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Puy-Paulin, L. LL au LA | EHTOE Ê é A RUE ‘ D Ki. à 7 d #2 , é u | RECUEIL ACTAS DE L'ACADANIE IMPERIAL DES SCIENCES, BELLES-LETTRES ET ARTS DE BORDEAUX. DIX-NEUVIÈME ANNÉE. — 1857. PARIS, CHEZ DERACHE, LIBRAIRE, RUE DU BOULOWY AVIS. L'Académie n'accepte aucune solidarité relative se , . . aux opinions émises dans le Recueil de ses Actes. RAPPORT SUR LE CONCOURS D'ANATOMIE ET DE PHYNIOLOGIE de l'annee 1856, Les physiologistes et les chimistes ont toujours ac- cordé un vif intérêt à l'étude des phénomènes de la digestion. En effet, savoir comment la nutrition s'opère, com- ment des aliments peuvent servir à l'accroissement et à l'entretien d’un être vivant, est une connaissance du premier ordre, tant au point de vue de la philosophi e générale que des applications nombreuses que peuvent en tirer la médecine et la zooculture. Les aliments de toute espèce servant à l'entretien d'un individu peuvent donner naissance à une équa- tion, dans laquelle se trouve d’un côté tout ce qui entre chez cet individu , et de l’autre tout ce qui en sort. 1 Au nom d'une Commission composée de MM. Costes, Dé- granges, Gintrac, et Baudrimont, rapporteur, présidée par M. Gout Desmartres, président de l'Académie. 6 C'est là un premier pas que les chimistes se sont efforcés de franchir par une suite d'analyses et de con- sidérations physiologiques des plustintéressantes. Mais ce résultat une fois obtenu, il a fallu entrer dans les détails et chercher quelles étaient les modifications successives subies par les aliments pour passer d'un élat à un autre. {I Les aliments pénètrent dans les vaisseaux sanguins et sont transportés dans tout l'organisme; mais ce n’est pas sans subir de profondes modifications. Dans le poumon , il se fait une absorption d'oxygène qui exerce la réaction chimique fondamentale de la vie: une es- pèce de combustion qui, vivifiant certaines parties, en détruit d’autres. Le sang pénètre dans des organes glandulaires qui le transforment en produits utilisables, tels que la salive et le fluide pancréatique, ou qui, fonc- tionnant comme des appareils dépurateurs, en sépa- rent les produits. superflus, ou qui ont accompli leurs fonctions vitales : tels sont les reins, qui séparent l'urine du sang; tel est le foie, qui sépare la bile du même fluide. Mais, dans ce cas, la question n’est point aussi sim- ple que pour la sécrétion de l'urine : la bile est-elle un produit d'excrétion, ou bien joue-t-elle encore quelque rôle dans la digestion avant d’être expulsée avec les excréments ? D'une autre part, la constitution organique du foie est plus compliquée que celle des autres organes glan- dulaires; non-seulement il recoit par l'artère hépatique du sang artériel qui vient de traverser lepoumon , mais, ee ll par une disposition anatomique toute spéciale, il reçoit aussi du sang veineux. Ce sang lui vient de la veine- porte. Cette veine présente le caractère singulier d'être formée de racines venant de l'intestin, se réunissant en un tronc court mais volumineux, et qui se divise lui-même en branches nombreuses en pénétrant dans le foie. Cette veine reçoit par ses capillaires radicaux du sang du système artériel; mais elle semble aussi des- tinée à absorber dans son parcours des fluides émanés de l'intestin. Une découverte, qui ne date que de quelques années, est venue ajouter un fait considérable à ceux qui étaient déjà connus. MM. CI. Bernard et Bareswill ont trouvé dans le sang des veines sus-hépatiques une espèce de sucre susceptible de fermenter et donnant un précipité avec la liqueur cuprique de Fromherz. Jusque-là, il n'y avait rien de bien extraordinaire, ce fait venant simplement appuyer une observation de MM. Bouchar- dat et Sandras. D'après ces expérimentateurs, le sucre ou plutôt le glucose se formait dans l'intestin ; il était ensuite absorbé par les capillaires de la veine-porte, transporté dans le foie, et de là dans les veines sus- hépatiques qui en émanent. Mais M. CI. Bernard ne s'est point borné à ces simples observations, et il a pré- tendu que l’on trouvait du sucre dans les vaisseaux sus-hépatiques, même lorsque le sang de la veine-porte ne pouvait leur en apporter, comme dans le cas où un animal est entièrement nourri de matières azotées. M. L. Figuier est intervenu dans la question, et a 8 prétendu démontrer aussi que, dans tous les cas cités par M. CI. Bernard, il y avait eu du sucre tout, formé dans ja veine-porte. La formation du sucre dans le foie n’est pas seule- ment un fait intéressant parce qu'il est neuf, mais c’est un fait de la plus haute importance, parce qu'il indique une réaction chimique inconnue aussi bien dans l'éco- nomie animale que dans les laboratoires de chimie , et parce qu'il en peut découler une suite de connais- sances nouvelles des plus importantes pour la physio- logie animale. En résumé, le foie reçoit dans le même temps du sang artériel et du sang: veineux. Ces deux sangs s'en échappent par des veines qui les reportent dans le cœur ct dans le poumon, mais après qu'ils ont été modifiés par la production de la bile et par celle du glucose. Malgré les travaux qui viennent d'être cités il y avait donc un problème à résoudre. Pensant que le rôle de la veine-porte dans l'écono- mic animale méritait d’être étudié, pensant d’ailleurs que l'anatomie de ce vaisseau viendrait en aide à la so- lution des questions posées par la physiologie moderne, et qu'un simple résumé des faits offrirait à lui seul un véritable intérêt, l'Académie a mis au concours la ques- tion suivante : « Faire connaitre la constitution anatomique et les fonctions de la veine-porte hépatique chez des types choisis dans les quatre classes d'animaux vertébrés. » Un seul Mémoire est, parvenu à l'Académie. Ce Mé- moire à pour épigraphe : 9 « Les découvertes sans nombre dont la physiologie est redevable aux expériences tentées sur les animaux vivants, prouvent suflisamment toute l'importance et toute la fécondité de cette méthode d'investigation, de- puis Galien jusqu'à nos jours. Tour à tour abandonnée et reprise, elle a marqué par ses progrès divers ceux de la physiologie elle-même. (Andral.) » —Il se trouve enregistré sous le n° 741. Ce Mémoire se divise en deux parties principales : la première traite de l'anatomie de la veine - porte , et la seconde de ses fonctions. La partie anatomique est aussi divisée en deux par- tes : la première fait connaitre les veines qui concou- rent à former le tronc de la veine-porte dans les quatre classes d'animaux vertébrés, et la seconde, le mode de distribution de ce vaisseau dans le foie. Dans la première partie, après avoir indiqué les différentes veines qui concourent à la formation de la veine-porte chez l’homme adulte et pendant sa vie fœtale, l'auteur signale deux cas tératologiques dans lesquels une veine iliaque externe a fourni une branche à la veine-porte. L'auteur expose ensuite la constitution de la veine- porte chez les oiseaux, les reptiles et les poissons. Dans la deuxième division de la partie anatomique , l'auteur examine successivement comment la veine- porte se distribue dans le foie; quels sont les rap- ports qui existent entre celle veine et l'artère hépa- lique , entre cette veine et les canaux biliaires. Cette division serait incomplète si, dans la première, 10 il n'était question des rapports qui unissent la veine- porte et les veines sus-hépatiques. La veine-porte et les veinés sus-hépatiques commu niqueraient entre elles directement par des capillaires intermédiaires et par les lobules hépatiques; et quoique un grand nombre d'anatomistes et de physiologistes aient admis la communication directe de l'artère hépa- tique et de la veine-porte, l'auteur pense que cette communication n'a lieu que par quelques vaisseaux secondaires et non point d’une manière générale. En effet, marchant de l'artère hépatique et de la veine-porte vers le foie, le sang de ces deux ordres de vaisseaux ne pouvait se mêler que dans des capillaires d'un troisième ordre qui serait l'origine des radicules des veines sus - hépatiques. Si des injections ont pu passer de l'artère hépatique dans la veine-porte, et ré- ciproquement , ce n’a dû être qu'après être parvenues dans des radicules des veines sus-hépatiques, et cela ne prouverait nullement que le cours du sang dût suivre le même trajet. Indépendamment des glandules destinées à la sécré- tion de la bile et des cellules graisseuses, l’auteur pense, d’après ses recherches physiologiques, qu'il doit exister dans le foie des cellules glycogéniques, et ayant pour fonction de faire du sucre; car, dit-il, le sucre et la bile ne peuvent être considérés comme le résultat du dédoublement d'une même substance, puisque ces deux produits ne se forment pas simultanément. Il résulte effectivement des expériences de l'auteur et de trente-quatre observations pathologiques recueillies (nl par l'un de nos honorables collègues , que la veine- porte n’est pas indispensable à la formation de la bile. Toutefois, il faut ajouter ici, que si la vésicule bi- liaire renfermait un fluide ayant l’apparence de la bile après que le foie avait été soustrait au sang de la veine- porte, rien n’a prouvé jusqu'à présent que cette bile fût identique avec celle que l’on trouve chez l'homme et les animaux dans l’état normal. Il faudrait, pour juger celle question, des analyses chimiques qui n’ont point été faites. D'une autre part, il faut ajouter encore que l’oblitération de la veine-porte constitue une mala- die grave qui cause la mort des individus après un temps plus ou moins long, et que les désordres que cette oblitération fait naître permettent de penser qu’elle détermine un trouble considérable dans les fonctions digestives et nutritives qui résulte de la modification apportée dans les fonctions du foie et dans la sécrétion de la bile, plutôt que du changement mécanique sur- venu dans le cours du sang. Enfin , l'auteur cite un cas observé chez les insectes, où l'organe sécréteur de la bile serait entièrement sé- paré de celui qui contient du sucre *. La deuxième partie du travail que nous examinons , celle relative aux fonctions de la veine-porte, traite successivement : 1° De l'absorption de certains produits de la diges- tion ; 1 Get organe ou plutôt ces organes étant accolés à l'intestin, rien ne prouve qu'ils forment le sucre et qu'ils ne l'y puisent pas tout formé. 12 2 De la sécrétion de la bile ; 3 De la fonction glycogénique du foie ; 4° De la nutrition de cet organe. Le premier chapitre comprend l'étude spéciale du rôle de la veine-porte dans les produits de la digestion. Ce paragraphe est remarquable par une étude histo- rique de la question qui remonte fort loin, et qui est exposée avec une grande netteté; puis, arrivant au fait, l'auteur, afin de pouvoir généraliser, admet, d'a- près les recherches des chimistes, qu'il existe trois espèces d'aliments : les produits féculeux, les matières grasses, et les produits albuminoïdes. Il cherche ensuite par quelle voie chacune de ces matières est absorbée et transmise dans l’économie animale. Discutant les observations de M. CI. Bernard et de M. Béclard, il conclut, comme on le savait d'ailleurs avant les tra- vaux de ces messieurs, qui n’ont fait que confirmer des opinions déjà acquises à la science, que les matières grasses sont absorbées par les vaisseaux chylifères, et transmises dans le sang par le canal thoracique, qui s'ouvre chez l'homme dans la veine sous-clavière gau- che, et que les autres matières absorbées par les radi- cules de la veine-porte sont transmises dans le foie par le tronc et les ramuseules de cette veine. L'auteur rapporte une expérience curieuse de M. CI. Bernard, qu'il dit avoir répétée en obtenant le même résultat que celui obtenu par ce physiologiste. Pour prouver que l'albumine n’est point absorbée par les vaisseaux chylifères qui s'ouvrent dans le système veineux, ainsi que cela vient d'être dit, de l'albumine 13 d'œuf délayée dans de leau fut injectée dans la veine jugulaire d'un chien, el peu de temps après on cons- tata la présence de l'albumine dans lurine de cet ani- mal. D'où lon à conclu que lalbumine devait subir une modification avant d'entrer dans le système vei- neux général, et que cette modification devait avoir lieu dans le foie, puisque le sérum du sang est entiè- rement formé d'albumine. Nous ne critiquerons point les conclusions de cette partie, qui représente d’ailleurs parfaitement l'état de la science, parce que notre critique atteindrait des savants du plus grand mérite qui ne se sont point sou- mis à notre Jugement; sans cela , nous ferions remar- quer que l'albumine des œufs diffère de celle da sang par quelques propriétés chimiques et par le diamètre de ses globules, et qu'il faut bien que cette différence existe, puisque celte albumine se comporte autrement que celle du sang , et rend les animaux albuminuri- ques après qu'on leur en à injecté une certaine quan- tité dans la veine jugulaire, ainsi que cela a été dit et ainsi que l’auteur l'a d'ailleurs fait remarquer. Enfin, nous demanderions encore d'où pourrait venir l’albumine du chyle, si elle n’était point absorbée dans l'intestin par les radicules des vaisseaux chylifères , puisque le chyle marche de ces radicules vers le canal thoracique et le système veineux? Le deuxième chapitre comprend l'examen de l'in- fluence de la veine-porte sur la sécrétion de la bile. Comme le précédent, ce chapitre contient une in- troduction historique des plus intéressantes. L'auteur signale quatre observations, d’après lesquelles on aurait 14 trouvé la veine-porte communiquant directement avec la veine-cave sans avoir jamais passé par le foie; il cite également les observations intéressantes de notre ho- norable collègue M. Gintrac, qui a recueilli trente- quatre observations de cas d'oblitération de la veine- porte, soit dans divers auteurs qui en ont parlé, soit par sa propre observation clinique. Puis, il cite les opinions diverses émises sur la sécrétion de la bile; elles se divisent en deux groupes : dans le premier sont ceux qui pensent que le sang de l'artère hépatique est indispensable à la sécrétion de la bile, et il faut pla- cer Bichat à leur tête; dans le deuxième groupe sont, au contraire, ceux qui pensent que ce fluide est tiré de la veine-porte. Les observations tératologiques et pathologiques qui viennent d'être citées, permettraient déjà de juger la question en faveur de l'artère hépatique , puisque l'on a vu la veine-porte oblitérée ou s'ouvrir dans la veine- cave sans passer par le foie; mais c'est ici que l’auteur, loin de se borner à résumer des opinions et à les dis- euter, apporte le résultat de ses propres expériences , et ce résultat est considérable. En effet, il est parvenu à produire loblitération compiète de la veine-porte sans faire périr les ani- maux qui ont été l'objet de ses expériences , et il ap- porte ainsi à la science de la vie un fait du plus haut intérêt. On avait déjà tenté de lier le tronc de la veine-porte; mais cette opération causait toujours la mort des ani- maux dans un temps très-court. Bichat ne pensait pas qu'il fut possible de réussir. 15 En général, les chiens sur lesquels on opère péris- sent en deux heures au plus tard. M. Simon de Metz, en opérant sur des pigeons, est cependant parvenu à les conserver en vie pendant trente-six heures. L'auteur, après plusieurs tentatives, a renoncé à la ligature immédiate, qui est toujours mortelle; il s'est contenté de passer une anse de ficelle derrière la veine- porte, et ce seul contact, continué pendant quelques jours, finit par causer l’oblitération de ce vaisseau sans entraîner la mort des animaux. Lorsque la veine à été ainsi obstruée, on voit la, plu- part des veines abdominales prendre un développement insolite, et par une voie détournée porter le sang di- rectement dans la veine-cave inférieure, qui le trans- met au cœur, et de là au poumon, où il est soumis à l'influence vivifiante de l'air. L'expérience dont nous venons d’avoir l'honneur de vous entretenir est non-seulement un fait nouveau pour la science, mais elle ouvre une ère nouvelle pour ces sortes d'opérations, et l'on pourrait même dire pour la chirurgie. Dans tous les cas observés, la sécrétion de la bile ayant continué de se faire , l’auteur conclut qu'elle est due au sang de l'artère hépatique, puisqu'elle peut avoir lieu sans que la veine-porte communique avec le foie. | Cette opinion, appuyée sur de nombreuses observa- tions, peut ètre bien fondée ; cependant, par les raisons qui ont déjà été exposées, il faudrait, ainsi que cela a été dit, entreprendre des expériences chimiques pour juger si la bile était identique dans ces deux cas. 16 Dans le troisième chapitre, l'auteur examine l'in- fluence de la veine-porte sur la fonction glycogé- nique. Le procédé qu'il a trouvé pour oblitérer la veine-porte devient un moyen de juger cette question. Effective- ment, après avoir détourné du foie le sang de cette veine, il a pu reconnaitre du sucre dans cet organe, et il en conclut que le sucre trouvé en général dans les veines sus-hépatiques, peut ne point provenir des matières saccharines ou féculentes tirées de l'intestin par les veines nombreuses qui en partent et concourent à former la veine-porte, mais bien de la métamorphose des éléments albuminoïdes du sang de l'artère hépatique. Si les expériences indiquées par l’auteur ont été fai- tes avec tout le soin dont il paraît capable, il faut re- connaître que c'est, de tous les physiologistes, celui qui a apporté les plus belles expériences et les plus forts arguments en faveur de cette solution. Le quatrième chapitre comprend l'examen du rôle de la veine-porte dans la nutrition du foie. L'auteur, considérant que le sang des veines sus- hépatiques diffère de celui de la veine-porte, notamment en ce que l’on y trouve moins de fibrine que dans tous les cas où la veine-porte a été oblitérée, le foie s’est atrophié et décoloré, conclut que la veine-porte est le principal vaisseau nourricier du foie. Nous nous abstiendrons de réflexions sur celte con- clusion, qui, après tout, est appuyée sur des faits, et présente une réserve suffisante, puisqu'elle n’exelut pas un autre mode de nutrition; mais nous pensons, sans le discuter d'ailleurs, que le foie, comme tous les au- 17 tres organes , doit puiser ses éléments de nutrition dans le sang artériel, ainsi que cela est démontré par les quatre cas tératologiques cités par l'auteur, puisque l'on a trouvé un foie chez des individus dont la veine-porte n'avait jamais communiqué avec cet organe. Si, dans le cours de ce rapport, nous avons paru quelquefois n'être pas de l'avis de l’auteur, il n’en fau- drait pas conclure que ses recherches n'ont point la valeur que nous lui accordons. La science n'est point finie : nous reconnaissons qu'il la fait progresser ; mais il reste encore des travaux à entreprendre, et c’est l’'a- venir seulement qui pourra répondre aux questions qu'ont fait surgir ses recherches vraiment originales. En résumé, l'auteur du Mémoire inscrit sous le n° 711 a bien compris la question telle qu’elle était posée par l’Académie ; il a recherché avec un soin ex- trême tous les faits qui s’y rattachaient; il les a groupés avec ordre, les a exposés d'une manière nette et pré- cise, avec cette simplicité de style qui convient à la science, sans employer un seul mot qui ne füt néces- sité par l'exposition du sujet. Par ce seul travail, l’au- teur aurait déjà des droits au prix proposé par l'Acadé- mie; mais les expériences qui lui sont propres, qui ont un caractère d'originalité toute spéciale, qu'il n’a pu faire qu'en surmontant de la manière la plus heureuse des difficultés que les plus grands physiologistes avaient regardées comme insurmontables, lui assurent des droits à ce prix; aussi, votre Commission vous propose-t-elle de le lui décerner. 4 : VE PORTANT : si ALP: - 19 RAPPORT SUR LE CONCOURS RELATIF A LA QUESTION DU MORCELLEMENT DU SOL. MEsstEurs, . L'Académie avait mis au concours la question sui- vante : « Étudier et faire connaitre lés effets produits par le morcellement du sol, relativement aux individus qui le possèdent et à la société tout entière. » Si ce morcellement a des inconvénients, les indi- quer, en même temps que les moyens d'y remédier sans léser les droits des détenteurs du sol. » En réponse à cet appel de l'Académie , quatorze Mémoires, dont quelques-uns très-volumineux, lui ont été adressés. Deux, sur ce nombre, ont dû être tout d'abord mis hors de concours, par le motif qu'ils por- taient les signatures de leurs auteurs. Huit ont paru à 1? Au nom d’une Commission composée de MM. H. Brochon, J. Dupuy, Vaucher, et J. Duboul, rapporteur. 20 votre Commission beaucoup trop incomplets ou trop faibles pour devenir l’objet d'une récompense quelcon- que. Quatre Mémoires seulement, sans qu'aucun d'eux lui ait semblé digne du prix proposé, méritent, à son avis, d'être récompensés par vous. Je viens donc, Mes- sieurs, comme organe de cette Commission, vous faire connaitre, après les avoir suffisamment motivées, les conclusions auxquelles l’ont amenée un très-long, très- laborieux et très-attentif examen. Mais avant de passer en revue les huit Mémoires non récompensés, et de vous donner une analyse des quatre Mémoires sur lesquels se sont arrêtés nos suf- frages, j'ai besoin, Messieurs, d'esquisser en quelques lignes la physionomie générale de cet important con- cours, et d'en marquer les traits les plus caractéristi- ques. Il est utile que l'Académie puisse en apprécier la valeur d'ensemble et, s'il m'est permis de m'exprimer ainsi , l'enseignement immédiat. Deux choses nous ont principalement frappés dans notre examen : la vulgarité du fond et l'extrême négli- gence de la forme de presque tous les Mémoires pré- sentés. L'érudition n’est pas la science : l'une ne dépasse pas la connaissance des faits; l’autre s'élève jusqu'aux généralisations , jusqu'aux lois, et c'est pour cela qu'elle est si féconde. Or, la plupart de ceux qui ont répondu à votre appel ne nous paraissent pas avoir suflisam- ment pensé par eux-mêmes. Vous leur avez demandé d'étudier et de faire connaitre les effets produits par le morcellement du sol : ils ont cru remplir leur tâche en répétant, le plus souvent sans variantes, ce qui à été 21 écrit sur ce sujet; vous leur avez demandé des remè- des, tout au moins des moyens qu'il n’eüt pas été im possible à leurs recherches et à leurs méditations de trouver : ils vous ont apporté des formules qui ont le double tort d'être trop vagues et de remplir tous les traités d'économie politique. Au reste, rien de précis , rien d'arrêté, rien de véritablement ingénieux. Le plus souvent vous avez affaire à des écoliers qui répètent une lecon peut-être apprise de la veille. Mais cette ori- ginalité de la pensée, qui a tant de charme et de prix, vous la cherchez vainement. L'érudition ne manque pas; on à recueilli beaucoup de faits; on a multiplié les citations textuelles, car on ne prend pas la peine d'analyser ou de résumer les témoignages auxquels on a recours; On quitte volontiers la plume pour laisser parler, durant des pages entières) Arthur Young, Adam Smith, Sismondi, J.-B. Say, Ricardo, et les autres maitres. La mémoire travaille avec un zèle mé- ritoire, mais la réflexion ne donne pas signe de vie, et lorsqu'il serait urgent de penser, on se borne à se souvenir. Il est rare que là où la pensée et l'imagination man- quent, la forme se recommande par ces qualités dont se préoccupent avec tant de raison les bons écrivains. L'art de bien dire, qui sera toujours, quoi qu'on fasse, le premier des arts, compte malheureusement aujour- d'hui fort peu d'adeptes, et il suffirait, pour s'en con- vaincre, de la lecture à laquelle votre Commission a dû se résigner. De la déclamation, de la banalité, des métaphores sans justesse, des phrases obscures ou in- 29 22 compréhensibles à force d'être mal construites ou tour- mentées, voilà ce qu'on rencontre dans la plupart des Mémoires, au lieu du naturel, de la précision élégante, de cette entente du clair - obscur qui place tout objet dans son véritable jour, el qui est aussi nécessaire à l'écrivain qu'au peintre. Est-ce done que la simplicité, qui est après tout la grâce du génie, ne mériterait pas qu'on lui sacrifiàt un peu de cette enflure, de cette raideur solennelle et de ces couleurs forcées dont l'incohérent assemblage éblouit autant qu'il éclaire peu ? Je vais essayer maintenant, Messieurs, de vous don- ner une idée exacte des douze Mémoires examinés par votre Commission. Je m'oceuperai en dernier lieu des quatre Mémoires récompensés; je m'arrête d'abord sur ceux qui ne vous ont pas semblé dignes de vos suffra- ges, mais dont quelques-uns méritent du moins votre bienveillante attention. Pour vous en faire apprécier à la fois l'esprit et le style, je vous en présenterai des extraits textuels plus souvent que je ne vous en ferai l'analyse. En procédant ainsi, je crois tenir compte des observations qui ont été formulées au sein de P'Aca- démie sur la manière dont doivent être faits les rapports destinés à préparer et à éclairer son jugement. N° 448 bis. Mémoire sur le morcellement du sol. — L'auteur dit, après M. de Gasparin : Peu de grandes propriétés, peu de pâturages; Peu de pâturages, peu de bétail ; Peu de bétail, peu d'engrais; 23 Peu d'engrais, peu de céréales. Ces quatre propositions lui paraissent évidentes. La première seule, qui engendre toutes les autres, pour- rait être contestée. Cependant, la preuve lui en semble facile, et il entreprend de la donner. C'est grâce à la division sans limites des propriétés que la France a vu disparaitre successivement un si grand nombre de ses antiques forèts. L'auteur s'élève contre la destruction des forêts et l'usage des coupes blanches; il les met sur le compte du morcellement du sol, qui devient ainsi la principale cause des inondations de ces dernières années et de tous les désastres qui s'y rattachent. Après avoir fait remonter jusqu'au morcellement la cause de la dépopulation des campagnes, de l'encom- brement des industries, des baisses dé salaires, grèves, insurrections, elc., l'auteur affirme que, si l'on envi- sage la question au point de vue de la grandeur na- tionale , il n'est rien qui rapetisse un peuple comme un territoire morcelé el pour ainsi dire pulvérisé. Le seul remède aux maux sans nombre produits par le morcellement, c'est, suivant lui, la reconstruction de la grande propriété, sans toutefois préjudicier aux droits des propriétaires actuels. Il ne voit d’autres moyens pour y arriver que la constitution de majorats en biens-fonds inaliénables. Cette dernière condition , dit-il, est de rigueur, car, tant qu'il y aura possibi- lité d'aliéner, il n’y aura jamais de grande propriété stable. « Ainsi, dit-il, nous proposerions qu’à dater de cinq 94 li ans , sur toute propriété foncière payant 300 fr. d'im- pôt (ce chiffre pourrait être modifié), il fût prélevé un majorat d'un tiers ou d'un quart de la propriété au profit de l'ainé de la famille; lequel majorat serait ina- liénable, insaisissable, et passerait de màle en mâle, par ordre de primogéniture, aux descendants de la même famille. » . L'auteur défend le droit d’aînesse. Il veut qu’en compensation de leur privilège, les possesseurs de majorats résident sur leurs terres privi- légiées, à moins qu'ils n'en soient empèchés pour cause de fonctions publiques. Il assure qu'un autre moyen de reconstituer la grande propriété serait de donner uné existence civile aux corporations religieuses vouées à l’agriculture. Il reconnait que « le sol est mieux cultivé partout, que d'immenses conquêtes ont été faites sur les terrains vagues et marécageux... » Il se croit obligé de déclarer en terminant, « pour que les idées émises dans son Mémoire ne soient pas attribuées à des rancunes ou préjugés de caste, qu'il n'appartient de près ni de loin à l'aristocratie, mais à la classe la plus populaire. » N° 641. Du morcellement du sol et des moyens d'opérer la réunion territoriale. — Épigraphe : « Sur un sol morcelé outre mesure l’on ne peut plus entrete- nir de bétail et il ne peut exister que de pauvres agri- culteurs et une pauvre agriculture.» — L'auteur admet, comme un fait démontré par une expérience de soixante . 25 anaées, que « si l'extrême morcellement du sol est nui- sible à l’agriculture, la division du territoire, quand elle ne dépasse pas des bornes raisonnables, est favo- rable à ses progrès. » Il croit que le régime de la moyenne propriété est celui qui paraît aujourd'hui le mieux convenir à la France, où la terre ne peut plus être l'apanage exclu- sif de quelques familles. Il attaque avec force le morcellement exagéré du sol; il constate que les propriétaires le livrent aux paysans et préfèrent placer leurs capitaux en rentes sur l'État , en actions industrielles ou valeurs mobilières diverses , qui produisent des dividendes plus lucratifs que les fer- mages, et sont exonérées des charges multiples d'im- pôts, d'entretien , de réparations, etc., qui pèsent sur la propriété foncière. C’est le casde faire remarquer, ajoute- til, que l’agriculture subit le joug et l'exploitation des autres industries, et que, mère et créatrice du capital, lequel est le produit de ses sueurs et de ses épargnes accumulées, elle ne peut obtenir le numéraire dont elle a besoin pour prendre de l'extension qu'à titre oné- reux, encore ne l'obtient-elle pas toujours. L'auteur propose, comme remède, d'interdire la fa- culté du morcellement pour les contenances d’un demi- hectare seulement. « Qui sait, ajoute-t-il, s'il ne s'opé- rera pasdans l'industrie agricoleunerévolution analogue à celle qui s'est déjà accomplie dans l'industrie manufac- turière, laquelle a puisé dans l'association l'activité et la puissance que nous lui voyons aujourd'hui? Peut- être de l'excès du morcellement naitra l’agriculture 260 associée, c'est-à-dire l'exploitation actionnaire du sol, donnant à chacun une part proportionnelle à son apport en terres, en capitaux où en travail... Tout système économique ne sera en quelque sorte que de l'empi- risme, tant qu'il ne cherchera pas l'amélioration du sort des classes laborieuses et l'accroissement du bien- être général dans les véritables sources de la richesse publique, c'est-à-dire dans le développement des pro- duits de la terre! » N° 656. — Épigraphe : « Périsse le monde plutôt qu'un principe !... » — Le principe sur lequel repose le morcellement du sol, c’est, d'après l’auteur, la justice mémé. « La propriété élève l'homme; puisse chacun y ar- river. » « Le propriétaire améliore, et le petit propriétaire seul cultive son bien. » La petite culture produit plus et consomme moins que la grande. La petite culture est essentiellement moralisante. L'auteur soutient, après M. L. de Lavergne, que la petite culture est arrivée à un point de perfection su- périeur à celui que la grande atteint. l Il cite cet écrivain, qui parle avec enthousiasme de la petite vallée d'Ornans en Franche-Comté. Les propriétés y sont divisées, dit-il, tout le monde y en possède, et la prospérité y règne sous le régime des fromageries en commun. M. de Lavergne conseille aux ennemis de la petite propriété de faire un voyage en Franche-Comté, 21 afin qu'ils soient convaincus des avantages que présente la petite culture. L'auteur considère le morcellement comme un im- mense progrès définitivement acquis à la société. « La terre à tous et pour chacun, dit-il, c’est le gage de l'avenir. » N° 666. — Épigraphe : « Labor improbus omnia vincil. » — Cet opuscule sur le morcellement du sol est en vers alexandrins parfaitement alignés et d'un effet irréprochable au point de vue de la calligraphie. C'est une promenade fort monotone, ou plutôt un voyage très-laborieux autour de la question. Chemin faisant, l’auteur attaque le morcellement et soutient qu'on peut, au moyen de l'association, en atténuer les fàcheux effets. Il y à dans cet opuscule une foule de vers tels que ceux-ci : « C’est ainsi que, lorsque par la loi d’héritage… « Les profits résultant d’une manufacture Unis à ceux donnés par le produit des champs. » L'auteur peut être un économiste instruit; mais s'il a jamais fait des sacrifices aux Muses, il est malheu- reusement évident qu'elles ne les ont pas agréés. N° 667. — Épigraphe : « Petit à petit, l'oiseau fait son nid. » — L'auteur propose , comme moyen d'aug- 28 menter la production et d'affaiblir les fächeux effets d'un trop grand morcellement, la mise en culture des biens communaux. « Jusqu'ici, dit-il, nous n'avons pas trop produit, mais nous n'avons pas assez COnsoMmé. » Dans cette étude, dont il nous serait impossible de citer une page entière, la question du morcellement n'est pas même suffisamment indiquée. N° 677. — Épigraphe : « Un sol mal exploité ne rend pas la centième partie peut-être de ce qu'il pourrait rendre. » Rossi {Cours d'économie politique, 1. I, p. 6.) — L'auteur se déclare franchement partisan de la grande propriété. Il assure que des théories et des faits résulte un faisceau de preuves irrécusables , et toutes contre la division du sol. Pour lui, et c'est en ce seul point que ses opinions sont originales, les expressions de grande propriété et grande culture sont synonymes; celles de petite pro- priété et petite culture le sont également. Il est inutile de faire remarquer combien ces assertions sont contrai- res aux faits comme aux théories. Après la déclaration solennelle qu'il a faite en com- mençant en faveur de la grande propriété, l'auteur reproduit, on ne sait dans quelle intention, des pages entières qu'il puise dans les ouvrages d'Adam Smith, de J.-B. Say, de Sismondi, de MM. Passy, Michel Che- valier, Léonce de Lavergne, et dans lesquelles ces au- teurs se montrent, en définitive, francs partisans de la petite propriété. 29 Il ne veut pas qu'on traite les questions d'économie politique au point de vue des considérations morales, prétention qui serait parfaitement légitime si la société se composait de machines au lieu d'hommes, et si l'homme n'avait pas une àme en même temps qu'un corps. Après avoir groupé des chiffres, qui lui semblent décisifs en faveur de son opinion, il affirme que le peu- ple anglais est beaucoup mieux nourri, mieux logé, est plus riche et plus heureux que nous. Il prétend que « c'est à la prospérité de son agriculture que l'Angle- terre doit l'extension inouïe de son industrie, de son commerce et le bonheur relatif dont jouissent ses habi- tants. Cette prospérité et ce bonheur dérivent, ajoute- t-il, de la concentration de la propriété, de la grandeur des cultures, qui ne perdent ni espace, ni temps, ni travaux, ni matériaux, tandis qu'en France, la petite culture gaspille tout cela, au grand préjudice de la ri- chesse nationale et particulière. » L'auteur assure que le problème est résolu en faveur de la grande et de la moyenne propriété. La petite, selon lui, « ne pourrait être maintenue que dans les seuls cas, tout à fait exceptionnels, où il s’agit de cul- tures spéciales ou de terrains qui semblent exclure for- cément la grande culture. » Tout en déclarant qu'il ne veut pas se poser en champion du droit d'aînesse, l'auteur ne voit rien d'injuste ni d'immoral dans ce prétendu droit. Il se prononce contre l'association. D’après lui, elle produirait encore moins en réalité que la petite pro- 30 priété libre et isolée. Cependant, il ne la repousse pas d'une manière absolue. Le seul moyen praticable et efficace à opposer à la plaie du morcellement est indiqué, selon lui, dans le Rapport de M. de Casabianca. « C'est la fixation d'un minimum de contenance, au-dessous duquel une pro- priété serait déclarée impartageable. » Il croit que ce minimum pourrait être de 3 hec- tares. Il indique divers autres moyens qui, joints à celui ci, auraient nécessairement pour effet, dans un avenir plus ou moins éloigné, la destruction de la petite pro- priété et la reconstitution de la grande. N° 693. — Épigraphe : « Tout fleurit dans un pays où fleurit l'agriculture. » — L'auteur cite des faits si- gnificatifs qui démontrent les progrès faits par notre agriculture. Il les emprunte à la description géogra- phique de Vézclay par le maréchal de Vauban, et à des notes publiées par M. Bouchardat en 1845. Il relève, en s'appuyant sur des chiffres, les exagé- rations des adversaires du morcellement. Il trouve que l'augmentation des propriétés est très-faible, compara- tivement à l'augmentation annuelle de la population. Il soutient qu'il n'y a dans le morcellement progressif du sol ni excès ni abus : il y a simplement usage régu- lier et répartition normale. « Bien loin , dit-il, que le morcellement du sol , tel qu'il s'est opéré sur notre territoire, puisse être consi- déré, sous quelque point de vue que ce soit, comme 31 une cause possible de danger, nous pensons au contraire qu'il est le plus sûr garant de la tranquillité publique, de l’ordre et de la satisfaction générale, et non-seule- ment l'élément le plus actif du bien-être et de l’aisance de tous les prolétaires devenus propriétaires fonciers , mais encore celui de la prospérité générale; car l’homme qui possède quelque chose, et surtout celui qui est at- taché au sol par la propriété, en devient dès lors le dé- fenseur vigilant et intéressé, et toujours prêt à re- pousser les perturbateurs de la paix publique quels qu'ils soient. » « Tel est, dit-il, à nos yeux l'avenir de la propriété industrielle en France : division, répartition, morcelle- ment en pelits domaines exploités par les propriétaires et les fermiers, la moyenne et la petite culture dans toutes les parties de nos provinces riches, populeuses et fertiles ; réunion, agglomération en vastes domaines et grandes terres exploitées par les propriétaires, les fermiers, les métayers, la moyenne et la grande culture dans toutes les contrées pauvres, dépeuplées et arrié- rées. » N° 719. Dissertation sur le morcellement du sol. — Épigraphe : « Le Gouvernement doit s'appuyer sur le sol, qui ne tremble pas. » (Napoléon I.) — L'au- teur trace un tableau fort embelli de la propriété sous le régime féodal. A son avis, les fractionnements rapides de la pro— priété proviennent de nos lois sur les successions, mais non pas uniquement ; la cause la plus active, c’est 32 l'habitude généralement adoptée de vendre les terres par parcelles. Il reconnait que, sous le rapport moral, les partages égaux dans les successions ont eu la plus heureuse in- fluence, principalement dans la classe élevée, où l’iné- galité du sort des enfants était si grande. La loi qui établit l'égalité des droits entre ces mêmes enfants lui parait être, sans contredit, un dés bienfaits produits par la législation moderne. D'après lui, l'aisance amène avec elle la moralisation. Il prétend que l'aisance des familles développe aussi la propagation de l'espèce. Ce qui se passe en Irlande, et une foule d’autres grands faits, établissent formelle- ment le contraire. L'auteur propose, comme moyens de salut, la révi- sion des articles 832, 733 et 841 du Code civil, le rétablissement des majorats avec certaines modifica- tions et sous le nom de biens réservés. Il en faudrait un par commune, Ces biens, qui devraient rester in- divis, pourraient néanmoins être vendus par voie de loterie. Il fait à ce propos l'éloge de la loterie, et résume les divers moyens qu'il a proposés plus haut. Ce travail, très-verbeux et d’une rédaction plus que médiocre, est d'ailleurs rempli d'assertions qui ne ré- sistent pas à l'examen le plus superficiel. L'auteur se contredit fort souvent ; il conclut plus d'une fois à l’en- contre de la logique et des faits; il se perd assez vo- lontiers dans des digressions politiques, où l'absence de tact le dispute à l’étrangeté des appréciations. Tou- 33 tefois, il nous à paru bien connaitre quelques parties de son sujet, sur lequel il doit avoir sérieusement mé- dité; mais ce mérile, que votre commission ne lui conteste pas, n'est pas suflisant pour racheter les nom- breux défauts de conception et d'exécution dont son Mémoire est rempli. Il résulte de l’examen auquel nous venons de nous livrer, que quelques-uns des huit Mémoires analysés ici ne sont pas absolument sans valeur. On y rencontre de bonnes intentions, plus d’une indication juste, cer- tains passages que nous avons pu citer. Mais ce ne sont là que de simples germes, et ils n'ont pas été fé- condés. Tantôt le travail, tantôt la réflexion, plus d'une fois de suffisantes études préparatoires, ont fait défaut aux auteurs de ces divers Mémoires. Ainsi que nous l'avons dit, l’ensemble en est trop défectueux pour qu'ils aient le droit de prétendre même à la plus légère récompense. Quant à ceux qui ont été plus heureux, et qui sont au nombre de quatre, leur tour est venu d’être briève- ment examinés. C'est donc pour remplir cette dernière partie de ma tâche, que je réclame encore de l’Acadé- mie quelques instants d'attention. N° 620. Jude et Jean, causeries villageoises. — Épigraphe : « Tout droit qui est compris doit tourner à profit. » — L'auteur fait ressortir sans déclamation, sans exagération, et avec un {act parfait, tous les in- convénients d'un morcellement exagéré. Il considère le morcellement en lui-même comme 3 34 «un droit que nos pères ont acheté bien cher, et dont il ne faut pas parler sans un grand respect. » Il trouve que le droit de morceler les terres n’est pas compris, car il est certain, dit-il, qu'il ne tourne au profit de personne. Il croit que, pour opposer un remède eflicace à la plaie du morcellement, il convient de laisser les suc cessions indivises. Il constate, en le déplorant avec raison, que des capitaux suffisants manquent aux besoins de l'agricul- ture, tandis qu'ils encombrent d'autres voies où les destinées les plus aventureuses et quelquefois les dé- sastres les plus complets les attendent. Il demande que des encouragements soient accordés par le Gouvernement à cette agriculure, qui est la pre- mière et en même temps la plus négligée des indus- tries. Il déplore l'ignorance des populations rurales, qui agissent souvent sous l'influence des superstitions les plus saugrenues. Il se plaint de ce que l’agriculture est complétement livrée à la routine. Il voudrait que le Gouvernement fondàat de nombreuses fermes-écoles dans des condi- tions telles qu’elles fussent accessibles à tous les jeunes gens qui auraient le désir de faire un cours d'agricul- ture, et sans que leurs parents, bien entendu, pussent alléguer comme obstacle des sacrifices décourageants pour les uns, impossibles pour les autres. Il propose d'appliquer l'association à l'agriculture, comme on l’applique à toutes les autres industries... L'association des petits propriétaires, parexemple, ferait succéder à la misère une aisance relative. L'association rendrait facile l'emploi des machines et instruments agricoles perfectionnés. Elle permettrait de mettre à profit les avantages offerts par le crédit foncier. Ce Mémoire expose le sujet d’une manière quelque- fois saisissante. Malheureusement, il est très-incomplet et écrit en général dans un fort mauvais style. Les remèdes proposés par l'auteur, l'indivisibilité des suc cessions par exemple, porteraient la plus grave atteinte aux droits des détenteurs du sol, qu'il s’agit avant tout de ne pas léser. Votre Commission a donc cru que ce travail serait suffisamment récompensé par une mention honorable. N° 646. — Épigraphe : « Ce fut un grand mal dans l’origine que les terres incultes passassent en si peu de mains. » ( Adam Smith, De la richesse des nations, t. Il, p. 3143.) — « Décomposés dans une main, dit l'auteur, les héritages viennent se recomposer dans une autre; :joutons que le développement, plus considé- rable d° jour en jour, que prennent les valeurs mobi- lières, facilite les partages et permet de réunir en un seul lot tous les immeubles d’une succession, la com-- pensation s’opérant à l’aide de ces valeurs mobilières. » Les données de la statistique rendent ces résultats sen- sibles. De ces données, l’auteur croit avoir le droit de dé- gager un double fait qui lui paraît résumer exactement 36 la situation de la propriété en France, et qu'il formule ainsi : 1° Morcellement des grandes propriétés, conséquence de la loi sur les partages ; 20 Diminution des parcelles de petite dimension, si- gnalée par la diminution totale en France. Tel est le rôle véritable du morcellement. Le titre de propriétaire foncier lui semble modifier de la manière la plus heureuse les facultés morales et intellectuelles de l'individu qui lacquiert. Il assure que chez nous la propriété a une tendance à se mettre en intime harmonie avec les exigences mo- biles et variées des eultures. « Plus, dit-il, les grandes propriétés prendront d'extension, moins on aura besoin de paysans pour les cultiver, et les campagnes se dépeupleront. Cette cause s'est jointe, en Angleterre, à l'introduction des machi- nes agricoles, de sorte que les villes se sont trouvées envahies rapidement par une population en détresse qui venait demander à l'industrie un travail que lui refusait déjà l'agriculture. » Il trace un tableau saisissant de la misère et des souffrances des classes les plus nom- breuses en Angleterre, surtout en Irlande. Il constate, avec tous les économistes instruits, la différence qui existe entre la grande propriété et la grande culture, la petite propriété et la petite culture, choses identiques, nous l'avons vu, pour l’auteur d'un des Mémoires précédemment analysés. Pour lui, ce qu'il défend, ce n'est pas la petite cul- ture, mais la petite propriété; ce qu'il trouve nuisible 37 à la puissance comme à la richesse des États, c'est , non pas la grande culture, mais la grande propriété. Il s'efforce de réfuter le rapport de M. Casabianca qui a paru dans le Moniteur du 20 août 1856. Il veut que les droits de la propriété, tels que le Code les reconnait, restent intacts. Après avoir constaté les inconvénients attachés à la petite propriété, il recherche les remèdes qu’on peut y opposer. Ïl trouve que le morcellement du sol nuit à l'agri- culture de trois manières principales : 1° Par le défaut de crédit ; 90 Par le défaut de machines; 3° Par le défaut d’assolements. Le petit cultivateur n'offrant pas de suffisantes ga- ranties, ne trouve à emprunter qu’au taux usuraire de 8 0/0 environ, d'après l'enquête du Conseil d'État en 1852. D'après lui, c’est l'association qui peut faire dispa- raitre tous ces inconvénients. La force de l'association est mise en évidence aussi bien par la pratique que par la théorie. Elle remédierait aux inconvénients du mor- cellement du sol, en réalisant l'union libre de la grande culture et de la petite propriété. On verrait ainsi une société de propriétaires fonciers rassembler leurs lu- mières, leurs capitaux et leur crédit pour exploiter le fonds commun. L'auteur a pris pour tàche de démontrer dans son travail : 1° Que les personnes, qu'on les considère au point 38 de vue de l'individu, du père de famille ou du citoyen, ont le plus grand intérêt au morcellement du sol; 2° Que la société tout entière en retire de précieux avantages, tandis que les inconvénients secondaires qui en résultent sont susceptibles de disparaître devant les mesures les plus simples. Le mérite de ce Mémoire est incontestable. La ques- tion historique y est bien traitée ; les faits y sont nom- breux, les vues intelligentes et souvent élevées. Il est évident que l'auteur propose des moyens sérieux dont la mise en pratique pourrait faire disparaitre plusieurs des inconvénients attachés au morcellement exagéré du sol. Toutefois, le travail assez complet que nous venons d'analyser est déparé par de graves défauts. Outre que le style en est habituellement incorrect et lourd , on y trouve, à côté d'un optimisme intempestif, l'éloge de la contrainte morale préconisée par Malthus et par un grand nombre d'économistes contemporains. Votre Com- mission réprouve énergiquement une pareille doctrine, qu'elle croit fausse et dangereuse sous tous les rapports. Après avoir mürement pesé les mérites et les défauts du Mémoire dont nous nous occupons, elle pense qu'une médaille d'argent grand module lui est due, les réserves formulées dans son jugement diminuant sans la dé- truire la valeur d'un travail consciencieusement sinon très-élégamment écrit. ' N° 658. — Épigraphe : « Scientia regil orbem. » — L'auteur défend le principe d'égalité entre les enfants et se montre partisan de l'association. 39 Il constate la grande amélioration que le morcelle- ment a produite dans l'existence des cultivateurs. D'a- près lui, «on reste certainement au-dessous de la vérité en disant que, par l'effet du morcellement, la production en France a plus que doublé. » Il dit que quatre grands faits ont amené le morcelle- ment à son élat actuel :: 4° L’affranchissement de la portion du sol qui avait échappé par le travail à l'envahissement féodal ; 2 Le retour à la nation des biens du clergé; 3° La confiscation des biens des émigrés ; 4° La loi sur les successions, dont le principe est l'égalité des partages. L'auteur se demande quelle sera la force d’agréga- tion qui réunira les molécules éparses du sol lorsque le morcellement aura produit tous ses effets ? Quelle sera la solution enfin, car il en faut une? Cette solution, qu'il croit entrevoir, arrivera natu— rellement et s'imposera d'elle-même avec l'autorité du fait, qui ne lient compte ni des controverses, ni des doutes, ni des regrets. Le triomphe des machines à vapeur dans l'industrie agricole remplacera le travail isolé par la grande ex- ploitation , et fera disparaître la propriété morcelée. L'envahissement graduel du sol par les grandes com- pagnies industrielles est un fait qui se produira néces- sairement et tranchera la question au profit de la grande propriété. En attendant que ce résultat soit amené par la force des choses, l’auteur voudrait que le père de famille put 40 transmettre ses biens à ses enfants à la condition de les cultiver en commun et de ne pas en opérer le par- tage. L'association lui paraît être un remède immédia- tement applicable. La réunion des forces est, dit-il, non-seulement une loi du progrès, mais une condition d'existence pour la société. Ce Mémoire se recommande par des qualités, mais - il est en même temps entaché de défauts qu’on ne ren- contre pas dans le précédent. En général, il est assez convenablement écrit. Ce qu'il faut regretter, c’est que, dans certains passages, les opinions de l’auteur, parfois très-vagues, en viennent jusqu'à se contredire formel- lement. Nous lui adresserons un autre reproche, éga- lement fondé et tout aussi grave, c'est de ne pas s'être assez préoccupé du côté moral de la question. Autant que lui nous admirons les machines et nous pressen- tons le rôle immense que leur réserve l'avenir; mais nous mettons quelque chose bien au-dessus : c’est le génie de l’homme qui les crée, c’est l'industrie humaine qui sait en tirer un si merveilleux parti. Voilà ce qu'on oublie trop souvent et ce qu'il serait nécessaire de ne jamais oublier. Tenons done compte de l’homme, qui , après avoir inventé les machines, saura réaliser, grâce à leur concours, tous les progrès auxquels il peut légi- timement aspirer en ce monde. Ces réserves faites, votre Commission croit juste d'accorder à l’auteur du Mémoire n° 658 une médaille d'argent grand module. N° 705. — Épigraphe : « Établir des codes sur les KA bases immuables de la liberté, de l'égalité, du respect de la propriété. » (Cambacérès.) — L'auteur fait re- marquer qu'Arthur Young, partisan de la grande pro- priété et de la grande culture, reconnait cependant que les provinces où les paysans sont propriétaires offrent en général un aspect plus florissant. A. Young cite, comme exemples, le Béarn, le Quercy, la Gascogne , la Guyenne , la Flandre et l'Alsace. L'auteur constate qu'au XII et au XIV° siècles, les seigneurs et les abbayes laissaient en friche la plus grande partie des vastes domaines dont ils étaient pos- sesseurs. La Révolution de 1789 , dit-il avec raison, n’a fait que rendre plus actif le mouvement très - ancien qui poussait à la division des propriétés. Dans le chapitre HIT, pages 21 et suivantes de son Mémoire , il réfute les arguments des détracteurs de la petite propriété et du principe de l'égalité des partages. Il leur oppose une foule de faits significatifs et de té- moignages fort habilement groupés. Il soutient que la misère. de l'Irlande à sa principale cause dans la concentration de la propriété foncière entre les mains d’un petit nombre de lords. Quant aux avantages du morcellement , ils lui pa- raissent considérables au point de vue moral et politi- que, sous le rapport du bien-être individuel et de la richesse générale. Il ne nie pas, du reste, les inconvénients du mor- cellement; mais il est convaincu qu'il y a moyen d'y remédier sans léser les droits des détenteurs du sol. 19 k Il affirme que « par l'association volontaire des culti- vateurs, on peut conserver la division du sol, qui est un bienfait , et éviter la division des cultures dans le cas où elle a des inconvénients. » « L'association, dit- il, est un progrès que le cours naturel des choses doit amener, une œuvre d'avenir. Dire que ce Mémoire nous paraît répondre complé- tement aux intentions de l’Académie, ce serait lui attri- buer une valeur qu'il n’a pas; reconnaître qu'il l'emporte de beaucoup sur tous les autres, ce n’est que justice. Le style en est clair et correct, les faits nombreux et bien exposés, les questions d'histoire et de statistique y sont traitées avec un soin et une habileté incontesta- bles ; enfin, la méthode de l'auteur est telle, qu’on peut le suivre, sans la moindre peine, dans les développe- ments qu'il a donnés aux diverses parties de son sujet, et qui ne dégénèrent jamais en digressions. Votre Com- mission à donc pensé que si vous ne devez pas accorder le prix à ce travail, à cause du vague et de l'insuffisance de ses conclusions, vous pouvez du moins reconnaitre, en lui accordant une médaille d'or petit module, la supériorité relative qu'on ne saurait raisonnablement lui contester. Cette longue analyse, qu'il ne m'a°pas été possible d'abréger, permettra du moins à l’Académie, je l’es- père, de se prononcer en connaissance de cause. Elle a vu ce qui manque aux nombreux Mémoires que sa Commission a examinés. Elle a pu se rendre compte aussi des qualités qui en recommandent quelques - uns 43 à son attention. Presque tous, il n'est pas inutile de le faire remarquer, se prononcent en faveur de l'égalité des partages et de la division des propriétés qui en est la conséquence naturelle. Ils concluent en faveur du morcellement, dont ils déplorent les fâcheux effets lors- qu'il est poussé jusqu'à ces extrêmes limites où le sol perd toute fécondité précisément parce qu'il a été mis en lambeaux. En concluant de la sorte, ils indiquent des remèdes capables, dans la pensée de leurs auteurs, soit de guérir le mal, soit d'en arrêter les progrès; mais il ne serait pas difficile de démontrer tantôt l'insuffisance, tantôt la radicale impuissance des moyens qu'ils ont proposés, et que votre Commission vous a fait connaitre. Quant aux rares Mémoires dans lesquels on préco- nise des mesures telles qu'elles auraient pour effet de reconstituer en plein XIX:° siècle la société du moyen àge, nous ne jugeons pas qu'il soit utile d'en discuter les conclusions. Il est des tentatives tellement chiméri- ques, qu'elles se condamnent elles-mêmes. L'histoire nous apprend que les sociétés humaines, pas plus que les fleuves, ne remontent vers leur source. D'ailleurs , la loi par laquelle les successions sont réglées repose sur un des principes les plus équitables qu'il soit au monde. On peut l'attaquer; il est sûr qu’on ne l'ébran- lera pas, car elle a pour sauvegarde les instincts de justice les plus élevés, les plus impérieuses prescrip- tions du devoir et du droit. En résumé, Messieurs, votre Commission vous pro- pose d'accorder : k4 4° Une médaille d'or petit module à l'auteur du Mé- moire n° 705; 2% Une médaille d'argent grand module à l’auteur du Mémoire n° 646; 3° Une médaille d'argent grand module à l'auteur du Mémoire n° 658 ; ‘ & Une mention honorable à l’auteur du Mémoire n° 620. 45 RAPPORT SUR LE CONCOURS RELATIF AUX INONDATIONS MESSIEURS, Fidèles à la mission que vous vous êtes donnée de provoquer les recherches relatives à la solution des grands problèmes d'économie sociale, vous vous em- pressâles , à la suite des inondations de 1856, de pu- blier dans les journaux l'avis suivant : « Les inondations qui se sont renouvelées si fré- quemment cette année, et qui ont porté le deuil et la désolation sur une vaste partie du territoire de la Fran- ce, font désirer que ce phénomène soit étudié dans ses causes et ses effets, non-seulement pour atteindre un but scientifique, mais afin de voir s’il ne serait pas 1 Au nom d’une Commission composée de MM. deBoucheporn, Brochon, de Lacolonge, Fauré, Raulin, et Manès, rapporteur. 46 possible de le combattre, de le maitriser et même d'en ürer quelque profit par des applications, quelles qu'elles soient, et notamment à l'agriculture. » Désirant laisser aux auteurs toute la latitude pos- sible pour traiter cet important sujet, l'Académie a cru devoir poser les questions d'une manière générale; ce- pendant, elle verrait avec plaisir que l'on tint compte des travaux qui ont été exécutés d’une manière inces- sante depuis un certain nombre d'années, tels que dé- frichements des forèts, déboisement des montagnes, colmatage, drainage, irrigations, cours d’eau souter— rains, puits artésiens, mines, barrages des rivières, détournement des cours d'eau, chemins de fer, etc. Elle verrait encore avec plaisir que l'on comparàt les effets produits par les inondations d'automne et d'hiver avec ceux des inondations da printemps et de l'été, qui sont si distincts au point de vue de l’agriculture. » Questions mises au Concours : » 4° Étudier les inondations et leurs causes; » 2° Rechercher les moyens d'y remédier ; » 3° Applications spéciales au bassin de la Garonne. » Le prix sera une médaille d'or de la valeur de 300 fr. » Cet appel, concernant une question qui préoceupait alors tous les esprits, vous a valu dix Mémoires, ca- hiers brochés, notes volantes ou simples lettres; les premiers émanant d'hommes initiés à la science de l'ingénieur, les autres d'hommes du monde et de sim- ples ouvriers. Vous avez confié le soin d'examiner ces Mémoires à 47 une Commission plus haut nommée, et cette Commis- sion vient aujourd'hui, par mon organe, vous faire connaitre le résultat de cet examen. Les Memoires présentés peuvent être divisés en trois catégories : ceux ne pouvant être admis à concourir, ceux sans valeur, et ceux méritant vos suffrages. Trois Mémoires composent la première: catégorie : ce sont ceux inscrits sous les n° 541, 657 et 789, qui ont été tout d'abord écartés comme-portant la signa- ture de leurs auteurs. Tous sont d'ailleurs sans impor tance réelle; lun d'eux mérite cependant d’être - cité pour la singularité du moyen qui y est indiqué. Ce moyen consiste à établir, au centre des sources qui donnent naissance aux rivières, un puits artésien dont l'effet sera de priver le sol des grandes masses d’eau qu'il fera jaillir, de dessécher ce sol et de le rendre propre à absorber les eaux pluviales, qui ne viendront plus dès lors grossir et faire déborder les rivières. Cette idée, sortie du cerveau d’un brave ouvrier harnacheur de la capitale, nous a remis en mémoire l'ancien adage : Ne sutor ultra crepidam. Quatre Mémoires composent la deuxième catégorie : ce sont ceux inscrits sous les n°5 712, 787, 791 et 792. Ceux-ei ne sont pas entachés du vice qui a fait re- pousser les premiers du Concours; mais ils ne méri- tent pas davantage d'arrêter votre attention, car ils sont également sans valeur. Le n°712 est le moins faible d'entre eux; le n° 794, le plus extraordinaire. L'auteur du dernier trouve les principales causes 48 des inondations dans l'accumulation des neiges et des glaces qui ont lieu d'année en année sur les plus hau- tes montagnes, jusqu'à ce que certaines circonstances atmosphériques viennent les détacher et les précipiter en avalanches dans les vallées, où elles se fondent et produisent des torrents d'eau dévastateurs. Il lui parait que si chaque année on attaquait ces colosses de gla- ces avec adresse, et si, par des travaux bien conduits, on y établissait des avalanches, la fonte des neiges qui les couvre se faisant alors tous les ans d’une manière régulière, leur accumulation serait prévenue, et les débordements auxquels elles donnent lieu ramenés à des proportions telles qu'on pourrait toujours en atté- nuer les effets. Nous ferons remarquer à cet égard que lon a bien quelquefois entrepris de semblables travaux dans Îles glaciers, alors que des avalanches les ont précipités dans quelques vallées qu'ils ont obstruées, et afin de prévenir la rupture subite de cette barrière, derrière laquelle la fonte des neiges avait produit un lac qu'il importait de vider graduellement; mais que jamais il n'est venu à la pensée d'aucune personne raisonnable d'entreprendre en grand l'exploitation des glaciers qui couvrent les crètes de nos grandes chaînes de monta- gnes, où ils ont d’ailleurs leur destination providentielle. L'auteur du Mémoire n° 712 pense que la périodicité des inondations est une loi générale de la nature, par laquelle Dieu a voulu rappeler aux descendants de Noë le souvenir du déluge, et faire de ces déluges partiels et périodiques les anniversaires du terrible châtiment 49 infligé au genre humain. Les idées plus fondées et sur- tout plus utilés qu'il expose ensuite sont d’ailleurs en grande partie, ou la paraphrase du discours de l'Em- pereur, ou la copie textuelle de la brochure publiée en 1847 par M. Polonceau. Les trois derniers Mémoires composant la troisième catégorie sont ceux portant les n° 759, 763 et 791, sur lesquels nous appelons toute votre attention. L'un d'eux, le n° 763, se rapporte uniquement au bassin de la Garonne; les deux autres traitent la ques- tion des inondations considérée au point de vue général. Le Mémoire n° 759 est divisé en deux parties, l'une relative aux causes et aux effets des inondations, l’au- tre relative aux moyens à employer pour prévenir leurs désastres. La première partie présente de grandes négligences de style, des idées fausses et étroites, voire même des puérilités qui sembleraient devoir faire mettre ce Mé- moire au rang des précédents. On y voit entre autres que les causes des inondations sont de deux sortes : premières ou absolues, secondaires ou accidentelles ; que les causes premières sont, d’une part, les eaux plu- viales qui se répandent en nappes sur la terre, d'autre part, les aspérités et inégalités du sol qui donnent à ces eaux le mouvement; que les causes secondaires résident dans les faits accidentels et les travaux de main d'honime qui s'opposent au libre écoulement des eaux pluviales, comme la chute d'un arbre, l'écroule- ment d'un pont, l'établissement d'un barrage sur un cours d’eau. Æ 50 Cette première partie contient cependant, sur les inondations examinées dans les diverses saisons de l'an- née, des considérations qui, sans être à l'abri de toute critique, montrent bien la grande différence qu'elles offrent entre elles sous le rapport des désastres qui en sont la suite. La deuxième partie, beaucoup mieux traitée que la première, fait oublier les préventions défavorables que celle-ci avait fait concevoir. On y voit d'abord exposées des idées très-justes con- cernant l'influence qu'ont sur les inondations les déri- valions des cours d'eau, les opérations de drainage et de colmatage, les puits artésiens et les travaux de mi- nes, quoique l'on remarque encore ici que les opinions émises manquent souvent de développements et sont rarement appuyées de faits précis. On y trouve ensuile une appréciation de la faible quantité relative d'eau qui fait déborder les fleuves et les rivières. À la vue des immenses nappes d'eau qui recouvrent alors nos plaines devenues désertes et si- lencieuses, on pourrait croire que ces nappes forment un volume très-considérable. Eh bien! il n'en est rien, et il résulte des calculs établis ici, que cette quantité n'équivaut pas à plus de ‘/,, de la quantité moyenne annuelle des eaux courantes, soit à plus de ‘Le de la quantité moyenne annuelle des eaux pluviales. Cette appréciation est d'ailleurs confirmée par les faits constatés dans les quatre grands bassins hydrographi- ques de France, et rapportés par l'auteur avec beau- coup d'exactitude. 51 Le dernier chiffre es! porté à ‘/,,, par l'auteur; mais c’est une erreur, la quantité des eaux courantes étant égale aux */, et non au ‘/, des eaux pluviales. « La faible quantité d'eau à laquelle sont dues les » inondations des fleuves et rivières fait concevoir la _» possibilité d'arrêter en détail cette portion jusqu'à » présent si funeste des eaux pluviales, et de la diriger » de manière à ne pas nuire. » C'est par la description des moyens à employer et des dépenses à faire pour obtenir ce résultat, que se ter- mine et se distingue surtout le Mémoire n° 759. Les moyens proposés sont fondés sur le principe des fontaines artificielles, et consistent : 4° à établir dans tous les plis des terrains supérieurs, au moyen de bar- rages suflisants pour arrèter les plus grandes masses d'eau qui peuvent tomber sur ces plis, un ou plusieurs réservoirs échelonnés capables de contenir ces masses préalablement estimées par le calcul; 2° à ménager à ces eaux des issues, soit dans un ensemble de canaux avec embranchements et ramifications de fossés et ri- goles qui seront établis sur les pentes, et laisseront fil- trer le liquide dans les terres, soit dans des puits ab- sorbants qui feront bientôt disparaitre les eaux sous terre et les enverront grossir les sources existantes ou en constituer de nouvelles sur des points plus ou moins éloignés, soit enfin dans des tranchées-filtres, exé- cutées sur le fond des réservoirs et communiquant à une grande tranchée longitudinale, également filtrante, qui portera ces eaux sur un ou plusieurs points déter- minés , et les y versera en fontaines permanentes. , 52 Le premier mode d'écoulement des eaux amassées dans les réservoirs supérieurs, celui des canaux et ri- goles, applicable partout, est analogue au système des rigoles horizontales de M. l'inspecteur Polonceau; il produira les mêmes effets, mais donnera lieu aussi aux mêmes critiques. Il diffère d'ailleurs de celui-ci, en ce que les canaux partent des réservoirs échelonnés, qui présentent une capacité égale à celle des canaux et ri- goles, tandis que les rigoles horizontales sont indé- pendantes des bassins, qui, n'ayant pour but que de retenir les eaux non arrêtées par elles, ne présentent qu'une capacité du tiers seulement. Or, comme, à ca- pacité égale, les réservoirs sont beaucoup moins coù- teux que les canaux et rigoles, il s'ensuit que, sous le rapport de la dépense, le système proposé ici aura de l'avantage sur celui de M. Polonceau. Le deuxième mode, celui des boitout ou puits ab- sorbants, nous parait devoir rendre quelques services partout où se trouveront réunies les conditions néces- saires à sa réussite; mais leur effet nous semble bien peu en rapport avec le but à atteindre. Nous pensons qu'il conviendrait de se ménager la liberté d'y conduire ou non les eaux amassées dans les réservoirs, suivant les cas qui se présenteront. Le troisième mode, celui des tranchées-filtres, exé- cuté comme on le propose, sera certainement beaucoup plus coûteux que le premier. N'est-il pas à craindre aussi que les matières filtrantes ne s'engorgent après un certain temps? Ce mode, en faisant sourdre sur des points déterminés des fontaines nouvelles qui pourront 53 être utilisées pour arroser les terres et donner le mouve- ment aux usines, créera d'ailleurs une source de riches- ses dans les contrées où on pourra le mettre en prati- que, c'est-à-dire là où les réservoirs auront pour fond un terrain alluvionnel, et non des roches dures au travers desquelles les tranchées deviendraient trop dis- pendieuses. L'évaluation approximative des dépenses à faire dans les quatre grands bassins hydrographiques de France, pour l'exécution du premier système de travaux pro- posé, celui des réservoirs avec ensemble de canaux et rigoles, se monte à 330 millions; mais le prix admis pour le percement des canaux et rigoles n’est pas assez élevé; le prix d'établissement des réservoirs est surtout porté beaucoup trop bas. Nous pensons, par suite, que le total des dépenses à faire dans ce système ne doit pas être estimé à moins de 500 millions, somme très- considérable qui ne dépasse pas cependant celle qui fut dépensée de 1830 à 1846 pour nos canaux, fleu- ves et rivières. L'auteur du Mémoire que nous analysons a traité, comme on voit, la question en général; il ne s’est point occupé de la Garonne en particulier, ainsi que l’Académie l’a demandé, et sousäce rapport son travail est incomplet. Il fait remarquer à ce sujet que la géné- ralité de son système l’a dispensé de toute application spéciale à un bassin déterminé. Il est certain qu'il n'au- rait pu entrer dans quelques détails sur le choix à faire dans telle ou telle partie du bassin de la Garonne, en- tre ses divers modes de travaux, qu'à la suite de lon- 54 gues études auxquelles on ne peut lui reprocher de ne pas s'être livré. En résumé, le Mémoire n° 759 est une œuvre sé- rieuse qui à exigé beaucoup de recherches, et qui con- tient l'indication de moyens simples, quelques-uns nouveaux, dont l’eflicacité assez douteuse ne pourrait ètre bien connue que par l'expérience; mais la pre- mière partie en est fort défectueuse; la deuxième man- que en plusieurs points de cette précision et de cette exactitude qui sont nécessaires en de semblables tra- vaux. Votre Commission est, par suite, d'avis que l'au- teur de ce Mémoire sera suffisamment récompensé par une médaille d'argent. Le Mémoire n° 763 est, comme nous l'avons an- poncé, relatif à la Garonne, et les documents qui y sont consignés sont, au dire de l’auteur, extraits d’un plus grand ouvrage en cours de rédaction sur les bas- sins du Lot et de la Garonne au point de vue général statistique, topographique, etc. L'auteur divise le bassin de la Garonne, le plus étendu des grands bassins hydrographiques de France, en trois régions : la première, des sources du fleuve à Toulouse; la deuxième, de Toulouse à Bordeaux; la troisième, de Bordeaux à la mer. Il fait remarquer que la seconde région est incontestablement la plus importante, comme la plus vaste et la plus riche; il annonce qu'il étudiera celle-ci plus particulièrement, sans négliger les deux autres, et nous voyons cepen- dant qu'il passe la troisième entièrement sous silence. La partie de ce Mémoire qui est relative à la région supérieure donne les renseignements suivants mis à la suite les uns des autres, et sans les accompagner la plupart du temps d'aucune réflexion ou observation : 4° le régime général des eaux dans cette partie, sa voir : la largeur moyenne du lit et la hauteur moyenne et celle extrême des eaux au-dessus de l’étiage; la dis- tribution fort inégale des pentes et l'énumération des biefs et des rapides qui constituent une succession de barrages naturels, comme dans toute rivière qui char- rie des cailloux; un tableau des débits de la Garonne et des hauteurs de pluie, présentant par année et par mois la moyenne des observations faites à Toulouse pendant deux séries de quatre années chacune; 2° la distribution variable des pluies : dans les différentes sai- sons, en raison de l'imbibition ou de la sécheresse des terres ; dans les plaines et les montagnes, en raison du refroidissement différent des vents humides; et aussi la différence des vents qui occasionnent les crues de la Gironde d'une part, celles du Lot et du Tarn d'autre part, différence qui fait que les crues printanières de la Garonne n’ont pas le caractère foudroyant de celles du Tarn; 3° le mouvement de la fonte des neiges re- lativement à la hauteur des montagnes; 4° enfin, les quantités de limon charriées par la Garonne en amont de l'embouchure du Tarn et en aval de celle du Lot. Il est regrettable de voir qu’au nombre des faits con- signés dans celte première partie, on n'ait fait men— tion, relativement aux crues extraordinaires qui S'y montrent, que de leur hauteur, qui est comprise, pa- rait-il, entre 7 m. et 7"80 au-dessus de l'étiage. 56 La partie du Mémoire qui est relative à la région moyenne devrait, d'après ce qui à été annoncé, ren- fermer des renseignements plus complets que pour la région supérieure; el en ce qui concerne le régime général des eaux, c'est le contraire qui à lieu; on y trouve bien, en effet, réunis dans le même écrit : 4° les largeurs du lit moyen et du lit majeur ; 2° les pen- tes à l'étiage et l'indication des biefs et des rapides; 3 les débits, à Tonneins, pour toutes les hauteurs d’eau entre l’étiage le plus bas et la hauteur de 10"24 correspondant à la crue de 1770 ; mais aucuns reénsei- gnements pluviométriques correspondants, ni aucuns détails sur les hauteurs d'eau et les débordements. Il était facile cependant d'extraire du Mémoire de M. Baumgarten, qui à fourni le tableau des débits cor- respondants aux hauteurs, trois autres tableaux des- quels cet ingénieur a tiré les conclusions suivan- tesy 4° La hauteur moyenne des eaux de la Garonne à une diminution fort brusque en juin et juillet, et une augmentation fort lente d'août à février. La fonte des neiges n’est pas la cause prédominante de cette hau- teur, quoiqu'elle y contribue puissamment pendant les mois d'avril, mai et juin. 2e La corrélation évidente entre les débits et les quan- tités de pluie semble prouver que si, dans ces derniers temps, les débordements ont été plus fréquents, on doit peut-être en chercher la principale cause dans les pluies plus abondantes. 3° De la fin de décembre jusqu'à la fin de juin, on 57 peut toujours compter sur un débordement. Les plus forts débordements ont lieu à la suite des pluies abon- dantes qui coïncident avec un vent de nord, et sont ainsi poussées contre les revers des Pyrénées, dont ils entrainent les neiges. L'auteur donne seulement sur les crues ce rensei- gnement important, savoir : qu'aux environs d'Agen il y a eu, pendant les vingt-neuf dernières années, qua- rante-six crues, dont vingt-deux, postérieures au 4e° avril, ont nécessairement endommagé les récoltes ; tan- dis qu'à Marmande, au-dessous de l'embouchure du Lot, il y a eu pendant la mème période cent quinze crues, dont cinquante-trois, de plus de 5 m., posté- rieures à la même date. L'auteur, considérant ensuite la stabilité du lit du fleu- ve, montre qu'elle est sans cesse compromise dans les courbes par l'action des eaux rapides sur un sol com- posé d'alluvions très-friables, et par les travaux clan- destins des riverains, et que ce lit tend sans cesse à changer par la destruction du terrain fertile de la berge concave et son remplacement par des graviers stériles. Il eût pu ajouter, d'après M. Baumgarten, que le plus grand nombre des corrosions n’a lieu que par l'affaissement et le glissement des berges qui s’opèrent deux ou trois jours après que les eaux sont rentrées dans leur lit à la suite d’un grand débordement. Quoi qu'il en soit, les remèdes à apporter aux crues de la Garonne ne doivent donc pas tendre seulement à sauvegarder les récoltes, mais encore à défendre le sol qui les produit. Les moyens qui paraissent ici devoir 58 être employés pour obtenir ce résultat, sont au nom- bre de trois : Le premier doit consister dans l'établissement, sur tous les affluents du fleuve, de barrages qui en retien— nent les eaux et ne les écoulent que lentement ; on abaissera sensiblement par là le niveau des crues, et on facilitera d'autant la construction des digues. Le deuxième moyen doit être de fixer définitivement le lit du fleuve en consolidant les berges par le mode appliqué avec un plein succès dans le Lot-et-Garonne depuis plus de vingt-cinq ans; on défendra ainsi la vallée contre les crues ordinaires de 4 à 5 m. Le troisième moyen, destiné à protéger les récoltes contre les grandes crues, consistera dans l'établisse- ment de digues insubmersibles sur les deux rives. Le système d’endiguement proposé est celui des di- gues longitudinales se rattachant aux coteaux par leurs caps et formant des enceintes fermées et complétement distinctes, dont celles présentant une longueur de plus de 4 à 5 kilomètres seraient divisées par des barres transversales qui auraient pour but de prévenir les désastres qu'occasionnerait la rupture d’une digue. Ces barres transversales seraient plus hautes que les digues longitudinales d'environ 0"80, afin de rejeter toujours dans le lit du fleuve les eaux introduites dans l'enceinte. Les digues présenteraient à leur couronnement une pente de l’amont à l'aval, et elles se relèveraient brus- quement à la hauteur des barres transversales, afin qu'en cas de débordement cette introduction des eaux se fit par l'aval et se répandit avec la moindre vitesse. 99 Ce système d'endiguement serait établi dans toutes les parties de la vallée où la plaine submersible a une largeur d'au moins À kilomètre. Des trois moyens proposés, les deux premiers sont incontestablement très-bons et ne peuvent donner lieu à aucune objection. L'auteur reconnait d’aillenrs que le premier a été nettement indiqué par l'Empereur, dans sa lettre au ministre des travaux publics, et nous voyons qu'il indique pour le second le mode ie. longtemps suivi dans le Lot-et-Garonne. Quant au troisième , les ouvrages dont il se compose sont disposés absolument de même que ceux employés dans le second. Or, cette application-là n’est pas de l'invention de notre auteur, car voici ce que nous li- sons dans un Rapport de M. Jacquemet , en date du 22 janvier 1844 : « Les mêmes ouvrages élevés contre les petits débor- » dements peuvent être disposés de manière à rompre » les courants qui se produisent pendant les grandes » inondations; il suffit pour cela de diviser la vallée » par des levées transversales en un certain nombre de » bassins; de tenir ces levées un peu plus élevées que » les digues parallèles au fleuve, et de disposer même » celles-ci de manière à ne permettre l'introduction » des eaux que par l'aval de chaque bassin, par la po- » sition des aqueducs et des déversoirs d'inondation. » Ce procédé, auquel quelques riverains paraissent » avoir été conduits depuis longtemps par la prati- » que, est excellent, et il est à désirer qu'il se gé- » néralise. » 60 L'auteur du Mémoire réfute avec succès le reproche que l'on fait aux digues longitudinales de priver les terres des bienfaits du limonage, en faisant observer que les plus hautes crues de la Garonne reviennent le plus souvent pendant que toutes les récoltes sont en pleine floraison. Mais l’objection tirée de l'incertitude qui règne au sujet de la largeur à donner au débouché des crues pour assurer leur libre écoulement sans causer une trop forte surélévation du {plan des eaux et sans occa- sionner une trop forte vitesse lui paraît plus sérieuse, et il est obligé de convenir, dans les quelques pages où il résume les travaux faits à ce sujet par M. Baum- garten, que les calculs de cette espèce sont en effet soumis à de grandes incertitudes lorsqu'on passe des hypothèses à la réalité. Voulant néanmoins conserver les digues insubmer- sibles, c'est avec raison qu'il propose de les établir à plus de 200 m. de distance des rives, puisque la grande largeur du lit devant abaisser le niveau des crues, la hauteur de ces digues pourra être fort réduite et leur solidité augmentée. Mais en même temps il serait bon d'établir sur ces rives mêmes, ainsi que l’a indiqué M. Polonceau, de petites levées en terre revètues de gazon et hautes d’un mètre, afin de prévenir les dé- bordements des petites crues. Le reboisement sur les montagnes et le drainage dans les plaines sont les seuls travaux qui paraissent à l'au- teur devoir seconder les travaux à faire sur le littoral de la Garonne. Le drainage des terres de vallées, facile 61 à appliquer, a pour effet de retarder et prolonger l'é- coulement des eaux de surface, qui sont par suite ré- gularisées; ses bons résultats ont été constatés en 1855 dans le Tarn-et-Garonne. Le reboisement des pentes rapides des montagnes, diflicile à exécuter en raison du morcellement croissant de la propriété, a pour effet de mettre obstacle à l'é- coulement des eaux de pluie qui coule sur ces pentes, et de les empéeher de se rendre toutes en même temps dans les vallées, où elles créent des torrents. Sous ce rapport, on ne peut disconvenir que le reboisement ne doive être utile; il ne faut pas d’ailleurs se faire il- lusion sur son influence, et nous verrons plus loin que ce ne sont pas en effet les déboisements opérés qui sont la cause des inondations présentes. La disparition de ces forèts n'a pas eu de bien grands effets, notre auleur est obligé de le reconnaître lui-même. Ces études sur la Garonne sont terminées par quel- ques justes réflexions sur l'insuflisance de la législation actuelle relativement aux cours d'eau, par l'estimation des dépenses de fixation et d'endiguement, qui sont portées à près de 25 millions, et par un exposé histo- rique très-curieux à consulter des inondations qui ont eu lieu à Agen depuis 4835 jusqu’à nos jours. En résumé, le Mémoire n° 763, dans lequel on trouve de précieux quoique incomplets renseigne- ments sur l'hydrologie du bassin de la Garonne , parait être l'œuvre d'une personne parfaitement au courant des faits qui s'y passent et des travaux qui s'y exécu- tent, mais à qui le temps doit avoir manqué pour don- 62 ner à son travail la forme et les développements eon- venables. Comme nous ne voyons d’ailleurs rien dans ce travail qui n'ait été décrit par les divers ingénieurs qui ont été chargés du service de ce fleuve, et comme son auteur n'a répondu qu'à une seule des questions du Concours, nous pensons que ce sera grandement le récompenser que de lui accorder une médaille d'argent. Le Mémoire n° 794, le plus volumineux et le meil- leur de tous, forme un cahier cartonné de 324 pages in-f°. C'est un vrai Traité sur la matière, dans lequel sont étudiés avec le plus grand soin le phénomène de la pluie, les crues, les moyens de préservation, les voies et moyens. lei, rien de vague et d'indéterminé, toute assertion y est appuyée sur des exemples, toute idée émise accompagnée de faits à l'appui. Ce travail, très-bien rédigé, se distingue par de hautes considéra- tions philosophiques; il a exigé d'immenses recher- ches, et témoigne dans toutes ses parties de la profonde érudition de son auteur; il est divisé en sept chapi- tres que nous allons analyser. Les chapitres I et IE sont relatifs à la distribution et au régime général des eaux sur le globe. On y trouve la détermination des quantités d'eau pluviale qui tom- bent annuellement tant en France qu'en Europe; celle des quantités d'eau qui s'évaporent à la surface des cours d'eau, à la surface du sol mouillé après la pluie et pour les besoins de la végétation; celle enfin des quantités d'eau qui sont absorbées à travers les terres dans les terrains de couches très-absorbantes, imper- méables ou moyennement imperméables. 63 On y voit surtout exposées une suite de lois très- remarquables qui se montrent dans le phénomène de l'arrosement du globe , et dont nous avons plaisir à vous présenter le résumé : La pluie est produite par la précipitation des vapeurs d'eau contenues dans les couches aériennes et prove- nant de l'évaporation à la surface des mers. La pluie, après sa chute, se divise en deux catégo- ries : la première, constituant l'écoulement de surface, comprend les eaux qui roulent sur le sol et se rendent directement à la mer; la deuxième catégorie, consti- tuant l'absorption en général, comprend les eaux qui s'évaporent de la surface du sol mouillé ou de celle des cours d’eau , ainsi que l’eau qu’absorbe la terre, et dont partie restant près du sol alimente la végétation, et partie pénétrant plus où moins profondément se rend, par des conduits souterrains, aux sources des vallées et à la mer. Il existe une connexion intime entre le phénomène de la pluie et celui de l'évaporation à la surface des mers; de là résulte la permanence du niveau des mers, si essentielle pour l'avenir de la civilisation. Toutesles vapeurs de l'Océan ne se précipitent pas sous forme de pluie ; il y a en outre l'humidité qui mouille le terrain sous forme de rosée et de brouillard, et toute celle que les végétaux absorbent dans l'atmosphère. Toute l'eau de pluie ne se rend pas à la mer; une partie est restituée à l'atmosphère soit par la dessicca- üon des plantes, soit par l'évaporation naturelle à la surface des cours d’eau et du sol mouillé. (0 Une compensation parfaite s'établit entre ces deux ordres de faits, savoir : les eaux de pluie qui font retour à l'atmosphère, et les vapeurs océaniques qui ne se déposent pas sous forme de pluie; il s'ensuit qu'il doit y avoir, entre les quantités d'eau qui se rendent à la mer et celles fournies par les pluies, une différence égale à la quantité d'eau absorbée à travers les terres. Ce n’est done pas à l’'évaporation, ainsi qu'on le pense généralement, mais à l'absorption, qu'on doit attribuer cette différence. Les quantités d'eau qui s'évaporent à la surface des continents et celles que l'absorption fait disparaitre offrent une sorte de constance d'un pays à un autre, comparativement aux grands écarts qu'affectent celles de la pluie; d'où une loi remarquable d'équilibre natu- rel, en vertu de laquelle reste constante la différence entre l'eau tombée et celle écoulée par les fleuves; dif- férence qui, en humectani les plantes, la terre et l'at- mosphère, est le principe de toute vie. Le chapitre II traite des crues, de leurs inconvé— nients et de leurs avantages. Tout ce que contient ce chapitre est encore fort habilement présenté; mais il ne contient pas tout ce qu'il serait nécessaire d'y trouver. L'auteur commence par reconnaître que les inonda- tions sont une loi de la nature, et que, comme telles, elles ont leur but essentiellement utile. Il montre qu'elles furent indispensables dans les temps anciens, pour recouvrir d'un limon fertilisant les sols couverts alors de débris pierreux et les rendre propres à la culture ; 65 que, sans elles, une foule de vallées très-fertiles se raient encore couvertes de tourbières, de marais ou de graviers stériles. Il expose que, quoiqu'on ne connaisse guère aujour- d'hui les inondations que par leurs effets destructeurs, provenant soit de la grande masse de leurs eaux qui les fait se répandre et séjourner plus ou moins de temps sur une vaste surface dont elles détruisent les récoltes, soit de la vitesse de ces eaux qui les rend capables de bouleverser profondément le sol, de renverser et dé- truire tout ce qui se trouve sur leur passage, elles ont cependant encore leur utilité de nos jours, pour rendre, par leur limon, la fertilité aux terres épuisées par la culture, pour donner, par lemmagasinement de leurs eaux, les moyens d'irriguer les terres, de donner le mouvement aux usines, de maintenir la navigation des rivières en basses eaux, et enfin pour garantir les em- bouchures des rivières contre les envahissements des dépôts de la mer. Les effets qu'aurait la suppression des crues sont prouvés, d'après ce que nous a assuré notre honorable collègue M. Petit-Laflite, par ce qui a été observé dans le bassin de la Garonne. Ce fleuve étant resté, à une certaine époque, longtemps sans sortir de son lit, on constata alors que la riche plaine de Meilhan avait perdu notablement de sa fertilité, et même que la belle race garonnaise, dont celte plaine est le principal ber- ceau, s'était affaiblie. Les avantages qu'aurait l’emmagasinement des eaux des crues pour l'agriculture, l'industrie et la naviga - 2 66 tion, sont immenses et parfaitement décrits par notre auteur. Ce qu'il faut donc, à son avis, ce n’est pas s'efforcer de rendre les inondations impossibles, car on ruinerait par là tous les pays d'alluvion; mais c'est lâcher de les rendre moins désastreuses et plus bienfaisantes. Il reconnait que plus la masse des eaux sera consi- dérable, et plus l'inondation aura détendue; mais il fait voir que cet envahissement, sous la condition de vitesse modérée, sera plutôt un bien qu'un mal, en raison des dépôts qui se produiront et qui sont suppo— sés être toujours de nature fertilisante. Pour lui, l'a- mortissement des vitesses est tout le secret des mesures à prendre contre les inondations. L'auteur n'explique pas d’ailleurs ici les causes des inondations ; ce n’est qu'au chapitre V qu'il présente à ce sujet quelques courtes observations. Il attribue les inondations, d'une part, aux pluies d'orage, qui ont souvent une très-grande intensité, mais sont limitées dans les régions mêmes où elles se manifestent; d'au- tre part, aux pluies générales, qui, lorsqu'elles tom- bent pendant une durée de deux à trois jours et avec un débit moyen de 7 à 8 centimètres et plus, rendent les vastes débordements inévitables. Il ne dit rien de la fonte des neiges, qui a bien cependant aussi son im- porlance, el qui méritait dès lors d'être prise en con- sidération. La fonte des neiges des montagnes suflit en effet à elle seule pour produire des débordements, et elle donne lieu aux plus grands désastres lorsqu'elle coïncide avec une pluie persistante dans les vallées. I 67 importait donc de distinguer des bassins dont les cours d'eau ne sont point alimentés par des glaciers, ceux arrosés par des rivières dont les sources remontent jus- qu'aux neiges perpétuelles. Cette distinction aurait amené à étudier les inondations des diverses saisons, et à rechercher auxquelles d'entre elles appartiennent les grandes crues de chacun de nos grands bassins; connaissance ulile à acquérir pour arrêter le mode de travaux préservatifs à employer. On se serait attendu à trouver en outre, dans ce chapitre, quelques considérations sur la nature, diffé- rente suivant les bassins, des matières que les eaux pluviales entrainent avec elles ; sur la distribution qui se fait de ces matières dans les différentes parties des vallées, et sur le degré plns ou moins grand de fertili- sation des limons, selon la nature des roches dont ils proviennent. On aurait dù encore y examiner la question de sa- voir si les inondations sont plus fréquentes et plus intenses aujourd'hui qu'autrefois, et y rechercher l'in fluence que peuvent avoir sur les inondations, d'une part les progrès de la culture, par suite desquels de nombreux fossés d'assainissement conduisent rapide ment aux ruisseaux les eaux pluviales, qui naguère sinfiltraient lentement dans le sol; d'autre part, les reclifications des cours d’eau et les nombreux ponts établis pour faire communiquer leurs rives, travaux qui modifient encore la marche des eaux. On voit que, sous tous ces rapports, le chapitre HI est incomplet, et qu'il sera utile de combler les omis- sions qu'on y remarque. 08 Le chapitre IV traite da système d'endiguement lon- gitudinal, de ses vices et de ses dangers. Depuis 1847 on est complétement fixé à ce sujet. M. Boulangé, dans un Mémoire relatif à la Loire, fait voir qu'il arrive très-souvent que, dans les grandes crues extraordinaires, les digues qu'on croyait insub- mersibles sont submergées, et que les eaux occasion- nent alors beaucoup plus de dommages que si elles avaient pu s'étendre naturellement dans le fond des vallées. Il préfère done de beaucoup les digues trans- versales destinées à prolonger les crues, et les réser- voirs, aux digues insubmersibles. M. Polonceau, dans sa brochure de 1847, fait re- marquer que les crues de la Saône et du Rhône ayant en 4840 coupé ou renversé plusieurs des fortes digues en pierre qui bordent ce fleuve, on se borna à les re- construire avec plus de soin, ce qui n'empècha pas de nouvelles crues survenues en 1843 de les percer et renverser de nouveau. Il ajoute que si on exhaussait ces digues pour pré- venir de nouvelles inondations, elles exposeraient, en cas de submersion ou de rupture, à des dommages et des désastres encore plus considérables que ceux que l'on à eu à déplorer jusque-là, parce que le volume des eaux étant encore plus grand et tombant d'une plus grande hauteur, les eaux auraient plus de puissance pour affouiller le pied du revers des digues, pour les ouvrir et les renverser, et pour dévaster les terrains riverains. M. Baumgarten, dans un article relatif au fleuve du Pô, qui a été inséré dans les Annales des Ponts-et- 69 Chaussées de 1848, montre : 1° que l'endiguement longitudinal augmente la hauteur et la rapidité d'écou- lement des crues; 2° que l'uniformité de vitesse dans toute la section transversale d'une crue ainsi endiguée, s'oppose au dépôt des alluvions, qui, dans l'état natu— rel du fleuve, se serait effectuée dans les parties des plaines éloignées du Thalweg, où la vitesse est tou- jours presque nulle; de sorte que toutes les alluvions ont été transportées à la mer; de là, envasement de l'embouchure du fleuve. Cet endiguement ne met pas d'ailleurs le pays dans une sécurité complète; les diva- gations du fleuve menacent perpétuellement les digues qui ont éprouvé de fréquentes ruptures, et les inonda- lions qui en sont résultées ont été bien plus dangereu- ses que celles causées par les crues d’un fleuve libre. Il y a encore, dit M. Belgrand dans une note à ses Études hydrologiques sur le bassin de la Seine, les inconvénients inhérents à tout système d'endiguement, tels que dépenses premières, dépréciation des plaines comprises entre les rives du fleuve et les digues, ex- haussement obligé de tous les ponts en raison de l'ex- haussement des crues, endiguement de tous les af- fluents jusqu'au plus mince ruisseau, difficultés d'éta- blissement des voies de communication parallèles aux vallées, etc. Avant donc, ajoute M. Belgrand, d'entre- prendre l'endiguement d'une rivière, on doit en peser toutes lesconséquences, avec d'autant plus de soin qu'une fois engagé dans cette voie on ne peut plus reculer, et qu'une fois le lit endigué, il faut renoncer à revenir à l'état primitif. Les digues transversales, au contraire, 70 et les réservoirs, ne peuvent avoir aucune conséquence facheuse , et le plus grand mal qu'il puisse en résulter, c'est la perte des fonds dépensés inutilement. Déjà fixés par tous ces écrits sur les inconvénients du système d'endiguement longitudinal, les hommes de l'art ne liront pas cependant sans un vif intérêt les considérations neuves présentées à ce sujet dans le chapitre qui nous occupe; ils y verront, entre autres, exposées avec beaucoup de clarté, les diverses causes de la submersibilité des digues, les difficultés que l'on rencontre à assigner une limite à leur hauteur, ainsi que les raisons pour lesquelles on n’a pu les construire solides, et l'énormité des dépenses qu'il y aurait à faire pour les obtenir telles. Le chapitre V est relatif au système d'ouvrages à entreprendre pour conjurer les fàcheux effets des crues et pour profiter de leurs avantages; c'est donc le plus important. Il est divisé en deux sectious : la première, faisant connaitre la disposition générale des ouvrages; la deuxième, présentant les considérations auxquelles on doit avoir égard dans les études à faire pour déter- miner les bases essentielles des projets. Les conditions essentielles auxquelles il parait à l'au- teur qu'il faille satisfaire, c'est, d’une part, de laisser les eaux des crues s'épandre dans les vallées, qui pour- ront ainsi recevoir leurs bienfaisants dépôts; c'est, d'autre part, de s'attacher à ce qu'elles y arrivent avec une vitesse assez grande pour tenir en suspension leur limon, et assez petite pour qu'elle ne présente rien d'offensif et de destructeur. TI Un moyen simple de réaliser ces conditions, ce sera, selon lui, de substituer aux digues longitudinales jus- qu'ici employées, des digues transversales en terre, qui seront établies de distance en distance sur les plaines des deux rives normalement aux cours d'eau, qui au- ront leur couronnement horizontal un peu plus élevé que celui des plus fortes inondations, et qui se relie- ront d’une part aux coteaux, d'autre part aux bords du fleuve par des plans inclinés. Dans ce système, qui d’ailleurs, comme nous venons de le voir, n’est pas nouveau et°a été recommandé, dès 1846, par divers ingénieurs, les sables et graviers roulés par les eaux torrentielles se précipiteront aux limites mêmes du lit majeur, là où il y aura diminu- tion de vitesse, et descendront avec elles à la mer, tandis que les limons seront apportés et déposés dans l'intérieur des digues par l'excédant des eaux qui s'y emmagasineront en perdant leur vitesse. Ces réservoirs temporaires, qui se videront d'eux- mêmes à mesure que la crue descend, réunis aux ré- servoirs permanents établis dans les parties supérieu- res des fleuves pour diminuer la hauteur des crues, constitueront un système parfaitement applicable aux vallées qui n’ont pas été défendues jusqu'ici par des digues longitudinales, et qui ont adopté le mode de culture le mieux approprié à cet état de choses. Dans les vallées déjà pourvues de digues longitudina- les, l'auteur pense, mais non sans regret, que les exi- gences de la culture pourront obliger à conserver celles- ei : tel est le cas dans le bassin de la Garonne; il pro- T2 pose alors d’abaisser ces digues au niveau des crues ordinaires, de les combiner avec des digues transver- sales, et de les percer d'une série de vannes qu'on ou- vrira au momert du danger. C'est là le système que nous avons vu recommandé dans le Mémoire n° 763, avec cette différence que l’on fait communiquer la partie endiguée avec les réservoirs temporaires, non par van- page, mais par déversoir. Quant à l'étude des projets, l’auteur recommande d'abord qu'avant de décider l'emplacement des réser- voirs permanents à établir dans un bassin déterminé, on se fixe bien sur les valeurs relatives de la pluie dans les différentes parties de ce bassin, sur la distribution que l’on y remarque des surfaces perméables et imper- méables, enfin sur les directions, les longueurs et les pentes respectives des divers affluents d'une même ri- vière, et il entre à ce sujet dans beaucoup de dévelop- pements relatifs au bassin de la Loire. Il présente ensuite des observations sur les situations respectives des réservoirs placés à une très-grande distance les uns des autres dans des bassins différents, mais tributaires d'un.même bassin principal, et mon- tre qu'il est essentiel d'apprécier les avantages ou les inconvénients divers qui peuvent résulter de leur mise en action simultanée. Il montre par quels procédés, très-simples et très- clairement exposés, on parviendra à déterminer : 1° les volumes de liquides à emmagasiner dans l'ensemble des réservoirs, ou les quantités cumulées de liquide qu'il conviendra de soustraire à l'écoulement général 73 du fleuve, pour qu'à l'avenir les hauteurs des crues soient maintenues dans des limites assignées d'avance ; 2° les longueurs à adopter pour lespacement des di- gues transversales, qui devra toujours être tel que l’eau coule sur les terres submergées avec une vitesse ré duite très-modérée. Le système des ouvrages recommandé dans ce cha- pitre, malgré qu'il ait pour lui l'assentiment d'un grand nombre d'ingénieurs, pourra peut-être ne pas paraitre à tous d’une entière efficacité. On s'accordera du moins à reconnaitre, dans les considérations présentées à cet égard, des détails précieux qui ne pourront être con- sultés qu'avec beaucoup de fruit par les personnes qui sont chargées du service des inondations. Le chapitre VI traite des modifications introduites à l'écoulement des eaux par quelques travaux exécutés de main d'homme, et des divers systèmes proposés pour combattre les inondations. Les puits artésiens exécutés ne tirant des nappes souterraines que la trois centième partie des quantités fournies par la pluie, n'ont aucune influence sensible. Si le nombre de ces puits venait à être beaucoup aug- menté , ils trouveraient leur compensation dans les puits absorbants, que lon creusera certainement un jour pour se débarrasser des eaux nuisibles de la sur- face. Les travaux de mines et ceux de drainage sont de véritables réservoirs souterrains qui, aux époques cri tiques , emmagasinent les eaux surabondantes pour les rendre plus tard et régulièrement aux cours d'eau na- 74 turels; ils offrent donc plutôt des garanties que des dangers. Les barrages construits sur les cours d’eau peuvent, d'après leurs longueurs, avoir ou non de l'influence pour relever les eaux en amont, pour aggraver par suite les effets des inondations. Les levées des chemins de fer et des canaux établies dans les vallées dépourvues de digues enlèvent à l'em- magasinement des eaux, en temps de crue, de vastes espaces situés derrière elles, et deviennent une cause directe dn relèvement des niveaux dans l'étendue com- prise entre elles et la rivière. Les canaux de dérivation destinés à recevoir une partie des eaux qui affluent sur les fleuves et à dimi- nuer ainsi les hauteurs des crues ne peuvent être con- sidérés que comme des ressources locales accidentelles, en raison des étroites limites entre lesquelles se trouve resserrée leur utilité, et des dépenses très-considéra- bles qu'ils occasionnent. Le système proposé par M. Polonceau, et qui fut alors reçu avec faveur dans le public, celui des rigoles horizontales creusées sur les terrains en pente, si utile sous le rapport agricole, est condamné ici, attendu qu'il occasionnerait des dépenses excessives, et serait d’une exécution très-diflicile à obtenir; que son action ne pourrait, dans beaucoup de bassins, être générali- sée au degré voulu, faute d'espace; que son efficacité pourrait être en défaut dans les circonstances les plus critiques; enfin, que ce système ferait subir aux écou- lements superficiels, pendant le printemps et pendant 75 l'été, c'est-à-dire alors que les terres et les rivières ont un si grand besoin d'eau, des réductions par évapora- tion qui deviendraient de véritables calamités. Enfin, le reboisement des montagnes, généralement regardé comme un des principaux remèdes aux inon- dations , paralt à l'auteur devoir être plus nuisible qu’u- tile. Son opinion diffère tellement des idées admises, qu'elle mérite que nous l’examinions avec soin. « Les forêts, dit M. Babinet dans la Revue des deux Mondes, en retardant dans leur marche les courants d'air qui viennent les frapper, font obstacle aux cou- ches d'air qui les suivent, forcent ces dernières à s'é- lever comme le long d'une colline , et le refroidissement qui en résulte produit la pluie. Ainsi, autrefois, il ne pleuvait jamais dans la basse Égypte; mais depuis que des plantations y ont été faites, l'obstacle présenté aux masses d'air par les aspérités du sol les a soulevées et a produit le refroidissement et la pluie. » Il ajoute que si la Meuse, dont le bassin a une si petite étendue , est cependant si considérable, cela tient à ce que les forêts qui couvrent les collines environ- nantes arrêtent et soulèvent l'air amené de la mer par les vents d'ouest, et déterminent des pluies abondantes que l'état boisé du bassin ne permet pas de réabsorber. Ainsi, d'après l'opinion de ce membre distingué de l'institut, c’est sur les forêts qu'il pleut le plus. L'auteur du Mémoire que nous analysons, considé- rant que les forêts conservent l'eau sur le sol et qu'elles s'opposent à son évaporalion; que, par suite, les cou- ches aériennes qui s'élèvent au-dessus d'elles sont les 76 plus sèches d’entre toutes, el qu'étant rencontrées par des couches saturées, il ne doit y avoir que diffusion de l'eau à l'état aériforme des unes dans les autres, et non précipitation de pluie, en conclut que c'est sur les forêts qu'il doit pleuvoir le moins. Cette divergence d'opinion parait du reste tranchée par une suite de faits qui semblent donner raison à notre auteur. D'après Patria, dans la première moitié du siècle précédent, il est tombé annuellement à Paris beaucoup moins de pluie que dans la première moitié du nôtre, et cependant il existait, il y a cent ans, plus de bois qu'aujourd'hui. D’après les observations udométriques faites à Viviers par M. Flaugergues, de 1778 à 1807, les hauteurs moyennes de pluie et les nombres moyens de jours plu- vieux considérés par époques de neuf années, ont été sans cesse en augmentant. Ce n’est donc pas seulement l'intensité de la pluie, c'est aussi sa fréquence qui va sans cesse en augmentant de siècle en siècle ; et comme l'a observé M. Arago, de telles variations ne sont guère favorables à l'opinion que les pays boisés sont ceux dans lesquels il pleut davantage. Enfin, d'après M. Baumgarten, la pluie du siècle dernier à été, pour la Geronne, plus remarquable par les crues élevées que ces derniers temps, quoique au- jourd'hui il y ait dans la plaine une plus grande quan- tité de mattes ou digues qui resserrent le champ des inondations et tendent à en élever le niveau, et quoi- que nos montagnes soient plus défrichées qu'il y à soixante et soixante-dix ans. ee {1 Les forêts régularisent-elles du moins les écoule- ments superficiels des eaux pluviales ? « Dans les lieux boisés, dit M. Dausse, le feuillage des forêts mettant la pluie à l'abri du soleil, la con- serve en été; en même temps, les obstacles qu’elle ren- contre sur un sol hérissè de végétaux empéchent et relardent son ruissellement. Le produit de chaque pluie prend ainsi plus de temps pour arriver à la rivière, et la crue est plus durable et moins prononcée, quoique plus abondante. Une grande partie de ces eaux pluvia- les retenues profite aux sources en s'infiltrant dans le sol, et vient elle-même à son tour à la rivière, mais plus tardivement encore et plus intégralement. Toutes ces circonslances concourent à égaliser entre l'été et l'hiver le tribut que la pluie apporte jusqu'aux thal- Wegs. » « Dans les terrains boisés, soutient de son côté M. Belgrand, lors du régime d'été, les bois couverts de feuilles abritent complétement le terrain et ne laissent arriver jusqu'au sol qu'une quantité d'eau pluviale in- signifiante et qui suflit à peine à entretenir l'humidité nécessaire à la couche de terre végétale; tandis que lors du régime d'hiver, au contraire, les arbres dépouil- lés de feuilles n'opposent plus aucun obstacle au pas- sage de la pluie, et diminuent énormément l'action de l'évaporation. Une fraction plus grande des eaux plu- viales peut donc alors arriver aux thalwegs dans les terrains imperméables. Donc, dans les terrains boisés, le passage d'un régime à l'autre doit être plus marqué que dans ceux qui ne le sont pas; donc, les forêts ne 78 doivent pas régulariser le régime des cours d'eau. » Cette opinion de M. Belgrand est celle que partage notre auteur. lei, encore, les faits semblent lui donner raison , pour un bassin, il est vrai, dont les cours d'eau ne sont plus alimentés par des glaciers, et dont les bois sont peuplés d'arbres feuillus. Il résulte en effet des observations faites par M. Bel- grand, dans le bassin de la Seine, que l'irrégularité des écoulements entre la saison chaude et la saison froide varie du double au simple, suivant que les ver- sants des bassins sont boisés ou non boisés. Concluons donc de tout ceci, que le déboisement peut bien, contrairement aux idées généralement accrédi- tées et ainsi que le pense notre auteur, donner plus de pluies dans l’année et moins d'eaux torrentielles, en même temps qu'il sert à donner plus de blé *. Le chapitre VIT et dernier traite des dépenses, voies et moyens. L'auteur, malgré les incertitudes naturelles de l'éva- luation des dépenses nécessitées par la mise en prati- que de son système, pense avec raison qu'il est bon de rechercher quel sera le chiffre approximatif de ces dé- penses, afin de déterminer le système financier qu'il conviendra d'adopter. Il estime avec beaucoup de soin, quant au bassin de la Loire, les dépenses de réservoirs, digues transver- sales, vannes, canaux de dérivation et de décharge, 1 Nous regrettons de n'avoir pu consulter à ce sujet l’ou- vrage de M. Becquerel, de l’Institut, intitulé : Des climats et de l'influence des sols boisés et non boisés. 79 création d'un lit d'étiage, ouvrages sur les affluents, ete., et les porte à une somme de 60 millions, qui, quintu- plée, lui donne, pour la France entière, une dépense de 300 millions. Ce chiffre est très-considérable sans doute; mais il égale à peine ‘/, de deux années de guerre, et il procurera de longues années de prospérité. L'auteur estime à 21 millions la charge annuelle qu'il conviendra de s'imposer pour ces travaux; consi- dérant ensuite que ceux-ci doivent profiter à la fois à l'État et aux propriétaires commerçants et industriels des pays inondés, il porte à 12 millions la part de l'É- lat, et à 9 celle des particuliers, qui seront imposés proportionnellement à la zone d'inondation dans la- quelle ils se trouveront, absolument de méme qu'en fait de desséchement de marais. Ce revenu annuel de 21 millions, au lieu d’être ap- pliqué directement à l'exécution des travaux, sera em- ployé à payer les annuités relatives aux intérêts et à l'amortissement d'un emprunt de 300 millions, qui permettra de faire ces travaux dans un bref délai. Ici se termine l'excellent Mémoire inscrit sous le n° 791. Les détails dans lesquels nous sommes entrés à son égard ont du vous faire reconnaître qu'il offre d'éminentes qualités qui dévoilent l'ingénieur habile et pratique , ainsi que vous convaincre qu'il répond plei- nement aux deux premières questions du Concours. Quant à ce qui concerne le bassin de la Garonne en particulier, il est vrai que l’auteur ne s’est point occupé du soin d'y faire l'application de son système; mais, ainsi qu'il le dit dans l'introduction, il à suffisamment 80 indiqué ce qui doit être pratiqué pour chaque fleuve, d'après les diverses circonstances hydrauliques, topo- graphiques et agricoles qui lui sont propres, et n'au- rait pu faire davantage sans procéder aux études com- plètes de la Garonne. En plusieurs parties de son tra vail, il donne d’ailleurs sur ce bassin, et d’après M. Baumgarten, d'assez nombreux renseignements qu'il ne se borne pas simplement à reproduire, mais dont il déduit des conséquences importantes sur le degré de perméabilité du sol, les vitesses de courants, etc. Quoi qu'il en soit, prenant en considération le haut mérite d’un Mémoire dont la publication ne pourra que vous faire honneur, vous n'hésiterez pas à décider avec nous qu'il est digne du prix que vous avez offert. En conséquence de ce qui précède, votre Commis- sion vous propose : 4 de mettre sur le même rang les Mémoires inscrits sous les n°° 759 et 763, et de dé- cerner une médaille d'argent petit module à leurs au- teurs; 2° d'accorder à l’auteur du Mémoire inscrit sous le n°791 le prix du Conconrs, savoir une médaille d'or de la valeur de 300 fr. Bordeaux, ce 11 mars 1857. 81 RAPPORT SUR LE CONCOURS POUR LE PRIX OFFERT PAR M LE BARON DE DANS SUR LE PAUPÉRISME :. MESSIEURS, Inspiré par un sentiment élevé et par une pensée généreuse, M. le baron de Damas à proposé à l'Aca- démie, en mettant à sa disposition une somme de 500 fr., d'ouvrir un Concours sur la question suivante : « Quelles sont les causes morales du mal qui affecte aujourd'hui toutes les classes de la société, et qui se manifeste dans le peuple par le paupérisme, dans les autres classes par mille souffrances analogues? Quels sont les moyens de les prévenir et de les combattre? » L'Académie s'est empressée de répondre à la con- fiance de M. le baron de Damas et de favoriser son .. * Aunom d'une Commission composée de MM. Burguet, Ch. des Moulins, Saugeon, Gout Desmartres, Vaucher, Fauré, et Henry Brochon, rapporteur. 82 honorable dessein en se rendant le ministre de sa mu- nificence. En mettant au Concours cet important sujet, vous avez, Messieurs, dans le Programme des Priæ pour l’année 18506, accompagné la question dont je viens de rappeler les termes, d'observations posées avec une grande sagesse et un haut discernement, afin de bien préciser le sujet, de bien déterminer sa portée et ses limites : « Quelle est la nature des changements néces- saires pour arrêter l'accroissement de la misère, et même la prévenir? —dit le Programme del'Académie.— Gardons-nous de tomber dans une erreur trop com- mune de nos jours. On cherche hors de soi des remè- des généraux; on accuse les lois, le gouvernement, tandis que c'est sur soi-même, sur sa famille, sur ceux avec qui l'on a des rapports, qu'il faudrait porter ses regards ; c’est là, c’est dans la sphère d'action que la Providence nous assigne, que doit se porter notre acti- vité; c'est à qu'il faut chercher le remède aux maux de la société. » Ainsi défini, un tel sujet devait séduire et attirer les esprits amis du vrai et du bien. Dix-sept Mémoires ont été adressés à l'Académie. La Commission à qui vous avez confié l'appréciation de cet important concours, s'est livrée à un long et consciencieux examen : la gravité de la question, le nombre et l'étendue des Mémoires, la confiance du do- naleur, tout nous imposait un sérieux devoir; nous nous sommes efforcés de le remplir. Avant tout, la Commission doit rendre justice à l'en- 83 semble de ce concours : sauf quelques ébauches fai- bles et incomplètes, la généralité des compositions se place à un niveau satisfaisant, qu'ont dépassé quel- ques-unes d'entre elles. Une surtout a conquis tous les suffrages, et votre Commission est unanime pour vous demander de lui décerner le prix; car celte œuvre très-remarquable à complétement rempli les conditions du Programme et brillamment atteint le but du concours : c’est le Mé- moire inscrit sous le n° 710, et portant pour épigraphe : Non in solo pane vivit homo. Ce Mémoire révèle un esprit d'une rare justesse, une intelligence nette, ferme, pleine, vigoureuse. Une ex- quise droiture d'idées en forme le caractère distinctif; une précision mathématique donne à la pensée des contours bien dessinés, et son ampleur la préserve de toute sécheresse. Le style est en rapport parfait avec le fond même de l'œuvre : simple, clair, correct, élégant, il manque un peu de coloris et de chaleur; mais il est pur, abon- dant, et le lecteur est satisfait en trouvant tant d'ho- mogénéité entre le fond et la forme, tant d'harmonie entre celte pensée si ferme et ce style si net. En se plaçant à la hauteur du sujet, en demandant aux théories les plus sages les lumières qu'il exige, l'auteur n’a pas oublié que ce sujet touche aux réalités les plus vivaces de l'époque et du pays; que si les prin- cipes de la morale et du droit sont éternels et invaria- bles, les faits ont leur puissance et leur actualité. Son œuvre à su tenir compte de tout : c’est l'œuvre d'un 84 penseur exercé, d'un écrivain habile et d’un philoso- phe pratique. Votre Commission voudrait pouvoir, par une brève analyse et par quelques citations, difliciles à extraire d'un ensemble où tout s'enchaine, initier l'Académie au mérite exceptionnel de ce Mémoire. Au début, l'auteur s'attache à bien définir son sujet dans son objet et dans ses termes. Il établit, avec une parfaite justesse, la différence profonde qui sépare la pauvreté de la misère ou de l'indigence. « Le pauvre, dit-il, semble comprendre, mieux que ceux qui prétendent l'instruire , le mystère de l'inégalité des conditions, et le bon sens qui le guide, malgré tant d'efforts tentés pour le pervertir, subsiste toujours dans nos campagnes et dans nos ateliers. » C'est que la pauvreté n’est pas contraire à la des- tinée de l’homme : ce n’est pas tout à fait par ennui ou par caprice, par esprit de paradoxe ou par un dépit orgueilleux, que tant de poètes et de philosophes l'ont vantée. Une idée fausse ne traverse pas les siècles. A la pauvreté se rattachent de pures images de simpli- cité, de frugalité, de paix intérieure, d'indépendance morale, images, sentiments naturels fondés sur des vérités immuables. » Oui, il est vrai que le pauvre est plus près de la nature et de Dieu; que, dans la pauvreté, la femme est plus près du mari, le père plus près des enfants, les frères plus près des frères. Le pauvre est plus étroi- lement attaché que le riche au sol natal, au sillon nourricier, à l'ombrage de l'arbre qui a vu ses premiers 85 jeux. Il est vrai encore que l'âme du pauvre est en gé- néral plas désintéressée, plus résignée, plus patiente. Il est plus près de Dieu, parce qu'il est plus éloigné des jouissances terrestres : l’église est plus à lui; elle est son abri, son refuge et son palais. » Ainsi, la pauvreté enferme avec elle des biens réels ; elle est à certains égards bonne au corps et à l'âme. » Il n’en est pas de même de la misère : la misère use ou détruit l'organisation physique; elle brise le ressort de la volonté, et éteint ou retient captive la lumière de l'intelligence. » Le paupérisme est tout autre chose que la pau- vreté : c'est la misère, non plus passagère ou indivi- duelle, mais étendue, croissante comme une lèpre con- tagieuse, creusant au sein des populations une plaie de plus en plus large et profonde. Tel est le mal que l'on signale de nos jours dans l'Europe occidentale, et que l’on s'efforce, avec un succès incomplet encore, de guérir. » L'auteur examine ensuite les deux grandes classes d'hommes qui s'occupent de la matière : les théoriciens et les hommes pratiques, Il étudie d’abord, avec le calme et la modération de la plus haute impartialité, les différentes écoles socia- listes. Il sait distinguer ce qui ne doit pas être con- fondu : les généreuses aspirations vers un bien idéal, les honorables illusions d'esprits bien intentionnés, mais peu pratiques, et les doctrines sauvages et bru- tales qui font de la jouissance matérielle un culte, et de l'abolition de la propriété et de la famille un pro- 86 grès et un but. Seulement, il montre, avec une grande sûreté de vues et d'appréciation, les points de contact de ces écoles si diverses. (Voir le Mémoire, pages 120 et suivantes. ) Après l'étude comparative et toujours impartiale de ces systèmes, l’auteur arrive à cette conclusion : — « qu'alors même qu'on laisserait le champ libre aux ex- périences des novateurs, ils ne feraient rien d’efficace contre le paupérisme; et la raison en est simple, ajoute- t-il : ils ont méconnu la nature de l'homme et altéré l'idée de Dieu. » Examinant ensuite l’influence des économistes, des administrations publiques, des associations religieuses et charitables, l’auteur rend hommage à leurs efforts, reconnait leurs services et proclame leurs bienfaits; mais, malgré leur puissante et utile influence, ils ne peuvent détruire les causes du mal; ils se bornent à en atténuer les effets : le problème subsiste. « La plupart des remèdes proposés pour la diminu- tion de la misère sont bons; mais, dans leur ensemble, ils sont insuffisants. [ls sont insuffisants, non-seule- ment parce que la puissance humaine ne peut aller jusqu’à abolir les maux que la Providence nous inflige; ils sont insuffisants encore en ce qu'ils n’attaquent pas directement les causes qui produisent la misère; ils ne se prêtent pas avec assez d'intensité à la volonté libre de l'homme. » Cette double insuffisance apparait au premier coup d'œil; il suflira de l'indiquer par quelques exemples: » Après avoir accompli cette étude préliminaire des 87 théories et des institutions, le Mémoire entre plus pro- fondément encore dans les entrailles de la question : « Y a4-il dans la classe aisée de la société actuelle quelque chose que l'on puisse rattacher au paupérisme par une analogie ou par une communauté d'origine ? Le paupérisme est-il, non une maladie purement lo- cale du corps social, mais une maladie déterminée, ou au moins aggravée par une altération des fonctions de la vie qui anime ce grand corps? » Avant d'aborder directement cette question, prépa- rons d'avance le moyen de la résoudre : étudions une à une les causes de la misère, telles qu'on les signale ordinairement ; nous verrons peu à peu se manifester les signes d’une affection générale, profonde, qui se cache derrière toutes ces causes particulières, qui s’y mêle ou les détermine. » Les faits généraux qui produisent le plus souvent la misère sont l'intempérance, l'immoralité, la préco- cité des mariages, les crises industrielles où financiè- res, les troubles politiques, l'abus du crédit, la négli- gence de l’agriculture. Nous ne parlons pas ici des fléaux qui viennent de temps en temps afiliger les peu- ples : disettes causées par les intempéries des saisons, épidémies, etc. ; la Providence nous les envoie, tantôt pour nous punir, tantôt pour nous enseigner à la fois la résignation , le courage, la patience et la prévoyance. La sévérité des éléments et la parcimonie de la nature suffisent pour nous apprendre que notre destinée ici- bas n'est pas de jouir, mais de nous exercer aux longs travaux; que la terre ne nous prodigue pas ses dons, 88 qu'il nous faut les obtenir au prix d'efforts rudes et in- dustrieux; que mème le génie de l’homme ne peut tout prévoir, que sa force ne peut tout faire, et qu'il faut demander au ciel un continuel secours pour féconder nos sillons et soutenir nos courages. » Il serait trop long de suivre l’auteur, même en les analysant, dans les développements approfondis de chacune de ces causes. Que de vues justes et élevées! que d'aperçus lumineux! que d'investigations sagaces cette partie importante du Mémoire renferme! Quelle satisfaction pour l'esprit que de rencontrer toujours et partout une pensée sage, honnête, sympathique au peuple, compatissante à ses souffrances, sans flatterie et sans faiblesse pour ses mauvaises passions! Si l'A- cadémie sanctionne les propositions de sa Commission, elle lira un jour dans ses Actes ce beau Mémoire, et nos éloges ne lui paraîtront entachés d'aucune exagé- ration. A titre d'exemple, écoutez, Messieurs, cette page à propos de l'immoralité : « La seconde cause que l’on peut assigner au déve- loppement de la misère est limmoralité. Que l'immo- ralité conduise à la misère ceux qui s'y abandonnent, en altérant leurs forces morales et leur vigueur physi- que , en les jetant dans loute sorte de dépenses ruineu- ses, cela n'a pas besoin d'être prouvé. Mais si les ra- vages de l'immoralité sont funestes à ne les considérer que dans les individus isolés, ils le sont beaucoup plus encore par la destruction ou laltération de la famille. On s’accoutume trop à considérer les nations comme 89 des collections d'individus; elles sont ou doivent être des réunions de familles. L'enfant dépérit et meurt dans l'isolement; il ne se conserve et ne se développe, selon sa nature, que sous la protection du père et de la mère : éducation du corps et de l'âme, prévoyance pour l’a- venir, entretien du bien ou du pécule patrimonial, direction, établissement, tout cela est dû à l'enfant, sinon aux termes des lois civiles, du moins d’après les prescriptions de la loi morale. Au sein d'une famille bien ordonnée, toutes les vertus se développent, et avec elles toutes les forces. Le présent y tient au passé, et se prolonge dans un avenir indéfini; c’est là que s’ap- prennent d'abord les saints Commandements et que se gardent les souvenirs respectés et chéris. Tout y invite à la sagesse et y recommande l’homme ; tout y prescrit de respecter la tombe et le nom des aïeux, et à soute- nir le berceau des enfants. » Bientôt après, l'auteur cherche les remèdes à cette lèpre de limmoralité. Voyez sil est possible de les mieux indiquer : « Ce n’est pas par des lois seulement ou par des rè- glements d'administration que l'on pourra guérir une plaie si profonde, Que l’on ouvre ou que l’on ferme les tours, on pourra voir diminuer ou augmenter, ici le nombre des expositions, là le nombre des infanticides ; mais pour réparer les ravages d'un mal moral, il faut s'adresser aux àmes et y faire pénétrer la vie de la vertu. Il ne suffit même pas de fortifier l'enseignement reli- gieux ou moral, de venir en aide au sacerdoce, d'élever des écoles et d'arrêter la propagation des mauvais li- 90 vres; il faut aller plus loin et plus haut : les penchants humains peuvent être modifiés ou contenus, mais l'âme a toujours besoin de mouvement. Si vous ne voulez pas qu’elle cède aux suggestions impures, attirez-la dans une sphère plus élevée. Il nous faut répéter ce que nous avons dit à propos de l’intempérance : Vons ne pou- vez refaire l'antique simplicité, gardienne des bonnes mœurs; vous pouvez du moins la préserver là où elle existe encore. Dans les villes populeuses, ce n’est pas l'ignorance du mal qui fera renaitre les mœurs, ce sera l’activité excitée vers les grandes pensées et les jouissances intellectuelles. À Dieu ne plaise que nous oubliions la puissance de la religion pour accomplir une telle tàche : elle seule possède le frein capable de réprimer l'impétuosité des passions et le feu qui purifie les cœurs; elle seule, enveloppant toute notre nature dans le cercle de ses dogmes, de sa morale et des céré- monies du culte, la soustrait aux tentations mauvaises, et l’entraine dans cette région pure où elle a tant de peine à se soutenir. La civilisation moderne, les lu- mières et les arts viendront aussi ( nous ne tombons ici. en aucune contradiction | oceuper cette mobile pensée, et, grâce à la variété des mouvements qui l’agiteront, l'empêcher de se reposer sur la fange. : » Mais n'oublions pas, et cette observation se con- fondra sans doute avec notre conclusion finale, n’ou- blions pas que la classe riche ou aisée à, en ce qui touche l'amélioration des mœurs, de grands devoirs à remplir. Vainement elle essaierait de rappeler les clas- ses inférieures à la pureté et à la décence, si elle n'agit 91 d’abord sur elle-même. La société est un tout dont les parties se distinguent et ne se séparent pas. Les clas- ses éclairées et riches sont-elles exemptes de toute com- plicité dans les désordres des pauvres et des ignorants? N'est-ce pas d'en haut que vient l'exemple, que vient la séduction? Ainsi, s'améliorer soi-même, se purifier, ce n'est pas seulement se faire du bien, c’est encore travailler à diminuer la misère. » Remarquons la sage méthode suivant laquelle l’au- teur, après l'établissement de chacune des causes du mal, en cherche et en indique le remède. Ainsi, après avoir signalé les dangers de la concurrence illimitée, les désastres des grandes crises industrielles, l’auteur aborde, avec une rare vigueur de raison, les plus hau- tes questions que soulève cet ordre de faits. Les institutions de prévoyance ouvertes aux ou- vriers, les caisses de secours mutuels, les écoles, les grands travaux publics, la colonisation , sont des moyens qui dépendent des gouvernements. La paix publique , l'abondance des débouchés extérieurs, la ré- pression sévère des fraudes commerciales, modifieront utilement les perturbations de l'industrie. « Mais, ajoute l’auteur, la France a sur les autres nations où l'industrie occupe une grande place, un avantage qu'il ne faut pas négliger : elle a une indus- trie dont les produits sont assurés d’un placement fa- cile, où la division du travail n'est pas telle qu’elle ré- duise l'ouvrier à la fonction d’un rouage intelligent, mais où, au contraire, les travaux sont variés et s'é- changent facilement entre eux; une industrie qui exige 92 de tous le concours des bras et de l'intelligence; qui s'exerce en plein soleil, au milieu des aspects les plus agréables de la nature; qui n'éloigne pas les hommes du foyer et des mœurs simples; qui les y retient, au contraire : Nous avons nommé l’agriculture. » L'agriculture, cette féconde mamelle de l’État, est surtout desséchée par l'esprit du jeu, par cet entraine- ment des spéculations aléatoires que ne contentent pas les modestes fruits de la terre. Cette maladie épi- démique de notre époque est admirablement bien ca- ractérisée dans le Mémoire que nous analysons. (Voir le Mémoire, pages 172 et suivantes. } L'auteur entre ici dans un examen très-approfondi et très-lumineux de l'abus et de la déviation du crédit, ainsi que des crises financières qui en sont la consé- quence. Il montre aussi, au milieu des égarements de la spéculation et de l’éblouissement des fortunes trop rapides, les abus et les dangers d'un luxe exagéré. En présence de cette ardeur effrénée du jeu, l’auteur revient à la nécessité de favoriser, de protéger l’agri- culture. Écoles, comices, concours, expositions, ten- dent à ce but, mais ne l’atieignent pas suffisamment. L'auteur demande en outre des modifications dans la législation des douanes et des octrois, par exemple, le dégrèvement des fers étrangers, des dispositions léga- les et fiscales propres à encourager les baux à long terme, un dégrèvement de la propriété foncière com- pensé par des droits de mutation affectant les opéra- tions de bourse, et d'autres mesures analogues. Il ré- clame sagement un développement nouveau de l'ins- 93 tuction publique dans les campagnes, en dirigeant leurs jeunes populations vers l'amour des champs et du travail agricole. Ici, la thèse, si remarquablement soutenue jusque- là, s'élève encore et s'élargit ; après le détail des causes du paupérisme dans le peuple et des souffrances analo- gues qu'endurent les autres classes, l’auteur dévoile des horizons encore plus vastes, et condense son im- mense sujet dans une puissante généralisation. & La source profonde du mal dont nous nous plai- gnons, en tant qu'il dépend de l'homme et de la so- ciété, nous l'avons çà et là apercue, indiquée; nous ne l'avons pas encore clairement déterminée. On a dû déjà pressentir que, pour nous, la misère est un symp- tôme d'un mal plus général, presque universel : voilà ce qu'il faut maintenant mettre en pleine lumière. » Ici se présente d’abord un fait incontestable : c’est que, dans notre siècle, le progrès du bonheur n'est pas, même dans les classes riches ou aisées, en proportion des moyens de bien-être et de plaisir mis à leur dispo- sition; en d’autres termes, que l'avancement rapide de l'industrie et de la richesse ne nous a pas fait arriver bien loin dans la voie du contentement intérieur. Ce seul énoncé fera même sourire le lecteur; il trouvera étranges ces expressions de bonheur proportionnel, progressif; il y trouvera une idée qui blesse le sens commun; nous n'y contredisons pas. Que signifie pourtant la doctrine, aujourd'hui si répandue, du per- fectionnement indéfini? Ne nous montre-t-on pas tous les jours l'âge d'or, non comme les poètes, dans les 94 ténèbres d’un passé évanoui, mais dans le crépuscule d'un prochain avenir? Et, à vrai dire, si l'on réfléchit à tout le travail qui a été accompli par la science, il y a de quoi rester frappé de stupeur en présence des maux qui nous affligent encore. Il serait superflu de dérouler ici l'immense tableau des inventions humai- nes, à remonter seulement au commencement de notre siècle. Que d'efforts pour multiplier les choses utiles ou agréables à la vie, pour vaincre les obstacles que la nature oppose à nos désirs ! Aucune des découvertes des sciences ou des arts n’est perdue, et loute conception, toute observation vérifiée, devient un degré pour arri- ver à des progrès ultérieurs. Ces milliers d'hommes, savants, artistes, ouvriers, qui marchent toujours en avant, changent incessamment la face du monde : dites s'il ne se fait pas sous vos yeux un monde nou- veau... » « Comment done se fait-il, continue le Mémoire, qu'il y ait, même parmi ceux que, dans un si grand nombre d'hommes, la Providence semble avoir choisis pour leur faire une meilleure part, tant de souffrances morales, tant de désirs non satisfaits? Il y a done, au fond de l'âme humaine, un mal secret, que ni la science, ni l'industrie, ni l'art de gouverner ne peuvent guérir. On sait que ce mal est de tous les temps; le signaler, c'est répéter une vérité morale des plus vulgaires. Il n'est pas non plus bien difficile d'en signaler la cause première et universelle : il suffit de faire voir que l'âme, créée avec des aspirations infinies, se fatigue sans se satisfaire, lorsqu'elle cherche son but dans les choses 95 finies. On a vu cela dans tous les temps; tous les sages l'ont dit, tous les hommes raisonnables l'ont compris. Mais puisque ce mal est de tous les temps, il ne fait pas seul les souffrances de notre siècle; elles ont un caractère spécial plus sensible que dans les temps anté- rieurs, et la raison de cette grave différence doit se trouver, non dans la philosophie morale, mais dans l'histoire. » Tour à tour économiste, financier, moraliste, philo- sophe, l'auteur ne se montre pas inférieur comme his- torien. Il esquisse à grands traits la Révolution ‘fran- çaise et ses résultats ; il les apprécie avec un sentiment de sympathie largement libérale et avec une sagace impartialité. Les impérissables conquêtes de 1789, la liberté du travail, l'indépendance des hommes entre eux sous l'empire des lois, légale admissibilité de tous à toutes les fonctions et à tous les honneurs, la liberté de conscience, la séparation de l’ordre civil et de l’or- dre religieux, sont des faits irrévocablement accomplis dans la société française, et des bienfaits dont elle ne se laissera jamais dépouiller.Mais, fait remarquer l’au- teur, il est permis de chercher à côté du bien le danger, et en cet état de choses, encore nouveau, de constater les maux qui s'y rencontrent, afin de nous préserver, de nous guérir s'il se peut, sans porter atteinte à l’œuvre inattaquable de 1789. « Ainsi, de toutes parts, dit ce Mémoire en résu- mant cet aperçu historique, il s’est fait autour de chaque individu comme un grand vide : la loi moderne commet à chacun le soin de veiller sur soi-même, de se faire 96 son sort, de choisir sa règle morale et d'assurer sa vie physique. Chacun à devant soi une société compliquée et confuse, où le bien et le mal se mélent, où les in- térêts et les ambitions se combinent et se combattent sous mille formes variées, où les plus vives jouissances et les misères les plus cruelles se touchent et se distri- buent dans une agitation continuelle, selon la force d'intelligence et de volonté de ceux qui sont engagés dans cette milice, et souvent aussi, à ce qu’il semble, au gré d'un sort capricieux. Tout, dans une société ainsi constituée, contribue à exciter l’ardeur des ambi- tions, et dans les âmes moins bien situées la violence des convoitises. » « Voyons les inconvénients, ajoute plus loin l’au- teur, qui s’attachent aux biens présents; voyons-les d'un œil ferme, avec la conviction que nous pouvons et que nous devons les corriger. » Libres, indépendants, isolés aussi, comme nous l'avons vu, par suite de l'application des principes de 1789 ; appelés à donner l'essor à leurs facultés, de quel côté les hommes de notre âge déploient-ils leur énergie? où se lancent leurs mobiles désirs? Il est facile de le voir. Ce que le plus grand nombre aujourd'hui recher- che, ce sont les jouissances matérielles et ce que l'on appelle vulgairement les douceurs et les aises de la vie. Ce n'était pas là ce qu'avaient en vue les hommes qui ont conduit la Révolution de 1789; leurs idées n’é- taient pas toujours justes, mais elles étaient grandes ; ils se proposaient de relever la dignité humaine, et ils se sont surtout trompés pour en avoir conçu une idée 97 trop orgueilleuse. L'ignorance ou l'oubli volontaire des dogmes chrétiens leur avait fait perdre de vue ce qu'il y a en nous d’altéré et de corrompu, mais on ne peut leur reprocher d'avoir abaissé et avili dans leurs des- seins la nature humaine. Aussi sommes-nous bien loin de penser que la pente, aujourd'hui généralement sui- vie, vers les pensées purement terrestres présentes, osons le dire, trop souvent égoïstes, ait été creusée, dirigée par la Révolution : nous pensons que la Révo- lution a indirectement favorisé cette direction, con- trairement à la pensée qui inspirait les auteurs d’un mouvement si grand, si difficile à maintenir et à gou- verner. » Deux causes tout à fait distinctes l’une de l’autre, distinctes aussi de la Révolution, ont beaucoup contri- bué à développer le penchant qui nous attire naturelle- ment vers les jouissances de la vie, et à tourner les esprits à la recherche presque exclusive des moyens de multiplier ces jouissances. La première de ces causes est l'invasion de la philosophie sensualiste et sceptique ; la seconde est la faveur excessive accordée à l’industrie et aux sciences physiques, faveur conquise, il est vrai, par leurs progrès, mais qui à jeté trop d'ombre sur les arts et les études plus désintéressées. » Le développement de ces deux causes occupe la der- nière partie du Mémoire; et plus que dans aucune autre peut-être, l'œuvre mérite des éloges complets. On com- prendrait mal sa pensée, si l’on supposait l'auteur cou- pable d’injustice ou d'ingratitude pour les bienfaits des sciences physiques dans notre siècle. Seulement, le 7 98 Mémoire constate que par leurs progrès mêmes, par leurs merveilleuses inventions, les sciences physiques ont encore surexcilé l'amour des choses matérielles, la recherche ardente des jouissances du corps; et que pour l'âme, il n'y a plus d'équilibre entre le monde physique et le monde moral. Aussi, un sentiment pénible de découragement sem- ble s'emparer de l'auteur à la fin de ses méditations.— « Nous avons, s’écrie-t-il douloureusement, nous avons diminué l'autorité paternelle et la sainteté de la famille; nous avons allégé le souci des choses morales, de la dignité personnelle; nous avons préféré le plaisir au bonheur, et le bonheur au devoir. » «Avons-nous, continue-t-il, en nous isolant ainsi et en poursuivant un bien-être tout personnel, diminué nos maux? Cette poursuite ardentg ne fait souvent qu'ir- riter les souffrances de ceux qui s'y abandonnent, ceux qui réussissent ne trouvent souvent, au terme d'une lutte acharnée, que la satiété et le dégoût; et combien n’ont fait que nourrir en vain dans leur cœur la cupi- dité, l'envie, l'amour des jouissances qui leur sont refusées ! Quelquefois, au milieu de cette guerre des intérêts, ordinairement muette et en apparence calme, les troubles éclatent dans la société; alors le erédit se resserre, le travail s'arrête, et les malheureux à qui on avait fait espérer une terre promise, voient le terme de leurs illusions. Cette misère est redoublée encore par les rêveries qu'elle entretient; pour elle, l'espérance, qui, pure et sereine, adoucit les maux de l'homme patient, n'est qu'une excitation douloureuse semblable 99 à l'irritation de la soif et aux mouvements de la fièvre. » Cependant, la droite et ferme raison de l'auteur, sa constante impartialité le relèvent un peu de ce découra- gement, exprimé en termes si saisissants et si sincères. « Il faut le dire pourtant, s'écrie-t-il avec satisfac- lion, notre nation a fait voir, il y a bien peu de temps encore, qu'elle sait oublier les douceurs de la vie, l'a- mour des richesses et de la vie elle-même, dès que l'appel du devoir et de la gloire s’est fait entendre. Sur les champs de bataille, on a vu renaître dans leur pureté les vertus les plus désintéressées. Toutes les nations de l'Europe ont conservé le vif sentiment de l'honneur mili- taire; jamais il n’a brillé avec plus d'éclat que sous nos drapeaux, au champ de bataille, dans les ambulances et les hôpitaux; jamais la valeur et la sainteté ne se sont plus étroitement unies. Il est done vrai que la nature humaine, et en particulier la nature francaise, revient avec énergie à tout ce qui est grand et beau. » Et il termine ainsi : « Résumons-nous; les causes morales qui engendrent ou aggravent la misère , et qui produisent des souffran- ces analogues dans toutes les classes de la société, peu- vent se ramener à une : l’affaiblissement de la vertu, et, ce qui s'en suit, l'abaissement de l'idée du bonheur. » En cherchant notre satisfaction dans les plaisirs sensibles et les jouissances personnelles, nous nuisons à nous-mêmes et à la société : à nous-mêmes, si nous sommes pauvres, en préparant par la dissipation du jour les privations du lendemain ; si nous sommes dans l'aisance ou dans l’opulence, en favorisant en nous 100 l'expansion de désirs que nous ne pourrons satisfaire, ou qui, satisfaits, nous rendront plus malheureux; à la société, parce que nous ne laissons pas les divers agents et forces de production suivre leur direction naturelle , et que le luxe absorbe des efforts qui seraient mieux réservés aux travaux nécessaires. » Les remèdes, en tant qu’ils dépendent de l'autorité publique, n'ont pas besoin d'être signalés : elle les met en œuvre avec un soin actif et persévérant. En tant qu'ils dépendent de nous, ils se résument en un seul : l'amélioration de nous-mêmes. Préférons la dignité morale aux jouissances matérielles, la famille à l'indus- trie, l'honneur et même les honneurs à la richesse, et nous aurons fait un grand pas vers le bien. « La charité couronnera l'œuvre. /ly aura toujours des pauvres parmi nous; il faut que la résignation et la charité vivent d'une vie active. Que la charité donc multiplie ses œuvres, œuvres privées, collectives, pu- bliques. Apprenons à nous soumettre et à nous com- battre : au lieu de chercher le plaisir, consultons le devoir et aspirons au bonheur, ou, pour parler un plus simple langage, au contentement. Ce mot, si bien fait par nos ancêtres, indique l’état de l'âme où, se domi- nant elle-même et ne se jetant pas au dehors, elle demeure tranquille. Demandons-le à Dieu. » - Tel est, Messieurs, ce beau Mémoire, dont cette in- complète analyse, dont ces citations isolées et désunies ne peuvent vous donner qu'une bien imparfaite idée. Dans la conviction de votre Commission, un tel Mé- moire serait remarqué partout et recevrait l'approba- 101 tion des juges les plus éclairés et les plus difficiles. Il aura donc la vôtre, nous l’espérons; et M. le baron de Damas, comme l'Académie, n'aura qu'à se féliciter d'avoir proposé un but élevé, que l’auteur de ce remar- quable travail a si heureusement atteint. En résumé, Messieurs, quand on parcourt cette œu- vre, quand on suit son auteur où sa haute raison nous conduit, l'esprit satisfait se sent porté dans ces champs élevés de l'intelligence où l'horizon est large et splen- dide, le ciel serein, l'air pur et embaumé; où les as- peets sont riches et variés, les fruits abondants et sa- - voureux. Sans doute, on n'y trouve pas les spectacles sublimes des sommets abruptes et grandioses, des vol- cans qui grondent et qui menacent, des glaciers éter- nels, de vertigineux abimes! non; mais tout est calme et frais, une vive lamière éclaire le paysage sans fati- guer les yeux; l'atmosphère est saine et légère, la vie y circule librement, et l'esprit se prend à se sentir meilleur. Donc, si vous partagez nos convictions unanimes, vous serez heureux de décerner le prix de 500 fr. à l’auteur de cet éminent Mémoire. Après le Mémoire à couronner, bien au-dessous de lui, se placent quelques compositions que votre Com- mission à remarquées, et qui lui paraissent dignes d’être honorées par quelque distinction. À ce second rang, à ce niveau inférieur, la meilleure, la première sans contredit, c'est le Mémoire inscrit sous le N° 687, et portant pour devise : — « Il s'agit iei de prouver que nous voulons le bien, tout faible que 102 nous sommes : les puissants le feront peut-être. » Ce Mémoire est très-intéressant ; il y a beaucoup de sève dans les idées, de la chaleur et du coloris dans le style : c'est l'œuvre d'un esprit jeune et vigoureux. On regrette seulement que l'étude du sujet n'y soit pas complète, et que les idées aient parfois plus de force que de justesse. Le style présente les mêmes im- perfections que le fond ; et à côté de choses remarqua- blement bien réussies dans l'expression se trouvent de singulières négligences, de regrettables incorrections. Écoutez le début, Messieurs, et vous connaîtrez déjà les allures habituelles du Mémoire tout entier : « C’est une magnifique chose que le tableau de notre époque : il est au moins saisissant d'activité. Pas une intelligence qui sommeille , pas une fibre du corps so- cial qui ne tressaille au contact des intérêts ou des pas- sions de la vie; pas une fortune qui ne veuille s’agran- dir ou s'illustrer dans cette grande mélée de la eivilisa- tion. La locomotive du progrès fait tomber toutes les barrières, et ouvre chaque Jour de nouvelles et vastes carrières à l'ambition humaine. » Bataille! dit la foule. Et l'on se bat en effet, et plus d'un roi de la pensée, impatient du gain que promet la victoire, s'écrie comme le héros de Shakespeare : «Un » cheval! un cheval! ma couronne pour un cheval!» » Sa couronne, c'est son génie, sa dignité, sa véri- table gloire. Le cheval qu'il demande en échange, c’est le marche-pied de l'ambition : un portefeuille de minis- tre, une ambassade, un million, et souvent moins en- core; c’est une de ces chances éventuelles qui peuvent 103 échoir au dernier comme au premier des hommes; un splendide passeport qui nous achemine quelquefois à limmortalité, rarement au bonheur, le plus souvent à l’'abime.…. Mais qu'importe! 27 faut arriver. » Ce coursier fougueux rêvé par votre imagina- tion ardente, il est enfin à votre portée: vous l’enfour- chez intrépidement et le poussez à travers la vie comme le fantastique cheval de la ballade. La fortune aidant, vous allez loin, vous montez à des sommets vertigi- neux; mais ce n’est pas sans de nombreuses luttes. Il a fallu franchir des torrents et des palissades, traverser des forêts de Bondy. Et qu'est-ce que cela? Du dan- ger, voilà tout. Voici bien autre chose. — Dans votre course impétueuse, dévorant du regard le but qui sem- ble s'éloigner toujours au moment où l’on croit l’attein- dre, n’avez-vous pas foulé insoucieusement plus d’une moisson riche d'espérances, plus d'un arbuste qui l'an prochain eùt couvert de son ombre le toit d'une chau- mière, plus d'une fleur à peine éclose, unique fortune de quelques joyeux enfants? Aveuglement de l'ambition ! vous ne vous en êles pas aperçu. Mais quand vient le jour du désenchantement ou de l’austère réflexion; quand, voyageur fatigué et mélancolique, vous retour- nez au point de départ, vous trouvez sur la route la moisson dévastée, l’arbuste mutilé, la fleur séchée sur sa tige. » La moisson, l’arbuste et la fleur, lamentable trinité qui accuse votre vandalisme, c’est le pain qui nourrit, l'ombre qui délasse, le parfum qui poétise; c'est le né- cessaire de la vie, joint à ce qui la fait-supporter, com- 104 plété par ce qui la fait aimer; c'est la raison, l’es- pérance et le sentiment, conditions essentielles au bonheur de la famille! — Et ce sont les familles qui font les nations! » Ce qui plait dans cette œuvre, ce qui rendrait indul- gent pour ses imperfections que je laisse dans l'ombre, c’est le cœur tendre et bon dont les palpitations se font constamment sentir sous la plume de l'écrivain. « Saintes joies de la famille, plaisirs sans remords du foyer paternel, poésie douce et pénétrante comme un parfum de violette, on rit de vous quand on en de- vrait pleurer d'attendrissement ou de regret! — Je n'y résiste pas : voici un tableau pour lequel j'eusse béni Dieu de me prêter un pinceau magique. » C'est un soir d'hiver. Le feu pétille joyeusement; les vieillards occupent les coins de l’âtre ; le père cause avec l’aïeule, et la mère avec l’aïeul; un jeune homme de quinze à seize ans crayonne un paysage ou lit un de nos rares bons livres ; une jeune fille laisse errer ses doigts sur le clavier sonore, et un enfant à la tête rieuse parcourt avidement les pages coloriées d’un album. — Le salon n’a rien de fastueux, mais tout y est joli; rien de symétrique, mais tout y est à sa place. Regardez : rien ne vous élonnera, mais tout finira par vous inté- resser; nul ne vous paraîtra ravi, mais tous vous sem- bleront satisfaits, contents de leur sort; l'enthousiasme ne vous montera pas à la tête, mais quelque chose de déli- cat et de tendre vous remuera le cœur... si vous avez un cœur. Et pourquoi? Parce que dans la manière dont les vieillards narrent un souvenir, et dans l’affectueuse 105 attention que leur prêtent le père et la mère; dans la vibration des touches du clavier sous les doigts de la jeune fille; dans le regard expressif du jeune homme, dans la vivacité, l'admiration naïve de l'enfant , —dans ces diverses attitudes et dans leur ensemble, il y a je ne Sais quoi de simple et de touchant que l'on ne peut traduire, une expression de douceur et de quiétude par- faites, quelque chose qui flatte l'œil, fait rêver l'esprit et finit par absorber toutes les pensées ; — le sourire de toutes les espérances, le rayon de tous les bonheurs : — le sentiment! » Nous retrouvons encore les qualités du cœur et les qualités du style dans cette belle glorification du travail : «Or, le peuple se dit: «—Voilà un homme qui, » l'an dernier, n’était presque rien; maintenant il est » presque tout. C'est admirable ! Que lui a-t-il fallu pour » monter jusque-là? De l'intelligence et de l'énergie. » Eh bien! suis-je lâche et imbécile, moi? Je sais bien » que je ne puis lutter sur son terrain; mais il en est » d'autres où l’on peut conquérir fortune et renommée. » — Il à grandi, je veux grandir aussi! » » Et le peuple regagne ses carrefours. Ce jour-là, il trouve son pain dur, son logement triste, ses enfants mal vêtus ; le lendemain, il est ambitieux. — Stupide travail! s'écrie-t-il en reprenant sa besogne; stupide travail! tu me rapportes à peine de quoi vivre!... — Malheureux! tu né mangeras jamais un meilleur pain que celui que Lu gagnes à la sueur de ton front! » Te voilà donc ambitieux, pauvre peuple !—Eh bien ! soit : il est des ambitions sacrées qui réclament toutes S 106 les sympathies. Tu as de nombreux enfants, richesse de ton cœur, misère de ton foyer : il ne faut pas qu'ils meurent; bien plus, il faut, si c'est possible, qu'ils soient moins pauvres que toi. Je te crois donc intrépide et probe, levé au point du jour, courbé jusqu’au soir sur le fer, ou le bois, ou la glèbe, usant tes forces et ton cou- rage à ces labeurs si rudes et si modestement rétribués ; tout cela pour que tes fils aillent à l'école, que tes filles aient le droit de rejeter l'humble madras et la bure gros- sière, et que celles-ci, par coquetterie, les autres par orgueil, apprennent à te renier... — Car ils te renie- ront, si tu n'y prends garde ! » Eh bien! veux-tu empêcher ce crime de lèse-na- ture? Veux-tu les préserver à la fois de la misère qui dégrade le corps et de la vanité qui dégrade l'âme? Écoute moi. — C’est une sainte loi que la loi du travail : Dieu nous l’a faite, et il maudira le riche oisif qui l'ap- pelle dédaigneusement vile multitude ; — Dieu est lui- même un sublime ouvrier! —Si tu es probe et vailant, tu possèdes la véritable noblesse; car il n’est rien dans la création qui ne porte l'empreinte de {a rude et loyale main. Pas une œuvre, pas un chef-d'œuvre sans {a coopération; ton nom se retrouve partout où le génie enfante, où la force dompte, où la gràce polit ; tu peux, embrassant la terre dans le vaste regard de ta pensée, dire fièrement : « Rien de ce qui est là-dessus ne m'est étranger.» Tu me comprends, n'est-ce pas? Dis et fais comprendre cela à tes enfants; qu'ils se pénètrent bien de cette idée, que non-seulement le travail est néces- saire, mais qu'il est beau. Il a sa poésie comme toutes 107 les grandes choses, car il les résume toutes, je viens de te le dire; et de plus il porte avec lui une consola- tion : celle du devoir accompli. Dis à tes enfants, qui travaillent à ton côté : « Mes amis, mon père a travaillé; » il a vécu en honnête homme et est mort en chrétien : » je veux vivre et mourir comme lai, s'il plait à Dieu. » Faites de même, croyez-moi. Il n’y a qu'une seule » noblesse véritablement digne de ce nom : c’est la no- » blesse du cœur. Elle peut se trouver dans celui de » louvrier comme dans celui du gentilhomme. — Mais » vous avez appris, et désirez utiliser votre science : » rien de plus juste, mon métier n’est pas le seul au :» monde. Allez et grandissez, mais ne devez jamais vos » succès qu'au travail. Cela étant, votre pain ne sera » pas amer, vous ne rougirez pas de votre famille, — » tous les travailleurs sont frères ; — et dussiez-vous res- » ter pauvres, celte pauvreté honnête et fière fera honte » à bien des opulences.… » « Richesse de ton cœur, misère de ton foyer! » — Le mot est charmant. Pourquoi, à côté de ces belles pages, trouvons-nous trop souvent un fâcheux laisser-aller d'expressions : des babioles, des brimborions, des peccadilles.….? Revenons à ce qui est bien, et que l'Académie me permette une citation encore. Il s'agit du luxe et de ses exagérations. « Si le luxe effréné cause des malheurs de toute es- pèce dans les régions élevées de la société, que dirons- nous de ceux qu'il entraine avec lui dans la classe ou- vrière? Parfois il à pu nous sourire et nous éblouir 108 dans la noblesse ou la bourgeoisie ; il n’en est pas de même dans le prolétariat. — Le luxe chez le peuple me serre le cœur : je ne puis voir de pauvres gens se cou- vrir de soie et de bijoux, et singer la fortune dans la rue, que Je ne voie en même temps l’âtre sans feu, l’ar- moire sans linge, la table sans pain... Que de misère sous ces riches lambeaux! que d'amertume sous ces va- niteux sourires! que d'ironie dans ces triomphes d’une heure! — On travaille donc six jours de la semaine pour avoir le droit d'être ridicule et fou le septième; et lut- tant pour avoir le nécessaire, on s’empresse de l’ins- crire au budget du superflu. Quelle sottise! — Voyons si elle n’est pas un vice à certains égards. » Cet argent que les jeunes femmes du peuple jettent étourdiment dansles mille riens d'une toilette inutile, cet argent que leurs maris insensés vont enfouir dans un cabaret , si ce n'est plus bas encore. , quelle autre des- Unation pourrait-on lui donner?—Ne saurait-on assai- nir la maison; fortifier la nourriture, si nécessaire au travail; ajouter quelques gros sous à la tire-lire ou à la caisse d'épargne, en prévision d'un accident, d’une maladie ou de la layette du nouveau-né? Les enfants ne viendront-ils pas avec toute sorte d'exigences coûteu- ses? Connaît-on l'avenir, et le malheur se fait-il annon- cer quand il franchit le seuil d’une maison? S'il entre avec son cortège de dures nécessités, quelle douce con- solation que de panser ses blessures avec le fruit de quelques épargnes! — L'immortel apologue du Bon- homme est donc un jeu frivole de l'imagination , et nous serons toujours des cigales insoucieuses !.… 109 » Et ce n’est rien encore. — Peuple, grand enfant, qui t'amuses du luxe comme d'un innocent jouet, sais- tu ce qu'il te prend, sais-tu ce qu'il te vole? » L'amour du travail d’abord, et l'honneur ensuite. » Oui, l'honneur, cette richesse du pauvre, la seule véritable richesse de tous! » Car le luxe apprend la dissipation à tes fils et la coquetterie à tes filles; car s'il y a du plaisir dans un café, il y a du vice, et le bal est peuplé de hontés aussi bien que de toilettes: car le vice peut s'enrichir et la honte se voiler de dentelles... Terribles tentations! — Tu le sais, tu le vois, et tu n'y prends pas garde! — mais un jour tu fermes en pleurant ta porte au fils improbe et à la fille débauchée!. . . d'a T en © le! 0e ‘e! à 6" +, Le) © + ee + Sn (6) 07/6 et») re » O peuple! il est un luxe charmant que j'aime en toi et qui dépend de toi. — Quand je passe le seuil d’une chaumière pour m'y reposer un instant, ou que, de ma modeste mansarde, je plonge un regard curieux dans la mansarde voisine, je suis parfois émerveillé du spec- tacle qui s'offre à mes yeux. Il n’est pas grandiose pourtant! » La chaumière et la mansarde sont habitées par le Travail, l'Ordre et la Propreté. Sous la main de ces trois fées, tout, dans l'humble séjour, s'utilise, s'harmonise et s'embellit : c’est la vérité jointe à l'élégance, la rai- son à la poésie; — et souvent, avec un rayon de soleil ou un souffle de brise, le bonheur vient s'ébattre parmi les hôtes de ce foyer tout vibrant de chansons et de rires ! » 110 Après ces extraits, ne me demandez pas d'analyser le plan de ce Mémoire. Peu de méthode en coordonne les diverses parties, et de fàcheuses lacunes s’y font sentir. C'estqu'entre cette œuvre séduisante, mais incomplète et peu étudiée, et le Mémoire que nous avons d'abord analysé, il y a toute la différence qui sépare ia jeunesse insouciante et légère de la réflexion et de l'expérience de l’âge mür ; mais la jeunesse a son charme et mérite d'être encouragée. «L'écolier-penseur, porte l'Épilogue, vient de crayon ner une esquisse imparfaite sous bien des rapports : qu'on permette au chrétien humble, mais convaincu, d'y ajouter trois lignes écrites dans son cœur. » Les charités sont à l'ordre du jour; en est-il de méme de la charité? La comprenons-nous et la prati- quons-nous telle que le Christ l’a révélée au monde? » O riches! c'est peu que de tendre une bourse pleine d'or, si la main qui donne évite la main qui reçoit! » O sages! c'est peu que de flétrir le vice, quand on ne lui ouvre pas généreusement les voies de l’expiation ! & AIMEZ-VOUS LES UNS LES AUTRES. » » Ces paroles sont bien de Dieu, car elles renfer- ment, dans une concision sublime, le salut du genre humain ! » Pectus est quod disertos facit. Que l'Académie en- courage par une première mention honorable, ainsi que votre Commission vous le propose, l'auteur de ce travail, et son cœur aimant et chaud inspirera bien son heureuse intelligence : qu'il n'oublie pas seulement le sæpè stylum verlas-du maitre ; le travail obstiné qu'il 11 a su si noblement glorifier, n’est pas seulement néces- saire à l’ouvrier, il l’est aussi pour l'écrivain. Le Mémoire inscrit sous le N° 650, et dont la devise est: — « On n'achète pas le bonheur, » est intitulé Thèse; cette thèse, en effet, un peu froide et un peu dogmatique, se recommande par les qualités qui man- quent au Mémoire précédent, et laisse à désirer les qua- lités que le Mémoire précédent renferme. C'est une œuvre sage, honorable, dont les doctrines sont saines et justes, et dont le style semblerait révéler chez l’auteur une origine étrangère. J'ai peut-être abusé des citations, et je veux m'en abstenir d'autant plus ici, que, dans la thèse qui nous occupe, le niveau est partout le même, et les idées, bien enchainées, ont, comme le style, peu de relief. Cependant, le sujet s’y trouve laborieusement et cons- ciencieusement traité; il y a du soin, du travail, beau- coup de rectitude; votre Commission espère que l’Aca- démie ne refusera pas à cette composition vraiment estimable une seconde mention honorable. Il reste à accorder les honneurs modestes d'une sim- ple citation à deux Mémoires que la Commission m'a chargé de signaler particulièrement à l'attention et aux sympathies de l'Académie. Le premier est inscrit sous le N° 69%, et porte pour devise : — « Sans capitaux, les institutions les plus parfaites et les entreprises les plus utiles ne peuvent qu'avorter. » Le côté financier du sujet mis au concours est à peu 112 près exclusivement traité dans ce Mémoire : l'œuvre est tout à fait incomplète. Mais, il faut le reconnaître, la question financière s'y trouve remarquablement étudiée. Tous les problèmes qui se rapportent à l'organisation du crédit y sont exa- minés avec une grande intelligence de la matière et un soin consciencieux. Îl est à regretter que l'auteur, spé- cialisant ainsi son travail, n’ait abordé qu'un des côtés du sujet; mais du moins l’a-il fait plus sûrement et plus complétement qu'aucun de ses rivaux. Le: plus bel éloge à faire de ce Mémoire, c'est qu'il pourrait s’in- tercaler, comme partie financière, dans le Mémoire N° 710, et qu'il ne le déparerait pas, qu'il y ajouterait mème des aperçus intéressants sur les questions de crédit public. A ce point de vue, la Commission vous demande pour celte monographie remarquable une première cilation. Une seconde cilation enfin pourra être justement accordée au Mémoire inscrit sous le N° 701, œuvre très-travaillée, la plus volumineuse du concours, dans laquelle son auteur a laborieusement réuni beaucoup de faits et de nombreux matériaux. Si le style avait eu plus de qualités, si les idées n'étaient pas souvent un peu trop rétrogrades, un tel labeur eût peut-être mérité mieux qu'une simple citation. Si modeste que soit la récompense; la Commission s'empresse de signaler sa valeur relative. Après les cinq Mémoires qui viennent d'occuper, trop longtemps peut- ètre, l'attention de l'Académie, il en est douze encore 113 (dont un est hors de concours, l’auteur l'ayant ostensi- blement revêtu de sa signature), parmi lesquels plu- sieurs ne sont pas indignes d'estime; et dans un tel concours, il est très-honorable d'occuper un rang quel- conque parmi les vainqueurs. Les vaincus eux-mêmes peuvent accepter leur défaite sans honte, car ils con- servent l'estime de leurs juges, et ils auront, pour la plupart, peu d'efforts à faire pour tenter sans témérité quelque jour l'épreuve d'une lutte nouvelle et plus heu- reuse. Parmi ces honorables vaincus, il y avait un auteur dont l'œuvre , trop souvent emphatique et boursouflée , aurait néanmoins, par la verve de ses élans et l’ardeur de son style, fixé plus longtemps l'attention de votre Commission, si l’égarement de ses doctrines, mécon- naissant les immuables lois du droit de propriété, ébran- lant les bases de l'édifice social, et préconisant ouverte- ment le communisme, ne l'avait fait écarter de toute discussion et de tout concours. Au surplus, et à part toute erreur de doctrine, ce Mémoire, au seul point de vue littéraire, serait inférieur à ceux que nous vous proposons de récompenser : d'heureux élans ne sau- raient compenser les écarts du style et les exagérations incessantes de amplification oratoire. Nous n’en par- lons iei que pour faire un appel cordial à l'auteur, qui nous restera inconnu, afin que les élans généreux de son cœur puissent être guidés et contenus par une rai- son plus sûre et par une connaissance plus réfléchie des vrais intérêts du pays. Constatons, au surplus, que dans ce concours qui 8 114 appelait les concurrents sur un terrain brülant et difli- cile, à l'exception du Mémoire auquel nous venons de faire allusion, tous ont montré un grand esprit de mo- dération et de sagesse, un sincère dévouement à l'ordre en mème temps qu'au peuple, de nobles et utiles aspi- rations vers le bien. Aussi le concours sur le paupérisme restera-t-il dans nos souvenirs et dans nos Actes comme l'un de ceux qui peuvent le mieux témoigner de l'utilité de nos ef- forts et de l’heureuse efficacité de nos couronnes. En conséquence, votre Commission vous propose : 1° De décerner le prix de 500 fr., mis à la disposi- tion de l'Académie par M. le baron de Damas, à l'au- teur du Mémoire inscrit sous le N° 710, et portant pour devise : Von in solo pane vivit homo; 2° D'accorder à titre d'encouragement : Une première mention honorable à l'auteur du Mé- moire N° 687; Une seconde mention honorable à l’auteur du Mé- moire N° 650 ; Et en outre : Une première citation au Mémoire N° 694 ; Et une seconde citation au Mémoire N° 701. M5 MÉMOIRE SUR LE PAUPÉRISME. Quelles sont les causes morales du mal qui affecte aujourd’hui toutes les classes de la société, et qui se manifeste dans le peuple par le paupérisme ; dans les autres classes, par mille souffrances analogues ? Quels sont les moyens de le prévenir et de le combattre? Par M. DE LACHAPELLE. Non in solo pane vivit homo. { Évang. ) Nos ancêtres connaissaient la pauvreté, la misère ; nous sommes aujourd'hui, les uns affligés, les autres inquiétés par le paupérisme. Le paupérisme, est-ce seulement un terme nouveau, plus abstrait et plus technique? Est-ce un néologisme pur, ou, sous ce mot, y a-t-il une idée nouvelle? Est-ce l’expression d’un en- semble de faits qui se manifestent pour [a première fois, qui du moins aient revêtu des caractères jusqu'alors inconnus ? 116 La formation ou les changements de mots dans une langue, leur physionomie, ne sont pas des phénomènes qu'il soit permis de négliger : il y a toujours, dans ces altérations du langage, quelque signe d'une altération plus profonde, de même que les rides du visage , si légères qu'elles paraissent, indiquent un changement plus intime. Pauvreté! misère, indigence, ces mots si anciens expriment un état dans lequel des circonstances plus ou moins générales peuvent précipiter un homme, une famille, ou des classes entières d'hommes et de fa- milles. Quelquefois, cet état ne présente à l'imagina- tion rien qui la trouble ou l’effraie; quelquefois aussi , plus pénible et plus menaçant, il apparaît toutefois comme un simple accident que des soins sans art font aisément disparaître. L'inégalité des conditions est une grande loi que les populations pauvres acceptent sans murmurer partout où règne la justice. Le pauvre que les lois protégent comme le riche, ne se plaint pas de la Providence et n'accuse pas les Gouvernements. S'il s'est vu de temps en temps dans le monde des troubles causés en appa- rence par cette inégalité , il n’en faut accuser que les abus, l'injustice ou la violence des classes puissantes, ou les prédications insensées des hommes qui voulaient changer l’ordre établi par la Providence; il n’y a rien à reprocher à cet ordre lui-même. Ainsi, le pauvre semble comprendre, mieux que ceux qui prétendent l'instruire, le mystère de l'inégalité des conditions, et le bon sens qui le guide, malgré tant d'efforts tentés 117 pour le pervertir, subsiste toujours dans nos campagnes et dans nos ateliers. C'est que la pauvreté n’est pas contraire à la desti- née de l'homme : ce n'est pas tout à fait par ennui ou par caprice, par esprit de paradoxe ou par un dépit orgueilleux, que tant de poètes et de philosophes l'ont vantée. Une idée fausse ne traverse pas les siècles. A la pauvreté se rattachent de pures images de simplicité, de frugalité, de paix intérieure, d'indépendance mo- rale, images, sentiments naturels fondés sur des vérités immuables. Oui, il est vrai que le pauvre est plus près de la na- ture et de Dieu ; que, dans la pauvreté , la femme est plus près du mari, le père plus’ près des enfants, les frères plus près des frères. Le pauvre est plus étroite- ment attaché que le riche au sol natal, au sillon nour- ricier, à l'ombrage de l'arbre qui à vu ses premiers jeux. Il est vrai encore que l'âme du pauvre est en gé- néral plus désintéressée, plus résignée, plus patiente. Il est nlus près de Dieu, parce qu'il est plus éloigné des jouissances terrestres : l’église est plus à lui; elle est son abri, son refuge et son palais. Ainsi, la pauvreté enferme avec elle des biens réels ; elle est à certains égards bonne au corps et à l'âme. Il n’en est pas de même de la misère : la misère use ou détruit l’organisation physique ; elle brise le ressort de la volonté, et éteint ou retient captive la lumière de l'intelligence. Le paupérisme est tout autre chose que la pauvreté ; c'est la misère, non plus passagère ou individuelle , 118 mais étendue, croissante comme une lèpre conta- gieuse, creusant au sein des populations une plaie de plus en plus large et profonde. Tel est le mal que l'on signale de nos jours dans l'Europe occidentale, et que l’on s'efforce, avec un succès incomplet encore , de guérir. Autrefois, on ne connaissait contre la misère et la mendicité d'autre remède que la charité chrétienne d’une part, et de l'autre une répression à la fois vio- lente et impuissante. On considérait l’indigence comme un fait accidentel , une dispensation de la Providence ayant pour but de donner au riche l'occasion de prati- quer le précepte de l'aumône. En même temps, les Gouvernements traitaient le plus souvent la mendicité comme un délit. On ne pensait pas que la misère dut son origine à des causes générales, à quelque vice des institutions ou des mœurs prises dans leur ensemble ; du moins on ne construisait aucune théorie pour ex- pliquer ce mal, et l'on ne cherchait pas, par des pro- cédés suivis et scientifiques, à l'atteindre dans ses racines. La misère cependant n'est pas un fait d'origine récente, mais elle s’est développée dans notre siècle avec des caractères plus sensibles et plus généraux que dans les àges qui l'ont précédé. On sait combien la redoutable et difficile question du paupérisme a occupé les esprits, depuis trente ans sur- tout; question toujours présente, menaçante surtout par les solutions que quelques sectaires ont présen- tées. L'objet de ce Mémoire ne saurait être d'analyser les 119 travaux immenses qui ont été produits sur les causes et les remèdes de la misère; ce devrait être plutôt, comme semblent nous y inviter les termes de la ques- tion proposée, d'insister sur les points qui ont été né- gligés. | Résumons cependant très-brièvement ce qui a été allégué et mis en avant par les autorités les plus accré- ditées et les Écoles les plus influentes. On peut diviser en deux grandes classes les hommes qui s'occupent de ces matières : les théoriciens et les hommes pratiques. Les Écoles que l'on peut réunir sous la désignation collective d'Écoles socialistes, quoiqu’elles soient sépa- rées par des diversités profondes, accusent, comme causes de la misère et des désordres qu'elle entraine , les vices prétendus de l’organisation sociale : de là leur prétention avouée de réformer cette organisation, et le nom qu'elles se sont donné. Ces Écoles soutiennent, et c'est tout ce qu'elles ont de commun, que, étant donné d’une part, l'homme avec ses forces physiques, ses fa- cultés intellectuelles et ses penchants moraux; d’une autre part, les agents et les productions de la nature, les causes de la misère n’existeraient pas encore; qu'il faut les chercher uniquement dans les institutions so- ciales, dans les lois qui régissent la propriété , l'héré- dité, le travail, la concurrence et l'échange. Nous ne disons pas que toutes les Écoles socialistes attaquent toutes ces lois et ces institutions, nous voulons dire seulement qu'elles se ressemblent en ce que toutes trou- vent dans l'ensemble de nos Codes quelque chose à 120 supprimer ou à modifier, les unes plus, les autres moins. Que les Codes soient refaits ou changés à leur gré, les Écoles dont nous parlons affirment que le paupérisme s'éteindra de lui-même, les causes qui le produisent ayant cessé d'agir. Les Écoles socialistes diffèrent singulièrement entre elles, non-seulement par le degré de violence de leurs attaques contre l’ordre social et de rigueur dans la ré- novation qu’elles proposent, mais même dès leur point de départ et dans la nature de leurs dogmes. L'une sacrifie l'individu à la société, commet au seul Gouvernement le soin de faire mouvoir et de régler l'activité des hommes, d'en mesurer l'emploi et d'en déterminer les applications; en même temps, et par une corrélation nécessaire, elle charge aussi la chose publique (il n’y a plus de choses particulières) ou le Gouvernement qui la représente, de pourvoir aux be- soins de tous. Ici se présente une observation fort simple et qu'il est bon cependant de faire souvent : Tout le monde à peu près a horreur du système que nous venons de définir, quand il se montre dans sa nudité et son intégrité , quand on l'appelle par son nom, car ce n'est autre chose que le communisme. Mais ce système s'amoin- drit et s'atténue souvent pour pénétrer dans les esprits sans trop les heurter et les blesser. Beaucoup de gens voudraient que l'État, les provinces ou les départements, les villes, etc., fussent chargés de veiller à la satisfaction des besoins detous ; il serait doux, pour notre nature un peu insouciante et paresseuse, d 121 nous reposer sur un pouvoir collectif ou abstrait du soin de pourvoir à toutes les nécessités de la vie ou de soulager les misères de ceux que nous voyons souffrir. On ne veut pas se donner la peine de voir que si l'au- torité publique a pour mission obligatoire d'assurer à tous du travail et un salaire, ou des secours suflisants pour vivre, il est juste, il est nécessaire, même de nécessité logique, de donner en revanche à l'autorité publique le droit de disposer aussi des forces de tous, c'est-à-dire des biens, des capitaux, des bras, de l'in- telligence et de la volonté de tous. Une autre École prétend supprimer la misère , ou plutôt toutes les misères physiques et morales qui affli- gent l'humanité, en donnant un libre essor à tous les penchants de l'homme. Ces penchants, dit-elle, ne sont nuisibles que parce qu'ils sont contraints, de même que les eaux ne forment des torrents ou des maréca- ges qu'à défaut d'une pente doucement inclinée où elles puissent répandre leur cours en fertilisant les terres. Rendez donc, disent-ils encore, rendez aux hommes la liberté de déployer toute leur énergie; l’at- trait du plaisir suffira pour les animer aux plus coura- geux efforts; une association toute volontaire dirigera vers un but commun le jeu facile de ces forces di- verses, et produira des merveilles de fécondité et de félicité. D'autres enfin dédaignent ces doctrines qui tendent à mener les hommes à l'abrutissement, par la contrainte ou par la licence. Ceux-ci reconnaissent que l'indé- peñdance suppose la responsabilité; ils veulent l'in 122 dépendance, et comme ils n’ont pas renoncé à toute logique, ils acceptent la responsabilité. Mécontents de l'ordre social, qu'ils trouvent mauvais, ils ne préten- dent pas en établir un autre, lequel ne vaudrait pas mieux; ils veulent, autant que possible, le supprimer, en supprimer du moins l'organisation. Habiles à dé- truire, ils ne développent pas leurs plans de recons- truction ; on aperçoit seulement une loi qu'ils préten- dent substituer à toutes les lois, la fixation des valeurs échangeables et la gratuité du crédit; en d’autres ter- mes, l'abolition de la propriété, ou du moins des fruits utiles de la propriété. Outre les traits communs entre les diverses Écoles socialistes que nous avons déjà indiqués, elles ont en- core sur des points fondamentaux une visible analogie. Toutes écartent ou négligent la loi morale, soit comme génante, soit comme impuissante ; toutes aussi omettent ou suppriment les rapports qui unissent l'homme à Dieu , tels que la religion et la saine philosophie les ont constatés. On a reconnu la folie de ces systèmes ; on a prouvé jusqu'à l'évidence la légitimité de l'ordre social et des institutions sur lesquelles il repose; il est inutile de re- venir là-dessus. L'impuissance radicale des systèmes socialistes à rien construire de durable, n'a pas été dé- montrée moins clairement. Lors même qu'on laisserait le champ libre aux expériences des novateurs, ils ne feraient rien, ils empècheraient seulement de faire; la raison en est simple : ils ont méconnu la nature de l'homme et altéré l'idée de Dieu. 123 Les économistes ont créé une science réelle, non pas une science complète et pure, car elle est contes- tée sur plusieurs points, et les économistes ne sont pas toujours d'accord entre eux, mais une science enfin, c'est-à-dire une certaine série de propositions certai- nes. Seulement, cette science se trouve souvent enga- gée dans une collision avec la politique et la morale. Comment se peut-il faire qu'il y ait des contrariétés entre deux sciences? Comment des vérités démontrées peuvent-elles être inconciliables ? La réponse est fa- cile, et ces antinomies prétendues s’évanouissent dès que l’on réfléchit sur la nature diverse de ces sciences. L'économie politique déerit les faits tels qu’ils se pro- duisent. Pour elle, il s’agit de ce qui est; pour la mo- rale et la politique, il s'agit de ce qui doit être. Rendons ceci sensible par un exemple : la concurrence com- merciale sans limite et sans contrôle est un moyen puissant de production; elle assure le bon marché des produits, mais elle entraine souvent un avilissement excessif du prix de la main-d'œuvre, des fraudes , et une aliération de la qualité des objets fabriqués. Voilà les faits que constate l'économie politique; maintenant, quels sont les moyens de garantir le consommateur contre les abus auxquels la concurrence donne lieu ? Ne peut-il pas y avoir des institutions propres à pré- server les ouvriers des souffrances causées par les chô- mages, par l'avilissement momentané du salaire? Tout cela est du domaine, soit de la morale , soit de l'admi- nistration publique. Ainsi, l'économie politique n’est pas appelée à ré- 124 soudre le problème de la diminution de la misère, mais elle peut donner de grandes lumières à ceux qui étu- dient ce problème. L'économie politique considère en toute chose l’action des agents généraux et des forces fatales : au contraire, la morale et la politique s’occu- pent spécialement des agents moraux et libres; elles ont pour but de diriger et de contenir les volontés des hommes. Mais comme la liberté morale se meut au milieu des obstacles que lui créent les forces fatales de la nature, et que les penchants humains, considérés en général et dans les masses, prennent un certain caractère de fatalité, il est nécessaire que la morale et la politique connaissent bien ces agents. Les économistes ne voient pas, en général, d'une manière assez nette la portée et les limites de leur science ; et, par une exagération naturelle, ils sont portés à confondre la science et l'art, à empiéter sur le domaine de la politique et de la morale. C'est ainsi que quelques-uns semblent se reposer, pour l'extinction de la misère, sur la liberté absolue des échanges, l'ex- tension du crédit et la diminution des taxes. S'ils sou- tenaient seulement que ces mesures sont propres à développer la formation des capitaux et la production des richesses, ils auraient évidemment raison; il est même vrai que ce sont là des moyens puissants et in- dispensables pour arriver au but; mais ils ne suffisent pas , l'expérience le prouve. Arrivons aux hommes pratiques, aux administrateurs. Il faut d'abord rendre justice au zèle et aux lumières des hommes qui, placés à la tête de l'administration de 125 telle ou telle partie du territoire, se sont proposé la tâche difficile de diminuer, ou méme de supprimer, dans un espace circonscrit, la misère ou plutôt la men- dicité. Centraliser et régulariser l'aumône, créer des ateliers de charité, réprimer la mendicité des hommes valides , instituer des écoles, des salles d'asile, des ou- vroirs , des crèches ; fonder des caisses d'épargnes, des associations de secours mutuels, des hospices pour la vieillesse, des hôpitaux pour les malades, etc., tout cela est bon, utile, digne de la civilisation chré- tienne. Commençons par le déclarer en toute sincérité , on doit une grande reconnaissance aux hommes qui se mettent à faire le bien plutôt que de discuter sur le bien à faire. Îl n’y à point ici de précaution oratoire ou d’aveu contraint ; agir vaut mieux que réfléchir ; oui, ces honimes ont pris la meilleure part. Est-ce tout ce- pendant, et les idées générales sont-elles sans aueune valeur? Faut-il, quand il s’agit de la misère et de ses causes, s’en tenir à la guérison des symptômes, et cette médecine morale doit-elle être purement empirique? Si, dans cette étude, il s'agissait, non de découvrir les causes , et spécialement les causes morales de la mi- sère, pour chercher les moyens de les prévenir, mais des meilleurs moyens de soulager nos frères souffrants, nous ne passerions pas sous silence les associations re- ligieuses qui ont pour but la pratique de la charité. Ces associations, fondées et maintenues dans l'esprit du christianisme, ne font autre chose que de pratiquer le précepte de l’aumône. Mais à laumône individuelle , 126 elles substituent l'aumône collective, plus soutenue et plus prévoyante. Elles n’altèrent en rien cette charité chrétienne qui se cache , qui met l'homme en présence de l'homme, qui rapproche le cœur compatissant du riche et le cœur souvent ulcéré, mais sensible aussi à la reconnaissance, du pauvre délaissé. Loin de dimi- nuer la douceur de ces rapports libres, confidentiels , fraternels, entre des hommes à qui la Providence à distribué des fortunes et des obligations diverses, elles ne font que les rendre plus faciles et plus sûrs. Elles ajoutent à la force des préceptes qui recommandent l'aumône, et au sentiment naturel qui nous porte à accomplir ce devoir, ce que donnent de suite, de vi- gueur et de développement, l'association, l'exemple et la règle. Elles font beaucoup plus que de soulager les souffrances présentes : comme elles se proposent avant tout le bien moral, elles agissent sur les âmes; elles les adoucissent par la résignation, les relèvent par la foi; et dans une société où se trouvent plus ou moins cachées tant de divisions, elles tissent patiemment une trame de concorde; elles réparent, elles recommencent les liens sociaux là où ils sont usés ou déchirés. Ces associations, qui ne sont conduites par aucunes vues théoriques, et qui sont, à notre avis, plus près que les théoriciens de résoudre le problème de la mi- sère, n’ont pas cependant une action assez puissante et assez étendue pour tout faire. Ainsi, le problème subsiste; continuons de l’étudier. La plupart des remèdes proposés pour la diminution de la misère sont bons; mais, dans leur ensemble, ils 127 sont insuffisants. [ls sont insuffisants, non-seulement parce que la puissance humaine ne peut aller jusqu’à abolir les maux que la Providence nous inflige ; ils sont insuflisants encore en ce qu'ils n'attaquent pas direc- tement les causes qui produisent la misère ; ils ne se prêtent pas avec assez d'intensité à la volonté libre de l'homme. Cette double insuffisance apparait au premier coup d'œil; il suflira de l'indiquer par quelques exemples. Centralisez dans une commune les aumônes souvent jelées au hasard par une charité peu éclairée, vous parviendrez à éteindre sur un point la mendicité; les faits le prouvent. Généralisez cette conception, ou vous arrivez à la taxe des pauvres, ou vos établissements de charité seront purement précaires; vous arrivez à la garantie donnée par l'État, ou vous revenez à la cha- rité individuelle. On ne peut sortir de ce dilemme. Consultez moins une logique rigoureuse, faites le bien comme vous le pouvez, je consens, japplaudis, je pense tout à fait comme vous; mais le problème n'est pas résolu. Les salles d'asile et les crèches sont d’admirables institutions : j'aimerais mieux avoir fondé une crèche qu'avoir écrit un beau livre sur le paupérisme, et pour- tant il y a contre les crèches de fortes objections. Diminuer les devoirs de la mère, n'est-ce pas affaiblir les affections et les liens de la famille? N'est-ce pas en altérer le caractère à la fois doux et austère, humain el saint ? Mais cette objection , souvent faible dans la pratique, 128 parce toutes les familles ne sont pas moralement sai- nes, n’est pas la seule. À peine avez-vous fondé une crèche ou une salle d'asile, qu'il en faut une seconde, puis une troisième. Pourrez-vous y subvenir? Le pourra- t-on partout? Je sais bien ce qu’il faut répondre à cela : Faisons bien d’abord, puis nous verrons plus tard à faire mieux. Oui, mais l'insuffisance se montre de tou- tes parts. De même, pour les sociétés de secours mutuels; vous arrêtez nécessairement, vous circonscrivez même dans des limites étroites, le cercle auquel s'étend l’action de ces utiles institutions : les secours devront être réser- vés, par exemple, pour les cas de maladie ou de chô- mage forcé, el appliqués uniquement aux membres de la Société. Ainsi, vous ne pouvez, quoi qu'il en coûte à votre sensibilité, les étendre aux femmes et aux en- fants des associés, à leurs pères et à leurs mères. Vous avez prévu les cas de maladie ou de chômage : qu’un autre cas de souffrance survienne, renchérissement des denrées ou des loyers par exemple, vous êtes contraints de vous arrêter; si vous allez plus loin , vous compro- mettez l'existence même des Sociétés de secours mu- tuels. Voilà où en sont les choses : insuffisance par- tout, partout développement des besoins à secourir hors de proportion avec les secours dont on peut dis- poser. On a bien vu les causes physiques et les causes éco- nomiques de la misère, mais on a trop négligé les causes morales de ce fléau; voilà surtout de quel côté doit se porter notre attention. 129 Si la misère doit, en partie au moins, son origine à des causes morales, on doit s'attendre à retrouver l’in- fluence de ces causes dans toutes les classes de la so- ciété. En effet, les conditions des hommes sont fort diverses; mais, en général, leurs penchants et leurs passions sont les mêmes. La richesse et la pauvreté, la force et la faiblesse, ne se communiquent pas d’un homme ou d’un groupe d'hommes à un autre homme, à un autre groupe; mais les croyances et les opinions se communiquent. Généralement, celles qu’on trouve en bas viennent d'en haut : la propagation des idées et la contagion de l'exemple sont les faits les plus communs du monde moral. Y a-t-il dans la classe aisée de la société actuelle quelque chose que l’on puisse rattacher au paupérisme par une analogie ou par une communauté d'origine ? Le paupérisme est-il, non une maladie purement lo- cale du corps social, mais une maladie déterminée, ou au moins aggravée par une altération des fonctions de la vie qui anime ce grand corps? Avant d'aborder directement cette question, prépa- rons d'avance le moyen de la résoudre : étudions une à une les causes de la misère, telles qu'on les signale ordinairement ; nous verrons peu à peu se manifester les signes d'une affection générale, profonde, qui se cache derrière toutes ces causes particulières, qui s'y mêle ou les détermine. | Les faits généraux qui produisent le plus souvent la misère sont l'intempérance, l'immoralité, la précocité des mariages, les crises industrielles ou financières , y 130 les troubles politiques, l'abus du crédit, la négligence de l'agriculture. Nous ne parlons pas ici des fléaux qui viennent de temps en temps aflliger les peuples, disettes causées par les intempéries des saisons, épidémies, etc.; la Providence nous les envoie, tantôt pour nous punir, tantôt pour nous enseigner à la fois la résignation , le courage, la patience et la prévoyance. La sévérité des éléments et la parcimonie de la nature suflisent pour nous apprendre que notre destinée ici-bas n’est pas de jouir, mais de nous exercer aux longs travaux; que la terre ne nous prodigue pas ses dons, qu'il nous faut les obtenir au prix d'efforts rudes et industrieux; que même le génie de l'homme ne peut tout prévoir, que sa force ne peut tout faire, et qu'il faut demander au ciel un continuel secours pour féconder nos sillons et soutenir nos courages. Reprenons, sans nous astreindre à un ordre absolu- ment rigoureux. On croit avoir tout dit sur l'intempérance, quand on a fait voir l'homme intempérant arrivé à peine à l’âge qui, pour un autre, serait tout au plus le milieu de sa carrière, avec une santé profondément altérée, des res- sources épuisées, la considération publique et le senti- ment personnel de la dignité perdus. On constate que ce vice devient, par la force de l'habitude, de plus en plus impérieux, et qu'il ne se contente pas avant d'avoir achevé la ruine physique et morale de sa coupable vie- time. On l’excuse cependant jusqu'à un certain point , quand on dit de l'intempérant qu'il ne fait du mal, du tort qu'à lui seul. C'est là une erreur grave et grossière : 131 la paresse, qui est la suite ordinaire de l'intempérance, cause un dommage appréciable, non-seulement à celui qui s’y abandonne et à tous les siens, mais encore à la société. Tout travail de l'homme, ainsi que l'a fait voir, si ma mémoire ne me trompe, le savant et spi- rituel F. Bastiat, produit, outre les fruits qu'en retire le travailleur lui-même, d'autres fruits dont tout le monde profite. Une partie de toute richesse créée tombe dans le domaine publie, soit directement, comme les routes, chemins, édifices publics, etc., soit en dimi- nuant le prix d'achat par une production plus abon- dante. Ainsi, toutes les journées retranchées par l'in tempérance de la somme annuelle des journées de travail, constituent une perte considérable, pour les ouvriers d'abord et leurs familles, puis pour la société entière. Ceci posé, et si l'on n'oublie pas les délits, les désordres matériels et moraux causés par l'intempé- rance, On aura une idée à peu près juste des maux que ce vice entraine. On le combat par d'excellentes.raisons tirées de la morale naturelle, de la religion ; de la doc- trine, de l'intérêt bien entendu et de l'hygiène. Mais a-t-0n suffisamment étudié les causes qui développent le penchant à l'intempérance? En a-t-on approfondi la nature en le considérant en lui-même, puis dans le milieu et les circonstances propres du temps où nous vivons? Il est permis d'en douter. Que le goût des boissons fermentées et des liqueurs spiritueuses, ou de tout autre excitant analogue , soit inné, sinon dans tous les individus, du moins dans l'espèce humaine en général, c'est un fait qui ne sau- 132 rait être contesté : l’universalité de ce penchant le montre comme inhérent à notre nature. Il se développe au point de devenir un abus et un vice, inégalement, selon les climats, selon la manière de vivre et le degré de culture morale et intellectuelle des individus ou des groupes d'individus, familles, classes, nations. Il est plus rare dans le Midi que dans les contrées du Nord, dans les campagnes retirées que dans les lieux où la population s’agglomère, dans l'intérieur des terres que sur les côtes. lei, la simplicité de mœurs, Fisolement et une heureuse ignorance; là, les habitudes et les lu- mières de la civilisation, arrètent ce penchant dans sa naissance où mettent un frein à son développement. Les principales circonstances qui l'excitent ou le fa- vorisent sont l'oisiveté, la facilité et le renouvellement fréquent du gain, les déplacements, etc. Ceci noté, il convient de nous élever à une généra- lisation plus étendue, et de désigner, s'il se peut, la cause première de l'intempérance ou abus du penchant naturel que nous avons signalé. Constatons d’abord que les animaux, même au milieu de nous et de nos habi- tudes, y sont complétement étrangers. Or, en cher- chant bien, nous découvrons en nous deux sortes de souffrances que les animaux ressentent peu, l'ennui et le chagrin, et nous arrivons à trouver dans l'ennui et le chagrin une des causes les plus ordinaires de l'in- tempérance. Les poètes qui ont chanté le vin ne manquent pas de répéter que ce jus divin dissipe les ennuis et la tristesse : Quis post vino... mililiam anle pauperiem 133 crepal? Ce serait afficher une morale trop sévère que de refuser au pauvre l'usage de ce don obtenu au prix de ses sueurs. Il est juste qu'il voie de temps en temps le fruit de la vigne briller sur sa table : les grands jours de l’année, les anniversaires doivent être fêtés; ils le seraient plus souvent si l’intempérance était proscrite. La vie de l’homme de travail est pénible et monotone ; ne lui ôtons pas les chants, les propos joyeux, les sim- ples convivialités : ces plaisirs sont pour lui un véritable besoin , c’est sa juste part. Lorsque le goût du vin ou des liqueurs devient ivro- gnerie, il y a sans doute au fond de l'âme une maladie morale; quelquefois, nous l'avouons, il y a simple- ment un vice, mais souvent aussi il y a une souf- france. Comment l’homme de labeur peut-il se laisser abattre par le chagrin et la tristesse? La réponse à cette ques- tion n'est, hélas! que trop facile. Les sources de chagrin et de tristesse naissent à chaque pas devant nous, et elles coulent abondantes pour le pauvre. Les chagrins domestiques troublent son réduit comme ils troublent la demeure du riche; ils se font même sentir, non plus vivement, mais avec plus d'importunité dans cette vie étroite où les rapports entre les membres de la famille sont plus intimes; les moyens de s'y soustraire man- quent totalement. Dans la classe aisée, la politesse des manières, les distractions du dehors adoucissent des rapports devenus difficiles; la disposition même des appartements, où l’on peut vivre réunis aux yeux du monde , et, pour soi, isolés, contribue encore, tant les 134 détails ont ici d'importance, à rendre la froideur des relations de famille moins cruelle et surtout moins apparente. Dans la elasse pauvre, les rapports sont plus rudes : contre les froideurs de la femme ou l'ingratitude des enfants, l'ouvrier n’a qu'un refuge, le cabaret. Viennent ensuite la dureté ou la sécheresse des re- Jations avec les hommes d'une condition plus élevée ; disons que nous la croyons rare cependant; et en même temps, en beaucoup de lieux, l'absence de relations so- ciales entre les hommes de la classe laborieuse. L'ennui et l'abattement naissent encore, et ceci est universel, de l’excès et de Funiformité du travail. On a exalté les vertus du travail, et l'on a bien fait; il dé- veloppe l'énergie de l'homme, élève sa dignité ; il dissipe les pensées mauvaises, comme la rame, la roue ou l'aube dissipent les miasmes qui s'élèvent sur les eaux mortes et croupissantes; il donne un sentiment de sa- tisfaction intime ; il fait vivre. Mais à toute action une réaction correspond : tout mouvement suppose des in- tervalles de repos. Pendant le travail, c’est-à-dire pen- dant que dure l'exercice de telles ou telles facultés, d'autres facultés attendent au sein du repos que le mo- ment soit venu pour elles de se déployer à leur tour. Si ce moment n'arrive pas , elles causent à l'homme, indépendamment de la fatigue directe occasionnée par le travail, une vague lassitude, une ardente impatience, ou elles tombent dans un engourdissement profond. Il faut donc, pour que l’harmonie de nos forces et de nos facultés se maintienne, que le jeu de leurs mou- vements soit entretenu , qu'elles paraissent tour à tour 135 sur la scène. Cela est vrai des organes physiques dans leurs rapports respectifs; cela est vrai des facultés in- tellectuelles ; cela est vrai aussi des rapports de l'âme et du corps. On s'accorde à reconnaitre la vérité de ces propositions, qui, dans la physiologie et dans la philosophie, sont tout à fait élémentaires; mais, dans l'application, on les néglige ; surtout, on ne sait pas assez combien les nobles plaisirs de l'âme et de l'intelli- gence, el même les simples distractions, sont néces- saires à l'homme de labeur. On croit avoir assez fait pour lui quand on a multiplié les éditions de la science du Bonhomme Richard, quand on Jui a donné des traités abrégés de morale, et qu'on lui a prêché, sous toutes les formes, la sobriété, l’ordre et la modération des désirs; encore une fois, cela est bien, très-bien , mais ce n'est pas tout. L'homme a besoin de distractions ; il a besoin des joies du cœur et des satisfactions de l'intelligence. Or, ceci est à remarquer : le contentement de la vie inté- rieure et les plaisirs de l'intelligence ne nous sont pas donnés sans préparation et sans efforts. Il faut, pour en jouir, que le cœur ait été formé et l'esprit développé par une éducation saine et libérale. Il faut, au sein des familles, toute la sainteté des enseignements religieux, des traditions soigneusement maintenues, un ensemble d'institutions excellentes et des soins prolongés. Sou- vent cette éducation est donnée sans le secours des écoles; elle est comme inspirée par les mœurs antiques et par la nature elle-même. Le clocher, les sillons, les paysages du pays natal, les discours des vieux parents 136 soigneusement retenus, tout cela x eu une voix assez puissante pour enseigner à une longue suite de géné- rations de mäles et douces vertus. Elles ont trouvé , dans de simples chants, tantôt une source de senti- ments profonds, tantôt la gaieté la plus vive et la plus limpide. | J'ai vu, dans les villes de ma contrée natale, quelques traces des anciennes mœurs. Les corps d'état avaient leurs fêtes patronales, une messe, un banquet, et, le soir, des danses sagement réglées. Ces coutumes se sont perdues ; je crois que cela est regrettable, et que là où elles subsistent, il est bon de les conserver. Les institutions et surtout les mœurs modernes ten- dent à isoler les hommes. L’intempérance avait autre- fois cette excuse , qu'elle respirait encore le caractère enjoué et sociable de notre nation; aujourd’hui, il sem- ble que ce soit souvent un vice solitaire et triste. Si nous ne pouvons ramener au sein des populations rurales la simplicité et avec elle l'insouciance des âges passés, el si notre constitution industrielle ne nous permet pas de faire revivre les traditions et les fêtes des métiers, n'y a-t-il pour cela rien à faire? La nature humaine est toujours guérissable; les remèdes doivent changer selon les temps. La société a en ses mains des ressources puissantes pour relever les âmes, les retrem- per; elle peut ainsi détourner les hommes de travail des penchants qui les dégradent. Mais elle à besoin de s'appuyer sur quelque chose de plus haut qu'elle-mème ; il est à remarquer que la religion seule a pu fonder des jours de fêtes; il faut que l’homme se rattache au ciel ET 17 137 pour purifier ses joies et les rendre durables, comme pour trouver un adoucissement à ses peines. Du reste, l'instruction , la lecture de quelques bons livres, et surtout l'enseignement populaire de la musique, peu- vent aussi être d’une grande utilité. La seconde cause que l’on peut assigner au déve- loppement de la misère est limmoralité. Que l'immo- ralité conduise à la misère ceux qui s'y abandonnent, en altérant leur forces morales et leur vigueur physique, en les jetant dans toute sorte de dépenses ruineuses , cela n’a pas besoin d’être prouvé. Mais si les ravages de l’immoralité sont funestes à ne les considérer que dans les individus isolés, ils le sont beaucoup plus encore par la destruction ou l'altération de la famille. On s’'accoutume trop à considérer les nations comme des collections d'individus; elles sont ou doivent être des réunions de familles. L'enfant dépérit et meurt dans l'isolement ; il ne se conserve et ne se développe, selon sa nature , que sous la protection du père et de la mère : éducation du corps et de l'âme, prévoyance pour l'a- venir, entretien du bien ou du pécule patrimonial, direction, établissement, tout cela est dü à l'enfant, sinon aux termes des lois civiles, du moins d’après les prescriptions de la loi morale. Au sein d’une famille bien ordonnée , toutes les vertus se développent, et avec elles toutes les forces. Le présent y tient au passé, et se prolonge dans un avenir indéfini ; c’est là que s’'ap- prennent d'abord les saints Commandements et que se gardent les souvenirs respectés et chéris. Tout y invite à la sagesse et y recommande l'homme ; tout y prescrit 138 de respecter la tombe et le nom des aïeux, et de soutenir le berceau des enfants. Voilà ce que l’adultère souille et détruit, ce que sup- priment les relations illicites. Le nombre toujours croissant des enfants trouvés fait paraitre au grand jour un des résultats de l'immo- ralité; ainsi se forme une véritable classe, nous dirions presque une caste séparée de la société, non par les lois, mais par la puissante nature des choses. Ce dont il faut se plaindre ici, ce n’est pas de l'accroissement de charges que ces naissances font peser sur l'État ou les départements, c'est bien plutôt des profondes mi- sères qui en sont la suite inévitable; mais il n’est pas besoin d’insister sur ce sujet. Les ravages intimes de limmoralité, pour être plus cachés, ne sont pas moins redoutables. Est-il besoin de prouver que le désordre des mœurs entraîne toutes sortes de misères, par la diminution du travail, la suppression de l'épargne et les dépenses improductives? On sait que l'intempérance et limmoralité se donnent la main, et l'on devrait fré- mir en songeant à cet amas de vices et de maladies qui se forme dans les bas-fonds de la socitté, comme une mare de plus en plus épaisse et fétide, Ainsi, les gé- nérations s'affaiblissent, le sang s’appauvrit, les mala- dies constitutionnelles, phthisie, scrofule, etc., étendent leurs racines de toutes parts, et se prolongent en s’aggravant de génération en génération ; l'application de la loi du recrutement fait voir chaque année com- bien certaines portions de la population ont perdu de leur vigueur. 139 Ce n’est pas par des lois seulement ou par des règle- ments d'administration que l'on pourra guérir une plaie si profonde. Que l’on ouvre ou que l'on ferme les tours, on pourra voir diminuer ou augmenter, ici le nombre des expositions, là le nombre des infanticides; mais pour réparer les ravages d’un mal moral, il faut s'a- dresser aux âmes et y faire pénétrer la vie de la vertu. Il ne suflit même pas de fortifier l'enseignement reli- gieux ou moral, de venir en aide au sacerdoce, d'élever des écoles et d'arrêter la propagation des mauvais li- vres; il fant aller plus loin et plus haut : les penchants humains peuvent être modifiés ou contenus, mais l'âme a toujours besoin de mouvement. Si vous ne voulez pas qu'elle cède aux suggestions impures, attirez-la dans une sphère plus élevée. Il nous faut répéter ce que nous avons dit à propos de l'intempérance : Vous ne pouvez refaire l'antique simplicité , gardienne des bonnes mœurs ; Vous pouvez du moins la préserver là où elle existe encore. Dans les villes populeuses, ce n’est pas l'ignorance du mal qui fera renaitre les mœurs, ce sera l’activité excitée vers les grandes pensées et les jouissances intellectuelles. À Dieu ne plaise que nous oubliions la puissance de la religion pour accomplir une telle tâche : elle seule possède le frein capable de réprimer l'impétuosité des passions et le feu qui purifie les cœurs ; elle seule, enveloppant toute notre nature dans le cercle de ses dogmes, de sa morale et des céré- monies du culte, la soustrait aux tentations mauvaises, et l'entraine dans cette région pure où elle à tant de peine à se soutenir. La civilisation moderne, les lu- 140 mières et les arts viendront aussi (nous ne tombons ici en aucune contradiction) occuper cette mobile pensée, el, grâce à la variété des mouvements qui l'agiteront , l'empêcher de se reposer sur la fange. Mais n'oublions pas, et cette observation se confon- dra sans doute avec notre conclusion finale, n’oublions pas que la classe riche ou aisée a, en ce qui touche la- mélioration des mœurs, de grands devoirs à remplir. Vainement elle essaierait de rappeler les classes infé- rieures à la pureté et à la décence, si elle n'agit d'abord sur elle-même. La société est un tout dont les parties se distinguent et ne se séparent pas. Les classes éclai- rées et riches sont-elles exemptes de toute complicité dans les désordres des pauvres et des ignorants? N'est- ce pas d'en haut que vient l'exemple, que vient la sé- duection? Ainsi, s'améliorer soi-même, se purifier, ce n'est pas seulement se faire du bien, c'est encore tra- vailler à diminuer la misère. On a rangé, non sans raison, au nombre des causes du paupérisme, la précocité d’un grand nombre de ma- riages. Ce point touche à une question délicate. Devant nous se posent les froides et inflexibles affirmations de Malthus. Selon cette doctrine, la précocité des maria- ges n'est, dans la production de la misère, qu'une cause accessoire; la plus grave est leur fécondité. Tout le mal vient de l'excès de la population. Le remède est dans la nature même, qui frappe incessamment sur ces foules devenues trop nombreuses, et qui, sous les di- verses formes des épidémies, des guerres, de la misère même, nue et épuisée, retranche, parmi les êtres hu- 141 mains, ceux qui sont trop faibles pour résister à tant de causes de destruction. Ainsi dans une forêt les ar- bres les plus chétifs périssent pour laisser croitre les autres. S'il fallait accepter ces prétendus axiômes, on brise- rait sa plume plutôt que de prècher aux hommes de la- beur un renoncement cruel aux seules douceurs qui puissent leur alléger le fardeau de la vie. Heureuse- ment, on a démontré la fausseté de la loi de Malthus, prise du moins comme expression générale des faits. S'il est vrai que dans quelques contrées, en Irlande par exemple, les ressources du sol soient sans proportion avec le nombre croissant des habitants, est-il certain que leur misère n'ait pas d’autres causes que l'excès de la population. Ce pays est-il, ou est-il depuis longtemps libre? A-1-il été gardé par une législation protectrice? Le gouvernement anglais, qui s'est chargé de lui, s'est-il toujours efforcé de développer dans le caractère irlan- dais le feu de la race, et de lui donner ce que la na- ture semble lui avoir refusé, l'empire sur soi-même et la force de volonté qui est propre à la race saxonne? Assurément le gouvernement anglais à été longtemps tout autre chose que le tuteur et l’instituteur de FIr- lande. Si Malthus, dans ses calculs, a eu en vue l'An- gleterre elle-même et spécialement les districts manu- facturiers, il a pu tirer du spectacle de la misère qui afilige ces contrées, où pourtant se produisent de si grandes richesses, des conclusions inapplicables à d’au- tres pays plus heureusement situés. Il ne faut pas perdre de vue, pour se rendre compte de ce pénible 142 contraste, la disproportion qui existe dans la Grande- Bretagne entre l'industrie agricole et l'industrie manu- facturière : l'espace manque à celte agriculture si per- fectionnée, et il faut, pour que la population subsiste, que l’industrie s'épuise en des efforts pénibles pour la classe ouvrière. Il faut aussi avoir présente à la pensée la taxe des pauvres, cette lèpre qui, depuis la Réfor- mation, ronge le pays. Et, à ce propos, disons en pas- sant que l'école de Malthus, moins inhumaine qu'elle ne parait l'être, n'attaque pas le principe de la cha- rité, qu'elle recommande même l'aumône individuelle : c'est contre la taxe des pauvres qu'eile a dirigé ses at- taques. | Quoi qu'il en soit, il y a impossibilité morale d'em- pècher l'accroissement de la population : vouloir res- treindre le nombre des mariages, ce serait à la fois donner l'essor aux relations illicites, soumettre les clas- ses pauvres à une tyrannie insupportable, et créer en- tre les citoyens d'une même nation la plus insultante inégalité. Pour aller jusque là et réussir, il faudrait rétablir une sorte d'esclavage, et le pire de tous, celui où l’esclave n’a pas de maitre qui puisse s'intéresser à lui. Il est vrai seulement que, dans la classe onvrière, les mariages souvent trop précoces donnent naissance à une multitude d'enfants voués d'avance à la misère. Ce n’est pas seulement en parlant aux pauvres le lan- gage de l'économie et de la prudence que l’on parvien- dra à restreindre le nombre de ces mariages. Ne vous contentez pas de faire appel à un intérèt bien entendu 143 que les pauvres n’entendent pas. Ils vous répondront que ce bonheur chétif, promis à leur vieillesse après tant de privations, ne vaut pas leur libre insouciance. Il faut leur parler un autre langage que celui du cal- cul; le livret de la caisse d'épargnes n'a pas assez d'é- loquence pour arrêter l'élan du cœur et des sens; aux passions, il n'y a à opposer que la vertu. Que faut-il donc? Il faut refaire l'esprit de force et de charité , et inspirer aux jeunes gens l'empire sur eux-mêmes. Mais comment rendre à nos générations amollies et sensuel- les la continence énergique des Gaulois et des Ger- mains? On ne le pourra qu’en développant l'esprit de famille, amour du nom et de la propriété. Il faut done entretenir dans le peuple les sentiments qui domptent les sensations. Mais, encore une fois, c’est surtout de la tradition ou de la coutume qu'il recoit ses opinions , el ce sont les classes élevées ou moyennes qui gardent la tradition et font la coutume. En simplifiant les observations qui précèdent, nous _reconnaissons parmi les causes qui produisent la mi- sère les penchants qui attirent l'homme vers le plai- sir physique, et au contraire, nous trouvons que les résolutions fortes et constantes qui mettent la liberté morale en pleine possession d'elle-même, et qui la font vivre de force, d'intelligence, sont aussi des principes de force, de dignité et de richesse. Continuons toutefois notre revue, el tàchons de dé- couvrir les autres sources d’où sort le mal qui nous oc- cupe. On ne peut se refuser à reconnaître comme une des 144 principales causes des misères qui affligent les classes laborieuses, les crises industrielles, crises d’où sortent la suspension du travail ou la diminution des salaires. Ces crises sont déterminées soit par les perfectionne- ments mêmes de l'industrie, soit par les agitations po- litiques, soit par les crises financières, ou enfin par les variations du marché, dépendant d'une multitude de circonstances, parmi lesquelles il faut ranger jus- qu'aux caprices de la mode. Tout progrès des arts industriels qui substitue soit le travail des machines au travail de l’homme, soit une machine plus parfaite à une qui l’est moins, tend, par cela même qu'il est plus grand, à déclasser des multi- tudes d'ouvriers. À la vérité, l'expérience prouve que ce mal est passager et qu'il est compensé par un plus grand bien : on produit davantage à moins de frais. Reste pourtant ceci à savoir, qu'un grand nombre de familles ont été exposées à souffrir de rigoureuses pri- vations. Faut-il donc que le progrès de la richesse pu- blique ne s'effectue qu'à la condition de créer des souf- frances, et qu'aux applaudissements mérités par les: efforts de la patience ingénieuse se mêlent les plaintes obscures de la détresse ! Mais indépendamment de ces crises passagères, il y en a, pour ainsi dire, une permanente , déterminée par la concurrence. On ne peut trop vanter, on peut accu- ser aussi la concurrence. Libre, énergique , elle est la source des progrès de l'industrie; elle multiplie et per- fectionne ies produits, en abaisse le prix; elle anime le courage du travailleur et lui apprend à ne compter 145 que sur soi ; elle élève ainsi à toute sa hauteur le sen- timent de la liberté. Mais, d’un autre côté, la concur- rence menace sans cesse le travailleur; en abaissant les prix des objets fabriqués, elle arrive à l'abaissement des salaires ; elle excite les forces des hommes les unes contre les autres, au lieu de les associer. Trop souvent, pour vaincre, c'est-à-dire pour arriver à l'extrême li- mite du bon marché, elle alière les fabrications, porte à l'excès le travail; elle entretient dans le monde in- dustriel et commercial une guerre sourde, féconde en poignantes douleurs. Faut-il voir à une antinomie, une invincible oppo- sition de deux principes? Faut-il attendre quelque so- lution chimérique fondée sur l'association de tous les travailleurs, sur la fixation des salaires, la détermina- tion des valeurs, etc. ? On sait combien la seule crainte d’une tentative, même timide, de ce côté suffit pour troubler tout le travail. Quand ces idées se propagent ou seulement s'échappent, on dirait que des miasmes délétères ont tout frappé de stérilité ou de langueur. . On en a vu la preuve, et celte crainte n'était pas vaine ; , l'instinct ou le sentiment public s'est trouvé d’'ac- cord avec la science. Le principe de 1789, la liberté du travail, consécration et conséquence du droit de propriété, a été justifié. L'antinomie n’est pas plus ici que dans les rapports de l'homme avec le monde physique. L'homme qui trouve au sein de la nature tout ce qui peut servir à ses besoins, y rencontre aussi des obstacles; son com- merce avec elle est souvent une lutte. Ce vent qui en- 10 146 fle nos voiles, un peu plus fort les déchire; l'eau qui arrose fait aussi les inondations; la même force de végétation fait croître les blés et les herbes qui infec- tent les sillons. Entre les hommes, il y a lutte aussi, mais cette lutte n’est pas une guerre; elle n’est pas abandonnée au jeu de forces fatales ou arbitrairement maniées ; elle est réglée par la justice. Ce n'est plus alors qu'une émulation conforme à la dignité de lhom- me. La justice éloigne la violence et la fraude ; elle fait que chacun garde ce qui lui appartient et reçoit ce qui lui est dû. L'expérience de l'histoire, ou même un coup d'œil jeté sur le monde actuel, prouve que partout où règne la justice, la prospérité règne. Tout le monde sait que chacun y a ‘droit, et chacun sait aussi qu'il n’a pas droit à autre chose. On se contente de la jus- tice. Que les prix soient librement et loyalement dé- battus, les salaires exactement payés, voilà le fond des affaires et la garantie de l’ordre. Toutefois, iei la charité a encore sa mission à rem- plir. Le cri de la souffrance imméritée est un appel que les particuliers et les gouvernements doivent en- tendre. Le principe de l’association doit même grandir et ses applications s'étendre à mesure que la civilisa- tion se perfectionne. Quand on ouvre une mine ou une carrière, quand on entreprend quelque ouvrage dan- gereux, il y à des précautions prises pour empêcher les accidents, et en cas d'accidents, des secours sont préparés. Les machines, la concurrence illimitée, en- tainent le danger des chômages et de l'abaissement excessif des salaires; il est du devoir de la société de 147 veiller à diminuer ce danger. Ce n’est pas pour elle un devoir de justice absolu, mais c'est un devoir de charité sociale. Elle ne peut prévenir ou réparer tous les maux qu'elle voit, elle peut le faire dans une cer- taine mesure. Sa mission n'est pas de dispenser les particuliers de déployer leur courage et de s'ingénier; elle consiste à les aider seulement là où ce courage serait évidemment insuflisant. Pour atteindre à ce but, les gouvernements ont divers moyens : les institutions de prévoyance offertes aux ouvriers, les caisses de se- cours mutuels, les écoles, les travaux publics, la colo- nisation, etc. Quant aux devoirs des particuliers , ils sont tracés dans l'Évañgile, et tout homme de bien en trouve le principe dans sa conscience. Il est évident qu'il est digne d'un gouvernement éclairé de soustraire le plus possible la masse de la po- pulation à ces perturbations de l'industrie dont nous avons parlé. On les préviendra en entretenant soigneu- sement la paix publique, en ménageant au commerce des débouchés extérieurs, en faisant rigoureusement poursuivre et punir les fraudes commerciales. Mais la France a sur les autres nations où l’industrie occupe une grande place, un avantage qu'il ne faut pas né- gliger : elle a une industrie dont les produits sont as- surés d'un placement facile, où la division du travail n’est pas telle qu’elle réduise l’ouvrier à la fonction d'un rouage intelligent, mais où, au contraire, les travaux sont variés et s'échangent facilement entre eux; une industrie qui exige de tous le concours des bras et de l'intelligence, qui s'exerce en plein soleil, au milieu 188 des aspects les plus agréables de la nature, qui n'éloigne pas les hommes du foyer et des mœurs simples, qui les y relient, au contraire : nous avons nommé l'agri- culture. Rien de plus commun que les éloges prodigués à cet art, le premier de tous. Les livres, les mémoires abon- dent sur toutes les matières qui s’y rattachent; des pu- blications périodiques sont consacrées à faire connaître et à hâter les progrès de l'agriculture, et toutes les sciences apportent à celte science compliquée le tribut des progrès qu'elles ont réalisés. L'administration s’en occupe avec le zèle le plus actif et le plus éclairé : écoles, comices, concours, rien n’est omis, rien n’est négligé. Cependant, on s'accorde à reconnaitre que l'agriculture, en général, marche d'un pas moins ra- pide que l'industrie manufacturière dans la voie du progrès. Sur beaucoup de points du territoire, elle est encore imparfaite et languissante. Puisque ni la science ni l'administration ne font défaut, cette len- teur doit tenir à d'autres causes : elle tient, à ce que nous pensons, à des causes morales, que la législation. pourrait jusqu'à un certain point modifier. Mais avant d'aller plus loin, comme il pourrait bien se faire que ces causes morales fussent les mêmes d’où découlent d'autres maux, et qui font l'objet premier de cette étude, attendons encore; nous les verrons peut-être se déve- lopper devant nous un peu plus tard. Poursuivons no- tre tâche. Au nombre des principales causes de la misère, il 149 faut compter la crise financière et l'abus ou la dévia- tion du crédit. Ceci demande quelques explications. La valeur des choses mises dans le commerce est généralement proportionnée à la durée, à l'intensité et à la difficulté du travail qui a été nécessaire pour les produire et les mettre à la portée des consommateurs. Ainsi, la mesure des valeurs est, en général, donnée par la mesure du travail. Ceci posé, on voit combien est compromise la position des hommes, très-nombreux, il faut le dire, dont le but constant est d'obtenir, au prix du moindre travail, la plus grande somme possi- ble de richesses et de jouissances matérielles. Il leur faut chercher, avec toutes les ressources de leur esprit et de leur savoir-faire, les moyens de s'enrichir vite et sans peine. On conçoit tout d’abord que ces moyens, s'ils existent, sont tels que la probabilité du succès est en raison inverse de la diminution demandée d’efforts laborieux et de génie ou d'industrie véritable. En d’au- tres termes, pour gagner en dix minutes B fr., par exemple, prix d'une journée d'un travail habile, il faut nécessairement, où avoir acquis par un travail anté- rieur le talent que suppose un pareil salaire, et alors la dépense de temps et de peine se retrouve, ou don- ner presque tout aux chances du hasard. Si l’on donne tout au hasard, s'il n’y a aucun travail actuel ou an- técédent, c’est le jeu de hasard pur proprement dit; la chance est alors égale à zéro; et si, ce qui arrive toujours, l'entrepreneur des jeux s’est réservé quel- que avantage, la chance est représentée par zéro, moins telle ou telle quantité. Il faut noter encore que 150 l'égalité des chances pour et contre ne laisse pas le joueur dans une situation semblable à celle où il serait s'il ne jouait pas; car, comme l'a fait remarquer un écrivain , il risque le nécessaire contre le superflu. Entre ces deux extrèmes, le travail produetif d'utilité, rétribué par un bénéfice proportionné, et le jeu, il se présente une multitude indéfinie de degrés ascendants et descendants. Le travail et le hasard se combinent sous toutes sortes de formes et dans toutes proportions. Il y a peu de travaux et d'entreprises affranchies d'in- fluences qu'on ne peut prévoir; de même, il y a peu de spéculations purement et rigoureusement abandon- nées aux caprices du sort. On ne peut absolument éliminer l'élément aléatoire, si ce n’est lorsqu'il s’agit de services engagés pour un temps déterminé ,.et payés au jour, au mois ou à l'année. = Dans une entreprise agricole, le succès peut être compromis par les accidents atmosphériques, par les inondations , etc. , et par les variations du marché; mais il faut observer que ces irrégularités peuvent, pour un espace de temps un peu long, être ramenées à une moyenne à peu près fixe; ainsi, l'intervention des cau- ses qui ne sont pas au pouvoir de l’agriculteur, est en matière de prévoyance et de calcul. Dans le commerce maritime même, si exposé aux accidents de tout genre, les chances peuvent encore être caleulées; elles peu- vent même en partie être éliminées par le secours de l'Assurance. Il n'en est pas de même là où domine le jeu; car il est de l'essence du jeu que les chances ne puissent pas 451 ètre ramenées à une moyenne constante. Si les opéra- tions aléatoires embrassaient un (rès-grand nombre de faits et s'étendaient à un temps fort long, il en serait sans doute auirement; mais il est de la nature de ces opérations de n’embrasser qu'un petit nombre d'élé- ments et de se réaliser dans un temps assez court, sans cela le jeu cesserait d’être. Une compagnie d'assurance sait ce qu’elle fait en se chargeant des risques maritimes ou terrestres sur telle quantité de valeurs exposées aux causes naturelles de destruction ; elle ne le sait pourtant qu'à la condi- tion de porter sur un grand nombre d'objets placés dans des conditions diverses et pendant un long espace de temps. Plus ses opérations sont étendues en nombre et en durée, plus ses prévisions atteignent un carac- tère voisin de la certitude. Notons en passant que les assurances sont productives de valeurs. En effet, elles * concourent à des opérations productives qui n'auraient pu avoir lieu sans leur participation. Mais quelle compagnie voudrait assurer un nombre déterminé de joueurs engagés, par exemple, dans une opération sur la hausse ou la baisse des effets publics, réalisables, comme cela a lieu, dans un court délai? Il est évident du moins qu'elle ne le ferait qu'à des condi- tions très-onéreuses; elle jouerait elle-même, ou ren- drait le jeu impossible. * Le jeu ne produit pour la société aueune valeur, au- cune utilité; pour ceux qui y prennent part, en les considérant en masse, il n’en produit pas davantage; il absorbe en pure perte une dépense considérable de 152 temps et même d'efforts, et l'emploi de capitaux, dé- tournés ainsi de leur utilité naturelle; enfin, il excite et développe, avec une force et une rapidité effrayan- tes, l’avidité du gain et des jouissances, et l'aversion pour le travail. Malheureusement , ces tristes penchants sont au fond de nos cœurs : le jeu ne fait que les satisfaire ou plutôt les redoubler. Dès que nous ouvrons la voie à ces pas- sions, ou plutôt à la passion du jeu, qui y tient et s'en distingue, toute la capacité de la pensée en est rem- plie, toute l'ardeur de l'âme s’y porte pour l’accueillir. Cette passion trouve aisément l'occasion de se satisfaire. Les opérations aléatoires sont simples et uniformes : ellés admettent une dépense de temps et d'intelligence aussi petite qu'on le veut; s'appliquent aux capitaux les plus considérables ou à leurs moindres fractions; enfin, touten épargnant le travail régulier de l'esprit, elles ouvrent un champ illimité aux rêves de l'imagi- nalion. Il est aisé de comprendre que toute cette activité détournée du travail productif est en pure perte, et c'est déjà une cause d’appauvrissement pour la société ; mais ce premier effet du jeu n’est que le moins impor- tant. Il en est un second, le détournement des capitaux; nous y reviendrons tout à l'heure. Le troisième est l'appauvrissement des uns et l'enrichissement des autres. On pourrait croirejau premier abord que le simple déplacement de la richesse laisse les choses dans leur équilibre, et que ce qui est perdu par l'un étant gagné 153 par l’autre, le public n’y gagne et n'y perd rien; ce serait là une grave erreur. Les pertes occasionnées par les spéculations aléatoires, par le jeu, sont prises le plus souvent sur le nécessaire des joueurs malheureux, et créent, au profit de leurs adversaires, un véritable superflu. L'argent ainsi gagné est dissipé en luxe et en vaines dépenses. Plus rigoureusement, les capitaux provenant de l’agriculture et de l'industrie sont géné- ralement employés en dépenses productives; ceux que donne le jeu, en dépenses improductives. Il est inutile d'insister sur une vérité si évidente; mais il faut faire voir que le détournement des capi- taux hors des voies du travail est une cause nécessaire d'appauvrissement général, et ceci nous conduira à parler de l'abus du crédit. Si tout entrepreneur de tra- vail, agricole ou industriel, était dans la nécessité de posséder par lui-même les instruments de son travail, terres, maisons, usines, outils, ‘capitaux, il est évi- dent que le champ de l'industrie serait singulièrement restreint; chaque entrepreneur d'industrie ou de cul- ture ne pourrait profiter, pour le travail à venir, que des fruits réalisés par lui-même d'un travail antérieur; : la capacité et l'amour du travail demeureraient le plus souvent sans emploi. De là une perte sensible pour ceux qui seraient ainsi condamnés à l'oisiveté ou à un tra- vail moins fructueux et moins conforme à leurs apti- tudes ; de là aussi une perte pour la société tout en- tière, qui se trouverait privée de beaucoup de choses nécessaires, les sources de la production étant taries où amoindries, Il est donc très-avantageux, et aux tra- 154 vailleurs et à la société, que le crédit vienne au se cours de ceux à qui les instruments de travail mau- quent, ou qui ne les possèdent pas en quantité sufli- sante. On sait déjà en quel sens étendu se prend ici ce mot instrument de travail : il signifie toute chose na- turelle ou artificielle qui, mise en œuvre par l’indus- trie et l’activité de l'homme, lui sert à produire des objets utiles à nos besoins. Il est évident que la mon- naie, pouvant être à chaque instant échangée contre ces diverses choses, est elle-même un instrument de travail, un instrument universel. ; Le crédit a l'avantage d'utiliser le travail non encore effectué : il met la terre ou les machines, ou l'argent, aux mains du travailleur, en assurant le prix de la vente ou du louage de ces objets sur la valeur du tra- vail auquel ils doivent servir, garantie qui, en cas d'insuffisance, est suppléée par d'autres garanties réel- les ou personnelles. Il est aisé de voir par là combien le crédit est utile, disons mieux, nécessaire pour la production, et devient ainsi un puissant élément de richesse ou d’aisance pour la société, lorsqu'il est con- venablement employé, facile, économique et sûr. Mais ces heureux résultats ne sont obtenus que si les sommes créditées représentent une production à venir, réelle et effective. Il ne s’agit pas ici de la sû- reté du prix, elle peut être garantie par des valeurs déjà existantes ; mais que le prêteur soit ou non exac- tement remboursé, si aucune production de valeur n'a eu lieu, cela n'intéresse absolument que lui. Or, aucune valeur ne peut être produite que par le travail ou 155 avec le concours du travail. Ainsi, le crédit est impro- ductif quand il représente autre chose qu'une certaine somme de travail non encore réalisé. Ce que nous di- sons du crédit peut se dire de la circulation de l'argent : l'argent, signe universel des valeurs, pouvant être re- gardé comme un instrument de crédit analogue aux lettres de change, ete., mais supérieur à tout autre signe, à cause des garanties essentielles qu'il présente. On attribue quelquefois à la circulation de l'argent des avantages imaginaires : cette circulation est d'elle- même improductive; elle ne devient utile à la société que quand la somme échangée représente un travail productif. Rendons ceci sensible par quelques exemples : Voici deux hommes dont l’un possède un champ nu et stérile; l'autre, une certaine somme d'argent. Si le second prête au premier la somme nécessaire pour acheter des outils de labourage, des engrais et des se- mences, en telle proportion qu'il puisse labourer son champ avec profit, il est évident que l'usage du crédit aura servi à produire une valeur nouvelle. Il en est de même si un capitaliste prête à un négo- ciant la somme nécessaire pour faire transporter d'A- mérique en France une balle de coton; comme une balle de coton a plus de valeur en France qu'en Amé- rique, une valeur nouvelle a encore été créée. Ceci est élémentaire, et pourtant toujours bon à rappeler. Mais que quatre personnes jouent au whist pendant un temps donné, avec diverses alternatives de gain ou de perte, il pourra se faire sans doute que plusieurs 156 de ces joueurs gagnent en définitive, que d'autres per- dent; mais aucune valeur n’a été créée; ce que l’un ga- gne représente exactement ce que les autres perdent. L'argent risqué au jeu a incessamment circulé, et il n'en est résullé aucun accroissement. Supposons maintenant que, au lieu d'être des joueurs au sens ordinaire de ce mot, ces quatre personnes soient des négociants ou des banquiers; qu’elles aient alter- nativement prêté et emprunté les uns aux autres, vendu et acheté des effets négociables, ou des marchandises qui n'ont subi aucune transformation ni aucun dépla- cement , il est évident que, comme dans le premier cas, celui du jeu de whist, aucune valeur n'a été créée, aucun travail utile à la société n’a eu lieu. Cet inconvénient n’est pas le seul; car si l'argent employé ou risqué dans ces spéculations eût été prêté au travail utile, des valeurs réelles auraient été pro- duites, et la société y aurait gagné quelque chose. De plus, tous ces mouvements ont exigé une certaine dé- pense de temps, d'attention et même de talent : ainsi, la spéculation a pour effet de diminuer la production, _et devient ainsi une cause de misère. Mais elle le devient d'une manière tout'active, toute positive par ses effets moraux. Nous n'avons pas besoin de signaler ici le déplorable entrainement du jeu, de la spéculation aléatoire. Nous avons déjà indiqué avec quelle rapidité le germe, secrètement vivant au fond du cœur, de cette éternelle passion s'épanouit et se ramifie dès que l’on en favorise le développement. Il est inutile aussi de peindre les catastrophes, les souf- « 157 frances domestiques, et jusqu'aux suicides obscurs que le jeu engendre; c'est un spectacle que chacun, pour ainsi dire, a sous les yeux; il vaut mieux laisser regar- der que parler. L Au premier abord, le nombre des personnes qui trouvent leur ruine dans les spéculations aléatoires ne parait pas fort grand; mais si l’on songe à la facilité de prendre part à ces spéculations, par exemple aux jeux de bourse et aux transformations sans nombre que peut recevoir l'élément aléatoire, alors on s’effraiera à juste titre, on songera avec effroi aux mille canaux par lesquels pénètre, dans le commerce et dans l'industrie, ce venin subtil, si prompt à se diviser, à se déguiser, et ensuite à se dilater avec une puissance extrême de contagion. Les bénéfices que donnent le jeu et les spéculations où le jeu intervient sont plus funestes encore que les perles. En général, les richesses lentement acquises sont sagement employées; elles servent à améliorer ou à défricher les terres, à fonder de bonnes entreprises industrielles ou commerciales. Au contraire , la richesse acquise en peu de temps et avec peu de peine, repré- sentant comme un bénéfice inattendu, est consumée en dépenses de luxe, ou, ce qui est pire, dans les plus extravagantes dissipations. Il ne s’agit pas ici de condamner le luxe d'une ma- nière absolue; mais il est certain que les dépenses im- productives doivent, dans une société bien réglée, s'ar- rêter à une certaine limite, sous peine de restreindre à l'excès les dépenses productives, et par une conséquence 158 inévitable, d'accroître la misère. Déjà la juste propor- tion n'a-t-elle pas été dépassée? La cherté actuelle des subsistances tient sans doute à diverses circonstances dont plusieurs ne peuvent avoir que des effets acciden- tels, telles que les intempéries des saisons, où transi- toires, comme la diminution graduelle de la valeur des monnaies, par suite de la production plus considérable des métaux précieux. La cherté relative qui résulte de l'abaissement de valeur de l'or est naturellement com- pensée par une modification proportionnelle des salai- res. Mais n'est-il point à craindre qu'il n’y ait aussi insuffisance du travail agricole, que trop de forces et d'aptitudes ne se détournent de l'agriculture ? La vie des champs est, pour le propriétaire ou le fermier aisé, une des plus agréables , une des plus pro- pres à fortilier le corps et à assainir l'âme; mais l'ex- ploitation de la terre est peu lucrative et retient ceux qui s’y livrent loin de l'oisiveté agitée et des distractions des villes. Pour le domestique et l'ouvrier, le travail agricole a l'avantage de s'exercer en général dans de bonnes conditions de salubrité, et il offre, au point de vue moral, des avantages analogues. Cependant, on peut signaler dans la population pauvre des campa- gnes une tendance à préférer les occupations indus- trielles et le séjour des villes. Cela tient à ce que les travaux rustiques sont peu rétribués, et à ce que l'on croit trouver dans les villes, avec une plus forte ré- munération, une meilleure nourriture, un labeur moins pénible, plus de distractions et surtout plus de chances d'arriver à une condition relativement supérieure. Or, 159 il faut noter ce point d’une vérité bien vulgaire , que les hommes ne recherchent pas de préférence les posi- tions qui leur promettent l'exemption des grands maux, une existence paisible et assurée, mais étroite et hum- ble; ils désirent plutôt un sort où ils espèrent de plus vives jouissances, au prix même des dangers et des pri- valions. u Tout ce qui servira à rendre l’agriculture florissante et à faire aimer, soit aux riches, soit aux pauvres , le séjour des champs , contribuera à diminuer la misère en augmentant la production des choses nécessaires à la vie, et en éleignant ou au moins en amortissant les passions qui troublent le travail et le font dévier de sa route naturelle. On fait beaucoup pour le perfectionnement de l'a- griculture, nous l'avons déjà dit, mais il reste encore à faire. Ce n'est pas ici le lieu d'aborder un sujet si important et si vaste; pourtant, il touche de bien près celui qui nous occupe. Nous sera-t-il permis de dire, en passant, que cer- taines modifications de la législation douanière, par exemple un dégrèvement des fers étrangers, des dispo- sitions légales et fiscales propres à encourager les baux à long tèrme, un dégrèvement de la propriété foncière compensé par des droits de mutation affectant les opé- rations de bourse, et d'autres mesures analogues, pour- raient n'être pas sans utilité ? Il faudrait aussi, à notre avis, développer encore l'instruction publique dans les campagnes, y perfectionner de plus en plus les voies de communication , en un mot user de tous les moyens 160 dont l'Administration dispose pour en rendre le séjour plus agréable. Nous avons touché, en passant rapidement, les prin- cipaux points auxquels on peut rattacher les causes de la misère; nous avons reconnu que, pour y porter re- mède, on n’a rien négligé, et que tout ce qui est en la puissance d’une sage administration à été fait ou essayé. A considérer les choses dans leur nature matérielle, les phénomènes dans leur production immédiate , on reconnait que la misère vient, soit d'une insuflisance de production des choses nécessaires à la vie, déter- minée par les accidents du monde physique et les dis- pensations de la Providence, et alors le remède est dans la patience, le courage et la prière, ou par une dévia- tion du travail, wop souvent improductif et appliqué à produire des valeurs non reproductives; soit par des consommations abusives. Mais la source profonde du mal dont nous nous plai- gnons, en tant qu'il dépend de l’homme et de la société, nous l'avons çà et là aperçue, indiquée; nous ne l'a- vons pas encore clairement déterminée. On a du déjà pressentir que, pour nous, la misère est un symptôme d'un mal plus général, presque universel : voilà ce qu'il faut maintenant mettre en pleine lumière. Ici se présente d'abord un fait incontestable : c’est que, dans notre siècle , le progrès du bonheur n’est pas, même dans les classes riches ou aisées, en proportion des moyens de bien-être et de plaisir mis à leur dispo- sition; en d’autres termes, que l'avancement rapide de l’industrie et de la richesse ne nous a pas fait arriver 161 bien loin dans la voie du contentement intérieur. Ce seul énoncé fera même sourire le lecteur ; il trouvera étranges ces expressions de bonheur proportionnel , progressif; il y trouvera une idée qui blesse le sens commun; nous ny contredisons pas. Que signifie pourtant la doctrine, aujourd'hui si répandue, du per- fectionnement indéfini? Ne nous montre-t-on pas tous les jours l'âge d'or, non comme les poètes, dans les ténèbres d'un passé évanoui, mais dans le crépuscule d'un prochain avenir? Et, à vrai dire, si l'on réfléchit à tout le travail qui a été accompli par la science, il y a de quoi rester frappé de stupeur en présence des maux qui nous afiligent encore. Il serait superflu de dérouler ici l'immense tableau des inventions humai- nes, à remonter seulement au commencement de notre siècle. Que d'efforts pour multiplier les choses utiles ou agréables à la vie, pour vaincre les obstacles que la nature oppose à nos désirs! Aucune des découvertes des sciences ou des arts n’est perdue, et toute conception, toute observation vérifiée, devient un degré pour arri- ver à des progrès ultérieurs. Ces milliers d'hommes, savants, artistes, ouvriers, qui marchent toujours en avant, changent incessamment la face du monde : dites s'il ne se fait pas sous vos yeux un monde nou- veau. Les efforts n’ont pas été moindres dans l’ordre des sciences politiques et économiques ; ces matières ont occupé les plus grands esprits de tous les siècles; il n'est pas de système qui n'ait été produit et étudié ; il enest bien peu qui n'aient été essayés. Les anciens ont il 162 porté sur ces questions la grandeur et la simplicité de leurs vues; les modernes, leur esprit d'investigation et d'analyse. Dans ces derniers temps surtout, l'histoire et la statistique ont été interrogées dans leurs détails les plus minutieux. On ne peut nier, sans un esprit évident de paradoxe, que de grands progrès n'aient été faits dans l'art de gouverner les hommes et dans l'administration des cho- ses publiques : jamais les lois n’ont été plus conformes à l'idée de la justice, plus claires, plus régulièrement appliquées ; jamais la sûreté des personnes et des biens n'a élé mieux garantie. Les revenus publies sont faci- lement perçus et convenablement appliqués aux dé- penses qu’exigent les rapports des États entre eux, leur administration intérieure, et les besoins, les rap- ports compliqués qui naissent de la civilisation mo- derne. Comment donc se fait-il qu'il y ait, même parmi ceux que, dans un si grand nombre d'hommes, la Pro- vidence semble avoir choisis pour leur faire une meil- leure part, tant de souffrances morales, tant de désirs non satisfaits? I y a donc, au fond de l'âme humaine, un mal secret, que ni la science, ni l'industrie, ni l'art de gouverner ne peuvent guérir. On sait que ce mal est de tous les temps; le signaler, c’est répéter une vé- rité morale des plus vulgaires. Il n’est pas non plus bien difficile d'en signaler la cause première et univer- selle : il suffit de faire voir que l'âme, créée avec des aspirations infinies, se fatigue sans se satisfaire, lors- qu'elle cherche son but dans les choses finies, On a vu 163 cela dans tous les temps; tous les sages l'ont dit, tous les hommes raisonnables l'ont compris. Mais puisque ce mal est de tous les temps, il ne fait pas seul les souffrances de notre siècle; elles ont un caractère spé- cial plus sensible que dans les temps antérieurs, et la raison de cette grave différence doit se trouver, non dans la philosophie morale, mais dans l'histoire. En 1789, lorsque l'Assemblée nationale a proclamé l'indépendance personnelle absolue et l'égalité des droits, elle a fait faire à la France, à l'Europe même, un pas, on dirait mieux, un élan immense tel que l’histoire humaine n'en présente point un pareil. Nous disons l'histoire humaine, car le christianisme dépasse la Révolution française de tout l'intervalle qui se peut concevoir entre la raison divine et la raison humaine, laquelle n’est jamais préservée de l'excès et de l'erreur. 1789 a rompu avec les traditions du passé : dès lors l'organisation sociale a été posée sur deux principes dont il était difficile de calculer les conséquences. Je ne puis mieux comparer la Déclaration des Droits, de ceux qui sont aujourd'hui consacrés par nos lois et par nos mœurs, qu'au départ de Colomb pour les terres incon- nues que son génie lui montrait loin dans l'Occident. Un monde nouveau a été trouvé par Colomb, un monde nouveau a été créé par la Révolution. Aujourd'hui que nous jouissons des biens que cette Révolution nous a assurés, il nous est permis de cher- cher à côté du bien les dangers qui sortent de cet état de choses encore nouveau, les maux qui y sont inhé- rents, afin de nous préserver, de nous guérir, s'il se 164 peut, sans porter atteinte à l'œuvre inattaquable de 1789. On croyait trop, en fondant cette société nouvelle, entrer dans un Paradis terrestre, ouvrir l'ère d'un autre âge d'or. Il n’est pas ici question des désastres que la Révolution a amenés, désastres causés par la perversité de quelques hommes et l'égarement d'un grand nombre; il s'agit uniquement des mœurs que cette Révolution a créées. Pour ne pas perdre de vue la question qui nous oc- cupe, le premier fait à signaler est la proclamation de la liberté du travail, de l'indépendance absolue des hommes entre eux, sauf l'empire des lois, lequel se borne pour ainsi dire à maintenir cette indépendance. Je ne dépends plus que de moi : propriétaire ou pro- létaire , ouvrier, savant, industriel, capitaliste, rien ne fait obstacle à mes desseins, à mes travaux; rien, que la faiblesse de ma nature, les bornes de mes forces ou de mes ressources, et les succès de mes rivaux. Tous les hommes à qui j'ai affaire sont simplement pour moi des créanciers ou des débiteurs. Lisez le Code; à part les dispositions peu compliquées qui règlent l’état civil des familles et les successions, vous ne trouverez guère entre les membres du corps social d’autres rapports constatés que les obligations résultant de leurs consen- tements librement échangés. Toute la vie civile est sim- plifiée au dernier point. Il y a encore, il est vrai, le Code politique et administratif, mais la vie de chaque jour y est moins intéressée ; je veux dire que les règle- ments, innombrables d’ailleurs, dont l'application cons- 165 titue l'Administration proprement dite, n’altèrent pas notre indépendance privée, ne la dirigent pas non plus, et la garantissent peu contre ses propres écarts. L'individu ainsi affranchi, grandi, n’obéit, pour la conduite de sa vie, qu'à lui seul, mais aussi n’a à s'appuyer que sur lui seul. d Tous les hommes sont déclarés égaux devant la loi, admissibles à toutes les fonctions, à tous les honneurs. Quel puissant ressort pour l'émulation, et que la di- gnité de notre nature est noblement consacrée! Mais aussi quelle lutte infatigable pour obtenir ce qui flatte les sens, la vanité et le goût naturel que nous avons de dominer! Que les rangs vont être pressés, quelle foule agitée et confuse dans les avenues toujours étroites qui conduisent au but désiré de tous! En même temps que la Révolution affirmait la liberté et l'égalité, et refaisait ainsi plus grande et plus belle la condition humaine, non sans risquer d'isoler les hommes et de faire croître leurs plus ardentes passions , elle déclarait la liberté des consciences et des cultes ; elle séparait l'ordre civil, non plus comme autrefois l'ordre politique seulement, de l’ordre religieux : ici, l'innovation était plus profonde et plus périlleuse encore que quand elle proclamait la liberté et l'égalité. Tou- jours en effet, même au moyen àge, la liberté avait été connue sous le nom de franchise , et l'égalité des droits, inhérente à l'idée même de justice, avait fait des pro- grès à mesure que les maximes du droit s'étaient ré- pandues et avaient pénétré dans les esprits. Mais sépa- rer les institutions civiles de l'Église et de la Religion , 166 cela était changer les bases mêmes de l’ordre social. 11 ne s'agissait plus de l'ordre politique placé au-dessus ou en dehors des pensées habituelles du peuple, c'était la vie civile et domestique qui se trouvait constituée sous une loi toute nouvelle. Il faut reconnaître que, en France du moins, où toutes les conceptions tendent à se généraliser, la séparation de l’ordre civil et de l’ordre religieux était une conséquence de la liberté des cultes. On ne pou- vait s'arrêter à une tolérance plus ou moins étendue. La logique des idées va vite chez nous, et les faits aussi. D'ailleurs, si lon ne s'arrête pas aux origines d'où est issu en France le principe de la liberté reli- gieuse, on ne peut y voir rien de contraire à la reli- gion. Dégager la religion des contraintes et des fragiles appuis de l'autorité extérieure, c'était peut-être le moyen de lui rendre plus libre, plus entier, le domaine de la conscience. On s’'apercevra de plus en plus, nous l'espérons, que la religion n’a rien à craindre de cette épreuve. Mais n’y avait-il pas, ici surtout, dans l'œuvre de 1789, un côté dangereux. La liberté et l'égalité des cultes n'ont-elles pas favorisé un secret penchant à l'indiffé- rence? La foi chrétienne ne s’est-elle pas affaiblie dans les masses, quand elles ont été appelées à vivre sous l'empire de ces institutions civiles qui ne s’appuyaient plus sur le christianisme, quand on à pu voir des ma- riages et des naissances que la loi déclarait légitimes et que la religion ne consacrait pas? Ainsi, de toutes parts, il s’est fait autour de chaque 167 individu comme un grand vide : la loi moderne commet à chacun le soin de veiller sur soi-même, de se faire son sort, de choisir sa règle morale et d'assurer sa vie physique. Chacun a devant soi une société compliquée et confuse, où le bien et le mal se mêlent, où les in- térêts et les ambitions se combinent et se combattent sous mille formes variées, où les plus vives jouissances et les misères les plus cruelles se touchent et se distri- buent dans une agitation continuelle, selon la force d'intelligence et de volonté de ceux qui sont engagés dans cette milice, et souvent aussi, à ce qu'il semble, au gré d'un sort capricieux. Tout, dans une société ainsi constituée, contribue à exciter l’ardeur des am- bitions, et dans les àmes moins bien situées, la violence des convoitises. Pour bien nous figurer l'état où nous sommes, tàchons de nous en séparer un moment. On juge mal d’un mi- lieu dans lequel on est plongé : portons-nous par la pensée dans le milieu d'un ordre social tout différent. Au XII siècle, par exemple, les conditions étaient sé- parées : chacun était enfermé dans les limites étroites que le hasard'de la naissance avait tracées autour de lui; ces limites étaient tout ensemble un obstacle et un appui; la société était ou paraissait immobile ; à la vé- rité, elle était souvent troublée par la guerre, même par les guerres intestines; mais l’ordre moral était fixe, et les âmes en général calmes. La vie de chaque jour était monotone, les plaisirs rares; les communications entre les diverses parties d’une même contrée étaient difficiles, le commerce très-restreint , l'industrie à peu 168 près nulle. Ainsi, la condition humaine était triste, ou au moins austère, et les âmes, n'ayant pas de voie pour se répandre au dehors, se repliaient sur elles-mêmes et s'élevaient vers Dieu. Parmi les vertus que la reli- gion inspire, la résignation et le dévouement étaient les plus communes. Ainsi, au milieu des désastres com- muns en ces temps et des privations qui rendaient la vie monotone et dure au plus grand nombre, il est très-probable que beaucoup d’âmes goütaient une véri- table paix. La Providence nous a fait un partage tout différent. Depuis trois siècles surtout, la condition humaine, spé- cialement dans notre pays, a été extrêmement amélio- rée et embellie. Qui pourrait nier, à moins d'afficher le gout des paradoxes, tout ce que nous devons de bon et de beau à la réalisation de la justice dans les lois, à l'unité du gouvernement, à la renaissance des lettres et aux progrès des sciences et de l’industrie? Voyons les inconvénients qui s’attachent aux biens présents; voyons-les d'un œil ferme, avec la conviction que nous devons et que nous pouvons les corriger. Libres, indépendants, isolés aussi, comme nous l'avons vu, par suite de l'application des principes de 1789; appelés à donner l'essor à leurs facultés, de quel côté les hommes de notre àge déploient-ils leur énergie? où se lancent leurs mobiles désirs? Il est facile de le voir. Ce que le plus grand nombre aujourd'hui recher- che, ce sont les jouissances matérielles et ce que l'on appelle vulgairement les douceurs et les aises de la vie. Ce n'était pas là ce qu'avaient en vue les hommes qui 169 ont conduit la Révolution de 1789; leurs idées n'é- taient pas toujours justes, mais elles étaient grandes ; ils se proposaient de relever la dignité humaine , et ils se sont surtout trompés pour en avoir conçu une idée trop orgueilleuse. L'ignorance ou l'oubli volontaire des dogmes chrétiens leur avait fait perdre de vue ce qu'il y à en nous d'altéré et de corrompu, mais on ne peut leur reprocher d'avoir abaissé et avili dans leurs des- seins la nature humaine. Aussi sommes-nous bien loin de penser que la pente , aujourd'hui généralement sui- vie, vers les pensées purement terrestres présentes , osons le dire, trop souvent égoistes, ait été creusée, dirigée par la Révolution : nous pensons que la Révo- lution à indirectement favorisé cette direction, con- trairement à la pensée qui inspirait les auteurs d'un mouvement si grand, si difficile à maintenir et à gou- verner. Deux causes tout à fait distinctes l'une de F'autre, distinctes aussi de la Révolution, ont beaucoup contri- bué à développer le penchant qui nous attire naturelle- ment vers les jouissances de la vie, et à tourner les esprits à la recherche presque exclusive des moyens de multiplier ces jouissances. La première de ces causes est l'invasion de la philosophie sensualiste et scepli- que; la seconde est la faveur excessive accordée à l’in- dustrie et aux sciences physiques, faveur conquise , il est vrai, par leurs progrès, mais qui a jeté trop d'om- bre sur les arts et les études plus désintéressées. La philosophie sensualiste était, non dans toutes ses conséquenses, mais dans ses principes, une doctrine 150 presque universellement acceptée à la fin du dernier siècle:et au commencement de celui-ci. Très-affirmative et tranchante , cette philosophie devient flexible et va- riable lorsqu'il s’agit de développer ses dogmes; tantôt, elle nie avec audace jusqu'aux vérités fondamentales de l'ordre moral; tantôt, au contraire, elle se contente d'une innocente théorie sur la formation des idées. Toujours cependant elle incline à attirer l’homme vers les choses sensibles, à faire de nos sensations, agréa- bles ou pénibles, la mesure des biens et des maux, et de notre bonheur, la fin de nos devoirs. Comme elle prend aisément toutes sortes de formes, depuis la sévé- rité d'un traité jusqu’à la légèreté de la chanson ou de la conversation familière, elle devait pénétrer partout ; il est facile de concevoir, à qui connaît la nature de l'homme, avec quel succès. Nous allons tous de nous- mêmes en bas, du côté de la nature matérielle et des sens, et ce n'est qu'à grand'peine que nous pouvons nous élever sur une plus noble et meilleure fin, quoique cet abaissement ne nous laisse jamais sans regret, sans une amertume qui devient parfois désespoir. La reli- gion explique ces contrastes et cette misère. Depuis trente à quarante ans, la philosophie sensua- liste a été renversée dans les écoles, une doctrine plus haute et plus pure a repris sa légitime autorité, la re- ligion a reconquis beaucoup d'âmes; mais le sensua- lisme , ou, pour parler plus exactement, un sensualisme peu déterminé et mélé de scepticisme, n'a pas élé : arraché de son dernier asile ; il est resté au fond de la pensée chez un grand nombre; il ne se produit plus L j 4 É par le sarcasmeet par les négations tranchantes; il agit plutôt sur les inclinations et la volonté, qu'il n’exerce sur la réflexion. C'est encore, hélas! comme un air que l'on respire; il ne s'aperçoit pas distinctement commeau- trefois, mais il altère insensiblement les esprits, et les détourne de la vue des choses morales et spirituelles , pour les attirer dans le cercle étroit de ce qui se voit et se mesure. Or, tandis que les doctrines spiritualistes restent trop souvent dans nos esprits à l’état de science et de théorie, le sensualisme et le scepticisme passent aisément dans la vie pratique. Rien n'asservit plus promptement notre volonté que ce qui en détend le ressort. Plus elle s'attache aux choses sensibles, plus le poids qui l'entraine devient lourd; plus nous cédons, plus nous sommes disposés à céder. Les sollicitations du plaisir sont mobiles et variées, autant que les appels du devoir sont uniformes; de là vient l'inconstance de nos désirs. Si à cette habitude de l'âme, faite par une philosophie devenue: vulgaire, on joint l'impression donnée par le spectacle des révolutions; si l’on songe à tant d'espérances trompées, à la sagesse humaine si orgueilleuse et si souveut humiliée, à tant de doctrines jetées au vent de l'opinion, et surtout à {ant de chan- gements dans les conditions et les fortunes des hom- mes, on comprendra d'où est venue lapathie, lindiffé- rence pour les choses morales, qui est le mal d’un grand nombre. Pendant que cette indifférence gagnait de plus en plus les exprits, les sciences physiques et mathémati- ques s'avançaient rapidement dans la connaissance des 172 lois et des forces de la nature, et l’industrie s’appliquait à maitriser ces forces, à les manier, à les tourner au gré de nos besoins et de nos caprices. La régularité et la certitude de ce double progrès contentaient toutes les intelligences, en mème temps que les sens trouvaient dans les merveilles et la fécondité de l'industrie tout ce qui peut les flatter : ainsi lorgueil de l’homme et ses désirs ont été également satisfaits. De là vient l’'impor- tance donnée dans notre siècle à ces exercices de l’in- telligence et des forces humaines, si utiles, si beaux, mais qui ne nous doivent pas préoccuper uniquement. Nous avons parlé de désirs satisfaits ; hélas! il fallait dire plutôt excités; les désirs qui ont pour objet les choses sensibles peuvent s’apaiser : ils ne se satisfont point. Bientôt à ces penchants naturels se joint le dé- sir de briller et de dominer. Cela est de tous les temps; ces plaintes sont de purs lieux communs, dira-t-on. Oui, les passions humaines sont de tous les temps, elles sont partout; mais il n’en est pas moins vrai que jamais peut-être, depuis l'origine de notre nation, nous n'avions été attirés avec tant de force, tous ou presque tous, vers les jouissances sensibles. Il faut le dire pourtant, notre nation a fait voir, il y a bien peu de temps encore, qu'elle sait oublier les douceurs de la vie, l'amour des richesses et de la vie elle-même, dès que l'appel du devoir et de la gloire s'est fait entendre. Sur les champs de bataille, on a vu renaitre dans leur pureté les vertus les plus désintéres- sées. Toutes les nations de l'Europe ont conservé le vif sentiment de l'honneur militaire; jamais il n’a brillé 173 avec plus d'éclat que sous nos drapeaux, au champ de bataille , dans les ambulances et les hôpitaux ; jamais la valeur et la sainteté ne se sont plus étroitement unies. Il est done vrai que la nature humaine, et en particu- lier la nature française, revient avec énergie à tout ce qui est grand et beau. Il ne faut pas toutefois dissimuler le mal dont elle souffre. Autrefois, le remède conseillé par les mora- listes contre la violence de nos désirs, consistait à les limiter et, au besoin, à les comprimer : on recomman- dait aux hommes de s'éloigner des objets qui excitent les désirs et la cupidité, de chercher le contentement en eux-mêmes, dans la vie de famille, le respect de la coutume, dans les sentiers tracés par les ancêtres. Au- jourd'hui, on poursuit sans relàche, sans crainte de la fatigue et du danger, le but ardemment souhaité! Il s'est même trouvé des moralistes et des économistes qui ont flétri la résignation comme une sorte d'engourdis- sement moral. Ils auraient raison si toute la destinée de l'homme était de produire et de consommer; mais qui ne rougirait à la pensée de ravaler à ce point sa di- gnité! D'ailleurs, l'encouragement excessif donné à la poursuite des jouissances entraîne les plus dangereuses conséquences. On a tout dit sur le socialisme, mais a-t-on assez ré- fléchi sur l'origine morale de ces opinions, ou plutôt de ces passions aujourd'hui comprimées? Croit-on avoir assez fait pour les éteindre à tout jamais? Faut-il en accuser seulement ambition ou l'erreur de quelques écrivains et l’aveuglement de leurs disciples? Nous ne le pensons pas. Le blàme et surtout l'avertissement doi- 174 vent s'étendre plus loin. Si quelques anciens, Platon entre aulres, ont compris la législation sociale comme un moyen de former les hommes d'après un modèle idéal, ce n’est pas ainsi que les socialistes modernes ont entendu la réalisation de leur système. Disons-le tout uniment : on à vu dans ces systèmes, sous l'éclat pom- peux des mots et la forme sévère des déductions, le moyen de conquérir des jouissances immédiates. Étu- diez les doctrines socialistes : l'idée de la famille est omise ou singulièrement affaiblie. Recherche active des satisfactions physiques, atténuation de la contrainte morale, cercle de pensées enfermé dans l'espace de la vie individuelle, diminution de la responsabilité per- sonnelle, voilà la fin que ces doctrines se proposent. Maintenant , demandons-nous sérieusement si les so- cialistes sont les seuls infectés de ces miasmes, s'ils sont seuls atteints de la prostration morale qui courbe Fhomme vers la terre; nous reconnaitrons avec sincé- rité que le mal est plus étendu et plus profond qu'on ne pensait. Nous avons diminué l'autorité paternelle et la sainteté de la famille, nous avons allégé le souci des choses morales, de la dignité personnelle; nous avons préféré le plaisir au bonheur, et le bonheur au devoir. Il semble que nous regardions les œuvres sociales, lois, institutions, comme des œuvres d’un jour. Là où crois- saient des chênes nous plantons des mélèzes et des ar- bustes à fleurs. La perfection économique est atteinte quand un capital donné produit le plus possible d'inté- rêts où de dividendes ; la perfection sociale, quand nous pouvons le mieux nous isoler. Avons-nous au moins, en nous isolant ainsi et en 175 poursuivant un bien-être tout personnel, diminué nos maux? Cette poursuite ardente ne fait souvent qu'irri- ter les souffrances de ceux qui sy abandonnent; ceux qui réussissent ne trouvent souvent, au terme d'une lutte acharnée, que la satiété et le dégoût ; et combien n'ont fait que nourrir en vain dans leur cœur la cupi- dité , l'envie, l'amour des jouissances qui leur sont re- fusées ! Quelquefois, au milieu de cétte guerre des in- térêts, ordinairement muette el en apparence calme, les troubles éclatent dans la société; alors le crédit:se resserre, le travail s'arrête, et les malheureux à qui on avait fait espérer une terre promise, voient le terme de leurs illusions. Cette misère est redoublée encore par les rêveries qu'elle entretient; pour elle, l'espérance, qui, pure et sereine, adoucit les maux de l’homme pa- tient, n'est qu'une excitation douloureuse semblable à l'irritation de la soif et aux mouvements de la fièvre. Nous savons qu'aujourd'hui un gouvernement ferme el attentif à ouvrir à tous les sources fécondes du tra- vail, prévient ou répare, autant qu'il peut se faire, les souffrances auxquelles nous faisons allusion. La pros- périté publique le récompense, et l'ordre sagement main- tenu permet d'en espérer avec confiance le dévelop- pement et la durée. Nous ne sommes pas pour cela dispensés d'agir sur nous-mêmes, et c'est au fond des âmes que la guérison doit pénétrer. Il y a une différence frappante entre les penchants déterminés par les mobiles sensibles, et les sentiments d'un ordre plus élevé. Les premiers sont violents et agi- tés; pour les satisfaire, il faut engager avec les autres hommes une lutte infatigable, car la foule est serrée, 176 immense, au contraire, autour des biens convoités. Les nobles désirs, par exemple d'être aimé de ceux à qui l’on appartient, de laisser après soi un nom es- timé, d'assurer à ses enfants un patrimoine modeste, de satisfaire à ce que Dieu demande de nous, ces dé- sirs laissent l'âme dans la tranquillité. Plus elle s'élève, plus le mouvement de ses ailes est calme et régulier. C'est en luttant contre elle-même, contre ce qu'il y a en elle d'imparfait et de rebelle, qu'elle parvient au con- tentement auquel elle aspire. Tous les désordres du monde moral viennent de la volonté : la paix, la prospérité, la diminution de la mi- sère, Lous ces biens sont promis aux hommes de bonne volonté. Que les âmes soient droites et fermes, alors les législateurs, les administrateurs, les savants, les hommes d'industrie et de travail verront leurs œuvres fleurir. Mais la volonté est difficile à gouverner ; il faut qu'elle se plie elle-même sous le joug et qu’elle s'accou- tume à le porter. Il est vrai que le secours d'en haut lui est promis; mais elle doit le demander, consentir à le recevoir, et ne pas le laisser tomber. Dire aux hommes : Vous voulez, non pas supprimer les misères, cela est impossible, mais en diminuer lé- tendue et la rigueur; soyez, vous, sobres, laborieux, résignés ; et vous, soyez charitables, désintéressés; ne vous contentez pas d’être justes, cherchez une justice plus parfaite. Tenir un tel langage, c’est, ce me sem- ble, répéter les enseignements d’une morale vieille et commune. Depuis que l'Évangile se prèche, on ne dit pas autre chose. Où en sommes-nous cependant, après dix-huit cents ans que la charité est partout recom- 177 mandée et ordonnée? La misère est-elle détruite? On a fait cette objection; il faut y répondre. La charité chrétienne n’a pas fait cesser toute misère, mais il n'y a pas de misère qu'elle n'adoucisse et n'atténue. Reportez-vous par la pensée aux temps de l'antiquité paienne, songez à l'esclavage et au prolétariat , puis di- tes si la charité chrétienne n’a rien fait. Ce n’était pas peu de chose que d'adoucir des mœurs cruelles à ce point, cruelles, non plus par suite de la barbarie , mais , ce qui est bien pire, par suite de la dépravation. La charité en a cependant triomphé ; elle a eu ensuite, tâche moins difficile, à contenir la férocité des Barba- res et la dureté féodale. Elle peut faire, elle fait chaque jour encore des efforts heureux pour guérir toutes les plaies de la société. Le temps que d'autres passent à parler, elle emploie à agir. Là est le remède aux maux dont nous nous plaignons : la charité chrétienne, qui, tantôt sans aucun art, conduit la main d'un riche à serrer la main d’un pauvre et à déposer devant lui un bienfait caché, tantôt conduit et inspire les conseils des princes, saura mettre en œuvre les progrès des scien- ces et de l’économie politique. Résumons-nous. Les causes morales qui engendrent ou aggravent la misère, et qui produisent des souffran- ces analogues dans toutes les classes de la société, peu- vent se ramener à une : l'affaiblissement de la vertu, et, ce qui s’en suit, l’abaissement de l’idée du bonheur. En cherchant notre satisfaction dans les plaisirs sen- sibles et les jouissances personnelles, nous nuisons à nous-mêmes et à la société : à nous-mêmes, si nous 12 178 sommes pauvres, en préparant par la dissipation du jour les privations du lendemain ; si nous sommes dans l’aisance ou dans lopulence , en favorisant en nous l’ex- pansion de désirs que nous ne pourrons satisfaire, ou qui, satisfaits, nous rendront plus malheureux; à la société, parce que nous ne laissons pas les divers agents et forces de production suivre leur direction naturelle, et que le luxe absorbe des efforts qui seraient mieux ré- servés aux {ravaux nécessaires. Les remèdes , en tant qu'ils dépendent de lautorité publique, n’ont pas besoin d’être signalés : elle les met en œuvre avec un soin actif et persévérant. En tant qu'ils dépendent de nous, ils se résument en un seul : l'amélioration de nous-mêmes. Préférons la dignité mo- rale aux jouissances matérielles, la famille à l'industrie, l'honneur et même les honneurs à la richesse, nous au- rons fait un grand pas vers le bien. La charité couronnera œuvre. 17 y aura toujours des pauvres parmi nous; il faut que la résignation et la charité vivent d’une vie active. Que la charité donc multiplie ses œuvres, œuvres privées, collectives , pu- bliques. Apprenons à nous soumettre et à nous com- battre : au lieu de chercher le plaisir, consultons le de- voir et aspirons au bonheur, ou, pour parler un plus simple langage, au contentement. Ce mot, si bien fait par nos ancêtres, indique Fétat de l'âme où, se domi- nant elle-même et ne se jetant pas au dehors, elle de- meure tranquille. Demandons-le à Dieu. 179 RAPPORT SUR UN MÉMOIRE ENVOYÉ A L'ACADÉMIE POUR LE CONCOURS SUR LA QUESTION RELATIVE A LA LANGUE ET A LA LITTÉRATURE ROMANES ‘. Messreurs, Une Commission, composée de MM. Durand , Bru- net et Delpit, a été chargée de juger les travaux en- voyés sur cette question : « Quelle a. été l'influence de » la croisade contre les Albigeois sur la langue et la » littérature romanes en général, et plus particulière- » ment dans le midi de la France? » La même question, mise au concours l'année pas- sée, avait produit l'envoi d'un Mémoire qui, sans puiser aux sources et sans entrer dans le fond de la question , s'était borné à faire un résumé des faits con- aus de l’histoire de la littérature romane; l'Académie ne crut pas devoir accorder le prix, et maintint la question au concours pour l’année 4856. Cette année, un seul Mémoire encore vous est parvenu; mais, hà- tons-nous de le dire, il est facile de deviner qu'il n’est pas du même écrivain. L'auteur du Mémoire que vous avez à juger ne s'est pas borné à faire un extrait des travaux déjà publiés sur l’histoire de la langue romane; 1 Fait au nom d’une Commission composée de MM. Brunet, Durand, et Delpit, rapporteur. 180 il a compris que l'intention de l'Académie n'avait pas été de demander qu'on lui donnät une espèce de leçon d'histoire, mais qu’on exécutàt pour elle un travail neuf sur une question d'histoire littéraire qui n'avait pas encore été éludiée. L’épigraphe nous annonce dès le début que l'auteur s'est pénétré de l'idée de l'Académie, et qu'il a voulu traiter la question d’une manière neuve et en remon- tant lui-même aux sources. L'épigraphe, empruntée aux poésies du célèbre Arnaud de Mareuil, De saber ne m fenh ges, Mai de so qu'’ai apres, Escotan e vezen, Demandan et auzen, nous prévient que nous avons aflaire à un écrivain ac- coutumé à recourir aux sources originales et à s’avan- cer hors des rangs, au lieu de suivre de loin les tra- vaux de ses devanciers. La question de notre programme étail complexe : l'auteur l'a examinée sous toutes ses faces. Il a étudié l'effet produit sur la langue romane par la croisade des Albigeois, non-seulement sur les formes de la langue et de la littérature, mais sur la littérature elle-même. Cette division était d'autant plus importante, que le sens de la réponse à la seconde partie de la question devait être précisément le contraire de ce qu’il est pour la première partie. | Pour s'assurer des différences essentielles que la croi- sade contre les Albigeois avait pu apporter dans les for- mes ou dans la grammaire de la langue romane, l’au- 181 teur à rapproché le langage des poésies des troubadours qui précédèrent la croisade ou qui en furent les té- moins et les victimes, du langage des poètes, qui, lors- que déjà près d'un siècle avait passé sur toutes ces ruines, se rassemblèrent à Toulouse pour former le col- lége du Gai-Savoir. C'était pour encourager et mainte- nir l'art de trouver, prêt à disparaître devant une per- sécution prolongée. De ce rapprochement, il est ré- sulté la preuve évidente que non-seulement les formes essentielles de la langue romane n'avaient pas varié à l'époque de la première réunion du collége du Gai-Sa- voir, en 1324, mais qu'elles ne varièrent ni pendant le reste du XIV: siècle ni pendant [a première moitié du XVe siècle. Par conséquent, la pression opérée par la conquête n'eut aucune influence directe sur les.formes ou sur la grammaire de la langue romane. Pour en arriver à cette conclusion importante et dé- cisive, l'auteur a mis les compositions des troubadours des XIL° et XIII siècles en regard des compositions des poètes du XIV® et du XV® siècles. Chacun peut ainsi constater que la fameuse règle de ls fut toujours obser- vée , que les désinences furent toujours les mêmes; que les conjugaisons ne varièrent pas; que le sens des lo- cutions se conserva identique ; que la syntaxe n’éprouva aucune altération sensible; que l'idiome se maintint et conserva pures presque toutes ses règles grammatica- les jusqu'à la fin du XV° siècle. Une fois ce premier résultat obtenu et constaté pour ce qui concerne la langue proprement dite, l'auteur a appliqué le même procédé aux productions de cette langue, c'est-à-dire aux formes littéraires dans lesquel- 182 les la langue se produisait. Il a comparé les formes de l'art poétique des troubadours des XII et XIE siècles avec les formes définies et décrites au XIVe siècle par le chancelier du collége du Gai-Savoir, et récemment publiées sous le titre de Leys d'Amors. De cette com- paraison des différents genres de poésie, pris sur le fait ou définis par les exemples mêmes fournis par les an- ciens troubadours, avec la théorie et les règles formu- lées, et pour ainsi dire promulguées au XIVE siècle par le chancelier du collége du Gai-Savoir, il est résulté que, sous ce rapport encore, la poélique romane n'a- vail point varié sous la pression de la conquête, et qu'elle était au XIVEsiècle ce qu'elle avait été au XIEsiè- cle. Les différents genres de poésie cultivés par les an- ciens troubadours sont les mêmes que ceux dont les Leys d'Amors donnent les règles. La guerre des Albigeoïs n'a donc eu aucune influence sensible ni sur les f‘rmes de la grammaire ni sur le genre des compositions litté- raires dont on se servait dans le midi de la France avant la seconde moitié du XV° siècle. Mais s'il est constant que la guerre des Albigeois n’exerça aucune influence directe sur les formes maté- rielles de la langue et de la littérature romanes, il ré- sulte bien évidemment de la comparaison des poésies antérieures avec les poésies postérieures à la croisade, que cet événement exerça sur l'esprit et le génie des poètes méridionaux une pression terrible et qui se pro- longea- pendant une longue suite de générations. Chez les poètes du XIV° et du XV® siècles, les genres de poésie dans lesquels s'étaient le plus distingués les troubadours perdent leur caractère et leur couleur. La 183 forme reste la mème, mais ce n'est plus le même génie. Pour en faire juger, l'auteur cite plusieurs exemples. Ainsi le vers, composition de cinq ou dix couplets, était destiné à traiter des matières sérieuses. Un vers d'Aimeri de Peguilhem est plein d'harmonie et d'idées justes ; on sent que le poète suit hardiment son inspi- ration et parle à une époque de liberté. Si l'on met à côté le vers de-Pons de Prignac adressé aux capitouls de Toulouse, on trouve une composition froide, em- barrassée, timide, vide de pensées et de poésie. Mais un peu plus tard, au XV° siècle, lorsque la terreur est dissipée, on s’apercoit que l'esprit poétique est revenu; le poète pense et s'exprime en liberté, et la poésie re- prend son essor. Un vers composé en 1451 par Raimond Valade , notaire de Toulouse, justifie complétement celle appréciation. Il en est de même pour la chanson et le sirvente. La distance est énorme entre la chanson du troubadour Berenger de Palasol et celle du prêtre R. d'Alayrac, qui gagna la violette d’or en 1325, comme entre le sir- vente de Pierre Cardinal et celui de Martin de Mons; tandis qu'au XV° siècle le sirvente de Thomas Louis et la complainte de Berenger de Lhopital marquent le ré- veil du génie poétique dans le Midi. C'est ainsi que l’auteur du Mémoire qui nous a été envoyé, marchant toujours armé de faits et d'exemples mis à la portée de tous, démontre que l'action de la conquête, qui fut nulle sur les formes du langage et sur les genres de poésies, fut on ne peut plus funeste à l'esprit littéraire, et que le réveil de l'esprit pratique précéda de près d’un demi-siècle, dans le Midi, cet au- 184 tre réveil artistique et littéraire auquel on a donné en France le nom de Renaissance. L'auteur ne s'est pas borné à apprécier ainsi l’his- toire des mouvements littéraires qui s’opéraient dans le midi de la France; il a jugé de haut, et du point de vue qui se rattache à la question proposée par l'Académie, les révolutions littéraires qui se sont accomplies dans l’autre portion de notre langue , la langue romane du Nord ou l'ancien français, et il en a conclu que la eroi- sade du XII siècle n'eut aucune influence directe sur sa grammaire, mais que son action se fit néanmoins sentir sur sa littérature, et finit même par acquérir in- sensiblement une importance très-caractérisée. Quelque regret que votre Commission ait éprouvé de voir que quelquefois l'auteur du Mémoire a pu se lais- ser aller à juger du caractère d’une littérature ou d’une époque par les qualités d’une pièce de vers, qui sou- vent résultent des qualités particulières de l'esprit ou du génie du poète, elle n'en a pas moins été unanime à reconnaitre que la question proposée par l'Académie avait été étudiée avec une justesse et une hauteur de vues auxquelles elle rend hommage, et une connais- sance approfondie de la matière, qui feront de ce tra- vail un Mémoire excessivement précieux pour le recueil de vos Actes. Pour avoir aussi bien traité cette matière, il faut que l’auteur soit familiarisé avec tout ce que la science a publié de relatif à cette question, et puisqu'il l'a réuni et groupé de manière à ne plus laisser aucun doute, votre Commission vous propose de lui accorder le prix proposé, et de faire imprimer son travail dans le recueil de vos Actes 185 RAPPORT SUR L’OUVRAGE DE M. ÉMILE LAURENT, SUR LES SOCIÉTÉS DE SECOURS MUTUELS MESSIEURS, M. Émile Laurent, chef de division à la Préfecture de la Gironde, a fait hommage à l'Académie d’un ouvrage qu'il a publié en 1856 sur les Sociétés de secours mu- tuels. Vous avez été frappés de l'importance des questions que M. Laurent s'est consacré à étudier, el vous avez renvoyé le livre qui vous était offert à l'examen d'une Commission, composée de. MM. Gintrac, Petit-Lafitte et Brunet. Ce n'est pas la première fois, ainsi que le fait obser- ver M. Émile Laurent dans un Mémoire qu'il a joint à son livre, que l'Académie est appelée à s'occuper de la grave question des Sociétés d'assistance réciproque. ! Fait au nom d’une Commission composée de MM. Gintrac, Petit-Laffitte, et Brunet, rapporteur. 186 En 1840 notamment, l'Administration départementale, se préoccupant de l'incertitude complète qui planait alors sur les conditions d'existence et de progrès de la mutualité, provoqua, relativement à un certain nom. bre de Statuts de Sociétés basées sur ce principe, votre examen et vos observations. A ce titre seul, l'ouvrage de M. Émile Laurent devait appeler l'intérèt de l'Académie; son mérite d’ailleurs le recommande aux suffrages de ses juges. Jusqu'à présent, il n'y avait rien de complet sur les Sociétés mutuelles, cette application la plus féconde du principe d'association; on rencontrait seulement quel- ques brochures ayant trait uniquement aux Sociétés de telle ou telle ville, et n'ayant qu'un intérêt purement local ; il existait aussi un travail à peu près exelusive- ment scientifique et ayant pour objet la recherche de la loi de maladie et de mortalité {loi qui n’est nulle- ment trouvée encore aujourd'hui, malgré les statisti- ques complètes de ces quatre dernières années, et qu'il était dès lors impossible de trouver en opérant sur les résultats fournis seulement par une trentaine de So- ciétés). Ces brochures et le travail qui vient d’être in- diqué , et qui est d’ailleurs antérieur à la législation actuelle et aux grandes enquêtes faites annuellement depuis 1852, forment toute la bibliographie de la question. Placé dans une excellente situation, le département de la Gironde est, après celui de la Seine, celui qui compte le plus de Sociétés mutuelles; il offre ainsi une mine abondante de renseignements ofliciels sans les- 187 quels les ouvrages d'économie sociale ne sont que des œuvres de pure imagination. M. Émile Laurent a com- blé une véritable lacune , et a fait à la fois un livre pra- tique et un ouvrage de théorie. L'auteur a divisé son ouvrage en trois parties : 4° L'histoire et la législature des Sociétés de secours mutuels; 2° leur organisation; 3° les conditions de suc- cès de ces Sociétés et l'amélioration dont elles sont sus- ceptibles : c'est dire à quel point de vue large et élevé M. Laurent s'est placé pour embrasser le sujet qu'il a entrepris de traiter. L'Académie remarquera le premier chapitre, qui pré- sente l’idée générale ou théorique de la Société mu- tuelle, et qui, résumé de lectures considérables, groupe les opinions de tous les économistes sur l'ineflicacité de l'assistance proprement dite contre le paupérisme , et fait jaillir de ces opinions toute l'économie de la question traitée par l’auteur. Tout était à faire pour la partie historique. Les plus curieux renseignements, fruits de longues recherches, y abondent; la portion du livre qui pré- sente les analogies entre la Société de secours mutuels moderne et les Confréries et Corporations du moyen âge, est surtout du plus vif intérêt; elle renferme même plusieurs textes complétement inédits et qui pro- jettent une vive lumière sur les origines des Sociétés d'assistance réciproque. Citons notamment les Statuts de la Confrérie des Cousturiers de Bordeaux et ceux de la Confrérie de Sain-Jean-Baptiste-de-Cadillac. Ni les Status anciens et nouveaux de De Lurbe, ni 188 aucun autre recueil, n'ont, à notre connaissance du moins, exhumé ces textes nouveaux. La filiation indi- recte des Sociétés, comme provenant partiellement du compagnonage et de la franc-maconnerie, est aussi très-bien indiquée. Nulle part les analogies entre la forme présente et la forme passée n'avaient été aussi clairement indiquées. L'auteur à apporté en outre, dans le livre d'or de la mutualité, des dates antérieures à la plupart, sinon à toutes celles qui avaient été citées. La législation relative aux Sociétés, la réfutation des objections auxquelles cette législation a donné lieu, les différentes espèces de Sociétés, les divers objets qu'elles se proposent, leurs règlements, leurs modes d'admi- nistration , leurs recettes et leurs dépenses, leur comp- tabilité, forment autant de chapitres complets. Les grandes questions, à peine indiquées jusqu'ici, de l'admission des femmes dans les Sociétés mutuelles el de l'agrégation des enfants des sociétaires, de l'utilité incontestable de la propagation de ces Sociétés dans les compagnonages, sont également traitées avec ces vues d'ensemble et cette süreté de coup d'œil que peu- vent seuls apporter ceux qui joignent à l'étude des livres une pratique personnelle. La question si incon- nue (à Bordeaux surtout) et si compliquée des pensions de retraites, de la Caisse des retraites pour la vieillesse et des rapports des Sociétés avec cette Caisse, forme, en six chapitres, une sorte de code spécial sur la ma- tière. Les conditions de succès des Sociétés et les amélio- j 189 rations dont leur organisation actuelle est susceptible , ne forment pas la partie la moins intéressante du livre. On y trouve, comme dans les autres, selon l'expression du Conseil général de la Gironde, « un esprit cons- ciencieux dans ses recherches et un cœur généreux dans ses sentiments. » En somme, non-seulement l'ouvrage est remarquable et mérite, sans contredit, un encouragement spécial de l’Académie, mais encore il a le privilége de répon- dre en quelque sorte, par le sujet traité et par la vul- garisation de l'institution qu'il a pour objet, à une question posée cette année par l'Académie sur la pro- position de M. le baron de Damas (voir à ce sujet le Mémoire de M. Émile Laurent qui accompagne son livre). Nous sommes d'avis qu'à ce double titre, l’Académie doit à l'ouvrage dont nous venons de parler, sinon l'admission au Concours Damas, puisque le livre n’a pas été présenté à cet effet dans les formes prescrites par le Règlement, du moins une médaille honorifique, et qui puisse être regardée comme un encouragement efficace que méritent bien des ouvrages aussi utiles et aussi soigneusement rédigés que celui dont il vient d'être question dans le Rapport qui vous est soumis. Ajoutons, Messieurs, que l’Académie, en donnant au zèle et aux connaissances de M. Laurent une preuve non équivoque de ses sympathies, corroborera l'opinion favorable qu'ont déjà émise divers Corps constitués, tels que le Conseil général de la Gironde, le Conseil muni- cipal et la Chambre de Commerce de Bordeaux, ainsi 190 qu'une Commission formée au Ministère de l'agriculture et du commerce pour examiner l'ouvrage dont nous vous entretenons. Tous ces Corps en ont reconnu l'in- contestable utilité, et leurs souscriptions sont venues sanctionner cette juste appréciation. La Commission chargée d'examiner le livre de M. Lau- rent vous propose, à l'unanimité, d'accorder à l'auteur une médaille d’or de la valeur de 100 fr. 194 RAPPORT SUR UNE COUPE EN BOIS SCULPTÉE EXÉCUTÉE PAR M. LAGNIER, Soumise à l'appréciation de l'Académie par M. BROCHON. Un enfant de Bordeaux, un digne et véritable artiste, M. Lagnier, sculpteur sur bois, a soumis à l'apprécia- tion de l'Académie une coupe qu'il appelle : La coupe aux arabesques. L'examen attentif de votre Commission ‘ m'a fait qu'augmenter l'admiration que nous avions éprouvée à première vue. Nous n’hésitons pas à le déclarer : cette coupe est un chef-d'œuvre! Un chef-d'œuvre! car le sentiment le plus pur et le plus élevé du beau sy trouve réuni à la finesse ingé- nieuse des détails; et la perfection de la main, la déli- catesse de l'exécution, sont à la hauteur de la beauté de la composition. { La Commission est composée de MM. Jules Delpit, Léo Drouyn, et Henry Brochon, rapporteur. 192 Voici la description exacte de la coupe aux arabes- ques de M. Lagnier : Elle est en bois de poirier, gracieusement nuancé de teintes variées. Sa hauteur est de 15 centimètres. Le pied se divise en quatre compartiments princi- paux, distincts et bien séparés par des cordons de perle et des filets. A la base : une petite plinthe surmontée d'une gorge avec une frise, garnie de gracieuses arabesques; et au- dessus un rang de perles entre deux filets. Puis, toujours en montant : un quart de rond qui supporte le piédouche, et sur lequel sont sculptés deux serpents entrelacés qui forment huit évasements. Ce quart de rond, eu s’harmonisant avec la composition générale, contraste heureusement avec la base qui le porte et le piédouche qu'il soutient. Ce piédouche est l’une des parties les mieux réussies et les plus délicieuses de l'œuvre, s'il est permis de pré- férer quelque partie dans un tout aussi parfait. On y voit sculptés, avec une vigueur et une netteté mer- veilleuses, quatre têtes de griffons s'enlaçant entre elles par les cornes : des feuilles d'acanthe, des guirlandes de fruits microscopiques et des rouleaux de cartouches complètent, sans aucune surcharge, la richesse de cette composition. Au-dessus vient le bouleau, séparé du piédouche par une bague très-fine relevée par des filets et quatre cannelures. Ce bouleau renferme, lui aussi, tout un monde de détails ravissants; il se divise en quatre compartiments , à EN 193 distribués ainsi : quatre médaillons, où sont figurés et alternent deux bouquets de fleurs et deux bouquets de fruits, et dont le cadre est formé par un double rang et de filets et de perles; des arabesques, jetées dans les intervalles, retiennent et lient ensemble les quatre mé- daillons et viennent les couronner; puis, quatre jolis lézards, grimpant vers le haut, les pattes appuyées sur les cadres des médaillons, la tête historiée à raison de l’'ornementation du dessous de la coupe, viennent in- troduire la vie et le mouvement au milieu de cette gracieuse nature morte qu'ils animent; on dirait qu’ils fuient les serpents des bas-fonds et vont aux oiseaux qui chantent sur leurs têtes. Tout cela est vrai, est charmant! Tout cela se voit du premier coup d'œil, sans efforts, sans confusion : la variété et l'abondance n'ôtent rien à l’ordre et à la simplicité. Dans cet ensemble toujours homogène et harmonieux, nous retrouvons, entre le bouleau et la coupe, une ba- gue plus eflilée et plus longue que celle qui sépare le quart de rond et le piédouche, et enrichie de perles et de feuilles d’acanthe. Tel est, dans les quatre parties qui le composent, le pied de cette admirable coupe ; il nous reste à décrire l'assiette ou la coupe proprement dile. Extérieur ou dessous : L'artiste y a prodigué tous les trésors de son imagination. Quatre médaillons y enclavent des têtes de mascarons d'un relief vigou- reux, loutes variées entre elles, et de la plus piquante fantaise; autour, sont suspendues des arabesques por- tant des oiseaux, des souris, des lézards ; le tout, 13 19% d'une netteté surprenante et d'un gout exquis, est ter- miné par une frise d'ornementation avec filets. L'intérieur ou dessus : Une croix grecque en dé- termine l’ornementation principale; quatre petits mé- daillons y sont jetés au milieu de riches arabesques fortement accentuées; comme dessous, le bord se ter- mine par une frise ornementée. L'ensemble est pur et magistral; il contraste avec la profusion des détails in- férieurs. Nous le répétons avec une conviction profonde : celte coupe, œuvre originale qui rappelle un peu, par sa silhouette générale, la fameuse coupe de Benvenuto Cellini, mais qui ne lui ressemble par aucun détail, et dont l'invention appartient tout entière à M. Lagnier, celte coupe est un chef-d'œuvre; et il n’est pas un sculpteur en Europe qui ne shonort d'en être l’auteur, soit comme idée, soit comme main. Nous pouvons d'autant mieux aflirmer cette supé- riorité de notre jeune compatriote, que nous l'avons vu naguère, à l'Exposition universelle de 1855, dans ce grand tournoi de l'industrie européenne, soutenir di- gnement l'honneur artistique de la France, et se pla- cer, dans l'estime de tous les connaisseurs et dans les récompenses décernées par le jury, à côté des artistes les plus renommés, par exemple, à côté de Wallis, le plus célèbre sculpteur de l'Angleterre, médaillé ex æquo avec lui. Vous le savez, Messieurs, le tableau de sculpture sur bois qui à été tant remarqué à Paris est aujourd'hui placé dans le Musée de notre ville : le Conseil muni- 195 cipal, en lui décernant cette distinction, a voulu se rendre l'interprète des sentiments de la cité pour un artiste qui l'honore. Votre Commission croit pouvoir ajouter que la coupe que nous admirons aujourd'hui constate un pas de plus dans la perfection. Il nous reste, Messieurs, à rechercher quelle est la récompense que l’Académie voudra décerner à M. La- gnier. A notre avis, il ne faut pas lui décerner de récom- pense, ou bien il faut qu'elle soit digne de l'artiste et proportionnée au mérite de l’œuvre. Que l’on ne puisse pas dire, à propos des jugements de notre Compagnie : Nul n'est prophète dans son pays! Que Lagnier n'ait pas à souffrir d'être Bordelais! Que l'on ne puisse pas dire un jour : — « Après avoir conquis tous les suffrages de la capitale, après avoir glorieusement lutté contre les plus grands artistes de l'Europe et partagé avec eux les palmes de l'Exposition universelle, Lagnier produisit un chef-d'œuvre encore plus parfait et le soumit à ceux de ses concitoyens qui ont le plus d'autorité dans les sciences, les lettres et les arts; et l’Académie de Bor- deaux ne sut lui accorder qu'une vulgaire récom- pense ! » Votre Commission insistera pour la récompense la plus élevée, parce qu'il s’agit d'un artiste éminent , et aussi parce qu'en récompensant le talent, l'Académie honorera le travail, la modestie et la bonne conduite. S'il nous était permis de parler de l’homme après avoir apprécié l'artiste, nous serions heureux de vous mon- 196 trer cet enfant du peuple, dont la vocation n’a eu d'au- tre appui que les leçons gratuites de notre École de dessin, fils de ses œuvres, patient et obstiné au tra- vail, dévoué à ses vieux parents, modeste jusqu'à l'ignorance de soi-même, simple et candide jusqu'à l'oubli de tous les intérêts matériels, grandir dans l'om- bre, souvent exploité, connu en Europe, remarqué à Paris, presque inaperçu à Bordeaux. La consécration de son mérite par notre Académie sera un acte de haute justice, qui lui donnera enfin la place qui lui est due dans sa ville natale. Votre Commission vous propose, en conséquence, de décerner à M. Lagnier, de Bordeaux, une médaille d'or. Bordeaux, 14 décembre 1856. 197 PISCICULTURE PRATIQUE. Présenter les considérations pratiques générales ou partielles relatives à l'in troduction de la pisciculture dans le département de la Gironde. ( Question mise au concours, pour les années 1855-1856, par l’Académie Impériale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux.) PAR M. C. MILLET, INSPECTEUR DES FORÊTS » MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ IMPÉRIALE D'ACCLIMATATION. La nature est le meilleur guide à suivre. INTRODUCTION. L'empoissonnement des eaux ne peut s’obtenir que de deux manières, soit à l’aide de poissons vivants, soit à l'aide d'œufs fécondés. Le premier mode est mis en usage depuis un temps immémorial; on peuple les eaux soit avec du jeune pois- son dit alevin ou frelin, soit avec du poisson adulte. C'est le moyen généralement employé dans les étangs, les rivières, les réservoirs, les canaux, les petits lacs et les petits cours d’eau ; il est indiqué et décrit dans 198 un grand nombre d'ouvrages avee les plus grands dé- tails; je n'aurai donc pas à m'en occuper ici. Je ferai toutefois remarquer que l'emploi de ce mode de repeu- plement a toujours présenté de grands inconvénients : d'abord, plusieurs espèces estimées et délicates suppor- tent difficilement les transports, surtout quand ils sont de longue durée ; ensuite, les frais de transport sont tou- jours considérables, même pour les espèces les plus ro- bustes, quand ils s'appliquent à une grande quantité de poissons. Toutefois, dans ces dernières années, j'ai imaginé un mode de transport qui présente de très-grands avan- tages et qui résout une partie des difficultés; j'en don- nerai la description au chapitre HIT ci-après. Quoi qu'il en soit, en raison même du poids des pois- sons et de la nécessité de les tenir immergés dans l'eau, le transport du poisson vivant est généralement assez couteux, et il est toujours plus facile de transporter 100,000 œufs fécondés qu'une douzaine de poissons, mème de petites dimensions. Le repeuplement des eaux à l'aide de sujets vivants n’est réellement avantageux ou praticable que dans les cas suivants : 4° lorsque l'alevin peut être facilement introduit dans les eaux à empoissonner, ainsi que cela se pratique dans les réservoirs du bassin d'Arcachon ; 2° lorsque les transports sont peu coùteux et de courte durée; 3° lorsqu'il s’agit d'anguilles (on les transporte à sec); 4° lorsque les espèces sont hermaphrodites (huitres, moules), ou lorsqu'elles se reproduisent par accouplement (homard, langouste, crevette, écrevisse). 199 Dans tous les autres cas, l'emploi d'œufs fécondés offre des avantages incontestables. On obtient des œufs fécondés : 1° En récoltant dans les eaux naturelles le frai de- posé par le poisson ; 2° En provoquant et en facilitant la fraie naturelle à l'aide de frayères artificielles ; 3° En fécondant artificiellement les œufs. La récolte du frai naturel consiste à couper ou à en- lever les végétaux ou autres objets garnis d'œufs, et à les déposer ensuite dans les eaux à repeupler. Cette ré- colte n'est praticable sur une grande échelle que pour les œufs des espèces qui frayent sur les plantes aquati- ques; elle est d’ailleurs souvent compromise par les in- fluences atmosphériques, les variations du niveau de l'eau, el par les animaux nuisibles. Dans l'état actuel de nos connaissances en piscieul- ture et des progrès notables que cette industrie a faits pendant ces dernières années, je n'aurai à m'occuper ici que des frayères artificielles et de la fécondation artificielle; d'ailleurs, l'étude des frayères artificielles ‘amène directement à la fraie naturelle. CHAPITRE T. Des frayères artificielles. Dans les opérations de pisciculture, on doit toujours, pour en assurer le succès, se rapprocher autant que possible des faits naturels. C'est d'après ce principe qu'après avoir étudié pendant plus de vingt années les habitudes et les mœurs des poissons, j'ai cherché à dé- 200 terminer les meilleurs moyens de repeupler les eaux en bonnes espèces comestibles. Pendant les années de 1848 à 1855, j'ai entrepris et j'ai fait répéter de nombreuses expériences sur les /écondations artificielles appliquées à l'élève des poissons; j'ai recherché en même temps s’il ne serait pas possible d'obtenir des résultats au moins aussi satisfaisants, en se rapprochant encore davantage des conditions naturelles de la fraie, de manière à ren- dre les opérations plus simples, plus économiques et plus sûres. J'ai repris alors mes anciennes expériences sur la fraie naturelle et sur les frayères artificielles. Parmi les diverses espèces de poissons, on distingue : 1° celles qui frayent dans les eaux vives ou courantes, et 2° celles qui frayent dans les eaux tranquilles, dor- mantes ou stagnantes. Dans la première catégorie, on a les saumons, truiles, ombres, etc. ; le barbeau, le chevaine, le goujon, etc... Dans la deuxième catégo- rie, on à la carpe, la tanche, la brème, la perche, le brochet, le gardon, etc. La truite (ainsi que les salmones en général) fait un vérilable nid au moment de la ponte; elle choisit un lit de gros gravier ou de cailloux lavés par des eaux claires et vives; elle les remue et les nettoie pour en faire sortir toutes les matières ténues, tous les maté- riaux étrangers déposés par l’eau; puis elle creuse des trous au milieu des cailloux, dans lesquels elle fait écouler ses œufs en se plaçant à une faible distance contre le courant. Au fur et à mesure de la sortie des œufs, le male les féconde par quelques gouttes ou jets de laitance dont il provoque ou facilite l'écoulement en se frottant, ainsi que la femelle le fait pour les œufs, 201 contre les pierres ou les cailloux. La truite recouvre ensuite son nid avec les cailloux qu'elle avait déplacés, et forme ainsi des tas, monticules ou digues que l'on reconnait au premier coup d'œil. Ce mode de frayer indique la marche à suivre, On peut établir des frayères même dans les cours d'eau que fréquentent la truite, le saumon , etc. , lorsque ces cours d'eau se trouvent dans les mêmes conditions. A cet ef- fet, on choisit, dans des bras de rivière ou dans des ruis- seaux , les endroits où l'eau ne gèle jamais, où le niveau est peu variable, où elle reste claire, vive et courante, el où la température se maintient en hiver entre 3° et 10° environ (on peut même opérer dans des eaux plus froides). Si le lit est garni de gros gravier ou de cail- loux, on utilise ces matériaux sur place; on se borne alors à les remuer avec une pelle ou un ràteau, pour en former des tas, des monticules ou de petites digues en pente douce. Il est essentiel de bien approprier ces matériaux pour les débarrasser de toutes matières étran- gères, telles que sable, terre, débris organiques, ete. En les remuant avec un râteau de fer, surtout à quel- ques centimètres de profondeur, on arrive facilement à les nettoyer complétement; car le courant entraine im- médiatement toutes les matières les plus ténues et les plus légères, qui ne résistent pas à son action. Il faut surtout que la frayère ne présente point de ces végéta- lions aquatiques, de ces conferves qui tapissent quel- quefois la surface de quelques pierres ou cailloux ; leur présence serait une cause d'éloignement pour le poisson. L'établissement de ces frayères ne présente aucune 202 difficulté et n’occasionne qu'une très-faible dépense ; car j'ai pu, avec un seul manœuvre, préparer ainsi, dans une seule journée, 15 à 20 frayères capables de rece- voir la ponte d'une centaine de truites de dimensions ordinaires, c'est-à-dire de 500 à 1,000 grammes (1 à 2 livres), et pouvant produire 100,000 œufs environ. On ménagera, à proximité des frayères, quelques trous ou cavités sous les berges, des toufles de plantes aquatiques, des bois ou des fascines, sous lesquels le poisson aime à se réfugier et à se reposer, surtout pen- dant la période de la fraie. Toutes ces dispositions ont pour but d'attirer et de retenir le poisson sur les points que l'on a choisis; l'appropriation des frayères 2 d'ail- leurs pour objet d'épargner au poisson un travail sou- vent long et pénible dans le nettoyage des matériaux. Quand le fond ou le lit ne présente pas de matériaux convenables, quand il est formé de terre, de vase, etc... on y introduit du gros gravier, des cailloux ou des pier- res ayant en général la grosseur d'une noix à celle du poing; quelques brouettées suffisent pour former plu- sieurs frayères. La nature des matériaux est à peu près insignifiante; car j'ai employé des cailloux et des pier- res de nature très-variée : des silex, des granits, des grès, des calcaires (même des morceaux de craie blan- che). Toutefois, on devra donner la préférence aux cailloux d'alluvion ou aux pierres qui résistent à l'eau et au frottement, et en général aux matériaux dont les arêles sont émoussées ou arrondies par érosion, parce que les angles trop aigus et les arêtes trop vives bles- sent et faliguent le poisson quand il creuse les trous et 203 quand il les recouvre. Ils offrent d'ailleurs, dans leur superposition, des intervalles ou des vides ou intersti- ces qui présentent de bonnes conditions pour l'incuba- tion et l'éclosion des œufs, et pour le développement des jeunes poissons. L'établissement de ces frayères artificielles à parmi beaucoup d'autres avantages, celui de retenir les truites dans les cours d’eau ou à proximité des cours d'eau que l'on veut repeupler. Ce résultat est très-important pour les propriétaires qui voient chaque année les meilleurs poissons de leur domaine ou ceux des eaux dont ils ont la jouissance, se diriger sur des points où ils sont pé- chés par des braconniers ou par les riverains; ces frayè- res ont aussi l'avantage d'obtenir une reproduction dans les rivières et dans les eaux où la fraie naturelle était unpossible. Leur efficacité est si réelle, que j'ai pu faire frayer des truites dans des trous et des fosses d'ancien- nes {ourbières où l’on avait jeté, quelques semaines avant l'époque ordinaire de la ponte, des brouettées de pierres cassées servant à l'empierrement des routes. Plusieurs frayères établies dans des sources et des fon- taines, avec des rognons et des cailloux de silex pyro- maque, el d'autres avec des morceaux de calcaire crayeux, ont donné d'excellents résultats. Il faut avoir le soin, et c'est là une règle générale, d'organiser les frayères quelques semaines avant l'é- poque ordinaire des pontes, et de les nettoyer au rà- teau de fer quand le poisson commence à les explorer. On peut les établir à des profondeurs très-variables, eu égard à la grosseur des poissons, soit à quelques déci- 204 mètres, soil à plusieurs mètres sous l'eau; toutefois, j'ai remarqué que le saumon et la truite donnaient la préférence à celles qui avaient une profondeur de qua- rante centimètres à un mètre environ. Il y a ici un fait important à signaler: c’est que l'om- bre-chevalier fraie souvent à des profondeurs très-con- sidérables (30 et 40 mètres). Ce poisson se reproduit facilement dans les lacs, dans les fosses les plus pro- fondes, quand il y trouve les conditions nécessaires à sa ponte; il est beaucoup plus stationnaire que la truite et le saumon notamment; car au moment de la fraie il quitte rarement ses cantonnements. Il présente par conséquent un grand avantage pour ceux qui l'élèvent. J'ai fait jeter quelques mètres cubes de pierres concas- sées el de cailloux dans des fosses de 8 à 10 mètres de profondeur; ces matériaux ont servi de frayères aux ombres. Ce mode de reproduction offre par conséquent l'avantage de mettre cette espèce de poisson à l'abri des braconniers, qui souvent ravagent les eaux peuplées de traites et d'ombres en les pèchant sur les frayères na- turelles, où elles se trouvent à de très-petites profondeurs. Pour le barbeau, le chevaine ou meunier, le gou- jon, etc... , on forme, dans les endroits où l'eau est courante el peu profonde, des grèves en pente douce , des las ou des monticules de pierres ou de graviers de rivière, en ayant le soin de remuer et de nettoyer ces matériaux à la pelle ou au ràteau, de manière à les rendre bien nets et bien propres; on approprie en même temps la base et les alentours de ces monticules ; on peut placer, dans les intervalles, des pieux, des piquets 205 et quelques branchages qui servent à briser les courants et à abriter le poisson. À l'époque de la fraie, le bar- beau, le chevaine, etc... , se portent sur ces frayères artificielles et déposent leurs œufs sur les pierres et les cailloux, où ils restent engagés où adhérents jusqu'au moment de l'éclosion. Le chabot, vulgairement nommé tétard-bavard, et le véron fraient parfaitement dans les fontaines ou les ruis- seaux dont la température est de 8 à 12 degrés. Cette circonstance est très-importante; car ces poissons sont très-recherchés par les espèces voraces, notamment par la truite, l'ombre et le saumon. On peut donc en faire produire une grande quantité pour nourrir l'alevin dans les eaux où l'eau élève des salmones. Les œufs du chabot et du véron éclosent à des épo- ques où les saumoneaux, les truites et les ombres peuvent déjà se nourrir avec avantage de très-petits poissons dont la chair est encore peu substantielle, J'ai fait frayer le chabot et le véron avec un succès complet dans des fontaines ou des ruisseaux qui n'avaient que quelques décimètres de profondeur, en leur préparant des pierres, des cailloux ou des graviers bien nettoyés. Quand ces matériaux se trouvent sur place, il suffit de les dégager et de les approprier avec un râteau quelque temps avant la ponte. Quand ils n'existent pas sur place, on en introduit quelques-uns, et on les dispose, pour le chabot, par petits groupes de quatre à cinq ayant à peu près la grosseur du poing et présentant quelques enfoncements dans la partie tournée vers le sol. Le chabot choisit les pierres dont le dessous offre 206 quelques cavités, dans lesquelles il colle ses œufs par petits groupes; mais il procède toujours à un travail préparaloire qui consiste à approprier la place où il veut faire son nid; il creuse alors une galerie ou un couloir qui a une entrée et une sortie sous la pierre des- tinée à recevoir ses œufs. La femelle glisse sous la pierre, se retourne brusquement sur le dos et présente son ven- tre contre la face de cette pierre, où elle dépose une portion de ses œufs, qui s’y collent immédiatement; le màle pénètre alors dans le nid, et, par un mouvement semblable à celui de la femelle, il éjacule , en se retour- nant sur le dos, quelques gouttes de laitance sur les œufs qui viennent d'être pondus. Le chabot garde son nid et se tient à l'entrée de la galerie pour chasser les animaux nuisibles, notamment les épinoches, les vé- rons, etc... , qui cherchent à pénétrer dans le nid pour dévorer les œufs. Pour la tanche, la carpe, la brème, le gardon , etc.…, on dépose les frayères dans une eau tranquille et douce que les rayons solaires peuvent porter à une tempéra- ture tiède (20 à 25 degrés). La carpe notamment fraie parfaitement dans les mares dont l'eau est complélement stagnante. Les bassins doivent être en cuvette, et les bords, en pente très-douce , doivent être garnis de plan- tes aquatiques , notamment d'herbes fines, déliées, mais à tiges résistantes, et de gazons, lertres ou petits mon- ticules garnis d'herbes et de racines déliées et dures. On peut aussi établir des frayères mobiles à l’aide de fascines et de clayonnages que l'on pose à proximité des bords en plans peu inclinés, et que l'on charge de 207 quelques mottes de gazon ou de jonc. A l'époque de la ponte, la carpe, ainsi que les autres poissons, vient explorer les frayères pour choisir les meilleures. Les mâles et les femelles des carpes sont réunis; ils battent l'eau avec bruit, et au fur et à mesure que les œufs s'é- coulent, le mâle les féconde; en agitant et en battant l'eau, ces poissons ont surtout l'instinct d'empêcher les œufs de s'agglomérer, et de les disséminer sur les corps environnants, auxquels ils se collent immédiatement , et en même temps de diviser ou de disséminer la laitance, de manière à la répandre sur tous les œufs. La carpe, la (anche, etc... , ne fraient pas dans les eaux courantes, surtout dans celles qui sont vives et froides. Quand l’époque de la ponte arrive, ces poissons quittent les cours d'eau pour gagner des anses, des ga- res, des étangs ou des marais en communication avec ces cours d'eau. Le brochet quitte aussi les grandes eaux au moment de la ponte, pour aller chercher les eaux dormantes et tranquilles. On forme ses frayères avec des gazons ou tertres garnis d'herbes et de racines, et avec des bran- chages et des ramilles que l’on tient en bon état de pro- prelé. La perche fraie d’une manière toute spéciale. Ses œufs, soudés les uns aux autres par petits groupes, for- ment un large ruban qui a l'aspect d'une jolie guipure. Ce poisson n'a qu'un seul ovaire; il le vide compléte- ment en une seule fois. Pour empècher que ce ruban ne soit entraîné par les eaux ou ne soit en contact avec la vase et le limon, la perche a la précaution de l’enla- 208 cer autour des herbes, des jones, des ramilles ou des branchages, et en général de tout corps plongeant dans l'eau et pouvant retenir ses œufs. Elle pond soit à quel- ques centimètres seulement, soit à plusieurs mètres de profondeur. Dans un grand nombre d'étangs, de lacs et de viviers, j'ai pu récolter des œufs de perche avec des fagots ou fascines plongés dans l'eau. A l'époque de la fraie, la perche quitte les cours d’eau et gagne les lieux tranquilles. Pour préparer les frayères, on met dans l'eau des mottes de jones et d'herbes, des fascines ou des branchages; ou mieux encore, on pique sur les rives, à une profondeur de 0"50 à 4 mètre envi- ron, quelques branches garnies de légers rameaux, des branches de saule par exemple. Il est toujours très-fa- cile de recueillir les œufs, car il suffit de soulever les rubans avec un bâton ou une petite fourche, et de les dégager ainsi du point où ils étaient fixés; mais il ne faut pas attendre que la période d'incubation soit trop avancée, car le cordon d'œufs se désagrége au moindre contact. Par ces divers moyens, on peut facilement déplacer et transporter les œufs; on peut aussi les dé- truire ou en diminuer le nombre dans les eaux où la trop grande multiplication de la perche serait préjudi- ciable, car ce poisson est très-vorace. Les frayères artificielles formées soit avec des pier- res, des cailloux, des graviers ou sable, etc..., soit avec des végétaux aquatiques, soit avec des ramilles, bran- chages, pieux ou clayonnages, sont aussi d'une appli- cation très-facile et très-avantageuse à la reproduction des poissons el mème des coguillages et crustacés ma- 209 rins (huîtres, moules, langoustes, homards, crevet- tes, etc...), qui fraient dans les eaux salées ou sau- maires. On sait que, vers l’époque de la ponte, un grand nombre de poissons essentiellement marins se rappro- chent des côles et pénètrent même quelquefois dans l'intérieur des affluents, pour y chercher les conditions de température et de densité nécessaires à la fraie. Dans les eaux douces ou à proximité des eaux douces, l’orga- nisation des frayères ne présente aucune difliculté; il en est de même pour les eaux du littoral, soit de l'O- céan, soit de la Méditerranée. On trouve, en effet, sur un très-grand nombre de points, des canaux, des étangs et des viviers dans lesquels on peut, par des pri- ses d’eau douce ou d’eau salée, établir soit des courants, soit des milieux d'une densité convenable à chaque es- pèce. Pour le muge, le bar, la dorade et autres de même nature, les frayères doivent être établies sur le littoral ou dans des anses que la marée ne laisse jamais à sec ; le fond doit être sableux; on y organise des fascines et clayonnages garnis de menues branches. Pour le turbot, le carrelet, la sole , la plie et autres pleuromectes, les frayères doivent être établies à l’aide de grèves ou de bancs inclinés de sable propre et bien lavé. Ces poissons ont l'habitude de s’enfoncer dans le sable, et au moment de la fraie ils y creusent des sil- lons destinés à recevoir leurs œufs. Dans les viviers ou réservoirs à reproduction, c’est- à-dire dans ceux qui sont organisés pour avoir de l’ale- 14 210 vin où du fretin, il est très-important que les poissons reproducteurs ne soient pas nourris ou engraissés comme ceux qu'on livre à la consommation; car l'engraisse- ment peut nuire et même devenir un obstacle réel à l'acte de la reproduction. Huître.—Ce coquillage est hermaphrodite ; une seule huitre adulte et bien vivace peut suffire à la multiplica- tion de l'espèce, et donner en peu d'années des produits assez abondants pour être l’objet d’une grande exploita- tion. Dès sa naissance, la jeune huitre s'attache, par le lit ou coquille, aux divers corps qu’elle touche et sur lesquels elle peut se souder; dans la nature, on la trouve sur des fonds pierreux, sur des rochers, sur des raci- nes et même des branchages immergés. L'huitre, une fois fixée, passe toute sa vie au même point, sans se déplacer et sans pouvoir exécuter d'autre mouvement que celui de fermer et ouvrir sa coquille. L'eau de mer, chargée de molécules nutritives, s'introduit jusque dans la bouche de l'huitre, et lui apporte les aliments qu'elle ne pourrait atteindre autrement. La plupart des huîtres, et notamment celles qui vivent sur le littoral de la Gi- ronde et dans le bassin d'Arcachon, peuvent rester à sec sur la grève et les rochers ; elles conservent de l'eau dans leurs valves et se tiennent parfaitement fermées pendant l'intervalle d’une marée à l'autre. L'organisation des frayères et des bancs artificiels d'huitres est facile et peu coûteuse. Dans les localités où il existe des rochers ou enroche- ments, il suffit d'y disséminer quelques douzaines d'hui- tres adultes, en ayant la précaution de les mettre à 211 l'abri des grands coups de vagues. Sur plusieurs points du littoral de l'Océan , l'on à parfaitement réussi en sui- vant le procédé de fiwation que j'avais indiqué : on fixe l'huître, avec un peu de ciment hydraulique, par la valve inférieure. Partout ailleurs, quand le fond est vaseux ou sablon- neux, on établit des tas de pierres en forme de petits rochers, ou bien l’on organise un système de piquets, pieux et clayonnages, capable de retenir et de fixer les huitres. La forme et la disposition des banes ou des frayères sont essentiellement subordonnées à l'état et à la nature des eaux, et à la situation du littoral. Les règles géné- rales à suivre consistent : 1° à choisir des emplacements à l'abri des mauvais vents ; 2° à ne pas mettre les hultres en contact avec la vase ou le limon; 3° à les laisser im- merger autant que possible dans des eaux qui se renou- vellent assez fréquemment, soit par la marée, soit par l'action des vents. à Les huitres adultes ou propres à la reproduction doi- vent être déposées et placées avant le mois de juin; et il faut s'abstenir de les déplacer ou de troubler leurs fonctions pendant toute la durée de l'été. Moule.— La moule comestible ou moule marine est hermaphrodite; c’est un coquillage bien connu et très- abondant sur toutes les côtes de l'Europe, qui se fixe aux rochers, el en général aux corps étrangers ; à l'aide de petits poils bruns qu'on nomme byssus. L'industrie de l'élève des moules dans la Charente- Inférieure remonte à 4035, époque à laquelle on orga- nisa les premiers bouchots. 212 ; Pour favoriser la multiplication et l'accroissement des moules, il faut observer les règles générales indiquées précédemment pour l'élève des huitres. La semence {les jeunes moules) étant très-abondante chaque année et se disséminant dans tous les sens en rayonnant autour de la moule-mère, on doit, pour en recueillir la plus grande partie possible, lui offrir des points d'attache ou de fiæa- tion très-nombreux et très-divisés. Sur un littoral comme celui de la Gironde, soumis à toutes les marées, on enfonce, au niveau de la basse mer, à la distance de 4 mètre environ les uns des au- tres, des pieux assez forts pour résister aux coups de mer; ces pieux, disposés en deux lignes, forment un angle dont la base part du rivage, et dont le sommet regarde la pleine eau. Cette double palissade est ensuite clayonnée grossièrement avec de longues branches. On dépose quelques centaines de moules adultes, soit dans les clayonnages, soit sur des fascines suspendues aux pieux ou âux piquets; la multiplication et le déve- loppement sont assez considérables et assez rapides pour donner lieu, dans l’espace de deux à trois ans, à une récolte très-abondante. Homard et langousle. — Chacun de ces crustacés se reproduit par voie d'accouplement. La femelle porte ses œufs sous les feuilles de sa queue jusqu'au moment de l’éclosion; le nombre d'œufs est très-considérable, car j'en ai trouvé, sur des sujets de dimension ordi- naires, vingt mille chez le homard, et plus de cent vingt mille chez la langouste. J'ai pu constater, ainsi que je l'avais déjà fait pour l’écrevisse, que l'accouplement ne seffectue que lors- 213 que ces crustacés peuvent se réfugier et se blottir dans des trous ou cavités de rochers, dans des excavations assez profondes, ou sous des amas de fascines. Quand une femelle a la queue garnie d'œufs, on peut la séquestrer ou l’isoler dans un vivier, dans un réser- voir et même dans une cage ou panier à éclosion, jus- qu'à l’époque de l'éclosion des œufs. Il ne serait pas prudent d'abandonner immédiatement les petits à eux- mêmes; car, dans le premier àge, ils viennent toujours se réfugier sur la queue de la mère. Crevette. — La crevette ou chevrette de mer a le même mode de reproduction; on lui crée des abris et des frayères avec des touffes de plantes marines et avec des bancs ou talus de sable. — L'élève de ce crustacé ne présente aucune difliculté ; sa propagation sur le lit- toral de la Gironde, et notamment dans le bassin d’Ar- cachon, donnerait des produits très-avantageux pour la consommation et pour les éleveurs; car la chair de la crevelle est très-estimée, et le prix toujours très-élevé sur le marché de Paris. CHAPITRE II. Des fécondations artificielles. D'après les observations faites jusqu'à ce jour, les principales espèces de poissons qui peuplent les eaux de la France sont ovipares; la fécondation de leurs œufs à lieu eælérieurement, c'est-à-dire que le mâle féconde les œufs après la ponte. 214 La femelle pond les œufs, et le male les arrose en- suite avec sa matière fécondante, qu'on nomme late ou laitance. Cette matière, qui en bon état de matu- rité ressemble au lait ordinaire ou à une crème liquide, a la propriété, quand elle est mise en temps utile et dans de bonnes conditions en contact avec les œufs, de les affecter de manière à en développer les germes. La fécondation artificielle appliquée à la production du poisson comporte deux opérations principales : la première consiste à récolter les œufs et la laitance en bon état de maturité, etla deuxième à mettre les œufs en contact avec la laitance, de manière à les fé- conder. Pour faire les fécondations artificielles, il est indis- pensable que les œufs et la lailance soient bien murs et parfaitement sains. Le meilleur moyen d'avoir des poissons réunissant ces conditions essentielles , c’est de les pêcher soit à l'époque de la fraie, soit sur les frayè- res mêmes ou à proximité de ces frayères, quand ils commencent à entrer en fraie ou quand ils ont com- mencé à frayer. À cette époque, l'anus de la femelle est gonflé et comme enflammé; ses œufs coulent naturelle- ment au moment où on la saisit, ou bien quand on lui presse légèrement le dessous du ventre; souvent même une partie des œufs tombe dans le filet ou le bateau du pêcheur quand le poisson s'agite, et surtout quand on le tient suspendu la tête en haut. Les œufs bien mürs ou les bons œufs sont isolés les uns des autres (excepté pour la perche) , sont clairs et transparents, el ressem- blent à de petits globules de verre d'un gris verdàtre ou 245 jaunatre, selon les espèces, où à de jolies groseilles blanches et roses, comme pour le saumon et la truite. Quand les œufs sont ternes et opaques, quand ils cou- lent à l’état pàteux ou sirupeux , il faut les rejeter. Chez le mâle, la laitance est généralement bonne quand elle s'écoule en jets ou gouttes semblables à du lait ou de la crème, soit naturellement , soit par une légère pression au ventre. Si, au moment de la pêche, la sortie des œufs ou de la laitance n'était pas naturelle et facile; si elle venait à s'interrompre pendant l'opération, il faudrait mettre les poissons en réserve dans l’eau, pour s'en servir le lendemain où au bout de quelques jours. On doit loutefois éviter autant que possible de tenir le poisson en captivité, surtout pendant longtemps, parce que quelques espèces délicates ne supportent pas cel élat, et parce que les œufs et la laitance peuvent s'altérer et se perdre. Cés inconvénients n'existent pas, en général, pour les mâles d’un grand nombre d'espé- ces, qui fournissent souvent, pendant plusieurs jours consécutifs, des jets de bonne laitance. Dans tous les cas, il faut tenir le poisson en un état de captivité qui le rapproche le plus possible de l'état naturel; il faut lui fournir, dans les eaux mêmes qu'il habite ou dans des eaux de même nature, et surtout de méme température, des abris où il aime à se réfugier et à se reposer. Quand on est en pleine campagne ; sur le bord d’une rivière , on remet le poisson dans l'eau, après lui avoir passé dans la bouche et l’une des ouïes une corde rete- nue au rivage, où bien on le place dans une petite nasse 216 ou un filet-bourse qui l'enveloppe complétement et qui est muni d'une corde fixée à un piquet. Quand on à un màle et une femelle qui se trouvent dans de bonnes conditions, on procède à la fécondation. Voici la manière d'opérer pour obtenir des œufs bien fécondés: Afin de rendre cette description très-claire, il faut d'abord établir une distinst‘on entre les espèces de pois- sons qui donnent, les uns (saumons, truites, om- bres, etc...) des œufs libres et non adhérents, et les autres (carpe, tanche, gardon , etc...) des œufs qui se collent ou s’attachent, immédiatement après la ponte, contre les objets environnants. I. Mode d'opération avec les œufs libres. — On prend un vase bien propre (boîte plate, terrine, plat creux, etc...), et l’on y verse de l’eau claire et froide à une hauteur de quelques centimètres; on prend l'eau même de la rivière, ruisseau, lac ou étang , dans la- quelle le poisson fraie. Pour les saumons, truites, om- bres, féra , etc... , c'est-à-dire pour les poissons qui fraient en hiver, l'eau doit avoir une température d’en- viron trois à dix degrés. On tire la femelle de l’eau et on la tient de manière à rapprocher l'anus aussi près que possible de la surface . de l'eau contenue dans le vase à fécondation; il y a même avantage à plonger l'anus dans cette eau, de ma- nière à ne pas laisser les œufs en contact avec l'air ex- térieur; l'on reçoit dans le vase la totalité ou seulement une partie des œufs, qui, au fur et à mesure de leur écoulement, tombent au fond. On n'en récolte dans chaque opération que la quantité à peu près nécessaire _ 2 pour faire une ou deux couches au fond du vase, de ma- nière à ne pas les tasser ou les agglomérer. Si les œufs, par l'effet d’une contraction organique chez la femelle, ne s'écoulent pas naturellement, on en facilite la sortie en pressant légèrement le ventre, de la tête vers la queue, ou bien en arquant faiblement le corps du poisson. On peut prendre les œufs sur des femelles mortes depuis quelque temps; c’est le moyen d'utiliser les œufs des poissons livrés au commerce ou à la consomma- tion. Toutefois, il est préférable de les récolter sur des femelles vivantes ou venant de mourir. Quand on retire la femelle de l’eau, on prend en même temps le mâle, et au fur et à mesure de l'écou- lement des œufs, ou immédiatement après cet écoule- ment, on les arrose avec quelques jets ou gouttes de laitance, de manière à blanchir légèrement l'eau ou à lui donner une teinte opaline. On agite doucement le vase ou l'eau laitancée, afin que tous les œufs soient mis en contact avec les particules fécondantes. Dans la pratique, il est indispensable que la laitance soit prise sur un mâle vivant. Si l'on peut disposer de deux ou de plusieurs males, il convient d'employer successivement quelques gouttes de laitance de deux ou trois sujets, pour avoir plus de chances de réussite; car il peut arriver que la laitance d’un seul soit inerte ou peu énergique. Mais il ne faut pas épuiser les mâles, afin d'avoir toujours de la lai- tance disponible pour féconder les œufs de toutes les femelles. Au bout de quatre ou cinq minutes, on fait écouler 218 doucement l'eau blanche ou laitancée, en la remplaçant, au fur et à mesure de son écoulement, par de l'eau claire, de manière à laver les œufs. Cette eau claire doit avoir la température de celle qui a servi à faire la fécondation. On évitera autant que possible dans ces opérations, pour les espèces qui enterrent ou qui cachent leurs œufs (telles que les truites), l'action d'une vive lumière et surtout celle des rayons solaires, dont l'influence est souvent nuisible, et pour toutes les espèces, l'action des vents froids et desséchants, les variations brusques de température et la mise à sec des œufs, en totalité ou en partie. IL. Mode d'opération avec les œufs adhérents. — Quand on a à féconder des œufs qui sont adhérents, comme ceux de carpe, tanche, brème, gardon, ete..., il faut introduire dans l'appareil à fécondation soit des plantes aquatiques, soit des rameaux ou des brindilles de végétaux, et même des filaments ou des fils de ma- tières inertes. En tombant sur ces objets, les œufs s'y collent et y adhèrent fortement; il faut avoir le soin d'agiter l’eau et de disséminer ces œufs au fur et à me- sure de leur écoulement, afin de ne pas former d'agglo- mérals qui, pour certaines espèces, nuiraient au déve- loppement de l'embryon. ] Pour la carpe, la tanche, etc..., l'eau doit être pres- que tiède (25 degrés environ); on évitera toujours d'employer l’eau froide des puits, des sources et des fontaines. | Il est important que la laitance soit mise immédiate- ment en contact avec les œufs. A cet effet, deux per- 219 sonnes opèrent à la fois; lune tient la femelle et l'au- tre le mâle. Si l’on opère sur des perches, on se borne à rece- voir dans l’eau les rubans d'œufs et à les arroser avec la laitance. | OBSERVATIONS GÉNÉRALES. — (Juand on procède à des fécondations, il est indispensable que la /aitance, au moment où elle tombe et se divise dans l'eau, soit mise immédiatement en contact avec les œufs; car son pouvoir fécondant n'a qu'une très-courte durée. Cette durée n’est, chez la plupart des poissons, que d'une à deux minutes ; elle n’est même que d'une demi-minute chez les truites et autres salmonoïdes en général. On devra done s'abstenir de faire tomber la laitance dans l’eau ou de préparer une eau laitancée avant d'y avoir introduit les œufs. Le mode le plus rationnel, parce qu'il est le plus naturel, consiste, ainsi que je l'ai indi- qué précédemment, à faire tomber la laitance dans l'eau au fur et à mesure de l'écoulement des œufs, ou immédiatement après cet écoulement. Pour toutes les fécondations d'œufs libres ou adhé- rents, l'appareil le plus simple et le plus commode est un tamis double en canevas ou en toile métallique gal- vanisée , que l'on peut toujours tenir à un degré con- venable d'enfoncement dans l'eau à l'aide de quelques flotteurs. Cet appareil, très-léger et très-facile à manier, sert à faire les fécondations, soit dans les eaux naturel- les en le retenant près des rives, soit dans un seau ou un baquet que l’on remplit d'eau; on fait tomber les œufs sur le fond du tamis ou sur des herbes, ramil- les, etc... , que l'on a préalablement introduites. Les or- 220 dures, les matières étrangères et la laitance devenue inutile passent à travers les mailles du fond. Si l'incu- bation doit avoir lieu sur place, on laisse les œufs fé- condés dans le tamis, et on le ferme; si les œufs doivent être transportés à de faibles distances, on peut effec- tuer ce transport dans l'eau en plaçant le (amis dans un seau, baquet ou tonneau , etc. On construit les tamis avec des cercles de bois, de zinc ou de fer galvanisé, en ayant le soin de ne pas faire entrer dans leur construction des métaux de na- ture différente, tels que cuivre et zinc, pour ne pas exposer les œufs ou les jeunes poissons à des influences nuisibles provenant d'actions électriques où galvani- ques. Dans un grand nombre de circonstances, l'incuba- tion ne peut être faite sur les lieux mêmes de récolte, et il devient nécessaire de transporter les œufs soit im- médiatement, soit peu de temps après la fécondation. Le transport dans l'eau a des avantages réels quand il s'effectue à de courtes distances, surtout pour les œufs de quelques espèces, dont l'organisation primitive de l'embryon se fait rapidement (carpe, tanche, bro- chet, brème, etc.…..). On peut ainsi déplacer les œufs sans les soumettre à l'action de l'air extérieur, qui est souvent très-nuisible; mais si les transports sont de longue durée, les dépenses peuvent devenir considéra - bles ; les difficultés et les chances de perte augmentent d'ailleurs en raison de l'éloignement et du nombre d'œufs. Il faut donc avoir recours à d'autres moyens. Dans les eaux naturelles; l'œuf trouve l'humidité qui l'empé- che de se dessécher, et l'air (ou mieux les gaz) néces- 221 saire à son développement; par conséquent, pour con- server les œufs en bon état et ne point arrêter leur développement, il suffit de les placer dans un milieu aéré et humide, c’est-à-dire dans un air humide. On remplit facilement cette condition en déposant les œufs entre les corps qui conservent un degré d'humidité con- venable, et qui d’ailleurs ne sont pas de nature à s’al- térer promptement et à endommager les œufs. A cet effet, on les place par couches peu épaisses, dans des boîtes plates, entre deux morceaux de linge humide ou même des feuilles de papier humectées, etc... —Ar- rivées à destination, les boites sont ouvertes, et on en- lève les œufs avec le linge qui les supporte pour les immerger et les faire glisser dans les appareils d'incu- bation. Pour ralentir la dessiccation ou pour paralyser les effets des secousses et du tassement, on peut mettre dans la boîte des lits de mousse humide préalablement lavée et nettoyée, de la glaise humectée, du charbon imbibé d'eau, ete... —Si l'on a à redouter la gelée, on peut placer les boites d'œufs soit dans une bourriche, soit dans une caisse, soit dans une toile d'emballage, avec du foin, de la mousse ou des feuilles sèches, ete. Ces moyens de transport sont particulièrement ap- plicables aux œufs libres, tels que ceux de saumons, truites, ombres, etc...—Pour les œufs adhérents, on enveloppe les objets qui les supportent avec des linges humides, et on les place ensuite dans des corbeilles ou des paniers garnis de paille ou d'herbes fraiches, en prenant d'ailleurs les précautions nécessaires pour em- pêcher une dessiceation trop rapide; mais, en général, 222 il est préférable de transporter ces œufs sans les sortir de l’eau. Toutes les fois que les œufs peuvent être mis en in- cubation , soit sur les lieux de fécondation, soit à proxi- mité de ces lieux, il ne faut, dans la plupart des cas, commencer à effectuer le transport que vers le milieu ou les deux tiers de la période d'incubation , -c'est-à- dire à partir de l'époque où les traces de l'embryon sont nettement visibles à l'œil nu, et où les yeux du jeune poisson forment deux points noirètres bien apparents. Dans le cas contraire, ou si l'on ne peut pas atten- dre ce degré d'avancement dans le développement de l'embryon, il y à avantage incontestable à emballer ou à transporter les œufs immédiatement ou peu de temps après la fécondation. Il ne faut pas attendre que l'œuf ait subi un commencement d'incubation dans l'eau, surtout dans une eau dont Ja température peut favoriser le travail d’incubation, parce que, dans ces conditions, il est très-sensible aux influences extérieures. Pendant l'incubation, l'œuf subit une série de modi- fications que l'on ne peut en général apprécier qu'avec un microscope. Je me bornerai à indiquer ici quelques- unes des modifications facilement appréciables à l'œil nu ou à la loupe. L'œuf présente dans sa région supérieure, c'est-à- dire dans la partie qui s'offre de suite àl'œil, une espèce de tache bleuàtre autour de laquelle sont groupées de petites gouttes huileuses plus ou moins colorées, selon les espèces; pour le saumon et la truite saumonée, ces gouttes ont souvent un volume assez fort et affectent une teinte jaune-rougeàtre. Au bout d’un certain temps, celte tache tend à se résoudre et à s'étendre avec les gouttes huileuses , et l'on aperçoit bientôt un pelit trail faiblement opaque, qui prend ensuite la forme d’une pelile fourche à deux dents légèrement recourbées l'une vers l’autre ; puis, ces deux dents offrent des points qui finissent par prendre une couleur foncée : ce sont les yeuæ. La tête, primitivement formée d'une subs- tance (rès-transparente, prend elle-même une couleur plus foncée et devient nettement appréciable, ainsi que les autres parties du corps. Ces transformations sont faciles à suivre dans les œufs qui offrent un assez fort volume, tels que ceux de saumons et de truites, et dans ceux qui sont très-trans- parents, tels que ceux de saumons, ombres , féra, bro- chets, perches, etc. On voit même très-distinctement les diverses phases de la coloration du sang dans les œufs dont le jeune poisson a le sang rouge au moment de l'éclosion, tels que ceux de saumons, truites et ombres. Le brochet, a perche, la carpe, la tanche, la brème, le gardon et autres poissons dont l'incubation est de courte durée, naissent avec un sang non coloré en rouge. En placant un œuf de saumon ou d'ombre dans un petit tube rem- pli d'eau, ou bien entre le pouce et l'index, on peut compter les pulsations du cœur et admirer lorganisa- tion de la vésicule, dont les parois sont garnies de vei- nules rosées qui ont l'aspect de radicelles très-fines et très-déliées. Dans l'œuf dont l'embryon n'a pas le sang coloré en rouge avant l’éclosion, cet embryon apparait avec deux 224 points noirs, qui sont les yeux, et sous la forme d'un fil grisätre ou noiràtre roulé sous la pellicule de l'œuf. Ces divers caractères du developpement de l'embryon sont très-faciles à reconnaître dans un groupe d'œufs ; ils sont très-saillants au milieu d’autres œufs non fé- condés ou devenus improductifs, car ces derniers pré- sentent toujours , vers la région supérieure, le groupe des gouttes huileuses, où la tache blanchàtre disparaît et laisse un vide de forme circulaire que l'on distin- gue très-nettement dans les œufs de saumon , truite, ombre, etc. L'on à ainsi, pendant la période d'incubation, des signes très-apparents qui permettent d'apprécier les résultats de la fécondation et la qualité des œufs, qui peuvent être livrés et transportés avec une entière cer- titude de fécondation. Quand les œufs ont été convenablement fécondés, il faut les placer dans de bonnes conditions pour leur faire pareourir toute la période d'incubation et obtenir l’éclo- sion des jeunes poissons. On peut les abandonner à eux-mêmes dans les eaux naturelles, en les déposant dans des endroits convena- blement disposés ou sur des frayères artificielles. Mais, dans un grand nombre de cas, les œufs dépo- sés ou placés dans les eaux naturelles sont exposés à des causes de destruction qui compromellent les repeu- plements; ces eaux, en baissant de niveau , laissent les œufs à sec ou trop directement exposés aux influences atmosphériques; pendant les crues, elles les détachent et les entrainent, ou bien les envasent et les couvrent de limon; enfin, sur certains points, elles subissent des 225 variations brusques de température qui sont funestes au développement des œufs. Le parcours des rivières par la navigation à vapeur est souvent nuisible au frai déposé à proximité des bords, quand il se produit des déplacements ou des mouvements considérables d'eau qui arrachent et en- traînent les œufs, ou qui les couvrent de limon. Les fortes vagues ont surtout un effet destructeur en jetant le jeune fretin ou les jeunes poissons sur les rives; car alors, ne pouvant regagner l'eau, il devient la proie des animaux voraces, el, en Loul cas, périt bientôt sous les influences atmosphériques. Les animaux aquatiques , et les poissons notamment, détruisent une quantité considérable de frai, quand ce frai n'est pas protégé contre leur voracité. C'est pour parer à ces diverses causes de destruction, que j'ai eu, l'un des premiers, l’idée d'organiser des appareils dans lesquels on place les œufs fécondés : ce sont des appareils d'incubation ou d'éclosion. On les fait fonctionner, soit dans les eaux naturelles, soit en dehors de ces eaux. Quelles que soient la destination, la forme et la dis- position des appareils, les conditions essentielles à rem- plir consistent à obtenir le plus grand nombre possible d'éclosions, et à mettre les œufs et les jeunes poissons à l'abri des influences nuisibles et des ravages des animaux destructeurs. Quand on veut opérer en dehors des eaux naturelles, sous un hangar, dans une chambre ou un laboratoire, on dépose les œufs dans des rigoles ou baquets pleins 15 226 d’eau , que l’on alimente soit par un robinet qui donne une eau claire, soit par un réservoir artificiel formé avec un pot, tonneau, fontaine ou caisse; l'eau s'en écoule par un tuyau ou robinet placé à la partie infé- rieure, en petit filet ou goutte à goutte, et tombe dans des rigoles disposées en étagères ou en gradins. Chaque rigole est pourvue : 4° à sa partie supérieure, soit d’un syphon, soit d’un tube ou tuyau d'écoulement garni d'une légère bande de toile métallique , sur les mailles de laquelle l'eau passe en s'aérant ; et 2° à sa partie inférieure, d’un tuyau de vidange. Chaque tuyau d'é- coulement est disposé de manière à produire, par la chute de l'eau, un ébranlement ou oscillation sur toute la surface de la rigole inférieure, et à forcer l’eau écoulée à parcourir toute l'étendue de la rigole; à cet effet, les tuyaux placés en sens inverse, d'une rigole à l'autre, alternent de droite à gauche et de gauche à droite. L'eau écoulée de la dernière rigole est conduite au dehors, ou bien est reçue dans un récipient sem- blable au réservoir. Quelle que soit sa limpidité, l'eau charrie presque toujours des matières étrangères tenues en dépôt ou en suspension; elle reçoit d'ailleurs un nombre infini de corpuscules de nature animale, végétale ou minérale, qui circulent dans l’atmosphère. Ces corps étrangers, en contact avec les œufs et les jeunes poissons , cau- sent souvent de graves accidents; il y a done utilité à les empêcher de pénétrer dans l’eau d'incubation. A cet effet, on couvre le réservoir, le récipient et les rigoles; de plus, on entasse au fond du réservoir quelques cou- 227 ches de charbon, de sable et de gravier, de manière à former un filtre. Si l’on opère avec des œufs libres (œufs de saumon, truite , ombre, etc.) , on les dissémine au fond des ri- goles sur du gravier ou des cailloux, ou sur des mor- ceaux arrondis de verre, de terre cuite, ete. Dans cette position , ils restent en contact avec les corps étrangers qui, malgré toutes les précautions prises, pénètrent dans les rigoles, ou avec ceux qui se développent spon- tanément dans l'eau (tels que les algues); les œufs gatés ou morts peuvent échapper à l'œil et occasion- ner ensuite de graves dégâts dans l'appareil. Pour écar- ter ces causes de destruction, j'ai eu l'idée d'étendre les œufs sur des claies ou chàssis de canevas , de tulle préparés, ou de toiles métalliques inaltérables ; l'œuf pendant toute la période de l'incubation, et le jeune poisson après l'éclosion, se trouvent alors suspendus dans le liquide, à l'abri des matières étrangères qui passent à travers les mailles, et peuvent d'ailleurs par- ticiper, sur tous les points de leur surface, aux influen- ces d’une eau aérée. Les châssis reçoivent quelquefois des cailloux ou des morceaux arrondis de terre cuite qui servent à diviser les œufs et les jeunes poissons et à abriter ces derniers. Les claies ou chässis doivent être établis de manière à présenter le moins possible de surface aux matières étrangères, avec la condition essentielle de ne pas livrer passage aux jeunes poissons. Les canevas et les toiles métalliques remplissent ces conditions, et sont bien préférables à beaucoup d'au- tres matières que l’on pourrait utiliser, mais qui sont 228 4 Ji chères, lourdes, cassantes ou altérables, el notamment à l'osier, qui se déforme et s’altère promptement dans l'eau, et qui favorise le développement de certaines végétations (algües, conferves, etc.) dont la présence est souvent très-nuisible. Si l'on opère avec des œufs adhérents, on les dépose dans les appareils avec les végétaux, les ramilles ou autres objets qui les supportent. Le bois employé seul dans la confection des appareils laisse souvent perdre l'eau et provoque la formation de moisissures el de végétations aquatiques ; on le rem- place par des rigoles de zinc faites en forme de gout- tière, ou bien on le garnit intérieurement avec des feuil- les de plomb, de zinc, etc., que l'on peut recouvrir de peinture ou de vernis hydrofuges. J'ai fait confection- ner, il y a déjà plusieurs années, dans les belles usines des Ardennes, des rigoles en fonte émaillée qui sont très-commodes et très-solides, et qui ont fait bon usage. A la campagne, quand on n’a pas d'appareil orga- nisé, on peut se servir d'assieltes creuses disposées les unes au-dessus des autres, ou rangées en gradins les unes à la suite des autres; l'eau est fournie par une mèche ou petit tuyau adapté à un réservoir quelcon- que, et elle s'écoule à l'aide d’une mèche de coton pla- cée sur le bord de chaque assiette. Pour amener les œufs de saumon, truite, ombre, etc. (œufs libres), jusqu’au terme même de l'éclosion, je me suis servi avec avantage d’assiettes ordinaires, sur les- quelles ces œufs étaient semés ou disséminés dans un sable humide, ou bien encore d'une petite caisse ou boite garnie de chässis (ou tiroirs superposés), sur les- 229 quels les œufs étaient placés entre deux linges humides , on entretient l'humidité à l'aide d'une très-petite quan- tité d'eau claire que l'on verse, une ou deux fois par semaine, dans la partie supérieure de l'appareil. Ce mode d'incubation et de conservation des œufs est mis en pratique, d'après nos indications, par un grand nombre de pêcheurs qui ne fournissent des œufs que quand les signes de fécondation sont bien apparents. Quand on opère dans les eaux naturelles, sur les élangs, les viviers, les lacs, les rivières ou les ruis- seaux, on se sert d'appareils flottants qui reçoivent les œufs fécondés, soit directement sur le fond quand ils sont libres, soit sur des végétaux, ramilles , etc., quand ils sont adhérents. Ces appareils sont formés de claies, nattes, châssis, ete., ou de tamis, paniers , caisses, ele., que l'on tient plus ou moins immergés à l'aide de pierres et de flotteurs. On met les œufs et les jeunes poissons à l'abri des influences nuisibles et de leurs ennemis, en employant des paniers ou des ta- mis munis d'un double fond et d'un couvercle mobile. Le fond laisse un libre passage à l'eau, mais empèche l'introduction de toute matière ou animal nuisible. Le couvercle est à jour ou seulement percé de quelques trous, afin de satisfaire aux exigences des diverses es- pèces de poissons; car les unes déposent leur frai en pleine lumière (perche, brochet, carpe, brème, ete.) et d'autres, au contraire, enterrent leurs œufs et ne les exposent jamais à l’action des rayons solaires (sau- mons, truites, ombres, etc.). On peut, du reste, placer sur les couvereles à jour des plantes aquatiques, telles 230 que les lentilles d'eau {lemna) qui vivent à la surface, où elles forment un joli tapis vert. Si le courant est trop rapide, s'il charrie des matiè- res étrangères, on place, en avant ou en tête des appa- reils, des planches ou des claies disposées en avant-becs. Ces appareils offrent les avantages suivants : On peut féconder les œufs et faire éclore les jeunes poissons dans les eaux mêmes ou à proximité des eaux dans les- quelles ils doivent vivre; après l'éclosion, les jeunes poissons peuvent, selon leurs besoins, venir participer aux influences atmosphériques et se porter vers le cou- vercle, que l'on amène à la surface de l’eau ou en dehors de l'eau, en abaissant les flotteurs. Quand le jeune poisson, après avoir résorbé sa poche ou vésicule ab- dominale, a besoin d'aliments et doit être abandonné à lui-même, on ouvre le couvercle ou bien on renverse l'appareil. Pour les espèces qui, dans le premier àge, ont de très-petites dimensions (carpe, tanche, brochet, brème, perche, etc. ), ces appareils flottants servent d'abri et de refuge ; car on les voit souvent sortir à tra- vers la elaire-voie ou les mailles, et rentrer ensuite au moindre danger, ou se blottir contre les parois. On peut enfin transporter les jeunes poissons sans les sor- tir de l’eau, et sans leur faire subir des manipulations toujours très-funestes; il suflit, en effet, de soulever les tamis et de les placer dans un seau ou baquet d'eau. Pendant lincubation, c'est-à-dire dans l'intervalle qui s'écoule entre la fécondation et l'éclosion, les œufs de plusieurs espèces ne doivent pas toujours être aban- donnés à eux-mêmes, et il convient de les visiter quel- 231 quefois pour assurer, autant que possible, le succès de l'éclosion. Parmi les œufs mis en incubation, ilen meurt pres- que toujours un certain nombre, soit parce qu'ils n'ont pas été fécondés, soit parce que le développement de l'embryon ne s'est pas opéré régulièrement, soit parce que des causes morbides de diverses natures se sont produites ; ces œufs affectent alors des caractères faciles à saisir à première vue; ils deviennent opaques , en totalité ou en partie, et présentent une teinte de por- celaine où de marbre blanc, avec une tache plus ou moins apparente, de couleur grisàtre, jaunàtre ou rou- geatre, selon les espèces : c'est ce qu'on appelle le blanchiment des œufs. Quand on écrase l'un de ces œufs, il en sort une matière blanche qui, au contact de l’eau notamment, prend la consistance et l'apparence du fromage blanc. Pour les espèces dont les œufs sont adhérents, on les laisse dans l'état où ils se trouvent , en supprimant toutefois ou en rejetant les portions dans lesquelles le blanchiment est assez considérable pour endommager les portions saines. Quant aux espèces dont les œufs sont libres, notamment pour le saumon, la truite, l'ombre, on peut enlever ces œufs ayec une pince ou une pipelle; cel enlèvement ou nettoiement est en général nécessaire, parce que les œufs morts, en s'altérant plus complétement, peuvent vicier l'eau et favoriser le développement de ces espèces de moisis- sures blanchätres ou roussätres (algues ou byssus) qui enveloppent les œufs et qui causent souvent des dégats fort considérables. Du reste, la présence des byssus dépend essentiellement de la nature et surtout de la 232 température de l'eau; et comme les saumons, les {rui- tes et les ombres fraient à une époque de l’année où la température des eaux naturelles se maintient géné- ralement entre zéro et dix degrés, en se rapprochant même assez souvent de zéro, les œufs de ces espèces précieuses peuvent être facilement protégés contre l'en- vahissement et le développement des byssus, qui sont ra- res dans les eaux naturelles à température peu élevée. On a proposé de nettoyer les œufs avec un pinceau, une pince ou une barbe de plume; mais ces moyens sont tout à fait insuffisants pour déraciner le byssus implanté sur l'œuf, et ils ne produisent d'autre résultat que de favoriser la dissémination des germes, qui finis- sent bientôt par envahir la totalité ou la presque totalité des appareils. É ‘Quand des œufs sont arrivés à un état convenable de maturité, ou quand ils sont bien fécondés, on évite presque toujours le blanchiment, si on ne les expose pas à des changements d'eaux de nature et surtout de température différentes, à l'agitation et au déplace- ment, à des passages de l'eau dans l'air et de l'air dans l'eau. On voit même assez souvent des œufs qui, sans avoir aucune trace de fécondation et sans offrir aucun caractère d’altération , séjournent encore dans l'eau longtemps après l’éclosion des autres œufs. J'ai trouvé le moyen d'éviter le blanchiment et même d'en arrêter le progrès, notamment quand il se mani- feste par une tache ou un point blanc opaque. Ce moyen consiste à soumettre les œufs à l'action d'une eau lé- gèrement salée (eau de mer ou dissolution de sel de cuisine, marquant quelques dixièmes de degré où même 233 un degré à l'aréomètre de Baumé), quand l'embryon est nettement développé ou quand ses yeux sont bien apparents. L'eau salée a la propriété de dissoudre la matière coagulée de l'œuf, de faire disparaître les ta- ches blanches ou d'en arrêter l’extension; mais il faut s'abstenir de l'employer dans la première période de l'incubalion. L'action de l’eau salée est, en effet, très- sensible, même à l'œil nu, sur les œufs de toutes les espèces d'eau douce et des espèces marines qui vien- nent frayer dans l’eau douce (saumon, alose, lamproie); _elle y cause une perturbation telle, même à des propor- tions très-minimes , que l'acte de la reproduction devient tout à fait impossible. Les globules colorés, de nature huileuse, viennent se grouper et se lasser à la partie supérieure de l'œuf : tout le système qui se présente dans cette région à l'état de tache ou bouton blanchà- tre, el qui est le siége du développement de l'embryon, subit une contraction et une révolution qui désorga- nisent toute l'harmonie de ce système; on voit même souvent le globe de l'œuf se déformer, s'éclaireir et prendre une teinte opaline. Dans l'œuf où l'embryon commence à apparaitre, les premiers germes d'organi- sation sont promptement et complétement détruits. La présence de l'eau salée n’est pas moins nuisible aux propriétés fécondantes de la Zailance, car elle paralyseou annihile les mouvements des spermatozoïdes, de ces corpuscules mouvants qui perdent toute propriété fécondante quand ils perdent le mouvement. Il est done bien important , ainsi que je l'ai toujours recommandé, d'étudier la nature de l'eau employée pour les fécondations ou les incubations; car avec une 234 eau même légèrement salée, la fécondation est tout à fait impossible pour les poissons d'eau douce et pour ceux qui viennent frayer en eau douce; et si des œufs de ces diverses espèces avaient subi un commencement d'incubation dans l'eau douce, le développement de l'embryon serait arrêté et détruit, dans le premier àge, sous l'influence de l'eau salée. Dans la pratique, on peut utiliser les eaux natu- relles légèrement salées ou saumätres, ou préparer une eau salée artificielle pour les appareils qui ne fonction- nent pas au dehors, ou bien introduire, dans les appa- reils placés en eau douce, un sachet de sel marin. En utilisant convenablement cette propriété de l’eau salée, j'ai pu conserver en bon état et faire éclore plusieurs milliers d'œufs de saumon, truite, ombre, etc., qui étaient tachés et qui auraient péri infailliblement, et J'ai conservé les jeunes poissons qui provenaient de ces œufs jusqu'à l’époque de leur dissémination dans les eaux naturelles, où ils ont vécu et prospéré. J'ai cons- taté d'ailleurs, par un grand nombre d'expériences sur la nourriture des poissons, que le sel marin, mêlé en faible proportion avec les aliments, avait en général de bons effets; j'ai reconnu notamment, à cet égard, que des truitelles et des saumoneaux, élevés depuis dix-huit mois dans l’eau douce, avaient une chair dont la fer- melé et la saveur étaient supérieures à celles de la chair d'autres poissons de même espèce et de même àge, éle- vés dans des conditions identiques, mais sans aucun mélange de sel dans leurs aliments. Quelle que soit la nature de l'eau dans laquelle les œufs sont immergés, les résultats de l'incubation dé- 235 pendent essentiellement de la température et du degré d'aération, c'est-à-dire de la quantité d'air respirable (ou mieux d'oxigène el azote) tenue en dissolution dans l'eau. Pour les poissons qui fraient en hiver, tels que saumon, truite, ombre, féra, elc..., la température doit être maintenue entre zéro, ou mieux trois et dix degrés ; et pour les poissons d'été, tels que carpe, tan- che, etc.., elle doit être portée à vingt et vingt-cinq degrés environ. Quant à l'air (ou mieux les gaz) tenu en dissolution, il faut agir de manière à en fournir la quantité nécessaire à chaque espèce; à cet égard, les appareils flottants dans les eaux naturelles réunissent les meilleures conditions possibles; en dehors de ces eaux, il devient nécessaire d'agiter ou de renouveler les couches liquides, surtout vers le terme de Péclosion, parce qu'à celte époque les fonctions vitales de l'em- bryon ont pris plus de développement. On voit, en ef- fet, notamment dans les œufs de saumon, de truite et d'ombre, l'embryon agiter ses petites nageoires pla- cées près des ouïes, pour faire arriver dans ces orga- nes des courants d'eau nouvelle et aérée. CHAPITRE TL. Transport du poisson vivant. Le transport du poisson vivant offre un grand inté- rét: 1° pour la vente et pour l’approvisionnement des marchés ; 2° pour l'empoissonnement des eaux; et 3° dans un grand nombre de cas, pour faciliter l'applica- tion de la méthode des fécondations artificielles. L'air (ou plutôt les gaz oxigène el azote) tenu en 230 dissolution dans l'eau sert seul à la respiration des pois- sons. Une eau aérée est donc indispensable pour entrete nir leur vie; c'est un fait acquis depuis longtemps à la science el à la pratique, et consigné dans l'Histoire naturelle des poissons de MM. Cuvier et Valencien- nes, dans la Physiologie de Muller, ete... , etc... J'ai fait d’ailleurs à cet égard des expériences très-concluan: tes, soit sur l'incubation des œufs, soit sue les exigences de vitalité des diverses espèces de poissons. Mais l'air dissous dans l'eau n’y existe qu’en très-pe- tite quantité; la proportion ne dépasse jamais les 0,027 du volume de l'eau douce (elle est un peu plus forte dans l’eau de mer); il en résulte que 1 litre d'eau sa- turé d'air n’en contient que 27 millilitres ou centimè- tres cubes. Cette quantité d'air est promplement absorbée par les poissons, surtout par les espèces dont la respiration est très-active, tels que les truites, les ombres, les sau- mons, etc..., et les poissons de mer en général. Dans les appareils de transport qui sont immergés dans les eaux naturelles, l'eau suffit en général à la respiration des poissons tenus en captivité, parce qu'elle se renouvelle fréquemment ou à de courts intervalles. Il n’en est pas de même dans les appareils placés hors de l'eau, et dans ceux qui servent sur terre au (rans- port des poissons vivants. Pour y tenir les poissons en bon état et pour satis- faire aux exigences de leur respiration, on est obligé d’agiter l’eau, de la battre ou de la fouetter, ainsi que le pratiquent les marchands de poissons ou les conduc- 237 teurs chargés de transports, et souvent mème de chan- ger où de renouveler fréquemment l’eau pour certaines espèces à respiration très-active. Ces moyens sont souvent ineflicaces ou impratica- bles pour de longues distances; et l'on renonce généra- lement, soit à cause des difficultés, soit à cause de la dépense, à transporter des poissons vivants. En réfléchissant au mode de respiration des poissons et aux conditions de dissolution de l'air dans l'eau, j'ai été tout naturellement amené à chercher à remplacer l'air au fur et à mesure qu'il était absorbé et à saturer l'eau autant que possible. J'ai alors eu l'idée d'ingecter, ou mieux d'insuffler de l'air dans l'eau au moyen d'un soufflet à vent. L'appa- reil, réduit à sa plus simple expression, consiste en un soufflet ordinaire au bout duquel on adapte un tube ou un tuyau; l'extrémité de ce tuyau plonge au fond du seau , caisse, baquet, cuve ou tonneau servant au trans- port du poisson; ou bien le soufflet est mis en rapport avec l'appareil de transport à l'aide d'un trou pratiqué à la partie inférieure de cet appareil, I suffit alors de faire mouvoir le soufflet pour injec- ter dans l'eau, selon les besoins des diverses espèces, l'air nécessaire soit pour salurer cette eau, soit pour satisfaire aux exigences de la respiration. Dans la pratique, pour ne point tourmenter le pois- son et pour diviser l'air autant que possible, on adapte à l'extrémité du tuyau insufflant, soit un autre tuyau roulé en spirale et percé d'un grand nombre de petits trous, soit une espèce de pomme d'arrosoir ou une boite plate criblée de petits trous. 238 Si le transport s'effectue à l’aide de plusieurs cuves ou tonneaux, on établit un tuyau principal qui, par des raccords , distribue l'air insufflé dans chaque com- partiment. Pour le transport d'une grande quantité de poissons qui nécessite l'emploi d'un grand nombre de cuves ou tonneaux, je me suis servi avec succès d’une pompe qui prend l’eau dans le dernier tonneau et la rejette, par une pomme d'arrosoir, dans le premier de la série ; les tonneaux sont mis en rapport entre eux à l’aide de petits tuyaux placés à la partie inférieure, ou à l'aide de syphons. Je me suis servi de ces moyens de transport dans un grand nombre de circonstances, et l'application prati- que en a été faite sur une très-grande échelle par plu- sieurs personnes, pour le transport à de très-longues distances, soit des poissons d'eau douce, soit des pois- sons de mer. C'est, du reste, à l'aide de ces moyens que j'ai pu faire arriver à Paris les poissons vivants de la famille des salmones qui ont figuré soit à l'Exposition univer- selle de l'industrie en 1855, soit au Concours universel agricole de 1856. 239 UN SONGE DANS L'ATTIQUE. SI 000e Quod nec jovis ira, nec ignes, Nec ferrum poterit, nec edax abolere vetustas. Par une de ces nuits où le ciel de la Grèce Verse de ses splendeurs la pompe enchanteresse, Alors que l’Ilyssus, dans son flot calme et pur, Réfléchit l'horizon endormi dans l’azur, J'errais seul, au hasard, berçant dans ma pensée Leur tristesse présente et leur grandeur passée ; Je contemplais, ému d’un deuil religieux, Ces rivages déserts que remplissaient les dieux ; Et tandis que, plongé dans cette sombre étude, Interrogeant au loin la morne solitude, Sur les tronçons d’un dieu par la rouille meurtris, J'écoutais les douleurs de ces muets débris, Dans l’assoupissement de la nature entière Je sentis lentement se fermer ma paupière, Et tout se confondit, océan, terre, et cieux, Dans la molle langueur qui vint baigner mes yeux. Tout à coup, dans l'éclat de sa pompe imposante, 240 Belle comme jadis, Athènes se présente ! Splendide et fière, avec ses monuments épars, Ses temples radieux, ses chefs-d’œuvre des arts! Mais du cyprès des morts ses places sont couvertes ; Un flot de peuple sort par ses portes ouvertes, Et la foule, mêlant sa voix aux chants de deuil, De ces regrets pieux accompagne un cercueil : « Le grand homme n’est plus dont la sage tutelle, A créé la splendeur de la ville immortelle ! Mais tant que ces remparts, ces temples, ces palais, Marbres où fut gravé ton nom, à Périclès! De ton siècle éclatant retraceront l’histoire, Le monde, en admirant, y relira ta gloire! » Sur les mânes sacrés, arrosés de ses pleurs, Le cortége répand les palmes et les fleurs ; On invoque Pluton; une immense hécatombe D'un sang expiatoire environne la tombe; Puis la foule rentra sans parole, sans bruit ; Bientôt vint le silence, et puis après la nuit. Soudain, dans un rayon chassant les vapeurs sombres, Je vis à mes côtés surgir deux grandes ombres; L'une était d’un mortel; son front, plein de fierté, Semblait porter écrit : génie et volonté ! Il avait ce regard ferme, immuable, austère, Qui sait régler des lois la vigueur salutaire, Et qui courbe à genoux, d’un éclair souverain, La foule, fier coursier qui rugit sous le frein. La seconde, alliant la grâce et la noblesse, Le suivait. et son port révélait la déesse. Le grave oiseau des nuits sur son casque brillant DA Planait, l'œil demi-clos , l'aile ouverte et veillant. Pendant qu’elle portait, emblèmes de vaillance, D'un bras son bouclier, et de la main sa lance. Mon cœur les reconnut à leurs divins reflets ; L'une c'était Minerve, et l’autre Périclès ! « O des hardis pensers sévère inspiratrice , Lui dit-il, du travail puissante protectrice, Pardonne si ma voix, te troublant dans les cieux, T’enlève, pour me suivre, à l'entretien des dieux; Mais à peine mon ombre, échappée à la terre, Aux champs élyséens s’égarait solitaire, Qu’au livre où du destin les arrêts sont gravés, J’ai lu que ces palais par ton peuple élevés, Superbe expression d’un art qui te proclame, Devaient subir l’affront du fer et de la flamme, Et que le sol un jour couvrirait leurs lambeaux, Comme ces corps couchés dans l'oubli des tombeaux ! S'il faut qu’un tel outrage, attaquant ta puissance, Souille l’asile auguste où la Grèce t’encense, Qui donc à l'avenir voudra chez les mortels Solenniser ton culte et parer tes autels ? » Mais d’une voix profonde et calme en sa tristesse : € O mon fils ! répondit l’imposante déesse, Lorsqu’aux pages de fer il grave ses arrêts, Nul ne peut du destin corriger les décrets! Oui, tout ce qui doit naître et tout ce qui respire, Vivants, inanimés, sujets du même empire, Contre ce but fatal à toute heure luttants, Sont livrés sans défense aux caprices du temps, Qui pour ce qui n’est pas détruisant ce qu’il fonde, 16 212 En le décomposant recommence le monde! Le temps même, le temps trouve dans les humains Les plus grands ennemis du travail de leurs mains, Lorsqu’au choc de la guerre ou des haines civiles Ils foulent, en passant, les peuples et les villes. Tu verras dans ces murs se coucher triomphants Des belliqueux romains les indignes enfants ; Puis ce peuple, pour sceptre ayant un cimeterre, Qui voudrait au croissant assujettir la terre, Et qui dispersera sous ses foudres pesants Les restes des débris épargnés par les ans. Ah! n’accusez donc pas les dieux qui vous punissent! Mortels ! à nos décrets vos discordes s'unissent ; Votre race elle-même expire sous vos coups, Et le destin barbare est moins cruel que vous! » Mais Périclès : « Ainsi ma juste confiance A mon secours en vain appela ta science, O Phidias, à toi dont le ciseau savant Dans le roc animé sculptait un dieu vivant! En vain j'ai rassemblé pour accomplir mes rêves, Tes rivaux, tes amis, nos maîtres. tes élèves ! Artistes orgueilleux de servir sous ta loi, Et que tu proclamais aussi puissants que toi! Oh! c'était cependant un spectacle sublime! Du mont inabordé découronner la cime! Élever au sommet de l’immense rocher Ces marbres qu'aux regards un dieu voulut cacher! Verser royalement dans cette architecture Le goût le plus exquis, la plus riche nature ; Unir du même honneur, dans ce labeur parfait, 243 Le sage qui l’ordonne au peuple qui Le fait! Créer au vaste accord d’une même pensée L'œuvre immense aussitôt finie et commencée ! Et se dire qu’un jour de la mème hauteur Tomberont confondus l’œuvre et le créateur ! O douleur! ô regrets! à vol fait à ma cendre! Dans la nuit éternelle il me faut donc descendre ! Monuments qui deviez m'affranchir du trépas, Puisque vous périrez, mon nom ne vivra pas! » — « Aveugle ambitieux! s’écria la déesse, Qui bâtis sur le sable et parles de sagesse! Qui sur la pierre ou l'or veux fixer l’avenir ! Il n’est qu'un monument qui ne doit pas finir, La pensée! Écoutons! quel homme dans Athène Convoque tout un peuple aux armes? Démosthène. I parle! Aux grecs tremblants il trace leur devoir : Du tortueux Philippe il combat le pouvoir ; Farouche, impétueux, invincible, implacable, Il l'accuse, il l'attaque, il l’étreint, il l’accable ; Il déchaîne à son gré tous les cœurs frémissants , Et Philippe en sa cour frissonne à ses accents. Grèce, que votre amour de respects l’environne ! Liberté qu’il protége, offre-lui ta couronne ! Tous ceux qu’il a sauvés de l’âme applaudiront ; Et si de cette palme, attachée à son front, Eschine ose envier la splendeur citoyenne, Qu'en disputant de gloire, il y trouve la sienne | Dieux ! que d’illustres noms à ta suite accourus ! C’est Xénophon, contant l'enfance de Cyrus! Thucidide, Hérodote, éclaireurs de l’histoire. De l’antiquité morte exhumant la mémoire, 41 Dans le tableau des mœurs que leur plume a tracé Instruisent l'avenir par la voix du passé! Mais quelle est cette foule en cette vaste enceinte Qui, haletante, écoute et palpite de crainte ? Aux lueurs du Tartare, en noirs habits de deuil, Voici de päles rois arrachés du cercueil! Comme si le tombeau n’était qu'un vain refuge, Ils viennent, désarmés, passer devant leur juge. O de la tragédie indicibles terreurs ! Forfaits des souverains, politiques fureurs, Longues inimitiés, amours illégitimes, Déplorables bourreaux , déplorables victimes , Aujourd’hui sans flatteurs à la justice offerts, Pour un enfer nouveau sortez de vos enfers! Les yeux brülés de pleurs, la main de sang rougie, Viens, Eschile, farouche en ta mâle énergie ! Fais rugir, sur le roc enchainé sans retour, L'immortel patient de l'immortel vautour ! De Sophocle éploré muse simple et savante, Viens émouvoir les cœurs que ton maitre épouvante ! Avec la pitié sainte épurant son effroi, Attendris l'innocence au sort d'OEdipe roi, Et que l’homme, à ses maux goûtant de divins charmes, Souffre de sa souffrance et pleure de ses larmes, Pendant que, philosophe au milieu des malheurs, Et de son doute impie attristant nos douleurs, Euripide, coupable en son double anathème, Sur la femme et les dieux épanche le blasphême! Salut, tyrans de l’âme, et par Thémis choisis Pour frapper les méchants du fouet de Némésis! Venez, resplendissant de vos palmes épiques, Remplir de vos terreurs nos fêtes olympiques ! 245 Entrez, inspirateurs des grands frémissements , Dans l’immortalité des applaudissements ! Quel est ce ris malin au masque diaphane ? Ridicules , tremblez! j'entends Aristophane ! Mais l'écho porte au loin des sons audacieux ! C’est l'ode, déployant ses strophes dans les cieux ! Dans l'essor magnifique où sa lyre s’égare, Dieux! soyez attentifs, e’est le chant de Pindare! Mais quelle est près de lui, formée à ses leçons, La vierge qui prétend au prix de ses chansons ? Un doigt de femme touche à la lyre divine; Le vainqueur aujourd’hui combat avec Corinne, Et Pindare vaincu cède à tes doux concerts, Toi, belle en ta beauté, mais plus belle en tes vers! Tandis qu'avec Moschus, Bion et Théocrite L'idylle escorte aux champs sa muse favorite ; Que, pressant une coupe entre ses doigts tremblants, Anacréon de fleurs couvre ses cheveux blancs ; Vous qui faites penser la matière immortelle, Venez, Parrhasius, Apelle, Praxitele ! L'Olympe sous vos mains renait plus radieux ; Zeuxis, rends-nous l’amour, toi, Phidias, les dieux! Ami de la vertu qu’enflamme la science, Déroule en ses trésors ta vieille expérience, Hippocrate, dis-nous par quels secrets accords Se forme ou se détruit l'édifice des corps! Grâce à toi qui nous vois vivre, souffrir et naitre, Nous serions immortels si l’homme pouvait l'être: 246 Mais puisqu'il doit finir, fatale loi du sort! Viens étendre sa vie et soulager sa mort: Parle, divin Platon, et toi qui fus son maitre, Socrate, viens apprendre au monde à se connaitre. Portez votre scalpel incisif et moqueur Dans les coins de l'esprit, dans les replis du cœur ! Brisez les prismes vains dont le faux se colore, Et révélez son âme à l’homme qui l’ignore ! Préparez l'univers au Dieu nouveau venu, Qui naitra dans l’opprobre et vivra pauvre et nu; Qui doit anéantir nos majestés suprèmes, De nos temples déserts nous exiler nous-mêmes, Et du haut d’une croix montrer au monde ancien Un Dieu devant lequel tous les dieux ne sont rien! Voilà les monuments d’impérissable gloire Qui de ton siècle éteint rediront la mémoire, O Périclès! voilà les frontons éclatants Où reluira ton nom, victorieux des temps! Le marbre doit périr; mais la pensée altière Verse sur l'avenir ses torrents de lumière ; Le génie et les arts, les sublimes écrits, Héritage sacré des célestes esprits, Ame vivante encor dans les races lointaines , O Périclès ! voilà l'éternité d'Athènes ! » Elle dit, et pendant qu'à son charme soumis, Périclès se penchait sur l’avenir promis, La déesse, embaumant les airs de son passage, S’effaça par degrés dans l’azur sans nuage ; Tous les deux à la fois disparurent aux veux; L'un rentrait aux enfers et l’autre dans les cieux ! Je m'eveillai. Déjà, sombre et brumeux encore, L'Hymette se dorait aux rayons de l'aurore; L'oiseau volait joyeux à son riant butin, - L’abeille au miel, et l'homme au labeur du matin. Soudain sur le rivage accourtl, grandit et roule De travailleurs pressés une bruyante foule, Qui, pesant sur le fer avec un bras d’airain, Aux flancs du roc rebelle entr'ouvrent le terrain. Autour des vieux remparts tout s’agite et s’anime ; Comme s'ils cherchaient l'or recélé dans l’abime, Ils creusent..…. et du sol surgissent tour à tour Les marbres étonnés de revenir au jour; La terre, avec effort découvrant ses entrailles , Rend ces trésors mêlés au sol des funérailles, Chefs-d'œuvre mutilés, vestiges précieux, Images des héros, simulacres des dieux. Granits où les burins ont fouillé leurs sculptures, Portails où les pinceaux ont gravé leurs peintures, Témoins silencieux, aujourd’hui palpitants, Des siècles enterrés par l’homme et par le temps, Ainsi que des captifs chantant leur délivrance, Débris ! ressuscitez ! ainsi le veut la France! Noble France, c’est toi qui finis le long deuil De la Grèce asservie et d’Athène au cercueil ; Toi qui donnant à tous ton sang et ton courage , De toute barbarie anéantis l’outrage ; Toi que Dieu même enchaine au devoir glorieux De sauver ce qui tremble ou tombe sous les cieux. Mais la terre sacrée où fut le grand Homère N'est-elle pas ta sœur? n’est-elle pas ta mère? 248 Amour des justes lois, vaillance et liberté, De toutes ses splendeurs n’as-tu pas hérité ? Reine par le talent, la grâce et l'harmonie, N’as-tu pas la vigueur, n’as-tu pas le génie? Contemple autour de toi les chefs-d'œuvre des arts, Sur ton beau sol peuplé ces monuments épars, Horizon de palais qui sous notre œil s’entr'ouvre ! Est-il un parthénon qui vaille notre Louvre ? Phidias, à l'éclat joignant la majesté, Donne au marbre assoupli la vie et la beauté ; Pindare chante encore, et sa lyre attendrie Fait vibrer dans les cœurs'l’écho de la patrie. N'as-tu pas tes penseurs , Aristotes profonds, Tes Socrates assis près de tes Xénophons ? Dans ses jours de splendeur, dans ses jours d’infortune, Démosthènes encore éclate à la tribune! Que veut Aristophane et son masque malin ? Menandre lui lira les vers de Poquelin ! Aux tragiques tableaux notre intérêt s’éveille ; Et qu'importe Sophocle à qui montre Corneille? La France a recréé, panthéon radieux, Ses sages, ses héros, ses poètes, ses dieux ! La France, reine et mère, en prodiges féconde! Regarde , à Périclès! c’est l’Athènes du monde! 2 = ce LES LUGUES, VALLÉES DU CIRON ET DE L'AVANCE: PAR M. SAMAZEUILH, A NÉRAC, MEMBRE CORRESPONDANT. Vale. DURANCE ET LE CIRON. GHASSE AU LOUP ET AU ROI. Nous avons l'honneur de prier nos lecteurs, S'il en est jusqu’à deux que l’on puisse compter, de ne pas s'effaroucher outre mesure du titre de ce premier chapitre. Ces mots de loup et de roi, nous ! Nous avions annoncé les amours de Henri IV avec la dame de Capchicot comme devant clore nos Lugues. Mais, pour sui- vre l'ordre chronologique des deux tableaux que nous allons donner des troubles religieux dans la contrée des Landes, il nous faut placer Durance et le Ciron, avant Castelnau-de-Mesmes. sommes forcés d'en convenir, hurlent de se trouver en- semble. Mais il faut bien se garder de les prendre pour un rapprochement injurieux à la majesté royale; car ils ne constituent, en réalité, qu'une rencontre fortuite, et ni plus ni moins que ce qu'ils signifient au naturel, sans arrière-pensée comme sans métaphore. Le roi dont il s'agit ici, du reste, c'est Henri, roi de Navarre, Henri le Béarnais, notre Henri enfin, c'est-à-dire celui dont la Gascogne a chéri jusqu'à ses défauts; et, cer- tes, ce n'est pas à un indigène de son duché d'Albret , ce n'est pas à un enfant adoptif de sa bonne ville de Né- rac, que l'on pourrait prèter l'intention d'outrager la mémoire de ce prince. On vient de dire que la Gascogne aima jusqu'à ses défauts. Mais il faut convenir que tout le monde ne se montra pas aussi indulgent à son égard, surtout au sujet de sa passion effrénée pour les femmes. Sans par- ler des Ligueurs, qu'il faut mettre hors de cause, plus d'un de ses co-religionnaires se scandalisa de ses dé- sordres , à l'occasion desquels le grave. Bayle à con- signé, dans son Dictionnaire historique, un singulier regrel : «…… Si la première fois, dit-il, qu'il débaucha la » fille ou la femme de son prochain, il en eût été puni » de laméme manière que Pierre Abelard , ilserait devenu » capable de conquérir l'Europe, et il aurait pu effa- » cer la gloire des Alexandre et des César. Ce serait » en vain qu'on m'objecterait qu'un semblable chàti- » ment lui eût ôté le courage. Ce fut son incontinence » prodigieuse qui l'empécha de s'élever autant qu'il » aurait pu le faire... » 251 Mais la satire Menippée ne trouve pas que cette passion de Henri IV pour les femmes méritàt tant de colère. « Jamais, y est-il écrit, jamais brave guerrier » ne fut qui n'aimàt les dames et qui n’aimät acqué- rir de l'honneur pour se faire aimer d'elles. C'est pourquoi Platon sonhaitait avoir une armée toute composée d'amoureux, qui seraient invincibles et fe- raient mille beaux exploits pour plaire à leurs mai- tresses. Qu'on considère tous les grands capitaines ei monarques du monde, il ne s'en trouvera guères de sobres en ce métier. Il faut concéder aux princes quelques relàches et recréations d'esprit, après qu'ils ont travaillé aux affaires sérieuses qui importent notre repos, et après qu'ils se sont lassés aux gran- des actions des siéges, des batailles, des castraméta- tions et logis de leurs armées, il n'est pas possible que l'âme soit toujours tendue en ces graves et pe- santes administrations, sans quelque rafraîchissement el diversion à autres pensées plus agréables et plus douces. » C'est la même thèse que soutient Molière dans la Princesse d'Élide, à l'adresse de Louis XIV, ce digne petit-fils, en ce métier, de Henri IV, et les vers sui- vants nous paraissent en effet une réminiscence de la satire Menippée : Moi, vous blâmer, seigneur, des tendres mouvements Où je vois qu'aujourd'hui penchent vos sentiments! Le chagrin des vieux jours ne peut aigrir mon âme Contre les doux transports de l'amoureuse flamme ; Et bien que mon sort touche à ses derniers soleils, )£ 29/4 Je dirai que l'amour va bien à vos pareils ; Que ce tribut qu’on rend aux traits d’un beau visage, De la beauté d’une âme est un vrai témoignage, Et qu'il est mal aisé que, sans être amoureux, Un jeune prince soit et grand et généreux. C’est une qualité que j'aime en un monarque. La tendresse du cœur est une grande marque Que d’un prince à votre àge on peut tout présumer, Dès qu’on voit que son àme est capable d’aimer. Oui! cette passion, de toutes la plus belle, Traine, dans son esprit, cent vertus après elle; Aux nobles actions elle pousse les cœurs, Et tous les grands héros ont senti ses ardeurs. MOLIÈRE. Pour en revenir au roi de Navarre , d'Aubigné, qui ne le gatait point par trop de flatteries, a dit, au sujet des accusations que les Ligueurs répandaient contre ce prince, qu'on ne pouvait, du moins, lui reprocher aucune imperfeclion que nalure n'avouâl, expres- sions plus mesurées que cet auteur n'avait habitude de les mesurer, mais des plus significatives... Oui! il faut tenir compte au premier des Bourbons de n'avoir reproduit, au milieu de ses plus grands désordres, au- cune des souillures qui ont déshonoré à toujours la maison et la cour du dernier des Valois. Il est temps, ce nous semble, d'entamer notre récit, qui se reporte au 12 octobre 1581. | Les cers sonnaient, les chevaux piaffaient, les ve- neurs s'empressaient, et d'innombrables chiens de chasse donnaient de la voix à pleine gorge, dès cinq heures 253 du matin, dans la cour du chàteau de Durance, deve- nue la place publique de la petite ville du même nom, qui s’est éclose dans les ailes de celte demeure féodale. Mais avant de pousser plus loin , ne serait-il pas con- venable de fournir quelques détails sur le chàteau où nous avons pris la liberté de nous introduire ? La baronie de Durance, composée des quatre parois- ses de Durance, de Pompiey, de Boussés et de Tillet, et où commandait, dès le mois de mai 4369, Bérard d’Albret, seigneur de Sainte-Bazeilhe, figure parmi les dépendances de l'Albret, dans les lettres d’érection de ce pays en duché, de lan 1556. C'est ce qui fit que Jeanne d’Albret apporta cette baronie de Durance, avec bien d'autres seigneuries, à Antoine de Bourbon, duc de Vendôme, son mari, comme nous l'avons rappelé ailleurs. Ce dernier prince, passionné pour la chasse, comme le furent tous les Bourbons, mit un soin parti- culier à agrandir le pare de Durance. Au moyen de nombreuses acquisitions, il étendit les bords de ce pare jasqu'à la tour d'avance et même aux environs de la ville de Saint-Julien de Capourbise ". Ce füt un rendez-vous de chasse pour la Cour de Navarre, qui siégeait à quatre lieues de là, c’est-à-dire dans la ville de Nérac, celte gracieuse capitale du duché d'Albret. Dès cette époque, on voit les Chamborels de Saintrailles revé- tus du titre decapilaines des chasses el de gouverneurs des parcs de Durance. Néanmoins, quelques documents sembleraient indi- 1 V. d’autres détails, à ce sujet, dans la V//e Lugue. 254 quer, vers la même époque, un sieur de Virac (ou Birac) comme baron particulier de Durance, dont les rois de Navarre ne seraient restés par conséquent que les suze- rains. C'est un point que nous ne sommes pas parvenus encore à éclaireir. Postérieurement à Henri IV, d'un autre côté, et le dernier jour de juin 4645, on voit Raymond de Lupiac, seigneur de Moncassin et capi- taine général des chasses en Guienne, donner au prince de Condé la baronie de Durance, en échange de la vicomté de Boulogne, Sainte-Maure et quarte partie de Torrebren; et dans la copie de la procuration an- nexée à ce contrat, qui fut passé à Bordeaux, M. de Moncassin déclare avoir acquis cette baronie d'un sieur de Fronlessac; mais ce nom de fronlessac n'existe pas dans nos contrées, el 1l nous est passé par les mains assez de vieux papiers et de vieux par- chemins, pour que nous puissions ajouter que ce nom n'a jamais existé. Nous sommes done portés à croire qu'au lieu de Fronlessac, c'est Frontenac qu'il faut lire dans celte copie de procuration. Un Frontenac fut d’abord écuyer ordinaire de la pelite écurie du roi de Navarre, auprès duquel il remplaca ensuite (mais pos- térieurement à l’année 1581) M. de Lons, premier écuyer. Frontenac jouissait d’une telle confiance chez son maitre, qu'il partageait souvent le lit de ce prince. Il serait done permis de présumer que Durance appar- tint à cet écuyer, et qu'il lui provenait de la munii- cence de Henri IV. Quoi qu'il en soit, l'itinéraire que lon trouve à la fin du t. II du Recueil des Lettres de Henri IV, nous 255 désigne le château de Durance comme ayant été, depuis l'an 1579 jusqu'en 1585, l'objet de nombreuses visites du roi de Navarre, pour courre le cerf, ou sans men- tion de ses motifs. Vers la même époque, on voit ce prince visiter aussi la Tour d'Avance, ainsi que le village de Fargues. Comme ces lieux bordaïent en quel- que sorte le pare de Durance, il y a tout lieu de croire que la présence de Henri n’y fut due qu'à quelques in- cidents de chasse. Nous avons parlé ailleurs de la Tour d'Avance (VI® Lugue.) Au village de Fargues , deux maisons peuvent se disputer Fhonneur d’avoir donné Vhospitalité au Béarnais. Ce sont : 4° la maison des Campets, qu'habite aujourd'hui M. Delpont, maire de Fargues, et 2° la maison de M. Ducrue , oncle de Me Delpont; les seules, dans ce village, qui aient conservé des signes incontestables d'une telle ancien neté. Quant à Durance, les ruines et les tours de ce chàteau causent une agréable surprise à celui qui les aborde pour la première fois, après avoir traversé les bois ou les marais des environs ". Cela dit, nous allons reprendre, sans autre digres- sion, notre récit, qui remonte, on le sait déjà , au 12 octobre 1581. Depuis quelques jours, un loup énorme et des plus féroces s'était montré dans la partie occidentale de la 1 Les vendredi 19 août et samedi 20 août 1611, le prince de Condé, gouverneur de la province de Guienne , après avoir fait son entrée, le mercredi 17 août, dans Nérac, fut à la chasse au cerf à Durance, où il prit deux cerfs, « puis coucha la nuit de samedi à Lisse, à cause qu'il était fort tard. » ( Pérés ; Chron.) La maison de Condé n'avait pas encore acquis la baronnie de Durance à cette époque. 256 paroisse de Boussés, où il enlevait, sans discontinuer, diverses têtes des troupeaux répandus sur les landes de Lasserre ou de la Sanguine, ne craignant mênie pas d'engager avec les pasteurs, des luttes plus ou moins funestes à ces derniers ‘. A celte époque, la paix con- clue au chäteau de Fleiæ, en Périgord, venait de ren- dre quelque repos à nos contrées, bien que les partis n'en persistassent pas moins dans leurs haines respec- tives, qui se manifestaient ici par des tentatives sour- des, là par des embuscades, ailleurs par des assassi- nats, en tous lieux par des trahisons... Henri-se tenait de sa personne dans son château de Nérac, et, sur l'avis que lui fit passer M. de Saintrailles, son capitaine des chasses, des ravages éprouvés par la paroisse de Boussés, il s'était transporté, dans la journée du 11 0e- tobre, au château de Durance , où il entendit, le soir même , le rapport des veneurs sur les errements de la bête fauve, qu'il résolut d'attaquer le lendemain. Nous passons des préliminaires dont nos lecteurs 1 Pour prouver jusqu'où peut aller la férocité de ces sortes de hètes fauves, nous empruntons à la Chronique MS. Pérés, les lignes suivantes : « Le loup mangea une fille d'un nommé Moguat, traceur de » Brechan, le 17 juin 1599, près le lieu dudit Brechan. Ladite » fille était âgée de dix à onze ans. Bientôt après en fut mangé » deux autres, l’une à Fieux et l’autre à Saint-Loup. » « Le loup attaqua un cordonnier du Petit-Nérac, ayant son » épée sur le col, près le saut appelé de Podecot, duquel il eut » assez affaire de se défendre; et assura qu'il lui avait donné un » coup d'épée à travers du corps, qui donna occasion bientôt » après d'y aller sortant de ladite ville gens à pied et à cheval, » pour le trouver; ce qu'il ne fut possible, continuant à faire » plusieurs maux. Ce fut le 13€ juillet 1599. » 257 pourront retrouver les détails dans le premier traité de chasse qui leur tombera sous la main, et nous allons suivre le roi de Navarre traversant avec sa suite la pa- roisse de Boussés et le haut plateau d'où s'écoulent, dans diverses directions, la Gueyze , l'Avance, la Petite- Avance, ainsi que le Ciron. Les rapports fournis la veille avaient indiqué, comme le plus souvent fréquentées par le loup dont nous avons déjà parlé, les forêts qui s’étendaient au sud du lac de la Sanguine, nom sinistre d'un quartier dont l'aspect ne donne pas un démenti à cette dénomination ‘. On. désignait subsidiairement les ravins sauvages du Ciron, en amont du Pouy-Nègre (Montagne Noire). Le lac de la Sanguine baignait les confins du Gavardan. Le Pouy-Nègre s'élève presque en face de l'Escourre de Gandorre, ravin profond et désolé qui séparait égale- ment le Gavardan de l'Albret, comme il sépare de nos jours le département des Landes de celui de Lot-et- Garonne. Lorsque, dans notre jeunesse, nous visità- mes ces déserts pour la première fois, nous ignorions le triste événement dont on va les voir le théâtre; mais leur aspect n’en fit pas moins sur nous une forte im- pression. Tout porte à croire que les rives du Ciron ont éprouvé en ces lieux de notables changements , et nous acquimes dès lors la conviction qu'à la place des bouquets de faillis ou de chênes rabougris qui les ombragent à peine, et qui ont valu à un quartier plus en aval le nom des Broustlets, il existait autrefois une 1 Comme on ne peut, dit-on, mentir à son nom, {a Sanguine vient d'être convertie en un parc à sangsues, 17 forêt dont les eaux du Ciron, à la suite des grandes crues, mettent à découvert les restes, noirs el gigan- tesques cadavres enfouis sous les sables et dont notre œil maintes fois, depuis, ne mesura pas sans surprise la taille énorme, comme il n'étudia pas sans intérêt le gisement. C'est le chemin du lac de la Sanguine qu'au départ du chàteau de Durance venait de prendre le roi de Navarre; mais au-delà du quartier qui a gardé, dans son nom même, le souvenir des ravages de l'ennemi que l'on _poursuivait, Henri vit venir à lui un Landais monté sur un cheval aux crins roux et dont il piquait le flanc droit à l'aide d'un éperon de bois. Vélu d'une cape de laine et sous son berret de même étoffe, la physionomie de ce cavalier présentait ce mélange de bonhomie si- mulée et de finesse native dont plus d'un type se re- trouve dans les Landes. Celui-ci apportait des avis qui firent abandonner le chemin du lac. Le loup venait de se montrer en amont du Pouy- Nègre et d'y enlever une brebis qu’il avait emportée au bord du Ciron. A cette nouvelle, le roi de Navarre partit au galop, suivi de tous les siens, et ce groupe d'hommes, de chevaux et de chiens qui s'animaient les uns les autres, laissant sur la gauche et puis en arrière le lac de la Sanguine, eut bientôt franchi les landes qui les sépa- raient de la rivière. Nul ne remarqua dans cet élan que le Landais dont l'avis venait de détourner ainsi les chas- seurs de leur première direction, feignant de ne pou- voir les suivre, se laissait de plus en plus distancer par eux. 259 Henri tourna le premier l'une des dunes que l'on re- marque encore sur la rive droite du Ciron, au sud du Pouy-Nègre, et ses veneurs reçurent l'ordre de sonder les bords de cette rivière avec leurs meilleurs limiers. Mais tout à coup et de trois côtés à la fois a retenti une décharge d'arquebuses, et sous leurs chevaux tués ou dangereusement blessés, car c'est aux montures que l'on avait évidemment tiré, le roi, son écuyer Frontenac, son capitaine des chasses M. de Saintrailles, et les au- tres, n'avaient pas eu le temps de se remettre sur pied, lorsqu'au même instant une compagnie de chevau- légers, débouchant des bois d'où venaient ces arque- busades, se rue sur notre prince comme sur ses com- pagnons. Ce ne fut ni un combat, ni, halons-nous de le dire, une tuerie. Vêtus de simples jupes de chasse, armés d'un simple couteau de veneur et déjà renversés sur le sable, où gisaient aussi la plupart de leurs che- vaux, qu'auraient pu ces quelques braves contre un corps d'arquebusiers et une cornette de cavalerie ?.… Le roi de Navarre fut done fait prisonnier avec tout son monde. En ce moment, un jeuñe paysan venant de Durance parut non loin de cette scène aussi triste qu'imprévue. Un cheval qui s'en était échappé sans blessure passa près de lui; il s'en saisit aussitôt, el profitant de la confusion qui le dérobait à l'attention des assaillants, il fat le seul qui püt porter à toute bride à Durance la nouvelle de la captivité de notre prince. 260 I. À BON CHAT BON RAT, proverbe. (La scène se passe dans l’auberge de Capchicot et à peu de distance du château dont elle forme une dépendance ). SCÈNE I. LA DAME DE CAPCHICOT, PERRINE, sa nourrice LA DAME DE CAPCHICOT. Tu ne te trompes pas? c'était bien la chanson de La vache à Colas ?.… PERRINE. Mon Dieu! Madame , qui ne la connait, cette chanson? Une vache qui s’introduisit dans le Temple, durant le prêé- che, et que l’on accuse nos frères d’avoir mise à mort... LA DAME DE CAPCHICOT. Mais l’un de ces soldats, tu l'as dit, a interrompu le chanteur, et celui-là ce devait être un des nôtres; car tu ne peux ignorer non plus combien de querelles et même de meurtres occasionnèrent ces chants impies. Eh! tiens, Perrine (c’est de ta bouche que je le sais), dans une ta- verne de Bazas, le mois dernier, et en pleine paix par con- séquent, un soldat de M. de Maiignon ayant voulu les en- tonner, le cornette du capitaine Casse ne l’a-t-il pas tué sur la place? PERRINE. Oh ! celui-ci n’a pas montré tant de fureur, allez ! et si, 261 de sa main, il a fermé la bouche au chanteur, ce n'était pas pour le châtier. J'en jurerais par le Dieu vivant, Ma- dame ! ce sont des papistes.. On sait le roi de Navarre à Durance; on a parlé, dans tout le pays, de cette chasse, de ce loup qu'il voulait détruire; on dit ce prince aussi imprudent que brave. La garnison de Bazas, celle de Vil- landreau et de Castelnau-de-Mesmes, la compagnie de La Sale du Ciron, que d’ennemis dans notre voisinage, et quelle tentation pour eux dans ces malheureux temps de complots et'de trahisons !... Je tiens du meunier d’Allons que, ce matin, à mi-chemin du Brana, il a remarqué sur les bords de l’Aygue Clare, les traces de plusieurs che- vaux en marche sur Esquinjos. Bien d'autres peuvent avoir pris la même direction et s’être donné quelque part un ren- dez-vous de guerre.… LA DAME DE CAPCHICOT. Pourtant, ces écharpes blanches. … PERRINE. Raison de plus, Madame, pour nous défier de ceux qui prennent nos couleurs sans être de notre religion. LA DAME DE CAPCHICOT. Aussi, je m'en défie. A l'heure qu'il est sans doute, le roi de Navarre a reçu, dans Durance, l'avis que ton fils s'est chargé de lui remettre , et mon frère de lait n’est pas moins alerte qu'intelligent. Pour ne rien négliger, cet autre écrit Ya nous amener, ce soir, les gendarmes et les arquebusiers à cheval de Castelgeloux. S'il ne s’agit que d'une fausse alarme, j'en serai quitte pour quelques bouteilles de mon vieux Buzet que j'offrirai aux capitaines, et pour une bar rique de Piquepout que tu livreras aux salades, comme aux 262 dragons. Mais voici Toinette, qui s'est mise, elle aussi, sous les armes. Nous pouvons faire état sur elle, n'est-ce pas ? PERRINE. Comme sur moi, et même plus que sur moi, Madame; car si mon cœur vaut le sien, je ne puis en dire autant de mes jambes, et pour la mission que vous allez lui donner, il n'est que de bien courir, comme dit la chanson. SCÈNE IL. LA DAME DE CAPCHICOT, PERRINE, TOINETTE. PERRINE. Écoute ici, Toinette !.… Tu vas partir pour Castelgeloux, où tu demanderas , soit le capitaine Dominge, soit le capi- taine Castaing, et tu leur remettras ce papier... Eh bien! eh bien! étourdie ! où vas-tu le cacher?... sous ta bras- sière?.. Je m'en doutais... comme si ce n’est pas le pre- mier recoin qu’un ennemi ou un ami ne manquerait pas de fouiller... Rends-moi cet écrit, et regarde-moi faire. Perrine se met à découdre, à l’aide de ses ciseaux, un des plis du jupon de Toinette, où elle glisse la lettre de la dame de Capchicot; puis, elle s’empresse de recoudre ce même pli, tout en disant avec satis— faction : De cette façon, je le donne au plus rusé, voire même au plus amoureux !... Et maintenant, ma fille, quel che- min vas-tu prendre, je l'en prie? TOINETTE. Mais par La Clède, Saumejan et Pindéres..….. c'est le plus court... 263 PERRINE . Justement !.. On a deux mots d'amitié à échanger avec le valet de Jean de Mounet, à qui les mains démangent tant, et quatre, j'en jurerais , avec ce Lucmajou, du Pin... Enfin, je m'entends.….. Non! non! pas de ça, Toi- nette !.… Tu prendras par le gué du Brésic. À passer tes jambes à l’eau, tu n’en seras que mieux disposée pour la course. Puis, tu gagneras le chemin du Roi et l'église de Pompogne... Surtout, retiens ceci, ma fille... : Au galop, comme tu fais lorsque tu cours à la botte * de Gouts ou de Lartique, tant que tu te verras sur la lande ou dans les piédes ; mais en te rapprochant d'un #ayne, ou même de la maison d'un brassier, au pas, rien qu’au pas et les yeux baissés, comme si tu sortais du prêche... Cela dit, pars à l'instant, et montre-nous tes talons comme il faut. LA DAME DE CAPCHICOT. De mon côté, Toinette, un mot aussi ! Quoi qu’en dise ma bonne nourrice, je sais que vos affections ne sont ni au Pin ni à la Clède... Vous rougissez! Donc, vous m'e- vez comprise. Eh bien! mon enfant, à cette course que vous entreprenez , vous allez gagner une dot. PERRINE. Et tu n'es pas tombée aux genoux de Madame ? tu n’as pas encore baisé cette main si pleine pour toi de largesses ? TOINETTE. Je ferai mieux ! A ce soir ! Toinette quitte l’auberge eu courant; Perrine la suit jusque sur le seuil de la porte; mais elle rentre presque aussitôt, en donnant «es signes d'une grande terreur. 1 Fête votive. 264 SCÈNE IL. LA DAME DE CAPCHICOT , PERRINE. PERRINE. Oh! Madame ! tout est perdu ! les voilà! Elle entraîne la dame de Capchicot à la fenêtre. Voyez ! voyez ! sur la lande de la Tour-Nave ce corps de cavalerie se dirigeant sur nous ! LA DAME DE CAPCHICOT. Dieu vivant! ce cavalier en jupe de chasse... monté sur un cheval dont un soldat tient la bride... et que sur- veillent tous les autres... Mais, Perrine, c’est un prison- nier!... O malheur ! c’est le roi de Navarre! La dame de Capchicot laisse tomber sa tête sur l'épaule de sa nourrice. Pendant quelques instants, leurs pleurs et leurs sanglots se confondent . PERRINE , se ranimant la première. Mais ils approchent, Madame; il faut vous réfugier au château. LA DAME DE CAPCHICOT. Non! je reste!…. Au jour de l'épreuve, ma foi de chré- tienne, ma loyauté de royaliste, tout me fait un devoir de rester. Ce prisonnier, songes-y, Perrine, c’est notre roi! c'est le chef de notre parti ! c’est l'espoir de nos églises si persécutées. Où je pourrai m'employer pour lui, je ne faudrai, Perrine. Donc, je reste. Un mot, un regard, un signe, un rien peut suffire à sa délivrance. Encore une fois, je reste. 265 PERRINE. LA DAME DE CAPCHICOT. Oh ! je sais d’avance tout ce que tu vas me dire et je resterai..…. Voyons pourtant! où sont les hardes de Toinette ? PERRINE. Voilà sa chambre... Mais, Madame, quels sont vos projets, votre plan que je puisse seconder ? LA DAME DE CAPCHICOT. Des plans, des projets!... c’est le moyen de tout com- promettre, et le hasard seul... où plutôt Dieu vivant ! qui nous éprouves et nous châties, c’est en toi que j'espère! La dame de Capchicot se renferme dans la chambre de Toinette. SCÈNE IV. Arrivée des chevau-légers du capitaine La Sale du Ciron. On les voit passer et repasser devant la fenêtre. Pendant que leur chef, suivi de son lieutenant et de son cornette S’introduit avec son prisonnier du corridor dans la pièce où se tient Perrine, d’autres cavaliers, descen- dus également de cheval, passent du même corridor dans la pièce op— posée. Perrine court des uns aux autres pour leur servir du vin. LE ROI DE NAVARRE, LE CAPITAINE LA SALE, LE LIEUTENANT ET LE CORNETTE de celui-ci. LA SALE, du seuil de la porte. Des gardes à toutes les issues ! Placez aussi un cavalier sur la lande, avec la consigne de m'avertir quand mes ) g Il gens de pied et nos autres prisonniers seront en vue. Nous les attendrons. 266 LE LIEUTENANT. Une halte dans le voisinage d’un château de la Religion! LA SALE. Que craindre de dix arquebusiers et de quelques laquais aux ordres d'une veuve de vingt ans ?.. S'il était question pour nous de les attaquer derrière leurs fortes murailles, je ne dis pas! mais eux, dix hommes! affronter, en rase campagne, une cornette de cavalerie et une enseigne de gens de pied... Allons donc ! LE LIEUTENANT. Vous oubliez Castelgeloux et Castainy et Dominge qui y commandent...…. LA SALE. Ah ! vraiment, vous croyez qu’on les oublie! rassu- rez-vous , lieutenant ! à l'heure qu'il est, les gendarmes et les arquebusiers de Castelgeloux chevauchent du côté de Marmande sur un faux avis que je leur ai fait tenir. Tout est au mieux, allez ! Au roi de Navarre : Si Votre Majesté daignait nous admettre à partager quelques vivres avec elle... I] nous reste une longue traite à fournir. LE RO DE NAVARRE. Certes ! avec des braves comme vous, capitaine, cho- quer nos verres ou croiser nos fers, ce n’est pas déroger… Donc, à table, Messieurs. ” Ils se placent teus les quatre autour d’une ta- ble, où Perrine vient les servir. LE ROI DE NAVARRE, après avoir bu. Vous avez la première manche, capitaine... mais, dans cette partie, dont je suis l’enjeu, pour qui tenez-vous donc les dez, je vous prie? LA SALE. Oh! il y aura concours !.. L’Inquisition va m'offrir ses doublons; la Ligue ses écus au soleil; et quant à Lavar- dens, aux Duras, ou à votre grand faucheur de Batz, et tutti quanti, je fais état également sur eux, sachant qu'ils se feraient saigner aux quatre veines pour vous racheter. LE ROI DE NAVARRE. J'entends! vous allez me vendre à la bougie ! LA SALE. Il faut excuser, Sire , un pauvre caval-léger qui n'a que la cape et l'épée. Mes espions landais m'ont coûté les yeux de la tête. Chant de soldats dans la pièce voisine : « Qui veut ouïr chanson! {bis.) » C’est du grand duc de Guise ; » Doub, dan, doub, dan, dou, don. » LA SALE, se levant avec vivacité et s'adressant aux chanteurs : Drôles ! vous tairez-vous ! Reprenant sa place auprès du roi de Navarre : Veuillez leur pardonner, Sire. Ils n’ont pas compris combien de tels chants sont pour déplaire à Votre Majesté. LE ROI DE NAVARRE. Je ne puis disconvenir, capitaine , que, dans ce moment surtout, il m'eût été plus agréable d’ouir quelqu'un de ces 268 gracieux refrains que chantait mon père, en son château de Bonaventure... LA DAME DE CAPCHICOT , avant de paraitre. « J'aime mieux ma mie » Au gué! » J'aime mieux ma mie! » LE ROI DE NAVARRE. Oh! si tous mes vœux pouvaient se réaliser aussi promp- tement que celui-ci vient de l'être ! A l'aspect de la dame de Capchicot qui sort de la chambre de Toinette, vêtue des habits de cette fille : La jolie enfant ! SCÈNE V. LES PRÉCÉDENTS, LA DAME DE CAPCHICOT. LE ROI DE NAVARRE. De grâce ! ma petite fée! redites-moi cette chanson de M. de Vendôme que vous chantez si bien ! LA DAME DE CAPCHICOT. « Si le roi m'avait donné » Paris, sa grand'ville, » Et qu'il me fallüt quitter » L'amour de ma mie, » Je dirais au roi Henri : » Reprenez votre Paris! » J'aime mieux ma mie » Au gué! » J'aime mieux ma miel » LE ROI DE NAVARRE. On n'est pas plus gentille ! et, ventre saint gris ! je don- 269 nerais bien aussi ma bonne ville de Nérac, pour votre amour, ma toute belle! LA DAME DE CAPCHICOT. Votre ville de Nérac, Monseigneur ; mais il faut y ren- trer d’abord. Parole de prisonnier, voyez-vous! pour ne pas dire de gascon, sauf votre respect ! LE ROI DE NAVARRE. Elle me brave, je crois ! Le roi poursuil autour de la table la dame’ de Capchicot, qui, serrée de près, finit par se réfugier dans la chambre de Toinette, Henri s’y précipite également à sa poursuite, en repoussant derrière lui la porte de cette « pièce. SCÈNE VI. LA SALE, LE LIEUTENANT, LE CORNETTE. LA SALE. Toujours le même ! brave prince, et bon compagnon ! Vraiment, il serait dommage de voir brûler ce diable à quatre dans un auto da fé, et, à rançon égale, ce seront Lavardens et ses amis qui l’emporteront..…. Pourtant, de Mv< de Sauve ou d’une Montmorency à cette petite lan- daise..…. S'il appelle aussi cela ne pas déroger… LE LIEUTENANT. Eh ! qu'importe? Il chante : Qu'importe villageoise ou reine ? Aimons! Vins de Bourgogne ou de Surêne ? Buvons! 270 Aimons ! buvons à coupe pleine, Dragons ! En cet instant, des cris : à La garde ! à La garde ! se font entendre dehors, suivis de cet autre cri plus éloigné : aux murailles ! venant du château de Capchicot. — Plu- sieurs coups de pistolets ; — puis déchar- ges d’arquebuses. SCÈNE VIF ET DERNIÈRE. LA SALE, LE LIEUTENANT, LE CORNETTE, UN CHEVAU-LÉGER. LE CHEVAU-LÉGER. Mon capitaine! Le prisonnier... Le roi de Navarre... évadé !.. perdu pour nous! LA SALE , courant à la chambre de Toinette : Damnation ! personne! et cette maudite croisée !.….. double sot que je suis !.… LE CHEVAU-LÉGER. Nous les avons poursuivis à coup de pistolets jusqu’à trente pas de la porte. Mais le diable les emportait, je crois! et comme Je château se refermait sur eux, il en est parti quelques arquebusades qui nous ont jeté trois hommes sur le carreau. LA SALE. Que l’on coure aux gens de pied! Faites avancer mes arquebusiers, et, par le ciel! nous le reprendrons avec tout ce que le château renferme... A l'œuvre donc, mes enfants! tue! pille! en avant! en avant! Ils sortent tous dans le plus grand désordre. TI. LA VEILLÉE, Comme nous l'avons déjà dit ailleurs, le château de Capchicot, que l'on trouve au bord oriental des landes situées entre le Ciron et le ravin de l'Ayque clare (eau claire), n'est plus aujourd'hui ce qu'il dut être aux XVI et XVII siècles, sans quoi il serait difficile de comprendre qu'il ait pu, dans la nuit du 41 au 12 oc- tobre 1620, donner l'hospitalité au maréchal de Bas- sompierre, ainsi qu'à toute sa maison, lorsque celui-ci marcha contre le Béarn. On s’'expliquerait moins ai- sément encore la garnison de trente à quarante maîtres de cavalerie et d'un corps d'hommes à pied, que M. de Marsin, qui suivait le parti du prince de Condé, logea dans ce même château, pour tenir en bride tout le pays. De ces deux faits, le premier se trouve raconté dans les Mémoires mêmes de Bassompierre, et le second résulte de documents positifs que l'on peut consulter dans les archives de la mairie de Casteljaloux'. Les fortifications, les écuries et beaucoup d'autres dépen- dances de Capchicot ont disparu. Il n’est resté, pour conserver quelque caractère à ce vieux manoir, que la tour, où règne l'escalier pour monter à un premier étage, et une échauguette, qui protégeait l'un des an- gles de l'édifice. On sait déjà que ce château fut brûlé durant les 1 Voy. d’autres détails, Ze Lugue, p. 24 et 25. ar A1 D ei guerres de la Fronde. Au-dessus de la porte qui s’ou- vre au pied de la tour dont il vient d'être parlé, le marteau révolutionnaire a mutilé, comme à la Tour neuve, les pièces de l’écusson du châtelain. A l'époque de notre récit, c’est-à dire en 1581, nous ne craignons pas d'être démentis quand nous osons aflirmer qu'à l'instar de tous les autres châteaux de la Gascogne, celui de Capchicot se trouvait entouré de hautes et fortes murailles. Deux tours jumelles flan- quaient la porte par où le roi de Navarre venait de s'introduire dans ce manoir, sur les pas de la châte- laine, dépouillée fort heureusement de sa longue robe et vêtue des jupons moins génants de Toinette. Une herse qui s'était abattue derrière les fugitifs, plus un pont- levis que l'on venait de relever, rendaient cette entrée inexpugnable pour un ennemi qui ne pourrait y amener dû canon, opération du reste fort difficile, comme l'ob- servalion en a déjà été faite au sujet de la Tour neuve, Capchicot se trouvant également enseveli et perdu au sein des bois et surtout de plaines de sables, où les pieds des chevaux, ainsi que les roues des kas, éprou- vent pour rouler la plus forte résistance. Une seconde entrée avait été ménagée aux flancs de celte forte enceinte, dans le but de fournir une com- munication directe entre le château et des jardins situés au nord. Pour parvenir à ces jardins, voici le trajet que l'on était obligé de faire. De la cour, formée par les fortifications, les écuries et la demeure seigneuriale, il fallait d’abord s'élever au premier étage de la tour, située au côté gauche de la grande porte; puis, de cette 273 tour, s'introduire sur le rempart, d'où l'on gagnait une trappe sous laquelle un étroit escalier pratiqué dans la muraille descendait au niveau du sol. Ici, une porte de fer s'ouvrait sur les fossés, et au moyen d'un long madrier qui atteignait le bord opposé, il était permis de passer du chäteau dans les jardins. Mais ce madrier une fois retiré, la porte de fer verrouillée et la trappe abattue, qu'aurait pu entreprendre un ennemi sur ce point? Au surplus, ces jardins se trouvaient clos également de bonnes murailles, et une porte, munie d'une forte serrure ainsi que de verroux cadenassés, laissait aux gens du château le moyen de passer de ces jardins dans une vaste garenne, doux asile dont la jeune dame de Capchicot aimait le mystère et re- cherchait l’ombrage à l'époque des chaleurs intoléra- bles qui ne pèsent que trop souvent et trop cruellement sur le pays des landes. Il était nuit depuis longtemps... Tout semblait repo- ser, soit dans le château, soit dans l'auberge de Cap- chicot, dont le capitaine La Sale du Ciron avait fait son quartier général. La fin de la journée avait été rude, ce chef catholique, une fois ses gens de pied arrivés, s'élant rué avec eux sur le chàäteau avec une véritable fureur. Mais derrière ces murailles, la petite garnison de Capchicot, dirigée d’ailleurs par l'habile et courageux roi de Navarre, venait d'opposer à cette attaque une résistance victorieuse, en telle sorte que, sans perdre un seul homme, elle avait fait mordre la poussière à plusieurs assaillants. La Sale dut donc sus- pendre les assauts, pour attendre des renforts, qu'il fit 18 274 demander au chäteau de Castelnau de Mesmes, où se tenait une troupe de son parti. C'est dans la tour située au côté gauche de la grande porte, que nous allons retrouver le roi de Navarre et la dame de Capchicot, celle-ci maintenant vêtue d'habits plus respectables que ceux empruntés à la garde-robe d'une servante d’auberge. A la lueur d'une simple lampe, dont ils avaient pris soin de voiler la clarté pour la dé- rober au dehors, ne sachant ce que les ténèbres-leur cachaient des mouvements de l'ennemi, ni ce que leur réservait le lendemain, ils n'avaient pas osé se confier entièrement à la vigilance des sentinelles disséminées sur le rempart. M° de Capchicot s’étonnait d'ailleurs du retard de la garnison de Castelgeloux, laquelle, d'a- près ses calculs, aurait dû être arrivée depuis plusieurs heures. De son côté, le roi de Navarre, à qui la chà- telaine n'avait pas laissé ignorer son message du matin, ne reconnaissail pas, à ces lenteurs, l'allure décidée des capitaines Castaing et Dominge, et ne se rappelait pas, sans quelque souci, un propos de La Sale du Ciron au sujet d'un faux avis qu'il aurait fait parvenir à la garnison de Castelgeloux. Néanmoins, le roi de Navarre, jeune encore, mais vieilli déjà par les dangers, où il ne perdit jamais ni sa présence d'esprit de bon capitaine ni sa gaieté de franc Béarnais, n'était pas homme non plus à négliger ses avantages auprès d'une belle veuve dont les charmes, même sous le déguisement grossier déjà signalé, la- vaient fort touché. Rien n’est dangereux, dans ces sor- Les d'occasions, comme les équivoques. Henri, délivré 275 si heureusement, ne parlait que de sa reconnaissance ; la dame, de son zèle et de sa loyauté royalistes. Mais à l'expression de ces sentiments, fort respectables assurément, venait se méler insensiblement quelque chose de plus tendre, à l'insu, sinon de l'un, du moins de l’autre. Ajoutons à ceci tous les entrainements d’une position rendue intime par le danger commun; ces deux mains qui se réunissaient pour se serrer à la moin- dre alarme; ces lèvres qui se recherchaient pour se communiquer tout bas leurs observations, soit au bruit que laissait dans l'air le passage d'un oiseau nocturne, soit au frémissement des feuilles, soit au gémissement des bruyères agitées par la brise; à ces sons, en un mot, quelquefois inexplicables et mystérieux qui trou- blent les nuits-les plus sereines... Aussi est-ce de cette veillée que datèrent les amours du roi de Navarre avec la dame de Capchicot, amours dont les Lugues ont gardé le souvenir, et auxquelles une famille qui n’est pas encore éteinte a rattaché son origine. Tout à coup le prince s'est ému... Il venait d'enten- dre, ce lui semblait, les cris les plus déchirants. « Par » le ciel! s'écria-t-il, nos amis sont là, et leur besogne » entamée! » Mais la belle et douce main de la châtelaine lui coupa tout aussitôt la parole.” « Eh quoi! fit-elle à voix basse, Votre Majesté n'a-t- » elle jamais entendu dans les bois de Durance ce cri » de notre oiseau des nuits? Îl est vrai que celui-ci n’est » pas de la plus commune espèce, et que nous ferons » bien de lui prêter toute notre attention. » 276 «— Qu'est-ce à dire, Madame, et quel sens dois-je » donner à ces derniers mots? » « — Ne vous ai-je point parlé de cette jeune Toinette, » porteur de mon message aux capitaines Dominge et » Castaing?.…. Eh bien! Sire, la voilà de retour. » «— De vrai! Ce cri lugubre, c'était donc un avis » de votre messagère? » «— Toinette et Rimbaut, mon fauconnier, se sont » promis mariage depuis l'an dernier, et je viens de » reconnaitre le signal qui m'a souvent privée, le soir, » du service de ce Rimbaut. J'avais quelque pressenti- » ment de ce qui nous arrive, lorsque j'ai commis ce- » lui-ei à la garde de la partie des murailles qui fait » face aux jardins du château... Eh! tenez, Sire, oyez » sa réponse dans la même langue!... Je m'en remets, » du reste, à sa prudence du soin d'introduire sa fiancée » auprès de nous sans éveiller l'attention de l'ennemi. » Au bout de quelque temps, en effet, Toinette, guidée par Rimbaut, parut dans la tour où se tenait le roi de Navarre avec la dame de Capchicot. Nos lecteurs, s'ils veulent bien se rappeler la disposition de la garenne et des jardins de Capchicot, ainsi que la communication ménagée entre ces mêmes lieux et le château, n'en sont pas à se demander par quels moyens et avec quel mys- tère l'alerte fauconnier venait de faire entrer cet émis- saire dans la place. «— Ainsi donc, Toinette, dit la dame de Capchicot » en relenant sa voix, les choses se sont passées comme CA CA » ne lavait que trop pressenti ma bonne nourrice. Vous » vous êtes attardée en route! » » » » 277 «— Oh! madame, j'ai brülé le chemin, et l'angelus de midi sonnait à peine à toutes les églises de la ville que déjà j'étais parvenue à la porte Saint-Raphaël ; mais les capitaines Dominge et Castaing se trouvaient absents, étant partis de Castelgeloux pour porter se- cours à Samazan, que menacçaient les catholiques de Marmande. » «— Ainsi, plus d'espoir de ce côté... » «— Rassurez-vous, Madame! Avant de recevoir vo- tre message, j'en avais compris toute l'importance, à quelques mots échangés entre vous et Perrine... Si bien qu'à défaut des deux capitaines, c’est à Nossei- gneurs les consuls que j'ai remis l'écrit, et sans dif- férer, un contre-ordre nous à ramené les gendarmes avec les arquebusiers..… Mais tout cela leur a pris du temps... et puis, les chevaux ne sont pas de fer ni ceux qui les montent non plus! » «— Mais, enfin, où sont-ils? » «— Sur la lande de Laclôde, Madame, à trois por- tées d'arquebuse de votre chateau, et n’attendant pour agir que les ordres de Monseigneur le roi; car nous avons {trouvé sur notre route votre nourrice, Madame, qui avait déserté son auberge, pour venir au devant de nous et nous instruire de tout. » «— Combien sont-ils? » demanda le roi de Navarre. «— Mais pas mal de monde, Monseigneur le roi : de soixante à quatre vingls gendarmes, et une cen- taine d'arquebusiers, tous à cheval, sans me compter encore, car l'un de ces derniers m'a prise en croupe, pour les guider dans la nuit. » 278 «— Eh bien! mon gentil dragon, tu me serviras » d'oflicier d'ordonnance. Va! porte-leur mes ordres de combat. Dis à ces braves qu’au point du jour il leur faut entamer la charge, et que j'y serai! Mais un mot encore. Comme il est besoin d'y mettre de l'ensemble, » que ton signal d'amour, ventre-saint-gris, devienne pour nous le signal de la victoire! Tu comprends? » «— Pas trop, Monseigneur. » «— Sa Majesté vous charge, Toinette, dit la dame » de Capchicot, de nous avertir quand les capitaines » Castaing et Dominge se porterent sur l'ennemi, et ce signal que vous devez nous en donner, c’est le cri du » houre-hou. » Toinette reprit le chemin par lequel elle s'était in troduite dans Capchicot, en s'entourant, avec l'aide de Rimbaut, des mêmes précautions que pour sa venue. Seulement, leur vieux chroniqueur n'a pas gardé note ÿ A Y S CA CA des légères et innocentes distractions qui purent ralen- tir de quelques minutes leur marche à travers la nuit. De son côté, Henri de Navarre donna tous les ordres que nécessitait son plan de sortie. Il trouva dans le chàteau des armes, des chevaux et dix hommes en état de le seconder; puis il reprit avec la châtelaine, dans la même tour, le poste qu'ils n'avaient quitté que mo- mentanément. Plusieurs heures s'étaient écoulées..….. Néanmoins, avant que le jour ne parut, un.bruit de chevaux, mêlé d'un cliquetis d'armures, se fit entendre au loin et vint frapper surtout l'oreille exercée du roi de Navarre. Peu à peu, ce bruit devenant plus distinct, ce prince acquit 279 la conviction qu'un corps de cavalerie était en marche sur le château. « Et cette Toinette qui nous oublie!» s'écria-t-il. «— Ceux-là, dit la dame de Capehicot, ne nous » viennent pas de Laclède, mais bien de la Tour » neuve... Que devons-nous penser d'un tel incident? » En ce moment, le signal de Toinette parvint égale ment à Capchicot, et presque au même instant reten— tirent de ce même côté des bruits de chevaux et d'ar- mures. Ces derniers, c'étaient bien les gendarmes de Dominge et les arquebusiers de Castaing. « Que l'on relève la herse! abattez le pont-levis! » commanda le roi de Navarre, et, suivi de dix compa- gnons bien armés, il partit au galop en jetant au loin ce cri de guerre : Navarre! Navarre! Deux corps opposés et qui se précipitaient au devant de lui, ayant répété comme un écho : Navarre! Na- varre! Henri connut par là que ceux venus des landes et de la Tour neuve n'appartenaient pas à ses ennemis. Le jour arrivait; le tumulte allait croissant. Il sem- blait que La Sale du Ciron, cerné par ces troupes di- verses, ne pouvaii tarder à se voir écrasé sous leur choc; mais les trois corps parvinrent l'un sur l'autre et fail- lirent se heurter sans rencontrer les catholiques, et en même temps que les capitaines Castaing et Dominge reconnaissaient leur roi presque au bout de leurs glai- ves, le roi reconnaissait, de son côté, les deux capi- taines Mazelières à la tête des gendarmes et des arque- busiers de Nérac. Puis, vinrent les explications... On n’a pas oublié 280 sans doute le fils de Perrine, que la dame de Capchicot avait dépèché à Durance avant même le départ de Toi- nette pour Castelgeloux. Arrivé trop tard pour remettre au roi de Navarre un avis qui l'eût préservé sans doute de l'embuscade dressée contre lui, ce jeune homme vit la captivité de ce prince et s'empressa d'en porter la nouvelle au château de Durance. Mais qu’espérer de quelques serviteurs restés dans cette demeure? Il fallut envoyer à Nérac ce même messager. A cette époque, les sinueux et sablonneux chemins qui menaient de Durance à Barbaste, et la mauvaise route qui reliait Barbaste à Nérac, se prêlaient mal à l’impatience du fils de Perrine, lequel, ayant plus de quatre lieues à parcourir, ne put annoncer aux consuls de Nérac la fatale nouvelle dont il était porteur que vers les deux heures de l'après-midi. Il fallut délibérer, donner des ordres. Le temps, qui ne délibère pas, s’écoulait ce- pendant, et sans l'heureuse évasion du roi de l'auberge de Capchicot, grâce à l'intervention de la fausse Toi- nette, les gendarmes et les arquebusiers de Nérac, de même que ceux de Castelgeloux, seraient arrivés (rop tard. Partis à la nuit, mais recevant en route divers renseignements sur la marche de La Sale du Ciron, les capitaines Mazelières avaient touché barres à la Tour neuve pour y prendre langue, et ils savaient, depuis cette courte halte, tout ce qui s'était passé la veille, C'est le bruit de leur arrivée qui avait décidé les capi- taines Dominge et Castaing à précipiter leur attaque, craignant que ce ne füt un renfort pour les catholiques. Mais La Sale du Ciron possédait toutes les qualités 281 d'un chef de partisans. Non moins habile que brave, nous savons déjà qu'il avait prodigué l'or à ses espions. La marche des garnisons de Castelgeloux et de Nérac lui étant connue, il ne se sentit pas en force pour les combattre, et il sut se dérober à leurs coups au moyen des ténèbres qui voilèrent sa retraite. Quand le jour parut, il se trouvait déjà loin de Capchicot, ramenant vers sa maison-forte de La Sale les prisonniers qui lui restaient. A aueun prix, cependant, le roi de Navarre n'eut consenti à laisser ses amis dans de telles mains. Quel- qu'un ayant parlé de traiter de leur rançon avec les catholiques : « Non! fit ce prince, dans la pénurie de » mes finances, il m'est plus facile de donner à ce ca- » pitaine d'aventures vingt coups d'épée que vingt écus » au soleil! Je vous vois là plus de deux cents gendar- » mes et de deux cent cinquante dragons valant toute » une armée. Courons sus, mes braves amis, à ces pil- » lards avant qu'ils ne se jettent dans Castelnau ou » dans Villandraut!... Mais vous voilà en marche de- » puis hier, et quelques rafraichissements vous seraient » nécessaires... » «— Rimbaut, s’écria la dame de Capchicot surve- ) DA nue durant ces explications, aux cavaliers tout le vin » de mes celliers, aux chevaux toute l'orge de mes cof- » fres! » IV. LA MORT DU BRAVE, Dans un pays tellement sablonneux que, sans pos- 282 séder l'instinct du chien de chasse ou la sagacité d'un sauvage des forêts de l'Amérique, on peut suivre sans difficulté à la piste les lièvres, les loups et les voleurs, le roi de Navarre ne pouvait craindre de perdre les traces de La Sale du Ciron; mais il fallait précipiter la poursuite, et Henri, faisant choix, sinon de ses plus braves compagnons, du moins des mieux montés, ve- nait de les envoyer en avant, avec ordre de joindre à toute bride comme à tout prix les catholiques, de les harceler, d'engager enfin, s'il se pouvait, le combat avec eux pour donner le temps au gros de la troupe des réformés d'intervenir. Le capitaine La Sale, de son côté, laissant presque toute sa compagnie de chevau-légers en arrière, tirait droit vers sa maison avec quelques cavaliers, ses ar- quebusiers et ses prisonniers. Quant aux chevau-légers, dont il s'était ainsi séparé, ils retardèrent à dessein leur marche pour arrêter et détourner celle du roi de Na- varre, et un engagement dut s'ensuivre nécessairement entre cette arrière-garde et l'avant-garde de ce prince. Ceci se passait au-delà de l'église de Gouts d’Allons et non loin du quartier plus riant de Lartique, vieux nom annonçant une ancienne conquête de la culture sur les landes qui formaient autrefois tout son terri- toire, et où la charrue et la bêche ont enchàässé une riante oasis. Là, quelques coups furent done échangés et quelques cavaliers vidèrent. les arçons de part et d'autre. Mais le roi de Navarre s'étant montré au bord opposé de la lande qui servait de théâtre à cette escar- mouche, aussitôt les chevau-légers de La Sale, se con- 283 formant aux instructions qu'ils avaient reçues, tournè- rent bride pour se jeter vers le Ciron, et, passant cette rivière en aval du moulin de Lartigue, ils coururent tout d'un trait se renfermer dans le chäteau catholique de Castelnau-de-Mesmes. Il fut heureux pour les réformés que le quartier de Lartigue se trouvät, dès cette époque, ainsi que l’ob- servation en à été déjà faite, populeux et riant, à la différence du pays d'alentour. Le roi de Navarre put y recueillir des avis, et après quelques hésitations dont La Sale du Ciron profita, les calvinistes se précipitè- rent de nouveau à là poursuite de ce capitaine. Néan- moins, ce dernier s'était mis déjà en sûreté dans sa maison-forte de La Sale, dont il portait le nom, lorsque notre prince parvint aux abords de cette demeure. Il existe encore de nos jours quelques types de ces maisons-fortes que leurs maîtres avaient été autorisés à construire, les uns du temps des guerres des Anglais, les autres durant nos guerres de religion. Nous avons parlé déjà de la maison-forte d'Allons. (Voy. II° Lu- que, p. 387 et 390.) Non iëin de l'église d'Aræ, dans l'ancien vicomté de Gavardan, et dont le nom, du reste, d'accord avec les traditions locales, semble être égale- ment une allusion à quelque lieu fortifié, on trouve la maison-forle de Vielle, à laquelle des tours, des fossés et des murs d'enceinte valurent le titre de château. Au sud-ouest de l'église de Jautan, on peut visiter, tou- chant le chène-géant de Bichette, un monticule arti- ficiel qui porte (remarquez-le bien?) le nom de Castera et qui doit être l'emplacement occupé jadis par la maï- 284 son-forte que le roi d'Angleterre, duc de Guyenne, permit au seigneur de Jautan de construire, pour la défense de son fief, en 1313. Durant les guerres de re- ligion , les capitaines des deux partis s'étaient ainsi élevé des refuges {pourquoi ne dirions-nous pas des lanières, vu le caractère et les brigandages du plus grand nombre?) et dans notre Histoire de l'Agenais, du Condomois et du Bazadais, on peut lire qu'un jour de l'an 4577, les gendarmes et les arquebusiers à cheval de Castelgeloux, battant la campagne dans les landes sous les ordres de Fhistorien Agrippa d'Aubigné, qui nous en à fourni le récit, se virent obligés, pour échapper à l'armée de Villars, de se réfugier dans la maison-forte de Castaing, dont le site, au surplus, nous est resté complétement inconnu. À Bazas, où dominè- rent les catholiques, durant la paix de Fleix, les capi- taines Casse, qui étaient de la religion opposée, sé- taient entourés dans leur demeure de fossés et de bar- ricades. Lors de la conclusion de la paix, on avait bien ordonné la destruction, de part et d'autre, de ces for-- tifications; mais, pour nous servir des propres expres- sions du roi de Navarre dans l’une de ses lettres, ceux qui les possédaient n'avaient fait que les égratigner, et de ce nombre se trouvaient les capitaines Casse aussi bien que le capitaine La Sale du Ciron. Aux lieux où, bien au-delà du quartier de Lartique que nous venons de traverser, el tout proche de la cha- pellenie d'Escaudes dont nous parlerons ailleurs (voy. la VIII Lugue), le ruisseau du Thus se jette dans le Ciron et forme sur la rive gauche de cette dernière ri 285 vière ce que nous nommons un œguillon, se trouvait autrefois assise la maison-forte de La Sale, demeure ancienne, entée sans doute sur quelque plus vieux ma- noir, comme l'indiquait son nom emprunté à la langue des Francs. Sur ces rives aux sables mouvants, les ruines résistent peu à l'abandon ou aux siècles qui s'é- coulent; aussi, nous devons prévenir nos lecteurs qu'il serait inutile de se mettre à la recherche des restes de la demeure du capitaine de La Sale du Ciron. Il en est aujourd'hui de ces lieux comme de la maison-forte de Castaing, dont parle d'Aubigné pour s’y être réfugié. A la différence de ces sortes de demeures, presque toutes quadrilatères quand il avait été permis d'en tailler les fondations en plein champ, celle de La Sale, gênée autant que défendue par le Thus et par le Ciron, affectait la forme d'un triangle, dont le Thus baignait le côté occidental, et le Ciron le côté nord-est. Quant au troisième côté, faisant face au sud-est, une forte tran- chée s’y reliait, par un bout au ruisseau, comme par l'autre bout à la rivière, et servait ainsi de fossé, sur lequel se trouvait pratiquée la porte, munie d’un pont- levis. Les édifices habités par le maitre touchaient au confluent des deux cours d’eau ; entre cette habitation et le fossé, s'étendait une cour entourée d'écuries et de décharges, où le capitaine La Sale avait pris le soin de pratiquer de nombreuses meurtrières qui s'ouvraient sur tous les bois et landes du voisinage. Mais ni la tranchée dont nous venons de parler, ni même le ravin du Thus n'auraient contenu assez d'eau pour créer un obstacle sérieux à lassaillant, si la 286 chaussée d'un moulin bàti sur la rive droite du Criron, presque en face, mais un peu en aval de La Sale, n'eût retenu les eaux de cette rivière à une hauteur suflisante pour les faire refluer, et dans le ravin et dans la tran- chée. Par ce moyen, le capitaine La Sale s'était assuré trois avantages : d'abord, les revenus d'une usine de quelque importance ; puis, un système de fortifications tel, qu'un coup de main contre sa maison ne présentait aucune chance de succès; enfin, un vaste bassin qui fournissait sa table de poissons justement estimés , et notamment de ces brochets du Ciron que l'on prise à légal des truites des Pyrénées. L'entrée de cette maison n'offrait pas néanmoins l'aspect redoutable que nous avons déjà vu à celle de l'ancien chäteau de Capchicot. Au lieu des deux tours qui protégeaient mème contre le canon la porte de cette première place, à La Sale du Ciron, deux piliers en maçonnerie, et engagés d'un côté et d'autre dans l'enceinte murée, soutenaient une terrasse crénelée, qui dominait la porte ainsi que le fossé, et à laquelle il serait trop ambitieux de donner le nom de machi- coulis où de moucharabis, bien qu'elle en remplit les fonctions. De cette terrasse, de même que des meur- trières voisines, il partit un tel feu, à l'apparition du roi de Navarre, que sa troupe dut s’en mettre à cou- vert derrière une chaine de petites dunes, qui se pro- longeaient non loin de La Sale jusqu’au Ciron. Quant à notre prince, il s'était écarté de ses gens et il rôdait autour de cette enceinte enflammée , étu— diant le terrain, et jetant vers la maison-forte de La 287 Sale des regards de loup en face d'une bergerie. Henri ne se trouvait pas sans inquiétudes, au seuil d’un pays catholique et dans le voisinage de Castelnau-de-Mesmes, de Bazas et de Villandraut. Pour peu que la maison forte de La Sale je retint devant ses murs, il courait le risque d'avoir bientôt sur les bras des forces qui pouvaient le détruire, et que les chevau-légers du ca- pilaine ennemi avaient charge sans doute d’ameuter contre les calvinistes. A la vérité, les deux partis étaient en paix, le roi de Navarre ne faisant, dans cette occa- sion, que repousser une agression injuste et pour- suivre la délivrance de ses amis, prisonniers contre la foi des traités. Mais la paix de Fleix, nous l'avons déjà dit, n'avait ni réconcilié les catholiques avec les pré- tendus réformés, ni apaisé les passions suscitées par tant de guerres. Le roi de Navarre avait donc sujet de craindre que les catholiques ne prissent la défense du capitaine La Sale, sans se prévceuper en aucune sorte. des torts de celui-ci. En ce moment, un arquebusier de Caslelgeloux se présenta devant le prince : «— Pardon, excuse, monseigneur, fit-il; mais j'ai » là en croupe sur mon cheval une saucisse bien as- » Saisonnée, sinon d'épices, du moins de salpêtre, et » dont je voudrais, sous votre bon plaisir, présenter le » régal à ces papistes. » «— Vraiment, dit le prince, lu serais artificier? » «— Un peu, et pour vous servir, si j'en étais eapa- » ble, » «— Si bien, que si tü parvenais à loger cet engin 288 dans l'une des lésardes que j'ai déjà remarquées à l'un A C4 Ÿ des piliers de là-bas... » &«— Ah! j'ai fait avaler, bon gré mal gré, à ce boyau » de toile au-delà de soixante livres pesant de poudre » à canon, et que le feu de saint Antoine m'arde jus- » qu'aux os, si, par son aide, je ne fais pas sauter aux » nues celte maudite terrasse avec les Ligueurs qui s'y » trouvent nichés. Mais le fossé qui nous en sépare, » voyez-vous, mon prince, renferme plus d'eau que » n'en pourrait boire ce Gargantua de qui nous avons » les euloties à Castelgeloux : Dieu palerne l'eût-il » muée en vin, pour parler comme le curé de Meu- » don. » «— Sois tranquille! sans valoir la gent panta- » gruélique, nous en viendrons à bout, et avant deux » heures, ce fossé sera plus sec que ne l'est ton gosier, » mon brave dragon. » « — Pardon , excuse, encore une fois, monseigneur; » je vois bien d'ici que ce fossé se trouve obstrué d’é- » paisses broussailles où je compte me glisser comme » une couleuvre. Pourtant je ne serais pas faché tout » de même que l'on détournät quelque peu l'attention » de ces diables incarnés.…. » «— Ventre-saint-gris! qu'à cela ne tienne! on va » leur tailler de la besogne, j'en réponds! » C'est ici le lieu de rappeler à nos compatriotes que les moulins du haut Ciron ne se trouvent pas assis sur l'ancien lit de cette rivière. Un bief y fut creusé de main d'homme pour conduire l'eau à l'usine et lui pro- curer ainsi une chute suflisante. Quant à l’ancien lit, CA 289 il reste pour recevoir lexcédant des eaux passant sur le déversoir qui le barre, et lorsque ce déversoir, for- mé uniquement de sables, de gazon et de brandes superposées, vient à céder sous le poids des hautes eaux, loute la rivière s'engouffre dans cette brèche de plus en plus béante. Le roi de Navarre, en présence de cette disposition des lieux, venait de dresser son plan avec cette déei- sion et celle promptitude qui le caractérisaient. A ses ordres, un corps d'arquebusiers, passant la rivière, se porta sur le moulin pour s'en emparer et en briser les vannes à coups de haches. Le capitaine La Sale, sans pénétrer encore le but secret de cette attaque, sem pressa néanmoins de diriger de ce côté une partie de son monde, et bientôt de vives arquebusades embrasant toute la rivière, rendirent meurtrières aux calvinistes les approches de cette usine. En même temps, le roi de Navarre avait ordonné une fausse attaque contre la porte de La Sale, et là aussi il y eut un échange pro- longé de coups d'arquebuses. Cela fit que les catholiques ne s'aperçurent pas d'un troisième corps armé de pioches, et qui, fort en amont de ce double combat , attaquait le déversoir dont il vient d'être question. Pendant qu'ils procédaient ainsi à la destruction de ce barrage , le moulin lui-même fut en- levé, ses vannes brisées, et les eaux s'écoulant ainsi des deux côtés, finirent par déserter le fossé qui com— plétait, avec le Ciron et le Thus, la ceinture de la place assiégée. Sur ces entrefaites, Henri avait ordonné à une troupe d'élite prise dans sa gendarmerie, de mettre 19 290 pied à terre, et l'avait disposée pour l'assaut, l'épée et le pistolet au poing. Les arquebusades cependant ne s'étaient pas ralenties, lorsqu'une explosion terrible les dominant se fit entendre, et que l'un des piliers de la porte du château s'étant renversé dans le fossé, la ter- rasse qu'il soutenait s'écroula également, en comblant de pierres et de combattants mutilés la tranchée qui s’opposait à l'assaut. Aussitôt Henri de Navarre, pro- fitant de ce premier moment de trouble, se précipita à la tête de ses gendarmes dans l'enceinte de La Sale, où le combat ne pouvait tarder à prendre l'aspect d'un véritable carnage, les arquebusiers catholiques n'étant pas en état de résister à la gendarmerie dans ces luttes COrpS à Corps. Refoulé jusqu’au bord de cette cour ensanglantée, le capitaine La Sale du Ciron s'était posté sur un perron où se réunissaient les deux branches extérieures d’un escalier descendant des appartements du maitre au niveau des écuries et des autres dépendances de la maison. De ce poste élevé, il dominait le combat, ayant à sa droite l'officier qui tenait haute et fière en- core la-cornette de sa compagnie , et à sa gauche sa femme, qui le fournit, dans cette occasion suprême , d'armes et de courage, pour nous servir des expres- sions de l'historien Agrippa d'Aubigné, à qui nous devons le détail des derniers moments du brave La Sale. A juger de la personne de cette dame par cette con- duite héroïque, on serait tenté de lui supposer des for- ces et une taille d'amazone. Mais, loin de là! la femme 291 du capitaine La Sale du Ciron était de petite stature, fréle, d'un aspect presque maladif, et voilant, sous les touffes épaisses de sa chevelure brune, un regard de la plus grande douceur. Il existe, à 48 kilomètres de Nérac, une de ces dames faibles et gracieuses de corps, mais d’un grand courage. Dans la nuit du 3 au 4 dé- cembre 4852, toute la contrée qu'habite celle-ci s'était mise en insurrection pour marcher en armes sur les villes de Nérac et d'Agen. On entendait de toutes parts le tambour battre, et chaque clocher, méconnaissant sa destination religieuse, jeter au loin un signal de révolte et de mort, tandis que des feux allumés, de coteaux en coteaux, mélaient leurs lueurs sinistres à ces convocations bruyantes des socialistes et des dé- mocrates. Le mari de cette dame se trouvait loin de sa demeure, retenu dans les landes par une partie de chasse. À la nouvelle de ce danger, il se jette à fond de train, à travers les bois et les ténèbres, pour voler au secours des siens. Le jour ne paraissait pas encore lorsque M. de... parvint à la porte de sa maison, qu'il trouva , comme on le pense bien, barricadée. Mais dès que l'on eut reconnu sa voix, il fut introduit. Et savez-vous ce que faisait sa femme tout en l’attendant ? Après avoir assisté au coucher de ses enfants à l'heure accoutumée, Mme de... s'était mise, elle si douce et si timide d'ordinaire, à fondre des balles, secondée dans ces préparatifs de combat par la bonne des enfants el la fille de chambre, qu'elle encourageait de la voix et du regard, pendant que les domestiques mâles armés de fusils veillaient aux portes... Mon Dieu ! il faut bien 292 que nous en fassions l’aveu , n'ayant trouvé nulle part un portrait de la dame de La Sale du Ciron, c’est Me de. que nous avons prise pour modèle de celui de notre héroïne. Cela dit, nous revenons au feu. Le plus grand nombre des soldats de La Sale avaient succombé; mais leur chef combattait encore. Rece- vant de sa femme les arquebuses toutes chargées , il pouvait, du lieu où il se tenait, choisir ses victimes. Deux fois, il vit même au bout de son arme le roi de Navarre. Mais deux fois aussi les fluctuations de la mêlée dérobèrent ce prince à la mort, tant la lente et lourde arquebuse des guerres de religion différait de la carabine des guerres de Crimée! D'ailleurs , la main et l'œil du capitaine La Sale n'avaient plus la sureté de ses premiers coups; car, déjà couvert de blessures, c’est par l’exaltation seule de son courage qu'il retenait la vie prête à le fuir. Son cornette venait d'être tué, et la dame de La Sale du Ciron, ramassant le drapeau que cel oflicier tenait encore , l'avait redressé contre le mur, entre son mari et elle. À son tour, le capitaine, frappé d’un dernier coup, s'affaissa et serail tombé également, si sa femme ne l’eùt retenu, en s'appuyant elle-même contre un banc de pierre, où elle s’assit , et où , dans des temps plus heureux, ils aimaient à respirer tous les deux, de compagnie, la brise embaumée des landes. C'est ainsi qu’elle parvint à soutenir sur ses genoux la tête et les épaules de son mari, dont les pieds et la partie inférieure du corps trempaient dans le sang. « Berthe, murmura le moribond , une prière pour mot, 293 » de grace! et, vois-lu, une bien courte prière, afin » qu'elle puisse monter et parvenir avant (on mari vers » ce Dieu pour qui je meurs, comme il mourut pour » moi!... » Les femmes catholiques portaient à cette époque à leur ceinture de riches chapelets, qu'elles nommaient leurs patenôtres. La dame du Ciron avait allaché aux siennes un reliquaire qu’elle s'empressa de présenter aux lèvres du capitaine , et, dans le regard empreint d'autant de douleur que de résignation chré- tienne qu'il reçut d'elle, celui-ci put puiser ou plutôt raviver celle foi qui l'avait dans maintes occasions guidé el trop souvent égaré. Sur ces entrefaites, le combat avait cessé. Parvenu au bas du perron où s'accomplissaient les destins du brave La Sale, le roi de Navarre, complétement vain- queur, s'adressa d'une voix mesurée à la triste chàte- laine : « Madame, lui dit-il, mes amis, vos prison- » niers; je n'exige pas davantage ! » La dame du Ciron se pencha sans répondre vers son mari et lai prit une clef qu’elle jeta dans l'arène. Des blessés qui s'y mou- raient indiquèrent au prince la porte de la prison, et c'est de la main de leur roi que Saintrailles, Fronte- nac, ainsi que tous les autres, furent rendus à la liberté. « 1 Plus tard, les trompettes sonnèrent à l'étendard , le roi ayant fait ses dispositions de départ et pris ses me- sures pour ramener tous ses blessés et emporter tous ses morts. Mais avant de quitter ces lieux désolés : « Honneur, s’écria-t-il, au courage malheureux! » A ce mot, qu'un héros plus grand encore à répété depuis 294 et rendu célèbre, la troupe des réformés accorda le salut militaire au capitaine La Sale en défilant devant lui. De son côté, la triste Berthe, détournant un ins- tant ses regards de celui qu'elle allait perdre, crut devoir reconnaitre cette courtoisie en inclinant légère- ment la cornette où brillaient encore, bien que souillées de sang, les pièces de l'écusson de son mari. C'est dans ce moment aussi que l'âme de ce brave capitaine, dé- gagée de son enveloppe mortelle et dépouillée de toutes les passions terrestres, s'envola vers un meilleur monde, où il lui fut tenu compte , n'en doutons pas, de sa mort héroïque plus que de ses erreurs. 295 LA LANGUE ET LA LITTÉRATURE ROMANES. Quelle a été l'influence de la croisade contre les Albigeois sur la langue et la litté- rature romanes en général et plus particulièrement dans le Midi de la France. ( Question mise au concours, pour les années 1855-1856, par l’Académie Impériale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux.) PAR M. L. DESSALLES, ARCHIVISTE DE La DORDOGNE ET MEMBRE DE PLUSIEURS SOCIÉTÉS SAVANTES. À celle question, je réponds, sans hésiter : L'influence de la croisade contre les Albigeois fut nulle, quant à la langue du midi de la France, à laquelle elle ne fit subir aucune modification; elle fut essentiellement funeste à la littérature de cette même contrée, par la pression terrible qu'elle exerça sur les esprits et les conséquen- ces qui en résultèrent, malgré les plus nobles efforts tentés pour conserver à cette littérature son originalité et son caractère primitif. Quant à la langue du nord, cette croisade n’ent pa- reillement aucune influence sur elle; mais son action ne fut pas non plus sans se faire sentir sur sa littéra- ture, avec cette différence toutefois que, presque in- 20 296 sensible au début, elle finit, avec le temps, par acqué- rir une certaine importance. Je vais essayer de justifier ces assertions dans l'or- dre où elles sont émises. En ce qui concerne le langage méridional, idiome roman proprement dit, ou langue des troubadours, évidemment j'aurai atteint mon but si je démontre que tout le temps que cet idiome fut la langue littéraire du pays, il n'éprouva aucune altération sensible. Ma tà- che se résume donc à grouper des textes antérieurs et postérieurs à la fatale expédition de Simon de Mont- fort, pour, de ce rapprochement, faire ressortir la vé- rité de ce que j'aflirme. Je prends au hasard l'idiome méridional, dans les diverses provinces où il était parlé, à sa plus belle épo- que, au XII° siècle. Voici un couplet de Bernard de Ventadour (Limousin), remarquable par l'harmonie et la pureté du langage : Quan vei la flor, l’erba fresqu’ e la fuelha, Et aug los chans dels auzels pel boscatge; Ab l’autre joy qu’ieu ai en mon coratge, Dobla mos bes, e m nays et m creis e m bruelha, Que no n'es vis qu'om puesca ren valer, S’eras no vol amor e gaug aver; Que tot quant es s’alegr’ e s’esbaudeya. (RaynouarD; Nouv. choix de poésies origi- nales, etc., t. I, p.330 1.) 1 Je cite M. Raynouard pour qu'on puisse plus facilement vé- rifier; mais je dois prévenir que je fais parfois des corrections, fournies par les manuscrits originaux. 297 En voici deax autres d'Arnaud, de Mareuil { Péri- gord ), qui ne le cèdent en rien, pour la pureté, à celui de Bernard de Ventadour, et qui offrent la plus parfaite identité de langage : La franca captenensa Ses geinh e ses falhensa Qu'ieu no puesc oblidar, Vos am e ses cor var, ET doutz vis e l'esgar Plus qu’om non pot pensar : E’1 semblan qu'ie us vi far. D’aitan no us puesc forsar Mi fan, domna valens, Part vostres mandamens. Melhor qu'ieu no sai dir, Ai! Domna cui desir, Ni del cor cossirar ; Si conoissetz ni us par E si per me no us vens Que sia falhimens, Merces e chauzimens Car vos sui ben volens, Sai que m ner a morir. Soffretz m'aquest falhir. (Ibid, p. 355.) Celaï qu’on va lire, composé par Folquet, de Mar- seille ( Provence }, n'est pas moins correct, et ne s'é- carle pas davantage de l'unité romane : Mout i fetz gran peccat amors Quan li plac que s mezes en me, Pois merce non aduis ab se, Ab que s’adolses ma dolors ; Qu’'amor pert son nom e’l desmen, Et es dezamors plenamen, Pos merces no y pot far socors A cui ’I fora pretz e honors ; Pos ilh vol venser totas res, Qu'una ves la venques merces. (Ibid., p. 343.) 298 Il en est de mème du suivant, emprunté à Pierre Raimond, de Toulouse ( Languedoc ) : Uz novels pessamens m’estai AI cor, per qu’ieu n'ai greu cossir, Don fas mant angoissos sospir, E n’ai soven mos cors plus guai, E m gart miels de far desplazer, E m'esforz en ben captener, Quan vey que n’es luecx e sazos ; E selh qu'a son poder es bos Ben deu aver mais d’onransa. (Ibid. , p. 334.) Je pourrais multiplier les citations; mais elles ne ser- viraient qu'à prouver surabondamment que le roman, au XII siècle, avait acquis son plus grand développe- ment, et que les formes du langage littéraire étaient les mêmes dans toutes les provinces méridionales. Pas- sons au XII siècle. Je commence par une tenson de Giraud de Borneil { Périgourdin }), avec Pierre IT, roi d'Aragon, tué à la bataille de Muret ( 1243). Giraud de Borneil s'adresse ainsi au roi : Be m plairia, seingner reis, Ab que us vis un pauc de lezer, Que us plagues que m dizessetz ver, Si us euiatz qu'en la vostr” amor A bona domna tant d’onor Si com d’un autre cavallier ; E no m'en tengatz per guerrier, Ans mi respondetz francamen. 299 Le roi lui répond : Guirautz de Borneilh, s'ieu mezeis No m defendes, ab mon saber, Ben sabetz on voletz tener ; Per so ben vos tenc a fallor. Si us cuiatz que ma ricor Vailla mens a drut vertadier. Aïssi vos pogratz un denier Adesmar contr’ un marc d’argen. (Hist. litt., t. XVII, — Art, PIERRE II D'ARAGON..) Le langage employé dans cette tenson ne diffère en rien de celui dont faisaient usage les troubadours du XII siècle. Rambaud de Vacquieras, né dans le comitat venais- sin, me fournit le couplet suivant, où l'unité des temps antérieurs se continue, exemple d'incorrections , com- me par le passé : Ja non cugei vezer Qu'amors mi destreysses. Tan que domna m tengues Del tot a son poder; Qu'encontra lur-erguelh Fora erguelhos cum suelh ; Mas beutatz e jovens E ‘1 gentils cors plazens E ‘I belh dig plazentier De Mon-Belh-Cavalier M'an fag privat estranh : E pus durs cors s’afranh 300 Vas amor, en luec car, Sap miels sa domn’ amar. : Qu'umils trop amoros, De totas enveyos. (Rayxouarp; Nouv. choix de poésies orig., etc., t. 1, p. 364.) J'en emprunte un autre au Gascon Giraud de Calen- con, qui porte avec lui les caractères essentiels de celte identité continue, tout aussi nettement accusés : Corona d’aur porta per son dever, E non vei ren, mas lai on vol ferir ; No ill faill nuill temps, tan gen s’ensap air, E vola leu, e fai se molt temer ; E nais d’azaut que s’es ab joi empres; E quan fai mal sembla que sia bes ; E viu de gaug, e s defen e s combat; Mas no i garda paratge ni rictat. (RaynouanRp; Choix de poésies orig., ete,, t. IL, p. 391.) Jen citerai encore un du Génois Boniface Calvo, qui concourt à corroborer de plus en plus tout ce qui précède : Per amor fon chantars trobatz, Car chantar et esser joios Es dreitz mestiers dels amoros, E del autres non, so sapchatz. Et mais dic qu'om non pot valer Granment, mi far ben son dever En nuil afar, ni s sap gardar de mal Cortezament, pois que d’amor no ?| cal. (Raynouarp; Nouv, choëx, ete., t. [, p. 475.) 301 Et même un autre du Mantouan Sordel, qui n'est pas moins propre à continuer la démonstration : Qui be s membra del segle qu’es passatz, Com hom lo vi de totz bos faitz plazen, E com hom ve malvatz ni recrezen Aquel d’aras, ni com ja restauratz Non er per cel que venra plus malvatz ; Totz homs viuria, ab gran delor membran Cals es ni fo ni er d’aissi enan. (Ibid., p. 473.) Comme on le voit, le XIE siècle ne le cède en rien au XII pour la pureté du langage; et les rapproche- ments que je pourrais faire plus nombreux, en don- nant ici des passages de Giraud Riquier, Serveri de Gironne et autres qui vivaient encore à la fin de ce siè- cle, ne feraient que mieux confirmer ce que j'ai dit en commençant. Voyons actuellement ce qui se passa dans le XIV° siècle. Au XIVe siècle, les poètes sont rares, dans le Midi. Les troubadours proprement dits ayant disparu devant la persécution, il ne resta plus que le Collége du Gaï- Savoir pour encourager l'art de trouver. Grèce à ce Collège cependant, des compositions en assez bon nombre nous ont été conservées, el nous permettront de juger, pièces en main, de l’état de la langue. J'em- prunte un premier couplet à un petit ouvrage d'Ar- naud Vidal (de Castelnaudary ), dont le langage est aussi pur que celui de Bernard de Ventadour, de Gi- 302 raud de Borneil et du roi d'Aragon. Cette pièce de vers obunt la violette en 1324 : Verges, us gaugz me coforta Tot jorn d’amoros cofort, Car, per la virginal porta, Intret Dieus dins vostre port, D’on estort Em tug a durabla mort; Que nostra vid’ era morta, Quan Adams tenc via torta, Manjan del frug, a grand tort, Mas ieu en vos ai conort, Ab tal esper que m conorta, Que vostra bontatz me port Mest manh glorios deport. (Nourer; Las Joyas del gay saber, p. 5). Le couplet suivant, tiré d’une pièce composée en 1355, par Austorc de Gailhac, docteur ès lois, juge de Villelongue, n'est pas écrit moins correctement que ceux d'Arnaud | de Mareuil), de Rambaud de Vaquie- ras et autres rapportés plus haut : Verges humils, on totz fis pretz s’atura, En vos lausar pausaray mon desir ; Quar etz vaisels on gaug no pot falhir Mayres de Dieu, am resplenden figura, De vos nasquet la nostra medecina. Cambra d’onor, rays declaratz e lumps, Aïgla rials, plena de bos costumps, Vos etz luzentz mais qu'emerauda fina. (Ibid, p. 13.) 303 Celui qu'on va lire, emprunté à Arnaud Donat, li- cencié ès lois, écrivant vers 14372, ne diffère en rien, pour le langage, de ceux de Folquet (de Marseille et de Giraud de Calençon : Estacat ferm eram tug en un pal D'’on Jhesus Cristz nos vole traire, sens mort Ay! malastrucs, com l’ofendem à tort! Que z el per nos sofris à tan gran mal. As ordenatz layset Dieus e promes Hordi veray, e poder qu’en figura Nos fan de pa vezer la carn mot pura, Lacal {la qual) manjan, paradis nos promes. (Ibid. , p. 22.) ÆEnfin, en voici un autre, portant la date de 1373, qui est l’œuvre de Pierre de Monlosier, chevalier. Le langage en est en tout point comparable, sous le rap- port des formes grammaticales, à celui des couplets de Pierre Raimond { de Toulouse }, de Boniface Calvo et de Sordel. Qui vol d’amor avenir a bon port, No vuelha dir a degun son voler, Ni desselar so que ’1 pot dam tener, Que fols parliers soven procura mort. Savis es doncs qui fug a fol parlar, E fols qui ditz so que fay a celar, E qui sos joys secretz no sab tenir, E mals e bes pessar, ab gen cubrir, No sec lo cors que far deu fis amans Que vol en patz sufrir los pros e ’Is dans. (Ibid. , p. 25.) 304 La première moitié du XV® siècle ne présente pas plus de différence, à part quelques complications or- thographiques sans importance qui apparaissent de loin en loin. En voici une preuve à la date de 1436, tirée d'une pièce dont l'auteur est Martin de Mons, marchand de Toulouse : Us ricx verdiers de mot grant excelensa, Ples de frutiers, am frutz de gran savor, Ausit ai dir qu’es faytz, per un pastor, Am una font on vertatz pren naysensa E quantitatz que met gran diligensa Per avansar aquels motz nobles frutz, Fort odorans e plens de grans vertutz Que deguns homs may no y pot donar tala. (Ibid. , p. 105.) - Le couplet suivant, emprunté à une composition d'Antoine du Verger { de Perpignan }, étudiant à Tou- louse en 4461, où il gagna la violette, n’est pas moins purement écrit : Lo filhs de Dieu eternals, visibles De vostre cors fech a nos oratori, E, prenent carn, volguet esser visibles , Quant devalet del pus alt consistori, Per nos tornar en lo gran heretatge Que tug perdut aviam, per la falta Del payr’ Adam, doncquas verges molt alta, Remembre vos del humanal linatge. (Ibid., p. 53.) Mais à partir de cette epoque, la décadence com- 305 mence à se faire sentir, quoique cependant le langage ne laisse pas que d’être assez correct, jusqu’au moment où il cessera d'être admis au concours. Le couplet qu'on va lire, tiré d’une pièce de 1474, composée par Jean Cathel, marchand de Toulouse, constate d'ailleurs formellement qu'à cette date il se maintenail toujours assez pur, malgré que, depuis quelques années (1471), les tendances françaises se fussent révélées au sein du collége : L'an quatre cens mil e setante quatre. Lo premier jorn del mes de may presen. Per so que vey complanher manta gen, Un sirventes a far me vuelh esbatre. En protestan que no pensi debatre Contra 1 voler alcunamen de Dieu, Mays explicar un pauc lo devis mieu, Per corregir dels que falhen la vida. (Ibid. , p. 177.) Enfin, quoique moins correctement écrit, le eou- plet suivant, extrait d'une chanson de Bertrand de Roaix, qui obtint l'églantine en 1498, dernière année dont il nous reste des compositions romanes présen- tées au concours, ne laisse cependant pas que de don- ner encore parfaitement à comprendre que la langue des troubadours, quoique visiblement altérée, n'était cependant pas complétement passée à l'état de patois : Per vos lausar secoretz mon poder Reyna del cel de dossor molt ornada. Sola tos temps avetz tot mon voler, Car no jamay no semblatz corosada. 306 Manhs homs en vos pot trobar reconfort Sorelh {solelh) luzens, dona verges cortesa No cranhetz (cremetz) ges ly pecat e la mort, E Jhesus Crist mantenh vostra nobleza. (Ibid., p. 181.) Et qu'on ne pense pas que ces compositions, qui for- maient deux volumes dont le premier seul a paru, soient uniquement le: produit de poètes originaires de Toulouse ou des environs : ce serait une erreur de le croire. Sans doute il en est un bon nombre qui appar- tient à cette ville ou au Languedoc; mais nous y en trouvons du Roussillon, tel est Antoine du Verger, du Périgord et même de Paris, ce qui prouve que les formes grammaticales de la langue étaient toujours soumises à des règles qui s’'apprenaient, comme au XIIe siècle. - Il demeure donc bien démontré, par tout ce qui précède, que, pendant près de deux cent cinquante ans, depuis la guerre des Albigeois, c'est-à-dire de 1225 à 1460 et même 1470, la langue romane resta intacte, dans ses formes essentielles, vivant de sa propre vie, et conservant ses règles grammaticales avec un soin tout religieux ; de telle sorte qu'il est impossible de ne pas reconnaître que la croisade contre les Albigeois ne porla aucune atteinte à cette langue, et que laltéra tion qui se produisit et grandit rapidement, à partir de 1470 ou environ, ne fut que l'effet du temps et point du tout le résultat de l'action immédiate et prolongée de cette trop funeste croisade. Voyons actuellement comment cette action s'exerça sur la littérature. 307 J'ai dit en commençant que la plus belle époque de l'idiome roman ou langue des troubadours fut le XII° siècle. Je crois devoir commencer par grouper ici quelques détails sur les formes littéraires de cette époque. Au XIF siècle, la poétique romane se faisait remar- quer par l'abondance et la variété de ses richesses, Avant 1200, bien des poètes s'étaient déjà exercés dans la poésie épique, dans la poésie religieuse, dans la poésie didactique, dans la poésie légère, et surtout dans la poésie lyrique, dans laquelle ils excellaient ; aussi, le nombre et la diversité des compositions de ce genre forment-elles la partie la plus considérable de celle poétique; ce sont : 1° Le Vers, petit poème de la nature de la chanson; 2° La CHanson et la CHANSONNETTE : 3° La TENSON, pièce dialoguée à deux, trois et même un plus grand nombre d'interlocuteurs; on l'appelait aussi PARTIMEN ; &° Le Descors, lantôt en vers de différentes mesu- res, lantôl en couplets écrits dans diverses langues ; 5° La SEXTINE, pièce de six couplets où les mêmes rimes se combinaient de six manières différentes ; 6° Le SonNer, qui n'avait rien de commun avec le sonnel moderne, et tenait comme le milieu entre le vers et la chanson ; 7° Le SIRVENTE, pièce essentiellement satirique, mais qui prenait parfois le ton de la poésie héroïque ; 8° L’AUBADE ; 9° La SÉRÉNADE ; 10° La Danse : 308 11° Le Bar; 120 La PASTORELLE ; 13° La NovELLeE ; 44° La Pièce À COMMENTAIRES, qui ressemblait as- sez aux chansonnettes, chantées de nos jours sur les théatres ; 15° L'ÉPITRE , 16° Le PLancH où COMPLAINTE; 17° L'Esconpic ; 18° La RETROENCE ; 19° L’ARLABEQUE , et une foule d'autres composilionsssans importance. Ces divers genres d'ouvrages subsistaient encore en partie au XIV: siècle. Voici un résumé des définitions qu'en donnent les Leys d’Amors ou Flors del Gai- Saber, ouvrage composé par Guillaume Molinier, chan- celier du Collége du Gai-Savoir en 1326, commencé, celte même année, sous la direction de ce Collége, et seulement achevé en 1358 ‘ : Le Vers est une composition romane qui comprend de cinq à dix couplets, avec un ou deux envois { que les troubadours appelaient tornadas ); il traite de ma- ticres sérieuses. Les airs propres à ces pelits poèmes sont graves et se chantent lentement. La Chanson se compose de cinq à sept couplets, ayant trait à l'amour, ou exprimant de gracieux éloges. Les 1 Ila été publié vers 1842, en 3 vol. gr. in-8°, par M. Gatien Arnoult, l’un des quarante mainteneurs de l’Académie des Jeux Floraux, ete. Toulouse. Bon et Privat. 309 airs des chansons doivent être graves comme ceux des vers. Le Sirvente, qui se rapproche du vers et de la chan- son par la forme des couplets et par l'air, en diffère par la manière dont il peut être rimé, et surtout par les matières dont il traite. Il doit s'occuper de bläme, de satire, châtier les sots et les méchants. Il peut aussi raconter les hauts faits de guerre. La Danse commence par une ritournelle ( qu’on ap- pelait re/ranh ou respos ) de quatre ou six vers, suivie de, trois couplets semblables par la mesure et par la rime, de chacun desquels les quatre ou six derniers vers doivent se terminer par des rimes pareilles à celles de la ritournelle. Elle finit par un envoi ou tornada également de quatre ou six vers rimant de la même manière que ceux de la ritournelle *. Le Descors comprend, comme le vers, de cinq à dix couplets. Ces couplets doivent différer entre eux par la rime, par la mesure et par le nombre de vers. Cette dernière obligation n'est pas rigoureuse; mais il faut alors que tous les couplets aient un nombre égal de vers. Le descors peut encore être écrit en autant de langues qu'il contient de couplets, qui doivent toujours se chanter chacun sur un air différent. Ce petit poème traite plus particulièrement d'amour, de reproches, d'éloges, etc. La Tenson est un débat sur une question soulevée 1 Il est bon de faire observer que la danse des troubadours ne s’astreignait point à ces règles, comme on le verra plus bas. 310 où chaque personnage maintient son dire. Cette com- position peut s'écrire par couples de vers, et en com- prend alors de vingt à trente. Si, au contraire, elle s'écrit par couplets ou strophes, elle doit en avoir de six à dix. Les interlocuteurs y finissent toujours par choisir un ou plusieurs juges. On peut ou non chanter la tenson. L'auteur fait une différence entre la Tenson et le Partimen, dans ce sens que les interlocuteurs de la tenson discutent la cause ou la question d'autrui, tan- dis que ceux du partimen défendent chacun son dire, au lieu de s'occuper de ce qu'ont avancé les autres. La Pastorelle peut avoir six, huit, dix couplets et mème plus, au gré de l'auteur, pourvu qu'il ne dépasse pas trente. Il faut y traiter de plaisanteries propres à égayer, sans propos déshonnètes. Elle doit toujours se chanter sur un air nouveau, léger et agréable à en- tendre. Sous ce nom sont comprises les compositions appelées vaquieras, vergieras, porquieras, auquie- ras, Cabrieras, elc. La Retroence, que Molinier appelle RETRONCHA , est une espèce de vers, quant à la mesure, aux couplets et à l'air, et peut, comme lui, avoir de cinq à dix cou- plets. Ce qui la distingue, ce sont les couplets en eux- mêmes, qui sont relroencés ou relronchés, c’est-à- dire que les vers 4%, 3°, 5°, etc., dans chaque cou- plet, ont une double rime à la césure et à la finale. La retroence ou retronche, du reste, peut traiter de morale, de préceptes d'amour, de louanges et même de blàme envers les méchants. 311 Le Planch ou Complainte à la facilité, comme le vers, de se composer de cinq à dix couplets, avec un air grave tout exprès pour la pièce. La complainte s'oc- cupe des malheurs publics, de la perte d’un homme recommandable, d'un événement fatal, ete.; elle ne doit remémorer que des faits honorables. Au temps de Molinier, les musiciens capables de faire des airs pour les complaintes étaient très-rares. L'Escondig ressemble beaucoup à la chanson, quant à la mesure, aux couplets et à l'air. [1 a pour objet des excuses adressées à une personne qu'on pourrait avoir offensée , et surtout une justification auprès d'une dame. A part quelques détails sur des compositions fugiti- ves et sans caractère bien marqué dont il n’est pas resté de trace, là se bornent les définitions de Molinier, qui, indépendamment de ce qu'elles ne sont pas tou- jours très-nettes, ont aussi l'inconvénient de ne pas porter sur tous les genres d'ouvrages. C’est ainsi qu'il ne parle ni de la sextine, ni de l'épître, ni de la no- velle, ni du sonnet, ni de la pièce à commentaires, ni de l'aubade, ni de la sérénade, etc., etc. ; mais celte omission, fort regrettable au point de vue de l'histoire littéraire, est à peu près sans importance pour la question qui nous occupe, par la raison sur- tout que, dans l’ensemble des poésies parvenues jus- qu'à nous, la diversité des compositions n’est pas très- grande , et qu'elles appartiennent toutes à trois ou qua- tre des divers genres dont je viens de résumer les défi- nitions. Je dis qu'elles appartiennent toutes à ces trois ou quatre genres; car, si l’on veut rester dans le vrai, 21 312 il ne faut parler que pour mémoire des compositions du XIE siècle postérieures à 1225, attendu que leurs auteurs étaient des troubadours ayant déjà écrit, ou des poètes ayant connu ces troubadours et s'étant mo- delés sur eux, sauf l'influence des événements, qui se réflètent bon gré mal gré dans leurs productions. Ceci bien entendu, il ne s’agit plus que d'examiner les faits littéraires, et de s'assurer s'ils justifient ou non l’asser- .tion émise en commencant. Le vers est une des compositions les plus anciennes dont firent usage les troubadours. Nous avons des vers composés par Guilhaume IX, comte de Poitiers, qui écrivait dans le X[° siècle. Le vers était donc un genre de poésie parfaitement connu au XII siècle, et d’au- tant plus en usage qu'il offrait plus de ressources aux esprits de ce temps là, toujours peu sobres de détails. En voici un dont l'auteur, Pierre Rogiers (d'Auvergne), écrivait vers 4150 : Ges non puese en bon vers falhir Nulh’ hora qu’ieu de mi dons chan. Cossi poiria ieu ren mal dir ? Qu’om non es tan mal ensenhatz, Si par! ab lieys un mot o dos, Que, s’es vilas, non torn cortes ; Per que sapchatz be que vers es Qu’el ben qu'ieu die ai tot de lieys. De ren al non pens ni cosir, Ni ai desirier ni talan, Mas de lieys que ’1 pogues servir, 313 E far tot quan l'es bos ni ?1 platz, Qu'ieu non cre qu'ieu ane per als fos. Mas per lieys far so que ’1 plagues . Que be sai qu’onors m’es e bes Tot quan fas per amor de lieys. Ben puesc los autres escarnir, Qu'aissi m suy sauputz traire enan, Que 1 mielhs del mon saupi chauzir : leu o dic, e sai qu’es vertatz; Per o motz n° i aura gelos Que diran mens, e non es ges. D’aisso no m cal, ni no m’es res . Qu'ieu m sai ben cossi s’es de lieys. Greu m'es lo maltraitz a sufrir E ?I dolors qu’ai de lieys tan gran, Don no m pot lo cors revenir; Per o no m platz autr’ amistatz, Ni mais joys no m'’es dous ni bos, Ni no vuelh que m sia promes Que s’ieu n’avia cent conques , Ren no ’ls pretz, mas cel qu'ai de lieys. Bona domna per vos sospir, E trac greu pena e gran afan: Per vos cuy am mout e dezir'; Et quar no us vey non es mos gratz : Mas, si be m’estau luenh de vos. Lo cor e * 1 sen vos ai trames . Si qu’aissi no suy ou tu m ves, E 1 ben qu'’ieu ai totz es de lieys. 314 Ai las! — Que t plang? — Laissi m morir. — Que as? — Am. — E trop? — leu oc tan Qu'en muer. — Mors ? — Oc. — Non potz guerir ? — Jeu no. — E cum? — Tan suy iratz. — De que? — De lieys don suy aissos. — Sofra. — No m val. — Clama ’1 merces. — Si m fatz. — No y as pro? — Pauc. — No t pes, Si en tras mal? — Noqua o fas de lieys. Cosselh n’ai. — Qual? — Vuelh m'en partir. — Non far. — Si farai. — Quers ton dan. — Qu'en puese al! — Vols t'en ben jauzir ? — Oc mout. — Crei me. — Era diguatz. — Sias humils , francs, lars e pros. — Si m fai mal? — Suefr’ en patz. — Sui pres. — Tu? — Oc. — Si amar vols, e si m cres; Aissi poiras jauzir de lieys. (RaynouarD ; Nouv. choix, etc., t. I, p. 327.) L'envoi ou tornade manque, ce qui semblerait prou- ver que le poète pouvait s'abstenir d'en faire, si toute- fois il n’est pas plus naturel de penser qu'il a été omis par le copiste. Mais à part cela, cette composition réu- nit toutes les qualités du vers. Le ton en est grave, quoiqu'il y soit parlé d'amour, et le dialogue de la fin révèle à la fois le tourment qu'éprouve le poète, et l'in- quiétude où il est de savoir si ce tourment finira. Voyons actuellement un Vers du XIIE: siècle; je l'em- prunte à Aimeri de Peguillem (de Toulouse ) : D’aisso don hom a lonjamen Ben dig entr’ els conoissedors, 315 Si ’n dis pueis mal vilanamen, Es a tot lo mens dezonors; Qu'aycelh que se mezeys demen Del ben qu'a dig, no m’es parven, Des qu’es trobatz, ben dizen, fals, Qu’el der om creire dizen mals. S’elh disses, al comensamen, Lo mal, ans qu'elh bes digz fôs sors, Dissera plus cubertamen, E semblera vers als plusors. Mas per o ben aven soven Qu’aisso qu’om cre blasmar, defen; Doncs non es, d’ome qu’es aitals, Lo bes digz, bes, ni 1 mals digz, mals. Us que dis ben premeiramen Que de bas haut poiet amors, E ’n dis après mal sotilmen, Per far semblar sos mals peiors, E per plus enganar la gen, Ab proverbis dauratz de sen Et ab parauletas venals, Vol far creire de ben qu’es mals. Non es bes qui fai d’avinen, Segon lo mon, so qu’es valors, E que s garda de falhimen On plus pot, e creys sa lausors ? Sies; mas non pot far nien Si non a l’amaiestramen D'amor, qu’es maiestre leials, Qu'’ensenh’ a triar bes dels mals. 316 Qu'el cor nays, on amors empren, Ensems ardimens e paors ; Qu'en saviez’ a l’ardimen, E volpilhatg” en las follors ; E pueis es arditz eissamen De larguez’ e d’ensenhamen, E volpilhs d’escarcez’ e d’als Que fos vilania ni mals. . ler so m par que, qui eitz mal, men { Del maiïestre que dona 1 sen. Cum sia hom valens e cabals , Ni cum se pot gardar de mals. Quar val plus e conoys e sen Na Joana d’Est, et enten Mielh! segon lo dreg jutge, quals Deu hom dir d’amor bes o mals. ({bid., p. 432 | Ce vers, qui a deux envois au lieu d'un, n'est pas moins remarquable que le premier, et rappelle parfai- tement le faire des troubadours de la bonne époque; il a celle allure vive et franche qui caractérisait la li- berté de penser, d'agir et àe parler durant tout le XII° siècle. L'auteur est un élève, un émule de ces hardis raisonneurs qui maîtrisaient la société de leur temps, et rien, dans celte composition, ne suppose la pression morale qui va bientôt s'exercer en tout sens. Trans- 1 Ce vers n'a pas de sens par rapport aux trois suivants; peut-être y avait-il : qui ditz mal, men. 317 portons-nous actuellement au XIV® siècle, et compa- rons à ceux que nous venons de voir le vers suivant, composé en 1345 par Pons de Prignac, ex-capitoul de Toulouse : Dins un bel prat compassat per mesura, Una flors nays, qu’ieu sai, en pauc de femps ; E can ve lay que regna lo gay temps, En son jhoven pren guayha noyridura ; Etz en apres, quar es frevols et tenra, Lo ventz, tot jorn en ventan, la decay ; E pueyhs lo freytz, que la fa tornar lay, AI femps poyrir, del cal davan s’engendra. Per lo bel prat, on la flors pren naysensa, Es entendutz lo mons fals que ns enpeuh A far baratz; quar malvestatz nos fenh So que non es, e ns tolh la conoysensa, Tant que no vey que melhorem de vida, Ni sol pensar no volem d’on nasquem ; E, per so, crey totz le mals que sufrem Nos dona Dieus, quar malvestatz nos guida. Comparar vuelh a la flor, per semblansa, Nos qu’en est mon prenem lo naysemen, Que de prumier avem gay noyrimen, Tro l’enemixs en peccatz nos avansa : Per que Dieus fay de paradis la vista, Com la flors pot, segon que m par als uelh t; Per que n’es pexs qui leva gran erguelh, EI qual, si mor, laysshara l’arma trista. 4 Ce passage est obscur, 318 Pel femps don nayhs la flors que ns (y) fay brusca, Es entendutz lo lims del qual nasquet Adamxs, que pueys los payres engendret, Dels quals prenem nostra captiva rusCa ; E pueys cercam naut pueg e manta tomba Per nostres hops, d’on sufrem gran trebalh, E, can morem, tot l’aver nos defalh, Tant que nos met totz nutz dedins la tomba. Lo cruzel vent qu’entorn de la flor venta, Dic yeu, de sert que z es cobeytatz grans, Que ns fay bayshar lo cap en far engans, D'on cug per so qu’avol gen nos turmenta ; E le grans freytz que pueyhs la flors ne porta, Dic qu’es la mortz greus, la qual, fals companh, Que ns fay tornar sieu, a 1 melhor guazanb, En terra vil, quan nostra carn es morta. TORNADA. Mos Ferm Governs, bos esper me conorta De venir lay on lunh bes no defalh; Per que us sopley no m tengatz per estranh, Can me veyretz pres la divinal porta. (Nour; vol. déjà cité, p. 10.) Il suffit de la simple lecture pour reconnaitre que cette composition ne procède pas avec celte allure vive et dégagée, ce lon d'assurance et d'autorité qui carac- térisent les deux pièces précédentes. Ici, la pensée est enchainée et se débat sous une étreinte qui lui laisse à peine assez de liberté pour combiner diflicilement des mots et les lier régulièrement entre eux. Point de no- 319 bles comparaisons, point de ces hardiesses poétiques si familières aux troubadours. C'est une triste idée ex- primée tristement, avec des phrases compassées, sans élégance. On sent, pour ainsi dire, que l'Inquisition est derrière le poète, et exerce sur lui sa terrible pres- Sion. En voici un autre dont la date n'est pas certaine, mais postérieur à 1372; il est de Pierre Durant, fa- bricant de peignes : De far un vers soy eras ben d’acort, Per fin’ amor, pessan del gai saber, Quar es subtils, que dona gran plazer AIS amadors, gaug, solas e deport. Et sel que vol d’amor pretz conquistar, En totz sos faytz deu vicis esquivar ; Aman de cor veray, e gen servir E merceyar si dons e ’Is bes grazir, Sufren los mals, car en apres afans, Ab bon esfortz pot esser benamans. Qui vol d’amor avenir à bon port, No vuelha dir a degun son voler, Ni desselar so que ’1 pot dan tener, Que fols parlar soen procura mort, Savis es donx qui fug a fol parlar, E fols qui ditz so que s fay a selar ; E qui sos joys secretz no sab tenir, E mals e bes pessar ab gen cubrir, No sec lo cors que far deu fis amans, Que vol, en patz, sufrir los bes e ’Is dans. 320 Fizels amors dona gaug e cofort A sel que fay de valer son poder, Segon que vol, gardan pretz e dever ; Car falhir pot, sis fay de maior sort Que far no deu, per fol otracuiar ; Car assatz fay qui s defen a son par; Per que no s deu ab plus fort arramir ; E sel que s vol de fin’amor jauwzir, Sia verays e fis e ses engans, Ayssi de cor, com mostra per semlans. Totz fis amans se pot dar bon conort, Car amors vol aman fi retener, Franc e z humil, e 1 fay sobrevaler, E l’orgolhos no vol en son ressort. Doncs fis amans se deu humiliar, E bon socors querir e sopleyar, Unmils e clis, a si dons obezir Entieramen, volontos de murir, Ans que falhis contra los sieus comans, Car sel que falh, mot fay estar celans. Fols cobeytos par sel que vol a tort Conquistar so que d’ el no s tanh aver; E qui vol trop montar, bas deu chazer ; Cum sel que vol guerreiar ab plus fort De si meteys, tot per sobremontar. Per que totz oms se deu amezurar, En totz sos faytz gardan si de falhir, E colbs e locs esperar e suffrir, Que trop coytar tol may en .[. sol lans Que restaurar no s pot gen en .VIL. aus. 321 TORNADA. Mos Bels Captenhs d’auta valor, ses par. Flors de joven, miralhs de fin pretz car, La vostr” amors me fay rejovenir, E 1 dous parlar ab plazent aculhir Me tenon gay, flors gentils, agradans, Per qu'ieu vos soy fizels humilians. ENDRESSA, Pros coms Gastos, jamay no m vuelh partir De vos lauzar ; ans me deu abelir, Car vostre pretz sobre totz es montans Comtes e dux, marques e z amirans. (ibids,4p4R 50) Cette pièce, qui ne laisse pas que d'être remarquable par sa hardiesse, eu égard à l’époque où elle fut écrite, puisqu'elle est du très-petit nombre de celles qui ne trai- tent pas des sujets religieux, n’en est pas moins à peu près dépourvue d'intérêt au point de vue de la compo- sition. L'auteur s'y traine dans des lieux communs, et semble s'appliquer à ne rien dire qui puisse le compro- mettre; son œuvre sent la contrainte et la gène. C’est encore l'effet de la croisade qui se prolonge, mais qui cessera bientôt. Au XV° siècle, en effet, la confiance renait et les poètes paraissent délivrés de ces alarmes continuelles qui, durant le XIV®, avaient retenu dans son essor le génie méridional. Ils sont beaucoup moins gènés dans leur allure. Toutefois, le plus grand nombre pro- 322 cède toujours avec réserve, et ne s'écarte du programme dressé sous la pression de la conquête qu'avec des pré- cautions excessives; mais il en est qui abordent hardi- ment des sujets palpitants d'actualité, et les traitent avec une liberté presque égale à celle des troubadours du bon temps. Il est vrai que le caractère primitif se modifie; mais il se modifie en dehors de l'influence exercée par l’action de la victoire des hommes du nord. En voici un exemple remarquable : c'est un vers composé en 1451, par Raimond Valade, notaire à Tou- louse : A vos en rey, que us dizetz d’Anglaterra, Fauc asaber que si ’n breu no redetz So que lonc temps occupat nos avetz, Pel rey frances auretz mot cruzel guerra ; E no us valdran oncles, cozis ni frayre, Que decazutz no siatz al endarrier, S'’umilitatz no us fa breumen retrayre ; Quar Dieus o vol, e bon dreyt o requier. Vostre poder non es per far batalha Contra 1 rey franc, tant es benhaüratz; Que del tot Dieu {s) s’es vers lui regitatz, D'’on no us presam la valor d’una palha. E so tot clar a cascum se demostra. Per grant effieytz e repport vertadier ; Que vostra gen hom fa cada jorn nostra, Quar Dieus o vol, etc. Notar podetz eyshemple de l'armada, 1 ]1 faudrait bos dreytz, d'autant qu'il y a Dieus. 323 Que l’autre jorn entreprenguetz de fayt, Ams vostras gens d’armas y arnhes de trayt, En Bordales , on se fec l’asemblada ; Quar cel que z es del pays l’avangarda, Mos se {n) Dorval se mezec tot prumier, E de trastots aguiren la desfarda ; Car Dieus o vol, etc. Quatorze cens estendutz sus la plassa, Feritz e mortz ne laysseren envers, E plus d’autans ne menen prezoniers, De tant bon cor los siguen, a la trassa. En pauc de temps acaberen l'obratge, Tant prestament uzan d’aquel mestier ; D'on li Angles fols n’an pres mot gran dampnatge : Car Dieus o vol, etc. Lo dugat vey que plus n’a de vos cura; Deg may (no)nes, quar, per senhor veray, No vos conoysch, ans dezira trop may Lo rey frances, son senhor, per natura : Et, si, per grat, no s met jos sa ’mparansa. En hobezin, com senhor dreyturier, De luy prendra mot sobriera venyansa Quar Dieus o vol, etc. Donc guerreyar no vulhatz neyt ni dia Am lo rey franc, ni comensar debat, Quar al darrier bayssariatz vostre estat Cum vos apar del fayt de Normandia ; Qu'en breu de temps a fayta sa conquesta, No temen vos mens c’um simpl’ escudier : 324 En semblans faytz es persona mot presta : Quar Dieus o vol, etc. Sus totz los reys d’aquesta presen vida Es renomnatz coma lo plus valens ; D'armas espertz e de subtils engens . E provezitz, que z es cauz’ enfinida ; Per que del tot quascus a lui servisea De bon voler, e no y planga denier Vertuozamen , sens que no s’enbaysea ; Quar Dieus o vol, etc. TORNADA. Ma Flor De Gaug pregui que s’azunisca Als nostres faytz, mantenen lo sentier De conquistar, y a tots mals provezisca Quar Dieus o vol e bon dreyt o requier. (Ibid., p. 29.) lei, la pression n'existe plus, et la composition mar- che dégagée de toutes les préoccupations qui pouvaient jadis arrêter l'élan de la pensée. Il est vrai que le poète s'adresse aux ennemis de la France, et que le champ était assez vaste pour qu'il pat se donner librement carrière; mais enfin il en use sans réserve, et son ou- vrage y gagne sous tous les rapports. Ce ne sont plus des rimes froides les unes à la suite des autres, compo- sées de phrases vides, péniblement compassées. La diction est simple et naturelle, et le récit marche sans efforts. Les rapprochements sont heureux, les images bien choisies ; l'harmonie , la vivacité règnent dans l'expression , et donnent à ce petit poème le mouvement 325 et la vie. En un mot, c'est un véritable morceau de poésie. Il faut cependant le reconnaître, ce morceau de poésie annonce une révolution qui va s’accomplir , mais en dehors des idées du XIV: siècle. Il en est de même du vers suivant, composé en 4459 par Béren- ger de l'Hopital : Vers figurat dels nobles Capitols de Tholosa. Plasen repaus, Tholosa molt cortesa., Comparar velh ton bel governamen : Cascun senhor Capitol, per nobleza, Velh demostrar per una vertut gent. Se trop es flac mon paubr’ entendemen À pauzar be ta nobla senhoria, Supplic te fort no te sia desplasen ; Soven error (s) joynessa pren e lia. Per HONESTAT qu’es vertut sobeyrana . Signar hom pot lo Capitol premier : Quar viure deu tota person’ human: Honestamen, sia duc o cavalier, E deu fugir que no sia messongier, E causa far ny dir que no sia genta, Mas sia gentil e ben honest parlier : Honestat es a Dieu y a mon plasenta. Pueys en apres la valeu pILIGENSA Prenc, demostran lo segon Capitol : Quar ela fay e mena de plasensa Totz nobles fatz, quant despauzar y vol. Diligen deu esser, eu gauch e dol, Tot bon senhor, quant se dorm o quant velha. 326 Vers la cieutat dont el lo govern col : Totas vertutz diligensa revelha. Lo ters, que z es apres en ordenansa, Mostrara FE, miralh de lialtat : Quar mantener deu cascun, sens otransa, So qu’a promes, et tener lialtat. Lo Regulus, senhor de nobl estat, Morir volguet per gardar la promessa, D'on tota gen lo n’a planch e lauzat : Nobles senhors, prenetz fe per mestressa. A doss’ Amor, on tota gen s’applica Lo senhor quart ieu voli comparar, Quar amar fort deu la causa publica Tot homs qu’es mes a z ela governar; Per amistat neyt e jorn trebalhar ". E secorir al plus gran e z al mendre Per amistal neyt e jorn trebalhar ". Amor fes Dieu en aquest mon descendre. Lo senhor quint cORTESIA joyosa Sera nomnat, quar a totz ela platz. Tot nobles homs en deu far s’amorosa, Quar plasens fay totz sos enamoratz. S'esser voletz un de sos ben amatz, E per amic voletz qu’ela vos tenha, Gracios, humil, plasen cove que siatz : Heuros es l’om ou Cortesia renha. Sieze senhor, NogLessa de bon ayre Presentara vostre bel nom cortes. 1 Ilest évident que le copiste a répété ce vers à la place d'un autre qui manque, comme plus haut il a également répété lialtat à la place d’un autre mot. 327 Noble, valen e de plasen repayre, Deu tot princep esser, e ben apres. No sia fier, vila ny descortes. Qui vieure vol d’aquest mon a la guisa, Mas plasen gay e nobl' en totas res : De tot hom pros es noblessa devisa. Senhor sete, nomnat seretz JUSTECrA , Que donar sol als oppremits secors : De totas parts ela tey la pollecia, Ezes la tor on totz avem recors. Sens ela trop auriam grevas dolors, Quar perilh es que lo mal trop habunde. Just e prudens siatz totz governadors : Durar no pot sens justecia lo munde. Signat sera, per TEMPRANSA la bela, L'uyte senhor, darrieramen assis. Sage, discret e de pensa fizela, Deu esser l’om que lo poble regis : En totz sos faytz deu metre gran advis, E sajamen far lo cors de sa vida; Un savis homs be son obra complis : Tempransa fay la persona complida. TORNADA. Tres Dossa Flor on trastot be floris, Garda tot jorn Tholosa ben florida E los senhors dont ela se regis : Fortunad” es la vila ben regida. ( Ibid., p. 131.) Ici, le genre de composition diffère; mais ce n’en est pas moins une actualité; et peut-être que l'auteur 29 328 n'était pas sans avoir calculé que l'application de ses vers pourrait bien se faire au détriment de quelques- uns des magistrats de Toulouse; ce qui autoriserait à croire à plus que de la hardiesse de sa part. Dans tous les cas , il est évident qu'il y a tout un abîme entre les vers composés au XIV: siècle et les deux derniers que je viens de rapporter. D'où il faut conclure que la ré- volution qui se préparait, et dont les signes précur- seurs étaient si évidents dès le milieu du XV° siècle, sans avoir pour but de ramener au beau temps de la poésie romane, où même, si l'on veut, de renouer les traditions interrompues, n'étail pas, ne pouvait pas être la suite de l'influence exercée par la croisade , mais tenait certainement à une autre cause. La con- duite de Régulus, rappelée dans la pièce de Bérenger de l'Hopitai, révèle méme assez d'où provenait celte cause, et prouve que la Renaissance ne date pas seu- lement du XVI° siècle. Ce n'est pas du reste dans ce seul genre de compo- sition que s'est produit ce phénomène littéraire , sil est permis de s'exprimer ainsi. Nous le verrons nous ap- paraitre successivement dans les différentes sortes de poésies usitées durant la mème période de temps. Je passe à la chanson. En voici une de Bérenger de Palasol, catalan d'ori- gine, digne, sous (ous les rapports, de la belle époque littéraire à laquelle il vivait { XIE siècle Aital dona cum ieu sai, Rich’ e de bellas faissos, Ab cors covinent e guay, Ab digz plazentiers e bos , Si volgues precs ni demanda sufrir, Degr’om honrar, car tener e servir : Que no y falh re qu’en bona dompna sia.. Mas quar amors y pert sa senhoria. Sobre las melhors val mai, Et es la genser qu’anc fos: Mas tant a ric pretz veray, E tant es sos cors joyos, Et tan gen sap tot quan vol far e dir, Et tan se fai als plus honratz grasir, Qu'en pren orguelh, qu’es contra drudaria ; Ve us tot lo mal qu'ieu dir en sabria. Amar e temer se fay Soven à manht enueyos , En cui pauc de ben estai: Mas ab un semblan ginhos Et ab belhs digz, o sab leu gen cubrir : Per qu'om de lieys no s pot claman partir : Q'us no s’en part, si son vol enseguia, Que no y volgues tornar en eys lo dia. Anc no s volc metr’en assai De nulh fait aventuros, Per que pogues en folh plai Venir sos pretz cabalos. Totz sos faitz sap acabar e complir A segur sen, ses reguart de falhir, E ses mal gienh, ses blasme, ses folia Ses enueg dir e senes vilania. 330 Quar denha sufrir ne ?1 plai Qu'ieu la laus’en mas chansos, Del sobre gran gaug que n’ai M'es complitz lo guazardos, Sol que y saubes tan ben esdevenir Cum agra cor e talan e dezir E gran razo, pus me en par n’auria, Mas no sai dir lo be que y tanheria. Dompna no puese de vos lauzar mentir, Que tot lo bes y es qu’en puese’ ‘om dir, E mais n’i a que hieu dir no sabria, E ’1 remanens cap en vos, tata via. (Ravnouarp; Nouv. Choix, etc., t. I, p. 359.) Cette composition gracieuse , élégante, se déroule harmonieusement, et ne laisse rien à désirer sous le rapport de la délicatesse des pensées et du choix des expressions. Une seule préoccupation domine le poète : c'est celle de se montrer aimable et galant.— En voici une autre du Rouergas Deudes de Prades, qui prouve qu'au XIE siècle ce genre de poésie n'était pas moins libre dans son allure, moins hardi dans ses expres- sions, moins élégant dans ses tournures de phrases, en un mot que le génie méridional n'avait point en- core reeu d'atteinte dans son essence primitive : Trop ben m'estara si s tolgues Amors de me et ieu d’amor ; Qu'’ieu non ai de lieys mas dolor, Et il vol de mi totz sos ses : Qu'ieu chant e m deport e m solatz 391 Non per me, mas quar a leys platz: Et il no faria per me Neis mal, si m cuiava far be. Amors ab vos no m val merces Ab franqueza ni ab dousor, Quar vostr’ orguelh, vostra ricor No venz humilitatz ni bes. S’om vos blandis, vos menassatz, Qui us menassa, vos sopleyatz, E qui us ama, nuill pro noillte, E qui us vol mal, gaug s’en dese. Amors de vos ai tant apres. Que ill fals truan e ill trichador, Que non temon Deu ni onor, E s fenhon de non re cortes, An de vos los bays e l’abratz, E, per bon’ aventura, *1 ja; E vers amics de bona fe Non aura ja ni so ni que. De donas n’i a mais de tres Que, quan remiro lor color E lor beutat al mirador, Non cuion que sia mais res. Pauc an ben legit, so sapchatz, Que beutatz vai, e faill viatz ; Qu'en pauc d’ora ‘1 plus bella ve Aquo secs que sol vezer ple. Us ans volgra que s’avengues Que s’acordesson entre lor 332 Cil que son leial amador, Que ja neguns precs non fezes : Qu'adone paregron li malvatz E las malvaisas ad un latz, Qu'an mort domuei e joi aucse, Pels baratz que fan entre se. Bels Sirventes, de vos mi platz Que ma chanson premier aiatz; E ja hom non deman per que, Mas quar vos am aitan com me. (Ibid. , p. 427.) Quoique Deudes de Prades écrivit après la trop fa- meuse croisade, sa composition, comme on le voit, et comme je l'ai déjà dit, peut figurer dignement à côté de celles de la meilleure époque. Comparons ac- tuellement à ces deux jolies chansons celle par laquelle R. d’Alayrac, prêtre d'Albigeois, gagna la violette d'or en 1325 : En amor ay mon refugi, Vas on de cor tot jorn fugi, Car soy pauzatz en engoysha : Pueys, soy may pres que no cugi; Cays sarratz dins una boysha E cug contrafar la moysha Que prens abtamens e vola. E quan n'a dedins s’escola Ensenhat, cove que cola , So que vol e dregz esserca : E vau en torn eum la mola. 339 Ses partir de prop sa merca : Per que cove que m coverca Vas lies, trop may que no sol. E, no m don Dieus be, si m doli De lies servir, ni se voli Autramen morir ni viure; Car ab lies tan n’acossoli, Que de mals me te deliure ; Per qu’es dregtz donx que la m lure, E fort e ferm m’ i encastre. Sia m traucatz de malastre, E deffeci 1 cor me gaste, S'ieu vuelh al re may conquerre, E mos enamix que m taste En loc perilhos, on erre, E mortz ab cotel m’aterre O de gran colb de gazarma. Quar ieu dic e jur per m'arma, Tant fort me garmihs e m'arma De pretz, de joy e m'arrapa, Qu’ el mon non es tant fort arma Que m'ostes de jotz sa capa; Mortz me prendra, si m’escapa ; De tan fin cor m° i aclini. Amors, degun jorn no fini En vos servir, ans m’ayzini Ades que plus vos servisca , E ’1 cors e ’1 cor hi afini, Per que vostre vol complisca, 334 E prec Dieu no m'abelisca L'una re que vos ne perga. TORNADA. Qui qui s vuelha m’arramisca. Sol que mos castels m'ubrisca E vas mi no s torn reguerga. { Nouzer; vol. déjà cité, p. 7.) Indépendamment du mauvais goût qui a présidé à celle composition, et qu'on pourrait excuser jusquà un certain point en disant que l'auteur s'était proposé d'imiter ce genre de poésie que les troubadours avaient qualifié du nom de rimAs caras, rèmes difficiles, il est incontestable que l'ensemble de cette chanson man- que d'intérêt et ne brille par aucune valeur littéraire. Ce sont tout bonnement des rimes placées les unes à la suite des autres, sans motif, mais évidemment non sans intention. [l fallait une pièce de vers pour con- courir. Cette pièce de vers devait parler d'amour sans compromeltre son auteur. Des banalités pouvaient seu- les lui donner le moyen d'atteindre le but, sans troubler sa sécurité. Il n'a écrit que des banalités. Quelle dis- tance immense sépare R. d’Alayrac de Deudes de Pra- des! et pourtant ils étaient compatriotes et vivaient environ à cinquante ans l’un de l'autre. Je crois devoir reproduire encore ici celle d'Astorc de Gaiïlhac (1355 ), dont j'ai déjà rapporté le premier couplet en traitant la question du langage. Elle est exactement composée selon les tendances de l'époque, et servira par conséquent à les caractériser : 339 Verges humils, on totz fis pretz s'atura. En vos lausar pausaray mon desir ; Quar etz vaisels on gaug no pot falhir. Mayres de Dieu, am resplenden figura De vos nasquet la nostra medicina. Cambra d’onor, rays declarat e lumps , Aygla rials, plena de bos costumps, Vos etz luzentz mai qu'emerauda fina. Frutz vertuos, en vos floris e grana Gaug senes fi, quar etz fons de dossor, Digna de laus, per vostra gran valor. Lo fils de Dieu pres de vos carn humana Dona plazentz; e °n vos fetz residensa Vergenetat (3), ses nul corompemen; Mirals d’onor, vos datz gaug excellen À tug aquilh que us portan reverensa. 9 Flors ben olentz, plena de bontat digna, Purtatz fizels en vos fay son redug; Quar vos portetz d’umilitat l’estug. Vela de mar, gentil dona benigna, Carboncles fis, luzentz mays que la perla ; Temples sagratz, portan frug pressios, Vos etz le ramps d’esperansa gaujos, Rosa de may qu’etz de totz temps esterla. En los nautz tros, al sagratz consistori, Vos etz, de sert, am lo rey eternal ; Quar vos estez el mon, ses erim mortal. Solelh verays, complit de jhoy notori, Ros distillantz qu’ els famolentz apasta , Per vos prenem, per ver, gaug e cofort,; 336 Quar etz la naus que menats a bon port, Alba luzentz, dona, verges mot casta. Emperayritz e de grans beutatz plena, De{{}s peccadors vos etz verays endres, Que de vos nays caritatz e merces. Port de salut, on totz bos ayps termena; Liris de gaug, del nostre los ! mot digne, Frug grassios, pren noyrimen de patz, Quar vos etz tals qu'el mon enluminatz, Falcos volantz, am cor umil, benigne. TORNADA. Perla d’onor, qu’el mon caytieu resigne, Socoretz me, que no sia dampnatz ; Quar vos etz fons d’on nays pur’ amistatz, Per que m gardatz de l’infernal maligne. (Ibid. , p. 13.) Le Collège du Gai-Savoir avait donné au travail de Molinier, dont j'ai parlé plus haut, le nom de Leys d'Amor, parce qu'il fondait le succès de son établisse- ment sur les nobles élans qu'inspire l'amour dans ce qu'il a de plus épuré, de plus idéal. Les poètes dont la présence des inquisiteurs, en Languedoc, réfrénait l'ardente imagination, ne trouvèrent rien de mieux que d'envisager la mère du Christ comme l'objet digne d'amour par excellence, et lui consacrèrent leurs vers. Malheureusement , il ne leur était pas facile de trouver toujours, dans cet amour céleste et entièrement déta- ! Lisez laus. 337 ché des choses d'ici-bas, de ces inspirations chaleureu- ses qui passionnent et entraînent, de ces images émou- vantes, remarquables par l'abondance des idées et la richesse des expressions, surtout après les troubadours, qui avaient eux-mêmes lant parlé de la Vierge. Il ne res- Lait donc plus à ces poètes qu'à ressasser des lieux com- muns, où à s'aventurer dans la métaphysique; mais l'In- quisition et la métaphysique n'auraient pas tardé à avoir maille à partir, et chacun tenait essentiellement à n'avoir pas de démélé avec l'Inquisition, dont on redoutait le savoir-faire. On s’en tint donc aux lieux communs, et la chanson d'Astore de Gailhac est un modèle du genre. Rapprochements bizarres, comparaisons forcées, pla- litudes, manque de goùt continuel, telles étaient ces compositions auxquelles le langage seul prêtait cepen- dant toujours le charme de l'harmonie, dont on s'oecupa constamment davantage que de toute autre chose, par la raison qu'on n'avait rien à craindre de ce côté là. Au XV: siècle, les habitudes ne se transforment pas, pour la chanson comme pour le vers. Loin de se déga- ger avec une cerlaine vivacité et de se lancer dans des voies nouvelles, les idées poétiques languissent dans le genre consacré, et c’est à peine si on ose s'aventu- rer à tenter quelque légère innovation. Cependant, en 1461, Bertrand de Roaix composa une chanson d'a- mour qui mérite d'être signalée : Roza que m faitz neyt e Jorn sospirar Per vostr” amor, sens alcun reconfort Qu'en vos no puese a mon desir trobar, 338 Per tant semblan, bel joc, ni tant deport Cum vos ay fait d'aiss'ntras; mas al fort leu vos suplie, flors de totz bes ornada, Datz me socors, y adonc, fins à la mort, Tant quant vieuré ! seretz de my lauzada. E si perfieyt voler n’avetz en my, Al mens un pauc m'y faretz de semblant, He vulhatz far que us ame de cor fy, Car autrament no puesc venir avant, Dol enguoyssos no m demore davant. Departa s’en al mens una vegada ; Si m demostratz vostre pretz que resplant: Tant quant, etc. Mays qui ?s aquels que poyra dins son cor Ymaginar lo mal ni ’l pensament Qu'yeu ay per vos; no cresi qu'a aulh for Ho puesqua far suptil entendement ; Donquas , si us play, donatz m'aleugament ; No m gardatz plus am cara corrossada, Et ieu promet que denant tota gent, Tant quant, etc. En vos no pot tombar mal ni rigors, Ni lunhs erguelh jamay no mantenetz; Le servidors no deu morir d’amors, D'un tal voler quant guarir lo podetz, E majorment quant res vos non perdetz De’l secorrer, un pauc, esta jornada. Si alcunament ysjauzir lo voletz, Tant quant, etc. ! Vieuré, pour vieurai. 339 Per grant rozo , reffuz no m devetz dar. Consideran que soy franx e lials, E cresi be qui no m vol accusar, No son jamay estat malvatz ny fals. Elas! par Dieu, no sufferte plus mals! Aïatz pietat del qui us ha tant aymada : Si m garissetz de mas febras mortals . Tant quant, etc. TORNADA. Aigla Sens Par, a vos qu’etz principals Que la my’ amor tenetz enquadenada , Prometi vos, car soy vostre vassals, Tant quant vieuré seretz de my lauzada. (Ibid. , p. 136.) Voyons actuellement le sirvente. Beaucoup de troubadours ‘’exercèrent dans ce genre de composition, el presque tous y réussirent. C'est qu'en effeL la nature de ce pelil poème et sa manière de procéder prétaient beaucoup à l'imagination, et met- laient parfaitement à l'aise la rude franchise de ces hardis parleurs. Voici un sirvente du fameux Bertrand de Born, avec quelques lacunes que l'imperfection des manuscrits n'a pas permis de compléter : Ar ven la cuendeta sazos Que z arribaran nostras naus, E venra ? reis gaillartz e pros, C’anc lo reis Richartz no fon taus. Adones veirem aur et argen despendre, Peireiras far, destrapar e destendre, 340 Murs effondrar, tors baissar e deissendre, E ‘Is enemies encadenar € prendre. Belha m’es preissa de blezos , Cubertz de teins e blanes e blaus, D'’entreseings e de gonfanos De diversas colors trertaus, Tendas e traps e rics pabaillos tendre, Lansas frascar, escutz traucar, e fendre Elmes brunitz, e colps donar e prendre... Ges no m platz de nostres baros, Qu’an faitz sagramens no sai Caus ; Per so n’estaran vergoignos Cum lo lops qu'al latz es enclaus, Quan nostre reis poira mest nos atendre ; Q'estiers nuills d’els no s’en poira defendre, Ans diran tuit: « Mi, non pot hom m’esprendre » De nuil mal plaitz, ans mi voill a vos rendre. » No m platz compagna de baselos Ni de las putanas venaus..…. E mainadier escars deuria hom pendre E ric home, quan son donar vol vendre. En domn’ escarsa no s deuria hom entendre, Que per aver pot plegar e descendre. Ben sap l’usatge qu'a I leos Qu’'a ren vencuda non es maus, Mas contr’ orgoill es orgoillos : E ‘1 reis non a baros aitaus ; Ans can vezen qu’el seus afars es mendre, Poigna cascus cossi ?1 posca mesprendre. 341 E no us cuges qu’en fassa motz a vendre : Mas per ric bar deu om totz jors contendre. (RayNocaRD ; Nouv. choix, etc., t. I, p. 338.) Voilà ce qu'on peut appeler de la poésie. Sous tous les rapports, eette composition se distingue des compo- sitions ordinaires. Rapprochements heureux, pensées élevées, expressions riches et hardies, allure décidée dans le mouvement, il n’y manque rien de ce qui ré- vèle le talent, et tout concourt à établir la supériorité de l'auteur. Le XII siècle eut aussi son intrépide satirique, dont la verve remarquable pouvait marcher de pair avec celle de Bertrand : il se nommait Pierre Cardinal, et était originaire du Puy-en-Velay. I s'appliqua plus par- ticulièrement à faire la guerre aux vices de la société. Le sirvente qu'on va lire permettra de le juger à la fois et comme poète et comme hardi censeur : Aissi cum hom planh son filh o son paire O son amie, quan mort lo l’a tolgut, Planh ieu los vius que sai son remazut Fals, desleials, fellons e de mal aire : Messorguier truan, Cobes de mal plan, Raubador, lairo, Jurador d’enguan , Abric de trachors On diables renha, Qu'aissi los ensenha Com hom fai enfan, 34? E lor met denan So per que Dieus los soau. Tot home plane, cant es glotz e raubaire, E planc lo fort, cant trop o a tengut, E plane lo fort quar hom non l’a pendut, E plane lo fort quar es trachers e laire; Non plane quar morran Mas quar vivon tan Li malvat gloto; E plane quar auran Heres sordeiors ; Tau fan mala senha Sels que Dieus destrenha, Que si gair’ estan En aissi obran, Festa farem quan n’iran. Tot lo mon plane quar hi estan tant laire, E quar si son enguanat e perdut, Que dels vicis creion sian vertut, E del mal, ben, so lor es a veiaire. Qu'’els pros son blasman, E ‘Th malvat, prezan, E li avol, bo, E ‘’Ih tort, benestan, E lanta, honors. Malfaitz los ensenha, Quar no vol qu’om tenha Ren que Dieus coman, Mas que quascus an Lai on li desleial van. 343 Mout plane quar quecs cuia valents faitz faire . E s fenb fort francs, quan fort pro a begut ; Mas si sos faitz fazia aissi com tut, De la valor calria al ren retraire. Lai cug que segran Li fals cug que an Que del fag felho Lor fai ferm semblan Qu'’es vera valors. Gens, cui Dieus desdenha, Cuiatz-vos que us venha Bes, per mal mazan Ni pros , per dar dan? De tot fag voletz grat gran. Ar m’es semblans que mos chans no val guaire Quar de mal dir l'ai ordit e tescut Mas de mal fuelh non cuelh hom leu bon frut Ni d’avol fag bon plag non sai retraire Dels laitz faitz qu’ ilh fan Lor ai dic lo dan, Josta la razo, E del felh talan Enic dic lo cors ; Quar greu m’es qu’ieu penha Lur error ni fenha, Ni los an lauzan, Ni ’1 chant an dauran, Mas per aital com seran. Mos chantars ensenha De que hom se tenha. Ni qual fag soan 23 344 Selh que z a talan De valor e d’onor gran. (Ibid, t. 1, p. 448.) A part la différence du sujet, ce morceau ne le cède en rien à celui de Bertrand de Born. Comme lui, Pierre Cardinal aborde résolument son sujet; comme lui, il s'exprime sans détour, el toujours avec une énergie, une précision et un choix heureux d'expressions qui prouvent que le XIII: siècle ne le cédait en rien au XII, ni sous le rapport de la liberté de penser et d'é- crire, ni sous le rapport du goût et de l'harmonie, dans l'art de composer. Cette allure décidée, cette rude franchise, ce sans fa- çon si hardiment poétique, ne pouvaient guère convenir au XIV® siècle, trop cruellement déchu et trop bruta- lement dépouillé de la splendeur de ses devanciers. Dans sa condition de suspect, il devait nécessairement redouter le bruit et l'éclat; aussi le sirvente fut très- rarement cultivé par lui et avec la plus grande ré- serve. Je n'en connais qu'un seul, qui gagna la vio- lette d'or en 1324; il est d’Arnaud Vidal ( de Castelnau- dary ). La seule lecture de cette pièce permet parfaite- ment de se faire une juste idée de l’état des esprits à celle époque. La voici telle qu'elle a été imprimée p. 3 du recueil de M. Noulet, si souvent cité : Mayres de Dieu, verges pura Vas vos me vir de cor pur, Ab esperansa segura, 345 Tal qu’ab merse m’assegur Que m’escur Say, tan qu'a la fi s’atur M’arma lay on gaugz s’atura. Verges, ab dreyta mezura, Prec preguetz Dieu no m mezur, Car per dreg, en loc escur M'arm’ auria cambr’escura, E car de vos no m rancur, Dels gaugz dels cels non endur. Verges, ses par de plazensa, Per nostr” amor, fos plazens A Dieu, tant qu’en pres nayshensa, D'ont pueys, per nos, fo nayshens. Humilmens. Vos prec que m siatz guirens Et que m portetz tal guirensa , Qu'ieu an lay, ses defalhensa, On gaugz non es defalhens, Car yeu, de cor, soy crezens Que qui n vos ha sa crezensa, No mor perdurablamens, Ans er ab gaugz revivens. Regina dels cels d’ondransa, Quar totz oms, que us es ondrans, Ontratz sera, ses doptansa, Sol sia ferms , no doptans, M. aytans Per vos qu’etz fons aondans, On Dieus trobet aondansa De tots bes, vostr’ amparansa 346 Requier que m si? amparans Vostre filhs e perdonans Mos peccatz; car perdonansa Fay als sieus fizels elamans , Tant es dous e merseyans. Verges, us gaugz me coforta Tot jorn d’amoros cofort ; Car per la virginal porta Intret Dieus dins vostre port, D'on estort Em tug a durabla mort : Que nostra vid’ era morta, Quar Adams tene via torta, Manjan del frug a gran tort. Mas ieu en vos ay conort, Ab tal esper que m conorta Que vostra bontatz me port Mest manh glorios deport. Flors de Paradis ondrada Per los arcangels ondratz; Flors sus els tros aut montada ; Flors que vostr” amic montatz : Flors de patz; | Flors on gaugz s’es encastrafz; Flors en purtat encastrada ; Flors que no fo desflorada Pel frug, ans remas floratz Vostre cors, quan Dieus fo natz De vos, verges ses par nada, Prec vos que merse m'aiatz, Tan que m n’an ab los salvatz. 347 TORNADA. Si cum soy lay autreyatz On vertutz es autreyada, En vostra cambra ondrada Duz est{ija, car lai ondratz Mans desfagz, Si qu’els refatz ; Prec vos que de la re fada, Verges per qu'om es damnatz, Si us platz, guirens nos siatz. Amen. A ne s'en rapporter qu'à la définition de Molinier, celle pièce n’est évidemment pas un sirvente, quoique ce soit le nom qu’elle porte dans le manuscrit qui nous l'a conservée; mais en y mettant un peu de bonne vo- lonté, on reconnait que le rhythme rappelle le sir- vente, et la manière de procéder de l’auteur indique assez qu'il avait l'intention de se livrer à ce genre de composition ‘. Cependant, hélas! quelle triste produc- tion, et que ces vers sont vides et dépourvus de toute sorte de mérite! Lorsqu'Arnaud Vidal gagna la violette d'or avec celte pièce de poésie, il y avait à peine qua- rante ans que Pierre Cardinal était mort; car on as- sure que ce troubadour vivait encore au commence- 1 Je dois dire cependant que M. Noulet a rapporté, en note, un passage ainsi conçu : « L'autre jorn apres, so fo lo tres de may, festa de Santa-Crotz, jutjero, en public, e donero la joya de la violeta a mestre Arnaud Vidal, de Castelnaudary, loqual , aquel meteys an, de fag creero doctor en la gaya sciensa, per una novela canso que hac fayta de Nostra-Dona. » (P.245.) 348 ment du règne de Philippe-le-Bel, et il y a tout un abime entre les deux poètes. Quelle terrible pression avait donc passé par là, sinon celle de la conquête ct de l'Inquisition venue à sa suite! Au XVe siècle, les sirventes deviennent moins ra- res; mais leurs formes ne sont d'abord guère micux accusées, car les premiers qu'on retrouve ne consti- tuent encore que des compositions mixtes tenant une sorte de milieu entre le vers et le sirvente. En voici un exemple; c'est la pièce dont j'ai déjà cité un cou- plet en traitant du langage : Us ricx verdiers de mot grant exselensa, Ple de frutiers, am fruts de gran savor, Ausit ay dir qu'es faytz per un pastor, Am una font, on vertatz pren naysensa E quantitatz que met gran diligensa Per avansar aquels motz nobles frutz, Fort odorans, et plens de grans vertutz, Que deguns homs may no y pot donar tala. Per verdier prenc lo sant cosselh de Bala, He pels frutiers cardenals he prelatz; Per lo pastor que ?Is ha totz am estatz, Lo payre sant, qu'es montatz per l’escala De la vertat, que jamays no ce ‘ tala; Que z an volgut declarar l’éretier Charles Sete, coma filh vertadier Del rey frances, am sentensa donada. ! Lisez : non se. 349 Duy cardenal santamen l’an portada AI noble duc a ‘rras ‘ on s’es tengutz Lo bos cosselhs hon foc reconogutz Per dreyt senyhor e z am patz cofermada. La paubra gen qu’era trop desolada Al jorn d’ey ha lo cors mot fort joyos; Ensemps veyretz frances he Vergonyhos ?, D’on prec a Dieu que no ’Is do jamays guerra. Aras est temptz que lo rey d’Anglaterra Layse lo crit qu'a portat falsoment, Que nostres reys Charles mot exselent Dieus ha monstrat com senyhors de la terra; Si no s’en van, tugh perdran la desferra, Cum fe lo reys, am sos frayres e dues D’autres gran re, que vegem desastrux, Per guireiar contra ’1 reyne de Fransa. L’erguelhs d'Angles es tornatz en maysansa Per nostras gens, que tost l'an abaysat. Miracle gran Dieus nos ha demostrat; Am franc voler no s vol desamparansa D'’oronavant no cal plus dart ny lansa, Depus que Dieus s’es mes de nostra part; Qu'a tout l’orguelh al verenos Leupart Que ta lonc temptz nos ha donat dampnatge. TORNADA. Confort d’amors, fons he cap de paratge, 1 Lisez : a Arras. ? Lisez : Bergonyhos. 350 Vostre car filh faytz que, prim ho de tart. Nos vuelha dar totz ensemps bona part De paradis, le sobrier heretatge. (NouLer, tbid., p. 105.) Certainement, il n’y a pas grande différence entre le sirvente d’Arnaud Vidal et celui de Martin de Mons. Quoique le sujet pris par ce dernier füt palpitant d'ac- tualité et eût dû nécessairement réveiller en lui de no- bles et patriotiques élans, il s’est trainé terre à terre, comme son devancier, et pourtant il était déjà bien loin de l'époque de contrainte où écrivait celui-ci. Cette circonstance prouve, ce semble, d’une manière assez formelle, que si au commencement du XV: siè- cle la terreur et la pression des temps passés n'étaient plus aussi générales qu'elles l'avaient d’abord été, on n'en était cependant pas encore assez revenu pour oser s’'abandonner à l'entrainement de son imagination, même lorsqu'il s'agissait de l'honneur et de la gloire de la France. Ce ne fut en effet que plus de trente ans après, que le génie méridional se réveilla plein d'ar- deur, mais, comme je lai déjà dit, sous une influence toute différente de celle qu'il avait subie jusqu'alors. En voici un exemple remarquable. L'auteur de cette pièce s'appelait Thomas Louis, et écrivait en 1465 : Dels mals que vey en aquest mon comprendre D'un sirventes bastir son desirans, E de bon cor volgra”cascuns aymans De Jhesu Chryst hi volgues ben attendre, Car es perils que la vertut divina, 351 En breu de temps, se venge d’alqus fort , Quar il non an de luy alcun recort ; Mas en mal far troban tot jorn aysina. Am gran engenh que de rodar no fina, Lo greus peccatz d’avareza cruzels Regna tot jorns, am fort malvat simbels, En tropas gens, don lor voler s’enclina En amassar d’aquest mon la riquesa, E lor prepaus hy meten de bon cor, No reguardan si caritatz se mor Dieus no vol pas que vers tal gen sia mesa. Caritat vey a servitut sosmeza, E morta chais, dont ly malvat avar, La neyt e ’1 jorn no finan de somyar En aur y argen, per la gran avareza. Mays, vos promet que pas trop no s’avansa Lor fals volers a bastir hospitals, Gleyzas, convens, ny autres obratges tals : D’umplir lo sac han sol lor esperansa. Si le rics homs es casuts de poyssansa, Qu'es devengutz paubres en aquest mon, E, vergonhans, a demandar cofon, Quar may li play sostener gran oltransa, E z en aquels el fay humils demanda Per sostenir son cors ben passient; Lo fals malvatz respon cubertament Qu'en autras partz el ha coyta mot granda. Donc, be son fol qui so que Dieus comanda Volen passar, e perdre Paradis, 352 Et caritat meten bas en avis, Tant le digs crims en lur testa s’abranda Quar l’oms perfieytz per guazanhar victoria Contra 1 Sathan, quant los sieus bes partis Als paubres nutz, e Dieus aquels noyritz; E los avars gietara de memoria. TORNADA. Palays d’onor, tostemps visca per gloria Le noble rey al present dit Loys, Tant que de patz cresea la flor de lis Qu’a totz endreyts hom reconte l’istoria. (Noucer, tbid., p. 152.) Voilà de véritables intentions poétiques heureuse- ment aceusées, la critique du mal librement faite, des sentiments honnètes franchement exprimés. En un mot, celle pièce de vers, dans son ensemble et dans ses détails, est un sirvente; non pas un sirvente de Bertrand de Born ou de Pierre Cardinal, quoique notre poète se rapproche plus du second que du premier, mais un sirvente tendant à la satire, c’est-à-dire un sirvente affectant des propensions vers les formes mo- dernes, révélant la transformation qui se prépare, et annonçant une révolution prochaine dans la littérature. Jusqu'ici, les rapprochements ont été faciles, puis- que les éléments de comparaison étaient complets; et de tout ce qui. précède, il demeure démontré que l'as- sertion émise en commençant reçoit partout et tou- jours la confirmation la plus éclatante pour tout ce qui tient au XIVe siècle; comme aussi que la réaction du XVe siècle, toute favorable qu'elle est, ne s'opère néan- moins qu'en dehors des traditions et d'un passé (ous les jours de plus en plus négligé en faveur des idées nouvelles qui germent de toute part, et feront délais- ser, dans l'oubli, l'idiome et les formes littéraires du midi. Je pourrais done m'arrêter ici, d'autant que dé- sormais je n'aurai plus à ma disposition des ressources analogues à celles dont j'ai pu faire usage depuis le commencement de ce travail. En effet, les divers au- tres genres de composition, moins cultivés à partir de 1300, ne se reproduisent qu’à de longs intervalles, et presque toujours font défaut pour le XIV: siècle. Je pense cependant qu'il ne saurait être hors de propos de grouper les faits qui nous restent, tout défectueux qu'ils sont, et de réunir, autant que possible, tout ce qui peut concourir à fournir le moyen de juger la ques- tion en toute connaissance de cause. Je vais donc con- tinuer l'examen et la mise en relief des rapports exis- tant entre les troubadours et leurs successeurs, dans toutes les parties de la littérature romane dont ils se sont respectivement occupés, autant du moins que les lacunes me permettront de le faire. La danse vient en première ligne, dans cette série de documents imparfaits. Comme je l'ai déjà fait observer, la danse des trou- badours n'était pas soumise aux règles indiquées par Molinier. Il est même vrai de dire qu'elle ne s'astrei- gnait pas à des règles bien certaines. Voici une pièce de la comtesse de Die, troubadour du XIE siècle, qu'on doit considérer comme une véritable danse, quoiqu'elle 354 ne semble être soumise qu'aux conditions de la chan son proprement dite : Ab joi et ab joven m’apais E jois e jovens m'apaia, Quar mos amics es lo plus guais Per qu’ieu sui cuendeta e guaia ; E pois ieu li sui veraia, Be i s taing qu’el me sia verais ; Qu’'anc de lui amar no m'estrais, Ni ai en cor que m n’estraia. Mout mi plaiz, quar sai que val mais, Sel qu’ieu plus dezir que m’aia ; E sel que primiers lo m’atrais Dieu prec que gran joi l’atraïa ; E qui que mal l’en retraia Non creza fors so qu’el retrais. Qu’om cuoill mantas vetz los balais Ab qu’el mezeis se balaïa. Domna que z en bon pretz s’enten Deu ben pauzar s’entendensa En un pro cavalier valen; Pois ill conois sa valensa, Que l’aus’amar a presensa; E domna pois am’ a presen, Ja pois li pro ni li valen Non diran mas avinensa. Qu'ieu n'ai chauzit un pro e gen Per cui pretz meillura e gensa, Larc et adreg e conoissen, 355 On es sens e conoissensa Prec li non aia entendensa, Ni hom no ’l puesca far crezen Qu'ieu fassa vas Ini faillimen. Sol non trob en lui faillensa. Amiex la vostra valensa Sabon li pro e li valen Per qu’ieu vos quier de mantenen, Si us platz, vostra mantenensa. (RaYNOUARD ; Choix, etc., t. III, p. 23.) / . Cette pièce, que les jeux de mots déparent un peu, ne laisse cependant pas que d'être gracieuse et pleine de pensées délicates : c’est le reflet de cette société ai- mable et sans contrainte du XIFsiècle, que ses brillantes cours , Sa libéralité inépuisable et ses nobles sentiments entourent d'un prestige lout pariiculier. La danse suivante, composée par un anonyme du XIII: siècle, n’est pas d’un mérite inférieur à celle de la comtesse de Die : Pres soi, ses faillensa , En tal bevolensa Don ja no m partrai ; E quan me pren sovenensa D’amor cossi m vai, Tot quan vei m’es desplasensa, E tormentz qu’ieu n'ai m'agensa Per lieis qu’ieu am mai. Haiï! s’en brieu no la vei, brieumen morai. 356 En amor londana Ha dolor probdana ; Per mi eis, o sai, Que set jorns de la setmana Sospir e’ n dis haï! Mortz fos ieu, que 1 via es plana: Qar non hai razon certana D’anar, s’o aten lai. Ha! s’en brieu no la vei, brieumen morai. Ses par de proeza Es e de beleza, Ab fin pretz verai; E sa naturals blancheza. Sembla neu, quan chai; E la color no i es meza Pegnen, ans sobra frescheza De roza de mai. Haiï! s’en brieu no la vei, brieumen morai. CBI Ep 244) Ici donc encore le génie méridional nous apparait dans toute sa fraicheur, dans toute sa grâce, et la lit- térature romane n’a rien perdu de son originalité et de ses qualités essentielles et caractéristiques. Il semble qu’au XIVe siècle la danse était devenue un objet de prédilection; du moins on s'en occupa beaucoup, et on en fixa les formes avec un soin tout particulier; on à vu plus haut comment Molinier en établit les règles. En voici une dont la date est incer- taine, comme celle de la plupart des danses qui nous ont été conservées, mais qui me parail avoir été com- 357 posée vers 1400, conformément aux préceptes de Mo- linier : La neiït e ’l jorn velh cantar, Fazen dansa ben partida, Bela, de vos senes par, Que per amors ay cauzida. leu vech maynta dameysela Sai e lai, en tanta part, Mas, a mon grat no tant bela Cum vos etz, ny am tal regart. De vertutz, ses comparar, Sus totas etz may fornida, Que, sol del ymaginar, La mieus ‘ pensa n’es raubida. leu vos ayme tant que mori ; Aymatz my donex, si us platz. He languen tot jorn demori! Vostre socors, vos mi datz : No lo m vulhatz denegar, Ayatz ma request’ auzida, Mous ? precs vulgatz acceptar, E tot pregui us ho, ni partida. L’amor que vos ay portada Mantendray, sens deffalhir, Car vos etz tant ben formada Qu’om del mon no y saubria dir; E per so us dezir d’aymar, 1 Lisez : mieua. — ? Lisez : mos. 358 Crezatz, trastota ma vida, N'y us voli jamay layssar, Entro del tot sia finida. TORNADA. Reconfort, molt supplicar Vuelh qu’en la vostra gandida M'arma vulhatz recaptar, Quan del cors sera salhida. (NouLer ; ibid., p. 187.) Comme la plus grande partie des danses connues, celle-ci s'adresse à la Vierge; son auteur s'appelait de Bonnet. C’est la seule composition que nous ayons de lui, et en vérité elle n'est pas de nature à faire regret- ter le reste de ses poésies, s'il en fit jamais. Quelle dis- tance sépare Bonnet de la comtesse de Die et de l'a- nonyme , et quelle profonde terreur il a fallu imprimer au génie méridional pour le faire descendre aussi bas! En voici une autre, composée en 1465 par Pierre de Villamur, et intitulée : Dansa d'amors am refranh : Neyt et jorn, dins en la pessa No m puesc tenir d’alegrar, Quan my sove la noblessa De la flor que m fay pensar. En mon joven me comensa Amors de far mortalz jocs ; Tan m’art he m flama sos focs Qu'en passi greu penedensa , Dolor mortal e destressa, 359 E no puesc alz cossirar Sino que la gentilessa De la flor que m fay pensar. Helas! no m puesc ben deffendre Que no senta la dolor Que passi, per fin’ amor, Don cuda lo mieu cor fendre, Dolens e plens de tristessa, Qui no cessa de plorar, Per tal sos volers aguessa De la flor que m fay pensar. Prec humilment, test’ enclina, Eysausisqua mon desir, Car no y a plus medicina Per me far tost engausir ; No ?s creatura que sabessa Autra milhor cogitar, Que surmontes la princessa De la flor que m fay pensar. TORNADA. Ma Blancha Flors e mestressa, Sus trastot quan es, ses par, Datz me ’1 socors e l’endressa De la flors que m fay pensar. (Noucer; ibid., p. 214.) Cette pièce n’a rien de remarquable; ce genre de composition prêtait peu à l'imagination. Toutefois, elle est préférable à celle de Bonnet; l'allure en est plus franche, le ton plus dégagé; en un mot, comme les 24 360 productions du XV° siècle, elle porte en elle le germe de la réaction qui précéda et prépara la transformation opérée par la Renaissance. Après la danse, occupons-nous du planch ou com- plainte. Quoique les compositions de ce genre qui nous restent depuis la croisade n'appartiennent qu’à la se- conde moitié du XV° siècle, il ne serait pas juste de les négliger. Je commence par une complainte de Bertrand de Born sur la mort d'Henri au cour! mantel, que les Aquitains appelérent toujours lo rei jové. Mon chan finise’ ab dol et ab maltraire Per tos temps mais, e *l ten per remazut, Car ma razon e mon gaug ai perdut, E”1 melhor rey que z ane nasquet de maire ; Larc e gen parlan E ben cavalguan, De bonas faissos, E d’umil semblan, Per far grans honors. Tan tem que m destrenha Lo dols que m’estenha , Per qu'ieu vau parlan. A Dieu lo coman Qu'el met’ al latz sanh Joan. Reys dels cortes e dels pros emperaire Foratz, senher, si n’acsetz mais viscut, Quar Reys Joves aviatz nom agut, E de jovent eratz capdels e paire. Ai! ausberc e bran. E belh bocaran, 361 Elms e gonfanos, E perpong e pan, E joys et amors Non an qui ’1s mantenha, Ni qui los retenha, Qu'ab vos s’en iran, E lai passaran, E tug ric fag benestan. Gent aculhir, e servir de bon aire, E belh respos, e ben siatz vengut, E gran ostal paguat e gen tengut, Dos e grazirs et estar ses tort faire: Manjar ab mazan De viul e de chan, Ab pros companhos, Ardit e prezan, Del mon los melhors ; Tot vol c’om o tenha, Que ren non retenha Al segle truan Que ’1 malastruc an Que m mostret tan belh semblan. Senher, en vos non era res a faire, Que tot lo mons vos avia elegut Pel melhor rey que z anc portes escut. E 1 plus ardit e *1 melhor torneyaire ; Des lo temps Rotlan, Ni de lai denan, Non fon hom tan pros Ni tan guerreian Ni don sa lauzors 362 Tan pel mon s’empenba Qu'’aissi lo reveinha, Ni que l’an sercan, Per tot aguaran, D'orieu tro ’1 sol colguan. Senher per vos mi vuelh de joy estraire, E tug aquilh que us avian vegut, Devon estar per vos irat e mut, E jamais joys la z ira no ns esclaire : Engles e Norman, Breton et Yrlan, Guiana e Guascos Et Angiers presan Et Maines e Tors, Fransa tro Compenha De plorar no s tenha, E Flandres e Guan, Tro ’1 port d'Ouessan, Ploron e li Aleman. Lorench e Braïman. Quan torneyaran, Auran dol, quan no us veyran. Non pretz un bezan Ni ‘1 colp d’un’ aglan Lo mon ni selhs que y estan, Per la mort pezan Del bon rey prezan. On tug devem aver dan. (RaywouarD; Choix des Poés. orig. des Tr., t. IV, p. 48.) Cette pièce est remarquable sous tous les rapports. 363 La richesse de la pensée, l'élégance de l'expression, le bon gout dont le poète a fait preuve, le choix même du rhythme , tout contribue à en faire un morceau de premier ordre. Comme toujours, nous allons voir le XIII siècle se tenir à la hauteur de son noble et brillant devancier : l Ples de tristor, marritz e doloiros Comens est planh, per lo dan remembrar, E per lo dol, que tart deu oblidar, Que Narbones sosten tan angoissos, Per la greu mort del senhor de Narbona, Del vescomte N Amalric mo senhor, Don deu aver trebalh tota gens bona E la sua, pus lonc temps e maior. Qui senhor pert, aver deu gran dolor, Quan l’a humil e franc, ses forsa far, E 1 pot, ab be, a son voler menar, Et es senher naturals, ab honor. Doncex perdut l’a Narbones e Narbona, Don deu esser totz lo pobles ploros, Quar elh era la pus nobla persona, Per dreg dever, que d’est lenguatge fos. Si de poder estes tan auctoros Com de dever, fazen son benestar, Fera de si per tot lo mon parlar, Per ardimen, per sen e per faitz bos. Qu'ab Narbones tot sol et ab Narbona S’es d’enemicx honratz, don a lauzor Elh e sas gens, qui liautatz razona. Quar senhor an ab bona f’ e amor. 364 Ance nulh vil fag vergonhos, ab follor Ni ab enjan no ’1 vi hom comensar, Ans s’es volgutz ab liautat menar; Part son poder, fazen faitz de valor ; E plazia ’1 tant lo faitz de Narbona Qu'’autres estars non l’era saboros Ni anc nulh temps, ab volontat fellona, A son poble non fon contrarios. Dieus, de salvar las armas poderos, Per merce us prec que denhetz perdonar, Senher, si us plats, a l’arma, e luec dar En paradis, entr’els sans, pres de vos, De mo senhor N Amalric de Narbona: E son poble gardatz de deshonor, E sos efans, aissi quon dreitz o dona, Tengan en patz lur terra, ses clamor. Se s pessa ben lo pobles de Narbona Quals dans li es la mortz de mo senhor, Del conortar leu non a razon bona, Ans l’a mout gran qu’en sospir” e qu’en plor. Aissi cum suelh del senhor de Narbona Chantar ab gang, ne chanti ab dolor, Quar l’ai perdut, de que ai ma persona Ab marrimen, plena de gran tristor. (Ibid, t IV, p. 76.) Giraud Riquier {de Narbonne), auteur de cette com- plainte, n’a pas et ne mérite pas la réputation de Ber- trand de Born; mais il n’en est pas moins vrai que ce morceau se recommande par la forme et par le fond. 305 Sous tous les rapports, il est digne de figurer à coté de la complainte sur Henri au court mantel. Sans doute, les qualités poétiques de Giraud Riquier ne s’y révèlent ni aussi brillantes ni aussi caractéristiques que celles de Bertrand de Born; mais ce poète sent bien , et s'exprime de même. Dans tout ce qu'il dit, son allure est franche et de bon goùt. Il est donc tout na- turel de dire qu'il concourut dignement à maintenir la réputation littéraire de son siècle à la hauteur de celle de Bertrand de Born. Comme on à pu en juger par ce que j'ai dit plus haut, je ne connais point de complainte du XIV° siè- cle; ce qui semble d'autant plus regrettable , que, dans celte sorte de composition, l'imagination pouvait pren- dre son essor en toute sécurité, puisqu'il ne s'agissait jamais que de la perte d'un personnage regrettable, ou d’un événement malheureux dont on ne parlait que pour donner cours à une juste douleur, et raconter les peines et l’affliction de ceux que cette perte ou cet évé- nement frappaient, sans méler au récit ni amertume ni satire. Rien toutefois n'est parvenu jusqu'à nous. A la manière même dont parle Molinier *, il ne paraît pas que les complaintes faites de son temps pussent offrir plus d'intérêt où réunir plus de mérite que les différentes autres poésies, appartenant à la même épo- que, qui nous ont passé sous les yeux. En effet, le man- que de musiciens capables de faire des airs, révèle une véritable pénurie de poètes, et cette pénurie est un in- 1 Voyez p. 311. 366 dice certain de la rareté des bonnes productions de ce genre. Je n'hésite done pas à dire que les complaintes du XIVe siècle ne nous auraient appris rien de plus que ce que nous savons déjà. Le XVe siècle seul nous en fournit quelques-unes qui ne sont pas sant intérêt, el qui caractérisent parfaite- ment les tendances de l’époque. Celle qu'on va lire per- mettra d'en juger; son auteur est Bérenger de l'Hopi- tal, avec lequel nous avons déjà fait connaissance ; il la composa en 1471 : Y a pas lonc temps, dedins Jherusalem , Vigui plorar del monde la plus bela ; Tan plangia fort qu’om l’auzia de Bellem, Se lasseran e rompen sa gonela. leu, am gran dol, luy dissi : Domayzela, Las! qu’avetz vos que tan vos plangetz haut? Ha! mon enfan, disset, parlan azaut, leu, paubra, soy crestiandat la mesquina, Que res que sia n0 me vey en azaut, Tant m'a gran mal fait la gen sarrazina. leu soli? aver India, gran et menor, Per mot gran part, dejost ma senhoria, E d’aquest mon soli” esser la maior; Quays tenia tot Persa, Meda, Suria, Solet govern era d’Alexandria E del tan fort Constantinoble bel; Boemis, Grecs, me tenian lur joyel ; Emperayritz era de Trapazonda ; Regina gran de Negrepon fisel : Aras o tey lo Turc, que Dieu confunda. 367 leu ay perdutz quatre patriarcatz; Jherusalem, ma plus nobla garlanda, E ‘1 gran muralh d’Antiocha, malvatz Man fait layssar, e trastota sa landa. Plus ieu non ay Alexandria granda ; Presa la m’an la sarrazina gen ; Encaras plus molt rigorosamen, De say vint ans m’an pres Costantinoble ; Temples, hostals, pilhats vilanamen, E mes à mort quasi trastot mon poble. Tot ay perdut, seno que lo papat, Y aquel n’a pas trastota sa clauzura, Quar lo gran Turc, en julhet, l’an passat, Pres Negrepon, en maniera molt dura, E, cum tiran, enemic de natura, Las fennas prens a chevals fes trepir, E los enfans estranglar e murtrir, Vilanamen, entr’ els bras de lur mayre ; Joynes e viels, trastotz y fes morir, E ‘ls petitz filhs tuar davant lo payre. E vengut es, el mes passat de mars, Als Venecians, per destrusir lor isla, Menan tans naus que fay brogir las mars, E Cas, e Turcs, tres o quatre cens mila, E z a setiat Ragosa, bela vila, De neyt et jorn grans assauts luy donan, Gitan dedins foc gresle flameian , E fort baten, an totz engens, la plassa : Certas, si en breu los paubres secors n’an, De crestians morts sera molt granda trassa. Ha! qual pietat, dos payre Jhesu Crist! 308 Sens ul secors , hom me bat et me frapa: leu perdi tot mon sen e mon avist; Lo Ture eruzel totz mos joyels arrapa, E jurat a que desfara mon papa, À grans tormens, e totz los cardenals, E si rompra temples, gleysas, ostals , Tans gens tuan qu'om non saubra la soma ; Sostrir la crotz, e manjar sos chevals Desus l’autar de sanet Peyre de Roma. Ha! Payre sanct, perdray ieu mon pais ! Deffalhira ta mayre, ta mestressa ? Murtriran me los Cas et Sarrasis ? Me desquissan en si vilan rudessa? Ha! reys chrestians, deu morir tal princessa ? Layssaretz vos mas donzelas forsar ? Renegar Dieus e mon cors lasserar Tan rudamen a falsa gen pagana ? Deu al jorn d’ uey mon paubre cors finar, E deffalhir la sancta fe crestiana ? Revelha te, ’1 Carles de gran renom, Qu'’as à ma ley Europa conquistada' Leva te sus, Godofre de Bilhom, Qu’eltra la mar amenes gran armada E sieysant’ ans as tengut subjugada Jherusalem, ondran la sancta cros! E tu, Lois, arma te, mon filh dos, Fay al gran Turc mortal et forta guerra; Ajuda me, coma sanct Lois, pros, Me deffenden e per mar e per terra. Cridan molt haut, fasia d’autres grans planbs , 309 Rompia sos pels e gran dolor imenava , Baten sos cors, fasia critz molt estranhs , E totz los sancts e las sanctas sonava; De gen bel cop, amb ela se plorava, Mas degun d’els no savia dar confort ; De say e lay ela fugia la mort, Fasen regarts en form’ espaventosa. Adonquas, ieu, me botiei en lo port, E torney dins la cieutat de Tholosa. TORNADA. Tres Dossa Flor de tot fisel conort. Prega ton filh, que per nos sosfric mort, Que do socors a la gen doloyrosa ; Quar se non a de nos, paubres, recort, Leu finira crestiandat engoissosa. (Noucer ; tbid., p. 83.) Évidemment, Bérenger de l'Hopital n'était pas un poète vulgaire, se trainant sur les traces de ses devan- ciers ; il cherchait ses inspirations ailleurs, et ne man- quait pas d'initiative dans sa manière de faire. Cette complainte est un morceau remarquable qui laisse bien loin derrière lui toutes les compositions contemporai- nes. Aussi, M. Noulet l'appelle-t-il le novateur hardi, et le considère-t-il comme ayant le plus contribué au mouvement littéraire qui, vingt-cinq ans plus lard, amena la rénovation des jeux poétiques de Toulouse. Comme on le voit, ces rapprochements sont tous également significatifs, et concourent tous également à confirmer la seconde assertion émise au début de ce travail. La compression se révèle partout dès le com- mencemet du XIV® siècle, et se retrouve toujours for- 370 tement accusée pendant toute sa durée, se réflétant même sur une partie du suivant. Au XV°, cependant, les poètes reprennent courage; mais, en recouvrant leur liberté d'action, ils renoncent aux habitudes de leurs devanciers; ou plutôt la manière de faire des troubadours ne leur étant plus connue, ils s’élancent dans les innovations et marchent résolument vers la Renaissance, sans autrement se préoccuper du passé. Voyons actuellement ce qui arriva dans le Nord. Ainsi que j'ai eu occasion de le démontrer ailleurs, la romane du Nord, que, pour plus d'exactitude, j'ap- pelle l’ancien français, ne procéda pas avec unité dans sa formation et son développement primitif, ce qui ex- plique pourquoi, au XIF siècle, cet idiome se compo- sait d’un certain nombre de dialectes qui lui donnaient une physionomie toute particulière, et l'avaient empé- ché d'acquérir ce perfectionnement que nous avons rencontré dans la romane du Midi, à cette même épo- que. Dans la seconde moitié de ce siècle et dans le siècle suivant, l’ancien français subit une sorte de ré- volution qui, sans détruire ses caractères essentiels, détermina cependant en lui des tendances plus mar- quées vers le français moderne. Les trouvères et les jongleurs refirent les chansons de geste, les romans de chevalerie, et en général toutes les compositions poé- tiques antérieures, faisant subir aux formes du langage des modifications nombreuses ‘. Mais comme cette cir- constance, tout importante qu'elle est pour lhistoire 1 Voir les publications de MM. Paulin Paris, Francisque Mi- chel, Leroux de Liney, etc., etc., et plus particulièrement la chanson d’Antioche. 371 du langage, ne saurait influer en rien sur la question qui nous occupe, puisqu'elle remonte à une époque antérieure à la croisade; il suffit de la signaler et de constater qu'il ne faut pas, pour les rapprochements, remonter au delà du XII siècle. Ouvrez au hasard les compositions de ce temps-là , parcourez-les dans les nombreuses publications faites de- puis un demi-siècle, ou mieux que cela, prenez les ma- auscrits de la Bibliothèque Impériale, lisez-y attentive- ment ces compositions, et vous reconnaîitrez, avec moi, que l’ancien français, tout complexe qu'il est, n’en ob- serve pas moins des règles constantes comme celles du roman. Les dialectes le déparent sans doute un peu; mais le fonds de tous ces dialectes est le mème, et laisse entrevoir la probabilité du retour à l'unité primitive. Du XII, passez au XIV® siècle; faites pour les pro- ductions de cette époque ce que vous avez fait pour les productions de l’époque précédente, et vous ne tarde- rez pas à vous apercevoir que le langage n'a subi au- cune altération, que les formes grammaticales n'y ont perdu rien de leur caractère essentiel, et que, si elles semblent tendre de plus en plus à l'unité dont j'ai parlé plus haut, cela tient uniquement à ce que les dialectes s’affaiblissent progressivement au profit de cette même unité. Ce n'est point du tout un phénomène semblable qui nous apparait au XV® siècle. Alors, au contraire, les formes grammaticales se modifient, dans leur essence ; mais elles se modifient en dehors de toute action étran- gère. D'ailleurs, ce changement est trop complet et 372 trop radical pour tenir en rien au passé; c’est au con- traire un Signe précurseur qui annonce le mouvement de rénovation, et prépare la Renaissance. Ces faits sont tellement constants et tellement faciles à vérifier, grace au grand nombre de publications faites dans ces der- niers temps, que j'ai cru pouvoir me borner à les énon- cer, pour justifier ma troisième assertion, qui se ré- sume ainsi : La croisade n'eut aucune influence ni sur les formes essentielles ni sur l'individualité primitive de l'ancien français. — Passons à sa littérature. Comme je l'ai dit, le XIE siècle est la belle période littéraire de l’ancien français. C’est à cette époque que furent composés la plupart des fabliaux recueillis par Legrand d’Aussy et Méon, le roman du Renard et ses suites, et bien d’autres poésies fort remarquables. C’est dans ce siècle que vivaient la célèbre Marie de France, Thibaud, roi de Navarre, Jean de Méun, Guillaume de Loris, Philippe Mousque, sans compter bon nombre d’autres poètes plus ou moins célèbres, dont les produc- tions forment un corps de littérature aussi riche que varié, n'ayant subi d'autre influence que celle dont j'ai parlé plus haut. Le XIV° siècle eut aussi une valeur littéraire réelle, et {a Branche aux royaux Lignages de GuicLaumE Gurarr, la Chronique métrique de Goperrot DE Paris, le Pèlerinage de la vie humaine de GuiLLAUME DE DEGUNLLEVILLE, joints à une foule de compositions légères et gracieuses, prouvent assez que l’idiome du Nord vivait toujours de sa vie propre, et était parfaitement en élat de se suffire à lui seul, sans être obligé d’avoir recours aux autres idiomes néo- 373 latins: Cependant, à travers cetté exubérance de ri- chesses essentiellement francaises, apparaissent çà et là quelques filets moins purs et d’une nuance moins nationale, qui supposent des emprunts de mauvais goût et laissent entrevoir une disposition à l'affaissement. J'ai signalé plus haut des rimes que les troubadours appelaient RIMAS CARAS. Ces RIMAS CARAS où rimes rares consüituaient de prime abord des tours de force d'esprit qui, dans leur nouveauté, inspirèrent une sorte d'admiration pour leurs auteurs, mais que nous pou- vons considérer comme les premiers symptômes de la décadence, quoique leur apparition remonte au XII° siècle. Tant que les troubadours de la bonne école oc- cupèrent nombreux le théâtre littéraire, la manie des rimes rares ne se produisit que de loin en loin, et se traina obscurément dans un coin de la scène; mais, dans la seconde moitié du XIIT siècle, alors que les bons troubadours, dispersés ou réduits au silence, ne Jjouirent plus de cette liberté de penser, d'agir et de parler qui les avait rendus si justement célèbres, elle grandit rapidement, et dans le XIV® siècle elle prit des proportions d'autant plus effrayantes qu'elle permettait à ceux qui sy adonnaient de se croire des poètes im- portants , par la raison qu'ils composaient difficilement de longues pièces de vers, fort heureusement à peu près vides de sens, el par conséquent très-propres à les mettré parfaitement à l'abri de toute chicane de la part de l'nquisition. Jusqu'ici, je n’avais pas cru devoir parler de ce genre de poésie, qui n'a, par lui-même, aucune valeur, et qui 374 ne pouvait m'être d'aucune utilité dans ce que j'avais à dire, pour justilier ma seconde assertion ; mais comme le mouvement littéraire du Nord tient plus qu'on ne pourrait le penser à ce côté de la littérature méridio- nale , il est indispensable que j'entre ici dans quelques développements, sans lesquels ma dernière assertion laisserait à désirer. Les rimes rares n'étaient primitivement qu'une affec- tation péniblement étudiée de rapprocher des mots peu habitués à se trouver ensemble, et de terminer les vers bizarrement. Comme il arrive toujours, à mesure qu’on se familiarisa avec ces diflicultés on en inventa de nou- velles, et, vers la fin du XII siècle, on en était venu aux combinaisons les plus singulières. Mais c'est sur- tout au XIVe siècle que ce genre étrange de composi- Uon acquit le plus de faveur. Molinier ‘ en a décrit tous les caprices, avec un soin des plus minutieux ; mais, pour donner une idée de ces inventions compliquées, je crois devoir rapporter ici quelques-uns des exemples fournis par cet auteur. En voici un, appelé rimes renforcées. Ces rimes con- sistaient à disposer deux ou plusieurs vers examètres de telle sorte que la césure, combinée avec un petit vers jeté à la fin, permit de transformer ces vers en d’autres de mesures différentes, comme ceux-ci : Lo mon veg cazug fort en greu port e destreg, Quar a pleg vol descort e far tort, contra dreg, Per naleg. 1 Leys d'amors, {, Ler de l'édition de M. Gatien Arnoult. 375 qui fournissent : Lo mon veg cazug fort en greu port E destreg, quar a pleg vol descort . E far tort, contra dreg, per naleg. eLe: Lo mon veg cazug fort En greu port e destreg, Quar a pleg vol descort Efar tort, contra dreg, Per naleg. Les vers équivoques contrefails ne sont pas moins * curieux : Las donas qu’ieu sai tres so Que mentre lor Cap fresso Lassus naut, pres d’un canto, Per qu’om las auia, canto. Le couplel mulhiplicalif, qu'on appelait tensoné in- lerrogalif, mérite attention : Ha las! — Que has? — Greu mal. —# qual? Fervor d'amor ? — Q yeu. — Coral? O be. — De me? — De te. — Per que? Quar pros , joyos tos cors e bos Es bels, ysnels et amoros. Peccal malvat has contra Dieu Pessat que dat t'a lo nom sieu. — Vers es; mas ges al no m puesc far, Quar pres, ses bes, me fas estar. © ox 376 Couplet rétrogradé par mots, autrement dit remé- moralif : Vengutz del cel es Dieus vengutz . Rezemutz nos ha rezemutz. Amem lo Salvador, amem. Tengam los mandamens, tengam. Redam lauzor a Dieu , redam. Ces détails sufliront pour faire comprendre qu'il était + dificile de pousser plus loin l'art de se torturer l'esprit pour ne rien produire. Roquefort ‘, Ginguené *, Fauriel * et beaucoup d'au- tres s'accordent à dire que le contact des hommes du Nord et du Midi, après la croisade, et l'établissement « des princes de la Maison de France dans les domaines des comtes de Toulouse et de Provence, conduisirent les trouvères à imiter les formes poétiques des trouba- dours. [ls Sont même d'accord pour reconnaitre que, si les bonsesprits cherchèrent à se perfectionner dans la belle poésie, en marchant sur les traces des troubadours du premier ordre, d'autres s'appliquèrent à rivaliser avec les troubadours de mauvais goût, dans les bizar- reries el les tours de force dont je viens de parler. Cette opinion suflirait pour justifier ma quatrième et dernière assertion, si j'étais aussi explicite que ces savants; mai<, tout en croyant à la réalité de limitation, je suis 1 Etat de la poésie française aux AT et XTIE siecles, ? Histoire littéraire de la France. 3 Histoire de la poésie provençale. 377 loin d'admettre que, de prime-abord, ainsi qu'ils sem- blent le dire, elle soit devenue assez générale pour in- fluer sur les habitudes littéraires. En effet, nous avons bien la preuve que des trouvères, conduits dans le Midi, durant le XII siècle, essayèrent de marcher sur les traces des troubadours ; mais il y a loin de quelques faits isolés à une disposition universelle des poètes du Nord à prendre pour modèles ceux du Midi. Ces sortes de révolutions poétiques ne se produisent pas sponta- nément; elles ne s'opèrent, #u contraire, qu'avec une lenteur excessive. Voilà pourquoi les savants dont j'ai parlé plus haut n'ont pas eu et ne pouvaient pas avoir l'assentiment général. Voilà aussi pourquoi je n'ai pas cru que leur opinion püt suflire à justifier ce que j'ai avancé en commençant. Voyons donc ce qui se passa réellement. Comme je l'ai déjà fait observer, il n’est pas douteux que, dès le XII: siècle, les troubadours eurent des imilateurs dans les trouvères; mais il n’est pas moins certain que le nombre de ces imitateurs fut d’abord très-restreint. Toutefois, par la raison qu'ils portaient sur des compositions de choix, telles que chansons, sirventes, tensons, elc., le publie goûta fort ces pre- miers essais ; aussi furent-ils un véritable stimulant pour les poètes qui vinrent après: si bien que la voie des imitations, chaque jour plus fréquentée, acquit, avec le temps, des proportions assez considérables. Par malheur, le mauvais goût faisait aussi des progrès ra- pides; el comme en définitive ce qu'on recherchait avant tout c'était le nouveau, il arriva qu'au moment T8 où le Midi agissait plus fortement sur le Nord, les poë- tes du Nord n'imitaient ceux du Midi que dans ce qu'ils avaient de plus bizarre et de plus extravagant, et ré- duisaient, par cela même, la poésie aux tours de force signalés plus haut. Cette singulière fantaisie de se tor- turer l'esprit pour ne rien dire, se propagea d'une ma- nière sensible au XIV® siècle, et plus particulièrement de 4350 à 1400; mais c'est surtout au commence- ment du XV: qu'elle prit un développement excessif, et qu'elle ramena sur la scène littéraire cette multitude d'étranges combinaisons de vers et de couplets dont les poètes du Midi avaient fait un si facheux abus au com- mencement du XIV® siècle. Il est vrai que les érudits ne paraissent pas être de cet avis, et qu'ils attribuent à des poètes du XIIT siè- cle des compositions à rimes bizarres et difficiles, comme par exemple les trois couplets suivants, tirés d'une chanson attribuée à Gilles le Viniers, dont les poésies sont dans un manuscrit de la Bibliothèque [m- périale, fonds Cangé, ayant pour titre : Poètes fran- çcais avant 1300, p. 990 ‘ : Au partir de la froidure Dure, Ke voi apresté Esté ; Lors plang ma mesaventure ; Cure ‘ Roquefort: État de la poésie francaise aux XIE et XII sie- cles; p.71 319 N'a eu d'aimer. Car amer A1 souvent son gieu trové. Male foé Fait partot trop à blasmer. Amors ke le me comande Mande, Par moi (que) tot amant Mant. Plaisant et sans boisdie Die : Chascuns cest deport Port, Chascuns ceste novelle. Elle Est belle et avenant. Icelle est la très mignote Note K’amors fait savoir : Avoir Ne’puet belle amie Mie Ne 1 doit refuser ; User En doit sans folie ; Lie Est la peine à fins amans. Mais indépendamment des inexactitudes et des non sens qu'on y trouve, et dont je ne m'occuperai pas ici, il sufit d'une simple lecture attentive pour reconnaitre 380 que ces couplets ne sont pas du XII siècle. Aussi, malgré toutes les autorités citées par Roquefort, je ne balance pas à les regarder comme de la fin du XIVe, si même ils ne sont pas du XV°. froidure, mesa- venture,-mignote. apparliennent incontestablement à cette époque, et la tournure des phrases n'est pas plus ancienne. On ne saurait donc rien induire de ces cou- plets, au sujet de l'action du Midi sur le Nord, durant le XIE siècle. La chanson suivante, que Legrand d'Aussy ! attri- bue pareillement au XII siècle, et que Roquefort * place encore à.la même époque, ne prouve pas da- vanlage : He Aloete Joliete Petit t'est de mes maus. S'amors venist a plaisir Que me vousissent sesir De la blondette Savorousette : J’en féusse plus baus. He Aloete, etc. Amors tant comme li plaura, Ces maus sofrir me lerra Ja por destrèce Que en moi m’ede Ne serai plus li faus. He Aloete, etc. \NFabhaut, t-1IL, p.02: ? De l'état de la poésie, ete., p. 213. 301 Ne veuille amors endurer Ces maus longuement durer De la doucette Que tant conveite Ne sent de ses assaus. He Aloete, etc. En admettant que cette chanson, passablement alté- rée, füt réellement du XIIE siècle, cela ne changerait rien à ce que J'ai avancé. Il n'y à point ici d'imitation flagrante; mais je doute que l’auteur de ces couplets ait vécu aussi anciennement qu'on veut bien le dire. Je crois, au contraire, que celte pièce n'est pas de beau- coup antérieure à la précédente. Je n'entrerai pas dans de plus longs détails à ce su- jet, parce que plus les citations réuniraient les carac- tères essentiels du XII siècle, plus il deviendrait évi- dent que les poètes français de ce temps-là ne se mo- delèrent pas sur ceux du Midi d'une manière spéciale. Au XIV: siècle, la situation change, et le mouve- ment littéraire prend une direction nouvelle. Voici comment s'exprime Estienne Pasquier dans le V® cha- pitre du V° livre de ses Recherches sur la France, après avoir fait l'historique de la poésie française et de la poésie provençale (lisez romane ) : « Tel fut le cours de nostre poésie françoise, tel ce- lui de la provençale, et tout ainsi que ceste-ci prit fin, quand les papes se vindrent habituer en Avignon, qui fut sous le regne de Philippes-le-Bel, temps auquel et un Dante, et un Pétrarque se firent riches des plumes de nos Provençaux, et commencèrent de planter leur 382 poésie toscane en la Provence, ou Pétrarque se choisit, pour maîtresse, la Laura, gentille femme provencale; ainsi le semblable advint-il, vers le même temps, à nos- tre poésie francoise, pour le nombre effréné d'un tas de gaste-papiers qui Sestaient meslez de ce mestier. Au moyen de quoy, au lieu de la poésie qui soulait re- présenter les exploits d'armes des braves princes et grands seigneurs, commencä de s'insinuer, entre nous, une nouvelle forme de les escrire en prose, sous le nom et tiltre de romans, les uns en l'honneur de l'empe- reur Charles -Magne et de ses guerriers, les autres du roi Artus de Bretagne et des siens, qu'ils appelèrent chevaliers de la table ronde; livres dont une plume mesnagère pourroit bien faire son profit, si elle vou- loit, pour l'advencement et exaltation de nostre langue. Vray que, comme toutes choses se changent, selon la diversité des temps, aussi, après que nostre poésie francoise fut demeurée quelques longues années en friche, on commença d'enter sur son vieux tige, cer- tains nouveaux fruits, auparavant incognus à tous nos anciens poètes; ce furent chants-royauæ, ballades et rondeau. » Crapelet, dans son Précis historique sur Eustache Deschamps, p. xv, prétend que ces innovations, aux- quelles il faut ajouter les pastorales, les lais, les vire- lais, commencèrent sous Charles V. Il est sans doute induit à parler ainsi, parce que Eustache Deschamps, qui brillait sous Charles V, à laissé des essais de ce genre; inais Je ne pense pas qu'ils remontent si baut. Je suis porté à croire, au contraire, que le goùt ne 383 sen répandit que sous Charles VE, et que les essais d'Eustache sont de sa vieillesse, c’est-à-dire de la fin du XIV° siècle. Quoi qu'il en soit, voici une ballade de sa composition écrite dans ce goût : « Ballade équivoque, rétrograde et léonine. Et sont les plus fors ballades qui se puissent faire; car il con- vient que la derrenière sillabe de chascun ver soit re- prinse au commencement du ver ensuient, en autre signification et en autre sens que la fin du ver précé- dent, et pour ce sont tels mots appelez équivoques et rélrogrades, car en une meisme semblance de parler et d'escripture, ilz buchent { marquent) et baillent si- gnification et entendement contraire des mos derreniers mis en la rime, si comme il apparra en ceste couple de ballade mise ey après : » Lasse, lasse! malheureuse et dolente, Lente me voy, fors de souspirs et plains. Plains Sont mes jours d’ennuy et de tourmente ; Mente qui veult, car mes cuers est cerfains. Tains jusqu'à mort, et pour celli que j'ains, Ains mais ne fut dame si fort afainte, Tainte me voy, quant il n'aime le #ains. Mains entendez ma piteuse complainte ‘. (Poésies morales et hist. publiées par Crapelet, p. 271.) J'ai parlé plus haut des rimes équivoques et des cou- plets rétrogrades tels que les à définis Molinier; mais ! Cette pièce se trouve dans un travail d'Eustache, ayant pour utre : l’Art de dictier et de fère chançons, ballades, virelais et rondeaux, portant la date de 1392. Je la crois à peu près de l'époque. 384 Jai négligé de signaler les rimes léonines, sur les- quelles il s'étend avec non moins de complaisance que sur toutes les autres. Le morceau d'Eustache Deschamps est done une imitation matérielle des formes méridio- nales du commencement du XIV: siècle. Mais si l'on pouvait douter de la date de cet essai, el si l'on voulait la placer avant la fin du XIV: siècle, le huitain suivant, écrit environ vers 4400, viendrait corroborer ce que j'ai dit plus haut. Il est en vers que l'auteur appelle françois, mais exactement dans le gout de ceux dont traite Molinier. On en trouve de pareils dans la Belle Dame sans mercy, l'Espital d'amors, et le Champion des dames : Souffrons à point, — soions bons — compaignons, Bourgois loyaulx — serviteurs — de noblesse, Barons, en point — prospérons — besongnons, Souffrons a point — soions bons — compaignons. Vuidons son point, — conquerons — gentillesse, François loyaulx,—soions seurs,—s'on nous blesse, Souffrons à point, — soions bons — compaignons, Bourgois loyaulx, — serviteurs — de noblesse. Le mouvement ainsi donné s'était rapidement pro- pagé, et, dans la première moitié du XV siècle, il n'était plus question que de rimes rétrogrades, cou- calenées, enchaînées ou fralrisées, brisées, problé- maltiques, à double face, emperières, elc., etc. Jean Molinet ( de Valenciennes ) est un de ceux qui se rendirent le plus célèbres dans ce genre d'exercice, durant cette période. Les vers suivants, appelés, par 385 lui, Auitain de rhétorique balellée, en sont une preuve incontestable : Plourez, gens sont à tous lez renversez, Tensez, bersez, consacrez, confondus, Tapez, trompez, tormentez, trondelez, Bralez, riflez, tempestez, triboulez, Pelez, coulez, espantez, esperdus ; Passez, pendus, martelez, morfondus ; Rongez, tondus, pensifs, patibulez ; Pris et surpris, pillez et petellez..…. Ces rimes furent composées dans le genre de celles de la Complainte de Gresse, du Trosne d’onneur, du Temple de Mars, des Ouvrages de la Pucelle, de la Resource du petit peuple, elc., ce qui prouve com- bien le gout s'en était propagé. Mais en voici un autre exemple non moins remarquable ; on donnait à ce genre de composition le nom de rhétorique à double queue : Guerre la Pulente — lente, Qui tout en sa tasse — tasse, A mys la regente — gente - De paix en soubasse — basse. Le temps que Dieu compasse — passe; Aïnsi s’en vont toujours — jours, Et n’avons quelque secours. Pour terminer, je citerai trois rondeaux, l'un de vers à trois syllabes, l'autre de vers à deux, et le troi- sième de vers à une : 380 F: 2: 3. Je suis pris Ton nom : Je En vos lats Me plait Boy. Tout surpris : Caton, Se Je suis pris, Ton nom, Je Pou espris Mais non Ne De soulas. Ton plet. Voy, Je suis pris Ton nom Je En vos lats. Me plait. Boy. Tels sont les faits qui se produisirent au commence- ment du XV° siècle. Je pourrais multiplier les cita- ions; mais les détails qui précèdent en disent assez. Il demeure donc bien démontré que le mouvement littéraire du Nord, de la fin du XIV° siècle et du com- mencement du XV°, tint essentiellement à celui qui s'était opéré dans le Midi à la fin du XII et au com- mencement du XIV°, en ce qui touche plus particuliè- rement aux rimes rares el difficiles, aux combinaisons de ces rimes entre elles, au progrès du mauvais goùt qui avait mis en vogue toutes ces singularités à l’aide desquelles on s’efforçait de dissimuler l'affaissement in- tellectuel engendré par la pression de la conquête. Or, comme le mouvement littéraire méridional eut surtout pour cause la croisade, et se fit sous son action immé- diate et prolongée, il faut nécessairement reconnaitre que celte même croisade, par la force naturelle des choses, se réfléta lentement sur la littérature du Nord, et par conséquent finit par exercer sur elle une vérita- ble influence. Je puis donc terminer ce travail, en répétant ce que 387 j'ai dit au début : « L'influence de la croisade contre les Albigeois fut nulle quant à la langue du Midi de la France, à laquelle elle ne fit subir aucune modification. Elie fut essentiellement funeste à la littérature de cette même contrée, par la pression terrible qu'elle exerca sur les esprits et les conséquences qui en résultèrent, malgré les plus nobles efforts tentés pour conserver à celte littérature son originalité et son caractère pri- mitif. » Quant à la langue du Nord, cette croisade n'eut pareillement aucune influence sur elle; mais son ac- tion ne fut pas non plus sans se faire sentir sur sa lit- lérature, avec cette différence toutefois que, presque insensible au début, elle finit, avec le temps, par ac- quérir une certaine importance. » Périgueux, le 15 juillet 1856. a. MUR AD TNT arf ÿ | Elehs) NULS dir Je NS . % LT kit seu ds dent di M calin dre rie] ph he ét ofre d , + Gide rai etre Ses Cao re or RN pi ” act) voie dg hp tir Ar A Mel À À Core dutnetie cp a Meera. he «finie @e l'artisan dt Pot bel nd tettade none D: Late Les Ve doigt ls mouse Fabre AR an 1 APT Li | PR ire 5 Na sa MAN. dut ris ARCS pe: or ini Me CE M Re LD CR QE L par Sons: LS Fee qu iv su STE LAÿ, 4e paré À RO | fr: PSrEL QT LEE SES Nn HOUEF dé 9 DD 389 M. DE LAMARTINE ET LE COURS FAMILIER DE LITTÉRATURE : PAR M. J. DUBOUL. Les événements peuvent bien précipiter d'une haute position politique des hommes comme M. de Lamartine, mais ils ne sauraient détourner d'eux l'attention et les sympathies du publie. Dans la retraite où le ministre tombé médite sur la vanité des grandeurs humaines, la voix de l'écrivain s'élève encore et parvient à domi- ner les bruits du dehors. Cela est vrai même à notre époque, où les choses de l'esprit ne jouissent pas pré- cisément d'une grande faveur et où les préoccupations matérielles absorbent la meilleure part de notre ac- tivilé. Le Cours familier de littérature que publie, de- puis quelques mois, M. de Lamartine, compte un nom- bre considérable de lecteurs et obtient le succès qu'il était permis de lui promettre. Par son importance, par 390 le nom illustre qui lui sert de recommandation , cet ou- vrage est digne d’un examen sérieux. J'ai done pensé qu'il ne serait peut-être pas inutile d'en faire ici l'objet d'une appréciation nécessairement incomplète, mais attentive et sincère. Le devoir de la critique, c'est de dire ce qu’elle croit être la vérité ; le droit d'un écrivain tel que M. de Lamartine , c'est d'être traité avec cette franchise qui n'exclut ni l'admiration ni le respeet. Les déleslables flatteurs dont parle Racine devraient être bannis de partout, particulièrement de cette république des lettres d'où, malgré le bon vouloir de certains Platons modernes, tous les poètes n'ont pas encore été bannis. Ce qui a d'abord frappé les lecteurs du Cours fami- hier de liltérature, c'est l'accent de tristesse et de de- couragement qui en marque toutes les pages ‘. Les admirateurs de M. de Lamartine l'ont, en général, at- tribué aux nombreuses déceptions dont sa carrière po- litique a été semée. On à vu naturellement en lui un homme tombé, aigri sans doute par l'isolement, et plongé dans toute l'amertume d’une résignation peut-être difii- cile et douloureuse. On n’a pas, ce me semble, assez remarqué ces admirables et fières paroles qui se trou- vent à la fin de son premier entrelien : « Quand la 1 L'entretien consacré au livre de Job n'est, à proprement par- ler, qu'une sorte d’hymne funèbre, dont le découragement et le désespoir sont le principal motif. 391 foule se précipite où l'on ne veut pas aller, heureux l'homme seul! » À mon avis, ce découragement, cette tristesse, cette espèce de dégoût des choses de la vie, tiennent à une disposition innée chez M. de Lamartine. Pour en sur- prendre les premières manifestations, il faut remonter jusqu'à ses débuts poétiques, bien avant l'heure des dé- ceptions éprouvées par l’homme d'État et de la tribune violemment renversée sous l’orateur. Pour en compren- dre la persistance et la portée, il faut étudier la portion capitale de son œuvre; et c'est ce que j'ai l'intention de faire, en négligeant les détails, en passant par-des- sus les épisodes pour ne m'arrêter que sur quelques points essentiels. L'avertissement placé en tête de Jocelyn fournit à cel égard de précieuses lumières. En voici quelques li- gnes qu'il est utile de rappeler : « Ces pages, trop nombreuses peut-être, ne sont ce- pendant que des pages détachées d’une œuvre poétique qui à été la pensée de ma jeunesse, et qui serait celle de mon âge mür si Dieu me donnait les années et le génie nécessaires pour la réaliser. Nous sentons tous, par instinci comme par raisonnement, que le temps des épopées héroïques est passé... L'épopée n’est plus nationale ni héroïque ; elle est bien plus, elle est huma- nitaire.. Pénétré de bonne heure et par instinct de celte transformation de la poésie, aimant à écrire ce- pendant dans cette langue accentuée du vers qui donne du son et de la couleur à l'idée, et qui vibre quelques jours de plus que la langue vulgaire dans la mémoire 26 392 des hommes, je cherchai quel était le sujet épique ap- proprié à l'époque, aux mœurs, à l'avenir, qui permit au poète d’être à la fois local et universel, d'être mer- veilleux et d’être vrai, d'être immense et d'être un. Ce sujet, il s’offrait de lui-même, il n'y en a pas deux: c’est l'humanité, c’est la destinée de l’homme, ce sont les phases que l'esprit humain doit parcourir pour ar- river à ses fins par les voies de Dieu ‘. » Dans les lignes placées en tête de la Chute d'un Ange, qui est, comme Jocelyn, un des épisodes de la vaste épopée qu'il a rêvée, M. de Lamartine ajoute ceci : « La nature morale est mon sujet, comme la nature physique fut le sujet du poète Lucrèce. — L'âme hu- maine et les phases successives par lesquelles Dieu lui fait accomplir ses destinées perfectibles, n'est-ce pas là le plus beau thème des chants de la poésie?? » Ainsi, l'intention de M. de Lamartine est claire; dans Jocelyn comme dans laï Chute d'un Ange il a voulu montrer l'âme humaine dans les diverses phases qu’elle doit parcourir pour arriver à ses fins par les voies de Dieu. Or, ces voies, quelles sont-elles, d'après M. de Lamartine? La douleur, l'humiliation , la misère, le sa- crifice. Cédar et Jocelyn, ses deux héros, boivent le calice jusqu’à la lie; ils marchent de souffrance en sonf- france, de déception en déception. Ils ne trouvent pas une pierre pour reposer leur tête. Il semble que ces ! Voir la préface de Jocelyn. ? Voir la préface de la Chute d’un Ange. 393 types de l'âme humaine soient venus en ce monde pour y éprouver toutes les angoisses de la vie et pour s’y trai- ner, au travers des plus douloureuses amertumes, sous un poids de découragements infinis. Sont-ce bien là, en effet, les véritables voies de Dieu, celles qui doivent nous faire accomplir nos destinées perfectibles? La douleur est-elle irrévocablement, né- cessairement liée à notre -existence ici-bas, et le spec- tacle de la créature courbée sous le fardeau de ses misères, flétrie par toutes sortes d'angoisses, est-il tel- lement agréable au Créateur qu'il ait décrété de le faire durer autant que le monde? Je ne le pense pas, et je suis persuadé qu'un examen attentif de cette question conduit à une conclusion diamétralement opposée à celle de M. de Lamartine. Je voudrais essayer de le montrer, quoique les limites de ce travail m'interdisent des développements dans lesquels il ne me semblerait pas inutile d'entrer à ce sujet. Le désir du bonheur est inné dans le cœur de l'homme. On a beau dire que cette terre, condamnée au désordre et à la douleur, n’est qu'une vallée de larmes où nous venons passer quelques misérables instants, un temple d'expiration où nous devons nous purifier de nos souil- lures natives : toute celle rhétorique est impuissante contre le cri de nos instincts. Nous cherchons le bien- être avec une ardeur que rien ne décourage ; nous bou- leversons ce globe pour l'approprier de plus en plus à nos convenances. Si en mellant en nous le désir du bonheur, Dieu nous eût interdit à tout jamais la faculté d'être heureux, l'humanité serait assurément désabusée 394 à l'heure qu'il est, après tant de traverses, d'efforts im- puissants, après tant de siècles de déceptions et de lut- ies stériles. Il nous resterait le désir sans espérance, c'est-à-dire un supplice de damné, celui que Dante a choisi pour le premier cercle de son enfer : Che senza speme vivemo in desio !. Que des sceptiques repoussent la croyance au bon- heur possible de l'humanité sur ce globe, nous le com- prenons aisément; mais que des chrétiens se montrent aussi les adversaires acharnés de cette même croyance, voilà ce qu’il nous est assez difficile de concevoir. Nous allons essayer de dire pourquoi. D'abord, pour des chrétiens, il n’y a pas à hésiter sur la signification, sur la portée des préceptes de l'É- vangile. Ces préceptes, qui prescrivent la charité , l'a- mour du prochain poussé jusqu'au sacrifice de soi-même, la pratique de la justice dans son sens le plus large, ces préceptes sont obligatoires. Ils viennent directement de Dieu, dont ils nous font entendre la voix. C’est cè qui ne saurail être contesté, en restant au point de vue du christianisme. Or, de deux choses l’une : ou il es! possible, ou il est impossible à l’homme de pratiquer les vertus évangéli- ques, de vivre selon l'esprit de cette loi que le Christ promulguait il y a plus de dix-huit cents ans. Mais s'il est au-dessus des forces de l'homme de se ! Divina commedia. Inferno, Canto IV. 395 | conformer aux préceptes de l'Évangile, comment ose- t-on dire qu'ils viennent de Dieu? Quoi! Dieu nous com- manderait pour cette vie des vertus impraticables, et dans l’autre vie il nous punirait pour n'avoir pas fait ce qu'il nous était impossible de faire? Mais que devien- drait, dans ce cas, la justice divine? S'il est possible, au contraire, de pratiquer les ver- tus recommandées par l'Évangile, je demande ce que serait une société où l’on aimerait son prochain comme soi-même ; où nous ne ferions pas à autrui ce que nous ne voudrions pas qui nous füt fait; où la charité et le dévouement seraient aussi communs qu'ils sont rares ? Évidemment, cela s'appellerait une société henreuse. La logique force donc tout chrétien sincère à recon- naître qu'une destinée de bonheur peut être réalisée sur cette terre par l'humanité, ou bien qu'en nous preseri- vant la pratique des vertus évangéliques, Dieu nous de- mande une chose impossible, pour l'inexéeution de la- quelle il nous punira cependant, ce qui serait détruire l'idée de Dieu. Au reste, cette croyance au règne de la justice et du bonbeur en ce monde, c’est-à-dire au règne terrestre ; du Christ, est bien loin d'être nouvelle. Ce n’est pas un produit de ce qu'on appelle les imaginations malades de notre époque, et le socialisme en est innocent. On la trouve formulée avec beaucoup de précision et d'une manière fort circonstanciée dès les premiers temps du christianisme. Le règne de mille ans de l'Apocalypse et de plusieurs Pères de l'Église n’est autre chose que l'expression de cette croyance permanente au fond des 396 àmes. Chacun cherche le bonheur; chacun y tend par une impulsion naturelle, par un instinct irrésistible. La réalisation, la pratique universelle des principes évangéliques ne pouvant pas être conçue sans impli- quer, comme une de ses conséquences nécessaires, le bonheur universel de l'humanité, plusieurs chrétiens, des plus éclairés et des plus orthodoxes, ont cru au ré- gne terrestre du Christ, ou, si on l’aime mieux, à l'a- vènement d'une société dans laquelle les préceptes de l'Évangile passeraient de l'état de théorie à l’état prati- que. La liberté, la justice, la charité, l'ordre qui en serait la conséquence , le bonheur résultant de l'accord des intérêts individuels dans une large association de toutes les facultés, de toutes les énergies de l'homme, tels sont les principaux traits de cet idéal social. Le monde, disait-on, d'après la tradition mosaïque, a été créé et ordonné en six jours; le septième jour, le Créa- teur s’est reposé dans la satisfaction de son œuvre. Or, ce monde doit durer six mille ans, qui composent une période de créations, de morts et de transformations successives. C'est un temps de luttes et de douleurs, de marches forcées et°de déceptions pour l'humanité four- voyée. Mais la terre promise est au bout de ce pèleri- nage. Mille ans de bonheur, correspondant au septième jour de la création, au jour du repos dans la satisfac- tion de l'œuvre, doivent succéder aux six mille ans de travail et de souffrances infécondes. C'était un autre Éden qu'attendaient nos pères aux limites de ce vieux monde, ou, pour mieux dire, c'était un monde nou- veau. Au vingt-quatrième chapitre du septième livre de 397 ses /nshtutlions divines, Lactance en célèbre les mer- veilles et en évoque longuement les splendeurs. Ces opinions étaient aussi professées par les Cé- rinthiens, par les Marcionites, par les Montanistes, etc... , etc... , et par une foule d'écrivains chrétiens, tels que saint Papias, Tertullien, saint Irénée, Sulpice, Sévère, etc. Le millénarisme s'appuie sur une imposante tradition. Il a pour ancêtres le prophète Ézéchiel et l'évangéliste saint Jean; et c’est de la bouche de celui-ci que saint Papias l'avait recueilli, pour le transmettre, comme un précieux héritage, aux plus grands hommes du chris- tianisme primitif. Il y a comme un pressentiment, comme un éclair de l'avenir au fond de ces bizarres et trop souvent téné- breuses rêveries. IL. À côté de cette imposante tradition chrétienne et de celte conclusion si logique des préceptes de l'Évangile, on peut placer le témoignage de l'économie politique moderne. Bien loin de les contredire, il ne fait que les confirmer. « Je crois fermement — dit M. Blanqui aîné — qu'un jour il n'y aura plus de parias au banquet de la vie, et je puise cette espérance dans l'étude de l'histoire, qui nous montre les générations marchant de conquête en conquétefdans la carrière de la civilisation. Par le che- 398 min qu'on à fait, je juge celui qu'on doit faire en- Core .2 2 M. Blanqui a raison; les progrès merveilleux que font autour de nous toutes les sciences ne peuvent pas man- quer, lorsqu'on saura en tirer parti, d'ajouter au bien- être des hommes. Il eût été digne d'un grand poète comme M. de Lamartine de secouer le joug d’un vieux préjugé, et de faire justice d’une déplorable erreur. La poésie ne perdrait rien à sortir de l’ornière des fictions pour entrer dans la voie des réalités; en revanche, elle gagnerait beaucoup à relever l'énergie de l’homme, à lui donner une fortifiante espérance au lieu de rebat- tre l'éternelle thèse du découragement et du désespoir. Je prévois bien une objection. Quoi! dira-t-on, vous parlez des découvertes, des progrès de la science, des merveilleuses conquêtes qu'elle fait tous les jours, et vous ne voyez pas qu'il n’est point en son pouvoir de supprimer la misère, la maladie, la mort ; que par con- séquent les hommes seront toujours malheureux ici-bas! La science ne supprimera pas la mort, je l'accorde volontiers, mais j'ai la conviction qu’elle peut fournir les moyens de rendre les maladies moins fréquentes, les souffrances moins cruelles, de supprimer enfin la misère, en l’attaquant dans ses causes bien étudiées et bien connues; en un mot, je crois fermement, avec M. Blanqui, qu'un jour il n'y aura plus de parias au banquet de la vie. 1 Histoire de l'Économie politique en Europe, t. Ir, introduct., p. XIV. 399 Et puis, ce n’est pas un bonheur absolu, infini, que je rêve pour l'homme, créature essentiellement bornée et finie. Cela impliquerait une contradiction qu'il n’est pas difficile d'éviter. Il s'agit d'un bonheur relatif, an- trement dit de la plus forte somme de bien-être moral et physique dont l'homme puisse jouir en ce monde. II s'agit enfin de travailler à la réalisation d'un progrès possible, et non pas de poursuivre des chiméres. IL. Je me suis assez arrêté sur la donnée philosophique: qui domine toutes les conceptions de M. de Lamartine et qui se produit à chaque page du Cours familier de litiérature. H est temps d'examiner le côté purement littéraire de cette dernière publication. Cet examen , qui ne peut être que très-incomplet et très-rapide, me con- duit d'abord à combattre le jugement porté par l’auteur de Jocelyn sur Corneille et sur La Fontaine. Voici en quels termes il s'exprime sur ces deux grands écrivains : « Corneille, dit-il, imite surtout les Espagnols et Sénèque; c’est un Romain, si l’on veut, mais un Romain d'Ibérie; Romain exagéré, déclamatoire, qui donne à l'héroïsme l'attitude, le geste, l'accent du matamore. On peut admirer tout de lui, excepté le caractère na- turel, vrai, proportionné et sobre de son pays. Corneille est lout ce qu'on voudra, excepté Français. Supposez qu'on trouve après mille ans, dans une catacombe, un volume de Corneille, et qu'on se demande de quelle na- tion était ce poète enflé comme un Castillan, tendu 400 comme un Latin, sublime comme un Africain, pom- peux comme un Gascon , raisonneur comme un Anglais, à coup sûr on ne devinera pas en mille que ce grand homme était du pays de La Fontaine, de Molière ou de Boileau ‘. » « La Fontaine, selon nous, est un préjugé de la na- tion. Le caractère tout à fait gaulois de ce poète lui a fait trouver grâce et faveur dans sa postérité gauloise comme lui, malgré ses négligences, ses immoralités, ses imperfections et ses pauvretés d'invention. Celui-là est un imilateur ou plutôt un traducteur sans scrupule de tout ce qui lui tombe sous la plume. Il n’y a pas, d'après les commentateurs les plus fanatiques de ce pla- giaire amoistié à si bon marché, une seule de ses fables ni un seul de ses contes qui lui appartienne. Les fables sont toutes de Lokman, d'Ésope , de Phèdre; les contes sont tous des poètes licencieux de l'Italie ou de Boc- cace. «On dit : Mais ces fables lui appartiennent par droit de conquête et de naturalisation par son génie. Nous ne voulons pas contester ce prétendu génie. C'est le génie de l’incurie, de la puérilité et de la licence, trois choses qui seraient des vices dans un autre, et qui ont du moins quelquefois en lui la grâce peu décente de ces vices. C’est par là qu’au grand détriment de la morale et de la nation, la routine l’honore et l'indulgence lui pardonne. Mais la grande poésie ne le comptera jamais 1 Cours familier de littérature, t. IT, p. 121. 401 au nombre des poètes séculaires. A l'exception de quel- ques prologues courts et véritablement inimitables de ses fables, le style en est vulgaire, inharmonieux, dis- loqué, plein de constructions obscures, baroques, em- barrassées, dont le sens se dégage avec effort et par . circonloeutions prosaïques. Ce ne sont pas des vers, ce n’est pas de la prose, ce sont des limbes de la pensée. « Ses contes sont infiniment supérieurs par la ver- sification, mais ils sont obscènes , quand ses modèles italiens ne sont que glissants. Boccace, son maître , a mille fois plus d'imagination, plus de souplesse, plus de pittoresque, plus de sourire fin dans le récit. L’Arioste est l'Homère du badinage, La Fontaine le contrefait sans jamais l'égaler. Pour quiconque à lu le Joconde original et le Joconde de La Fontaine, il y a entre ces deux poèmes la distance de la grâce à la corruption. Mais La Fontaine cependant, tout en corrompant la morale de l'enfance et les cœurs de la jeunesse, a bien mérité de la langue en lui restituant quelques-uns de ces tours gaulois qui sont les dates de son origine et les familiarités de son génie. On l’a appelé le vieil en- fant de son siècle. La Fontaine , en effet, est l'enfant de notre littérature française, mais c'est un enfant vicieux ‘. » | On ne saurait le dissimuler, c’est avec une pénible surprise qu'on rencontre de semblables pages dans un livre de M. de Lamartine. Il est des injustices qui par- tent de si bas que c'est à peine si l'on y prend garde. ! Cours familier de littérature, t. IT, p. 126 et suiv. 402 On nous a depuis si longtemps habitués aux scandales littéraires comme à une foule d’autres, que nous som- mes un peu blasés là-dessus, et qu'ils nous font sortir difficilement de notre indifférence. Mais quand l’injus- tice vient d’un homme dont le caractère est à la hauteur du talent et dont les paroles sont partout avidement re- cueillies, on s'en étonne, on s'en afilige, on s’en indi- gne presque. Certes, je ne rappellerai pas ici les ridi- cules sorties de M. Granier de Cassagnac contre Racine, et de M. Louis Veuillot contre Béranger, parce que je ne veux pas rapprocher du nom d’un écrivain de génie les noms de deux rhéteurs mal appris chez lesquels la passion du scandale est passée depuis longtemps à l'état de monomanie. Mais je déplore de tout mon cœur l'é- garement de l'auteur de Jocelyn. Est-il possible qu'il p'ait pas compris Corneille et La Fontaine, et peut-il ne pas éprouver pour leurs chefs-d'œuvre cette admi- ration qu'il ressent si naturellement pour les belles choses? Les a-t-il bien relus avant de les juger, ou ne se les représente-t-il point à travers des souvenirs loin- tains et vagues? J'avoue ne pas reconnaître Corneille dans les quel- ques lignes dédaigneuses que lui consacre M. de Lamar- tine. Si c’est un portrait, c'est un portrait de fantaisie et pas autre chose. Corneille, comme le savent fort bien ceux qui ont étudié notre théâtre, se détache nettement de tous les auteurs tragiques dont il a été précédé ou suivi. Autant ceux-ci adorent la périphrase et la décla- mation soutenue, autant l’auteur de Rodogune et de Nicomède affectionne le mot propre et le langage fami- 403 lier. Cela explique pourquoi, à part quelques locutions et quelques tournures qui sont exclusivement de son siècle, Corneille n’a pas vieilli. Chez lui l'expression étreint l’idée; il est simple, grand comme la vérité, et c'est aussi pour cela qu'il est souvent sublime. Aussi les commentateurs, qui parlent ordinairement au nom de la rhétorique, se sont-ils acharnés contre ce mâle génie, qui parlait, lui, selon la belle nature. Ils l'ont injurié, en soulignant impitoyablement ses hémisti- ches; ils ont traité de provocation de corps-de-garde l'admirable : À moi, comte, deux mots, du Cid. Ils n'ont pas compris les beautés de ce qu'ils appelaient le style bourgeois de la comédie; car, à l'opposé de M. de Lamartine, qui trouve Corneille exa- géré, déclamatoire , enflé comme un Castillan, tendu comme un Latin, sublime comme un Africain, pom- peux comme un Gascon, les critiques du XVII: siècle, les oracles du goût à cette époque, l'Académie, Scu- déry et les spadassins littéraires de Richelieu, lui re- prochent hautement les défauts contraires. Tous pensent ou disent qu'il est familier, bourgeois, trivial même, qu’il compromet la dignité de la tragédie et qu’il chausse le cothurne beaucoup trop bas. Ils avaient oublié le vers d'Horace : | Et tragicus plerumque dolet sermone pedestri. Ils avaient oublié surtout ces admirables exemples de langage simple et naturel qui abondent dans les tragé- 40% dies grecques. Pourtant, ils se posaient en défenseurs des saines traditions littéraires, et se prévalaient de leur prétendue orthodoxie pour s'ériger en juges into- lérants. Il y a donc une évidente opposition entre ce qu'ils disaient de Corneille et ce qu’en dit aujourd'hui M. de Lamartine. Il faut qu’on ait tort d'un côté ou de l’autre, à moins que le Corneille du XIX° siècle ne soit plus le Corneille du XVIF. La métamorphose qui justifierait seule l'appréciation de M. de Lamartine a-t-elle eu lieu? N’avons-nous plus affaire à ce pauvre grand homme qui , en 1679, pas- sant par la rue de la Parcheminerie, était obligé d’en- trer dans une boutique de savetier pour y faire raccom- moder sa chaussure décousue? Ne s'agit-il plus ici de l'auteur de Vicomède, de Don Sanche et du Menteur ? M. de Lamartine, en un mot, a-t-il découvert un Cor- neille que nous ne connaissions pas? Point du tout ; mais tantôt il a exagéré les défauts de l’auteur du Cid, tantôt il lui a prêté des défauts qu'on ne rencontre pas dans ses chefs-d’œuvre. Quant aux critiques contem- porains de Corneille, ils avaient bien raison de le trou- ver simple, familier, trop peu monté sur le cothurne ; ils ne comprenaient pas que la simplicité est la grâce du génie , et ils étaient trop aveuglés pour ne pas lui en vouloir d’avoir osé secouer le joug des Précieuses. Mais ils avaient tort de faire de ces qualités des défauts, et de l’attaquer avec une violence que ne saurait justi- fier même le désir de plaire à Richelieu. Je viens de dire que M. de Lamartine a exagéré les 405 défauts de Corneille; car certainement Corneille n’est pas sans défauts. Je ne connais pas de versification plus ferme, plus nerveuse, plus pleine que la sienne; son style a le modelé puissant et l'harmonie de contours des plus belles statues; mais enfin, tout admirable écri- vain qu'il est, il n’est pas sans taches, sans faiblesses. Comme Homère, il sommeille quelquefois; et comme à Dante , il lui arrive de trébucher de temps à autre en chemin. J'admets que ses héros sont trop raisonneurs, si lon m’accorde qu'ils sont encore plus éloquents, et qu'en général ils raisonnent fort bien. Ce défaut m’a surtout choqué dans le Cid, que je suis loin de priser, au reste, à légal de ses autres chefs-d'œuvre. Cepen- dant , il ne serait pas juste de lui reprocher tous les raisonnements qu'il met dans les discours de ses per- sonnages, puisque très-souvent ils sont motivés, né- cessilés même par la situation; témoin la première scène de Pompée, qui me semble être une des plus admirables expositions qu'il y ait au théâtre, en mème temps qu’un des plus splendides morceaux de notre lan- gue; témoin ehfin, car je ne veux pas pousser plus loin une énumération que chacun peut faire, le ma- gnifique entretien par lequel s'ouvre le troisième acte de Sertorius. D'un autre côté, ne faudrait-il pas tenir grand compte à Corneille de l'état du théâtre en France à l’époque où il a commencé d'écrire? C’est là une question trop com- plexe pour que je songe à l’aborder ici, surtout inci- demment. Je n’en veux dire que quelques mots; ils suffiront aux personnes qui ont fait une sérieuse étude 406 de notre littérature. Lorsque parut Corneille, la scène était occupée ‘ou plutôt encombrée par une centaine d'auteurs dout le plus célèbre était Alexandre Hardy. Ce Hardy avait composé huit cents pièces : voilà qui donne une suffisante idée de sa fécondité. Pour y ajou- ter une idée de son mérite, je dirai que sur ces huit cents pièces, une quarantaine seulement sont parvenues jusqu’à nous, et que c’est encore beaucoup trop. Alexan- dre Hardy n’était cependant pas complétement dépourvu de talent; il savait multiplier les incidents, agencer les scènes, piquer la curiosité de son public; c'était, en un mot, un habile et inépuisable faiseur. Au commen- cement du XVI: siècle, on imitait l'Espagne ; au XVE, on avait imité l'Italie et traduit, quelquefois mot à mot, les chefs-d'œuvre des Grecs et des Romains. Ce n'était donc pas l’érudition qui manquait aux dramaturges de celte époque ; ils en étaient cuirassés; mais il leur man- quait quelque chose qu’elle ne remplace pas : cette ins- piration qui est seule vraiment féconde, cette influence secrèle qu'aucun d'eux ne subissait. Corneille, lui, réunissait le bon sens, l'esprit et le génie; c’est dire qu'il offrait le plus rare assemblage des qualités qui constituent les poètes complets. A son début, ces dons précieux ne sont qu’en germe, et les graves défauts qui les obscurcissent d'abord menacent sinon d'en arrêter tout à fait, du moins d'en embarrasser et d'en retarder le développement. Ce n’est pas du premier coup qu'il secoue le joug des cotéries et qu'il s’'affranchit de la rhétorique à la mode pour se livrer à ses propres ins- pirations. Il lutte, il hésite, il tonne longtemps avant 407 de trouver la grande voie; enfin, il y entre et y mar- che d’un pied ferme. Avec Mélile, il tient étroitement à l'Hôtel de Rambouillet; avec le Cid, il s'en sépare pour ne s’en souvenir que par moments ; avec Polyeucte, Rodogune et Nicomède, il découvre un monde nou- veau. Corneille connaissait, aimait les anciens, mais avait trop de bon sens et de lumières pour les considérer comme infaillibles. Déjà, dès 1632, dans sa préface de Clitandre, il disait en une prose excellente et digne de servir de modèle : « Que si j'ai renfermé cette pièce dans la règle d’un jour, ce n'est pas que je me repente de n’y avoir point mis Mélite ou que je me sois résolu à m'y attacher do- rénavant. Aujourd'hui, quelques-uns adorent cette règle, beaucoup la méprisent. Pour moi, j'ai voulu seulement montrer que si je m'en éloigne, ce n'est pas faute de la connaitre. Il est vrai qu'on pourra m'imputer que , m'étant proposé de suivre la règle des anciens, j'ai ren- versé leur ordre, ou qu’au lieu des messagers qu'ils introduisent à chaque bout de champ pour raconter les choses merveilleuses qui arrivent à leurs personnages, Jai mis les accidents mêmes sur la scène. Cette nou- veaulté pourra plaire à quelques-uns, et quiconque voudra bien peser l'avantage que l’action a sur ces longs et ennuyeux récils, ne trouvera pas étrange que j'aie mieux aimé divertir les yeux qu'importuner les oreilles, et que me tenant dans la contrainte de cette méthode, j'en aie pris la beauté sans tomber dans les incommo- dités que les Grecs et les Latins, qui l'ont suivie, n'ont 27 408 su d'ordinaire ou du moins n'ont osé éviter. Je me donne ici quelque sorte de liberté de choquer les an- ciens, d'autant qu'ils ne sont plus en état de me répon- dre, et que je ne veux engager personne en la recher- che de mes défauts. Puisque les sciences et les arts ne sont jamais à leur période, il m'est permis de croire qu'ils n'ont pas tout su, et que, de leurs instructions, on peut tirer des lumières qu'ils n’ont pas eues. Je leur porte du respect comme à des gens qui nous ont frayé le chemin, et qui, après avoir défriché un pays fort rude, nous ont laissé à le cultiver ‘. » Dans le passage du Cours familier de liliérature que j'ai cru devoir discuter, Corneille n'est pas le moins du monde apprécié; il est simplement méconnu. Le portrait qu'a cru faire M. de Lamartine est la contre- partie de la réalité; c'est quelque chose comme ce qu'on désigne en photographie sous la dénomination d'é- preuve négalive, d'image inverse. Si M. de Lamartine avait eu à peindre Alexandre Hardy, il aurait pu légi- timement se servir des couleurs et des traits sous les- quels il nous représente l'auteur du Cid. Corneille est Français dans la plus complète acception du mot; alors même qu'il imite l'Espagnol Guillen de Castro, il ne perd rien de son originalité, de son taet critique, de son caracière national. Mais notre histoire littéraire , d’ailleurs peu connue, à permis aux plus étranges pré- jugés, même aux plus grossières erreurs, de se répan- 1 Voir la préface de Clitandre, les Examens de Corneille, et ses trois discours sur la tragédie. ee 409 dre au sujet de Corneille. C’est ainsi que lorsqu'on a dit qu'il est Espagnol, on croit nous avoir donné le dernier mot de son génie; c'est ainsi encore qu'on à cru que dans Héraclius, il avait imité une pièce de Calderon, tandis qu'Héraclius est une œuvre originale, imitée au contraire, dix-sept ans plus tard, par Calde- ron lui-même. La Fontaine est encore plus maltraité dans le Cours familier de littérature que l'auteur du Cid, et ce que M. de Lamartine critique le plus vivement chez cet ad- mirable conteur, c’est le fabuliste. J'avoue qu'il m'est tout à fait impossible de m'expliquer cette seconde mé- prise, qui est malheureusement encore une nouvelle injustice. Affirmer que La Fontaine est un plagiaire, un préjugé de la nalion, c'est bientôt fait; il serait un peu plus diflicile de le prouver‘. Je n'ai pas l'intention, on le comprend bien, de dis- culer cette manière de voir; elle me paraît n'avoir pas 1 On pourrait répondre à M. de Lamartine, accusant La Fon- taine d'imitation et de plagiat, ce que disait Voltaire à propos de la scène 5° du 3° acte d’Iphigénie : « Je sais que l’idée de cette situation est dans Euripide, mais elle y est comme le marbre dans la carrière, et c'est Racine qui a construit le palais. » De même, La Fontaine a tiré la statue ou le palais du mar- bre brut que lui a fourni quelquefois Ésope. Malgré la verve et l’éloquence de M. de Lamartine, sa tirade contre La Fontaine ne vaut pas ces quatre lignes de Mme de Sévigné qui, après avoir comparé les fables du bonhomme à un panier de cerises, ajoute : « On commence par choisir les plus fraiches et les plus belles, puis on continue toujours, et l'on arrive, presque sans y penser, à les manger toutes. » 410 besoin d'être réfutée, et tomber d'elle-même. Je n'es- saierai pas non plus de démontrer que La Fontaine est un des plus grands poètes dont puisse se glorifier notre littérature. Je renverrai ceux qui lui contestent l'art d'écrire et le don de la poésie à quatre de ses fables seulement : les deux Pigeons, les Animaux malades de la peste, le Vieillard et les trois jeunes hommes, le Chat, la Belette et le Lapin. Si ce n’est pas là, en laissant de côté une foule d'autres chefs-d'œuvre, de très-beau style, des compositions unissant au mérite d'une forme exquise, celui d’une émotion vraie, d’une profonde justesse d'observation, d’une philosophie éle- vée et d'une incomparable grâce, j'en demande bien pardon à M. de Lamartine, mais j'avoue que toutes mes idées à ce sujet sont complétement brouillées et qu'il m'est impossible de dire où est le beau. On reproche à notre fabuliste d'avoir pris à Ésope et à plusieurs autres auteurs les sujets de ses apologues. Ceux qui ont lu attentivement le fabuliste grec ne man- queront pas de trouver ce reproche bien étrange. Ésope , en effet, a fourni à La Fontaine des squelettes de fables. Or, qu'en à fait celui-ci? Il les a revêtus de chair, et son art à su leur donner tout léclat, tout le charme de la vie. Voilà son crime. Est-ce bien à M. de Lamartine à le lui reprocher? Doit-on prononcer le mot de plagiat là où le génie a tellement transformé, agrandi et embelli un sujet d'emprunt, qu'il peut revendiquer la gloire d'une nouvelle création? Je ne suivrai pas M. de Eamartine dans la compa- raison qu'il établit entre Boccace et l'Arioste, d’une Dane non my — & 11 part, et La Fontaine , de l’autre; j'aurais beaucoup trop à dire là-dessus. Qu'on trouve dans le Décaméron mille fois plus d'imagination, plus de souplesse, plus de pittoresque, plus de sourire fin dans le récit, je vou- drais bien l'admetire, puisque M. de Lamartine l’as- sure; mais jusqu'à présent, même après avoir lu plu- sieurs fois Boccace, je ne m'en étais pas douté. J'ai beaucoup plus admiré dans ses nouvelles la souplesse et le pittoresque de la langue, que le génie et le cœur de l'écrivain. Si je me suis trompé, ceux qui ont réflé- chi un instant sur l’idée-mère du Décaméron me le pardonneront probablement sans peine. L'égoïisme de tous ces personnages m'a gàté leur esprit; sous leur élégance, sous la coquetterie de leurs manières et les raflinements de leur langage, je n'ai vu le plus sou- vent que leur corruption. En somme, j'ai moins de ré- pugnance pour la rusticité gauloise du bonhomme, dont M. de Lamartine me parait avoir tort de vouloir faire un enfant vicieux. Je ne veux pas insister plus longtemps sur les obser- vations critiques. Je pourrais facilement reprocher en- core au Cours familier de littérature plusieurs as- serlions qu'on est affligé d'y rencontrer, le manque d'ordonnance et de plan, un trop grand nombre d’épi- sodes et de digressions dont les impressions personnelles de l’auteur font tous les frais, mais j'aime mieux signa- ler ce qu'il y a de vraiment digne d'éloges dans ce nouvel ouvrage de l'illustre écrivain. M. de Lamartine a pris sa tache de haut; c’est un immense cours de littérature qu'il fait pour ses lec- 412 teurs. Son cadre est très-vaste, mais il parait avoir amassé tous les matériaux nécessaires pour le bien remplir. Ce n'est pas seulement les chefs-d'œuvre de la Grèce et de Rome qu'il a l'intention d'analyser; en fait d'antiquité, il remonte beaucoup plus haut, puisqu'il doit nous entretenir de la Chine et de Ja Perse, après nous avoir déjà parlé de l'Inde, dont il a examiné, dont il examinera encore les monuments philosophiques et liuéraires. Il comprend toute l'importance qu'a l'étude de la littérature orientale ; la place qu'il lui donne dans son livre prouve le cas qu'il en fait. Tout est gigantesque en effet dans l'Inde : les mon- tagnes, les fleuves, les forêts. La civilisation y lutte d'inépuisable fécondité avec la nature; si les merveilles de l’une nous frappent par leur caractère grandiose , les monuments de l’autre s'offrent avec un tel luxe de couleurs et une telle magnificence de formes, qu'ils éblouissent le regard et qu'ils étonnent même limagi- nation. Ainsi, les dix-huit Pouranas, étranges recueils où l’on trouve beaucoup de tout, de la métaphysique, de la théologie, de la morale, de la poésie, des légendes et bien d’autres choses , les Pouranas contiennent seize cent mille vers. Le Rämäyana n’en renferme pas moins de quarante-huit mille. Enfin, il y a dans le Hahäbhä- rala, la seconde des deux grandes épopées indiennes . cent mille distiques ou çlokas, c'est-à-dire deux cent mille vers de seize syllabes. Que sont, sous le rapport de l'étendue, l'/hade, Odyssée et l'Énéide, à côté de ces gigantesques œuvres où tous les trésors de la poé- sie sont en outre répandus à profusion. 413 La philosophie des bords du Gange n’est pas moins riche; elle enfante avec une incroyable fécondité tous les systèmes qui doivent plus tard se produire dans le monde, depuis le sensualisme le plus brutal jusqu’au mysticisme le plus alambiqué, en passant par le spiri- tualisme de Descartes, le monothéisme pur, le pan- théisme de Schelling, et une foule d'autres vérités ou erreurs de l'esprit humain. Elle a des moralistes qui, devançant la sagesse grecque comme l'Évangile, ensei- gent qu'on se purifie par le pardon des offenses, et qu'il faut rendre le bien pour le mal; des anachorètes qui égalent ou surpassent tous les raflinements de l’as- célisme chrétien; des écoles où l’on croit expliquer l'âme et les phénomènes de la pensée par de simples réactions chimiques, par la fermentation des divers éléments du corps. D'après William Jones , qui fait autorité en ces ma- üères, le sanskrit est plus parfait que le grec et plus richequelelatin. Il a, en outre, les mêmes racines qu'on retrouve encore dans le celtique, dans le français et dans plusieurs autres idiomes, ce qui rattache évidem- ment toutes ces langues à un tronc commun dont elles seraient des branches séparées à différentes époques. L'étude du sanskrit et des principaux monuments litté- aires qu'il a produits doit done éclairer d'une vive lumière les origines si obscures de notre propre lan- gue et la question si souvent controversée de ses éty- mologies. M. de Lamartine s'est proposé de vulgariser dans son ouvrage Lout ce que de patientes études et d'incessantes 414 investigations nous ont appris jusqu'à ce jour sur la langue, la philosophie et la littérature de l'Inde. C'est, je le répète, une tâche immense; mais je me hâte d'a- jouter qu’elle n’est pas au-dessus des facultés dont est doué cet éminent écrivain et dont il a fait si souvent preuve. Dirai-je maintenant que le Cours familier de litié- ralure est écrit avec une intarissable verve, qu'il abonde en pages remplies d'émotion ou d'éclat, en aperçus où la sagacilé du critique se révèle à travers une forme souvent prodigieuse d'ampleur et de coloris? Ce serait évidemment superflu. [l y a trente ans que l'éloquence et la poésie suivent M. de Lamartine partout. Elles lui ont prodigué tous leurs dons. Elles ont fait de son style quelque chose de merveilleux qui semble unir à une toile de Rubens une symphonie de Beethoven. Je ne pousserai pas plus loin cet examen du Cours familier de lillérature. Ce n’est pas qu'une foule d'au- tres vues de M. de Lamartine, tantôt sous le rapport litéraire, tantôt dans le domaine de la politique et de la philosophie, ne me semblent motiver de nombreuses réserves et justifier de très-graves objections; mais je ne discuterai pas ces vues, parce que j'aurais besoin, pour le tenter avec fruit, de plus d'espace et de plus de liberté. 415 UNE ÉTUDE SUR LE CRÉDIT AGRICOLE lu par M. SAuGEoN, dans la séance du 25 juin 1857. MESSIEURS, D'excellents esprits s'inquiètent aujourd'hui de la si- tuation de l'agriculture ; des communications récen- tes ont pu révéler à l'Académie cette préoccupation. Parmi les Mémoires que vous avez reçus sur la question du paupérisme, il en est un très-remarquable, qui in- dique le crédit comme un remède efficace aux souffrances des populations rurales et à cette fièvre d’émigration qui les pousse vers les grandes villes. Plus récem- ment M. Constant, avocat, vous à remis deux brochu- res imprimées, fruit d’un travail consciencieux, dans lesquelles il traite de la liquidation de la dette hypothé- caire et de l'établissement du crédit agricole. En examinant ces ouvrages, j'ai eu deux fois à m'oc- cuper de cette importante question. Je l'avais étudiée autrefois, et j'ai du faire un retour sur de vieilles notes et sur d'anciennes idées. Elles sont trop personnelles 416 pour que je puisse les émettre à l'occasion d'un travail étranger ; aussi, tenant compte non de leur valeur, mais de leur opportunité, j'en fais l'objet d’une communica- tion qui pourrail avoir au moins le mérite de provo- quer une discussion utile. On peut distinguer trois principales fonctions écono- miques: l'agriculture, qui produit les plus importants objets de consommation; l'industrie, qui transforme les malières premières ; le commerce, qui distribue les pro- duits de l'agriculture et de l'industrie L'utilité de l'a- griculture et de l'industrie est incontestable et absolue ; celle du commerce n’est que relative. Il accomplit une œuvre profitable à tous en transportant et en détaillant les denrées; mais il fait obstacle au bien-être général quand ses agents sont trop multipliés et ses bénéfices trop grands. Enfin, il existe une fonction parasite tou- jours nuisible : c'est la spéculation. Elle ne produit rien, ne transforme rien, ne transporte rien, mais elle ab- sorbe les plus gros profits. Jadis l'agriculteur avait comme éléments de succès la Lerre et ses instruments de travail ; l'industriel avait son usine, ses outils, ses matières premières : un cer- tain Capital monnayé était nécessaire à l’un et à l’autre. Le commerçant avait ses navires, ses comploirs, ses magasins, el il devait disposer d'un numéraire plus con- sidérable. Enfin, le trafic du spéculateur consistait à con- centrer des marchandises dans l'espoir de les revendre en hausse; ses opérations étaient bornées par les limi- tes de son capital réel. Mais il existe aujourd'hui un élément de succès tout 417 puissant : c’est le crédit. Équitablement distribué entre les forces productives, il pourrait rendre de merveil- leux services; mais ne doit-on pas craindre les effets désastreux de sa mauvaise répartition ? Au spéculateur, crédit illimité; au commercant, cré- dit étendu ; à l'industriel, crédit restreint ; à l'agricul- teur, crédit nul. Pour rendre nos observations plus palpables, essayons de personnifier l'agriculture et le commerce. Étienne, Paul et Bernard, tous les trois camarades d'école, se sont établis avec deux cent mille francs chacun. Étienne a fait l'acquisition d'un beau domaine; Paul s’est fait négociant, el Bernard est devenu gros marchand. Étienne est un habile agriculteur; mais il vit dans une excessive gêne, parce qu'il ne peut disposer du capital mobile de dix mille francs nécessaire à son exploitation. Paul a battu monnaie sur son comptoir; son papier est excellent; mais c’est un homme prudent, il ne fait qu'un million d'affaires; il borne sa dépense à quarante mille francs, il n’a que deux chevaux et quatre domestiques. On ne connaît pas bien les profits de Bernard, mais il ne dépense que quinze mille francs et passe pour avare. Quant au budjet du brave Étienne, il est assis sur des bases si étroites, que, faute d'une toilette suffi- sante, sa femme et sa fille ne peuvent rendre visite à M" Paul , et elles détournent la tête à la vue de M: Ber- nard. Cependant naguère encore notre agriculteur n'é- {ail pas sans espérance, car il avait quelques tonneaux de vin dans ses celliers, et ses froments promeltaient beaucoup; enfin, avantage rare dans nos campagnes, il 418 comptait sur trois sarcleuses! une jeune femme et deux jeunes filles. Hélas! la première est entrée comme nour- rice chez Me Bernard, dont elle allaite le quatrième enfant. L'ainée des jeunes paysannes était gentille et savait coudre : Me Paul en a fait sa femme de cham- bre; puis elle a pris la dernière en qualité de bonne. Mais il ne faut pas qu'Étienne se livre au désespoir ; ila des amis: Bernard lui fournira des provisions de ménage à crédit, pourvu qu'il ne discute pas la fac- ture, et Paul lui prendra son vin à trente pour cent au- dessous du cours. A l'aide d'une parabole un peu familière, je viens d'esquisser la situation de l’agriculteur par rapport au commerçant. Il nous serait facile d'établir par un raison- nement rigoureux que, soit comme producteur, soit comme consommateur, il est destiné à subir la loi de l'intérêt opposé dans presque toutes les transactions. Portons un moment notre attention sur un autre objet. Les bénéfices de la spéculation ne sont pas un fait nouveau, mais ils ont pris dans ces derniers temps des proportions colossales; laissons de côté ce qu'ils ont de précaire et les perturbations sociales qu'ils peuvent et doivent amener, pour ne nous occuper que de leurs effets sur l'agriculture. La spéculation agit par accaparement ou par mo- nopole. L'accaparement produit des bénéfices à haute pres- sion. Le prix élevé ne profite pas au producteur, puis- qu'il a déjà livré la denrée lorsque la hausse est pro- 419 voquée ; et comme, à beaucoup d’égards, l’agriculteur est consommateur, il souffre sous ce rapport de toutes les hausses factices. Nous pouvons distinguer plusieurs sortes de mono- poles. Ceux qui existent aujourd'hui en faveur de l'État, la vente du tabac et de la poudre à feu, le service des postes, peuvent être justifiés à condition que les béné- fices qui en résultent ne soldent que des dépenses uti- les. Les monopoles en faveur des particuliers sont in- directs ou directs. Les premiers résultent des droits protecteurs de certaines industries; ils ont donné lieu à des discussions si nombreuses et si approfondies, que nous n'y reviendrons pas. Les monopoles directs constitués au profit des parti- ticuliers produisent des bénéfices que l'économiste ne saurait justifier. Les offices de notaires, d’avoués, de courtiers et autres se sont donnés pour rien et se ven- dent un prix élevé. Pourquoi? Parce qu’en dehors du salaire rémunérateur du travail et de la capacité, il y a eu un excédant de bénéfices qui, gräce au privilége, a produit une valeur vénale. Or, l'intérêt de cette va- leur vénale est nécessairement soldé par ceux qui sont obligés d'avoir recours aux titulaires des offices. L'effet du monopole des chemins de fer est encore plus palpable. Cette magnifique invention eût dû profi- ter aux deux fonctions sociales par excellence, à la pro- duction et à la consommation, et cela par un abaisse- ment du prix de transport, qui n'aurait dû représenter que l’intérêt des capitaux dépensés pour les lignes fer- rées, plus un légitime bénéfice. Une action émise à 420 500 fr. se vend 750 fr. ou 4,000 fr., ou 4,500 fr. Cela veut dire que l’on gagne 50 ou 100, ou 150 pour cent sur le capital, et que nous en payons l'intérêt sur les frais de transports. La spéculation commerciale ne sau- rait espérer ces profits fabuleux, parce qu'elle est en présence de la concurrence; ici, elle s’est abritée sous l'égide du monopole, qui n’est autre chose qu'une er- reur économique sanctionnée par une erreur législative. Je pourrais diseuter aussi bien d’autres situations pri- vilégiées; mais ces exemples nous suflisent. C'est à l'aide de faits semblables qu'on peut expliquer tant et de si merveilleuses fortunes qui se sont improvisées sous nos yeux. Mais, direz-vous, cela ne blesse en rien nos agriculteurs; si d'autres sont plus riches, ils n’en sont pas plus pauvres! —La pauvreté et la richesse résident moins dans des situations absolues que dans des situa- tions relatives. On se convaincra, avec un peu de ré- flexion, que de nouvelles richesses accumulées dans un assez grand nombre de familles ont contribué à faire enchérir les objets de consommation; on verra que l'or venu de la Californie a eu bien moins de part à ce phé- nomène que les papiers négociés à la Bourse. On ne pourra nier que c'est le crédit fonctionnant de toute manière au profit de la capitale et des grandes villes qui enlève chaque jour les bras si utiles à nos cam- pagnes. Cette déviation des forces sociales n'a pas été préju- diciable à l'industrie comme à l'agriculture, parce que la première dispose aussi du crédit, et qu'elle peut se défendre avec les armes qui servent à l'attaquer; tandis 421 que l’agriculture est livrée pieds et poings liés à tous ceux qui veulent s'emparer de ses dépouilles. Pouvons-nous compter, même dans un avenir loin” ain, sur la réforme de tous ces vices économiques”? Je n'oserais l'espérer. Mais il est un remède, ou du moins un palliatif que nous pourrions avoir sous la main : si l'accord des intérêts ne peut exister de longtemps, si la lutte doit continuer, qu'elle soit enfin moins inégale! Armez aussi l’agriculture du crédit, elle pourra se dé- fendre, et de l'égalité dans le combat résultera une paix ou du moins une transaction qui renfermera quelques éléments équitables. Avant d'indiquer les bases du crédit agricole, il n’est pas inutile d'établir que l'emprunt hypothécaire n’en peut nullement tenir lieu. On sait à quel point lemprun- teur est grevé par les frais de contrat. L'institution du crédit foncier n’a rien changé à cet état de choses. Le prêt à long terme a son utilité dans les pays de droit d'ainesse et de substitutions, comme en Allemagne ou en Pologne, où la propriété se perpétue dans la même famille; mais elle n'a pas de raison d'être en France, où la propriété va se transmettant et Sémielant sans cesse. Mais ce sont d'autres inconvénients du prêt hypothé- caire que je veux surtout signaler. Le commerçant et l'industriel jouissent d'un crédit à courte échéance qui doit nécessairement éveiller l'esprit de prévoyance et d'ordre avec l'activité qui produit les bénéfices. Celui qui émet un billet songe à l’époque du paiement et aux res- sources dont il disposera pour acquitter. Dans cette 422 pensée, non-seulement un fabricant économise, mais il fait rendre le plus possible à son usine, et la produc- tion générale en profite naturellement. Au contraire, l'emprunt hypothécaire, surchargé des frais d'acte et des droits du fisc, ne peut s’opérer qu'à long terme; aussi le propriétaire pense tout au plus aux intérêts, mais ne s'occupe nullement de rembourser le capital ; de telle sorte que bien loin de provoquer son acti- vité, l'emprunt ne lui apporte que le découragement et l'apathie. Le commerçant ou l'industriel engage sa signature pour une opération qui doit profiter à ses af- faires; s'il agit autrement, c’est par la plus facheuse exception. Mais un propriétaire engage ses immeubles pour marier sa fille, pour faire une position à son fils, pour meubler son salon, pourvoir à la toilette de sa femme, la conduire aux eaux, objets plus ou moins di- gnes d’éloge ou de blème, mais qui dans aucun cas ne rendent ses champs mieux nivelés, mieux labourés, mieux fumés. L'emprunt hypothécaire est toujours con- tracté en vue des besoins ou des fantaisies du proprié- taire , et jamais en vue de l'amélioration de la propriété. Les conditions du crédit agricole devraient étre tout autres; il faudrait que l'on püt emprunter non-seule- ment à un taux modéré, mais surtout à court délai, de telle sorte que le crédit füt ouvert en faveur des frais de culture et payable sur la vente de la récolte; il ap- partiendrait à l'agriculteur, alors même qu'il n'agirait qu’à titre de fermier ou de colon. Ce crédit serait réel quant à la garantie, mais personnel quant à l'échéance ; par conséquent il nécessiterait chez le cultivateur l’es- 123 prit de prévoyance et d'exactitude avec l'activité du tra - vail; comme il reposerait sur un gage, l'absence de ces qualités compromettrait lemprunteur sans nuire au prêéteur; tandis qu'en pareil cas, dans le prêt commer- cial, les intérêts de ce dernier se trouvent gravement exposés. Un mot encore avant de traiter des conditions mé- mes de l'institution. Est-ce par la centralisation qu'il faudrait agir iei ? — C'est ainsi qu'en France l'on procède partout et toujours : de là tant de déceptions, ou ce qui est pis, lant de succès nuisibles an bien-être général. Je suis partisan de l'unité nationale, qui est un prin- cipe; mais la centralisation n’en est le plus souvent que l'abus. D'ailleurs il est beaucoup d'institutions qui ne peuvent naître viables et prospérer que par la liberté et l'initiative locale. Nous citerons pour exemple les co- lonies. Quelle est la cause de notre immense infériorité, non-seulement vis-à-vis de l'Angleterre, mais même de la Hollande? Après avoir réfléchi sur les enseignements de l'histoire, j'oserai formuler cet axiôme : « Un état qui procède par la centralisation n’a jamais colonisé avec succès. » Cela tient surtout à ce qu'une colonie re- pose sur une base essentiellement agricole; or, les com- mis d’un ministère ne dirigeront jamais ni à mille lieues, ni à cent, ni à vingt, les opérations d’une ferme pour lesquelles il faut prendre conseil du sol, de la tempé- rature, des vents, des habitudes du village voisin, et modifier la théorie par les accidents journaliers de la pratique. Le crédit agricole réclamerait aussi une con- naissance exacte des besoins, des ressources, des mœurs, 28 424 non-seulement de chaque commune, mais mème de chaque habitant; il faudrait instantanément apprécier l'espoir des récoltes et la valeur des denrées, ce qui ne sera jamais donné aux grands faiscurs, alors même qu'ils tenteraient d'exploiter en coupes réglées le travail de nos campagnes. D'ailleurs, pourquoi l'agriculture irait-clle solliciter haut et loin, elle qui est seule vrai- ment riche et qui fait vivre des millions de parasites? Toutes ces grandes compagnies dont les états-majors trônent à Paris, ne sont que les pompes aspirantes de la centralisation, dont le résultat le plus certain est d'épuiscr les ressources de nos départements. Quant à l'intervention du gouvernement, elle serait la moindre possible : il laisserait aux fondateurs la li- berté de se constituer, et ferait disparaitre quelques en- traves fiscales et législatives que la cupidité sait vain- cre, mois qui meltraient obstacle à tout établissement financier qui aurait pour but non le lucre, mais l’avan- tage du producteur et du consommateur. L'institution du crédit agricole doit être avant tout cantonnale. Si l’on fait abstraction des préjugés reçus, des habitudes subies, de quelques difficultés administra- tives, rien ne serait plus facile à constituer. Cent pro- priétaires, par exemple, disposant de garanties hypo- thécaires suffisantes, se réunissent et fournissent en moyenne un cautionnement réel de 10,000 fr. chacun, d'où il résulte pour le Comptoir cantonnal une garantie d'un million; puis ces actionnaires-fondateurs élisent parmi eux un directeur et un conseil de surveillance. Le Comptoir constitué appelle des fonds; il peut offrir 425 un intérél avantageux, parce que, contrairement au procédé des banques et des banquiers, il donnera plus au bailleur qu'il ne fera payer à l'emprunteur. Il remet en échange un titre transmissible par endossement, remboursable à échéance fixe, et dont les intérêts sont payables par coupons détachés tous les semestres. Je crois que, dans la situation actuelle, l'intérêt pourrait être de 5 1/2 et mème de 6 0/0, et ces placements se- raient d'autant plus avantageux, qu'ils jouiraient de garanties supérieures à toutes les valeurs financières connues. Aussi devraient-ils être acceptés de préférence 1° des actionnaires-fondateurs , 2° des habitants du can- ton, propriétaires, fermiers, colons ou simples travail- leurs agricoles. Pour ces derniers, ce placement serait de tout point préférable à la caisse d'épargne : intérêt plus fort; pas de conversion en rentes; gage existant dans la localité, toujours visible. Ce genre de placement, au lieu de pousser les travailleurs vers la ville, les re- tiendrait dans les champs. Les fonds réunis, les prêts se feraient à un taux in- férieur de 4/2 0/0 à l'intérêt payé au bailleur de fonds; de sorte qu'on aurait pour 5 fr. ce qui aurait coûté 5 fr. 50, mais à condition que les 4/10 du prêt seraient effectués en papier de circulation du Comptoir. Ce pa- pier consisterait en billets à ordre payables au Comptoir même. [ n'est douteux pour personne que tous ceux qui font des fournitures à un agriculteur n'acceptassent ces billets comme argent comptant, si du moins ils en- traient dans un paiement pour moins de la moitié. Le prêt étant fait en vue des frais de culture, et le 426 paiement étant surtout basé sur la récolte, le plus long terme serait d'un an. Le Comptoir pourrait consentir à un renouvellement, s'il était prouvé que la récolte a été perdue. Mais à qui pourrait-on prêter avec une sécurité suf- fisante ? 1° Aux actionnaires, dont le cautionnement serait toujours sous la main du Directeur : ces prèts s'effectueraient par comptes-courants; 2° à tous les bailleurs de fonds, sur dépôt de leurs titres; 3° à tous les agriculteurs du canton; mais à ceux-ci on ne prête- rail que sur nantissement. Quant aux procédés relatifs au gage, j'abandonne ceux que j'avais trouvés moi- même pour adopter sans réserve les idées si simples et si pratiques de M. Constant. En aucun cas, le gage ne doit être déplacé : instruments aratoires, bestiaux ou récoltes, tout reste chez l'agriculteur. Mais celui-ci se- rait assimilé par. une loi nouvelle au sequestre d’un objet saisi, et frappé des mêmes peines en cas de détour- nement; il est d’ailleurs libre de vendre, mais il en avise le Directeur du Comptoir, qui donne quittance du prix total de la vente, garde la somme prêtée, et rend, sans aucune retenue, la différence à l'emprun- teur. Dans le cas de non paiement, le Directeur pour- suivrait la vente du gage, qui se ferait aux enchères, avec des frais minimes, devant le juge de paix. Les actionnaires des Comptoirs cantonnaux éliraient les directeurs et les surveillants d'une banque départe- mentale chargée de servir d'intermédiaire à ces mêmes Comptoirs. Si le bienfait de cette institution s'étendait à un grand nombre de départements, les banques dé- 427 partementales pourraient avoir à Paris des délégués qui seraient chargés de régulariser les rapports entre les parties éloignées de la France. Ces rapports établiraient une sorte de solidarité entre des régions agricoles fort diverses; selon les chances des récoltes ou des ventes, le Nord et le Midi pourraient se faire réciproquement des emprunts ou des avances. Dans une pareille opération, les chances de perte seraient presque nulles; les inconvénients se résume- raient dans quelques retards. Les profits bruts s’élève- raient, pour un million annuel de prêts au taux de 5 0/0, à 17,000 fr.; pour deux millions, à 34,000 fr. Or, l'on pourrait opérer sans inconvénient sur ces der- niers chiffres avec la simple garantie d’un million. Les opérations étant simples, le personnel d'un bu- reau serail peu nombreux et peu couùteux; les places de directeur et de surveillants seraient honorifiques ; néanmoins on leur accorderait des indemnités propor- tionnées au temps enlevé à leurs propres affaires. Après avoir prélevé les frais, on appliquerait une portion des bénéfices à un fonds de réserve; l’autre se- rail partagée comme dividende entre les actionnaires. Contrairement à la pratique actuelle des opérations fi- nancières, un très-modeste bénéfice suffirait à celle-ci, parce qu'elle aurait des bases simples, que le lucre n’en serait pas le but principal, et qu'elle s’'exercerait dans un rayon peu étendu. Messieurs, je ne crois pas devoir ajouter de détails superflus. Le crédit agricole serait aussi utile que faci- lement réalisé. Néanmoins, je suis bien éloigné d’espé- 428 rer l'application prochaine d'aucun projet analogue. Les obstacles aujourd'hui ne sont pas dans les choses, ils sont dans les esprits. Toute amélioration sérieuse doit provenir du principe de l'association ; or, il a été faussé d’une facon déplorable. Des esprits trop enthousiastes et trop absolus ont vu dans des combinaisons d'intérêts des effets moraux qu'elles ne sont pas susceptibles de produire; et même, dans le domaine du possible, ils ont voulu cueillir des fruits prématurés sur un arbre qui n'avait pas encore pris racine. Effrayés par des fantô- mes aussi peu dangereux que tous les spectres qu'on peut évoquer, les hommes timorés se sont enfoncés dans la routine , et ils se bouchent encore les oreilles au seul mot d'association, parce qu'ils ont eu peur du socia- lisme. Presque tous les agriculteurs appartiennent à celte catégorie de sourds volontaires; or, je ne me croi- rais pas capable de leur rendre subitement la faculté d'entendre et surtout de comprendre. Enfin, d'autres ont su comprendre, mais ils ont voulu dénaturer : abu- sant de l'association, ils en ont fait une coalition mons- trueuse d'intérêts anti-sociaux. Laissons passer l’ava- lanche, nous n’en saurions prévenir les effets. Étudions les théories, efforçons-nous de les rapprocher de la pra- tique; semons des idées saines que le temps fera ger- mer; les grandes erreurs elles-mêmes peuvent contri- buer au progrès, puisqu'elles aboutissent souvent à ces graves enseignements de l'histoire qui mürissent si vite la raison des peuples. MÉMOIRE SUR LE PORT DE LIVERPOOL. Histoire, Administration, Statistique générale, Etablissements publics et parliculiers, Docks, Navigation, Droits divers, Cornmerce. PAR EUGÈNE MAHON DE MONAGHAN, Vice-Consul de France à Cardif. PRÉAMBULE. Si la gloire des armes est le principe fondamental de la puissance d'une nation; si les arts, les sciences, la littérature, aident à ses développements intellectuels et moraux, le commerce est la source obscure mais fé- conde de sa richesse. Quoiqu'il réponde moins à leurs aspirations naturelles, il est cependant pour les citoyens comme un dérivatif utile de celte activité qui finirait par 430 s’'épuiser sans fruit à des luttes incessantes, ou qui s'a- mollirait insensiblement dans les calmes douceurs de l'étude. En même temps qu'il sert de ciment à tout édifice social, le commerce est l'aliment réparateur des forces que dissipe un peuple au milieu de ses tour- mentes, de ses tentatives, et dans les crises qui mar- quent infailliblement les diverses périodes de son exis- tence. L'industrie a son génie propre, elle a sa pression, elle crée; mais le commerce est indispensable à l'écou- lement de ses produits : il représente, si je puis m'ex- primer ainsi, le trait d'union entre elle et des besoins multiples; il est l'agent audacieux, intelligent, actif, qui sonde d'un œil vigilant tous les horizons, qui com- prend, qui devine les nécessités de chaque peuple, et y pourvoit au plus grand avantage de tous et de lui- même. C'est ainsi qu'il rapproche les gouvernements et les individus; c'est ainsi qu'en créant une communauté d'intérêts, il établit, entre les diverses familles de la race humaine, ces aflinités de goût, ces besoins que son génie est de satisfaire; c’est ainsi enfin qu'il unit les nations peut-être autant que les sciences, les arts, les littératures, et assurément beaucoup plus que les conquêtes. En reconnaissant qu'un État purement industrieux et commerçant soit privé de plusieurs des conditions indispensables à sa durée, on doit aussi admettre avec non moins de raison que, sans le commerce, un pays ne saurait atteindre à une réelle apogée de grandeur, 431 de civilisation, ni être sérieusement assis sur de fortes bases. Considérée à ce point de vue, l'histoire des grandes cités, qui par leur activité à la fois pacifique et pro- ductive, exercent une influence si incontestable, si directe sur les destinées d'un empire, ne peut donc être dénuée d'intérêt ni d'utilité. Dominé par cette pensée, j'ai tenté de circonscrire, dans le cadre étroit d'un Mémoire, le tableau de la vie politique, civile, admi- pistrative du grand port de Liverpool. J'ai indiqué aussi sommairement que possible les développements de son commerce, de sa navigation, ses ressources, ses forces vitales, et les éléments de sa prospérité soudaine. Mon travail est par-dessus tout statistique. En m'ef- forçant, autant par des chiffres que par le récit des faits, de mettre en relief la colossale importance que celte ville s'est acquise, il m'a semblé que, quelque im- parfaite que puisse être cette étude, il serait peut-être possible aux hommes pratiques aussi bien qu'à ceux qui se préoccupent au point de vue théorique des gran- des questions commerciales, d'y puiser quelques ren- seignements profitables. 432 CHAPITRE [I Histoire. La ville de Liverpool, dans le comté palatin de Lan- castre, est située à 53° 24’ 39” de latitude nord, et 2° 59’ 30” Ouest de Greenwich. La ville s'étend sur la rive Est de la rivière Mersey. Sa longueur, du nord au sud, est de 4,420 yards anglais ‘; sa plus grande lar- geur, de 2,300 yards; sa circonférence, de 10,600 yards, soit 6 milles 400 yards { près de 9 kilomètres), et sa superficie totale de 2,160 acres *. La température moyenne y varie de 41° à 61° ({ Farenheit ). L'étymologie du mot Liverpool a été longtemps le sujet de contestations entre les divers historiens, et aucun d'eux, assure-1-on, n'est arrivé jusqu'ici à une conclusion satisfaisante. Le plus grand nombre pour- tant est d'avis que la ville a emprunté la première syl- labe de son nom à une espèce d'oiseau aquatique, au- trefois connu sous le nom de liver ou lever, et qu'on suppose avoir originellement habité cette plage. D'au- tres affirment que liver vient d'une plante marine ainsi appelée, qui croissait en abondance dans les instersti- ces des rocs qui bordent l'entrée ouest du fleuve. D'au- tres encore émettent l'opinion que cette syllabe a été conservée d'une famille Lever, de très-ancienne date 1 Le yard anglais a 912 millimètres français. ? L'acre anglaise est de 43,560 pieds carrés (anglais), e 133 dans le comté. Enfin, il y en à qui aflirment qu'elle dérive, par corruption, de lower (bas). Entre ces diverses versions, je dois dire que la pre- mière a prévalu, peut-être à cause de son caractère poétique. Les peuples ont une tendance à adopter les idées qui revètent une forme abstraite et mystéricuse. Souvent, il faut le reconnaitre, cette forme satisfait moins la raison, mais elle plait mieux à l'esprit. Tou- jours est-il que le fabuleux oiseau {espèce de flamand) figure dans les armes de la ville. Par une ingénieuse pensée, on l'a représenté droit et fier, comme s'il avait le sentiment de son avenir, tenant au bec un rameau de paix et d'espérance. Quant à la seconde partie du nom { pool ), elle n'a rencontré aucun contradicteur et signifie étang. Il n'est pas sans intérêt de rappeler quelques-uns des différents noms par lesquels la ville fat désignée avant que celui qu'elle porte aujourd'hui eùt définitivement prévalu. On l'appela successivement Lytherpool, Lyr- pool (qui veut dire eau basse), Lerpoole, Livrepool, Liverpull, Lyverpool, Leverpool et Lowerpool. Comme toutes les villes florissantes, Liverpool a eu beaucoup d'historiens. Parmi les plus remarquables, sans citer une foule d'auteurs de Guides à l'usage des étrangers, je me contenterai de rappeler ici Gregson, Enfield, Smithers, Herdman et Baynes. Ce dernier s'est élevé au-dessus de tous ses devanciers par la récente publication en deux volumes de l'histoire très-complète, très-intéressante, de la ville qui fait l'objet de mon tra- vail. 434 C'est un fait singulier que cette ville si florissante dans le présent, si riche d'avenir, n’éveille aucun écho, aucun souvenir dans le passé. Elle est née soudaine- ment à la civilisation, à la richesse, sans s'étayer des choses d'un autre temps. Le livre de ses annales n’a guère que des pages blanches. On n'y voit point con- signée, cn caractères sanglants, la mémoire de ces crises, de ces déchirements qui, marquant profondé- ment leur empreinte dans les vieilles cités, leur com- muniquent un cachet imposant de sévérité et de gran- deur. Ne croirait-on pas qu'au lieu de laisser ainsi s'éva- porer ses forces dans des luttes, elle s’est complue à les concentrer pour les donner toutes à une activité tardive mais fructueuse? Elle est bien la ville de son siècle! Elle représente le triomphe absolu de l'action sur la pensée; c'est le positivisme agité, mais froid; c'est l’utile dans toute sa sécheresse; c'est la vie eufin éclairée par l'éclat de l'or, mais que ne réchauffe aucun rayon de poésie. Je vais esquisser les particularités qui constituent toute son histoire. Nulle part il n'est mentionné que Liverpool existàt en 1080, quand le Survey-book fut fait pour le comté. Cependant, il y est parlé d'Esmédune ou Smédune, lieu qu'on suppose avoir élé sur l'emplacement où la ville a été bâtie, comme d’une pièce de terre d'une valeur de 32 pence (3 fr. 35 c. de notre monnaie ). C'est un curieux rapprochement à établir que celui de cette lande inculte, marécageuse, déserte, avec l'im- K35 mense ville animée, palpitante, où roule comme un Pactole un fleuve majestueux et superbe. Et si lon songe en même temps à ce que l'industrie humaine a donné de valeur aux 32 pence de l'estimation primi- tive, on ne peut s'empêcher d'être saisi d'étonnement et d’admiration en présence de celte fécondation par le travail. En effet, quelle image de ce que peut l’activité commerciale! Grâce à elle, parfois la somme la plus minime, garantie par la volonté, fructifiée par l’intel- ligence, se multiplie en fabuleuses richesses. La ville reçut son nom vers 1089, époque à laquelle toutes les terres s'étendant de la Mersey à la Ribble, y compris le lieu où la ville est bâtie, appartenaient à Roger de Poictiers, qui fut peu après banni du royau- me à cause de sa participation à un complot contre le roi. Les fiefs et possessions de ce seigneur se trouvè- rent ainsi confisqués au profit de la couronne. Pendant un certain laps de temps, Liverpool resta en la possession de la royauté et des dues de Lancas- tre; mais après plusieurs changements, la plus grande partie de la ville passa dans les mains de la corpora- tion. On assure que les premiers habitants vinrent de Smethom et Toxteth ‘, alors que ces places étaient des siéges de chasse à l'usage des rois. Dans les premiers siècles, la Mersey s'appelait Be- lisama ?. En 1076, suivant quelques historiens, en 1089, selon d'autres, Roger de Poictiers fit ériger, sur { Aux environs de la ville, ? Smithers, 436 la rive droite, le chàteau complétement disparu au- jourd'hui, et à la place duquel s'élève une église dédiée à Saint-Georges. Ce château était un batiment carré, flanqué de quatre grosses (ours rondes qui se reliaient ensemble par les murailles d'enceinte, et entouré d’un fossé large et profond. Sa position était excellente, car il commandait l'étang et le fleuve. Du fossé à la rivière s'élendait un chemin couvert, par lequel, à la marée basse, on introduisait dans la place les hommes et les approvisionnements. L'entrée, protégée par un pont- levis, était à la tour du nord-est. Vers la vingtième année du règne de Henry VI, une nouvelle tour fut bâtie sur le côté sud du château. On employa à cette construction des pierres extraites des carrières de Tox- teth-Park, du bois provenant de Proxtexth et Simons- wood, et de la chaux tirée de l'île de Man. Le prix de ces travaux s'éleva à 46 liv. 13 sch. 10 ‘/, d. De cette somme , le maire et les bourgeois payèrent une moitié comme redevance. Les fondations du château existent encore, et la face circulaire de la tour du sud-ouest était visible en 1768, quand l’/mprovement act de Georges IT fut publié. Une étendue considérable de l'angle nord-est fut pareillement découverte en creu- sant le sol pour établir les assises d'un édifice en 1828, et la tour du nord-ouest fut constatée vers cette même époque. C'était l'usage dans les premiers temps de payer les ouvriers par des concessions de terrains au lieu d'ar- gent, le numéraire étant alors fort rare et les terres à défricher très-communes. Tout donne à penser que le 437 chàteau de Liverpool fut érigé de cette manière. Le gouvernement de cette place fut donné par Roger de Poictiers à Vivian de Molyneux. La première charte fut, dit-on, octroyée à Liverpool, en 4129, par Henry F. Toutefois, les historiens varient sur ce point. Selon plusieurs d'entre eux, ce fut scule- ment Henry IE qui, en 1173, lorsqu'il embarquait ses troupes pour lirlande, fut frappé des avantages qu'of- frait la ville comme port de mer, et lui accorda la pre- mière charte. Au surplus, il est difficile de se pronon- cer calégoriquement sur celle question, car aucune des deux chartes n'existe aujourd'hui; la plus ancienne qu'on ait conservée est celle du roi Jean, donnée en 1207, et adressée à : All who may be willing to have Burgages at the town of Lyrpul. Les termes sont : We grant to all our faithful subjects, who are in the occupaiion of Burgage tenures at Lyrpul, all the liberties and free customs in the town of Lyrpul, which any other free borough upon the sea has in our lerrilories. At Winchester, 28 th. August ‘. La conquête de l'Irlande, en 1172, ouvrit la naviga- tion entre les deux pays, et devint la source première du commerce de Liverpool; quoique pendant longtemps ses progrès eussent élé insensibles, il n’en est pas moins utile de faire remarquer que cet événement de- vint le point de départ de l'immense prospérité que mon travail a pour objet de constater. 1 Le sceau d'argent de la corporation fut aussi garanti par le roi Jean; il représente un oiseau tenant une branche d'olivier avec les mots : This common seal, the gift of King John to the ville de Lyrpul. 438 En 1227, Henry IE, moyennant une redevance de 10 mares, après avoir confirmé les garanties de la première charte, constitua Liverpool en bourg libre à perpétuité. De plus, il lui conféra plusieurs privilèges et franchises qui contribuèrent au développement de son commerce. Ce fut là un nouveau pas de cette cité dans la route de la fortune. Une tour, située originairement dans la vallée où est bâtie aujourd'hui Water-Street, et faisant face à la rivière, à été construite, suppose--on, vers 4252 par un descendant d'Edmond , comte de Lancastre. Sir Thomas de Lathom en devint le possesseur en 1360, et dans cette même année il la donna, ainsi que Knowsley et Lathom, à sir John Stanley, de la famille des Stanley ‘ de Hooton, dans le comté de Chester, à l'occasion de son mariage avec Isabelle de Lathom, sa fille et héritière. ; En 4228, Adam de Molyneux était conservateur pour le roi du parc de Toxteth, appartenant à la cou- ronne. Ce pare, situé au sud-est de Liverpool, fut en 1327 évalué à 7 liv. 9 sch. 4 d. Loué à la famille Molyneux en 4346, on constata qu'il mesurait 5 milles de circonférence. Les chartes de la ville furent confirmées et les pri- viléges augmentés par Édouard I, Richard II et Henry IV. Le bourg exerça pour la première fois son droit d'élire pour le parlement, en 1293, sous Édouard I ; mais jusqu'au règne d'Édouard VE, il n’usa plus de ce 4 Ancêtres du comte de Sefton, actuellement membre de la chambre des Lords. k39 privilége. Les membres du parlement, après l'année 1309, recurent pour leurs services une paie de 2 sch. par jour, et furent défrayés de toutes dépenses. Jusqu'au XIV: siècle, Liverpool ne contribua guère à accroitre les forces navales du pays; car il est établi qu'en 1338, dans une flotte de 700 vaisseaux montée par 14,151 hommes que possédait l'Angleterre, la ville ne comptait qu'un pelit navire conduit par 6 matelots. Les premières rues furent bâties sous les règnes d'Édouard IL et d'Édouard Il: elles furent d’abord au nombre de cinq. En 1351, John Baret recut un traitement de 6 liv. 13 sch. #4 d. en sa qualité de constable du chäteau. Le titre de maire de Liverpool se rencontre pour la première fois dans une lettre du roi Édouard IE, por- tant la date du 19 mai 4356, laquelle autorise Richard Aynesayh { Mayor of the town of Liverpool) à ac- quérir, au prix de 100 liv., une terre appartenant au duc de Lancastre, et à assigner ladite terre pour exé- cuter le service divin chaque jour pour le repos de l'âme des fidèles décédés, dans la chapelle de la sainte Vierge Marie et celle de saint Nicolas, à Liverpool. Durant l’année 1361, Liverpool fut ravagé par une peste. La distance de Walton, église paroissiale, étant fort grande, les habitants obtinrent la permission de l'évêque de Litchfield, dans le diocèse duquel la ville était alors, d'enterrer dans la vieille cour de l'église et dans un cimetière situé hors de la ville. Un sentier conduisant à ce cimetière reçut à l'occasion le nom de Sickman's Lane. me semble que l'appellation de 29 40 Death'slane eût été plus exacte, à moins que, par un sous-entendu, on ait voulu dire que tout homme ma- lade de la peste pouvait considérer ce chemin comme celui qu'il était destiné à suivre. En 1398, Thomas Holland, comte de Kent et duc de Surrey, reçut le titre de constable du chàteau, et dans la dix-neuvième année du règne de Henry VF, sir Ri- chard Molyneux en fut nommé gouverneur. Cinq ans après, cette charge lui était confirmée pour la vie avec transmission à sa famille. Il ne parait point que vers celte époque les mar- chands de Liverpool se montrassent extrémement scru- puleux en ce qui touchait l'observation du droit de chacun; car je trouve dans les documents que plu- sieurs d'entre eux furent cités en justice et condamnés à payer une amende de 66 sch. 6 d. pour ventes à faux poids. Il est également relaté que cet argent leur fut rendu plus {ard, sans qu'il soit fait mention du motif de la restitution. En 140%, durant son gouvernement d'frlande, sir John Stanley ‘ sollicita et obtint du roi Henry VI la permission de fortifier sa maison d’une ligne de pier- res. Or, celte maison, où sa famille tenait résidence, n'était autre que la tour de Waler-Streel dont j'ai parlé précédemment. Le voisinage du chäteau cù habitaient les Molyneux amena des complications. Le rapprochement était trop 1 Ancètre des comtes de Derby. 441 grand entre ces deux familles, qui avaient chacune des prétentions à la suprématie. C'est trop de deux sei- gneurs dans un village. Aussi, vers le commencement de l'année 1424, une dispute éclata. On en vint bien- tôt aux mains : une véritable bataille rangée eut lieu. Sir Richard Molyneux commandait ses partisans et vassaux, tandis que sir Thomas Stanley marchait à la tête des siens. Îl ne parait point toutefois, à part le sang des manants qui fut répandu, que le différend eut des suites facheuses. [l est relaté dans un vieux manus- crit ‘ qu'il se termina par une intervention du chance- lier du roi et des justiciers de paix du comté. Vu la position des seigneurs en querelle, les magis- trats en référèrent à Henry VI; celui-ci mit un terme à ces troubles par l'acte suivant : Henry King of England and France, Duke of Ireland, lo his chancellor, of the county Palatine of Lancaster, sends the following mandamus. We command, etc., that Thomas son of John Slanley, soldier, now residing in my castle of Cliderhow, shall wilhdraw himself as far as the castle of Ke- nihvorth; and that Richard Molyneuæ, soldier, re- siding at the Castle of Lancaster, shall withdraw himself as far as the Castle of Windsor. — Given at Westminster, the third year of my reighn, anno 1424. Cette manière de séparer les rivaux fit tout rentrer dans l’ordre. Il ne parait pas que la rancune de ces seigneurs ait persisté dans l'exil; car je lis dans un 1 Dodsworth's, manuscrit, vol. LXXXVIT, p. 39. 442 manuserit du temps, que, quatorze ans plus tard, en 1438, ils affermèrent ensemble les produits du pare de Toxteth, qui jusque-là avait été loué à la famille Molyneux. Voici la traduction du document où ce fait est relaté : « Dans la seizième année du règne de Henry VE, le » Roi loua à ferme, à sir Richard Molyneux et à sir » Thomas Stanley, l'herbage et la glandée de son pare » de Toxteth, dans le comté de Lancastre, avec le miel » et la cire des abeilles essaimant parmi les chênes du » susdit parc, et la bruyère qui y croit, pour tenir peu- » dant vingt ans, moyennant une rente de 6 liv. 43 sch. » & d. » Sous le règne d'Édourd IV, Liverpool vint en la pos- session du duc de Gloster, plus tard Richard IL. Un vieil auteur du temps de Henry VIE décrit ainsi la ville. Je n'ai pas besoin de faire observer que je con- serve à celle citation son ancienne orthographe. I la représente : Às a paved towne, hath but a chapel. Wallon a III miles of, nat far from the se is pa- roche chirch. The king hath a Castelet there and the erle of Darbe hath a stone house there. frich marchauntes cum much thither as to a good haven, after that mersey wather cumming toward Rum- corne, in Cheshire, liseth among the commune peo- ple, the name and is Lyrpole, AU Lyrpole is smule cuslume payid that causith marchauntes lo resorle Good merchandis at Lyrpole, and mochy rich yarn that Manchester mers do buy ther *. 1 Leland-Itinéraire, 143 Le vieux hàvre, détruit par un ouragan, fut réédifié sur de nouveaux plans, en vertu d’une ordonnance du maire, arrêtée en conseil et portant la date de 1561. On trouve dans les Æ/der-Precedences, qui existaient avant le recueil régulier des actes de la corporation (corporalion records ), que la ville était alors admi- nistrée par un maire, des baillis et douze bourgeois. Le eonseil exercait ses droits, en réglant le prix des denrées, le montant des taxes, amendes, etc... Par exemple, il décréta que l’ale et la bière seraient ven- dues à raison de un penny par quarter; que, durant les temps de disette, ce breuvage serait brassé d’une force modérée, à raison du haut prix du grain. Par suite de ses décisions, les oranges venues de France étaient débitées au prix de cent vingt pour 4 sch., les oies à 8 p. chaque, et les coqs-de-bruyères à 2 d. la pièce, etc. Dans ces Elder-Precedences, qui, ainsi que le dit leur nom : anciennes préséances, réglaient. les droits de chacun, je vois qu'il fut décidé « qu’un prêtre di- » rait messe entre cinq et six heures chaque matin , afin » que les journaliers pussent y assister avant de se ren- » dre au travail; que les conseillers, baillis, ete., se ren- » draient chez le maire lorsque celui-ci les commande- » rait pour les affaires de l'église ou de la ville, armés de » leurs hallebardes et dans leurs meilleures robes, etc. : » que les enceintes ou limites de la ville seraient parcou- » rues une fois l'an ; que les apprentis ne joueraient point » aux cartes ni au disque; que la cloche du couvre-feu » sonnerait à huit heures le soir; que tous les habitants » se joindraient aux Maire, Baillis et Aldermen dans les » processions publiques qui se feraient autour de la ville 144 » à l'occasion de la Saint-Jean ; que les garçons, appren- » tis ou domestiques, ne devaient pas sortir après neuf » heures sans des motifs légitimes ; que les jeux de boule » étaient déclarés immoraux et supprimés; qu'il en était » de même des maisons de jeu; qu'on ne devait point » porter de bàtons dans les rues ; que les tapageurs, les » femmes criardes et querelleuses, seraient mis à la- » mende et en prison; que si les uns et les autres tom- » baient en récidive et qu'on les jugeàt incurables, on les » jetterait à l'eau; que tout homme ayant épousé deux » femmes ‘ quitterait la ville emmenant sa seconde fem- » me avec lui; qu'enfin, en ce qui concernait les misé- » rables vagabonds considérés comme rôdeurs, ordre » était donné de les mettre au pilori de High-Cross. » Il m'a semblé curieux de rappeler ces coutumes d'un autre àge, celte espèce de code sommaire d'une so- ciété naissante : mélange de raison, de rigorisme et de brutalité. On y retrouve tout entier le caractère du peuple anglais; et si lon se prend à réfléchir sur ces lois primitives, on y verra que le temps a pu les adou- cir, les modifier, les développer, mais qu'il ne les a point changées. L'esprit d'un peuple se manifeste dès ses premiers pas; sans doute la civilisation l'éclaire ; les transformations sociales l'émeuvent, l'agitent; pour- tant rien ne l’altère, et il reste éternellement ce que Dieu l’a créé. Liverpool, qui avait atteint un certain degré de pros- périté, gràce à ses relations suivies avec l'Irlande, re- cut un rude coup à l'établissement de la Réforme, et ! Ceci est pris dans le sens de bigamie. #45 déclina jusqu'au temps d'Élisabeth. Une nouvelle peste vint en 1540 ajouter à ses désastres en décimant sa population. Cette maladie n'était que le précurseur d'une autre plus terrible encore. A peine les habitants com- mençaient-ils à se remettre, qu'en avril 45514 éclata une épidémie d'un caractère contagieux qu'on appela swealing-sichkness (maladie de sueur), espèce de suette forte, cruelle, implacable comme toutes les af- fections à leur état primitif. Elle étendit ses ravages jusqu'aux extrémités du royaume et fit d'innombrables victimes. Une telle calamité compléta la ruine de la malheu- reuse ville; aussi, en 1574, les bourgeois adressèrent- ils une pétition à la reine Élisabeth, pour la prier de les assister d'un subside, sans lequel ils se déclaraient incapables de se soutenir. Dans cette supplique, ils qualifiaient leur ville de Her Majesty's poor decayed town (la pauvre ville déchue de Sa Majesté ). A vrai dire, cette cité si active, si peuplée, si opu- lente, qui recoit aujourd'hui 22,000 navires par année, n'était alors qu'un petit endroit comptant 438 maisons et moins de 700 habitants. Le nombre des navires at- tachés à son port s'élevait seulement à 12, d'une jauge totale de 223 tonneaux, et muntés par 75 hommes. Du moment que l'on procède par comparaison, on est saisi de surprise en présence d’une métamorphose opérée en quelque sorte sous les yeux des contemporains. Une mai- son dans Castle-Street, la principale artère de la ville actuelle, était louée au XVE siècle 4 sch. par an; l'on offrait 40 liv. sterl. pour l'achat de deux autres. Il est nécessaire d'ajouter qu'en ce temps-là le blé se vendait 446 1 sch. le boisseau, qu'un mouton gras coutait 2 sch. 10 p., et que # p. étaient considérés comme un bon prix pour une journée d'ouvrier. On conserve le souvenir d'une fête donnée par Tho- mas Bavande, maire de Liverpool, en vue de consa- crer l'anniversaire de la naissance de la reine Élisa- beth. A cette occasion, Bavande fit preuve d'une pro- digalité princière, en servant à profusion aux bour- geois le vin et le sucre, produits alors fort rares et d’un prix excessivement élevé. Peu de temps après sa période d'épreuves, la ville se releva d'une manière sensible; un historien s'exprime ainsi sur son compte : *« La Mersey, élargissant et rétrécissant alternative » ment son cours depuis Wawington, tombe dans l'o- » céan : elle est très-favorable pour le commerce; elle » passe devant Litherpole, communément appelée Lir- » pole, d'une eau qui s'étend pareille à un étang. Sui- » vant l'opinion générale, elle est le passage le plus » convenable et le plus fréquenté pour l'Irlande. C’est » une ville plus fameuse pour sa beauté et sa population » que par ses antiquités ‘. » Sous le règne de Charles Ie, les bourgeois de Li- verpool furent réunis en corporation. En 1626, une charte les confirma sous la désignation de Maire, Baillis et Bourgeois. Lord Stanley fut le premier Maire sous celte charte. Lorsque la guerre civile éclata dans le royaume, Liverpool s'y montra favorable; aussi devint-elle une 1 Camden. 47 place soumise à la rébellion; les troupes du parle- ment, commandées par un certain colonel Moore, dé- puté du bourg, l'occupèrent. Bientôt cependant, en juin 164%, les forces royales vinrent mettre le siége devant ses murs. Un seigneur qui jouait alors un grand rôle, en servant la cause du roi, dont il était le neveu, le prince Rupert, marchait à leur tête et les fit camper non loin des portes. On raconte que ce seigneur dit avec un air de profond dédain, en parlant de Liver- pool : C’est un nid de corbeaux qu'une bande d'en- fants suffirait pour prendre; propos qui offensa ex- trèmement les citoyens, et qu'ils n'ont pas encore ou- blié aujourd'hui. Leur courage s’en accrut; ils résolu- rent de donner un démenti à l'opinion de Rupert. La possession du château et de la tour paraissait de majeure importance aux assaillants; rien ne fut né- gligé par eux pour s'en rendre maitres. De la colline où il campait avec les siens { Beacon hill), le prince envoyail chaque jour des détachements qui ouvraient des tranchées et érigeaient des batteries. Mais la ville, protégée par une haute muraille de terre, par un fossé large et profond, soutint vaillamment tous les chocs. Du reste, des canons empêchaient les soldats royaux de passer l'étang, qui, du côté du sud, ajoutait un rempart naturel aux autres moyens de défense. Chaque porte de fa ville avait également de l'artillerie. Plu- sieurs pièces tirant du château causaient un grand dommage aux assiégeants. Une circonstance singulière servit à perfectionner le système de préservation. Une foule de familles protestantes d'Irlande s'étaient échap- 148 pées de leur pays dans la crainte d'avoir à subir les représailles des catholiques. Elles avaient cherché un refuge à Liverpool; chacune d'elles avait apporté une grande quantité de laine, son unique fortune. En proie à leur fièvre guerrière, les habitants de Liverpool, ou- blieux du droit sacré de la propriété, S'emparèrent de ces laines, et les employèrent à couvrir les remparts, qui, ainsi protégés, résistaient plus efficacement aux boulets Pauvres Irlandais! alors, comme à présent, leur destinée était d'être sacrifiés à leurs oppresseurs... Ce jour-là, ce qu'ils possédaient servit à garantir les mu- ‘ailles anglaises, de même qu'aujourd'hui leurs poitri- nes sont les premières offertes à l'ennemi lorsqu'il s'a- git de servir par les armes la politique ou les intérêts de l'Angleterre! La résistance de Liverpool se prolongea pendant vingt-quatre jours, au bout desquels le prince Rupert livra un formidable assaut. C'était le 26 juin 1644, à trois heures du matin. Il pénétra dans la ville par un bastion du côté du nord. Bon nombre des gens de la garnison furent, dans le premier moment, passés au fil de l'épée; d'autres subirent un sort moins rigou- reux : on se contenta de les enfermer dans la tour; le reste s'enfuit à l'approche des vainqueurs. On assure que le prince paya son triomphe par une perte de quinze cents hommes. Peu de jours après, Rupert marcha en toute hàte au secours d'York, et Liverpool ne tarda point à retomber en la possession des forces parlementaires, comman- dées par sir John Meldram, 149 Le comte de Derby ayant échoué dans une tentative pour protéger la ville, perdit 500 hommes tués et pri- sonniers. En raison des pertes subies par les habitants durant le siége, le parlement alloua un secours de 20 liv. aux veuves, orphelins et pauvres de la ville; il y ajouta une largesse de 500 tonneaux de bois, à prendre dans les pares appartenant aux seigneurs royalistes des en- virons qui s'étaient mêlés à la lutte. Dans le cours de l'année 1651, Liverpool fut encore visitée par une peste qui n’emporta pas moins de deux cents de ses habitants. Il me parait certain que ces maladies si fréquentes, si elles n'y avaient point leur principe, puisaient du moins leur aliment dans la na- ture marécageuse du sol. Le Pool, réservoir d'eaux vaseuses, presque slagnantes, était à mon sens un foyer d'infection fort préjudiciable à la santé publique. Bâtie dans un fond, Liverpool se trouvait alors dans des conditions hygiéniques déplorables, auxquelles il est juste de rapporter la fréquence des épidémies qui la désolaient. En 1659, le chàteau fut démantelé par ordre du parlement. A son avènement au trône, Charles IF, mécontent de l'esprit de rébellion dont avait fait preuve le peuple de Liverpool pendant la guerre civile, voulut que cette forteresse fût entièrement rasée. Néanmoins, ce ne fut guère qu'en 1724 qu'on en fit enlever les rui- nes. Vers 1737, saint George’s-Church fut érigé sur son emplacement. C'est une disgracieuse petite église, en forme d'éteignoir, qui subsiste toujours. Le grand feu qui désola Londres en 4665 amena beaucoup d'habi- 150 tants de cette métropole à Liverpool, où ils S'établirent. En 1677, une nouvelle charte octroyée par Char- les II constitua la corporation en corps d'élection. Con- trairement à l'ancienne constitution , elle ordonna qu'il y aurait un Conseil communal composé du Maire et de cinquante-neuf citoyens; que le Maire, les Baillis et lesdits citoyens, seraient nommés par le conseil de commune où au moins par trente de ses membres. Cinq ans environ après la bataille de la Boyne, Guil- laume HE-garantit à la corporation une charte faisant revivre les anciennes franchises des bourgeois, et or- dounant que le Maire, les Baillis et les bourgeois de la ville, au jour de la Saint-Luc, nommeraient un Maire et deux Baillis parmi eux pour l'année suivante. Cette mème charte disait également que « le conseil serait composé de quarante et un hommes honnêtes et dis- crets, choisis par les bourgeois, et qu'un d'eux serait appelé Maire et deux autres Baillis. » Il devait y avoir aussi un Juge {recorder ) « Well skilled in the laws of England » et deux secrétaires. Vers cette époque, Liverpool commencait à s'agran- dir, sa population croissait, ses affaires étaient en pro- grès; ses citoyens rédigèrent alors un mémoire ayant pour objet d'obtenir que leur ville devint une paroisse séparée, et qu'il leur fût permis de bâtir l'église pa- roissiale, dédiée à saint Pierre, dans Church-Street. J'extrais et traduis le passage suivant de leur suppli- que. Voici comme ils s'expriment au sujet de Liverpool : « Ce fut d'abord une petite ville de pècheurs; mais » beaucoup de personnes vinrent de Londres dans le » temps de la maladie. Après le feu, des hommes indus- 451 » trieux se fixèrent à Liverpool; ils établirent des rela- ) Ÿ lions commerciales avec les colonies etd'autres places; » 115 induisirent plusieurs autres marchands à venir et à » résider ici. Ces gens agrandirent tellement leur com- » merce, que la ville, qui payait à peine le salaire des » officiers de la douane , est maintenant le troisième port » de commerce de l'Angleterre, et paie au-dessus de » 50,000 liv. par année au roi. En raison d'un tel ac- » croissement , plusieurs rues ont été bâties et d’autres » sont en construction; divers fils de gentlemen des » comtés de Lancastre, d'York, Derby, Stafford, Ches- » ter, et de la Galles du Nord, sont mis en apprentissage » dans la ville, et il y a seulement une chapelle {laquelle » ne réunit pas la moitié de nos habitants dans l'été), » sous prétexte qu'il est du devoir d'aller à l'église pa- » roissiale, Walton, qui est à 3 grands milles. Or, com- » me on traverse un village sur le chemin, ils boivent » dans ledit village { Kirkdale) ; par ce moyen et par » d'autres encore, quelques jeunes gens et diverses fa- » milles sont ruinés. En conséquence, on a l'espoir que le » bill passera , étant pour favoriser le service de Dieu! » Le bill passa en effet, et Saint-Pierre’s-Church fut édifiée. En 4709, l'on construisit à Liverpool le premier dock, qui a été comblé depuis; sur son emplacement, on a élevé les batiments de la douane. A cette époque, le port ne possédait encore que 84 navires d'un tonnage total de 5,789 tonneaux. Nul fait ne s'accomplit, depuis le commencement du siècle dernier, qui méritàt la peine d'être rappelé. Durant la période qui s'écoula depuis lors jusqu'au- 152 jourd'hui, Liverpool fit beauconp pour la statistique, mais rien pour l'histoire. Nous la voyons exclusivement occupée à bâtir pour donner asile à sa population sans cesse croissante, à élargir le cercle de ses relations, à développer son commerce, ses institutions municipa- les et particulières , à faciliter les moyens de sa navi- gation, à faire fortune, enfin. Or, il en est des villes qui s'enrichissent par le travail, comme des individus : on admire leur persévérance, leurs efforts; toutefois, elles n'inspirent qu'un intérêt relatif, Ce sont des four- milières actives, des ruches industrieuses, pleines de curieuses remarques aux yeux de l'observateur, mais qui ne saisissent point l'attention de la foule. Chez elles, l'activité est bruyante, l'agitation bourdonne, sans qu'elles produisent aucun de ces retentissements sou- dains qui font avec stupeur tourner la tête aux nations. Qu'on ne se méprenne point sur le sens de cette comparaison. Cette manière d'exposer ma pensée n’im- plique ni une critique ni une raillerie. Je n'oublie point que les villes commerçantes, en même temps qu'elles s'enrichissent, procurent le bien-être au pays; que sans éclat, il est vrai, mais aussi sans secousses, elles propagent, par leurs rapports avec tous les peuples, les progrès et la civilisation; que tandis que d'autres cités, brillantes, glorieuses, instruites, gravent leurs noms en caractères lumineux dans l'histoire par des actions héroïques, des commotions fiévreuses ou d'im- mortelles découvertes, elles creusent un sillon lent, mais profond, pacifique, utile. Je sais enfin que le commerce, pour être moins glorieux, est’cependant le fondement immuable des sociétés. En créant une com- 453 munauté d'intérêts, en développant des gouts, des be- soins que son génie est de satisfaire, il unit entre elles les nations, peut-être autant que les sciences, les arts, les lillératures, et assurément beaucoup plus que les conquêtes. CHAPITRE IE. Administration. - Statistique générale. —— Établissements publics et particuliers. En vertu du Municipal reform act promulgué le 9 septembre 1835, toutes les précédentes corporations furent abolies, et la ville subit une nouvelle division par quartiers, au nombre de seize. Comme elle est actuellement constituée, la corporation de Liverpool compile soixante-cinq membres, soit quarante-huit conseillers élus par les bourgeois, un Maire el seize Aldermen nommés par le conseil. Un Archiviste, un Magistrat payé, un Assesseur de la cour de passage, un Secrélaire el quelques autres fonctionnaires y sont adjoints. Les Aldermen conservent leurs fonctions pendant six années; les Conseillers sont nommés pour trois ans seulement; le Maire est élu pour une année. Le con- seil de ville élabore les questions en comité, et comme co-administrateur des doecks, il exerce un droit de velo sur les décisions du comité. Le Secrétaire est le conseiller légal du Maire; il ré- 454 dige les règlements, les minutes, et conclut toutes les affaires relatives aux biens de la corporation. Un rapport publié récemment et présenté au conseil de la ville, donne les chiffres des honoraires touchés par les fonctionnaires de tous grades relevant de la corporation. Îl n'est pas sans intérèt de citer quelques- uns de ces chiffres ; ils donneront une idée de la libé- ralité avec laquelle les administrations anglaises trai- tent leurs agents supérieurs : Secrétaire de la ville...... ARR 62,500f Magistrat payé........... RE 25,000 GTEHIETAS DORE tee en me ei 20,000 ArChiviste ic He LAS eo tt 13,195 Premier commis: 29278. LOUIS A 12,500 Deuxième commis. ....... uni. 10,000 Drésôriensut ts s 4 ibié . Mist. das, 17,500 Agent-voyer......... suimost.-de : … .2629;000 Receveur des droits... ..4. su surs. 15,000 Premier clerc du magistrat......... 17,500 Deuxième clerc du magistrat........ 12,500 Ingénieur dubonre. 4. 8... 25,000 MeTeEin IL CREL Ze sente ceci 18,790 Inpénieur des CAUX.-... Fesses 15,000 Chef des Constables.......1. 0... 13,125 Presque tous les salaires sont dans cette même propor- tion. Une rémunération aussi large des services, non- seulement fait honneur à un pays, mais encore elle est d'une sage politique. L'agent qui, mis ainsi à l'abri de toutes les sollicitations de la gène, ajouterait le prix de la plus petite malversation à la grande part qui lui est acquise, serait plus coupable encore, et la loi devrait 455 se montrer inflexible à son égard; aussi est-elle juste- ment rigoureuse, el le moindre délit de cette nature est-il puni sévèrement par elle. La valeur des propriétés appartenant à la corpora- Lion est considérable. Dans l'année finissant le 31 août 1853, le revenu ordinaire de la corporation s'élevait DÉC oi. cn. va E. 14,179 000 CRISE penses D 2. 20 1 160 0UD Ce qui présente un excédani énorme des recettes sur les dépenses de... F. 3,014,000 * L'administration de la justice se divise en tribunaux supérieurs et inférieurs. Les premiers, sous la juridic- tion des hautes cours de la métropole, sont : La cour d’assises, La cour de chancellerie du duché et comté: Les autres : La cour du bourg ou cour de passage, La cour du comté, Les sessions du tribunal de paix, La cour du coroner, La cour des banqueroutes, Les sessions du comté, Et la cour de police. Durant l’année 1852, le chiffre des individus arrêtés pour crimes et délits de toutes sortes s’éleva à 19,026, 1 The borough fund of the corporation of Liverpool, report by the Treasurer. 30 456 nombre considérable assurément, mais qui s'explique par la nature de la population mouvementée, flottante, d'un port aussi important. Liverpool n'est-il pas comme une grève où viennent s'abaltre les écumes de toutes les extrémités du monde? Voici la répartition de tous les crimes et délits : Attentats contre les personnes............. 1,464 — contre les propriétés avec violence. . 204 — — sans violence... 5,686 Délits divers de simple police... ........... 11,672 OAI. 0 22 19,026 De ce nombre ont été : Renvoyés de la plainte..." 27, me 8,008: Punis sommairement,. .;,. 4... es, 10,296 Envoyés devant les assises................ _ 72 TOTAL ‘égal... 4% 19,026 Sur les 722 individus envoyés aux assises, ont été : Mis hors de cause par le grand jury.......... 13 Acqmithés. ses to MP METTEE, AA 99 Condamnés à ls prisons. #22... 517 Hsanspartés. st. URSS SE 93 Soit dorec toile di stalge 722 ! Le nombre des personnes arrêtées en 1853 atteignit 1 Report on the Police establissement and the state of crime, for 1852, 457 21,753, près de 2,700 de plus que l'année précédente ‘. C'est un progrès extrêmement sensible et qu'aucune cause particulière n'explique. Le nombre total des prisonniers dans le Liverpool borough gaol, durant l'année 1851, à été de 9,554. Voici la proportion et la nature des délits qui ont pro- voqué l'emprisonnement : NO ER Core M te LE 779 Mauvaise:conduite... ......40#%%0n. 0h His 97 Vol supposé et vagabondage............... 3,914 MIOIES A6 Abe à asso vas ds » à PNEUS FUPIU 813 INTOBNETIE: à à à à à ua à na 0 8 à NO LE DD RTE 1,996 Dommages avec intention... ............... 241 Récidive et désértion >: : : ; : « se UD 164 Délits divers? : 0 POSE CRIME 10: 1,954 TOFAD es 2e suc ee ue 9,554 Le chiffre le plus élevé d'individus détenus en même temps fut 1,099; le plus bas 633. Le plus grand nom- bre reçu en un jour ne dépassa pas 30. L'état général des dépenses, pour la même année, a été de 12,766 liv. 16 sch. 5. d. Le travail des prisonniers a donné seulement un bé- néfice de 4,244 liv. 17 sch. 10 d. Cela est fort minime et laisse peser sur la ville une somme de frais assez considérable. Mais les manufac- tures des prisons, en Angleterre, produisent générale- ment de très-petits profits; ce qui s'explique d'abord par la nature commune du travail, et ensuite par le 1 Liverpool described, by David Thompson. 458 changement continuel des individus employés. Le bé- néfice de chaque individu représente une moyenne de 65 à 70 centimes par semaine. Le nombre des punitions infligées pour offenses ou délits commis dans la prison a été, pour la même pé- riode, de 4,886 *. L'on comptait à Liverpool, d’après les documents officiels publiés par la police : 2e Voleurs. de profession... . 2.243,28. : 384 2 — qui travaillent accidentellement... 106 FA Indiviqus suspects 4 san sec sos HBE ( 90 ( Voleurs de DrDIESSION sers asset 20 518 5 — qui travaillent accidentellement... 182 Mi\Individus suspects 2: à: sat 79 Maisons de prostitution {en 1851 ).......... 558 — — (EnAGDO LENS .2ES 574 Filles publiques, (4851 }4%.. 0... 1,703 Filles publiques (1852 )...............,... 1,698 ? Les policemen étaient en 1852 au nombre de... 806 En 1853, ce chiffre a été porté à............ 886 Défalcation faite des hommes malades et de ceux employés à des services spéciaux, tels que celui des prisons, des stations contre l'incendie, la force active de la police pour la garde des rues est évaluée à 473 agents, soit un policemen pour 790 habitants *. 1 Report of the Governor of the Liverpool borough prison (1852). ? Reports on the Police establishment and the state of crimes (1851, 1852 et 1853). 3 Report on the state of the Liverpool Police force. By the head constable (1852 ). 459 Un bataillon d'infanterie et une batterie d'artillerie complètent les forces dont la ville dispose. C’est peu de chose, comme on voit, lorsqu'on considère le chiffre de la population, que je vais exposer. La population de la ville, y compris les faubourgs, au nombre de quatre, présentait au dernier recense- ment un total de 374,401 individus. Mais de ce chiffre, il faut déduire une population flottante composée d'émigrants, ele , etc., qu'on sup- pose d'environ 5,128. Ce qui réduit l'ensemble des habitants réellement domiciliés dans le bourg, à 369,273. La superficie totale du bourg étant de 24,212,100 yards (anglais) carrés, si je prends la population en nombre rond à 370,000 individus, je trouve pour cha- que habitant une surface carrée de 65 yards 438 mil- lièmes ‘. Le nombre des maisons en 1851 était de 59,342 ; on peut hardiment l'évaluer aujourd'hui à plus de 61,000. Je manque de documents officiels pour établir le chiffre exact de la mortalité de la ville et de ses an- nexes { Borough of Liverpool) pendant les dernières années; J'y supplée par ceux de 1848, 1849 et 1850. TER NIES AE 12,384 décès. ROUE RAR de PAR 1LOET > DO EU 10,123 > . ! Report to the health comittee of the borough of Liver- pool, etc. (1851 ). 160 Soit, pour 1850, une moyenne de À individu par 36,28 centièmes. La répartition, pour la même année, a été entre les sexes comme suil : MASCUUNE SEE ne Ces nsse et 5,194 PÉMNIRES housses pee anse 4,929 ToTaL égal... 10,123 La ville qui fait l'objet de cette étude ne compte pas moins de 91 temples et chapelles, qui se répartissent comme suit entre les diverses religions : Protestants anglicans.............. 47 — dense Le .séccte dé a Presbytétiens. et 4e 2102 à. 4 Catholiques romains............... 9 Catholiques et apostoliques......... 1 IndEpenons ee +. 5 BeATANSe ec CET E--e- EE- il BALISE ee ce stemee eee 6 MÉTROMISTES ET cs Tom een anueerese 9 Quakers PAR TORNMNERN? il Uitairièns ES IORAMEORE ER 3 À L 114 CARE UE LEUR 7e ERA SOUS RATE OS CURE UNS 2 TOTALE" 90 L'appellation de méthodistes comprend diverses nuances de cette communion. Du reste, toutes les sec- tes dissidentes n’ont point, que je sache, de temples { Report on the health of the town, etc., by W.-H. Duncan, Medical Officer of health for the borough ( 1851 ). 461 spéciaux. Il existe à Liverpool 24 sortes de religions dont beaucoup ne diffèrent entre elles que par de très- légères variations dans les rites. Je crois, sans pou- voir l’aflirmer, que certaines chapelles appartenant à des communions peu nombreuses et par conséquent peu riches, servent alternativement aux pratiques des exercices de ces mêmes religions, qu'une nuance seule sépare. On connait à Liverpool, soit établissements publics ou particuliers : 78 écoles fréquentées par 22,568 enfants ; 4 stations de chemin de fer; 7 cimetières, en y comprenant ceux des annexes de la ville, mais aussi sans compter les terrains attenant aux églises ; 5 marchés principaux ; 4 musées d’antiquités ou d’objets d'arts ; 1 observatoire ; 1 chambre de commerce; 8 banques publiques ; 4 banques particulières ; Plusieurs lignes télégraphiques ; Diverses compagnies d'assurance ; 6 1 maison de travail et de refuge /‘work house ), qui donne asile, par année, à près de 14,000 indivi- dus des deux sexes ; 25 hôpitaux et maisons de charité, de refuge, de péni- tence, etc., etc. ; 2 grands établissements de bains appartenant à la cor- poration ; 12 journaux politiques et commerciaux ; 5 théâtres; 6 salles de concerts ; 1 jardin zoologique ; { jardin botanique; des parcs, des squares, etc., etc.; puis enfin une foule de sociétés littéraires, historiques, scientifi- ques, artistiques, philosophiques, etc., etc. Ceci m'offre une occasion toute naturelle d'émettre la remarque suivante : Liverpool est une ville ennemie du plaisir et exclusivement adonnée aux affaires; Li- verpool, quelque prétention qu'elle ait de cultiver les sciences, les arts, les travaux de lesprit, manque ab- solument de sens artistique. Ses académies sont des objets de mode, d'imitation, rien de plus. C'est une ville uniquement marchande; autant elle possède à un degré élevé l'instinct des grandes combinaisons com- merciales, autant elle a le génie des spéculations au- dacieuses, autant, par contre, elle est déshéritée en ce qui touche aux choses de l'esprit et du gout proprement dits. Prise à ce point de vue, c'est la ville la plus terre à terre qu'il soit possible d'imaginer. Cela s'explique : les facultés de chacun sont tendues d'un autre côté. Comme il arrive toujours en pareille occasion, les prétentions au savoir et au bon goùt y abondent néanmoins. Il y a peu de personnes d'une certaine importance dans la sphère marchande qui n'aient une idée très-haute de leurs connaissances et de leur jugement en matière de philosophie, d'art ou de littérature. On entretient à grands frais des salles de concerts où l’on se rend par 463 ton, où l’on s'ennuie par habitude. Les théâtres sont peu suivis, si ce n’est par le bas peuple, qui a le goût de ce divertissement. Les meilleures pièces, la plus belle musique, sont rarement les mieux appréciées. Quant aux sociétés savantes, elles sont nombreuses, comme je l'ai dit, et revêtent les plus ambitieuses dé- nominations; mais on sent que le souffle vital leur manque. Chacun peut en être reçu membre moyen- nant une cotisation assez ronde; le mérite n'y fait rien. Du reste, il est difficile, au milieu des préoceu- pations d'intérêts si vastes, de laisser une part quel- conque aux études profondes de l'intelligence. Consta- tons d'ailleurs que c’est une chose rare que les connais- sances se rencontrent chez les peuples aussi actifs et aussi affairés, de même que le développement du goût délicat, qui n’est qu'un raffinement dans la subtilité des sens; elles sont plus spécialement l'apanage des sociétés oisives. Une des plaies vives qui concourent beaucoup à l'ac- croissement de la misère des basses classes, ce sont les maisons de prêts sur gages. Ce qui, chez nous, repré- sente une institution charitable, n’est ici qu'une déplo- rable exploitation du besoin et du vice. Ces établisse- ments sont, presque sans exception, dans une voie prospère; on n'en compte pas moins de 120 à Liver- pool, la plupart tenus par des juifs. C'est dans ces repaires, que l'ouvrier, l'émigrant, le matelot, viennent livrer leurs hardes, leurs effets de tous genres aux griffes de l'usure. Dans ce cas, comme dans beaucoup d'autres, la loi anglaise, si protectrice de sa nature, laisse trop faire; elle assiste au mal et 464 ne s'en émeut point. À défaut de lois, la police devrait au moins, avec l'appui de la corporation, établir des règlements locaux, en vertu desquels une surveillance serait exercée au profit de la morale et de la justice. Les privilèges dont jouissent les municipalités, en ce qui touche aux choses administratives, sont tellement larges en Angleterre, que rien ne s'oppose à ce qu'une répression soit exercée en dehors de l'action de la loi. Qui oserait se plaindre d'une telle initiative, sinon ceux qui ont intérêt à poursuivre un honteux com- merce? Mais laisser de malheureuses familles en proie à la fraude, à l'usure, et victimes de tromperies de tou- tes sortes, ce n'est plus, à mon sens, respecter la li- berté : c’est faire le champ libre à la licence, c'est en- courager le mal; car il n’y a de vraie liberté que celle d'accomplir le bien, que celle qui, profitant à la géné- ralité des citoyens, à pour objet d'améliorer les condi- lions physiques et morales des masses. Voici maintenant quelques détails statistiques qui me semblent trouver ici parfaitement leur place. On comptait à Liverpool, en 4850 : Maisons meublées particulières / lodgings ). 659 Maisons publiques, hôtels garnis.......... 1,406 Tayernes... ... Ar As Mess fe NE 918 Ce nombre s'est beaucoup accru depuis, malgré les difficultés que la corporation oppose à la délivrance des licences. 1 Head-Constable’s report (1851 ). 465 En 1850, il a été tué pour la consommation de la ville, tant dans les abattoirs publics que dans les abat- toirs particuliers, 248,963 animaux, ainsi répartis : ASTON ADEME ER RAM RE RUE, NPA A ee a mele dense s- 00 V1 OU Moutons et agneaux.......,....... ete LRU AO nee de ae cr AE pd Sal À Tome... 248068 L'année précédente, le total n'avait été que de 233,658 bestiaux !. Puisque j'ai parlé précédemment des maisons de prêt sur gages, je pourrais meltre également en relief une autre spéculation qui se fait au préjudice de la classe des gens de mer : c’est l'industrie exercée par les au- bergistes. Il est impossible d'imaginer à quel point on abuse de la simplicité ou de la détresse des matelots, que l’on va débaucher jusque sur leurs navires, que l'on séduit par de fausses promesses, et que l'on chasse après leur avoir pris leur faible pécule et tout ce qu'ils possèdent. Chaque jour, j'ai à intervenir dans des con- testations de cette espèce; il m'est donc aisé de cons- later toute la profondeur du mal et l'inefficacité des remèdes que la loi y oppose. C'est en vue d’obvier à ces inconvénients qu'une maison spéciale pour les matelots { Sailor's Home) à été instituée à Liverpool. Les familles riches, influen- tes, ont compris la nécessité de venir au secours de ‘ Report to the health committee of the town council, by Th, Fresh-Inspector of Nuisances. 466 ces hommes qui affrontent tous les périls de la mer et usent leur vie à édifier de colossales fortunes dont ils ne recueillent pas la moindre part. Élevé en 1846 avec le produit de souscriptions loca- les, le Sailor's Home est non-seulement un remarqua- ble édifice, mais aussi une des institutions dont Liver- pool puisse à juste titre s'enorgueillir. Voici, sur son organisation el ses résullats, des renseignements qui m'ont été fournis par l'administration elle-même : L'objet immédiat de l'institution est de procurer, aux marins fréquentant le port de Liverpool, la nourriture, le logement et les soins d'un médecin, à des prix mo- dérés; de les protéger contre toute tromperie et extor- sion; de les encourager à économiser le produit de leurs rudes labeurs, de développer leurs connaissances morales, intelligentes et professionnelles, et de les dis- poser à recevoir une instruction religieuse. Une salle de lecture, une caisse d'épargne, sont attachées à l'établissement, ainsi que des bureaux d'exa- men pour les capitaines. En vue de faire obtenir aux hommes de bonne conduite des gages proportionnés à leurs capacités, un registre est ouvert où chacun vient s'inscrire. Parmi les projets que l'institution se propose de réaliser, sont, en premier, des écoles pour les mousses, novices, etc. {sea apprentices), et les fils de matelots, plus particulièrement ceux qui ont perdu un ou deux de leurs parents *. Placé sous le patronage de la Reine, l'établissement est administré par un comité de 30 membres nom- * Object and laws of the Institution, 467 més parmi les donateurs. Indépendamment de ces 30 membres, il y a les gouverneurs à vie. Ce titre appar- tient de droit à toute personne qui verse, à titre d'of- frande, une somme d'au moins 2,500 fr. Un chapelain, des médecins, un surintendant, di- vers commis et domestiques, sont attachés au Sailor's Home. Le nombre des lits est de................... 340 Celui des hamacs de....... BRL 29h: caMau 60 ce qui permet de loger en même temps 400 pension- naires. Le prix de la pension, par semaine, est de 45 fr. pour les marins, et de 12 fr. 50 c. pour les mousses, novices el pilotins. Ces prix se fractionnent par jour- née quand:il est nécessaire. Le Sailor’'s Home, ouvert en décembre 1852, a reçu dans le cours de l'année 1853 : RFA ne mL ant NL D M OU 1,922 Noyices, mousses. etc... 22... 4... LÉ 410 Soit un total de pensionnaires de...... 2,332 qui ont versé à l'établissement une somme de....... RTE LE. 2,941. LE 7d Pendant la même période, le montant des souscriptions ayant été de.......... 002 9° 6 l'ensemble des recettes représente un ———— total des." EL Par LAN à LE £. 3,513 10% 14 Les dépenses de la même année ayant été Ru. eee: £. 3,138 5 4 il restait au profit de l'Œuvre une somme nette de........ et L. Jo 400 Le registre ouvert pour l'inscription des marins con- 468 tenait à la fin de 4851 : 16,254 noms; à la fin de 4853, ce nombre s'était élevé à : 17,437. Les dépôts à la caisse d'épargne / saving's bank) sont nombreux, et l'ensemble des résultats de l’entre- prise est en voie de grande prospérité. J'ai cru devoir m'étendre assez longuement sur le Sailor's Home, parce qu'il ne me paraît pas impossi- ble qu'on ait l'idée de créer en France, dans nos prin- cipaux ports, des institutions de cette nature. Dans cette supposition, il m'a semblé utile de faire juger par des chiffres quelles seraient les chances de réus- site qu'on en pourrait attendre. Je terminerai cette seconde partie de mon travail par une statistique de l'émigration. Durant l'année 1853, l'émigration totale par le port de Liverpool a été de 219,472 individus; leur embar- quement eut lieu sur 947 navires de grande dimension, montés par 32,045 matelots, et représentant une jauge de 844,058 tonneaux. La nationalité de ces émigrants était comme suit : ITIANRS 2. PUR dames one eee De 80 . 144,110 ANGLAIS PAS: NM rer ne à 28,939 Écossaiss eur ana ae 1e 7,415 Étrangens rites . PEU MN ER 20,337 De pays non constatés, et embarqués sur d’autres navires que ceux spécialement ar- més pour l’émigration................. 18,671 TOTALE 5 «Me de 2e 219,472 Le tableau ci-après indique les contrées vers les- quelles se dirigeaient ces émigrants, ainsi que la ré- partition du nombre pour chacune d'elles : 469 LIEUX DE DESTINATION. A7 CLASSE. 2 CLASSE. 177,820 2 6,813 1,663 102 Prince-Edward’s.:..1......,......... EU Indes occidentales POTÉIPRLIDDE ne ee eee sata ne mon dhotobe Terre de Van Diemen Australie méridionale Australie occidentale 320 207,439 12,013 TOTAL GÉNÉRAL DES ÉMIGRANTS 219,472 Pendant les six premiers mois de 1854, les navires quittant Liverpool chargés d’'émigrants, atteignirent le chiffre de 516, avec un total de 18,276 hommes d'é- quipage ; ils jaugeaient 473,672 tonneaux. Le nombre de leurs passagers a été réparti de la manière suivante entre les diverses nationalités : Irlandais... ... CCE 0 CLR sbrtetel 379,490 ABRIS 5. A AN UE - ssh, 20 SOÛ) Bcossais serre scie .. 8,083 CR TON ler Eden A URRS E ES 22,220 Divers, partis sur navires autres que ceux Spé- cialement appropriés pour les émigrants... 13,156 EOrTAST EUR 07 142,339 470 Comme on vient de le voir, lémigration pour l'Aus- tralie est assez considérable. Seulement, cette émigra- tion diffère de beaucoup de celle qui a lieu pour les États-Unis et les colonies anglaises du nord de l'Amé- rique; elle représente une classe distinete d'individus, plus particuliècement anglais qu'Irlandais, plutôt aisés que pauvres. C'est moins la misère qui les chasse, que l'appat d'une fortune rapide qui les attire. L'émigrant irlandais, simple laboureur sans ressources, lorsqu'il part pour l'Amérique, n'a qu'une pensée : vivre. L'é- wigrant anglais, qui comprend de préférence des com- merçants, des commis, des artisans aisés, ne songe, en se dirigeant vers la terre dorée de l'Australie, qu'à s'enrichir; aussi, l'émigration australienne se fait-elle au moyen de navires très-beaux, très-légers el équipés avec un soin extrême. Durant les mois de juillet et d'août 1854, 38 bàatiments en destination pour les dif- férents ports de l'Australie, ont quitté la Mersey ayant à bord un total de 8,911 passagers; leur jauge n'était pas moindre de 35,736 tonneaux. Si ces émigrations trahissent de la part de l'Anglais cel esprit aventureux qui lui est propre, elles accu- sent, en ce qui a rapport aux fils de l'Irlande, un vé- ritable malaise social. Un pays dont les enfants dé- sertent le sol, a des plaies saignantes, incurables peut- être, par lesquelles sa force s'écoule. Un peuple n'ac- cepte la dure extrémité de renouveler aussi profondé- ment les conditions de son existence, qu'autant qu'il y est obligé par des causes graves; car il est démontré par l'évidence que, de tous les attachements, celui que l'individu voue aux lieux où il est né est en général le TA plus fort. Nous observons done que c’est dans les pays profondément misérables, et parmi les classes les plus déshéritées de bien-être, que l'émigration progresse; c’est à raison de cette règle que l'Irlande et l'Allema- gne du Nord fournissent le plus grand contingent à celte nouvelle branche d'exploitation. Des gouvernements sagement inspirés se sont préoc- cupés de rechercher le remède qu'il convient d'opposer à un état de choses déplorable au point de vue de l'humanité et contraire à leur intérêt même; j'ignore ce qui à été proposé. Pour mon compte, je n'hésite pas à croire que ce remède ne consisterait point à inter- dire aux individus la liberté d'émigrer, mais plutôt à les rattacher au sol par des lois protectrices qui ren- draient leur position supportable, Dans la majorité des cas, l'amour de la patrie ferait le reste. CHAPITRE II. Docks. — Navigation. — Droits. [m'a paru convenable de donner à la question des docks, qui intéresse si directement la ville de Bor- deaux, un développement tout spécial. Conformément à son désir, je vais essayer, tant par des considérations que par des chiffres, de faire comprendre ce qu'a d'im- mense dans ses résultats une administration dont notre gouvernement à fait maintes fois étudier les diverses parties. 31 472 Le Comité des Docks est composé de vingt-quatre membres, y compris le président et le vice-président. Onze de ces membres sont choisis par les propriétaires d'actions de la Compagnie, et les autres par les admi- nistrateurs. Ce choix se fait parmi les conseillers de la corporation, comme je l'ai spécifié précédemment. Le Comité se réunit chaque semaine. La superficie totale des docks et bassins est de 177 acres. Une proposi- tion toute récente, émanant d'un sous-Comité spécia- lement institué pour l'extension et l'amélioration des docks, voudrait qu'on l’augmentät de 140, ce qui la porterait à 317 acres. Leur étendue en longueur est de 5,020 yards. L'espace total des quais de chargement autour des bassins n’est pas au-dessous de 14 milles. La même proposition d'extension le porterait à 21 milles. La superficie des magasins et entrepôts, qui s'étendent sur une ligne parallèle à celle des docks, est de 40,323 yards carrés. Leur augmentation, en verlu du nou- veau projet, serait de 76,230 yards; ce qui leur don- nerait une surface totale de 416,553 yards carrés. Je dois dire que ce projet de développement des docks, auquel se rattachent d'ailleurs de nombreuses amélio- rations de toute la ligne des quais, est sympathique- ment accueilli par le public. Il est donc permis de sup- poser qu'après les études indispensables, il sera adopté et promplement mis à exécution. Le tableau ci-après donne, sur la construction et l'étendue des docks ac- tueis , des détails curieux à étudier dans un pays où l'on s'occupe sérieusement d'en établir : NOMS DES DOCKS. | me meme me 2| Huskisson....,......, | Entrées Est et Ouest... MONS are bpu ee Wellington........... à demi-marée..... IS| Bramley-Moore........ NES RE ace SAREDUE VS Eee ie oise; cro Collingwood.......... SIANIEV RER ttes ee Bassin de réparations de Clarence-Dock.... 0] Clarence. .........,.. — à demi-marée ,.... BIRTrafalsar Lu. 0. — Entrée.......... NCA SO ME EEPEl LATE — Entrée......,... DIBPENCE A2 PA + if DÉACOMNEE es cases ex 4 GÉDNPES Re mucntoe He Jetée.:.......... Manchester. .......... 25| South-Ferry…........ CNP. 2... 5! — à demi-marée.. à HEC 3) Salthouse............. | nus LÉcbanaatt ant RS e ma core s g' DRENIRE ee ee 10 sveto' 0 [6 Q Dock pour les nouveaux navires de la rivière. HIRUMODeSS CET MRC, M... 52| Brunswick — à demi-marée 15! Harrington HIT RARES 473 RUE É | EAU AU-DESSUS DESSEUILS! SUPERFICIE IE Æ, => A MARÉE HAUTE, DE L'EAU SELS 8 Z|. Ordinairement leshau- 2 5|_ 2 7 à |tes marées montent à 30 en acres et yards [B#=|SE & 2|pieds; les marées d'é- carrés. S£E|8 58/23 7 |quinoxe à 33; les basses 42212212 2|marées d'équinoxe à 30; nm [ESS |<+ | 2 <|demi-marée moyenne, | FnE = 2 22 |16 pieds 6 p. DOCK |BASSIN| 2*| £ 22 ll n'S & ZE Hautes Marées mouillé. | sec. FES MS Z| marées HS 2% ordinaires.| basses. Acres-Yards |Acres-Vards | Yards É carrés ) \earrés) | delongr| Pieds, p.|Pieds, p | Pieds, pouces. | Pieds, pouces 10 -0951M-...1e APN. ee lee season. locrebesee. 115402 Ferre 672 | 800 | 6 6 24 9 {7 9 0 100! 6 904! 1587 | 700 | 6 6 24 9 17 9 RAMI0 ES. 820 | 7006 0 24 3 AE 5 HOT ENTER ADN TOION GR ON encens e-ceer. CE JFH106 Mure 955 | 6060 | 6 0 24 3 Gr) FAITS. 803 | 600 | 6 6 2% 9 1709 SIALAG Mere. 406 | 60 0 | 6 11 2h19 18 2 DDAF ee 553 | 600 | 6 9 25:10 18 0 HA00 ER RTE 153451 ONÉ5 ES 23-11 46% 41 110561 SEE DORA ON AMOR Een lecececce.. 6 975 + Dre à 914 "470. 302 2145 14 5 SAIT... 555 | 500 | 5 6 23,9 169 DAS er 727 | 450 | 411 23. 2 462 2 (LEA ET PARENT LOI IEAD TION IRON IGN IE Rene le mmscesce GUUO)| MAEE 755 | 400 | 411 22 46, 2 DEZHOU! Pr CRE 700 | 400 | 411 23209 16 2 O0 ee sn EU) EN case oonec todo 11 3889| 4 1549| 2122 | 45 0 | 5 11 24 2 : FL SLDc00 TN MN EEE bec loco coulbacadt tte 5 2595| 35 1852| 1616 | 42 0 | 4 6 22219 IE) ÉVETE El ED lsbelloacatallosodovasvtallocec 06600 POS nn atlas el. ce. He Pooonace 585 | 45 0 | 6 3 24 6 {76 22688 | ee ADONIDAS TONI GAME ET ER E R sas TUO5A2 | 2e 885 | 4550 16 0 24 3 AA 3 4 3495 |... 730 [45016 0| 2 3 | 17 3 ‘13896 | | "818 | 420 | 5 0 | 93 3 | 46 3 Ds 491 NES. 4955 | 420 | 1 9 23 16 M Pr RE REP 46 5 | 93308 42011 46 3 2 3505 à : 4 9 6 5 474 Le revenu des doks de Liverpool est considérable, et comme propriété, quoique grevés, leur valeur est im- mense. Voici, d'après les documents de l'administration, l’état financier de 1853 : 1853. DÉBIT. £. s.d.| CRÉDIT. 2. eu Pour droits de tonnage... 140,619 19 1| Pour intérêts... ....... 214,919 3 » Pour droits sur les mar- Salaires et gages......, 60,501 » 2! | chandises ...... 116,082 6 6]! Réparations ........... 31,028 4 2: — phares te... 0. 11,461 5 7} Déboursés et divers... 16,805 16 7 — DUT DEcE FES 17,000 » « oanee en faveur 25 8,563 26 — Dock de réparations, » 5 7 LÉSOTIET EE nee ? | et divers........ | 222647 85 5 2. 351,811 6 5 L'excédant des recettes sur les dépenses pour l'an- née 1854, commencée le 24 juin 1853 et close le 24 juin dernier, dépasse 69,000 liv. sterl. (1,725,000 fr), ce qui indique une prospérité des plus marquées. Je ais, au surplus, par le tableau qui suit, donner le relevé de cette présente année : 2000 1854. DÉBIT. £ s.d.| CRÉDIT. . £. s. d. Pour droits de tonnage... 461,441 » »|Par intérêt et annuités. 213,015 13 — droits sur marchan- Salaires ; savoir : dises 136,637 8 8|Surveillant de la marine. 600 » — pharesetdivers... 74,478 13 8 3,500 » — Albert-Dock 20,500 » » 1% et 2° Maîtres de port. Trésorier, Secrétaire et Auditeurs Salaires et gages Réparations des docks.. Déboursés divers SUTDIUS CEE. --+--r £ 393,057 2 4 £. 595,057 2 Les droits pereus par l'administration ont été dans la 475 proportion suivante pendant les cinq dernières années : Re SOS 22 £. 249,989 AE RE dpi: Pa ia dei MER 269,020 Poe DATA due SUOT A SMNAT 282,919 LE RL A NEIL SRE AN 296,081 dB ae ne CAMES 1 SAT TL OD6 Le tableau ci-après donne le détail de ces droits pour les deux années 1853 et 1854 : DROITS PERÇUS. 1853. 1854. Différence. MONA ER Rec eretee £.140,619 19 1/£.161,441 » »|£. 20,81 » 11 Marchandises ......... 116,082 6 6! 136,637 8 » 20/5552 12 PITARÉ Eee e ce cle de 1174615107 12,937 7 6 1,416 1 11 | Feu flottant........... DAS SE CAC 6 124 9 2 Dock pour les répara- 19,170 S « 24,223 15 » 5,393 71 » MONS seen nee 2,2984074 6 2,247 17 » 145 10 6 Revenus extrà........ 1,335 9) 7 674 6 1 339 3 6 TOTAUX...|£.296,081 19 4,£.544,006 18 10/£. 47,925 » 2 l Dans le cours de 1836, une réduction de 38 /, p. 100 fut opérée sur les droits de docks. Une période de dix années suffit à rétablir la différence. En 1848, une nouvelle réduction eut lieu, qui abaissa d’un seul coup l'ensemble des recettes d'un ‘million de francs. Néan- moins, telle est la tendance ascendante de cette entre- prise, telle est sa vitalité, qu'en 1852 non-seulement le niveau de la source réduite était rétabli, mais encore les revenus généraux atteignaient un chiffre inconnu dans le passé. Les détails de ce revenu sont curieux à rapporter; je les donne dans le tableau suivant, d’après des docu- ments officiels : ÉTRANGER. I — — Année finissant NAVIRES A VOILES. NAVIRES A VAPEUR. le 24 juin. Tonneaux. £. s. d.]|! Tonneaux. 1851 1,642,636 108,147 7 7 121,162 1852 1 7728 100 114,257 10 8 188,715 1853 1 1763, 541 117,149 4 2 189,404 1854 2, 044 3491 136,474 10 6 237,519 CABOTAGE DES COTES. Ra nniseant NAVIRES A VOILES. NAVIRES A VAPEUR. | le 24 juin. Tonneaux. Tonneaux. s. d 1851 656,856 4 9 1,138 ,836 1852 648,675 95 1,126,275 1853 647,227 1145 1,100 ,054 1854 647,268 1 10 1,184,051 Le relevé ci-après donne le chiffre du revenu pro- duit par chacun des docks en 1854 : DROIT DROIT Tonnage. sur sur REVENU le tonnage. [la marchandise| du dock. £. s. d.| .£. s. d. Nouveaux docks du Nu 1 Dr 018| 66,052 1 10| 49,928 18 2 Clarence et ns 678 2245 1126915271 5 8 Victoria et Waterloo. 18,067 11 9! ! 63 3 Prince's 1 10,825 13 2| 13,46 5 George’s 4,565 9 10 10 Canning i 2 2212 14 » ) it Albert i 13 17,517 : 10 Salthouse ji 509 King's id Ë 4,834 Fr: Queen's ji 7,905 » Coburg -i 5,210 19 Union i ; 1 2025 4 Brunswick id 24 171 16 Toxteth i 927 16 Harrington id 93, 195 620 5 3,761,8561176,206 6 21136,614 G 9)312,820 12 11 7| 355,215 13 71, 3,470 17 11, 8,649 5 7, 17,105 1 2] 8,393 16 » 11 9 2 1,589 19 37,740 18 1,358 18 887 » DE mel DOUTE DE HO O1 19 > QE O CO Vapeurs n'entrant pas dans les docks 295 901| 3,116 12 2511 Runcorn 205,194 900 14 » Total général. ...|4,190,2511180,223 12 9/136,657 8 8 312,820 12 11 k77 NAVIGATION. En raison des progrès incessants de sa navigation, Liverpool peut être considéré aujourd'hui comme le premier port du monde. Il y à peu d'années encore, Londres tenait cette place d'honneur : sans avoir dé- chu, la métropole s'est vue dépassée par sa rivale. Cette marche irrésistible dans les voies de la prospérité se manifeste ainsi d'une année à l'autre d'une manière plus sensible : on ne sait où s'arrêtera un tel mouve- ment. C'est qu'aussi à cause de sa position topographi- que, de la sûreté de son port, Liverpool est devenu le point de départ des grandes lignes qui rayonnent vers les Amériques et les diverses parties du continent eu- ropéen. Le tableau suivant donne le nombre des différentes sortes de navigations qui ont composé le mouvement de ce grand port durant les dix dernières années : Navires Année Commerce | Navires | Navires pour TOTAUX. finissant à étranger. | à vapeur. | côtiers. | Runcorn. Navire le ne Ale ER ne ram 24 juin. Tonneaux.| Tonneaux.| Tonneaux| Tonneaux.| Tonneaux. 1844 1,075,948 | 862,715 191 ,460 1843 521 |1,326,337 | 940,772 137,277 1846 1,5022845 | 1,054,756 à 195 490 4847 |: 12463 ,031 | 1,118,480 132,089 1848 311 | 12592198 | 1,139,066 50 | 163,049 1849 33 |1,581,944 | 1,255,625 155,333 1830 1,489 891 | 1,249,411 153,214 1851 É 1,642,636 | 1,260 ,003 178,169 1832 12798 :100 | 1,313,988 991,734 1853 1,770,210 | 1,282,769 189,773 1854 2 044,491 | 1,421 ,680 | 647,268 » rt Où RO O1 [er] RERERS = OT O1 O1 O1 QI OI OI QI OI RO ss +» = = »_s_ vw Maintenant, voici le relevé des grandes lignes à va- 478 peur : Liverpool en compte 23, dont 22 en activité et une à l’état de projet et devant recevoir une réalisation prochaine. NOMBRE PORTS NOMBRE des navires, tant en de destination ou de relâche. des lignes. activité qu'en construction. Malle anglaise. Malle américaine. New-York. Chagres Jamaïque ................ FDodrr Philadelphie Québec Montréal Lisbonne Fernambouc Bahia Montevideo Rio-de-Janeiro Côte occidentale d'Afrique... Australie ( irrégulière }) Cap de Bonne-Espérance. {projetée } DSIDVDNP esse en ieteleemislelelen cie etes Constantinople (avec relâche à Gibraltar). Palerme Alexandrie Messine En outre des grandes lignes, Liverpool possède un 479 grand nombre de lignes à vapeur faisant le service des côtes du Royaume-Uni. Voici les principaux ports, soit de destination, soit d'escale, desservis par ces lignes : Londres. Dundalk, Bristol. Wexford. Rhyll. Preston. Glascow (2 lignes ). Lancastre. Dublin (OT Runcorn. Cork. Ile de Man. Bangor. Sligo. Mary-Port. Drogheda. Mostyn. Newry. Holyhead. Carnavon. Jersey. Plymouth. Guernesey. Penzance. Carlisle. Southampton. Belfast (2 lignes ). Rhyel. Londonderry. Beaumaris. Swansea. | Whiteheaven. Lymerick, Hayle. Etc. Waterford (2 lignes ). Ces différentes lignes représentent un total de 80 navires à vapeur. Indépendamment de cette navigation à vapeur, on compile encore une cinquantaine de steamboats em- ployés au service incessant de la rive gauche de la Mersey et au remorquage des batiments, ce qui porte l'ensemble des navires à vapeur de toute dimension attachés au port de Liverpool à plus de 250. Somme toute, il résulte de relevés publiés récem- ment, que les négociants et armateurs de Liverpool } 180 possèdent, en navires de toutes sortes, une valeur qui dépasse 250,000,000 de fr. Ces bàtiments, dont le nom- bre s’accroit. tous les jours , sont employés, concurrem- ment avec ceux des autres ports du Royaume-Uni et de l'étranger, à transporter dans toutes les parties du monde connu les énormes quantités de produits dont l'accumulation et l'écoulement incessants représentent les sources vives de la fortune publique. Droits à acquitter par les navires étrangers. DROITS DE PILOTAGE. À l’Entrée. Du côté ouest de Great-Ormshead portant sud par ‘0 ouest, ou de Penman-Bachan étant en ligne avec Great OTHERS. CRE ec orcecRes cree 12,20 De l’est de Great- Ormshead comme dessus....... 11 0 De la seule maison maintenant sur Great-Hilbu-Is- land, portant S.-S.-0. par compas, ou sera piloté de la rade de Hoyloke seulement, ou de la bouée de Fairway dans le canal de Fornby........... 4:40 À la Sortie. Passant par le canal du Rock ou le canal de Fornby. 7 0 Aucun navire étranger faisant voyage à l'étranger ne peut, ni à la sortie ni à l'entrée, refuser un pilote; mais si un navire à passé la bouée de Brésil dans le canal du Rock, ou la bouée de Middle-Patch dans le canal de Fornby, ou si un bateau-pilote rencontre un navire dans les canaux pendant les temps orageux sans pouvoir l'aborder sans danger imminent, alors le 481 pilote en signalera le passage en allant en avant ,eten tout cas aura droit à tel droit de pilotage qui sera ad- jugé par le Comité à l'assemblée suivante. Droits de Mouillage. Par-chaque HAVITEL en nes 0 nil ee dons Les navires en relâche forcée ne paient pas les droits de port. Droits de Phares. Pour tout navire faisant les voyages entre Liverpool, Saint-David-Head ou Carlisle, ou toute autre place intermédiaité. ls 70 AE: { par tonneau ) Pour tout navire faisant voyage entre Liverpool et tout autre port dans la Grande-Bretagne ou l’Ir- lande, ou les iles adjacentes qui ne sont pas sus- ROMIMÉES AE PE Ne SR INSEE ETS Pour tout navire faisant voyage entre Liverpool et tout autre port hors du Royaume-Uni de la Grande- Bretagne, Irlande et les iles adjacentes. ........ Droits de Phares flottants. Tout navire faisant voyage entre Liverpool et les ports entre Duncansbay-Head et le Lands-End sur la côte ouest de la Grande-Bretagne, et entre Malling-Head et le cap Clear sur la côte est de l'Irlande... Tout navire faisant voyage entre Liverpool et les ports entre Duncansbay-Head et le Lands-End du côté sud-est de la Grande-Bretagne, et entre Mal- lng-Head et le cap Clear sur la côte ouest de l'Ir- Tout navire voyageant entre Liverpool et les ports 482 étrangers au nord du cap de Bonne-Espérance et auymord du cap HG Pere ENCRES » 1/2 Tout navire entre Liverpool et les ports à l’ouest du cap Horn et à l’est du cap de Bonne-Espérance... » 1/2 Droits de Docks. Pour navire venant de tous les ports d'Europe au nord du cap Finistère, à l'Ouest de North-Cap, en de- hors du Cattegat et de la Baltique, y compris les iles Guernesey, Jersey, Alderney, Sark, les iles Faro et ISRnde een ere { par tonneau ) Pour tous ceux venant de tous les ports en dedans du Cattegat et de la Baltique, y compris la Suede et la mer Blanche, ceux à l'Est du North-Cap, et tous ceux de l’Europe au Sud du cap Finistère, en dehors de la Méditerranée, Terre-Neuve, Groen- land, Davids-Straits, Canaries, îles de l'Ouest, Madere et ACOrES Ses n Let LAS Ga Poe ARTE 10 Pour ceux venant de tous les ports de la côte Est de l'Amérique du Nord, les Indes-Occidentales, la côte Est de l'Amérique du Sud; au nord du Rio de la Plata inclusivement; de tous ceux de la côte Ouest d’Afrique et des îles au Nord du cap de Bonne- Espérance, et de tous les ports de la Méditerranée, > de) y compris l’Adriatique, la mer Noire et l’Archipel, les îles de Sainte-Hélène, de l’Ascension et du cap Pour les navires arrivant de tous les ports d’Améri- que au sud du Rio de la Plata dans l'océan Paci- fique, en Afrique et en Asie à l'Est du cap de Bonne- ÉSDÉCANCE EEE ee cc Ace etui caf to eee 2,0 183 CHAPITRE IV. Commerce. La quatrième partie de cette étude est exclusivement consacrée à la statistique du commerce de Liverpool. Le mouvement des principaux articles ou produits s'y trouve exposé aussi clairement que possible, mais ne donne qu'une faible idée de l'immense développement acquis par ce grand centre d'opérations depuis le com- mencement du siècle. Bien qu'il ne tienne ici qu'une place secondaire, je fais figurer en première ligne le commerce des vins et des esprits comme étant celui qui a le plus d'impor- tance relativement à notre pays, et qui intéresse plus particulièrement la ville de Bordeaux. Pour les au- tres produits, j'ai suivi la marche adoptée en pareil cas, qui consiste à les classer d'après l'étendue des transactions auxquelles ils donnent lieu. Pour l'intelligence de ce qui suit, je crois utile de faire figurer ici un tableau du rapport des poids et me- sures anglais avec ceux de notre pays. Il est bien en- tendu que ce tableau, susceptible d’ailleurs d'un plus grand développement, ne comprend que les poids et mesures dont il est question dans le cours du travail : Poids. Tonneau..... 3, 90 quintaux....... 1,015 kil. 940 gram. RCA CRE TS re nef de DD" 2 2er Otuintals. 7." MOILNTES RP ER SOMME MANTE Lee 1G Once RE EMI AIT 450 » Ontcersi tuer lé dramaRe rt. Manet Te CE 0928 » 48% MESURES DE CAPACITÉ. Liquides. Tone te. T'ON nee 1,14£ it. » 1 RE à hogsheads....... 572 » » Puncheon..... 84 gallons......... 381 » 36 Hogshead. . ... CENT ASE 286 » 56 BANISS Herr D. Her Mr sk Ur 145 55,12 Gallon impérial. 4 quarts.......... 4 » 54 Quart: .2e. 2 pintes: fat. 12, cf Fine. chere OS 25 osent » » 56 Gihrauss CR RE » » 14 Matières sèches. Quarter." 7" 8 boisseaux... .... 290 kil. 75 gram. Boisseau. ..... D 'RAalOns. ee en 36 » 34 » Galonss 3er PRE DES CRETE CR Il y à de plus, pour le grain et la farine : SAC UE DRE TT SARL ARE 127 kil. 400 gram. Baril rare a ceci Pet 89 » 180 » VINS ET ESPRITS. Vins. — Les vins reçus en pièces sont le Porto, le Sherry, le Madère, le Malaga, le Marsala , le Ténérifre ; ceux importés en caisse sont le Champagne, le Bor- deaux, le Bourgogne, et ceux du Rhin, de 14 Moselle et de l'Ermitage. Londres et Liverpool sont les deux principaux ports d'importation. L'importation en Angleterre de toutes les espèces réunies des vins désignés ci-dessus, s'est élevée, du 5 janvier 1852 au 5 janvier 1853, à 6,793,304 gallons. GEL ANA 26: ... 6,793,304 gallons. Les droits ont été acquittés sur... 6,614,679 » La consommation intérieure a été de 6,346,061 » L’exportation a atteint le chiffre de. 1,802,017 » Les quantités en magasin, à la mème époque, étaient : A Londres de......... RUN 5,450,706 gallons. AMaverpoul'des REA E 3,048,134 » Soit un total de...... . 8,998,840 gallons. Les vins importés à Liverpool durant l'année 1852 sont répartis comme suit : VENANT DE L'ÉTRANGER DIRECTEMENT. ÉQUIVALANT A — — ne Espèces. Pipes. Hogs- Pièces. | Octaves.| Pipes. | Caisses. heads. Vins d'Espagne 490 1,475 | 3,037 610 1,999 De Portugal ..... 607 849 1,560 29 1,425 De Sicile........ 131 107 714 220 390 De France... 54 347 219 » 282 De Madère....... 15 30 39 10 A1 De diverses sortes g' 32 52 » 31 TOTAUX....| 1,504 2,840 | 5,601 869 4,168 17,706 VENANT DES PORTS DU PAYS. ÉQUIVALANT A ©" Re. OS Espèces. Pipes. 3 Pièces. | Octaves.| Pipes. | Caisses Vins d'Espagne... 60 214 369 93 271 696 De Portugal ..... 208 86 169 27 296 282 De Sicile. .:..... 12 32 63 18 46 16 De France....... 32 40 4 12 54 840 De Madère....... 34 4 5 4 38 56 Du Cap ......... 117 860 28 » 654 » De divers pays... 2 13 66 21 28 98 TOTAUX....| 565 | 1,249 704 175 | 1,387 | 1,968 486 Les caisses contiennent de une à trois douzaines de bouteilles chacune. La valeur des vins importés par mer en cette ville peut être estimée à 430,000 liv. sterl. ( droits non com- pris }, soit 3,250,000 fr. Mais il faut ajouter à ce chif- fre une moyenne de 10 tonneaux par semaine reçus de Londres par terre, soit, par année, 500 tonneaux, qui, à 4,000 fr. l’un dans l’autre, donnent 500,000 fr. Si nous ajoutons ce chiffre au précédent, nous trouvons que le total des importations s'élève à 3,750,000 fr. Liverpool compte 30 négociants s'occupant spéciale- ment du commerce des vins; 120 autres joignent les esprits aux vins; 6 courtiers en esprits opèrent sur une large échelle, et le plus souvent achètent, chargent et exportent pour leur propre compte, tandis que les né- gociants vendent surtout aux détaillants, aux hôteliers el aux consommateurs privés. Leurs vins sont livrés en bouteilles, en caisses et même en pièces, selon la sorle. Esprits. — Je laisserai de côté la question des dis- tilleries anglaises, pour ne mettre en relief que le com- merce des esprits étrangers et coloniaux. Liverpool avait en entrepôt, au 5 janvier 1853, plus de 4 millions de gallons de rhum, eaux-de-vie et ge- nièvre. Le rhum est le produit qui marche en tête de cette sorte d'affaires; on le tire des colonies anglaises des Indes-Occidentales. Le tableau suivant établit le chiffre des importations et des stocks de 1848 à 1852 inclusi- vement : 487 IMPORTATIONS. STOCKS. ANNÉES, Puncheons. Puncheons. 7,300 3,100 32400 6,300 6,500 Le puncheon contient 378 litres, et équivaut à une moyenne de 84 gallons; il pèse 900 livres anglaises. Le prix ordinaire du gallon est de 2 schellings 4 de- niers (2 fr. 93 c. ). Ainsi done, l'importation du rhum à Liverpool, pen- dant la dernière année, équivalait à 5,350 tonneaux de poids, et à 2,926,366,80 fr. de valeur. L'eau-de-vie importée en cette ville durant la même année 1852, l’a été dans la proportion suivante : ÉQUIVALANT A er NS Pièces. | Caisses. 4,762 | 5,457 165 | 3,591 97 338 COBTIAC! eee sante ete Bordeaux... 2... 951 1,881 | 5,563 83 138 34 11 118 109 Pièces. ue Barils. 5bodtoccodoog on 5,022 9,386 Chaque caisse contient habituellement 42 bouteilles. La valeur totale desdites caisses, jointe à celle des piè- ces, peut être évaluée à 5 millions de francs, et le poids à 3,000 tonneaux. Pour l'année 1852, les quantités de genièvre reçues à Liverpool sont résumées dans le relevé ci-après : 39 488 "s À ÉQUIVALANT A Provenance. RS 2 | Barils. | — puncheons| caisses. Étranger ............ 56 780 197 458 9,084 Ports de la côte...... » 7 7 8 45 osseuses à 93127 De même que pour l'eau-de-vie, les caisses sont de douze bouteilles. Leur valeur totale, jointe à celle des puncheons, à été de 250,000 fr., et leur poids de 750 tonneaux. Je ne parlerai que pour mémoire de la production anglaise des spiritueux, tels que le Whisky, le Gin et les mauvaises eaux-de-vie d'orge, de pommes de terre, ele. Ces espèces sont distillées sur une vaste échelle, particulièrement en Écosse et en Irlande, et sont consommées surtout par les basses classes de la population. En somme, et si nous y laissons figurer les spiri- tueux anglais, le total du commerce des vins et des esprits à Liverpool ne s'élève pas à moins de 20,000 tonneaux en poids, et de 25,000,000 de franes en valeur. En voici l'exacie répartition (1852) : ESPÈCES. TONNEAUX. VALEUR. VINS ÉLTANBETS eee nelsielae se ere 5,000 3,750 ,000 f. RU Men de Le die RU LNE 5,550 2,500 ,000 PE Bt ONG ARE 3,000 5,000 ,000 ETES or boocemoitanadoddsoune 750 250 ,000 Spiritueux anglais....,....,..,,,.,..... 4,000 10,000 ,000 Nenantde LONUNES ce -ern-ccrre-cer 1,900 3,000 ,000 TOTAUX®- 7 cermee 20,000 25,000 ,000 f. 489 Je passe sous silence le commerce de la bière, du ei- dre, du poiré et toutes autres boissons. Une étude de celle matière me conduirail trop loin et n'aurait qu'un intérêt presque nul pour les lecteurs de ce Mémoire, fait surtout en vue de la comparaison du commerce de Li- verpool avec le nôtre. Au surplus, je n'ai pas besoin de faire remarquer que la fabrication de la bière est con- sidérable, puisqu'elle fournit en quelque sorte à tous les besoins du pays en sa qualité de boisson nationale. COTON. Pour le coton comme pour tant d'autres produits, Liverpool marche à la tête de tous les entrepôts du monde. Les importations de cette marchandise, son marché, durant les dix dernières années, au prix moyen, ont excédé en valeur 350,000,000 de francs par an. Les traites et paiements par chaque jour ou- vrable approchent de 1,250,000 fr., et les droits de courtage à 1/2 p. 0/0 y compris les transactions spécu- latives, répartis entre cent courtiers de ce produit, ont été évalués à 5,000,000 de francs par an. D’après les relevés officiels, la France a consommé en 4852 451,031 balles, ce qui établit une moyenne de 8,730 bal- les par semaine, c'est-à-dire 1/5 environ de la quantité consommée el réexportée par la Grande-Bretagne du- rant la même période. A l'exception de 150 à 200,000 balles, les importa- lions de coton en Angleterre sont entièrement centra- lisées dans le port de Liverpool, ainsi qu'il résulte du tableau suivant : EN 1852. BALLES. MIVEMOO Lee cesmnesces 2,205 ,738 Londres Ée 48,700 Hull et Bristol... 27,200 75,700 9,3517,338 Encore convient-il de faire observer que les cotons recus directement à Londres et dans les autres ports du royaume, s'ils ne trouvent pas leur écoulement sur ces places, sont fréquemment envoyés à Liverpool pour y être vendus. Le coton y vient directement des États-Unis, des Indes-Orientales, du litioral sud de la Méditerranée, du Brésil, de la côte d'Afrique et des Indes-Occidenta- les. Ci-après le tableau de l'importation du coton à Li- verpool pendant les dix dernières années. Il est utile de remarquer le rapide accroissement de ces importations : ANNÉES. BALLES. Le total des exportations par Liverpool, du coton manufacturé, représente, pour l'année 1852, une va- leur approximative de 21,249,341 liv., c’est-à-dire 428,382,775 fr. 491 CÉRÉALES. La production approximative des grains dans le Royaume-Uni est estimée, année moyenne, à plus de 60,000,000 quarters en quantité, et à 80,000,000 de liv. sterl. en valeur. Liverpool reçoit pour sa consommation et la réex- portation, tant à l'intérieur qu'à l'extérieur, des grains et farines de l'Irlande, qui, à elle seule, figure pour un quart de la production totale du Royaume, de la Baltique, de la mer Noire, des États-Unis et de la France. Voici, d'après la Gazette mercantile de Liverpool, l'importation des grains et farines dans ce port pen- dant l'année 4852. On comprendra que 1853, qui fut une année exceptionnelle à cause des perturbations que jeta la mauvaise récolte dans ce commerce, n'ait point été choisi pour établir une moyenne. ARTICLES. QUANTITÉS. EN TONNEAUX. 604,164 120,833 22 292 34,632 Farine) dB MAIS. 0. 02 220 1e Barils ..... 382,b38 On évalue à 5,000,000 liv. sterl. par an la valeur des capitaux affectés à ce commerce, soit 425,000,000 fr. 492 Les négociants en grains se plaignent vivement de deux choses : d'abord, de ce qu'une industrie si impor- tante sous tous les rapports n'ait pas à Liverpool, comme dans tous les autres ports de l'Angleterre, des docks et des quais spéciaux pour débarquer ses pro- duits importés, et des magasins affectés à les recevoir ; en second lieu, de ce que les mesures soient si diverses et n'aient aucun rapport de poids avec celles du même nom en usage sur les autres marchés du royaume. Ces réclamations me paraissent justes et fondées. I n'est guère permis de douter que l'administration su- périeure des docks, qui élucide en ce moment les pro- jets d'extension et d'amélioration soumis à sa sanction, n'ait égard à la première. Sans contredit, si les propo- sitions sont adoptées, des greniers et des docks spé- ciaux seront créés. Quant à la seconde, relative à l'u- nité dans le mode de mesurage, elle ne peut manquer d'être prise tôt ou tard en considération ; mais qui pour- rait en assigner l'époque? On ne peut le nier, l'Angle- terre est ur pays d'initiative, Cependant, les vieilles coutumes y ont de bien profondes et bien solides raci- nes. Dès qu'il s’agit de créer, on marche toujours en avant dans ce pays. Lorsqu'au lieu de créations à faire, ce sont des usages, des préjugés établis de longue date qu'il faut détruire, la chose rencontre mille obs- tacles, mille oppositions, etest beaucoup moins prompte à réaliser. MÉTAUX. Fer. — L'Angleterre ne compte pas moins de 178 fonderies de fer avec un matériel d'une valeur de 100 193 millions de francs. La production du fer, pendant la der- nière année, a été estimée à 2,697,240 tonneaux, qui, à 75 fr., forment un total de 202,293,000 fr. Liverpool est pour le fer le principal port d'embar- quement. Il reçoit une partie de ses approvisionne- ments de l'Écosse Occidentale et de la Galles du Sud, par mer, lant pour la consommation de l'Angleterre que pour l'exportation. [l'en reçoit également de White- haven et des comtés de Stafford, de Shrop et d'York. Ce commerce est entre les mains d'une cinquantaine d'agents-commissionnaires, négociants, etc. Les cour- tiers prélèvent une commission de 10 p. 0/0. La consommation de la ville est en moyenne de 55 à 60,000 tonnes. Les droits de fret sur le fer de l'Écosse Occidentale varient de 6 à 8 sch. par tonneau; de Whitehaven, ils sont de # à 5 sch., et de la Galles du Sud, de 7 sch. 6 d. à 8 sch. 6 d. Par terre, le prix du transport est depuis 6 sch. jusqu'à 12 sch. 6 d., selon la distance parcourue. L'ensemble des importations, tant par voie de terre que par eau, s'est élevé en 1852 à 374,648 tonneaux. L'ensemble des exportations pour toutes les destina- tions, à été, d'après un relevé de la Douane, de 315,839 tonneaux pendant la même année. C'est particulièrement aux États-Unis que Liverpool expédie, soit en rails, barres, gueuses, cercles, etc., les plus grandes quantités de fer. En 1852, les envois à New-York, Boston et Philadelphie, ne se sont pas élevés à moins de 168,728 tonneaux; en 1846, ils ne dépassaient point 27,007. Ces deux chiffres comparés 194 donnent une idée de l'immense développement de cette industrie. Les ferblancs et les tôles sont manufacturés dans la Galles du Sud et le comté de Stafford. Liverpool en a reeu en 1852 de ces deux centres manufacturiers, tant par terre que par eau, 640,528 caisses, d'un poids d'environ 125 liv. et d’une valeur de 44 fr. 65 c. chacune. Liverpool a expédié aux États-Unis et au Canada, durant la même période, 512,400 de ces caisses. L’Aus- tralie, avec ses besoins de colonie naissante, vient d'ouvrir un nouveau débouché à ces produits. Cuivre. — Pour cet article et les suivants, je me contenterai d'indiquer d’une manière sommaire l'en- semble des opérations. Par de longs développements, je craindrais d'élargir trop le cadre que je me suis tracé, lequel consiste à ne donner qu'une idée géné- rale du commerce de cette ville, surtout en ce qui tou- che à ses branches secondaires. On compte en Angleterre 176 mines de cuivre ac- tuellement en exploitation. Les quantités de ce métal importées à Liverpool en 1852 sont comme suit : Minetäise. 22: later 11,774 tonnes. Cuivre en lingots, saumons, etc. 7,078 » Cuivre en feuilles (environ }.... 7,050 » Toma its < 25,852 tonnes. Liverpool reçoit le minerai de cuivre de Cuba, de 495 l'Australie, du Chili, de Swansea, Ulverston, Car- nawon, Amlwich, etc. Il le renvoie manufacturé, c’est-à-dire en saumons, lingots, elc., aux États-Unis, en France, dans la Mé- diterranée et dans les [ndes-Orientales. Plomb. — 1 n'y a pas moins de 230 mines de plomb dans le Royaume-Uni. A Liverpool, ce commerce est entre les mains d'une demi-douzaine de manufacturiers. Le total des affaires de la ville, en 4852, fut de 16,000 tonnes, équivalant à une valeur de 8 millions de francs. Partie a été exportée, partie livrée dans la contrée pour répondre aux besoins de la consommation. Du reste, l'exportation du plomb subit, depuis quel- ques années, une décroissance sensible. Étain. — La Grande-Bretagne possède 418 mines de ce métal; les principales sont dans les comtés de Cornouailles et de Devon. Elles fournissent annuelle- ment 40,000 tonnes de minerai, qui, aflinées, produi- sent 7,000 tonneaux d’étain. Les importations dans Liverpool en 4852 ont été de 1,650 tonnes, qui, à 2,400 fr. la tonne, donnent un chiffre de près de 3,500,000 fr. Or et argent. — Liverpool a reçu, durant l'année 1852, 600 tonnes pesant de ces métaux précieux, équi- valant à une somme de 175,000,000 de franes ; ils pro- 196 venaient particulièrement des États-Unis et de l'Amé- rique du Sud. Quincaillerie et Coutellerie. — On compte 400,000 personnes employées dans les manufactures de l'An- gleterre où se confectionnent tous les articles de quin- caillerie et de coutellerie. Liverpool est le grand dé- bouché de ces produits. Si l'on y comprend tous les fers manufacturés relatifs à la navigation, tels que chaines, ancres, ele., je trouve que plus de 400,000 tonneaux, représentant une valeur de 90,000,000 de fr., ont été embarqués dans ce port en 1852. Je passerai sous silence, pour éviter les longueurs, le commerce du zine, de la manganèse, de l'acier, du mercure, de l'antimoine, du bismuth, du cobalt, des sulfures, etc.; ces branches d'industrie n’ont d'ailleurs à Liverpool qu'une importance très-secondaire lorsqu'on “les considère relativement aux affaires qui se font sur les grands produits. BOIS. L'importation totale des bois de construction (tim- ber) dans le Royaume-Uni est évaluée à 2,500,000 ton- nes par an. Liverpool, Londres et Hull collectivement représen- tent un tiers de cette importation. Dans ce tiers, Li- verpool figure pour une moyenne de 270,000 tonnes. Ces bois, destinés aux bâtiments, à la construction des vaisseaux et à l’'ébénisterie, sont particulièrement tirés de l'Amérique du Nord et des pays de la Baltique. Le tableau ci-après donne le nombre des navires em- ployés à ce commerce, ainsi que la quantité exacte 497 de l'importation ( par-tonne) pendant les dix dernières annees : ner NOMBRE TONNAGE TONNEAUX ANNÉES. des navires. des navires. de poids. 1844 372 171,771 197,536 | 1845 420 205,558 254,191 | 1846 566 273,646 314,672 | 1847 598 279,561 321,495 | 1848 398 198 ,991 228,839 1849 397 206,519 248,801 | 1850 502 239,924 275,912 | 1851 405 221,499 254,723 1852 466 268 ,960 309,504 1855 445 272,711 313,186 Ce qui établit une moyenne annuelle de 450 cargai- sons de 600 tonneaux chacune, et constitue un ac- croissement de 60 p. 0/0 sur l'importation de 1844 à 1853. Le nombre des navires venus de l'Amérique du Nord (Canada) durant ces dix années, s'élève à une moyenne annuelle de 373, jaugeant 655 tonneaux cha- que, et représentant un chiffre total de 244,257 ton- nes de bois. Ceux venus de la Baltique offrent un total de 78, jaugeant 328 tonneaux chacun, et portant ensemble 25,641 tonnes de marchandise. Les bois de construction sont transportés dans l'in- térieur du pays au moyen des canaux et des chemins de fer, dans la proportion suivante : EEE HE DRE ir A ee 56 p. 0/0 Parties chemins de fer 2e. DL AR, LES 23 » Ce qui reste dans la ville est distribué aux environs pour le stock et les besoins de la consommation, ,........... Muse hé 21 » k 198 La valeur de l'importation à Liverpool en 1853 (bois de toutes sortes } a été estimée à 4,300,000 liv. sterl. {soit en monnaie française : 32,500,000 fr. ) CHARBON. Le commerce du charbon en Angleterre atteint des proportions colossales. Par exemple : il existe sur la surface du Royaume 3,000 mines de houille, employant 250,000 individus, hommes, femmes et enfants. Le capital engagé dans le matériel des travaux d'extrac- tion, de transport et d'embarquement, s'élève au delà de 30,000,000 liv. sterl. ( 750,000,000 de fr. }, et le charbon fourni annuellement par l'ensemble des mines excède 34,000 ,000 de tonneaux, dont la valeur est es- timée 10,006,000 liv. sterl. ( 250,000,000 de fr. ). Les mines du comté de Lancastre produisent envi- ron #,000,000 de tonnes par année dans les seuls dis- tricis suivants : Wigañet. ur tn hr fr af ot à 2,000,000 Boltons:. Lalanne ue. sérandlassusattet 1,000,000 Sant-HeélenSs. ve. ccpiiunte dei Ne 1,000,000 Ces trois mines couvrent ensemble une superficie de 600 milles ( 800 kilomètres) carrés. La profondeur des puits, dans le comté, est d'une moyenne de 850 pieds, tandis qu'elle est de 1,500 pieds dans les districts de Newcastle et de Durham; ce qui rend les frais d'extraction, dans le Lancashire, de 4 sch. 6 d. meilleur marché par tonne. Les principaux endroits d'où Liverpool tire le char- bon sont Wigan et Saint-Hélens; il y est amené par 499 les chemins de fer, et sur les canaux au moyen de ba- teaux affectés à cet usage et désignés sous le nom de colliers. Le prix du transport varie de 4 sch. à 2 sch. 6 d. La navigation à vapeur, les briqueteries et le chauf- fage des maisons entrent pour la plus large part dans la consommation du charbon. Liverpool à exporté : DAS DR A à Lie deu 371,160 tonneaux. EN TO UN An RE A 388,971 » Le prix moyen, pendant les mêmes périodes, a été de 9 sch. 7 d. par tonneau. Le total des divers droits à acquitter pour tout char- gement de charbon à Liverpool s'élève généralement à 2 sch. 5 d. par tonneau. SEL. On estime à plus d'un millisa de pieds les cuves em- ployées dans les raffineries de s —n Angleterre, les- quelles cuves, si l'on y ajoute les appareils, les machi- nes, ustensiles et bateaux employés à l'exploitation de celte industrie, représentent un capital qu'on ne porte pas à moins de 25,000,000 de fr. Plus de 3,000 hom- mes travaillent dans les salines. Sur les 97 manufactures de sel que l'on compte dans le Royaume, 79 sont situées dans la vallée de Weaver ( comté de Chester ). Le sel provenant de mine est trouvé à l'état sec, demi-transparent, et offre beaucoup d'analogie avec l'alun; on le nomme sel de roche {rock sall). 500 Cette espèce est exportée en Hollande et en Belgique pour y être manufacturée et passer à l'état de sel blanc. Mais la plus grande quantité de sel est produite par l'évaporation de l’eau salée. Une fois cristallisée, cette espèce reçoit le nom de sel commun { common salt) et sert principalement pour les salaisons : à cause de son mordant, on en fait également usage dans la com- position des alealis. Quand il est séché et qu'on lui a fait subir diverses préparations, on le désigne par la dénomination de sel étuvé { stoved salt), et il est consommé comme as- saisonnement el condiment. On emploie 1,200 livres de charbon à l'évaporation d'une quantité de liquide salin suffisante pour obtenir une tonne de sel. La production entière du Royaume monte à 800,000 tonneaux par année. Une moitié est exportée et l'autre est consommée à l'intérieur. Liverpool figure dans cette consommation pour-40,000 tonneaux. Le tableau suivs - indique les quantités de sel ex- portées de Liverpooi ea 1851 et en 1852, avec les pays pour lesquels ces exportations ont eu lieu : D ET 851. 1852. PAYS DE DESTINATION. TONNEAUX. TONNEAUX. | Lot some Es CPR RS A | Baltique et nord de l'Europe (sel blanc )..…. 98,302 91,619 |! BRAS UIMS Te rrreccrrate idee ere 179 ,146 176,546 MÉCDENE. Envois ilasoetcc 55,417 54,062 Indes-Orientales............ MES de ous 69.312 36,164 (IMATITUE Are ere. AU etes 14,714 10,151 | IMAUSITAUP RES eee cecer-ee MÉSgoeees 2,526 4,295 Angleterre, lrlande, etc..... loco 74,475 116,419 Divers (sel de roche)..,.........,+,.00 8 ,404 78,161 TOTAUXS =... 5 552,294 568,077 = É LE ES = EST 501 Cette courte Notice suflira, je pense, pour donner une idée générale d'une branche importante du com- merce de Liverpool. TABAC. La consommation du tabac dans la Grande-Bretagne et l'Irlande est évaluée à 26,000 tonneaux par an, dont plus de la moitié est introduite par la contrebande à cause des droits excessifs qui frappent ce produit à l'entrée. On compte à Liverpool 6 courtiers de tabac, 22 ma- nufacturiers et 160 marchands au détail. Le nombre total des Aogsheads (boucauts) de 550 kil. importés et réexportés, et celui des stocks durant les sept années de 1846 à 1852 inciusivement, a été com- me il est indiqué ci-après : | IMPORTATIONS. | LIVRAISONS. | STOCKS. ANNÉES, RER Re || | "0 Hogsheads. Hogsheads. Hogsheads. 1846 15,020 12,561 19,961 1847 10,566 11,874 18,435 1848 10,477 *422811 4849 13,205 12,969 1850 12556 11,430 1851 10,041 12,452 1852 13,295 14874 On voit ainsi que les livraisons de 1852 équivalent à 8,380 tonneaux de poids; ce qui, à une moyenne de &A c. 3/4 par livre, soit 625 fr. par boucaut [/hogs- head), droit excepté, donne 9,125,000 fr. Voici comment ont été réparties les livraisons : LIVRAISONS. HOGSHEADS. 0 2 Pour l'intérieur 5,243 Irlande 3,591 3,158 2,602 Les livraisons à l'intérieur ont été envoyées à Leeds, Halifax, York, Manchester, Birmingham, etc. Les exportations se sont faites pour la côte d'Afrique, la Hollande, Malte, Saint-Sébastien, Alexandrie, Bahia, Anvers, Rio-Janeiro, Gibraltar, l'Ile-de-Man, Guerne- sey, Draaman, Christiania, Drowtheim, Sénégal, Li- beria, etc. Aux boucauts venus d'Amérique pendant la même année (1852), il faut ajouter les importations suivan- tes, équivalant à 400 tonneaux en poids et à 4,000,000 de fr. en valeur : 2,800 boites, caques ou boucauts { tabac manufacturé ). 2,129 balles { tabac en feuilles ). 139 caisses id. 178 caisses { cigares ). Les manufacturiers de Liverpool coupent le leaf (tabac en feuilles}, et lui donnent, selon son espèce ou sa qualité, les noms de shag, bird-eyes, rolls, cawendich, negro et piglail. Cette préparation opé- rée, le tabac se distribue, partie dans la ville et partie dans la contrée, en petites caisses. La somme de ces tabacs représente un poids de 660 tonneaux par an. 503 Liverpool reçoit fort peu de cigares { de 460 à 200 caisses au plus), la principale importation ayant lieu par la métropole; mais il y a dans la ville une demi- douzaine de personnes qui en font manufaeturer 10 tonnes environ par année. La manipulation des tabacs, en général à Liverpool, occupe plus de 400 individus. Ce commerce à subi depuis quelques années un aceroissement sensible. Le tabac en poudre de toutes sortes est manufacturé dans la ville, mais en très-petite quantité. On compte 9 fabricants de pipes à Liverpool, qui emploient 150 individus, moitié femmes, moitié hom- mes. L'exportation des pipes s'est élevée en 4852 à 700 tonnes en poids, et en valeur à 375,000 fr. PEAUX, CUIRS, MATIÈRES TANNANTES. Il y à en Angleterre 500 tanneries, dont 329 en ac- tivité. 360,000 personnes sont occupées par les diver- verses industries qui font usage de la peau. Les pro- duits annuels de ces industries ne sont pas d'une va- leur moindre de 450,000 ,000 de fr. Les importations de peaux à Liverpool ont été comme suit de 1848 à 1852 inclusivement : 1848. | 1849. | 1850: | 1851. | 1852. Quautités, | Quantités, | Quantités, | Quantités | Quantités | ESPÈCES. | Peaux de bœufs et de vaches! 326,249! 396,395! 265,624, 289,287 250,544 Hi ds Indes-Orientales . De 352) 7 pol Fat 7400 Es ED . de chevaux 2 3 ; Id. de veaux 177 1500 115, 300) 159; 00! 167,600 504 La masse principale de ces importations, tant en peaux brutes salées qu'en peaux sèches, provient de Buenos-Ayres, Rio-Grande, ete. Voici maintenant le tableau résumant la quantité des malières lannantes importées à Liverpool durant la même période : 1848. | 1849. | 1850. | 1851. ESPÈCES. Tonneaux. | Tonneaux. | Tonneaux. | Tonneaur. 12,360 3,350 5,920 6,912 Tr ed etc . 1,174 Cutch .......... 7142 490 40,348 | 31,600 | 30,496 L'industrie des peaux et des cuirs est représentée à Liverpool ainsi qu'il suit : Négociants-importateurs................ LS e 15 CORTHErS EME En SOS A 4 T'ANNEUrTS ER, UNE NE MERENNR a 2.24 ON 9 Peaussiers:... PNR. OL ONRAGR 0, MAL Q Corroyeurss. 400, LA mare MPa Hlesoquuet 240 Marchands de cuirs............ RARE. 4? 444 Cordonniers et Doltiers ee 22e Re RC 29270 L'étendue des affaires de la dernière année sur les peaux, cuirs, matières (annantes, 0, cornes, poils, etc., a été d'environ 56,600 tonneaux en poids, et de 28,825,000 fr. en valeur. 905 LAINE. La laine étrangère est reconnue plus propre à la fa- brication des beaux tissus; la laine anglaise est parti- culièrement employée à la confection des filés, des ta- pis, des couvertures, des flanelles, etc. La production totale de la laine dans lestrois Royaumes estestimée, par an, à 32,000,000 de toisons, d'environ & liv. chacune, soit 450,000 balles de 240 liv., qui, à 9 balles par tonneau de poids, représentent un total de 50,000 tonneaux. A 10 d. la livre, #,500,000 liv. sterl. de valeur; en monnaie de France : 112,500,000 fr. L'importation dans le Royaume, tant des colonies anglaises que de l'étranger, à été en 1852 de 40,934 tonneaux. L'importation à Liverpool de toutes sortes de laines a été, en 4850-51-52, ainsi qu'il suit : - | 1850. 1851. 1852. PROVENANCE. BALLES. | BALLES. | BALLES. Étrangère 65,511 16,589 Anglaise 888 1,414 Irlandaise 4,184 4,008 | Ecossaise 13,182 10,963 TOTAUX : se 81,765 92,974 A ces quantités, il est nécessaire d'ajouter un assez grand nombre de balles venues d'Écosse où de tout au: tre point de l'intérieur par les chemins de fer. Ces laines n'étant point soumises comme celles du dehors à des formalités de douane, leur quantité ne se trouve point déterminée dans les relevés commerciaux. Toute appréciation ne pourrait qu'être fort vague. 506 Les affaires sur les laines à Liverpool, en 1852, ont porté sur 44,650 tonneaux, représentant une valeur approximative de 46,250,000 fr. Ce commerce est entre les mains de 20 courtiers. Les exportations de laines anglaises et irlandaises (1852) ont atteint, d’après les déclarations faites en douane, un chiffre de 49,500,000 fr. Les laines manufacturées exportées par Liverpool ont été, la même année, de 8,000 tonneaux. Ces pro- duits sont contenus dans des ballots d’un poids de 200 à 800 liv. Il est consigné dans un Parliamentary paper, n° 744, que l'exportation entière des laines manufac- turées, par le port de Liverpool, montait en valeur déclarée, pour 1850, à 431,575,000 fr. , et pour 1851, à 428,004,425 fr. THÉ, CAFÉ, CGACAO, CHICORÉE. D'après un relevé, il existe dans le Royaume-Uni 128,167 marchands de thé et de café au détail. Ces dé- bitants alimentent leur industrie par une moyenne an- nuelle de 90 à 100 cargaisons de thé, représentant 25,500 tonneaux. La réexportation n'excédant pas 2,000 tonnes, il en reste 23,500 pour la consomma- tion intérieure, qai, à raison de 11,250 fr. le tonneau, y compris les droits, se trouve portée à une valeur de 241,875,000 fr., chiffre véritablement fabuleux. Les espèces, au nombre de 24, ont dans le com- merce tant de dénominations, qu'il serait superflu de les rappeler. Celles dont l'usage est le plus général sont le Longou , la Poudre à canon, le Souchong, le Peküe, etc. en D AU! Le gouvernement anglais perçoit annuellement, sur les importations du thé, un droit énorme de 6,000,000 de liv. sterl., soit 450,000,000 de fr. IMPORTATIONS, STOCKS. ANNÉES. ( Tonneaux. ) ( Tonneaux. ) 1848 5,900 1849 14,025 1850 15,310 1851 10,100 1852 6,110 Liverpool tire ses cafés du Brésil et des [ndes-Occi- dentales. Le tableau ci-après indique l'importation et les stocks du café en ce port de 1848 à 1852 inclusivement : 7 IMPORTATIONS. STOCKS. ANNÉES. ( Tonneaux. ) ( Tonneaux. ) 1848 5,150 3,100 1849 4,500 2,000 1850 3,700 2,475 1851 3,317 2,450 1852 | 5,100 | 2,500 Il résulte de ces chiffres que le commerce du café, à Liverpool, tend plutôt à décroitre qu'à se développer. Les importations de cacao à Liverpool ont atteint, en 14852, le chiffre de 997 tonneaux. Le commerce de la chicorée est considérable en cette ville; on l'évalue à la moitié de celui du café en quan- tité; seulement il progresse, tandis que l'autre s'a- moindrit. SUCRE. On comprend qu'une denrée d'un usage aussi géné- ral donne lieu à de grandes transactions sur une place 508 de l'importance de celle dont je m'occupe. Si Londres est le marché principal du sucre, Liverpool vient im- médiatement en seconde ligne, car la quantité des im- portations de ce produit est du tiers de celui de la capitale. Ci-dessous le relevé des importations du sucre et des mélasses à Liverpool durant la période de 1848 à 1852, avec le stock pour chacun au 31 décembre : SUCRES. MÉLASSES. su EE "| ANNEES, IMPORTATIONS STOCKS IMPORTATIONS STOCKS. (tonneaux). | (tonneanx). | (tonneaux). | (tonneaux). 1848 61,688 26,211 3,900 1849 67.070 26833 14,093 1850 | 62,025 94,961 13,310 1851 71,837 99 450 10 100 1832 61,063 24/4115 6,410 Il y a 100 négociants importateurs en sucre à Liver- pool, 35 courtiers et 9 marchands en gros. La valeur totale des importations de sucre à Liver- pool est de 40,000,000 de fr. (droits non compris). Celle des mélasses, de 2,500,000 fr. La consommation de sucre à Liverpool est évaluée à 28 liv. par tête, soit à 6,000 tonneaux par année pour toute la population. POTERIES, La fabrication et le commerce des poteries ont une grande importance en Angleterre. Les principales ma- nufactures sont situées dans un groupe de huit petites villes du comté de Stafford. Une partie de ces produits sont dirigés sur Liverpool pour être exportés. Le trans- port se fait en général par eau au moyen des canaux 509 et de la rivière. Son prix varie de 6 sch. 8 d. à 7 sch. 8 d. par tonneau. L'importation des poteries de toute espèce, par Li- verpool, a été ainsi qu'il suit pour les années 1850, 1851 et 1852. Ce tableau indique également les pays de destination : Le 1850. 1851. 1852. PAYS DE DESTINATION. BALLOTS. | BALLOTS. | BALLOTS. D 95,502 7,537 9,570 10,782 9.488 6,603 6,325 5,602 2,075 1,650 7 946 2,077 Continent espaguol Amérique du sud Indes-Orientales Australie TOTAL des ballots ......... 155,878 167,144 162,038 Tonneaux de poids ....,.. 45,293 55,715 54,013 Lu La valeur approximative de ces exportations an- nuelles est de 25,000,000 de fr. Conformément aux règlements de la Douane, les ex- péditeurs doivent déclarer le nombre des pièces embar- quées; ensuite de cette déclaration, vérification est faite par les employés de la manière la plus minutieuse. Une telle formalité est longue à remplir et amène beau- coup de retards dans les expéditions. La quantité de poteries reçues à Liverpool en 1853, pour les besoins de la ville et l'embarquement à desti- nation des côtes, a été de 33,465 ballots pesant en- semble 11,555 tonnes, et d'une valeur d'environ 6,250,000 fr. Pendant la même année, Liverpool a reçu de Li- 510 vourne 4,500 tonneaux de borax, exclusivement des- liné au glaçage des poteries. Ces 1,500 tonnes subi- rent au préalable une préparation dans des usines voi- sines de la ville, et furent expédiées aux fabriques dans des caisses de 14 à 1,600 livres anglaises. De sembla- bles importations ont lieu chaque année, En vue d'éviter la prolixité, je me contente, dans le tableau suivant, de donner une rapide nomenclature des articles et produits dont le commerce à une moins grande importance. Je laisse même entièrement de côté plusieurs articles qu'il serait fatigant d'énumérer. | IMPORTATIONS. Re ———_" —Û ——— DURE: 2 | Poids Valeur Articles. en en livres Articles. en en livres | tonneaux.| sterlings. tonneaux.| sterlings. | Huiles de toutes sortes. 54,980 | 3,595,000 | Provisions de navires..| 100,000 | 4 0 as HO sonomneonas 70,000 | 2,600,000 | Quincaillerie ......... 100,000 HO anses 18,500 | 1,188,000 | Toiles ............... 2 at Jos A0 200002 00QE nee RE Soon WMiossossncagoones j SOFODO MAS EEE erEe-crreer-cce Garance ............. 10,639 495,000 | Produits chimiques....| 50,000 Chanvre=...."-....-..|. 10000 350,000 | Savons et chandelles ..| 10,000 Bœuf et pore (chair ).. 9,350 320,000 | Botteset sonliers...... 2,000 OMIS creer en 9,260 300,000 | Huile de lin ...... ..| 9,600 RIZ ere lee ne 24,118 270,000 | Papeterie ...…. St 3,000 Drogueries """."".". 950 270,000 | Beurre..... 3,140 Poisson | 20,000 250,000 | Verreries..... ..| 10,500 Guano . 292,722 180,000 | Bière anglaise........ 13,540 | Salpètre . DA TE 180,000 | Huile de palme...... 5,474 En de AR 12,940 160,000 | Poudre .:..:...12%7. 2,250 HUCooode rebond 5,170 158 000 MINE SE -E-aeece Raisins SS.........e 4,020 | 4602000 | Cordages.….::!!!!!!! Oranges et citrons... 15,700 150,000 | Riz ................. AR Aero Se Es 0 150,000 ndres. ARS AMEL alaisons ............ 3, 130 ,000 S ssososseose Cendres tee 4,600 125,000 res ss Pommes de terre...... 30,000 120,000 | Guano............... Bois de teinture ...... 17,790 100,000 escossencsssee] | 43000 Mélasses ARMES 6,110 100,000 | Bœuf et pore ( chair ).. 510 So PR 12 20 a au Ardoises ..........e. 7,000 aoutchouc ......,... 5.000 | Bois de teinture...... os eme e os 1 AE 80,000 | Pipes............... ASIN ec nrreeene ss sl 80,000 TUE See este pirieiele Noix, noisettes, etc...| 2,250 73,000 anvre CR Os, CPE ere | 14,700 70 ,000 TP ban crie Son DIVENS ET ereee ee » » FETS, (ELU... a 511 Pour résumer ce travail de statistique et donner une idée de la suprématie de Liverpool sur tous les ports du Royaume-Uni, il suffira d'établir une comparaison. Par exemple : l'exportation des produits naturels ma- nufacturés de l'Angleterre et de l'Irlande ayant été ae LS ee ae | £. 70,400,336 D CU LIU TES RES bé nl: À 72,436,165 Re AU OR OMR EC AT 91,549,388 voyons quelle à été la part de Liverpool dans ce mou- vement de trois années : 1853. | SAR | LIVERPOOL TE se se ettee £ 51,918,640 | £ 38,469,501 | £ 47,152,194 | IBDONTON see etes 14,489 ,494 15,802,122 22,991,082 | AU saut semelles 10,126 ,421 9,894 ,253 10,788,790 | MASLOW ARE cos secs 3,499 ,082 3,510 ,5175 4,968,650 | | Southampton ............. 1,916 ,757 2,070,270 2,452,864 | NEC ASC MERE See 939 ,141 1,045 ,875 1,141,621 | | Bristol seen ee 419,958 404,957 852,229 | DOUTER ROMEO | 389,239 491,293 575,067 | MGLEETOC RE SL Sue | 491,913 418,697 437,522 LOI SORA EE | 109 ,404 141,074 129,658 | BOLFASÉ UN LES sinon ans] 50,183 54,566 35,951 | Dublne.Sserevine à 5: 50,070 75,182 23,800 | TOTAL. £ 70,400,336 | £ 72,456,165 | £ 91,549,388 | Done, il ressort de ces chiffres que l'exportation par Liverpool, des produits anglais, dépasse l'ensemble des exportations des autres ports du Royaume, savoir : PHONE nt: up 27 £. 5,436,944 LC RES RSR TS PRE RE 4,502,837 USER 6 OR PS RIRE LE 2,555,000 Ces chiffres sont plus éloquents que tous les raison- nements; ils établissent d'une manière incontestable le progrès et l'immense supériorité du grand port com- mercial dont je viens d'esquisser l’histoire. nt TS 6 joie Sa aitiien -she der sis sante bag Messe, 6 | LEA w (2 Pr su LES . 7 pri a 1@ 5 a TE Mu ue CAT En D ur | , HUE pes troie a Degut ét noltsu Û EU 22 fi re, L in VE NT # ahans ‘f be “ _ Ki ai PARTS or | fat + - sésr de £ “feet | PR 18% F2 ANRT ne Séries FF + » “Rae Arts À ue #2 | hi s.! + Lu» | À Te bd à ss DT, sx HR" vi us E à | Se RP TES UNSS ni: + ‘ire 16, ad raQebt “up nu : za *: More 54 vi Er mi ‘TT «ab 3 ohlatoas Pass rhilpa cha Fr fe: Ve ar uoyx- Ce: ut cpu Srius za, Anolahogis “lea: Us Na dents hs sa 10 ‘a d: PRES | bros HD ARE 2 EU sa: W- ë ? TC 02100808 a Es du; liioa eibithies") b idehshondésnré tua AU Lrectédté ef Aonmlr | #00 yo fraicie té dote peut DÉTENU LE PART atiomill 1988 Lust 2m rl not LEE AO hum r à CLR AE PAPE SGAR Le 58 SÉANCE ANNUELLE DU 28 DÉCEMBRE 1857. DISCOURS DE M. ABRIA, président. L'homme de génie, qui, résumant les tendances gé- nérales de son époque, a tracé une route nouvelle aux efforts de l'esprit humain et a fait voir le premier que, pour arriver à la connaissance des phénomènes natu- rels, il fallait s'appuyer sur l'expérience et l'observation seules, à reconnu aussi de quelle importance est la recherche des causes et des lois générales, et l'utilité qu'on peut en tirer, lorsque, pour les découvrir, on part, non de principes abstraits, mais des faits parti- culiers et des conséquences légitimes que l'induction permet d'en déduire. Les règles énoncées par Bacon ont donné l'essor aux immenses progrès réalisés de nos jours et dont nous sommes si justement fiers, Quelque glorieuse que soit la part de nos devanciers et la nôtre propre, on peut affirmer que celle de nos successeurs ne sera pas moins brillante, s'ils persistent dans une voie qui à conduit à des résultats si remarquables. Toutefois, lorsqu'on essaie de suivre dans cette mar- 514 che progressive de l'esprit humain les traces de la mé- thode recommandée par le célèbre philosophe anglais ; lorsqu'on veut reconnaitre si elle a été fidèlement ob- servée, on est frappé d'une tendance qui se reproduit presque constamment et qui semble entrainer l'esprit des observateurs les plus exacts, de ceux qui ont le mieux compris et appliqué les règles de l'induction, au delà des limites de l'expérience. Dans leurs efforts pour saisir l'enchainement des divers phénomènes, s'ils en- trevoient un moyen de les expliquer dans leur nature intime, il est rare qu'ils ne soient pas portés à présen- ter leurs hypothèses comme des vérités certaines, dé- montrées à l'égal des faits les mieux établis, et à re- garder ainsi comme réelles des conceptions destinées à rendre compte d'un petit nombre de faits. Que cette tendance de notre esprit à remonter vers une cause première doive ètre considérée comme in- hérente à notre nature où comme un reste des habi- tudes léguées par l'ancienne philosophie, on peut se demander quelle influence elle a exercé sur les pro- grès de la science. Il est évident qu'il faut en tenir compte lorsqu'on cherche à apprécier les résultats d'une méthode préconisée par les promoteurs des recher- ches scientifiques, et appliquée depuis plus de deux siècles par tant d'hommes de nationalités, de condi- lions et de caractères si différenis, mais réunis dans un but commun, celui d'étendre notre empire sur la nature. Si quelquefois la science a été entrainée dans une fausse voie, faut-il en conclure, comme lont pré- tendu quelques philosophes, que toute recherche au- 915 delà des phénomènes immédiatement observables, doit être proscrite comme dangereuse; qu'il faut considérer comme chimériques toutes les tentatives dont le but est de découvrir le jeu des forces auxquelles sont sou- mis les éléments de la nature? Les résultats obtenus jusqu'ici ne démontrent-ils pas, au contraire, que les recherches théoriques ont une utilité véritable, el peu- vent nous dévoiler bien des lois qui sans elles passe- raicnt inaperçues ? C'est sur ce sujet que je voudrais, Messieurs, arré- ter quelques intants votre atientien. J'ai pensé que, dans une réunion consacrée aux travaux d'une Acadé- mie fondée dans les premières années du XVII siècle, alors que le goùt des recherches sérieuses et sévère- ment contrôlées commençait à peine à se répandre, il ne serait pas sans quelque intérêt de suivre la trace des efforts faits par l'esprit humain pour arriver à la connaissance des phénomènes naturels. Je n'ai nulle- ment la prétention d'approfondir une matière aussi vaste que difficile. Une revue rapide des conquêtes accomplies dans quelques-unes des sciences d'observa- tion, me permettra à peine de l'ébaucher et de donner une faible idée de son importance. Si c'est à Bacon que revient la gloire d’avoir énoncé les règles de l'induction, cette méthode avait déjà reçu avant lui quelques-unes de ses applications les plus belles. Ainsi, dès 4609, avant la publication du n0- vum organum, Képler avait fait connaitre les vérita- bles lois du mouvement des corps célestes. A la suite de calculs dont la prodigieuse longueur est aujourd'hui 516 pour nous un sujet d'étonnemnent (ils ne remplissent pas moins de 700 pages in-F!), et dont le but final était de représenter les observations, si exactes pour leur époque, de Ticho-Brahé, il avait établi que les planètes se meuvent dans des orbites non circulaires, mais elliptiques, et le système du monde, jusque là si compliqué, apparut dès lors avec son admirable et sa majestueuse simplicité. Galilée, par ses propres découvertes, contribue pour une forte part à fixer les idées sur la structure des cieux. Dans des phénomènes d'un autre ordre, il trouve les lois de la chute des graves et pose les bases de la dynamique. Mais c’est surtout après Bacon que cette méthode si féconde conduit aux découvertes les plus remarqua- bles. Les recherches relatives aux propriétés que pré- sentent les corps considérés en eux-mêmes, indépen- damment de la place qu'ils occupent dans lécono- mie générale de la nature, enrichissent la science d'un grand nombre de faits dont quelques-uns sont reliés les uns aux autres par des lois précises. Ainsi, Pascal expose, dans un Traité admirable de clarté, les condi- tions de l'équilibre des liquides; Newton fixe, par ses déduections immortelles, le vrai caractère de la force qui retient les corps célestes dans leurs orbites, publie une analyse expérimentale de la lumière, qui est en- core aujourd'hui un modèle de précision et d'élégance, et s'attache particulièrement à découvrir les relations qui existent entre les phénomènes de mème ordre. L'électricité et le magnétisme sont approfondis plus 517 spécialement dans le X VITE siècle. Les Dufay, les Grey, les Franklin, distinguent successivement les deux états électriques opposés que peut offrir un corps électrisé, les propriétés d'attraction et de répulsion dont il est doué, l'influence qu'il exerce à distance, et les phéno- mènes curieux qui résultent de la facilité plus ou moins grande avec laquelle le mouvement électrique peut se propager dans les diverses substances, Coulomb apprend aux physiciens à mesurer les forces électriques et ma- gnétiques , el les lois qu'il découvre prennent une forme mathématique sous l'analyse profonde et savante de lun des premiers géomètres de notre époque, alors à ses débuts, de Poisson. A mesure que la science progresse, les connaissan- ces s'accumulent, et des phénomènes tout à fait incon- nus se dévoilent à nous. La pile de Volta inaugure dignement les inventions scientifiques du XIX: siècle. Dès sa naissance , elle nous fournit un moyen nouveau d'analyse et nous révèle l'existence de corps que la chimie sait bientôt se procurer par d'autres procédés, et dont les propriétés, mises plus tard habilement à profit, nous permettront d'extraire de l'argile et du sable des substances comparables aux métaux les plus précieux. Quelques années plus tard, OErsted nous fait connaitre l'action remarquable et inaperçue jusqu'à lui, que les fils métalliques, interposés entre les extré- mités de la pile voltaique, exercent sur l'aiguille ai- mantée, et Ampère découvre presque aussitôt les ac- lions mutuelles et les lois des courants électriques, dont Faraday étudie plus tard l'influence remarquable qu'ils 318 exercent sur les corps voisins, étude qui le conduit à compléter, en reproduisant avec les aimants les phé- nomènes électriques, la découverte du savant français, qui nous avait déjà appris à imiter avec la pile les faits curieux du magnétisme. Dans une autre branche de la science, nous rencon- trons les phénomènes variés de la polarisation, dont le grand Newion ne connaissait qu'une bien faible par- tie et qu'une observation, due en quelque sorte au ha- sard, mais interprétée avec une rare sagacilé, révèle à un chef de bataillon du génie. Le sillon tracé par Malus, et qu'une fin prématurée ne lui permet pas de poursuivre, est agrandi bientôt par Arago, par Fresnel et par M. Biot, leur illustre émule, seul représentant aujourd'hui, avec M. de Humboldt, des zélés travailleurs du commencement de ce siècle. Au milieu de ces remarquables conquêtes, nous re- trouvons des exemples frappants de la tendance qui parait naturelle à nos esprits, et qui nous porte non- seulement à grouper ensemble les faits similaires et à rechercher leur enchainement mutuel, mais qui nous entraîne aussi trop souvent au delà des limites tracées par une observation sévère, et nous porte à attribuer un corps et une réalité aux conceptions qui nous sem- blent rendre compte des faits naturels. De ces recher- ches si ingénieuses sur la lumière, Newton conclut à l'existence de molécules émanées des corps lumineux. Cette hypothèse, qui lui parait expliquer les phénomè- nes qu'il a vus, pénètre tellement dans la science, elle passe si bien dans les idées reçues, le langage scienti- 519 tique en conserve si fidèlement l'empreinte, qu'il faut plus d'un siècle pour en démontrer la fausseté, et dé- gager les lois expérimentales des vues théoriques qui semblent en faire partie essentielle. A la même époque, Huygens, s'occupant aussi d'une autre classe de phénomènes lumineux, et ne pouvant échapper à l'influence qu'exerce sur nous la direction particulière donnée à nos travaux, expliquait les phé- nomènes de la double réfraction, en admettant sur la ature de la lumière d’autres vues, déjà émises par Descartes, et était conduit à l'une des lois les plus curieuses et les plus extraordinaires de l'optique. C'est cent quinze ans seulement après Huygens qu'on recon- naît l'exactitude de cette loi, fruit des méditations du célèbre géomètre hollandais, mais qu'il n'avait pu vé- rifier par ses propres observations. L'hypothèse newtonienne l'emporta : soutenue par ie grand nom de son auteur, elle envahit la science, et nous la retrouvons au commencement de ce siècle maitresse et dominatrice, adoptée, sinon par tous, du moins par les premiers géomètres de l'époque, et pa- raissant recevoir du calcul une consécration définitive. Sous l'influence des idées de limmortel auteur des Principes, soutenues et développées par les grands génies dont les travaux avaient contribué d'une ma- nière si éclatante à nous dévoiler les secrets du méca- nisme des cieux, à nous donner la clef de ces anoma- lies qui s'observent à de longs intervalles dans le mou- vement des astres, la chaleur, l'électricité, la lumière, étaient considérées comme un corps. L'homme croyait 34 520 pouvoir assigner, sinon avec exactitude , du moins avec une très-grande probabilité, la nature intime de la cause des phénomènes de la nature; et lorsqu'on lit les ouvrages de celle époque, on retrouve, chez ceux même qui ont le plus de soin de faire remarquer que nous ne pouvons déterminer autre chose que des lois et des pro- priétés, une propension bien marquée à remonter plus haut et à considérer comme solidement établies les idées alors généralement reçues sur le mode d'action des agents naturels. Aujourd'hui, nous sommes obligés d'avouer que ce grand secret n’est pas encore décou- vert. Aux recherches théoriques que je viens de rappe- ler en ont succédé d'autres, qui ont démontré le peu de fondement des premières et nous conduisent à des conclusions tout opposées. Au lieu d'attribuer à la lu- mière, à la chaleur, une existence en quelque sorte matérielle, nous sommes conduits à les considérer comme un mode particulier de mouvement. Nous sera- t-il donné d'échapper aux défauts de nos devanciers? Saurons-nous mieux qu'ils ne l'ont fait ne jamais dé- passer les limites tracées par l'observation? Saurons- nous demander à l'expérience la sanction indispensable aux déductions de la théorie? Mieux éclairés que nos prédécesseurs, instruits de leurs mécomptes, nous de- vons nous tenir en garde contre des déductions trop hasardées, et tout en accordant une juste valeur aux recherches théoriques, ne jamais oublier que, dans le grand travail de coordination des phénomènes natu- rels, de nouveaux points de vue peuvent s'offrir à no- tre esprit, et nous conduire à modifier les idées parfois 521 trop exclusives auxquelles nous amènent des observa- tions isolées. Dans les travaux qui sont du ressort de la physique et de la chimie, l'esprit entrevoit de bonne heure la possibilité de faire découler tous les phénomènes d'un mème ordre d'un petit nombre de principes fondamen- taux dont le calcul permet de suivre les dernières con- séquences, el lon concoit dès lors qu'il cherche à les pénétrer, à les découvrir au moyen d'expériences bien conduites, pour simplifier les recherches ultérieures et en embrasser aisément l'ensemble. Mais dans les scien- ces, où l'expérience est presque constamment remplacée par l'observation, où les causes qui concourent à la production d'un même effet sont nombreuses et ne peu- vent pas être suffisamment isolées, on remarque encore celle tendance de notre esprit à ne pas se plier aux règles d’une logique sévère, et à essayer de découvrir, par une sorte de divination, les lois des phénomènes, au lieu de s'efforcer d'abord de saisir, au milieu de leur infinie variété, ce qu'ils peuvent présenter de constant et de régulier. Là où, comme en botanique et: en zoologie, l'un des principaux objets de la science est de réunir des êtres différents, de les comparer et de les classer, ces écarts sont peu à redouter. Mais lors- qu'il faut se rendre compte de la produetion actuelle ou ancienne de phénomènes compliqués, on est em- barrassé pour faire un choix entre les hypothèses émi- ses par les différents observateurs. Que de systèmes éphémères, plus nuisibles qu'utiles à l'avancement de la science, la géologie n'a-t-elle pas vu éclore sur les 522 causes diverses des cataclysmes de notre planète avant qu'on eût appris à étudier la composition et l'arrange- ment des couches qui en composent la surface, avant qu'on eùt senti la nécessité de procéder à l'étude de la structure de notre globe par une méthode rationnelle, de marcher du connu à l'inconnu! Le géologue doit retrouver la trace d'événements accomplis depuis des siècles; reconstruire, au moyen des données de lob- servation fécondées par l'induction et l'analogie, la physionomie de notre globe aux diverses époques de son existence, avec ses mers, ses continents el ses îles, avec les êtres qui en peuplaient la surface et dont il nous reste seulement quelques débris. Quelles perspectives de telles recherches n'offrent- elles pas à l'imagination, et à quels écarts celle-ci ne peut-elle pas se laisser entrainer si elle n'est rete- nue par une raison sévère! À quelles considérations de l'ordre le plus élevé n'est-on pas conduit, au con- traire, lorsqu'on parvient à établir, avec quelque pro- babilité, l'ordre dans lequel la vie s’est successivement développée sur le globe, et à saisir les traces du plan providentiel qui a présidé à la formation du monde! Parmi les phénomènes de cet ordre, ceux qui se pro- dusent dans l'atmosphère et dont l'étude est le princi- pal objet de la météorologie, ne sont pas les plus faciles à classer et à coordonner. Si nous sommes parvenus à reconnaitre la cause de quelques-uns d'entre eux, nous sommes encore loin du jour où l'homme pourra les em- brasser dans leur ensemble et essayer de se rendre compte de leurs lois, de leurs effets généraux, de leurs 523 relations mutuelles, et des particularités si singulières qu'ils présentent quelquefois. Cependant, que de ré- sultats importants n'ont pas été obtenus depuis que l'on s'est allaché à les suivre sur une vaste échelle, et à retrouver leur dépendance mutuelle! Telle est lin- fluence de la théorie, que nous sommes invinciblement conduits à nous appuyer sur elle pour relier entre eux les résultats de l'observation. Les causes qui agissent à la surface de notre globe paraissent se réduire à un fort petit nombre, à deux seulement : la rotation de la terre autour de son axe, l'action calorifique du soleil. On peut, en partant de ces deux causes et en tenant compte de l'inégalité superficielle des continents et des mers, rendre probable l'existence, dans notre atmos- phère, d'un mouvement général soumis, dans certaines parties, à des directions constantes ou périodiquement variables, telles que celles des vents alizés et des mous- sons; mais que de détails inexpliqués! Qu'il reste en- core à faire pour deviner les particularités que présen- tent les mouvements atmosphériques, et pour se ren- dre compte de ces autres courants si remarquables et si curieux que nous observons dans la vaste étendue des mers! Comment, d'après ces données seules, com- prendre par eux l'existence de cette masse d’eau cou- rante, véritable rivière dans l'Océan, suivant l'heureuse expression du lieutenant Maury; rivière dont les rives et le lit sont d’eau froide, pendant que son courant est d'eau chaude; qui, roulant un volume d'eau mille fois plus considérable que ceux du Mississipi et de l'Ama- zone, sort du golfe du Mexique, coule le long de lA- 524 mérique du Nord, et apporte sur les côtes de l'Angle- terre et de la France ses eaux bienfaisantes, réchauf- fées au soleil de l'équateur, dont nos climats tempérés recoivent ainsi une fois de plus la salutaire influence. Si la cause qui imprime une direction constante aux aiguilles de nos boussoles à des relations certai- nes avec l’action solaire, à combien de conditions ne faut-il pas avoir égard pour trouver la loi des chan- gements de la force magnétique dans les différents points de la surface du globe, et surtout pour expli- quer ces perturbations singulières que lon à si bien nommées des orages magnéliques, dont les unes se propagent avec une faible vitesse, tandis que les au- tres exercent simultanément leur influence sur des points séparés les uns des autres par de grandes dis- lances ? . I serait facile, Messieurs , de signaler dans les autres phénomènes inorganiques qui s'offrent à nous à la surface du globe, dans ceux bien plus compliqués qui se ratta- chent aux conditions dans lesquelles la vie s'exerce, de signaler, dis-je, cette tendance irrésistible, pour ainsi dire, de nos esprits à soulever au plus vite le voile épais qui couvre les lois mystérieuses de la nature, et à re- chercher la cause dont elles dépendent. Mais, au lieu de nous étendre sur un sujet en quelque sorte inépuisa- ble, examinons quels ont été les résultats de ces tenta- tives. Si nos mécomptes, si nos déceptions sont bien propres à nous faire comprendre notre faiblesse, ne pouvons-nous {rouver, dans ce que nous avons ob- tenu, des motifs de confiance pour l'avenir? De telles 525 recherches sont-elles inutiles à la science, ou contri- buent-elles à agrandir son domaine? Faut-il, parce que les vues théoriques ont contrarié plus d'une fois l'essor scientifique, y renoncer définitivement? Quelques ré- flexions bien courtes sur ce point, Messieurs, et ma tâche est terminée. Les spéculations de cet ordre sont condamnées d'une manière absolue par une école dont le point de départ est que chacune de nos conceptions principales, cha- que branche de nos connaissances , passe par trois états successifs, dont le dernier, qui doit être son état défi- nilif, est appelé par elle l'élat scienhfique ou positif. Rechercher les relations constantes de succession ou de similitude des phénomènes, tel est, d'après elle, l'unique but que l'on doit se proposer. Elle admet les hypothèses relatives aux causes secondaires; elle rejette comme chimériques, comme ayant un caractère anli- scientifique , celles qui concernent la détermination des agents généraux auxquels on rapporte les différents genres d'effets naturels. Sans suivre les conséquences diverses qui résulteraient de l'adoption de la doctrine fondamentale de l'école dite positive, examinons ses maximes au point de vue seulement des sciences ex- périmentales. En condamnant les recherches qui ont pour objet le mode de production des phénomènes, on ne prétend pas interdire les hypothèses imaginées pour relier en- tre eux les faits de même ordre, parce qu'on reconnait en effet que, sans cet artifice, la découverte des lois naturelles serait impossible pour peu que le cas pré- 526 sentat de complication. On ajoute seulement que ces hypothèses doivent toujours présenter le caractère de simples anticipations sur ce que l'expérience et le rai- sonnement auraient pu dévoiler immédiatement si les circonstances du problème eussent éié plus favorables. Pour celles-ci, dit-on, la vérification est accessible à nos moyens; pour les autres, elle est impossible. Cet argument présente une confusion qu'il importe de faire disparaître. Lorsqu'une hypothèse est proposée pour l'explication d'un certain nombre de phénomènes, on ne cherche pas à la vérifier en elle-même, mais à en déméler les conséquences, et ce sont celles-ci que l'on soumet à l'épreuve de l'expérience. Sous ce rap- port, loutes les hypothèses sont de même ordre, et au fond il n'y a de différence entre elles que les difficultés plus ou moins grandes que nous épouvons pour les suivre dans leurs dernières ramifications. Newton, en étendant à tous les corps de la nature sa grande loi de la pesanteur universelle, et en appliquant ainsi sur une grande échelle les règles de l'induction, faitl au- tre chose qu'une magnifique hypothèse dont 1l laisse à ses successeurs le soin de vérifier les conséquences? Pourquoi nous serait-il interdit d'aller plus loin et de rechercher, par exemple, si cette force doit être attri- buée à une attraction réelle entre les particules de ma- tière, ou doit être considérée comme l'effet d'une pres- sion exercée sur les corps par un fluide particulier? Pour tout esprit attentif, les phénomènes ne doivent pas suivre les mêmes lois, suivant que la pesanteur est due à l’une ou à l'autre de ces deux causes; et n'est-ce 527 pas pour nous un moyen réel d'agrandir le champ de nos connaissances, que de chercher à nous éclairer sur une telle question, pourvu toutefois que nous ayons soin de contrôler nos vues théoriques par l'observation ? L'illustre Ampère à établi un lien solide entre le magnétisme el l'électricité, en admettant que les ai- mants sont des assemblages de courants électriques. S1 l'on compare les deux ordres de phénomènes, il est bien difficile de vérifier cette hypothèse en elle-même ; mais, en la suivant dans ses conséquences observables, on parvient à lui donner un haut degré de probabilité. Pourquoi ne pourrions-nous pas rechercher la nature même des courants électriques? N'est-on pas porté à penser que la science ferait un grand pas si elle parve- nait à établir une liaison plus intime entre ces deux ordres de faits, par une perception plus claire et plus nette du mode de production de l'électricité? N'’en ré- sulterait-l pas des déductions importantes qui agran- diraient certainement le cercle des phénomènes soumis à notre examen? La chaleur et la lumière seront con- sidérés comme des forces agissant sur les corps; nous sera-t-il interdit de nous enquérir de leur nature intime, de rechercher si on peut les attribuer à un mouvement vibratoire ou à des particules douées d’une existence propre et de qualités spéciales? Mais les conséquences ne sont-elles pas différentes, suivant que l’on adopte l'une ou l'autre hypothèse, et cette seule considération ne suflit-elle pas pour qu'il y ait quelque intérêt à ten- ter la solution de ces questions difficiles ? C'est qu'en effet l’histoire est là pour attester que les 528 hypothèses sur la nature intime des agents naturels sont aussi légitimes que celles que nous sommes con- duits à faire sur les causes secondaires. Plus d'un fait important, plus d'une loi féconde, nous seraient encore inconnus sans cette inquièle curiosité qui nous en- traine invinciblement au delà des limites de l'observa- lion. N'est-ce pas à ses recherches théoriques sur la constitution des molécules des corps qu'Oersted dut sa découverte si remarquable de l'action des courants élec- triques sur les aiguilles aimantées? N'est-ce pas à ses vues sur la nature de la lumière que Fresnel doit plu- sieurs de ses lois les plus ingénieuses? Guidé par elles, il est conduit à penser qu'un rayon de lumière se divi- sera, en traversant certaine substance, en deux autres doués de propriétés dissemblables, mais en quelque sorte symétriques. L'expérience justifie complétement ces déductions. Autre exemple encore plus frappant : le mème physicien indique quelle doit être, toujours dans ses mêmes vues théoriques, la loi du phénomène connu sous le nom de double réfraction. I en donne l'expression mathématique ; il meurt après l'avoir véri- fiée dans queïques cas particuliers. Quelques années après lui, un géomètre anglais déduit, des formules de Fresnel, la conséquence singulière qu'un rayon lumi- neux, transmis au travers de certains cristaux, doit s'épanouir en une infinité de rayons distribués, suivant une loi régulière, sur une surface de forme conique, et dont aucun ne ressemble à ses voisins. Ce fait cu- rieux se vérifie exactement dans les conditions indi- quées par l'analyse du célèbre physicien français. N'y 529 a-t-il pas là extension de nos connaissances expérimen - tales, extension due uniquement à ces vues théoriques que l'on voudrait interdire à notre esprit? Non, ne repoussons pas ces tentatives hardies; loin de contrarier les progrès de la science, elles aident puissamment à les développer, soit par les idées nou- velles qu'elles font surgir, soit par les luttes qu'elles excitent. La seule condition à remplir, condition indis- pensable 1l est vrai, c'est de les soumettre à l'épreuve de l'expérience, d'en vérifier avec scrupule les diverses conséquences, de bien distinguer ce qui est démontré de ce qui reste encore à l'état de doute et de mystère. La science véritable se compose certainement des lois expérimentales; mais les recherches théoriques, aidées par les méthodes analytiques, sont pour nous un puis- sant moyen d'investigation bien propre à éclairer l'ob- servalion et à la guider. Si l'unité d'action, qui se ma- nifeste à nous dans le monde moral et que l'on entre- voit aujourd'hui dans le monde physique, parvient à être démontrée, nous devrons assurément un si pré- cieux résultat à l'emploi simultané de tous les moyens qui nous ont été donnés par le Créateur pour arriver à la connaissance de la vérité. state 406 rhtés Veil | PORTES LOL peer PEN S te Aie. ha - To ser NÉ Hépaer dsmitune. sh rart, es rec Re ef CAES * à | aille see Er nes. dalé que tar LE CODEN hour Mia 0 DE ne LL D" quoi D SD Boutin hs, clan tel NE 531 RAPPORT SUR LA SITUATION DE L'ACADÉMIE IMPÉRIALE * DE BORDEAUX, PENDANT L'ANNÉE 1866-1857: PAR M. BAUDRIMONT, Secrélaire Général, Lu dans la séance publique du 28 décembre 1857. MESSIEURS, Les Académies, à l'époque où nous vivons, ont une haute mission à remplir. Sentinelles avancées de la civilisation, elles aplanissent les voies dans lesquelles elle doit progresser. Réunissant en un seul faisceau la science, la littérature et les beaux-arts, elles ne peu- vent manquer d'exercer une heureuse influence sur l'état matériel et moral des sociétés. La science à produit des merveilles, aujourd'hui trop nombreuses, trop évidentes pour qu'il soit besoin de les signaler à l'attention générale, La littérature, en maintenant les bonnes traditions, sans enrayer le pro- grès, fortifie l'esprit, polit le langage et adoucit les 532 relations sociales. Les beaux-arts, traduisant les plus nobles ou les plus riantes pensées sous les formes per- mapentes de la peinture, de la sculpture ou de l'archi- tecture, où sous celles plus fugitives, mais plus émou- vantes peut-être de la musique, font la gloire des na- tions et rattachent les populations à leur patrie. L'A- cadémie Impériale de Bordeaux s'est efforcée de se tenir à la hauteur de sa mission, et s'il ne m'appartient pas de louer ses travaux, je vais essayer de vous en pré- senter une analyse suceincle, mais exacte, qui vous permettra de les apprécier. Notre année académique a été courte cette fois. La dernière Séance publique ayant eu lieu le 28 mars dernier, nous n'avons eu que six mois réels de travail; mais ils ont été bien remplis, et chacun de nous a la satisfaction d'avoir fait le plus possible pour se rendre utile. Comme l'an dernier, j'aurai l'honneur de vous parler successivement des travaux de l’Académie et de son personnel. Les travaux se divisent en productions originales et en rapports sur des sujets très-variés, soumis à l'ap- préciation de notre Compagnie. M. Abria, notre honorable Président, à lu un tra- vail sur la vitesse de la lumière dans les différents mi- lieux ‘. La lumière se meut avec une telle vitesse, que l'on a dû croire pendant longtemps qu'elle agissait instan- 4 Compte Rendu, 1857, p. 73. 933 tanément à toutes les distances. Ce n'est qu'en l'obser- vant dans les espaces célestes que l'astronome Ræœmer put trouver, en 4675, qu'elle parcourait environ 70,000 lieues par seconde. Sur des indications données par Arago, M. Fizeau parvint pourtant à la mesurer à la surface de la terre en 1849, et trouva sensiblement la même vitesse que Rœmer. Deux théories rivales étaient employées tour à tour pour expliquer les phénomènes de l'optique : celle de l'émission, due à Newton, et celle des ondulations, due principalement à Descartes, à Huyghens et à Fresnel. D'après la théorie de l'émission, la lumière devait se mouvoir plus rapidement dans les milieux denses que dans les milieux rares; par exemple, elle devait rece- voir un accroissement de vitesse en passant de l'air dans l’eau. D’après la théorie des ondulations, e’était le contraire qui devait avoir lieu. Une expérience directe, faite en 1850, a permis à M. Fizeau de trancher la ques- tion d’une manière définitive en faveur de la théorie des ondulations. Cette théorie, qui a suffi jusqu'à pré- sent à l'explication des phénomènes de l'optique, rend compte du fait remarquable de la double réfraction ; mais il faut avouer qu'elle a besoin d'être complétée en ce*qui concerne la constitution des corps qui jouissent de la polarisation circulaire. Considérée dans les espaces célestes, la vitesse de la lumière permet de déterminer l'époque à laquelle se sont produits des phénomènes qui frappent aujourd'hui nos regards et qui peuvent cependant être dus à des mondes qui ont cessé d'exister. Envisagée dans les 53/4 corps qui sont à notre portée, elle nous fait connaitre les particularités les plus intimes de leur structure, et elle est le plus sûr guide pour la recherche de la cons- titution de leurs éléments. M. Cirot de la Ville à lu une étude littéraire sur Job. Après avoir montré l'unité de l'œuvre, l'unité de ca- ractère du héros, comme condition essentielle de la beauté littéraire de l'une et de l'autre, l'auteur compare les plaintes du patriarche arabe à celles d'OEdipe, au désespoir d'Ulysse, au discours d'Achille à Priam, et ce rapprochement est toujours favorable au poète sacré *. M. Saugeon nous à communiqué une étude sur le crédit agricole *. * Le crédit paraît indispensable à l’agriculture, à son développement et au bien-être général qui en résulte- rail; mais jusqu'à ce jour elle en a été presque entiè- rement privée. On peut résumer ainsi la situation : au spéculateur, crédit illimité ; au commerçant, crédit étendu ; à l'industriel, crédit restreint; à l'agriculteur, crédit nul. Si l'agriculture, si digne de tout notre intérêt, n'ob- tient pas le crédit dont elle aurait besoin, cela tient à des causes inhérentes à sa condition spéciale, et les économistes ont cherché les moyens de lever les diffi- cultés sans nombre que ce sujet présente. M. Saugeon voudrait qu'on s'éloignàät, dans les ins- titutions agricoles, des procédés de la centralisation. 1 Voyez les Comptes Rendus, 1857, p. 85 et 141, pour quelques extraits. Ce travail sera imprimé dans les Actes. ? Compte Rendu, 1857, p. 101. 535 [Il demande que le comptoir agricole soit cantonal. Ses actionnaires seraient des propriétaires de la localité, qui fourniraient, non des capitaux, mais des garanties hy- pothéeaires. Une Banque départementale servirait d'in- termédiaire aux comptoirs cantonaux , et une Commis- sion pourrait relier les opérations des banques départe- mentales elles-mêmes. Tel est, Messieurs, le résumé d'un système qui pa- rait plus simple et plus facilement praticable que ceux qui ont été publiés jusqu'à ce jour, et mème que la plupart de ceux qui fonctionnent en pays étranger. M. Dabas a lu la première partie d’une étude litté- raire sur Judith ‘. L'auteur commence par se demander comment le sujet biblique de Judith, si tragique et si théâtral, n'a pas tenté plus souvent la scène française. Ce qui a dû . en détourner quelques-uns de nos auteurs, et peut-être les plus habiles parce qu'ils étaient les plus circons- pects, c'est la difficulté, non pas d’intéresser le public à la cause de l'héroïne, mais de l’associer suffisamment à son action et de l'en rendre jusqu'à un certain point complice. En vain l'Histoire Sainte nous at-elle fami- liarisés dès l'enfance avec le stratagème et le sanglant exploit de Judith. Tout en admirant son patriotisme, nous répugnons à son manége; le coup qu'elle frappe nous trouble autant qu'il nous étonne. Bref, nous n'ap- plaudissons qu'avec réserve à la conduite et à l'issue d'une entreprise dont nous aimons le but, mais dont nous ne pouvons approuver les moyens. ! Compte Rendu, 1857, p. 143. 35 536 Après le Mystère du viel testament du XV* siè- cle, et l'Holopherne d'Adrien d'Amboise, publié en 1580, parut en 1695 la Judith de l'abbé Boyer. La pièce réussit à se faire applaudir; elle eut dix- sept représentations; mais une fois sur le papier, elle ne séduisit plus personne, et la réflexion donna encore une fois raison aux vers de Boileau : Qui dit froid écrivain dit détestable auteur ; Boyer est à Pinchène égal pour le lecteur. Aussi, sa Judith, d'abord très-résolue, commence- t-elle, dès son premier début, à se sentir honteuse de sa ruse; elle a des scrupules, elle a presque des re- mords, elle semble rougir pour son Dieu lui-même de l'indignité de ses artifices. Quant à son Holopherne, c'est une sorte de miles gloriosus, de soldat vaniteux, fanfaron en amour comme en guerre, au demeurant point méchant homme, accessible à la pitié, généreax jusqu'à admirer Misaël qui est venu pour le tuer, et à lui accorder deux fois la vie. Il se prend d'un amour sérieux pour Judith; il devient timide, embarrassé, tremblant devant elle, et, qui le croirait? il finit par lui proposer de l'épouser! Holspherne épouser Judith! Le dénouement serait neuf. Judith est fort étonnée de celte offre, et elle a sujet de l'être. Mais comment, après un pareil trait, lui restera-t-il assez de courage pour couper la tête à cet excellent homme? On se sent prêt à s’attendrir et à pleurer, comme le bon financier de Racine, 537 pour ce pauvre Holopherne, Si méchamment mis à mort par Judith. M. Duboul nous à communiqué un travail sur la population et la production, dont la lecture à duré pendant deux séances. Il est difficile de faire une analyse succincte d'un travail aussi étendu et dans lequel se trouvent consi- gnés tant de faits importants. J'essaierai seulement de mettre les principaux en évidence. Il a été écrit prin- cipalement pour combattre la doctrine de Malthus. Après avoir constaté l'infériorité de notre production agricole sur celle de l'Angleterre, l'auteur en recher- la cause et la trouve principalement dans le manque de capitaux; il pense que les moyens de l’augmenter seraient principalement dans l'association et dans la création d’un bon système de crédit foncier *. M. Henry Brochon a lu un Mémoire sur la législa- tion indienne, ayant pour titre : Étude sur le code des Gentouæ. Ce travail remarquable a captivé votre attention et frappé vos esprits par son actualité. Il causera assurément un plaisir aussi grand à la lecture ; Il sera imprimé au prochain numéro de nos Actes *. On doit à M. Léo Drouyn un Questionnaire archéo- logique destiné à être distribué dans le département de la Gironde, afin d'obtenir des renseignements de- vant servir à la publication d'un ouvrage sur ce dépar- 1 Comptes Rendus, 1857, p. 111 et 127, et Actes de l'Acadé- mie, 1857. 2 Compte Rendu, 1857, p. 169. 538 tement, et qui est annoncé dans le Programme des Priæ proposés par l'Académie pour les années 1858 el 1859. La plupart des Mémoires qui viennent d'être analy- sés ont donné lieu à des conférences dans lesquelles cha- eun de nous apportait le fruit de son expérience. Plu- sieurs sujets importants ont été ainsi approfondis et élucidés. Le résultat de ces conférences à été reproduit par une analyse succincte, et inséré dans les comptes rendus de l'Académie. Celle sur le crédit agricole a ré- vélé des faits d'une grande importance et qui devront ètre pris en considération par ceux qui se proposeront de traiter le mème sujet. Celle survenue à la suite du travail de M. Duboul, sur la population et la produc- lion, mérite aussi d'être consultée au point de vue des intérêts généraux et des besoins spéciaux du départe- ment de la Gironde. Les travaux des Académiciens ne sont point bornés à des lectures. M. H. Minier a fait hommage à l'Académie d’une pièce de poésie intitulée : Les Millions de M. Jean. M. Charles Des Moulins a déposé aux Archives le discours qu'il a prononcé à la Société Linnéenne, et qui à pour litre : Les Savants Voyageurs à Bordeaux. M. Laterrade père, notre vénérable doyen, retenu dans son domicile par les infirmités et la douleur, n’a point cessé de consacrer son lemps à la science, et il a publié un supplément à la 4° édition de la Flore bordelaise. Ce supplément contient la détermination de 257 espèces nouvellement observées, portant le 539 nombre total des espèces végétales qui croissent spon tanément dans le département de la Gironde, à 2,444. M. Delpit à fait hommage à l'Académie d’un ouvrage imprimé ayant pour titre : Le Droit du Seigneur. Les Rapports faits cette année ont été nombreux et quelquefois fort étendus. Indépendamment de ceux qui sont nécessités par chaque Concours, il y a ceux qui sont faits sur les Mémoires ou les publications soumis au jugement de l'Académie. Parmi ces derniers, je ci- terai d'une manière spéciale un Rapport de M. Geffroy, sur {rois ouvrages adressés à l’Académie par l'Univer- sité de Christiania : le premier était un annuaire de cette Université pour l'année 1851; les deux autres ouvra- ges, des imprimés en islandais ou norske, c’est-à-dire dans la langue qui fut parlée par les nations scandina- ves jusqu'au XIV® siècle et qui est encore conservée en Islande ; ils traitent de l'histoire d'Olaf I Tryggwesün, et d'Olaff IT le saint. M. le Rapporteur en a traduit une partie, et sa traduction a été publiée dans nos comptes rendus *. M. Charles Des Moulins à fait plusieurs Rapports sur des sujets très-variés : sur une Notice historique des travaux de la classe des sciences physiques de Tu- rin; sur un Catalogue de lichens recueillis dans l'ar- rondissement de Cherbourg; sur les Annales de la Société d'Agriculture d'Indre-et-Loire; sur la mala- die de la vigne et de lu pomme de terre; sur une Monographe des Testacelles, par MM. Fischer et ! Compte Rendu, 1857, p. 86. 540 Gassies, pour laquelle des remerciments ont été adres- sés à leurs auteurs. M. Duboul et moi avons rendu compte du Journal des Savants. M. Durand a fait un Rapport sur la Science des Fon- taines de M. Dumas. M. Dabas a fait un Rapport sur une traduction en vers français d'OEdipe à Colonne, par M. L. Ri- chaud. Ce Rapport, qui témoignait des connaissances pro- fondes de son auteur dans la langue et la littérature grecques, à été écouté avec le plus vif intérêt. M. Saugeon a rendu compte à l'Académie de plu- sieurs publications : 4° sur Jean Guiton , dernier maire de la commune de La Rochelle, par M. P.-S. Callot, ex-maire de la mème ville ; 2 sur les fables de M. Bour- going; et 3° sur la vie et les ouvrages de Bernard Pa- lissy, par M. Matagrin. M. Brunet a fait divers Rapports sur les publications de l'Académie Royale de Hollande, sur celles de la 50- ciété Smithsonienne, et notamment sur le projet d'éta- blir un chemin de fer qui réunisse les États-Unis d'A- mérique avec l'Océan Pacifique. MM. Mänès et de Lacolonge ont fait un Rapport très-étendu sur les brevets pris aux États-Unis et pu- bliés par M. Ch. Mason, commissaire au bureau des patentes de ce pays. M. Gout Desmartres a rendu compte du dernier vo- lume publié par l'Académie del Gay saber, de Tou- louse, et a fait un Rapport très-favorable sur un ou- 541 vrage de M. Martinelli, intitulé : Causeries de paysans en vers el en prose. Parmi les publications des Membres honoraires et des Membres correspondants de l'Académie, nous avons recu un travail de M. de Bryas sur le drainage, un travail manuscrit de M. Résal sur le mouvement de rotation des corps, et une brochure de M. Lacour sur l'Influence de l'esprit du polythéisme comparée à celle de l'esprit du monothéisme. M. Boucher de Perthes nous a adressé récemment le 2° volume de ses Antiquités celtiques antédiluvien- nes; ouvrage éminemment remarquable, dans lequel l'auteur à consigné ses recherches personnelles, qui viennent combler une lacune sur les époques anté- historiques. M. Marcel de Serres nous à également communiqué des recherches sur les mollusques perforans et sur une nouvelle espèce d'huître fossile. L'Académie à continué de correspondre et d'échan- ger ses publications avec la plupart des Sociétés savan- tes de France et une partie des Sociétés étrangères. Parmi ees dernières, l'institution Smithsonienne des États-Unis d'Amérique mérite une mention toute spé- ciale pour le grand nombre de travaux qu'elle édite et fait parvenir à ses correspondants. Les publications que nous en avons reçues ont été l'objet de Rapports spéciaux, notamment de la part de M. Brunet. Le Rapport de M. Mason, sur les brevets d'invention pris aux États-Unis jusqu'en 1855, en 3 vol., déjà cité, mérite aussi une mention spéciale. De son côté , le gou- 542 vernement français nous à envoyé la description des brevets d'invention expirés et de ceux pris sous le ré- gime de la loi du 5 juillet 1844. Nous avons aussi recu les procès-verbaux et délibérations du Conseil général du département de la Gironde, et les travaux du Conseil d'Hygiène publique et de Salubrité de ce même département. A cette liste déjà fort longue et très-incomplète, il convient d'ajouter les principaux journaux scientifiques et littéraires publiés dans la ville de Bordeaux : L'Ami des Champs; par MM. Laterrade ; L'Agriculture comme source de richesse, par M. Petit-Lafitte ; Le Bulletin de la Sociélé Philomathique; Le Journal d'Éducation de M. Clouzet ; Publications qui méritent d'obtenir le plus grand succès, car elles sont faites bien plus dans l'intérêt de ceux qui peuvent les lire, que dans celui des éditeurs, qui ne les ont en général entreprises que par un pur dévouement au maintien et au progrès de la civilisation. Lors de notre dernière Séance publique, nous nous réjouissions de voir que, pour la première fois, le nom- bre des Académiciens avait atteint quarante, limite autorisée par notre Règlement constitutif. Nous étions loin de nous attendre qu'avant la Séance suivante nos rangs seraient déjà éclaircis; mais la mort inexorable est venue deux fois frapper à notre porte, et en moins de trois jours elle nous a ravi deux de nos collègues : M. de Boucheporn et M. Burguet. 543 M. de Boucheporn appartenait au corps des ingé- nieurs des mines, et par cela même il était sorti de l'École Polytechnique et possédait tout à la fois des connaissances profondes dans les sciences mathémati- ques et dans la géologie, but des sciences naturelles. Son esprit, toutefois, le porta principalement vers les spéculations cosmologiques. Il tenta d'expliquer les principaux accidents observés à la surface du globe terrestre, en admettant qu'ils étaient dus à une suite de chocs produits par la rencontre de comètes se mou- vant dans l'espace. Ses opinions sur ce sujet sont consignées dans des Recherches sur l'histoire de la terre et sur les causes des révolutions de sa sur- face. Si l’idée qui fait la base de cet ouvrage n’est pas ueuve elle n'a pas moins acquis de l'importance par la manière dont elle est traitée par l’auteur. La principale publication de M. de Boucheporn est un livre traitant, comme ceux de Descartes et de New- ton, du principe général de la philosophie naturelle. La pensée de l’auteur se révèle tout entière dans les premiers mots de l'Introduction de ce livre : « Trouver des causes réelles aux lois fondamentales qui régissent les mouvements de la matière inorganique et forment la base des phénomènes généraux de la physique et de l'astronomie ; substituer des effets saisissables et un en- chainement rationnel à de pures dénominations, un principe unitaire à des faits encore épars, sans cepen- dant imaginer aucune force, attribuer à la matière aucune qualité étrangère à ses deux seules propiétés 544 essentielles, limpénétrabilité et linertie, tel sera l'ob- jet de cet ouvrage. » En effet, Messieurs, dans ce travail, fruit de pro- fondes méditations, notre regrettable collègue, partant des idées les plus élémentaires, reconstruit tout notre système planétaire el aborde les principaux phénomèe- nes de la physique dans une suite de propositions qui s'enchainent les unes aux autres comme celles d'un Trailé de Géométrie. On peut résumer son travail en disant qu'il a fait pour le système de Descartes ce que de La Place avait fait pour celui de Newton. Forcé de me restreindre dans des limites fort étroi- tes, il m'est impossible de développer davantage ce su- jet; mais je ne puis m'empêcher, en terminant cette courte analyse, de témoigner létonnement que lon doit éprouver en voyant qu'un ouvrage de cette impor- tance n'ait pas'exercé sur les sciences qui s'y ralla- chent la légitime influence qui lui était due. Le 19 novembre 1857, vous avez entendu M. de Boucheporn prononcer son discours d'admission parmi nous : aujourd'hui, il n'y est plus. S'il y resta peu de temps, il y laissera des souvenirs durables, et nous pouvons dire que son nom sera dans l'avenir une des gloires de. notre Académie. Chacun de vous, Messieurs, a connu M. le D' Bur- guet, enlevé si rapidement, si inopinément à sa pro- fession, dont il accomplissait religieusement les devoirs ; à la science, qu'il chérissait, et à notre affection. Au- 545 teur de plusieurs Mémoires de médecine et d'hygiène, ancien vice-Président du Conseil d'Hygiène publique, Secrétaire général de la Société de Médecine de Bor- deaux, on le vit dans toutes ces conditions donner des preuves d'une solide érudition et d'un excellent juge- ment. Médeein par sa profession, philosophe par la nature, il a porté dans toutes ses actions ce cachet et cette exactitude qui révèlent homme supérieur et le rendent doublement regrettable. Les pertes de l’Académie ne se sont point bornées à ces deux collègues disparus si subitement ; deux de ses membres correspondants ont dû subir aussi la loi de la pature : M. Thurmann, ancien directeur de l'École normale du Jura bernois, 4 Porentruy en Suisse, auteur d’un grand nombre de travaux originaux sur la botanique et la géologie; Et M. Cotard, littérateur distingué qui avait long- temps habité Pons {Charente-Inférieure }, et qui est venu lerminer sa carrière à Bordeaux. Les pertes éprouvées par l'Académie ont été en par- tie comblées par la nomination d'un membre corres- pondant, M. E. Delachapelle, régent de rhétorique au Collége de Cherbourg, auteur de plusieurs publications littéraires, et lauréat de notre Académie. Vous voudrez bien m'excuser d’être entré dans desi 546 longs détails; mais en abrégeant trop le résumé de vos travaux, j'aurais craint d'en diminuer la valeur, et malgré mes efforts, j'ai encore à redouter de n'en avoir été que l'interprète indigne, et de n'avoir pu donner qu'une idée fort imparfaite de la haute estime que j'ai pour eux. Mon intention a surtout été de faire voir que chacun de nous s’est efforcé de se tenir à la hauteur de la mis- sion assignée aux membres des sociétés académiques. 947 RAPPORT SUR LE CONCOURS DE POÉSIE DE 1857 PAR LA COMMISSION composée de MM. le M° De BOURDILLON, GOUT DESMARTRES er H* MINIER, Rapporteur. MESSIEURS, Si l'amour-propre des poètes est facile à s'irriter, la présomption des faiseurs de vers est non moins prompte à prendre feu ; — tout le monde sait cela, tout le monde l'a dit. Il n'est donc pas de mission plus délicate que celle dont je viens m'acquitter aujourd'hui ; — et, après l’a- voir remplie l'année dernière, l'accepter de nouveau, c'est vous donner, Messieurs, la preuve la plus cer- taine de mon dévouement académique. Rapporteur d’un Concours où la vanité des poètes est en jeu, je suis sûr d'avance de n'en satisfaire aucun, précisément parce que je m'efforcerai d'être juste en- vers tous. La louange, sur mes lèvres, ne sera jamais assez douce , et la critique paraitra toujours trop amère ; — je ne glanerai pas une sympathie, et je moissonne- rai des rancunes. — N'en ai-je pas fait l'expérience ? Mais, du moment que la tâche qui m'a été confiée s'élève à la hauteur d’un devoir, je n'hésite point à m'en charger : Fais ce que dois, advienne que pourra. Vingt et une pièces de vers ont été envoyées au Con- cours de poésie que vous avez ouvert en 4857. Votre Commission, après un scrupuleux examen, s'est vue obligée de refuser à quatorze concurrents les honneurs de la lutte, — leurs productions étant dé- pourvues de toute valeur littéraire. Aux unes, c’est l'idée qui fait entièrement défaut ; aux autres, c'est le style. Plusieurs sont à la fois insuffisantes et par le fond et par la forme; enfin, il en est, dans le nombre, qui témoignent d'une ignorance complète des premiers éléments de la prosodie. Voici le numéro d'ordre et le titre des pièces que votre Commission n'a pas jugées dignes de fixer un seul instant votre attention. 63. — Port-Royal. 219. — La Gaîlé de nos pères. 299. — Pourquoi le saule pleure. — La Violette et le Cœur. 300. — Marie. 304. — La Parabole du curé. 319. — Jean, maître sot. 375. — Réverie. 371. — Les Soplustes et l'Evangile. 379. — Au Verbe incarne. 380. — Epiître à Lamartine. 382. — La Campagne. 422. — Noblesse oblige. 424. — Frère et Sœur. 425. — Sardanapale. Les deux tiers des envois écartés du Concours à la première lecture, voilà, certes, un résultat bien triste à constater! Mais faut-il, pour cela, appréhender l'a- venir? Faut-il désespérer de l'art des vers? Non, mille fois non! La poésie, aussi bien que la nature, a ses intempéries; le soleil ne brille pas toujours à propos pour la moisson des champs, et l'inspiration ne vient pas toujours au moment propice visiter le cerveau du 550 poète. Rarement l'abondance succède à l'abondance, et rarement aussi le même champ demeure deux fois de suite improduetif. Ne nous alarmons done pas d'une année disetteuse. En 4856, la récolte poétique fut ri- che et brillante dans votre domaine ; en 1858, elle sera peut-être et plus riche et plus brillante encore! Et d'ailleurs, si légère que soit la gerbe que la muse vous apporte cette année, elle prouve que le terrain où fleurit la poésie n'est pas stérile; cela suffit. C'est done sur sept pièces de vers, — qui toutes ne sont pas irréprochables, — que votre Commission ap- pelle l'attention bienveillante de l'Académie. — Nous allons vous les présenter dans l'ordre ascendant de leur mérite poétique : 303.— Le Second Martyr.— Le déplorable atten- lat commis sur la personne sacrée du vertueux arche- vêque de Paris, M5 Sibour, a inspiré cette ode. — Les vers ne laissent rien à désirer quant à la correction ; mais point de chaleur, point de mouvement, point de soufile, point d'inspiration! — C'est de la froide rhéto- rique; c'est de la poésie au compas; et l'indignation qui devrait, en face d'un forfait odieux, jaillir sponta- nément de l'âme du poète, s’attarde dans une série de strophes déclamatoires. Quelques passages, cependant, échappent à ce re- reproche; celui-ci, par exemple : Soudain, l’anathème à la bouche, Et la colère dans la voix, 551 Semblable au tigre qui se couche Pour mieux jaillir du fond des bois, Jetant un cri terrible au milieu du silence, Le fantôme se dresse, il se lève, il s’élance ! Une arme brille dans sa main! Et, souillant du saint lieu le sacré privilége, j Il plonge tout entier le couteau sacrilége Au cœur dont il sait le chemin ! 78. — L'Amour des Champs. — Le calme de la campagne, opposé à l'agitation de la ville, a suggéré à l'auteur la pensée de cette épitre. Le sujet n'est pas neuf; Horace l’a traité de main de maitre; et, cepen- dant, c'est là une antithèse toujours si féconde, que l'auteur, après Horace et après tant d'autres, a pu y glaner quelques vers heureux. Nous vous les citons, en regrettant que le reste de la pièce soit pale et sans vigueur : Paris ! Jaime Paris, où s’illumine l'âme : Ses écoles, son Louvre et ses quais et ses ponts ; Son fleuve transparent comme un regard de femme ; Ses théâtres rivaux, sa vieille Notre-Dame ; Ses héros, ses martyrs, ses anges, ses démons ; Ses modes, sa licence, et sa voix souveraine Qui consacre un autel ou brise un piédestal ; Ses agitations qu’un rien calme ou ramène ; Ses amours sans raison, ses fous accès de haine: Dans les communs destins son poids noble et fatal. Mais tout cela vaut-il l'arpent qui me vit naître ; 36 552 Le chaume où des baisers accueillirent mes pleurs ; L'école où sur nos doigts tapait si fort le maître ; Et les raisins volés au voisin qui, peut-être, Ne touchait qu'aux mauvais pour laisser les meilleurs ? 876. — Les Devoirs du poèle. — Détachons tout d'abord quelques fragments de cette brillante composi- tion : En toute occasion honore ton génie ; Sois digne de répandre à flots cette harmonie Qui nous enivre tous comme un parfum de fleur. Sache unir à la fois le talent et le cœur. Garde ta liberté, ne vends jamais ton âme : L'écrivain qu’on achète est doublement infâme ; Il a perdu le droit de se faire admirer ; Son talent ne sert plus qu'à le déshonorer ! Quoi! flétrir les vendus... et soi-même se vendre! Tu savais attaquer et non pas te défendre, Transfuge méprisable et soldat sans honneur ! L'honnète homme résiste à l’or du suborneur ; La pauvreté grandit son âme noble et fière. Qu'importe! si son front repose sur la pierre, Pourvu que sa pensée éclose librement, Vierge et sans tâche monte au sein du firmament! Va parcourir les champs, monte sur la colline ; Livre ton âme entière au souffle inspirateur ; De la création contemple la grandeur : Ces plaines sans limite et ces hautes montagnes ; Ce grand fleuve ondulant à travers les campagnes L'imposante nature, au moment du réveil, Déroulant ses trésors à l’éclat du soleil ! Au milieu des parfums, au sein des mélodies, Peins-nous ce grand spectacle en images hardies ; Fais passer dans nos cœurs ton admiration ; Et, l'esprit emporté par l’exaltation, Dévoile à nos regards l’invisible puissance Qui, pour tous, a créé cette magnificence ! ÉMCACPONC NON DICO MOI CIOIEC PORN SSD OC CO DIDION CDD OR ONCE IC Énergique parfois et souvent onctueux, Hardi propagateur d’une morale sainte, Ranime la chaleur de cette ffamme éteinte ; Champion du devoir et son vrai défenseur, Sois apôtre plutôt que vulgaire censeur !.… Voilà des vers inspirés par les plus nobles sentiments. — On ne peut ni si bien comprendre ni si bien exprimer la mission du poète, sans l'être soi-même, — sans avoir reçu du ciel l'influence secrète; — l'auteur l'a prouvé. — Seulement, et c'est très-fàcheux, d'impardonnables négligences tachent çà et là cette élégante poésie. — Le style éprouve des défaillances soudaines, et sou- vent, à la place de la rime qui se faisait attendre, on trouve une déplorable cheville. — Ce sont ces dispa- rates choquantes qui nous ont empêché, à notre grand regret, d'accorder aux Devoirs du poèle une meil- leure place dans ce Concours. 381. — Le Coup de dé, comédie en trois actes. — Nous avons vainement cherché une intrigue et des ca- ractères dans celte triple série de dialogues bourgeois que l'auteur a prétentieusement décorés du titre de 554 comédie, et dont voici en deux mots le sujet : — Charles adore la poésie; son père, M. Préval, adore les chiffres, et cela se conçoit, il est négociant. — M. Préval s'alarme de voir son fils enfourchant Pégase, ce cheval qui porte Son cavalier à l'hôpital. L'obstiné Charles n'en continue pas moins à faire des vers, — attirant sur sa tête les foudres paternelles. — Par bonheur pour le jeune métromane, un ami de la famille, M. Derville, arrive de Paris, où, gràces à ses relations avec le directeur de l'un des principaux théà- tres de la capitale, il a fait jouer une pièce composée en cachette par le fils du négociant. — Cette œuvre dramatique a obtenu un brillant succès. — La colère de M. Préval est désarmée; son fils, lheureux Charles, suivra librement sa vocation. Il ira à Paris, mais non pas seul; il aura, pour compagne et pour muse, le fortuné poète! — la fille de M. Derville, que celui-ci lui donne en mariage. — Il va sans dire qu'elle est très-jolie et très-riche. Voilà donc le Coup de dé! S'il n'y a, comme nous l'avons déjà dit, ni inven- tion, ni péripétie, ni charpente dans ces trois actes, dont le dénoument se laisse entrevoir dès les premières scènes, on y remarque, en revanche, une versification facile et correcte; le mot propre est toujours en son lieu et la rime ne semble jamais s'être fait chercher. — Ce distique, placé sur les lèvres du principal person- 555 nage de la pièce, définit très-bien la manière de l’au- teur : Comme un charmant ruisseau sur le sable roulant, Son vers coule avec grâce et murmure en coulant. Mais cette paisible fuite et ce doux murmure ne suflisent pas au style dramatique, surtout dans une œuvre où la vivacité du dialogue doit faire oublier l'ab- sence de l'intrigue. — Il faut une conversation ani- mée, des reparties piquantes, de l'esprit, de la verve, du trait; il faut, en un mot, tout ce qui manque au Coup de dé. 389. — Les Pervenches. — Ceci est un bouquet composé de neuf fleurs printanières, neuf fleurs de poésie, écloses aux premiers feux d'une inspiration naissante. — Tout est frais, tout est pur, tout est can- dide dans ces vers cueillis par une pensée matinale ; — on croit voir au bout de chaque hémistiche briller une goutte de rosée. — Sans doute, il y a encore de l'hé- station , de l'embarras dans la démarche de cette muse timide, qui probablement se hasarde pour la première fois à gravir le coteau sacré. — Mais, tenant compte à l'auteur de ses modestes prétentions, et satisfaits d'a- voir trouvé, dans les Pervenches, de la grace et du sentiment, c'est surtout avec le cœur que nous avons apprécié ces mélodieux petits poèmes, qui tous sont nés d'une pensée religieuse ou d'un aimable souvenir. — Lequel vous offrir! Nous ne voulons pas faire de 556 choix. — Ouvrons le recueil, et puisque le Sentier est sous nos yeux, parcourons-le ensemble : Le Sentier. xxx . A MARIE Au fond de la montagne, Où croît le chêne altier, Suis-moi, chère compagne, Je sais un vert sentier Plein d'ombre, de mystère, De calme et de fraicheur, Asile solitaire , Du silence réveur. Sur un lit de verdure, Avec le plus doux bruit, Y coule, fraiche et pure, Une onde qui s’enfuit, Baignant sur son passage Les mousses et les fleurs Qui parent son rivage Des plus tendres couleurs. L’insecte vif et frêle , Au corselet changeant, Y vient mirer son aile D’azur, d’or et d'argent, Et le léger nuage Qui passe dans les airs, Aime à voir son image Glisser sur ses flots clairs. C’est là qu’en mon enfance Paimais à me trouver, 597 Pour prier en silence Et doucement rêver ; Fuyant de mes compagnes Les trop bruyants ébats, Vers mes chères montagnes Je dirigeais mes pas. Là, m'asseyant, pensive, Sur la mousse des bois, J'écoutais, attentive, Ces mille et mille voix, Concert de la nature Offert au Créateur, Et dont le doux murmure Faisait battre mon cœur. C’est dans ce lieu champêtre Que j'esquisse d’un trait, Qu'en moi je sentis naître Des vers le doux attrait ; C’est là qu’un saint délire Excitant mes transports, J’essayai sur ma lyre De timides accords. Et maintenant, Marie, Quand je revois ces lieux, Mon âme est attendrie, Des pleurs voilent mes yeux: Car ce vallon rappelle À mon cœur désolé. Mon enfance si belle, Mon bonheur envole ! 558 305. — Les Regrets d'un vieillard. — L'auteur a soixante-quinze ans, il nous l'aflirme; et, en lisant les vers qu'il vous à envoyés, nous serions presque tentés de ne pas le croire, tant il y a de sève et de fraîcheur dans celte poésie sentimentale. — Le vieillard, depuis longtemps, à vu fuir ses belles années, et, sur leurs ailes rapides, elles ont emporté tous ses amours, tou- tes ses illusions, tout son bonheur. — Les vers mélan- coliques dans lesquels le poëte exhale ses regrets, sont pleins d'une douce et pieuse résignation; ils offrent parfois d'agréables images et toujours de la correction et de l'élégance; mais les strophes se succèdent surchar- gées d'héniistiches oiseux ; c’est sans cesse la même idée retournant le même habit. — La monotonie qui en ré- sulte rejaillit des détails sur l'ensemble et lui enlève une partie de son charme, Le début de la pièce est des plus heureux; je tiens à vous le faire connaitre : Unique rejeton, quand, sous l'œil d’une mere, Enfant, je grandissais pour un heureux destin, Comme un jeune palmier que baigne une onde claire, Et qu’aime à caresser la brise du matin. Quand les doigts effilés de sa main blanche et pure Enroulaient en anneaux ma blonde chevelure, Qui, s’ouvrant sur mon front, y laissait déposer L’inetfable douceur d’un maternel baiser… Quand, sur la molle couche où dormait mon enfance, Avide de jouir de mon premier regard, Penchée, elle attendait dans un discret silence Mon réveil, que son cœur accusait de retard. Et quand , au mois de mai, dont la gerbe fleurie 559 Effeuillait ses parfums à l'autel de Marie, Ensemble agenouillés sur les degrés pieux, Nous offrions ensemble, à la Reine des cieux, L’encens de notre amour et notre humble prière… Alors, autour de moi, tout était radieux ; Je m’enivrais de fleurs, de parfums, de lumière ; Mon jeune cœur alors de tout était charmé : Alors j'étais heureux, puisque j'étais aimé !.…. Mais depuis que j'ai vu, sous la faucille avide, Soixante-quinze fois tomber l'or des moissons ; Que les sombres hivers ont sur ma tête aride, Vingt fois émietté leur neige et leurs glaçons , Les baisers, les parfums, les fleurs et la lumière, Dans mon trop long chemin sont restés en retard, Et je n’ai conservé que la sainte prière, Seule compagne du vieillard. Alors, je me suis dit dans ma tristesse amère, L’œil humide de pleurs à peine retenus : Oh! mes heureux dix ans, qu’êtes-vous devenus ? Votre Commission, Messieurs, vous prie d'accorder deux mentions honorables : la première, à l’auteur des Regrets d'un vieillard; la seconde, à l'auteur des Pervenches. 423.— Le Poète. —Une jeune dame, en apercevant l'auteur, s'écrie : Ah! voilà le poète! — Celui-ci courbe le front, et repousse avec modestie la flatteuse qualifi- cation de poète; mais les termes dans lesquels il la re- fuse, prouvent qu'il l'a bien méritée; — absolument comme dans cel opéra comique où une jeune fille dé- 560 ploie toutes les ressources d'une voix magnifique, en répétant toujours : Non, non, je ne veux pas chanter! Cette pièce, — la dernière que nous ayons à vous presenter, et par conséquent celle qui nous a paru de- voir occuper la place d'honneur dans ce Concours, — celle pièce, disons-nous, révèle chez son auteur le germe d'un véritable talent, — Ce n’est encore là qu'une espérance, mais une espérance brillante; — vous allez, Messieurs , en juger vous-mèmes : Le Poète. ++ A MADAME Un jour que, sous vos yeux, j'allais seul, à pas lents, Vous avez dit, Madame : Ah! voilà le poëte! J'étais rêveur. Soudain, dans mon âme muette, Ce nom a réveillé de généreux élans, Et, pendant un instant, moi qui vous ai bénie, J'eus l’orgueil, — pauvre enfant que berce un rêve d'or, — De croire à la grandeur d’un nom que je renie, Parce que mon jeune âge en est indigne encor! Oh! Madame, est-ce être poète Que de voir, du cœur et des yeux, Briller l’avenir qu'on souhaite Dans l’astre qui scintille aux cieux ? De chercher dans ce qui respire — Ici-bas comme au firmament, — Pour l’âme un rayon qu'elle aspire, Pour la pensée un aliment ? 561 De parler avec le silence ; De s’en aller toujours révant Au chant de l'oiseau que balance La branche en fleurs qui tremble au vent, Aux parfums des roses ouvertes Sous les larmes du frais matin, Au bruissement des herbes vertes, Au calme du jour qui s'éteint ! D'observer tout, d'entendre l'onde, Les bois où tout va s’assoupir, Les blés courbant leur tête blonde. Dire un harmonieux soupir! De suivre dans les blanches nues De vagues souvenirs chéris, D'’y voir les formes bien connues De ceux que la mort nous a pris ? Est-ce être poète, Madame, Que, — dans l'ombre où l’on vient s'asseoir, — De se livrer de corps et d’äme À quelque rêve éclos un soir ? D’adorer Dieu dans ses ouvrages, Dans le germe en la terre éclos. Dans l’azur du ciel, dans l'orage, Dans le calme ou le bruit des flots ? De l’admirer dans la nature, Lui, de tout la source et l’auteur, De chanter à la créature Ce qu’elle doit au Créateur ? 562 De rendre un hommage à la gloire, Au peuple, au trône, à la vertu, Au soldat digne de mémoire Qui pour nous a bien combattu ? De sentir son àme attristée F Au sombre penser de la mort ? De plaindre la vierge éhontée Qui vend sa beauté sans remord ? D'’avoir des pleurs pour la souffrance, Pour le malheur de la pitié, Pour le crime un mot d'espérance, Un sourire pour l’amitié ? D'’aimer, enfin, d’avoir une âme Que dans la sienne on cache au jour, D'’avoir des soupirs pour la femme, D’avoir des hymnes pour l’amour ! Alors, oh! si c'est là, Madame, être poète; Si, pour gagner un nom si beau, Il suffit que la foi, dans une âme muette Allume la pensée avec son pur flambeau ; S'il suffit de rêver dans une molle extase ; S'il suflit que l'amour d’un regard nous embrase, A ce nom dit par vous peut-être ai-je des droits ? Car la pensée en moi bout comme l’eau d’un vase; Car j'aime, je rève et je crois ! Mais il est lourd pour moi, Madame, Ce grand nom si mystérieux! 1 faut génie et force d'âme Pour porter ce faix glorieux! 563 Il faut certe une âme aguerrie Contre les caprices du temps, I faut une raison mürie, I faut avoir plus de vingt ans! Aussi, mon cœur, timide encore, Lys qui vient de s'épanouir, Par l'éclat dont on me décore Ne se laisse point éblouir. Il sait qu’elle est rude sa tâche, Qu'il doit livrer bien des combats ; I sait que la haine s'attache A tout ce qui brille ici-bas. Il sait qu’en cette pauvre vie Où le mal triomphe du bien, Il faut, pour défier l'envie, Être humble outrès-grand , — tout ou rien! Prépare-toi donc en silence Un nom plus brillant et plus sûr; Le soleil aux cieux ne s’élance Que lorsque leur voûte est d'azur! Pour recueillir ton âme ardente, Fuis, oh! fuis ce monde moqueur ; Souffre, s’il faut, comme le Dante ; La souffrance élève le cœur. Avant de déployer leurs ailes, On voit s’essayer les oiseaux ; Avant de lancer leurs nacelles. Les pêcheurs contemplent les eaux. 564 Essaie aussi ton vol; contemple ! L'amour est éternel en tout: Le Christ est toujours dans son temple Et la rêverie est partout ! Contemple, jeune créature, Pour inspirer ton àme en feu, L'œuvre parfaite : — la nature; Le poète parfait : — ton Dieu ! Voilà ce qu’en mon cœur je me disais moi-même, Lorsqu'un seul mot de vous, qu’écho m'a répété, Me rendit, à Madame, à mon rêve enchanté, A ma lyre, à tout ce que j'aime, Et c’est avec bonheur que pour vous j'ai chanté! Merci donc! — Oh! si c’est une aurore nouvelle, Si c’est mon avenir que ce nom me révèle, Merci! — Puisse ce jour me luire avant longtemps ! Eh! n'est-ce pas assez de la voix d’une femme, D'un regard de ses yeux pour embraser une âme ? Pour faire un poète à vingt ans! Le seul défaut de cette pièce est un défaut dont l’au- teur se corrigera loujours trop vite, la jeunesse. —Oui, il y à exaltation, effervescence, délire, dans ces vers qui jaillissent en désordre d'une jeune tête tourmentée par l'inspiration, comme les étincelles d'un brasier dont le vent surexcite l'ardeur; — oui, tout cela pour- rail être mieux pensé, mieux coordonné, mieux dit, et néanmoins (out cela est charmant ; — charmant, parce que c’est jeune. 565 Vos Commissaires, Messieurs, ont été unanimes pour émettre le vœu qu'une médaille d'encouragement füt décernée à l'auteur du Poète. Eh bien! Messieurs, si peu nombreux qu'ait été ce Concours, si modeste qu'en soit le résultat, n'avais-je pas raison de vous dire, au commencement de ce Rap- port : Ne desespérons pas de l'art des vers. — Celui qui gouverne les saisons, gouverne aussi l'intelligence humaine. Or, comme il est le Dieu bon, il ne condamne point la terre à une éternelle indigence; et, comme il est le Dieu créateur, il ne laisse point, dans le cœur des hommes, s'éteindre la flamme que lui-même allume de son souflle, la flamme divine, la poésie ! stibitise DETTE uÿ Lena | 4 à Te msn ru C2 UNE EN #9 91 Ru ANNE #54 ja ,rusiesoll! nil HE : CRUILER 10 Cr HA le jruiteipe:) MA s7'sh IAA pr. nb Qu 9 nonire 264 | jules) — ous eoft PE nb em Détnegenantr nf: Prod vsuagitatarl aus MALTE ATOME IIS EU anne Re: def short mnmnat pes cu 38 nv md: a Prigitiel bot re 6 PAT BE pottig - 7: wrén sf RU Li Rad SE un 1 : sèt ë sh its SUITE 1 1h Bntiel Sos emo 21h tutiod PA ST0E vin el 1, Ho noe 9h ) LES TE 4 à di En dé) ve Me" à ave Lys LM s " cri L'on w: brad déterarre À La "# + LA # œ » | $ Pr 1 Le A x AS NA ’ - £ SET EURE À Sy $ a: À z A] { 3 tas WE DA € , ? 4% al ‘ti te 1 é2i- cabonitr stars É Pr: ra Eu . AMOR HALSENL 9 TRES ANNOTEME. de EP - à: ? 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Feu de paille expirant à sa belle moitié, Sa fumée, en montant, a laissé de la suie. De ses illusions les fruits sont récoltés. Il baisse un peu : les ans n’en sont pas seuls la cause. Enfant, qui, tour à tour volontaire et morose. Dispersa les jouets qu'il avait convoités, 1 Lu en séance publique du 28 décembre 1857. 37 508 Il ne sait ce qu'il veut : mais il veut autre chose. Comme il n’est pas poète, il a le spleen en prose; Mais il l’a. — Son œil morne attend, —- désenchanté, — L'inconnu, l’'inoui, l'impossibilité. Voœu stérile! Le mal au remède s'oppose : L'ennui renait toujours de l’'Uniformité. IL. C'est le souci rongeur de tant d'humeurs chagrines. Le sage, — qui pesa l’époque et ses doctrines, — Implore un vain Messie ; il sent le jour finir, Et, penché sur la tour de son siècle en ruines, Il dit à l'Espérance, en sondant l'avenir : « — Sœur de l'Humanité, ne vois-tu rien venir ? » Si ce temps doit durer, de l’air pour nos poitrines ! » Si d’autres temps sont nés, qu'allons-nous devenir ? — » Chacun, sans l'expliquer, voit ce double malaise : Le besoin de changer, la peur du changement. Mais, pour développer cette épineuse thèse, On le pressent déjà, l'encre n’est point à l'aise. Un seul profil s’en peut esquisser prudemment ; C’est celui-ci : -— Notre àme a soif de mouvement ; Le repos l’amoindrit, l'habitude lui pèse, Et l’uniformité n'est pas son élément, (ILE Or, c'est le monstre lent, minotaure paisible, Qui sut nous engourdir de son souffle invisible ; Voilà le labyrinthe où sont ensevelis Tant de généreux cœurs, — d’autres destins remplis! 509 On suit; — marcher à part est se rendre risible. Se faire remarquer est un manque de goût. Ne faut-il pas mourir comme l’on meurt partout? Mais, au fond, on proteste; — et le bon sens intime, Malgré l'entrainement resté ferme et debout, Juge les préjugés dont il fut la victime. IV. Qu'un penseur plus sagace en dise la raison : Crainte, manque de foi, défaillance, amour-propre, À rien créer de grand notre race est impropre ; Dans la vulgarité nous sommes en prison. Un mot d'ordre cruel tient l'être en servitude, Et met tous les esprits au même diapason. L'originalité périt dans l'habitude, L'individu s’efface et devient multitude, D'un mème ton blafard tout est badigeonné. Le moule à remplacé le sculpteur suranné. Le rouage brutal, aveugle mécanique, Paralyse l'instinct dans l’écrou tyrannique ; Le bras, avec mépris par la vapeur mené, Abdique, en dérogeant, un pouvoir enchainé ! L'artiste, — s'il veut vivre, — à cette force inique Doit soumettre, en luttant, son génie obstiné. Tout se fait au métier, par une règle unique : L'inspiration meurt dans son rayon borné ; Plus d'initiative, et rien de spontané ! Des erremeuts publics Le talent mercenaire Pour ne les point heurter se fait pâle, ordinaire: Il emboîte le pas, ne sort jamais du rail, Étête, — en les pleurant, — les bourgeons du travail, Se résigne, et — dès lors — reste stationnaire. Portant l'antique bàt par l’école légué, Il refait pesamment un chemin fatigué, Souscrit au goût régnant, consulte le parterre, Arrète, en l’abattant, son élan subjugué, Mais se perd dans la foule où le nombre l'enterre ; Car il s’est dépouillé de son vrai caractere, Et rien n’est plus commun que d’être distingué. VI. Écrivez, — lui dit-on, — comme écrivent les autres. Sur le patron recu taillez votre pourpoint. Le style a des pudeurs qui ne sont pas les vôtres ; Il faut, pour être bon, qu'il ne paraisse point. Fuyez l'enthousiasme, et l’ardeur, — qui déclame. Pas de zèle! Evitez l'emportement de âme, Enrayez votre essor pour arriver à point, Jetez l’eau du métier sur la pensée en flamme ! A la lettre, vraiment, le précepte est compris. De ce conseil glacé plus d’un auteur épris Y gagne un froid superbe, et meurt de pulmonie. C’est qu'en se comprimant, l'écrivain se renie ! Étoulïés au départ, sous l'usure appauvris, Ses accents vont grossir la commune harmonie ; Comme l'Agave, aux jets si lentement nourris, Par la stérilité sa faiblesse est punie, Et ce n’est qu’en cent ans qu'il fleurit un génie. VII. Surtout, ne disons rien qu'on n'ait dit avant nous. Il est inconvenant d'innover : l'herbe verte Doit se tondre en commun au pré muri pour tous. Sur la nappe attentive où la lutte est ouverte, Le vieil œuf de Colomb fait encor des jaloux. L'effet inattendu met à rudes épreuves Ceux qui de le produire avaient l'ambition. Saluez la routine et la tradition, Le pied du vieux public craint les chaussures neuves. L’étrangeté du chant met l'orchestre en courroux. Couvrez-le prudemment par un vulgaire arpége, Déguisez votre voix, hurlez avec les loups! Comme un cheval bandé pivotant au manége, Dans un cercle éternel sachez tourner sur vous. Que de vaillants soldats sont restés dans ce piége! VII. Ou, sans doute, l'esprit survit au grand trépas! C’est le dernier lutteur dont la verve agonise. Comme sous Faliero, du courage à Venise; De l'esprit, en Europe, eh! qui donc n'en a pas ? Encor, pour s’éviter un facile faux pas, Ainsi que le talent faut-il qu'il s’humanise, Qu'avec l'humeur du jour, futile, 1l fraternise ; Et, mis à l'unisson sur un mode discret, Comme l'esprit d'autrui boutonne son fleuret. Le reconnaissez-vous, ruelles disparues ! u 5712 Forcé de traverser la meule où tout se moud, L'esprit s'est bien usé depuis qu’il court les rues : En est-il quelque part, quand on en fait partout ? Croyant l'esprit français à Paris fort en baisse, Figaro chez Véfour lui crédite sa caisse. S'il trouve une Jouvence aux flots du jus divin, Comme la vérité, s’il brille au fond du vin, Si notre adroit Vatel le restaure et l’engraisse, Les fils de Beaumarchais, voulant qu’il reparaisse . Auront du sel gaulois sauvé le vieux levain. Quel plus galant profit tirer d’une dépense ? Un bon mot réchauffé vaut un diner, je pense. Qui ne l'éprouve, hélas? Comme autrefois Vénus, L'esprit de l'homme a froid sans Cérès et Bacchus. De ce foyer truflé, que la fourchette attise, L'incendie atteindra le plus humble réduit ; Mais d’un bien si frivole abondance ne nuit : Mieux vaut périr d'esprit que vivre de bêtise ; Au moins par la gaité le deuil sera conduit! IX. L'imagination, -— faute de mieux, — uous reste ? Jamais, — tant des chercheurs l’entrain se manifeste, — Sur un sol plus creusé son labeur ne s’est vu. Certes, l'ardeur est grande, et nul ne la conteste : Mais la roue, en tournant, ne sort rien d’imprévu. Il n’est fond si douteux que n'ait touché la sonde. Rivage si lointain qui n'ait offert son port. Tout est su de la vie, — à ce point que la mort En est presque attrayante, en parait plus féconde, Car enfin, — nous verrons du neuf, dans l’autre monde Tont placer est fouillé, tout or est dépense. Où git-il, le songeur ingénu qui se flatte D'écrire un mot, un seul, qu'un voisin n’ait pensé ? Comme une bombe en l'air, que sa chimère éclate ! Qu'il entr'ouvre une idée où plusieurs n’aient passe ? Quel conteur vous émeut ? quel récit vous étonne ? Quel lointain dénoùment n’est d’abord deviné ? Au lever du rideau, le drame dessiné Dévoile jusqu'au bout l'intrigue monotone ! XL. Où ne pas retrouver ce qu'on trouva partout ? Le crâne imitateur se suit et se resssemble, Tout puits est éclairé, la lanterne est à bout. En vain l’étroit cerveau se tâte, se rassemble, L'intelligence humaine a joué son vatout. L'invention récente est pareille aux dernières, Fonds usés, rajeunis de façons, de manières, Mannequins déterrés, de haillons neufs vêtus. Tous les chemins connus sont labourés d’ornières , Pas une fleur n’éclot sur les sentiers battus. XI. Quel est le cap nouveau que la boussole aborde ? Quel sol vierge est prédit? — Tout pays n'est-il pas Défloré? su par cœur? et, sujet de discorde, Haché par les traités” métré par le compas? Des systèmes prônés on entrevoit la corde: 574 L'aridite dément l’appétissant exorde, Les rochers que frappait le grand prêtre sont secs. Le siecle où nous vivons des autres suit la voie. Comme le passe-temps du noble jeu de l’oie, IL est tout bonnement renouvelé des Grecs. XII. Au pied du sphinx muet l'impuissance l'accule. Et cependant, — jamais, — dans les âges vantes, Depuis le dos d’Atlas, les épaules d’'Hercule, Pour secouer les cœurs et leurs satiétés, Aiguillonner la foi qui faiblit ou recule, Efforts plus souverains n'avaient été tentés! Jamais projets plus fous ne furent enfantés. Qui ne scrute? n'attend’ ne plonge? ne spécule? Quelles ambitions, quelles avidités, Se courbant sur un mot dont le cours se calcule! On ose tout : la chance est aux témérités. Je porte le défi qu’on pose un paradoxe Qui dans moins de huit jours ne soit chose orthodoxe; Rêve et réalité se tiennent par la main. L'impossibilité, chimère de la veille, Devient le fait acquis, prouvé du lendemain. Mais toute découverte au bout du mois est vieille. XIV. Si les faits sont pareils, les gens le sont aussi ; L'égalité grotesque a trop bien réussi. Plus de types distincts, de physionomies CE TT 19 A caractère, il faut se grimer comme autrut: Respirer l'air qui passe, et, vivantes momies, Se laisser embaumer dans l'uniforme étui, Comme les vieux talents dans les académies. Les francs originaux dans la coulisse ont fur. Les habits, les savants, les diners, les visages, Les concerts, les journaux, les serments, les discours, Les tableaux, les sermons, les jardins, les amours, Les comices, les toast, les vers, les fous, les sages, Les crimes, les galons, les soucis et les jours Pleuvent drus, — mais égaux comme les grains sur l'aire. Chaque flot, par un autre activé dans son cours, Descend pareillement la pente séculaire. XV. A jouer son public tout masque est occupe. Qui n’enfle son ballon, n’arbore sa livrée ? N’achète sa villa? ne donne une soirée ? Ne hasarde un blason ? ne risque un doux coupé ? Ne prend un air capable, important, haut drape? Ne pose dans un rôle, et ne suit la marée? Procuste niveleur, notre éducation De vingt peuples mêlés fait une nation : Langues, patois, accents, dialectes, costumes, Religions, pays, mœurs, frontières, coutumes, Tout se fond, s’égalise, et la variété Sombre uniformément dans l’uniformité. XVI. Sur le pâle tableau, la couleur et la ligne Obéissent ensemble à la même consigne. 576 Le pittoresque usé croule sous le marteau. Le bel art des Puget est frappé d’atonie ; Mansard, Goujon, Delorme, ont baissé le ridean ; Le Primatice est mort, et la monotonie Tire, comme l'ennui, les villes au cordeau. Un plan bâtard sullit : sur l'unique modèle Le maçon routinier tient l’équerre fidèle. Il n’est qu'un vêtement, s’il n'est qu'une maison. Le tailleur, de habit nonchalant Praxitele, Dans des fourreaux pareils logeant sa clientèle, Couvre tout le troupeau d’une égale toison. XVII. Aujourd’hui, les mortels sont habillés de même. L'accoutrement en vogue est ridicule? — Eh bien; Le vieux respect humain, ce despote suprême, Fait que chacun l’endosse, et croit s’y trouver bien. On abdique son aise, on se gène pour rien. La peur des sots vous tient comme une hypocrisie Par qui le jugement, vendu, s’apostasie, Venant à préférer, quand l'exemple l’absout, Au sens commun l'usage, et la mode au bon gonût! XVHE. La mode! dogme étroit, dont on craint l’herésie! Culte stupide et fort, encombré de bigots. Fétiche, dont un doigt mène à sa fantaisie, Et fait se prosterner un peuple de magots! En suivant son caprice et ses nobles manies. Sans servir son pays, qu'est-il besoin d’aïeux ? Le regard se rassure, et tout va pour le mieux, Lorsque, dans un état qui craint les tyrannies. Tout un peuple a sa botte et sa earte vernies! Le décorum sauvé lève un front glorieux! Les malades, au moins, parent leurs agonies: L'opinion fait d'or ce qui reluit aux veux. XIX. Puis ces autres geôliers, qu'on nomme : l’Étiquette, Les formes, le maintien, — mensonge corporel, — La politesse, — chat dont la griffe coquette, — Et la distinction, — masque du naturel! — Enfin, le mot tyran, force que nul ne fronde, Dont l'effet est partout, la cause nulle part, Mot dont la lâcheté se bâtit un rempart, Mot vague et sans appel : — « Ainsi fait tout le monde! » — Quand on a dit cela, tout est dit! — L'argument Vainqueur, ne souffre pas que l'opprimé réponde. L'hydre invisible est là, dans la masse profonde : Les moutons fascinés suivent aveuglément. Celtes abâtardis ! le rouge au front me monte De me voir, comme vous. le serf de cette honte ! XX. Mais, — qui n'est saturé de ce régime-là, Nature! — qui n’en sent le faux et l’artifice ? Qui, brisé de contrainte, à fond de sacrifice. Envovant aux moulins sa défroque, n’alla D'un air large, — en pleins champs. — goûter le bénéfice ? 378 De ce luxe bourgeois quels veux ne sont lassés ! Toujours des chapeaux noirs et toujours des gants jaunes! Des lorgnons, des saluts, des compliments glacés, Des mensonges polis, des sourires pincés ; Et ne vaut-il pas mieux, avec les joyeux faunes, Loin des servilités, des mondaines aumônes, De la bureaucratie et des papiers timbrés, Chasser à l'idéal dans les bois et les prés? Hors des conventions, des devoirs parasites, Des lettres, des cochers, des billets de visites. Des mille riens constants, polypes conjurés, Dont les jours les plus longs sont sans fin dévorés XXI. Comme, par l'oiseleur patiemment suivie, L'aile plonge et s'éteint dans le filet rusé, L'homme, pris une fois dans ces rêts de la vie, S’agite, se débat, tourne; — et tombe épuise. Mort, perdu pour lui-même et son œuvre ravie, Il peut pleurer en lui son avenir brisé. XXI. Et tout cela, pourquoi ? — Démence sans pareille ! — Pour suivre froidement un sot programme humain, Pour voir un jour de plus qui ressemble à la veille, Pour que chaque vieillard, quittant cette merveille, Redise au nouveau-né qu'il rencontre en chemin : — « Ce que je vis hier, tu le verras demain! » — Et vous croyez qu'un monde ainsi gourmé peut vivre! Non, non; il va périr de marasme et d’ennui. Ce vieux globe est usé jusqu'au tuf, — aujourd’hui 579 Nul ne saurait prévoir les destins qui vont suivre. XXII. Tombent, tombent bientôt ces menottes, ces soins, Ces fers civilisés, ridicules entraves, Tous ces empêèchements où restent les plus braves! Qu'on se révolte !... On fit des émeutes pour moins ! Ah! les hordes du Nord réveillant leur courage, Viendront, la pique en main, te remettre au fourrage, Vieil Occident blasé! — Le sauvage, vainqueur, Dans un sang plus vermeil retrempera ton cœur! Attila fait sa carte. — IL se peut qu'on en crie, Qu'un féal du progrès m’'accuse de non sens, Qu'un optimisme aveugle avec pitié sourie. Mais je le dis, hélas! parce que je le sens, L'homme civilisé touche à la barbarie. XXIV. Oh! comme je t’envie, Ô Kurde des déserts ! Ton âme et ton manteau, que la rafale ébarbe, Fendent l’espace vide et sont maitres des airs. Rivaux des bonds nerveux de ta cavale barbe, Sous les granits broyés jaillissant par éclairs. Tes pensers au soleil montent libres et fiers, Comme poussent au vent tes cheveux et ta barbe! Tu vis, au moins! tu vis en homme: sous la loi De ton droit, de ta race; et la terre est à toi! Tes mains sur ton coursier laissent errer la bride. La nature en t’aimant te reconnait son roi! 580 . Des murs ne masquent point ton horizon splendide : Tu sais où le soleil se lève, où son œil d’or Dans les sables rougis s'agrandit et s'endort! La nuit, la belle nuit, qui t'apparait saus voiles, T'apprend par cœur les noms et le cours des étoiles ; Tu les vois sillonner en messages de feu Ce ténébreux azur, plein des secrets de Dieu, Où tes rêves profonds entrent à pleines voiles! Ta patrie à ta faim conserve ses produits ; Ton froment n’admet pas d’étrangères ivraies, Tu manges du pain franc, tu bois des liqueurs vraies ; La santé coule au frais dans fa source et tes puits ; La calme solitude où tu fixes ta lance, Autour de ton sommeil ouvre un vaste silence : La fatigue elle-même est pour toi le repos ; Chaque aurore, en chantant, t’éveille plus dispos! XXV. Déserts! où l'infini sur l’äme et recher- rospeclus Le numismalique iverienne el rechie? ches sur l'alphabet de la langue des Ibères, par P.- À. Boudard. (Trois exemplaires.) 42 Séance semestrielle (du 8 nov. 1856) de la So- ciélé d'Agriculture, des Srciences el des Aris de Boulogne-sur-Mer. L'agriculture comme source de richesse, 18° an- née, n° 2, février 1857. L'Ami des Champs, 35° année, mars 4857, n° 409. Annales de la Société d'Agriculture du départe- ment de la Gironde, N° année, 3° et 4° trim., 1856. Journal d'éducation, 8° année, n° 5, mars 1857. Étaient présents : MM. Gout Desmartres, Manès, Abria, Baudrimont, V. Rau- lin, Blatairou, J. Duboul, H. Minier, Saugeon, Costes, Léo Drouyn, J. de Gères, À. Vaucher, E. Gintrac, A. Petit-Lafitte, E. Dégranges, Durand, L. Marchant, de Boucheporn, G.-H. Bro- chon, J. Delpit, Dutrey, Fauré, G. Brunet, Gh. Des Moulins. SÉANCE GÉNÉRALE DU 19 MARS 1857. lrésidence de M. GOUT DESMARTRES. Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté. Travail sur les inondations, envoyé de Marseille pour le concours. Les délais accordés étant expirés, et la Commission 43 ayant fait son Rapport, ce travail ne peut étre admis à concourir. M. Lespès adresse à l'Académie un travail imprimé sur le Termite lucifuge, exécuté à la Faculté des Sciences de Bordeaux, et demande à être admis pour le concours de fin d'année. Renvoyé à la commission qui sera nommée pour les prix à décerner à la fin de l'année 4857. Rapport sur la candidature de M. le D' Bourgeois de Turcoing au titre de membre correspondant, par une commission composée de MM. Gintrac, Raulin et Costes, rapporteur. Le Rapport contient l'analyse de deux brochures im- primées ayant pour titre : Des douches utérines dans les accouchements, et de l'inanition dans ses rap- porls avec la thérapeutique, l'hygiène et la méde- cine légale, et celle d'un manuscrit traitant des pas- sions dans leurs rapports avec la médecine, ete. Le Rapport étant favorable, la Commission propose d'accorder à M. Bourgeois une mention honorable pour son travail sur les passions, et d'accueillir sa candi- dature. M. Petit-Lafitte fait observer qu'il y a une trop grande différence entre la mention honorable deman- dée et le titre de membre correspondant , qui est le plus haut encouragement que l'Académie puisse accorder. L'Académie, appréciant ces observations, élimine la mention honorable et prend en considération la can- 44 didature de M. le docteur Bourgeois, qui est renvoyée au Conseil d'administration. Rapport sur la candidature de M. le D' Gaston Du- mont, de Paris, inspecteur des Eaux minérales, ex- médecin en chef des Quinze-Vingts, au titre de mem- bre correspondant de l'Académie. (MM. Baudrimont, Gintrac et Dégrange, rapporteurs.) Les ouvrages examinés dans le Rapport sont : 1° Une observation de kyste hydropique de l'ovaire, quéri par une injeclion todée; 20 Du traitement des fistules à l'anus par les in- Jections iodées ; 3° Des recherches statistiques sur les causes el les effets de la cécité ; 4° Des expériences sur le cédron' considéré comme antidote du venin des serpents, faites au Muséum d'histoire naturelle de Paris. Après avoir fait une analyse approfondie des travaux du candidat, M. le Rapporteur s'exprime ainsi : « Maintenant, Messieurs, vous connaissez les tra- » vaux de M. Dumont; les détails de la forme ne le » cèdent en rien à ceux du fond. Ce sont les œuvres » d’un observateur instruit, d'un praticien habile, d'un » ingénieux expérimentateur; enfin, d'un homme dis- » tingué, qui nous parait digne, sous tous les rapports, » d’être admis parmi nos membres correspondants. » S CA S ! Le cédron est le péricarpe du fruit du Simaba cedron , de la famille des simaroubées , qui croît sur les plateaux des Cordi- lières des Andes. 45 La candidature de M. le D' Gaston Dumont est prise en considération et renvoyée au Conseil d'administra- tion. OUVRAGES ADRESSÉS A L'ACADÉMIE SUR LESQUELS SERONT FAIT DES RAPPORTS. Revue des Beaux-Arts, 27° ann., 6° livr., 45 mars 1857. (MM. Drouyn et Gorin, rapporteurs). Bulletin de la Société industrielle de Mulhouse, n° 137. (M. de Lacolonge, rapporteur.) La maladie de la vigne (historique des affections qui ont précédé et amené la maladie de la vigne et de la pomme de terre. — La maladie du poirier comparée à celle de la vigne), brochure publiée à Paris (février 1857) par Le Roy-Mabille. (M. Des Moulins, rapporteur.) La Colonisation (n° 721) journal des intérêts al- gériens , contenant les statuts de la Société d'ex- ploitation de l'Afrique centrale. Alger, 8 mars 1857 (M. Baudrimont, rapporteur.) Varia, poésies par Jules Canonge. Paris, 1857. (M. Minier, rapporteur.) DÉPOSÉS AUX ARCHIVES. Annuaire de l'Instruction publique pour l'année 1857, rédigé et publié par Jules Delalain. Paris, 1857. Prospectus de divers ouvrages édités par le même. 46 Étaient présents : MM. Gout Desmartres, Abria, H. Minier, G. Brunet, Saugeon, J. Duboul, J. de Gères, Léo Drouyn, Durand, A. Petit-Lafitie, G.-H. Brochon, E. Dégranges, Jules Delpit, V. Raulin, Girot, Costes, Fauré, Justin Dupuy, L. Marchant, Dabas, E. Gaus- sens, Baudrimont, A. Geffroy, Burguet, À Vaucher. SÉANCE GÉNÉRALE DU 24 MARS 1856. Présidence de M. ABREA, vice-président. M. le Président ne pouvant assister au commence- ment de la séance, le fauteuil est occupé par M. Abria, vice-président. En l'absence de M. le secrétaire général, M. de La- colonge, l’un des secrétaires adjoints, a donné connais- sance du titre des ouvrages adressés à l'Académie. M. le Président donne lecture de la rédaction de la question de météorologie proposée par la Commission dont :! fait partie. Cette rédaction est adoptée, et sera imprimée au Programme. M. Duboul donne lecture du rapport sur la question du morcellement du sol. Il conclut en demandant, au nom de la Commission, les récompenses suivantes : Au n° 620, Mention honorable; 47 Au n° 646, Médaille d'argent grand module; Au ne 658, Médaille d'argent grand module ; Au n° 705, Médaille d'or petit module. M. Gout Desmartres, président, prend place au fau- teuil, que lui cède M. Abria. M. Baudrimont, secrétaire général, vient siéger au bureau. M. Dégranges à la parole. Sur les conclusions du Rapport de M. Duboul, il fait remarquer que cet hono- rable membre de la Commission ne lui semble pas avoir assez lu de fragments des Mémoires originaux. M. Du- boul répond qu'il en a intercalé plusieurs dans son tra ail. 1 donne lecture de plusieurs passages du n° 705. La médaille d'or petit module pour le n° 705 est adoptée. Le Rapporteur lit ensuite divers passages du Mé- moire n° 658. M. Petit-Lafitte signale les inconvénients que des personnes très-sérieuses el très-compétentes trouvent, ainsi que lui-même, au morcellement excessif du sol. Il s'appuie sur la diminution qui en résultera pour les prairies, l'élève des bestiaux et la production des fu- miers, sans lesquels il n'est pas d'agriculture possible. M. Duboul répond que les inconvénients sont dé- taillés dans tous les Mémoires présentés au Concours; mais que les auteurs, après en avoir pesé les avanta- ges et les inconvénients, pensent que les premiers dé- passent les seconds. M. le Président résume la discussion et passe au vote, 48 La médaille d'argent grand module proposée pour le n° 658 lui est accordée. Au sujet du Mémoire n° 646, M. le Président fait observer que, sur certains points, l’auteur se rappro- che de la doctrine de Malthus. Une discussion s'engage sur ce point, auquel l'Aca- démie ne pouvait demeurer indifférente. Elle est con- signée, par extrait, au procès-verbal de la séance. M. le Président résume le débat, et l’on procède au vote. Une médaille d'argent grand module est accordée au n° 646, et une mention honorable au n° 620. Il est procédé ensuite à l'ouverture des billets cache- tés, renfermant les noms des auteurs couronnés : Le Mémoire n° 705, ayant pour devise : « Établir » des codes sur les bases immuables de la liberté, ete. , » est de M. Julien Piogey, avocat à la Cour Impériale de Paris. Le n° 658, ayant pour devise : « Scientia regil or- » bem, » est de M. J.-B. Lescarret, avocat à la Cour Impériale de Bordeaux. Le n° 646, ayant pour devise : « Ce fut un grand » mal dans l'origine que les terres incultes passassent » dans si peu de mains, » est de M. Henry Forneron, employé au Ministère des Finances, à Paris. Le n° 620, ayant pour devise : « Tout droit qui est » compris doit tourner à profit, » est de M. Le Biguais de Fenouillet. L'Académie accorde une mention honorable à M. Sarrazin, pour des travaux sur la télégraphie électrique. 49 M. Ordinaire de Lacolonge fait hommage à l'Acadé- mie, au nom de l'auteur, M. Resal, membre corres- pondant, de trois brochures ayant pour titres : Mémoire sur le mouvement vibratoire des Bielles ; Détermination du rayon de courbure des Courbes hélicoïides ; Extrait d'un Mémoire sur les propriétés géomé- triques du mouvement d'un système invariable. L'Académie, après avoir entendu un Compte renda rapide de ces trois brochures, les renvoie aux Archives. Deux numéros spécimen de la Revue horticole sont renvoyés également aux Archives. Lettre de M. Vallès, qui regrette de ne pouvoir venir recevoir lui-même la médaille que l'Académie à bien voulu lui accorder, et en témoigne sa reconnaissance. M. Ourliac adresse un Mémoire relatif aux inonda- tions. Cette pièce, qui arrive trop tard, est renvoyée à la Commission spéciale, à titre de renseignement. Il sera écrit, dans ce sens, à M. Ourliac. Ouverture d'un pli cacheté, remis par M. Delpit, et contenant un Mémoire de M. de Courtemblay, ainsi que le rapport d'une Commission qui avait examiné ce travail. M. Delpit étant absent dans le moment, cette affaire est remise à la prochaine séance. M. Dégranges fait un rapport sur la candidature de 50 M. Dumont. Il conclut à l'admission du candidat, qui avait exprimé le désir d'être nommé membre corres- pondant. Il est procédé au vote, qui est favorable au candidat. M. Dumont est proclamé membre corres- pondant par M. le Président. OUVRAGES ADRESSÉS A L'ACADÉMIE SUR LESQUELS SERONT FAITS DES RAPPORTS. Rapport sur un Mémoire de M. le chevalier de Beauregard; par M. du Faur, V'° de Fibrac. (Renvoyé à M. Delpit, rapporteur.) Histoire complète de Bordeaux; par M. l'abbé O'Reilly. (Renvoyé à MM. Delpit, Petit-Laflitte, qui ont examiné les premiers volumes. M. Geffroy est ad- joint à la Commission.) Causeries de Paysans, en vers et en prose; par M. Martinelli. (M. Gout Desmartres, rapporteur.) DÉPOSÉS AUX ARCHIVES. Revue horticole, 2 numéros spécimen. Mémoire sur le mouvement vibratoire des Bielles, par M. Resal. Détermination du rayon de courbure des Courbes hélicoides, par M. Resal. Extrait d'un Mémoire sur les propriélés géomé- triques du mouvement d'un système invariable , par M. Resal. 51 Etaient présents : MM. Gout Desmartres, Fauré, J, Duboul, Baudrimont, Du- rand, Vite de Gères, Louis de Lacolonge, Costes, E. Dégranges, Mis de Bourdillon, H. Minier, S. Gorin, Blatairou, Burguet, Dutrey, V. Raulin, A. Petit-Laffitte, Abria, Saugeon. SÉANCE PUBLIQUE DU 28 MARS 1857. Les pièces lues dans cetté séance devant être insé- rées dans le 4° numéro des Actes de l’Académie pour l'année 1856, il ne sera donné ici que l'ordre du jour. Présidence de M. GOUT DESMARTRES. Ouverture de la séance à 8 heures du soir. ORDRE DU JOUR. lo Discours sur le concours de l'année 1856, par M. Gout Desmartres, président ; 2° Compte rendu des travaux de l’Académie pen- dant l'année 1856, par M. Baudrimont, secrétaire- général ; 3° Lecture du programme des prix proposés pour les années 1857 et 1858, par M. Abria ; 4° Rapport sur le concours de poésie, par M. Mi- _hier, et lecture de quelques extraits des pièces cou- ronnées, par M. le marquis d’Imbert de Bourdillon ; 5° Distribution des prix et des encouragements ac- cordés à la suite du concours ouvert pour la fin de l'année 1856. 52 SÉANCE DU 23 AVRIL 1857. Présidence de M. GOUT DESMARTRES. La parole est à M. de Lacolonge, l'un des Secrétai- res-adjoints pour la lecture du procès-verbal de la dernière séance, qui est adopté. M. le Président demande à M. Delpit quelques ex- plications relatives à un Mémoire de M. de Courtem- blay, déposé depuis longtemps au secrétariat, et sur lequel il avait fait quelques observations. M. Delpit fait remarquer que ce travail ayant déjà été présenté à l'Institut de France et couronné par lui, il importait que l'auteur précisàt les motifs de son en- voi. Il lui a été écrit dans ce sens; et comme sa ré- ponse se fait encore attendre, le Mémoire ne peut qu'être déposé aux Archives. L'Académie, consultée, prend cette décision. M. le Président, avant d'installer le nouveau bureau, lit le discours suivant : Messieurs , Si nous ne terminons qu'aujourd'hui notre année acadé- nique, au moins a-t-elle été laborieusement et fructueuse- ment remplie : tous nos fauteuils occupés, ce qui n’était pas 53 encore arrivé, trois réceptions publiques et un Concours remarquable par le nombre et limportance des ouvrages soumis à votre examen et à vos suffrages , telle est la tâche que vous avez accomplie. J’aurais voulu, Messieurs, qu'il m’eût été possible d'achever ce que j'avais entrepris auprès de la Municipalité bordelaise, c’est-à-dire vous avoir ins- tallés moi-même dans la salle qui vous est réservée; la con- cession vous en est promise, et il appartiendra à mon hono- rable successeur d'en hâter le résultat et de le voir se réaliser. Qu'il me soit permis de remercier l'Académie des marques de sympathie dont elle m'a honoré; elles ont été pour moi une large compensation des diflicultés inséparables d’une présidence dont les constants efforts ont été d’être impar- tiale et bienveillante, mais qui n’a pu constamment plaire à toutes les opinions. J'aime l’Académie, Messieurs, je lui suis profondément dévoué; trop heureux si, pour prix de mon zèle et de mon affection, je laisse parmi mes collègues, sinon le souvenir du bien que j'ai pu faire, du moins celui des bonnes in- tentions que j'ai eues. Et vous, cher et digne successeur, venez prendre ce fau- teuil que vous occuperez beaucoup mieux que moi, et que j'aurais voulu pouvoir vous abandonner plus tôt. Je vous succédai il y a quelques années; à votre tour vous me remplacez aujourd’hui. Je n’ai done ni conseils, n1 traditions à vous transmettre : ce sont les vôtres que vous allez re- trouver dans cette présidence, à laquelle l'Académie a été si bien inspirée de vous appeler. Vous, Messieurs du nouveau bureau, je n'ai pas besoin de vous dire les espérances que l’Académie fonde sur votre assiduité, sur votre dévouement et sur votre science; elle vous en à donné la preuve par les suffrages qu’elle vous à décernés ; et si, dans le conseil, je n’ai pas le bonheur d’être 54 au milieu de vous, je me félicite de la liberté qui m'a été faite, en songeant que les saines traditions académiques ne cesseront pas d’être continuées par vous. Ma tâche présidentielle est finie, Messieurs ; notre labo- rieux et savant secrétaire général m'en a allégé le fardeau: mais j'avais hâte d’eu déposer l'honneur et la responsabilité. Soyez persuadé cependant que vous me trouverez toujours ardent pour tout ce qui pourra donner de l'éclat à notre Compagnie, à laquelle je serai aussi dévoué comme simple soldat que je l'ai été comme capitaine. M. Abria, sur l'invitation de M. le Président sortant, prend place au fauteuil et s'exprime ainsi : Messieurs et chers Confrères , En m'appelant par vos suffrages aux fonctions les plus élevées de notre Compagnie, en me confiant la délicate mis- sion de diriger vos délibérations et vos travaux, vous avez considéré surtout mon zèle pour les intérêts de l’Académie. C’est pour moi un devoir bien doux, en prenant possession du fauteuil de la présidence, de vous exprimer combien je suis reconnaissant de l'honneur que vous m'avez fait! Si je sais Mieux que personne mon insuflisance pour des fonctions qui réclament une assiduité et une sollicitude constantes, je suis rassuré par la confiance que notre unique mobile à tous est d'étendre, par nos travaux, la sphère d'influence de l’A- cadémie, et que pour contribuer de son côté à atteindre un but si légitime, il suflit à votre Président de suivre l’impul- sion donnée par les efforts de chacun des membres. Nos réunions de chaque quinzaine, consacrées, soit à l’exposi- tion de nos recherches particulières, soit aux communica- % tions sur les diverses branches des connaissances humaines que nous recevons des autres sociétés savantes, soit aux questions de tout ordre soumises à notre Jugement, ces réu- nions nous sont trop précieuses et nous offrent trop d’avan- tages pour que nous ne cherchions pas à leur donner defplus en plus d'intérêt. C’est cette pensée qui nous anime tous, Messieurs ; et celui qui est chargé de présider vos séances, trouve un charme particulier dans la conviction que, s’il doit plus qu’un autre veiller aux intérêts communs, 1l peut comp- ter sur votre concours et sur le désir qu'a chacun de vous d'étendre le champ des services que nous sommes appelés à rendre, et de maintenir ainsi le rang qni nous est dû. Permettez-moi, avant de terminer, de témoigner en notre nom, à mon digne prédécesseur, notre gratitude commune pour le dévouement dont il n’a cessé de faire preuve, pour le zèle et l’activité qu’il a constamment apportés dans le cours d’une présidence marquée par des travaux nombreux et va- riés, par la réception de nouveaux membres, et par les ré- sultats de l’un des plus brillants Concours que l’Académie ait vus depuis longtemps. Vous n'avez pas besoin, Monsieur, d'excuser la prolongation de votre présidence au delà du terme ordinaire; elle s'explique d’elle-même. Pour moi, je suis loin de m'en plaindre; mais je puis dire avec vérité, que vous léguez à votre successeur une tâche difficile, pour laccomplissement de laquelle il réclame le concours de tous ses collègues, et en particulier celui de notre honorable Secrétaire général, collaborateur si actif et si plein de zèle. M. Charles Des Moulins à la parole pour la lecture d'une communication sur une nouvelle espèce de chry- santhème. Ce travail sera imprimé dans les Actes. Il rend compte ensuite des principaux travaux publiés dans les Mémoires de la Société Helvétique, et signale 56 d'une manière toute spéciale ceux de M. Turmann, récemment enlevé à la science, tout en blämant le néologisme qui domine dans ses écrits. Il signale aussi un travail sur le bitume du Val-de-Travers. L'honorable rapporteur rend aussi à l'Académie un compte très-détaillé d'une monographie du genre tes- tacelle, par MM. J.-B. Gassies et Fischer, dont il fait le plus grand éloge. Une lettre de remerciments sera écrite à MM. Fis- cher et Gassies, pour l'envoi qu'ils ont fait à l'Académie de leur travail sur les Testacelles. Il demande ensuite l'envoi des Actes à M. Gassies, un de nos plus laborieux correspondants. M. Brunet rend compte des Mémoires contenus dans le &. Il des Actes de l'Académie Royale des Sciences de Hollande. M. de Lacolonge lit un Rapport sur les Mémoires de l'Académie de Metz, auxquels il emprunte de nombreu- ses citations. [Il s'appuie sur importance des Notices que contiennent les deux recueils de 1855 et 1856, et termine en se félicitant d’avoir eu à s'occuper de tra- VAUX AUSSI Sérieux. CORRESPONDANCE. M. Piogey, l’un des lauréats du dernier Concours, sollicite le titre de membre correspondant ; il adresse à l'Académie, à l'appui de sa demande, un ouvrage im- primé sur le crédit foncier. MM. Brochon, Duboul et Vaucher sont chargés d'examiner les travaux relatifs à celle candidature et d'en faire un Rapport à l’Académie. 57 M. Piogey demande en outre qu'on lut communique le Rapport qui a été fait sur les Mémoires envoyés au Concours sur le morcellement du sol. (Le Rapport lui sera communiqué lorsqu'il sera imprimé. ) M. Rossignol, l'un des lauréats du Concours sur le paupérisme, demande communication du passage du Rapport relatif à son travail. (Le Rapport lui sera com- muniqué lorsqu'il sera imprimé. M. F. Vallès adresse des remerciments à l'Académie, demande l'envoi de sa médaille et le Rapport fait sur son travail ( Inondations :. {Accordé). M. Minier propose de faire pareil envoi à tous les auteurs couronnés et aux correspondants laborieux. Cette proposition est adoptée. M. Resal, ingénieur des mines et professeur à la Faculté des Sciences de Besancon , récemment nommé membre correspondant, remercie l'Académie. M. de Bryas fait hommage à l'Académie de son livre sur la pratique du desséchement. Ce travail sera exa- miné par M. Petit-Lafitte. M. Ch. Malot, fondateur d'un cercle où il cherche à faire revivre l'ancien Athénée de Paris, exprime de nou- veau le désir d'entrer en correspondance scientifique avec l'Académie de Bordeaux. Cette question à été sournise au Conseil d'Adminis- tralion, et l'Académie s'en occupera lorsqu'il aura fait connailre son opinion. 58 La famille de M. d'Hombre-Firmas, un des corres - pondants de l'Académie, connu par des travaux très- nombreux sur des sujets divers, annonce la mort de ce savant el envoie le discours prononcé sur sa tombe. M. le Secrétaire général est chargé d'écrire au fils du regrettable défunt, et de lui exprimer les sentiments sympathiques de la Compagnie. M. Duvivier de Streel exprime le désir d’être nommé membré correspondant ; il espère que la Cynéide , poëme héroïi-comique qu'il a adressé à l'Académie, et sur lequel il à été fait un rapport favorable, sera un Uütre suffisant pour appuyer sa candidature. M. Dégranges dit qu'il conviendrait que M. Duvivier envoyàt les autres publications qu'il aurait faites, pour moliver cette candidature. La demande de M. Duvivier est renvoyée à une Com- mission composée de MM. Duboul, de Gères et Minier. Il'en sera donné avis à M. Duvivier. M. Blanchet, rédacteur en chef de la Revue des Sociélés savantes, demande le Programme des Prix du Concours de 1857. ( Expédié. | La Société des Arts de Valenciennes demande le Programme de 1857. | Expédié. | Le Secrétaire de la Société d'Agriculture d'Agen demande plusieurs numéros des Ac/es de l’Académie. (Renvoi à M. l'Archiviste. ) L'Académie reçoit encore les lettres suivantes à l'oc- casion du Concours de l'année 1856 : 59 M. Millet remercie l'Académie pour la distinction accordée à son travail sur la question de pisciculture. M. Dumas, de Valence, adresse des remercimentis pour la médaille qui lui a été accordée au Concours de 1856. Inondations.) M. H. Forneron demande qu'on lui expédie la mé- daille qui lui a été décernée. | Morcellement du sol. (Renvoi « M. le Trésorier.) M. Breton adresse des remerciments pour la mention que son travail a obtenue { Morcellement du sol), et de- mande le Programme de 1857. ( Expédié. | M. Rossignol. — Remerciments. (Question du pau- périsme. | M. G. Dumont. — Remerciments pour sa nomina- lion de membre correspondant. M. Espigat. — Remerciments. (Concours de 1856 — poésie |. OUVRAGES ADRESSES À L ACADÉMIE SUR LESQUELS SERONT FAITS DES RAPPORTS. La Silhouette du jour { abus, vices, travers ), ou les Souhaits d'un bonhomme, broch., 1857. ( Com- mission nommée pour examiner les travaux de M. Bellin, de Lyon. | 60 De l'Influence des lois de procédure civile sur le crédit foncier en France; par J. Piogey. Paris, 1854. {Commission composée de MM. Brochon, Duboul et Vaucher. ) ; Bulletin de la Société Archéologique et Historique du Limousin, 1. VIL, 4° livr., 4857. ( M. Durand, rapporteur. ) Études pratiques sur l'art de dessécher ; par M. le M' de Bryas; [V° Partie, 1857. ( M. Petit-Lafitte, rapporteur. ) Bulletin de la Société Impériale et Centrale d'A- griculture; par M. Payen, 2° série, t. XI, 1856. (M. Petit-Lafitte, rapporteur. ) Cours familier de Littérature; par M. de Lamar- line, 45° entretien. ( M. Minier, rapporteur.) Rapport général sur les travaux de la Commis- sion des logements insalubres de la ville de Paris, pendant les années 1852-55-54-55 el 56. Paris, 1857. ( M. Costes, rapporteur. ) Journal des Économistes , 2e série, n° 40 ; 4 ann., n° 4, avril 4857. ( M. Brunet, rapporteur. ) Notizia storica dei lavori fatti della classe di scienze fisiche e malematiche nel anno 1855; par Eugenio Sismonda. { M. Ch. Des Moulins, rapporteur. ) Revue des Beaux-Arts, 27° année, T° livr., 1° avril 4857; par M. Félix Pigeory. ( M. Gorin, rapp.) Id. id., 8° livraison. Journal des Savants, février et mars 1857. (MM. Duboul et Baudrimont, rapporteurs. ) Revue contemporaine, 1. XXX, 5° ann., 149 liv. 61 (15 mars 1857), et 120° livre. (31 mars 4857 ). ( M. Duboul, rapporteur. ) Nouveau Mémoire relatif aux ægilops triticoïdes el speliæformis ; par Alexis Jordan. { Extrait des An- nales de la Société Linnéenne de Lyon, nouvelle sé- rie, t. IV. Paris, 1857. ) (M. Raulin, rapporteur. ) Bulletin de la Société d'Études scientifiques et archéologiques de la ville de Draguignan, 1. KE, oct. 1856 { deux exempl. ) { M. Léo Drouyn, rapp.) Bulletin de la Société de Médecine de Besançon, n° 6, année 1856. { M. Marchant, rapportenr. ) DÉPOSÉS AUX ARCHIVES. Annales de l’Académie de La Rochelle, section des sciences naturelles, 1855. { N° 2 et 5.) Programme des Prix proposés par l'Académie Impériale de Lyon, pour les ann. 1859 et 1860. Nérac et Pau; par M. Samazeuilh, avocat. Mont- de-Marsan, 1856. ( Deux exemplaires. ) L'Ami des Champs; par M. Ch. Laterrade, 35° au- née, avril 4857, n° 410. Journal d'Éducation ; par M. Clouzet aîné, 8°ann., u° 6, avril 1857. L'Agriculture comme source de richesse, 18° ann. , n° 3, mars 4857. Bulletin de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe, 2 série, t. IV, 42° vol. Le Mans, 1856. 62 Revue horticole, 1857, 1°" février, n° 3. Paris. Bulletin de la Société académique d'Agriculture, Belles - Lettres, Sciences et Arts de Poitiers, n°° 44 et 42, 1° semestre de 1856. Archives de l'agriculture du nord de la France, t. IV, n° 41. Lille, janvier 1857. Bulletin de la Société Industrielle d'Angers, 27° année, 7° de la 2€ série, 1856. — Ce bulletin est ac- compagné d'une lettre imprimée, par laquelle cette Société demande les Actes de l’Académie de Bordeaux de 1856. Annuaire de l'Institut des Provinces et des Con- grès scientifiques, t. IX, 1857. Annales de la Société d'Horticulture de la Gironde, 2e série, t. |, 10° année, n° 1, 1857. Étaient présents : MM. E. Gout Desmartres, Léo Drouyn, Louis de Laco- longe, J. Duboul, $. Gorin, H. Minier, G, Brunet, Costes, G.- Henry Brochon, Dutrey, Abria, Fauré, Jules Delpit, Charles Des Moulins, L. Marchant, Durand, Petit-Lafitte, E. Gaussens, E. Dégranges, Girot de la Ville, Baudrimont, V. Raulin, Dabas. 63 ANNÉE 1857. — 2e No, SÉANCE DU 7 MAI 1857. Présidence de M, ABRIA. Le procès-verbal de la séance précédente est In et adopté. M. le Trésorier, obligé de s'absenter, fait présenter le résumé du compte général des recettes et des dépen- ses de l'année 1856, arrété et approuvé en Conseil d'administration. Plusieurs académiciens demandant des renseigne- ments qui ne peuvent leur être donnés, parce que ce ré- sumé n'est pas assez détaillé, l'examen de ce compte est remis à la prochaine séance. Rapports verbaux par M. Saugeon : 4° Sur Jean Guiton, dernier maire de la commune de La Rochelle, par P.-S. Callot, ex-maire de La Ro- chelle. « Le travail de M. Callot est digne d'une sérieuse » approbation. C'est une œuvre bonne et utile de met- » tre en lumière la vie d’un homme qui a présenté réu- » nis : le désintéressement, le courage civil et le courage » militaire. » M. Callot publie de précieux documents, fruits de » recherches habiles ; ils sont bien classés et commentés 9 64 avec intelligence: quelques passages qui présentent des récits et des appréciations de caractères, prou- vent que l’auteur eût pu publier une biographie très- intéressante de Jean Guiton; sa modestie seule l'en a empêché. » Les recherches généalogiques et les pièces recueil- lies par M. Callot formeraient des notes très-intéres- santes pour la rédaction d'un pareil ouvrage. » 20 Fables, par M. L.-A. Bourguin. « Ce Recueil contient peu de véritables apologues et beaucoup plus d’allégories. Parmi les premières, les deux Chats et le Singe est la mieux réussie; nous pouvons citer au second rang l'Ote et le Coq. L'au- teur n'excelle pas dans la peinture des mœurs des animaux, qu'il veut assimiler à celles des hommes : ses personnages sont trop conventionnels. Ses mora- lités sont toujours bonnes, mais elles manquent sou- vent de profondeur et d'originalité. M. Bourguin réussit bien plus souvent dans l’allégorie que dans la fable en action. Nous eussions pu dans ce genre faire des citations assez nombreuses. Nous avons reconnu plusieurs sujets imités, ce dont nous ne ferions au- cun reproche à l’auteur; mais nous eussions désiré qu'il signalàt l'origine des sujets qu'il a empruntés pour la rédaction de ses fables, afin que nous pus- sions rendre justice à celles qui sont de son invention. » Le style de ces fables est clair, correct, exempt du contemporain, mais il est parfois prosaïque. L'auteur arie sa coupe de vers avec facilité; il a su avec 65 adresse marier à l'allégorie quelques rythmes de l’ode légère. » M. Bourguin ne nous à pas adressé une œuvre exceptionnelle, mais un recueil qui renferme plu- sieurs pièces d'un vrai mérite. » Je conelus à ce qu'on lui adresse une lettre de re- merciment de son envoi et l'expression des sentiments bienveillants de l'Académie, motivés sur la valeur de plusieurs pièces de son recueil. » Ces conclusions sont adoptées. 3° Bernard Palissy, sa vie et ses ouvrages; par M. Amédée Matagrin. «M. Matagrin à fait peu de recherches personnel- les, mais il a heureusement profité des travaux récem- ment publiés. Sa méthode d'exposition est intéres- sante; son style élégant et clair. Il laisse à d’autres le soin d'étudier l'artiste; c'est l'homme et l'écrivain qu'il veut nous faire connaître : il atteint ce double but. [Il nous peint la sublime opiniatreté de Palissy lattant contre la pauvreté, sa famille, le mépris publie, pour arriver à la découverte de son émail. Plus loin, nous faisons une connaissance intime avec la pensée qui entrevoit le doute rationnel de Descar- tes, et indique la méthode d'observation dans les sciences naturelles ; il nous fait apprécier l'écrivain naïf et parfois profond à force de bon sens; enfin, il nous fait admirer le vieillard inébranlable dans sa foi, qui meurt à 90 ans sous les verroux de la Bastille. » Des biographies comme celle-ci seraient un excellent 66 » aliment pour l'esprit des jeunes gens et des ouvriers, » parce que l’ouvrage est plein de faits et que l'intérêt S » y naît, non de l'accumulation d'événements invrai- » semblables, mais du tableau vrai d'une vie simple » et noble, et d’une noble passion qui anime l’auteur : S » l'amour du bien et du progrès. » M. Baudrimont fait remarquer qu'il convient d'ajou- ter à l'éloge de Bernard Palissy qu'il est le créateur de la géologie et le rénovateur de l’enseignement oral des sciences naturelles. M. Brunet fait un Rapport verbal sur les mémoires de la Société Smithisonienne. Il signale spécialement des recherches archéologiques sur les anciennes peu- plades de l'Amérique septentrionale, sur l'aurore bo- réale, sur la tangence des cercles et des sphères, et sur l’alligator du Mississipi. L'honorable rapporteur demande que des remerei- ments soient adressés à la Société Smithtsonienne. Les conclusions du Rapport sont adoptées. L'an dernier, l'Académie avait recu de M. Coustolle, géomètre à Pauillac, deux notes destinées à concourir pour les prix proposés par l’Académie : l'une sur le Pau- périsme , l'autre sur le Morcellement du sol. Ces deux notes ont été mises hors de concours, parce que, con- trairement aux usages et au Règlement, elles étaient signées de leur auteur. Cependant, ne voulant point que les observations utiles qu'elles pourraient contenir fussent perdues, l’Académie à chargé M. Duboul, rap- porteur du concours ouvert sur le morcellement du 67 sol, de l'examiner et de lui en faire un Rapport. « Ces notes sont fort concises : la première n'a qu'une » page et demie; la seconde n’en a qu'une. » Les causes du Paupérisme sont principalement at- » tribuées à un luxe excessif, à l'amour des richesses, » et surtout à l'abandon de l'agriculture. Le remède » serait par conséquent dans l’agriculture; il faudrait » que l'on s’y livràät avec ardeur. » « Le morcellement du sol ne produit de bons effets » que lorsque les parcelles sont entre les mains des » cultivateurs qui travaillent à la tâche. Autrement, il » est un inconvénient. » Le remède serait de faire cultiver les parcelles par » des Sociétés instruites, désintéressées, et véritable- » ment philanthropiques. » Les observations contenues dans ces notes sont » généralement vraies; mais elles sont trop concises, » et les remèdes indiqués insuflisants ou impratica- » bles. » A l’occasion du morcellement du sol, M. Baudri- mont communique à l'Académie des faits très-remar- quables signalés dans le Journal d'Agriculture pralti- que, publié sous la direction de M. Barral. Deux communes de la Bavière, situées à peu de dis- tance de Munich, Kirchtrudering et Strasstrudering , dont le sol était par trop morcelé, et dont les parcelles étaient souvent irop éloignées des habitations de leurs propriétaires pour qu'il fut possible d'en tirer un parti avantageux, ont mis leurs biens en commun et ont procédé à un nouveau partage plus en harmonie avec la situation et les facultés de ces mêmes propriétaires. 68 « Les deux communes, d'une surface de 1,999 hec- » lares, étaient partagées en 2,060 parcelles apparte- » nant à 77 familles. Elles ont été reconstituées en 110 » parcelles. Le prix total de l'opération a été de 4° 12° » par hectare. » S Il y à quelquefois des contestations sur la valeur relative des pièces à échanger; mais un moyen fort simple permettrait de faire la répartition avec équité : ce serait de ramener toutes les valeurs à un même terme de comparaison, qui serait la monnaie. Une valeur déterminée quelconque pourrait alors être remplacée par une valeur égale. M. Delpit se récuse comme rapporteur du travail sur l'histoire de Bordeaux, par M. O'Reilly. MM. Delpit et Brochon font quelques observations sur l'expression de médaille d'or petit module consi- gnée dans le programme des prix à décerner pour lan- née 1857. CORRESPONDANCE. M. A.-Ed. de La Chapelle, lauréat de l'Académie, sollicite le titre de correspondant de l'Académie, et envoie plusieurs travaux à l'appui de sa demande. (Commission composée de MM. Brochon, Dabas et Gout Desmartres. ) M. J. Serré, lauréat de l'Académie, demande que le Mémoire qui a remporté le prix relatif aux inonda- tions, soit communiqué à un ingénieur qu'il désigne. (Il a été répondu à M. Serré que le règlement de l'Académie s’y opposait.) 69 M. le Trésorier de la Société d'Agriculture, des Sciences, Arts et Belles-Lettres du département de l'Eure, demande à l'Académie de souscrire pour un monument à élever à la mémoire de Dugueselin. (La souscription ne peut être qu'individuelle.) M. Anquetil, secrétaire perpétuel de la Société des Sciences morales, des Lettres et des Arts de Seine-et- Oise, renvoie des bons de l'Académie de Bordeaux pour quelques numéros de ses Actes qu'il n’a pas eu la pos- sibilité de faire prendre à Bordeaux, et annonce l'envoi du 4e volume des Mémoires de cette Société. Lettre de M. le secrétaire de l'Université royale de Christiania (Suède), qui adresse à l'Académie plusieurs ouvrages dont les titres sont consignés ci-dessous. Il est procédé au tirage au sort de l’ordre dans lequel les lectures annuelles de MM. les membres de l'Acadé- mie devront être faites pendant l'année 1857, et l'on obtient le résultat suivant : 1. Abria. 15. De Bourdillon. 29. De Gères, 2. Geffroy. 16. Cirot. 30. Brunet. 3. Dutrey. 17. Saugeon. 31. Blatairoux. 4. Mi de la Grange. 18. Des Moulins. 32. Gaussens. >. Minier. 19. Marchant. 33. De Lamothe. 6. De la Colonge. 20. Duboul. 34. Magonty. 7. Vaucher. 21. De Boucheporn. 35. Gautier. 8. Dabas. 22. Durand. 36. Laterrade. 9, Petit-Lafitte. 23. Raulin. 37. Grateloup. 10. Dégranges. 24. Manès. 38. Brochon. 11. Léo-Drouyn. 25. Gintrac. 39. Gorin. 12. Delpit. 26. Gout Desmartres. 40. Burguet. 13. Baudrimont. 27. J. Dupuy. 14. Fauré. 28. Costes. 70 OUVRAGES ADRESSÉS À L'ACADÉMIE SUR LESQUELS SERONT FAITS DES RAPPORTS. Revue des Beaux-Arts, 27° année, 9° livraison, 4e mai 4857. (M. Gorin, rapporteur.) Mémoires de la Société d'Agriculture, Commerce, Sciences et Arts du département de la Marne; année académique 1855-1856. (M. Vaucher, rapporteur.) Travaux de la Société d'Agriculture, Belles-Let- tres, Sciences et Arts de Rochefort; année 1855- 1856. (M. Petit-Laffite, rapporteur.) Rapport sur un nouveau mode de cultiver la vi- gne, tenté à Villenaux par M. Gentil-Jacob; par M. l'abbé Cornet. Troyes, 1857. (M. Gout Desmarires, rapporteur.) Syphilisations forsog-foretagne of W. Boek. Chris- Uüania, 1853. (M. Geffroy, rapporteur.) Det rongelige norfle frederits Universitets Aars- beretning for 1851. Christiania, 1853. (M. Geffroy, rapporteur. | Olaf tryggevesons saga ved odd Munk. (M. Gef- [roy, rapporteur.) Olaf denhelliges saga ved snorre sturlasson. (M. Geflroy, rapporteur.) Revue contemporaine, tom. XXXI, 6° année, 121° livr., 45 avril 1857. (M. Duboul, rapporteur.) Annales scientifiques, littéraires el industrielles de l'Auvergne, publiées par l'Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Clermond-Ferrand, t, XXIX, 1856. (M. Des Moulins, rapporteur. TI Essai sur la philosophie d'Homère. Broch. in-8e, 1843 ; — OEdipe à Colonne ; — Étude sur les Poëles de la Grande-Bretagne; par M. A.-E. de La Cha- pelle. (MM. Brochon, Dabas et Gout Desmartres, rap- porteurs.) Notice sur P.-A. de La Chapelle. {M. Des Mou- lins, rapporteur.) DÉPOSÉS AUX ARCHIVES. Mémoires de la Société des Sciences morales, des Lettres et des Arts de Seine-et-Oise, tom. IV. Ver- sailles, 1857. Compte rendu de la séance publique annuelle de l’Académie des Sciences, Agriculture, Arts et Bel- les-Lettres d'Aix, lenue le 14 decembre 1856. Aix. 1857. Esnandes et Beaumont du Périgord, analys: comparative de deux églises fortifiées du XIV® siècle ; par M. Ch. Des Moulins. { Hommage de l’auteur.) L'Agriculture, comme source de richesse, 18° an- née, n° 4, avril 4857. Journal d'éducation; par M. Clouzet ainé. 8° année, n° 7, mai 1857. L'Ami des Champs, 35° année, n° 411, mai 1857. Éléments de littérature; par M. Saugeon. Étaient présents : MM. Abria, Louis de Lacolonge, J. Duboul, Hippolyte Minier, Gustave Brunet, Baudrimont , Cirot de La Ville, Costes, S. Go- rin, E. Gintrac, Léo Drouyn, Jules Delpit, Marquis de Bour- dillon, Blatairou, Durand, E. Dégranges, G.-Henry Brochon, V, Raulin, Léon Marchant, Saugeon, Dabas. 72 ANNÉE 1857. — 3° No. SÉANCE DU 28 MAI 1857. Présidence de M, ABRIA. Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté. Les comptes de M. le Trésorier de la Compagnie sont approuvés. Un résumé en sera inséré au procès- verbal. M. Abria lit un travail sur la vitesse de la lumière dans les différents milieux. « Cette question, outre l'intérêt qu'elle présente par » elle-même, a le privilège de toucher aux points les » plus délicats de l'astronomie et des théories de lopti- » que; elle a été, dans ces dernières années, l’objet de » travaux remarquables qui méritentune analyse rapide. « Les phénomènes astronomiques ont fait connaitre » la vitesse de la lumière du soleil réfléchie par les » planètes (travaux de Roemer, 1675) ; celle de la lu- » mière émanée des étoiles (travaux de Bradley sur » l'aberration , 1728); enfin, l'égalité de vitesse des » rayons de diverses couleurs (Astronomie d'Arago, tome [°", page 405). M. Fizeau est parvenu le pre- » mier à la mesurer à la surface de la terre (expérien- S ŸY 13 ces faites en 1849 entre Suresnes et Montmartre), et il a obtenu une valeur sensiblement égale à celle que donnent les observations astronomiques, 310,000 kilomètres environ par seconde. » La détermination de cette vitesse dans les subs- lances transparentes présente évidemment des diffi- cultés d’un ordre particulier, et qui dépendent sur- tout de leur faible épaisseur. On a cru pendant long- temps, d'après des considérations théoriques fondées sur le système de l'émission, que la lumière se mou- vail plus rapidement dans ces milieux que dans Flair ou dans le vide. Divers motifs déduits de la théorie des ondes tendent à établir que c’est le contraire qui a réellement lieu, et que la lumière est retardée dans son mouvement lorsqu'elle passe de l'air dans l'eau par exemple. Arago fit voir en 1838 que l’on pouvait décider la question par l'expérience; mais ce physi- cien célèbre s'est borné à poser le problème, qui à été résolu séparément quelques années plus tard par MM. Fizeau et Foucault (1850). Entre les deux théories rivales qui, jusqu'à présent, ont été adop- tées tour à tour pour l'explication des phénomènes de la lumière, l'expérience a prononcé en faveur de celle des ondulations : la vitesse de la lumière est moindre dans les milieux transparents que dans le » La théorie des ondes, qui, jusqu’à présent, suffit à l'explication des phénomènes de l'optique, rend compte du fait remarquable de la double réfraction, c'est- à-dire de la bifurcation qu'un rayon de lumière éprouve en traversant certains cristaux, par l'inégale » » » » » 74 vitesse avec laquelle la lumière se propage dans les différents sens à partir du point d'ébranlement; cette inégalité de vitesse est occasionnée par la distribution particulière des molécules du corps, plus rapprochées dans certaines directions, plus éloignées au contraire dans d’autres. S'il est aisé de comprendre que lélas- ticité du fluide aux vibrations duquel on attribue les phénomènes de la lumière soit variable dans dif- férents sens à partir d’un point donné, lorsqu'il s'agit des substances cristallisées, il faut avouer que la théorie a besoin d'être complétée en ce qui concerne vide. La théorie va plus loin : elle nous donne le moyen de déterminer la valeur absolue de cette vi- tesse, lorsqu'on connait l'indice de réfraction de la substance. » Si le milieu transparent au lieu d’être en repos est en mouvement, la vitesse de la lumière est modifiée dans le même sens que celle du corps; mais d’une quantité qui, jusqu'à présent du moins, parait dé- pendre de la nature particulière de ce corps et des conditions dans lesquelles il est placé. Cette impor- tante propriété de la matière, soupconnée par Fres- nel, à été mise en évidence par les expériences déli- cates de M. Fizeau (1851), expériences dont la haute portée justifie la récompense qui lui a été décernée par les classes réunies de l'Institut. la constitution des corps qui jouissent de la polari- sation circulaire, ou de la double réfraction circu- laire, phénomènes que l’on explique encore par li- négalité de vitesse avec laquelle se propagent des 75 mouvements s'effecluant suivant une courbe tantôt circulaire, tantôt elliptique. » Quoi qu'il en soit, ces diverses considérations suflisent pour faire comprendre que cette ques- tion de la vitesse avec laquelle la lumière se meut dans les différents corps, intervient dans tous les phénomènes de l'optique. Considérée dans les espa- ces célestes, la vitesse de la lumière nous permet de déterminer l'époque à laquelle se sont produits les phénomènes qui frappent aujourd'hui nos regards, et que nous rapportons à des mondes disparus peut- être à l'instant où nous les apercevons. Envisagée dans les corps qui sont à notre portée, elle nous fait connaitre les particularités intimes de leur structure ; c'est elle qui conserve là trace des modifications qu’é- prouve le rayon de lumière en les traversant, et qui nous fournit ainsi le moyen de remonter aux causes premières de ces modifications; elle est notre guide le plus sûr dans la recherche de la constitution des éléments des corps, recherche qui est le but constant des investigations de la philosophie naturelle. » A l'occasion de la lecture faite par M. Abria, M. Bau- drimont fait remarquer qu'il a toujours trouvé étrange qu'Arago ait pu émettre l’opinion que la mesure directe de la vitesse de la lumière, dans différents milieux, permettrait de juger d'une manière définitive laquelle des deux théories, celle de l'émission ou celle des on- dulations, était vraie; que, pour être logique, il aurait fallu. dire que cette expérience démontrerait laquelle des deux thécries était fausse; car, puisque toutes deux 76 étaient douteuses , il était impossible d'affirmer à priori que l’une d’elles serait vraie si l'autre était fausse. M. Blatairou dit que, selon lui, la lumière ne peut se propager que de deux manières : ou par l'émission d'un fluide, ou par des ondulations dans un milieu; qu'il ne peut y avoir d'autre moyen d'interpréter ce phénomène. M. Baudrimont répond que l'observation qu'il a faite est non-seulement d'accord avec la logique, mais qu'elle l'est aussi avec les faits; qu'à une époque donnée, il est impossible de prévoir les idées qui pourront être émises dans l'avenir sur la constitution des corps et sur la production des phénomènes; qu'une troisième théorie, à laquelle il n'était point étranger, avait déjà été émise, qu'elle avait donné lieu à des publications importantes ; que celte théorie admet que les actions peuvent s'exer- cer à distance, et qu'il n’est besoin d'aucun fluide pour transmettre les actions réciproques de la matière; que notre éducation et les phénomènes ordinaires qui s'ac- complissent à la surface de la terre semblent nous dé- montrer que toutes les actions s'exercent au contact ; que les machines ordinaires, les engrenages, agissent ainsi; cependant, qu'il est une autre machine bien grande, bien admirable, connue de tous aussi, qu'on appelle l'univers, dans laquelle les actions s’exercent à distance ; et que les philosophes qui ont voulu admet- tre que l'univers était absolument plein, sont demeurés impuissants pour interpréter les phénomènes. M. Abria pense qu'effectivement il pourrait surgir de nouvelles théories; que des physiciens éminents ont 71 même publié sur ce point des idées ingénieuses, et que celle des ondulations ne rend pas un compte satisfai- sant de tous les phénomènes. M. Blatairou répond que, quand il dit qu'il ny a pas de milieu entre les deux systèmes de l'émission et des ondes lumineuses, de sorte que la fausseté de l'une des deux hypothèses entraine la vérité de l'autre, il suppose que l’on admet, sur la nature de la matière, les idées généralement reçues des physiciens, suivant lesquelles les éléments des corps ou les atomes existent avec des formes et des grandeurs déterminées et inva- riables, et sont doués de forces agissant à des distances excessivement petites. Qu'en admettant ces idées, pour que le phénomène de la vision ait lieu, il faut que la communication soit établie entre le corps lumineux et la rétine; or, pour cela, il faut, ou bien que les atomes qui agissent sur la rétine aient traversé l’espace qui se trouve entre la rétine et le corps lumineux, et dans ce cas on a le système de l'émission, ou bien que le mouvement des atomes lumineux qui frappent la rétine leur ait été communiqué par des vibrations qui ont leur origine dans le corps lumineux, et qui se propa- gent jusqu'à ces atomes, auquel cas on à le système des ondulations. M. Duboul fait un rapport verbal sur deux numéros du Journal des Savants (février et mars 1857), et signale à l'Académie : 1° Les articles publiés par M. Barthélemy Saint- Hilaire sur l'Histoire générale el système comparé 78 des langues sémiliques, par M. Renan. — M. Bar- thélemy Saint-Hilaire dit : «Il est désormais avéré que » les langues indo-européennes n'ont pas la moindre » ressemblance ; et les deux familles sont profondément SV » distinctes, parce qu'il est de tout point impossible de » faire dériver l'une de l’autre par des procédés scien- » tifiques. » — Il ne pense pas comme M. Renan, que S l’on doive repousser la philosophie dans l'étude des lan- gues ; car elle permet d'aller au delà de l'histoire et même de la tradition. Toutefois, l’auteur fait un sin- gulier usage de cette même philosophie, en disant que « lhomme, pour durer et se perpétuer, à dû naître avec » son développement entier, et que les évolutions iné- » vitables de faiblesse et de croissance que parcourt ac- » tuellement l'individu enfermé dans les conditions de » la famille, n'ont pas été imposées à ces êtres primi- » lifs, source de la famille et du genre humain... » Cependant, divers systèmes basés sur les études géolo- giques ont conduit leurs auteurs à penser que l'homme pourrait être né d'êtres inférieurs qui se seraient déve- loppés en se perfectionnant. La philosophie, du reste, a permis de poser ces questions, mais elle ne les a pas résolues. Cette manière de voir n'est d'ailleurs pas celle du Rapporteur. 2° Les articles de M. Mignet sur les Lettres de Jean Calvin, publiées par M. J. Bonnet (Paris, 1854). — « Ces lettres démontrent deux choses : l'atrocité et » linutilité de la persécution. » 3° Un article de M. Villemain sur le tome second des Œuvres de saint Grégoire de Nazianze | poésie 79 lyrique et liturgie chrétienne). — « Saint Grégoire de » Nazianze, archevêque de Constantinople, exposa les » dogmes du Christianisme en vers grecs. » M. Costes fait un rapport verbal sur le Rapport gé- néral des travaux de la Commission des logements in- salubres du département de la Seine. Le Rapport embrasse toutes les questions qui ont occupé le Conseil : le baraquement des locataires, pen- dant que l’on reconstruisait les maisons qu'ils habitaient antérieurement ; le chauffage: l’aération des maisons et des appartements; l'écoulement des eaux; le dallage; le pavage: un projet de drainage qui permettrait de sup- primer les vidanges des fosses d’aisance ; l'élargissement des rues; les égouts; la distribution de l'eau potable dans les maisons. Sur 1,798 affaires commenctes de- puis le 43 avril 4850, 1,645, dont 1,301 terminées à l'amiable, ont eu une solution définitive, et 153 seu— lement restent à l'étude. En général, la moyenne des affaires a été de 360 par an. — Si l'on compare Lon- dres avec Paris, l'avantage est à cette dernière ville. . M. Costes trouve ce travail très-remarquable. Il de- vrait servir de modèle, dit-il, à toutes les Commissions qui ont à interpréter la loi des logements insalubres. Il conclut à des remerciments à la Commission qui nous à envoyé ce lumineux et consciencieux rapport. Les conclusions du Rapport sont adoptées. M. Fauré fait remarquer que, depuis deux ans, une Commission à été instituée à Bordeaux pour le même s0 objet; que sur 177 maisons visitées, 83 ont êté répa- rées. — Une autre Commission est chargée de visiter les logements des logeurs avant qu'ils soient livrés au publie, et le Conseil Municipal s'occupe de voir si les logements qui ne peuvent être réparés ne doivent point être supprimés. , CORRESPONDANCE. M. Laterrade, directeur du Jardin des Plantes de Bordeaux, écrit que l'état de sa santé ne lui permettant pas d'assister à la séance de l'Académie, il la prie d’'ac- cepter un exemplaire du supplément à la 4° édition de sa Flore Bordelaise, qu'il vient de publier... Ce supplément porte à 2,411 les espèces observées dans la Gironde; il y a introduit l'agaricus moulinsii publié par M. Brondeau, et l'agaricus brondœi, dont il à présenté l'histoire dans la séance du 17 juillet 1854. M. le Président se propose de se rendre auprès de M. Laterrade, pour le remercier au nom de l'Académie et pour lui témoigner tout le regret qu’elle éprouve de ce que sa santé ne lui permet pas d'assister à ses séances. M. J. Lacointa, de Toulouse, adresse à l'Académie un exemplaire de l'Éloge de Philippe Ferrère, dont il est l'auteur, et demande à concourir pour les encou- ragements que l’Académie accorde chaque année. — MM. Brochon et Vaucher sont nommés rapporteurs. 81 Lettre de la Société de Physique et d'Histoire natu- relle de Genève, relative à l'échange de ses Actes avec ceux de l'Académie de Bordeaux. Des volumes sont à la disposition de l'Académie, chez M. Joël Chevalier, libraire, rue de la Monnaie, n° 40, à Paris. M. l’Archiviste est autorisé à faire cet échange. M. de Lafollye adresse à l’Académie un Mémoire autographié contenant la description d’une modifica- tion apportée dans la construction d'un appareil relatif à la télégraphie électrique. — Cette modification consiste principalement dans le remplacement d'un ressort de rappel par un aimant permanent. Le ressort a l'incon- vénient d'exiger qu'on en règle la force pour qu'il puisse fonctionner convenablement; il n’en est point ainsi de l'aimant. La nouvelle disposition adoptée par l'auteur permet, en outre, d'avoir deux appareils qui fonction- nent alternativement en renversant le courant, Fun des deux devenant silencieux pendant que l’autre fonc- tionne. Lettre de M. le Président de la Société d'Agriculture, des Sciences et Arts de la Sarthe, qui informe l'Acadé- mie de l'envoi au Ministère de l'Instructin publique du 1 trimestre du Bulletin de ladite Société. 82 OUVRAGES ADRESSÉS À L'ACADÉMIE SUR LESQUELS SERONT FAITS DES RAPPORTS. Les Archives municipales de la ville d'Ussel, études historiques et juridiques sur les anciennes char- tres; par M. Paul Huot, Procureur impérial près le Tribunal civil de cette ville. (M. Delpit, rapporteur.) Annales de la Société Académique de Nantes, 4 et 2° semestres de l’année 1856 (MM. Blatairou et Raulin, rapporteurs.) Annales de la Société d'Agriculture, Sciences, Arts el Belles- Leltres du département d'Indre- et-Loire. — N° 1, janvier, février et mars 1856. — N°2, avril, mai et juin 1856. — N°3, juillet, août et septembre 1856. — N° #, octobre, novembre et décembre 1856. (M. Ch. Des Moulins, rapporteur.) Bulletin de la Société d'Études scientifiques el archéologiques de la ville de Draguignan, tome 1, janvier 1857. (M. Léo Drouyn, rapporteur.) Annales de la Sociélé Académique de Nantes et du département de la Loire-Inférieure, 1849. (M. Gaussens, rapporteur.) Archives de l'Agriculture du nord de la France, publiées par le Comice Agricole de Lille, tome IV, n° 12, février, 1857. (M. Baudrimont, rapporteur.) Du rôle de la famille dans l'éducation, ou théorie de l'éducation publique et privée; par Théod.-H. Barrau, Paris, 1857. (M. Saugeon, rapporteur.) Cours familier de Liltérature; par M. de Lamar- 83 tive, 16° entretien, 4° de la 2° année. (M. Minier, rapporteur.) Revue des Beaux-Arts, 27° année, 10° livraison, 15 mai 1857. (M. Gorin, rapporteur.) DÉPOSÉS AUX ARCHIVES, Mémoires de l'Académie d'Arras, tome XXVIT, XXVIIL et XXIX, août 1854 et 1855, et avril 4857. — Ces trois volumes sont accompagnés d'une lettre d'envoi. Règlement de la Société d'Agriculture, Sciences el Arts de la Sarthe, 1856. Le bon Cullivateur, Recueil agronomique publié par la Société Centrale d'Agriculture de Nancy, 36° année, n° 12, décembre 1856. Histoire des progrès de la civilisation en Europe, depuis l'ère chrétienne jusqu'au XIX® siècle; par H. Roux-Ferrand, 2° édition, Paris, 1857. (Pros- pectus. Extrait des travaux de la Société Centrale d'A- griculture du département de la Seine-Inférieure, 142° cahier, 3° trimestre de l’année 1856. Étaient présents : MM. Abria, J. Duboul, Durand, Girot de la Ville, Costes, Gustave Brunet, Hippolyte Minier, Léo Drouyn, A. Petit-Laf- fitte, E. Gintrac, Blatairou, Burguet, E. Dégranges, Jules Delpit, À. Geffroy, E. Gout Desmartres, E. Gaussens , Saugeon, Fauré, V. Raulin, Baudrimont. ANNÉE 1857. — 4e No, SAN EMDIUMNTITRIEN NS 7e Présidence de M, ABRIA. Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté. MM. Dutrey et de Lacolonge se font excuser de ne pouvoir assister à la séance. M. le Président dit qu'il s'est rendu auprès de M. Laterrade, au nom de l'Académie, pour lui témoigner le regret qu'elle éprouve de ne point le voir assister à ses séances pour eause de maladie. TRAVAUX DES MEMBRES DE L' ACADÉMIE. M. Cirot de La Ville lit un fragment d'une étude littéraire sur le livre de Job. Après avoir montré l'unité de l'œuvre, l'unité de ca- ractère du héros, comme condition essentielle de la beauté littéraire de l'une et de l'autre, l'auteur compare les plaintes du patriarche arabe avec celles d'OEdipe, le désespoir d'Ulysse et le discours d'Achille à Priam. Ce rapprochement suffit pour faire ressortir la su- périorité de sentiment et d'images du poète sacre. 85 M. Dabas fait un Rapport verbal sur une double composition en vers latins ayant pour titre : Lycidas ecloga et Musæ invocatio, par M. Jean Van Leeuwen, qui a remporté le second prix fondé sur le legs de M. Jacques - Henri Hoeufft dans un concours poétique institué devant l'Académie royale des Sciences d'Ams- terdam. «Ces petits poëmes démontrent qu'à Amsterdam » comme en France le vers latin est en décadence. — » La forme en est surannée, les vers médiocres et la » latinité quelque peu batave. L'auteur parait n'être » pas content de lui, et il en à bien le droit. » Rapport de M. Geffroy sur trois ouvrages adressés à l'Académie par l'Université de Christiania : « MESSIEURS, » Vous m'avez fait l'honneur de me charger, dans » une de vos dernières séances, d'un Rapport sur quel- » ques ouvrages qui vous ont été adressés par l'Univer- » sité de Christiania en échange de vos Actes. » Ces ouvrages sont au nombre de trois, savoir : » 1° Un Annuaire de l'Université de Christiania » pour l’année 1851 ‘. On y trouve un compte-rendu » des cours professés pendant l'année, celui des exa- 1 Det Kongelige Norske Frederiks Universitets Aarsberetning. Christiania, 1853; brochure in-12. S Ÿ 86 mens subis par les étudiants, des acquisitions faites par les musées, collections et bibliothèque de l'Uni- versité, la liste des prix accordés ou des missions confiées par l'Université au nom de l'État ou au nom de généreux protecteurs des sciences et des lettres, qui ont légué dans cette vue des sommes importantes, l'indication des sujets choisis pendant l’année pour les thèses inaugurales, etc. » L'Université de Christiania, fondée en 1813 par le roi de Danemark et de Norvège, Frédéric VI, n'a pris un sérieux développement que depuis que la Norvège a été séparée du Danemark, en 1814. Jus- que-là, on le comprend, Copenhague attirait tous les étudiants Norvégiens. C’est donc, à vrai dire, une institution assez nouvelle ; mais qui est devenue pros- père en peu de temps. L'Annuaire de 185%, que j'ai en ma possession, et dont vous permettrez sans doute que je substitue l'examen à celui de 1851, moins in- téressant à cause de sa date, nous apprend que la Faculté de Théologie comptait, il a trois ans, 80 étudiants; la Faculté de Droit, 195; la Faculté de Médecine, 82. 130 étudiants se préparaient à l'exa- men de philosophie. » Les leçons de la Faculté de Théologie comprenaient l'explication des Psaumes, des Évangiles, de la Ge- nèse et de la Dogmatique chrétienne. A la Faculté de Droit, on enseignait l'économie politique, le droit romain , le droit norvégien du moyen-àge, et le droit civil en général. Les cours de la Faculté de Méde- cine embrassaient toutes les parties de la science » » 87 médicale, y compris même la pharmacologie. Le domaine de la philosophie était très-vaste; outre la philosophie proprement dite, il comprenait la litté- rature, l'histoire et les sciences. » A côté de ces cours, l'Université a des collections précieuses, qui sont un autre moyen d'enseignement. Sa bibliothèque à recu un accroissement de 2,677 volumes et de 23 manuscrits. Elle à prêté au dehors 9,968 volumes; dans la salle de lecture, 5,047. Le catalogue alphabétique $'est augmenté de 6 volumes, et formait à la fin de l’année 268 volumes. La collec- lion de monnaies et de médailles possède 27,444 pièces. Le musée d’antiquités scandinaves compte 1,833 numéros. Un cabinet de physique, un labo- ratoire de métallurgie, des musées zoologiques, géo- logiques, etc., sont aussi ouverts aux étudiants. » L'Université à dirigé des excursions zoologiques vers le nord de Chistiania, et encouragé des recher- ches botaniques dans le Finmark occidental. » Ces détails suffiront pour montrer que l'Univer- sité de Christiania est devenue pour le Nord un grand centre intellectuel. Elle à produit déjà beaucoup d'hommes utiles, beaucoup d'élèves qui se sont dis- tingués dans les lettres et les sciences, et elle est fière de pouvoir désigner à l'estime des savants étran- gers des professeurs tels que M. Hansteen, lillustre et vénérable astronome, M. P.-A. Munch, l’un des historiens les plus perspicaces du Nord; M. Schwei- gaard, habile économiste et légiste; MM. Keiïlhau , Keyser, Welhaven, etc. ; » 38 » 2e et 3° Outre ces deux écrits, votre compagnie a reeu, Messieurs, par le même envoi, deux impor- tants volumes in-8°, intitulés : lun Saga ou Histoire d'Olaf 1 Tryggvesün; le second Saga ou Histoire d'Olaf 11 le saint ‘. Ces deux ouvrages, imprimés en islandais ou norsk, c'est-à-dire dans la langue qui fut parlée par les nations scandinaves jusqu'au XIVe siècle et qui se conserve encore aujourd'hui en Islande, sont les premières éditions exactes des deux sagas dont il s’agit. La première de ces sagas à été composée par un moine d'Islande, nommé Odd, en- tre les années 1170-1200, en latin. Le texte latin est perdu. On a conservé une traduction islandaise que reproduit votre volume. Le roi Olaf 1, né en 953, régna en Norvège de l'an 995 à l'an 1000. — La deuxième de ces sagas à été rédigée en islandais entre les années 1225-1235 par le plus illustre des anciens écrivains du Nord, le magistrat islandais Snorre Sturlesôn, tué dans les guerres civiles de sa république en 1241. C'est à Snorre Sturlesôn, épris des trésors poétiques de sa patrie, qu'on doit la Nouvelle ou Jeune Edda, recueil des chants des anciens Scaldes, qui contiennent tout le système re- ligieux de l'ancien paganisme du Nord. La saga d'O- laf II le saint n'est elle-même qu'un fragment de son grand ouvrage historique, intitulé : Heimskringla, dans lequel il à réuni les histoires des principaux 1 Olaf Tryggvesüns Saga, ved Odd Munk. — Olaf den Helliges Saga, ved Snorre Sturlassœn. 89 rois de Norvège jusqu'à son temps, insérant quelque- fois des pages entières des récits composés avant lui, tels, par exemple, que la saga d'OlfT, du moine Odd, mais résumant, contrôlant et critiquant ces récits. » Pour apprécier l'importance de ces anciennes sa- gas, qui nous exposent les mœurs du X° et du X[° sièele dans un coin reculé du Nord de l'Europe, il faut se rappeler que ces mœurs des peuples scandi- paves se sont développées longtemps à l'abri de la double influence de la civilisation classique et du Christianisme; qu'elles étaient identiques, dans leur pureté primitive, à celles des peuples germains dont sont issues en grande partie les sociétés de l'Europe centrale et occidentale, particulièrement la nôtre, et que, par conséquent, il devient d’un intérêt incon— testable d'étudier dans les monuments les plus an- ciens du Nord les coutumes, les sentiments, Îles idées qui ont servi plus tard d'instruments à la eivi- lisation classique et chrétienne. Ces coutumes, ces sentiments, ces idées, par exemple les institutions du jury, du webhrgeld, du duel, des conjuralores, des épreuves judiciaires, nous apparaissent ici, sans al- tération el sans voiles, dans toute leur lumière et toute leur énergie. » Du reste, ce n’est que par des détails, fort curieux et fort importants encore, que les deux sagas qui nous occupent peuvent contribuer à cette étude fé- conde. Leur principal objet est la prédication du Christianisme, qui s'est faite en effet par les rois Olaf L'et Of Il en Norvège. Ce sujet particulier ne ŸY ) Ÿ » 90 manque pas assurément d'être intéressant par lui- même. » Que le Christianisme dût être un inappréciable bien- fait pour ces pays éloignés qu'il allait {à ne considé- rer que les résultats politiques et civils) faire entrer dans le concert de la civilisation européenne, cela n'est certes pas douteux; mais il faut reconnaitre, après la lecture de nos sagas, que ce bienfait, par la faute des hommes et des temps, fut imposé à ces peuples trop souvent par la violence et la ruse plu- tôt que par une prédication intelligente et digne de son objet. » À dix-neuf ans, Olaf [ se fait roi de mer; il aborde les côtes de la Hollande, de l'Angleterre et de la France, et visite les îles voisines de ces côtes. Con- verti bientôt, selon les uns par un pauvre ermite des iles Sorlingues, selon d'autres baptisé à Rouen ou à Londres, il avait sans doute reçu les pre- miers principes du Christianisme à la Cour orien- tale de Vladimir. Dès les premiers jours de son rè- gne, il se montre résolu à établir de gré ou de force le Christianisme en Norvège. Avec un nombreux cor- tége de prêtres qu'il a amenés d'Irlande, et de guer- riers, ses fidèles mais barbares compagnons, il par— court son royaume, assemblant partout le peuple, l'invitant à se convertir, comblant d’honneurs les plus dociles, effrayant où punissant les rebelles. » Dans les contrées du Sud, restées sous les rois précédents moins étrangères aux idées nouvelles, le Christianisme fut promptement accepté par l'Assem- » » 91 blée générale; mais dans les forêts du Nord, le culte odinique et l'ancienne religion finnoise s'étaient con- servés dans toute leur rudesse; un zèle sauvage en souleva les habitants contre l'idée d’un nouveau culte. Le récit de ces persécutions et de ces révoltes est parsemé, dans la chronique d'Olaf f, d’une multitude de curieux épisodes. Deux chefs du Nord, Raude et Thorer, riches et puissants, avaient refusé de se convertir, et avaient armé une flotte contre Olaf. Le combat s'engage; les deux chefs sont défaits; mais Raude, qui est grand magicien, soulève une tempête et s'enfuit, pendant que Thorer, jeté sur la côte, est atteint, malgré son agilité, par le merveilleux chien Vikia, que le roi Olaf a rapporté d'Irlande, et périt sous les flèches du roi. Raude, cependant, réfugié dans une ile voisine, excitait autour de ses rochers des orages continuels. Olaf attend inutilement huit jours, pendant lesquels il convertit les habitants de la côte. A la fin, l'évêque Sigurd se résout à exorci- ser le démon qui agite les vagues. Revêtu de ses or- nements pontificaux, il monte sur le navire d'Olaf, balance au-dessus de la mer l'encensoir fumant , étend sur les vagues la crosse pastorale, et asperge le navire d'eau bénite. Aussitôt, dans tout l'espace qui s'étend jusque vers le rivage de l'ile, la mer de- vient unie comme un lac, tandis que, de chaque côté, les vagues s'élèvent furieuses. Intact et paisi- sible aa milieu de la tempête, le navire gagne la baie prochaine. Olaf se rend à la demeure de Raude et le charge de fers, ainsi que ses compagnons d'armes. » » 92 On le somme de se convertir, et comme il répond par des injures et des blasphèmes, on lui inflige un supplice extraordinaire : il est forcé d'avaler un ser- pent qui lui ronge le cœur et lui perce la poitrine. — Le vainqueur recueillit un riche butin; mais son plus grand plaisir, dit la saga, fut de faire périr les serviteurs de Raude à mesure qu'ils refusaient de se convertir. » Le roi multiplia ainsi pendant longtemps les sup- plices, l'exil, la ruine des temples et des idoles, au péril même de sa vie; il eut le courage de passer dans l'ile de Moere, où était situé le plus fameux temple de Thor; il y engagea avec le prêtre du Dieu une discussion théologique, mais la rompit bientôt en renversant l'idole d'un coup de sa lance, pendant que ses compagnons égorgeaient le Pontife au grand étonnement d'un peuple tremblant et immobile. Pour faire oublier cette violence, il célébra ses noces avec la fille de sa victime, qui tenta de le poignarder dès la première nuit. La violence et les armes ne réus- sissant pas, Olaf employa la ruse et Ia trahison : plu- sieurs prêtres païens furent invités à un festin, et la salle incendiée; un d'eux put s'échapper; on le re- prit et on l’attacha sur un éeueil, où la marée mon- tante le noya lentement. De telles persécutions firent, il est vrai, beaucoup de convertis, mais aussi beau- coup de relaps; le paganisme se réfugia dans l'ombre des forêts et dans les cavernes du Nord, qu'il peupla de mille êtres fantastiques, sylphes, démons, génies bons ou mauvais, génies des eaux, génies des bois, » » S T S S A A Ÿ 93 génies des montagnes, encore vivants aujourd'hui dans bien des souvenirs. » Ce zèle féroce fut enfin funeste à Olaf KE. [ allait conclure un mariage avec une princesse suédoise, la fière Sigrid, quand celle-ci refusa nettement d'abju- rer l'idolatrie. Olaf irrité répondit qu'il ne voulait pas vivre avec une vieille sorcière paienne, et s’emporta jusqu'à frapper du gant sa fiancée. Celle-ei osa lui prédire que son outrage lui coùterait un jour le trône et la vie. En effet, mariée dans la suite au roi de Danemark, Suëénon, Sigrid l'excita contre Olaf, qui, trahi làchement par un des siens, fut blessé sur son navire, et périt, suivant la saga que nous exami- nons, dans les flots; selon deux autres de ses biogra- phes, moines islandais du XII siècle, il s'échappa à la nage, visita en pèlerin Rome et la Terre Sainte, el mourut ermile en Syrie. » Tous ses moments n'avaient pas, il faut le dire, été donnés à la persécution; il avait favorisé la ma- rine, le commerce, et fondé, à l'embouchure du Nid, la ville de Nidaros pour servir d'entrepôt et de gre- nier à la côte occidentale de la Norvège. Ce fut plus tard la ville de Throndhiem. » — L'histoire d'Olaf Il n'est pas, à beaucoup d'égards, très-différente. Voici comment il décida toute une province norvégienne voisine du pays de Throndhiem à accepter le Christianisme. [Il se rendit dans cette province et y convoqua un Thing ou As- semblée générale , auquel assistèrent tous les paysans avec leurs magistrats. I leur exposa que les provin- 94 ces voisines ayant adopté la foi nouvelle, détruit leurs temples et leurs idoles, aboli leurs sacrifices, il souhaitait qu'eux aussi adorassent désormais le seul Dieu, créateur du ciel et de la terre, afin que le royaume n’eût désormais qu'une même croyance. — Après qu'il eut parlé, un des chefs du pays, nommé Gudbrand, se leva et dit : « Nous ne savons pas, Ô Roi, de qui tu nous parles, car voilà que tu appelles Dieu celui que personne ne peut voir et que {u ne vois pas toi-même. Pouvons-nous espérer quelque se- cours d'une divinité que nous ne pouvons voir ni toucher? Notre Dieu, à nous, est tout autre. Nous ne vous le montrons pas aujourd'hui parce qu'il fait mauvais temps, et que la pluie le gâterait; mais je crois que quand tu le verras, tu seras effrayé en son- geant à sa puissance. » Il fut convenu que le lende- main de bon matin le Thing s’assemblerait de nou- veau et qu'on éprouverait la puissance des deux divinités rivales. Là-dessus on se sépara. » Le lendemain, au point du jour, Olaf se rendit à l'endroit désigné. Il était accompagné, outre sa suite, de l'évèque revêtu de la chape, couronné de la mitre, et portant d'une main la crosse pastorale. De leur côté, les paysans norvégiens avaient apporté en cérémonie au Thing leur grand Dieu, fait à l'image de Thor; c'était une machine de bois ayant à peu près la forme humaine, avec de grands yeux et une bouche entr'ouverte, et reluisante d'or et d'ar- ent. Is la dressèrent debout au milieu de l'Assem- blée. Le premier, Gudbrand, prit la parole : « Hé » 95 bien! dit-il à Olaf, où est maintenant ton Dieu? Il porte la barbe basse, et ni Loi ni cet homme cornu qui est à tes côtés (il désignait ainsi l'évêque, dont la crosse, se confondant à ses regards avec la mi- tre, lui semblait une corne), vous n'êtes aussi fiers aujourd'hui, parce que vous êtes en présence de notre Dieu qui gouverne toutes choses et qui vous regarde de ses yeux terribles; je vois bien que vous osez à peine le contempler en face, et je vous avais bien dit que vous en auriez peur. Avouez-done sa supériorité et courbez-vous devant lui. Redoutable comme il est, je m'étonne qu'il ait tant tardé à punir vos dédains. » Quand il eut fini de parler, Olaf se leva et dit : « Tu l'étonnes de ne pas voir notre Dieu? Un moment encore, il va venir; nous l'attendons. Pour ce qui est du tien, je m'étonne que tu veuilles nous effrayer de ce Dieu aveugle et sourd, qui ne peut rien pour loi ni pour lui-même, et j'ai grand'peur qu'il ne lui arrive quelque malheur à l'instant... Re- garde là-bas vers l'Orient, voici notre Dieu qui vient environné d'une grande lumière... » Le soleil perçail en ce moment l'horizon et inondait l'Assem- blée de ses rayons éclatants. Pendant que les paysans étonnés et dans une curieuse et naïve altente re- gardaient tous vers l'Orient, un des hommes du roi, armé d'une massue, abattit d'un coup leur idole. Elle se répandit à terre en mille morceaux, et de ses entrailles de bois pourri, qui recevaient les aliments dont ses adorateurs lui faisaient offrande, sortirent des rats, des vers et des crapauds, aux 7 96 grands éclats de rire d'Olaf et de ses courtisans. Les paysans effrayés avaient d'abord pris la fuite; mais Olaf avait, pendant la nuit, fait couler leurs embar- cations et soustraire leurs chevaux. On les rappela au Thing, et il leur dit : « Vous voyez à présent quelle est la puissance de votre Dieu que vous cou- vriez d'or et d'argent, que vous nourrissiez de pain et de viande : c'était de quoi engraisser rats, serpents et crapauds ! Ramassez cet argent et cet or, et por- tez-le à vos femmes; c'est du bien perdu que de l'ap- pliquer sur ce bois inutile. Et maintenant, choisissez : faites-vous chrétiens à l'instant, ou bien préparez vous à la bataille aujourd'hui même. Celui-là sera le vainqueur à qui notre Dieu voudra donner la vic- toire. » Gudbrand répondit : « Puisque notre Dieu n'a pas su nous secourir, il est évident, à Roi, que le tien est plus puissant. Nous devons nous soumettre, et nous croirons en lui. » — Tous recurent, en effet, le baptème. Olaf laissa dans le pays plusieurs prêtres qu'il avait amenés pour achever ce qui était si bien commencé. Gudbrand construisit sur ses propres do- maines une église à laquelle il fit donation de terres considérables, et, sauf quelques révoltes, cette pro- vince fut désormais fidèle à la foi chrétienne et à la domination royale. » Voilà, Messieurs, si je ne me trompe, de curieu- ses peintures des mœurs et de l'histoire du Nord; si vous y ajoutez une foule de renseignements non moins précieux sur les modifications que le Chris- {ianisme ne pouvait manquer d'apporter aux institu- 97 » lions et aux mœurs, sur la résistance des coutumes » païennes, sur les incertitudes des esprits faibles, sur » les extases des esprits exaltés, en un mot sur tous » les phénomènes intellectuels et moraux que doit faire » naître un grand mouvement religieux, vous aurez » une idée de l'intérêt qu'offre l'étude de ces monu- » ments littéraires désignés par le titre général de » Sagas islandaises, et vous me permettrez de vous » féliciter, en ma qualité de nouveau venu, des rela- » tions que vous avez depuis longtemps déjà engagées » avec l'Université de Christiania. Les livres dont je » viens de vous entretenir sont bien peu connus en » France; les exemplaires mème n'en sont pas com- » inuns. Les Universités et les Académies du Nord » pourront être assurées qu'ici du moins nous nous » efforcerons de leur faire bon accueil. » M. Gout Desmartres présente à l'Académie : 4° Un manuscrit de M. Hirigoyen ayant pour ti- tre : Lafontaine vengé. Cet ouvrage à été écrit pour combattre le jugement défavorable émis par M. de La- martine sur notre fabuliste dans son Cours de Littéra- ture. (MM. Gout Desmartres et Dutrey, rapporteurs ; | 2 Un ouvrage imprimé, ayant pour tre : La Science des Fontaines, par M. Dumas, de Valence, l'un des lauréats du concours velatif aux inondations. (M. Durand, rapporteur. M. Gout Desmartres demande, au nom de M. Metgé, des nouvelles de sa candidature au titre de membre correspondant. 98 Les pièces sont entre les mains de la Commission nommée pour les examiner. M. Gout Desmartres ajoute que, d’après de nouveaux arrangements pris par la municipalité de Bordeaux, l'Académie peut espérer qu'elle aura bientôt un local convenable pour tenir ses séances. TRAVAUX SOUMIS À L ACADÉMIE. M. le Président présente, au nom de M. Faget, leur auteur, plusieurs ouvrages exécutés en fer repoussé. Commissaires : MM. Brochon, Gorin, Manès. Plan d'un appareil pour prévenir les accidents en chemin de fer, et signaler la présence des trains aux gares des stations, accompagné d'une légende et d'une lettre, par M. Brun. L'auteur demande que lon hâte le rapport qui doit être fait sur son appareil. Renvoi à la Commission, composée de MM. Abria, Baudrimont , de Lacolonge. CORRESPONDANCE,. Lettre de M. Goudas relative à la navigation aérienne. L'auteur de cette lettre demande que l'Académie intervienne dans l'exécution de son projet. Il ne peut être donné suite à cette demande. (Archives. ci Lettre de M. Th. Leclerc adressant un petit paquet cacheté pour le concours ouvert par l'Académie, et en dehors de toutes les formes usitées. (Réservé pour le concours. Lettre de M. l'Archiviste de l'Académie de Douai de- mandant le 4°" trimestre de l'année 1854 des Actes de l’Académie de Bordeaux. (Renvoyé à M. l'Archi- viste.) | OUVRAGES ADRESSES A L' ACADÉMIE SUR LESQUELS SERONT FAITS DES RAPPORTS, Bulletin de la Société libre d'émulation du com- merce el de l'industrie de la Seine-Inférieure, an- née 1856. (M. de Lacolonge, rapporteur.) Cours Familier de Littérature, 27° entretien, 5° de la deuxième année. (M. Minier, rapporteur.) Revue des Beaux-Arts, XE livraison, 4°" juin 1857. (M. Gorin, rapporteur.) Journal des Savants, mai 1857. (MM. Duboul et Baudrimont, rapporteurs.) Etaient présents : MM. Abria, Burguet, J. Duboul, A. Petit-Lafitte, Jules de Gères, Cirot de La Ville, Durand, Costes, E. Dégranges, E. Gin- trac, Marquis de Bourdillon, Victor Raulin, E.-G. Desmartres, Dabas, Saugeon, Charles des Moulins, Baudrimont, E. Gaus- sens, Geffroy, Hippolyte Minier, ANNÉE 1857. — 5° No, SÉANCE DU 25 JUIN 1857. Présidence de M, ABRIA. Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté. TRAVAUX DES MEMBRES DE L ACADÉMIE. Etude sur le crédit agricole; par M. Saugeon. (Extrait par l'auteur.) « Le crédit est nécessaire à l’agriculture, surtout en » présence de l’industrie, du commerce et de la spécu- » lation, qui en usent si largement. On peut résumer » ainsi la situation : au spéculateur, crédit illimité; au » commercant, crédit étendu ; à l'industriel, crédit » restreint; à l'agriculteur, crédit nul. » Le prêt hypothécaire n’a souvent qu'une utilité » très-contestable, parce que l'emprunt immobilier se » fait en vue des besoins du propriétaire et non en » vue de la production Le crédit agricole devrait être » ouvert en faveur des frais de culture et payable sur » la récolte. Il serait réel quant à la garantie, person » » 401 nel quant à l'échéance, et surexciterait chez lem- prunteur l'esprit d'économie, de prévoyance, et l'ac- tivité du travail, » L'auteur du Mémoire voudrait qu'on s’éloignat dans les institutions agricoles des procédés de la centrali- sation. Il demande que le comptoir agricole soit can- tonal; ses actionnaires seraient des propriétaires de la localité, qui fourniraient, non des capilaux, mais des garanties hypothécaires. Le comptoir donnerait aux bailleurs de fonds, en échange des sommes ver- sées, des titres transmissibles et payables à échéance fixe, avec un intérêt égal à l'escompte du commerce, Les prêts seraient faits seulement aux agriculteurs du canton, propriétaires, fermiers ou colons. L'intérêt supporté par l'emprunteur serait de 1/2 0/0 au-des- sous de celui qui serait accordé au capitaliste ; le terme serait au plus d'un an, sauf renouvellement dans des cas prévus. Le prêt s'effectuerait partie en espèces, partie en bons de la banque transmissibles par en- dossement. Le prêt se ferait aux actionnaires par comptes-courants, aux bailleurs de fonds sur dépôt de titres, aux autres agriculteurs sur nantissement. L'auteur explique, d'après une théorie ingénieuse de M. Constant, avocat, qu'on n'a pas besoin de dépla- cer le gage. » Une banque départementale servirait d'intermé- diaire aux comptoirs cantonaux, et une Commission pourrait relier les opérations des banques départe- mentales elles-mêmes. » L'auteur ne voit d'obstacles aux projets de ce 102 » genre que dans la disposition des esprits. Tout pro- » grès économique repose sur le principe de l'Associa- » tion; mais il est aujourd'hui faussé par des théoriciens » qui l'ont exagéré, et par des spéculateurs qui l'ont » perverti en substituant la coalition des intérêts iden- » tiques à la conciliation des intérèts opposés, seule » base d'une Association normale. » Une discussion sur le crédit agricole s'engage entre plusieurs Membres de l'Académie après la lecture de M. Saugcon. M. Petit-Lafitte fait les observations suivantes L'agriculture proprement dite a-t-elle emprunté à un taux aussi élevé qu'on le dit communément ? L'Agriculteur a-1-il emprunté aussi souvent qu'on le dit pour :es besoins spéciaux de l'agriculture ? Ce sont des questions qu'il importe d'examiner avant de s'occuper de fonder des établissements relatifs au crédit agricole et out à fait spéciaux. Souvent, celui qui emprunte est propriétaire, mais n'est pas agriculteur, et le produit de son emprunt a une tout autre destination que celle de l'agriculture. C'est le détenteur des fonds qui emprunte, et on le confond avec l’agriculteur proprement dit. Pour que des établissements de crédit agricole fus- sent aussi utiles que possible, il faudrait trouver un moyen qui fit que la somme empruntée fut réellement et fructueusement appliquée à des opérations agricoles. Créer une caisse spéciale pour satisfaire les besoins particuliers ou les fantaisies des emprunteurs, est une chose inutile, nuisible même. 103 En rendant le fonds trop mobile, il y à un vérita- ble danger; c'est priver la société, déjà si ébranlée, d'un de ses plus solides appuis. M. Gout Desmartres répond : On ne peut nier cepen- dant l'utilité des établissements de crédit agricole. En Silésie et dans toute l'Allemagne, il y à des établisse- ments de celte nature qui ont donné des résultats très- avantageux. Pour que ces établissements soient réelle- ment agricoles, il faut que l'argent emprunté soit em ployé à améliorer le sol, comme cela vient d'être dit. Ce qui rend en général les emprunts difficiles pour le véritable agriculteur, c'est l'époque fatale du rembourse- went. Pour y obvier, il faudrait que l'intérêt put amortir le capital. L'emploi de l'argent, rendant la terre plus féconde, la fait rapporter davantage, et cela permettrait aux agriculteurs de supporter un intérêt plus élevé. 4 4/2 0/0 d'intérèt et 2 1/2 0/0 d'amortissement étein- draient le capital dans vingt-huit ou trente ans. On ne peut nier également l'utilité de l'Association. Si elle à eu des inconvénients, elle a d'immenses avan- ages; c'est à elle que nous devons loutes les grandes entreprises qui ont été faites depuis un quart de siècle. L'Association des intelligences et des capitaux ne peut que donner d'heureux résultats. M. Abria fait observer que les emprunts faits pour un an, selon le système exposé par M. Saugeon, ne peuvent subvenir à tous les besoins de l'agriculture, car il y a des opérations qui, comme le drainage, couù- tent cher, et ne donnent des résultats évidents qu'après quatre ou cinq ans. 104 M. Saugeon répond : Les observations de M. Petit- Lafitte sont parfaitement d'accord avec le travail que j'ai lu, puisqu'il a principalement pour but que le prêt soit fait uniquement à l’agriculteur. Le crédit foncier en France n'a pas et ne peut avoir les avantages qu'il rencontrerait en Silésie et en Pologne, où existe en- core la féodalité. Là le propriétaire est toujours appelé à faire valoir ses propriétés, et le détenteur du sol ne peut être distingué de l'agriculteur, qui n'est qu'un serf fonctionnant comme une machine. — Je me suis occupé d'un lout autre crédit, crédit essentiellement personnel pour l'agriculteur, le fermier, le colon, le propriétaire s'il cultive lui-même. L'obligation attein- drait le but désiré par M. Petit-Lafitte : l'agriculteur avec le crédit permanent, mais à échéance restreinte, serait obligé de travailler et de songer au rembourse- ment. M. Gout Desmartires insiste sur l'observation qu'il a faite que l'agriculteur qui emprunte ne peut rembour- ser le capital. M. Petit-Lafitte répond : J'ai vécu dans les champs; j'ai été élevé avec des hommes qui sont devenus agri- culteurs; mes fonctions me mettent incessamment en rapport avec d'autres agriculteurs, et je dois déclarer qu'il résulte de l'ensemble de mes observations que celui qui travaille réellement le sol, non-seulement n’emprunte pas, mais achète des propriétés à crédit, et qu'il parvient à les payer avec le fruit de son tra- vail; et enfin que celui qui hérite n’emprunte pas non plus, s'il accepte cet héritage comme objet de ses la- 105 beurs, sil cherche à le féconder par l'emploi de ses forces physiques ou de ses forces intellectuelles. M. Baudrimont prend ensuite la parole et s'exprime ainsi : Avant d'examiner le fond de la question, il faut reconnaitre que le système proposé par M. Saugeon a un avantage incontestable sur les autres systèmes qui ont été proposés jusqu'à ce jour, car il s'adresse réelle- ment à ceux qui doivent emprunter pour les besoins de l'agriculture, et il fait remarquer que le projet sou- mis à l'Académie par M. Constant, et sur lequel devra prochainement être fait un rapport, va au-devant des observations faites par M. Gout Desmartres, parce que, d'après ce projet, emprunteur n'est astreint qu'au paie- ment d'un intérêt de 4 0/0, et ne rembourse qu'autant que cela lui convient. Si l’on compare les sources matérielles de la richesse d'une nation, qui sont représentées par l’agriculture, les mines, l’industrie, le commerce et le capital, on voit que l'agriculture est dans une situation spéciale et relativement précaire. Basée sur un sol immobile, dif- licile à aliéner, limité dans sa production, ne donnant généralement des fruits qu'une fois par an, soumis aux débordements des eaux et aux intempéries de l’atmos- phère, on voit comment il se fait que le vériteble agri- culteur trouve difficilement à emprunter, et comment, avec la meilleure volonté du monde, il lui est quelque- fois impossible de satisfaire à ses engagements. Cette condition spéciale se rattachant cependant à la pro- duction de première nécessité d'un État, puisqu'il s'a- git de l'alimentation des populations, demanderait que 106 l'on püt trouver une combinaison qui-püt satisfaire à des conditions fort difficiles à réaliser, il est vrai, mais non impossibles, puisqu'une forte partie des difficultés se trouvent levées par les systèmes de M. £augeon et de M. Constant. Enfin, que, malgré tout ce qu'il peut y avoir de bien fondé dans les observations de M. Petit-Lafitte, l'agriculture à besoin de capitaux, non-seulement pour les cas imprévus, mais principalement pour les amé- liorations permanentes du sol, telles que le drainage cité par M. Abria, les travaux d'art en général, le marnage, etc., ele. Rapport sur une traduction en vers francais d'OEdipe à Colone, offerte à l'Académie Impériale des Sciences de Bordeaux par M. L. Richaud, agrégé de l'Univer- sité et Proviseur du Lycée de Pau, par M. Dabas Résumé et conclusions. « Je me résume en disant que le traducteur en vers » francais de l'OEdipe à Colone, de Sophocle, a tenté » une œuvre impossible, et à laquelle il eùt fait plus » sagement de renoncer; qu'avec plus de talent, plus » de fidélité à la pensée, un sentiment plus vif et plus » délicat des beautés de son auteur, avec plus d'aisance » surtout, et de chaleur et de mouvement, il se fut » approché plus près du but; mais que jamais il ne » l'eüt atteint, parce qu'il n'est pas possible d'y attein- » dre; que, néanmoins, vu les difficultés immenses 107 » de la tâche, il a fait preuve d'un mérite réel, d'un » talent estimable, dont il est juste de lui tenir compte, » et que Je suis d'avis que l'Académie lui adresse des » remerciments pour son envoi. » Les conclusions du rapport sont adoptées. CORRESPONDANCE. M. le Comte de La Vergne soumet à l'Académie un soufflet destiné à projeter du soufre sur la vigne pour combattre l'oidium , et un petit sac pour mettre les pro- visions de soufre du travailleur. M. le Président considérant l'opportunité des instru- ments de M. de La Vergne, et la nécessité de s'en oc- cuper de suite, désigne MM. Des Moulins et Manès pour en faire un rapport dans la prochaine séance. Lettre de la Société des Sciences Physiques de Ge- nève annonçant l'envoi de ses publications. OUVRAGES ADRESSÉS À L'ACADÉMIE SUR LESQUELS SERONT FAITS DES RAPPORTS. Revue des Beaux-Arts, 27° année, XIE livraison , 45 juin 1857. (M. Gorin, rapporteur.) Bullelin de la Société industrielle de Mulhouse , n° 138 et 139, 1857. (M. de Lacolonge, rapporteur.) Les rues de Troyes anciennes et modernes, revue étymologique et historique, avee un plan, par M. Cor- rard de Breban, 1857. { M. Durand, rapporteur. | 108 Guide du consommateur de bons vins; par M. H. Ferrier, médecin à Pauillac { Médoc), avec une lettre d'envoi. (MM. Gout Desmartres et Burguet, rappor- teurs. ) Recueil de l'Académie des Jeux-F'lorauæ , 1857, accompagné d'une lettre d'envoi. (M. Gout Desmartres, rapporteur.) Exposé des causes de la colorisation des corps el des lois constantes qui régissent la reproduction des couleurs, suivi d'un Traité de l'électricité, du calori- que, de la lumière, et de quelques mots sur le magné.- tisme animal; par M. Hippolyte Landois; Paris, 1857. (M. Abria, rapporteur.) Mémoires de la Société Académique de Maine-el- Loire; 4° volume, n° 1: Angers, 1857. (M. de Laco- longe, rapporteur. Le Droil, journal des Tribunaux, 21° année, ven— dredi 8 mai 1857. Deux exemplaires. (M. E. Dégran- ges, rapporteur. DÉVOSÉS AUX ARCHIVES. L'Agricullure, comme source de richesse, 18° an- née, n°5, mai 1857. Journal de la Société de la morale chrétienne , t. VIE, n°3, mai et juin 1857. Journal d'Éducation , 8° année, n° 8, juin 1857. L'Ami des Champs, 35° année, n° 412, juin 1857. Actes de la Société d'Histoire naturelle de Genève. — Cet envoi se compose des Tomes IX, 18414; — IX, 109 1841-42; — X, 1° partie, 1843; — X, 2 partie, 1844; — XI, 1° partie, 1846 ; — XI, 2° partie, 1848 ; — XII, 4'e partie, 1849; — XII, 2° partie; 4851; —, 1° supplément au tome XIT, 1848, 6° série; — 2° supplément aux tomes XIT, 1848, 7° série; — XIII, re partie, 1852; — XIIT, 2° partie, 1854; — XIV, Aespartie, 4855: Revue d'Aquilaine, journal historique de Guienne, Gascogne, Béarn, Navarre, etc., etc. { Prospectus. ) L'Instiluleur des Aveugles ; année scolaire 1856- 57, n° 7, avril 4857. L'Agriculture du centre, bulletin de la Société d'Agriculture des Sciences et des Arts de la Haute- Vienne; n° À, tomes VITE et XXXIIT de Fancicnne série, 1857. Mémoires de la Société d'Agriculture des Sciences, Arts el Belles-Lettres du département de l'Aube: tome VITE, 2 série, n° 41 et 42, 4° et 2 trimestres de l'année 1857. { Tome XXI de la collection. ) Étaient présents : MM. Abria, Baudrimont, J, Duboul, G. Brunet, E. Gintrac, G.-J. Durand, Girot de La Ville, Burguet, Hippolyte Minier, Louis de Lacolonge , E. Dégranges, Auguste Petit-Lafitte, E.-G. Desmartres, Costes, À, Vaucher, Dabas, À, Geffroy, Saugeon, ANNÉE 1857. — 6e No. SÉANCE GÉNÉRALE DU 9 JUILLET 1857. Présidence de M, ABRIA. Le procès-verbal de là séance précédente est lu et adopté. TRAVAUX DES MEMBRES DE L'ACADÉMIE. M. 3. Delpit fait hommage à l'Académie d'un livre intitulé : Réponse d'un Campagnard à un Parisien, ou réfutation du livre de M. Veuillot sur le Drorr pu SEIGNEUR, par Jules Delpit; in-8°, 1857. M. Duboul lit la première partie d'un travail inti- tulé : De la population et de la production. L'auteur, partant des résultats fournis par le dernier dénombrement, et des diverses appréciations dont ils ont été l'objet, est naturellement conduit à l'examen du principe de population de Maltbus. Il ne croit pas qu'on puisse réfuter une doctrine par des déclamations puériles, quand elles ne sont pas odieuses. Il pense qu'il n'est pas inutile d'étudier froidement, au double point de vue de l'expérience et de la réflexion, les prétendus axiômes de l'économiste anglais, en se te- 111 nant à égale distance de ceux qui s'en sont fait les apologistes quand même, comme de ceux dont loppo- sition passionnée à été portée jusqu'à la calomnie con- tre les intentions et contre le caractère de Malthus. . D'après cet écrivain, la fécondité du globe ne serait pas en rapport avec la fécondité de la population des- tinée à le cultiver. Celle-ci serait illimitée; celle-là, au contraire, aurait des limites plus où moins étendues, sans doute, mais infranchissables. M. Duboul soutient qu'il n'en est pas ainsi; que le principe de Malthus ne constitue pas réellement ce qu'on appelle une loi en physique. Que prouvent, ditil, les faits généranx? Que la fécondité des espèces est toujours en rapport direct avec les chances de destruction qui les attendent dans le milieu où elles sont destinées à se développer. Telle est la conclusion à laquelle on est conduit quand on étudie le phénomène de la multiplication des êtres, soit dans la série végétale, soit dans le monde animal. L'auteur cite à l'appui quelques faits importants qu'il puise dans l'histoire naturelle des plantes et dans celle des poissons. Lorsqu'on étudie celte loi dans ses applications au développement des sociétés humaines, on la trouve pleinement confirmée par l'exemple de lirlande, au- quel il serait facile d'en joindre une foule d'autres. Dans les classes où l'aisance est absolument inconnue, où même la misère, la disette et la mort sont, pour ainsi dire, en permanence, la fécondité est beaucoup plus grande que là où le bien-être est habituellement géné- ral. Tous ces phénomènes, qui expliquent par la 112 méme cause, peuvent être Invoqués comme un argu- ment décisif contre le système de Malthus. La réciproque est vraie : « La diminution progres- » sive du nombre des naissances, proportionnellement » au degré de civilisation des époques et des contrées, » comme dit M. Moreau de Jonnès, est un fait qu'il n'est plus permis de mettre en doute. En somme, les populations ressemblent à ces fleuves dont les eaux croissent avec une rapidité quelquefois effrayante jusqu’à ce qu'elles aient atteint une certaine bauteur. Elles manifestent d'abord une fécondité qui étonne, qui alarme même les observateurs superticiels. Ils croient qu'elles vont déborder et tout envahir; mais bientôt, lorsqu'elles sont arrivées aux limites de leur développement naturel, cette fécondité, qui semblait inépuisable, diminue progressivement et se règle d’elle- méme. [Il n’est pas besoin ici de moyens arbitraires ou artificiels, de cette prudence et de cette contrainte morale tant préconisées par Malthus et par la plupart des économistes contemporains. Non; il y a simple- ment intervention d'une loi naturelle aussi mystérieuse dans son essence qu'elle est nette et saisissable dans ses effets. Ce n'est pas trop-plein de population qu'il y à sur le globe, c'est distribution vicieuse, exagérée sur certains points, insuflisante sur beaucoup d'autres. Mais enfin, en admettant qu'il y eût réellement trop- plein, serait-on en droit d'en conclure que la fécondité de l'espèce humaine à dépassé la fécondité du sol? Évidemment non, ear le domaine agricole de homme 113 est loin d'avoir été étendu jusqu'à ses dernières limites, et l'on est encore bien loin d'avoir obtenu de la terre tout ce qu'une culture vraiment intelligente et féconde lui fera certainement produire un jour. Ici, l'auteur touche au problème capital de la pro- duection. Il annonce qu'il en fera l'objet d’un rapide examen dans la seconde partie de son travail. M. Des Moulins, délégué avec M. Manès pour faire un Rapport à l'Académie sur les instruments de M. le comte de La Vergne destinés au soufrage de la vigne, demande qu'en l'absence de M. Manès on nomme un autre membre, pour que le rapport puisse être aussi complet que possible. ar suite d'observations faites par MM. Costes et Dégranges, il est décidé que des expériences seront entreprises avec les instruments de M. de La Vergne, et qu'un rapport sera fait dans la prochaine séance. {Commission : MM. Abria, Des Moulins, Baudrimont.) M. Räulin fait un Rapport sur les Mémoires de l'Aca- démie de Toulouse, les Annales scientifiques de FAu- vergne, le Bulletin de lAcadémie delphinale, les Annales de la Société impériale géologique de Vienne, el les Mémoires de l'Académie des Sciences et des Let- tres de Montpellier. — M. Raulin signale à l'Académie les Mémoires les plus importants publiés dans ces di- vers recueils. M. Brunet fait un rapport sur un ouvrage ayant 11% pour titre : Reports of eæploration and surveys, to ascertain the most practicable and economical route for a railroad from the Mississipi river to the Paci- fie Ocean. Made under the direction of the secretary of War, in 1855-54, according lo acte of Congress of the march 5, 1855; may 51, 1854; and august 5, 14854. Vol. 1; Washington, 1855. Cet ouvrage important à été imprimé par ordre du Sénat des États-Unis; il est relatif aux explorations et aux études entreprises afin de déterminer la ligne la plus facile et la plus économique à suivre pour un che- min de fer allant du Mississipi à l'Océan Pacifique. Ce travail, envoyé à l'Académie par la Société Smithso— pienne, forme un volume in-4° de plus de 650 pages, avec cartes el plans. C'est par ordre du secrétaire de la guerre que les ingénieurs-géographes américains entreprirent les lon- gues et périlleuses études dont le volume en question offre une partie; car ce n'est qu'un premier tome, que d’autres doivent suivre. — En 1854, le Congrès vota 190,000 dollars {près d'un million de francs) pour effectuer ces reconnaissances à travers d'immenses pays peu connus. On comprend quelle serait l'importance d'une ligne ferrée qui mettrait les villes du littoral en communica- tion rapide avec les contrées situées sur le Pacifique, si soudainement parvenues, grâce à l'exploitation des mines aurifères, à un rang distingué dans le com- merce du monde. Les voyageurs n'auraient plus à fran- chir listhme de Panama en faisant deux traversées 15 assez longues ; les marchandises encombrantes ne se- raient plus forcées de faire le tour du cap Horn; les produits de la Chine, ceux des Philippines, ceux de ce vaste archipel indien auquel est réservé un immense avenir, ceux de l'Australie, n'iraient plus doubler le Cap; ils traverseraient le continent américain, et, des ports de New-Orléans et de New-York, ils s'élanceraient vers l'Europe. Ce rail-way effectuerait une révolution profonde dans le commerce du monde; aussi com- prend-on facilement l'intérét qu'y attachent les Amé- ricains. D'immenses difficultés se présentent , il est vrai; mais nous croyons que, dans une période plus où moins éloignée, l'énergie tenace et résolue des Yankees en aura triomphé. Un des principaux obstacles, c’est la chaîne de mon- tagnes qui court entre le Mississipi et la mer Pacifique, à une distance égale environ du grand fleuve et de l'Océan. Parfois, cette chaine s'élève jusqu'à une hau- teur de 17,000 pieds anglais jusque dans la région des neiges éternelles; parfois elle descend, dans certains cols où passages, à 10,000 et même à 6,000 pieds. De cette chaine jusqu'au Mississipi règne un plateau qui descend graduellement; du côté du Pacifique, le terrain est abrupte el tonrmenté. De nombreux cours d'eau, parfois d'un volume fort considérable, arrosent ces solitudes ; il faudrait que la ligne les traversàt tous, et ce ne serait pas sans peine. Cinq routes ont été explorées entre le 47° et le 49° degré de latitude nord; entre le 44° et le 42°; entre le 116 38° et le 39°; vers le 35°; et enlin vers le 32° degre. La ligne la plus septentrionale ne parait pas avoir rencontré de vives sympathies; elle aurait à franchir des montagnes où le elimat est très-rigoureux; sa lon- gueur, depuis la ville de Saint-Paul, sur le Mississipi, jusqu'à la mer, a été évaluée à 2,387 milles (3,845 kilomètres). On à supposé que la dépense irait à 151 millions de dollars (797 millions). La seconde ligne passerait près du grand lac salé, sur les bords duquel sont établis les Mormons. Sa lon- gueur serait de 2,034 milles, et la dépense, de 416 millions de dollars. La troisième ligne est celle qui aurait le mérite de conduire le plus directement à San-Francisco. A vol d'oiseau, la distance de cette ville au Mississipi n'est que de 4,500 milles; mais il y a tant d'obstacles à tour- uer, tant de circuits à faire, que la longueur de la ligne ferrée. a dû être évaluée à 3,360 milles. La quatrième ligne aurait à traverser un espace de 2,174 milles, chiffre auquel il faudrait ajouter plus de 900 milles comme rachat de côtes où de pentes, qui équivalent à plus de 50,000 pieds. La dépense est éva- luée à 170 millions de dollars. La cinquième ligne traverse des régions qui appar- tenaient jadis au Mexique; le climat est tempéré. La distance est de 1,618 milles, à laquelle il faut ajouter 621 milles pour compenser le sureroit de travail imposé par près de 33,000 pieds de montées à gravir ou de pentes à descendre, ce qui porte le trajet à 2,239 mil- les. La dépense est estimée à 69 millions de dollars. 117 M. Brunet fait un autre rapport sur les Mémoires de l'Académie royale des Sciences d'Amsterdam. L'Aca- démie de Bordeaux a reeu le 4° cahier du 2° volume, et les 4% et 2° cahiers du troisième. Ce recueil donne une haute idée du zèle intelligent avec lequel les sciences physiques et naturelles sont cultivées dans les Pays-Bas; malheureusement il est entièrement rédigé en langue hollandaise, ce qui le met hors de la portée de presque toutes les personnes qu'il pourrait intéresser en France. Voici les titres de quel- ques-uns des Mémoires qu'il renferme : Communication au sujet d'un crâne humain dé- couvert dans le voisinage de Domburg (île de Wal- cheren); par P.-J. de Fremery. Rapport de M. Ooùkaas sur la léproserie de Ba- lavia, dans la colonie de Surinam. Mémoire sur les travaux de Huygens et d'Otto Struve, au sujel de l'anneau de Saturne; par M. F. Kaiser. Mémoire sur les serpents venimeux de la Côte d'Or, en Afrique; par M. H. Schlegel. Divers travaux relatifs au calcul différentiel, à la physiologie végétale, à la géologie, mériteraient aussi d'être cités. Rapport verbal sur le Journal des Savants, nu- méro de mai 4857, par M. Baudrimont. En général, ce journal rend compte des ouvrages les plus remarqnables qui paraissent en France et à l'étranger, et lon est, par lui, mis au courant des questions les plus élevées de l'histoire, de la linguisti- que, des voyages, de l'astronomie, etc. 118 La courte analyse que je vais donner permettra, par nos comptes rendus, d'attirer l'attention des hom- mes de lettres et de science sur une foule de publica- lions intéressantes, et nous accomplirons ainsi une des missions qui nous sont les plus chères : opérer la diffusion des œuvres de mérite. En tête du numéro, se trouve une analyse des voya- ges el recherches faits en Chaldée et en Susiane par M. William Kennet Loftus, cet officier distingué qui, dans la dernière guerre, défendit Kars d’une manière si brillante contre les Russes. M. Loflus visita Babylone, puis une ruine impo- sante nommée Pirs-Nemrod ‘, formée d'une masse de briques, dont la partie supérieure est vitriliée. Cet édi- fice était primitivement formé de six étages d'environ vingt pieds de hauteur chacun. Dans les angles des élages élaient encastrés des cylindres où l'on a trouvé, dit-on, le nom de Nabuchodonosor et la date de l’an- née 50% avant notre ère. La fidélité de la traduction de ces inscriptions est contestée par M. Quatremère, au- teur de l'article analysé. Au sud de Birs-Nemrod, M. Loftus visita un édifice nommé Æé/il, qui passe pour être le tombeau du prophète Ezéchiel. De là, il se rendit à Nedjet et à Kerbéla, que les Persans ont en grande vénération, où ils font des pèlerinages et où ils déposent des corps morts renfermés dans une simple bière, apportés de toutes les parties de la Perse; aussi 1 Br veut probablement dire puits, Au moins le mot à cette signification en Arabe et en Ghaldéen, langue qui a été parlée à Babylone, 1149 s'échappe-t-il de ce lieu des miasmes infects qui se ré- pandent à une grande distance. Dans un deuxième voyage, M. Loftus se rendit à Worka, recoin qui n'avait point encore été exploré par les Européens, et y entreprit des fouilles qui donnè- rent des produits assez remarquables, entre autres des inscriptions cunéïformes et des médailles des rois Ar- sacides, et pas une seule se rapportant à un prince Sassanide *. Dans le même numéro, on trouve un article de M. Biot, l'illustre doyen des astronomes et des physi- ciens, écril à l'occasion d’une publication de M. H. Brusgh ayant pour titre : Nouvelles Recherches sur la division de l'année des anciens É gyptiens. L'année est divisée en trois {étraménies ou périodes de quatre mois : la première est celle de la végétation ; la seconde, celle de la récolte ; et la troisième, celle de l'inondation. Chacune de ces tétraménies est représen- tée par des signes hiéroglyphiques particuliers : des plantes, des instruments de travail et de l'eau. M. Biot donne à la fin de cet article une traduction d'un passage de Makrizi, géographe et écrivain arabe qui a donné une description du temple de Denderah ?. Voiei celte traduction : «Au nombre des merveilles de l'Égypte est le temple » de Denderah. C'est un temple étonnant. Il a 180 ou- ! Les Arsacides, ou rois des Parthes, régnèrent de 253 avant J.-C. jusqu'à 226 après J.-0. ? Cette traduction est de M. Caussin de Perceval. 120 » vertures. Le soleil entre chaque jour par une de ces » ouvertures, puis par la seconde, jusqu'à ce qu'il ar- » rive à la dernière. Ensuite il revient en sens con- A4 » traire au point où il a commencé. » L'illustre astronome ne donne pas de renseignements sur l'exposition que devaient avoir ces ouvertures, ni quelle peut être la forme du temple pour satisfaire à cette condition. Ce phénomène devait se présenter d'un solstice à l'autre; mais 180 ouvertures ne correspondent qu'à une année de 360 jours. M. Barthélemy Saint-Hilaire à publié un article important à l'occasion d'un travail de M. Ad. Régnier, ayant pour titre : Étude sur l'idiome des Védas et les origines de la langue sanscrile. Les Védäs sont les écrits les plus anciens de la langue sanserite, et l'étude en est fort diflicile; mais, selon M. Barthélemy Saint-Hilaire, le temps est venu de l'aborder. On sait que la langue sanserite a donné la clé d'une foule d'origines propres à la langue grecque et à la lan- gue latine, et l'auteur en profite pour faire des rappro- chements ingénieux et utiles. Il fait remarquer que plus cette langue est ancienne, plus elle se rapproche de la forme latine au point de vue de la syntaxe. C'est là un fait important et qui pourrait conduire à trouver l'épo- que relative à laquelle les peuples latins se sont sépa- rés de ceux qui ont parlé là langue sanserite des Védas. Peut-être trouverait-on, par une étude plus appro- 121 fondie, que les Celtes étaient séparés de ces peuples avant les Latins et les Grecs, et qu'il n'y aurait rien d'étonnant que les langues celtiques renfermassent une foule de racines conservées dans la langue sanserite. Avec moins d'emphase pour l'école moderne et un peu plus de bienveillance pour ceux qui nous ont pré- cédés dans les études linguistiques, on arriverait à trou- ver que les Celtomanes et les Bascomanes n'étaient pas tout à fait des réveurs. Vient ensuite un travail de M. E. Littré sur les ori- gines de la langue francaise, entrepris pour exposer et critiquer les principes exposés dans plusieurs ouvrages importants publiés depuis quelques années. On trouve dans ce Mémoire une observation remarquable sur les Tafurs où espèces de bandits: anthropophages qui dans une croisade ont suivi l'armée chrétienne au siège d'Antioche : A lor cotiaus, qu'ils ont trenchans et afilés, Escorchoient les Tures, aval parmi les prés. Voyant payens, les ont par pièces découpés ; En l’iaue et el carbon les ont bien quisinés; Volontiers les manjuent sans pain et dessalés. (Chanson d'AnTtiocue). M. Drouyn prend la parole pour dire qu'il a souvent été nommé rapporteur pour examiner les Mémoires publiés par la Société de Draguignan; qu'on y trouve des travaux remarquables, et qu'il serait convenable que l'Académie de Bordeaux fit parvenir ses Actes à celte Société, 122 On vérifiera si l'échange n'a pas déjà été fait. Dans tous les cas, la proposition est adoptée. M. Petit-Lalitte dit qu'il serait désirable que l'Aca- démie s'occupat de collecter les publications faites par ses membres pour les déposer dans ses Archives. Le même désir est manifesié par plusieurs membres. Il a été reconnu que rien ne pouvait être fait d’utile à cet égard, à cause de l'exiguité du local et des res- sources de l'Académie. CORRESPONDANCE. M. le Président communique une lettre de M. le Recteur de l'Académie de Bordeaux, qui dit que S. E. le Ministre de l'instruction publique, désirant donner la plus grande publicité aux travaux scientifiques et littéraires exécutés en province, demande non-seule- ment que l'Académie veuille bien lui adresser toutes ses publications, mais aussi les travaux spéciaux de ses membres. Il sera répondu à M. le Recteur que l'Académie en- voie depuis longtemps ses Actes à S. E. le Ministre de lInstruction publique; qu'elle est très-reconnaissante des mesures qu'elle prend pour assurer la publication des travaux utiles, mais qu'elle ne peut qu'inviter ses membres à satisfaire à son désir plein de bienveillance et d'intérêt. 123 M. V. Didron, éditeur des Annales archéologiques, demande un dépôt de comptes rendus de l'Académie impériale de Bordeaux et un exemplaire pour M. Di- dron ainé pour en faire l'annonce dans les Annales archéologiques. L’exemplaire est accordé, et il sera demandé à M. Didron à quelles conditions il entend obtenir le dépôt de ces comptes rendus. Il est décidé, en outre, que le tirage des comptes rendus sera augmenté de 50 exemplaires. M. Paul Dupont, libraire à Paris, par une cireulaire imprimée, demande que l'Académie s’abonne à la Revue des Sociétés savantes, qui va être augmentée des Archives des commissions scientifiques et littéraires. Le prix de l'abonnement est de 20 francs par an. L'Académie s'adressera à S. E. le Ministre de l'Ins- truction publique pour obtenir cette publication en échange des Actes qu'elle lui envoie. Lettre de M. le Secrétaire perpétuel de l'Académie de Bruxelles, qui accuse réception du recueil des Actes de l'Académie de Bordeaux. Lettre de MM. les Curateurs de l'Université de Leyde, datée de décembre 1856, offrant un exemplaire de leurs Annales pour 1852-1853. Lettre de M. Flourens, Secrétaire perpétuel de l'A- ‘adémie des Sciences, accusant réception des Actes de l'Académie impériale de Bordeaux. 124 OUVRAGES ADRESSÉS À L' ACADÉMIE SUR LESQUELS SERONT FAITS DES RAPPORTS, Revue des Sociétés savantes, publiée sous les aus- pices de M. le Ministre de l'instruction publique et des cultes; tom. IF, 1% livr., janvier 1857. (M. Delpit, ‘apporteur.) Revue des Beaux-Arts, 27° année, 43° livraison, 4e juillet 1857. (M. Gorin, rapporteur.) Cours familier de Littérature ; par M. de Lamar- tine. XVIIT entretien, VI° de la 2° année. (M. Minier, rapporteur.) Description d'un nouveau genre d'édenté fossile, renfermant plusieurs espèces voisines du Glyplodon. — Atlas; par M. L. Nodot, directeur du Musée d'his - toire naturelle de Dijon. (M. Raulin, rapporteur.) Mémoires de la Société Impériale des Sciences, de l'Agriculture et des Arts de Lille, année 1856, 11° série, 3° volume. (M. Abria, rapporteur.) DÉPOSES AUX ARCHIVES. Mémoires de l'Académie Impériale des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Dijon; 2 série, tome V, année 1856. Stances de M. Fanny Dénoix des Vergnes, lues par l'auteur à inauguration du chemin de fer de Beau- vais. Rabelais (critique et satire, actualités et chroni- ques ,etc.), 1" année, n° 7, 8 juin 1857 (Prospectus). Programme du priæ mis au concours par la So- 125 ciélé d'Agricullure, elc., d'Orléans, et dont le sujet st: Histoire du Royaume d'Orléans. Mémoires de la Société royale des Sciences de Liége , tom. XIT, 1857. — Cet ouvrage est accompagné d'une lettre d'envoi. Annales Academici Batavorum, 1852-1853, pu- bliées en 1856. 1 volume. (Annales des Sociétés Néer- landaises. L’'Ami des Champs, par M. Ch. Laterrade. 35° an- née, juillet 4857, n° 413. L'Agricullure comme source de richesse, 18° an- née, n° 6, juin 1857 Annales de la Société d'Horticulture de laGironde, 2 série, tom. [, 10° année, n° 2. Journal d'Education; par M. P.-A. Clouzet ainé. 8° année, n° 9, juillet 1857. Etaient présents : MM, Abria, E. Dégranges, Girot de la Ville, Durand, J. Puboul, Baudrimont, Saugeon , Costes, Aug. Petit-Laffitte, L. Marchant, Ch. Des Moulins, V. Raulin, E. Gout Desmartres, Jules Delpit, Léo Drouyn, Dabas, G. Brunet, H. Minier, 126 ANNÉE 1857. — 7° No. SÉANCE GÉNÉRALE DU 23 JUILLET 1857. Présidence de M, ABRIA Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté. M. Dabas se fait excuser de ne pouvoir assister à la séance. TRAVAUX DES MEMBRES DE L'ACADÉMIE. M. Duboul lit la seconde partie de son travail inti- tulé : De la Population et de la Production. Après avoir constaté l'infériorité de notre production agricole par rapport à celle de l'Angleterre, il en re- cherche la cause. Elle n'est pas, selon lui, dans le manque de lumières qu'on reproche ordinairement, et fort souvent à tort, à nos cultivateurs. Nos propriétaires el nos paysans comprennent bien quels sont les besoins de leurs terres épuisées; mais, pour y satisfaire, ils n'ont pas des capitaux suffisants. Cette cause n'est pas non plus dans la constitution de la propriété en France. Un parti qui serait redouta- ble si l'on devait mesurer ses forces réelles au bruit qu'il fait depuis quelque temps, attaque tous les jours notre 127 loi de succession et déclame contre le morcellement du sol. La logique et les faits réfutent ces théories, aussi violentes que rétrogrades. On remplirait des volumes en citant les témoignages d'écrivains spéciaux qui, après un examen attentif, ont conclu en faveur de la petite propriété. Le morcellement excessif du sol à des inconvénients qu'on a exagérés, mais qui sont réels. Il amènera forcément non pas la reconstitution de la grande propriété, qui serait un pas eu arrière promplement suivi d'une décadence, mais le régime de l'association, qui sera un immense progrès, puisque, en joignant aux avantages de la petite pro- priété ceux de la grande culture, il sauvegardera tous les intérêts et donnera satisfaction à tous les droits. Il faut renvoyer à l'étude des faits ceux qui seraient tentés de s'appuyer sur Fopinion de M. Thiers pour dé- clarer lassociation impossible. La communauté des Jault , les fruitières de la Suisse, de la vallée du Po, du Doubs et du Jura; les associations rurales de l'agro- romano, celles des vignobles de la Bourgogne et des salines de l'Ouest; les colonies allemandes de Crimée, etc. , leur offrent un sujet digne de leurs méditations et capable de modifier leur manière de voir. Qu'on veuille bien songer qu'il ne s'agit point ici d’utopies, mais de faits contemporains et mille fois décrits par des auteurs très-connus. M. Duboul déclare que, dans sa pensée, il n’y a rien de commun entre l'association véritable et les bruyan- tes coalitions de capitalistes actuellement à la mode. Comme le paganisme, — dit-il, — notre époque à ses saturnales ; ce sont celles de l'agiotage, de la spécula- 128 tion sans pudeur et sans frein. Or, ce n'est pas l'esprit d'association qui les favorise et les excite, car, s'il est favorable au travail sérieux et honnête , il réprouve sans pitié ces jeux de Bourse qui sont une des plus honteuses plaies et des plus grands scandales de notre temps. En présence des disettes qui se font si cruellement sentir en France depuis plusieurs années, il serait peut- être urgent de prendre des mesures capables d'en atté- nuer les effets. La plus efficace serait assurément d'aug- menter la production de notre agriculture, résultat qu'on obtiendrait de deux manières : soit en agrandis- sant notre domaine agricole, soit en appliquant à la portion du sol actuellement cultivée les récentes inno- valions dont l'Angleterre à pu déjà constater les bons effets. C'est dire que notre agriculture à plus que jamais besoin d'être aidée. Il lui faut des capitaux abondants, car sa régénération est à ce prix. Un bon système de crédit foncier remédierait à bien des maux et conjurerait plus d'une ruine imminente, L'auteur désirerait à cet égard autre chose que ce que nous avons déjà sous ce nom, et aussi quelque chose de mieux; il voudrait voir jouir la France d'institutions semblables à celles qui fonctionnent avec le plus grand succès dans toute l'Allemagne depuis bientôt un siècle, et dont il expose avec détail ingénieux mécanisme. Il entre dans plusieurs considérations à ce sujet, et fait ressortir les avantages des combinaisons à l’aide des- quelles les dettes contractées peuvent être amorties tantôt en quarante el un ans, tantôt en trente-six, el même en vingt-deux. L'association, dit-il, et les institutions de crédit 129 agricole qui en sont une des formes, peuvent détruire l'usure, éteindre la dette hypothécaire, et, de plus, investir notre agriculture des moyens féconds qui lui manquent encore pour multiplier ses produits. Quant à l'impôt, on doit faire des vœux pour qu'il soit moins lourd; pour que le chiffre des dépenses improductives, qui grossit tous les ans, soit enfin réduit, et pour que le luxe des villes cesse d’être alimenté au prix des souf- frances de nos campagnes. Ce n'est pas en maràtre qu'il faut traiter l'agriculture, puisqu'on répète tous les jours qu'elle est la mère et la nourrice des nations. Jusqu'à présent on a institué beaucoup de fêtes, porté bien des (oasis et débité des discours plus ou moins élo- quents en son honneur; mais ce qui ferait bien mieux son affaire, ce serait un peu &allégement dans les char- ges auxquelles nous ne la voyons que trop succomber. Après avoir entendu la lecture de cette dernière partie du travail de M. Duboul, M. Petit-Lafitte prend la pa- role et s'exprime ainsi : « Je ne pense pas, comme mon honorable collègue, » que lon doive étendre trop brusquement le domaine » agricole de la France, et cela pour plusieurs raisons: » 1° parce qu'il faudrait augmenter le capital d'exploi- » lation, qui est déjà insuflisant; 2° parce que les » terres inculles sont généralement d'une mauvaise » nature, et qu'il y aurait plus à perdre qu'à gagner si » l'on en opérait le défrichement pour des cultures an- » nuelles et épuisantes. » Il y a en France les trois-quarts des terres qui ne ) DA donnent pas ce qu'elles devraient donner, parce » 130 qu'elles sont mal cultivées et surtont mal fumées ; et il conviendrait bien souvent d'en diminuer l'étendue et de soumettre le reste à une culture plus convena- ble, plutôt que de l'augmenter. Le poëte à dit : Le plus riche est celui qui cultive le mieux et non pas le plus, ce qui est bien différent. » On ne peut entreprendre de cultures que celles qui n'entraînent pas une perte, et il convient de laisser encore les landes bordelaises à leur destination ac- tuelle, c’est-à-dire principalement à la production du bois. Depuis l'ouverture des chemins de fer du Midi, les bois des landes se vendent à Lyon et à Mar- seille. » M. Duboul prend la parole pour répondre à M. Petit- Lafitte : « Je n'ai rien dit tendant à faire supposer que, dans ma pensée, les landes dussent être immédiatement transformées en champs de blé. Non; si je suis per- suadé qu'un jour viendra où l'on pourra y cultiver avec succès les céréales, je crois qu'on ne doit leur demander, en attendant, que les produits auxquels convient la nature de leur sol; par exemple, des ché- nes et des pins. » Je n'ai pas dit, non plus, que l'agrandissement de notre domaine agricole füt la seule manière d'en aug- menter la production, trop souvent insuffisante ; mais qu'il ne fallait pas négliger ce moyen. En même temps, j'ai recommandé , comme mesure plus efficace, l'application à la portion du sol actuellement cultivée des procédés agricoles dont les bons résultats ne sau- » » 131 raient plus être contestés. Ces deux moyens ne s'ex- cluent pas. » Nous avons dans deux de nos départements seule- ment, la Gironde et les Landes, près de cinq cent mille hectares de terres incultes qui ne rapportent pas annuellement, en moyenne, 10 francs par hec- tare. Ensemencées convenablement, ces mêmes terres donneraient, au bout de six à sept ans, un revenu moyen d'au moins 150 fr. par hectare. Or, un pareil accroissement de richesse pour le pays est-il à dé- daigner, ou bien les frais de défrichement et de mise en culture à l’aide desquels on l'obtiendrait sont-ils tellement élevés qu'ils nécessitent le concours de ca- pitaux trop considérables? Toute la question est là, et celte question est résolue en théorie comme en pratique. » Tout le monde sait qu'il suffit de creuser dans les sables de nos landes pour y trouver de l'eau, leur sous-sol, situé à une profondeur de 4 mètre 50 à 2 mètres, en contient une nappe intarissable renfer- mée entre deux couches imperméables, On peut donc s'y procurer à très-peu de frais toute l'eau nécessaire à de fréquentes irrigations. » Un fait récent le démontre. M. Chambrelent, in- génieur des ponts-et-chaussées, à fait ensemencer au commencement de 4850, dans la commune de Saint-Alban , 200 hectares de landes absolument in- cultes, dont les produits { tiges de pins et de chênes verts) ont figuré avec honneur à l'exposition univer- selle. Eh bien! les dépenses et frais occasionnés par » » 132 le défrichement du sol, l'achat de la graine, la for- mation des plates-bandes de semis, l'ensemencement, l'ouverture des fossés, elc., ete., ne se sont élevés qu'à la faible somme de 52 francs 20 centimes par hectare; et chaque hectare contient 400 mètres de fossés ! » Il est temps d'attaquer ces immenses déserts qui étalent si près de nous l'image de la désolation et de la stérilité. Un pareil état de choses est une honte pour une société où l'on gaspille tant de capitaux en dépenses improductives. » Les landes sont des foyers de fièvres dont les mias- mes empoisonnent quelques rares et misérables habi- tants. Les assainir par la culture serait faire à la fois une œuvre mériloire el une borne spéculation. » M. Petit-Lafitte répond à M. Duboul : « [ne faut pas croire que les landes rapportent aussi peu qu'on veut bien le dire. Il y a une foule de terres que l'on regarde comme improduetives, et qui rap portent en général plus que bien d'autres. Par exem- ple, les marais à demi desséchés que l’on nomme bauges, et que l'on croirait ne donner aucun revenu, produisent des jones et d'autres plantes marécageuses qui sont employées pour faire de la litière aux ani- maux et par conséquent du fumier; on les exporte fort loin par la rivière, el ceux qui les exploitent en tirent de bons revenus. » M. Costes : « Je ne puis garder le silence en face d'une telle affirmation. Tout le monde sait que les marais sont des foyers d'infection qui réagissent d’une S ) » » » S ) S ) C2 ) » » 12: manière funeste sur les populations qui les environ- nent, et que les moindres principes de l'hygiène in- diquent qu'il est de la plus haute importance de les assainir et de les soumettre à une culture régulière. Maintenant, pour ce qui concerne la question indus- trielle, je puis affirmer, par des faits qui me sont par- faitement connus, que ceux qui ont défriché les bau- ges ont ainsi accru leur fortune d’une manière con- sidérable. » M. Baudrimont prend la parole pour faire les obser- valions suivantes : » « [existe par toute la France un malentendu ou une erreur qu'il importe de rectifier. Lorsque, pour la première fois, j'ai traversé la Sologne, on m'a dit, en me les montrant : ces terres rapportent plus que celles qui sont bien cultivées. La même chose m'a été dite de nouveau en traversant les plaines de Salon, qui sont d’une excellente nature, mais difficiles à cultiver, parce qu'elles sont remplies d'énormes galets roulés ; elle m'a encore été souvent répétée à l'occasion des landes de Gascogne. » La vérité est que ces terres rapportent un fort in- térêt relativement à leur prix intrinsèque, mais qu'el- les rapportent fort peu relativement à leur surface. À ce dernier point de vue, les observations de MM. Duboul et Costes sont parfaitement fondées : le dé- frichement de ces terres accroit la fortune des in- dividus, ainsi que la production et la richesse natio- nales. Dans un ordre social bien organisé, et lorsque là population est arrivée à un haut degré d'acerois- 134 sement, la société ne peut se contenter du bien-être d'un petit nombre de propriétaires qui vivent en pa- triarches et qui ne produisent que peu de chose pour elle. L'intérêt général exige que les terres incultes soient défrichées, tant au point de vue économique qu'au point de vue hygiénique, signalés par M. Du- boul et M. Costes. Mais l'agriculture d'une nation comme la nôtre ne peut être uniquement constituée par des exploitations agricoles, même les mieux con- ques ; les besoins généraux exigent bien d'autres pro- duits, des matières textiles, des huiles, des vins, et notamment du combustible. Cet élément végétal est non-seulement utile pour le chauffage, mais il représente une force tenue en réserve, et qui est aujourd'hui indispensable à notre civilisation. L'hom- me parait ne pas s'inquiéter assez de ceux qui vien- dront après lui; il exploite partout le combustible fossile ou vivant avec une persistance qui tient du délire et donne des craintes pour l'avenir. Si le com- bustible venait à nous manquer, nous subirions la loi de ceux qui en possèdent, et nous retournerions à l'état de barbarie. » M. Des Moulins fait un rapport verbal sur les ouvra- ges suivants : 4° Notizia storica.…. Notice historique des travaux de la classe des sciences physiques el mathématiques de Turin, pendant l'année 1855; par le professeur Eugenio Sismonda. Cette notice est due à l'un de nos plus estimables et 135 de nos plus laborieux correspondants. Dans le discours préliminaire , il fait savoir que le comte Amédée Avoga- dro, physicien célèbre qui a été lémule d'Ampère par les idées ingénieuses qu'il a émises sur la constitution la plus intime des corps, est mort à Turin le 9 juillet 1856, et M. Provano di Colegno, ancien membre résidant de notre Académie, dont nous avons annoncé la mort en séance publique, est décédé, le 29 septembre de la même année, à Baveno. On y trouve la liste des travaux d'Avo- gadro et de Colegno; quelques demandes de brevets, et un catalogue de plantes qui naissent spontanément dans l'île Saint-Thomas, par le révérend pasteur J.-P. Knox. Ce catalogue est une simple énumération sur laquelle il n'y aurait rien à dire, si lon n'y trouvait un trop grand nombre de plantes qui eroissent ailleurs; cela permet de douter de l'exactitude des déterminations. 2 Caialoque des lichens recueillis dans l'arron- dissement de Cherbourg; par P.-A. De La Chapelle.— Ce mémoire, dans lequel on parait n'avoir pas fait usage dü microscope dans l'étude des champignons, n'a qu'un intérêt de localité. 3° Trois Numéros des Annales de la Société d’Agri- culture du département d'Indre-et-Loire, dont M. le Rapporteur signale les Mémoires les plus importants. 4° La maladie de la vigne...; par M: Le Roy- Mabille. L'auteur tend à prouver par une foule de cei- tations que c'est Fabus de la taille et de l'ébourgeonne- ment qui est la cause de ce fléau. Rapport sur un soufflet et un sac à soufre présentés 10 136 par M. le comte De La Vergne, par une Commission composée de MM. Des Moulins, Abria , et Baudrimont, rapporteur. Conclusions. Le soufflet imaginé par M. de La Vergne pour insuf- fler du soufre pulvérulent sur les vignes, dans l'inten- tion de prévenir les ravages de l'oïdium , est très-léger, très-simple, d’un emploi facile, et sa tuyère courbée lui donne un avantage réel sur tous ceux qui sont par- venus à la connaissance de votre Commission. Le sac, complément du soufflet, à permis d'en sim- plifier la construction, et il peut, en outre, contenir une provision de soufre pour plusieurs heures de travail. En conséquence, votre Commission a l'honneur de vous proposer d'adresser des remerciments à M. de La Vergne, et de l'encourager à persister dans des recher- ches qui méritent l'approbation générale. Les conclusions du Rapport sont adoptées. CORRESPONDANCE. Lettre de M. Alexandre Vattemare, qui adresse à l'Académie, au nom de M. Ch. Mason, commissaire au bureau des patentes des États-Unis d'Amérique, an exemplaire en trois volumes de son: Rapport annuel présenté au Congrès de janvier 1856, illustré de 356 planches. « Le but principal du bureau des patentes, » en envoyant ses rapports à l'étranger, est de répan- 137 » dre les connaissances des travaux des inventeurs » américains. » Il sera fait un Rapport sur cette publication, pour la partie mécanique par MM. Manès et de Lacolonge, pour la partie agricole par M. Baudrimont. M. Samazeuilk, correspondant de l'Académie, lui fait hommage d'un ouvrage ayant pour titre : Souve- nirs de Saint-Jean-de-Luz; par Jean-François Sa- mazeuilh. { V. aux ouvrages adressés à l'Académie. ) Lettre de SE. le Ministre de l'instruction publique, accusant réception d'exemplaires qui lui ont été adressés. Lettre annonçant l'envoi de la collection des Mémoi- res de la Société Littéraire et Philosophique de Man- chester. ( V. aux ouvrages adressés à l'Académie. ) Les Actes de l’Académie seront échangés contre les précédents, et des remerciments seront adressés à la Société qui nous les a envoyés. OUVRAGES ADRESSÉS À L'ACADÉMIE SUR LESQUELS SERONT FAITS DES RAPPORTS, Répertoire des travaux de la Société de Statis- tique de Marseille, 1. XIX, liv. IV de la 4° série. (M. Brunet, rapporteur. ) Bulletin de la Société des Sciences historiques et naturelles de l'Yonne, no 3, 1856. ( M. Raulin, rap- porteur. ) Idem, 10° vol., 1*e partie, 4856. ( Mème rapp.) 138 Ectrait des travaux de la Société Centrale d’A- griculture du département de la Seine-Inférieure, 143° cahier, 4° trimestre de l'année 1856. ( M. Baudri- mont, rapporteur.) Revue des Sociétés savantes, publiée sous les aus- pices de M. le Ministre de l'Instruction publique et des Cultes, 1. Il, 2° livraison, février 4857. ( M. Delpit, rapporteur. ) Revue des Beaux-Arts, 27° année, 44° livraison, 15 juillet 4857. ( M. Gorin, rapporteur. ) Maladie des pommes de terre. — Maladie de la vigne. — Moyen de préserver les tubercules des pommes de terre de l'invasion de la maladie; par M. Victor Chatel, de Vire { département du Calvados ), juillet 4857. { M. Des Moulins, rapporteur. ) Journal des Savants, juin 4857. ( MM. Duboul et Baudrimont , rapporteurs. ) DÉPOSÉS AUX ARCHIVES. Archives de l'Agriculture du nord de la France, publiées par le Comice agricole de Lille, t. 1, n°° et 2, mars et avril 1857. L'Instituteur des Aveugles, journal mensuel, an- née scolaire 1856-1857, n° 8, mai 1857.) Le Bon Cullivateur, recueil agronomique publié par la Société centrale d'Agriculture de Nancy, 37° an- née, n% 3, #4, 5 et 6; mars, avril, mai et juin 4857. Programme des sujets proposés pour les Concours de 1858 et 1859 de la Sociélé dunkerquoise des Sciences, des Lettres et des Arts. . 139 Projet d'enquête sur la culture de l'igname de Chine et du riz sec, présenté à la séance du 4° mai 1857 de la Société impériale Zoologique d'acelimata- tion; par M. Victor Chatel, de Vire ( dép. du Calvados). Lettre par laquelle la Société d'Agriculture des Scien- ces et Arts de la Sarthe invite les membres de l'Aca- démie à assister aux séances générales publiques qu'elle ouvrira au Mans le 4 novembre prochain. Société d'Agriculture et d'Encouragement pour l'industrie et le commerce du département de la Corrèze. | Séances des 15 mars 1818, 13 aout 1819, 21 juillet 1821 et 11 décembre 1823.) Annales de la Sociélé d'Agriculture des Arts et du Commerce du département de la Corrèze, 1. IF, Are et 2 livraisons; t. IT, 4° et 2 livraisons. Rapport lu par M. F. Favart, avocat, dans la séance du 48 avril 1841 de la Société centrale d'Agriculture du département de la Corrèze, sur un projet de fonda- tion d'un journal agricole et d'une école d'agriculture. Souvenirs de Saint-Jean-de-Luz; par Jean-Fran- çois Samazeuilh. In-32. Bayonne, 1857. Étaient présents : MM. Abria, Baudrimont, Girot de la Ville, Durand, J, Duboul, G. Brunet, Charles Des Moulins, Costes, Aug. Petit-Lafitte, E. Dégranges, marquis de Bourdillon, Saugeon, Léon Marchant, Hippolyte Minier, E. Gaussens, V. Raulin. 140 : ANNÉE 1857. — 8° No. SÉANCE GÉNÉRALE DU 6 AOÛT 1857. Présidence de M, ABRIA. Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté. La prochaine séance, qui sera la dernière de l’année scolaire 4856-57, aura lieu le 13 août. TRAVAUX DES MEMBRES DE L'ACADÉMIE. M. l'abbé Cirot de La Ville achève la lecture d'un travail littéraire sur Job, commencée dans la séance du 414 juin 1857. ( Extrait par l'auteur.) « On tient généralement ce livre, dit M. de Hum » boldt, dans le Cosmos, pour l'œuvre la plus achevée » de la poésie hébraïque. » Au triple point de vue » des descriptions de la nature, des portraits moraux, » des traductions en vers qui en ont été tentées, il » offre une supériorité incontestée. Qui a mieux dépeint » une tempête, un songe, la mort et les tombeaux ? » Quel Éole retenant l'haleine des vents, quel Neptune » armé de son tridenteurentun langage pareil à celui-ci : « Tu viendras jusque-là et tu ne passeras pas plus loin ; » » fa tu briseras ici l’orgueil de tes flots? » (Job. XXX VIII. 8-11.) Qui a jamais osé comme Job donner des ban- delettes à l'Océan, un lien si faible à une force si terrible? La littérature compte par milliers les Énées qui descendent aux enfers et les poëtes qui se plai- sent parmi les sépulcres. Mais seul entre eux, l'arabe inspiré de la terre de Hus a trouvé les portes de la mort en creusant les sables de son désert. Que de détails sentis et délicats, fruits d’une étude attentive, dans les descriptions du coq, de la chèvre, de la biche, de l'âne sauvage et de l'autruche ! Quel coup de pinceau sûr et grandiose dans les caractères et les mœurs des rois du monde animal! Buffon, Vir— gile, Homère, le Tasse, Voltaire, Delille, n'ont pas ai bien dit du cheval, Ils n’ont jamais rencontré des portraits si vrais du juste, du méchant, du malheu- reux, du tyran, comme ce poëte de la solitude, qui, tant de siècles avant l'épée de Damoclès, l'avait sus- pendue, non sur la tête de la victime, mais sur la tête du tyran. N'est-ce pas un prodige de méditation, d'expérience et de sublime, que d’avoir, tant de siè- cles avant l’ode d'Horace, fait asseoir les coupables puissants au banquet d'une vie où rien ne manque, et dont une pointe de fer perce et glace toutes les joies? Massillon dans son mot célèbre : Dieu seul est grand ! jeté sur le tombeau de Louis XIV, n'a pas été plus éloquent que le patriarche affligé s’écriant du sein des misères de l'humanité personnifiée en lui : Dieu vit! En un mot, demandez à Job tout ce que vous voudrez, tristesses, joies, images, magni- 142 » ficence, il vous donnera toujours le sublime du voir, » du dire et du faire; une élévation qui ne se conçoit » qu'entre la terre qui l'admire et le ciel qui l'inspire » et l'attend. » M. Dabas lit la première partie d’un travail intitulé : Judith; étude littéraire. (Extrait. ) « L'auteur commence par se demander comment le » sujet biblique de Judith, si tragique et si théàtral, » n'a pas tenté plus souvent la scène française? Ce qui » a dù en détourner quelques-uns de nos auteurs, et » peut-être les plus habiles, parce qu'ils étaient les » plus circonspects, c’est la difficulté, non pas d'inté- » resser le public à la cause de l'héroïne, mais de l’as- » socier suflisamment à son action et de l'en rendre » jusqu'à un certain point complice. En vain, l'His- » toire Sainte nous a-t-elle familiarisés dès l'enfance » avec le stratagème et le sanglant exploit de Judith. » Tout en admirant son patriotisme, nous répugnons » à son manége; le coup qu'elle frappe nous trouble » autant qu'il nous étonne; bref, nous n'applaudissons » qu'avec réserve à la conduite et à l'issue d'une entre- » prise dont nous aimons le but, mais dont nous ne » pouvons approuver les moyens. » Ce n'est pas que l'on doive pour cela mettre en » doute l'authenticité de cette histoire, maintenue par » le Concile de Trente au Canon de nos livres saints, » ni qu'il y ait aucune objection fondée à tirer contre » elle du caractère moral de l'action de Judith. Judith » est une sainte femme, bien digne que le Ciel la bé- » » » » C4 ) CA ) 143 nisse pour ses vertus; mais toutes les actions des saints ne sont pas saintes, el ilest permis de croire que celle-ci ne l'est point. » Nous y voyons l'application, légitime peut-être, mais dure, d’un droit des gens barbare. L'entreprise est menée avec un esprit d'astuce, familier à la femme et à la nation juives, ordinaire à tous les temps de barbarie. C'est une action qui rappelle celle d'Aod et de Jahel; avec moins de perfidie et de cruauté, elle se rapporte pourtant au même système de ruse et d'extermination contre l'ennemi. …. » Reste toujours la difficulté de faire gouter sur un théâtre, à un public moderne et français, ce queson sens moral, plus délicat que celui des juifs, réprouve, au moins dans une sainte femme et dans une héroïne, ce semble, inspirée. Cette difficulté, on pourra la tourner, l'éluder, mais on ne la vaincra pas. Il en est de l'histoire de Judith comme de ces grandes tra- gédies grecques qui se refusent naturellement, par l'opposition des mœurs, à notre imitation, et que le génie d'un Racine peut seul accommoder à notre goût en lesréformant, c’est-à-dire en les défigurant avec art. » Jusqu'ici, Judith, moins heureuse qu'Iphigénie et qu'Esther, n'a pas encore trouvé de Racine. » Ce n’était pas un Racine, assurément, ce fécond et singulier dramaturge du XV° siècle, auteur inconnu du Mystère du Viel Testament, qui, dans le cadre et les soixante mille vers de son interminable poëme, fit entrer, avec vingt-deux autres actions , l'Hystoire de Judich par personnages. À part quelques traits 144 simples et naïfs que sa grossièrelé sait rencontrer, sa chronique dialoguée n’est et ne pouvait être qu'une parodie involontaire, quelquefois indécente, et le plus souvent bouffonne. Qu'attendre d'une pièce où figure un Holopherne accompagné d'un grand Maître de l'artillerie, et qui se fait déshabiller par son va- let de chambre? — L'Hystoire de Judich avait pour- tant un mérite : celui d'être un spectacle; et c'était un avantage réel du mystère sur des tragédies mieux réglées. » L'Holopherne d'Adrien d'Amboise, publié en 1580, au plus fort des succès de Garnier, parait être une de ces pièces bàtardes, assez communes alors sous le nom de tragédies sacrées, et qui tiennent le milieu entre le mystère et la tragédie nouvelle. D'ailleurs, cette œuvre d'un théologien qui fut recteur de l'Uni- versité et plus tard évêque, n’a rien de très-original. L'auteur, au dire des frères Parfaiet, a presque suivi le texte de l'Écriture, et a semé sa pièce de traits de morale et de piété. » Lorsque parut, en 4695, la Judith de l'abbé Boyer, il y avait six ans que Racine avait fait jouer Esther, et quatre ans qu'il avait écrit Athalie. Même après de tels chefs-d'œuvre, la pièce réussit à se faire applaudir. Elle eut dix-sept représentations; les ruel- les comme le théâtre retentirent pendant quelque temps du nom de l'auteur; mais, une fois sur le papier, la tragédie de Boyer ne séduisit plus per- sonne, et la réflexion donna encore une fois raison aux vers de Boileau : 145 Qui dit froid écrivain dit détestable auteur ; Boyer est à Pinchène égal pour le lecteur. ……. » Aussi, sa Judith, d'abord très-résolue, com- mence-t-elle, dès son premier succès, à se sentir honteuse de sa ruse; elle a des serupules; elle a pres- que des remords; elle semble rougir pour son Dieu lui-même de lindignité de ses artifices. Quant à son Holopherne, c'est une sorte de miles gloriosus, de soldat vaniteux, fanfaron en amour comme en guerre, au demeurant point méchant homme, accessible à la pitié, généreux jusqu'à admirer Misaël qui est venu pour le tuer, et à lui accorder deux fois la vie. Il se prend d'un amour sérieux pour Judith; il devient timide, embarrassé, tremblant devant elle, et qui le croirait? il finit par lui proposer de l'épouser ! Holo- pherne épouser Judith ! Le dénouement serait neuf. Judith est fort étonnée de cette offre, et elle à sujet de l'être. Mais comment, après un pareil trait, lui restera-t-il assez de courage pour couper la tête à cet excellent homme? On se sent prêt à s’attendrir et à pleurer comme le bon financier de Racine, Pour ce pauvre Holopherne Si méchamment mis à mort par Judith. » Le XVHI° siècle à eu aussi sa Judith; leur obseu- rité les protége contre la critique, et c'est dommage : peut-être n'eût-il pas été sans intérêt de voir comment le siècle de Voltaire à dénaturé ce religieux sujet. Notre sièele, il est vrai, n'y est pas moins habile, et n'a pas besoin qu'on lui cherche un maitre dans l'art 146 » de défigurer l'Histoire Sainte : on n'a qu'à lire la » Judith de M" Émile de Girardin. » L'auteur, dans une seconde lecture, continuera ces appréciations, et donnera une analyse critique du drame sacré de Judith, d'après la Bible. Rapport sur un ouvrage ayant pour titre : « La » Science des Fontaines, ou moyen sûr et facile de » créer partout des sources d'eau potable; par M. Du- » nas, membre du Corps enseignant. Valence, » 14856; » par M. Durand. M. Dumas à envisagé son sujet de très-haut, et il l'a traité avec beaucoup de méthode et de détails. Voici d'abord un aperçu de l'ensemble de son ouvrage : Une préface apologétique décrit les avantages cer- lains et immenses, selon l’auteur, du système particu- lier qu'il développe ensuite en cinq livres dont chacun est divisé en plusieurs chapitres subdivisés eux-mêmes en de nombreux articles. Il traite successivement de la vapeur d'eau, du globe terrestre, de l'atmosphère, de lhygrométrie et de Ja météorologie, de l'équilibre et du mouvement de l'eau, des qualités des eaux, des fontaines, de l'origine des fontaines naturelles, et de la création de fontaines natu- relles, selon son propre système. Ce qui précède n’est qu'une analyse fort abrégée de la table analytique des matières, qui oceupe dix-sept pages d'impression. L'ouvrage entier est un in-8° de k75 pages, à la suite desquelles sont placées douze planches présentant des coupes géologiques, des dé- 147 tails de construction, et enfin des vues de jets d’ean et de fontaines à plusieurs vasques. Laissant de côté toute la partie théorique de l'ou- vrage de M. Dumas, le rapporteur s'occupe seulement du système, dont l'exposition est le but sinon unique du moins essentiel de son ouvrage. M. Dumas dit que « pour réaliser ses vues, il suflira » de construire, dans une ou plusieurs villes, des di- » gues formant écluses, pour arrêter et recevoir les » eaux de la pluie, afin de forcer ces eaux de saturer, » au loin et au large, le sol de la vallée, et de favori- » ser ainsi l'absorption d'une grande masse d'eau par le » sol et son écoulement dans l'intérieur de la terre. » Ces eaux ainsi absorbées seraient reçues dans de nom- breuses rigoles souterraines qui les réuniraient dans un vaste réservoir souterrain aussi, d’où la pente natu- relle du terrair les conduirait, toujours souterraine- ment, aux points de distribution. Tel est en peu de mots l'exposé de tout le système, qui se réduit, toujours d'après l'auteur, à « utiliser les » eaux lorrentielles, qui, dans les pluies assez fortes, » vont passagèrement grossir les cours d'eau voisins, » et occasionner souvent des inondations désastreu- » ses... Ces fontaines, ajoute M. Dumas, seront de » véritables fontaines naturelles; leur eau réunira tou- » tes les conditions de bonne qualité : elles seront clai- » res, pures, fraiches, aérées, légères, d'une tempé- » rature peu variable; leur volume sera sensiblement » Constant; enfin, ce système sera moins dispendieux » que tout autre. » 148 Assurément, le rapporteur est loin de vouloir se po- ser en critique du travail dont il présente l'analyse, et qui prouve que son auteur, pénétré de vues louables et utiles, les a exposées avec soin et méthode. Cepen- dant, il croit devoir exprimer quelques doutes et pré- senter quelques objections tendant non à déprécier Pœuvre dont il s’agit, mais à signaler les obstacles qu'il croit voir, afin qu'ils soient discutés et vaincus, si cela se peut. Il agit donc en cela non en opposition avec l’auteur, mais d'accord avec lui, puisque tous deux tendent également à dissiper les obstacles afin d'assu- rer le succès. Voici ces objections : 1° Le système proposé exige impérieusement une disposition, exclusive de toute autre, d'une vaste éten- due de terrain : plus de cultures possibles. N'amène- rait-on pas la faim en voulant chasser la soif? et quelles indemnités ne serait-il pas aussi juste que nécessaire d'allouer aux particuliers dont les terres seraient pri- vées de toute récolte pour donner de l’eau à une loca- lité voisine? 2% Cette indispensable disposition du sol, non-seu- lement à sa surface, mais aussi sur tout le trajet des conduits, présuppose de vastes vallées supérieures au point de distribution des eaux. Or, une pareille dispo sition, loin d'être commune, est rare et exceptionnelle. Le système de M. Dumas serait donc loin d'être géné- ralement applicable. 3° M. Dumas veut absorber, au profit de son sys- tème, toutes les eaux pluviales, qui seules alimentent les sources et les ruisseaux. Ces sources seraient donc 149 taries, ces ruisseaux seraient à sec, et cela sur une vaste étendue de terrain, au profit d’une seule localité. Une ou plusieurs communes seraient réduites à la sté- rilité, leurs usines hydrauliques anéanties; on n’y au- rait plus d’eau : le tout, pour donner des fontaines à la ville voisine. Si une indemnité était possible pour compenser de pareils dommages, à quelle somme s'é- lèverait-elle ? 4 Les eaux obtenues par le système dont il s'agit seront en tout, dit l'auteur, identiques à celles des sources nalurelles; et puis il ajoute qu'elles seront claires, fraîches, pures, légères, ete. Mais si ces eaux étaient semblables à celles des sources naturelles, elles pourraient bien ne pas être pures; car il s'en faut que toutes les eaux de source le soient. A Bordeaux, par exemple, presque toutes ces eaux sont chargées, sa- turées quelquefois, de carbonates calcaires qui certes en atténuent singulièrement la pureté. Comment n'en serait-il pas de même des eaux du système de M, Dumas qui se trouveraient dans les mêmes conditions? 5° En ce qui concerne les dépenses, il en a déjà été assez dit pour autoriser à croire que, loin d'êtreinférieures à celles de tout autre système, non-seulement elles leur seraientsupérieures, mais qu'elles seraient incalculables. Le rapporteur ne pousse pas plus loin cet examen, qu'il lui serait facile d'étendre, parce qu'il paraît d'ores et déjà suffisant pour motiver ses conclusions. Il demande à l'Académie d’abord de remercier M. Du- mas de l'envoi de son ouvrage, fruit d’un long travail auquel il s’est livré dans des vues honorables et d'in- 150 térèt général; ensuite, de lui présenter sommairement et avec. la mesure convenabie les objections précédem- ment exposées, en lui expliquant que, loin d'avoir été inspirées par des vues hostiles, elles l'ont été au con- traire par le désir de les voir combattre et détruire, et de concourir ainsi au succès de son œuvre. M. Abria fait observer que le procédé proposé par M. Dumas a déjà été employé avec succès, et qu'il mérite d'être pris en considération toutes les fois qu'il est praticable et qu'il est le seul auquel on puisse avoir recours. M. Durand répond qu'effectivement Vauban a fait usage de ce procédé pour créer une fontaine; mais qu'il est rare que les circonstances permettent d'en faire usage, et que son application coûte fort cher. M. Durand appelle aussi l'attention de l'Académie sur les Mémoires de la Société Philosophique et Litté- raire de Manchester. On y trouve l'indication de tours isolées qui existent en Irlande et dont on ignore com- plétement l'usage. Elles ont de 45 à 200 pieds de hau- teur. Leur porte d'entrée est en général plus élevée que le sol, et souvent il faudrait une échelle pour y entrer; il ne reste aucun vestige d'escalier, ni à l'extérieur, ni à l'intérieur. Elles sont percées de rares ouvertures dans les parties inférieures; mais, au sommet, toutes le sont de quatre ouvertures à plein centre. Toutes sont voi- sines d'une église; ces tours ont-elles été des clochers séparés des églises, ou bien étaient-elles des lieux dis- posés pour faire des signaux? Leur position relative contredit évidemment cette dernière conjecture. 151 M. de Lacolonge offre à l'Académie, au nom de M. Résal, membre correspondant, un Mémoire manus- crit et inédit sur le problème de la rotation des corps solides. M. de Lacolonge sera prié de donner une analyse de ce Mémoire à l'Académie. M. Geffroy offre à l'Académie, de la part de l’auteur, un volume in-8° de poésies latines, par M. C.-G. Bru- nius, professeur de langue et de littérature grecques à l’Université de Lund { Suède). Ce volume contient en premier lieu un poëme sur la mythologie du Nord, composé d'après les Eddas, puis des panégyriques, des élégies, et enfin des poésies fugitives. Renvoyé à M. Geffroy. (V. ci-dessous.) OUVRAGES ADRESSÉS À L'ACADÉMIE SUR LESQUELS SERONT FAITS DES RAPPORTS. Journal d'Agriculture de la Côte-d'Or; 19° an- année, 3° série, L. [, 1856. { M. Petit-Lafitte, rapp.) Bulletin de la Société de Médecine de Poitiers, 2e série, n° 26, 1857. ( M. Burguet, rapporteur. ) Cours familier de littérature; par M. de Lamar- tine, 19° entretien, 7° de la 2° année. { M. Minier, rapporteur.) Bulletin de la Société d'Études scientifiques et archéologiques de la ville de Draguignan, 1. 4°®, avril 4857. (M. Léo Drouyn, rapporteur. ) il 152 Revue des Beaux-Arts, 27° année, 15° livraison, Fe août 1857. ( M. Gorin, rapporteur. ) Annales de l'Académie de Mâcon. (M. Durand, rapporteur. ) C. Georgii Bruni poëmata ; partim jam ante, parhim nunc primum edila. — Lunda M ncce Lvn. (M. Geffroy, rapporteur. ) DÉPOSÉS AUX ARCHIVES. L'Ami des Champs; par M. Laterrade, 35° année, août 1857, n° 414. Journal d'Éducation physique, morale et intel- lectuelle; par M. P.-A. Clouzet aîné. 8° année, n° 40, août 1857. Recueil des moyens employés dans le monde pour le soulagement des souffrances. — Travaux des personnes et des Sociclés bienfaisantes de toutes les nations. — Aux Päquis a. 4, à Genève. ( Prospectus, & exemplaires. ) Journal de la Société de la Morale chrétienne, 1. VII, n° #, juillet et aout 1857. Programme d'un prix de musique proposé par la Société des Sciences, de l'Agriculture et des Arts de Lille, pour être décerné en 1858. Revue contemporaine, t. XXXII, 6° année, 126° livraison, 30 juin 1857; et t. XXXII, 6° année, 127€ livraison , 45 juillet 4857. Bulletin de la Société Industrielle de Mulhouse, n° 440, année 1857. 153 Etaient présents : MM. Abria, Manès, É. Dégranges, Girot de La Ville, Ms de Bourdillon, Durand, J, Duboul, Aug. Petit-Lafitte, A Geffroy, Baudrimont, Léo Drouyn, Costes, Burguet , G. Brunet, H. Mi- nier, Dutrey, Blatairon, E. Gaussens, Gout Desmartres, Dabas, SÉANCE. DU 13 AOUT 1857 \ dernière de l’année scolaire 1856 - 1857 }. Présidence de M. ABRIA. TRAVAUX DES MEMBRES DE L'ACADÉMIE. M. Léo Drouyn fait un Rapport verbal sur un ou- vrage ayant pour titre : Rapport verbal sur une ex- cursion en France, en Hollande et en Allemagne ; par M. le marquis de Caumont. Après avoir donné une analyse de ce travail, M. le Rapporteur dit combien il est regrettable que l'Acadé- mie ne possède pas dans sa Bibliothèque les ouvrages de ce savant archéologue, si dévoué aux intérêts de la science, et il demande qu'on lui propose l'échange de nos Acles contre l'envoi de son Bulletin monumental de la société française, et que des remerciments lui soient adressés, Les conclusions de ce Rapport sont adoptées. Rapport sur le Bulletin de la Société d'Études 154 saentifiques el archéologiques ; par M. Léo Drouyn : Cette Société, fondée depuis dix-huit mois, continue à fonctionner, et vous envoie régulièrement les numé- ros de ses Bulletins. Elle en publie un par trimestre; il contient de 50 à 60 pages in-8°, ce qui doit former un volume tous les deux ans. Le 1% numéro contient d'abord les Statuts de la Société, Statuts qui me paraissent très-sages. Les objets des travaux de la Société sont : la géolo- gie, la botanique, la zoologie, la physique, l'histoire, l'archéologie, la météorologie, en un mot toutes les sciences, y compris la médecine , comme nous le prouve le premier Mémoire, intitulé : Des Épidémies à Dra- guignan depuis le XV° siècle. On ne cite pas d'épidémies à Draguignan avant le XV: siècle. À cette époque, cette ville, comme tout le reste de la France, fut ravagée par des pestes revenant à des intervalles très-rapprochés. Au XVE siècle, on cite les-années 1506-7-56-57-60-63-64-72-76 et 87, pendant lesquelles les pestes firent de grands ravages. Tous les moyens sanitaires connus furent mis en usage, mais sans énergie. Les fumigations des maisons y jouent un grand rôle. Presque tous les habitants abandonnaïient la ville; mais les magistrats restaient à leur poste. Au XVII: siècle, on prend des précautions nombreu- ses et qui réussissent contre la peste de Milan. Tous les environs sont infestés, et Draguignan échappe au fléau. Ces précautions sont continuées pendant tout le XVIE siècle et réussissent parfaitement. Au XVII (1720), une peste affreuse désole le midi ; 155 toutes les précautions sont prises, et Draguignan échappe, grâce à l'énergie de son conseil communal, qui fitexécuteravec rigueur tousles règlements préservatifs. Le choléra de 1835 et celui de 1854 ne firent pas de mal à la ville; mais en 4855 il fit beaucoup de vic- times, malgré toutes les mesures sanitaires qu'on prit. Somme toute, selon l’auteur : « 1° La ville de Draguignan est épargnée dans les » premiers siècles de la chrétienté, parce qu’elle se » suflit à elle seule, qu’elle est éloignée de tout mou- » vement important, politique ou commercial; » 2° Elle est atteinte quand ses rapports avec les » centres deviennent plus fréquents et que l’on recule » devant des moyens protectionnels, énergiques ; » 3° Enfin, elle est préservée pendant de longs siè- » cles, alors que la peste désolait toute la Provence, » par la rigueur des mesures adoptées et par l'énergie » de ceux qui avaient à les faire exécuter. » Le n° 2 contient d'abord une Notice sur Notre-Dame- des-Gràces, à Cotignac, où Anne d'Autriche se rendit avec son fils pour remercier N.-D. de lui avoir, par sou intercession, fait obtenir un enfant, qui fut plus tard Louis XIV. Ensuite vient une Notice sur le dolmen de Dragui- gnan. [l est unique dans le Var; il se compose de cinq pierres brutes et n'offre rien de particulier. À propos de ce monument, l'auteur fait l'histoire sommaire des diverses invasions dont la Gaule a été le théâtre, suivie d’une dissertation sur les monuments gaulois. I ne dit d'ailleurs rien de neuf. Depuis long- 156 temps, l'abbé Mahé, M. de Caumont, et surtout les Anglais, avaient fait des recherches qui ont à peu près prouvé qu'on ne trouvera jamais une explication satis- faisante de ces intéressants monuments; que cepen- dant il est à présumer que ce sont des tombeaux et qu'ils étaient toujours recouverts de terre. La Gironde en possède quelques-uns, et la Dordogne un grand nombre. Un jour viendra peut-être que j'en publierai une monographie, qui ne prouvera rien de nouveau scientifiquement, mais qui fera voir du moins que no- tre pays est aussi riche en monuments de ce genre que bien d'autres contrées dont les dolmens, les merchirs, etc., sont connus et surtout très-vantés. Nos monu- ments n’ont besoin, pour avoir la réputation qu'ils mé- ritent, que d'être décrits par un écrivain conscien- cieux qui les visiterait par lui-même, avec un dessi- nateur de talent; tous deux aidés par la municipalité et de nombreux souscripteurs. A la suite de chaque numéro du Bulletin est un chapitre intitulé : Variétés scientifiques. Voici un fait qui y est cité et qui peut servir de pendant au crapaud dont nous à entretenn M. de Lacolonge, et qui se nourrissait, dans la pierre où il vivait, en mangeant sa peau lorsqu'il en changeait. ( P. 68.) Le 3° numéro contient une étude sur les archives de Lérins, qui sera continuée plus tard. Cette étude pour- rait intéresser ceux de nos collègues qui s'occupent d'histoire. Viennent ensuite des recherches sur le flo- rin de Provence et le prix des denrées alimentaires aux XVI, XVII et XVIIE: siècles. 157 Nous y voyons qu'en 4525 la charge (16 décalitres ) de:blé servendait.) .10ù sua, maGtr50 EnMG2Bsmausino st mise 9ost 48 Enr b udroeit Lre-23> 470 En, 4789.52 mit enr Æns L'huile à augmenté dans les mêmes proportions. Ce numéro contient en outre, mais je ne ferai que les signaler, une étude géologique sur les environs de Toulon, un article de conchiliologie, les variétés scien- tifiques, et enfin les observations météorologiques qui terminent tous les numéros que publie la Société. Le n° 4 contient le procès-verbal de la séance solen- nelle du 28 aout 1856, une Notice très-intéressante sur la portion de la voie aurélienne qui traversait le département du Var. Cette Notice est fort bien faite. On voit que l’auteur, M. l'abbé Doze, a parcouru les lieux qu'il décrit; mais il abrège trop la description des monuments qui se trouvent sur la ligne d'un des embranchements qui passe à Draguignan. Ces monu- ments sont assez intéressants pour mériter une élude monographique. Je trouve dans ce numéro un programme d'éludes archéologiques. Il serait bon, je crois, que l'Acadé: mie entrât dans cette voie, qu'elle néglige. Un Pro- gramme dans le genre de celui de la Société de Draguignan serait très-utile, el ferait faire dans notre département de nombreuses découvertes de monuments qui seront détruits avant d'être connus. Ce Programme et ceux que donne deux ou trois fois par an la Société Française pour la description et 158 la conservation des monuments, pourraient nous servir de modèles. J'engage donc l'Académie à pu- blier dans nos Actes un Programme de cette nature, qui sera tiré à part, distribué dans le département et publié dans les journaux. Vient ensuite une dissertation fort intéressante sur les effets du tonnerre, à propos d’un coup de foudre qui a frappé une maison de Draguignan. Dans les variétés scientifiques de ce numéro on si- gnale un appareil pour chauffage sans combustible, et un nouveau singe fossile trouvé par M. Fontan à Saint- Gaudens ( Haute-Garonne ). Le 5° numéro commence par un inventaire de do- cuments historiques extrait des archives de la ville de Barjois, de 1562 à 1595. Cette étude n’a qu'un intérêt de localité. Vient ensuite une liste de médailles romaines offer tes à la Société. Je n’y ai rien vu de nouveau; seule- ment, je profiterai de cette occasion pour dire qu'un des buts de la Société est d'avoir un musée, et qu'elle y parviendra certainement avant qu'il soit longtemps, si on en juge par les dons qu'elle recoit. J'exprime en même temps le vœu que l'administration de la ville de Bordeaux mette sa Bibliothèque et ses Musées sous la direction de l'Académie, ou au moins que des Commissions, tirées du sein de l'Académie, soient appelées à participer à celte direction; il en résulterait de grands avantages pour ces établisse- ments, par les soins que les Commissions pourraient y apporter, par les indications qu'elles pourraient 159 donner pour l'acquisition des livres, des objets d'his- loire naturelle, des monuments archéologiques et des produits de l'art, el enfin par l'heureuse in- [luence que leurs connaissances el leur dévouement au bien public ne pourraient manquer d'exercer ; et j'ajoute que ces établissements recevraient en outre des dons considérables, parce que, dans les Actes de notre Société, on stimulerait de temps en temps le zèle des possesseurs d'objets, qui seraient en- chantés d'en faire don à la ville, à la condition que leurs noms seraient publiés. C'est un vœu que j'a- dresse à ceux de nos collèques qui appartiennent au Conseil municipal. Une grande partie de ce numéro est consacrée à la z00- logie et à la géologie; je n'en dirai rien et pour cause. J'ai peu de chose à dire aussi sur le 6° numéro; il commence par le procès-verbal de la réunion générale du 30 avril 4857, suivi d'un document historique du XVI siècle, qui n'intéresse que le département du Var; d’une étude sur les médailles romaines publiées dans nn des numéros précédents, et de deux articles : un sur la géologie, et l'autre sur l'entomologie; celui-ci est ac- compagné d’une planche représentant des lépidoptères. Je vois, dans le dernier numéro, que la Société d'Études de Draguignan échange ses Bulletins avec vos Actes : c’est un échange qui doit je pense être profitable aux deux Sociétés. Ces Bulletins sont fort intéressants, mais ils le deviendront sans doute davan- tage, car toutes les Sociétés qui commencent peuvent dire comme la nôtre : Crescam et lucebo. 160 Après la lecture de ce Rapport, l'Académie, prenant en considération le premier vœu émis par M. Léo Drouyn, le charge de rédiger lui-même un Programme d'études archéologiques qui devra lui être soumis après la rentrée des vacances et qui recevra la plus grande publicité possible. Pour ce qui concerne le second vœu relatif à l'ad- jonction de Commissions tirées du sein de l'Académie à la direction de la Bibliothèque et des Musées de la ville de Bordeaux, malgré le surcroit de travail qui en résulterait pour la plupart de ses membres, elle serait disposée à donner son concours si on le lui demandait. Rapport de M. Saugeon sur l'ouvrage intitulé : Mé- thode à la portée des Instituteurs primaires pour enseigner aux sourds-muets la langue française sans l'intermédiaire des signes; par M. Valade-Ga- bel, membre correspondant. « Des dialogues entre un inspecteur et un instituteur » primaire servent d'introduction à ce livre. Là, M. » Valade fait comprendre combien l'enseignement » donné à un sourd-muet dans une école ordinaire » pourrait profiter aux intendants. En effet, la diffi- » culté oblige de se servir d’une méthode supérieure, » et il est impossible de réussir si lon n'use pas de » procédés complétement rationnels. A la manière » dont l'auteur comprend l'enseignement grammatieal, » on reste persuadé qu'il est bien mieux pratiqué dans » les institutions de sourds-muets que dans les écoles 2 » primaires et même dans les collèges. » » » S } S ) 161 » M. Valade-Gabel consacre près de deux cents pages à la partie théorique de son sujet. Il examine l'influence de la surdité sur le développement de l'enfant. Puis il cherche la meilleure méthode à sui- vre ; il en adopte une, qu'il nomme naturelle, eal- quée sur les procédés de la mère lorsqu'elle veut apprendre à parler à son enfant. L'auteur passe en revue les divers moyens dont on a usé avec les sourds- muets pour suppléer à la parole; ses explications sont intéressantes et claires, mais nous les eussions désiré plus concises. En général, on doit tendre à dévelop- per dans une lecon orale et à résumer dans une le- con écrite. » L'auteur attribue une grande influence à l'esprit de charité (amour du prochain) dans l'instruction des sourds-muets; nous ne le contestons pas; mais il oublie trop la part de la raison. Deux jeunes enfants également bien disposés ont deux mères qui les ai- ment également, mais qui sont inégales en intelli- gence, croit-on que les deux élèves profitent égale- ment? C'est en inclinant dans cette voie que l'auteur a omis de faire la part aux penseurs du XVII siècle, notamment à Dumarsais et à Condillac, qui, par leurs travaux de logique et de grammaire, ont pré- paré les voies à l'abbé de l'Épée et à ses successeurs. » Ces légères critiques ne nous empêchent pas de re- connaitre le mérite des appréciations de l'auteur, mais nous l'avons surtout suivi avec intérêt dans sa partie pratique. Il place son sourd-muet dans une classe d'enfants parlants, et le maître impuissant à l'ins- 162 » truire par des mots est obligé de linitier par des » faits aux idées de la vie commune. Nous croyons » que beaucoup d'hommes qui enseignent auraient à » profiter à cette école; on devrait simplifier les pro- » cédés en s'adressant à des élèves dotés de tous leurs » sens; mais 1l est certain que l'instituteur qui com- » prendrait la portée et l'esprit des moyens indiqués » par M. Valade-Gabel en tirerait les plus précieux » Secours. » Je demande donc que des remerciments soient » adressés à M. Valade-Gabel pour l'envoi de son ou- » vrage. » Les conclusions du Rapport sont adoptées. M. Gout Desmartres fait un Rapport verbal sur le Recueil des Jeux-Floraux de l'Académie del qay saber de Toulouse. Ce Recueil contient environ 80 odes, 120 élégies et ballades, et 80 pièces diverses. En général, les pièces de poésie qu'il renferme sont plus faibles que celles des années précédentes. M. le Rapporteur signale cependant à l'attention de lAca- démie : Le Désenchantement, par M: Félicie d'Ayzac ; La Maison abandonnée, par M. Boulay-Paty ; Un Hymne à la Vierge, de M. Karl Daclin ; Un Discours, de M. Achille Janot, dont il lit les passages les plus intéressants ; Et trois charmantes pièces dues à la plume élégante de trois mainteneurs de l'Académie : 163 Les Sages qu'on appelle fous, de M. le comte Jules de Rességuier ; La jeune Fileuse, de M. de Puibusque ; Et un Conte, de M. Florentin Ducos. M. Lacour écrit à l'Académie pour lui présenter des aperçus qu'il vient de publier, et qui sont relatifs à l'influence morale et sociale de l'esprit du poly- théisme, comparée à celle de l'esprit du monothéisme. Des remerciments seront adressés à M. Lacour, et son ouvrage sera déposé dans les archives de l'Aca- démie. CORRESPONDANCE. Lettre de M. le Préfet invitant M. le Président et les personnes qui laccompagnent habituellement dans les cérémonies publiques à se rendre à l’église primatiale pour entendre le Te Deura solennel qui sera chanté à l’occasion de.la fête nationale du 15 aout, à dix heures du matin. MM. Dégranges, Durand et Brunet sont priés de vouloir bien représenter l'Académie dans cette céré- monie. M. de La Vergne adresse à l'Académie un opuscule imprimé ayant pour titre : Guide du soufreur de vignes, par M. de La Vergne, et la prie de vouloir bien le faire examiner. * M. le Président nomme pour cet objet une Commis- 164 sion composée de MM. Baudrimont, Des Moulins et Raulin. M. Dégranges dit qu'en pareille circonstance il est d'usage de ne nommer qu'un seul membre, et que c’est seulement sur son rapport qu'une Commission pour- rait être nommée. M. le Président fait observer que M. de La Vergne est dans la condition de ceux qui concourent pour les prix de fin d'année, condition prévue par l’art. 48 de son Règlement, et que pour cela une Commission doit être nommée. L'Académie, consultée, se décide en fa- veur de l'opinion de M. le Président. COMMISSIONS Nommées par M. le Président de l’Académie : 19 pour proposer des sujets de prix; 2° pour examiner les pièces et les mémoires relatifs au concours de l'année 1857. Questions à proposer pour les concours de 1858 et des années suivantes. 4 MM. Brochon, Dutrey, Manès. I. Examen des pièces et des mémoires relatifs au concours de l'année 1857. AGRICULTURE. Machines agricoles. MM. Baudrimont, de La Colonge, Vaucher. Caractères et limites de l’agriculture du nord et du midi de la France. MM. Durand, Manès, Petit-Lafitte. 165 ÉCONOMIE SOCIALE. MM. Duboul, Dupuy, Gaussens, Saugeon. HISTOIRE, MM. Blatairou, Dutrey, Geffroy, Petit-Lafitte. LITTÉRATURE. MM. Gout Desmartres, de Bourdillon, Dabas. POÉSIE. MM. Gout Desmartres, de Gères, Minier. LINGUISTIQUE, MM. Brunet, Delpit, Gaussens. NOTICES BIOGRAPHIQUES. MM. Brochon, Saugeon, Drouyn. CONCOURS SANS SUJET. DÉTERMINÉ. Science. MM. De Boucheporn, Manès, Des Moulins, Littérature. MM. Cirot, Dutrey, Vaucher. Beaux-Arts. MM. Brochon, Durand, Gorin. -_ OUVRAGES REÇUS PAR L'ACADÉMIE SUR LESQUELS SERONT FAITS DES RAPPORTS, Moniteur judiciaire de Lyon, n° 89, 21° année, % août 1857. (M. Dégranges, rapporteur. ) Guide du Soufreur de vignes; par M. F. de La Ver- 166 gne. Bordeaux, 1857. ({ MM. Baudrimont, Des Mou- lins et Raulin, rapporteurs. ) Deux pièces de poésie : Pourquoi le saule pleure? et la Violette et le Cœur, ayant pour épigraphe : De Paris au Pérou, du Japon jusqu’à Rome, Le plus sot animal, à mon avis, c'est l’homme. { Commission du prix de poésie. ) DÉPOSÉS AUX ARCHIVES. Revue contemporaine, 1. XXXII, 6° année, 128° livraison, 31 juillet 1857. Aperçus extraits d'un travail relatif à l'influence morale et sociale de l'esprit du polythéisme compa- rée à celle du monothéisme; par P. Lacour. Bor- deaux, 1857. Étaient présents : MM. Abria, Baudrimont, Fauré, Cirot de La Ville, Durand, Costes, Léo Drouyn, J. Duboul, Léon Marchant, É. Gintrac, Aug. Petit-Lafitte, H. Minier, É. Dégranges, Dabas, Saugeon , Gout Desmartres, Bordeaux. Typ. GOUNOUILHOU , place Puy—Paulin, 1. ANNÉE 1857. — 9e No. SÉANCE DU 5 NOVEMBRE 1857. Présidence de M, ABRIA. En l'absence de M. le Secrétaire général, M. de La- colonge, Secrétaire adjoint, donne lecture du procès- verbal de la séance du 43 août 1857. TRAVAUX DES MEMBRES DE L'ACADÉMIE. M. Henry Brochon lit un Mémoire sur la législation indienne; ce Mémoire a pour titre : Étude sur le Code des Gentoux. M. Brochon expose à l'Académie que son travail a été conçu et commencé en 1856, avant les événements qui affligent l'empire indo-britannique. « C’est dans le siècle dernier, dit M. Brochon, qu'un document authentique, solennel, a révélé la législa- tion qui va nous occuper. Voici comment une main » puissante a soulevé tous les voiles du temple de la loi : » Les Brahmes étaient restés seuls dépositaires des » livres sacrés, des Vedas, et, malgré la domination » anglaise, ils en avaient conservé intacte la tradition, » au milieu des persécutions et des supplices. 2 Ÿ Y CA CA S 12 168 » Cependant, la Compagnie des Indes, cette société » de marchands plus puissants que des rois, se pro- » posa d'arracher aux Brahmes le secret de leur dé- » pôt. Onze vieillards, appelés Pundits ( Brahmes » jurisconsultes }, les plus habiles et les plus vénérés » de lndoustan , se réunirent à l'appel da célèbre gou- » verneur de l'Inde, de Waren Hastings, et consenti » rert, à force de sollicitations et surtout d'or, à ré- » diger un Code complet de leurs antiques lois. » Ce Code, rédigé en langue sanscrite, forme un gros volume in-4° de 321 pages. Son titre, Code des Gen- toux, doit être considéré comme synonyme de Code des Indous; — « ou plutôt, remarque M. Brochon, » dans la pensée des sectateurs de Brahma, c’est la » loi de tous, c’est le Code de l'humanité tout entière. » Gent où Gentoo veut dire, en sanserit, le genre » humain. » | M. Brochon fait remarquer que cette législation est encore en vigueur dans l'Indoustan : — « On serait » enclin, dit-il, à supposer que l'examen de ce Code » des Gentoux ne constitue qu'une étude rétrospective, M » qu'un regard jeté sur un passé qui n'est plus; on le » prendrait ainsi pour une de ces curiosités historiques » qui intéressent seuls quelques patients chercheurs des » bizarreries de l'esprit humain. Ce serait une erreur. » Le Code des Gentoux est encore en vigueur, sur- » tout en matière civile, dans l'empire indo-britanni- » que; seulement, il n’y règne pas seul; car, indépen- » damment du Code musulman, il a à ses côtés les lois » anglaises, se mêlant, s’enchevêtrant avec lui dans S 169 » une application aussi confuse que les juridictions de » CE pays. » Après avoir fait connaitre ces diverses juridictions, leurs origines et leurs attributions, le Mémoire de M. Brochon analyse les 21 chapitres que renferme le Code des Gentoux, en distinguant ceux qui constituent le droit civil de l'Indoustan, et ceux qui en forment le Code pénal. Il montre l'influence des castes sur cette législation tout entière : — « Déplorable hiérarchie, y » est-il dit, monstrueuses distinctions qui échelonnent » un peuple entier en d'innombrables degrés, avec un » Brahme au sommet de l'échelle et au plus bas un » malheureux paria!... La législation se trouve ainsi » rivée aux préjugés religieux... Ces stupides privilé- » ges de castes, dont l'Inde est la terre classique, ont » imprimé à sa législation un vice radical, constitu- » lionnel, incurable. Toute réforme législative devra » être préparée par une réforme religieuse et sociale, » L'Étude sur le Code des Gentoux conduit son au- teur à ceile conclusion que justifie la citation d’un grand nombre de textes : — « C'est ainsi que, dans ce li » vre étrange, l'absurde est toujours à côté de la sa- » gesse, l'inconvenance à côté de la plus pure morale, » les choses les plus extravagantes se heurtent aux » choses les plus sensées et les plus délicates. Ces » incohérences ont leur explication dans l'état social » de Findoustan.. Les lois d'un peuple sont toujours » l'expression de ses mœurs. La législation des Indous, » généralement pure quand il s'agit des choses, de- » vient folle et corrompue quand il s'agit des person » nes; car elle a pour but de favoriser leurs folies et » » 170 leur corruption, en les consacrant de l'autorité de la loi... Une telle législation ne peut se comparer qu'aux idoles de leurs temples, qu'à ces divinités charman- tes et hideuses, dont la tête révèle l'élévation de la pensée, et qui se terminent en un corps informe et bestial. » Le Mémoire de M. Henry Brochon se termine ainsi : « En parcourant cette législation débile, ces lois si souvent puériles et contradictoires, toujours inspi- rées par un esprit de privilège et d'inégalité, on ne peut se défendre d'une réflexion pénible au sujet de la domination anglaise : c'est que, dans ce vaste et riche empire, où les marchands de la Grande-Breta- gne sont devenus d'opulents souverains, ils n'ont rien fait pour accomplir une œuvre de progrès et d’éman- cipalion intellectuelle et morale. » Ce qui justifie le fait de la conquête, ce qui l’ex- use tout au moins, c'est le bienfait de la civilisation que le vainqueur apporte fraternellement au vaincu. Lorsque l'Afrique devient française, la France, la généreuse France, à côté de son glorieux drapeau, y plante la croix du Christ; — elle féconde le désert en y faisant merveilleusement jaillir des sources bien- faisantes, et groupe des peuplades errantes et alté- rées autour de ces puits civilisateurs; — elle bätit des cités et y fait aimer les délicatesses de l'esprit et le charme des arts; — elle est heureuse de partager avec les Bédouins et les Kabyles soumis ses secrets de gloire, de prospérité, de supériorité sociale : voilà l'œuvre de la France en Afrique ! » L'Angleterre en Asie n'a songé qu’à pousser inces- 171 » samment en avant, du cap Comorin aux chaines de » l'Himalaya, le flot de ses égoïstes conquêtes. » M. le Président remercie M. Brochon d'une commu- nication qui, par ses curieux détails, ses rapproche- ments heureux, l'intérét de son sujet, a été écoutée avec une attention soutenue par la Compagnie. CORRESPONDANCE. M. Raulin écrit à l'Académie pour donner sa démis- sion de vice-Président; elle est motivée sur un récent malheur de famille. M. le Président sera chargé de prier son honorable collégue de revenir sur une détermina- tion dans laquelle la Compagnie regretterait de le voir persister. M. Minier fait hommage à l'Académie d'un petit poème récemment publié, ayant pour titre : les Mil- hions de M. Jean. M. Cathérineau envoie trois brochures que MM. Ma- nès el Durand sont priés d'examiner. M. Audoyneau annonce plusieurs échantillons de peinture sur verre qui ne sont pas encore arrivés. M. Ourliac demande qu'un Mémoire sur les inon- dations, envoyé par lui trop tard pour le Concours de l'an dernier, soit examiné et entre dans la catégorie de ceux qui peuvent mériter une récompense. Ce travail 172 est renvoyé à l'examen de MM. les Membres de la Com- mission spéciale de 4857. M. Dominique Bacchi, professeur de philosophie à la Mirandole, demande le titre de correspondant, et adresse à l'appui plusieurs livres qui ne sont point en- core parvenus au Secrétariat. Le Président de la Société Historique et Littéraire du bas Limousin, récemment formée à Tulle, offre les Bulletins des travaux de sa Compagnie, en échange des Actes de l'Académie. (Cette proposition est ren- voyée à l'examen du Conseil d'Administration. ) M. le Président renvoie aux Commissions spéciales les pièces du Concours de 1857, qui se composent des suivantes : Deux Mémoires sur les machines agricoles; Quatre sur la question du luxe; Un certain nombre de pièces de poésie; Notices biographiques ; Une comédie, l'École des Poètes, de MM. Roux et Berge, qui demandent à concourir. M. Dabas lit le Rapport relatif à la candidature de M. de Lachapelle, aspirant au titre de membre corres- pondant. Il appuie sur les titres évidents de cet hono- rable professeur, couronné deux fois par l'Académie ; fait ressortir l'importance de ses travaux littéraires, la purelé et l'élégance du style de l'auteur, qui, profon- dément versé dans l'étude des chefs-d'œuvre de l'an- tiquité, en est quelquefois l'heureux interprète. Après 173 une fine critique de détail, le Rapport de MM. Dabas, Brochon et Gout Desmartres, conclut à la plus flat- teuse admission. Suivant l'usage et le règlement, le Conseil d'Admi- nistration aura à donner son avis sur cette candidature. CORRESPONDANCE. M. Goguelat, à La Teste, envoie des conserves de tomates obtenues par un procédé particulier pour le- quel il est breveté, et demande l'examen de l’Académie. Il sera répondu à M. Goguelat que la Société n’a point, parses statuts, de mission industrielle; qu'elle ne s'occupe de questions de celte nature que dans les cas où elles se rattachent (rès-intimement à la science ; qu'il n'en est pas ainsi daus cette circonstance, et que dès lors il n’est pas possible de se livrer à l'examen désiré. Lettre du Président de la Société d'Agriculture, Sciences et Arts de la Sarthe, informant l'Académie que les séances générales de cette Société s’ouvriront le 4 novembre, et invitant ses membres à vouloir bien y assister. OUVRAGES ADRESSÉS À L'ACADÉMIE SUR LESQUELS SERONT FAITS DES RAPPORTS, Notice historique et liturgique sur les cloches ; par 174 M. l'abbé Jules Corblet. Paris, 4857. (M. Gaussens, rapporteur. ) Revue des Beaux-Arts, 27° année, A7 livr.; 4er septembre 1851, 27° année, 18° livr.; 15 septembre 1857, 27° année, 24° livr.; 4% novembre 4857. (M. Gorin, rapporteur. ) De l'émigration des campagnes, ses illusions et ses dangers, et en particulier de l'émigration alle- mande à Paris; par M. l'abbé J.-B. Houpert; colla- boration de M. l'abbé E. Grosse. Paris, 1857. { M. Bla- tairou, rapporteur. ) Quelques chiquenaudes, recueil de pensées ou quasi- pensées , dictons et boutades, mis en rimes ; par M. J.- B. Millet-Saint-Pierre. Havre, 1857. (M. H. Minier, rapporteur. ) Bulletin des séances de la Société Impériale et Centrale d'Agriculture, ? série, t. XIL, no 4; séan- ces des 4, 11, 18 et 25 mars; 1, 8 et 15 avril 4857; 2e série, 1. XIT; séances des 22 et 29 avril; 6, 43, 20 et 27 mai 4857. ( M. Ch. Des Moulins, rapporteur. ) Bulletin de la Société d'Agriculture de la Sarthe, 11° trimestre, 2° cahier du t. XII. Le Mans, 1857. (M. Ch. Des Moulins, rapporteur. ) Annales de la Société Impériale d'Agriculture du département de la Loire, 1. K, 4° livraison, jan- vier, février et mars 4857. { M. Ch. Des Moulins, rap- porteur. ) Cours familier de littérature; par M. de Lamar- line , 20° entretien. /d. 24° et 22° entretiens, ( M. H. Minier, rapporteur. ) 175 Bulletin de la Société Archéologique de Béziers, 15° et 16° livraisons, 1857. { M. Léo Drouyn, rapp. ) Le Salut public, journal de Lyon, 10° année, n° 199, 18 juillet 4837. (M. É. Dégranges, rapporteur. | Nouveau gouvernail de fortune, ou manière de réparer la perte du gouvernail à la mer ; par M. J. Cathérineau , capitaine au long cours. Bordeaux, 1835. (MM. Manès et Durand, rapporteurs. ) Construction navale, trailé élémentaire; par le mème. Bordeaux, 1855. ( MM. Manès et Durand, rap- porteurs. ) Considérations générales sur la télégraphie nau- tique universelle; par le même. Le tout accompagné d'une lettre d'envoi. { MM. Manès et Durand, rapp.) Mémoires de la Société Impériale des Sciences na- turelles de Cherbourg, 1. IV. (M. Abria, rapp.) Notice sur la maison de Kerckhove, dite Van Der Varent; par M. N.-J. Van Der Heyden. Anvers, 1856. (M. Jules Delpit, rapporteur.) Bulletin de la Société Archéologique et Historique du Limousin, 1. VIT, 2° livraison. Limoges, 1857. (M. Durand, rapporteur. ) Bulletin de la Société Historique et Littéraire du bas Limousin, 1. 1, 4" livraison; t. I, 2 livraison. (M. Durand, rapporteur. ) Première lettre archéologique adressée à l'Acade- mie des Sciences et aux principales Sociétés savan- tes; par M. E.-L. Guiet, juge de paix à Montfort-le- Rotrou (Sarthe). Imprimée à Mamers, 4857. { M. Rau- lin, rapporteur. ) 176 Mémoires de l'Académie des Sciences, Agricul- ture, Arts et Belles-Lettres d'Aix, t. VII, 1857. (MM. Geffroy et Abria, rapporteurs. ) Recueil des publications de la Société Havraise d'études diverses de la 22° et 23° années 1855-1856. ( M. Costes, rapporteur. ) Description des machines et procédés pour lesquels des brevets d'invention ont élé pris sous le régime de la loi du 5 juillet 1844, publié par les ordres de M. le Ministre de l'Agriculture, du Commerce et des Travaux publics, t. XXV®. Paris, 1857. (M. de Lacolonge, rapporteur. ) Concours sur les machines agricoles, Le capital est la plus puissante de toutes les for- ces motrices nécessaires à la culture de la terre. La production agricole augmente et les bras di- minuent. ( Wolowski. ) Concours sur la question du luxe. Quæ fuerant vitia mores sunt. Est modus in rebus, sunt urti denique fines. Quos ultra citraque nequit consistere rectum. ( Horar. ) Vita rustica sine dubitatione proæima et quasi consanguinea sapientiæ est. ( COLUMELLE. ) 21, 177 Concours de poésie. C'est aux champs que tout naît, se nourrit et s’enflamme. L'amour y parle au cœur, le temps y parle à l’âme! ({ Durs. ) Peuples, écoutez le poète! Écoutez le rêveur sacré ! ( V. HuGo. ) Les Sophistes et l'Evangile. In his quæ ignorant blasphemantes. — Non erubesco evangelium virtus enim dei est in salutem omni credenti. L'Amour des champs. Heureux qui, soulevant une chaîne importune, Détache ses destins du char de la fortune. Et, sans la fatiguer de soupirs éternels, Cultive de ses mains les guérêts paternels! Fymne au Verbe incarné. Credidi, propter quod locutus sum. Dans le monde, il n’est rien de beau que l'équité Le Coup de dé, comédie en trois actes et en vers. Pégase est un cheval qui mène son cavalier à l'hôpital. ( Vieille chanson. ) La campagne au mois de novembre. Jamais aucune main sur la corde sonore Ne guida dans ses jeux ma main novice encore. ( LAMARTINE. ) 178 Sunt bona, sunt quædam mediocria, sunt mala plura. {Commission relative au Concours sur les notices biographiques. ) DÉPOSÉS AUX ARCHIVES. Compte rendu des travaux de l'Académie du Gard, en séance publique du Conseil général et du Conseil municipal, le 20 août 1857; par M. Nicot, Secré- taire perpétuel. L'Agriculture comme source de richesse, 18° an- née, n° 8, août 1857. Bulletin de la Société Philomathique de Bordeaux, 2e série, 2° année, 1857, 2° n°, 2° trimestre. Programme des Prix à décerner en 1858 par l'Académie Impériale de Metz. L'Institution des Aveugles, année scolaire 1856- 1857, n° 9, juin 1857. Journal d'Éducation; par M. Clouzet, 8° année, n° 11, septembre 1857. L'Ami des Champs; par M. Charles Laterrade, sep- tembre 1857, 35° année, n° 415. Comice agricole de Lille. — Rapport de la Com- mission chargée de l'examen de la proposition des réformes à apporter au marché aux chevaux de Lille. ‘ Catalogue des brevets d'invention pris du 4° jan- vier au 31 décembre 1856, dressé par ordre de M. le Ministre de l'Agriculture, du Commerce et des Travaux publics. Paris, 1857. 179 Table générale des vingt premiers volumes de la description des machines et procédés pour lesquels des brevets d'invention ont élé pris sous le régime de la loi du 5 juillet 1844, publiée par les ordres de M. le Ministre de l'Agriculture, du Commerce et des Travaux publics. Paris, 1856. Les Études, les Jeux du Collége, discours en vers, lu par M. Magloire Nayral, juge de paix à Castres, à la distribution des prix, le 13 août 1857. De la Grandeur et de la Décadence de la Baso- che; par M. Gustave Janvier. Bordeaux, 1857; avec une lettre de l'auteur. Études pratiques sur l'art de dessécher, et diver- ses impressions de voyage; par M. Ch. de Bryas; 3° édition. Annuaire de l’Athénée des Arts, Sciences et Bel- les-Lettres de Paris, année 1857. Programme des Concours ouverts pour l'année 1858 par l’Académie Impériale de Reims. Les Millions de M. Jean; par M. Hippolyte Minier. Étaient présents : MM. Abria, Cirot de la Ville, Duboul, Durand, L. Drouyn, Charles Des Moulins, Louis de Lacolonge, Blatairou, Manès, Costes, G.-Henry Brochon, H. Minier, É. Dégranges, G. Brunet, Aug. Petit-Lafitte, À. Vaucher, Dabas, E, Gaussens, Dutrey. 180 RE SÉANCE DU 19 NOVEMBRE 1857. Présidcenee de M. ABRIA. M. Gout Desmartres donne à l'Académie des nou- velles récentes de l’état de la santé de M. de Bouche- porn : il est très-malade, et les médecins ne conser- vent pas l'espoir de le sauver. M. le Président fait savoir à l'Académie que le Co- milé d'Administration s'est déjà préoccupé de la mala- die de notre collègue, qu'il s'est inscrit chez lui au nom de l'Académie , et qu'il se propose d'y retourner encore. NOMINATIONS. Renouvellement du Bureau de l'Académie. L'Académie procède à l'élection de ses officiers pour l'année 1858. M. Raulin ayant persisté à se démettre de ses fonc- tions de vice-Président, il y a à nommer : Deux vice Présidents : un qui devra entrer immédiatement en fonctions; un dont les fonctions ne commenceront que lors du remplacement du bureau actuel, Deux Secrétaires adjoints; Un trésorier ; Un archiviste; Deux membres du Conseil d'Administration pour deux ans, en remplacement de MM. Dégranges et Ch. Des Moulins. 181 Les votes ont eu lieu au scrutin secret et à la majo- rité absolue des membres présents, qui étaient au nom- bre de vingt-cinq. Le dépouillement du vote a donné le résultat suivant : M. Crror pe LA Vizce, vice-Président, en remplacement de M. Raulin, et devant entrer immédiatement en fonctions; M. Durrey, vice-Président pour l’année 1858; MM. pe LacOLONGE et Perir-LarITTEe, secrétaires adjoints ; M. FAURÉ, trésorier ; M. BRUNET, archiviste; MM. Gaussens et ABrra, membres du Conseil. NOMINATION D'UN MEMBRE CORRESPONDANT. M. pe LacHapezLe, régent de rhétorique au Collége de Gher- bourg, est nommé membre correspondant de l’Académie, TRAVAUX DES MEMBRES DE L'ACADÉMIE. Rapport par MM. Léo Drouyn et Durand, rappor- leur,surun nouveau mode de peinture sur verre in- venté par M. Audoyneau. Conclusions : « En résumé, » Messieurs, en 1840, M. Audoyneau vous soumettait le résultat de ses premiers efforts, et notre justice lui » accordait une médaille d'or. Aujourd'hui, et après » dix-sept ans de nouvelles études, il vous présente le » fruit de ses travaux comme artiste et comme prati- A Ÿ » cien : la découverte d’un nouveau procédé aussi sim- » ple qu'important. Nous croyons, en conséquence, » devoir vous proposer de lui décerner une nouvelle médaille d'or. » M 4 182 Sur l'observation de plusieurs Académiciens, qui de- mandent de nouveaux renseignements avant de procé- der au vote de la récompense demandée, M. le Prési- dent remet ce vote à la séance du 3 décembre. CORRESPONDANCE. M. Laterrade annonce l'envoi d’un paquet de publi- cations expédiées des États-Unis d'Amérique à la Société Linnéenne pour l'Académie Impériale de Bordeaux, et témoigne le regret que la maladie l'empêche d'assister aux séances de l'Académie. M. le Président témoigne le regret que l'Académie éprouve d'apprendre que M. Laterrade, l'un de ses membres, est toujours souffrant. M. Burguet se fait excuser par M. le Président de ne pouvoir assister à la séance. M. Raulin éerit qu'il est très-sensible à la lettre qui lui à été écrite de la part de l'Académie, mais que les raisons qui lui ont fait donner sa démission sont trop puissantes pour qu'il lui soit possible de revenir sur la détermination qu'il a prise. M. Baudrimont écrit à l'Académie pour la prier de vouloir bien accepter sa démission des fonctions de Se- crétaire général qu'il remplit auprès d'elle. Paquet cacheté déposé au secrétariat de l'Académie 183 le 25 octobre 4857 par M. Raboisson, pour prendre dale. M. le vicomte de Pibrac demande le titre de mem- bre correspondant, et envoie à l'appui de sa demande un Mémoire sur les Antiquités gallo-romaines. (MM. Des Moulins, Delpit et Léo Drouyn, rapporteurs.) La Société des Sciences naturelles de Boston, de- mande l'échange de ses Actes contre ceux de l’Acadé- mie Impériale de Bordeaux. (Renvoi an Conseil d’ad- ministration ) L'Académie des Sciences de Saint-Louis (Missouri, États-Unis d'Amérique), en envoyant le premier nu méro de ses Transactions, adresse la même demande. (Renvoi au Conseil d'administration.) Lettre de M. le Préfet du département de la Gironde annonçant la remise de trois volumes relatifs à la pu- blication des brevets d'invention. (Accuser réception.) M. Bothé, avocat à Besançon, adresse une demande relative à la publication des Mémoires sur le morcel- lement du sol. (Répondu le 12 novembre.) M. Bacchi, de Mirandole (duché de Modène), envoie des travaux littéraires et philosophiques, et demande le titre de membre correspondant. (MM. Duboul, Des Moulins et Costes, rapporteur.) Lettre de M. Bossange, libraire à Paris, annonçant 13 184 l'envoi d'ouvrages publiés par la Smithsonian institu- hon. (Répondu le 12 novembre.) Lettre de M. Didron, de Paris, relative à la vente des comptes rendus de l'Académie. (Renvoyé au Con- seil d'administration.) OUVRAGES ADRESSÉS A L'ACADÉMIE SUR LESQUELS SERONT FAITS DES RAPPORTS. Archives de l'agriculture du nord de la France, publiées par le Comice agricole de Lille; tom. [, n° 6, août 1857. (M. Ch. Des Moulins, rapporteur.) Mémoires publiés par la Société Dunkerquoise, pour l'encouragement des sciences, des lettres et des arts, pendant l'année 1856-57. (M. Abria, rapporteur.) La Revue contemporaine, tom. XXXIII, 6° année, 130: livr., 34 août 1857; — 131 livr., 15 septembre 1857; — 132 livr., 30 septembre 1857; — 133° livr., 15 octobre 1857; — 129° livr., 45 août 1857. (M. Minier, rapporteur.) Cours familier de Littérature; par M. de Lamar- tine, 23° entretien. (M. Minier, rapporteur.) Revue des Beaux-Arts, 27° année, 16° livr., 45 août 1857; — 19 livr., 42° octobre 1857 ; — 292 livr., 15 novembre 1857. (M. Goriu, rapporteur.) Mémoires sur les ruines gallo-romaines de Verdes ; par À. du Faure, vicomte de Pibrac; Orléans, 4857. (MM. Drouyn, Gout Desmartres et Des Moulins, rap- porteurs.) 185 La Vie de saint Sour, ermite et premier abbé de Terrasson, avec une Notice historique sur l'abbaye de Terrasson; par M. A.-B. Pergot, curé de Terras- son; Paris, 4857. (M. Cirot de La Ville, rapporteur.) Recherches scientifiques en Orient, entreprises par les ordres du Gouvernement, pendant les an- nées 1855 el 1854; par M. Albert Gaudry (partie agricole); Paris, 1855. (M. Raulin, rapporteur.) Journal des Savants; aoùt et septembre 1857. (MM. Duboul et Baudrimont, rapporteurs.) The American journal of Education, edited by Henry Bernard, vol. [, 1856. (M. Saugeon , rapport.) Tenth annual report of the board of regents Smithsonian Institution; Washington, 4856. (M. Durand, rapporteur. } Description des machines et procédés pour lesquels des brevets d'invention ont élé pris sous le régime de la loi du 5 juillet 1844; tom. XXVI, 4857. (M. de Lacolonge, rapporteur.) Bulletin de la Société académique d'agriculture, belles-lettres, sciences et arts de Poitiers, n° 43 ct k4, 2° semest. de 1856 {deux exemplaires de chaque numéro. (Rapporteur, M. Des Moulins.) Table générale des vingt premiers volumes de la description des machines et procédés pour lesquels des brevets ont élé pris sous le régime de la loi du 5 juillet 1844. (M. de Lacolonge, rapporteur.) Mémoires de l'Académie des sciences, agriculture, commerce, belles-lettres et arts du département de la Somme; années 1856-57, 3° livr. de 4857. (Rap- porteur, M. Des Moulins.) 186 Description des machines et procédés consignés dans les brevets d'invention, de perfectionnement et d'importation dont la durée est expirée et dans ceux dont la déchéance a élé prononcé; t. LXXXVII; Paris, 1857. (M. de Lacolonge, rapporteur.) Sui sogni e sul Somnambulismo, pensieri fisiolo- gico-melafisici di Domenico Bacci Mirandolese; Ve- nezia, 4857. (MM. Duboul, Des Moulins, Costes, rap- porteurs.) Sulla Natura, sul l'Officio delle ideale relative- mente alle lettre et alle belle arti di Domenico Bacci della Mirandola; Venezia, 1857. (Les mêmes.) Sugli Offici di Cicerone, leson d'introduzione al Corso di morale publicata nel Gennajo 1855; per Francesco Boullier; Modena, 1855. (Les mêmes.) Sulla Ragione e sullo intellelto, lettera del Mi- randolese D. Bacci; Venezia, 1854. (Les mêmes.) Archives de l'agriculture du nord de la France, publiées par le Comice agricole de Lille; tom. [, n°5, juillet 4857. (M. Des Moulins, rapporteur.) Tenth annual Report of the Ohio state board of agriculture for the year 1855. (M. Abria, rapport.) _ Board of controllers of public schools, firs dis- trict of Pensylvania, for 1856-57. (Le même.) Report on insanity and idiæy;in Massachusettsi by the commission on Lunacy, under resolve of the legislature of 1554; Boston, 1855. (M. Marchant, rapporteur.) An act lo incorporate the Academy of natural sciences of Philadelphia; pages 4 à 60; 321 à #10. (M. Durand, rapporteur.) 187 The Transachons of the Academy of sciences of Saint-Louis; vol. E, n° 1; 4857. (M. Brunet ; rapport.) An account of the Smithsonian Institution, its founder, bounder, building, operations, etc., pre- pared from the reports of prof. Henry to the Regents, and other authentic sources; Washington, 1857. (M. Durand, rapporteur. ) Smilhsonian contributions to Knowledge; vol. 9; Washington, 1857. ( Mème rapporteur. } DÉPOSÉS AUX ARCHIVES. M. Paul Coq fait hommage à l'Académie d'un livre intitulé : La Monnaie de Banque, ou l'espèce et le portefeuille. (MM. Duboul et Saugeon , rapporteurs. ) M. Gustave Janvier fait hommage à l’Académie d'une Revue scientifique manuscrite. M. Vallée, ingénieur des ponts-et-chaussée à Laon, département de l'Aisne, et lauréat de l'Académie, lui fait hommage d’un ouvrage ayant pour titre : Étude sur les inondations, etc., qui a remporté le prix au dernier concours ouvert par elle. Catalogue des ouvrages publiés par la librairie L. Hachette et C°, de Paris; A°° et 2 parties. L'Ami des Champs, journal agricole, scientifique et littéraire ; par M. Ch. Laterrade ; 35° année, no- vembre 1857, n° 417. Journal d'Éducation ; par M. A. Clouzet ainé; 8° année, n° 12, octobre 1857 ; — le mème journal, 9° année, n° 4, novembre 1857. 188 Journal de la Société de la Morale chrétienne, tom. VIT, n° 5, septembre et octobre 1857. Proceedings of the Boston Society of the natural history taken from the sociely records; pages 4 à 323; AO à 159; 321 à 400; 1856; avec une lettre d'envoi. Programme des sujets proposés par la Société Dunkerquoise, pour l'encouragement des sciences, des lettres et des arts, pour les concours de 1858 et 1859. Travaux du Conseil d'hygiène publique du dé- partement de la Gironde, depuis le 16 juin 1855 jusqu'au 16 juin 1857 ; tom. IV. Rapport sur l'Exposition universelle de 1855, publié par la Société libre d'Émulation du Commerce et de l'Industrie de la Seine-Inférieure. Annales de la Société d'agriculture du déparie- ment de la Gironde; 12° année, 1 et 2° trim. 1857. L'Ami des Champs; par M. Ch. Laterrade; 35° an- née, octobre 1857, n° 416. L'Agriculture comme source de richesse; 18° an- née, n° 9, septembre 1857. Le Bon Cullivateur, publié par la Société centrale d'Agriculture de Nancy ; 37° année, n° 7 et 8, juillet et aout 1857. Report of the superintendent of the coast survey, showing the progress of the survey, during the year 1855; Washington, 1856. 189 Étaient présents : MM, Abria, Fauré, É. Dégranges, Hipp. Minier, J. Duboul, Léo Drouyn, Costes, S. Gorin, Raudrimont, G. Brunet, Sau- geon, Ch. Des Moulins, Dabas, Durand, Aug. Petit-Lafitte, E.-G. Desmartres, E. Gintrac, E. Gaussens, Girot de la Ville, Léon Marchant, Louis Ordinaire de Lacolonge, W. Manès, Du- trey, G.-Henry Brochon, Justin Dupuy. ANNÉE 1857. — 10° No. SÉANCE DU 3 DÉCEMBRE 1857. Présidence de M, ABRIA. Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté. M. le Président témoigne les profonds regrets éprou- vés par l’Académie par suite de la perte de deux de ses membres résidants, M. de Boucheporn et M. Bur- guet, qui ont été enlevés à l'affection et à l'estime de leurs collègues dans l'espace de trois jours et dans l'in- tervalle de deux séances. L'Académie a été représentée aux cérémonies funè- bres par des Commissions choisies dans son sein, et M. le Président a adressé des paroles d'adieu et de regrets sur la tombe de nos collègues. Discours prononcé par M. Abria, président de PA- cadémie, sur la tombe de M. de Boucheporn : Lorsque j'exposais à l’Académie de Bordeaux les titres scientifiques de M. de Boucheporn, candidat pour l’une aes 190 places vacantes dans son sein, j'étais loin de penser que je serais appelé dix-huit mois plus tard à lui adresser les der- niers adieux au nom d’une compagnie fière de le compter parmi ses membres, et à laquelle il devait, hélas! appartenir si peu de temps. Notre cher collègue nous a été enlevé bien vite, et cependant nous avons pu apprécier ses éminentes qualités, sa science profonde, son talent comme écrivain, et, ce qui vaut encore mieux, la sûreté de son commerce et l’a- ménité de son caractère. Le choix de l’Académie était sura- bondamment justifié. Sorti l’un des premiers de l’École Poly- technique en 1833, M. de Boucheporn parvint rapidement et sans obstacle aux fonctions élevées d’ingénieur en chef des mines : Doué d’un esprit actif et fécond , il employa ses rares loisirs à composer les deux ouvrages qui lui ont assigné dans le monde savant un rang des plus honorabies : sa Théorie des révolutions de la surface du globe, et son Principe général de la philosophie naturelle. Ces ouvrages portent l'empreinte d’un esprit habitué à méditer sur les grands phénomènes de la nature, à les coordonner, et à déduire d’un principe posé les conséquences qu’il renferme. Mais ce n’est pas ici le lieu d’en apprécier le mérite. L'une des préoccupations les plus assidues de M. de Boucheporn était le développement et la vérification expérimentale des conséquences auxquelles l'avait conduit son dernier travail. La mort est venue interrompre ses recherches et terminer une carrière toute dévouée à la science. Inclinons-nous devant les impénétrables décrets de la Providence : par une séparation si cruelle et si prématu- rée, par un avenir si brillant brisé tout à coup, elle nous enseigne une fois de plus que nos espérances les plus chères ne peuvent être réalisées ici-bas, et que nous devons porter plus haut nos regards. Adieu, cher et excellent collègue, adieu. 191 Discours prononcé par M. Abria, président de FA- cadémie, sur la tombe de M. Burguet : La pensée qui vous frappe, Messieurs, et qui n’a cessé d’être présente à mon esprit depuis l'instant où j'ai appris la mort de notre regretté confrère, n’est-elle pas celle du dou- ble malheur qui vient de frapper l’Académie? Et puis-je m'empêcher de vous rappeler la perte qu’elle à éprouvée na- guère, au moment où je viens en son nom rendre hommage à la mémoire de M. Burguet? A deux jours de distance, l’un de ses membres succombe aux atteintes du mal contre lequel il luttait courageusement depuis six mois; l’autre, plein de vie, tombe frappé pour ne plus se relever, et meurt, comme un soldat qui se rend au champ de bataille, lorsqu'il allait porter au chevet du malade les secours et les consolations d’une science profonde et dévouée. La mort l’a surpris; mais elle l’a surpris à son poste, et jusqu’au dernier moment il a obéi à ce noble sentiment du devoir auquel il avait promis de rester fidèle en embrassant la profession médicale. Secrétaire général depuis longtemps déjà de la Société de Médecine, vice-président du Conseil d’hygiène du départe- ment de la Gironde, M. le docteur Burguet avait sa place marquée au sein d’une société qui s'occupe avec sollicitude, dans la mesure de ses forces, de toutes les questions d’in- térèt général. En est-il de plus importantes que celles qui touchent à l'hygiène publique et privée, à l'étude de ces in- fluences qui exercent sur la vie des populations des ravages quelquefois si terribles, aux moyens de les combattre et d’en prévenir le retour ? M. Burguet en avait fait une étude atten- tive, et, pendant qu’il se livrait à l'exercice de sa profession, il sut se tenir constamment à la hauteur de la science sur ce point important et diflicile. C'est à d’autres qu'il appartient d'apprécier ses connais- 192 sances, son talent, sa sagacité comme médecin. Qu'il me soit permis, en lui adressant ces derniers adieux au nom de l'Académie, d'exprimer le regret qu’elle ait perdu, et perdu si vite, un membre si actif, si dévoué, si excellent, dont le souvenir vivra toujours dans son sein. TRAVAUX DES MEMBRES DE L'ACADÉMIE. M. de Lacolonge rend compte à l'Académie d’obser- vations faites par lui à Royan sur la température de la mer. Elles sont au nombre de dix-huit, et ont eu lieu du 43 au 23 août 4857. Il résume ainsi son travail : Bien que les observations n'aient pas été assez nom- breuses pour mener à des conclusions générales, il est permis d'en tirer quelques déductions applicables à la saison où les bains ont été pris. Pendant ces dix jours, bien que le temps ne füt pas très-chaud, la température de l'eau a été, dans la con- che du Chai, de 20°94 en moyenne à 40 du bord, et de 20°90 à 80" vers le large. Elle n'a jamais dépassé 22025, ni baissé au-dessous de 20°25. Le plus souvent elle a été de 24°. Comme les bains étaient fort agréa- bles, il est permis de croire que c'est une température très-convenable pour les prendre. L'air ayant, dans le même temps, varié de 29°25 à 19, et d’un jour à l'autre, sans que la mer descendit au-dessous de 24°, on peut en conclure que les varia- tions de l'air atmosphérique n'influent, dans cette sai- son, que peu, et probablement lentement, sur la tem- pérature de l'eau de mer; ce qui peut s'expliquer par 193 la grande masse et la conductibilité de cette dernière. Quand il y a une différence entre la température au bord et celle au large, celle-ci est la plus faible. Cette différence a été au plus de 0250; elle s’est présentée par les vents de la partie nord, mais ne s’est pas offerte toutes les fois qu'ils ont soufflé. En comparant les chiffres, on voit que l'heure de la pleine mer n'a pas eu d'influence sur la température, et que le montant ou le descendant n'ont pas occasionné de différences appréciables. Bien que dans cette période de dix jours il n’y ait pas eu de coup de vent, ni de grosse mer, il s'est pré- senté quelques bains où les lames atteignaient 450. II a été impossible de constater qu’elles eussent sur le ther- momètre une influence sensible. Il est arrivé plusieurs fois que la température variat du bord au large d’une façon continue, sans que le corps s'en aperçüt bien distinetement. Les deux seules fois où j'aie perçu une sensation brusque et appréciable, elle était occasionnée par une différence d’un demi- degré; ce qui prouve la grande délicatesse de nos sen- sations thermométriques. Cependant il est arrivé que, par le mème vent et la même température extérieure, l’eau ait paru sensible ment froide à 20°40 , tandis que l'avant-veille elle avait été trouvée très-chaude à 20°25. Ceci ne peut s'expli- quer que par l'influence de circonstances indépendantes de l'eau , telles que la marche avant le bain, le plus ou moins de temps écoulé entre l'enlèvement des vêtements et l'entrée à la mer, etc. 194 J'ignore si des recherches de ce genre ont déjà été faites; cela doit être. Je regrette de n'avoir point com- mencé plus tôt les miennes. Les fortes chaleurs des pre- miers jours du mois d'août ont dû présenter quelques faits curieux à signaler. Il eût été intéressant de cons- tater si le chiffre de 24° s'est maintenu constant pen- dant toute la saison des bains. Il le serait encore plus de savoir s'il se reproduit dans d’autres localités. Je l'ai retrouvé sur la plage de Contis, dans le département des Landes, en septembre; mais je n’ai eu qu’une fois l'occasion de me baigner dans cette localité. Après avoir entendu la lecture de ce travail, M. Abria dit qu'il a fait des observations analogues sur la température de l'eau de la Garonne aux bords et au milieu de la rivière, et qu'il n'a observé qu'une très- faible différence de température, qui s'explique d'ailleurs par le mouvement rapide des eaux et le mélange qui se fait de toutes leurs parties. M. Baudrimont dit qu'à la marée montante et à la marée descendante les eaux du fleuve ne se mélent que lentement avec celles de la mer ; que l'on s'en aperçoit à la différence de couleur de ces eaux : celles de la Gironde étant roussàtres et celles de la mer étant ver- tes, et qu'il y aurait un véritable intérêt à connaitre leur température. MM. Manès et de Lacolonge lisent successivement nn Rapport sur l'état industriel des États-Unis d'Amé- rique et sur les brevets d'invention qui y ont été pris dans le courant de l'année 1855. 195 Ce Rapport a été fait sur la demande de M. Ch. Mason, commissaire au Bureau des patentes des États-Unis d’A- mérique. (V. Compte Rendu des Séances de l'Acad., 7me numéro, p. 137.) IL est trop considérable et renferme trop d'objets di- vers pour qu'il soit possible d'en donner une analyse dans ce compte rendu. M. Ch. Des Moulins fait un Rapport sur deux bro- chures de M. V. Chatel, de Vire (Calvados), ayant pour titre : 1° Moyens de préserver les tubercules des pommes de terre de l'invasion de la maladie; 2 Ma- ladie des pommes de terre, maladie de la vigne. 1° L'auteur, pour préserver la pomme de terre, re- commande de tasser fortement la terre au pied de cha- que toufle, et de couper la tige le plus près possible du sol, aussitôt que l'on s'aperçoit que la maladie est déclarée sur les feuilles et qu’elle commence à envahir les tiges. C'est en juillet 1854 que M. Chatel a publié son pro- cédé, et ce n’est qu'en février 4857 qu'un naturaliste allemand, M. Speerschneider, a publié dans le journal scientifique Flora un travail botanique sur la pourri ture des pommes de terre occasionnée par le dévelop- pement des spores d'un petit champignon {Peronospora devastatriæ). « Cette moisissure se développe d'abord » sur les fanes, et ne se communique de là aux tuber- » cules que par l'effet du transport de ses spores. En » supprimant une grande partie des fanes, on empé- » cherait l'infection des tubereules, ete. » Or, ce que 196 M. Speerschneider se bornait à espérer en vertu de la théorie, M. Chatel dit lavoir obtenu en mettant en pratique les enseignements de la simple observation. 2° En ce qui concerne la vigne, c’est une répéti- tion des précédentes publications de l'auteur, qui con- tinue toujours à attribuer aux piqüres des insectes la cause première du mal (opinion abandonnée depuis longtemps par tous les hommes de science). Le vrai but de la brochure de M. Chatel est d'établir que la priorité lui appartient pour le couchage comme pour le soufrage des vignes malades. L’honorable rappor- teur s'abstient d'entrer dans l'examen de cette question de priorité. M. Petit-Lafitte prend la parole pour dire que jus- qu'à ce jour on s'est beaucoup occupé de la maladie de la pomme de terre; que bien des observateurs ont annoncé en avoir trouvé le remède ; mais qu'en réalité rien de sérieux n’a été proposé à ce sujet. M. Baudrimont dit qu'il ne peut comprendre qu'un praticien et un savant puisse dire qu'il faut suppri- mer les tiges des pommes de terre pour en arrêter la maladie; que cela ne pourrait être vrai qu'à ce point de vue, qu’en supprimant les tiges, on supprime les tubercules ; car on sait parfaitement que ceux-ci s'ac- croissent à l’aide de la séve descendante élaborée dans les feuilles de la plante. L'Académie reprend la suite de la discussion relative au procédé de M. Audoyneau pour exécuter la peinture sur verre. 197 M. le Président fait remarquer qu'il a examiné le premier Rapport fait sur les travaux de M. Audoyneau, et qu'il y a une différence réelle entre l’objet de l'ancien Rapport et celui du nouveau : Dans le premier cas, il ne s'agit que de l'exécution artistique de la peinture sur verre, et dans le second, il est question de l'em- ploi d’un émail particulier qui facilite beaucoup cette peinture. Après une discussion à laquelle prennent part MM. Dégranges, Durand, Petit-Lafitte, Baudrimont et Gout Desmartres , M. Costes propose de dire que M. Audoy- neau, continuant à bien mériter du public par ses nou- velles recherches sur les procédés matériels de la pein- ture sur verre, l'Académie lui accorde le rappel de la médaille d'or qu'il a déjà obtenue. Les conclusions de M. Costes sont adoptées. M. Marcel de Serres, par l'entremise de M. Charles Des Moulins, adresse à l'Académie un Mémoire sur les Mollusques perforants et la Description détaillée d'une huître fossile. Des remerciments seront adressés à l’auteur de ces (ravaux. M. Ch. Des Moulins fait hommage à l’Académie d'une brochure imprimée, ayant pour titre : Les Sa- vants Voyageurs à Bordeaux, discours prononcé à l'ouverture de la séance publique d'hiver de la Société Linnéenne de Bordeaux, le 4 novembre 1857, par M. Ch. Des Moulins. 198 CORRESPONDANCE. M. Coq remercie M. le Président de la lettre qu'il lui a adressée à l’occasion de l'envoi de son livre sur la Monnaie de banque ou l'espèce et le portefeuille. M. de Lachapelle, récemment nommé membre cor- respondant de l'Académie, la remercie du titre qu'elle lui a accordé. M. Bouillet, membre correspondant de l'Institut , adresse à l'Académie, par l'entremise de M. Dabas, un Mémoire imprimé ayant pour titre : l’/nshitut et les Académies de province. (MM. Dabas et Baudrimont, rapporteurs.) M. Laurent Matheron fait hommage à l’Académie d'une biographie du peintre Goya, et la soumet à son jugement, en témoignant le regret de n'avoir pu la tenir inédite jusqu'à l’époque de la fermeture du concours. (Commission : MM. Delpit, Léo Drouyn, Gorin.) M. Boucher de Perthes fait aussi hommage à l’Aca- démie du deuxième volume de ses Recherches sur les antiquités celtiques anté-diluviennes. (M. Léo Drouyn, rapporteur.) L'Administration du Muséum d'Histoire naturelle de Paris remercie l'Académie de l'envoi de ses Actes. 199 OUVRAGES ADRESSÉS A L'ACADÉMIE SUR LESQUELS- SERONT FAITS DES RAPPORTS, Journal des Savants; octobre 4854. (MM. Baudri- mont et Duboul, rapporteurs.) Mémoires de la Sociélé impériale des Sciences , de l'Agriculture et des Arts de Lille; année 4856, 2 sé- rie, 3° volume. (M. Abria, rapporteur.) Cours familier de Littérature; par M. de Lamar- tine, 24° entretien. (M. Minier, rapporteur.) Revue des Beaux-Arts, 23° livr., 4% décembre 1857. (M. Gorin, rapporteur.) Un seul appareil pour toutes les fractures du mem- bre inférieur; par L. Gaillard; Paris, 4857. (M. Cos- tes, rapporteur.) DÉPOSÉS AUX ARCHIVES. Bulletin de la Société Philomathique de Bordeaux, 2e série, 2 année; 1857; — 3° numéro, 3° tri- mestre. Proceedings of the Academy of natural sciences, of Philadelphia; 1857. (January, 20 th.) Annales de la Société d'émulation du départe- ment des Vosges; 1. IX, 11° cahier; 1856. Revue contemporaine; 1. XXXIV, 6° année, 134° live. ; 34 octobre 1857. L'Agriculture comme source de richesse, 18° an- née, n° 10; octobre 4857. De la Tolérance au point de vue médical; par le le Dr Télèphe-P. Desmartis; Montpellier, 1857. 14 200 Étaient présents : MM. Abria, É. Dégranges, Cirot de La Ville, Costes, G. Bru- net, W. Manès, Saugeon, J. Duboul , Ch. Des Moulins, Aug. Petit-Lafitte, Hip. Minier, S. Gorin, Blatairou, Léo Drouyn, Durand, À. Vaucher, Dabas, Louis-Ordinaire de Lacolonge, Baudrimont, E.-G. Desmartres, Jules Delpit, E. Gaussens, Jus- tin Dupuy, Léon Marchant. ANNÉE 1857, — 1le No. SÉANCE DU 17 DÉCEMBRE 14857. Présidence de M. ABRIA. Le procès-verbal de la séance précédente est lu et adopté. M: le Président prie l'Académie de fixer la séance publique pour la distribution des prix au 28 du mois courant. Cette proposition est adoptée. NOMINATION D'UN SECRÉTAIRE GÉNÉRAL. M. Costes ayant réuni la majorité des suffrages, est proclamé secrétaire général de l'Académie. TRAVAUX DES MEMBRES DE L'ACADÉMIE. M. le Président passe en revue les questions mises l'an dernier au concours, et propose d'en supprimer quelques-unes pour le programme qui sera publié le jour de Ja distribution des prix. 201 Cet examen donne le résultat suivant : Question sur la météorologie, proposée pour l'année 1858, conservée. Questions relatives à l'agriculture : Celle sur les machines agricoles est réservée jusqu'à ce que l’on connaisse les conclusions du rapport sur le concours actuel. Celle sur l’agriculture comparée du nord et du midi de la France est supprimée. Question du luxe. Réservée jusqu'après le rapport qui sera fait prochainement. Question de statistique. Conservée pour 1858. La question d'histoire sur Éléonore de Guyenne est conservée. La question relative à l'histoire des lettres au XVIe siècle dans la province de Guyenne est conservée. Celle sur la poésie est également conservée. Celle sur la linguistique, après discussion, est con- servée, sauf à en modifier l'introduction. La uotice biographique sur Rode, mise deux fois au concours, est supprimée. Les notices biographiques sans sujet déterminé sont conservées. M. le Président soumet ensuite à l'adoption de l'Aca- démie deux questions proposées par la Commission ins- lituée à cet effet : 1° Une Histoire du roman en France est l'objet d'une discussion. 2° Une question proposée par M. Manès sur les mo- teurs électriques est aussi l’objet d'une discussion con- 15 202 signée au procès-verbal, et est renvoyée au Conseil d'administration. M. Léo-Drouyn rappelle que dans la dernière séance qui a précédé le concours, l'Académie l’a chargé de rédiger un programme de questions relatives à l'archéo- logie. Ce programme serait adressé aux maires, aux curés et aux instituteurs des communes, avec prière de répondre aux questions posées, et des prix seraient remis à ceux qui auraient donné les renseignements les plus complets et les plus préeis. Après une discussion à laquelle prennent part MM. de Lacolonge et de La Mothe, ce programme, qui est fort long et ne peut être inséré dans ce compte rendu, est renvoyé au Conseil d'adininistration. M. Delpit adresse une lettre à M. le Président dans laquelle il propose de diviser les récompenses décernées par l'Académie en deux catégories : l'une honorifique, l’autre pécuniaire. Pour les premières récompenses, il serait décerné des médailles de bronze, d'argent et d'or, dont on n'as- signerail pas la valeur. Les secondes seraient des prix d’une valeur détermi- née qui serait soldée en numéraire. M. Des Moulins dit qu'il conviendrait mieux de ne donner que des médailles de modules différents, et dont on n'assignerait pas la valeur. M. Baudrimont fait remarquer que la proposition de M. Des Moulins était celle à laquelle le Conseil d'ad- 203 ministration s'était arrêté à la suite du concours de l'année 1856. Renvoi au Conseil d'administration. Rapport sur un travail de M. Lespès relatif aux termites, par une commission composée de MM. Abria, président, Baudrimont, Grateloup, et Ch. Des Mou- lins, rapporteur. Les conclusions du rapport sont très-favorables à M. Lespès. M. le Président résume la question et fait remarquer à l'Académie que l’art. #8 de son Règlement ne peut être mis en discussion à l'occasion du Mémoire pré- senté, et quil s’agit simplement de savoir sil doit être appliqué dans le cas présent et si l'on accordera une médaille d'argent grand module au Mémoire de M. Lespès. La proposition est mise aux voix et adoptée. Rapport sur l'É loge de Philippe Ferrère, par M. J. Lacointa. (MM. Brochon et Vaucher, rappor- teurs.) Après avoir exposé le but sérieux et élevé que l'Ordre des Avocats se propose d'atteindre en confiant chaque année la mission de prononcer un discours à l'un des avocats stagiaires, M. le Rapporteur s'exprime ainsi : «Faire l'éloge de Philippe Ferrère était une tâche » ardue, précisément parce que cet éloge est dans tou- ©» tes les bouches et dans tous les cœurs. Pour y bien » réussir, pour signaler quelques titres encore incon-- 204 nus de cet homme éminent à notre respect et à notre admiration, il fallait interroger, avec de patientes D Ÿ 4 D » investigations, une vie modeste et cachée partout » ailleurs qu'à l'audience; car c'est seulement au Palais » que la vie de Ferrère était inondée de lumière et » d'éclat. Il fallait encore découvrir quelques plaidoyers » inédits, quelques œuvres perdues, — chose difficile, » tant l'enthousiasme qu'inspirait Ferrère faisait re- » cueillir avec soin toutes les plaidoiries qu'il pronon- » Cait. » M. Lacointa a accompli avec bonheur cette double » condition. Îl a su donner sur la vie intime de Ferrère » des détails pleins d'intérêt et généralement ignorés ; » en même temps il a retrouvé des documents précieux » et des plaidoyers dont il semblait ne rester qu'un » vague souvenir. Ce mérite suflirait déjà pour faire » distinguer l'œuvre soumise à votre jugement; mais » ce mérite n'est pas le seul. Le travail de M. Lacointa » se distingue encore par un style animé, brillant, et » dont les images et les couleurs n’énervent pas la fer- » meté. » Pour faire maintenant la part de la critique, je » dois signaler quelques incorrections qui se sont glis- » sées dans ce travail. » M. le Rapporteur lit quelques passages de l'É loge de Ferrère où se trouvent effectivement des répétitions désagréables et quelques incorrections de style. « Mais ces incorrections ne détruisent pas le mérite » de l'œuvre de M. J. Lacointa, et votre commission 205 » est unanime pour vous proposer d'accorder à l’auteur » une médaille d'argent petit module. » Les conclusions du rapport sont adoptées. Rapport sur les Mémoires adressés à l’Académie pour le concours relatif aux machines agricoles; par MM. Abria, président, Baudrimont, Vaucher, et de -Lacolonge, rapporteur. «Nous avons donc l'honneur de proposer à l'Académie de déclarer que les deux études, bien que sagement conçues et rédigées, ne remplissent pas nos intentions ; qu'elles n'entrent pas assez dans le cœur de la question ; qu'elles n'examinent que trop superficiellement l’état agricole du sud-ouest de la France, et n'ont, par suite, droit à aucune récompense. » « En agissant ainsi, vous pourrez laisser la question au concours. Un an de réflexion et de recherches met- tront les auteurs à même de nous envoyer des travaux plus complets, et dont la publication pourra être utile au pays, ce qui est le but de vos constants efforts. » Les conclusions du rapport sont adoptées. Rapport sur un ouvrage de M. Martinelli ayant pour titre : Causeries de Paysans, en vers et en prose; par M. Gout Desmartres. M. le Rapporteur signale plusieurs passages qui sont bien pensés, bien écrits, et méritent l'approbation com- plète de l'Académie. Il demande que des remerciments et des félicitations soient adressés à l'auteur. Les conclusions du rapport sont adoptées. 206 CORRESPONDANCE. M. Gustave Marqfoy, ingénieur de la compagnie du chemin de fer du Midi, fait hommage à l'Académie d'une brochure ayant pour titre : Nouveau Système d'appareils électriques destinés à assurer la sécurité des chemins de fer. Des remerciments seront adressés à l’auteur. (M. Abria, rapporteur.) M. J. Belin de Launay, professeur d'histoire au Lycée impérial de Bordeaux, fait hommage à l’Aca- démie de quelques-uns de ses £ssais historiques. Des remerciments seront adressés à l’auteur. (M. Geffroy, rapporteur.) Lettre de M. Tudor Scargill, secrétaire-adjoint de la Société de Statistique de Londres, faisant savoir que les Actes de l'Académie de Bordeaux qu’elle possède sont incomplets, et demandant s’il est possible de les compléter en totalité ou en partie. (Renvoi au Conseil d'administration.) Lettre par laquelle la Société de Statistique de Lon- dres demande que l'Académie de Bordeaux veuille bien lui envoyer ses Actes. (Renvoyé au Conseil.) M." signale un changement à faire à une pièce de vers qu'il x envoyée pour le concours. Cette lettre à été remise à M. le Rapporteur du concours de poésie. 207 OUVRAGES ADRESSÉS A L'ACADÉMIE SUR LESQUELS SERONT FAITS DES RAPPORTS, Journal des Savants ; novembre 1857. (MM. Bau- drimont, et Duboul, rapporteur.) Revue des Beaux-Arts, 27° année, tome VIII. (M. Gorin, rapporteur.) Journal of the statistical Society of London, vol. XX, part 4, march 1857; idem, part 2, june 1857. (M. Brunet, rapporteur.) Statistical Society of London; — First report of the committee on beneficient Institutions, 1; — The medical charities of the metropolis. London, 1857. (M. Brunet, rapporteur.) Bulletin des séances de la Sociélé impériale et centrale d'Agriculture, 2° série, t. XIE, n°5. (M. Des- moulins, rapporteur.) Nouveau Système d'appareils électriques destinés à assurer la sécurilé des chemins de fer ; par M. Gus- tave Marqfoy; avec une lettre d'envoi. (M. Abria, rap- porteur.) Compte rendu des travaux de la Société des Scien- ces naturelles de La Rochelle pendant l'année 1856. (M. Desmoulins, rapporteur.) DÉPOSÉS AUX ARCHIVES. Guide des Déléqués cantonaux et communaux chargés de la surveillance des établissements d'ins- truclion primaire; par F. de Moyencourt. 2° édit, 208 Archives de l'agriculture du nord de la France, publiées par le Comice agricole de Lille; tom. I, n° 7; septembre 1857. Programme de Prix proposé par la Société d'Édu- cation de Lyon pour l'année 1858. L'Héroisme de l'amitié, ou Phaintias et Damon; pièce de vers, par M. J.-B. Bienaimé Pévrieu. L'Ami des Champs; par M. Ch. Laterrade. 35° an-. née, décembre 1857, n° 418. Journal d'Éducation ; par M. P.-A. Clouzet ainé. 9e année, n° 2, décembre 1857. L’'Agriculture comme source de richesse ; 18° an- née, n° 44, novembre 1857. Bulletin de la Société d'Histoire naturelle du département de la Moselle; 8° cahier, 1857. Les Savants voyageurs à Bordeaux; discours pro- noncé par M. Charles Des Moulins, président, à l'ou- verture de la séance publique d'hiver de [a Société Lin- néenne de Bordeaux. Tarif de la fabrique d'orfévrerie argentée de la maison Thouret, de Paris. (2 exemplaires.) Étaient présents : MM. Abria, J. Duboul, Girot de La Ville, Costes, Fauré, G. Brunet, Saugeon, G. Dégranges, Aug. Petit-Lafitte, S. Gorin, Léo Drouyn, Durand, Hte Minier, De Lamothe, Charles Des Moulins, V. Raulin, Louis-Ordinaire de Lacolonge, Jules Delpit, G.-Henry Brochon, Léon Marchand, Grateloup, À. Baudrimont, À. Vaucher, Dutrey, Dabas, E. Gaussens, E. Gout Desmartres. 209 ANNÉE 1857.-— 12° No SÉANCE DU 23 DÉCEMBRE 1857. Présidence de M, ABRIJA, M. Piogey, avocat à Paris, fait hommage à l'Acadé- mie de six exemplaires de son Mémoire sur le morcel- lement du sol, qui a remporté une médaille d'or au concours de l'année 1856. N Des remerciments seront adressés à l'auteur. Rapport sur un appareil électro-médical de M. Huyn, par une commission composée de MM. Abria, prési- dent, Baudrimont, et Costes, rapporteur. Conclusions : « En dernière analyse, l'appareil de M.Huyn, sans offrir de ces perfectionnements qui mar- quent un progrès exceptionnel, nous parait être cons- truit d'après de bons principes, être d'un facile manie- ment, marcher avec régularité et assez longtemps pour produire les effets attendus de l'application médicale de l'électricité. En conséquence, l’auteur de cet appareil nous parait mériter la bienveillance de l'Académie, et 210 nous proposons de la lui témoigner en lui accordant une médaille de bronze. » M. Petit-Lafitte fait remarquer qu’une médaille de bronze est un bien faible encouragement pour un homme qui possède des connaissances positives et un véritable talent d'exécution pour les instruments de phy- sique, et qu'il conviendrait de donner une médaille d'argent petit module. La Commission se rallie volontiers à l'opinion de M. Petit-Lafitte, et les nouvelles conclusions du Rap- port sont adoptées. Rapport sur le concours de poésie par une commis- sion composée de MM. de Bourdillon, de Gères, Gout Desmartres, et Minier, rapporteur. L'Académie a reçu 21 pièces; 14 ont été mises de côté. Les 7 restantes sont : N° 303, le Second Martyr. N° 378, l'Amour des Champs. N° 376, les Devoirs du Poète. N° 381, le Coup de Dé. N° 305, les Regrets d'un Vieillard. N° 383, les Pervénches. N° 423, le Poète. Le Rapporteur cite quelques fragments du Second Martyr, de l'Amour des Champs, des Devoirs du Poèle; puis il conclut en demandant deux mentions honorables : 211 La première, pour l'auteur des Regrets d'un Vieillard. La seconde, pour l’auteur des Pervenches. Quant à la dernière pièce, le Poète, celle qui à paru à la Commission mériter la place d'honneur dans ce concours, elle est lue en entier. Après cette lecture, M. Minier s'exprime ainsi : « Le seul défaut de cette poésie est un défaut dont » l’auteur se corrigera toujours trop vite, la jeunesse. » Oui, il y & exaltation, effervescence, délire, dans ces » vers qui jaillissent en désordre d’une jeune tête tour- » mentée par l'inspiration, comme les étincelles d'un » brasier dont le vent surexcite l'ardeur; oui, tout » cela pourrait être mieux pensé, mieux coordonné, » mieux dit, et néanmoins tout cela est charmant: » charmant, parce que c’est jeune! » La Commission est unanime pour émettre le vœu qu'une médaille d'encouragement soit décernée à l'au- teur du Poète. L'Académie, après avoir entendu les conclusions de ce rapport, accorde : - 1° Une médaille d'argent petit module à M. Camille Dessioux, maitre-adjoint à l'École normale primaire des Landes, à Dax, pour la pièce de vers n° 423, in- titulée le Poète ; 2° Une première mention honorable à M. Bravet, propriétaire à Bazas, pour la pièce de vers n° 305, les Regrets d'un Vieillard ; 3° Une deuxième mention honorable à Me Anaïs Fillatre, de Bordeaux, pour la pièce de vers n° 383, intitulée les Pervenches. 212 Rapport sur la question du Luxe, par une Commis- sion composée de MM. J. Dupuy, Gaussens, Saugeon, et Duboul, rapporteur. L'Académie a reçu six Mémoires, qui ont été inscrits sous les n° 302, 306, 320, 372, 373 et 374. Conclusion du Rapport : « En résumé, Messieurs, des six Mémoires qui ont » été adressés à l'Académie sur la question du Luæe, » un seul nous a semblé digne de quelque estime et » mériter d’être mentionné honorablement. Telle est la » conclusion prise à l'unanimité par la Commission » dont j'ai l'honneur d'être l'organe. » Nous vous proposons encore de maintenir sur » votre programme une question qui n’a pas été traitée » d'une manière assez satisfaisante pour obtenir le prix, » mais dont l'intérêt augmente chaque jour, et qui est » digne de l'attention comme des méditations de tous » les esprits sérieux. » Aux termes du Règlement de l'Académie, le nom des auteurs des Mémoires qui obtiennent une mention honorable sont proclamés. L'Académie, pensant que l'auteur du Mémoire n° 374, ayant pour épigraphe : Vita rustica, sine dubilatione proæima et quasi con- sanguinea sapientiæ, etc., Columelle, peut, en per- fectionnant son-travail, obtenir une récompense plus élevée, ne lui accorde pas de mention honorable, et remet la question au concours. Rapport sur un Mémoire intitulé : Notice sur Pierre de Brach, poète bordelais du XVI: siècle, ayant pour 213 épigraphe : Sunt bona, sunt quædam mediocria, sunt plura mala, par une Commission composée de MM. H. Brochon, Léo Drouyn, et Saugeon, rapporteur, auxquels s'est joint M. Abria, président de l'Académie. «.... Ainsi, nous pensons, toute compensation » établie, que l'auteur n’a pas démérité du côté du » style; nous reconnaissons dans son œuvre un travail » d'érudition digne des plus sérieux éloges; enfin, ses » jugements portent l'empreinte de la raison et du bon » gout. » Votre Commission, Messieurs, à la majorité de » trois voix contre une, vous propose d'accorder à » l'auteur de la Notice sur Pierre de Brach, poète » bordelais, une médaille d'or de la valeur de 400 fr. » S M. Dégranges fait ressortir toutes les qualités de ce travail, et démontre qu'il est hors ligne et mériterait le prix entier, qui est une médaille d'or de 200 fr. La Commission se ralliant à l'opinion émise par M. Dégranges, l'Académie accorde le prix entier. L'auteur du Mémoire couronné est M. Dezeimeris, demeurant à Bordeaux, Maison Daurade, n° 9. Rapport sur un ouvrage imprimé de M. Laurent Matheron, intitulé : Goya, par MM. Gorin, Léo Drouyn, et Jules Delpit, rapporteur. « Ce livre est écrit d’un bout à l'autre avec un soin, » une élégance, une correction et une habileté qui ne » se démentent presque jamais. » elotste ete MAD NSIS eee" v'ielulente © (01e 1e, © ser 'e » CA ) » » » » » » » » » 214 « La pureté et le charme du style de M. Laurent Matheron n'ont pas empêché votre Commission d'a- percevoir çà et là quelques légères incorrections ou inadvertances ; mais qui est-ce qui n'en commet pas ? » « Le travail de notre jeune compatriote est consacré à la vie d'un artiste dont nous pouvons revendiquer la gloire; c'est un livre charmant et léger, mais utile et profond, et votre Commission a été unanime à vous proposer de saluer son apparition par un témoi- gnage de haute sympathie, en lui accordant la mé- daille d'or que l’art. 48 de votre Règlement vous per- met de donner. » L'Académie accorde à M. Laurent Matheron, chef de Division à la Préfecture de la Gironde, une médaille d'or de 100 fr., pour sa Notice sur Goya. Rapport sur un travail manuscrit intitulé : Le bien- être du peuple; par M. Ourliae, par une Commission composée dé MM. Abria, président, Costes, et Manès, rapporteur. CA DA CA ) 4 ) S ) Conclusions du Rapport. « D'après tout ce qui vient d'être exposé, nous som- mes d'avis d'informer M. Ourliac que le défaut observé dans son Mémoire, de tous documents scientifiques et de toutes évaluations de dépenses et de produits, fait regretter à l'Académie de ne pouvoir lui accor- der aucune des distinctions qu'il a sollicitées. » Les conclusions du Rapport sont adoptées. 245 Rapport sur l'École des Poètes, comédie-vaudeville imprimée; par MM. Anthelme Roux et Hector Berge, fait au nom d’une Commission composée de MM. Du- trey, Vaucher, et Cirot de La Ville, rapporteur. M. le Rapporteur termine en disant aux auteurs et en empruntant leurs propres paroles : « Permeltez-moi de vous donner en passant un petit » conseil dans cette langue accentuée des vers que » VOUS aimez : » Monter Pégase est un art difficile ; » Il faut d’abord, avant de l’enfourcher, » Bien s'assurer que la bête est docile, » Car on pourrait aisément trébucher. » Votre Commission, Messieurs, adopte cette conclu- sion : si elle devient pratique, ce sera le meilleur mor- ceau de l'École des Poètes. Rapport sur un ouvrage intitulé Manuel du Sou- freur de vignes, par M. de La Vergne, fait au nom d'une Commission composée de MM. Abria, président, Baudrimont, Fauré, et Raulin, rapporteur. Conclusions du Rapport : « Après avoir terminé l'examen du Guide de M. de » La Vergne, votre Commission se plait à reconnaître » et à vous dire que son auteur s’est toujours tenu aux » avant-posles pour préconiser dans la Gironde l’em- » ploi du soufre contre la maladie de la vigne. » Par ses expériences continues depuis 4852 dans 216 diverses propriétés (surtout les siennes) de Ludon et de Macau, il a pu arriver à établir des règles certai- nes pour le soufrage à sec. Par ses nombreux écrits insérés dans les journaux de Bordeaux, il a eu une grande influence sur la propagation de cette mé- thode du soufrage à sec, qui, après six années d'emploi, paraît toujours le meilleur remède que l'on connaisse contre l'oidium. » Son esprit inventif l'a porté à ajouter suecessive- ment une boîte à tamis et un soufflet très-simple, qui sont du meilleur emploi pour le soufrage. » Enfin, dans son Guide du soufreur de vignes, il donne surtout les signes auxquels on peut recon- naitre le moment où le soufrage d’un vignoble devient nécessaire, et les meilleurs procédés pour pratiquer celui-ei. » Votre Commission vous propose done de remercier M. de La Vergne de l'envoi de son ouvrage, et de lui exprimer toute votre satisfaction des résultats impor- tants auxquels il est parvenu. » « Telle est l'opinion de deux membres de la Commis- sion formant la majorité par suite du double vote du président; mais les deux autres membres formant la minorité, à laquelle appartient votre rapporteur, pensent qu'il y aurait opportunité de faire plus; ils vous demandent de faire une application de l’art. 48, et de décerner à M. de La Vergne une médaille d’en- couragement. » Une discussion s'établit sur ces conclusions; mais l’Assemblée n'étant plus en nombre suflisant pour dé-’ libérer, ce sujet est renvoyé à une prochaine séance. Étaient présents : MM. Abria, J. Duboul, Costes, À. Petit-Lafitte, Durand, Léo Drouyn, H. Minier, À. Geffroy, E. Dégranges, Saugeon, Dutrey, Baudrimont, Louis de Lacolonge, W. Manès, Cirot de La Ville, Lamothe, Fauré, V. Raulin, Marchant, Justin Dupuy, Blatai- rou, E. Gout Desmartres. Bordeaux. — G. GounouiLuou, Imp. de l’Acadmie, pl. Puy-Paulin, L. Te Fi 2 Aout du meitlous nm le à | » Kuga. sit: Gui D Rem RE ai 5 D dynge sunrout les Sdués diner HR peaU Teens - atadmpire, dE es LE press Qi. ete r'équrf # ” MES 3x TE PER AE CE sn ME da Vergar de. Vert Qi fon eV rade ut dde Hit | # gp jt Avue dette run Aa re _ Hls aogugie dpt partie. we LEE ro “fût le MORIN Prase dh Vigo rs Ca x RL. tele ra lopitien dt Rene 1 | 2 fa ffnqut laioile pd suite dudoubir rota da. » présidéss ; hais lea den.atioes: achat Moi ds. » pensent Qui: satin apart) faire: bles: He » “ous derdinlens. ue faim apphen tion de Mar +) chere. ns ne el à quelle snpuitent Inner, + OFFICIERS DE L'ACADÉMIE DE BORDEAUX, pour l'année 1858, MESSIEURS CIROT DE LA VILLE (l'abbé), Président. DUTREY, Vice-Président. COSTES, Secrétaire général. DOTE LR | Secrétaires-adjoini PETIT-LAFFITTE, | se, dt ÉAURÉ : it Tresorier. G. BRUNET... Archiviste. ABRIA, \ GAUSSENS, | Membres du Conseil d'ad- Ht MINIER, \ ministration. SAUGEON, 16 290 TABLEAU DES MEMBRES DE L'ACADÉMIE DE BORDEAUX, arrêté au 31 décembre 1857. Membres Honoraires. DONNET { FerpiNaND ) #%, cardinal, archevêque de Bor- deaux. MM. BRYAS (ne) #%, ancien maire de Bordeaux. GURÉ ( Gusrave }, ancien maire de Bordeaux. DUFOUR-DUBERGIER, ancien maire de Bordeaux. LACOSTE (pe ), ancien préfet de la Gironde. ACOUR, aacien membre résidant, correspondant de l'Ins- titut. NEVEUX, ancien préfet de la Gironde. SERS (LE BarON }, ancien préfet de la Gironde. YZARD, ancien membre résidant, ancien conseiller à la Cour d'appei de Bordeaux. GUESTIER sono (P.-F.) 3%, négociant, ancien mem bre résidant. HAUSSMANXN 3%, ancien préfet de la Gironde. | MENTQUE (pe) %, préfet de la Gironde. dual 1821. 1823. ‘1823. 1826. 1826. 1828. 1836. 1837. 1837. 1839. 221 Féosnbres Hésidanuts. MM. LATERRADE, direct" du Jardin des Plantes. GINTRAC père %, professeur à l'École préparatoire de médecine, rue du Farlemt Ste-Catherine, 22. GRATELOUP (ne), docteur en médecine, rue Mon- bazon , 19. DURAND (G.-J. ), arehitecte, rue Michel, 16. DES MOULINS (Cnarzes), président de la Société Linnéenne de Bordeaux , rue de Gourgues, 9. MARCHANT (Léox }, docteur en médecine, rue Porte-Dijeaux. FAURE, pharmacien , adjoint de maire , fossés Bour- gogne, 9. PETIT -LAFSTTE , professear d'agriculture, rue Henri IV. DÉGRANGES (E. ), docteur en médecine , rue Ste- Catherine, 25. GOUT DES MARTRES %, avocat, chemin de Saint- Genès, 161. . BRUNET ( Gusrave }, secrétaire de la Chambre de commerce, hôtel cle la Bourse: . ABRIA 3%, professeur de physique et doyen de la Faculté des Sciences, quai de Bacalan, 15. 2, LAMOTHE (Léoxce), inspecteur des établissements de bienfaisance, rue Servandony, 8. . GAUTIER avé ee, maire de Bordeaux , rue Blanc- Dutrouilh, 18. . MANES %, ingénieur des mines , ruelle des Cossus. . SAUGEON,, professeur de belles-lettres, rue de la Taupe, 45. 222 . MM. RAULIN, professeur de botanique, de miné- ralogie et de géologie, à la Faculté des sciences. . DELPIT, littérateur, cours d'Albret, 42. + DUBOUL ( Jusr-ALBerT }, littérateur, rue de Sau- geon. . BAUDRIMONT, professeur de chimie à la Faculté des Sciences, rue des Herbes, #2. . LÉO DROUYN, peintre et graveur, rue de Gasc, 143 . IMBERT DE ROURDILLON #% (Marquis n'), con- seiller à la Cour impériale de Bordeaux, cours d'Albret, 88. GORIN, peintre, rue Saint- Dominique, 2. . DABAS, professeur de littérature ancienne et doyen de la Faculté des Lettres, cours d'Aquitaine, . CIROT DE LA VILLE, chanoine honoraire, pro- fesseur d'Ecriture sainte à la Faculté de Théolo- gie, rue de la Concorde, 10. . COSTES, professeur à l'École préparatoire de Me- decine, rue Baubadat, 25. . BROCHON ( Henry ), avocat, rue Margaux, 22. . BLATAIROU, chanoine honoraire, doyen de la Fa- culté de Théologie de Bordeaux, rue Montmé- jean, 36. . DUPUY (Jusrix ), homme de lettres, rue Gouvion. . GÈRES ({ Juces pe ), homme de lettres, place Dau- phine, 35. . À. VAUCHER. avocat, rue Devise-Ste-Catherine, 55. . O0. DE LACOLONGE, capitaine d'artillerie, ins- pecteur de la poudrerie de Saint-Médard, . MINIER ( Hvprorire ), homme de lettres, rue de la Prévôté, 24. . DUTREY, recteur de lAcadémie de Bordeaux, cours du XXX Juillet. 223 1856. MM. LAGRANGE (Marquis ne), sénateur, membre de l'Institut. 1856. BOUCHEPORN (pe), ingénieur des mines, cours du XXX Juillet. 1856. GEFFROY, professeur d'histoire à la Faculté des let- tres de Bordeaux, rue de l'Église Saint-Seurin. 1857. GAUSSENS, curé de Saint-Seurin, rue de l'Église- Saint-Seurin. 1858. LESPINASSE, botaniste, rue du Vaux-Hall, 1. 1858. ARMAN { Lucien }, ingénieur de constructions na- vales, quai Sainte- Croix. Membres Correspondants. MM. ABRAHAMSON (n°), homme de lettres, à Copen- hague. AUSSY (H. »’), de Saint-Jean-d'Angélv, membre corres- pondant de {re classe de l'Institut de France. AYMARD ( AuGusTe ), au Pur. BACCI (ne), professeur de philosophie, à la Mirandole. BALBI ( Aprie ), littérateur, à Paris. BAREYRE, médecin vétérinaire, à Agen. BARRAU, professeur de rhétorique, à Niort. BASCLE DE LAGRÈZE (Gusrave }, conseiller à la Cour impériale de Pau. BEAULIEU, antiquaire , rue du Cherche-Midi, 13, à Paris. BLOSSAC (ne), ancien magistrat, à Saintes ( Charente- Inférieure ). BONNET DE LESCURE, officier du génie maritime , à Ro- chefort. BORDES, conservateur des hypothèques, à Pont-Lévêque { Calvados ). 224 MM: BOUCHEREAU seuxe %, correspondant agricole ‘à Carbonnieux. BOUCHER DE PERTHES, directeur des contributions di-: rectes, en retraite, à Abbeville. BOUCHERIE %,. ancien membre résidant, docteur en mé- decine, à Paris. BOUILLET ( Jean-BaprisTe ), naturaliste, à Clermont-Fer- rand, département du Puy-de-Dôme. BRONDEAU ( Louis pe), naturaliste, à Estillac, près d'Agen. BOURGEOIS DE TUÜRCOING, docteur-médecin. BOURRAN (E. »£ ), littérateur, à Bruxelles. BURGADE,, à Libourne. CUISINE ! pa), conseiller à la Cour impériale de Dijon. CASTAIGNE (Eusëse ), bibliothécaire, à Angoulême. CAVALLERO (1J.-B.), avocat à Valence ( Espagne ). CAVENTON, chimiste, rue de Gaillon, 18, à Paris. CAZEAUX, propriétaire, correspondant agricole, à Béliet. CGAZENAVE DE LIBERSAC, propriétaire à Saint-Capraise ( Dordogne ). CAZENAVE DE PRADINES, au Passage, près d'Agen. CHAPUIS DE MONTLAVILLE (LE BARON ), sénateur, lit- térateur, rue de Rivoli, à Paris. CHASSAY (L'assé Énouarn), professeur de philosophie au Grand-Séminaire de Bayeux. CHEVALIER, pharmacien -chimiste, quai Saint-Michel , 95, à Paris. COMARMON (De), à Lyon. CONTENCIN {ve }, ancien membre résidant, à Paris. COQ ( Pauz ), ancien membre résidant, à Paris. BOURGEOIS DE TURCOING, docteur-médesin. COUERBE, propriétaire, à Verteuil, en Médoc, arrondis- sement de Lesparre. DAGUT., astronome, à Rennes. 2% MM, DARMAILHAC, correspondant agricole, à Pauillac. DEMOGEOT, professeur de rhétorique au Lycée impérial Saint-Louis, 45, rue Vieille Estrapade, à Paris. DÉPIOT-BACHAN, correspondant agricole, à Saucats. DERBIGNY (Valéry), directeur des domaines de 1'° classe en retraile, à Arras. DESCHAMPS (E. ), litérateur, à Versailles. DINAUX , à Valenciennes ( Nord ). DROUOT, ingénieur des mines, à Chälons-sur-Saône, DUBROCA, médecin, à Barsac. DU BURGUET, maire d'Allemans, près de Ribérac, dépar- tement de la Dordogne. DUFAU ris, directeur de l'Institution des Jeunes-Aveu- gles, à Paris. DUMÉGE , ancien ingénieur militaire, à Toulouse. DUMONCEL (Tu.), président de la Société Naturelle de Cherbourg. DUMONT (Gasron), inspect' des eaux minérales, à Paris. DUPERRIS , médecin, à la Nouvelle-Orléans. DUPLAN ancien capitaine d'artillerie, à Castelmoronr, dé- . partement de la Haute-Garonne. DUVIVIER ( Axrony ), archéologue, à Nevers. ELWART, musicien, rue Bréda, 26, à Paris. FABRE, médecin, à Villeneuve-sur-Lot. FEUILLERET, professeur d'histoire au Collége de Saintes. GAUDRY (AzserT), docteur &s sciences naturelles, atta- ché au Muséum d'histoire naturelle de Paris. GAVARRET, professeur de physique à la Faculté de Méde- cine de Paris. GIMET DE JOULAN, homme de lettres, à Nérac. GINDRE (Jures ), ingénieur des mines, à Itxassou, par Bayonne et Cambo. GASSIES , naturaliste, à Bordeaux. 226 MM. GIRARDIN, professeur de chimie à l'École municipale et à l'École d'agriculture de Rouen, correspond de l'Ins- titut ( Académie des Sciences, etc. ). GOURGUES (1e cours DE), à Lanquais (Dordogne). GRAGNON- LACOSTE, ancien notaire, à Ste-Croix -du- Mont. GRIMAUD, avocat, à Grenoble. GREEN , à Paris. GRELLET-BALGUERIE, juge à la Guadeloupe. GUADET, S-directeur de l’Institution des Jeunes-Aveu- gles, à Paris. GUILLAND, capitaine d'artillerie, à Belley. HAYS, S‘-commissaire de marine, chef de comptoir à Mahé. HEYER, docteur médecin, à Pondichéry. HEEMSKERK , juge au tribunal d’arrondissement, à Ams- terdam. JASMIN, littérateur, à Agen. JOUBERT, correspondant agricole, à Paris. KERCADO (LE ComTE DE), correspondant agricole, à Gra- dignan. LACHAPELLE (pe), régent de rhétorique au Collége de Cherbourg. LAFERRIÈRE, avocat, ancien professeur à la Faculté de Droit de Rennes, inspecteur général de l’enseignement supérieur pour le droit, rue Madame, 8, à Paris. LAGATINERIE ( pe }, commissaire de la marine, à Fontainebleau. LANET { Épouarp), ancien membre résidant. LAPOUYADE, archéologue, président du tribunal de pre- mière instance, à La Réole. LAGRÈZE (ne), à Pau. LA PYLAIE (ne), naturaliste, à Fougères , département d'Ille-et-Vilaine. 227 MM::LE BIDART DE THUMAIDE (pe), magistrat, secré- {aire général de la Société libre d'Émulation, à Liège. LEGUAI, docteur médecin, correspondant agricole, à St- Aubin, canton de Saint-André de Cubzac. LEMONNIER {Cun.), avocat, à Paris. LERMIER, rue Porte-d'Ouche, 1. LEROY (Ferpinanp), ancien membre résidant, rue de Varennes, à Paris. LEVY (Auausre), professeur de mathématiques, à Rouen. LIAIS { Emmanuez ), physicien, attaché à l'Observatoire de Paris. MAGEN, membre du jury médical du Lot-et-Garonne, pharmacien, à Agen. MAHON DE MONAGHAN | EuGëxe }, chancelier de {"° cl. du consulat impérial de Cardiff { Saint-Germain-en- Laye). MAILLE, professeur agrégé de la Faculté de médecine de Strasbourg. MARCEL DE SERRES, conseiller à la Cour impériale de Montpellier, prof* à la Faculté des Sciences de cette ville. MARTIN, docteur médecin, à la Paz. MAURY (Azrreb), avocat, Ss-bibliothécaire de l’Institut de France. MÉTIVIER (1e coure pe ), archéologue, à Arx, par Ga- barret ( Landes ). MICHAUD, chef d'institution, à Ste-Foy-la-Grande. MICHELOT, ancien officier du génie, à Paris. MICHON (L'a8sé }, chanoine honoraire, à la Valette, près Angoulême. MILLER (L'assé ), curé d'Izon, près de Libourne. MITRAUD {l'abbé Tr. ), directeur du Collége de Billons { Puy-de-Dôme }. MOREAU { César }, homme de lettres, à Paris. 228 MM. MOREAU DE JONNES, naturaliste-géographe, mem- bre de l'Institut de France, à Paris. NAYRAL (MaLorRe ), lillérateur, juge de paix, à Cas- tres, département du Tarn, O'REILLY, curé à Montferrand ( Gironde ). PAIGNON, avocat à la Cour de Cassation. PAYEN, docteur médecin, à Aix. PÉCOUL , ancien représentant du peuple, présid' de la So- ciété d'agriculture et d'économie rurale de la Martinique. PERNET, directeur du Collége de Salins. PERREY, professeur à la Faculté de Dijon. PIORRY (P.-A. ), professeur de clinique médicale à la Fa- culté de Paris. PUYBUSQUE ({ An. De), liuérateur, rue Bourgogne, 40, à Paris. RAFN (Cu.-CurÈtiex ), professeur de philosophie, à Co- - penbaguc. REUME ({ AuGusre pe ), à Bruxelles. RENAN | Enwesr ), agrégé de philosophie, employé au dé- parlement des manuscrits à la Bibliothèque Impériale de Paris. RÉSAL, ingénieur des mines. RICHARD ( Davin ), ancien membre résidant, directeur de l'Asile des aliénés de Stephensfeld ( Bas-Rhin ). RIFAUD (J.), homme de lettres, à Paris. ROBINET, professeur du cours d'industrie séricicole, rue Jacob, 48, à Paris. ROOSMALEN (ne }, professeur de littérature, rue du Jar- dinet, 11, à Paris. ROUX-FERRANT, homme de lettres. RUELLE, ancien membre résidant, recteur en Corse. SAINT-ANGE (MaRTIN ). SAINT-DIZIER, professeur d'histoire, à Bergerac. 229 MM. SAMAZEUIL, avocat, à Nérac. SCHULTZ, botaniste, à Wissembourg ( Bas-Rhin ). SÉDAIL, ancien membre résidant, littérateur, rue de la Nation, 10, à Montmartre. SISMONDA ( EuGÈne }, docteur médecin, à Turin. , SOYER-WILLEMET, naturaliste, à Nancy. TARRY, médecin, à Agen. THURMANN, ancien directeur de l'École normale du Jura bernois, à Porrentruy ( Suisse, canton de Berne ). TUPPER, naturaliste, à Paris. VALADE - GABEL, ancien membre résidant, directeur honoraire de l'institut des Scuris-Muets de Bordeaux , rue d'Enfer, à Paris. VALAT, ancien membre résidt, ancien recteur à Rhodez, rue Paradis-Poissonnière, 2. VALERNES { LÉ vicouTE DE ), homme de lettres, à Sault, département de Vaucluse. VALLOT, médecin, à Dijon. VANHUFFEL, jurisconsulte, rue Méhul, 1, à Paris. VAUVILLIERS , inspecteur divisionn. des ponts et chaus- sées, rue Duphot, 23, à Paris. VINGTRINIER, médecin des prisons de Rouen. WATEVILLE (LE BARON DE), inspecteur des établissements de bienfaisance de la ville de Paris, rue du Faubourg Saint-Honoré, 14, à Paris. Kerr gen MUTN Ts troie Ut PRES eee «rs Er ÿ“. PRES ’ ; L de: CARE à 8 PU ATP: Ru Lime AU NE ee he we. | D" EE one cu dm Re = NT ART ER à CAL SAONE ETES PAR Le 23 So>o>p>Z>ZZ>>È————————————……"”"’"”…" ’°…”- ._—_ _—_ TABLE DES MATIÈRE DE LA DIX-NEUVIÈME ANNÉE. Pages. Rapport sur le Concours d'anatomie et de physiologie de l’année 1856; par M. Baudrimont, rapporteur... 5 Rapport sur le Concours relatif à la question du mor- cellement; par M. Duboul, rapporteur. .......... 13 Rapport sur le Concours relatif aux inondations; par M, Manèés ; rapporteur: 2208 mere RON 45 Rapport de M. Henry Brochon sur le Concours pour le prix offert par M. le baron de Damas sur le paupé- riNme NME SMRNAN R RSEMNNORENTL 29 81 Mémoire sur le paupérisme ; par M. de Lachapelle.... 115 Rapport sur un Mémoire envoyé à l’Académie pour le Concours sur la question relative à la langue et à la littérature romanes; par M. Delpit, rapporteur. ... 179 Rapport sur l'ouvrage de M. Émile Laurent sur les So- ciétés de Secours Mutuels; par M. Brunet, rappor- OM Te ne à ete Ne ee 210 D dotner eee 189 Rapport sur une coupe en bois sculptée, exécutée par M. Lagnier, soumis à l'appréciation de l’Académie par M. Henry Brochon; par M. Henry Brochon, rap- A eee 0 eee con aeuee 191 Pisciculture pratique ; par M. Millet, inspecteur des fo- 22 MARS à: : PO NO PERTE ET 197 232 Un songe dans l’Attique; par M. Lesguillon, de Paris. 239 Les Lugues, vallée du Ciron et de l’Avance; par M. Samazeuilh, membre correspondant. ......... 249 La langue et la littérature romanes ; par M. £. Dessalles, archiviste de la Dordogne, etc. 52.5 0. 20 295 M. de Eamartine et le cours familier de littérature: par Mabubouts SNS SRE ER DT 389 Une étude sur le crédit agricole; lu par M. Saugeon.. 415 Mémoire sur le port de Liverpool; par M. Eugène Mahon de Monaghan , vice-consul de France, à Car- ” PE SR PRET PR En ten le M et El 499 Discours de M. Abria, président. ( Séance annuelle du : : è 28 décembre: 185% hab . M aq DORL. adatn ti à 513 Rapport sur la situation de l'Académie Impériale de. Bordeaux, pendant l’année 1856-1857, lu dans la séance publique du 28 décembre 1857; par M. Bau- drimont, secrétaire général. ......,,,,:.....0.. 031 Rapport sur le Concours de poésie de 1857; par M. He Minéer;rapporteun:aél ab. grarpal 41 Meme derifle y 547 Rimes buissonnières contre l'uniformité; par M. J. de Gères sion. cl. bé 1587-4800 de où ae ab 567 Programme des Prix décernés par l’Académie Impériale des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Bordeaux, pour l’année 1897, et des questions mises au Con- cours pour les années 1858 et 1859. { Séance publi- que du,28 décembre! 857.) «faut. mur. le 585 Compte, rendu des SEANCES. re 0. il Officiers de l'Académie pour l’année 1858........... 219 Tableau des membres de l'Académie............... 290 (es Mo. Vif fl | 1 Li 4Y Ye MAL VUY HS JYvUV À ' AUS Y vi AT TEUS LUE IV Nue Mu ne ARR VONVV EVE CE Y | VU AM DES AU É MA 1Ÿ VEV VW ont VYUV UV VY M | … 1 É Les LT A Vi sat ‘UN Ü NVY ÿ SES EVE ELU VEUT 4 #7. NT | Nb U UE NUM EU EE Fo + A L ! VÉVMUENE VAL FYYUUV RATE NN NN “ UN NAN NON D" YNSENNANV/N St MA ML AN JUMWE 4 J\ VA) PE SN AE VA Een | Ye CUS EYE us EH ÉMMAME Av À MY Av CE VE W pan En M MAS VU hd LA A VU d | | YU UN NU 1 VY M SAMY CAMP Mao TENUNT Re “ : Aa MAÉ CA ANS TNA RAPAAA TE ( V v V re uv M VUUNUU UE APR A A L' y VMGYE VV VU Le & MANS MAS | LUE EU SRI FU WE | Asa Un VA LAMY Me ile _—_ vis ut ue PU AE ÿ ES PUVY ER AA ÿ ra Ces Re Ÿ AATTAUUNNTE Va MU TETE AM W) UV À | PA vw Ë Se re ve v AAA LUE VYUE, HAUT CUVÉE VIA MRC Ed 7 SNS “KR W TS JM VYVY vw v. PU RAM A AM vL API AN VA TANT 1 AMEL ARE A: Née at M ie | Us AU 5 non rca Fe CUVE ÿ Le a MW f AE MAN WW AM MAL LUE A7 VUU: 4 \ à Ve / YU UV V mutté ÿ FA AL = hs Mie VV YU y MAX V k UNS È NN SES UNE Le Ÿ& Vu Ÿ y ) IN * RAM AU AR AA Woty W RES : se MR AE AA MERE L SE ue RATES UUUUVY Ne KT JE v” dd ve ve AU uv y Pet INAÆ I RS AA LE RAvI ER: , V Û YYVLNA / A HAN rs au Je 4 | MAR CCC Ai re mur AUS Ait AU FARM NANINIVNIO 40 Sa MY VOS EC dés Ÿ nai PEVAUY PAM A UN Ave ae 1 ie M M | ll VER A | NTM RE Le AN EU | MAUR APR AMEN AAA AA UN | | ENS MAMAN VV AVMNNARN EE M MW MUVVV ÿ in ve A Me VIN EU VW PA AA YUYUYV y VEN AU, UUE ave USERS RANE 2 | °W ENT “as Pr ut dt Mi WA UE M Ÿ " Nÿ à WA \ | NV V) y GG N LATE IA AN ! ( Wei vu NW = Se Fay \ MYUVUY Vu MA 7 7 MUUSE A LV RAA ARE MAR “vu Ÿ ANEU >) » à D | D) ES SE SENTE NV YUYUNUUUU UN EM PEN Phpig ke | AA 4 Le VU S de is YVUV SN wS Tr Vi ÿ