train.

Aime, bois, ris et chante Sans trop savoir pourquoi. Mais évite, crois-moi, La Princesse méchante. »

CROaUIS BRETONS

CROQUIS "BRETONS

I

La mystique Bretagne est une bonne vieille Dont la candeur enchante et la grâce émerveille. Modeste, elle n'a pas toujours de ces grands airs De cueilleuse de gui, de prêtresse des mers Qui font que de bien loin la foule s'agenouille. Parfois elle s'endort, en filant sa quenouille, Devant l'àtre enfumé qu'habite le grillon. Adieu le châle vert, adieu le cotillon Qui la virent, naïve et souple pa3'sanne, Danser la dérobée au pardon de Sainte-Anne! Mais ses yeux n'en sont pas devenus plus dolente.

7^ AU PAYS OHS AJONCS '■{'

La coiffe sied encore à ses beaux cheveux blancs.

Et dès que la fleur d'or apparail sur la lande,

Quand un vent de printemps souffle sur la mer grande,

Elle aime à retrouver quelque lai d'autrefois.

Un charme de jeunesse est resté dans sa voix.

Qu'elle évoque saint Yve ou la Vierge Marie,

Qu'elle dise Thorreur de la vague en furie

Ou l'amour, pur et bleu comme le firmament,

On sourit à l'entendre, et rien n'est plus charmant

Que ce rai de lumière aux lèvres de l'aïeule

Que réclame le soir et qui va rester seule.

II

Un pré vert qui reluit dans l'aube transparente.

Un moulin qui tictaque au bord de l'eau courante.

Des fleurs, des fleurs, des fleurs au milieu du cresson.

Et toujours et partout l'idéale chanson,

Puis de petits moutons qui broutent l'herbe drue.

Des enfants piaillant, très sales, dans la rue.

Une nature aoreste et sans orrand tra la la.

Et je me dis : « diable ai-je vu tout cela ? »

Je connais le berger, je connais la bergère.

L'épicière du coin ne m'est pas étrangère.

Le facteur me salue. Il est de mes amis

Et me demande à boire ainsi qu'il est permis

>

CROQUIS BRETONS

J'aime ces bonnes gens. Ils sont bien de ma race. Ici rien ne me pèse et rien ne m'embarrasse. On ne m'accueille pas d'un sourire moqueur. Même le gris pays est tout près de mon cœur. A je ne sais quel air, dirais-je, de tendresse Il m'a semblé revoir encor ma douce Bresse.

III

La mer est bleue et le ciel bleu. Rien que du bleu. C'est la délicieuse paix du Seigneur Dieu, La plage rêve. A peine on entend son haleine. La colline s'endort sans y songer. La plaine Frissonne doucement au souffle du matin. Partout la bonne odeur, la fraîche odeur du thym. Bêtes et gens ont dans les veux une lumière. Un grand calme s'est fait au cœur de la chaumière, Et le marin va boire avec le moissonneur. C'est la divine paix, c'est presque du bonheur. Bonsoir au vent mauvais, à la vague méchante. Seul, au-dessus des genêts d'or, un oiseau chante.

IV

Mais la mer est mauvaise aussi, mauvaise en diable. Oh ! sa voix rauque au fond de la conque effroyable ! C'est la folle, aux veux convulsés, aux cris stridents.

8o AU PAYS DF.S AJON'CS

Elle écume, elle bave, elle grince des dents, Elle hurle, elle bout, elle est en mnle rage. C'est l'esprit monstrueux qui déchaîne l'orage, La reine au cœur glacé du royaume des morts. Celle qui sans pitié, sans haine, sans remords. Pour eno^loutir le monde ouvre ses bras de ijoule. Et tout est noir, et tout chancelle, et tout s'écroule, Sur le gouffre infini passe un souffle infernal. \'ite, bon sémaphore, arbore ton fanal.

V

Et des roses, partout, partout des roses blanches. Roses de tous les jours et roses des dimanches. Le tranquille pays s'en embaume au lointain ! Roses du soir, roses du jour et du matin. Roses de l'aurore et du divin crépuscule. Roses qui précédez la morne renoncule. Vous fleurisse;^ la lande je suis prisonnier. J'entends, ravi, votre langage printanier. Vous gardez un reflet du gai soleil de France, Et je sais qu'après tout vous parlez d'espérance. Roses de la cellule je suis enfermé, Vous dites qu'il est toujours bon d'avoir aimé. Roses, merci. Gardez mon cœur; je vous le donne. Roses d'hiver, roses d'été, roses d'automne.

CROQUIS BRITOXS Si

Epanouissez-vous et faites des lieureux.

Oh î La Bretagne sombre avec ses chemins creux !

Elle vous apparaît d'abord un peu morose.

Mais qu'elle est douce à voir quand elle tient la rose !

vr

Comme un gardien fidèle au seuil de la maison, Le rocher du S'Kevel surveille l'horizon. Il regarde filer au loin les blanches voiles. Il sait l'heure le ciel se fleurira d'étoiles Et quand s'allumera le phare éblouissant. Lui, le grand immobile, il sourit au passant; Le front ceint d'azur clair, de soleil ou de brume. Il écoute la vie et sans trop d'amertume. Pourtant quand la tempête éclate au ciel profond, Il semble las de tout ce que les hommes font. Il dépouille d'un coup ses allures tranquilles, Il est hargneux comme la nuit sur les Sept Iles. On s'imagine voir, échappé de l'enfer, Quelque monstrueux dogue, en arrêt sur la mer.

VII

Jacoïc m'a guidé parmi les pays verts.

Et nous voici tous deux au bout de l'univers,

En un recoin charmant de l'antique Bretagne,

u

82 AU PAYS DHS AJOKCS

Entre la mer fleurie au loin et la montagne. De grands arbres touffus avec un filet d'eau. Derrière, sans recteur, vicaire ni bedeau, Une toute mignonne et rustique chapelle, Saint-Gorgon, c'est l'étrange nom dont on l'appelle. Dieu ! cette solitude et ce calme enchanté. Le saint trône au dedans. Il est représenté Tenant l'épée en main comme un homme de guerre, « Gorgon, dis-je à Jacquot, je ne le connais guère. Quel est donc cet élu qu'on ne voit pas ailleurs ? » Et Jacqucn me répond : « Le roi des artilleurs. »

Vlil

Un autre brave saint, Duzec, est à deux pas,

Fort aimé de la Vierore et des orens de là-bas.

J'aurais peine, je crois, à conter son histoire.

Mais rien n'est plus joli que son grêle oratoire

Et sa source d'eau vive s'est baigné le roi.

Nous lui rendîmes nos devoirs, Jacquot et moi.

Pas de près. Le bon saint se celait. Mais qu'importe,

Puisqu'une tirelire était contre la porte,

Qu'un écriteau disait, gaiement peinturluré :

« Donnez à saint Duzec. Il vous en saura gré. »

J'allais obtempérer à ce conseil honnête.

Quand Jacquot : « Oh ! monsieur, oh ! que vous êtes bête !

CROQUIS RRETOKS 83

Saint Duzec est au ciel, il n'a besoin de rien. Mais moi j'ai toujours soif et je suis bon chrétien. N'ai-je pas un beau nez au milieu du visage ? Donnez-moi les deux sous ; j'en saurai faire usage. »

IX

Que je plains saint Guirec ! Il ne sait que sourire.

Mais comment sans pitié dire son long martyre !

Il reste crânement campé sur son rocher.

Oui, mais la mer est basse ; on pourra l'approcher.

Et les m'ilh fleurs d'or et les mille amoureuses.

Les belles sans ami, dame! elles sont nombreuses,

Lui piquent une épingle au beau milieu du nez.

Certes je suis hostile à ces us obstinés.

Bien qu'un peu parpaillot, ce vieux saint me fait peine.

Mais on se mariera, la chose est très certaine,

Avant qu'il soit un an, à la grâce de Dieu,

Et cela vaut, ma foi, qu'on s'émancipe un peu.

Je crois entendre au loin de merveilleuses cloches

Et l'argent trébuchant et clair qui sort des poches.

Allons, laissons passer ce bon peuple falot.

Et saint Guirec sourit toujours, les pieds dans Teau.

X

Au cabaret du coin nous sommes attablés.

Mais qu'allons-nous bien boire en regardant ces blés ?

tS.| AU PAYS I)i;S AJOXCS

« Le cidre, que c'est fade ! on n'en a guère envie. Parlez-moi, s'il vous plait, de la bonne eau-de-vie Qui grince et vous écorche, en passant, le palais. Ah ! voilà qui vous met au cœur des oiselets, Voilà qui vous fera raisonner comme un livre. Voilà, fussiez-vous mort, qui vous enseigne à vivre. Vraiment, par saint Guirec, monsieur, je vous le dis, C'est la benoîte Vierge au seuil du Paradis. » « Soit, commandez, mon brave et tant pis pour ma tête. » Le gu'hi-nrdent coule à pleins bords ; c'est la grand'fête. Un merveilleux soleil s'allume à l'Orient, Et Notre Dame nous regarde en souriant. Comment faire à nous deux pour retrouver la porte ? Bah, si nous titubons un tant soit peu, qu'importe ? Il faut bien, si l'on veut n'être de mauvais ton. Se griser, quand on a l'honneur d'être Breton.

XI

Francine a la gaieté d'une petite folle, Francine a la fraîcheur du matin qui s'envole, Francine a la candeur de la nuit qui descend. Son tendre cœur^ j'en jure, est encore innocent. Quand sur la lande en friche elle garde ses vaches, On rêverait, à ses côtés, d'être à l'attaclie.

i

CROQ.UIS BRETONS

Hélas ! déjà ses yeux ne sont plus si fleuris. Elle tressaille au nom du monstrueux Paris. Quelque dégoût lui vient du pays des apôtres, Et le monstre la croquera comme les autres, Pauvre oiseau que le chien guette après l'oiseleur. Pourtant, regardez-la, regardez cette fleur ; Si gentille, elle semble une vierge en prière, Q,ui sourit, sans penser, du fond d'une verrière.

XII

Dans l'idéal azur du maiin qui s'éveille

Un léger son de cloche arrive à mon oreille.

Est-ce baptême, noce ou bien enterrement ?

Je ne sais. A coup sûr c'est doux infiniment.

On dirait un rayon de soleil dans la brume,

Un peu de joie avec un relent d'amertume.

Ici la mort est bonne et ne fait pas grand'peur,

Et l'amour, oui, l'amour, n'est pas le gai trompeur.

L'enfant malicieux à qui rien ne résiste.

Il garde au fond du cœur quelque chose de triste.

Ainsi la cloche passe, passe en murmurant.

Sur le monde d'en bas qui. lui parait si grand.

Elle dit : « Pauvres gens, sortez de l'ombre infâme.

Songez au Paradis qui réclame votre âme. ^)

86

AU PAYS DES AJONCS

Et soudain disparaît tout ce qu*on a d'amer. Oh ! les limpides voix des cloches sur la mer !

XIII

I

1

Et la sainte Breta2:ne est encor debout,

Celle qui rit et pleure et chante, et qui boit tout,

Celle qui pour un rien boude toute une année.

Celle qui crie aussi, vierge passionnée.

Elle n'est pas tranquille et simple autant qu'on croit.

Elle abrite plus d'un animal sous son toit, ,

Et ce n'est pas toujours, crois-moi, la blanche hermine.

Mais dans ses yeux mouillés l'avenir s'illumine.

J'ai dit qu'elle était vieille. Oh ! que je suis menteur!

C'est la jeunesse même et Toiselle et la fleur.

Elle n'est pas toujours en proie au divin rêve.

Elle regarde aussi le soleil qui se lève.

I

NOËL BRETON

NOËL 'BRETON

1

Un bruit s'est répandu dans la Basse-Bretagne. On dit que l'Enfant-Dieu vient de naître, et soudain Tout s'émeut de la mer à la noire montagne : L'un a quitté sa barque et l'autre son jardin.

Que de gens ! Pour mieux voir l'aurore qui se léve^ Il en vient de la lande, il en vient de partout, Et l'on dirait que tous, après un mauvais rêve, En plein ciel étoile s'éveillent tout à coup.

Le penn-bas a la main pour soutenir sa marche, Un pêcheur au cheveux de neige est en avant.

90 AU PAYS DKS AJONCS

Jeunes gens, hommes faits suivent le patriarche Et reprennent en chœur son cantique fervent.

Bas rouges, robe noire et châle des dimanches, Les femmes bravement leur emboîtent le pas ; Et c'est au loin comme mie mer de coiffes blanches, Un Hot qui toujours roule et qui n'est jamais las.

Fillettes au regard étonné, bonnes vieilles, Il en est de tout âge et de toute couleu'-. C'est le bourdonnement d'une ruche d'abeilles Sous un soleil d'été, dans le courcil en fleur.

Et derrière, mon Dieu, que d'êtres en guenilles Au visage dolent et pourtant guilleret ! Des boiteux dans l'azur agitent leurs béquilles, Des ivrognes font halte au premier cabaret.

II

O chrétiens qui rêvez, en plein péché peut-être. Aux périssables biens qu'on acquiert en passant. Voyez donc quel palais a choisi, pour y naître, L'unique, le grand Roi, le Seigneur tout-puissant.

Regardez, bonnes gens. Ce n'est qu'une humble crèche la mère et l'enfant sont blottis dans le foin.

NOËL BRETON 9I

Un bœuf est là, soufflant de son haleine fraîche, Un petit âne roux fait hi-han dans un coin.

Pauvre hutte branhinte et que rien ne protège, Sait-elle seulement qui lui vient aujourd'hui ? Par l'ctroite lucarne, frissonne la neige. Le vent du Nord tempête et hurle, il est chez lui.

Mais toute jeune est l'accouchée et toute blonde. Son visage de fleur sourit divinement. Le poupon qu'elle allaite est le Maître du monde. Elle le berce, heureuse, avec un tremblement.

Et la mer au dehors, la grande mer s'arrête. Recueillie et craintive, elle a l'air d'écouter. Au fond du ciel éclate un cantique de fête ; Tous les anges de Dieu se sont mis à chanter.

III

Nos gens sont arrivés bien las. Que leur importe ? Voici l'heure adorable et le divin moment. « Laissez, mes bons amis, vos penn-bas à la porte, Dit Joseph, vous aurez bientôt contentement. »

Et la Vierge a souri, plus belle que l'aurore. L'enfant s'est éveillé, tendant ses petits bras.

92 AU PAYS DES AJONCS

Ah ! bien abandonne qui souffrirait encore ! Plus d'un tremble la fièvre et ne s'en doute pas.

Mais quel grand souffle emplit la chétive demeure ? Le biniou prélude. O Dieu, la douce voix ! C'est, sous le triste ciel, la Bretagne qui pleure, La Bretagne qui pleure et qui chante à la fois.

Nos commères pourtant ont le cœur bien à l'aise ; Laquelle ne voudrait toucher le nouveau-né ? Elles ouvrent des yeux grands comme une fournaise. Se disent l'une à l'autre : « Oh ! oh ! oh ! ma iué, »

Elles sont à genoux. Leurs larmes fendent l'âme. Toute mouillée encor, s'envole une chanson. Faut-il pas attendrir la bonne chère dame Et faire rire un peu le joli nourrisson ?

Déjà, grâce aux pécheurs, frétillent sur la paille De beaux poissons d'argent avec des reflets bleus. Que ce homard a l'air terrible, et quelle taille ! Le turbot sans pareil, le bar miraculeux ?

Et voici qu'un lait pur écume dans les jattes. On allume le feu : c'est pour la soupe aux choux. Il suffit d'un instant pour griller les patates. Vive les crêpes d'or avec le cidre doux !

XOEL RRKTOX 93

La longue Zcphyrinc apporte un pot de beurre, Et choit tout de son long, si grand est son émoi ; En fait de goutte, Aimée eût toujours la meilleure, Francine offre son cœur et c'est assez, ma foi.

Mais le plus beau de tout, c'est le petit navire Que bien dévotement présentent les gamins ; L'Enfant-Dieu s'émerveille à ce bateau qui vire. Il rit, en regardant sa mère, et bat des mains.

Seul, monsieur du Jacquot, seigneur plein de prudence, Reste majestueux. Qui pourrait le troubler ? Cependant il salue, et, par condescendance. Il a caressé l'âne avant de s'en aller.

LE CHANT DE MERLIN

LE CHANT DE MERLIN

Quand j'étais dans le monde, on m'appelait le sage, C'était moi le devin et le barde sans pair. Ma gloire bouillonnait dans les flots de la mer; Le soir me souriait de son calme visage.

Quand je chantais, pensif, sous la douceur des cieux,

La terre déroulait lentement ses longs voiles.

Un éclair s'allumait dans les yeux des étoiles,

Et des fruits d'or tombaient de l'arbre merveilleux.

J'étais riche et puissant quand j'étais dans le monde. Une brise immortelle agitait mes cheveux.

98 AU PAYS DES AJONCS

J'ai tue l'hydre infâme et le serpent baveux. J'ai tenu dans mes mains Viviane la blonde.

Le parterre idéal ne m'a pas oublié. Il a tout retenu de nos métamorphoses. Voici surgir encor la muraille de roses je voulus, un jour, que mon cœur fût lié.

Le léopard saxon terrifiait la plaine. Je vins et je lui pris la langue entre les crocs. Arthur m'a fait asseoir au milieu des héros ; Genèvre a mis sur moi la fleur de marjolaine.

J'étais l'amour, la joie, et la guerre et le chant. Je savais le secret des splendides mensonges. Je hâtais d'un regard l'éclosion des songes ; Je lisais l'avenir dans le soleil couchant.

Et maintenant, timide et nu, presque sauvage, Je me traîne au hasard sous l'infini des bois. Rien ne m'est demeuré du charme d'autrefois. Je suis le marinier de la mer sans rivage.

Le vent triste et mauvais, le vent de n'importe Me ballotte, à son gré, dans la forêt maudite. Moi qui sur l'eau féerique évoquais Aphrodite, On me traite de brute, on dit que je suis fou.

LE CHANT DE MERLIN 99

On me méprise, moi qui dominais la terre Et piquais une étoile au cœur du firmament. Les bêtes ont pitié de mon abaissement, Muettes tout à coup devant le grand mystère.

L'homme que j'ai dompté, l'homme est plus odieux. Il me voudrait sanglant, enchaîné sur la roue. Jusqu'aux petits enfants qui me criblent de boue ! Ils n'ont pas vu l'enfer qui flambe dans mes yeux.

Mais patience, patience ! L'heure approche Qui ressuscitera mon antique fierté, L'oiseau miraculeux sur la lande a chanté ; Un feu s'est allumé, cette nuit, sur la roche.

Ce cœur, sincère et franc, qu'on prit en trahison S'évadera bientôt de l'ombre nostalgique. Elle va refleurir, la baguette magique. Je vois tout le futur blanchir à l'horizon.

Je vois les lys grandir dans le jardin des rêves, La rose s'effeuiller sur le fleuve lointain. Et la mer, bleue et rose, au lever du matin, Battre paisiblement l'immensité des grèves.

Ceux qu'effarait l'essor de mes songes ardents Sentiront sur leurs fronts haineux passer la bise.

100 AU PAYS DES AJONCS

Ils sauront que le bel amour souffle à sa guise Et que le vieux lion n'a pas perdu ses dents.

O Viviane d'or, Viviane céleste,

Viviane, mon cœur et ma vie et mon tout,

O toi qui ne connais ni honte ni dégoût.

Toi dont le souvenir est tout ce qui me reste, «

Je t'en prie, aide-moi, car j'en ai grand besoin. Aide-moi. Je suis pauvre et faible et rustre encore. En attendant l'immense et radieuse aurore, Aide-moi, toi si merveilleuse et toi si loin !

Tends-moi la main du fond du bocage mystique ton âme à la mienne a si bien répondu. Souris au pur amant que ta bouche a perdu ; Regarde l'impotent et le paralytique.

Si peu qu'un de tes doigts m'effleure, oh ! mais si peu. Tu verras tressaillir le profond de mon être. Le monde malfaisant reconnaîtra son maître ; Je pourrai croire encore à la bonté de Dieu.

Et ton rire d'enfant réveillera ma lyre. Je ferai, mort joyeux, éclater le tombeau. Je chanterai plus fort, sous un soleil plus beau. Je forcerai la sombre nuit à me sourire.

I

A

LE CHANT DE MERLIN

lOI

Laisse-moi seulement balayer le poison Dont cette folle et pauvre terre est inondée. SoufiVe que je combatte encore pour l'Idée Et je retournerai dans ta douce prison !

•'■r'"-^ y^.

A LA MER

I

A LA 0\CER

Les baigneurs somnolents se traînent sur la grève, Les membres harassés, l'esprit en désarroi. Quelque chose leur pèse, ils ne savent trop quoi. Ils ne sont pas chez eux dans ce pays du rêve.

L'un dit : Ce n'est pas gai, cet éternel brouillard. La mer ? Eh oui, je vois. Mais ça ne compte guère. L'autre : Votre journal parle-t-il de la guerre ? Uu troisième : Ah ! mon Dieu, pas le moindre billard !

Les dames, s'éventant, jasent sous leurs ombrelles

Le beau petit garçon et quel air de santé !

Ce collet est divin. Que vous a-t-il coûté ?

Aimez-vous, comme moi, le chant des tourterelles?

io6

AU PAYS DES AJOXCS

Mais voici que s'élève un bruit de pugilat :

Innocent, innocent ! l'enfant qui vient de naitre !

Lui ! Comment osez-vous me parler de ce traître ?

Un martyr ! Ungredin î Un saint ! Un scélérat !

Le débat semble clos et crac ' il recommence : Les oiseaux cependant volent effarouchés. Et, sur le sable d'or, au milieu des rochers, Dans l'azur infini rêve la mer immense.

AVANT LE SOIR

PRELUDE

i

I

^VANT LE SOIR

Le soir ncst pas cucor loinhc, Je soir mystique Oui calmera nos cœurs et fermera nos yeux, Le soir surgiront, par delà d'autres deux. Les tours de sombre a\^ur des villes du cantique.

Mais déjà quelque brise, un murmure confus Dans t'ombre qui s'allonge en annoncent t'approche. Et je me sens bercé d'une invisible cloche C2ui pleure, o)i le dirai!, sur Thomnie que je fus.

L'eau vive court encore ranémone blanche Abandonna son cœur aux souffles du matin. Un charme est demeuré sur la mousse et le thym ; Le rossignol d'amour est toujours sur la branche.

I 12 AVANT LE SOIR

Hélas ! La toute belle a perdu ses couleurs ; Une ombre de langueur se mêle à sa tendrcs'^e, Et le chant de Voiseau na plus cette allégresse Qui faisait tressaillir tout le pays des fleurs.

Quand midi grésillait sous l'azur qui flamboie, fai cheminé dans l'or comme un bon moissonneur, J'ai tenu dans mes mains Vécusson du bonheur. J'ai porté flcrement V étendard de la joie.

Faut-il donc insulter à ce passé charmant ? Non, non. Je suis à lui comme au toit F hirondelle. S'il ne me connait plus, je lui reste fidèle ; Je nai rien désappris du vieil enchantement.

Car je tiens que le rire est une noble chose, Un frère de F amour, un guide sans pareil, Et qu on ne peut avoir, au pays du soleil. De meilleurs conseillers que le lys et la rose.

Pourtant, aux meilleurs jours, f ai parfois entendu Souffler en mon jardin comme un vent de colère. Un serpent U'émeraude est au fond de Veau claire; Quand je m'y suis baigné, le traître m'a mordu.

Et f ai souffert. Beaucoup. Peut-être plus qu'un autre. J'ai fait plus d'une halte au château des affronts.

PRÉLUDE 115

O ma jeunesse à Vœil si vif, aux gestes prompts, Tu u\i pas oublié la peine qui fut nôtre.

Marguerites des prés et pervenches des bois Étoilaient à Venvi ta chevelure brune... Ah! dans ces longues nuits que fleurissait la lune, Quil a passé de pleurs entre tes petits doigts /

Le page qui, tremblant, tenait ta lourde traîne Ua bien su, mais jamais il n'en aurait rien dit. A voir ta bouche close il était interdit; Pour or ni pour argent il n'eût trahi sa reine.

Jeunesse, ma jeunesse, avons-nous bien lutté? Avons-nous bravement tenu tête à V orage ? Sourire en plein tourment, n est-ce pas du courage ? Quand nous agonisions, nul ne s'en est douté.

Le printemps, à sa cour, aimait a nous entendre; Vaube accueillait gaîment nos rires ingémis. Nous avons tant chanté quon nous a méconnus. Et beaucoup n'ont pas vu ce que j'avais de tendre.

Qu'importe ? En vérité, c était le bon temps, Le temps de la bataille et le temps des verveines ; Un sancr vermeil et chaud nous courait dans les veines. Un beau songe de gloire enflait les combattants.

s

114 AVANT LE SOIR

Maintenant, tout est morne et tout se décolore ; Les roses du parterre ont un parfum d'adieu, Et dans ce triste ciel, qui fut un jour si bleu. Pas un seul n^est resté des voiles de V Aurore.

Résigne-toi, mon cœur. Il ne faut plus aimer. Ne cherche pas à voir le soleil se lève. Regarde: celle-là qui fut ton dernier rêve. Ses yeux délicieux sont prêts à se fermer.

La fleurette d'antan n'est plus à son corsage. Le bois ne s^ émeut plus de soit rire argentin. Fa. Sans même un murmure, accepte ton destin. Lorsque la nuit est proche, il convient d'être sage.

\

PRISE D'HABIT

i'RJSH D'HABIT

La chapelle était sombre en ce matin charmant, Et tout y défaillait de langueur amoureuse. Or et rubis, la châsse de la Bienheureuse Au pied du grand autel scintillait vaguement.

En ce matin d'été la chapelle était sombre, Sombre comme la mort et l'éternel amour ! Des Christs agonisants se levaient tour à lour, Montraient leur cœur saignant et retombaient dans

[l'ombre.

Il8 AVANT I.E SOIR

Des feux rouges partout trouaient Tobscurité ; Partout des feux errants et de petites flammes, Et c'était, semblait-il, comme une fuite d'âmes Encore à mi-chemin du royaume enchanté.

Un blanc rais de soleil au coin d'une verrière Apparut un instant et puis s'évanouit. Ainsi qu'une bourrasque au milieu de la nuit Il s'éleva soudain un grand vent de prière.

Et le prêtre parla, parla très doucement ; Ses paroles avaient le charme d'un cantique. Il dit le tendre éclat de la rose mystique Et l'infini bonheur de souffrir en aimant.

O la bonne nouvelle et le divin message Qu'apportait à la terre un envové des cieux ! O miracle ! Au-devant de l'époux radieux On voyait, lampe en main, courir la vierge sage.

Voici qu'a disparu l'univers abhorré. Plus haut, toujours plus haut, vers l'azur et le rêve, Plus haut sur la montagne le soleil se lève. croissent les lys blancs dans le matin doré !

Et comme soupiré par des voix très lointaines, Un air tendre et plaintif s'éleva du saint lieu.

PRISE d' HABIT 119

Chœur céleste ! Cétaient les servantes de Dieu Qui cclcbraient l'Amour autour des sept fontaines.

II

L'instant irréparable approche. Il a passé Comme un souffle inconnu venu d'un autre monde. C'est le vent des hauteurs qui bat la mer profonde. Silence ! Le mystère a déjà commencé.

Lentement, lentement, la grille s'est ouverte. Pareil au jardin clos que garde un Séraphin, Le Sanctuaire unique apparait à la fin. J'ai vu le sacrifice et la brebis offerte.

Dans les chants et les fleurs, parmi l'or et Tencens, On amène la vierge au roi qui la désire. Aux portes du triomphe elle hésite et soupire : Son âme tremble toute en ses yeux innocents.

Une voix l'appela dès sa première enfance, Une voix d'au delà qui pariait d'infini. Un trait d'or la frappa qu'elle a toujours béni. Son cœur silencieux se trouva sans défense.

Elle fuyait au bois comme un chevreuil blessé. Le meilleur de sa joie était fait d'épouvante;

120 AVANT LE SOIR

Elle disait : « Seigneur, voyez votre servante. Quel cœur chétif, ô Dieu, vous avez ramassé !

Je suis venue à vous quand vous m'avez fait signe. Hélas ! je ne suis rien ; je ne puis qu'adorer. Laissez-moi seulement vous aimer et pleurer Au seuil du Paradis dont je ne suis pas digne. »

Alors le Roi des rois, le Maître triomphant, Se penchait doucement sur la vierge ravie, Et, pour mieux l'aguerrir aux combats de la vie, La prenait par la main comme un petit enfant.

Maintenant, c'en est fait des dernières batailles. L'amour a triomphé, Tamour terrible et doux. L'enfant élue avance au-devant de l'époux, Elle porte à son doigt l'anneau des fiançailles.

Mais avant de toucher aux degrés du palais s'épanouira son âme de tendresse, Il lui faut dépouiller cette chair pécheresse Et mourir un instant pour revivre à jamais.

Sous le morne drap noir je l'ai vue étendue, Tremblante comme ceux qu'attend le jugement. J'ai compris l'abandon de ce cœur trop aimant. J'ai surpris le secret de cette âme éperdue.

PRISE d'habit 121

Autour psalmodiait, lugubre, un choeur voilé ;

Les cierges vacillaient sur le drap d'agonie.

Les sœurs priaient. Leurs chants, d'une angoisse infinie,

Semblaient le dernier cri de l'amour exilé.

Morte? Oh! n'en croyez rien. Car dés la première heure Les messagers d'en haut se sont mis en chemin, Et dans l'or et l'azur, pour lui tendre la main. L'époux vient au-devant de l'épouse qui pleure.

Morte ? Non. Car ce cœur, ce cœur anéanti Sait bien qu'il va renaître à la pure lumière. Nul hiver n'a froissé cette rose trémiére. Elle s'ouvre à Celui qui n'a jamais menti.

Morte ? non. Mais vivante et frissonnante encore. La nuit n'a pas éteint le mystique flambeau. L'Orient s'illumine au delà du tombeau, Et j'ai senti passer les brises de l'aurore !

III

O compagne de mon enfance, ô tendre sœur. Vous avez bien choisi. Votre part est la bonne.

122 AVANT LE SO!H

Poursuives sans regret, aux pieds de la madone, Votre rêve éternel d'amour et de douceur.

Vous aviez vu combien notre joie était brève, Que tout bonheur se fane après qu'on l'a saisi. O ma sœur, ô ma sœur, vous avez bien choisi, Vous nous laissez la vie et vous prenez le rêve !

Vos regards s'en allaient vers un autre soleil. Vos pieds n'étaient pas faits pour toucher notre fange. Vous entendiez encor les paroles de l'ange Enchanter doucement votre premier sommeil.

Aucune volupté ne vous prit à ses charmes ; Vous pleuriez votre exil en regardant les cieux. Vos vœux sont accomplis en ce jour merveilleux. Voici la maison close et le jardin des larmes.

Croissez, rose timide, en ce jardin fermé viennent expirer tous les bruits de ce monde. Abreuvez votre soif à la source profonde ; Ecoutez, dans la nuit, les pas du Bien-Aimé.

Il sait votre humble amour et votre vigilance Et que vous l'attendez comme un maître jaloux. Préparez votre cœur pour qu'il habite en vous. Il vous répondra mieux dans ce divin silence.

PRISE D HABIT

123

Adieu, ma sœur, adieu pour toujours. Votre voix M'arrivant de si loin n'a plus rien de la terre, Et vous m'apparaissez, dans le bleu du mystère. Comme une jeune sainte, un lys entre les doigts.

LE

NOËL DU VAGABOND

LE NOËL DU VAGABOND

Il gèle, et le soir tombe, un soir lugubre, un soir Plein de values sani^lots et de voix désolées. En plein bois, sous un chêne aux branches mutilées Le vagabond, déjà fourbu, s'est laissé choir.

Las d'avoir tant marché vers un but qu'il ignore, Il écoute, stupide, au loin souffler le vent. Il regarde, mort à demi, comme en rêvant, Au jardin de la nuit les étoiles éclore.

Vont-elles se pencher vers le déshérité Et lui rendre, un instant, Tespérance perdue ? Non, leurs froides lueurs sillonnent l'étendue Sans qu'en ses mornes yeux s'allume une clarté.

128 AVANT LE SOIR

Il songe et, lamentable en ses loques infâmes, Sa vie errante et louche a surgi devant lui, Cette vie effrayante jamais n'aura lui Un rayon du soleil qui réchauffe les âmes.

Avait-il des parents ? 11 ne s'en souvient plus. A-t-il eu seulement une heure de tendresse ? L'oubli, s'il l'a trouvé, ce n'est que dans l'ivresse, Et la vieillesse arrive avec ses doigts perclus.

En vain le prisonnier s'est enfui de la geôle, Sa chaîne tous les jours s'allonge d'un anneau, Il se traîne à jamais, sinistre chemineau, Par les routes sans fin, la besace à l'épaule.

Le froid redouble, et c'est nuit pleine maintenant.

Sous la rage du vent, toute la forêt crie.

Tout à coup une grêle et claire sonnerie

De quelque vieux clocher s'envole en frissonnant.

Au travers des fourrés, tremblotent des lumières.

Des pas lourds... Qu'est-ce donc, et n'a-t-on pas chanté?

Dans le noir se devine un villao:e en oraieté ;

On pourrait voir du feu dans toutes les chaumières.

« Noël ! Ah ! c'est Noël, gronde le vagabond, La messe de minuit î Le réveillon est proche.

I

LE XOEl. DU VAGABOXD I29

Pour faire honneur au cidre, il est temps qu'on décroche Le lard friand qui sèche aux poutres du plafond.

Heureux ceux qui vont boire en cassant une croûte î Moi, j'ai faim, toujours faim, toujours soif, et pourquoi ? Qu'ai-je fait ? La misère est collée après moi. Je mourrai comme un chien, quelque part, sur la route.

Noël a-t-il jamais rien mis dans mon sabot ? Il ne fait de cadeaux qu'aux riches. Dieu me damne ! Pourtant la Vierge et son moutard, le bœuf et l'âne !... La messe de minuit, c'était rudement beau ! »

Soudain le vent s'est apaisé ; la neige tombe. Une lune falote illumine le bois. La neige, lentement, couvre l'homme aux abois ; Elle lui fait un lit aussi doux que la tombe.

Il ne s'aperçoit pas que son bras s'est raidi. Est-ce le bon sommeil ou l'éternelle veille ? Une torpeur le prend, et voici qu'ô merveille! Devant ses yeux fermés une ville a grandi.

C'est bien loin, tout au fond d'une étrange campagne. Telle que d'ordinaire on n'en voit qu'en dormant. Ses outils sur l'épaule, habillé pauvrement. Un homme, déjà mûr, marche avec sa compagne.

y

I 30 AVANT LI- SOIR

Oh ! qu'elle est délicate en son vêtement bleu !

Et candide ! A la voir on dirait une Vierge.

Tous deux sont bien joyeux, dès qu'apparaît l'auberge.

L'homme frappe à la porte, à la grâce de Dieu.

« Voici qu'il se fait tard. Ouvrez-nous, je vous prie ! Nous sommes gens de peu, mais d'honnête métier. Je me nomme Joseph et je suis charpentier. Celle-ci, c'est ma femme ; on l'appelle Marie.

Regardez sa pâleur. Elle est prés d'accoucher. » Une voix du dedans grommelle : « Truandaille ! Croyez-vous qu'on reçoive ici les rien-qui-vaille ? Allez, vous ferez mieux, gredins, de vous cacher. »

A la seconde auberge : « Acceptez-nous, bon maître ! Nous venons de si loin que nos pieds sont en sang. Voyez : ma femme est grosse et le cas est pressant. Notre petit enfant. Monsieur, demande à naître. »

Quelqu'un s'est mis à rire : « Ah ! ah ! ah ! mes amis, Pourriez-vous par hasard suffire à la dépense ? Il faut du bel argent pour s'arrondir la panse. On n'héberge céans que les clients bien mis. »

Pour la troisième auberge, oh ! qu'elle a l'air bourrue ! Joseph a joliment salué l'hôtelier.

LE NOËL nu VAGABOND I 3 I

Mais, lui grogne ; son ton n'est guère hospitalier : « Au large, fainéants, vous encombrez la rue ! »

Les pauvres campagnards sont de plus en plus las. On s'attroupe : « Ah ! ça, mais que fait donc la police ? C'est un filou, dit-on, et l'autre est sa complice. A VHôtel de la Cloche^ ils ont volé des plats. »

Trente dogues aboient contre eux. Gare aux morsures ! Un gamin les assaille à grands coups de bâton. D'une fenêtre basse un affreux marmiton Leur verse sur la tête un panier d'épluchures.

Par bonheur, un bon vieux les a pris en pitié :

« Suivez-moi, pauvres gens ! Votre sort me fait peine.

Il n'est pas élégant, l'hôtel je vous mène.

Ce que j'offre, du moins, c'est de grande amitié. »

Les voilà maintenant sur le foin d'une étable. Le vagabond les voit, les touche, les entend. Ils se tiennent la main sans se plaindre, .et pourtant L'abri qu'ils ont trouvé n'est pas trop confortable.

Par la lucarne ouverte, ils écoutent la nuit.

Le froid vient de partout. Ils n'y prennent pas garde.

Un petit âne gris, dans un coin, les regarde ;

Un bœuf est à côté, qui renifle à grand bruit.

I 32 AVANT LE SOIR

Enfin, elle a fleuri, la douce marjolaine ! 11 est enfin venu, l'enfant prédestiné ! L'âne amuse de ses hi-hans le nouveau-né ; Le bœuf le réconforte avec sa chaude haleine.

Celui qui vient de naître est le Roi tout-puissant. Hélas ! pour l'accueillir, on n'avait pas de langes. Il est nu. Mais déjà la musique des anges Eclate, triompliale, au ciel resplendissant.

O miracle d'amour ! O glorieux mystère ! Voici l'aube divine et le jour sans pareil ! Peuples, éveillez-vous de votre lourd sommeil ! Fleuris-toi d'allégresse, ô face de la terre !

Un soleil inconnu surgit à l'horizon. L'esprit de sacrifice a vaincu la souffrance. Esclaves, levez-vous : voici la délivrance ! Ecoutez s'écrouler les murs de la prison !

Et l'Etoile a paru qui précède les mages ; Les bergers, dans les champs, se sont mis à genoux. Ils se disent entre eux : « Compagnons, hâtons-nous ! La Vierge et son poupon attendent nos hommages. »

LE NOËL DU VAGABOND

133

Le vagabond, lui, dort paisible au cœur du bois. Sous la neige qui tombe, il est mort en plein rêve ; Il est mort juste à l'heure l'aurore se lève ; 11 est heureux enfin pour la première fois.

AU PAUVRE LELIAN

^kir.

\

AU PAUVRE LÉLIAN

Ame iiiè prisée. Tu myoïiiicrus ; lui lin Elysée Tu rejh' Il rirai.

Paul Viiui.MXE.

O pauvre Lclian, mon merveilleux ami, Toi dont je garderai tendrement la mémoire, Toi le malheur et toi la honte, toi la gloire, Te voilà donc, mon frère, à jamais endormi.

Je t'ai vu, l'autre jour, dans la chambrette blanche Où, si tranquille et doux, tu semblais reposer; Tu n'as plus maintenant la crainte du baiser ; Tu n'es plus désormais l'oiselet sur la branche.

138 AVANT LE SOIR

Q.UC la horde cruelle et folle des amours Tourbillonne et piaille au verger des mensonges, Qu'un rais de volupté trouble nos pâles songes, Que t'importe aujourd'hui ! tu dors, et pour toujours.

Tu n'étais qu'un enfant qui chantait sur la lande, Les cheveux dans le vent, dés le soleil levé ; Un besoin d'infini t'a soudain soulevé, Et tu t'es embarqué, chétif, sur la mer grande.

Tu n'étais qu'un enfant qui chantait sur la mer. Sans crainte de l'embrun ni souci de l'orage ; Aux pierres des récifs ta barque a fait naufrage. Et ton cœur devint douloureux, jamais amer.

La tempête grondait sous tes paupières closes. Un feu te dévorait qu'attisait le démon, Mais tu flottais sur l'eau comme le goémon. Tu souriais encore à la fraîcheur des roses.

Oh, l'hallali, les chiens et la bête aux abois ! Tu gardais cependant quelque chose de tendre. Et quelle joie au crépuscule que d'entendre Le violon divin qui pleurait sous tes doigts.

I

AU PAUVRE LÉLIAX I39

Aux valets du bourreau tu servis de risée Ils ont en blasphémant partagé ton manteau, Mais celle qui dormait s'éveillera bientôt, Elle va rayonner au loin, la méprisée.

Libre aux pharisiens, engoncés dans l'argent. De cracher leur insulte à la face qui rêve. Au ciel resplendissant ton étoile se lève ; Tu peux les flageller de ton rire indulgent.

Le Dieu juste et clément qu'adora ton enfance.

Toute miséricorde et toute pureté.

Ce Dieu qui de son sang t'a déjà racheté

A vu qu'il t'avait fait une âme sans défense.

Ce Dieu vers qui l'amour mauvais t'a ramené. Ce Dieu qui t'avait fait une âme de folie, A bien lu dans ton cœur, noir de mélancolie ; Dés longtemps, j'en suis sûr, il t'avait pardonné.

Il accueille le pauvre et lui montre du geste La bonne hôtellerie l'on ne soufl're plus ; Il t'aura fait asseoir à deux pas des élus. Il t'aura mis aux mains la viole céleste.

140

AVANT LE SOIR

O pauvre Lélian, mon merveilleux ami, Chante encor, dans la mort, par delà l'étendue. Mêle la chanson triste à la plainte éperdue, Secoue, en sa torpeur, ce vieux monde endonni.

LA NUIT

LA NUIT

C'est la nuit vierge encor, la nuit immaculée, Fraîche comme l'odeur d'une rose envolée, Douce comme un amour qui ne parle qu'en rêve. C'est la nuit d'avant l'heure la lune se lève, La nuit charmante avec ses yeux mélancoliques, La nuit du temps féerique et des songes bibliques. Rien ne remue aux bois. Sous l'épaisse fougère. C'est à peine s'il passe une haleine légère

ï

144 AVANT LH SOIR

Et, comme des voix d'or, infiniment lointaines, On entend soupirer les magiques fontaines.

II

La lune aux tendres yeux qui s'en va sur la mer, La lune, radieuse et toute blonde, a Tair D'une princesse d'or, fraîchement épousée. Dont la robe de fleurs trempe dans la rosée. La lune aux yeux d'amour, au sourire indulgent. S'en va, s'en va, s'en va sur les vagues d'argent. Et tout le gris pays s'éveille et s'illumine. N'est-ce pas la Bretagne avec sa blanche hermine N'est-ce pas, dîtes-moi, le pays merveilleux Qui nous a pris le cœur et nous clora les yeux ? En sa tendre pâleur, oh ! qu'elle soit bénie, La lune qui s'en va sur la mer infinie !

III

C'est la nuit au cœur sans remords, la nuit divine, La nuit délicieuse et claire, qu'on devine Marchant à pas légers sur les champs endormis, La nuit qui nous regarde avec des yeux amis, La nuit qui réconforte et rafraîchit la terre. Elle vient d'entr'ouvrir un coin de son parterre,

LA KUIT 145

Et des roses d'azur et des lys de clarté Eclosent à la fois sur le monde enchanté. Oh ! la miraculeuse et douce somnolence ! Et voici qu'au milieu du magique silence, Sous les arbres, tout blancs déjà, du bois sacré. Dit son tourment le rossignol énamouré.

IV

Rossignol qui te plains, ô rossignol d'amour ! Pourquoi, sombre boudeur, méprises-tu le jour ? Qu'est-ce donc que la nuit dit à ton cœur malade ? Elle me dit : « Pauvret, je suis ta camarade. Mêmes choses, vois-tu, nous emplissent d'émoi, Je suis délicieuse et tendre comme toi. N'es-tu pas l'àme triste en quête du mystère, Quelque chose qui pèse à peine sur la terre, Un rêve, une ombre, un rien, et qui chante pourtant? Nous nous sommes aimés, c'est vrai, rien qu'en chantant. Nous avons tous les deux la même âme charmante, Vague et sans but est le souci qui nous tourmente. Mon chagrin, sois-en sûr, est un chagrin ailé. Il aime à s'envoler vers le ciel étoile. »

V

C'est la nuit merveilleuse aux mille enchantements, La nuit qui met un charme aux lèvres des amants, La nuit qui doucement se fleurit d'allégresse,

10

I.|^ AVAN'T I.F. SOIR

La nuit de Mai, la nuit d'éternelle tendresse : On ne sait quoi s'éveille au milieu des roseaux; Sous les chênes trapus dorment les oiseaux ; Une plainte idéale erre de branche en branche ; Une apparition surgit, oh ! toute blanche, Avec, autour du front, des feuilles et des fleurs. Et c'est l'amour en joie et c'est l'amour en pleurs. O belle ! Vois ma peine et combien elle est grande, Pourquoi me refuser ton cœur ? Je le demande.

VI

C'est la nuit folle avec un loup sur la figure,

La nuit d'heureux présage et de joyeux augure,

La nuit où, sans témoins, on pourra s'embrasser,

La nuit qui ne demande après tout qu'à danser.

Veux-tu mon cœur ? Voici le mien . Et tout s'embrase.

Le trouble qui s'éveille est pareil à l'extase,

Le rire qui s'égrène est voisin du sanglot.

Et les barques d'amour glissent au fil de l'eau.

De craintives lueurs scintillent sous les saules

C'est la nuit aux cheveux flottant sur les épaules,

C'est la nuit qui se pâme en écoutant le cor.

C'est la nuit chaude et claire et folle, tout en or !

VII

C'est la nuit sans pudeur qui boit trop et qui chante, La nuit voluptueuse et d'ailleurs pas méchante,

I

LA N'UIT 147

Toujours la jambe en l'air et la folie aux 3TUX, La nuit jeune et dansante et qui fait peur aux vieux. Elle allume un flambeau sur la nappe rougie, Et crie, en se tenant à peine : « A moi l'orgie ! » Aussitôt tout chancelle et tout semble crouler, L'oisea!u blanc du mystère est prêt à s'envoler, Mais de ses yeux hagards la folle me regarde, Et, tout épouvanté, je lui dis : « Ah ! prends garde. Toi, toi, la nuit ! tu mens ; honte à qui te poursuit. Bleu comme l'azur même est le cœur de la nuit. »

VIII

C'est la nuit horrifique, et la nuit maléfique

l'enfer s'est ouvert, le diable trafique,

La nuit qui dans les fleurs nous verse le poison,

La nuit qui nous endort à jamais la raison.

C'est la nuit qui rit faux, c'est la nuit qui nous leurre.

C'est la nuit l'on chante en attendant qu'on pleure.

C'est la nuit des remords et la nuit des sanglots.

Celle Mary-Morgane apparaît sur les flots,

Celle le désespoir est au fond de la joie,

La goule qui vous prend, la goule qui vous noie.

Arrière l'innocence et la pâle vertu !

Sur la plaine maudite un vent s'est abattu

Qui vous fait, malgré vous, frissonner jusqu'aux moelles.

148 AVANT I.K SOIR

Et dans l'azur honteux pâlissent les étoiles, Au château de la mort quel hôte est attendu ? Qui de nous va tomber dans le piège tendu ? La fille se prélasse et le voleur se cache, L'assassin sur la pierre aiguise encor sa hache, Et pourtant tout là-haut une flamme qui luit ! Oh ! qui dira jamais les crimes de la nuit ?

IX

Et c'est la nuit sincère et la nuit véritable, La nuit l'Enfant-Dieu naquit dans une étable, La nuit qui de très haut voit les hontes d'en bas, La nuit qui juge en paix, la nuit qui ne ment pas. Sous son regard tranquille ont passé tant de choses. Tant de rosiers sur l'onde ont eff'euillé leurs roses, Tant de chênes, hélas ! se sont découronnés. Tant d'amours éternels et de longtemps fanés ! Le poète qui rêve et l'amant qui soupire. Le bon et le mauvais, le meilleur et le pire N'éveillent en ses yeux ni pitié ni dégoût : De son manteau mystique elle recouvre tout.

A LA

MÉMOIRE DE JULES TELLIER

A LA MÉMOIRE DE JULES TELLIER (i)

L'ami dont aujourd'hui, sous un ciel attristé, Nous saluons la noble et douloureuse image, L'écrivain sans reproche à qui va notre hommage N'aura pas moissonné les roses de l'été.

Il s'est évanoui dans le vent et la brume. Sur la face du monde il ne fut qu'un passant. Il est mort plein de jours, encore adolescent, Ayant goûté la vie avec son amertume.

Pliant sous le savoir qui bouillonnait en lui, Comme une eau frémissante en son étroite vasque.

(i) Pièce lue, au Havre, à l'inauguration du buslc de Jules Tellicr

1)2 AVANT LE SOIR

De chaque illusion il soulevait le masque, Sans pouvoir dissiper son incurable ennui.

Il avait déchiré trop tôt les derniers voiles ; Trop fort était le vin qui l'avait abreuvé ; Pour vivre de sa vie il avait trop rêvé ; Il s'était trop perdu dans le bleu des étoiles !

Du jardin de sa race il se sentait banni. Une âme vagabonde errait en ses yeux tristes. Et, quand le soir divin semait ses améthystes. Par delà le mystère il cherchait l'infini.

O compagnon parti pour le dernier voyage, Cher ami disparu dans la brume et le vent, Nous entendrons encor, nous entendrons souvent Ta voix qui nous parlait comme la voix d'un sage.

Si pour avoir aimé, si pour avoir souffert. Si pour avoir brûlé de ce feu qui dévore. Tu n'a pas vu jaillir des hauteurs de l'Aurore La gloire, t'apportant son laurier toujours vert,

Si la palme t'échappe avec la récompense, Que méritait un cœur tant de fois éprouvé, En sa grâce dolente et son inachevé, Ton œuvre sera chère à tout homme qui pense.

A LA MEMOIRE DE JULES TELLIER

I)

due le monde t'ignore et passe ! Nous du moins, Nous voulons respirer tes fleurs mélancoliques, Et, devant cet écrin dorment tes Reliques, Nous saurons jusqu'au bout te servir de témoins.

I

PAUVRES AMES

"PAUVRES AMES

J'ai grand pitié des faibles âmes, Eternel jouet du destin, Q.ui brillent à peine un matin. Pauvres, pauvres petites flammes !

Ah ! ce matin, qu'il est charmant ! Et quel souvenir on en garde ! Comme il vous suit et vous regarde, Bleu toujours ineffablement !

Dans un flot de lumière blonde S'éveille le village heureux Hourrah ! Place à l'aventureux Qui s'en va conquérir le monde !

158 AVANT LE SOIR

Et l'eau vive et le bois chenu

Disent en vain à Tinfidèle :

« Reste-nous! » Comme riiirondelle,

Il se lance dans l'inconnu.

Du haut des monts que l'aube irise Que l'univers lui paraît grand ! Que l'air des bois est enivrant ! Comme la mer fuit sous la brise !

Hélas ! voici qu'aux premiers pas, Lassé de sa course sublime, Il chancelle. Et, là-bas, la cime Resplendit, qu'il n'atteindra pas !

Pourtant il est plein d'espérance ;

Il se confie en sa bonté.

Des rêves d'immortalité

Lui tombent du soleil de France.

Quelques mots du rite chrétien Flottent encore en sa mémoire ; S'il doute, hésite, et ne peut croire. Il voudrait faire un peu de bien.

Ame d'amour et de faiblesse. Cœur simple, presque adolescent,

PAUVRES AMES I59

En sa peine il est innocent Jusqu'à sourire à qui le blesse.

Les femmes ont les yeux si doux ! Si candide est l'adieu des roses ! Il se dit de si tendres choses, Vers le soir, dans le bois des houx !

Comme un éclair déchire l'ombre, Souvent triste et parfois chantant. L'amour illumine un instant Sa nuit, qui redevient plus sombre.

Le voilà prêt à repartir, Et tout se teint d'un bleu céleste. Une heure après il ne lui reste Qu'un peu de cendre, un repentir.

En vain, s'entr'ouvre l'églantine, Halte, lialte ! Qlu donc vient ? Eh ! l'éternelle Dalila Guidant la horde philistine.

Et c'est bien fini désormais. Car tout l'irrite et tout le froisse. Il attend, plongé dans l'angoisse, Un secours qui ne vient jamais.

i6o

AVANT LE SOIR

Tandis que le soir va descendre, Le soir trouble qui fait rêver, Il se cherche sans se trouver, S'interroge sans se comprendre.

Comme ces grands oiseaux de mer Qu'on entend crier dans l'orage. Sans force, désir ni courage Il flotte, flotte au gré de l'air.

Du profond de sa solitude. Il se contente de pleurer. Il voudrait encore espérer, Il en a perdu l'habitude.

O chères âmes du bon Dieu, Eternellement douloureuses, Combien vous seriez plus heureuses, Alouettes du grand ciel bleu !

DOUCEUR

11

^

DOUCEUR

De la musique avant toute chose !

PAUL VERLAINE.

De la douceur avant toute chose, De la douceur et de la bonté ! Que toujours flotte, au vent enchanté. Dans l'azur tendre, une douce rose !

Sous les rosiers marche doucement. Effeuille, en passant, la fleur nouvelle. Sans y penser, laisse en ta cervelle S'épanouir le rêve charmant.

Sois bon pour tous comme pour toi-même. Pur? Je ne dis pas. C'est trop lointain.

1^4 - AVAN'T l.E Sf>IR

Ouvre ton cœur au ciel du matin, Et rappelle-toi qu'il faut qu'on aime.

Ecoute la brise au parler si doux. Regarde l'aurore. Elle est si blonde ! Sois, en ce cruel et triste monde, La violette au milieu des houx.

Ne juge pas, n'accuse personne. N'as-tu rien, toi, qu'on puisse blâmer? Frère, souviens-toi qu'il faut aimer. Ecoute,^au loin, V Angélus qui sonne.

Si quelque pauvre âme, en son chemin. Tremble et défaille au mal qui l'oppresse. Oh ! n'ajoute pas à sa détresse ; Cordialement tends-lui la main.

Sois l'oiseau léger qui vole, vole, L'oiseau matinal, couleur du jour, Qui berce encor de vieux chants d'amour Notre sombre terre, à moitié folle.

Sois le verger plein de boutons d'or, La source limpide l'on vient boire. Le bois profond aux feuilles de moire. passe, à la brume, un chant de cor.

DOUCEUR

l6

Sois l'étang tranquille se redète Un paysage infiniment clair. Sois tout le bleu qui vague dans l'air. Parmi les houx sois la violette.

Ah ! je sais bien : le soleil qui luit A fait cligner plus d'une paupière ; Il est, hélas ! plus d'un cœur de pierre ; Il est encor des âmes de nuit.

Aveugles, sourds et fous que nous sommes ! Tous, au hasard, s'en vont trébuchant ; L'un est stupide et l'autre méchant. Eh bien ! Que veux-tu ? ce sont des hommes.

'^W^^

i

A SAINTE MADELEINE

I

J

A SAINTE MADELEINE

O blonde Madeleine, heureuse fiancée, Qui tenez en vos mains le bouquet toujours vert, Pensez-vous à ce monde votre âme blessée, Tourterelle légère et tendre, a tant souffert ?

Du haut du paradis qu'embaume votre grâce, Parmi les harpes d'or des séraphins charmés, Avez-vous un regard pour la honte qui passe ? Entendez-vous encor le cri des opprimés ?

Avez-vous oublié la foule méprisante, Les cœurs toujours fermés, la bouche qui maudit ? Vous souvient-il encor de Theure agonisante vous avez prié sans qu'on vous répondit ?

170 AVANT LE SOIPv

Ah ! notre pauvre terre ! Elle est bien toujours telle Que vous l'avez quittée au jour du grand pardon. Si l'homme doit mourir, la haine est immortelle. C'est la même misère et le même abandon.

Regardez-les plutôt, ces sages au front blême. Les voilà bien tous ceux qu'effaraient vos seins nus. Mêmes gestes, mêmes hoquets, même anathème. Ces maîtres sans pitié, vous les avez connus.

Ils disent : « Je suis grand. Il faut qu'on me révère. » Et leurs pieds orgueilleux foulent le genre humain. Ils disent : « Je suis pur ; j'ai droit d'être sévère. » Qu'un mendiant s'approche, ils referment la main.

L'odeur de ses haillons troués les importune. Ils ne voient pas en lui Jésus-Christ haletant. Sans doute que le vice a fait son infortune. S'il peinait davantage, il serait mieux portant...

Ah ! qui voudrait savoir de quelle pourriture Est fait l'être jaloux qui le tient enchaîné ? Les sépulcres blanchis dont parle l'Ecriture Marchent encor parmi le peuple prosterné.

Et nous qui restons droits devant l'idole infâme Et ne fléchissons pas volontiers les genoux,

A SAINTE MADELEINE IJÎ

Sommes-nous donc si fiers en regardant notre âme ? Se pourrait-il qu'un Dieu se réfléchît en nous ?

Comme l'agneau perdu qui laisse de sa laine Aux ronces de la route, aux épines des bois, Nous courons, au hasard, le vent nous entraîne ; La vie, ainsi que l'eau, nous coule entre les doigts.

Nous aimons à parler d'art et de poésie, Et leur pâle soleil nous enchante un instant. Mais quel guide peu sûr que notre fantaisie ! Et le temps va toujours, et la mort nous attend.

Parfois, nous semble-t-il, un reflet de l'aurore Illumine la lande nous allons rêver. Mais ce jour incertain, qu'il est timide encore ! Que l'aube de nos cœurs est lente à se lever !

Nous sommes le tombeau que recouvre la mousse, La mer de sable le bon grain ne peut germer. L'implacable désert nulle fleur ne pousse, Hélas ! Et nous mourons de ne pouvoir aimer.

O sœur des pauvres gens qu'a ballottés l'orage. Vous qui savez le poids de l'humaine douleur. Vous, toute frissonnante en face de l'outrage, Comme l'oiseau captif aux mains de l'oiseleur.

172 AVANT LE SOIR

Madeleine au front blanc, Madeleine au cœur tendre, Qui trônez aujourd'hui dans le ciel azuré, Soufflez sur ce néant, éveillez cette cendre, Touchez du doigt ces yeux qui n'ont jamais pleuré.

Le spectre qui nous hante était à votre porte. Les rêves de nos nuits, vous les aviez souvent, Et vous étiez aussi comme la feuille morte Que tour à tour apporte ou remporte le vent.

On a craché sur vous, on vous a souffletée. Sous un ciel toujours sourd vous erriez sans abri. Mais une larme tombe, et soudain rachetée, Au jardin de l'Epoux vous avez refleuri.

Oh ! s'il reste un peu d'huile à la lampe d'argile, Si le figuier séché doit reverdir un jour, Délices du ciel bleu, rose de l'Evangile, Heureuse Madeleine, apprenez-nous Tamour !

ROSE DE NOËL

%OSE DE NOËL

Sous la neige et le vent qui l'assaillent ensemble Le merveilleux automne a perdu ses couleurs. Adieu la vie, adieu la joie, adieu les fleurs, Et le bois qui murmure et le rayon qui tremble !

Le sanctuaire intime et doux s'est refermé ; Les splendides couchants ont épuisé leurs flammes, Et les feuilles s'en vont, s'en vont, comme des âmes. Lasses d'avoir vécu, tristes d'avoir aimé.

Nul écho n'est resté de la suprême fête. Sous un soleil d'adieu, resplendissant encor, Nous ne reverrons plus les chrysanthèmes d'or Au vent froid du parterre écheveler leur tête.

I

176 AVANT I.r. SOIR

L*univers s'endort, nu, sous l'infini du ciel. Rien ne transparait plus du sourire céleste. Ah ! si, pourtant ! Timide et frêle, et si modeste, Voici venir enfin la Rose de Noël.

N'est-elle pas un peu fille du sortilège,

Celle qui dans la nuit se résigne à fleurir,

Et s'ouvre juste à l'heure tout semble mourir.

Pâle rose d'hiver, éclose sous la neige ?

ÉTlé n'a pas surgi dans les enchantenj^nt^, Au chant des vît)ieas^_.iiisaTrf''srDienvenue. Humble et disgrâaée, elle est trop ingénue Pour mêler sa caresse à celle des amants..

Ce n'est pas, à coup sûr, la rose d'allégresse. On ne la verra pas aux mains de l'oiseleur. Mais quoi ? C'est une fleur, et la dernière fleur, On est heureux de faire accueil à la pauvresse.

Ainsi, quand s'est évanoui le temps charmant. Quand a fui pour toujours la merveille du rêve. Au fond du cœur glacé quelque chose se lève Qui s'essaie à sourire et fleurit tristement.

LA REVOLTE DES SAINTES

Vi

PERSONNAGES

SAINTE BARBE

SAINTE APOLLINE

JÉSUS, !^oiis lu fi^iifc d'un vieux iiiniilitiiil

Musique de Charles d: Sivry

LA RÉVOLTE DES SAINTES

ORATORIETTO

Saillie Apolline

On m'appelle Sainte Apolline, Je viens tout droit du Paradis ; Parmi les pauvres, les maudits, Je viens m'asseoir sur la colline.

Là-haut, au pays des élus, L'immense amour vous désaltère,

l8o AVANT LE SOIR

Mais comme on pleure sur la terre ! Le Paradis, n'en parlons plus.

Sainte Barbe

Je suis Barbe la Sybilline', Je viens du ciel resplendissant ; Parmi les hommes de mon sang, Je viens m'asseoir sur la colline.

Là-haut, dans l'or et dans le bleu. Tout resplendit et tout flamboie. Mais la terre a si peu de joie ! Au Paradis j'ai dit adieu.

Sainte Apolline Ma sœur !

Sainte Barbe

Que faites-vous ici ?

Sainte Apolline Quoi ? Sainte Barbe, vous aussi ?

Sainte Barbe Pourquoi venir sur la colline ?

Sainte Apolline

La harpe a beau soupirer. Au ciel, sa plainte amoureuse,

LA RÉVOLTE DKS SAINTES l8l

Comment pourrais-je être heureuse Alors que j'entends pleurer ?

Ecoutez là-bas, là-bas, Cette plainte qui s'envole. Pauvre enfant ! la voilà folle, Elle aimait, il n'aimait pas !

Saillie Barbe

Ecoutez le vent d'orage Qui s'élève sur la mer. Ah ! ce cliquetis de fer ! Ces cris de haine et de rage !

En guerre ! sus au païen ! A mort, à mort ! tue, assomme ! Et pourquoi tuer ? Pauvre homme, A coup sûr tu n'en sais rien !

Saillie ylpoUiiie

Ma sœur, voyez, voyez. Mon cœur se serre. Ah ! mon Dieu ! que d'iniquité !

l82

AVANT LE SOIR

La vertu sous l'affront, le génie insulté ! Toujours l'éternelle misère ?

Sainte Barbe

Toujours le soufflet sur la joue

Du juste qu'on bafoue, Les lys, les lys blancs dans la boue !!!

Saillie Apolline

Au château du Paradis

L'ar52:ent ruisselle ; Tout chante, tout étincelle Au jardin du Paradis.

Sainte Barbe

Au château du Paradis

La joie éclate. Les grands lys sont d'écarlate

Au jardin du Paradis.

Ensemble

Au château du Paradis L'amour demeure.

LA RÉVOLTE DES SAINTES 183

Restons au monde Ton pleure ; Oublions le Paradis.

(Ici apparaU Jésus, sous la figure tVun uffrcux lucndiaiit, absolument exténué).

Jésus

Pardon, Mesdames, Je vous dérange.

Enseml>le

Oh ! nullement. Jésus

Laissez-moi m'asseoir un moment, A vos cotés, jeunes femmes.

Sainte Apolline

Mon pauvre homme, vous semblcz las ; Vous venez de bien loin sans doute.

Jésus Oui, j'ai fait une longue route.

Sainte BarJje Asseyez-vous. Ne tremblez pas.

Jésus

A voir ces vêtements d'une toile si fine. Ces auréoles d'or, cette grâce divine,

184 AVANT LE SOIR

Aiscmcnt on devine Que vous non plus vous n'êtes pas d'ici.

Sainte Apolline Soit, bon vieillard, n'en prenez pas souci.

Jésus

En vos yeux apparait comme une ombre adorable Du Paradis délicieux, Que faites-vous, créatures des cieux. Sur cette terre ?

Sainte Barbe

Elle est si misérable !

Sainte Apolline Vous souffrez durement, vous-même, je le vois.

Jésus

Lorsque j'écoute votre voix

Toujours si tendre,

Je crois entendre Chanter les oiseaux des bois.

LA KÉVOLTE DES SAINTES 185

Dames de l'Aurore, Parlez encore.

Sainte Apolline

Ah! pauvre honnête créature, Je t'aime de grande amitié. Ta misère me fait pitié ; Pourquoi donc est-elle si dure?

Sainte Barbe

Nous voudrions te secourir, Que ta vieille âme fût ravie. Mais souffrir, hélas, c'est la vie ! Qu'y peut-on faire ?

Jésus

On peut mourir !

Sainte Apolline

La \'ierge même Au fond du ciel radieux, La \'ierge aux doux yeux, La Merge qu'on aime,

Sainte Barbe

Sainte Marie, Chaste lys immaculé,

l86 AVANT LE SOIR

Doux lys envolé Sur la mer fleurie,

Ensemble

La \'ierge même Oh ! lamentable chrétien, Crois-moi, n'y peut rien. Non, rien.

Jésus Arrêtez ! duel blasphème !

Qci le mêiidiaiit se transfigure, Jésus apparaît dans son immortelle beauté).

Les deux Saintes ensemble Le Maître ! Ciel !

Sainte Apolline

Pardonnez-nous.

Sainte Barbe Nous voici, père, à vos genoux.

Jésus

Comme la joie, enfants, la douleur a ses charmes ; Par ce feu bienfaisant le cœur est épuré.

LA RÉVOLTE DES SAINTES 187

L'âme se sent meilleure après qu'elle a pleuré; Il n'est si doux trésor que le trésor des larmes.

Sainte Apolline

Jamais, ô divin Maître, . Nous n'avons réfléchi beaucoup !

Sainte Barbe

Comme l'agneau qui vient de naître Nous vous aimons et voilà tout !

Jésns

Allez tranquillement, allez, mes bien-aimées, Dans la verte forêt croît le rameau d'or; Rentrez au Paradis, vous entendrez encor Les violes d'amour qui vous ont tant charmées.

Ensemble

LESSAINTES JÉSUS

L'aube se lève sous les branches, L'aube se lève sous les branches,

Cher pasteur, guiJcz vos brebis ! Rentrez, rentrez, chères brebis,

Nous reverrons les roses blanches Vous reverrez les roses blanches

Q.ui fleurissent en Paradis. Q.ai fleurissent en Paradis.

Au doux bercail de notre Père Au doux bercail de votre Père

Rentrons avec tranquillité. Rentrez avec tranquillité,

Gloire à Jésus en qui j'espère, Pour vivre il faut bien qu'on espère !

Gloire à la Sainte-Trinité ! Gloriliez la Trinité.

POUR

DEUX JEUNES MARIÉS

POUR DEUX JEUNES MARIÉS

Voici longtemps dcja que vous étiez unis. Un fil mystérieux vous lia dès l'enfance Alors qu'une très bonne et sage Providence Rapprocha vos deux nids.

Ce beau ciel, c'est le tien, c'est le sien, c'est le vôtre. Vos yeux ont resplendi du même enchantement, Et vous êtes allés, tout naturellement. Au devant l'un de l'autre.

Quand l'oiseau prit son vol et se mit à chanter, \^ous l'avez entendu sous la même charmille; Vos cœurs se sont ouverts doucement, en famille. Sans presque s'en douter.

192 AVANT LE SOIR

Suivant la mcmc règle, aimant les mêmes choses, Ils voisinaient déjà comme vos deux maisons, Et vous avez joué sur les mêmes gazons, Cueilli les mêmes roses.

Timide jeune fille et paisible écolier. Vous n'étiez pas de ceux qu'éblouit l'or des songes. Vous préfériez cent fois au pays des mensonges Votre clos familier.

La route du bonheur vous est vite apparue. Le bonheur ! Il vous attendait... Oh ! pas bien loin Pour le trouver, tous deux vous n'avez eu besoin Que de passer la rue.

Et voilà votre espoir accompli ! Gais époux, Vous vous êtes donnés sans vouloir vous reprendre. Votre amitié d'enfants a pris un nom plus tendre. Et le ciel est à vous.

Vous allez entr'ouvrir le plus beau des poèmes, Vous partez pour la joie et le monde enchanté. Le meilleur talisman, jeunesse et pureté, Vous l'avez en vous-mêmes.

Comme un cher compagnon vous emmenez l'amour, Vous emportez le rire et la grâce et le charme.

POUR DEUX JEUNES MARIÉS I93

Et, parmi tant d'accents joyeux, pas une larme N'attristera ce jour.

Vos parents qu'attendrit le chant du mariage Vous cèdent l'un à l'autre et ne vous perdent pas. De près comme jadis, ils suivront tous vos pas, Ils seront du voyage.

Allez ! L'aube nouvelle a teint de ses rayons La route vous précède un si joli cortège. Nous qui restons, nous vous crions: « Dieu vous Et nous vous envions. [protège ! »

Vi

LIED

LIED

O fraîches roses, roses blanches, Charme du cœur extasié, Fleurissez encore au rosier. Fleurissez sur les vertes branches.

Vous qui consolez le penseur Et savez sourire à l'artiste. Versez à l'âme qui s'attriste Un peu de paix et de douceur

198

AVANT LE SOIR

Fleurissez. En ces jours moroses due l'amour échauffe si peu, Pour croire à la bonté de Dieu On a besoin de voir des roses.

ALLEGRESSE

i

ALLÉGRESSE

IMPRESSION DE PRINTEMPS

Dig, dig, dig, dig, din, don ! Dans l'azur incertain J'entends le tintement d'une cloche argentine. Le monde qui s'éveille est comme une églantine, Toute frileuse encor sous le vent du matin.

Dig, din, don ! C'est vraiment la cloche de l'aurore. Et voici qu'agitant le thyrse éblouissant, Surgit à l'horizon le bel adolescent Qui baisera tantôt la rose près d'éclore.

Il arrive aujourd'hui du pays merveilleux. Pour venir de si loin il n'est pas trop farouche. Toute la joie éparse est au coin de sa bouche. Et toute la jeunesse illumine ses yeux.

202 AVANT LE SOIR

O printemps, doux printemps, délices de nos âmes, C'est donc vrai qu'à ton ombre on peut s'aimer encor, Que rien n'a fait crouler les cathédrales d'or, Que l'idéal autel n'a pas éteint ses flammes !

Notre ciel est toujours adorablement bleu,

La brise matinale a balayé la boue.

Il est permis d'avoir des roses sur la joue,

N'est-il pas vrai, la belle en qui je crois un peu ?

En ce léger soleil toute femme est jolie, Adieu tristesse, adieu rancune, adieu rancœur ! Le page de la reine est tout prés de son cœur ; Hamlet va s'endormir aux genoux d'Ophélie.

O belle, accueille-moi d'un sourire indulgent. Dig, din, don ! Sur le pré ne te fais plus attendre Regarde la colline avec son rose tendre. Ecoute les sons clairs de la cloche d'argent.

LA BETE

LA BÊTE

C'est la bête triomphale, Des roses tout à l'entour ; C'est le grand cheval d'amour Qui se cabre et puis s'affale.

C'est ranimai merveilleux Qui m'a pris le corps et l'àme ; C'est la fumée et la flamme, Le feu qu'on a dans les yeux.

O grand cheval de la butte, Arrête, arrête un instant ; Vois l'abîme qui t'attend Et la bête répond : « Flûte ! »

206

AVANT LE SOIR

Pourtant clic m'affola. Elle ctait jolie et blonde. Ce fut la coupe profonde Que mon désir cisela.

Des fleurs autour de la tcte, Et de si fraîches couleurs ! Hier, je n'ai vu que les fleurs ; Aujourd'hui, je vois la bête.

L'ALOUETTE

VALOUETTE

Sur le monde étincclant, Dans un grand souffle de brise. L'alouette, grêle et grise, Tourbillonne en s'envolant.

Enfant du soleil de France,

Ardente, folle à moitié.

Fille de grande amitié,

Tout son cœur n'est qu'espérance.

Sur le monde refleuri.

Elle vole, vole, vole.

Plus qu'ardente, à moitié folle.

Petiote, avec un cri.

14

210 AVANT LE SOIR

Elle voit du haut des nues La beauté de l'univers, L'eau tranquille et les prés verts, Les campagnes ingénues.

Elle voit du ciel profond Tout ce qui rit, pleure ou chante. Les bois noirs, la mer méchante, Tout ce que les hommes font.

Mais dans le vent qui l'emporte Rien d'amer ne la poursuit. Arrière la sombre nuit ! Toute amertume est bien morte.

Elle plane sur les bois, Les champs bleus, la mer profonde ; L'aube s'attarde, plus blonde, Pour mieux écouter sa voix.

Elle chante, et le silence En devient tout enchanté. On dirait une clarté Dans la grande somnolence.

En plein ciel, comme il lui plait, Elle chante, et le ciel vibre ;

L ALOUETTE

211

C'est Toiscau, gai, fier et libre, Qui ne connait rien de laid.

Oh ! Dieu, combien je t'envie, Alouette, douce à voir, Et qui ne veux rien savoir Des hontes de notre vie !

Belle amoureuse du bleu, Ne regarde plus la terre, Enfuis-toi dans le mystère, Alouette, monte à Dieu !

BATTEMENTS DE CŒUR

"BATTEMENTS DE CŒUR

Minuit. Hormis la conscience Du voleur et de l'assassin, Tout dort. Mon cœur en défaillance Commence à sonner le tocsin.

Comme un fossoyeur à sa tâche, Courbe sur le pâle gazon, Je l'entends qui bat sans relâche ' Le mur de sa frêle prison.

Pan, pan, pan, pan ! Ni paix ni trêve. Un coup de bêche, un autre coup. Voici la fosse qui s'achève. Ça ne tardera plus beaucoup.

2l6

AVANT LE soi:

« Ah ! cœur piteux et sans courage, Cœur affolé de voluptés, Va toujours, tempête, fais rage ; Tes emportements sont comptés.

Toi qui courais aux belles filles. Comme après un morceau de pain Court un misérable en guenilles, Qu'as-tu fait de ta grande faim ?

Tu chantais si gaiement victoire Et te croyais si grand seigneur ! Qu'as tu fait de tes airs de gloire ? sont tes rêves de bonheur ?

Plus de fanfares triomphales. Le temps est passé, pauvre gueux. Des cavalcades matinales Dans la rosée, aux pays bleus.

Le temps est loin des farandoles, Par les soirs flambo3^ants d'été ! Rages d'amour, caresses folles. Le mistral a tout emporté !

Va toujours, ton heure est prochaine. Mais non Pourquoi te presser tant ?

BATTEMENTS DE CŒUR 217

Arrête un peu, reprends haleine, Fais que je respire un instant.

Je suis comme un mort que la vie Fouette encore au fond du tombeau, Et les vivants me font envie, Et le vaste monde est si beau ! »

Mais l'enragé, sans rien comprendre. Court son galop désespéré. « Ne veux-tu donc jamais m'entendre Et n'ai-je pas assez pleuré ?

Une minute, une seconde.

Rien qu'une seconde, ô mon Dieu ! »

Non, la machine furibonde

Ne s'arrête pas pour si peu.

Et la voilà qui s'époumonne Plus atrocement que jamais. Et je crie à l'aide, et personne N'est plus de ceux que j'aimais.

Oh ! les heures sempiternelles Qui se traînent clopin dopant. Et ces affreuses ritournelles Qui me déchirent le tympan !

2l8 AVANT LE SOIR

Oh ! dans la nuit ensorcelée, Avec son cliquetis de fer, Cette mécanique endiablée Qui va toujours son train d'enfer !

A quoi bon pleurer, crier grâce, Faire le pleutre ou le savant ? Un coup de sifflet : le train passe. Autant en emporte le vent.

Vrai, la vie est par trop mauvaise. Ce n'est que misère et tourment. Un jour vient l'on est tout aise D'en sortir, n'importe comment.

Et j'aspire ardemment à l'heure mon cœur enfin se taira, , Je pense à la chaude demeure Que mon corps brisé se fera.

Sous les mousses du cimetière De quelque village perdu. Dans une étroite, étroite bière Eternellement étendu.

RESIGNATION

I

RÉSIGNATION

1

Oh ! si l'on pouvait d'un seul coup Tuer son corps, tuer son âme, Si l'on pouvait venir à bout D'étouffer ce reste de flamme Qui vous dévore malgré tout !

Mais non. Comme dans la tempête Un oiseau qu'on entend crier, Le corps détruit, l'âme s'entête A ne pas vouloir oublier. Le venin survit à la bête.

Et toujours monte au firmament Une clameur plus désolée ;

2 22 RKSIGXATIOK

Toujours plus dcscspcrcmcnt Luit sur ma maison ccroulce La flamme qui fait mon tourment.

O mon âme tendre et songeuse, En attendant l'éternité, Résigne-toi, sois courageuse. Brûle comme un éclair d'été A travers la nuit orageuse.

Laisse ton corps débile et nu, Comme un enfant malade, geindre Et crier devant l'inconnu. Dieu se chargera de t'éteindre Quand le moment sera venu.

NOËL

l

NOËL

La campagne est au loin comme une grande tombe, Une immensité triste pas un feu ne luit, Et le vent souffle, et lentement la neige tombe Sur le vieil homme noir qui marche dans la nuit.

va-t-il ? Dieu le sait. s'en vont toutes choses. Folles chansons, flammes d'une heure, amours défunts, Et les vieux souvenirs avec les vieilles roses Qui n'ont plus de couleur et n'ont plus de parfums.

Il avance au hasard sans retrouver sa route. Et Tombre formidable en passant lui fait peur. Désespéré, parfois, il s'arrête, il écoute. Dans le morne silence il n'entend que son cœur.

15

2 26 AVAXT LE SOIR

Qui donc dissipera ces affreuses ténèbres ? duand surgira le jour si longtemps attendu ? Le vent a redoublé ses hurlements funèbres ; Partout, à droite, à gauche, est un piège tendu.

Et le voyageur las qui, blême d'hébétude, Voit, par degrés, la vie en ses veines tarir, Sous le fardeau si lourd de cette solitude Se sent abandonné de Dieu, triste à mourir.

Plus personne aujourd'hui qui l'aime et le soutienne. Et la mort va l'atteindre, il est presque aux abois. Qu'est devenue, hélas ! son enfance chrétienne ? Qui lui rendra son âme et son cœur d'autrefois ?

Autrefois, autrefois... Quelle image lointaine ! Gomme elle brille ! Il a reconnu ces couleurs. Son passé ressuscite au bord de la fontaine. Gauche, et tenant encore en mains ses pauvres fleurs.

Il se revoit petit enfant près de sa mère, Avant l'âpre souillure, avant le vieil affront. Elle a fui, grâce à Dieu, la hideuse chimère ; Un air salubre et vif lui rafraîchit le front.

Voici que de très loin arrive un son de cloche. Si doux, si clair, si tendre, ineffablement pur.

I

NOËL 227

Qu'est-ce donc ? On dirait que le Seigneur approche. Mille étoiles de feu scintillent dans l'azur.

Le monde a reconquis l'innocence première ; Une indicible paix illumine ses yeux. Et soudain, dans un flot d'éclatante lumière. Grandit à l'horizon un chant prodigieux !

Il fait bondir la mer et tressaillir la lande. O joie, ô délivrance, ô miracle inoui ! La porte du ciel s'est ouverte toute grande. Le vieil homme se dresse et regarde, ébloui.

Sur la montagne d'or le soleil se lève. Avec ses bleus drapeaux au plus haut de la tour, A-t-il vu flamboyer quelque palais de rêve. Qu'emplit, de Taube au soir, un murmure d'amour ?

Non, non, c'est une pauvre, oh ! bien pauvre demeure. Abri de vagabonds, refuo^e d'indio^ents. Une étable dans tous les coins la bise pleure. tout le monde est bien navré, bétes et gens.

Un homme déjà mûr, dont la barbe grisonne,

Veille à l'humble repas, prépare le coucher.

Sa femme auprès de lui paraît toute mignonne.

Si jeune, une enfant presque, et qui vient d'accoucher.

228 AVANT LK SOIR

Entre eux deux, tout pareil à l'églantinc fraîche, Repose le poupon qui rit en s'endormant. Un petit âne brait dans le fond de la crèche ; Un gros bœuf à côté rumine bruyamment.

Mais qui frappe ? Et là-bas, quel splendide cortège ! Bonnes gens, n'ayez peur, ce sont de puissants rois. Vêtus de pourpre sombre et couronnés de neige, Ils viennent de bien loin vous saluer tous trois.

Regardez, regardez. Ces maîtres qu'on admire, Les voilà, dans la paille, humblement à genoux. Ils offrent tour à tour l'or, Tencens et la myrrhe, Ils disent, bien contrits : « Seigneur, écoutez-nous !

C'est nous qu'au firmament guide la pure étoile. Nous arrivons pour vous du fond de l'Orient, Nous voulons voir enfin la vérité sans voile. » Et le petit enfant s'éveille en souriant.

Oh ! quelle joie immense a soulevé la terre ! Quelle miraculeuse et subite clarté ! La rose incomparable est au divin parterre. Le monde entier tressaille et se sent racheté.

Et le vieil homme voit, il a repris courage. N'est-ce pas un espoir qui lui tombe du ciel ?

NOËL 229

Il pleure et, tout tremblant encor du grand orage, Ne peut que murmurer bien bas : « Noël, Noël ! »

Il est comme l'oiseau mouille sur une branche, duand un soleil de flamme éclate, aux chauds midis. 11 neige, il neige, et la campagne est toute bhuiche. Il fera bon demain dans le clair Paradis.

I

PRIERE

PRIÈRE

O Notre Dame de Foiirvière, O la seule que je connaisse, Notre Dame, de ma jeunesse Qui sourie i sur la rivière]

Aidei-moi, tendez-moi la main, Je suis en danger de la mort. Comment vais-je rentrer au port ? Que vais-je devenir demain ?

Le vent mauvais de la prairie A soufflé dans mes pauvres voiles. Je sombrerai sous les étoiles Seul, tout seul, dans la nuit fleurie

234 AVANT LE SOIR

O Notre Dame aux blonds cheveux, Mains d'ivoire et cœur indulgent, Notre Dame à l'âme d'argent, A vous s'en vont mes derniers vœux.

Ëcoutei ma peine profonde Oui flotte, flotte sur l'eau claire; 0 Notre Dame sans colère. Écoute^ la plainte du monde.

J'ai fait naufrage à vos genoux Et vous avei lu dans mon cœur ; Vous savcT^ bien, fil est trompeur, Combien, au fond, il était doux!

O Notre Dame de lurnière Aux yeux d'amour, aux mains si blanches, Notre Dame d'entre les branches, Rendei-moi ma candeur première !

TABLE

I

TABLE

^U PAYS DES AJONCS

Adieu Paris i

La Vague . 7

En Bretagne 11

Kéris 15

Le Lit clos. . 35

Notre Dame de la Clarté 45

La Mer 57

Le Korandon 67

2 3^ TABLi:

Croquis bretons 75

Noël breton 87

Le Chant de Merlin 95

A la mer 103

^VANT LE SOIR

Avant le soir 109

Prise d'habit 115

Le Noël du vagabond 125

Au pauvre Lélian ....; 135

La Nuit 141

A la mémoire de Jules Tellier 149

Pauvres âmes 155

Douceur 161

A Sainte Madeleine 167

Rose de Noël 173

La Révolte des Saintes 177

Pour deux jeunes mariés 189

Lied 195

Allégresse 199

La Béte 203

TABLE

L'Alouette 207

Battements de cœLir 213

Résignation 219

Noël 223

Prière 231

239

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Achevé d^impriwer Le vingt-trois septembre mil neuf cent un

PAR

FRÉDÉRIC EMPAYTAZ

A VENDOME

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La Bibliothèque Université d'Ottawa

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