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ABUFAR.

OU

LA FAMILLE ARABE

TRAGÉDIE

DEJ.-F- DUCIS^

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PRIX : 2 FRANCS.

A PARIS,

C«HEPVEC.I**.,W des Panons ,«..,

1010.

AVERTISSEMENT.

Le plan du cinquième acte ajouté à la tragédie à'Abufar, a été créé par feu Ducis, qui se proposait, il y a quelques années, de le versifier, et de faire reprendre la pièce en cinq actes. Il avait entre- tenu M. Talma de ce projet, qu'il aurait sans doute mis à exécution, si son goût pour la retraite, son grand âge, et le besoin du repos, ne l'en avaient détourné. M. Talma, qui désirait rendre Abufar à la scène , m'a prié de mettre en œuvre les matériaux trouvés dans les papiers de Ducis , après sa mort. En cédant à cette prière , j'ai cru rencontrer l'occasion de rendre un hommage à la mémoire de ce poète respectable , que j'ai connu trop tard je l'ai saisie avec empressement, et j'aurai recueilli tout le prix de mon travail, si le public me sait quelque gré des efforts que j'ai faits pour contribuer à la reprise de cet ouvrage.

Ancelot.

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A FLORIAN.

Je devais, mon cher ami, te dédier ma Famille Arabe, Tu m'en avais prédit le succès ; tu l'attendais avec impatience; j'ai eu le bonheur de l'obtenir ; et tu n'es plus ! C'était donc à Flo- piAN, que couvre un peu de terre, c'était donc à sa cendre que je devais offrir ce douloureux et dernier hommage! Je n'irai donc plus te chercher à Seaux, dans le besoin de nous sou- tenir, de nous consoler l'un l'autre par les charmes si doux de l'étude et de l'amitié ! Je n'irai donc plus, sous ces magnifiques ombrages, t'attendrir encore par la lecture de quelques nouvelles productions tragiques ! Je m'en sou- viens : les premières larmes qu'ait fait couler mon Abufar ou ma Famille Arabe, c'est toi qui les a versées. O Florian! de quel coup m'a frappé ta perte imprévue ! Que de regrets elle m'a laissés!... Songer à l'aller voir, prendre mon jour d'avance, me mettre en route, approcher, découvrir le village, te surprendre , te sentir tout à coup dans mes bras , me nommant avec transport , et tenant encore dans ta main la plume chaste et sensible , qui n'a jamais rien

écrit que pour faire aimer les mœurs et la vertu : tout ce bonheur n'est donc plus pour moi ! Un souvenir consolant me reste. Nos deux cœurs , comme par instinct , s étaient réfugies , pour ainsi dire, dans les mêmes climats, dans la même retraite. Nous nous étions placés tous les deux , dans nos ouvrages , sous les tentes des patriar- ches ; dans le désert, au milieu de leurs trou- peaux.Oh ! combien ton Eliézer ou ton Nouveau poème des Hébreux , non encore connu , mais ton chef-d'œuvre , mais ton plus charmant ou- vrage , mais écrit sous la dictée des grâces , ou de Fénélon, enchantait autour de moi , cet été , les bosquets solitaires, les hauts peupliers sous lesquels tu m'en fis entendre la lecture ! Oh ! combien il honore ton âme! combien il ajoute à ta gloire ! A ta gloire ! et je vois le triste cyprès qui couvre ta cendre ! N'importe : tu n'es pas mort tout entier. Tes ouvrages sont encore entre les mains des gens de goût. La mère sensible et vertueuse les relit ; sa jeune fille, à son tour, en fait ses délices. Oui , ton nom vivra , il sera im- mortel; il vivra, et surtout il sera aimé. O Flo- hian ! était-ce avant quarante ans que tu devais nous être ravi ! Repose, ô mon ami ! repose , ai- mable élève de Fénélon , peintre enchanteur de l'innocence , de la valeur, de l'amour et de la vertu ! Qu'à l'aspect de l'humble cyprès qui attend la tombe, le cœur encore ému du souvenir de ta

perte et des douces impressions de tes ouvrages , la beauté naissante en approche d'un pas timide et involontaire , avec une douleur muette , avec un soupir, une larme peut-être ; qu'elle dise enfin à sa mère affligée : Voila le cyprès de Florian ! Que ne puis-je, mon ami, y graver ces dernières paroles qui t'échappèrent quelquefois dans le pressentiment d'une mort prochaine : Quand on na plus long-temps a vivre , il faut se hâter de faire du bien.

<«MW»VMM««»W«>M\MMM«M««VM>«11%»»wm««M

PERSONNAGES.

A BFFAR, vieillard arabe. FARHAN, fils d'Abufar. THARASMIN, persan.

,' ' / arabes attache's à la famille d'Abufar.

SALÉMA, | ODÉIDE, )

Tf.NAIM , sœur d'Abufar. GEMMA , jeune fille arabe.

Arabes, )

Femmes, / habitons du désert.

Ekf

MES , > ANS, )

La scène est dans V Arabie-Déserte, proche des tentes d'Abufar.

Kola. Ou a observe, dans l'impression, l'ordre des places des person- nages, en commençant par la gauche des spectateurs ( ce qui est la droite des acteurs). Les changemens de places qui ont lieu dans le cours des scènes, sont indiques par des renvois au bas des pages-

Les noms des personnages imprimés en caractères penchés (ou italiques), indiquent qu'ils ne sont pas sur Je devant de la scène

Les vers précédés d'un astérisque (') ne se disent point à la représentation ; et l'on a place, par renvoi, au bas des parles, ce qui exioUàt dans les éditions précédentes.

T) L. P.

ABUFAR

TR.AGÉDIE.

iiuiwwu.i wvnvmiuvuii

ACTE PREMIER.

( Le théâtre représente dans le désert les tentes éparses d'une tribu, les tentes d'Abufar et de sa famille, celle qui est destinée pour recevoir les étrangers . et un autel domotiques. ( Cet autel, élevé sur un mon- ticule , est dans le fond, vers la gauche. ) Une partie du désert est assee fertile : on y voit quelques pâturages, des chameaux, des chevaux, des brebis qui paissent en liberté ; des fleurs , quelques ruches à miel, des palmiers, les arbres qui distillent l'encens , et autres pro- ductions du pays. L'autre partie du désert est stérile ; on n'y voit que des sables, quelques citernes; des puits à fleur de terre, fermés avec de grossas pierres, quelques hauteurs frappées d'un soleil brûlant; sur la plus élevée de ces hauteurs , deux palmiers qui unissent leurs rameaux, et dominent sur uu espace immense ; des tombeaux formant la sépulture de la tribu : dans le lointain , quelques cèdres, quelques ruines aperçues à peine ; et , aux extrémités de l'horison, un ciel qui se confond avec les sables. ) ,

SCENE I.

ODÉIDE, SALÉMA, TÉNAIM ; arabes, femmss et eïïfàns , groupés diversement.

(Elles ne travaillent point encore; mais elles ont chacune une corbeille à leur portée : celle de Ténaïm renferme des cotoniers qu'elle doit dépouiller; celle de Saléma, des fuseaux et des laines; et celle d'Odeide , des aiguilles et des tissus. Le jour est au mo- ment de se lever. )

SALÉMA.

Six a sœur, qu'avec plaisir ton récit plein de charmes

Sur ce vieillard souffrant me fait verser des larmes î

Si nous eussions déjà commencé nos travaux ,

Il aurait de mes mains fait tomber mes fuseaux.

Heureux qui peut ainsi secourir la vieillesse ,

Dans la force de l'âge assister la faiblesse ,

Honorer le malheur par des soins consolans ,

Et rendre comme au ciel hommage aux cheveux blancs î

ODÉIDE.

Ecoutez-moi, ma soeur :, si mon récit vous touche, Un autre, à votre tour, doit ouvrir votre bouche : Si 1 ou plaint d'un vieillard le sort infortuné,

6 ABUFAR,

On plaint également l'enfant abandonné.

Ma sœur, de cet enfant racontez-nous l'histoire.

SALÉ M A.

Je la voudrais plutôt bannir de ma mémoire.

ODÉIDE.

Pourquoi gémir? L'enfance a des charmes si doux !

Elle en a pour tout homme, et plus encor pour nous.

C'est à nous que d'abord, la nature confie

Ces chers fruits de l'hymen qui nous doivent la vie.

Mais ce trait de vertu , ce trait d'humanité ,

Ma sœur, en mon absence , on vous l'a donc conté?

SALÉMA.

Oui , ma sœur,

ODÉIDE.

Et qui donc ?

SALÉMA.

Hélas ! ce fut ma mère. Ce souvenir pour moi la rend encor plus chère. Nous sortions de l'enfance ; et ses yeux vigilans , Toujours ouverts sur nous, observaient nos penchans. Pour un infortuné, son cœur, avec tristesse , Un jour, au fond du mien , crut voir moins de tendresse. Pour m'instruire avec fruit , seule , elle me conta Un trait noble et touchant que la pitié dicta. < Ma mère , nommez-moi , lui dis-je avec instance ,

> Ce mortel généreux qui secourut l'enfance. Non , me dit-elle , non. Ma fille , un tel secret

) Souvent du bienfaiteur est un second bienfait : S'il faut s'envelopper des ombres du mystère,

) C'est lorsqu'on craint surtout d'offenser la misère. Hélas ! les malheureux sont des objets sacrés

> Vers lesquels , sans efforts, nos cœurs sont attirés :

> C'est un penchant si doux , qu'il est involontaire ; ) Pour prix d'avoir bien fait, on veut encor bien faire : ) Par un nouveau désir, ce désir est accru ;

> Et voilà le bonheur que produit la vertu. » Ma sœur, ce fut ainsi que me parla ma mère.

ODÉIDE.

Ah ! ce trait si touchant, c'est trop long-temps le taire -, Ensemble nous plaindrons cet enfant malheureux,

ACTE I, SCÈNE 1.

S A M A.

Oui ; mais je crains , hélas! ce plaisir douloureux ; Et d'attendrissement mon âme est trop remplie.

TÉNAIM. La voilà donc toujours, cette mélancolie Dont rien jusqu'à présent n'a pu rompre le cours , Qui fait pâlir ton front, et ternit tes beaux jours! C'est assez que Farhan , que ton coupable frère , Ait quitté la tribu , la tente de son père; Qu'il ait pu, d'Abufar oubliant les vieux ans , Laisser de Samaël les généreux enfans. Abufar l'a perdu. Faudra-t-il que sa fille Mette à son tour le deuil , le trouble en sa famille ; Et que mon frère . hélas ! par un tourment nouveau, Pleure son fils errant, et sa fille au tombeau ? Saléma , tu le sais , quand tu perdis ta mère , Je voulus t'en servir ; j'accourus chez mon frère. Songe, avant qu'Abufar revienne ici bénir Le cours de nos travaux tout prêts à se rouvrir ,

* (Car c'est ainsi chez nous, selon l'antique usage

* Transmis par nos aïeux , consacré d'âge en âge , Qu'un père à ses enfans annonce le retour

* Et du travail de l'homme et du flambeau du jour , ) Songe au moins, de tes traits , à faire disparaître

Ces traces d'un chagrin qui l'ont frappé peut-être 5 Ce nuage d'ennui , cette sombre langueur, Qui cache trop souvent les orages du cœur.

SCÈNE II.

PHARASMIN, ODÉIDE , SALÉMA, TÉNAIM-,

ARABES } FEMMES et ENFANS. PHARASMIN, àOdéide.

Quand du jour renaissant la brillante lumière \ient pour moi des travaux commencer la carrière, Prisonnier d'Abufar par le droit des combats , Au sein de ces déserts emmené sur ses pas . Echappé, jeune encore, aux fureurs de la guerre , A vos ordres soumis par les ordres d'un père, Je viens vous demander ceux que je dois remplir.

ODÉIDE.

Faut-il qu'ainsi le sort vous condamne à souffrir! La force trop souvent n'égale pas le zèle.

8 ÀTUïFAR,

Combien de fois le cèdre, à la liache rebelle, A-t-il gémi long-temps sous vos coups redoublés ! Je vous ai vu, les traits par le soleil brûlés, Avec effort, le soir, pour nos brebis bêlantes , Soulever de nos puits les pierres trop pesantes. Faites-vous, Pharasmin , aider dans vos travaux.

PHARASMIN.

Vos égards , dès long-temps, ont adouci mes maux. Eloigné de la Perse , au sein de l'Arabie , Votre pitié pour moi ma rendu ma patrie : Votre père me voit, me traite avec bonté j Je ne m'aperçois point de ma captivité: ïl daigne comme un fils m'admettre en sa famille 'y J'obéis par son ordre aux ordres de sa fille. Ces tentes , ces cbameaux , ce désert m'est sacré. Ce coeur, le ciel m'entend , n'a jamais murmuré. Je rends grâce à mon sort. La peine que j'endure N'est qu'un bienfait de plus , et non pas une injure. Ah! malgré sa rigueur, sans doute il m'est trop doux De remplir des devoirs qui sont prescrits par vous.

SALÉMA.

Quel discours! Sa douceur, sa fierté, son courage, Mais surtout sa vertu , sont peints sur son visage. Ah ! le cœur le plus tendre et le plus généreux Ne nous préserve pas d'un destin malheureux.

SCÈNE III.

PHARASMÏN, ABUFAJÎ, ODÉIDE, SALÉMA,

TÉNAIM , ARABES , FEMMES et ENFANS.

(Dès qu Alnifar parait devant l'autel, ses filles, sa sœur, Pharasmin , tous lej habitant du

désert , se mettent à genoux ) -

ABU FA fi,

Soleil , dont la lumière et la chaleur féconde Sont l'oeil , l'âme , la règle et la splendeur du monde , Qui, sous l'abri des moeurs, voit l'Arabe indompté Dans ce vaste désert marcher, en liberté ;

(Il Lr i*ile de l'encens sur l'autel.)

Sur nous , sur tes enfans , sur ta famille immense, Fais luire avec tes feux le jour de l'innocence •, Vers tes premiers rayons vois se lever mes mains , Et bénis par ma yoix le travail des humains.

Levez-vous.

ACTE I, SCÈNE III. Ç)

sa famille et à tous les habitaus du désert.)

Levez- vous , mes enfaus.

(Les Arabes, les Femmes et les Eufans sortent. )

SCÈNE IV.

PJff^JR^r53//iV,ODÉIDEJABUFARîSALÉMA,TÉNAIM.

{ Pbarasmin apporte un sie'ge pour Abufar, qui s'assied entre ses deux filles. Pharas- min sort et rentre, occupé de difféieus travaux de la maison.)

ABUFAR , à ses deux filles.

Mais d'où vient qu'à ma vue D'un trouble encor récent votre âme semble émue? Ténaïm , dans leurs yeux j'aperçois quelques pleurs.

T EN AI M.

L'bistoire d'un vieillard a causé leurs douleurs. Leur âge à ces récits ouvre une oreille avide ; Et même , en cet instant , votre jeune Odéide Conjurait Salénia de lui conter comment Le ciel , par un vieillard , eut pitié d'un enfant. Mais sa sœur Saléma craignait de nous l'apprendre, D'en être trop émue.

ABUFAR

Eh ! pourquoi t'en défendre ? Hélas ! sans la pitié , sans ce don précieux , Le plus cher, le plus doux que nous tenions des cieux, Dans ces climats brûlaus , sur ce sable nous sommes , Que deviendrions-nous, si nous n'étions des hommes?

* N'est-ce pas elle ici , qui , dans leur pauvreté,

* Consacre nos déserts par l'hospitalité?

* Malheur au peuple ingrat , abhorré sur la terre ,

* A qui cette pitié pourrait être étrangère ! Mais le cœur d'un Arabe a toujours palpité Aux traits de la valeur et de l'humanité.

( à Saléma. )

Eh bien ! dis ; cet enfant.... cet âge a tant de charmes ! Parle , apprends-moi son sort , et fais couler mes larmes.

SALÉMA.

Dans le fond du désert , quand le soleil brûlant Embrasait de ces feux le sable étincelant , Un Arabe égaré (ma sœur, c'était un père) Cherchait de l'œil, au loin , sa tente solitaire. Il n'aperçoit plus rien. Las, triste, épouvauté, Pour lui dans l'univers nul vivant n'est resté. « O mes enfans , dit-il , vous reverrai-je encore ? » Déjà l'ardente soif le sèche et le dévore;

Abufar, 2

io AttU'FAR,

Il h'a , pour l'apaiser, qu'un seu! fruît bienfaisant 1 Le fruit d'un chromer, vain secours d'un moment. Il le porte à sa bouche O douleur ! ô surprise !

Il voit fiel ! une femme , auprès d'un roc assise,

Jeune, bille , mourante, et prête à mettre au jour

Le gag" tendre et «lier d'un malheureux amour.

« ( e fruit ! ce fruit ! dit-elle, ou dans l'instant j'expire ,

» J'expire avec l'enfant que ma soif va détruire.

» Le voilà , le voilà ! lui répond le vieillard :

» \ ivez tous deux. >) Au ciel il adresse un regard,

Il le prie, il le presse ; et ce ciel qu'il conjure,

Attendri par ses vœux , vient aider la nature.

L'enfant , an moment même , est reçu dans ses bras.

u \ ïs pour lui , dit la mère. Oui , bientôt tu verras

v Ta femme et tes enfans. Vieillard , seYs-J.ni de père.

» Par toi, qu'il sache un jour à quel prix je fus mère.

» .lette un œil de pitié sur ce pauvre innocent. »

Et. prenant tout à coup un prophétique accent :

« Tu ne vois , poursuit-elle , en ce désert immense ,

î> Que la soif, que la mort , l'espace, , le silence;

» Tiens , voilà ton chemin. C'est l'Eternel , c'est moi,

» C'est ce fruit de mon sein , qui va veiller sur toi.

* » Vieilla)d. de cet enfant tu soutiens la faiblesse;

* » Cet enfant, à son tour, soutiendra ta vieillesse.

* » Emporte avec ses pleurs , pour les jours malheureux,

* ii La céleste laveur qui vous suivra tous deux. » Elle expire.

ARUFAR.

Et du ciel , un jour, sans qu'elle y pense , Tu crois que la vertu reçoit sa récompense ?

SALÉMA.

Mon père, seriez-vous surpris de ses bienfaits?

ABUFAR.

La vertu , mes enfans, ne m'étonne jamais.

SALÉMA

Et cet enfant , mon père , existe-t-il encore?

ABUFAR.

Oui.

SALÉMA.

Quel est son destin ?

ARUFAR.

Le ciel vent qu'on l'ignore. Du sort de l'orphelin il daigne se charger.

ACTE T, SCÈNE TV. ir

Je n'en puis dire pins ; c'est trop m'inlerroger.

ODÉIDE.

Vous pleuriez comme nous.

ABUFAR.

Oui , rrovez-moi , mes filles , Les bonnes actions protègent les familles. Heureux qui peut, au faible accordant son appui, Mettre un pareil trésor entre le ciel et lui. Un appui ! J'eus un fils , j'ai nourri son enfance; Sur un si cher soutien j'avais compté d'avance. Comment croire en eilet que des enfarts jamais Perdent le souvenir de nos premiers bienfaits; Qu'ils oubliraient un père? Hé'as ! dans nia jeunesse. J'ai du mien saintement honoré la vieillesse. S'il m'a fallu le perdre, il a reçu du moins Jusqu'à son dernier jour ma tendresse *-l mes soins. Mes filles . de sa fuite expliquant le mystère , Peut-être avez-vous lu dans le secret d'un frère. Dites : Pourquoi Farhan , sans relâche agité . (i) Trop serré dans l'espace et dans l'immensité, De déserts en déserts, changeant de solitude, Promène-t-il partout sa vague inquiétude? Le vice auprès des mœurs n'est jamais sans efifroî. Sans cloute il n'a pas cru pouvoir vivre avec moi. Comment m'a-t-il quitté? Sans escorte,, sans suite, Comme un vil criminel précipitant sa fuite. Pourquoi ? Pour échapper à son coupable ennui; Pour s'affranchir d'un joug qui pesait trop sur lui ; Pour acheter bien cher, trompé par ses caprices, Le tourment des remords , des besoins et des vices. Qu'il ne revienne poiut, je ne veux plus le voir.

TÊ1VA.IM.

Mais s'il rentrait un jour, mon frère, en son devoir?

SALÉMA.

A vos genoux bientôt s'il accourait se rendre?

(l) (Editions précédentes.)

Dites : Pourquoi Farhan , non moins promp? que l'e'clair , Sur nos avdens coursiers traversant le désert , Des bords fe'conds du Ni; passant dans la Syie , Courant , cherchant, fuyant la Perse el la Medie; Par tin tourment secret sans relâche agité ,. Trop serre' dans l'espace , etc.

12 ABUFAR,

ODÉIDE.

S'il vous forçait enfin à le voir et l'entendre?

TÉNAIM.

Mon frère, ccoutez-nous.

SALÉMA.

Mon père !

AEUFAR.

Non , jamais. L'ingrat a trop long-temps oublié mes bienfaits. Puisque ta fuite enfin m'a fait à ton absence , Loin de moi, malheureux, va porter ta présence. Mes filles , c'est à vous , à vous que j'ai recours Pour jeter quelques fleurs sur la fin de mes jours. Oui , je rends grâce au ciel qui m'a donné des filles. Tous ces ingrats bientôt ont quitté leurs familles. Vous, pour notre bonheur, vous restez près de nous. Tous les soins d'une femme ont un charme si doux ! Ce sexe est tout pour l'homme; il soutient notre enfance, il prête à nos vieux ans son active assistance. Fait pour aimer, pour plaire , et prompt à s'attendrir, Il nous engage à vivre , et nous aide à mourir. Le ciel vous fit exprès pour consoler les pères.

( A Saléma.)

Mais dis : Par quels ennuis , à la raison contraires , D'une morne langueur les rapides progrès Àccablent-ils ton âme , altèrent-ils tes traits?

* Pourquoi , dans le désert, avec un regard sombre,

* Seule , et le front baissé , vas -tu chercher dans l'ombre

* Des ravages du temps quelques débris nouveaux,

* Et t'asseoir en pleurant sur de tristes tombeaux? Pourquoi, lorsque la nuit sur ses immenses voiles, De leur rayon tremblant fait briller les étoiles? Pourquoi vois-je les yeux, trop souvent attristés, Fixer avec des pleurs leurs paisibles clartés?

Ta main presser ton cœur , et ton regard austère

Du ciel avec lenteur retomber sur la terre?

(^ni donc consterne ainsi ton courage abattu?

< .<• n'est point le remords qui pèse à ta vertu.

Le remords nait du crime; il est fait pour ton frère,

Oui méprisa mes pleurs , qui brava ma prière.

SALÉMA.

Il est bien loin de nous !

ACTE I, SCÈNE IV. ï3

ABUFAR.

Pourquoi m'a-t-il quitté ?

SALÉMA.

S'il est dans le malheur ?

ABUFAR.

Il l'aura mérité.

( Tous se lèvent. )

C'est à vous , mes enfans, de fermer ma paupière. Voici bientôt l'instant qui, bornant ma carrière, De mes jours pàlissans éteindra le flambeau 5 Mais la vertu nous suit au-delà du tombeau. J'ai vécu libre , en paix , caché dans l'Arabie , Chérissant mes enfans, ma femme , ma patrie -,

* Content de mes égaux, content aussi de moi ;

* N'ayant jamais connu le remords ni l'effroi ;

* J'ai borné tous mes vœux à ces champs de verdure, Que sur nos mers de sable a jetés la nature ;

Trouvant dans mon travail , secondé par vos soins , Trop peu pour la richesse , assez pour nos besoins J'achèverai de vivre entre des mains si chères , Bénissant la nature et le dieu de mes pères ; Heureux dans mon matin , plus heureux vers le soir , De faire encor le bien qui reste en mon pouvoir.

(A Pharasmin qui est revenu auprès de la famille.)

Ecoute, Pharasmin : mon captif par la guerre,

Tu vis depuis cinq ans sur notre aride terre.

Passant par nos tribus de Nasser , de Sajir ,

Des voyageurs nombreux, bientôt prêts à partir ,

Vont regagner la Perse, et quitter l'Arabie :

Pars avec eux, sois libre, et rçvois ta patrie.

C'est un plaisir, du moins, que j'emporte au tombeau.

Je le donne des fruits , une tente, un chameau.

Voila tous nos trésors : c'est notre richesse.

Et si la Perse , un jour, t'inspirait sa mollesse,

Souviens-toi, Pharasmin , de notre pauvreté ,

Et des jours innocens de ta captivité.

Je sens que de t'aimer m'étant fait l'habitude ,

Mes yeux te chercheront dan3 cette solitude.

Nous allons nous quitter; mon cœur souffre , et je croi

Que le lien quelquefois se souviendra de moi.

( A Sale'ma. )

Et vous , ma fille , allez ; dissipez le nuage De cet ennui profond qui sied mal à votre âge.

i4 ÀBUfAft,

Pour goûter lebonlicur, pour trouver près de noua

* Et nos plaisirs plus purs et nos travaux plus doux,

* Pour calmer sans efïort votre mélancolie ,

* Donnez par vos vertus du charme à votre vie. Toi , toujours à nia fille , obéis , Pharasniin , Jusqu'à l'instant marqué pour ton départ prochain.

(Ils sortent tous, excepté Ode'ide. )

SCÈNE V.

ODÉIDE , seule.

Pharasmin va partir: de son triste silence, De son air abattu que faut-il que j<' pense? Ah ! lorsqu'il est tout prêt à nous abandonner, De qne.l œil à mon tour le vois-je s'éloigner ? Hélas! pouirai-je bien me faire à son absence? J'y songerai long-temps. Avec quelle constance Il volait le malin vers ses mâles travaux! Comme il venait le soir oublier tous ses maux ! Mais il n'est point parti. Quelque trouble l'agite. Il regarde ma sœur , il soupire , il me quitte , Il la cherche , il s'afflige , il observe ces lieux ; Et c'est toujours vers moi qu'il ramène ses yeux.

SCÈNE VI.

ODÉIDE, PHARASMIN.

ODÉIDE.

Mais je le vois. Mon cœur déjà craint sa présence.

PHARASMIN.

Quand il faut vous quitter, quand mon départ s'avance ,

SouOVez que Pharasmin goûte au moins le plaisir,

Et de vous voir encore et de vous obéir.

Mais quels que soient les lieux mon destin me guide ;

.Te n'oublîrai jamais les bontés d'Odéide.

Fait aux mœurs du désert , heureux de l'habiter,

Je vois avec douleur ce que je dois quitter.

Mêmes goûts , mêmes soins , la commune habitude,

Tout semble m'enchaîner dans cette solitude.

J y laisse des objets si chers , si précieux ,

ACTE I, SCÈNE VT. i5

Que ]e ne puis les voir et croire à nos adieux , Comment, errant au gré 'le son âme inquiète , Pouvant goûter en paix les biens que je regrette, Farhan , si loin d'un père et si loin de ses sœurs, D'une vie aussi pure a-t-il fui les douceurs? Pour lui que de malheurs, de périls sont à craindre ! Je gémis sur son sort.

ODÉIDE.

Est-ce à vous de le plaindre? Vous ne l'ignorez pas, il fut votre ennemi.

P H A R A S M I N.

J'ai voulu vainement devenir son ami.

Suit qu'en moi , comme Arabe, il détestât peut-être

Un Persan toujours prêt à ramper sous un maître j

Soit par ses passions que sans cesse agité,

Il m'enviât mon calme et ma tranquillité;

* Soit qu'en secret jaloux , son œil avec colère

* Vit pour moi l'amitié, l'estime de son père 5

* Soit caprice , fureur, ou qu'il trouvât trop doux

* Le sort et les travaux qui m'attachaient à vous-, J'ai toujours remarqué dans son regard terrible, Que son cœur me gardait une haine invincible. J'en ai gémi tout bas. Mais quelquefois enfin Dans nos amitiés même il entre du destin.

Il m'est cher cependant , puisqu'il est votre frère.

ODÉIDE

Toujours l'inquiétude a fait son caractère : Toujours vers les excès je le vis entraîné ; Mais c'est pour la vertu que son cœur était né. O malheureux Farhan !

PHAEASMIN.

\oire douleur me touche. Je gémis du soupir qui sort de votre bouche.

ODÉIDE.

Cependant , car la Perse a îles charmes pour vous, ^ ous n'aurez pas long-temps à gémir avec nous. Vous ne reverrez plus !a tribu de mon père, Les fils de Samael , la tente hospitalièri',

* Le sol croîL pour nous le doux fruit du dattier,

* Le vallon du chameau , le désert du palmier ,

* Le chemin du pasteur. Dans l'éclat et la gloire ,

,f> ABLFAR,

* De ces songes bientôt vous perdrez la mémoire; Et retrouvant Cambise, un palais.... (i)

PHARASMIN.

Je l'ai fui. Combien j'en ai connu la splendeur et l'ennui !

* Las de voir de trop près léclat du diadème ,

* De me chercher toujours sans me trouver moi-même,

* Mais sans perdre jamais tous ces vains préjugés,

* Ces besoins de l'orgueil dont les grands sont ehargés , Entraîné vers le camp par le droit de la guerre,

Sous ce ciel embrasé j'ai suivi votre père. C'est que , sous ses lois , privé de tout secours , J'ai désappris l'orgueil et le faste des cours , Que, loin du vice heureux, de l'oisive opulence, Soumis à mes travaux, aimant ma dépendance, A 1 école des mœurs et de la pauvreté , J'ai senti le bienfait de mon adversité.

* Je fus un homme enfin. Mon épaule tremblante

* Se courba fièrement sous la hache pesante.

* J'ai nourri de ma main ce coursier généreux

* Qui devance les vents, ou qui -"vole avec eux;

* Que pour l'Arabe exprès la nature a fait naître ,

* L'ami , le compagnon , le trésor de son maître ;

* A tout heure , en tout lieu , lui prêtant son appui ,

* Qui couche sous sa tente, et combat avec lui. Oh ! comme avec plaisir retrouvant ma jeunesse , De la cour, sous mes pieds , je foulais la mollesse ! Dans cette cour servile, hélas ! qu'eussé-je été? J'aurai compté des jours sans avoir existé.

Que mon cœur d'un autre œil vit ici la nature ! A mes regards bientôt une volupté pure Enchanta le désert paissent nos chameaux , Les puits vont le soir s'abreuver nos troupeaux; Les lieux croît l'encens, murmure l'abeille; Le toit simple et roulant le pasteur sommeille ; Ce vaste champ des airs par le soleil brûlé , Tout ce que j'aperçois. Vous seule avez peuplé Ces montagnes, ces rocs, ces prés, ce sol aride ; Tout l'univers pour moi s'est rempli d'Odéïde.

(i) (Editions précédentes )

La faveur Je Cambise , un palais., etc.

Je

ACTE I, SCÈNE V. i7

Je n'ai connu , senti qu'une captivité.

Tranquille auprès vous, loin de vous agité,

Quand vous charmiez mes yeux , ils vous cherchaient encore.

J'appelais dans la nuit les ravons de 1 aurore 5

J'appelais dans le jour les doux momens du soir.

Enfin, ;e vous voyais sans avoir cru vous voir-,

Je vous suivais partout dans le désert errante;

Je recueillais, avide, et d'une bouche ardente ,

Votre souille perdu dans les airs enflammés 5

Mes pas pressaient vos pas sur le sable imprimés.

Vous ignoriez mes feux , mes soupirs et mes larmes.

C'est moi qui vous apprends le pouvoir de vos charmes.

Le ciel a mis pour moi , dans le même séjour,

La beauté, lebonheur, l'innocence et l'amour.

On dirait que le ciel tous deux nous y rassemble ,

Pour nous voir, nous aimer, pour y mourir ensemble :

Je ne sais, et je cherche , en des transports si doux,

Si je vis dans moi-même, on si je vis dans vous.

Oui, j'obtiendrai la main d'Odéide attendrie,

Ou je cours dans la Perse oublier l'Arabie.

L'oublier! Non, jamais. Un mot peut m'avertir

Si je dois maintenant ou rester ou partir.

ODÉIDE.

Vous savez, Pharasmin , par quelle obéissance

Nous devons de mon père honorer la puissance.

Sa bénédiction , ce bien si précieux ,

Tous les matins sur nous descend du haut des cieux.

Il aime avec transport la terre qu'il habite,

Et Pharasmin , hélas ! n'est point Samaélite.

Je crains... mais cependant...

PHARASMIN.

Les momens sont comptés.

ODÉIDE.

Quoi ! les chameaux sont prêts?

PHARASMIN.

Je vais partir. o ODEIDE.

Restez. Mais j'entends quelque bruit. Ou approche. Je tremble Qu'en ce moment tous deux on ne nous voie ensemble.

Ahufc

ar.

i8 ABUFAR,

SCÈNE VI.

GEMMA, ODÉIDE, PHARASMIN.

ODÉIDE.

Cest toi , Gemma !

GEMMA.

Faut-il que, causant vos douleurs, Je vous vienne annoncer le sujet Je nos pleurs !

ODÉIDE.

Quoi donc ?

' GEMMA.

Farhan n'est plus : votre malheureux frère Dans ses destins errans a fini sa carrière.

ODÉIDE.

O ciel !

GEMMA.

Un voyageur vient de m'en informer } Mais c'est un bruit fatal qu il a craint de semer , Il sait que nos tribus à Farhan attachées Seraient de son trépas trop vivement touchées.

ODÉIDE.

Mon cher Farhan ! mon frère ! Hélas ! tes soeurs en vain Espéraient ton retour. C'est donc ton destin ! Tu péris , et si jeune ! Ah ! nos sables peut-être , Ou les gouffres des mers , t'auront vu disparaître.

PHARASMIN.

Dissimulez vos pleurs , cachez bien son trépas. Pleurez , pleurez sa perte , et ne l'annoncez pas ; Abufar n'en pourrait soutenir la nouvelle. Craignons de déchirer son âme paternelle : Il aime encor Farhan. Des pères attendris Tout le courroux s'éteint sur la tombe d'un fils; Et celui qui s'armait d'un front inexorable , Dans l'enfant qui n'est plus ne voit plus un coupable.

(Il sort avec Ode'ide et Gemma.) TIN DU PREMIER ACTE.

ACTE II, SCÈNE I. ,9

ACTE SECOND.

SCÈNE I.

PHARASMIN, seul.

Je1 arhan , tu n'es donc plus ! Le sort a pour toujours Terminé tes tourmens, tes périls et tes jours. J'avais lu dans ton àme ; en vain tu voulais taire

De ton fatal amour le terrible mvstère.

j

Je ne me trompais pas. Oui, je crois que son coeur

Brûlait pour Saléma d'une coupable ardeur.

Sans doute il aura fui , dans son désordre extrême ,

Pour étouffer un feu qu'il abborrait lui-même.

Au fond de son tombeau trop beureux le mortel

Qu'un jour de plus peut-être eût rendu criminel !

Mais Saléma s'approche , et la jeune Odéide :

Le trouble est sur leur front, leur démarche est timide,

Allons, retirons-nons. Qu'elles goûtent du moins

La triste liberté de pleurer sans témoins.

(Il sort.)

0) SCÈNE II.

ODÉIDE, SALÉMA. Tu ne le sauras point.

SALÉMA.

ODEIDE.

M>\ sœur, je vous conjure.

(i) (Editions précédentes.)

SCÈNE II. SALÉMA , ODÉIDE.

ODÉIDE.

De quel effroi , ma sœur , votre âme s'est remplie ! O trop funeste effet de la mélancolie ! Craignez , hélas ! craignez son horrible poison.

SALEMA.

Il consume ma vie , il détruit ma raison. Laissez-moi, seule, en pleurs, errante , solitaire.

ao ÀBUFAR,

SALKMA.

O songe trop f unes le ! O trop cruel augure !

ODÉIDE.

Votre cœur n'ose-t-il se fier à ma foi ?

( Suite de la note. )

ODKIDE.

Quoi ! de ces noirs ennuis rien ne peut vous distraire.

SAI.EMA.

Tout m'afflige , ma sœur , dans ce triste séjour ;

Moi-même je me hais, je déteste le jour.

A quel prix, juste ciel , que peut-être j'offense,

Aux malheureux humains donnas- tu l'existence!

Que n'avons-nous tari , mourant dans nos berceaux ,

La coupe inépuisable tu cachas nos maux !

Hélas ! quand nous naissons , notre âme s'en défie ;

Sur ses bords en tremblant nous essayons la vie :

Mais ce breuvage amer , après l'avoir goûté ,

Libres dans notre choix , l'aurions-nous accepté ?

Ah ! par nos cris plaintifs , sur le sein de nos mères ,

Nous avons annoncé , pressenti nos misères :

L'homme , au premier aspect des maux qu'il doit souffrir ,

Se rejette en arrière , et demande à mourir.

ODÉIDE.

Vous me faites trembler, que faut-il que je pense?

De ces sombres douleurs d'où naît la violence !

Vous cherchez le trépas.

saléma.

Fuyons.

ODÉIDE.

Ah ! je vous suis ; J'apprendrai le secret de vos cruels ennuis ; Ou tombant à vos pieds...

saléma.

Tu frémiras , sans doute.

ODÉIDE.

N'importe.

Tu le veux?

SALEMA. ODÉIDE.

Parlez.

SALEMA.

Eh bien ! écoute. Mais ne m'interromps pas. Vois sous quelles couleurs Les cieux m'ont annoncé, etc. Page 21.

ACTE II, SCÈNE II. 21

SALÉMA.

Ma sœur , tu vas frémir.

ODÉIDE.

N'importe , instruisez-moi. Vos ennuis sont les miens , pourrez-vous me les taire?

SALÉMA.

Ecoute. Quel récit , ma soeur , je vais te faire !

Et puisque tu le veux , vois sous quelles couleurs

Les cieux mont annoncé le plus grand des malheurs.

Pour vaincre mes ennuis, par le conseil d'un père,

Ce matm vers nos champs je marchais solitaire ,

Voulant y recueillir, par d'utiles travaux,

Le fruit de nos palmiers , le lait de nos troupeaux :

Aux plus doux sentimens , à la paix disposée,

Je ne sais quelle erreur égarait ma pensée :

J'allais , je regardais, mon oeil ne voyait pas;

Un charme inexprimahle entraînait tous mes pas:

Mon esprit enivré, plein de son propre ouvrage,

Se cherchait un bonheur, s'en composait l'image.

Pou mieux goûter, ma sœur, ce plaisir si profond

D'un cœur qui s'entretient , se parle, se répond ,

Qui s'écoute, et surtout qui craint de se distraire ,

Je me suis recueillie à l'ombre solitaire

D'un arbre du désert, mes esprits charmés ,

Séduits par la fraîcheur, par le repos calmés ,

Quand déjà le soleil de feux couvrait sa route ,

Aux douceurs du sommeil se sont livrés sans doute.

J'ai cru que , dans la Perse, et sous des cieux si beaux,

J'errais parmi les fleurs , les moissous , les ruisseaux ,

Les ombrages , les fruits , mille autres dons encore

Que le Persan reçoit de l'astre qu'il adore.

Tandis qu'à mes esprits vivement enchantés ,

Tant de riches trésors s'offraient de tous côtés ,

Un jeune homme charmant sembla frapper ma vue :

Son front était pensif, son âme était émue;

Dans ses yeux pleins de flamme, régnait la pudeur.

Je ne sais quoi de tendre en modérait l'ardeur.

Parmi ces fleurs , ces fruits , ces eaux , cette verdure ,

Il semblait s'embellir de toute la nature -,

Et la nature aussi , dont il était l'amour,

Semblait de son aspect s'embellir à son tour.

Mais lorsqu'avec transport observant son visage .

22 ABUFAR,

De quelques traits chéris j'y démêlais l'image,

A mon bonheur à peine osant ajouter foi ,

Tout cet enchantement s'est enfui loin de moi.

Dans un vaste désert je me crois transportée,

Sur une terre aride, inculte , inhabitée ,

Meurtrière, brûlante, des deux enflammés

Dévoraient jusqu'aux rocs de leurs feux consumés.

Un jeune voyageur devant moi se présente ;

Il me semblait mourant. Eperdue et tremblante,

Je cours dans ma pitié le sauver du trépas :

Du sable en gémissant j'arrache tous mes pas ;

Je m'arrête , et je marche ; et je tremble , et j'espère ;

Je m'efforce , j'approche : hélas ! c'était mon frère.

ODÉIDE.

Lui !

SALÉMA.

Lui-même, Farhan. « Ma sœur, dit-il , c'est toi ! » Viens-tu tensevelir sous le sable avec moi ? » Hélas ! la même ardeur dans notre sein s'allume, » Cet air, ce vent de feu tous les deux nous consume. »

* >i Entends-tu, Saléma , l'aquilon mugissant?

* » Par le sable obscurci , le soleil pâlissant

* » Semble expirer au loin dans ce rayon funeste :

* » C'est son dernier pour nous, c'est le seul qui nous reste.» Nos pieds , alors , nos pieds cherchent à s'affermir

Sur un sable tremblant prêt à nous engloutir;

Nous pâlissons tous deux , nos cheveux se hérissent*,

Nous nous tendons les bras , nos corps glacés fléchissent j,

Et ces sables muets , cette mer sans courroux,

S'entr'ouvre , nous dévore, et se ferme sur nous.

Ma sœur, j'étouffe encor. Mais tu verses des larmes. (1)

Juste ciel ! lu frémis ! D'où naissent les alarmes ?

(1) (Editions précédentes.) Ma sœur , j'étouffe encor.

ODÉIDE.

Dieu , quelle affreuse image ï Qu'elle a vous frapper d'un sinistre présage !

saléma. Ma sreur , ce n'est pas tout : un autre objet d'horreur M'agite , suit mes pas, redouble rua terreur.

«DÉIUE-.

Qu'entends-jc , ô ciel !

ACTE TI, SCÈNE II. 2§.

ODÉIDE.

Ma sœur, vous n'aurez plus à trembler sur son sort. Ce songe.... Hélas! Farhan,...

( Suite de la note. )

SALEMA.

Muette , immobile , surprise, De ma profonde erreur quand je me fus remise , croyez-vous, ma sœur, sans m'en douter, hélas! Que mon égarement m'ait fait porter mes pas? Ma sœur, ce n'était point dans ces champs de verdure Que de ses dons pour nous orne encor la nature , Parmi ces doux parfums , ces trésors enchanteurs, Amassés par l'abeille et conquis sur les fleurs ; C'était dans cette enceinte des cyprès funestes Couvrent de nos ayeux les déplorables restes j Où, gravés sur la pierre et semés sur nos pas, Leurs noms offrent partout les leçons du trépas : Parmi ces rangs de morts , ces dépôts de poussière , Des tombeaux, des débris , les cendres de ma mère. J'ai cru d'abord , j'ai cru que mon étrange erreur, Par le sommeil produit enfantait ma terreur. Veillais-je , ô ciel?Dormais-je? Ko ce désordre extrême, J'ai craint de me tromper , j'ai douté de moi-même ; J'ai voulu par un cri m'en assurer soudain , Ce cri par ma frayeur expira dans mon sein. Je me parlais tout bas , je fixais la lumière; Ma main pressait ma main , mon pied pressait la terre , Il prrssait les tombeaux. Non, tout ce long tourment N'était point , ma sœur , d'un assoupissement ;

Je veillais , je veillais ; j'ai droit de m'en répondre :

Je ne me trompe pas. Ah ! je me sens confondre.

Quel est donc ce pouvoir, cet horrible poison

Qui , lorsque le corps veille , endort notre raison?

Quoi! du flambeau du jour quand nous voyons la flamme,

Seraii-il un sommeil qui s'attache à notre âme?

Quel sommeil, juste Dieu ! je tremble encor d'effroi.

Eh ! qu'est-ce donc, ma sœur, qui s'est passé dans moi?

Je ne m'abuse point , j'entends ce triste augure :

Farhan , Farhan n'est plus , tout mon cœur me l'assure.

Sans doute en ce moment quelque nouveau danger ,

Le-s piège» d'un brigand, le fer d'un étranger ,

La soif dans le désert, la tempête, la guerre ,

Auront tranché les jours de mon malheureux frère.

OI'ÉIDE.

Hélas! vous n'aurez plus a trembler sur son sort. On m'a dit dans l'instant...

SALÉMA.

Quoi! ma sœur... etc. Page 24.

24 ABU FAR,

SALÉMA.

Quoi ! ma sœur....

o IDE.

Il est mort.

SALÉMA.

Grâce au ciel , la douleur reste seule a mon âme ! Je ne crains plus enfin ma détestable flamme.

ODÉIDE.

Qu'entends-je ! Quels forfaits ! ô déplorable jour ! Se peut-il?...

SALÉMA.

Eh î ma sœur, connaissez- vous l'amour? La voilà cette ardeur que ma bouche a trahie , Que cachaient les langueurs de ma mélancolie ; Ce penchant malheureux proscrit par la vertu, Qui troublait ma raison, qu'enfin j'ai combattu. Oui , je vis pour Farh'an, je l'aime , je l'adore ; C'est cet air, ce-ciel , ce feu qui me dévore , Ce vent de nos déserts , terrible , envenimé , Moins brûlant que l'amour, dans mes sens allumé : Voilà Farhan , c'est lui 5 c'était sou visage, Lorsqu'une douce erreur m'en présentait limage : Jeune , sensible , ardent, tel qu'il frappa mes yeux , Quand seul il enchantait et la terre et les cieux. Que dis-je ? Ah ! dans la tombe j'ai troublé la cendre , Sans doute avec horreur, Farhan , tu dois m'enlendi e ! J'ai donc tout profané , ce vertueux séjour, L'honneur, les nœuds du sang , la nature et l'amour î Ma sœur, venge sur moi ce ciel qui me déteste ; Arrache-moi ce coeur, ce cœur pour l'inceste. Frappe , voilà mon sein.

SCÈNE III.

ODÉIDE , SALÉMA , SOBED.

SOBED.

Brûlé d'un ciel ardent, Farhan qu on a cru mort arrive en cet instant : Un pasteur du désert vient de le reconnaître Sur le même coursier qui le fit disparaître;

* Sur son coursier chéri, qui, par sa voix flatté,

* Marquait en bondissant sa joie et ta fierté.

*Vous

ACTE II, SCÈNE III. zB

'* Vous l'allez voir bientôt ; mais redoutant son père , * A son premier courroux il voudra se soustraire. Agité , tout poudreux , et prompt à vous chercher, C'est près de vous d'abord qu'il viendra se cacher.

SCÈNE IV.

ODÉIDE, FARHAN, SALÉMA, SOBED,

SOBED.

Le voici.

FARHAM, àSol.ed.

Laissez-nous.

(Sobed se retire. )

SCÈNE V.

ODÉIDE, SALÉMA, FARHAN.

Embrassez-moi.

FARHAN.

- Mes soeurs , c'est votre frère.

(Il les embrasse.) SALÉMA.

Farhan !

ODEIDE.

O ciel !

FARHAN.

Que fait mon père?

part.)

Je tremble.

ODÉIDE.

En ce moment la tribu de Sajir Le retient.

PARHAN.

Je respire. Oh ! je puis donc jouir, Mes sœurs, mes tendres soeurs, après ma longue absence. Du plaisir de vous voir ! Combien votre présence Enchante mes regards ! Ce soleil dévorant.... Ces sables.... des ennuis.... le vent, ce cruel vent Du désert.... tout m'accable. Ah ! je suis plus tranquille. Ces tentes , ces chameaux , cet innocent asile , L'aspect de Samaël , de ma tribu.... Je croi

.Abufar. 4

»G ABUFAR,

Que le bonheur enfin va s'approcher de moî. Mais pourquoi , Saléma , vois-je sur ton visage Des traces de langueur ? Pourquoi donc un nuage Obscurcit-il sitôt les jours de ton printemps? Ton cœur paraît soulï'rir.

ODÉIDE.

Ma sœur, dans tous les temps, Ne fut que trop portée à la mélancolie.

FARHAN.

Eh ! laissez-la répondre.

SALÉMA.

Ah ! notre triste vie , Ainsi que ces déserts , nous offre peu de fleurs ; Mais une main prodigue y sema les douleurs.

FARHAN.

Odéide;)

Ah ! Saléma. Ma sœur, lu revois donc ton frère Avec plaisir?

ODÉIDE.

Sans doute.

FARHAN àOJéide.

(A toutes deux.)

Oh ! viens ! Que je vous serre Toutes deux sur mon cœur ; chère Odéide !

ODÉIDE.

Hélas ! Combien j'ai dans l'instant pleuré votre trépas !

FARHAN, à Saléma. (A Odéide.)

Et tu pleurais aussi ! Cette nouvelle encore Ne s'est pas répandue , et mon père l'ignore ?

ODÉIDE.

3e le crois.

FARHAN.

Si j'étais mort avec son courroux! ïci , pour le fléchir, mes sœurs, je n'ai que vous. Peut-être Ténaïm autant que lui m'abhorre ?

ODÉIDE.

Son cœur vous chérissait , il vous chérit encore.

FARHAN. (A toutes doux.)

->i, Saléma, toi. Vous que j'aimai toujours,

ACTE II, SCÈNE V. 27

Avec mou père ici , mes sœurs , dans vos discours , Vous avez quelquefois parlé de mon absence?

ODÉIDE.

ïl condamna sur vous notre bouche au silence.

FARHAN. Son cœur pour moi de haine est donc bien pénétré?

ODÉIDE.

La nuit , en vous nommant , hier il a pleuré.

FARHAN.

Pleuré, pleuré! dis-tu? Saléma , ta tristesse

Et mes erreurs , sans doute , ont troublé sa vieillesse.

ODÉIDE.

Vous soupirez , mon frère ?

FARHAN, àOdéide.

Ah ! ma sœur c'est à toi D'adoucir les chagrins qu'il a, reçus de moi : Dans mon absence ,. au moins , tes accens pleins de charmes , Tes innocentes mains auront séché ses larmes. Qui, ton aspect lui seul console mes douleurs?

SCÈNE VI.

AB UFA1Î, ODÉIDE, FARHAN, SALÉMA.

FARHAN.

Viens , oh ! viens dans mes bras .

( Il la serre tendrement contre son sein.)

ABUFAR, sana être aperçu, regardant Farlian lorsqu'il presse tendrement sa sseur

contre son sein.

Que vois-je , ô ciel !

FARHAN.

Je meurs.

(A ses sœurs.)

Oui , c'est lui 5 cachez-moi. Dieu ! quelle est sa colère! Mes sœurs ! mes a-ceurs !

ODÉIDE.

Sortons.

(Elle sort avec Saléma.) FARHAN;

fuirai-ie?

28 ABUFAR,

SCÈNE VIL

ABUFAR, FARHAN.

FARHAN.

Mon père !...

ABUFAR. Moi ! je n'ai point de fils. Je me souviens qu'un jour J'en crus posséder un bien cher à mon amour : On le nommait Farhan. J'élevai sa jeunesse ; J'avais fondé sur lui l'espoir de ma vieillesse; Mais j'ignore en quels lieux il a porté ses pas.

FARHAN.

S'il était devant vous?

ABUFAR.

Je ne l'aperçois pas. Mais le nouvel objet qui frappe ici ma vue M'a saisi tout à coup d'une horreur imprévue. En cherchant dans ton cœur, me diras-tu pourquoi, Quand j'observe ton front , je frémis malgré moi? N'est-ce pas (ton maintien , ton oeil, tout m'en assure) Que l'aspect d'un ingrat fait soufîrir la nature? Ton père , réponds-moi , lorsque tu l'as quitté , T'accablait-il du poids de son autorité? Etait-il un tyran? fuyais-tu ses caprices , L'excès de sa rigueur , l'exemple de ses vices? Mais, s'il sentait pour toi ce vil et tendre amour Que tu devais, ingrat, si mal payer un jour, Comment à ses regards oses-tu reparaître? Non, ce n'est point ici que le ciel t'a fait naître. Va revoir ces climats, ces palais enchantés, régnent les tyrans , l'or et les voluptés *, les mépris des mœurs , d'horribles maximes , Ont de leurs traits hideux dépouillé tous les crimes. Que t'ont fait nos déserts ? De quel front reviens-tu Y mêler l'air du crime à l'air de la vertu? Ne t'ai-je pas surpris parlant avec mes filles? (i)

(i) (Premières Editions.) Ne t'ai-je pas surpris parlant avec mes filles ? Il faut dés ce moment avertir les familles, Leur annoncer... Que dis- je ? il n'en est pas besoin. Et je me dois ici charger d'un autre soin. Va-t-en, fuis (pour te voir, mon horreur est trop forte )( Va-t-en chez des médians : tu voudras, n'importe. Ce même sol tous deux ne peut plus nous souffrir. Va , fuis , sois de itu tente , eu je vjIo en soi tir. et< .

ACTE II, SCÈNE VIL 29

Je dois de ton aspect délivrer nos familles : Va-t-en, ce même sol ne peut plus nous souffrir. Va , fuis, sors de ces lieux, ou je vais en sortir.

FARHAN. J'obéis j il le faut , «à la voix paternelle , Sans doute avec douleur, mais sans me plaindre délie. Le voyageur pourtant, le mortel égaré, Consumé par la faim , par la soif dévoré, Eu tout temps trouve ici la tente de mon père , Le paiu qui le nourrit , l'eau qui le désaltère , Dans la main d'Abufar le gage de sa foi j Mais sa tente et son cœur se sont fermés pour moi. Pour moi dans l'univers il n'est plus qu'un asile. Je m'en vais donc goûter enfin , calme et tranquille , Cette hospitalité , ce doux et long repos Qu'un malheureux du moins trouve au fond des tombeaux. J'approcherai sans peur du juge incorruptible, Qui lit seul dans les cœurs et n'est pas inflexible. Peut-être, à mes raisons, s'il m'avait entendu, Le sévère Abufâr se serait-il rendu. Je perdrai peu de chose en perdant la lumière 5 Mais j'emporte au tombeau la haine de mon père : Voilà le dernier coup pour ce cœur abattu. Adieu , je vais mourir.

ABUFAR.

Eh bien ! que diras-tu?

FARHAN. Je dis que le destin , que le ciel dans mon âme Versa de nos climats et l'ardeur et la flamme ; Qu'un besoin fatigant , un désir furieux De sortir de moi-même, et de voir d'autres deux, Un de ces mouvemens qui commandent en maitre, Que l'instinct nous inspire, ou la raison peut-être,

* M'ont emporté partout; dans ces champs fécondés

* Par les trésors du Nil dont ils sont inondés;

* Sous ces affreux rochers battus par la tempête ,

* ce tleuve s'enfonce et cache encor sa tête ; J'ai couru les déserts et les palais des rois -, Observé chaque peuple, et leur culte et leurs lois , Leurs trésors, leurs soldats, leurs mœurs, leurs origines 5. Visité les tombeaux, les temples , les ruines -, Quelquefois sur l'Atlas , médité orès des cieux

3o ABUFAR,

L'éternité des temps, l'immensité des lieux. C'est que, m'emparant de la nature entière,..

ABUFAR.

Et tu n'avais donc pas de famille et de père !

Tu n'as donc rien aimé? Qui , dans ton cœur , hélas *

Porta cette fureur que je ne conçois pas ?

Le bonheur est le but tout mortel aspire ,

Et le chemin des moeurs peut seul nous y conduire.

Mais ce but , ce bonheur , donc le cherchais- tu?

Faut-il aller si loin pour trouver la vertu ?

Eh quoi ! n'avais-tu pas, dès ta plus tendre enfance,

Goûté de nos travaux le charme et l'innocence;

Cette paix des déserts , ces doux , ces nobles soins

Qui parmi nous du pauvre ont prévu les besoins ?

]\ 'avais-tu pas connu nos heureuses familles ,

Vu nos chastes hymens , la pudeur de nos filles ?

Tes sœurs, dont le soupçon n'oserait approcher?

Au bout de l'univers qu'allais-tu donc chercher?

Des lois? grâce à nos mœurs , nous n'en avons aucune.

Des trésors? nos troupeaux font seuls notre fortune.

Des tombeaux? c'est ici que dorment nos aïeux.

Des temples ? vois la terre , et regarde les cieux : (i)

(i) (Premières Editions.)

Des temples? vois la terre et regarde les cieux:

Tout ici , mon enfant , sous une image pure,

Offre à nos yeux charmes l'auteur de la nature :

Partout dans ses bienfaits nous voyons son amour :

Sa grandeur resplendit dans le flambeau du jour.

La nuit , quand nous levons nos mains vers les étoiles ,

Dieu n'est-il pas pre'sent sous ces augustes voiles ,

Dirigeant d'un coup d'œil le cours silencieux

De ces globes brillans disperse's dans les cieux ?

Cet air , ce sort natal , cette douce patrie

l\*'a donc rien dit , hélas ! à ton âme attendrie?

Rien donc auprès de nous n'a pu te retenir ?

Avais-tu donc sitôt perdu le souvenir

De Ténaïm , l'appui de ton ;1ge timide

De ta sœur Saléma , de ta sœur Ode'ide,

De moi , car à mon tour je puis être compte ?

Ton cœur , en me quittant, n'a donc point palpité;'

Non, je ne croirai point que mon (ils inflexible]

Sous des dehors heureux , car.hr> un coi-nr insensible

Mon tih n'est poiul barbare» il n'a point échappé

ACTE II, SCÈNE Vît 3i

Cet air, ce sol natal , cette douce patrie, N'ont donc rien dit , bêlas ! à ton âme attendrie? Rien donc auprès de nous n'a pu te retenir? Avais-tu donc sitôt perdu le souvenir De Ténâïm, l'appui de ton âge timide, De ta sœur Saléma , de ta soeur Odéïde ,

( Suite Je la noie. )

Aux premiers mouvemens dont tout homme est frappe. Il faut de toi , mon fils , il faut que je m'assure ; Qu'un hymen vertueux t'enchaîne à la nature.

FARHAN.

Quoi! l'hymen...

ABUFAR.

J'ai vieilli , je sais ce que je veux j Ton âge est imprudent , terrible , impétueux : J'ai connu ses périls. Ce nœud si nécessaire , Si pur , si doux , l'hymen ! pourrait-il te déplaire ? Regarde autour de nous. Ah! lorsqu'en ces déserts Nos sables agités ont obscurci les airs ; Quand le soleil "pâlit , quand les vents homicides Élèvent jusqu'au ciel des montagnes arides , Et font voler au loin ces nuages brûlans Sur les pas égarés des voyageurs tremblans , Le chameau mieux instruit , courbé sous la tempête / Dans le sable du moins ensevelit sa tète 5 Sans braver le péril, sage , et fermant les yeux , Il trompe par instinct ces vents contagieux ; Trompe aussi ta jeunesse et son intempérie ; Trompe aussi par raison tes sens et leur furie. N'attends pas , dans ton cœur de mollesse abattu , Que l'air brûlant du vice ait séché la vertu. Ah ! tremble d'outrager l'implacable nature ; On ne la vit jamais pardonner son injure. L'hymen , l'hymen peut seul , en engageant ta foi, ï'arracher aux dangers dont je frémis pour toi. Choisis dans nos tribus une épouse fidèle Qui fixe ton bonheur et tes vœux auprès d'elle ; Que je puisse jouir de ta félicité , T'embrasser , me revoir dans ta postérité. Crois-moi , suis mes conseils. Va , je suis sans colère , Rends-moi mon fils , Farhan , je t'ai rendu ton père.

FARHAN.

Non, vers l'hymen jamais rien ne peut m'entraînerj Rieu ne peut m'y contraindre et m'y déterminer ; Je ne saurais souffrir un lien si funeste.

3t. ABUFAR,

De moi , car à mon tour je puis être compté?

Ton cœur , en me quittant , n'a donc point palpité ?

TSon , je ne croirai point que mon fils inflexible,

Sous des dehors heureux, cache un coeur insensible ;

Mon fils n'est point barbare, il n'a point échappé

Aux premiers mouvemens dont tout homme est frappé.

( Suite de la note. )

L'amour, je le combats; l'hymen, je le déteste. Je soutiendrai mes droits.

ABUFAR.

Tes droits ! et la vertu ?

FARHAN.

Je suis, je mourrai libre.

Je crois l'être , du moins.

ABUFAR.

Eh ! malheureux , l'es-tu ?

FARHAN.

ABCFAR.

Ce n'est qu'au vrai courage A porter du devoir l'honorable esclavage.

FARHAN.

La liberté toujours m'offrira des appas.

ABUFAR.

la vertu n'est point , la liberté n'est pas.

Ne te souvient-il plus que quitter sa patrie

Est pour tous nos enfans un crime en Arabie ?

La malédiction des pères furieux

S'attache sur leurs pas avec celle des cieux.

irions-nous oublier aux rives étrangères

La pudeur , le travail , les vertus de nos pères ,

Pour rapporter chez nous les vices corrupteurs

De cent peuples nourris dans le mépris des mœurs.

Et voilà tes forfaits. Rebelle à la nature,

Rebelle à ton pays , barbare , ingrat , parjure...

FARHAN.

Barbare ! ÏDgrat !

ABUFAR.

Tu l'es. Par les mœurs consacrés , Ces murs n'avaient point vu d'enfans dénaturés ; Le ciel jusqu'à ce jour n'en avait point fait naître : Ln seul, un seul parut, et mon Gis devait l'être.

FARHAN.

Savez-vous , savez-vous pourquoi je vous ai fui ? etc.

Il

ACTE II, SCÈNE VII. Il faut de toi , mon fils , il faut que je m'assure. Qu'un hymen vertueux t'enchaîne à la nature.

FARHAN.

Quoi ! 1 hymen...

ABUFAR.

Oui , l'hymeu , en engageant ta foi Peut t'arracher aux maux dont je frémis pour toi. Choisis dans nos tribus une épouse fidèle Qui fixe ton bonheur et tes vœux auprès d'elle. Que je puisse jouir de ta félicité , T'embrasser , me revoir dans ta postérité. Crois-moi , suis mes conseils. Va, je suis sans colèr : Rends-moi mon fils , Farhan , je t'ai rendu ton père.

FARHAN.

Non, vers l'hymen jamais rien ne peut m'entrainer ; Rien ne peut m'y contraindre et m'y déterminer : Je ne saurais souffrir un lien si funeste. L'amour , je le combats ; l'hymen , je le déteste. Savez-vous, savez-vous pourquoi je vous ai fui ? Je vous quittais alors, je vous quitte aujourd'hui. Un ascendant fatal, terrible , que j'abhorre, M'a ramené vers vous , et m'en éloigne encore» Adieu.

ABUFAR.

Tu resteras.

FARHAN.

Non.

ABUFAR.

Je t'en fais la loi,

FARHAN.

Non.

ABUFAR.

J'aurai les moyens de m'assurer de toi.

FARHAN.

C'est la fuite , la fuite, ou la mort que j'espère. Adieu.

(Il va pour s'échapper.) ABUFAR, courant à lui, le saisissaut, et le serrant sur son seia.

Tu resteras dans les bras de ton père ; Oui , dans mes bras , cruel :, tu n'en sortiras plus : Tu ferais , pour me fuir , des efforts superflus. Abufar. 5

34 ABUFAK,

FAR II A N , étonné , Lors de lui.

Qui me retient ?

A BU FAR.

C'est moi. Ta résistance est vaine \ Mon coeur presse ton cœur , mes bras forment ta chaîne ; Voilà le seul lien qui t'arrête avec nous. Veux-tu partir , Farhan ?

FARHDN.

Je mourrai près de vous.

ABUFAR.

Va , tout est oublié. Séchons tous deux nos larmes. Si le joug de l'hymen a pour toi peu de charmes , Diffère , j'y consens , mon fils , à t'en charger: Peut-être ce dégoût n'est-il que passager. Mais calme auprès de moi cette fougue orageuse D'une âme trop ardente et trop impétueuse. Reste avec Ténaïm , près de moi , de tes soeurs Qui t'ont, même en ce jour, servi de défenseurs. Nous perdons Pharasmin : tu l'estimes , je l'aime 5 Je viens de l'affranchir, de le rendre à lui-même; Mais c'est avec douleur que je le vois partir ; Et parmi nous peut-être on peut le retenir.

FARHAN.

Comment ? Sous quel prétexte ?

ABUFAR.

A lui, par l'hyménée, Si l'une de tes sœurs joignait sa destinée?

FARHAN.

Laquelle ?

ABUFAR.

Saléma.

FARHAN.

Saléma ! Vous pensez Qu'à cet hymen déjà ses vœux sont dispossé ?

ABUFAR.

Et quel serait l'obstacle à ce nœud que j'espère? Son âme est libre encore , et Pharasmin peut plaire ?

* Leur âge les rapproche; une douce langueur

* De Saléma d'avance a préparé le cœur

* A ce charme si pur, à ce bonheur suprême,

* Que doit l'épouse aimée au tendre époux quelle aime. Unissons-nous tous deux pour la persuader.

ACTE II, SCÈNE VIL 35

Toi, qui veux son bonheur , tu dois me seconder-, Vante-lui, Pharasmin , ses vertus, sa jeunesse; Dis-lui que cet hymen, consolant ma vieillesse... Mais j'observe en tes yeux des marques de douleurs : Tu gémis , je le vois , d'avoir causé mes pleurs. La source en est tarie. En quittant la lumière , A tes deux sœurs dans toi je laisse un second père : C'est mon plus doux espoir, c'est mon dernier plaisir; Et tu m'ouvres des bras je pourrai mourir.

( Il sorl avec son fils. )

rm nu second acte.

36 ABUFAR,

Ht»«itiuwiiuuu'««\tuuvittu«»iM««in»n*ntMt«ui»%vki«uuiuv«MMtmiiw

ACTE TROISIÈME.

SCÈNE I.

FARHAN, seul.

Ôaléma va venir. Farhan , que vas-tu faire?

Pourras-tu t'acquitter des ordres de ton père?

Quoi ! c'est l'hymen, l'hymen qu'il lui faut proposer,

Et c'est moi , Saléma , qui dois t'y disposer !

Que viens-je ici chercher ? Quelle est mon espérance ?

Qu'ont de commun entre eux le crime et l'innocence ?

Serait-il un instinct dont l'horrible pouvoir

Formât l'attrait du crime et l'ennui du devoir ?

Quoi, je brûle ! et pour qui ? Pour ma sœur , oui , pour elle.

Je cache en l'abhorrant ma flamme criminelle

Quel est donc, Saléma , ce chagrin si profond

Qui trouble ton esprit, l'accable , le confond?

Mais si ce long ennui que ton front fait paraître ,

Etait de l'amour.... Il le cache peut-être.

Qui sait si sa langueur.... Non, non , ce Pharasmin

De la Perse jamais ne prendra le chemin.

N'ai-je pas observé ses yeux pleins de tendresse ,

Dans ceux de Saléma confondre leur tristesse ;

La rechercher, la suivre , à regret la quitter ?

Saléma le retient, je n'en saurais douter.

J'ai vu dans ses regards , dans son âme inquiète ,

Les signes trop certains d'une flamme secrète.

Se pourrait-il ?... O ciel! je sens que mon courroux....

Est-ce à toi, malheureux! à toi d'être jaloux?

Je ne m'étonne plus si le ciel me déteste ;

Si mon père a frémi de mon aspect funeste.

Ciel ! venge la nature : arrache-moi le jour

Avant que je déclare un si coupable amour.

Que je crains le moment de nous trouver ensemble !

ACTE III, SCÈNE II. 37

SCÈNE IL

SALÉMA , FARHAN.

FAKHAN, à part.

La voilà : je frémis.

SALÉMA , à part.

Je l'aperçois : je tremble. Ciel ! sous tes feux vengeurs que j'expire soudain, Plutôt qu'un tel secret s'échappe de mon sein !

FAR H AN.

Je vois donc... je puis..,.

SALÉMA.

Farhan, c'est vous !... Mon frère... Eh bien !.... vous l'avez vu.

FARHAN.

Qui donc , ma soeur?

SALÉMA.

Mon père.... Hélas ! avez-vous pu soutenir son courroux?

FARHAN. Ma sœur, je l'ai fléchi.

SALÉMA.

J'avais tremblé pour vous. Des pères irrités la menace est terrible ; Mais leur cœur , grâce au ciel , n'est jamais inflexible. Quels que soient leurs enfans , leur colère envers eux Est souvent la douleur de les voir malheureux.

FARHAN.

De quel mortel , ma sœur, le ciel nous a fait naître! C'est la vertu, je crois, qui vient de mapparaitre. Quels traits , et quels discours ! Mais comment l'imiter!

SALÉMA.

Ah ! vous ne voudrez plus , mon frère , le quitter. Quand vous êtes parti pour ces lointains rivages , Votre esprit de nos traits emporta les images } Ces souvenirs pourtant , avec tous leurs appas , N'ont pas toujours, mon frère, accompagné vos pas. Mais nous , dans ces déserts, au calme , à la constance , Au doux recueillement instruits dès notre enfance ,

38 ÀBUFAR,

Dans nos coeurs avec soin nous gardons imprimés

Les premiers senlimens qui les ont animés :

Leur tendre affection ne meurt point par l'absence :

Elle vit de regrets , de douleur, de silence.

Ils ne vous ont point dit , ces rivages jaloux ,

Que nos cœurs vous suivaient , qu'ils volaient près de vous.

Eh ! comment de si loin concevoir nos alarmes ,

Entendre nos soupirs <, se figurer nos larmes?

Vous n'avez, pas songé , mon frère , à nos douleurs.

FARHAN.

Hélas ! peut-être alors versais-je aussi des pleurs,

SALÉMA.

Tu vois sur ce sommet ces deux palmiers fidèles Qui confondent entre eux leurs ombres fraternelles*.

FAR H AN.

E b en ?

S A L É M A.

C'est à leurs pieds , le jour, le triste jou? pour d autres climats tu quittas ce séjour.. C'est à leurs pieds, Farhan , qu'immobile, interdite r De mes regards au loin j'accompagnai ta fuite- Au bout de l'horizon , mes désirs et mes yeux Reculaient pour te suivre et la terre et les eieux , Je volais sur tes pas aux portes de l'aurore: Je ne te voyais plus, je regardais encore. Quel fut mon désespoir, quand mon oeil égaré ^N 'apercevant plus rien. . . .

FARHAN.

Qu'as-lu fait?

SALÉMA.

J'ai pleuré-

FARHAN.

Est-d vrai, Saîéma ? Tu répandis des larmes ?

Des pleurs pour moi versés ont pu ternir tes charmes?

Hélas ! qu'en cet instant n'étais-je auprès de toi l

SALÉMA.

Hélas! qu'en cet instant vous étiez loin de moi?

FâRHAN.

Je te vois donc enfin ! Mais que ton front paisible Nous cache un cœur ardent , pur, fidèle , sensible ? Capable du plus doux , du plus tendre retour?

ACTE III, SCÈNE II. 39

Quel bonheur l'attendait s'il eût connu l'amour ! Mais dis : dans nos tribus tes yeux ont pu, sans crime , Distinguer quelque objet digne de ton estime ; Quelque fils de nos chefs....

/ s A MA

Aucun.

FARHAN.

Quelque étranger....

Soit Mède^ soit Persan....

SALÉ M A.

Aucun.

FARHAN;

Pour l'engager Sous les lois de l'hymen , si les vœux de mon père M'avaient prescrit. ..

SALÉ M A.

Grand Dieu! N'achève pas, mon frère.

FARHAN, à part. <Haut.)

Je respire, ô bonheur! Jamais donc , je le voi, Les flambeaux de l'hymen ne brilleront pour toi?

SALÉMA.

Jamais. Mais vous , Farhan , dans votre longue absence, ( Si pourtant j'ose entrer dans cette confidence) Vous n'avez pas senti votre coeur arrêté Par un charme plus doux que votre liberté?

- FARHAN.

J'en atteste ce jour qui pour moi luit encore (i) : Qu'à l'instant sous tes yeux le trépas me dévore , Si l'amour ou l'hymen, quels que soient ses attraits , Par le moindre serment peut m'enchaîner jamais.

(i) (Editions précédentes )

FARHAN.

Ma sœur, tu vois d'ici ces tombeaux de nos pères tu pleuras souvent s ir des cendres si chères ; Tu vois ces froids cercueils , ce séjour du repos vont de nos désirs se briser tous les flots ; Ce port de la vertu que le malheur implore ; Qu'à l'instant sous tes yeux le trépas me dévore, Si l'amour ou l'hymen, quels que soient ses attraits, Par le moindre serment peut m'enchaîner jamais!

40 ABUFAR,

S AL KM A.

Je vous crois.

Saléma

FARHAN

I

SALEMA.

D'où naissent tes alarmes ? Pourquoi fixer sur moi des yeux remplis de larmes ?

FARHAN.

Salcma !

SALEMA.

Farhan !

FARHAN. (Il la serre sur son sein.)

Viens dans mes bras, je meurs. Comme ton cœur gémit !

SALÉMA.

Il s'est rempli de pleurs : Je crains de le presser.

SALEMA. ( Cachant sa joie.)

Je vous crois. Mais d'où vient que vos yeux pleins de larmes A fixer ces tombeaux semblent trouver des charmes ? Est-ce à vous , libre , errant ; fougueux dans vos désirs , A goûter comme moi ces funestes plaisirs ? Cette douleur, hélas ! peut-elle être la vôtre ?

FARHAN.

Les extrêmes , ma sœur , sont bien près l'un de l'autre.

SALÉMA.

Vous allez être encor loin de nous entraîné ?

FARHAN.

Mon sort, en tous les lieux, est d'être infortuné.

SALÉMA.

Infortuné ! comment ?

FARHAN.

Crois-moi, dans leur furie Les cœurs les plus ardens ont leur mélancolie : Dans un songe pénible , abusés par leurs vœux , Ils traînent l'impuissance et l'espoir d'être heureux. Leur obstacle au bonheur, c'est la v.ertu peut-être. Ce n'es» que pour souffrir que le ciel les fit naître. Leur sensibilité les trouble et les détruit. Emportés par l'attrait d'un bonheur qui s'enfuit, Ils embellissent trop une image si chère Ce qu'^s aiment s'échappe , ou n'est point sur la terre ;

FARHAN.

Ah ! parle.

Écoute.

ACTE III, SCÈNE II. 41

FARHAN.

Ma sœur !

SALÉMA.

Que veux-tu dire ?

FARHAN.

SALEMA.

Eh bien ?

FARHAN.

Je me tais , et j'expire.

SALÉMA.

Ah! quels que soient tes maux , c'est trop être abattu. Du courageux Farhan donc est la vertu ?

( Suite de la note. ) La terre sous leurs pas fait germer tous les maux. Ah! nos pasteurs errans , suivis de leur troupeaux, De déserts en déserts parcourent F Arabie ; De douleurs en douleurs je traverse la vie.

SALEMA.

Farhan ! mon cher Farhan !

FARHAN,

Oh ! que dès mon berceau N'ai-je suivi ma mère au fond de son tombeau!

SALEMA.

Comme une fleur, he'las ! je la vis disparaître.

FARHAN.

Comme une fleur , hélas ! tu vas tomber peut-être.

SALEMA.

Tu me regretterais! Tu m'aimes donc?

FARHAN.

O cieux ! Si je t'aime !

SALEMA.

Des pleurs obscurcissent tes yeux.

FARHAN,

O Salema !... ma sœur !.,.

SALÉMA.

Que ce mot a de charmes !

FARHAN.

Non, tu ne connais pas la source de mes larmes.

SALÉMA.

Quel est donc ce secret ?

farhan , il la serre sur son sein.

Viens dans mes bras , je meurs, etc.^ page 40. Abufar. 6

4a ABUFAR,

Que ta sœur te console. Eh ! quels noms sur la terre Sont plus doux que ces noms et de sœur et de frère ? Qui nous empêchera , dans nos tendres discours , D'épancher nos douleurs , de nous voir tous les jours ? La nuil de tes chagrins deviendra moins profonde. Heureux dans ces déserts , oubliés , loin du monde , Nous dirons : Pour s'aimer, le ciel y renferma Saléma pour Farhan , Farhan pour Saléma;

* Nous pourrons tous les deux , empressés à lui plaire ,

* Couvrir de nos respects la vieillesse d'un père ;

* Honorer Ténaïm , lui payer tout le soin

* Dont long-temps sous ses yeux notre enfance eut besoin, Allons ; n'attendons pas qu'une langueur obscure

Dans nos cœurs accablés ait éteint la nature...

FARHAN.

Eh bien ! j'en vais sentir le charme et la douceur. Je cède à Saléma , j'obéis à ma sœur. C'est ma sœur qui le veut , c'est l'amour qui me guide , L'amour, le tendre amour que j'ai... pour Odéïde , Pour mon père, pour toi , pour Ténaïm. Je sens Que déjà ce bonheur a ravi tous mes sens...

SALÉMA.

Et moi , je goûterai sous les yeux de mon père Ce plaisir si touchant de consoler un frère.

FARHAN.

Je vois mon père , ô ciel ! Sortons de ce côté.

(A part, avec joie.)

Allons , je n'ai rien dit.

(Il sort. )

SALEMA, à part, avec joie.

Mon secret m'est resté.

SCENE III.

SALÉMA, ABUFAR, arabes.

ABUFAR.

Farhan t'a-t-il parlé ?

SALEMA,

De quoi ?

ACTE III, SCÈNE III. 43

ABUFAR.

De mon envie De fixer Pharasmin au sein dn ma patrie $ Et d'obtenir de lui , par un hymen heureux, Les soins d'un ami tendre et d un fils généreux?

SALÉM A.

Il ne m'en a rien dit. Mais projet d'un père N'a rien pour vos eufans qui puisse leur déplaire. Le bonheur qu'en ces lieux nous goûtons près de vous Va s'augmenter encor par des liens si doux. Puisque pour Pharasmin votre choix se décide , Vous comblerez ses vœux , car il aime Odéïde.

AB UFA R , avec étonnement.

Il aime Odéïde ?

SALÉM A.

Oui.

ABUFAR.

Quel bonheur !

SALÉMA.

Je le croi. Je vis près de ma sœur : sans lui manquer de foi , Je puis vous assurer que son penchant d'avance Prêtera quelque charme à son obéissance. Cet hymen peut ainsi s'accomplir dans ce jour.

ABUFAR.

Et le ciel par mes mains bénira leur amour.

( Aux Arabes )

Que l'on cherche mon fils , Pharasmin , Odéïde.,

(Plusieurs Arabes sortent.)

SCÈNE IV.

SALÉxMA, ABUFAR, arabes,

ABUFAR.

Oh ! du ciel à mes vœux si la bonté préside, Je vais donc , au déclin de mes jours pàlissans , Du bonheur de ma race entourer mes vieux ans !

44 ABUFAR,

SCÈNE V.

TÉNAIM, ODÉIDE, SALÉMA, KÈBIR , FARHAN,

ABUFAR, PHARASMIN, SOBED; arabes, femmes, enfans dans le fond.

A BU FA R, à Pharasmin.

Tu ne l'ignores pas , je t'estime, je t'aime , Et tu peux désormais disposer de toi-même. De vivre auprès de moi ton cœur est-il jaloux? Réponds \ veux-tu partir, ou rester près de nous? Tu n'as qu'à dire un mot.

PHARASMIN.

Je reste.

(Il tend la main à Abufar, et Abufar la lui touche.) FARHAN.

Ciel! qu'entends-je? D'où peut naître pour lui cette faveur étrange ? Un Persan ! un Persan !

ABUFAR.

N'a-t-il pas adopté Nos climats , et nos mœurs , et notre liberté ?

FARHAN.

Qui? lui!

PHARASMIN.

J'eus le besoin d'avoir une patrie ; Tu la reçus du ciel , je me la suis choisie.

ABUFAR.

Sur lui lorsque tantôt je t'ai dit mes desseins , Tu n'as pas témoigné ces injustes dédains.

FARHAN.

Eh bien ! je dévorais une haine funeste. Malheur à l'ennemi que ma rage déteste !

ABUFAR.

Songe que dès l'instant qu'il a touché ma main , Il est pour nous un frère , et non plus Pharasmin.

FARHAN.

Il ne vous reste plus qu'à l'accepter pour gendre.

ABUFAR.

S'il désirait ce nom , s'il cherchait à me rendre

ACTE III, SCÈNE V. 45

Les devoirs el les soins d'un fils respectueux , Si brûlant en secret d'un amour vertueux...

FAB.HAN.

Je ne souffrirai point qu'un étranger s'allie

A ce sang généreux qui m'a donné la vie ,

A ce sang de ma race , à ce sang d'une sœur ,

Ce sang qui la fit naître, et qui coule en mon cœur, (i)

J'ai droit de soutenir l'honneur de ma famille.

( à Pkarasmin.)

D'Abufar , en un mot , tu n'auras point la fille.

ABUFAR.

De quel front sous tes lois me croyant enchaîner...

FARHAN.

Avant de l'obtenir , il doit m'exterminer.

ABUFAR.

Moi seul, je peux ici disposer de ma fille ;

Moi seul , je parle en maître au sein de ma famille.

Pharasmin.) »

Ton secret m'est connu : je te donne en ce jour , Avec le nom de fils , l'objet de ton amour.

(i) (Editions précédentes.')

Ce sang qui la fît naître et qui coule en mon cœur. Au sein de cet éclat dont ta cour est jalouse , Que ne vas-tu , Persan , te chercher une épouse? Qui donc t'arrête ici? Sujet et courtisan , Cours aux pieds d'un despote incliner ton turban. J'ai droit de soutenir l'honneur de ma famille. D'Abufar , en un mot , tu n'auras point la fille.

ABCFAR.

De quel front sous tes lois me croyant enchaîner...

FARHAN.

Avant de l'obtenir il doit m'exterminer.

Nous n'avons plus tous deux qu'un seul mot à nous dire ,

L'un de nous doit mourir pour que lautre respire.

Pharasmin.)

Il faut que de ta main tu me perces le flanc , Ou bien que de ce fer altéré de ton sang...

PHARASMIN.

Je n'ai point soif du tien ; mais je sais me défendre. Pour toi , l'humanité se fait encore entendre.

46 ABUFAR,

FAR II AN, tirant son sabre.

Ah ! plutôt dans son sang que ce fer se rougisse.

ABUFAR.

Arrête , malheureux !

FARHAN.

Qu'il meure , qu'il périsse.

Pharasmin.)

Défends , défends tes jours.

PHARASMIN, tirant sone'pe'e.

Je brave un vain courroux. ..

(En remettant son e'pée à Abufar. )

C'est le sang d' Abufar que je respecte en vous.

( Suite d&la note. )

Oui , j'aime 5 oui , mon amour me retient en ces lieux. J'espère....

FARHAN.

Non, jamais...

ABUFAR.

Moi seul , audacieux , Moi seul , je peux ici disposer de ma fille ; Moi seul , je parle en maître au sein de ma famille, Pharasmin. )

Ton secret m'est connu : je te donne en ce jour, Avec le nom de fils , l'objet de ton amour.

farhan , tirant son sabre.

y

Ah ! plutôt dans son sein que ce fer se rougisse.

abufar. Arrête , malheureux .'

FARHAN.

Qu'il meure, qu'il périsse. > Pharasmin.)

Défends , défends tes jours.

pharasmin , tirant son épée.

Eh bien! dans mon courroux...

(En remettant son e'pe'c à Abufar.) C'est le sang d' Abufar que je respecte en vous.

ABUFAR,

Sobeb ! Kébir! etc.

ACTE ITI, SCÈNE V. 47

FARHAN.

Va , de ce vain respect ma fureur te dégage.

Quoi ! je verrais ma sœur en proie à cet outrage?

Ne crois pas m'éehapper par ce lâche détour.

Viens mourir de mes mains , ou m'arracher le jour.

O mes sœurs , Obéïde , ayez pitié d'un frère !

Point d'hymen , ou mon sang... Mais que dis-je? O mon père!

Me taire, m'abhorrer, vous fuir, chercher la mort,

Voilà mon seul espoir : je vais remplir mon sort.

ABUFAR.

Sobed ! Kébir ! Amis , qu'une garde sévère M'assure de Farhan. Allez, servez un père.

' (Kébir et des Arabes désarment Farhan et l'emmènent. Sobed , les Arabes , les femmes

et les enfans sortent. )

SCÈNE VI.

TÉNAIM, ODÉIDE, SALÉMA, ABUFAR, ' PHARASMIN.

ABUFAR, à part.

Quels soupçons ! ah ! d'horreur mes sens sont pénétrés ! Se peut-il...

( A ses filles et à sa sœur. )

Laissez-moi. Pharasmin, demeurez.

(Ténaïm sort avec Saléma et Odéide. )

SCENE VIL

ABUFAR, PHARASMIN.

ABUFAR.

As-tu vu, mon ami, son crime et mon outrage, L'excès , l'horrible excès de son aveugle rage?

PHARASMIN.

Cet excès dans Farhan ne m'a point étonné. Sa haine est un malheur qui m'était destiné , J en ai vu dès long-temps les signes manifestes 5 Elle éclatait partout , dans ses yeux , dans ses gestes. Elle a s'exhaler par un transport soudain , Surtout quand vos bontés honoraient Pharasmin.

48 ABTJFAR,

ABOFAR.

Mais pourquoi ce transport a-t-il saisi son âme , Lorsqu'accueillant tes vœux, lorsqu'à pprouvant ta flamme, De Tune de ses soeurs je t'ai promis la foi?

PITARASMIN.

C'est un Persan captif qu'il voit toujours en moi. Arabe du désert , libre et fier de sa race , Aspirer à sa sœur lui paraît une audace. Il pense que sa sœur ne se peut allier Ou'avec l'Arabe seul dans l'univers entier, (i)

ABUFAR.

Va , j'ei su pénétrer cette horrible furie. Je crois ..

PHABASMIN.

Que pensez-vous !

ABUFAR.

O crime ! O flamme impie ! Tout s'explique à mes yeux : voilà , voilà pourquoi Ce monstre si long-temps s'est éloigné de moi. J'ai découvert enfin le secret du perfide. L'exécrable Farhan brûle pour Odéide.

PHARASMIN.

Odéide !

ABUFAB.

Oui, lui-même ; oui , son infâme ardeur Dans son éclat naissant dévorait la pudeur. Je l'ai vu, je l'ai vu, d'une main frémissante Presser entre ses bras une sœur innocente. Il ne saurait souffrir que , t'assuran t sa foi , Je prépare un hymen entre Odéide et toi. Il nourrit , il nourrit cette ardeur criminelle , Ce détestable feu qui l'embrasa pour elle. Je sens frémir mon cœur, se troubler ma raison. L'inceste...

(i) (Éditions précédentes.) Qu'avec l'Arabe seul dans l'univers entier. superbe et bouillant...

ABUFAR.

Toujours, quand je l'accuse, Ta générosité me présente une excuse. Cependant je suis père , et je dois le premier Chercher à le défendre et le justifier.; Mais j'interprète mal cette horrible furie. Je crois... etc.

PHARASMIN.

ACTE III, SCÈNE VII. 49

l'HARASMIN.

Eh bien! l'inceste?...

ABUFAR.

Il est dans ma maison. Crois-moi , jeune Persan , cherche une autre famille $ Un père plus heureux qui te donne sa fille.

FHARASMIN.

Je perdrais Odéide ! Odéide ! Et pourquoi ?

ABUFAR.

Ma race maintenant n'est plus digne de toi.

PHARASMIN.

Je pourrais vous quitter!

ABUFAR.

Telle est mon infortune. O d ouleu! O regret ! O vieillesse importune ! Au lieu d'un fils soumis, et tendre , et vertueux, J'ai donc fait naître un monstre , un vil incestueux , Et son opprobre , ô ciel ! deviendrait mon partage ! Je m'instruirais si tard à dévorer l'outrage ! 3Nos antiques tribus verraient dorénavant Abufar avili dans Abufar vivant! (1) Non , je jure, soleil , que ma juste furie Saura venger les moeurs , ma race , ma patrie 5

(1) {Premières éditions)

Abufar avili dans Abufar vivant ; Et ces cheveux sans tache aux yeux de ma patrie Se montrer sur ma tête avec ignominie! Malheureux, dont le crime a produit mon affront, Quand tu ne rougis plus, viens voir rougir mon front.

PHARASMIN.

Juste ciel ! vous pleurez !

ABUFAR.

vois-tu donc mes larmes? Mon courroux contre lui va me donner des armes. Oui, je jure, soleil , par ton sacre flambeau (

Témoin dans nos climats de ce forfait nouveau , Je jure que mon bras , que ma juste furie Vengeant le ciel , les mœurs, ma race , ma patrie , Pour épurer les airs et cet éclat du jour , Qu'un monstre a trop souillé par son profane amour, Dans les ilôts de son sang, l'horreur de la nature, Etoufferont ses feux , laveront mon injure , Et priveront bientôt de ton aspect sacré Le fils, l'indigne fils qui m'a déshonoré! etc. (Page 5o.)

Abufar. h

5o ABUFÀR,

Et privera bientôt de ton aspoci sacré Le hls, l'indigne fils qui m'a déshonoré.

PIIARASMUS.

Je tombe à vos genoux.

ABUFAR.

Voudrais-tu le défendre?

PHARASMIN.

Ne précipitez rien ; daignez au moins m'entendre. "Vous vous repeu liriez, bientôt de son trépas.

ABUFAR. Un monstre! un criminel !

PHARASMIN.

JNon, non ; il ne l'est pas, Crovez-moi, l'en réponds. J'ose excuser sa flamme ; L'amour innocemment est entré dans son àme. Comment fuir en effet, vers le piège entraîné, L ' pins doux des périls qu'on n'a poinl soupçonné? jNouiri près d'Odéide , il aura, sans alarmes , Laivse .son jeune cœur se tourner vers ses charmes; 11 aura cru la voir, sensible impunément-, Avec les yeux d'un frère, et non pas d'un amant. Il n'aura pas prévu qu une amitié si pure

Lui eai hait un penchant proscrit par la nature 5

(Ju'il connaîtrait un jour, mais irop tard éclairé,

JJe quel poison fatal il s'était enivré.

Oui , souvent ces déserts, dans leur vaste silence,

Auront de ses remords reçu la confidence.

Son amour vil encor dans son cœur combattu;

Mais il gémit du moins dompté par la verlu.

Vloij pins heureux que lui, plein dune douce attente, Je n'ai point rencontré ma sœur dans une amante ; Kl le destin pour m<>i , dans ce nouveau séjour, JN ;ivaii point séparé l'innocence et l'amour.

Plaigm z . plaignez plutôt sa flamme involontaire ;

Les étions qu'il a faits , les étions qu'il doit faire.

L'amour le poursuivait-, il l'a craint, il l'a fui.

Le bonheur est pour moi , mais la gloire esi pour lui.

ABUFAR.

Non , tu ne vaincras point le courroux qui m'anime. J'ai lu dans ions ses t! ails la preuve de son « rime. Vois comme dans ton sang il voulait se plonger.

ACTE TTT, SCÈNE VII. 5i

II bravait mon pouvoir, il m'osait ont rager !

Il suspend ton hymen , ton bonheur qu'il abhorre.

PH ARA S MIN. Je l'attendis "long-temps , je peux l'attendre encore. Jetais, je suis toujours heureux de vous servir, Et d'aimer Odéide, et de vous obéir.

* Pour murmurer jamais , ma tendresse est trop forte.

* Je reprendrai mes fers, dix ans, vingt ans , n'importe.

* L'amour embellit tout , le présent . l'avenir :

* L'on possède déjà ce qu'on croit obtenir.

Mais rendez-nous Farhan. Oui. bientôt, je l'espère,

Son respect, ses remords vont désarmer son père.

Des coeurs tels que le sien les combats sont affreux ;

Mais leurs efforts sont grands , sont prompts , sont généreux.

Farhan est votre fils. Non , jamais , quoi qu'il fasse,

Il ne démentira son sang ni voire race.

Non , je ne croirai point que le ciel en courroux

Laisse flétrir un sang transmis pur jusqu'à vous.

^ ous l'avez dit cent lois à moi-même , à vos filles,

Les bonnes actions protègent les familles.

Dans des besoins cruels , et pauvre, et généreux ,

Vous réserviez toujours la part au malheureux.

Le bien qu'on croit caché sort de la nuit obscure ,

Et le ciel tôt ou lard le paie avec usure.

ABUF.VR.

Tu connais mal mon fils.

PHARASMIN.

^ ous l'accusez en vain. Le repentir, le calme est déjà dans son sein : Farhan n'est point coupable , inhumain , ni perfide.

ABUFAR.

Tu le crois , Pharasmin ?

PHARASMIN.

Entendez Odéide 5 Entendez Ténaïm. Venez , je suis vos pas. Vous lui rendrez son père, ou je meurs dans vos bras.

( Ils sortent ensemble.; FIN DU TROISIÈME ACTE»

5a ABUFAR,

ACTE QUATRIÈME.

SCÈNE I.

ABUFAR, TÉNAIM.

ABUFAR.

»l Ai suivi vos conseils; il fallait vous complaire : Ils sont libres tous deux. Mais d'un fils téméraire Répondez-vous j ma sœur?

TÉNAIM.

Votre fils arrêté Aurait perdu la vie avec la liberté. Terrible, et l'oeil farouche, en sa fureur extrême, J'ai tremblé que sa main n'attentât sur lui-même. Mais de sa garde à peine il s'est vu délivré , Que sans bruit sous sa tente il est soudain rentré. Dans ses sombres regards , surtout dans son silence , De ses sourdes douleurs j'ai vu la violence. De son calme orageux rien ne peut le tirer, Et même sa raison m'a paru s'altérer.

ABUFAR.

Et quels témoins plus sûrs demandez-vous encore De l'exécrable feu dont l'horreur le dévore? C'est ainsi que le crime , à lui-même odieux , Jusque dans son repos se trahit à nos yeux.

TÉNAIM.

Non , mon frère, jamais Farhan n'a dans son âme

Senti pour Odéide une coupable flamme -,

Elle le justifie ; et, si de Pharasmin

Pour sa sœur il rejette et l'amour et la main ,

( le n'est point qu'à nos vœux sa passion s'oppose:

C'est la haine, l'orgueil qui seul en est la cause.

Oui , l'orgueil seul, mon frère , a produit sa fureur.

La raison et le temps détruiront son erreur.

Odéide vous peut prouver son innocence.

ACTE IV, SCÈNE I. 53

ABUFA.R.

Je veux que Pharasmin lui parle en ma présence. Oh ! si j'ai , dans leurs mœurs imitant mes aïeux, Peut-être mérité quelque grâce à tes yeux , O ciel ! fais qu'il soit pur d'un amour que j'abhorre ! Rends-moi le doux plaisir de l'estimer encore. Que je puisse bientôt , le serrant sur mon cœur, Par des pleurs d'allégresse abjurer ma fureur !

(II sort. )

SCÈNE II.

TÉNAIM, seule.

Oui , bientôt , Odéide , en défendant son frère , Saura le disculper dans l'esprit de son père : Il verra son erreur.

SCÈNE III.

TÉNAIM, PHARASMIN.

TÉNAIM.

C'est vous , cher Pharasmin ! Ah ! rendez grâce au ciel qui vous a fait humain. Votre amour fut constant , pur, patient , timide : L'amour va tout payer par l'hymen d'Odéide, Farhan s'est apaisé. Puisse enfin son courroux Ne pas jeter encor la terreur parmi nous !

( Elle sort. ">

SCÈNE IV.

PHARASMIN,seul.

Oui, Farhan nourrissait une haine cachée, Sur moi depuis long-temps en secret attachée. Mais je n'ai pas prévu qu'un jour, dans sa fureur, Il dût , en s'oubliant , me marquer tant d'horreur. Eh quoi , ce n'est donc pas Saléma qui l'enilamme ! Odéide est l'objet qui captive son âme. Je m'étais donc mépris. C'est dans Farhan , ô cieux î Que vous deviez m'offrir un rival odieux I Je ne m'étonne plus de sa rage homicide : Je conçois cependant ses feux pour Odéide. Plein d'un amour fatal long-temps dissimulé , Pour sa sœur quelquefois plus d'un frère a brûlé.

5/f ABDFAR,

Fnrhan , qu'à tous les deux ton ardeur est contraire ! Pourquoi ne puis-je pas te chérir comme un frère? Tu me hais; je te plains. Hélas ! dans ma pitié. Je fais du moins pour toi les vœux de l'amitié.

SCÈNE V.

FARHAN, PHARASMIN.

4

F A K II A N , avec un grand calme.

Ah ! c'est toi , Pharasmip ! Mon père sans alarmes, Avec la liberté m'a fait rendre mes armes. Plus calme maintenant, je confesse entre nous Que tantôt j'ai trop cru mon aveugle courroux. Hélas! pour mon malheur le ciel me fit extrême. Il est de ces momens l'on n'est plus soi-même. Devant mes propres yeux je suis humilié. J'eus tort : pardonne-moi.

PHARASMIN.

1 Va, tout est oublié. Ta main , Farhan ?

FARHAN. Ami , ta flamme est légitime. Ma sœur peut te chérir ; tu peux l'aimer sans crime : Et mon père T crois-moi, s'il écoute mes vœux, Ne retardera pas le bonheur de vos feux.

PHAR ASMIN.

Pour son gendre Abufar voudra me reconnaître !

FARHAN.

Tu deviendras son fils.... sou fils... le seul peut-être.... Adieu , cher Pharasmin.

TIIAR ASMIN.

vas-tu donc , Farhan ?

F A H H A N.

Retrouver près d'ici mon coursier qui m'attend-, (i) Cet ami généreux qui va, loin de la vue, Prêter tous ses secours à ma fuite imprévue ;

(i) ( Editions précédentes.]

Retrouver pies d'ici mon ami qui m'attend;

Cet ami généreux qui va, loin de ta vue,

Prêter tous Bes secours à ma fuiic imprévue;

Sans appareil, sans bruit, plus prompt que iese'clairs,

ACTE IV, SCÈNE V. 55

Sans appareil , sans bruit, plus prompt que les éclairs ,

M'emporter pour jamais au fond de nos déserts 3

Il est certains momens à saisir dans la vie.

A mes vœux pour jamais je sais quelle est ravie ,

Je 11e la verrai plus. Oh ! non \ jamais ces lieux

Ne m'ofïriront sa grâce , et ses traits, et ses yeux j

Non , jamais j c'en est fait.

PH A RAS M IN, à part.

Dieu ! quelle horrible flamme ! Quoi ! sa sœur !

FARHAN.

Que dis-tu ?

PHARASMIN.

Le trouble est dans ton âme. Tu parais méditer quelque projet affreux?

FARHAN.

Je n'ai plus qu'un moment pour être vertueux.

Ce coursier... il e§t prêt... ma sœur... tous deux peut-être

Dans un instant... un seul , nous pouvons disparaître.

PHARASMIN.

Avec qui? Quelle horreur !

FARHAN, égaré , à part.

Oh ! non , je n'ai rien dit. Une idée a pourtant occupé mon esprit.

(Haut)

Dis-moi donc... que voulais-je?Ah! dans mon trouble extrême^, Je veux... je crains... J'ai froid.

PHARASMIN.

Rentre, hélas! dans toi-même.

M'emportes pour jamais au fond de nos déserts j Cet ami si sensible à ma voix qui l'appelle, Qui lit dans mes regards , intrépide lidtle : Mon coursier est tout prêt.

PHARASMIN

ï'u nous fuis ! Et pourquoi? D'où vient? ..

FARHAN.

J'ai mes raisons.

PU ARA S MIN.

t^u'entends-je ?

FARHAN.

Écoute-moi. U est certains momens à choisir dans la vie, etc.

55 ABUFAR,

FARHAN.

Je me sens affaissé. N'es-tu pas averti D'un changement dans l'air ?

PHARASMIN. Non.

FARHAN.

Tu n'as pas senti De ces vents du désert la dévorante haleine ? Mon ami , mon cœur souffre , et je respire à peine.

(Très-vivement, après un silence.)

Je veux la voir.

PHARASMIN.

(A part, avec douleur. )

Qui donc ? C'est Odéide. O cieux !

(Haut.)

Qui donc ?

^ FARHAN.

Je veux la voir, et mourir à ses yeux.

PHARASMIN.

Tu ne la verras pas.

FARHAN.

Quelle âme assez hardie Pourrait m'en empêcher ?

PHARASMIN.

Moi , moi.

FARHAN.

Je t'en défie. Mon bras....

PHARASMIN, l'arrêtant sans violence et avec amitié.

Ton bras , Farhan , ne peut rien contre moi.

FARHAN.

Est il possible , ô ciel ! Il s'est levé sur loi !

PHARASMIN.

Farhan, dans ton état, quand mon ami m'offense,

Je crois qu'il est absent , et n'en prends point vengeance.

F A R H A N.

Tu ne méprises pas un si lâche ennemi?

PHARASMIN.

J'embrasse , en le plaignant > mon frère et mon ami. Allons , reprends tes sens j sois homme ; allons.

FAKHAN.

ACTE IV, SCÈNE V. 57

F* RHAN.

Ecoute : Mon amour me consume ; il est affreux sans doute. Je l'étouffé, il renaît ; il cède , il est vainqueur. Quels feux ! Ah ! Pbarasmin î mets ta main sur mon cœur. La pointe du rocher que le soleil dévore , De ce cœur embrasé n 'approche point encore. Ah ! Saléma !

P II A R A S M I N , à part , avec joie et surprise.

C'est elle !

FARHAN.

Ah ! mon ami, je meurs! Je ne la verrai plus. Tu vois mes feux , mes pleurs, Mon trouble, mon tourment; mais malgré leur atteinte, Ma raison, grâce au ciel, ne s'est jamais éteinte. Oui , je peux L'attester ; oui , jusques à ce jour, J'ai haï , détesté mon exécrable amour. Le ciel , le ciel m'entend ; je ne suis point coupable : JNon, je ne le suis point. Ce juge redoutable , Ce rempart si sacré, je ne l'ai point franchi. Ma volonté du moins n'a pas encor fléchi. Mais , hélas ! ma vertu peut bientôt disparaître : Une faut qu'un instant , un seul instant peut-être. Je te conjure, ami...

PHARASMIN.

Parle , parle ; de quoi ?

FARHAN.

D'être homme , d'être humain , de t'emparer de moi, De ne point me quitter : je suis près de l'abîme. Si j'allais l'enlever , me souiller par un crime ! Mon ami , tu m'entends ? Tiens , brave ma fureur ; Accable-moi de fers , ou me perce le cœur 5 Poignarde-moi plutôt.

PHARASMIN.

Ciel!

FARHAN.

Mon ami , mon frère , Ne me perds pas des yeux ; sois mon guide sévère , Mon témoin, mon garant.

PHARASMIN.

Je le suis. Abufar. $

58 ABFFAR,

FARHAN.

Entends-tu? Te voilà maintenant chargé de ma verlu. Je ne suis plus à moi : grâce au ciel , je respire. Ma raison sur mes sens a repris son empire ; Et je t'assure môme , en des momens si doux , Que de toi , Pliarasmiu , je ne suis plus jaloux. Puisse-tu vers l'hymen 5 en entraînant son âme , Engager Saléma de répondre à ta flamme !

PHAR ASMIN.

Saléma ! C'est sa soeur dont je cherche la main.

FARHAN.

Quoi , sa sœur ! Odéide !

PHARASMIN.

Oui , sa sœur.

FARHAN.

Pharasmin ! Tu ne me trompes pas ?

PHARASMIN.

Non , non , c'est elle même.

FARHAN, après uo long silence.

Quelle était mon erreur !

PHARASMIN.

Depuis long-temps je l'aime.

FARHAN.

Et tu peux l'épouser , rends grâce à ton destin. ïMoi , je cède à mon sort. Adieu , cher Pharasmin. Que l'amour le plus doux , l'amour pur et timide , Charme à jamais ton cœur et le cœur d'Odéide. Vi\ez long-temps heureux dans ces déserts sacrés , De vous-mêmes connus , et du monde ignorés. De ton bonheur du moins j'emporterai l'image. A ta vertu , bien lard , hélas ! je rends hommage ; Mais , Pharasmin , pardonne à la fatalité De ce cruel amour dont je fus tourmenté. Quand je n'y serai plus, ami , sous cette tente Prends pitié d'Abufar, de Saléma mourante; Qu'elle ignore à jamais qu'un frère malheureux Puisa dans ses regards ces détestables feux. C'est l'amour qui l'a fait adopter l'Arabie ,

ACTE IV, SCÈNE V. 5ç)

Honore par tes mœurs ma race et ma patrie. Et moi , loin de ces lieux , je vais dans les combats , Non chercher des lauriers , mais chercher le trépas. Je ne cours qu'à la mort , et non pas à la gloire. Cher Pharasmin , adieu ; ne hais pas ma mémoire. Souviens-toi de Farhan long-temps ton ennemi, Mais qui connut ton àme , et qui meurt ton ami. Je pars, en l'adorant, pur et digne encor d'elle.

SCÈNE VI.

FARHAN, KÊBIR, PHARASMIN.

KÉBIR.

Pharasmin, sous sa tente Abufar vous appelle. Il écoute Odéide, il écoute sa sœur. Il voudrait vous parler.

PHARASMIN, àpart.

Je te suis. Quel bonheur ! Je te laisse un moment. Je vais trouver ton père. Mais je le sens , ami, ta fuite est nécessaire. Hélas ! c'est le conseil , Farhan , que je le doi : Il le faut, je le veux. Tu m'as donné sur toi D'un garant , d'un ami , le pouvoir sans mesure j Garant, je te l'ordonne- ami , je t'en conjure. Attends-moi. Je reviens.

(Il sort avec Kebir. )

SCÈNE VII.

FARHAN , seul.

Oui , je l'ai résolu. Le devoir me l'ordonne , et le ciel l'a voulu. Adieu , de Samaël tribu paisible et chère , Tenaïm, Odéide... adieu , surtout, mon père ! Et toi que j'aime en sœur, que je tremble d'aimer, Mais que d'un autre nom j'aurais voulu nommer , Hélas ! déjà privé de sa fraîcheur première , Ton front, bientôt flétri , penchera vers la terre. Il existera donc si loin de nos berceaux Un intervalle immense entre nos deux tombeaux !

60 ABUFAR,

Allons , vainqueur d'un feu que du moins j'ai pu taire ,

Soutirant , mais sans remords , j'embrasserai mon père }

Et hâtant aussitôt mon départ imprévu ,

Je fuirai, mais si Join...

SCÈNE VIII.

FARHAN, SALÉMA.

SALÉMA.

Quels apprêts ! Qu'ai-je vu? Que méditeriez-vous ? Répondez-moi, mon frère. Vous ne nous quittez pas ? vous aimez votre père ; Vos sœurs , votre patrie ont quelques droits sur vous.

FARHAN.

Je sais ce que je dois.

SALÉMA.

Eh quoi ! si loin de nous, Farhan , mon cher Farhan , voudrais-tu vivre encore ?

FARHAN. (i).

Ne m'interroge pas.

SALÉMA.

Vous allez être encor loin de nous entraîné?

FARHAN.

Mon sort , en tous les lieux , est d'être infortuné. Ah ! Saléma , ma sœur !

( i ) (Editions précédentes . ) !Ne m'interroge pas.

FARHAN.

SALEMA.

vas-tu ?

FARHAN.

Je l'ignore.

SALÉMA.

Craius-tu de voir l'hymen et les felicite's

De deux cœurs innocens l'un de l'autre enchantes?

Pharasmin et Farhan tous deux d'intelligence...

FARHAN.

Je l'avais offense, j'ai repare l'offense.

Jai confesse ma faute , il m'a tendu la main»

Et tu vois dans Farhan l'ami de Pharasmin.

ACTE IV, SCÈNE VIII. 61

SALÉMA.

Que ce nom a de charmes !

F A KHAN.

Non , tu ne connais pas la source de mes larmes. Dans un songe pénible , ^busé par mes voeux, Je traîne l'impuissance et l'espoir d'être heureux. Ah ! laisse-moi partir , prends pitié de ton frère. Ce que j'aime m'échappe , ou n'est point sur la terre. Je succombe et je meurs sous le poids de mes maux. Ah ! nos pasteurs errans , suivis de leurs troupeaux r De déserts en déserts parcourent l'Arabie 5 De douleurs en douleurs je traverse la vie !

SALÉMA.

Farhan ^ mon cher Farhan !

FARHAN.

Oh ! que dès mon berceau N'ai-je suivi ma -mère au fond de son tombeau ! Sans doute le destin (car à tout il préside) Appelle Pharasmin sur les pas d'Odéide ; Et pourtant d'autres coeurs , trop faits pour se chérir, Nés sous les mêmes cieux , n'ont jamais pu s'unir ! Oh! si j'avais trouvé , dans l'antique Assyrie, Dans la féconde Egypte , ou la riche Médie ,

SALÉMA.

Je reconnais mon frère à ce noble courage.

FARHAN.

Que mon père lui donne Odéide en partage. Qu'il goûte de l'hymen les plaisirs les plus doux, Je ne le verrai point avec un œil jaloux.

SALÉMA.

D'où vient que dans vos traits tant de tristesse est peinte ?

FARHAN.

Dans les vôtres, ma sœur, n'en vois-je pas l'empreinte?

Vous redoutez l'hymen , comme vous je le fuis j

Chacun a le secret de ses propres ennuis.

Sans doute le destin (car à tout il préside)

Appela Pharasmin sur les pas d'Odéide.

Et pourtant d'autres cœurs trop faits pour se chérir , etc.

62 ABUFAR,

Quelque objet vertueux qui me dût enflammer;

Qui fût pour l'amour, et qui craignit d'aimer ;

Qui portât dans son sein , modeste et recueillie ,

Le doux , l'heureux trésor de la mélancolie ,

Ce bonheur douloureux , cette tendre langueur .

L'aliment , le plaisir , et le charme du cœur;

En qui d'un autre cœur l'affection fidèle

Se gravât lentement, mais pour être éternelle;

Qui se plût sans témoin , égarant ses douleurs ,

Sur des cercueils épais à verser quelques pleurs ;

Qu'au milieu des cyprès mon œil eût pu surprendre

Interrogeant les morts , et croyant les entendre ;

Prêtant à des tombeaux sa sensibilité,

Cent fois plus ravissante encor que la beauté ,

Oh ! comme à ses genoux , soumis , tendre , et fidelle ,

Heureux de ses regards, heureux d'être auprès d'elle , (1)

Oubliant l'univers , et vivant sous sa loi...

SALÉMA.

Mon frère, existe-t-elle ?

FAR H AN.

Ah ! Saléma, c'est toi.

SALÉMA.

Que me dis-tu, Farhan ?

FARHAN.

C'est toi. Connais ma flamme, Mes ardeurs, mes tourmens, les transports de mon âme. Tu vois dans ces déserts l'image de mes feux ; Muets , brûlans , sans borne , et terrible comme eux. De mon aspect errant j'ai fatigué l'Asie , Et le Nil, et l'Atlas , et la triple Aiabie. J'aurais voulu , courant, m'élançant loin de toi , Sortir de cet amour qui fuyait avec moi. Vains efforts ! j'emportais ton image et les charmes. J'ai retenu mes cris , j'ai dévoré mes larmes ;

(1) (Editions précédentes .)

Oubliant l'univers , et vivant sous ses lois-.

SALÉ.Y1A.

Mon frère , existe-t-ellc ?

FAMIAIV.

Ah! ma sœur, je la vois; Mes regards enchantés... C'est toi? Connais ma flamme , etc.

ACTE IV, SCENE VIII. 63

Mais pourtant quelquefois , laissant couler mes pleurs ,

Les échos étonnés mont rendu mes douleurs.

Enfin je suis venu , te cachant ton ouvrage ,

Rapporter à tes pieds ma flamme et ton image.

J'ai tout lait pour me vaincre : ici même , en ce jour,

J'ai craint de t'avertir de mon fatal amour.

J'enchaînais , mais en vain . cet aveu qui te touche;

Il sortait par mes yeux, il errait sur ma bouche.

Je souffrais , je brûlais, j'adorais tes appas ;

Je te parlais d'amour, tu ne m'entendais pas.

Non , tu n'as pas su lire en mou âme éperdue....

SALÉMA.

Et toi-même , à ton tour, ne m'as pas entendue,

Quoi! n'as-tu pas compris dans tout notre entretien,

Tout l'excès d'un amour qui répondait au tien ?

Dans mes regards au moins n'as-tu donc pas su lire ?

Mon air , mes yeux, ma voix, tout devait t'en instruire.

Oui ; sous ces deux palmiers d'où je t'ai vu partir,

J'allais chercher Fespoir de te voir revenir.

Je regardais au loin , j'interrogeais l'espace ,

De tes pas vers mes pas je rappelais la trace;

Je hâtais , je pressais, j'imp'orais ton retour ;

Je t'attendais la nuit , je t'attendais le jour;

Je te disais tout bas : oui , ta vie est la mienne ;

Viens me rendre mon âme errante avec la tienne.

Mes vœux sont exaucés; enfin je te revoi ,

Mon cher Farhan , mon frère ! O deux ! écrasez-moi !

FAIiHAIf.

Anéantissez-nous ! C'est ma sœur î

SALÉMA.

C'est mon frère ! Je voudrais me cacher au centre de la terre. (î)

(î) (Editions précédentes.)

O cieux! cachez ma honte au centre de la terre! Un moment, maigre' moi , mon cœur s'est égaré.

FARHA*.

La vertu , le devoir dans la mienne est rentré '

SALÉMA

Notre crime est horrible

64 ÀKTJFAR,

FARHAN.

Qu'nvons-nous fait? Fuyons.

( Suite de la note. )

fuir?

J'entends du bruit.

FARHAN.

Il est involontaire.

SALÉMA. FARHAN.

SALEMA.

On vient.

SCÈNE IX et dernière. FARHAN, SALÉMA, ABUFAR, TÉNAIM , ODÉIDE, PHARASMIN.

FARHAN.

Dieu ! c'est mon père. ABUFAr , a Odéide, Ma fille , grâce à toi , je suis désabusé; Mon malheur est fini , mon courroux apaise'. Mais il faut avant tout que mon cœur se soulage. Mon fils , je l'avoûrai, je t'ai fait un outrage. Oui, j'ai cru que ton âme avait, dans sa fureur, Conçu pour Odéide un amour plein d'horreur. Je t'accusais à tort de cet én,orme crime. Je te rends ton honneur, mon amour , mon estime. Confondons nos transports et nos embrassemens.

farhan , interdit , et se détournant. Mon père...

ABUFAR.

A quel effroi sont livrés tous tes sens ? ( à Saléma. ) Ma fille!

saléma , interdite et se détournant.

Eh bien !.. Mon père...

ABUFAR.

O ciel ! quel trouble extrême ! Que me faut-il penser? M'abusé-je moi même? ( à Saléma ) Ma fille , parle.

SALEMA.

Hélas!

ABUFAR.

Vous frémissez tous deux. Quel secret cachez-vous ?

FARHAN.

Connaissez donc nos feux,

SALÉMA.

ACTE IV, SCÈNE VIII. 65

SALEM A.

Abandonnons ce lieu.

( Suite de la note. ) N'estimez plus un mnnstre , un coupable , un perfide. I\on , je ne brûle point pour ma sœur Odeide ; Mais...

ABCFAR.

Va , ce mot suffit pour calmer mon courroux.

Nomme , nomme l'objet.

saléma.

11 e?t à vos genoux. Dans notre indigne sang e'touffez notre flamme.

A BUFAR.

Avez-vous accueilli cette ardeur dans votre âme ?

FA RU AN.

Abandonne^ du ciel , nous nous sommes tous deux Avoue' daus l'instant nos exécrables feux.

ABl'FAR.

Sans craindre que ce ciel, pour vous réduire en poudrei,.

PASSAI*.

Le remords a sur nous tombe comme la foudre.

saléma. Il a mis dans mon cœur ses plus cruels tourmens.

FARHAN.

Il m'accable à vos pieds.

SAlÉma , tombant à ses pieds. Punissez vos enfans : Je ne mérite plus le nom de votre fille.

ABUFAR.

Tu ne l'es pas.

farhan, avec joie.

O ciel !

salema.

Quelle est donc ma famille?

Aeufar , en montrant Salérna. Voilà , voilà l'enfant que d une faible main Sa mère , en expirant, a remis dans mon sein.

SALÉ MA.

Quoi! je suis cet enfant? Quoi! pouvais-je le croire? De mes propres malbeurs j'ai raconté l'histoire ?

AEUFAR.

Oui , mon cœur t'e'coutait , palpitant de plaisir : De mes faibles bienfaits lu me faisais jouir.

Abufar. '

Gt» ABUFAR,

FARHAN.

Je ne te verrai plus !

On ignora ton sort 5 je t'appelai ma fille. J'entendais tous les jours, par une heureuse erreur, Odeide et Farhan qui te nommaient leur sœur. J'aurais craint à leurs yeux que tu fusses moins chère , S'ils avaient à mon sang pu te croire étrangère. Ce nom de mes enfans par tous les trois porté fj Conserva parmi vous la sainte égalité. Quand Dieu m'appellera , je pourrai , sans alarmes , Vers lui lever mes yeux remplis de douces larmes; Finir comme mon père; et dans mon dernier jour , Ainsi qu'il m'a béni , vous bénir à mon tour. Oui , vos pieuses mains fermeront ma paupière ; Voilà ce qu'en mourant m'avait prédit ta mère : J'ai secouru l'enfance , et j'en reçois le prix.

(A Farhan et à Saléma.) (A Saléma,) Vos feux sont innocens. Je te donne mon fils.

SALÉMA.

Je ne quitterai point votre heureuse famille !

ABUFAR.

Dans l'épouse d'un fils j'embrasse encor ma fille.

FABHArr.

Pour vous aimer tous deux nous voilà dans tos bras. Ah! quand je vous quittai , je ne vous fuyais pas! J'obtiens donc sans remords une épouse si chère! Elle est pour moi le prix des vertus de mon père.

ABUFAR,

Cher Pharasmin , la Perse est toujours loin de toi ?

PHARASMIN.

Odeide a mon cœur.

ABCFAR.

Qu'elle ait aussi la foi.

odeide , à Pharasmin. Vous ne regrettez point les palais de l'Asie?

pharasmin , h Odeide. L'amour m'a fait pour vous pasteur de l'Arabie. (A Abufar.) Je vous servis cinq ans ; j'ai le prix de mes feux.

ARIFAR,

Donnez-vous tous la main , et soyons tous heureux. (Farlian et Saléma, Pharasmin et Odeide tombent tous ensemble aux pieds d Abufar chaque amant douai; la main à son amante : Ténaïm les contemple avec joie tendres»'.-. )

ACTE IV, SCÈNE VIIÎ. 67

SALÉMA.

Adieu , mon frère.

FARHAN.

Adieu.

ÎIN DU QUATRIÈME ACTE.

Ah ! Pharasmiu !

Farhan !

ODÉIDE. SALÉMA.

ABtIFAR.

Vivez long-temps ensemble : Songez que sous ma main c'est Dieu qui vous rassemble ; Et que de votre amour, pour l'avoir combattu, Il fait ici pour vous le prix de la vertu ; Que c'est par le remords qu'il vous sauva du crime 5 Qu'il rend vos feux plus doux, votre hymen légitime] Que la bonté l'honore , et que , chers à ses yeux , Les traits d'humanité sont écrits dans les cieux.

(La toile tombe.)

FIN DU QUATRIÈME EX DERNIER ACTÇ.

68 ABUFAR,

\

ACTE CINQUIÈME.

SCÈNE I.

PHARASMIN, ABUFAR.

PHARASMIN. f

' / cr, dans ee lieu , Farhan a promis de m'attendre. Mais , hélas ! il a fui.

ABUFAR.

Que viens-tu de m'apprendre? Infortuné Farhan , si j'avais pu prévoir

PA K ASM IN.

T'ai vous dévoiler ses feux , sou désespoir.

A li U F A R.

Tu ne m'abuses point;' C'esl Saléma qu'il aime? Je retrouve mon fils , il est encor lui-même! Saléma , cher Farhan , je pourrai donc bénir Les nœuds qui , près de moi , vont bientôt vous unir. Vous allez désormais jouir d'un sort prospère.

PHARASMIN.

Qu'entends-je ? Saléma !....

AT U FAR.

Je ne suis point son père.

PHARASMIN.

Se peut-il , Abufar :' et quels motifs secrets ?...

AEUFAll.

Ah ! si jusqu'à présentiez plus chers intérêts,

Saléma , sur ton sort mont prescrit de me taire,

Ma voix peut aujourd'hui révéler ce mystère.

Apprends tout mon bonheur, apprends , cher Pharasmin,

Qui; cet enfant jadis déposé dans mon sein ,

Cet eufant, dont tantôt elle contait l'histoire,

Est S.déma.

!'ll \ R A.SMIN.

Qu'entends-je ? ô ciel ! Puis-je vous croire ?

ACTE V, SCÈNE I. 69

ABUFAR.

C'est elle. Au premier rang porté par sa vertu, Son père Je Sajir gouvernait la tribu ; Vaincu par uu rebelle , il a perdu la vie.

PHARASMIN.

Grand Dieu !

ABUFAR.

Par le vainqueur sa femme poursuivie Mourut dans le désert, et remit en mes bras Cet enfant que le ciel a sauvé du trépas. D'une ombre protectrice entourant sa naissance , Mes soins de l'oppresseur ont trompé la vengeance. Il triompha long-temps 5 mais, proscrit à son tour, Lui-même il a péri.

PHARASMIN.

Pourquoi , depuis ce jour, Cacher à Saléma son nom et sa famille ?

ABUFAR.

J'avais tant de'plaisir à la nommer ma fille ! Ses parens n'étaient plus , ils revivaient en moi. J'hésitais à parler... Tout m'en a fait la loi. Conçois-tu , Pharasmin , mes transports et ma joie ? Auk plus cruels tour mens quand mon Sis est en proie, D'un mot , je puis le rendre à la vie , au bonheur.

PHARASMIN.

Hàtez-vous , Abufar ; détruisez son erreur 5 De son cœur déchiré guérissez les blessures.

ABUFAR.

Oui , mon cher Pharasmin. Mais au moins tu m'assures Qu'éprouvant dans son àme un salutaire effroi , Mon fils n'est point coupable ?

PHARASMIN.

Abufar, croyez-moi.

Le malheureux , luttant sur le bord de l'abîme , Epouvanté , recule au seul aspect du crime. Ah ! si vous l'aviez vu gémissant dans mes bras !

ABUFAR. . Ses malheurs sont finis. Mais il ne revient pas. En proie à sa douleur, s'il me fuyait encore ? Je crains son désespoir. Dieu juste , je t'implore! Ah ! ne m'enlève pas l'espoir de mes vieux ans;

70 ABUFAR,

Prends pitié de nos maux , et rends-moi nos enfans !

( A Pharasmin. )

Saléma s'abandonne à sa douleur mortelle,

Et fuit en rougissant la tente paternelle.

Ses craintes vont cesser , à la voix de sa sœur.

Toi , va trouver mon fils'; mais d'un si grand bonheur,

Permets, cher Pharasmin, que son père l'instruise:

j'ai causé son erreur } que ma voix la détruise.

(Il sort.)

SCÈNE IL

PHARASMIN, seul.

Oui , j'espère bientôt le remettre en ses bras : Il ne peut résister. O ciel ! tu m'inspira Quand ma voix , d'Abufar désarmant la colère , De l'amour de Farhan dévoila le mystère.

SCÈNE III.

SALÉMA , PHARASMIN.

( Saléma est pâle. ) SàLÉMA.

Farhan n'est point ici ? Dites-moi , Pharasmin , Que fait-il ? Du désert a-t-il pris le chemin ? L'avez-vous vu ?

PHARASMIN,

Bientôt nous le verrons, j'espère. Je vais le ramener dans les bras de son pèrej Il lappelle , il l'attend.

SALÉMA.

Ses vœux sont superflus ; Non , devant Abufar il ne paraîtra plus.

PHARASMIN.

Je lis dans votre cœur ; mais espérez encore :

Pour vous d'un jour plus pur je vois briller l'aurore.

Attendez Abufar. Après tant de douleurs

Il peut tarir bientôt la source de vos pleurs.

Je ne puis , Saléma , m'expliquer davantage.

Je cours chercher Farhan , ranimer son courag .

ACTE V, SCÈNE TH. 7r

Demeurez. Le repos avait fui loin de vous , Ce jour va vous le rendre.

(Il sort.) /

SALÉMA.

Il n'est plus fait pour nous !

SCÈNE IV.

SALÉMA , seule.

Que fais-je? Quel espoir, quel charme involontaire

Me ramène à la place j'ai quitté mon frère ?

Mon frère! il est donc vrai? c'est , c'est en ces lieux

Que ma bouche a trahi mes détestables feux.

J'ai déclaré ma honte , et j'y pourrais survivre !

Non , d'un supplice affreux que la mort me délivre.

La mort!... Oui , c'en est fait, je la sens , elle est là.

Un instant malgré moi ma raison se troubla ,

Je respire. Ce jour met un terme à mes peines ,

Et déjà le poison a coulé dans mes veines.

Nos sables m'ont offert, pour abréger mon sort,

Cette plante propice à qui cherche la mort.

, seule , mabreuvant de ses sucs homicides ,

Je viens de la presser sur mes lèvres arides.

Vous, que déshonora mon amour criminel,

Adieu , mon père ! Adieu, tribu de Samaël ;

Tentes de mes aïeux , que souille ma présence 5

Désert, de Farhan j'allais pleurer l'absence 5

\'ous , fidèles témoins de mes longues douleurs ,

Palmiers , qui tant de fois vîtes couler mes pleurs ,

Adieu !

SCÈNE V.

FARHAN, PHARASMIN, SALÉMA.

SALÉMA.

Ciel ! c'est Farhan ! Juste Dieu , que j'implore . Vous m'avez donc permis de le revoir encore !

FARHAN

conduis-tu mes pas ? Pharasmin , que veux-tu ? Dieu ! Saléma !

72 AP.UFAR,

1>UAH ASM IN.

Farlian, dans ton cœur abattu Rappelle ton courage et ta force première. Tes remords d'Abufar ont calmé la colère; Je cours auprès de lui , je vais à son amour De ce fils qu'il appelle annoncer le retour. Tu connaîtras ton sort de la bouche d'un père. Reste en ce lieu, bientôt tu le verras.

(II entre dans la tenle d'ALufar.)

SCÈNE VI.

FARHAN, SALÉMA.

SALÉMA.

Mon frère!

FARHAN.

Saléma !

SALÉMA.

Tes regards se détournent de moi?

FARHAN.

Je n'oserai jamais lever les yeux sur toi.

SALÉMA.

Oublions, s'il se peut, un crime involontaire.

FARHAN.

Ah ! qui pourra forcer nos remords à se taire ?

SALÉMA.

Ah ! non, rien de nos coeurs ne peut les arracher.

FARHAN.

Sans rougir désormais je ne peux t'approcher. Tout nous parle en ce lieu de cette indigne flamme, Qu'en vain nous combattons , qui s'attache à notre âme. Que faire?

SALEMA.

Il faut mourir.

FARHAN.

Saléma, que dis- tu?

SALÉMA.

On doit quitter la vie en quittant la vertu.

FARHAN.

Oui , la tombe nous offre un port sûr et tiauquille.

SALÉMA.

ACTE V, SCÈNE VI. :

SALÉ M A.

Contre le crime , hélas ! c'est notre unique asile.

FARHAN, avec une sorte de joie.

Tu désires la mort ?

SALÉMA.

Je l'attends sans effroi.

FARHAN.

Elle est mon seul espoir, Saléma.

SALÉMA.

Réponds-moi. Farhan ; que ferions-nous désormais sur la terre ? C.Vsl aux mortels heureux que l'existence est chère. Pourquoi de nos remords supporter le fardeau ? ]N i 'est-il pas , cher Farhan , au-delà du tombeau , Un monde de l'amour qui consume notre âme, Sous les regards d'un Dieu, peut s'épurer la flamme? , je pourrais, Farhan, te voir sans m'alarmer.

FARHAN.

Saléma , du moins nous pourrons nous aimer.

SALÉMA.

Loin de nous séparer, le trépas nous rassemble.

FARHAN.

D'un bonheur sans regrets nous jouirons ensemble.

Eh bien! à ces déserts, par nous seuls profanés ,

Tous deux, allons ravir leurs sucs empoisonnés;

Qu'au même instant, ma sœur, ils coulent dans nos veines.

C est ainsi , qu'affranchis des souffrances humaines,

Perdant tous nos remords , mais non pas notre amour,

.ÏNous élevant ensemble au céleste séjour,

JNous irons , au milieu des âmes immortelles,

De bonheur à jamais nous enivrer comme elles.

Tu le veux , j'y consens. On peut venir, suis moi.

SALÉMA.

Oui , cher Farhan , ta sœur veut mourir près de toi ; C'est son unique espoir.... Mais apprends , ô mon frère.... Quel bruit se fait entendre?...

FARHAN.

On vient.

Almfar. *o

7.; ABUFAR,

SCÈNE VII.

PHARASMIN, ODÉIDE, ÏÉNAIM, ABUFAR, SALÉMA.

SALÉ M A.

Dieu! c'est mon père

ABUFAll.

Mes enians , mes enfans, je suis désabusé; Mon malheur est fini , mon courroux apaisé ; Mais il faut avant tout que mon cœur se soulage. Mon fils , je l'avoûrai , je t'ai fait un outrage ; Oui , j'ai cru que ton âme avait dans sa fureur, Conçu pour Odéide un amour plein d'horreur 5 Je t'accusais «à tort de cet énorme crime. Je te rends ton bonheur, mon amour, mon estime } Viens dans mes bras !

FARHAN.

Qui ? moi !

ABUFAR.

Quelle sombre douleur! Tu m'évites?

FARHAN.

Eh bien ! lisez donc dans mon coeur ;

JN 'estimez plus un monstre, un coupable , un perfide.

Non , je ne brûle point pour ma sœur Odéide ,

Mais...,

ABUFAR.

Va , ce mot suffit pour calmer mon courroux,

FAR H AN..

Ah! punissez un (ils trop indigue de vous. Brûlant pour Salcma d'une coupable flamme....

ABUFAR.

Tu n'as point accueilli cet amour dans ton âme ?

FARHAN.

Le remords me poursuit.

SALÉMA.

Vous vovez mes tourmens.

V*

ACTE V, SCÈNE VU.

ABUFAR.

Qu'il s'éloigne de vous , vos feux sont inno cens.

SALÉMA.

Qu'entends-je?

FARHAN.

Il se pourrait ?

ABUFAR, à Saléma.

Tu n'étais point ma fille.

SALÉMA.

Vous n'êtes point mon père? Et quelle est ma famille?

ABUFAR.

Toi-même es cet enfant que d'une faible main Sa mère , en expirant , a remis dans mon sein.

FARHAN.

Grand Dieu !

ABUFAR.

Je t'ai cachée au sein de ma famille ; On ignora ton sort 5 je te nommai ma fille.

SALÉMA, à part.

0 douleur ! Lentement je me sens expirer.

FARHAN.

Sans crainte , Saléma, je puis donc t'adorer ? J'obtiendrai , sans remords , une épouse si chère î

ABUFAR.

Oui , mon fils , tu l'obtiens de la main de ton père. Vivez heureux ensemble -, approchez , mes enfans ; Je vous unis. ' .

SALEMA.

Mon père !... Hélas!... Il n'est pi us temps. C'en est fait.... Le poison.... je sens qu'il me dévore.

FARHAN.

Qu'entends-je?

SALEMA.

Cher Farhan , que je te voie encore ; Approche.... soutiens-moi....

ABUFAR.

Malheureux père !

F A R II A N.

Ah! Dieu!

76 ABUFAR, ACTE V, SCÈNE VII.

*• SALÉMA.

Ténaïm, Abufar, chère Odéïde, adieu.

FARHAN.

Saléma! Saléma ! ta vie était îa mienne! Mon àme , si tu meurs , va rejoindre la tienne.

SALÉMA.

Farhan , je meurs du moins sans remords , saus effroi; Et mon dernier soupir s'exhale auprès de toi.

FARHAN.

Elle meurt!... Pour jamais Saléma m'est ravie! Ah! par pitié , mon père , arrachez-moi la vie. O douleur que j'endure ! O regrets superflus ! Ah ! puis-je vivre encor quand Saléma n'est plus ! Hélas ! à tant de maux je sens que je succombe. C'en est fait , Saléma , je te suis dans la tombe; Je me meurs.

( Il tombe entre les bras de Pharasmin. )

ABUFAR.

\

Cher Farhan , rappelle tes eprits. Ténaïm , Pharasmin , qu'on me rende mon fils !

(Tout le monde se groupe autour de Farhan et de Sale'au , et la toile tombe.)

FIN DU CINQUIÈME ET DEUNIEPi ACTE.

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