DEN Ce Mel MCE _ ANNALES LA SOCIÉTÉ LINNÉENNE du département DE MAINE ET LOIRE ——— 6° ANNÉE. — 1863 ANGERS IMPRIMERIE DE COSNIER ET LACHÈSE Chaussée Saint-Pierre, 43. Sy | 1868 Fr L- Cd) API Ke TU ANNALES LA SOCIÉTÉ LINNÉENNE du département DE MAINE ET LOIRE ANNAIES | D'ÉULA SOCIÉTÉ LINNÉENNE DU DÉPARTEMENT DE MAINE-ET-LOIRE, Cine e- ANGERS, Cofnier & Lachele, Imprimeurs, 16 03. SOCIÉTÉ LINNÉENNE DU DÉPARTEMENT DE MAINE ET LOIRE FONDÉE EN 1852. BUREAU. MM. Sozanp (Aimé de), président. Lacuisx (Adolphe), vice-président. Masrizze (Pompée), secrétaire-général. Farce (Emile), secrétaire. DELALANDE (François), vice-secrétaire. Conranes (Edmond, baron de), archiviste-trésorier. COMMISSION D'ADMINISTRATION (1). MM. Lacnèse (Adolphe). Mowrreuiz (Jules, comte de). (1) Les membres du bureau font également partie des commissions d’adminis- tration et de rédaction. MM. MM. COMMISSION DE RÉDACTION. LEMARCHAND. VinceLor (l'abbé). MEMBRES TITULAIRES. ANDiGné (Aimé d’), ancien officier. ANDIGNÉ (Aimé d’), lieutenant de louveterie. ANDIGNÉ DE Mayneur (comte d’), maire du Lion-d’Angers. Baracé (Raoul de). Barassé (E.), imprimeur-libraire. Bezceuvre (Paul). Béraunrère (comte de la). BLan (Frédéric), préparateur des cours d’histoire naturelle et de physique à l’école d'enseignement supérieur. Bravier (Aïmé), ingénieur des mines. Borssarp (Arthur, vicomte de). Bourmoxr (Louis, comte de). Bricuer (Paul), avocat. Brossarp DE Corgieny, ingénieur des mines des départements de Maine et Loire et de la Vendée. Cæener (l'abbé), chanoine titulaire du chapitre de Saint. Maurice d'Angers. Caenuau (Auguste), juge au tribunal civil de première ins- tance d'Angers. Corsuin (Ernest, comte de). Conrapes (Edmond, baron de). Corneau (Jules). Cosnier (Léon). Cumoxr (Vte Arthur de), rédact. en chef de l’Union de l'Ouest et de l’Amz du Peuple. Ill MM. Degrais (Cyprien), négociant. DELALANDE (François), avocat. Decocxe, conservateur du cabinet d'histoire naturelle. DELHOMEL, avocat. Dezanneau, docteur en médecine, professeur à l’école secon- daire de médecine d'Angers. Desmé ne L'Isce (Ludovic), membre de plusieurs Sociétés savantes. Durowr, chef d’escadrons. Farce (Emile), docteur en médecine, directeur de l'Ecole d'enseignement supérieur. GaiGnarD DE LA RENLOUE (Charles), maire de Marcé. Grau» (Charles), agronome. Guérin ve Caouzé (Lucien). Guérin (Paul). Guizcory (aîné), président de la Société industrielle d'Angers, membre de plusieurs Sociétés savantes. Houpan (Eugène d’), membre de plusieurs Sociétés savantes. Lacrèse (Adolphe), docteur en médecine. Lacnèse (Paul), imprimeur-libraire. Larevezuère (Ossian), membre de plusieurs sociétés savantes. Lanpreau (baron du). Las-Cases (comte de), membre du Corps législatif. Lemarcæanr, conservateur-adjoint de la Bibliothèque de la ville d'Angers. Leroy (André), horticulteur, membre de plusieurs Sociétés savantes. L'EspronniÈrEe (René de). Lorioz ne Barny, avocat. Marre, docteur en médecine. Mérivier, premier président près la Cour impériale d'Angers. Mucie pe BuzeLer (Gustave de). IV MM. Mivzre (Léon de), ingénieur civil. MoxrreuiL (Jules, comte de), membre de plusieurs Sociétés savantes. Pavr (Victor), membre de plusieurs Sociétés savantes. Prrasrre (Gustave), avocat. Préauzx (marquis de). Romans (baron de). Romans (Fernand de) SAINT-GENYS (marquis de). SApINAUD (Edmond, comte de). SELLE (Raymond de la). SoLAND (Aimé de), membre de plusieurs Sociétés savantes. SOLAND (Théobald de), conseiller près la Cour impériale d’An- gers. Taouin (Urbain), maire de la Meignanne. TiREAu, pharmacien. Touriozce (Gustave), lépidoptériste. Tourain (Athanase). . Visccor (l’abbé), chanoine honoraire, aumônier du pen- sionnat Saint-Julien d'Angers. MEMBRES TITULAIRES NON RÉSIDANTS. MM. Acæar», docteur en médecine, à Thouarcé. ACKERMANN, négociant à Saumur. AugerT, juge de paix à Conlie (Sarthe). Avmarn (Auguste), archiviste du département de la Haute- Loire. ARONDEAU, inspecteur de l’Académie de Rennes. Bairver (H. de), maire de Saint-Germain et Mons. Baïzcy, auteur de la Faune de la Savoie. V MM. Bécuawp (A.), professeur à la Faculté de médecine de Mont- pellier. Bercer (Eugène), chef du personnel au Ministère de l’inté- rieur. BernarD pu Porr, agronome à Miré. Bostrre, professeur de chimie à l'Ecole d’enseignement supérieur de Nantes. Bonn, directeur de l'Ecole d'agriculture de Rennes. Boucuer ne Crèvecœur, de Perthes, correspondant de l’Ins- titut. Bowrçgois (l'abbé), professeur de philosophie au collége de Pont-Levoy. Boureun (L.-A.), secrétaire gén. de la Société protectrice des animaux. Brrau, docteur en médecine, bibliothécaire de l’Académie de médecine. CesBron-LAvau, agronome, à Cholet. Cessac (Pierre de). Cuevreuz, membre de l’Institut. CoTreau, juge à Auxerre. | Courricrer (jeune), directeur du cabinet d'archéologie et d'histoire naturelle la ville de Saumur. CrocxarD (de), à Milon. Davousr (l'abbé), curé doyen de Brulon. Decaisne, professeur de culture au muséum d'histoire natu- relle de Paris. DeronE, président de la société dunkerquoise. Desrais (Auguste), docteur en médecine, à Morannes. Des Mouns (Charles), président perpétuel de la Société lin- néenne de Bordeaux. DE LA GENEVRAYE, chimiste. Drousr, maire de Morannes. Drouer (Henri), conseiller de préfecture à Mézières. VI MM. Dumas (Jules), pharmacien, à Limoges. Duserexeur, de Brest, membre de plusieurs Sociétés savantes. Exon, pharmacien, à Cholet. Freurer (Louis). Frourens, de l’Institut. FromenTez (de), docteur en médecine, à Gray. Fouquer, docteur en médecine, membre de plusieurs Sociétés savantes, à Vannes. Gazes (René), sous-intendant militaire, à Vannes. Gaurzn (prince Augustin), membre de plusieurs Sociétés savantes. | Gen, pharmacien, à Metz. Gras (Albin), docteur en médecine, à Grenoble. Guérn-Mexxevilze, directeur de la Revue Zoologique. Guizer (l'abbé), aumônier des dames de l’Oratoire. Guirzou, administrateur de la caisse d'épargne de Cholet. Hamire (Victor), directeur au ministère des cultes. Héserr, professeur de géologie à la Faculté de Paris. Héricourr (comte d’), secrétaire perpétuel de l’Académie d'Arras. Hovuzzer, directeur des serres du muséum d’histoire naturelle de Paris. Jorpan, botaniste, à Lyon. Juin (Th.), ancien magistrat à Reims. Lawserr (Paul), docteur en médecine. Lacroix (de), desservant de Saint-Romain-sur-Vienne. Lamorre-Baracé (comte de), membre de plusieurs Sociétés savantes. LaTERRADE, directeur de la société linnéenne de Bordeaux. Lesassier, pharmacien, à Durtal, Lesvize (de). VII MM. Loncuemar (de), ancien officier d'état-major. Lucas (H.), professeur d’éntomologie au muséum d'histoire naturelle de Paris. LerrsouLzer (A.), doyen de la faculté des sciences de Stras- bourg. Mavouyr, conservateur du Cabinet d’his. naturelle de Poitiers. Maraçeurrni, doyen de la faculté des sciences de Rennes. Macxé (l'abbé), professeur d'histoire naturelle à l'institution de Sainte-Marie-de-Pincherray, à la Ferté-Macé (Orne). Mesrrer, docteur en médecine, à Saint-Georges-sur-Loire. Micaezer, de l’Institut. Micueuin (Hardouin), ancien président de la société géologique de France. Monresan, professeur au lycée de Toulouse. NapauD DE BurFon, magistrat. Neuwanx (Louis), directeur des serres à fougères et à orchi- dées du muséum d'histoire naturelle de Paris. Norsert-Bonarous, professeur à la faculté d'Aix. Per, chef des cultures du muséum d'histoire naturelle de Paris. Pape, naturaliste (Basses-P yrénées). Painouse, docteur en médecine, à Rennes. Prapar, naturaliste, à Nantes. Rasoun, docteur en médecine, à Saint-Florent-le-Vieil. Rozanp, ingénieur civil, à la Ferté-sous-Jouarre. Rexé Tarzcanbier, président de la Société des Ecoles chré- tiennes de Paris. SAINT-RENÉ TAILLANDIER, professeur à la faculté des lettres de Paris. SERVEAUX (E.), chef du premier bureau au ministère de l’ins- truction publique. VIII MM. Sousziran (Léon), licencié ès-sciences naturelles, professeur à l'Ecole de pharmacie de Paris, secrétaire de la Société d’acclimatation. Tascé, notaire honoraire, à Vannes. Tuomas, de Nantes. Trouicczarp (Charles), banquier, à Saumur. Vrenner, membre de l’Académie française. MEMBRES ÉTRANGERS. MM. Brun (Pierre), docteur en droit à Louvain (Belgique). Lancia n1 Broco (Federigo), grand chancelier de l’université de Palerme. 1eres. ic Fourcanade. Pie de Moul P Late Cosnier et Lachese. Lac de Pic de Barrans. Barrans Pic de las Salenques Glacier du Nethou de las Salenques thon ic de Nethou de Ne « OME Lac couronne P D Morcune du Glacer du Nethou Panorama de la Maladetta et du Glacier de Nethou pris des Graviers de la Maladetta 25 Août 1869. | Pic de Maladetta apres une Rhotoqra ÿ AT Ë up ie A RE Lrukat Crête de Portillon. æ ol de Portillon Pc dumilien dullalatett. a] U Frontiere deFrance. Crête de Portillon. VA. Vases 1 Lnhiese Aayres ane Ébagraphie à EL. Frukat. Vue prise du sommet du Nethou| Maladetta + : 25 Aoùt 1862. UNE ASCENSION À LA MALADETTA (25 AOÛT 1862) La Maladelta, que de Luc (1) nommait le Mont-Blanc des Pyré- nées, est un groupe de montagnes ou massif géologique, qui a dû son nom aux difficultés qu'ont longtemps présentées ses ascen- sions. Silué en dehors de la chaîne des Pyrénées qu’il domine, ce groupe de montagnes est resté longtemps vierge du pied de l'homme, malgré les tentalives failes à plusieurs reprises par d’'intrépides voyageurs, parmi lesquels nous cilerons Ramond en 1787, Cor- dier et Neergaard en 1804, Charpentier en 1811, le vénérable M. Léon Dufour en 1820, MM. Blavier et de Belly en 1824 ct Arbanère en 1827. C'est seulement en 1842 que MM. A. de Fran- queville et de Tchihatcheff atlcignirent, les premiers, le sommet encore inexploré du Néthou, et depuis leur exemple a élé suivi par de nombreux voyageurs, parmi lesquels nous nommerons MM. Lezat, Lambron, Leymerie, Bianchi (1852, 1857), et notre ami Albert Geoffroy Saint-Hilaire (1858) et auxquels se joignirent quel- quefois des dames intrépides. Aujourd’hui l’ascension du pic de Néthou est devenue, pour ainsi (1) Recherches sur les modifications de l'atmosphère, t. WI, p. 312, 1784. VI. 1 2 dire, chose vulgaire, et nous n’aurions pas entrepris de raconter notre excursion si nous n’avions pu recueillir, chemin faisant, quel- ques notes d'histoire nalurelle, notes incomplètes malheureuse- ment, en raison de l’époque avancée de la saison où il nous a élé permis de la faire : d'autre part, les premiers nous avons réalisé l’idée de transporter avec nous un appareil photographique sur le Néthou, et c'est au concours tout dévoué de notre ami M. Eugène Trulat que nous devons de pouvoir joindre à ce récit deux panoramas du pic Néthou, l’un pris de façon à offrir l’ensemble du glacier, l’autre donnant la vue de ce même glacier et du pic de Maladetta, ainsi que celle des frontières françaises. Nous regrettons vivement qu’un accident arrivé à un appareil imaginé par M. Trutat, ne nous ait pas permis de donner une vue panoramique de tout l’espace découvert du sommet du Néthou. Après avoir élé contrariés pendant plusieurs jours par le mauvais temps, qui rendait impossible notre ascension, nous pûmes enfin quilier Luchon le vendredi 22 août, vers midi. Notre caravane se composait de MM. Eugène Trutat, Henri Filhol, Bianchi père et fils et de moi; de plus nous avions pour guides cinq hommes éprouvés, habitués à gravir les sommets les plus escarpés, et qui, ayant accompagné M. Lezat dans les courses qu'a nécessilées la cons- truclion de son plan en relief des Pyrénées centrales, nous offraient les meilleures garanties de succès: c’élaient Jean-Marguerile Re- donnet, dit Michot , Lafont-Bertrand, et ses deux fils, Bernard et Jean-Marie et Guillaume Bajun. Disons de suite que leurs bons soins, leurs prévenances nous on été du plus grand secours, et que nous n'avons eu qu'à nous louer de nos rapports avec eux durant toute cette course, de inême que dans toules les occasions où nous les avons rencontrés. Nous partons, joyeusement emportés par nos chevaux et accompagnés des vœux des amis que nous laissons à Luchon, et bientôt nous dépassons Castel-Vieil, pour entrer dans la forêt de l'hospice, négligeant sur notre passage les plantes que nous renconlrons : À Epilobium montanum L. Ranunculus tuberosus L. Sonchus Plumieri. — platanifolius L. Vaieriana Pyrenaica. Hieracium porrectum Friès. Ramondia Pyrenaica Rich. 3 Pour laisser reposer nos chevaux, nous faisons une courte station à l’hospice (hauteur 1393 mètres), espèce d’auberge où les voyageurs qui montent au port de Bénasque ou qui en descendent, trouvent asile en cas de mauvais temps, ct que nous trouvons encombré d’une longue file de mules, chargées d'oulres de vin d'Espagne, et accompagnées d'Aragonais ou autres, ceints d’une large ceinture. En attendant que nos montures soient reposées, nous passons le torrent qui tombe de la Pique et nous commençons à gravir les lacets du chemin qui conduit au port de Bénasque. À ce moment, les nuages qui couvraient les hautes cimes , descendent dans la vallée et nous enveloppent d'un brouillard épais, qui bientôt se transforme en pluie et en grêle : mais ceci ne nous arrête pas, nous avons bon espoir de trouver, comme cela a eu lieu tous les jours précédents, le beau temps de l’autre côté du port, c'est-à-dire en Espagne. Tout en cheminant nous récollons successivement : Galeopsis Filholiana Timb. Lagr. Scrophularia alpeslris. Saxifraga Aiïzoon. Jacq. Veronica Ponæ. — aizoides L. Aspidium aculeatum. Saxifraga aquatica Lapeyr. Aconitum Napellus. — bryoides L. Digitalis purpurea. Alchemilla Alpina L. Aspidium Oreopleris Sw. Helleborus viridis, Veratrum album. Epilobum Alpinum. Asphodelus ramosus. — origanifolium. Oxyria digyna. Viola cornula. Impatiens noli langere. Gentiana lutea. Prenanthes purpurea. Le chemin que nous suivons, forme de nombreux zigzags, qui facililent la montée aux chevaux et aux mulets, et nous permet de gravir sans trop de peine les pentes qui s'élèvent jusqu’au pori. Malheureusement l’épais brouillard qui nous enveloppe ne nous permet pas de jouir du spectacle de la montée du Port, enserrée dans les couches verticales de gneiss qui forment les mon- tagnes de son enceinte. Nous atteignons assez vite le Culet, grand rocher perpendiculaire du haut duquel glissent quelques filets d’eau, formant cascades, et qui l'hiver est souvent couvert par les avalan- 4 ches qui tombent des hauleurs supérieures. Dans le vallon qui se forme au-dessus du Culet, et avant d’atteiudre l'Homme, longue pierre schisteuse placée verticalement au milieu des blocs qui la maintiennent, et sert de point de repère aux voyageurs quand la neige est tombée en abondance, nous recueillons : Allosurus crispus. Pedicularis Foliosa. Carex fulva. Cirsium glabrum. — nigra. Trollius Europæus. Alchemilla vulgaris. Silene acaulis. — Alpina. Sedurm Telephium. Saxifraga slellaris. Juncus trifidus. — ajugæfolia. Viola biflora. — broides. Asplenium septentrionale. Vaccinium uliginosum. Lilium Pyrenaicum. Trifolium Badium. — Martagon. Nous passons auprès du Trou des chaudronniers où il y a quelques années neuf hommes furent ensevelis dans la neige, et uous arrivons à la hauteur des cinq lacs, qui sont en communication les uns avec les autres, et qui sont entourés de montagnes escarpées, el nous donnent un paysage de l'aspect le plus lugubre, el très-bien décrit par Ramond. Nous y recueillons : Pedicularis rostrala. Erinus Alpinus. Anemone vernalis. Asler Alpinus. Primula integrifolia. Veronica Alpina. Plantago Alpina. Sibbaldia procumbens. Lycopodium selaginoides. Saxifraga aquatica. Aronicum scorpioides. — Cotyledon. Vicia Pyrenaica. Senecio Tourneforli, La marche devient plus difficile et plus pénible : au brouillard a succédé une grêle assez forte dont les grêlons nous piquent le vi- sage et les mains, mais nous continuons à gravir la pente avec cou- rage, laissant nos chevaux nous suivre et cherchant à développer en nous, par un exercice puissant, la réaclion contre la froidure qui nous gagne. Nous somrues d’ailleurs pressés de gagner l’autre côlé 5) du port, «ù nous espérons trouver le soleil et ses rayons bienfai- san{s : aussi laissons-nous presque sans leur prêter attention : Senecio Tourneforti. , Astrantia minor. — adonidifolius. Polentilla frigida, L. Duf. Sinapis cheiranthus. et hâtons-nous le pas, mais, quelle déception nous attend au port (hauteur 2443 ruètres)! Nous trouvons autant äe brouillard que vers l'hospice et le spectacle splendide de la Maladetta, que nous avions promis à ceux de nos compagnons qui faisaient celte course pour la première fois, fait relâche complet. Désappointés, nous ne songeons pas seulement à chercher Saxifraga Groenlandica. Androsace imbricata Lam. Ceraslium lanatum, Lam. Saxifraga bryoides. Valeriana helerophylla, Lois. Nous ne nous arrêtons que le temps de prendre un instant de repos, bien enveloppés dans nos couvertures, et tandis que M, Bianchi s'occupe à déterminer la hauteur du port, nous nous préparons à descendre dans la vallée de l'Essera, pour gagner la Maladelta. Tout espoir n’est pas encore perdu, et nos guides pensent que peut êlre demain, le lemps sera propice pour notre ascension. Nous crions donc : En avant, et commençons à descendre la pente de la Pena blanca, aux roches dolomiliques et blanches, puis nous venons ga- gner le plan des élangs, c’est-à-dire la partie la plus basse de la vallée qui sépare le massif de la Maladetta de la chaine principale des Py- rénées. Arrivés au point le plus rapproché de la Rencluse, où nous devons passer la nuit, nous faisons partir directement pour préparer notre souper, nos guides et les chevaux qui sont chargés de provi- sions, et sous la conduite de Michot nous allons visiterle Trou du plan des Aougouaillats, plus connu des baigneurs de Luchon sous le nom de Trou de Toro. Nous passons dans une forêt de sapins, la plupart à moilié détruits par les avalanches hivernales, et qui forment des groupes extrêmement pitloresques, en raison même de leur posilion el des épreuves cruelles qu'ils ont reçues de la chute des neiges. Quelques-uns offrent leurs branches munies de longues chevelures 6 formées par l'Usnea florida, et semblent de loin des fantômes enve- loppés de vêlements grisâlres. Nous rencontrons successivement : Tussilago nivea. Merendera Bulbocodium. Antirrhinum sempervirens. Astranlià minor. Asiragalus montanus. Potentilla nivalis. Phyteuma Charmeli. Saxifraga exarala. Carlina carlinoides. — cæspilosa. Woodsia hyperborea Brown. Lichen elecirinus Ram. Viola biflora. Carex Pyrenaica. Iris xyphoides. Hutchinsia Alpina. Rumex Alpinus. Potamogelon gramineus, Sparganium minimum. Nous arrivons enfin au bord du Trou du plan des Aougouaillats (hauteur 2048 mètres), grand bassin lrès profond, à parois verticales offrant sur plusieurs points des touffes magnifiques de Potentilla alchemilloides, et dont le fond est rempli d’une masse d’eau provenant du glacier du Néthou, el qui y arrive par une cascade de loule beauté. L'eau de deux torrents venant l’un du Néthou, comme nous venons de le dire, l’autre du Clot de Toro, situé plus loin à l’ouest, se préci- pile avec fracas, s'écoule par des conduits souterrains, qui passent sous le pic de Poumerou et celui de la Piquade, et va déboucher dans la vallée d’Aran pour former une des sources principales de la Garonne. Malgré la beaulé du spectacle que nous offre celle localité, il nous faut hâter notre départ, car nous avons encore un assez long chemin à faire, et nous voulons gagner notre gîle avant la nuit, d'autant plus que demain nous devons nous mettre en route de grand malin, si le temps le permet, pour lenter l'ascension du Néthou. Jetant donc un dernier co 1p d'œil sur le Trou des Aou- gouaillats et sur les rochers calcaires qui forment la paroi de la val- lée, nous rebroussons chemin et venons rejoindre le chemin qui monle à la Rencluse, au milieu des Pinus uncinala, au pied desquels croissent des touffes nombreuses de Rhododendron ferrugineum, qui nous présente ses rameaux couverts d’une grande quantité de galles ayant la forme de pommes couleur citron ou abricot. Bientôt nous entendons le bruit du ruisseau qui descend du glacier de la Mala- della, el nous apercevons de l’autre côlé de sa rive, au pied d'un rocher escarpé dont le sommet surplombe un peu, le foyer allumé 7 où nos guides préparent notre repas; quelques minutes seulement nous séparent du moment où nous pourrons nous reposer, et attendre le jour, c’est-à-dire le moment de repartir. Nous profitons d’un reste de lumière pour aller voir, à quelques pas de notre cam- pement, le gouffre de Turmon, espèce de caverne où le lorrent dis- paraît pour reparaîlre au jour, à plusieurs kilomètres de son point d'entrée, dans la vallée de l'Essera, un peu au dessus de l’hospice espagnol de Bénasque. Ce fail curieux nous intéresse d'autant plus que nous venons de voir le Trou des Aougouaillats. qui donne nais- sance à un des affluents de la Garonne, comme nous l’avons déjà dit, et que l’eau, qui se perd au gouffre de Turmon, va former l'Es- sera, un des principaux affluents de l'Ebre. Mais l'appétit, à la suite d’une longue marche, est impatient ; d'autre parl, les émanations des poulets qui rôlissent suspendus à nos bâtons par une ficelle à laquelle on imprime un mouvement de rolalion, arrivent jusqu’ànous, et nous pressent de venir prendre place au festin. Chacun prend place, et tout en satisfaisant aux exigences de son estomac, cause gaîment des contrariélés de la journée, qui ne sont plus qu'un sujet de rire, rappelle les be: utés qu’il a pu remarquer, et constate avec bonheur que le ciel, découvert, laisse voir les étoiles scinliller au ciel, et semble nous annoncer du beau temps pour demain, Nous profilons . même du beau temps pour voir la nouvelle comète qui a fait son apparilion ces jours derniers au firmament, el pour fêler notre nuit passée dans la montagne, nous annonçons le coucher, en illuminant notre hôtel des lueurs éclalantes d’un gigantesque feu de Bengale. Malgré la gaieté que nous avons tous, la fatigue d’une longue course éteint bientôt le feu des conversalions, et chacun s'étendant près des sapins en flammes cherche à s'endormir, bien enveloppé dans ses couverlures, et reposant sa tête sur la selle de son cheval. Mais, si la fatigue dispose au sommeil, le lit formé de feuilles de sapins n’est pas moëlleux, et d'autre part certains monsires, de ceux que Topfer nomme des Æanguros, s'acharnent après nous, et parfois des plaintes énergiques annoncent que l’un des voyageurs a subi trop cruellement leurs atteintes. Disons en outre, que la Rencluse est habilée par un petit mammifère, probablement un mulot, qui, venant profiter de la bonne aubaine que lui procure notre ascension, se glisse parmi nous el fait ses promenades, sans nul souci du res- pect et de la reconnaissance qu'il nous devrait, sur nos habils el 8 nos visages. Enfin le jour paraît, et chacun bientôt sur pied pour commencer une nouvelle course, constate avec plaisir que le temps est pur el sans nuage. Nous sommes donc impalients de partir, mais le soin à donner à quelques instruments nécessaires pour l’as- cension, le déjeuner qu'il serait trop pénible de faire porter à nos guides relardent notre départ, et ce n’est guère que sur les sept heures que nous nous metlons en route (hauteur 2132 mètres). Nous remontons sur la rive gauche du torrent, pendant quelque lemps, puis, traversant le ruisseau, nous quillons les gazons pour gagner des assises de granil, que nous gravissons lentement en raison même de leur escarpement. Dans les fentes des rochers nous trouvons : Aspidium Lonchytis. Aconitum Pyrenaicum. Sideritis hyssopifolia. Globularia cordifolia. Juniperus Alpina. Saxifraga Aizoon. — Aizoides. — muscoides. Draba Aizoides. Sedum album. Carlina carlinoides. Phlæum Alpinum. Gnaphalium sylvalicum. — supinum. Viola biflora. Pyrethrum Alpinum. Euphrasia officinalis. Teucrium Pyrenaicum. Merendera Bulbocodium. Plantago serpentina. Silene acaulis. Saxifraga stellaris. Geum montanum. Cardamine resedifolia. Valeriana monlana. Homogyne Alpina, Dryas oclopelala. Rhamnus pumilus. Gypsophila repens. Phyleuma hemispherica. Gentiana verna. — nivalis. Cherleria sedoides. Lycopodinm Selago. Lichen electrinus Ram. Carduus acaulis. Aspidium Trichomanes. — Alpinum. Helianthemum OElandicum. Alchemilla Alpina. Dianthus superbus. Primula viscosa. Gypsophila repens. Lonicera Pyrenaica. Sempervivum montanum. — lectorum. Meum athamanticum. Trifolium Alpinum. Hypericum nummularifolium, Armeria Alpina. Pinguicula vulgaris. Vaccinium u liginosum, Asperula Cynanchica. Veronica fruticulosa. Sedum atratum. Dianthus pungens. Sibbaldia procumbens. Petrocalis Pyrenaica. Hutchinsia Alpina. Salix reliculata. Saxifraga ajugæfolia. Juncus trifidus. — muscoides. Saxifraga cœsia. Après avoir gagné la base de l’arêle de la montagne qui sépare les deux glaciers de la Maladetta et du Néthou ou crête du Portillon, de laquelle on jouit d'une vue très remarquable des hauts sommels du groupe des monts Maudits, el avoir pris la hauteur barométrique au lieu dit les graviers de la Maladetta (hauteur 2990 mètres), nous prenons à gauche à travers d'énormes éboulis de rochers qui longent le glacier de la Maladelta, et où croissent Juncus trifidus. Carex nigra. Empetrum nigrum. — atrala. Sibbaldia procumbens. Daphne Cneorum. Oxyria digyna. Pedicularis rostrata Gl]. Artemisia Mutellina Vill. Primula integrifolia. Asplenium viride. et après avoir escaladé une cheminée assez rude, nons nous trouvons dans une échancrure de la créte de Portillon, dite col de Portillon (hauteur 2930 mètres), au bas de laquelle nous apercevons le glacier du Néthou, que nous devons tourner pour arriver à notre but. Sur les rochers qui bordent le col, nous recueillons : Woodsia hyperborea. R. Br. Potentilla nivalis. Senecio Tourneforti. Trifolium Alpinum. Sedum Telephium. Aspidium Lonchyltis. Carex Pyrenaica. Une fois au bord du glacier, qui heureusement s’est recouvert de neige, grâce au mauvais Lemps qu'il a fait hier, nous nous préparons à le franchir, et tout fait espérer que nous serons plus heureux que ne le fut un baigneur, qui, il y a quelques jours, fut obligé de re- noncer à le traverser, en raison des chutes nombreuses qu'il fit sur la glace dénudée, et qui revint à Luchon, les jambes meurtries et déchirées par les angles des crevasses qu'il n'avait pu éviter. Les premiers pas que nous faisons sur le glacier, ne sont pas aussi as- 10 surés que nous pourrions le désirer, et nous faisons plus d’une fois l'expérience du peu de stabilité de notre centre de gravité; heureu- sement nous lrouvons pour nous diriger nos guides, qui nous appren- nent à poser nos pieds, selon toutes les règles de l’art, et à nous ap- puyer sûrement sur nos longs bâtons. Nous savons bientôt conserver notre équilibre, et notre caravane se mei en route au milieu des rires et des plaisanteries auxquelles donnent lieu les voiles verts qui nous garantissent le visage de la réflexion des rayons lumineux. Nous ripostons de plaisanteries avec ceux qui ont négligé celte pré- caution, et le soir nous nous félicitons de ce qu'iis appelaient notre délicatesse, car nous avons évilé tout phénomène d'insolation , tandis qu’au contraire, ils ont été violemment atteints. Quand nous sommes arrivés au point du glacier où commencent les crevasses , Michot fait faire halte à la bande, et chacun de nous s'attache à une longue corde. qui doit prévenir tout accident et empêcher que quelqu'un de nous ne disparaisse dans quelques crevasses, comme Je fil le malheureux Barrau en 1824. Du resle, grâce à la prudence de Michot, qui nous fail faire de nombreux délours pour éviter les crevasses les plus grandes, et dont chacun de nous emboile le pas, nous traversons sans aucun accident le glacier, pour arriver au lac Couronné : c’est à peine si quelqu'un de nous a parfois enfoncé la jambe dans quelque trou, et nous devons nous eslimer heureux de n'avoir perdu qu'un étui de lunettes, qui a pris sa course jusqu'au bas du glacier. Au lac Couronné, le glacier est solide, aussi y faisons- nous une halle pour faire photographier notre groupe sur la neige par noire ami Trutat. Le lac Couronné est situé dans une échancrure intermédiaire au pic du Milieu à l'ouest et le Néthou à l'ouest; les glaciers qui l'environnent de toutes parts, lui forment comme une couronne , qui se réflétait dans ses eaux presque toujours glacées jusqu’à 1857, époque où il s’est effondré el vidé entièrement. Pour arriver au Néthou nous commençons à gravir le Dôme, ainsi nommé en raison de sa forme arrondi, et qui nous donne une peine assez grande par sa déclivilé très prononcée ; mais nous approchons du but et nolre courage est soutenu par l'espoir de l’alteindre bientôt. Dès que nous le pouvons, nous quittonsle glacier pour les rochers, el nous alteignons promptement le sommet, nous ferons mieux dedire, le dernier passage difficile qui nous en sépare ; nous avons nommé le pont de Mahomet. C’esl une muraille formée de rochers qui sur- 11 plombent des deux côtés sur deux glaciers placés à une grande pro- fondeur en dessous, et sur laquelle il faul s'avancer en s’'aidant des pieds et des mains : un moment nous hésitons, mais nous ne sommes pas venus si près du bul pour ne pas l’atlteindre, nous franchissons l'obstacle en quelques minutes et nous foulons enfin le point culminant des Pyrénées. Malgré un vent assez vif, qui fail descendre le thermomètre à + 3%, nous nous inslallons sur le pic, et nous prenons plusieurs vues du spectacle immense qui se déroule sous n0s yeux. Il faut nous presser de jouir de ce panorama, car déjà les nuages commencent à s’amonceler, el à chaque instant quelque partie du tableau se couvre d’un voile qui le dérobe à nos yeux. Certainement la vue que nous avons devant nous esl remarquable par son étendue et nous permet de juger de l’inmmensité du sou- lèvement des Pyrénées, mais celle immensité même nuil à l'effet général, el nous ne sommes pas aussi frappés que quand il nous a été donné de saisir un ensemble moins vasie. Après avoir pris à la hâte quelques reconfortants, nous nôus occupons des expériences que nous avons à faire ici, pendant que M. Bianchi fail son opération barométrique qui lui donne pour la hauteur du Néthou, 3432 mèlres. La hauteur prise en 1852 par M. Bianchi était d’après ses calculs, de 3423, ce qui donne une différence de 9 mètres: la moyenne des deux observations est donc de 3427. (Voici du reste les derniers chiffres indiqués par les auteurs, qui ont évalué l'élévation du Néthou, au moyen de la trigonométrie : en 1788-89 Reboul et Vidal, 3495 mètres; en 1817, Reboul, 3482 mèlres ; en 1813, Picol de Lapeyrouse, 3197 mètres; en 1825, M. Corabœuf, 3403 mèires. Les opérations plus récentes des officiers d'état-major, chargés de dresser la carte de la France, ont trouvé que cette hauteur élait de 3404 inètres.) Par les soins de MM. Lezat et Lambron, un thermomètre à minima a été placé à demeure sur le Pic Néthou, et parmi les observateurs qui ont fait l’ascension de ce pic dans ces dernières années, MM. Albert Geoffroy-Saint-Hilaire et d'Andigué ont trouvé les chiffres suivants : — 94,2 degrés, en 1858; dans le courant de l'été 1858, la température a été trouvée varier de 0 degré, à +7 degrés, du resle la lempéralure minimum observée dans la saison des ascensions donne une moyenne de — 3,5 et celle maximum de + 12, 3. Pendant que M. Bianchi cherche à vérifier le point d'ébullition 12 de l’eau, nous prenons quelques vues photographiques des mon- tagnes qui nous entourent, et nous cherchons en vain à retrouver quelques pieds de l’Androsace cylindrica que M. Lezat y trouva une fois, et quand tout est fini, nous repassons le pont de Mahomet, pour rejoindre la Rencluse où nous devons passer une seconde nuit. Notons que personne de nous ne fut atteint de ces phénomènes par- liculiers qui se manifestent quelquefois chez les personnes qui tentent l'ascension des pics élevés. Le seul malaise, que nous pour- rions rapporter au mal de montagne, serail une céphalgie très in- tense dont se plaignit Bernard Lafont, lors de la descente du Néthou à la Rencluse. La descente de la première partie du Dôme se fail rapidement, et nons fail goûter les sensations que donnent les montagnes russes, mais bientôt il faut nous rattacher à nolre corde, et reprenant en sens contraire les détours que nous avons faits en montant, nous parvenons sans accident au-delà de la partie du glacier qui offre des crevasses. Ici c'est encore le système des glissades sur la pente de la glace qui nous sert et nous amène rapidement , mais non sans quelques chutes, à la Moraine qui s'étend au dessous de la crête du Portillon. Le relour à la Rencluse se fait alors sur les blocs amon- celés de la Moraine d’abord, puis sur la partie la plus déclive de la crêle, el quand nous arrivons à notre gîte, nous ne demandons qu'à nous reposer de notre longue journée, après avoir fait un bon repas, puisque les brouillards qui n’ont cessé de couvrir le versant français du port de Bénasque, ne nous permettent pas de rentrer le soir même à Luchon. Le lendemain matin, dès le point du jour, nous commençons en attendant que nos chevaux soient retrouvés (car pendant la nuit ils se sont écartés très loin de la Rencluse) à explorer la vallée de la _Rencluse et les bases du pic de Paderne, qui nous offrent un bon nombre de plantes intéressantes, mais malheureusement presque toules dans un élat trop avancé de végélalion pour figurer avec honneur dans notre lrerbier. C’est dans celte promenade que nous rencontrons successivement : Aspidium Lonchylis. Carex flava. — Sspinulosum. Swertia perennis. Carex davalliana. Lycopodium Selago L. Selaginella spinulosa A. Braun. Asphodelus ramosus. Mecrendera Bulbocodium. Iris xyphoides. Armeria Alpina. Veronica Ponæ. — Alpina. Gentiana verna. — campesiris. — acaulis. — uivalis. Arenaria purpurascens Ram. Polygonum viviparum. Vaccinium Myrüllus. — uliginosum. Pyrola secunda. Campanula Scheuchzeri. — pusilla. Salix Pyrenaica. — reliculala. Teucrium Chamædris. Phyleuma hemisphericum. Saxifraga cæsia. — ajugæfolia. — muscoides. — bryoides. Saxifraga slellaris. — umbrosa. — Aizoon. Angelica Pyrenaica. Thalictrum saxatile. Saponaria cæspitosa. Rhamnus pumilus. Trifolium Alpinum. Juncus trifidus. Dryas octopelala. Siderilis hyssopifolia. Galeopsis Filholiana. 13 Soldanella Alpina. Androsace carnea. Arctostaphylos officinalis. Carlina acaulis. Anemone Hepalica. — vernalis. Helianthemum OElandicum. Vicia Pyrenaica. Rosa Alpina. Viola biflora. Silene acaulis. — rupestris. Sedum atratum. Potentilla alchemilloides. — nivalis. Arenaria ciliala. Draba aizoides. Lichen electrinus. Poa Alpina. — Sudelica. Carex frigida. Daphne Cneorum. Teucrium Pyrenaicum. Ranunculus Pyrenæus. Linaria Alpina. Antennaria dioica. Jasione perennis. Cardamine resedifolia. Saponaria cæspilosa. Ceraslium arvense. Oxytropis Pyrenaica. Gregoria Vilaliana. Iris xyphoides. Androsace carnea. Rosa Alpina. Leontodon hastile DC. Carduus medius. — Carlinæfolius, Angelica Pyrenaica. Oxilropis Pyrenaica. Erigeron Alpinüs. — uniflorus. Juncus irifidus. Allium suaveolens. Calamintha Alpina. Primula integrifolia. Carlina acaulis. Luzula spadicea. — _ pediformis. Nardus stricta. Festuca Eskia Ram. 14 Crepis albida. Bupleurum ranunculoides. — Pyrenæum. Potenlilla rupestris. Vicia Pyrenaica. Alsine verna. Silene ciliata. Astrantia minor. Sibbaldia procumbens. Valeriana montana. Homogyne Alpina. Galium erectum. Globularia nudicaulis. Soldanella Alpina. Autour du lac de Paderne nous recueillons : Equisetum variegatum Schlenck. Juneus arcticus. Eriophorum lanatum. Malheureusement nous n'avons pu trouver au pied du pic de Paderne deux plantes qui nous y avaient été signalées, malgré le soin que nous y avons mis, el bien que Bertrand Lafond, qui les avait vu ramasser par M. Lezal nous ait conduits à la place même oùelles avaient été récoltées, nous voulons parler du Thymus Zygis, Lapeyr., et d’un Onosma, probablement d'espèce non encore déter- minée (1). Nous laissons les guides à la recherche des chevaux et leur donnons rendez-vous à l’hospice de Bénasque, car nous voulons profiter de notre retour pour faire quelques récoltes au plan des Etangs et sur la Pena blanca. Nous nous metlons en route, sous la conduite du vieux Bertrand Lafont, qui depuis longues années di- rige les botanistes dans leurs courses, qui connaît bien les plantes el leurs localités, et qui malgré ses soixante-douze ans, parcourt encore les montagnes avec une énergie et une agikité que nous lui (1) Thymus Zygis. Rencluse de la Maladetta en allant au pie de Paderne. Onosma (pyrenæa). Au dessous de la Rencluse, au pied des rochers à pic de Pa derne, à droite. 15 envions en maintes circonstances. En descendant vers le plan des Elangs nous recueillons : Merendera Bulbocodium. Euphorbia Cyparissias. Bupleurum ranunculoides. Carlina carlinoides. Galium cruciatum. Trifolium alpinum. Ligusticum Peloponense. Iris xyphoides. et nous suivons la vallée de l’Essera jusqu’au bas de la Pena blanca dont nous gravissons les roches Dolomitiques en enrichissant nos cartons de: Eryngium Bourgati. Asphodelus ramosus. Frilillaria Pyrenaica (fruits). Bupleurum ranunculoides. Saxifraga pyramidalis. — longifolia. Medicago suffruticosa. Arenaria lelraquetra. Saponaria cœspitosa. Sesleria cœrulea. DC. Merendera Bulbocodium. Arabis bellidifolia. — Alpina. Umbilicus sedoides. Seseli nanum. Silene acaulis. Valeriana heterophylla. Galium Pyrenaicum. Viola tricolor. Oxytropis Pyrenaica. Arenaria purpurascens. — grandiflora. — .Ciliata. Euphrasia Soyeri, Timb. Gentliana campestris. — nivalis. Veronica aphylla. Veronica fruticulosa. Erigeron alpinus. Androsace carnea.. Hieracium cerinthoides. Jurinea Pyrenaica. Teucrium Pyrenaicum, Cuscuta epithymum. Scutellaria alpina. Saxifraga cœsia. Aster alpinus. Seseli Pyrenœum., Veronica bellidioides. Phyteuma hemisphericum. Daphne cneorum. Gaya Pyrenaica. Erinus alpinus. Sideritis hyssopifolia. Armeria Alpina. Carduus medius. Campanula pusilla. Jasione perennis, Globularia nudicaulis. — cordifolia. Allium suaveolens. Anthyllis montana. Pedicularis rostrata. Arabis bellidifolia, 16 Sisymbrium bursifolium. Lapey. Ononis rotundifolia. Potentilla nivalis. Galium pyrenaicum. Pyrethrum Alpinum. C'est en recueillant bon nombre d'échantillons que nous gagnons le port de Bénasque. Là, après avoir adressé un dernier regard à la Malade!ta, nous'descendons par un beau soleil le chemin que nous avons gravi avant-hier par le brouillard et la grêle. Trois heures après nous retrouvons nos chevaux à l’hospice, et nous rentrons rapidement à Luchon, aux claquements des fouets de nos guides et ne demandant qu’à reposer nos membres fatigués, dans des lits qui nous sembleront cerlainement meilleurs que la feuille du sapin à laquelle nous avons été condamnés les deux dernières nuits. — Quelles qu’aient été du reste nos faligues, elles ont été compensées et au delà, par la magnificence du spectacle que nous avons eu sous les yeux, et c’est en rêvant à de nouvelles ascensions que nous fer- mons la paupière. D: J.-LÉON SOUBEIRAN. HERBORISATION À CHALOCHÉ Ils ont drainé Beaucouzé. Ils ont nivelé Saint-Auguslin. Ils ont couronné d’échalas le plateau d’Erigné, et si bien excorié ses flancs que la pauvre Gagée, repliant ses corolles d’or, a regagné les step- pes de sa Bohême. Ils exploitent Bécon. Ils défrichent la lande que ne protège plus la flèche romane de Tiercé. lis ont mis en prairie le glorieux étang de Soucelles. — Is nous ont laissé Chaloché. Cha- loché, ruine, désert, la solitude, l'infini; point de jonction du peintre et du rêveur, de Farchéologue ct du naturaliste. Pas si haul! Les murs écoutent; et n’ai-je pas entendu chuchoter derrière moi, d'une voix plus pénétrante que les cent voix du chœur de l'Opéra, cette phrase du Guillaume Tell de Rossini : « Si parmi vous il est un traître ! » Dire qu'ils nous ont laissé Chaloché, c'est fermer les yeux sur les premiers indices de cette transformation future qu'a signalée déjà la perspicacité d'un de nos maîtres, sur les projets qui couvent, sur les industries qui s’éveillent, sur les blanches toitures que le mal- heureux promeneur, pâle et plus frissonnant qu’une biche, avise au fond de la lande entre deux touffes de roseaux. — Que voulez- vous ? Demain est un ennemi en face duquel il nous faut vivre. De- main ne nous tient pas, car qui nous répond de demain ? « Après nous le déluge, » disaient nos pères. Y croyaient-ils? Déluge devant comme derrière! Celui qu'ils présageaient , dont ils VI. 2 18 évoquaient la chimère en dépit des promesses de notre foi, n’était pour eux qu'un sombre retentissement du passé dans l'avenir, qu’un mirage entretenu par le souvenir vivace du cataclysme de Noë. Quant à nous autres, dont l'imagination décolorée n’est que trop à l'abri de pareils excès, voici notre devise : après nous les carottes, les betteraves el les colzas ! Nul reproche d’égoïsme ne saurait d'’ail- leurs nous troubler dans nos déleclations viagères : messieurs nos fils, gens graves, et dont les studieux loisirs ne sauraient condes- cendre aux puérilités de la botanique, s’inquiéteront-ils bien de ce qu'il y aurait à glaner après nous ? Puérilité, c’est le nom de toute étude comme de toute science, de l’hysope au chène, et de l'insecte à Léviathan, que ne relèvent ni les mâles aspirations vers Dieu, ni les humbles retours vers soi- même, ni les extases, ni les rêveries, ni les éveils soudains insépa- rables chez l’homme du spectacle de la création. En toutes choses nous sentons, non qu'il y ait une âme dans les choses, il n’y a d'âme qu’en nous, comme il n’y a de substance qu’en Dieu; mais telle est la force de cette âme que, partout où elle porte, elle y met en vibra- tion les affinités mystérieuses sur lesquelles repose le miracle de l'univers. Cette puissance de sentir, aucuns diraient cette faiblesse, est la vie de la science. Les pédants ont beau dire, il lui faut respirer et aimer. Ni patience d'analyse, ni largeur de synthèse, ni rigueur d’enchaînement, ni subtilité d'aperçus ne sauraient suppléer en elle à ces intuitions à la fois naïves et sublimes par où l’enthousiasme du poële confine à l’observation du savant. Ainsi l’entendais-tu, à toi le plus pur des croyants, et le plus ému des botanistes, Ô mon cher Théophile, toi dont une intelligente amitié laisse la tombe en friche, n’osant y substiluer une culture artificielle à la germination spontanée des gazons. Chaque plante que tu relevais devenait pour toi la clef d'un monde. Tu plongeais avec elle dans les profondeurs du sol par les racines, par sa tige tu pointais aux hauteurs des cieux, déduisant de sa forme, de sa couleur, de son arôme, de ses tendan- ces el de ses verlus, sa vraie signification dans les harmonies du paysage. La vie que tu prêlais, tu la puisais toi-même à la source d'où tout descend. Le hideux panthéisme, qui fait ruisseler Dieu dans les veines des arbres et des pierres, te conviait-il, tu le repoussais, en prenant à témoin du Dieu unique et adorable le symbolisme de 19 l'univers. Comme le pâtre qui enfle un chalumeau de seigle, tu soufflais, et les choses, animées par ton souffle, articulaient nelte- ment ce qu'elles balbuliaient pour d’autres. Un jour de Rogations, lu m'entrainas de grand matin par les champs, à la suite de la pro- cession de la paroisse. Les grains de ton chapelet qui lournaient sous tes doigts, et près desquels tes yeux semblaient chercher un abri contre les excitations du paysage, attiraient nos pensées sur les germes confiés aux bénédictions d'en haut. Les roses qui s’effeuil- laient d’elles-mêmes sous nos pas, toutes larmoyantes de rosée, les oiseaux qui batlaient de l’aile sur nos têtes, subissaient l'influence et concouraient à l’action. Je ne saurais oublier de quel air mélan- colique les grands bœufs, accourus au son de la cloche, baissaient leurs cornes, vaincus et étonnés de celte puissance à laquelle leur instinct ne pouvait s'élever. Une veine de calcaire, effleurant tout à coup le sol argileux que nous foulions, vint à montrer cette légère et capricieuse végétalion qui fait bondir le cœur du botaniste. A droite, à gauche, on vit apparaître, comme deux sentinelles d’hon- neur, deux pieds d'Ophrys apifera..…. Tu n’y ins plus : étendant tes bras sur les escarpements de la berge où se dressaient les deux échantillons de la plante aux feuilles aigues, à la corolle d'abeille, aux bractées couleur de carmin, tu les cueillis, les élevas sur nos têles, les suspendis au bouquet de roses de la croix, en mêlant aux litanies de l'Église cette invocation triomphale : Candidior cerà , melle dulcior, Virgo, ora pro nobis ! Nous y songeâmes beaucoup, à ce pauvre Théophile, en roulant vers Chaloché par la vieille route de Paris! Comme nous, et mieux que nous il eût compris le charme qu'emprunte aux reflets du passé une vieille route abandonnée. Les retours de Paris de nos défunts pêres, attendus et serrés dans nos bras sous les châtaigniers de Pel- louailles (dont le doyen tombaiten ce moment sous la cognée), nos voyages d'étudiants, départs émus, folles arrivées, espoirs, illusions, chimères, toute cette poésie de jeunesse, réveillée au fond de nous avec bruit de fouets, de roues, de grelots et d’attelages, nous rejetait aussi loin de la Méthode de Linné que du Prodrôme de Candolle. Nous rêvions, absorbés dans la fraternité du souvenir, quand un Rubus montra sa têle sur le fossé, ti er Ane et voilà la guerre allumée ! » 20 Falal début ! Qui ne sait les irréparables effets de cette plante liti- gieuse sur le genus irritabile des botanistes? Que d'amis diadelphes elle a tournés l’un contre l’autre, prêtant à leurs fureurs ses aiguil- lons les plus crochus! Que d’esprits lumineux, en butte à son insai- sissable protéisme, sont allés consigner le dernier mot de leurs découvertes sur la Flore de Charenton ? Arrhenius, l’auteur de la monographie du Rubus, est mort ; mais nous savons qu'il revient chaque année, à pareille saison, réviser son œuvre incomplète. Dé- fiez-vous du Rubus, cœurs vifs, impressionnables cerveaux! Le buisson de Rubus est un buisson ardent, et chaque carpelle de son réceptacle gonflé et non charnu est un carpelle de discorde! Il s'agissait de savoir si les particularilés relevées à la loupe sur l'individu en cause, et revendiquées par l’un des quatre compagnons au profit d'une spécialité nouvelle, n'étaient pas au contraire, ainsi que le soutenait un autre, un des mille caprices par lesquels ce genre polymorphe se plaît à déjouer les conjectures des savants. — « Une belle et bonne espèce, » disait le premier; j'y mettrai mon nom. — « Cognomine quidam vel quilibet, » répondait ironiquement l'ad- versaire. — « Une variété, messieurs ! l'affaire peut s'arranger, » balbutiait un troisième qui jouait dans celte controverse le rôle pacifique et terue de Melanchton. — « Au lieu de vous chicaner, ajouta le quatrième, pour le simple plaisir d’embrouiller le chaos et d’obscurcir la nuit, que ne regar- dez-vous de ce côté? » C'élait une belle enfant, jaune comme une orange de Malle, une manière de gypsie aux cheveux flottants et aux pieds nus, royale- ment assise dans la poussière du chemin. Un âne dételé broultait près d'elle à quelques pas de l’un de ces caissons forains, arche flol- tante où se résume, avec son insouciance, sa misère, sa liberté, toute la destinée d’une famille de bohèmes. Çà et là de blanches dents qui reluisaient, de fauves prunelles qui étincelaient par les sabords du bâliment à l'ancre, attestaient la présence de l’équi- page. Une main sur sa joue, dans l'altitude chère au ciseau des maî- tres gothiques, elle tenait de l’autre un livre où se concentrait son attention avec une telle puissance qu’elle semblait moins en lire qu'en aspirer le texte. La hache du Romain qui ne put distraire Ar- 21 chimède de ses figures géométriques eût délaché celle tête de son cou plulôt que de la page où elle était clouée. — « Mais que lit-elle donc là ? » L'auteur de cette intéressante question parla pour quatre. Elle était naturellement suscitée par le contraste de cette âpre et sau- vage nature avec tout ce qu'un livre comporte de civilisation el de progrès. Il étail temps de songer que, jeune ou vieille, brune ou blanche, des rives de la Sarthe ou des sources du Nil, cette figure contenait une âme. Le livre où elle lisait, usé, taché, à couverture louche, ne rappelait ni par son format, ni par son texie, aucun de ceux que les mères laissent aux mains de leurs enfants. Il ne tenait qu’à nous d'y regarder, — nous n'osâmes. Car, dit le poète, « L'idéal tombe en poudre au toucher du réel. » Et, nous élevant plus haut, nous songeâmes à la part lointaine, mais sérieuse, qui incombe à chacun de nous dans le délaissement d’une âme sœur de la nôtre. Le quart d'heure de silence qui succéda à celte rencontre trahit les impressions que nous en avions recueil- lies et qui s'échelonnaient dans l’ordre que voici: D'abord une sèche et froide curiosité d'artiste, enthousiasme du regard, chaleur d’admiration dont s'amuse l'esprit, mais dont le cœur s'ennuie et s’attriste. Puis, l'émotion des nerfs succédant au plaisir des yeux, et le déclamateur prenant la place de l'artiste, un mouvement d’éloquente et verlueuse indignation contre la société, mère des uns, marâtre des autres. Puis le retour sur nous- mêmes, sur nos intimes connivences par lâcheté, par égoisme, à tout le moins par inertie, avec la sociélé que nous accusons ; que, si profond que soit l’abîme où nos frères sombrent, il y a sous nos mains plus d'instruments de sauvetage que notre oisive sympathie, — suave mari magno… — Se plaît à le supposer; que croire c’est pouvoir ; que la société chrétienne, depuis le Christ, fonctionne en chacun de nous dans une sphère inaccessible à la malignité des temps. Voyez ce pauvre prêtre qui va rôdant à chaque foire sur nos halles, quærens quem liberel! Aux heures de relâche où le baladin es- souflé laisse tomber son rôle et s'adosse, comme l’un de nous, aux murs de bois de sa cabane, — il arrive, il l'aborde, lui serre la main, et (qui l’eût dit!) en moins de temps qu'il u’en faut à deux amis pour se brouiller et échanger deux balles ensemble, une al- 22 liance profonde, une cordiale intimité s'établit entre ces deux inter- locuteurs extrêmes, l’un descendu de l’autel el l’autre des tréteaux. Réhabilitation dont ne se doutent guère nos utopistes! d’un paria ce: prètre a fait un homme; il en fera un époux et un père demain. Nos zingaris auront leur tour.— La Fête-Dieu est passée, mais quand la Saint-Martin viendra, quand toutes nos fleurs seront fanées, toutes, jusqu’au Colchique des prés, Dieu s’en viendra frapper par la main de son serviteur à la porte de cette cabane, — et ce sera le printemps pour ses hôtes émerveillés, et les grands yeux de la petite salueront de plus vives clartés que celles qui éclatent en ce moment sur notre gauche. C'étaient les grès de Soucelles qui tiraient un reflet d’agathe des rayons matineux du soleil. Une légumineuse, dressant sur la lisière des blés ses grappes plus rouges que des cerises, fil pencher la ba- lance à droite. Salut au Lathyrus tuberosus! — Altenlion! voici de l’au- tre côlé, avec son faisceau de fleurs couleur d’opale, ses feuilles du- vetées que le commentateur de Dioscoride compare judicieusement à des lamelles de drap usé, la Sauge Orvale, beau nom qui n’a d’égal dans la reconnaissance des hameaux que le nom populaire de Toute bonne, Malheur au bolaniste qui, épris de l’arôme de cette fleur, y plongerait trop amoureusement ses narines ! Cet arôme volatil, saturant son nerf olfactif, le mettrait hors de flair et annihi- lerait en lui pour tout le jour un des plus subtils instruments d’inves- tigation dont l’ait armé la Providence. Partout où ce malheureux nez porterait, il n'aspirerait qu'Orvale et ne respirerait que Toute bonne. C'est aux portes de Suette que le Dipsacus pilosus apparaît comme le précurseur de la végétation calcaire. Pour qui n’a jamais dépassé dans ses courses le rayon de notre banlieue, pour qui a concentré toute l’activité de ses recherches dans les localités surfaites ou surannées des bois de la Haye et des Fourneaux, l'entrée de Chaloché, par la route de Chaumont, a quelque chose de surprenant. Figurez-vous un habitué de Té- lémaque et du Lutrin transporté tout-à-coup dans le milieu fantasque de Puck, de Mab et de Trilby. La route, à peine foulée par le pied des passants, traverse un sol blanc comme elle, alcalin, sa- bleux, et d’une mobilité telle qu’il semble onduler sous le vent. La nature, humiliée, asservie ailleurs, ici se relève et prend sa revan- che. Ici l’affreux Durham est impossible ; pas de monstre couronné, 23 gloire de l'éleveur, horreur de l’artiste, qui ne remonte, en huit jours de pacage, au type imprescriplible des Paul Potter et des Berghem. Les germes confiés par l’homme à ce sol récalcitrant ne s'y déve- loppent que sous le bon plaisir d’une végétation spontanée, qui les accable de son éclat. Voici sur les prés secs l'Origanum vulgare, et l'Anchusa ilalica dans les friches. Sur la crête des fossés voici la Barkhausia.. fætida? Et pourquoi? De quel droit qualifier ainsi l’arôme prussique et délonnant de cette farouche Synanthérée ? Que cela puisse agacer les nerfs d’une marquise ou jeter le trouble dans un magasin de parfumerie, d'accord; — mais cela ne pue pas. Quoi qu'il en soit, des quatre herborisants, deux seulement étaient aptes à se prononcer sur la matière, l'abus de la Sclarée ayant sus- pendu chez les autres toutes les facultés de l’odorat. Voici encore, en plate-bande sur la berge, le Buplevrum protrac- tum que maint conscrit de la Flore a pris de loin pour un Euphorbe, confusion malheureuse et qui le condamne à jamais. lei, en effet, vous mesurez la distance qui en tout et partout sépare le bourgeois de l'artiste, L’un étaie sa ressemblance sur des rapports de race, des sympathies d’allures, des parentés d'expression; c’est à de faux airs, à la couleur des cheveux, à quelque verrue sur le nez, à des vulga- rités de photographie que s’attarde et s’aheurte l’autre. La route de Chaumont se relie au chemin de Chaloché par un sentier ingrat où nos essieux craquèrent, et où faillirent se rompre nos os. C'est à quelques pas de là, sur un tertre inviolé que, de- puis la chute de l'homme, l’Anthyllis vulneraria tient son officine au service de tous les blessés. Nous n'y touchâmes pas, et le saluâ- mes en bénissant la providence des naturalistes. Nous sommes en élé; que n'est-ce le printemps? Sur ces pelouses sèches que leurs capsules ridées attristent aujourd'hui, les Orchis simia nous réjouiraient de leurs lazzis, et nous embaumeraient de leurs senteurs jusqu’à la porte de l’abbaye. Nous ne verrions, il est vrai, ni la Chlora perfoliata faire sa roue d’or à gauche, ni, du creux du fossé à droite, émerger la longue file des Globularia vulgaris. Cette procession, saluée par les mille campanules (Campanula trachelium) qui se balancent à la lisière du taillis, est d’ailleurs plus en harmonie avec le caractère des souvenirs. C'est là que se recueille dans le silence des bois, que s’exhale des landes, que se réfléchit dans les étangs la mémoire de notre abbaye. 24 Ceux qui l'ont construite avaient sur la nature des vues simples et forles qui n’accusent pas moins l'orgueil de nos sciences que le sensualisme de nos arts. Leur expression survit dans les ruines de ces arcades qui reliaient l'arbre à la pierre et faisaient hésiler la sève entre les nervures des voûtes et les ramures de la forêt, dans ces fleurs symboliques, si étroitement enlacées par le ciseau soit aux flancs des lions, soit au cou des colombes, qu’en les brisant le mar- teau n’a pu leur faire lâcher prise. De cette flore idéale ramenés à la végétation réelle, nous dénom- brons d’un œil distrait les mille pariétaires qui servent de ciment aux murs effondrés de la chapelle. A quelques pas de là s'ouvre, mys- lérieux et béant, le puits des Bernardins sous son anse de samari- taine. Nos yeux plongent à perte de vue au fond de l’abîme où l’eau semble dormir depuis cent ans sous des touffes de Scolopendre: et quand nous les rouvrons, plus clignotants que ceux de l’orfraie, à la clarté du jour, — nous nous retrouvons cinq au lieu de quatre. Le cinquième n’est rien moins que l'hôte moderne de l’abbaye. Il veut nous arrêter, c’est nous qui l’entraînons. Sous son escorte nous marchons en ligne droite vers les étangs de Chaloché. On traverse une pâture où l’'Ophrys myodes se fauche en mai comme du trèfle. Là, ferme et opiniâtre sur le talus de son fossé, un Carex maxima de la plus riche taille résiste aux efforts conjurés de nos bêches et de nos couteaux ; il nous eût fallu des cognées. On longe à droite une friche, à gauche un taillis de chênes brosses par une route impré- gnée d’un arôme de pins et de genièvres; ce n'étaient là que Pha- langères et que Pulsatiles il y a deux mois. « Une goutte de sang dans les blés! » tel est le cri qui faillit s'échapper de nos lèvres à l'apparition de l’Adonis. Près de ce rouge cramoisi, le Geranium sanguineum, soil dit sans attenter à la gloire de sa corolle, nous parut quelque peu carmin. — Quelle est cette petite plante qui, les pieds dans l'humidité des sables, dresse ses verticelles roses à quel- ques millimètres du sol? Le vulgaire l’ignore, elle n’a d'appellation que dans les nomenclatures de la science : Illecebrum verticillatum. Où donc ai-je lu ce nom? N'est-ce pas en épitaphe ‘sur quelque plaque des classes de nos jardins de botanique où les soins les plus doux, les plus ingénieuses prévenances n'ont pu le faire survivre aux amertumes de l'exil? Grâce au système d’assainissement devant lequel pas une mare, 25 pas une flaque ne trouvent grâce, et qui, par l’accumulalion re- doutable de toutes les eaux du sol dans le bassin des rivières, nous réconcilie progressivement avec l'hypothèse d’un second déluge, les étangs se font rares; aussi est-ce merveille que d'en compter ici jusqu’à trois, et des plus sauvages, aussi variés de contours et de couleurs que de produits. Le plus haut de ces étangs s’est laissé complétement envahir par une espèce, à tout le moins par une variété de Typha, à la tige grêle, et dont les fauves massettes mesurent à grand peine la longueur d’un cigare panatelas. À voir osciller leur lige avec tant d’élasticité sous le vent, on se figure assez bien une légion de cour- tisans abaissant et relevant leurs flexibles vertèbres suivant le ca- price du pouvoir. A cent pas sur leurs têles, des volées de hérons éclos et couvés sous leurs feuilles poussent des cris, battent des ailes et font la gymnastique aérienne sous le regard des vieux pa- rents. Dans l'étang inférieur s’abreuve la population des Scirpes, des: Joncées et des Cypéracées. Sa lisière de taillis échappe à nos investigations, faute de temps. C’est sur la déclivité de ces landes, parcourues au pas de charge avec une étourderie d'écolier, que nous recueillons le Juncus lamprocarpus, le Mollinia cœrulea, le Parnassia, dont les amours dépassent la lyre des poètes, le Nardus stricta, et cet Exacum filiforme qui va et vient, irrésolu, du genre des Cicendia à celui des Gentianes. Nous vîmes l'Utriculaire emplir son outre au filet d’eau qui relie les deux étangs, et nous devinâmes sous l'herbe, à ses feuilles de lierre, la Campanule bleu-céleste dont Walhenberg fut le parrain. Le troisième des étangs n’est, à proprement dire, que le déversoir du second dont il n’est séparé que par une bonde et par la route; et pourtant quel changement subit, quelle rénovation végétale! C’est le bassin fleuri, l'aquarium à désespérer tous les décorateurs de nos jardins et de nos serres. Là tout surnage et flotte; c’est là que le Nénuphar s’égaie, que s’entrouvre la Villarsie, que s'échevèlent et . s’effilent les plus rares espèces des Myriophyllum et des Sparganium. Et sur les caps, au fond des anses, aux renflements de ses bords ac- cidentés de ressauts et de redents, que de bonnes rencontres! Voici, noyée dans les Gramen, l Anagullis tenella; sa corolle n’oserait affron- ter les rayons du soleil. Voici plus bas cette fleur féodale dont le te- nace blason semble un défi jeté à l'avenir démocratique : Veronica scutellata. Le Spiranthes d'été garde inviolablement son parfum qu'il 26 transmellra bientôt au Spiranthes d'automne. Des deux Pinguicula, vulgaris et lusitanica, il va sans dire que la première, celle qui communique aux jaltes l’étonnante vertu de changer le lait en beurre, est la plus rare. Et qu'est-ce que vulgaris en parlant d'une œuvre de Dieu? Il n’y a de vulgaire que les nôtres. Quant à la se- conde, elle n’a pas tellement subordonné son existence aux chaudes haleines du Portugal que nous ne l’apercevions tôt ou tard près de sa compagne, dès qu’aux eaux de l'étang succédera le limon des marais. Drosera (Rossolis) rotundifolia. Voilà un nom! Oui, rosée du soleil, de ses larmes congelées en cristaux autour de sa tige, el que le soleil fait étinceler comme des diamants. Regardez-la ! comme elle trône en reine sur sori pelit tertre de Sphagnum. Le prestige de son port, le superbe épanouissement de ses blanches fleurs en panicule, l’étran- geté de ses feuilles dont les pédoncules rougeâtres s’allongent et s’é- talent en rondelles à ses pieds, la recommandent tellement qu’on lui prêle volontiers les dimensions d’un arbre. Tant il est vrai que l'esprit impose à l’œil sa mesure. L’imaginalion met au service de l’homme son échelle magique qui s'étend et se resserre selon la force de l'impression. C’est l’œil sur les tisons, grandis et développés dans des proportions formidables, que le poëte des Orientales a composé le Feu du ciel. « Tout cela ne nous donne pas le Liparis Lœselii » soupira quel- qu'un de la bande, assis les bras croisés, près de la source où les quatre autres irempaient gaiement leur pain. Cette frugalité, nous l’avions stipulée au départ, comme une protestation contre ces déjeuners substantiels dont les débris affligent et souillent la cam- pagne. — « Liparis Lœseli, cette planète végétale apparue deux fois dans le siècle sur les prés de Chaloché, au dire des botanistes qui en épient impatiemment le retour depuis vingt ans; cette plante légendaire qui, au dire des rationalistes, n’a jamais pu éclore qu'entre les feuilles d’un herbier. Mangez, buvez, Messieurs! Quant à moi, je ne porterai ni de ce pain à mes dents, ni de cette eau à mes lèvres, avant la découverte du Liparis Lœselii. » A cent pas environ au-dessous du Malagué, il est un gué plus méprisable encore, et qui n’a de prix que pour ces fous de botanistes. L'eau qui, au temps des moines, y débordait sans doute, y croupit désormais; c’est quelque chose d’hybride qui n’est ni terre ni eau. 21 Ce mollet, cette tourbière dont les sources stagnantes se masquent perfidement sous des monticules de gazon, est à peine explorable aux jours torrides de l’année. Aussi ne vous y fiez pas, et n’y mettez un pied devant l’autre qu'avec celte prudence... malheureusement inconciliable avec la témérité de la passion. Eh bien! ce qui fait le péril de l’homme est le salut de ces Scirpes boudeurs, de ces sau- vages Orchidées pour qui le contact de la civilisation serait mortel. C’est là que le Liparis vit en paix, là que va porter toute l'activité de nos poursuites. La bande se divise et se répartit sur les abords en cinq points d’at- taque, d’où chacun des assaillants doit se diriger vers le centre. Quel meilleur point de repère que cetteample et splendide touffe d'Osmunda regalis? Nous voilà tâtonnant dans les hasards de la tourbière, comme dans les ombres de la nuit. Effet curieux d’une idée fixe! En vue de cette conquête, chimère, problème à tout le moins, les plus curieuses espèces, les plus lointaines, les plus chères, celles qui eussent pro- voqué une course de dix lieues, celles qui eussent donné leur nom à la journée, étaient devant nous comme si elles n'étaient pas. L’un écrase du pied l’Epipactis palustris dont la rencontre, à la queue de l'étang de Soucelles, avait décidé sa vocation. En voici un pour qui l'Étoile des marais (Carex stellulata) rayonne en vain dans la foule des Cypéracées. La feuille que le troisième écarte à la pointe du bâton n’est rien moins que celle du Menyanthe. Qu'importe au quatrième, perdu dans un bouquet de Cladium mariscus haut comme une futaie, l'apparition tardive des deux Pinguicula? — « Que cherche-t-il donc là? » se demandait , les mains dans sa blouse et les jambes pen- dantes sur le revers du fossé, un petit gardeur de vaches plus maigres que les sept vaches de Pharaon. « Est-ce le trèfle à quatre feuilles qui change l’heureuse poche où il est renfermé en bourse pleine pour l’année? » — Foin de tes écus, maraud! C'est au poids de l’or que nous paierions l’imperceptible plante qui se rit de nous et se dérobe dans les nodosités spongieuses des Sphagnum. Nous allions piétinant, pliés en deux ; nos fronts rasaient la terre ; nos regards s’hébétaient dans l’insuccès de nos poursuites ; à la no- tion distincte et claire des objets succédait peu à peu cette hallu- cination fébrile qui fait tout miroiter, formes, contours, lumières et ombres, dans un pêle-mêle vertigineux; — quand ce cri triomphal, parti des bas fonds de la prairie, sembla se mulliplier en passant par 28 les tubes de toutes les corolles des fleurs: Liparis! Liparis! Liparis Loœseli ! Les chasseurs ont une fanfare pour sonner les abois du cerf. De pareilles impressions, transportées dans le monde des fleurs, n’ont point de musique qui les puisse rendre. Hoffmann, peut-être, l’a tenté dans quelque grimoire fantastique qui n’est point parvenu jusqu'à nous. Au cri de leur compagnon, vous eussiez vu nos quatre infortunés tourner bride en levant la tête, et, sans plus s'inquiéter des fondrières ni des cloaques, se ruer à l’envi, croltés, tachés, éclaboussés, sur le théâtre de la victoire. À qui ne le sent pas, essayez donc de faire comprendre tout ce qu’il y a de joie à se dire : Voici une nouvelle figure, du moins nou- velle pour moi, dans ce petit coin de la création où rien ne m'est étranger et dont je suis devenu l'habitant par mes recherches. Mieux que cela; voici, dans une famille privilégiée, la plus fantasque et la plus originale qui se puisse rencontrer, un membre de plus. Dans quel sens le grand artiste a-t-il modifié son lype? Quel frère a-t-il donné au Spiranthes et au Serapias? Tous les regards convergeaient sur un monticule de mousses fait de l’entrelacement des Sphagnum et des Hypnum, tapis plus doux que n’en foula jamais pied de sultane. Là, dans un cercle d'Ério- phores évidemment préposés à sa garde, reposait la mystérieuse Orchidée, objet de tant de précautions et d’honneurs. — Tige à trois côles, à feuilles aiguës et engaînantes, à fleur verdâtre, à racine bulbeuse, d'un décimètre de haut. — Dans cette sèche portraiture, comment retrouver quelque chose de la grâce sauvage et véritable- ment orchidique avec laquelle le Liparis nous considérait ? Il n’était que surpris, tandis que l'embarras, le malaise, je ne sais quelle gaucherie se trahissait de notre côté. A travers notre joie perçait le sentiment confus d'un grand trouble apporté dans la paix et le silence de cet asile. Quelqu'un fit la motion d'admirer seulement, de cons- tater, el de passer outre. Pour toute réponse le tranchant d’une spa- tule s’enfonça sous la bulbe du Liparis. La plante frissonna; vaine- ment se crispèrent autour d'elle les liges des Ériophores, ainsi qu’autour du style, piqué par une épingle, les étamines du Berberis. Elle passa de la glèbe à la boîte où l’altendaient tant d'illustrations moindres qu'elle. 29 Le charme élait rompu. Pas un de nos confrères qui ne sache qu’une fois rencontrée, fût-ce après des heures de poursuite, la plante la plus rare se fait moins invisible, et semble se familiariser avec l’homme; pas un qui, à ce récit, ne tremble, pour la filleule de Lœæsel, sur les terribles conséquences d’une pareille loi. Ils sont trop bien élevés pour ne pas réprimer jusqu'à l'ombre d’une question in- discrète ; mais nous apprécions trop une semblable réserve pour ne pas suppléer à leur silence. Qu'ils se rassurent ! Nous pouvons attes- ter qu’en celte délicate occurrence, ni l’honneur de la science, ni celui d’une doctrine que le souvenir de Théophile rend impéris- sable pour nous, ne reçurent la moindre atteinte; les boîtes étaient fermées pour ne plus se rouvrir. Mais l’œil de l’homme, créé pour la contemplation des ensembles, ne saurait s’absorber sans fatigue dans l’observation minutieuse des détails. Nous quiltions le marais pour remonter aux landes. Toutes les Ericinées, moins une, apparaissaient sur le plateau: nous nous demandions pourquoi l’insociable Menziezie s’obstinait à bouder dans la forêt de Brissac, plutôt que de se rallier à celie fête de famille, quand un nouveau spectacle vint nous distraire de nos re- grets. Un aigle Jean le Blanc planait au ciel. Elever nos regards jusqu’à son vol, et de là, par la pensée, les abaisser sur la campagne pour en saisir les rapports et en embrasser les contours, fut un mouvement {rop spontané pour que tel d’entre nous songe à en re- vendiquer sérieusement l'initiative. À ce point de vue, l'équilibre troublé se rélablit, et avec lui la vraie perspective des choses. D'abord les fleurs diverses se réunirent par bouquets, l'humble végétation des fleurs se rehaussa de celle des arbres. Les étangs réunis cou- lèrent en une seule larme dans les sinuosités du vallon. Les toits de Chaloché reparurent derrière les sapins; l’alouette chanta au ciel, les bœufs mugirent dans l'herbe; — et landes, coteaux, prairies, les ruines el les bois, ce qui rampe comme ce qui vole, toutes les notes du paysage s'étant reconstituées dans leur harmonieuse unité, nous reprîimes la route d'Angers par le réfecloire de l'Abbaye. 30 ÉPILOGUE. Des arbres aux maisons, et des champs à la ville, Quelle chute, lecteur! Arrêtons nous ici. La moisson qu'on y cueille est si maigre et si vile Que nul, — si ce n’est toi, mon pauvre Théophile (Et que n’aimait-il pas?) — n’en eût oncques souci. La Drave au fond des cours qu'un rayon pâle éclaire, Par les larmes du toit les Mourons abreuvés, Le Brôme en faction sur l’auvent séculaire, Aux murs la Scolopendre, au puits la Cymbalaire, Et l'humble Sagina prise entre deux pavés; Voilà nos fleurs à nous. Plus d'une main cruelle A leur perte obstinée étouffe leurs amours: Des angles du vieux porche à ceux de la ruelle Sous les coups du balai comme de la truelle Voyez-les disparaître et renaître toujours! Dieu leur laissa le choix de ces libres campagnes Dont nos yeux éblouis embrassent l'horizon ; À la fraîcheur des bois, au parfum des montagnes, Au souffle qui colore et brunit leurs compagnes Elles ont préféré l’air de notre prison. C'est de là que leur vient cet étrange sourire Qu'on n'a point rencontré, qui n’éclot point ailleurs; Il faut que leur regard dans notre âme ait su lire, Car sur leur front pensif quelque chose respire De l'ennui qui nous presse aux instants les meilleurs. O vous que l'on repousse, et qu’à peine l’on nomme, Vous dont les dévoueèments d’opprobres sont payés, Pâles fleurs des cités, que vous a donc fait l’homme, Que rien ne vous soit doux, rien ne vous plaise comme De souffrir sous sa main, de mourir sous ses pieds ? VICTOR PAVIE. NOTE SUR UNE FORME ESTIVALE DU THLASPI PERFOLIATUM I y a déjà plusieurs années, dans une herborisation que je faisais au bord de la Dive, je trouvai dans un champ, vers la fin du mois de juillet, un Thlaspi, de forme très remarquable et qui, quoique voisin du perfoliatum, ne pouvait se rapporter à aucune des espèces connues. Sa taille élevée, ses feuilles caulinaires, ovales, crénelées, non amplexicaules, seulement légèrement auriculées, ses graines peu nombreuses el d’une couleur remarquable, son époque de fleu- raison, son abondance dans la localilé où je le rencontrais, tout de- vait me faire croire à une espèce encore non décrite. J'en avais ré- colté un assez grand nombre d'exemplaires et j'en donnai plusieurs à mon ami Eug. Revellière, qui a fait de si belles découvertes en bo- tanique et en entomologie pendant son long séjour en Corse. Il les communiqua à l’auteur de la Flore du centre de la France qui tra- vaillait dans ce moment à la troisième édition de cet important ou- vrage. Frappé comme nous des caractères très remarquables qu'il avait sous les yeux, il en fit une espèce nouvelle et la publia sous le nom de Thlaspi Revellierii, faisant toutefois observer qu'il n'en avait vu qu'un très petit nombre d'échantillons et qu'il la propose sous quelques réserves. J'avais recueilli une quantité assez notable de graines que je semai dans un jardin où je n'avais jamais vu le Thlaspi perfoliatum, j'en ensemençai plusieurs mètres de superficie. Toutes mes graines levèrent el toutes, sans exceplion, me donnèrent 32 le Thlaspi perfoliatum dans toute sa pureté. Je défendis de toucher au terrain où j'avais fait mon expérience, et pendant plusieurs an- nées le Thlaspi perfoliatum reparut, au printemps seulement, sans jamais me donner la forme estivale qui l'avait produit. L'influence locale avait complétement disparu. Les botanistes modernes qui ont élevé au rang d'espèces presque toutes les plantes que les anciens botanistes avaient classées comme variétés, ont rendu, il faut le dire, un grand service à la botanique en mettant en lumière de bonnes et véritables espèces, qui avaient été confondues jusqu’à ce jour. Mais, comme pour toutes choses en ce monde, il est rare qu’une réaction ne dépasse pas le but qu’elle s'était proposé d'atteindre et où elle devait s'arrêter, de là les er- reurs qui ont dû se produire et que le temps seul pourra rectifier. Depuis longtemps je remeltais à publier cette simple observation, que j'avais d'abord regardée comme peu importante ; mais cepen- dant, dans toutes les sciences, c’est la vérité avant tout qu'il faut admettre et qui doit nous guider , car sans elle, il n’y a pas d'étude sérieuse possible. COURTILLER. NOTE SUR UNE ANALYSE DE MARNE On se propose, le plus souvent, dans l’analyse d’un calcaire, de déterminer la composition élémentaire du minéral, l'usage indus- triel auquel il est propre, la formation géologique à laquelle il ap- parlieni. Les deux premiers éléments du problème sont plus parti- culièrement du domaine de la chimie industrielle ; le troisième, accessoire dans l’espèce, emprunte son imporlance à des considéra- tions parliculières qu'il n’est pas indifférent de négliger. Le gouvernement, en effet, réclame des sociétés savantes de la province des lravaux qui permettent de dresser un jour le bilan des richesses du pays. C’est dans le but de rendre possible ce grand travail d'ensemble, que les sociétés savantes provoquent et publient journellement les études partielles qui devront le faciliter. Une analyse de marne nous ayant amené à faire quelques recher- ches sur la composition des terrains qui composent le sol d'une riche contrée de notre département, nous avons recueilli nos notes et nous les soumettons, tout incomplètes qu'elles sont, au bienveil- lant examen de la société Linnéenne d'Angers. La marne, dont j'ai l'honneur de présenter un échantillon à la Sociélé, se présente sous l'apparence d’une terre argileuse, jau- VI. 3 34 nâtre, assez plastique, formée de grains petits, dans la masse des- quels se trouvent disséminés des fragments blanchâtres plus ou moins gros et de formes variées. Ce calcaire provenait des environs de Pouancé. Dans une première opération on se borna à déterminer les propor- tions d'argile et de carbonate de chaux. L'analyse donna les nom- bres suivants : Carbonate de chaux. . . . . . . . . . . 46 Arles es. MON EN US AE 54 100 Dans une analyse plus complèle on trouva le calcaire composé pour 100 parties de : S1LICE Ste sosie MR NS: PO Eee 44 16 Fer ébhalurmine.;. sn ane ue Us 1 60 ChANX ve nd UE NT M pe Pret 29 28 Acide carbonique et perte. . . . - . .. 24 96 100 00 L'examen de ces nombres permet de classer le calcaire analysé parmi les matières propres à fabriquer les ciments. Les bonnes chaux hydrauliques sont, en effet, comprises entre les limites suivantes : Carbonate de chaux . . . . .. 80 à 89 pour 100 Argile: Jo Ou ttes ...., 11 à 20 pour 100 . La composilion des cimenlis varie entre les nombres : Carbonale de chaux. . . . .. 29 à 73 pour 100 Are. 0 0 CRISE 29 à 61 pour 100 Limites dont la moyenne se rapproche très-sensiblement de la composition du calcaire analysé. | L'emploi de ce calcaire comme matière propre aux constructions ainsi déterminé à priori (car dans l'application l'essai direct doit loujours être tenté), il fallait encore fixer son rôle dans l’amende- ment des terres, en d’autres termes son action dans l'opération agricole dite le marnage. : On peut dire d’une manière générale que les marnes conviennent à loules les terres peu riches en sels calcaires, et particulièrement 30 aux {erres siliceuses el aux terres argileuses. Toutefois les diffé- rentes marnes ne sont pas également propres à l'amendement d'un sol cultivable. Les marnes diles argileuses, c’est-à-dire qui renferment de 20 à 50 pour 100 de carbonate de chaux, conviennent aux sols sablon- neux ou légers dont elles augmentent la cohésion ; les marnes cal- caires contenant de 50 à 90 pour 100 de carbonate de chaux et les marnes siliceuses sont surtout propres à l'amélioration des sols argileux qu’elles modifient, dans le cas des marnes calcaires, par l'addition de l'élément calcaire qui leur manque, dans le cas des marnes siliceuses, en diminuant la compacité et la trop grande co- hésion de la couche arable. Si nous appliquons ces données à la marne qui nous occupe, nous voyons qu'elle se rapproche des marnes calcaires par la pro- portion du carbonate de chaux et des marnes siliceuses par celle du sable ; on peut donc prévoir un heureux résultat de son emploi pour l'amendement des sols argileux. La composition géologique du terrain nous paraissant devoir ap- perter une preuve à l’appui de nos conclusions, nous en examinâmes soigneusement un échantillon, guidé dans ce travail, un peu en dehors de nos occupations habituelles, par la complaisance si éclai- rée de M. le docteur Farge. Nous avons dit que la marne soumise à l'analyse élait formée de grains pelits et de fragments plus volumineux disséminés dans la masse. Ces fragments ressemblent à des concrétions calcaires; ils ont au plus un centimètre de long et de deux à huit millimètres de large. Lavés avec soin, ils offrent des lraces de brisures d'autant plus nombreuses qu’ils conservent moins de ramifications. Exami- nés à la loupe, ils permeltent de reconnaitre sur la tranche des profils de tubes ou de cellules, et sur les surfaces bien conservées des cellules plus ou moins frustes de mollusques bryozoaires. Leur élat imparfait ne permet de les rapporter qu'avec réserve aux genres Eschara et Ceriopora, mais leur ensemble rappelle nettement la faune falunienne de notre pays, c’est-à-dire de l’élage 26 B de d’Orbigny ou Miocène des terrains tertiaires des auteurs. La marne qui contient ces débris doit donc provenir, en partie du moins, de dénudations ou de ravinements des couches faluniennes ; l'argile semble appartenir à un terrain plus ancien, el peut être le 36 résultat de délritus schisteux des terrains Siluriens. Ce mélange n’a rien d’extraordinaire dans une contrée où les faluns ne forment que des dépôts très-limilés dans quelques replis des érosions des terrains anciens (Silurien et Devonien), et les eaux qui ont accumulé probablement sur une pente douce ou au fond d’une vallée ie dépôt que nous étudions, ont pu mélanger les débris des couches diffé- rentes qu'elles érodaient sur leur passage. Il suffit de jeter un coup d'œil sur les cartes géologiques même très-incomplètes de notre département, pour reconnaître autour de Pouancé, Saint-Michel, Chanzeau, Challain, Noyant, La Gravoisière et Chazé-Henry, ces dépôts très-nombreux mais très-limités de l’élage falunien, entou- rés de toutes parts par des schisles ou des grès siluriens. Ainsi se trouvent confirmés, par l'examen géologique, les résultats de l'analyse chimique, puisque les faluns ne diffèrent des marnes proprement dites par aucun caractère chimique essentiel. En résumé, on peut conclure, avec quelque apparence de cerli- tude, que les calcaires dont les gisements sont placés aux environs de Pouancé, sont des marnes calcaires el sableuses appartenant à l'étage falunien des terrains tertiaires. Ces marnes fournissent une matière analogue à celle des ciments, dont l'emploi agricole doit êlre avantageux pour l'amendement des sols argileux qu'elles en- richiront de se]s calcaires en diminuant leur plasticité. Ces résultats n’ont rien d’imprévu et nous ne nous en exagérons point l'importance. Nous avons indiqué tout d’abord notre but infi- niment modeste : heureux au début de notre carrière , d'apporter sous les auspices de cette Société, quelques matériaux à l'édifice que des mains plus habiles et plus exercées élèveronL. 97 décembre 1862. A. TIREAU, Pharmacien. LE VER A SOIE DU RICIN Ce ver à soie, lrès-répandu dans l’Assam, province méridionale des Indes Orientales, où il est connu sous le nom de Arrindy-Arria, a reçu des naturalistes différents noms. Généralement désigné en Italie, où il a été éludié avec beaucoup de soins, sous le nom de bombyx cynthia , il a élé décrit par Drury sous le nom de phalena cynthia. Selon Latreille, il doit prendre rang dans le genre saturnia. Quoi qu'il en soit, j'ai pu extraire de notes très-élendues et très- complètes dressées sur l’éducalion de ce ver à soie par le professeur Paolo Savi, de l'académie des Géorgiphiles de Florence, la descrip- lion suivante que j'ai l'honneur de vous présenter. OEufs. — Les œufs, plus gros que ceux du ver à soie du mürier, sont an moment de la ponte d’un blanc jaunâire qui s’éclaireit à mesure que se dessèche l'humeur qui sert à les agglutiner. Deux jours avant l’éclosion, qui a lieu sept ou huit jours après la ponte, ils prennent une couleur cendrée qui va en s’assombrissant jusqu’à celte éclosion. Mille de ces œufs pèsent 1 g. 576. La ponte moyenne d’une femelle paraît être de 300 à 320 œufs. Larve.— Au sortir de l'œuf, la larve mesure 1 ligne 1/3 de lon- gueur. Sa couleur est jaune-limon, sa tête est noire ainsi qu’un écusson sur le premier segment. Chacun des autres segments est armé de six lubercules hérissés de poils et noirs; la même couleur 38 noire se présente aux yeux, aux mâchoires; les six palles thoraci- ques et les crochets des fausses paltes sont également noirs. Vers le cinquième jour, la couleur générale passe au jaune sa- fran; l’assoupissement commence et vingt-quatre heures après a lieu la première mue. Le ver est alors revenu à la couleur jaune- limon et a trois lignes de longueur. Douze jours après la naissance commence la seconde mue, après laquelle la larve a cinq lignes de longueur. Elle est revenue au blanc- verdâtre ; les quatre tubercules supérieurs de chaque segment perdent leur forme sphérique et se présentent subcylindriques et blancs. Six jours après a lieu la troisième mue, après laquelle les larves demeurent blanches; les stigmates seuls et un point extérieur sur la face externe de chaque patte conservent la couleur noire. Quelques jours plus tard survient la quatrième et dernière mue, à la suite de laquelle les larves prennent une couleur glauque. Elles ont alors { pouce 4 lignes 1/2; elles sont très-voraces et au bout de six jours eïles ont atteint une dimension de 2 p. 41. A celle époque le ver devient d’un beau bleu céleste plus foncé sur la partie ventrale. Les parlies latérales et dorsales laissent voir, avec le secours de la loupe, une matière blanche, pulvérulente et comme farineuse, semblable à celle qui recouvre les Gallinsectes. Un mois environ après leur naissance, les larves se préparent à passer à l’état de chrysalide; elles émettent alors de nombreuses éva- cualions principalement liquides; elles se raccourcissent d'environ 1/3, restant cinq ou six heures sans manger et commencent leur cocon. Cocon. — La longueur est de 1 p. 6 1.; son diamètre transversal de 9 à 10 lignes. La couleur de la soie, d'abord blanche, après dix ou douze heures, prend une belle couleur safran. Il esl subfusi- forme et son extrémilé la plus aiguë est percée d’une ouverture qui sert au passage de l’air nécessaire à la vie de la chrysalide et à la sortie du papillon. Cette ouverture rend impossible le dévidage de la soie de ce cocon, et par suile son usage dans les mêmes conditions que celles du ver à soie du mürier. Le mémoire qui m'a servi de guide décrit avec beaucoup de précision et une nellelé d'observation remarquable, le procédé du ver pour la formalion de cetie ouverture ; je crois 39 devoir m'’abslenir d'entrer dans ces détails qui outrepasscraient les proportions de cette simple note. Papillon. — Sa forme approche de celle du saturnia parvonia ma- jor. Chez la femelle, la distance entre les deux grandes ailes est de 4 p.31.et1 p.81. de la partie antérieure de la tête à l'extrémilé postérieure des pelites ailes. Le mâle est de quelques lignes plus petit que la femelle. Les ailes ont une couleur générale sombre légèrement olivâtre dans la moilié basilaire. Elles portent quelques taches blanches qui se réunissent angulairement ; au centre est une large tache semi- lunaire fauve lavée de blanc. Les grandes ailes ont en outre à leur pointe une gracieuse tache en forme d'œil noir, et purpurine en ar- rière bordée de blanc antérieurement. Le corselet est de la couleur générale des ailes ; les pattes et l'abdomen sont revêlus d’un duvet blanc ; les antérieures noires fauves sont largement aplanies. La vie de l’insecte à l’état de papillon paraît avoir une durée de sept à huit jours. | DELALANDE. 928 décembre 1862. FRUCTIFICATION DU DAMMARA AUSTRALIS Le Dammara australis est un arbre de la famille des Conifères qui croît à la Nouvelle-Zélande, dans la parlie boréale où se trouvent les forêts de Famason, près le détroit de Mercure. Cet arbre s'élève, dans ces contrées, à 40 et 50 mètres de hauteur, et son tronc atleint au moins 2 mètres de diamètre. Son bois est blanc, très-résineux, et paraît être de qualilé supérieure; sa tige, droite, esl couverte d’une écorce grise qui se délache en lames minces comme celles de plusieurs espèces d’Araucaria. Les branches sont rapprochées sur le tronc, et les verticilles se développent assez inégalement. A la naïis- sance des branches, il se forme un renflement de tissu cellulaire de la grosseur d’une noix, qui, par suile, devient ligneux en adhérant à la lige. Les rameaux sont opposés ou lernés sur la branche principale el généralement peu ramifiés. Les feuilles ont beaucoup d'’affinité avec plusieurs espèces du genre Podocarpus ; elles sont longues de 4 à 6 centimètres, larges de 1 à 2, sessiles et alternes. Elles sont épaisses, de couleur vert-brun en dessus et cuivrées ou ferrugineuses en des- sous. Les chatons mâles sont cylindriques, dressés, longs de 2 à 3 41 cenlimètres, et les chatons femelles, ovoïdes, pédonculés, solilaires, se développent dans nos cullures, en février ou mars, à la partie su- périeure des jeunes rameaux. Les cônes sont dressés, ovoïdes dans leur jeunesse et presque sphériques à leur maturité. Cette espèce de Conifère paraît avoir été introduite en Angleterre en 1823 , et ce n’esl que plusieurs années après qu'elle fut apportée et cultivée en France en serre tempérée. Le premier pied de cet arbre a fructifié, pour la première fois, en 1854, dans la serre tempérée du Muséum d'histoire naturelle de Paris. IL mesurait 5 mètres de hauteur sur 5 centimèlres de diamètre à 1 mèlre du sol. Le second individu qui vient de fructifier est planté dans la grande serre tempérée du jardin zoologique d'acclimatation du bois de Boulogne. Il a 5 mètres 1/2 de haut et sa tige mesure, à 1 mètre du sol, 24 centimètres de circonférence. Au mois de mars 1859, un employé de l'établissement avait remar- qué à la partie supérieure de cet arbre plusieurs cônes qui se for- maient à l'extrémité des jeunes rameaux, puis il s’aperçut que la maturité avail eu lieu au mois de septembre suivant; les jeunes cônes se sont détachés des rameaux et sont tombés sur le sol sans qu'ils eussent élé observés. En juin 1860 des nouveaux cônes se for- mèrent, toujours à la partie supérieure de l'arbre et à l'extrémité des branches. M'en étant aperçu, j'en ai étudié le développement, et j'ai remarqué qu'il y avait eu absence de fleurs mâles et que cet arbre, comme celui qui est cullivé au Muséum, est un pied femelle, qui, n'ayant pu être fécondé, n’a produit que des cônes stériles. Le bois de cet arbre paraît excellent pour le travail ; il est, du reste, irès-recherché pour la mâture des vaisseaux. La résine qui en dé- coule est ahondante et d’une odeur très-agréable. Quelques auteurs disent qu'elle est tellement abondante dans le pays, qu'elle s’accu- mule au pied des arbres et pénèlre à une certaine profondeur ; elle s’y concrèle en prenant toute l'apparence du succin. Le Dammara australis, d'après la position géographique qu'il oc- cupe, pourrait êlre cullivé dans quelques parties tempérées de l’Eu- rope. Je conseillerais d’en faire quelques essais dans l'Ouest et le Midi de la France, en Corse et en Algérie. Nous savons que l’Eutassa excelsa (Araucaria) passe très-bien les hivers à Toulon et qu'il fruc- tifie dans les îles d'Hyères. 42 Celle espèce, faute de graines fertiles el de sujets disponibles pour la multiplier par la greffe herbacée , n’a pu êlre propagée jusqu’à ce jour que par la voie des boutures failes sur couches tièdes el cou- vertes herméliquement d’une cloche en verre. Les deux beaux individus que je viens de mentionner m'ont paru êlre le produit de boutures ; ils n’en ont pas moins formé des belles tiges. La disposilion verlicillée de leurs branches et leur vigueur pourraient faire penser qu'ils proviennent de semis. Le pied qui se trouve en ce moment dans la grande serre lem- pérée du jardin zoologique d’acclimalalion, a supporté 5 degrés de froid, sans en paraître aucunement fatigué. PÉPIN. EXCURSION AU BASSIN D'ARCACHON L'année dernière, en allant visiter les pins maritimes du bassin d'Arcachon, j'ai remarqué avec intérêt les arbres el arbustes qui forment le sous-bois ou laillis de ces futaies de Pins. Celui qui est le plus commun, est sans contredit l'arbousier (Arbutus Unedo). Ce charmant arbre à feuilles vertes et persislantes y pousse avec vi- gueur. Au mois de septembre, époque où je les visilais, ils avaient des fleurs et des fruits, et leur feuillage vert et luisant {ranchait agréablement avec les feuilles du Pin. Je remarquais aussi, en com- pagnie de ces arbousiers, le petit houx (Buscus aculeatus) les Erica arborea ei scoparia, et sur le bord des chemins, dans le sable, le Cis- tus hirsutus, pelit arbuste à fleurs blanches dont les rameaux s’éla- laient sur le sable en forme de petits buissons. En côtoyant le bord du bassin du côté d'Arcachon, dont le sol est couvert d'un sable très-mobile et extrêmement tenu, j'y ai trouvé plusieurs plantes de la région méditerranéenne ct en assez grande quanlité. Ces plantes, dont les racines sont pivotantes ou lraçantes, élaient chaque jour couvertes d'eau par la marée montanie, et sur certains points leurs nombreuses racines ei leurs tiges fixaient la mobilité du sable. Voici les plantes que j'ai observées dans cette ex- cursion : Le Pavot cornu (Glaucium flavum). M. Cloëz, chimisle distingué, a publié récemment un excellent mémoire analytique sur la culture de celte plante au bord de la mer, et sur les produits oléagineux que 44 l'on retire de sa graine. Celle plante, à racines pivolantes, pénélrail profondément dans le sable, et ses feuilles produisaient d'énormes touffes à la superficie. Le Convolvulus Soldanella, à racines très-traçanles, couvrait sou- vent plusieurs mètres de superficie et laissait voir ses grandes et jolies fleurs bleues. Le Beta maritima , aussi très-abondant, à racines pivolantes, avait ses tiges couvertes de graines. La Germandrée (Teucrium Scoparium), dont les racines sont pivo- tantes el traçantes, formait par ses nombreuses tiges des louffes si larges qu'elle couvrait souvent le sable repoussé par les vagues. Eryngium marilimum , dont les racines s’enfoncent à plus d’un mètre dans le sol. Elymus arenarius, graminée à racines grasses et traçantes el dont les Liges dures et raides s'élèvent de 0m ,40 à 1 mètre. Carex arenaria, à racines très-mulliples et traçantes, est très- commun dans le sable, on pourrait croire qu'il y a été planté ainsi comme la précédente pour en arrêler la mobilité. Peplis portula , petite plante à tiges basses el à rameaux trés-tra- çants, y est lrès-commune. Herniaria glabra, à tiges basses et couchées, s’enracine très-faci- lement à chaque nœud de ses pelites tiges. Panicum Michauæxii, très- commun dans les euvirons de Bordeaux, y est aussi très-répandu. Il croît dans le sable un peu plus élevé, mais ses nombreux drageons souterrains el ses tiges qui produisent des racines à chaque nœud, pourraient le faire employer, comme le Carex arenaria, à consolider les dunes. Anthemis marilima , racines pivotantes, espèce de Chrysanthème à fleurs blanches dont les tiges assez nombreuses s’élalent sur le sol. Euphorbia Paralias, racines pivolantes, tiges droites, hautes de 0,20 à 0,30. Euphorbia Chamaecice, petite plante annuelle à racines pivotantes et à tiges tout-à-fait couchées. Cakilemaritima, souvent bisannuelle, racines pivolantes, charnues, assez commun. Les nombreuses fleurs violelles, crucifères, res- semblent beaucoup à de certaines espèces de giroflée. Salsola Tragus, annuelle; racines pivotantes, produisant d’é- normes touffes. 45 Salsola Soda, annuelle et pivolante comme la précédente. Polygonum marilimum, assez commun, vivace, à racines pivo- lantes:; ses liges sont tantôt droites ou couchées sur le sable. Cistus hirsutus, y est très-commun, ses Liges s'élèvent peu, elles sont plutôt couchées et forment de larges touffes. Il serait au-dessus de ces autres plantes et n’est pas, comme elles, sujet à l'immersion de chaque jour. Poa maritima, petite graminée vivace se lrouvant sur quelques parties de sable plus solide et frais. Ce qui m'a le plus étonné, c'était de rencontrer partout à état sauvage le Phytolacca decandra ou raisin d'Amérique, plante très- vivace, à liges hautes de 1 à 3 mèlres suivant la position et le terrain où elle se trouve. Celte plante exotique, qui s’est naturalisée dans plusieurs départements du Midi de la France, a été, m'a-t-on dit, importée et cultivée en principe dans ces localités vinicoles pour ses fruits dont on se servait pour colorer les vins. Ces pelits fruits, rouge violacé, sont très-recherchés des oiseaux de toutes sortes, et ce sont eux qui ont transporté les graines, par leur déjection, à de très- grandes distances. Je n’ai du reste remarqué ailleurs aucune culture de celte plante, je ne l’ai même pas rencontrée dans les jardins que J'ai visités. PÉPIN. FAUNE DU MORBIHAN INSECTES COLÉOPTÈRES CHRYSOMÉLINES. Donacia crassipes. Cassida viridis. — denlala. — affinis (rare). — bidens. — _nebulosa. — reliculala. — obsolela. — dentipes. — nobilis. — Jlemnæ. Adimonia littoralis. — sagitlariæ. — tanaceti. — impressa. — capreæ. — nympheæ. Galleruca calmariensis. — linearis. — nympheæ. Auchenia subspinosa. — nigricornis. Lema merdigera. Agelaslica alni. — 12-punclala. Luperus flavipes. — asparagi. — sulurella. — cyanella. Graptodera oleracea. — melanopa. Crepidodera nitidula. Cassida murrea (rare). Phyllotreta antennata (rare) — equeslris. — lcpidii. Aphthona cærulea. Psylliodes dulcamaræ. Podagrica fuscipes. — malvæ (rare). Apleropeda ciliala (rare). Argopus cardui. Timarcha tenebricosa. — coriaria. Chrysomela hottentola. — sanguinolenta. — banksii. — fucala (rare). — fasluosa. — graminis. — marginala (rare). Lina populi. — tremulæ. Sparlophila litura. Plagiodera armoraci:æ. Gastrophysa polygoni. — raphani. Phralora vitellinæ. Hippodamia multabilis. Coccinella 2-punctata. — 4-pustulata. — 5-punclala. — 6-punclala. — 6-maculata. — 7-punctata. — 10-pustulata. — 1f-punclala. — 14-pustulata. — 14-gullala. — 14-maculala. 47 Phædon PAS LTOUE TRS IEUES 0. jassez rares. Helodes marginella. — phellandrii. Clythra quadripunctala. Labidoslomis cyani- Cornis. — humeralis. — longimana. Lachnaia longipes. Cryptocephalus sericeus. — cœæruleus. — villalus. — minulus. — gracilis. Triplax nigripennis. — bipustulatus. Phalacrus testaceus. — corlicalis. — lridentala. Fe rares. rares. 31 genres. — 77 espèces. TRIMÈRES. Coccinella 16- punctata. — 16-maculala. — 19-punctala. — 20-punctala. — bisex guitala. — _impustulala. — annulala. — conglobata. — conglomerala. — variabilis. — oblongoguttata. — flavipes. 48 Micraspis 12-punclala. Scymnus 4-lunulatus. Chilocorus bipustulalus. — discoideus. — renipustulatus. Nundina litura. — aurilus (rare). Coccidula scutellata. Cynegetis globosa. — pecloralis. Scymnus flavipes. — bipustulalus. 8 genres. — 37 espèces. — bisbipustulatus. Vannes, le 20 octobre 1862. lOUQUET, d.-m. UNE EXCURSION À BELLE-ILE-EN-MER Une riche localité que les naturalistes ne sauraient trop visiter, est celle de Belle-lle-en-Mer. Chaque fois qu’un botaniste explore cette contrée, il est sûr de remplir sa boîte et ses carlons de rares et bonnes espèces. Belle-Ile forme un canton dépendant du Morbihan, composé de quatre communes : le Palais, Bangor, Locmaria et Sauzon. Entou- rée de magnifiques rochers schisteux, elle est située dans l'Océan atlantique, à quatre lieues sud-ouest de Quiberon, à dix lieues de Lorient et de Vannes; elle a quatre lieues de long sur deux dans sa plus grande largeur, et environ dix de circonférence. On ne s’attendra point, en lisant celte courte notice, à trouver des documents inédits sur l’histoire de ce pays. Là n’est pas notre but. Disons seulement, que Belle-Ile-en-Mer, ainsi nommée à cause de la douceur de son climat el de la fertilité de son territoire, porta d’abord le nom d’île de Guédel. Dans le x° siècle, elle appartenait au comte de Cornouailles, qui en fit don à l’abbaye de Quimperlé. Au xvr° siècle, les moines de Quimperlé demandèrent à Charles IX l'autorisation de céder leur île au maréchal de Re1z (Albert de Gondi); ce dernier y fit conslruire une forteresse. Le roi Henri IV érigea Belle-Ile en marquisal-pairie. Achetée par Fouquet, Angevin d'ori- gine, en 1658, elle fut considérablement embellie par le magnifique surintendant qui y fit élever un châleau, aujourd’hui affecté au logement des gardes-chiourmes du bagne. Lors de la disgrâce de Fouquet, arrivée en 1661, Louis XIV s'empara de son château, tout en laissant l’île à sa femme, dont le petit-fils prit le nom de marquis VI. x 4 50 de Belle-Ile; et en 1718, le duc d'Orléans, régent du royaume, réunit Belle-Ile à la couronne. Le chef-lieu de Belle-Ile, qui s'appelle le Palais, en souvenir du château Fouquet, est d’un aspect des plus pittoresques ; ses prome- nades, plantées d’ormes, peu maltraitées par le vent de mer, domi- nent la ville, ainsi que deux boulevards dont l’un porte le nom d'un riche propriétaire de l’île, M. Trochu, auquel l’agriculture est rede- vable de savantes innovations. Lorsque la maladie de la pomme de terre fit invasion à Belle-Ile, en 1845, M. Trochu essaya de rempla- cer ce précieux tubercule par le maïs. « Les habitants de Belle-Ile, disait M. Leclech, vicaire de Palais, à l'abbé Delalande, notre regretié collègue, reconnaissent dans la récolte du maïs plusieurs avantages : les grains servent en farine à faire de la bouillie, et cette farine est très nourrissante; les feuilles vertes servent de nourriture aux bestiaux pendant la moisson; l’en- veloppe de l’épi est excellente pour paillasse, et se vend 1 fr. 50 à 2 fr. le sac; les tiges sèches, broyées el données en cet état, sont recherchées de tous les bestiaux; chaque grain rapporte 900 à 1,000 pour 1; à peine le cultivateur sur trois années en comple-t-il une mauvaise due au défaut de chaleur. » L'exemple et les encouragements de M.Trochu, ont fait faire de très-grands progrès à l’agriculture dans Belle-Ile ; il est difficile de trouver un pays où les terres soient mieux cultivées. Le paysan bellilois est très-industrieux, et fabrique pour les besoins de son exploitation d'excellente corde en maïs. L'autre boulevard rappelle le nom de Willaumez, qui, parti en 1777 mousse de Belle-Ile, y revint avec le grade de vice-amiral. Aux portes mêmes de la ville, de naturalisie peut commencer ses investigations. Ainsi, près des remparts, j'ai récolté le Scolymus his- panicus, le Cakile marilima; plus Join, me dirigeant vers le fort Larron, j'ai trouvé les Statice armeria, L. variélé Pumila, Limonium, var. Humilis. Dodartit, Occidentalis, hybrida. Le Statice hybrida, est très-rare, Le Gall, dans sa Flore du Morbihan, ne cite que deux localités, Gâvre et Belle-Ile. Au pied de l’aiguade que fit construire Vauban, pour alimenter d'eau en tout temps les navires, croît le Samolus Valerandi . et le gros rocher qui s’avance dans la mer est couvert de la belle guimauve en arbre, Lavatera arborea. Le Gall prétend que cette plante a été lrouvée jadis à Belle-Ile par le célè- Éd Éd ci — 1 bre naturaliste Bory de Saint-Vincent. Sur les sables, on renconire la Queue de rat,le Myosurus minimus ; l'Immortelle, Helichrysum stæchas, est très-rare à Belle-Ile; je ne l’ai vue que sur le versant d’un coteau, près la mer ; Epilobium parviflorum sous les rochers des grands sables; Mathiola sinuata, glacis de la citadelle. Les plantes dont j'ai constaté l'habitat dans divers endroits de l’île, sont : Radiola linoides, Erodium maritimum , Ulex Gallii, Melilotus parviflora, Tri- folium Michelianum, Angustifolium, Arabis sagittata, Linum angusti- folium. Cette plante vient à Belle-Ile à une hauteur au moins égale à celle de nos plus beaux lins; il serait facile de l'utiliser et de l’'em- ployer à la fabrication des cordages ; elle fournirail des liens moins rudes que ceux du maïs; Anthyllis vulneraria, Lathyrus sphæricus, hirsutus, Spiræa filipendula, Petroselinum segetum, Smyrnium olusa- trum, Chrysocoma Linosyris, près du hâvre de Donant, Tolpis um- bellata: Le Gall a recueilli pour la première fois cette plante à Belle- Ile, en 4827. Bastard et Desvaux l'indiquent en Maine et Loire, Chlora perfoliata, Omphalodes litioralis, Linaria commutata. En aulomne, les tiges périssent après avoir pris racine à l’exirémité, et formé des rosettes qui passent l'hiver, et produisent autant de plants pour l’année suivante (Lloyd, Flore de l'Ouest de la France). Linaria pe- lisseriana, supina, Bartsia trixago, Linum stellatum muscari commo- sum, Juncus acutus, Phalaris minor, Lolium rigidum, Equisetum pa- bustre, Isoetes Delalandei, Ophioglossum lusitanicum, Adianthum ca- pillus veneris. Je n'ai pu rencontrer le Trifolium squarrosum indiqué à Belle-Ile par Le Gall, d’après un seul échantillon qui lui a élé communiqué comme venant de celte localité. Parmi les nombreuses excursions que l’on fait à Belle-Ile, nous -citerons celle de Loemaria, où se trouve un des plus beaux phares de nos côles. Entièrement construit en granit, en 1835, sous le ministère Thiers, son feu, placé à 156 pieds d’élévation, projète la lumière à une très-grande distance. Dans une des salles du phare, se trouvent deux bustes en brouze, l’un de l'ingénieur hydrographe Beautemps-Beaupré, par Desprez, l’autre du physicien Fresnel, par David (d'Angers). C’est presqu'au pied du phare que j'ai pu ramasser en abondance des échantillons de l’Erica vagans, joli sous-arbrisseau indiqué dans la forêt de Brissac, sans désignation précise, et dont la spontanéité 52 en celte forêt est aussi douteuse que celle au même lieu du Menzie- zia daboeci. J'ai remarqué à Belle-Ile une forme du Plantago serpen- tina sur laquelle j'appelle l’attention des botanistes, et qui diffère par son port essentiellement de la plante désignée sous ce nom dans nos contrées. A la marée basse, on rencontre en grande quantité, dans les exca- valions des rochers, une échinide dont les savants se sont beaucoup occupés. Depuis quelque temps, des dissertalions ont été faites sur les moyens employés par l'Echinus lividus pour perforer les pierres. Les habitants de Belle-Ile connaissaient longtemps avant qu'on ait écril sur cette matière la perforation des oursins, et un jeune enfant me disait, en me montrant un banc d’échines : Tenez, Monsieur, regardez bien comme ce coquillage tourne sur lui-même pour creuser sa maison. À Bangor et à Locmaria, dans les anfractuosités des rochers constamment battus par la mer qui déferle dans ces lieux à une hauteur prodigieuse, ce qui lui a fait donner le nom de mer Sau- vage, niche le coracias. La présence à Belle-Ile de ce tenuirostre qui n’habite, dit Temminck, que les Hautes-Alpes de la Suisse, de l'Italie, du Tyrol, de la Bavière et de la Carinthie, accidentellement dans les hivers rigoureux sur des montagnes moins élevées, telles que le Jura et les Vosges, toujours dans le voisinage des régions couvertes de frimats, ou en Angleterre, sur les pitons rocailleux des côtes maritimes, est un fait d'histoire naturelle très-curieux. Les jeunes gens de Belle-Ile font à ce corbeau une chasse opiniä- tre. Pour se procurer des couvées, ils descendent à l’aide de cordes les rochers les plus élevés. Le coracias est très-recherché par les étrangers qui visitent Belle-Ile. Adulte, cet oiseau est entièrement noir, à reflets violets-veris et pourprés selon l'incidence de la lumière (4); son bec est plus long que la tête, effilé, pointu, arqué, sans échancrure, et, comme les pieds, de couleur rouge; les ongles sont noirs. Les insurgés de Juin , détenus à Palais, pour apporter un peu de soulagement à leur captivité, s'étaient procuré des coracias, et avec celte patience qu'ont toujours les prisonniers, ils étaient parvenus à les rendre dociles à leurs moindres volontés, et à en faire des compagnons assidus de leurs loisirs. La course par irop rapide que j'ai faite à Belle-Ile, ne m'a pas ET NE VOS 93 permis de connaître entièrement la végétation de ce ferlile pays. Il est une autre contrée que j'avais à chaque instant sous les yeux, et où croissent des plantes que j'ai vainement cherchées; je veux par- ler des îles d'Hœdic et de Houat. Là, le botaniste peut recueillir le 1ys d'Houat (Pancratium maritimum), le Crambe maritima, le Lagu- rus ovatus, elc. De telles fleurs sont bien tentantes pour un bota- niste, et j’aurais cédé à mon désir, si je n'avais eu en perspective de traverser deux fois la Teignouse ! AIMÉ DE SOLAND. FAUNE DE MAINE ET LOIRE FAMILLE DES ANOURES GENRE RANA. Parmi les parlies non terminées de la Faune de Maine et Loire, nous cilerons celle qui concerne les familles des anoures. L’élude des grenouilles, des crapauds, des salamandres, des tritons, paraît au premier abord moins attrayante que celle des mammifères el des oiseaux; c’est peut-être ce qui est cause qu’on s'en est jusqu’à présent si peu occupé. Nous regreltons bien vive- ment que M. Desvaux n'ait pas mis au jour le travail qu’il préparait sur la Faune angevine, surtout pour l’ordre des batraciens, car, quant à l’ornithologie, nous n’avons rien à désirer : les observations de MM. Raoul de Baracé, Deloche, et surtout les savants travaux de M. l'abbé Vincelot, complètent chaque jour cette importante branche de l’histoire naturelle. Nous allons, dans celte courte note, parler des grenouilles qui habitent l'Anjou, et qui ont jusqu’à ce moment été très-peu étudiées. « C’est un grand malheur, a dit Lacépède, qu’une ressemblance Hb) avec des êtres ignobles. Les grenouilles sont en apparence si con- formes aux crapauds, qu'on ne peut aisément se représenter les unes sans penser aux autres; on est tenté de les comprendre tous dans la disgrâce à laquelle les crapauds ont été condamnés, et de rapporter aux premières les habitudes basses, les qualités dégoûtan- tes, les propriétés dangereuses des seconds. Nous aurons peut-être bien de la peine à donner à la grenouille la place qu'elle doit occu- per dans l'esprit du lecteur, comme dans la nature; mais il n’en est pas moins vrai que s’il n’avait point existé de crapauds, si l'on n'avait jamais eu devant les yeux ce vilain objet de comparaison qui enlaidit par la ressemblance autant qu'il salit par son approche, la grenouille nous paraîtrait aussi agréable par la conformalion que distinguée par les qualités et intéressante par les phénomènes qu’elle présente dans les diverses époques de sa vie. Nous la verrions comme un animal utile dont l'instinct est épuré, et qui, joignant à une forme svelte des membres déliés et souples, est parée des cou- leurs qui plaisent le plus à la vue, et présente des nuances d’autant plus vives, qu’une humeur visqueuse enduit sa peau, et lui sert de vernis. Qu'est-ce qui pourrait donc faire regarder avec peine un être dont la taille est légère et le mouvement presle, l'attitude gracieuse? Ne nous interdisons pas un plaisir de plus; et, lorsque nous errons dans nos belles campagnes, ne soyons pas fâchés de voir les rives des ruisseaux ermbellies par les couleurs de ces animaux innocents, et animés par leurs sauts vifs et légers : conlemplons leurs petites manœuvres: suivons-les des yeux au milieu des élangs paisibles dont ils diminuent si souvent la solitude sans en troubler le calme; voyons-les montrer sous les nappes d’eau les couleurs les plus agréables, fendre en nageant les eaux tranquilles, souvent même sans en rider la surface, et présenter les douces teintes que donne la transparence des eaux. » RANA ESCULENTA (L.). La grenouille la plus commune en Anjou est celle que Linné appelle rana esculenta. Sa couleur est d’un vert acheté de noir ; elle a trois raies jaunes sur le dos, son ventre est jaune ponctué de brun; elle porte trois bandes noires en travers des bras, des jambes, des 96 cuisses et des tarses. Le corps est allongé, marqué d’un pli saillant, longitudina!, comme cuivré sur les côtés du dos, les flancs sont comprimés, la peau est parsemée de petits tubercules, principale- ment sur le dos et sur les flancs, elle est seulement granulée sous l’ahdomen et les cuisses. Les doigis des pieds antérieurs sont libres et séparés, ceux des postérieurs sont demi-palmés. Le mâle a, dans la saison de l’accouplement, le pouce des pieds antérieurs gonflé, presque entièrement couvert de papilles noires et rudes ; il enfle alors sa vessie vocale pour coasser: Cette espèce va rarement à terre, et ne s'écarle jamais des rivages. On la voit, dit Daudin, immobile , à fleur d’eau ou posée au dehors sur quelque plante aquatique ; elle fait alors entendre un coassement très-sonore et très-ennuyeux lorsqu'il est longtemps répété. Comme la plupart des batraciens, elle passe l’hiver dans la vase. La grenouille commune contient beaucoup de gélatine; sa chair est très-blanche, et recherchée en Europe, de là le nom d’esculenta qui lui a été appliqué par Linné. C'est en automne surtout que les grenouilles sont les meilleures. En France, on n’en mange que les cuisses ; mais les paysans allemands savent préparer pour leur nourriture toutes les parties de cet animal, à l'exception des viscères et de la peau. Au xvr: siècle, on engraissait dans des étangs, appelés grenouillères, des grenouilles pour être servies sur la table des sei- gneurs comme mets d'une grande délicatesse. L'auteur des Devis sur la vigne, Orl de Suave, écrivait en 1550, qu'il se rioit de perdrix quand on lui apporta des grenouilles en façon de poulletz fricasséz. Bernard de Palissy, dans son Traité des pierres, s'exprime ainsi : Et de mon temps, j'ai veu qu'il se fust trouvé bien peu d'hommes qui eussent voulu manger ni tortues ni grenouilles. Le docteur Pomme recommandait beaucoup le bouillon de gre- nouille pour toutes les affections chroniques, accompagnées d’une irrilation permanente. Ce remède n'est plus guère en usage de nos jours. : Dioscoride avait inventé une pilule de grenouille cuite avec du sel et de l'huile pour guérir des morsures de serpents. Dans l’an- cienne médecine, il existait, plusieurs préparations où la grenouille jouait un grand rôle, telles que l'huile de frai de grenouilles, J'em- plâtre de grenouilles. 57 Dans les campagnes, pour les cas de congestions cérébrales, on a quelquefois, au défaut de glace, appliqué des grenouilles sur le front des malades. La grenouille commune est extrêmement féconde ; il péril des milliards de tétards avant l’époque de leur transformation (qui ordi- nairement a lieu au bout de trois mois) par le desséchement des mares où ils sont nés. Dans quelques cantons de l'Angleterre, on pêche les tétards pour servir à l’engrais des terres ; ils sont quelque- fois si nombreux qu'ils ont de la peine à se remuer. La rana esculenta se rencontre partout. Spallanzani l’a trouvée vivante dans les bains de Pise, à une température de trente-sept degrés Réaumur. Hearne , dans son voyage à la mer Glaciale de l'Amérique, a vu souvent des grenouilles gelées sous la mousse, dont on pouvait bri- ser les pattes sans qu'elles donnassent aucun signe de vie, et qui reprenaient le mouvement si on les exposait au feu ; mais celles qui, dans celte circonstance, gelaient de nouveau, n'étaient plus suscep- tibles d’être rappelées à la vie. La grenouille commune, comme toutes ses congénères, se nour- rit de larves d'insectes, de mouches, de vers, de mollusques, elc. Il lui faut une proie vivante et toujours en mouvement. C'est pour cela que les pêcheurs agitent, sur les fossés où ils veulent faire capture, une ligne à l'extrémité de laquelle se trouve placé, comme appât, soit un morceau de drap écarlate, soit un bouchon d'herbe, soil une peau de grenouille mise en boule. La patience de la grenouille, pour attendre le moment favorable de saisir une mouche , est extraordinaire : elle s'approche d’abord à pas lents de l’insecte, et ne s’élance dessus que lorsqu'elle est cer : taine de le saisir avec sa langue enduite d’un fluide visqueux. Une fois le diptère pris, il est avalé, parce que, dit Daudin, les gre- nouilles l'enfoncent avec promptitude dans leur œsophage avec les pouces de leurs pattes antérieures. La grenouille est très gloutonne, et fait sans discernement la guerre à tous les insectes. Quelquefois il arrive qu’elle est punie de son étourderie. Ainsi, Roësel présenta une guêpe à une grenouille qu'il élevait. Ce reptile s'empressa de l’engloutir dans son gosier ; mais bientôt il fit des efforts inouïs pour la rejeter, ayant été piqué par l’aiguillon de la guêpe. 58 Suivant Daudin, les grenouilles se nourriraient aussi de frai de poisson. L'homme n’est pas le seul ennemi de la grenouille; elle doit se mettre en garde contre les oiseaux , les couleuvres, voire même les brochets. Plusieurs auteurs ont attaqué Roësel, qui affirme que l’élé les gre - nouilles muent tous les huit jours, c’est-à-dire qu'à chaque mueelles perdent seulement leur épiderme. Depuis plusieurs années, j'ai facilement pu m'assurer que cet au- teur n’avait rien avancé qui ne fût exact, et tout naturaliste qui niera les observations de Roësel n'aura point sérieusement étudié les batraciens. | Daudin a remarqué le premier que lorsque la grenouille est effrayée elle change de couleur et se rembrunit. Maintes fois j'ai été témoin de cette métamorphose. Les chimistes se sont servis de la grenouille commune pour constater cerlains phénomènes physiologiques. Les molifs qui leur font de préférence choisir cet animal comme sujet d'étude sont de deux sortes : u D'abord, aïnsi que le faisait remarquer dans ses cours M. Magendie, c'est que généralement les batraciens sont doués d’une force de ré- sistance vitale considérable, qui permet de prolonger les vivisections bien au-delà des limites que la nature semble avoir assignées à d’au- tres animaux plus élevés dans l'échelle zoologique. Ensuite, et surtout, parce que le batracien, par son organisation spéciale, permet de voir et de lire en quelque sorte, au travers des substances demi-transparentes qui composent ses organes, les phé- nomènes de la circulation du sang. Récemment, dans une affaire de double empoisonnement, on eut recours à l'expérience suivante : On mit à nu le cœur d’une grenouille. Celte opération ayant été faite avec tout le soin possible, l'animal put vivre ainsi assez long- temps sans qu'aucun trouble sensible apparût dans les fonctions vitales. Une seconde grenouille fut soumise au même traitement. Sur le cœur on laissa tomber une gouttelette de digitaline, substance dont la présence avait été constatée dans les déjections et dans l'estomac de la première personne qui avait succombé. Les mouvement Re 39 du cœur de la grenouille ont diminué sensiblement, les pulsations sont devenues plus lentes et la mort est survenue rapidement. Sur le cœur mis à nu d’une troisième grenouille, on a placé une minime parcelle provenant des déjections de la seconde victime. Les résul- tats ont été les mêmes que ceux qu'on avaii remarqués sur la se- conde grenouille. Le cœur ballait d’une manière presque impercep- tible, les pulsations étaient lentes et moins nombreuses, la mort est venue promptement. Les deux dernières grenouilles avaient succombé alors que la pre- mière vivail encore et qu'aucun trouble notable ne paraissait exister dans les mouvements du cœur et dans les pulsalions. Tout le monde sait que l'électricité animale, que les physiciens s'accordent à nommer galvanisme, a élé constatée à la suite d’'obser- vations sur les grenouilles (rana esculenta), par le savant médecin italien Galvani. Beaucoup de versions ont été failes sur la découverte du galvanisme; voici celle qui nous paraît la plus vraisemblable et qui généralement paraît adoplée. M: Galvani, en l'absence de son mari préparait un bouillon de grenouilles, elle posa les animaux écorchés sur une table, près du conducteur d’une machine élecirique récemment chargée; les ayant touchés avec un scalpel qui avait reçu une étincelle de la machine, elle vit avec surprise, les nerfs lombaires des grenouilles dont les membres inférieurs avaient élé séparés du tronc, se contracter avec force et les muscles s’agiter. Elle se hâta d’en prévenir Galvani, qui étudia ce phénomène et trouva le moyen de le reproduire. Les variétés de la rana esculenta sont très nombreuses. Voici celles que nous avons spécialement étudiées, et dont plusieurs pourraient bien être des espèces nouvelles : GRENOUILLE AUX LÈVRES NOIRES. Cette grenouille a le corps vert, semé de taches noires arrondies sur les flancs. Ventre entièrement blanc. GRENOUILLE VERTE ET NOIRE. Le corps est d’un vert-clair taché de noir, le dos est divisé par trois raies jaunes. 60 GRENOUILLE BLEUE. Dos bleu parsemé de taches noires, deux raies brunes séparées par une bleue plus diaphane que le bleu du dos. Dessous du corps blanc. GRENOUILLE VERT-SOMBRE. Sans taches en dessus, blanchâtre en dessous, les bandes trans- versales brunâtres sur les membres. GRENOUILLE GRISE. Cette variété diffère du type en ce qu'elle a le ventre tout gris. GRENOUILLE NOIRE. Le seul caractère de cette variété est son ventre qui est noir. GRENOUILLE VERT D'ÉMERAUDE, RANA SMARAGDINEA (N.). Daudin, dans son excellent travail sur les reptiles, signale une petite grenouille verte qu'il regarde comme variété de l’esculenta, et qui habite les eaux douces de la Lombardie. Spallanzani (Expériences sur la génération) parle d'une grenouille d'un vert uniforme qui lui a servi de sujet d'étude. Nous avons trouvé cette grenouille en Maine et Loire avec tous les caractères indiqués par ces deux naturalistes; mais elle diffère tellement de l'esculenta, que nous croyons devoir en faire une espèce nouvelle à laquelle nous donnons le nom de rana smaragdinea, grenouille vert d’émeraude. “ La rana smaragdinea est de moitié plus petite que la rana escu- CORNE S CT 61 lenta ; sa peau, d'un beau vert d'émeraude, n'est marquée d'aucune ligne longitudinale sur le dos comme les autres grenouilles. Le coassement du mâle est plus sonore et moins aigre que celui de la grenouille commune. Ce batracien habite de préférence les fossés, et très-souvent se tient à terre. L’accouplement a lieu ordi- nairement vers le milieu du printemps. M. Deloche, à qui J'ai fait part de mes observations, m'a dit avoir vu la rana smaragdinea dans les fossés des prairies de la Baumette. La rana smaragdinea est rare; je l’ai trouvée à Briollay, dans les fossés des prairies, à Mürs, marais de Gaigné. C’est seulement dans ces deux localités que j'ai pu étudier ses mœurs. RANA TEMPORARIA (L.). Vulgairement la muette, la pisseuse. Cette espèce a environ six centimètres de long. Sa tête est trian- gulaire, son nez un peu obtus, ses yeux saillants, dont l'iris est d’un jaune doré, le corps est marqué d’un pli longitudinal sur les côlés du dos; la peau, presque lisse, présente quelques tubercules, elle est granulée sous l’abdomen et les cuisses. Sa couleur est d’un jaune-verdâtre laché de roux, avec une large plaque sur chaque tympan derrière l'œil. Trois bandes transversa- les foncées sur les bras, les cuisses, les jambes et les tarses: les doigts des pieds antérieurs sont séparés, tandis que ceux des posté- rieurs sont palmés. On trouve en Anjou cette grenouille dans les prés, elle est beau- coup plus terrestre qu’aquatique. Daubenton l'appelle la muette, parce qu'elle ne coasse que très- rarement. Quand elle est accoupiée, elle lance à légers intervalles un petit cri. Daudin prétend avoir entendu la rana temporaria coasser au fond de l’eau, ce que ne fait jamais la grenouille commune. Les cuisses de cetle espèce sont très-bonnes à manger. Les pêcheurs de grenouilles, au lieu d'employer la ligne comme pour la grenouille ordinaire, la pêchent avec un filet, car elle n’habite les eaux qu'au moment de la ponte. Très-sauvage à l'approche de 62 l'homme, elle s'enfuit en faisant des bonds de deux mètres, el lan- çant une liqueur d'une odeur désagréable. Lorsque nous mes cette étude à la Société linnéenne, M. Auguste Courtiller nous fit part d’un fait très-remarquable qu'il avait cons- talé sur une grenouille à {empes noires. Nous invitâmes notre excel- lent collègue à nous rédiger une note où ses observations fussent consignées. Voici la léttre que M. Courtiller a bien voulu nous adresser : « Saumur, 8 février 1864. » Monsieur et cher président, » Vous m'avez prié de vous envoyer les observations que j'avais » faites sur le changement de couleur de la rana temporaria. Voici » ce qui m'est arrivé. » Me promenant au bord du Layon, dans la commune de Saint- » Georges-Châtelaison, j'aperçus dans l'herbe une grenouille d’uu » blanc parfait, sautant avec une grande agilité. Me précipiter à sa » poursuite, et la saisir, fut l'affaire d’un moment. Je reconnus aussi- » tôt la rana temporaria, mais d'un blanc pur, avec les deux taches » latérales de la tête restées noires, et quelques zébrures sur les cuis- » ses. Émerveillé de ma rencontre, et n'ayant rien pour la renfermer, » je l’eaveloppai dans une feuille de journal que j'avais suramoi, et » me dirigeai vers Soulanger, commune voisine, où je devais passer » quelques jours. Arrivé chez moi, je préparai un bocal en verreblanc » que je garnis de mousse humide pour la recevoir, puis je me mis » à développer avec grand soin ma précieuse trouvaille, Mais, ô eur- » prise! elle avait repris sa couleur naturelle, etje n'avais plus qu'une » grenouille grise ordinaire. Cependant, voulant continuer à l’obser- » ver, je la gardai dans son bocal pendant une huitaine de jours, et » pendant tout.ce lemps, je ne vis aucun changement dans sa couleur » naturelle, et je n'avais plus qu’une grenouille ordinaire; » Devant me rendre à Saumur, el ne voulant pas en rester là » pour l’examen d’un fail aussi remarquable, je me servis du même » moyen que j'avais employé pour l’apporter une première fois: je » l’enveloppai dans du papier, je la remis dans ma poche, etje me » rendis à Saumur. Arrivé, je développe mon papier : nouvelle sur- » prise, ma grenouille était redevenue blanche. Je me hâtai de cher- 63 » cher de l'alcool pour la conserver dans cet état; mais pendant ce » court espace de temps, elle avait déjà tourné sensiblement au gris, » et je n'ai pu conserver qu'une variété blanchâtre , bien éloignée de » la blancheur bien extraordinaire, mais aussi bien passagère que » j'avais eue sous les yeux. » La rana temporaria peut donc, comme beaucoup d’autres repli- » les, changer de couleur dans certaines circonstances de sa vie. » Votre bien dévoué et affectionné. » COURTILLER. » On a confondu en Maine et Loire, sous le nom de temporaria, lrois espèces très-distinctes : d'abord celle que nous venons de décrire, ensuile deux autres observées par deux savants, M. le doeteur Schiff, de Francfort-sur-le- Mein, et M. Thomas, de Nantes, notre collègue. M. Schiff décrit, sous le nom de rana oxyrrhina, une espèce très- commune en Anjou. Voici les caracières donnés par cet erpétolo- giste (1) : « La rana oxyrrhina et ia rana temporaria ont dans la partie anté- rieure une physionomie si différente, que mon frère lui-même, qui ne s'occupe pas de zoologie, mais qui m'a accompagné plusieurs fois dans mes excursions, les reconnaît au premier aspect. De mon côté, je distingue très-bien les adultes avant de les avoir pris, quand ils sautent encore à terre, notamment par leurs formes. » La rana oxyrrhina adulte est toujours plus petite que la rana temporaria adulle, ce sont surtout les extrémités antérieures qui sont beaucoup plus grêles. » L'influence des pouces à l’époque des amours dans la rana oxyrrhina est aussi moins verrugueuse. » [1 n’y a pas de différences tranchées dans les couleurs; mais dans la plupart des rana oxyrrhina que j'ai trouvées, la gorge élait d'un blanc pur, quoique la poitrine fût d’un blanc sale et tachetée de noirâtre ou de brunâtre. » La rana oxyrrhina se trouve toujours dans les lieux humides, près de l’eau, et quoique terrestre, elle ne s’en éloigne jamais beau- (1) Voir le savant travail de M. Thomas, sur deux espèces de grenouilles, Annales des sciences naturelles, tome 1v, n° 9. 64 coup. Je ne l’ai pas une seule fois rencontrée, comme la rana tem- poraria, dans les terres cultivées et élevées. » J'ai toujours trouvé la rana oxyrrhina accouplée un peu plus tard, quinze jours ou trois semaines en moyenne, que la rana temporaria. » L'espèce surnommée agilis par M. Thomas, de Nantes, est très- facile à reconnaître. Sa têle est moins obluse et moins recourbée que celle de la rana temporaria, les membres postérieurs plus longs et moins épais. La peau, dit M. Thomas, chez le mâle est toujours lisse, et elle est quelquefois couverte de points très-petits et très-rares ; le fond de la couleur du dessus du corps et des membres est tantôt brun ou gris feuille morte, et tantôt d’un roux plus ou moins vif ou d'un rose tendre parsemé de petites ombres brunâtres et de très-petits points noirs. Chez les mâles, la couleur du dessus du corps est générale- ment plus foncée que chez les femelles. Les deux plis glanduleux, qui sont situés au-dessus des flancs, sont couverts de points et de taches noires ; de semblables points et taches exisient sur la face externe des cuisses et des jambes ; la face externe des bras est également ornée d’une petite bande noire. M. Desvaux nous a parlé plusieurs fois d'une grenouille qu'il regardait comme nouvelle, et d’après ce qu'il nous a dit, je serais porté à croire que l'espèce qu'il voulait décrire était la même que celle si bien étudiée par M. Thomas. Grâce à l'indication verbale de M. Desvaux, j'ai reconnu très- facilement la rana agilis dans les vallées de Saint-Jean-de-la-Croix et de Mürs, lieux où ce savant s'était livré à d'actives recherches sur les batraciens de Maine et Loire. RANA ROSEA (N.). Nous donnons le nom de rosea à une grenouille qui nous semble différer complétement de toutes les autres grenouilles à taches noires. Entièrement rose en dessus, sans aucune tache, et blanchâtre en dessous, elle tient, quant à la taille, le milieu entre l’oxyrrhina et l'agilis; elle vit solitaire; je l’ai rencontrée plusieurs fois dans les 65 prairies humides des bords de la Loire. C’est sans contredit la plus jolie grenouille de nos pays. Elle a été observée en l’an XI, à Mont- morency, par le naturaliste Daudin qui l’a mise au nombre des variétés de la rana temporaria. RANA PUNCTATA (Daudin). Long de trois centimètres, le corps est couvert de petites ver- rues d’un vert foncé sur un fond cendré. Trois bandes transver- sales, verdâtres sur les bras, les cuisses et les jambes ; ces bandes sont plus nombreuses sur les tarses et les doigts qui sont longs et minces, surtout ceux des pieds postérieurs; quatre doigts séparés aux pieds antérieurs et cinq longs minces, à peine demi-palmés à leur base aux postérieurs. Cette espèce rare ne va jamais à l’eau qu’au moment de la ponte; elle vit sous les pierres, et ne sort ordinairement qu’à la nuit ou pendant les Lemps pluvieux, ne s'enfuit pas lorsqu'on s’en approche, etest très facile à apprivoiser. J'ai connu au collége de Beaupreau, des élèves qui en avaient élevé en captivité; lorsqu'ils les met- taient en liberté, elles ne s’éloignaient point, et sur un signe du maître, elles venaient manger dans sa main. Un naturaliste distingué, M. Defrance, s'était amusé à élever plu- sieurs individus du rana punciata. C'est sur trois d’entre eux qu'il donna à Daudin, que ce savant a fait la description de celte espèce qu'il regardait alors comme très-rare. Je lai trouvée, dit-il dans son Histoire des grenouilles, une seule fois dans un jardin aux environs de Beauvais. Je l'ai gardée vivante pendant quelques jours dans un bocal de verre, et elle montait avec faci'ité après les parois presque comme une rainelte, quoique les doigls soient simplement pointus à leur extrémilé comme ceux des aulres grenouilles. J'ai constaté son habitat à Mûrs, Thouarcé et à Briollay. Cette grenouille vit toujours solitaire. RANA ARBOREA (L.). Cette jolie espèce, vulgairement appelée grenouille d'arbre, raine verte, graissel, grenouille de saint Martin, est à peine longue de YI. 6) C] 66 quatre centimètres; l'iris de ses yeux esl doré, le dessus en- tièrement d’un beau vert, avec une ligne jaune, étroile, un peu crénelée, partant des yeux et se prolongeant sur les flancs en se terminant sur les côtes des pieds postérieurs ; une autre ligne, par- tant de la lèvre supérieure, se prolonge sur les côtés des pieds antérieurs. Comme les autres grenouilles, ordinairement elle pond ses œufs dans l’eau ; mais quelques naturalistes assurent avoir vu de jeunes rainettes dans des trous d'arbres remplis d'humidité. On prétend depuis longtemps qu’on peut, à l’aide du graisset, constater les variations de l'atmosphère. Pour cela, il suffit de pla- cer la rainette dans un bocal rempli d’eau, contenant une pelile échelle de bois sur laquelle se tient l’animal lorsqu'il fait beau. Pen- dant les temps mauvais, le graisset au contraire plonge au fond du vase (1). Je ne sais si celte expérience, bien connue, réussit à taus; quant à moi, je l'ai essayée plusieurs fois, el qu'il fit beau ou mauvais, j'ai toujours vu le graisset, au sommet du vase, faisant tous ses efforts afin de sortir de sa prison. En résumé, notre Faune, d’après ce que nous venons de dire, compte huit espèces de grenouilles : 40 Rana esculenta, L.; 2° rana smaragdinea, N.; 3° rana tempora- ria, L.; 4° rana oxyrrhina, Steenslrup; 5° rana agilis, Thomas; 6° rana rosea, N.; 7° rana punctata, Daudin ; 8° rana arborea, L. Telles sont les observations générales que j'avais à présenter sur le genre rana. Il reste encore beaucoup à écrire sur ce sujet, et plu- sieurs espèces à déterminer; car la science, surtout en histoire naturelle, est loin d’avoir dit son dernier mot. (1) Le maréchal Bugeaud ne faisait jamais une expédition militaire en Algérie sans avoir consulté une rainette qui lui servait de baromètre. Aussi, la grenouille du père Bugeaud, comme sa casquette, était-elle devenue très populaire dans l’armée. 67 Il GENRE BUFO. Le Crapaud est un des êtres de la création regardés avec le plus de dégoût. « On est tenté de le prendre, dit Lacépède, pour un produil de l'humidité et de la pourriture, pour un de ces jeux bizarres qui échappent à la nature et on n’imagine pas comment celte mère commune, qui a réuni si souvent tant de belles proportions à tant de couleurs agréables, et qui même a donné aux grenouilles et aux raines, une sorte de grâce et de gentillesse et de parure, a pu im- primer au crapaud une forme si hideuse. » Des fables de tout genre ont élé inventées sur le Crapaud. Ainsi, dans nos campagnes, les habitants croient généralement qu’à la suile des orages il tombe des pluies de crapauds; plusieurs paysans m'ont assuré avoir remarqué le toit de leurs maisons, couverts par ce batracien, après de grandes averses; quelques-uns même, m'ont dit avoir vu les crapauds tomber du ciel. Nous n'avons pas besoin de combattre cette crédulité poussée à son extrême limite. Le phé- nomène en question s'explique très-facilement ; le crapaud n'aime pas le soleil, il se tient pendant la journée à l'ombre, et ne sort que le soir pour chercher capture; aussi, dès que la terre devient hu- mide, il quitte sa retraite, et court à la recherche des limaces et des insectes sa nourriture favorite; c'est surtout danslesclairières des bois que les crapauds se trouvent en abondance, lors des temps pluvieux. Au mois d'août 1850, je fus surpris dans la forêt de Brissac, au lieu appelé le carrefour de l'Atelier, par une pluie épouvantable; tout à coup, lorsque le temps fut rasséni, je vis surgir autour de moi comme par magie, une quantilé innombrable de petits crapauds qui étaient sortis des laillis, la terre en était littéralement couverte. Le crapaud vit vieux, sa longévité a prêté aux récits les plus exa- 68 gérés ; ainsi, on prétend en avoir trouvé dans des géodes, dans des- fossiles, etc.; la facilité avec laquelle le crapaud s’introduit dans les fentes des pierres a pu seule donner cours à ces erreurs. Les crapauds passent des mois enliers sans manger, ils sont pris l'hiver d’une léthargie qui ne les quitte qu'aux premiers jours de printemps. En l’année 1777, Hérissant renferma trois crapauds dans des boites enduiles de plâtre et les fit déposer à l'Académie des sciences; elles ne furent ouvertes qu'au bout de dix-huit mois, on trouva deux crapauds vivant encore, un seul était mort. À En l’année 1817, au mois d'août, le docteur Edwards, constata que des crapauds ensevelis dans du plâtre existaient plus longtemps que ceux qu'on forçait à rester dans l’eau. Une question sur laquelle tous les auteurs ne sont pas d'accord, c'est celle de savoir si les crapauds sont venimeux. Voici ce que nous lisons dans le Dictionnaire des sciences naturelles : « Dans les crapauds, les pattes servent rarement à la marche, ils rampent presque tous et quand ils sont surpris, loin de chercher à fuir ils s'arrêtent subitement, enflent leur corps, le rendent dur et élastique, font suinter des verrues de leur peau une humeur blanche et fétide, lancent un fluide particulier par l’anus et cherchent enfin à mordre, mais leur morsure est sans aucun incon- vénient, elle délermine parfois une légère inflammation. » La liqueur éjaculée par l'anus du crapaud n’est point de l’urine; on l’a crue venimeuse, mais à tort; celle qui suinte des tubercules culanés est dans le même cas; on a prétendu cependant que, quand ces liqueurs étaient déposées sur les légumes, les fruits, les cham- pignons, elc., eiles délerminaient des vomissements. Il est certain au moins que ceux qui avaleut ces liqueurs, éprouvent de violentes nausées el des accidents du côlé de l'estomac. M. Bosc, assure même que si pendant les chaleurs de l'été, après avoir manié le cra- paud commun on porte sa main au nez, on est tourmenté par les mêmes symptômes pénibles et cuisants. Chrest Schelhamner, a donné dans les Éphémérides des curieux de la nature, l'histoire d’un enfant qui éprouva une éruption pustuleuse grave, parce qu'un autre enfant lui avait tenu quelques instants un crapaud devant la bouche. Un de nos collègues , M. l’abbé Magné, professeur d'histoire nalurelle à l’inslitution de Sainte-Marie-de-Pincherray (Ferté-Macé, 69 Orne), nous a fait parvenir une nole très curieuse sur le venin de crapaud, nous nous empressons d'insérer ce document dans notre travail. « J'avais toujours lu dans les auteurs, que le prétendu venin de crapaud n’était qu'un épouvantail d'enfant, dont le savant devait rire; voici l'effet de ce venin que j'ai observé sur un jeune renard: sachant que le renard mangeait des grenouilles, j'en conclus que notre petit Fox ne ferait pas difficulté de croquer un crapaud qu'on venait de m'apporter, puisque le pus n’avait du venin que le nom. Je crus d’abord ma conclusion parfaite en voyant Fox se jeter bra- vement sur la bête, et je me disais : les leçons qu'il a reçues de la nature s'accordent avec les leçons des savants; mais voilà bien autre chose, à peine avait-il pressé le crapaud entre ses dents , sans même l’entamer, qu'une broue épaisse remplit la gueule, et une espèce de vomissement ou de grands efforts pour se débarrasser de celte matière, avec une apparence de grand malaise, se manifes- tèrent aussitôt. Cet élat dura plus d'une heure, j'avais eu la pensée de continuer l'épreuve, mais le désir de conserver notre petit Fox, fit que je lui fis avaler du lait; les vomissements disparurent el le soir il n'y paraissait plus, cependant il me fallait avouer que le pus de crapaud n’était pas tout à fait inoffensif; avait-il pénétré dans le système de la circulation au travers de la peau de la langue? Avait-il pénétré dans l’estomac? je n’en sais rien : je me borne à vous soumettre le fait. Pour moi, j'en conclus que l’aversion que l'on ressent pour le crapaud, ne doit point être taxée d’enfantillage, et je suis plus disposé à croire à cette histoire d’un moissonneur empoisonné, dit-on, pour avoir bu du cidre d’une bouteille où s'était introduit un crapaud. » Pour en finir sur le venin du crapaud et surtout pour savoir si cet animal est nuisible, nous allons citer l'opinion du docteur Gloger, de Berlin (Petite exhortation à protéger les animaux utiles pour pré- venir naturellement les dégâts causés par les souris et les insectes ; Bulle- tin de la Société protectrice des animaux, septembre et octobre 1861) : « Les crapauds mêmes et les salamandres terrestres, quoique pour- vus ce quélque malière venimeuse, ne sont aucunement nuisibles; au contraire, ils sont encore plus inoffensifs pour l'homme que les abeilles domestiques, les bourdons et les guêpes dont l’aiguillon est rempli d'un venin beaucoup plus énergique, car le suc âcre vis- 70 queux, à odeur forte et très félide, qui est contenu dans les vilaines pustules des crapauds et des salamandres, ne fait que rougir la peau de l’homme qui les saisit à main nue. Mais quel besoin a-t-on de les manier? Les effets de cette humeur, pareils à ceux du venin, se bornent à la bouche, au gosier et à l'estomac d’autres animaux en les faisant vomir, si on leur a poussé par force un crapaud au bas de leur jabot. Mais spontanément les carnivores ne les touchent pas, même quand ils sont poussés par une faim extrême. Celte matière préserve donc les crapauds et les salamandres d’être attaqués par les animaux rapaces; on peut voir en cela un arrangement bien sage, puisqu'ils se rendent bien utiles en exterminant des larves d’insec- tes et de vers.» Le département de Maine el Loire compte huit espèces de crapauds. BUFO VULGARIS (Daudin). Le crapaud commun, d’un gris-roussâtre, a le dos couvert de tubercules arrondis; la têle est petite, ses pieds courts ont les doigts bruns. Le crapaud commun est essentiellement terrestre; il fuit l’eau; ei se creuse des trous très-profonds où il dépose ses œufs. Son corps se gonfle facilement, surtout à l'approche de l’homme et des animaux qu'il redoute toujours. La femelle produit des œufs en lrès-grand nombre, réunis par une gelée transparente, en deux chapelets, souvent longs de dix mètres, que le mâle tire avec ses pattes de derrière. Le mâle fait au printemps entendre un coassement très-fort. Le crapaud commun se tient assez ordinairement près des habi- lations ; dans les jardins; les maraîchers de nos pays lui font cons- lamment la guerre; il n’a pas de plus cruel ennemi, et lorsqu'ils ne le tuent pas en le saupoudrant de tabac, ils lui font éprouver le plus cruel supplice qui consiste à lui percer une palte, et à le suspendre à une baguette jusqu’à ce que mort s’ensuive. C’est ce qu’ils appel- lent fabriquer de la toile de crapaud, parce qu’à l’aide de la patte libre, ce batracien fait un mouvement de va et vient semblable à celui du tisserand lorsqu'il lance sa navette. Loin d’être nuisible dans nos jardins, le crapaud au contraire 71 y est de la plus grande utilité, en détruisant une multitude d’insec- tes et de vers. Sa forme repoussante cause un dégoût invincible, cela est vrai; mais il faut reconnaître que cel animal rend à la cul- ture des services qu'on ne doit pas méconnaître. Nous ne sommes pas du reste les seuls défenseurs du crapaud. M. Auguste Duméril, auquel nous empruntons le passage suivant, a pris récemment la cause de ceite pauvre bête : « Si l'on réfléchit, qu’en tout temps, comme en tout lieu, le crapaud a été victime d’un préjugé ridicule, il est facile de com- prendre de quelle influence a été sa destruction sur la multiplication de certaines espèces nuisibles. Épargnez cet animal, laissez-le se reproduire à son aise dans les vignes, et les dégâis, causés par les insectes des espèces non ailées surtout, ne tarderont pas à dimi- nuer considérablement, s’ils ne cessent tout-à-fait. » De son côté, M. L. Marchand (De l'utilité des reptiles et des batra- ciens pour la destruction des insectes) nous apprend qu'aux environs de Londres, où les plus grands soins sont apportés à la culture ma- raîchère, les jardiniers, qui donnent le pas à l'intérêt sur le préjugé, achètent à beaux deniers comptants des crapauds qu'ils répandent dans leurs cultures, où ils font une grande destruction d'insectes nuisibles et de limaçons. Pennant raconte que d’Arscott avait sous son escalier un énorme crapaud qui avait pris gîte en cet endroit. Ce crapaud était devenu très-familier, au point qu’il venait tous les soirs, lorsqu'il apercevait de la lumière dans la salle à manger, chercher sa nourriture, se laissait prendre et mettre sur la table où on lui préparait un repas composé de vers, de mouches, de cloportes, d'araignées et autres insectes ; il fixait pendant quelques secondes sa proie, puis tout-à- coup il lançait sa langue sur elle, et, avec la rapidité de l'éclair, l'at- lirait dans sa bouche à l’aide de l'humeur visqueuse dont elle était enduite. Ce crapaud mourut d’un accident qui lui fit perdre l'œil ; il avait vécu trente-six ans à l'état de domesticité. BUFO CINEREUS (Daudin). Ce crapaud est d’une couleur cendrée uniforme, avec de petites verrues nombreuses en-dessus et la peau légèrement granulée çà et là en-dessous. 72 Si cette espèce n’a pas élé décrile dans la Faune de M. Pierre Millet, nous pensons que c’est parce que ce collectionneur aura, comme quelques-uns l'ont fait avant lui, confondu le bufo cinereus avec le bufo vulgaris, car il serait difficile autrement de comprendre cet oubli, le bufo cireneus étant très-répandu en Anjou, surtout dans les communes d'Écouflant, Briollay, Tiercé, les Ponts-de-Cé, Saint- Jean-de-la-Croix, Mûrs, Mozé, Denée, la Daguenière, la Bohalle, etc. et dans tout le Baugeois. Le crapaud cendré diffère complétement par sa forme et par ses habitudes du crapaud commun qui vit à l’état solitaire, tandis que le crapaud cendré se rencontre toujours par troupes nombreuses. Lorsqu'on l'attaque, au lieu de chercher à s’élancer sur son adver- saire, comme le crapaud commun, le crapaud cendré, à l'exemple du pluvial, se met sur le dos en reployant sa tête et ses pattes postérieures. Nous avons remarqué à Pontigné deux variétés du crapaud cendré, s'éloignant du type, l’une par le bord des lèvres et le bout des doigts un peu brunâtres, l'autre par les verrues cuivrées de son dos. BUFO BOMBINUS (Daudin). Crapaud sonnant, pluvial, pon-hu, tels sont les noms vulgaires de ce batracien, le plus aquatique de tous ceux qui habitent l’Anjou. Il n'est pas une mare, un fossé, quelque petit qu'il soit, qui ne donne asile au bu/fo bombinus, le plus joli des crapauds, si tant est que celte épithèle convienne à un tel animal. Son corps est oblong, trapu, ses yeux saillants ; on remarque de peliles parotides au-des- sus des épaules, derrière la tête. Sous la gorge est un pli transversal; les verrues du dos sont d’un vert-olivâtre, le ventre est jaune-orangé, avec des taches bleuâtres. On l'appelle sonnant, parce qu’à l’époque du printemps, le cri qu'il fait entendre ressemble au tintement d’une cloche. Lorsque le temps est à la pluie, le bufo bombinus chante continuellement, de la, la désignalion de pluvial. Les habilants de nos campagnes le connaissent sous le nom de pon-hu. On prétend distinguer dans son cri les syllabes pon-hu. Nous avons trouvé une variété très-curieuse du bufo bombinus ; ses 73 caractères consistent dans la tache du ventre qui au lieu d’être orange, est d’un rouge vif. J'ai constaté l’habitat du crapaud a ventre rouge à Faveraie, ruisseau de l'Arcison. BUFO ROESELII (Daudin). Crapaud de Roësel. Corps verdâtre en-dessus, parsemé de verrues noirâtres, et les pieds postérieurs palmés. Le crapaud de Roësel, qu'on rencontre dans la forêt de Chande- lais, où il abonde, ainsi que dans les autres bois de l’Anjou, ne figure point sur la liste des batraciens donnée par M. Pierre Millet. Ce crapaud ne sort jamais que pendant la nuit; quand on le rencontre le jour, ce n’est qu'après des pluies abondantes. Daudin signale le bufo roëselii comme très-commun en France. On le trouve par milliers dans la mare d'Auteuil, à l'époque du prin- temps. Au moment de l’accouplement, les Parisiens se rendent la nuit pour le pêcher avec des troubles. Ses cuisses sont aussi bonnes que celles de la rana esculenta. BUFO CALAMITA (Daudin). Crapaud des joncs. Parotides saillantes olivâtres, avec des verrues nombreuses d'un brun-roux en-dessus, une ligne jaune sur le milieu du dos, el les pieds postérieurs quelquefois demi-palmés. Le crapaud calamite ne saute jamais, il marche avec une très- grande rapidité. Nos prairies des bords de la Maine sort peuplées de ce crapaud qui grimpe comme un chat le long des murs et des arbres ; il ne va jamais à l’eau, si ce n’est à l’époque de l’accouplement. Le cri du mâle ressemble à celui de la rainette verte. Le crapaud des jones exhale une odeur très-forte, semblable à celle de la poudre à canon. 74 BUFO VIRIDIS. Crapaud vert. D'un blanc livide marbré de vert, avec des verrues rouges en- dessus. Il a les pattes légèrement palmées. Commun aux environs d'Angers. Le crapaud vert ést doué d’une singulière faculté. Lorsqu'on le frappe, il lance une odeur ambrée qui quelque temps après prend la fétidité du solanum nigrum. Habite les eaux stagnantes. BUFO FUSCUS (Daudin). Crapaud brun. Corps presque lisse, d’un brun jaunâtre, taches plus foncées, noi- râtres sur les bords, une raie au milieu du dos, pattes demi-palmées, avec une saillie imitant un sixième doigt. J'ai rencontré souvent au mois de mai, dans les fossés des prairies de Saint-Serges, cette espèce. Comme le crapaud dés joncs, il ne va - à l’eau qu’à l’époque de l’accouplement. Le crapaud brun attache ses œufs aux tiges des plantes aquatiques. La femelle fait entendre un petit cri semblable au grognement sourd d’un chien. Le bufo fuscus, lorsqu'on l’agite, répand une liqueur blanchâtre qui a l’odeur de l'ail. BUFO OBSTETRICANS (Daudin). Crapaud accoucheur. D'un cendré verdâtre, tuberculé, marqué de petites taches brunes en-dessus, blanchâtre en-dessous, a les parotides point ou peu sail- lantes , les pattes postéricures à peine palmées à leur base. Le bufo obstetricans existe dans toute la France. Rien n’est plus curieux que d'étudier les mœurs de ce batracien. Il ne va jamais à l’eau, pas même lors de l'accouplement. Ses 75 œufs, gros comme des grains de chénevis, dont ils ont du reste la forme, sont toujours au nombre de cinquante à soixante. On nomme ce crapaud accoucheur, voici pourquoi : le mâle aide avec ses pattes la femelle à se débarrasser de ses œufs, puis il se les attache au bas des deux jambes, et ensuite les fait glisser sur la partie postérieure de son corps. « Ce petit crapaud, dit le savant naluraliste Daudin , nous offre alors l'exemple d'un père qui ne croit pas avoir totalement rempli ses devoirs en donnant la vie à de nouveaux êtres, s’il ne prend tous les soins nécessaires pour la leur conserver, exemple rare dans les animaux, et surtout dans ceux de cette classe où l’on ne trouve à la place de l’ardeur des passions qu’une patience opiniâtre et une sorle d’insensibilité qui paraît être une suite de la lenteur de la circulation et de la température de leur sang. » Le crapaud accoucheur ne cherche à gagner les fossés qu'au moment où il sent les tétards près d’éclore. Dès que les télards ont les pieds formés, ils quittent l’eau pour aller vivre à terre. AIMÉ DE SOLAND. COMPTE RENDU DES EXCURSIONS DE LA SOCIÉTÉ LINNÉENNE BOTANIQUE. L'année 1863 n’a pas été heureuse pour les botanistes. La chaleur intense, qui s’est fait sentir dès la fin de mai, a paralysé la floraison des plantes, et brûlé un grand nombre de végétaux. Nos principales herborisations ont eu lieu à Barré et à Juigné- sur-Loire. Nous n'avons rien constaté de nouveau sur ces deux localités; aussi ne donnerons-nous pas la liste des phanérogames qui croissent dans ces contrées, peu désireux de produire une pâle copie de la Flore du savant docteur Guépin. Loin de nous ces fertiles époques où à chaque saison le natura- liste faisait d'intéressantes découvertes. Les plantes, il faut bien le reconnaître, disparaissent de jour en jour ; la Flore n’est plus ce qu’elle était il y a vingt ans; la riche localité de Barré s’appauvrit. A chaque instant sa roche est éventrée, le Stipa pennata, dont l’aigrette plumeuse brillait au milieu des I Anthyllis et des Lathyrus, est presque introuvable. Le paysan de Beaulieu, désireux de vendre du vin, et surtout d’en boire, s’em- presse, où il peut mettre la pioche, de planter de la vigne. Aussi, le Trifolium Bocconi, que je n’ai rencontré que sur les côteaux de Barré, n'offre plus de ces abondantes moissons comme j'en ai faites avec MM. Guépin, Huard et Pavie. Il en est de même pour le Teesdalia Lepidium, crucifère la plus rare de l’Anjou, et qu'il faut savoir récol- ter à temps, car dès la mi-avril ses feuilles sont desséchées. Le 23 juin 1863, M. Henri Énon, pharmacien à Cholet, a trouvé, dans un pré dépendant de la métairie de la Séguinière, le Serapias cordigera, L. Jusqu'à présent, on ne connaissait cette orchidée que dans le bois sablonneux de Parnay, où M. le docteur Toché l'avait découverte. Aujourd'hui, on chercherait en vain le Serapias cordi- gera à Parnay, cette plante à complétement disparu du Saumurois. Le même naturaliste a récolté près Cholet, sur la lisière du bois de M. Charles Saint-André, côté gauche du chemin de fer, le Mono- tropa hypopitis, plante rare. Les seuls endroits où j'ai vu cette monotropée, sont les bois d’Avrillé, Durtal, Combrée (forêt d'Om- brée), Sceaux et la forêt de Longuenée. M. Courtiller jeune a constaté, il y a quelques années, la présence du Monotropa hypopitis dans la forêt de Fontrevault, près la Fosse de Baurnée. Les herborisations de MM. Courtiller jeune et Trouillard, nous font connaître que le Teesdalia Lepidium, qui forcément tend à quitter la Roche de Barré, croît à Champigny-le-Sec. Puisse cette nouvelle localité être conservée longtemps aux botanistes. Depuis longues années, on ne recueillait plus sur le sommet du plateau de la Baumette le Gagea Bohemica , où le naturaliste Merlet de la Boulaye l'avait découvert. Au mois de février 1863, j'ai vu près le mur de l'ancien couvent des Capucins, quelques échantillons de cetle jolie liliacée. Si cette localité est respectée, nul doute que dans quelque temps, l'Ornithogalum Luteum de Linné ne soit aussi abon- dant en cet endroit qu'il l'était à l’époque où MM. Davy de la Roche et Du Plessis firent paraître leur opuscule sur la Flore angevine (1). (1) Les herborisations de feu Merlet de la Boulaye, publiées par plusieurs de ses élèves, parurent en 1809. 78 MALACOLOGIE. À cinq cents mètres environ du pont du Louet, au lieu nommé la Tête des murailles, près l’île des Airaux, commune des Ponts-de-Cé, habite le Dreissena polymorpha, trouvé pour la première fois en Anjou par Batard, à Sainte-Gemmes-sur-Loire. Nous ne mentionnerons point les nombreuses localités où nous avons observé l’Unio Courtillieri, Hat. Ce mollusque, dédié à l’un des naturalistes les plus instruits de l’Anjou, M. Courtiller jeune, se ren- contre partout dans nos rivières; il abonde surtout dans le Louet. ICHTYOLOGIE. Puisque nous sommes occupé à enregistrer les diverses décou- vertes qui intéressent l’histoire naturelle de l’Anjou, nous parlerons d’un magnifique esturgeon, Acipenser sturio, L., capturé au mois de décembre dernier par des pêcheurs de la Pointe. Ce poisson pesait cent kilog. Le fait que nous signalons n'est point nouveau; il n’est pas d’années que des esturgeons quittent la mer pour remonter la Loire; on en a pris quelquefois à Saumur, en 1810. Les pêcheurs d’aloses des Ponts-de-Cé furent très-étonnés, en levant leurs filets, d'y voir un esturgeon du poids de 40 kilog. Le 4 juillet 1811, les habi- tanis de Béhuard prirent à la seine un esturgeon énorme qu'ils firent peindre pour être exposé dans leur chapelle, GÉOLOGIE. Nous devrions donner ici la liste des fossiles signalés dans notre département depuis la publication de notre dernier volume; cette liste serait nombreuse et d’un grand intérêt. Mais nous préférons laisser ce soin aux géologues de notre Société, en voie de préparer d'importants travaux paléontologiques. Nous dirons seulement que M. Auguste Courtiller, à qui la Faune ei la Flore du Saumurois sont 79 redevables de tant de bonnes et curieuses espèces, achève en ce mo- ment le catalogue raisonné du précieux cabinet d'histoire naturelle de la ville de Saumur, cabinet entièrement organisé par ce savant distingué. M. Courtiller a bien voulu nous promettre de réserver cette œuvre à nos annales, où elle ne tardera pas à être imprimée. Nous sommes heureux d'annoncer cette bonne nouvelle à nos lecteurs, ei nous ne pouvions clore d’une façon plus agréable pour eux le compte-rendu de nos lravaux. AIMÉ DE SOLAND. DE L'ORIGINE ET DU MODE DE FORMATION DES CORPUSCULES SANGUINS CHEZ DES POISSONS. Une question qui intéresse à un haut degré le physiologiste, et qui est encore loin d’être résolue, est celle qui concerne l'origine et le mode de formation des corpuscules sanguins, de ces pelits organiles qui sont appelés à jouer un rôle si important dans la nutrition. On admet généralement qu'ils dérivent directement des cellules embryonnaires, et qu’ils résultent d’une modification particulière de ces cellules. Mais celte asserlion, qui peut être vraie pour les vertébrés supérieurs, ne l’est pas pour les poissons. Dans mes Recherches d'embryologie comparée sur le développement du brochet (1), de la perche (2) et de la truite (3), j'ai déjà touché (1) Recherches d'embryolugie comparée sur le développement du brochet, de la perche et de l'écrevisse; Paris, Imprimerie impériale, 1862 (Extrait du t. 17 des Mémoires des savants étrangers), in-4°, p. 121. (2) Ibidem, p. 139. (3) Recherches d'embryologie comparée sur le développement de la truite, du lézard et du limnée; Paris, Victor Masson, 1863, in-8° (Extrait des Annales des sciences naturelles), p. 43. 81 cette question, et j'ai établi que les premiers corpuscules qui appa- raissent, sont des globules très-pelils, beaucoup plus petits que les cellules embryonnaires, d’un aspect homogène, quelquefois de forme irrégulière et plus ou moins anguleuse, et que peu à peu ces corpuscules grossissent, se chargent de matière colorante, s'allon- gent, et ne prennent qu’au bout d’un certain temps leur forme elliptique définitive. J'ai de nouveau vérifié ces faits l’année dernière et cette année sur des embryons de brochet el de truite. BROCHET. — Un embryon de brochet avait, cinq jours après la fécondation, le boyau cardiaque redressé. Ce cylindre élait plein et composé entièrement de petites cellules ; il oscillait lentement dans quelques œufs, et était immobile dans d’autres. En dehors du cœur, dans la chambre cardiaque, on voyait un assez grand nombre de corpuscules transparents, brillants comme des perles, de grosseur inégale, el qui mesuraient à peine 0,006 ou 0,007. D’autres cor- puscules, en tout semblables aux précédenis, se trouvaient dispersés dans le vitellus ; tous étaient parfaitement immobiles. Le même jour, six heures plus tard, le cœur était replié en forme d’anse, et offrait une cavité linéaire; les globules se dirigeaient avec beaucoup de lenteur vers cet organe. Le sixième jour, la première anse vasculaire est établie; deux courants reviennent au cœur. Le nombre des globules a augmenté, mais leurs dimensions sont à peu près les mêmes. Leur forme, tou- jours sphérique , est, dans quelques-uns, irrégulière et anguleuse; tous sont complétement incolores. Les globules, épars sur le vitel- lus, sont encore imisobiles, el ne semblent pas contenus dans des vaisseaux. Ce n’est que dans le voisinage da cœur qu'ils sont en mouvement, et se dirigent vers la cavilé de cet organe. Ce sont évidemment les mouvements du cœur qui ont donné la première impulsion aux globules, et ceux-ci nie paraissent s'être formés sur place, dans le liquide qui remplit la poche vitellaire, car jamais je n’en ai vu dans le corps de l'embryon lui-même avant l'établisse- ment de la circulation. Les globules, formés dans le vilellus, restent immobiles jusqu’à ce que le cœur les attire à lui par ses mouve- ments, pour les transmeltre au corps embryonnaire. IL est digne de remarque que la poche vitelline, dont le rôle est essentiellement, on peut même dire exclusivement nutritif, soit le VI. 6 82 point de départ des globules sanguins qui, eux aussi, jouent un rôle : important dans la nutrilion. Ayant besoin d'examiner les globules séparément, afin de pouvoir les mesurer avec exactitude, je coupai un œuf en travers. Les glo- bules étaient parfaitement sphériques, très-pâles, avec une légère teinte jaunâtre, réfractant faiblement la lumière. Les plus gros mre- suraient exactement 0,0078. Je crus apercevoir dans l’un d’eux un très-pelit noyau. Ces corpuscules se distinguaient très-bien des vési- cules graisseuses par leur teinte mate, faiblement colorée, et par leur contour très-peu ombré. Le septième jour, les globules sont très-nombreux ; ils couvrent toute la face droite du vitellus, tandis qu'on n’en voit pas du côté gauche. Tous accourent vers l'oreillette. Ils ant la même grosseur que la veille, mais j'en vois plusieurs qui sont aplatis. Malgré le uombre considérable de ces corpuscules, le sang est toujours incolore. Le dixième jour, les corpuscules avaient leur forme définitive, leurs dimensions et leur couleur. Ils mesurent 0*,0131 en longueur, sur 0,0104 en largeur. Quand on les regarde sur leur tranche, on distingue, mais difficilement, une légère saillie latérale, formée par le noyau. Celui-ci est mat, el n’a pas tout-à-fait la moitié de la lar- geur du corpuscule. TRUITE. — Les œufs de ce poisson n'étant pas transparents, comme le sont ceux du brochet, on est obligé de sortir Fembryon pour l’examiner, et comme cette opération entraîne nécessairement la mort du petit poisson, il n’esl pas possible d'observer sur un seul et même œuf l'accroissement des corpuscules sanguins. Cependant on peut, comme on va le voir, constater ces deux faits principaux, que les corpuscules s’agrandissent et qu’ils changent de forme. Dans un œuf âgé de vingt-hait jours, l'embryon avait des globu- les colorés en assez grand nombre pour donner au sang sa couleur rouge. Cependant ces globules élaient encore sphériques; leurs dimensions variaient de 0,008 à 0®,010 et inême à 0,013. Le trenlième jour, sur des œufs de la même fécondation, quel- ques corpuscules seulement étaient ellipliques; ils avaient 0,011 de longueur, sur 0%,005 de largeur. Le plus grand nombre étaient en- core sphériques ; le diamètre de ceux-ci variail de 0,008 à 0,011; ils étaient, pour la plupart, colorés. 83 Des œufs, appartenant à une autre fécondation, furent ouverts le vingt-deuxième jour. L’embryon avait des globules sanguins assez nombreux, inégaux, de forme irrégulière et d’une teinte mate; ils mesuraient de 0m,0065 à 0",0104. Le vingt-quatrième jour, ils remplissaient les gros vaisseaux du corps, mais élaient encore sphériques et incolores; ils n'avaient pas augmenté de volume. Le vingt-sixième jour seulement, j'en vois quelques-uns qui sont colorés; mais ils ont encore leur forme sphérique; ils mesurent assez uniformément 0,01. D’autres occupations m'ont empêché de suivre davantage l’évolu- tion de ces globules; mais j'ai examiné avec soin, el mesuré les corpuscules sanguins de plusieurs truites, assez longlemps après leur naissance. Sur des truites écloses depuis plus d’un mois, les corpuscules étaient, les uns elliptiques, les autres circulaires. Les premiers avaient, pour la plupart, 0",0158 dans leur plus grand diamètre, sur 0®,0131 de largeur. D’autres, plus effilés, mesuraient 0®,0184 sur 0»,0078; ces corpuscules, très-allongés, étaient en pelit nombre; d’autres enfin, plus gros que tous les autres, mesuraient exactement 0,02 sur 0",01. Mais, parmi ces corpuscules elliptiques, on en yoyait constamment un cerlain nombre qui étaient régulièrement circulaires, avec un diamètre de 0,015. Tous ces corpuscules avaient un noyau qui répélail la forme du corpuscule lui-même, ovoïde dans les uns, sphérique dans les autres, toujours plus clair que le resie de la cellule sanguine ; ce noyau mesurait en moyenne 0,004. Quand on examinail des corpuscules placés verticalement sur leur tranche, on voyait le noyau faire une légère saillie. Dans quelques poissons, le nombre des globules circulaires l’emportait de beaucoup sur celui des elliptiques, circonstance que j’attribue à un état maladif de ces pelits poissons tenus dans des auges alimentées par un courant d’eau peu rapide. En rapprochant les chiffres qui résultent de nos mesures, et en n'ayant égard qu'au plus grand diamètre, nous avons : Pour le brochet 0®,0060 Om,0078 0v,0131 84 Pour la truite 0 0065 0®,0104 (nm 0110 0®,0158 Il me semble ainsi prouvé jusqu’à l'évidence : 1° Que les corpuscules sanguins sont primitivement sphériques ; 2 Qu'ils sont d’abord très-petits ; 3° Qu'ils grossissent peu à peu, s’aplatissent et s’allongent ; 4 Que leur noyau n'apparaît que secondairement. On ne saurait donc, ici, regarder les globules sanguins comme dérivant des cellules embryonnaires, et leur mode de formation même ne ressemble pas au mode de formation des cellules propre- ment dites. Il est plus naturel de les envisager comme des produits qui se forment de toutes pièces dans le blastème général de l'em- bryon, et il est à remarquer, comme je l’ai déjà dit, qu'ils apparais- sent tout d'abord dans la vessie vitellaire, c’est-à-dire dans l'organe de nutrition du corps embryonnaire. LEREBOULLET , Professeur de zoologie et d'anatomie comparée et doyen de la Faculté des sciences de Strasbourg. F Blain. Del 8 Lith. lu T-it ELEPHAS MERIDIONALIS NOUVEAU GISEMENT Bien que les gisements d’éléphants fossiles soient désormais com- muns -en France, ils sont encore assez rares dans les départe- ments de l'Ouest pour qu'il soit bon de les signaler à mesure qu’on les rencontre. L'intérêt s'accroît encore depuis que l’on sait qu'avec les restes de ces grandes espèces perdues, peuvent se rencontrer les plus antiques débris de l'industrie humaine. 11 importe toutefois, à cet égard, de distinguer entre les espèces d’éléphants; Cuvier semble avoir réuni ceux qu’on connaissait jus- qu’à lui sous un seul nom spécifique, le Mammouth ou Elephas primigenius. Depuis, MM. Nesti, Goldfuss, Morren, Fischer, en ont distingué neuf ou dix espèces, et aujourd’hui, après les travaux de MM. Falconer (1) et Lartet (2), les paléontologistes en reconnaissent à peu près unanimement trois qui caractérisent chacune différents terrains diluviens. Ce.sont les Elephas primigenius, Cuv., antiquus, Falc., el meridio- nalis, Nesti. Les deux premiers occupent les terrains quaternaires, le dernier l'étage le plus élevé des terrains tertiaires, le pliocène ou subapennin. Celui-ci est le plus rare; et les sablonnières de Saint- (1) Fauna Sivalensis. (2) Bulletin de la Société géologique de France (mars 1859). 86 Prest, aux environs de Chartres, dans la vallée et sur la rive gau- che de l'Eure, seraient dans l'Ouest de la France, d’après M, Des- noyers, le seul gisement connu. Ce fait eût suffi pour nous engager à signaler à votre attention un gisement nouveau et plus rapproché de nous; mais nous y sommes plus porté encore par le désir d’éten- dre la base des recherches d’un autre ordre, car on sait aujourd’hui, d’après la belle découverte de M. Desnoyers, que l’homme, ce dont doutait encore sir Ch. Lyell en 1862 (1), que l'homme, disons-nous, a été contemporain de celte espèce tertiaire, puisqu'il a laissé sur ses ossement l'empreinte de ses haches, de ses coins, de ses grattoirs. Justifions d’abord notre détermination spécifique : Sr Ch. Lyell a rapproché la figure des molaires des trois espèces d'éléphants à la page 132 de son important ouvrage sur l'Antiquité de l'homme. Il résulte de la comparaison de ces trois types que la dent d’E. pri- migenius esl plus large en avant qu’en arrière, et que son diamètre transverse maximum est vers le 1/3 antérieur. Celle d’E. antiquus , assez régulièrement elliptique, est plus longue, et son diamètre transverse maximum se rencontre à peu près au milieu. La deni d'E. meridionalis, au contraire plus courte, est surtout plus large en arrière, et son plus grand diamètre transverse est vers le tiers postérieur. Les rubans minces, et à bords parallèles dans la première espèce, sont plus larges, el irrégulièrement elliptiques dans les deux autres: mais chez l'Elephas meridionalis, ils sont en outre plus anfractueux. Les mesures millimétriques démontrent ces caractères, et nous avons pris soin de faire dessiner les deux spécimens différents au- dessous de la lithographie de notre fragment de molaire inférieure. (Fig. 3). Ce fragment important a été trouvé à Chantonay (Vendée), loca- lité déjà célèbre par son fameux aérolithe. Il gisait dans un terrain diluvien formé de cailloux roulés et graviers, avec d'autres débris fossiles dont nous n'avons que trois segments de côte, ayant vrai- semblablement appartenu à une autre espèce, mais trop minimes pour donner lieu même à un essai d'attribution. Le lout nous a été communiqué par notre collègue M. Brossard de Corbigny, et fait parlie des matériaux qu’il accumule avec zèle (1) Voyez Antiquité des ruces humaines, p.132 et 137. 87 et savoir pour servir de base à une carte géologique de la Vendée. Nous n'avons trouvé sur aucun des échantillons examinés par nous avec soin, de ces cassures, stries, hachures qui révèlent la main de l’homme , et notre collègue n’a rien constaté sur les lieux qui puisse lui donner quelque probabilité à cet égard. Le champ d'exploration était d’ailleurs fort restreint, car c'est le forage d’un puits qui a amené ces débris au jour. Mais outre qu’il est curieux de reconnaître un fossile pliocène dans un lieu où cet étage n’a pas été signalé, on peut espérer que l'attention du savant ingénieur et celle des géologues du pays, éveillée aujourd’hui, trouvera tôt ou lard les traces d’un passé qui fait remonter le genre humain à une époque plus reculée que la période antédiluvienne, et antérieure au soulèvement qui a donné à notre continent européen sa forme actuelle, et aux Alpes leur dernier relief. D' FARGE. Dimensions relatives du fragment et de ses différentes parties. Longueur du fragment. . . . . . . (0,094 Hauteur totale en arrière . . . . . . 0,130" Hauteur totale en ayant . . . . . . 0,117" Largeur moyenne en arrière. . . . . 0,102" Largeur moyenne en avant . . . . . 0,108" Largeur moyenne des rubans . . . . 0,013" 1/2 Largeur des intervalles. , . , . . . 0,018" LA CIGALE ET LE HIBOU Mon foyer pétille, La pléiade brille De vives couleurs ; La bise glacée Peint sur ma croisée Feuillages et fleurs. Comme un vrai pole, Aimant la retraite Et content de peu, Le grillon qu'éveille La flamme vermeille Chante au coin du feu. Sa gaîté m’excile, Son refrain m'invite À chanter aussi. Rimons une fable ; Petit hôle aimable, Ecoute ceci : Dans le voisinage D'un sombre bocage, Une de tes sœurs, 89 Cigale innocente, De sa voix perçante Chantait sous les fleurs. Un hibou morose, Qui le jour repose Et veille la nuit, Dans la tige creuse D'un antique yeuse Avait son réduit. Or dès qu'il sommeille, L’autre le réveille Par son cri joyeux ; A celte importune Il garde rancune En attendant mieux. Enfin l’hypocrite Dit à la petite: « Que j'aime ta voix! Philomèle à peine, Aimable sirène, T'égale en nos hois. Mais sans être vue. Sous l’herbe touffue Pourquoi demeurer ? Viens sur cette cime, Chanteuse sublime, Te faire admirer. » Elle accourt joyeuse, Au tronc de l’yeuse Grimpe avec effort, Quand sur la pauvrette Le traître se jette Et la met à mort. 90 Ainsi dans la vie Trop souvent l'envie Ecoute nos chants; Eile nous caresse, Tandis qu’elle dresse Ses piéges méchants. De ceci, J'espère, Grillon, mon compère, Nous ferons profil : Insecte el poèle, Aimons la reliraile Que le ciel nous fit. L.-A. BouRGuIn. CATALOGUE DES COLEOPTÈRES DE L'ANJOU TROUVÉS PAR MM. H. DE LA PERRAUDIÈRE ET F. DE ROMANS. Messieurs, Ayant été amené par le souvenir d’une amitié toute fraternelle, à classer et à nommer les coléoptères de la collection de notre col- lègue , M. Henri de la Perraudière, j'ai cru qu'il était nécessaire de faire part à notre Société des recherches faites par cet ami si regretlé. Je n’ai pas la prélention de vous soumetire une nomenclature complète des coléoplères du département ; loin de là ma pensée. puisque tous les jours des découvertes nouvelles sont faites: Mais l’Anjou, par la variété de son sol, ses forêts , ses plaines, ses prai- ries, ses marais, ses rivières, ses étangs, fournit tellement à la science des ressources entomologiques, que j'ai pensé qu'il serait peut-être utile de vous communiquer mes observations. Ce travail sera d'autant plus complet, que j'ai pu me procurer la collection de M. l'abbé Rochard, encore un de nos collègues que la mort nous a enlevé. Au lieu d’un catalogue aride et monotone, effrayant assemblage de noms et de mots, j'ai préféré, tout en suivant la dernière classi- 92 fication qui ait paru, indiquer l’époque où les recherches seront les plus fructueuses, signaler les lieux où l’entomologisie sera assuré d’un ample butin. Ayant fait tous mes efforts pour faire une œuvre consciencieuse , je serai heureux si je puis être utile, et jeter quelques éclaircisse- ments sur cette partie si variée de l’histoire naturelle. F. DE ROMANS. Membre de la Société entomologique de France. FAMILLE DES CICINDELIDES Jacoueuix pu VAL. GROUPE 2. — CICINDÉLITES. GENRE CICINDELA Linné. Campestris Linné. Au vol ou courant dans les chemins. Printemps, été. GC. (1): Hybrida Linnée. Au vol ou courant dans les champs après les mois- sons. R. FAMILLE DES CARABIDES Jacoueuin pu Va. « Les carabides sont extrêmement nombreux et répandus partout ; ce sont des insectes terrestres, vivant de proie et recherchant le plus ordinairement la fraîcheur et l'humidité; on les trouve sous les pierres, les mousses, les écorces, parfois dans la terre, etc. Ils sont en général très-agiles à la course. Quelques -uns lancent par l'anus, (4), ABRÉVIATIONS : C. Commun; CG. très-commun; R. rare; RR. trés-rare. 93 lorsqu'on les inquiète, des liqueurs irritantes ou des vapeurs caus- tiques, et presque tous exhalent une odeur plus ou moins péné- trante. » Jacquelin du Val. PREMIÈRE DIVISION. GROUPE 1. —: OMOPHRONITES. GENRE OMOPHRON Latreille. Limbatum Fabricius. Au bord des eaux courantes dans le sable, bords de la Loire. R. GROUPE 2. — ELAPHRITES. GENRE NOTIOPHILUS Duméril. Semipunctatus Fabricius. Sous les pierres dans les endroits humides l'été, ou sous les feuilles; octobre. Marligné, Lué. C. Rufipes Curtis. Aux mèmes endroils que le précédent. C. Quadripunctatus Dejean. Aux mêmes endroits el époques que les précédents. C. Aquaticus Linné. Sous les las d'herbes dans les champs, au priu- temps. R. Saumur. GENRE ELAPHRUS Fabricius. Uliginosus Fabricius. Au bord des marais sous les herbes. Printemps, été. Baumette. R. Cupreus Dejcan. Aux mêmes endroits et époques que le précédent. Martigné. C. Riparius Linné. Au bord des eaux courantes, sur les herbes ou le rivage. Et. C. Aureus Muller. Aux mêmes endroils el époques que le précédent. Ile de Blaison. R. 4 GENRE BLETHISA Bonelli. Multipunctata Linné. Dans les endroits marécageux, sous la croute de la vase des mares ou des fossés desséchés. Martigné. RR. Elé. 94 GROUPE 3. — CARABITES. GENRE NEBRIA Latreille. Brevicollis Fabricius. Au bord de l’eau, sous les pierres, sous les détritus. Été. CC. GENRE LEISTUS Froblich. Spinibarbis Fabricius. Sous les pierres des endroits humides, dans les bois, sous les écorces décomposées ; d'octobre à mars. CC. Ferrugineus Linné. Sous les pierres des endroits humides. Été. Vezins. R. GENRE CALOSOMA Weber. Sycophanta Linné. Sur les chênes faisant la chasse aux chenilles processionnaires; mai, juin, juillet. Martigné, Vezins, bois d’Avrillé. Inquisitor Linné. Sur les chênes, dans les vieilles souches de hêtre ; juin. Combrée. R. Indagator Fabricius. Dans les prés tourbeux. Été. Beaufort. RR. GENRE CARABUS Linné. Catenulatus Fabricius. Sous les pierres. Avril. Sous les fagols dans les bois. Novembre. Sous la mousse, au pied des arbres. Été. CC. Purpurascens Fabricius. Un peu partout, de septembre à mai. CC. Convexus Fabricius. Sous les pierres, sous la mousse des arbres, dans les'boisi; août. R. Nemoralis Illiger. Sous la mousse, au pied des arbres, l'hiver dans les chemins. Été. C, Hortensis Linné. Aux mêmes époques et endroits que le précédent. Martigné R. \ Monilis Fabricius. Sous les pierres, au bord de l’eau, ou lesoir contre le tronc des saules ; mai, juin. Martigné. C. Cancellatus Illiger. Sous la mousse des arbres, des forêts, l'hiver. Vezins. R. Granulatus Linné. Sous les écorces, el dans les saules creux ; sep- tembre à mars. Combrée. R. Auratus Linné. Uu peu partout ; mai à août. CC, 95 Intricatus Linné. Sous la mousse des chênes, dans les forêts; sep- tembre à avril. Combrée. RR. GENRE PROCUSTES Bonelli. Coriaceus Linné. Sous les pierres, les mousses ou les tas de fagots ; seplembre à mars. Fline, Vezins, Lué. CC. GROUPE 4. — CYCHRITES. GENRE CYCHRUS Fabricius. Rostratus Linné. Sous la mousse des arbres, forêt de Combrée. Hiver. RR. DEUXIÈME DIVISION. GROUPE 5. — CHLÆNITES. GENRE PANAGZÆUS Latreille. Crux-Major Linné. Au printemps, sous les pierres, dans les prés, les lieux humides et au bord des eaux. Rives du Layon. R. Quadripustulatus. Dans les lieux sablonneux, sous la mousse et les feuilles dans les ‘bois. Fline. RR. GENRE LORICERA Laireille. Pilicornis Fabricius. Au bord des rivières, dans les endroits maré- cageux, l'été. Sous la mousse des arbres et les pierres. Forêt de Vezins. CC. GENRE LICINUS Latreille. Agricola Olivier. Sous les pierres des coteaux arides de Saint-Martin à Martigné-Briand ; septembre et octobre. R. Silphoïdes Fabricius. Aux mêmes endroits et époques que le précé- dent. C. GENRE BADISTER Clairville. Bipustulatus Fabricius. Sous ies pierres, les détritus, l'hiver; dans les chemins, l'été. Fline. C. 96 Humeralis Bonelli. Trouvé une fois dans un saule creux au mois de décembre, à Martigné. GENRE OODES Bonelli. Gracialor Fairmaire. M’a été remis par M. Aimé de Soland comme venant de Saumur. GENRE CHLÆNIUS Bonelli. Velutinus Duft. Sous les détritus des végétaux, au bord des mares ; août. Martigné. R. Vestitus Fabricius. Sous les détritus des végélaux, au bord des mares, . dans les lieux humides. Été. Martigné. CC. Schrankii Dufi. Aux mêmes endroits ei époques que le précédent. C. Nigricornis Fabricius. Aux mêmes endroils el époques que le précé- dent avec la variété Melanocornis. CC. Tibialis Dejean. Aux mêmes endroits et époques que le précédent. R. GENRE CALLISTUS. Lunatus Fabricius. Sous les pierres, les détritus des végélaux, l'été; dans les terrains secs ei calcaires, l'hiver. Martigné. R. GROUPE 6. — BEMBIDIITES. GENRE BEMBIDIUM Latreille. Flavipes Linné. Dans la mousse humidedes arbres, l'hiver ; près des mares, l'été. CC. Paludosum Panzer. Sur les bords des rivières, dans les endroits bien exposés au soleil. Été. Martigné. R. Argenteolum Jacquelin du Val. Un seul exemplaire pris par M. l'abbé Rochard. Impressum lIlliger. Sous la mousse et l'écorce des arbres, l'hiver. Martigné. C. Striatum Latreille. Aux mêmes endroils et époques que le précé- deni. R. Lampros Herbst. Sous la mousse de presque tous les arbres, l'hiver ; dans les chemins et sous les pierres, l'été. CC. Sturmii Panzer. Au bord des fossés d’eau courante, l'élé. Martigné. R. PAS À: 97 Articulatum Panzer. Dans les fossés desséchés, au bord des mares, l'été ; dans les saules creux, l'hiver. CC. Quadriguttatum Fabricius. Dans une mare desséchée, à Martigné ; août. R. Callosum Kust. Trouvé deux individus avec le précédent. RR. Quadripustulatum Dejean. Dans les mares desséchées, l’été; dans les saules creux, l'hiver. Tout l’Anjou. CC. Quadrimaculatum Linué. Aux mêmes endroits et époques que le précédent. C. Rufipes Duft. Sous les feuilles, dans les bois, l'hiver; dans les che- mins, l'été, Marligné, Vezins. R. Nitidulum Marsh. Sous les feuilles, l'hiver ; dans les chemins, l'été. Martigné. R. Decorum Panzer. Mêmes endroits et époques que le précédent. C. Ustulatum Linné. Sous les écorces et les feuilles, l'hiver; au bord des rivières, des ruisseaux et des mares, l'été. Partout. CC. Obliquum Sturm. Au grand soleil, sur la vase humide. Lué. RR. Varium Olivier. Sous la mousse et l’écorce des arbres, l'hiver; au bord de l’eau, l'été. Martigné. C. Flammulatum Clairville. Aux mêmes endroits et époques que le précédent. C. Fumigatum Duftschmidt. A été trouvé une seule fois par H. de la Perraudière. Assimile Gyllenhal. Je l'ai trouvé dans lesépavesde la Loire, à Blaison. Biguttatum Fabricius. Dans les épaves des débordements du Layon. Au printemps, dans les fossés desséchés. La Baumette. Martigné. C. Guttula Fabricius. Sous l’écorce des peupliers, l'hiver; au bord de l'eau, l'été. La Baumette. R. Obtusum Sturm. Aux mêmes endroits et époques que le précédent. Martigné. R. Quinquestriatum Gyllenhal. Dans les détritus des végétaux. Marti- gné. R. Rufescens Guérin. Sous l’écorce et la mousse des saules, au mois de mars. M. l'abbé Rochard, à Beaufort. Parvulum Dejean. Indiqué en Anjou par le catalogue de Mme de Buzelet. Bistriatum Duftschmidt. Trouvé sous les écorces, l'hiver, à Marli- gné. R. VI. | 1 98 GROUPE 7. — POGONITES. GENRE TRECHUS Clairville. Minutus Fabricius. Sous les pierres, le long des rivières, dans les mares desséchées. Toute l’année. Martigné. C. Areolatus Creulzer. Sous les pierres, au bord des eaux courantes, l'été ; dans le sable, l'hiver. Bords de la Loire. Saumur. R. GENRE PATROBUS Dejean. Excavatus Paykull. Sous les écorces, l'hiver; sous les pierres, au bord des rivières, l'été. Ile de Blaison. R. GROUPE 8. — FERONITES. GENRE ANCHOMENUS Bonelli. Longiventris Dejean. Trouvé à Saumur, par MM. Courtiller et Lam- bert. Junceus Scopoli ou Assimilis. Paykull. Dans les bois, sous les pierres, la mousse, l'hiver; au bord des eaux, l'été, Martigné..C. Livens Gyll. Dans les bois humides, sous les feuilles mortes, l’hiver ; dans les débordements, au printemps. Forêt de Vezins. R. Dorsalis Müller. Aux mêmes endroits et époques que le précédent. C. Pallipes Fabricius. Dans les saules creux, l'hiver; sous les pierres au bord de l’eau, l’élé. Martigné. C. Oblongus Fabricius. Sous les détritus des végétaux, au bord de l’eau. Martigné. R. Marginatus Linné. Commun au bord de l’eau. Martigné. CC. Austriacus Fabricius. Sous la mousse, au pied des saules ; décembre. Marligné. RR. Modestus Sturm. Aux mêmes endroits et époques que le précédent. Sexpunctatus Fabricius. Commun dans les endroits humides, dans tout l’Anjou. CC. Parumpunctatus Fabricius. Commun au bord de l’eau. C. Viduus Panzer. Trouvé une fois sous la mousse d’un saule. Été, à Martigné. R. 99 Atratus Dufischmidt. Trouvé au pied des roseaux, bords du Layon. Été. Martigné. R. Micans Nicolas. Sous la mousse dans un marécage : août. Vezins. R. Puellus Dejean. Trouvé par M. Akermann , à Saumur. GENRE OLISTHOPUS Dejean. Rotundatus Paykull. Sous les pierres, dans les endroils humides. Été. Vezins. C. Fuscatus Dejean. Catalogue de Mme de Buzelet. GENRE TAPHRIA Bonelli. Nivalis Panzer. Catalogue de Mme de Buzelet. GENRE CALATHUS Bonelli. Latus Linné. Sous les pierres, dans les endroits sablonneux. Toute l’année. CC. Fulvipes Gyllenhal. Sous les pierres dans les endroits sablonneux. Toute l’année. Martigné-Briand. C. Piceus Marsham. Sous les feuilles des bois secs, l'hiver: sous les pierres, l'été. Martigné, Vezins. C. Mollis Marsham. Catalogue de M: de Buzelet. Melanocephalus Linné. Sous les pierres dans Jes endroits secs et sablonneux. Toute l’année. Martigné-Briand. CC. GENRE PRISTONYCHUS Dejean. Terricola Herbst. Dans les caves humides, sous les bois pourris. Toute l’année. CC. GENRE SPHODRUS Clairville. Leucophtalmus Linné. Dans les endroits humides et autres, les caves, les celliers. Toute l’année. CC. GENRE FERONIA Latreille. Cuprea Linné. Très-commun partout. Dimidiata Olivier. Sous les pierres, l'été; sous la mousse des arbres, ‘hiver. Tout l’Anjou. C. 100 Lepida Fabricius. Sous les pierres ou les tas d'herbes, dans les jardins. Martigné. R. Crenata Duftschmidt. Au bord de l’eau, l'été; dans les saules creux, l'hiver. Marligné, Vezins. R. Ovoidea Slurm. Sous la mousse des arbres, l'hiver. Beaufort. R. Ruficollis Marsham. Trouvé une fois à Marligné, sous les feuilles. Avril. Melanaria Illiger. Sous les pierres dans les endroits humides, l'été; sous les tas d'herbes, au printemps; sous la mousse, l'hiver. CC. Nigrita Fabricius. Aux mêmes endroits et époques que le précé- dent. C. Anthracina Illiger. Sous les pierres, au bord de l’eau. Eté. Marti- gné. C. Aterrima Fabricius. Trouvé une fois dans une mare desséchée, sous des herbes. Martigné. Madida Fabricius. Sous la mousse des arbres, l'hiver; sous les pier- res, dans les chemins, l’été. Tout l'Anjou. C. Æthiops Illiger. Trouvé deux fois avec le précédent. RR. Picimana Creutzer. Trouvé à l’île de Blaison, au mois de mars, dans les épaves. Oblongopunctata Fabricius. Sous la mousse des arbres, l'hiver. Martigné. C. Nigra Fabricius. Trouvé à Combrée par M. l’abbé Rochard. RR. Striola Fabricius. Sous les feuilles dans les bois humides. Paraît dès le premier printemps. CC. Ovalis Duftschmidt. Mêmes mœurs que le précédent. CC. Parallela Duftschmidt. Mêmes mœurs que les précédents. C. Terricola Fabricius. Catalogue de Mr: de Buzelet. GENRE AMARA Bonelli. Livida Fabricius. Trouvé une fois dans une vieille sablière. Mar- tigné. Eté. Striatopunctata Dejean. Trouvé une fois sous une pierre. Martigné. Été. Rufipes Dejean. Trouvé avec le précédent. Strenua Zimmermann. Trouvé comme les précédents. Plebeja Gyllenhall. Dans les chemins et les sentiers ou au vol. Marligné. Eté. R. sy RL 101 Similata Gyllenhall. Sous les pierres, dans les chemins un peu humides, l'été. Marligné, Beaufort. C. Acuminata Paykull. Avec le précédent. R. Trivialis Gyllenhall. Tout l'Anjou. Paraît dès le premier printemps, sous les pierres dans les endroils secs et sablonneux. CC. Spreta Dejean. Sous les pierres, dans les endroits sablonneux. Eté. Martigné, Lué. R. Contrusa Schiodt. Sous les pierres, dans les sables, près Saumur. Eté. R. Curta Dejean. Avec la précédente. R. Communis Gyllenhall. Dans tout l’Anjou. Sous les pierres, dans les chemins ; d'avril à septembre. CC. Familiaris Duftschmidt. Sous la mousse dans les bois, l'hiver; dans les chemins, l'été. Martigné, Vezins, Combrée. C. Consularis Duftschmidt. Avec le précédent. C. Apricaria Fabricius. Avec les précédents. Fulva de Geer. Sous les pierres, dans les endroits secs el sablonneux, l'été. Marligné. C. Spinipes. Linné. Sous les pierres, dans le sable, l'été. Martigné. R. Eximia Dejean. Trouvé une fois dans un chemin, l'été. Martigné. GENRE ZABRUS Clairville. Curtus Dejean. Dans les bois, endroits sablonneux, par M. l'abbé Rochard. R. Gibbus Fabricius. Commun l'été, sous les pierres, dans les terrains calcaires, au moment de la moisson, le long des tiges de blé. GROUPE 9. — HARPALITES. GENRE ACINOPUS Dejean. Tenebrionides Duftschmidt. Anjou. Catalogue de M° de Buzelet. Megacephalus Rossi. Dans les terrains calcaires, sous les pierres» l'été. Martigné-Briand, Montreuil-Bellay. C. GENRE BRADYCELLUS Erichson. Fulvus Marsham. Sous la mousse des arbres, endroits humides, l'hiver ; sous les pierres, l’été. Tout l'Anjou. CC. 102 GENRE AMBLYSTOMUS Erichson. Metallescens Dejean. Trouvé à Saumur par M. Courtiller. GENRE STENOLOPHUS Dejean. Vaporarium Fabricius. Commun dans tout l’Anjou. Sous les pierres, dans les chemins, au vol. Printemps, été. Discophorus Fischer. Pris une fois à Vezins, sous une pierre. Eté. RR. Elegans Dejean. Trouvé à Saumur par M. Courtiller. Vespertinus lIlliger. Près des marais, sous les pierres, l'été. Martigné. C. GENRE ACUPALPUS Latreille. Dorsalis Gyllenhall. Au bord des eaux, sur les herbes et les jones, l'été. Martigné. C. Brunnipes Sturm. Avec le précédent. R. Meridianus Linné. Dans les fossés et les endroits humides. Tout l’'Anjou. Toute l’année. CC. Exiguus Dejean. Sous la mousse humide, l'hiver ; au bord de l’eau, l'été. Vezins. C. GENRE HARPALUS Latreille. Columbinus Germar. Commun dans l’Anjou , au printemps et l'été. Sous les pierres et dans la terre. Sabulicola Panzer. Avec le précédent. C. Rotundicollis Fairmaire. Trouvé par M. Courtiller. Azureus Vabricius. Sous les pierres, endroits humides. Eté. Mar- tigné. C. Meridionalis Dejean. Sous les pierres des endroits calcaires. Eté. Martigné. R. Cordatus Duflschmidl. Pris une fois avec le précédent. Rupicola Siurm. Sous les pierres des endroits calcaires. Eté. Mar- tigné. CC. Puncticollis Paykull. Avec le précédent. C. Maculicornis Dejean. Sous les pierres , au printemps. Martigné. C. Ruficornis Fabricius. Aux mêmes endroits que le précédent. CC. 103 Griseus Panzer. Aux mêmes endroits et époques que le précédent. C. Æneus Fabricius. Avec le précédent, toute l’année. CC. Distinguendus Dufischmidt. Avec le précédent. Moins commun. Gupreus Dejean. Trouvé une fois dans une sablière. Eté. Marligné. Honestus Dufi. Sous les pierres dans les champs. Juin. Martigné. C. Attenuatus Stephens. Trouvé à Saumur par M. Courtiller. Neglectus Dejean. Trouvé une fois sous une pierre. Juin. Martigné. Punctatostriatus Dejean. Dans tout l’Anjou, l'été, sous les pierres. C. Calceatus Duftschmidt. Dans tout l’Anjou. Toute l’année, sous les pierres, les bois couchés, souvent le soir dans les appartements, attiré par la lumière. Ferrugineus Fabricius. Trouvé deux fois sous des pierres à Mar- tigné. RR. Ë Hottentota Duftschmidt. Sous les pierres, endroits calcaires. Mar- _ tigné. R. Fulvipes Fabricius. Sous les pierres, la mousse. Eté. C. Maxillosus Dejean. Trouvé une fois avec le précédent. Mai. Mar- tigné. RR. Luteicornis Duftschmidt. Aux mêmes endroits et époques que les précédents. C. Rubripes Duftschmidt. Sous la mousse le long des haies et des fossés, sous les pierres. Eté. Martigné. R. Semiviolaceus Dejean. Sous les pierres. Mars, avril. Martigné. C. Melancholicus Dejean. Sous les pierres. Combrée. M. l'abbé Rochard. R. Tardus Panzer. Sous les pierres, l'hiver; dans les endroits secs, l'été, surtout dans les moments d'orage. C. Serripes Duftschmidt. Dans tout l’Anjou, partout et toute l’an- née. (C. Anxius Duftschmidt. Avec le précédent, moins commun. Servus Duftschmidt. Aux mêmes endroits que les précédents; été. C. Flavitarsis Dejean. Sous les pierres, endroils sablonneux, l'été. C. Picipennis Duftschmidt. Aux mêmes endroits et époques que le précédent. R. GENRE DIACHROMUS Erichson. Germanus Fabricius. Pris souvent au vol dans les chemins, le long des jones, l'été; sous les pierres, au printemps. Martigné. C. 104 GENRE GYNANDROMOURPHUS Dejean. Etruscus Dejean. Commun parlout. GENRE ANISODACTYLUS. Dejean. Signatus Illiger. A été pris une fois par M. Henri de la Perraudière, sous une pierre, à Lué. Août Binotatus Fabricius, et la variété Spurcaticornis Dejean. Sous la mousse des arbres, l'hiver ; au bord de l’eau, l’été. CC. GROUPE 10. — BROSCITES. GENRE STOMIS Clairville. Pumicatus Panzer. Tout l'Anjou et toute l’année. Sous les pierres, les débris de végétaux, dans les endroits frais, au bord des fleuves. Ordinairement en petites sociétés. GENRE BROSCUS Panzer. Cephalotes Linné. Dans les champs et les endroits sablonneux, sous les pierres et dans le sable. Elé. Martigné, Lué. C. GROUPE 11. — SCARITITES. GENRE SCARITES Fabricius. GENRE D'YSCHIRIUS Bonelli. Globosus Herbst. Sous la mousse et l'écorce des arbres, l'hiver; au bord de l’eau, l'été. Marligné, Beaufort. C. Politus Dejean. Aux mêmes endroits et époques que le précédent. R. Nitidus Dejean. Trouvé à Blaison après une crue de la Loire. Juin. R. GENRE CLIVINA Latreille. Fossor Linné. Sous les pierres au bord de l’eau, l’été. Martigné, Beaufort. C. GROUPE 13. — DITOMITES. GENRE CARTERUS Dejean. Fulvipes Latreille. Cataiogue de Mre de Buzelet. a ee Cote 105 GENRE DITOMUS Bonelii. Calydonius Fabricius. Dans les endroits sablonneux, dans des trous. Martigné. R. GENRE ARISTUS Latreille. Sulcatus Fabricius. Sous les pierres, endroits sablonneux. Mar- tigné. R. GROUPE 16. — LEBIITES. GENRE ODACANTHA Paykull. Melanura Linné. Trouvé une fois sous des roseaux desséchés. Vezins, Avril. GENRE DRYPTA Fabricius. Emarginata Fabricius. Au pied des haies, mars; sous les tas d’her- bes sèches, novembre. CC. GENRE POLYSTICHUS Bonelli. Fasciolatus Olivier. Commun au printemps, sous les détritus des inondations, vivant en sociétés. GENRE CYMINDIS Latreille. Homagrica Duft. Sous les pierres, terrains calcaires, l'été. Mar- tigné. R. Humeralis Fabricius. Catalogue de Me de Buzelet. Miliaris Fabricius. Sous les pierres dans les terrains calcaires, l'été. Martigné. R. GENRE DEMETRIAS Bonelli. Atricapillus Linné. Sous les pierres, au pied des haies, mars; sous la mousse des arbres à fruits, l'hiver. Martigné. C. GENRE DROMIUS Bonelli. Linearis Olivier. Commun sous la mousse au pied des arbres, l'hiver. Agilis Fabricius. Aux mêmes endroils el époques que le précédent. C. 106 Quadrimaculatus Linné. Avec le précédent, C. Quadrisignatus Dejean. Sous la mousse et les écorces, l'hiver. C. Quadrinotatus Panzer. Avec le précédent. C. Sigma Rossi. Sous la mousse des arbres à fruits, l’hiver. Marligné. R. Melanocephalus Dejean. Aux mêmes endroits et époques que le précédent. R. Obscuroguttatus Duftschmidt. Comme les précédents. C. Punctatellus Duftschmidt. Idem. C. Glabratus Duftschmidt. Idem. C. GENRE LEBIA Latreille. Fulvicollis Fabricius. Sous les pierres. Beaufort. RR. Cyanocephala Linné. Sous les écorces ou les mousses, l'hiver. Martigné. C. Chlorocephala Ent. Herbst. Sous les pierres, l'hiver; en fauchant sur les genêts, l'été. Vezins, Martigné. C. GENRE MASOREUS Dejean. Wetterhalii Gyllenhall. Saumur. M. P. Lambert. GENRE BRACHINUS Weber. Crepitans Linné. Sous les pierres dans les endroits humides. Toute l’année. CC. Explodens Duft. Aux mêmes endroits et époques que le précédent. CC. Glabratus Dejean. Comme les précédents. Plus rare. Psophia Dejean. Comme le précédent. R. Sclopeta Fabricius. Dans les endroits humides. Au printemps. C. FAMILLE DES DYTISCIDES Jacqueun pu Var. Cette famille n’habitant que les eaux stagnantes, j'indiquerai seulement les époques et les endroits où ils ont été trouvés. Voici en quels termes MM. Laboulbène et Fairmaire s'expriment sur cette curieuse famille : « Insectes carnassiers, exclusivement aquatiques, de fortne ovalaire, peu convexe, répandant, quand on les saisit, un 107 liquide laileux et d’une odeur fétide qui sort par les articulations de la tête et du corselet. Ils vivent de préférence dans les eaux slag- nantes; quand ils veulent respirer, ils s'élèvent à la surface de l’eau, émergent la partie postérieure. de leur corps, el soulèvent un peu l'extrémité de leurs élytres pour faire pénétrer une cerlaine provi- sion d'air par la paire de stigmates qui existe sur le dernier segment abdominal, exception unique parmi les coléopières. » GROUPE 1. — HALIPLITES. GENRE HALIPLUS Latreille. Elevatus Panzer. Catalogue de Mr:° de Buzelei. Obliquus Gyllenhal. Eté. À Martigné. R. Fulvus Fabricius. Et sa variété Ferrugineus Gyllenhal. Juin. Mar- tigné. C. Guttatus Aubé. Eté. Martigné. R. Variegatus Sturm. À Beaufort, par M. l'abbé Rochard. Ruficollis de Geer. Tout l'Anjou. Eté. C. Lineatocollis Marsham. Tout l'Anjou. Au printemps. CC. GENRE CNEMIDOTUS llliger. Cæsus Aubé. Tout l’Anjou. Eté. C. Rotundatus Aubé. Eté. À Martigné. R. GROUPE 2. — PÉLOBITES. GENRE PELOBIUS Schonher. Hermanni Fabricius. Avril, mai, juin, juillet. Martigné. C. GROUPE 3. — HYDROPORITES. GENRE HYPHYDRUS lIlliger. Qvatus Linné. Tout l’Anjou. Eté. C. Variegatus Aubé. Eté. Beaufort, Martigné. R. GENRE HYDROPORUS Clairville. Inæqualis Fabricius. Tout l’Anjou. Eté. C. 108 Reticulatus Fabricius. Idem. Geminus Fabricius. Au printemps et à l'automne. Martigné. C. Unistriatus Illiger. Au printemps et à l’aulomne. Beaufort, Mar- tigné. C. Duodecimpustulatus Fabricius. Mai, juin, juillet, aoûl. Beaufort. Martigné. R. Elegans Illiger. Pris au mois d’août, à Beaufort. R. Halensis Fabricius. Pris à Martigné. Août. C. Canaliculatus Aubé. Saumur. M. Akermann. Picipes Fabricius. Toute l’année. Tout l’Anjou. CC. Confluens Fabricius. Catalogue de M*° de Buzelet. Dorsalis Fabricius. Eté. Beaufort, Martigné. R. Palustris Linné. D’avril à juillet. Tout l’Anjou. CC. Erythrocephalus Linné. Au printemps. Martigné. R. Planus Fabricius. Au printemps et à l'été. Tout l’Anjou. CC. Pubescens Gyllenhal. Au printemps et à l'été. Tout l’Anjou. C. Vittula Erichson. Trouvé au mois de juillet à Martigné. R. Marginatus Duftschmidt. Trouvé avec le précédent. R. Xanthopus Stephens. Pris l'été. Martigné, Beaufort. R. Mennonius Nicolas. Saumur. M: Akermann. Nigrita Gyllenhall. Eté. Beaufort. R. Angustatus Sturm. Au printemps. Martigné. R. Obscurus Slurm. Au printemps, Beaufort. C. Lineatus Olivier. Aux mêmes époques et endroits que le précédent. R. Flavipes Olivier. Mai, juin. Anjou. C. Granularis Linné. Mai, juin. Beaufort, Martigné. R. Varius Aubé. Catalogue de Mr: de Buzelet. Pictus Fabricius. Trouvé une fois à Martigné. Septembre. Lepidus Olivier. Eté. Martigné, Beaufort. C. GROUPE 4. — COLYMBETITES. GENRE NOTERUS Clairville. Crassicornis Fabricius. Juillet, août, septembre. Tout l’Anjou. C. Sparsus Marsham. Eté. Tout l’Anjou. C. GENRE LACCOPHILUS Leach. Hyalinus de Geer. Au printemps et l'été. Toul l’Anjou. C. 109 Minutus Linné. Eté. Martigné. R. Testaceus Aubé. Trouvé une fois, l'été, à Beaufort. Variegatus Germar. Avec les précédents, mais bien plus rare. GENRE AGABUS Leach. Agilis Fabricius. Au printemps. Angers, Martigné. C. Fuscipennis Paykull. Au printemps, à Beaufort. M. l'abbé Rochard. Uliginosus Fabricius. Trouvé par M. l'abbé Rochard. Femoralis Paykull. Id. Sturmii Gyllenhal. Au printemps. Tout l’Anjou. C. Chalconotus Panzer. Au printemps. Beaufort, Martigné. R. Maculatus Linné. Au printemps. Tout l’Anjou. CC. Abbreviatus Fabricius. Au mois de septembre. Beaufort, Martigné. R. Didymus Olivier. Avril, mai. CC. Brunneus Fabricius. Mai et l'été. Martigné. C. Paludosus Fabricius. Avril et mai. Martigné. KR. Bipunctatus Fabricius. Comme le précédent. R. Guttatus Paykull. Trouvé par M. l'abbé Rochard. Dilatatus Brullé. Mai, juin. Tout l’Anjou. C. Biguttatus Olivier. Mai, juin. Tout l'Anjou. C. Bipustulatus Linné, Au printemps et à l'automne. Tout l’Anjou. CC. GENRE ILYBIUS Erichson. Ater de Geer. Mai, juin, juillet. Tout l’Anjou. C. Obscurus Marsham. Aux mêmes époques et endroits que le précédent. Fenestratus Fabricius. Trouvé au mois de juillet. Martigné. R. Fuliginosus Fabricius. Au printemps, l'été, l'automne. CC. Meridionalis Fabricius. Trouvé à Beaufort par M. l’abbé Rochard. GENRE COLYMBETES Clairville. Fuscus Linné. L'automne et le printemps. Anjou. CC. Pulverosus Sturm. Trouvé au mois de mai par M. H. de la Perraudière. Notatus Fabricius. Trouvé en juin par M. l’abbé Rochard. Collaris Paykull. Au printemps. Martigné, Beaufort. R. Bistriatus Bergs. D’avril à juillet et l'automne. C. Adspersus Fabricius. Juin. A Beaufort. R. Grapii Gyllenhall. Juin. A Beaufort. R. 110 GROUPE 5. — DYTISCIDES. GENRE HYDATICUS Leach. Transversalis Fabricius. L'été. Toui l’Anjou. C. Hybneri Fabricius. Avec le précédent. C. Cinereus Fabricius. L'été. Martigné, Beaufort. R. GENRE ACILIUS Leach. Sulcatus Fabricius. Au printemps. Tout l'Anjou. C. ( GENRE EUNECTES Erichson. Sticticus Linné. Trouvé à Lué par M. H. de la Perraudière. GENRE DYTISCUS Linné. Circumflexus Abrs. Au printemps, l'automne. Tout l’Anjou. C. Marginalis Linné. Avec le précédent. CC. Dimidiatus Bergst. Idem. CC. Punctulatus Fabricius. Avec les précédents, mais plus rare. GENRE CYBISTER Curlis. Rœseli Fabricius. Au printemps, l'été, l'automne. C. FAMILLE DES GYRINIDES Jacoueun pu Var. « Insectes de petite laille, très-brillants, remarquables par les évolutions qu'ils exéculent à la surface des eaux, avéc-une grande rapidité, et qui leur ont fait donner le nom de Tourniquets. Ils sont carnassiers, et répandent à l'extrémité du corps, quand on les saisit. une humeur désagréable ei pénétrante. » Fairmaire et Laboulbène. GENRE GYRINUS Geoffroy. Striatus Fabricius. Pris à Beaufort par M. l'abbé Rochard. Natator Linné. Dans toutes les mares en Anjou; d'avril à juillet. CC. Bicolor Paykull. Dans les mares; d'avril à juillet. Martigné. R. Marinus Gyllenhal. Avec le Natalor, mais plus rare. Minutus Fabricius. Au premier printemps. Martigné.R. NOTE SUR UN SEMIS NATUREL DE PINUS STROBUS SUR LE SALIX CAPRÆA. On observe tous les jours sur les branches et les tiges des arbres dont le bois est en décomposition, une matière terreuse dans laquelle on voit souvent se développer d’autres arbres d'essence et d'espèce différente, mais qui n’ont aucun rapport avec le fait que je vais citer. En 1851, une graine de Pin du Nord (Pinus Strobus) transportée par le vent, s’est fixée naturellement sur l'aire d’une coupe fraîche faite par la suppression d’une branche de 16 centimètres de tour, sur la tige d’un saule marceau (Salix Capræa), planté à Harcourt, dans le bois garenne (Vente Borel) sur le bord du fossé qui sépare la propriété de la Plaine de la Haïe de Calleville, Cette graine a germé en 1852, entre l'écorce verte et le bois de saule, à 1 mètre 35 centi- mètres du sol; elle s’y était si bien fixée, qu’elle avait développé ses cotylédons en 1853, el au mois d'avril 1854, c’élait un petit arbre qui atteignait sa troisième pousse et dont la hauteur était de 5 cenii- mètres ; et quoique d’une analogie différente, il ne s'en esi pas moins développé el a vécu trois ans entre les lissus ligneux et herbacés du saule. Au mois d'août de la même année, il a été détruit par acci- dent. N'ayant jamais bien observé ces sortes de semis naturels sur des 112 végétaux vivants à écorce lisse et sans décomposition de la partie sur laquelle la graine s'était fixée, j'aurais bien désiré pouvoir suivre ce développement, afin de m'’assurer de la direction qu'auraient prise les racines dans le tissu cellulaire d'un végétal aussi vigoureux que ce saule, dont toutes les parties étaient saines el les bourrelets bien forn:és autour de la branche qui avait été coupée trois ans avant. PÉPIN. 0981 6gs1 ‘SES Zegt 9cst SSS1 7 G8L ‘CSS ‘GGSI ‘IGQI ‘og ‘6781 SYST LYS 9781 CY8T | FES CYST BY81 TYSI 0781 6CgT SEE 9EST } a 6e, Masculins …. Leminins ES Chaque ann 1 MORTS NES S SS Es) = à NS SN Es) à constat & re 1 C 5 +5 tæ) ad = 4 = D me) ae [el Ê D 2 ei cc 6" Fa Ce] + = El TJ ou nombre de naissances pour un mort ne. 45 a RS B RAPPORTS DES MORTS NÉS AUX NAISSANCES, | . | 40 112 50 95 A 20 “tré hapports des sexes : [lombre de morts nes féminins pour 100 masculins , C 100 À Æ B nt TT B 50 Ne St NS 0 NA ARR QG NS 0 OS LS RS Ni 9 SE 20 LS D = | Le) LS RS ROŸ RD RER NE SN RE RE RE KR 28 1À iQ \n 10 19 26 2 2 > Le | SQ Fo So % Co Q Go © Ge So Go Co CS où D CG TC © Go % © © Ce eo Lo NN VON NN À ON ON ON Eu S = ST = NN TR ET RRS ’ \ ÉTUDES STATISTIQUES SUR LES MORTS-NÉS DU DÉPARTEMENT DE MAINE-ET-LOIRE. Mes recherches sur le mouvement annuel de la population du département de Maine-et-Loire, depuis le commencement du siècle jusqu’à 1860, m'ont fourni l’occasion de dresser le tableau joint à celte note, et qui présente pendant vingt-cinq années, de 1836 à 1860, le chiffre des enfants morts-nés de chaque sexe constaté chaque année. Je n’ai pu faire remonter ce tableau à une époque plus reculée, car ce n'est qu'à daler de 1836 que, dans les tableaux des naissances et décès, on a fait une catégorie à part des morls-nés dont le chiffre, jusqu'alors, avait toujours été ajouté à celui des décès et avait ainsi contribué à donner une évaluation inexacte du mouvement de la population dans lequel, évidemment, ne doivent pas entrer en ligne de compte des êlres n'ayant jamais joui de l’existence. Le tableau dont je viens de parler donne non-seulement le résul- tat de chacune des années qu'il embrasse, mais il les totalise par périodes de cinq années, et enfin il donne les totaux généraux des vingt-cinq années observées : La première colonne indique les années d'observation. La deuxième, le nombre des naissances des deux sexes dans ces mêmes années. La troisième, le nombre des morts-nés masculins dans ces mêmes années. VI. 8 114 La quatrième, le nombre des morts-nés féminins dans ces mêmes années. La cinquième, l’ensemble des deux sexes dans ces mêmes années. La sixième, le rapport des sexes chez les morls-nés dans ces mêmes années. La septième, le rapport des morts-nés aux naissances dans ces mêmes années. Enfin la huitième, intitulée Observations, donne certains rapporis comparalifs, pour différentes périodes, des morts-nés de la France entière, de la ville et de l'arrondissement d'Angers. En étudiant attentivement ce tableau, on ne tarde pas à recon- naître qu’il eu ressort des observations dignes d'intérêt, soit sous le rapport des sexes chez les morts-nés comparé à ce même rapport pour les naissances, soit sous le rapport des morts-nés aux nais- sances ou à la population constatée à certaines époques. Ces observations peuvent se résumer ainsi : 1° Chez les morts-nés le chiffre des masculins surpasse constam- ment celui des féminins, et, pour l’ensemble des vingt-cinq années, il se traduit par le rapport de 100 à 67. 2° Le nombre des morts-nés comparé soit aux naissances, soit à la population, va toujours croissant, et, dans la période des vingt- cinq années, ce rapport a plus que doublé. Pour rendre plus faciles à saisir les résultats que je viens d’indi- quer, el pour présenter immédiatement aux yeux les constatations relatives à chaque année, j'ai essayé de reproduire, par une repré- sentalion graphique, les chiffres consignés dans le tableau dont j'ai déjà parlé. Pour atteindre ce but, j'ai employé un papier sur lequel se trou- vent tracés de petits carrés dont chacun représente une ou plu- sieurs unités, et j'y ai dressé les tableaux A, B, C, dont je vais expli- quer le mécanisme. Pour le tableau À, relatif aux morts-nés de chaque sexe, par chaque année, et qui reproduit les résultats consignés dans les co- lonnes 3 et 4 du tableau en chiffres, chaque ligne verticale, à partir de celle au bas de laquelle se trouve écrit le nombre 1836, repré- sente une année; quant aux lignes horizontales, l’espace contenu entre chacune d'elles représente un nombre de 10 morts-nés, en parlant du nombre 50, que j'ai pris pour origine, les morts-nés de 115 chaque année ne s'étant jamais lrouvés inférieurs à ce chiffre. La ligne brisée tracée en traits pleins sur cette figure sert à faire con- naître le nombre des morts-nés masculins de chaque année par son point de renconire avec chacune des lignes verticales, à l’origine desquelles sont inscrits les millésimes des années. En s’aidant donc des chiffres inscrits à la gauche du tableau, il sera facile, pour une année donnée, de connaître le nombre des morts-nés masculins applicable à cette année. Veut-on, par exemple, connaître ce nom- bre pour l’année 4845, en remontant la verticale de celte année jusqu’à la ligne brisée MM, el en s’aidant de la graduation placée à gauche, on lira le nombre 223, qui est le chiffre des moris-nés masculins de cette année 1845. La ligne brisée FF, en pointillé, donne de même les résultats de chaque année pour les chiffres des morts-nés féminins. Les deux lignes horizontales mm el ff indiquent les moyennes de chaque sexe pour les vingt-cinq années d’observations. D’après ce qui vient d'être dit pour le lableau 4, il sera facile de se rendre compte du mécanisme des tableaux B et C. Le premier se réfère au rapport des morts-nés avec les naissances et il indique, pour chaque année, le nombre des naissances pour un mort-né (colonne 7 du tableau en chiffres), ici chaque petit carré de la feuille représente une unité, et si, par exemple, on veul connaître quel a été, en 1848, le nombre de naissances pour un mort- né,.on remontera Ja verticale de ce:te année jusqu’à sa rencontre avec la ligne brisée aa, et, au moyen de la graduation à gauche, on lira, au point de rencontre, le nombre 26, 4, ce qui veut dire qu'en 1848, les naissances ont élé aux imorts-nés dans le rapport de 26,4 à 1. Le tableau .C se réfère à la colonne 6 du tableau en chiffres, et la ligne brisée BB qui s'y trouve inscrile représente, à ses points de ren- contre avec les verticales, le nombre de morts-nés féminins de chaque année pour cent morls-nés masculins représentés par la ligne hori- zoulale supérieure AA, tracée à la hauteur du nombre 100. On y voit donc qu'en 1848, année où le nombre des morts-nés féminins a été, comparativement aux sexes, le plus faible, il est descendu à 55, 2 p. 100, et qu'en 1859, où il a été le plus élevé, il a atteint le chiffre de 86,9 p. 100. Je reprends maintenant les résullals qui ont été indiqués plus haut. 116 4° Le nombre des morlis-nés masculins est constamment supé- rieur à celui des féminins : L'inspection des tableaux 4 et C montre de suite l'évidence de cette proposition. En effet, la ligne pleine 44 du premier tableau se trouve constamment supérieure, et d’une quantilé nolable pour chaque année, el dans le tableau C la ligne brisée BB n'atleint jamais l'horizontale AA, représentative du chiffre de 100 morts-nés mas- culins. Mais non-seulement le chiffre des morts-nés masculins est supé- rieur à celui des féminins, il existe encore entre les deux sexes un rapport à peu près constant, ainsi que le montre, sur le tableau C, la ligne brisée BB qui s'éloigne peu, en dessus et en dessous, de la ligne mm, représentant la moyenne du rapport des sexes, qui, comme nous l’avons déjà dit plus haut, est de 67 à 100 (à très-peu près 2 à 3). J'ai d'ailleurs déjà fail remarquer que c’est en 1859 que le nom- bre relatif des morls-nés féminins s’est montré le plus élevé, 86,9 p. 100, et en 1848 qu'il a été le plus faible, 55, 2 p. 100. Mais ce rapport des sexes chez les moris-nés doit-il êlre regardé comme un fait spécial à notre département, ou ne doit-on pas plulôt y reconnaître une loi générale applicable dans tous les lieux qui ont été soumis à une semblable observalion? J'ai, pour résoudre cette question, étudié le rapport dont il s’agit pour la France entière, pendant une période de 14 années (1846-1859), et j'ai obtenu le rapport de 68,5 à 100, pour Angers, pendant l’année 1859, 68 à 100; pendant l’année 1860, 65 à 100; pour l'arrondissement d'Angers, en 1860, également 65 à 100. Il résulte donc de toutes ces observations que le rapport des sexes suit une loi générale, el que le rapport 67 à 100, que nous avons constaté, est un rapport normal et qui ne constitue rien d'ex- ceptionnel pour notre pays. M. Moreau de Jonnès, dans ses Élé- ments de slalistique, donne comme général le rapport de 17 gar- çous pour 12 filles, c’est-à-dire 71 à 100, rapport qui ne s'éloigne pas beaucoup de la moyenne que nous avons établie plus haut. Mais tandis qu’une si grande différence se rencontre enire les deux sexes chez les morts-nés, en est-il de même pour les nais- sances ? Il est un fait d'observation reconnu comme constant, et que j'ai pu moi-même vérifier sur 60 années dans le mouvement 417 de la population du département, c’est que le nombre des naissances masculines est loujours supérieur à celui des naissances féminines. Mais le rapport entre les garçons et les filles est loin d'être aussi écarté que celui qui a été constaté plus haut. En effet, pour les 25 années qui nous occupent, ce rapport est de 95 filles pour 100 garçons, et pour l’ensemble de 60 années (1801 à 1860) j'ai trouvé le rapport de 93 à 100. Il résulte donc de ces observations qu’un nombre de garçons supérieur à celui des filles perd la vie avant de venir au monde, et que les accidents qui donnent lieu à la venue au jour d'enfants morts-nés frappent plus le sexe masculin que l’autre. J'ai avancé, en second lien, que le nombre des morts-nés allait sans cesse en s’accroissant; l’examen des tableaux À et B le dé- montre. En effet, sur le tableau À nous voyons les deux lignes brisées MM et FF tendre toujours, presque dès leur point de départ, à s'élever au-dessus de ce point, ce qui indique une augmentalion absolue dans le nombre des morts-nés de chaque année. Et, par suile, dans le tableau B, la ligne BB, qui représente le nombre de naissances pour un mort-né, va toujours en s’abaissant. En étudiant ce dernier tableau on voit que le rapport, après avoir été en 1838 de 1 mort-né pour 49 naissances, s'élève en 1859 jusqu’à 1 pour 20. Ainsi donc le nombre des morts-nés a plus que doublé depuis 25 ans. On le voit encore en comparant les cinq premières années avec les cinq dernières. Dans la première période le rapport est de 1 p. 43,3, il n'est plus, dans la dernière, que de 1 p. 21,5. Ce qui démontre encore celte tendance à l'augmentation chez les morts-nés, est la comparaison de leur chiffre à celui de la population aux époques de recensement. En 1841 on compte 1 mort-né pour 1,722 habitants. En 1846 — 1 = 1,275 — En 1851 — 1 — 1,045 — En 1856 — 1 — 1.034 = Du resle, pour ce fait comme pour celui de la prédominance du sexe masculin, l'observation des résultats oblenus pour la France entière pendant 21 années (1839 à 1859) nous montre le rapport des morls-nés aux naissances s'abaissant en 1841 à 1 p. 33,5, et s'éle- 118 vant en 1859 à 1 p. 22, et pendant cette période le rapport moyen, pour la France entière, est de { à 28,9, tandis que pour le départe- ment de Maine-et-Loire, nous le voyons être de 1 à 27,1. Ainsi donc, pour ce fait comme pour le précédent, notre pays ne présente pas une situation exceplionnelle et se trouve rentrer dans la loi générale. Je ferai encore observer que, dans les grands centres de popula- tion, le nombre des morts-nés, comparé aux naissances, se montre beaucoup plus élevé que dans les campagnes. Ainsi en 1860, lors- que le rapport pour le département entier élait 1 p. 20,8 et de 1 p. 19 pour l'arrondissement d'Angers, il s’élevail pour la ville d'An- gers à 1 p. 16. En résumé, de cette étude sur les morts-nés résultent, comme je l'ai dit déjà, deux faits notables : 1° Excédant de garçons bien supérieur à celui qni est constaté pour les naissances ordinaires ; 2% Tendance continuelle à l'augmentation dans le chiffre des morts-nés. | De ces deux faits il reste à rechercher les causes. Celles de la première me semblent ne pouvoir être expliquées que par la physiologie, qui doit aussi mettre sur la trace de celles qui produisent le second. Quant à ce dernier, il me semble que les exigences du costume et de la toilelte adoplés par les femmes n’y sont point étrangères, et qu’en s'éloignant, sous ce rapporl, des règles que la nature leur trace, elles troublent leur organisation et nuisent ainsi au but qu’elles sont appelées à remplir. Je m'’arrête loutefois devant des explications que je me sens inca- pable de présenter. J'ai fait connaître les faits, j'en laisse l'explica- tion à de plus habiles. DELALANDE. Angers, le 23 novembre 1863. 119 a Le] ÉPOQUES. Z 2 Z 1 2 1836 | 41.901 1827 | 11.299 1828 | 11.821 1839 | 11.62 1820 | 11.496 1836-1840] 58.241 18 | 11.98 1842 | 11.952 1843 | 41.927 1844 | 11.600 1845 | 12.144 1840-1845 59.528 1846 | 12.490 187 | 11.513 148 | 192.082 1849 | 12.578 1850 | 14.761 1846-1850| 60.426 1851 | 19.078 1852 | 49.205 1853 | 11.847 1854 | 11.561 1855 | 11.059 1851-1855] 58.750 1856 | 11.239 1857 | 11.036 1858 | 11.459 1859 | 11 709 1860 À 11.016 1856-1860) 56.742 MORTS-NÉS D mas- fémi- culins. | nins. Ensemble, 3 4 3 170| 123 992 190! 109 299 137] 103 240 198| 131 329 228| 155 383 993|[ 621| 1.544 264| 168 432 231| 161 392 2341 145 379 210] 155 365 223| 135 358 1 162] 764| 1.926 253| 161 A4 219| 165 384 295| 163 458 279| 158 437 2931224199 392 1.969] 776| 2.045 356| 9236 592 346| 293 569 285| 232 517 325| 198 523 275| 204 479 1.58711.093| 2 680 301| 203 504 307| 213 520 2941 209 503 HAN Cr 585 335| 194 529 1.550 1.091! 2.641 RAPPORTS des des nais- sexes sances p. 100 p.1 Mascul. | Mort-né, 6 1836-18601293.687 16.49114.345| 10.836 | 66.9! 27.1 OBSERVATIONS, 8 ELLE Pour la période de 1836 à 1860, le rapport des sexes dans les naissances est de 94,4 à 100. Pour 1e département. Pour Angers, Le rapport des sexes est chez les morts-nés : En 1859, de 68 à 100; En 1860, de 65 à 100. Pour l'arrondissement d'Angers en 1860, 65 à 100. Le rapport des morts-nés aux naissances : Pour Angers, En 1859, est de 1 pr 15.4; En 1860, est de 1 pr 16.1. Pour l'arrondissement : En 1860, de 1 pr 19. Pour la France entière, pendant 21 années, de 1839 à 1859. Le rapport des morts-nés aux naissances, est de : 1 pour 28,9. Le rapport dessexes chez les morts-nés, pendant 14 années, de 1846 à 1859, est de : 100 à 68,5. Rapports à la popula- tion : 1841 1 à 1722; 1846 1 à 1275; 1851 1 à 1045; 1856 1 à 1034. AVIS IMPORTANT AUX CULTIVATEURS DE TREILLES Après m'être occupé de livrer les moyens que le temps a mis à notre disposilion, pour parer à l’action de l’oidium sur les vignes, je me crois également obligé de m'occuper de ceux devant aussi pro- léger la treille contre ce fléau. Je vais donc continuer à procéder de la même façon que pour les vignes, c’est-à-dire à relever el à publier les observations et les résul- lals favorables dus à l'expérience, après des essais divers. Il y a environ deux ans, le hasard me procura l'honneur de voya- ger en chemin de fer avec une célébrité médicale, dont je regrette de he pouvoir citer ici le nom. Cet ancien médecin descendit à Savigny-sur-Orge, où, près de là, il est propriétaire. Ayant échangé quelques idées avec lui pendant le trajet depuis Paris, l'oëdium fut le dernier sujet que le temps nous permit d'aborder, à mon grand regret. Enfin s’apercevant de l'intérêt que je prenais en écoutant ses sa- vantes dissertations et surtout, eu traitant cette dernière question, il me dit. « — Si vous désirez, Monsieur, connaître le phénomène qui s'o- père sur le bois de la vigne pendant l’action de l’oidrum, je vuis vous édifier, grâce à une récente expérience que je viens de faire. Ayant eu moi-même des treilles atteintes par les ravages de l’oïdium el qui on! élé dans l'état le plus fâcheux, je me suis décidé à les faire cou- 121 per au pied, et après en avoir brûlé le bois de manière à m'en procu- rer bien exactement la cendre je l’analysai avec soin et qu'y trouvai- je? absence totale de potasse. — Vous saurez, Monsieur, que le bois de la vigne est celui qui en contient le plus. — Eh bien alors ! le remède est simple à indiquer. — Il faut rendre au bois ce qu'il a perdu. — En conséquence, pour y arriver, vous allez à chaque pied de vigne faire ôter le volume environ de six litres de terre, en les rem- plaçant par une égale quantité de cendre de nos foyers, et en ayant bien soin de ne pas découvrir les racines qui pourraient se trouver attaquées par la potasse de la cendre; ensuite vous ferez arroser légè- rement et souvent pendant le travail de la végétation, par exemple, pendant la pousse, la fleuraison, la sève d’août, et vous devrez ainsi arriver à un résultat satisfaisant. Soufrez en même temps vos raisins si vous le désirez. puisque vous paraissez avoir foi dans le soufre, qui de concert avec la cendre ne peuvent que se servir. » Ce n’est qu’en 1862, au printemps, queje pus disposer d'un moment de loisir, pour essayer l'action de la cendre et voir les résultats que je puis livrer à l’appréciation de MM. les cultivateurs. 1° J'ai opéré, à Château-Thierry, sur un cep de vigne dont la ré- colte est abandonnée depuis trois ans pour cause d'oëdium à n'oser toucher à un raisin; ce pied de vigue est d'excellente espèce de raisin noir : il garnit seul un côté et le dessus d’une porte cochère de plus de six mètres carrés de treilles. Eh bien, cette année, en octobre, j'y ai récolté de bien beaux, excellents et nombreux raisins, et le bois de ce cep s’est éclairci d'une manière étonnante, à ne laisser de doute sur l'effet favorable de la cendre. 2 Dans la commune d’Ay, où je vais rarement, des treilles gar- nissent les murs de mon habitation, sur toute celte exposition, excepté au nord. Au printemps, j'ai fait mettre de la cendre à chaque pied de vigne, mais comme cette maison n’est habitée qu'acciden- tellement, j'ai abandonné à l'eau du ciel l'arrosement de mes treilles perdues d'oidium. Du côté où la pluie a pu fouetter la vigne, j'ai récolté el mangé des raisins très passables, et d'autre part le bois s'est rélabli d’une façon surprenante ; mais quant à la treille placée à l'exposition ou- 122 verte et qui a été privée d’arrosement, le bois en est extrêmement taché, et il ne m'a pas été possible de toucher à un seul raisin : bois et raisins tout était noir. Dans cet élat de choses, vers le 25 décembre dernier, lors de nos vendanges à Ay, j'ai prié M. Nitot, notre ancien maire, et aujour- d’hui notre conseiller général, de vouloir bien venir vérifier mes essais de traitement de la treille par la cendre, ce qu'il a fait avec empressement ; la conclusion a élé : « C’est un enseignement. » Le mode de traitement de loidium par la cendre a déjà élé mis en pratique dans diverses localilés, entr’autres à Fontainebleau, où un jardinier, M. Bellier père, jardinier horticulleur, rue des Pelits- Champs, vient de faire un essai qui est en vérité concluant, en faveur de l'emploi de la cendre : ainsi il a d'abord placé de la cendre au pied de ses treilles comme je l'indique, puis il en a ensuite employé, au lieu de soufre, pour saupoudrer les pousses de la vigne el ses pam- pres. Eh bien, non seulement il est parvenu à guérir le bois qui, taché d'oidium, est redevenu jaune comme du bel osier eu lui rendant la polasse que l’oïdium lui avait enlevée (expérience constatée par l’ana- lyse chimique de la cendre provenant du bois qui a élé fortement soumis à l’aclion de l’oïdium), mais plus heureux encore, ila oblenu de magnifiques raisins en 1862, qui ont eu l’avantage sur ceux traités par le soufre d’être tout à fait exempts du goût de celle matière. Je m’empresserai, à cet effet, pour mieux arriver à faire soigner la vigne en Lemps convenable, de recommander ici les préceptes de M. Couesme, qui sont ceux d’un des plus habiles horliculteurs de notre département, et qui ont paru dans le numéro 99 de l'Écho de l'Aisne, du 13 décembre 1862. Seulement M. Couesme me semble n'avoir foi que dans le soufre, tandis que moi, dans la cendre comme dans le soufre, je trouve un mérite différent et utile : la cendre gué- rissant le sarment, et le soufre qui ne guérit évidemment et annuel- lement que le raisin, puisque dans le Midi où le soufre a le succès le plus complet, on est obligé de recommencer lous les ans l’opéra- tion du soufrage, ou bien l'oidium reparaît. En résumé, on peut sans crainte d'erreur, inviler à saupoudrer la vigne avec un mélange d'un tiers de soufre et de deux tiers de cendre, car celte dernière attache solidement le soufre, en ayant, d’autre part, une action favorable sur le bois. 123 CURE COMPLÈTE DU BOIS DE LA TREILLE PAR L'EMPLOI DE LA CENDRE ET DU SOUFRE NEUTRALISANT L'OÏDIUM. Après deux années d’incessantes expériences et de publicité, je viens affirmer aux propriétaires de treilles malades qu'il ne dépend plus que d'eux-mêmes de se débarrasser désormais de l’oidium dès la première année d'essai, en préservant en même tenips leurs treilles de la gelée, et en leur donnant une végétation extraordinaire jointe à une récolte abondante, quelle que soit même la vieillesse de la plante. Désirant ne plus rentrer dans les détails de mes premiers opuscu- les, et voulant cependant faire promptement passer mes convictions chez les cultivateurs de treilles, je ne vois rien de mieux que de les inviter à venir vérifier chez moi (1) (où le meilleur accueil leur sera réservé), environ 180 mèlres courants de treilles ravissantes de beauté, et traitées par la cendre et le soufre, tandis qu’en ce mo- ment, au plus fort de l’oidium, je suis entouré de propriétaires ayant tous des treilles plus ou moins malades, malgré le simple soufrage, palliatif annuel, beaucoup trop vanté, qu’ils pratiquent avec une patience digne d’un meilleur résultat, réussissant bien dans le Midi, où la chaleur est constante, mais manquant trop sou- vent son but dans nos pays où la température est variable, puis en définitive, ne guérissant au plus que la récolte à laquelle on laisse un goût de soufre détestable quand on a réussi, landis que par la cendre on guérit parfaitement le bois de l’oidium en laissant la franchise au goût du raisin, même en le saupoudrant d’un tiers de soufre ajouté à la cendre. On trouvera encore chez moi 20 mètres courants de treilles à double exposition, vigoureuses de nature et non traitées, mainte- nant en élat de maladie, afin de prouver la loyauté de mes essais, et pour enlever à ceux qui sont hostiles au traitement par la cendre toute opposition tracassière, comptant d’ailleurs sur le bon sens des masses, qui ne se trompent guère en rendant toujours justice à qui la mérite. (1) Cette note a été écrite le 22 août 1863. 124 OBSERVATIONS IMPORTANTES. L'oidium enlève entièrement avec le temps la potasse du bois de la vigne, ce qui la fait mourir; la lui rendre avant cette extrémité est tout simplement ce qu’il y a à faire : voilà pourquoi la cendre est favorable. Il est probable qu'on arriverait également à un résultat satisfai- sant par d’autres matières contenant de la potasse : tout chemin mène à Rome. Ce premier pas peut mener à garantir les récoltes des vignobles. La vigne traitée par la cendre n’a jamais de cloques sur ses pam- pres ; lorsque le raisin est atteint par l’oïdium, on trouve toujours des feuilles plus ou moins tachées de cloques, et quelquefois raccor- nies ; quant au bois, il se marbre de taches brunes ou noires ; la cloque n'est pas l'oidium, mais bien son courrier, annonçant le pas- sage cerlain du fléau dans un temps plus ou moins éloigné. MODE DE TRAITEMENT A SUIVRE EXACTEMENT POUR AVOIR RAISON DE L'OÏDIUM, ET POUR TROUVER SES TREILLES DANS L'ÉTAT LE PLUS PROSPÈRE PENDANT ET APRÈS LE TRAITEMENT. 1° Creuser aulour de chaque cep de vigne, en février, à 20 centi- mètres au plus de profondeur, sur une surface de 30 à 50 cent., en y déposant de un à six litres de pure cendre de bois non lessivée selon l'importance de la treille, en ayant soin qu'il y ait un peu de terre entre les racines et la cendre pour ne pas les brûler; recouvrir le tout avec de la terre, en établissant un creux ou petit pot pour retenir l’eau, afin d'arroser légèrement, et souvent pendant la pousse, la floraison et la sève d'août, de manière que la plante res- pire la potasse de la cendre pendant la végétation ; autrement, mettre de la cendre sans arrosement, ce n’est rien faire du tout. 2 S'empresser de saupoudrer d'un mélange de deux tiers de cendre et d’un liers de fleur de soufre, passés ensemble dans un sas de maçon, les bourres de la vigne aussitôt qu’elles s’ouvriront, afin de les préserver de la gelée, ayant bien soin d'en remettre à mesure que la cendre s’absorbera, car la potasse de la cendre pénètre tout 125 aussi bien par les pampres que par les racines, et surtout par les jeunes pousses. Cette opération donne une {elle activité à la végétation, qu’un vieux cep, même languissant, se trouve régénéré en peu de temps : si ce vieux Ccep par exemple est dégarni, il serait facile de faire pousser des jets où on le désirera, en déposant seulement des petits paquets de cendre sur les nœuds du sarment; quand bien même il n’y aurait pas apparence de pousse, soit par l'humidité dans la végélalion à la première pousse de la vigne, soit à la floraison, ou bien à la sève d'août, des petits points rouges se formeront, et des jeis vigoureux ne tarderont pas à part. Vouloir ici énumérer toutes les vertus de la cendre, serait peu possible ; tout ce que je puis dire pour conclure, c’est que la cendre, en régénérant le bois de la vigne, lui fait jeter le deuil dont l’oidium l'a affublé, en reprenant alors une autre écorce de couleur acajou : ce phénomène mérite bien l'attention de la viticulture. Ainsi donc, je termine ces instructions en rappelant ces points principaux : saupoudrer aussitôt qu'apparaît la première végétation; agir de même avant la floraison, ainsi que pendant la sève d'août. Nora. Lorsqu'on lraite une treille par trop malade, si l’on s'aperçoit qu'elle ne progresse plus, c'esl que la cendre au pied est usée ; dans ce cas, il faut en remettre de nouvelle. ALPHONSE DEMONT. LES ORGANES FLORAUX CHANGÉS EN FLEURS. Lettre adressée à Monsieur le Président de la Société Linnéenne. Loin de rendre improbables les conclusions de la science, le fait suivant ne fait que les confirmer, et vraiment j'ai élé très-content de voir par moi-même la démonstration de la théorie de Goëlhe aussi claire, du moins je le pense. Il ne s’agit pas ici simplement des élamines et des pélales chan- gés en feuilles, cela se rencontre souvent dans les jardins, mais j'ai vu dans un Cheiranthus Cheiri les carpelles, et ce que je crois plus rare, les ovules mêmes, changés en feuilles. Voici comment ce dernier développement dont je n'avais pas en- core entendu parler s'est produit. Voyaniles carpelles boursoufflés d’une manière extraordinaire (ils ressemblaient à peu près aux carpelles du Capsella bursa pastoris, mais très-gonflés). je déchirai la feuille carpellaire de manière à ne pas toucher aux placentaires. Les ovules m’apparurent comme des fils blancs, il semblait qu'il ne reslait plus que le funicule. Quelque temps après, sous l'influence de l’air, la couleur devint verte, les filels s'é- Jargirent peu à peu et formèrent une véritable feuille ayant son pé- tiole, sa nervure médiane très accentuée et son limbe. Les seules choses extraordinaires qui accusaient l’origine de celte feuille, c’élait : 4° l'extrémité de la nervure médiane sortant du 127 limbe avant d'en toucher le bord et gardant à cette pointe une teinte jaune; 2 le dédoublement du limbe rappelant les deux cotylédons et formant alors une double feuille. Ainsi la même plante m'avait présenté des sépales ayant plus de rapport avec les feuilles que les sépales ordinaires du Cheiranthus, des pétales, plusieurs élamines, des feuilles carpellaires et les ovules même changés en appendices foliacés, je n'avais donc pas tort de re- dire avec Goëthe : Les organes floraux ne sont que des feuilles trans- formées, puisque dans certaines conditions l'apparence foliacée reparait dans ces organes. Puis comme j'ai cru rare une transformation aussi complète sur la même plante, je me suis permis de vous en donner connaissance. Si je me suis trompé, veuillez y voir le désir de ré- pondre à votre invitation selon mon pouvoir. E. MAGNEÉ. NOTE SUR UNE NALAMANDRE TERRENTRE Au mois de février dernier on m'apporta plusieurs grosses sala- mandres terreslres dont l’une avait près de 19 centimètres de lon- gueur. Je les ai mises dans un vase avec de la terre humide et de la mousse. Quinze jours après environ, en les examinant, j'en trouvai un assez grand nombre, nées évidemment depuis peu, car plusieurs étaient encore vivantes; je m'empressai de les placer dans une petite cuvelte remplie d’eau en altendant que je pusse disposer con- venablement un vase pour les recevoir. Elles avaient près de 23 à 24 millimètres de longueur, les quatre membres très-apparents; les branchies, formées de chaque côté de trois parties distinctes, divi- sées en plusieurs segments ou lobes déliés, offraient une teinte jaune légèrement rosée. Vers le mois d'avril, je commençai à les nourrir de pelits lom- brics blancs ; elles avaient 30 à 32 millimètres. Le 12 mai, leur longueur était de 35 millimètres; des taches jaunes se dessinaient sur le fond verdâlre de leur peau ; elles sem- blaient plus avides de nourriture, leur queue aplalie élait amincie et transparente à son extrémité. Le 16 juin, la seule qui me restât, les autres ayant été dévorées par un triton marbré que j'avais eu l’imprudence de déposer dans le même vase, avait alteint 45 millimètres ; les branchies offraient une teinte plus rosée, et les taches jaunes tranchaient plus vive- ment sur la peau devenue noirâtre. Ce petit animal, qui offrait déjà tous les caractières de son espèce, dde ou 129 commençait à s'élever plus fréquemment à la surface de l’eau, ce qui me donna l'idée de placer dans le petit bassin une pierre sur laquelle il put venir se poser. Le 28 du même mois, les branchies étaient encore complètes, mais le 2 juillet, la partie frangée et comme dilatée avait disparu, il n’en restait plus que la base, sous forme de petits moignons, ayant presque la couleur de la peau. La longueur totale de ma petite sala- mandre était de 60 millimètres au moment de l’oblitéralion des branchies. Je puis donc, dès à présent, considérer les salamandres terrestres comme ayant une vie aquatique de quatre mois au moins. J'ai acquis, par le fait que je viens de vous raconter, la certitude que les reptiles à peau nue se dévorent entre eux; je savais déjà que les reptiles à peau écailleuse pouvaient se nourrir de batraciens. Je regrette de ne pouvoir aller plus loin ; si je ne retrouve pas mon petit fuyard, je serai forcé de remeltre au printemps prochain une expérience que je ne puis plus continuer. ALEX. LESASSIER. Durtal, le 3 juillet 1863. Yi. 9 SUR LES GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES ET SUR LES FERMENTS Par M. A. BÉCHAMP. PREMIÈRE PARTIE. Génération spontanée, Hélérogénie : manifestation d’un être organisé vivant, génération primordiale, création d’un être qui n'existait pas, qui n’a pas eu de parents; c’est là, il est permis de le croire, la définition exacte de l’idée que ces deux mots font naître. Il est seu- lement sous-entendu, que c’est la matière organique qui, en s’orga- nisant, engendre spontanément un être organisé vivant ; qui seule, par une incilation autogène, de l'état inerte peut passer à l’état d'être doué de vie el capable de se reproduire. C’est donc avec rai- son que M. Joly, rappelant en cela Buffon, a posé comme point de départ nécessaire, l'existence présupposée de la matière organique. « Afin d'éviter toute équivoque, dit ce savant naturaliste, nous dé- clarons une fois pour loutes que nous n’entendons pas, par ces mots hélérogénie ou génération spontanée, une création faite de rien, mais bien la production d’un être organisé nouveau, dénué de parents, et dont les éléments primordiaux sont tirés de la matière organique am- biante. C'est ainsi, en effet, que la question devait être posée, el que nd a 131 je l’ai posée moi-même, dans un autre sens, devant l’Académie des sciences, lorsque j'ai dit : « Quel est le problème posé par l’hétéro- génie dans le passé et dans le présent? C’est la démonstration que la matière organique peut spontanément s'organiser, c’est-à-dire que quelque chose peul se créer de rien. » J'insiste sur ces derniers mots : en effet, il faut bien remarquer que, même la matière orga- nique étant donnée, on doit dire que l'être organisé vivant, dans ce qu'il y a en lui de plus caractéristique, naît de rien, car il faut bien admettre que la forme déterminée, fatale en quelque sorte, de l'être: la vie qui est en lui et qui le fait passer du néant à l'acte, qui le rend apte à se reproduire par œufs, par spores ou par gemmation, sont cerlainement quelque chose d'aussi réel, d'aussi existant et, en quelque façon, d’aussi concret, que la matière qui en constitue le subsiratum. Or, ces choses n'exislaient certainement pas dans la matière organique comme elle est conçue aujourd'hui, et, si nous admettons que les forces chimiques, qui sont latentes dans cette matière, se manifestent comme vie dans le nouvel être, la forme au moins n’y existait point; qu'est-ce si nous voyons des êtres appa- raître dans la matière minérale.elle:même! Dans ces sortes d'objets, l'étude du passé jette de vives lumières sur l’état présent de la science. Pas plus dans cette question que dans toutes les autres, il ne faut faire abstraction de ce que les an- ciens ont cru ou pensé. Le passé éclaire le présent à la fois par les erreurs et par les vérités qu’il nous a léguées. Voyons donc ce que l’on pensait, il y a deux mille ans, sur l’importante question qui a de nouveau surgi de nos jours. Dans le poème « de Rerum natura, » Lucrèce est hélérogéniste. Pour le poète, qui était disciple d'Épicure, la Terre fit éclore tout ce qui est vivant par le moyen de sa fertilité. La terre est appelée la mère commune, parce que rien n’existe qu’elle n'ait fait naîlre dans son sein. Et à présent même, dit-il, plusieurs animaux n'existent que grâce aux pluies échauftées par l’ardeur du soleil. Il ne faut donc pas s'étonner que des êlres plus grands et en plus grand nom- bre aient élé produits dans la première jeunesse du Ciel et de la Terre. L'homme lui-même n'a pas une autre origine. Il se forma dans les entrailles de la terre : car la chaleur et l'humidité remplis- saient abondamment les campagnes, el selon les lieux , il se forma des matrices dont les racines tenaient à la terre. Le temps prescrit 132 ayant assemblé ses parties, l'être, brisant ses entraves, s’échappait, et la Nature le nourrissait en faisant sortir des veines de la terre un suc semblable au doux lait qu’elle réunit dans les mamelles de la femme. La Terre élait donc la nourrice de ces premiers nés, sa cha- leur les défendait contre le froid, et son herbe et son gazon leur servaient de berceau. Mais semblable à une femme que l’âge rend stérile, elle a maintenant cessé d’engendrer. Linquitur ut merito maternum nomen adepta Terra sit, e terra quoniam sunt cuncta creata. Multaque nunce etiam existunt animalia terris, Imbribus et calido solis concreta vapore ; Quo minus est mirum, si tum sunt plura coorta, Et majora, nova tellure, atque æthere adulto. Tum tibi terra dedit primum mortalia sæcla : Multus enim calor atque humor superabat in arvis. Hine ubi quæque loci regio opportuna dabatur, Crescebant uteri terræ radicibus apti, Quos ubi tempore maturo patefecerat ætas Infantum, fugiens humorem aurasque petissens, Convertebat ibi natura foramina terræ, Et succum venis cogebat fundere apertis Consimilem lactis; sicut nunc femina quæque Cum peperit, dulci repletur lacte, quod omnis Impetus in mammas convertitur ille alimenti. Terra cibum pueris, vestem vapor, herba cubile Præbebat, multa et molli lanugine abundans. Quare etizm atque etiam maternum nomen adepta Terra tenet merito quoniam genus ipsa creavit Humanum, atque animal prope certo tempore fudit Omne. Sed quia finem aliquam pariendi debet habere, Destitit, ut mulier spatio defessa vetusto, L'antiquité ne répugnait donc nullement à l’idée d’une création spontanée de l'être organisé. C'est que « chez (1)lesanciens, de même que chez les scolastiques, la nature du mouvement spontané , que (1) Louis Cruveilhier, Œuvres choisies. 133 nous déclarons inhérente à l'être, n’exislait pas el ne pouvait exister. Ils admeitaient, il est vrai, le mouvement et une cause efficiente ; mais cetle cause ne sortait jamais de l’être lui-même, et systémati- quement, ils plaçaient entre elle et son effet un premier moteur, qui, par le fait de son intervention céleste, rapprochait les formes de la matière. Les astres, incorruptibles, étaient, suivant eux, le point de départ et la cause première de tous les mouvements terrestres, et leur théorie particulière de la génération, homo et sol generant homi- nem, n'était qu'une application spéciale de ia doctrine métaphysique générale et de leurs idées sur les principes constitutifs de l’être. » L'idée de force fut toujours, d’après M. Frédéric Morin, étrangère à la philosophie et à la science antiques. Aussi, pour les anciens, d’après une théorie qui remonte à Arislote, tout être que nous per- cevons esl composé de matière et de forme. Or, celte matière, qui pour eux n'avait rien de corporel dans le sens que nous compre- nons, était dénuée de toute détermination, et ne pouvait être saisie par l'intelligence ; et comme en dehors de la malière, il n'y a rien autre chose que la forme ou l'essence, la science dut avoir pour but exclusif de déterminer l'essence de chaque être. D’après cela, on comprend donc bien que, pour l'antiquité et pour tout le moyen âge, la génération spontanée n’offrait aucune difficulté. D'un autre côté, comme il est incontestable que tous les êlres organisés, de même que tout le reste de la création, ont eu un com- mencement, il est rigoureusement vrai de dire que tous les êtres vivants sont le résultat d’une génération spontanée. La Genèse ne dit-elle pas : « Telle a été l’origine du ciel et de la terre, et c’est ainsi qu’ils furent créés au jour que le Sei:neur Dieu fit l'un et l'autre, et qu'il créa toutes les plantes des champs avant qu’elles fussent sorties de la terre, et toutes les herbes de la campagne avant qu'elles eussent poussé. » Dieu dit encore : « Je vous ai donné toutes les herbes qui portent leur graine sur la terre, et tous les arbres qui renferment en eux- mêmes leur semence, chacun selon son espèce... » « Ainsi, dirai-je avec M. Victor Meunier, la génération spontanée est le fait initial et général auquel les premiers de chaque espèce ont dû l’existence. Sans doute, dirai-je encore avec le même savant, ils ont eu Dieu pour père et pour mère, et ils l’ont pour soutien. Rien n’est que par la puissance de l’Étre ; mais cela ne nous dis- 134 pense point de chercher les lois qui régissent la production de toute chose. » Mais pénétrons plus avant dans cette idée : « Dès (1) que la raison s'élève aux grandeurs de l’Étre infini el de ses opérations créatrices, elle trouve que la pluralité des mondes, leur nombre indéfini et celui de leurs espèces, sont choses non seu- lement naturelles, mais d’une convenance lumineuse. L'Étre eréa- teur se joue dans la création , mais s’y joue librement. — À priori : ce n'est pas une démonstration qu'il nous faut dans cet ordre de choses, c'est, à la rigueur, une simple conception philosophique, une percée intellectuelle profonde dans l’idée de Dieu, dans le plan de sa liberté et de sa sagesse providentielles. Dieu, l'Infini, l’Absolu, l'Éternel, le Germe primitif, la Force sans limites, l'Exubérance de la puissance formatrice, la Vertu germinative, tous ces mots impli- quent la série illimitée des productions, l’indéfini des mondes, des êtres et de leurs variétés. Concevez, dans le plan général que nous apercevons, imaginez, épuisez vos efforls idéalisateurs, vous serez sûr de n'avoir abstrait qu’un point des œuvres de Dieu. — À poste- riori : La même idée se formule, de quelque côté qu’on envisage les créatures soumises à notre observation. Si on les décompose, on ne vient pas à bout de découvrir leurs derniers éléments; il y a lou- jours des phénomènes causateurs en-dessous des phénomènes trou- vés, c’est la variété indéfinie dans la division-de chaque être; ce sont des mondes sans fin dans l’unité de chaque monde. N'est-il pas nalurel de concevoir une richesse de composés aussi grande que celle des composants? L'expérience et le progrès astronomique nous conduisent également à celte conclusion que la chimie seule fait supposer. » Il est donc entendu que l’on ne cherche pas le moins du monde, ici, à trouver ni ridicule, ni superflu, ni téméraire, mais que l’on trouve très-nalurelle la persévérance avec laquelle des savants d’un très-grand mérite poursuivent des travaux de cette importance. Celle persévérance est aussi légitime qu'elle est intéressante et élevée par son objet. Notre droit est incontestable, et la poursuite des secrels de la création a été libéralement livrée à nos disputes. A chacun de nous la mission d'appliquer ses connaissances à la re- cherche de la vérité, sans nous préoccuper des vues particulières (1) L'abbé Le Noir, Dictionnaire des Harmonies de la raison et de la foi OF, TN 135 que nos travaux peuvent contrarier. « Je me garderai bien, disait Senebier, dans la traduction d’un livre de Spallanzani, de faire la censure des aulres naluralistes qui se sont trompés en s’occupant de ce grand sujet : je crois que ceux qui se trompent, méritent des égards, parce qu'ils ont cherché la vérité et qu’ils ont cru l'avoir trouvée. » Il faut vouloir la vérité scientifique, comme toute vérité, pour elle-même, et sa recherche doit être désintéressée de préoccupa- tions personnelles : c’est seulement à celte condition que l’on peut avoir assez de liberté d'esprit pour juger froidement les œuvres d'autrui, et pour ne pas lirer des faits observés, des conclusions qui ne pouvaient pas légitimement en découler. C’est pour avoir mêlé à la question des générations spontanées des considérations d’un autre ordre, que le débat a paru avoir une portée qu’il n’a réelle- ment pas, et que quelques personnes on! été effarouchées. C’est à la lumière des principes constilutifs des sciences qui ont trait à la gé- nération, que cetile grande question aurait dû, d’abord, être exa- minée. C’est seulement par-là qu’elle mérite de préoccuper les hommes instruits. Les sciences, dont l’ensemble constitue la science moderne, sont fondées sur un petit nombre de lois expérimentales ; lois qui ont pour chacune de ces sciences une force axiomatique sans laquelle elles ne pourraient être constituées comme elles le sont. Depuis que l'on a tiré de ces vers de Lucrèce : Principium hine cujus exordia sumet, Nullam rem e nihilo gigni divinitus unquam, le principe scientifique « rien ne se peut faire de rien, » d’autres principes fondamentaux ont été posés comme conséquences légiti- mes des progrès qui ont élé réalisés à travers les siècles. En histoire naturelle, longtemps avant que l’on sût rien de cer- tain sur la nature de la matière en général et de la matière organi- que en particulier, Harvey avait énoncé la loi qui règle l’origine, naturelle pour nous, des êtres vivants : omne vivum ex ovo, et celte loi trop peu générale a été remplacée par celle-ci : omne vvum ex vivo ou, omnis cellula è cellulà. En astronomie, Newton a fourni la loi de l'attraction univer- 136 selle : les corps s'attirent en raison directe de leur masse et en raison inverse du carré des distances. Lavoisier a donné pour fondement à la chimie et aux sciences physiques, cet énoncé, que M. Dumas a dégagé de ses œuvres : « Dans la nature, rien ne se perd, rien ne se crée ; la matière reste toujours la même; il peut y avoir des transformations dans sa forme, mais il n’y a jamais d’altéralion dans son poids. » Sans axiomes, les mathématiques sont impossibles. Eh bien! ces principes, sans lesquels la science ne reposerait actuellement sur aucune base certaine, ces principes sont mis en question par la théorie des générations spontanées; s’il est vrai que cette théoric signifie réellement, comme je l’ai montré en commen- çant, uue création faile de rien, puisque la forme au moins pourrait se créer de rien. Cette remarque seule suffit pour meltre ma raison en garde. Il faut donc user d’une grande prudence lorsqu'on aborde une étude de ce genre, et c’est avec la plus grande circonspection qu'il convient de tenter les expériences et d'en déduire des consé- quences. Si la génération est l’acte par lequel se produit le changement d’un corps en un autre qui ne conserve aucun des altributs de son étal antérieur, elle ne suppose point une production de nouvelles parties, mais seulement une nouvelle modification, un développe- ment harmonique de ces parties, et elle n’est pas une création. C’est sans doute à ce point de vue que l’on croit que la génération spon- tanée ne siguifie pas une création spontanée, mais seulement une modification des forces et une organisation des éléments matériels existants dans la malière organique ambiante. Mais, je le répète, il y a véritablement création dans ce cas : créalion de la forme, créa- tion des facultés végélalives, création de la facullé de se reproduire, et autres, dans le nouvel être formé sans parents. Sans doute, c’est là du raisonnement ; mais le voici appuyé sur l'opinion d’un astronome qui ne se paie pas de mots, M. Le Verrier : « Je vois, dit-il, que toutes les fois que l’origine d’un être vivant est facile à observer, on reconnaît qu'il n’est pas le produit d'une géné- ration dite spontanée; c’est seulement lorsqu'on est près de la limite extrême des faits observables que le désaccord commence entre les naturalistes. La situalion des partisans de l'hypothèse de la généra- tion spontanée, pour l’explication des cas obscurs, me paraît être | | 1 # | k “ 137 lout-à-fait comparable à celle des astronomes qui révoqueraient en doute la généralité de la loi d'attraction, parce que, dans certains cas particuliers, à raison des incertitudes de l'observation ou de toute autre circonstance, on ne peul se rendre bien compte de la marche d’un corps céleste. Or, ce n’est pas ainsi que la science pro- cède : on cherche à mieux connaître les faits, et, quand on y est parvenu, on trouve loujours que les exceptions disparaissent.» C’est bien cela, et je suis convaincu que l’on ne s’égarera pas en imitant les astronomes. Tenons ferme pour les principes fondamentaux. Il y a dans l'hypothèse de l’hétérogénie une autre hypothèse qui va droit contre le principe fondamental de la chimie, c'est celle qui admet que la malière organique ambiante se change spontané- ment en celle qui devra servir à la formation des organes de l’orga- nisme nouveau. Les chimistes sont habitués à chercher une cause aux réactions qu'ils observent. Un composé chimique, sauf dans quelques cas rares, ne se transforme, ne se détruit que par une ac- lion chimique ou une influence physique connue. Ils sont habitués à considérer les appareils de l'organisme comme des instruments au sein desquels les réactions s’accomplissent dans l'être, en vertu d'actions chimiques et par des agents chimiques. Or, dans la situa- lion où nous place l’hétérogénie, nous sommes forcés d'admettre que les réactions s’accomplissent sans cause connue. Ceci conduit nalurellement à l'étude capitale de l’origine de la matière organique. Pour la pluralité des chimistes modernes, cette matière organique est de même nature que la minérale, et formée par l’action des mêmes forces el à l’aide des mêmes moyens. Cette question, qui ne pouvait pas préoccuper les hétérogénisies du siècle dernier, la nature de la matière en général n’élant pas conçue comme nous la concevons, doit nécessairement précéder toute étude sur la génération spontanée, et mérite de préoccuper les hétérogénistes modernes. « Le jour où le génie de Lavoisier fit sortir la chimie des langes de la conception stablienne du phlogistique, pour ne lui donner d'autre base que l'expérience, et pour critérium de certitude la balance, ce jour-là ful aussi celui où il tenta de sonder les mystères jusque-là impénétrables du monde organique el organisé. Presque du même coup, il nous révéla la composition de l'air, celle de l'eau, de l'acide carbonique et celle des malières organiques. Deux, trois 138 ou quatre corps simples, du carbone et de l'hydrogène; du carbone, de l'hydrogène et de l'oxygène, ces trois derniers éléments, et de l'azote, voilà ce qu'il faut pour produire, non pas un grain de blé, un élément de muscle, mais les principes iminédiats (fécule, albu- mine, fibrine) qui servent à leur génération. Ajoutons à la liste quelques autres métalloïdes (du soufre, du fluor, du chlore, du phosphore et du silicium), quelques métaux (potassium, sodium, calcium, magnésium, manganèse et fer), et nous avons les maté- riaux élémentaires qui servent à la formation des principes immé- diats qui, à leur tour, servent de matériaux pour la construelion des organes dont l'assemblage harmonique et merveilleux constitue le corps du plus parfait des êlres terrestres. Ce résultat extraordinaire, qui a été obtenu dans le cours d’une vie d'homme, puisque depuis la mort, hélas! prématurée et violente, de son auteur, on n’a pres- que rien ajouté au tableau, suffirait certes pour faire comprendre l'importance de la chimie appliquée à l'étude des êtres vivants. Ne voit-on pas là comme la démonstration scientifique de cette parole de l'Écriture ? « Dieu forma donc l’homme du limon de la terre! » Nous voilà bien loin de Buffon, qui considérait les êtres vivants comme essentiellement formés par une matière propre, différente des malières minérales! Il sera curieux de voir le parti que cet illus- tre naturaliste tirait de sa conception; elle expliquera pourquoi Buffon était hélérogéniste. Cette matière propre est organique, ani- mée, universellement répandue, sous la forme de molécules orga- niques, dans les substances végétales et animales , et elle sert égale- ment à leur nutrition, à leur génération et à leur développement. L'analyse chimique , entre les mains de Lavoisier, eut bientôt fait tomber celie opinion, car elle réduisit les minéraux, les végétaux el les animaux, aux mêmes corps élémentaires. Mais qu'est-ce, pour les chimistes modernes depuis Lavoisier, que la matière organique? Tout composé, qui contient du carbone au nombre de ses élé- ments, doit être considéré comme un composé organique, car il peut être le point de départ de la génération de cette matière; le car- bone lui-même n’a-t-il pas été appelé par M. Dumas, le corps simple 139 organique par excellence? L’acide carbonique, à ce point de vue, est une matière organique au même titre que l'acide formique, le sucre, la fécule, le ligneux et que l’albumine. Voilà ce qu’il faut commencer par reconnaître avant de s’oscuper de génération spontanée. Parmi les matières organiques, il y en a qui sont plus spéciale- ment destinées à la nutrition et au développement des animaux et de certaines parties des végélaux ; au nombre de celles-ei sont les matières albuminoïdes. Ces composés constiluent la matière orga- nique plastique de la cellule mère qui contient le germe, et ils sont formés dans les végélaux dont se nourrissent les animaux. La matière organique, les combinaisons du carbone, se forment- elles suivant les mêmes lois que les combinaisons minérales, ou bien faut-il faire intervenir des forces particulières ? Il faut convenir que, quand on voit trois ou quatre corps simples, le carbone, l'hydrogène, l'oxygène et l'azote, suffire à former les nombreuses espèces et l’étonnante variété des principes immédiats qui composent les êtres organisés, l’esprit confondu se demande si quelque mystère impénétrable ne nous dérobera pas à jamais les lois qui président à la formation de ces combinaisons. « Il n'y a que le tissu des végétaux vivants, disait Fourcroy, il n'y a que leurs organes végétants, qui puissent former les matières qu'on en extrait, et aucun instrument de l’art ne peut imiter les compositions qui se font dans les machines organisées des plantes. » Dans la nature, pensait Berzélius, dans la nature vivante, « les élé- ments paraissent obéir à des lois tout autres que dans la nature inorganique. » Gerhardt allait encore plus loin : « Je démontre, disait-il, que le chimiste fait tout l’opposé de la nature vivante: il brûle, détruit, opère par analyse; la force vitale opère par synthèse, elle reconstitue l'édifice abaltu par les forces chimiques. » Ainsi, malgré les progrès surprenants qui étaient déjà réalisés, les plus grands chimistes, quoique connaissant mieux l'essence de la matière organique, croyaient encore, en 1849, à l'impossibilité de la synthèse en chimie organique, et pensaient que des forces parti- culières, différentes de celles qui interviennent dans la formation des combinaisons en général, inconnues dans leur essence, consta- tées par leurs effets, concourraient nécessairement à la formation 140 de la matière organique (1). Notre grand Lavoisier seul ne s’élait pas prononcé, el celui des chimistes contemporains, le plus grand toutefois, celui qui a le mieux complété l’œuvre du maître, M. Du- mas enfin, en 1835 déjà, écrivait ces paroles prophéliques : « Dans mon opinion, il n'existe pas de matières organiques, c’est-à-dire que je vois seulement, dans les êtres organisés, des appareils d’un effet lent, agissant sur des matières naissantes, et produisant ainsi des combinaisons inorganiques très-diverses, avec un petit nombre d'éléments. Les êtres organisés réalisent, pour les combinaisons du carbone avec les éléments de l’air el ceux de l’eau, ce que les gran- des révolutions du globe ont produit pour les combinaisons de l'acide silicique avec les bases qui s’offraient à lui. De part et d'autre même complication. » Aujourd’hui, grâce à une meilleure application des méthodes de synthèse chimique, grâce aux brillants travaux de M. Berthelot, qui s'est imposé la tâche de reproduire par synthèse totale, c'est-à-dire à l’aide des corps simples, la matière organique, et qui a réussi, la voie est si bien ouverte, la carrière si brillamment parcourue, que l’on peut légitimement espérer que, bientôt, pas un composé, élé- ment chimique d’organe, n’aura échappé à la commune loi. La chimie, que l’on appelle organique, mais qui n’est qu’une face de la chiruie générale, est donc l'histoire des combinaisons du carbone. Les corps des êtres vivants sont formés d'organes, et ces organes sont résolubles en principes chimiques immédiats, c’est-à-dire en combinaisons chimiques définies, toujours identiques à elles-mêmes et qui sont toutes du domaine de la chimie générale. Mais après avoir déterminé la composition et la nature intime des principes immédiats des corps organisés, après avoir reproduit dans leurs cornues la plupart de ces principes, les chimistes ont bien vite limité leurs prétentions, et ont sagement distingué entre composés organiques el substances organisées : aucun n’a lenté de produire un grain de blé, une fleur, une‘feuille, que dis-je, une cellule! Voilà ce que la chimie reconnaît n'être pas de son domaine. L'étude des (1) En 1845, cependant, Gmelin pouvait déjà écrire un chapitre de son livre (Handbuch der Organischen Chemie), qu'il intitula : De la formation des combinai- sons organiques par des éléments minéraux. 141 corps organisés n’est du ressort de la chimie pure, que quant à la composilion et aux propriélés des substances incomplexes qui con- courent à leur construction. La chimie physiologique, qui est en- core la chimie, étudie les réactions qui s’accomplissent dans les appareils de l'être vivant, mais ne va pas au-delà. Ainsi, landis que les chimistes n'osaient pas encore concevoir la formation de la matière organique en dehors des actions de la vie dans les corps des êtres organisés, et attribuaient sa génération à la force vitale, des naturalistes plus hardis allaient jusqu’à prétendre que la matière vivante peut spontanément se créer à l’aide d’une matière organique que l’on supposait ne pouvoir être formée quedans les appareils vivants des végétaux. La naissance de la matiéreorganique présupposail un étre organisé , et l’on voulait que la matière organique s'organisät, créât d'elle-même un organisme doué de vie (1). Cette seule remarque aurait dû faire réfléchir, et il est remarquable que ce furent les chimistes les moins téméraires et les naturalistes les plus circonspects qui découvrirent les lois de la formation de la matière organique et celles du développement des êtres organisés. Que l'antiquité ait cru aux générations spontanées, rien de plus naturel, nous l’avons vu; que le moyen âge jusqu’au xvr° siècle y ait cru, rien de plus simple encore, puisqu'on ne connaissait point les divers modes possibles de génération. Jusqu'au xvrre siècle l'hy- pothèse de l’hétérogénie était non seulement admise, elle était en quelque sorte une nécessité qui découlait de données métaphysi- ques : elle ne trouve des contradicteurs que vers la seconde moitié de ce même xvur° siècle, alors que la méthode expérimentale com- mençait à préoccuper les esprits. Il faut juger les travaux et les opinions des savants avec les idées qui dominaient dans le siècle qui fut le leur, et les expériences qu'ils entreprirent, en se reportant à l’état plus ou moins avancé de la science à leur époque. Aristote, Lucrèce, Van Helmont, Leu- wenhæck, écrivaient, chacun, avec les idées philosophiques et scientifiques qui dominaient de leur temps. Les hommes de génie, les grands observateurs ont ce privilége rare d'énoncer les lois qui deviennent ensuite le point de départ des (1) Dans mon opinion, la matière organique et l’être organisé ont été créés du même coup. 142 travaux de plusieurs généralions. Harvey, qui naquit en 1578 et mourut en 1657, énonce la loi de la génération : Omnia ex ovo. Mal- pighi (1628-1694), Graaf (1641-1678), Vallisnieri (1661-1730), Haller (1708-1777), Spallanzani (1729-1799), etc., développent l'idée et l'étude de la génération par le développement des œufs, occupe tout le xvrr° et une grande partie du xvirie siècle. Néanmoins, malgré les travaux de tant de grands hommes dans le passé, de si brillantes découvertes dans le présent, tout n’est pas dil sur ce grave sujet, puisque M. Pouchetet d’autres savants sont aujourd'hui les défen- seurs convaincus de la génération spontanée. Cependant Redi (1626-1697) montre déjà , en allaquant par ce point, les générations spontanées à l’aide d'ingénieuses expérien- ces, que les vers, qui naissent dans la chair en putréfaction, ne sont que des larves qui proviennent d'œufs de mouche. [l lui suffisait de recouvrir d’un tissu léger la chair en putréfaction, pour s'opposer complétement à la naissance de ces larves, en empêchant les mou- ches d'y déposer leurs œufs. Redi avait vu les œufs, et trouvé le moyen de lesempêcher d'arriver dans le terrain où ils devaient éclore. Le microscope, qui n'était point encore un instrument parfait, ni d'un usage répandu du temps d’Harvey, servit dans la suite à dé- couvrir ce monde des petits êtres appelés infusoires, que Leu- wenhoeck voyait partout, et dont la bouche contenait, disait-il, autant que la Hollande contient d'habitants. Comme on ne voyail ni œufs, ni rien de semblable à une génération par l'union des sexes, on supposa que ces infusoires naissaient spontanément dans la ma- tière morte ou dans celle des infusions, dont les matériaux auraient conservé, pensait-on, une certaine vilalité propre, ‘ou un certain nombre des molécules organiques que Buffon croyait plus lard exister dans tous les corps en putréfaction. Dans le'‘cours du xvni° siècle, trois savants illustres, Buffon (1707-1788), Needham (1743-1781), Spallanzani (1729-1799), occu- pent la scène avec Bonnet (1720-1793). Tous les quatre sont des philosophes spirilualistes, el cette remarque n’est pas sans impor- tance. Buffon et Needham sont pour la génération spontanée ; tous les deux sont expérimentateurs; Bonnet et Spallanzani sont leurs adversaires. L'un et l’autre savent expérimenter. Ces quatre natura- listes sont les auteurs des idées el des méthodes d'expérimentation que l’on applique encore aujourd'hui. Mae 143 Voyons les idées qui dominent dans les deux camps. Spallanzani est disciple d'Harvey, de Haller, etc. Il s’occupa beaucoup de la gé- nération ; il était un physiologiste distingué, il était oviste, comme Bonnet qui est l'inventeur de la panspermie. Bonnet, l’auteur de la théorie de l’emboîtement, qu'il fonda en s’ap- puyant sur Leiïbnitz et les différents ordres d'infiniment petits, est aussi l’auteur de la préexistence des germes et de leur dissémina- tion. D’après lui, la nature, en semant les germes de tous côtés, fait de l'air, de l’eau, de la terre et de tous les corps solides, de vastes magasins où elle a déposé ses richesses. Mais quelle idée se fait-il de ces germes? Voici : « La philosophie ayant compris l’impossibilité où elle était d'expli- quer mécaniquement la formation des êtres organisés, a imaginé heureusement qu'ils existaient déjà en petit, sous la forme de germes, ou de corpuscules organisés, — et cette idée a produit deux hypo- thèses : la première suppose que les germes de tous les corps orga- nisés "d'une même espèce étaient renfermés les uns dans les autres, et se sont développés successivement : c'est l’emboîtement ; la seconde hypothèse répand ces germes partout, et suppose qu'ils ne parvien- nenl à se développer que lorsqu'ils rencontrent des matrices conve- nables, ou des corps de même espèce disposés à les retenir, à les fomenter et à les faire croître, c'est la panspermie. » Il est clair que pour Bounet, comme pour nous, le germe est le rudiment d’un nouvel être. — Il n’y a pas lieu de faire ici l’histoire du parli que ce philosophe a tiré de sa conception; mais au point de vue de la géné- ralion spontanée, il est curieux de voir la panspermie ainsi définie par lui : « La prodigieuse petitesse des germes, les met hors de l'at- teinte des causes qui opèrent la dissolution des mixtes. Ils entrent dans l’intérieur des plantes ei des animaux: ils en deviennent même parties composantes, et lorsque ces composés viennent à subir la loi des dissolutions, ils en sortent sans altération, pour flotter dans l'air ou dans l’eau, ou pour entrer dans d’autres corps organisés. Portés dans les ovaires de la femelle ou dans les vésicules séminales du mâle, ils y sont le principe de la génération du fœtus. » Quoi qu'il en soit de ce que cette hypothèse a d'erroné et d'imparfait dans sa trop grande généralité, ces germes sont évidemment ce que nous- mêmes appelons germes, les œufs ou sporules de microzoaires ou de microphytes. Il est intéressant de noter que ces idées ont reçu 144 une sorte de vérification des expériences récentes de M. Van Bene- den, etc. Les œufs des tænias (entozoaires que l’on a cru jusqu'alors le produit d'une géntration spontanée), ne sont-ils pas comme les germes de notre philosophe, inaltérables et transportables dans les tissus après être éclos dans l’inteslin d’un animal, pour devenir ani- mal parfait dans l'intestin d'un autre animal ? L'hypothèse de Bonnet, la préexistence et la dissémination des germes, élailt universellement admise par les non hétérogénisies, cela résulte de l’article germination del Encyclopédie de Diderot. Cette inanière de voir préoccupait les partisans dela génération spontanée, ainsi que le prouvent les précautions qu'ils prenaient pour éviter l'intervention des prétendus germes, comme ils disaient. Buffon el Needham avaient chacun sa théorie, paraîl-il. Pour le premier auleur, les corps organisés n'existent point originairement en petit dans les germes : mais prenant le contrepied de l'hypothèse de Bonnet, il prétend qu'ils sont formés par la réunion d’une matière organique toujours active, toujours prête à se mouler, à s'assimiler et à produire des êtres semblables à ceux qui la reçoivent. Les parti- cules de cetie matière organique sont vivantes et indestruclibles. Elles ne sont en elles-mêmes, ni végétaux, ni animaux, mais elles sont propres à composer les uns et les autres. Une force secrèle met ces malériaux en œuvre. Suivant les lieux et les circonstances elle produit des êtres différents : dans la malrice c’est un embryon; dans les intestins c’est un tænia; dans la peau d’un polype c’est un polype, elc. Les mêmes particules organiques qui forment l'organisme vivant fournissent à sa nutrition, à son accroissement, etc. La décomposi- tion des corps organisés nous laisse apercevoir les éléments organi- ques qui les composaient; ils se montrent dans les infusions, sous la forme de globules mouvants. Tel est l'exposé succinct de la lhéorie des éléments organiques. En 1777, Buffon gardait encore toules ses convictions, el il est curieux de voir combien élait grande sa confiance dans son hypothèse. Pendant l'intervalle de temps, dit-il, pendant lequel les molécules organiques se lrouvent en liberté dans la malière des corps morts et décomposés, el qu’elles ne sont point absorhées par le moule intérieur des êtres organisés qui composent les espèces ordi- naires de la nature vivante ou végétante, ces molécules, toujours aclives, travaillent à remuer la malière putréfiée; elles s'en appro- D DR Fee = PT TE NINIE 145 prient quelques parlicules brutes, et forment par génération spon- tanée ane multitude de petits corps organisés qui remplissent l'in- tervalle que la nature a mis entre la simple molécule organique vivante, et l'animal ou le végétal. Pour lui la génération spontanée est non-seulement la plus fréquente mais la plus universelle; si bien que si le Souverain Être venait à supprimer la vie de tous les individus actuellement existants, que tous fussent frappés de mort au même instant, les molécules organiques pourraient par elles-mêmes pro- duire une nouvelle nature. — Telle est en résumé l'hypothèse de Buffon. A la place des germes qui contiennent virtuellement tout l'être, il mit une malière organique vivante, primordiale, incorrup- tible, incapable de mort et susceptible par elle-même de reproduire une nouvelle création organisée, si tous les êtres actuellement exis- lants venaient à disparaître dans le néant. L'hypothèse de Needham est plus vague mais non pas moins abso- lue. Ce naturaliste admet que dans la matière morte, dans la matière des infusions existe une force végélative ou productrice. Cette force est la cause de la génération spontanée des êtres que l'on voit apparaître dans les infusions. Fondé sur les précautions qu'il avait prises dans ses expériences, il se croyait en droit de conclure, que les animal- cules qu’il découvrait dans les infusions, se formaient spontanément dans les liqueurs mêmes, en vertu de cette force productrice ou végé- Lative répandue dans toutes les parties de la nature. Nous voyons par là que les savants du xvie siècle avaient ioutes nos idées, ou plutôt que nous avons hérilé de leurs opinions. Entre hélérogénisles et panspermistes modernes le débat est le même : les méthodes d’expérimentalion el de raisonnement sont aussi les mêmes, comme on va essayer de le faire Voir. Au fond rien de nou- veau n’a élé introduit dans le débat. Au siècle dernier grâce aux travaux des ovisles, la génération spontanée a été obligée de se réfugier dans le monde des infusoires , des êlres de la limite inférieure de l'échelle des êtres vivants. On ne veut plus croire que des organismes supérieurs à ceux-là puissent se former par généralion spontanée. Le débat n’en est que plus inté- ressan£ à cause de la difficulté de voir el de saisir les germes que la disséminalion suppose répandus partout. Mais il est bon d'insister : partisans et adversaires de la génération spontanée, ne se proposent plus de disculer si une souris, voire même une mouche, peut naîlre VI. 10 146 autrement que d’un œuf fécondé. Pour ces êtres-là tout le monde est d'accord, Buffon lui-même ; car il n’a pas supposé que les mo- lécules organiques pussent à elles seules reproduire la nature vivante actuelle, si tous les êtres vivants qui la composent périssaient tout à coup, mais une nouvelle nature. Dans leurs expériences, hétérogénistes et panspermistes anciens, se préoccupaient également de l’arrivée et de l’éclosion possible des germes dans leurs infusions ; les premiers pour se mettre à l’abri des objections ; les autres, pour éviter réellement l’arrivée des germes dont ils admettaient l'existence, d’après la conviction où ils élaient de la réalité et de la généralilé de la loi d'Harvey, et d'après ce que l'expérience leur avait appris de la constance de la génération uni- voque de tous les êtres qu’on avait pu suffisamment étudier. La méthode d’expérimentation consistait pour les uns, comme pour les autres, à mettre les infusions allérables dans des vases scellés que l’on exposait aussitôt à une température suffisamment élevée pendant un temps suffisant. Les hélérogénisles disaient que c'était pour tuer les prétendus germes que leurs adversaires croyaient exis- ter partout ; les panspermistes afin de tuer réellement les germes à l'existence desquels ils croyaient. Needham qui ne chauffait pas assez, voyait toujours apparaître des animalcules et triomphait comme hétérogéniste. Spallanzani qui chauffait assez longtemps pour tuer les germes des infusoires de tous les ordres, n’en voyait jamais apparaître et vérifiait réellement la théorie des germes préexislants. L'abbé Needham reprochait à l'abbé Spallanzani de chauffer trop longtemps, de trop torturer ses infusions; qu'il affaiblissait ainsi ou même anéantissait complétement la force productrice ou végé- tative des substances infusées, qu’il corrompait entièrement, par l’ar- deur du feu, la portion d’air qui reste dans les fioles. Il pensait qu'il n’élait pas étonnant que les infusions n’eussent donné aucun signe de vie entre les mains de son adversaire ; et qu'il en devait être ainsi. Spallanzani, néanmoins, avait convaincu tous les ovistes, c’est-à- dire {ous ceux qui pensaient comme lui, et parmi ceux-ci il faut citer Réaumur (1683-1757) qui a particulièrement réfuté Buffon. La question, au point de vue de la putréfaclion et de la fermenta - tion alcoolique ne reparut dans le cours de notre siècle que pour 147 prouver que l'oxygène de l’air est la cause de l’allération des matières organiques organisées, et que dans le procédé d’Appert pour la con- servation des aliments, si cetle conservation a lieu, cela tient exclu- sivement à ce que l'oxygène est absorbé. Tout le monde connaît l'expérience de Gay-Lussac sur ce sujet et sur l'influence de Pair dans la fermentation du moût de raisin. Ce grand chimiste attribuait l’altération des malières organisées au seul oxygène, tant la querelle du xviuie siècle le préoccupait peu. Gay-Lussac s'était trompé ; l'air seul ea tant que composé d'oxygène et d'azote est inefficace pour com- mencer la fermentation du moût de raisin. Cette influence de l’air sur la putréfaction et sur la fermentalion élait une question trop importante pour qu'elle ne reparût point. C'est à propos de ces deux genres de phénomènes, la fermentation et la putréfaction, dont on disait qu’ils ne peuvent commencer que moyennant l'intervention de l’eau, de l’air el d’une certaine tempé- rature, que la question reparui. En 1837 M. Schwann se proposa et exécuta une série d'expériences dans lesquelles la matière putrescible ou fermentescible, préalable- ment portée à l’ébullition, élait mise en contact avec de l'air qui se renouvelait sans cesse dans le vase, mais après avoir traversé des tubes qui étaient portés à une température voisine de 400 degrés ou au rouge et s'être refroidi ensuite. En opérant sur la viande et autres matières, il ne vit rien apparaître de vivant, même après plusieurs semaines de contact, tandis que si l’air ordinaire intervenait, les in- fusoires ne tarderait pas à naître. Pour M. Schwann il paraît probable que l’air contient les germes des infusoires et autres productions que l’on voit se former dans la putréfaclion à l’air libre. Ces expériences prouvent donc que l'objection que Needham faisait à Spallanzani, touchant l’altération de l’air, n’était pas fondée. M. Ure confirma les expériences de M. Schwann. Plus tard M. Helmholtz démontra, comme Gay-Lussac l'avait déjà fait pour les conserves d’Appert, que l'oxygène de l'air était absorbé, mais que l'air pouvait être renouvelé (après avoir été chauffé) sans que la putréfaction s'établit. Ces expé- riences prouvent, contre Gay-Lussac, que l'oxygène n’est pas l’agent de la putréfaction; il n’est utile, dans certains cas, que pour permeitre aux êtres nés des germes venus de l'air de vivre et de se mulliplier. M. Schullze, vers lamêmeépoque faisait desexpériences semblables. Les liqueurs putrescibles portées à l’ébullition étaient mises en com- 148 municalion avec l'air, mais celui-ci était forcé de traverser une co- lonne d'acide sulfurique concentré et de polasse caustique. La matière putrescible dans laquelle arrivait l'air qui avait traversé les réactifs, ne présenta rien d'organisé. Les vases qui contenaient les mêmes dissolutions ou infusions altérables et qui étaient exposés à l'air libre à côté des autres expériences, se trouvaient remplis d'infusoires et même de rolateurs. En 1854, MM. Schrœder et Dusch entreprirent desexpériences ana- logues à celles de MM. Schwann et Schultze. L'air n’était pas chauffé mais se renouvelait dans ies appareils après avoir traversé d’abord une longue colonne de coton. La plupart des matières putrescibles ne s’altérèrent point. Le lait se cailla; la viande , qui n'avait pas été cuite dans l’eau, mais seulement chauffée au bain-marie, se putréfia. Laissant de côté la coagulation du lait qui est un phénomène dépen- dant d’une cause spéciale et la putréfaction de la viande qui, d'après les auteurs eux-mêmes n'avait pas élé chauffée dans toute sa masse, ces expériences les conduisirent aux mêmes conclusions que celles des précédents expérimentateurs. MM. Schrœder et Dusch reconnaissent que pour que le moût de bière fermente, pour que le bouillon de viande et la viande cuile se putréfient, il faut, outre l’in- tervention de l'oxygène de l'air, l'influence de malières inconnues qui existent dans l'air, que la chaleur détruit dans l'expérience de Schwann, que le coton retient dans la leur, et l’acide sulfurique, dans celle de Schullze. On le voit, c’est toujours quelque chose que l'air apporte avec lui qui est la cause des phénomènes observés. La même année, pendant que l'auteur de cette disserlation s’oc- cupait de certaines recherches de chimie organique, il a élé amené à attribuer à la naissance de moisissures végétales la transforma- tion du sucre de canne en sucre de raisin. Lorsque l’air arrive librement dansladissolution sucrée d’une concentration convenable, des moisissures ne tardent pas d’apparaîlre et le sucre de canne se transforme parallèlement, mais lentement, en sucre de raisin, en même temps que la dissolution, d’absolument neutre qu’elle était, devient franchement acide. La dissolution de sucre de canne préalablement chauffée que l’on met en contact avec de l’air qui, comme dans l'expérience de Schullze, a traversé l’acide sulfurique, ne se transforme pas, elle conserve sa limpidité et l’on ne voit pas apparaître de moisissures. RO ER PE 149 La même dissolution se conserve inlacle, même au contact de l'air, pendant huit années, si l'on y ajoute un peu de créosote, et des moi- sissures ne se développent point. Schwann et d’autres expérimenta- teurs s’élaient déjà servis d'agents antisepliques pour arrêter ou empêcher la putréfaction : on verra dans la seconde partie le sens que j’attache à l'action des composés réputés antisepliques. Une foule de dissolutions salines, l'acide arsénieux lui-même, n’em- pêchent pas les moisissures de se développer dans l’eau sucrée, elles les provoquent au contraire, mais dans chaque expérience on peut ‘constater que le végétal microscopique est d’une espèce différente. Pénétré que l’auteur était des idées de Bonnet, il a conclu, lors- qu'il publia ces expériences en 1858, par ces mots : «Il paraît donc évident que des germes apportés par l’air ont trouvé dans la solu- tion sucrée un milieu favorable à Jenr développement, et il faut admettre que le ferment est produit ici par la génération de végéta- tions mycétoïdes. » C'élail à celte époque une chose neuve que de con- sidérer les moisissures comme des ferments. Cette méthode a des avantages très-grands, en ce que l’on peut facilement constater qu'aucun organisme ne s’'esl développé, même de ceux que le microscope pourrait ne pas laisser apercevoir, par la constance des propriélés que le sucre de canne conserve. C'est en cela qu'elle est neuve : elle porte avec elle son contrôle et ce contrôle est facile. Toutes les fois que l'on voit apparaître un organisme, le milieu change et ce changement est mesurable optiquement : or, tout changement se trouve aussilôt expliqué par la naissance des moisissures. L'emploi de la créosole dans les études de génération spontanée a aussi de grands avantages, en ce qu’elle dispense des précautions minutieuses que l’on est obligé de prendre lorsqu'on veut éviter les corpuscules organisés de l’air. La créosote, agent réputé antiseptique, n'entrave pas l’action des moisissures une fois nées ; elle ne fait que s'opposer à la naissance des organismes qui sécrètent le ferment ou qui agissent comme ferment, en rendant le terrain infécond, c'est- à-dire impropre au développement des germes, œufs ou sporules que l’air apporte dans le milieu fermentescible ou putrescible ; mais, l'être une fois né et formé hors de sa présence, la créosole ne s’op- pose pas à la manifestation des phénomènes qui caractérisent sa vie. Enfin en 1859 M. Schræder publia une suite aux expériences qu’il 150 avait publiées en commun avec M. Dusch. Ses nouvelles recherches ont. porté sur le sang et la fibrine du sang, sur le blanc d'œuf, la caséine, le petit lait, le fromage mou, le sucre de lait, le glucose, le sucre de canne, l'empois d’amidon, l'urine, elc. Les liqueurs étaient portées à l’ébullilion dans des ballons qui étaient aussilôl bouchés avec du coton non tassé. Toutes ces matières se trouvèrent inallérées même après plusieurs mois et des années, si ce n’est la viande, le bouillon, le jaune d'œuf et le lait (bien que les principes immédiats de ce liquide naturel fussent individuellement restés inaltérés dans l'air filtré sur du coton), qui en général ne se conservent pas aussi : longtemps. Toutefois on ne vit apparaître aucune trace de moisis- sures, ni rien d’organisé. M. Schrœæder dit à son tour qu'il lui parait hors de doute que lorsque des moisissures apparaissent, elles sont dues à des germes ou des spores apportés par l’air dans les matériaux de ses études. Ainsi les expériences modernes, failes avec des connaissances plus exactes de la nature de la malière organique et des conditions d'existence des êtres organisés, les expériences modernes ont con- firmé celles de Spallanzani et vérifié les vues philosophiques de Bonnet. Cependant l’altération du lait, de la viande, dans certaines expé- rieuces, laissèrent l'esprit de M. Schrœder en suspens et il ne sut pas s'en rendre compte. Si la Société linnéenne accueille celte note avec bienveillance j'aurai l'honneur de lui communiquer des expériences qui les expliquent : je dirai seulement ici que l’altération du lait et de la viande dans ce cas là, n’est pas toujours une question dépen- dante de la génération spontanée, et qu’il peut y avoir putréfaction et ferinentation sans ferments organisés. Notons seulement, c'es là le fait important, qu’en aucun cas, pas plus que moi, M. Schrœæder n’a vu apparaîlre des moisissures dans les matériaux, même dans ceux qui s’altèrent, lorsqu'on opère avec de l'air purgé de germes par la fillration dans le coton ou par son passage dans l'acide sulfurique. La question en était là lorsqu'elle a de nouveau été soulevée par un savant naturaliste, M. Pouchet, dans la séance de l’Académie des sciences du 20 décembre 1858. Dans la seconde partie de ce travail nous verrons que dans celte nouvelle phase, sauf quelques parties de détail, les arguments et les expériences sont de même ordre que dans la première partie du débat. a le 151 SECONDE PARTIE. Pour soutenir la possibilité d’une génération spontanée, Lucrèce invoque la fertilité de la Terre ; Necdham une force végétative ou pro- ductrice dans les matières putrescibles. Buffon allant plus loin, admet la préexistence de molécules organiques toujours actives, qui ne sont, -par elles-mêmes, ni végélales, ni animales, mais qui, selon les cir- conslances, peuvent engendrer et des végétaux et des animaux. Près d’un siècle nous sépare de Necdham et de Buffon: durant cet intervalle, les sciences physiques et naturelles ont progressé dans une étendue jusque-là inouïe ; néanmoins aucune des lois fonda- mentales qui président à leur développement et qui guident les sa- vants dans leurs travaux, n'a reçu la moindre atteinte dans sa géné- ralilé : au contraire toutes les découvertes n'ont fait que les confir- mer. En ce qui concerne la chimie, nous avons vu que ce que l'appellation matière organique avait de vague et d’indétérminé, a fait place à une définition scientifique rigoureuse et lumineuse à la fois. La malière organique n’est plus ce qui est destiné à former les vé- gétaux ou les animaux, quelque chose de spécial et sans analogue, mais de la malière minérale au même titre que la matière minérale proprement dite, qui ne se distingue de celle-ci que par le carbone qu'elle contient au nombre de ses éléments. Sans aucun doute, ce que l’on entend vulgairement aujourd’hui par matière organique, ce avec quoi le végétal et l'animal composent son organisme, possède des propriétés entièrement tranchées qui sont spéciales et caracté- ristiques. D’une certaine façon, il y a des propriétés générales de la matière qui ne peuvent lui être aucunement altribuées. Si nous con- sidérons le bois et dans le bois ce qu’il y a en lui de plus essentiel, le ligneux ou la cellulose qui forme le principe immédiat dont se composent ses cellules et ses fibres, nous trouvons que ce principe est ternaire, c’est-à-dire formé de trois corps simples, carbone, hy- drogène, oxygène. Si nous considérons de même un animal et dans cet animal l’albumine et les substances analogues qui sont ce qu'il y a de plus essentiel dans son sang, dans sa chair, dans la matière organique de ses os, nous trouvons que ces malériaux sont qualer- 152 naires, quelquefois quinaires et tout au plus formés de six corps simples, le carbone, l’hyärogène, l'oxygène, l'azote, le phosphore et le soufre. Eh bien, tandis que rien ne s'oppose à ce que l’on puisse imaginer avec Lavoisier que toute matière est capable d’affecter les trois états, solide, liquide et gazeux, nous trouvons que celles-là ne peuvent être liquéfiées et encore moins gazéifiées. Sans doute il existe des corps simples et des corps composés qui ne peuvent pas non plus l'être, mais rien ne s'oppose, au fond, de supposer qu'un jour on y parviendra, parce que ces corps possèdent la faculté de résister à la chaleur sans se détruire : chauffez tant que vous pour- rez le carbone, le silicium, la chaux, le phosphate de chaux, vous ne les liquéfierez point, vous ne les gazéifierez point; mais vous ne les décomposerez pas non plus. Si vous chauffez de même le ligneux, la chair, vous ne les liquéfierez, ni volaliliserez, unique- ment parce que passé un certain degré de chaleur peu élevé, vous les voyez se décomposer ou au moins changer de nalure molécu- laire. Ces matières sont ainsi faites; il est dans leur essence, d'être ainsi; pour nous, dans l’ordre que nous observons, elles sont telles par destination; plutôt que de changer d'état elles se détruisent ou se modifient moléculairement c’est-à-dire chimiquement. C'est là ce qu’il y a de plus spécial, après la composition et au point de vue chimique dans les malières organiques organisables. Pour les distinguer de la matière organique en général, je les appellerai dorénavant matières carbonées organisables. Une matière qui fait partie intégrante d'un organisme n’est pas pour cela une malière organique : ce serail une grosse Crreur que de le penser. Prenons un êlre organisé quelconque : dans l'état vivant il n’y en à pas un qui ne conlienne de l’eau, et ce sont ceux qui possè - dent Ja vitalité la plus puissante qui en contiennent le plus et, dans un même animal, c'est la matière la plus chimiquement vivante qui en contient le plus. C’est.là où les mutations organiques, les actions chimiques sont les plus actives qu’il y a le plus d'eau : la matière nerveuse, le sang, les muscles; ce sont les parties les moins vivantes qui en conliennent le moins : le syslème osseux el dentaire, les poils, etc. Cependant l’eau ne conslilue aucun organe et ne s'orga- nise pas : elle n’est que le milieu au sein duquel s’accomplissent et se manifestent, dans l'être, les modifications, transformalions et décompositions de la malière. Il y a dans Lous les animaux, dans 153 tous les êtres organisés d’autres matières minérales proprement dites: des sulfates, des chlorures, des phosphates, des silicates, des fluo- rures de quelques métaux : jamais aucune de ces substances, dans quelque point que ce soit de l'organisme, ne forme .un organe : elles ne sont pas plastiques. Ces composés remplissent deux rôles importants : ils servent tantôt comme d'agents mécaniques, pour donner de la solidité à la matière carbonte organisable, comme le phosphate de chaux dans son union ave l’osséine dans les os; lanlôt ils servent à communiquer au milieu ambiant la propriété de ne pas dissoudre certains organes ; c’est ainsi que dans le sang, grâce à la présence de l’albumine, du chlorure de sodiurn et des autres subs- tances qui existent normalement dans le sérum, les globules rouges peuvent flolter sans se dissoudre ; dans l’eau pure ils se dissoudraient en se désorganisant ; dans l’eau salée, sucrée ou gommée ils ne se dissolvent pas plus que dans le sang. Ces diverses matières font partie des organes, elles ne sont jamais l'organe, quoique dans l’état vivant l'un ne puisse pas être sans l'autre. — Certains composés organiques comme ie sucre, les éléments complexes de la bile, les corps gras, etc., se comportent essentiellement comme des matières minérales au point de vue de l’organisation ; ils ne sont pas organisables : aucun organe n’est formé de sucre, de graisse. Les organes formés de ma- tière carhonée organisable peuvent contenir du sucre, de la graisse; mais ne sont pas formés par eux. Il est convenable d’insister sur tout cela quand où s'occupe de génération spontanée. Nous verrons, en effet, que les organismes qui naissent dans certaines liqueurs, con- tiennent des matériaux qui ne préexistaient point dans le milieu avant l’apparilion de ces organismes. C'est sans doute la matière carbonée organisable telle que je viens de la définir, que M. Joly appelle la matière organique. C’est dans cetle matière organique qu'on place la puissance organisatrice et dont on dit que l'être dénué de parents tire ses éléments primordiaux. Ne voil-on pas à quel point cette manière de voir rappelle les molé- cules organiques de Buffon? Je pose en fait que les matières plastiques animales essentielles, réduiles à l'élal de principes immédiats (par exemple, la synlonine ou musculine retirée des muscles, l’albumine, la caséine, l’osséine), ne pourront jamais, par elles-mêmes et sponta- nément consliluer un organisme. Sans doule, les hélérogénistes supposent qu'outre la matière organique ambiante d’où l'être tire ses VI. 11 154 éléments primordiaux, il faut encore autre chose. Il faut remplir, en effet, plusieurs autres conditions pour qu'un être apparaisse. L'in- tervention de l’air est nécessaire, indispensable même; la présence de cerlaines matières ininéraies et autres, dans le milieu, qui doit toujours être très-aqueux, est d'une absolue nécessité dans la plupart des cas. C'est qu'en réalité aucun être ne peut se constiluer par une malière unique, même carbonée organisable. Dans un être constitué on découvre toujours plusieurs principes immédiats, minéraux ou organiques : et si l’être est de nature arimale, il les lui faut fournir d'avance. Or, les matériaux des infusions que les anciens hétérogé- uistes comme les modernes employaient, remplissent toutes ces conditions, car ces infusions contiennent : Beaucoup d’eau; Une matière carbonée organisable; Diverses matières organiques solubles; Diverses combinaisons minérales. C’est dans un milieu ainsi constitué, grâce à l'intervention de l’air et d’une lempérature convenable, que, d’après les parlisans de la généralion spontanée, la matière organique s'organise spontanément. C’est dans un milieu ainsi constitué que leurs adversaires voient un lerrain capable de laisser éclore les germes qui y préexistent ou que l'air y apporte. Dans les expériences de MM. Pouchet, Joly et Musset, demême que dans la plupart de celles des autres expérimentateurs, on fait usage d’infusions végétales diverses qui sont dans les conditions qui vien- nent d’être énumérées. Ces liqueurs sont faites avec du foin, du poivre, de la levûre de bière. Le jus de belteraves, l’eau de levûre sucrée, le lait, l'urine, elc., ont été employées. M. Mantegazza a fail dés expériences sur des cadavres de grenouilles. On ne peul juger un système que par les idées qui dirigent les expérimentateurs qui le défendent. Les hélérogénistes modernes, suivant en cela M. Pouchet, ont remplacé les molécules organiques de Buffon, la force végétative de Needham, par les facultés génésiques des infusions. Force végélative, faculté génésique, c’est toujours une propriélé indémontrable qu’on suppose exister dans la matière orga- nique. C’est par là que l’on continue les hétérogénistes d’autre- fois. Les adversaires de la génération spontanée sont restés fidèles à 155 l'opinion de Bonnet; ils sont panspermisles. Mais ici se trouve une phase importante du débat. Existe-1-il réellement dans l'atmosphère des corps organisés qui confirment l'opinion de Bonnet, autrement que par des expériences analogues à celles de Spallanzani? Tout le monde sait, que l’air est le véhicule du pollen d’une foule de plantes etque l’on explique ainsi la fécondation des fleurs femelles des plantes dioïques ; que l’air, grâce à ses violents déplacements, esl l'agent actif de la dissémination des plantes. M. Ehrenberg, l'historien des infusoires, n’a-t-il pas depuis longlemps constalé la présence de nombreux organismes microscopiques dans les poussières que l'atmosphère transporte au loin, dans les pluies et dans les neiges? Si des infusoires el des microphyles sont ainsi transportés, pourquoi leurs œufs et leurs spores ne le seraient-ils pas? Mais ce qu'il y a de plus instructif dans ce sujet, ce sont les pro- pres observations de M. Pouchet : « On rencontre parfois, dit ce savant naturaliste, dans la poussière quelques œufs de microzoaires, comme on y rencontre une foule de corpuscules légers... parmi les- quels il y a des spores de cryplogames. » M. Pasteur a vu, à son tour, ces œufs et ces spores ; par un ingé- nieux procédé il parvient à les retenir. Il suffit de faire filtrer une grande masse d’air sur une colonne de pyroxyline soluble dans l’al- cool éthéré. En irailant ensuile celte pyroxyline par son dissolvant, le filtre est dissout et les poussières restent (1). Ces poussières, exa-. minées au microscope, montrent un {rès-grand nombre de ces spores et de ces œufs. La dissémination des germes est donc démontrée. Ils existent dans l'air. Près du sol ils abondent, plus on s'élève dans l'atmosphère moins on en trouve. On voudrait conclure que l’air en doit être farci, ce qui n’est pas du tout nécessaire; on comprend qu'il peut y avoir des zones où l'air n’en contient pas pendant un certain temps : lous ceux qui oni expérimenté savent que quelquefois des liqueurs putrescibles ne laissént rien apparaître pendant quelques jours, puis que tout-à-coup le terrain se trouve fécond. On aurait pu croire que celte démonstration, donnée par des hom- mes aussi distingués que ces deux adversaires, devail les réunir dans (1) MM. Schrœder et Dusch arrêtaient les germes par la filtration de l’air sur le coton, M. Pasteur par la filtration sur la pyroxyline. Le progrès consiste dans la substitution d’un filtre soluble au filtre insoluble. 156 un sentiment commun. Mais non, M. Pouchet a gardé toutes ses conviclions. Comment expliquer cette contradiction? Par quel mys- tère l’un nie-t-il ce que l’autre affirme? Je ne saurais l'expliquer autrement qu’en disant que certaines expériences ont dû laisser l’es- prit de M. Pouchet dans le doute ; et que ne se rendant pas comple de toutes les difficultés expérimentales, il préfère admettre la faculté génésique plutôt que de tenter de faire rentrer les exceptions dans la règle. Les expériences de M. Pouchet sont extrêmement nombreuses. Je ne saurais le suivre. Je dirai seulement que pour expliquer comment la même infusion ne donne pas indéfiniment naissance à des êtres organisés, on admet «qu'il vient un moment, où la substance orga- nique épuisée, en quelque sorte, ou du moins très-altérée, ne peul plus fournir ni mucédinées, ni protozoaires. » On admet encore « que si certains infusoires (Kolpodes, Para- mécies), plus gros n'apparaissent pas dans les infusions bouillies, ni dans celles qui sont exposées à une atmosphère limilée, ce n'est pas précisément parce que l'oxygène leur manque, absorbé qu'il est par les bactéries, les monades et les vibrions qui les précèdent, mais bien parce que les facullés génésiques des infusions sont réellement élouffées par les conditions matérielles des expériences in vitro. » L’objection est, comme on le voit, semblable à celle que Needham faisait à Spallanzani, de trop torturer les infusions. M. Pasteur, d’ailleurs, s’est imposé la tâche de combattre l'hétéro- génie moderne. Ses expériences sont de plusieurs ordres. Elles sont en parlie la répétition et la confirmation de c:lles de Spallanzani et de Schwann. Comme Spallanzani, il a démontré que les germes de tous les ordres ne sont pas tués, rendus incapables d’éclore, à la tem- péralure de l’eau bouillante. Pour le lait notamment, il faut que celle température soit portée quelques instants à plus de cent degrés pour que la putréfaction ne s’établisse pas et pour que des infusoires cessent de se montrer. Cela explique l’insuccès de Schwann et de MM. Schroeder et Dusch. Quant à certains insuccès de Schwann, qui avait vu la fermenta- tion aicoolique s’élablir même dans les opérations faites sur le mer- cure dans l’air calciné, M. Pasteur les a expliqués par la présence des poussières qui adhèrent au mercure. L'expérience réellement neuve de M. Pasteur, consiste à inlro- 3 157 duire dans les infusions, en présence de l'air surchauffé, les germes qu'il avait recueillis. En semant ainsi ces germes et en les voyant éclore sous forme de moisissures, il a établi que la chaleur n’enlevait à l’air aucune des propriétés qui le rendent nécessaire à l'existence des êtres vivants. Mais il n’est pas même nécessaire d'opérer en vase clos. En faisant rentrer de l’air non surchauffé dans des ballons où l’on a fait bouillir les infusions, on peut à volonté obtenir des moisissures ou n'en pas obtenir, suivant que l’on n’étire pas le col du ballon, ou suivant que l'ayant éliré on le dirige vers le bas, en contournant de diverses façons la portion étirée. C’est donc de l'air naturel qui rentre dans les appareils. M. Pasteur en conclut avec raison que, si dans un cas, il y a production de moisissures ou d'infusoires et non dans l’autre cas, il est évident que cette génération ne tient pas à l’air lui-même, mais à quelque chose qui lui est étranger : savoir les germes qui ont élé vus par M. Pouchet, par lui et par d’autres observateurs. On admet généralement que la plus petite trace d’air peut suffire pour faire apparaître des moisissures et autres productions organi- sées dans les infusions, ce qui tendrait à faire croire que toutes les portions de l’air contiennent des germes el que la cause de la géné- ration des organismes microscopiques est continue. M. Pasteur s’est élevé avec force contre cette erreur. Pour la combattre il fait bouillir la liqueur altérable dans des ballons à col effilé et ferme, à la lampe, par la fusion du verre, la partie effilée du col. On ouvre ensuite ces ballons dans une portion d’air donnée el dans une région que l’on choisit. Par le fait de l'ébullition l’air a été raréfié dans l'appareil, l'air extérieur s’y précipite donc avec force et l’on peut au bout de quelque temps, les ballons ayant de nouveau été fermés par un trait de flamme, s'assurer que quelque chose d’organisé s’est développé ou n’a pas apparu. Dix ballons ainsi préparés, ont été ouverts dans les caves de l’Ob- servaloire impérial, onze autres ballons de la même préparalion dans la cour de l'établissement, à cinquante centimètres du sol, par un vent léger. « Tous ont élé transportés dans l’éluve dont la température esl de 25 à 30 degrés... un seul de ceux ouverts dans les caves ren- ferme une production végétale. Les onze ballons ouverts dars la cour ont tous fourni des infusoires ou des végétaux. » 1° Vingt ballons préparés de la mème façon ont été ouverts et 158 refermés « dans la campagne, assez loin de toute habitation, au pied des hauteurs qui forment le premier plateau du Jura »; > Vingt autres sur l’une des montagnes du Jura à 850 mètres d'altitude ; 3° Vingt autres au Montanvert près de la mer de glace, à 2000 mètres d’élévation. Des vingt ballons ouverts dans la campagne, huit ont fourni des productions organisées ; des vingt ballons ouverts sur le Jura, cinq seuiement en conli-nuent; et enfin des vingt ballons remplis d’air au Montanvert « par un vent assez fort, soufflant des gorges les plus profondes du glacier des Bois, un seul est altéré. » On a reproché à M. Pasteur d’élouffer la force génésique des infu- sions, de déterminer un mouvement fermentescible nécessaire pour l’é- volulion des forces génésiques lorsqu'il y sème des poussières, et il ré- pond ne voir là «que des mots vagues auxquels l'expérience apprend à ne prêter aucun sens raisonnable. » Quant aux expériences du Montanvert, MM. Pouchet, Joly et Musset ont opposé celles qu'ils ont faites, dans les mêmes conditions, dans les Pyrénées, et qui ont abouti à des résultats opposés. Mais en définitive, M. Pasteur chauffe ses dissolutions, il les tour- mente : comme ses adversaires il emploie dans toules ses expériences des produits complexes qui, comme il le dit lui-même « ont une conslitulion et des propriétés acquises sous l'influence de la vie... et qui dans leur formalion exigent le concours des forces vitales. » On a vu dans la première parlie ce qu’il faut penser des combi- naisons formées sous l'influence de la force vitale. Sans aucun doute, les êlres organisés possèdent en eux, pendant la vie, la puis- sance d'organiser la matière. Mais le chimiste, tout en tenant compte de ce fait primordial qu’on appelle la vie, doit considérer les divers organes de cet être, chacune de ses cellules, comme des appareils au sein desquels la matière se transforme et réagit. Mais cetle transformation n'en a pas moins lieu que par les forces chi- miques. L'origine de la matière carbonée organisable n’en est pas moins minérale. C’est dans les végétaux que l'air, l’eau, l’acide car. bonique, l’ammoniaque et les sels venus du sol, se combinent de diverses manières, réagissent les uns sur les autres pour produire la matière carbonée organisable et celle qui ne l’est pas. Une fois que le chimiste a détruit l'organe pour en séparer les termes chimi- 159 ques incomplexes, les principes immédiats qui en font parlie constituante, ces termes divers n’ont plus rien de commun avec l’organisation. Que le glucose provienne du raisin, de la fécule ou du foie, c’est toujours le glucose. — Que l’albumine ait une origine végétale ou une origine animale, c’est toujours l’albumine, un prin- cipe immédiat qui possède certaines propriétés physiques et chimi- ques et qui fait fonction d’acide. De grâce, n'oublions pas que celle albumine, quoique provenant d’un être organisé, ne peut servir à Ja nulrition, c'est-à-dire à l’organisalion , que lorsqu'elle a subi dans l'être un premier travail transformateur. L’albumine de l'œuf, que l’on injecte dans les veines, y est comme un corps étranger que .l’économie se hâte d’expulser et que l’on retrouve dans l'urine : pourtant elle provient d'un animal, du sang de cet animal; néan- moins elle ne peut être assimilée. Encore une fois, il ne faut pas oublier qu'un aliment ne nourrit que lorsqu'il est digéré. La levüre de bière elle-même, comme les animaux supérieurs, digère le sucre de canne, et ce n’est qu'après l'avoir transformé hors d'elle-même en glucose, qu'il se transforme en elle en alcool et en acide carbo- nique. Il y à un abîme, insondable pour nous, entre la matière or- ganisée et la matière organique; mais l’organisation détruite, la matière retombe dans le domaine de la chimie; elle a perdu toul pouvoir de s'organiser d'elle-même. Malgré cela, gomme ces idées n'ont pas encore élé universellement acceptées, il faut raisonner comme si elles n’élaient pas fondées, et il faut, autant que possible, éviter l’objeclion en prenant ces substances dans l’état le plus voisin de celui où elles participaient à la vie pour expérimenter sur elles. Nous verrons que l’on peut donner une interprétalion plus géné- rale des expériences qui fournissent des résultats négatifs, comme dans celles qui ont été faites sur l’air des caves de l'Observatoire et du Monlanvert. Selon moi, M. Pasteur n’a pas vu la question sous son vérilable jour. Au lieu de conclure que telle portion d'air ne con- lient pas de germes, ce qui est cerlain pour nous, mais conlesté par - les hétérogénistes qui répondent, en se plaçant dans les mêmes conditions, par des expériences posilives, M. Pasteur aurait dû se demander pourquoi, s’il existe réellement une force génésique dans la matière organique ambiante, cetle malière n’engendre pas des organismes dans toules les régions de l'atmosphère. Ce qui domine le débat, c’est moins de savoir si dans tous les cas 160 où l’on voit naître des corpuscules organisés, ils sont dus à des ger- mes, que de démontrer que la malière organique peut spontanément s'organiser. C’est là le point délicat. Si l’on parvenait, dans une seule expérience bien certaine, à prouver que cette organisation spontanée est possible, toutes les expériences contraires à l’hétéro- génie seraient nulles et sans valeur. Car, dit fort bien M. Saint- Pierre : « Créer de toutes pièces, à volonté, un être vivant, pour si infime qu'il puisse paraître, c’est bouleverser peut-être la physiologie tout enlière : aux yeux du naturaliste L’insecte vaut un monde, ils ont autant coûté. » Le mot est juste : « à volonté. » Oui, si, à volonté, en prenant telle infusion, à mon choix, je peux dire : là je verrai apparaître tel être, ici tel autre, alors, mais seulement alors, et toutes les précau- tions étant prises, je croirai à une force génésique inhérente à la malière organique des infusions. Mais si comme dans les expérien- ces du Montanvert, je ne vois qu’un ballon fécond sur vingt, puis- que toutes les conditions sont d’ailleurs les mêmes, je conclurai que dans dix-neuf il n’y avait pas de faculté génésique, el je me demanderai pourquoi elle existait dans le vingtième. Or, on ne peul pas admettre que la faculté génésique n’est pas répandue partoul dans une même infusion : si celle faculté n'existait pas dans les dix-neuf vingtièmes, elle ne pouvait pas exister non plus dans le vingtième restant : donc la facullé génésique n’est pas et la matière organique en général n’est douée que d'activité chimique. De ce point de vue, il est peu important de s'occuper de la question de savoir pourquoi tels êtres apparaissent plutôt que d’autres : la force génésique est une, sans doute, il n’y en a pas une spéciale pour cha- que espèce d’êlre. La conclusion est légitime : l’apparition d’un microzoaire de n’imporle quel ordre inférieur ou d’un microphyte, a la même importance au point de vue de l’hétérogénie et de la Cause que l’on suppose active dans les infusions : elle vérifierait le système si elle élait constante; si cetie apparition n’est pas cons- tante, elle infirme le système, démontre le néant de sou hypothèse fondamentale. Voici un argument que je considère comme capital. Dans l'hypothèse hétérogéniste, l’infécondilé des infusions dans certaines expériences, démontrerait que la production des infusoires el des microphytles est livrée au hasard. Or, dans le plan de la créa- 161 tion tout se lient : ou bien les organismes microscopiques sont nécessaires à l'harmonie universelle, ou ils sont inutiles. S'ils sont destinés à jouer un rôle dans la physiologie générale du monde organisé, leur naissance ne peut être livrée au hasard. Or, nous le verrons, les infusoires remplissent une fonction nécessaire dans le plan général que nous constatons. Ce plan, deviné et presque démontré par Lavoisier, nous a élé révélé avec une lumineuse évi- dence par M. Dumas. Dans le cercle immense qui embrasse tout le règne organique , et qui aboutit de la plante à l'homme, les êtres microscopiques de tous les ordres, ont leur place marquée. Le sujet est incontestablement encombré de nombreuses difficul- tés qui ne sont pas encore entièrement levées. Mais la science est fondée sur des lois admirables : le mérite du chercheur est sur- tout de les étendre, et d’y faire rentrer les cas douteux qui ne constituent le plus souvent que des exceptions apparentes. Chimiquement, on ne peut faire aucune objection aux expériences de MM. Schwann, Schultze, Schrœder et Dusch et à celles de M. Pasteur. Selon moi, une seule des expériences. de Spallanzani condamnait le système de la génération spontanée, el je considère qu’en somme, on n'a fait que les confirmer. Cependant, on a opposé aux expériences de M. Pasteur, celles de MM. Maniegazza, Wy- mann, etc., qui ont aussi fait arriver de l'air surchauffé dans les infusions et qui ont vu apparaîlre des infusoires. Il est vrai que M. d'Auvray prétend que des germes peuvent traverser des lubes incandescents sans périr. Celte dernière question sera examinée plus loin. NOUVELLES EXPÉRIENCES SUR LES GÉNÉRATIONS DITES SPONTANÉES. J'ai déjà dit comment j'ai élé amené à m'occuper de génération spontanée, et je crois avoir suffisamment exposé mes vues sur le principe fondamental du système. Il s’agit de démontrer que la ma- lière organique en général, et la matière carbonée organisable en particulier, ne possèdent pas en elles une force particulière, dis- lincte des forces chimiques. J'ai opéré par tous les procédés connus, et j'ai appliqué ensuite la méthode dont j'ai donné un aperçu dans la première parlie. Je ne 162 me contente pas d'observer la {ransparence des liqueurs, ni de l’ob- servation à l’aide du microscope pour affirmer que rien d’organisé n’est apparu : je contrôle ce premier examen par l’apparition de phénomènes chimiques observables et mesurables. La première partie de la méthode consiste à rendre le milieu inca- pable de permettre l'éclosion des œufs ou la germination des spores qu’il contient ou que l’air y apporte. Pour cela, on y introduit une très-petile quantité de créosote. L'autre partie consisie à introduire dans le même milieu une substance transformable dont on puisse facilement constater les transformations et au besoin les mesurer. La troisième partie consiste à employer la matière organique sans lui faire subir des traitements qui puissent élouffer la faculté génésique que l’on suppose y exister. La quatrième partie consiste à faire apparaître des productions organisées dans des milieux ne contenant pas de matière carbonée organisable ou même aucune matière organique. Mais avant d'exposer mes expériences, il est nécessaire de dire un mot de la première partie de la méthode. L'emploi de la créosole, comme moyen d'étude en hétérogénie, mérile d’être réhabilité. On objectera peut-être que cette substance organique est un agent an- tiseptique. Or, on appelle antiseptique un agent chimique qui pré- vient la putréfaction. La putréfaclion est, en général, une fermenta- tion provoquée par un ferment organisé. Si donc je démontre que la créosote ne s'oppose pas à la manifestation des phénomènes qui sont provoqués par ces ferments, il faudra considérer les agents an- liseptiques, et la créosote en particulier, d'un autre point de vue. Si l’on introduit dans l’eau sucrée, avec quelques gouttes de créo- sole, des ferments organisés capables de transformer le sucre de canne, la transformation s’accomplit aussi bien que si l’on n'avait pas ajouté l'agent antiseptique. Si ce ferment organisé est la levüre de bière, le sucre de canne se transforme en glucose d’abord, et la fermentation alcoolique s’élablit ensuite comme si l’on n'avait pas ajouté de créosote. Il est imporlant @e ne pas employer plus d’une à deux goutles de celle substance pour 100 cent. cub. de liqueur, autrement la créosole pourrait agir comme coagulant de l’albumine, Plus loin, on lrouvera les tableaux des expériences à l'appui. ll résulle de là, que si je conslate que la créosote empêche la 163 naissance des moisissures, ou des infusoires, dans un milieu qui en laisse ordinairement développer, je pourrai dire que ce n'est pas en s'opposant à la manifestation de la vie qui serait en puissance dans la matière organique ambiante, mais bien en rendant ce milieu infécond pour les germes qui y préexistaient ou que lair y avail apportés, ou qui adhéraient aux parois des vases ou au mercure des cuves. La créosote et sans doute bien d’autres substances sont donc des agents excellents pour s'opposer à l'éclosion des œufs et des spores des productions microscopiques. Dans un rapport fail à l’Académie des Sciences, sur un travail de M. Georges Ville, relalif à « l'absorp- tion de l’azote de l’air par les plantes, » M. Chevreul a montré que, dans une atmosphère limitée, les vapeurs répandues par quelques gouttes d'essence de térébenthine empêchent la germina‘ion des graines et tuent celles qui viennent de germer. L'illustre savant rappelle, en même temps, que Huber de Genève (1) avait déjà ob- servé le même fait. La créosote, dans mes expériences, remplit le même rôle par rapport aux spores des mucédinées et aux œufs des infusoires. Par un exemple familier, je ferai encore mieux com- prendre comment je conçois le rôle de la créosote el des antisep- tiques en général. Il y a des plantes marines ou de terrains salés et des plantes de terrains non salés. Relativement aux germes, les conditions des infusions, additionnées de créosote , sont sembla- bles à celles que présenteraient les plages maritimes ou les terrains salés pour les semences des plantes de l’intérieur des continents el réciproquement : s’est-on jamais avisé de dire que les terrains salés sont antiseptiques pour les semences des plantes de terre non salée? que la terre non marine est anliseplique pour les semences des plantes marines? Ces explications données, je vais rapporter les expériences qui ont élé tentées par l'application de la méthode. L. Expériences faites avec des matières qui exigent le concours de la vie pour se produire. A. On se procure une décoclion faite à l’ébullition avec 50 gr. de levûre de bière lavée et humide, pour 500 cent. cub. d’eau. De cetle (1) Mémoire sur l'influence de l’air et de diverses substances gazeuses dans la 164 liqueur, on fait deux parts, et aussitôt filtrécs, on ajoute dans l’une d'elles trois gouttes de créosote. Elles sont ensuite abandonnées au contact de l’air, l’une à côté de l’autre, dans une fiole à large ouverlure. a, Liqueur créosolée. Après deux mois, trois mois, six mois.…., la liqueur reste limpide, rien d’organisé n’y apparaît. 8. Liqueur non créosolée. Après quelques jours, à la température ordinaire, on voit apparaître des monades, puis d’autres organismes, et la liqueur se putréfie. B. Dans 200 cent. de bouillon de levüûre, fait dans les conditions de la précédente expérience, on dissout 40 gr. de sucre de canne bien exempt de glucose. On en fait deux parts Li ES dans l’une on ajoute deux gouttes de créosote. Etat physique et chimique initial des deux liqueurs. Elles sont d’une limpidité parfaite, leur coloration est peu intense et telle que l’ob- servation polarimétrique est très-facile. Aucune ne réduit le réactif cupropolassique; la déviation qu’elles impriment l’une et l’autre au plan de polarisalion, esi de 29°,3 à droite. «, Liqueur créosotée. Elle conserve sa limpidité, ne réduit pas le réactif cupropotassique, et son pouvoir rolaloire se maintient pen- dant 2 mois à 29°,3 à droite. 8 Liqueur dans l’état naturel. Deux jours après’, la dissolution est encore limpide, elle ne réduit pas le réactif cupropolassique, et son pouvoir rolaloire n’a pas varié. Trois jours après, elle louchil, mais il n’y a pas encore réduction du réactif cupropolassique. Après quatre jours, on voit apparaître des corpuscules organisés : le réaclit cupropotassique est réduit, la rotation du plan de polarisation dimi- nue, et la transformation du sucre de canne fait de rapides progrès. C. Dans les deux expériences qui précèdent, on a employé, au lieu du bouillon de levüûre fait à 100 degrés, une infusion de la même substance, faite en laissant digérer la levûre lavée dans l’eau distil- lée à la température de 40°. À cette température, la levûre continue de vivre, et elle sécrète divers produits, parmi lesquels une matière organique qui constitue un ferment soluble que je nomme zymase; il en sera parlé plus loin. J'ai donc là une dissolution dont on ne germination de différentes graines, par F. Huber et J. Senebier. Paschoud, à Genève, 1801. $ V7 "ANT MTS CUS LORS Éd cet + Dot 165 peut pas dire que la faculté génésique a été étouffée par l’ébullition : les produits qui s’y trouvent sont évidemment formés pendant la vie. Comme dans les deux premières expériences, on a employé 50 gr. de levûre pour 500 cent. cub. d'eau. Avec cette infusion exactement filtrée, on fait une dissolution contenant 20 gr. de sucre de canne sur 100 cent. cub. Dans l’une des dissolutions, on ajoute deux goulles de créosote. La déviation initiale est de 29°,2 à droite. L'infusion de levûre, faite à 40°, transforme naturellement, par la zymase qu’elle contient, le sucre de canne en glucose. Pour appré- cier l'influence des moisissures qui apparaîtront dans l’une, il esl nécessaire de mesurer souvent la déviation du plan de polarisalion. On trouve ainsi que l'apparition des organismes hâte singulièrement la transformalion du sucre. a Liqueur créosotée. Six jours après, la liqueur est absolument limpide , la déviation du plan de polarisation est de 13°,44 à droite; dix-sept jours après, elle est de 4°,8 à gauche. g. Liqueur sans addition de créosote. Deux jours après, elle com- mence à se troubler. Six jours après, les moisissures abondent, la liqueur est très-trouble : la rotation du plan de polarisalion a dimi- nué jusqu'à 7°,2 à droite, et dix-sept jours après à 7°,2 à gauche. D. Au lieu de la dissolution d’une matière organique complexe comme l’est celle de l’infusion de levüre à 40 degrés, je prends une dissolution de zymase pure (la matière essentiellement aclive de l'infusion de levûre). Celte dissolulion est additionnée de 20 gram- mes de sucre pour 100 cent. cub. Dans une partie on ajoute une goutte de créosote. Les liqueurs sont absolument incolores et d’une transparence parfaile. 4. Liqueur créosotée. Sa limpidité se maintient pendant tout le temps de l'expérience. Vingt-quatre heures après, la rotation initiale qui était de 29°,3 à droile, a passé à gauche avec une intensité égale à 9°,6. Un mois après, la rotation n’avait pas diminué et il n’y avait pas une trace de production organisée. 8. Liqueur non créosolée. Elle est aussi active que la précédente, mais trois jours après on voit apparaître des flocons de mycrophytes. E. Au lieu de zymase je me sers d'un autre ferment soluble, la diastase pure, relirée de l'orge germée. La diaslase était très-aclive, elle liquéfiait instantanément l’'empois d'amidon et le transformait 166 en glucose. La même diastase est absolument sans action sur le sucre de canne comme le prouvent les nombres suivants : La dissolution sucrée additionnée de diastase déviait le plan de polarisation de 29,3 à droite. On chauffe la dissolution au bain- marie à 40 ou 60 degrés pendant trois jours et on observe de nou- veau : on trouve 290,28 à droite. L'action a donc été nulle. Je le ré- pète, au bout de dix minutes la même diastase avait formé du glu- cose avec la fécule. Pendant que cette expérience se continuait on a pris de la même dissolution, dans une partie on a ajouté une goutte de créosote. «, Liqueur créosolée. La liqueur reste incolore et limpide pendant un mois, son pouvoir rolaloire ne varie pas; la liqueur reste neutre. 8. Liqueur dans l'état naturei. Elle perd bientôt sa limpidité, mais son pouvoir rotatoire est encore le même ; elle se trouble et l’on y voit apparaître des globules sphériques très-petits, isolés ou conca- tennés, d'autres de forme allongée et granuleux. La déviation du plan de polarisalion passe de 29°,6 à droite à 9°,6 à gauche, dans l’espace de vingt jours. La liqueur était devenue franchement acide. F. Les dissolutions de gélatine se putréfient aisément. J'ai étudié le mécanisme de cette putréfaction. Elle est une fermentation et la liquéfaclion des gelées de gélatine est elle-même un phénomène analogue. J'ai pris un bel échantillon de colle forte bien incolore; j'en ai fait une dissolution qui a été filtrée chaude; dans une parlie de la disso- lulion j'ai ajouté deux gouttes de créosole. Les deux fioles ont été placées l’une à côté de l’autre dans un cabinet dont la température a varié de 15 à 25 degrés. La dissolulion de gélaline n'a pas tardé à se prendre en une belle gelée translucide. «. Gelée créosolée. Après deux mois d'exposition à l'air libre la gelée est aussi consistante que le premier jour et aussi translu- cide. 8. Gelée dans l'état naturel. Quatre jours après le commencement de l'expérience on remarque que la surface de la gelée commence à devenir liquide; la transformalion gagne de proche en proche; six jours après il n’y a plus que quelques grumeaux de gelée el le len- demain loule la masse était liquéfiée. La liqueur était trouble, 1l s'y forma un dépôt d’une substance dans laquelle le microscope, à l’aide nd de hadins mec ces 167 du grossissement ocul. 7 obj. 3 Nachet, distingue difficilement des éléments d’organisalion. Sous l’aclion de cette matière organisée la dissolution de gélatine est devenue alcaline. Dans une autre expérience semblable, la gelée non créosotée est restée intacte pendant 9 jours : le lendemain matin les 9/10e étaient liquéfiés et l’on pouvait distinguer la couche inférieure de gelée translucide de la portion liquéfiée qui était trouble. G. On a mêlé une dissolution de gélatine avec de l’eau sucrée: 100 ce. de liqueur contenaient 20 grammes de sucre de canne. Dans une partie on a ajouté deux goultes de créosole. Les deux liqueurs ont élé abandonnées, dans un verre à précipités à large surface, pendant vingt jours à l’air libre. Ces deux volumes ayant été ramenés à 100 cent. cubes, oni été examinés. «, Dissolution créosotée. Elle est chargée de poussières. On la filtre et on trouve qu'elle ne réduit pas le réactif cupropotassique. Le sucre n’est pas transformé. La liqueur est placée à l’éluve pendant vingt autres jours. Examinée de nouveau on la trouve sans action sur le réactif cuivrique. Quinze jours plus tard on trouve son pou- voir rotaloire intact, c’est-à-dire de 29°,3 à droite. 6. Dissolution non créosotée. On y voit une belle moisissure. Le réactif cupropolassique est énergiquement réduit. La liqueur est placée à l’étuve pendant vingt autres jours. La rotation du plan de polarisation avait passé de 29°,3 à droite à 19°,2 dans le même sens (1). A la fin de l'expérience on trouve que la moisissure esl formée d'un beau mycélium et de globules presque aussi gros que les globules de levûre de bière el de même forme. Enfin, sous l’in- fluence de ces moisissures, la rotation est descendue à 160,8 à droile et l’action se continue. La liqueur est devenue franchement acide. H. J'ai tenu à confirmer ces expériences en me plaçani dans les conditions des autres observateurs. Pour cela, je me suis procuré une décoction de levûre de bière (90 grammes par litre d’eau), el (1) Qu'il me soit permis de faire une remarque au sujet de cette dernière expé- rience. Je suppose qu’une personne, non prévenue de l’action énergique que les moisissures exercent sur le sucre de canne, ait eu l’idée d'étudier l'influence que la gélatine exerce sur ce composé. Elle aurait forcément conclu, dans le cas de cette expérience, que la gélatine a le pouvoir d’intervertir le sucre de canne. Cette personne se serait grossièrement trompée. Il y a plusieurs exemples d'erreurs semblables dans la science, ; 168 après l’avoir filtrée j’y ai dissous 100 grammes de sucre pour faire un litre de liqueur. La déviation initiale de la liqueur (préalablement décolorée par le charbon animal) est de 14°,4 à droite. La tempéra- ture pendant la durée de l’expérience a varié de 15 à 20 degrés. Comme dans les précédentes, les appareils élaient exposés à la lumière diffuse du laboratoire. «, Méthode de Spallanzani. Vingt-deux jours après on ne voit rien d’organisé et la liqueur devenue un peu plus foncée, reste d’une limpidité parfaite. Une partie de la liqueur décolorée dévie le plan de polarisation de 14°,4 à droile. 8. Méthode de Schwann. Comme ci-dessus. Pouvoir rotatoire : 14°,4 à droile. Y. Méthode de Schultze. Le sixième jour on voit poindre une touffe de mycélium. Le vingt: deuxième jour celte touffe est devenue une belle moisissure chargée de sporanges. La liqueur est moins colo- rée que les autres. La rotation a diminué et tend vers la gauche, elle n’est plus que 0°,96 à droite. à. Méthode de Schræder et Dusch. Vingt-deux jours après, la liqueur est devenue plus foncée. Rien d’organisé, rolation 14,4 à droite. e, Méthode de Pasteur. La liqueur est bouillie dans un petit ma- tras à col effilé et contourné. Vingl-deux jours après liqueur plus foncée, limpide; rien d’organisé. Le sucre n’est pas interverli. Rotation à droite 142,4. &, Méthode par l'addition de créosote. Vingt-deux jours après, comme la précédente, rotation 149,4 à droite. 6, Comme témoins on a mis une partie de la même liqueur dans deux fioles, et, sans la faire bouillir, on a étiré les cols sans les sceller, pour laisser la libre communication avec l'atmosphère. 1° L’une des fioles élait petite el ne contenait que 40 cent. cubes de liqueur. Le troisième jour les organismes apparaissent; le vingt- deuxième jour ils abondent, la dissolution est fortement décolorée : on y trouve des globules qui ressemblent pour la forme à ceux de la levûre, mais plus petits; une superbe torulacée, un amas de mycé- lium el des spores. La rolation a passé à gauche, elle est de 3°. 9% La même expérience, mais sur environ 200 cent. cubes. Le iroisième jour la dissolution se trouble, on y voit des traînées de ma- lière organisée. La liqueur est fortement décolorée le vingt-deuxième jour. On examine el l’on ne trouve pas de mycélium, mais des glo- 169 bules moindres que ceux de la levüre et des granulations. On n’a pas constaté de mouvement de fermentation. La rotation est tombée à 4,8 à droile. 1. Dans toutes les fioles qui ont été ouvertes, on a pu constater, trois jours après, que la liqueur se troublait et que peu à peu, après la formalion des productions organisées, le sucre commençail à s’in- tervertir. J'ai rapporlé ces expériences dans l’ordre où elles ont été faites el les résultats tels qu’ils ont été obtenus. Je laisse à dessein celle qui a été faite par la méthode de Schullze. J'y reviendrai plus loin pour la disculer, et montrer où gît l’une des difficultés des expériences faites par l’un de ces procédés où l’on prétend toujours relenir ou détruire les germes. L'ensemble harmoniquedes faits que je viens de rapporter est frap- pant. Partout où l'on a pu voir apparaître une production organisée, il y aeu modification chimique de la matière, consécutivement à cetle apparition, mais pas avant; et cetle modification a pu être me- surable dans certains cas, observable dans les autres. Partout où la matière ne s’est pas transformée rien de vivant n’a pris naissance. La transformation témoigne donc de la naissance de l'être. Sa conservalion démonire donc conséquemment que rien d'organisé ne s’est développé; car je me suis assuré que toutes les productions qui naissent dans les condilions des précédentes expé- riences peuvent ensuite faire fermenter glucosiquement le sucre de canne, c'est-à-dire le transformer en glucose. Le fait est donc évident, si la calcination préalable de l'air, la pri- valion des germes qu’il peut contenir, suffisent pour rendre le milieu iufécond dans la plupart des cas, la créosote, qui n'empêche pas l’ar- rivée de ces germes, n’agit pas autrement qu’en empêchant le ter- rain d'être fécond ; elle s'oppose à l’éclosion des œufs, à la germination des spores, voilà tout. Dans ces expériences la matière organique n’a pas été lorturée, l'air non plus. Les objections que Needham faisait jadis à Spallanzani, que les hétérogénistes modernes adressent aux chimistes, ne sont pas légitimes ici. Si une faculté génésique résidait primitivement dans la matière organique, celte facullé ne pourrait êlre anéantie par la créosote qui est, elle aussi, une matière orga- nique; de plus cette créosole ne réagit ni chimiquement, ni physio- logiquement sur les malières employées, car, on l’a vu, elle n'em- VI. 12 170 pêche pas l’infusion de levüre faite à 40 degrés, ni la zymase de transformer le sucre de canne. Or la zymase est une malière carbo- née voisine de l’albumine, voisine des malières carbonées organi- sables. Elle n'empêche pas non plus la levûre de bière ou les autres organismes analogues de continuer de vivre el d'opérer les réactions chimiques qui manifestent cette vie dans les liqueurs fermentes- cibles. Sauf dans l’une des dernières expériences, les choses se sont pas- sées comme dans celles où la créosote a été employée. Sans doute celte unique expérience est favorable en apparence à la théorie des générations spontanées, puisque malgré l’ébullition préalable de l'in- fusion, une moisissure s’est développée, qui a converti le sucre de canne en glucose. Maïs, en raisonnant froidement, il n’esi pas pos- sible de soutenir que dans celle liqueur la faculté génésique n'a pas été élouffée, qu’elle l’a été dans les autres. L’insuccès d’une expé- rience au milieu de tant d’aulres qui ont produit un résultat prévu, ne saurait infirmer celles-ci. 11 est bien plus rationnel d'admettre que là un germe, une spore a résisté à l’action de la chaleur ou plutôt à échappé avec l'air à travers l'acide sulfurique, que de soutenir qu’une abstraction a donné l'être à la matière organique ambiante. Ici, d’ailleurs, je répèle mon raisonnement : si la facullé créatrice existait là, elle existait également dans les autres liqueurs et bien plus active dans l'expérience faite d’après la méthode de MM. Schræder et Dusch, où l'air n’avait subi aucune altération, si lant est qu'il en subisse dans les expériences faites avec l'air surchauffé; mais nous savons qu'il n’en est rien, ce que la théorie et l'expérience avaient . suffisamment enscigné. D'ailleurs toutes les liqueurs qui étaient res- tées infécondes sont devenues fécondes en les exposant à l'air libre ; la force génésique serait-elle revenue après avoir été élouffée ? Ceci me ramène naturellement aux expériences de MM. Manle- gazza, Wymann, Pouchel el Joly, elc., qui ont vu apparaître des organismes dans des expériences faites avec l'air surchauffé ou dans celles qui ontélé destinées à répéter celles que M. Pasteur a faites au Montanvert. Est-il impossible que des germes échappent avec l'air qui traverse les tubes incandescenis, ou une colonne d'acide suifu- rique? Je ne le crois pas. Voici comment je m'explique que des germes peuvent, je ne dis pas résister à l’action de la chaleur ni à celle de l'acide sulfurique, mais échapper à l’action de ces agents. 171 On sail qne l'acide chlorhydrique est très-soluble, excessivement s0 - luble; que l'’ammoniaque et le chlorure d’ammonium sont très- solubles également. Eh bien, lorsque dans un flacon, il y a des vapeurs d'acide chlorhydrique ou de chlorhydrate d'ammoniaque, on sait qu'il faul les agiler assez longtemps avec l’eau pour les faire absorber : c'est que leurs molécules sont comme enveloppés par une almosphère d'air qui les protége contre l’action dissolvante de l'eau ; un gaz peu soluble qui traverse un liquide, entraîne toujours avec lui une partie d’un autre gaz {rès-soluble avec lequel il esl mêté. C’est que le gaz iraverse en bulles le liquide absorbant; on conçoit douc que si un courant d'air un peu rapide traverse une colonne d'acide sulfurique, il pourra se trouver une de ces bulles qui passera entraînant avec elle le corpuscule qui y esten suspension. — On sail également que les liquides à l'état sphéroïdal sont à une température toujours inférieure a celle de leur point d’ébullition ; que l’on peut impunément plonger la main dans un métal en fusion, si cette fusion a eu lieu à une température lrès-élevée, ce qui tient au même principe. De ce que les germes Sont très-petits, doit-on raisonner d'eux autrement que de nous? Il serait absurde de le penser. J'admels donc que si la rentrée de l’air est un peu rapide, un germe qui serait dans l’axe du tube émeltrail assez d’eau pour le pro- téger et qu'il arriverait dans l’infusion sans avoir alleint la tempé- raiure de 109 degrés. Voilà pourquoi je crois aux expériences de M. d'Auvray et comment je n'explique le succès de certaines expé- riences de généralion spontanée qui n'ont pas réussi dans d’autres mains. C’est ainsi que je m'explique la naissance d’une moisissure dans l'une de mes expériences. Je vérifierai un jour expérimentale- ment cetle explicalion. Jusque-là je crois qu’elle mérite qu'on y ait égard. Il est encore une hypothèse fondamentale de la génération spon- lanée que mes expériences font absolument repousser. M. Pouchel admel « que l’apparition des premiers organismes est loujours pré- cédée par des phénomènes de fermentation ou de putréfaction; que la formation des animalcules…. vient à la suile d’un dégagement de gaz divers dus à la décomposition des substances que l’on a em- ployées…., elc. » C’est le contraire qui a lieu dans mes expériences; le mouvement de fermentation et de putréfaction a toujours succédé à l'apparition des organismes. C’est ainsi que dans l'expérience A$, 172 la liqueur avait louchi déjà et le sucre n’était encore en aucune façon altéré ; il en a été de même dans lexpérience EB avec la diastase, comme dans F8 avec la gélatine et dans GB avec la gélatine sucrée. — En un mot, jamais, lorsque la dissolution est par elle-même sans action sur le sucre de canne, on ne voit le glucose apparaîlre avant les moisissures ou les microzoaires. Pour donner à la théorie que j'ai exposée dans les pages précé- dentes sa plus haule sanction, nous allons éludier la naissance des êlres organisés dans des milieux qui ne contiennent pas de matière carbonée organisable et même dans des milieux qui, comme l’eau distillée, ne contiennent rien d'organique. IL. Expériences faites avec des substances non organisabies. J'ai publié en 1858 (Annales de chimie et de physique, t. Liv) un mémoire dans lequel je démontre deux choses également impor- tantes au point de vue de l'opinion qui combat la génération spon- tanée. En premier lieu j'ai démontré, que dans l’eau sucrée aucune production organisée n'apparaît ni à l'abri de l'air dans des flacons absolument pleins, ni en présence de l’air en opérant par la méthode de Schultze, ni au contact de l’air, si l’on fait intervenir la créosote ou d’autres agents réputés antiseptiques; que les dissolutions de sucre de canne pures ou additionnées de sels divers (acide arsénieux, sulfate de manganèse, sulfate d’alumine, nitrate de potasse, ni- trate de magnésie, phosphate de soude ordinaire, oxalate et bioxalale de potasse) laissent toujours développer des moisissures lorsqu'on les expose, pendant un temps suffisant, au contact de l'air. Ces produc- Lions n'apparaissent pas dans le même temps dans toutes les liqueurs; on les voit se former plus tôt dans les unes que dans les autres et souvent il esi nécessaire d'ouvrir plusieurs fois les appareils pour les voir naîlre. En second lieu j'ai fait voir que dans loules les dissolu- tions où n’apparaîl aucun organisme, le sucre de canne se conserve sans altéralion; qu'il se converlit constamment en un mélange de glucose cristallisable déviant à droite le plan de polarisation el de glucose incrislallisable déviant à gauche (c'est ce mélange que l'on nomme sucre inlerverli) sous l'influence des moisissures qui se dé- veloppent naturellement dans ces dissolulions. On a nié l'inversion 173 du sucre de canne par les moisissures, et on n’attribue cette inver- sion qu’à la seule influence de l’eau froide. Mais j'ai là un flacon d’eau sucrée créosolée qui conserve son pouvoir rotaloire inlact depuis huit ans. Q Ces expériences ont été répétées depuis, soit avec de l’eau pure, soit avec de l'eau additionnée des sels suivants : chlorure de magné- sium, chlorure de baryum, chlorure de stronlium, chlorure de man- ganèse, chlorate de potasse. Sous l'influence de la créosote aucune de ces dissolutions n’a donné naissance à des moisissures et le sucre n’a élé interverti que par l’action personnelle du chlorure de man- ganèse. Sans créosole, toutes ces dissolutions, celle où il y avait du chlorure de baryum exceptée, ont produit des moisissures et le sucre a été interverti. Le chlorure de baryum a donc agi par lui-même dans le même sens que la créosote, il a empêché le développement des spores et le sucre n’a pas élé transformé. Voici, à l'appui de ce qui précède, le tableau des dernières expériences : En mars 1859 on met les dissolutions sucrées suivantes en expérience; elles durent jusqu'en février 1864. — Durée : cinq années. Déviation Déviation initiale à droite, finale. Chlorure de magnésium et créosole..... 150,1 450,1 à droite. Pas de moisissure. Chlorure de magnésium seul. ......... 130,44 40,8 à gauche. Moisissure. | Chlorure manganeux et créosote....... 440,1 410,5 à droite. Pas de moisissure. Chlorure manganeux seul............. 149,1 400,0 à droite. Moisissure. Chlorure de strontium et créosote...... 140,2 140,9 à droite. Pas de moisissure. Chlorure de strontium seul............ 140,4 50,7 à gauche. Moisissure. Chlorure de baryum, créosote......... 440,6 140,6 à droite. Pas de moisissure. Chlorure de baryum seul............. 440,6 440,6 à droite. Pas de moisissure. Chlorate de potasse, créosote .. ........ 420,5 190,5 à droite. Pas de moisissure. Chlorate de potasse seul........... re D DAONE 00,5 à gauche. Moisissure. Mais est-il démoniré que les moisissures sont réellement la cause de l’inversion du sucre de canne, ou bien, dans l'hypothèse hétéro- géniste, ne sont-elles au contraire que la conséquence d’une pre- mière transformation que le sucre aurait d’abord réellement subie de la part de l’eau et que la créosote ou le chlorure de baryum em- pêcherait. Je réponds d’abord que l’eau seule, même sans l'addition de créosote, mais en contact avec l’air, en laissant rentrer celui-ci à travers l’acide sulfurique, ne transforme pas le sucre de canne. Ce fait je l’ai publié en 1858. Mais les moisissures une fois formées transforment réellement le sucre de canne et l’intervertissent. Pour 174 le démontrer il suffit d'introduire dans une dissolution de sucre de canne les moisissures formées dans d’auires dissolulions sem- blables. Dans l’espace de quelques mois elles provoquent, si la quantité en est assez grande, la transformation là où celles qui naissent dans l’eau sucrée elle-même exigent des années. Ici comme dans d’autres circonstances semblables, l’action est d'autant plus ra- pide que la quantité de l’agent actif est en plus grande quantilé. La transformation, par ces moisissures, a même lieu en présence de la créosole. Lalevûredebière, lesfleurs de vins, les moisissures qui se dé- veloppent sur le produit d’une fermentalion alcoolique ordinaire, les premières productions très-pelites quise développent dansladécoction delevûre qui se putréfie ou plutôt qui occasionnent la putréfaction, la production membraneusequel’onappelleméredevinaigre(mycoderma aceli), possèdent toutes, la propriété d’interverltir le sucre de canne el la créosote n’entrave pas leur aclion. Disons, en passant, que le pouvoir transformateur 6 pour la levûre de bière, la mère de vinaigre et certaines autres moisissures, réside dans une substance qui est sécrétée par l'être organisé ou qui est déjà formée en lui; or celte matière qui exisle dans le liquide que l'on exprime de ces orga- nismes, opère l’inversion du sucre de canne, même en présence de la créosole. Dans la levûre de bière que l’on fait digérer avec de l’eau pendant une dizeine de jours, il se produit, en grande quantité, une substance organique analogue à la diaslase. Cetle subslance, qui est pour le sucre de canne ce que la diastase est pour la fécule, je la nomme zymase (de téun, ferment). J'avais donc raison d'attribuer dans les actions précédentes, le rôle transformateur aux moisissures qui se développent dans l'eau sucrée. En 1858 j'avais déjà comparé l’action des moisissures à celle de la diastase el c’est celte idée que j'ai développée dans mes études sur les ferments. Voici maintenant une autre face de celte élude qui me paraît mériter la plus grande attention. Toutes les moisissures qui naissent dans l’eau sucrée sont azotées; elles dégagent de l’ammoniaque lors- qu'on les chauffe avec de la potasse caustique en fusion. Ce fait prouve qu'une subslance organique azotée, une matière carbonée organisable s’est formée et a servi à constituer l'organisme; or, celte substance ne préexistail dans aucune des dissolulions sucrées et le sucre de canne, chauffé avec la potasse eu fusion, ne dégageait pas d'ammoniaque. D'où provient celte malière organique azolée? Existe- 175 t-il dans l’eau sucrée une force génésique capable de créer, de toutes pièces, à la fois la matière plastique et l’être dont elle est l’élément primordial d’après les hélérogénistes? Ce serait beaucoup accorder! Cela serait enlasser hypothèses sur hypothèses! Mais pourquoi des hypothèses, lorsqu'on peut invoquer des expé- riences cerlaines pour se rendre comple de phénomènes plus diffi- eiles à expliquer? Lorsque l’on sème une graine, bien choisie, dans de la silice calcinée et mouillée, elle germe, le végétal paraît, s’aceroit, se développe, et la récolle, qui pèse loujours plus que la graine employée, qui contient des matériaux qui ne préexislaient point dans celle graine, la récolle d’où a-l-clle tiré ces matériaux? A celle queslion on peut faire aujourd’hui une réponse qui est élémentaire. Grâce à l’organisation el à l’activité que la vie lui communique, les organes de la jeune plante à peine éclose sont des appareils chi- miques dans lesquels les matières minérales ambiantes, l'eau du sol où elle enfonce ses racines, et les éléments de l'atmosphère où elle élale ses branches et ses feuilles, réagissent et engendrent par voie chimique les composés dont elle se nourrit et dont elle tisse ses cellules, ses fibres el tous les autres organes. Appliquons celte donnée aux mucédinées de l’eau sucrée. Les choses ne se passent pas autrement. Le germe, la spore de la mucé- dinée se comportant comme une graine de phantrogame, germe, el sous l'influence des organes naissants, dans leur tissu, l'air, l’eau, les malériaux dissousréagissent(1)et l’on comprendainsi, la formation, la génération, d’une matièreorganiquequine préexislait point.C’esl donc parce qu'une mucédinée est un végétal qu'elle est capable de se dé- velopper dans l’eau sucrée, c'est-à-dire dans un milieu qui ne con- lient rien d'organisable. Jamais on n’a vu un organisme animal se produire dans ces circonstances et cela est tout simple : l'œuf n'y peul éclore, ou s’il y éclot, l'animal ne peut se développer, parce qu'il n'y à pas en lui la faculté de créer la matière organique à l’aide (1) Les matériaux dissous réagissent. Les substances minérales qui sont néces- saires à la constitution des petits organismes sont au nombre de ces matériaux. L'un des premiers mémoires de Lavoisier est destiné à démontrer que l’eau attaque le verre. M. le prince de Salm Horstmar a montré que pour empêcher les vases de fournir certaines matières minérales aux plantes, il faut les enduire de cire. Les végétaux microscopiques trouvent donc toujours, dans le liquide ambiant où ils naissent, une quantité suffisante de composés minéraux. 176 des matières minérales, c'est-à-dire à l’aide de l’acide carbonique, de l’eau et de l'air : l'animal a en lui la propriété contraire, il brûle, détruit, ramène la matière carbonée vers l’état minéral. Dans les liqueurs qui contiennent, en même temps que le sucre, une matière carbonée organisable, ou une semblable matière et des malières organiques et minérales, nous avons été obligé de conclure qu’il n’y avait pas de force végétative ou de faculté génésique; que l'apparition des productions organisées n’est pas précédée de phéno- mènes de fermentalion; dans l’eau sucrée une pareille faculté existe encore moins, et cependant des microphytes y naissent, et non- seulement y naissent, mais y créent en quelque sorle de toutes pièces la malière organique de leurs tissus. Or des exemples ana- logues peuvent se donner en foule. L'acétate de soude, le tartrate de la même base, un grand nombre de sels à acides organiques ou de malières organiques non organisables, l'acide tannique lui-même, sont capables de laisser se développer des mucédinées dans leurs dis- solutions; or, toules ces mucédinées cessent de naître lorsqu'on ajoute une trace de créosole dans les liqueurs. Je n’ajouterai plus que deux exemples pour appuyer la théorie que je viens de déve- lopper. Lorsqu'on abandonne, au contact de l’air, une dissolution étendue d'acide tannique, on y voit bientôt apparaîlre une moisissure globu- leuse dont le volume devient bientôt considérable. Peu à peu, sous son influence, l'acide tannique se {rouve transformé en acide gal- lique et d’autres produits que nous étudions, M. Moitessier et moi. Eh bien, un peu de créosote empêche totalement le développement des moisissures. On s’est assuré que l’acide tannique le plus pur se comporte comme je viens de le dire. Or cet acide n’est pas azoté. Celui que nous avons employé a été chauffé avec la polasse caus- tique en fusion et n’a dégagé aucune trace d'ammoniaque. Les moi- sissures qui y naissent, traitées de la même façon, dégagent de l’'ammoniaque en abondance, elles paraissent même plus azolées que celles qui sont engendrées dans l’eau sucrée. D'où ces moisis- sures ont-elles pris la matière organique azotée qui fait partie de leur êlre? Mais allons plus loin. Tous les pharmaciens savent que des moi- sissures apparaissent dans les eaux dislillées. D'où ces organismes prennent-ils les matériaux de leur organisalion? Dans de l’eau 177 distillée que j'ai exposée au contact de l'air, dans une atmosphère en repos, mais qui pouvait se renouveler, j'ai vu des mucors tapisser les parois du vase qui la contenait. Dans une fermentalion alcooli- que, faite sur 10 kilog. de sucre, j'ai fait passer les produits gazeux dans quatre flacons laveurs dont le dernier était ouvert et en com- munication libre avec l'atmosphère. L'appareil était placé dans un cabinet servant d’étuve : l'expérience avait duré six mois. On trouva dans le dernier flacon, flottant dans l’eau, une énorme moisissure mucoreuse dans laquelle on voyait un beau mycelium. D'où venait cette moisissure? Quelle substance était douée de force génésique dans le milieu qui l'avait vu naître? esl-ce l'eau, est-ce l'acide car- bonique, ou peut-être le peu d'alcool qui avait échappé à l'action dissolvante de l’eau des trois premiers flacons? Eh bien, celte moi- sissure broyée avec du sucre et le mélange délayé dans l’eau. avec une goutte de créosote pour empêcher le développement de nouvel- les moisissures, celte moisissure ou plutôt les matériaux solubles de son organisme, interverlissent le sucre de canne, assez rapidement pour qu’on y pût constater le giucose par le réactif cupropotassi- que el même par une diminution de la rotation. Ü est désormais inutile de chercher une autre cause que la préexistence des germes, pour expliquer l'apparition des produc- lions organisées microscopiques, non seulement dans des liqueurs qui contiennent des malières organiques, mais dans celles qui n'en contiennent point, ou qui ne contiennent que des substances abso- lument minérales. La théorie que le génie de Bonnet avait imaginée à l’époque où l’on ne connaissait pas tous les modes possibles de génération, savoir la préexistence et la dissémination des germes, que M. Ebhrenberg el M. Pouchet ont démontrée par la découverte d'infusoires, d'œufs de microzoaires et de spores de microphytes, que M. Pasteur à con- firmée par une ingénieuse méthode; cette théorie, que l’on appelle la panspermie, celte théorie rend compte de tous les faits qui ont pu être bien observés. Elle ne peut plus laisser de doutes depuis que M. Pasteur a démontré que ces œufs et ces spores sont féconds. Ces êlres microscopiques remplissent-ils quelque fonction dans la nature? C'esl ce qui nous resle à examiner. Si ce rôle est constalé, s’il 178 est nécessaire, les microzoaires et les microphytes doivent, dans leur naissance, être soumis à des lois fixes, déterminées et non pas livrés aux chances d’un aveugle hasard. Tout, dans la précédente étude, démontre que, pour l’hétérogénie, ils sont le produit aléaloire de l’incompréhensible assemblage de combinaisons fortuiles. Or cela ne peut être. Dans les pages qui précèdent, j'ai souvent montré que les moisis- sures, comme certains prolozoaires, possèdent en eux une aclivité chimique ; qu'ils transforment chimiquement la malière el pour employer le mot consacré, ils agissent comme ferments. Quelle est la manière d'agir des ferments? Les ferinents agissent comme les animaux : ils détruisent, ils,ramènent de plus en plus la malière organique vers J'élat minéral, vers l'état où les végétaux l'emploient pour reproduire la matière organique. En 1843, M. Dumas (Traité de chimie appliqué auæ arts, 1. VD avait admirablement fait ressortir celle grande théorie en s'appuyant sur les faits alors connus. Il faut s'inspirer de ces belles pages quand on veut comprendre cette partie du plan de la création. Voici cel exposé si parfaitement limpide : « Le ferment nous apparaît comme un être organisé... Le rôle que joue le ferment, tous les animaux le jouent; on le retrouve même dans les parties des plantes qui ne sont pas verles. Tous ces êtres ou tous ces organes consomment des malières organiques, les dédoubleut et les ramènent vers les formes plus simples de la chimie minérale. » « Les fermentations sont toujours des phénomènes du même ordre que ceux qui caractérisent laccomplissement régulier de actes de la vie animale. — Elles prennent des matières organiques complexes; elles les défont brusquement ou peu à peu, et elles les ramènent en les dédoublant à l’élat inorganique. — A la vérilé, i/ faut souvent plu- sieurs fermentations successives pour produire l'effet tolal; mais la tendance générale du phénomène se manifesie Loujours dans cha- cune d'elles de la manière la plus évidente. » Mais insistons avec M. Dumas, et pénélrons avec lui plus avant dans ce sujet qui, d'après l’illustre savant, est celuiqui domine toute la physiologie de la créalion. & L'objet de la fermentalion est évident : c’est un arlifice à l’aide duquel la nature dédouble les matières organiques complexes, pour ds see 179 les ramener à des formes plus simples qui les conduisent vers la conslitution habituelle des composés de la nature minérale. » Quand on envisage d’un cerlain point de vue l’ensemble des matières organiques, on voit que les végétaux verts lendent sans cesse, sous l'influence de la lumière, à créer des matières organi- ques de plus en plus complexes, au moyen des éléments de la na- ture minérale. Les animaux, au contraire, détruisent ces matières organiques, et les ramènent sans cesse vers des formes qui tendent à les faire rentrer dans le domaine de la malière minérale, en même temps qu’ils mettent à profil pour leurs besoins les forces qui main- tenaient l’état de combinaison de ces matières. » « Pour compléter l’analogie entre les ferments el les animaux, on doit ajouter, que de même qu'il faut aux animaux, pour vivre et se développer, une nourriture formée de matières animales, de même tous les ferments exigent, pour se développer, une nourriture formée aussi de ces mêmes malières animales dont les animaux se nourrissent. » Les animaux opèrent, dans leurs organes, certaines transforma- tions par l'influence de certains agents chimiques que l'on nomme pepsine dans l'estomac. Le suc pancréalique, les sucs intestinaux, possèdent aussi la faculté d'opérer certaines (ransformations. Dans l'orge germé, on trouve une substance animale qui agil comme fer- ment, c’est la diastase. Dans les amandes amières, on connaît une substance appelée émulsine ou synaplase, dans la moularde noire, une autre substance appelée myrosine. Dans la levûre de bière, existe la zymase, dont il a été parlé plus haut. Toutes ces matières ont la propriété d'agir sur des subslances déterminées (la pepsine sur les matières albuminoïdes, la diastase sur la fécule, la synaptase .sur l’amygdaline et aulres glucosides; la myrosine sur l'acide my- ronique, la zymase sur le sucre de canne), et d'opérer, sous un très- petit poids, des lransformalions chimiques de quantilés considéra - bles de matière, mais dans des conditions déterminées de milieu et de température. Ces substances sont ce que j'ai appelé des fer- ments solubles. À mon avis, ces substances sont seules des fer- ments. La levûre de bière est le type des ferments insolubles, c'est-à-dire organisés. Les microphytes et les microzoaires dont j'ai déjà montré l'activité comme ferment ; l'être organisé qui agit pour transformer 180 le sucre en acide laclique, celui qui opère la transformation du même sucre en acide butyrique, et que M. Pasteur a déterminés ; l'organisme globuleux qui opère la transformalion visqueuse du glucose , et que M. Peligot a décrit, sont autant de ferments organi- sés. À mon avis, ces êtres organisés ne sont pas des ferments. Les phénomènes chimiques qu'ils déterminent, sont dépendants de leur organisation, ce sont des phénomènes de nutrition, c’est-à-dire de digestion , d’assimilation et de désassimilation. Ce point de vue que je crois oublié sinon nouveau, que je déduis de la théorie de M. Dumas, et que je poursuis dans un {ravail sur la fermentation alcoolique, tend à ramener les actes accomplis par les micro- phytes et les microzoaires, à la même catégorie que ceux qui s’ac- complissent dans les êtres supérieurs. Pour moi, il est démontré que la vie de la levüre, toutes choses égales d’ailleurs, est aussi compliquée que celle de n'importe quel mammifère. La levûre di- gère, se nourrit, assimile et désassimile. Les produits de la fer- mentation alcoolique et autres fermentations analogues, ne sont à l'origine que des produits de digestion, comme lorsque la levüre transforme d’abord le sucre de canne en glucose; et ensuite des produits de désassimilation, comme lorsqu'elle transforme le glu- cose dans les divers composés dont on constate la formation. On se demande si ces combinaisons viennent du sucre ou de la levüûre : ils viennent tous de la levûre, de même que l’urée que nous expulsons vient loujours de nous, c'est-à-dire des matériaux qui ont d’abord composé notre organisme, quels que soient les aliments que nous ingérons. On a tenté de donuer une équation de la fermentation al- coolique. Cela ne se peut, les produits varient trop, peut-être en palure, certainement en quantité. La fermentation alcoolique est un acte complexe qui est représenté par une suile d'actions chimi- ques dont chacune peut êlre, ou sera un jour exprimée par une équation. Donner l'équation de la fermentalion alcoolique, est peut- être aussi difficile que de donner celle de la vie d’un vertébré quel- conque. — D'abord, il faudrail déterminer la condition dans laquelle on se place, tenir compte de tous les accidents de température qui surviennent, de toutes les variations qui se produisent dans le mi- lieu fermentant. Ce que je viens de dire là, est probablement appli- cable à loules les actions qui sont accomplies par les fermentis analogues à la levûre de bière. Pour moi, la fermentation lactique, 181 la bulyrique, ne doivent être ainsi nommées que parce que l'acide lactique et le butyrique sont les produits dominants du phénomène ; mais quand ces réactions seront aussi bien connues que la fermen- tation alcoolique, il est fort probable qu’on les trouvera aussi compliquées. C'est là, je crois, le développement dont la théorie de M. Dumas élait susceptible. Oui, les ferments organisés (j’emploie ici le mot ferment pour éviter les longueurs) agissent comme les ani- maux. Il n'y manque même pas le dégagement de chaleur qui accompagne constamment tous les actes de nutrilion. J'ai démontré que pendant la fermentalion alcoolique, il y a dégagement notable de chaleur, d’aulant plus considérable, que la masse des individus quiconsomment(ce mot est de M. Dumas), est plus considérable aussi et qu’ils sont mieux nourris. Enfin, il est probable que la levüre de bière, par elle-même, sans sucre, produit tous les matériaux de la fermentation alcoolique ; du moins, jusqu'ici, je l’ai vue produire l'acide carbonique, l'alcool, l'acide succinique, l'acide acétique : il ne manque plus que la glycérine, pour que le tableau soit complet. Enfin cette même levûre, pendant qu’elle dévore ses propres lissus, dégage de l'azote, et produit d'énormes quantilés d'acide phospho- rique. Mais il est un autre point de vue, sous lequel il convient d’envi- sager les ferments, ou du moins certains ferments. Non seulement ils sont des agents de décomposition, ils sont encore des agents de combustion. Pour Lavoisier, la fermentation alcoolique est une sorte de combustion dont l'oxygène est fourni par l’eau. Je montrerai ce point de vue dans mon travail sur la fermentation alcoolique. Mais il est un autre genre de combustion que les petits organismes déterminent, et cette combustion est comparable à celle qui est dé- lerminée dans le sang par les globules sanguins : sous leur in- fluence, comme sous celle des globules rouges du sang, l’oxygène libre est fixé sur la matière organique qui est brûlée, pendant que son carbone produit de l’acide carbonique, En 1856 (thèse pour le ductoral), j'ai développé cette théorie. Je disais : « Le globule rouge est un organe lransiloire, qui naît, vil et meurt. Je considère ce globule comme un organe , dans lequel, au milieu d'une liqueur alcaline, l'oxygène condensé, l'oxygène qui a pris les propriétés de l’état naissant, détermine l'oxydation, la 182 combustion partielle, la combustion avec dédoublement, des matiè- res albuminoïdes. » Eh bien, voici ce que l'on observe dans l’action des moisissures qui se développent dans une dissolution de sucre de canne et d’oxa- late de potasse. La liqueur, qui était neutre, devient peu à peu alca- line. Le sucre est totalement interverli néanmoins; et si l’on traite la liqueur par un acide, il se dégage de l'acide carbonique. Il s'était donc formé du carbonale de polasse aux dépens de l’oxalate : l’acide oxalique a donc élé brûlé par l'oxygène sous l'influence de la moi- sissure, sans doute dans l’organisme de celle moisissure. M. Pasteur a montré, de son côlé, qu’une cerlaine moisissure fixe l'oxygène sur l'alcool, d'abord pour l’oxyder, el former de l’acide acétique, puis sur cet acide lui-même, pour former l'acide carbonique. Ces faits confirment absolument la théorie de l'oxydation sous l'influence du globule sanguin. Voilà donc que nous trouvons cet admirable enchaînement : les végélaux créent la matière organique avec des éléments minéraux, les animaux brûülent ces malériaux ou les réduisent à un étai plus voisin de la matière minérale proprement dite ; les animalcules inférieures et les mucédinées achèvent ce que les animaux supé- rieurs n’ont pas détruit ou brûlé, et par une suite de fermentations successives el de combustions qui s’accomplissent en eux par l’oxy- gène condensé, ils réduisent finalement le tout en eau, acide carbo- nique et malière minérale. M. Pasteur partage la même manière de voir : « Si les êtres microscopiques, dit-il, disparaissaient de notre globe, la surface de la terre serait encombrée de malière organique morle et de cadavres de lout genre. Ce sont eux principalement qui donnent à l’oxygène ses propriélés comburantes. Sans eux, la vie deviendrait impossible, parce que l'œuvre de la mort serait incomplète. » M. Dumas avec la sagacité du génie, avait formulé la loi en se fondant sur les faits qui élaient connus à l'époque où il écrivait les pensées que j'ai rapportées. Tous les travaux postérieurs n’ont fait que développer et confirmer cet ensemble vraiment imposant. La question qui a été soulevée par l’hétérogénie est grave : A l'o- rigine des choses, puisqu'il faut bien l'adméltre, il n'y avail rien d'organisé ni d'organique, el la géologie affirme que la création des Le nt it 183 êtres organisés reconnaît un commencement. À partir de ce moment, scientifiquement nous ne savons pas comment, les êtres organisés parurent par une suile de créations successives. Rien ue s'oppose donc à ce qu'il y ait encore de nouvelles créations d'êtres el, pour nous, qui ne voulons pas dire qu’une volonté supérieure est inler- venue ou intervient encore, nous disons que ce serail là une généra- tion spontanée ou plutôt, j'ai dit pourquoi, une création spontanée. L'hélérogénie ne me préoccupe pas autrement. Il faut seulement remarquer que la géologie nous apprend que la création des êtres organisés a élé progressant. L'hypothèse que nous combatlons nous fait descendre : c’est l'inverse qui devrait être vrai. Tout nous démontre que dans la création, telle qu’elle nous appa- raît, rien n’est falal, livré au hasard ; que lout est nécessaire et d’une harmonie merveilleuse. Tout est soumis à des lois. Ces lois sont aussi immuables pour les êtres organisés les plus infimes que pour les plus élevés dans les séries zoologiques et que pour le système planétaire que nous voyons. Les infusoires seraient-ils seuls sou- mis à la loi d'un aveugle et inconscient hasard? Mais ces derniers remplissent dans le plan divin un rôle si capital que sans eux tout serait compromis, le règne animal comme le règne végélal ; ils sont donc soumis aux mêmes lois. Je ne me dissimule pas qu’il y a encore bien des points obscurs : je suis convaincu que tôt ou lard ils cesseront de l'être. On objecte qu'il faudrait qu’il y ait dans l'atmosphère à la fois un nombre in - nombrabie d'œufs el de spores d'une innombrable quantité d'espèces. Pour le nombre des germes lout démontre qu'il est immense, comme si la Providence avait voulu que jamais la cause de la génération des êtres microscopiques ne vint à manquer. Quant au nombre des es- pèces, je crois que beaucoup de productions que nous regardons comme spécifiques, ne sont que des élals transitoires d'un être qui tend à la perfection, dont il est un des termes, comme le tétard qui deviendra grenouille. La théorie des générations allernantes appli- quée à ces êtres par un naluralisle sagace et patient, résoudra un jour l’autre partie du problème. J'ai abordé la question sans parti pris à une époque où personne pe songeait à la défendre et j'ai essayé de la traiter scientifiquement, Je n'ai donné à l'imagination que ce qu’il convenait de lui accorder pour embrasser dans son ensemble cette vaste étude. Surlout n'al- 184 lons pas croire que des milliards de siècles puissent en rien modifier ce que nous observons. Depuis les temps historiques les plus reculés jusqu'à nos jours, on n’a pu constater aucune transformalion d'un organisme en un autre ; la plante la plus petite n’a pu devenir légale de sa voisine et le plus humble insecte n’a pu atteindre à la perfection de l’insecte supérieur. Sans doute, l'essence de la matière, après sa personnalité, son immutabilité et sa pondérabilité, ces grandes décou- vertes de Lavoisier, est d’être éminemment active. Mais celte activité est toute chimique; par elle-même elle ne peut rien ajouter à celte activité, quelle que soit la durée que l'on attribue à son passé et à son avenir. La molécule n’est pas plus le fruit du temps que l’atôme lui- même, et si grand que soit le coefficient que l’on attribue à la durée, cette molécule ne s'organisera pas si elle n’est entraînée dans l’ac- tivité préexistante d’une molécule primordialement organisée. Toute autre manière de voir n’est pas scientifique, n’est que du domaine de l'imagination. La science est belle, elle est chaste, elle est honnête : elle mérite donc d’être aimée avec ardeur, d’être traitée avec respect et d’être estimée. Ne la redoulons pas et suivons avec docilité ses: enseigne- ments. Ne nous laissons pas égarer ct disons-nous sans cesse : la création est une dans ses innombrables manifestations. Le but du sa- vant, du vérilable ami de la science est de tenter de pénétrer le plau providentiel, de sonder ses mystères et de les dévoiler. A. BÉCHAMP. ERRATA. * Page 151, ligné 3, au lieu de Necdham, lisez Needham. — ligne 8, au lieu de Necdham, lisez Needham. — ligne 23, au lieu de le végétal et l'animal composent, lisez le végétal ou l’animal compose. — ligne 24, au lieu de entièrement, lisez extrêmement. LES GRANDS NATURALISTES FRANÇAIS AU COMMENCEMENT DU XIXe SIÈCLE. INTRODUCTION. L’anliquilé n’a eu qu'un grand naturaliste, Arislote, qui a porté, dans son hisloire des animaux, l'esprit philosophique et la méthode magistrale qui le caractérisent. Pline, qu'on lui compare quelquefois, ne fut qu'un compilateur, ou, si l’on veut, un érudit, dont la plume éloquente à reproduit tout ce qu'on avait dit avant lui sur les animaux, sur les plantes el sur les minéraux. Mais il mêle les vérilés et les erreurs; et son amour du merveilleux le porte à ajouter foi aux fables les plus extravagantes. Il faut arriver jusqu’au xvir° siècle pour trouver, en histoire na- lurelle, deux hommes de génie que l’on puisse comparer à Arislote. Ces deux hommes sont Linné et Buffon. Tous deux sont nés au commencement du siècle, en la même année , en 1707. Linné, dans sa jeunesse, eut à lutter contre l’indigence. Il avail été apprenti cordonnier, et quand, pauvre étudiant, il voulut suivre les cours de l'Université d'Upsal, il fut obligé, pour vivre, de donner des répétilions à quelques-uns de ses camarades et de raccommoder leurs chaussures. Grâce à l'énergie de son caractère, iFtriompha de la mauvaise fortune; et dès ses premiers ouvrages, on put présager qu'il deviendrail un des maîtres de la science. VI. 13 186 Il s’occupa d’abord de botanique. Dans le catalogue des plantes du jardin d'Upsal, publié en 1731, on aperçoit les premiers indices de son système. Mais il ne tarda pas à embrasser toute l’histoire na- turelle dans ses études, et, en 1735, parut la première édition de son SYSTÈME DE LA NATURE, Ou les trois règnes de la nalure exposés systé- maliquement par classes, ordres, genres, espèces. Ce n'est qu'une très- courte ébauche du grand ouvrage qu’il perfectionna pendant toule sa vie. De 1736 à 1738, il publia divers ouvrages de botanique, par lesquels il commença la réforme de cette science, réforme complé- lée en 1752, dans sa Philosophie botanique, ouvrage capital et dont l'autorité n’a pas faibli. C’est vers la même époque qu'il eut l’idée si simple, comme le sont souvent les découvertes du génie, de désigner chaque plante et chaque animal par deux noms, dont l’un est le nom du genre, l’autre un adjectif qui s’y ajoute et indique l’espèce. Ces deux noms remplacent les longues phrases par lesquelles on dénommait pré- cédemment chaque espèce. On a souvent comparé Linné à Adam, imposant, dans le Paradis terrestre, un nom à toute chose créée. En effet, les noms de Linné sont si bien faits, si faciles à retenir, qu'ils furent immédiatement adoptés dans l’Europe entière. Ils ont passé dans toutes les méthodes que l’on a proposées après lui, et il n’est pas à croire qu’on les abandonne jamais. Linné a créé un système de botanique , et une méthode naturelle de zoologie. Dans son système botanique, il distribue l’ensemble de tous les végélaux en 24 classes, dont les 23 premières comprennent ceux dont les organes de la reproduction, — étamines et pistils, — sont apparents; dans la dernière, il a relégué les plantes dont les organes reproducteurs ne sont pas visibles. Il considère les élamines sous deux points de vue; l’un de peu de valeur, c'est le nombre. Comme l'avortement normal d’une ou de plusieurs étamines, par suite du développement exagéré que prend un organe voisin, est un fait très-fréquent en botanique, on com- prend que le caractère du nombre des étamines est sans intérêt ; l'emploi que Linné en fait, a l'inconvénient de rompre des affinités évidentes, et de distribuer dans plusieurs classes , les plantes qui 187 forment des tribus naturelles. Mais l’autre point de vue sous lequel il considère les élamines, est excellent; c'est la posilion , la subor- dinalion, l’adhérence ou la liberté de ces organes. Au surplus, Linné n'était pas satisfait de son système, tout ingé- nieux qu'il soit; il cherchait une méthode naturelle de classificatior, et dans ses Fragments botaniques, il en a proposé les bases. « L'ordre naturel, disait-il dans sa Philosophie botanique, est le but final de la science. Les bolanistes doivent travailler sans cesse à l’établir. » Enfin, avec la supériorité de vue qui le distingue, Linné a remar- qué le premier que les groupes de plantes ne forment point une série continue, mais qu’ils ont entre eux des rapports multiples. Les plantes, a-t-il dit, sont liées par des affinités, comme les territoires se touchent par leurs frontières sur une carte géographique. Robert Brown a exprimé la même idée par une comparaison qui diffère peu de celle du maître, quand il a dit que la nature groupe les êtres, non comme des chaînons se succédant régulièrement les uns aux autres, mais comme les mailles d’un réseau. Buffon a dit, de son côté : « La nalure ne fait pas un seul pas qui ne soit en tout sens. » En zoologie, Linné est le véritable créateur de la méthode natu- relle. Là, il groupe les êtres non plus d'après un caractère unique, mais d’après tous les caractères qui présentent quelque importance. Après avoir divisé le règne animal en six classes, MAMMIFÈRES, OISEAUX, REPTILES, POISSONS, INSECTES, VERS, il subdivise chaque classe en ordres, et ces ordres ne diffèrent pas beaucoup de la clas- sificalion de Cuvier. Ainsi Linné sépare les mammifères en sept ordres. Ses primates sont les bimanes, les quadrumanes et les cheiroplères de Cuvier ; ses brula sont les édentés; ses feræ sont les carnassiers; ses glires sont les rongeurs; ses pecora sont les ruminants; ses belluæ, les pachydermes; et ses cele, les célacés. Dans la classe des oiseaux, Cuvier n’a apporté aucun changement à la classification de Linné. Les OISEAUX DE PROIE, leS GRIMPEURS, les PASSEREAUX, leS GALLINACÉS, leS ÉCHASSIERS, CS PALMIPÈDES sont exactement les rapaces, les picæ, les passeres, les gallinæ, les grallæ et les anseres de Linné. Sans contredit, Cuvier a perfectionné la méthode de Linné, soit 188 dans les détails, soit dans la meilleure disposition qu’il a faite des ordres, mais il ne l’a pas changée. Dans son livre intitulé : De la longévité humaine et de la quantité de vie sur le globe, M. Flourens reproche à Linné de mêler les cétacés aux poissons et les chauves-souris aux oiseaux. Linné a en effet commis ces erreurs dans la première édition de son SYSTÈME DE LA NATURE, esquisse en douze pages de son grand ouvrage. Il commençait à peine l’élude de la zoologie , et suivait les idées généralement adoptées. Mais il ne larde pas à se corriger. L'établissement de sa classe des. mammifères lui permet de rappro= cher, dans un même groupe, des animaux qui par leurs formes, leurs mœurs et le milieu qu'ils habitent, semblent fort éloignés les uns des autres. Il ne craint pas de placer les chauves-souris immé- diatement après les singes, ordre qui a été conservé par lous les naluralistes venus après lui; et cessant de comprendre, suivant le préjugé vulgaire, les cétacés parmi les poissons, il les relègue à la fin de la classe, parce que les cétacés sont les moins organisés des mammifères. M. Flourens dit encore : « Pour tirer de la classification d’Aristole la réduction supérieure du règne animal en qualre types, M. Cuvier n’a eu qu’à réunir les mammifères, les oiseaux, les reptiles, et les poissons en un seul groupe, celui des VERTÉBRÉS ;.… les crustacés el les insectes en un troisième, celui des ARTICULÉS.. On voit combien la classificalion de Cuvier et celle d'Aristote se rapprochent l’une de l’autre. » Il serait plus juste de reconnaître, avec Daubenton, qu’Aristole n’a conçu aucun plan de distribution méthodique des animaux, et n’a tracé aucune suite de classes, de genres, ni d'espèces. Il s’en est tenu aux dénominations adoplées de son temps, à la façon du vul- gaire, qui donne le même nom à tous les êtres qui lui paraissent de même nature, comme les oiseaux, les poissons. Mais si l’on veut, à toute force, voir dans ces désignations générales les bases d’une classification, el si on la compare à celle de Cuvier, on est forcé d’admelire, comme intermédiaire, la classificalion de Linné. D'abord Aristole n'a parlé ni des mammifères ni des repliles. C'est à Linné que l’on doit cette dénomination de MAMMIFÈRES 189 (mammalia, animaux à mamelles), dénominalion si bien choisie, puisqu'elle indique que les animaux auxquels elle s'applique, se distinguent nettement de tous les autres par l’existence d’un organe spécial et le mode d’alimentalion des pelits. En second lieu, Aristote avait bien aperçu les rapports qui existent entre les serpents et les lézards; mais c’est Linné qui le premier a réuni dans un même groupe, auquel il a donné le nom général de REPTILES, les crocodi- les, les lézards, les caméléons, les serpents, les tortues et les batra- ciens. Enfin ce n’est pas Cuvier, c’est Linné qui a rassemblé dans une même classe les crustacés et les insectes. Il est vrai qu'il avait imposé à toute la classe le nom lalin INSECTA, animaux dont le corps est parlagé en sections. Le mot insectes, qui dans notre langue a eu longtemps une signification tellement vague, que La Fontaine appelle le serpent un insecte (Fables, vr, 13), avait pris, chez nous, surlout depuis les travaux de Réaumur, un sens plus précis, et il n’était plus possible de l'appliquer aux crustacés. Cuvier a substi- tué le mot ARTICULÉS au mot INSECTES, comme dénomination gé- nérale; mais la formation du groupe n’en appartient pas moins à Linné. J'ai relevé ces inadvertances regrettables du savant et ingénieux secrétaire perpétuel de l’Académie des sciences, parce que son livre, s'adressant aux gens du monde, pourrait leur donner une très- fausse idée du génie synthétique de Linné, qu'il serait fort injuste de considérer comme un simple nomenclateur. Fils d’un conseiller au parlement de Dijon, Buffon, par la mort de sa mère, se trouva, jeune encore, en possession d'une grande fortune. Poussé par son amour pour les sciences, il voyagea en Italie et en Angleterre. A son retour, il se fit connaître par la traduction de deux ouvrages anglais : la Scalique des végétaux de Hales, et le Traité des flaxions de Newton. Puis il présenta sugcessivement à l’Académie des sciences différents mémoires sur des sujets de physique, de géométrie et d'économie rurale. Il fut nommé mem- bre de ce corps savant dès l’année 1733, comme adjoint à la section de mécanique. Une circonstance fortuite décide de son avenir. Nommé en 1739 intendant du Jardin du roi, Buffon comprend qu’une carrière nou- velle s'ouvre devant lui; et bien qu'il n’y soit pas préparé par ses 190 études précédentes, il a assez de confiance dans ses forces, pour sa- voir qu'il la parcourra avec éclat. Il sent pourtant la nécessité de se donner un collaborateur. Né myope, et par conséquent peu propre à l'observation, il s'associe Daubenton, savant médecin, né comme lui à Montbar ; et il le charge des détails d'anatomie, partie dont il comprend toute l'importance. Car, comme il le dit, l'intérieur dans les animaux est la forme constituante, la vraie figure, le fonds même du dessein de la nature ; l'extérieur n’en est que la surface et même la draperie. Ce qu'il se réserve, c'est d'écrire l’histoire des êtres vivants; c’est de l’animer, de l’embellir par la richesse de son imagination, par l'élévation de ses vues philosophiques et par son admirable talent d'écrivain. Les deux amis ne se hâtèrent pas de produire. Ils consacrèrent dix ans à l'étude, avant de publier les premiers volumes de l'HISTOIRE NATURELLE. Dans ces premiers volumes, qui parurent en 1749, Buffon toule- fois se révèle encore plus conime écrivain que comme naluraliste. Il décrit ou plutôt il peint d'une manière supérieure les animaux, mais individuellement, sans vouloir les comparer entre eux et sans essayer de saisir les rapports d'affinité qu'ils présentent. La descrip- tion exacte el l’histoire fidèle de chaque chose est le seul but qu’il se propose. Selon lui, toute autre méthode est purement arbi- traire. Mais, à mesure qu'il avance dans la route qu'il s’est tracée, il devient naturaliste. Non seulement il émet sur toutes les questions de la science des vues neuves et fécondes, mais il sent de plus en plus la nécessité d'un enchaînement méthodique des êtres. Il a com- mencé par décrire les animaux domestiques, puis les animaux sau- vages de l'Europe, puis ceux des pays étrangers. Quand il arrive à la grande famille des singes, qu'il appelle les QUADRUMANES , bieu qu'il ne connaisse qu’un petit nombre de ces animaux, il s’aperçoit nettement que les singes américains sont d’une organisalion diffé - rente de celle des singes de l'Asie et de l'Afrique. Cette circonstance lui permet de partager tout le groupe en tribus, et de les classer dans un ordre supérieur à celui qu'avait suivi Linné. De même, dans l'histoire naturelle des oiseaux, il ne les représente plus individuel- lement, il les réunit par familles. 191 IL fait plus : il saisit le plan général de l’organisation des êtres vivanis, « plan — dit-il — toujours le même, toujours suivi de l'homme au singe, du singe aux quadrupèdes, des quadrupèdes aux célacés , aux oiseaux, aux poissons, aux repliles,.… et, se déformant par degrés, des repliles aux insectes, des insectes aux vers, des vers aux zoophytes. » Comme on le voit, par une de ces vues de génie qui sont si fré- quentes chez lui, Buffon séparait déjà en deux groupes distincts la classe des vers de Linné. C’est la division que Cuvier a réalisée plus lard, en mollusques et zoophytes. Buffon est le créateur de la géographie zoologique. Il a vu le pre- mier que les animaux sont réparlis sur le globe, d’après certaines lois. Chaque monde a ses types particuliers. Les animaux des zones australes du nouveau continent n’ont pas de rapports avec ceux de l’ancien. Seulement, de même que vers le nord les deux continents se rapprochent, de même les animaux des contrées septenirionales de l’un et de l’autre offrent des ressemblances frappantes, dans leurs formes et dans leurs mœurs. Buffon admet qu'ils ont passé de l’ancien monde dans le nouveau par des terres autrefois continues, actuellement submergées. La découverte du continent de la Nouvelle-Hollande, qui, en botanique et en zovlogie, a aussi ses types parliculiers, est venue confirmer les vues de notre grand naturaliste. Buffon est le premier, parmi les modernes, qui se soit occupé de l'anthropologie ou de l’histoire naturelle de l’homme. Il n'avait à sa disposition que des matériaux fort incomplets, mais les déductions hardies de son esprit philosophique y suppléaient. On ne peut trop admirer avec quelle sagacité il déblaye son terrain, en rejetant tout d’abord les récits merveilleux des voyageurs, les contes de bonne femme, — comme il les appelle, — que les savants de son temps, Linné lui-même, admetlaient encore. Ces éléments hélérogènes écartés, il lui est possible de reconnaître l'unité de l’espèce humaine, et d'en expliquer les variétés par des causes appréciables. On a fail quelquefois à Buffon le reproche d’avoir émis des idées contradictoires sur les mêmes sujels. Il convient plutôt de le louer d’avoir modifié ses opinions, en raison des progrès qu'il faisait dans la science. Cherchant la vérité de bonne foi, il n’hésitait pas à recon- naître el à rectifier ses erreurs. Ce qui lui fait surtout honneur, c'est 192 que, quand il se trompe, il exprime les idées des autres; quand il voit juste, il donne ses propres solutions. Ainsi, il a commencé par dire : l'homme est un animal, mais le plus parfait des animaux. Plus tard, il rejette toute assimilation, autre que la ressemblance physique, entre l'homme et les animaux. « L'âme, la pensée, la parole, — dit-il, — ne dépendent pas de la forme du corps. Rien ne prouve mieux que c’est un don particulier fait à l'homme seul, puisque l’orang-outang, qui ne parle ni ne pense, a néanmoins le corps, les membres, les sens, le cerveau, la langue entièrement semblables à l’homme; puisqu'il peut faire ou contrefaire tous les mouvements, toutes les actions humaines, et que néanmoins il ne fait aucun acte d'homme. » Buffon ne con- clut pas, — comme Daubenton le fit quelques années après, — à la nécessité d'établir au-dessus du règne animal le règne humain; mais tel est le fond de sa pensée : l'homme étant mis tout-à-fait en dehors de l’animalité, il faut bien lui assigner une place à part dans la création. Dans les premiers volumes de l’histoire naturelle, il examine la question de l'espèce, et il arrive à cette conclusion : les espèces ani- males ne varient pas. Dans les derniers volumes, et surtout dans les Époques de la nature, il revient sur cette question fondamentale, et il se prononce pour la variabilité de l'espèce. A la science d'autrui il a substitué sa propre science; ce n’est pas contradiction, c'est progrès. Buffon avait soixante et onze ans quand il publia les Époques de la nature, le plus parfait de ses ouvrages. Jamais son esprit n’eut plus de pénétration, son talent plus de force, son style plus d'éclat. Dans son extrême vicillesse, Buffon regrette que son âge ne lui laisse pas le temps d'examiner assez, pour en tirer les conséquences qu’il prévoit, les restes fossiles des espèces actuellement perdues, et dont l'existence a précédé celle de toutes les races actuellement vivantes ou végétantes ; et il espère que d'autres viendront après lui, qui poursuivront ces éludes. Pouvait-on mieux annoncer Cuvier? Linné a surtout régné et règne encore dans les écoles. Si ses ouvrages eussent élé composés en langue suédoise, ils ne seraient pas sorlis de son pays. Linné l’a compris, el s'adressant principale- 193 ment au monde savant, il a écrit en latin; ou plulôt il s’est fait une langue à lui, langue souvent étrange au point de vue de la latinité, mais admirable d'énergie et de précision, pleine de grandeur et de poésie, qui exprime tout, qui peint tout en peu de mots. Buffon a écrit dans la plus belle langue française, évitant avec soin les néologismes, les mots grecs et latins, dont après lui on a tant abusé. Il a inspiré le goût de l'histoire naturelle à toutes les classes de la société, en France et dans les autres États de l'Europe. À mesure que les volumes de son ouvrage paraissaient, il recevait, de toules parts, des lettres confirmant ou contredisant les faits avancés par lui. Ces lettres, écrites par des personnes de loute con- dilion, contenaient une foule de renseignements précieux que Buffon consignait dans les volumes suivants. Ce n’est pas tout : les souve- rains, les savants, les voyageurs, lui adressaient, de tous les pays, des objets d'histoire naturelle pour le Jardin des plantes. C’est ainsi qu'a commencé celte collection qui serait unique au monde, si le local, malheureusement très - insuffisant, permettait d'en exposer toutes les richesses aux regards du public. D'après la forte impulsion donnée aux études zoologiques par Linné et par Buffon, on ne doit pas être surpris de voir apparaître, en même temps, tout à la fin du xvui° siècle, trois naturalistes émi- nents, Lamarck, Étienne Geoffroy Saint-Hilaire et Cuvier. Je me propose de consacrer une étude à chacun d’eux (1). (1) En écrivant cette introduction, je me suis aidé de quelques notes recueilhes aux cours professés par M. Isidore Geoffroy Saint-Hilaire. 194 LAMARCK. Des trois grands naluralistes qui ont illustré la science française au commencement de ce siècle, Lamarck est le moins connu. Ses titres sont généralement ignorés, son nom même s’oublie. Par une comparaison minutieuse des ouvrages de Lamarck avec ceux des naturalistes ses contemporains, j'ai cherché à constater quelles sont, en histoire naturelle, les découvertes qui lui appar- tiennent en propre. J'ai cru devoir aussi exposer avec une certaine étendue la doctrine philosophique de Lamarck sur la génération des êtres vivants. Puissé-je l'avoir représenté fidèlement, avec son double caractère d’observateur intelligent de la nature et de penseur hardi jusqu’à la témérité. Jean-Baptiste-Pierre-Antoine de Monet, chevalier de Lamarck, naquit à Bazentin, village de la Picardie, le 14 août 1744. Il était le onzième enfant du seigneur de ce lieu. Son père, qui le destinait à l'état ecclésiastique, le fit entrer au collége des Jésuites à Amiens, et l'y retint, malgré le désir plusieurs fois exprimé par le jeune homme de suivre la carrière des armes. Quelques mois après la mort de son père, survenue eu 1760, Lamarck quitta le séminaire. Muni d’une lettre de recommandation qu'une vieille parente lui avait re- mise pour le colonel du régiment de Beaujolais , il alla rejoindre en Allemagne l’armée du maréchal de Broglie. La France était alors engagée dans une guerre funeste, commencée en 1756, contre la Prusse et l'Angleterre. Peu de jours après l’arrivée de Lamarck au régiment, dans lequel il fut admis comme volontaire, malgré sa mine chétive, eut lieu la bataille de Willingshausen. Nos armes y subirent un échec. Exposée, pendant toute la durée de l’action, au 195 feu meurtrier de l'artillerie ennemie, la compagnie de grenadiers dans laquelle Lamarck était incorporé avait perdu tous ses officiers et tous ses sous-officiers. Elle se trouvait réduite à quatorze hommes. Le plus ancien grenadier, ayant pris le commandement, voulait suivre le mouvement rétrograde qu’il voyait s’opérer autour de lui. Mais Lamarck s’y opposa avec tant d'énergie, que ce faible détache- ment, oublié là dans la confusion de la retraite, fit de nouveau face à l'ennemi et continua à tenir bon. Il ne se retira que sur l’ordre que bientôt un aiïde-de- camp vint lui transmettre. Ce trait d'intrépidité d’un jeune homme à peine âgé de 17 ans fut raconté au maréchal, qui nomma Lamarck officier sur le champ de bataille. Distinction glorieuse ; car elle fut unique pendant la cam- pagne, et eut lieu par une dérogation formelle aux ordres du mi- nistre de la guerre, qui, travaillant à une nouvelle organisation de l’armée, s’étail réservé le droit exclusif de disposer de tout emploi vacant. Lamarck continua à se signaler pendant cette campagne, et après la paix, conclue en 1763, il fut envoyé en garnison dans le midi de la France. Une blessure, qu’il reçut en jouant avec un de ses cama- rades, l’obligea à venir à Paris pour se faire soigner. La guérison fut lente. Lamarck renonça à son grade et se mit à étudier la médecine. Pour suppléer à l'insuffisance de ses ressources consistant en une simple pension de quatre cents livres, il travaillait comme commis dans les bureaux d’un banquier. Son cours de médecine dura quatre années. Dans l'intervalle, La- marck, esprit ardent et mobile, s'était pris d’un goût très-vif pour la musique ; il songea même à s’y livrer exclusivement. Un de ses frères, le chevalier de Bazentin, lui fit abandonner ce projet, non sans peine. Vers celte époque, les deux frères se renfermèrent dans une retraite aux environs de Paris, et là, pendant toute une année, ils se livrèrent à de sérieuses éludes de science et d'histoire. Dans une de leurs promenades, ils rencontrèrent Jean-Jacques Rousseau. Lamarck, qui avait suivi au Jardin-des-Plantes un cours de bota- nique, fut bientôt admis aux herborisations du philosophe. Cette circonstance décida de sa vocation. Il se passionna pour la botanique, el poursuivit l'étude de cette science avec l’ardeur qu'il mettait en loutes choses. Le système de Linné, qui avait fait une révolution dans la science, 196 était alors généralement suivi en France. Cependant, au Jardin-des- Plantes, Lemonnier enseignait une nouvelle distribution des végé- laux par familles naturelles, distribution inventée par Bernard de Jussieu, et dont Antoine-Laurent de Jussieu, son neveu, avail fait, en 1774, une exposition qui fut insérée dans les Mémoires de l'Aca- démie des Sciences. Lamarck pensa que, pour donner à cette classifi- calion par familles naturelles toute sa valeur, il fallait y joindre une méthode qui, par une voie sûre et facile, conduisit à la détermina- tion des plantes, et il se mit à rédiger sa Flore française. Buffon, qui eut connaissance de son travail, l’encouragea el se chargea d'en faciliter la publication. Notre grand naturaliste n’aimait pas Linné, contre lequel il a souvent dirigé des criliques passablement violentes. Le génie a ses faiblesses. J'ai entendu raconter au dernier des Jus- sieu que, quand son grand oncle fut chargé, en 1773, de présider à la distribution des végétaux, au Jardin-du-Roi, Buffon avait voulu s'opposer à ce qu'il mît sur les étiquettes des plantes, les noms de la nomenclalure linnéenne. Jussieu déclara qu'il renoncerait plutôt à son emploi. Buffon dut céder; mais il exigea que les noms des genres, élablis, pour la majeure parlie, par Tournefort, fussent écrits en grosses leltres, et les noms des espèces, les noms linnéens, en très-petits caractères (1). Buffon voyait donc avec plaisir surgir un système qui, par sa facilité, semblait rivaliser avec celui de l'illustre Suédois. Il était d’ailleurs disposé à favoriser tout ce qui pouvait faire progresser les sciences naturelles en France. Comme à celte époque la plume de Lamarck n'était ni élégante ni correcte, Buffon chargea Hauy de retoucher le discours préliminaire dans lequel la nouvelle méthode est exposée. Hauy fit plus que Buffon n'avait demandé : il soumit tout l'ouvrage à sa révision; car, dans un court avant-propos placé en tête du second volume, Lamarck dit : « J'avoue que la partie du style est entièrement de M. l’abbé Hauy. » La Flore française, en trois volumes in-8°, sortit des presses de l'imprimerie royale en 1778; l'édition entière, faite aux frais de l'État, fut mise à la disposition de Lamarck. Le livre eut un grand (1) On connaît la petite vengeance qe Linné tira des attaques injustes de son rival, en lui consacrant, sous le nom de Buffonia, une plante marécageuse sous laquelle s’abritent les crapauds. Il jouait sur le mot Bufo, qui en latin signifie crapaud. 197 succès. Il en fut donné une seconde édition en 1780. Une troisième, entièrement refondue par M. de Candole, a paru, de 1805 à 1815, en six gros volumes in-8. La méthode inventée par Lamarck a reçu le nom de méthode dichotomique, d’un mot emprunté à la botanique, par lequel on désigne, dans cette science, les tiges et les rameaux qui se divisent et se subdivisent régulièrement par bifurcation. Voici en quoi con- sisle celte méthode. Vous avez devant vous une plante que vous ne connaissez pas, et dont vous voulez chercher le nom dans la Flore française. Vous ouvrez le livre à la première page, et vous y trouvez en regard deux caractères dont l’un convient nécessairement à la plante que vous examinez, et dont l’autre ne peut lui convenir ; par exemple l'existence ou l'absence des étamines et des pislils. Ayant adopté celle des divisions à laquelle se rapporte votre plante, un numéro vous renvoie à une des pages subséquentes où vous trouvez encore deux caractères bien tranchés, exclusifs l’un de l’autre. Votre choix fait, un nouveau numéro vous reporte à une autre page. De renvoi en renvoi, el après un voyage souvent fort long à travers le volume, vous arrivez au groupe naturel auquel appartient votre plante. Par une nouvelle analyse, semblable à la première, vous parvenez à connaîlre son nom générique. Il ne vous resle plus qu’à trouver le nom de l'espèce. Tout ingénieux que soit ce système, il n’est pas d'une applicalion facile. Quand on à fait fausse roule, et cela arrive souvent, il faut recommencer ces longues analyses, rien ne vous indiquant le point où vous vous êtes fourvoyé dans le trajet. Ce qui contribua au succès de la Flore française, c'est qu’elle s'applique aux plantes de notre pays, et qu'elle est écrite en fran- çais. Les ouvrages de Linné, et les premières applicalions qu'on en a faites chez nous, sont en lalin. Je ne puis m'empêcher de croire que l’abandon du système de Linné n’ait été une des causes du discrédit dans lequel la botanique est tombée en France. Commencer l'étude de celte science par la méthode naturelle, est un véritable contre-sens. La méthode est une œuvre de synthèse, qui suppose bien connu l’ensemble des végétaux. Le système, au coniraire, s'adresse à ceux qui ne savent pas, et par l'analyse il les amène à trouver le nom des plantes, première con- dition pour les étudier et pour les rattacher à un genre, à une famille, 198 à une classe. Loin d’être l'ennemi de la méthode, le système y con- duit, Linné le sentait si bien, qu'après avoir établi son système, il a cherché une méthode naturelle de classification, et il en a proposé les bases. Nul plus que lui, d’ailleurs, n’a encouragé Bernard de Jussieu à persister dans ses travaux pour l'établissement des familles naturelles. Une aulre cause de défaveur pour la botanique, c’est la quantité de mots techniques dont on a surchargé le vocabulaire de cette science. Un botanisie français, de nos jours, a inventé, pour dési- gner les organes des plantes, plus de quinze cents noms, tous fort barbares, bien qu'ils soient tirés du grec. Un botaniste viennois (Endlicher) n’a pas voulu demeurer en arrière. Celui-là a tout changé, jusqu'aux noms des plantes, M. Le Maout l’accuse d’avoir substilué les noms tudesques de Kosteletskia, Schweiggeria, Bischofa, Traulvetteria, Wachendorfia, Wrightia, Putterlickia, Ternstroëmia, elc., aux dénominations poétiques de Daphné, Narcissus, Adonis, Arethusa, Atropa, Hyacinthus, Andromede, Protea, etc. Assurément, ce savant-là n’a jamais sacrifié aux Grâces. Enfin, je ne quilterai pas ce sujet sans signaler un abus qui s’est introduit dans toutes les sciences naturelles, et dans la botanique plus qu'ailleurs, c'est celui des subdivisions. Les hommes de génie, les Tournefort, les Linné, les Jussieu, les Lamarck, sont surtout frappés des ressemblances. Ils ont le sentiment des rapports, el ils élablissent les grands groupes. Les hommes d'esprit, qui viennent après eux, ne s’attachent qu'aux différences, et, d’après des carac- tères d’une importance très-secondaire, ils divisent, ils subdivisent, ils établissent lant de nouvelles familles, tant de nouveaux genres, tant de nouvelles espèces, que les savanis de profession peuvent seuls s'y reconnaître. Lamarck se plaignait déjà de ce déplorable système de divisions mullipliées. « Cet abus ne cessera probablement, disait-il, que quand la science sera tellement encombrée, qu’il faudra passer sa vie en- lière à éludier la stérile nomenclature des objets. » Un seul exemple montrera à quel point cet abus est poussé. Du temps de Lamarck, on ne reconnaissait que sept espèces du genre Ronce par toute la France. Certains botanistes ont subdivisé ces sept espèces, de ma- nière à en faire trois cent soixante-cinq. Il est vrai de dire que les 199 caractères qui les distinguent ne peuvent être saisis que par les sa- vants qui les ont établis. Daus l’année qui suivit la publication de la Flore française, La- marck fut élu membre de l’Académie des Sciences. Peu de temps après, Buffon, qui destinait son fils à lui succéder dans l'Intendance du Jardin-du-Roi, voulut qu'il s’y préparât par un voyage d'instruction dans les principaux Élats de l'Europe. Désirant qu'il fût accompagné dans celte excursion scientifique par Lamarck, dont il avait su apprécier le caractère chevaleresque et l’ardeur pour loules les branches du savoir humain, il obtint pour lui une com- mission de botaniste du roi. Le savant et son élève parcoururent suc- cessivement les Pays-Bas, la Hollande, l'Allemagne et la Hongrie, visitant les jardins botaniques, les musées, les collections d'histoire nalurelle, et, d’après les instructions de Buffon, spécialement les mines. Mais le fils de Buffon rendait parfois la tâche de mentor bien difficile. Son étourderie, son orgueil, son opiniâtrelé causèrent à Lamarck de vifs chagrins. Buffon ne tarda pas à s’apercevoir, d’a- près leur correspondance, que le bon accord avait cessé d'exister entre eux. Il les rappela à Paris, après une absence qui avait duré deux ans. À son retour, Lamarck obtint au Jardin-des-Plantes un modeste emploi, sous le titre de Conservateur des herbiers du roi. Il se chargea alors de la partie botanique de l'Encyclopédie mélho- dique. Les tomes I et II sont en entier de sa main. Pour le tome HI, il eut un collaborateur, et resta étranger à la rédaction des cinq derniers volumes. La botanique a toujours été regardée comme une des meilleures parties de cet immense ouvrage, dont les traités avaient vieilli, pour la plupart, avant d'être terminés. La BOTANIQUE de l'Encyclopédie est classique, et elle sera toujours consultée avec fruit. Dans les Zllustrations des Genres, autre ouvrage faisant partie de l'Encyclopédie méthodique, Lamarck est revenu au sysième de Linné, non qu'il le regardât comme le meilleur, mais parce qu'il est, disait- il, le plus généralement suivi. Il n’en proclame pas moins Linné le plus grand botaniste qui ait exislé. Lamarck est le premier qui, dans un arbre, ait vu une sorte de polypier végétal. Voici comment il établit cette théorie : 200 « Toute plante qui meurt après avoir donné une seule fois ses fleurs et ses fruits, est un végétal individuel, un individu isolé. » Toute plante qui vit et fructifie plusieurs années de suite, est un être composé. Elle offre, comme les polypiers, une réunion d’in- dividus vivant ensemble sur un corps commun, qui persiste et en développe successivement d’autres. Chacun de ces individus ne vil pas au-delà d'une année; mais, avant de périr, il fournit, soit dans ses semences, soit dans ses bourgeons, les gages d’une reproduction prochaine d'individus nouveaux. » Ainsi chaque bourgeon du végétal est une plante particulière, qui doit se développer comme celle qui l’a produite, participer à la vie commune, produire ses fleurs annuelles et ses fruits, puis qui donne naissance à un nouveau rameau présentant déjà d'autres bourgeons. Le corps commun, qui survit aux individus, n'a pas d'individua- lilé propre : c'est une masse végétale sur laquelle vivent une suile de générations. Elles s’y succèdent tant que le corps commun con- serve l’état convenable pour les faire vivre. « Le propre de tout individu, dit encore Lamarck, est de changer graduellement d'état pendant la durée de son existence. À mesure qu’il approche du terme de sa vie, toutes ses parties portent de plus en plus le cachet de la caducité. Or, quelque vieux que soit un arbre, ses bourgeons présentent toujours, au printemps, des in- dividus qui portent d’abord l'empreinte de la plus tendre jeunesse; qui prennent ensuile les traits plus vigoureux d'un développement complet ; et qui, après un élat stationnaire de peu de durée, offrent progressivement les caractères d’une vieillesse qui les conduit à la mort. L'arbre qui soutient ces bourgeons est donc un végétal com- posé. » Cette théorie de Lamarck est aujourd'hui à peu près généralement adoptée. Elle seule rend bien compte de la multiplication des végé- taux par les procédés de la greffe et de la bouture. En effet, si le bourgeon est le véritable individu végétal, on comprend qu'il puisse se développer également bien, soit sur le rameau où il a pris nais- sance ; soit sur la tige d’une plante analogue où, par la greffe, on l’a inséré; soit enfin dans le sol où, par la bouture, on l'a transporté. Quelques bolanistes de nos jours vont jusqu’à prétendre qu'un arbre ne meurt jamais de vieillesse. Le tronc élant une sorte de sol 201 particulier approprié à la nature des bourgeons qui se développent à sa circonférence , leurs générations s'y succèdent perpétuellement , comme les généralions des graminées sur le sol de nos prairies. C’est ainsi que l’on s'explique la longue existence de certains arbres des îles du cap Vert et de la Californie, lesquels n’ont pas moins de cinq à six mille ans de durée. Suivant M. de Humboldt, le dragonnier d'Orotava, dans l'île Ténériffe, serait encore plus âgé. Enfin, sans sortir de notre France, on trouve en Normandie quelques ifs, et près de Draguignan un génévrier qui végètent depuis trois mille ans au moins. Ces arbres sont placés dans le voisinage d'anciens monuments druidiques. La vénération des peuples les protége, à défaut de la loi. IT. Tout entier à ses études, Lamarck ne fut point inquiété pendant la révolution. En 1790, il avait présenté à l’Assemblée nationale un mémoire sur les collections d'histoire naturelle, contenant un plan d'organisation du Jardin-des-Plantes. Au milieu des graves préoc- cupalions de l’époque, on fit peu d'attention à ce projet. Mais, au mois de juin 1793, Lakanal, ayant appris que des vandales, — c’est son expression, — devaient demander à la tribune de la Convention la suppression du Jardin-des-Plantes, comme étant une annexe de la maison du roi, Lakanal sut bien retrouver le mémoire de Lamarck. Il s’inspira de ses idées, mais il les agrandit. Au lieu de six charges d’officiers-démonstrateurs que demandait Lamarck, il fit créer douze chaires pour l’enseignement des différentes branches des sciences naturelles. Cependant, sur un point, Lamarck était allé plus loin que Lakanal : il avait insisté sur la nécessité d'établir quatre démons- trateurs pour la zoologie. On les réduisit à deux dans le décret du 10 juin 1793. Plus tard, on a reconnu qu'ils étaient insuffisants ; et l'enseignement de la zoologie se fait aujourd’hui au Muséum par quatre professeurs, conformément à la division indiquée par Lamarck. Il fut nommé à l’une des deux chaires de zoologie, l’autre fut don- née à Élienne Geoffroy Saint-Hilaire. Il est assez bizarre que; des deux savants désignés pour occuper ces chaires de création nou- velle, — car sous Buffon on n’enseignait pas la zoologie au Jardin- des-Plantes, — l'un ne se fût jusqu'alors occupé que de miné- VI. 14 202 ralogie, et l’autre que de botanique. Dans le partage, Lamarck était le moins bien traité. Geoffroy Saint-Hilaire devait faire l’histoire des quatre premières classes d'animaux : mammifères, oiseaux, reptiles, poissons. Encore ne s’occupa-1-il que des mammifères et des oiseaux. Il ne tarda pas à se faire adjoindre Lacépède pour les reptiles et les poissons. D'ailleurs Geoffroy Saint-Hilaire était jeune; Lamarck, au contraire, avait près de cinquante ans, et il devait se charger du plus lourd fardeau. Des quatre embranchements entre lesquels Cu- vier a réparti tous les êtres animés, l’enseignement de Lamarck en comprenait trois, contenant plus des neuf dixièmes des animaux, les moins connus à cette époque, les plus difficiles à étudier, les plus variés dans leur organisalion. Cette tâche, qui devait exiger tant de travaux et de recherches, Lamarck l’accepla courageusement, et il la remplit pendant plus de ving!-cinq ans, sans la partager et sans fléchir sous le faix. À sa mort, on dut diviser son enseignement et créer deux chaires : l’une pour les mollusques, l’autre pour les ar- ticulés. Cette dernière fut confiée à Lalreille, ami de Lamarck et devenu son suppléant, quand celui-ci fut frappé de cécilé. Latreille, qui avait viéilli au Muséum dans des fonctions subalternes, dit à celte occasion ce mol assez triste : « On a attendu, pour me don- ner un morceau de pain, que je n’eusse plus de dents. » On sait que Linné, dans son Système de la nature, après avoir éta- bli, avec une admirable précision, les cinq premières classes de la zoologie, a relégué dans une dernière classe, sous le nom de vers, tous les animaux inférieurs, alors fort peu connus. :elte classe présentait une véritable confusion, dans laquelle se trouvait réunie une multitude immense d'êtres les plus disparates. On attribue généralement à Cuvier la gloire d'avoir débrouillé ce chaos. Il serait plus juste d’en rapporter l’honneur à Cuvier et à La- marck, comme je vais essayer de le démontrer. Au surplus Cuvier, qui n'a pas toujours été juste envers Lamarck, était loin de nier les droits de son confrère. Dans l'introduction de son ouvrage, publié en 1817, sous le titre de Règne animal, Cuvier dit expressément : « Il n’était pas possible qu’il me restât beaucoup à faire sur les coquilles étudiées par M. Lamarck; je ne m'en suis guère occupé que pour me mettre en élat d'exposer brièvement les divisions qui ont été admises par lui. » Or, on sait que les coquilles ou les testacés comprennent plus des neuf dixièmes des mollusques. | | 203 Cuvier ajoute : « Je me suis aussi aidé, pour les échinodermes, du travail récemment publié par ce savant... Les infusoires et les co- raux n’offrent pas de prise à l'anatomie : j'en ai traité fort briève- ment; l'ouvrage de M. Lamarck y suppléera. » Les livres de Lamarck trouvaient peu de lecteurs; ceux de Cuvier jouissaient, au contraire, d’une vogue immense dès le moment de leur apparition. Il était donc naturel qu'on fit honneur à celui-ci des découvertes de son confrère. Je vais reprendre, avec quelques délails, la suite des travaux de ce dernier. Lamarck pensait que, relativement au rang qu'ils doivent occu- per dans la série générale, il fallait accorder aux mollusques la prééminence sur les insectes. Celte opinion trouva peu de crédit chez les savants; mais, quelques années plus tard, Cuvier eut la même idée, et la fit prévaloir. Il intervertit l’ordre établi par Linné, et plaça les mollusques immédiatement après les vertébrés. Malgré l'autorité des deux naturalistes français, on est d'accord pour repla- cer les insectes au secon@ rang dans la série zoologique. Cuvier et Lamarck s'étaient trompés. Il peut sembler maladroit de réclamer, en faveur de Lamarck, la priorité d'une méprise. Mais quand deux hommes tels que Lamarck et Cuvier se fourvoient, leur erreur n’est point une erreur ordinaire. S'ils ont cru les mollusques supérieurs aux insectes, ‘c’est parce qu'ils avaient trouvé chez les premiers de ces animaux un système circulatoire beaucoup plus riche que celui des insectes; et cette dé- couverle, il est juste de reconnaître que Lamarck l’a faite le premier. Au sarplus, tous deux s'étaient exagéré la valeur de certains ca- ractères ; comme l'existence, chez les mollusques, de plusieurs cœurs, et d’une chaîne ganglionée double. Ce ne sont pas là des titres de noblesse, mais des marques d’infériorité. En effet, dans l'organisation animale, la supériorité réside dans la concentration des fonctions. Les animaux supérieurs nous présentent des organes convergeant tous vers un pelit nombre d'appareils régulateurs : cœur, poumons, cerveau. Chez les animaux inférieurs, ou ces cen- tres organiques n'existent pas, ou ils ne sont pas simples. Dans les métamorphoses qu'ils subissent, les êtres peuvent pré- sentier, relativement à ces organes régulateurs, plusieurs états. Ainsi, chez l'insecte à l’élat de larve, la chaîne ganglionée, — appareil du 204 système nerveux, — est double. À l’état parfait, cette chaîne est simple : il y a eu réunion des deux centres nerveux en une seule masse. De même, chez les crustacés, la chaîne, double à l'état em- bryogénique, devient simple à l’état adulte (1). Donc, sous ce rapport, les mollusques présentent l'état inférieur des articulés. Ce motif eût suffi pour rétablir dans la série l’ordre interverti par Lamarck el Cuvier, puisque le système nerveux est ie siége de la sensibilité, et que la sensibilité constitue l'animal. Mais il y a beaucoup d’antres raisons de le faire : les articulés ont une organisation plus diversifiée, une tête, un thorax, un abdomen, des membres pour la locomotion, un squelette extérieur, une vitalilé plus grande, enfin une incontestable supériorité d’inslincts. J'ajouterai que les insectes sont, pour la plupart, aériens ; tandis que les mol- lusques sont presque tous aquatiques. Or, l'habitation dans les eaux constitue un état d’infériorité. Un peut remarquer, en effet, que toute grande division en histoire naturelle se termine par des ani- maux aquatiques. Ainsi l2 dernier des quatre enibranchements de la série — les zoophytes — esl uniquement aquatique; ainsi la der- nière classe des vertébrés — les poissons — est entièrement aqua- tique; ainsi encore, le dernier groupe de la classe des mammifères — les cétacés — est aquatique. Il en est de même dans la classe des oiseaux, pour le dernier groupe, ou les manchots, les moins oiseaux qu'il soit possible, comme a dit Buffon. J'ai hâte d'arriver à ceux des travaux de Lamarck dont les résul- tals sont restés dans la science. C'est Lamarck qui, le premier, en 1799, a établi la classe des CRUS- TACÉS, que Cuvier comprenait encore parmi les insectes. Celte classe en est parfaitement distincte, puisqu’elle offre un cœur, des artères, des veines, un fluide circulant; puisque les animaux qui la com- (1) Dans les animaux à vertèbres , le système nerveux se compose de cinq cor- dons : 4° la moëlle épinière; 2° deux chaînes de ganglions placées entre les ver- tèbres, de chaque côté de la moëlle épinière; 3° le grand sympathique, formé par deux autres chaînes de ganglions. (Ces ganglions sont des renflements nerveux; ils forment une chaîne, parce qu’ils sont réunis par des filets nerveux.) Suivant M. Serres, le système nerveux des articulés et des mollusques n’est ni la moëlle épinière, ni le grand sympathique; mais la double chaîne de ganglions qui accompagne la moëlle épinière. 205 posent respirent par des branchies; ont, en naissant, la forme qu'ils doivent conserver; et qu’ils se reproduisent plusieurs fois. En 1890, il sépare encore du groupe des insectes les ARACHNIDES, dont il forme une classe particulière. « Elle est distincte, dit-il, puisque les arachnides n'ont, comme les insectes, ni six pattes, ni antennes, ni yeux en réseau; qu'ils ne subissent pas de métamor- phoses après leur naissance; et qu'ils engendrent plusieurs fois pen- dant le cours de leur existence, faculté refusée aux insectes. » Les naturalistes répugnaient à adopter les idées de Lamarck, qui en fait la remarque avec une certaine amerlume. « Ces classes, écrivait-il en 1809, ne sont admises dans aucun ouvrage autre que les miens. » Aux raisons très-suffisantes données par Lamarck, pour séparer des insectes les deux classes des crustacés et des arachnides, je me permettrai, avec une grande défiance pourtant, d’en ajouter une. Les botanisles ont constaté que dans toutes les plantes dont les organes de reproduction sont apparents, les diverses parties de la fleur sont disposées d’après les nombres 2, 3 ou 5. Ainsi les divi- sions du calice, celles de la corolle, les étamines et les pièces du pistil, reproduisent toujours soit le nombre 2, soit le nombre 3, soit le nombre 5, ou un de leurs multiples. On trouve, il est vrai, des dérogations assez nombreuses à ces types d'organisation; mais ce sont des exceptions qui confirment la règle. Elles proviennent de cette loi de compensation qu'Élienne Geoffroy Saint-Hilaire a appelée le balancement des organes. Je n’en citerai qu’un exemple. La fleur de la capucine est organisée d’après le nombre 5. Le calice est à 5 pointes, la corolle à 5 divisions; mais il n'y a que 7 étamines au lieu de 10. Le long éperon qui forme le pro- longement de la corolle en a fait avorter 3. Toutes les plantes qui composent le premier embranchement de la série végétale, c’est-à-dire toutes celles qui naissent avec deux cotylédons, sont organisées d’après le nombre 2 ou d’après le nom- bre 5. Toutes les plantes qui composent le second embranchement, c’est- à-dire celles qui sortent de terre avec un seul cotylédon, sont orga- nisées d’après le nombre 3. Ceci est sans exception. Je ne crois pas qu’on ait jamais fait à la zoologie l'application de 206 ces lois numériques. Il me semble pourlant que l’organisation ani- male y est soumise, comme celle des végétaux. Seulement la loi se complique un peu; et cela devait être, puisque nous sommes montés d'un degré dans la hiérarchie des êtres vivants. Les types animaux ne sont plus régis par un seul nombre, mais par la combinaison de deux nombres : 2 et 5, ou 2 et 3. Tous les animaux du premier embranchement, les vertébrés, sont organisés d'après les nombres 2 et 5. Le nombre 2 se reconnaît d’une manière évidente dans la dispo- sition symétrique des organes, par parlies paires de chaque côté d’une ligne médiane : deux lobes du cerveau, deux yeux, deux oreilles, etc. Les organes simples, comme le nez, la langue, le cœur, sont formés de deux parties qui, distinctes à un certain état du fœ- tus, se sont plus tard réunies et soudées. Quant au nombre 5, il est nettement accusé par les doigts des pieds et des mains. Chez quelques animaux du premier embranchement, on n’aper- çoit, il est vrai, que quatre, trois, deux ou même un seul doigt; mais l'anatomie sait bien retrouver les rudiments des organes qui man- quent. Ces organes rudimentaires, sans ulililé pour l’animal , sont autant de rappels à l'unité. Donc le premier embranchement de la zoologie reproduit, comme le premier embranchement de la botanique, les nombres 2 et 5. Les plantes du deuxième embranchement du règne végétal sont organisées sur le nombre 3, Les animaux compris dans le second embranchement de la zoologie présentent aussi ce nombre 3, com- biné avec le nombre 2. En effet, lous les insectes sont des animaux binaires ; ils ont deux yeux, deux antennes, etc. : c’est le nombre 2. Tous ont six pattes : c'est le nombre 3. Or, lescrustacésetlesarachnides ne présentent jamais le nombre 3. Les crustacés ont généralement cinq paires de pattes. Les arach- nides n’en ont que quatre; mais la grosseur de leur abdomen en a fait avorter une paire. (Loi du balancement des organes.) Ces deux classes sont donc, comme les animaux du premier em- branchement, organisées d’après les nombres 2 et 5. Si ces considérations peuvent avoir quelque valeur, elles prouvent, une fois de plus, que Lamarck a eu raison de faire des CRUSTACÉS et 207 des ARACHNIDES deux classes distincies, établissant la transition entre les vertébrés et les insectes. En 1802, Lamarck institue une nouvelle classe, celle des ANNÉ- LIDES, animaux dont le corps est segmenté en anneaux, mais en anneaux qui tendent à s’effacer. Les membres ont disparu. C’est un groupe de transition entre les articulés et les mollusques. Débarrassée des crustacés, des arachnides, et des annéïides, la classe des INSECTES n'en resle pas moins la plus considérable du règne animal, mais elle est parfaitement limitée. Tous les êtres qui la composent subissent des mélamorphoses après leur naissance. Tous, à l’élat adulte, ont deux antennes, deux yeux réticulés ou à faceltes (1), et six pattes. Tous respirent par des trachées ou vais- seaux ramifiés, distribuant l'air dans toutes les parties du corps. Tous enfin, pendant le cours de leur vie, n'exercent qu’une seule fois leurs organes reproducteurs. Lamarck a aussi formé une classe particulière des CIRRHIPODES, dont Cuvier avait fait un ordre des mollusques. C’est encore un groupe de transition. Dans le jeune âge, les cirrhipodes sont de vrais crustacés, qui nageut librement. A l’état adulte, ils se fixent par le dos sur quelque corps sous-marin, et sécrètent une sorte de coquille composée de plusieurs pièces. Dès qu'ils ont perdu leur mobilité, les anneaux de leur corps disparaissent. Ce sont des articulés qui pas- sent aux mollusques. Précédemment, Lamarck avait encore établi la classe des ÉCHINO- DERMES, comprenant ces animaux rayonnés dont la peau présente un riche développement, avec des parties dures constituant une sorte de squelette. Tels sont les oursins, les astéries. Plus tard, il changea ce nom d’échinodermes en celui de RADIAIRES, afin d'y réunir les méduses et les genres voisins. Les naturalistes n’ont pas adopté celte dernière dénomination ; mais ils ont conservé celle d’échinodermes, et ils ont continué à (1) L’œil des insectes est fixe, mais il est composé d’une multitude de facettes hexagonales, qu’on peut considérer comme autant d’yeux réunis. Le nerf optique se divise aussi en une multitude de fibrilles nerveuses dont chacune fonctionne à part. Chez certains insectes, il y a jusqu’à vingt mille de ces facettes et vingt mille divisions du nerf optique. Cette prodigieuse quantité supplée au défaut de mobi- lité de l'œil. C’est un curieux exemple des moyens variés que la nature emploie pour atteindre le même but. 208 faire des méduses ou acalèphes une classe à part. Il semble qu'ils aient pressenti un fait qui, constaté par des observations récentes, montre que les échinodermes et les méduses sont des êtres très- différents. On connaissait depuis longtemps le mode de génération des poly- pes : à la surface de leur corps se forment des bourgeons, non pas au hasard, mais à des places déterminées, comme ceux qui naissent sur la branche d’un végétal. Ces bourgeons de polypes se dévelop- pent rapidement, et deviennent aulant d'individus semblables à ceux qui les ont produits et auxquels ils restent attachés, comme le rameau à la branche. Cette première génération ne tarde pas à être suivie d’une seconde, celle-ci d’une troisième, et ainsi de suite ; le polypier est la partie calcaire de tous ces pelits animaux, qui ont bourgeonné les uns sur les autres. Mais ce qu’on ignorait du temps de Lamarck, c'est que de même que sur un arbre certains bourgeons produisent des fleurs, d'où naissent des productions très-différentes de l'arbre, c’est-à-dire les graines, chargées de propager au loin le végétal; de même sur un polypier, on voit parfois se former un bourgeon d’une forme parli- culière, qui se détache et devient un acalèphe ou une méduse. Puis cetle méduse, qui nage et se transporte au loin, se retourne sur elle-même, prend une autre forme, se fixe, et donne naissance à des polypes. Les méduses ne sont donc pas des êtres particuliers, mais des graines animées de polypes (1). En 1807, Lamarck établit encore une classe, celle des INFUSOIRES, qu'on rangeait à tort parmi les polypes. Et, à cette occasion, je dois faire observer que Lamarck ne trouvait pas convenable de donner aux polypes le nom de zoophytes. « Ce sont, disait-il, uniquement et complétement des animaux. Leur nature ne tient en rien de celle des plantes. » En effet, le mot zoophytes, ou animaux-plantes, adopté par la plupart des naturalistes, semble admettre entre le règne animal et le règne végétal une confusion qui n'existe pas dans la nature. (1) Des découvertes récentes établissent que les crustacés subissent des méta- morphoses analogues : les phyllosomes, qu'on prenait pour des espèces particulières, ne sont que les larves des langoustes ; et les z06s, les formes passagères des homards. FOOT ESPN 209 A leur extrême frontière les deux règnes se touchent, mais sans cesser d’être distincts. A cette dénomination de z0ophytes, rejetée par Lamarck, on com- mence à substituer celle de rayonnés, indiquant que ces animaux ont leurs organes disposés, soit symétriquement, soit irrégulière- ment, autour d’un axe central. La considération de la présence ou de l'absence d’une colonne vertébrale dans le corps des animaux, a conduit Lamarck à partager, le premier, tout le règne animal en deux grandes divisions, ou, comme il le dit, en deux grandes coupes, très-distinctes l’une de lautre : les ANIMAUX A VERTÈBRES et les ANIMAUX SANS VERTÈBRES. Enfin c’est Lamarck qui a séparé des cétacés, les phoques et les morses. Dans l’ordre naturel, dit-il, ces derniers appartiennent à la première classe. En effet, ce petit groupe présente non seulement une organisation différente des célacés, mais il est remarquable par son intelligence. On sait que les phoques et les morses, qui vivent en troupes, ont le sentiment de la propriété. Dans leurs campe- ments, chacun d’eux se choisit un emplacement particulier pour la saison, et sait le défendre au besoin contre toule usurpation. Adoptant en partie l’idée de Lamarck, Cuvier a fait des phoques un ordre des carnassiers. Je ne crois pas que ce soit encore là leur vraie place. Si l’on établissait une classification parallélique en trois séries : MAMMIFÈRES TERRESTRES, MAMMIFÈRES AÉRIENS, ET MAMMIFÉ- RES MARINS, il y aurait lieu de placer les phoques tout en haut de cette troisième série, en regard des singes, avec lesquels ils ont des rapports, tant par leurs instinclis sociaux, que par la supériorité de leur intelligence. Toutes ces vues si sûres de Lamarck, les classes si nettement circonscrites qu’il a établies, prouvent qu'il était doué d’un esprit philosophique et généralisateur aussi juste qu’étendu. Sur tous les puints de la science que je viens de rappeler, il a été un véritable législateur. Les divisions proposées par lui ont été admises par Cuvier dans sa classification publiée en 1812, et sont aujourd'hui généralement adoptées. Seulement on uéglige d'en rapporter l'hon- neur à Lamark. 210 JET. De l'an VIIT de la République (1799) à l’année 1810, Lamarck publia régulièrement un annuaire météorologique, « contenant l'exposé des probabilités acquises par une longue suite d'observa- tions sur l’état du ciel et les variations de l’atmosphère, pour divers temps de l’année; l'indication des époques auxquelles on peut s’at- tendre à avoir du beau temps, ou des pluies, des orages, des tempé- les, des gelées, des dégels, etc., enfin la citation, d’après ces en des temps favorables aux fêtes, aux voyages, aux em- barquements, aux récoltes et aux autres entreprises dans lesquelles il importe de n'être point contrarié par le temps. » Lamarck expose les principes d’après lesquels il établit ses probabilités. Deux sortes de causes, dit-il, déplacent les fluides qui composent l'atmosphère : les unes variables, irrégulières ; les autres constantes, el üont l’action est soumise à des lois progressives et fixes. Entre les tropiques, les causes constantes exercent une action si considérable, que les effets irréguliers des causes variables y sont en quelque sorte anéantis. De là les vents généraux qui, dans ces climats, s’établissent et changent à des époques déterminées. Au-delà des tropiques, et surtout vers le milieu des zones tempé- rées, les causes variables sont prédominantes. Cependant on peut encore y démêler les effets des causes constantes, bien qu'ils y soient très-affaiblis; on peut en assigner les époques principales, et faire tourner cette connaissance à notre profit, dans un grand nombre de cas. C’est dans l'élévalion et dans l’abaissement de la lune au-dessus ou au-dessous de l'équateur, qu’il faut chercher la plus constante de ces causes. Dans chacun de ces annuaires, Lamarck a grand soin d’averlir qu’il ne fait point de prédictions positives. « Nul ne peut faire de ces prédictions, sans se tromper et sans abuser de la confiance des per- sonnes qui y auraient confiance. » Il n'entend protases que de simples probabilités. D'après ces premiers annuaires, et à la demande de Lamarck, qui en avait fait l'objet d'un mémoire lu à l'Institut le 9 ventôse an IX, 211 Chaptal, ministre de l'intérieur, jugea à propos d'établir en France une correspondance réglée d'observations météorologiques, faites journellement sur différents points éloignés les uns des autres; et il en conféra la direction à Lamark. Mais cet établissement eut peu de durée, et ne fut pas maintenu par le successeur de Chaptal. On a prétendu que Lamarck, auquel la franchise parfois un peu brusque de son caractère avait suscité des ennemis, avait été dépeint à l'empereur Napoléon I, comme un faiseur d’almanachs et de prédictions; et que Napoléon, en témoignant à Laimarck un vif mé- contentement de cette publication, lui avait ordonné de la cesser. D'après les traditions conservées dans la famille de Lamarck, les choses ne se seraient pas tout-à-fait passées ainsi. Dans une récep- tion de l’Institut aux Tuileries, Napoléon, qui d'ailleurs aimait Lamarck, se serait moqué de ses calculs météorologiques; et La- marck, très-contrarié d’être ainsi plaisanté devant ses collègues, aurait résolu de cesser la publication de ses observations sur l’atmosphère. Ce qui prouve que celte version est la véritable, c'est que Lamarck publia encore l'annuaire qu’il avait en préparation pour l’année 1810. Dans la préface, il annonce que son âge, la faiblesse de sa santé et ses affaires, le mettent dans la fâcheuse nécessité de cesser de s'occuper de cet opuscule périodique. Il termine en enga- geant ceux qui auraient le goût des observations météorologiques, et le moyen de s’y livrer, à reprendre avec confiance une entreprise bonne en elle-même, s'appuyant sur un fondement réel, et dont le public relirerait des résultats avantageux. Quoi qu'il en soit, ces opuscules, dans lesquels Lamarck a traité diverses questions sur les vents, les grandes sécheresses, les marées, les saisons pluvieuses, etc., ont été les précurseurs des Annuaires du Bureau des longitudes. Je reviens aux travaux zoologiques de Lamarck. Dans son grand ouvrage sur les animaux sans vertèbres, Lamarck jette un coup d'œil sur l’ensemble des êtres animés, et il les classe, non d’après leurs organes, mais d’après leurs facultés, en trois groupes principaux, ou, comme il le dit, en trois coupes prim aires (1). (1) Lamarck a reconnu s'être aidé, pour cette classification, des tableaux ana- lytiques de M. Duméril. 212 Partant du plus bas degré de l’animalité, il forme un premier groupe des Infusoires, des Polypes, des Radiaires et des Vers, el à ce premier groupe, il donne le nom d’ANIMAUX APATHIQUES. « Ils ne sentent pas, dit Lamarck, el ne se meuvent que par leur irritabilité excitée. » Il compose un second groupe des Insectes, des Arachnides, des Crustacés, des Annélides, des Cirrhipodes et des Mollusques, et il les comprend sous le nom général d'ANIMAUX SENSIBLES. « Ils sentent, dit-il, mais ils n’obtiennent de leur sentiment que des perceptions des objets, espèces d'idées simples, qu'ils ne peuvent combiner entre elles pour en obtenir de complexes. » Enfin, sous le nom d’ANIMAUX INTELLIGENTS, il comprend les Poissons, les Reptiles, les Oiseaux et les Mammifères. « Ils sentent, dit Lamarck, ils acquièrent des idées conservables, exécutent entre ces idées des opérations qui leur en fournissent d’autres, et sont intelligents à différents degrés. » Ainsi, suivant Lamarck, les animaux apathiques sont dépourvus de sensibilité et ne possèdent que la contraclilité musculaire; les sensibles n'ont que des habitudes : ils ne sauraient choisir, vouloir ou ne pas vouloir, et varier eux-mêmes leurs actions; enfin les intelligents, plus parfaits, jouissent des attributs des deux premières classes, et y ajoulent la faculté intellective à divers degrés. Ce classement peut assurément donner lieu à plus d’une critique. De ce que nous ne voyons pas d'instrument spécial pour la sensibi- lité chez les animaux du premier groupe, nous ne pouvons pas conclure que la sensibilité n'existe pas en eux. Suivant la remarque de M. Milne-Edwards, quand une fonction commence à apparaître dans la série des êlres, la nature ne crée pas d’abord un appareil, elle se sert d'un organe d'emprunt. Ainsi, avant de créer les branchies et les poumons, elle établit la respira- tion par la peau; avant de créer le cœur, elle établit la circulation par les artères présentant des espaces élargis; avant de créer les veines, elle fait passer le sang dans les interstices des organes. La concentration, plus ou moins complète, des fonctions de la vie dans des appareils spéciaux, est donc un perfectionnement ; mais elle n’est pas la seule manière dont les fonctions puissent s'exercer. Il en est de même pour l'intelligence, qu’il est impossible de 213 refuser aux insectes, aux arachnides, aux crustacés, par cela seul qu'ils n'ont pas de colonne vertébrale. La classification par facultés n’en est pas moins un trait de génie. En effet, ce n'est pas seulement en faisant l’analomie d’un animal qu'on peut déterminer son rang : il faut le voir vivant et agissant. En second lieu, cette classification par facultés nous fournit le seul moyen d’assigner à l'homme sa véritable place, dans la série des êtres vivants. Si l’on n'a égard qu'à ses organes, l'homme est simplement un animal, séparé des premiers singes par des différen- ces à peine sensibles ; tandis que si l’on tient compte de ses facul- tés, on voit qu'il occupe dans la création un rang tout-à-fait à part. On peut dire que l’homme est l’unité vivante de sa planète, comme le soleil est l'unité vivante des mondes qui circulent autour de lui; sans l’homme, la terre aurait des habitants, elle n'aurait pas de maître. Une bonne classification doit donc exprimer toute la dis- tance que ses facultés mettent entre lui et les animaux; c’est-à-dire qu’au- dessus du Règne animal, il faut, — comme plusieurs nalura- listes français l'ont fait, — établir le Règne humain. Malheureusement, je dois le dire, Lamarck n’en a pas tiré cette conclusion. Il ne nie pas l'extrême supériorité de l'homme sur tous les corps vivants. Selon lui, l'homme est un être privilégié, capable de s'élever par la pensée jusqu'à l’auteur suprême de ce qui est. Mais, si l’homme est le type du plus grand perfectionnement auquel la nature ait pu alteindre, à ce perfectionnement elle est arrivée progressivement, en partant du plus bas degré de l’animalilé. Voici quelle est la théorie de Lamarck sur la génération des êtres. Elle est indiquée dans un discours d'ouverture de son cours du 21 floréal an VIII; développée dans un autre discours de l’an XI, et dans ses Recherches sur l'organisation des corps vivants, qui ont paru en 1802; elle est reprise avec plus de détails dans sa Phi- losophie zoologique, ouvrage en deux volumes publié en 1809; repro- duite dans le plus important de ses ouvrages, l'Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, laquelle a été publiée en sept volumes de 1815 à 1822. Enfin, dans la dernière de ses publications, le Système analytique des connaissances posilives de homme, Lamarck revient encore sur cette doctrine, et il la maintient fermement; tant il se croit sûr d’être dans la voie de la vérité. Quand on parcourt d'une exlrémilé à l’autre toule la suite des 214 êtres animés , depuis les plus parfaits jusqu'à ceux dont l’organisa- tion est la plus simple, on voit successivement, à mesure qu'on des- cend la série, les organes se dégrader et disparaîlre; d’abord la colonne vertébrale, puis les poumons, puis le cœur, puis le cerveau ou les centres nerveux, puis les branchies, puis les organes de la vue, Ge l’ouïe, du toucher, puis l'estomac. On arrive ainsi à la der- nère classe, à celle des infusoires; et parmi ceux-ci à ces petits corps formés d’une matière gélalineuse et homogène, sans forme déterminée, et dans lesquels il nous est impossible d’apercevoir la moindre trace d'organes. Une certaine faculté de locomotion est le seul caraclère qui puisse faire rattacher à l’animalilé ces petites masses mucilagineuses. Cest, dit Lamarck, uniquement parmi les animaux de celte classe, que la nalure paraît former les générations spontanées ou directes, qu'elle renouvelle sans cesse. C'est par eux qu'elle a acquis les moyens de produire indirectement, à la suite d’un temps énorme, toutes les races d'animaux que nous connaissons (1). La nature a donc procédé du simple au composé. C’est de ces premières et frêles ébauches de l’animalilé, de ces points gélatineux et mouvants, que la nature est parlie pour s'élever graduellement jusqu'aux êtres les plus parfaits, en créant, l’un après l’autre, les différents organes. Et comme, suivant Lamarck, les facultés et les penchants des animaux et même de l’homme, considérés dans leur source, sont des phénomènes de l’organisation, c'est à mesure que les êtres ont acquis ces organes, que leurs facultés se sont dévelop- pées (2). Mais quelles causes ont pu produire les variations si nombreuses et si considérables qu'a subies le type primilif des êtres? Selon Lamarck, on ne doit attribuer ces modifications qu'à des causes (1) D’après un tableau additionnel, placé à la fin du deuxième volume de sa Philosophie zoologique, Lamarck admet pour les animaux une double origine : les . infusoires et les vers. Mais cette idée des vers (et par eux Lamarck entend les vers intestinaux) pouvant être un des types primitifs de l’animalité , semble n’a- voir occupé son esprit qu’un seul instant ; il n’est pas question d’eux dans le livre même, et dans ses ouvrages suivants Lamarck ne parle que des infusoires. (2) Admettre que tous les animaux sont sortis d’un type unique, et qu’ils peu vent se modifier indéfiniment, c’est nier ce que les naturalistes appellent lespêce. En effet, suivant Lamarck, la nature n'offre, dans les corps vivants, que des in- 215 extérieures. De grands changements dans les circonstances amè- nent pour les animaux de grands changements dans leurs besoins. Si ces besoins sont durables, il en résulte pour l’animal de nouvel- les habitudes : de là l'emploi de telle partie de son corps préféra- blement à telle autre. Deux lois régissent le règne animal. Première loi : L'emploi soutenu d’un organe augmente les facultés de cet organe, en lui faisant acquérir une force et des dimensions qu’il n’a point chez les animaux qui l’exercent moins. Un nouveau besoin, un nouveau mouvement que ce besoin fait naître, peut même amener dans un corps animal la production d'un nouvel organe. Au contraire, le défaut d'emploi d’un organe l’appauvrit graduellement, et finit par le faire disparaître. Seconde loi. Tout ce qui est acquis ou changé dans l’organisation des individus, pendant le cours de leur vie, est conservé, par la génération, aux nouveaux individus provenant de ceux qui ont éprouvé ces changements. C'est au moyen de ces deux lois, dont l’une établit la variabilité indéfinie des êtres, par suite de la diversité des circonstances, des besoins, et surtout des habitudes; l’autre, la {ransmission héréditaire des modifications acquises, que Lamarck explique les formes.et les qualités si diverses des êtres animés. Ainsi ce n'est pas le Créateur qui a donné à chaque espèce une organisation en harmonie avec le milieu dans lequel il la destinait à vivre ; c'est au contraire l’in- fluence du milieu qui a modifié le plan primitif, et a produit toutes les espèces d'animaux, en compliquant graduellement leur organi- salion. Assurément tout n’est pas faux dans cette théorie. Nul doute que la diversité des circonstances au milieu desquelles les êtres se dividus se succédant les uns aux autres par génération. Les races, auxquelles on donne le nom d’espèces , n’ont dans leurs caractères qu'une constance bornée et temporaire. Remarquons, toutefois, que Lamarck a passé sa vie à décrire, avec une admi- rable précision, les espèces animales et végétales. Sous ce rapport, son Histoire naturelle des animaux sans vertèbres est un chef-d'œuvre. Fruit de ses profondes recherches, c'est, sans contredit, un des ouvrages les plus importants de la z00- logie au xIx° siècie. 216 trouvent placés, n'amène, à la longue, des varialions dans leurs caractères organiques ; nul doute encore que ces variations ne se transmettent par voie de génération. Mais Lamarck a singulière- ment exagéré la portée de ces deux tendances de la nature. De prin- cipes vrais, il a déduit des conséquences entachées d'erreur, parce qu'il les a poussées à leur dernière limite. Parmi les exemples que donne Lamarck, de la manière dont les transformations des êlres ont pu avoir lieu, je citerai les deux suivants : « L'oiseau que le besoin attire sur l’eau pour y trouver la proie qui le fail vivre, écarte les doigls de ses pieds, lorsqu'il veut se mouvoir à la surface de l’eau. La peau, qui unit ces doigts à leur base, contracte, par ces écartements sans cesse répétés, l'habitude de s'étendre. Ainsi, avec le temps, les larges membranes qui unis- sent les doigts des canards, des oies, etc., se sont formées telles que nous les voyons. Au contraire, l'oiseau que sa manière de vivre habitue à se percher sur les arbres, a nécessairement à la fin les pieds conformés d’une autre façon : les ongles s’allongent, s'aiguisent et se courbent en crochet, pour embrasser les rameaux sur lesquels il se pose. » « Les serpents, dit encore Lamarck, ayant pris l'habitude de ramper sur la terre et de se cacher sous les herbes, leur corps, par suite d’efforts toujours répétés pour s’allonger, a acquis une lon- gueur considérable. Or, des pattes devenaient nuisibles pour ces animaux. Le défaut d'emploi a fini par faire disparaître ces parties. » J'avoue qu'il m'est déjà bien difficile d'admettre la disparition des pieds du serpent et la transformalion de la patte de la poule en la patte du canard (4). Mais ce qu'il m'est absolument impossible d'imaginer, c’est le concours de circonstances qui aurait amené la formation des sexes, qui n’existent pas chez les êtres placés tout au bas de la série ; puis le passage de l’hermaphrodisme des espèces inférieures à la séparation des sexes chez les animaux d'un ordre (1) On peut pourtant citer, à l'appui des idées de Lamarek, lechiende Terre-Neuve, excellent nageur, et dont les doigts sont à demi réunis par des membranes. Comme ce chien ne constitue pas une espèce à part, ces membranes ont dû se produire sous l'influence d’une habitude. Ce fait aurait uue haute importance dans la ques- tion qui nous occupe , si le canard ne différait de la poule que par la palmature de ses pattes. 217 plus élevé. Je ne puis pas davantage concevoir comment le replile a pu devenir, d’une part l'oiseau, d'autre part le mammifère. Ce n’est pas que la nature ne nous présente journellement des transformations encore plus étranges que celles-là. La grenouille commence par être un petit poisson, respirant par des branchies, se nourrissant de matières végélales, et n’ayant pour organe de mou- vement qu'une queue longue et comprimée. Quand la grenouille a pris sa forme définitive, la queue a disparu, et est remplacée par quatre membres également propres au saut et à la natation; l’ani- mal respire par des poumons, et il est exclusivement carnivore. Le ver blanc, qui passe trois ou quatre ans sous terre, en sort sous forme de hanneton ; la chenille obscure el rampante devient le pa- pillon aux ailes brillantes, etc. Mais toutes ces métamorphoses s’ac- complissent par suile des lois primordiales de la créalion. Elles ne sont pas l’effet d’un changement survenu dans les circonstances. Ce ne sont pas des besoins nouveaux, de nouvelles habitudes, qui amènent la transformation de l’animal ; c’est au contraire la trans- formation qui crée pour lui de nouveaux besoins, des habitudes nouvelles. Voici maintenant par quelle hypothèse Lamarck pense qu’on peut expliquer l’apparilion du genre humain sur notre globe : « Qu'une race quelconque de quadrumanes perde l'habitude de grimper sur les arbres, et soil forcée par les circonstances, pendant une longue suite de générations, à ne se servir que de ses pieds pour marcher et de ses mains pour prendre, ces quadrumanes seront transformés en bimanes. Que celle race cesse d'employer ses mà- choires pour mordre, déchirer ou pour couper l'herbe et s’en nour- rir, son angle facial deviendra plus ouvert, son muséau moins proéminent. Qu'elle parvienne à dominer les autres races el à s’em- parer, à la surface du globe, de tous les lieux qui lui conviennent, elle acquerra, par degrés, des facultés nouvelles et nombreuses, landis qu’elle arrêtera le perfectionnement des races sur lesquelles elle aura établi sa suprématie. La race dominante, ayant mulliplié ses besoins, à dû multiplier ses idées ; d’où la nécessité d'augmenter et de varier les signes propres à la communication de ces idées. Ne pouvant plus se contenter ni du geste mimique, ni des inflexions habiluelles de la voix, les individus de celte race seront parvenus VI. 15 218 à former des sons articulés. De là, pour celle race, l’origine de l'admirable faculté de parler. » Ainsi les besoins seuls et les circonstances auront tout fait. Il est vrai que Lamarck ajoute : « Telles seraient les réflexions que l'on pourrait faire, si l’homme, considéré ici comme la race préémiuente en question, n’était distingué des autres animaux que par les carac- tères de son organisalion, et si son origine n’était pas différente de la leur. » Malgré mon profond respect pour Lamarck, écrivain loyal s’il en fût, il m'est impossible de voir, dans la dernière phrase que je viens de ciler, autre chose qu'une précaution oratoire. Car à quoi bon cette origine différente, puisque, par un concours de circonstances toutes nalurelles, une race perfeclionnée de singes aurait pu devenir le genre humain? D’après les idées de Lamarck, l’homme est bien, — comme il le dit ailleurs, — le terme le plus éminent de la grande série de productions qu'il a décrite. Dans ce système, Die, qui seul peut créer, n’a produit directement que deux choses : LA MATIÈRE et LA NATURE. La malière, que Dieu peut anéantir puisqu'il l’a tirée du néant; et la nature qui agit sur la matière, qui la modifie, l’organise, et donne lieu à la production de tous les corps que nous connaissons. Lamarck définit la NATURE, « une puissance qui n’est ni matière ni intelligence, mais simplement l’ensemble de toutes les lois qui, expressions de la volonté divine, régissent tous les mouvements, tous les changements que subissent les corps, et qui, constantes et im- muables, mettent dans l'Univers, toujours changeant el toujours le même, un ordre el une harmonie inallérables, » La nature est, dit-il, quelque chose d’analogue à la vie qui, elle aussi, n’est ni esprit ni malière, mais une puissance qui donne lieu à une série de phénomènes. Ÿ IV. Sur la base un peu fragile de l'amour de soi bien entendu, Lamarck a édifié un système de philosophie morale. 219 L'amour de soi-même parfaitement réglé donne lieu : 1° A la force morale qui constitue l'homme laborieux, que la lon- gueur el les difficultés d’un travail utile ne rebutent pas; 2° Au courage de celui qui, connaissant le danger, s’y expose, lors- qu'il sent que cela est utile; 3° A l’amour de la sagesse. Et la sagesse, Lamarck la fait consister en un certain nombre de règles, que je cite en les abrégeant un peu : Amour de la vérité en toutes choses ; besoin de s’instruire:; Modéralion dans les désirs, mesure dans toutes les aclions; sage relenue dans les besoins non essentiels ; Indulgence, tolérance, humanité, bonté envers les autres ; Amour du bien public et de tout ce qui est nécessaire à nos semblables ; Mépris de la mollesse : une espèce de dureté envers soi-même, qui nous soustrait à cette multitude de besoins factices asservissant ceux qui s’y livrent; Résignation et, s’il est possible, impassibilité. morale dans les souffrances, les revers, les injustices, les oppressions, les pertes ; Respect pour l'ordre, les institutions publiques, les autorités, les lois, la morale, la religion. La pratique de ces maximes, dit Lamarck, caractérise la vraie philosophie. Ces règles de conduite au surplus, nul ne les observa mieux que Lamarck. Il fut bien l'homme courageux qui ne déserte pas un poste dangereux, quand le devoir l'y retient; l'homme laborieux qu'au- cune difficulté ne rebute; l'esprit chercheur, ferme dans ses convic- tions, tolérant pour les opinions des autres; l’homme simple, mo- déré en toutes choses, ennemi de la mollesse, dévoué au bien public, impassible contre les atteintes de la fortune, les souffrances, les at- laques injustes et passionnées. Les ouvrages de Lamarck lui suscitèrent de nombreux contradic- teurs. Les réprobalions sévères, les sarcasmes injurieux, ne lui furent pas épargnés. Il les subit sans se plaindre et sans répondre. Lamarck mena toujours une vie fort relirée : sous l'empire, l’indé- pendance de son caraclère, sous la restauration, la hardiesse de ses conceptions philosophiques, n'étaient pas de nature à lui concilier la 220 faveur. D'ailleurs on ne le voyail jamais dans les salons des ministres et des distributeurs de grâces. Il vivait au milieu de ses collections el de ses livres, se levant de bonne heure, se couchant invariable- ment à neuf heures du soir. Il conserva toule sa vie le goût de la musique, et il élait d’une certaine force sur la basse. Pendant les soirées d'hiver, sa fille aînée lui lisail des romans, particulièrement ceux de Walter Scolt, qui lui plaisaient beaucoup. Sa longue vieillesse fut éprouvée par la pauvreté, par la maladie el par la cécilé, celle triste infirmilé si commune parmi les savants qui parviennent à un âge avancé. Il semble que la nature, cette mysté- rieuse déesse que l’on adorait à Saïs, veuille encore punir, par la perle de la vue, les téméraires qui soulèvent un des coins du voile dont elle s’enveloppe. Le dernier volume de son principal ouvrage, l'Histoire naturelle des animaux sans vertèbres, et le Système analytique des connaissances positives, ont été composés, quand déjà Lamarck était devenu aveu- gle. Mais il voyait par les yeux de sa fille aînée, qui avec un admi- rable dévouement s’élait consacrée tout entière aux soins les plus tendres de l’amour filial. Elle avait acquis des connaissances fort étendues et élail en état de faire, dans les livres de la bibliothèque de son père, les recherches qu'il lui indiquait. Pour décrire ses coquilles et ses polypiers, le vieillard s’aidait du témoignage de ses doigts, et de la science de sa fille, qui écrivait ensuite sous sa dictée. Nouvelle et pieuse Antigone, elle ne le quiltait pas un instant. Tant que le pauvre infirme put sortir de la maison, elle le guidait dans ses promenades; el quand il dul se résigner à ne plus sortir de sa chambre, elle s'y renferma avec lui. Le jour où, après avoir fermé les yeux de celui qu’elle avait Lant aimé, elle se laissa entraîner hors de cetle chambre, le grand air, dont depuis longlemps elle avait perdu l’usage, la fit tomber en défaillance. Lamarck est mort le 18 décembre 1829, âgé de 85 ans. Pendant les dernières années de sa vie, la solitude et le silence s'étaient faits autour de sa studieuse retraite, dont les membres de sa famille et quelques rares amis (1) connaissaient seuls encore le che- min. Le pauvre aveugle s’attristait quelquefois de cet abandon; mais (1) Parmi eux, il faut citer Etienne Geoffroy Saint-Hilaire, Blainville, et Latreille, que Lamarck affectionnait comme un fils. 221 sa fille le consolait en lui disant : La postérité vous honorera, mon père! Le jour de celte réparalion lardive n’a pas encore lui pour Lamarck. Mais, quand le Newlon que les sciences naturelles allendent (1) sera venu, je ne doute pas que, tout en faisant la part des erreurs dans lesquelles l'esprit de système a souvent jelé Lamarck, il ne mette en vive lumière el les découvertes dont les immenses travaux de ce naturaliste ont enrichi la science, et les vérités neuves et fécondes qu'il a semées dans ses ouvrages. L -A. BOURGUIN. (1) Expression de Cuvier. NÉCROLOGIE Cette année-ci, comme l’année dernière, nous avons, pour ler- miner notre volume, une triste page à remplir. Deux de nos collègues ont succombé pendant le cours de 1863. L'un, M. l’abbé Rocbard, principal du coilége de Beaufort, connu par ses bons travaux entomologiques publiés dans nos annales (1). L'autre, M. le baron Philippe de Vezins. Tous ceux d’entre nous, qui ont eu des rapports avec M. de Vezins, s'associent aux regrels de ses nombreux amis pour déplorer la perte de cet homme de bien par excellence. AIMÉ DE SOLAND. (1) La collection des coléoptères de l'abbé Rochard a été acquise par notre ami M. Fernand de Romans, qui saura en tirer un bon parti pour la science. TABLE DES MATIÈRES contenues dans le 6° volume DES ANNALES DE LA SOCIÉTÉ LINNÉENNE DU DÉPARTEMENT DE MAINE ET LOIRE. Liste des membres de la Société Linnéenne du département de Maine-et-Loire Une ascension à la Maladetta (23 août 4862), par M. le dr J. LÉON SOUBEIRAN. Herborisation à Chaloché, par MAVICTORPAVIE, RES one LL Note sur une forme estivale du Thlaspi perfoliatum, par M. COURTILLER. Note sur une analyse de marne, par M. A. TIREAU..................,.. Le Ver a soie du ricin, par M. DELALANDE ...................... nee Fructification du Dammara australis, par M. PÉPIN..................... Excursion au bassin d'Arcachon, par M. PÉPIN........................ Faune du Morbihan. -— Insectes coléoptères, par M. le dr FOUQUET....... Une excursion à Belle-Ile-en-mer, par M. AIMÉ DE SOLAND.............. Faune de Maine-et-Loire. — Famille des anoures, par M. AIMÉ DE SOLAND. Compte rendu des excursions de la Société Linnéenne, par M. AIMÉ DE SOLAND De l'origine et du mode de formation des corpuscules sanguins chez des poissons, par M. LEREBOULLET...................,.....4..445...2 Elephas meridionalis. — Nouveau gisement, par M. le dr FARGE ss... La Cigale et le Hibou, par M, L. A, BOURGUIN,., CRCECECEC CCE 224 Pages. Catalogue des coléoptères de l’Anjou, trouvés par MM. H. DE LA PERRAUDIÈRE ET F. DE ROMANS, par M. F. DE Romans ........................... 91 Note sur un semis naturel de Pinus strobus sur le Salix capræa, par M. P£PIN 111 Études statistiques sur les morts-nés du département de Maine-et-Loire, par M. DELALANDE Se Er ET DER Teen LORRRE 115 Avis important aux cultivateurs de treilles, par M. ALPHONSE DEMONT..... 120 Les organes floraux changés en fleurs, par M. E. MAGNÉ................ 126 Note sur une Salamandre terrestre, par M, ALEX. LESASSIER............. 128 Sur les Générations dites spontanées et sur les ferments, par M. A. BÉCHAMP. 130 Les grands Naturalistes français au commencement du xix° siècle,-par M. A. BOURG ES AMAR es se ones Me anse ne als SD EE 185 — ANGERS, IMPRIMERIE COSNIER ET LACHÈSE. Tir LA * d L 4: MA k a ë ‘ , é L 4 . | £ ". a [ = 7. o 0 L : L { L ke 4 Gr À _ Ni : s A 0 7. + ve ni bu > one ne te PL ne vÈES ” 2 pot TEL P u MAUR "pre no