1: ANNALES .. ï 4 : DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE . FRANÇAISE ET ÉTRANGÈRE ve ME pré -*. Comité de rédaction des Annales. Rédacteur en chef : L. GRANDEAU, directeur de la Station agronomique de l'Est. Secrétaire de la rédaction : H. GRANDEAU, sous-directeur de la Station agronomique de l'Est. U. Gayon, directeur de la Station asronomique de Bordeaux. Guinon, directeur de la Station agro- nomique de Châteauroux. Margottet, directeur de la Station agro- nomique de Dijon. Th. Schlæsing, de l'Institut, professeur à l'Institut national agronomique. E. Risler, directeur de l’Institut na- tional agronomique. A. Girard, professeur à l'Institut na- tional agronomique. A. Müntz, professeur à l'Institut na- tional agronomique. A. Ronna, membre du Conseil supé- rieur de l'agriculture. Ed. Henry, professeur à l'École na- tionale forestière. E. Reuss, inspecteur des forèts à Alger. Correspondants des Annales pour l'étranger. ALLEMAGNE. L. Ebermayer, professeur à l'Univer- sité de Munich. J. Kônig, directeur de la Station agro- nomique de Münster. Fr. Nobbe, directeur de la Slation agronomique de Tharand. Tollens, professeur à l'Université de Gôttingen. ANGLETERRE. R. Warington, chimiste du laboratoire de Rothamsted. Ed. Kinch, professeur de chimie agri- cole au collège royal d'agriculture de Girencester. BELGIQUE. A. Petermann, directeur de la Stalion agronomique de Gembloux. CANADA. Dr O0. Trudel, à Ottava. ÉCOSSE. T. Jamieson, directeur de la Station agronomique d’'Aberdeen. ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE. E. W. Hilgard, professeur à l’Univer- sité de Berkeley (Californie). HOLLANDE. A. Mayer, directeur de la Station agro- nomique de Wageningen. ITALIE. A. Cossa, professeur de chimie à l’'E- cole d'application des ingénieurs, à Turin. NORWÈGE ET SUÈDE. Zetterlund, directeur de la Station agronomique d'Orebro. Dr Al. Atterberg, directeur de la Sta- -tion agronomique et d'essais de se- mences de Kalmar. SUISSE. E. Schultze, directeur du laboratoire one . de l'Ecole polvtech- nique de Zurich. RUSSIE. ESPAGNE ET PORTUGAL. Joâo Motta dà Prego, à Lisbonne. Thoms, directeur de la Station agro- nomique de Riga. Nora.— Tous Les ouvrages adressés franco à La Rédaction seront annoncés dans le premier fascicule qui paraîtra après leur arrivée. Il sera, en outre, publié s'il y a lieu, une analyse des ouvrages dont la spécialité rentre dans le cadre des Annales (chèmie, physique, géologie, minéralogie, physiologie végétale et animale, agriculture, sylviculture, technologie, etc.). Tout ce qui concerne la rédaction des Annales de la Science agronomique française et étrangère (manuscréts, épreuves, correspondance, etc.) devra étre adressé franco à M. Henry Grandeau, docleur ès sciences, secrélaire de La Rédaction, 3, quai Vollaire, à Paris. > ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE FRANÇAISE ET ÉTRANGÈRE ORGANE DES STATIONS AGRONOMIQUES ET DES LABORATOIRES AGRICOLES PUBLIÉES Sous les auspices du Ministère de l’Agriculture PAR LouIs GKRANDEAU - DIRECTEUR DE LA STATION AGRONOMIQUE NE L'EST PROFESSEUR SUPPLÉANT AU CONSERVATOIRE NATIONAL DES ARTS ET METIERS INSPECTEUR GÉNÉRAL DES STATIONS AGRONOMIQUES VICE-PRÉSIDENT DE LA SOCIÉTÉ NATIONALE D ENCOURAGEMENT À L'AGRICULTURE MEMBRE DU CONSEIL SUPÉRIEUR DE L'AGRICULTURE NEUVIÈME ANNÉE — 14892 Tome II Avec figures dans le texte et deux planches PARIS BERGER-LEVRAULT ET C*, LIBRAIRES - ÉDITEURS >, rue des Beaux-Arts MÊME MAISON A NANCY 1893 RECHERCHES SUR LES VIGNOBLES DE LA CITAMPAGNE Par M. À. MUNTZ PROFESSEUR A L'INSTITUT NATIONAL AGRONOMIQUE — 000 -——————— Les conditions de la production du vin dans les terroirs de la Champagne sont bien différentes de celles où sont placés la plupart des autres vignobles de la France et notamment le vignoble du Midi, qui produit la plus grande partie des vins de consommation cou- rante. Dans la Champagne, la vigne se trouve dans un milieu qui semble peu favorable à son développement, surtout à cause de la rigueur de son climat el la constitution géologique de son sol auxquelles il faut attribuer les faibles rendements et les récoltes aléatoires, tandis que le vignoble méridional, situé dans une région où la tempéra- Lure active la végétation et souvent dans les terres d’alluvion riches et profondes, donne des rendements élevés et réguliers. Mais c’est peul-être précisément parce que, dans la Champagne, la vigne est en quelque sorte contrariée par le milieu ambiant, que les produits qu'elle donne ont des qualités exceptionnelles de bouquet et de finesse, comme on voit les plantes des hautes altitudes, avec leur végélation chétive, plus aromatiques que celles qui se développent plantureusement dans les plaines. La valeur qu’atteignent les pro- duits par suite de cette supériorité, par suite aussi de l’exiguité des rendements et de la faible étendue de la zone de production, permet ANN. SGIENCE AGRON. — 1892. — 11. I 2 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. d’ailleurs aux viticulteurs de la Champagne de donner des soins ex- ceptionnels à ces vignes d’un si grand rapport, d’y consacrer une main-d'œuvre coûteuse nécessitée par un mode de culture spécial, de faire des apports de terre et d'engrais pour augmenter ou main- tenir la richesse du sol; le morcellement extrème de la propriété facilite ce mode d'exploitation. Dans le vignoble méridional au contraire, le bas prix des vins communs oblige, malgré les rendements élevés et réguliers, à re- chercher les économies dans la culture de la vigne. Les conditions économiques sont donc aussi différentes que les conditions de sol et de climat. Il faut donc s’attendre à trouver des comparaisons intéressantes dans létude de cette même culture sui- vant les milieux dans lesquels elle se développe. Pour le moment, nous nous bornerons à l’étude du vignoble champenois ; les comparaisons trouveront leur place ultérieurement, lorsque les différents types de vignes auront été examinés isolé- ment. Dans ce travail nous nous sommes proposé de déterminer la somme des éléments fertilisants qu’absorbe la vigne dans son déve- loppement normal, pour la production du bois, des feuilles et des fruits, c’est-à-dire de nous rendre compte des exigences de cette culture dans les conditions spéciales du vignoble champenois, Îles résultats étant destinés à servir de base à l’application raisonnée des engrais. Des études de cette nature doivent toujours être faites sur de grandes surfaces, permettant d'opérer dans les conditions mêmes de la pratique agricole; elles ont en réalité pour objectif la constatation précise et scientifique des procédés que la pratique applique ou des faits qu’elle subit, sans ordinairement en saisir la raison ou l’impor- tance. En outre, en opérant sur l’ensemble de domaines d’une cer- taine étendue, on atténue les causes d’erreur qui deviennent d’une importance d'autant plus grande qu’on opère sur de plus petites surfaces. Il faut de plus obtenir le concours des praticiens, qui sont d’ail- leurs les premiers intéressés à se rendre un compte exact des causes qui influent sur les rendements et sur la qualité de la récolte. RECHERCHES SUR LES VIGNOBLES DE LA CHAMPAGNE. o Un des plus grands propriétaires de la Champagne, M. le comte Werlé, a mis à ma disposition, avec la complaisance la plus aimable, quelques-uns de ses terroirs les plus renommés et m’a donné le concours précieux de son expérience et les renseignements qu’on peut puiser dans une longue observation des faits. Les terroirs de Bouzy, de Verzenay, du Mesnil-sur-Oger, qui ser- vent de base à la production de la marque V'° Clicquot, d’une re- nomméé déjà ancienne, ont été l’objet de mes investigations. À vrai dire, l’année 1892 n’a pas été favorable à ces études, car les gelées de printemps ont considérablement réduit les récoltes. Ce- pendant la production du bois et des feuilles, qui absorbe, comme je l’ai montré déjà’, la proportion la plus considérable des éléments fertilisants, ne semble pas avoir élé contrariée d’une façon appré- ciable par l'effet des gelées, car la végétation des vignes fortement atteintes n'a pas élé moins luxuriante que celle des vignes restées indemnes. C’est surtout sur la production du fruit que l'effet des gelées de printemps se fait sentir, alors que les gelées d'hiver atteignent le bois et, par suite, dépriment. beaucoup la végétation ligneuse et foliacée. Nous donnerons d’abord un aperçu général du vignoble champe- nois, en insistant surtout sur le climat, la nature géologique st agro- nomique des terrains, le mode de plantation et de culture, les fu- mures et les traitements, les particularités de la vendange. Situation. — Les grands vignobles de la Champagne sont situés dans le département de la Marne, dans les arrondissements d’Éper- nay et de Reims ; seul Vertus, dont le territoire en vignes est d’en- viron 365 hectares, appartient à l’arrondissement de Châlons, mais se trouve à la limite (3 kilomètres de celui d’'Épernay). Ils comprennent 3 grands groupes principaux, qui en allant du Sud au Nord sont les suivants: 1° le groupe de la vallée de la Marne, qu'on subdivise en 5 ramifications : a) la côte d’Avize (Vertus, le 1. Recherches sur les exigences de la vigne (culture du sud-ouest), Annales agro- nomiques, t. XNIIL, p. 145. À ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Mesnil-sur-Oger, Oger, Avize et Cramant) ; b) la côte d'Épernay (Vi- nay, Moussy, Pierry, Épernay); c) la rivière de Marne proprement dite (Cumières, Hautvilliers, Dizy, Ay, Mareuil) ; 2° le groupe des coteaux de Bouzy et d’Ambonnay, situé entre la Marne et la monta- gne de Reims ; 3° celui de la montagne de Reims comprenant les crus de la Haute-Montagne, au sud et sud-est de Reims (Verzy, .Ver- zenay, Sillery, Mailly, Ludes, Chigny, Rilly). Les vignobles de la Basse-Montagne, qui s'étendent au nord-ouest de Reims (Saint- Thierry, Marcilly, Hermonville), sont beaucoup moins estimés que les précédents, qui comptent parmi les meilleurs. Climat. — Le vignoble champenois est situé vers la limite du climat vosgien et du climat séquanien, aussi les quantités de pluie sont-elles peu élevées (475 millimètres) et les températures maxima et minima plus écartées (34 degrés et —12°5) qu’à l’ouest de ce dernier climat. Le climat spécial de la Marne n’est sans doute pas étranger à la qualité de ses vins, si appréciés surtout par leur finesse et leur légèreté. Mais, dans la Champagne, la vigne n’est cultivée que sur les coteaux ; ceux-ci sont recouverts d’un limon plus ou moins grossier, qui lui convient beaucoup mieux que le sol crayeux de la plaine champenoise ; en outre, dans cette immense plaine où les brouillards séjournent plus souvent et plus longtemps que sur les versants, et qui est exposée à tous les vents et sans abri suffisant, les gelées attemmdraient le vignoble plus fréquemment et d’une façon plus redoutable que sur les coteaux. Il faut ajouter que ces derniers sont abrités par les forêts qui recouvrent le plateau tertiaire (bois de la Houppe, bois d’Avize, forêts d'Épernay et de Reims). D’ailleurs presque tous ces coteaux vignobles sont exposés soit en plein sud (groupes de la rivière de Marne proprement dit, et des coteaux de Bouzy et d’Ambonnay), soit au sud-est (côte d’Avize et côte d’Épernay); là où l’exposition est moins bonne, les vignobles sont plus ou moins abrités. Enfin les parties les plus élevées des coteaux renferment des formations géologiques de plusieurs mêtres d'épaisseur (terre silico-argileuse rougeûtre du Mesnil, sables jaunes et cendres noires de la Montagne de Reims), activement exploitées pour l’amendement des vignes. Ces principales considérations, qui RECHERCHES SUR LES VIGNOBLES DE LA CHAMPAGNE, 5 toutes ont leur importance, suffisent pour expliquer que c’est seu- lement sur les coteaux qu’est planté le vignoble champenois. Conditions météorologiques spéciales à l'année. — N s’est pro- duit le 18 avril, dans toute la contrée, une gelée qui, en beaucoup de points, a diminué la récolte de l’année. En ne considérant que les vignobles en expériences, nous constatons les effets suivants : les environs du Mesnil-sur-Oger n’ont été que faiblement atteints par ces gelées de printemps ; les vignerons n’ont pas eu à déplorer de grands dégâts. Il n’en a pas été de même dans les autres régions : à Bouzy, sur- tout, ces gelées ont eu une action désastreuse et ont fortement ré- duit le rendement, qui a été bien inférieur aux rendements moyens. L'effet de cette gelée ne s’est fait sentir que sur la vendange de l’année ; le vignoble n’a pas été compromis: le vieux bois n’a pas souffert ; seules les pousses ont été perdues pour les 4/5, mais elles ont repoussé dans la suite; vers l’autonmne, les bois étaient aussi beaux que les années ordinaires. De même à Verzenay, à la même époque, la gelée a fait un tort considérable, le rendement étant, comme à Bouzy, exceptionnelle- ment faible. La fécondation et la frucufication, d’où dépend surtout la valeur de la vendange, se sont effectuées dans des conditions des plus favo- rables ; aussi, cette année, les raisins étaient-ils tous beaux et bien développés ; il n’y avait pas de grains de maturité incomplète, ou avortés, malades ou pourris, et la maturation, favorisée par la cha- leur exceptionnelle de l'été, s’est opérée dans les meilleures condi- tions. Les opérations de triage et de nettoyage des raisins pourris ou mal venus, qui sont nécessaires presque chaque année, ont été inu- tiles. Il y a donc eu de ce fait une économie de main-d'œuvre et de temps, et la qualité a été supérieure. Il faut ajouter que les maladies cryptogamiques et l’effet souvent si désastreux des insectes, ne se sont fait sentir que très faiblement. Sans la gelée qui a tant abaissé le rendement, l’année 1892 eût pu être regardée, par la beauté et la qualité des raisins, comme une des meilleures. La vendange s’est effectuée dans l’espace d’une semaine ; com- 6 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. mencée par un temps assez beau, elle a dû être, à plusieurs repri- ses, interrompue par quelques giboulées ; quoi qu’il en soit, la ra- pidité avec laquelle elle s’est opérée, due surtout à la faible récolte, a été tout à fait inaccoutumée ; M. le comte Werlé n’avait jamais observé un pareil cas depuis plus de 30 ans qu’il s'occupe de la ven- dange ; en général, dans les crus en expériences, le temps néces- saire est de 18 à 21 jours et quelquefois davantage, quand les intem- péries interrompent les opérations. Apercu géologique. — Les vignobles se trouvent à la limite de deux régions complètement distinctes, non seulement par leurs ca- ractères géologiques et topographiques, mais encore par leurs ca- ractères agronomiques. Ils sont situés sur les flancs des coteaux au pied desquels s’étend la vaste plaine crayeuse de la Champagne, dont l’aridité contraste avec la fertilité du plateau qui fait partie du bassin tertiaire parisien et dont l'altitude varie de 230 à 280 mètres. Au fur et à mesure qu'on s'élève de la plaine au plateau on passe du crétacé supérieur des terrains secondaires à l’étage éocène de la formation tertiaire inférieure, puis au tertiaire moyen (miocène). Au-dessus des étages crayeux on trouve l'argile plastique avec des sables, des grès et des lignites, — les sables nummulitiques du Sois- sonnais ; le calcaire grossier ; le calcaire de Saint-Ouen ; enfin lé- tage du traverlin et des meulières de Brie qui constitue le sommet du plateau. Ces diverses assises sont en certains points recouvertes par le dé- pôt meuble sur les pentes, ou par le limon des plateaux, qui forme une couche fertile à la surface supérieure du terrain tertiaire. Le sous-sol des vignes est formé par la craie, appelée dans le pays crayon, qui se trouve à une profondeur plus ou moins grande; quelquefois le sol est séparé de la craie par des couches de grève ou par des couches d’argile. Le sol des vignobles n’est donc pas constitué par la craie pure ; celle-ci est toujours à une profondeur variable, mais d’au moins 30 à 40 centimètres de la surface du sol ; celui-ci est formé par un terrain argilo-siliceux, plus ou moins ferrugineux, de couleur va- riant du gris au rouge et contenant toujours une certaine proportion 7 RECHERCHES SUR LES VIGNOBLES DE LA CHAMPAGNE. de calcaire tant à l’état fin qu’en fragments de diverses grosseurs ; c’est le dépôt meuble sur les pentes, limon grossier mélangé d’élé- ments remaniés provenant des térrains avoisinants, surtout de ceux qui sont descendus des couches supérieures. Il faut ajouter que les amendements et les terres vierges apportés dans les vignes depuis de longues années ont encore contribué à modifier d’une façon permanente le sol de ces vignobles ; au dire des vignerons du pays, il serait difficile de trouver une parcelle de vignes où ces apports n'auraient pas été faits. La craie à bélemniles forme le talus qui relie le plateau de la Brie à la plaine champenoise, constituée, elle, par la craie à micraster. Elle a près de 100 mètres de puissance dans les environs de Reims ; c’est une craie blanche, tendre et friable, dont les assises les plus résistantes sont exploitées pour la fabrication de la chaux grasse et comme moellons (Épernay, Avenay, Soulières). La fabrication du vin de Champagne se fait dans des caves dont la température doit rester très régulière. € Or, dit M. Risler !, ces ca- ves sont très faciles à creuser dans la craie et il n’est pas nécessaire de les voûter en sorte qu’elles ne coûtent pas cher. Gela permet de faire le vin mousseux à un prix relativement moins élevé. Les grands fabricants ont plusieurs kilomètres de caves, ordinairement en éta- ges superposés. La fabrication du vin de Champagne est done une conséquence directe de la géologie de cette contrée. » Dans tous ces vignobles c’est cet étage qui forme le sous-sol de- puis la cote de 115 mètres à 120 mètres jusqu’à celle de 170 mètres environ. Si, dépassant la zone de la culture de la vigne, l’on gagne le pla- teau dont l'altitude est d'à peu près 240 mètres aux environs de Mesnil-sur-Oger, 270 mètres près de Bouzy, 280 mètres à Verzenay et Verzy, on rencontre d’abord : L’élage de l'argile plastique S'étendant sans interruption tout le long de la falaise qui termine à l'Est, les terrains tertiaires. Il est très complexe et comprend surtout des marnes et des calcaires la- custres au-dessous desquels des sables blancs très purs en couche 1. Géologie agricole, t. Il, p. 139. e) ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. discontinue; des sables jaunes assez grossiers alternant avec des argiles et des marnes puis des lits discontinus de lignites pyriteux ou cendres noires, que l’on extrait à Bouzy, Verzenay et Verzy et qui sont ulilisées comme amendement pour la culture de la vigne. Nous donnons plus loin l'analyse de ces lignites pyriteux. Les sables nummaulitiques qui, le long de la Montagne de Reims surmontent l'argile plastique, sont des sables fins, généralement roux, parfois agglutinés de façon à former des grès plus ou moins consistants. La puissante assise de ces sables que l’on rencontre à Bouzy, Verzy et Verzenay sert comme amendement, en mélange avec du fumier, ou encore dans les pépinières de boutures. Leur analyse est également donnée plus loin. Sur les flancs des coteaux du Mesnil et d’Avize l’étage des sables nummulitiques n’existe pas: l’argile plastique est surmontée directe- ment par le calcaire grossier supérieur constitué par des alternances de marnes blanches ou verdâtres et de calcaires plus ou moins durs. L’élage qui vient ensuite, celui du Travertin, marnes el calcaires «de Saint-Ouen, surmonte entre Verzenay et Verzy les sables num- mulitiques, à la côte du Mesnil, le calcaire grossier supérieur. Il se compose de calcaires plus ou moins siliceux, de calcaires marneux, de marnes et d’argiles. Les calcaires qui dominent à la partie supé- rieure passent parfois insensiblement à la meulière et sont exploités comme moellons et pour l’empierrement. Les étages des grès et sables de Beauchamp, des marnes et cal- caire siliceux du gypse, des marnes et glaises vertes que l’on ren- contre plus vers l’ouest avant d'atteindre l'argile à meulières, font défaut dans les coteaux au sud d'Épernay et à l’est de la Montagne de Reims. C'est l’élage de l'argile à meulières de la Brie qui constitue la plus grande partie de la surface supérieure du plateau tertiaire. ‘C'est une argile généralement rouge empâtant des fragments irré- guliers de meulières exploités comme moellons et pour l’empierre- ment des routes. Il faut ajouter que la surface supérieure du terrain tertiaire est recouverte, en de nombreux endroits, par le limon des plateaux, argilo-sableux. RECHERCHES SUR LES VIGNOBLES DE LA CHAMPAGNE. 9 Tels sont les étages géologiques que l’on observe en passant suc- cessivement de la plaine crayeuse de la Champagne, qui fait partie du crétacé supérieur et se trouve à la base des vignes, au plateau de la Brie (270 mètres) qui les domine et qui est constitué par les ter- rains tertiaires. Sur ces coteaux crayeux la vigne réussit fort bien; dans ses études si intéressantes, M. Risler a montré” qu’elle ne repose pas directe- ment sur la craie, mais sur un terrain argilo-siliceux provenant des terrains avoisinants et profondément modifié par les amendements qu’on y incorpore depuis de nombreuses années. Sur la falaise ter- minale du bassin tertiaire, les affleurements de l’argile plastique et ceux de la craie sous-jacente qui sont recouverts par des éboulis argilo-sableux ou limoneux sont aussi propres à la culture de la vigne. La craie ne donne qu’un très petit nombre de sources; elle ren- ferme pourtant quelques niveaux irréguliers qui alimentent les puits de la plane champenoise. Il faut signaler quelques sources dont l'apparition est due à des fissures recoupant la craie ; telle est, par exemple, celle de Vertus. L’argile plastique constitue un niveau d’eau important et fournit des sources nombreuses. Quant aux marnes de calcaire de Saint-Ouen et du calcaire gros- sier elles ne donnent lieu qu’à des summtements sur le bord des fa- laises où elles viennent affleurer. Enfin le plateau constitué par l'argile à meulières compte des mares el des étangs en assez grand nombre; l’existence de nappes d’eau sur le plateau qui domine le vignoble pourra jouer un rôle important dans l'application éventuelle des insecticides destinés à combattre le phylloxéra el dont quelques-uns, comme le sulfocar- bonate de potassium, nécessitent l'emploi de grandes quantités d’eau. Culture de la vigne. — Les cépages cultivés dans le vignoble de la Marne sont des variétés de pineaux noirs désignées sous différents 1. Géologie agricole, t. I, p. 136. 10 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. noms suivant les régions : pineau franc (Vertus), pineau noir (Avize, Oger, Cramant), vert doré (Bouzy, Ambonnay, Verzy, Verzenay), puis la variété blanche qui se rencontre surtout dans les vignobles de la côte d’Avize ; dans les autres, les pineaux noirs sont presque les seuls cultivés, le pineau blanc ne se rencontrant qu’exception- nellement. La maturité de ces raisins est hâtive ; le pineau blanc est plus rustique, mais plus tardif d’une huitaine de jours que le noir. Le pineau fournit un vin d’une qualité exceptionnelle. Il demande des terres à base calcaire en coteaux ; aussi convient-il au sol de la Champagne, comme à son climat; on estime que la couleur du sol n’est pas indifférente à la qualité du raisin et que, moins il est rouge, moins le terrain est favorable surtout aux raisins rouges ; aussi plante-t-on de préférence les raisins blancs dans les terres grises ou jaunûtres. Le pineau noir fournit un vin moins acide et qui a plus de corps, plus de vinosité et de bouquet; le pineau blanc donne un vin plus acide et qui à plus de mousse, qui est plus léger, plus fin, plus frais. On mélange d’ailleurs les vins des divers crus dans les proportions convenables. On rencontre encore en Champagne, mais plus rarement, d’autres cépages, surtout le meunier, quelquefois le gamay et le gouai et quelques autres variétés ; on admet qu’associés aux pineaux, ils di- minuent notablement la valeur des vins; aussi les pineaux consli- tuent-ils la majeure partie du vignoble de la Marne. Pour la plantation on emploie souvent des plants enracinés de pépinière, de deux ans, qu’on désigne sous le nom de plants levés ; quelquefois aussi on utilise ce qu’on appelle des plants coulés, obte- nus, EUX, par provignage. Le procédé de multiplication par boutures est le plus utilisé dans les vignes sur lesquelles nous avons opéré, comme d'ailleurs dans presque tout le vignoble de la Champagne. Parmi les divers types de boutures, c’est celle par rameau ordinaire qui est communément employée. C’estsimplement un sarment convenablement sélectionné, parmi les plus beaux et les plus droits, coupé au-dessous d’un œil ; on lui donne une longueur d'environ 0,40 à 0,50. Ces sarments RECHERCHES SUR LES VIGNOBLES DE LA CHAMPAGNE. 11 pour boutures sont choisis au moment de la taille, c’est-à-dire vers février ou mars. On les plante dans une pépinière de terre légère, parfaitement nettoyée, bien fumée et suffisamment fraiche ; les lignes sont à environ 30 centimètres de distance et les boutures à 10 centimètres les unes des autres. On fait un usage courant dans les régions qui nous intéressent de sable extrait de la montagne (Bouzy, Ambonnay, Verzy, Verzenay, elc.). On plante la bouture dans ce sol sableux, légèrement inclinée et de façon qu’il y ait trois yeux hors de terre. Les boutures mises ainsi en pépinière en février (1892 par exem- ple), entrent en végétation dans le cours de l'été et ne sont l’objet durant celte période que des sarclages et de soins de propreté. En février suivant (1893) on les épluche, c’est-à-dire que l’on taille con- tre le vieux bois toutes les pousses sauf la plus belle qu'on laisse sans la rogner. À partir de mai et pendant le cours de la végétation, on fait les binages nécessaires fin août, on pince à 0",30 environ, suivant la longueur de la pousse. En décembre à février suivant (février 1894), c’est-à-dire deux ans après la plantation des boutures, on lève le plant. Celte opération consiste à tailler les pousses à l’ex- ception de la plus belle. La bouture qui est maintenant ce qu'on appelle un plant levé, garni de nombreuses radicelles et d’une pousse plus ou moins vigoureuse, est alors plantée dans la vigne préparée. Pendant l’été, la jeune. pousse entre en végétation et on opère les binages. En février suivant (1895) on taille les pousses contre le vieux bois sauf la plus belle qu’on taille à trois yeux. La vigne est dès lors constituée et sera soumise désormais à la culture telle que nous l’indiquons plus loin. Quelquefois, au lieu de planter les boutures en pépinière pour les « lever » après deux ans et les replanter dans le terrain préparé, on les plante directement à demeure, à la distance usitée : les bou- tures sont mises en terre comme précédemment en février (par exemple en février 1892) en laissant dépasser trois yeux ; en février suivant (1893) on taille les pousses près du vieux bois sauf la plus belle, on effectue pendant la végétation les bmages utiles. Vers la fin d’août on pince à environ 0,30 ; en février suivant (1894), c'est- à-dire deux ans après la plantation des boutures (époque à laquelle 12 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. on lève les plants dans la reproduction par plants levés), on taille les pousses près du vieux bois sauf la plus belle qu’on taille à deux ou trois yeux suivant sa force. La vigne est constituée ; on effectue chaque année les diverses opérations décrites plus bas. On utilise aussi en Champagne la reproduction par provignage. Il faut prendre les provins sur des vignes d’au moins 5 à 6 ans. En fé- vrier 4892 par exemple, au moment de la taille, on épluche les ceps et on faille à 7 ou 8 veux, aussitôt on coule en laissant dépasser trois yeux ; ce marcottage se fait en creusant une fosse à partir du pied mère et couchant les sarments dans la fosse; de décembre à fé- vrier suivant (février 1893), on lève les sarments ainsi coulés et pourvus de radicelles, en les taillant contre le cep et en les plantant dans la vigne préparée. On les laisse un an en n’opérant que les bi- nages. En février suivant (1894) on taille en réservant le plus beau bois auquel on laisse trois yeux; la vigne sera soumise dès lors à la culture ordmaire ; on voit qu’elle est constituée plus tôt si l’on a employé la reproduction par plants coulés ou les boutures plantées à demeure, que les boutures en pépinière (plants levés). Pour passer en revue les diverses opérations effectuées dans les vignes, Supposons que la vendange vient d’être terminée. Aussitôt après on défiche les échalas; quand dans certaines années la ven- dange est en avance et que les vignes sont encore pourvues de tontes leurs feuilles, on ne procède pas immédiatement au défichage, car les vignes non soutenues, seraient brisées par le vent, qui aurait sur elles une forte prise, à cause du feuillage abondant. Dans certaines communes, à Verzenay par exemple, les échalas sont passés à la vapeur pour tuer le ver de la vendange qui se cache dans les fentes des échalas. Durant les mois de novembre, décembre et janvier on applique les fumures ; le fumier ou les composts sont généralement déposés dans une rigole creusée entre les ceps et recouverts ensuite avec la terre ainsi enlevée ; les terrages se répandent uniformément sur le sol. C'est de même de décembre à février que l’on effectue les plan- lations. Dès février, quand le temps le permet, commence la taille. Les RECHERCHES SUR LES VIGNOBLES DE LA CHAMPAGNE, 13 sarments sont laillés au ras du cep, sauf un sarment, convenable- ment choisi et que l’on taille à trois yeux un peu au-dessus du troisième œil par une section oblique de façon que l’eau ne puisse couler sur le bourgeon. Pour remplacer les ceps morts ou qui sont disparus accidentelle- ment, on réserve, où c’est nécessaire, des provins, c’est-à-dire des sarments qu’on ne fait qu'émonder et qu'on lalle à sept ou huit yeux. L'opération qui suit la taille est un bêchage pratiqué à bras, à la houe, et dans lequel, après avoir dégarni les racines, on enterre le bois de l’année précédente à une profondeur d’une douzaine de cen- timètres environ, en ne laissant dépasser hors de terre que le sar- ment de l’année, taillé à trois yeux. Le bêchage (ou la bêcherie) est effectué après la taille, c’est-à-dire vers mars (Mesnil) ou avril (Bouzy). Quelquefois, à Verzenay par exemple, on le pratique en même temps que la taille, une équipe taillant les sarments à trois yeux, pen- dant qu’une autre équipe suit presque immédiatement et opère le bêchage. Après la bêcherie on effectue (avril, mai, suivant la région) le pro- vignage des vieilles vignes, pour obtenir une répartition à peu près régulière des ceps. Gertains ceps peuvent en effet avoir manqué, ou avoir été détruits par accident durant les opérations, surtout celles qui nécessitent l’emploi d'instruments tranchants ; il y a par consé- quent toujours un cerlain nombre de pieds à remplacer. Ces rem- placements s’opérent par provignage en laissant au moment de la taille sur le cep voisin de la place vide un provin, c’est-à-dire un sarment auquel on a laissé sept ou huit yeux. On dégarnit les racines de la souche et on creuse une fosse dans la direction voulue, on couche dans cette fosse le sarment que l’on relève à l’endroit que devra occuper le nouveau pied et on ne laisse sortir que trois yeux. On fume en même temps avec beaucoup de compost. Après le provignage on opère le fichage des échalas (mai-juin), chaque cep ayant son échalas, puis les opérations se succèdent dans l’ordre suivant ; nous ne ferons que les énumérer. Premier traitement au sulfate de cuivre (mai) immédiatement 14 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. après le fichage, quelquefois avant celui-ci, suivant le cas et la ré- gion. : Premier binage. S’effectue en mai à l’aide de la binette pour net- toyer la vigne et ameublir le sol foulé par les ouvriers dans les pré- cédentes opérations. Liage, qui consiste à lier avec de la paille les pousses contre l’échalas. Il se fait en mai-juin après le premier binage, quelquefois aussi après le premier rognage. Premier rognage. Doit s’opérer au moment de la floraison, géné- ralement en juin; consiste à couper à la main les sarments dépas- sant 50 à 60 centimètres ; il favorise la fécondation, la sève se por- tant dès lors sur les raisins au lieu de nourrir les prolongements ainsi supprimés. Deuxième binage. Effectué en juillet après le liage et le premier rognage d’une façon semblable au premier binage; il ameublit le sol tassé pendant les deux dernières opérations. Deuxième traitement au sulfate de cuivre (juillet). Deuxième rognage, dans lequel on coupe, vers le mois d’août, sur une longueur de 8 à 10 centimètres, les pousses qui se sont dé- veloppées depuis le premier rognage. Troisième traitement au sulfate de cuivre quand 1l est néces- saire. | Troisième binage, en août-seplembre, un peu avant la vendange. Quelquefois troisième rognage. La vendange se fait généralement en octobre, quand le raisin est bien mûr. Elle doit être effectuée par un temps sec ; quand le temps est pluvieux et que la pluie semble devoir persister on doit inter- rompre la cueillette pour ne pas abîmer la vigne. Les raisins sont vidés dans de grands paniers contenant environ 60 à 80 kilogr. et placés au bord de la vigne. Il est, certaines années, indispensable de séparer les mauvais grains, de maturité incomplète, malades ou pourris. Cette opération est faite par une équipe de femmes qui net- toient les raisins sur des claies d’osier. Cette année elle a élé com- plètement inutile, toutes les grappes étant fort belles et de qualité supérieure. Les paniers sont chargés sur des chariots et conduits au pressoir. Les raisins sont pressés aussitôt dans les conditions sui- RECHERCHES SUR LES VIGNOBLES DE LA CHAMPAGNE, 15 vantes : les paniers, tarés sur une bascule, reçoivent chacun un poids connu de raisin, il est ensuite porté sur une civière au pres- soir dans lequel on verse : 60 paniers contenant 80 kilogr. de raisins, soit 4800 kilogr. au Mesnil et à Oger ; | 96 paniers contenant 60 kilogr. de raisins, soit 3360 kilogr, à Bouzy, Ambonnay, Verzy et Verzenay. Ces raisins sont répandus en couche d’une même épaisseur et d'environ 60 centimètres ; on les couvre de madriers puis on les presse avec précaution et régularité. Quand l’écoulement du jus di- minue, on effectue ce qu’on appelle une retrousse. Cette opération que l’on aura dans la suite à répéter plusieurs fois consiste à desser- rer le pressoir, à enlever les madriers et à recouper les bords que les premières serres ont plus ou moins éloignés. On enlève ainsi tout autour une bande d'environ 20 à 95 centimètres, qu’on rejette sur le pressoir et qu’on égalise. On replace les madriers et on serre de nouveau, jusqu’à ce qu'on ait obtenu une quantité de vin de cu- vée de: 12 pièces au Mesnil et à Oger, soit 1 pièce de vin de cuvée pour 400 kilogr. de raisins. 8 pièces à Ambonnay et à Bouzy, soit 1 pièce de vin de cuvée pour 420 kilogr. de raisins, Verzy et Verzenay. C’est ce moût de cuvée provenant de raisins blancs ou de raisins uoirs pressés en blanc qui servira seul à fabriquer les meilleures marques de Champagne. Au-dessous de chaque pressoir se trouvent deux bêlons d’une contenance de cinq pièces chacun (la pièce étant en Champagne de 200 litres), gradués à l’aide de clous à tête ronde. Au fur et à me- sure qu’il a rempli successivement chaque bêlon et a été ainsi me- suré, le moût de cuvée est transvasé, à l’aide d’une pompe, dans de grandes cuves où 1l séjourne environ 12 heures, le temps nécessaire pour amener la séparation des lies. Quand sa surface s’est couverte d’une mousse grisàtre qu’on appelle cotte, on le transvase dans des füts de 200 litres étiquetés et qui sont conduits dans les celliers. Quand on soulire, on laisse le chapeau au fond de la cuve, puis on nettoie convenablement cette dernière. Le chapeau est remis dans 16 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. des cuves avec les raisins non mürs et les vins de rebêche pour faire du vin de boisson. Quand par ces premières serres on a obtenu le vin de cuvée, on desserre le pressoir, on égalise et on serre de nouveau. On opère ensuite une retrousse et une nouvelle serre et on obüent ainsi, sui- vant la quantité de raisin en traitement, environ 1 pièce 1/2 à 2 piè- ces 1/2 de moût de première suite (ou de 1"° taille). On répète à peu près identiquement la même opération que pour l’obtention du moût précédent et on retire encore la même quantité de moût de deuxième suite (ou de 2° taille). On pratique alors la rebêche du marc; celte opération consiste à le couper à la bêche et à le piocher à l’aide de crocs. On reforme le pressoir en une couche de même épaisseur, puis on exprime à fond. On obtient encore ainsi environ 1 pièce à 1 pièce 1/2 de moût (vin de rebêche). | Le marc ainsi épuisé est ce qu'on appelle un marc sec dont le poids est suivant la quantité de raisin dont il provient (3 360 ou 4 800 kilogr.) de 650 à 850 kilogr. environ. Les divers moûts, recueillis séparément, sont de qualités très dif- férentes. Le vin de cuvée est destiné à la fabrication du Champagne de qualité supérieure. Le vin de première suite sert à l’ouillage. Le vin de deuxième suite est vendu pour la fabrication des vins in- férieurs. Enfin le moût de rebêche est vendu ou sert à faire le vin de boisson pour les ouvriers. Ges derniers liquides ont un fort goût de ràpe. Le mare épuisé ou marc sec est utilisé pour la fabrication de l’eau-de-vie ou pour celle du vin de sucre. Dans ce dernier cas, les aignes ou marcs, sont versées dans de grandes cuves avec autant d’eau qu’on a retiré de pièces de moût. Ainsi, au Mesnil, sur un marc sec provenant de l'épuisement de 4 800 kilogr. de raisins des- quels on a extrait 18 pièces 1/2 de vin, on versera 18 pièces 1/2 d’eau ; on ajoute 33 kilogr. de sucre par pièce d’eau, soil 16,5 de sucre par hectolitre. Souvent le marc sec est donné aux vignerons ; quandilest vendu, c’est à raison de 75 à 100 fr. pour la quantité d’une pressée, soit de 690 à 850 kilogr. d’aignes. RECHERCHES SUR LES VIGNOBLES DE LA CHAMPAGNE. 17 Quelquefois, au lieu d’épuiser entièrement le marc, on ne tire que les vins de cuvée de première suite et de deuxième suite ; on ne pratique pas la rebêche, c’est-à-dire qu’on laisse dans le marc envi- ron À pièce 1/2 de moût. On donne alors au résidu de l'expression des raisins, le nom de marc gras, sur lequel on verse des vins de rebêche, qu’on laisse fermenter sur ce marc et: qui acquièrent alors de la couleur. On y a ajouté le chapeau qui reste au fond des gran- des cuves dans lesquelles le vin de cuvée, au sortir du pressoir, avait élé transvasé et avait séjourné pendant quelques heures. Ces divers vins de sucre ou de rebêche servent de boisson aux ouvriers. Outre les raisins de leurs terroirs les fabricants de vin de Cham- pagne utilisent la vendange des vignerons des environs ; en général ils achètent le raisin au poids à des prix variables, mais ordinaire- ment très élevés. En 1892, les prix payés par kilogramme de raisins ont été de 9 fr. 50 c. au Mesnil-sur-Oger, 3 fr. 33 c. à Bouzy, Verzy el Verzenay. D’après ces chiffres et d’après les rendements des raisins en vin de cuvée, la pièce de ce dernier (200 litres) aurait, en ne tenant pas compte de la valeur des vins de suites et de rebêche, les prix de re- vient suivants : PRIX PRIX de la pièce EL de dus, vin de cuvée. Kilogr. Francs. Au Mesnil-sur-Oger, . . . . . . 2f,50 1 000 A Bouzy, Verzy, Verzenay . : . . 3 ,33 1 400 Le prix du vin de première suile est estimé à la moitié du prix du vin de cuvée. Celui du vin de deuxième suite à la moitié du vin de première suile. La valeur de celui de rebèche est encore inférieure de moitié à celle du précédent. Fumures el amendements. — Outre les famiers, principalement le fumier de cheval, que l’on emploie dans le vignoble, comme par- tout ailleurs, il en est une toute spéciale à la région et à laquelle on ANN. SCIENCE AGRON. — 1892, — x. 2 22 18 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. a recours depuis déjà de longues années. Ce sont des composts que l’on voit partout à l’entrée des vignes, sur Les bords des chemins et auxquels on donne le nom de magasins. Ils sont constitués par le mélange ou plutôt la stratüification du famier avec des terres variant suivant les étages géologiques qui affleurent aux environs. C’est, par exémpie, au Mesnil-sur-Oger, une terre silico-argileuse rouge ou jaune extraite des coteaux du Mesnil : du sable et des lignites pyriteux aux environs de Bouzy, Verzy et Verzenay. Les assises de terre silico-argileuse et de sable ne présen- tent pas de caractères particuliers ; il n’en est pas de même de cette importante couche de lignites, qui appartient, comme nous l'avons vu, à l'étage de l'argile plastique, et qui, désignée dans le pays sous le nom de cendres noires, renferme des éléments très divers, surtout du soufre, du fer oxydé, des débris végétaux plus ou moins décom- posés, du sulfate de chaux, etc. De nombreuses et importantes extrac- tions de ces diverses couches géologiques existent sur les flancs de la montagne de Reims et en beaucoup d’autres points du vignoble. Souvent on emploie les cendres noires en nature ; souvent aussi on les laisse exposées en tas; elles s’échauffent alors et subissent une combustion qui les transforme’en cendres rouges. Le fumier est stratifié soit avec ces cendres, soit avec les sables jaunâtres; des couches de 10 centimètres environ de fumier et de sable ou de cendres sont superposées alternativement de façon à former des las rectangulaires de 3 à 4 mètres de côté et d’une hau- teur moyenne de 2 mètres environ. On fabrique ces composts pendant l'été, à l’époque où les vigne- rons sont relativement peu occupés. Ils sont répandus l’hivér suivant dans la vigne et enterrés par le bêchage. On en garde une partie pour les plantations d'hiver et pour le provignage de mai. Ces divers matériaux qui sont d’un emploi général dans le vigno- ble sont regardés comme exerçant une heureuse influence, quoique quelques-uns, comme la terre argileuse et le sable, soient très pau- vres en éléments fertilisants ; c’est donc plutôt comme modificateurs du sol que comme engrais qu’ils agissent, par exemple au Mesnil où la terre jaune argileuse donne du corps aux terres calcaires des coteaux des environs. RECHERCHES SUR LES VIGNOBLES DE LA CHAMPAGNE. 19 Le sable fournit aux boutures dans les pépinières et dans les jeu- nes plantations cette condition nécessaire à la réussite, d'un sol essentiellement meuble où les jeunes radicelles puissent s'étendre à volonté ; enfin les cendres noires agissent par les divers éléments qu’elles renferment, par les débris organiques en voie de décompo- sition plus ou moins avancée. : Nous donnons la composition de quelques-uns de ces produits. POUR 1000 CID ACIDE PO- AZOTE. | phospho- CHAUX. k TASSE. rique. ER CESSER CEE SENSEES CREER | Sable argileux jaune de la côte HO). Le. 0 En .20 Terre silico-argileuse rouge des | coteaux du Mesnil (1892) . .| 0. à .78 Terre rouge des coteaux du Mes- DROLE LE ER ESETO. non dosé | non dosé Sable jaune de Bouzy (1893). Sable jaune de Verzy (1893). . Ces terres argileuses, si abondamment employées dans les vignes de la Champagne, ne renferment donc que des traces d'éléments fertilisants et sont en réalité beaucoup plus pauvres que la terre même qu'elles sont chargées d'améliorer. Leur effet doit être considéré comme purement physique ; formés presque en totalité par des éléments d’une extrême finesse, sorte d'argile ferrugineuse, elles ont pour fonction de donner une certaine compacité aux terres crayeuses qui sont de leur nature même extrè- mement meubles et perméables. Elles peuvent contribuer à retenir les principes fertilisants dans le sol et à maintenir plus de fraicheur dans celui-ci en augmentant sa faculté de retenir l’eau. Les grands sacrifices que s'imposent les viticulteurs pour l'apport de ces terres s'expliquent donc par les modifications que cet apport incessant fait subir à la nature même du sol primitif. 20 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Quant aux cendres pyriteuses de la montagne de Reims, elles nous ont donné les résultats suivants : POUR 1000. DÉSIGNATION. ACIDE PO- MA- AzoTæ. |Phospho- CHAUX. rique. | TASSE. GNÉSIE. lyrite noire non brûlée (1892) . Pyrite rouge brûlée (1892). . Pyrite noire non brûlée de Bouzy (1898). REA | Pyrite rouge brûlée de Bouzy (1593), FHNENENRRNSNRE On voit que l'azote, qui est assez abondant dans la cendre noire, disparaît en majeure partie par la combustion. Au point de vue feruilisant, 11 semble donc important d’éviter la transformation en cendres brûlées. Il y a d’ailleurs de notables différences dans la composition de ces produits qui sont loin d’être homogènes ; on y trouve fré- quemment des masses de sulfate de chaux cristallisé. Les divers produits dont nous venons de parler entrent dans la confection des composts, en mélange avec le fumier. Au Mesnil, le fumier est stratifié avec de la terre rouge, celle-ci en proportions variables selon que le magasin doit être employé en vignes hautes, mi-côtes ou basses vignes, le sol végétal étant plus ou moins profond ; plus il y a de terre végétale, moins on en met dans le mélange des fumiers. Dans les magasins qui doivent servir à une plantation, on met généralement un peu plus de terre de montagne en raison de la fraicheur que procure celle-ci et qui favorise le développement des plants, surtout dans les années sèches. Une forte fumure est donnée lors de la plantation, on fume de nouveau 3 ou 4 ans après, le plus souvent 3 ans; on fume encore avec du magasin en faisant le premier provignage et l’on est ensuite RECHERCHES SUR LES VIGNOBLES DE LA CHAMPAGNE. 21 3 ans sans mettre de fumier et sans faire de provins ; la vigne est dès lors constituée et travaillée comme telle. Les fumures sont, suivant la quantité de provins, de 100 à 1920 mètres cubes de compost à l’hectare soit, comme fumure annuelle, de 30 à 40 mètres cubes. Ce compost est formé de terre rouge et de fumier mélangés en proportions à peu près égales en volume, ce qui fait un poids de terre double du poids du fumier. Les fumiers sont exclusivement des fumiers venant des régiments de cavalerie, Il convient d’ajouter que dans le compost du Mesnil on incorpore depuis 2 ou 3 ans eaviron 9 p. 100 de sulfate de fer. À Bouzy, on emploie des fumiers en nature et des fumiers mé- langés ou magasins formés par la stratification de fumier et de terre (sable ou cendre noire). Au moment de s’en servir on pioche le tout de haut en bas et à l’aide d’une griffe on mélange le plus possible la terre et le fumier. Pour les plantations, on emploie du fumier seul et des magasins. Au bout de 2 ans quand la plante est bien poussée on la provigne en la fumant avec du magasin. Au bout de 5 ans, quand la jeune vigne a déjà produit du fruit, on creuse un fossé qui descend jusqu'aux racines et qu’on remplit de fumier seul qu’on recouvre avec la terre du sol ; c’est ce qu’on appelle fumer au rayon. . Ces trois fumures faites, la vigne est dès lors amendée tous les 2 ans au moment du provignage. Pour ces fumures, on emploie des quantités qui représentent annuellement par hectare environ 32 mètres cubes de fumier et 12 mètres cubes de terre de montagne. A Verzy, les composts ne servent qu’à planter la vigne, et les 250 à 300 mètres cubes qu’on met par hectare, au moment de la plantation, sont composés de un tiers de fumier et de deux tiers de sable, c’est- à-dire un poids quadruple du dernier. Une fois la vigne plantée, on ne se sert plus de magasin; quand elle à deux ans, on l’amende avec du fumier de cheval de préférence à tout autre, ensuite on attend 4 ans pour en mettre à nouveau, en continuant ainsi tous les 4 ans et chaque fois on en met environ 190 mètres cubes à l’hectare, ce qui représente environ 90 mètres cubes par année. En outre, tous les 8 ou 10 ans au plus, on répand dans les vignes | Ü (l à 22 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. un mélange de un tiers de cendre noire sulfureuse et de deux tiers de sable, à raison de 200 mètres cubes environ à l’hectare. Voici quelle est la composition de différents types de composts prélevés dans les vignobles en expérience et qui se trouvent mé- langés de sables ou de cendres pyriteuses. POUR 1 000. NATURE DU COMPOST. TT — — Matière sèche. Eau. Fumier et terre rouge du Mesnil. . . . . 645 399 — cendres noires de Bouzy. . . . 580 420 LT HeSableNde DO U2V PER EEE 705 295 = MONSADIC A VETZY AUS CPR Een 820 180 RAS ADICATO NN ELZ VENTRE ANRT 823 177 Composition des composts pour 4 000 de matière telle qu'elle est employée. | NATURE DU COMPOST,. ACIDE phosphorique. CARBONATE de chaux. POTASSE. MAGNÉSIE. ACIDE sulfurique. calculé à l’état métallique. nitrique. | ammoniacal, | Fumier et terre rouge du Mesnil .| 2:39 |0.15 |0.0113 Fumier et ceudres noires de Bouzy.| 2.96 |0.02810.0390 Fumier et sable de Bouzy . . . .| 3. 0.016[0.1420 0.011/0.0101 | Fumier et sable de Verzy . . . . Ges composts sont sensiblement moins riches que les fumiers puisqu'ils ont été additionnés de proportions notables de substances terreuses qui ne contiennent elles-mêmes que de faibles quantités de principes fertilisants. Ce n’est que pour le fer, apporté abondamment par quelques-unes de ces substances, que nous trouvons une augmen- tation notable. La composition des composts dépend donc essentiel- lement des quantités relatives de fumier et de sable employés à leur fabrication. Aussi les composts de Verzy pour lesquels on emploie 2 mètres cubes de sable pour 1 de fumier sont-ils sensiblement plus pauvres. La nitrification de la matière azotée est en général peu accentuée, contrairement à ce qui se produit dans les terreaux obtenus par le mélange des fumiers avec la terre. La compacité de ces composts, RECHERCHES SUR LES VIGNOBLES DE LA CHAMPAGNE, 24 due principalement à l'extrême finesse des sables employés, doit être regardée comme la cause principale de la lenteur avec laquelle se forment les nitrates. Il y a lieu de faire remarquer qu’on introduit dans la vigne, avec ces mélanges ou avec les amendements terreux, de notables quan- tités de fer. Il v a lieu de croire que l’oxyde de fer joue surtout un rôle utile par la coloration qu'il donne au sol. Les terres de Ja Champagne sont par elles-mêmes peu colorées, L’oxyde de fer, en donnant une couleur plus foncée, favorise l’échauffement du sol qui, dans ce climat, situé à la limite de la végétation de la vigne, active la maturation des raisins. Cette introduction du fer nous semble donc logique. Le fumier de cheval frais, que l’on emploie en nature, a la com- posilion moyenne suivante : PAR PAR 1000 kilozr. mètre cube. Azote. . PR te re FR DA DAS Acide phosphorique.. . . . . . 2 1010 Potasse . 6.0 2.4 Avec les données qui précèdent, nous pouvons calculer les quan- tités de matières fertilisantes que reçoivent les vignes de la Cham- pagne. Au début de la plantation, avec une quantité de magasin de 300 mètres cubes à l’hectare, nous trouvons par exemple, pour le terroir de Verzy, avec des magasins d’âges différents : ACIDE CARBONATE AZOTE. phospho- POTASSE. de MAGNÉSIE, rique, chaux. Kilogr. Premier compost. . . . . 3172 252 420 6 {50 363 Autre compost. . . . . . 363 201 37S 3 690 212 On voit qu'avant de planter la vigne on modifie complètement la terre par un apport considérable de matières fertilisantes. Le com- post ainsi répandu uniformément à la surface du vignoble y for- merait une couche continue d’environ 3 centimètres d'épaisseur. Lorsque la végétation débute, elle se trouve donc non pas dans un sol maigre comme on le croit généralement, mais dans une terre 24 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. arüficiellement enrichie où elle trouve en abondance les substances nutritives nécessaires à son développement. Quant aux fumures qui sont données aux vignes en production, elles sont plus que suffisantes pour entretenir ce stock qui a plutôt une tendance à augmenter qu’à dimmuer. Ces fumures sont données tantôt tous les 2 ans, tantôt tous les 3 ou 4 ans. Ainsi, pour le terroir de Verzv, on donne 190 mètres cubes de fumier de cheval tous les 4 ans, soit environ 50 mètres cubes pour une année. Au Mesnil, la famure annuelle est de 35 mètres cubes de compost formé de fumier de cheval et de terre rouge. À Bouzy, on met annuellement à l’hectare 32 mètres cubes de fumier de cheval et 12 mêtres cubes de terre de montagne. Les quantités de matières feruilisantes données comme fumure à ces lerroirs, par année et par hectare, sont donc les suivantes : VERZY, LE MESNIL. BOUZY. Kilogr. Kilogr. Kilogr. AZODES A NP AD PES 110 83,65 13,40 Acide phosphorique. . . . 50 5°, 30 35,00 POTASSERE NU AM 120 119,19 88,80 On voit que ces fumures sont très fortes et qu’elles atteignent et dépassent même celles qu’on donne ordinairement pour les cultures qui passent pour les plus exigeantes, telles que celles des racines fourragères, des céréales, etc... Nous comparerons plus loin les quantités d'éléments fertilisants ainsi données à la vigne à celles qu’exige la plante pour son complet développement et la production de ses fruits. Analyses de divers sols et sous-sols de la Champagne. On a vu plus haut que les vignes de la Champagne ne sont pas plantées sur la craie pure qui n’en forme que le sous-sol. Déjà M. Risler avait appelé l’attention sur ce point’ dans une étude du plus haut intérêt sur la constitution géologique et l’agronomie de la 1. Géologie agricole, t. Il, p. 136. RECHERCHES SUR LES VIGNOBLES DE LA CHAMPAGNE. 29 Champagne ; ses observations et les considérations qu'il en a dédui- tes sont pleinement vérifiées par tous les faits que nous avons pu recueillir. | Le sol véritable est formé par un mélange provenant des terrains avoisinants argileux ou siliceux et se trouve en outre profondément modifié par l'apport continu d’amendements tels que les cendres noires, les terres siliceuses et argileuses, et d’engrais principale- ment de fumier, Un sol ainsi formé d'éléments hétérogènes apportés en proportions variables d’un lieu à l’autre ne saurait avoir une unité de composition. Aussi verrons-nous de grandes différences dans l’analyse des terres, même de celles qui sont prises en des points peu éloignés d’un même terroir. | En réalité les vignes vivent dans un sol artificiel qui a fini par acquérir, à force d’apports incessants, une constitution qui favorise à un haut degré leur prospérité. Leur culture peut se comparer en quelque sorte à la culture maraichère dans laquelle on accumule dans un sol superficiel les éléments fertilisants nécessaires à la pro- duction des récoltes, alors que dans les cultures ordinaires les raci- nes vont dans les profondeurs du sous-sol chercher les aliments qui ne se trouvent pas en suffisance dans la couche arable. Cette compa- raison se justifie par la manière particulière dont se développent les vignes de la Champagne. Alors que nous sommes habitués à voir les racines de la vigne pivoter en s’enfonçant à de grandes profondeurs, non seulement dans les terres meubles, mais encore dans les fissures des roches du sous-sol, nous voyons dans la Champagne les racines de la vigne rester étalées dans la couche supérieure et ne pénétrer dans les fentes de la craie que par quelques radicelles. La cause principale de ce fait nous semble due à la richesse et à l’'ameublis- sement de la couche superficielle, qui dispensent la racine des efforts nécessités par la recherche de la nourriture. Les racines rampent ainsi presque à la surface du sol à une profondeur d’environ 50 cen- timèêtres. L'opération du bêchage, pratiquée au moment de la taille et qui consiste à enterrer chaque année le bois de l’année précédente, doit contribuer à former cet enchevêtrement qui occupe toute la couche arable et qu’il est facile d'observer en arrachant une vigne ; 26 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. ces racines rampantes alleignent des longueurs de plusieurs mêtres sans tendance marquée au pivotement. Nous avons examiné pour quelques-uns des terroirs des propriétés de M. le comte Werlé, dans diverses parties de la Champagne, la terre dans laquelle la vigne est cullivée, ainsi que le sous-sol. Les échantillons ont été recueillis par les soins des régisseurs de M. le comte Werlé. Nous donnerons plus loin l’añalyse d’échantil- lons prélevés par nous-même de façon à représenter la partie essen- tielle de chacun des vignobles sur lesquels nous avons opéré. Déjà M. Grandeau avait donné les résultats d’un certain nombre d'analyses de terres de la Champagne; ces premières indications présentent un réel intérêt, mais dans le travail que nous avons en- trepris nous avons cru devoir reprendre à nouveau toutes les recher- ches qui. ont trait au vignoble champenois. Voici les résultats des analyses que nous avons faites sur les sols et les sous-sols prélevés en divers points des vignobles de M. le comte Werlé. TERROIR DE VERZENAY Silué dans l'arrondissement de Reims, canton de Verzy, à 16 kilo- mètres au sud-est de Reims. 1 forme, avec celui de Verzy qui est contigu, l'extrémité est des importants vignobles de la Montagne de Reims. Sa superficie en vignes est d’environ 280 hectares plantés presque exclusivement en pineau noir de la variété dite vert doré. Il compte parmi les meilleurs crus. POUR 1000 de terre sèche. te DÉSIGNATION DES PARCELLES, k : Terre fine. Caïlloux. Lahent ne of Sol, { mêtre d'épaisseur . . 850.60 149.40 LEE "FSons-sol ne LIL IN 5800 6082. 100.40 2 { Sol, 17,20 d'épaisseur . . . 913.35 86.69 )isse= ° 12 Disse-Bernard 1° LT RU DE de oo Metal Sol, 0M,50 d'épaisseur . . . 900.60 99.40 0 ° 9 | 1 1 Contures n°24 He PR RC ER ET af DIR | Sol, 0" ,50 d'épaisseur . . . S94.40 105.60 Buffle n° : : PA et ri Re S'ARRIMERAUES 721: 90 278.10 RECHERCHES SUR LES VIGNOBLES DE LA CHAMPAGNE. 27 La composition de la terre fine, passée au tamis d’un millimètre, est la suivante : POUR 1000’ DE TERRE FINE SÈCHE. DÉSIGNATION DES PARCELLES, ACIDE AZOTE. phos- phorique. Sol . Bâtiment n° 2{. . He Sous-sol , Disse-Renard n° 12 : ME Sous-s0] . Sol . 4 Sous-s0] . Sol . Sous-s0] . Coutures n° 24. © S © nr © à © © © mm 9 = nu nt 19 © OLS Oro © © © a nL'AS | Buffle n° 30. En tenant compte des cailloux mêlés à la terre, c’est-à-dire en envisageant la terre telle qu’elle est en réalité, on trouve pour 1 000 de terre brute la composition suivante : ACIDE CAR- BONATE - de phorique. chauxfin. phos- |POTASSE. Sol 0 Sous-sol , SOLS UE 2 Sous-sol . SOIF, Sous-sol . SOIT AE Sous-s0| . 123.34 368.37 173.5; 150. 157. 359. 126. 218. Bâtiment n° 21. Disse-Renard n° 12 . Coutures n° 24. Buffle n° 3. =D MN CNT M) À Où nt el et et ut OO mm ON me mm 1OQ 0000.00 28 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. TERROIR DE VERZY Verzy, chef-lieu de canton de l’arrondissement de Reims, à 20 kilomètres au sud-est de cette ville, est compris dans le groupe des vignobles de la Montagne de Reims. Sa superficie en vigne est d'environ 250 hectares plantés en pineau noir dit vert doré. POUR 1000 de terre sèche. A — INDICATION DES PARCELLES. à ) T'erre fine, Caïlloux. ne ee D CE ones va [M remet NN (a a TRS NS La composition de la terre fine, passée au tamis d’un millimètre, est la suivante : POUR 1 000 DE TERRE FINE SÈCHE. INDICATION DES PARCELLES. RO LD 4 phos- POTASSE. phorique. Sous-sol. . Sol. . Sous-sol. . Champs-Beaudet, n° 65. : Sol. . Mont de Bruyère, n°29. ; \ l SOIR ° } Sous-sol. . SSL Sous-sol. . Clos Saint-Basle, n° 45 Sous-le-Mont, n° 13. = bel nb et et bei 9 CT - CRM HN ar ES PUR 9 Ent = dt et 9 dt md het bb rt NON ON OLOLORGNO En tenant compte des cailloux, c’est-à-dire en envisageant la terre RECHERCHES SUR LES VIGNOBLES DE LA CHAMPAGNE. 29 telle qu’elle est en réalité, on trouve pour 1000 de terre brute la teneur suivante en principes fertilisants contenus dans les éléments fins : POUR 1 000 DE TERRE BRUTE SÈCHE. ns — INDICATION DES PARCELLES. ne CAR- = BONATE | MAGNE AZOTE. phos- POTASSE. phorique. SORA Sous-sol. . Sol. : Sous-sol, . Sol TAN | Sous-sol. , Sol. 4 Sous-sol, Mont de Bruyère, n°29. Champs-Beaudet, n°65. Gios Saint-Basle, n°45. Sous-le-Mont, n° 13 . eh it ét et © ét ee et . . . . . . . CC nm nm mm © mm © à . . . . . . . COLOMOLOIO Or Our DROIT ROC RONC On trouve dans le terroir de Verzy des parties où la terre est beaucoup moins riche en calcaire, bien plutôt argilo-siliceuse ; la craie formant le sous-sol n’apparaît qu’à une assez grande profon- deur. Voici un exemple de cette constitution particulière : POUR 1000 DE TERRE SÈCIIEe A fai Ç , - INDICATION DES PARCELLES. Cailloux Débris Terre fine. a — j siliceux. calcaires. °TSaniques. SOS =" PPT ED 76.20 8.00 D |'Soussol. : 2} 75480 229.401 4 15.80 La composition de la terre fine, passée au tamis d’un millimètre, est la suivante : POUR 1000 DE TERRE FINE SÈCHE. 2 —— INDICATION DES PARCELLES. Acide Carbonate Azote. phospho- Potasse. de Magrésie. rique, chaux. À (1) A 0.97 0.95 Les Bayons ; ù © © | Sous-sol. 0.54 0.74 116$ 30 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. En tenant compte des cailloux mélangés à la terre, c’est-à- dire en envisageant la terre telle qu’elle est en réalité, on trouve pour 1000 de terre brute, la teneur suivante en éléments ferti- lisants : | POUR 1 000 DE TERRE BRUTE SÈCHE. INDICATION CARBONATE des de chaux PARCELLES. fin. pierreux. Soir eo te AO à .24 [15.90 | 8.00 Sous-s0l . \ 1 0. 11.10 | 15.80 Les Bayons . TERROIR DE VILLERS-MARMERY Situé dans l’arrondissement de Reims, canton de Verzy, à 20 ki- lomètres au sud-est de Reims et à 3 kilomètres de Verzy. Sa superficie en vignes est d’environ 160 hectares plantés en vert doré. Pour 1000 de terre sèche. DÉSIGNATION DES PARCELLES , RS Terre fine. Cailloux. Sol. 4 906.15 93.85 (e] Chemin de Saint-Basle n° 34 . SOLE 0 90 91 96.09 N SE NS à Sol. . à 874.01 125.99 : TER PR 87.80 : SOS 4 890.90 109.10 4 9 2 [2 AU D A ANMIMEN PIE 78.62 SOLE 917.24 82.76 Sous-sol, . 959.05 40.95 Sole 800.40 199.60 Sous-sol. . 839.44 160.56 SOI UE 8412.28 15H72 Les Cœurets n° 37. Les Béguignes n° 31 . Sous-sol. . 868.19 131.81 pile Sol TT da 882.06 117.94 Sn D ADS Sous-sol. . 913.922 86.78 | # Le Les Essaires n° 6 , . . a) ei 2 RECHERCHES SUR LES VIGNOBLES DE LA CHAMPAGNE. 91 La composition de la terre fine, passée au tamis d’un millimètre, est la suivante : | POUR 1000 DE TERRE FINE SÈCHE. 1 DÉSIGNATION DES PARCELLES. ACIDE CAR- BONATE de phorique. chaux, 3 MAGNÉ- phos- |POTASSE. SIE. Sol . Sous-sol . Sol . . Sous-sol . Sol. à | Sous-sol . Sol . ; | Sous-sol . Sol . | Sous-sol . SOIR } Sous-sol . SOS UN : | Sous-sol . Chemin de St-Basle n° 34. Les Croix n° 22. Les Voies n° 21. Les Essaires n° 6. . Les Cœurets n° 37. . Les Béguignes n° 31. Le Camp n° 35. . . OQODOOOmMmOOO—-O© mm © © 1 DIN OMmMMe me En mt D em mi mt 9 19 19 9 19 19 mm 9 m2 NW En tenant compte des cailloux mêlés à la terre, c’est-à-dire en envisageant la terre telle qu’elle est en réalité, on trouve pour 1000 de terre brute la composition suivante : POUR 1000 D£ TERRE BRUTE SÈCHE. A DÉSIGNATION DES PARCELLES. Fe CAR- BONATE AZOTE. phos- |POTASSE. 1: phorique. chaux fin. MAGNÉ- : RE (MO) er SE Chemin de St-Basle n° 34. nsclé, { Sol . : Sous-sol . Sol . ; Sous-sol . Sol - : Sous-sol . Sol . - | Sous-sol . SD | Sous-sol . Sol . Sous-sol . 84. © —1 © Les Croix n° 22. . Les Voies n° 21. . DO © > Co Les Essaires n° 6. Les Cœurets n° 37. . IQ mm © I Ori C' © D À © SG © 19 I = C' Les Béguignes HEURE [=] rt 29 mn mt pt et QD mu 19 mt O9 mè mi mé 9 DO000nO00000000 O1 à © C2 O0 = I I I © © © 1 ni ét DO 19 eût et © it et md et et et jt Co Cr se x CZ 19 Qti9 © nt mi Le Camp n° 35. . . OZ ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE, TERROIR DE PARGNY Se trouve dans le canton de Ville-en-Tardenois, à 7 kilomètres à l’ouest de Reims. Sa superficie en vignes n’est que d’une trentaine d'hectares environ ; le cépage dominant est le pineau noir. POUR 1000 de terre sèche. DÉSIGNATION DES PARCELLES. TT CS LT es Terre fine. Cailloux. L'es Oréite de SOI NEPTUNE Re 878.38 121.62 RMS DU S-S01 REA, 916.24 83.76 , ME. NO ES DA ÉMNENTEN E 946.00 54.00 RES COR AU RIARE à. Sous-s01 . . . « . 943.12 56.88 LesMontÉes rm SOI SET TEEN 929.385 70.65 esiNoTesS EM en LE DAS ol La ESS 818.36 181.64 Les Deus ee 2e 01 S01 EE DCR 909,64 90.36 Les JATAS LE AS RSR SL ANNEE 982.52 17.48 POUR 1 000 DE TERRE FINE ET SÈCHE. "a DÉSIGNATION DES PARCEELES. Moro CAR- BONATE de chaux. MAGNÉ- AZOTE, phos- |POTASSE. SIE. phorique. | D ee 2 OS | COMENT | CHOSES EDS NON COTES ONE PSN .26 99 321.00 339 00 278.00 306.00 145.00 360.00 165.00 40.00 | 1 Sol. . | Les Ormissets. : Sous-sol , | Les Croix du Midi . | Sous-s0l lHesMontées Te RenE SV 0 | Les Noues mire te Sol. , Mies-Éeus), - 4. SERRES | Les JATUS NAN UMR Sol. . ; Sol OO © Om nm mm mm . One mm © mm © — RECHERCHES SUR DÉSIGNATION DES PAR Les Ormissets. , . . | Les Croix du Midi . . Les Montées Les Noues . Les Écus. Les Jards. LES VIGNOBLES DE LA CHAMPAGNE. POUR 1000 DE TERRE BRUTE SÈCHE. EEE CELLES. Sol. : Sous-sol. Sol. 5 Sou£-s0l. Sol::,7, Sol. Sol. Sol. ACIDE phos- phorique. POTASSE CAR- BONATE de chaux. MAGNÉ- SO o©ro©_- Oo © OO mm = = em TERROIR DE VILLEDOMANGE Situé dans l’arrondissement de Reims, canton de Ville-en-Tarde- nois, à 10 kilomètres au sud-ouest de Reims. La surface en vignes est d'environ 90 hectares plantés surtout en pineau noir dit vert doré. POUR 1 000 de terre sèche. DÉSIGNATION DES PARCELLES, PE LS = — Terre fine, Caïlloux. Sol . 954.74 45.926 Les Moussets . : AE Sous-sol. . . 971.09 28.91 : \ Sol. 950. 19 49.81 Les Quartiers . SES LR Q {| Sous-sol . 935.65 61.35 POUR 1000 DE TERRE FINE SÈCHE a —"" ES _—_ Acide Carbonate Azote, phospho- Potasse. de Magnésie. rique. chaux Née Mare \ Sol . 1.04 1.65 2,63 93.00 2.62 \ 7% | Sous-sol. 1.00 1.47 2.95 92.00 1.62 MERE à SO. 1.00 de 0 2.81 133.09 249 x Sous-sol. 1.00 1.32 2.86 131.09 3.93 ANN. SCIENCE AGRON. — 1892, — 11. 3 ©Q9 Dre ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. POUR 1000 DE TERRE BRUTE SÈCHE ——— 2 : Acide Carbonate Azote. phospho- Potasse. de Magnésie. rique. chaux. MO 88.79. 2.50 Les MOusS SUR TES N | Sous-sol. 0.97 1.43 2.86 89.34 1257 TRUE IMISDLERSE 0.95 1.23 2. 67 126.37 2.36 Lo " © | Sous-s0’. 0.93 1.26 2.68 d2220)7 3.02 TERROIR DE COURMAS Fait partie du canton de Ville-en-Tardenois et se trouve à 12 kilo- mètres au sud-ouest de Reims. Sa superficie en vignes est d’environ 30 hectares plantés surtout en pineau noir. POUR 1 000 de terre sèche. Terre fine. Cailloux. { n° 1, sol 0®,30 à 0,35 de profondeur. . 892.31 107,69 ENT Et E — — Ne 916.40 83.60 Le sous-sol de ces deux terres est glaiseux. POUR 1000 DE TERRE FINE SÈCHE Acide Carbonate Azote. phospho- Potasse. de Magnésie. rique. chaux. vi \anon 1.47 0,94 b.84 305.00 1.46 Jgne. < F : | n°2 1.46. 0.80 6.22 … 225.00 11.24 POUR 1000 DE TERRE BRUTE SÈCHE —————— © ° Acide :. Carbonate Azote. phospho- Potasse. de Masnésie. rique, chaux. CA { n° Î 1501 0.84 4.176 272.15 1.30 AVS lon». 1.34 0.73 5.70 206.19 10.30 Ce qui frappe surtout dans cette longue série d’analyses c’est l'inégalité de la répartition du calcaire dans les divers terroirs ou même dans les diverses parties d’un même terroir. En général ce- pendant la chaux est abondante et ce n’est que d’une façon excep- tionnelle que nous voyons prédominer les éléments argileux et sili- RECHERCHES SUR LES VIGNOBLES DE LA CHAMPAGNE. 39 ceux. Nous pouvons cependant dire que quelques-unes de ces terres doivent être regardées comme très peu calcaires puisqu'il y en à qui en ont moins de 2 à 5 p. 100. L’acide phosphorique au contraire se répartit avec une assez crande uniformité dans toutes ces terres et même dans le sous-sol. Sa proportion y est assez élevée pour qu'on puisse dire que les ter- res de la Champagne sont riches en phosphates. Fréquemment la proportion d'acide phosphorique s'élève au-dessus de 2 millièmes ; la moyenne générale est supérieure à 1 millième et demi, Cette forte teneur d’acide phosphorique, non seulement dans la couche arable, mais encore dans les couches sous-jacentes, permet de dire que d’abondantes provisions de ce principe fertilisant se trouvent à la disposition des vignes. On sait que les calcaires sont souvent riches en phosphates, il n’y a donc là rien dont il y ait lieu de s'étonner. Nous voyons d’ailleurs que les terres les plus pauvres en calcaire sont précisément celles où l'acide phosphorique est en moindre proportion. Quant à la potasse, qui est ordinairement si peu abondante dans les terrains calcaires, nous la trouvons ici en quantité notable, sou- vent supérieure à 2? millièmes et généralement voisine de 1 millième et demi. L'existence en proportion notable de cet élément fertilisant est attribuable en grande partie à l’apport de terres argileuses. Une partie sensible de cette potasse est soluble à froid dans les acides faibles et se trouve donc à un grand degré d’assimilabilité. En traitant quelques-unes des terres de la Champagne par l’eau froide, simplement acidulée pour détruire les propriétés absorbantes de la terre, suivant le procédé de M. Th. Schlæsinz, nous avons obtenu les résultats suivants : POTASSE POUR 1000 A" ” Souluble Soluble à chaud dans à froid dans Pacide l'acide azotique con- chlorhvdrique centré. étendu. {EE 1.15 0.41 Terre de Verzenay n 4 s | Sous-sol. . 0.97 0.3 | SOLE er: 1.69 A 0 Terre de Verzy ER ANEET 116 36 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. L’azote n’est abondant que d’une façon exceptionnelle, ce qu’il y a lieu d’attribuer à l’énergie avec laquelle les matières organiques sont nitrifiées dans ce sol calcaire essentiellement perméable, dans lequel l'élimination des nitrates formés est une cause de déperdition incessante d'azote. En donnant de fortes fumures à l’aide de fumier de ferme, transformé en compost, les.viticulteurs cherchent à main- tenir la matière azolée dans le sol. Jusqu'à présent on ne paraît pas yavoir appliqué de nitrate de soude et de sulfate d’ammoniaque, qui conviendraient d’ailleurs mal à ces terres où les composés solu- bles de l’azote sont éliminés rapidement. En réalité, la terre de ces vignes est une terre relativement riche et ne participe point de cette aridité spéciale à la formalion crayeuse qui occupe la plus grande partie de la Champagne. La vigne est cul- tivée dans des ilots privilégiés sur lesquels se concentrent les efforts des viticulteurs et qui sont incessamment enrichis par des amende- ments et des fumures. Ces terres contiennent presque toujours «les cailloux très calcaires provenant évidemment du sous-sol constitué par la craie. Par leur effrittement qui s’opère assez rapidement en raison de leur peu de dureté ils contribuent à la formation de la terre végétale à laquelle ils s’incorporent dans la suile des temps. Nous avons cru intéressant d’examiner la composition chimique de ces éléments rocheux formant l’assise géologique de toute la Champagne. Voici les résultats que nous avons obtenus en opérant tant sur les fragments disséminés dans le sol que sur ceux retirés du sous-sol : pour 10)0 rm Carbonate Acide de phospho- Potasse. Magnésie. chaux. rique. Terroir de Villers-Marmery. . . . Sous-sol. 370 1625 0.83 0.39 » 0 894 0.74 0.98 0.59 A PAR Sous-sol. 866 0.48 nondosée non dosée — de Pargnÿ. { Les Montées . Sol. . . 820 0.67 » » Les Noues . . Sol. . . 6Go1 0.36 NP CEE Mer Cora. LT nur On Got 0.51 non dosée nondosée Quant à l'azote il n'existe qu’en très minime proportion. RECHERCHES SUR LES VIGNOBLES DE LA CHAMPAGNE. 37 Quoi qu'il en soit, ces fragments de la roche sous-jacente ne sont pas entièrement dépourvus d'éléments fertilisants et peuvent con- tribuer par leur désagrégation lente à l'entretien de la fertilité du sol. Quant aux trois terroirs qui ont servi à nos expériences, le Mesnil- sur-Oger, Bouzy et Verzenay, et dont nous parlerons exclusivement dans ce qui va suivre, nous les avons choisis intentionnellement en raison de leur situation qui nous permet de les regarder comme pouvant servir de types aux principales régions viticoles de la Cham- pagne. En parcourant l’ensemble du vignoble champenois avec le comte Werlé, qui le connaît jusque dans ses moindres détails et avec M. G. Couanon, inspecteur général des services phylloxériques au Ministère de l’Agriculture qui a bien voulu nous aider de ses con- seils si autorisés, c’est à ces trois importants vignobles que nous nous sommes arrêtés. 1° Le Mesnil-sur-Oger représente le groupe de la côte d’Avize qui fait partie des vignobles de la vallée de la Marne (Vertus, Mesnil- sur-Oger, Oger, Avize et Cramant). Les centres d’opérations des établissements de M. le comte Werlé sont le Mesnil-sur-Oger et Oger où d'importants vendangeoirs sont installés et où sont traités les raisins provenant de ces deux commu- nes et des communes avoisinantes ; celte année, par exemple, de nombreuses livraisons ont été prises, comme de coutume, à Vertus, distant du Mesnil de 5 à 6 kilomètres ; d’autres fois, on fait de même de nombreux achats à Avize et à Cramant. 2° Bouzy représente, avec Ambonnay, le groupe intermédiaire entre la Marne et la Montagne de Reims. Des installations, non moins bien aménagées que les précédentes, existent dans ces deux centres; c'est même Bouzy qui fut le point de départ de l’universelle réputation de la maison V'° Clicquot. 9° Enfin Verzenay et Verzy comptent de même plusieurs pres- soirs et sont situés dans le groupe de la Haute-Montagne de Reims avec Sillery, Mailly, etc., jusque Rilly-la-Montagne. Leurs crus sont également très appréciés. Nous examinerons l’un après l’autre ces trois principaux terroirs. Lg r [2 - PROGRESS ne 38 - ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. - Avant de donner les résultats de nos observations, nous croyons utile de décrire sommairement la façon dont les échantillons néces- saires à ces études ont été prélevés. Pour connaître les quantités d'éléments fertilisants dont la vigne a eu besoin pour son dévelop- pement, il était indispensable de déterminer la quantité totale de substances végétales produite à l’hectare, se subdivisant en vins, en marcs, lies, en feuilles et en bois ou sarments. Prélévements des échantillons de feuilles. — Pour avoir un échantillon représentant autant que possible la moyenne du vignoble, il à été nécessaire de le prélever avec des précautions particulières. On à choisi vingt ceps distants les uns des autres, dans les diverses parties du vignoble, et parmi ceux de vigueur moyenne, en écarlant les pieds ou trop forts ou trop faibles. Aussitôt la vendange faite, on a enlevé les feuilles avec leurs pétioles. Elles ont été pesées et en- suile soumises à la dessiccation. Le nombre de souches à l’hectare élant déterminé, on avait ainsi un échantillon représentant l’ensem- ble des feuilles du terroir el permettant de calculer le poids total à l’hectare. Prélèvements des sarments. — Les mêmes 20 pieds de chaque terroir ont été, après l’enlèvement des feuilles, soumis à la taille usitée dans le pays, c’est-à-dire qu’on a coupé au sécateur tous les sarments contre le vieux bois, sauf le plus beau et le mieux placé qu’on a taillé à 3 veux. Ces sarments ainsi enlevés ont été pesés, coupés en morceaux et séchés. Prélèvements des marcs. — On a prélevé dans plusieurs pressées un échantillon moyen de mare qu’on a mélangé et dont on a pesé 5 kilogrammes qui ont été séchés. Quant à la détermination du poids total des mares, elle résulte de la pesée de plusieurs pressées et du compte du nombre des pressées. En opérant ainsi on était assuré d’une approximation suf- fisante. Prélèvements des vins. — La quantité de vin est obtenue d’après RECHERCHES SUR LES VIGNOBLES DE LA CHAMPAGNE. 39 le nombre de pièces dont le volume est constant. Les échantillons ont été pris au soutirage. Le prélèvement des échantillons a été opéré par M. Rousseanx, préparateur à l’Institut agronomique, qui a apporté le plus grand soin à ce travail délicat. TERROIR DE MESNIL-SUR-0OGER Situation. — Le Mesnil-sur-Oger est situé dans l'arrondissement d'Épernay, canton d’Avize, à 16 kilomètres environ au sud d’Éper- nav, sur la ligne de chemin de fer de Oiry à Romilly. La surface du terroir en vignes est d’environ 300 hectares plantés en pineau blanc. Le sol est généralement constitué, dans le terroir du Mesnil, par un mélange en proportions variables de calcaire, d’argile et de sables. Son épaisseur n’est tantôt que d’une quarantaine de centimètres, tantôt elle atteint et dépasse mème 1 mètre. Le sous-sol est formé par la craie appelée dans le pays crayon. Nous donnons ci-dessous l° aniûe de deux échantillons de sols et de sous-sols : POUR 1000 DE TERRE SÈCHE. RE TD Cailloux Débris Terre fine, _—…2…._. —-— _——_— — s siliceux. calcaires. °rS8aniques. FAT FéSol, 028 843.00 64.10 92.40 2.96 | "| Sous-sol . 446.60 0.00 553.40 » Moon { Sols. 869.80 35.40 US 1.09 à ‘| Sous-sol . 256.60 0.00 743.4 » POUR 1000 DE TERRE FINE SÈCHE. 7 Acide Carbonate Azote. phospho - Potasse. de Magnésie. rique. chaux. Coullemest | Sol. 1392 1.86 1.78 289.50 0225 LE (TSous- if 0.56 1:25 1.42 863.00 0.75 Mme | Sol 1.03 1:57 1.69 416.50 0.93 7, Le so 1.16 1.31 1.35 «706.00 0.99 40 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. POUR 1000 DE TERRE BRUTE SÈCHE. SE FE) RER Acide Carbonate de chaux Azote. phos- Potasse. —_…— «mm Magnésie. phorique. fin. pierreux. D eneer { Sol. 1e L:97 1.50 244.05 92.40 D91 $ ‘ | Sous-sol. 0.25 0.56 0.63 385.41 555 :40800:33 A { $ 0.89 1.36 bo 202827 102.80 0.81 à "| Sous-sol . 029 0.33 0.34 181.16 743.40 0125 r La proportion de fer, calculé à l’état métallique, est de 19.4 dans le sol et de 18.6 dans le sous-sol p. 1000 de terre, c’est-à-dire d’en- viron 2 p. 100. Le sol proprement dit est riche en calcaire, bien pourvu d’élé- ments fertilisants, presque entièrement constitué par de la terre fine ; mais le sous-sol est du crayon formant une roche com- pacle. La superficie du vignoble en expérience est de 28 hectares 98 ares 65 centiares. . Le nombre de souches à l’hectare est de 40 000 en moyenne. L'âge moyen de la vigne est de 70 ans environ. La vendange qui a duré en 1892 du 98 septembre au 5 octobre a donné les rendements suivants : | Ouantiiésde vendange 7 Leu ti um 61 748 kilogr. ! Les chiffres exprimant les quantités de vendange, de vin et de marc se rapportent comme celui des feuilles et des sarments à la production du vignoble en expérience. Il convient d'ajouter que comme cela se fait d'habitude, les raisins des vignes avoisinantes ont été achetés aux propriétaires; nous n’a- vons eu à tenir aucun compte dans ce travail de cette vendange ve- nue du dehors et qui, traitée séparément, n’a point élé une cause de trouble pour nos essais. Ajoutons que cette année ce raisin a été payé au prix de 2 fr. 50c. le kilogramme. {. Ge chiffre a été obtenu directement par la pese de l’ensemble de la vendange. Celle-ci étant parfaitement mûre et non avariée, il n'a pas été nécessaire de faire le triage habituel des grains non mûrs ou pourris. RECHERCHES SUR LES VIGNOBLES DE LA CHAMPAGNE. 41 Résultats obtenus pour l’ensemble du vignoble. — Étant donné que de 4800 kilogr. de raisin on tire 12 pièces de vin de cuvée, 2 pièces et demi de première suite, 2 pièces et demi de deuxième suite et À pièce un quart de rebêche, on obtient pour les 61748 ki- logr. de vendange : Vin de euvée. . . . . 154 pièces de 200 litres, soit 308 hectolitres. HEISUile RTS 32,9 = — 65 — — 2e suite. 89,5 — - Goo — rebêche. 18 <= — 36 — Poids to‘al de marc sec ! RE — du marc séché à 100 ue ; — des feuilles fraîches. 11 050 kilogr. 3226 — 84 501: — — des feuilles desséchées à 100 durs pour ensemble du domaine. L — des sarments frais pour es tenile otre — des sarments desséchés à 100 degrés pour l'ensemble du domaine. Voici les résultats analytiques de ces divers produits de la vé- gétalion de la vigne, en ne tenant compte que des éléments ferti- lisants : Analyse des vins (par litre). VINS de cuvée. de 1re suite. de 2e suite, de rebèche. Gr. Gr, Gr. Gr. Azote . 0,239 0,242 0,231 0,221 Cendres . 2,430 2,400 2,870 4,920 Acide FAT METRE 0,118 0,134 0,184 0,435 Potasse . 0,561 0,617 0,740 1,432 Chaux. 0,054 0,055 0,018 0,083 Magnésie. 0,049 0,048 - 0,063 0,027 Nous voyons dans ce tableau que les éléments de la plus grande importance, l’acide phosphorique et la potasse, augmentent d’une façon progressive et très notable à mesure que le vin reste plus {. On entend par marc sec le produit de l'expression complète du raisin. 42 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. longtemps en contact avec le marc. C’est un fait sur lequel il nous paraît intéressant d'appeler l'attention. Analyse des sarments, des feuilles et des marcs. POUR 100 DE MATIÈRE SÉCHÉE A 1000. DO RRIUEES Je SUR Re E Sarments. Feuilles. Marcs. AZOtE 5e RENTREE 0.57 TUE) 1.81 Cendres . Fe 3.94 11.36 6.1 Acide phosphorique. 025 0.38 0.7S POTASSÉ SERRE US 0.74 DU 2,36 Chaux. 1 4.78 092 Magnésie. 0.19 0.46 0.07 C'est toujours dans les feuilles et dans les marcs que nous trou- vons l’accumulation de l'azote et de l'acide phosphorique. Les résultats qui précèdent sont calculés pour le vin en nature et pour les autres produits pour la matière sèche. Il n’est pas sans in- térêt de donner l’analyse des cendres elles-mêmes. Gomposition centésimale des cendres, SARMENTS. MARCS OUVÉE 1'e SUITE, 2e SUITE Acide phosphorique . . : à : 5.57| 6.39| 8.83 POTASS ONE PR En : , HR , .19129.09 Chaux Men PET mere J : DE ; AO LEON MASSE ANAL AE a k. ! MO .18| 0.54 Les vins ayant été pris au soutirage, il n’y à pas lieu de se préoccuper du tartre qu'ils déposent dans la suite et qui est d'environ 100 gr. par hectolitre; mais nous devons tenir compte des lies qui ne sont plus contenues dans le vin soumis à l’ana- lyse. 43 Nous donnons l'analyse d’un tartre déposé dans les tonneaux des RECHERCHES SUR LES VIGNOBLES DE LA CHAMPAGNE. caves de Reims. pour 100 de tartre sec. POUR 100 de tartre sec. Azote . : 0.30 Chaux . 0.70 Acide phosphorique. 0.01 Magnésie . traces. Potasse 17.50 Un hectolitre dépose donc à l’état de tartre 17 gr. de potasse. Quant aux lies, leur proportion a varié entre 1 litre et 1 litre 1/2 de lie épaisse, déposée pendant un mois. À cet état, la lie contient pour 100: Eau. 67.00 RotasSe En AU EAN ASE S507) Azote . : 0.60 CAMERA EAN AN 3.00 Acide phosphorique. . 0.20 Magnésie. traces. Toutes les données que nous venons de recueillir, tant sur le terrain que dans le vendangeoir et le laboratoire, permettent de calculer la proportion de principes fertilisants que la plante a absor- bés dans le cours de sa végétation pour la production de son bois, de ses feuilles et de ses fruits. , Le tableau suivant est rapporté à 1 hectare de vignes. Matières fertilisantes absorbées par hectare de vignes. ACIDE MAGNÉ- AZOTE. |PHoSsPHo- CHAUX. RIQUE. SIE. Kilogr. 0,127 0,035 0,048 0,055 Kilogr. 0,602 0.164 0,194 0,180 Kilogr. 0,058 0,014 0,012 0,010 Kilogr. 0,053 0,012 0,016 0,003 10 2 D Il =" a] 19 19 -1 Vin de cuvée . Vin de {re suite. Vin de ?° suite Vin de rebôche . Total TT ww] © [er] 171,27 Marces secs. Feuilles sèches. Sarments secs . . Lies. 114,858 947 ,000/16 431 ,000 21 ,600 0,880 3,595 0,992 0,050 2,663 10,106 3,191 0,800 0,079 | 4,352 0,819 traces Totaux. . 5,782 | 18,200 0,334 44 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. TERROIR DE BOUZY Bouzy est situé dans l'arrondissement de Reims, canton d’Av, à environ 24 kilomètres au sud de Reims. La surface totale du terroir en vignes est d’à peu près 160 hectares. Le cépage dominant est le pineau noir dit vert-doré. Le sol est formé d’un mélange d’argile, de calcaire et de sable. Le sous-sol immédiat n’est pas toujours la craie compacte mais un mélange de calcaire et d’argile, cette dernière dominant en beau- coup d’endroits. Nous donnons ci-dessous quelques analyses de sols et de sous- sols. POUR 1000 DE TERRE SÈCHE A — DÉSIGNATION DES PARCELLES, CAILLOUX DÉBRIS —m—— mm— | Orga- k siliceux. |[calcaires.| niques. { Sol, 0,35 de profondeur! S51.90! 94.50! 53.60 * | Sous-sol. . . . . . .| 835.00| 75.10] 89.90 Sol, 0®,35 de profondeur! 901.10] 81.50! 17.40 | Sous-sol: , . . .%1653:30] 125. 20.80 Voie de Bulon. Vandaillon . POUR 1000 DE TERRE FINE SÈCHE. Acide Carbonate Azote. phospho- Potasse. de Magnésie. rique. chaux, as deSBnlon { Sol. SH 1.07 1.61 830) 113.50 2.95 "| Sous-sol. . 1.13 de 1.94 191.00 1.85 Vandaïllon SAME 1.02 1.40 2.57 88.50 0.16 " © ‘| Sous-sol. . OO :7 "41:50 1.93 177.00 1.99 RECHERCHES SUR LES VIGNOBLES DE LA CHAMPAGNE. 45 : POUR 1000 DE TERRE BRUTE SÈCHE DÉSIGNATION CARBONATE de chaux phos- |POTASSE, nn — PARCELLES. SIE. phorique. fn. pierreux. des ACIDE À MAGNÉ- SOL Sous-s0]. Sol. . Sous-sol, Voie de Bulon. Vandaillon. . | Ici Le sol et le sous-sol sont constitués par des éléments fins; les racines de la vigne ont donc une couche de terre plus épaisse à leur disposition. Le crayon n’apparaît qu’à une profondeur plus grande. La proportion de fer calculé à l’état métallique est en moyenne de 15.6 pour le sol et de 18.2 pour le sous-sol, c’est-à-dire un peu moins de 2 p. 100. Le sol contient beaucoup plus d'éléments sableux et argileux que de calcaire ; il en est de même du sous-sol, qui se confond avec le sol lui-même dont il possède l’ameublissement et la composition chimique, qui est satisfaisante. La superficie du vignoble en expérience est de 28 hectares 28 ares 48 centiares. Le nombre de souches à l’hectare est d'environ 45 000. L'âge moyen de la vigne est d'environ 70 à 75 ans. La vendange effectuée du 28 septembre au 5 octobre a donné: Quantité devendange 45m. 0 0 21 600 kilogr. D'une pressée de 3 360 kilogr. on retire : 8 pièces de vin de cuvée, Î pièce et demie de première suite, 1 pièce et demie de deuxième suite, et [ pièce et demie de rebêche, ce qui donne pour les 21 600 kilogr. de vendange exprimée à fond et pour l’ensemble du domaine : Vin de cuvée. - :.. . 51 pièces de 200 litres soit 102 hectolitres Vin-deépt taille.) -: DS A UOTE 15 5x Vin de 2% taille. .- …. SEE NME 1 — Vin de rebêche. . . . 9 -- 200 — 1S — 46 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Poids total de marc sec . . AN < D ne 4 Soi kilogr. — dumarciséché ar ll00Lesres SEE IT ER 1763 — — des-feuilles fraîches 1220 er D TA DIR RE — des feuilles desséchées à 100 degrés pour l'ensemble du domaine Un LU SENTE RE EE Ne 374921 — — des sarments frais pour l'ensemble du domaine . . . . 67657 — — des sarments desséchés à 100 degrés pour l'ensemble du dOMAME, ER PC NET TT le brest NP SUIS UNE Voici les résultats analytiques de ces divers produits de la vigne, en ne tenant compte que des éléments fertilisants. et Analyse des vins (par litre). VINS RE ————— de cuvée. del'e suite. de 2e suite. de rebéche!, ACT Gr. Gr. Gr. FAIR RS RES POLE SIN ET EE 0,315 0,238 0,263 0,281 Genres Sn Une 2,620 1,870 25690 4,655 Acide phosphorique. . . 0,139 0,171 0,235 0,380 DOPASSP FAN EL PRLANESE 0,589 0,798 1,044 1,528 CHAUX ETAT LARMES 0,082 0,090 0,084 0,075 Magnésien DEC 0,058 0,018 0,020 0,021 Nous voyons de même dans ce tableau que l’acide phosphorique la potasse augmentent d’une façon notable et progressive à me- sure que le vin reste plus longtemps en contact avec le marc. Analyse des sarments, des feuilles et des marcs. POUR 100 DE MATIÈRE SÉCHÉE A 1000. A Sarments. Feuilles, Mares. AOL RS ROME AR ES 0.59 1.80 1298 Cendres . RUE 4.30 13.86 es Acide phosphorique. . . 0.24 0.46 0.76 l'otasse VOB De 1.93 9.51 Chaux. : 1825 4.51 0.71 Mas SIG ES RE ARS 0.19 D 0.08 Gest encore dans les feuilles et dans les mares que nous trouvons l'accumulation de l’azote et de l'acide phosphorique. Ces résultats sont également calculés pour le vin en nature et pour Îles autres produits, pour la matière sèche. Voici l'analyse des cendres elles-mêmes. pare 1. Movenne de Mesnil-sur-Oger et Verzenay, RECHERCHES SUR LES VIGNOBLES DE LA CHAMPAGNE. 47 Composition centésimale des cendres. SARMENTS. FEUILLES. 11€ SUITE. | 2e SUITE. REBÊCHE!. SLI 871 .78133.04 1.61 0.45 Acide phosphorique 00 l'otasse . 13.96 Chaux. 32521239, Bah 3.14 F, Magnésienh PE DE IENANSE 1952 UE ; 10 1. Moyenne de Mesnil-sur-Oger et de Verzenay. Le tableau suivant est rapporté à un hectare de vignes. Matières fertilisantes absorbées par hectare de vignes. ACIDE . MAGNÉ- AZOTE. |PHOsSPHO- CHAUX, | | | SIE. Kilogr. 3h1,60| 0,113 0 ,63| 0,015 0 ,63| 0,016 0 ,63| 0,018 5hl,49 Kilogr. 0,050 0,011 0,015 0,024 Kilogr. 0,212 0,050 0,066 0,096 Kilogr. 0,029 0,006 0,005 0,005 Kilogr. | 0,014 0,001, 0,001 0,001 Vin de cuvée. Vin de {'° suite Vin de ?° suite. Vin de rebêche. Total. Marcs secs. . Feuilles sèches. Sarments secs . Lies. 62k5,370 1,204 1323 ,000/23,814 1135 ,575| 6 8 ,000 Totaux. 1,569 25,534 9,993 TERROIR DE VERZENAY Le terroir de Verzenay se trouve dans l’arrondissement de Reims, canton de Verzy, à 16 kilomètres au sud-est de Reims. 48 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Il forme, avec celui de Verzy qui est contigu, l’extrémité est des importants vignobles da la Montagne de Reims. Sa superficie en vignes est d'environ 380 hectares plantés presque exclusivement en pineau noir de la variété dite vert-doré. Il compte parmi les meilleurs crus. La superficie du vignoble en expérience est de 35 hectares. Le sol est constitué par un mélange d'argile, de calcaire et de sable ; dans le sous-sol le calcaire est plus abondant mais la craie pure ne se trouve que plus profundément. Voici l’analyse d’un échantillon de sol et de sous-sol. POUR 1000 DE TERRE SÈCHE 2 —— —— —— DÉSIGNATION DES PARCELLES. CAILLOUX DÉBRIS TERRE © orga- fine. Ee à siliceux. |calcaires.| niques. Sol, 0®,35 de profondeur. .| 940.60! 27.90 | 31.50 | 1.09 Le Pers RO ENT ea 101 88000) 8700 02000 POUR 1009 DE TERRE FINE SÈCHE fine Acide Carbonate Azote, phospho- Potasse. de Magné-ie. rique. chaux. 2 SOI RATE SRE O) 7 122 1.86 101.50 1.26 Le Perthois. À À Eee Sous-sol. . 0.98 1.48 1.64 245.50 deb à POUR 1 000 DE TERRE BRUTE SÈCHE DÉSIGNATION des CARBONATE ACIDE ee de chaux MAGNE- ee ne : phos- POTASSE. | as = SIE. phorique. fin. pierreux. Sol. LEO) à . 79 95.40! 31.90 | 1.18 LÉ PES ETE Son an | 0 Na de .33 | 199.80! 97.00 | 0.90 TEE Le terroir de Verzenay est moyennement calcaire ; le sous-sol l’est beaucoup plus. RECHERCHES SUR LES VIGNOBLES DE LA CHAMPAGNE. 49 La proportion de fer calculé à l’état métallique est dans le sol de 14.5 et dans le sous-sol de 14.9 p. 4 000 de terre. Dans les sols de Verzenay, de Villers-Marmerv, etc., la quantité de fer est en moyenne de 48 p. 1 000. On voit que dans ces terres ainsi que dans les précédentes que nous avons examinées, la proportion de débris organiques est assez sensible, Ce sont surtout des matériaux de fumier non entièrement décomposés ; ils peuvent contribuer dans une certaine mesure à l’allègement du sol et à l'entretien de sa fraîcheur. Le nombre de souches à l’hectare est d'environ 45 000. Le cépage dominant est le pineau noir dit vert-doré. L'âge moyen de la vigne est de 55 à 40 ans. La vendange, effectuée du 28 septembre au 5 octobre, a donné Quantité de vendange. : . . . . . 30 000 kilogr. VINTAE CUNÉS EN NLNTT. 71 pièces de 200 litres, soit 142 hectolitres. te A ET RATER 12 — _— 24 — — 9e faille . . : . 14 — — 28 — — rebêche. . . . . 16 — — 32 — ROIS total de mare sce . . . ER CAL OMR PER ER ER » 688 kilogr. — de marc desséché à 100 degrés . AR ne Us Een 1913 — — des feuilles fraiches . . . . . 180967 — — des feuilles desséchées à 100 de pour r enpie du domaine 5. LUC RARE 22526 — — des sarments frais pour Lu iomnnie du ne AS 17962 — — des sarments desséchés à 100 degrés pour l'ensemble du AOMAINELS A MAN LPEN 2 Le Mau cn O) che, 38 31 — Voici les résultats analytiques de ces divers produits de la vigne, en ne tenant compte que des éléments fertilisants. Analyse des vins (par litre). VINS A" de cuvée. de j'e suite, de 2e suite. de rebêche. Gr. Gr. Gr. Gr. AZ DÉC MERR r ds ie eo 0.242 0,259 0,270 0,342 Cendres . PAPE à 3,410 4,780 3,430 4,390 Acide phosphorique. . . . 0,142 0,179 0,182 0,325 POSER PEL ST 0,665 0,865 0,854 1,624 GAS EAN NV à 0,095 0,096 0,061 0,068 MANS ME EUX. 0,042 0,050 0,027 0,016 ANN. SCIENCE AGRON. — 1892, — 11. 4 0 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQI'E, Nous remarquons encore que l'acide phosphorique et la potasse sont en quanti!é d'autant plus grande que le vin est resté plus long- temps en contact avec le mare. Analyse des sarments, des feuilles et des marcs. POUR 100 br MAïrèue séonÉm A 100, © Sarments, lFouillus, Maures, Azole . 0,62 lo 1,92 Cendres . . “4.40 14.06 8.59 Acide phosphorique, 0.23 0.51 0.74 Potasse 0.88 1,89 pp fo Chaux. 1,27 4,52 0.76 Magnésie, 0.18 0.19 0.08 el lies mares que nous trouvons les plus grandes quantités d'azote et D. C'est, comme pour les précédentes analyses, dans les feuilles d'acide phosphorique. Les résultats qui précèdent sont calculés pour le vin en nature et, pour les autres produits, pour la matière sèche, Voici la composi- lion centésimale des cendres. Composition centésimale des cendres. S SARMENTS FEUILLES. 1 © SUITE 2e SUITE. REBÊCHE. S,64 ea (Li 13.44! 31.80 .49 34.28 8.90 .79 128601220407 A b.:29| 7.894 18.09! 24.89/36.99 | 1.99 1A711#145 6 1.05 40:79| 0.55 | Acide phosphorique 20.1) 285.80 4.00 lotasse . Chaux. Magnésie Le tableau suivant est rapporté à un hectare de vignes. RECHERCHES SUR LES VIGNOBLES DE LA CHAMPAGNE, pi Matières fertilisantes absorbées par hectare de vignes. ACIDE MAGNÉ- AZOTE, |rnosriro- CHAUX, RIQUID, Kilogr, | Kilogr, | Kilogr, | Kilogr, | Kilogr. | NINAADAOUVO ET AMMRNEE , 05! 0,098! 0,057| 0,269! 0,038] 0,017 | MIND e at AULER, Ver lt ÿ8| 0,018| 0,012! 0,009! 0,006! 0,003 AUGMENTE SP? 50! 0,022! 0,014! 0,068] 0,005] 0,002 | Vin de rebêche, , . . . . 91| 0,031! 0,029! 0,148] 0,006! 0,001 | Total. | | Maron'Be08s, .: «4, 54K,600! 1,048| 0,404! 1,480 5| 0,044 | Feuilles sèches. . , . 1500 ,525128,660! 7,653! 28,360! 72,32: 2,851 Sarments secs . , . . 1095:,525| 6,792: 2,520] 90,641! 13,018] 1,072 CORAN RNA 8 ,200! 0,060! 0,022! 0,330 265] traces Totaux. . . .136,729| 10,711| 40,355| 86,973] 4,890 Nous avons dit plus haut que les gelées printanières avaient forte- ment atteint deux des vignobles en expérience, dont la récolte à été ainsi considérablement diminuée ; le Mesnil seul à donné une récolte à peu près moyenne. Quoi qu'il en soit, mettons en regard les quantités d'éléments ferti- lisants qui ont été nécessaires au développement végétatif dans les conditions que nous venons d'indiquer : Somme des éléments fertilisants absorbés par chaque hectare de vignes, ACIDE v RENDE MAGNE AZOTE, |virosgvero- CHAUX, MENT, SIi, RIQUH, Hoctol, | Kilogr, | Kilogr, | Kilowr, | Kilogr. | Kilogr, | Terroir duMesnil. . . . .| 17,27121,804| 5,782| 18,200! 52,694! 5,334 | de Bouzy , . . .|n 5,49181,930! 9,402! 37,784| 74,570! 5,002 de Verzenay, , . . 6,44136,729| 10,711 40,350! 86,973] 4,890 | 3 52 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. En rapprochant ces résultats de ceux que nous avons donnés dans les tableaux précédents, nous voyons que la presque totalité des élé- ments fertilisants, azote, acide phosphorique, potasse, chaux et magnésie est concentrée dans les sarments et dans les feuilles et surtout dans ces dernières. Ge n’est donc pas la quantité de vendange qui modifie d’une façon appréciable la somme des éléments enlevés à la vigne, c’est bien plutôt le développement des organes ligneux et foliacés. Ce fait res- sort clairement de la comparaison des terroirs où les rendements ont été si imégaux. Celui du Mesnil, avec un rendement à peu près moyen et qui n’a presque pas souffert de la gelée, a en somme épuisé la vigne beaucoup moins que ceux de Bouzy et de Verzenay. Cela ent à la végétation plus luxuriante de ces deux derniers, attri- buable à la nature du cépage ; le Mesnil est en effet planté de pineaux blancs, cépage plus grêle que les pineaux noirs de Bouzy et de Verzenay. Nous voyons encore que dans tous les cas l’azote a été absorbé en proportion notable et que par suite les fumures azotées ne doivent pas être négligées. Quant à la potasse, sa proportion est considérable dans toutes les parties de la plante ; les feuilles ont une saveur aigrelette probable- ment due au bitartrate de potasse qui existe également en grande quantité dans le vin. Une des caractéristiques des vins venus à la limite septentrionale de la végétation de la vigne parait être une prédominance des sels de potasse à acides végétaux. L’acide phosphorique est absorbé en petite qaantité seulement ; il est loin d’être l’élément prédominant. Ces considérations tirées de données directement observées ne seraient pas infirmées si au lieu des rendements anormaux que nous avons «onslatés, on avait obtenu des rendements moyens. Nous pou- vons en effet calculer, sans crainte de commettre une erreur appré- ciable, quelle serait la somme des éléments fertilisants absorbés par la vigne avec une production moyenne de 2% hectolitres à l’hectare et en admettant que le développement ligneux et foliacé füt le même et que la composition centésimale du vin et des marcs ne fût pas REGHERCHES SUR LES VIGNOBLES DE LA CHAMPAGNE. 53 différente de celle que nous avons trouvée avec les données re- cueillies. Voici les résultats que l’on obtiendrait ainsi : Matières fertilisantes absorbées par hectare de vignes pour un rendement théorique de 25 hectolitres à l'hectare. ACIDE : MAGNE- PHOSPHO- CHAUX. SIE. RIQUE. Kilosr. Kilozr, Kilozr. Kilogr. Kilogr. Le Mesnil-sur-Oger. Vin total. 2» hectohtres| 0,589! 0,383] 1,650 Marcs secs . 163K8400| 2,957 Feuilles sèches . . . 947 ,000! 16,745 Sarments secs . . . 431 ,000! 2,458 Liespeh UE 4 314 :290 Total eneT24 974 Bouzy. Vin total. Mares secs. . Feuilles sèches . Sarments secs. . Lies Vin total. Mares secs . . Feuilles sèches . Sarments secs. . Lies 25 hectolitres 293k8 100 1323 ,000 11435 ,575 31 ,250 Total . 25 hectolitres 211K8,700 1500 ,525 1095 :,525 . 31 ,250 Total . 0,737 36,958 Verzenay. 0,656 4,064 28,660 6,792 0,225 10,397 1,566 5,737 28,360 9,641 1,200 47,849 2,017 59,667 89,030 0,089 0,169 2,851 1,972 traces 5,082 Si nous comparons la quantité d'éléments fertilisants absorbés par la vigne, pour son complet développement et la production UE. » 54 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. normale de la vendange, à celle des éléments fertilisants donnés dans la famure, nous sommes frappés de l’abondance au milieu de laquelle se produisent les crus renommés de la Champagne. Sans tenir compte de l'enrichissement du sol au début de la plantation, nous pouvons dire que les fumures d’entretien apportent au sol le double, le triple et même, pour certains éléments, le quadraple de ce que la vigne peut utiliser. C’est, comme nous l’avons déjà dit, une véritable culture maraîchère, dans laquelle on cherche à accu- muler dans le sol de grandes quantités d’engrais en vue de récoltes plantureuses. Si, dans le vignoble champenois, les rendements sont faibles et aléatoires, ce n’est pas dans la pauvreté du sol qu'il faut en chercher la cause, mais dans la rigueur du climat, dans la nature du cépage, dans le mode de culture, conditions qui d’ailleurs offrent comme compensation ces qualités de finesse et de bouquet aux- quelles ses vins doivent leur universelle réputation. Doit-on blâmer les vignerons champenois de donner si copieusement les fumures 2 Je’ne le crois pas, car la vigne qui ne les recevrait pas est dans une situation d’infériorité. Les considérations économiques, qui seraient à leur place s’il s’agissait de la production d’autres cultures, telles que les céréales, les racines, les fourrages, dont la valeur mar- chande est maintenue entre des limites très rapprochées, ne s’ap- pliquent plus ici, où le produit de la récolte atteint des chiffres énormes. Peu importe le gaspillage des fumiers, s’il offre la certi- tude d’une alimentation copieuse, excessive même, donnée à une récolte d’un si grand rapport, dont la moindre augmentation paie largement les avances faites avec prodigalité. D'ailleurs, les pra- tiques que nous examinons ici remontent à de longues années ; c’est dire qu’elles n’ont aucune influence fâcheuse sur la qualité des vins, qui s’est affirmée et maintenue dans les conditions de culture encore en usage actuellement. Pour la production du vin, les terres maigres de la Champagne ne constituent en réalité qu’un support, dont la composition importe peu, puisque nous avons vu des crus également appréciés vivre dans des terres dans lesquelles les éléments constituants sont très variables. Ce sont les fumures qui apportent l’aliment, c’est le cé- page, c’est l'exposition, ce sont les pratiques culturales qui, dans RECHERCHES SUR LES VIGNOBLES DE LA CHAMPAGNE. D5 ce climat approprié, donnent aux vins de la Champagne les qualités qui le distinguent entre tous. Nous ne tirerons pas ac‘uellement de conclusions générales de cel ensemble de recherches. Ce n’est qu'après avoir effectué les mêmes déterminations sur les vignobles des autres régions que nous pourrons établir des comparaisons d’où sortiront certainement des données intéressantes et inattendues. ANALYSE DES MATIÈRES GRASSES AGRICOLES Par Ernest MILLIAU DIRECTEUR DU LABORATOIRE D'ESSAIS TECHNIQUES DE MARSEILLE (Institué par arrêté ministériel du 26 mai 1891) Épuration préalable de la matière grasse soumise à l'analyse. Les glycérides constituant les matières grasses naturelles contien- nent toujours des acides gras libres en proportion variable et des matières étrangères en suspension ou dissoutes, dont la nature diffère sans cesse, sous l'influence des causes les plus diverses. Il est donc indispensable pour obtenir des résultats précis, dans l’analyse des matières grasses, de leur faire subir une épuration préalable, précédée et suivie du nombre de filtrations nécessaires. L’épuration s'effectue au moyen de lavages à l’eau distillée, à l'alcool fort ou faible, accompagnés, dans certains cas, d’une rectifi- cation par la soude caustique. Cette rectification est faite de la manière suivante : la matière grasse est agitée avec le dixième de son volume d’une solution de soude caustique au dixième et l’émulsion versée sur une solution saturée de chlorure de sodium. Par l’action de la chaleur, les di- verses parties se séparent et l’huile limpide, tenant en suspension des particules insolubles de savon, ne tarde pas à surnager. On la filtre et on chasse l’eau qu’elle a pu entrainer. ANALYSE DES MATIÈRES GRASSES AGRICOLES. 27 Les matières grasses, même neutres, dissolvent des quantités no- tables d'alcool qu’il importe également d'éliminer si l’on a usé de ce mode de lavage. La marche de l’épuration ne peut pas être fixée méthodiquement ; elle varie suivant la nature des impuretés et l’objet de la recherche ; il est certain, par exemple, que pour le dosage des acides volatils on doit s’en tenir à la filtration, et ne pas employer la rectification à la soude caustique quand on doit rechercher les huiles cruci- fères. Les opérations préalables terminées, on peut alors, suivant les cas, opérer soit sur la matière grasse ainsi neutralisée, soit sur les acides gras qui en dérivent. Les acides gras recueillis à l’état naissant, c’est-à-dire lorsqu'ils montent pâteux et hydratés à la surface de l’eau, ont des affinités chimiques beaucoup plus vives que les acides gras fondus et déshy- dratés. Cette différence est surtout remarquable dans la recherche des huiles de coton et de sésame ; les colorations noires et rouges, obtenues très nettement, avec un mélange à 5 p. 100, sur les acides gras naissants, ne sont plus visibles avec les mêmes acides gras fondus. L’épuration, faite avec discernement, ne détruit pas les caractères chimiques des huiles ; il est d’ailleurs facile de s’en assurer en trai- tant comparativement la même huile, contenant 5 p. 100 de la ma- tière grasse, dont on veut constater la présence. C’est en opérant sur les acides gras des huiles ainsi neutralisées qu’on a pu démontrer la pureté de certaines matières grasses” qui paraissaient adultérées et notamment des huiles d'olives de Tunisie dans lesquelles on constatait, par les anciens procédés, la présence des huiles de coton et de sésame. (Milliau.) 1. Girculaire du Ministre de la marine, en date du 26 juillet 1892 ; Rapport du Résident de Tunisie au Ministre des affaires étrangères, en date du 9 mai 1892; Circulaires des Ministres du commerce et de l’agriculture, etc., etc. 58 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. PROCÉDÉS GÉNÉRAUX 1° Prendre la densité à 15 degrés centigr., à l'aide de la balance de Mohr. 2° Action des vapeurs nitreuses. — Se servir du procédé Cailletet en opérant de la manière suivante : Prendre un tube à essai (lon- oueur, 10 centimètres, largeur, 2°",5), y verser 20 gr. de la matière grasse à analyser, mettre, à l’aide d’un compte-gouttes Lebaigue, 6 gouttes d’acide sulfurique pur à 66 degrés Baumé, agiter pendant une minute, ajouter ensuite 9 gouties d'acide azotique pur à 4 de- orés Baumé, agiter de nouveau pendant une minute, plonger le tube dans l’eau bouillante et ly laisser cinq minutes. A la sortie du bain- marie, placer le tube dans un bain maintenu entre 8 degrés et 10 degrés centigr. Au bout de deux heures, on retire le tube et on ob- serve l’état de la masse. Remarque. — On note également les diverses colorations obte- nues : 1° avec l’acide sulfurique ; 2° avec le même acide, après ad- dition d’acide azotique; 3° à la sortie du bain-marie; 4° après le refroidissement de la matière. 3° Saponification sulfurique. — Prendre un verre à expérience (forme conique), d'une contenance de 100 centim. cubes environ, y peser 20 gr. du corps gras à analyser, noter la température, verser ensuite 10 centim. cubes d’acide sulfurique pur à 66 degrés Baumé et à la même température ; mélanger rapidement les deux liquides pendant une minute, à l’aide d’un agitateur, plonger le réservoir d’un thermomètre de précision dans la couche supérieure de la masse, tourner lentement et noter le maximum obtenu. La température initiale doit toujours être au moins égale à 20 de- grés cenligr. Îl convient, pour avoir des résultats exacts, de faire ANALYSE DES MATIÈRES GRASSES AGRICOLES. 99 plusieurs expériences et de ne prendre leur moyenne que lorsqu'elles n’ont entre elles qu'une variation de 2 degrés centigr. au maximum. Pour obtenir la saponification sulfurique relative, on note l’éléva- tion de température oblenue avec 90 gr. d’eau distillée, à la même température que l'huile, et 10 centim. cubes du même acide sulfu- rique. On multiplie par 100 le nombre de degrés obtenus avec l'huile et on divise le produit par le nombre de degrés obtenus avec l’eau. Ce procédé a l'avantage de donner des résultats à peu près constants, même avec des acides de litres légèrement différents. Indices. Indice de Brome. — Procédé Levallois. — 5 gr. d’huile sont pesés dans un tube à essai (longueur, 15 centimètres, largeur, 15 milli- mètres) et additionnés de 10 centim. cubes d’une solution au cin- quième de potasse dans l'alcool à 92 degrés. Le tube, bouché impar- faitement, est mis au bain-marie, à une douce ébullition, pendant un quart d'heure. On étend à 50 centim. cubes avec de l'alcool à 92 de- orés et l’on prend 5 centim. cubes de cette solution alcoolique que l’on place dans un tube pouvant être fermé par un bouchon de verre. On acidifie avec de l'acide chlorhydrique, puis, à l’aide d’une burette oraduée, on verse dans le tube une solution aqueuse de brome, aussi concentrée que possible. Après addition d’eau bromée, on agite for- tement, et l’on s'arrête lorsque le liquide a pris une teinte jaune persistante. La correction nécessaire pour obtenir une teinte nette- ment perceptible est d’environ 1 millim. cube. — Le titre de la so- lution de brome se prend avec 10 centim. cubes d’une solution à 1 p. 100 d’acide arsénieux dans de l’eau acidulée par l'acide chlor- hydrique. Il est nécessaire de prendre le Litre de temps en temps, car il va en s’affaiblissant. Indice d'Iode. — Procédé Hubl. — Opérer sur les acides gras. Liqueurs nécessaires : P. 100. Solution alcoolique d'iode . NP NO ee 205r,0 Solution d'hyposulfite de soude. . . . . . . . . 24 ,8 Solution de bichlorure de mercure , . . . . . . 60 ,0 Solution d'iodure de potassium. . . , . . . . . 100 ,0 60 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. On pèse 5 gr. d’acides gras qu’on étend à 100 centim. cubes avec de l’alcool à 92 degrés. On en prend 10 centim. cubes, on y ajoute 90 centim. cubes de la solution d'iode et 15 à 20 centim. cubes de la solution de bichlorure de mercure. On bouche le flacon qu’on laisse au repos pendant trois heures. On ajoute alors 20 centim. cubes de la solution d'iodure de potassium et on titre. Dès que la coloration brune tend à disparaître, on verse quelques gouttes de la solution d'amidon et on ajoute encore de l’hyposulfite jusqu'à déco- loration. Indice d'acétyle. — Introduire 50 gr. d'acides gras dans un ballon muni d'un réfrigérant ascendant et faire bouillir pendant deux heures avec 40 gr. d’anhvdride acétique. Au bout de ce temps, on ajoute 600 gr. d’eau chaude, on porte à l’ébullition, on enlève l’eau, on la remplace trois fois de suite par des quantités égales, et, après s'être assuré que Lout l’acide acétique est éliminé, on filtre les acides gras acétylés. On en pèse 4 ou 5 gr. qu’on dissout dans quelques centimètres cubes d'alcool et on titre à l’aide d’une solution alcaline alcoolique normale. D'autre part, on pèse 2 ou 3 gr. de ces mêmes acides gras acétylés, on les saponifie à l’aide de 25 centim. cubes de potasse alcoolique normale et l’on détermine l'indice de saponifica- tion ; la différence entre le chiffre de saponification et le chiffre de l’acide, donnera l'indice d’acétyle. D° Point de congélation. — Le point de congélation est facile à dé- terminer au moyen d’un thermomètre et d’un mélange réfrigérant. 6° Point de fusion des acides gras. — Pour prendre le point de fusion, on aspire dans un tube capillaire les acides gras fondus et déshydratés. Après solidification, on place le tube à côté de la boule d’un thermomètre sensible et on plonge le tout dans un vase conte- nant de l’eau, dont la température s’élève très lentement. On note le degré thermométrique à l'instant où le corps passe de l’état solide à l’état liquide. 7° Point de solidification des acides gras (titre). — On verse les acides gras fondus et déshydratés dans un tube de 15 centimètres de ANALYSE DES MATIÈRES GRASSES AGRICOLES. 61 long et de 2 centimètres de diamètre, on suspend le tube dans un flacon à l’aide d’un bouchon et on introduit dans les acides un ther- momètre gradué par dixièmes, le réservoir élant placé au centre de la matière. Au moment où la solidification s'opère à la fois dans la partie basse et dans la partie supérieure du tube, on imprime au thermomètre un mouvement circulaire à travers toute la masse; le thermomètre est ensuite laissé au repos et on suit attentivement la remonte de la colonne mercurielle, jusqu’au moment où celle-ci s'arrête. Ce point d'arrêt représente le point de solidification ou ütre conventionnellement adopté. 8 Saturation. — Elle s'opère en saturant 9 gr. d’acides gras fondus et déshydratés, par une liqueur normale de soude caustique. Le nombre de centimètres cubes absorbés représentera le chiffre de saturalion. Je Solubilité dans l'alcool absolu. — On neutralise la matière grasse, placée dans un entonnoir à robinet, en l’agitant pendant trente minutes avec deux fois son volume d’alcoo! à 95 degrés. — Après repos, on la soulire, on chasse à douce température tout l’al- cool qu'elle a pu dissoudre et on lagite ensuite à 15 degrés centigr. (ou à quelques degrés au-dessus de son point de fusion, si elle es! encore solide à 15 degrés) avec deux fois son poids d’alcoo! absolu. On évapore une quantité déterminée de cet alcool, on pèse le résidu et on calcule la quantité d’huile que dissoudraient 1 000 gr. d'alcool. (Milliau..) 10° Lumiérepolarisée. — On se sert, pour déterminer la dévia- üon du plan de polarisation, du saccharimètre de Laurent et du tube de 20 centimètres. — Température — 15 degrés centigr. Observation. Les réactions qui caraclérisent spécialement certaines huiles sont indiquées au cours de leur monographie. 62 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. - MONOGRAPHIE HUILES LIQUIDES VÉGÉTALES Huile d'olive. L'huile d’olive est transparente et fluide. — Colorations : jaune d’or, jaune verdâtre, jaune pâle. 1° Densité à + 15 degrés. — Huile : 915 à 917. — Acides gras : 899. 2 Action des vapeurs nitreuses. — L’oléine de l'huile se trans- forme en sa modification isomérique l’élaïdine (point de fusion : 32 degrés) et la masse se solidifie. Remarque. — Observer les colorations caractéristiques obtenues au cours de l’expérience : | TES Us AS TA TRE MERE Vert. 90 Avec SOSH° HE AzOH .,. . . . . Vert de gris. SOPADrÉS ÉDUIITION RENE ET 7e. Jaune paille. 49, Après refroidissement. . . . . . . Masse dure, couleur beurre. Les huiles de graines donnent en général des teintes brunes el empêchent la solidification. 3° Saponificalion sulfurique. — Absolue : 35. — Relative : 94. Un degré thermique supérieur à 35 degrés est généralement l’in- | dice d’une falsification; égal ou inférieur, il n'indique pas absolu- ment la pureté, car certaines huiles d'olive pures ne donnent que 31 degrés, 32 degrés, 33 degrés et peuvent par conséquent, après addition d'huiles de graines, n'avoir que 34 degrés, 39 degrés. Malgré cet inconvénient, ce procédé fournit de bonnes indications, ANALYSE DES MATIÈRES GRASSES AGRICOLES. 63 » à la condition de comparer au même moment et avec les mêmes ins- truments, l'élévation de température que détermine une huile type et le même acide. 4 Indices. — Brome : 500 à 544.— Iode : 80 à 85. — Acétyle : 4,7. Les indices de brome.et d’iode permettent de retrouver les huiles de graines et assurent également l'analyse quantitative d’un mélange d'huiles connues. La variation de composition d’une même huile les rend peu sen- sibles pour la détermination dès mélanges à 5 ou 10 p. 100. r o° Congélulion de l'huile : + À degré à + 4 degrés. 6° Fusion des acides gras : 27 degrés. 7° Solidificalion des acides gras : 25 degrés. 8° Saluration : 17.86. 9° Solubilité dans l'alcool absolu : 43 p. 100. 10° Déviation du plan de polarisation : 0,6. L'huile d'olive bout à 329 degrés ; sa conductibilité électrique est 679 fois plus faible que celle des huiles de graines. (Pour la recherche des huiles d’arachide, de sésame et de colon, voir à ces huiles.) Huile d’'Arachide. é: en coque : 9179. 4° Densilé à + 15 degrés ,, … , È décortiqué : 921. Acides gras : 9 024. 2 Action des vapeurs nitreuses : Pas de solidification, couleur rouge noirâtre. 4 Indices. — Brome : 530; Iode : 97 ; Acétyle : 3,5. 0° Congélation de l'huile : 1 degré. 6° Fusion des acides gras : 31 degrés. 7° Solidification des acides gras : 28 degrés. 8° Saturalion : 17.82. 9° Solubilité dans l’ulcoo! absolu : 66 p. 100. 10° Déviation du plan de polarisation : Variable. 64 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Recherche de l'huile d’arachide dans les autres huiles. L'acide arachidique CH“ 0° (fusion : 79 degrés) est caractéris- tique et permet de retrouver l’arachide dans les autres huiles. On saponifie 20 gr. d'huile par 20 centim. cubes d’une solution de soude caustique à 36 degrés Baumé, diluée dans 100 centim. cubes d'alcool à 90 degrés. On précipite le savon formé, par une solution, au demi, d’acétate de plomb neutre et pur dans l’alcool à 90 degrés. Après précipita- tion complète, on décante à chaud, on lave le résidu à lalcool, et, après lavoir trituré dans un mortier, on l’agite avec 200 centim. cubes d’éther. Cette opération est répétée trois fois pour enlever les dernières traces d’oléate de plomb solubie dans l’éther. On place alors le résidu dans une capsule contenant deux ou trois litres d’eau distillée et 50 centim. cubes d’acide chlorhydrique pur. Quand la décomposition est complète, on décante, on lave les acides gras à l’eau distillée, on les porte à l’étuve pour enlever les dernières traces d’eau, on les dissout dans 40 centim. cubes d’alcool à 90 degrés, on ajoute une goutte de HCl et on refroidit à + 15 degrés. L'huile d’ara- chide dépose d’abondants cristaux d'acide arachidique. On fait ensuite deux lavages avec 20 centim. cubes, chaque fois, d’alcool à 90 de- orés, puis trois lavages avec 20 centim. cubes, chaque fois, d'alcool à 70 degrés, dans lequel l'acide arachidique est complètement inso- luble. Le lavage est terminé lorsque quelques gouttes évaporées ne laissent plus de résidu. On chauffe alors légèrement, et on traite par l’alcool absolu et bouillant. Après filtration, on porte la dissolution à l’étuve à 100 degrés jusqu'au moment où le poids reste invariable. Le résidu obtenu est de l’acide arachidique dont le point de fusion varie entre 73 degrés et 75 degrés. (Procédé Renard modifié.) Huile de Sésame. 1° Densité à 15 degrés : 923 ; pr. à chaud : 924; sésame du Le- vant : 9265. Acides gras : 9085 à 9095. ANALYSE DES MATIÈRES GRASSES AGRICOLES. 65 2 Actions des vapeurs nitreuses : Masse liquide. 3° Saponification sulfurique. — Absolue : 54; relative : 150. 4 Indices. — Brome : 695 ; Iode : 104; Acétyle : 5,4. 0° Congélation : 5 degrés. 6° Fusion des acides gras : 26 degrés. 7° Solidification des acides gras : 22 degrés. 8° Saluration : 17.70. % Solubilité dans l'alcool absolu : A1 p. 100. 10° Déviation du plan de polarisation : Variable. Recherche de l'huile de sésame dans Les autres huiles. Procédé Milliau'. -— La couleur rouge obtenue en traitant par HCI + sucre les acides gras de l'huile neutralisée est caractéristique - et permet de retrouver l'huile de sésame dans les autres huiles. Mode opératoire. — On saponifie 15 centim. cubes de la maüère grasse à examiner, par 10 centim. cubes d’une dissolution de soude caustique à 56 degrés Baumé, additionnés de 10 centim. cubes d’al- cool à 92-degrés. Dès que la masse en ébullition est devenue limpide, on ajoute 200 centim. cubes d’eau distillée chaude, on laisse bouillir pour chasser l'alcool, et on déplace les acides gras par l'acide sulfu- rique au dixième. On les recueille dès qu'ils montent à la surface à l’état pâteux, on les lave en les agitant dans un tube à essai avec de l’eau distillée froide et on les porte à l’étuve à 105 degrés. Lorsque la majeure partie de l’eau est éliminée et qu’ils commencent à fon- dre, on les verse sur leur demi-volume d'acide chlorhydrique pur dans lequel on vient de faire dissoudre, à froid et jusqu’à saturation, du sucre finement pulvérisé, el on agite vivement le tube à essai. La présence de l'huile de sésame est loujours nellement indiquée par la coloration rose ou rouge que prend la couche acide ; les au- tres huiles laissent l'acide incolore ou lui communiquent une leinte légèrement jaunâtre. 1. Présenté à l'Académie des Sciences par M. Debray, le 20 février 1888, médaille d'or de la Société d’Encouragement. (Rapport de M. Müntz, au nom du Comité d'Agri- culture, février 1889.) ANN. SCIENCE AGRON. — 1892. — 11. E] DAS NRE : à Te din, | 66 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Pureté de l'huile de sésame. Lorsqu'on agite 10 centim. cubes d'huile de sésame, d’abord avec gouttes d’acide sulfurique à 53 degrés Baumé, puis avec à gouttes d’acide azotique à 28 degrés Baumé, la masse est nuancée progres- sivement par des teintes graduées allant du vert clair jusqu’au rouge. è La couleur rouge finale obtenue par cette oxydation progressive de la matière colorante, jaunit par l’action des alcalis et reprend sa couleur primitive ea liqueur acide. (Milliau.) Ce curieux phénomène ne se produit pas avec les autres huiles, mais on l’obtient quelquefois en opérant sur des huiles de sésame légèrement adultérées ; de plus, les sésames industrielles, pression à chaud, peuvent donner, quoique pures, des résultats négatifs. Procédé Milliau. — Permet de reconnaître rapidement l'huile de ricin dans les huiles de sésame à fabrique. On agite pendant une mi- nute 10 centim. cubes d'huile de sésame avec 4 goultes d’acide sulfurique pur à 66 degrés, on ajoute une goutte d’acide azotique à 40 degrés et on agite vivement. L'huile de sésame pure noircit immédialement. L'huile de sésame contenant du ricin reste juune trouble. Huile de coton. 1° Densités à 15 degrés: — Huile : 922; Acides gras : 9097. 2° Action des vapeurs nitreuses : Pas de solidification. 3° Saponificalion sulfurique. — Absolue : 52; Relative : 144. 4° Indices. — Brome : 645 ; lode : 108 ; Acétyle : 15.8. 5° Point de congélation : — 12 degrés. 6° Fusion des acides grus : 36 à 37 degrés. 7° Solidificution des acides gras : 35 degrés. 8° Saturalion : 18.17. 9° Solubilité dans l'alcool absolu : 62 p. 100. 10° Déviation du plan de polarisation : Variable. ANALYSE DES MATIÈRES GRASSES AGRICOLES. 67 Recherche de l'huile de colon dans les matières grasses. Procédé Milliau*. — La coloration noire obtenue par la réduc- tion de AzO° Ag, en présence des produits de saponification de lhuile rectifiée est caractéristique et permet de retrouver l'huile de coton dans les autres matières grasses. Mode opératoire. —— Dans une capsule en porcelaine de 250 cen- tim. cubes, on chauffe 15 centim. cubes de l’huile à analyser jusqu'à 110 degrés environ ; on verse alors lentement sur l'huile un mélange de 10 centim. cubes d’une solution de soude caustique à 56 degrés Baumé, et de 10 centim. cubes d’alcool à 90 degrés. Dès que la masse en ébullition est devenue limpide et homogène, on ajoute 150 centim. cubes d’eau chaude distillée, et on continue à chauffer pour chasser tout l'alcool. On déplace alors les acides gras par SO*H* au dixième, jusqu’à réaction acide et on recueille immédiatement, à l’aide d’une petite cuiller de platine, les produits de saponification hydratés. On les lave en les agitant deux ou trois fois dans un tube à essai, avec leur volume d’eau distillée froide, on fait égoutter l’eau et on les verse dans un tube ayant 2,5 de diamètre et 9 cen- timètres de long; on ajoute 15 centim. cubes d’alcool éthylique à 92 degrés, et 2 centim. cubes d’une liqueur d’azotate d'argent à 8 p. 100. On place le tube, à l'abri de la lumière, dans un bain- marie à 90 degrés centigr., on laisse évaporer environ le tiers de l'alcool, on le remplace par 10 centim. cubes d’eau distillée, on continue à chauffer quelques instants et on observe la coloration des acides insolubles qui surnagent : La présence de l'huile de coton, dans une proportion quelconque, détermine un précipité miroiant d'argent métallique, qui colore en noir les acides gras du mélange. « La saponification préalable, appliquée à la recherche de la fal- sification des matières grasses, constitue une méthode nouvelle à laquelle on peut avoir recours en toute confiance, dans l’analyse des malières grasses comestibles, ainsi que dans celle des corps gras 1. Présenté à l'Académie des Sciences par M. Debray (20 février 1S8$). — Médaille d'or de la Société d'Encouragement, 68 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. industriels. Elle a pour effet non seulement de donner aux réactions une extrême sensibilité, mais aussi ‘d'éliminer les produits acciden- tels ou secondaires qui peuvent les troubler ou les masquer et leur enlever tout caractère de précision. » [Rapport de M. le professeur Müntz, directeur des laboratoires de l’Institut national agronomique, au nom du Comité d'agriculture !. (Février 1889.)] Tableau comparatif des expériences faites à l'Institut national agronomique dans les laboratoires de M. Müntz. PROCÉDÉ MILLIAU PRODUITS MATIÈRE GRASSE de saponification de la natière grasse rectifiée. NUMÉROS. | non préparée, PROCÉDÉ BECHI Coloration nulle. Réaction sensible. Î des fûts ayant contenu de Huile d'olive pure mise LS l'huile de coton. tenant 5 p. 100 coton, Coloration nulle. Réaction très nette. extra à bouche. PEER A lan Coloration légère. Réaction très nette. | pe ue Huile d'olive vierge (Aix) con- | | La) .i 100 huile de coton. Huile d'olive de ressence l \ | Coloration visible au bout { (Var) contenant {0 p. A | : Réaction très nette. d'une demi-heure. coton. Huile d'olive pure d'Algérie rapportée par M. Müntz. quant la présence du} Réaction nulle. coton, n Colofation foncée indi- re ER Ts Même huile filtrée avec soin,, Goloration moins foncée, suivant les anne mais per Te cl Réaction nulle. | 6 tions de M. Bechi. \ ier de la pureté. l g : |7 | Huile d'olive pure (Var). Coloration très foncée. Réaction nulle. FAR ER EE VERRE SUPER 1. Membres du Comité: MM. Pasteur, Eug. Tisserand, Boitel, Chatin, Heuzé, Hardy, Risler, Schlæsing, Ronna, Lavalard, Müntz, Prillieux, Muret, Baron Thénard, Liébaut. ANALYSE DES MATIÈRES GRASSES AGRICOLES. 69 Huile d’œillette (pavot). (SICCATIVE) 1° Densités à 15 degrés. — Huile : 925 ; Acides gras : 9082. 2 Action des vapeurs nitreuses : Pas de solidification. 3° Saponification sulfurique. — Absolue : 80; Relative : 222, 4 Indices. — Brome : 835; lode : 133 ; Acétyle : 13.1. o° Congélalion de l'huile : — 18 degrés. 6° Fusion des acides grus : 20°5. 7° Solidification des acides gras : 16 degrés. 8 Saturalion : 18.13. % Solubilité dans l'alcool absolu : 45 p. 100. 10° Déviation du plan de polarisation : — 0.7. Propriétés caractéristiques. — L'huile d’œillette introduite dans l'huile d'olive empêche, même dans la proportion de 10 p. 100, la solidification par l’action des vapeurs nitreuses. — Indice d’iode, — Point de congélation de l'huile. Huile de colza. (FAMILLE DES CRUCIFÈRES) 1° Densités à 15 degrés, — Huile : 9145 ; Acides gras : 8 988. 2 Action des vapeurs nitreuses : Pas de solidification. 3° Saponificalion sulfurique. — Absolue : 48 degrés ; Relative : 133 degrés. 4 Indices. — Brome : 640; lode : 99 ; Acétyle : 6.3. 9° Congélalion de l'huile : — 6°5. 6° Fusion des acides gras : 17 degrés. 7° Solidification des acides gras : 16 degrés. 8 Saturation : 16.49. 9% Solubilité dans l'alcool absolu : 20 p. 100. 10° Déviation du plan de polarisation : Variable. nés les Dis Le 70 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Propriété caractéristique. — Une solution potassique traitée à chaud par l'huile de colza non épurée noircit par l’acétate de plomb et rougit par le nitrocyanure de potassium. Huile de navette. (FAMILLE DES CRUCIFÈRES) 1° Densités à 13 degrés. — Huile : 915 ; Acides gras : 9 015. 2° Action des vapeurs nitreuses : Pas de solidification. 3° Saponification sulfurique. — Absolue : 55 ; Relative : 155. 4 Indices. — Brome : 632; lode : 103; Acétyle : 5.9. D° Congélation de l'huile : — 4 degrés. 6° Fusion des acides gras : 15° 5. 7° Solidification des acides gras : 15 degrés. 8 Saturalion : 16.68. 9 Solubilüé dans l'alcool absolu : 15 p. 100. 10° Déviation du plan de polarisation : + 10. Propriétés caractéristiques. — Densité, fusion des acides gras et déviation du plan de polarisation. Huile de lin. (SICCATIVE) 1° Densités à 15 degrés. — Huile : 9 325 ; Acides gras : 9205. 2 Action des vapeurs nitreuses : Pas de solidification. 3° Saponification sulfurique. — Absolue ; 191 ; Relative : 336. 4 Indices. — Brome : 1 000; [ode : 156; Acétyle : 8.7. 9° Congélation de l'huile : — 275. 6° Fusion des acides gras : 23 degrés. 7° Solidification des acides gras : 21 degrés. 8° Salturation : 17.98. 9 Solubilité dans l'alcool absolu : 79 p. 100. 10° Déviation du plan de polarisalion : Inactive. ANALYSE DES MATIÈRES GRASSES AGRICOLES. 11 Propriélés caractéristiques. — Densité, saponification sulfurique, point de congélation et indice d’iode. Huile de noix. (SICCATIVE) 1° Densités à 15 degrés. — Huile : 926; Acides gras : 912. ® Action des vapeurs nitreuses : Pas de solidification. 3° Saponificalion sulfurique. — Absolue : 99 degrés; Relative : 279 degrés. 4 Indices. — Brome : 737; lode : 144; Acélyle : 7.3. D° Congélalion de l'huile : — 30 degrés. 6° Fusion des acides gras : Fluides à la température ordinaire, 7° Solidification des acides gras : Fluides à la température ordi- naire. 8 Saluration : 18.26. ” 9 Solubilité dans l'alcool absolu : 44 p. 100. 10° Déviatlion du plan de polarisation : Inactive. Propriétés caractéristiques. — Saponification sulfurique, imdice d’iode, point de congélation de l'huile, fluidité des acides gras. Huile de cameline. (SICCATIVE) 4° Densités à 15 degrés. — Huile : 926 ; Acides gras : 9 095. ® Action des vapeurs nitreuses : Pas de solidification. 3° Saponification sulfurique. — Absolue : 51 degrés ; Relative : 141 degrés. 4 Indices. — Brome : 817 ; Iode : 132; Acétyle : 7.9. 9° Congélation de l'huile : — 18 degrés. 6° Fusion des acides gras : Fluides à la température ordinaire. 7° Solidification des acides gras : Fluides à la température ordi- naire. 12 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 8 Saturalion : 17.9. 9° Solubilité dans l'alcool absolu : 78 p. 100. 10° Déviation du plan de polarisation : — 3 degrés. Propriétés caractéristiques. — Indice d’iode, point de congéla- tion de l'huile, fluidité des acides gras. Huile de faîne. 1° Densités à 15 degrés. — Huile : 921 ; Acides gras : 9 028. 2 Action des vapeurs nitreuses : Pas de solidification, formation d’un précipité floconneux abondant. 3 Saponification sulfurique. — Absolue : 59; Relative : 163. 4° Indices. — Brome : 659 ; Iode : 106 ; Acétyle : 6.4. 9° Congélalion de l'huile : — 18 degrés. 6° Fusion des acides gras : 24 degrés. 7° Solidification des acides gras : 17 degrés. 8° Saluration : 18.18. 9 Solubilité dans l'alcool absolu : 45 p. 100. 10° Déviation du plan de polarisation : Presque inacdive. Propriété caractéristique. — Action de l'acide azotique. Se servir du procédé Brullé : On met dans un tube à essai 0s',1 d’albumine d'œuf desséchée et pulvérisée, on ajoute 2 centim. cubes d'acide nitrique, 10 centim. cubes d'huile, on chauffe en inclinant le tube pour mélanger l'huile et l’albumine, et on obtient les teintes suivantes : Hate fe Tan es ONE DRE EN LOC LIANNItE — d'olive — d'arachide. — de colza. . . . AE ë + de navettes ET Pl iContenr jaune se rapprochant de /chénevis AUDE nn de la couleur primitive. — de noisette. . — d'abricot — d'amande douce. . . = NTEISÉSAME MEN PES NE RP AMhré TOrt ==. A6 1CDION ER ER LL FOIS PRE ENOIr: — dœillette”. % rie 5" aNOrangé faible: ANALYSE DES MATIÈRES GRASSES AGRICOLES. 73 Huile de moutarde ou ravison. (FAMILLE DES CRUCIFÈRES) 1° Densités à 15 degrés. — Huile : 918 ; Acides gras : 9025. 2 Action des vapeurs nitreuses : Pas de solidification. 3° Saponificalion sulfurique. — Absolue : 39 ; Relative : 108. 4 Indices. — Brome : 763 ; Iode : 96; Acétyle : 6.9. 9° Congélation de l'huile : — 5 degrés à 0 degré. 6° Fusion des acides gras : 16 degrés. 7° Solidificalion des acides gras : 15 degrés. 8° Saluralion : 17.97. % Solubilité dans l'alcool absolu : 28 p. 100. 10° Dévialion du plan de polarisation : + 3 degrés. Propriétés caractéristiques. — Huile crucifère, saponification sul- furique, indice d’iode. Huile d'amande douce. 1° Densités à 15 degrés. — Huile : 9 185 ; Acides gras : 9 038. 2° Action des vapeurs nitreuses : Consistance molle. 3 Saponification sulfurique. — Absolue : 47 ; Relative : 130. 4 Indices. — Brome : 644; Iode : 98 ; Acétyle : 5.7. 9° Congélation de l'huile : — 10 degrés. 6° Fusion des acides gras : 14 degrés. 7° Solidification des acides gras : 5 degrés. 8° Saluration : 18.22. ® Solubilité dans l'alcool absolu : 39 p. 100. 10° Déviation du plan de polarisation : Presque inactive. Becherche de l'huile de noyaux. — On substitue habituellement à l’huile d'amande douce, de l'huile de noyaux. L'huile de noyaux ne se solidifie pas par l’action des vapeurs nitreuses, son point de con- gélation est très bas (encore liquide à — 20 degrés), de plus, filtrée 14 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. à chaud avec 10 p. 100 de chaux hydratée, elle se trouble et blan- chit par le refroidissement. Gette précipitation est due à la présence d’une matière organique spéciale à cette huile. Ces différences permettent de retrouver l’huile de noyaux dans l'huile d'amande douce. Huile de noisette. 1° Densités à 15 degrés. — Huile : 917 ; Acides gras : 902. 2 Action des vapeurs nilreuses : Consistance assez ferme. 3° Saponification sulfurique. — Absolue : 31 degrés; Relative : 86 degrés. 4 Indices. — Brome : 561 ; lode : 87.5; Acétyle : 4.9. 0° Congélation de l'huile : — 91 degrés. 6° Fusion des acides gras : 25 degrés. 7° Solidification des acides gras : 93 degrés. 8° Saluration : 17.63. ® Solubilité dans l'alcool absolu : 33 p. 100. 10° Déviation du plan de polarisalion : Presque inactive. Propriélés caractéristiques. — Action des vapeurs nitreuses, sa- ponification sulfurique, point de congélation. Huile de ricin. 1° Densité à 15 degrés. -— Huile : 969. 2° Aclion des vapeurs nitreuses : Formation de ricinélaïdine. 3° Saponificalion sulfurique. — Absolue : 40 degrés; Relative : 111 degrés. % Indices. — Brome : 559 ; Lode : 84; Acétyle : 153. 0° Congélalion de l'huile : — 18 degrés. 6° Fusion des acides gras : 12 degrés. 7° Solidification des acides gras : 4 degrés. 8° Saluration : 16.77. 9° Solubililé dans l'alcool absolu : Soluble. 10° Déviation du plan de polarisation. — Moyenne : 43. ANALYSE DES MATIÈRES GRASSES AGRICOLES. 15 Propriétés caractéristiques. — Densité, solubilité dans l'alcool et l’acide acétique cristallisable, insolubilité dans l’éther de pétrole, déviation du plan de polarisation, indice d’acétyle, production d al- cool octylique par la distillation de l'huile en présence de la soude caustique avec formation d'acide sébacique. L'insolubilité dans l’éther de pétrole ne peut plus se constater à la température ordinaire, lorsqu'une huile soluble dans ce liquide ne contient que de faibles proportions d’huile de ricin. Il suffit alors de plonger, après agitation, un tube à essai contenant un volume de l'huile à examiner et deux volumes d’éther de pétrole dans un mé- lange réfrigérant à — 16 degrés centigr.; au bout de quelques ins- tants, la masse se coagule et l'huile se sépare, si elle contient du ricin, tandis qu’elle reste liquide et homogène si elle est pure, con- trairement à ce qui se produit lorsqu'on détermine les points de congélation, celui de l’huile de ricin étant généralement plus bas que celui des autres huiles. (Milliau.) HUILES VÉGÉTALES CONCRÈTES Huile de coprah. ° Densités à 15 degrés. — Huile : 9245 ; Acides gras : 9045. 2 Action des vapeurs nitreuses : Solidification. 3° Saponihcation sulfurique. — Absolue : 17°5; Relative : 48°5. 4° Indices. — Brome : 74 ; Iode : 12. 5° Solidification de l'huile : 225; Fusion : 26 degrés. 6° Fusion des acides gras : 26°5. 7° Solidification des acides gras : 227. 8° Saturation : 24.1. (Ferrier.) 9° Solubililé dans l'alcool absolu. — Procédé Milliau *. On neutralise d’abord l'huile en l’agitant avec deux fois son poids d'alcool éthylique à 95 degrés, dans lequel, fait remarquable, elle {. Présenté à l'Académie des Sciences le 10 octobre 1892, par M. L. Troost, — Rapport favorable au Ministre de l'Agriculture, décembre 1891 (expériences de con- trôles faites à l’Institut national agronomique). 76 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. n'est presque pas soluble. On facilite la précipitation de l'huile en plongeant le tube à essai qui la contient dans de l’eau chauffée à 35 degrés environ; on élève ensuite la température du bain-marie en immergeant seulement la partie du tube contenant l'huile préci- pitée, on chauffe pendant une ou deux minutes et on remplace le peu d’alcool qui s’évapore par une égale quantité du même liquide. Les huiles solubles dans l’alcool à 95 degrés sont décelées par ce traitement préliminaire indispensable. Les huiles de Mowrah et de Karité produisent dans la couche alcoolique un trouble laiteux ca- ractéristique. On prélève ensuite, à l’aide d’une pipette, 5 centim. cubes de l'huile de coprah ainsi neutralisée, qu’on place dans un tube à essai gradué en centimètres cubes, et on ajoute 10 centim. cubes d'alcool éthylique absolu. On porte le tout à la température de 31 degrés centigr. On agite vivement pendant trente secondes et on plonge le tube dans un bain- marie dont la température doit toujours être légèrement supérieure à celle du tube. L'huile de coprah pure se dissout complélement et la solution reste limpide ; toute addition d'un autre corps gras entraine la précipita- lion, la matière en dissolution étant dans un élat d'équilibre mole- culaire que la moindre modification détruit. L'huile de coprah contenant de l'huile de palmiste se précipite lorsque la proportion du mélange atteint 20 p. 100; au-dessous, la masse reste trouble. Huile de palmiste. 1° Densités à 15 degrés. — Huile : 922 ; Acides gras : 902. 2 Action des vapeurs nitreuses : Solidification. 3 Saponification sulfurique. — Absolue : 19 degrés; Relative : D2°7. 2 Indices. — Brome : 99 ; lode : 16. 5° Solidification de l'huile : 235 ; Fusion : 26°5. ANALYSE DES MATIÈRES GRASSES AGRICOLES. 41 6° Fusion des acides gras : 27 degrés. 7°-Solidification des acides gras : 24 degrés. 8° Saturation : 22.5. % Solubililé dans l'alcool absolu. — Procédé Milliau *. La vérification de l'huile de palmiste par l'alcool absolu se fait comme il a été dit plus haut (voir Coprah) en mettant 20 centim. cubes d’alcool absolu au lieu de 10 centim. cubes; pour 5 centim. cubes d’huile et en opérant toujours à la température de 31 degrés centigr. Un mélange d'huiles de palmiste, coprah el arachides fait en pro- portions telles que tous les indices et la saturation se trouvent ra- menés aux résultats fournis par l’huile de palmiste pure, est facile- ment découvert par ce procédé. 5 centim. cubes d'huile de palmiste, contenant 20 p.100 d'huile de coprah et au-dessus, se dissolvent dans 15 centim. cubes d’alcool absolu ; dans les mêmes proportions, l'huile pure ne se dissout pas complètement et le mélange reste trouble. Huile de palme. 1° Densisés à 15 degrés. — Huile : 915; Acides gras : 899. 2 Action des vapeurs nitreuses : Solidification. 3° Saponification sulfurique. — Absolue : 17; Relative : 47. 4° Indices. — Brome : 315; lode : 51. 5° Solidification de l'huile : 25 à 35 degrés ; Fusion : 33 à 39 de- gTrés. | 6° Fusion des acides gras : 45 à 47 degrés. 7° Solidification des acides gras : 42 à 46 degrés. 8° Saluration : 18.5. 9% Solubilité dans l'alcool absolu : 400 p. 100. Propriétés caractéristiques. — Densité, saponification sulfurique, solubilité partielle dans l’alcool absolu. {. Comptes rendus de l'Académie des Sciences (10 octobre 1892). 78 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Huile de Mowrah. 4° Densité à 15 degrés. — Huile : 915. ® Action des vapeurs nitreuses : Solidification. 3 Saponification sulfurique. — Absolue : 26 ; Relative : 71. 4 Indices. — Brome : 404; Tode : 65.3. 9° Solidification de l'huile : 23 degrés ; Fusion : 27 degrés. 6° Fusion des acides gras : 46 degrés. 7° Solidificalion des acides gras : 42°5. 8’ Saturalion : 15.5. 9° Solubililé dans l'alcool absolu : 160 p. 100. Propriétés caractéristiques. — Densité, saturation. Agitée avec de l’alcool, cette huile lui communique une teinte d’un blanc laiteux caractéristique. (Milliau.) Margarine de coton. 1° Densités à 15 degrés. — Huile : 920 ; Acides gras : 9 023: 2 Action des vapeurs nitreuses : Consistance molle. 3° Saponification sulfurique. — Absolue : 47 degrés; Relative : 136 degrés. 4° Indices. — Brome : 988; lode : 84. 2° Solidification de la matière grasse : 14 degrés; Fusion : 28°3. 6° Fusion des acides gras : 46 degrés. 7° Solidification des acides gras : 425. 8° Saluration : 17.2. 9% Solubilité dans l'alcool absolu : 61 p. 100. Propriétés caractéristiques. — Indice d’iode, point de solidifica- üon, procédé Milliau. (Voir Huile de coton.) Huile d’Illipé. 1° Densités à 15 degrés. — Huile : 9175 ; Acides gras : 900. 2° Action des vapeurs nitreuses : iGeaian. ANALYSE DES MATIÈRES GRASSES AGRICOLES. 79 3° Saponificalion sulfurique. — Absolue : 13°5; Relative : 37 degrés. 4° Indices. — Brome : 152 ; lode : 24.7. 5° Solidification de l'huile : 28 degrés ; Fusion : 39 degrés. 6° Fusion des acides gras : 56 degrés. 7° Solidification des acides gras : 525. 8° Saturalion : 17.7. 9 Solubilité dans l'alcool absolu : 26 p. 100. Propriétés caractéristiques. — Saponification sulfurique, indice d’iode, point de fusion des acides gras. Huile de Karité‘. 1° Densité à 15 degrés. — Huile : 9 177. 2 Action des vapeurs nitreuses : Solidification. 3° Saponification sulfurique. — Absolue : 28.5; Relative : 79. 4° Indices. — Brome : 416; Iode : 67.2. 2° Solidification de l'huile : 23 degrés; Fusion : 25°5,. 6° Fusion des acides gras : 56°3. 7° Solidification des acides gras : 525. 8° Saluralion : 14.9. 9% Solubilité dans l'alcool absolu : 80 p. 100. Propriétés caractéristiques. — Point de fusion des acides gras, saturation. Agitée avec de l'alcool, cette huile lui communique une teinte d’un blanc laiteux. (Milliau.) HUILES GCONCRÈTES ANIMALES Action du chlore. — Un courant de chlore colore les huiles ani- males en brun, tandis qu’il décolore ou w’altère pas les huiles végé- tales. 1. Échantillon du Soudan français envoyé à M. Milliau par la Chambre de Commerce de Paris et la Chambre syndicale de la stéarinerie et de la savonnerie parisiennes. Etude présentée à la Société d'Encouragement (Paris, 1892). 80 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Beurre. 1° Densité à 15 degrés. — Huile : 920 à 936. 2 Action des vapeurs nitreuses : Solidification. 3° Saponification sulfurique. — Absolue : moyenne, 23; Rela- tive : moyenne, 65. 4° Indices. — Brome : 160 à 216 ; lode : 26 à 35. o° Solidification de lu matière grasse : 19 à 21 degrés; Fusion : 91 à 92 degrés. G° Fusion des acides gras : 37 à 39 degrés. 7° Solidification des acides gras : 35 à 37 degrés. 8° Salturalion : 21.19. ®% Solubilité dans l'alcool absolu : 65.4. Propriétés caracléristiques. — Indice d’iode, solidification de la matière grasse, saturation. Examen microscopique. — Le beurre non fondu se présente sous le microscope comme une suite de petites sphères régulières ; mal préparé, il laisse voir en outre des amas granuleux de caséine et de matières albuminoïdes, accompagnés de gouttelettes d’eau ou de sérum. Le beurre falsifié laisse voir des éléments figurés anormaux et des cristaux de malière grasse qui, pour la plupart, s'illuminent vivement dans le champ noir de lappareil à polari- sation. Délermination des acides gras volatils. — Procédé Meissl. — Dans un ballon de 250 centim. cubes relié à un condensateur à re- flux, on saponifie 5 gr. de beurre fondu à 50 degrés et filtré avec 2 or. de potasse caustique et 50 centim. cubes d’alcool à 70 degrés (l'opération se fait au bain-marie). Après saponification, on évapore l’alcoo!, on dissout le savon dans 100 centim. cubes d’eau distillée et l’on ajoute 40 centim. cubes d’acide sulfurique dilué au dixième, avec quelques morceaux de pierre ponce, ou un petit fragment de zinc, pour éviter les soubresauts. On adapte alors au ballon un petit ANALYSE DES MATIÈRES GRASSES AGRICOLES 81 réfrigérant de Liebig et l’on distille jusqu'au moment où l’on a ob- tenu 110 centim. cubes de distillatum. On en filtre alors 100 centim. cubes que l’on titre au moyen d'une solution de potasse normale décime, en présence de la phtaléine du phénol. On obtient ainsi l'indice de Meissl ; celui de Reichert est égal à la moitié du résultat trouvé. INDICES DE RE Meïss1i. Reichert, SUHTAeUMOULOMX EE UE à 0.60 0.30 SULIAU OS DORE MEME AE TA es 0.70 0.35 Oléo-margarine . . FHMIE LEE 0.70 0.35 Huile de palme: mn rat {1.00 0.50 Huletde COLOR al? 2H 96 BOULE, ES 7 TNA ER RENE 28.00 14.00 Le beurre naturel fournit environ 11 p. 100 d’acides solubles et volatils et 87 p. 100 d'acides gras fixes. Suif. 1° Densilés à 15 degrés. — Mouton : 917 ; Bœuf : 915. 2° Action des vapeurs nitreuses : Solidification. 9° Saponificalion sulfurique. — Absolue : 16 degrés ; Relative : 44 degrés. 4° Indices. — Brome 247; Iode : 40. 9° Solidificalion de la matière grasse : Mouton : 33 à 30 degrés; Bœuf : 33 à 35 degrés. — Fusion : Mouton : 42 à 46 degrés; Bœuf : 98 à 43 degrés. 6° Fusion des acides gras : Mouton : 40 à 50 degrés ; Bœuf : 40 à 48 degrés. 7° Solidificalion des acides gras : Mouton 45 à 47 degrés ; Bœuf : 45 à 45 degrés. 8° Saluration : Mouton : 18.5 ; Bœuf : 18.95. % Solubilité dans l'alcool absolu : 3.15 p. 100. Propriélés caractéristiques. — Saponification sulfurique, sol:difi- cation des acides gras, faible solubilité dans l'alcool absolu. ANN. SCIENCE AGRON, — 1892. — 1, (h 82 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Saindoux. 1° Densité à 15 degrés. — 920. 2 Action des vapeurs nitreuses : Solidification. 9° Saponificalion sulfurique. — Absolue : 33 degrés; Relative : 91 degrés. 4 Indices. — Brome : 365 ; lode : 59. D° Solidification de la matière grasse : 3® ; Fusion : 34 degrés. 6° Fusion des acides gras : 35 degrés. 7° Solidification des acides gras : 34 degrés. 8° Saluration : 18.12. 9% Solubilité dans l'alcool absolu : 43 p. 100. Propriétés caractéristiques. — Saponification sulfurique et indice diode. HUILES DIVERSES POUVANT SERVIR A L'ADULTÉRATION DES MATIÈRES GRASSES AGRICOLES. Huile de poisson. 1° Densité à 15 degrés. — 993 à 930. 2 Action des vapeurs nitreuses : Masse liquide. 3° Saponificalion sulfurique. — Absolue : 50 à 100 degrés; Re- lative : 138 à 277 degrés. 4° Indices. — Brome : 761 à 872 ; Iode : 193 à 141. D° Congélation de l'huile. — Moyenne : 0 degré. 6° Fusion des acides gras : Variable suivant les espèces. 1° Solidification des acides gras : Variable suivant les espèces. 8° Saturalion : 17.71. % Solubulilé dans l'alcool absolu. — Morue : 240 p. 100. Propriétés caractéristiques. — Indice d’iode, solubilité dans l’al- cool absolu (émulsion laiteuse de l’alcool), point de fusion de la cholestérine. ANALYSE DES MATIÈRES GRASSES AGRICOLES. 83 Cette huile est colorée en brun par le chlore et en rouge par la soude caustique et l’acide phosphorique. Résine ou colophane. 1° Densilé à 15 degrés. — 1.08. 4° Indices. — Brome : 718; Jode 446: 8° Saturation : 19.15. 9° Solubilité dans l'alcool absolu : Soluble. 10° Déviation du plan de polurisalion : + 30 degrés. Propriélés caractéristiques. — Densité, saturation, solubilité dans l'alcool absolu, déviation du plan de polarisation. Dosage de la résine dans les malières grasses. — On dissout, à chaud, un gramme de matière dans 20 centim. cubes d’alcool, on neutralise exactement par la soude caustique en présence de la phé- nolphtaléine, on transvase le liquide, on étend à 200 centim. cubes et on ajoute à celte dissolution du nitrate d’argent en excès. On re- cueille le précipité à l’abri de la lumière et, après l'avoir lavé à l’eau et séché à 100 degrés, on l’épuise dans un appareil de Soxhlet, avec de l’éther (le liquide doit être coloré en jaune, brun clair, mais non brun foncé). On filtre l’extrail, on le secoue avec HCI étendu, on sépare par décantation et filtration le chlorure d’argent formé, on évapore l'extrait éthéré et on pèse la résine séchée à 100 degrés. Huile de résine. 1° Densité à 15 degrés. — 960 à 990. 4 Indices. — Brome : 297; [ode : 48 degrés. ® Solubilité dans l'alcool absolu : Presque insoluble à froid. 10° Déviation du plan de polarisation : + 30. Proprielés caractéristiques. — Densité, saturation; la liqaeur de soude caustique est sans action (voir Dosage des matières insapeni- fiables), déviation du plan de polarisation, insolubilité dans l'acide 84 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. acélique cristallisable, coloration pourpre caractéristique par le bi- chlorure d’étain fumant. Oléine du commerce. (ACIDE OLÉIQUE) 1° Densité à 15 degrés. — 900. 2 Action des vapeurs nitreuses : Acide de saponification . . . . . . Solidification. Acide de distillation . . . . . . . Reste liquide. ACIDE AUESUIN EME amet. de Masse pâteuse. 3° Saponification sulfurique. — Absolue : 24 degrés; Relative : 66 degrés. 4 Indices : BROME. IODE. ACÉTYLE, SADOHACALION ER M NE ee 200 78.5 63 DISTRIALION REUMRE EMRULEE 518 83.5 41 SUITE. 1h 2 ARS RENTE IE 443 68.5 46 6° Fusion des acides gras : + 4 degrés à + 12 degrés. 7° Solidification des acides gras : 0 à + 8. & Saluration : 17.7. % Solubilité dans l'alcool absolu : Soluble. Propriétés caractéristiques. — Densité, vapeurs nitreuses, solu- bilité dans l'alcool absolu, l'acide acétique cristallisable et l’éther de pétrole. Huiles minérales. 4° Densité à 15 degrés. — 851 à 930. 2 Action des vapeurs nitreuses : Pas de solidification. 3° Saponification sulfurique : ABSOLUE. RELATIVE. PELTO LOT SRE MR TR Re 3 8 SORISTEE EL NNERENT ter ii rtdétes 22 60 ANALYSE DES MATIÈRES GRASSES AGRICOLES. 85 4 Indices : BROME.,. I0DE, PÉFTO IE UE S0 13 DCDISLO MER AM LA LE 130 21 9° Solubilité dans l'alcool absolu : Insolubles à froid. Propriétés caractéristiques. — Densité, indice d’iode, satura- tion : la liqueur de soude caustique est sans action (voir Dosage des matières insaponifiables), insolubilité dans lalcool absolu à froid. DOSAGES Dosage des matières insaponifiables. On saponifie 10 gr. d'huile, on porte le savon formé à l’étuve, on le fond dans quelques centimètres d’alcool à 90 degrés, on le sur- sature par Î centim. cube de soude caustique à 36 degrés, on le sèche à 100 degrés et on le dissout dans une quantité suffisante d’al- cool absolu. En faisant passer un courant d’acide carbonique dans la masse chauffée au bain-marie, on précipite la soude caustique en excès, à l’état de carbonate insoluble, qu’on isole en décantant et filtrant à chaud. On chasse l'alcool et le savon sec et par est épuisé, dans un appareil à reflux, par l’éther de pétrole, On distille ensuite, et le poids du résidu donne celui des matières insaponifiables. (Milliau.) Dosage des acides gras fixes. On saponifie 100 gr. d'huile par 60 centim. cubes d’une solution de soude caustique à 36 degrés Baumé et 60 centim. cubes d’alcool à 90 degrés, on dissout dans un litre d’eau, on chasse l’alcool par 86 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. ébullition et on déplace ensuite les acides gras par SO*H° au 10°. On continue à chauffer jusqu’à fusion complète des acides, on retire l’eau avec un siphon, on lave trois fois avec une égale quantité d’eau chaude distillée, on enlève toute l’eau et on sèche à 105 degrés jus- qu’à poids constant. Dosage de la glycérine. On introduit 05,4 de glycérine résultant de la saponification des huiles dans un ballon d’un litre, avec 500 centim. cubes d’eau et et 10 gr. de potasse caustique. Puis on y fait couler, tout en agitant et en refroidissant, deux fois la quantité théorique nécessaire d’une solution à à p. 100 de permanganante de potasse. On laisse reposer, à la température ordinaire, pendant une demi-heure, on ajoute de l’eau oxygénée, en évitant d’en mettre un excès, Jusqu'au moment où la masse liquide devient incolore ; on remplit jusqu’au trait, on agite vigoureusement et on filtre. On chauffe pendant une demi- heure le liquide filtré, afin de détruire l’eau oxygénée, on laisse re- froidir à 60 degrés environ et on titre avec le caméléon, après addi- tion d’acide sulfurique. (Bénédikt modifié par Mangold.) Dosage des acides gras libres dans une matière grasse. On pèse 10 gr. d’huile dans une capsule, on ajoute 30 à 40 gr. d'alcool à 90 degrés et quelques gouttes de phénolphtaléine. On titre au moyen d’une solution d’hydrate de sodium (14,184 pour 1000 centim. cubes d’eau) en agitant rapidement la masse avec une baguette de verre. Chaque centimètre cube de la liqueur sodique représente 1 p.100 d'acides libres évalués en C*H**0"°. ANALYSE DES MATIÈRES GRASSES AGRICOLES. 87 CONCLUSION Les procédés énumérés plus haut, s’appliquent indistinctement aux matières grasses comestibles ou industrielles et permettent de re- connaître leur pureté avec une approximation suffisante dans la plu- part des cas. Les résultats obtenus sont encore plus précis et concluants si on opère comparativement. avec des produits de même origine et d’une pureté connue. TABLEAUX. 838 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 2 3 ACTIONS SAPONIFICATION DENSITÉ MATIÈRES GRASSES. ! des SULFURIQUE VAPEURS 59 CE: R. : 159 CENTIGR.| Vitreuses. | ABSOLUE. |RELATIVE.| BROME. , \ Solidificalion } LOVE ER M TE EU 0.915 à 0.917 L'élaïdine fond! 35° 940 550 à 544 8) à 84 4° | à 32 degrés. \ : £ en coque: 917.50: 2 : E DAT ACHITO SE NAN Met Eater: Ra re Masse liquide. 460 127 530 | 97 SHIPSÉSRINE NME Ut CNT AE ET : 993 Id. 54o 1500 695 104 Æ | Coton (comestible). . . . . . . 922 Id. 520 1440 645 1C8 15% 5 | Œillette (siccative). 995 Id 800 2995 835 133 6. | Colza (erucifère)..1. : «2. 914.5 [d 480 1330 64) 99 ZAR Navette) (crucifére):.M 200. 915 Id. 56° 1550 632 103 5.9. PR ER 9 ES 7 AU nr Re me Ne PE RE S'IPLini(siccative) Nc ee 932.5 Id. 121° 3360 1000 155 8.1 DIE RSR 9 ER CP PP | SEP VPN PE NN eu nie | Ut PU | AU AT" ge LS TES : £ L À SYPNOÏX (SICCALLVE) Le 0. ere. 926 Id. 990 2750 731 114 7.8, 40 | Cameline (siccative) . . . . . . 926 Id. 510 1410 817 132 7 5 2 ND et CURE) RE re de) or PV ve Lea AD PAIA EE 1 a eee CU le 921 Id. 590 1630 652 106 6.1 12 | Moutarde ou ravison (crucifère). 918 Id 39° 108° 763 96 6.9 13 | Amande douce. . . . . . .. 918.5 Ras 47e 130° Gas 98 5.0 à 1 14 | Noisette 917 Lconssunee | 31° 86° 561 87.5 1.9 PR De EM db tree : n) 15 | Ricin 2 SR AU ET 1110 559 s4 153 RS RE À Ricinélaïdine, ANALYSE DES MATIÈRES GRASSES nalyse des matières grasses. 89 AGRICOLES. PROPRIÉTÉS CARACTÉRISTIQUES. Action des vapeurs nitreusés. — Opérer par le procédé Cailietet, en versant sur 20 gr, d'huile: 6 gr. SO*H2 et 9 gr. Az O*H. Obse ver les colorations caractéristiques : 4° Avec SO H2, vert ; 2° SO*H2 | + AzO3H, vert gris; 3° Aprés ébullition, jaune- paille ; 4° Après refroidissement, masse dure, couleur beurre blanc. {L'acide arachidique C?22H#t02 (fusion 75 degrés) est 2: caractéristique et permet de retrouver l’arachide dans l toutes les huiles. Procédé Miccrau. — La couleur rouge obtenue en traitant par H CI + sucre, les acides gras de l'huile rectifiée, recueillis à l’état naissant et fondus à l’étuve, est caractéristique et permet de retrouver l’huile de sésame dans toutes les huiles. 3 Procédé Micciau, — La coloration noire obtenue par la réduction de Az O* Ag en présence des produits de saponification de l'huile rectifiée est caractéristique et permet de retrouver l’huile de coton dans toutes les huiles. & ‘huile d'œillette introduite dans l'huile d’olive empêche la solidification de la masse, par l’action des vapeurs nitreuses. ie jEEe solution potassique traitée à chaud par l'huile de 6 colza non épurée, noircit par l’acétate de plomb et l rougit par la nitrocyanure de polass um, 7 Densité et fusion des acides gras, Densité, point de congélation, saponification sulfurique 8 te, p 5 1! Li et indice d’iode. fSaponification sulfurique, indice d’iode, point de con- 9 N=4 BE : gélation et fluidité des acides gras. l 10 er d’iode, point de congélation, fluidité des acides gras. O gr. 1 d’albumine desséchée, 10 centim. cubes d'huile : on obtient, par agitation, une coloration Réactif BRULLÉ. — 2 centim. cubes d’acide azotique, a vermillon vif caractéristique, 12 Huile crucifére, saponification sulfurique et indice d’iode, 43 Vapeurs nitreuses et solidification des acides gras. 44 Saponifcation sulfurique, point de congélation. Densité, — Solubilité dans l'alcool et l'acide acétique 5 6 F: 8 9 10 à SATURATION, SOLUBILITÉ : sor- [par Na?0. dans DÉVIATION BNGÉLATION | FUSION «orne | L'ALCOOL ps DIFICATION 46 absolu. du des rs des ee NOMBRE PLAN !] e ACIDES | shso be grammes de HUILES,. gras. par 5 gr. | d'huile neutre redts 1 gras. d'acides | pour polarisation. gras. fn gr. d’alcool | IGÉTALES pe " 1 à 4° 270 230 17.86 43 0°6 Sacchar. Les D— 1° 31° 28° 17.82 66 Variable. s D 5° 260 220 17.70 41 Id. e à DIRE Pr SN") LES Car ES PRE Eee — 12° 36 à 3109 350 18.17 62 Id. 200 5 160 18.13 45 — 007 17° 169 16.49 20 Variable. 155 150 16.68 15 + 10? 23° 210 17.98 70 Inactive. Fluides.|Fluides.| 18.26 44 Id. ES Re ee, Id. Id. 17.90 78 — 30 240 170 18.18 45 Presque inactive. 160 15° 17.97 28 + 30 140 5o 18.22 39 Presque inaclive. 25° 2,v 17.63 33 Id. 12° 40 16.77 Soluble, Moyenne = 43/45 cristallisable, Insolubilité dans l’éther de pétrole, Déviation du plan de polarisation, 90 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. SA louds nés, = Tableau général comparatif 2 3 DENSITÉ ne SAPONIFICATION MATIÈRES GRASSES. ! des SULFURIQUE VYAPEURS oc 3R. : 159 CENTIGR nitreuses. | ABSOLUE. |RELATIVE. BROME. IODE. 924.5 Solidification . { Consistance molle, 917.5 Solidification. 917.5 Id. 920 à 936 | Soliditication, [Moyenne : 230 | Moyenne ; 630] 160 à 216 Mouton : 917 Bœuf : 915 923 à 930 | Masse liquide. | 50 à 1000 | 138 à 2770] 761 à 872 | 123 à 141 Huile de résine 960 à 990 | Masse fluide. 297 Oléine du commerce (acide oléique) Solidification. Acide et 900 240 66° 443 à 518 |68.5 à 83.5| 41 à : à ” LE Pétrole : 30! Pétrole : Sol Pétrole: 801 Pétrole : 13 FR CE 850 à 930 | Liquide. À gite : 290| Schiste : 610 Sehiste : Ho Sehiste : 21 ANALYSE DES MATIÈRES GRASSES AGRICOLES. 91 lyse des matières grasses (suile). 4 6 7 8 9 10 SATURATION| SOLUBILITÉ F SOLI- 0 dans DÉVIATION SUR LE L'ALCOOL DIFICATION absolu. du des cent. cubes SE des de liqueur NOMBRE PLAN ACIDES normale de OTONÉ absorbée grammes de 5 gr d'huile neutre ras. . par 5 gr. : gras: d’acides pour gras. [1000 gr. d'alcool PROPRIÉTÉS CARACTÉRISTIQUES HUILES. | polarisation. =. GÉTALES. (ealion. | Fusion. Procédé Mirciau, — L'huile neutralisée est soluble à 16 31 degrés centigrades dans deux fois son volume d’alcool absolu, Devient insoluble par addition d'huiles Soluble à 319 cen-. tigr. dans 2 vo- lumes d'aleool, de graines, — Saturation, — Indice diode. Soluble à 340 cen- à 310 cen- ligr. dans À vo- 17 Aura MiLLtau. — Comme le coprah en opérant sur lumes d’ RER SE quatre volumes d’alcool absolu, 8 Densité, saponification sulfurique, solubilité partielle dans l’alcool absolu, 33 à 390| 46 à 470| 42 à 460 Indéter- 970 46° 4205 ; = minés. 19 ve saturation, agitée avec de l’alcoo!l elle lui communique une teinte laiteuse caractéristique. 28° 3 460 4205 20 us d'iode, solidification de Vhuile, procédé Mil- liau (4). 390 56° 520 5 ———— — 21 Saponification sulfurique, indice d’iode, point de fusion des acides gras, tr de fusion des acides gras, saturation. Agitée El avec de l’alcool elle lui communique une teinte lai- | l teuse caractéristique, 250 5 5605 5205 Acides gras volatils, indices d’iode, solidifi- beto |31 à 320] 37 à 390| 35 à 370 2 5. 23 Colorés| cation de la matière neutre, saturation, | examen microscopique, A a de : 6 S i i lfurique, solidification des 36o |42 à 460] 40 à 500 | 45 à 470 dét Saponification sulfurique, di 350 |38 à 430] 40 à 480| 43 à 450 acides gras, insolubilité dans l’alcool ab- 340 350 340 RAS Indice d’iode, solubilité dans l’alcool (émul- Indéter sion laiteuse de l’alcool), point de fusion 17.441120 ': 24. { : f 7 orue : 240 | ninés. Ü de la cholestérine. Densité, saturation, solubilité dans l’alcool, déviation Soluble. Moyenne — 15127 du plan de polarisation. insoluble à froid. dans l’acide acétique cristallisable. { Presque + 30 28 Densité, déviation du plan de polarisation, insolubilité 29 Densité, vapeurs nitreuses, solubilité dans l'alcool. 30 Densité, indice d’iode, insolubilité dans l'alcool, DE L'INFLUENCE DU CLIMAT LA FORMATION ET LA COMPOSITION DES SOLS SUIVI D'UN CHAPITRE SPÉCIAL SUR LES TERRAINS ALCALINS Par Eugène W. HILGARD PROFESSEUR DE CHIMIE AGRONOMIQUE A L/UNIVERSITÉ DE L'ÉTAT DE CALIFORNIE DIRECTEUR DE LA STATION AGRONOMIQUE DU MÊME ÉTAT Traduction de M. J. VILBOUCHEVITCH! 0600 —_—— Les sols arables sont le produit résiduaire de la modification des roches sous l'influence des agents météorologiques; il doit done exister, pour toute région donnée, une corrélation plus ou moins étroite entre les sols et les conditions climatériques présentes et passées. C’est cette corrélation que nous allons tâcher de préciser ici, autant que cela est possible dans l’état actuel des connaissances scientifiques ; nous examinerons le sujet aussi bien au point de vue théorique, qu’au point de vue des conséquences agricoles que déter- minent les particularités caractéristiques des sols des grandes divi- sions climatériques. | Afin de rendre notre exposé bien intelligible non seulement aux 1 Je dois la traduction de cet important travail à M. J. Vilbouchevitch, jeune savant russe qui s'adonne tout spécialement à l'étude des végétaux qui conviennent ax ter- rains salants. M. Hilgard a revu cetle traduction et l'a complétée par de nombreuses additions et révisions. L. G. FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS, 93 spécialistes, mais aussi au grand public agricole, nous allons com- mencer par une courte récapilulation générale des facteurs de diffé- rents ordres qui interviennent dans la constitution des sols. I. — COMMENT SE FORMENT LES SOLS A. — Agents physiques et mécaniques. Les principales interventions physiques et mécaniques auxquelles sont exposées les roches sont les suivantes ; nous les énumérons conformément à leur succession habituelle dans la nature. 1° Les simples changements de température amènent déjà des extensions et contractions discordantes dans les différents minéraux dont sont composés la plupart des roches. La cohésion de l’ensemble s'en trouve peu à peu affaiblie, surtout à la surface ; il se forme de fines crevasses, qui deviennent autant de portes d'entrée pour l'air et pour l’eau, et aussi pour les ramifications les plus ténues des racines. 2° La congélation de l’eau à l’intérieur de ces crevasses, au début imperceptibles, les élargit dans la suite, par le fait de l’accroisse- ment de volume qui accompagne le phénomène de la congélation de l'eau, et auquel rien ne saurait résister; en se congelant dans des déchirures ou crevasses déjà assez considérables, l’eau peut même faire sauter des rochers entiers. La surface vulnérable de la roche augmente ainsi de plus en plus ; les débris détachés ne tardent pas à êlre emportés par leur propre poids (par voie d’éboulement) par les eaux ou par les vents. 3° Les glaces mouvantes ou charriées par les eaux (les glaciers) ont eu et continuent à avoir un rôle des plus importants dans la transformation des roches en sols. Le travail polissant et triturant des glaciers est d’une puissance énorme ; d’autre part, la fine pous- sière minérale qui en résulte peut devenir du sol arable en très peu de temps. 94 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. C’est ainsi que la vaste activité des glaciers, dans ce sens, se mani- feste encore même de nos jours, bien qu’ils n’occupent plus actuel- lement qu’une partie fort insignifiante de la surface du globe ; or, dans des périodes géologiques relativement récentes encore, les glaciers couvraient des superficies immenses ; la plupart des sols qui occupent aujourd’hui les emplacements de ces anciens champs de glace doivent manifestement leur constitution à l’action de la glace accompagnée ou suivie de celle des eaux de fonte. Les débris de roches charriés sur le dos des glaciers (les morai- nes) sont exposés à des changements de température réellement extrêmes ; dans la journée, s’il fait beau, ils sont échauffés considé- rablement par les rayons du soleil, qui, à ces altitudes-là, sont beau- coup plus énergiques que dans nos plaines, car ils nous arrivent affaiblis par les épaisses couches supplémentaires d'air qu'il leur faut traverser avant de nous atteindre. La nuit ramène la température à nouveau invariablement au-des- sous de zéro. Des oscillations de chaleur aussi brusques accélèrent au plus haut degré l’émiettement de la substance rocheuse ; cet émieltement suit son cours, autant à la surface du glacier qu'à lin- térieur (dans les crevasses qui divisent la glace) et en partie même au fond, au-dessous de la glace. Les blocs de glace finissent par s’incruster, sur leur face infé- rieure, d'innombrables pierres à contours tranchants, qui érailient fortement le plancher rocheux sur lequel ces blocs glissent, et qui le couvrent de profondes entailles. Les torrents prenant leur origine dans des glaciers se distinguent toujours par celte particularité qu’ils charrient énormément de poussière minérale très fine, matière qu’ils emportent souvent à de grandes distances des points de départ. 4 L'eau courante est, de tous les agents mécaniques formateurs des sols, indiscutablement celui qui intervient le plus de nos jours ; il ne s’agit pas seulement ici de déplacements de pierres à de courtes distances, mais de phénomènes multiples et de la plus haute impor- lance, dus autant aux ruisseaux et aux fleuves qu’à la force des vagues qui viennent s’abattre contre les rivages des lacs et des mers. FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 95 Le choc des eaux arrache continuellement des pierres aux roches des bords ; d’autres sont amenées par les glaciers ou arrivent d’elles- mêmes en roulant le long des pentes naturelles ; les frottements de ces amas de pierres contre les parois accélèrent à leur tour l’élar- gissement (érosion) du lit primitif ; d'autre part, les pierres et galets roulés par les eaux s’entre-choquent entre eux, se polissent mutuel- lement, s’effritent et se brisent ; cela produit, comme résultat, une masse considérable de farine minérale, toute pareille à celle qui ca- ractérise les glaciers, à part cette différence, que sa composition est généralement plus variée, les matériaux provenant d’aires plus vas- tes ; on peut généralement reconnaître dans le mélange les différents minéraux qui le composent; dans le cas de dépôts relativement gros- siers — sables, — cela est possible déjà à l’œil nu ; mais, même dans les dépôts les plus fins, on peut encore, autant qu’ils sont récents, déterminer au microscope le caractère minéralogique propre à cha- que particule. Les variations dans la rapidité et dans le volume du courant sont les moments qui déterminent le triage de ces dépôts ; les particules les plus fines, celles qui fournissent les sols argileux, ne se déposent généralement que dans les eaux qui sont en repos ou à peu près, au fond des lacs, dans les marais, etc. Ces terrains de transport ou alluvions se ressemblent générale- ment plus ou moins les uns les autres à cause de leurs origines complexes; par contre, la diversité et l'originalité sont généralement grandes parmi les terrains n’ayant subi que des déplacements locaux de peu d'importance — terrains colluviaux des pays de collines et de coteaux, — qui sont d’origine simple et ont pu garder les traces particulières des conditions locales et spéciales dans lesquelles ils se sont constitués. 5° Les vents interviennent, enfin, aussi pour une grande part dans l'origine des sols ; certains auteurs leur attribuent même, dans ce sens, des effets de la plus grande importance, que d’autres mettent sur le compte de l'intervention de l’eau; en tout cas, il existe de nombreux exemples de sols dont l’origine éolienne est indéniable ; les vents peuvent emporter avec eux de fines particules prises sur la surface effritée des roches ; ils peuvent aussi transporter d’un en- Y6 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. droit à un autre et parfois même très loin des sols, déjà tout formés. Ce qui sert à distinguer les apports éoliens des apports aquatiques de la même finesse, c’est l'absence de Loute stratification ; les grains sont aussi tous de la même grosseur, à moins qu'il ne se soit formé des agglomérations après coup. Les vents délerminent souvent d’une façon décisive l'aspect de la surface des sols. B. — Agents chimiques. Les principaux phénomènes d’ordre chimique qui interviennent pour la constitution des sols sont : 1° La dissolution dans l'eau. Mème l’eau pure dissout — ne füt- ce que peu — la plupart des corps que nous connaissons, surtout ceux qui entrent dans la conslitulion des roches ; certains y sont même facilement solubles (par exemple le plâtre). Des phénomènes de dissolution doivent donc fatalement avoir lieu, déjà rien que du fait des eaux de pluie, à leur contact avec les roches. Or, l’eau à laquelle nous avons affaire dans la nature n’est jamais réellement de l’eau pure; celte dernière ne peut être obte- nue qu'artificiellement et encore, à la condition de prendre des pré- cautions infinies; toutes les eaux naturelles sont chargées de corps étrangers. 2° L'acide carbonique est, de ces matières étrangères, celle dont la présence constante et universelle a les conséquences les plus ca- pitales, malgré le peu d’activité apparente de ce gaz. Ge corps, que tout le monde connaît par la saveur acidulée qu’il communique aux eaux gazeuses, constilue, dans la nature, le produit d’une multitude de processus de la pourriture, de la fermentation, de toute combus- lion, brusque ou lente, des matières végétales et animales, char- bons, etc. ; de toute respiration, animale autant que végétale. Il est toujours contenu dans l’air ambiant, et l’eau le dissout; c’est ec qui fait que toute eau pluviale s’en charge nécessairement, et de ce fait acquiert des propriétés dissolvantes nouvelles; quant aux eaux circulant dans les sols, elles sont continuellement approvisionnées FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 97 en acide carbonique par les diverses matières végétales en voie de décomposition ; elles représentent des liquides acides d’une faculté dissolvante considérable, et rongent sans trêve les minéraux du sol, dont elles rendent accessibles aux végétaux les divers éléments. 9° L'oxygène de l'air entre dans la composition de l’acide carbo- nique ; mais il attaque aussi directement certains principes consti- tuant les divers minéraux des roches. Les différents composés du fer sont particulièrement sensibles à son action. La plupart des mi- néraux colorés en vert ou en noir contiennent le fer sous un état (protoxyde de fer) qui admet l'absorption de quantités supplémen- taires d'oxygène; laquelle absorption a lieu encore davantage par le contact de ces minéraux (par exemple, de l’hornblende) avec l’acide carbonique ; dans ce cas, le fer finit par être éliminé presque com- plètement, sous forme de rouille (oxyhydrate) ; cette transformation se traduit à l'extérieur par un changement de couleur, coloration en jaune, par une désagrégation mécanique de la roche, conséquence de l’accroissement de volume des minéraux ferrugineux ainsi méta- morphosés ; en même temps, l’eau chargée d’acide carbonique ne tarde pas à dissoudre et à emporter une partie des autres substances. 4 La combinaison chimique avec l'eau, qui vient hydrater des composés préexistants ou nouvellement formés, est encore un fac- teur de plus de l’effleurissement des roches; car il en résulte tou- jours un accroissement du volume des corps ainsi modifiés, et par- tant, la masse de la roche éclate ou s’émiette ; c’est ce qui se passe lors de la formation de l'argile aux dépens du feldspath, du plâtre aux dépens de l’anhydrite, de l’ocre avec la pyrite ou d’autres com- binaisons de protoxyde de fer ; du sulfate de fer avec la pyrite, ete. ; dans ces derniers cas, l’oxydation intervient en même temps que l'hydratation. GC. — Effieurissement et jachère. Nous venons d’exposer comment l’action plus ou moins simultanée de l’eau, de l’acide carbonique et de l’oxygène, corroborée par une division mécanique très parfaite, amène la transformation des roches ANN. SCIENCE AGRON, =—— 1892. — rt, 7 98 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. en ce que nous appelons « sol » ; tous les processus visés continuent à se dérouler dans ce dernier même. C’est leur ensemble (à part l’action purement mécanique de l’eau courante et des glaces en mou- vement) qu'on entend lorsqu'on parle en agrologie d’ « effleurisse- ment », ou, dans la pratique agricole, de « jachère ». Il. — CLASSIFICATION DES VARIÉTÉS DE SOLS Selon qu’on envisage la chose à tel ou tel autre point de vue; selon qu’on tend vers tel ou tel autre but final, on adopte, pour la classifi- cation des sols, des cadres très divers. Les classifications : physique, chimique, pétrologique, géologique, agricole, ont toutes leur raison d'être. Le point de vue qui nous importe dans le présent mémoire est celui du mode de formation des sols; sous ce rapport, il y a à envisager surtout les deux grandes divisions naturelles suivantes : 1° Les sols « sédentaires » (formés sur place), — résiduaires — (Lerme anglais : residual soils'), résultant de l’action lente et régu- lière sur les roches des oscillations de température, des gelées, etc., et de l’action dissolvante de l’eau chargée d’acide carbonique et d'oxygène, tous ces phénomènes se passant sur les emplacements mêmes où nous les constatons aujourd’hui. 2° Les sols déplacés, sols de transport, ayant été emportés plus ou moins loin de leur lieu d’origine, par l’eau courante pour la plu- part; plus rarement aussi par la force de la pesanteur (par glisse- ment) ou par le vent. Dans ces sols, 1l y a à distinguer à nouveau deux subdivisions naturelles, nettement reconnaissables et généra- lement connues de tous : a) Les sols colluviaux, constitués par des matériaux transportés 1. Les Allemands se servent parfois du terme Verwitlerungsbôden — sol d’effleu- rissement. Nous croyons cette expression peu justifiée en tant que terme de distinc- tion ; {ous les sols du monde sans exception étant des produits d'effleurissement d'après la signification même du mot « sol ». Nous préférons aussi les termes anglais « sols sédentaires » ou « résiduaires » au terme « sols primitifs » ; ce mot a un autre sens géologique qui peut créer un malentendu. E. W. H. FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 99 seulement à de petites distances de leur lieu d’origine, et n'ayant pas subi de triage, d’arrangement, de stralfication par ordre de grosseur des grains, du fait d’eaux courantes; la topographie de ces sols est donc absolument indépendante des emplacements des cours d’eau actuels ou anciens. On peut y rencontrer, en mélange plus ou moins intime avec la terre fine, des débris de roche de toutes gros- seurs et de toutes formes. Ces genres de sols sont ceux qui cons- tituent la plus grande partie de la surface des pays de collines ; à moins cependant que ces pays ne soient eux-mêmes d'anciennes alluvions ravinées. Par dérogation à la règle habituelle tout à l’heure énoncée, ces sols colluviaux peuvent aussi parfois avoir été cons- titués en partie par des matériaux venus de très loin ; notamment dans les cas où il s’agit de régions anciennement recouvertes de gletchers; mais jamais, même dans ces cas, il n’y a de structure, d’arrangement par ordre de grosseur des éléments. b) Les sols alluviaux (sols de colmatage), qui représentent des dépôts dus aux apports d’eaux agitées, ou relativement tranquilles, et qui, par ce fait, sont liés aux emplacements actuels ou anciens des cours d’eau naturels, des vallées, des fonds de bassins: selon la nature des eaux, par lesquelles ou en présence desquelles ces sols se sont déposés, ils offrent toujours, d’une manière plus ou moins nette, des marques de triages et de stratifications, des lignes de dépôt. C’est donc à la classe des sols alluviaux, ou alluvions, qu'appar- tiennent essentiellement les sols des vallées et de leurs terrasses, ceux des fonds de lacs actuels ou anciens, des marécages côliers et intérieurs. Ces deux dernières stations offrent généralement les sols les plus divisés, les plus désagrégés. Il est à peine besoin de spécifier que la nature présente, entre les classes que nous venons d'établir, une infinité de types intermédiaires les reliant ente elles ; à telles enseignes, qu’on se trouve souvent devant des sols, que l’on pourrait ranger avec autant de raison dans une classe que dans une autre ; le cas est d’une fréquence particu- bère dans les régions d’alluvions anciennes, devenues des plateaux élevés ou des pays de collines, par suite du rehaussement des con- trées, du ravinement des thalwegs ou de l'écoulement des lacs. 100 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. C’est ce qui s’est passé pour les « grandes plaines » (Great Plains) et « mésas » de l’ouest de l'Amérique du Nord, du centre de l’Asie, etc.; de même pour nombre de terrasses, bordières, qu’aujour- d’hui nous voyons situées à une distance verticale considérable au- dessus du niveau des crues les plus fortes. Dans de semblables em- placements on trouve des sols qui ont gardé la structure des sols alluviaux, comme il fallait s’y attendre, mais qui se sont rapprochés des sols des pays de collines, des sols colluviaux, en tant que types chimiques et agricoles. 3° Les sols éoliens, dont il a déjà été fait mention plus haut, peu- vent être érigés en une troisième classe séparée. Ces sols, produits de transports et dépôts effectués par la force des vents, sont repré- sentés principalement dans les pays de dunes, qui consistent essen- tiellement en sables mouvants et que, dans les contrées à pluies suffisantes, on ne rencontre guère d’une façon constante que sur les rivages maritimes. Le rôle des vents est bien autrement impor- tant dans les pays arides, où ils opèrent un triage fort significatif des divers éléments constitutifs mécaniques des sols, en trois caté- -gories de matériaux distinctes, division que l’on observe particuliè- rement dans les régions « désertiques ». Ils emportent à de grandes distances et répandent sur de vastes surfaces la fine poussière; dans les pays à vents prédominants d’une direction bien fixée, 1l s’en peul former localement des dépôts d’une épaisseur considérable ; à défaut de cette condition, la poussière ne fait qu’errer sans repos à la surface des pays. Les vents séparent aussi bien nettement le sable, qui se dépose, comme ailleurs, sous l'aspect de dunes, c’est-à-dire des collines ondoyantes d’une con- formation très spéciale et particulière. Ils laissent, enfin, sur place, en résidu d’une stérilité désolante, les éléments les plus gros : les pierres, cailloux, graviers, qui constituent la surface du « désert pierreux » (hamada). Les sols éoliens peuvent par conséquent, ou bien être dépourvus de toute structure, ou bien présenter des lignes de dépôt parfai- tement marquées; cela dépend du degré de finesse des matériaux charriés et du caractère de régularité des vents. Les diverses forma- FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 101 - tions éoliennes prennent une grande importance dans les contrées arices. A. — La composition physique du sol. Tout sol consiste, généralement parlant, en trois éléments princi- paux : en poudre minérale (poussière, schlick, sable, gravat), plus ou moins décomposée (désagrégéc); en substance argileuse plasti- que, déterminant la cohésion des sols; enfin en restes végétaux, qui appartiennent plus particulièrement aux couches supérieures et s’y trouvent dans différents états de décomposition plus ou moins rapprochés du produit final qui est la substance humique, à laquelle les sols doivent une coloration plus ou moins foncée. Selon que la prépondérance appartient à l’un ou à l’autre de ces principaux élé- ments constitutifs, les sols tombent dans l’une ou dans l’autre des trois grandes catégories : 1° Sols sableux ou légers ; % argileux (plastiques) ou forts ; 3° humiques. Des caractères de distinction plus spéciaux résident ensuite dans le degré de finesse du genre de poudre minérale qui prédomine, et dans ses autres propriétés physiques et chimiques. C’est ainsi que l’on en arrive à distinguer des sols de galets, de graviers, de sable, de sable fin, de lehm, d'argile, des sols calcaires, dolomitiques, ferrugineux ou ocreux, tourbeux ou marécageux, et maintes autres variétés, plus ou moins largement représentées. Quelles qu’elles soient, d’ailleurs, toutes ces spécifications sont généralement de la plus grande importance pratique dans chaque localité donnée. Sous ce rapport, il y a une variété infinie, à telles enseignes que toute classification absolue devient impossible. B. — Les facteurs climatériques importants au point de vue de la formation des sols. a) La température. — En général, et, loutes les autres conditions ambiantes étant égales, les processus qui concourent à la formation du sol arable, se développent avec d’autant plus d'intensité que la 102 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. température de l’air est plus élevée. Par l’application d’une chaleur arüficielle nous arrivons, au laboratoire, à produire dans les sols, en peu de temps, des changements qui ne diffèrent pas essentiellement de ceux que des périodes bien autrement longues y amènent dans la nature. Il faut donc à priori s’allendre à trouver les sols des régions tro- picales dans un état d’effleurissement plus avancé que ceux des zones tempérées et des zones froides ; d'autant plus que dans ces dernières l’effleurissement est non seulement lent pendant toute l’année par le fait du manque relatif de chaleur, mais encore il s'arrête presque complètement, pendant de longs intervalles, lors des froids hiver- naux. | La comparaison des analyses confirme en général cette manière de voir ; il y aurait peut-être à faire quelques réserves, par pru- dence, vu le nombre encore fort insuffisant de données scientifiques sur les sols tropicaux ; mais, en somme, cette conception trouve par- faitement sa justification. Déjà la richesse et le développement éton- nants de la vie végétale sous les tropiques font voir que le sol offre, dans ces latitudes, aux plantes plus d'éléments nutritifs sous forme immédiatement assimilable que ce n’est le cas dans les pays tem- pérés. La durée, l’inépuisabilité légendaires de la fertilité des sols de certains pays tropicaux -— cause première de la paresse et de l'insouciance non moins légendaires de leurs populations — en apportent une autre preuve. L'exemple le mieux connu de cet état de choses se trouve sur le haut plateau du Deccan (Inde méridio- nale) ; nous entendons parler de la catégorie de sol, appelée là-bas «regur » et exploitée par l’agriculture, sans fumure et cependant sans que les récoltes aient notoirement diminué, depuis déjà 2000 ans. Il existe des exemples comparables dans la zone tropicale de l’Amé- rique : ainsi, dans le pays volcanique situé entre les villes Guatemala et Antiqua, on a eu des récoltes continues et considérables de maïs pendant une longue série de siècles, en tout cas tout au moins de- puis le commencement de la conquête du continent par les Euro- péens ; el c’est tout dernièrement qu’on a commencé à constater un abaissement de la production qui justifierait l'emploi de fumures artificielles. FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 103 Tous les sols des tropiques sont d’ailleurs loin de présenter cette fertilité exubérante et quasi-éternelle. Par opposition aux sols des plaines et des vallées, il n’est pas rare de rencontrer sur les coteaux des terres d’une pauvreté désolante. Bien entendu, il y a surtout lieu de s'attendre à en trouver dans les localités où le sol s’est cons- titué aux dépens de roches d’une composition chimique incomplète, telles que grès siliceux, quarzites, schistes talqueux et micacés, ser- pentines, dolomites et craies, etc., et autres semblables, de roches, par conséquent, qui manquent de certains éléments indispensables à la nutrition des végétaux. Mais ce n’est pas le seul cas. L'intervention d'agents climatériques peut amener le même résultat dans des sols originellement très riches, et qui, sous l'influence des circonstances que nous spécifie- rons tout à l'heure, deviendront en définitive d’autant plus pauvres que l’effleurissement aura eu une marche plus rapide et un carac- tère plus complet. Ce sont les pluies qui peuvent appauvrir les sols à ce point. b) Znfluence de l'abondance des pluies sur la formation du sol. — Le rôle capital des pluies en Lant que facteurs de la richesse du sol ne doit pas nous étonner, puisque l’eau est toujours le principal agent de loules les mutations qui s’opèrent au sein de la couche arable. La somme des précipitations importe autant que leur distri- bution dans les saisons et autant aussi que leur température. Dans une grande partie de la zone tropicale, la somme des dépôts atmosphériques est extrêmement considérable en même temps que la température uniformément et continuellement élevée; dans ces conditions, un délavage très complet des sols est fatal, pourvu que leur perméabilité soit tant soit peu au-dessus de la moyenne, et à moins d'obstacles matériels inhérents à la situation orographique ou au sous-sol. Ce sont les résultats de ce délavage appauvrissant que nous cons- tatons dans les sols latériles, genre représenté presque dans toutes les contrées tropicales douées d’un régime de pluies très abon- dantes, et faisant absolument défaut dans ceux des pays tropicaux où la somme des précipitations atmosphériques est peu considérable ds SE" de “2 104 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. et, partant, tout délavage important impossible, où par conséquent les produits d’effleurissement s'accumulent sans entrave au sein de la couche arable. Dans ces conditions-là, nous avons toujours affaire à des types de sols qui constituent aux latérites une opposition dia- métrale des plus tranchantes *. Telles sont, grosso modo, les origines climatériques des trois prin- cipales classes de sols des pays tropicaux et subtropicaux ; classes dont les distinctions, très essentielles, ne s’accusent jamais avec la même netteté frappante dans les régions tempérées. Avant d'aborder l’examen plus détaillé de ces trois catégories, 1l nous faut nous rendre un compte plus précis de la nature des pro- duits solubles de l’effleurissement des sols en général. c) Composilion de l'eau de mer. — La composition de l’eau de mer est le meilleur indice du caractère des éléments véhiculés par les eaux de drainage naturelles des sols, puisqu'elle est la résullante la plus générale de tous les processus de délavage qui se sont donné libre jeu à travers des temps immémoriaux. La composition moyenne de l’eau de mer est, d’après Regnaull, celle-ci : Chlorure de sodium (sel marin) . 2.700 Chlorure de potassium AS 0.070 Sulfate de chaux (plâtre anhydre) . . 0.110 Sulfate de magnésie (sel amer) . 0.230 Chlorure de magnésium . 0.360 Bromure de magnésium . 0.002? Carbonate de chaux (calcaire). 0.003 Eau et perte . 96.495 100.000 Les eaux marines contiendraient donc en moyenne, d’après ce compte, une somme totale de 3.505 p. 100 de substances salines. 29 analyses de l’eau de l'Océan Atlantique ont donné des teneurs de 1. Il est bien imprudent de loger tous les sols des tropiques à la même enseigne, par exemple de dire, comme le fait Wohklmann : « tous les sols des tropiques sont singulièrement sensibles à l’action bienfaisante des engrais ». Les sols de la catégorie des latérites sont bien dans ce cas, mais non les « regur » du Dekkan et pas davan- tage les sols du Nord-Ouest aride de l'Inde. FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 105 3.006 à 3.710 p. 100, Retenons encore un autre fait : c’est que le « sel marin » ou « sel de cuisine » en langage populaire, le chlo- rure de sodium, constitue à lui seul 75 à 80 p. 100 du résidu salin de l’eau de mer. Le sel de cuisine est donc le principal ingrédient solide de l’eau de mer. Les sels de magnésie viennent en second lieu, notamment : le sel amer et les autres sels des eaux-mères, plus une quantité in- fime de bromure de magnésium. Après, c’est le tour des composés du calcium (de la chaux), dont le plâtre est le principal, tandis que le carbonate (calcaire), si largement et universellement répandu sur ja terre sous forme de roches de toute espèce, n’est que pauvrement représenté ; il en existe cependant assez pour que les coquilles, les coraux et autres habitations d'animaux marins soient toutes cons- truites avec de la chaux. De tous les éléments de la classe des métaux représentés dans le tableau ci-dessus, la potasse, qui prend la forme de chlorure (il y a aussi un peu de sulfate), est le plus rare. Si l’on calcule la somme totale du chlore dans les divers composés salins de l’eau de mer, il se trouve que cet élément constitue les 2/7 du poids du résidu salin de l’eau de mer. L’examen des principes salins des lacs fermés intérieurs amène, grosso modo, à des résultats analogues. Les analyses des eaux du grand lac salé de l’Utah, des mers intérieures du Nevada, de la Cali- fornie, de l’Orégon, des nappes d’eau fermées des déserts d'Asie, d'Afrique et de l'Australie, confirment sous ce rapport toutes nos * conclusions, à savoir : que les produits du délavage des sols sont principalement des chlorures de sodium et de magnésium, et des sulfates des mêmes métaux, plus les sels de calcium, tandis que, sur le reste des éléments, 1l n’y a que la potasse qui se présente encore en quantités appréciables. Cependant, il est bien entendu que les matériaux cités dans le tableau de Regnault ne sont pas les seuls qui existent dans l’eau de mer, tout en étant les seuls que l'analyse chimique, avec ses moyens bien faibles encore, peut déterminer directement et quantilativement. Ainsi, les eaux-mères des salines maritimes où l’on exploite industriellement l’eau de mer pour en retirer le sel de cuisine qu’elle contient, accumulent la potasse et le 106 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. brome en telles quantités que l’on a avantage à employer ces eaux- mères pour l'obtention industrielle de ces éléments. Les cendres des algues marines (kelps, varecs) contiennent une foule de substances minérales que l’analyse chimique ne découvre pas directement dans l’eau de mer et qui, cependant, ne peuvent provenir que d’elle ; tels : l’iode, dont ces cendres sont, comme on sait, la source industrielle ; le fer, le manganèse, le phosphore. W y a plus : les plaques de cuivre, dont on arme les parois extérieures des navires, finissent, à mesure qu’elles sont attaquées par l'action dissolvante de l’eau de mer, par accuser la présence de quantités notables d'argent, et quand on a séparé du cuivre ce dernier, on trouve encore de l’or dans l’argent. La présence du cuivre, du Li- thium et du fluor a été également constatée dans l’eau de mer, etil n’est point douteux que nombre de corps y seront encore décou- verts avec le temps. Nous ne pouvions pas nous attendre à autre chose, élant donnée la solubilité bien connue de la plupart des substances minérales dans l’eau, et surtout dans l’eau chargée d’acide carbonique. L’acide carbonique est continuellement élaboré au sein des mers par le fait de la respiration des animaux et de leur putréfaction aussi bien que de celle des végétaux marins ; c’est lui qui relient en solution le carbonate de chaux, sel qui se dépose le premier, aussilôt que l’acide carbonique est enlevé à l’eau marine par la chaleur ou l’é- vaporation solaire. Une mince couche de calcaire, constituée de carbonate de chaux, forme, avec le plâtre, la couche qui sert de base habituelle aux bancs de sel gemme. Ces bancs, aussi bien que les bancs de plâtre qui les accompagnent presque invariablement, sont, sans doute au- cun, les vestiges de réservoirs fermés d’eau salée, laris par évapo- ration dans les temps géologiques qui nous ont précédés. Une conclusion qui se dégage aussi très nettement de ce que nous venons d'exposer ci-dessus, est que ce sont justement les matières minérales dont la plupart des végétaux font peu d’usage, qui sont emportés en quantité prédominante par les eaux de délavage des débris de roches triturées et des sols; quant à celles, par contre, qui sont utilisées au maximum par les plantes, on n’en retrouve que de FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 107 très pelites doses dans l’eau de mer ; la potasse mérite seule d’être mentionnée. d) Effets de l'insuffisance des pluies. — Les sels que nous avons l'habitude de rencontrer dans l’eau de mer, resteront dans le sol en entier ou en partie, en s’y accumulant d’année en année s’il y a in- suffisance de pluies ou si ces dernières sont irrégulièrement distri- buées dans les saisons. C’est ainsi que ces sels peuvent finir par se trouver amassés en quantités assez considérables pour venir effleurir à la surface sous forme de croûtes cristallines. Excepté le cas de dépressions sans écoulement, où une accumu- lation illimitée de sels solubles peut se produire même avec un ré- gime de pluies n’offrant rien de très rigoureux, excepté, disons- nous, ces cas particuliers, toutes les fois que l’on constatera dans un sol des efflorescences salines, on sera en droit d’en conclure que ce sol est soumis à un régime de pluies très insuffisantes. Les efflorescences salines n’en sont pas la seule conséquence ; il en ré- sulte encore d’autres particularilés très curieuses, que nous aurons à examiner dans la suite. II. — INFLUENCE DES FACTEURS D'ORDRE CLIMATÉRIQUE SUR LA NATURE PHYSIQUE OU MÉCANIQUE DU SOL I ne faudrait pas vouloir complètement séparer l’examen des particularités physiques des sols dont nous avons à nous occuper, de celles d'ordre chimique, car les deux catégories de propriétés sont toujours plus ou moins reliées entre elles; mais nous aurons tout de même avantage à commencer par passer en revue avec quelques détails le côté physique seul, pour ce qui concerne certains points d’une importance générale. Ç A. — Influence des climats humides et arides sur la formation de l'argile. Le ralentissement remarquable de l’ensemble des processus qui aboutissent à la formation de l’argile aux dépens des roches feld- 108 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. spathiques (processus de kaolinisation), est une des conséquences les plus importantes, à notre point de vue, des climats arides, par oppo- sition à ceux humides; c’est là la cause première des autres singu- larités que nous aurons à constater dans la constitution mécanique des sols des pays arides. | Rappelons l’exemple classique des carrières de syénite de la Haute-Égypte, qui, bien qu’abandonnées à toutes les intempéries depuis des milliers d'années, ont conservé des surfaces neltes et fraiches, jusque dans les moindres fragments de roche, derniers vestiges de l'exploitation ancienne, qu’on y trouve gisant par terre. On sait que c’est de ces carrières que proviennent la plupart des majestueux monolithes des antiques temples égyptiens. Les obé- lisques et colonnades de la Basse-Égypte ont conservé les mêmes surfaces intactes, malgré la quantité de pluies déjà un peu plus no- table. Eh bien, l’un de ces monuments, transporté à New-York, où sous le nom d°’ « Aiguille de Cléopâtre » il orne depuis une dizaine d'années le « Central Park », a eu assez de ce laps de temps si insi- gnifiant pour se détériorer au point d’éveiller les plus sérieuses appréhensions. Le caractère infiniment plus accentué des oscillations de température doit avoir joué dans ce cas un rôle très considérable à côté des précipitations abondantes. Un seul changement subit de température suivi coup sur coup d’une Journée de pluie et d’une gelée, comme cela arrive couram- ment dans les climats pareils à celui de New-York, suffit pour ame- ner un effleurissement plus profond de la roche, que ne l’aurait fait un millier d'années sous le ciel de l'Égypte. Dans le cas de l’obélisque de New-York, le principal élément de détérioration réside, sans doute aucun, dans les innombrables ger- cures intimes —- résultat de la congélation de l’eau au sein d’une multitude de petites cavilés primitives causées par un premier brusque changement de température; par conséquent, dans des phé- nomènes d'ordre physique; mais il est indiscutable que le phéno- mène chimique de la kaolinisation, quoique moins menaçant pour le moment, ne tardera pas à se faire aussi rudement sentir avec le temps ; car sa marche se trouve forcément accélérée dans des pro- FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 109 portions énormes, par le fait de cet accroissement continu de la surface d’action des agents de la kaolinisation : l’air et l’eau. IL est curieux d'observer la différence tranchée qu'offrent dans leurs contours les roches granitiques de la chaîne méridionale des Alleghanys opposées à celles du sud de la Californie et de l’Arizona, situées cependant sous les mêmes degrés de latitude. Quel contraste entre les récifs pointus de Sierra Madre, aux sur- faces rudes et rugueuses, et les coteaux arrondis, voülés en cou- poles, de la région atlantique, où il arrive de pénétrer à une pro- fondeur de treize mètres au-dessous de la surface de la pierre, sans atteindre le noyau inaltéré. Toutes les classes de roches se comportent sous ce rapport plus ou moins de la même façon; des contrastes dans le genre de ceux cités tout à l'heure se rencontrent aussi indistinctement dans tous les continents. Il ne peut pas être des sols autrement qu’il n’en est des roches ; l'examen le plus superficiel suffit pour s’assurer qu’en effet les mêmes causes amènent les mêmes conséquences dans les deux cas. En ce qui concerne l'Amérique du Nord, la chose peut être traduite par cette règle ; les sols de la région atlantique, région humide, sont généralement argileux, voire des lehms très plastiques, parfois même en ce qui regarde les sols d’origine alluviale. Les sols d’au delà (à l’ouest) du 100° de longitude, région aride, sont presque sans exceplion sablonneux ou poudreux, très pauvres en argile ; pour les cas où celle-ci provient de formations argileuses préexis- tantes, des exemples de cette dernière espèce ne peuvent cependant évidemment en rien infirmer notre règle, puisque la formation de l'argile qui entre dans leur composition a eu lieu dans les périodes géologiques antérieures. a) Prédominance, dans les climats arides, de sols pauvres en argile. —- Le manque de cohésion des sols des régions à pluies insuf- fisantes s’impose à lPattention de tout voyageur ; c’est par les tem- pêtes de sable et de poussière, si fréquentes et pénibles dans les régions « désertiques », que l’on s’en rend compte. Nous avons mis exprès entre guillemets le mot « déserliques » 110 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. pour rappeler à l’attention de nos lecteurs ce que ce terme a de conventionnel et de temporaire; la plupart des soi-disant désefts cessent de répondre à l’idée liée à ce mot, sous l'intervention vivi- fiante de l’eau. La disparition du « Grand Désert » de la carte de l'Amérique du Nord, en est, à l’heure qu’il est, le plus glorieux et le plus bel exemple. Or, même aujourd’hui, l'observateur constate tou- Jours dans cet ancien désert, reconquis à la vie, les mêmes consé- quences du peu de cohésion des sols. [Imaginons un ouragan dans l’ouest de l'Amérique du Nord ou en Europe, par un temps aussi sec que l’on voudra: il se lèvera bien des nuées de poussière des routes et des terres en culture, mais, excepté le cas d’anciennes dunes, vous ne verrez jamais s’en aller en poussière le sol des terres enherbées incultes ; c’est que, grâce à l’abondance relative de lélé- ment argileux, il y a généralement une croûte protectrice plus ou moins solide qui oppose un obstacle à l’action dissolvante du vent. Il en est autrement dans les pays à climat aride: la moindre poussée de vent fait monter, n'importe sur quel terrain, des nuées de pous- sière, et toute tempête devient presque inévitablement une tempête de sable, une tempête de poussière. Ces « sols poudreux » sont fréquents dans les États d’Orégon et de Washington, surtout sur les rives du Columbia-River et du Snake-River; il y a si peu de cohésion dans ces sols que, dans la saison sèche, le voyageur y est toujours enveloppé de poussière ; même — ce qui étonnera bien les personnes n’ayant pas séjourné dans ces pays — même dans la forêt. Pour bien faire saisir le caractère de ce genre de sols, nous don- nons ci-après quelques moyennes d’analyses mécaniques et chi- miques, se rapportant précisément aux régions que nous venons de nommer.— Si, au lieu de les prendre en Amérique, nous les avions prises en Asie, en Afrique ou en Aüstralie, ç’aurait été la même chose. FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 1TÉ Sols poudreux de régions arides. ATAHNAM. RATTLE PLATEAU du WILLOW CREEK, Morrow County, Oregon. PRAIRIE SNAKE CREEK Yakima County, | Kittitas County, Washington. Washington, Analyse chimique de la terre fine. Résdutnsoluplen CS AUTRE Pi A7 : 718.3: Silice soluble ?. Potasse (K°?0). Soude (Na? 0). EN: Chaux (Ca0) . HT se Magnésie (Mg 0) . à à Sesquioxyde de manganèse (Mn° 0‘). Oxyde de fer (Fe? 0). Alumine (Al? 0°). er Acide phosphorique (Ph? 05) : Acide sulfurique (S0*). Eau et matières organiques. Total. Lau] ND OO 1 © mm NN © mm NN OO GO © © mm à © © Humus. Eau hygroscopique absorbée à ME degrés centigr. dans une atmosphère saturée RODNnie ee 2 fin "4,408 Analyse mécanique de la terre fine. (Dans ces cas-là c’est le total des sols, puisqu'ils passent en entier à travers le tamis de Omm,5, | Les chiffres représentent des valeurs hydrauliques et non des diamètres de grains.) Argile colloïdale? . , . . Sn PAU: 09 "59 116 Grains de valeur hydraulique inférieure AOL 20.0. .1 30.9: 3.06 Grains de valeur hydraulique comprise entre tnt 29tet.020-50 "7. se 5.82 Grains de valeur hydraulique comprise entre 0,05 et 2 millimètres . . . J 27.37 Grains de valeur hydraulique comprise entre 2 et 8 millimètres. . . . lee 3.18 Grains de valeur hydraulique comprise entre 8 et 64 millimètres . Totale 1. Soluble dans une dissolution bouillante de carbonate de soude. 2. Restée en suspens dans une colonne d’eau de 20) millimètres de haut au bout de 24 heures de | décantation. 112 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Ce tableau est bien fait pour servir de terrain de discussion. La composition chimique de ces trois sols et particulièrement carac- téristique pour le type qu'ils représentent. Ainsi, entre autres, observez l'écart énorme entre l” «argile » de l'analyse physique et l’«alumine » déterminée par l’analyse chimique. Cet écart est encore confirmé par le fait que le poids de la « silice soluble », dégagée au cours du traitement par l'acide chlorhydrique, est de beaucoup infé- rieur à celui de l’alumine dissoute ; or, c’est le-contraire qui aurait eu lieu si les deux corps étaient combinés sous forme de kaolinite. Pour ce qui concerne la constitution mécanique de nos sols, ce qui les caractérise le plus c’est la quantité infime de matière argileuse colloïdale. Parmi les grains très fins, deux séries de dimensions sont très abondamment représentées ; on est étonné de les voir séparées par une zone correspondant aux dimensions intermédiaires, pour les- quelles nous ne voyons que des dosages excessivement bas. Disons, en passant, que ces sols-là offrent encore cette particula- rité de ne se mouiller qu'avec une extrême difficulté ; quand on les veut irriguer, on se trouve forcé de tracer des canaux d'arrosage, distants d'environ un mètre les uns des autres, pas davantage ; et encore faut-1l y laisser couler l’eau à pleins bords pas mal de temps avant que la couche arable ne s’humecte d’une manière appré- ciable. Les données de l'analyse chimique accusent, dans les sols de notre tableau, des teneurs très élevées en éléments nutritifs minéraux ; et autorisent par conséquent à conclure à une fertilité intrmsèque très grande. Nous n’avons pas craint en effet de commenter les analyses dans ce sens à un moment où les sols en question avaient encore tout à fait l'aspect désertique. La pratique agricole ultérieure a confirmé dans la plus haute mesure nos prévisions. b) Sols riches. — Il est curieux d’opposer à ces caractères les itées préconçues que nous avons tous rapportées de l’étude des sols des zones humides, mieux et de plus ancienne date connus dans la science. Là, la richesse, la durée d’un sol sont presque généralement liées FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. LE à une teneur plus ou moins élevée en argile, à telles enseignes que la pratique agricole confond dans sa terminologie les sols riches avec les sols plastiques, gras, « forts » — et ceux qui sont pauvres, maigres, avec les sables, les sols poudreux. On voit aussi teus les jours des colons, nouveaux arrivés dans le pays, mettre en doute la fertilité et sécurité infinies de ces sols poudreux de l'Orégon, du Washington et autres pareils ; le fait est cependant déjà bien prouvé et à l’abri de toute contestation sérieuse. c) Adobe. — Tout ce qui vient d’être dit n’a pas pour but de nier absolument la présence de sols plastiques, forts, argileux, dans les régions arides. [Il y a même un terme à part pour ces sols en Cali- fornie et dans l’Amérique espagnole : « adobe’ ». Mais ces sols-là n’y existent que grâce à des conditions locales et très spéciales : ainsi, quand l’on rencontre un sol de cette espèce dans la région des collines, c’est qu’il représente le produit immédiat de la dé- composition d’une couche d'argile ou de schiste argileux ancienne, appartenant à une époque géologique et climatérique différente ; l'abondance en argile d’un pareil sol colluvial, c’est-à-dire formé sur place, n’infirme donc en rien notre jugement général, puisque l'argile lui vient d’une période géologique antérieure. D'autre part, les « adobes » des fonds de vallées doivent être considérés comme anciens marécages; là encore par conséquent le climat général actuel de la région n’est pour rien dans l’affaire. Ces adobes des basses terres sont constitués des particules les plus ténues, qui ne peuvent se déposer qu’au sein d'eaux dormantes; ce limon peut aussi provenir en partie de ces gites d'argile anciens des coteaux, dont il a été question plus haut; ce sont les eaux cou- rantes qui l’auront apporté. Les exemples de sols argileux des deux catégories ne sont pas du tout rares en Californie, pas plus dans la zone des monts côtiers que dans la vallée centrale de l’État ; mais la majeure partie de la sur- 1. Le « Geological Survey » des États-Unis a commis une erreur en appliquant ce terme à la matière /émoneuse qui sert à la construction des habitations « en adobe ». Dans le sens agrecole ce terme ne s'applique qu'à des sols forts; la matière de ces sols ne se prêterait en aucune façon à un emploi architectural. ANN. SCIENCE AGRON. — 1892. — rl. 8 114 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. face de la vallée demeure quand même occupée par des sols sablon- neux ou poudreux, comme il convient à un pays aride par excel- lence, en vertu des principes exposés ci-dessus. d) Profondeur de la couche nutritive dans les régions arides. — Ce qui est encore tout à fait caractéristique pour les sols des régions arides par opposition à ceux des régions humides, c’est leur grande uniformité jusqu'à une profondeur souvent considérable. Dans les sols des régions humides, il‘existe toujours, comme on sait, un con- traste— de la plus haute importance au point de vue de la pratique agricole — entre la couche supérieure du sol — couche arable, — riche en humus et se distinguant par une teinte plus foncée, et les couches inférieures. Dans les sols des régions arides il est, au contraire bien difficile de savoir une ligne de démarcalion tant soit peu nette. Souvent jus- qu'à 1 mètre de profondeur, on ne trouve pour ainsi dire pas de changement de couleur qui puisse être ramené à une teneur diffé- rente en humus. Au point de vue agricole, il est très important de faire observer que le sous-sol, pris à de pareilles profondeurs, se trouve générale- ment aussi apte à la production agricole que l’est la couche arable proprement dite. Les nouveaux arrivés dans les régions humides n’en reviennent plus d’étonnement quand ils voient les habitants, par exemple du pays aride de la Californie, rejeter sur la surface des champs, la terre d’en dessous extraite souvent de la profondeur de plus d’un mètre, sans y prendre autrement garde, et enterrer ainsi complête- ment la couche arable primitive, comme cela arrive tous les jours à l’occasion de nivellements pour travaux d'irrigation. La rapidité avec laquelle, l’opération du lavage une fois terminée, la végétation spontanée reprend possession de la terre rouge des mines d’or de la Sierra Nevada, les frappe aussi comme quelque chose de merveilleux, eux qui, dans leur patrie, n’oseraient jamais enfoncer leur charrue dans le sous-sol de crainte de perdre plusieurs récoltes successives pour avoir ramené à la surface le sous-sol brut, qui demande absolument une jachère prolongée pour devenir apte FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 115 à porter des cultures agricoles, et aussi pour s'enrichir suffisamment d’humus :. Considérons un peu les circonstances auxquelles tient la différence entre sol et sous-sol, si marquée dans les régions à climat humide ; nous aurons à la fois la clef pour l’intelligence de l’absence de cette distinction dans les climats arides. Comme cela a été exposé plus haut, les sols des régions humides sont généralement relativement riches en argile. Par les fortes pluies, une quantité plus ou moins grande d’argile passe toujours sous forme d’eau argileuse dans le sous-sol et dans la suite s’y dépose peu à peu. Il en résulte que le sous-sol se trouve être dans la règle plus riche en argile que ne l’est la couche arable, et parlant moins perméable, tant pour l’eau que pour l’air. On ne constate des excep- tions à cette règle que dans deux catégories de cas : ou bien — cas de beaucoup les plus fréquents — nous avons affaire à un sol de trans- port, et alors les diverses couches successives sont plutôt sableuses ou plutôt argileuses, sans ordre régulier, au hasard des apports successifs; ou bien — cas rares — c’est un sol colluvial, formé sur place. En dehors de ces conditions exceptionnelles, on constate toujours dans les régions humides un accroissement de compacité quand on passe du sol au sous-sol ; l’infiltration des particules argileuses n’en est même pas la seule cause ; le carbonate de chaux suit le même chemin et vient à son tour cimenter l'argile. Des recherches que j'ai fait exécuter en 1872 par M. Longhridge?, ont démontré à l'évi- dence que des dissolutions susceptibles de produire des zéolithes contribuent aussi souvent à amener ce résultat. Il est clair que cet épaississement du sous-sol influe d'une façon tout à fait déterminante sur les processus d’effleurissement et la pé- 1. Dans les environs de Nevada City (Californie), j'ai vu rejeter directement sur les plates-bandes d'un jardin la terre rouge extraite à l'occasion du creusement sous une vieille maison d'une cave de ? et dans une partie même de 3 mètres de profondeur; eh bien, les légumes, pois, pastèques, réussirent cette année-là, non seulement aussi bien que d'ordinaire, mais encore plutôt mieux ; la vieille couche arable du jardin ayant été probablement déjà quelque peu appauvrie. J'ai vu de la terre extraite de 9 mètres de profondeur donner le même résultat. 2, Forschungen a. d. Gebicte der Agrikullurphysik. Bd. XVI, s. 25. 116 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. nétration des racines ; notamment en opposant un obstacle aux uns et à l’autre, surtout par le fait de l’aération insuffisante ; dans ces conditions, la formation de l’humus dans les couches profondes ne peut que se trouver très compromise. Les choses se passent d’une tout autre manière dans les régions arides ; d’abord, dans les couches supérieures, il ne se forme déjà pas autant d’argile qui puisse par diffusion se transporter dans le sous- sol; puis il faudrait de fortes pluies pour amener cette diffus'on ; or, elles sont inconnues ou rares. L'air, l’eau et les racines ont donc toute la facilité de pénétrer jusqu’à des profondeurs considérables ; et il n’y a plus aucune raison pour que tout l’ensemble des processus d’effleurissement et de formation d’humus ne se reproduise jusqu’à de grandes profondeurs, tel que dans les clfnats humides nons sommes habitués à le constater exclusivement dans les couches su- périeures. Les profondeurs de la terre élant de cette façon rendues accessi- bles aux racines des végétaux, ces derniers se trouvent en mesure de puiser l'eau et les éléments minéraux sur une masse totale de substance infiniment plus considérable que ce n’est le cas dans les régions humides. De là une singulière liberté pour l’agriculteur dans le choix des plantes à cultiver, et aussi une grande sécurité au point de vue de la durée de la fertilité du sol en culture. B. — Influence du climat sur la formation de l’humus. Une fois que des agents physiques et chimiques ont transformé la roche en ce que nous appelons le sol, intervient un nouveau facteur qui prend une importance capitale en même temps que les processus antérieurs se continuent au sein du sol; ce facteur, étroitement lié à la marche de la végétation, est la décomposition des résidus de celte dernière ; décomposition qui a pour résultat la formation d’une série de substances, englobées généralement dans la désignation humus où terreau, corps foncé, quelquefois même aussi noir que du charbon, et qui représente le résidu désormais peu putrescible de toute décomposition de matière végétale réalisée en présence d’un accès d’air insuffisant. FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. LI Dans le temps, on attribuait à cette matière noire ‘ un rôle do- minant dans la nutrition des végétaux ; nous n’en sommes plus là ; l’humus demeure quand même, parmi les ingrédients du sol, l’un de ceux dont l’agriculture a le plus à se préoccuper. Or, les con- ditions climatériques ont une influence directe et prépondérante sur la formation de l’humus ; en conséquence, sa manière d’être distribué dans les sols constitue un excellent moyen pour carac- tériser les sols des pays arides par opposition à ceux des pays hu- mides. a) Les différents types de décompositions de la matière végétale. -— Si l’on expose la matière végétale à l’air, sans intervention d’au- tres influences, elle se consomme peu à peu jusqu’à ce qu’il n’en reste plus que la partie minérale ; ce qui se passe, dans ce cas, peut être assimilé à une combustion très lente (eremakausis); celle-ci est vivement accélérée par des températures élevées ; les phénomènes de fermentation n’y sont pour rien. Mais si les mêmes restes végétaux se décomposent sous l’eau, les choses se passent tout autrement : ils se transforment en une masse brune (substances ulmiques) et en dernier lieu en ce que nous appe- lons de la tourbe. Gette matière brune est quelque peu soluble dans l’eau — à preuve que l’eau des tourbières se teint de brun (couleur de café); cette eau brune accuse une réaction acide non seulement au papier réactif, mais en partie aussi au goût. La terminologie populaire appelle les sols tourbeux des sols acides et elle a raison. Rappelons que la neutralisation à l’aide d’apports de chaux ou de marne est aussi indispensable que l’est le drainage, si l’on veut rendre un sol tourbeux propre à l’agriculture. Les vraies tourbières ne se forment que dans la zone tempérée froide ; il y a plusieurs raisons à cela, la première: les mousses spé- ciales qui donnent naissance à la tourbe ne prospèrent pas dans une air sec; la deuxième et principale: dans les climats chauds, les restes végétaux submergés fermentent avec une grande intensité ; la plus grande partie de leur substance s’en va sous une forme gazeuse 1. Nolions agronomiques. 118 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. (acide carbonique et gaz des marais), il ne reste que bien peu de matière qui prend un aspect de tourbe. Cependant tous les climats admettent, plus ou moins, en principe, la formation d’humus acide (substances ulmiques) ; à preuve les vastes marécages (marshes) de la Californie, de la Louisiane, de la Floride ; des ravins de toutes les régions analogues présentent d’ail- leurs des exemples semblables, pourvu qu’il y ait épanchement abon- dant d’eaux de source. Les plaines marécageuses de la région arctique, les {oundres, ne donnent généralement pas lieu à ia constitution de tourbières com- parables à celles des régions tempérées froides ; c’est que, même pendant leur court été, elles jouissent d’une température trop basse qui rend bien trop lente la décomposition de la matière végétale et par conséquent la formation de la tourbe ; ceci est juste même dans les limites où la température n’est pas encore assez basse pour em- pêcher le développement des mousses de tourbière (sphagnums). Quand les restes végétaux se décomposent non sous l’eau, mais dans un sol bien drainé, la décomposition se passe encore d’une tout autre façon. L’humus qui se forme dans ces conditions est de couleur très foncée, souvent même noir intense ; absolumeut inso- luble dans l’eau et, par conséquent, ne colorant point les eaux d’é- gouttement. - C’est cette espèce d’humus-là qu’il faut au cultivateur. Son abon- dance dans un sol vierge lui est un gage de fertilité et il cherche à le conserver dans le sol en culture, car 1l sait, par expérience, que l’abondance des récoltes en dépend. La neutralisation à l’aide de chaux ou de marne enlève à la subs- tance humiforme brune des tourbières son acidité et sa dissolubilité dans l’eau, et l’amène même, le temps y aidant, à prendre dans une certaine mesure les propriétés et l'aspect de la forme noire normale tout à l’heure décrite ; mais l’analogie ne devient jamais complète avec cette dernière, formée du premier coup dans un sol aéré; la composition chimique reste différente et la valeur agricole infé- rieure. La couche de terre superficielle des forêts vierges côtières du nord-ouest de l'Amérique du Nord (à commencer par l’Orégon cen- FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 119 tral el jusqu’à l'Alaska) consiste, pour la majeure partie, en un de ces produits moyens entre la tourbe et le vrai humus noir ; c’est ce que, dans le pays, on appelle du duff, à cause de la ressemblance, naturellement toute extérieure, que ce sol présente avec le pudding des jours de fête des marins anglo-saxons ; pour donner une idée plus précise de la couleur du sol en question, disons que le gâteau, le: duff, avec lequel on le compare, doit son teint brun à de la mé- lasse. Le duff-soil est le produit de la décomposition des innombrables troncs morts qui encombrent le sol de ces forêts, au point d’en ren- dre même souvent le passage extrêmement difficile. Le climat de la côte étant très humide, à cause des pluies presque journalières, les troncs qui gisent à terre se tassent en peu de temps en des sortes de matelas plats, lesquels, en se continuant les uns par les autres, et en se confondant mutuellement, finissent par constituer une couche nouvelle de sol, dont l'épaisseur peut aller jusqu’à plusieurs pieds. Une nouvelle génération d’arbres vient puiser une riche nour- riture dans les cadavres à moitié consommés des vieux géants dé- chus ; de moelleux coussins de mousses, des Linnæa, des Pyroles, des Lycopodiacées et autres familles semblables envahissent la sur- face ; mais ils ne vient jamais de graminées. Cette accumulation de substance humique: est de teinte brune dans sa couche supérieure, devenant de plus en plus foncée à mesure que l’on pénètre plus au fond jusqu’à ce qu’on arrive aux couches les plus anciennes qui, elles, ont déjà tout à fait l'aspect d’humus noir ordinaire. La transition entre cette dernière et le vrai sol fores- tier normal sous-jacent est très douce. On conçoit combien considérable peut être la fertilité d'un sem- blable sol, soumis à une culture agricole. b) Formation de l'humus sous l'influence d'un climat aride. — Un facteur dont il a été question plus haut, l'oxydation lente ou eremakausis entrave considérablement, dans les pays arides, la for- mation de dépôts abondants d’humus. Une masse de restes végé- taux, qui, dans une région humide, laisserait après elle une grande quantité de résidu organique fixe, ne produira guère, dans un pays RDS nina ds, 2 120 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. aride, qu'un tout petit peu de matière, plutôt riche en ingrédients minéraux, mais bien pauvre en matière organique. Ïl faut donc s'attendre d’avance à trouver les sols caractéristiques des régions arides beaucoup plus pauvres en humus que ceux des régions humides; il en est ainsi, en effet, à quelques exceptions près ; lesquelles exceptions s’expliquent parfaitement par des cir- conslances locales spéciales. Ainsi, les analyses accusent la présence de quantités d’hamus relativement considérables dans les sols noirs de la catégorie des adobes et dans quelques autres encore ; eh bien, aucun de ces sols ne s’est formé dans les conditions arides générales du pays ; nous l'avons déjà expliqué plus en détail pour ce qui con- cerne les adobe-soils; à plus forte raison, des exceptions n’infirment- elles en rien notre règle, lorsqu'elles concernent des points qui, encore aujourd’hui, tout situés qu’ils sont dans une région aride, n’en partagent néanmoins pas les conditions communes. Dans les situations réellement arides, la formation de l’humus dans le voisinage immédiat de la surface du sol, est même souvent à peu près arrêlée par l’intensité de l’eremakausis, que l’air d’été brûlant et sec accélère dans des proportions tout à fait extraordi- _naires; là est, à notre avis, l'explication d’un fait que l’on a encore souvent! à constater dans les régions arides : notamment de la plus grande teneur en humus des parties inférieures de la couche arable par rapport à la partie superficielle *. Les usages culturaux sont en général un excellent indicateur des particularités des sols ; il en est un, dans la région humide, qui se trouve être absolument irréalisable dans les régions arides ; j’en- tends parler de l'enfouissem:nt des pailles ou de fumiers pailleux ; ces matières peuvent, dans les pays arides, rester des années dans le 1. Ce que nous venons d'exposer constitu2 entre autres un nouvel argument en faveur de l'absolue nécessité de renoncer une fois pour toujours à la détermination de la matière humique par la combustion, puisque aucun des procédés basés sur cette dernière ne permet de distinguer ce qui, dans le résultat définitif, revient aux restes végétaux non humifiés et ce qui revient à l’humus. Le procédé Grandeau est, à mon avis, le seul qui donne des résultats applicables pour tous les cas; c’est de ce procédé que je me suis toujours servi. Toutes les fois donc que, dans le présent mémoire, il - est question d'humus, il est entendu que c’est l'équivalent de la « matière noire » de Grandeau. E. W. H.: FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 121 sol, sans que celui-ci se les assimile. En Californie, on brülait autre- fois ces précieux déchets et produits accessoires pour s’en débarras- ser ; car, introduits dans le sol des champs, ils auraient pu, à cause des circonstances tout à l’heure énoncées, causer du dommage en le rendant trop léger, ce qui aurait pu nuire à la germination des semailles et entraver l’enracinement des jeunes plantes. D’après ce qui a été expliqué plus haut au sujet de la marche et du caractère de la décomposition des restes végétaux dans les sols arides, on voit qu’au point de vue du résultat final il n’y a pas grande différence entre ce que faisaient nos prédécesseurs en Californie et ce qui se serait passé naturellement dans le sol ; à cela près que la combustion brutale par le feu fait en quelques instants ce que l’eremakausis lente au sein du sol n'aurait amené qu’au bout de longues années. En principe, les pailles et autres matières sem- blables n'auraient produit de la substance humique que pendant les courtes saisons relativement froides de l’année. De cette façon, les conditions de climat obligent le cultivateur de la zone aride à convertir ses pailles et fumiers en composts avant de les mettre en terre ; il ne peut passer outre que dans le cas où une irrigation abondante annihile, dans ce qu’elles ont d’essentiel, les conséquences générales du régime naturel ; car, dans ce cas seu- lement, on peut compter sur une transformation de la paille dans le sol en humus. Les cultivateurs reculent généralement devant le surcroît de dépenses que nécessite la conversion préalable en com- post des déchets de culture ; de là le peu d'emploi de ces derniers et une prédilection marquée pour les engrais chimiques. Mais le régime aride rend aussi l'application de ceux-ci plus difficile et moins sûre que dans la zone tempérée. Et d’abord, il faut les enfouir beaucoup plus profondément qu'il ne serait recommandable de le faire dans d’autres pays; voici le raisonnement qui justifie ce précepte : les sols des pays arides sont, comme cela a déjà été expliqué plus haut, pour la plupart, bien perméables; par conséquent les racines y doivent plonger encore assez profondément pour trouver l’eau, surtout en élé ; or, en pla- çant l’engrais chimique dans la couche supérieure — ce qu’il est convenu ailleurs d'appeler la couche arable, — les racines, dans leur L4 122 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. poursuite constante du maximum de nourriture, se trouveront, elles aussi, altirées vers la surface et c’est dans son voisinage immédiat qu’elles prendront leur principal développement ; il n’est point besoin d’insister pour faire comprendre le danger qu’elles peuvent courir avec le soleil implacable de ces régions-là, qui souvent échauffe la surface jusqu’à un degré très élevé et toujours la dessèche complè- tement. Nous avons cependant déjà fait plus haut une réserve que nous tenons à répéter et à développer ; c’est que tout cela ne vise que les sols typiques du régime aride : les sols sablonneux et poudreux, qui seuls présentent le vrai résultat des influences générales de ce régime au point de vue des processus multiples qui concourent à la formation des sols; la situation des terrains argileux, terrains anormaux dont il a déjà été question, et qui proviennent soit de la décomposition sur place, soit du déplacement de dépôts d’argile préexistants, esl tout autre; ils sont imperméables, et absorbent l'humidité dans une très haute mesure ; les deux ciconstances com- binées y contre-balancent les influences atmosphériques générales au pays, à tel point que la formation de l’humus peut, au demeu- rant, avoir lieu dans des conditions encore assez favorables. Là est l'explication de l'existence, dans les pays arides, de certains sols très riches en humus, en dépit du climat; par exemple — des « black adobe-soils » de la Californie qui, comme teneur en humus, ne le cèdent guère aux sols analogues du bassin humide du Missis- Sippl. Il est rare, parmi les sols de coteaux caractéristiques de la Cali- fornie, d’en trouver qui contiennent au-dessus de 0.40 p. 100 d’humus ; les « mesa-soils », particulièrement recherchés par les fruticulteurs, n’en accusent pour la plupart que moins de 0.25 p. 100 ; le dosage de 0.18 p. 100 est très fréquent parmi ces sols-là. Or, les sols de la région cotonnière, région humide, accusent, sur le coteau, communément 0.75 p. 100, et même les sols sa- blonneux des pinèdes y contiennent rarement moins de 0.50 p. 100 d’humus. Les sols arides manquent donc, avant tout, d’humus ; et l’humus est, comme on sait, le repaire de l’azote, ingrédient dont l’approvi- : Len ne. FORMATION ET COMPOSITION DÉS SOLS. 128 sionnement revient à l’agriculteur au plus cher entre tous ; d’autre part, le climat aride ne convient pas à la culture du trèfle et, par conséquent, rend impossible cette source d’enrichissement des sols en azote à bon compte, si usitée ailleurs. D’autres caractères physiques spéciaux aux sols arides ne peuvent s’exposer qu’à la suite du chapitre IV. IV. — INFLUENCE DES CONDITIONS DE CLIMAT SUR LES PROCESSUS ET COMPOSITION CHIMIQUE DU SOL. Nous avons déjà été amené à parler en passant des phénomènes chimiques participant à la constitution du sol, quand nous avons voulu exposer des caractères physiques auxquels ils sont intimement liés. Leur dépendance du climat demande une étude plus appro- fondie. a) Le processus de délavage. — Un régime de pluies abondantes a pour conséquence immédiate l’appauvrissement continu du sol en sels solubles des alcalis, principalement en sels de soude ; jus- qu’à certain point cependant aussi en sels de potasse. En même temps, les eaux de drainage emportent encore d’autres ingrédients minéraux, surtout des sulfates et chlorures de chaux et de magné- sie, dans certaines localités particulières — aussi d’autres éléments encore (des borates, des phosphates). Ces corps commencent par passer dans les eaux de source, de là dans les ruisseaux et rivières qu’elles alimentent ; en dernier lieu, ils se rassemblent dans les mers et les lacs fermés. (Voyez plus haut.) Avec un régime aride, ces sels demeurent, au contraire, dans le sol, intégralement ou en partie, suivant la somme et le mode de distribution des pluies dans la localité donnée ; en raison du mou- vement naturel général des eaux, il s’en accumulera toujours davan- tage dans les sites bas et moins sur les coteaux. Nous n’aborderons pas immédiatement le chapitre des consé- quences de cette rétention des sels alcalins ; 1l est indispensable de le faire précéder d’un examen approfondi de la manière dont se 124 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. comporte vis-à-vis de l’action dissolvante des pluies, un autre corps, le carbonate de chaux, vulgairement — chaux, calcaire, marbre, craie. b) Solubilité du carbonate de chaux. — Le carbonate de chaux, connu sous ces diverses formes, est généralement considéré comme insoluble dans l’eau ; mais ceci ne s’applique pas à l’eau qui circule dans le sol et qui est toujours plus ou moins chargée d’acide carbo- nique libre. Le carbonate de chaux peut donc jouer un rôle très actif dans les phénomènes de délavage. Les grottes calcaires et les stalaclites qui les ornent, le prouvent abondamment. Bien moins soluble que ne le sont les sels de potasse, de sodium, de magnésium, et même le plâtre (sulfate de chaux), le carbonate de chaux n'en est pas moins toujours emporté d’une façon continue du sol dans le sous-sol, et du coteau dans la plaine. Il faut donc s’attendre à trouver les sous-sols, en général, plus riches en chaux que les sols correspondants, et la terre des vallées plus cal- caire que celle des coteaux altenants. En comparant un grand nombre d’analyses, on trouvera, en effet, dans la plupart des cas, entre la couche arable et les couches sous- jacentes une différence marquée en faveur des dernières, au point de vue de la teneur en calcaire parfaitement soluble dans les acides. Mais, néanmoins, la couche arable peut, par moments, l’emporter sur le sous-sol au point de vue de la teneur en carbonate de chaux effecuif, précisément dans l’arrière-saison, après plusieurs mois d’effleurissement accéléré par une jachère estivale et avant que les pluies d'automne et d'hiver n’aient eu le temps de charrier dans le sous-sol le carbonate nouvellement formé dans le sol en jachère. On conçoit facilement que l’effleurissement soit plus vif dans la couche arable qu'il n’est dans le sous-sol ; de là le phénomène tout à l’heure indiqué. Storer a été le premier à signaler la grande place que la formation de carbonate de chaux aux dépens d’autres com- binaisons plus complexes, tient parmi les processus de décom- posilion qui se donnent libre jeu pendant l'été dans les sols en jachère. Les pluies de l’automne et de l'hiver font qu'au printemps sou- FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 125 vent on ne retrouve plus dans la couche arable que seulement des traces de carbonate de chaux. | Tout ce qui précède se rapporte aux climats humides. Mais, dans les régions arides, où il n’y a même pas assez de précipitations atmosphériques pour dissoudre et emporter les sels d’alcalis — ce- pendant bien autrement solubles, — le carhonate de chaux s’accu- mulera dans la couche arable encore à plus forte raison. X faut donc s'attendre à voir les sols de fous les pays à pluies insuffisantes plus calcaires que ceux des pays à régime pluvieux. Ainsi, dans l’Amé- rique du Nord, il faut s'attendre d’avance à trouver relativement beaucoup de chaux dans les sols de tout le pays qui s’étend à l’ouest du 100° degré de longitude; dans toute cette zone, la somme an- nuelle des précipitations atmosphériques reste au-dessous de 500 millimètres, à part quelques exceptions auxquelles nous n’avons pas à nous arrêter davantage. Par contre, les sols les plus pauvres en chaux seront tonjours ceux des pays à abondantes pluies estivales ; ce qui s'explique par le rai- sonnement bien simple que voici: sous l'influence combinée de l’humidité et de la chaleur, la décomposition des restes végétaux — soit fermentation, soit eremakausis — atteint son maximum; par conséquent aussi le dégagement d’acide carbonique ; l’eau, surchar- gée de cette dernière, circule en abondance dans le sol et dissout le maximum de carbonate de chaux, qu’elle emporte avec elle à tra- vers les couches profondes, dans le drainage général du pays, en en appauvrissant d'autant le sol. On voit souvent, dans des sols naturellement très calcaires ou ayant reçu des chaulages ou marnages abondants, une preuve écla- tante des grandes quantités de chaux que peuvent porter en dissolu- tion des eaux de drainage; j'entends parler des dépôts copieux de carbonate de chaux que l’on trouve dans ces conditions, couramment sur les parois intérieures des drains en poterie, ayant fait un service quelque peu prolongé; si la pente du système n’est pas bien suffi- sante, les petits tuyaux peuvent même se trouver obstrués complè- tement par cette sorte d’incrustations calcaires ; on dirait du tuf; d’ailleurs, au fond, c’est absolument la même chose, car les stalac- üites des grottes calcaires, le tuf et ces incrustations des drains ont 126 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. tous la même origine, savoir : des précipitations de carbonate de chaux, arrivées à la suite du dégagement de l'acide carbonique qui retenait la chaux en solution, et qui est parti, l’eau carbonatée ayant pris contact avec l’air libre. Il résulte du fait de la solubilité du carbonate de chaux, que, dans la région des étés pluvieux, les sols des coteaux sont relativement pauvres en chaux; se, toutefois, une provenance directe d'une roche calcaire ow l’intervention immédiate d’un sous-sol de même nature ne contre-balancent pas localement le facteur délavage. Les « prairies » du Mississippi, les sols de loess de divers pays, les sols crayeux d'Europe, etc., sont précisément dans ce dernier cas. La chaux est d’une importance primordiale en tant que facteur de la fertilité des sols; les cultivateurs de l'Amérique humide s’en ren- dent si bien compte qu’ils ont ce dicton : « À limeslone-country 1s a rich country » (pays calcaire, pays riche). Cette règle ne comporte d’exceptions que lorsque le dosage en chaux dépasse toute mesure, cas relativement rare dans l'Amérique du Nord, mais bien plus fré- quent dans les régions crayeuses de plusieurs pays européens, où on parle assez souvent de « sols crayeux pauvres ». Les cultivateurs de la région aride de l'Amérique ont oublié le dicton, tout à l’heure cité, et ne parlent guère de pays calcaires et non calcaires. C’est qu’en effet, dans la région aride, il n’y a plus lieu de distinguer. Tout sol y est calcaire, forcément, par suite de l'accumulation continue dans la couche arable du carbonate résul- tant de l’effleurissement , phénomène dont nous avons exposé plus haut le mécanisme. Les habitants du pays n’ont donc plus aucune raison de s'intéresser à savoir si telle contrée donnée est calcaire ou ne l’est pas, au point de vue géologique ; du moment que toutes les terres le sont déjà pour des raisons climatériques communes à l’en- semble de la région. Le délavage et les déplacements du carbonate de chaux sont d'une importance assez capitale, au point de vue de la théorie des phéno- mènes agrologiques aussi bien qu’à celui de la pratique des procédés culturaux pour que nous insistions davantage sur ce sujet; des dé- tails seront d’autant plus utiles que le sujet n’a pas été encore, que nous sachions, traité par d’autres dans tout son ensemble. FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. Or! Comme toujours, il faut commencer par comparer entre elles le plus grand nombre possible d'analyses de sols de l’une et de l’autre région (région humide et région aride). J’ai compulsé dans cette in- tention toutes les analyses de sols des États-Unis qui pouvaient être utilisées à mon point de vue. Je n’ai pu faire la même chose pour les autres pays, parce que les États-Unis sont la seule contrée assez vaste qui possède pour les différents points du territoire des analyses de sols exécutées toutes dans les mêmes conditions d'examen. A. — Comparaison des sols de la région aride des États-Unis avec ceux de la région humide du même pays. Les dimensions de ce mémoire ne nous permettent pas de repro- duire toutes les analyses de détail, sur lesquelles s'appuie le tableau de moyennes donné plus bas; ce serait, d’ailleurs, parfaitement inu- tile, vu que la plupart en ont été déjà publiées, et notamment dans des rapports officiels que l’on pourra facilement se procurer, si lon en éprouve le besoin, en profitant des indications bibliographiques citées. Les chiffres relatifs aux États de Montana et de Washington sont seuls empruntés à un manuscrit de l’auteur de ce mémoire qui n’a pas encore eu les honneurs de l'impression, et qui donne les ré- sultats du « Northern Transcontinal Survey », entreprise exécutée, de 1880 à 1883, sous les auspices de la Compagnie du « North-Pa- cific-Raïtway », et dont l’abandon prématuré est une chose profon- dément regrettable. 1° Sélection des chiffres à comparer. a) Procédés d'analyse. — Dans des comparaisons de cette nature il est de rigueur de ne se servir que de résultats d'analyses exécu- tées toutes d’après une méthode absolument identique ; je n’ai donc retenu que les chiffres pour lesquels l'identité du procédé analytique employé est hors de doute; ce sont, en première ligne, tous ceux obtenus, depuis des années, sous ma direction personnelle ; ensuite ceux qui proviennent du laboratoire de feu M. David Dale Oven et de son successeur, M. le D' Robert Peter, éminent chimiste du « Geological Survey » des États de Kentucky et d’Arkansas. L'absence 128 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. de renseignements absolument sûrs sur le procédé analytique suivi m'a fait rejeter certains chiffres contenus dans les rapports des autres Etats. b) Exclusion des sols provenant de formations géologiques cal- cüires. — Si on voulait utiliser pour la déduction de nos moyennes tous les chiffres répondant à l'exigence formulée dans le précédent paragraphe, sans en exclure les sols calcaires d’origine, le rôle du climat se trouverait masqué d’autant plus que les moyennes déduites auraient perdu leur caractère de sécurité; puisqu’elles seraient plus hautes ou plus basses suivant que, par hasard, on aurait fait entrer en compte plus ou moins de sols calcaires. Nous avons donc pris le parti de laisser de côlé toutes les analyses des sols calcaires par leur origine même. Ainsi, dans le tableau on ne trouvera pas de chiffres du tout pour l’État de Tennessee ; eh bien, nous avions la faculté de citer 17 analyses exécutées dans cet État en 1880, à l’occasion du recensement général"; mais ces analyses se rapportaient à des sols de formations calcaires (toute la région agricole la plus importante de cet État repose sur du calcaire); nous n’avons pas hésité à rejeter ces 17 analyses. Nous avons laissé de côté aussi une grande partie des excellentes analyses du D' Peter (Kentucky), pour la même raison. De même, la plupart des 141 analyses faites dans l’Arkansas, et dont nous n’avons admis à la comparaison que 38 seulement; les sols exclus sont généralement des sols de vallées, directement reliés à des formations de loess et de « Port-Hudson* » très riches en chaux ; il y a eu la même chose pour les États de Mississippi et de Louisian«. En ce qui concerne plus particulièrement le Mississippi, nous avons exclu en premier lieu les sols des prairies qui ne font que re- couvrir superficiellement des formations crétacées et tertiaires; en second lieu, les sols de valiée argileux de la dépression du Mississippi 1. Report of the lenth census of the Uniled States. Gotton. Production, vol. 5. 2. Dépôt paludéen quaternaire, inférieur au loss, qui a reçu son nom du village lort-Husson (Mississippi). FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 129 (Jazoo-Bottom), qui proviennent en droite ligne des assises d'argile de l’étage de Port-Hudson, remplies de concrétions calcaires. Nous n'avons pas été aussi sévère pour les alluvions modernes de la même dépression ; pas plus que pour celles des rivières et ruisseaux du pays collineux de l’État, ni pour les sols de lehm, qui se trouvent au-dessus du loess; nous avons cependant hisité un moment pour ces derniers, car au fond ils sont tout de même un peu mélangés avec le loess sous-jacent. Au total, nous avons exclu de la compa- raison, pour le Mississippi, 35 analyses sur les 130 entre lesquelles nous avions à choisir. Parmi les 25 analyses appartenant au Louisiana, nous en avons exclu 7, qui concernaient des sols en relation directe avec des cou- ches de loess ou de Port-Hudson. Sur les 40 analyses du Texas, 7 seulement se rapportent à des sols situés en dehors du bassin calcaire de cet État, et encore ne sommes-nous pas fixé sur la situation climatérique; car ils se trou- vent juste dans la bande mitoyenne entre la zone humide du golfe du Mexique et la zone aride du Rio-Grande del Norte ; nous les avons donc récusées en bloc. Des considérations de même ordre nous ont fait renoncer aux quelques analyses qui existent pour le Territoire des Indiens (bords du Red-River). Sur les 96 analyses des sols de Alabama, nous n’en avons rejeté que 6, que nous savons pertinemment être des sols de « prairies » typiques. Nous n’avons eu d’objections à faire à aucune des 7 analyses que nous connaissons pour l’État de Floride. Sur 60 analyses de Géorgie, 1l en à été récusé 17, représentant des pays notoirement calcaires du nord-ouest de l’État, et 3 appar- tenant à la région du tertiaire. Pour la Caroline du Sud, nous avons utilisé toutes celles des ana- lyses, pour lesquelles nous n’avions pas d’objections à faire relative- ment au mode opératoire. Nous avons pris toutes les analyses publiées pour la Caroline du Nord, à l'exception de celles publiées par le Geological Survey de cet État ; c’est que nous n’avons pu obtenir de renseignements précis ANN. SCIENCE AGRON. — 1892. — II, 9 130 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. sur la méthode employée, méthode que nous supposons être diffé- rente de celle admise comme normale dans le présent mémoire, Voilà pour la région humide. Eh bien, nous avons fait le même triage aussi pour la région aride. De ce côté, nous avions des ana- lyses surtout pour les États de Californie, de Washington et de Montana. Ces États sont, d’ailleurs, comme on sait, assez pauvres en formations calcaires pour que parfois il soit même difficile de s’y procurer de la chaux pour les besoins de la construction; nous n'avons donc pas eu à exercer souvent notre droit de récusation. On pourrait bien nous chicaner sur un certain nombre de sols du bassin de la craie et du tertiaire, lesquelles roches contiennent, en partie, plus ou moins de carbonate de chaux et peuvent par consé- quent à l’occasion fournir, comme produit de leur effleurissement, des sols quelque peu chargés de chaux de ce fait; mais nous répon- drons que de l’autre côté, c’est-à-dire du côté du climat humide, nous avons admis à la comparaison bien des sols qui se trouvent dans des conditions analogues; quant à ceux au sujet de l’origine desquels il y a réellement lieu de soupçonner sérieusement l’inter- vention de formations géologiques notoirement riches en chaux, nous les avons bel et bien exclus dans la région aride tout comme nous l'avons fait dans la région humide ; ainsi, sur 256 analyses de sols californiens, nous en avons récusé 38, en nous guidant de consi- dérations analogues à celles exposées plus haut au sujet des sols argileux de la vallée du Mississippi. Observons cependant à ce pro- pos, en passant, que notre thèse première pourrait être démontrée, à la rigueur, même par la comparaison entre eux des sols exclus des deux côtés; les sols exclus de la région aride californienne con- tiennent, en effet, beaucoup plus de chaux que n’en accusent les sols exclus analogues de la région humide du Mississippi. Sur: 80 analyses de sols de l’État de Washington, n’ont été récusées que 4, et ceci simplement à cause de teneurs en chaux anormale- ment élevées, mais sans autres preuves plus précises. Dans le reste des analyses se rapportant à cet État, la teneur en chaux est presque uniformément la même, entre 1 et 2 p.100; il n’y a aucune raison, dans ces conditions, de soupçonner l'intervention directe d'assises FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 131 géologiques calcaires pour aucun des sols examinés ; d’ailleurs, il est connu que les formations calcaires font presque complètement défaut dans cet État, constitué principalement de roches éruptives noires ; de ce qu’on appelle communément des basaltes. Pour ce qui est du Montana, il a été récusé 14 analyses sur 40, les unes par simple soupçon, les autres pour intervention notoire de formations calcaires; telles les analyses de quelques sols du bord septentrional du « Judith-Basin », auquel endroit la chaîne du « Big Snowies » est constituée exceptionnellement de vraies roches cal- caires. En somme, nous nous sommes appliqué à n’user de l’exclusion qu'avec une parfaite impartialité ; nous avons donc le droit de croire que les conclusions qui se dégagent de cette comparaison de moyennes arithmétiques, méritent le maximum de ce que l’on peut accorder de confiance en général à une comparaison d'observations chiffrées, relevées sans préoccupation momentanée du but auquel nous sommes amené à les faire servir aujourd’hui. Nous avons donné dans le tableau pour chaque État, dans une première colonne le nombre d’analyses dont ont été déduites les moyennes par État correspondantes, alignées dans les colonnes qui suivent. Quant aux moyennes encore plus générales, nous en don- nons de deux différents genres, qui se contrôlent de cette façon les unes les autres; en effet, nous avons commencé par faire les moyennes de tous les chiffres comparés pour la région humide dans son ensemble d’un cû!'é et de ceux de la région aride de l’autre côté, en additionnant tous les chiffres dont nous nous sommes servi pour la région humide entre eux, et tous ceux de la région aride entre eux, et en divisant la première somme par 446 (ce qui est le nombre total d'analyses de la première région mises en comparai- son) ; la deuxième somme par 315 (ce qui est le nombre total d’ana- lyses de la seconde région mises en comparaison). D'autre part, à titre de contrôle, nous avons additionné entre elles, séparément pour chacune des deux grandes régions climatériques que nous dis- tinguons, les moyennes par État données dans les différentes colonnes du tableau, et nous avons divisé chacune des sommes obtenues par le nombre des États dont les moyennes y sont entrées. Cette façon 132 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. de faire trouve sa justification dans la circonstance que, le plus sou- vent, chaque État nous offre autant d'analyses qu’il possède de grands types de sols, que, par conséquent les sept analyses du Flo- rida, par exemple, représentent grosso modo toute la surface de cet État, tout aussi bien que l’État de l’Alabama, pas bien plus vaste, l’est par un nombre d’analyses beaucoup plus considérable (50). I suffit de jeter un coup d’œil sur le tableau pour apprécier que les conclusions générales sont les mêmes pour les deux méthodes de comparaison employées ; cette coïncidence fortifie essentiellement notre position. Dans quelques cas, les moyennes pour tel État ne sont pas ap- puyées sur le même nombre d’analyses dans toutes les colonnes, c’est-à-dire au point de vue de tous les divers ingrédients du sol. Ceci provient de certains perfectionnements que j'ai apportés dans mes procédés d'analyse depuis les débuts de mon travail; ainsi, dans le temps je ne déterminais pas toujours séparément la silice soluble, dont je ne connaissais pas encore le grand intérêt. Cet in- grédient n’est donc pas indiqué du tout dans les plus anciennes de mes analyses qui se rapportent au Mississippi; il ne l’est pas non plus dans toute la série des analyses des sols de Kentucky et d’Arkansas exécutées par Peter. Il en résulte que les chiffres de la quatrième colonne ne sont pas dans tous les cas égaux, comme cela devrait être, à la somme des chiffres correspondants des deux précédentes additionnés. Pour être plus complet et ajouter un argument de plus à l’appui de notre thèse, nous avons donné dans le tableau, à titre de supplé- ment, quelques analyses du Colorado, du Nouveau-Mexique et de l’Ulah, suivies d’une moyenne calculée à part pour ces trois États, que nous n’avons pas compris dans le gros du tableau ni dans le calcul des moyennes générales pour la région aride, à cause de quelques différences dans la méthode d’analyse. Ces analyses proviennent de recherches exécutées par M. Hubert P. Dyer au laboratoire de la station agronomique de Californie, et qui avaient pour but d'examiner la valeur des terres analysées au point de vue de la culture de la betterave. Les neuf analyses des sols des champs d’expériences de la station FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 133 agronomique du Wyoming, exécutées au laboratoire central de l'État, à Laramie, ont été faites d’une façon encore quelque peu différente. En même temps que le sol, on avait analysé séparément encore le sous-sol ; nous avons été obligé de recuser du tout cette seconde série de chiffres, à cause de teneurs en chaux extraordinai- rement élevées en dépit des grès rouges et granites qui ont prinei- palement servi à la formation de ces sous-sols. En somme, tous ces chiffres supplémentaires ne font que confirmer davantage les conclusions qui se dégagent de l’étude des sols du Montana, du Washington et de la Californie. 2° Sources bibliographiques des analyses du tableau ci-dessous. — Pour la Caroline du Nord et la Curoline du Sud, la Georgie, la Floride, V'Alabama : « Report of the U. S. Census for 1880, : vol. 6 ». Pour les États du Mississippi, de la Louisiane, de l'Arkansas : ibid, vol. 5 ; de plus — les Comptes rendus du Geological Survey de ces États, et quelques manuscrits non encore publiés. Pour le Kentucky : les Comptes rendus du Geological Survey de cet État ; notamment les analyses du D° Robert Peter, chimiste du Survey. Pour la Californie : les « Reports » de la station agronomique de l’Université de cet État, depuis 1877. Pour le Washington et le Montana : les résultats du travail du « Northern Transcontinental Survey », exécuté de 1880 à 1885, sous les auspices du « North-Pacific-Raïlwa ; » (manuscrit). Pour l’Utah, le Nouveau-Mexique et le Colorado : les travaux non encore publiés de M. P. Dyer, chimiste de la « Utah Beet-Sugar- Company », Lehi, Utah. Pour le Wyoming : le « Bulletin » n° 6 de la station agronomique de cet État, mai 1892. TABLEAU. DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. ANNALES 154 :s294979 quowo/pouuordeoxe sayruenb sep queleuaguos ue mb sjos se] suëp onb snwuny,] SUOISOp eu sNOU ‘JIEAUA) o1jOU 9p 1NG9P NE 160 { SUUOLOO 21900 op Sarqo sep senbuooçonb suoisnjonoo Sop de a1O[NOA sed ou & sanotoat sou su0o8u8u9 snON ‘Z "JJeuToue 1n91neq 2p 28089 anod ouuofou e[ Suëp s1dwoo seq'} ———_—_—_—…— —— — —…—…—…—…—…—…—…—…—…—…—…—…—…—…—…—…—…—…—…—…—…—…—…—— « locr‘r| oz9‘a lozr‘olosz‘olore‘82|ocr‘a |062°c2| 6 « « « « 06966 |062‘F1001 ‘0081 ‘0|0c8‘c o8g‘g mm | commencer | — [mms | 0m | eee | om | memes | ne | mme | means | cmmmnene | ame | cmmmmemence | ces | emmmees MT te Data sine ‘Sumo M « CE « <_evs66 |ze6‘elero‘olser‘ol2e1‘eloz9‘cloro‘ole6 ‘ol æs8‘o |603‘0|gr8"0l082"221009'8 |052°89) « | * * ‘ sesfppun 9 500 p ouuahoyy « « | « « «_ [2ITÉ001|o8r [860 0/060/0/096"C|079"9]900% 900<0|gr8 "ol 902‘0 lerr‘olro‘ologz‘oslogr trop éolr | * © © © * : * * : :* : opexoro) « « « « «_ lérsté6 l2ér‘elaso‘olorologctalreo‘rlozo‘ol200‘T|, 090 ‘or|92t" 10 86L°0 089" 02 06° 2 [008 69]T |‘ * * * * * ‘ “onbrxo]-nreAnoN « « « « « |goct66 lopr‘rlrco‘olzer‘olocr‘glorr‘alogo‘alo96‘ol o6ç‘r [ose ‘olors‘oloo6 ‘1810002 loop‘ 2 | * ‘© © * * * * * * * * ‘uen 9161 |088T| « «__Jocs‘olsié "6 |gec‘elgro‘olrrt‘0l608*?|Te5*c|900"0|r8e"T GF9'T 1680 cas ‘olaco‘cilese ‘9 |189*69| « | ‘1047 40d souuoñow sop ouuohoyy ATET GEST) « «_ lrez'olece ‘66 [eretrlrro‘olzrr‘olges ‘lac ‘el6co‘ol1r5r| a9e°t [vos ‘ol6az‘olcer ‘92998 *2 |coc*oz| 61e l'oprav uorBpu 07 ap o1quosus a «og açetzuzete) « | 0‘CT a1L'e|086"66 |£eRt'2l670/0]821"0lcF1" 21667 F|2CO O|T6T T esr'a |986‘0|G00'TI92e a2|0gs 9 [Tr 99/66 | * * * * ? * © © : * FuEON 6070 |eGrit| « | oGr |trétclacéte6 |oarclsz0 olg2T ago ologc cl6TO OITLT IT 826°T |6ra‘0|222*0|969 "8216298 |T80/G2/9L | © © * * * * * © : “uoysumseM gF1‘r loro‘r|go‘ol o‘cr |cz6‘clsro‘oorloge‘rlero‘olggo‘olrezteleog‘9lzgo‘olsss‘r| G20°T |228‘0|rr9*olsr8‘921096*8 |888° 29] 867 |" * © * © * * * * : * ‘eruropri) « logc'al « | 6‘03 |serrlgéo‘oor/cc‘slcootol#rr‘olsoorlacr‘elor‘olcoz‘o) art‘ 0 |r20‘ol281‘oloar'esleis"e |ezr‘ve) « |* ‘ro Awd sauueliow sep ouuoñoyg « lo6etel « | g'er locotrlszr‘oot|rrotelzco‘olerr‘oloce‘lrer‘elger ‘olcss ‘ol 801‘0 |r6o‘olora‘olzeo2elera‘r |160°78) 997 2 26 FR Ps -Ny UOrbIL D) 2P 2]QUeSU279 ANOT © | « lotte fagatolrostoorlosrér|re0tolero/199t exccrleertoléceol #97*o logotologe‘olres cslLesto |ege‘ge) sr |: © : © © : : : : : : ouwsmorr « CALE [gps iT|a98"001|T69 £|860"0|60r 0|62c" € 8009/2617 0 661‘0| 180°0 |FOT'0|661"0 61198 « die MOBT) | RE Re RO ON € «| « lertelifét66 |roz‘elerotolocrolrretel6o*elco‘ologr ‘ol 180{o |ocotolcor'olcesiss| « AR AP ne du « « | per lorréclozr‘ootlregtelecotolréotolesotrlera‘alzer‘olere ‘ol SPr‘0 |601 ‘0/92 0|FT2‘68|166 go Fc Lol Q EE CLS — La n m Es FE É ÉMTES DM esste g lan Se CE VASE ë nou SES u œ 6 |= > Sn REA PES s [3e a a LE a IE 2 Sp LE D |5© | » (e} a © |SSu|l x ET = fl ERA ET RE © œ an | (c| 5 d Q Fl © 4 1$8 0 H 8 © a uRolers) ee LUE Sn | aa) d S5| 2 > ES LA a 4 [35 ‘SLVLA de POS el Sen R Sel upS = | E | vx # | à 9 | & |525l a | SIVLS = m |plPorles ca el = « > nl A ALI 1 HNRÉIO NET 4 #4 nm |EE E © |S& 2 æ lo EL IQ m o2 da |S' & LAC] rs L Ë « FER a “ Eat cs PHeeEIte ë ÉMAIRE : ER ANSE Du | ET 5 SEE: £ ER FAO # | © = à E |à ci) 5 (TS 5 5 $ & m - FRE “opiie UOIar EL] 9p e1[99 € o91edw09 PAON np enbmowmy,[ 9P PIN UOIEX EJ ep 10S np euue{owu uorytsodwmon FORMATION ET COMPOSITION DE; SOLS, 135 ; A. — Discussion du tableau ci-dessus. 1° La chaux. — La teneur en chaux des sols de la région aride est douze fois supérieure à celle de la région humide, si lon considère les moyennes générales ; 14,5 fois si l’on préfère comparer les deux « moyennes des moyennes par États ». L'écart est trop grand pour que l’on puisse l’attribuer à une erreur ou inexactitude quelconque. C’est bel et bien la conséquence de la différence des climats, et pas d'autre chose. _ Des erreurs (dans le sens d’un choix imprudent de terrains d’ori- gine calcaire), s’il fallait en admettre après toutes les précautions prises, n'auraient d'ailleurs pu se produire que dans la région humide ; car, comme nous l’avons exposé, cette région est seule riche en formations calcaires, tandis que dans la région aride des États-Unis, celles-ci sont si rares qu’on en arrive même, par endroits, à manquer de chaux pour les constructions. Les sols très chargés de chaux de l’État de Washington se trouvent d’ailleurs précisément dans un pays où l’on n’aperçoit tout autour que du basalte noir et en Californie nous avons des sols comparables qui proviennent de l’effleurissement des diorites, de granites et de laves. On ne peut pas trop insister sur la grande importance de ce carac- tère calcaire des sols du climat aride, caractère qui entraine tout un “ensemble d’autres particularités de la plus haute valeur théorique aussi bien que pratique. Nous avons déjà raconté comment, dans la région humide, les cultivateurs considèrent la richesse en chaux comme un gage sûr de la fertilité de tout sol. Nous venons de voir, par le tableau, que, dans la région aride, tous les sols sans distinction d’origine con- tiennent généralement cette quantité de chaux considérée comme nécessaire ou utile pour qu’un sol soit fertile”, quantité que, dans 1. Une remarque à ce propos : dans la nature, pour qu'un sol acquière les bonnes propriétés agricoles et végétatives qui dépendent de la chaux, il en faut beaucoup moins quil n'est dit dans les livres d'agriculture, où l'on ne décerne à un sol le titre de « calcaire » qu'à la condition qu'il y ait effervescence avec les acides. D'autant ds 136 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. la région humide, ne possèdent que les sols d’origine géologique calcaire. On en peut tirer cette conclusion que, pourvu que de l’eau leur soit fournie artificiellement, les sols du climat aride doivent se montrer en général plus fertiles que ne le sont les sols du climat humide. L'expérience journalière des colons me semble avoir pleinement confirmé cette vue d’esprit ; les sols « pauvres » sont en général beaucoup plus rares dans les régions arides que dans les régions humides. C’est qu’en effet, tous les sols des premières peuvent être considérés comme naturellement « marnés » ; la pratique a démon- tré qu'une farmille peut subsister dans la région aride avec une sur- face en culture moindre qu’il ne lui en faudrait pour vivre dans la région humide. a) La végélation comparée des coteaux el des vallées dans la zone humide el dans la zone aride. — Dans la zone des étés pluvieux, il existe toujours, entre la végélalion spontanée des coteaux et celle des vallées des différences que le degré différent d'humidité ne suffit point à expliquer. Une étude plus approfondie démontre que le principal caractère de différence de la flore des vallées et de celle des coteaux réside dans la prédominance de plantes calcicoles (aimant la chaux) dans la première. D'ailleurs, dans les cas où le coteau lui-méme est calcaire, on y aperçoit généralement nombre de plantes que d’ordinaire on ne trouve qu’au fond des vallées; on a donc ainsi une contre-épreuve. C’est ainsi que le tulipier (Liriodendron tulipifera), caractéris- tique pour les fonds de vallées dans la majeure partie de son aire de distribution géographique, croît indifféremment dans les vallées et sur les coteaux dans le pays collineux de la région à loess du bas Mississippi et dans la bande de collines de la formation crétacée de la même localité. plus que les bonnes conséquences de la richesse en chaux s'accusent beaucoup plus vite dans les sols sablonneux et légers qu'elles ne le font dans les sols forts argileux. Voyez pour les détails: Report of the 10 Census of the United Slates, vol. 5, p. 64; aussi : Report on the agr. experiment Stations of the University of California, 1890, p. 166. FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 137 On pourrait citer des constatations analogues pour le noyer, le tilleul, le Magnolia grandiflora, le Sassafras officinalis et bien d’autres arbres et arbrisseaux calcicoles. Partout où on les retrouve couramment sur des coteaux, on est en pays calcaire. Par contre, dans la zone aride, il n’y à entre la flore des vallées et celle des coteaux que les différences qui tiennent à l'humidité différente de ces deux genres de stations. À preuve qu'il suffit d'y irriguer un sol de coteau pour voir apparaître immédiatement les quelques plantes d’ordinaire caractéristiques pour les vallées seules. La flore (quelque peu pauvre en espèces en général) du nord- ouest de la côte du Pacifique, notamment celle de l’Orégon orien- tal, du Washington, du Montana, peut être citée comme exemple frappant de cette uniformité de la végétation spontanée des régions arides. Dans les pays nommés tout à l'heure, on peut voyager des Jour- nées entières sans remarquer aucun changement de végétation, surtout si l’on voyage dans la saison sèche. C’est que le coteau et le fond de vallée y sont également riches en chaux; il n’y a donc pas de raison, en effet, pour de grands changements de flore. b) Formation de tufs calcaires dans le sous-sol. — I] a été ques- tion plus haut de l’entrainement de carbonate de chaux dans le sous-sol, aux dépens de la couche arable, par le fait du délavage opéré par les pluies ; il a aussi été dit comment, après la cessation des pluies, ce carbonate est à nouveau précipité hors de la solution, à mesure que l'air pénètre dans le sous-sol ressuyé, et comment de cette façon le sous-sol se charge toujours de plus en plus de chaux. Ce phénomène amène quelquefois, même dans la région des étés pluvieux, des accumulations de chaux dans le sous-sol assez consi- dérables pour qu’il s’y forme des concrétions blanches ou grises de carbonate de chaux, mélangé à d’autres matières ; mais le cas y est rare que le sous-sol se trouve cimenté par la chaux en une masse dure de Luf sur des étendues assez vastes, chose que l’on rencontre au contraire fréquemment dans la zone aride; et voici comment le fait s'explique : Dans la zone aride, les pluies hivernales pénètrent rarement à plus 138 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. de 1 millimètre ou 1%°,5 de profondeur ; l'effet de la capillarité ramène bientôt l’eau de nouveau en haut d’où elle ne tarde pas à s’évaporer en l'air, tandis que la chaux s’accumule peu à peu en con- crétions d’une compacité notable, puisque son dépôt s’effectue tou- jours dans la même couche assez mince qui se trouve à la limite de pénétration extrême des eaux pluviales, c’est-à-dire à 0",60, à 4,5 au maximum selon les conditions locales et les années: cette couche finit par en être complètement cimentée et par se transformer en une espèce de tuf effervescent avec les acides et assez consistant pour opposer un obstacle considérable, quelquefois même absolu au passage des eaux et des racines. Dans la règle, ces concrétions de tuf ne se continuent sans inter- ruptions que sur de petites surfaces; elles forment plutôt des îlots qui assument le plus souvent un contour ovale ou allongé, et s’abais- sent généralement un peu en entonnoir vers l'axe central. S'il sur- vient des pluies d’une abondance exceptionnelle ou si l’on s’avise d’irriguer le terrain, des flaques ou de petits étangs se rassemblent dans les endroits qui correspondent à ces concrélions du sous-sol ; le maximum de profondeur de l’eau se trouve au-dessus du centre déprimé de la concrétion. La stagnation des eaux accélère à son tour l’épaississement et le durcissement progressif du noyau imper- méable caché dans le sous-sol ; car elle favorise les fermentations de débris végétaux et partant le dégagement d’acide carbonique et la dissolution de nouvelles quantités de carbonate de chaux, qui à leur tour passent dans le sous-sol et s’y précipitent, et ainsi de suite. Tous les cultivateurs de la zone aride des États-Unis, à partir des Montagnes Rocheuses el jusqu’au bord du Pacifique, connaissent bien ce sous-sol durci par places, qu’ils appellent « hardpan ». Dans tout le nord-ouest de l'Inde — du Gange à l’Indus, — les populations le connaissent également à leur grand malheur, car souvent elles ren- contrent de ce fait de graves difficullés dans la mise en valeur de territoires par eux-mêmes excessivement fertiles. Les cultivateurs de l’Inde désignent ce tuf par le mot « kankar ». Le « kankar » de l'Inde est plus nuisible encore à l’agriculture que ne l’est le « hard- pan » de l'Ouest américain, par cette raison qu’il se présente, plus Ÿ] FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 139 souvent que cela n’a lieu en Amérique, sous l'aspect d’un vrai cal- caire quoique très impur, mais cristallisé et assez dur pour ne céder qu’au pic. La stagnation répétée des eaux dans les points où il y a en dessous du « kankar », y empêche absolument la venue des végétaux agri- coles. Dans la « Grande Vallée » de Californie, on rencontre cette plaie plutôt dans les localités où les sols prédominants sont de nature poudreuse, et moins là où les sols sont constitués par un sable plus grossier. | Dans les sols argileux plastiques («adobe »), des concrétions de «hardpan» sont aussi fréquentes, comme il fallait s’y attendre ; mais d'ordinaire elles y sont moins nuisibles et opposent moins d’obsta- cles à l’agriculture, car elles y sont moins dures et imperméables que dans les sols poudreux ; il suffit de les ramener à la surface lors du labourage, pour les voir bientôt s’effriter à l'air; ce qui arrive même au sein du sol, si on établit un bon système de drainage. Disons, pendant que nous y sommes, que les cultivateurs des ré- gions affligées du «hardpan » ont fini par comprendre que la destruc- tion de ces concrétions élait la première condilion pour réussir des cultures agricoles, el ont appris à se servir, à cet effet, largement, selon les cas, du pic ou de la dynamite. 2° La magnésie. — Pour ce qui concerne La distribution de la magnésie dans les sols, il y a entre le climat humide et le climat aride, dans une beaucoup plus faible mesure, la même différence que celle que nous venons de constater d’une manière si éclatante pour la chaux. Le tableau nous montre que dans le bassin de lAt- lantique (région humide) il y a en moyenne dans les sols deux fois plus de magnésie que de chaux ; la Floride présente seule, dans les 7 sols dont les analyses nous ont servi pour le tableau, en moyenne un peu moins de magnésie que de chaux. Quant à la région aride, la moyenne de la magnésie y est presque égale à celle de la chaux, si l’on se rapporte aux moyennes générales; un peu inférieure même, si l’on consulte les «moyennes des moyennes par États». Les sols de la région aride contiennent donc 6 ou 7 fois plus de magné- 140 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. sie que ceux de la région humide, selon qu’on compare les unes ou les autres moyennes. [ci encore, l’écart est beaucoup trop considé- rable pour pouvoir être attribué au hasard. L’analogie avec ce qui se passe pour la chaux ne doit d'ailleurs pas nous étonner, puisque les deux bases se comportent vis-à-vis de l'acide carbonique d’une manière absolument analogue. La magnésie ne joue cependant pas dans les sols, que nous sachions, un rôle aussi important que la chaux ; nous ne nous appesantirons donc pas davantage sur les con- séquences possibles de son abondance relative dans les sols arides par rapport aux sols humides. 6e C. — Influence du climat sur le «résidu insoluble ». Toutes les différences entre les régions, humide et l’aride, dans les processus concourant à la formation des sols arables se rame- nant principalement à l’absence du délavage général dont l’eau chargée d’acide carbonique est le grand agent, il fallait s’attendre à trouver les sols de la zone humide, cæteris paribus, relativement plus riches en quartz, soit en acide silicique ; puisque celte partie du sol est la moins attaquée par l’eau et l’acide carbonique. C’est ce que le tableau nous montre en effet d’une manière éclatante par la comparaison des différents chiffres étagés dans la colonne « Ré- sidu insoluble » (terme qui comprend précisément les matières mi- nérales sablonneuses ou poudreuses insolubles du sol), et ceci soit que nous comparions les deux régions dans leur ensemble, soit que nous meltions en regard tels ou autres États entre eux sépa- rément. En moyenne, il y a un écart de 14 p. 100, la teneur moyenne pour la région humide étant de 84 p. 100 de résidu insoluble tandis qu'elle n’est que de 70 p. 100 pour la région humide. lei encore il ne peut pas seulement être question de causes accidentelles; la sur- face totale des sols comparés est trop considérable et les origines géologiques des 791 sols. mis en comparaison diverses à l'infini ; aucun hasard ne peut avoir brouillé la netteté de nos conclu- sions. Approfondissons la signification de cet écart d'environ 14 p. 100. FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 141 1° La silice et l'argile. — Il est clair que ce qu'il y a d’essentiel dans le « résidu insoluble », c’est la silice (et les silicates) ; celle-ci y intervient sous deux formes très différentes : Il y a d’abord, les sable et poussière de quartz et d’autres miné- raux ; en second lieu, il y a la silice tant colloïdale qu’en poudre im- palpable, expulsée de certains silicates facilement décomposables, lors de lattaque à l’acide chlorhydrique (on connaît le procédé : l’acide silicique expulsé de ses combinaisons est rendu insoluble complètement par l’évaporation à sec de l’ensemble de la solution ; en faisant bouillir avec une solution de carbonate de soude, addi- tionnée de quelques gouttes de soude hydratée, on sépare la silice mise en liberté des particules minérales restées indécomposées). Ainsi dosée, la silice gélatiniforme ou poudreuse devient, entre autres, un excellent indicateur du degré d’action dissolvante de l’a- cide employé sur les silicates du sol, un moyen de mesurer l’inten- silé de la digestion opérée’. Quels sont ces silicates ainsi digérés ? D’après la théorie courante, c’est la matière argileuse qui inter- viendrait ici principalement; cette matière dont la kaolinite (glaise à porcelaine) est la forme naturelle la plus pure. L’alumine, que l’ana- lyse chimique démontre dans le sol, est généralement attribuée en entier au même corps. L’acide silicique et l’alumine sont représen- tés dans l’argile dans le rapport de 46 à 40 environ. Cependant, 1l y a des cas où l’on trouve dans ce qui est supposé être l’argile moins de silice soluble que d’alumine ; il devient donc impossible d'appliquer l'interprétation courante tout à l'heure ex- posée. Il y a encore d’autres cas où cette interprétation courante ne suffit en aucune manière ; ainsi, il arrive que la proportion de silice expulsée et d’alumine est bien à peu près celle qu’il faut pour cons- tituer l'argile, mais qu’en même temps il y a un excès de polasse, de chaux, de magnésie ou d’autres bases encore, qu’il n’y a pas moyen de rattacher à d’autres acides, parce qu'il n’y en à plus assez de ces 1. Cette digestion a été toujours faite avec de l'acide chlorhydrique de la densilé 1,115, dans une capsule de porcelaine recouverte d'un verre de montre et laissée pendant 5 jours au bain de vapeur ; la terre fine employée était toujours pressée par - un tamis de 0,5 de maille. 142 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. dernières ; on est forcé de supposer que ces bases en excès sont liées à l'acide silicique ; nous nous trouvons, en définitive, de nou- veau, devant un dosage de silice insuffisant pour constituer avec le dosage déterminé d’alumine ce qui est censé être de l'argile. La seule interprétation qu’on puisse faire dans de pareils cas est celle d'admettre que ces diverses bases forment peut-être avec une partie de l’alumine des silicates complexes hydratés et, de ce fait, facilement attaquables, c’est-à-dire des zéolithes. Voici, à titre de démonstration, une analyse qui offre un excellent exemple de ces cas où on se trouve en présence de quantilés consi- dérables d’acide silicique « soluble » qu’il est inadmissible d’attri- buer à la kaolinite. C’est l'argile colloïdale (la partie du sol qui, à l'analyse mécani- que, continue à rester en Suspens au bout de 24 heures dans une co- lonne d’eau de 200 millimètres de hauteur) d'un sol très largement représenté dans la partie nord de l’État de Mississippi. Résidusinsuluble SEE AR Eee 15.96 Acide silicique soluble . 33.10 Potasse (K?0) . du .À7 Sondes (Na Orne Re PTE M: .70 Chaux (CAQ)E AL ee RAS ET NR ST .09 MagnésieMe OR LE E Ceere u Sesquioxyde de manganèse (Mn° 0). . . Sesquioxyde de fer (Fe?0%). . . . . . Alomine (AIYDS), ie 0 os € Acide phosphorique (Ph?0*). . . ni mé OAOLOO DO m0) a ee] [=] Acide sulfurique (SO*) . RS 06 Acide carbonique" (GO) EI NS INT 2 ES » Eau et matières organiques . . . . . . . 9.00 ECO ER RASE 100.14 Supposons l’alumine combinée en entier sous forme de kaoh- nite, 1l nous restera toujours 12 p. 100 d'acide silicique non placés. Faisons abstraction de la silice soluble contenue dans la terre fine originale, c’est-à-dire de 0.38 p. 100. Cela nous fera 11 p. 100 net d’acide silicique (Si 0?), que nous sommes forcés de supposer lié à d’autres bases que l'aluminium ; FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 143 ce qui ne signifie nullement que l'aluminium n'entre pas en partie aussi très vraisemblablement dans ces combinaisons complexes. En définitive, le dosage de l’cacide silicique soluble » nous fournit un moyen d'appréciation des éléments zéolithiques à proprement parler, par opposition d’une part à la poudre minérale demeurée telle quelle et d’autre part à l'argile. C’est là un point d’un haut in- térêt ; car ce sont, sans aucun doute, les zéolithes qui renferment celte partie des éléments nutritifs minéraux du sol, plus ou moins susceptible d’être assimilée par les végétaux. Or, il appert, par notre tableau des moyennes, que les sols de la région aride présentent en même temps qu’un Laux de «résidu inso- luble» considérablement inférieur à celui des sols de la région hu- mide, des dosages « d’acide silicique » en moyenne presque doubles par comparaison aux dosages correspondants de la région humide. Il y a bien une exception, et notamment, dans le cas de l’État de Washington ; nous y voyons moins d’ «acide silicique soluble » qu'il n’y en a en moyenne dans la région humide ; nous nous expliquons la chose par le fait qu’une grande partie des sols examinés dans cet État sont constitués par des dépôts lacustres, primitivement appor- tés par les eaux du Columbia de la région humide, sablonneuse des affluents supérieurs de ce fleuve ; tandis que d’autre part les roches éruptives (basaltes et mélampyres), propres à l’État même de Was- hington, sont très basiques et ne se décomposent que difficilement. D'ailleurs, si le Washington reste en dessous du taux moyen si élevé d’acide silicique soluble des sols de la région aride prise dans son ensemble, les États de Californie et de Montana nous en dédom- magent en le dépassant de beaucoup ; et comme les roches les plus diverses sont représentées dans ces deux États, nous sommes auto- risés à considérer que les chiffres que nous offrent ces États expri- ment parfaitement un résultat commun et normal pour tous les pays arides en général ; c’est bien au facteur climat que la région aride doit cette notable supériorité au point de vue de la richesse de ses sols en combinaisons zéolithiques complexes. a) Formalion el importance des zéolithes. — L'influence du cli- mat dans ce cas et dans ce sens n’a rien qui puisse nous étonner. 144 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Elle tient à ce que les solutions minérales qui résultent de l’effleu- rissement des sols, ne séjournent jamais longtemps dans les sols des régions à pluies estivales et à délavage intense, tandis que dans les régions arides non seulement elles demeurent dans le sol, mais en- core y finissent par acquérir, par l’effet de l’évaporation, des degrés de concentration inconnus à l’état naturel dans les régions humides; or, il y a une série de réactions qui ne deviennent possibles qu’à la condition de concentrations élevées des solutions réagissantes, et d’ailleurs, pour toutes les réactions quelles qu’elles soient, 1l est indispensable que les corps en présence restent en contact pendant un laps de temps suffisamment long. Les solutions naturelles de tout sol contiennent des carbonates, sulfates, chlorures et silicates, de la soude et de la potasse ; en cir- culant dans un milieu riche en carbonate de chaux et de magnésie, elles doivent forcément, tôt ou tard, donner lieu à la formation de silicates complexes de diverses espèces. Celle-ci est rendue d’autant plus facile que les silicates primitifs, avec lesquels les bases alcalines des solutions circulant dans le sol sont appelées à se combiner, se présentent sous la forme de poudres impalpables, qui commencent même par être des gelées, que, par conséquent, ils s'offrent dans un état éminemment commode pour tous les genres de réactions mutuelles. Des deux principales bases représentées dans les solutions du sol, de la soude et de la polasse, la dernière se prête, comme on sail, de préférence à ces combinaisons avec des silicates d’autres bases ; par celte voie, elle ne tarde jamais à être fixée, tandis que les sels de soude continuent à demeurer en solution ou bien, si même ils sont fixés, demeurent à l’état de combinaisons facilement s0- lubles. En même temps que les carbonates d’alcalis servent à la constitu- tion de nouvelles combinaisons plus complexes, ils attaquent d’autre part toujours de nouvelles quantités de silicates naturels, qui au- raient résisté à des agents moins puissants, par exemple au carbo- nate de chaux. Et comme ces carbonates d’alcalis ne peuvent jamais, à cause de leur état dissous, demeurer longtemps dans un sol soumis à une FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 145 lixiviation contenue, tandis qu’ils le peuvent indéfiniment dans les sols arides, cela suffit pour que ces derniers finissent par arriver à un degré de décomposition irréalisable dans les conditions générales des climats humides. b) Action dissolvante du carbonale de chaux. — Nous avons fait tout à l'heure une réserve au sujet de l’action chimique du carbo- nate de chaux ; mais il ne faudrait pas en déduire que cette action soil à dédaigner ; au contraire, le carbonate de chaux amène, quoi- que dans un laps de temps plus long, des transformation en somme semblables à celles qu’opèrent, avec une rapidité et une intensité incomparablement plus considérables, la chaux vive ou hydratée ou les carbonates des alcalis. La pratique agricole montre bien qu'entre la marne et la chaux vive il n’y a qu’une différence d'intensité d'action, et presque pas de différence qualitative ; la nature offre mainte occasion à la constata- tion de cette identité de résultats ; ainsi, l’action naturelle séculaire du carbonate de chaux amène la formation du même sol humique, noir comme du charbon, que celui qui peut être produit dans une tourbière, dans l’espace de quelques années par le traitement à la chaux vive. Pour faire l'analyse chimique des silicates, nous nous servons tous les jours, au laboratoire, de chaux vive, à la température du rouge vif, afin d'extraire les alcalis et de les faire entrer en des silicates plus facilement décomposables; si nous voulions remplacer la chaux vive par du carbonate de chaux, nous aboutirions quand même, seulement plus lentement. Ce qui est vrai au laboratoire, ne l’est pas moins pour le sol. La comparaison des sols calcaires de la région humide avec ceux non calcaires de la même région montre (autant que comparer se peuvent dans de pareilles conditions, des produits ne provenant pas de matières premières identiques) que les premiers fournissent presque sans exception des dosages beaucoup plus élevés de silice et d’alumine solubles que les derniers ; lorsqu’on analyse des ar- giles ou des sols argileux très calcaires, on obtient des précipités si extraordinairement volumineux d’hydrate d’alumine, que l'on finit ANN, SCIENCE AGRON. — 1892. — 11. 10 146 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. même par prendre l'habitude de restreindre les quantités de subs- lance première à analyser, afin d'éviter ces précipités encombrants, Il est rare qu’un sol non calcaire, attaqué avec l'acide de 1,115 de densité, rende plus de 10 p. 100 environ d’AF 0°; le plus souvent, on en aura même beaucoup moins; or, les sols des « prairies » très riches en chaux fournissent des dosages d'AFO° allant jusqu’à 20 p. 100. Une digestion prolongée d’une seule et même portion d'argile avec du carbonate de chaux, permettrait probablement aussi de constater cette réaction, surtout si elle avait lieu avec le concours d’une température élevée *. c) L'hydrate d’alumine dans le sol. — Dans la plupart des cas, on constate un parallélisme plus ou moins soutenu entre les dosages de « silice soluble » et ceux de l’alumine dissoute. Cependant, la si- lice est toujours plus ou moins soumise au délavage par le fait des solutions alcalines; le parallélisme dont il vient d’être question, ne peut ne pas s’en trouver troublé; et, en effet, il arrive très fré- quemment que l’analyse extrait d’un sol plus d’alumine qu'il ne devrait y en avoir d’après le dosage de l’acide silicique soluble dans le même sol, si toute l’alumine était liée à l'acide silicique, selon la formule de la kaolinite. D’autre part, aucun silicate plus complexe ne peut contenir un taux plus élevé d’alumine que n’en contient le kaolin ; par conséquent, il ne reste debout qu'une dernière suppo- silion, à savoir : qu'une partie de l’alamine existe dans le sol à l’état d’hydrale libre ; d’ailleurs dans des formations d’origine récente, on connait bien ce corps sous forme de gibbsite. Ce minéral, qui est amorphe, se trouve vraisemblablement dans la parue la plus fine du 1. Voyez : Report of the Tenth N. S. Census, vol. 5 et 6, surtout Les Analyses des sols du Mississipi et de l'Alabama. Comparez aussi avec les « Reports » de la Station agronomique de Galifornie. 2. Fesca a confirmé le rôle du carbonate de chaux au point de vue de la dissolution des alcalis, par des expériences directes; l'emploi généralisé du carbonate de chaux dans l’agriculture japonaise lui semble menacer de la façon la plus sérieuse la durée de la fertilité des sols de ce pays, surtout vu la température élevée et l'abondance des pluies ; c'est à tel point qu'il insiste pour que cette pratique soit restreinte par voie législative (Beiträge sur Kenntniss der japanischen Landwirtschaft). FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 147 sol, c’est-à-dire dans ce que lanalyse mécanique sépare comme « argile colloïdale ». La science ne sait rien sur le rôle à attribuer à l’hydrate d’alumine au point de vue des qualités physiques du sol; les deux sols qui, de tous ceux que nous avons pu passer en revue, accusent le plus de cette substance (l’un appartient au Mississippi, l'autre à la Californie), sont d’une adhésivité tout à fait extraordi- aire, au point qu'il est presque impossible de les labourer ; mais d’autres sols qui contiennent cependant aussi de bien grandes doses d'hydrate d’alumine libre (voy., par exemple, les analyses des sols d'Orégon et de Washington) ne présentent pas la même particula- rité; pas plus que cerlains sols de la chaîne de la Sierra Nevada (Californie), qui sont dans le même cas. D’après ce qu’on sait des propriétés de l’hydrate d’alumine, il faut croire qu'il se trouve dans le sol sous la même forme colloïdale que celle que nous lui con- naissons au laboratoire ; il n’est point douteux que cet hydrate d’alumine colloïdale ne joue un certain rôle dans les phénomènes d'absorption étudiés par van Bemmelen. 2% L'oxyde de fer. — La comparaison des moyennes du tableau montre bien au point de vue de la teneur en oxyde de fer une supé- riorité des sols des pays arides sur ceux des pays humides ; mais nous n’osons point tirer de cette différence des conclusions généra- lisées. Nous ne voyons pas de raison pourquoi les sols de la pre- mière classe en contiendraient-ils plus que ceux de la seconde. L’as- pect extérieur de la généralité des sols de la région aride rendrait même plus vraisemblable une supposition contraire; car ils ont beaucoup plus souvent que ceux de la région humide, une couleur blanc grisâtre. C’est pourquoi nous voyons l’explicalion des hautes moyennes d'oxyde de fer de notre tableau pour la région aride plutôt dans des circonstances accidentelles. Ainsi, notre moyenne pour la Californie s’est trouvée fortement influencée par les sols des pro- montoires de la Sierra Nevada, qui, par hasard, sont très riches en ocre ; aussi par la fréquence de sables de magnésite dans l’État de Californie ; celle pour Washington, par la prédominance dans cet État de roches particulièrement chargées de fer (basaltes, mélam- pyres). Quant à la moyenne du Montana, il n’y a pas eu intervention 148 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. de causes spéciales analogues ; eh bien, elle n’est pas plus élevée que celle des trois États humides considérés dans leur ensemble, et elle est même inférieure à celle du Kentucky, pris isolément. La fréquence plus grande de la coloration rouge dans les sols de la région dès chaudes et abondantes pluies estivales tient peut-être à ce que ce régime favorise particulièrement des réductions partielles de l’oxyde de fer et, partant, sa dissolution et sa dispersion dans l’épaisseur du sol; en s’y reconstituant dans la suite sous forme d’hydrate d'oxyde, le fer se trouve distribué dans le sol d’une ma- mère particulièrement uniforme et complèle ; en effet, l'analyse chimique n’accuse souvent que des quantités relativement minimes de fer dans des sols cependant intensément colorés. Des concrétions de fer des marais ne sont, d’ailleurs, pas du tout rares dans le sous-sol de la région aride. Tout pesé, nous ne croyons pas devoir conclure des chiffres du tableau relatifs au fer, à une in- fluence spéciale quelconque du climat sur la distribution de cet élé- ment dans les sols. Il en est autrement du manganèse, qui est représenté, dans tous les cas, dans les sols de la zone humide, par des taux plus élevés que dans les sols de la zone aride. L'intervention du climat est ici indéniable. Nous ne saurions l’ex- pliquer ; mais il est madmissible que la supériorité si constante des teneurs en manganèse des sols humides sur celles des sols arides soit due au simple hasard. Cette particularité n’est cependant pas, que nous sachions, d’un intérêt direct au point de vue de la végétation et de l’agriculture. En ce qui concerne l'acide phosphorique, le tableau n'indique aucune différence constante entre la zone humide et la zone aride ; et, en effel, il ne doit pas y en avoir. La plupart des combinaisons de l’acide phosphorique sont peu solubles, et la teneur totale de cet acide dans les sols peu considérable; il en résulte qu’il est avidement retenu par tous les sols, pourvu que ceux-ci aient lant soit peu de faculté absorbante. D'autre part, les connaissances que nous possé- dons sur la marche de l’effleurissement des sols en général, ne nous poussent non plus aucunement à supposer qu'il doive y avoir une différence quelconque dans la richesse en acide phosphorique, en FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 149 faveur de telle ou autre région climatérique. Parmi les diverses ana- lyses qui nous ont servi à tirer la moyenne pour la région aride, celles du Montana et du Washington accusent des teneurs en acide phos- phorique extraordinairement élevées, ce qui se trouve contrebalancé par les teneurs très basses de la Californie. C’est qu’au Montana et au Washington il existe de vastes affleurements de roches riches en microscopiques aiguilles d’apatite ; c’est de ce fait que le taux de phosphore dans les sols y monte au double du taux moyen général. En Californie de pareilles roches sont extrêmement rares; les ana- lyses m'ont fait préconiser dès le début les phosphates comme étant l’engrais le plus profitable en Californie ; la pratique agricole a lar- gement confirmé depuis mes prédictions. Cependant il y a aussi en Californie une catégorie de terrains où l'acide phosphorique abonde; ce sont les « alcali-soils », où l’on rencontre fréquemment du phos- phate de soude à l’état dissous, dans les eaux du sous-sol. L’indication qu’on pourrait tirer du tableau relativement au taux moindre d'acide sulfurique dans les sols arides par rapport aux sols humides jure avec la grande fréquence d’efflorescences de sulfates d’alcalis à la surface des sols dans la région aride. Nous ne pouvons donc reconnaître sur ce point aux chiffres du tableau aucune portée générale. Le bas taux moyen d’acide sulfurique pour la région aride tient en partie précisément à ce que la plupart des sols alcalins ont été exclus de la comparaison à cause de teneurs anormalement élevées en calcaire ; si nous n’avions pas été forcé de faire cela, la moyenne d’acide sulfurique pour la région aride se serait trouvée tout autre. —— D ESS O — —— PRFCNES RE TPE LE HAUT-PERCHE SES FORÊTS DOMANIALES PAR ARTHUR DE TRÉGOMAIN INSPECTEUR DES FORÊTS PRE: M TE R'E PEN EMI E + APERCU HISTORIQUE Anciens pays de France. Il existe en France, en dehors des divisions administratives, un assez grand nombre de régions naturelles auxquelles on donnait anciennement, et l’on donne encore parfois, le nom de pays. Telles sont, par exemple, la Bresse, les Dombes, le Morvan, la Brie, la Beauce, la Sologne. Il n’est pas possible de préciser l’époque, sans doute très reculée, à laquelle remontent ces dénominations. Les géographes actuels prétendent, et leur thèse est vraisemblable, que les accidents du sol, montagnes, plateaux, cours d’eau, lacs, etc., ont influé d’une façon prédominante sur le groupement primitif des populations et le développement des sociétés locales. Il y aurait ainsi une relation, qui s'explique facilement, entre les régions naturelles et ces premières agglomérations que, dans son style imagé, Élisée Reclus appelle des « noyaux de cristallisation ethnographique », et il parait probable que les pagi, ou villages gallo-romains, furent LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES, 151 tout simplement les capitales de ces régions. Le nom même de € pays » a, sans doute, pour étymologie le mot « pagus ». Le Perche : Origine de son nom; sa situation; ses limites; ses divisions. Le Le Perche compte parmi ces anciens pays de France. Son nom parait venir du mot latin pertica', signifiant un bois long et droit, une perche, et lui aurait été donné par les Romains Zaïgle . LR AMgabrs “tt 2 eTres françaises. Lg Egig V7 S'enonches Fo $ . s Chélauneafe" o ; = : alé L RS pare Morlgn Thimerais 2 Corbone haine, LaLonpe a PROS : Courvell Mamers Ds AS 2e CREER Carte du Perche au Moyen-Age Limitles Pre baëles du rcke FHthrh ++ en raison des immenses forêts qui recouvraient son sol, toutes re- marquables par la hauteur et la rectitude de leurs arbres. Ce pays comprenait tout le territoire qui s’étendait entre la Neus- trie (Normandie) au nord et à l’ouest, la Beauce à l’est, le Vendô- {. Saint-Grégoire de Tours (Gloire des confesseurs, chap. XXX), cité par L. Joseph Fret, Antiquilés et chroniques percheronnes, p. 7. 152 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. mois, le Blésois et le Maine au sud, et qui correspond actuellement : aux départements suivants : Eure (bande insignifiante), Eure-et-Loir (partie ouest), Sarthe très pelite partie nord-est) et Orne (partie est, un quart environ). Les limites du Perche étaient formées du côté du nord et de l’ouest par les rivières de l’Avre et de la Sarthe, et aux autres orientations par des lignes conventionnelles. On y distinguait au moyen âge quatre grandes divisions : 1° Le Haut-Perche, où Grand-Perche, nom tiré de sa situation et de son importance (villes principales : Corbon, Mortagne, Bellème); 2° Le Perche-Gouet, ou Bas-Perche, qui devait son nom à un sei- gneur appelé Guillaume Gouet (villes principales : Authon, Montmi- rail, la Ferté-Bernard) ; 3° Le Thimerais, du nom de Thimer, place forte du pays (villes principales : Châteauneuf, Senonches) ; 4 Les terres francaises (ville principale : le Vieux-Verneuil). Le Perche se subdivisait d’ailleurs en un certain nombre de petits pays, tels que le Corbonais, le Bellesmois, etc. Anciens peuples du Perche; le Perche sous la domination romaine ; le Perche au moyen âge; ses capitales succes- sives ; sa réunion à la couronne de France. A l’origine, le Perche fut occupé par diverses peuplades de la race des Gallo-Kimris : les Carnutes, les Aulerci-Genomani, les Aulerci- Eburovices et Les Sesuvii. On sait que nos ancêtres recherchatent les vastes forêts. Un des principaux collèges druidiques * était, paraît-1l, à Chartres, capitale des Carnutes, très près, par conséquent, du Per- che. Il est donc permis de supposer que les forêts de ce pays ont vu s’accomplir les cérémonies religieuses des druides, à la recherche du gui sacré. Leur assemblée générale, qui devait trancher sans ap- pel tous les différends et tous les procès, se tenait annuellement sur le territoire des Carnutes, probablement, croit-on, à Dreux ou dans 1. Druide paraît venir du mot celtique dru qui signifie chêne, comme le mot grec ÿ<. Le nom de la ville de Dreux pourrait bien avoir la même étymologie. N 2e LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 155 les environs. C’est ce dont témoigne cette phrase de César : Certo anni lempore in finibus Garnutum, quæ regio lolius Galliæ media habetur, considunt in loco consecralo". Les Romains trouvèrent dans le Perche, avec ses massifs monta- gneux, ses forêts étendues et ses nombreux cours d’eau, un admi- rable terrain pour assurer leur domination, en y organisant solide- ment la défense contre les peuplades voisines, remuantes et guer- rières, Loujours disposées à secouer le joug du conquérant. Aussi ces maîtres dans l’art de la guerre se hâtèrent-ils de sillonner ce pays de routes stratégiques et d'établissements militaires dont on a re- trouvé les traces. Ainsi on remarque sur la lisière nord de la forêt dite actuellement forêt du Perche un monticule entouré de fossés en partie comblés par le temps, qu’on appelle le Châtel (Castellum), nom commun à presque loutes les éminences où les Romains avaient construit quelque fort ou camp retranché. Celui-ci dominait préci- sément toute la vallée et le coteau opposé où passait une des prin- cipales voies romaines. Dans une position analogue on voit encore, à l’intérieur de la fo- rêt de Bellême, mais non loin de son périmètre et sur des points culminants, les vestiges de trois anciens camps fortifiés qui comman- daient la vallée située au sud entre la forêt et le coteau où s’élève maintenant la ville de Bellême. Le principal, nommé le Chätellier, était entouré de larges fossés, bordés intérieurement d'énormes re- tranchements. En y pratiquant des fouilles, on a découvert nombre de briques, de débris de poteries et deux vases intacts, tous objets d’origine romaine. Les deux autres camps paraissent n'avoir été que des avant-postes de surveillance. Une voie romaine les reliait en- semble, et une autre voie traversant toute la forêt de l’ouest à l’est, passait à une fontaine minérale, qu’on nomme maintenant « La Herse » (peut-être du vieux mot celtique « Ercia » fontaine), el qui, du temps des Romains, était consacrée à Vénus, Mars, Mercure et aux divinités inférieures, comme le prouvent deux pierres gravées, fort bien conservées, qui en forment deux côtés. L’histoire du Perche, au moyen âge, est, comme celle de toute la 1. Cæs., De bello gall. Lib. VI, C. XII. 154 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. France, l’histoire des guerres incessantes que se firent entre eux les seigneurs du pays, et de celles qu’ils soutinrent pour ou contre les Rois de France et d’Angletere, histoire dramatique, sanglante, qui ne rentre pas dans le cadre de cette étude, et que nous n’avons pas même à eflleurer. Pourtant il nous paraît intéressant de citer seule- ment quelques faits dont le vaste massif appelé alors forêt du Perche (Salltus Perticus, ou Sylva Pertica) fut successivement le théâtre. Rappelons d’abord ce qu’écrivait, à la fin du x° siècle, Aimoin, re- ligieux de l’abbaye de Fleury, en parlant des diverses forêts de France : Sylvæ mullæ, sed eminentior cœæleris Perticus*. Les vieilles chroniques du moyen âge citent souvent la forêt du Perche, et attestent que vers le 1x° siècle elle s’étendait encore à l’est jusque vers les points qu’occupent maintenant la Loupe et Illiers, dans le département d'Eure-et-Loir, et à l’ouest jusqu’à Saint- Julien-sur-Sarthe. C’est dans ceite forêt que se réfugia Clotaire IL défait par Thiéry?. Elle servit également de retraite au roi Charles-le-Chauve que poursuivait son frère aîné Clotaire ÿ. Enfin c’est sur les bords de cette forêt que le même roi vainquit les deux chefs Normands Bernon et Sydroc coalisés, et fit de leurs troupes un horrible carnage *. Mais, avec les besoins croissants des populations, les défrichements s'étendirent de siècle en siècle, et aujourd’hui de toute cette im- mense forêt du Perche il ne reste plus que deux massifs domaniaux dans le département d'Eure-et-Loir (les forêts de Senonches et de Châteauneuf) et trois grands massifs appartenant aussi à l’État, dans 1. Præfat. in gest. Francorum ap. D. Bouquet. Historiens de France, t. II, p. 2». 2. Lotharius fugä lapsus usque Perticam sylvam pervenit (Nithard,. Hist., lib. 3.) 3. Carolus partem exercilüs Sequanam trajecit, et in sylvà, quæ Pertica vulgù dicilur, direxit, et Lotharius eum insectari staluit, sed frustrà, nam exercilus Caroli omnis ab eo salvus evasit (Chron. man. du Perche, 1656. Rec. des hist. de France, t. NI). 4. Berno Normannus cum validà classe ingressus est, deindè, junctis viribus, usque ad Perticum salltum plurimam stragem ac depopulationem fecerunt. Quo in loco Carolus rex, eis cum exercilu occurrens, maximd eos strage percussil. (Ibid.) LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 155 l'Orne (les forêts de Bellême, de Réno-Valdieu et du Perche-la- Trappe), plus un certain nombre de forêts et de bois appartenant à des particuliers. Le pays du Perche paraît avoir été érigé en comté au 1x° siècle, sous Louis-le-Débonnaire. Du moins le premier « Comes Pertensis » dont il est fait mention serait un certain Albert ou Agombert, con- temporain de cet empereur, qui prit contre lui le parti de son fils rebelle Lothaire. Ce comté passa ensuite au pouvoir de Pillustre famille des Rotrou, dans la personne de Rotrou [°, comte du Perche et seigneur de Bellême, sous le règne de Lothaire (955). La première capitale du Perche paraît avoir été Corbon. Puis, après la ruine de cette cité, qui n’est plus maintenant qu'un pelit bourg situé près du chemin de fer d’Alençon à Condé, les États du pays se transportèrent à Mortagne * (prieuré de Chartrage), qui de- vint alors la capitale du comté. Toutefois, pendant près de deux siècles, le Bellesmois, capitale Bellême”*, resta distinct du comté du Perche, sous la domination de la puissante maison des Talvas, qui possédait aussi les seigneuries d'Alençon et de Sées, et ne rentra qu’en 1113 dans le domaine des Rotrou, comtes du Perche. En 1226, après la mort de Guillaume, évêque de Châlons, der- nier membre mâle de la dynastie des Rotrou, le comté du Perche fut réuni à la couronne de France par Louis VITE, en vertu d’une tran- saction passée en 1293 entre son père Philippe-Auguste et le comte Guillaume. 1. Aimoin, De gestis Francorum, lib. V, cap. XVI. 2. Le nom de Mortagne, en latin Moritania, dériverait, dit-on, du mot celtique Mawritany (habitation dans une grande forêt), se décomposant ainsi : Wawr, grande, tan, forêt, y, habitation. Un vieux proverbe du pays dit: « Mortagne, ville et château sur montagne. » La date de la fondation de cette ville est inconnue; tout ce qu'on sait, c'est qu'elle existait au v° siècle. 3. Belléme, en latin Bellisma, Bellisrum, Bellissimum oppidum ou castrum. Sa fondation est antérieure au x° siècle. Ge n’était d'abord qu'un château fort. Avant le siège qu'elle eut à soutenir contre les troupes de la reine Blanche de Castille, on pouvait la mettre au rang des plus fortes places de l'Europe. (L. Joseph Fret. Anfi- quilés el chroniques percheronnes, t, LL, p. 2, 3, 257, 258.) 156 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Depuis lors, le comté du Perche, de même que le comté, puis duché, d'Alençon, fut donné plusieurs fois en apanage aux princes de la Maison de France, et réuni de nouveau à la couronne à diver- ses reprises. Le dernier prince apanagiste qui fut duc d'Alençon et comte du Perche était le frère de Louis XVI, le comte de Provence, qui régna plus tard sous le nom de Louis XVII. Enfin le Perche fut réuni pour la dernière fois à la couronne en 1790, par suite de la suppression des apanages. DEUXIÈME PARTIE APERÇU GÉOGRAPHIQUE ET STATISTIQUE Le Haut-Perche : sa situation; ses limites ; aspect général du pays. Le Haut-Perche était, ainsi qu'on l’a vu plus haut, une des divi- sions du pays du Perche, dont il constituait la partie occidentale, — division limitée au nord et à l’ouest, comme le Perche même, par l’Avre et la Sarthe, mais n’ayant du côté de l’est et du sud que des limites absolument arbitraires. C’était purement et simplement une région naturelle, essentiellement montagneuse, dont le nom seul caractérisait la situation. Le Haut-Perche correspondait à peu près à l'arrondissement ac- tuel de Mortagne, moins le canton de Laigle et la partie nord du canton de Moulins-la-Marche qui forma pendant de longs siècles les « marches » de Normandie. C’EST DANS CES LIMITES QUE SERA CIRCONSCRITE LA PRÉSENTE ÉTUDE. Le Haut-Perche se trouve compris à peu près entre 1°30° et 2 de longitude ouest, — 48°10° et 48° 40’ de latitude nord. Supposons un voyageur qui, partant de Laigle, station du chemin de fer de Paris à Granville, suivrait le tracé de la ligne ferrée qui LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 157 joint Laigle à Mamers, en passant par Mortagne. Il gravit d’abord le versant nord de la Rille, puis arrive sur un vaste plateau, qui dé- roule devant lui à perte de vue ses champs de céréales croissant médiocrement sur un sol maigre et sec. Çà et là des pommiers géné- ralement peu vigoureux, et quelques petits massifs de sapin pectiné', appelés dans le pays des « sapets », réussissent à peine à rompre, en l’égayant un peu, la triste monotonie du paysage. Enfin, après avoir ainsi parcouru dix-huit kilomètres, on voit appa- raître la station de Randonnai. Dans un site des plus pittoresques, au burd d’un vallon verdoyant, près des rives d’un étang, on décou- vre, sur la gauche, le petit village du même nom, aux coquettes maisons groupées autour d’un clocher qui pointe vers le ciel sa fë- che en ardoises, village industriel et animé par ses fonderies, sa scierie et sa fabrique de bondes. Au fond du vallon coupant obli- quement le chemin de fer, entre de hauts peupliers, coule un cours d’eau, qui n’est encore qu’un ruisseau et qui traverse l’élang de Randonnaiï: c’est l’Avre, c’est la limite du Perche. La ligne ferrée passe bientôt dans une profonde tranchée, curieuse par sa masse d'argile où fourmillent les blocs de silex, quelques-uns énormes, et, au sortir de cetle tranchée, on aperçoil devant soi, àun kilomètre environ, comme un mur élevé de verdure, la forêt du Perche-la-Trappe. Le chemin de fer la coupe et traverse ensuite la forêt particulière de la Ventrouze. Il convient de remarquer, en pas- sant, la différence frappante qui existe entre les résultats obtenus sur le même point par la gestion des forêts de l’État et par celle des particuliers. Le massif du Perche, conservé avec soin à l’état de fu- taie, montre des arbres plus que centenaires, élevés, vigoureux. Dans le bois particulier, au contraire, ce sont des taillis de chêne envahis par les bois blancs, dont la végétation est généralement lan- guissante et où l’œil attristé n’aperçoit que trop de réserves mortes en cime et des bruyères occupant de nombreuses cluirières. Mais déjà le chemin de fer a quitté les massifs forestiers ; on ar- 1. Ce sapin appartient sans doute à la race qu'on a qualifiée du nom de « sapin de Normandie » ; ici on l'appelle « sapin de Laigle », essence au tissu mo et spongieux, peu estimée. 158 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. rive au bord du plateau que l’on parcourait depuis les hauteurs du bassin de la Rille, et voilà que tout à coup se dresse brusquement devant les yeux un de ces panoramas inoubliables, dont la grandeur saisit l’homme le plus indifférent. Qu'on s’imagine une sorte d’im- mense ovale, dont le grand axe est dirigé de l’est à l’ouest, et dont la courbe est interrompue à ces deux orientations. La partie nord de cette courbe est formée par les coteaux sur lesquels se trouve l'observateur, et dont un des principaux çhaïnons se dirigeant per- pendiculairement vers le sud est couronné par un grand massif boisé, — la forêt domaniale de Réno-Valdieu. En face, là-bas très loin vers le sud, s'étend une autre ligne de coteaux sur lesquels s’allonge un massif forestier plus vaste encore, — la forêt domaniale de Bellême. L’une des échancrures de la courbe, celle de l’est, livre passage à la rivière d’Huine. L'autre, à l’ouest, beaucoup plus large, indique le cours de la Sarthe. Tout l’ensemble du pays limité par ces deux pelites chaînes montagneuses est profondément mouve- menté. On ne voit que vallons où coulent les divers affluents de l’'Huine et de la Sarthe. Ce paysage est vraiment enchanteur, surtout lorsqu'on le contemple au mois de mai. Ce n’est qu’un enchevêtre- ment de taillis, de pâturages, de champs séparés par des haies vives, qu’on nomme « plesses * » dans le pays. Tous ces champs sont plan- tés de pommiers et de poiriers, dont les beaux bouquets de fleurs, les unes rosées, les autres blanches comme la neige, font le plus gracieux effet. Au fond des vallons, de belles prairies, de riches 1. Une mention particulière, pour expliquer ce que l’on entend par « plesses », ne paraît pas hors de propos. Celte façon ingénieuse de créer des haies, qui deviennent à la longue impénétrables, consiste à ouvrir une rigole que l'on remplit de terreau végétal, et dans laquelle on plante, à une distance de 0",60 environ, des plants âgés de 5 à 6 ans, d'essences diverses, mais particulièrement des aunes, bouleaux et saules. On les recèpe au bout de 3 ans. Puis 6 ans après on commence à « plesser », c'est-à- dire que l'on étête de distance en distance, par exemple de mètre en mètre, et à une hauteur variable, en moyenne à 1",30, une partie des brins. Les autres sont entaillés à mi-bois rez terre, pour pouvoir être plus facilement courbés, et on les entrelace autour des brins étêlés. Tous les 8 à 9 ans, suivant les conditions des baux de ferme, les haies ainsi formées sont exploitées. On enlève les bois morts, dépérissants ou sura- bondants, avec lesquels on fait de gros fagots, o1 « cottrets », et l'on plesse de nouveau. — On prétend que c'est du nom de ces haies que l'on doit tirer l'étymologie du mot « Plessis », appliqué à tant de localités de l’ouest. LE HAUT-PERCHE ET SES FORËÊTS DOMANIALES. 159 herbages, dans lesquels s’engraissent de nombreux bestiaux destinés pour la plupart à l'alimentation de Paris, et où l'on élève ces super- bes chevaux percherons, si robustes dans leurs formes athlétiques, dont la réputation est établie jusqu’en Amérique. Puis çà et là au milieu de la verdure se montrent de petites maisons blanches, très basses, aux encadrements de briques, les unes isolées, les autres réunies en hameaux, en villages. Le long des murs, sur loutes les fenêtres des plus humbles masures, on aperçoit des rosiers, des gé- raniums, des œillets, des fuchsias, dont les tons variés charment les veux. Ici l’on adore les fleurs ; on les cultive avec un soin jaloux. Enfin ce splendide tableau est merveilleusement encadré à l'horizon par les masses sombres des forêts domamiales. Tel est l'aspect géné- ral du Haut-Perche. Climat du Haut-Perche. Le Haut-Perche appartient au climat du nord-ouest de la France qu'on est convenu d’appeler « Séquanien » et qui a pour caracléris- tique d’être humide et relativement tempéré ; il occupz à peu près le centre de la région correspondant à ce climat. Néanmoins il ne serait pas exact de dire que ce pays en représente les conditions moyennes, parce que l'altitude vient ici modifier les effets de la si- tuation. Depuis quinze ans, plusieurs stations météorologiques ont été établies dans le Haut-Perche par les soins de la commission scienti- fique de l'Orne : deux dans les villes de Mortagne et de Bellême, trois dans les forèts domaniales. Il est donc possible déjà de réunir un certain nombre de faits intéressants, de nature à mettre en lu- mière les éléments qui constituent le climat du pays dont nous nous occupons. Nous allons les résumer rapidement *. Le vent qui souffle le plus souvent dans le Haut-Perche est le vent du sud-ouest (94 jours), puis vient celui du nord-est (71 jours). Les vents les moins fréquents sont ceux du sud-est (22 jours) et ceux de l’est (21 jours). 1. Ces renseignements sont extraits des Comples rendus de la commission scien- tifique de l'Orne, années 1878 à 1883 inclus. 160 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE Le rapport des jours clairs aux jours couverts est en moyenne pour tout le pays de 0.68. Pour les deux stations agricoles réunies il est de 0.81, et pour l’ensemble des stations forestières de 0.59 seulement. Ce fait, facile à prévoir, étant donnée l'influence bien connue des forêts sur la condensation des vapeurs répandues dans l'atmosphère, se trouve en corrélation toute naturelle avec le suivant. La quantité moyenne d’eau recueillie à l’udomètre par an est pour le pays lout entier de 0.884. Pour les deux stations agricoles consi- dérées ensemble, elle est de 0.827, et pour le groupe des stalions forestières de 0.922. Il est vrai que l'altitude moyenne de ces der- nières est plus élevée d'environ 40 mètres que celles des premières, mais celte différence ne saurait suflire seule à expliquer une diffé- rence de 10 centimètres dans la hauteur des couches d’eau tombées de part et d'autre. Ainsi se trouve confirmée pour le Perche cette loi si bien démontrée déjà par les expériences de l’École forestière de Nancy: la quantité d’eau qui tombe sur une forêt est plus consi- dérable, toutes choses égales d’ailleurs, que celle qui tombe en rase campagne dans la même région. Il est d’ailleurs établi, par les expériences des stations météoro- logiques du Perche, que les vents pluvieux sont surtout ceux du sud-ouest et de l’ouest ; ce qui s’explique facilement, car ces vents produits par le grand courant équatorial, ayant traversé l'océan Atlantique, sont nécessairement chauds et très humides. En raison de l'altitude, le elimat du Haut-Perche participe un peu de la nature des climats montagneux : il est très variable et plus rude qu’on ne pourrait le croire en ne considérant que la latitude et la proximité de la mer. Les variations, mêmes diurnes, y sont sensibles, les extrêmes de température dans l’année sont souvent très écartés. Dans la période de 1878 à 1885 les températures ex- trêmes ont été : Maxima. . . . . 37 degrés, en (881. Minima. . . . . —16 degrés, en 1879 et 1880. Mais ces températures doivent être considérées comme tout à fait exceplionnelles ; il est rare que les maxima dépassent 30 degrés et les minima — 12 degrés. LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 161 La température moyenne annuelle a été de 9°,5. Pendant la période indiquée plus haut, on n’a pas constaté entre les stations agricoles et les stations forestières de différences accen- tuées, tant au point de vue de l'écart entre les températures extrèmes que sous le rapport de la température moyenme, contrairement à ce qui a été observé dans les stations météorologiques de l’École fores- tière de Nancy. Ge fait Lient sans doute à des causes particulières qu'il serait superflu de discuter 1c1. , Le nombre des orages, tant voyageurs que locaux, a élé en moyeune de 30 par an. Depuis douze ans que nous habitons Mor- lagne, nous avons constamment observé que les orages avaient une tendance bien marquée à gagner les hauteurs occupées par nos grands massifs boisés, qui sont situés au nord, à l’est et au sud de celte ville dont ils semblent ainsi s’écarter, bien que son altitude soit sensiblement plus forte que celle des forêts de Bellème et de Réno-Valdieu. Orographie ; hydrographie du Haut-Perche, Le système montagneux qui consutue le relief de ce pays appar- tient à la ligne de partage des eaux de la France, séparant le versant de la Manche de celui de l’océan Atlantique. Ce sont les « coteaux du Perche », dont l'altitude extrême au-dessus du niveau de la mer est ici d'environ 300 mètres (près du village de Bubertré). La cote la plus faible du Perche est d'environ 90 mètres (sur l’Huine, un peu au sud du Theil). L’altitude de Mortagne, ancienne capitale du comté du Perche, située à peu près vers le centre du pays, est de 250 mètres. La ligne de faite des coteaux du Perche, orientée du nord-ouest au sud-est, passe un peu au sud de la limite nord de l’ancien Perche, traversant la forêt du Perche-la-Trappe. Les deux seuls cours d’eau descendant sur le versant nord, qui soient à citer, sont l’Iton et l’Avre. Tous les deux se jettent dans l'Eure, affluent de la Seine, le premier au sud de Louviers, le second un peu au nord de Dreux. De grands travaux sont entrepris depuis quelque temps pour capter les eaux de l’Avre en vue des besoins de ANN. SCIENCE AGRON. — 1892. — 11. 11 162 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Paris. Cette petite rivière prend sa source dans la forêt du Perche- la-Trappe, tout près du bois particulier de Bubertré. Les cours d’eau que l’on rencontre sur le versant sud sont beau- coup plus nombreux que ceux de l’autre versant. Deux d’entre eux sont assez importants la Sarthe, dont le développement est fort si- nueux, et qui se jette dans la Loire aux Ponts-de-Cé, après avoir reçu à Angers la Mayenne ; l’Huine, qui prend sa source à quelques kilomètres de celle de la Sarthe, et qui, s’en éloignant bizarrement, décrit une sorte de demi-cercle pour venir la rejoindre au-dessous du Mans. La Sarthe à pour affluent de gauche, dans le Perche, l’Hoëne ; l’Huine reçoit à gauche la Chippe, la Villette, la Commauche, à droite la Chèvre et la Coudre. La Sarthe et l’Huine ont un débit assez irrégulier, et il n’est pas rare d’avoir à déplorer de fortes inondations qui, survenant mal- heureusement trop souvent au mois de juin, ruinent alors les espé- rances que l’on pouvait fonder sur les magnifiques prairies qu’elles arrosent et que leurs eaux, en se retirant, laissent couvertes de vase. Outre ces cours d’eau et les innombrables ruisseaux qui s’y dé- versent, on trouve quantité d’étangs dans la partie supérieure du Perche, notamment sur le parcours de l’Iton, de l’Avre et de leurs petits affluents. Ces étangs, assez poissonneux, se pêchent générale- ment tous les trois ans. Géologie'; cultures du Haut-Perche. La ligne de faîte des coteaux du Perche sépare les terrains de ce pays d’une façon assez nette : 4° À gauche de cette ligne, en partant de l'ouest, — la constitu- tion géologique est fort simple. C’est, comme nous l’avons déjà dit, un vaste plateau incliné vers le nord-est, et presque exclusivement formé de terrains tertiaires (étage éocène), représentés par l'argile 1. Les renscignements géognosiques donnés dans cel article ont été puisés en grande parlie sur la carte géologique récente dressée par le service des mines. LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 163 à silex remaniée ou non remaniée. Sur les versants, on constate des affleurements de Lerrains crétacés moyens (élage cénomanien) : ce sont les Sables du Perche et la Craie de Rouen, et, au fond des val- lées, des alluvions modernes. 4° À droite, au contraire, — les terrains sont variés et accidentés, et plusieurs lignes de failles compliquent encore la géologie de cette région (près de Moulins-la-Marche, de Mortagne et de Bellême). On rencontre encore l'argile à silex sur le plateau de la forêt de Bel- lème et sur quelques petits plateaux au sud-est, du côté du Theil, au-dessus du cours de l’Huine. Mais dans cette partie ce sont les terrains crétacés et jurassiques qui dominent, savoir : a) Les crétacés moyens (étage cénomanien), qui se subdivisent en Sables du Perche, Craie de Rouen et Glauconie. La Craie de Rouen surtout joue un rôle important dans la constitution géologique du Haut-Perche : elle forme toute la large vallée de l’'Huine, ainsi que les vallées secondaires où coulent les affluents de cette rivière. Il en est de même de la vallée de la Sarthe, mais dans sa partie supérieure seulement. Les alluvions anciennes el surtout modernes forment d’ailleurs le fond même de toutes ces vallées. b) Les terrains jurassiques supérieurs, caractérisés par l'étage Kimméridgien, que l’on remarque au nord et à l’est de Mortagne, à l’est de Bellême et autour de Geton. c) Les terrains jurassiques moyens, dont on trouve ici les trois étages, — Corallien, Oxfordien et Callovien, — le premier large- ment représenté autour de Bazoches, à Mortagne même et aux envi- rons de Bellème, le second, sur le trajet du chemin de fer de Mor- tagne à Alençon, entre la première de ces deux villes et la limite ouest du Perche, ainsi que dans la partie sud-ouest de ce pays, entre Bellème et Mamers. Le terrain Callovien ne se rencontre que sur la limite du Perche voisine de Mamers. Nous n’entrerons pas dans le détail de ces diverses formations au point de vue minéral, nous bornant à dire qu’elles comportent soit des argiles, soit des calcaires, soit des sables, et que ces divers élé- ments sont tantôt purs, tantôt mélangés. Aux environs dela Lrojpee les alluvions sont parfois lourbeuses. 164 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Au point de vue géogénique, une observation importante est à faire. Les argiles à silex, remaniées ou non, du terrain éocène cons- tituant les plateaux culminants des coteaux du Perche, on pourrait peut-être attribuer la formation de ces coteaux à un soulèvement qui se serait produit entre la période des dépôts éocènes et celle des dépôts miocènes, puisque les premiers se trouvent relevés sur les sommets. Quant aux terrains miocènes, ils n’existent pas dans le Perche, mais ils n’en sont pas éloignés, car c’est à ces terrains qu’apparliennent les calcaires et meulières des plaines de la Beauce et les « Faluns » de la Touraine, formés sans doute dans les mers anciennes dont les coteaux du Perche devaient être les falaises. Il est remarquable d’ailleurs que la direction de ces coteaux est sensiblement parallèle à celle des Pyrénées, dont le soulèvement est considéré comme ayant eu lieu à l’époque que nous venons d’in- diquer ‘. Ajoutons que les terrains éocènes ayant disparu dans l'intervalle des plateaux dont nous avons parlé plus haut, il semble qu’on ne peut attribuer ce fait qu’à une vaste action de dénudation exercée par les eaux de la mer éocène, qui, en se retirant après le soulève- ment, auront laissé à nu ici les Sables du Perche, là les autres étages crétacés, ailleurs enfin les terrains jurassiques. La variété des formations géologiques du Perche entraine et ex- plique la variété des produits qu’on y récolte. Les herbages y sont très développés, favorisés qu’ils sont par la nature plus ou moins argileuse de la majorité des terrains et par l’humidité du climat; ils existent du reste aussi bien à flanc de coteau et sur les plateaux que dans le fond des vallées. Dans ce dernier cas abondent particulière- ment les prairies naturelles. Les céréales sont cultivées principale- ment sur les plateaux d’argiles à silex suffisamment marnés, sur la Craie de Rouen et dans les plaines oolithiques. Les pommiers et 1. Toutefois, un géologue du pays croit que, sans recourir à l'hypothèse des soulè- vements, il serait possible d'expliquer la formation des coteaux du Perche par l’action dénudante des eaux, qui, creusant les vallées dans les terrains préexistants, auraient par là même déterminé le relief de notre région. Mais l'existence de failles importantes témoigne de dislocations qui semblent pourtant s'accorder assez bien avec l'hypothèse «un soulèvement. LE HAUT-PERCHE ET SES FORËÈTS DOMANIALES. 165 poiriers à cidre sont plantés à peu près partout, mais particulière- ment sur la Craie de Rouen, la Glauconie et les étages Oxfordien et Callovien. Enfin les bois se développent sur les argiles à silex, les graviers anciens des vallées et les sables du Perche; toutefois ces derniers terrains conviennent surtout aux pins. Population du Haut-Perche. Le dénombrement fait en 1891 donne à l’arrondissement de Mor- lagne tout entier une population de 95953 habitants. En retran- chant de ce nombre la population de Laigle et de Moulins-la-Marche, on obtient pour le Haut-Perche, qui seul fait l’objet de cette notice, environ 76 000 habitants. Lors du dénombrement de 1889, la population de larrondisse- ment de Mortagne était de 100032 habitants, celle du Haut-Perche d'environ 81 000. Ces chiffres accusent donc pour la dernière période décennale une diminution de 6 p. 100 dans la population, ce qui n’a rien de sur- prenant étant donnée l'attraction trop connue de la capitale qui se trouve relativement peu éloignée de notre pays. Superîicie territoriale ; répartition de cette superficie‘. La superficie territoriale du Haut-Perche est d’environ 139 852 hectares. Elle se répartit comme suit : HECTARES. Jardins, vergers et autres terres de qualité supérieure. . . 2 | Terres labourables (y compris les propriétés bâties) . . . . 102041 Prés et herbages. : 29 347 Bois (y compris les forêts de l État) 261091 Landes et pâtures è JB Étangs, marces, carrières, le. 377 Propriétés non imposables (non compris 1 forêts 4 P État). en © [er] 159 852 {. Situation au 1° janvier 1884, d'après les documents fournis par l'administration des contributions directes. 166 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Il résulte de ces renseignements que dans le Haut-Perche : 1° La superficie boisée atteint 16 p. 100 de la superficie totale du territoire : cette proportion est presque celle de la France entière, qui est de 17 p. 100 ; 2 La superficie des forêts de l'État est de 26 p. 100 de la superfi- cie boisée totale, proportion très supérieure à la moyenne pour toute la France, qui est à peu près de 11 p. 400; 3° La superficie boisée par tête d’habitant est de 34 ares, bien plus élevée aussi que la moyenne pour l’ensemble de la France, qui est d'environ 29 ares. Élevage des chevaux. On ne saurait parler du Perche sans dire quelques mots de sa magnifique race de chevaux de trait. En 1883 il s’est fondé, à Nogent-le-Rotrou, une société hippique, dont la sphère d’action embrasse tout l’ancien Perche. Elle s’est pro- posé pour but de maintenir la pureté de la race percheronne par la formation d’un « Stud-Book » (livre généalogique) et d'encourager le perfectionnement de l’élevage au moyen de concours dans les- quels se décernent de nombreuses et fort belles primes. Déjà les éleveurs des États-Unis, désireux de donner plus de corps aux chevaux dont ils se servent, avaient compris l'importance que leur offrait sous ce rapport la race percheronne. Ils venaient enlever chez nous depuis plusieurs années, à prix d’or, les plus beaux étalons ; puis, lorsqu'ils furent suffisamment approvisionnés, ils créèrent, avec un Stud-Book spécial, une société hippique per- cheronne qui entretient avec la nôtre les relations les plus cor- diales. Le nombre des chevaux inscrits sur le Stud-Book de la société française dépasse déjà 39 000 depuis huit ans, dont un cinquième environ pour le Haut-Perche. Les-prix des étalons de choix sont souvent fort élevés. Sans parler du chiffre de 24000 fr. qui a été atteint exceptionnellement, on arrive encore aujourd’hui parfois à 8 000 fr. pour des chevaux âgés de 3 à 4 ans. En 1891, 16 étalons percherons ont été vendus à Mortagne LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 107 pour le service des baras; le total de la vente était de 62000 fr. ; les prix variaient de 3 000 fr. à 6 000 fr. En 1899, 16 étalons de même race ont été également vendus à Mortagne pour le même service au prix total de 62000 fr.; les prix ont varié de 3 000 à 5 500 fr. Voies de communication. Le Haut-Perche n'a rien à désirer au point de vue des voies de . communication. Îl existe d’abord deux grandes lignes ferrées à double voie, l’une au nord (chemin de fer de Paris à Granville), qui passe à Laigle, l’autre au sud-est (chemin de fer de Paris à Brest) passant à Condé et au Theil. Trois autres lignes à simple voie, com- muniquant avec les deux précédentes, coupent ce pays en tous sens, avec Mortagne comme nœud central. Ce sont : les chemins de fer de Condé à Alençon, de Mamers à Laigle et de Mortagne à Sainte-Gau- burge. Quatre routes nationales traversent le Haut-Perche : La route n° 12, de Paris à Brest, par Mortagne ; La route n° 93, de Paris à Nantes, par le Theil ; La route n° 138 bis, de Mortagne au Mans ; La route n° 159, d'Orléans à Saint-Malo. Ces deux dernières passent par Bellèême. Qu'on ajoute à ces grandes artères an réseau de chemins vicinaux de toutes sortes, chemins de grande communication, d'intérêt com- mun, de petite vicinalité, — réseau complet et fort bien entretenu, tel que dans nos nombreuses pérégrinations en France, nous ne croyons pas en avoir Jamais rencontré de plus satisfaisant, on com- prendra dès lors facilement quelle doit être la richesse d’un pays aussi bien desservi et dont le centre n’est éloigné que d’environ 170 kilomètres de Paris. 168 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. TROISIÈME PARTIE FORËTS DOMANIALES Le Haut-Perche comprend trois grands massifs de forêts doma- niales : Bellême*, Réno-Valdieu, Le Perche-la-Trappe. Avant d'examiner leur situation actuelle, leurs ressources, leur avenir, 1l nous à paru intéressant et utile d’en faire l’objet d’une étude rétrospective. Qui ne s'intéresse, en effet, à l’histoire de sa famille? Or les anciens forestiers ne sont-ils pas nos ancêtres? Ils ont travaillé, peiné comme nous, dans les mêmes régions; et, l’imagi- nation aidant, on arrive à se les représenter exerçant leur intelli- gence dans le même champ d'observations, employant d’autres mé- thodes, mais se proposant le même objectif qne nous: l’intérêt de l’État, le bien de la Patrie. Il est d’ailleurs une autre considération plus sérieuse qui motive l'utilité d’une pareille étude. L’art du forestier est basé sur l’expé- rience.. Mais 1l n’a pas, comme l’agriculteur, la bonne fortune de pouvoir constater d’une façon complète les résultats de ses opéra- tions. La culture agricole donne des produits à brève échéance, la forêt ne fournit les siens qu’à long terme. Il n’est donc pas sans intérêt pour nous de rechercher quels ont été autrefois les divers 1. Le plus important débris de la grande forêt du Perche est la forêt de Bellême, qui dut jadis ne faire qu'un avec la forêt de Réno, située au nord-est, et qui n'en était séparée que par l'Huîne. Elle est mentionnée sous le nom de Foresta Ballismi sur les comptes de saint Louis en 1238. La forêt de Bellêéme se lia originairement à celle de Perseigne. (A. Maury, Les Foréts de la Gaule el de l'ancienne France, p. 298.) LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES, 169 traitements auxquels ont élé soumises Les forêts que nous gérons aujourd’hui. Il est vrai que nos archives sont malheureusement incom- plètes, il est vrai que les faits n’élaient pas recueillis anciennement avec le soin, la précision scientifique que nous apportons actuelle- ment à nos travaux; mais néanmoins on peut encore puiser dans les vieux documents des données de nature à nous guider dans notre gestion. Nous étudierons donc successivement : 1° Le passé des forêts domaniales du Haut-Perche, 2° Leur état actuel, 9° Leur avenir. Toute histoire forestière, pour satisfaire pleinement l’esprit, de- vrait embrasser, ce semble, trois questions : le but de la gestion, c’est-à-dire les produits en matière et en argent réalisés, les mé- thodes employées (culture et aménagement) et l’instrument de la gestion, c'est-à-dire l’organisation du personnel. Malheureusement les documents dont nous disposons ne renferment pour le passé presqu’aucun renseignement sur la première question el ceux qui se rapportent aux deux autres sont loin d’être complets. ÉTAT ANCIEN DES FORÊTS DOMANIALES DU HAUT-PERCHE Organisation forestière jusqu’en 1790. Nous ne possédons aucun document nous permettant d'affirmer quelle était l’organisation forestière dans le Haut-Perche sous le ré- gime des comtes. Comme on l’a vu dans la première partie de ce travail, les forêts occupaient alors une superficie considérable, et, leurs produits étant infiniment supérieurs aux besoins des popula- 1. Les renseignements figurant sous ce titre ont été en général extraits des {cles de la Réformation de 1665. 170 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. ions, la nécessité d’une surveillance et d’une gestion régulière ne dut se faire sentir que fort tard. Mais après la réunion du Perche à la couronne de France, au commencement du xt siècle, il est vraisemblable que ce pays ne tarda pas à recevoir l’organisation forestière qui existait dans les autres provinces du domaine royal *. Voici comment elle était établie en 1560, ainsi que le montre un procès-verbal de description de forêts et de règlement, du 8 décem- bre 1560 : À Mortagne : (Pour les forêts du Perche et de Réno *.) 4 maître parliculier des eaux et forêts du Comité ; 1 procureur du Roi; 4 avocat ; 1 verdier ; Plus 2 sergents gardes pour le Perche et 2 sergents gardes pour Réno. 1. C'est de Philippe-Auguste que datent les premières ordonnances sur les forêts. L'ordonnance de Philippe-le-Long, de 131S, organisa les sergents dans les forêts royales. L'ordonnance de Philippe-le-Bel, d'août 1291, mentionnant pour la première fois les maîtres des eaux et forêts, c'est à cette époque que l'on fait remonter l'organisation de la juridiction forestière. En 1333, la constitution du service des eaux et forêts fut revisée : aux baillis et sénéchaux on attribua la surveillance des rivières et étangs, et les maîtrises ne conser- vèrent plus dans leur département que les bois, jusqu'en 1346, époque à laquelle elles recouvrèrent le service des eaux. Le Domaine fut alors réparti en 10 maîtrises. Plus tard, Charles V réduisit le nombre des maîtres des eaux et forêts. Une ordonnance de mars 1543 prescrivit aux officicrs forestiers une inspection fréquente et régulière des forêts. Elle définit les fonctions de maîtres, verdiers, gruyers et sergents. (A. Maury, Les Foréls de la Gaule ct de l'ancienne France, p. 140, 141, 142, 143, 435.) 2. Les forêts de la Trappe et du Valdieu, qui forment actuellement massif, la pre- mière avec la forêt du Perche et la seconde avec celle de Réno, étaient alors des propriétés monastiques. La forêt de la Trappe fut cédée en partie par Rotrou II, dit le Grand, comte du Perche, aux moines Cisterciens, lorsqu'il fonda la Grande-Trappe en 1140; le reste de cette forèt leur fut abandonné en 1220 par Guillaume, évêque de Chälons et comte du Perche. La forêt du Valdieu fut affectée aux Chartreux par Rotrou IV, fils de Rotrou I, fondateur de la chartreuse du Valdieu en 1170. LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES, (V4 À Bellème : (Pour la forêt de Bellème et le Buisson de Dambray ‘.) À lieutenant des eaux et forêts ; À procureur du Roi; 1 avocat ; À verdier ; Plus 1 sergent fieffé et 4 sergents gardes ; auxquels étaient adjoints, pour le premier groupe, Î receveur et 4 commis au contrôle du domaine, pour le second groupe, 1 con- trôleur du domaine. Il résulte d’un second procès-verbal de description de la forêt de Bellême, du 4 novembre 1661, qu'il avait été créé une nouvelle charge pour cette forêt, celle de « garde-marteau ». Par contre, on ne voit plus figurer d'avocat dans le corps de la maîtrise ; et, d'autre part, dans cet acte, de même que dans un procès-verbal précédent, du 15 mai 16492, le chef de la maîtrise ne porte plus que le titre de maiîlre particulier des eaux et forêts de Bellême, ce qui suppose qu’à cette époque déjà la maïtrise des eaux et forêts du Haut-Per- che avait été dédoublée?. C’est ce qui résulte ensuite clairement des divers actes de la Réformation de 1665. A cette dernière date le service forestier était composé comme il suit: Maitrise de Bellème : (Forêt de Bellême et Buisson de Dambray.) 1 maître particulier ; 1 lieutenant, À procureur du Roi; 1 garde-marteau ; 1 greffier ; 1 sergent fieffé-traversier ; 4 sergents gardes. 1. Le « Buisson de Dambray » était un bois d'environ 90 hectares, qui a été aliéné, en vertu d'une loi de 1817, le 28 décembre (818. 2. D'après les renseignements qu'a bien voulu nous fournir M. l'inspecteur des forêts Cochon, qui a laissé à Alençon la réputation d'un chercheur infatigable et d'un érudit consommé, ce dédoublement de la maîtrise du Perche aurait été le résultat d'un édit de janviér 1583, qui aurait en même temps créé des offices de gardes-marteaux à Mortagne et à Bellême. 172 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Maitrise de Mortagne : {Forêts du Perche et de Réno.) 1 maître particulier ; 1 lieutenant ; 1 procureur du Roi; 1 garde-marteau ; 1 greffier ; 1 sergent collecteur ou traversier ; 4 sergents gardes. On remarquera que la charge de verdier avait été supprimée. Le maître particulier était, comme on le sait, le chef du service forestier, ce qu'est actuellement l'inspecteur; mais 1] cumulait en même temps les fonctions de président du tribunal forestier de pre- mier ressort, tant au civil qu’au criminel. Le lieutenant de la mai- trise n’était que le suppléant du maître; mais 1l est à croire que ses fonctions étaient loin d’être une sinécure, du moins avant la Réfor- mation de 1665, les maîtres des eaux et forêts ne paraissant pas se faire remarquer par une grande assiduité à leur résidence offi- celle. Le procureur du Roi était chargé d’assurer l’exécution de toutes les lois et de tous les règlements administratifs en matière d’eaux et forêts, et devait prendre à cet égard toutes les réquisitions de droit. Le garde-marteau remplissait à peu près les fonctions de nos sardes-vénéraux actuels, et le sergent traversier ou collecteur celles de nos brigadiers, Dans chaque maitrise un receveur du domaine était chargé de la perception des produits de toutes sortes : c'était le Lrésorier de la maitrise. ) Les maïîtrises de Bellème et de Mortagne furent d’abord placées sous l’autorité du grand-maître des eaux et forêts résidant à Rouen, comme on le voit par une ordonnance de celui-ci, datée d’Alen- çon, 11 août 1998, et prescrivant de lui adresser à Rouen les états des terres fieffées dépendant des forêts du Perche et de Réno ainsi que les états des constructions élevées sur les lisières de ces forêts. LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES, lt2 Plus tard, en 1703, lorsque la grande-maiîtrise d'Alençon fut créée, c’est à celle-ci qu’on fit ressortir les maïtrises du Perche . Cette organisation s’est maintenue telle que nous venons de l’ex- poser jusqu’en 1790. Situation des forêts domaniales sous le régime des comtes du Perche, et, après la réunion du comté à la couronne de France, jusqu’au xvi® siècle. L'histoire du Perche nous apprend qu’un grand nombre de droits d'usage furent concédés par la libéralité des comtes dans les fo- rêts qui leur appartenaient, soit aux populations qui venaient se orouper dans le voisinage, soit à divers établissements religieux ou de bienfaisance, sans parler de l’abandon en toute propriété qui fut fait d’une partie de ces forêts à quelques-uns de ces établis- sements. Nous allons donner un bref résumé de ces diverses donations et concessions. Déjà nous avons indiqué plus haut, en note, la cession des forêts de la Trappe et du Valdieu à des ordres monastiques. Au xrr° siècle, Rotrou IT favorisa la fondation du prieuré de Chéne- Galon par des religieux de l’ordre de Grandmont, qu'on appela les « Bons hommes » (hommes de bien, par excellence, « Boni homines de quercus Galonis »), et leur céda une partie de la forêt de Bel- lême. Le même accorda, par une charte de 1118, à l’abbaye de Ti- 1. La grande-maîtrise d'Alençon fut établie par un édit de mars 1703, démembrant celle de Caen ; cette dernière remontait à février 1689. (Renseignements dus à M. l'ins- pecteur des forêts Cochon.) Le nombre des sièges de grands-maîtres était le même que celui des juridictions dites des « Tables de marbre », qu'ils présidaient. La première fut créée à Paris; on en ignore l'origine. Louis XII établit la seconde, en 1508, au parlement de Rouen. Henri II en institua 6 nouvelles, en 1554, à Toulouse, Bordeaux, Aix, Dijon, Grenoble et Rennes, en donnant aux grands-maîtres { lieutenant et en leur adjoignant 4 con- seillers ou avocats et 1 procureur du Roi. Le nombre des grands-maîtres fut porté en 1689 à 16, et en 1720 à 18. (A. Maury, Les Foréts de la Gaule et de l’ancienne France, passim.) —_ 174 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. ron ‘ un droit d'usage au bois de construction et au bois de chauf- fage, ainsi que les droits de panage et de pâturage dans les forêts de Bellème, du Perche, de Réno et autres bois du comté. En 1217, Thomas Rotrou accorda aux religieuses de l’abbaye Gistercienne des Clairets, près de Nogent-le-Rotrou, « leur usage dans tous les bois et forêts appartenant aux comtes du Perche », c’est-à-dire, ajoule la charte, € qu’elles pourront y prendre le bois vif pour bâtir et le bois mort pour leur chauffage ». — Ce privilège fut ratifié en 1283 par Pierre, cinquième fils de saint Louis, comte du Perche. La même année 1917, Thomas Rotrou concédait au prieuré de Saint-Martin du Vieux-Bellème, occupé par des moines de Marmou- tier, le droit d'usage au bois de chauffage dans la forêt de Bellême, en stipulant qu'ils pourraient «en emporter chez eux la charge de quatre ânes trois fois par Jour ». La charte de concession entrait dans divers détails d'exécution, et renouvelait aux moines dudit prieuré, pour en jouir à perpétuité, la faculté qu’ils avaient obtenue des pré- décesseurs du comte Thomas de faire paire dans la forêt de Bel- lême « 2 cavales et 6 bœufs ». Troisième charte de 1217, donnant aux religieux Augustins de la léproserie de Chartrage-lès-Mortagne le droit de prendre chaque jour dans la forêt de Bellème « autant de bois mort pour le chauf- fage de leur maison que quatre ânes en pourraient porter ». En 1291, Guillaume, évêque de Châlons, comte du Perche, octroie aux religieuses des Clairets, doat il a été déjà question plus haut, « la permission de mettre paître 50 porcs dans tous ses bois et forêts du comté ». Puis, c’est saint Louis qui, en qualité de comte du Perche, con- cède plusieurs droits d'usage analogues aux précédents : En 1256, aux € Mathurins de Saint-Éloi de Mortagne » (Trinitaires ou Pères de la rédemption des captifs) la faculté de prendre dans la 1. Cette abbaye, fondée en 1109 non loin de Nogent-le-Rotrou, devint célèbre plus tard. Les Bénédictins y établirent un cotiège et une école militaire qui furent fréquentés non seulement par des élèves français, mais encore par des Anglais, des Allemands, et même par des jeunes gens venus des colonies françaises d'Amérique. (L. Joseph Fret, Antiquités et chroniques percheronnes.) LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 175 forêt de Bellême, « trois charretées de bois tirées à trois chevaux chaque semaine » ; En 1957, aux « administrateurs de la Maison-Dieu de Mortagne » le droit « de faire prendre chaque semaine, dans la même forêt, 2 .charretées de bois à deux chevaux pour le chauffage des pauvres malades », quantité qui, peu de jours après, fut portée à trois char- retées pour chaque semaine. Charles de Valois, troisième fils de Philippe IE le Hardi, qui avait reçu en 1293 de son frère aîné, Philippe-le-Bel, à litre d’apanage, les comtés du Perche et d'Alençon, concède en 1295 une charte ainsi hbellée : « Faisons savoir que de nouvel avons octroyé à toujours mais es ménagers des paroisses qui s’en suivent, c’est à savoir les paroisses de Thorouvre, de Bibertré, de l’Aventrouse, de la Poterye, de Nor- mandel, Randonnay, Brésolette et Gontrebis leur useige en notre fo- rêt du Perche. » Suit la détermination du droit d'usage comprenant à la fois le pâturage pour les bêtes aumailles surannées et leurs sui- vants non surannés, ainsi que la faculté de ramasser le bois sec et gisant. En 1329, Charles IT, comte du Perche, accordait aux moines de la Trappe le droit de prendre dans la forêt du Perche le bois vif né- cessaire à leurs constructions, le bois mort pour leur chauffage et de plus la faculté de faire paître leur bétail dans cette même forêt et d y prendre la litière dont ils auraient besoin pour leurs animaux. Charles IIT, duc d'Alençon et comte du Perche, donna aux reli- gieuses de Saint-François de Mortagne 20 cordes de bois à prendre, chaque année, pour leur chauffage, dans les forêts du Perche et de Réno. Les moines de la chartreuse du Valdieu avaient obtenu des com- tes du Perche la faculté de faire paître leurs chèvres dans la forêt de Réno; mais, en 1349, Marie d'Espagne, comtesse du Perche, ra- cheta ce droit contre plusieurs autres donations. D’autres droits d'usage, au sujet desquels nous n’avons pu re- trouver de détails, furent accordés à diverses époques : usages au bois de chauffage dans les forêts de Bellème et du Perche aux reli- gieuses de Sainte-Claire de Mortagne ; — au bois de chauffage dans 176 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. les forêts du Perche et de Réno, en faveur de l’Hôtel-Dieu de Mor- tagne ; — au bois de chauffage dans la forêt de Réno, en faveur des religieux du prieuré de Chartrage ; — droits du même genre dans la forêt du Perche, pour les seigneurs de Tourouvre et de la Ven- trouse ; — droit de pâturage dans la forêt-de Réno, en faveur du prieuré de la Madeleine ; — enfin droit au bois sec et gisant et droit de pâturage dans la même forêt concédé au seigneur de la Frette et du Quay ainsi qu’aux habitants de cette dernière localité. Les nombreux droits d’usage que nous venons d’énumérer, et peut-être d’autres dont nous n’avons pu découvrir la trace, engen- drèrent de graves abus contre lesquels durent réagir, comme nous le verrons plus loin, les réformateurs de 1665. Et maintenant on peut se demander quel fut anciennement le mode de traitement appliqué aux forêts qui appartenaient aux com- tes du Perche. Le système d’exploitation qui devait se présenter naturellement à l’esprit pendant la période qu’on pourrait appeler l'enfance de lart forestier, c'était le jardinage. Dans une région couverte de forêts comme le Perche et qui ne comptait d’abord que des agglomérations peu nombreuses, on ne devait exploiter que les arbres dont on avait besoin, soit pour les constructions, soil pour les industries très primitives qui existaient alors, soit pour le chauf- fage. Tel fut précisément le premier mode de trailement en usage dans les forêts du Perche, comme le montre la lecture du « procès- verbal de description des forêts du comté du Perche et de règle- ment fait pour les coupes et administration d’icelles, confirmé par lettres-patentes du roi Charles IX, de l’année 1561 ». Il y est fait mention en effet, à propos des forêts de Réno et du Perche, de can- tons jusqu'alors furelés. Peut-être celte expression paraîtra-t-elle singulière appliquée à des futaies de chêne et hêtre, alors que, dans la technologie actuelle, on ne l’emploie que pour les taillis de hêtre situés en montagne. Mais si l’on se reporte au sens général du mot « fureter », on comprendra facilement qu’on ait pu désigner succes- sivement par ce terme des opéralions qui, quoique faites dans des forêts d’allures très différentes, ont pour objet identique d’exploiter des arbres ou des brins individuellement, par opposition à celles qui embrassent des surfaces déterminées. LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 117 Du reste, on trouve dans le procès-verbal précité une phrase qui ne peut laisser le moindre doute sur cette interprétation. Le maître réformateur des eaux et forêts, rendant compte de sa visite dans la forêt de Réno, s'exprime ainsi : « En plusieurs triages elle est furelée et dépopulée, notamment sur les rivages, pour ce que dw passé, et auparavant l’usage de . faire la vente des bois par arpent, ainsi qu’il est aujourd'hui pra- tiqué, les plus beaux et meilleurs arbres ont élé choisis el pris. » On voit en même temps par là que, dès le milieu du xvr° siècle, le mode d’exploitation à tire et aire ou par contenance aurait rem- placé le système du furelage ou jardinage. Règlement d'exploitation des 8-12 décembre 1560. Louis Petit, « écuyer, maître particulier et capitaine des eaux et forêts des bailliages de Chaumont et Saint-Dizier, commissaire de par le Roi, pour faire la visitation, règlement et réformation des bois et forêts de la comté du Perche », après avoir fait arpenter par les frères Guérin, « arpenteurs-jurés », les forêts de Bellème, de Réno et du Perche, procéda personnellement en 1560 à la visite complète de ces forêts, assisté de tous les officiers de la maîtrise. La superficie des trois forêts était établie comme suit par les ar- pentages qui venaient d’être effectués : ARPENTS. HECTARES. ? HeHEMe es dc 4 896,791 soit 2 500,79 TC PCR ÉD A CC 1 55,24 947,47 DePercher + 4430" 3 816,75 1949,21 10 568,78 5 397,47 Sans vouloir suivre le réformateur dans les détails de sa descrip- on, nous nous bornerons à y relever deux faits importants : 1° La prédominance du hêtre sur le chêne dans la forêt de Bel- lème. — C'est le contraire qui a lieu actuellement ; il est vrai que la main du forestier n’est pas étrangère à ce résultat ; 1. L’arpent des eaux et forêts vaut en hectares 0h 512 07°. ANN. SCIENCE AGRON. — 1892, — 11. 12 178 . ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 2° Les abroutissements considérables causés dans les trois forêts par les bestiaux. A la suite de la reconnaissance consciencièuse qui fut faite, comme nous venons de le dire,‘intervint un règlement général d’exploita- tion pour les trois forêts, qui fut approuvé par ordonnance royale. On distinguait dans ces forêts quatre parties qui devaient être trai- tées de la manière suivante : 1° Haute futaie. NOMBRE CONTENANCE ‘de réserves FORÊTS,. RÉVOLUTION, de la par arpent Lu (plus les coupe annuelle. pieds corniers). Aus. Arpents. Belleme mens 150 20 10 RNA OMTIEMERS 100 10 122 Le Perche , . . 150 15 10! . On recommandait de choisir pour « étalons » (réserves) de préfé- rence des chênes, et, à défaut de cette essence, des hêtres, et de les marquer avant la vente, « avec considération de leur assiette, de façon qu’ils ne fassent trop d’ombrage et empêchement l’un à l’autre et au rejet qui croilra dessous ». | Aux coupes de futaie doit succéder, dix ans plus tard, le rece- page « du jeune bois qui aura recrü et rejeté, en réservant tous les chêneaux et fouteaux de brin et pied... pour réunir les triages ainsi réduits en taillis aux autres bois de pareille nature et d’iceux en- semblement réglés en faire vente et coupe ordinaire... suivant l'ordre qui sera ci-après déclaré pour les coupes de bois taillis ». 2% Bois rabougris et mal plantés. COXTENANCE FORÊTS. ROTATION. de la coupe annuelle. Ans. Arpents. Bellémertan set ue Mete 20 63,9 RON SE ASC Rae: » » Dé AerChe eee EAST id. 37,0! 1. Par ordonnance du trésorier général de France et contrôleur général des finances du prince apanagiste frère du Roi, en date du S octobre 1581, le nombre de réserves fut réduit à 10 pour la forêt de Réno et à 8 pour celle du Perche. La mêm2 ordonnance réduisait la coupe annuelle de bois rabougris et mal plantés, dans la forêt du Perche, à 15 arpents. LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 179 Cette seconde catégorie de coupes devait consister dans le rece- page de tous les « bois abroilis » et l'exploitation de six arbres, en moyenne, par arpent, pris parmi les plus vieux, en réservant les arbres de futaie encore verts ainsi que les brins ou les rejets bien venants, chêne et hêtre. Ces coupes devaient être mises rigoureu- sement en défens, et former deux rotations successives de 20 ans, après quoi, il serait statué sur le traitement, — futaie ou taillis, — qu’il conviendrait de leur faire subir. 9° Bois taillis et ventes non recepées. CONTENANCE D TTIPT FORÊTS. EUASTIOSE de la baliveaux réservés coupe ‘annuelle, par arpent. Ans. Arpents. ATEN TN NN NE 10 42 20 RÉ A id. 37,5! id. ge LEONE MERE à id. 42,51 id. Il était expliqué que l’on réserverait dans les coupes les anciens « encore verts et portant fruits », ainsi que tous les modernes. Ces coupes devaient être continuées jusqu’à ce que lesdits triages fussent « entièrement repeuplés de gros arbres et en nombre sufli- sant, pour être réputés bois de haute fulaie ». Les possibilités indiquées ci-dessus ne s’appliquaient qu'aux can- tons qui se trouvaient déjà à l’état de laillis. Quant aux ventes non recepées, on devait les soumettre exactement au même traitement lorsque le recrû attemdrait l’âge de 10 ans, pour les joindre ensuite aux taillis. Ë 4 Landes, bruyères el lieux dépopulés. — On prescrivait de re- ceper toutes les parties de ces landes qui étaient encore boisées et de les mettre en défens, en ayant soin d’ouvrir des fossés sur tous les points du périmètre où il n’en existait pas et de faire curer les anciens. Puis, une fois ces cantons repeuplés, on devait les réunir aux triages de taillis. : L ] 1. Une nouvelle ordonnance du trésorier général! de France, du 22 octobre 1581, réduisit la contenance de ces coupes annuelles de taillis à 30 arpents pour la forêt de Réno et à 40 arpents pour celle du Perche. 180 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Le règlement d'exploitation se termine par l'indication sommaire de l’ordre dans lequel devront être faites les coupes des diverses ca- tégories, en énumérant les cantons qui devront être successivement attaqués. On recommande de faire ces coupes de proche en pro- che, «à tir et ayr, sans intermission d’autres triages ». Enfin on enjoint de laisser le long de toutes les routes, pour les rendre plus apparentes, des lisières de bois d’une largeur de 2 per- ches, soit 14",29 *. Ce règlement d'exploitation, terminé les 8 et 12 décembre 1560, et approuvé par lettres-patentes du roi Charles IX, le 43 juin 1561, réalisait un progrès incontestable pour l’époque à laquelle il fut éta- bli. Au point de vue cultural d’abord, on voit que l’auteur du rêgle- ment a essayé d'assurer, autant que possible, la régénération en bonnes essences. Il est évident, d’ailleurs, que dans des forêts où l’on cherchait à faire prédominer le chêne, « essence de lumière », le système à tire et aire, malgré ses défauts bien connus, était très supérieur à l’ancien furetage ou jardmage. Nous voyons apparaître déjà, dans ce règlement, la curieuse théo- rie des anciens forestiers, qui pensaient que l’on devait faire alterner le taillis avec la futaie. Au point de vue de l’aménagement, bien que la question soit encore à l’état rudimentaire, on en voit pondre pourtant les princi- paux éléments : révolution, — nature, quotité et ordre des exploi- tations. Seulement la révolution est ici déterminée d’une façon abso- lument arbitraire ; et l’on ne s'explique pas comment; pour une forêt comme celle de Réno, située dans les meilleures conditions de production, l’auteur du règlement de 1561 à cru ne pouvoir adop- ter qu’une révolution de 100 ans, alors qu'il fixait avec raison la révolution à 190 ans pour les deux autres forêts. On peut remarquer d’ailleurs qu’il ne s’est nullement préoccupé d'assurer une production régulière et soutenue. Quoi qu’il en soit, ce règlement d’exploitation offrait le grand ° . 1. Plus tard, par ordre du Roi et « pour conserver le plaisir de ses chasses », une ordonnance du grand-maître des eaux et forêts, du 14 août 1598, porta la largeur de ces lisières ou « haies » à 3 perches, c'est-à-dire 21°,44. C LE HAUT-PERCHE ET SES FORÈTS DOMANIALES. 181 avantage de ramener un certain ordre dans les exploitations, à la place du désordre et de la confusion la plus complète qui avaient régné jusqu'alors dans la gestion de nos forêts et que l’auteur du règlement a soin de signaler. Réformation de 1665. Un siècle s’était écoulé depuis la date du règlement d'exploitation que nous venons d'étudier, sans apporter, semble-t-il, aucun chan- gement radical à la gestion des forêts du Perche. Pendant cette lon- gue période nous ne trouvons, en fait d’actes forestiers, que trois procès-verbaux de visite de la forêt de Bellème, en 1599, en 1642 et en 1661, rédigés par les officiers de la maîtrise, et dont l’objet était de rendre compte de la situation de cette forêt, au triple pont de vue des exploitations, des limites et de l’exercice des servi- tudes qui la grevaient. Rien de bien intéressant, d’ailleurs, à re- lever dans ces divers actes, sauf quelques propositions résultant du procès-verbal descriptif de 1599, que nous résumerons briè- vement. En raison de l’avilissement du prix des bois, tenant, d’une part, à l’absence de forges, fourneaux, verreries el autres débouchés, et, d’autre part, à l'abondance des produits ligneux que l’on trouvait dans le pays, le maître des eaux et forêts proposait de réduire : 1° Les coupes ordinaires de haute futaie à 15 arpents (au lieu de 20) ; 2% Les coupes de bois « mal plantés » à 10 arpents (au lieu de 65,5); 3° Les coupes de taillis et recepage à 25 arpents (au lieu de 49). , On constatait dans le même procès-verbal que par suite de la « ferme de quelques avenages » rapportant au Roi, par an, 15 écus seulement, les besliaux des riverains occasionnaient à la forêt un préjudice évalué à 500 écus, et l’on proposait avec raison la résilia- tion d’une ferme aussi dommageable. Ces diverses propositions furent-elles approuvées? (C’est ce que nous Ignorons. 182 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. | : Nous arrivons enfin au grand siècle et au grand ministre. Le fils du marchand de draps de Reims, qui, après avoir été commis, puis clerc de notaire chez le père du poète Chapelain, s’était élevé suc- cessivement, par ses rares facultés et sa puissance de travail, jusqu’à la haute position de contrôleur général, autrement dit de ministre des finances, Colbert, embrassait déjà d’un coup d’œil génial, toutes les branches de l’administration. Il avait compris toute l’importance des forêts pour la consommation publique ; on connait le cri d’a- larme qui lui est attribué : « La France périra faute de bois. » Il voyait d’ailleurs dans les forêts royales une source importante de revenus pour le Trésor. C’est bien de lui qu’on peut dire qu'il dé- ployait dans la vie administrative « une activité dévorante ». Il réso- lut donc de ramener l’ordre et l’unité dans le service des maïtrises des eaux et forêts. Mais, voulant procéder rationnellement, 1l tint à se rendre compte d’abord de la situation exacte des forêts sur tout le territoire du royaume. Colbert choisit un certain nombre d'hommes connus par leur in- tégrité et leur haute compétence, et leur confia la mission de visiter toutes les forêts royales, d'y réformer d'urgence les abus trop criants et de préparer des règlements d'administration, de police et d'exploitation, qui seraient soumis ensuite à la sanction royale. C’est là ce que l’on a appelé la Réformation de 1665. On ne sait ce qu’on doit le plus admirer, ou du soin consciencieux qui fut apporté à cette œuvre colossale, ou de la diligence avec la- quelle elle fut accomplie : commencée en effet, pour le Perche, le 96 décembre 1664, elle se terminait le 31 décembre 1665. Cette réforme n’était nulle part plus désirable que dans la région que nous étudions. Nous avons vu, en effet, que les anciens comtes du Perche avaient grevé leurs forêts de nombreux droits d'usage. Or les divers procès-verbaux de visite et de description sont rem- plis des doléances exprimées par les officiers des maîtrises sur les dévastations dont l’exercice de ces droits avait été la cause. Les abus et les désordres de toute sortes n’avaient été que trop favorisés par les guerres de religion et surtout par les guerres de la Ligue qui désolèrent le Perche, et pendant lesquelles sa capitale, Mortagne, subit plusieurs sièges. Gette ville et celle de Bellême, en leur qualité LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 183 de places fortes, reçurent des garnisons importantes, qui ne se fai- saient pas faute, paraît-il, de mettre les forêts au pillage : c’est ce que constatent encore les procès-verbaux de description que nous avons cilés. Le réformateur général des forêts du Perche fut Paul Barillon d’Amancourt, « conseiller du Roi en ses conseils, maitre des re- quêtes ordinaire de son hôtel, départi en la généralité de Paris, commissaire député par S. M. pour la réformation générale des eaux et forêts au département de l'Ile-de-France, Brie, Perche, Pi- cardie et pays reconquis ». On lui adjoignit comme procureur géné- ral le sieur de Froidour', «conseiller du Roi, président et lieutenant -général au bailliage et en la maîtrise des eaux et forêts du comté de la Fère et Marle ». Barillon d’Amoncourt fait observer, au préambule des actes de la réformation du Perche, que, en raison du désir exprimé par le Roi que toutes les réformations fussent achevées pendant le cours de l’année 1669, et, vu l'impossibilité où il se trouvait d’assumer seul une tâche aussi lourde, il avait dù, — conformément aux pouvoirs qui lui avaient été donnés à cet effet, — subdéléguer, pour les mai- trises du Perche, le sieur Leferon, « conseiller du Roï et son procu- reur en tous les sièges royaux de Compiègne », dont il avait pu apprécier déjà la probité, l'expérience et la capacité, particulière- ment en matière de forêts. C’est donc Leferon qui, en fait, a exécuté le travail de réforma- tion des deux maïitrises du Perche, travail qu’il à su mener à bonne fin en six mois ! Après s’être fait représenter dans chaque maitrise tous les plans, procès-verbaux de bornage et d’arpentage, registres de toules 1. Le sieur de Froidour reçut bientôt la récompense que lui avait méritée sa haute collaboration à la réformation des forêts du Perche et de l'Ile-de-France. On le retrouve, en effet, de 1667 à 1673 dans les Pyrénées, désigné avec les mêmes qualités de « président lieutenant général au bailliage et en la maitrise des eaux et forêts du comté de la Fère et Marle », mais revêtu en outre du titre de « commissaire député pour la réformation générale des eaux et forêts au département de la grande-maitrise de Toulouse »; c'est-à-dire qu'il dirigeait, comme réformateur général, cette œuvre si importante et si pénible dans une pareille région; et il le fit avec une intelligence et une autorité qui lui ont valu une réputation impérissable. 184 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. sortes, titres et règlements, 1l partagea méthodiquement ses opéra- lions en cinq parties : 1° La reconnaissance des bois situés sur les lisières des forêts royales ; effectués par les frères Chandelier, « arpenteurs royaux-jurés à Compiègne » ; 4° La visite et la description détaillée desdites forêts ; 9° L’instruction de toutes les instances tant civiles que crimi- nelles. 90 L’abornement de ces forêts 3° Leur mesurage Muni de tous ces documents, Leferon se rend ensuite à Paris, le 9 juillet 1665, auprès du réformateur général, qui, allant au plus. pressé, s’occupe d’abord des diverses causes instruites par son sub- délégué. Vu la gravité particulière de certaines d’entre elles, le tri- bunal chargé de prononcer des jugements souverains, fut constitué de sept magistrats, d’une compétence éprouvée, dont nous avons relevé les noms et qualités. Ce sont : Paul Barillon d’Amoncourt, président. Jacques Cœurderoy, conseiller du Roi, lieutenant général du bailliage des eaux et forêts, à Coucy. Denis Gaultier, conseiller du Roi, lieutenant général civil et criminel au bailliage de Clermont-en-Beauvoisis. Georges Le Grand, conseiller du Roi, prévôt juge royal de Saint-Germain et Versailles, procureur du Roi en la maîtrise et capitainerie des chasses dudit Saint-Germain. Denis Geoffroy, avocat, conseiller maître d'hôtel du Roi et des eaux et forêts, à Compiègne. Pierre Lefébure, conseiller du Roi et son avocat au siège présidial de Melun et eaux et forêts de Fontainebleau. Louis Carpentier, avocat et substitut dudit procureur du Roi, à Com- piègne. Colbert voulait que la réforme qu'il avait décidée fût sérieuse, radicale, complète. Pour cela il fallait frapper haut et ferme. Préci- sément à ce moment s’instruisait à Paris, sous la direction de Baril- lon d’Amoncourt, le procès extraordinaire de deux grands-maîtres des eaux et forêts, auquel font allusion les actes que nous passons en revue. Quelle en fut l'issue? Nous l’ignorons. Mais ce que nous sa- LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES,. 185 vons, c’est que les jugements rendus pour la réformation du Perche furent empreints d’une grande et légitime rigueur. Il y eut dans les deux maîtrises des révocations, des suspensions, sans préjudice d’a- mendes et de restitutions, dont le chiffre était parfois fort élevé. Après les officiers des maîtrises, vinrent les marchands de bois, les usagers, les riverains, les délinquants de toute catégorie. Aucun coupable ne fut épargné, quelle que füt sa situation sociale. Après avoir puni pour le passé, il fallait prévenir le retour des fautes et des abus commis. La nécessité d’un règlement d’adminis- tration et de police s’imposait donc tout d’abord à l'attention du réformateur : il n’eut garde d'oublier cette importante question. Ce serait assurément un travail fort curieux que la comparaison de ce règlement avec la célèbre ordonnance de 1669, qui devait bientôt former le code unique de toutes les maïitrises des eaux et forêts de France ; mais un tel travail exigerait de trop longs déve- loppements et sortirait du cadre de notre étude. Nous nous conten- terons d’analyser les dispositions les plus intéressantes du règle- ment qui fut arrêté par le réformateur général, après en avoir délibéré avec le procureur en ia réformation et le subdélégué Le- feron, le 30 septembre 1665, pour la maîtrise de Mortagne, et dans des termes presque identiques, le 29 décembre de la même année, pour celle de Bellême. Règlement d'administration et de police du 30 septembre 1665 (maîtrise de Mortagne), du 29 décembre 1665 (maï- trise de Bellême). Ce règlement, qui ne comprenait pas moins de 71 articles, em- brassait presque toutes les matières qui font l’objet de notre Gode forestier, de l’ordonnance d’exécution et même des divers arrêtés ministériels qui sont intervenus depuis lors pour fixer les détails d'administration. Personnel : recrutement, rêgles de service. — Les officiers des maîtrises « seront de la qualité requise par les ordonnances » et ne devront, comme les sergents, « exercer aucun trafic prohibé ». 186 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Le lieutenant, le procureur du Roi et le greffier devront résider au siège de la maîtrise; les autres « en ladite ville ou aux reins des- dites forêts, à peine de privation de leurs gages » (art. 3). On insiste, avec raison, sur le mode de recrutement des sergents, qui doivent savoir lire et écrire, et ne seront reçus « qu'après infor- mation sur leur vie et mœurs et examen très exact », et moyennant caution de 200 livres (art. 9). Il leur est défendu de prendre dans les forêts, même du bois sec, et d'y faire paître aucune bête, sauf pour la forêt du Perche, s'ils demeurent dans une des paroisses qui jouissent d’un droit d'usage au pâturage (art. 10). Le garde-marteau et les sergents doivent inscrire sur des re- gistres reliés, cotés et paraphés par le procureur du Roi et le gref- fier, les procès-verbaux, rapports, exploits qu’ils ont à dresser (art. 5, 16). Le procureur du Roi doit être pourvu également d’un registre qui lui sert à rédiger ses conclusions, les jugements, oppositions, appels, règles de service (art. 7). Le greffier doit avoir quatre registres : l’un pour les ventes, un autre pour l’enregistrement des édits, arrêts, règlements, etc., un troisième pour les procès-verbaux et jugements, et un quatrième pour les inventaires des papiers et archives (art. 8). Le maître particulier, et, en son absence, le lieutenant, est tenu lous les deux mois à une visite générale de tous les triages, à la- quelle devront assister les officiers et sergents. Le garde-marteau doit faire une visite générale tous les mois, sans préjudice de ses tournées quotidiennes (art. 4, 5). Le sergent traversier, outre ses visites journalières, est astreint à faire tous les deux mois une visite générale (art. 23). Quant aux sergents, ils doivent « visiter journellement les bois de leurs gardes’ » (art. 11). On leur trace les règles à suivre pour la rédaction des procès- verbaux, pour les assignations, l'assistance aux audiences et aux opérations forestières de toute nature, la tenue de leurs registres, 1. On appelait alors une « garde » ce que nous nommons aujourd’hui un triage. LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 187 l'arrestation des vagabonds, les saisies (art. 12, 15, 14, 15, 16, 17, 20). « Le marteau ordinaire de la maîtrise, appelé le marteau du Roi, sera mis en un étui fermant à trois clefs différentes, dont le maître, ou, en son absence, le lieutenant aura l’une, le procureur du Roi une autre et le garde-marteau la troisième. » Indépendamment de ce marteau royal, le maître ou son lieute- nant et le garde-marteau auront chacun le leur (art. 6). Traitements. Indemnités et autres avantages. — Nous pensons qu'il n’est pas sans intérêt de faire connaître quels étaient les «€ ga- ges » et autres avantages attachés aux divers emplois forestiers. Voici comment ils étaient établis. Traitements (partie fixe) LIVRES. Maître particule AE RE UE Die 400 LIGUE TAN TRE EE US CES SAP CR ANSE, 200 ÉTOCU PEUR A UAROLA PS. Aa STI EL EOs 300 c GATE AT IE RS PAR OT RENE 2 300 Greene nat ad ares eye ie Bd à 60 SEPLENTEAVEPSICL Re DOTE Le ee ee er 100 RUE RÉ BILES CPAM PRES Sd LU je ue 100 (art. 24. Ces émoluments sembleront sans doute bien maigres, même en tenant compte de la valeur monétaire à cette époque, et plus d’un lecteur se dira que déjà le métier de forestier était plus honorable que lucratif. Mais il est juste d'ajouter qu’à cette partie fixe du trai- tement venaient s’ajouter des indemnités proportionnelles. Indemnités. — Pour les opérations des coupes on allouait les sommes ci-après par chaque « vente de haute futaie, baliveaux sur taillis ou taillis ». LIVRES. Maître particulier . . . . , 9 Lieutenant (lorsqu'il Suppibait le matt hetieitiente 6 Procureue.du Roi nés és Mél S'tétetés 6 Garde-marteau Greffer Et, pour qu'il n’y eût point d'abus à cet égard, le nombre de 188 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. journées était déterminé suivant l’importance des ventes. Ainsi pour une vente de futaie de 30 arpents, on accordait à Bellème 8 journées, au Perche 10 journées ; à Réno on donnait 10 jours pour une vente de futaie de 15 arpents. Le nombre de journées était le même pour les recepages tenant lieu de ventes ordinaires de futaie. Pour 100 arpents de taillis, on admettait cinq journées (art. 26). Pour « droit de délivrance ou d’entrée » et pour récolement chaque officier recevait, par coupe de futaie ou de rempage de 3 arpents, et par coupe de taillis de 8 arpents, 64 sous. Pour martelage et adjudications de chablis et de bois dépérissants, chaque officier avait le tiers du prix de l’adjudication, pourvu que la quantité de ces bois n’excédât pas 10 cordes (art. 27). De plus, le greffier recevait un salaire pour les affiches et états de vente qu’il avait dressés ; et les gardes étaient également rétri- bués pour avoir porté el apposé les affiches, le tout suivant la taxe arrêtée par le président de l’adjudication (art. 26). On comptait aux officiers de la maîtrise 2 journées pour la vente de la glandée (art. 37). Enfin l’intervention de ces officiers et des sergents dans la pour- suite des délits donnait lieu à un règlement d’indemnité ainsi établi : Le maître particulier, le procureur du Roi et le greffier avaient € pour tous droits une demi-journée, à raison, savoir : le maître de 9 livres et ledit procureur du Roi et le greffier... pour chaque con- damnation contenue auxdits rôles, 3 sous tournois et 18 deniers tournois pour chaque défaut ». Le sergent collecteur, outre le tiers des amendes, restilutions et confiscalions « perceplibles », était payé pour les «itératifs comman- dements », à raison de 5 sous dans la ville du siège de la maîtrise, et dans la campagne suivant la distance (15 sous pour une lieue, 30 sous pour 2 lieues, etc.). En cas d'exécution pour saisie sans déplacement, il recevait 16 sous parisis, et 24 sous lorsqu'il était nécessaire de transporter les objets saisis (art. 66, 67). Les sergents avaient, pour chaque procès-verbal, suivant lim- portance des condamnations, à sous ou 20 sous, et par assignation ordinaire 5 sous. Les exploits et vacations extraordinaires étaient taxés (art. 18). LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 189 En outre les officiers et sergents de la maîtrise avaient droit, par an, aux quantités de bois suivantes : CORDES de STÈRES. bois d'officiers. Lemattre particulier 2eme. 50,14 D'Srreesoit © 296! L'elOnteTAn CE MN en EAU. à. 15 28 Le procureur du Roi . .,. . . . . 10 38 NéPearue MArLeAU. 1 NET MT 10 38 Met ELE MON ere EE Noa 1 0% 10 38 Le sergent traversier . . . . . . . 6 2e Chaque sergent-garde . . . . . . . 4 15 (art. 38). Ces chauffages étaient imposés sur les coupes. Ils devaient être délivrés en nature et consommés « dans les lieux pour lesquels ils avaient été accordés, à peine d'amende arbitraire et de confiscation desdits chauffages » (art. 51). Bornage. — Les riverains sont obligés d’entretenir les fossés de périmètre et de remplacer les bornes manquantes (art. 58). Les adjudicataires de coupes aboutissant au périmètre doivent ra- fraichir les anciens fossés, ou en ouvrir de nouveaux sur les points où il en manque (art. 33). Les sergents sont tenus de dresser chaque année un procès-verbal constatant l’état de ce bornage et les anticipations commises (art. 21), el il est prescrit aux maîtres particuliers de faire mention de l’élat des limites dans leurs procès-verbaux de « visitation » (art. 68). Exploilations. — Défense est faite aux arpenteurs de défalquer les places vides, les laies, routes, chemins, et d'employer dans leurs procès-verbaux, pour ce motif « aucun remplissage » ; défense aux officiers de « faire aucune délivrance par quantité de verges ou ar- pents ». « Toutes les ventes seront faites au plus offrant et dernier enché- risseur » (art. 32). « Attendu les grands désordres et délits qui sont commis, sous prétexte des délivrances par pied d’arbres et vente d’arbres de dé- 1. La corde des eaux et forèts valait, en stères, 3,539. 190 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. lits, qualifiés de bon vent (sic), qui ont ruiné les plus beaux arbres», il est défendu aux officiers de faire de pareilles ventes, à moins d’une autorisation expresse du grand-maître (art. 36). Obligation pour les adjudicataires, de « couper et receper les jeu- nes revenus, ensemble les épines, ronces et souches à rez-terre », avant de procéder à l’abatage de la futaie (art. 34). L’abatage des bois doit être suspendu du 15 avril au 15 septem- bre (art. 39). | Usages. — Les usages dont sont grevées les diverses forêts sont réglés définitivement. Quant au mode de jouissance, voici les principales règles établies : Prohibition absolue du pâturage des moutons et des chèvres. Les ayants droit ne peuvent faire paitre que les bestiaux qui sont à leur usage, sauf les pauvres, qui pourront entretenir « à moitié ou à louage des autres usagers, jusqu’au nombre de deux vaches seulement » (art. 48). Obligation d’avoir un seul pâtre par paroisse ou village, et de faire marquer les bestiaux d’une marque spéciale par paroisse (art. 49). IL est prescrit de procéder à la reconnaissance des maisons usa- gères dans un délai de 3 mois. On ajoute que les usages seront dus par feu, sans avoir égard au partage qui a pu être fait, ou qui pourrait l’être à l’avenir, des pro- priélés usagères, et sans que celui qui aurait acquis diverses pro- priétés puisse compter pour plus d’un feu (art. 50). L'article 53 contient une mesure exceptionnelle bien rigoureuse : « D'autant que les ventes desdites forêts sont beaucoup abrouties et endommagées par les pâturages des bestiaux, et qu’elles ne peuvent pas bien se remettre que par la suspension dudit pâturage », ce pà- turage est interdit d’une façon absolue pendant dix ans. Commerce et emplois des bois. — Les ouvriers travaillant le bois, tels que charrons, menuisiers, elc., devront assister aux assises an- nuelles des maîtrises, et y représenter la preuve des marchés qu’ils auront contractés avec les marchands de bois (art. 54). LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 191 « Défense est faite à toutes personnes autres que marchands de bois de faire aucun trafic de bois, ni d’en vendre et acheter de quel- que nature qu’il puisse être si ce n’est des marchands » (art. 55). « Les chaufourniers, briquetiers et tuiliers ne pourront s'établir aux rives et reins des forêts sans lettres du Roi » (art. 56). ® Délits. — Le règlement contient tout un ensemble de pénalités fort dures, dans le détail desquelles nous n’entrerons pas et qui étaient destinées à assurer la répression efficace des délits. On fait remarquer que les amendes sont doubles de ce qu’elles étaient auparavant « pour empêcher les délinquants de s’exposer aux condamnations, attendu l’augmentalion du prix des bois ». Les amendes et restitutions seront d’ailleurs doublées à l’égard des délits commis par les adjudicataires. Les amendes seront doublées également pour les délits commis « de nuit, par scie ou par feu ». Elles seront quadruplées pour coupe d'arbres où il y aura des aires d'oiseau de proie, ou pour enlèvement desdites aires. Si les délinquants sont coutumiers du fait, la punition sera corporelle (art. 97, 58). Le minimum des restiltutions est fixé à la moitié de la valeur des amendes (art. 99). Le recel des bois enlevés est puni des mêmes peines que leur aba- tage (art. 60). Les délits de pâturage et d'enlèvement de menus produits sont réprimés par des pénalités (art. 62, 63). Les peines contre les insolvables, lorsqu'il y a récidive, sont : « interdiction de la forêt, bannissement et punition corporelle » (art. 64). Afin de prévenir l'inconvénient des moyens dilatoires employés souvent par les délinquants pour éluder les condamnations, il est arrêté que celles-ci seront exécutées nonobstant opposition ou appel, lorsque l'amende n’excédera pas 40 livres ; dans le cas contraire, l'appel devra être vidé dans trois mois au Siège de marbre ou dans six mois au Parlement ; passé ces délais, il y aura exécution forcée (art. 69). 192 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Les garennes établies sans titre seront détruites; les autres seront circonscrites dans leurs anciennes limites. Défense d’en établir de nouvelles (art. 69). Audiences ordinaires. — Grands jours. — Tous les samedis, à 10 heures du matin, pour la maîtrise de Mortagne, et les mardis el samedis, à la même heure pour celle de Bellême, il est tenu par les officiers de la maîtrise en l’auditoire royal, une audience ordi- naire pour l’expédition des causes pendantes et pour les ventes de toutes sortes. Aucune vente ne pourra être faite ailleurs sous peine de nullité et de la privation des gages des officiers qui y auraient participé. En outre, une fois par an il sera teau des « assises et grands Jours », où l’on devra donner lecture des règlements forestiers en vigueur. Obligation d’y assister est imposée aux usagers, aux « marchands ventiers » ou leurs facteurs, aux ouvriers € travailleurs en bois », aux chaufourniers, briquetiers, tuiliers, enfin à tous les officiers et sergents de la maîtrise, qui représenteront leurs registres au maitre particulier, ou, en son absence, à son lieutenant, et rendront compte de l’exécution du règlement actuel (art. 70). Le règlement que nous venons de résumer ne se contentait pas d'édicter des prescriptions touchant à toutes les. questions forestiè- res : il les complétait au moyen de sanctions pénales, généralement très sévères, mais nécessaires pour en assurer l’exécution et pour ramener l’ordre dans ces forêts dont tant d'abus avaient compromis l'existence. Règlements d'exploitation des 10-15 décembre 1665. Un des principaux buts que l’on devait se proposer dans la réfor- mation de 1669, c'était, — en apportant plus d'ordre et de méthode dans les exploitalions, — de tirer des forêts royales le rendement le plus avantageux possible au double point de vue de la consomma- üon publique et du Trésor. Il fallait donc déterminer quels étaient les meilleurs règlements d'exploitation à leur appliquer. Pour étu- LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 193 dier cet important problème, Barillon d’Amoncourt ne voulut pas se contenter des documents que lui avait fournis son subdélégué, quel- que consciencieux et quelque détaillés qu’ils fussent : il tint à faire personnellement une visite complète de toutes les forêts, accompa- oné de tous les officiers des maïtrises et des principaux marchands de bois du pays, et ce ne fut qu'après cette étude faite sur les lieux qu’il arrêta les règlements d'exploitation que nous allons résumer. FORÊT DE BELLÈME La superficie de cette forêt, telle qu’elle résultait du mesurage fait par l’arpenteur de la réformation, était de 4577%P,50, soit 2331" ,78. | | Elle était divisée en « 4 gardes » : la Coudrays, Hermouset, Saint- Martin et la Perrière, qui renfermaient chacune des bois de tout âge. Au préambule du règlement d'exploitation on constate que le fonds de la forêt de Bellème « est estimé de tout temps le meilleur fonds de forét qui soit dans le royaume et le plus propre à produire du bois et en plus grande abondance » ; — que « le bois dont elle est plantée est pour la plus grande partie chênes et hêtres de belle venue, les défauts qui s’y rencontrent ne provenant que des abrou- ussements el des délits qui y ont été faits ». On ajoute que « l’expé- rience a fait voir que les hautes futaies profitent jusqu’à l’âge de cent cinquante ans et même au-dessus, et que, ayant été coupées à cet âge, la terre n’a pas manqué à repousser du bois ». En conséquence le règlement d’exploitation, admettant le régime de la futaie pour cette forêt, fixe la révolution à 150 ans et la possi- bilité annuelle des coupes (à tire et aire) à 30 arpents, avec réserve de 10 baliveaux par arpent, « conformément à l'ordonnance, et pour n’y point déroger, quoique la réserve en ail été reconnue fort inutile à cause de la bonté de la terre et facilité du rejet ». — Re- marquons, en passant, l’originalité de cette conception culturale singulièrement hardie, sur laquelle nous n’insisterons pas. Les coupes ordinaires de 30 arpents devaient être assises moitié dans une garde, moitié dans une autre, en suivant l’âge des bois. Toutefois, vu la grande quantité de vieilles futaies existantes, on ANN. SCIENCE AGRON. — 1892, — 11. 13 194 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. devait, pendant les 30 premières années, exploiter annuellement, à titre exceptionnel, 90 arpents, dont 50 arpents comme recepage dans les bois « mal plantés, dégradés, pillés et ruinés », dans la garde de la Coudrays et 20 arpents dans les vieilles futaies dépéris- santes de la garde de la Perrière. FORÊT DE RÉNO Des « leltres de commission », du 3 janvier 1664, émanant du Roi, avaient ordonné à Barillon d’Amoncourt d'examiner « les alié- nations et engagements faits des forêts et bois appartenant à Sa Ma- jesté », de se faire représenter les titres d’aliénations et paiement, et de donner « finalement son avis pour la réunion desdites forêts et remboursement des finances payées par lesdits engagisles ». Tel était précisément le cas de la forêt de Réno. Elle avait été, en effet, aliénée fonds et superficie, par adjudication du 8 février 1657, passée devant les commissaires généraux du Roi, en faveur d’Ar- mand de Riant, « conseiller du Roi en sa cour de Parlement», pour le prix de 105 600 livres (principal et frais accessoires). Puis la dame de la Frette, dont le château élait voisin de la forêt, avait été substi- tuée au sieur de Riant, par arrêté du Parlement du 6 septembre 1660. Or on constatait, lors de la réformation, que, en huit ans, l’enga- oiste avait exploité 561 arpents, c’est-à-dire beaucoup plus du tiers de la superficie qui lui avait été vendue (1 479 arpents), et cela sans faire aucune réserve ! Résultat qui s’est hélas trop souvent répété depuis, après les nombreuses aliénations des forêts domaniales qui ont eu lieu à diverses époques. D'autre part, un rapport d'experts estimait les 561 arpents vendus si promptement à la somme de. . . . . . . . . 80 385",10° et la valeur des bois restants sur pied à . . . . . 64164 de telle sorte que si la dame de la Frette avait pour- suivi la réalisation de la superficie totale, elle eût encaissé. là Somme dé, Lu) muet ex 2 144049 pour une forêt qu’elle n’avait payée que. . . . . 105 600 Différence enipluce ts de Aer tr SOON LE HAUT-PERCHE ET SES FORÈTS DOMANIALES. 195 C’eût été, comme on le voit, un joli bénéfice, et il n'était que temps de faire rentrer la forêt de Réno dans le domaine royal, pour sauvegarder les intérêts du Trésor et de la consom- mation. En tenant compte, d’un côté, de la somme que la dame de la Frette avait versée ainsi que des intérêts de cette somme dans une certaine mesure, et, d’un autre côté, du prix des bois qu’elle avait vendus, le réformateur général proposa, pour faire rentrer la forêt de Réno dans le domaine du Roi, de rembourser à l’engagiste une somme de 36334 liv. 10 s., ce qui revenait à lui abandonner le prix de la vente de 338 arpents 1/2 de bois de mauvaise qualité dans ladite forêt de Réno. Ces combinaisons furent approuvées par une ordon- nance royale rendue en Conseil d'État sur le rapport de Colbert, le 31 octobre 1665. Par une autre ordonnance royale rendue à la même date, sur l'avis conforme du réformateur général, on réintégra dans le do- maine 304 arpents de bois et bruyères appelés les Grands et Petits Ordons, qui dépendaient autrefois de la forêt de Réno, et qui, après avoir été aliénés le 26 octobre 1581, en vertu de lettres-patentes d'Henri IT, du 12 décembre 1580, étaient alors possédés par la même dame de la Frette. Puis, sur l’ordre de Barillon d’Amoncourt, ces nouveaux cantons furent abornés par les arpenteurs de la réfor- mation. Il restait à proposer un règlement d’exploitation pour la forêt de Réno: c’est ce que fit le réformateur général, en y apportant le même soin que pour la forêt de Bellème. « Nous avons reconnu », dit-il tout d’abord, que cette forêt est « assise en bon fonds, el est très propre à produire du bois, et même des futaies, et qu’elle est plantée en bois de chêne, hêtre, charme et quelques bois blancs ; qu’elle contient 1 807 arpents 60 verges (y compris les Grands et Petits Ordons) », c’est-à-dire 9923" ,14. Le réformateur général émet l’avis que, après l'expiration de la vidange des bois vendus pour parfaire le remboursement de la somme due à la dame de la Frette, c’est-à-dire à partir de 1669, on exploite les 323,5 restants de vieille futaie et demi-futaie, à raison 196 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. de 10 arpents par an, avec réserve de 10 baliveaux de l’âge par ar- pent. Puis toute la forêt serait soumise à des coupes ordinaires de 15 arpents par an, ce qui suppose implicitement une révolution de 120 ans (pour 1 807*r,60). Enfin, se préoccupant du repeuplement soit par semis, soit par plantation, des cantons des Grands et Petits Ordons, nouvellement annexés à la forêt, et € très propres », dit-il, « à porter des bois », il propose de pourvoir à la dépense que nécessitera celte utile amé- lioration par voie de mise en charge sur les coupes. FORÊT DU PERCHE Barillon d’Amoncourt commença par faire réunir à cette forêt, conformément à l’ordre qu’il en avait reçu, 145 arpents de terres, bruyères et bois, qui avaient été aliénés à divers, en vertu des lettres-patentes d'Henri IT citées plus haut à l’occasion de la forêt de Réno. L’ordonnance de réintégration de ces terres dans le do- maine est, comme pour la forêt de Réno, du 51 octobre 1665. Au préambule du règlement d’exploitation, le réformateur s’ex- prime ainsi : « Nous avons reconnu précisément que ladite forêt du Perche est assise en un bon fonds et très propre à produire du bois, et que ce- lui dont elle est plantée est de bonne nature, étant la plus grande partie de chênes et hêtres mêlés et peu d’autres bois, et qu’elle peut porter des hautes futaies ; — qu’elle contient en tout la quantité de 3795 arpents, (soit 1938",11), et qu’elle est divisée en deux gardes, dont l’une est appelée garde de Lignerolles..., l’autre appelée garde de la Ventrouse. » On ajoute que les coupes ordinaires étaient anciennement de 25 à 30 arpents, mais que de 1656 à 1660 elles ont atteint 48 arpents et que, en outre, elles ont été augmentées ordinairement « de demi- tiers, du quart et du tiers, par le moyen des remplissages que les officiers qui ont fait la vente ont accordé sous prétexte de places vides ». Notons, en passant, cet abus qui paraît s'être malheureusement généralisé dans nos forêts avant la réformation, et contre lequel, LE HAUT-PERCHE ET SES FORÈTS DOMANIALES. 197 avec raison, on avait pris des mesures pour l’avenir, comme nous l'avons vu plus haut dans le règlement d'administration et de po- lice. Continuant ses observations préliminaires, Barillon d’Amoncourt fait remarquer que les ventes de la forêt du Perche « ont produit peu de chose au Roï à cause de la difficulté du débit des bois, dont le pays du Perche abonde », el aussi, ajoute-t-il, en donnant tous les développements qu’exige sa pensée, «à cause des désordres de toute sorte » dus aux riverains et aux officiers même des mai- trises. Puis le réformateur général expose brièvement ses propositions de règlement de coupes : | Révolution de 150 ans « ou environ » ; Possibilité annuelle de 25 arpents, les coupes devant être prises « moitié dans chaque garde, à commencer par les bonnes futaies et à la charge de laisser en chacun arpent 10 baliveaux chênes ou hêtres, si tant s’en trouve ». Toutefois on propose, avant de commencer ces exploitations nor- males, de receper toutes les parties endommagées ou même ruinées par les délits, en 28 ans, à raison de 50 arpents par an, en réservant autant que possible 8 baliveaux par arpent. A signaler le vœu émis par Barillon d’Amoncourt au début de son règlement pour les forêts de Réno et du Perche : « Nous avons trouvé que, vu la grande quantité de bois qu'il y a dans le comté de Perche, 1l n’y a autre moyen plus certain de mettre les forêts du Roi en valeur que d’y établir des forges de fer, ce qui se pourrait commodément, parce que les mines de fer y sont com- munes, qu'il y a des ruisseaux et des étangs, qui fourniront de l’eau abondamment pour les moulins et pour toutes nécessités des forges, qu'il y a des lieux propres pour les y établir, que les frais n’en seraient pas considérables, eu égard au revenu qu’elles pro- duiraient. » Les désirs du réformateur ont été accomplis : quelques forges ont élé créées, mais le minerai élait beaucoup moins abondant qu'il le supposait, ne formant que de simples rognons épars dans le sol, puis les conditions économiques se sont modifiées avec le temps. 198 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Ces forges n'étaient plus un débouché assuré pour les bois de nos forêts, et finalement elles ont cessé de fonctionner. Faisons maintenant un examen rapide des règlements d’exploita- tion présentés pour les trois forêts de Bellème, Réno et le Perche. Ce qui frappe avant tout dans ces règlements, c’est leur simplicité et leur netteté : on veut le régime de la fuiaie, et on le dit franche- ment et sans ambages. Plus de ces complications provenant de . l'alternance de la futaie et du taillis que l’on remarquait dans le règle- ment de 1561. Si l’on maintient le recepage, ce n’est que témporai- rement et à titre exceptionnel, pour les bois abroutis et en mauvais état seulement. On conserve pour les forêts de Bellême et du Perche la révolution de 150 ans. Pour celle de Réno, on élève, avec raison, la révolution de 100 à 120 ans. Étant donnée la bonne qualité du sol, on aurait pu la pousser jusqu’à 190 ans ; mais on aura craint sans doute de réduire trop brusquement l'importance des coupes ordinaires. Ces révolutions sont encore arrêtées arbitrairement, il est vrai, mais il faut remarquer qu’à cette époque les études forestières étaient en- core peu avancées. On admet pour les grandes forêts le système des séries (2 pour la forêt de Bellème comme pour celle du Perche). Pas plus qu’en 1561, du reste, on ne songe à obtenir une pro- duction régulière et soutenue, mais on cherche à assurer la régé- nération par le même moyen qu’antérieurement : la réserve de 10 étalons par arpent. Enfin on n’a pas omis la question importante du repeuplement artificiel des parties vides. En résumé, il y a un vrai progrès réalisé dans la gestion fores- tière. Nous ne possédons aucun renseignement sur le traitement qu'on appliquait, à l’époque de la réformation, à la forêt du Valdieu, qui forme aujourd’hui massif avec celle de Réno, et qui appartenait alors aux Chartreux. Mais on sait par tradition qu’elle était pour la plus grande partie, sinon en totalité, soumise au régime de la futaie. On LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES, 199 n’y prenait que les bois nécessaires aux besoins du monastère et probablement sous forme jardinatoire, mais sans aucune régula- rilé. Nous ignorons également comment était traitée, à l’époque de la réformation, la forêt de la Trappe, qui est réunie actuellement à celle du Perche et qui alors était la propriété des Trappistes. Il est très probable que la plus grande partie de cette forêt devait être soumise au régime du tallis à brève révolution, peut-être même du taillis simple ; c’est ce qui semble du moins résulter d’un jugement de la réformation dont voici un extrait : « Contre les religieux, abbé, prieur et couvent de N.-D. de la Trappe..…... avons fait et faisons défense de faire couper lesdits bois taillis dépendant de ladite abbaye, avant l’âge de 15 ans, attendu l'ingratitude du fonds d’iceux..….. à eux enjoint de régler les coupes desdits taillis en 15 années égales, d’y laisser en faisant l’exploita- tion d’iceux, le nombre de baliveaux requis par les ordonnances, et de laisser recroître en futaie la tierce parue desdits bois dans les meilleurs fonds et plus proche de ladite abbaye. » Nous avons tenu à donner quelques développements à notre étude sur la réformation de 1665, parce qu'il nous à paru que limpor- tance de ce fait forestier n'était peut-être pas assez connue. Mais celte étude serait incomplète si nous laissions dans l'ombre le der- nier des actes que comprenait la réformalion : nous voulons parler du « règlement des bois des communautés ecclésiastiques et sécu- lières ». Bien que ce document ne rentre pas directement dans le cadre de notre notice, il ne convenait pas, ce semble, de le passer sous silence, car il démontre toute l'influence que la grande réforme voulue par Colbert devait avoir sur l’ensemble de la richesse fores- tière du pays. Nousnous bornerons, du reste, à indiquer les diverses dispositions de ce règlement sous forme de simple sommaire. Tou- tefois, nous croyons devoir en rapporter textuellement les considé- rants motivés, parce qu'ils expliquent la rigueur des prescriptions arrêtées par le rélormateur. 200 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Règlement de police pour les bois des communautés ecclé- siastiques et séculières et pour les bois des particuliers, du 1°r avril 1666. Après le préambule d’usage, le réformateur continue ainsi : «€ Nous aurions vu sans doute tomber le royaume dans une ex- trême disette de bois propre pour les bâtiments de terre et de mer, et même pour faire des muids, qui sont une espèce de marchan- dise plus nécessaire dans la France, où l’on abonde de vin, qu’en aucun autre État, et, comme les forêts du Roi, quand bien même elles n'auraient point été dégradées, ne sont ni assez grandes, ni assez fréquentes, pour fournir les commodités par tout le royaume, il était important, par cette considération du bien général de pour- voir à la conservation des bois des bénéficiers et des communautés ecclésiastiques et séculières, aussi bien qu’à la conservation de ceux qui dépendent du domaine de la couronne ; — que par les ordon- nances, S. M. v avait pourvu ;.... mais d'autant que ces ordonnances sont demeurées sans exécution, et que lesdits ecclésiastiques y ont contrevenu en loutes occasions, ont dégradé leurs bois par toutes sortes de moyens... » Suit le dispositif du règlement que nous résumons ainsi : Obligation de faire mesurer el arpenter tous les bois des com- munautés et de déposer les procès-verbaux et titres de jouissance au greffe de la maîtrise (art. 1°). Obligation de faire aborner lesdits bois et de déposer le procès- verbal de cette opération au greffe de la maîtrise (art. 2). Faculté laissée aux communautés d'aménager leurs bois à 100 ans, auquel cas on en coupera chaque année la centième partie, en laissant, par arpent, 19 baliveaux. 1. Quoique les ordonnances antérieures à 1543 n'eussent investi les officicrs des forêts que d'attributions relatives aux bois royaux, le préambule de cette ordonnance montre que les lettres de provision des forestiers étendaient leur surveillance et leur juridiction à toutes les autres propriétés boisées. Le principe de l'inspection, par les agents royaux, des bois privés, que recommande et sanctionne l'ordonnance de 1515. demeura depuis la base de la législation forestière. (A, Maury, Les Foréts de la Gaule el «de l’ancicnne France, p. 439.) LE HAUT-PERCHE ET SES FORÈTS DOMANIALES, 201 Défense d’y faire aucune coupe extraordinaire, sauf en cas d’in- cendie ou ruine générale de la maison, et à condition d'obtenir pour cela des lettres-patentes *, et alors les coupes ordinaires seront di- minuées pendant les six ou huit premières années. Les officiers des maitrises sont rendus personnellement respon- sables de cette disposition (art. 3). Si les intéressés refusent de se soumettre à la prescription précé- dente, ils devront mettre en réserve, pour croître en futaie, le tiers de leurs bois? ; cette désignation sera faite par des commissaires que choisira le Roi ou le grand-maître de l’avis des officiers des maîtrises et après visile de ceux-ci. Ge « triage » sera borné, et la figure en sera reporlée sur les plans déposés à la maîtrise. On ne pourra y faire aucune coupe qu’en vertu de lettes-patentes. Cette règle ne sera applicable que pour les bois au-dessus de 100 arpents (art. 4). Le reste des bois sera aménagé en taillis, à l’âge de 15 ans, avec réserve de 20 baliveaux à la première coupe et 16 aux suivantes. Toutefois on n’appliquera cette disposition que tout autant qu'il res- tera au moins 190 arpents (art. 5). Faculté d’abattre dans chaque coupe « jusqu’à la concurrence de 8 à 10 baliveaux par arpent seulement... et où la possibilité ne se- rait telle, 1l sera réglé par les commissaires députés par le Roi ou le grand-maître, de l’avis des officiers de la maîtrise, quelle quantité d'arbres ils peuvent couper par arpent, jusqu’à ce que leurs bois soient suffisamment repeuplés de baliveaux pour fournir la coupe de 8 à 10, qui ne pourront être coupés qu'ils n’aient atteint l’âge de 75 ans et au-dessus » (art. 6). Pour les bois au-dessous de 100 arpents et au-dessus de 60, la réserve de futaie devra être de 10 à 15 arpents; le reste sera réglé en coupes de taillis à 10 ans, dans lesquelles on laissera, par arpent, 20 baliveaux à la première coupe et 16 aux suivantes, et l’on n’a- battra successivement que 8 à 10 baliveaux (art. 7). 1. Reproduction de l'ordonnance de Henri II, de 1558, de la déclaration des Etats de Blois, de 1576, et de l'édit de Henri IT, de mai 1579. 2. Reproduction de l'ordonnance de Charles IX, de 1561. Mais une autre ordonnance, de 1573, avait réduit la réserve au quart, en prescrivant de l'établir dans l'endroit où le fonds était le meilleur. 202 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Le mesurage, le balivage, la délivrance et le récolement seront faits par les officiers de la maîtrise (art. 8). L'exercice du pâturage, tant par les propriétaires que par les usagers, ne pourra avoir lieu que conformément aux règlements forestiers, et à condition que les officiers de la maitrise aient fixé préalablement la défensabilité des bois. Interdiction absolue du parcours des moutons et des chèvres. Sanction pénale en cas d'infraction à ces dispositions (art. 9). Application aux bois des communautés des règlements forestiers édictés pour les forêts royales. Obligation, pour les officiers préposés par les communautés, de visiter ces bois tous les six mois et d’assister aux assises des maïi- trises, pour y « répondre de leurs faits » (art. 10). Les amendes, restitutions et confiscations pour les délits commis dans ces bois seront les mêmes que pour les forêts royales ; mais les pénalités seront doubles pour les délits commis par les ecclésiasti- ques, et « en cas de récidive, ils seront en outre privés du revenu de leurs bois tant qu’ils seront titulaires, et les communautés pour 10 ans, voire plus, eu égard à la qualité des délits ». De là, obligation pour les officiers des maîtrises de voir ces bois une fois par an, et de dresser procès-verbal de leurs visites (art. 11). En cas d'infraction aux règles indiquées ci-dessus pour les exploi- talions, les amendes encourues par les marchands seront doubles de celles édictées pour les forêts royales, sans aucun recours (art. 12). Obligation pour les habitants des villes, bourgs, villages, ha- meaux, propriétaires de bois, de faire mesurer et aborner ces bois, et de déposer les procès-verbaux de ces opérations au greffe de la maitrise. Défense de défricher ou essarter ces bois, « sous peine d'amende arbitraire el privation d’iceux ». Pour les bois au-dessus de 150 arpents les coupes seront réglées à 15 ans, pour ceux de contenance moindre à 10 ans. Ces coupes devront être exploitées « de proche en proche et de suite en suite, sans aucun remplissage, et vendues par les officiers de la maïtrise au profit de la commune, pour les deniers être em- LE HAUT-PERCHE ET SES FORÈTS DOMANIALES. 203 ployés aux plus urgentes nécessilés, ou leurs bois être partagés entre les habitants ». Obligation de réserver dans ces coupes 20 baliveaux à la première coupe et 16 aux suivantes « pour leur être fait délivrance desdits baliveaux, lorsqu'ils auront atteint l’âge de 60 à 80 ans » (art. 13). Défense aux habitants de commettre aucun délit dans leurs bois, sous peine d’amendes et confiscations comme pour les forêts royales. Interdiction du pâturage des chèvres et des moutons, sous peine de confiscation, d'amende arbitraire et, en cas de récidive, de la privation des bois. Quant au pâturage des autres bestiaux, il ne pourra être exercé qu'après déclaration de défensabilité, sous les peines portées pour les forêts du Roi. Les sergents des maïîtrises devront visiter ces bois tous les trois mois et les officiers des maïîtrises au moins une fois par an, pour y constater les dégradations et abroutissements, dont les habitants seront solidairement responsables € à faculté d'indiquer les délin- quants » (art. 14). Obligation pour les particuliers d'exploiter leurs bois conformé- ment aux ordonnances, à l’âge de 10 ans‘ au moins, en y réservant 10 à 12 baliveaux par arpent (art. 15). Les divers règlements que nous venons d’examiner, rédigés sous forme d’avis, étaient signés par le grand-maitre réformateur Barii- lon d’Amoncourt et par le procureur en la réformation de Froidour. À la suite de ces actes se trouve libellé l’ordre formel de les mettre à exécution immédiatement « par provision, jusqu’à ce qu’il ait plu au Roi autrement y pourvoir ». De 1665 à 1782 nous ne trouvons aucun document de nature à nous renseigner sur l’histoire forestière du Perche. Il est permis de croire que les divers règlements qui avaient été la conséquence pra- tique de la réformation furent scrupuleusement observés; les offi- 1. Reproduction de l'édit de septembre 1563. 204 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. ciers des maitrises étaient, comme on l’a vu, responsables de leur exécution, et il est probable qu’ils firent leur profit des leçons sé- vères qui leur avaient été données. Du reste, ces règlements reçurent bientôt une consécration solennelle dans la célèbre ordonnance de 1669. Préparée, sous l'impulsion de Colbert, par vingt et un com- missaires spéciaux, dont les travaux durèrent huit ans, elle ne fut, pour ainsi dire, que la résultante des règlements régionaux qui avaient été élaborés par les grands-maîtres réformateurs. Cette ordonnance preserivit la constatation rigoureuse de la su- perficie des forêts. Elle détermina leur mode de conservation et d'aménagement, ainsi que les précaulions à prendre et les forma- lités à accomplir pour la vente et l'exploitation des coupes. Enfin elle définit les divers délits et leur appliqua des pénalités propor- tionnées à leur importance. Celte réforme générale fut repoussée par quelques parlements, et notamment par celui de Paris, qui ne se décida à l’enregistrer, le 13 août 1669, qu’en vertu de « lettres de jussion », le Roi séant à son lit de justice. Puis un siècle se passe. Louis XVI, à peine monté sur le trône, avait créé duc d’Alençon son frère puiné, Monsieur, déjà comte de Provence (1774), lui donnant en apanage l’ancien duché d'Alençon et l’ancien comté du Perche, dont les forêts royales, nombreuses et étendues, avaient une valeur considérable. On sait que pendant les premières années du règne de Louis XVI, la cour étala un luxe inouï . Pour satisfaire à toutes les prodigalités des princes il était nécessaire de trouver des ressources nouvelles : le duc d'Alençon résolut de battre monnaie avec ses forêts. Dans ce but il entreprit de substituer aux sages règlements d'exploitation de 1665 des aménagements? destinés à donner immédiatement une augmentation de revenu en argent. On pensera peut-être que pour 1. La maison civile du Roi et des Princes, plus fastueuse que celle de Louis XIV, coûtait par an 36 millions, outre 18 millions de pensions. (Th Lavallée, Histoire de France, t. Il, p. 513.) 2, C'est avec intention que nous nous servons ici de l'expression «aménagement », attendu qu'on ne se borna pas à déterminer le régime, la révolution et le mode d’ex- ploitation, mais que les diverses coupes recurent en outre une assiette fixe, au moins sur les plans, sinon sur le terrain. LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 205 accomplir un travail de cette importance il fit choix d’un officier des maitrises. Nullement ; et c’est bien le cas ici de rappeler, en la mo- difiant légèrement, la fameuse phrase de Beaumarchais : «Il fallait un forestier, on choisit un ingénieur », ce qui n’empêcha pas d’ail- leurs le grand-maître des eaux et forêts au département d'Alençon, Louis Geoffroy, en accréditant celui-ci auprès des maîtrises, de lui décerner un brevet de « capacité » ! Nous verrons plus loin s’il le méritait. Aménagements du 1er juin 1781 (forêts de Réno et du Perche) et du 15 mai 1782 (forêt de Bellême). Après avoir procédé au levé et à l’arpentage des trois forêts royales comprises dans le comté du Perche, l'ingénieur Jean-Alexandre Chaillou, qui dans ses procès-verbaux prend le titre d”’ « inspecteur des travaux du Roi », présenta deux projets d'aménagements, l’un pour la forêt de Bellême et l’autre pour celles de Réno et du Perche, dont nous allons analyser les dispositions. FORÊT DE BELLÊME Les propositions d'aménagement sont précédées de notions de statistique fort succinctes, dans lesquelles on peut relever pourtant certains détails intéressants. Sol. — « Le sol de cette forêt est en général excellent. I est de sable gras avec beaucoup de fonds ; aussi peut-on assurer qu’il n’est pas de forét dans le royaume qui donne de plus belle futaie et qui, par cette raison, nécessite autant d’égards et de soins pour sa con- servation. » Essence. — « L’essence da bois de cette forêt est dans les parties actuelles de fulaie en chéne el hétre, et dans les taillis ‘ et autres au- 1. La forêt de Bellème étant traitée antérieurement tout entière en futaie, l'expression «taillis » est impropre. Mais tous les documents anciens que nous avons étudiés prouvent qu'autrefois on désignait ainsi les jeunes bois, sans distinction des brins de semence et des rejets. 206 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. dessous de 60 ans l’essence dominante est en bouleau, y ayant très peu de chêne et hêtre. » Conditions économiques. — L'aménagiste constate que « les bois sont pour la plus grande partie employés à la consommation du pays et des environs » en faisant remarquer toutefois que « les plus belles pièces sont souvent retenues pour le service de la marine ». Kevenu moyen des onze dernières années. — I résulte du tableau des ventes faites de 1771 à 1781 inclus que le total de ces ventes s’est élevé à 748 284 livres, d’où un revenu annuel moyen de 68 026 livres. Après ces indications préliminaires, l'ingénieur Chaillou renou- velle, pour les besoins de sa cause, étonnante théorie sur la repro- duction des forêts signalée déjà à propos des règlements de 1561, en y joignant une singulière erreur de principe. Nous citons tex- tuellement, — la phrase en vaut la peine : « Le dépérissement des bonnes essences de bois dur äans lesdits revenus, taillis et gaulis au-dessous de 60 ans, vient sans doute de ce que ladite forét est depuis un temps infini exploilée presque toute en état de futaie; et, comme cela est connu de tous les forestiers, après les futaies surägées il ne revient pour ainsi dire que du bois blanc’, mais si l’on coupe ces revenus encore jeunes, c’est-à-dire avant 39 ans, le terrain se repeuple naturellement en bois dur; c’est d’après ces principes que nous procéderons en réglant les coupes du nouvel aménagement. » Une simple remarque en passant, pour répondre à ces asserlions : voilà 54 ans que la forêt de Bellême est traitée en futaie à la révolu- tion de 200 ans par la méthode du réensemencement naturel et des éclaircies ; les bonnes essences, loin de dépérir, y présentent une végétalion splendide, et la proportion des bois blancs n’y atteint pas actuellement 5 p. 100. 1. Gette assertion était en contradiction manifeste avec les affirmations si nettes des réformateurs de 1665. (V. plus haut le règlement d'exploitation intervenu à cette époque.) LE HAUT-PERCHE ET SES FORÈTS DOMANIALES,. 207 Disposition de l'aménagement. — Voici, en résumé, quelles étaient les dispositions de l'aménagement nouveau : La forêt de Bellême, d’après l’arpentage qui venait d’en être fait, avait 4 803*r,30P (y compris la « grande route de Mortagne », nou- vellement ouverte, laquelle contenait 24*"®,29r, et les autres routes et chemins forestiers), soit 2 453",05, et, si l’on suppose déduite la route de Mortagne, 4779%",01P, c’est-à-dire 2 440,64. Cette forêt fut divisée en quatre triages ‘: i 1° triage, dit de la Perrière (1122*,53"), partagé en 99 coupes de futaie ; 2° triage, dit de Coru (1 161*7,28r), partagé en 99 coupes de futaie ; 3° triage, dit de Saint-Martin (1 195°,99r), partagé en 33 coupes de taillis, pour la première révolution seulement ; 4 triage, dit de Saint-Ouen (1 299*r,28°), partagé en 33 coupes de taillis. En ce qui concerne le troisième triage, les 33 coupes terminées, on devait laisser croître les bois sans y faire aucune coupe jusqu’à l'expiration de la première révolution de futaie, puis diviser ce triage, comme les deux premiers, en 99 coupes, de telle sorte que chaque ancienne coupe serait subdivisée en 3; c’est là ce qui explique le choix fait de 99 ans, au lieu de 100 ans, pour la révolution de futaie, chiffre qui, à priori, peut sembler singulier. On observe en outre que, comme il y aura des coupes qui ne pourront à la première révolution s’effectuer dans l’ordre de l’amé- nagement, à cause de l’âge des bois, on leur a substitué ce qu’on appelait alors des « indemnités », c’est-à-dire des coupes prises sur d’autres points dans des peuplements suffisamment âgés. Le projet d'aménagement de l'ingénieur Chaillou fut approuvé par arrêté du Conseil d’État du 24 juillet 1783, après avis conforme 1 Dans la terminologie forestière du siècle dernier le mot « triage » paraît avoir eu ordinairement le sens de notre expression « série ». La preuve, c'est que dans les préliminaires du procès-verbal d'aménagement que nous étudions il est dit: « La propriété ordinaire des triages, qui est de limiter une certaine étendue de bois, dans laquelle l'ordre des coupes est déterminé au moins pour une révolution, » — Souvent aussi, par un abus de terme, le « triage » est devenu l'équivalent de « canton ». eh dd. é4 208 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. du grand-maître des eaux et forêts à Alençon, qui, dans cette cir- constance, donna sa signature aussi facilement qu’il l'avait apposée d’abord au bas des lettres de créance qui ouvraient au sieur Chail- lou l’accès des forêts royales, mais sans que cette complaisance püt s’excuser celle fois, car il avait dû juger l’homme par ses œuvres. Toutefois l’arrêt du Conseil crut devoir distraire de la quatrième série un canton de 30 arpents appelé « Bruyère de la grande en- ceinte », qui devait former une seule coupe exploitée « à perpétuité à l’âge de 20 ans ». L'arrêt prescrivait en outre de réserver par arpent : 1° Dans les coupes de futaie et celles dites d’indemnités, 10 bali- VEAUX ; 2 Dans celles de taillis, 16 baliveaux de l’âge, 8 modernes et 4 anciens. Le même arrêt ordonnait l'élargissement de la route de la Perrière formant la grande artère de la forêt et l’ouverture de 10 routes ou lignes nouvelles, conformément aux propositions de l'ingénieur Chaillou, — le rétablissement des fossés de périmètre et des bornes manquantes, — le repeuplement des « bruyères et places vaines et vagues désignées au projet d'aménagement », — enfin l’ouverture de fossés d’assainissement dans les parties trop humides. FORÊT DE RÉNO L'aménagiste donne d’abord sur les points les plus importants de la statistique les renseignements suivants : Sol. — «Le sol est en général médiocre, pierreux et très aride, ce qui le rend peu propre à produire de beaux bois. Nous en excepte- rons cependant la petite partie qui avoisine le chemin de Longny à Mortagne ; quoique très pierreux, le sol en est moins aride : c’est pour cela que nous y placerons un triage de futaie. » Le sieur Chaillou à été passablement pessimiste dans son appré- ciation du sol de la forêt de Réno, qui dans son ensemble est réelle- ment bon. Cette ancienne forèt constitue maintenant une série où l’on remarque de fort beaux peuplements de tout âge, et dont les coupes ont produit en 1891 un revenu total de 35 407 fr. LE HAUT-PERCHE ET SES FORËÈTS DOMANIALES. 209 Essences. — «Le bois dunt l'essence domine dans cette forêt est le chêne, à l'exception des Ordons, où il se trouve environ les deux tiers en bouleau. » Conditions économiques. — On fait remarquer que la majeure partie des bois provenant de la forêt de Réno, comme de celle du Perche dont il va être question plus loin, s'exploite en bois à char- bon qui se consomme dans les forges et fourneaux ; le surplus (bois de construction et de chauffage) sert à la consommation du pays. Revenu moyen des dix dernières années. — Le tableau des ventes faites de 1773 à 1782 inclus montre qu’elles se sont élevées en total, pendant cette période, à 142104 livres, d’où résulte un revenu annuel moyen de 14210 livres. L’aménagiste constate que « les bois sont très endommagés par les délinquants dont les environs de cette forêt sont infestés. On a déjà beaucoup et en différents temps fait des tentatives pour arrê- ter ce pillage, mais on n’a pu y parvenir totalement. » La situation a singulièrement changé depuis lors, — signe de progrès moral ou de plus grande aisance chez les populations rive- raines, — car nous n'avons eu pour la dernière période décennale dans toute la forêt de Réno-Valdieu que 19 procès-verbaux de délit. Dispositions de l'aménagement. — La forêt de Réno, qui, d’après l’arpentage de lingénieur Chaillou contenait 1805%r,77r, soit 922,21, était divisée en trois triages (séries). 1° Le triage de la Fosse-au-Loup (841*r,17), partagé en 30 coupes de taillis. 2° Le triage des Fontenelles (646%:,91?), partagé en 30 coupes de taillis ; 3 Le triage de l’Hôtel-Véron (317*?,69?), partagé en 100 coupes de futaie. L'arrêt du Conseil d’État du 12 juillet 1782 adopta ces proposi- lions, en y ajoutant les prescriptions suivantes : Réserve, par arpent : 1° Dans les coupes de futaie, de 10 baliveaux ; ANN. SCIENCE AGRON. — 1892, — y. 14 210 - ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 9 Dans celles de taillis, de 20 baliveaux de l’âge, 8 modernes et 4 anciens ; Rétablissement des fossés de périmètre et des bornes manquantes; — assainissement des cantons trop humides; — construction de 6 grandes routes forestières el de 4 petites. FORÊT DU PERCHE Nous extrayons du procès-verbal d'aménagement les données de statistique suivantes : Sol. — « Le sol de cette forêt est en général assez bon, étant gras et glaiseux, ce qui le rend cependant un peu trop aquatique ; il est propre à produire de beau bois, quand l'espèce de bois blanc qui y domine sera détruite par les moyens que nous indiquerons ci- après. » Essences. — «L’essence qui domine dans cette forêt est le bouleau, singulièrement dans les nouveaux recrüs, taillis et gaulis; quant aux anciennes fulaies qui restent, elles sont de la meilleure essence, et pour la plus grande partie en chêne. » Suit alors la reproduction textuelle de la bizarre théorie de cul- ture indiquée déjà pour la forêt de Bellême, qui conduit l’aména- gisle à proposer la substitution du taillis à la futaie, soi-disant pour s'opposer à l’envahissement des bois blancs et empêcher le dépéris- sement des essences dures! Nous nous contenterons de faire remarquer que le massif du Per- che est soumis au régime de la futaie depuis 18 ans, el que mainte- nant la proportion des bois blancs n’y atteint pas 15 p. 100. Bevenu moyen des dix dernières années. — D'après le tableau inséré dans le procès-verbal d'aménagement, le montant total des ventes faites de 1775 à 1782 aurait été de 338 320 livres, ce qui donne un revenu annuel moyen de 33 832 livres. Dispositions de l'aménagement. — Suivant l’arpentave du sieur LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES, 211 Chaillou, la forêt du Perche devait avoir une superficie de 4 093 ar- pents (y compris 498*,15° de friches), soit 2090°*,30 (dont 101,20 en friches). | Le projet d'aménagement la divise en trois triages (séries) : 1° Série de Tourouvre (1 277 arpents), partagée en 30 coupes de taillis ; % Série de Lignerolles (1 475 arpents), partagée en 30 coupes de taillis ; 3° Série de Sainte-Nicole (1 142*?,85?), partagée en 100 coupes de futaie, plus les friches (198*?,15?) ; en proposant, comme pour la forêt de Bellème, de substituer, pendant la première révolution de 30 ans, aux coupes à asseoir normalement dans des peuplements trop jeunes des triages n°* ? et 3, certaines coupes dites d’ « indem- nités », qui seraient prises dans le triage n° 1. Ces propositions furent approuvées par le même arrêt du Conseil d’État du 12 juillet 1782, qui adoptait les propositions similaires présentées pour la forêt de Réno, en stipulant les mêmes réserves à faire dans les coupes, les mêmes travaux d’entretien du bornage de la forèt et d’assainissement des parties humides assez étendues dans la forêt du Perche, plus la construction de 8 grandes routes fores- tières et de 6 petites, conformément au projet de l’aménagiste, et le prompt repeuplement de 200 arpents environ de friches compris dans l'enceinte de la forêt. Les plans des trois forêts royales -de Bellême, du Réno et du Perche, dressés sous la direction de Chaillou, étaient d’une exac- tiltude remarquable (on les a pris comme base des aménagements actuels) ; admirables comme dessin et lavis, ce sont de vrais mo- dèles de calligraphie. Ses projets de routes forestières, qui furent tous exécutés, étaient fort bien combinés. Bref il avait fait œuvre d'ingénieur, mais la partie d'aménagement était d’une médiocrité déplorable. Comme on l’a vu plus haut, les règlements d'exploitation de 1665 avaient soumis intégralement les Lrois forêts précitées au régime de la futaie, avec une révolution de 150 ans pour celles de Bellème et du Perche, et de 120 ans pour celle de Réno. 212 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Par les aménagements de 1781-1782, on substituait le taillis à la futaie dans une proportion énorme : 1° Pour la forêt de Bellème immédiatement sur plus de la moitié, et, pour l’avenir, sur plus du quart de sa superficie ; 2° Pour la forêt de Réno, sur plus des quatre cinquièmes ; 3 Pour la forêt du Perche, sur près des deux tiers. Rien n’autorisait cette conversion de futaie en taillis, qui pouvait bien avoir pour résultat d'augmenter temporairement les revenus du propriétaire, mais qui devait porter ensuite le plus grave préju- dice à la consommation. C'était évidemment le renversement com- plet du rapport soutenu. Conçus dans un véritable esprit d’égoisme, et ne visant qu’au produit actuel, ces derniers aménagements sacri- fiaient les épargnes accumulées jusque-là, sans paraître se soucier aucunement des besoins des générations futures. De plus, quelle faute immense, au point dé vue des intérêts de la consommation, que cette malheureuse combinaison dont la consé- quence devait être dans l'avenir une diminution considérable du bois d’œuvre au profit du bois de chauffage, dans un pays où ce der- nier produit abondait, à une époque où les conditions économiques, bien différentes de ce qu’elles sont aujourd’hui, obligeaient chaque nation à se suffire à elle-même, enfin au moment où la grande guerre marilime entreprise contre l'Angleterre nécessitait impérieusement que l’on conservât avec un soin patriotique des futaies où la marine s’élait Loujours approvisionnée | Que dire de cette réduction de la révolution à 99 et 100 ans? Il semble que l’aménagiste aurait été bien embarrassé pour la justifier par des motifs culturaux, alors que dans les règlements d’exploita- tion de 1665 on constatait avec raison que les forêts dont il s’agit étaient foules les trois « assises en bon sol ». Il est vrai que le sieur Chaillou avait apprécié, à tort, dans des termes peu favorables le sol de la forêt de Réno, trompé peut-être par l'aspect de la végétation, qui pouvait avoir souffert de quelque traitement antérieur, mais il n’est pas moins cerlain que lui-même constatait que le sol de la fo- rêt du Perche était «assez bon » et celui de la forêt de Bellême « excellent ». Enfin par cet étrange système des « indemnités », c’est-à-dire des LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 213 exploitations hors tour que l’on voit fréquemment répétées dans le procès-verbal d'aménagement de la forêt du Perche, presque à cha- que page de celui de la forêt de Bellême, l’auteur de ces projets in- troduisait dans l'application des aménagements une complication incessante, qui devait avoir pour résultat la plus grande irrégularité dans la suite des peuplements. C’est donc avec raison que ces aménagements de 1781-1782 ont été qualifiés de désastreux par tous les forestiers comprenant sé- rieusement leur mission qui ont eu à les apprécier. A l’époque de l’histoire où nous sommes parvenu, les forêts de la Trappe et du Valdieu, qui sont actuellement rattachées à celles du Perche et de Réno, appartenaient toujours à des ordres religieux, de telle sorte que nous manquons encore de renseignements sur le mode d'exploitation qu’on leur appliquait. Nous avons déjà dit plus haut deux mots de cette question. Toutefois la citation suivante, qui ne laisse pas que d’être assez curieuse, montre que la forêt de la Trappe fut soumise, au commencement du xvim° siècle, à des ex- ploitations déplorables. «Après la mort de l’abbé de Rancé, en 1700, Don Jacques de la Cour, le nouvel abbé, prit à ferme pour 13 années les forges de la Trappe moyennant 2 800 livres par an; mais il fallut faire une destruction des bois de la Trappe pour entretenir le feu des fourneaux, et l’on ne peut dire à quoi se monta l’étrange consom- mation qui fut faite dans cette forêt, dont la vente aurait produit un secours certain à la maison. Bientôt les sources tarirent et les étangs ne purent fournir d’eau qu’au plus 6 semaines dans toute une année. La Trappe se trouva endettée et obligée d'abandonner les forges que des particuliers avaient obtenu d'établir à cause des mines de fer des environs. » (Vie de Dom Le Nain'.) Le seul document que nous ayons pu trouver sur la forêt du Val- dieu est un plan de 1790, sans nom d’auteur, qui paraît avoir été dressé avec soin et qui donne le détail de toutes les parcelles de pro- priétés appartenant alors à la Chartreuse du Valdieu. Il résulte de “cette pièce que la superficie totale du domaine de la Chartreuse 1. Gitation communiquée par M. l'inspecteur des forêts Cochor. ç La de 214 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. était de 4 543% 56,4. Dans ce nombre les bois tels qu'ils sont limi- tés actuellement comptaient pour 1 304759r,5 (soit 666,22), dont 657:r19r,8 en haute futaie et 647°39r,7 en « taillis » âgés de 1 à 19 ans. Ces derniers bois étaient-ils à proprement parler des taillis, c’est-à-dire des peuplements exploités à courte révolution et se re- produisant principalement par rejets de souches ? C’est ce que nous ne pouvons savoir avec certitude. Il semble plus probable qu’une grande partie était formée de jeunes coupes de futaie. Nous avons dit plus haut, en effet, qu'autrefois on désignait par le mot taillis tous les jeunes bois, quel que fût le régime qui leur eût donné nais- sance. Organisation forestière depuis 1790 jusqu’à nos jours. L'organisation du service forestier dans le Haut-Perche, depuis la Révolution de 1789, a subi de nombreuses et profondes modifica- tions, conséquences naturelles des changements qui se sont produits dans l’ensemble de l'organisation forestière de la France. I n’y a lieu ni de s'étonner, ni de s’alarmer pour l'avenir de ces variations qui tiennent à l'instabilité des choses de ce monde. Et d’ailleurs le pro- grès, qui est une marche en avant, n’est-il pas l'opposé du statu quo? La loi du 141 septembre 1790 avait supprimé les maïitrises des eaux et forêts’. Une loi du 16 nivôse an IX organisa définitivement la nouvelle administration forestière. Puis un arrêté du 16 pluviôse de la même année fixa le nombre, l'arrondissement et la résidence des conservateurs, substitués aux anciens grands-maîtres. Le service forestier du Haut-Perche, rattaché à la 4 division, dont le siège était à Caen, fut constilué comme il suil : À inspecteur à Alençon, ayant sous ses ordres 1 sous-inspecteur à - Mortagne, et 2 gardes-généraux, l’un à Bellême et l’autre à Tou- rouvre. 1. Parmi les actes du Gouvernement qui peuvent nous intéresser pendant la période de la Révolution, il convient de citer d’abord la loi du 29 septembre 1791, émancipañt la propriété forestière privée, qui était déclarée absolument libre, puis la loi du 9 floréal an XI soumettant les bois des particuliers au martelage pour le service de la marine et prescrivant unc déclaration préalable en cas de coupe dans ces bois. nl 0 LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 215 Puis une ordonnance royale du 47 mai 1817 réunit l'administra- tion forestière à celle de l'enregistrement et des domaines, suppri- mant en principe les conservateurs, qui étaient remplacés par les directeurs, sauf certaines exceptions à déterminer ; el une autre or- donnance, du 4 juin 1817, pour répondre à ces exceptions, créa en France 6 conservations. La 2°, dont le siège était fixé à Rouen, com- prenait le Haut-Perche. Mais cette combinaison, essentiellement bâtarde, ne pouvait du- rer, ét une nouvelle organisation plus rationnelle fut arrêtée par ordonnance royale du 11 octobre 1820. Le service du Haut-Perche ressortit alors à la 11° conservation, dont le siège, établi d’abord au Mans *, fut ensuite transféré, par ordonaance royale du 17 juillet 1832, à Alençon; et la conservation prit successivement les n° 8 et 15. Une décision ministérielle du 29 novembre 1833 brisa les liens qui rattachaient le Haut-Perche à l'inspection d'Alençon. Dès lors l'autonomie du service de Mortagne était fondée, sous la direction d’un sous-inspecteur, auquel on substitua bientôt un inspecteur (dé- cision ministérielle du 14 novembre 1837); l'importance de ce ma- gnifique service l’exigeait. Jusqu'en 1885, l'inspection de Mortagne comprit 2 cantonne- ments : l’un composé des forêts de Bellème et Réno-Valdieu, l’autre des forêts du Perche-la-Trappe*, Moulins-Bonmoulins et le Pin- 1. Déjà une première fois cette fusion avait été faite par un décret du 4 brumaire an IV, qui mettait la gestion des forêts nationales sous la direction de la « Régie de l'enregistrement et des domaines ». Les chefs de cette administration unique s'intitu- lèrent d'abord « régisseurs de l'enregistrement et du domaine national », puis, à partir de messidor an VIIL, ils s'appelèrent « administrateurs du domaine national et de l’en- registrement ». ; 2. Le conservateur nommé au Mans à cette époque offre un exemple bien rare, peut- être unique, de durée dans ces fonctions supérieures : 23 ans! (1801-1824). C'était le « licutenant-général Songis, chevalier de la Légion d'honneur et de Saint- Louis », ce qui fait supposer qu'il était officier général bien jeune et que de graves blessures durent le mettre dans l'impossibilité de continuer le service militaire. 3. Par suite du décret-loi du 24 novembre 1789, qui mettait « tous les biens ecclé- siastiques à la disposition de la Nation » les forêts du Valdieu et de la Trappe, qui appartenaient antérieurement, la première aux Chartreux, et la seconde aux Trappistes, devinrent forêts nationales. 216 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. au-Haras”. Ces deux cantonnements furent d’abord gérés par des gardes-cénéraux résidant, l’un à Bellème, l’autre à Tourouvre. Puis, vers 1846, ce dernier cantonnement fut attribué à un sous-inspec- teur. Une décision du directeur général, du 18 décembre 1858, trans- féra le sous-inspecteur à Bellême, et le garde-général à Moulins-la- Marche. À partir de 1873, les deux chefs de cantonnement résidèrent à Mortagne. Une nouvelle décision du directeur général, du 18 mai 1877, ré- tablit le sous-inspecteur à la tête du cantonnement de Moulins-la- Marche (cantonnement nord) et le garde-généraL fut chargé du cantonnement de Bellême (cantonnement sud). Enfin une décision ministérielle du 24 janvier 1885 modifia com- plètement l’organisation du service, en convertissant l’inspection de Mortagne en «chefferie ». À l’inspecteur on confia la gestion de la forêt de Bellème formant seule le cantonnement sud. Le cantonne- ment nord, composé des quatre autres forêts, fut géré d’abord par un sous-inspecteur et l’est actuellement par un garde-général?. Quant au personnel inférieur, sa composition est restée toujours la même jusqu’en 1879, époque à laquelle il fut grandement réduit. i. Nous ne nous occupons pas dans cette notice des forêts domaniales de Moulins- Bonmoulins et du Pin-au-Haras, parce qu'elles ne sont pas situées dans la région nommée autrefois Haut-Perche, sise dans l'arrondissement de Mortagne. Elles étaient comprises l’une et l'autre dans l’ancienne province de Normandie. La forêt de Moulins-Bonmoulins formait autrefois la gruerie de Moulins-la-Marche (maîtrise d'Alençon). La forêt du Pin-au-Haras, qui appartient à l'arrondissement d’Argentan, faisait partie de la maîtrise d’Argentan qui, créée en 1554, fut supprimée peu après, puis rétablie en 1669, et qui dépendait, à l'époque de la Révolution, de la grande-maîtrise de Caen, établie en 1703. 2, Voici quelle est aujourd’hui la composition de la chefferie de Mortagne: 15° conservalion : Alençon. — Chefferie de Mortagne : HECTARES. Cantonnement sud . ‘. Forêt de Bellême . . . . . . . . . . 24928,98 — de Moulins-Bonmoulins. { 514,74 | — du Perche-la-Trappe. . 3 222,15 | RE e © — de Réno-Valdieu . . . 1 588,76 —. du Pin-au-Haras . . . 274,173 > 6 600,41 9 029,39 LE HAUT-PERCHE ET SES FORÈËTS DOMANIALES. 217 Il y avait alors pour la forêt de Bellême 1 brigadier et 5 gardes, pour celle de Réno-Valdieu, 1 brigadier et 3 gardes, et pour celle du Perche-la-Trappe, 1 brigadier et 5 gardes. Lorsque l’on créa des gardes-cantonniers*, on en plaça 3 dans la forêt de Bellème, 2 dans celle de Réno-Valdieu et 3 dans celle du Perche-la-Trappe. Situation des forêts du Haut-Perche pendant la première moitié du xix® siècle. Les prescriptions des aménagements de 1781-1782 furent exécu- tées tant bien que mal dans les diverses forêts du Haut-Perche jus- qu’en 1821, sans être parfaitement comprises des divers agents qui se succédèrent dans le pays, et qui en exagérèrent {a portée dans le plus mauvais sens. Aussi un rapport de M. le conservateur de Sahune, chargé en 1826 d’une mission de vérification dans la forêt de Bellême, faisait-il remarquer que, si on avait © suivi ces pres- criptions dans les triages réglés en taillis », il n’en avait pas été de même pour les triages de futaies, où les coupes s’élaient faites de telle sorte qu’il « était difficile que la confusion allât plus loin ». Mais déjà, sous l'impulsion de nos maîtres de ce siècle, les Lo- rentz, les Parade, les de Buffévent, — pour ne citer que les princi- paux, — les saines théories de culture commençaient à se répandre en France. Notre École nationale de Nancy allait être fondée. Enfin le Code forestier de 1827 venait substituer, aux débris « incohérents d’une législation dont la base avail été renversée et aux commence- ments d’une législation nouvelle qui en était restée à son ébauche”», un ensemble de dispositions parfaitement coordonnées, qui avaient été arrêtées après l’étude la plus approfondie peut-être qui ait servi de préparation en France à la discussion d’une loi. Une ère nouvelle s’ouvrait donc pour nos belles forêts du Perche. Une décision ministérielle du 7 mai 1891, — c’est une date à re- tenir, — autorisa dans la forêt de Bellême, l’essai de la méthode du 1. Arrêté du 14 décembre 1839. 2. Exposé des motifs à la Chambre des députés par M. de Martignac, ministre d'Etat. commissaire du Roi. (Séance du 29 décembre 1826.) ee. 218 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. réensemencement naturel et des éclaircies, à commencer en 18922, sous la direction de M. l'inspecteur général Dubois, qui en avait fait la proposition. D’après ses indications, cinq coupes d’ensemence- ment furent successivement assises sur une superficie totale de 62 hectares, pour les ordinaires 1829, 1893 et 1824. Puis les pre- mières coupes secondaires eurent lieu en 1827 en 1828. Ce ne fut pas sans une certaine résistance de la part des agents locaux que la méthode nouvelle parvint à s’acclimater dans la forêt de Bellême. Ces agents étaient découragés par l’insuccès qui avait suivi leurs premières tentatives, et qu’ils attribuaient au système lui-même, tandis qu’il était dù, au moins en partie, à la manière dont ils l’appliquaient. La preuve en ressort de ce fait que, dans les coupes d’ensemencement précitées, le nombre de réserves avait été en moyenne, par hectare, de 169, et s'était mêmeélevé jusqu’à 184, alors que maintenant, bien que nous eslimions être très prudents, nous n’en gardons que 130 à 140. Il est clair qu'avec un couvert aussi épais que celui que maintenaient nos devanciers le réense- mencement en chêne pouvait difficilement réussir. D’autre part, on avait cru devoir édicter, pour l'exploitation des coupes secondaires, un ensemble assez compliqué de clauses parti- culières fort gènantes pour le commerce et onéreuses pour le Tré- sor, dont les principales peuvent se résumer ainsi : 4 Formation de lieux de dépôt étendus, fixés en dehors des cou- pes et limités par des fossés de 1",50 de largeur, avec défense de fabriquer aucune marchandise dans les coupes; ®% Ouverture d’un chemin d’une largeur de 6 mètres, bordé de fossés de 1,50, qui plus tard devaient être comblés; 3 Défense de faire entrer les voitures dans l’intérieur des coupes, sauf pour l’enlèvement des arbres de marine et des bois de sciage ; obligation de museler les bêtes de somme ou de trait; 4 Fourniture par l’adjudicataire, pour chaque lot, de 2000 kilogr. de glands, 100 kilogr. de faînes et 200 journées destinées à la ecul- ture préalable du terrain. Il est presque superflu de dire que maintenant aucune de ces obli- gations n’est imposée aux adjudicataires, ce qui ne nous empêche pas d’obtenir les plus beaux repeuplements naturels. LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 219 M. le conservateur de Sahune, puis M. l'inspecteur Chauvet, dé- signés successivement par l’administration pour vérifier l'application faite dans la forêt de Bellême de la méthode naturelle, constataient déjà en 1826 et 1827, à la suite d’années de semences abondantes, la réussite des coupes d’ensemencement, et concluaient, dans des rapports très étudiés, à l'abandon définitif des coupes à tire et aire. Et maintenant les splendides perchis des cantons de Vallée-Saint- Ouen et de Launay-Morel, qui sont le produit des coupes dont nous venons de parler, excitent l'admiration des forestiers de tous pays qui nous font l'honneur de visiter la forêt de Bellème. Agés actuel- lement d'environ 70 ans, ils sont complets, vigoureux, élancés. Leurs tiges mesurent en moyenne 0",70 à 0,80 de diamètre (à 1®,30), sur 25 à 28 mètres de hauteur; nous en avons même me- suré dont la hauteur atteint 34 mètres. Nous avons cru devoir nous arrêter quelque peu sur cet incident important de l’histoire forestière du Perche, en raison de l'intérêt qui s’y attache, car ce fut là sans doute un des premiers essais de la méthode de réensemencement naturel tentés en France. Le succès des coupes de régénération assises dans la forêt de Bellême encouragea les agents à proposer l'extension de cette mé- thode d’exploitation à la forêt de Réno-Valdieu, et l'on commença à l'y mettre en pratique à partir de 1827, en donnant à ces coupes des possibilités par contenance très variables. Parallèlement à l'application de la méthode naturelle dans les fu- taies exploitables, on était entré largement et depuis longtemps dans la voie des nettoiements de bois blanes et même des éclaircies. Ainsi une décision ministérielle, du 18 avril 1893, autorisait les net- toiements de bois blancs à effectuer en 15 ans sur 322 hectares dans la forêt de Bellême (triages de Saint-Marün et la Herse). Malheureu- sement, de 1837 à 1844, certains agents d’exécution, interprétant mal cette décision, substituèrent aux simples netloiements prescrils, de vraies coupes de taillis sous futaie. Une ordonnance royale, du 23 juin 1824, autorisait les mêmes opérations à faire en 11 ans sur 50,24 dans la forêt de Réno. Une décision ministérielle de même nature avait été déjà prise, à la date du 16 avril 1823, pour la forêt du Perche (triage de Sainte- 220 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Nicole), où les nettoiements devaient embrasser 76 hectares pour 3 ans. Plus tard une ordonnance, du 4 août 1832, décida que les nettoie- ments de bois blancs, accompagnés d’extraction de vieux bois, par- courraient 273,69 en 12 ans dans la même forêt du Perche. Comme on le voit, les forestiers du Perche en étaient arrivés à comprendre l’importance de ces deux points essentiels de la gestion forestière : la régénération et l'amélioration des massifs; ils sen- taient donc toute la valeur de la question culturale, mais ils ne pa- raissaient prendre aucun souci de l’aménagement. On proposait de mettre en coupe de régénération, pendant tant d'années, tel massif exploitable, à raison de tant d’hectares par an, et l’on marchait sans se préoccuper de l’avenir, sans songer aucunement à la régularité de la production. Que serait-il arrivé? Ou l’on aurait dû interrompre brusquement les exploitations principales, ou bien on aurait attaqué des peuplements qui n'étaient point encore parvenus à leur maxi- mum d’accroissement : des deux côlés, perte pour la consommation et pour le Trésor. Heureusement la fortune administrative réunit dans notre pays à la même époque (1844-1848) deux forestiers éminents, M. le conser- vateur de Buffévent et M. l'inspecteur Gand, qui eurent à cœur de faire cesser les errements suivis jusqu'alors par des agents pleins de bonnes intentions sans doute, mais manquant de prévoyance. Nous allons résumer succinctement les règlements d'exploitation qui furent présentés par M. l'inspecteur Gand, de 1845 à 1848. Règlements d'exploitation de 1845 (forêt de Bellême), de 1848 (forêt de Réno-Valdieu), de 1847 (forêt du Perche). FORÊT DE BELLÈME Le règlement relatif à la forêt de Bellème, dont la superficie était évaluée à 2 453,04, fut le plus bref des trois. L’ordonnance royale du 12 septembre 1845, qui l’approuvait, se bornait aux trois dispo- silions suivantes : 1° Coupes de régénération à prendre sur les 504 hectares de bois dé, LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 221 âgés de 126 ans et au-dessus, basées sur une possibilité annuelle de 45 hectares ; 2° Coupes d’éclaircie dans les 846 hectares de peuplements âgés de 26 à 195 ans, à raison de 98 hectares par an ; 3° Nettoiemenis dans les 1075 hectares de bois de 4 à 25 ans, à déterminer sur les états d’assiette. FORÊT DE RÉNO-VALDIEU Le règlement d’exploitation, arrêté par décret du 29 septembre 1850, pour la forêt de Réno-Valdieu était bien plus compliqué que le précédent. La contenance totale de celte forêt était portée à 1 571,41. On y distinguait deux « triages » (sections) d'exploitation. 1° triage. — Le premier triage comprenait deux séries de futaie dont la révolution était fixée à 150 ans et divisée en cinq périodes de 30 ans. La possibilité totale déduite des cubages effectués dans les premières affectations était de 1 634 mètres cubes (non compris les branchages). La contenance annuelle des coupes d’éclaircie à faire dans les affectations autres que celles en tour de régénération était de 30,12. En outre, les coupes de taillis devaient se continuer sur 32,45, pendant une « révolution préparatoire » de 30 ans, à raison de 12,08 par an. Enfin des nettoiements devaient être proposés par les états d’as- siette. 2° triage. — Le deuxième triage se composait d’une série unique de « conversion », à traiter provisoirement en taillis pendant une période de 40 ans, avec une possibilité annuelle de 7,77 et en y pratiquant des repeuplements artificiels chêne et hêtre. De plus, on devait parcourir en 10 ans une étendue de 91 hec- tares laissée en dehors de la série, en y faisant des coupes de « net- toiement avec extraction de souches », dont la contenance annuelle ds sb 7 222: ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. était de 9,10 et auxquelles devaient succéder des repeuplements de pin sylvestre. FORÊT DU PERCHE La superficie de ce massif était évaluée à 2137495. Le règlement d’exploitation de M. l'inspecteur Gand ne s’appli- quait qu’à une partie du massif du Perche, la section de Sainte-Ni- cole, d’une contenance de 851,39, soumise de tout temps, même par l'aménagement de 1782, au régime de la futaie. Une décision ministérielle, du 25 septembre 1848, fixa la révolu- tion à 190 ans, et la possibilité par volume des coupes de régéné- ration à 1332 mètres cubes. La contenance annuelle des coupes d’éclaircie, que l’on devait asseoir dans les affectations non en tour de régénération, était de 182,17. Les coupes de taillis étaient maintenues, pendant une période transitoire de 30 ans, sur 221°,41 à raison de 7,38 par an. Les états d’assiette devaient indiquer chaque année les nettoie- ments à effectuer. Quant à la section proprement dite de taillis, dont il n’était pas question dans le règlement de 1848, elle continua à être soumise aux prescriptions de l’aménagement de 1782, c’est-à-dire qu’elle était divisée en deux séries donnant annuellement une coupe de 91,07 et une autre de 18"*,32. Les trois règlements d’exploitation que nous venons de passer en revue pouvaient donner prise à bien des critiques. Celui de la forêt de Bellème surtout paraît avoir été fait trop hâtivement. Il s’appuyait bien, il est vrai, sur une reconnaissance générale de la forêt, suivie de l’établissement d’un parcellaire, mais celui-ci était des plus sommaires, car chaque parcelle était formée d'un canton entier, malgré les différences dans les éléments de produclion qui devaient être très sensibles dans toute l'étendue de chaque canton. D'autre part, les peuplements exploitables se trouvant disséminés dans quatre régions bien tranchées, la division en quatre séries LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 224 s’imposait tout naturellement, tandis qu’on avait fait de toute la forêt une série unique. Le terme de la révolution n’était fixé, ni explicitement, n1 impli- citement. La possibilité des coupes de régénération étant basée sur la con- tenance, et non sur le volume, il était évident à priori que l’on ne pouvait ainsi assurer le rapport soutenu, l'égalité de contenance n’entrainant nullement l’égalité de produits, alors surtout que les coupes devaient être assises successivement dans quatre parties de la forêt assez différentes les unes des autres. Au bout de quelques années on s’aperçut que ce règlement était entaché d’autres fautes tellement graves, qu'il devenait urgent de l'annuler pour y substituer un aménagement définitif. Les règlements des forêts de Réno-Valdieu et du Perche avaient été plus soignés. Les parcellaires paraissent avoir été fort détaillés. La possibilité des coupes de régénération était évaluée par volume et basée sur un inventaire complet du matériel de futaie exploitable. Mais on peut reprocher à ces deux règlements leur trop grande complication, par suite de la division des massifs en nombreuses sections el séries. Ce qu'il y a de certain, c’est qu'un grand progrès élait réalisé, progrès dont il faut attribuer tout l'honneur à l'initiative de M. l’ins- pecteur Gand. Comme nous avons déjà dit, les coupes de régéné- ration et d'amélioration faites depuis vingt ans dans les forêts du Haut-Perche avaient été assises saris plan d'ensemble, sans avoir été précédées d’une étude approfondie de ces forêts. M. Gand, chargé d’un service aussi important que celui de Mortagne, ne pouvait avoir la prétention de présenter en trois ans, même avec la collabo- ration de ses chefs de cantonnement, des aménagements complets pour lestrois forêts de Bellême, Réno-Valdieu etle Perche-la-Trappe, dans lesquelles, pour les causes que nous avons indiquées, régnait la plus grande irrégularité. Il ne se proposa qu’un objectif, le seul auquel il lui fût permis de songer : jeter un peu de lumière dans celte confusion qu'avait signalée M. le conservateur de Sahune, ramener ua certain ordre dans les exploitations, en sauvegardant, autant que possible, les intérêts de l'avenir. Il faut le louer 224 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. aussi d’avoir posé franchement pour toutes les forêts le principe de la futaie à longue révolution. S'il n’alla pas aussi loin qu’il aurait dû peut-être dans celte voie, c’est que sans doute les tendances de l’ad- ministration à cette époque ne l’y portaient pas. Peut-être aussi, en maintenant le régime du taillis sur une étendue notable des forêts de Réno-Valdieu et du Perche, avait-il reculé devant la crainte d’en- trainer, par toute autre combinaison, une trop forte diminution dans le revenu en argent. Le tableau suivant donnera une idée des résultats qu'obuint le Trésor par suite des règlements d’exploitation que nous venons d'analyser. Rendement en argent des coupes assises dans les forêts domaniales pendant la période décennale qui a suivi les règlements d'exploitation de 1845, 1847 et 1849. RENDEMENT ANNUEL MOYEN = CONFE — PÉRIODE FORÈTS. en argent | en argent à des coupes brut NANCE. | Ge bois g -| de toute nature. CONSIDÉRÉE. par hectare. Frances. Frances. Bellëme . . . . . . . . . .12453,04 [145,226] 59,20 1185-1854 inclus. Réno-Valdieu . . . . . . . .|{1971,41 | 73,201| 46,57 |1851-1860 inclus. Le Perche-la-Trappe (section de futaie).2:2 ue à: 40.1, 851,891 L141,668 1.448,91 1t847-#85S/inelus: 1. La contenance ci-dessus de 851ha,39 est celle de la section de futaie dite de Sainte-Nicole, à laquelle se rapportait seulement la décision ministérielle du 25 septembre 1518. — La conte- nance du massit entier du Perche était de 2 137ba,25. Il eùt été certainement intéressant de connaître non seulement le rendement brut en argent, mais encore le rendement en matière obtenu dans les trois massifs désignés ci-dessus, à la suite des rè- glements d'exploitation auxquels ils ont été soumis à partir de 1845, 1847 et 1848, mais, comme les recherches nécessaires pour obtenir ces renseignements auraient été extrêmement longues et laborieuses et n'auraient pas présenté des garanties certaines d’exactitude, nous avons dù, à regret, y renoncer. | | a! ER LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 225 FORÊT DE LA TRAPPE Cette forêt, dont l’étendue était de 1 100,17, fut malheureuse- ment laissée en dehors des règlements d’exploitation par M. l’ins- pecteur Gand, Pour se conformer aux prescriptions de la réformation de 1665, les Trappistes en avaient fait anciennement deux parts : l’une, for- mée des meilleurs cantons, les plus rapprochés d’ailleurs de l’ab- baye, d’une contenance de 160 à 170 hectares (Vente du Pare, la Ferrette, la Futaie et Carriere-Saint-Bernard), était soumise au ré- oime de la futaie ; l’autre, comprenant tout le reste de la forêt, était traitée en taillis à la révolution de 15 ans. A partir de 1790, les agents forestiers continuèrent les errements des Trappistes. De 1802 à 1855, on effectua, quand il y avait lieu, des extractions d'arbres morts dans les parcelles de la réserve. Une ordonnance royale, du 17 mai 1829, autorisa des nettoiements de bois blancs dans ces mêmes parcelles. Interrompues à partir de 1840, elles furent reprises de 1855 à 1869, en vertu d’une décision du directeur général, du 29 août 1855, puis prorogées par une autre décision, du 5 mars 1869. Les coupes de taillis continuèrent toujours à s’exploiter à 15 ans. Elles avaient d’ailleurs des contenances variables et leurs limites étaient fixées par d’anciens parois: On a peine à croire qu'il ait pu se rencontrer un agent forestier qui, dans un rapport du 10 décem- bre 1837, proposait de faire de cette seclion de taillis, deux séries à exploiter à l'âge de 12 ans ! Il va sans dire qu'on ne donna aucune suite à un tel projet. La malheureuse forêt de la Trappe avait déjà eu bien assez à souffrir pendant des siècles des exploitations à brève révolution et des dégâts du pâturage. Aussi M. le conservateur de Buffévent écrivait-il en 1846 : « Cette forêt marche vers une ruine certaine par suite du régime vicieux sous lequel elle est forcée de fléchie » ; et cet agent supérieur émettait le vœu que l’on comprit, dans un même aménagement, les deux massifs du Perche et de la Trappe, qui sont contigus. ANN, SCIENCE AGRON, — 1892, — 11, 15 226 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. II ÉTAT ACTUEL DES FORÊTS DOMANIALES DU HAUT-PERCHE Statistique. Les trois forêts domaniales du Haut-Perche ayant entre elles beau- coup de points communs, il a paru naturel, pour éviter des redites, de réunir dans un même article tous les renseignements statistiques qui les concernent. Contenance. Les contenances actuelles de ces forêts sont indiquées ci-après : HECTARES. Belle NA UE UE MRC SR ete 2 428,98 RÉDOSNANIER SET CREME RSR 1 588,76 Le Perche-la-Trappe. . . . . . . . 31229818 TORRES NET ENS 7.239,92 Limites. Les limites de ces forêts sont formées par des fossés très anciens, larges de 2 mètres, appartenant généralement à l’État et qui rendent toute anticipation impossible. Sur quelques points seulement, des délimitations partielles, suivies de bornages, ont été faites à des époques relativement récentes. Situation ; exposition. Les trois forêts occupent des plateaux avec des versants inclinés à toutes les expositions. Altitudes. Les altitudes extrêmes sont approximativement les suivantes : Forét de Beéllémes RES ET ER ER ERee 170 à 250 mêtres. Forêt de Réna-Valdieu . . . . . . -. . . 220 à 240 — Forêt du Perche-la-Trappe. . . . . . . . 230 à 300 — LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS NOMANIALES. 221 Climat. Nous avons donné plus haut (2° partie) des renseignements cir- constanciés sur le climat du Haut-Perche. Il nous suffira d'ajouter quelques détails concernant spécialement les forêts. Il est rare que les vents, même les plus violents, occasionnent de graves dégâts dans nos massifs forestiers. La neige n’y persiste pas assez longtemps pour y être très dommageable. Mais les gelées prin- tanières qui se prolongent assez tard (parfois jusqu’à la fin de mai), causent assez fréquemment un préjudice sensible soit à la floraison du chêne et du hêtre, soit aux jeunes bois qui occupent les dépres- sions du sol. Il y a lieu de signaler aussi les effets fâcheux causés par les brouil- lards et les froids persistants dans la partie supérieure de la forêt du Perche-la-Trappe, traversée par plusieurs vallons où les essences feuillues, notamment le chêne, sont constamment gelées, quel que soit leur âge. Sous-sol et sol. La grande majorité du sous-sol des forêts domaniales dans le [aut-Perche appartient à la formalion de l'étage éocène (terrains tertiaires) appelée « l'argile à silex ». Le sol est alors composé d’une couche d’argile généralement très puissante, dans laquelle les silex sont à l’état de rognons plus ou moins volumineux, disposés parfois en bancs fort importants. Comme conséquence, on rencontre sur cette formation un sol tantôt glaiseux, tantôt argilo-siliceux, et qui, suivant l'état plus ou moins divisé de l'argile, et selon la profondeur à laquelle se trouvent les bancs de silex, présente des propriétés et par suile des qualités très différentes. Sur les versants, l'argile à silex a été décapée par les eaux, et le sous-sol est alors formé par les « sables du Perche », qui consti- tuent un des étages des terrains crétacés moyens. Dans ce cas le sol est silico-argileux ou plus fréquemment tout à fait siliceux. Un point important à noter, c’est l'absence de calcaire dans nos 228 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE,. terrains forestiers, à part quelques faibles lambeaux existant sur les lisières de la forêt de Bellème. La couche superficielle du sol est enrichie par les détritus des végélaux herbacés et frutescents qui la recouvrent, et dont les prin- cipaux sont la bourdaine, souvent très abondante, le houx, les fou- gères dont on trouve les espèces les plus variées et, dans les sols où la silice domine, les bruyères et la myrtille. Sur un seul point de la forêt du Perche-la-Trappe, — fait assez singulier, — on trouve lai- relle canche, à une altitude d'environ 270 mètres seulement. Ainsi que nous l’avons indiqué (3° partie, D, le régime de la futaie a été appliqué de temps immémorial sur une grande partie des fo- rêts domaniales. Les siècles ont ainsi accumulé une épaisse couche de feuilles mortes dont la décomposition a produit le plus riche hu- mus. On conçoit que, lorsqu’à celle circonstance, éminemment fa- vorable, vient se joindre un sol de nature argilo-siliceuse, profond et divisé, celui-ci réalise alors le maximum de fertilité. Tel est le cas de certains cantons des forêts de Bellème et de Réno-Valdieu. Essences. Le pelit tableau suivant indique approximalivement, par centiè- mes, les proportions des diverses essences qui peuplent les forêts domaniales du Haut-Perche : ESSENCES PIN SYLVESTRE feuillues nee FORÈTS. CHÊNE. HÊTRE, ré quelques épicéas charme, et bois blanc). sapins pectinés. Bellème.sts tte 0.54 0.30 0.05 0.11 Réno-Valdieu . . . 0.50 0.31 9.05 0.11 Le Perche-la-Trappe. 0.40 0.26 0.15 0.19 On voit que les deux essences dominantes dans ces trois forêts sont le chêne et le hêtre, puisqu'ensemble elles entrent pour 66 à 84 centièmes dans les peuplements; on remarque en outre que le chêne l’emporte sur toutes les autres essences, grâce aux efforts réi- térés que nous faisons pour lui maintenir la supériorité du nombre, nous expliquerons plus loin comment. Ajcutons que l’espèce de sl, LS LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 229 chêne qui forme la très grande majorité des peuplements est le chéne rouvre. Quant au chène pédonculé, on ne l'y trouve qu’en faible proportion. Le chêne et le hêtre se plaisent admirablement, surtout en mé- lange, dans les sols généralement profonds et substantiels de nos forêts. Leur végétation devient, sur certains points, d’une vigueur extraordinaire. Il suffira de citer les cantons du Pont-à-la-Dame, le Hallet, Bruyères-Rondes, le Chêne-Saint-Louis (forêt de Bellème), où les futaies exploitables ont environ 200 ans, et ceux de la Montagne, la Gautrie, V’Étang-Michot, Vallée-Madeleine (forêt de Réno-Valdieu), dont les bois sont âgés de 150 à 180 ans. Ceux qui ont parcouru ces massifs déclarent unanimement n’en avoir vu nulle part de plus ma- onifiques. Qu’on se représente en effet des arbres d’une grande rec- titude de formes, exempts de défau:s et mesurant jusqu’à 2 mètres, 2% 50, 3 mètres de circonférence (à 1,30 du sol) sur 25 à 30 mètres de bois d'œuvre ; leur longueur totale atteint parfois 40 et même 45 mètres. On rencontre en outre, dans la forêt de Bellème, quelques arbres de dimensions absolument remarquables. Nous n’en citerons que deux, un chêne et un hêtre. Le chêne, situé au canton du Pont-à-la-Dame, offre une circonfé- rence de 4",50 (à 1,30) et 30 mètres au moins de hauteur de bois d'œuvre. Malheureusement il se bifurque à 17",80 du sol. Réservé en 1883 dans une coupe définitive comme Lype exceptionnel, ce géant de la végétation n’a nullement souffert depuis neuf ans de son isolément, sa ramure est toujours aussi puissante et aussi verte ; 1] porte encore fréquemment des glands. Son tronc est entièrement sain. Un marchand de bois du pays l'estime 1 300 fr. sur nied *. Le hêtre que l’on voit au canton de Vallée-Saint-Ouen, élève, au milieu d’un beau perchis âgé d’une soixantaine d’années, son fût par- faitement droit, dont la grosseur est de 3",50 (à 1,30) et la hauteur en bois d'œuvre est de 33 mètres. {. Nous avons donné à cet arbre magnifique le nom de Chéne-Lorentz, en l'honneur du forestier éminent qui était directeur de notre administration à l'époque où il fut réservé. 230 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Après la vigueur de la végétation, ce que l’on doit admirer le plus dans les forêts de Bellême et de Réno-Valdieu, c’est la régularité des peuplements de tout âge. Sous ce rapport la forêt de Bellême est vraiment la forêt classique. Les glandées et les fainées abondantes n’ont guère lieu que tous les 6 à 8 ans; mais dans intervalle il se présente toujours quelques glandées et fainées partielles. Voici le relevé des principales années de semence depuis 1875 : ANNÉES, GLANDÉES. FAINÉES. LOTO SR MENT a 22 abondante » LOS UPS ET 1e id. assez abondante LOS RME NN E à 0e assez abondante » ler to dose ten » très abondante il y a une trentaine d’années, on avait commencé à introduire le frène dans les forêts de l’inspection de Mortagne, mais timidement. Nous donnons maintenant une certaine importance à la culture de celte précieuse essence dans les parties humides, fort nombreuses ici, en l’y mélangeant au hêtre dans la proportion d’un tiers envi- ron, Elle y fait merveille. Exemple: des plantations de frènes âgés de 3 ans que nous avons fait effectuer dans la forêt de Bellème au printemps de 1883, avaient atteint à la fin de 1891 une hauteur moyenne de 5 mètres! Le charme entre dans les peuplements pour une très faible part. Quant aux bois blancs (bouleau, tremble et aune), toutes les des- criptions faites de nos forêts au xvi, au xvi° et au xvin° siècle constataient leur envahissement progressif. Comme nous l’avons fait observer, on commença à leur faire une guerre acharnée pendant la première moitié de ce siècle. Néanmoins, en lisant les élats des- criptifs de parcelles insérés dans les divers procès-verbaux d’aména- gement que nous examinerons bientôt, on constate qu’à l’époque de ces aménagements, c’est-à-dire il y a 20 à 50 ans, les bois blancs étaient encore assez nombreux. Aujourd’hui, la proportion en est très faible, car elle n’est guère que de 5 à 10 centièmes; et il est certain qu'avec une ou deux éclaircies on les fera totalement dispa- 4 5 “ie 4 FRS à 1 LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES, 294 raitre. Parmi les bois blancs, c’est le bouleau qui domine de beau- coup. Les résineux ne sont pas spontanés dans les forêts domaniales du Haut-Perche ; on les y a introduits depuis 50 ans environ, le pin syl- vestre sur les sols maigres, surtout sur les sables du Perche, lépi- céa et le sapin pectiné dans quelques vallons seulement. Le pin vient parfaitement. Les peuplements’ de cette essence occupent actuel- lement dans les trois forêts domaniales, une superficie totale de 1050 hectares. L’épicéa et le sapin ont également bien réussi, mais ces deux essences ont dans le pays un tissu mou et tendre ; le com- merce en fait fort peu de cas. Il ne parait pas qu'il y ait avantage à les propager. Pépinières. Depuis dix ans, nous avons créé dans les trois forêts domaniales quatre pépinières, dont trois sont destinées aux essences feuillues et la quatrième au pin sylvestre. Ce sont : HECTARES. Forêt de Bellême . . . . Pépinière de la Herse . . . . . . . 0,69 Forèt de Réno-Valdieu . . Pépinière de la Halerie . Mass 0:28 Pépinière dus Val-AlaS NE Ur. 1" 02 Forè he-la- ; nie ei LS Pépinière des Bouleaux . 0,25 Les trois premières pépinières sont aménagées de façon à four- niv, — lorsqu'elles sont en pleine production, — un total annuel d'environ 135 000 plants de chêne âgés de 3 ans et bons pour être plantés, déduction faite du rebut, plus un nombre variable de plants de frêne. La pépinière des Bouleaux, réservée exclusivement au pin, peut donner annuellement 50 000 plants âgés de 2 ans et repiqués en pépinière. Pour maintenir les pépinières dans un état constant de fertilité, on prépare chaque année un compost formé de 9/10 d’herbes pro- venant des sarclages et de feuilles mortes ramassées dans les fossés et de 1/10 de chaux, le sol ne renfermant pas cet élément minéral, qui d’ailleurs active la décomposition de la partie végétale du com- post. Ces diverses substances sont déposées par lits alternatifs, puis 232 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. mélangées à plusieurs reprises. Le terreau en question n’est em- ployé que lorsqu'il est parfaitement décomposé. Vides et clairières. On ne rencontre actuellement aucun vide dans les forêts de l’État que nous étudions, mais seulement, après les coupes de régé- nération, quelques peules clairières qui sont promptement re- peuplées. Dégûtls causés par les animaux el les plantes parasites. Les sangliers, assez nombreux dans le pays, font de fréquentes incursions dans les trois forêts, passant successivement de l’une à l’autre et y labourant profondément le sol, soit pour y chercher des vers ou certains champignons hypogés de la famille des Lycoperda- cés, soit pour ronger des racines, particulièrement celles des fou- sères dont ils semblent très friands ; mais leurs dégâts ne sont pas habituellement sérieux, sauf dans les années de glandées où ils dé- vastent alors les semis. Les cerfs, comme les sangliers, dévorent beaucoup de glands. Un fait curieux à ce sujet nous a été cité par le brigadier de la forêt de Bellême. Il y a quelques années, une biche avait été forcée dans cette forêt. Lorsqu'on en fit la curée, on constata qu’elle avait l'estomac rempli d’une quantité énorme de glands qu’elle avait avalés sans les broyer, et qui, semés en pépinière, levèrent parfai- tement. Lorsque le nombre des cerfs devient trop grand, on est obligé de procéder à des destructions spéciales de ces animaux, car ils causent alors des dommages sensibles en broutant les jeunes bois. En 1886, on constata dans un magnifique semis de pin sylvestre âgé de 10 ans, effectué par bandes alternes sur une superficie de 3 hectares, au canton des Étangs (forêt du Perche-la-Trappe), que 2000 brins environ avaient été rongés à quelques centimètres au- dessus du collet de la racine. Un millier de ces pins périrent: le tissu cortical en avait été enlevé sur tout le pourtour de la tige, par- LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 233 fois sur une longueur de 20 centimètres. Ces brins furent arrachés et brûlés. Ceux qui n’avaient élé entamés que partiellement reprirent et continuèrent à végéter avec vigueur. Ce semis de pin s'élevait au milieu de bruyères très hautes et très serrées. En faisant des recher- ches minutieuses au pied des plants pour découvrir l’auteur du mal, on trouva des débris assez nombreux de glands et de faînes, ce qui fit supposer que les dommages causés aux pins étaient l’œuvre d’un rongeur qui avait trouvé pendant l'hiver un excellent abri sous ces bruyères touffues. Les dégâts ne s’étendirent pas davantage et n’ont pas reparu. Depuis quelques années on a remarqué, dans les forêts de Bellême et du Perche-la-Trappe, qu’un cerlain nombre de pins, de 30 à 40 ans, séchaient sur pied au milieu de massifs vigoureux dans leur ensemble. Tout d’abord on avait cru avoir affaire à la « maladie du rond », telle qu’elle a été caractérisée par divers sylviculteurs, la forme générale des surfaces atteintes étant en effet à peu près cir- culaire. On fit donc arracher les pins morts et dépérissants, et l’on creusa des fossés d'isolement. Mais une étude plus attentive de ce phénomène a fait penser depuis que la cause n’en pouvait être attri- buée à une invasion des cryptogames connus (Rhizina undulata, Agüricus melleus ou Trameles radiciperda), car, outre qu’on ne trouvait pas de champignons sur les arbres ou autour des arbres morts ou dépérissants, on a remarqué sur plusieurs points que cer- Lains pins restaient indemnes et bien venants au milieu d'autres qui avaient successivement péri, ce qui n'aurait pu évidemment arriver dans l'hypothèse de champignons destructeurs, étant donné le pro- cessus rayonnant du mycélium de ces champignons. D'autre part, on a trouvé sur les pins dépérissants un grand nom- bre de galeries causées par des insectes, et ces insectes eux-mêmes à tous les états : on a reconnu une Hylésine et un Bostriche. Hätons- nous d'ajouter que ces dégâts sont très limités, et n’ont jamais pris l’extension rapide que l’on observe lorsqu'il s’agit d’une invasion de cryplogames. Ainsi, sur une superficie de 281 hectares de pin syl- vestre dans la forêt de Bellême, l’étendue totale des ronds en 1891 atteignait à peine 40 ares. Il va sans dire que dès que l’on remarque des dommages de la 234 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. nature de ceux que nous venons de signaler, on s’empresse de ven- dre les pins morts et dépérissants et de les faire enlever. Nous n’avons jamais constaté d’ailleurs que les plantes parasites, les cryptogames notamment, aient occasionné dans nos forêts ces dommages sérieux dont on se plaint lant en Allemagne et sur cer- tains points de la France, par exemple dans les pineraies de la So- logne. Delits. Nous avons dit plus haut qu'aux siècles précédents on se plaignait beaucoup des nombreux délits qui se commettaient dans les forêts du Haut-Perche. Il y a cinquante ans, le nombre des procès-verbaux de délits dressés annuellement était encore d’environ 200 pour toute l'inspection du Mortagne, qui, comme nous l'avons indiqué, com- prend, outre les 3 forêts domaniales du Haut-Perche, celles de Mou- lins-Bonmoulins et du Pin-au-Haras, Depuis lors, ce nombre a suivi une progression décroissante, et, en 4891, il n’a été que de 39, dont 34 pour les trois forêts que nous considérons. TIncendies. Les incendies dans les parties feuillues de nos forêts sont rares el sans importance. Il n’en est pas de même des massifs résmeux ; mais chose étrange, bien que les forêts de Bellème et de Réno-Val- dieu renferment ensemble plus de 450 hectares de pin, on n’y cons- tale jamais de sinistre de celte nature. Par contre, il n’est guère d’année qu’on n'ait à en déplorer un dans la forêt du Perche-la- Trappe ; et une sorte de malheureuse fatalité semble peser à cet égard sur la série de la Trappe. Depuis douze ans, deux incendies fort importants y ont éclaté : le feu y parcourut, en 1880, environ 100 hectares et en 1891 plus de 150 hectares. La gravité de ces in- cendies peut être attribuée à l'abondance des hautes bruyères et des genêts qui couvrent le sol du massif de la Trappe. Il sera sans doute possible d’en atténuer l'importance dans l’avenir par un système d’essartement de lignes qui est à l’étude. . LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 235 Surveillance. Le personnel surveillant est actuellement aussi réduit que possi- ble. Chaque forêt forme une brigade. Celle de Bellème compte trois gardes à triage, celle de Réno-Valdieu deux, et celle du Perche-la- Trappe quatre. | Il y a en outre dans la première et dans la seconde un garde-can- tonnier et deux dans la forêt du Perche-la-Trappe. Maisons forestières et autres constructions. Tous les préposés sont logés en maisons forestières. Ces maisons sont au nombre de sept dans la forêt de Bellême, dont une est louée, et une autre très ancienne, en fort mauvais état, est inoccupée. Il y a quatre maisons dans la forêt de Réno-Valdieu, et sept dans celle du Perche-la-Trappe. Nous avons de plus deux pavillons servant d’abri pour le person- nel, un dans la forêt de Bellème, et l’autre au Perche. Droits d'usage et tolérances. On à vu à propos de la situation des forêts du Haut-Perche, sous le régime des comtes, que ces forêts étaient autrefois soumises à d'innombrables droits d’usage. Presque tous avaient été concédés à des communautés ecclésiastiques, quelques-uns seulement à des sei- gneurs habitant dans le voisinage des forêts. Ces diverses servitudes se trouvèrent abolies de fait, par suite des lois qui, au début de la évolution de 1789, supprimèrent les droits entachés de féodalité et prononcérent la confiscation au profit de la nation de tous les biens ecclésiastiques sans exception. De tous ces droits d’usage, il n’en resta que deux qui grevaient, l’un le massif de la Trappe, l’autre celui du Perche. Le premier, accordé en 1476 par les religieux de la Trappe aux habitants du hameau des Barres (commune des Genettes), leur don- nait la faculté de faire paitre 80 vaches ou chevaux sur une portion déterminée de la forêt de la Trappe, d'environ 650 hectares, et de PV OP TR TS VPN PO 236 : ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. prendre de la litière dans un vague situé au canton de Vente-Piquet. Cette servitude ne laissait pas que d’être assez dommageable pour une forêt placée dans d’assez mauvaises conditions de végétation. Aussi l'État a-t-il eu soin d’en opérer le rachat, qui s’est fait moyen- nant la somme de dix mille francs, par acte administratif du 10 avril 1862, homologué par un décret du 24 mai de la même année. Quant au droit d'usage qui s’applique au massif du Perche, nous l’avons signalé dans l’énumération des divers droits concédés par les comtes. Il s'agit du double droit au pâturage et au bois mort accordé en 1295 par Charles de Valois aux habitants de 8 paroisses voisines de la forêt du Perche. L'État ayant contesté en 1861 le droit au bois mort sec et gisant et le droit de pâturage des veaux âgés de moins d’un an suivant leurs mères, les communes de Tourouvre, Brésolettes et Randonnai lui intentèrent un procès à la suite duquel intervint, à la date du 29 décembre 1864, un jugement du tribunal de Mortagne admet- tant les prétentions de l’État pour le bois sec et celles des communes pour le pâturage des veaux « non surannés ». Sur l’appel des trois communes précitées, la cour de Caen, par arrêt du 18 janvier 1883, a confirmé le jugement du tribunal de Mortagne sur ce dermier point, et l’a réformé au point de vue de la question du bois sec et gisant, de telle sorte que les communes de Tourouvre, Brésolettes et Randonnai ont eu pleinement gain de cause. Les cinq autres communes étant plus éloignées de la forêt doma- niale, et, par suite, n'ayant pas d'avantage à profiter des droits pré- tendus, ont reculé devant la dépense d’un procès. Il n’y a d’ailleurs aucun intérêt pour l’État à racheter ces droits d’usage, dont l’exer- cice n’occasionne pas de préjudice sensible au sol forestier, car, par suite des progrès de l’agriculture, l’importance du parcours fores- lier va sans cesse en diminuant : le nombre des bestiaux marqués an- nuellement n’attemt pas le chiffre de 40, et reste parfois au-dessous de 20. La seule tolérance admise dans les trois forêts domaniales est celle de la récolte du bois mort, gisant sur le sol, en faveur des indigents, tolérance qui s'exerce conformément à la décision ministérielle du LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 231 49 septembre 1853, au moyen de cartes personnelles délivrées par l'inspecteur. La moyenne de cartes délivrées par an pour les trois forêts, pendant la dernière période décennale, a été de 737. Concession de menus produits. Outre leurs produits ligneux, les forêts du Haut-Perche fournissent encore des produits de diverses natures qui forment la partie acces- soire de leurs revenus; les uns sont concédés à prix d'argent, les autres sont délivrés moyennant des journées de travail. La concession de menus produits à prix d'argent, pendant la pé- riode décennale 1882 à 1891 (chasse, extraction de terre, pierres, sable, délivrance de harts, etc.), a donné en moyenne par an les sommes suivantes : Forêt de Bellême L2 . L2 L L L . L . . . L [2 L L 3 914 fr, Forét'de/Réno=Valdieut ms a Sn nes 1184 Forêt du Perche-la-Trappe. . . . . . AT 4 544 Parmi les produits qui ont contribué à alimenter cette branche de revenus, figure en première ligne la chasse, qui a rapporté au total 8 700 fr. pour le bail 1881 à 1890, et qui donne 6 760 fr. seulement pour le dernier bail (1890 à 1899). Quant à la délivrance de menus produits moyennant des journées de travail (souches, litière, etc.), elle a fourni en moyenne par an, pendant la même période décennale, les nombres de journées in- diqués ci-après : Foret BeNOMEn TS TER NE EE ER ER Nr 102 ForétdeuRenO-VAIdIeU CREER ET A RE ME me ET re 18 Foret Perche-11-Trappes 2e ETS te se 2 288 Chasse, Comme on a pu le voir tout à l'heure, la chasse est bien loin d’a- voir ici l’importance qu’elle présente dans d’autres grands massifs forestiers, notamment dans ceux des environs de Paris. En effet, le prix de location ressortant de la dernière adjudication n'est que de 4 fr, 07 c. par hectare pour l’ensemble des forêts du Haut-Perche. RACE =) 0 © 238 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Les fermiers de la chasse se plaignent beaucoup du braconnage ; mais ces doléances sont communes à tous les chasseurs de tous les pays ; il faut d’ailleurs reconnaître qu’elles sont souvent justifiées. Ce n’est pas ici le lieu de rechercher quels seraient les meilleurs moyens de réprimer efficacement les délits de chasse. Mais, si l’on peut leur attribuer une certaine part d'influence sur la dimmution du gibier, nous croyons que cette diminution, en ce qui concerne les forêts domaniales du Haut-Perche, tient surtout au régime de la fu- taie et au mode de traitement, qui ne sauraent assurément offrir des conditions bien favorables à la multiplication du gibier. Il est clair que lintérêt forestier et celui de la chasse s’accordent rare- ment ensemble, mais il n’est pas moins évident qu’on ne saurait sa- crifier Je principal à l'accessoire. Les diverses espèces de gibier que l’on trouve dans nos forêts sont le cerf, assez nombreux, le chevreuil, qui a beaucoup diminué, le sanglier, hôte nomade, très abondant pendant les années de glandées et qu’il faut fréquemment chasser, pour préserver les campagnes environnantes de ses déprédations redoutables. Puis vient le lièvre, qui est encore assez commun. Le lapin est rare. On trouve parfois en automne quelques perdrix, un petit nombre de faisans, et fort peu de hécasses, à l’époque des passages seulement. Ces dernières nichent dans les forêts du Haut-Perche, et tous les ans, aux mois de juin et juillet, nous trouvons de jeunes bécasses en faisant nos opé- rations. Il nous est même arrivé quelquefois d’être témoin de ce fait curieux d’une mère qui, effrayée par l’arrivée inattendue des mar- teleurs, s’enfuyait en transportant sur son dos un de ses petits trop jeune encore pour s'échapper seul. Les bécasses nées dans nos forêts disparaissent au mois d’août et on n’en revoit plus qu’au premier passage, à la fin d'octobre. Où vont-elles ? Il est vraisemblable qu’elles se dirigent tardivement vers les régions septentrionales de l’Europe où a dû émigrer au prin- temps la grande masse de celles qui n’ont fait que traverser la France. Un forestier Danois, qui vint visiter la forèt de Bellème en 1889, nous racontait qu’on ne chassait la bécasse dans le Danemark qu'aux mois d’août et septembre, c’est-à-dire à l’époque où nous n’en avons plus du tout en France. LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 239 Ce gibier, essentiellement forestier, paraît malheureusement di- minuer d'année en année. Ne conviendrait-il pas d'interdire la chasse qu’on en fait au printemps, justement à l’époque de la pariade? Sans parler des délits de chasse qui peuvent si facilement se commettre à l'abri de cette permission exceptionnelle, il est à remarquer qu’à ce moment la bécasse est maigre et n’a plus ce goût exquis qu’on lui trouve à l’automne. Mais, hélas ! les chasseurs sont sans pitié. Mines el carrières. On a extrait autrefois du minerai de fer dans les forêts domaniales du Haut-Perche, surtout dans celles de Bellème et de Réno. On le traitait d’abord sur place en employant le bois des coupes, comme le prouvent les nombreuses scories que l'on rencontre çà et là. Puis, ainsi que nous l'avons dit à propos de la réformation de 1665, on créa quelques forges dans le voisinage des forêts. Mais ce minerai ne se trouvant qu’à l’état de rognons, on a cessé depuis fort long- temps une exploitation qui n’était pas assez rémunératrice. Il n’existe pas, à proprement parler, de carrières de pierres dans nos forêts; mais on y extrait les silex renfermés dans l'argile, quel- quefois en amas assez abondants, pour l’entretien soit des routes forestières, soit des chemins vicinaux, Ce sont les seuls matériaux d’empierrement du pays. On les utilise aussi comme moellons. 0 Ruisseaux, fontaines, étangs. Un seul cours d’eau tant soit peu important traverse nos forêts, c’est l’Avre, qui prend sa source dans la forêt du Perche-la-Trappe. Il n’en existe aucun dans la forêt de Réno-Valdieu. Par contre, on rencontre plusieurs ruisseaux dans la forêt de Bel- lème, et diverses fontaines, dont une, celle de la Herse, est renom- mée depuis la plus haute antiquité, ainsi que nous l'avons dit dans la première partie de cette étude. Située près de la maison fores- ère du même nom, au bord de la route nationale de Mortague au Mans, près d’une belle futaie de chêne et hêtre, dans un charmant site, que le service forestier a essayé encore d’embellir en l’ornant 240 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. d’arbustes fleurissants el en construisant à côté un joli kiosque rus- tique, celte fontaine a été de tout temps un but de promenades et de parties de plaisir. Pendant l’été on y accourt de tous les environs, et même des villes de Mortagne, Bellême, Mamers et Nogent-le-Rotrou. L'eau de cette source est froide, ferrugineuse, proto-carbonatée, sensiblement arsenicale; certains médecins du pays la conseillent pour les gastralgies, les névroses et l’anémie. Près de là se trouve le seul étang appartenant à l'État qui soit situé dans les forêts domaniales. Il n’a du reste que 1,08 d’éten- due ; les roseaux l’envahissent, et il contient fort peu de poissons. Dans l’intérieur ou sur la lisière de la forêt du Perche-la-Trappe, au contraire, on trouve plusieurs étangs importants et poissonneux, mais ils appartiennent, les uns au monastère de la Trappe, les au- tres à des particuliers. Voies d’intérét public. La forêt de Bellême est traversée par le chemin de fer de Mamers à Laigle, dont une station, celle du Pin-la-Garenne, au nord, est dis- tante de 6 kilomètres de la forêt, et une autre, celle de Bellème, est à un kilomètre au sud. De plus, une halte temporaire, dite de la Herse, située dans la forêt même, est ouverte du 1° mai au 1° no- vembre ; elle se trouve à environ 600 mètres de la fontaine de la Herse, dont nous venons de parler. La forêt de Bel!'ême est en outre coupée par la route nationale de Mortagne au Mans, par un chemin de grande communication et par un chemin vicinal. Un autre chemin vicinal la longe à l’ouest. La forêt de Réno-Valdieu est desservie par un chemin de grande communication et quatre chemins vicinaux qui la traversent. Quant à la forêt du Perche-la-Trappe, le chemin de fer de Mamers à Laigle la coupe dans sa partie est ; deux stations de cette ligne en sont voisines, celle de Randonnai à 2 kilomètres au nord et celle de Tourouvre à kilomètres et demi au sud. Le chemin de fer de Mortagne à Sainte-Gauburge passe au sud- ouest de cette forêt ; la station de Lignerolles en est éloignée d’en- viron 3 kilomètres. + àe LE HAUT-PERCHE El SES FORÊÈTS DOMANIALES. 241 Enfin la forêt du Perche-la-Trappe est traversée par trois chemins de grande communication et trois chemins vicinaux. Deux autres chemins vicinaux longent le massif de la Trappe. Voies forestières. Nos forêts sont desservies par un double réseau de voies fores- tières très complet, les unes empierrées, d’une largeur de 4 à 8 mè- tres entre fossés, les autres simplement en terre, larges de 3 à 7 mètres. Les principales artères ont été ouvertes à la suite des aménagements de 1782, d’après les plans de l’ingénieur Chaillou. Le petit tableau comparatif qui suit montrera les progrès réalisés sous ce rapport depuis une cinquantaine d’années, en faisant con- naître la situation actuelle. SITUATION EN 18381. SITUATION EN 1891. A EEE" ONCE Routes Routes Routes Routes empierrées. non empierrées, empierrées. non empierrées. œ Mèt:es. FRE à Mètres. Le BElÉMPSL Tr ner 10 813 33 136 31 967 Ta? Réno-Valdieu. . . . 9 726 26 676 24 SES 9,237 Le Perche-la-Trappe. 12 655 40 315 32 044 36 892 33 194 100 127 89 359 119 551 On voit que, pendant la période des cinquante dernières années, le développement des routes empierrées a été presque {riplé, et dé- passe actuellement 89 kilomètres. Les routes forestières sont entretenues en très bon état de viabi- lité au moyen des crédits alloués sur le budget et des sommes impo- sées sur les coupes. Travaux d'amélioration. Le tableau suivant fait connaitre la dépense annuelle moyenne à laquelle ont donné lieu les travaux d'amélioration de tout genre ef- fectués dans les forêts domaniales du Haut-Perche pendant la période décennale 1882 à 1891 inclus. 1. La situation indiquée ci-dessus a été établie pour l'année qui a précédé la création des gardes-cantonniers, institués par un arrèté du directeur général, du 14 décembre 1839. ANN. SCIENCE AGRONX. — {822, — 11. 16 242 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Dépense annuelle moyenne des travaux d'amélioration pour la période 1882 à 1891 inclus. S ssl FOSSÉS PÉPI- |REPEUPLE- MAISONS de FORÈTS. : ROUTES.| FoREs- | PÉRIMÈTRE| DIVERS. |TOTAUX. NIÈRES. MENTS. ds et d’assai- TIÈRES. | nissement, DER © CE © 22 1070 DORE DAME APR LEE 7 SOMME ET 2 TRS RSR Fr. Fr. Fr. Fr. Fr. HAINE 1° Crédits alloués par l'administration. Belléme nee 339 571 4 670 692 170 109 6 501 Réno-Valdieu. . , . 202 426 2951 530 9 12 4 130 Le Perche-la-Trappe. 701 2 261 3 695 | 1 768 167 78 S 670 122249 5 258 111316212:990 316 199 19 351 2° Mises en charge sur les coupes Bellémers ae Ù 605 5 174 » » » 5 7119 Réno-Valdieu. . . . ) 331 2 301 » ) » 2 632 Le Perche-la-Trappe. » 413 4118 » ) Ù 4 561 ) 1 379 11 593 » » » 12 97? 30 Concessionnaires de menus produils Bellémesr eee 820 17 » » 31 214 291 Réno-Valdieu. . . . 8 » » ) 8 28 44 Le lerche-la-Trappe. 20 155 66 2 316 90 649 51 172 66 2 309 332 984 Récapitulation par forêt. bellème RE etr 368 1 193 9 844 692 201 323 12 621 Réno-Valdieu. . . . 210 757 5 252 530 17 40 6 806 Le Perche-la-Trappe. 721 2 859 1 879 |" 770 483 168 13 880 1 299 4809! | 22 9752] 2 992$ 701 1. Il paraît important de faire observer que dans la somme de 4809 fr. entre la dépense faite pour repeuplements de pins dans la forêt du Perche-la-Tr appe en vue de la conversion d’une partie notable de cette forêt en futaie résincuse. Cette dépense, qui, pendant la périvde décennale considérée, s’est élevée au chiffre de 14287 fr., n’a qu’un caractère accidentel et ne doit avoir qu’une durée limitée, SO RO EN AE GR Eu To ED AE LE AM A EL NET AE 2 os 0 CEE - 4 309 fr. on retranche le dixième de la somme précédente, soit . . .. . . . . .!, , «| AE 1 429 ON ÉPOUVE TEE AS MES ee ser ane tee e cer rien ie NT EU ire Ut = 3 380 fr. somme représentant la dépense annuelle moyenne pour les repeuplements ordinaires. 2. Il est à remarquer que la somme de 22975 fr. comprend non seulement l’entretien des routes forestières, mais encore les dépenses suivantes : 19 Établissement de routes neuves; 20 Constructions d’aqueducs ; 3° Subventions pour les chemins vicinaux. Ces dépenses se sont élevées aux sommes ci-après : Horét de BelléMe::. #34, ER nee ER AR 27 818 fr. ForétideRéno-Valdionmion pr ON MÉTIER ERE 17 440 Forêt du Perche-la-Trappe. . 1. 2. ss. cle 17 056 DOALNEL. APR LEMEMEN AR RES 623144 fr. En déduisant de la somme de. . . . . , . . . . . . PS Ve RL te tr AN 22975 fr. le dixième du total précédent, soit . . . . . . OR NL Me ro Pa ne Un ET 6234 il reste ea définitive comme dépense annuelle moyenne d'entretien des routes forestières. 16741 fr. 3. De même, la somme de 2992 fr. comprend, outre l’entretien des maisons forestières, la dépense de construction d’une maison neuve daus la forêt du Perche-la-Trappe, qui s’est élevée à 10 400 fr. En'déduisantite ENTRER MUR AA fs De pan da joe elle le lateral istle AU ITU EDS le dixième de la somme précédente . . . . . Mme tie fe Ses le La lssre aber latte 2508 to ETC U ET) on obtient en définitive pour la dépense annuelle moyenne d'entretien des maisons forestières. 1952 LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 243 Prix des travaux. 4° Repeuplements. Feuillus, « Croctages! » effectués dans les années de semence, pour favoriser le réensemen- cement naturel, sans répandage de glands, par hectare . . « + s 80 à 90 fr. avec répandage de 10 hectolitres de glands, par hectare. , .« + + + 150 à 160 fr. (l'hectolitre étant coté à 7 fr.) Semis de glands au semoir Prouvé, à raison de 4 hectolitres par HOCÉANE PR CRC N Na lentes se louetn (50 APnG0ufr, Semis de faîne au semoir Prouvé, à raison de { hectolilre par hectare. 20 à 25 fr. (l'hectolitre étant cofé à 14 fr.) ° Plantation de chênes, hêtres, frênes de basse tige au plantoir et au fourreau Prouvé, à raison de 10 000 plants par hectare . , , . . . 60 à 70fr. Plantation de hêtres de moyenne tige à la pioche, à raison de A OO0OOPANIS PAC Are ER RE. Cr etes anse et no 00 AN 300 fr. t L Résineux. Semis de pin sylvestre par potets, à raison de 7 kilogr. par hectare. “140 fr, (le kilogr. étant coté à 6 fr. 60 c.) 2° Routes. Entretien annuel (matériaux et main-d'œuvre), à raison de 12 mètres cubes environ de pierres cassées, par kikomètre . . . 4 « « + © o 157 fr. 3° Fossés. De:1#,30"d'ouverbare, Jé:mélre courante 57 à ee + 0 fr. 50 €. De 1 mètre d'ouverture, le mètre courant. . . . . . . . . . » 0 fr. 30 c. 4° Exploitations. Ébranchément des arbres abandonnés (suivant les dimensions), par Cd D de SNS CRE EAP OP EL CAD CNE AS TA j'a2; fr. Abatage (suivant les dimensions), par arbre, , . . . . . . . , JO? (re Élagage des réserves (suivant les dimensions), par arbre. . . . . 0f,15 à 0f,25 Haconnage du Stére he MO 4 LME SEM En Me at nn its r25 "0 Kaconnageïdu;cent'de/cauless tu Re Re er, 10 fr, Faconnare du-cent de DONFTÉES. Se ae de «1 +770 à + 6 fr. Façonnage des cent kilogr. d'écorces. . . . . . . . . . . . 3 fr. 50 c. 1. On appelle dans le pays « croctages » ou « crochetages » l'opération consistant à ameublir la couche superficielle du sol avec une houe légére ou croc. PS PR 244 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Débit des bois. Les forêts du Haut-Perche fournissaient anciennement à la marine militaire et à la marine marchande des pièces de chêne de premier choix. Les délivrances directes au service des constructions navales y ont cessé depuis 1886, et il ne paraît pas que l’on y prenne main- tenant beaucoup dé chênes pour les navires du commerce. La plus grande partie des bois de cette essence sont enlevés en grume et expédiés plus ou moins loin, ou débités dans quelques usines du pays (à Bellème et à Saint-Martin du Vieux-Bellème). On fabrique aussi dans les coupes des pièces de charpente, des planches, du merrain, des traverses de chemin de fer, des lattes, et, avec les rebuts, ce que l’on appelle de « la bonde ». Les beaux chênes sont principalement employés à la menuiserie. On estime particulièrement ceux de la forêt de Bellême, les uns pour leur ténacité (cantons de Bruyèéres-Rondes et du Hallet), les autres pour la beauté de leur grain et la facilité avec laquelle ils se travail- lent (canton du Pont-à-la-Dame). Ceux-ci sont excellents pour la sculpture. Le hêtre se débite surtout en sabots (sur le parterre des coupes et aux environs des forêts). On l’emploie aussi en grande quantité pour la fabrication des galoches (usine de Saint-Martin du Vieux- Bellême) et des talons de bottines (usine de Randonnai). Enfin on en fait des pelles et des attelles (usine de Bellème). Les hêtres les plus renommés pour leur qualité sont ceux du canton du Pont-à- la-Dame (forêt de Bellême) et du canton de la Montagne (forêt de Réno-Valdieu). Le charme, le bouleau, l’aune et le tremble sont également débi- tés en sabots. LD Le pin ne donne qu’exceptionnellement des pièces d'industrie : ses dimensions ne sont pas encore assez fortes. Les belles perches de chêne et de pin, mesurant, à 1",30 du sol, 0,30 à 0,50 de circonférence, sont laissées dans toute leur longueur pour servir aux clôtures des champs sous le nom de « gaules ». LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 243 Le bois de chauffage feuillu (circonférence maximum 0,69 ou 0,79 au gros bout suivant les essences) est généralement façonné en bûches de 1 mètre de longueur, ou, lorsqu'on l’expédie à Paris, de 1",14. Le bois de charbonnette (circonférence maximum 0,29 au gros bout) est façonné en büches de 1 mètre ou de 0,80 de longueur. On carbonise assez peu en forêt ; les bois dits de charbonnette sont vendus le plus souvent en nature pour chauffage. Les gros bois de stère sont quelquefois façonnés en bûches de 2 mètres de long, pour piquets de clôtures. Le bois de chauffage, essence pin (circonférence maximum au gros bout 0",69 ou 0",79 suivant qu’il est écorcé ou non), est ordi- nairement écorcé et, lorsqu'il est assez gros, refendu pour la bou- langerie. On l’expédie dans ce cas fréquemment à Paris, où il est très en faveur pour cet usage. Les bourrées, de 1",50 à 2 mètres de longueur, mesurent 4",33 de circonférence ; les parements ne peuvent avoir plus de 0,15 de grosseur. Suivant qu’elles proviennent des coupes de régénération ou des coupes d'amélioration, leur poids varie de 20 kilogr. à 30 ki- logr., lorsqu'elles sont vertes ; logées au sec, elles pèsent au bout d’un an environ 1/3 en moins. Ces bourrées sont utilisées soit pour les usages domestiques, soit pour les briqueteries, tuileries et fours à chaux. + On ne fabrique de l'écorce que dans les deux coupes de taillis sous futaie de Ja forêt du Perche-la-Trappe. On y distingue deux sortes d’écorce, la fine pour laquelle on n’emploie que les brins de l’âge de la coupe, et la grosse faite avec les jeunes modernes. La botte d’écorce sèche pèse environ 18 kilogr. Prix des bois en 1891. Le prix du chêne qui, vers 1880 et 1881, avait atteint un taux très élevé, a subi depuis lors pendant près de dix ans une diminu- tion progressive, qui s’est abaissée jusqu’à 20 à 25 p. 100 du prix maximum précédent. Mais en 1890 on a constaté dans la vente des bois de celte essence une reprise qui s’est accentuée encore davan- 246 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. tage en 1891, sans doute sous l'influence de l'annonce des tarifs pro- tecteurs. Pendant la même période de temps, le prix du hêtre n’a présenté que de légères fluctuations. La baisse qui s'était fait sentir sur le cours des bois de feu en 1880-1881, par suite de l’abondance des bois gelés pendant les hivers 1879-1880 dans le rayon d’approvisionnement de Paris, a cessé ensuite lorsque le stock de cette marchandise s’est trouvé épuisé. Voici comment on peut établir actuellement les prix des diverses unités de marchandises sur le parterre des coupes : Service ou industrie (chëne), le mêtre cube grume : 1'e classe, 2 mètres et plus de circonférence au milieu . 00 à 65 fr. 2° classe, { à ? mètres de circonférence au milieu. ,. . 30 à 45 fr. 3° classe, au-desssous de 1 mètre de circonférence au MUTIOUL ER rhone me SR a 20:25: fr: Industrie (hêtre), le mètre cube grume : 1r° classe, 2 mètres et plus de circonférence au milieu . 29 à 30 fr. 2° classe, au-dessous de 2 mètres de circonférence au milieu. e + ° » e LD L e L e e L e LD 0 s 0 , 0 20 à 22 fr, Industrie (bois blancs et résineux), le mêtre cube grume : BOULE AUS ES ON ne at ee NT Es DR TE Lel le 18 fr. AUTO SE EP RER NA DEP lient tes en tee te et ai El 0e L58fr. LPeMDIC RS SR A NT Re in M Pr ee 14 fr. Résineux (peu employés) 2,1, 0 er NE l5Afre Bois de feu (feuillus), le stère : Ghauttage ES ie bon en Les tie A De EE A Te GHAFhonnette 2 en SES OR MC 31,50 à 4f,50 Bois de feu (résineux), le stère : ChaUTA LE RE EN Ent REV di le 4 fr. Gharbonnette STATUS PT RAR RUE 2 fr. Gaules (feuillues), le cent, suivant la grosseur. . . . . . . 75 à 120fr. Gaules (résineuses), le cent, suivant la grosseur. . . . . . 40 à 60fr. Bonrrées (feuilles) 1le-cent 21% 2eme a ut 8 à 10fr. Bourrées (résineuses), sans valeur appréciable. Coptaux;'le Streets PE MA Écorces, les 100 kilogr. : rer Fins PSS ER er AN: el Ne Det L sr, € 9 12-fr. Grosses Pre PP ne EU fee PET AUS ere 9 fr. » dd De", 2 Æ . j #4 r 4 < à ‘ - : LE HAUT-PERCHE ET SES FORÈTS DOMANIALES,. 24% Lieux de consommalion. Les principaux lieux de consommation sont : pour les bois de ma- rine, les ports de Lorient, Cherbourg, le Havre ; pour les bois de service, les villes du Mans, de Caen, Chartres, Paris; pour les sabots et les galoches, ainsi que pour les bois de feu, Paris et la région avoisinant les forêts. Aménagements actuels. Nous diviserons cette importante matière en lrois parties : {° l’ex- posé des aménagements en vigueur et les appréciations qu'ils peu- vent suggérer ; 2 l'examen des mesures prises pour leur exécution; 3° les résultats des aménagements, se traduisant par le tableau des produits en matière et en argent qui ont été obtenus en les appli- quant. 1° Exposé des aménagements. FORÊT DE BELLÈME (2428"*,98) Le règlement d’exploitation de 1845 n’était point un aménage- ment dans le vrai sens du mot, et nous avons vu que, d’ailleurs, il donnait lieu à de sérieuses critiques. Un agent des plus distingués, qui occupa pendant plusieurs années le poste de chef de cantonne- ment à Bellème, et qui s’étail passionné pour cette magnifique forêt, M. le sous-inspecteur Dagoury, démontra avec une grande force d’ar- gumentation que le règlement précité élait à la fois préjudiciable au Trésor et à l'intérêt forestier : Au Trésor, parce que la possibilité réelle de la forêt n’était pas atteinte ; A l’intérét forestier, 1° parce que le règlement en question con- duisait à exploiter trop tardivement certaines futaies composées d’un orand nombre d’arbres crûs sur souche, qui pouvaient dépérir au- paravant, ou devenir impropres au réensemencementnaturel ; 2 parce que la condition importante du rapport soutenu se trouvait absolu- 248 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. ment méconnue, la possibilité devant être plus que triplée au bout de 84 ans ; 3° parce que la contenance assignée aux coupes d’éclair- cie étant trop faible, il s’ensuivrait que beaucoup de peuplements ne seraient éclaireis que vers l’âge de 80 ans, ce qui les exposerait à être d'ici là envahis et détruits par les bois blancs. M. Dagoury motivait ainsi la nécessité d’un aménagement défimtf, dont il présenta le projet en 1858. Cet aménagement, qui est actuel- lement en vigueur, œuvre d’un agent aussi consciencieux qu'intelli- gent et connaissant admirablement la forêt de Bellême, était basé sur un parcellaire établi avec un soin extrême et sur un inventaire complet de tout le matériel exploitable. Il avait été précédé de nom- breuses expériences, de nature à élucider les divers problèmes qui se posent dans l’étude d’une pareille question. Nous allons en ana- lyser les principales dispositions. Régime, traitement. — Le régime était celui de la futaie, sufli- samment justifié par les excellentes conditions dans lesquelles la forêt se trouve placée, et auquel elle avait toujours été soumise antérieurement, sauf à l’époque néfaste de l'aménagement de 1782. Le mode de traitement devait être celui du réensemencement nalu- rel et des éclaircies, qui avait déjà fait ses preuves dans la forêt de Bellême, où il était appliqué avec lant de succès depuis 36 ans. Révolution. — La révolution proposée était de 200 ans pour les feuillus. On faisait remarquer que les vieilles futaies, chêne et hè- tre, âgées de 175 à 200 ans, renfermaient toutes des arbres de 275 à 300 ans, par suile des réserves faites dans les coupes à tire et aire, et que ces arbres, encore sains, mesuraient 3 à 4",50 de circonfé- rence, tandis que ceux de la dernière révolution n’avaient en moyenne que 1,60 à 2,50. L'aménagiste ajoutait que, d’après ses expérien- ces personnelles, le maximum d’accroissement moyen n’était atteint , que vers l’âge de 200 ans, et que c'était à cet âge seulement que les arbres pouvaient fournir des pièces propres à des emplois spéciaux, leur assurant des prix exceptionnellement élevés en raison de leur grosseur. Quant aux pins, l’exploitabilité en était réservée ; mais on faisait observer que, comme ils étaient répartis dans vingt cantons diffé- LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 249 rents, leur exploitation ne pourrait altérer le rapport soutenu, ni gêner la consommation par un changement subit de marchandises. Il était entendu qu’on les exploiterait à l’âge le plus convenable, point à fixer plus tard. Périodes. — La révolution était divisée en huit périodes de 29 ans. Séries, affectations. — La forêt était partagée en 4 séries, com- posées identiquement comme les « triages » (séries) de l’aménage- ment de 1782. Chaque série se divisait en 8 affectations. Plan général d'exploitation. — Le plan général d'exploitation comprenait l'assiette annuelle pour chaque série : 1° D'une coupe de régénération faite dans l’affectation en tour ; 2 De 7 coupes d’éclaircies assises dans chacune des 7 autres af- fectations ; 3° De nettoiements à faire autoriser au moyen de propositions spéciales dans les jeunes bois. Coupes de régénération. — Ces coupes étaient établies par vo- lume. Leur possibilité annuelle était calculée en prenant 1/25 du vo- lume inventorié et en l’augmentant de l’accroissement futur, puis en défalquant de ce total 1/10 pour constituer un fonds de réserve rou- lant. De là les volumes suivants, constituant la possibilité annuelle par série pendant la première période : MÈTRES CUBES, RÉNSÉTIONE- Ps nn SANTE RTS TRE NOR. Lee FAURE TE 1 788 DE 4 (ce Er A PE AE RS TE 7 961 RAS O PIC TRS TES PER SEE EN Fe Cr Pubs ie à y HS OT RCA ET ele PR SR ETS er 4 Ve 1 241 LOSSIDIHLÉ LOMME SE MP RE, 5 705 Coupes d'amélioration. — Ces coupes, basées sur la contenance, se composaient de 1/25 de l'étendue de chaque affectation, non com- pris celle en tour de régénération. La possibilité {otale en fut fixée pour la première période à 841,99. 250 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Cet aménagement fut approuvé par un décret du 16 août 1859, qui avait été précédé, pour les coupes d'amélioration, d’un arrêté du directeur général, en date du 29 juillet 1859. L'application en avait du reste commencé par anticipation, dès 1858. Mais les agents d'exécution ayant constaté que la durée de 95 ans assignée à la révolution des éclaircies élait trop longue, pour qu’on püt retirer de ces coupes toute l'utilité qu’on en devait attendre et que, d'autre part, les coupons annuels étant trop disséminés et de trop faible contenance (3,03 en moyenne) se vendaient mal, un nou- vel arrêté du directeur général, du 28 février 1870, décida que les peuplements à éclaircir le seraient deux fois par période, au lieu d’une. L’étendue des coupes annuelles fut ainsi doublée (169 hecta- res pour loute la forêt), de telle sorte que le Trésor y trouva son compte aussi bien que l'intérêt cultural. L'aménagement de 1859, excellent dans son but et dans ses prin- cipales dispositions, ne laissait pas que de soulever pourtant cer- laines observations, non sans importance. Il était du devoir du ser- vice ordinaire de les exposer, lorsque vint le moment prévu de la révision périodique. On peut les résumer comme suit : 1° Le parcellaire, établi avec un soin trop minutieux, pouvait être simplifié, en faisant disparaître les nuances de peuplemems essen- üellement transitoires et en rectifiant les limites trop sinueuses de certaines parcelles. 2 Certaines affectalions avaient été morcelées, dans la pensée d'obtenir l'égalité des produits en réalisant l'égalité des contenances, but assurément louable, mais qui ne pouvait être nécessairement alteint par ce procédé, dont le grave inconvénient était de sacrifier la gradation des peuplements, si importante au point de vue de la régularisation future de la forêt. 8° La forme du plan d'exploitation laissait à désirer sous le rap- port de la clarté. L’aménagiste, embrassant dans ses prévisions, non seulement la révolution actuelle, mais encore celles qui devaient lui succéder, avait imaginé cette combinaison assez singulière d’une distinction entre le matériel et le sol de certaines parcelles au point de vue de leur répartition dans les diverses affectations, au lieu de classer ces parcelles simplement pour la révolution actuelle d’après PASS où ? du. 5 LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 251 leur situation et, autant que possible, leur âge, quitte à expliquer, s’il était nécessaire, qu’elles seraient régénérées hors tour pendant telle ou telle période. 4 Enfin il convenait que la notation des parcelles indiquât immé- diatement leur place dans les affectations au moyen d'indices cor- respondant aux numéros mêmes de ces affectations, tandis qu’elles étaient désignées par des lettres distinctes suivant les cantons, et par des indices et des accents destinés à distinguer les diverses parcelles de chaque canton, point sans importance. Tous ces desiderata ont reçu satisfaction lors de la révision de l'aménagement faite en 1882 par le service extraordinaire. De plus, l’agent révisionniste a cru devoir apporter deux modifica- tions importantes aux prescriptions de l'aménagement de 1859, l’une concernant les coupes de régénération, l’autre touchant aux coupes d'amélioration. Coupes de régénération. — Les troisièmes affectations étant ac- tuellement pourvues d’un matériel notablement moins riche que ce- lui des deuxièmes, il fallait chercher un moyen d’atténuer l'inégalité de produits qui se serait fait sentir lors du passage d’une affectation à l’autre. On y est parvenu en constituant une réserve mobile d’en- viron 20 000 mètres cubes, destinée à profiter entièrement à la troi- sième période. Cette réserve a été fournie : 1° En négligeant dans le calcul de la possibilité, pour la deuxième période, l'accroissement du matériel exploitable pendant la moitié de cette période, accroissement évalué à 7 500 mètres cubes au moins ; 2° En faisant une économie de 12 000 mètres cubes sur le volume total des coupes de régénération. Dans ces conditions, la possibilité par volume a été fixée, pour la deuxième période, comme il suit : MÈTRES CUBES. DÉS ÉTIENNE PRE TEL er te Re ah a 1453 LÉVROS TANE Gers PME ST Re RE TL, Pan LE SS5 DST OR NS LE. UE RE. 2. LT LU ASTON ne Re en 494 POSSIDINÉESÉOLAIE NE UE, 4 542 252 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. soit une diminution d’un peu plus de 20 p. 100 sur la possibilité de la première période. Coupes d'amélioration. — Tout en conservant la périodicité de ces coupes, dont le résultat était de faire éclaircir chaque parcelle deux fois par période, l’agent révisionniste a d’abord restreint dans chaque série à 2 par an le nombre des groupes d’éclaircies, qui était antérieurement de 4, un des groupes étant formé des affecta- tions À, 2, 3 et 4, et l’autre des affectations 5, 6, 7 et 8. La possibi- lité annuelle moyenne de ces coupes se trouve portée, pour toute la forêt, à 174,13. | En outre les coupes annuelles d’éclaircies ont été composées de parcelles entières, sauf les cas assez raïes où les parcelles étaient trop étendues. Cette double combinaison réalisait plusieurs avantages : les coupes sont maintenant d’un même tenant, mieux délimitées, aboutissant sur des lignes dont beaucoup sont accessibles aux voitures, et le nombre des arpentages est réduit au minimum. Les peuplements résineux les plus âgés n'ayant pas 50 ans, l'agent révisionniste n’avait point à s’expliquer catégoriquement sur la ques- tion de leur exploitabilité. Il s’est contenté de faire remarquer avec raison que, si l’on admettait à leur égard la révolution de 100 ans, — qui, en effet, paraît assez convenable, — il suffisait de les exploi- ter deux fois à leur tour pendant la révolution adoptée pour le chêne et le hêtre. La revision de l'aménagement de la forêt de Bellême a été approu- vée par un décret du 20 juillet 1883, pour être appliquée de 1883 à 1907, et a donné lieu à un réglement d’exploitation arrêté par déci- sion du 22 avril 1884. ; L'aménagement de 1859 ainsi rectifié et simplifié paraît offrir toutes les garanties nécessaires pour tirer de ce splendide domaine forestier qu’on appelle la forêt de Bellême le maximum de produits les plus utiles, et pour le transmettre en parfait état de conservation et même amélioré aux généralions futures. LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 298 FORÊT DE RÉNO-VALDIEU (1 588",76) La forêt de Réno-Valdieu se compose des deux massifs de Réno et Valdieu, qui sont simplement séparés par un ancien chemin vicinal. Le règlement d'exploitation de 1850 embrassait les deux massifs. Bon en principe, ce règlement présentait pourtant, — nous l’avons dit, — le grave inconvénient d’être fort compliqué, et, tout en blà- mant énergiquement le régime du taillis, avait le tort de le mainte- nir sur une partie assez étendue de la forêt. D'ailleurs les séries ne paraissaient pas très bien constituées, les affectations étaient mor- celées et les éclaircies ne devaient passer dans chaque parcelle qu’une seule fois par période. On jugea donc indispensable en 1875 de subs- tituer à ce règlement d'exploitation un aménagement définitif mieux conçu, qui fut proposé par le service des commissions et dont voici les dispositions générales. Régime, traitement. — Le régime de la futaie était appliqué à la totalité de la forêt, par les raisons qui l'avaient fait déjà choisir pour celle de Bellême. Ces deux forêts, qui sont voisines, sont en effet placées dans des conditions identiques. La méthode du réensemencement naturel et des éclaircies était motivée également, comme pour la forêt de Bellême, par les heu- reux résultats qu’elle avait produits depuis plus de 40 ans. Révolution. — La révolution était fixée à 180 ans. Sans qu'ils eussent procédé à des expériences que l’état de la forêt ne com- portait pas, disaient-ils, les aménagistes constataient que jusqu’à l’âge de 180 ans, grâce à la fertilité du sol, la végétation se main- tenait vigoureuse ; — que les arbres alteignaient vers cet âge seu- lement les dimensions qui les rendaient le plus propres aux cons- tructions et aux diverses industries; — et qu’enfin jusqu’à 180 ans le réensemencement naturel se faisait facilement et régulière- ment. Périodes. — La révolution était divisée en 6 périodes de 30 ans. 254 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Séries, affectations. — La forêt était partagée en 9 séries, ‘dont les limites étaient exactement celles des deux anciennes forêts de Réno et le Valdieu. Chaque série se divisait en 6 affectations. Plan général d'exploitation. — Le plan général d'exploitation comprenait l’assiette annuelle pour chaque série : 1° D’une coupe de régénération assise normalement dans l’affec- tation en tour, et, pour la {°° période, anormalement dans une par- celle de 4° affectation et dans deux parcelles de 6°; 2 De cinq coupes d’éclaircie établies dans les 5 autres affecta- tions ; 3° De nettoiements à faire autoriser sur propositions spéciales dans les jeunes peuplements. Coupes de régénération. — La possibilité de ces coupes était ba- sée uniquement sur le volume actuel du matériel exploitable, en né- gligeant l’accroissement futur, destiné à former un fonds de réserve mobile. Elle était égale au 1/30° de ce volume. Cette possibilité était par suite arrêtée aux chiffres suivants : MÈTRES CUBES. AROTS ÉPICES EN FETES 2 ARTE ER EE ENS 1 596 DSeTIe.. it CE let ter otre etre FREE 1 184 2 780 Coupes d'amélioration. — La possibilité de ces coupes, basée sur la contenance, était égale au 1/15° de la surface totale à éclaircir, attendu qu’elles devaient revenir deux fois sur le même point pen- dant la période. Elle était ainsi portée fictivement pour foule lu forét en moyenne à 88,77 ; mais, pour éviter les arpentages, les éclair- cies annuelles ne comprenaient que des parcelles entières. Bien que jes aménagistes ne se soient pas expliqués positivement sur l’exploitabilité convenant aux pins, dont la superficie est assez étendue dans cette forêt, on voit que dans leur pensée les peuple- ments de cette essence devaient être régénérés avec l'affectation à laquelle ils appartenaient, car ils les font figurer sur le plan géné- ral d'exploitation comme compris dans les coupes principales, à des LE HAUT-PERCHE ET SES FORÈTS DOMANIALES. 255 âges d’ailleurs variables : 60, 80, 90, 120 et 150 ans. — Ces peu- plements sont disséminés sur plusieurs points de la forêt et ne sont àgés aujourd'hui que de 30 à 90 ans. Il n’y à donc point encore op- portunité à discuter la question de leur exploitabilité. L'aménagement que nous venons de résumer a été réglé par dé- cret du 31 mai 1876, et complété pour la 1" quindécennie par un règlement d’exploilation approuvé par décision du 12 janvier 1877 ; mais l'application du nouvel aménagement avait commencé dès 1874. La vérification de la possibilité par volume a eu lieu, comme il avait été prescrit de le faire, au milieu de la 1"* période, et a donné lieu au calcul d’une nouvelle possibilité qui se trouve fixée comme suit pour la 2° quindécennie : MÈTRES CUBES, TÉMS ÉD Ee cmr MEN MERE In AV A ele 19 00 2213 PER Lt ON TE dE He des CIEL acer TE 1 647 3 860 D'où résulte une augmentation de 1 080 mètres cubes, soit près de 39 p. 100, sur le chiffre de la possibilité de la première quindé- cennie, résultat provenant sans doute de ce que les aménagistes n’a- vaient pas fail entrer en ligne de compte l'accroissement futur, qui a dù être assez prononcé pour certaine parcelle de la 1" série et pour une partie assez notable de la 2° série, dont les futaies n'étaient âgées que d'environ 100 ans et se trouvaient par conséquent en pleine période de croissance. L'ordre et la quotité des coupes d'amélioration n’ont point été d’ailleurs modifiés par le procès-verbal de vérification de possibilité, à la suite duquel est intervenu, pour la 2° quindécennie de la 4°° pé- riode, un nouveau règlement d'exploitation, qui a été approuvé par décision du à février 1890. L'aménagement de la forêt de Réno-Valdieu, qui n’est qu’une ap- plication judicieuse des saines théories de la science forestière, ne soulève aucune critique importante dans ses principales dispositions, et permettra de tirer le parti le plus avantageux de ce beau massif, dont certains peuplements, dans la 1° série surtout, ne le cèdent en £ ù = 2 F3 “4 7 256 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. rien pour la vigueur de la végétation et la régularité aux parties les plus vantées de la forêt de Bellème. La seule question qui pourrait peut-être prêter à la discussion se- rait celle de l'ordre assigné aux affectations 2 et 3 de la 1" série, qu’il y aurait, croyons-nous, profit à intervertir. Elle pourra être examinée à l’époque de la revision périodique, et serait-elle résolue dans le sens que nous indiquons, que l’aménagement n’en serait nullement altéré dans ses grandes lignes. FORÊT DU PERCHE-LA-TRAPPE (3 222"2,18) Cette forêt est formée de la réunion des deux massifs du Perche et de la Trappe, que sépare un chemin vicinal, et qui ont donné lieu à deux réglementations distinctes faites par des agents différents ap- partenant les uns et les autres au service des commissions. Massif du Perche (2128h,84). Le règlement d'exploitation de 1848 ne s’appliquait qu’à une por-- tion de ce massif, qui restait soumise, comme elle l’avait toujours été antérieurement, au régime de la futaie ; toutefois on avait cru devoir conserver le régime du taillis, même dans une partie de cette section. On pouvait d’ailleurs reprocher à ce règlement d’avoir mor- celé les affectations. Enfin tout le reste du massif du Perche avait été laissé en dehors du règlement, et formait une seconde section trai- tée tout entière en taillis, conformément aux prescripüons de l’an- cien aménagement de 1782. Cet état de choses ne pouvait être que provisoire, et il était néces- saire de procéder à l'aménagement définitif de tout le massif, qui renfermait de fort beaux peuplements, dans l'intérêt de sa conser- vation d’abord, puis afin de pouvoir plus facilement parvenir à sa conversion complète en futaie, conversion que justifiaient parfaite- ment les conditions générales de la végétation. Cette œuvre labo- rieuse ne fut entreprise malheureusement que bien tard, en 1870. Voici les principales dispositions qui furent arrêtées : Régime, traitement. — On proposa pour tout le massif le régime LE HAUT-PERCHE ET SES FORÈTS DOMANIALES. 251 de la futaie, ainsi que la méthode du réensemencement naturel et des éclaircies, qui y élait appliquée avec succès depuis 1848 sur une partie seulement. Révolution, — On adopta la révolution de 150 ans ; c'était celle qui résultait des règlements d'exploitation de 1665 et de 1848. Les aménagistes, sans avoir fait d'expériences complètes sur l’accroisse- ment, se bornaient à constater le ralentissement qu'il subissait après l’âge de 150 ans, et à faire remarquer que c'était seulement vers cet âge que le chêne atteignait les dimnsions qui permettaient d'en tirer les produits les plus considérables et les plus utiles. Périodes. — La révolution fut divisée en 5 périodes de 30 ans. Séries, affectations. — Le massif fut partagé en 2 séries, et cha- que série en 9 affectations. Plan général d'exploitation. — L'extrème irrégularité qui ré- onait dans l’ensemble du massif du Perche conduisait forcément à des combinaisons un peu compliquées pour la 1" révolution. Nous allons résumer celles qui furent imaginées par les aména- gistes. Le plan général de l’aménagement comprend les exploitations sui- vantes : Dans la 1°° série : 1° une coupe de régénération par volume, à asseoir normalement dans les diverses parcelles de l'affectation en tour, et anormalement pendant la 1" période dans une parcelle de )° affeclation; 2° 4 coupes d'amélioration dans les affectations autres que celle en tour de régénération. Toutefois, pendant la {°° période, ces cou- pes ne doivent pas s'appliquer à la plus grande partie de la 5° affec- tation ; 3° Pour la 1° période seulement une coupe de taillis sous futaie à asseoir dans la 5° affectation. Dans la 2° série : 1° une coupe de régénération par volume à as- seoir normalement dans l'affectation en lour, avec cette réserve que pendant la 1° période cette coupe ne s’appliquera qu’à une seule ANN, SCIENCE AGRON. — 1892, — 71, 17 298 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. , 4 parcelle, et que l’on régénérera anormalement deux parcelles de )° affectation ; k 2° Pour la 1°° période seulement, une coupe de régénération par contenance, s'appliquant seulement à trois parcelles de 1"° affecta- Lion ; 3’ 4 coupes d'amélioration dans les affectations autres que l’affec- tation en tour, avec quelques exceptions concernant la 1" période, pendant laquelle sont exclues naturellement de ces coupes les par- celles dans lesquelles doivent se faire des exploitations d’autre na- ture résullant du plan général (régénération ou taillis sous futaie) ; 4° Pendant la 1"° période seulement une coupe de taillis sous fu- taie à faire dans la 4° affectation et dans la 5°, moins les parcelles à régénérer par volume. Les neltoiements des jeunes bois ne sont pas prévus par l’aména- gement ; ils seront autorisés sur propositions spéciales. Coupes de régénération par volume. — La possibilité par volume a été calculée sur le volume actuel du matériel exploitable, sans te- nir compte de l'accroissement futur, qui, pour la 1" série, doit ainsi former un fonds de réserve roulant. Elle était égale, pour la 1"* sé- rie, au 1/30° du volume total, et, pour la 2° série, au 1/10° seule- ment du volume recensé, les coupes qu’elle comportait devant être achevées pendant la 1" décennie. Par suite cette possibilité était fixée ainsi : MÈTRES CUBES. Lo STI Qu AE EU Tee 20 a SE sut ES PRO AQUITT | P-SMEPNONNe PUERTO M 5 de pe EI TZ Coupes de régénéralion par contenance. — Ces coupes, qui de- vaient se faire pendant la 1"° décennie de la 1"* période, avaient pour possibilité annuelle 7°*,03. Coupes d'amélioration. —Les coupes d'amélioration, qui devaient passer deux fois dans les mêmes parcelles pendant la période, avaient une possibilité égale au 1/15° de la superficie totale qu’elles embras- saient, — soit fictivement, pour la 1" série, 51,56 et pour la 2° sé- rie, 20",14. %f à { . 2 LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 299 Nous disons fictivement, parce que, pour éviter les arpentages, ces coupes devaient comprendre des parcelles entières. Coupes de taillis sous fulaie. — Leur possibilité était, pour la Are série, de 11",98, et pour la 2° série, de 16,78. Par les mêmes motifs que pour les deux autres forêts, la question d’exploitabilité du pin n’a pas été tranchée par les aménagistes : les peuplements les plus âgés de cette essence n’ont pas 50 ans. L'aménagement du massif du Perche a été réglé conformément aux dispositions précédentes par un décret du 30 juin 1873 et le rè- clement d'exploitation qui le complétait a été approuvé par une dé- cision du 3 décembre 1873; mais on appliquait déjà cet aménage- ment par anticipation depuis 1870. A la fin de la 4"° quindécennie de la 1° période, la possibilité a été l’objet d’une vérification faite par l'inspecteur du service ordi- naire. Le procès-verbal qui constale celte opération n’a proposé au- cune modification à l'aménagement approuvé, sauf pour la possibi- lité par volume de la 1° série qu'il y avait lieu de porter, d’après le recensement du matériel exploitable, à 4500 mètres cubes, au lieu de 3 000 mètres cubes, chiffre de la 1° quindécenuie, tout en con- servant une réserve mobile de 15 673 mètres cubes. Cette augmen- tation de 50 p. 100 peut paraître tout d’abord étonnante. En voici l'explication. Les aménagistes ayant négligé dans leurs calculs de possibilité l’accroissement futur, la nouvelle possibilité comprend tout l’accroissement acquis par les peuplements restant à régénérer. Or l'agent revisionniste a constaté que le taux d’accroissement avait dû être pour la 1"° quindécennie de 2.60 p. 100, ce qui se compren- dra facilement lorsqu'on saura que les peuplements restant à régé- nérer, qui formaient une grande moitié de la 1" affectalion, étaient composés de jeunes fulaies atteignant à peine l’âge de 1400 ans au début de la révolution, c’est-à-dire en pleine période de crois- sance. La vérification de la possibilité a donné lieu à un nouveau rêgle- ment d'exploitation approuvé par décision du 3 février 1887. Étant donnée la situation dans laquelle les aménagistes avaient trouvé le massif du Perche, il n’était guère possible d'échapper à la 260 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. complication relative que présentait leur projet. Peut-être serait-on tenté de leur reprocher le maintien temporaire du régime du taillis sous futaie pour une assez grande partie du massif. Cette mesure n'est pas motivée dans leur projet; mais il semble qu’elle peut se justifier par deux considérations : obligation de créer des classes de jeunes bois, qui manquaient, et surtout la nécessité de ne pas ame- ner une trop grande diminution dans le revenu. Toutefois nous croyons qu’ils auraient pu avec avantage soustraire au régime du taillis certaines parcelles dont les peuplements, fort beaux, se prêtaient parfaitement à une conversion immédiate en futaie. Massif de la Trappe (1 093"°,34). Comme nous l'avons vu plus haut, M. le conservateur de Buffé- veni constatait en 1846 que ce massif sous l’influence d’un « régime vicieux marchait vers une ruine certaine ». Et pourtant l’on à con- tinué pendant près de 30 ans à lui appliquer ce régime si vertement blâmé, c’est-à-dire l’exploitation en taillis à la révolution de 15 ans. Il est vrai que pendant ce temps on s’est efforcé de préparer pour l'avenir une situation plus satisfaisante au moyen de deux ordres d'améliorations très logiques : des neltoiements de bois blancs ac- compagnés d'extraction d'arbres morts dans la portion du massif qui avait formé l’ancienne réserve des Trappistes, — des repeuplements en pin svlvestre dans les vides, les clairières et les parties absolu- ment dégradées. Mais on procédait toujours sans plan d'ensemble : en 1873 on se décida enfin à présenter un projet de règlement pro- visoire d'exploitation. | L'auteur de ce règlement, après avoir établi un parcellaire très simple, constituait une seule série de tout le massif de la Trappe. Partant de ce principe que l’exploitalion en taillis avait ruiné ce massif situé sur un sol généralement médiocre, il en concluait qu’on devrait le soumettre au régime plus conservateur de la futaie, mais que, en raison du traitement précédemment suivi et de lintroduc- tion du pin, la première révolution. de futaie devrait être réduite à 190 ans, ce qui supposait plus tard un? division en 4 périodes tren- tenaires. De là nécessité de partager la série en 4 affectations. LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 261 Dès lors il proposait deux sortes d'exploitations ainsi caracté- risées : Dans les affectations 4 et 2, coupes dites d'amélioration, c'est-à- dire « éclaircie des feuillus el des résineux ; — dégagement des chênes et hêtres bien venants; — recepage des feuillus rabougris ou sur trop vieilles souches ; plantations ou semis dans les parties claires ». Dans les affectations 3 et 4, coupes dites de récepage, c’est-à-dire « recepage des feuillus rabougris et mal venants; — maintien de tous les chênes francs de pied et sur jeunes souches ; — éclaircie des pins ; — dégagement des chênes et des hêtres d’avenir ; — semis et plantations dans les vides et les places claires ». La possibilité annuelle des couches d'amélioration était fixée à 37%,03; celle des coupes de recepage à 35",70. Un décret du 13 avril 1875 a sanctionné le principe de ce règle- ment, c’est-à-dire la conversion en futaie pleine äa massif de la Trappe ; et le règlement lui-même a été approuvé par décision du 15 mars 1876. L'application en avait d’ailleurs commencé dès 1873. Des criliques très vives et parfaitement justifiées ont été faites ré- cemment contre ce règlement provisoire. Il lui a été reproché d’abord avec raison de ne pas différencier neltement les deux sortes d'exploitations qu'il comportait. On vient de voir, en effet, qu’elles sont exprimées presque dans les mêmes termes. La seule distinction entre les deux formules employées, c’est que pour les exploitations des deux premières affectations, l’éclaircie est mise en première ligne, Landis que pour celles des deux derniè- res affectations, c’est le recepage qui est au premier plan. Les agents d'exécution devaient être fort embarrassés, cela se con- çoit, pour interpréter sainement la pensée qui avait inspiré le règle- ment d'exploitation. Aussi ont-ils tout d’abord confondu les deux genres d'opérations qui s’y trouvaient indiqués, en faisant exploiter uniformément toutes les coupes sous forme d’éclaircies. Puis, plus lard, on les a distinguées en fait, mais il est à remarquer que les re- cepages tels qu'ils étaient prescrits ne pouvaient être et n’ont été en effet que de vraies coupes de taillis sous futaie. La seconde critique faite au règlement précité, c’est que par suite 262 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. de son application, le massif de la Trappe ne pouvait rapporter pour le moment qu’un revenu insignifiant, sans espoir d’arriver à un état meilleur, car ce serait un rêve absolument chimérique que de son- ser à faire de fout ce massif une futaie feuillue passable avec les peuplements actuels. Donc urgence de reviser le règlement d'exploi- tation de 1876. | Voici dans quel esprit, suivant nous, pourrait être faite cette re- vision. Le massif de la Trappe présente deux parties distinctes : 4° L'une, d’une contenance de 160 à 170 hectares, qui formait l’ancienne réserve, est située dans un bon sol et composée de fu- taies et perchis chêne et hêtre dont la végétation est vigoureuse ; ®% L'autre, c’est-à-dire la majeure partie du massif, occupe un plateau avec versants exposés à l’ouest et au sud. Le «ol en est gé- néralement maigre et presque sans humus ; sur le plateau, c’est une argile compacte qui renferme vraisemblablement des banes de silex à peu de profondeur. La couverture de ce sol est formée d’une herbe dure et feutrée, de très mauvaise qualité ; sur les versants le sol, essentiellement siliceux, couvert de bruyères et de myrtille est formé par les « sables du Perche ». Ces versants et une partie du plateau ont été repeuplés en pins, âgés actuellement de 1 à 40 ans environ et très bien venanis. Partout ailleurs, — sauf dans quelques rares vallons où le sol est fertile — les peuplements feuillus, soumis de temps immémorial au régime du taillis à courte révolution, pré- sentent une végétation des plus médiocres. Nous estimons que dans ces conditions, il convient de rendre au massif de la Trappe son ancienne autonomie, c’est-à-dire de le con- sidérer comme une forêt distincte, que l’on diviserait en 2 séries. La partie du massif qui formait anciennement la réserve comporte très bien le régime de la futaie, et constituerait une 1"° série. On continuerait à y asseoir provisoirement des coupes d’éclaircie. La seconde partie, qui composerait la 2° série, ne peut former mi une futaie feuillue, ni un taillis sous futaie convenable, car la plu- part des modernes réservés dans les coupes meurent en cime ou présentent l'aspect de pommiers, avec un fût de 6 à 9 mètres de lon- gueur seulement! Il n’y a évidemment qu'un seul moyen de tirer plus tard un parti avantageux de cette série, c’est de la transformer j LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 263 tout entière en pins. Par là on reconstituerait le sol végétal, en l’en- richissant, et l’on trouverait dans les produits des coupes futures un ample dédommagement des sacrifices actuels, car, nous le répétons, le pin réussit parfaitement ici, el nous avons déjà dit que les bois de cette essence sont très recherchés pour la boulangerie de Paris !. Mais, selon nous, il faudrait marcher résolument dans la voie que nous indiquons. La substitution d’essences devrait donc se faire dans un délai relativement court, en tenant compte d’ailleurs des res- sources budgétaires et du nombre de bras dont on peut disposer dans la localité pour les travaux de repeuplements. Nous pensons que cette tâche éminemment utile pourrait être ac- complie dans une période de 15 à 20 ans, pendant laquelle on par- courrait loute la série en y faisant des coupes de contenances sen- siblement égales. Les parties feuillues seraient exploitées en taillis ; on n’y conserverait comme réserves de diverses catégories que des sujets vigoureux. Les peuplements de pins compris dans les coupes seraient éclaircis. Il en serait de même des bouquets chêne et hêtre bien venants que l’on trouverait accidentellement, mais les peuple- ments seulement passables seraient hardiment recepés. Après le récolement de chaque coupe, on procéderait à des repeuplements de pin sur toute l'étendue qu’occupaient les feuillus, à part les bou- quets bien venants dont nous venons de parler. On obtiendrait ainsi une futaie de pin, mélangée de quelques feuillus épars ou par bou- quets, d'une végétation vigoureuse, futaie qui pourrait être, avec la 1°° série, l’objet d’un aménagement complet et régulier. 2° Examen des mesures prises pour l’exéculion des aménagements. Un aménagement ne vaut que par ses résultats. Or, pour produire tous les résultats qu’on en attend, il ne suffit pas qu’il ait été bien 1. Nous venions d'écrire ces lignes, lorsque a eu lieu à Mortagne une vente de coupes par unités, parmi lesquelles se trouvaient 170 hectares de bois incendiés dans le massif de la Trappe où dominait le pin. Bien que de pareils produits eussent subi unc dépréciation toute naturelle, un négociant de Paris s'est rendu adjudicataire à wn taux fort élevé d'une superficie comprenant 126 hectares de ces bois, sans préjudice de 83 hectares de coupes d'éclaircies de pin au Perche et à Réno-Valdieu qu'il a achetés à la même séance. Nos prévisions sont donc ainsi parfaitement justifiées. 264 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. conçu ; il faut encore qu’il soit exactement compris et appliqué avec intelligence. Et c’est ici qu'intervient l’œuvre importante des agents d'exécution, qui, s'ils ont une grande responsabilité, — puisque l'avenir des forêts est entre leurs mains, — peuvent revendiquer par contre une.très large part dans le succès des aménagements. Il n’est donc pas sans intérêt, ce semble, de faire connaître les mesu- res prises par le service ordinaire pour l’application de ceux que nous venons d'exposer. La gestion forestière comporte deux catégories d'opérations : les exploitations, dans lesquelles on’ doit avoir pour objectif de tirer de la forêt tous les produits qu’elle peut fournir, en assurant la régé- nération et l’amélioration des massifs ; — les repeuplements qui ont pour but de compléter l’œuvre de la nature dans cette même pensée de conservation et de perfectionnement. De là deux ordres de con- sidérations que nous passerons successivement en revue. Coupes de régénération. — Pour obtenir un réensemencement naturel aussi complet que possible, on assoit généralement dans les forêts du Haut-Perche les trois coupes classiques : ensemencement, secondaire et définitive. Il est très rare que l’on soit obligé de faire la coupe secondaire en deux fois, comme cela se pratique dans cer- taines régions moins privilégiées. Tout au contraire, il arrive quel- quefois que l’on peut se passer de cette coupe, par exemple lors- qu'après une très belle glandée, il s’est produit des chablis, ou il a fallu procéder à des extractions d'arbres dépérissants, qui ont dé- couvert un semis complet et déjà fort. Lorsqu'on attaque un massif plein, chêne et hêtre, en coupe d’en- semencement, on y trouve habituellement par hectare 180 à 220 ar- bres, provenant en grande partie de brins de semence, si le massif est homogène et parvenu à son terme d’exploitabihité. La coupe d’ensemencement enlève alors en moyenne un peu plus de 1/3 de ce nombre d'arbres; le volume des arbres abandonnés est de 20 à 25 p. 100 du volume total’. Mais dans les futaies âgées seulement 1. Atitre de renseignement intéressant, nous dirons que dans un des plus beaux cantons de la forêt de Bellème (le Pont-à-la-Dame) le rendement des futaies exploi- tables Agées d'environ 200 ans atteint 927 mètres cubes à l'hectare. Ge chiffre déduit LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES, 269 d'environ 120 ans et crûes en grande partie sur souche (forêt du Perche-la-Trappe), nous avons trouvé jusqu’à 300 et même 400 ar- bres par hectare et l’on faisait tomber, en coupes d’ensemencement, en moyenne 40 p. 100 de ce nombre d'arbres ; le volume des arbres abandonnés atteignait 30 p. 100 du volume total. Il est vrai que le chêne formait à peu près les 4/5 du peuplement. En règle générale nous ne faisons pas la coupe d’ensemencement très claire, non seulement à cause du poids du gland, mais surtout parce que les sols de nos forêts, froids et humides, sont très dispo- sés à se gazonner et même à se couvrir de jones. Dans la coupe secondaire, on abat environ la moitié du nombre d’arbres, ce qui revient à peu près à la moitié du volume des arbres restant sur pied. Cette coupe se pratique, autant que possible, 2 ans après que l’on a obtenu le réensemencement naturel du sol, et la coupe définitive 3 ou # ans plus tard. Mais, vu la rareté relative des glandées, on peut admettre que l'intervalle qui sépare la coupe d’ensemencement de la coupe définitive varie de 5 à 10 ans. Les deux essences principales de nos forêts sont le chêne et le hêtre. La première est de beaucoup la plus précieuse, puisque sa valeur est à peu près double de celle de la seconde. Donc, tout en tenant essentiellement à conserver le mélange de ces deux essences, si favorable, comme tout le monde le sait, à la végétation du chêne, nous nous efforçons de faire prédominer ce dernier, sauf sur les sols trop superficiels. On n'ignore pas combien ce résultat est souvent difficile à obtenir. Les faînées sont un peu plus fréquentes 1ci que les glandées, et le tempérament du hêtre lui permet de vivre pendant de longues années sous le couvert. Aussi quand nous entamons un massif plein, pour y faire la coupe d’ensemencement, y trouvons- de cubages effectués avec soin, dans une place d'expérience de 25 ares, en prenant les diamètres et hauteurs de tous les arbres, doit être d'ailleurs considéré presque comme un maximum, car les bois auxquels il s'applique occupaient une vallée dont le sol est exceptionnellement bon“. Dans les futaies moyennes de la même forêt on ne peut guère admettre plus de 660 mètres cubes à l'hectare (place d'expériences de 50 ares assise au canton de l'Hôtel-Chappey.) * Toutefois sur une place d'expériences de { hectare, assise tout récemment au canlon de Bruyères-Rondes A;, dans la même forêt de Bellème, on a constaté un rendement de 945 mètres cubes, 266 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. nous ordinairement un sous-bois de hêtre abondant et souvent assez élevé. Dans ce cas, il est impitoyablement recepé ; nous ne faisons grâce qu'aux tout jeunes plants. L’extraction de ces fourrés de hêtre serait fort dispendieuse ; le recepage suffit pour arrêter la tendance envahissante de celle essence. C’est aussi dans le même but que la coupe d’ensemencement porte de préférence sur les hêtres, afin de diminuer le nombre des porte- oraines de cette essence. Après la coupe secondaire, si le repeuplement en hêtre était très fourni, il pourrait être utile de procéder à un nouveau recepage, mais seulement partiel, pour empêcher les rejets de hêtre de do- miner les petits plants de chêne venus plus tard. Enfin, après la coupe définitive, nous faisons procéder par place à l’élagage ou même à l’étêtement des sujets de hêtre qui gêneraient la croissance des chênes. Toutes ces opérations de dégagement sont faites aux frais des ad- judicataires de coupes par des ouvriers choisis, sous la direction du garde du triage. Il est nécessaire de les continuer encore pendant quelques années après la coupe définitive, en y joignant le nettoie- ment des bois blancs ; et c’est alors aux préposés eux-mêmes qu’en est confié le soin. La méthode de traitement dite du réensemencement naturel a été longtemps l’objet de très vives controverses. Une simple visite des forêts du Haut-Perche suffit pour clore toute discussion à cet égard, en ce qui concerne du moins la région dont nous parlons. La vérité s'impose ici avec la brutalité d’un fait. Nous pouvons montrer toute la succession des peuplements obtenus par l’application de cette méthode, depuis l’âge de 1 an jusqu’à 70 ans, sans aucune lacune, et cela non dans une seule forêt, mais dans toutes, et non seulement sur les meilleurs sols, mais même sur des terrains 'pierreux et rela- tivement maigres, comme dans la forêt de Réno-Valdieu (canton de Brochard). Il est incontestable que jamais, par la voie arüficielle, on n'aurait pu obtenir des peuplements aussi serrés et aussi vigoureux que ceux que la nature nous à donnés. Et maintenant, si l’on considère la question de dépense, comme il est juste de le faire, nous ferons remarquer que pour obtenir ces LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 267 magnifiques résultats, il a suffi d'effectuer des repeuplements com- plémentaires sur 1/5 au plus de la superficie. On voit donc que, sous tous les rapports, la méthode naturelle offre dans la région du Perche une supériorité indéniable. Après avoir examiné le côté cultural des coupes de régénération, il paraît bon de donner quelques renseignements sur la question administrative. Toutes les coupes d’ensemencement el secondaires sont marquées en réserve ; les arbres abandonnés sont « flachés ». Pour délimiter exactement les coupes de régénération, ce qui est de la plus haute importance, à cause de la valeur considérable des arbres qui s’y trouvent compris, on en trace l'enceinte au moyen de rigoles continues ayant à peu près 0,30 de largeur sur 0",15 de profondeur. Coupes d’éclaircie. — Ges coupes sont faites conformément aux règles connues de la culture. Nous ferons observer seulement que, si nous maintenons les peuplements serrés dans leur jeune âge, nous les desserrons ensuite progressivement ; et qu’à partir de l’âge de 90 ou 100 ans, les éclaircies deviennent hardies : les arbres ont alors acquis toute la hauteur qu’on peut désirer, et il devientimpor- . tant de viser au grossissement en diamètre, tant pour augmenter le rendement en matière que pour améliorer la qualité des bois en les faisant participer plus largement à l’accès de la lumière. | Quel que soit, d’ailleurs, l’âge des peuplements, tout en espaçant de plus en plus les cimes des sujets qui les composent, nous avons toujours soin de conserver : 1° toute la végétation arbustive et fru- tescente qui recouvre le sol” et qui non seulement en maintient la fraicheur, mais encore sert à empêcher la dispersion des feuilles mortes qui doivent former l’humus. Le houx est particulièrement précieux à cet égard ; — 2° les fourrés de hêtre et charme, qui se développent facilement sous le couvert. Lorsque ceux-ci font défaut, suivant alors l'excellent exemple que nous ont légué nos devanciers, nous créons artificiellement, au moyen de plantations de hêtres de moyenne tige, ce sous-étage si précieux pour conserver en bon état 1. Voir un article fort instructif de M. le conservateur Béraud sur l'utilité des plantes basses dans les futaies de chêne {Revue des Eaux et Foréts, année 1865, p. 38) 268 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. les perchis où le chêne domine fortement, et même les futaies âgées que les combinaisons des aménagements obligent à garder sur pied au delà du terme de leur exploitabilité absolue. La rotation des coupes d’éclaircies a été fixée, comme on l'a vu, à 12 ou 15 ans, suivant les aménagements résumés ci-dessus. Or, tous les forestiers s’accordent à reconnaitre que cet intervalle de temps est trop long pour le pin sylvestre. Aussi ne manquons-nous pas de provoquer, par des propositions spéciales, des autorisations nous permettant d'éclaircir les peuplements de pin tous les 5 à 7 ans. Les coupes d’éclaircie sont marquées en délivrance. Quand elles ne renferment qu'un très petit nombre d’arbres épars au milieu de gaulis ou de perchis, ces coupes sont vendues par unités de mar- chandises, seul mode de vente permettant de bien faire les coupes d'amélioration, en revenant à plusieurs reprises sur le même point. Si nous avons affaire à de jeunes fntaies ou à de hauts perchis mé- langés d'anciennes réserves plus ou moins nombreuses, les coupes sont alors adjugées sous forme mixte, c'est-à-dire que tous les ar- bres ayant au moins 0",30 à 0",35 de diamètre à 1°,30 sont vendus en bloc sur pied, avec obligation par l’adjudicataire d’éclaircir les perchis qui s’y trouvent mélangés et de prendre les produits prove- nant de cette opération à des prix fixés sur l'affiche, ce qui constitue pour cette portion de la coupe une vente par unités. Coupes de neltoiement. — Conformément aux indications des amé- nagements, les neltoiements que réclament les jeunes gaulis sont toujours proposés en temps utile. Ils sont généralement accompa- gnés d’une légère éclaircie. On commence à les pratiquer ici d’ordi- naire lorsque les peuplements sont âgés de 95 à 30 ans. Ce sont des opérations fort délicates, car les brins ayant jusqu'alors crû à l’état très serré, un desserrement trop brusque en ferait courber inévita- blement un grand nombre. Aussi sommes-nous souvent obligés de conserver une partie des bois blancs comme tuteurs, en les étêtant. Tantôt ces opérations font l’objet de coupes vendues par unités, tantôt, lorsque les produits en sont moins importants, on les exécute au compile d2 l’État. RE té note ane éd LE HAUT-PERCHE ET SES FORÉTS DOMANIALES. 269 Coupes de taillis sous futaie. — Nous ne dirons que quelques mots de ces coupes, qui ne s’exploitent que dans la forêt du Perche- la-Trappe, et temporairement, puisqu'elles doivent cesser à la fin de la première période. Elles sont martelées comme toutes les cou- pes de même nature, mais en vue de la conversion en futaie ; les arbres réservés, surtout les baliveaux et les modernes, sont donc aussi nombreux que possible. Dans le même bat, on y réserve tous les jeunes brins francs de pied d’essences dures ayant plus de 2 mé- tres de hauteur et toutes les plantations des mêmes essences. Bepeuplements. — Lorsque survient une glandée ou une fainée, les semences trouvent dans le sol des coupes d’ensemencement ré- centes, ameubli par l’exploitation et la vidange, des conditions favo- rables pour germer. Mais si ces coupes ont été assises depuis plu- sieurs années, le sol s’est durci à la longue, et il devient utile de lui donner une légère culture, sans laquelle beaucoup de semences se- raient perdues. Le hêtre étant toujours trop abondant, nous ne pro- cédons à ces travaux de culture qu'après les glandées. Anciennement ils se pratiquaient sous le nom de « croctages » par bandes alter- nes ; mais on à remarqué qu’en leur donnant trop de régularité, on favorisait les ravages des sangliers, et l’on s’est attaché alors à faire les croctages par places irrégulièrement disposées. Lorsque les cou- pes d’ensemencement n’élaient pas {rop anciennes, nous nous som- mes même contentés parfois de faire gratter le sol avec des râteaux de fer à longues dents, mode très économique, qui, en recouvrant les glands de feuilles mortes, peut suffire à assurer leur germination. Dans les cantons où la glandée n’a pas réussi, on fait d’abord ré- pandre des glands par places, avant le croctage ou le râtissage. Enfin nous avons essayé aussi, avec assez de succès, l'emploi du semoir Prouvé, qui, en disséminant les glands, déjoue les recherches des sangliers. Lorsqu'il s’agit de compléter la régénération naturelle dans les coupes secondaires et définitives, nous opérons par plantations, en nous servant habituellement du plantoir et du fourreau Prouvé. Les plants de chène et de frêne sont pris en pépinière, les Jeunes hêtres dans les clairières, où ils sont toujours trop nombreux. 210 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Les repeuplements en pin sylvestre ont pris une très grande im- portance depuis une quarantaine d'années dans les forêts du Haut- Perche. On a repeuplé ainsi dans les trois forêts domaniales tous les terrains appartenant à la formation géologique appelée « sables du Perche », que les anciennes descriptions représentent comme occu- pés autrefois par des bois rabougris, ruinés. Sous ce rapport, il ne reste plus rien à faire dans les forêts de Bellème et de Réno-Valdieu. Il n’en est pas ainsi de la forêt du Perche-la-Trappe. Pour le massif de la Trappe, nous venons d'exposer plus haut nos vues à cet égard. Quant au massif du Perche, dont la partie contiguë à celui de la Trappe est siluée absolument dans les mêmes conditions géolo- giques, on y rencontre sur plusieurs points, comme dans la Trappe, outre les sables du Perche, un sol formé à la surface d'argile com- pacte renfermant à peu de profondeur des amas considérables de silex, sol médiocre, appauvri par l’ancienne exploitation en taillis. Là, les feuillus, le chêne surtout, présentent une maigre végétation; les arbres sèchent en cime de bonne heure. Sur de pareils terrains, le pin, qui seul peut en opérer la restauration, s'impose tout natu- rellement. Nous l’avons fait remarquer dans le procès-verbal de revi- sion de la possibilité, et nous appliquons méthodiquement cette substitution d'essence au fur et à mesure du passage des coupes d’éclaircie ou de taillis sous futaie. Même observation pour les deux petits vallons d’Avre et de Val- Alais, qui traversent le massif du Perche, et dans lesquels, par suite de la nature du sol, qui est humide et même parfois tourbeux, et en raison de la situation élevée, les brouillards et les gelées persistent pendant une grande partie de l’année. Le chêne doit en être exclu radicalement, car il y gèle à tout âge. Sur l’atlas de 1789, le vallon d’Avre figure comme marais, sous le nom caractéristique de « Bouillon du Grais », et l’on voit indiqué dans le Val-Alais un ancien étang. Il y a une trentaine d’années, on essaya de repeupler ces lerrains en chênes, hêtres et bouleaux, plantés par bandes que séparaient des rigoles d'assainissement ; mais cet assainissement était fort impar- fait. Le chêne gelait, le hêtre et le bouleau restaient chétifs. On songea alors à l'épicéa, qui lui aussi était atteint par la gelée et sur plusieurs points ne prenait aucun accroissement. Enfin on recourul | ; LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES,. 271 au pin sylvestre, ce sauveur des sols dont on désespère, et l’on peut constater maintenant, sur des bouquets de pin âgés d’une vingtaine d'années, que celte dernière conceplion était la bonne. Donc, c’est au moyen du pin et du pin seal que l’on peut espérer Uirer parti de ces terrains ingrats, et c’est dans cette voie que nous marchons ré- gulièrement depuis plusieurs années. Pour les repeuplements de pin nous recourons, suivant les sols, au semis ou à la plantation. Les semis s’eflectuaient autrefois par bandes alternes; aujourd’hui nous préférons, par raison d’écono- mie, les faire par potets de 0",50 distants de 1°,50 de milieu à mi- lieu ; on sème 7 kilogr. par hectare. Les plantations sont exécutées à la bêche demi-cireulaire ; les pots sont espacés d'environ 1 mètre; on emploie des plants de 2 ans élevés en pépinière. 3° Résulluts des aménagemen's. Rendement en matière et en argent des forêts domaniales pendant la dernière période décennale (1882 à 1891) PRODUITS PRODUITS EN ARGENT en matière (moyennes annuelles). CONTE- | (moyennes annuelles). 2 FORETS, RENDEMENT REVENU BRUT REVENU NET NANCES ah nTRr ol UE par 1 1 total. | Loctare. total”. | bootare. Hectares.| M.c. M... Fr. Fr. . Bellème . . . . .12428,98| 9255] 3,810 | 172 234| 70,91 | 152008] 62,58 Réno-Valdieu. . . .|1588,76| 5225] 3,290 | 74815] 47,08 | 62598] 39,40 Le Perche-la-Trappe.|3 222,18] 12 152| 3,770 | 128 766) 39,96 | 103 770| 32,20 Totaux 02:17239,921261632 379 815 318 376 » 1. Les nombres inscrits dans cette colonne comprennent les produits en argent de toute nature, sauf pourtant les sommes mises en charge sur les coupes qui, pendant la période considérée, se sont élevées en moyenne par an aux chiffres suivants : 6110 fr, 2. Les nombres inscrits dans cette colonne ont été obtenus en défalquant du revenu brut les dépenses de toute nature (frais d'administration, de surveillance, d'amélioration, centimes additionnels, etc.). Nota. — Nous croyons bon de faire observer que les résultats consignés dans ce tableau ont été obtenus au moyen de relevés faits avec la plus scrupuleuse attention et de calculs soigneusement vérifiés ; on doit donc les considérer comme tout à fait exacts. 272 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Deux faits remarquables se dégagent du tableau qui précède : 4° On est frappé d’abord de l’importance du revenu net par hec- tare de la forêt de Bellème : 62 fr. 58 c. Nous ne croyons pas qu'il existe beaucoup de futaies, chêne et hêtre, atteignant un taux aussi élevé. Ce résultat se comprend facilement, étant données, d’une part, l'intensité de la production en matière dans cette forêt, et, d'autre part, la proportion considérable de bois d'œuvre qui s’y trouve, ainsi que la qualité exceptionnelle de ces bois. 2 Le second fait digne de fixer l'attention, c’est le chiffre relati- vement faible du revenu brut par hectare de la forêt du Perche-la- Trappe, quoique la production en matière y soit par hectare presque aussi élevée que dans la forêt de Bellème, résultat qui peut paraitre à priori difficile à expliquer. Voici certainement la seule raison de cette discordance apparente. On exploite actuellement par an, dans Ja forêt du Perche-la-Trappe, 63"*,76 en coupes de taillis sous futaie ou de recepages, qui sont de véritables coupes de taillis. Ges exploi- tations fournissent une quantité de produits en matière considéra- ble, mais dans laquelle dominent les bois de feu et surtout les bour- rées. D'ailleurs, la proportion de bois d’œuvre est beaucoup moins forte dans les coupes de futaie de cette forêt que dans celles de la forêt de Bellême, et la qualité en est très inférieure. Cette explication se trouve confirmée par cet autre fait ressortant du même tableau : La forêt de Réno-Valdieu, qui ne comprend que des coupes de futaie, où la proportion de bois d'œuvre est plus grande que dans la forêt du Perche-la-Trappe et dont les bois sont de bien meilleure qualité, donne un revenu brut beaucoup plus élevé que celui de celte dernière forêt, bien que le rendement en matière à l’hectare y soit plus faible. \ ù N 0 ptit LE HAUT-PERCHE ET SES FORÈÊTS DOMANIALES, 273 IT IMPORTANCE ET AVENIR DES FORÊTS DOMANIALES DU HAUT-PERCHE On vient de voir quelle est l'importance des forêts domaniales du Haut-Perche, et par les produits matériels qu’elles fournissent, et par le revenu qu’elles procurent au Trésor. La conséquence toute naturelle à tirer de ces faits, c’est que l'Etat doit les conserver pré- cieusement et mettre tous ses soins à les améliorer. Toutefois il nous paraît utile d’insister sur ce point, parce qu’il y a là un intérêt d’or- dre public à sauvegarder. Nous ne saurions oublier qu’à une époque qui n’est pas bien éloignée, alors que la prospérité matérielle de la France était parvenue à son apogée, le Gouvernement impérial, sou- tenu par des spéculateurs intéressés et par des économistes qui n’é- taient que des théoriciens, eut l’intention de procéder à une aliéna- tion en grand des forêts domaniales', triste ressource des plus mauvais jours. Mais nous nous souvenons aussi, non sans une cer- laine fierté, que dans cette grave conjoncture le corps forestier fit preuve d’une merveilleuse force de cohésion, et que l'opinion publi- que, éclairée par les défenseurs naturels de notre domaine forestier national *, sut imposer sa volonté au pouvoir : le projet d’aliénation fut retiré. {. Suivant l'article 5 du projet de loi qui fut déposé au Corps législatif en 1865, le ministre des finances était « autorisé à aliéner en six ans des bois de l'État jusqu'à concurrence de 100 méllions de francs ». 2. Une des objections les plus spécieuses qu'on faisait à cette époque contre l'utilité des forêts de l'État était la suivante, 11 n'existe pas de forêts domaniales en Angleterre, et pourtant ce pays sait parfaitement s'en passer, Aujourd'hui nous pouvons faire à cette objection une réponse topique. Le Gouvernement anglais a si bien compris l'im- portance que lui offrait un domaine forestier national qu'il a organisé dans l'Inde un service forestier s'étendant sur 25 millions d’hectares, et que, après avoir entretenu pendant plusieurs années à notre École de Nancy une pépinière de sujets destinés à former son personnel d'agents et de professeurs, il a créé en 1886 une École forestière à Cooper’s Hill, près de Londres, La 2° division de cette école nous a fait l'honneur de visiter nos forêts pendant l'été de 1891 (V, Revue des Eaux et Foréls, 1891, p. 385). ANN. SCIENCE AGRON, == 1892, — 11. 18 274 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Il est bien peu probable que de nos jours cette question vienne à être soulevée de nouveau; mais, comme il existera toujours des esprits superficiels, qui, «sans aller au fond des choses, prendront des paradoxes mille fois rebattus pour des arguments, il n’est pas mauvais, ce semble, de faire ressortir à l’occasion tous les avantages qu’assure au pays la conservation des forêts domaniales ; c’est ce que nous allons essayer pour celles du Haut-Perche. Parmi ces avantages, les uns sont, pour ainsi dire, indirects, et tiennent à l'influence que les forêts exercent sur le sol, le climat, le régime des eaux, la salubrité publique, la défense du territoire; les autres sont directs, et résultent des produits qu’elles fournissent à la consommation publique et des receltes qu’y trouve le budget de l’État. Nous examinerons brièvement les premiers, nous réservant de dé- velopper les seconds plus longuement. Avantages indirects. Lorsqu’en 1865 le projet d’aliénation dont nous venons de parler agita les esprits, ces avantages furent vivement discutés. La ques- ton, il faut bien le reconnaître, est très complexe, et l'on manquait alors d'expériences vraiment coneluantes. Mais depuis cette époque de nombreuses stations météorologiques ont été établies dans toute la France et ont permis déjà d’élucider plusieurs points obscurs. Rappelons, à l'honneur de notre École supérieure de Nancy, que dès l’année 1866 elle prit l’initiative de ces importantes études, qui, sous la direction de notre maître éminent et si regretté, M. Mathieu, furent organisées dans des conditions de précision qui ne pouvaient donner prise à aucune critique sérieuse. Influence sur le sol. Dans les controverses auxquelles donna lieu la question des alié- nations, il est une vérité qui resta en dehors de loute contestation, parce qu’elle s’imposait par son évidence même : c’est l’influence des forêts sur le sol. Tout le monde admettait en effet que les arbres re- LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 215 tenaient les terres par le lacis de leurs innombrables racines et les empêchaient de se raviner. La majeure partie du sous-sol sur lequel reposent les forêts du Haut-Perche étant, — nous l’avons dit, — formée d’argiles plus ou moins divisées, et, par suite, offrant une certaine consistance en vertu de leur compacité, leur importance sous ce rapport est donc secondaire. Pourtant nous ne devons pas oublier qu’une portion as- sez notable du sous-sol de ces forêts est formée par les « sables du Perche », qui sont essentiellement meubles et friables. Remarquons surtout que ces sables occupent presque toujours des versants dont les pentes sont parfois assez raides. Sur ces points, où d’ailleurs toute autre culture ne paraît guère possible, l'avantage de la forêt est in- contestable. Influence sur le climat et sur la santé publique. Distribution des pluies: — Les observations méléorologiques faites par l’École supérieure de Nancy à partir de 1866 ont nette- ment établi que, toutes choses égales d’ailleurs, la quantité d’eau qui tombe sur une région boisée est plus grande que celle que re- çoil une région déboisée. Ce principe se trouve confirmé, comme nous l'avons dit dans la 2° partie de cette notice, par la comparaison des résultats obtenus dans les stations forestières et agricoles de l'Orne. : Les forêts du Haut-Perche jouent donc le rôle de condensateur par rapport aux vapeurs d’eau qu’entraînent en grande quantité les vents d'Ouest et de Nord-Ouest, et par conséquent elles ont pour effet de maintenir le climat humide. Or cette circonstance est fort impor- tante ici, car c’est une condition éminemment favorable aux deux principales cultures du Perche : les prairies ou herbages et les pom- miers. Aclion sur les orages. — Les orages qui se forment dans une ré- gion ont une tendance marquée à se grouper sur les lisières des grandes masses boisées. Celles-ci neutralisent incessamment le fluide électrique dont les nuages sont chargés, en laissant couler abon- 276 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. damment le fluide contraire par leurs cimes, et par là elles préser- vent les contrées voisines des effets de la foudre et de la grêle . Donc à ce point de vue nos forêts exercent sur le pays qi les environne une action des plus bienfaisantes. Action sur les vents. — Les forêts, tout le monde le sait, font l’of- fice de brise-vents. Celles du Haut-Perche sont ainsi des abris pré- cieux, préservant les contrées situées à l’Ouest des vents de Nord- Est et d’Est qui amènent pendant l'hiver des tempêtes de neige, comme on l’a constaté dans les hivers de 1879-1880 et de 1891- 1892. Ces forêts abritent en même temps la région située du côté de l'Est contre les bourrasques si violentes de l'Ouest et du Nord- Ouest, qui viennent de l’Océan et de la Manche. Action sur la température. — A résulte des observations thermo- métriques faites par l’École de Nancy que les forêts, sans diminuer sensiblement la température moyenne annuelle (elles ne labaissent pas même de 1/2 degré), ont pour effet de rendre l'écart entre les températures extrêmes moins prononcé, et par suite tendent à rendre le climat plus constant. Si donc, malgré l'existence de nos grands massifs forestiers, le climat du Haut-Perche est très variable, on doit en conclure que leur disparition ou même leur amoindrissement au- rait pour résultat de rendre ce climat plus rude et plus désagréable encore; et la santé publique en souffrirait grandement, car, — on ne l’ignore pas, — ce sont les wrusques variations de température qui déterminent tant de maladies graves des organes respiratoires. Influence sur le régime des eaux. Après bien des discussions sur cette question, qui en 1865 divi- sait les meilleurs esprits, il semble qu'aujourd'hui le doute n’est plus possible en présence des résultats tangibles de la grande expérience que poursuit depuis près de 30 ans le service des reboisements dans les montagnes des Alpes, des Cévennes et des Pyrénées. Plusieurs 1. Mémoires sur ies zones d'orages à grêle par M, Becquerel (Revue des Eaux et Foréts, 1866, p. 92). _ chics LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 211 torrents ont été déjà « éteints », et le régime des eaux à été ré- œularisé par l’action combinée des travaux d’art et des reboise- ments. Bien que le Perche n’appartienne pas à la région des torrents, nous avons fait remarquer que ses deux principaux cours d’eau, la Sarthe et l’Huine, qui prennent leur source très près de nos forêts, avaient un débit assez irrégulier, et que leurs inondations ne cau- saient que trop fréquemment des dommages irréparables dans les plaines qu’arrosent ces deux rivières. Que serait-ce si les coteaux du Perche venaient à être déboisés ! Influence sur la défense du territoire. Dans la première partie de cette etude nous avons montré que les Romains avaient vite saisi les avantages que leur offraient les dé- fenses naturelles du Haut-Perche, pour y asseoir solidement leur do- mination, et qu'ils avaient eu soin d'appuyer leurs camps retranchés contre les grands massifs forestiers qui existaient alors dans ce pays. C'était du reste leur système dans toutes les contrées dont ils faisaient la conquête, et il nous a élé donné de le constater aussi bien dans le Midi de la France que dans l'Ouest. Nous avons vu également que les forêts du Perche avaient plu- sieurs fois servi de refuge aux armées à l’époque mérovingienne. Faut-il rappeler que dans la malheureuse guerre de 1870 nos ad- versaires, eux aussi, n’ont que trop bien compris l'importance que présentent les forêts sous le rapport militaire ? Nous possédons des documents particuliers, fort douloureux pour nous, qui prouvent que pendant la bataille de Forbach (6 août 1870) et au début de celle de Rezonville (16 août 1870) l'ennemi sut, pour masquer ses atta- ques, tirer un habile parti des forêts à l’abri desquelles il s’avançait. Et ces manœuvres raisonnées se répétèrent si souvent qu’un journa- liste méridional, — il nous en souvient, — écrivait dans un élan de palriotisme assez naïf et bien peu réfléchi : « Qu’on les brûle donc ces forêts! » — Eh! non, mille fois non ; sachons plutôt nous en ser- vir. Imitons les Romains, qui ne manquaient jamais d'emprunter aux nations contre lesquelles ils avaient combattu tous leurs moyens de 2738 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. vaincre, ainsi que l'ont fait si bien remarquer deux de nos auteurs classiques, en signalant les causes des succès militaires de ce grand peuple. « Ils savaient, dit Bossuet, profiter admirablement de tout ce qu'ils voyaient dans les autres peuples, pour faciliter tant l’at- iaque que la défense”. » Et Montesquieu écrit de son côté : « Leur principale attention était d'examiner en quoi leur ennemi pouvait avoir de la supériorité sur eux, et d’abord ils y mettaient ordre *. » La France, avec les immenses ressources dont elle dispose au- jourd’hui, peut assurément envisager l’avenir sans crainte, mais n'oublions pas que la fortune des armes, hélas ! est changeante et capricieuse, et sachons examiner avec un mâle sang-froid même l'hypothèse d’une nouvelle invasion et d’une défense acharnée du territoire. Dans ce cas il n’est pas besoin d’être un stratège con- sommé pour comprendre l'importance du rôle que peuvent jouer nos forêts et en particulier celles du Haut-Perche. S'étendant sur les coteaux qui séparent le bassin de la Seine de nos départements oc- cidentaux, nos forêts fortifient encore cette barrière naturelle. Soit donc que l’ennemi, débarqué sur les plages bretonnes, voulût mar- cher sur Paris, soit que, s’étant rendu maître de la Normandie, il cherchât à gagner le Maine et la Bretagne, il y aurait un intérêt ca- pital à occuper solidement les massifs forestiers du Haut-Perche; et cette mesure militaire s’imposerait avec d'autant plus de néces- sité que la ligne de défense formée par nos forêts domaniales et se continuant par les forêts de Moulins-Bonmoulins, Bourse, Écouves et Perseigne est traversée ou longée par plusieurs chemins de fer qui mettent en communication la ligne de Paris-Granville avec celle de Paris-Brest. Mais, dira-t-on peut-être, l’action des forêts aux divers points de vue qui viennent d’être examinés est incontestable, — soit. Seule- ment elle est indépendante de la qualité du propriétaire, et elle sub- sisterait alors même que les forêts domaniales du Haut-Perche pas- seraient entre les mains des particuliers. — Oui, cette influence persisterait, mais considérablement amoindrie, presque annihilée. . Discours sur l’histoire universelle, chap. V. . Grandeur et décadence des Romains, chap. IL. LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 279 L'expérience des aliénations passées nous le prouve surabondam- ment. Car en pareil cas qu’arrive-t-il ? Les spéculateurs qui ont acheté des forêts domaniales commen- cent par raser la futaie, puis ils morcellent les massifs pour les re- vendre en détail ; et les propriétaires, grands et petits, qui s’en sont rendus acquéreurs les exploitent en taillis à de-brèves révolutions, — révolutions d'autant plus courtes qu'ils sont plus besoigneux. Peu d’entre eux les font garder, ou bien la surveillance se borne le plus souvent à la répression des délits de chasse. D'ailleurs peu de tra- vaux d'entretien; et alors, à la suite des exploitationswicieuses, les souches s’épuisent, les bois se dégarnissent, et à la place des beaux peuplements d'autrefois l’on n’a plus que des taillis chétifs et clai- riérés ou des bruyères. C’est ce que nous avons constaté dans la deuxième partie de ce travail, en faisant remarquer ie contraste saisissant de la forêt doma- niale du Perche et de la forêt particulière de la Ventrouze, qui sont contiguës et placées dans les mêmes conditions de végétation ; et ce parallèle peut se faire sur tous les points du territoire de la France. Il est donc bien constant que sous les divers rapports que nous venons de considérer, l’influence des forêts sera toujours plus ac- tive, les avantages réalisés plus complets tant que ces forêts reste- ront entre les mains de l’État, parce que, par la solide organisation de son personnel administrateur et surveillant et par ses méthodes de culture perfectionnées, l'État saura mieux que les particuliers assurer le maximum d'intensité dans la production. Avantages directs. Nous avons fait voir plus haut quelle était aujourd’hui l'impor- tance des forêts domaniales du Haut-Perche au point de vue du ren- dement en matière. Il pourra bien arriver que pendant la révolution de futaie actuellement en cours, qui est une révolution de régulari- salion, une certaine diminution se manifeste dans la possibilité des massifs feuillus pour quelque période, mais cette diminution sera atténuée au moyen des fonds de réserve mobile qu’on a toujours soin de constituer, Elle sera mème bien compensée par laugmenta- 280 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. tion croissante des produits résineux dont il n'a pas élé tenu compte dans les aménagements. H ne faut pas oublier, en effet, que les peu- plements de pin occupent une étendue d'environ 1 050 hectares dans les trois forêts domaniales réunies, soit 14.5 p. 100 de leur super- ficie totale. Après la première révolution, si l’on continue à appliquer les amé- nagements très rationnels qui ont été arrêtés, la production sera né- cessairement augmentée et améliorée. 1° Il y aura augmentation de produits pour plusieurs motifs : d’abord parce que dans les révolutions à venir les peuplements se- ront homogènes et auront été fortement éclarrcis dans la seconde moitié de leur existence, puis parce qu'ils seront {ous exploités à l’époque de leur plus grand accroissement moyen. Il n’en peut être ainsi maintenant. En effet les futaies dans lesquelles sont assises les coupes de régénération sont souvent composées d'arbres dont les âges sont très différents les uns des autres. D’autre part certains peuplements sont exploités au delà de leur terme d’exploitabilité, beaucoup le sont auparavant. ® Il y aura amélioration certaine dans la production par le fait même des éclaircies successives et progressives, et surtout parce que les peuplements seront tous composés d’arbres francs de pied, tandis qu’actuellement on trouve dans toutes les coupes un très grand nombre d’arbres crûs sur souche, par suite des anciennes ex- ploitations, les unes à tire et aire suivies de recepages, les autres en taillis. Il faut avoir vu certaines coupes de régénération de nos forêts pour comprendre l’étendue de la perte causée à la consommation et au Trésor par les anciennes exploitations, si défectueuses, qui ont précédé celles d’aujourd’hui: les arbres sont fréquemment viciés à leur base, et ces tares se prolongent jusqu’à 1 mètre, 2 mètres, quel- quefois plus, de hauteur. Passons maintenant en revue les divers genres de produits ligneux qu'on peut retirer des forêts domaniales du Haut-Perche ; on se con- vaincra de plus en plus qu’un avenir de prospérité incontestable leur est réservé. Pour se rendre bien compte de la valeur de la production ligneuse dans nos forêts, il y a lieu de faire connaître comment se répartis- és LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 281 sent les bois qu’on y exploite entre les trois grandes catégories de marchandises qui suivent : Bois de service ou d'industrie (chêne), bois d'industrie (hêtre, frêne, bois blancs et pin), bois de feu. Au moyen de relevés faits avec le plus grand soin sur les procès- verbaux d'estimation des coupes de toute nature, nous avons déduit par forêt les proportions moyennes pour cent de ces trois sortes de marchandises. Appliquant ensuite ces facteurs aux volumes repré- sentant le rendement annuel moyen de chaque forêt”, nous avons obtenu en définitive les résultats suivants pour les trois forêts en- semble : MÈTRES CUBES. Service ou industrie (chêne)... + . . .:. ... . . . . 6695 Industrie (hêtre, frêne, bois blancs, pin) . . . . . . . . . 5498 PS TOM OM AT En RS EN LUE TE Ve QE ce L& 439 OA A A US de 20 08 Bois de service ou d'industrie (chéne). Charpente, menuiserie, merrain, lattes, échalas. — Que de fois en 1865 et depuis, les adversaires des forêts n’ont-ils pas répété triomphalement cette objection, — qui, en réalité, n’est qu’un cliché à l’usage de ceux qui n’ont pas étudié sérieusement la question fo- reslière : « Dans ce siècle de progrès, les bois de service ne sont plus nécessaires ; on peut les remplacer par le fer. » Il est vrai que dans les grandes constructions, à Paris surtout, on substitue souvent le fer au chêne, mais non dans la plupart des villes d'importance secondaire, ni dans les campagnes ; et, comme le fer prend une extension de plus en plus grande pour une foule d’em- plois, notamment pour les chemins de fer et pour les constructions navales, comme, d’ailleurs, le fer est une matière qui ne se renou- velle pas, — qu’on veuille bien le remarquer, — il n’est pas proba- ble qu’il vienne à supplanter définitivement le chêne pour la char- pente. 1 Que dire de la menuiserie ? Les planchers sont-ils généralement en 1. Tableau inséré plus haut sous le titre « Résultats des aménagements ». 282 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. chêne ? Et les portes et fenêtres? Et les meubles? Et les cuves, les tonneaux ? Et les lattes, les échalas ? On comprend facilement que, avec les progrès de la civilisation, avec la prospérité toujours croissante de notre beau pays, la con- sommation de bois de chêne pour tous les emplois que nous venons d’énumérer sera toujours de plus en plus grande. Nous sommes donc heureux de constater que nos forêts du Haut-Perche en four- ssent pour le moment par an près de 6 700 mètres cubes, et de rappeler que le chêne de ces forêts est particulièrement estimé pour la menuiserie, — un emploi qui ne leur fera jamais défaut. Lorsque, d’une part, la qualité des bois se trouvera améliorée par le fait des aménagements actuels, et que nos vignobles, à la recons- titulion desquels on travaille avec une si courageuse persévérance, nous rendront, — il faut l’espérer, — ces belles récoltes d'autrefois, nos forêts trouveront là encore un précieux débouché, car on sait que la fabrication du merrain nécessite du bois de choix. Déjà elles sont connues des commerçants du Bordelais, qui s’y sont plus d’une fois approvisionnés. Traverses de chemins de fer. — À propos de ces traverses, que d'expériences n'a-t-on pas tentées pour tâcher de se passer du bois! On a essayé le fer, la fonte, la tôle, etc. Lors de nos expositions uni- verselles *, on a exhibé toutes sortes de systèmes. Tous se tradui- saient en fin de compte par une augmentation de dépense, sans pré- senter les mêmes avantages que la traverse en bois, et c’est encore à cette dernière qu'il a fallu revenir. Il nous paraît donc intéressant d’éludier cette question, toute d'actualité, avec quelques développements. Au 31 décembre 1867, la longueur totale des chemins de fer con- cédés en France était de 21 874 kilomètres *. L’espacement des traverses est très variable, suivant les réseaux, et aussi selon les espèces de traverses. En admettant qu'il y en ait en moyenne 1 100 par kilomètre, on voit que le développement ki- 1. Revue des Eaux ct Foréts, 1867, p. 194 ; 1882, p. 284. ?. Revue des Eaux et Foréls, 1868, p. 289 à 292 et 339 à 344. LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 283 lométrique qui vient d’être indiqué supposait déjà l'emploi de 24 061 400 traverses ; et, comme la durée des traverses de chêne est au maximum de 15 ans, on en conclut qu’en 1867 l'entretien seul des voies ferrées exigeait l'emploi annuel d'environ 1 605 000 traverses. Le nombre total des voitures el wagons constituant le matériel roulant à cette époque était de 112 968 *. Voici maintenant quelle est la situation des chemins de fer français établie le plus récemment : Au 31 décembre 1889, la « longueur absolue » totale de nos voies ferrées (chemins de fer d’intérêt général et d'intérêt local réunis) élait de 35 264 kilomètres (chiffre officiel *?), dont l’entrelien récla- merait, d’après les bases de calcul indiquées tout à l'heure, l'emploi annuel de FLE — 9 459 700 traverses. Le nombre total des voitures et wagons existant sur l’ensemble des chemins de fer français, à la même époque, était de 279 791 *. Mais le nombre de traverses qui vient d’être signalé serait beau- coup trop faible, si l’on acceptait les résultats des calculs exposés dans un rapport de M. Jacquin, ingénieur en chef des ponts et chaussées, rédigé à l’occasion de l'Exposition universelle de 1878 : d’après ce document, la consommation d’entretien, pour les traver- ses, était déjà évaluée alors à 2 563 000 traverses, et pour le maté- riel roulant à 140 000 mètres cubes par an“. Admettons toutefois pour l’entretien annuel de toutes nos voies ferrées le nombre rond de 2 300 000 traverses, qui est certainement au-dessous de la réalité, et pour le volume moyen de la traverse 0°,090, le volume total de ces traverses serait ainsi de 225 000 mè- tres cubes, ce qui suppose un volume de bois en grume de plus de 447 000 mètres cubes (225 000 X 1,9894 — 447 615). On voit dès lors à quel volume énorme on arriverait en ajoutant 1. Revue des Eaux et Foréts, 1868, loc. cit. 2. Bullelin du Ministère des Travaux publics ;: statistique, t. XXIV, septembre 1891. 3. Bullelin du Ministère des Travaux publics ; statistique, loc. cit. 4. Revue des Eaux el Foréls, 1882, p. 283. 284 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. au cube précédent celui des bois nécessaires pour l'entretien du matériel roulant. D’après les chiffres que nous venons de citer, le développement des lignes ferrées en France pendant la période de 1867 à 1889 in- clus (22 ans) s’est accru de plus de 60 p. 100, et le matériel roulant de 147 p. 100. Si cette progression devait persister, on se demande avec inquiétude où l’on trouverait les ressources en bois nécessaires pour l'entretien d’un matériel aussi colossal que celui que consom- meraient les réseaux de l’avenir. | Remarquons que le chêne est l'essence qui entre pour la plus forte part dans la construction des voitures et wagons, comme dans la fabrication des traverses. Quel débouché assuré pour le chêne des forêts du Haut-Perche, si l’on songe à la situation privilégiée de ces forêts, vers le milieu du réseau de l'Ouest et à 170 kilomètres envi- ron de Paris, nœud central de tous les chemins de fer français ! Bois d'industrie (hêtre, frêne, bois blancs, pin). Hêtre. — Si nos successeurs continuent les mesures que nous em- ployons, 1l est certain que le chêne prédominera fortement dans les futaies du Haut-Perche ; mais aujourd’hui, dans les exploitations de toute nature, cette essence l'emporte de peu sur le hêtre, qui occupe le second rang, avec un volume annuel moyen de plus de 5 000 mè- tres cubes de bois d'industrie. Les emplois du hêtre sont tout aussi variés que ceux du chêne ; mais dans le Perche c’est presque exclusivement pour le sabotage, la fabricalion des galoches et des pelles qu’on l'utilise. On en fait aussi, mais rarement, des traverses de chemin de fer, et sous ce dernier rapport tout ce que nous venons de dire du chêne s’ap- plique ici. On sait que l’impossibilité de trouver un nombre suffisant de tra- verses de chêne oblige à recourir au hêtre et au pin, qui, pour ré- sister aux influences destructives du sol et de l’atmosphère, doivent subir l'injection de substances antiseptiques : sulfate de cuivre ou créosole. Les traverses de hêtre ou de pin injectées reviennent à peu près LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 285 au même prix que celles de chêne, et leur durée est de peu infé- rieure à celle des traverses de cette dernière essence (environ 12 ans). Certaines compagnies, telles que celle du Nord, emploient un nombre de traverses de hêtre bien supérieur à celui des traver- ses de chêne. Il y a donc là encore pour nos forêts un important dé- bouché. l On n’ignore pas non plus que le hêtre sert à faire des attelles de colliers, des bâtis de meubles, des boîtes d'emballage, des cerces de tamis et de boissellerie, une foule d’ustensiles de cuisine, des manches de cannes et de parapluies, enfin des jouets de toutes sor- tes’. C’est surtout dans l’Est de la France, ainsi qu’à Villers-Cotte- rets (Aisne) et à Écommoy (Sarthe), que se façonnent ces diverses marchandises: Nous voulons espérer qu’un jour viendra où des in- dustriels bien avisés auront l'intelligence de monter dans le Haut- Perche quelques fabriques utilisant le hêtre sous ces divers aspects; l'installation en serait si avantageuse, aussi bien pour eux que pour le pays! Les nombreux cours d’eau qu’on trouve ici leur fourni- raient le moteur, et ils auraient la matière première sous la main. Frêne. — Le frêne, que nous multiplions dans toutes les parties humides des forêts domaniales, est appelé à prendre plus tard une grande faveur, lorsqu'il aura acquis des dimensions convenables. Inutile d’insister sur les emplois divers pour lesquels cette essence est si estimée : menuiserie, carrosserie, charronnage, etc. Il y a donc là encore un élément de richesse pour certains cantons de nos fo- rêts, qui jusqu'à ce jour ne fournissaient que des produits tout à fait inférieurs. Bois blancs. — Les bois blancs entrent pour une proportion très faible dans les forêts domaniales du Haut-Perche (environ 5 p.100). Parmi ces essences c’est le bouleau qui domine, et ce bois commence à se vendre presque aussi cher que le hêtre. Il est d’ailleurs curieux de remarquer à combien d’usages multi- ples on affecte maintenant les bois blancs, si dédaignés autrefois. 1. Catalogue raisonné des collections de l'administration des forêts, à l'Exposition universelle de 1878, p. 38 et suiv. 286 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. On sait que depuis assez longtemps on en emploie de grandes quantités pour la fabrication des allumettes. On a calculé que, en tenant compte des déchets, il ne faut pas moins de 80 000 stères par an pour suflire à cette industrie ‘. Puis c’est la pâte à papier. Déjà en 1867, on constatait que l’in- dustrie de la papeterie retirait du bois plus de 1/10 de la matière qu’elle emploie *. Mais aujourd’hui surtout, avec la diffusion de plus en plus grande de la presse, la part faite à la pâte de bois va tou- jours croissant. Après bien des tâtonnements, on est parvenu en 1869 à trouver le moyen pratique d'obtenir avec le bois le gaz d’éclairage. Chose remarquable, le pouvoir éclairant de ce gaz est à celui du gaz de houille comme 6 est à 5, et, étant exempt de produits sulfurés, il n’a aucune odeur ; 100 kilogr. de bois fournissent en moyenne 33 à 34 mètres cubes de gaz*°. Il est à remarquer que les bois tendres (bois blancs) et les résineux donnent un plus fort rendement que les bois durs. Encore une affectation nouvelle pour nos bois blancs. Qui sait si au xx° ou au xxI° siècle elle ne prendra pas une sé- rieuse importance, lorsque la production de la houille viendra à diminuer ? Depuis quelques années aussi on se sert des fibres de bois, sur- tout de celles des bois blancs et des résineux, sous le nom de « bourre de bois, frisure » (ligneous fibre), tant pour la confection des ma- telas que pour les emballages. Cette industrie, fondée en Angleterre en 1873, s’est ensuite introduite en France en 1875 et a pris en Amé- rique un très grand développement. Pin. — Nous avons dit que les massifs de pin sylvestre occupaient dans les forêts domaniales du Haut-Perche une étendue d’environ 1050 hectares, qui s’accroîtra encore dans l’avenir par suite des re- peuplements prévus dans la forêt du Perche-la-Trappe. Déjà les pro- duits des éclaircies que nous y pratiquons sont très recherchés comme bois de boulangerie ; mais dans 20 à 30 ans, la question changera 1. Revue des Eaux et Foréls, 1868, p. 346. 2. Revue des Eaux et Forêts, 1367, p. 299; 1877, p. 69. 3. Revue des Eaux et Foréts, 1874, p. 94. L LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 281 de face. Les peuplements les plus âgés atteindront 80 ans, et four- niront une proportion notable de bois d'œuvre : on pourra les débi- ter alors non seulement en pièces de charpente et en planches, mais encore en traverses de chemin de fer. Certaines compagnies françaises, notamment la Compagnie d’Or- léans, emploient en effet en traverses des quantités considérables de bois de pin préalablement injecté ’. On sait aussi que les poteaux télégraphiques, dont il est fait une si grande consommation, sont généralement, sinon même unique- ment, en pin injecté. Nous connaissons un marchand de bois qui en a déjà fourni dans ce pays, mais jusqu’à présent les arbres ayant les dimensions requises pour cet usage étaient rares. Il est permis d’es- pérer que lorsque nos pins parviendront à l’âge de 70 à 80 ans, ils seront alors propres à cette destination. IlL'est encore un autre emploi, — celui-ci tout nouveau, — pour le pin : c’est la confection des pavés. Dès l’année 1876 on annonçait que le pavage en bois était défini- tivement adopté par l’administration de la ville de Londres, comme supérieur à tous les autres modes de pavage*. La ville de Paris s’est décidée à suivre, — un peu tard, il est vrai, — l'exemple de la capitale des Iles britanniques ; et le pavage en bois y est en train de remplacer les pavages de grès, l’asphalte et le macadam *. Jusqu'à présent on s’est servi pour cet usage de trois espèces de pin, qui sont, dans l’ordre de la qualité : 4° Le Pitch-pin ; 2° Le pin maritime gemmé; 3° Le pin maritime non gemmé et le pin du Nord (pin svl- vestre). Le moins coûteux est le pin maritime des Landes, puis vient le pin du Nord et enfin le Pitch-pin, dont l'emploi sera nécessairement très restreint en raison de sa cherté. Dés lors on entrevoit tout le parti _1. Revue des Eaux et Foréls, 1868, p. 339 et suiv.; 1878, p. 416. 2, Revue des Eaux et Foréls, 1876, p. 206. 3, Revue des Eaux el Foréts, 1890, p. 512. 288 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. qui pourra être tiré, en vue de cette affectation, de nos massifs de: pin sylvestre, situés à une distance relativement faible de la capitale, lorsqu'ils seront arrivés à un âge où la lignification sera assez com- plète pour leur faire acquérir la dureté nécessaire. Enfin le pin, comme les bois blancs, peut être employé, — nous l’avons dit, — pour la préparation du gaz d'éclairage ainsi que pour la fabrication des rubans ou frisure de bois. On voit par là que les repeuplements de pin si importants que l’on effectue depuis une cinquantaine d’années dans les forêts domaniales du Haut-Perche sont appelés à fournir à la consommation publique les produits les plus divers et les plus utiles. Parmi les industries auxquelles on fait servir le bois, il en est une assez importante que nous ne faisons que mentionner pour mémoire en finissant : c’est la distillation en vase clos, qui permet d’obtenir l'acide acélique et divers autres produits qui en dérivent. Il nous souvient d’avoir visité, il y a une trentaine d’années, dans la Sarthe, une usine de ce genre, qui était assez prospère. Nous croyons que cette industrie a progressé depuis lors. Bois de feu. Les forêts domaniales du Haut-Perche fournissent actuellement en moyenne par an plus de 144400 mètres cubes de bois de feu de toutes sortes : chauffage, charbonnette, bourrées. La plupart de ces bois, qui sont d’excellente qualité, sont consommés dans la région; mais beaucoup aussi sont expédiés à Paris : ce sont les bois feuillus de choix et les bois de pin, ces derniers servant à la boulangerie. On constate d’ailleurs que le prix du bois de chauffage n’a pas flé- chi dans notre pays depuis 30 ans; celui du charbon seul a baissé. Ainsi s’évanouissent les pronostics fächeux des adversaires de la fo- rêt, qui prétendaient que les bois de feu ne sauraient lutter contre la concurrence de la houille. Il ne paraît pas inutile de serrer d’un peu près celle objection de la houille qu’on nous a tant de fois opposée. Sait-on quelle est actueilement la production totale par an, et par suite la consommation, de la houille sur toute la superficie du LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 289 globe ? Elle est évaluée pour 1887, dans un document officiel", à 435 024 000 tonnes ! Les quatre nations qui ou en première ligne comme pays producteurs sont : 4° L’Angleterre pour près de 165 millions de tonnes ; 2% Puis viennent les État-Unis avec 118 millions de tonnes : 3° L'Allemagne a produit 76 millions de tonnes ; 4° La France seulement 21 millions de tonnes. En 1888 la production des charbonnages pour la France s’est élevée à 22 603000 tonnes, et la consommation y a été de 34674000 tonnes, dont 1/3 environ affecté à la métallurgie, aux chemins de fer et à l’industrie des mines *. Quand on considère ces chiffres énormes et que, d’autre part, on songe aux développements prodigieux que prennent dans le monde entier les chemins de fer, la marine à vapeur, les usines de toutes sortes employant la vapeur comme moteur et, par conséquent, né- cessitant l'emploi de la houille, on se demande ce que sera dans un siècle le chiffre de la consommation de cette matière si précieuse. Dans ses propositions pour la fixation du budget du Royaume-Uni en 1866, M. Gladstone calculait que la consommation de la houille, étant donnée sa progression croissante, pourrait atteindre dans cet État, vers 1970, 1430 milliards de tonnes, soit plus que la quantité contenue dans le Royaume-Uni à 4000 pieds de la surface *. Aussi, comme le faisait remarquer avec raison M. le conserva- teur Béraud, dans une étude extrêmement remarquable et très documentée, qui a paru dans la Revue des Eaux el Foréls*, « les préoccupations d'hommes sérieux sur la durée des exploitations houillères se traduisent-elles en évaluations qui seraient inquié- tantes si elles étaient exactes. Parmi les chiffres admis par les uns ou par les autres pour cette durée, 1l en est qui ne vont qu’à 200 ou 900 ans. ….. Quoi qu'il en soit, le charbon s’épuisera, et, après cet épuise- . Exposition universelle de 1889 ; les expositions de l'État, p. 301. . Exposition universelle de 1889 ; 1 expositions de l’État, p. 293 et 294. Revue des Euux et Foréts, 1866, p. 191. 4. Le bois et la houille dans le nord de la France. (Revue des Eaux et Foréls, 186$, p. 129 à 141 et 161 à 174). ANN. SCIENCE AGRON. — 1892. — ni. 19 CERTES > 290 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. ment, de quel combustible l’homme se servira-t-1l s’il a Pimpru- dence de trop déboiser la terre ? » Il est évident en effet que cette éventualité esl fatale : la produc- tion houillière s’épuisera tôt ou tard, tandis que le bois est une matière qui se reproduit incessamment. Mais d’ailleurs, sans jeter nos regards aussi loin dans l'avenir, ceux qui prétendent que l’homme ayant la houilie à sa disposition peut se passer de bois ignorent certainement que pour extraire la houille il faut du bois. Ceci peut paraître un paradoxe ; mais M. Béraud s’est chargé de nous prouver, au contraire, que c’est une vérité absolu- ment exacte. Toute mine de houille, on le sait, se compose de puits et de gale- ries, qu'il est nécessaire de maintenir intacts aussi bien dans l’inté- rêt des compagnies concessionnaires que pour la sécurité des mineurs. Or on n’y parvient, en ce qui concerne les puits, que par l’établisse- ment de « cuvelages », sorte d’enveloppe intérieure, en pièces de chêne de premier choix, dépouillées de l’aubier, qui se décompose vite à l'humidité, et du cœur, exposé à se fendre. Dans ces conditions le prix du mètre cube de chêne façonné atteint dans le Nord 200 fr. à 250 fr. On a calculé que la dépense de cuvelage, guidage et autres travaux accessoires pour un puits de 600 mêtres de profondeur, tels que ceux que l’on rencontre dans le bassin houiller du Nord, peut s'élever à 100 000 fr. ou 125 000 fr. Naturellement on a songé à remplacer le bois par la fonte, mais le bois reste préféré, parce qu’il n’est pas plus coûteux et que les pièces de charpente sont d’une réparation plus facile. De même les cadres en charpente servant de soutènement aux ga- leries principales et les étais qu’on emploie pour consolider les ga- leries secondaires, dans le Nord où la roche carbonifère manque de consistance, sont exclusivement en bois'. On préfère encore ici le bois à la fonte, parce qu’il est plus léger, plus maniable et peut plus facilement s'adapter sur place à la hauteur des galeries. 1. En 1892, un important marché de bois de chêne pour étais destinés aux mines du nord de Ja France a été conclu par un des adjudicataires des coupes de la forêt du Perche. LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 291 M. Béraud évaluait en 1868 le total de la consommation minière en bois par an, pour le nord de la France, à 5570000 perches et 15 500 mètres cubes en grume de bois d'œuvre de toute essence et de toute grosseur ; ce qui l’amenait à dire: « Bien loin que les inté- rêts des mines et des forêts soient rivaux et hostiles les uns aux au- tres, l’industrie minière, par une heureuse fatalité, n’est possible qu'avec l'aide des forêts. » C’est encore avec infiniment de sens que M. Béraud ajoutait: « Il est impossible de ne pas déplorer que la substitution du charbon au bois ait été si générale dans les foyers domestiques du nord de la France, qu’on ait partout remplacé la flamme claire et brillante du bois, sa chaleur douce et saine, sa fumée blanche et légère, par le feu sombre et clos du charbon fossile, par sa chaleur fatigante pour nos organes, par ses gaz malsains, sa fumée lourde et grossière, sa poussière fine et pénétrante. » Et maintenant de toute cette discussion nous pouvons conclure que la production houillère ne saurait nuire à la production fores- tière, puisqu'elle a besoin de celle-ci et qu’elle s'appuie pour ainsi dire sur elle; — que d’ailleurs la consommation du combustible minéral allant toujours en augmentant, alors que les richesses mi- nières sont forcément limitées, il arrivera un moment, peut-être plus prochain qu’on ne le croit, où l’emploi de la houille sera restreint aux usages pour lesquels le bois lui est inférieur, tandis que celui-ci reprendra toute son ancienne faveur pour les foyers domestiques et peut-être aussi pour la métallurgie et la verrerie. Conservons donc précieusement nos forêts, puisque la consomma- tion publique doit y puiser des ressources assurées pour un avenir indéfini aussi bien en bois de feu qu’en bois d'œuvre. Revenu. Après avoir examiné l'importance que présentent les forêts doma- niales du Haut-Perche au point de vue de la consommation publique dans l'avenir, il nous reste, pour terminer celte étude, à considérer brièvement l'intérêt que le Trésor y trouvera pour alimenter le bud- get des recettes. 292 . ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Le revenu d’une forêt dépend de conditions intrnsèques et de conditions extrinsèques : les premières sont le rendement en matière et la qualité des bois, Les secondes sont les moyens d’exportation et les conditions économiques qui influent sur le marché. Or tous ces facteurs ici sont favorables à l'accroissement du revenu. Nous avons montré, en effet, que dans les révolutions futures le rendement en matière de nos forêts domaniales irait nécessairement en croissant et que même pendant la révolution actuelle on n’avait point à craindre de diminution dans la production. Nous avons aussi constaté que l'amélioration de la qualité de nos bois, déjà très ap- préciés, serait dans l’avenir la conséquence certaine des aménage- ments auxquels ils sont soumis. Quant aux moyens d'exportation, on sait quelle en est l’impor- taoce dans la détermination du prix des bois. Plus on arrivera à réduire les frais de transport, plus on élèvera le prix de la marchan- dise en forêt. « Tandis que par tonne kilométrique ils ne dépassent guère 0 fr. 50 c. (conducteur compris) sur une route empierrée, ils deviennent trois ou quatre fois plus forts sur une route non empier- rée ; ils ne sont plus que de 0 fr. 04 c. à 0 fr. 05 c. sur un chemin de fer, pour de longs parcours”. » Les renseignements que nous avons donnés sur l’état actuel de la viabilité forestière dans le Haut-Perche prouvent qu’elle ne laisse rien à désirer, puisqu'elle comprend 89 kilomètres de routes em- pierrées parfaitement entretenues et 120 kilomètres de routes non emplerrées. D'autre part, nos forêts sont dans une situation exceptionnellement favorable sous le rapport de l'exportation. Placées entre les riches départements de la Normandie et du Maine, peu éloignées des grands centres, tels que Paris, le Havre, Caen, Chartres, le Mans, etc., aux- quels elles sont reliées par un réseau de lignes ferrées aussi com- plet que possible, ces forêts ne peuvent manquer évidemment de profiter de la prospérité de ces pays voisins et de tous les dévelop- pements que prendront ces grandes villes. Leur revenu ne pourra donc que progresser. 1. État des foréts en France, par M. Tassy, p. 77. LE HAUT-PERCHE ET SES FORÊTS DOMANIALES. 293 Enfin les tarifs protecteurs qui viennent d’être votés par le Parle- ment permettront maintenant à l’industrie française de lutter vic- torieusement contre l’importation étrangère. Dans de pareilles conditions nous avons donc raison d'affirmer que les forêts domaniales du Haut-Perche seront pour le Trésor une source de recettes des plus brillantes, si, comme on doit l’espérer, nos successeurs savent en assurer la conservation et l'amélioration. ÉTUDE SUR QUELQUES NATIONS AGRONOMIQUEN ALLEMANDEN PAR SAILLARD Ingénieur agricole. Dans ma mission à l'étranger j'ai eu l’occasion d'étudier principa- lement l’organisation et le fonctionnement des établissements sui- vanis : 4° La Station agronomique de Darmstadt (directeur, professeur Wacner). Méthode adoptée dans les recherches sur la nutrition des plantes et l'emploi des engrais. Valeur comparée du nitrate de soude et du sulfate d’ammoniaque considérés comme engrais. 9 La Station agronomique de Halle-sur-Saale (directeur, profes- seur MArckER). Méthodes d’analyse adoptées. Nature des essais insti- tués dans les fermes de la province de Saxe. 3° Le Champ d'expériences de l’Institut agronomique de Gættin- gen (directeur, professeur LIEBSCHER). 4° La Station agronomique de Gœttingen (directeur, professeur LEnManN). Recherches sur l’alimentation des animaux de la ferme. Méthode de digestion artificielle de Stutzer. 5° Pratique agricole : Salzmunde, ferme grand-ducale de Hesse. Je commence cette étude par la Station agronomique de Darm- stadt. ÉTUDE SUR QUELQUES STATIONS AGRONOMIQUES ALLEMANDES. 295 PREMIÈRE PARTIE STATION AGRONOMIQUE DE DARMSTADT dé Les recherches du professeur Wagner ont pour but de détermi- ner les lois qui régissent les phénomènes de la nutrition des plantes, et de tirer de la connaissance de ces lois des règles pouvant guider le cultivateur dans l'emploi des engrais. On a fait, pendant ce siècle, de nombreuses découvertes en phy- siologie végétale. On a montré, par exemple, comment les plantes absorbent l’oxygène, l'acide carbonique, l’azote, les matières miné- rales ; on a déterminé, par des cultures dans l’eau et dans le sable, quels sont les principes indispensables à leur développement ; on a remarqué que l’addition au sol de certaines substances minérales ou organiques détermine une élévation des rendements des ré- coltes, etc. Mais l’agriculteur peut difficilement tirer le meilleur parti de ces découvertes, car les principes constituants des plantes y sont consi- dérés en eux-mêmes, c’est-à-dire, sans distinction de provenance ni de prix. C’est à la chimie agricole qu’il appartient de pousser plus loin les investigations sur ce domaine et de chercher à formuler des règles qui permettent de tirer de l’emploi des engrais le plus grand béné- fice net, but de toute entreprise agricole. Le champ de recherches qu'offre cette question est très étendu, comme on pourra s’en convaincre en lisant les quelques développe- ments qui suivent : 1° Parmi les principes nutritifs des plantes, l’acide phosphorique, la potasse, l'azote et la chaux sont au point de vue agricole, les plus importants à considérer, car ils se trouvent souvent en quantités insuffisantes dans le sol, el on doit alors les acheter dans le com- merce, 296 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Or chacun sait, par exemple, que le prix du kilogramme d’acide phosphorique est différent suivant l’engrais où il est contenu : 1l s’élève à environ 0 fr. 25 c. sous forme de scorie de déphosphora- tion, à 0 fr. 60 c. sous forme de superphosphate. Il en est de même pour les prix du kilogramme de potlasse et d'azote. Ces différences de prix rendentnécessairesune foule de recherches: Dans quel cas faut-il préférer les scories aux superphosphates ou aux autres engrais phosphatés; la kaïnite à la carnallite, l'azote nitrique à l'azote ammoniacal ou à l’azote organique ? Est-il bon de recourir aux engrais verts? etc., etc. 2° Les engrais doivent être employés en quantité convenable, car un excès ou un défaut pourraient empêcher de réaliser le plus orand bénéfice net. Comment déterminer la dose à employer avec les différents sols et les différentes plantes ‘de culture? Les méthodes de laboratoire peuvent-elles fournir des données à cet égard ? Les plantes n’ont-elles pas une facullé d’assimilation différente pour le même principe ? La composition centésimale de leur subs- tance sèche ne change-t-elle pas sous l’influence des fumures ? etc., etc. 9° Les principes nutritifs doivent être donnés sous les formes qui conviennent le mieux au sol et à la plante. Faut-il, par exemple, donner à une plante déterminée, qu’on veut cultiver sur un sol connu, de l’azote, de l'acide phosphorique, sous une forme lentement assimilable ou sous une forme qui ne le devienne qu’à la longue? Si cette dernière fumure est reconnue la meilleure, il reste à déterminer les quantités qui deviennent so- lubles en une année, le temps pendant lequel l'action de la fumure se fait sentir, etc., etc. 4° La même fumure appliquée à un même sol et à des cul- tures différentes produit des augmentations de récolte dont la va- leur pécuniaire varie d’une plante à l’autre. Il faut appliquer les fortes fumures aux cultures qui laissent espérer le plus grand béné- fice net. Il sera impossible de prendre dans ce cas le meilleur parti, si ÉTUDE SUR QUELQUES STATIONS AGRONOMIQUES ALLEMANDES. 297 l’on ne connaît les rapports existant entre une fumure donnée et les augmentations de rendement auxquelles elle donne lieu. Combien de kilogrammes de blé, d'orge, d'avoine, de betteraves, elc., etc., peut-on obtenir par l’emploi comme engrais de 1 kilogr. de po- tasse, ou de 1 kilogr. d’acide phosphorique quand tous les autres principes constituants de la plante sont en quantités suffisantes dans le sol ? »° Le succès d’une fumure dépend beaucoup de létat de division sous lequel elle est appliquée, du moment de l’année où elle est répandue, et de la manièré dont elle est mélangée à la terre. Quel rapport y a-t-il entre le degré de finesse d’un engrais et ses effets ? Y a-t-il des avantages à répandre les fumures à l’automne plutôt qu’au printemps ? À quelle profondeur faut-il les enterrer ? Est-il bon de les appliquer en une seule fois ou à plusieurs reprises ? Les fumures de surface produisent-elles de bons effets? Dans quel cas ? etc., etc. 6° Il faui chercher à réaliser certaines conditions qui augmentent l’action de la fumure et évitent ou diminuent les pertes de principes nutritifs. Il est connu que les façons aratoires exercent une influence sur les rendements des récoltes. Quelle est l'influence des labours, des binages, de l’écobuage ? La chaux ne favorise-t-elle pas l’action du sulfate d’ammoniaque ? Ne diminue-t-elle pas celle des superphosphates ? La solubilité de ces derniers ne change-t-elle pas avec le temps? Comment agit le gvpse? etc. Bref, nous n’en finirions pas, si nous voulions seulement énumérer tous les problèmes dont la chimie agricole, en général, la Station agronomique de Darmstadt, en particulier, poursuivent la solution, dans le but de mettre l’agriculteur en état d'employer les engrais le plus rationnellement possible. De nombreuses recherches ont élé déjà faites en France, en An- gleterre et en Allemagne, sur la plupart de ces questions. Mais les résultats trouvés ne sont pas toujours concordants, ils sont même quelquefois contradictoires. D'après le professeur Wagner, directeur de la Station agronomique 298 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. de Darmstadt, la cause de ces divergences est à chercher dans les méthodes de recherches généralement adoptées. Comme on le sait, ces méthodes sont de deux sortes : celle qu’on pourrait appeler la méthode des fermes d’expériences et celle des champs d'expériences. A. — Méthode des fermes d'expériences. Cette méthode est pratiquée sur une grande échelle par la Société d'agriculture de la province de Saxe. Elle consiste à essayer une fu- mure déterminée dans plusieurs fermes de la région et pendant plu- sieurs années conséculives ou non. De la moyenne des résultats obtenus, on déduit une réponse à la question posée. Supposons qu'une fumure composée de 120 kilogr. de salpêtre du Chili et de 200 kilogr. de superphosphate, appliquée à la pomme de terre, ait élevé les rendements par hectare : î dans la ferme À. . . : . . 2 655 kilogr. En 1875 . | es ro deals 400 — _— (CPR ROUES 1160 — En 1876 . . CA D. . S 390 ù #2 A. DASONE En 1877 . . Eat, D. 180 — Moyenne RARES 1 629%8,5 on dira alors qu’elle permet d'augmenter les récoltes de pommes de terre de 1692*,5. Cependant celte moyenne ne convient pour aucune des fermes qui ont institué les expériences. On ne peut, par conséquent, demander qu'un agriculteur quelconque l’admette comme base de ses calculs. Le professeur Wagner pense que cette méthode ne peut conduire à aucune conclusion pouvant être regardée comme loi scientifique, parce que les principes suivants sur lesquels elles reposent sont faux, à savoir : | 1° La même fumure appliquée à la même culture produit toujours les mêmes effets ; 2 Le rapport des effets de deux engrais différents reste toujours le même quels que soient la nature du sol, le climat, etc. ; ÉTUDE SUR QUELQUES STATIONS AGRONOMIQUES ALLEMANDES. 299 3° Les écarts entre les résultats obtenus sont dus uniquement à des erreurs d'expérience dont on diminue la portée en faisant la moyenne des nombres trouvés. B. — La deuxième méthode est celle dile du champ d’expé- riences. Le champ d’expériences est une pièce de terre plus ou moins grande, dont le sol a une composition autant que possible iden- tique dans toutes les parties et sur laquelle on fait des essais d’en- grais avec les différentes plantes de culture. Les façons aratoires y sont exécutées comme dans la pratique agricole. Les conditions climatologiques y sont aussi les mêmes. Les différences de rende- ment sont regardées comme exprimant les différences d’effets des engrais el servent de base pour fixer la valeur comparée de ces derniers. Le professeur Wagner n’admet pas non plus que le champ d’expé- riences puisse donner des résultats capables d’être érigés en lois. Entre autres raisons, il donne les suivantes : 1° L'effet des engrais y est en général trop faible relativement aux erreurs d'expérience possibles. Supposons qu’il s'agisse de comparer l'influence des superphos- phates sur les cultures, avec celles des scories. Trois parcelles d’égale surface sont réservées aux essais. La 1", qui ne reçoit pas de phosphate, donne une récolte de 3000 kilogr. de grain par hectare ; La 2°, qui reçoit 90 kilogr. d’acide phosphorique sous forme de superphosphate, donne une récolte de 3 400 kilogr. de grain par hectare ; La 3, qui reçoit 100 kilogr. de scories, donne une récolte de 3 400 kilogr. de grain par hectare. On dira donc que 50 kilogr. d’acide phosphorique de superphos- phate ont produit le même effet que 100 kilogr. de PhO® de scories. Cependant il pourrait se faire que cette conclusion soit fausse. Les erreurs d'expérience qu’entraine l’exécution de la méthode s'élé- vent, en effet, le plus souvent au-dessus de 5 p. 100 ; admettons ce chiffre de 5 p. 100. Si une erreur en moins affecte les rendements \ 300 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. des parcelles 1 et 2 et une erreur en plus, celui de la parcelle 3, les poids réels des récoltes seront : A B C Si l’on représente ’ AUGMENTATION par 100 Vefei Torre de l'acide phos- des phorique des d écolt superphospha- es recolies. 1 rendements. tes, celui de PhOÿ des sco- ries sera : Pour Ja {parcelle #20" 3 150 220 Pour la 2° parcelle. 3 570 Es 10 Pour'la3 parcelle .1021e. 3 230 Si, au contraire, une erreur en moins affecte les résultats des par- celles 1 et 3, et une erreur en plus celui de la parcelle 2, les rende- ments réels seront : A B G Pourilaniieparcelle” 2e 3 150 80 Pour am °Anarcelle "tee 3 230 190 262 PoOurdars?aparéelle 22710 3 570 “ (Il pourrait se faire aussi que les erreurs commises soient de même sens pour les trois parcelles, mais ce cas doit être considéré comme exceptionnel.) Ainsi donc, suivant que l'erreur porte sur l’une ou l’autre des par- celles, on peut obtenir, pour la valeur des scories comparativement à celle des superphosphates, des nombres variant entre 10 et 262. Comme on le voit, ce résultat n’a rien de précis. Et cependant les suppositions qui ont été faites ne sont pas exagérées, car l'effet des engrais est souvent inférieur à celui que nous avons admis, et les erreurs d'expérience sont presque toujours plus grandes. Admettons encore que le sol des parcelles soit assez pauvre en acide phosphorique pour qu’un engrais phosphaté y produise une augmentation de récolte relativement très grande. Même dans ces conditions, le champ d’expériences ne pourrait encore pas donner des résultats toujours exacts, et il est facile de montrer pourquoi. Supposons que la parcelle 1 ne reçoive pas d’acide phosphorique ; Supposons que la parcelle 2 reçoive 20 kilogr. d'acide phospho- rique sous forme de superphosphate : ÉTUDE SUR QUELQUES STATIONS AGRONOMIQUES ALLEMANDES. 301 Supposons que la parcelle 5 reçoive 20 kilogr. d’acide phospho- rique sous forme de scories. Toutes les trois sont ensemencées en même temps avec de l’avoine, et renferment les autres principes constituants des récoltes en quan- lilés suffisantes. Si le temps est favorable, la végétation sera plus active dans la parcelle 2 que dans la parcelle 3, et plus dans la parcelle 3 que dans la parcelle 1, de sorte qu’au bout d’un mois on pourra, par exemple, exprimer l’état des cultures par les nombres suivants : PALCEMENIERT ES AE ETES AAA ETES e 100 RSA) 140 — 3 120 Survient un temps sec qui dure plusieurs semaines. La marche de la végétation ne dépendra plus alors de la quantité d'acide phos- phorique que les plantes auront à leur disposition, mais bien de l’hu- midité du sol. La parcelle 2, dont les plantes se sont développées avec le plus de luxe perdra aussi le plus d’eau par évaporation à la surface des feuilles. L’humidité du sol pendant les chaleurs y sera donc plus faible que dans la parcelle 3 et encore plus faible que dans la par- celle 1. Et même en admettant qu’elle soit restée partout identique, les plantes n'auraient pas, à poids égal, la même quantité d’eau à leur disposition, car leur masse a un poids différent dans les trois par- celles. Ce temps de sécheresse gênera donc les plantes d'autant plus qu’elles avaient pris un développement plus grand pendant la pre- mière période et à la fin des chaleurs, on pourra, par exemple, représenter l’état des cultures par les nombres suivants : Parcel'e fl h ar le ee A TE 100 SE UN rent À LE (fs OMS Se 130 tr D RER ae TA CE : CRUS LR 125 Supposons maintenant qu'il tombe de la pluie, et que le sol se pourvoie d’un léger excédent d’eau. Il n'est pas à croire que les intensités comparalives de la végétation pourront, de suite, être 302 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. exprimées par les mêmes nombres que pendant la 1" période. Les plantes de la parcelle 2 ont eu le plus à souffrir de la sécheresse. Elles ne reprendront donc que peu à peu la marche normale de leur accroissement. Celles de la parcelle 3, et à plus forte raison celles de la parcelle 1, qui ont été moins éprouvées se retrouveront au bout d’un temps moins long dans les conditions de vie dont elles jouissaient avant les chaleurs. De sorte qu’à la fin de cette 3° période, l’état des cultures pourra être exprimé par les nombres suivants : BANC CU BR TRE RENTE ADN TON LA APR EEE 100 TE CU SE NP UE A PEUT M une 130 OS a A CT CPAS Et Pt Pre 120 Si donc, on avait voulu évaluer, par les poids des récoltes, la valeur comparée de l'acide phosphorique dans les superphosphates et dans les scories, on aurait trouvé — la valeur de l'acide phospho- rique des superphosphates étant fixée à 100 : à la fin de la 1°° pé- riode, 50 pour la valeur de l’acide phosphorique des scories ; à la fin de la 2° période, 83 pour la valeur de l'acide phosphorique des scories ; à la fin de la 3° période, 67 pour la valeur de l’acide phos- phorique des scories, c’est-à-dire des nombres très différents. Cette méthode ne pouvant pas fournir des données exactes sur les effets de l’acide phosphorique, ne peut pas permettre de com- parer exactement les scories et les superphosphates. Elle serait de même insuffisante, s’il s'agissait de mettre en paral- lèle deux engrais quelconques, car toutes les causes qui tendent à inégaliser l’activité de la végétation dans les parcelles tendent aussi à inégaliser les quantités d’eau que les plantes y trouvent à leur dis- position et par conséquent à rendre les résultats incomparables. 2 Le professeur Wagner trouve encore d’autres défauts à la mé- thode du champ d’expériences. Il est très rare, dit-il, que la compo- sition du sol soit complètement la même dans toutes les parties du champ. Et en supposant même qu’elle le soit avant l'institution des essais, elle devient déjà différente pendant la première année, par l’application d’engrais divers en quantités inégales. La différence des rendements ne représente plus alors uniquement la différence d'effet des engrais, mais bien la résultante de la différence d'action ÉTUDE SUR QUELQUES STATIONS AGRONOMIQUES ALLEMANDES. 303 des engrais, d’une part, et de l’influence due à la composition du sol, d’autre part. Îl n’y aurait aucune utilité à insister davantage sur les défauts de la méthode du champ d’expériences. Ils ressortiront beaucoup mieux lorsque nous exposerons les conditions que doit réunir une méthode d’essais d'engrais pour qu’on puisse regarder comme faisant loi les résultats auxquels elle conduit. Ainsi donc, ni la méthode des fermes d’expériences, ni la méthode du champ d’expériences ne sont des méthodes exactes. Et c’est ce qui explique pourquoi des essais poursuivant le même but, et insti- tués par des hommes dont le nom garantit toute exécution conscien- cieuse ont donné jusqu'ici des résultats quelquefois contradictoires, presque toujours différents. Si l’on veut obtenir, dans des recherches de ce genre, des résul- tats comparables, il faut absolument pouvoir rendre égales, dans toutes les expériences, les influences qui agissent sur la végétation, à savoir : constitution et humidité du sol, façons aratoires, etc., etc. Seule l’action à étudier doit être variable dans les différents essais. C’est ce que prétend pouvoir réaliser le professeur Wagner avec la méthode qu’il emploie et dont il justifie l'exactitude par les raisons suivantes : À. — Les essais d'engrais doivent élre effectués, d’une part, dans des vases placés en plein air, d'autre part, dans des parcelles com- plétement isolées du sol avoisinant. C’est le seul moyen offrant la possibilité : 1° D’employer, pour la même recherche, des sols de composition absolument identique et également tassés ; 2 D’exécuter uniformément toutes les façons aratoires ; 3° De rendre les erreurs d'expérience possibles très petites relati- vement aux augmentations de rendements produites par les engrais à étudier ; 4 D'instituer l’un à côté de l’autre, dans des sols de nature diffé- rente, des essais aussi nombreüx que l’on veut, sans avoir à craindre que le climat, le temps agissent différemment sur les cultures. Les La 304 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. deux autres méthodes n’assurent pas cette facilité, car il est très rare de trouver, dans la nature, un terrain sablonneux joignant un terrain argileux ; 9° De régler l'humidité du sol de façon que le ralentissement de la végétation ne puisse être causé par l’état de sécheresse du sol et que chaque plante reçoive une quantité d’eau en rapport avec son poids ; 0° D’égaliser, dans tous les essais comparatifs, l’action des in- fluences naturelles : chaleur, lumière, et de rendre par conséquent les différences des rendements uniquement attribuables à la diver- silé des engrais employés. Nous verrons, en parlant de l'exécution de la méthode, comment on réalise toutes ces conditions. Nous voulons seulement dire ici que les expériences sont instituées dans des pots et dans des « parcelles ». Les pots sont construits avec des feuilles de zinc et ont une forme cylindrique. Geux qui doivent servir à la même expérience sont remplis avec la même terre — (à moins qu'on ne veuille étudier l'influence de la composition du sol sur les rendements) — qu’on tasse également. Tous sont placés sur des chars ou sont munis de roues, et peuvent être conduits à l’air libre ou ramenés dans une remise à pans vitrés. Quand les plantes ont déjà acquis un certain développement, on dé- termine par des pesées journalières et on restitue la quantité d’eau que le sol des pots a perdue par suite de l’évaporation à la surface des feuilles. Les parcelles sont circonscrites par un cylindre de zinc se termi- nant au rez de terre, pénétrant jusqu'à une profondeur de 1",33, et pouvant être rempli avec un sol et un sous-sol quelconques. Elles offrent l’avantage de permettre aux racines de se développer entiè- rement et d’être soumises aux mêmes conditions de température que le sol environnant. Comme on le voit, elles forment une sorte de transition entre les pots et le champ d’expériences. B. — Dans tout essai d'engrais, à fuul connaître les limiles entre lesquelles peuvent osciller les résullals des « expériences paral- ÉTUDE SUR QUELQUES STATIONS AGRONOMIQUES ALLEMANDES. 309 lèles » (voir plus loin en quoi elles consistent). Et celles-ci doivent élre instituées en nombre assez grand pour que la moyenne de leurs résullats puisse étre d’une exactitude suffisante. Supposons qu'il s’agisse de déterminer dans une ferme la valeur comme engrais du sulfate d’ammoniaque comparativement à celle du nitrate de soude. On opère généralement de la manière suivante : on divise un champ dont le sol est de constitution à peu près homo- gène en trois parcelles égales. Sur la parcelle 1 on ne répand aucun engrais azoté; Sur la parcelle 2 on répand A* d’azote sous forme de salpêtre du Chili ; Sur la parcelle 3 on répand A d’azote sous forme de sulfate d’Az H. Disons tout de suite qu’une expérience ainsi instituée ne pourra conduire à aucune conclusion digne de foi, car il sera impossible de dire si les différences de rendement sont dues soit aux propriétés différentes des engrais employés, soit à des erreurs d’expérience, soit aux dégâts différents dans chaque parcelle causés par les insectes, les oiseaux, les taupes, etc., soit enfin à Lous ces facteurs réunis. De là ressort la nécessité d’instituer plusieurs essais parallèles, c’est-à-dire plusieurs parcelles ne recevant aucun engrais azoté et plusieurs autres recevant en quantités égales, les unes de l'azote nitrique, les autres de l’azote ammoniacal, etc. Et les effets des fu- mures ne peuvent être considérés comme inégaux que si les rende- ments des « parcelles parallèles » diffèrent entre eux de quantités moindres que ceux de deux séries d’expériences parallèles compa- ratives. Il est nécessaire d’expliquer notre pensée par un exemple : Soit un champ de 1 hectare divisé en douze parcelles égales et ense- mencé avec du blé. Les quatre parcelles ne recevant pas d’engrais azotés produisent les récoltes suivantes : GRAIN, Parcelle 1 . . . . . . . . 270 kilogr. . Se. 2 dl's Lors sr 280 Wé ESP LS re 3 BG Ne 0 D UNIS ES 275 < D 4 @'léltla re °c, ea "eo 279 — ANN,. SCIENCE AGRON, == 1592, — II, 20 306 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Les quatre parcelles suivantes sont fumées avec 10 kilogr. de salpêtre du Chili et donnent des récoltes respectivement égales à : GRAIN. 325 kilogr. V0 318 — 323 — Parcelle Série II. . LS 19 a CSS Enfin les quatre dernières parcelles, qui ont reçu sous la forme de sulfate d'ammoniaque les mêmes quantités d’azote que les précé- dentes, produisent : GRAIN. 307 kilogr. | Parcelle 1 . ps Dj: 310 — Série III . A ee apte —— TE 308 — Si l’on considère les nombres précédents, on remarque que la différence maximum existant entre les nombres de la série I s'élève à 10 et que les nombres des séries IE et JT surpassent ceux de la série Ï d'au moins 98. On peut donc conclure que les engrais azotés ont produit un effet. En comparant de la même manière les rendements des séries II et IT, on voit que le nitrate de soude a agi plus énergiquement que le sulfate d’ammoniaque. L'exemple précédent explique clairement comment il faut com- prendre la « condition d’exactitude » qui a été formulée au com- mencement de ce paragraphe B. Il prouve, en outre, la nécessité des essais parallèles, quelle que soit la méthode adoptée. Il est évident que plus le nombre de ces derniers sera grand, plus aussi la moyenne de leurs résultats pourra prétendre à l’exactitude. C. — Les expér iences doivent étre instituées de telle facon que les engrais à essayer puissent produire des augmentations de rendement aussi élevés que possible. La comparaison des résullats est alors plus saisissante et l'exactitude des conclusions plus grande. Les augmentations précitées seront relativement très élevées : 4° Si le sol mis en expérience contient peu de principe apporté ÉTUDE SUR QUELQUES STATIONS AGRONOMIQUES ALL EMANDES, 307 comme engrais, et 2° si la plante d'expérience a besoin d’une forte fumure de ce même principe pour se développer normalement. Il est à peine besoin d’expliquer la première de ces conditions. Chaque cultivateur sait, en effet, que les engrais phosphatés, par exemple, ne produisent pas d’effet quand on les applique à un sol renfermant déjà assez d’acide phosphorique, mais que leur action apparait d'autant mieux que la terre en contient moins à l’élat assi- milable. Il ne s'ensuit pas de là que, pour comparer les effets des divers phosphates, il faille employer comme sols d'expérience du sable ou de la terre de sous-sol, lesquels sont généralement pauvres en acide phosphorique. Non, car il manquerait à ces derniers les propriélés physiques que communique la présence de l’humus et l’action des phosphates pourrait, dans de telles conditions, ne pas apparaître avec sa vraie intensité. La seule terre à mettre en expérience doit être empruntée à la couche arable. Si l’on n’a pas à sa portée des sols pauvres en acide phosphorique, on peut les préparer artificiellement. A cet effet, la Station est pourvue de carrés ayant 7 mètres de long, 4 mètres de large et limités par des murs de briques de 0",60 de hauteur. Leur contenu est rempli avec la terre arable qui doit servir plus tard dans les essais. On y cultive pendant plusieurs années consécutives, des plantes qui ont des exigences relativement grandes en acide phos- phorique, des céréales, par exemple, et rapporte chaque année, sous forme de fumures, les quantités d’azote et de potasse qui ont été emportées par les récoltes. Comme on n’applique aux cultures aucun phosphate, la teneur du sol en acide phosphorique va toujours en diminuant. Lorsqu'elle est jugée assez faible, on peut instituer les expériences. La méthode à suivre serait analogue, s’il s'agissait de préparer des sols pauvres en potasse, en azote ou en chaux. Le choix de la plante devant servir à l’essai a aussi son importance, car la fumure à donner à une culture se règle non seulement d’après la quantité de principes emportés par la récolte et la richesse du sol en éléments assimilables, mais aussi d’après le pouvoir d’absorption de la plante de culture envers ces mêmes éléments. 508 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. C’est dire que la même terre peut se montrer riche ou pauvre en polasse ou en acide phosphorique, etc., suivant les cultures adoptées”. Dans les essais d’engrais potassiques par exemple, la plante d’ex- périence doit donc être telle qu’elle ait besom d’absorber une grande quantité de potasse pour se développer normalement ou que son pouvoir d’assimilation envers la potasse du sol soit très faible. D. — L’engrais dont on veut délerminer l’action doit étre donné au sol en quantilés correspondant exactement aux besoins de La plante. Il ne doit en rester aucune partie inutilisée au moment de la récolle. Il est évident, en effet, que si les engrais n’ont pas été complète- ment utilisés par les plantes, on ne peut regarder les augmentations de rendement des récoltes comme représentant d’une manière com- plête les effets que peuvent produire les fumures apportées au sol. Toutes choses étant égales d’ailleurs, l’acide phosphorique em- ployé comme engrais, par exemple, arrivera plus sûrement à utili- sation complète si tous les autres principes constituants de la plante cultivée sont présents dans le sol en quantités assez grandes pour suffire à la récolte visée. Si cette dernière condition n’est pas réalisée, il faut y pourvoir par des fumures. Mais on doit éviter, même avec ces engrais « complémentaires », de dépasser certaines limites, car un excédent pourrait nuire à la végétation. La dose à employer ne peut être déterminée par des procédés chimiques. Elle dépend, en effet : 4° De la quantité d'acide phosphorique dont on veut étudier l’ac- Lion ; 2 De la teneur du sol en principes assimilables ; 3° Du pouvoir d’assimilation de la plante d’expérience envers les divers principes de la couche arable ; 4 De la quantité de récolle à trs 5° De la sensibilité particulière de la plante envers un excès de fumure. 1. Les plantes ont aussi un pouvoir d'assimilation différent envers l'acide phospho- rique ; elles paraissent, au contraire, absorber toutes l’acide nitrique avec la même facilité. ÉTUDE SUR QUELQUES STATIONS AGRONOMIQUES ALLEMANDES. 309 Comme la plupart de ces facteurs ne peuvent être fixés exactement, il s'ensuit que, si l’on voulait déterminer par le calcul la dose « d’en- grais complémentaires » à employer, on arriverait à des quantités dont on ne connaîlrait en aucune façon le degré d’approximation. Ïl ne faudrait pas croire non plus que la composition centésimale de la plante pût fournir une indication certaine sur la relation devant exister éntre la quantité d'engrais à essayer et la quantité d'engrais complémentaires, car on ne sait, ni dans quelle mesure les principes du sol sont assimilables, ni comment la plante utilise les éléments qu’on met à sa disposilion, et pas davantage si elle aurait à souffrir d’une fumure ainsi constituée. La connaissance du sol à la manière de l’agriculteur, de nombreux essais de cultures et d’engrais effectués avec la terre à mettre en ex- périence sont les meilleurs guides pour faire cette détermination. E. — Dans les expériences parallèles, on doit appliquer l'engrais à essayer en quantités différentes el ne faire entrer les résullats dans le calcul des moyennes que si les variations-de rendement sont entre elles à peu près comme les quantités correspondantes d'engrais em- ployées. Supposons que l’apport au sol de fumures azotées contenant 1,2, 3, 4, 9 gr. d'azote ait produit des augmentations de rendement représentées respectivement par 100, 200, 300, 400, 420. Ce der- nier nombre ne devra pas entrer dans le calcui de la moyenne, car la fumure supérieure à 4 gr. d'azote, pour des raisons qui peuvent être très diverses : manque d’eau, manque d’autres principes, elc., n’a pas produit entièrement son effet. De ce principe ressort encore une fois la nécessité d’instituer plu- sieurs expériences parallèles. Il peut arriver, en effet, que la quan- tité d’engrais appliquée à la parcelle unique de « la ferme d’expé- riences » corresponde au cas précité des 5 gr. d'azote et les résultats conduiraient alors à des conclusions fausses, car l’engrais n’aurait pas agi avec toute sa force. La méthode des pots permettant de faire l’une à côté de l’autre autant d'expériences parallèles que l’on veut, se montre de nouveau supérieure à celle du champ et de la ferme d’ex- périences. 310 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. F. — Enfin il faut instiluer les essais de facon que les variations de rendement soient causées uniquement par le principe dont on veul étudier l'effet. Si, par exemple, les expériences ont pour but de comparer l’action de l’acide phosphorique dans les divers phosphates, il faut que les principes apportés au sol en même temps que les phosphates ne puissent pas revendiquer pour leur compte une partie de l’effet pro- duit. Dans le cas présent, il sera possible d’éviter que les actions s’ad- ditionnent en apportant préablement au sol de la potasse, de l'azote et de la chaux en quantités telles que la plante ne soit pas obligée, pour produire la récolte visée, d'utiliser les éléments autres que l'acide phosphorique contenus dans les engrais phosphatés. Quant à cette fumure préalable, elle ne doit pas être trop forte, car elle pourrait gêner la végétation. Une longue expérience agri- cole, de nombreux essais de cultures et d’engrais sur le sol en question, peuvent seuls, comme nous l'avons dit précédemment, mettre en état de la fixer sans trop grand écart. Telles sont les conditions que doit réunir une méthode exacte d’essais d'engrais, et tels sont aussi les principes sur lesquels repose la méthode du professeur Wagner. Les quelques détails que nous avons déjà donnés sur le mode d'exécution de cette dernière laissent voir qu’elle place les plantes dans des conditions de végétation qui ne se rencontrent que très rarement, peut-être jamais dans la pratique agricole. Elle les sous- trait à l’action des influences locales, elle leur procure un milieu où les forces qui peuvent accélérer ou retarder l'accroissement sont égales — sauf l’action à étudier — dans tous les essais; en un mot, elle rend exacts les rapports des effets de deux ou plusieurs en- QTaIS. Comme ses résultats ne dépendent d’aucune circonstance fortuite, elle est la seule qui doive être employée dans la recherche des principes de la « Science des engrais ». S'ensuit-il de là qu’il faille rejeter la ferme et le champ d’expé- riences ? Tel n’est pas l'avis du professeur Wagner, puisque la Sta- en, y * : LE ÉTUDE SUR QUELQUES STATIONS AGRONOMIQUES ALLEMANDES, 911 tion de Darmstadt à elle-même un champ d'expériences d’une con- tenance de 1,5. Mais il ne faut pas vouloir ériger en lois les con- clusions auxquelles ils conduisent. Le champ d'expériences, en particulier, doit donner des rensei- gnements sur les conditions locales de culture, sur la composition du sol, sur la manière dont il faut appliquer dans le pays les données de la méthode exacte. Son rôle est de dire pourquoi un essai d’en- grais ne donne pas, dans telle ou telle circonstance, l'effet qu’on avait prévu. Si la cause de l’insuccès échappe à l’action du cultiva- teur, il indique quels résultats on peut obtenir en tenant compte de l'influence perturbatrice ; dans le cas contraire, 1l permet de cher- cher s’il y a intérêt à la supprimer et de trouver le meilleur moyen à employer pour cela. Nous croyons avoir expliqué avec assez de détails le rôle qu'il faut réserver à chacune des méthodes d’essais d’engrais actuellement employées. Nous ne voulons pas reproduire ici les critiques auxquelles à donné lieu la méthode du professeur Wagner. Cela nous entraine- rait trop loin. Nous préférons donner quelques détails sur son modé d’exécution. Comme nous l'avons déjà dit, la Station de recherches dispose de pots mobiles et de «parcelles ». Les premiers sont au nombre d'environ 800, les secondes, au nombre de 400. Les pots ont une forme cylindrique et reposent sur trois pieds. Leur paroi intérieure porte, suivant deux génératrices. opposées, deux tubes permettant d’arroser aussi la terre de bas en haut. Afin que la répartition de l’eau ainsi introduite puisse se faire uniformé- ment, on place au fond du pot des graviers granitiques de dimen- sions comprises entre 0,003 et 0,008 et formant une couche de 0%,02 à 0,05 de hauteur. Ces graviers permeltent en même temps d’égaliser le poids des vases vides de mêmes dimensions. Les pots sont de grandeurs différentes: Les uns que nous nommerons A ont 0,25 de profondeur, 0,20 de diamètre et sont destinés à recevoir 6 kilogr. de terre ; d’autres, que nous nommerons B, out 0,35 de profondeur, 0",30 de diamètre 912 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. et sont destinés à recevoir 19 kilogr. de terre; d’autres, que nous nommerons C, ont 0,35 de profondeur, 0",30 de diamètre et sont destinés à recevoir 28 kilogr. de terre ; d’autres, que nous nomme- rons D, ont 0",80 de profondeur, 0",60 de diamètre et sont destinés à recevoir 990 kilogr. de terre. Ces derniers servent surtout dans les expériences sur la vigne et les arbustes : ils sont munis de roues qui reposent directement sur des rails. Les pots À, B, C sont employés pour les autres cultures. Ils repo- sent sur des chars, lesquels roulent aussi sur des rails’ et peuvent, comme les pots D, être conduits à l'air libre ou ramenés dans une remise à pans vitrés. Il est certaines plantes qui demandent à être soutenues par des échalas quand elles ont déjà atteint un certain développement. On emploie, à cet effet, des bâtons d’épicéa dont on introduit l’extré- mité dans des anneaux fixés à la périphérie des vases. Ils se main- tiennent ainsi dans une position verticale. Avec les pots À, on peut se servir de fils de fer galvanisé. Les cylindres, comme nous l’avons déjà dit, circonscrivent de vé- ritables parcelles ayant les unes 0",60, les autres À mêtre de dia- mètre. [ls peuvent être remplis avec des sols de nature différente, et se trouvent dans les mêmes conditions d’éclairement, de tempé- rature, de climat que le sol environnant. La terre devant être mise en expérience a été d’abord appauvrie soit en potasse, soit en acide phosphorique, soit en azote, comme nous l’avons indiqué précédemment. Elle est ensuite jetée à travers un tamis dont les mailles sont en forme de losange et mesurent 0",03 et 0,02 suivant les axes, puis passée dans un lamis à mailles de 0,005. Dès qu’elle a été bien mélangée, la terre la plus fine peut être employée aux expériences. Rien n’est plus simple que de peser sur ‘une bascule les poids de terre 6 kilogr., 19 kilogr., 28 kilogr. indiqués précédemment et de les répartir également dans les pots A, B, C. L'opération est plus compliquée avec les pots D et avec les parcelles, car il est difficile d'obtenir un tassement égal quand on emploie d’aussi grandes quan- ét ri ÉTUDE SUR QUELQUES STATIONS AGRONOMIQUES ALLEMANDES, 313 tités de terre : 350 kilogr. pour les pots, encore davantage pour les parcelles. On y arrive cependant en divisant, par exemple, les 390 kilogr. en un certain nombre de lots égaux et en pressant sur la terre de façon que chaque lot occupe une hauteur égale dans les cylindres. On emploie un procédé analogue pour remplir les par- celles. Mélange des engrais et ensemencement. — Pour éviter une longue description, nous présentons sous forme de tableau les procédés sui- vis pour effectuer ces deux opérations. Nous dirons seulement que les engrais sont mélangés intimement à la couche arable et pénètrent comme dans la pratique agricole jusqu’à une profondeur de 0",25 à 0,30. Les semences sont réparties à égale distance les unes des autres sur un même plan dans les pots ou les parcelles à des profondeurs qui varient suivant leur grosseur. La terre destinée à les recouvrir n’est pas mélangée avec l’en- grais. QUANTITÉ DE TERRE 2 prélevée pour mélangée contenue être placée sur les à l’engrais. dans le pot. semences. GRAINES. Kilogr. Kilogr. 0,300 5,700 Petites graines : trèfle, 0,500 18,500 luzerne, carottes. . . 0,600 27,400 6,000 40,000 0,600 5,400 Grosses graines: céréales, 1,000 18,000 DELLePAvEs M7 52 1,900 26,800 D et parcelles 12,000 40,000 Les semences sont choisies au hasard dans un tas de grains quali- fiés « beaux » et ayant une haute faculté germinative (on écarte au- tant que possible ceux qui sont dépéris). 514 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Elles ne sont soumises à aucun traitement avant d’être répandues dans le sol. Elles sont seulement humectées deux ou trois fois avec un arrosoir à pomme rempli d’eau, après qu’on en a achevé la ré- partition. La terre qui les recouvre ne doit pas être tassée. La quantité de semences à employer pour chaque pot se règle d’après les quantités généralement employées dans la pratique agricole. Quelquefois, cependant, elle est un peu plus forte, car il faut sup- poser que tous les grains ne germeront pas et que quelques pieds pourront être endommagés par les insectes, ou sécheront après la levée. Peu de temps après la semaille, on peut réduire par l’arrachage le nombre des sujets au chiffre voulu. D'ailleurs la quantité de semences à employer peut varier entre des limites assez éloignées, sans que les produits des récoltes éprou- vent pour cela des changements sensibles. Quand les grains sont semés clair, les tiges deviennent plus fortes et produisent davantage; quand ils sont semés moins clair, elles restent plus faibles et le nombre supplée à la qualité. C’est du moins ce que prouvent les expériences du professeur Wagner dout nous donnons ci-dessous les résultats. QUANTITÉ RÉCOLTÉE. QUANTITÉ SEMÉE. a — ———— Paille, Grains, PARA 1825 pe à | 25.3 12.8 ÉAPPARRUE" * 95.1 11.9 24.1 14.5 Moyernes. . 24,7 (3e. { 24.6 1229 ere L 25.6 12.8 1PPPRSRA Et EE 25.4 13.7 24.7 1259 Moyennes. 2541 13,4 Après la semaille, les pots sont laissés à l'air libre, du moins si le temps est favorable à la végétation et pour que la chaleur solaire ÉTUDE SUR QUELQUES STATIONS AGRONOMIQUES ALLEMANDES. 315 agisse également sur toute leur périphérie, on change souvent leur orientation et leur place. Les chars sont tenus assez éloignés les uns des autres afin que les plantes, quand elles sont déjà grandes, ne s’ombragent pas récipro- quement. Si un temps pluvieux survenait et persistait trop longtemps, on conduirait les vases dans les remises à pans vitrés. Si des chaleurs se faisaient sentir, il faudrait arroser les plantes chaque jour et même plusieurs fois par Jour. Comme nous l’avons déjà fait remarquer, l’humidité du sol exerce une grande influence sur la marche de la végétation. La quantité d’eau à donner à la terre pendant les sécheresses ne peut donc être quelconque. Elle se détermine de la manière sui- vante : Les pots sont placés l’un après l’autre sur la bascule et ar- rosés jusqu’à ce qu’ils aient atteint leur poids du jour précédent. S'il y a intérêt à le faire, on peut noter les poids obtenus à chaque pesée. Comme il n’est pas possible de mouvoir les parcelles, on se con- tente de leur donner la quantité d’eau qu’on juge utile d’après les diminutions de poids qu’ont accusées les pots. Les cultures sont protégées contre les oiseaux par des treillis de fil de fer. Moment de la récolte. — La récolte a généralement lieu au mo- ment de la maturité, comme dans la pratique agricole. Cependant si, par exemple, on voulait déterminer la rapidité avec laquelle agis- sent les engrais, il faudrait faire des récoltes aux différentes époques de la végétation. Évaluation des récoltes. — Les céréales et les plantes fourragères sont coupées un peu au-dessus du sol et introduites dans des sacs de papier-qu’on suspend à des cordes tendues dans l’intérieur des remises à pans vitrés. Dès qu’elles sont sèches, on les pèse. La paille et le foin sont ensuite divisés finement à l’aide d’un hache-paille, soigneusement recueillis et mélangés. Un échantillon de 20 à 50 gr. pris dans la masse sert pour la détermination des substances sèches. 316 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Les grains sont traités de la même manière, à cela près qu’il n’est pas nécessaire de les broyer avant de les porter dans l’étuve à dessécher. Nous croyons utile de donner quelques détails sur la construction de l’appareil servant à la détermination des matières sèches. Il se compose d’une caisse de cuivre de 1 mètre de long, 0",45 de large et 0",30 de hauteur, traversée de part en part par 40 tubes verlicaux et entourée d’un manteau de feutre, de ouate et de bois destiné à éviter les pertes de chaleur par rayonnement. Dans l’intérieur des tubes peut être suspendu une sorte de cylindre de cuivre rétréci à ses deux extrémilés, et destiné à recevoir la substance à dessécher. L’extrémité inférieure de la partie moyenne est munie d’une toile métallique à mailles fines, dont le rôle est d'empêcher la chute du contenu du cylindre. Un courant de vapeur d’eau bouillante arrive dans l’intérieur de la caisse et chauffe ainsi la partie extérieure des tubes. Les graines peuvent être desséchées en vingt heures, les pailles el les fourrages en quatre heures. Si l’on doit faire d’autres déterminations que celle de l'humidité (détermination de l’azote, de l’acide phosphorique, etc.), la partie desséchée est moulue. Les échantillons nécessaires pour les analyses sont prélevés et pesés et un nouveau dosage de l'humidité effectué. Ce dernier permet de rapporter les quantités d’azote, d'acide phos- phorique, etc., trouvées à 100 de substances sèches. Les méthodes d’analyses adoptées à Darmstadt sont à peu de chose près les mêmes que dans toutes les stations agronomiques alle- mandes. (Voir mon Étude sur la Station agronomique de Halle.) Il convient maintenant d'indiquer la signification du dosage des substances sèches. Une récolte laissée sur le champ pendant un ou deux ou plusieurs Jours de chaleur, perd peu à peu de son humidité et passe à cet état que nous nommons l’état sec. Mème qualifiées « sèches », les plantes renferment loujours une certaine quantité d’eau, et cette quantité d’eau est variable suivant la température à laquelle elles ont été exposées, suivant le temps plus ou moins long pendant lequel on les ÉTUDE SUR QUELQUES STATIONS AGRONOMIQUES ALLEMANDES. 317 conserve, suivant l’état hygrométrique de l'air au moment où on les considère, etc. L'évaluation de la quantité de substances sèches donne au con- traire, pour la même récolte, des nombres à peu près toujours cons- tants. Elle peut donc être admise comme base dans la comparaison des rendements. Et afin qu’elle puisse donner aussi une indication sur l’importance des récoltes correspondantes, on est convenu de multiplier les nom- bres qui la représentent par les coefficients contenus dans le tableau suivant : PLANTES, EAU P. 100. COEFFICIENT, Blé, orge, seigle, avoine, BARRES 14 1.1628 FAR BE LEE CRAN es 14 1.1628 ; ALLO pen N re 12 1.1364 ne TA TS 12 1.1364 Pallesere 16 1.1905 N À d'a Dane te a SOUCIS 11 1.1364 Tabac Feuilles et tiges. . 18 1.2195 it Graines rss Tri 12 1.1364 Hérieots Paille Nr, 16 1.1905 sed Ml Graines. . . . . 14 1.1628 MTiBeS IEEE 2 5.59959 rottes . . = À (ei | Racines. . . . . 85 6.6666 Pommes de re 1e l me Heu De Tubercules . . . 75 4.0000 TISÉS EN CENTS ) 10. Betteraves à sucre. Se ê ï ne Racines cer. 82 520090 Une autre question se pose maintenant. L'évaluation des rende- ments suffit-elle pour permettre de déterminer la vraie « puissance d'action d’un engrais » ou rendre possible la comparaison exacte de deux engrais quelconques, de deux phosphates, par exemple? Non, il faut, dans le cas présent, connaître en outre la teneur de la récolte en acide phosphorique et il est facile de montrer pourquoi. Supposons que par l'apport au sol de 10 kilogr. d’acide phospho- rique de superphosphate, on accroisse le rendement d’une culture de 100 kilogr., et que par l'application de la même quantité d’acide phosphorique de scories, on n’oblienne qu’une augmentation de 90 kilogr. Il n’est pas encore dit par là que le superphosphate à 318 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. cédé aux récoltes deux fois d'acide phosphorique que les scories et que par conséquent sa valeur comme engrais est deux fois plus grande. Il peut arriver, en effet, que les plantes fumées avec des scories aient, sous des influences diverses, absorbé plus d’acide phospho- rique qu’elles n’en pouvaient « travailler », en d’autres termes qu’elles aient fait une « consommation luxueuse » d’acide phospho- rique. L'augmentation des rendements n’exprimerait pas alors exac- tement la « puissance » de la fumure dans les conditions données, car celle-ci doit être considérée comme étant représentée par la quantité d'acide phosphorique qu’elle a livrée à la récolte. Donc, dans des expériences instituées comme nous l’avons dit, les diffé- rences de rendement ne peuvent donner une mesure exacte de la valeur des engrais que si les récoltes ont toutes la même teneur en acide phosphorique. Mais quelles sont ces influences diverses que nous venons de men- tionner ? Il convient de citer la principale. En général, les plantes ont besoin de beaucoup d’acide phospho- rique soluble pendant leur première croissance. Si donc le sol où ciles sont cultivées ne contient que peu de ce principe à l’état assi- milable, elles se développent avec plus de vigueur sous l'influence des superphosphates et seront à même de produire plus de subs- tances sèches de récolte. avec la même quantité d’acide phospho- rique *. Au contraire, les cultures ayant reçu des scories seront plus fai- bles parce qu’elles n’ont pas eu tout d’abord assez d’acide phospho- rique soluble à leur disposition. D’autre part, les scories fourniront des quantités d’acide phosphorique assimilable, croissant avec le temps. Ï devient alors possible que les plantes, à cause de leur faiblesse relative, ne puissent pas Loujours « travailler » tout l’acide phosphorique qu’elles absorbent. Pour montrer comment l’évaluation des rendements peut con- duire à des conclusions fausses sur la vraie valeur d’un engrais, si 1. Cela n’est pas vrai pour tous les états. (Note de la rédaction.) ’ ÉTUDE SUR QUELQUES STATIONS AGRONOMIQUES ALLEMANDES. 319 l’on ne tient pas compte de la composition centésimale de la récolte, nous voulons citer les résultats obtenus par MM. Märker et Beseler dans des essais inslitués pour déterminer les effets comparés du salpêtre du Chili et du sulfate d’ammoniaque avec les cultures d’a- voine. Le champ réservé à l'expérience avait donné par hectare, sans application d'aucune fumure, azotée : Grains . 3 000 kilogr. contenant 1.63 p. 100 d'azote, soit 49 kilogr. d'azote. LEE Eee À 500 — 0.37 — 17 — no EMCE re e 17 66 — L'année suivante, leschamp recevait par hectare 200 kilogr. de salpêtre du Chili à 15.5 p. 100 d’azote, soit 31 kilogr. d’azote. Le coefficient d'utilisation ‘ de lazote nitrique avec l’avoine étant 2 , 31 en moyenne 0.75, la nouvelle récolte devait contenir = 23 kilogr. d'azote de plus que la précédente, soit en tout 66 + 23 — 89 kilogr. Si la substance sèche avait eu, dans les deux années, la même teneur en azote, la deuxième récolte se serait élevée à : Grains . 4 090 kilogr contenant 1.63 p. 100 d'azote, soit 67 kilogr. d'azote. Paille. . 6 090 — 0.37 — 29 — BnSIOUE ER MAP 69 — 1. On appelle coefficient d'utilisation d'un principe nutritif, le rapport qui existe entre la quantité de ce principe présente dans la récoite et relevant de la fumure, et la quantité du même principe contenue dans l'engrais employé. Le coefficient d'utilisation de l'azote nitrique ne dépend pas, comme celui de la po- tasse et de l'acide phosphorique, du pouvoir d'absorption des plantes envers l'azote nitrique, car ce pouvoir parait être égal chez toutes les plantes, mais bien : 1° des par- ties de la plante qui forment la récolte (celle-ci comprend en effet, tantôt la tige seulement, tantôt la plante tout entière) ; 2° de la durée de la végétation (celle-ci est plus longue pour la betterave que pour l'avoine, par exemple); et 3° du temps plus ou moins long pendant lequel les plantes absorbent de l’azote nitrique (il est prouvé en effet que cette absorption ne s'effectue pas pendant toute la durée de la végé- tation). Il varie aussi, dans une certaine mesure, ave: la quantité d'azote employée comme engrais, mais cependant très peu quand les fumures ne dépassent pas certaines limites. | 320 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. c’est-à-dire que, par l’emploi du salpêtre du Chili, on aurait aug- menté le rendement de : GrANS EEE 4 090 — 3 000 — 1 090 kilogr. Partie" DR SN 5 6 090 —- 4 500 = 1 590 — Mais la teneur du grain en azote était devenue 1.90 p. 100 ; celle de la paille 0.44 p. 100 et la récolte se composait de : Grains . 3 470 kilogr. contenant 1.90 p. 100 d'azote, soit 66 kilogr. d'azote. Paille..." 5 214 — 0.44 — 23 — En LOU PE See 89 — c'est-à-dire que l'augmentation s'élevait à e Grains. ARE E Re 3 470 — 3 000 — 470 kilogr. TC RS AREA ARE RE 5 214 — 4 500 = 714 — Ainsi donc, si l’on s’en tient à la simple comparaison des rende- ments, on conclut que 200 kilogr. de salpêtre du Chili élèvent le produit des récoltes d'avoine de 470 kilogr. de grain et de 714 ki- logr. de paille. Cependant cette augmentation eût pu s'élever, dans un autre champ, à 1090 kilogr. de grain et 1590 kilogr. de paille et peut- être aussi, dans le même champ, si l’on eût, par exemple, apporté au sol une fumure complémentaire de potasse ou d'acide phospho- rique, ou si le temps eût été plus favorable à la végétation, etc., etc. Nous pouvons résumer toute cette discussion en disant qu’il ne faut point confondre les effets apparents que produit une fumure dans un cas particulier avec ceux qu'elle est susceptible de produire quand aucune circonstance ne paralyse son action. Nous en avons maintenant fini avec la description de la méthode du professeur Wagner. Quoiqu’elle ait, en-Allemagne même, ses dé- tracteurs, elle n’en a pas moins aussi de nombreux partisans. Nous ne voulons ciler que le professeur Märker, directeur de la Station agronomique de Halle, qui donne chaque année une extension plus grande aux essais dans les pots et dans « les parcelles ». À ütre de renseignements, nous dirons que la Station agronomique de Darmstadt a été construite aux frais du Grand-Duché de Hesse. ee (N KW —? 72 KW R ca bug TS Nr A ei + à L x + + + 5 xyx K A \\ 4 = a j K M où Che” T2 K Fée KA Te gt We, D: K\ fs es N AT ny mn mnt SE, bi _. Le d 4 71 = ee 2 2 Z pi 14 MG ER 7 % RTS PA = aN > Kpr+r+ \ ll MS x X+u x + a 1 Ki x x NN N 7 x agen NANCY_ BERGER-LEVRAULT & C'e 4, C7 H) : sn Ù nn AE \ ATILLLLLLA ÿ Ve rn eux ÊrS Wu nt xl Qi 2 2 C2 QI Ji W = 4 HE —\\sk me SRE " + pp _(Réma lard NUS 7m 7 0.295 80 84 ; mps. Seigle de printemps 0 590 99 ge : 1.500 Avoine . SL : 9 000 93 93 1 { 0.750 Blé , En) 1.500 96 97 | 0.750 igle . RS ! 101 99 Seigle | 1.500 | 0.750 : HT 2 79 (Eee 1.500 À . Feuilles. 1.500 102 90 Carottes . : | 2.000 106 95 1.500 104 St 0.750 S “a: 88 ras 1.500 90 | 1.500 92 86 Atoine . Fe | 2.000 9% 98 1.500 85 90 0.750 : 9 ) Pommes de terre. . 1.500 8? ) Moyennes Tir ct #: 93 90 91.5 De l'examen des nombres précédents, il ressort : 1° Que les effets du sulfate d’Az HP n’ont été, en moyenne, que les 0.915 ou en chiffres ronds les 0.90 de ceux du nitrate de soude ; 2 Que l’orge est celle des céréales qui utilise le moins bien le sulfate d’ammoniaque. 324. ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. J s’agit donc maintenant d'expliquer : 4° Pourquoi les effets du sulfate d'ammoniaque n'atteignent, en moyenne, même dans les conditions les plus avantageuses de cul- ture, que les 0.9 de ceux du nitrate de soude ; 2 Et pourquoi, dans la pratique agricole, ils descendent souvent même au-dessous de celte limite. Quoique M. Müutz ait démontré que le maïs, la fève, l'orge, la féverole, le chanvre, peuvent utiliser directement l’azote de l’am- moniaque et prospérer aussi bien que si elles absorbaïent seulement de l'azote nitrique, il n’en est pas moins vrai que les plantes de cul- ture assimilent l’azote surtout sous la forme d’acide azolique, même quand le sol a reçu des sels ammoniacaux, car ceux-ci se transfor- ment rapidement en nitrates sous l’action du Microccus nitrificans, qui est toujours présent dans le sol. La cause de la différence des effets du salpêtre du Chili et du sul- fate d'ammoniaque doit donc être cherchée dans les circonstances qui accompagnent cette transformation, car il n’y a pas de raison d'admettre que l'acide azotique provenant de la nitrification ne joue pas le même rôle comme engrais que l’acide nitrique porté directe- ment dans le sol sous forme de nitrate. Il est donc nécessaire d’instituer des recherches sur les questions suivantes : 4° L’azote ammoniacal passe-t-il tout entier à l’état d’azote ni- trique ? ou bien ne se produit-il pas quelques pertes d’azote pendant la nitrification ? ®% Les nitrates n'étant pas fixés par le pouvoir absorbant du sol peuvent arriver plus facilement à la portée des racines. Les sels ammoniacaux, au contraire, se meuvent d’une manière plus lente ; mais grâce à la nitrification, leur azote échappe aussi au pouvoir absorbant qui les retenait et ils se diffusent ensuite avec facilité. Nous supposons, cela va sans dire, que les conditions d'humidité sont favorables. En combien de temps s'effectue la mitrification ? Quelles sont les circonstances qui la favorisent ou la retardent ? La réponse à ces questions aidera peut-être à résoudre le problème posé, car le moment où l’acide azotique est mis ainsi à la disposition des plantes ne semble pas indifférent pour la végétation. ÉTUDE SUR QUELQUES STATIONS AGRONOMIQUES ALLEMANDES. 929 3° Avant de se transformer en acide nitrique et grâce à la chaux ou au carbonale de chaux contenus dans le sol, l'ammoniaque se sépare de l'acide sulfurique auquel elle est combinée dans le sul- fate d’ammoniaque. Il y a donc lieu de déterminer si Papport de chaux dans le sol favorise la nitrificalion et si, par exemple, les mauvais effets du sulfate d’ammoniaque dans les terrains riches en bumus ne sont pas dus à une teneur trop faible de ces derniers en chaux. 4 Le sulfate d’ammoniaque contient 285 parties d'acide sulfu- rique pour 100 parties d’azote, tandis que les céréales, par exemple, ne consomment en moyenne que 10 parties d'acide sulfurique pour 100 d'azote. L’acide sulfurique restant dans le sol n'est-il pas nuisible à la végétation des plantes? On le verra en cherchant si l’ammo- niaque apportée sous forme d’autres combinaisons ne produit pas de meilleurs effets. 9° Dans les essais ayant pour but de comparer le salpêtre et le sulfate d'ammoniaque, les résultats obtenus n’expriment pas, en réalité, la valeur comme engrais de l’azote ammoniacal relativement à l'azote nitrique, mais représentent plutôt la solution du problème suivant: Comment agit une fumure renfermant, par exemple, 100 parties d'azote ammoniacal + 285 parties d'acide sulfurique, com- paralivement à une autre fumure composée de 100 parties d’azote mirique + 221 parties de soude? L'influence favorable ou défavorable de la soude, linfluence favo- rable ou défavorable de l’acide sulfurique sont peut-être les causes des différences d’effet qu'il s’agit d'expliquer. Nous avons maintenant à exposer commient le professeur Wagner a résolu les cinq questions précédentes. L'azote ammoniacal passe-L-il tout entier à l’état d'azote nitrique ? ou bien ne se produit-il pas quelques pertes d’azole pendant la nitri- licalion ? Les expériences ont été faites dans des conditions qui, tout en étant naturelles, étaient les plus favorables à la nirification, c'est-à- dire avec un sol riche en humus bien aéré et en bon état d'humidité qui avait reçu de la marne et dont la tempéralure élait maintenue à 326 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. peu près égale à celle de la couche arable pendant les jours les plus chauds de l’été. En outre, les quantités d’ammoniaque mises en expérience étaient relativement faibles. Les résultats obtenus ont été les suivants : Après 12 jours, on trouvait dans le sol, sous forme d’acide nitrique, les 0.88 de l'azote ammoniacal apporté ; Après 36 jours, on trouvait dans le sol, sous forme d’acide nitrique, les 0.89 de l’azote ammoniacal apporté ; Après 48 jours, on trouvait dans le sol, sous forme d’acide nitrique, les 0.89 de l'azote ammoniacal apporté ; Après 60 jours, on trouvait dansle so], sous forme d’acide nitrique, les 0.89 de l’azote ammoniacal apporté ; Après 72 jours, on trouvait dans le sol, sous forme d’acide nitrique, les 0.89 de l’azote ammoniacal apporté ; Après 84 jours, on trouvait dans le sol, sous forme d’acide nitrique, les 0.88 de l'azote ammoniacal apporté. Ainsi donc, 100 parties d'azote ammoniacal ne fournissent par la nitrification que 89, soit en chiffres ronds, 90 parties d’azote ni- trique. Que deviennent les dix parties manquantes”? Sont-elles consom- mées par les microorganismes qui effectuent la transformation ? C’est possible, mais jusqu'ici aucune expérience ne permet de l’af- firmer. Les essais de culture dont nous avons indiqué les résultats au commencement de ce travail avaient déjà conduit M. Wagner à une conclusion ayant quelque rapport avec la précédente, à savoir : A poids égal d’azote, la puissance comme engrais du sulfate d’ammo- niaque est égale aux 0.9 de celle du nitrate de soude. Mais les expériences exécutées dans de nombreuses fermes ont reconnu au sulfate d’ammoniaque une valeur souvent plus faible relativement au nitrate de soude. Cette différence de résultats ne peut donc tenir qu'aux conditions de nitrification ou aux condilions d'utilisation de l’azote ammoniacal. Le problème qui a été posé tout d’abord revient donc maintenant à déterminer : | A. — Les causes qui favorisent ou retardent la nitrification ; ÉTUDE SUR QUELQUES STATIONS AGRONOMIQUES ALLEMANDES. 927 B. — Celles qui augmentent ou diminuent le coefficient d’utilisa- tion ‘ de l’azote ammoniacal. A. — Quelles sont les causes qui favorisent ou retardent la nitri- ficalion ? MM. Schlæsing et Müntz, qui ont indiqué comment l’azote ammo- niacal et l’azote organique passent à l’état d’acide azotique, ont dé- terminé en même temps l'influence que l’hamidité du sol, sa teneur en humus et en chaux, sa température, exercent sur la marche de la transformation. Le professeur Wagner a aussi institué des expériences sur cette même question et il est arrivé à des résultats qui peuvent être expri- més de la manière suivante : 1° Essais avec de la terre de jardin : La nitrification s’effectuait en 72 jours quand la terre n’avait pas été marnée et que les vases étaient placés dans des hangars froids. La nitrification s’effectuait en 60 jours quand la terre avait été marnée et que les vases étaient placés dans des hangars froids. La mitrification s’effectuait en 24 jours quand la terre n’avail pas été marnée et que les vases étaient placés dans des hangars chauds. La nitrification s’effectuait en 12 jours quand la terre avait été marnée et que les vases étaient placés dans des hangars chauds. 2% Essais avec de la terre argileuse : La nitrification s’effectuait en 84 jours quand la terre n'avait pas été marnée et que les vases étaient placés dans des hangars froids. La nitrification s’effectuait en 84 jours quand la terre avait été marnée et que les vases étaient placés dans des hangars froids. La nitrification s’effectuait en 72 jours quand la terre n’avail pas été marnée et que les vases étaient placés dans des hangars chauds. La nitrification s’effectuait en 48 jours quand la terre avait été marnée et que les vases étaient placés dans des hangars chauds. Relativement à la quantité de sels ammoniacaux employée, le professeur Wagner a constalé que la nitrification s'effectue plus lentement si les quantités d’ammoniaque mises en expérience sont plus grandes. — —_—— 1. Voir plus haut, page 319 (note), ce qu'on entend par cocficient d'utilisation. 328 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Il faut donc, dans la pratique agricole, se rapprocher autant que possible des conditions qui sont les plus favorables à la nitrification, car, souvent, les mauvais effets obtenus par l’emploi des fumures de sulfate d’ammoniaque sont dues à une transformation trop lente de l’'ammoniaque en acide nitrique qui livre aux plantes l'azote assi- milable à une époque trop tardive. B. — Causes qui augmentent ou diminuent le coefficient d'uhih- salion de l'azote ammoniacal. I. — L'azole ummoniacal produit-il de meilleurs effets quand on combine son emploi avec celui de la chaux ? Ce que nous venons de dire sur les causes qui favorisent la nitri- fi ation permet déjà de répondre affirmativement. Cependant, il est bon de le prouver par des expériences de culture. Jusqu'ici il n’a pas été publié de travaux établissant que les effets de l’azote ammoniacal sont augmentés par l'apport de la chaux, lorsque, dans les mêmes conditions, une égale quantité d’azote ni- trique a pu exercer Loute son action sans l’aide d'aucun chaulage. Ainsi le professeur Märcker, chargé par la Société des agriculteurs allemands d’instituer des essais sur celle question, avait adopté le plan de fumure suivant : Dans chaque champ (ces essais étaient exécutés dans des fermes) de composition à peu près homogène, il devait être fait quatre par- celles: La parcelle { ne recevait aucun engrais azoté. Soit 100 la récolte qu’elle donne. La parcelle 9 recevait de l’azote ammoniacal. Soit 120 la récolte qu’elle donne. La parcelle 3 recevait de la chaux. Soit 110 la récolte qu'elle donne. | La parcelle 4 recevait de la chaux + de l’azote ammoniacal. Soit 450 la récolte qu’elle donne. Et les résultats étaient interprétés comme il suit : 4° La fumure ammoniacale a augmenté les rendements de 20; 9 La même fumure ammoniacale a augmenté les rendements de 40, quand on apporte en même temps de la chaux. LED L'sdmsh . . ÉTUDE SUR QUELQUES STATIONS AGRONOMIQUES ALLEMANDES. 929 Doncles effets de l’azoteammoniacal ont été augmentés par la chaux. Cette conclusion est exacte, cependant les résultats précédents ne suffisent pas pour la justifier. Ils indiquent seulement : 4° Que le sol ne contenait pas assez de chaux pour permettre à la fumure ammoniacale d'arriver à utilisation complète ; 2 Que le sol ne renfermait pas assez d’azote pour que le chau- lage puisse produire tous ses effets. Et la preuve en est fournie par la dernière parcelle, laquelle donne, sous l’influence d’une fumure composée d’azote ammoniacal el de chaux, des rendements plus élevés que les autres. On ne peut voir si la chaux augmente les effets de l'azote ammo- niacal que si l’on à institué dans un champ ayant un sol de compo- silion autant que possible homogène, six parcelles dont on règle la fumure de la manière suivante : La parcelle À ne reçoit pas de fumure. Représentons par 100 la récolte qu'elle donne. La parcelle 2 reçoit une fumure ammoniacale. Représentons par 120 la récolte qu’elle donne. La parcelle 3 reçoit une fumure de salpêtre du Chili (contenant la même quantité d'azote que la précédente). Représentons par 140 ja récolte qu'elle donne. La parcelle 4 reçoit un chaulage. Représentons par 110 la récolte qu’elle donne. La parcelle 5, unc fumure ammoniacale + un chaulage. Repré- sentons par 150 la récolle qu’elle donne. La parcelle 6, une fumure de salpêtre du Chili + un chaulage. Représentons par 150 la récolte qu’elle donne. De ces nombres 1l ressort : 1° Que l'azote ammoniacal et l'azote nitrique ont produit à peu près les mêmes effets dans les parcelles chaulées ; % Que l'azote nitrique s’est montré supérieur à l'azote ammo- nacal dans les parcelles non chaulées, ce qui prouve que le sol con- tenait assez de chaux pour permettre à l'azote ammoniacal de pro- duire un meilleur effet. Donc le chaulage a déterminé une meilleure utilisation de l'azote ammoniacal. 330 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. C’est d’après ce dernier plan que le rrofesseur Wagner a institué ses recherches sur la même question. Il a employé des terres tourbeuses ou argileuses recevant ou non de la marne. La plante d'expérience était la navette. Nous donnons dans le tableau suivant les résultats qu’il a obtenus. F - Si on représente Ne RENDEMENTS | AUGMENTATION | bar 109 l'aug- nuyrrrés | MOYENS de mentation pro- RTE par pot | RENDEMENT Er ; : EP > T| zote nitrique : A f ? SOLS EMPLOYÉS.| donné sous forme nS PA e celle que pro- duit la même substances par quantité d’a- sèches. Îles fumures.| Zote ammonia- cal est : en - e LEA non | Nitrate de soude . ET I = © me © 7 © ot © Sulfate d'AzH* . Nitrate de soude . Sulfate d'AzH3 . -non Nitrate de soude . marnés. Sulfate d'AzH° . Nisrate de soude , Sulfate d'AzH° . marnés. Et \ Ces résultats sont très concluants. Comme on le sait, les terrains d’origine tourbeuse ne contiennent relativement que peu de chaux, pas assez pour permettre une nitri- a à Le ÉTUDE SUR QUELQUES STATIONS AGRONOMIQUES ALLEMANDES, 331 fication normale. Aussi les effets de l’azote ammoniacal n’y sont-ils que les 0.28 de ceux de la même quantité d’azote nitrique. Si, pour ces mêmes terres, on combine l’emploi de la chaux avec celui du sulfate d’AzH*, l’action du sulfate d’Az H° est considérable- ment augmentée, elle devient égale aux 0.9 de celle du salpêtre. Dans les terres argileuses, lesquelles sont naturellement riches en chaux, l'addition de marne ne favorise en rien la nitrification et le sulfate d'AZH® y est également bien utilisé, qu’elles aient reçu de la marne où non. Une autre conclusion ressort aussi du tableau précédent à savoir : que les accroissements de rendements dus à l’emploi du nitrate de soude n’ont pas été influencés par le marnage. Ils sont, en effet, 78 et 79 dans les deux expériences exécutées avec la terre d’origine tourbeuse. Les accroissements correspondants dus à l'emploi du sulfate d’am- moniaque sont, au contraire, très différents l’un de l’autre : 22 et 71. Ainsi donc, nous pouvons affirmer : 1° Que dans les sols relativement pauvres en chaux, le sulfate d’ammoniaque produit de meilleurs effets quand on combine son emploi avec celui de la marne, c’est-à-dire avec celui de la chaux ou du carbonate de chaux; 2° Que le chaulage ne modifie pas les effets de l'azote nitrique. La première de ces deux conclusions a une grande importance pour la pratique agricole. Il faut l'avoir présente à l’espril chaque fois qu’on veut appliquer une fumure ammoniacale. Bon nombre des insuccès obtenus avec le sulfate d’ammoniaque sont dus à cette cir- constance que le sol ne contenait pas assez de chaux. IL. — L'acide sulfurique du sulfate d’Az H° peut-il géner la végé- lation des plantes ? Est-il la cause de l’infériorité de l'azote ammo- racal à l'azote nitrique? — Ainsi que nous l’avons déjà dit, le sulfate d’ammoniaque contient 2895 parties d’acide sulfurique pour 100 parties d’azote, tandis que les céréales, par exemple, ne consomment que 10 parties d’acide sulfurique pour 100 d'azote. Si donc on applique sur le même champ, pendant plusieurs années consécutives du sulfate d’ammoniaque, il 332 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. s’'amassera dans le sol des quantités croissantes d'acide sulfurique et il ne serait pas impossible que cet acide sulfurique gênât la végé- tation des plantes et diminuât le rendement des récoltes. Pour résoudre cette question, le professeur Wagner à exécuté des essais dans des parcelles pendant trois années conséculives. Chaque année, il était fait une culture d'avoine et une culture de navelte où de moutarde. Chaque année aussi, il était donné au sol: 1° de acide phosphorique et de la potasse en quantités assez grandes pour qu'il puisse suffire, de ce côté, aux exigences d'une récolte maximum; 2 une quantilé égale d'azole, mais sous des formes diffé- rentes, suivant les parcelles. Ainsi les parcelles À recevaient pendant les trois années du sal- pêtre du Chili ; Ainsi les parcelles B recevaient pendant les trois années du sulfate d'ammoniaque ; Ainsi les parcelles G recevaient pendant les trois années du carbo- nate d’ammoniaque ; Ainsi les parcelles D reccvaient pendant les trois années du ni- late d’ammoniaque ; Ainsi les parcelles E ne recevaient aucune fumure azotée. Lavoine était récollée à maturité; la moutarde et la navette élaient coupées à l'état vert. Les résullats obtenus dans ces recherches peuvent être repro- duits de la manière suivante : : Chaque gramme d’azote de la fumure azotée à produit une aug- mentalion de récolte dont le poids de substances sèches s'élève à : 4r: ANNÉE, 2e ANNÉE. 3: ANNÉE. A °C — TT MOYENNE. fe NA- MOU- AVOINE. O0.NE. AVOIXE SITE. VETTE. TARDE. à Avec le nitrate de soude. | Avec le sulfate d'AZH? . | Avec le carbonate d'Az H? | Avec le nitrate d’AzH° . [7 CONOTCEC [SA] 2 ©: ÉTUDE SUR QUELQUES STATIONS AGRONOMIQUES ALLEMANDES. 9393 Et la récolte tout entière renfermait en azote: re ANNÉE. 2e ANNÉE. 3e ANNÉE, ES A — + MOYENNE. NA- NA AVOINE. AVOINE. VETT VETTE. Gr. Gr. Avec le nitrate de soude.! 5 912 4 672 Avec le sulfate d'AZH3 .| 5 447 3 880 Avec le carbonate d'AzH°| 5 346 3 676 Avec le nitrate d'AZHS .| 5 528 3 933 L'examen du tableau précédent permet de tirer les conclusions suivantes : 1° Les effets de l’azolc ammoniacal ont été les 0.9 de ceux de l'azote nitrique ; % L’azote du sulfate d’ammoniaque a exercé autant d’action que celui du carbonate d’ammoniaque, puisque 1 gr. a augmenté les ren- dements de 87 gr. dans le premier cas, de 36 gr. dansle deuxième cas; 3° L’azote du nitrate d’ammoniaque parait avoir été plus puissant que celui du sulfate et du carbonate, puisque 1 gr. a produit un surplus de récolle de 38 gr., mais ce n’est là qu’une apparence. La moitié de cet azote est, en effet, à l’état d'azote nitrique, et l’on sait que ce dernier est supérieur à l'azote ammoniacal. Si l’on ajoute que le sol servant aux essais était très pauvre en azole, que les fumures de sulfate d’ammoniaque dépassaient de beaucoup celles qui sont employées ordinairement dans la pratique agricole, si l’on considère enfin que, malgré ces circonstances extrêmes, les plantes n’ont pas eu à souffrir de l’acide sulfurique — le poids des récoltes le prouve, — il faudra bien admettre que linfé- riorité du sulfate d’ammoniaque au salpêtre du Chili — à poids égal d'azote — ne doit pas être altribuée à l'acide sulfurique du sulfate. IL — Cette infériorilé a peul-élre son explicalion dans ce fait que les fortes fumures ou les solulions concentrées de sulfate d’ammo- raque ne sont pas aussi bien supportées par les plantes que celles de salpétre du Chili. 334 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Quelques développements sont d’abord nécessaires pour montrer comment la question se présente dans la nature. Les nitrates et les sels ammoniacaux sont facilement solubles dans l’eau. Si donc on répand à la surface du sol une fumure de salpêtre du Chili ou de sulfate d’ammoniaque, et qu'il tombe ensuite de la pluie, les sels se dissolvent. Le nitrate n'étant pas retenu par le pou- voir absorbant du sol se diffuse rapidement dans la couche arable. Le sel ammoniacal, au contraire, reste d’abord dans les couches superficielles ; comme les conditions d'humidité sont très favorables, il se nitrifie très vite et se diffuse ensuite comme les nitrates. Mais s’il ne pleut pas pendant les quelques jours qui suivent l’épan- dage, qu’arrive-t-1l? « Les grains de salpêtre restent d’abord à la place où ils sont tombés ou que leur a donnée le travail des instruments aratoires. Ils absorbent l'humidité ambiante en donnant une solution assez concentrée qui imprègne les parties terreuses rapprochées. La dis- solution des nitrates ayant une tension de vapeur relativement fai- ble, absorbe de la vapeur d’eau aux dépens des autres liquides du sol et augmente ainsi progressivement de volume. On assiste donc à ce phénomène très curieux d’une division de la terre en portions très humides et en portions très sèches, » Il est probable que le sulfate d’ammoniaque se comporte de la même manière dans le cas supposé. Si donc les semailles sont effec- tuées à ce moment, certains grains tomberont assurément dans les parties mouillées par les solutions de sels. Comme on le voit, il est possible, dans les deux cas que nous avons supposés, que la germination et l'accroissement des plantes soient influencés différemment par les deux solutions en question. Les expériences suivantes instituées par le professeur Wagner vont nous donner des renseignements à cet égard. Les pots devant servir aux essais étaient tous remplis avec de la terre identique. Ils étaient divisés en quatre séries. Ceux de la première série recevaient — en quantités variables d'un pot à l’autre — du nitrate de soude qu’on mélangeait au sol de la manière suivante : on sortait d’abord du pot une couche de terre de 0.06 de hauleur, puis le sel était mélangé intimement à la couche . ÉTUDE SUR QUELQUES STATIONS AGRONOMIQUES ALLEMANDES. 339 de 0.12 placée immédiatement au-dessous, et enfin la première cou- che élait remise en place. Ceux de la deuxième série recevaient aussi du nitrate de soude, comme ceux de la première, mais le nitrate, au lieu d’être mélangé au sol, était simplement répandu à la surface de la terre, après qu’on avait enlevé la première couche de 0.06. Celle-ci était ensuite reportée dans le pot (ce mode de répartition est, comme on le voit, destiné à meltre les plantes en présence de solutions très concentrées des sels. Ceux de la 3° et ceux de la 4* série étaient préparés respectivement comme ceux de la l'*et de la 2, à cela près qu'ils recevaient au lieu de nitrate de soude une quantité correspondante d'azote ammonia- cal sous forme de sulfate d’Az F. Nous reproduisons dans le tableau suivant les résuitats qui ont été obtenus dans ces essais: EEE PLUS-VALUE Soit 109 l’effet de DE LA RECOLTE l'azote distribué par rapport aux vases en rof. ndeur FUMURES. n'ayant pas reçu d'azote. AR celui de l'azote ER — > I — é A A distribué en cou- Grains. Paille. che sera : RC ED RP pa TER RE dE ; 100 Distribution 0,295 ; . 100 Az0te | en profondeur. 0,393 À 100 sous forme 0.491 15 100 1 2 | de } nitrate - | de soude. 1 0,196 : : 96 Distribution | 30. : 110 \en couverture. NE : 108 109 100 | Distribution 2 x 100 | » 10 Azote en profondeur. | ë SE : 100 g sous forme . 100 de sulfate LE 3 107 : d'AzH. Distribution ë . 4. 103 en couverture. 39: .6 . 110 è 91 103 3306 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Ainsi donc, quand la famure est appliquée en couverture, elle pro- duit de meilleurs résultats que si elle est mélangée à une couche de terre de 0",12 de profondeur, puisque dans le premier cas son effet est représenté par 106 pour le nitrate de soude, 103 pour le sulfate d’Az H°, et dans le second cas par 100. Mais l'essentiel pour notre démonstration est que les deux sels se sont à peu de chose près (103 et 106) comportés de la même manière et que le mode de fumure en couverture n’a pas causé de préjudice aux récoltes. Si l’on ajoute que les quantités d’engrais employées — lesquelles correspondent à 40 kilogr., 60 kilogr., 80 kilogr., 100 kilogr. d’a- zote par hectare — dépassent même de beaucoup celles que l'on emploie généralement dans les fermes et que, dans la pratique agri- cole, les sels employés se mélangent presque toujours un peu au sol pendant l’exéculion des façons aratoires, on pourra conclure, en toute sûreté, que les plantes supportent aussi bien les solutions con- centrées de sulfate d’AzH® que celles de nitrate de soude. Et dans les. cas où la concentration des solutions des sels deviendrait assez grande pour nuire à la végétation, 1l serait encore vrai que le sulfate d’Az IF n’exerce pas une action plus malfaisante que le nitrate de soude. Mais pénétrons plus avant dans la question. Les conclusions qui viennent d’être formulées se déduisent de la comparaison des rende- ments au moment de la maturité. Arriverait-on aux mêmes conslata- lions en mellant en parallèle les récolles obtenues à une époque quelconque de la végétation? Le tableau qui suit donne une réponse à la question : Soit 100 la quantité d'azote MOMENT DE LA RÉCOLTE. QUANTITÉ absorbée par les plantes re : > d'azote ayant reçu du sulfate La plante tout entière (racine et tige) Hi HOYES d'Az H'. Les plantes È ; nn : ayant reçu du nitrate SRE par pot. ont absorbé en azote : 0.4 92? 15 jours apr'. :? semaille. Ë or 88 12 RC \ 0.4 JR . 23 jours après la semaille. . . , : 0.8 97 | 122 vi 0.4 103 37 jours après la semaille. . . 0.8 104 12 107 ÉTUDE SUR QUELQUES STATIONS AGRONOMIQUES ALLEMANDES. 391 Ges nombres indiquent : 1° que les quantités d'azote absorbées pendant la première parte de la végétalion sont plus faibles chez les plantes ayant reçu du nitrate de soude que chez celles qui ont reçu du sulfate d’Az FF et comparativement d'autant plus faibles que la fumure d’azote a été plus forte ; 2 Que dans les pots à nitrate de soude, les cultures ayant reçu les plus fortes fumures d’azote ont acquis pendant la 2° période de la végétation un développement bien inférieur à celui des plantes croissant avec la même quantité d'azote dans les pots à sulfate d’AzF ; 3° Pendant la 3° période, l'avantage reste, dans cette expérience, aux cultures des pots à nitrate de soude. En résamé de fortes fumures de nitrate de soude, retardent l’ac- croissement des plantes pendant la première partie de la végé- tation. De fortes fumures de sulfate d’AzH° sont aussi capables d'exercer une action dans le même sens, mais 1l faut, pour produire le même effet, plus d’azote ammoniacal que d'azote nitrique. Donc la conclusion qui a été formulée pour l'époque de la ma- turité est aussi applicable à chaque moment de la végétalion et on peut dire maintenant avec toute certitude que les plantes sup- portent tout aussi bien et même peut-être mieux les solutions concentrées de sulfate d’ammoniaque que celles de nitrate de soude. La raison de l'inféricrité du sulfate d’ammoniaque vis-à-vis du nitrate de soude doit donc être cherchée ailleurs. IV.—II ne nous reste plus qu’une circonstance à examiner. Comme nous l'avons déjà dit, dans les expériences ayant pour bul de com- parer l’action de quantités égales d'azote appartenant au sulfate d’ammomaque et au nitrate de soude, on oblicut des résultats qui réponden‘ #n réalité à la question suivante: Comment agit une fumure renfermant, par exemple, de 100 par- lies d'azole ammoniucal + 285 parties d'acide sulfurique p1r rap- port à une autre fumure composée de 100 parties d'azote n'trique + 221 parties de soude? ANX. SCIENCE AGRON, — 1892, — 1. 12 LE 338 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Il à été démontré que l'acide sulfurique ne modifie en rien les effets de l’azote ammoniacal. Voyons si la soude ne serait pas la cause des meilleurs effets obtenus avec le nitrate de soude. Pour bien comprendre la manière dont le professeur Wagner a institué ses recherches sur cette question, il est nécessaire de donner quelques explications préliminaires. L'effet favorable de la soude — si toutefois il existe — peut provenir de trois causes différentes : 1° Depuis longtemps déjà, les cultivateurs savent que les champs de betteraves ayant reçu une forte fumure de nitrate de soude exigent en été des façons araloires plus nombreuses que si on leur avait donné la même quantité d'azote sous forme de sulfate d’am- moniaque. Le nitrate de soude, en effet, unit, pour ainsi dire, les particules de terre et détermine la formation d’une croûte à la surface du sol. Il en résulte que l’eau est maintenue plus facilement dans la couche arable. Cette circonstance peut procurer des avantages dans les terres légères, mais elle peut être nuisible dans les terres fortes. Elle ne suffit donc pas pour expliquer la supériorité du nitrate de soude au sulfate d’ammoniaque. 2° On a déjà avancé maintes fois que les fumures de sels de soude rendent l’acide phosphorique et la potasse du sol plus assimilables et tendent ainsi à activer la végétation et à augmenter les rende- ments des récolles. Le professeur Wagner ne nie pas ce pouvoir dissolvant de la soude, mais il ne croit pas qu’il ait autant d'influence qu’on l’a admis quelquefois, et il ne lui attribue pas entièrement les bons effets obtenus par l'emploi comme engrais des sels de soude. 3° Les expériences de culture exécutées dans l’eau et le sable ont montré que les plantes n’ont pas besoin de soude pour se développer normalement. Il pourrait se faire néanmoins que la soude favorisât certains phénomènes de la nutrition des végétaux, ou soit en état de prendre part à certaines fonctions qui, en son absence, sont exé- cutées uniquement par la polasse. Ce remplacement réciproque À, 2e Dé PP ÉTUDE SUR QUELQUES STATIONS AGRONOMIQUES ALLEMANDES. . 939 des principes minéraux n’est pas un fuit d'hypothèse purement gratuite. Émile Wolf a démontré, par exemple, que l'acide sili- cique peut, dans certains cas, et jusqu’à une certaine limite, se substituer à l'acide phosphorique. Il n’y aurait donc rien d’é- tonnant à ce que la soude se comportât pareillement envers la potasse. Mais il est permis de dire, à priori, que si une telle substitution est possible, elle ne sera jamais que partielle, car les plantes de culture ont absolument besoin de potasse pour vivre. C’est à l'effet de vérifier si ces dernières hypothèses sont exactes que le professeur Wagner a institué les expériences dont nous vou- lons maintenant parler. Les parcelles servant aux essais étaient di- visées en plusieurs séries et les fumures appliquées éta:ent les sui- _vantes : Série A : Les parcelles ne recevaient aucune fumure azotée ; Série B : Les parcelles recevaient 6 gr. d’azote nitrique sous forme de salpêtre du Chili; Série CG: Les parcelles recevaient 6 gr. d’azote ammoniacal sous forme de sulfate d’ammoniaque ; Série D: Les parcelles recevaient 6 gr. d'azote nitrique (sous forme de nitrate de soude) plus 5 gr. de KO sous forme de K CI ; Série E : Les parcelles recevaient 6 gr. d’azote ammoniacal (sous forme de sulfate d’Az H°) plus 5 gr. de KO sous forme de K Cl ; Série F : Les parcelles recevaient 6 gr. d’azo'e ammoniacal (sous forme de sulfate d’AzIF) plus 135,269 de soude sous forme de Na CI. Cette dernière quantité correspond à la quantité de soude contenue dans la fumure de nitrate de soude prescrite pour les par- celles B. La terre mise en expérience était une terre argileuse relativement pauvre en potasse. On lui donnait chaque année assez d’acide phos- phorique pour qu’elle puisse être considérée comme en renfermant un excédent. Les plantes cultivées étaient : en {°° année, l'orge; en 2° année, la carotte ; en 3° année, l’orge, 340 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Les résultats moyens obtenus avec la première culture d'orge peuvent être présentés comme 1] suit : A ee jee ë nine mie tds Si l’on désigne par 100 l’accroissement des rendements de rendement dû à RUE comparativement aux parcelles pa M ; e Chili, l’accrois- n’ayant pas reçu d’azote. HN dû SUIS "M des autres fumures Paille. Grain. Lu être exprimé Salpêtre du Chili. . . . 246,1 157,0 100 Sulfate AY ee 175,1 125,4 fe Sa'pêtre + KCI. . . . 250,9 170,5 105 Sulfate d'AZH' + KCI. . 219,0 L'AIENS 97 Sulfate d’Az H° + NaCI . 220,3 164,3 95 En considérant le tableau précédent on voit : 1° Que les effets du sulfate d’ammoniaque ont été de beaucoup in- férieurs à ceux du nitrate de soude (75 au lieu de 100); 2 Que si l’on ajoute au sulfate d’ammoniaque de la potasse ou de la soude, il agit aussi puissamment que le nitrate de soude ; 3 Avant d'interpréter ces résultats, il convient de placer sous les yeux un tableau analogue au précédent et correspondant à la cul- ture de caroltes qui a été faite après l’orge dans les mêmes parcelles et avec les mêmes engrais. DIRES à Comme pour l’orge. DE ris Feuilles. Racines. l'orge. Salpêtre du Chili. >. : . : 798 1 603 100 DU AIENATAZ HP ARE CT. 753 1 113 78 Salpêtre du Chili + KCGI. . . 697 2 458 131 Sulfate d'AZHSHKCI. . . . 284 1 786 99 Sulfate d'AzH$ + NaCI . . . 777 241932 121 Ces derniers nombres établissent : 4° Que les effets du sulfate d’ammoniaque ont été de beaucoup in- férieurs à ceux du nitrate de soude ; 2 Que si l’on ajoute de la potasse au sulfate d’ammoniaque, il agit aussi bien que le nitrate de soude ; | 8 Que si on lui ajoute de la soude, il produit même de meilleurs effets ; DE ÉTUDE SUR QUELQUES STATIONS AGRONOMIQUES ALLEMANDES,. 341 4 Enfin que l’action du nitrate de soude peut être augmentée par un apport de potasse au sol. L'efficacité et le rôle des fumures de soude ressortiront claire- ment si l’on soumet, à une discussion un peu minutieuse, les con- clusions précédemment formulées. Le sol mis en expérience était, avons-nous dit, relativement pauvre en potasse. C’est là la raison pour laquelle les effets du sulfate d’ammoniaque ont été inférieurs à ceux du nitrate de soude. La preuve en est fournie par ce fait que l’addition de potasse au sul- fate d'ammoniaque a élevé l’action de lazote ammoniacal de 78 à 99 (1° tableau), c’est-à-dire l’a rendue égale à celle de l'azote nitrique. Il n’a pas élé nécessaire de mélanger de la polasse au salpêtre du Chili pour obtenir cet effet 100. La soude apportée en même temps que l'acide azotique a suppléé au manque de potasse du sol. L Donc la soude peut, dans certains cas, remplacer la potasse. Cette conclusion est d’ailleurs confirmée par le sulfate d’ammo- niaque. Qu’on l’additionne de potasse ou de soude, il produit à peu près les mêmes effets et ces effets sont sensiblement égaux à ceux du ni- trate de soude. Un des résultats obtenus avec la carotte semble cependant échapper à cette explication. Si le sulfate d’'ammoniaque est addilionné de chlorure de sodium son action sur la culture en question s'élève à 121, c'est-à-dire dé- passe de 21 celle du nitrate de soude et 22 celle du sulfate d’ammo- niaque addilionné de potasse. Cette différence a peut-être son explication dans ce fait que le chlore apporté par le chlorure de sodium est capable d’agir comme engrais envers la carolte, tandis que sou action comme tel sur la végétation de l'orge est négligeable. Cette hypothèse ne paraît pas invraisemblable si lon songe qu’une récolte moyenne de carottes renferme six fois plus de chlore qu’une récolte moyenne d'orge et que les quantités de chlore correspon- dant équivalentairement à 135,269 de soude dépassent de beau- 342 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. coup celles qui correspondent à 6 gr. de potasse. Cependant aucune expérience n'a montré jusqu'ici qu'elle soit l'expression de la vé- rité. La différence précitée lient peut-êlre aussi à la différence des te- neurs da sol en potasse pendant la 4" et Ia 2° année. Les carottes ont été, en effet, cultivées dans un sol qui a été encore appauvri en potasse par la calture d'orge précédente et il ne serait pas impossible que celle circonstance leur permit de faire une consommalion plus grande de soude. Si cette explication est la vraie, la deuxième culture d'orge doit utiliser les fumures de soude mieux que la 1", car ell: est faite dans un sol beaucoup plus pauvre en polasse — les carottes ayant aussi emporté de la potasse dans leur ré‘olte. — Cest, en effet, ce que montrent ks nombres suivants qui correspondent à la 2° récolte d'orge. A B Comme pour la 1re récolte Comme FUMURES. d’orxe, pour — — la 1rc récolte Paille. Grain. d'urge. Nitrate de souder 2257 26056 151,7 100 Sulfate d'AZ il. se 174,2 101,1 67 \itrate de soide HKCI. . 289,4 183,3 115 Sul'ate d'AzH3— KCI. . 221.49 160,7 94 Su'fate d'AZ HE Na! . 214,6 194,5 107 Aïusi donc, quand le sulfa'e d’ammoniaque est employé seul, son action est représeatée par 67. Si on lui ajoute de la soude, clle devient égale à 407. Les eff:ts de la soude sont donc aussi mar- qués avec celte deuxième culture d'orge (49) qu'avec la culture de carottes (43) et beaucoup plus marqués qu'aves la première (20). I faut en conelure que les teaeurs différentes du sol en po- tasse axshnilable aa moment où ont été faites ces lrois cultures sont la cause des différenses d’eflet obtenues avec les famures de soude. Résumons maintenant en un tableau synoptique les résultats obtenus pour les trois récoltes cn qnestion. Si on représente par 100 l'augmentation de rendement due à l'emploi du sulfate d'ammonia que — comparativement aux parcelles ÉTUDE SUR QUELQUES STATIONS AGRONOMIQUES ALLEMANDES. 943 qui n’ont pas reçu de fumure — les augmentations produites par les autres famures azotées seront: re N E, À n É . € NN É . l'e ANNÉE. 2° ANNÉE 5° ANNÉE HER DUUREE Orge. Carotte. Orge. sulfate d'AZH CET, 100 100 100 100 Sulfate d'AzZH®+KCI., 130 120 140 132 Sulfate d'AzH* + Nall. , 128 156 158 117 Nitratetde soude: . … … . 131 129 148 137 Nitrate de potasse + K CI. 140 169 171 160 De l'examen des moyennes, il résulte : 1° Que dans le sol mis en expérience — lequel était relativement pauvre en potasse — les effets du sulfate d'ammoniaque sont bien inférieurs à ceux du nitrate de soude : 100 au lieu de 137 ; 2° Mais que si on ajoute, au sulfate d’AzH”, du chlorure de sodium ou du chlorure de potassium en quantités correspondant à la quantité: de soude contenue dans le salpêtre, il se montre aussi puissant ct même plus puissant que ce dernier. La solution du problème posé au commencement de ce travail est donc maintenant trouvée : Dans les sols relalivement peu riches en potasse, mais contenant lous les autres principes constituants des plantes en quantités suffi- sanles, la cause de la supériorité du nitrale de soude sur le sulfate d'ammoniaque réside dans la soude apporlée en méme temps que l'azole nitrique par les nitrates. — Duns les sols suffisamment riches en potresse, les deuc sels produisent des effets sensiblement égaux. Veut-on savoir maintenant comment la soude produit ses effets? Le tableau suivant où sont indiquées les quantités de potasse ct de soude contenues dans l’ensemble des trois récoltes fournira des ren- selgnements à cel égard : Si on représente par ITÉ ê QUE RER 10) l’a:cro‘ssement contenues de rendement dà x FUMURES. dans les trois cultures. au sulfate d’Az H. Les accroissements ee 100 Aus Aux autres Cul KO. NaO t1:e3 sont : SAR z EEE an, tt d,0 1,3 100 Su fate d'AzZH® +KCI. . . . 11,6 1,0 132 Sulfa'e d'AZHŸ— NaCI,. . , 6,6 12,4 147 Nitrate de soude, . . . , , 4,7 12,7 137 Nitra'e de souie + KCI. . , 10,8 11,4 160 344 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Les nombres précédents prouvent : 4° Que si la fumure de sulfate d’ammoniaque produit une aug- mentalion de rendement — 100, elle prend 5 gr. de KO au Bol; 9 Que si la fumure de sulfate d’ammoniaque + KCI produit une augmentation de rendement — 132, elle prend 9 gr. de KO au sol et 68,6 de KO à l’engrais ; 3° Que si la fumure de sulfate d’ammoniaque + Na CI produit une augmentation de rendement — 147, elle prend 6.6 de KO au sol et 12.4 de NaO à l’engrais; 4 Que si la fumure de nitrate de soude produit une augmenta- tion de rendement — 137, elle prend 4.7 de KO au sol et 12.7 de Na O à l’engrais ; D° Que si la famure de nitrate de soude + K CI produit une aug- mentation de rendement — 160, elle prend 4.7 de KO au sol et 6.1 de KO et 11.4 de soude à l’engrais. En d’autres termes : 4° Dans les sols relativement peu riches en potasse, la soude exerce une influence favorable très marquée sur le développement des plantes de culture : celles-ci peuvent en effet, en utilisant la même quantité de potasse, produire des récoltes presque de moitié plus grandes si on les fume avec du chlorure de sodium. (Voir les conclu- sions précédentes À et 5.) 2% Sans pouvoir suppléer complètement à la potasse, la soude peut cependant la remplacer dans une certaine mesure. (Voir les conclu- sions 1 et 4.) Elles indiquent que deux accroissements de récolle à peu près égaux (132 et 137) renferment des quantités bien différentes de potasse et de soude. 3 La soude détermine une meilleure utilisation de la potasse du sol qui est à la disposition des plantes. (Voir les conclusions 1 et 3.) Déjà MM. Champion et Peilet (Comptes rendus de l'Académie des sciences, 1875) avaient constaté, dans leurs nombreuses analyses de cendres végétales, que les bases minérales peuvent, jusqu’à une certaine limite, se remplacer réciproquement dans l’accomplisse- ment des fonctions vitales de la plante, mais ils n'avaient déduit de ÉTUDE SUR QUELQUES STATIONS AGRONOMIQUES ALLEMANDES. 9349 leurs observations aucune règle pratique concernant l’emploi des engrais. La question des effets comparés des deux sels ne me semble pas encore vidée complètement. Nous avons dit, en effet, que les 0.9 seulement de l'azote ammo- niacal passent à l’état d'azote nitrique, même quand les conditions de nitrification sont les plus favorables. Or, des conclusions que nous venons de formuler, il ressort que l’azote ammoniacal additionné de soude peut, dans le sol considéré, produire les mêmes augmentations de rendement qu’une égale quan- tité d’azote nitrique donnée sous forme de nitrate de soude. Il s’en- suit donc que deux quantités inégales d’azote nitrique aidées de quantités égales de soude produisent des effets égaux. Pour trouver une explication à ce fait paradoxal au premier abord, nous devons considérer les coefficients d'utilisation ‘ de l'azote de la fumure dans les différentes cultures. (On les détermine facilement à l’aide des résultats analytiques concernant ce travail.) Nous consignons les nombres trouvés dans le tableau suivant : Fixons à 100 le coefti- 2e CUL- cient d’uti- lisation de FUMURES. TURE | MOYENNE. l'azote am- moniacal. Les autres coefticients seront SURPLUS de récolte. Celui quiest dû au sul- fate da - zote est fixé à 100. d'orge. | Nitrate de soude. . . . 4 123 137 Sue d'A eue ÿ 100 100 | Nitrate de soude + KCI. L 5 128 160 Sulfate d'AzH® +KCI. . ] 107 132 | Sulfate d'Az H? + Na CI . 120 147 De l'examen du tableau précédent, il résalte : 4° Que la potasse et la soude, en même temps qu’elles favorisent la végétation des plantes, déterminent une meilleure utilisation des fumures azotées ; 1. Voir précédemment la définition des coeflicients d'utilisation. 346 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 2 Que, sous l'influence de la soude, le coefficient d'utilisation de l'azote ammoniacal peut devenir égal à celui de l'azote nitrique, biea que, dans la majorité des cas, il se montre de 10 à 15 p. 100 inférieur. En d’autres termes, les plantes qui ont reçu du nitrate de soude el celles qui ont reçu du sulfate d’ammoniaque + de la soude ont absorbé -à peu près les mêmes quantités d’azote nitrique, quoi- qu'elles en aient eu des quantités différentes à leur disposition. (L’azote ammoniacal ne donne que les 0.9 de son poids en azote nitrique par la nitrification.) On peut expliquer ce fait en admettant ou bien que les premières ont absorbé de l'azote pendant un lemps moins long que les secondes, ou bien qu’elles l’ont absorbé moins rapidement. Ce qui vient d’être dit sur le rôle de la soude comme engrais permet de donner une explication aux résultats en apparence sin- guliers qui ont été oblenus dans la pratique agricole sur celte ques- tion de la valeur comparée du nitrate de soude et du sulfate d’am- moniaque coasidérés comme engrais. 1° Il a été dit au commencement de ce travail que la Société des agriculteurs allemands, dans ses essais de culture, est arrivée à la conclusion suivante : Le sulfate d’ammoniaque se montre inférieur au nitrate de soude, surtout avec les cultures de pommes de terre, de betteraves et d'orge. Ce résultat n’a rien d'étonnant si l’on songe que les trois plantes précitées sont précisément celles des plantes de culture qui ont les plus grandes exigences en fumures potassiques, soit parce qu’elles emportent dans leur récolte de grandes quantités de potasse, soit parce que lear pouvoir d’assimilation envers la potasse du sol est relativement faible. Or, comme Ja soude du nitrale peut, dans une certaine mesure, suppléer à la potasse, el même déterminer une meilleure‘utilisation de celle qui est contenue dans le sol, il s'ensuit que le nitrate de soude se montre supérieur au sulfate d’ammoniaque. ®% M. Semek, daas des expériences instiluées sur la même ques- tion à la ferme de Saint-Michel, trouve que les effets de l'azote am- DT, ÉTUDE SUR QUELQUES STATIONS AGRONOMIQUES ALLEMANDES. ‘47 moniacal, comparativement à ceux de l’azote nitrique, peuvent être exprimés ainsi qu'il suil: Avec les racines de betteraves, ils sont les 0.16 ie ceux de l'azote n.lrique ; Avee les feuilles de beticraves, ils sont les 0.83 de ceux de l’azote uitr.que ; Avec les grains d’avoine, ils sont les 0.64 de ceux de l’azole ni- trique ; Avec la paille d'avoine, ils sont les 0.53 de ceux de l’azote ni- (rique. Pour ces essais, le sol recevait, en plus des engrais azotés, une fumure d'acide phosphorique. On ne lui apportait aucun sel potas- sique, car, dans une expérience préalable, il avait été constaté que l'addition de potasse à la famure phospho-azotique ne modifiut en rien les rendements et on en avail coaclu à une richesse Jin de Ja terre en potasse. D'abord on n’est pas autorisé à dire qu'un sol est suffisamment pourvu de potasse quand une fumure composée de nitrate de soude et de sels potassiqies n’y produit pas de meilleurs effets que le nitrate de soude seul, car il peut se faire que la soude apportée pu le salpêtre du Chili ne laisse pas apoaraître le défaut de po- tasse. C: dernier aurait été certainement mis en évidence si, dans le cas présent, on eût ajouté un sel de potasse à la fumure amino- niacale. JL est donc à peu près certain que le nitrate de soude s’est montré, dans les expériences de Semek, très supérieur au sulfate d'am- moniaque parce que le sol n'était pas suffisamment riche en po- lasse. D'ailleurs quelques résultats obt2nus à Rothamstedt par Warington justifient cette supposition. Waringlon avait institué deux séries de recherches : Dans la première série, la moitié des parcelles étaient fumées avec du nitrate de soude, l’autre moitié avec la même quantité d’azote sous forme de sulfate d’ammoniaique ; Dans la 2° série, toutes les parcelles recevaient en outre des phos- phates et des sels potassiques. 348 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Les résullats qui ont été obtenus sont inscrits dans le tableau suivant : Les cültures re- Les cultures re- LCS cultures re- Les cultures rece- ô He V + cevaient: Acide vaient : Azote PLANTES SR Le SA RS de nitrique+phos- ammoniacal + ze Lans nRRe ammo- Dm phosphate + sels de culture. Soit 100 l’eïet niacal. L'effet 06 Toffei pro- potassiques. L'ef- produit. produit est : duit : fet produit est: Dre Paille . 100 69 100 87 r Eh « 5 Grain . 100 89 100 89 Foin de prairie . 100 S1 100 80 et 86 Pommes de terre, 100 27 100 99 Ainsi donc, l'application de sels potassiques aux cultures a aug- menté les effets du sulfate d'ammoniaque, comme aurait pu le faire, d’ailleurs, l'apport d’une fumure de soude. Warington explique la supériorité du nitrate de soude en disant qu'il exerce une action dissolvante sur les principes du sol et les rend plus facilement assimilables. Ce qui a été dit sur le rôle de la soude laisse voir qu’une telle explication n’est pas juste. Le nitrate est supérieur au sulfate non pas parce qu’il rend la potasse du sol plus assimilable, mais bien parce que sa soude est absorbée par les plantes et peut remplir des fonctions vitales pour lesquelles la potasse n’est pas indispensable. 3° En 1888, par ordre du ministère allemand, des essais furent institués sur ce même sujet, par la Station agronomique de Regens- walde. On constata que 100 kilogr. de salpêtre du Chili, appliqués à la pomme de terre, augmentaient la récolte de 1456 kilogr. par bectarc, landis qu'une fumure égale d'azote donnée sous forme de sulfate d’ammoniaque n’élevait les rendements que de 37 kilogr. Avec les cultures d’avoine, les deux fumures avaient produit, au contraire, des effets sensiblement égaux. Ces deux conclusions, en apparence si différentes, sont facilement conciliables. Comme on le sait, la pomme de terre a besoin de fortes fumures potassiques. L’avoine, au contraire, a des exigences plus faibles parce que son pouvoir d'absorption envers la potasse du sol est rela- tivement très grand. L'apport de sulfate d’'ammoniaque dans le sol tend à augmenter ÉTUDE SUR QUELQUES STATIONS AGRONOMIQUES ALLEMANDES. 9349 les rendements, mais, dans le cas présent, la pomme de terre n’a pu puiser dans le sol, comme l’a fait l’avoine, assez de potasse pour permeltre une utilisation complète de l’azote ammoniacal. De là les différences d’effet avec les deux plantes. L'apport de nitrate de soude Lend aussi à augmenter les rende- ments. Mais la soude contenue dans le nitrate supplée au manque de potasse du sol et permet à la pomme de terre de produire plus de substances sèches et par conséquent une récolle plus abondante. De là la supériorité du nitrate de soude avec cette culture. L’avoine, au contraire, n’est pas influencée par la soude du nitrate, car la potasse du sol suffisait déjà à ses besoins. 4° À poids égal de potasse, ia kaïnite appliquée sur les terrains sablonneux, sur les prairies ou sur les sols d’origine marécageuse, s’est presque toujours montrée supérieure au chlorure de potas- sium. La cause réside sans doute dans ce fait que la kaïnite con- tenant environ 33 p. 100 de son poids de chlorure de sodium, agit non seulement par la potasse, mais aussi par la soude qu’elle con- tient. 9° Il reste enfin à citer quelques effets particuliers aux deux sels et qu’on ne peut attribuer à l’action de la soude. MM. Müntz et Girard montrent, dans leur ouvrage, à l’aide des résultats obtenus par Lawes, Gilbert et Warington d’une part, Væl- ker d’autre part, que « les quantités de nitrates perdues par les eaux de drainage sont plus fortes dans le cas des fumures nitriques que dans celui des fumures ammoniacales ». Une explication à celte différence réside peul-être dans ce fait que l'azote ammoniacal, même quand la nitrificalion s'effectue dans les conditions les plus avantageuses, ne donne, en azote nitrique, que les 0.9 de son poids. G°Il est généralement admis qu’on obtient avec le sulfate d'ammo- niaque des grains (céréales) plus denses, des betleraves plus riches en sucre qu'avec le nitrate de soude. Mais les expériences du pro- fesseur Wagner ne permettent pas d'indiquer la cause de ces parli- cularilés. 1. Les Engrais. 390 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. J'en ai maintenant fini avec la Station agronomique de DarmstadL. Je m'étais proposé de décrire la méthode de recherches du profes- seur Wagner et de montrer le parti qu’on peut en tirer dans « la science des engrais ». Je laisse au lecteur le soin de juger si j'ai atteint mon but. SUR L'IMPORTANCE DES MYCORHIZES DANS LA NUTRITION DES PLANTES HUMICOLES Par M. FRANK Directeur de l'Institut de physiologie végétale, à l'École supérieure royale d'agriculture de Berlin On désigne avec M. Frank, sous le nom de mycorhizes, les modi- fications que présentent les racines des arbres conifères ou feuillus qui croissent dans un sol riche en humus, et, en général, les racines de toutes les plantes humicoles, Éricacées, Orchidées, etc. Ces modifications singulières déjà signalées par MM. Kamienski, Woronine, etc., chez quelques plantes, observées ensuite par MM. Gibeli, Lagerheim, Magnus, n’ont attiré l'attention qu'après la publication dans laquelle M. Frank indiqua leur grande extension et fit pressentir leur rôle important. Avant de donner la traduction des recherches récentes par lesquelles cet auteur justifie les idées qu'il avait exprimées à ce sujet, il me paraît utile de rappeler brièvement la constitution des mycorhizes. Quand on arrache avec précaution les racines d'un Pin, d’un Hêtre, d’un Charme, etc., qui croissent dans un sol riche en humus, on voit que les longues racines présentent de nombreuses radicelles courtes et divariquées d’aspect coralliforme (fig. 1). Une coupe 392 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE,. transversale de ces radicelles montre un cylindre central normal entouré d’une écorce où l’assise pilifère ne s’est pas développée: la surface de ces radicelles est couverte d’un manchon, formé par un feutrage de filaments mycéliens, étroitement appliqués contre la radicelle (fig. 2). À la face interne de ce manchon, les filaments mycéliens se détachent çà et là et pénètrent dans les cellules de l'écorce, contractant avec celles-ci une union plus étroite, sans Fig. 1. Fig. 2. Fig. 3. Fig. 1. — Aspect général d’une mycorhize (d’après Frank). Fig. 2. — Coupe transversale de la racine du charme montrant les mycorhizes. Fig. 3. — Mycorhizes du Pin disposées comme des poils radicaux (d’après Frank). (Ces gravures ont été extraites de l’article « Mycorhizes » publié par ie D: P. Vuillemin, dans la Revue générale des sciences pures el appliquées, 1re année, p. 826.) altérer leur contenu ni provoquer, comme plusieurs auteurs l’ont soutenu, la destruction des tissus. A la face extérieure, les filaments mycéliens deviennent plus Jâches et se prolongent dans le sol, ils sont quelquefois en si grande abondance qu'ils simulent les poils absorbants (fig. 3). Les racines enveloppées par le manchon de filaments mycéliens manquent toujours des poils absorbants au moyen desquels les plantes à structure normale puisent dans le sol les matériaux nutritifs. L'absence des organes d'absorption, correspondant à la présence d’un réseau de filaments mycéliens qui enserre les tissus de la ra- L f : . DES MYCORHIZES DANS LA NUTRITION DES PLANTES HUMICOLES. 303 cine, ne pouvait manquer de suggérer l’idée d’une suppléance de fonctions. Cette suppléance a été tour à tour niée et affirmée, et les controverses qu’elle a suscitées n’ont pas fait avancer la question tant qu’elles sont restées dans le domaine spéculatif. M. Frank a rendu un grand service en soumettant les hypothèses émises au contrôle de l’expérimentation : c’est à ce titre que les recherches dont nous donnons la traduction intéressent l’agriculteur et le fo- restier, La nutrition du Pin par les champignons des Mycorhizes'. Par M. A. FRANK, J'ai publié il y a quelque temps les résultats de recherches entre- prises sur le Hêtre commun, pour décider si les champignons qui se développent normalement et d’une manière constante dans les tissus de la racine, jouent un rôle important dans la nutrition de la plante ou sont indifférents. Ces recherches avaient montré que le Hêtre ensemencé dans du sable calciné, dépourvu par conséquent de combinaisons organiques, et qui avait été mélangé avec les aliments minéraux habituels et avec des nitrates, ne forme dans ce sol artificiel aucune mycorhize, mais ne s’accroit pas normalement et périt bientôt. Par contre, le Hêtre croit très bien dans des cultures en pot sil s’enracine dans un sol de forêt, naturellement riche en humus, à condition pourtant que celte terre n'ait pas été stérilisée par la vapeur d’eau à 100°, et que les racines du Hêtre puissent se déve- lopper normalement à l’état de mycorhizes. Si la même terre a été préalablement stérilisée, les racines ne présentent pas traces de mycélium el développent seulement quelques poils radicaux, mais alors les plants de Hêtre croissent moins bien, déjà dans la pre- mière année ; ils dépérissent successivement. De jeunes Hêtres qui 1. Die Ernäirung der Kiefer durch ihre Mykorhizipilze, (Berichte der D. Bof, Gesellschaft. Bd. X, 1892, Heft 9, t. XXX.) ANN. SCIENCE AGRIN. — 1892, — 11. 23 394 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. ont germé dans le sol des forêts et qui sont riches en mycorhizes sont transplantés dans un sol dépourvu d’humus : alors les cham- pignons des racines cessent de s’accroître, ils disparaissent graduel- lement, de sorte que les mycorhizes se transforment peu à peu en racines privées de champignons. Ces faits montrent que les champignons des mycorhizes ne nour- rissent pas nécessairement les racines des plantes, mais qu’ils tirent de l’humus du sol leurs matériaux nutritifs et partagent avec les plantes sur les racines desquelles ils croissent, une partie de ces ali- ments. En d’autres termes, la présence des mycorhizes permet au Hêtre d'employer, pour sa nutrition, certains matériaux de l’humus qu’il serait incapable d'utiliser en l'absence de ces champignons. J'avais déjà montré que les mycorhizes se développent non seule- ment chez les Cupulifères, mais aussi chez les Conifères, et j'ai entrepris sur le Pin commun de nouvelles recherches pour établir la signification des mycorhizes au point de vue de la nutrition. Les ensemencements ont été faits dans des pots en terre spéciaux, que J'ai fait fabriquer en vue d’éviter les causes possibles de conta- mination. Dépourvus de trous à la base, recouverts sur leurs deux faces d’une glaçure, ils pouvaient contenir jusqu’à environ deux doigts du bord, 1 litre 1/4 de terre. J'ai employé comme sol une véritable terre de pin provenant d’une forêt des environs de Berlin contenant les champigrons qui forment les mycorhizes avec le Pin commun, ainsi que j'ai pu m’en assurer directement. La terre employée à l’état frais a été criblée dans un tamis, dont les mailles avaient 1 millimètre, et la masse cri- blée, bien mélangée, a été partagée en égales portions dans 12 pots. 4 de ces pots n’ont pas subi d’autre manipulation, les 8 autres ont été placés pendant quelques heures dan; un appareil de stérilisation à vapeur d’eau à 100°. Le 29 mai 1890 on a semé dans chacun des 12 polis une graine de pin. J'avais ainsi des sols dans lesquels les champignons des racines du pin étaient intacts ct d’autres sols formés de la même terre, mais dans lesquels les germes des champignons des mycorhizes étaient (ués. DES MYCORHIZES DANS LA NUTRITION DES PLANTES HUMICOLES, 930) Les cultures ont été placées pendant toute la durée des re- cherches dans une serre froide de mon Institut; l’arrosage était effectué suivant le besoin avec de l’eau distillée, et l’on a cherché à empêcher la pénétration des champignons des mycorhizes dans les pots stérilisés. D'ailleurs dans les observations futures j'ai tou- jours vérifié l’état des racines et constalé lexistence ou l’absence des mycorhizes. Dans l’été de 1890 on ne voit aucune différence entre les plan- tules de germination ; mais dans l’année 1891 l'aspect change sen- siblement. Pendant tout l’été, les plantules des 4 pots non stérilisés sont plus vigoureuses que celles des pots stérilisés et au mois de septembre, cette différence était très frappante. Le Pin a l’habitude de produire dans la seconde année des bour- geons avec des aiguilles doubles ; ces caractères se retrouvèrent aussi dans mes cultures, mais les plants des pois non stérilisés élaient seuls visoureux et semblables à ceux qui ont été ensemencés en liberté à la même époque ; ils présentaient de petites tiges assez fortes, de longues aiguilles vert foncé et une abondante formation de bourgeons pour la nouvelle aanée. Dans les pots stérilisés les plantules étaient semblables entre elles; elles avaient l'aspect souffreteux, avec de minces petites tiges peu résistantes, de très courtes aiguilles et peu de bourgeuns. Pendant l’année 1892, là végétation continue en accentuant les différences que nous venons de signaler ; le lecteur pourra s’en rendre compte en examinant la planche jointe à ce mémoire et représentant une photographie des cultures prise le 20 septembre 1892. Les cultures non stérilisées présentent de belles plantes vigou- reuses de 15 centimètres de hauteur, portant presque loutes des verlicilles de rameaux bien développés; les plantes des cultures stérilisées n’avaient que 7 centimètres de hauteur, dépourvues de verlicilles ou avec des verticilles peu développés; la différence offerte par les aiguilles était très frappante, aussi bien par leur nombre que par leur structure. Dans les plantes non stérilisées, les aiguilles avaient 8 centimètres de longueur et 4 millimètre d'épaissu”; dans les cultures stérilisées 326 : ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. leur longueur était de 3 centimètres et leur épaisseur de 0"",7. Colorées en un beau vert de graminées dans les premicrs, la teinte était pour les secondes d’un vert moins saturé, passant au jaunâtre ou au rougeàtre; déjà beaucoup d’aiguilles étaient brunies et mortes. La structure des aiguilles ne montre pas de modifications essen- tielles, mais seulement les différences suivantes: la longueur moyenne des cellules du mésophylle dans la coupe transversale était de 54u dans les cultures non stérilisées et de 464 dans les cultures stéri- lisées; les premières étaient très riches en grains de chlorophylle dont le diamètre était de 4u., les secondes à grains plus petits de 3,9 p., moins nombreux et cerlaines avaient déjà un contenu désor- ganisé. Le diamètre radial des faisceaux libéroligneux était dans ces dernières de 48u., et celui des canaux résineux de 324; tandis que dans les premières le diamètre du faisceau était de 67u et celui des canaux résineux de 40 x. Par exception, le tissu fonda- mental et l’hypoderme étaient plus développés dans les plantules des cultures stérilisées. Ainsi l’épaisseur de l’épiderme et de la couche hypodermique était de 34u. chez ces plantes, tandis que chez les plantes non stérilisées l’épaisseur de ces formations était seule- ment de 27 p. Ces différences anatomiques nous montrent les caractères habi- tuels des-végétaux mal nourris et en voie de dépérissement. Les plantes dans les cultures stérilisées, arrivées à l’état que je viens de décrire, caractérisé par l’arrivée de la brunissure et de la mort des aiguilles, montrent, malgré tous les soins, qu’elles ne donnent plus aucun espoir de se maintenir encore longtemps en vie ; elles offrent ainsi une opposition complète avec leurs con- génères non stérilisées qui ont l'apparence d’une santé vigou- reuse. | | C’est maintenant le moment, pour conclure les recherches, d’exa- miner la structure des racines de ces deux lots de plantes. Le résultat des observations fut le suivant. Dans les pots non stérilisés, les racines avaient formé de belles mycorhizes, avec un manteau mycélien bien développé, d'où s’échappaient un nombre considérable de filaments mycéliens s'étendant dans le sol humique ah DES MYCORHIZES DANS LA NUTRITION DES PLANTES HUMICOLES. 301 et formant souvent, en agrégeant les fragments du sol, des flocons nombreux semblables à ceux que l’on rencontre dans le sol des forêts riche en humus. Dans les cultures stérilisées, le système radical était peu déve- loppé ; les rameaux, peu nombreux, avaient formé quelques racines non ramifiées ; ces racines ne montraient aucune trace de filaments mycéliens, mais elles présentaient des poils radicaux courts et nom- breux. Les particules du sol humique n’étaient pas réunies par des filaments mycéliens; on pouvait seulement apercevoir çà et là, entre les fragments de terre, un faible mycélium introduit de l'extérieur, et n'ayant pu encore occasionner la formation des mycorhizes. Si les cultures stérilisées sans autre précaution que la stérilisa- ion du sol avant le semis, se maintiennent si longtemps dépourvues de mycorhizes, ce fait montre que Les champignons des mycorhizes sont formés d’espèces dont les germes, ordinairement peu répandus dans l’air à l’inverse des moisissures, ne peuvent se transporter qu'à une faible distance des forêts. . Dans une de mes cultures stérilisées, les champignons des myco- rhizes s'étaient introduits vers la fin et les changements qui sur- vinrent dans la plante sont si importants que le cas mérite d’être mentionné. Les plantes de ces cultures qui avaient présenté jusqu’à ce moment l’aspect malingre de leurs congénères du sol stérilisé, ont commencé, pendant la dernière année, à grandir et à former de longues aiguilles. L'étude des racines montre que les formations de mycorhizes, développées seulement dans les extrémités des racines les plus jeunes, ont provoqué, chez celles-ci, les déformations carac- téristiques qui leur donnent l'aspect de branches de corail, tandis que les racines plus âgées, entièrement dépourvues de filaments mycéliens, étaient couvertes de poils absorbants. Ces constatations démontrent nettement que le champignon des mycorhizes s’est introduit pendant la deuxième année. La coïncidence de la formation des mycorhizes et d’une végéla- tion plus vigoureuse des plantes contaminées est si frappante, que je ne sache pas que l’on puisse démontrer plus éloquemment ce fait : le développement normal des Pins est une conséquence de la sym- biose de leurs racines avec certains champignons. r 398 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Il résulte de ces recherches que dans un bon sol d’une forêt de Pins, le Pin commun ne se développe pas si les champignons des racines manquent et si, par suite, la formation des mycorhizes est impossible ; au contraire, dans le même sol et dans les mêmes condi- tions, le Pin végète vigoureusement quand ses racines sont envahics par les champignons. Les cultures du Pin fournissent donc sur l’importance des myco- rhizes dans la nutrition, un résultat identique à celui que j'ai déjà publié pour le Hétre. D’autres plantes qui ne forment pas de mycorhizes, qui ne vivent pas en symbiose avec les champignons, mais qui se nourrissent d’une manière indépendante, croissent dans le terrain stérilisé aussi bien et même mieux que lorsque celui-ci n’a pas été stérilisé. Cela tient à ce que, comme je l'ai montré, certaines parties des combinaisons humiques sont modifiées par l’action de la vapeur d’eau bouillante, elles peuvent se dissoudre dans l’eau et sont par conséquent plus facilement assimilées par les racines des plantes. On voit par conséquent que les Cupulifères et les Conifères sont si étroitement adaptées à l’état de symbiose de leurs racmes et des champignons de l’humus, qu’elles sont devenues incapables de se nourrir comme les autres plantes si ces champignons font défaut. La question de savoir quelles substances spéciales sont absorbées avec l’aide des mycorhizes n’a pas été éludiée Jusqu'à présent. Il n’est pas impossible que les champignons vivant dans l’humus soient capables d’assimiler le carbone qui s’y rencontre à l'état de combinaisons complexes, mais en raison de la présence de la chlo- rophylle, les Pins peuvent extraire cet aliment en abondance de l’acide carbonique de l’air, et ce fait rend inutile ou peu vraisem- blable l'apport du carbone par les mycorhizes. On doit plutôt penser aux combinaisons azotées organiques qui, vraisemblablement, sont plus facilement assimilées par les filaments mycéliens que par les poils radicaux des Phanérogames. Il est possible même que l'azote libre de l’air soit utilement employé par la plante avec le secours des 1, À. Frank, Berichte d. Deutsch. Bot. Gesellschaft, 1888. FAO DES MYCORHIZES DANS LA NUTRITION DES PLANTES HUMICOLES. 999 champignons des mycorhizes, car j’ai montré déjà‘ que les vrais my- céliums peuvent assimiler aussi l’azote élémentaire. Cependant dans le cas présent, il n’est pas douteux que les combinaisons organiques azotées de l’humus ne soient la source principale de l'azote pour ces champignons. Cela résulte de mes recherches antérieures et aussi de ce fait que les Pins dépourvus de mycorhizés présentent l'aspect désigné sous le nom d’inanition azotique. Il semble aussi que certains éléments tels que le potassium et autres, existant à l’état de combinaisons humiques, sont plus facile- ment absorbés et assimilés par les champignons que par les racines; dans ce cas, l’avantage serait encore en faveur des plantes pourvues de mycorhizes. | | Quoi qu’il en soit, on peut dire que les mycorhizes jouent un rôle important dans la nutrition, parce qu’elles permettent l'assimilation des combinaisons humiques. On n’est pas encore bien fixé sur la nature des Champignons qui forment les mycorhizes; de nouvelles recherches sont nécessaires pour élucider ce point. En tout cas elles représentent le mycélium d'espèces vivant communément dans le sol des forêts. Nous savons déjà par les recherches de Ress que l’Elaphomyces granulatus est une de ces espèces ; par contre l’Agaricus melleus n’en fait pas partie. Quand ce parasite apparaît sur de fortes racines de Pin, il produit, comme on le sait, des modifications pathologiques déterminées ; j'ai déjà pu me convaincre, par des observations spé- ciales dans le détail desquelles je ne veux pas entrer ici, que ce champignon ne participe pas à la formation des mycorhizes. Les recherches que je viens de décrire ont été entreprises sur des plantes observées pendant les premières années de leur développe- ment ; elles ont démontré la nécessité des champignons des myco- rhizes dans la terre de Pin ordinaire. Puisque les racines des Pins âgés présentent aussi, d'une manière normale, des racines envahies par les champignons, la conclusion précédente doit être généralisée et appliquée aussi aux Pins âgés. Les mycorhizes existent-elles aussi en quantité suffisante dans {. Frank, Landwirthschaftliche Jahrb., XXI, 1891. 360 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. tous les sols où croît le Pin. Il est possible que parmi les nombreux champignons des mycorhizes qui peuvent exister ensemble dans diverses localités, certaines espèces soient plus actives que d’autres. Ces questions ainsi que beaucoup d’autres sont plus faciles à poser qu’à résoudre. Mais dans la mesure où les recherches précédentes ont élé réalisées, on peu dire que la symbiose avec les champignons des racines est aussi pour le Pin un facteur important des condi- tions de la vie. La communication que l’on vient de lire appelle des observations d'ordre différent. La plus importante est relative aux expériences de contrôle dans lesquelles l’auteur, pour montrer que le sol stérilisé n’a pas perdu ses propriétés fertilisantes, sème dans ce sol des plantes dont les racines sont dépourvues de mycorhizes ; il constate que le sol stéri- lisé, incapable de nourrir des Pins, permet à ces plantes de se déve- lopper aussi bien et même mieux que dans le sol non stérilisé. Or, on sait que le sol riche en humus manque de certains prin- cipes indispensables aux végélaux : les nitrates, par exemple, y font presque entièrement défaut. À quelle source les plantes témoins dé- pourvues de mvcorhizes empruntent-elles leur azote ? Comment se fait-il que les principes nutritifs absorbés par des racines pourvues de poils absorbants, ne soient pas utilisés par les Pins qui croissent dans le sol stérilisé et dont les racines, comme le montre l’auteur, sont pourvues de poils absorbants ? La nutrition du Pin pourvu de racines normales serait donc différente de celle des autres plantes ? Faut-il admettre que, par suite d’une adaptation séculaire à l’état de symbiose, les tissus de la racine auraient perdu la faculté d’assi- miler et d'utiliser les principes minéraux qui favorisent la végétation des autres plantes? Rien dans les faits connus ne vient justifier cette hypothèse. D'autre part, on peut se demander, et l’on a pu voir que l'auteur n’a pas manqué de songer à celte objection, si dans tous les sols et avec les diverses espèces de Pins, notamment chez le Pin maritime =, (ES Met st ba di " * DES MYCORHIZES DANS LA NUTRITION DES PLANTES HUMICOLES. 361 qui croît dans les sables stériles de l'Ouest, etc., les relations des champignons et des racines s’établissent comme dans le Pin commun et possèdent la même importance. Abstraction faite de ces réserves, le travail de M. Frank inaugure une voie nouvelle dans l’étude si complexe des phénomènes de nutrition et paraît digne de fixer l’at- tention des physiologistes. | L. MANGIn. EXPÉRIENCES SUR LA PHYSIOLOGIE ET LA CULTURE DE LA BETTERAVE A SUCRE Par PRIANICHNIKOW TRADUIT DUVERUSSE/PAELT. VIEBOUCEEMIERCEE Creer] Les expériences et analyses ci-dessus ont élé exécutées en 1891, dans l’exploitation de M. Gardenine (gouv. Voronège). Une pre- mière série des expériences a porté sur les plantes cultivées dans des milieux aruficiels, dans de l’eau, dans du sable, dans de la terre enfin, mais en vases; c’est le cas des expériences : 4° sur l’influence isolée de chacun des éléments divers qui entrent dans la nourriture des végétaux ; 2° sur la variation du développement de la betterave sous l’influence des variations du degré d'humidité du sol. Une seconde série d'expériences à été organisée en se conformant aux conditions ordinaires de la culture en plein champ; tel est le cas des expériences sur l’écartement des rangs et paquets, de l’orien- {ation des lignes, des fumures et de l’arrosage. 1. Extrait des Annales de l'Académie agricole de Petrovskoye (près Moscou). PHYSIOLOGIE ET CULTURE DE LA BETTERAVE A SUCRE. 963 CULTURES FAITES DANS LES CONDITIONS ARTIFICIELLES A. — Influence de l'humidité du sol sur le développement de la betterave à sucre. L'expérience présentait non seulement un intérêt général, mais encore une importance immédiate, puisqu'elle était destinée dans notre pensée à servir de base pour l’organisation de l’arrosage en grand de la betterave. Deux manières s’offraient au choix de l’expé- rimentateur : 1° on pouvait soumettre les plantes à divers degrés d'humidité, en laissant celle-ci constante pendant toute la durée de la végétation dans chacun des cas imaginés; 2° on pouvait modifier le degré d'humidité d’une phase à l’autre de la végétation. Je me suis borné au premier dispositif. Chacune des expériences à porté parallèlement sur des betteraves et sur du blé, voici dans quelle intention : les recherches analogues de Hellriegel, Sorauer, Fitthogen ayant eu pour l’objet les céréales, je tenais à me réserver un moyen de contrôle et de comparaison pour le cas où mes résultats au point de vue de la betterave se trou- veraient différents de ceux de ces auteurs, c’est-à-dire à pouvoir me rendre compte si la cause de cette différence devait être attribuée à la nature différente de la plante ou à celle du sol, puisque j'avais du tchernozème, tandis que les auteurs cités avaient affaire à des sols d’autre nature. Le dispositif des expériences fut le suivant: Des seaux en tôle de fer de forme cylindrique, hauts de 30 cen- timètres furent remplis de 12 kilogr. de terre sèche chacun. La terre était du tchernozème assez typique, contenant 8.85 p. 100 de matière organique déterminée par combustion (perte totale à la cal- cination — 15.47 p. 100, dont 4.60 p. 100 d’eau hygroscopique et 2.02 p. 100 d’eau des hydrates) et 0.35% p. 100 d’azote. Capacité de saturation — 50.32 du poids de la terre, déterminée 364 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. en arrosant par en haut un vase rempli de terre, en tout identique à ceux des expériences ultérieures, à part celte différence qu'il était muni d’un trou dans le fond. Ce chiffre de 50.32 p. 100 a été pris comme base pour calculer les quantités d’eau à donner à chaque plante. Il fut notamment établi cinq degrés d'humidité ; les plantes d’une 1° série recevaient 30 p. 100 de la quantité maxima d’eau que pouvait absorber la terre ; celles d'une 2° série 40 p. 100; celles d’une 3°, 50 p. 100; celles d’une 4°, 60 p. 100, et celles d’une 5°, 70 p. 100. Tous les jours on ajoutait dans les récipients de l’eau de pluie en quantité suffisante pour rétablir le poids initial, altéré par l’évaporation de la journée écoulée. Les seaux restaient à l’air libre; leurs parois extérieures étaient protégées par des manteaux en carton contre l’insolation directe. Une bâche imperméable abritait les plantes pendant la nuit et contre les intempéries ; elles ne recevaient donc d'humidité que par l’arro- sage intentionnel. Pour la betterave il y avait, dans chacune ces cinq séries d’humi- dité, trois vases avec une seule plante dans chaque. Les betteraves n'étaient pas semées, mais plantées, dans un état assez avancé, no- tamment quand l’épaisseur de leurs racines avait atteint 1,5 milli- mètre dans la partie supérieure. Les plantes destinées à être repiquées dans les vases d’expérience étaient enlevées dans le champ avec un bloc de terre de 20-95 cen- timètres de profondeur autour des racines ; celles-ci étaient ensuite débarrassées de cette terre par un lavage soigneux sous un faible jet d’eau. Grâce à ces précautions et aux quelques Jours de temps sombre qui suivirent la transplantation, toutes les plantes sans exception reprirent. La plantation a dans ce cas certaines avances sur le semis; dans le premier âge, la betterave est très fréquemment soumise à une maladie des racines (Wurzelbrand : carie), causée par un champi- gnon non encore déterminé ; en prenant dès le début des plantes qui ont déjà dépassé l’âge où sévit cette maladie, on se met à labri de grands embarras. PHYSIOLOGIE ET CULTURE DE LA BETTERAVE A SUCRE. 369 Au moment de la plantation (20 mai) tous les vases ont élé arrosés uniformément; ce n’est qu'après que la végétation et l’évaporation foliacée eurent repris leur cours normal que l’on porta les différents vases à leurs poids convenus, conformément à la valeur de chaque série, et qu’on les entretint dans cet état. La diminution du poids dans les 24 heures ne dépassait pas 5 p. 100 en poids de la terre des vases, par conséquent à peu près 10 p. 100 de la capacité de saturation ; ordinairement elle était même plus faible. Cette diminution exprimait assez exactement la quanlité d’eau évaporée par les plantes, parce que lévaporation du sol était éli- minée grâce à des couvercles en bois imbibés de paraffine. Bientôt il s’accusa une certaine gradation dans les plantes des différentes séries ; notamment, la masse des feuilles se présentait en croissant de la première série (30 p. 100) jusqu’à la quatrième (60 p. 100); mais la série au maximum d'humidité (70 p. 100) restait en arrière de la série à 60 p. 100. Ces rapports se conservèrent pendant toute la durée de la végétation. - Il y avait aussi des différences dans la grandeur et la forme des feuilles, comme aussi dans leur couleur, qui était d'autant plus foncée que le sol était plus sec. Le 2 août, l'expérience a dù être arrêtée prématurément, pour les raisons que voici : une plante de la seconde série avait ralenti son développement (j'ai fait abstraction de cet individu lors du calcul des résullats moyens); une autre plante de la série IV avait diminué son évaporation ; craignant quelque maladie, je mis donc fin à l’ex- périence. La récolte était faite de la manière suivante : je commençais par faire passer dans les vases (inclinés) un courant d’eau, afin de faire partir la terre tout en conservant le plus possible de racines secon- daires ; je séparais ensuile ces dernières de la racine principale, que j'essuyais avec du papier à filtrer et que je pesais, ainsi que les feuilles. La richesse saccharine de la racine était déterminée par le procédé Pellet (digestion avec de Peau)". Le sucre dans le jus n’était pas déterminé directement, parce que 1, Voir ces Annales, t, 1, 1892. 366 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. je n'avais pas beaucoup de matière ; or, les appareils qui permettent d’extraire et de traiter le Jus des petites quantités de matière me faisaient défaut. Mais comme j'ai déterminé la quantité d’eau dans la racine et la proportion des matières solubles et de celles insolu- bles, je peux donc arriver par le calcul à l'appréciation de la quantité du jus ainsi que de sa qualité. Voici les résultats : Le poids moyen des plantes monte régulièrement de la première série jusqu’à la quatrième, pour s’abaisser de nouveau à la cinquième: I. II. III. IV. V. 12787,8 1845,5 22982,2 263*",5 2335 ,3 Les feuilles et les racines considérées séparément suivent le même ordre : Raëines, 7.) 5-0 9760 82% 47800 2iB08,2 >210480 5 291%,0 Femmes "72 0100 20"2137,97 4497 08 LOS SE - Le maximum de développement quantitatif se trouve par consé- quent à 60 p. 100 d'humidité ; ici la plante a donné la plus grande quantité de matière brute et même de matière sèche, comme nous le verrons tout à l'heure. Quoique les poids des feuilles et ceux des racines évoluent dans le même sens, l’on ne constate pas de parallèlisme. Comparons le poids des feuilles à celui des racines pour chacun des degrés d’hu- midité établis; ce rapport s’abaisse, comme on sait, d'ordinaire avec le progrès de la maturité de la betterave; eh bien, nous ver- rons qu’il diminue régulièrement de la 1'* série à la 4, à mesure que le poids des plantes s’accroil : 3,59 2,92 1 1 74 1,56 1,56 1 Passons à la composition des racines. La proportion de matière sèche diminue avec l’accroissement de l'humidité : 17,69 17,87 17,25 17,13 13,80 Jasqu'à la 4* série inclusivement, la diminution est donc très fai- PHYSIOLOGIE ET CULTURE DE LA BETTERAVE A SUCRE. 3067 ble; par conséquent, cette série (4) gardera la première place rela- tivement à la quantité de matière sèche produite. La richesse saccharine des racines est la plus grande dans la 2° série : P. 100. P, 100. P. 100. P. 100. P, 100. 10.4 11.8 11.0 1172 9.0 Mais la plus grande quantité absolue de sucre se trouve encore dans les plantes de la série 4: 237,89 95! ,55 9°1,04 1157,53 851,19 On a dit quelquefois que la somme de l’eau et du sucre constituait une proportion constante ; mes résultats montrent l’accroissement de celte proportion avec l’accroissement de l'humidité. P. 100. P. 100. P. 100. P. 100. P. 100. JR 93.93 93.75 94.07 95.20 Voici les proportions du sucre, du résidu insoluble et du non- sucre dans la matière sèche des racines : SÉRIE I. SÉRIE II. SÉRIE II. SÉRIE IV. SÉRIE Y. P. 100. P. 100. P. 100. P. 100. P. 100. SUETO T7 A. etre 58. 22 66.03 63.78 65.38 65.21 Résidu insoluble . . . . PAS eu 2297 24.63 23.64 23.67 Non-sucre (par différence). 17.99 11.00 11.59 10.98 1112 Ordinairement, on mesure la valeur industrielle des betteraves par la richesse saccharine et la densité du jus; voici les chiffres correspondants : I. II. III. IV. Ve Densité (Brix). . . . . 14.07 14.36 13.58 13.63 10.79 Richesse saccharifiable . 10.97 1230 11.49 1167 9,31 NON-SUCTERL SN IEEE TRE s.10 2.06 209 1.96 1.48 Oualtétdu jus eat HS ON 85.65 84.61 85.76 86,28 (Ces chiffres sont calculés, en se basant sur les quantités du jus suivantes : 99.79, 95.90, 95.75, 95.95, 96.63.) Ainsi le manque d'humidité dans les vases de la 1°° série a eu pour résultat un abais- 368 . . . ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. sement sensible de la valeur industrielle du jus ; plus haut nous avons déjà constaté la diminution du rapport du poids des feuilles aux poids des racines dans les plantes bien arrosées ; la coïncidence de deux observations prouve donc l’action favorable de l’eau sur la marche de la maturation de la betterave. La conclusion peut pa- raître en contradiction avec certaines observations de la pratique, puisqu'il est connu que les années pluvieuses donnent une betterave moins müre que les années relativement sèches; mais il ne faut pas oublier que, dans les conditions naturelles, l'abondance de l’humi- dité coïncide avec une lumière insuffisante, tandis que dans mon expérience toutes les plantes étaient en état d’utiliser, en même temps que l’eau, une lumière abondante ; l’été de 1891 était d’une sérénité remarquable ’. Quant à l’aspect extérieur des plantes, il y a eu des différences marquées dans la forme des feuilles : la longueur des pétioles di- minue avec l'humidité, celle des limbes s'accroît, comme aussi leur largeur : LONGUEUR LARGEUR LONGUEUR LONGUEUR. du du . du limbe. limbe, pétiole. Dimensions moyennes des feuilles Te T = = d'une plante de la II[e série . . 19,5 DES S 64 10° ,2 Les mêmes chiffres pour une plante ivpique. deu VS série. 22e à 207150 457,4 Jie 2 6%:6 Dans le premier cas, 52 p. 100 de la longueur totale reviennent au pétiole et 48 p. 100 au limbe ; dans le second, 50 p. 100 au pétiole et 70 p. 100 au limbe. Le rapport du pétiole au limbe change donc en sens inverse. La surface foliacée des betteraves s’accroit sensiblement avec l'humidité : SURFACE a ——" — POIDS SEC moyenne , . totale. de ; Nes chaque feuille, d'une feuille. AO ee" 745 AT A Fat EE RSR SRE 1 430 OP OU ETEE 1,02 {. Les observations de M. Aimé Girard, confirmées par celles de M. Petermann (Gembloux), ont bien démontré le rôle primordial de la lumière dans la formation du sucre. PHYSIOLOGIE ET CULTURE DE LA BETTERAVE A SUCRE. 369 Divisons le poids sec moyen de la feuille par le nombre de centi- mètres carrés de sa surface ; il se trouve que le poids d’un centi- mètre carré est beaucoup plus grand dans la série HT (08°,0157) qu'il n’est dans la V® série (0£",0086). Il semble donc que, dans sa ten- dance à se débarrasser de l'excès d'humidité, la plante étend sa matière sur la plus grande surface possible. Voici les chiffres moyens de l’évaporation journalière des plantes: SÉRIE 1. SÉRIE II. SÉRIE III. SÉRIE IV. SÉRIE Y. Cent. cubes. Cent. cubes. Cent. cubes. Cent. cubes. Cent. cubes, 176 256 333 415 376 Le maximum de l’évaporation coïncide donc avec celui de l’assi- milation. La proportion de la matière sèche dans les feuilles n’était pas déterminée ; cela m’empêche de calculer le rapport entre l’évapora- tion et la production de substance organique ; mais il esl cependant évident que ce rapport doit monter avec l'humidité, parce que si nous divisons les chiffres de l’évaporation journalière par les poids (à l’état frais) des plantes, nous obtenons cette série : 1,4 1,4 1,5 1,6 1,6 Et, comme la teneur des plantes en matière sèche diminue à me- sure que l'humidité s’accroit, les rapports précédents n'auraient pu que s’accroître encore plus promptement, si nous avions substitué aux poids des plantes fraîches ceux de la matière organique pro- duite. | Le développement des radicelles a varié comme suit (poids sec) : 10,5 11,0 11,0 9,5 865 ? [ei le maximum ne coïncide pas avec Le maximum de rendement. Peut-être ce fait s’explique-t-il par le concours de deux causes : d'un côté, plus la végétation est forte, plus une grande masse des radicelles lui est nécessaire ; mais, d'autre part, plus le sol contient d'humidité, plus le mouvement de l’eau et des sels devient facile, et un réseau dense des radicelles devient moins nécessaire ; on peul ANN. SCIENCE AGRON, — 1892, — 11. 24 310 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. imaginer, avec l'humidité croissante, un cas où la production aug- menterait sans qu’il y eût augmentation parallèle de la masse des radicelles, et même si celle-ci diminuait. Cependant je n’ose pas insister sur celte explication ; elle ne reste toujours qu’une hypo- thèse plus ou moins vraisemblable. | B. — L'expérience comparative avec le blé. L'expérience comparative avec le blé eut lieu dans les mêmes vases et dans les mêmes conditions que celle concernant la bette- rave ; seulement 1l n’y avait qu'un vase dans chacune des séries, mais il y avait dix plantes dans chaque vase. Par suite du grand nombre des tiges, la surface du sol n’a pu être complètement cou- verte, comme elle a pu l'être dans le cas de la betterave; on ne peut donc plus considérer la perte journalière en poids comme représen- tant l’évaporation des plantes seules. Les oscillations du poids dans les 24 heures étaient ici deux fois plus grandes que dans le cas de la betterave (quelquefois elles atteignaient 10 p. 100 du poids du sol). Les semailles ont été faites le 20 mai, les poids des vases réglés définitivement à partir du 28 mai. Dès les premiers jours, les différences se manifestèrent ; dans les vases V et IV (70 p. 100 et 60 p. 100 de l'humidité), les plantes (allaient énergiquement, en produisant 3, 4 et 5 tiges chacune ; au contraire, dans le vase I (30 p. 100), les plantes ne donnaient que deux tiges ou ne lallaient pas du tout, en même temps qu’elles offraient des feuilles plus courtes, plus serrées, d’un vert plus foncé. Les premiers épis parurent chez des plantes du vase IV, puis chez celles du vase V et encore plus tard, presque à la fois, dans le reste des vases. Pendant la période de la maturation, on pouvait observer les faits suivants : Les plantes insuffisamment approvisionnées d’eau furent les pre- mières à donner quelques grains mûrs (le 12 août), mais leurs tiges et leurs feuilles restaient vertes, toute la marche de la maturation PHYSIOLOGIE ET CULTURE DE LA BETTERAVE À SUCRE. 311 était très lente ; les plantes des vases bien humectés, au contraire, quoiqu'elles aient commencé à mûrir un peu plus tard, eurent une période de maturation en définitive plus courte ; leurs feuilles jau- nirent avec le mûrissement des grains. La récolte fut faite en quatre fois : le 18 et le 25 août, le 1° et le 8 septembre ; à cette dernière date, toutes les plantes furent coupées, dans quelque état qu’elles se trouvassent ; les trois premières fois, je n’avais enlevé que les plantes mûres. C’est le vase I qui donna le plus grand nombre de tiges n’ayant pas encore müri le 8 septembre. La lenteur de la maturation du blé dans les vases à sol sec semble au premier abord en contradiction avec ce fait bien connu que les périodes de sécheresse accélèrent la maturation des blés dans les champs. Mais, c’est qu’encore une fois, les conditions de la culture dans les champs et dans les expériences telles que je les ai faites ne sont pas identiques. Dans la nature, la quantité de l’eau dans le sol diminue de jour en jour! les grains déjà formés mûrissent, quoique ce soit une maturité forcée, tandis que le développement des tiges secondaires, qui sont en retard, se trouve complètement supprimé par la sécheresse. Mais quand on donne journellement de l’eau par petites quantités, comme dans cette expérience, voici ce qui arrive : à mesure que les plantes mürissent, la consommation de l’eau di- minue et les autres tiges, qui sont en retard, ont dorénavant la pos- sibilité de s’accroitre, en reculant ainsi l’époque générale de la ma- luration. Le fait que les grains, dans le vase [, devenaient mûrs sans que la paille jaunisse, doit s’expliquer évidemment par cette raison que le manque d’eau entrave les mouvements de la sève ; c’est pourquoi aussi la proportion du poids du grain par rapport à celui de la paille est moindre dans ce cas que dans les autres. C’est ce qui appert _cncore d’une observalion de quelques agriculteurs, notamment que dans les années sèches la qualité de la paille est meilleure que dans les années des bonnes récoltes ; c’est qu’elle contient des substances nutritives qui, dans une bonne année, auraient été lransportées dans le grain. {. C'est une marche habituelle dans la région du Tchernozème. 312 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Voici les résultats généraux de l'expérience : , NOMBRE LONGUEUR à NOMBRE TIGES| ES ÉPILLETS Re. contenant VERTES,. sans des plantes. | épis. | barbes. grains. grains. P>100; Cent. 30 |46,68 40 |51,28 50 62:22 60 |62,21 70 |62,56 POIDS PAILLE| P. 100 | POIDS | NOMBRE | MÊME par DE des ; POIDS ne GRAINS pour DIFFE- 000 des des des dans un plantes.| graines. | RENCE. | prains. | STainS. | j’6pi. | épillet. des NOMBRE EE Gr, 6,12112,07| 33.6 | 23,02 12,87 | 18,44 3 24,71 19,00 | 31,94| 37.3 | 24,38 25,44 | 32,81 | 43. 26,94 40,67 | 47,89 28,36 = mi 19 pa) eo CS 12 à N 19 © 19 — 19 LI LV 19 EN] Qt 1! Où © ÿ LE PT LnSE Pour le blé, le maximum d'humidité n’a donc pas élé dépassé. Il se trouve aussi élevé que dans les expériences de Hellriegel. Les rendements généraux ainsi que les rendements séparés en grain et en paille — chose que je n’attendais pas — montent avec l'humidité ; en même temps, la proportion des grains dans la récolte augmente aussi, de même le poids absolu de chaque grain. Le nombre des tiges s’accroit toujours ; mais leur longueur, après avoir atteint 62 centimètres dans le vase IE, reste presque stationnaire dans les vases [V et V. La longueur des épis atteint son maximum dans le vase IIT ; plus loin, elle descend un peu. La même marche se cons- tate pour le nombre des grains par épi et par épillet. PHYSIOLOGIE ET CULTURE DE LA BETTERAVE A SUCRE. 313 J'ai aussi fait la détermination de la teneur des grains en azote. La grosseur des grains ayant son influence sur leur richesse en azote (les grains plus grands sont plus pauvres), j'ai choisi pour l'analyse, non des grains du poids moyen correspondant à chacun des vases, mais des grains d’un poids toujours presque identique (24,5-27 milligr.). Voici les résultats (chaque chiffre étant la moyenne de deux déterminations d’ailleurs assez voisines) : 1. IT. III. IV. v. 2,86 3,00 2,70 2,60 1,84 En général, la proportion de l’azote diminue donc avec l’humi- dité. Peut-être est-ce le résultat de cette règle générale qu'ont constatée les analyses de Bibra et de Laskewsky, d’après laquelle les froments sont d'autant moins riches en azote et d'autant plus riches en fécule que le climat du pays producteur est plus hu- mide. Les conclusions des deux expériences peuvent être formulées dans les termes suivants : 1° Le maximum d'humidité du tchernozème pour la végétation de la betterave et du froment dans les conditions météorologiques de l’année 1891 * dépasse la moitié de l'humidité maxima que le sol peut retenir par capillarité ; 2 Non seulement la masse totale de la récolte, mais aussi la quan- üté du produit marchand (du sucre, des grains) s’accroît à mesure que l’on s'approche du maximum. La qualité du jus et le poids ab- solu d’un grain augmentent dans le même sens ; | 3° Il y a des changements dans les formes extérieures des plantes, qui se produisent par le fait de l'humidité ; ils accusent, d’une part, une végétation plus robuste et, d'autre part, une tendance de la plante à se débarrasser de l’eau superflue. La quantité d’eau éva- porée par gramme de matière sèche augmente avec l'humidité. Il faudrait certainement répéter ces expériences, parce que la 1. Ciel serein, température élevée, vents secs. 314 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. période de la végétation de la betterave s’est trouvée abrègée ; puis les conditions météorologiques extrêmes de l’année ont peut-être aussi eu leur influence sur la situation du maximum, en déterminant l'énergie de l’évaporation. Il serait intéressant de voir si les mêmes rapports se conserveraient dans des conditions météorologiques dif- firentes. L2 C. — Cultures dans les solutions aqueuses et dans le sable. Comme je l’ai dit plus haut, j'ai voulu observer le rôle des subs- tances minérales qui entrent dans la composition des divers engrais, sir la formation du sucre et — dans la mesure du possible — sur les formes extérieures et la structure de la betterave. Les expériences sur la première question sont déjà assez nom- breuses et elles ont donné des résultats importants ; mais la plupart enregistrait des faits sans les expliquer. Ainsi, nous savons que l'acide phosphorique augmente souvent la richesse saccharine des betteraves, beaucoup plus souvent même que ne le fait la potasse. Or, d’après Ja théorie, il faudrait s’attendre à voir le contraire. La seule explication de ce phénomène est dans l'hypothèse de M. Pa- onoul que l'acide phosphorique favorise la formation des corps quaternaires, nécessaires au travail de l’assimilation de l’acide car- bonique. Nous nous sommes demandé si on ne pourrait pas cons- tater quelque chose d'intéressant à ce point de vue, en cultivant la betterave avec des apports différents d'acide phosphorique et en fai- sant ensuite l’analyse complète des plantes obtenues. Deuxième point : quelques auteurs (Schindler, Proskowetz) ont montré que les variétés de betterave très riches en sucre (comme la betterave Vilmorin : blanche améliorée) se distinguent de celles relativement pauvres (par exemple la « rose hâtive » de Vilmorin) par le développement moindre du tissu parenchymateux et même par un diamètre moyen moindre des cellules qui le composent, D'autre part, des recherches de Zaïkewitch (Russie, Charkow) per- mettent de croire que plus une sorte de betterave est riche en sucre, plus est grande la surface foliacée par rapport au poids de la racine. PHYSIOLOGIE ET CULTURE DE LA BETTERAVE A SUCRE. 319 Il nous a paru intéressant de rechercher si ces changements dans la structure intérieure et dans le développement proportionnel de la surface foliacée, caractéristiques pour les races améliorées, se mani- festeraient aussi chez des individus d’une seule el même race soumis à une alimentation différente. Le dispositif des expériences destinées à vérifier ces divers points consistait dans l’établissement des cultures dans l’eau et dans le sable instilué de manière à avoir pour chacune des substances à l'étude (P,0,, elc.) une série ascendante. Il importait de n’introduire ces substances chaque fois qu’en combinaison avec des bases ou acides indifférents au point de vue de la nutrition des plantes. Parmi les bases, je considérais comme telle la soude ; c’est-à-dire que, quand il s'agissait d'observer l’influence de N,0, et P,0,, j'ajou- tais dans les différentes cultures des doses croissantes de NaNo, et NoH, Po,. Il était, naturellement, plus difficile de trouver de même un acide inerte; pour l'étude du rôle des bases, J'ai dû me contenter de remplacer simplement dans chacune des solulions nutritives par la base à l’étude, la soude, sans introduire de changement sous le rapport de l'acide correspondant ; par exemple, s’il s'agissait d’ob- server l'influence de la potasse, j’introduisais dans un premier vase une quantité prédominante de NaNo, avec une dose moindre de KNo, et puis dans les vases suivants des quantités de Na No, qui allaient en s’abaissant, tandis que le K No, allait en augmentant, jusqu’à ce que, dans le dernier vase de la série, il n’v avait plus que du KNo,, mais en laissant toujours constante la somme de base. Quelques mots sur la culture aquatique de la betterave. Il faut remarquer tout d’abord que la plupart des essais, faits par divers savants dans ce sens avec la betterave, ont été infructueux. Nobbe a obtenu seul une plante suffisamment développée. L'élevage dans le sable ne réussit cependant pas souvent davantage. Hellriegel, après beaucoup de tâtonnements, a trouvé nécessaire d’ajouter au sable de la tourbe (bien lavée avec de l'acide et de l’eau, pour éli- miner les substances nutritives y contenues); la force capillaire du sable, qu'il emploie, ne suffit pas à elle seule pour faire monter l’eau jusqu’au haut de ses vases de culture (une hauteur de 80 cen- € 316. ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. timèlres) ; de telle sorte que sans le concours de la tourbe on a de l’eau stagnante en bas et une sécheresse excessive à la surface. En un mot, il v a dans la culture artificielle de la betterave des diffi- cultés toutes spéciales. Voici comment je faisais mes cultures aqua- tiques : Les vases étaient en verre d’une capacité de 11 litres et demi; la concentration des solutions ne dépassait pas 1, 1 1/2 p. 1000. Les bouchons étaient en liège, imbibés de paraffine; l'ouverture centrale bouchée par du coton qui contribue à soutenir les plantes en bonne posture. Je faisais germer les semences dans du papier à filtrer, puis je les transportais sur du canevas tendu au-dessus d’eau distillée ; je ne transportais les jeunes plantes dans les vases de culture que lors- qu’elles avaient atteint environ 10 centimètres de longueur, vers la fin du mois d'avril’. La solution nutritive était composée en principe d’après Knop, sauf quelques modifications d'ordre secondaire. Les plantes y végé- tèrent avec énergie, en allongeant leurs racines et en poussant de nouvelles feuilles ; dans certains cas j’eus à constater dans le courant d’une semaine un accroissement de 9 centimètres pour le pivot de la racine et la formation de 3-4 nouvelles feuilles. Mais, dès le début même, un obstacle vint empêcher la marche régulière de l'expé- rience ; je veux parler de la carie, maladie des racines, dont l’ori- gine parasitaire a été indiquée par Hellriegel (il a constaté que le traitement des semences par les liquides antiseptiques diminue la proportion des plantes tombant malades *?). Lorsque je m’aperçus de l'apparition de la maladie sur quelques- unes de mes plantes, leurs racines avaient déjà 1 millimètre de dia- mètre ; à deux centimètres en dessous du cœur des feuilles, la racine commençait à noircir sur une longueur de 2 ou 3 millimètres et en même temps s’amincissait par le fail de la destruction de l'écorce primaire ; le développement de la plante se ralentissait pendant 1. Les vases, au nombre de 20, étaient placés sur un wagonnet roulant sur des rails rentrés dans une serre pendant la nuit et le mauvais temps et glissés à l'air libre quand il faisait beau, ce qui, pendant cet été-là, a été la règle. 2. Un travail détaillé sur cette maladie a été depuis publié par M. Karlson dans les Annales de l'Académie agricole de Moscou (1891). rs rate si atiiitét bts à PHYSIOLOGIE ET CULTURE DE LA BETTERAVE A SUCRE. 911 quelques jours, mais, d'habitude, elle finissait par avoir raison de l'attaque et la végétation régulière reprenait son train, cependant sans que les plantes contaminées raltrapassent celles qui n’avaient pas subi de maladie. Ainsi, le 16 mai, dans une série de 4 plantes, ayant reçu, du n° [ au n° IV, des doses ascendantes d’acide phos- phorique, les longueurs des racines et le nombre des feuilles étaient : I II IIT 1V Nombre des feuilles (non compris le cotylédon). . . 6 6 4 6] Longueur des racines (en centimètres) . . . . . . 33 29 22 33 L'action de l’acide phosphorique se trouvait donc tout à fait obs- curcie; c’est qu'une seule plante était restée exempte de maladie, le n° I; parmi les autres, le n° HE avait subi une attcinte particuliè- rement sérieuse. s Malgré un développement énergique pendant les jours suivants, les mêmes rapports se retrouvèreut le 1° Juin: LS I. IT. III. IVe Nombre des feuilles . ER M nr 15 {{ 10 if Longueur des racines (en centimètres). . 20 38 29 38 Comme expérience sur P,0,, ce n’était guère salisfaisant, mais comme culture aquatique de la betterave, ce n’était réellement pas mal: les plantes, ayant de l’eau et de la nourriture en abondance, étaient plus avancées que celles des champs. Il n'élait pas besoin de les abriter contre les rayons directs du soleil; au contraire, plus elles jouissaient de la lumière, plus la végétation élait énergique et plus la couleur des feuilles était foncée. Mais la chaleur excessive de l’été de 1891 eut bien aussi des conséquences néfastes pour nos cultures aquatiques ; malgré les enveloppes de carton qui proté- gcaient les vases, les solutions s’échauffaient quelquefois démesu- rément. Je crois que c’est à celte cause qu'il faut attribuer une autre ma- ladie contagieuse qui vint altaquér un tiers de mes belleraves au commencement de juin. Les jeunes feuilles centrales (le cœur) des plantes malades se frisaient et accusaient des taches noires ; les 318 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. feuilles adultes avaient des taches jaunâtres. Les unes et les autres dépérissaient peu à peu ; les racines perdaient leur couleur blanche normale et devenaient grises. La rapidité avec laquelle la maladie se développait, se trouvait en rapport avec la température. Lorsque, après le 10'juin, il y eut quelques jours relativement frais, mes bet- teraves commencèrent à se remettre; mais les chaleurs ardentes revinrent bientôt et persistèrent pendant le reste de l'été ; la maladie se répandit alors peu à peu sur toutes mes plantes. Le 22 juin, j'en photographiai au tiers de grandeur naturelle la meilleure, celle qui avait résisté le plus longtemps à la maladie (voir la planche 1). Cette photographie montre bien un système radical très développé ; sa longueur atteignait 73 centimètres avec des ramifications abon- dantes. Les feuilles (17) étaient aussi bien développées. La racme principale (le pivot) avait plus de 3 centimètres d'épaisseur. Ainsi, il ne m'a pas élé donné de réussir mes cultures aquatiques jusqu’au bout, mais je crois que ce n’est pas que la nature même de la bet- lerave se refuse à la végétation dans l’eau ; ce sont des circonstances simplement accidentelles, telles que des maladies parasitaires, qui empêchent sa bonne venue. On peut probablement éviter ces obs- tacles, en traitant les semences avec des liquides antiseptiques, ce qui débarrassera l’expérimentateur de la carie de la racine, peut- être vaudrait-il encore mieux prendre les betteraves pour l’expé- rience dans un état plus avancé, lorsqu'elles ont déjà vaincu cette maladie de l'enfance. , Lorsqu'on travaillera dans des conditions semblables à celles où je me trouvais en 1891, il sera peut-être aussi utile d’enterrer les vases de culture pour se rapprocher davantage des condilions natu- relles et empêcher la température des solutions nutritives de s’éle- ver jusqu’à celle de l’air environnant, comme c’était le cas dans mes essais. Cultures dans le sable. Ces cultures étaient faites dans de grandes caisses en tôle de fer, hautes de 72 et de 54 centimètres de section. Chaque caisse était munie au fond d’une tubulure permettant de recueillir dans un vase PHYSIOLOGIE ET CULTURE DE LA BETTERAVE A SUCRE. 319 spécial les eaux d’écoulement qui, chaque soir, étaient reversées sur la surface du sable ; de cette façon les plantes avaient assez d’humi- dité malgré la faible capillarité du sable et, en même temps, il n’y avait pas de stagnalion des eaux dans le fond. Le sable était du sable de rivière ; je n’avais pu lui faire subir de traitement par l'acide. Ce travail aurait été trop considérable, vu que le poids total du sable contenu dans les douze caisses d’expérience était de près de 2 000 kilogr. Lors du remplissage des caisses, des précautions fu- rent prises pour assurer la parfaite homogénéité du sable placé dans chaque série de 3 caisses. Chaque caisse reçut 5 plantes, élevées comme pour la culture aquatique. Craignant, d’après les indications de Hellriegel, que la ficulté capillaire du sable ne soit trop insuffisante, je pris, dans l’une des 4 séries, la précaution suivante : dans chacun des 5 points des- tinés à recevoir les plantes, j’enfonçai un tuyau en papier à filtrer qui atteignait le fond ; les plantules se trouvaient donc à l’intérieur de ces cylindres remplis naturellement de sable tout comme le resle. La même appréhension de la capillariié insuffisante du sable me fil préférer la plantation au semis, des plantules de plus de 10 cen- timètres de longueur pouvant naturellement mieux puiser l’eaa que des graines confinées à la couche superficielle la plus exposée à la dessiccation. Mais toutes ces craintes se trouvèrent exagérées; dans les autres séries je n’ai pas employé de papier conducteur, et ce- pendant les plantes prirent assez bien racines. Je crois que j'aurais réussi même avec le semis direct, à la condition d’arroser plus sou- vent ; il y aurait même eu à cela certains avantages ; parce que, en usant de la transplantalion, on endommage souvent, malgré toutes les précaulions, l'extrémité du pivot, et ceci devient cause d’une malformation des racines qui se divisent. Le développement des plantes dans le sable allait tout à fait bien à la faveur de l’arrosage journalier avec la solution nutritive recueillie par le robinet du fond ; quant à l’eau pure, on en ajoutait juste assez pour réparer la perte par évaporation. La couleur vert foncé des feuilles faisait curieu- sement contraste avec la surface blanche stérile du sable. Le poids moyen des racines dans quelques-unes des caisses dépassait, vers le 380 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 4® septembre, 400 gr. ; il y eut même des individus qui atteignirent 700 gr. Mais, à mon profond regret, les 5 plantes de chaque caisse ne se trouvaient pas développées bien uniformément, malgré l’ho- mogénéilé apparente des conditions vitales ; on pouvait rencontrer dans la même caisse, par exemple, une plante de 230 gr. et une autre de 513 gr. de poids; il est difficile de dire la cause de pareille diver- sité ; peut-être est-telle dans l’hérédité, dans la force de résistance différente à la carie. Telle plante, un peu plus avancée dans son dé- veloppement que les voisines, étend le réseau de ses radicelles dans toutes les directions, littéralement à travers toute la caisse et prend loute la nourriture pour elle seule. Je crois que, pour l'avenir, il vaudrait mieux avoir une caisse séparée pour chaque plante. C’est surtout à cause de ces variations dans le poids des plantes de la même caisse que les résultats ne se sont pas trouvés aussi nets qu’il le faudrait pour des cultures en sable. Voici, par exemple, la série avec doses ascendantes de-potasse et descendantes de soude. POIDS MOYEN RO PORTION BRIX. SUCRE. QUALITÉ. RACINES FEUILLES (a : 1). QE (2). Gr. 166,6 281,6 265,1 POIDS MOYEN PRO- A — “— ———— x des Fe PORTION SUCRE. | QUALITÉ. RACINES FEUILLES (2: 1). PETITS PHYSIOLOGIE ET CULTURE DE LA BETTERAVE A SUCRE. 381 L'action du salpêtre a donc été favorable non seulement au point de vue de la quantité, mais aussi à celui de la qualité de la ré- colte; on n’observe pas toujours la même chose dans les champs. La substitution du CaO à Na,O dans des proportions croissantes à fourni les résultats que voici : POIDS PRO- A — — — ; des AE PORTION BRIX. SUCRE, | QUALITÉ. | RACINES FEUILLES (2 . 1) (1). (2). Gr, 113,4 4 2011 Pair 88,01 97,4 L 19,87 17,17 86,31 114,2 19,47 16,60 85,26 | 9 19 La qualité du produit s’abaissait donc régulièrement à mesure que la quantité de chaux augmentait. Il ne faudrait cependant pas en déduire une nocivité quelconque de la chaux pour la richesse saccharine dans les cultures agricoles; dans les sols, l’introduction de la chaux amène une série de réactions utiles indirectes, et, en fait, on observe souvent l’augmentation de la récolte sans qu'il y ait de changement dans leur qualité. Voici les résultats de la série de l’acide phosphorique : TENEUR | des | PORTION | SUCRE. | QUALITÉ. US S matière Les récoltes s’abaissent avec l'accroissement de la dose d'acide phosphorique fournie; la seule explication que je puis donner à ce résultat paradoxal est qu’au début je donnai à mes belteraves, au lieu du phosphate acide (Na H, PO,), du phosphate alcalin (Na, HPO,). 382 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Cette faute fut corrigée trois semaines plus tard, par l'introduction de l’acide nitrique en faible solution et en quantités proportionnées au phosphate employé (pour compenser les quantités d'azote données sous la forme d’acide nitrique, j'ajoutais un supplément de salpêtre dans les autres caisses); mais il est possible que le phosphate alcalin ait eu une influence néfaste en retardant le développement pendant la première période. Cependant, l'aspect des plantes n’accusait rien. Je ne considérai pas les résullats des cultures en sable comme assez caractéristiques, aussi n'ai-Je pas procédé aux analvses plus détaillées, projetées au début. Mon expérience est, je crois, malgré tout utile, sous ce rapport qu'elle montre qu’on peut élever la betterave dans le sable sans employer la tourbe, en arrosant assez souvent la surface avec les eaux d'écoulement. Il LES EXPÉRIENCES EN PLEINE TERRE Dans ces expériences, il s’agissait d'étudier les questions sui- vantes : 1° De l'influence de la densité du semis sur le rendement et la richesse saccharine de la betterave ; 2° De l'influence de l'orientation des rangées sur la teneur des racines en suCre ; 9’ De l'influence des divers engrais sur la betterave et le froment à diverses distances de l’année d'introduction de l’engrais; 4° De l'influence de l’arrosage sur le développement de la bette- rave. A. — Influence de la densité du semis. Il est connu que dans certaines limites le rapprochement du semis amène l'accroissement de la richesse saccharine, mais en même temps les racines deviennent plus petites; de sorte qu’au delà pe. PHYSIOLOGIE ET CULTURE DE LA BETTERAVE À SUCRE. 383 d’une certaine limite, cette diminution des rendements bruts n’est plus compensée par l'augmentation de la proportion de sucre con- tenue dans les racines. Il s’agit, pour chaque localité donnée, de rechercher par expérience l’espacement qui fournit le rendement maximum en sucre total. Les considérations économiques ont d’autre part leur valeur, les dépenses de la culture par hectare augmentant avec Ja densité du semis ; l’état de la technique industrielle peut aussi Jouer un certain rôle, parce que là pureté du jus n’est pas d’une égale importance pour toutes les sucreries. Cette question de densité la meilleure du semis est loin d’être éclaircie dans les divers gouvernements de la Russie où l’on cultive la betterave à sucre. On rencontre souvent, dans des exploitations peu éloignées les unes des autres, des distances très différentes entre les rangées ; dans le gouvernemert du Woronège, j'ai vu cinq pro- priétés cultivant la betterave, et toutes avaient des distances diffé- rentes, variant de 31 à 54 centimètres. La statistique pour les divers gouvernements ne démontre, d’ail- leurs, aucune régularité, aucune corrélation entre le climat ou le sol et la densité du semis de la belterave. En commençant ces expé- riences, Je ne croyais certainement pas résoudre définitivement celte question, parce que dans une seule année il est impossible de le faire même pour une seule exploitation donnée, le résultat pouvant se trouver fort différent sous l'influence de conditions météorolo- giques nouvelles; c’est pourquoi il faut plusieurs années d’expé- riences pour pouvoir établir des moyennes valables. Il y avait trente parcelles de 455 mètres (100 sagènes) carrés cha- cune ; les distances variaient de # à 6 werchok (de 18 à 27 centim.) entre les plantes dans la rangée et de 6-8 à 12 werchok (de 36 à 94 centim.) entre les rangées; chacune des quinze combinaisons était répétée deux fois. Dans cette année de 1891 si extraordinairement sèche, on pou- vait s'attendre à voir se manifester un résultat favorable pour les semailles relativement claires, étant donné que plus il y a de plantes par hectare, plus elles doivent manquer d’eau et plus elles doivent se gêner les unes les autres dans leur développement. 384 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Mais le tableau des rendements ne montre pas les variations; les moyennes montrent une diminution régulière des récoltes, seulc- ment lorsqu'il y a rapprochement des plantes dans la rangée et non lorsqu'on diminue les distances entre les rangées mêmes. Les analyses indiquent dans les moyennes une augmentation ré- gulière de la richesse saccharine et de la densité du jus avec le rap- prochement des poquets. Quant à la qualité du jus, aucune régula- rité ne peut être constatée. DISTANCES "7" 12 w. 11 w. 10 w. 9 w. 8 w. Baix:y 1.04 NAMI9, 02 / 000 00 SAN 200 06 20e Sücres ARE MEUT6 8 TG 50 NT GNOS IT SORT ED Quotient. . . BG, 11% 82:90, 88 380 9 Caen) Dans quelle mesure le poids des racines diminue avec le rappro- chement des poquets, on le voit par les chiffres suivants : DISTANCES EE — 12 w. 11 w. 10 w. 9:w. 8 w. Poids (livres russes). . . 0,48 0,38 0,30 0,26 0,22 Le nombre des manquants augmente régulièrement lorsqu'on rapproche les plantes dans la rangée ; ceci se conçoit, puisqu'elles se rencontrent de plus près et que la lutte pour l'existence est plus intense. — B. — Influence de l'orientation des rangées. Les expériences de Marex, exécutées près de Kænigsberg, ont montré que dans cette contrée l’orientation méridionale des rangées donne les résultats meilleurs que celle de l’Ést-Ouest; c’est surtout la richesse saccharine qui s’accroît, et d'autant plus que les sillons entre les plantes sont plus profonds. La différence en richesse sac- charine atteignait là jusqu’à 2 p. 100 (d’après les expériences de deux années), La cause est, d’après Marex, celle-ci : la température moyenne du sol est plus élevée dans le premier cas, le sol se des- PHYSIOLOGIE ET GULTURE DE LA BETTERAVE A SUCRE. 385 sèche plus vite au printemps ; tout ceci est favorable dans les con- ditions de Kœænigsberg. Culture de la betterave en solution aqueuse, D'après celte explication, il fallait s'attendre à voir le résallat inverse dans notre région du Tchernozème, où la sécheresse est ANX. SCIENCE AGRON. — 1892, — 11. 25 386 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE, l'ennemi principal des cultures ; c’est en effet ce qui s’est pro- duit. : Il y avait 6 parcelles, de 100 sagènes carrées (de 455 mètres) r chacune, alternant au point de vue de la direction des rangées. Le semis eut lieu le 3 mai, la récolte au commencement de sep- tembre. Il n’y eut qu’un très léger buttage, Voici quels furent les résultats : DEN- ca des "| SA | co1tE | rorns De SITÉ | SUCRE. des PLANTES en livres : sucre | Lire. | NE russes). et Aes racines. (Brix..) parcelle. ENT er) 18,13 EME 108s0 46 201 Ne ORDER 316,87 Moyennes pour E-W. : 17,00 D, NS REA 17,19 LUN LA NS ANE 16,11 A MU PS Le 15,86 Moyennes pour N-S .| 20,01 | 16,39 Les moyennes corroborent donc bien l’opinion exprimée dans les lignes précédentes ; mais cependant il faut reconnaître que les chiffres immédiats pour les diverses parcelles ne sont pas assez homogènes pour permettre de considérer ce résultat comme absolument con- cluant. C. — Expériences sur les engrais. C’est en 1889 qu'avaient été commencées, dans l'exploitation où J'expérimentai en 1891, les premières expériences avec engrais mi- PHYSIOLOGIE ET CULTURE DE LA BETTERAVE A SUCRE. 987 néraux ; jusque-là le fumier de ferme y était presque seul employé, mais sa production ou son achat coûtent assez cher’. Ces expériences de 1889 montrèrent que l'acide phosphorique donnait des résultats particulièrement bons sur la betterave. En voici un exemple *: RACINES | FEUILLES| DENSITÉ (Poids.) | (Poids.) (Brix.) | be 1MSANS ENSPAIS AN NT 496 2, NaNO,-(300 kilogr). . . . . 576 SONANO: (500kilogr). 25." 27 704 4. NaNO, (300 kilogr.) + Super- phosphate (300 kilogr.) 5. NaNO, (300 kilogr.) + Super- phosphate (300 kilogr.) + KG (150 kilogr.). 6. Sans engrais . Le tchernozème, épuisé par une longue culture, donne donc avec les engrais les mêmes effets qu’on observe souvent sur les sols de l'Europe occidentale : le salpêtre augmente la récolte de la bette- rave, l’acide phosphorique, en élevant le rendement, rehausse aussi la richesse saccharine ; l'effet de la potasse n’est pas grand. Mais l'emploi du salpêtre est pratiquement irréalisable chez nous, car les prix sont trop hauts pour nos conditions économiques. Les phos- 1. On paye, par exemple, dans le gouvernement de Woronège, 1 rouble les 100 pouds (ce qui fait 1 fr. 50 c. les 1 000 kilogr.) ; les vendeurs sont les paysans, soit qu'ils n'apprécient pas assez le fumier, soit qu'ils soient pressés par le besoin de l'argent. 2. Mon rapport sur ces expériences a été publié dans les Annales de l’Académie agricole de Moscou en 1859. 338 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. phates peuvent être obtenus plus facilement; il faudrait essayer leur action sous les diverses formes qu'ils présentent et sur les diverses plantes. Dans le même été de 1889, avaient été organisées des expé- riences avec du blé d'hiver ; aux engrais déjà employés pour la bet- terave il avait été ajouté de la farine d’os non traitée à l’acide sulfu- rique, mais très finement moulue. Le froid de l’hiver de 1889-1890 défigura malheureusement les résultats de l'expérience avec le blé. En 1891, les mêmes parcelles étaient occupées par de la betterave et l’on pouvait de la sorte observer l’action des engrais dans la seconde année après leur enfouissement ; les parcelles de 1889 per- mettaient de faire l’observation à la troisième année. L'expérience avec le blé fut d’ailleurs répétée en 1891. Le sol sur lequel ont été faites ces expériences est un tcher- nozème profond (1 mètre) dont voici la composition physique et chimique ‘ Hygroscopicité. . 4.62 p. 100 Eau d'hydratation. 2,00 — Matières organiques. He: 8.85 — A7Ote au RACE 0.34 — Acide noie 0.08 — Potasse (K, 0) . : 0.11 — Faculté absorbante (d'après Ka) : 55.34 — l'oids spécifique. : 2.45 — Sable grossier (3 à 1 millimètre). . 06608 Sable moyen (1 à Omm,5). 3.03 — Sable fin (0,5 à Omm 95), 3.82 — Poussière (0m",25 à Omm,0{). . . 80.05 — Limon grossier (0,01 à 0"®,005). 36.80 — Limon moyen (0,005 à O%M 0015). 5.97 — Limon/fn”(=< 0280015) 0:16272,2 19.44 — La richesse en matière organique et en azote d’un côté, la prédo- minance de la terre fine de l’autre, caractéristiques pour notre tcher- nozème, y trouvent donc leur parfaite expression. Voici les résultats des expériences de 1891 : Pour le blé, l’action des engrais fut de nouveau trop insigni- {. Analyse faite par M, Soumbatow, au laboratoire de l’Académie agricole de Moscou. PHYSIOLOGIE ET CULTURE DE LA BETTERAVE A SUCRE, 389 fiante à cause de la sécheresse ; c’est une bonne illustration de l'impuissance des engrais en l’absence des conditions favorables d'ordre physique. Les trois chiffres qui suivent peuvent servir d'exemple : RÉCOLTE en SURFACE, ENGRAIS. GRAINS PAILLE, par hectare, EEE 2 à MECS PRE LR ARS Kilogr. . 1/10 d'hectare.|Fumier (40 000 kilogr. par hectare.). 560 . 1/10 d'hectare .|Superphosphate + KCI + NaN0, + Ca SO, . . 1/3 d'hectare .|Sans engrais . Il y a certainement un accroissement de la récolte sous l'influence des engrais, mais les poids absolus des récoltes sont trop misé- rables. Au contraire, la betterave a donné des résultats notables, no- nobstant que l’engrais n’avait été donné qu’à la sole précédente. Passons à l'analyse. Celle-ci a porté toujours sur 50 racines, prises par 25 aux deux extrémités de chaque parcelle. Je n’ai fait aucune correction pour le nombre des manquants, comme le recommande Dreschsler, qui multiplie ce nombre par le chiffre du poids moyen des plantes et ajoute 75 p. 100 du produit au poids de la récolte obtenue. C'est que, toutes les fois que les surfaces ne sont pas trop petites, le nombre des manquants n’est pas lout à fait acci- dentel, mais se trouve plutôt en corrélation directe avec la quan- tité des substances fertilisantes : les parcelles sans engrais ont tou- jours plus de manquants que les parcelles fumées ; on le voit bien par les chiffres ci-dessous; la même chose avait été d’ailleurs cons- tatée aussi en 1889. C’est facile à comprendre, puisque les plantes mieux nourries résistent aussi mieux à la sécheresse, aux ma- ladies, etc. 390 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Citer tous mes essais serait abuser de l’hospitalité des Annales de la Science agronomique ; je me borne à quelques exemples. a) Betteraves après le froment. Moyennes des deux expériences précédentes (1 et 2). RÉCOLTE — — =] © DENSITÉ. QUALITÉ RAPPORT,. ont prospéré de Stammer, racines feuilles, SUR 400 PLANTES par dessiatine,. COEFFICIENT Sans engrais Spodium Chaux de défécation . . . . Fumier de ferme b) Betterave après betterave. DENSITÉ. SUCRE. NON-SUCRE. QUOTIENT, 1,2 SARSTENEMRIS FAST 20522 16,11 AIO 2. Superphosphate +K,C0,. . 21,30 Li 9 3,33 84,36 d. DADS EDBEAIS EN ne lets 20,56 16,72 3,84 81,32 4. Spodium +K,G0, . . . . 2151 18,23 3,26 84,75 DEAR US MON RS AT 20,65 17,14 3,o1 83,00 On voit par ces chiffres que l’acide phosphorique manifeste (comme aussi dans d’autres cas) son action même dans la seconde année ; il augmente régulièrement la richesse saccharine et la qualité du jus en plus de l’augmentation des récoltes. L'action de la farine d’os peut surpasser celle du superphosphate à la seconde année, lors- qu’on l’emploie en quantité double vis-à-vis de ce dernier. Les chiffres du tableau (a) montrent que la poudre d'os a augmenté le rendement de 150 pouds, ce qui fait 23 p. 100 d’excédent sur la récolte de la parcelle sans engrais. La récolte en sucre a gagné 30 p. 100 (28 pouds) ; pour un engrais d’un prix aussi bas et pour une deuxième année, c’est assez beau. PHYSIOLOGIE ET CULTURE DE LA BETTERAVE A SUCRE. 391 Quent aux boues de défécalion, elles augmentent sensiblement la récolte sans, pour la plupart, changer sa qualité. Le fumier a donné la plus grande augmentation en récolle de toutes les espèces d’en- grais employées. C’est facile à comprendre, parce que la quantité de fumier qui a été employée contient plus de substances fertilisantes que lengrais complet minéral tel qu'il a été donné chez nous. Dans tous les cas, les plantes des parcelles fumées accusent une diminution du rapport entre le poids des feuilles et celui des ra- cines, ce qui montre encore une fois, de même que l’indiquent les analyses, que les betteraves fumées ont atteint leur maturité plus tôt que celles sans engrais. Voici maintenant l’action des engrais sur la qualité de la betterave et sur les rendements dans la troisième année : Champ n° V. RÉCOLTE EE DENSITÉ QUALITÉ. en feuilles, ont prospéré RAPPORT Sur 100 PLANTES racines, Superphosphate, KCI, Na NO;, Ca SO, Le même engrais sans P,O;.. , Le même engrais sans KC1. . . . . Le même engrais sans NaNO;, . . . Le même engrais sans Ca$SO,. . Sans engrais TABLEAU, 392 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Champ n° VI. DENSITÉ NON-SUCRE. QUALITÉ. RAPPORT. UR 400 PLANTES ont prospéré par dessiatine, | $ Sans engrais 20,20 Na NO, + K C1 + Superphosphate. . [21,15 À 65 | 100,2 Na NO; + Superphosphate NaNO, (33 pouds) Na NO, (20 pouds) Sans engrais Ce sont les mêmes parcelles que celles sur lesquelles avaient été faites les premières expériences de 1889. Même ici l’action des engrais n’a pas été du tout négligeable. L’engrais complet a aug- menté la richesse saccharine de 2 p. 100 dans le cas V, de 1 p. 100 dans le cas VE L’exclusion de l’acide phosphorique a donné le plus grand abaissement en sucre, celle du plâtre (V), le moins sensible. Les rendements totaux montrent aussi une influence nelte des en- grais ; les parcelles ont conservé sous ce rapport l’ordre de 1889. Si nous additionnons les différences entre les parcelles avec les engrais et les parcelles témoins pour les trois années consécutives en subs- tituant aux chiffres de 1890 qui font défaut les moyennes arithmé- tiques de celles de 4890 et 1891, nous arrivons au résultat suivant : Accroissement des récoltes (pouds). (N+P+K) (N+P). (N). (2/3 N). LOIS Preis 50? A80 224 86 LSO0PSE RER 394 290 109 70 LOOIESEPERP ER EE 207 101 82 59 Somme, . . . 1 063 871 459 211 PHYSIOLOGIE ET CULTURE DE LA BETTERAVE A SUCRE. 393 Accroissement du sucre .en pouds. (N+P+K). (N+P). (N). (2/3 N). LOT. Note 86 74 18 12 ROGUE SET MMETS 62 46 15 11 11 eu 38 19 12 10 Somme. , . . 186 139 45 33 D. — L'’arrosage. L’eau était puisée dans un étang avec une pompe à vapeur et con- duite par des tuyaux en fonte; on la distribuait à l’aide de rigoles et de sillons établis entre les rangées des betteraves. On se proposait, au début, d’arroser 5 hectares ; mais, par suite du manque d’eau, l’espace irrigué a dû être diminué. Le premier arrosage était fait à la fin d'avril; sans doute, c’était trop tôt, parce que le sol avait encore assez d'humidité ; la chaleur n’était peut-être pas suffisante encore. Mais c’est que la réserve d’eau diminuait sensiblement dans l’étang, il fallait donc se presser pour l’utiliser ; puis on voulait aussi apprendre les façons de manipuler l’eau. Cet arrosage d'avril n’eut aucune influence sur la végétation, autant qu’on pouvait juger par les apparences extérieures. Les chiffres ci-dessous corroborèrent cette impression. Le second arrosage avait lieu à la fin de mai, après le buttage ; il profita aux plantes ; c’était évident. En juin, on ne pouvait pas arroser, parce que la pompe n'était pas disponible ; elle ne nous fut rendue qu’à la fin de juillet. Cet accident interrompit la marche régulière de l’expérience. Vers la fin de Juillet les plantes commencèrent déjà à mürir, harcelées par la sécheresse. L’arrosage à celte époque, ne pul être recommencé pour les betteraves à sucre. Cependant une parlie fut arrosée pour voir de près l'effet de l’arro- sage tardif. Voici les chiffres pour les échantillons pris sur les parties les mieux arrosées : POIDS des FEUILLES. BRIX. SUCRE. QUALITÉ, 50 racines. Livres. DARSARISAREeE 2.175 ee #02 18,25 9807 eds 50Le1Z 840,250 21 Arrosées une fois (en avril). . . . 21,20 11,25 17,64 14,73 82,93 Arrosées deux foistenavrileten mai) 36,47 16,33 18,25 15,31 83,89 Arrosées trois fois (en avril, en mai Benji) 20e 0 2 42: 48, 0907280007. 17: 5006 6 TS SE 394 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. L’arrosage de la fin d'avril cst donc resté presque sans influence ; celui de la fin de mai a doublé le poids des racines, rehaussé la richesse saccharine et la qualité du jus. L’arrosage de fin juillet a encore donné une augmentation en récolte, mais la proportion du sucre dans le jus s’est abaissée ; les plantes ayant recommencé une végétalion secondaire avec nouvelle formation de tissus, peut-être une partie du sucre déjà formé s’est-elle trouvée consommée ; tout au moins, le sucre s’est trouvé dilué dans une plus grande quantité de jus chargé de plus de nouvelles matières non sucrées. D’après ces chiffres, on peut croire qu’un seul bon arrosage à la fin de mai peut doubler la récolte, dans des conditions analogues à celles de l’année 1891. DE L'INFLUENCE DU CLIMAT SUR LA FORMATION ET LA COMPOSITION DES SOLS SUIVI D'UN CHAPITRE SPÉCIAL SUR LES TERRAINS ALCALINS Par Eugène W. HILGARD PROFESSEUR DE CUIMIE AGRONOMIQUE A L'UNIVERSITÉ DE L'ÉTAT DE CALIFORNIE DIRECTEUR DE LA STATION AGRONOMIQUE DU MÊME ÉTAT Traduction de M. J. VILBOUCHEVITCH (Fin) .0Oe V.— LA RICHESSE COMPARATIVE DES SOLS HUMIDES ET DES SOLS ARIDES EN POTASSE ET EN SOUDE | La distribution des sels, des alcalis, si solubles dans l’eau, se trouve forcément influencée dans la plus haute mesure par les phé- nomènes de délavage, Nos tableaux corroborent entièrement ce fait. Pour la potasse, la moyenne générale est de 0.216 p. 100 pour la région humide contre 0.725 p. 100 pour la région aride ; en nous adressant aux moyennes des moyennes par États, nous trouvons même un rapport encore plus tranché : 0.187 p. 100 contre 0.825 p. 100. Pour la soude nous voyons de même, dans les moyennes gé- nérales, 0.091 p. 100 contre 0.264 p. 100, et dans les moyennes des moyennes par États, 0.071 p. 100 contre 0.251 p. 100. Ainsi, pour la potasse aussi bien que pour la soude, les sols arides en contiennent 3 à 4 fois autant que les sols soumis au régime plu- vieux. 396 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Il est à remarquer que, d’après le tableau, il existe dans tous les sols à peu près le même rapport — de 1 à 3 — entre le taux moyen de soude et celui de potasse, sans distinction de région climatérique. Dans tel ou tel cas particulier, la proportion peut bien ne pas êlre celle indiquée plus loin; il peut y avoir beaucoup plus de potasse qu'en moyenne et en même temps seulement très peu de soude ; mais, en général, l’écart entre la potasse et la soude est une chose parfaitement régulière et normale pour tous les sols ; ce phénomène est assez important pour que nous lui consacrions quelques explica- tions plus détaillées ; elles consistent en ceci : La production simultanée de carbonates et de silicates solubles de potasse et de soude est l’un des résultats constants du processus de kaolinisation, qui aboutit à la formation d’argiles aux dépens de feldspaths et de roches feldspathiques, telles que le granite, la dio- rite, le trachyte, etc. Ces sels alcalins rencontrent fatalement des solutions aqueuses de carbonates et silicates de chaux el de magné- sie, qui sont également des produits communs de l’effleurissement des roches ; ils se combinent à eux en entier ou partiellement ; il en résulte des silicates hydratés insolubles, de composition complexe (des zéolithes), dans lesquels la potasse prime généralement la soude ; ainsi, une solution potassique qui viendrait à réagir sur un composé zéolithique contenant beaucoup de soude, amèënerait le remplacement partiel de celte dernière base par la potasse, pendant que la soude évincée passerait en solution ; lorsque de semblables réactions se produisent dans le sol, les pluies ne tardent pas à em- porter au loin la soude éliminée. La raison de l’écart entre la po- tasse el la soude dans les sols est là. Le grand public applique généralement le nom de «terrains sa- lants », sans discernement, à deux catégories de sols très différentes entre elles tant au point de vue de leurs caractères intrinsèques qu’au point de vue des procédés culturaux qui leur conviennent. Dans les deux cas, on est en présence de sels des alcalis — de la potasse et de la soude — qui imprègnent le sol et compromeltent la végéta- tion, mais il faut bien distinguer d’une part les terrains palustres des côtes maritimes, qui doivent leur salure essentiellement à l’en- vahissement périodique des vagues salées, et d’autre part lesterrains og na GE di Dale EE FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 397 que nous étudions plus particulièrement et qui ne sont salants que par le fait de l'insuffisance des pluies. Dans le premier cas, celui des ferrains salés proprement dits, il s’agit principalement de sel marin (chlorure de sodium) mélangé à des quantités plus où moins grandes de sels des eaux-mères (chlo- rures et sulfates de calcium et de magnésium). Les terrains salants. — La potasse, si nécessaire aux plantes cul- tivées, est ainsi retenue toujours dans une large proportion par tous les bons sols, tandis que les sels de soude ne peuvent s’accumuler qu’en absence de délavage ; leur présence se traduit alors pendant la saison sèche, par des efflorescences à la surface ; les sols qui pré- sentent ces efflorescences constituent la catégorie des « sols alcalins » ou « terrains salants continentaux ». Ces termes désignent par con- séquent des sols qui ont gardé une partie plus ou moins considé- rable des sels d’effleurissement solubles ; l’alternance des pluies et de l’évapoætion font successivement monter ou descendre les sels accumulés ; lorsque l’évaporation prédomine, des efflorescences ne tardent pas à apparaitre ; elles se présentent tantôt sous forme de croûtes cristallines cohérentes, Lantôt sous l’aspect de masses pulvé- rulentes, de poussières. Dans le second cas, celui des terrains alcalins, il y a bien aussi du sel marin presque toujours, mais généralement il ÿ a bien davantage de sel de Glauber (sulfate de soude) et de carbonate de soude ; quant aux sels terreux, c’est-à-dire aux chlorures et sulfates de cal- cium et de magnésium, leur existence est pratiquement impossible en présence du carbonate de soude. La description des terrains salés des côtes maritimes est en dehors du cadre du présent mémoire (puisque leur salure n’est pas en général partout le résultat de facteurs climatériques), et d’ailleurs la composition de leurs sels se comprend sans autres explications. Les terrains alcalins, au contraire, sont intimement liés, dans leur distribution, au caractère purement climatérique de l’insuffi- sance des pluies, et ne manquent dans aucun des continents ; les pays chauds en offrent des exemples aussi bien que les pays tem- pérés, et l’Europe même en présente de vastes surfaces, plus parti- 398 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. euliérement dans la basse plaine de la Hongrie et dans la région côtière de l'Espagne méridionale *. Il y a bien aussi dans les régions à pluies abondantes, par-ci par-là, des espaces limités où le sol est continuellement alimenté de sels solubles par des formations sali- fères limitrophes ou sous-jacentes ; tels quelques points des États du Mississipi et de la Louisiane, situés justement dans une bande où la somme des pluies est la maximale de toute la région atlantique des États-Unis”. La plupart des pays offrent des exemples analogues, mais généra- lement dans tous ces cas-là il ne s’agit que de phénomènes très localisés, ne dépassant guère les points d’origine mêmes des solu- tions salines que les pluies ne tardent jamais à évacuer fort rapide- ment dans le drainage de la contrée*. Ainsi, le fait de l’aridité d’un ‘pays a pour conséquence de faire varder au sol tous les sels solubles qui se forment dans son sein ; le contact prolongé avec le liquide salin exerce à son tour, sous plu- sieurs rapports, une influence très réelle sur les processes de for- mation du sol. Il va de soi que, même dans un climat aride, les sels s’accumulent dans une mesure fort diverse selon la composition mécanique des 1. Sur l’ensemble des terrains salants du midi de la France, une notable partie sont aussi, aujourd'hui au moins, absolument indépendants des influences maritimes ; y a sous ce rapport entre les terrains salés des bords de l'Océan au nord et à l'ouest de la France et ceux du Midi, une différence tranchée qui se traduit dans la façon des uns et des autres de se comporter vis-à-vis des procédés de dessalement : tandis que dans les terrains conquis sur la mer au nord de la France, en Belgique, en Hollande, le lavage naturel par les eaux pluviales est parfois déjà suffisant pour enlever la salure pour toujours, dans le Midi on ne réussit qu'en comb nant de; irrigations copieuses et prolongées avec des drainages très parfaits. 2. La Russie d'Europe à son tour compte plus de « terrains salants continentaux » que tous les autres pays de notre continent réunis. Il y en a jusque dans les provinces de Poltava et Voruneje. Tout le sud-est est plus ou moins salant. JPaVe 3. Les vastes sols de « Szek » de la plaine de la Basse-Hongrie, auxquels nous aurons encore l'occasion de revenir, doivent bien leur salure à des dépôts sous-jacents salifères d'argiles ou de loess d'origine plus ancienne ; mais la pénurie relative des pluies introduit dans cé cas un facteur qui, au point de vue des phénomènes décisifs, l'assimile presque complètement au cas des sols alcalins formés sous la seule influence d'un climat aride. FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 399 sols, selon leur relief, etc. Malgré des précipitations atmosphériques minimes, le délavage peut encore s’exercer, tant bien que mal, dans les sols très poreux ; au contraire, dans les terrains forts, la pluie n'arrive généralement pas à pénétrer à l’intérieur, mus ne fait que mouiller la surface. Il est aussi à la connaissance de’tous, que le sa'ant est particulièrement préjudiciable aux sols denses, plastiques (adobe-soils); ces derniers sont, de plus, généralement situés dans les dépressions et vallées, et reçoivent de ce fait, par les eaux de cola‘ure d’une manière continue, une certaine quantité de sels pro- v-nant des plateaux. Ils finissent par devenir complètement impro- pres à toute u'ilisalion agricole; pour pouvoir en tirer un part quelconque, il faut les soumettre au préalable à des traitements spé- ciaux qui les débarrassent d’une partie des sels accumulés, ou tout au moins faut-il prendre des précautions capables d'empêcher leur concentration à la surface, où ils causent le plus de mal. Toutes conditions étant égales d’ailleurs, la salure du sol diminue généralement à mesure qu’on s'approche de régions en collines ou des chaînes de montagnes; c’est à la fois la conséquence de l'in- clinaison de la nature généralement plus psrméable du sol et des précipitations atmosphériques dont l’abon lance augmente avec l’al- titude. Mais il ne faut, en aucune manière, comprendre dans les mêmes avantages les hauts pluleaux, qui sont souvent d’une salinité désolante ; l'Asie centrale et l'Amérique * en offrent des exemples frappants et cela sur des espaces immenses. Les sols des pays chauds. — I a été exposé, au commencement même de cette étude, comment les sols des régions tropicales se présentent dans un état de décomposition particulièrement avancé ; dans ces conditions, le délavage peut exercer ses effets dans des proportions extraordinaires. Si encore une pente suffisante, sur le versant d’une colline, par exemple, vient ajouter son effet à celui de pluies tièdes et abondantes, réparties d’une façon pour aimsi dire uniforme sur presque toute l'année, il peut arriver que le délavage emporte — jusqu’à n’en plus laisser que des traces insignifiantes — 1. L'Afrique aussi, et même déjà l'Espagn: (le plateau d'Urgel). JAY 400 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. jusqu’à des substances douées d’une solubilité fort limitée. Une per- méabilité naturelle et une altitude plus ou moins élevée au-dessus du fond de la vallée porteront le phénomèêne à son maximum d’in- tensité. Les sols des bas-fonds profitent, d'autre part, du délavage des terres supérieures, car à la longue ils fixent et remettent à la portée de la vie végétale une partie au moins des ingrédients nu- tritifs contenus dans les eaux de colature. Cela établit un contraste des plus remarquables entre les «latérites * » des hauteurs, appauvris jusqu’à la dernière limite, et les sols des vallées et bas-fonds, gorgés de matières minérales nutritives. Cependant, il n’est pas dit que les sols des vallées et dépressions seront fertiles dans tous les cas; s'ils sont d’une contexture perméable, ils pourront avoir été, à leur tour, délavés dans la plus forte mesure. Les colons éprouvent même souvent de ce fait des désillusions des plus fâcheuses. Celles-ci sont, d’une façon générale, fréquentes dans l’agriculture tropicale, qui aurait bien à profiter d’une étude scientifique des sols préalable à la colonisation; on en a là peut-être même beaucoup plus besoin que chez nous. Il y est arrivé relative- ment souvent que des terres, au début étonnamment productives, voyaient, dans l’espace de quelques années, leur fertilité diminuer tellement qu'il ne restait plus qu’à les abandonner. J'ai pu étudier un de ces cas qui s'était présenté dans l’île de Hawaii. Le sol, résultat de l’effleurissement d’une lave balsatique, était si chargé de fer qu'ailleurs on l’aurait peut-être exploité comme mi- nerai (40 p. 100 d'oxyde de fer) ; pendant à peu près huit ans il avait fourni des récoltes de canne à sucre réellement superbes; puis, tout d’un coup, sa production tomba si bas, que l’exploitation devint tout à fait ruineuse. L'analyse révéla un taux de chaux absolument minime ; la teneur constatée en polasse et en acide_phosphorique 1. Il y a quelques réserves à faire au sujet de ce terme. Les « latérites » sont malaisés à définir en tant que classe à part; et d'ailleurs, certains peuvent même être très fertiles. bien que l'analyse ne relève chez eux que des taux extraordinairement bas de sels nutritifs. L'explication est dans la grande activité des processus d'effeuris- sement. 2. Il a été rapporté des taux semblables pour plusieurs sols latérites du Brésil (terra roxa) et de l'Inde. | FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 401 aurait encore pu suffire à la rigueur, mais il faut croire que ces éléments étaient contenus dans le sol sous une forme inassimilable pour la canne à sucre. Je conseillai aux intéressés d'essayer du : chaulage (sous forme de sable corallien) ; on ne pouvait guère compter sur les engrais arüficiels solubles, le sol étant à peu près complètement dépourvu de matière argileuse et ne présentant qu’une faculté d'absorption tout à fait insignifiante. A ce propos, Je dois remarquer que la pauvreté en matière argi- leuse ne constitue nullement un caractère commun aux sols latérites des pays tropicaux ; ces sols sont aussi variés au point de vue de leur nature physique qu’ils le sont à celui de leur origine ; le déla- vage très complet — résultat des pluies surabondantes coïncidant avec une haute température — est précisément la seule particularité constante. Mais il y a dans la zone tropicale des points où la température est élevée sans que la somme des pluies le soit également ; l’effleuris- sement suit alors une marche relativement plus lente, mais ce qu’il dégage de sels nutritifs, reste sur place, et l’on se trouve en pré- sence de sols en tout comparables à ceux des localités arides de la zone tempérée, éminemment propres à l’agriculture, tant que l’ac- cumulation des sels ne dépasse pas la limite maximum, quasi sté- riles, si cette limite est franchie et qu’en outre il s’est formé tant soit peu de carbonate de soude. Dans la région tropicale, ce sont encore ces sols arides qui, les premiers, ont vu naître et se développer les grandes civilisations agricoles ; ainsi, par exemple, la majeure partie de l'Inde septen- trionale et des pays qui la bordent du côté nord-ouest, est consti- tuée par des sols de cette espèce, qui ne sont cultivables qu’à force d'irrigation. Je m'étonne que la science agricole n’ait pas signalé plus tôt, avec tous les développements qu’il mérite, ce fait de la grande producti- vité commune aux sols des régions arides (à la condition d'irrigation artificielle) et la causalité bien nette, cependant, de cette corrélation. La fertilité inépuisable de l'Égypte est généralement mise unique- ment sur le compte des apports du Nil, de l’engraissement du sol par le limon que charrie ce fleuve; mais on oublie que celte ferlihté ANN,. SCIENCE AGRON. — 1892. — II. 26 402 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. distingue aussi le Fayoum, par exemple, où l’eau n'arrive sur les champs que très claire et où, comme l'analyse l’a démontré, elle n'offre plus rien d'extraordinaire au point de vue du taux de sels nutritifs qu’elle contient. En réalité, la fertilité illimitée de la vallée du Nil est due au ré- oime aride de ce pays. Pendant neuf mois de l’année, c’est-à-dire tout le temps qu’il n'y a pas d'inondation, il règne en Égypte une température subtropicale et 1l ne tombe pas du tout d’eau; les pro- duits salins de d’effliurissement s'accumulent donc sur place, et c’est là ce qui permet de prélever ces récolles ininterrompues. Il se passe donc en Égypte, et de même dans les oasis du Sahara, absolument ce que nous avons vu pour Inde et la Californie. Évidemment, il est indéniable que le limon venant d’Abyssinie y ajoute aussi du sien, mais il est utile de faire voir, comme nous venons de le faire, que des points où les eaux du Nil ne déposent point de limon du tout, jouissent d’une richesse très analogue, sinon égale, pourvu que des mesures appropriées aient été prises pour paralyser éventuellement l'intervention nocive de l’excès des sels de soude. Les difficultés pratiques de la mise en valeur des terrains arides ont dù longtemps contribuer à masquer leurs hauts mérites; de même que l'insuffisance des analyses faites entretenait la confusion au sujet des particularités chimiques que nous nous sommes donné la tâche d'approfondir. Mais il n’est pas douteux que le jour où tout le monde aura reconnu les aptitudes naturelles incomparables des sols arides', le problème de leur utilisation pratique complète 1. Parmi les rares savants qui ont eu l'intuition de ce fait et ont contribué à la faire connaître, j'ai le plaisir de nommer M. ». Gümbel, ingénieur en chef des mines, qui s'est beaucoup occupé des phénomènes de délavage dans les différents volumes de la Description icognostique de la Bavière (Allemagne) et ailleurs, et v. Richthofen (Allem.) [Chëna, vol. I], qui a fait des constatations pareilles aux m.ennes, à propos du loess de la Chine et des pampas de l'Argentine. Mais personne n'a saisi et démontré le rôle des accumulations salines des pays arides comme sources de fertilité, avee plus de perspicacité que v. Middendorff dans son Étude sur les terrains salants da Ferghana (Das Ferghanathal, Mém. Acad. Sc. Suint-Pélersbourg, 7° série, vol. 29, I) : il a une expression qui mérite d'être citée : « Le salant, dit-il, uni convenablement avec l'eau: complète l'action vivifiante, quasi « divine, de cette dernière. » On ne pouvait pas dire plus juste. FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS, 403 aura aussi fait, du même coup, un grand pas vers son entière so- lution. Déjà de nos jours, dans tous les pays à irrigation, il est à la con- naissance générale qu’une famille peut vivre et prospérer sur une propriété beaucoup moins étendue qu’il ne lui en faudrait dans la zone humide. La régularité des récoltes et la richesse minérale des eaux d'irrigation * n’ont pas, bien que ce soient des facteurs très im- portants, dans cette affaire le rôle exclusif qui leur a été attribué ; l’accumulation des ingrédients nutriifs par le fait du régime aride est l’un des points qui concourent le plus à amener l’heureux ré- sultat. Cette accumulation ne doit pas du tout nécessairement se manifester par des efflorescences à la surface; le phénomène des efflorescences suppose une absence déjà {rés complète de délavage; il n’a pas lieu du moment que les pluies dépassent un certain maxi- mum. Nous allons voir tout à l'heure quelle est cette limite. VI. — LES TERRAINS ALCALINS * DES RÉGIONS ARIDES. Dans la partie orientale de la grande vallée intérieure de la Cal:- fornie, on observe, lorsqu'on se dirige vers le nord, que la somme annuclle des pluies augmente d’une manière très régulière et con- 1. J'ai trouvé, entre autres, dans plusieurs ruisseaux de la Californie méridionale des doses de potasse tellement considérables que ce qui en est apporté dans les champs dans le courant de l'année par la seule voie de l'irrigation pourrait sufire à la plupart des cultures. D'après les analyses du professeur Schmidt (annexes au Fer- ghana), Veau du Syr-Darya en contient encore 5 fois davantage, et d'autres courants de la même région sont dans le même cas; plusieurs sont encore, en plus, riches en nitrates et en sels ammoniacaux. 2, Le terme de « terrains salés continentaux » (en allemand : Terresler-Sulzboden) appartient à Credner ; je préfère le terme populaire des colonies anglo-saxonnes qui exprime mieux la distinction qui sépare les so:s dont je m'occupe ici, des sols « salés » (pour la plupart maritines) imprégnés principalemint pa: le sel de cuisine et les autres principes constituants de l’eau de mer. Il y aurait lieu de désigner par un terme spécial ceux des terrains alcalins dans lesquels le carbonate de soude devient un élé- ment prépondérant ou caractéristique; il faudrait qelque chose dans le genre du nom « Sodabüden » couramment app'iqué aux terrain; à carb):ates de la Hongrie ; le terme « alcali noir » des colons anglo-saxons n'est pas aussi c'air. 404 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. tinue ; ceci fait de celte contrée un exemple particulièrement facile sous le rapport de l'étude qui nous préoccup:. Une moyenne de 150 millimètres, près Bakersfield, dans l’extrémité sud de la bande en question, représente le minimum de la série; celle de 865, près Red ing, dans l’extrémité nord de la même bande, le maximum. Entre ces deux points terminaux qui sont éloignés d'environ 500 ki- lomètres l’un de l’autre, la somme des pluies s’échelonne d’une façon très douce, comme on le peut voir par les chiffres ci-dessous ; lés localités sont énumérées en partant du nord pour aller vers le sud. N. HOUR LUTES LEURS DETTE 865"m, 0 Red-Bluifi peter Je PEU SR 59360 DUO. sm PE SR ANSE 523 ,0 Nicholats: SR NET 464 ,0 (SACEAMENLO 5 2 EP RE Re 495 ,0!) CAES ELA A CORRE MURS Pat 418 ,0 SLOCKÉONNS A eue ee ne DT Ne TT DAS Latbron eme Prose Ets RS 297 ,0 OS EME RM Es OS 2896182 (Merced ALES ES RATE RES ER RS PA Ni] Fresno. . . 2250 RULAT EEE LU A NC UP A UE 175280 ARR PI En ARE CS ASE 150 0 S. Les pluies décroissent d’une façon analogue de l'Orient vers l'Oc- “eident, c’est-à-dire du pied de la Sierra-Nevada vers le centre de la vallée ; quelquefois même, jusque vers le pied de la chaïne côtière, - sur le bord occidental de la vallée. Ainsi Chico nous offre une somme de 593 millimètres ; Orland, sur le bord occidental de la vallée, seu- lement 400 millimètres. Plus au sud, Marysville, 475 millimètres ; Colusa, au centre de la vallée, seulement 460 millimètres ; Williams, sur le bord occidental, encore moins, 333 millimètres. Tandis que nous avons 995 millimètres pour Red-Bluff, Tehama, situé seulem nt à 44 kilomitres de là (plus au sud en se dirigeant 1. Get accroissement, malgré la situation miridionile, tient à la proximité de la chaîne de la Sierra-Nevada. dus, Li: L FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 405 vers la vallée) n’en voit tomber que 400 millimètres. Dans plusieurs points il peut bien y avoir telle influence locale, courant d'air, etc., qui introduira des facteurs perturbateurs ; notre tableau en offre deux bons exemples ; cela n’infirme, cependant, nullement la gradation générale que nous avons indiquée. Eh bien, grosso modo, toute augmentation de la somme annuelle des précipitations correspond à une diminution de salinité. Le maxi- mum d° « alcali » (de salant) se rencontre dans l'extrémité sud de la vallée, où les pluies sont à leur minimum, et vice versd. La limite, à partir de laquelle l’aleali commence à exercer sur la végétation une influence nettement nocive, peut être tracée sur le côté oriental de la vallée, juste un peu au nord de Sacramento, à 300 millimètres de précipitations annuelles”. En partant de ce point vers l’ouest (ce qui nous rapproche du milieu de la vallée), nous tombons bientôt sur des efflorescences déjà plus abondantes qui se montrent infailliblement toutes les fois que le sol s’y prête, c’est-à-dire qu’il est suffisamment fort «adobe ». D'ici au nord jusque vers Tehama, tous les sols tant soit peu plas- tiques sont plus ou moins imprégnés d” « alcali ». Plus au sud, dans la vallée de San-Joaquim, on remarque aussi une augmentation pro- gressive de l'intensité de l’imprégnation saline, et ainsi souvent jus- qu’au pied même de la chaîne côtière qui, dans cette partie, offre aussi des efflorescences autochtones, provenant de bancs salifères et indépendantes du climat, d’ailleurs aussi fort aride ; la salinité de la plaine attenante est considérablement augmentée par l'effet de ce voisinage. Dans cette partie de la contrée même, les sources produisent sou- vent une eau imbuvable, tant elle est chargée de sel amer et de sel de Glauber; et, ce qui plus est, les eaux des rivières ne sont parfois pas meilleures. [ci l’aridité du climat exerce par conséquent sur les montagnes 1. Il y a longtemps que J. W. Powel a signalé ce même chiffre comme étant le mi nimum au-dessous duquel les récoltes régulières deviennent impossibles sans le con- cours de l'irrigation ; c’est même ce qui l’a guidé lorsqu'il a choisi le méridien 100 de longitude occidentale comme limite approximative entre la région aride des États-Unis (réclamant l'irrigation) et la région humide, 406 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. attenantes (pour la plupart du sable tertiaire, faiblement cimenté ; en grande partie aussi granitiques) la même influence que sur les sols alluviaux et colluviaux de la vallée. Des causes locales de même nature amènent par endroits des accumulations d’ « alcali » même jusque dans la bande côtière, relativement déjà assez humide. On ne peut donc pas donner le chiffre de 500 millimètres de précipitalions annuelles comme une limite maxima rigoureuse des efflorescences salines ; mais en l’adoptant comme telle, on se rap- proche quand même beaucoup de l’état véritable des choses, du moins pour ce qui concerne la Californie. Au delà de 500 millimètres, les précipitations suffisent dans la règle pour délaver les sels de soude d’une manière durable en les emportant dans le drainage naturel du pays; à moins de 500 milli- mètres, |” € alcali » commence à nuire ; il s’accumuiera et il nuira d’ailleurs plus ou moins, suivant la perméabilité du sol et du sous- sol, la pente, etc. A. — Les sols alcalins des États d’Orégon et de Washington. Ce que nous venons d'établir pour la Californie s'applique égale- ment à quelques autres territoires de l'Amérique du Nord, dont l'agriculture se distingue essentiellement de l’agriculture califor- nienne par les froids hivernaux beaucoup plus intenses, mais dont le régime climatérique est en tout comparable à celui de la Californie pour le reste. Dans la partie orientale de ces États, la pluie tombe comme en Californie, surtout de novembre à mai, le reste de l’année étant pour ainsi dire privé de pluies ; il peut bien arriver aussi en élé quelques averses, mais elles sont si insignifiantes que même sur le moment, la végélation s’en ressent à peine ; à plus forte raison sont-elles insuffisantes pour délaver le sol. La partie la plus aride est représentée par le plateau qui s'étend entre la chaine des Cascades et le promontoire occidental des Montagnes-Rocheuses (Cœur-d’Alène et la chaine de Bitter-Root) et qui est limité au sud par les Monta- gnes-Bleues de l’Orégon, au nord par la rivière du Spokane ; dans cet espace il faut faire exception pour les localités situées assez près des chaînes orientales pour jouir d’un supplément de pluies de ce - LE FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 407 fait, et pouvoir ainsi fournir des récoltes estivales sans irrigation, à l’exemple du nord de la Cakfornie ; la région du Palouse et du Walla-Walla se trouve, entre autres, dans ce cas. Je ne crois pas qu'il existe aux États-Unis un pays souffrant plus de L « alcali » que la partie méridionale de ce qu'on appelle le « Great Ben Country » (région circonscrite par le grand arc que le Columbia-river forme entre les bouches du Spokane et du Walla- Walla) ; le sol y est littéralement recouvert d’efflorescences, et l’eau dans les ruisseaux est imbuvable. Mais la partie nord de la même contrée, qui n’est imprégnée d’ « alcali » que dans une mesure rai- sonnable, est tout à fait excellente pour l’agriculture ; 4 présence d'une quantité modérée d’ € alcali » y est même d'une directe utilité en empéchant le desséchement du sol, ce qui permet de se passer d'irrigation ; souvent, en sortant le matin, à la première heure, on dirait qu’il y a eu une pluie merveilleuse, tombée sur quelques par- celles privilégiées disséminées au milieu de la campagne, et sans avoir effleuré les autres ; or, les taches et bandes plus foncées (et plus humides) que l’on voit marbrer et sillonner la contrée, correspon- dent aux endroits qui, après une sécheresse plus ou moins prolongée, produisent des efflorescences !. Du « Great-Bend » vers le nord, la somme des pluies augmente toujours; l’extension progressive régulière de la végétation arbores- cente en est un sûr indice ; au delà du Spokane, le pays est couvert par une assez épaisse forêt de conifères. Au fort Spokane, près la Jonction de cette rivière avec le Columbia, il n’y a cependant tou- jours que 300 millimètres de précipitations annuelles ; plus à l’ouest, de l’autre côté du Columbia, près Ellensburg, sur le haut Jakima- river, 229 millimètres ; au sud de ce dernier point, en face du désert alcalin « Great Bend », encore bien moins, comme l’atteste la végé- 1. On a tort de s'obstiner à méconnaître le profit que les végétaux tirent de l'humi- dité hygroscopique puisée par le sol dans l'air; les expériences exécutées dans des pays à pluies abondantes, et sur lesquels s'appuient les objections, ne prouvent rien. Dans le cas en question, l'agriculture d'une très vaste superficie de terres ne pourrait pas du tout exister dans sa forme actuelle sans le concours de l'humidité hygrosco- pique absorbée dans une proportion particulièrement notable, grâce à la présence de l « alca'i ». 408 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. {ation spontanée qui acquiert ici un caractère nettement aride. Dans toutes ces localités les dépressions-présentent des efflorescences alcalines ; 1l n’y en a que fort peu dans les parties plus élevées; ceci tient sans doute à la grande perméabilité des sols de poussière très fine, qui y prédominent. | La chaîne, située un peu plus au sud et qui, en partant de l’ouest, vient rejoindre le Columbia sous un angle de presque 90 degrés, est dans sa plus grande partie assez abondamment boisée ; sur le versant septentrional, près le fort Simcoe, on constate une somme de préci- pitations de 325 millimètres. Mais d’ici vers l’est la forêt s’éclaircit de plus en plus, les arbres se rabougrissent, et enfin, l'extrémité orientale même de la chaine ne présente plus que des monts tout à fait chauves ; on n’y trouve pas même de broussailles ; cette partie de la chaine condense sur ses flancs nus si peu d’eau, qu’on en voit à peine dans les thalwegs des vallées et gorges. Ni le Columbia ni le Jakima ne reçoivent pour ainsi dire rien de ces terrains. On peut affirmer que là et dans la partie sud du « Great Bend » qui fait face, on se trouve en présence d’un minimum de précipitations comparable à celui de l’extrémité sud de la grande vallée califor- nienne. | Le Montana central esi encore une région bien propice pour l'étude de la corrélation de la salure avec l'importance des précipi- tations atmosphériques. Dans cette partie centrale, comprise entre le Jellowstone-river et le Missouri, la série des sommes annuelles va de 175 millimètres à 350 millimètres. La ville de Helena, située dans cette contrée, est à peu près à la même distance des Monta- gnes-Rocheuses que Sacramento de la Sierra-Nevada ; cette simili- tude de situation topographique a pour résultat une grande ressem- blance dans le régime des pluies. Les deux villes en reçoivent par an un peu moins de 200 millimètres. Eh bien, la forte pente em- pêche les efflorescences de se produire dans la ville même ; mais, tout comme à Sacramento, la plaine attenante du côté nord en offre déjà de nombreux exemples ; et plus on s’avance dans la direction nord, en descendant le Missouri sur la rive occidentale, plus les pluies se font parcimonieuses, et plus | € alcali » devient apparent FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 409 et importun ; l’intensité et l'extension du salant atteint son maximum dans le pays de Fort-Shaur, sur le Sun-River, où la somme des pré- cipitations est de près de 70 millimètres ; il n’y a relativement pas beaucoup d’efflorescences à la surface, ce qui tient à la grande per- méabilité du sol, constitué par une poussière très fine ; nous avons déjà vu plus haut des cas analogues; mais, en revanche, les sources, ruisseaux, lacs et puits sont saturés à tel point, que souvent, sur de vastes espaces, l’eau des grandes rivières est seule buvable. A l’est du fleuve Missouri, les dômes et chaines qui entourent le € Judith-Basin » introduisent un élément modificateur en attirant sur la plaine attenante une quantité relativement déjà assez considé- rable de pluies ; celles-ci n’ont pas encore été mesurées avec toute l’exactitude désirable ; toutefois est-il avéré que la moitié nord de cette vallée encaissée est à peu près libre d’efflorescences salines ; par contre, la moitié méridionale, la pente qui descend vers la Mus- selshell-river et la vallée de cette dernière, présentent des efflores- cences presque partout; celles-ci diminuent ensuite assez rapide- ment dans la direction de la Jellowstone-river ; et enfin, dans la vallée même de cette rivière, lc alcali » n'offre plus aucune impor- tance pratique ; la chose tient sans doute à un supplément de préci- pitations *, occasionné par la proximité des montagnes du Yellow- stone-Park. Ces différents cas suffisent à faire voir que l’aridité est bien le principal facteur du « salant » ; mais que cependant le seul fait d’un régime aride n’en amène pas obligatoirement toujours des accumu- lations assez fortes pour être préjudiciables à l’agriculture ; que, par exemple, la perméabilité du sol et son inclinaison contre-balan- cent jusqu'à un certain point l'effet de l’aridité. Mais en même temps le grand tableau que nous avons donné plus haut montre que même ceux des sols arides, qui ne produisent pas de véritables efflores- cences, n’en contiennent pas moins des taux extraordinairement élevés de chaux, de magnésie, de potasse et aussi relativement de soude; cette richesse en sels est bien caractéristique et tout aussi s 1. 1] serait d'ailleurs difficile, en l'absence d'observations météorologiques exactes, de donner des chiffres. 410 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. commune aux sols arides que leur nature poussiéreuse, leur manque de cohésion et leur uniformité jusqu’à de grandes profondeurs. B. — Les alcalis ou « reh-soils » de l'Inde. L La plaine de l’Indus et du Gange est un bel exemple d’une vaste et importante contrée où l'exploitation agricole rencontre d’un bout à l’autre des obstacles plus ou moins sérieux, par le fait du salant. Le « reh » (c’est ainsi que les Indiens appellent le « salant ») est connu dans tout le pays qui s’étend de la côte de la mer Arabique ei des bords de l’Indus jusqu’au Gange, et du golfe de Cutsch jusqu’à PAfohanistan ; le pays du «reh » comprend donc le Sindh, le Pendyab, le Radschputana, les provinces du Nord-Ouest et la partie occiden- tale de FOudh; en même temps qu'il s’avance vers le nord jusqu’à la dépression humide qui est au pied de l'Himalaya (le Lahore rentre donc dans cette zone). Les précipitations annuelles varient, d’un point à l’autre de ce vaste espace, de 108 millimètres (Jacobabad, près la frontière de Afghanistan) à 750 millimètres (Cawnpore, sur le Gange). L'absence de données suffisantes ne nous permet pas d’en- trer dans les détails de la distribution du «€ reh », dans l’intérieur de l'immense zone dont nous venons de tracer les limites générales, pas plus que d'évaluer en chiffres tant soit peu précis la superficie totale des terres qui en sont affectées. Tout ce qu’on sait, c’est que, dans toutes les provinces nommées, le reh exerce sur les cultures une action plus ou moins nocive. Toutefois, il est singulier que, sur l’ensemble de cette région con- sidérable, des études quelque peu approfondies n’aient été faites que précisément dans la partie où l'abondance des précipitations atmosphériques semblerait exclure toute possibilité d’efflorescences salines; j'entends parler de la contrée si riche en cultures qui borde le Gange et le Dschamna et comprend, entre autres, les importantes villes de Delhi, Merut, Agra et Cawnpore. Il faut croire que le prix très élevé des terres de celte contrée, située au centre des plus anciennes cultures et particulièrement abondante en canaux d'irrigation, a été la raison qui a fait traiter ici avec la plus grande attention (qui est allée jusqu’à l’institution . FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 411 d’une commission gouvernementale chargée de l’étude du phéno- mêne) un mal, dont on prend probablement son parti avec plus de résignation dans les terres moins haut cotées. Le minimum des précipitations est de 608 millimètres à Aligarh, plus au nord, nous constatons 713 à Merut et 685 à Delhi; plus au sud, 662 à Agra et 667 à Etawah, tandis qu’à Cawnpore la moyenne monte même au delà de 750 millimètres. On remarquera que tous ces chiffres dépassent de beaucoup les 500 millimètres qui se pré- sentent comme limite extrême des «alcalis-soils » dans la région aride de l'Amérique du Nord. Il serait tout à fait intéressant d’approfon- dir les raisons de cette différence ; d'autant plus qu’on paraît ne pas connaître le « reh » au plateau du Dekkan (Inde méridionale), où cependant la somme des pluies est essentiellement la même. La persistance du reh dans le nord-ouest de l'Inde tient peut-être à la façon dont les pluies sont distribuées dans l’année. Tandis que dans le climat « franciscain » de la côte occidentale de l'Amérique du Nord, les pluies sont réparties en moyenne sur six mois consécu- ufs, dans le nord-ouest de l'Inde elles viennent par petits paquets pendant toute l’année, le mois de novembre seul faisant exception ; il n’y tombe donc jamais assez d’eau à la fois pour que les sels soient emportés dans les eaux souterraines; en juillet et en août, des pluies torrentielles d’une violence extrême apportent bien en peu de temps la moitié presque de la somme annuelle des précipitations ; mais leur violence même et leur courte durée les empêchent d’entrainer le sa- lant à une grande profondeur, de sorte que l'ascension capillaire ne tarde pas à le ramener à leur surface. Dans le Dekkan la saison des pluies va normalement de mars ou avril à décembre, les averses violentes sont relativement rares. L’im- puissance de ces dernières au point de vue du délavage du salant est une chose très remarquable, j'ai eu maintes fois à le constater dans le Washington et dans le Montana (États-Unis). Cette espèce de pluies est tout aussi mcapable de faire disparaître le salant que les inonda- uons (Ueberfluthung) auxquelles on a eu recours si souvent en Cali- fornie, dans l’Inde, dans le midi de la France, en Algérie, plus par- ticulièrement dans la vallée du Habra, etc., avec si peu de résultat. Le premier contact de l’eau dissout pour ainsi dire instantanément 412 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. les efflorescences ; la terre assoiffée absorbe sur le coup le liquide concentré qui en résulte ; après, vous pouvez faire couler l’eau par- dessus à plaisir ; cela n’y fera plus rien‘. À part le régime des pluies, le «reh» de l’Inde ne parait pas pré- senter d’autres différences avec l” « alcali » de l'Amérique du Nord ; d’ailleurs, à notre connaissance dans tous les pays à climat semblable c’est la même chose. Il est, malgré cela, regrettable que les documents scientifiques relatifs à l’Inde (mème les rapports du service géologique) soient si étonnamment pauvres en descriplions précises des terrains salants ; ilfaut scruter attentivement des dissertations générales assez éten:lues mais quelque peu vagues, pour arriver à dégager les faits essentiels. On apprend ainsi, incidemment, que les sols à «reh » sont, presque sans exceptions, fort riches en carbonate de chaux ; que souvent ils reposent sur des couches plus ou moins continues de tuff calcaire — «kankar » — qui aggrave la nocivité du « reh »; l’origine du kankar est attribuée au carbonate de chaux accumulé dans la plaine par le fait du délavage des collines limitrophes. A l’occasion d’une discussion sur les résultats de l'irrigation, on nous dit que la salinité souvent considérable et pour ainsi dire générale des eaux du sous- sol n'empêche pas les puits plus profonds de fournir presque par- tout de l’eau douce. Les documents indiens contiennent de nombreuses dépositions qui concourrent à démontrer que la généralisation et la plus grande abondance des irrigations depuis la création des nouveaux canaux a été pour beaucoup dans l’extension et l’accroissement d’intensité des efflorescences que l’on constate avec épouvante depuis quelque temps ; mais les rapporteurs hésitent à reconnaître franchement la corrélation de ces deux ordres de faits, en argumentant que jusqu'ici il n’a pas été observé de diminution de concentration sensible dans les eaux salines du sous-sol (ce qui serait encore à vérifier). Les per- sonnes qui sont au courant des phénomènes absolument semblables 1. Comparez ce qui est dit sur l'action des différents genres de pluies dans le cha- pitre « Terrains salés » de l'antique (xi° siècle) 7railé d’agricullure Nabathéenne, d’Ibn-el-Awan. IA } A FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 413 qui se passent en Californie, ne partageront point ces dout2s. Les enquêteurs indiens s’étonnent de ne pas voir s’affaiblir la solution saline du sous-sol! Mais ils oublient donc que les copieuses irriga- tions ont eu pour conséquence de faire monter dans le sol arable des quantités nouvelles et immenses de sels provenant des profondeurs? Nous reviendrons encore à cette circonstance dans l’un des chapitres suivants. Pour ce qui est de la composition chimique du salant, les données indiennes coincident avec ce qui existe dans la région aride de 'Amé- rique du Nord ; à cette différence près, qu'il est beaucoup plus sou- vent question de nitrates. Disons à ce propos que dans les documents indiens le nitrate de chaux est préconisé comme antidote contre le carbonate de soude, si dangereux ; il est impossible de comprendre les considérations qui peuvent faire préférer ce sel fort peu répandu au plâtre qu'il est si facile d’avoir à bon compte. Il faut dire qu’en général le côté pratique n’a guère été traité dans l'Inde avec l’attention qu’il mériterait en présence de l'importance réellement considérable de la question du « reh » dans ce pays. Nous avons déjà mentionné plus haut les terres argileuses, fortes, extraordinairement fertiles «regur », du Dekkan, qui offre la même somme de précipitations que le pays du reh dont Aligarh est le cen- ire. Dans les documents que nous avons pu consulter, il est question à plusieurs reprises de concrétion de « kankar » (tuf calcaire fort dur) qu’on trouverail par-ci, par-là dans le sous-sol loessiforme sur lequel repose le «regur » ; c'est un indice sûr d’un régime aride: et cependant il paraît qu’on n’a pas à se plaindre du «reh ». Le «re- gur » présenterait donc, autant qu’on peut en juger, une heureuse moyenne entre le latérite délavé et le sol à «reh »; en ce sens que l'accumulation des éléments nutriufs est assez surabondante pour avoir fait du «regur » un sol d’une inépuisable richesse, produisant sans relâche depuis déjà des milliers d'années, à la façon des terres légendaires de la vallée du Nil; et qu’en même temps, il y a eu, néan- moins, assez de pluies el d'écoulement pour assurer l'évacuation de l'excès des sels de soude qui autrement n’aurail pas manqué de nuire. Les terrains salants dits ç alcalins », qui précisément se distin- 414 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. guent du « regur » uniquement par cet excès de sels de soude, fourniront un jour les mêmes résultats merveilleux, lorsqu’on leur aura appliqué un traitement rationnel. Ne peut-on en effet espérer tout de terrains tels que, par exemple, le « blacu adobe » de la Cali- fornie, terrains dont les eaux de circulation même sont surchargées de sels nutritifs, pendant que le sol proprement dit rend jusqu’à 1.8 p. 100 de potasse à l’extrait chlorhydrique ! C. — Les sols alcalins des autres pays. Tous les pays à précipitations atmosphériques insuffisantes présen- tent un état de choses comparable à ce que nous avons vu pour l’A- mérique du Nord et pour l’Inde : d’un côté, nous avons l'Afrique sep- tentrionale!, l'Égypte, l'Arabie, la Syrie et la Perse ; de l’autre côté, les hauts plateaux de l'Asie intérieure. Partout le salant est chose commune, et tous les voyageurs en parlent ; mais ces messieurs ont souvent le tort de ne pas distinguer les terrains salants provenant du desséchement de lacs sans issue, de ceux dont la salure est due uniquement aux processus normaux d’effleurissement en absence de délavage. Cependant, les voyageurs judicieux, avant parcouru les régions où nous avons des raisons de supposer l'existence du second type, ne manquent généralement pas de mentionner la fréquence de tuffs ou autres concrétions calcaires dans le sous-sol ; de même que le goût salé, amer ou alcalin des eaux souterraines que les indigènes indolents et résignés viennent puiser dans les excavations peu pro- fondes qu’ils appellent des puits. Plus rares sont, parmi les voyageurs, ceux qui ont fait attention aux résultats merveilleux que, grâce au salant, fournit, dans ces pays-là, l’agriculture irriguée. Cette lacune peut être d'autant plus reprochée aux descriptions en question que les exemples bien connus de l'Égypte et des pays analogues de l’ouest de l'Afrique septen- trionale, auraient dû rendre les observateurs plus perspicaces. Le reproche ne peut pas être étendu à v. Middendor/f qui, dans son étude sur le Ferghana (voyez plus haut), insiste beaucoup sur l'effet 1, L'Afrique australe reproduit en petit le tableai du nord du continent, J. V. FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 415 fertilisant du « salant » dans les sols de ce pays; et sur le fait que les terrains salants irrigués sont préférés par les indigènes à tous les autres sols comme étant les plus productifs. Il compare la valeur du salant, en tant qu’engrais naturel, à celle des «sels de Stassfurt » qui, comme tous les agriculteurs le savent, se paient fort cher sur le marché des engrais. Toutefois, Middendorff met la présence du salant dans les sols de la région du Ferghana sur le compte de couches salifères sous- Jjacentes. Il est sûr que celles-ci fournissent une partie des sels de soude, mais les sels de potasse, qui, d’après les analyses du professeur V. Schmidt, sont, dans beaucoup de cas, largement représentés dans le « salant » du Ferghana, proviennent probablement, pour la plus grande part, de Peffleurissement naturel du sol même. Il est curieux de signaler que, dans l’un des échantillons analysés, la moitié du poids de l’efflorescence était du chlorure de potassium. V. Richthofen a bien compris que les sels des steppes de l'Asie centrale et des lacs des hauts plateaux ne proviennent pas de l’évapo- ration d'eaux de mer (comme c’est le cas, du moins en partie, dans la région aralo-caspienne *, mais plutôt immédiatement « de l’effleu- rissement des roches ». Ceci serait tout à fait exact, si Richthofen entendait par cette expression l’effleurissement courant du sol même ; il ne semble ce- pendant pas avoir compris la chose de cette sorte; car, en parlant de la fertilité inépuisable de la région à loess de la Chine, 1l croît devoir l'expliquer par une tout autre raison, notamment par la struc- ture capillaire particulière de ce genre de terrain, qui lui permet-. trait de continuellement ressaisir, par imbibilion, les sels nutritifs solubles descendant dans le sous-sol. Cette théorie me parait sujette à caution, car les enseignements de la physique ne nous laissent pas admettre que les tuyaux capillaires verticaux, relativement larges, particuliers au loess, soient plus favorables à l'ascension de l’eau, 1. Même là il y a encore énormément de terrains salants d'origine puremen: conti- nentale, comme s’est attaché à le démontrer M. Obïoutchev [Recherches dans la dé- pression transcaspienne (Zapiskè Imp. Geogr. Obehtchestoa, 1890, t. XX, n° 3), en russe]. - JV 416 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. que le système capillaire ordimaire de toute terre douée d’une struc- ture granuleuse normale suffisamment dense ; les tuyaux du loess favoriseraient plutôt, au contraire, le délavage ; quant à la réascen- sion de sels, une fois descendus à la profondeur d'un nombre assez respectable de mètres, elle ne pourrait guère se faire que par dif- fusion. En définitive, je suis plutôt disposé à attribuer la grande et du- rable fertilité du loess chinois aux mêmes causes que celles qui font la richesse des Cregur » de l’Ind: et des terres de la vallée centrale de fa Californie ; c'est-à-dire au régime aride et à l’extraordinaire accumulation qui en résulte, des sels nutritifs immédiatement assi- milables pour les végétaux. Nous ne disposons pas, il est vrai, de données exactes sur les moyennes des précipitations dans la région à loess de la Chine ; ce- pendant, v. Richthofen raconte que le loess chinois vient rejoindre les pâturages de la Mongolie, et spécifie qu: l’agriculture a une ten- dance à s’avancer de plus en plus vers ce dernier pays « vu que », dit-il, « l’'empiètement des vallées sur le haut plateau y a pour con- séquence un délavage plus parfait du sol » ; cette remarque inci- dente me suffit pour affirmer que c’est encore une de ces régions intermédiaires, où on peut encore trouver des efflorescences dans les points les moins drainés, mais où en somme la culture n’est plus liée obligatoirem:nt à l'irrigation ; par conséquent, la somme des préci- pitations doit y être entre 500 et 600 millimètres. D'après v. Richthofen, le loess de la Chine trouve encore un autre facteur de fertilité dans la poussière apportée de la steppe élevée attenante, et qui Jouerait un rôle d'engrais naturel analogue à celui du limon du Nil”; ceci est d'autant plus admissible que, d’après les dires de témoins oculaires, cette poussière est souvent passablement salée, au point que les voyageurs en souffrent sensiblement; or, les seis qu’elle contient sont précisément ceux qui profitent le plus aux végétaux ; des dépôts annuels d’une épaisseur insignifiante peu- 1. Rappelons encore et toujours que le limon du Nil est loin de jouer le rôle pré-: pondérant qu'on lui attribue généralement, et que les oasis et le Fayoum, qui n'en reçoivent-point du tout, n'en sont pas pour cela sensiblement moins fertiles. FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS, 417 vent donc contribuer, en effet, déjà sensiblement à l'entretien de la productivité des champs. En lui-même, le loess n’est nullement d’une fertilité Imépuisable ; ses mérites exceptionnels sont précisé- ment liés au régime aride et disparaissent lorsqu'il est exposé à un régime pluvieux ; on le voit particulièrement bien par ce qui se passe dans la vallée du bas Mississipi: lorsque, comme cela arrive facile- ment dans les climats pluvieux, et comme c’est précisément le cas dans la vallée du bas Mississipi, les fines particules qui constituent le loess s’agelomèrent en grains plus gros, la perméabilité et, par- tant, le délavage augmentent encore d’une façon toute spéciale ; en même temps la gangue calcaire qui enveloppe ces grains rend, de son côté, les matériaux nutritifs du loess moins accessibles aux vé- gétaux ; comme résultat, la fertilité du sol se trouve considérable- ment amoindrie. Le phénomène d’agglutinement en question est en relation directe avec l’abondance des précipitations atmosphériques ; il correspond tout à fait à celui qui se manifeste en Californie seule- ment dans le sous-sol, au niveau inférieur de la pénétration des eaux de pluie (voyez plus haut) ; dans les climats pluvieux, cet agglutine- ment comprend la couche entière, voilà toute la différence ; et puis encore, 1l n’y va jamais jusqu’à produire du tuff. L'Amérique du Sud. — Les voyageurs sont nombreux qui ont si- gnalé l'existence d’efflorescences salines dans les campos du Brésil et dans les pampas de l'Argentine et de la Patagonie ; la plupart les ont attribuées à l’évaporation d’anciens lacs salés, mais vraisemblable ment à tort. (Nous avons fait voir plus haut combien l’origine histo- rique du salant dans le sol est importante au point de vue des consé- quences pratiques agricoles.) Wohlimann‘ qui, contrairement à son habitude, a consacré quelque attention aux terrains salants de cette région, dit que les sols des plaines de l’Argentine sont, en général, pauvres en matières nutritives * ; mais que des terrains salants dont 1. Die naturl. Fakloren der trop. Agrikultur, I. Band, 1892 ; cet ouvrage a déjà été cité plus haut. 2. Et, cependant, le chardon d'Europe, qui a si rapidement envahi les pampas, ne passe guère pour être une plante des sols pauvres. ANN. SCIENCE AGRON. — 1892, — II, 27 418 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. l'herbe des pampas (Gynerium argenteum) constitue le couvert ca- ractéristique, ont été, dans plusieurs cas, avec succès, mis en valeur, après délavage artificiel. Le Pérou et le Chili ne semblent présenter nulle part d’accumula- tions tant soit peu notables d’ « alcali » sur des surfaces plus ou moins considérables, malgré le caractère aride très prononcé du climat; ceci tient probablement à ce que la pente du versant occi- dental des Andes de l'Amérique du Sud est fort rapide. En revanche, tout le monde connait les dépôts d’efflorescences du haut plateau du Tarapaca, d’où le monde civilisé entier tire le nitrate de soude, employé comme engrais. Les champs de nitrate constituent un phénomène particulier aux régions arides, tout comme les efflorescences salines ordinaires. Le plateau de Tarapaca n’est pas seul à en offrir l’exemple. Peu de personnes le savent, mais 1l à été trouvé dans la plaine élevée du Nevada (États-Unis) des formations absolument comparables, no- tamment des «caliches » de la même composition que ceux de Tara- paca, disposés sous forme de poches et filons dans une roche éruptüve, près de la surface”. La quantité qu'on connaît pour le moment ne permet guère de compter sur une exploitation pratique ; mais il est d’un intérêt théorique de constater que dans les deux gisements si éloignés l’un de l’autre, nous nous trouvons en pré- sence d’une aridité extrême dont les phénomènes suivants donnent la mesure: au Tarapaca, le trisulfate de fer (coquimbhit) constitue des masses considérables sans trace de déliquescence ; et au Nevada la blanche poussière qui vient aveugler le voyageur, consiste en du sel de Glauber‘effrité. Nous ne connaissons pas encore, comme il le faudrait, les parti- cularités de la formation du sol dans de semblables conditions ; mais on est en droit de supposer que, même dans des cas d’aridité moins extraordinaires, le sol emmagasine assez de nilrales pour que toute 1. 1] y a aussi des accumulations considérables de nitrates au Turkestan. Midden- dorff en fait mention. La Société impériale technique de Saint-Pétersbourg s'est der- nièrement occupée de la question de leur explotation commerciale, qui d'ailleurs ne paraît pas encore bien près d'être résolue. Les‘bülletins de la Société contiennent plu- sieurs études à ce sujet. EL JON FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 419 préoccupation de fumure azotée se trouve pour longtemps écartée de l’ordre du jour. Nous en citerons plus bas des preuves. Sur les terrains salants de l’Australie il n'existe que des données absolument dispärates, et de plus, la distinction entre les terrains salants provenant de lacs salés desséchés et les véritables « sols alca- lins », qui seuls nous intéressent ici, est faite encore plus rarement que partout ailleurs. Même le rapport de la Station agronomique, auquel j'ai emprunté les analyses que l’on trouvera plus bas, est muet sur ce point. Toutefois, il est constant que l'Australie compte des superficies immenses de «terrains salants continentaux » qui n’attendent que l'irrigation pour prouver leur indubitable fertilité; il se passera, cependant, peut-être encore bien du temps avant que l'expérience n’en soit faite. D. — Les «szek et szik » de Hongrie. Le préjugé populaire contre les terrains salants, préjugé dont on trouve, entre autres, à plusieurs reprises, l'expression dans l’his- loire (sel semé sur territoires ennemis pour les rendre stériles), n’est peut-être nulle part aussi enraciné que dans le cas du «szek » de la Basse-Hongrie. De tous les temps on a ramassé, dans la basse plaine de la Theiss et du Danube, de la soude naturelle, qui, rectifiée, sous le nom de « Szekso », est un objet de commerce ou bien s'emploie sur place dans les ménages et dans des industries diverses. L'identité de composition du «szekso » avec le «trona » d'Afrique et le creh » de l'Inde, fait supposer, a priori, qu'il s’est formé dans des conditions analogues ; malheureusement, il est extraordinaire- ment difficile de découvrir, dans la bibliographie scientifique, des descriptions tant soit peu détaillées de ces régions, situées cependant si près des plus grands centres de notre civilisation ; il est encore plus malaisé de trouver des études sur l’histoire de la formation de ces «sols de szek »; la plupart des travaux qui existent, sont en hongrois et, par conséquent, inaccessibles à la majorité du monde savant. La soude de Pannonie était connue déjà du temps de Pline; par conséquent, l'industrie ea question que nous trouvons de nos jours 420 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. dans la Basse-Hongrie n’a rien de nouveau ; on «balaie » de la soude et aussi du salpêtre sur certains emplacements déterminés ; les efflo- rescences réapparaissent dans la saison sèche. Dans ces derniers ternps, le bas prix de la soude artificielle à fini par réduire l’industrie du « szekso », qui peut être considérée comme perdue ; le moment est donc arrivé d'examiner la question de la mise en valeur des terres de «szek » par la culture agricole. Je dois à l’obligeance des professeurs V. Rodiczky* et Czerhäti? d’avoir été mis en possession d’un certain nombre de renseigne- ments particuliers, de traductions et de documents imprimés en allemand qui me permettent d’examiner de plus près l’anomalie apparente de l'existence de carbonate de soude dans ce pays de la Basse-Hongrie, doué, cependant, d’un climat tempéré et relativement humide ; et de mettre en comparaison les faits constatés en Hongrie avec ceux observés autre part. Disons d’abord que la moyenne des pluies dans le bassin Theiss- Danube de la Basse-Hongrie est d'environ 600 millimètres; par con- séquent, elle est supérieure à l’extrême limite compatible avec les efflorescences salines dans l'Amérique du Nord; mais inférieure à celle des malheureuses terres de « reh » du centre de l’Inde septen- tentrionale. Les précipitations sont très irrégulièrement réparties; «il se passe souvent des semaines, voire des mois, sans qu'il tombe une goutte de pluie » (Czerhäli) ; de plus, la somme des pluies varie très fortement d’une année à l’autre ; d’après V. Kvassay, l’abon- dance des efflorescences de szekso est en rapport plus ou moins direct avec l'abondance des pluies pendant l'hiver qui a précédé ; c’est-à-dire que la récolte de szekso est d'autant plus copieuse que les eaux du sous-sol ont atteint en hiver un niveau plus élevé. D’après les études géologiques du même auteur, le bassin du Danube et la plaine de la Theiss reposent, dans la règle, sur deux couches d’argiles séparées par une couche de sable mouvant, im- bibée d’eau ; ce serait aussi la couche argileuse supérieure qui se- 1. Budapest, V; Mondgasse, 23. 2. Landwirlschaftliche Anstalt Ungarisch-Altenburg. FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. A21 rait riche en sels ; ceux-ci se trouveraient également dissous en quantité plus ou moins considérable dans l’eau qui remplit le sable sous-jacent. L'origine des sels, da même que des argiles, paraît être dans les formations salées de l’époque tertiaire que l’on trouve dans le bassin de la haute Theiss. Le salant de la Basse-Hongrie consiste essentiellement en sels de soude ; c’est principalement du sel de cui- sine et du carbonate ; 1l y a cependant aussi quelques points (par exemple les environs du lac Neusiedler-See) où le sel de Glauber prédomine ; dans la région de la haute Theiss, le mélange qui vient effleurer à la surface, contient de préférence du salpêtre potassique avec des quantités plus ou moins grandes de sels de soude et de chaux. Pour revenir à la Basse-Hongrie, les efflorescences copieuses de carbonate de soude et, par conséquent, les « balayages » coïincident avec les endroits où l'argile imprégnée de salant arrive près de la suriace ou à Ja surface même; le sol fort plastique que fournit cette argile-là, est appelé szik; le nom de szek s'applique à un sol d'autre nature, constitué par une poudre très ténue et principale- ment siliceuse ; souvent 1l est tout à fait exempt d’efflorescences, mais il est cependant toujours encore plus ou moins imprégné des mêmes sels que ceux contenus dans l'argile salée du sous-sol. Cette poudre fine de szek paraît être le résidu d’effleurissement des «trachytes quartzeux » (Rhyolites) qui affleurent dans le haut du bassin ; l'analyse la montre très pauvre en potasse et en acide phos- phorique, mais riche en chaux ; au point de vue géologique, elle est beaucoup plus récente que l’argile salée du sous-sol; elle comble des lacunes dans cette dernière ; l'épaisseur de la couche est natu- rellement, dans ces conditions, très variable ; d’autant que la puis- sance de la couche argileuse même varie aussi très considérable- ment : de 1 mètre à 7 mètres. Nous venons de dire que souvent le szek ne contient que peu de sels; mais dans d’autres cas, il en renferme une quantité considé- rable, et alors il peut être à peu près complètement réfractaire à toute végétation ; on l’appelle dans cet état: szek « aveugle * » ou «sourd », et on lui attribue une stérilité irrémédiable; on n’a jamais 1. On retrouve ce terme en Russie. JO: 422 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. l'occasion de balayer du carbonate de soude sur les «szek, » mais bien uniquement sur les «szik ». Pour ces derniers la stérilité, du moins par rapport aux végétaux agricoles, est pour ainsi dire la règle; ils contiennent trop de sels; de plus, leurs propriétés physiques sont détestables : humides, ils sont d’une plasticité extrème et à peu près imperméables ; à l’état sec, ils prennent une dureté de pierre et se fendillent en une multitude de petites colonnes verticales. La diffé- rence physique entre le «szik » et Le «szek » est donc des plus frap- pantes. À notre grand regret, nous ne sommes pas en possession d'analyses bien sûres du szik débarrassé de ses sels solubles dans l'eau, c’est-à-dire d'analyses de l'argile ou glaise qui en constitue le substratum essentiel ; mais les témoignages des agriculteurs prati- ciens ne laissent pas de doute sur l’extrème fertilité d’au moins une partie des sols provenant de terres de szik. Peut-être s'agit-il à de ceux de ces sols qui ont eu l’occasion de se mélanger avec de la terre de szek, et d'acquérir par là des propriétés physiques moins défavo- rables à la vie végétale. De pareilles parcelles produiraient, parait- il, du blé de qualité supérieure et en grande abondance. D’autres faits nous réconfortent encore dans notre conviction que la prétendue stérilité intrinsèque du szek n’est qu’une affaire de préjugé. Ainsi, l’une des analyses de szekso, citées plus loin (p. 426), décèle 1.5 p. 100 de biphosphate de soude. Les analyses ne sont guère consolantes au point de vue de la po- tasse, mais Je suis persuadé que ce sont les analystes qui se sont trompés, en négligeant les sels de potasse dissous dans l’eau. Com- ment n’y aurait-il pas des quantités considérables de potasse dans les terres de szek, du moment que, dans la région de la haute Theiss, intimement reliée à celle dont nous nous occupons ici, on balaye sur le sol, en maints endroits, pour le vendre, du salpêtre potas- sique ? Les analyses de sols salants sont en général rarement satisfaisantes ; ainsi, Je suis convaincu que le phosphate soluble doit avoir été pré- sent dans bien d’autres échantillons encore, en dehors de celui où il a eu la chance d’être signalé. En somme, les szik de la Hongrie sont vraisemblablement de la = FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 423 plus grande richesse au point de vue des substances nutritives qu’ils contiennent ; tout comme les sols à efflorescences de l'Inde, de l'Égypte, de la Californie ; et ceci en vertu de la même condition essentielle : défaut de délavage des produits d’effleurissement ; il ne peul pas y avoir d'erreur sur ce dernier point. Il ne manquerait donc que l’abondance de carbonate de chaux pour rendre l’analogie complète ; eh bien, ce caractère se retrouve aussi; nous ne pouvons pas le démontrer par des analyses de l'argile salifère, puisqu'il n°y en a pas de bonnes; mais cette argile est à plusieurs reprises qua- lifiée de «très calcaire »; et d’ailleurs, dans la région de la haute Theiss les affleurements de roches calcaires terliaires el de marnes sont absolument communs ; cela nous enlève nos derniers doutes. On a beaucoup débattu la question de savoir comment se forme le carbonate de soude, si abondant dans la basse plaine hongroise ; on n'a jamais douté que le sel de cuisine n’en fùt le point de départ; mais on était embarrassé pour préciser le processus chimique en cause; je donne plus loin (p. 435 et suiv.), dans tous ses détails, une explication générale de l’origine du carbonate de soude dans la nalure, qui se résume dans l'existence d’une réaction d'échange inévitable toutes les fois qu’un sel de soude quelconque se trouvera mis en contact avec du carbonate de chaux, en présence d’acide carbonique libre ; cette explication me parait convenir d’une façon toute spéciale au cas du «szenkso » de la basse plaine de Hongrie, car il doit y avoir eu de tous les temps, décomposition de restes vé- gétaux et par conséquent dégagement d’acide carbonique dans des proportions particulièrement considérables. On s’est anssi souvent étonné de voir que les «lacs à natron » de la Hongrie, sur les bords desquels se trouvent les «balayages » de car- bonate les plus productifs, ne contiennent en eux-mêmes que fort peu du même sel; eh bien, c’est absolument pareil à ce qui s’observe sur des centaines de points dans la Californie centrale ; ainsi, J'y ai remarqué que l’eau fluviale peut rester longtemps dans des canaux d'irrigation sans augmentation sensible de sa teneur en sels, pendant que, sur les hautes digues bordières attenantes, le sel de Glauber finit par former des couches de plusieurs centimètres, qui continuent à s’accroitre durant tout l’été ; le plus souvent, l’eau du sous-sol se 424 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. montre aussi, à l'analyse, relativement pauvre en sels ; ce qui n’em- pêche pas ces derniers de s’accumuler à la surface en grande abon- dance, par l'effet de la forte évaporation. Dans le cas des lacs hongrois ou des canaux de la Californie c’est donc.bien l’eau de ces récipients qui supplée à l’évaporation de la surface du sol ; et si elle ne s’enrichit pas à son tour en sels au con- tact de la terre saturée, c’est que, de l'appel continu d’eau à la sur- face, il résulte un courant opposé à celui de la diffusion et primant cette dernière. On a remarqué ce qui à été dit de l’extraordinaire ténacité et imperméabilité de l'argile salifère de la plaine hongroise et du sol de szik, qui en dérive et de sa manière de durcir comme pierre en se desséchant et de se fendiller en colonnes verticales, sé- parées les unes des autres par de profondes gerçures; tout cela pro- vient du carbonate de soude qui à la singulière propriété de faire prendre à l'argile « la structure de granules isolés (Æinzelkorn- Struhtur) »; le reste est la conséquence de ce phénomène primordial, qui est connu dans toutes les régions alcalines ; nous en avons déjà parlé à propos de sols californiens. Quant aux sols de szek, les des- criptions rapportent qu’à l’état mouillé ils prennent une consistance semi-pâteuse, à telles enseignes que si, par exemple, on s’avise d’y ouvrir des canaux, ils se comblent aussitôt ; ce défaut de résistance favorise aussi la formation de marais Lemporaires qui, dans certains cas peuvent atteindre une profondeur considérable. Nous avons parlé plus haut de sols américains analogues qui se comportent de la même manière. En définitive, malgré une origine quelque peu différente, les sols salants de Hongrie sont bien pareils à ceux des autres régions conti- nentales, au point de vue de la plupart des circonstances capables d’influer sur les conditions de leur utilisation agricole, seul le szek ferait exception, puisqu'on nous le dit excessivement pauvre ; mais encore cette exceptlion-là même s’applique-t-elle probablement et uni- quement à l’expression la plus extrême du type, au « szek aveugle ». En tout cas, l'amendement des deux catégories se ramènera à l’ap- plication des mêmes principes que l'expérience a si formellement sanctionnés en Amérique (voyez plus loin); avant tout il s’agit de neutraliser par du plâtre le carbonate de soude, incomparablement FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 425 plus nocif que le sel de cuisine et le sel de Glauber. Pour parler plus spécialement des sols de szik, le plâtrage fera à ces terrains, vraisem- blablement très riches en eux-mêmes, le plus grand bien ; dans de nombreux cas, le plâtre suffira à rendre aptes à la production agri- cole régulière des espaces aujourd’hui cultivés seulement d’une fa- çon très aléaloire, ou bien utilisés uniquement comme de misérables pâturages. Nous avons déjà insisté plus haut sur ce fait que, lorsqu'il s’agit de sols plastiques comme le szik, la neutralisation par le plâtre n’est pas seulement nécessaire pour combattre l’action nocive immé- diate que le carbonate de soude exerce sur les végétaux en vertu de ses propriétés corrosives, mais encore pour amener un changement complet des caractères physiques du sol même ; le dernier résultat étant tout aussi indispensable que le premier pour faire entrer l’uti- lisation agricole du sol traité dans la voie normale ; il faut souvent beaucoup moins de carbonate pour produire ce tassement si fâcheux, qu'il n’en faut pour nuire directement à beaucoup des végétaux agri- coles. J'espère que, sous peu, les stations agronomiques hongroises au- ront expérimenté sur place Papplicalion du plâtrage aux «szik» et aux szek », et que ce procédé si simple ne tardera pas à être porté à la connaissance des cultivateurs *. E. — Composition du salant dans les divers continents. 1 Observation. — Afin de rendre la comparaison plus aisée, je ne donne ici que la composition seule de la partie soluble des efflores- cences ; 1l est aussi fait abstraction du plâtre qui peut parfois exister dans les efflorescences ; les analyses qui n’étaient pas conformes à ce modèle, y ont été au besoin ramenées par le calcul. 2° Observalion. — Il n’est pas douteux que dans un très grand nombre de cas la présence de la potasse, des nitrates et des phosphates a été simplement méconnue par les analystes. 1. Nous avons déjà eu communication de deux exposés des recherches de M. Hil- gard dans la presse spéciale hongroise; celui que nous avons sous la main a paru dans le Foldmivelési Ertesito du 29 janvier 1893, sous la signature de M. Peter ; voyez : Szek és szikes talajok a Külfoldün, pp. 109 et 110. J:-X. ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 426 OT 00F|00 001100 007100 007100 00100 001100 007100 00700 001 6209 986 L'86 G0°0Y | 9°0 6 86 s& I °« z!I62IV » € QUOI » *« CUOLT, » ‘oSipuog ‘uezzo oyd ASE "AlIYVHLSAY ‘HAÔOIMAY °« toux » ‘opur y EXINT » ‘uopy *OXCIVI 9P OUICIX *8T ‘A ‘enmoyorA ‘oungmonby fo quougundec “FT où UNOIINE ‘8 *ITOU IJUOIE OXIP--780,9 ‘CUIUS » ISSn% oo dde,[ uO ‘I 00 001100 001 ‘TeJOT, 19 $K) wmntsou$ew 2p 9110) ('OS SK) oisqu$eu op exeyns ("oa ex) opnos op oyeuydsoyq * (DEN) wnipos ap 91n401y) (09 ex) opnos ap ayeuoquen : (’0$ en) opnos op * ("os °x) ossejod op oeyins "02991904 | “EXSOIEN TT, mm *« OYS27S » ‘osroxSuoug oured osseg ‘IdOHAA 427 OMPOSITION DES SOLS. C FORMATION ET 00°00T 00007 00'O0T 6C°66 6r°0 80°" 00T 98°£ « mr." GG G 63 &6 90°0 « 6&° IC 10€ 96°0 ‘s8uudg poon -u0n07 LF°66G LT'0 F9°66 66°Y « ne A OF'T LT CT 9T°0 00'00T £0°0 6C°CF 86 &8°0 00°O0T 06'£ IF°66 Sr °66 IF'Y LL ÿ£'0 FR ° re Y2017) uen -Ue1Y 2] A7 ns ‘Kiunor) ja Eu X #01) ‘sey11ll 2YPT QD: OL9NIHSYA 00°O0T « « « LC'OT ac €) « « 6ç°9 &9°0& 00"001T “euy eueS soad roysuru -1S9 M 00'O0T 00"00T OST OC'‘TOT 10 ‘y « 1g'9 F9°9 « 88’ LE « IF°0 IG‘ 0. ag" 0 *oup IUT uvs saad “sun 00'O0T « ‘0 16°0 y 0 Gr°S$ « £T'OT ‘nv9,[ SUCP 9IANIOS 00°O0T 90°0 90'00T LOF « 6&'0 £c'0 « CRT 60° . 0£'0 £c'0 CT'O 66°98 FT'G PET 19°6€ 0F'0 61°0 00'O0T 00"O0T IF'T « cz°"7 16 G CL°FI gc'ge SL'GT gz “CZ « G6'£ 00°00t 00"O0T £a °08 00'O0T « « co '& GF'LT G°TE « &l'9F « « « FGF QF'T CG'GL 86 GI 1927 « « oryied er ep uoryIsoduro” 00007 00'007 [00 007 00'001 99ÈT 99"10T G6'LT ar°0 07'2 G9'TI OC'OT 0G°£T CO'T 60 7£'O0T 60°86 « ICT 69°"9T « [2 dat) 16°& « geo « 09 LG 9279 « L'ESG 96° LT'&0T |96'cOT FO'T FO'OT 0G'£T LG" ST « 6G'& GT'0 GT'OOT GT°2T « FL'0 6T 98 18°9 6rI°& 69 & « « “onbrur -ouor$r uo13e1S *oA8(O\ “paers] ep ua nord A D -09 unbrof ueg op ostq ‘erestA | ‘usyso9 RICA) (\ DITAUT ‘ALNNON9 HAVINnL -1240 — © —_—_— — —_—_—_—_—_— © mm ‘"HINHOAHITYO ‘1807, (on FCHN) onberromure,p o1eu04q1Rf) B (OS SIN) orsouSvur op o7eyins *(Oa enr) opnos op ayeydsoqa © ‘(TO UN) tunrpos 9p axn101q) ‘09 EN) 9 pnos 9p oJUUOUIEE) * + (FON UN) 9pnos8 Op 9JRAJIN : (OSTeN) opnos ap orme ( 09) osseJod op oyuuoqiro) + : (OS 5x) ossejod op ozeyms : SHOSIEUIQUION) ‘16307, ‘ou984X0,p 899X9,p 981%9 In0d aumnpop VY -nv9 Jo onbruv$10 oouvysan& > * + (FHN) onbernoumuy SI 1 . Peu | . .. (19) 91049 dE l'ont anbITOqIU9 2p19Y CRT O NX) nb OproY SPC RC Q onbrnyins 9PI0Y - : (fo fa) onbroydsoud oproy ) ‘0 fo) ouFuuTs 99 497 9p oPÂXO QT :(0 SIN) O1SOUSEIN s * : (O%N) xnëqn : * (OFEN) opnog G *(0 FX) 288804 * * (FOIS) coms SOPI9E J0 Sos "stun-59814 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. 428 *IDQUETA 9P [98 19 AUISIN9 9P [9S ‘€ *eL8F ‘uephñox ‘% *HL84 ‘odoy s,uophop ‘} = d—_—_—_—_—_—_—_—_—_—_—_—_—…—…—"—…—…"—"—"”"…"”"—"—"…"—…"…"—"—…"—"—"…—"—"—"—"—"—"—"—"—"…—"—"—"—"—"—"—"—"—"—"—"…—"—"—"——…—"—"”—"—"—"—"—"—"—"—"—"—"—"—"—"—"—"—"—…———— 00"O0T « « 0218 «€ 06°GT « 00°007 | 00'O01 « « « £09°9 & 68 Ki « « 08'OT « 0r'66 « LUIENIV J9AU9 said TT == € YASVUAIN “OUVUOTON 00007 | 0000 00007 | 00'00T | 00°00F | 00'O0T 00°00T ar'Sy 1G'£&T F6'S£ ST SORT c8'£ 19°& CT 9 8T'0 160 09°FI LF° 18 « 86°c& 8196 66'£T IL'0 € & G « « « « « « 66°6 £6°88 1T°62 Gc'0 6L'9L OT'2F 8£'°£7r vc'9c « « C L0'& 6c'8 10°€ L6°& 00'00T « « « « « g6'ss LL'T “orqnjos oryred er op uoryrsoduon 6L1°66 08°0 6c'O00T g81°G 02°66 sr'€ ST 60T 68 T OCT GT'T 16°G 16 T8 19° 66 t0'0 69° 66 06°6 F6 |O1To | 0'o gg |9s0 | co'o . « « « re tr | eres | 7e'es | 81°ee 900 « € € 800 |&r'0 6Ler | 6 |6T'1T Pu:00cL | Te Ted TEL To"eT | 6g'ge | 06'8r GT 18'0 LT'T oo |200 | og'o 10°" 00T IT'0 ST 'OOT 66 7 &L°66 SVT FI'JOT &L'6T 68'9 96°& « TONI gç°T OG'T "aJITA -19097) ‘189q said ÂApou ‘rnosstN 101 uns me d É np oule1d 99[T8A +, mm" ‘EUWIOH said "oxeT 190% souopuod -9pu] ER “TTENTV ‘aones [PSS -SnN up o9]1EA tqoang) | oo sy1940Y *uoquog | ‘JAI +, £yuno s Aie c à JureS "AVHL YALYAMLAHMS ‘UNBIAHANS IUNOSSIN ANG HHTIVA I ‘YNYINON ‘ONINOAM “YOFAIN * * * (OS SN) oxsouSeu op ejeyins * * * * “(10 EN) umrpos op e1mxo[q) : * + (f09 EN) epnos op oyeuoqie) * * * : *(FONEN) opnos op e7emIN ° :" * : (OS EN) epnos ap ezezing : * + * “(OS 55) osseJod op oyezmnsg : SUOSIEUIQUO() ‘18100 ‘ou98(x0,P S99X0,p osn%9 1n04 O1np9p Y * * nvo 0 onbrue$io ooueysqne CORRECTE) NT (19) 210149 : + + : (09) onbruoqit9 opoY st et * (FO N) on bruIu ep * + + * (OS) onbranyins eproY * : : : (O*a) enbnowäsoud eproy “(fo Srv) ‘(FO fox) ourwunye 10 jej ep ep4xOQ e Mo eo) at ets Nr NE NUE (08) O1SOUSEIT °Lottettatanss * (079) xneu9 protons Ces Dai ix ‘(0 EN) epnog sv aptes. dfotets Lee ses ‘(0 x) essuJ0a pe) Bio ie/fe ds ts a ele (O1) ao11ts : SOPI9® 70 S98ET "stuN-5924 FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 429 Pendant que nous parlons analyses, disons quelques mots sur les difficultés qu’opposent à l'appréciation culturale des terrains salants par voie chimique, les changements incessants dans la distribution verticale des sels. La distribution verticale du salant dans le sol va- rie avec la saison ou plutôt suivant le temps qu'il à fait depuis la dernière pluie ou irrigation ; suivant l’abondance de celle-ci; enfin, suivant la nature plus ou moins sablonneuse ou argileuse du terrain; plus une terre est argileuse, et plus le salant a la tendance de s’ac- cumuler à la surface, qui seule, dans ce cas, évapore d’une manière considérable ; tandis que dans une terre sablonneuse l'évaporation ne se produit pas seulement à la surface, mais toujours plus ou moins aussi à l’intérieur. La détermination du taux moyen de la salure et, surtout, la Juste comparaison de plusieurs terrains salants donnés n’est donc pas pré- cisément chose facile. En tout cas, il est obligatoire de prélever les échantillons dans des conditions nettement déterminées. Je considère qu’en opérant les prélèvements à une certaine profondeur — un demi-mètre ou peut-être davantage, — au moment même où les efflorescences viennent de se manifester à la surface, on aura le plus de chances d'obtenir des chiffres stables et comparables entre eux. Mais il y a encore beaucoup à faire avant qu'on n'arrive à des règles sûres. Voici, à titre d’exemple, la distribution du salant dans le sol d’une tache alcaline de Fresno, Californie, deux semaines après une irri- gation. Profondeur, en mètres . . . 0,025 0,450 0,550 1,050 1.1815 Pourcentage de sels, . . . . 0.76 0.20 0.18 O"T'GRPCOCÉZS La croûte qui se forme à la surface du sol pendant la saison sèche, contient généralement de 2 à 4 p. 100 de sels solubles; mais la poudre cristalline, qu’on trouve fréquemment et qui constitue la vraie efflorescence, peut en contenir jusqu’à 80 p. 100. Il y aurait encore bien d’autres choses à dire sur ce chapitre ; tous ces embarras n’ont cependant pas de rapport direct avec le parti que nous nous 430 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. proposons de tirer de nos tableaux, dont nous allons aborder la discussion”. Ces tableaux prouvent que, sur-tous les points du globe où les conditions climatériques déterminent des efflorescences salines, celles-ci consistent principalement en trois sels de soude : sel de cui- sine, sel de Glauber et carbonate. Le sel de Glauber est presque tou- jours présent en grande quantité ; dans plusieurs localités il prédo- mine même d’une façon presque exclusive ; plus spécialement là où 1. Au fait, l'étude de la répartition du salant dans le sens vertical est encore beau- coup plus compliquée que M. Hälgard n'a pu le résumer dans ces lignes ajoutées après coup, à la hâte et à la veille de sa rentrée en Amérique. Ainsi, il ne faudrait pas croire que la concentration du salant suive toujours et dans tous les pays la marche réguliè- rement décroissante de haut en bas, qu'offre l'exemple donné ci-dessus, qui n'est par- faitement typique que pour les conditions californiennes ; pour ne donner que quelques preuves prises au hasard, le travail de MM. Berthault et Patur'el sur les terres du domaine de l'Habra (Annales agronomiques, 1889), et le mémoire de M Hardon sur la création du vignoble de l'Eysselle et le projet de dessalement du plan du Bourg (Journal de l'agriculture, 1889) contiennent des séries de dosages à trois différentes profondeurs pour chaque point ; il est impossible d'y dégager aucun ordre de gra- dation. L'affaire se complique encore davantage par le fait de l'inconstance de la composi- tion quantitative du mélange salin aux différentes profondeurs d'un même point, cir- constance qui a été déjà longtemps signalée aussi par des chimistes français (voyez citations dans G. Gautier : La culture des terrains salés; Revue scientifique, 1874). M. Hilgard a beaucoup étudié ce phénomène en Californie, bien qu'il n'ait pas encore eu l'occasion de résumer ses recherches à ce sujet dans un travail spécial; je tiens de sa bouche quelques explications des plus intéressantes sur le rôle joué dans ces cir- constances par la manière de se comporter des différents sels relativement à la cristal- lisation. Les différences dans la faculté d'ascension capillaire des solutions salines inter- viendraient-elles de leur côté ? Les chiffres constatés par M. Sostegni semblent donner quelque vraisemblance à cette supposition (le travail a paru dans l'Agricoltura lIla- liana, Bolletino di stasioni sperimentali agrarii italiani, vol. XVI, 1889, p. 48); je ne le connais d'ailleurs que par un résumé de quelques lignes inséré dans le Jahres- bericht auf ‘dem Gebiete der Agricullurchemie, 1890, p. 26; M. Whitney aurait publié quelques recherches analogues dans un ouvrage intitulé : On the distribution of crops (Bulletin of the Meteorological section, Department of Agriculture, Was- hinglon, n° 4), que je n’ai pas non plus lu moi-même. M. Hélgard m'écrivait en 1892 : « Vous avez raison de considérer que les variations incessantes verticales au:si bien qu'horizontales, intervenant au cours des saisons, ete., dans le degré d'impré- gnation des sols salants, rendent particulièrement difficile leur classification agricole avec l'analyse chimique seule ; en ce qui me concerne, je tiens toujours compte de la végétation et je me guide beaucoup sur la physionomie botaniqu: du fe-rain dan; m:s appréciations. » Les cultivateurs ne procèdent pas autrement. JON S FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 431 il existe des affleurements ou en général de nombreux gisements de plâtre ou de roches contenant de la pyrite de fer, conditions qui se réunissent le plus facilement dans les formations tertiaires et dans là craie supérieure. Il a déjà été mentionné plus haut comment, dans certaines parties du Nevada, le sable blanc grisâtre dans lequel parfois on enfonce jusqu’au genou en marchant, consiste principale- ment en sel de Glauber effleuri à l'air. Les petits lacs salés du Montana et du Washington sont saturés aussi principalement par du sel de Glauber, avec un peu de sel de cuisine ; la quantité, la présence même du carbonate de soude dans le mélange est subordonnée à l'existence et à l'abondance de la végé- {alion ou de restes végétaux (nous avons déjà effleuré explication de cette relation, à laquelle d’ailleurs, nous reviendrons encore). Les végétaux souffrent, d'autre part, particulièrement du salant lorsque le carbonate de soude entre dans sa composition; c’est à tel point qu’on peut se guider sur ce caractère pour reconnaitre la présence du carbonate avant même de recourir à l'examen chimique. Pendant que nous y sommes, rappelons encore quelques autres si- ones sur lesquels il est possible de se guider en pleine campagne pour juger de la présence du carbonate. Ceci est d’un réel intérêt pratique : 1° si vous vovez des endroits qui, bien qu'humides, paraissent extérieurement assez fermes el que, cependant, à l’essai, les hommes ou animaux passent au travers de la mince croûte superficielle et s’enlisent, vous avez affaire le plus souvent à un marécage alcalin; 2° ou bien si vous rencontrez des flaques peu profondes, remplies d'une espèce de bouillie limo- neuse au lieu d’eau (il suffit que des oiseaux aquatiques aient une fois, en barbotant dans la flique, mis en suspension le limon, pour que, dans une eau contenant du carbonate de soude, il ne se dépose plus); 3° si, dans une eau courante, vous constatez la vigoureuse propagation d’une espèce particulière d’algue qui flotte çà et là au gré des vents, puis, par morceaux s’arrache pour aller continuer son développement dans les lacs sans issue qu’elle couvre d’épais tapis — on dirait de la flanelle (ce phénomène attire généralement la curiosité des habitants et des voyageurs), vous pouvez encore vous attendre à trouver du carbonate de soude dans l’eau. 432 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Pour ce qui est des autres sels, le sel de cuisine se reconnail aisé- ment à sa saveur, le sel de Glauber à son absence de goût. Voilà pour les trois sels principaux. Les cas sont rares où on leur trouve adjoint du borax en quantité suffisante pour que cela puisse avoir des conséquences pratiques; mais il est presque de règle de constater dans le mélange de pelites quantités d'autres sels, dont la présence et le plus où moins d’abondance sont régis par les circons- tances chimatériques, mais encore plus par les circonstances géolo- giques; parmi ces ingrédients accessoires, les sels de polasse, les nitrates et les phosphales offrent particulièrement de l'intérêt, vu l’importance prépondérante qui leur revient dans les fumures artifi- cielles. Il va de soi que toutes les fois qu’une efflorescencé contient de ces sels précieux, le sol correspondant doit forcément être con- sidéré comme en étant sursaturé ; au point de vue pratique, cela revient à dire que de longtemps ou jamais de semblables sols n’au- ront besoin d'engrais minéraux. Examinons en quelle mesure l'existence de ces sels accessoires si intéressants est reliée aux conditions climatériques et en quoi, d’autre part, leur présence et l’utilisation des terrains qui en recèlent peu- vent être influencées par les circonstances locales. Les nitrates. — Toute accumulation tant soit peu notable de ni- trate exige des conditions climatériques très particulières. Ï faut d’abord une certaine température assez élevée (le mieux — environ 24° centigrades); ensuite un certain état modéré d'humidité; il faut que l'air ait libre accès, mais que les processus de fermenta- tion qui pourraient amener des réactions réductrices soient rendus impossibles; puis il faut absolument du carbonate de magnésie ou de chaux, et enfin, comme condition indispensable, le ferment de la nitrificalion. Toute circonstance nuisible ou fatale à la vie ou à Pac- tivité de ce ferment empêche par cela même, d’une façon plus ou moins complète, la formation du salpêtre. Or, les chlorures de calcium et de magnésium (sels des eaux- mères) sont fort nuisibles à la vie du ferment nitrique; de même les carbonates alcalins, pourvu qu’il y en ait une quantité tant soit peu considérable, par exemple assez pour mettre en dissolution l’humus FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 433 du sol. Ainsi donc, la formation de sels nitriques n'aura pas lieu du tout ou sera très faible dans les terrains salants maritimes et dans ceux des continents où le carbonate de soude est en grande prépon- dérance ; mais rien ne l’empèchera là où le « salant » consiste prin- cipalement en sel de cuisine et sel de Glauber. L'étude des faits confirme ces prévisions : l’analyse révèle des taux sensibles de ni- trates dans les points caractérisés par l çalcali blanc », c’est-à-dire par un mélange de sels neutres des deux alcalis et de sulfates ter- reux, et n’en accuse que fort peu ou point dans les salants maritimes ni dans les terrains à prédominance de carbonate de soude. Au Chili et dans les filons de salpètre du Nevada, on ne trouve aussi, en fait de mélange, que des sels neutres alcalins : chlorures et sulfates ; l'examen des efflorescences, riches en nitrates, du Mon- tana et de la Californie conduit à la même constatation. Les efflores- cences du Washington, particulièrement riches en carbonates alca- lins, ne contiennent que de faibles traces de nitrates. Le régime aride est favorable à l'accumulation des nitrates sous plusieurs rapports : 1° par le fait de la richesse forcée des sols arides en chaux ; 2° par le fait que humidité du sol reste toujours fort modérée ; 3° par la grande perméabilité des sols. Toutes ces conditions ont pour résultat d'accélérer les processus d’oxydalion et d’entraver les fermentations réductrices ; or, ces dernières, fort dé- veloppées dans les régions humides, sont doublement nuisibles ; car elles peuvent non seulement amener la suspension temporaire de toute oxydation, mais encore l’empoisonnement direct du ferment nitrifiant aussi bien que des racines des végétaux supérieurs, et no- tamment la formation des poisons minéraux auquels elles donnent naissance dans le sol (sels de protoxyde de fer et de manganèse). — L’imprégnation même très forte d’un sol aride par des carbonates alcalins, toute nuisible qu'elle est, n'empêche d’ailleurs pas absolu- ment l’emmagasinement de l'azote; l’analyse et même déjà l’odorat révèlent bien souvent, dans les terrains alcalins, un vif dégagement d’ammoniaque, provenant sans doute de la matière humique qui se comporte, dans ces conditions, {tout comme si on la faisait bouillir avec de l’alcali caustique au laboratoire. Dans certains endroits, ce processus est même si énergique que l’on cherche involontairement ANN. SUIENCE AGRON. — {892. — 11. 28 434 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. quelque tas de fumier pour s’expliquer l'odeur ; or, ce n’est que le simple effet de l’ardent soleil d'été venant échauffer un sol de vallée riche en humus et imbibé d’ «alcali noir » ‘. Rien d’étonnant, dans ces conditions, qu'il arrive de trouver parfois des sels ammoniacaux dans les efflorescences — encore un fait qui montre que les terrains arides sont bien partagés sous le rapport de l’alimentation azotée. Ajoutez à cela que rien n’y empêche les nitrates une fois formés de s'emmagasiner dans le sol d'année en année au lieu d’être emportés par les eaux, comme cela est fatal dans les climats pluvieux. La potasse. — La quantité de potasse dans un sol dépend essen- liellement du caractère des roches dont il provient. Dans les localités à prédominance de trachytes et granites, il y a beaucoup de potasse dans les sels efflorescents, aussi bien que dans le sol même; dans ce dernier — sous forme de zéolithes, ce qui distingue la potasse de la soude, beaucoup moins apte à prendre cette forme. Ma grande expérience personnelle m’a conduit à consi- dérer les analyses d’efflorescences qui ne révèlent pas du tout de potasse, comme élant tout simplement mal faites ; la potasse aura été englobée dans le calcul de la soude. Les analyses citées plus haut montrent qu’en Californie et au Montana les sels de potasse constituent fréquemment jusqu’à 7 et même 20 p. 100 de la totalité des sels solubles, laquelle à son tour peut être évaluée en moyenne à 0.2 p.100 du poids total du sol, au bas mot; les végétaux ont donc là à leur disposition — et sous une forme absolument assimilable — des quantités de potasse telles qu’on n’entrevoit réellement guère le moment où un apport arüficiel de potasse pourra devenir néces- saire. Il ne paraît y avoir aucun rapport particulier entre le taux de 1. Le Traité arabe d'Ibn-e}-Avan, déjà nommé plus haut, fait mention, à la page 57 du 1° tome (traduction C'ément-Mullet), d'une « terre helléborine » (a! Kharbaguiah, celle qui exhale une odeur pareille à celle de l'hellébore, odeur fétide) ; c'est la plus mauvaise des trois qualités de terres salantes citées. Par sa chaleur excessive, elle gâte toutes les plantes qu'on y sème ; cependant elle est bonne pour les fèves, ete... L'odeur ammoniacale ct le fait que des plantes à grosses graines peuvent réussir quand même, sont tout à fait d'accord avec ce qu'on observe dans les « terres à carbonate de soude » de notre terminologie, FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 435 potasse dans les sels efflorescents et la réaction (neutrale ou alcaline) du mélange salin; c’est-à-dire que la formation du carbonate semble n'être guère influencée par la présence ou par l’absence des sels de potasse. Les phosphales. — Le peu de solubilité des phosphates terreux laissait prévoir qu’on ne trouverait que des traces d’acide phos- phorique dans les efflorescences à réaction neutre ; c’est ce que l’expérience a confirmé. Mais, dans les cas où il existe de notables excès de carbonates alcalins (c’est-à-dire lorsqu'on a affaire à de P « alcali noir »), 1l y a presque toujours des phosphates solubles, et ceci dans des proportions dont l'alimentation des végétaux ne peut que se ressentir d’une manière très sensible et favorable à la végétation ; souvent il en est de l’acide phosphorique comme de la potasse, c’est-à-dire qu'il y en a Lant que les agriculteurs n’au- ront pas de longtemps l’occasion de recourir à des engrais phos- phatés. Le salant «blanc » aussi bien que le salant «noir » contiennent donc de vrais trésors d'alimentation végétale ; c’est donc une bien avantageuse opération que d'étudier le salant de plus près afin de rechercher les moyens de paralyser ceux de ses effets qui sont nui- sibles à la vie végétale, tout en profitant de la richesse intrinsèque qu’il représente. , F. — Formation de la soude naturelle, Toutes les tentatives d’expiication de l'existence du carbonate de soude naturel — « alcali minéral, trona » du vieux commerce — que Von trouve généralement dans l’ancienne aussi bien que dans la récente littérature scientifique, se réduisent à la simple swpposition d’un échange entre le carbonate de chaux d’une part, et le sel de cuisine et le sel de Glauber d’autre part, sans que jamais on ait cru devoir approfondir comment au fait se passe cet échange. Or, tous les jours, dans nos liboratoires les choses se passent juste à l’op- posé de ce qu'il faudrait pour aboutir au résultat désiré, avec cette explication, telle qu’elle est donné:. Un savant distingué a encore 436- ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. tout dernièrement cherché à démontrer à nouveau l’impossibilité de cette réaction :. Et, cependant, la réaction a été effectivement obtenue et décrite déjà en 1826 par Rudolph Brandes ; en 1855 Alexander Mueller?, sans avoir remarqué, le procédé de Brandes, publia une expérience qui, cette fois, enfin jeta une lumière complète sur le processus en question ; car Brandes n’avait nullement compris la condition essen- tielle qui consiste dans la présence d’acide carbonique libre dans la solution aqueuse; il avait attribué le phénomène au faible degré de concentralion des solutions; mais Mueller, pas plus que Brandes, ne semble s'être aperçu de la grande importance de la réaction, par lui constatée, au point de vue de l'explication des phénomènes na- turels. C’est à peu près à la même époque que je constatai que les résidus d’évaporation des eaux minérales contenaient très fréquem- ment des cristaux de sulfate de chaux en même temps qu'un liquide fortement alcalin; mais ce n’est que l’étude des efflorescences salines qui, plus tard, me poussa à examiner la chose de plus près et à scruter la bibliographie correspondante. Il y a quatre ans, mes assistants ont publié en Amérique en détail les résultats de l’étude quantita- tive de la réaction en question ; tout récemment j'ai reproduit leur mémoire en Allemagne *. Ici, il suflira d'indiquer les points les plus essentiels, pour faire bien voir au lecteur que cette réaction doit forcément se reproduire pour ainsi dire universellement dans les ré- o1ons arides ; que, de plus, elle ne peut ne pas avoir lieu dans toutes 1. Voyez le Manuel de chimie, de Graham-Otto, édité en 1884 par Michaelis (en Allemagne), chapitre Trona. 2. Journal fur Praktische Chemie. 3. Proceedings of the American Association for the Promotion of Agricultural Science, 1888 et 1890 ; Berichte der Deutschen Chemischen Gesellschaft, décembre 1892. 4. P. de Mondésir (Ann. de la Sc. agr. franç. et étr., 1891, vol. Il) a observé et étudié la formation du carbonate de soude sous l'influence des sols riches en chaux en même temps qu'en humus, et c'est au sol qu'il attribue le rôle prépondérant dans la formation des dépôts de trona, etc. Mais l'intervention de la terre n’est pas du tout nécessaire; la réaction s’accomplit promptement dans une simple dissolution aqueuse, et, par l'évaporation spontanée, on obtient le surcarbonate cristallisé, aussi bien dans le cas d'une solution chlorurée que dans celui d'une solution sulfatée. FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 43 les roches où il circule des eaux chargées d’acide carbonique ; c’est réellement l’un des plus énergiques parmi les processus décompo- sants et métamorphosants, et aussi l’un des plus généralisés. Le fond de la réaction consiste en ceci, qu’en présence d'acide carbonique libre les carbonates de chaux ou de magnésie, mis en contact avec des sulfates ou chlorures alcalins, donnent des carbo- nates alcalins et des sulfates ou chlorures terreux; lequel résultat persiste tant que les sels alcalins continuent à renfermer tant soit peu d'acide carbonique en excès sur le carbonate normal (sesqui- carbonate); or, dans la nature, pareil excès existe presque toujours ; plus particulièrement dans les sols riches en humus, où l’air cireu- lant à l’intérieur est toujours fortement chargé d’acide carbonique ; plus l'acide carbonique est en abondance et plus les solutions sont étendues, plus l’échange est complet ; dans des solutions contenant moins d’un gramme par litre, la Lotalilé du sulfate alcalin se trans- forme en carbonate. Naturellement, il faut que les carbonates terreux soient présents en excès. Comme nous l’avons démontré dans la première partie de ce travail, c’est toujours le cas dans les régions arides. Des carbonates alcalins se formeront donc, dans ces régions, sur tous les points où il y aura dégagement actif d’acide carbonique dans les sols aussi bien que dans les marais et étangs, pourvu que ces derniers soient couverts de végétaux en pleine vie ou renfermant des restes végétaux en décomposition ; dans le cas de sulfates alcalins, le phénomène a plus de facilité à amener des résultats définitifs considérables que dans celui de chlorures, à cause du peu de solubilité du sulfate de chaux qui échappe ainsi, pour la plus grande partie, à toute rétroac- tion possible, tandis que des chlorures terreux resteraient en solu- tion à la fois avec les surcarbonates alcalins. Ce qui précède fait comprendre pourquoi l « alcali noir » est re- présenté d2 préférence dans les bas-fonds et surtout dans les sols de vallées très riches en humus ; le dégagement très actif d’acide car- bonique n’est pas dans ce cas la seule condition spécialement favo- rable ; la plus grande humidité en raison de la topographie et du caractère plus argileux des sols des bas-fonds a aussi son impor- tance. 438 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. G. — Les climats chauds favorisent la formation du carbonate de soude. Geci tient évidemment à ce qu’une certaine température élevée accélère les processus de décomposition, que le froid peut même complètement arrêter. Alors que le «trona, kara, urao » constituait un objet des plus importants du commerce international, les mar- chés s’approvisionnaient en celte matière en Égypte, dans l'Afrique septentrionale, en Arabie, dans la dépression aralo-caspienne, au Turkestan, dans le nord-ouest de l'Inde, enfin au Mexique, toutes contrées à température fort élevée. Dans les climats froids il ne faut donc pas, à priori, d’une façon générale s’attendre à trouver d’abondantes accumulations de car- bonates alcalins ; les données pratiques sont cependant, au premier abord, quelque peu contradictoires sur ce point. Ainsi, au Montana on ne constate en effet guère dans les efflorescences que du sel de Glauber et du sel de cuisine avec plus ou moins de sulfate terreux (voyez le tableau) ; or, dans le Washington, situé en somme sous la même latitude, la proportion du carbonate de soude dans les efflo- rescences est aussi considérable que celle du sel de Glauber au Mon- tana. Au fond, cependant, ceci n’infirme pas la règle ; car, un examen plus attentif nous apprend qu’au Washington il existe une circons- tance toute spéciale, notamment : la presque totalité de la partie de l'État de Washington où l’on rencontre des efflorescences, a pour sous-sol la roche volcanique noire communément désignée sous le nom de basalte ; ces genres de roches sont toujours complètement dépourvus de sulfate de chaux et ne contiennent que tout à fait exceptionnellement quelques traces de pyrite de fer; les sources ha- bituelles de l'acide sulfurique font donc absolument défaut; l’effleu- rissement de la roche donne nécessairement naissance à des carbo- nates alcalins (le caractère très basique de la roche rend impossible la constitulion de silicates solubles) ; et alors, comme il n y a pas d'acide sulfurique, ces carbonates demeurent tels quels ; une partie est entraînée avec les eaux des nombreuses sources qui jaillissent FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 439 du fond des fentes de la roche; le reste s’accumule dans le sol rou- geûtre, produit immédiat de la décomposition de la roche, et, à l’occasion vient s’effleurir à la surface. Mais dans ce même État de Washington, et aussi dans l’Oregon, il se présente quelques cas où la roche éruptive est accompagnée de couches assez considérables, sous-jacentes ou superposées, appartenant à la formation crétacée ou tertiaire ‘; alors on y trouve, dans les efflorescences salines, la même prépondérance du sel de Glauber sur le carbonate de soude, que dans les formations composites du Montana et de la Californie. Les efflorescences à carbonate du Washington ne sont donc que des exceptions, régies par des circonstances locales parfaitement déterminées, et ces exceptions ne font que confirmer une fois de plus la règle générale. æ VII. — L’AMENDEMENT DES TERRAINS ALCALINS. Il n'entre pas dans le cadre du présent travail de donner des dé- tails sur l'amendement des terrains chargés de sels dans une propor- tion nuisible aux cultures; cependant, ce sujet est d’une si grande importance pratique, et aussi si instructif en lui-même, qu’une revue sommaire n’en sera pas deplacée ici. Naturellement, je vais parler surtout de l'expérience acquise et de la pratique courante de la Californie, ce pays est d’ailleurs le premier où la question ait été traitée sérieusement et simultanément au point de vue scientifique et au point de vue utilitaire ; peut-être est-ce anssi celui où l'application des résultats obtenus s’est le plus rapide- ment généralisée. Influence de l'irrigation. — Nous avons démontré que l'immense majorité des terrains à efflorescences doivent leur caractère à une insuffisance de pluie ; généralement, il est même indispensable de fournir arlficiellement de l’eau aux cultures que l’on voudrait y faire ; mais, contrairement à ce que l’on pourrait croire, le fait d’avoir ainsi 1. Ce qu'on appelle la formation basaltique du Nord-Ouest pacifique — el qui est probablement l’éruption la plus considérable du monde, — appartient à l'âge tertiaire moyen, et cède souvent la place à des couches tertiaires à fossiles. 440 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. suppléé par une irrigation artificielle à insuffisance des précipitations naturelles ne suffit pas encore à lui seul pour faire partir l'excès de I est même de notoriété générale, dans les contrées en question, que les cultures d'irrigation amènent les sels d’effleurissement à s’accumuler vers la surface, dans des proportions tout à fait extraor- dinaires. Or, c’est lorsqu'ils se présentent près de la surface que ces sels causent précisément le plus de dommages aux cultures ; il arrive couramment que des champs ou plantations d’un haut prix devien- nent complètement stériles au bout de quelques années d'irrigation. Voici l’explication de e2 phénomène, au premier abord paradoxal : Les irrigations, en usage dans les pays pauvres en pluies, ne peu- vent être en aucune façon assimilées, ni comme quantité, ni comme distribution, aux pluies naturelles abondantes des contrées à chmats mieux équilibrés. L’eau dont on dispose pour les irrigations coûte généralement cher ; il est donc naturel que l’on soit tenté de l’éco- nomiser le plus possible et de n’en fournir que juste ce qu'il faut à la vie des plantes que l’on cultive. Tandis que, dans les régions plu- vieuses des périodes de dangereuse sécheresse sont rachetées par d’autres pendant lesquelles l’eau arrive en grande surabondance, dans les pays à irrigation artificielle il est rare qu’il soit amené par le fait de cette dernière un surplus d’eau tel qu’il y ait écoulement vers les nappes profondes et de là dans les sources et ruisseaux, constituant le drainage naturel de la contrée ; car, au point de vue strict des exigences momentanées des végétaux en culture, il suffit de tremper le sol jusqu’à la profondeur des racines ; et encore celte profondeur-là varie-t-elle beaucoup suivant le genre de plantes dont il s’agit. Les sels solubles existant dans la couche arable ne se trou- vent donc nullement éliminés, mais seulement, pour ainsi dire, re- foulés à une certaine profondeur peu considérable, d’où ils se re- mettent bien vite à remonter, par le fait de l’évaporation, aussitôt l'irrigation suspendue ; de sorte qu’au bout de quelque temps, non seulement l’état de choses antérieur se trouve absolument reconsti- tué, mais encore la situation se trouve avoir de beaucoup empirée, et voici comment : Bien que les irrigations, telles qu’on les pratique d'habitude, ne FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 441 suffisent pas pour délaver le sol, elles ont cependant pour conséquence de le laisser trempé d’eau jusqu’à une profondeur que les pluies attei- onent rarement dans ces contrées-là. Ainsi, dans le sud de la vallée de San-Joaquin (Californie), les pluies ne pénètrent guère à plus d’un mètre au-dessous de la surface ; or, avec l'irrigation, surtout lorsqu'il s’agit d’arboriculture ou de vignes, la couche humectée atteint une épaisseur au moins double. Il a déjà été exposé plus haut comment la grande perméabilité par- ticulière aux sols des régions arides a pour conséquence d’y étendre à des profondeurs considérables les processus de décomposition (effleurissement) qui, dans les régions humides, demeurent limités à la couche arable ; d’où il résulte que le sous-sol s’y trouve immédia- tement apte à la production végétale, tout comme si c’était du sol même. La production de sels solubles des alcalis est, comme cela a été également prouvé plus haut, une manifestation constante des pro- cessus de décomposition (effleuriscement) tout à l'heure mentionnés ; or, tant que l’homme n'intervient pas pour modifier l'état naturel des choses, ces sels produits dans les couches profondes du sous-sol restent tranquillement là même où ils ont pris naissance ; mais du moment que l'irrigation vient imbiber d’eau jusqu'à ces horizons inférieurs, toute la grande quantité de sels qui s'y est accumulée durant des séries de siècles se trouve du coup comprise dans la cir- culation, et à ainsi occasion de remonter à son tour à la surface, pourvu que l’évaporation ait exercé ses effets pendant un laps de temps suffisant ; les végétaux en culture finissent par trouver, à peu près au niveau du sol des racines, une dose de sels deux ou trois fois plus grande que par le passé ; et c’est de cette façon que des propriétés qui, tant qu’elles n'étaient pas irriguées, n’accusaient point d’efflorescences perceptibles, deviennent quelquefois même tout à fait impropres à l’agriculture. La pratique paraît avoir démontré de plus, que la culture et lirri- sation peuvent, avec le temps, faire apparaître des carbonates alca- lins dans des terrains salants primitivement imprégnés exclusivement de sels neutres ; or, nous avons fait voir plus haut combien l’inter- vention des carbonates aggrave la situation. Le fait même peut être 442 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. admis avec vraisemblance, si l’on considère que l'irrigation, jointe à la culture, augmente dans le sol, dans des proportions considé- rables, toutes les oxydations et, partant aussi le dégagement de l’acide carbonique ; et que l’abondance de cette dernière favorise, à son tour, la réaction d'échange entre le carbonate de chaux et le sulfate de soude. Infiltrations (allemand : « Auffüllung » ; anglais : « resalting »; « underdrowning »). — La grande perméabilité des sols arides amène souvent encore un autre inconvénient : À moins d’un revête- ment spécial, les canaux qui apportent l’eau destinée à irriguer les terres, en laissent filtrer dans le fond une grande partie ; de telle sorte que parfois 1l se passe plusieurs jours avant que l’eau intro- duite à la tête du canal arrive jusqu'à l’extrémité inférieure de ce dernier. Au début, la perte d’eau de ce fait est réellement immense; cependant, avec le temps elle diminue ; et cela tient à ce que le niveau des eaux souterraines a eu le temps de s’exhausser considé- rablement. C’est à tel point que, par exemple, un pays où la nappe souterraine se trouverait à 12 ou 15 mètres de profondeur, peut ficir par avoir l’eau à deux mètres ou même à un mètre seulement de la surface ; dans les dépressions, il arrive que l’eau monte même tout à fait à la surface et convertit le sol en marécage. Si encore celte eau-là était de même nature que celle qui coule dans les canaux, il n’y aurait qu’un demi-mal ; mais cette eau ayant eu le temps de se charger de toute l'immense quantité de sels solu- bles contenus dans une épaisseur de beaucoup de mètres de terre, le sous-sol se trouve délavé en sens inverse, et la couche arable reçoit une proportion de sels décuple de ce qu’elle contenait auparavant. Les flaques d'infiltration stagnantes dans les dépressions con- tiennent quelquefois des dissolutions alcalines si concentrées, que toute vie y devient impossible. C’est par le phénomène tout à l'heure expliqué que le salant alca- lin est apparu dans l'Inde et en Californie, d’une façon si néfaste, sur de vastes superficies où avant on n’en avait jamais observé. Des terres, cultivées sans encombre de longue date, peut-être depuis plusieurs siècles, ont dû y être abandonnées de ce fait. Pour ce qui est de FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 443 l'Inde, la calamité a été causée surtout par les hauts canaux, puisant leurs eaux dans le Dshumna et dans le Gange, construits par le gou- vernement anglais, dans le noble but, en favorisant les irrigations, de rendre impossible le retour des famines. En Californie, le même phénomène d'infiltration a causé, dans quelques-unes des localités les plus fertiles de la vallée du San-Joa- quin, de tels dommages, qu’à l'heure qu'il est, la question de lirri- gation est reculée tout à fait au second plan, par celle du drainage. Les vergers les plus anciens, établis précisément dans des dépres- sions, dépérissent les uns après les autres. Il est urgent d’aviser, car le mal se propage avec une rapidité effrayante. Même dans les points où l’eau est encore restée à une certaine distance de la surface, le dépérissement des extrémités les plus profondes des racines et la réduction de l’épaisseur du sol exploitable se font sentir de la façon la plus triste”. 1. Dans l'Inde, la dégradation des terrains de culture par le fait de la « montée du salant » a eu licu dans des proportions si cffrayantes, que le Gouvernement a cru devoir convoquer une « Reh-comission » (« eh » — terme indien correspondant au « salant »; voyez plus haut) fort nombreuse ; cette commission paraît même avoir fait de la bonne besogne et publié un dossier d'enquête des plus instructifs. M. Hilgard a eu connaissance de l’affaire en 1882, par un ingénieur d'État indien, envoyé par son gouvernement en Galifornie, précisément à la fin d'étudier les conditions de ce pays au point de vue du salant et de relever ce qui, parmi les usages et observations propres à la Californie, pourrait servir, sous ce rapport, d'enseignement utile pour l'Inde, Ce fontionnaire a été assez obligeant pour faire parvenir à M. Hilgard certains des docu- ments issus de l'activité de la « reh-commissien » ; une partie en a été reproduite en annexe dans le Bulletin de l’année de la Skation agronomique californienne, inti- tulé : « On Alkaly lands, irrigation and drainage. » Les dégradations et « ressalements » par le fait d'infiltrations causées par des canaux d'irrigation ne sont pas particuliers à l'Inde et la Californie, malheureusement. Les agriculteurs du midi de la France ont eu à faire sous ce rapport aussi les plus tristes expériences ; je n'arrive pas à comprendre comment il se fait qu'aucun journal agricole n'en ait parlé. On ne s'imagine pas le nombre des procès « pour cause d'infiltrations » qui se plaident devant les divers tribunaux de la région du bas Rhône ; le plus consi- dérable est probablement celui provoqué par les dommages causés par le canal de Beaucaire. On trouvera à la Bibliothèque de la Société nationale d'agriculture de France, sous le titre: Le Procès de Lansac, un livre fort instructif, qui résume les extraits des minutes du greffe ef Les expertises faites sur ordre du tribunal, relativement aux terrains d'un groupe fort nombreux de propriétaires lésés dans cette affaire (n'existe pas en librairie), 3. Y. 444 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Le drainage. — Les infiltrations dont nous venons de raconter les fâcheuses conséquences ne sauraient évidemment être admises à se perpéluer en aucun cas, déjà rien qu’à cause du gaspillage inoui d’eau ; le revêtement des grands canaux en aura facilement raison ; et cette opération quoique fort dispendieuse en elle-même, se pré- sente encorecomme une bonneaffaire, lorsque l’on songe à l'immense quantité d’eau qui, grâce à cela, reste économisée et pourra être employée à la création de nouvelles cultures dans les terres aujour- d’hui encore abandonnées à la soif. Il y a bien un moyen de se dé- barrasser de l'excès d’eau en même temps que de l’alcali, tout en laissant continuer les infiltrations par le fond des grands canaux ; c’est-à-dire d'établir un bon drainage ; mais c’est se résigner à voir partir à la mer avec les eaux d’écoulement, des quantités immenses de matières nutritives, et se préparer de cœur léger, dans un avenir plus ou moins rapproché, la nécessité de l'emploi d'engrais chimi- ques. De plus, le drainage coûte aussi fort cher, du moins en Cali- fornie. Il y a donc double avantage à essayer d’abord de certains procédés moins radicaux qui, cependant, dans’un grand nombre de cas, suffisent parfaitement pour mettre les cultures à l’abri de « l’alcali ». Remèdes autres que le drainage. — Faisons observer tout d’abord que même dans les terrains alcalins les plus mauvais, les eaux du sous-sol et de la couche arable sont fort rarement assez chargées de sels pour pouvoir nuire aux racines des végétaux par elles- mêmes, directement. On ne trouve pas facilement des solutions à plus de 0.95 p. 100, excepté dans la couche tout à fait superficielle (celle comprise à partir de la surface jusqu’à la profondeur d’un centimètre), où l’on a déjà affaire assez fréquemment à des taux de 1 p. 100 et jusqu’à 3 p. 100, qui sont capables d’endommager directement les racines de beaucoup de plantes; plus spécialement Jorsqu’on a affaire à de l’ «alcali noir »; mais ce n’est encore pas là que réside le principal mal ; il est à la surface même, dans la croûte saline ; avec la rosée nocturne ou toute autre source d'humidité celle-ci donne lieu à une espèce de lessive fort concentrée dont le simple contact avec l’épiderme des végétaux suffit déjà pour leur LS, FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 445 causer, à la faveur de la chaleur solaire, un dommage souvent mortel. Il s'ensuit que le premier soin de toute culture en terre salante doit être de réduire pur lous les moyens l'évaporalion, qui est la pre- mière cause de l’accumulation du salant à la surface. Avec les terrains qui ne sont pas très fortement imprégnés, il suffit souvent déjà simplement de bien exécuter les labours superficiels, pour conjurer tout danger ; avant tout, il s’agit de ne jamais laisser la surface s’encroûter, ne fût-ce que passagèrement ; il va aussi de soi que l'accumulation du salant à la surface pourra être empêchée avec d'autant plus de succès que la terre sera en général entretenue bien meuble à une plus grande profondeur. Un autre moyen de réduire l’évaporation consiste à protéger la sürface par une couverture artificielle ou par l’ombrage ; ainsi, dans les vergers, on étend sur le sol du paillis ou des feuilles mortes. Ce qui réussit le mieux dans les terrains salants de Californie, c’est de ne cultiver que des végétaux à enracinement profond, ombrageant le sol assez complètement pour qu'il n’y ait d’évaporation que par les feuilles. Avec les cultures de ce genre il n’y a qu’à vaincre les diffi- cultés du premier établissement ; après on peut être tranquille ; il n'y a plus de danger. Le tout est de faire germer les semis et de les protéger jusqu’à ce qu’ils aient atteint un certain degré de déve- loppement initial. Les graines de petites dimensions sont de plus sujettes à souffrir du salant. Pour ce qui est de la luzerne (alfalfa), dont la culture s’est montrée particulièrement recommandable dans les terrains sa- lants de Californie ‘, la germination des graines ne souffre guère de l’«alcali blanc», mais celles-ci pourrissent très fréquemment dans le sol sans germer lorsque c’est de l « alcali noir ». On a encore cultivé avec avantage sur les terrains alcalins, et sans précaulions spéciales, la ramie, le cotonnier et d’autres plantes, toutes à feuillage abondant et à racines pivotantes et profondes. On échoue généralement avec les boutures, mème avec celles de la vigne et des saules; la reprise de plants enracinés se fait avec moins de difficulté. 1. D'ailleurs aussi dans tous les autres pays à sol salant. J2:Ÿ: 446 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. L’ « alcali noir » exige des mesures spéciales ; rappelons que cette désignation s’applique aux terrains qui contiennent une proportion de carbonate de soude suffisante pour amener la dissolution de ’humus, et pour se traduire, en conséquence, par une coloration noire des mottes ou par des anneaux foncés autour des flaques desséchées. Ici, il n’y a que dans les cas tout à fait bénins qu’on puisse arriver à des résultats satisfaisants sans recourir au plâtrage. Les terrains à alcali noir se présentent tantôt sous l'aspect de sur- faces continues, tantôt comme taches, disséminées à travers des kilo- mètres et des kilomètres de champs ; jusqu'ici on les considérait comme totalement impropres à l’agriculture, car toutes les tentatives de les amender par des fumures de diverse nature avaient échoué piteusement. Lorsque le carbonate de soude se présente dans des terrains argileux, ni la bêche, ni la charrue ne peuvent les entamer: ce n’est qu’à la pioche qu'on arrive à arracher à un pareil sol de gros blocs, qui résistent à l'outil et deviennent durs comme pierres lorsqu'ils se sont définitivement desséchés au soleil. Avec les procé- dés de labourage les plus perfectionnés, il est impossible d’obtenir ne fût-ce que quelque chose de semblable à une couche arable ; avec les meilleurs soins on n'arrive qu’à avoir des mottes arrondies, de toute grosseur, cependant guère au-dessus de la grosseur d’un pois ; en persévérant, on peut bien les réduire davantage, mais on ne réussit point à faire prendre au sol la structure indispensable au développe- ment normal des végétaux agricoles. L'analyse mécanique ne révèle souvent aucune différence sensible dans la composition d’un pareil sol, comparé à quelque bon sol de jardin du voisinage, se cultivant avec la.plus grande facilité. La différence à la culture ne saurait donc être attribuée qu’à la présence du carbonate de soude. Après chaque pluie ou irrigation il se rassemble, dans les dépressions de ces sols, une eau de teinte brun-café, souvent rappelant du jus de fumier, d'aspect aussi bien que d’odeur ; en même temps le dessus des mottes apparaît blanchi (effet du délavage de l’humus) ; plus tard lés mottes se recolorent cependant par l'effet de l’ascension capillaire de la solution humique, et finissent par reprendre une teinte tout à fait noire, presque comme de l’encre. Si on s’avise de semer du blé dans une terre de ce genre, les semences pourrissent en terre FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 447 la plupart du temps; si même elles lèvent, il n’y a qu’une végétation chétive, des brins grêles et jaunâtres qui périssent d’ailleurs géné- ralement sans avoir formé d’épis. Tout apport de fumier de ferme ne fait qu'empirer la situation ; cela tient à ce que le fumier dégage des quantités considérables d’ammoniaque dont l’action corrosive vient s'ajouter à celle du car- bonate de soude. Il n'y a pas à insister davantage sur l'impossibilité de toute nitri- fication dans ces conditions absolument fâcheuses, auxquelles seules l’«alcali-grass » (Distichlis marilima) et quelques autres chénopodées les plus résistantes ont su s'adapter. De même pour les terrains à réaction alcaline, de nature argileuse ; mais les terrains sablonneux de cette catégorie ne valent guère mieux: dans ces terrains sablonneux il se forme, à une certaine profondeur — 1/2 mètre à 1 mètre — à l’intérieur du sol, une couche fort dense et résistante constituée par l’argile de la terre supérieure, qui a été entraînée dans le fond après avoir été mise en suspension par le carbonate ; cette espèce de couches imperméables interposées dans lé sous-sol est un indice sûr du caractère alcalin du salant ; on con- çoit qu’elles amènent la stagnation des eaux en même temps qu’elles opposent au développement des racines un obstacle mécanique im- médiat ; en résumé, l’agriculture en souffre considérablement. Il faut donc toujours commencer par éliminer la fâcheuse influence du carbonate; c’est ce qu’on obtient en le transformant par le plà- trage. Modification des terrains infestés d’alcali noir sous l'influence du plâtrage. — Le plâtre entre en échange chimique avec le carbonate de soude et annule de cette façon l’action corrosive de ce dernier sur les végétaux ; mais ce n’est pas tout ; il y a encore modification phy- sique des plus remarquables, comme on s’en peut assurer par l’ex- périence fort simple que voici : arrachez au sol alcalin à l’aide de la barre un bloc de terre ; il est dur et tenace comme un pavé ; eh bien, saupoudrez-le de farine de plâtre et humectez-le ; déjà au bout d’une demi-heure vous verrez le bloc commencer à se ramollir et à s’effri- ter ; dans l’espace de quelques jours il n’en restera qu’un tas de terre 448 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. parfaitement meuble, représentant un volume considérablement su- périeur à celui du bloc primitif. Cette démonstraison donne entre autres l’explication de ce fait mentionné plus haut, que les taches à carbonate se présentent toujours comme de petites cuvettes plates, enfoncées au-dessous de la surface générale du champ: en effet, la destruction de toute structure floconneuse — résultat de l'influence du carbonate — à pour conséquence une diminution de volume du sol et, partant, un tassement de la couche et un abaissement de la surface atteinte par le carbonate. Le simple traitement au plâtre avec addition de l'humidité néces- saire pour la réaction, suffit couramment pour qu’on voie ces taches noires et déprimées foisonner et peu à peu, en se gonflant, s’élever jusqu’au niveau général du terrain environnant non alcalin. On arrivera cependant, naturellement, beaucoup plus vite au ré- sultat désiré, en secondant ce phénomène spontané par des labours aussi répétés que possible afin d'accélérer l’ameublissement du sol et favoriser la pénétration du plâtre dans toutes ses parties. Le terrain alcalin ainsi amendé ne donne plus lieu à la coloration noire des eaux stagnantes, la matière humique étant précipitée par le plâtre ; à partir de ce moment, il peut être mis en culture sans plus de façons. L’ameublissement spontané continue d’ailleurs à faire des progrès encore durant plusieurs mois, et les qualités agricoles du sol s’amé- liorent toujours, à moins qu'il ne survienne une nouvelle montée d'alcali du fond. En général, comme il a été déjà dit plus haut, il n’y a pas beau- coup à craindre de ce côté; dans la règle, 1l suffit donc de neutra- liser le stock de salant contenu dans l’épaisseur du premier mêtre ou de deux, et qui seul supplée au jeu de la capillarité et aux montées et descentes alternatives. Mais, si toutefois, il y a réellement approvisionnement continu par le fond, et qu’on n'ait pas la ressource radicale du drainage, alors on reviendra avec le plâtrage tous les ans, et on ne ménagera pas les quantités à employer. L’essai au papier réactif indiquera d’une façon nette qu’il y a lieu de répéter l’opération; il ne faut évidemment pas attendre pour cela FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 449 que les végétaux commencent à montrer des signes de malaise ; il faut de préférence intervenir sans délai, dès que le sol recommence à accuser une réaction alcaline, ce qui arrive déjà avec des teneurs de carbonate qui sont encore beaucoup trop faibles pour faire effec- tivement souffrir les cultures. D'ailleurs, le plâtrage modéré mais répété sera préférable dans beaucoup de cas, même là où il aurait été, au besoin, possible d’ob- tenir un résultat durable avec une seule application, à la condition d'employer une très forte quantité; c’est qu’en effet, pour neutra- liser d’un seul coup ce qu’il y a de carbonate dans une couche d’un mètre d'épaisseur, par exemple, 1l peut en falloir une dose considé- rable, qui constituerait une bien grosse dépense ; c’est pourquoi, la plupart du temps, l’agriculteur préférera aller doucement ; dans les cas relativement bénins, il obtiendra déjà un bon résultat rien qu’en mélangeant un peu de plâtre grossièrement moulu aux semences, à celles de la luzerne ou du trèfle, par exemple. Dans un très grand nombre de cas, 300 à 600 kilogr. de plâtre par hectare assureront parfaitement la bonne levée des graines, en les mettant à l'abri de la corrosion par le carbonate ; tandis qu’un traitement radical peut exiger, dans de mauvais cas, jusqu’à 2 000 et 2 500 kilogr. Il y a là une différence de dépense première qui plaide bien en faveur des traitements faibles répétés. En soignant bien les labours et en veil- lant continuellement à ce que les champs soient tenus dans un état d'ameublissement parfait, on peut réduire l'ascension annuelle du sel à un minimum à peine perceptible ; et alors il suffira de mettre, chaque année, juste ce qu’il faut de plâtre pour ramener à l’état neutre la couche la plus superficielle, sans en introduire du tout dans le fond des sillons. Dans les vergers et vignobles, la dépense de plâtre peut souvent être réduite davantage encore, en n’en mettant qu’un peu autour de chaque pied. | Nous avons déjà rappelé que la neutralisation des terrains alcalins par le plâtrage a, entre autres, pour conséquence la précipitation des matières lumiques, précédemment en dissolution; ceci est le premier pas vers le rétablissement normal des processus de nilrifica- tion ; la reconstitution des fonctions chimiques ordinaires de l’humus ANN. SCIENCE AGRON. — 1892, — y. 29 450 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. va, d’ailleurs, de pair avec celle de ses fonctions physiques, et, en même temps que le terrain perd son singulier aspect blanc-noir pommelé, il réacquiert d’une fagon générale toutes les propriétés particulières aux bons sols riches en humus. En passant aux phosphates, nous constatons que le plätrage préci- pite des quantités souvent considérables d’acide phosphorique, anté- rieurement présentes sous une forme soluble dans l’eau; l'acide phosphorique se trouve ainsi mis à l’abri des déperditions éven- tuelles par le drainage, tout en demeurant éminemment accessible à l’action digestive des sucs acides des racines, grâce à l’élat gélau- neux excessivement divisé que doit prendre le précipité dans ces conditions. Or, l’acide phosphorique coûte cher. On ne devrait jamais drainer un terrain alcalin qu'après l'avoir préalablement plâtré. Mais le plâtrage ne peut rien au point de vue des nitrates ; c'est une raison importante de plus pour restreindre le drainage aux seuls cas où l’imprégnation saline est si intense que ni le plâtrage mi les labourages profonds et soigneux n’y peuvent remédier. A. — Le tuf calcaire du sous-sol. IL a déjà été donné, dans la première partie de ce travail, des détails sur les couches imperméables cimentées par du calcaire qui se produisent fréquemment à 1 mètre ou 1*,50, dans le sous-sol des terrains à «alcali », surtout à «alcali noir»; ces couches causent la stagnation des eaux, entravent l’extension des racines et sont, par conséquent, nuisibles au premier chef. Même dans les cas où ces planches de tuf n’occupent pas de grandes surfaces d’un tenant, elles déprécient très considérablement les champs dont elles interrompent la continuité ; des colons peu cir- conspects ont déjà eu à enregistrer du fait du tuf de lourds dom- mages: des vignes ou arbres, venus parfaitement bien les 2 ou 3 premières années, se sont tout d’un coup mis à dépérir, se sont arrêtés dans leur développement, sont même morts en très peu de temps dans quelques cas assez nombreux, où des accumulations de solutions concentrées d’alcali étaient venues ajouter leur fâcheuse influence à celle déjà amplement suffisante de l’obstacle mécanique ; FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 451 l’alcali s'amasse au début dans la profondeur du sous-sol, immédia- tement au-dessus du plancher de tuf, puis monte progressivement et finit par se déposer en cuvette à la surface même, tout autour du tronc, habituellement déjà mort à ce moment. Le phénomène rend perplexe au premier abord; mais son expli- cation est aisée, el voici en quoi elle consiste : Les formations de tuf dans le sous-sol ont généralement lieu par petites places, et la couche cimentée est d’ordinaire un peu dépri- mée vers le centre, de sorte qu’elle fait cuvette. Lorsqu'au prin- temps, après les pluies (ou bien à une saison quelconque par le fait d’irrigations), ilse produit un exhaussement de la nappe souterraine, l’eau du sous-sol atteint facilement jusqu’au niveau du tuf, surtout dans les pays affligés d'infiltration par la faute de canaux mal faits (voyez plus haut) ; le tuf étant imperméable, l’eau le contourne par en dessous et se déverse par-dessus les bords dans la dépression du centre, qui devient ainsi le repaire de tout ce que cette eau mon- tante a dissous de sels sur son chemin. Lorsque, la cause première n’agissant plus, le niveau des eaux se rabaisse, la solution, amassée dans la cuvette de la planche de tuf, ne suit point le mouvement ; elle reste au contraire, alimente l’évaporation de la surface et donne bientôt lieu à la production d’une tache d’efflorescence. Le schéma ci-dessous indique cette disposition . Flaque alcaline TILL LEE, SELS AS 2 7. CREER K Moeau ordinatre de la nappe souterranw-- Sù Pourvu que le sol soit argileux et le salant tant soit peu alcalin, l'endroit correspondant à la tache se tasse, devient imperméable, et dès lors, après chaque pluie ou irrigation, une flaque d’eau saline 452 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. concentrée vient marquer cet endroit, qui devient généralement complètement impropre à toute culture. Naturellement, la chose ne prend pas du premier coup cette tour- nure fâcheuse; 1l faut que le phénomène se soit répété plusieurs fois, en s’aggravant progressivement ; toutefois, il suffit de fort peu de temps pour amener un état de choses déplorable, surtout lorsque les eaux de la nappe souterraine sont déjà par elles-mêmes sensible- ment chargées; or, dans les pays dégradés par les infiltrations, c’est malheureusement presque toujours le cas. Pour mettre fin à la calamité, il faut percer ou détruire le tuf, En général, lorsqu'on s'aperçoit de l'existence du tuf dès le début, avant que la plantation ait encore commencé, il n’y a pas à hésiter ; il faut carrément renoncer aux cultures à racines profondes, ou bien se débarrasser du tuf avant toutes choses ; le plus souvent on le rompt à la barre ; mais si la main-d'œuvre coûte cher, on a recours à de petites cartouches de dynamite, qui fournissent, en même temps, un résultat plus parfait. De l’une ou de l’autre façon, il suffit de frayer un premier passage aux racines; la destruction définitive du tuf se fera d’elle-même, au fur et à mesure de leur développement progressif ; les arbres se comporteront, d’ailleurs, d’une manière par- faitement normale, à l'encontre des arbres plantés sur du tuf non transpercé et qui restent toujours malingres (comparez les deux ar- bres du schéma). Même si on se borne à simplement percer la planche de tuf dans un certain nombre de points sans planter ensuite des arbres, le tuf ne s’en désagrège pas moins avec le temps, grâce au rétablissement du drainage par ces trous. Lorsqu'on a eu l’imprudence d'établir une plantation sans prendre garde au tuf et qu’on à à le combattre dans un terrain déjà couvert d'arbres, on peut encore avoir recours à la dynamite, en mettant deux ou trois petites cartouches autour de chaque pied ; on s’assu- rera, naturellement, au préalable, exactement, de la portée des car- touches par des expériences dans le même terrain, et on réglera en conséquence l’opération en grand, en s’arrangeant toujours de ma- nière à ébranler le tuf sans causer de graves déchirures aux racines. La dynamite a déjà rendu aux agriculteurs des régions salantes FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 453 californiennes, affligées du tuf, les plus grands services ; dans ce pays on a d’ailleurs dans plusieurs cas employé avec succès, pour les défoncements, des explosifs même en l’absence du tuf, notamment pour l'établissement des trous destinés à recevoir les arbres. Les couches argileuses que l’on trouve dans le sous-sol des ter- rains à réaction alcaline (voir plus haut) peuvent souvent être traitées avantageusement de la même façon que les tufs calcaires dont nous venons de parler ; mais elles sont moins faciles à rompre, à cause de leur grande élasticité ; le résultat n’est pas non plus durable, étant donné que les solutions alcalines n’en continuent pas moins leur action et rétablissent ainsi en peu de temps la couche rompue ; le plâtrage agit dans ces cas d’une façon bien autrement sûre, en éli- minant la cause première même. Il est singulier que dans le sous-sol des terrains particulièrement argileux le tuf calcaire même se trouve être moins dur qu’il ne l’est dans les terrains sablonneux, de sorte que la simple culture le fait se ramollir et s’effriter de lui-même. Le traitement du salant dans l'Inde. — Dans ces dernières années on doit y avoir acquis en cette matière une certaine expérience ; je regrette beaucoup d’être privé de renseignements précis et récents à ce sujet — les rapports officiels sont muets sur les points qui m’in- téresseraient, et une lettre-questionnaire adressée à l’administration compétente, à Cawnpore, est restée sans réponse ; toutefois, J'ai pu obtenir quelques informations par voie privée. La reh-commission de l’Aligarh avait, depuis longtemps, émis le vœu de voir abaisser le niveau de l’eau dans les canaux d’amenée, « afin (y était-il dit) de forcer les cultivateurs indigènes à retourner à l’ancien système des roues élévatoires, ce qui aura pour consé- quence de réduire au strict nécessaire les arrosages qui, tels qu'ils ont été pratiqués depuis la construction des nouveaux canaux — sans mesure ni discernement, — ont beaucoup contribué à l’exten- sion de la surface des terres infestées de salant ». Ce vœu a été mis en pratique, du moins en partie, et le bon résultat ne s’est pas fait attendre ; la propagation du reh, si désolamment ra- pide précédemment, s’est ralentie, voire même complètement arrêtée. 454 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. Mais je suis étonné de constater qu’on ne semble pas encore avoir appliqué le plâtrage pour la neutralisation des terrains à soude car- bonatée ; Je ne trouve aussi rien de raisonnable pour ce qui est des procédés de culture généraux destinés à empêcher l’accumulation du salant à la surface. Il est curieux de rappeler des expériences déjà relativement an- ciennes, faites par M. Michel, un planteur ‘d’indigo fort intelligent des environs d’Aligarh, expériences dont les résultats (négatifs, di- sons-le tout de suite) sont absolument conformes à ce qui a été tant de fois vu en Californie. Une parcelle, autrefois excessivement fertile mais dégradée par le salant depuis l'inauguration des canaux, fut nivelée de façon à pou- voir faire balayer la surface par une rapide avalanche d’eau; on es- pérait que l’eau emporterait les efflorescences et que celles-ci ne reviendraient plus; l'expérience fut tentée à plusieurs fois, mais sans le moindre succès. Ün autre essai consistait à recouvrir un champ infesté par le sa- lant, d’une grande quantité de débris végétaux, déchets de l’extrac- tion de l’indigo; cette couverture fut laissée à la surface pendant quelque temps ; puis enfouie à la charrue ; les semis faits à la suite, levèrent bien (la masse enfouie devait avoir interrompue la montée capillaire de l’eau du sous-sol); mais aussitôt les irrigations re- prises, les efflorescences reparurent, et la végétation succomba. Nous avons fait tout cela en Californie, et il y a longtemps que nous avons appris à ne pas nous fier à ces expédients ; tout au plus, peut-il être quelquefois avantageux de recouvrir de paillis l’alentour des pieds dans un verger; l’évaporation diminuant, les arbres ainsi protégés, souffrent un peu moins du salant que les autres. VIII. — CONCLUSION. En présence de tant de difficultés, on pourrait arriver à se de- mander si le jeu vaut la chandelle. Eh bien, la richesse intrinsèque de ces terrains alcalins est si extraordinaire, que toutes les dépenses qu’on pourrait avoir à faire pour les mettre en production (y com- pris même l’ultima ratio du drainage), ne sont rien en comparaison FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 455 des copieuses récoltes qu’on pourra obtenir, une fois l'effort initial accompli, et ceci pendant un laps de temps pour ainsi dire illimité, et sans apport d'engrais artificiels. L'histoire des civilisations humaines est curieuse à considérer à ce point de vue. Les savants et les philosophes ont été depuis long- temps frappés de voir nombre de populations des plus denses et de civilisations des plus anciennes, coïncider avec un climat aride et une agriculture impossible sans irrigation ; une série de pays per- mettent de faire cette constatation : l’Inde, la Perse, la Syrie, la Mé- sopotamie, l’Écypte, le nord de l'Afrique, le sud de l'Espagne, le Mexique et l’Arizona, avec leurs antiques Pueblos, dont la nom- breuse et riche population a préféré une toute petite étendue de terrains arides aux luxurieuses fierras calientes de la côte ; l’'Amé- rique du Sud, avec cette étonnante civilisation des Incas, établie jus- tement sur le versant occidental aride des Cordillières, et non dans la région boisée si tentante de l’Orinoco et de l’Amazone. D’une façon presque générale, les « déserts » cessent d’être déserts et se transforment en pays bénis, aussitôt que la main de l’homme y amène ce liquide vivifiant qui est l’eau. Faut-il de meilleurs exemples que ces admirables conquêtes agri- coles du Sahara et du Grand Désert salé de l'Amérique du Nord, qui s’accomplissent sous nos yeux ? Nulle part, les récoltes ne sont plus assurées, plus régulières, plus durables que dans ces anciens déserts. La portée économique de cette constatation est immense. C’est par la mise en culture des « déserts » que se résout le dilemme de Mal- thus ; on ne se doute pas, combien de ce qui aujourd’hui est encore steppe et désert, est destiné à devenir dans un avenir plus ou moins rapproché des « greniers du monde ». J'ai donc la profonde conviction que les différentes régions arides (et salantes) de l’univers méritent que les personnalités scientifiques et industrielles les plus éminentes consacrent leur activité à leur mise en rapport et, en première ligne, à leur étude. BIBLIOGRAPHIE Addenda à la seconde partie du mémoire de M. Hilgard : « Terrains salants ». (Nous ne répéterons pas les titres déjà cités dans le texte ou dans les annotations.) M. Hilgard lui-même a publié sur le sujet une série de mémoires et de travaux qui conservent leur intérêt à côté de la présente étude, de laquelle nombre de détails ont forcément dû être exclus pour ne pas embrouiller le lecteur qui aborderait pour la première fois ce chapitre en général si peu connu. Voici les principaux titres des tra- vaux de M. Hilgard : Alkali Lands, irrigation and drainage in their mutual relations ; with an abstract of the government’s report on the alkalilands of India, 3° édi- tion, 1892. Sacramento (710 pages). Alkali, its nature, causes and repression. Conférence faite au Farmer’s Institute de Fresno, en 1891 (10 pages). Report on examinations of waters, water supply and related subjects du- ring the years 1886-1889. Une quarantaine de pages avec de nombreuses analyses sur les condi- tions et l’activité de la Station d'expériences spéciale pour les terrains salants, à Tulare, Saint-Joaquin Valley, Californie ; dans le rapport 1888-1889 des Stations agronomiques de Californie (Sacramento). o pages sur le même sujet dans le rapport pour 1890 (paru en 1891). Experiments on the reactions between alkali sulphates, calcie carbonate and free carbonic acid. Essais exécutés par M. Weber, assistant de la Station, 1889. FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 457 Further experiments, ele., par M. Jaffa, 1890. Die Bildungsweise der Alcalicarbonate in der Natur. Communication faite à la Société chimique de Berlin en 1892 (51). Ueber den Einfluss. einiger klimatischer und Bodenverhällnisse auf die ältere Cultur. Communication faite à la Société physiologique de Ber- lin, séance du 25 novembre 1892. Considérations sur les terrains salants et alcalins. Société nationale d’agri- culture de France, séance du 29 mars 1893. Le travail même dont nous venons de donner la traduction ampli- fiée a paru primitivement en 1892, en anglais, au € Weather Bu- reau » du département de l’agriculture des États-Unis, Bulletin n°3, sous le titre : À report on the relalions of soil to climate (59 pages) ; ensuite, en 1893, dans les Forschungen auf dem Gebiele der Agri- culturphysik, de M. Wollny, en traduction allemande faite par l’au- teur et considérablement amplifiée sur des documents nouveaux ; il a élé tiré de l’édition allemande une édition spéciale qui forme un livre de plus de 90 pages, en vente chez Winter, à Heidelberg. La traduction française a été faite d’après le texte allemand, à nouveau revu par l’auteur et encore une fois considérablement aug- menté. Ea dehors de M. Uilgard, il ne parait guère avoir été publié aux Etats-Unis de recherches sur les terrains salants qui vaillent la peine d’être cités; M. Hilgard me prie cependant de signaler : Hayden. — Xeports on surveys in the Territories Nebraska, Colorado, Ulah, 1869-1880. Voici quelques documents imporiants sur les terrains salants du Midi de la France : | Comte de Gasparin. — Étude sur les terres du delta du Rhône (Comptes rendus de l’Académie des sciences, 1851, p. 700-709). Gaston Gautier. — De la formation de la Basse-Plaine de Narbonne et 458 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. des meilleures méthodes pour la mise en culture de ses terrains maré- cageux et salés (Revue des Pyrénées et de la France méridionale, n° 9, 1891, et tirages à part). — Ne fait pas absolument double emploi avec le mémoire du même auteur publié dans la Revue scientifique en 1876 (cité dans le texte), Gaston Gautier. — apport sur le concours de prime d'honneur des Bouches-du-Rhône, 1884. Louis Reich. — Les terrains salins de la Camargue (Journal de l'agri- culture pratique, 1877). — Avec analyses curieuses de M. Levat père. Alfred Leger. — Études agricoles sur la Camargue et le plan du Bourg (Mémoires de la Sociélé des Ingénieurs civils, 1875, et tirages à part chez Viville, Paris. Un livre de 146 pages). Il parait qu’à la mairie d’Arles, il existe un manuscrit de M. Poulle, du plus haut intérêt, sur ce même pays de Camargue. Je passe sans les citer nombre de mémoires sur la Camargue trop anciens, comme ceux de M. le baron de Rivière (1825), ou consacrés exclusivement à l'exposé de projets financiers, etc., comme il y en a beaucoup. Les mémoires de M. Nadaud de Buffon et de M. Joannon (Journal d'agriculture pratique, 1875, 5 avril, et 1878, I, p. 772 et suivantes) pourront rendre des services plus particulièrement à celui qui se proposerait de faire l'historique de l’introduction et propa- gation des procédés de dessalement radical, à l’aide de drainages en tuyaux de poterie, etc. Les différentes communications de M. Chambrelent à la Société nationale d'Agriculture donnent des chiffres statistiques sur les ré- sultats atteints dans ce sens, dans ces dernières années, plus parti- culièrement en Camargue: À signaler encore : J. J. Bosc. — De la mise en cullüre des terrains salés, etc. Nimes, Chas- tanier. 1892, Ce mémoire a primitivement paru dans le Bas-Rhône, revue agri- cole hebdomadaire, publiée à Nimes, dont M. Bosc est directeur et qui s’est donné la tâche, depuis le commencement de cette année, de servir de feuille de correspondance entre toutes les personnes inté- FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 459 réssées à l'étude et à l'utilisation des terrains salants dans tous les pays. M. A. Duponchel (Hydraulique et Géologie agricole, Paris, in-8”, 1868) a consacré aux terrains salants une dizaine de pages qui, quoique déjà anciennes, seront lues avec profit, pour les considéra- tions générales qu’elles contiennent. l’auteur a été moins heureux dans l'application pratique qu'il a tentée à Vic (station de Vic-Mireval, près Montpellier); il est d’ailleurs regrettable qu’il n’existe pas de documents scientifiques sur l’histoire de cet échec. M. Scipion Gras (Notes sur le sel du sol de la Camargue, ARevue agricole et forestière de la Provence, 1868) a essayé d’expliquer le salant par les apports des vents marins, ce qui n’est guère admis- sible ; l’article demeure toutefois intéressant, à titre de curiosité. Le rapport sur la prime d’honneur décernée à M. Maiffredy, du Mas-du-Vert, aux portes d'Arles (Journal d’agricullure pratique, 1861, IL, p. 463), est un exposé instructif des moyens palliatifs, avec lesquels on peut encore obtenir de bons résultats dans certaines con- ditions. Cependant, l’état de dégradation dans lequel le Mas-du-Vert est retombé après la mort de son créateur est l'argument le plus fort qu’on puisse opposer à ce système trop peu sûr. C’est la répétition de l’histoire du domaine de Farainau du baron de Rivière qui, il y a une dizaine d'années, ne présentait plus qu’un désert; M. Reich l’a reconstitué depuis avec des procédés nouveaux plus intensifs qui ont permis de créer à nouveau de vastes vignobles submergés et des prairies. INDE. La Cyclopædia of India, de Balfour, édition de 1889, content aux chapitres : Reh, Regur, Soil, des détails qui sont restés inconnus à M. Hilgard. Le forestier et botaniste Sulpice Kurz a répandu dans ses diffé- rents ouvrages des considérations sur les conditions agrologiques et botaniques des terrains salants qui sont du plus haut intérêt (voyez, entre autres, p. 92 et 94 des Pegu-Foresls ; un autre ouvrage est intitulé : Forests of British Burma). 460 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. ÉGYPTE. Osman-Galebt Sickenberger. — Principes d'agriculture égyp- lienne (Bulletin du Ministère de l’agriculture, 1889). Important, malgré le peu d’étendue de la notice. HONGRIE. . Eugen v. Kvassay. — Ueber den Natron- und Székboden im unga- rischen Tieflande (Jahrbuch der K. K. geologischen Reichsanstall, 1879, 26%* Band, 4% Helft). Paraît être le document le plus important en lengue allemande sur les terrains salants de ce pays; une partie résume les réponses à un questionnaire ad hoc, adresséas ou four- nies de vive voix par une centaine de culivateurs. A la dernière page du mémoire se-trouve une énumération de la Bibliographie hon- groise et allemande du sujet, trop longue pour avoir pu être repro- duite 1c1; c’est dire son grand prix; tous ceux qui voudraient se faire une idée nette sur le salant en Hongrie auront à commencer par étudier le travail de M. Kvassay et par dépouiller la bibliogra- phie qu'il cite. RUSSIE. La lecture du chapitre : «€ Le désert salé », de la Vallée du Fer- ghana, de Middendorff, est obligaloire pour celui qui se propose- rait d'étudier à fond l’agrologie des terrains salants ; les annexes de l'ouvrage sont remplies d'analyses d’eaux et de sols, qui ne sont cependant peut-être pas exemptes des omissions communes à la plu- part des études chimiques sur le salant (voyez plus haut, dans le texte, ce qui est dit à ce sujet). Les analyses ont élé faites par Karl Schmidt, l’éminent professeur de Dorpath, qui a continué à s’inté- resser vivement au sujet et a même eu l’amabilité de communiquer à M. Hilgard, au moment où il avait à rédiger le présent mémoire, des renseignements par lettre. La Vallée du Ferghana existe en deux éditions d’égal mérite : l’une russe, l’autre allemande. FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 461 L'étude d’Obroutcheff, déjà citée, aura probablement une suite des plus mtéressantes, car l’auteur se trouve en ce moment de nou- veau en voyage, en Asie centrale, cette fois-ci du côté de la Chine. Puisque je parle de voyageurs, j'aurais tort de manquer de rap- peler que le grand explorateur russe feu le colonel Prjevalski a tou- jours eu une attention soutenue pour le phénomène du « salant » ; il l’a signalé toutes les fois qu’il Pa rencontré, et ses beaux Voyages sont utiles à scruter sous ce rapport. Ses continuateurs sont restés fidèles à la tradition. Pour ce qui est de la Russie d'Europe, les terrains salants y sont décrits et étudiés activement depuis que ce chapitre si curieux a suscité la savante curiosité de M. Dokoutchaeff, professeur à la Fa- culté de Saint-Pétersbourg, chef reconnu d’une nombreuse école de jeunes agrologues et géo-botanistes, qui ont, en ces dernières an- nées, publié une série d’études des plus remarquables sur les sols et flores de plusieurs gouvernements de la Petite Russie et de l’ex- trême sud et sud-est. Un élève de M. Dokoutchaeff, M. Danilevski, a publié en 1885 un mémoire qui résume et parfois critique la bibliographie antérieure (Matériaux pour servir à l'étude des sols de Russie), publication de la Faculté des sciences de Saint-Pétersbourg, 1° fascicule, 27 pages et analyses) ; mais les recherches les plus curieuses sont postérieures. Je regrette de ne pas être en mesure de les nommer toutes ; en voici toutefois quelques-unes : , Lœvinsson-Lessing (aujourd’hui professeur à la Faculté de Dorpath). — Description des sols de l'arrondissement de Loubni, gouvernement de Poltava. — Publié aux frais du Conseil général (Zemstvo) de ce gou- vernement, dans une imprimerie de Saint-Pétersbourg. Vernadski. — Sur les sols du gouvernement d’Ekaterinoslav, in Tra- vaux de la Commission pédologique, fonctionnant sous les auspices de la Société libre économique, à Saint-Pétersbourg, 4° fascicule. Le même. — Notes de voyage sur les sols du bassin de la Tchaplinka, arrondissement Novomoskovsk, gouvernement d’Ekaterinoslav, in Tra- vaux de la Société libre économique, n° 3, p. 22-29. J'ai reçu dernièrement le 2° fascicule des Travaux de la Commis- 462 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. sion pédologique (séances de 1889, 1890, 1891), qui est rempli de petites communications, informations et discussions relatives aux terrains salants; cette foule de renseignements est éparpillée un peu à travers tout le volume, qui, de plus, est dépourvu d’«index » ; il n’y a qu’un seul chapitre consacré exclusivement aux Lerrains salants : M. Bespali : Rapport préliminaire sur l'exploration des terrains salants (communication faite à la séance du 18 mars 1891 ; une dizaine de pages avec figures) ; l’auteur a eu depuis d’autres mis- sions analogues. M. Dokoutchaeff se proposait (je dois ce renseignement à M. Lœæ- vinsson-Lessing) de faire paraître un chapitre spécial sur les terrains salants dans le volume des Conclusions de la Descriplion du gouver- nement de Pollava et d'y exposer, en même temps que ses vues per- sonnelles, la bibliographie russe et étrangère ; ce travail a peut-être déjà paru. Tous les travaux dont je viens de parler sont en russe ; cependant il existe queiques exposés français d’autres écrits de M. Dokoutchaeff et de son école, qui, sans traiter des terrains salants en particulier, pourront donner une certaine satisfaction au lecteur, curieux de se faire une idée sur le caractère général du travail de ces messieurs ; ce sont : La Cartographie agronomique. Essai critique par M. Lœvinsson-Lessing. Saint-Pétersbourg, 1889. Notice explicative sur la collection de sols et de cartes agronomiques, présentée à l'Exposition universelle de Paris en 1889, par M. Dokout- chaeff. (Existe à la Société nationale d’agricalture, 18, rue de Belle- chasse, Paris.) Les Sleppes russes autrefois el aujourd'hui, par le mème, in Travaux du Congrès international d'archéologie, tenu à Moscou en 1892. Une série de notices bibliographiques dans le Bulletin de la Société belge de Géologie, fournies par M. Lœvinsson-Lessing. En somme, les études russes des terrains salants, quoique encore à l’état de matériaux bruts, marquent cependant déjà une direction parfaitement originale ; il s’y trouve signalé, quelquefois même étu- \ FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 463 dié avec quelques détails, une foule de points et de caractères qui n’ont encore point été abordés dans les littératures étrangères. Les grands travaux d'irrigation et de reboisement entrepris de- puis les famines de 1891 et 1892, dans le sud-est de la Nouvelle- Russie, ne peuvent pas manquer de donner à l’étude des terrains salants un nouveau et vigoureux essor ; d’ailleurs, ces travaux-là même sont encore confiés à la direction de M. Dokoutchaeff, pour ce qui concerne la reconnaissance scientifique préliminaire. Il est impossible, pour le moment, d'indiquer une carte exacte de la répartition des terrains salants en Russie; mais on aura profit quand même à consulter la carte de Tchaslavski (1879) : Russie d'Europe, qui comporte 32 classes, dont 5 (23, 24 et 25) indiquent « les terrains salants, les marais salants et les lacs salifères ». PAYS-BAS. M. Adolph Mayer, le célèbre professeur de l'École d'agriculture et directeur de la Station agronomique de Wageningen, a fait, sur les terrains salants maritimes de ce pays, diverses recherches dont les conclusions intéresseront cependant tout autant ceux qui ne s’oc- cuperaient même qu’exclusivement de l’étude et de l’utilisation des terrains salants continentaux : Ueber die Einwirkung von Salzlüsungen auf die Absetzungsverhällnisse thoniger Erden (in Wollny's Forschungen a.d. G. der Agriculturphysik, vol. II, p. 251 et suiv., surtout p. 271-273). Une série de passages de la récente édition du Cours de Chimie agrono- mique (allem.) bien connu, vol. I, p. 32, 145, etc. Beiträge zur Lehre von der Behandlung durch Seewasser verdorbener Ländereien (in Journal für Landwirtschaft, 1879, p. 389). Le même sujet a été traité aussi par G. Reinders, in Die landwirtschaft- lichen Versuchsstationen, vol. XIX, p. 190. Le botaniste A. Bunge, de Saint-Pétersbourg, mortil y a quelques ‘ années, et qui avait passé sa vie à étudier les salsolacées, a donné, dans un mémoire sur cette famille (Pflanzengeographische Betrach- tungen über die Familie der Chenopodiaceen, Mémoires de l'Aca- 464 ANNALES DE LA SCIENCE AGRONOMIQUE. démie des sciences de Saint-Pélersbourg, T° série, t. XXVII, n° 8, 1880), une esquisse générale de la répartition des régions à sol sa- Jant sur la surface de notre planète; c’est, croyons-nous, un guide à consulter, malgré le caractère forcément très sommaire de l’énu- mération, car le document est unique en son genre. La bibliographie des phénomènes biologiques, déterminés par le salant, des végétaux particuliers à ces sols offre un intérêt pratique pour l’agrologue ; le plus considérable en langue française est : Contejean : : (réographie botanique (la chaux et le sel), un livre indispensable. M. Krasnoff, professeur de géographie à la Faculté de Kharkoff?, a traité le même sujet dans une étude assez étendue, dont j'ai pu parler plus en détail dans une esquisse qui rentre dans le même cadre : J. Vilbouchevitch : L’'Étude géo-botanique des terrains sa- lants (Bullelin de la Société botanique de France, tome XXXIX ; session extraordinaire en Algérie, 1899, avril) et qui contient encore d’autres indications bibliographiques. Le côté «physiologie », à proprement parler, n’a encore été que fort peu travaillé. En dehors de quelques recherches déjà anciennes et généralement connues des hommes du métier, il y a à signaler : Les différentes communication de M. Lesage, professeur à la Faculté de Rennes, à l’Académie des sciences de Paris, faites dans ces trois der- nières années, et la thèse de doctorat du même auteur, reproduite dans la Revue de botanique, de M. Gaston Bonnier (Klinsieck, Paris). Giltay, professeur à l’École de Wageningen. — In Nederlandsch Kruid- kundig Archiv. D. IV, 4° st., 1886, et tirages à part en allemand. Volkens. — Flora der arabisch-ägyptischen Wüste. Berlin, 1887, in-4° ; certaines pages de l'introduction. La polémique de Volkens avec Marloth, dont j'ai brièvement exposé le sujet dans une notice sur le Tamarix articulé, publiée à la Société nationale d’acclimatation de France. 1. Professeur honoraire de la Faculté de Poitiers, aujourd'hui retiré à Montbéliard. 2, Encore un élève de M. Dokoutchaeff, FORMATION ET COMPOSITION DES SOLS. 465 Wohltmann. — Die Natürlichen Grundlagen tropischer und subtropi- scher Agricultur. Leipzig, 1892, déjà cité dans le texte. — Les pages 184-188 contiennent des données géographiques importantes sur les terrains salants de l’Amérique du Sud principalement, C’est dans les trois dernières années de la Revue des sciences na- turelles appliquées, organe de cette Société, qu’on trouvera aussi une série de bibliographies que j'ai faites sur des plantes utiles pac- hisant avec le salant. Pour cette partie, 1l y a aussi à revoir presque tous les numéros du Bas-Rhône, déjà mentionné plus haut, à partir de février 1893, et à consulter un mémoire que j'ai publié à la Société nationale d’agriculture de France (Mémoires, 1892), sous le titre : Les Plantes utiles des terrains salés et la question des solt- bushs. Dans ces articles on trouvera les noms des auteurs qui se sont occupés de la question avant moi et une bibliographie considérable qu’il serait un peu fastidieux de reproduire içi. Observation. — La présente bibliographie est probablement loin d’être complète. J'espère que tous ceux qui seront en mesure de la compléter voudront bien, dans l'intérêt de la cause, m’honorer de leurs communications, en me les adressant par l'intermédiaire des Annales de la science agronomique française et étrangère ou de l’une des Sociétés nommées plus haut. J. VILBOUCHEVITCH. TABLE DES MATIÈRES DU TOME DEUXIÈME (1892) A. Müntz. — Recherches sur les vignobles de ia Champagne. E. Milliau. — Analyse des matières grasses agricoles . E. W. Hilgard. — De l'influence du climat sur la formation el la composition des sols, suivi d’un chapitre spécial sur les terrains alcalins. — Traduction de M. J. ViLBOUCHEVITCH . È À. de Trégomain. — Le Paut-Perche et ses forêts FA Pr ; É. Saillard. — Étude sur quelques Stations agronomiques alle- HP ARE A UE CNE re M. Frank. — Sur l'importance des tee dans la Ne des plantes humicoles, avec notes de M. L. MaNGnn Prianichnikow. — Expériences sur la physiologie et la re e la betterave à sucre. Traduit du russe par J. VILBOUCHEVITCH. . E. W. Hilgard. — De l'influence du climat sur la formation et la composition des sols, suivi d’un chapitre spécial sur les terrains alcalins. — Traduction de M. J. Vizsoucaevirca (fin) . Nancy, impr. Berger-Levrault et Cie. Pages. 395 ('eG8T 1{Dyosp1esen ‘109 ‘Q "D'IYouaT) “HOUCIA “IN 9P O1TOUQU np OFICIFXO OINABIE) ‘29SHHQS UOU 21107 EI SUEP pssNOd Ju0 08e ewmoQu ep sJntId so] faJTO1p © ‘0981998 ON0) VI sup ossnod quo squejd so fogonvs y ‘(2687 o1quejdes) simes 9j soide aouue opuoses ET SUP 947S9AÂS utd op soxny[no sep 190dsy She SUIS TE L + | de