are" se + ee ge Een Éd S Lee ne RS “ ANNALES ; LA SOCIÉTÉ LINNÉENNE Der à MAINE ET LOIRE 4e ANNÉE. — 1869 ANGERS IMPRIMERIE DE P. LACHÈSE, BELLEUVRE ET DOLBEAU e Saint-Pie 1869 Re — ar ANNALES DE LA SOCIÉTÉ LINNÉENNE MAINE-ET-LOIRE ANNALES DE LA BOCIETÉ IINNÉENNE DU DÉPARTEMENT DE MAIN achèse \\ AN A In ET LOIRT 4 : 4 29 ème IL ehnee, gas URAL HISS SOCIÉTÉ LINNÉENNE DU DÉPARTEMENT DE MAINE-ET-LOIRE Fondée en 1852. BUREAU. MM. Sozanp (Aimé de), président. Lacuèse (Adolphe), vice-président. Masice (Pompée), secrétaire général. Farce (Émile), secrétaire. Anpré (Jules), vice-secrétaire. Conrapes (Edmond, baron de), archiviste-trésorier. MEMBRES TITULAIRES. MM. Anpicné (Aimé d’), ancien officier. Anpi@ré (Aimé d’), lieutenant de louveterie. ANDIGNÉ DE Mayneur (comte d’), maire du Lion-d’Angers. Anpré (Jules), rédacteur de l’Union de l'Ouest. Baracé (Raoul de), membre de plusieurs Sociétés savantes. Barassé (Eugène), imprimeur-libraire. Bazzeuvre (Paul), membre de plusieurs Sociétés savantes. BÉRAUDIÈRE (comte de la), Berçer (Eugène), membre du Corps législatif. Brzawski (Henri), membre de plusieurs Sociétés savantes. BLavier (Aimé), ingénieur des mines. Boïssarp (Arthur, vicomte de). Bourmonr (Louis, comte de). Bricuer (Paul), avocat. Brossarp DE CorgiGny, ingénieur des mines des départements de Maine-et-Loire et de la Vendée, professeur de chimie à l’école d'enseignement supérieur. Caawprec (René de). Cener (l'abbé), chanoine titulaire du chapitre de Saint- Maurice d'Angers. Cenvau (Auguste), juge au tribunal civil de première ins- tance d'Angers. Corsun (Ernest, comte de). Conrapes (Edmond, baron de). Cosnier (Léon), directeur de la Bibliothèque populaire d'Angers. Gumonr (Vte Arthur de), rédacteur en chef de l'Union de POuest et de ?Ami du peuple. Decocur, directeur du cabinet d'histoire naturelle. Decxomet, avocat, maire de Bécon. Decy, notaire honoraire. Desué DE Lise (Ludovic), membre de plusieurs Sociétés savantes. III MM. Dezanneau, docteur en médecine, professeur à l’École secon- daire de médecine d'Angers. Dupoxr, chef d’escadrons, en retraite. EsPronnièRE (René de l’). Farce (Emile), docteur en médecine, professeur à l’école secondaire de médecine, directeur de l’École d’enseigne- ment supérieur. Farcy (Louis de), membre de plusieurs Sociétés savantes, directeur du musée diocésain. GAIGNARD DE LA ReNLoUE (Charles), maire de Marcé. Gavrrer (Alexandre, vicomte de), maire de Lué. Giraup (Charles), agronome. Guérin DE Cuouzé (Lucien). Guérin (Paul). Guizcer (l'abbé), ancien professeur de sciences naturelles et physiques, chanoïne honoraire, aumônier des dames de l’Oratoire. GuizLory (aîné), membre de la Société impériale et centrale d'agriculture et de plusieurs autres Sociétés savantes. Gunoyseau (Isidore), manufacturier. Hixox (Charles), juge d'instruction près le tribunal civil de première instance. Houpan (Eugène d’), membre de plusieurs Sociétés savantes. Jouserr (Achille), manufacturier. Lacaëse (Adolphe), docteur en médecine, président de la Société impériale d’agriculture, sciences et arts d'Angers. Lacaèse (Paul), imprimeur-libraire. LareveLLIèRE (Ossian) membre de plusieurs Sociétés savantes. Lanpreau (Gaston, baron du). Las Cases (comte de), membre du Corps législatif. LemarcaAnD, conservateur-adjoint de la Bibliothèque de la ville d'Angers. Leroy (André), horticulteur, membre de plusieurs Sociétés savantes. Lorio pe Barny, notaire. IV MM. Maure, docteur en médecine, membre de plusieurs Sociétés MM. savantes. Mérnivier, premier président de la Cour impériale d'Angers. Mure DE Buzecer (Gustave de). Mreucze (Léon de), ingénieur civil. Mowrreuiz (Jules, comte de), membre de plusieurs Sociétés savantes. Monrrœux (René), maire de la ville d'Angers. ParAGE-Farran (Frédéric), docteur en droit, adjoint au maire d'Angers, membre du Conseil général de Maine et Loire. Pavi (Victor), membre de plusieurs Sociétés savantes. PicasrRe (Gustave), avocat. PréÉAULx (marquis de). Rocuesouer (François, vicomte de). Romans (baron de). Romans (Fernand, baron de). SAPINAUD (Edmond, comte de). SELLE (Raymond de la). SOLAND (Aimé de), membre de plusieurs Sociétés savantes. SoLAND (Théobald de), conseiller à la Cour impériale d'Angers. Touzcoër-Tréana (vicomte de), membre de plusieurs Sociétés savantes. Tovwriozze (Gustave), lépidoptériste et taxidermiste. Touran (Athanase). Vincercor (l'abbé), chanoine honoraire, aumônier de la pension Saint-Julien d'Angers. MEMBRES TITULAIRES NON RÉSIDANTS. Acxar», docteur en médecine, à Thouarcé. ALPxann, ingénieur en chef des squares et promenades de la ville de Paris. Arciac (vicomte d’), membre de l'Institut, professeur- administrateur au Muséum d'histoire naturelle de Paris. ARONDEAU, inspecteur de l’Académie de Rennes. V MM. Auserr, juge de paix à Laval. Avmarp (Aug.), archiviste du département de la Haute-Loire. Barccer (Henri de), maire de Saint-Germain et Mons. Baizcon , docteur en médecine, professeur à la faculté de médecine de Paris. Buzzv, auteur de la Faune de la Savoie. Barraz, rédacteur du Journal d'agriculture. Bscuawp (A.), professeur à la Faculté de médecine de Mont- pellier. Bernar» pu Porr, agronome à Miré. Berr (Paul), docteur en médecine, chargé du cours de phy- siologie à la faculté des sciences de Paris. Bescuerezze (Emile), rédacteur à la division du personnel, au Ministère de l’agriculture, du commerce et des travaux publics. BLancarD (Émile), membre de l’Institut, professeur-admi- nistrateur au Muséum d'histoire naturelle de Paris. Bomere, directeur de l’École d'enseignement supérieur de Nantes. Bourcrois (l'abbé), professeur de philosophie au collége de Pont-Levoy. Boureui (L.-A.), ancien magistrat, président honoraire des Sociétés philotechnique et protectrice des animaux. Boureirce, conservateur du cabinet d'histoire naturelle de Grenoble, membre de plusieurs Sociétés savantes. Brrau, docteur en médecine, bibliothécaire de l’Académie de médecine. Broneniarr (Adolphe), membre de l’Institut, professeur- administrateur au Muséum d'histoire naturelle de Paris. Bureau, botaniste, membre de plusieurs Sociétés savantes. Carcraun (Frédéric), directeur du cabinet d'histoire natu- relle de Nantes. Caron, instituteur à Saumur. Cessron-Lavau, agronome à Cholet. Cessac (Pierre de), membre de plusieurs Sociétés savantes. Caevreuz, membre de l’Institut, directeur du Muséum d'histoire naturelle de Paris. VI MM. Cocun (Augustin), membre de l’Institut. Coroter, docteur en médecine, membre de plusieurs Sociétés savantes. Coste, membre de l’Institut, professeur au Collége de France. Correar, juge au tribunal de première instance d'Auxerre. Courrier (jeune), directeur de la bibliothèque municipale, du Musée d’archéologie, du cabinet d’histoire naturelle et du jardin des plantes de la ville de Saumur. Crocxarp (Armand de), membre de plusieurs Sociétés savantes. Dausrée, membre de l’Institut, ingénieur en chef des mines, professeur au Muséum d’histoire naturelle de Paris. Decarosse, membre de l’Institut, professeur au Muséum d'histoire naturelle de Paris. Davecouis, membre de plusieurs Sociétés savantes. Desrais (Auguste), docteur en médecine, à Morannes. Dezon, naturaliste à Saint-Gilles-sur-Vie, membre de plu- sieurs Sociétés savantes. Decaisne, membre de l’Institut, professeur de culture au Muséum d'histoire naturelle de Paris. Deraunay, administrateur de la maison centrale de Clermont (Seine-et-Oise). DoTerTRE, curé de Saint-Cyr-en-Bourg (Maine-et-Loire). Drouet (Henri), conseiller de préfecture à Dijon. Drouyx DE Luauys, membre de l’Institut, président de la Société d’acclimatation. Donériz (Auguste), membre de l’Institut, professeur-admi- nistrateur au Muséum d'histoire naturelle de Paris, vice- président de la Société d’acclimatation. Dvpcessis, répétiteur de génie rural à l’École Impériale de Grignon. Duriev DE Maisonneuve, directeur du jardin des plantes de Bordeaux. Duseicxeur, de Brest, membre de plusieurs Sociétés savantes. Duvaz (Raoul), avocat général près la Cour impériale de Rouen. Duvaz-Jouvs, inspecteur d’Académie à Strasbourg. VII MM. Epwars (Auguste Milne), aide naturaliste au Muséum d’his- toire naturelle de Paris. Enon , pharmacien à Cholet. Facès, dirécteur des mines de Chalonnes. Fievrer (Louis), auteur de l’Année scientifique. Fozin (marquis de), commandant du port de Bayonne. Fouquer, docteur en médecine, membre de plusieurs Socié- tés savantes, à Vannes. FromenrTez (de), sous-intendant militaire, à Cray. Gazsert (comte de), membre de plusieurs Sociétés savantes. Gazres (René), sous-intendant militaire, à Vannes. Gazrrzin (prince), membre de plusieurs Sociétés savantes. Gayor (Eugène), membre de la Société centrale d'agriculture. GE , pharmacien à Metz. GEorrroy Sanr-Hicaire, directeur du jardin d’acclimatation de Paris. Gervais (Paul), professeur - administrateur au Muséum d'histoire naturelle de Paris. Goper (Paul), imprimeur à Saumur. Gras (Albin), docteur en médecine à Grenoble. Guérancer (Édouard), géologue au Mans. Guérin-Ménevizce, directeur de la Revue zoologique. Guicenor, aide-naturaliste de zoologie au Muséum d'histoire naturelle de Paris. GuicLou, administrateur de la caisse d'épargne de Cholet. Hamizce (Victor), directeur au ministère des cultes. Héserr, professeur de géologie à la Faculté de Paris. Hericourr (comte d’), secrétaire perpétuel de l’Académie d'Arras, Hernco , rédacteur en chef de l’Horticulteur français. Hesse, commissaire-adjoint de la marine, en retraite. Him, ingénieur civil, membre de plusieurs Sociétés savantes. Hovez (E.), inspecteur général des haras. Houzcer, directeur des serres du Muséum d’histoire naturelle de Paris. Jorpan , botaniste à Lyon. Juzien (Th.), président de l’Académie de Reims. VIII MM. Lacaze-Durmier , professeur-administrateur au Muséum d'histoire naturelle de Paris. Lamserr (Paul), docteur en médecine. Lauwote-Baracé (comte de), membre de plusieurs Sociétés savantes. LATERRADE, directeur de la Société linnéenne de Bordeaux. Lescuyer, naturaliste, à Saint-Dizier. Lessassier , pharmacien à Durtal. Lesvizze (de), membre de plusieurs Société savantes. Leveiccé, docteur en médecine, mycologue. Lisce pu Dréneur (Arthur de), membre de plusieurs Sociétés savantes. Lie pu DréNeur (G. de), membre de plusieurs Sociétés savantes. Louver, maire de Saumur, membre du Corps législatif. LonGuemar (de), ancien officier d'état-major. Lucas (Hippolyte), aide-naturaliste d’entomologie au Muséum d'histoire naturelle de Paris, secrétaire de la Société d’en- tomologie. Macé (l'abbé), professeur d'histoire naturelle à l'institution de Sainte-Marie-de-Pincherray, à la Ferté-Macé (Orne). Maracuri, recteur de la Faculté des sciences de Rennes. MarcaanD (Léon), docteur en médecine, aide-naturaliste à la Faculté de médecine de Paris. Martins (Charles), directeur du jardin botanique de Mont- pellier. Maupuyr, ancien conservateur du Cabinet d'histoire natu- relle de Poitiers. Mescier, docteur en médecine, à Saint-Georges-sur-Luire. Micaecer, membre de l’Institut. Morz , professeur au Conservatoire des arts et métiers. MontsEan, professeur au lycée de Toulouse. Morocuss(baron de), membre de plusieurs Sociétés savantes. Mouris (Charles des), président perpétuel de la Société lin- néenne de Bordeaux. Muzsanr, président de la Société linnéenne de Lyon, biblio- thécaire de la ville de Lyon. IX MM. Napaun ne Burrow, substitut du procureur général près la Cour impériale de Rennes. Naun, membre de l’Institut, aide-naturaliste au Muséum d'histoire naturelle de Paris. Neumann (Louis), directeur des serres à fougères et à orchi- dées du Muséum d'histoire naturelle de Paris. Norsert-BonAroUs, professeur à la Faculté d’Aix. Pers, chef des cultures du Muséum d'histoire naturelle de Paris. Puicrpre, directeur du jardin botanique de la marine à Saint- Mandier, près Toulon. Prirouse, docteur en médecine, président de la Société de médecine de Rennes, membre de plusieurs Sociétés sa- vantes. Prapa, naturaliste, à Nantes. QuarreraGes (de), membre de l’Institut, professeur-admi- nistrateur au Muséum d'histoire naturelle de Paris. Razouin, docteur en médecine, à Saint-Florent-le-Vieil. Roran», ingénieur civil, à la Ferté-sous-Jouarre. Sacc, docteur en médecine, délégué de la Société d’acclima- tation de Paris, à Barcelone (Espagne). SAINT-RENÉ T'AILLANDIER, professeur à la Faculté des lettres de Paris. SERVEAUX (E.), chef de division au ministère de l'instruction publique, membre de plusieurs Sociétés savantes. SEYNES (de), docteur en médecine, agrégé à la Faculté de Paris. SicarD, docteur en médecine, président du comité d’agri- culture de Marseille. SICOTIÈRE (de la), avocat à Alençon. SOuBEIRAN (Léon), licencié ès-sciences naturelles, secrétaire de la Société d’acclimatation. Tasé , notaire honoraire à Vannes. Taowas , naturaliste à Nantes. Trouizarn (Charles), banquier, président du tribunal de commerce de Saumur. MM. MM. MM. MM. MM. X Turrer, docteur en médecine, délégué de la Société d’accli- matation, à Toulon. VarczanT (le maréchal), membre de l’Institut. Vienner, membre de l’Académie française. Viennor (T.-C.), sous-directeur des archives au ministère des affaires étrangères. MEMBRES ÉTRANGERS. ANGLETERRE. Benraaw, président de la Société linnéenne de Londres. Lorr (Harry Bucland), membre des Sociétés royales d’agri- culture et d’horticulture de Londres. Mourcrison (sir Roderick), géologue à Londres. Owen (Richard), directeur du british Muséum à Londres, associé étranger de l’Institut. AUTRICHE. Frauenrecn (G. Von), secrétaire de la Société zoologique de Vienne. Fewzi, directeur du jardin botanique de Vienne. S. A. le prince de ScHwArzensErG, président de la Société d'agriculture de la Bohême. SENONER, géologue à Vienne. SkoriTz , botaniste à Vienne. BAVIÈRE. . SIEBOLD (C. Th. Von), professeur de zoologie à Munich. BELGIQUE. BEneDEx (Van), professeur de zoologie, à Louvain. Brun (Pierre), docteur en droit à Louvain. ScarAM, directeur du jardin des plantes de Bruxelles. Secvs-LoncHawrs (de), naturaliste à Liége. BRÉSIL. . Nerro (Ladislaü), directeur du jardin des plantes de Rio- Janeiro. DANEMARCXK. Laxce (John), botaniste, à Copenhague. STEENSTRUP, professeur de zoologie à Copenhague. Var, directeur du jardin botanique à Copenhague. XI ECOSSE. MM. Bazrour (J. H.), président de la Société botanique d’'Edim- bourg. ESPAGNE. AcGuILarD y VELA, secrétaire de l’Académie des sciences de Madrid. Ripazna (comte de), inspecteur général de l’agriculture, à Madrid. ETATS ROMAINS. CAvaLIERI SAN BERTOLO, président de l’Académie de Rome, Powzr, professeur de géologie à Rome. ÉTATS-UNIS. Torrey, botaniste à New-Yorck. Hexey, secrétaire de l’instution smithsonienne à Washington. Le Conte (John), secrétaire de l’Académie des sciences naturelles de Philadolphie. GRÉCE. LanDERER, chimiste, à Athènes. LinperMAYyER, président de la Société des sciences naturelles d'Athènes. HOLLANDE. BLeexer , zoologiste à la Haye. Oupemans, professeur de botanique à Amsterdam. IRLANDE. ARcMER (William), secrétaire de la Société botanique de Dublin. ITALIE. Car8o-Crorra (comte François), à Venise. Lancia puc ne BroLo (Federigo), grand chancelier de l’Uni- versité de Palerme. POLOGNE. Hersicu, médecin militaire à Cracovie. PORTUGAL. Barsosa pu Bocace, directeur du Musée de Lisbonne. Cozmo (J. M. Latino), secrétaire de l’Académie de Lisbonne. XII PRUSSE. Braun (Alexandre), directeur du jardin botanique de Berlin. S. A. S. le prince de Sazm-REIFFERSCMEID-DYC. Sæœcuune, secrétaire de la Société de géologie de Berlin. Wizmosri (de), chanoïne de la cathédrale de Trèves. RUSSIE. Borowsxi, gouverneur provincial, à Moscou. Branpr, membre de l’Académie des sciences de Saint-Péters- bourg. Bouniakorski, vice-président de l’Académie des sciences de Saint-Pétersbourg. Fiscuer ne Wacoaeim, président de la Société des natura- listes de Moscou. Hecmerren, membre de l’Académie des sciences de Saint- Pétersbourg. Tewesycmer, membre de l’Académie des sciences de Saint- Pétersbourg. SARDAIGNE. Mano (Joseph, baron), président du Sénat. SUÈDE. Anpersson (N. J.), membre de l’Académie de Stockholm. Teens , botaniste à Stockholm. SUISSE. Canpoze (Alphonse de), professeur à Genève. Dusy pe STeiGer, botaniste à Genève. STIZENBERGER , botaniste à Constance. TURQUIE. Savrer-Pacma, ancien ambassadeur de la Sublime Porte à Paris. DES AGARICS À FORME PEZIZOIDE DE LEUR DÉVELOPPEMENT. Tout le monde connaît les formes qu’affectent les réceptacles fructifères des Agaries. Ces réceptacles ou hymenophores, que les personnes étrangères à la science supposent être le champignon tout entier, sont disposés dans le plus grand nombre d'espèces sur le {ype bien connu des Æymenomycetes pileati, de Fries. Un pied ou pédicule cylindrique, tantôt atténué, tantôt renilé à l’une ou l’autre de ses extrémités, plus ou moins long, plus ou moins charnu, supporte un chapeau orbiculaire dont la forme est en dôme ou conique, étalée en ombrelle, aplatie, concave, ou en entonnoir. La surface inférieure du chapeau présente des lamelles où se trouvent les cellules qui portent les spores et qui, mêlées à des cellules sté- riles, forment l’hymenium. Le chapeau est done la partie essentielle du réceptacle ; le pédi- eule, dont la position varie par rapport au chapeau peut manquer ; le chapeau est alors sessile et fixé à son support par an des points de sa circonférence, et c’est de ce point que partent en divergeant XL L NS les lamelles. Cette disposition est commune à beaucoup d’Agaries lignicoles, appartenant à des espèces et à des tribus différentes. Fries a énuméré, au début du Systema Mycologicum, les abher- rations aux dispositions normales des diverses parties du récep- tacle : « Le chapeau, dit-il, peut être tantôt oblitéré, tantôt résu- piné (pagina superiori adnatus) ou diffus sous forme d’une croûte’, d’autres fois se divisant en rameaux dilatés, forme qui indique une tendance à se rapprocher des champignons ramifiés en forme de clavaires. Chacune de ces abherrations passe facilement à la forme originelle normale et tient souvent à l’âge du champignon et au lieu où il croît. » (Fries, Syst. myc., 1831, t. I, p. 3.) « Quelques espèces inférieures, dit Berkeley (Introd. to crypt. Bot., 1857, p. 365) sont exactement résupinées et présentent un arrangement des lamelles à peine défini ; d’autres sont vraiment résupinées, mais les lamelles tendent toujours vers un point central ou excentrique, et dans une espèce curieuse de Bornéo 1l y a une petite columelle à laquelle elles sont attachées. » Parmi ces dispositions, souvent confondues sous le même terme de resupinatus, celle que nous prenons pour type de notre étude et que nous appelons pezizoide peut se caractériser ainsi : l’Agaric présente un chapeau sessile renversé sur son sommet et fixé par ce sommet; on a ainsi sous les yeux une cupule plus ou moins relevée, plus ou moins aplatie, offrant l'aspect que nous sommes habitués à voir chez les Cyphella, dans la division des Basidiosporés, et plus communément chez les pezizes, parmi les Thécasporés ; seulement, au lieu que la surface intérieure de la cupule soit lisse, elle est gar- nie de lamelles qui convergent vers un point de cette cupule, carac- tère essentiel du genre Agaric., Le développement de ces Agarics, en forme de pezize ou pezi- zoïdes, avait été peu étudié jusqu'ici bien que la forme en eût été constatée par les botanistes descripteurs. Dans ces derniers temps M. H. Hoffmann, de Giessen, a suivi ce développement dans deux ! La forme crustacée n’existerait d’après Persoon que chez les cham- pignons venant dans les mines. Pileus,... vix unquam resupinato effusus (paucis speciebus fodinalibus aut subterraneis exceptis.) Myc., Europ., t. ILE, p. {. 2 ou trois espèces ; je me propose aujourd’hui de préciser et de grouper les faits les mieux constatés, en les complétant par ceux que j'ai pu observer moi-même. On verra, par la suite de ce travail, que la disposition résapinée ou pezizoide, qui semble due à un développement en sens contraire de la direction habituelle d’accroissement du réceptacle chezles Fungi pileati stipitati, est loin d’être toujours accidentelle et anormale. Cette disposition peut se présenter pendant une seule phase du développement du réceptacle, ou bien elle peut être constante. Nous envisagerons successivement les deux cas. Agaries, dont le réceptacle revêt la forme pezi- 2oide pendant une phase de son deveitoppement. — Les descriptions de Persoon, de Fries et de beaucoup d'auteurs de flores mycologiques indiquent qu’ils ont reconnu plus où moins distinctement que certains Agarics peuvent revêtir cette forme à un moment de leur vie, mais il y a ici encore deux cas à distinguer": A. Le premier cas, celui dans lequel la forme pezizoide est d'or- dinaire la plus incomplète, caractérise des Agarics à pédicule très- court et latéral, dont le chapeau devient résupiné et paraît fixé par son sommet dans la dernière période de son développement. Le meilleur type nous est offert par l'espèce que M. Hoffmann a étu- diée, l’Ag. variabilis, Pers, Cet agaric est décrit et figuré partout; on le rencontre en grande abondance, pendant l'automne, sur des brindilles de bois mort tombées à terre. En indiquant le développe- ment de cet agaric, je suivrai en partie M. H. Hoffmann ‘. L'Ag. variabilis, Pers. se présente, à son premier âge, sous la forme d’une petite sphère blanche, issue directement du #yceltum. On distingue bientôt dans cette petite sphère la partie inférieure qui ‘Icones andalyticæ fungorum , par H. Hoffmann, IV, Heft, 1865, p. 96, Taf. 22, fig. 3. RL") AU formera le pied, de la partie supérieure qui formera le chapeau ; jusque-là rien ne différencie ce premier développement de celui d’un grand nombre d’autres espèces. Mais à mesure que le pédicule grandit, il se recourbe de très-bonne heure ; un des côtés du cha- peau prend un accroissement considérable et le pédicule se trouve tout à fait latéral, ainsi qu'il arrive chez les Agarics de la section des Pleurotus. À ce moment interviennent deux tendances qui modi- fient insensiblement l’aspect du réceptacle : d’une part, le pédieule se recourbant toujours davantage, la surface supérieure du chapeau vient s'appliquer sur le corps sur lequel est né l’agaric ; d’autre part, Fig. 1. Ag. Variabilis Pers. et Ag. depluens Batsch. en b- le chapeau cesse de s’accroître exclusivement dans un seul sens; il s’agrandit par toute sa circonférence et finit ainsi par enfermer le pédicule dans une échancrure, dont les bords se rapprochent tou- jours davantage et amènent, par ce mécanisme, l’étranglement, l’atrophie et la disparition du pédicule. Là s’arrête quelquefois le développement, ainsi qu’on peut le voir en a ; mais si les deux bords qui ont embrassé le pédicule et sont arrivés au contact se soudent, le réceptacle est alors complétement pezizoïide; il a la forme d’une cupule aplatie, avec des lamelles convergentes vers un point plus ou moins central. COM do Beaucoup d’Agaries (Pleurotus où Crepidotus) peuvent acciden— tellement présenter l’une des phases de ce développement, et M. H. Hoffmann les a signalées encore chez l’Ag. depluens, Batsch. (Icon. Anal. fung. INT Heft, 1863, p. 63). Une des figures qu’il en a donnée est reproduite en à, pour montrer le recourbement du pédicule. Le premier mode de développement que nous venons de décrire nous présente le réceptacle d’un Agaric prenant la forme pezizoide par suite d’un phénomène anormal (étranglement du pédicule), aussi tous les individus d’une même espèce ne se présentent pas nécessairement sous cette forme. B. Le second cas est celui dans lequel le réceptacle de l’'Agaric ne prend la forme pezizoide que dans la première période de son développement et la perd ensuite, quelquefois de très-bonne heure. Plusieurs mycologues descripteurs ont indiqué ce développe- ment sans en détailler les phases : Persoon l’attribue à l’Ag. varia- bilis ; il dit de lui, dans sa Mycoloqia Europæa : « Nascens integer pezizæformis, sæpius stipitem tenuem ex centro emittens, deinde dimidiatus fit et horizontalis, stipite evanido. » M. Hoffmann Pa aussi remarqué dans cette espèce ; mais ce mode de développement, beaucoup moins fréquent chez Ag. variabilis que celui qui a été décrit plus haut, est le mode habituel pour beaucoup d’autres. Persoon l’a signalé dans l’Ag. elatinus, var. { violaceo fuscus, Batsch. : « ab initio fere pezizæformis est et basi fibrilis curtis albidis cortici affixus pezizam quamdam sat magnam et aliam præbens… pileus dein pro more dimidiatus fit et horizontals. » (Myc. Europ., NL, p. 18.) C’est à Dutrochet que l’on doit la première étude détaillée de ce mode de développement, très-bien figuré dans la planche qui accom- pagne son mémoire (Nouvelles Annales du Muséum d'Histoire natu- relle, t. IL, p. 59 et suiv., pl. 4.) L’Agaric sur lequel a porté lob- servation de Dutrochet, et que Turpin a appelé Ag. crispus, ne me paraît pas différent de Ag. lamelliruqus, DC., qui présente ce même développement, décrit plus tard par Letellier dans son Ag. croceolamellatus (Ann. se. nat., 2° sér., t. LIT, p. 13) que je consi- dère comme une autre forme du même Ag. lamelliruqus, DC. LR E ie. C’est sur l’Ag. carneo-tomentosus que M. Hoffmann a observé et décrit en détail ‘ ce développement, que nous résumerons ainsi : le mycelium de lAgaric donne naissance à un corps globuleux qui, tout en s’accroissant, se creuse à son sommet, c’est-à-dire au point opposé à celui par lequel il émerge du mycelium. Bientôt on aper- coit, dans l’intérieur de la petite coupe ainsi formée, les plis qui seront plus tard les lamelles; mais, à partir de ce moment, le dé- veloppement a lieu d’une manière inégale, une portion du bord de cette coupe s’alionge et s’agrandit, toute trace de forme pezizoide s’efface et l’on n’a bientôt pius qu’un Agaric dimidié. Le chapeau, arrivé à la dernière phase de son développement, est sessile et fixé par un point de sa circonférence, vers lequel convergent les la- melles. Si la partie qui formait la base de la petite coupe primitive s'accroît et s’allonge en même temps que le chapeau dimidié, on a une sorte de pied plus ou moins long, comme cela se voit dans cer- tains exemplaires stipités de l’Ag. carneo-tomentosus ou torulosus, et dans l’Ag. crispus, Turp., représenté par les figures 11, 12 et 13 de la planche jointe au mémoire de Dutrochet. Aïnsi, 1l y a des Agarics qui n’ont le type pezizoïide qu’à l’état jeune. Ce mode de développement nous a paru très-général chez les espèces sessiles et 1l est probable qu’on pourrait en étendre la loi à toutes, s’il ne se présentait pendant une phase de très-courte durée et qui échappe souvent aux observateurs. IT. Agarices dont le réceptacle garde la forme pezi- +oide pendant toutes les phases de son dévelopne- ment. — Ce type n’a été jusqu'ici que très-peu observé et je ne crois pas qu'il y ait sur ce sujet de données plus positives que la des- cription faite par Nees d’Esenbeck deson À q. pezizoides (Actes delaso- ! Hoffmann, Botanische Zeitung, 1856, p. 445. no ciété Léopoldine des curieux de la nature, 1818, vol. 9, p.249, tab.6, fig. 18) et la description qu'a donnée Berkeley en 1836 de son A4. cyphelle formis dans le British Flora de Smith, t. V et dans let, I du Magazine of zoologie and Botany (1837), table 15, fig. 3. Ces deux espèces n’ont pas de caractères très-tranchés et semblent se rapprocher assez de FAg. applicatus Batsch pour avoir été consi- dérées par Fries comme de simples variétés de cet agarie. En rap- prochant la figure donnée par Nees de l’Ag. pezisoides et celle donnée par Berkeley de l’Ay. cyphelle fornris on voit que la priner- pale différence est dans la couleur des lamelles plus blanches dans l'Ag. cyphellæformis que dans Ag. pezizoides, où elles sont fisurées de la même couleur brun-cendré que la surface extérieure du chapeau, mais l’âge et le degré d'humidité peuvent expliquer ces nuances. Berkeley décrit aussi les lamelles de Ag. pezizoides comme blanches. Sans vouloir trancher la question, n'ayant pas encore rencontré ces deux espèces rares, il y a de fortes présomptions pour croire que leur rareté même fient à ce que ce sont là des formes jeunes et transitoires et pour accepter l’opinion de Persoon et de Fries à l'égard de l’Ag. pezizoides. Peut-on rapprocher également VA. cyphellæ forms de V'Ag. applicatus ainsi que le pense Fries ? pour en être assuré il faudrait d’abord connaître la forme et la couleur des spores : Berkeley place l'A. cyphellæformis parmi les Pleu- rotes, par conséquent dansles Leucosporés, mais sans donner aucune indication spéciale sur les spores. D'autre part dans la figure donnée par Berkeley un Ag. cyphelle forms grossi, présente une irrégula- rité dans le contour du chapeau qui indiqie un passage à une forme dimidiée. On ne peut donc s’empècher de constater une grande incertitude dans la fixation de ces deux espèces que l’on peut supposer n'avoir été observées qu'à leur premier état de déve- loppement. Il faut se rappeler en effet que par suite d’influences diverses un réceptacle de champignon peut être arrêté dans son développement et se présenter sous une forme qui n’est pas sa forme définitive. Bans les descriptions que renferme la Mycoloqia Europea, Persoon montre le soin avec lequel il a suivi les change- ments que l’âge peut amener dans la forme des Agarices qui font SL Rs l’objet de notre travail, aussi réduit-il beaucoup le nombre de ceux qui peuvent être dits cupuliformes ou véritablement résupinés. C’est d’abord l’Ag. pezizoides Nees qui pour Persoon est juvenilis et dont il a étudié une variété carpinus, primo pezisoideus, deinde dimi- diatus, horizontalis, reflexzus... ; puis l’epirylon ou applicatus Batsch qui, œtate profectà, squamuformis fit; ensuite l’elatinus, pileo juniore, resupinato integro.…. adulto dimidiato horizontali et dont la variété 5 appelée violaceo fulvus abinilio fere pezizæformis est. Pileus dein pro more dimidiatus fit et horizontalis ; V Ag. nidu- lans qui est junior resupinatus integer, adultus horizontalis…. Tous ces exemples rentrent donc dans le mode de développement décrit précédemment en B. Si les détails que nous possédons sur les Ag. pezizoides, Nees et Cyphellæformis, Berk. sont très-insuffisants pour nous les faire considérer comme de véritables types d’agarics pezizoïdes il n’en est pas de même pour une autre espèce que j'ai eu l’occasion d’ob- server dans diverses localités et plusieurs années de suite. Cet agaric est une espèce nouvelle pour la flore européenne, il a été découvert en Algérie par M. Durieu de Maisonneuve et nommé par M. Léveillé Ag. craterellus. J'ai retrouvé l’Ag. craterellus dans des ravins étroits, humides et boisés du département du Gard, en parti- culier dans les ravins qui débouchent sur la vallée du Gardon entre Saint-Privat et le pont du Gard ; il pousse sur les branches mortes des Rubus, Smilax, Lonicera, Clematis, dans les fourrés où les branches de ces plantes restent encore suspendues quoique mortes aux branches des arbres ou arbustes qui leur ont servi de support. Cet Agaric vient en longues séries droites ou spiralées et de loin on dirait de jolies guirlandes de fleurs blanches. J’en ai donné ailleurs la description, voici quelles sont les phases que présente son déve- loppement. Le réceptacle de l’Ag. craterellus émerge au-dessus de l'écorce sous la forme d’un point blanc; lorsqu'il a atteint la gros- seur d’une tête d'épingle, si on le regarde à la loupe on voit une boule blanche velue d’un aspect analogue à la forme sous laquelle se pré- sentent les Coprins avant d’avoir rompu leur volve ; une excavation se produit au sommet de la petite boule, elle prend alors l’aspect ANT MEN d’une petite pezize analogue à la Pezisa papiilaris Bull. Le réceptacle s’agrandit dans tous les sens en conservant cette forme et l’on peut constater dans son intérieur l’existence de lamelles disposées en rayonnant autour d’un petit mamelon central situé au fond de la cupule ; ce mamelon paraït être le rudiment du pédicule : lorsque le réceptacle est arrivé à son complet développement et qu’il présente une forme régulièrement umbonée-conoïde les la- melles n’atteignent plus ce mamelon. Le chapeau reste toujours très-régulier, seulement il est quelquefois un peu incliné par rapport à la branche qui lui sert de support, quand celle-ci est verticale, et la surface intérieure lamelleuse du réceptacle regarde Fig. 2, Ag. craterellus DR. et Lev. le sol; il obéit ainsi à cette loi qui préside au développement des Agaries et qui fait que soit chez les espèces pédiculées, soit chez les espèces sessiles et horizontales, les lamelles sont presque toujours tournées vers le sol. La fig. a représente l’Ag. craterellus DK. et Lév. de grandeur naturelle. Les fig. 4b montre le développement successif sur desexemplaires grossis. La fig. c est une coupe grossie d’un exemplaire jeune. La fig. d'est une coupe d’un exemplaire arrivé à son complet développement. LT Aïnsi se trouve réalisé dans la série des Agarics le type des Cyphella répondant lui-même à celui des Pezizes parmi les Thécas- porés. L'étude que nous venons de faire du mécanisme par lequel se produit cette forme typique chez les Agarics, nous a montré l'expression d’un fait physiologique et non pas une simple anomalie. Laissant de côté les espèces qui rentrent dansla section À, nous avons vu qu’un grand nombre d’Agarics présentent une forme régulière- ment cupuliforme à leur premier développement. Les uns la conser- vent toujours (Ag. craterellus), les autres deviennent dimidiés par suite de la prépondérance que prend un des côtés du chapeau se développant plus que les autres, ceux-ci paraissent alors fixés par un des points de leur circonférence tandis que primitivement mais quelquefois pendant un temps très-court ils ont été attachés par le centre ; cette observation pourra sans doute se généraliser à tous les Agarics sessiles. D’autre part il est facile de comprendre pourquoi les Agarics résupinés sont fixés par la surface extérieure du cha- peau. Lorsque le pied manque, le mycelium se feutre en un stro- ma charnu qui portera plus tard les lamelles, celles-là se dévelop pant en dernier lieu ne peuvent donc être situées qu’à la partie supé- rieure de ce stroma. Il se passe ici ce qui a lieu chez les Te/ephora ou les Hyndum à forme erustacée, seulement au lieu d’une forme irré- gulière, ce stroma charnu prend la forme en chapeau, commune au type des Agarics. La loi du développement ascendant aboutissant à un organe reproducteur terminal n’est nullement troublée et l'on s’en rendra plus facilement compte, si au lieu de s'attacher à la forme extérieure du réceptacle on a égard aux éléments cellulaires, qui le constituent, considérés isolément. J. DE SEYNES. OBSERVATIONS SUR LES ICHNEUMONS ET SUR QUELQUES ESPÈCES DU GENRE RHYSSA Si tous les êtres que l’haleine tiède et parfumée du printemps fait éclore ne trouvaient pas, avant de se reproduire, des causes de destruction, la terre serait trop petite pour les contenir et incapable d'entretenir des existences si diverses. Mais une loi toute-puissante les destine à se servir mutuellement de pâture, à se déchirer vivants ou à s’anéantir par mille moyens différents. Pourquoi créer pour détruire? C’est une volonté suprème devant laquelle nous n'avons qu'à nous incliner, car ce serait bien vainement qu'on voudrait sonder ces mystères, Au nombre des insectes destinés à arrêter la production immo— dérée de certaines espèces, la grande famille des Ichneumonides doit être placée en première ligne. C’est en déposant leurs œufs dans l’intérieur des larves ou des chenilles qu’ils en limitent le nombre. La chenille ou la larve, cet être bizarre qui passe, on pourrait dire, toute sa vie à l’état d’embryon, n'ayant pas trouvé, comme ARE) 7 10e l'oiseau, dans l’œuf qui lui a donné naissance, la nourriture néces- saire à son entier développement, en sort dans son premier état, seulement munie des organes propres à entretenir cette singulière existence. Elle rassemble, compose et met en réserve dans son inté- rieur ce qui ne lui avait pas été donné pour arriver à son état par- fait; puis elle reconstruit son œuf (son cocon) pour se renfermer de nouveau; et là, dans un repos absolu, complet, plus ou moins long, s’appropriant dans cette nouvelle incubation les réserves qu’elle a faites, elle continue son évolution interrompue pour arri- ver de suite à toute sa perfection. I] ne lui en coûtait pas beaucoup plus de prendre tout ee dont elle avait besoin pour éviter le temps inutile et perdu de l'enfance. C’est ce qu’on a appelé une métamor- phose, et qui n’est en réalité que ce qui se passe journellement dans le développement de tous les êtres qui, commencant par un germe très-simple, se perfectionnent successivement pour arriver à la forme que leur a assignée le Créateur. C’est dans cet aliment ramassé avec tant de soin et de peine que les ichneumons vont déposer leurs œufs. Les larves qui doivent en sortir, en s’en emparant à leur profit, se gardent bien de toucher aux organes essentiels à la vie de leurs nourrices, elles savent qu’elles se détruiraient elles-mêmes; ce n’est que quand la che- nille ou la larve veut se transformer qu’elle meurt, ne trouvant plus la substance nécessaire pour se compléter et pouvoir étaler au jour les couleurs brillantes qui devaient parer sa livrée de noce et son existence éphémère. Ces parasites ne sont pas plus exempts que les autres d’avoir des ennemis, même dans leur famille ; car plusieurs espèces, guidées par un instinct qui semble bien extraordinaire, vont de nouveau piquer la chenille déjà attaquée, pour introduire dans la larve si bien cachée dans son intérieur et qui paraissait à l’abri de tout danger, un germe qui doit aussi vivre à ses dépens et de la même manière. Véritable peine du talion. L’Ichneumon se transforme quelquefois dans l’intérieur de la chenille ; d’autres fois il en sort pour se filer un cocon dans lequel il doit aussi se renfermer pour arriver à la forme définitive qu'il Ho — doit avoir. On voit de grosses chenilles contenir un nombre consi- dérable de larves des petites espèces de ces Hyménoptères. Lorsque celles-ci sont arrivées à leur dernier degré d’accroissement, elles percent la peau de la chenille et sortent seulement la partie supé- rieure de leur corps. Toutes alors dans cette position s'occupent immédiatement à se filer un cocon. Elles commencent par en faire la moitié en longueur en s’inclinant de haut en bas et de bas en haut, ayant toutes l’air de se saluer respectueusement. Lorsque cette moitié est faite, elles se dégagent entièrement, vont se loger dans l’espèce de guérite qu’elles ont construite et continuent, par le mème procédé, à faire l’autre moitié pour se renfermer dans leur nouvelle demeure. Spectacle très-curieux et qui serait très-amusant si on n’avait pas sous les yeux la pauvre chenille se tordant dans les angoisses de la douleur et de la mort. Parmi les plus grandes espèces d’Ichneumonides de notre pays, on doit placer les Rhyssa, genre qu’on a confondu pendant long- temps avec les Ephialtes, et qu’on en a séparés parce que les Ephialtes ont le dessus du thorax lisse et que les Rhyssa ont cette partie du corps couverte de stries élevées et très-apparentes. Des- tinés à déposer leurs œufs dans les larves des insectes qui rongent le bois, les Rhyssa ont dû être pourvus des moyens nécessaires pour les atteindre au fond des galeries qu’elles se creusent sous l'écorce ou même dans le cœur des arbres ; aussi sont-ils armés d’une longue tarière qui a quelquefois plus de quatre centimètres de longueur. Chez les deux espèces décrites qui ont le corps d’une seule cou- leur, Gravenhorst, le seul auteur qu’on puisse consulter sur ces in- sectes, n’a pu observer qu’un petit nombre d'individus et n’a eu à sa disposition que deux femelles de Rhyssa curvipes et un même nombre d'individus mâles du Rhyssa approximator. A-t-il pu donner une description exacte de ces espèces qui varient beaucoup par la taille et même par la disposition des nuances, suivant la nourriture plus ou moins abondante que les larves ont trouvée dans celles des lignivores dans lesquelles elles ont été déposées? ou les espèces que j'ai observées sont-elles non décrites? IL est certain que les descriptions données par cet auteur ne se rapportent pas se Three exactement à ce que j'ai vu, et comme j'ai eu à ma disposition les deux sexes des espèces qu'on pourrait rapporter aux siennes, j'en donnerai la description aussi exacte que possible prise sur un grand nombre d'individus. Je donnerai aussi celle d’une femelle unique qui me semble avoir des caractères assez tranchés pour former une espèce nouvelle dans la même division. RHYSSA CUR VIPES ? (GRAVENHORST). Mâle. Longueur douze à vingt-quatre millimètres ; face et palpes jaunes; une ligne de cette même couleur au bord interne des yeux au niveau des antennes. Antennes à peine de la longueur du corps, droites, le premier article jaune en dessous, les autres noirs en dessus, ferrugineuses en dessous. Thorax orné en dessus de deux lignes jaunâtres qui vont rejoindre l’écusson qui est de cette même couleur, ainsi que le post-écusson. Aïles médiocres, suben- fumées ; écaille et base ferrugineuses ; bord et stigmate bruns ; aréole triangulaire, subpétiolée. Pieds : les quatre antérieurs fauves en dessus, jaunes en dessous ; hanches et trochantères jaunes ; les pos- térieurs fauves, les trochantères seuls jaunes ; extrémité des tibias et tarses bruns. Les tibias ne m’ont pas semblé plus arqués que dans les autres espèces. Abdomen à peu près de la longueur du corps, noir, très-brillant; le premier segment canaliculé, les troisième, quatrième, cinquième, sixième et septième fortement échancrés et légèrement bordés de fauve marron. Femelle. Face noire ; orbite interne des yeux jaune ; palpes pres- que bruns. Antennes entièrement noires. Thorax comme chez le mâle. Jambes à peu près semblables, seulement plus foncées. Abdo- men au moins de la largeur du thorax, comprimé à son extrémité, moins brillant, finement strié en travers, les troisième, quatrième, cinquième, sixième et septième segments légèrement échancrés. Tarière brun marron, de la longueur de tout le corps; oviductes très-finement velus. Dans cette espèce, les rugosités du thorax sont formées par des AM LS points élevés et non par des lignes, comme dans l'espèce suivante, excepté au milieu, entre les deux petites lignes jaunes, où il est orné de très-fines stries. RHYSSA APPROXIMATOR ? Mâle. Longueur dix à vingt millimètres. Tête noire ; face jaune, palpes ferrugineux. Antennes noires en dessus, ferrugineuses en dessous, premier article jaune en dessous. Thorax noir, ridé en dessus. Écusson noir. Ailes : bord et stigmate bruns, écaille et base ferrugineuses, aréole non pétiolée. Pieds ferrugineux, les trochantères un peu jaunes, tarses des pieds postérieurs bruns. Abdomen noir, opaque, finement ponctué; premier segment canaliculé, tous les autres finement bordés de ferrugineux et sans échancrures. Femelle. Tète noire, deux petits traits Jjaunâtres peu marqués au- dessous des antennes, qui sont d’un noir ferrugineux. Thorax, pieds et ailes comme chez le mâle. Abdomen noir, opaque, plus finement ponctué que celui du mâle; bord des quatre premiers segments brillant et largement bordé de ferrugineux foncé. Tarière plus longue que le corps, fauve; oviductes très-velus et roulés en spirale chez les insectes morts. Ces deux espèces, qui peuvent se rapporter aux deux premiers Rhyssa décrits dans Gravenhorst, diffèrent cependant assez pour laisser du doute sur leur identité. Peut-être est-il permis de les regarder comme nouvelles. RHYSSA INTERMEDIA. (Sr. nov.) Femelle. Longueur treize millimètres. Tête noire, deux lignes jaunes et peu marquées à la base interne des yeux, front bombé. Antennes brun ferrugineux, beaucoup plus courtes que dans les espèces précédentes et plus renflées à l’extrémité, premier article plus gros et presque globuleux ; palpes bruns. Thorax noir, stries 40 — formées de points élevés comme dans le curvipes. Aïles ferrugi- neuses, aréole très-petite, longuement pétiolée. Abdomen noir fer- rugineux, opaque, segments du dos ni échancrés n1 bordés de fer- rugineux. Tous les pieds entièrement ferrugineux sans aueune trace de brun, même aux tarses postérieurs. Tarière plus longue que le corps, noire; oviductes à peine velus. Cette femelle, qui se rapproche des deux espèces précédentes, me semble assez caractérisée pour l’admettre comme non décrite. Ce- pendant il serait prudent d’attendre l’examen d’autres’ individus semblables pour en être certain. CouRTILLER. LE GENRE MEIOCERAS Il est une petite famille de mollusques gastéropodes qui mérite à plus d’un titre d'attirer l’atiention. Cette famille est celle des Cæcidæ, que quelques circonstances de recherches nous ont rendue familière. Les individus qui la composent sont cependant bien humbles par la taille et seraient, sans doute, demeurés toujours dans l’oubli si quelques traits saillants, originaux et étranges, suffi- sants à eux seuls pour assigner une importance de premier ordre, v’avaient enfin fini par être aperçus malgré l’exiguité des individus. Par la suite, à ces points généraux vinrent s'ajouter des caractères curieux qui en se répandant sur les espèces ont donné lieu d’admi- rer plus vivement. En même temps ils ont pu permettre d’affirmer que la plupart des coquilles qu’ils distinguent sont charmantes d’é- légance, qu’elles frappent par la profusion des détails dont elles sont ornées, aussi bien que par l'éclat dont elles brillent, ce qui vient souvent ajouter à leur beauté. Depuis deux années environ, la famille des Cæcidæ a été pour nous un sujet d’études et d'observations, et nous avons eu déjà l’oc- casion de faire connaitre quelques-uns des résultats que nous avons obtenus. Dans un mémoire accueilli avec une bienveillance marquée par la Société Hävraise d'études diverses, nous avons exposé quel- ques remarques relatives à certains points parfaitement susceptibles d’exciter le plus vif intérêt, et surtout aux évolutions qui accom- XL. 2 sUUNS pagnent l’entier développement des êtres de cette famille. Nous avons ajouté aux considérations qui s’y trouvaient présentées, les descriptions de quinze espèces inédites et de sept variétés. Le Jour nal de Conchyliologie a donné depuis dans son numéro de janvier 1867, les descriptions de douze autres espèces nouvelles accom- pagnées de leurs figures. Notre présente étude est entièrement consacrée au genre Mesoce- ras, l’un des quatre qui composent jusqu'ici la famille des Cæcide. Il nous a semblé, que faute d’éléments, sans doute, ce genre n'avait pas été suffisamment travaillé, et qu’il était important de combler certaines lacunes. Notre intention est donc de chercher à compléter ici ce que l’on a déjà publié sur lui, en essayant d'établir correctement les caractères qui le distinguent et de définir les points particuliers qui lui sont propres. D’abord considéré comme formant une section des Cæcum les Meioceras furent rangés parmi ceux-ci sous la dénomination d’2n- flatulum. Cette désignation pouvait effectivement convenir aux spécimens adultes de la première espèce connue, mais aussitôt qu’on put y rattacher quelques individus des premiers âges on recon- nut la nécessité d’une rectification et le genre fut créé par M. H. Adams. Le nom qu’il porte lui fut donné à la demande de M. Car- penter, et voici la diagnose que le premier de ces auteurs en donna : Testa adolescens solute spiralis, haud planata ; adulta sæpe inflata; aper- tura obliqua; operculum spirale, extus concavum ; anfractibus linea spirali instructis. De même que celle des Cæcum et des Brochina, l'existence des Meioceras se trouve composée d’une succession de périodes bien tranchées qu'il est assez facile de reconnaître en suivant avec atten— tion les diverses séries d'individus de tous âges appartenant à une même espèce. Sur eux apparaissent en effet, les transitions sucees- sives par lesquelles la coquille passe pour arriver à l’âge adulte. L’examen quand il fut possible, permit alors d’apercevoir que les conditions dans lesquelles s’opérait l'accroissement sur les Cœcum, r’étaient plus les mèmes pour les spécimens nouveaux, et qu'il fallait établir ceux-ci dans un genre à part. Bien qu'ayant déjà ET | ARE tracé ailleurs cette suite de changements propres aux coquilles de cette famille, il est cependant utile que nous les indiquions de nou- veau ici, afin de faire plus aisément ressortir le point essentiel qui diflérencie le Meioceras et le sépare du Cæcum. Au premier âge c’est cependant bien une coquille spirale qui se présente pour l’un et pour l’autre. Au noyau primitif, s'ajoute bientôt une partie tubulaire qui s’en déssoude et qui s’allonge ; c’est bien encore, ce que l’on trouve chez les deux genres. Mais c’est avec cette différence, que pour le Meioceras, l'allongement au lieu de se poursuivre en maintenant l’axe du tube dans un plan unique (ce qui n’imprime à la coquille qu’une seule courbure) s’opère sui- vant une double courbe (fig. a). On trouve sur le tube un reste des deux valeurs appartenant à la forme initiale, et il en résulte que son axe sous leur influence demeure en quelque sorte une spire détendue. Cette partie tubulaire parvenue à un certain degré de développement s’oblitère sur un point quelque peu distant du noyau, et le mollusque s'étant établi au delà de l’oblitération, c’est-à-dire au delà du septum, se débarrasse de la coquille du premier âge en opérant une rupture aux environs, ou même sur le plan de la cicatrice. Dès lors il ne reste plus qu’un tube fermé à son sommet par le septum, c’est la coquille du second âge, la coquille adolescente, ainsi que l’appelle Adams dans sa diagnose du genre. Dans cet état, l'axe contourné, régissant les lignes extérieures de la coquille, celle-ci ressemble fort bien à une petite corne de bœuf (fig. 4), et cette particularité signale parfaitement le caractère distinctif du Meioceras. Ge caractère se maintient jusque sur les spécimens adultes, et l’on peut facilement s’en convaincre en faisant reposer ceux-ci sur leur partie infé- rieure, de manière à ce que le dos du sujet se trouve tourné du côté de l’observateur. Cependant comme ce n’est point une spire parfaite que l’axe décrit, et que l’influence qui dirige le degré de courbure diminue à mesure que l’éloignement du sommet augmente, il en résulte que la forme spirale se détend de plus en plus et finit quelquefois par disparaître presque complétement, ne laissant plus apercevoir qu’un reste de courbure qui paraît renfermer l’axe dans un seul et même plan. PP Tel est donc le caractère le plus remarquable, et à lui seul, 1l suffit pour définir parfaitement le genre: une double courbure conséquence de l’influence due à la spire primitive qui disparait. A celui-ci il faut ajouter, d’abord : la nature lisse de toutes les coquilles qui lui appartiennent, puis la forme concave au dehors, qui est considérée comme étant propre à leur opercule. D’après cela, si l’on discute la probabilité d'existence du plus ou moins d'espèces qui pourront être rangées dans le genre; il est certain, et on le reconnaïîtra facilement, que leur nombre doit être fort restreint. Point d’ornementation extérieure en effet, dont les détails variés viendront diversifier les échantillons et permettront de poser des séparations bien nettes. Le septum qui pourrait être un des meilleurs points de division ne varie guère et sa forme demeure à peu près la même pour presque tout le genre. Cette particularité assez curieuse, n’est au reste, que la reproduction d’un fait sem- blable que nous avons remarqué déjà pour les différentes sections du genre Cæcum. À quelques exceptions près, toutes les espèces d'une même section se trouvent pourvues d’un septum de même nature. Quant à l’opereule peut-on bien compter sur cette forme concave qui lui est attribuée ? Nous n’avons pas toujours pu la bien apercevoir et l’apprécier exactement ainsi. Les déformations qu’un corps aussi léger peut subir par suite de la déssication, ou par l'effet de circonstances qui peuvent bien ne pas toujours être parfai- tement identiques, rendent suspecte jusqu’à un certain point l’adop- tion de ce caractère dans la généralité. Il faudrait observer la chose sur des échantillons vivants pour acquérir une certitude. En tout cas, que l’opercule soit ou non caractérisé ainsi, pourrait-il réelle- ment fournir de bonnes différences spécifiques? Nous ne le croyons que dans une limite assez restreinte. Ce que l’on peut conclure des diverses remarques que nous venons d'exposer, c’est que les éléments de séparation sont peu communs, et il nous a paru nécessaire de voir si les seuls auteurs qui jusqu'ici se sont occupés des Meioceras, ont bien considéré quels étaient les moyens dont on pouvait disposer et user afin d'obtenir de bonnes distinctions des espèces. L'examen attentif d’un grand SE) ES nombre. d'échantillons appartenant au genre, nous porte à croire que MM. Adams et Carpenter ne se sont pas assez préoccupés de la forme. Il nous semble que dans une situation aussi restreinte que celle que nous venons de tracer, il y avait lieu de tenir sérieu- sement compte des contours qui dessinent les coquilles de Meioceras et nous nous sommes arrêté à cette conviction, que ces contours et ces formes présentent des nuances assez sensibles et assez marquées pour qu’elles puissent servir de caractères spécifiques et aider à la distribution des espèces. Lorsque nous avons dit que : nulle ornementation ne venait à l'extérieur accidenter la surface lisse des Mezoceras, peut-être nous sommes-nous un peu trop avancés. À la rigueur ne pourrait-on pas considérer comme ornements dus à la couleur, si ce n’est à la saillie, quelques épaississements dans certaines parties du test, épaississe- ments existant seulement dans la pâte, mais qui s’apercoivent faci- lement en raison de l’opacité que revêt la coquille en ces endroits ? Il résulte pour les coquilles qui se trouvent dans ce cas, des alter- natives d’opacité et de transparence qui se présentent parfois avec régularité. Il nous semble que dans les cas où le fait se produit avec constance et exactitude, les taches qui se dessinent alors sur la surface pourraient bien servir suivant la facon dont elles se pré- sentent à poser aussi quelques points de démarcation. La coloration enfin aurait aussi son importance relative, au même point de vue. Cependant ces règles, hätons-nous de le dire, ne peuvent être re- gardées comme rigoureuses et ne peuvent être applicables que dans quelques cas particuliers. Ajoutons encore une remarque sur un point qui ne manque pas d'importance, sur les habitat du genre. D’après nos observations, il paraîtrait que les espèces qui lui appartiennent vivent seulement sur une seule partie de l'Océan Atlantique. Nous avons, en effet, rencontré des échantillons de Cæcum dans les spécimens de fonds qui nous sont parvenus de presque toutes les mers du globe, mais nous n'avons trouvé de Meioceras que parmi ceux appartenant à la côte orientale de l'Amérique du Sud, à celle du Venezuela, et de presque toutes les Antilles. Il y a donc lieu de penser, pour le Re de moment du moins, que l'habitat de ce genre se trouve compris entre les limites géographiques suivantes : au sud le Rio de la Plata, au OO 2 nord la pointe des Florides ou les Bahama. Il nous reste maintenant à faire voir quelles sont les différences de forme que nous avons constatées, et qui nous ont servi à établir des espèces. Mais avant d’entamer ce sujet, disons, que nous ne nous sommes engagé dans cette voie qu’appuyé de l'approbation de notre estimé maître, M. Deshayes, dont l’autorité est si hautement com- pétente en pareille matière. Les comparaisons faites par nous sur les diverses formes des Meioceras que nous avons eues entre les mains nous ont permis d'opérer leur séparation en quatre groupes bien distincts. Ces groupes ont pu se subdiviser ensuite en douze espèces. Sur le ta- bleau qui suit ces résultats se trouvent indiqués de manière à rendre toujours facile, le rapport d’un individu du genre, au groupe et à l'espèce, auxquels il appartiendra. Nous passerons ensuite à la des- cription des espèces. 1. Coquille extrêmement courte, très-enflée, la partie infé- rieure fort peu concave avec enflure (M. tumidissi- mum) . Coquille enflée, partie inférieure presque droite, concavité presque nulle avec enflure (M. nitidum). 3. Coquille enflée, partie inférieure concave avec enflure (M. Carpenlerti). Fig. 1-5. 4. Coquille enflée, partie inférieure peu concave avec deux enflures (M. bitumidum). 5. Coquille sans enflure, partie inférieure très-concave (M. Moreleti). PREMIER GROUPE. 2 Coquilles à courbure dor- sale simple. DEUXIÈME GROUPE. Coquilles à courbure dor- sale composée. Fig. 6-7. 6. Coquille enflée, partie dorsale soumise à l’enflure, partie inférieure concave (M. Deshayesi). 7. Coquille enflée, l’enflure très-rapprochée de la base, par- tie inférieure peu concave, sur les deux premiers tiers la coquille très-conique (M. Crossei). ou trois enflures peu sensibles (M. undulosum). 9. Coquille peu enflée, partie inférieure peu concave avec une enflure (M. Coxi). TROISIÈME GROUPE. Coguilles à courbure dor- sale géniculée haut et bas. Fig. 8-11. 10. Coquille sans enflure, géniculée sur la partie supérieure comme sur l’inférieure, quelque peu concave (M. Cor- nucopiæ). 11. Coquille sans enflure beaucoup plus courte que la'précé- dente, plus arquée, géniculée sur la partie dorsale et sur la partie inférieure qui est concave ( I. Cornubovis). QUATRIÈME GROUPE. Coquilles à courbure dor- sale géniculée seulement vers la base. Fig. 12. 11. Coquille très-petite, allongée, avec une enflure vers la base, également sensible sur les parties dorsales et in- 8. Coquille peu enflée, partie inférieure peu concave, à deux | férieures (M. tenerum), D ue Ne SRBES . OT Ur 1. ME£IOCERAS TUMIDISSIMUM. ROME Lin NEA, (Fig. 1.) Testa, curta, solida, lata, corpulenta, perinflata, albida vel flavescente, nitida, levi; superne semicireulari, inferne gibbosa; apertura contracta, le- viter marginata, valde declivi; septo parvo, primum fere mamillato, subun- gulato, paulo mucronato, apice obtuso, dextrorso, margine laterali paulo convexo vel leviter unduloso. opereulo !.… Long. 0,0015 ; diam. 0,0004 — 0,0007 — 0,0004. Habitat : Bahia, Pernambouc, Montevideo. En apercevant le premier individu de cette espèce, nous demeu- râmes convaincu qu'il ne pouvait appartenir à celle de Bean (M. nitidum) quelque large que soit le cadre tracé par la diagnose de cet auteur. Il aurait pu dès lors y avoir une si grande distance entre deux spécimens extrêmes, qu'il nous parut de toute impos- sibilité de les assimiler, et nous crûmes devoir établir cette pre- mière séparation. Les coquilles de cette espèce sont extrêmement courtes, lisses, assez brillantes, de couleur blanchâtre ou teintées de jaune. La courbure dorsale ou supérieure est considérable, elle approche d’une demi circonférence, etconséquemment son rayon de courbure est fort petit. C’est le moindre du genre. La courbure infé- rieure serait peu profonde si elle était simple, sa concavité est d’autant moins sensible qu’elle se trouve interrompue sur une enflure médiane assez prononcée. Par suite de la convexité qui dessine celle-ci, le contour inférieur suit une triple courbe, d’abord concave, il devient convexe puis reprend la première forme. L'ouverture est très-con- tractée, si l’on compare son diamètre à celui du milieu de la co- quille, et se trouve sur un plan très-oblique ; elle est bordée d’une petite lèvre qui se réfléchit légèrement au dehors. Le septum est irès-peu proéminent; il consiste en un faible gonflement du plan de troncature se terminant rapidement par un petit sommet demi-on gulé, demi mucroné lequel est situé un peu sur la droite, à toucher le dos de la coquille, EC f | à à À PV A \t 2. Mmrocrras niripum.| BEAN, M. S} Cou pente 18 (Fig. 2.) Testa nitidissima, vitrea seu subcornea, subdiaphana, fusca seu albida et candida, nebulosa; adolescente anfractibus paucis, rapide augentibus; testa adulta valde gibbosa; plerumque maxime inflata ; utraque extremitate cons- tricta; apertura valde declivi, cireiter angulum 130 planam apicis respiciens ; margine, antico maxime arcuato, postico subplanato; septo submucronato, conico, marginibus laterali et dorsali rectis ; apice parum elevato; acutiore, dorsali ; operculo parum concavo, linea spirali extante instructo ; anfractibus paucis, circiter V. Var. Testa magis elongata, minus inflata. Test. adolesc. Long. 0,0011 ; diam. 0,00012 — 0,0004. Test. adult. normali. Long. 0,0017 ; diam. 0,00026 — 0,0005. Test. adult. elong. Long. 0,0018 ; diam. 0,00028 — 0,0005. Test. adult. obes. Long. 0,0013; diam. 0,0003 — 0,0006. 2. Cœcux nrrinum. Stimps. Monog. Cæcidæ. U.S. in. Proc. Boston. N. H. S. oct. 15 th. 1851, p. 112. Habitat : W. Indies, fossil in coral rock Barbadoes (D' Cutting) Florida (Stimpson). C’est sur un spécimen de la collection de M. Deshayes, qui lui fut envoyé par M. Carpenter, échantillon pouvant donc être con- sidéré comme type, que nous avons attribué cette seconde forme au Meioceras nitidum. Son auteur reconnaissait déjà, ainsi qu’il est aisé de le voir, que les spécimens qu’il observait différaient assez les uns des autres pour qu’une division en catégories fût né- cessaire. 3 Ste NHef 3. MEIOCERAS CARPENTERI. CCE (Fig. 3). Testa arcuata, subdiaphana, nitida, albida seu flavescente, levi interdum maculis subregularibus, subincrassatis, subopacis, distincta ; interstitiis subvi- treis; apertura valde declivi, contracta, leviter marginata; septo minimo, submamillato, paulo mucronato, margine laterali primum subconvexo, dein paulo concavo, dorsali vix convexo ; operculo concavo, apice digne an- fractibus paucis, lineis suturalibus vix definitis. Long. 0,0025 ; diam. 0,0004 — 0,0008 — 0,0005. Habitat : ad Antillas. Grande espèce colorée agréablement en jaune brun pâle, quelque- a _ Premier äpe. b_ Adolescent. {__tumidissimum. 2_mitidum. 3_ Carpenter. LE GENRE MEIOCERAS 4 _bitumidum. FRAC: EL UE 5_Moreleti. 10 __Cornucopi®. 6_ Deshayesi. ii _ cornubovis. 7 __Crosser. 12__ tenerum. B__undulosum. Lith. F Bernain, Bayonne. 00: AE fois blanche cependant. Des taches presque carrées, presque régn- lières séparées Les unes des autres par des parties plus diaphanes et ce- pendant plus foncées, marbrent souvent sa surface; il arrive qu’elles varient légèrement dans leur disposition sur différents individus. Par- fois elles ont complétement disparu. Le Meioceras Carpenteri, peut facilement se distinguer du rt#idum, en ce que la partie inférieure, abstraction faite de l’enflure, est beaucoup plus concave. Sur ce dernier, la tangente AB aux deux points extrèmes C et D coupe l’enflure, tandis que sur l’autre, la même ligne tangente aux points E et F, passe bien en dehors de la courbe convexe qui dessine la partie enflée (fig. 2 et 3). Le septum commence d’abord par une partie légèrement mamelonnée, celle-ci se termine en un sommet obtus quoique mucroné, lequel est plus proéminent que sur le M. tumidissimum. L'un et l’autre au reste comme presque tous les septum du genre représentent fort bien une mamelle, ainsi qu’on peut le voir par la figure cd qui sous un peu plus de développe- ment, reproduit fort bien la forme de cette partie. Nous avons dédié cette espèce à M. Carpenter. < 4. MEIOCERAS BITUMIDUM. H SYNTUPES ISHPS ê (ais 2, (Fig. 4.) Testa corpulenta nitida, subdiaphana, levi, superne arcuata, inferne sub- recta, bitumida; tumoribus paulo expressis apertura declivi, contracta, leviter marginata; septo minimo, paulo mamillato, ungulato ; operculo ? Long. 0,0023 ; diam. 0,0007. Habitat : ad insulam Guadeloupe. Cette espèce est de grande taille, avec assez d’ampleur. Sa partie dorsale se trouve tracée par une courbe bien arquée, tandis que l’inférieure paraît presque droite. Elle n’est soumise à quelque courbure que par suite de l’existence de deux légères enflures qui l’ondulent faiblement. Celles-ci sont cependant assez sensibles pour servir à une reconnaissance facile de l'espèce, qui du reste se rapproche de celles qui précèdent. MN © LU NOTES FC 7 7 5. MEIOCERAS MORELETI. (Fig. 5.) Testa haud tumida, conica, arcuata, nitida, subdiaphana; interdum ma- culis notata; superne convexa, inferne majus concava ; apertura declivi, haud marginata ; septo paulo expresso, submamillato, apice minimo, submucro- nato, margine laterali vix perspicuo ; operculo ?.., Long. 0,0018; diam. 0,0003 — 0,0006. Habitat : ad insulam Guadeloupe. Le Meioceras Moreleti se détache facilement des précédents, en ce qu’il ne laisse paraître aucune enfluré sur sa surface. Cette es- pèce très conique, a sa partie inférieure très concave. Comme ses congénères , elle est brillante et presque diaphane. Quel- quefois cette coquille est pourvue de taches opaques, et en même temps de longues lignes de la nature des parties trans- parentes dont il a été question, la prennent vers son sommet et parcourant toute sa longueur, dans un sens légèrement oblique, viennent se perdre vers la base. L'ouverture sans rebord est très- oblique, presque sans contraction ; à ce propos, nous croyons devoir faire cette remarque : que l’on ne doit pas considérer la contraction de l’ouverture chez les meioceras, d’après la différence qui existe entre le diamètre de celle-ci et celui du milieu de la coquille. Cette grande différence n’étant que -la conséquence de la courbure sou- vent fort prononcée de la partie dorsale et de l’enflure quand il s’en trouve. La contraction, ce nous semble, ne doit être établie qu’en raison seulement de la rentrée qu’opèrent les contours à l’approche de l'ouverture pour arriver sur le peristome. Le septum est peu ex- primé ; comme les précédents, il commence par une sorte de gon- flement du plan de troncature , ce qui lui imprime le caractère submamelonné, il se termine par un petit sommet peu proéminent presque mucroné, presqu'ongulé, son bord latéral est à peine visible, Nous avons dédié cette espèce à notre savant ami, M. Mo- relet. Hd Liu 6. MEIOCERAS DESHAYESI. 4 SYNTUYPRES 15H PA ac 2 l # CC (Fig. 6.) Testa corpulenta, albida, subopaca, nitida, levi ; superne subinflata, inferne concava, tumore majore ; apertura valde declivi, paulo contracta ; septo pa- rum expresso, submamillato, apice obtusissimo opereulo ?.… Long. 0,0022 ; diam. 0,0003 — 0,001 — 0,0005. Habitat : ad littus Guadalupense. Cette espèce remarquable peut être facilement séparée des autres en raison du caractère qui la range d’abord dans un second groupe ; c’est-à-dire par suite de la forme que prend la partie dorsale de la coquille. Au lieu de décrire un arc de cercle à rayon de courbure plus ou moins grand, la ligne qui dessine la partie supérieure des Meioceras de ce groupe , se trouve composée. Deux courbes courant de manière à se couper en faisant un angle variable, sont réunies par un petit arc formant bosse, résultat de l’en- flure qui s’est étendue sur tout le pourtour de la coquille. Celle- ci est blanchâtre , presqu’opaque, mais très-brillante ; quelques stries ou plis transverses assez forts en dessous, aux environs de l'ouverture, se remarquent sur certains échantillons. Le renflement inférieur est de beaucoup plus considérable que celui qui apparait sur la partie dorsale, les lignes par lesquelles il rejoint les extré— mités sont assez creuses. Le septum est à peine proéminent, il est submamelonné, son sommet est très-obtus. Nous avons dédié cette espèce à M. Deshayes. 7. M&IOCERAS CROSSEL. No wr4PEs FOUN D (Fig. 7.) Testa elongata, albida, subdiaphana, nitida, levi, primum conica, dein superne et inferne ad basin paul inflata, inferne vix concava, apertura declivi leviter contracta, septo submamillato, apice obtuso ; opereulo?.. Long. 0,003; diam. 0,0003 — 0,0008 — 0,0007. Habitat : ad Antillas. Grande espèce qui fait partie du même groupe que la précédente D — et de laquelle elle diffère par deux points assez caractéristiques. Le premier consiste dans la forme très-conique de la coquille sur ses deux premiers tiers. Le second, en ce que l’enflure qui est peu con- sidérable, et qui n’est guère plus forte en dessous qu’en dessus, se trouve très-rapprochée de la base. On la dirait produite par une dilatation régulière de la coquille, ayant lieu sur les deux premiers tiers, puis la contraction s’opère de même sur la partie restante. Par suite, le Meioceras semble composé de deux portions coniques super- posées par leurs bases. L'ouverture est oblique et semble un peu moins contractée que celle du M. Deshayesi. Nous avons dédié celui- ci à M. Crosse. BDINEHNE 8. MerocerAS UNDUuLOSUN. (Fig. 8.) Testa elongata, albida, subdiaphana, nitida, levi, superne ad aperturam et basin geniculata; inferne undulata; apertura valde declivi, leviter contracta, margine paulo reflexo ; septo DR subungulato, fere mucronato ; apice dorsum versus sito, subdextrorso ; operculo ?.… Long. 0,003 ; diam. 0,0003 — 0,0007 — 0,0005. Habitat : Venezuelam et Antillas. Grande espèce conique qui ouvre le troisième groupe caractérisé par la courbe dorsale, laquelle au lieu d’être simple comme sur le premier ou rompue par un reste d’enflure comme sur le second, se trouve géniculée vers le sommet et vers la base. Quant à l'espèce elle est parfaitement définie par suite de la double enflure qui est bien indiquée dans la concavité inférieure, on en trouve même quelquefois trois. Cette partie de la coquille reçoit par l'effet de ce double ou triple gonflement une forme ondulée qui se distingue fort bien. L'ouverture située sur un plan très-oblique est peu contractée, elle se trouve garnie d’un petit rebord évasé. Le septum, faiblement mamelonné, à son sommet semi ongulé, semi mucroné, est peu saillant et se trouve placé à toucher la partie dorsale, légèrement sur la droite. La oi) 25 9. MerocEras coxI. 1© T1PES CD) rà (Fig.9,) Testa haud elongata, subdiaphana, nitida, levi, superne et inferne ad aperturam et basim geniculata; inferne concava, inflata; apertura valde declivi, haud contracta; septo parvo, submamillato, vix mucronato, apice obtuso ; operculo ? Ê Long. 0,002; diam. 0,0004 — 0,0006. Habitat : ad littus Guadalupense. Cette seconde espèce du groupe diffère de la première en ce qu’elle n’est pourvue que d’une seule enflure. De plus la concavité assez profonde que trace le dessous de la coquille se trouve géniculée comme le dessus, et c’est entre ces deux points dans la portion qui forme le milien du Meioceras que se trouve l’enflure. Nous avons dédié cette espèce à notre ami le docteur Cox de Sydney (N. S. Wales). 10. MEIOCERAS CORNUCOPIÆ (CARPENTER). (Fig. 10.) Testa m. nitidum simulante ; sed minore minus inflata ; testa adolescente anfractibus minus rapide augentibus, septo mucronato, mucrone acutissimo, haud elongato, a superficie subplanato subiter ascendente; margine laterali valde incurvato ; operculo?.… Var. mucrone elevato. Testa jun. Long. 0,001 ; diam. 0,0001 — 0,0003. Testa adult. elong. Long. 0,002; diam. 0,0002 — 0,0004. Testa adult. compacta. Long. 0,0012 ; diam. 0,0003 — 0,0004. Habitat : Indias occidentales. Nous aurions été fort embarrassé pour attribuer une des formes séparées, ainsi que nous l’avons fait, à la diagnose de cette espèce. Heureusement pour nous un spécimen appartenant à M. Deshayes et qui lui fut envoyé par M. Carpenter, put nous servir de type et vint résoudre la difficulté. Cet échantillon ne nous a cependant pas paru parfaitement conforme à la description. 2 EST 11. MEIOCERAS CORNUBOVIS (CARPENTER). (Fig. 11.) Testa m. cornucopiam simulante ; sed septo ungulato ; apice angusto, submucronato; margine laterali plus minusve convexo, sæpe inflato ; oper- culo satis concavo ; extus lamiua extante spirali, fortiori, anfractibus circiter XIE, definiente nucleum versus obsoleta ; intus umbone satis prominente superficie striulis minimis concentricis ornata. Testa adulta gibbosa. Long. 0,0013 ; diam. 0,00026 — 0,00044. Testa adulta normalis. Long. 0,00134 ; diam. 0,00026 — 0,00044. Testa adulta elongata. Long. 0,0016 ; diam. 0,00032 — 0,00044. Habitat : ad Indias occidentales. Comme pour la précédente espèce nous avons dû nous servir d’un type sortant de la même source, pour assigner à celle-ci une de nos formes. Observons que nous ne la trouvons pas, non plus, bien conforme à la diagnose, et qu’elle serait moins allongée que celle qui précède. 12. MEIOCERAS TENERUM. (Fig. 12.) Testa (quoad genus) parva, angusta, subcylindrica, paulo contorta, tenui diaphana, nitida, levi, ante aperturam parum inflata ; apertura declivi, leviter contracta ; septo minimo, dorsali, subdextrorso, mucronato, apice acuto; operculo ? Long. 0,0018 ; diam. 0,0002 — 0,0004. Habitat : ad Jamaïcam. La première vue des Meioceras qui nous ont fourni ce dernier groupe et la nouvelle espèce que nous établissons, nous avait d’abord fait supposer que nous avions rencontré le cornucopiæ de Carpenter. Mais en discutant les caractères de nos échantillons 1l est facile de se convaincre que ce n’est point là le Meioceras qu’il a décrit et nous étions déjà à peu près certain de ce fait, quand son type est venu lever tous nos doutes et confirmer notre opinion. Nous avons ici une coquille qui ne ressemble en rien au M. niti- dum, ainsi qu'il faudrait que cela fût, si l’on s’en rapporte à la te —= diagnose. Elle est pourvue d’une partie renflée qui avoisine l’ouver- ture, et qui génicule la coquille vers la base. Les choses ne se passent pas ainsi sur le nitidum, l’enflure ne se dessine pas de la même facon, elle n’imprime pas comme ici de dilatation à la seule portion inférieure du Meioceras. La double courbure résultant de l'influence spirale primitive s’apercoit facilement sur notre espèce et se remarque moins aisément sur les autres. Cependant il était un point où nous trouvions entre le texte, relatif au cornucopiæ et nos spécimens une conformité qui nous ébranlait. Leur septum nous apparaissait parfaitement mucroné «a superficie subplanato subiter ascendente, » ce qui se rapportait bien à nos échantillons. Mais un examen attentif nous permettait d’objecter que son bord latéral métait nullement courbe et encore moins « valde incurvato. » Sur notre espèce, il est parfaitement droit ainsi que le bord dorsal, et à eux deux en se réunissant ils forment un angle très-aigu. Le septum est placé fort près du dos de la coquille et un peu sur la droite. Celle- ci est très-diaphane, légèrement nuageuse sur quelques individus. Les différences que nous venons d’indiquer nous ont paru assez essentielles et suffisantes pour écarter cette nouvelle espèce de celle de Carpenter ; et cette opinion, répétons-le, s’est trouvée confirmée par la comparaison avec le Meioceras qui nous a servi de type pour le cornucopiæ et qui émane de cet auteur. L. pe Fou. Pauillac, avril 1867. Nous avons depuis l’époque où ceci fut écrit, publié dans les Fonds de la Mer deux autres espèces qui sont les AZ. cubitatum etle M. Fis- cheri. LES HYBRIDES DE LA GOURDE Jusqu’à ces dernières années on ne connaissait qu’une seule espèce de gourde, le classique Lagenaria vulgaris, déjà eultivé en Italie à l’époque de Pline. J'ai été assez heureux pour ajouter récemment deux nouvelles espèces à ce genre si longtemps monotype, les L. sphœrica et L. angolensis, le premier de la côte orientale d’A- frique, au sud de l’équateur, le second de la côte occidentale, de- puis la Sénégambie jusqu’à Saint-Paul de Loanda, et probablement plus loin encore vers le Sud. La gourde commune, tout le monde le sait, est une plante an— nuelle, grimpante à l’aide de ses vrilles, monoïque, à feuilles arron— dies et un peu cordiformes mais point découpées n1 sensiblement lobées, couvertes d’une fine pubescence qui leur donne un aspect un peü grisâtre, très molles d’ailleurs au toucher et exhalant une odeur de muse prononcée. Ses fleurs, tant mâles que femelles, sont soli- taires aux,aisselles des feuilles et longuement pédonculées ; la corolle en est très-blanche, et c’est là aussi la couleur du faisceau staminal et du pollen. Les étamines, sans être soudées ensemble, sont cepen- dant rapprochées et comme agglutinées en une seule masse. Les fruits varient prodigieusement de grosseur et de forme. La variété SD la plus commune est peut-être celle où ils ont la forme d’une sorte de bouteille à deux renflements inégaux et séparés par un étran- lement, ce qui, joint à la dureté de leur coque ligneuse, fait qu'on s’en sert dans divers pays comme de vases à contenir des liquides. Le Lagenaria sphærica, que nous pouvons appeler la gourde de Cafrerie, présente des caractères bien différents, tellement différents que les auteurs de la Flore de l’Afrique australe, MM. Sonder et Harvey, l'ont placée dans un autre genre, celui des Luffa. Elle est vi- vace par ses tiges, qui, sous des climats plus chauds que celui du nord de la France, persistent plusieurs années et deviennent en quelque sorte ligneuses;elle est dioïque, et son feuillage d’un vert noir, très scabre, de moitié moins grand que celui de la gourde commune, est profondément divisé en cinq lobes, habituellement subdivisés eux- mêmes en lobes plus petits. Ses fleurs mâles sont en grappes, à peu près sessiles sur l’axe commun de l’inflorescence, presque deux fois . aussi larges que celle de la gourde commune, très blanches mais rayées de vert sur les grosses nervures. Les étamines y sont séparées les unes des autres (stamina discreta) et d’un jaune vif, ainsi que le pollen qu’elles contiennent. Lorsque les fleurs femelles ont été fécondées, elles produisent des fruits ovoïdes ou sphériques, de la grosseur d’une belle orange, à coque peu épaisse ou presque nulle, très lisse, d’un vert noir élégamment marbré de blanc. Les graines ont exac- tement la forme de celles de la gourde commune, tout en étant beau- coup plus petites. Un de mes amis, M. le D' Germain de Saint-Pierre, botaniste bien connuet propriétaire, à Hyères, d’un jardin ou se sontfaites déjà beaucoup d'expériences botaniques, a le premier observé le croise- ment du Lagenaria sphærica, dont je lui avais envoyé les graines, avec le Lagenaria vulgaris. Une note intéressante, qu’il a publiée à ce sujet dans le Bulletin de la Société botanique de France, me dis- pense de détailler ici les circonstances de cet hybridation. Il me suffira de dire qu’il en a obtenu des fruits dans lesquels se trouvaient un petit nombre de graines bien conformées, que ces graines semées l’année suivante, lui ont donné plusieurs pieds de Lagenaria vul- gari-sphærica, parfaitement intermédiaires de figure et de carac- XI. 3 En" 7 tères entre les deux espèces productrices, et que ces plantes hybrides devinrent fertiles sous l’influence du pollen de ces deux espèces. L'expérience s’annonçait trop bien pour n'être pas continuée. L'année d’après, M. Germain de Saint-Pierre sema les graines tirées des fruits hybrides, et il put alors observer le fait sur lequel j'avais déjà, quelques années auparavant, appelé l’attention des bo- tanistes : la dissociation des espèces artificiellement fondues l’une dans l’autre par l’hybridation, et cela dès la seconde génération. Des nombreux exemplaires du L. vulgari-sphærica qui se dévelop- pèrent les uns retournaient manifestement au type du L. vulgaris, les autres à celui du L. sphærica. J'ai recu l’année dernière de M. Germain de Saint-Pierre des fruits mûrs de cette deuxième gé- nération hybride, et je ne fus pas peu surpris, en les ouvrant, d’y trouver, mêlées ensemble et adhérant aux mêmes placentas, des graines si différentes les unes des autres par la grandeur et la forme, qu’on aurait eu peine à croire qu’elles appartenaient à une même espèce. J’en ai semé quelques-unes ce printemps dernier, et j'en ai obtenu deux plantes vigoureuses, qui commenceut à fleurir en ce moment; mais toutes deux, quoiqu’elles aient eu pour aïeul le Lagenaria vulgaris, sont totalement rentrées dans le type du L. sphœrica, dont elles reproduisent jusqu'aux plus légers ca- ractères. IL est donc avéré aujourd’hui, au moins pour les espèces sur lesquelles ont porté nos expériences, que la postérité des hybrides fertiles retourne, dès la seconde génération hybride, aux espèces dont le croisement leur a donné naissance, et cela indépendamment de l’emploi du pollen de ces espèces pour féconder les hybrides. Le fait se manifeste sur les hybrides qui, produisant de bon pollen, se fécondent eux-mêmes, sans qu’il y ait eu accès du pollen de l’une ou de l’autre espèce productrice. Il est évident que, dans le cas où ce dernier pollen a été employé pour féconder l’hybride, la postérité de celui-ci doit incliner dans le sens de l'espèce qui a fourni le pollen, et que les nouveaux hybrides obtenus sont ce qu’on appelle ailleurs des quarterons, mais ces quarterons existent plus en théorie qu’en réalité, car, dans beaucoup de cas, ils ne conservent plus rien du nn ours caractère mixte qu’ils devraient avoir, l’une des deux espèces ayant complétement expulsé l'autre. Mes hybrides actuels de Lagenaria vulqari-sphærica sont de véritables quarterons par le fait de leur parenté, mais par leur essence même ils sont de race pure, puisque leur aïeul le L. vulgaris ne leur a rien transmis de ce qui lui appar- tenait en propre. Plus nous avancons dans l'étude de la question de l’hybridité, * plus nous avons lieu de reconnaître que la nature a horreur de ces êtres ambigus, qui, à proprement parler, n’appartiennent à aucune espèce; et que, lorsqu'ils existent, elle travaille incessamment à les faire disparaître, les uns par l’imperfection des organes reproducteurs, les autres par la disjonction des caractères, disjonction qui s’exer- cant principalement sur le pollen et sur les ovules, restitue purement et simplement aux espèces normales cette partie si importante de lorganisme. Jamais un hybride, quel qu’il soit, n’a fait et on peut dire ne fera souche d’espèce. Les naturalistes organicistes (si on veut me permettre d'employer ce mot par manière d’enphémisme) en cherchent la cause dans une mauvaise conformation des organes, mais cet argument est sans valeur lorsqu'il s’agit des hybrides fer— tiles, et dans le cas des hybrides mal conformés il n’est guère plus qu’une pétition de principe, puisqu'on pourra toujours lui opposer cette question : pourquoi les organes sont-ils mal conformés? Je crois que la cause déterminante de ce remarquable phénomène r’est point une question de biologie proprement dite, et qu’il faut la cher- cher ailleurs et au-dessus de ce qui tombe sous nos sens. Pour moi, les espèces sont comme les rouages et les autres pièces d’un vaste mécanisme, pièces et rouages dont la forme et les dimensions sont calculées en vue de l’effet à produire, et pour que cet effet se pro- duise il faut que ces pièces s’ajustent les unes aux autres et consti- tuent un système, un tout, unique dans la diversité et la complexité de ses parties. Or introduire dans un tel mécanisme une pièce nou- velle, un rouage qui n’a pas été fait pour s'adapter à un autre, qui en un mot n'entre pas dans le plan de l’ensemble est non-seulement inutile, mais nuisible. C’est précisément le cas où se trouvent les hybrides animaux ou végétaux ; non-seulement ils ne correspondent PC 0 à aucun besoin de la nature, et ne seraient, s’ils pouvaient s'établir que des parties inutiles, mais ils gènent le bon fonctionnement des © formes normales; ils nuisent en un mot, et c’est là, selon moi, la véritable cause de leur prompte disparition. Dans cette manière de voir, la destination finale des choses, destination toute providen- tielle, est leur véritable et unigne raison d’être. CH. Naunis. LIÈVRES, LAPINS ET LÉPORIDES Deux faits pratiques considérables, importants, se sont affirmés cette année : — la reproduction facile du lièvre en captivité étroite, et la production possible d’hybrides résultant du mariage fécond d'animaux appartenant aux espèces voisines mais distinctes du lièvre et du lapin. L'élevage en captivité du premier est depuis longtemps un fait usuel; tout liévreteau capturé est vite emprisonné, allaité à la cuil- lère et convenablement nourri jusqu’à l’heure où il peut être mis en eivet ou à la broche. Mais la reproduction et la multiplication de l'animal sous la main de l’homme, dans les conditions de la domes- ticité, n’étaient pas considérées comme possibles. Il y a du vrai dans cette opinion. Je ne conseillerais pas de tenter la conquête de l’espèce en vue d’une domestication pareille à celle qu’a très heureusemeut subie l’espèce du lapin. On n’y trou- verait sûrement son compte d'aucune manière. L'animal y perdrait ses meilleures qualités alimentaires ; l’éleveur y aurait peu de satis- faction à raison des nombreux sinistres qui traverseraient les édu- cations les plus soignées, et l’homme, pour qui le plaisir hygiénique et fortifiant de la chasse est une nécessité sociale, perdrait l’occasion de se livrer utilement à des exercices que la poursuite d’aucun autre gibier ne lui fournirait en notre pays. Cependant, là est, chez nous, la grande raison d’être du lièvre, MES, aussi, de toute part s’élève en une clameur assez haute la constata- tion de ce fait vraiment regrettable, la prochaine extinction de l'espèce si l’on ne rencontre enfin des moyens pratiques de la sauver d’une ruine complète. Eh bien, parmi les moyens qui se présentent, je puis recom— mander, après enquête et expérimentation directe, entretien en semi-captivité de hases et de bouquins reproducteurs dont la fécon- dité, active et protégée dans ses résultats, peut suffire au repeuple- ment annuel de grandes chasses. Le braconnier — un artiste malfaisant celui-là -— est devenu si habile et si cupide qu’il ne ménage rien. Tout lui est bon, le gros et le menu; le père, la mère, les enfants, il détruit tout à la fois, le présent et l’avenir, sans réserve et sans mesure. Il ne pourra rien contre les éducations privées. Or, celles-ci fourniraient largement chaque année, aux besoins des chasses convenablement gardées contre les rapaces de tout acabit. Tel est, je pense, le seul but rationnel que puissent et doivent se proposer la reproduction et le premier élevage direct du lièvre en captivité relative. Il y a done, par là, une nouvelle, importante et lucrative indus- trie à fonder. Si ma voix pouvait être entendue, je conseillerais aux braconniers d'abandonner leur vilain, leur coupable métier, de se faire éducateurs de lièvres. Celui-ci serait honnête, plein d’attrait et nourrirait grassement son homme. Longtemps contestées, la production et la reproduction du léporide sont désormais des faits bien acquis. Plusieurs de ces animaux sont nés sous mes yeux, j'en possède d’authentiques. D’autres que moi en ont fait naître, et je poursuis, en ce qui les concerné, des expé- riences qui ont pour objet d’élucider certains points obscurs de la zootechnie. A ce point de vue mon labeur — il y a plus de quatre ans que je suis en marche — aura, je l'espère, une utilité assez haute, une signification précise, des conséquences pratiques fa- vorables à la reproduction de nos diverses espèces domestiques. Pour n'être pas impossible, ce genre d’hybridité animale n’est pas un résultat qu’on puisse se flatter d'obtenir couramment. Beau DA Lire coup ont essayé sans succès. Peu nombreuses les réussites sont plutôt des accidents que la suite naturelle des soins les plus éclairés. Peu de lièvres consentent à s’unir à la lapine, et réciproquement peu de hases cèdent aux sollicitations du lapin. De fructueuses amours entre animaux des deux espèces sont une rareté, un résultat tout exceptionnel. Je n’oserais pas dire: j'en tiens le dernier mot, mais je ne crois rien hasarder en disant que le mariage du bouquin et de la lapine, ou celui du lapin et de la hase, ne s’accomplissent que dans des circonstances à peu près indépendantes de l’action de l’éleveur le plus attentif. Quoi qu’il en soit, je me borne, pour le moment, à constater la possibilité du rapprochement utile et fécond des deux espèces, et de plus la fécondité certaine des premiers métis entre eux. C’est un résultat de mes propres expériences. Il s’arrête Là en novembre 1868. Des essais antérieurs suivis sur des animaux étrangers à mon élevage, me permettraient de dire plus; mais on a contesté l’authen- ticité de ces produits; je fais table rase et ne parle que de ceux dont l'origine ne saurait présenter aucun doute. De ceux dont je parle ici, je parle de science certaine ; ils sont miens, ils sont nés dans mon clapier, et d’ailleurs ils portent le cachet indéniable de leur provenance. Je possède deux léporides adultes, issus du même bouquin et de deux lapines. Mâle et femelle, ils se sont liés, et la femelle a donné une première portée de sept petits bien venants. Là s'arrêtent aujourd’hui les existences de la nouvelle famille, . 8 novembre 1868. Chemin faisant, plusieurs observations sesontproduites. J’en con- signe seulement ici la substance : 1° L'élevage et la reproduction en captivité étroite du lapin de garenne offrent beaucoup plus de difficulté que l'élevage et la re- production en captivité du lièvre. 2° Il y a dans notre pays plusieurs variétés de lièvres dont la ca- ractéristique différentielle reste à établir, et peut-être n’y en a-t-il = Cp = qu’une seule qui consente à s’allier au lapin domestique, non au lapin de garenne. 3° Il existe deux lapins sauvages, le lapin de garenne et le buis- sonnier. 4° On croit communément que les deux ne sont qu'un, qu’ils dif- férent seulement en ce point, à savoir : l’un se terre et l’autre ne se terre pas. J'ai lieu de supposer, de croire peut-être qu'il en est autrement. Mes doutes sont à vérifier. 5° J'ai lieu de soupconner aussi qne les nombreuses variétés du lapin domestique n’ont point eu pour origine le lapin de garenne, mais peut-être bien le lapin buissonnier. Ces divers points seront de ma part l’objet de recherches ulté- rieures, mais je crois devoir les signaler, dès à présent, à l’attention des chasseurs et des naturalistes. EucÈène Gavor. Paris-Batignolles, le 8 novembre 1868. LES NOMS DES OISEAUX EXPLIQUÉS PAR LEURS MŒURS OÙ ESSAIS ÉTYMOLOGIQUES SUR L'ORNITHOLOGIE . (Suite). SIXIÈME ORDRE. GRALLÆ, GRALLATORES. — LES ÉCHASSIERS. Messieurs, Après plus de vingt-cinq années de recherches et d'observations persévérantes, j'avais livré à mes lecteurs la troisième édition des Noms des oiseaux expliqués par leurs mœurs, et je pensais pouvoir parcourir les deux derniers Ordres qui terminent la Faune de Maine-et-Loire, lorsque la lutte engagée en faveur du pic vert vint absorber toute mon énergie et réclamer tous mes loisirs. Aujourd’hui que le plus fort de la mêlée est passé, je reprends en toute tranquillité mes études favorites , et je me lance de nouveau, non pas sans de graves préoccupations, dans l’effroyable labyrinthe des étymologies. Si, du moins, je pouvais retrouver le fil d'Ariane, XI. 4 EDS ce serait m'éviter bien des efforts pénibles et me délivrer de beau- coup d’ennuis. Donc, sans aucun autre préambule, je commence mon travail, en me demandant quelle est l’étymologie de grallatores, et celle d’é- chassiers. Le mot grallatores a pour racine évidente gralla, signifiant « échasses. » Dès lors, la question reste entièrement la même qu'auparavant : quel est le primitif de gralla ? Gralla, selon Ménage, a été fait de grada, gradilla, a gradiendo. Je laisse volontiers à Ménage la pa- ternité de cette étymologie qui indiquerait ou que les oiseaux dé- signés par cette expression semblent être montés, perchés sur « des degrés, » ou qu'ils doivent cette dénomination à leur course « rapide. » Ces deux interprétations s’harmonisent et avec les formes des échassiers, qui par leurs tarses très-élevés semblent être posés sur des degrés, et avec la course rapide qui est un des priviléges du plus grand nombre des oiseaux de cet Ordre. Grallatores désignant ceux qui marchent avec des échasses, vient encore corroborer la première des interprétations énoncées précédemment. En effet, d’après Ménage, le mot échasses, échassier, qui en pro- vençal se dit eschassier, dérive de l'italien scalacia, augmentatif de scala, se rattachant lui-même au latin scala, «échelle » composée de degrés, d’échelons. Tous les oiseaux compris dans cet Ordre , excepté la bécasse et le héron blongios, ont les tarses longs et nus, et semblent par là- même être montés sur des espèces de béquilles nommées échasses, petite échelle, parce qu’elles servent à élever ceux qui en usent, et que ces échasses offrent des points d'appui à des hauteurs qui va- rient selon l’âge et la force de ceux auxquels elles sont destinées. On appelait aussi échasses ou écasses les bois qui servaient d’ap- pui aux boiteux et aux estropiés, usage qui rendait assez plausible l'opinion de Ménage dérivant cette expression du verbe grec skAZEïiN signifiant botter, clocher. PLAT AVES Quoi qu’il en soit de la véritable étymologie du mot échasse, il est évident qu’en le prenant dans son acception ordinaire, 1l peint très- bien la physionomie des oiseaux qui, montés sur des tarses très-hauts et entièrement nus, semblent appuyer leur corps sur de véritables béquilles, ou, pour parler le langage vulgaire, sur des ?ambes de bois. Cette conformation donne à un grand nombre d’oiseaux de l’ordre des Échassiersune physionomiequi, au premier coup d’œil, paraît bizarre. Cependant, loin d’être le résultat d’un caprice du Créateur, elle prouve au contraire et sa souveraine conception et la sollicitude de sa Providence. Les Échassiers, comme tous les êtres de la création, ont une mission à remplir; pour eux elle consiste à visiter les bords des cours d’eau, les vastes prairies marécageuses, les dunes et les rivages de la mer, ainsi que les plaines sablonneuses, et àse nourrir, dans ces différentes localités, de poissons, de reptiles, de grenouilles, de mollusques, d’insectes et de vers de toute espèce. Dès lors, ces oiseaux contiennent ainsi dans les sages limites fixées par la sagesse de Dieu, une multitude d’êtres qui, par leur trop grande multiplication, pourraient devenir un fléau. Mais pour accomplir cette mission, il faut que les Échassiers soient montés sur deux tarses longs et dénudés qui leur permettent, comme aux habitants du département des Landes, de courir facile- ment dans les plaines de sable et sur le gravier des îles et des ri- vages de la mer, de fouiller toutes les vases marécageuses, et de pénétrer mème dans les eaux de l'Océan. Mais si ces oiseaux montés sur des échasses avaient eu un cou peu développé, ils n’eussent pu accomplir la tâche qui leur est confiée ; aussi, Dieu leur a-t-il donné un cou en rapport avec la lon- gueur de leurs tarses, et qui leur permet de rester debout et cepen- dant d’atteindre les reptiles et les insectes cachés au fond des eaux, ou dans les vases et dans les sables humides de la mer; de plus, ces oiseaux ont une queue très-courte et presque insensible , car si cette queue était aussi développée que celle des autres oiseaux, elle gènerait et leur vol et le mouvement continuel de leur cou. Pour accomplir leurs migrations, les Échassiers se réunissent en grand nombre, les jeunes avec les jeunes et les vieux avec les vieux; tous OT UE ils poussent un petit cri de rappel répété par la bande entière, et dans leur vol ils allongent le cou en avant et les pieds en arrière pour que ceux-ci puissent servir de contrepoids. A certaines époques de l’année, les Échassiers arrivent par bandes innombrables sur les bords de la mer, où deux fois par jour la marée leur apporte un approvisionnement abondant. Presque tous sont semi-nocturnes ; leur plumage, généralement sombre, offre peu de variétés, il est soumis chaque année à deux mues. La plupart de ces oiseaux ne peuvent ni nager, ni plonger, ils se tiennent dans les endroits guéables. Leur voix triste, aigre et désa- gréable, prouve qu’ils ne sont pas destinés à vivre dans le voisinage des hommes ni à l’embellir. Un certain nombre d’espèces de l’ordre des Échassiers nichent à terre, sur le sable, sans aucun nid; ces espèces sont polygames, et les petits en naissant peuvent se suflire à eux-mêmes. Les espèces qui nichent dans les arbres, sur les cheminées, etc., sont mono- games, et les petits réclament les soins de leurs parents. Les Échassiers ont trois ou quatre doigts libres ou réunis par une peau membraneuse à leur base, mais très-rarement palmés ou lo- bés. Tous ces oiseaux courent beaucoup plus qu’ils ne volent, et ceux qui habitent les bords de la mer ont besoin d’un déplacement continuel, à cause des flots qui découvrent et recouvrent inces- samment les plages pour leur servir à toutes les heures de splendides festins. Les Échassiers dorment debout, appuyés sur une seule patte, la tête rentrée dans les épaules, sinon couchée sous l’aile, et le bec dans le vent. La Revue britannique de 1850 constate que ces oï- seaux ont une habitude très-remarquable, celle de voler contre le vent ; s’il les amène à leur remise, ils la dépassent d’abord, puis se retournent et rentrent dans Le rumb avant de se poser. La chair des Échassiers est généralement noire, et celle des espèces qui se nourrissent de vers est très-délicate. C’est à cet Ordre si nombreux qu’appartient un oiseau récemment décrit et étudié, le baleniceps, que Dieu a placé sur les bords du SP TRE Sénécal. où il s’oppose à la trop grande multiplication d’un terrible goal, P 8 amphibie, en sciant en deux, d’un seul coup de bec, les jeunes crocodiles. PREMIÈRE FAMILLE. — LES PRESSIROSTRES. Le nom donné à la première famille des Échassiers indique quel est le signe caractéristique qui distingue les oiseaux groupés sous cette dénomination, pressum, «pressé, » et rostrum, « bec, » oiseau à « bec court et comprimé. » OUTARDE BARBUE. — OTIS TARDA. L'outarde barbue est assurément un des plus beaux oiseaux de l'Europe. Malheureusement la chasse persévérante qu’on lui fait en Crimée, où cette espèce est très-répandue, la rend de plus en plus rare. Quand les rigueurs de l’hiver se font sentir sur les bords de la mer Noire, les habitants de ces contrées poursuivent à outrance les outardes qui sont très-sensibles au froid, et tuent à coups de bâton ces oiseaux à moitié engourdis par les étreintes de la gelée. La chair de l’outarde est très-délicate, et Niphus, cité par Buffon (édit. in-#°, vol. IL, p. 14), prétend qu’on lui donna l’épithète farda, « tar- dive, » parce que les Romains, qui étaient très-gastronomes, regret— taient d’avoir connu trop tardivement cet excellent gibier. D’après Aldrovande (Ornith., pag. 95), Hippocrate interdisait la chair de l'outarde barbue aux personnes qui tombaient du mal caduc! Il est beaucoup plus probable que tarda doit être pris dans le sens de lourde, pesante; Voutarde barbue pèse effectivement de qua- torze à seize kilogrammes. Aussi court-elle beaucoup plus qu’elle ne vole. C’est pour cela que Papias a dit : « Avis tarda eo quod gravis FE es volatu sit : oiseau pesant parce qu’elle est trop lourde pour le vol. » Albert-le-Grand la nomme bistarda, parce qu’il prétend que l’ou- tarde fait « deux » sauts avant de s’envoler. Ce qui est certain, c’est que cet échassier a beaucoup de peine à s’envoler, et qu’il court assez longtemps les ailes ouvertes avant de prendre son essor ; c’est à ce moment que les habitants de la Crimée peuvent atteindre les ou- tardes à la course et les tuer à coups de bâton, surtout lorsque cette difliculté de s’envoler est augmentée par le froid d’un hiver ri- goureux. IL paraît que Rabelais partageait cette opinion, car voici ce qu’on lit dans le Hiv. IE, chap. xxvin : « Carpalim pour satisfaire l’ap- pétit de Pantagruel et celui de ses compagnons qui s’ennuyaient de manger de la chair salée, se livra à l'exercice de la chasse pour leur procurer de la venaison « et en courant prins de ses mains en l’aer quatre grandes ofardes. » Selon un grand nombre de naturalistes, outarde serait un com- posé d'avis tarda, «oiseau lourd, pesant, gras. » Cette dernière hypo- thèse est inattaquable, car dans le moyen âge, avis se transformait en aus, puis en ous ; d’où avis tarda, « aus tarde, ous tarde. » Le cardinal du Perron prétend que ce mot vient de oye, tarde, « oïe grasse, » car on disait autrefois owe pour oÿé, « oïe, » témoin la rue aux oues ; le mot ote, oue, dérive lui-même d’avrs. Quant à l'expression latine o#s, elle trouve son application dans l'adjectif barbue. Elle est la traduction exacte du grec ônis, ôrmos, qui désignait l’outarde dans cette langue, et qui a pour racine évi- dente ous, ôros, «oreille.» Le mot ôris servait aussi, dans l'antiquité, à nommer un coussinet destiné à garantir les oreilles des lutteurs, des athlètes ; les anciens naturalistes ont-ils pensé que les longues moustaches de l’outarde pouvaient lui rendre le même service ? Je l’ignore, et je me borne à constater le fait, en ajoutant que les Grecs appelaient indifféremment l’outarde ôris ou ôripa ( Dictionnaire de Firmin Didot). Le mâle a, de chaque côté du bec, une toufte de plumes poilues qui atteignent jusqu’à quatorze et seize centimètres de longueur ; la En Ne femelle, qui est toujours beaucoup plus petite que le mâle, porte aussi une espèce de barbe ou de moustache, mais sa barbe est moins longue et moins touffue que celle du mâle, et dépasse rarement cinq à six centimètres. Quelques auteurs prétendent même qu’elle n’en porte pas. Otis a pour racine ous, Ôros, plur. ÔrA (oreille, anse d’un vase), parce que l’outarde a des plumes qui ressemblent à des oreilles. D’après Pline, les anciens appelaient cet oiseau asia, parce qu’il avait des oreilles longues comme celles des ânes. Henri Etienne et plusieurs auteurs prétendent qu’outarde est formé d’ôrma, accusatif d’ÔTis. L'expression ofis a fait confondre par un grand nombre d’anciens auteurs, l’outarde, avec le Aibou, désigné par le mot ofus, en grec ÔTOs. Perrault ( Mémoire pour servir à l'histoire des antmaux, deuxième partie, page 104) impute à Aristote d’avoir avancé que lotis, en Scythie, ne couve pas ses œufs comme les autres oiseaux, mais qu’il les enveloppe dans une peau de lièvre ou de renard et les cache ensuite au pied d’un arbre, au haut duquel il se perche. » Perrault s’est trompé évidemment, cette assertion d’Aristote s'applique à un oiseau de proie aussi gros que l’outarde, « magni- tudine otidis, hoc est avis tarde. » (Aristote, livre IX, cha- pitre Xxx1I1.) L’outarde barbue se plaît dans les terrains maigres, pierreux : là elle se livre à des courses longues et persévérantes. Pour qu’elle pût les accomplir plus facilement, Dieu à armé ses pieds en arrière d’un tubercule calleux qui lui sert de talon et fortifie ses pieds contre le froissement opéré par le gravier et les sables mobiles. On eût pu donner à cette espèce la même épithète qu’à l’Aoubara, et la désigner avec Lesson, par l'adjectif ewpodatis, eu «bon, » et POUS, PODOS, € pied. » De plus, l’outarde est munie d’un réservoir dont l'ouverture est placée sous la langue, et qui peut contenir plusieurs litres d’eau : c’est ainsi que, comme le chameau du désert, elle porte avec elle LR MR, 2 ses provisions d’eau, et peut, sans souffrir de la soif, parcourir pen- dant plusieurs jours de vastes terrains sablonneux. L’outarde vit d'insectes, de vers, de grenouilles, de crapauds, de lézards et même de petits reptiles, de graines et d'herbes, selon les saisons ; dans les temps rigoureux du froid ou de la neige, elle mange l'écorce des jeunes arbres. En tout temps elle avale, comme l’autruche, de petites pierres, dont quelques-unes atteignent même la grosseur d’une noix. Cer- tains naturalistes ont soutenu que l’outarde était essentiellement herbivore, et qu’elle ne se nourrissait de petits reptiles et d'insectes que dans certaines circonstances très-rares. La mère ne fait aucun nid, mais elle prépare un simple trou en creusant le sable avec ses pattes. Klein (Hist. des animaux, p. 13) prétend que lorsque la femelle redoute qu’on ne lui enlève ses œufs, elle les prend sous ses ailes et les transporte en lieu sûr. Malheu- reusement cet auteur a oublié d'expliquer le procédé employé par l'outarde en cette circonstance, procédé que je ne comprends guère. D’autres naturalistes affirment que, dans ce cas, la femelle confie à la large poche de son gosier les œufs qu’elle désire dérober à ses ennemis. Quoi qu’il en soit de cette habitude attribuée à l’outarde barbue, ce qui est certain, c’est que la femelle manifeste une très- grande tendresse et une vigilante sollicitude pour ses petits, et qu’elle les garde près d’elle pendant longtemps pour les protéger et pour les défendre. C’est alors qu’elle développe encore plus que jamais son caractère défiant et fertile en expédients. M. Jules Ray (Faune de l Aube, p.83), raconte « qu’un faucheur à Premierfait, poursuivait deux jeunes outardes qui ne pouvaient pas encore voler, quand la mère accou- rant au secours de ses petits, vint s’élancer contre le faucheur qui, pour se défendre, fut forcé d’avoir recours à sa faulx, avec laquelle il lui trancha le cou. » Appien (de Aucupio , b. UT), assure que l’outarde est tellement sensible, que lorsqu'elle est blessée, même légèrement, elle suc- combe plutôt sous l’effet de la peur que sous celui du mal! Les outardes voyagent par petites bandes ; leur vol est très-peu. qe élevé. Dans les hivers très-rigoureux elles traversent notre dépar- tement. Il y a quelques années, un de mes anciens élèves chassait sur la commune du Vieil-Baugé, lorsqu'il aperçut une bande d'oiseaux inconnus se diriger de son côté, en rasant dans leur vol pesant les haies servant de clôture aux champs qu’il parcourait; ne pouvant maîtriser le désir de considérer de plus près un spectacle inusité pour lui, il franchit la haie qui le dérobait à la vue de ces oiseaux ; mais aussitôt la troupe changea de direction, et l’infortuné chas- seur regretta longtemps de n'avoir pas été plus patient et mieux avisé! Il vint me rendre compte de cet incident et m’exprimer sa sur- prise. Je le conduisis au Musée, afin qu'il me désignât les oiseaux qu'il avait vus, et sans hésiter il m’indiqua les outardes barbues. Un des plus beaux mâles de cette espèce se trouve dans le cabinet de mon honorable ami, M. Raoul de Baracé. La femelle choisit pour élever sa jeune famille les blés, les sei- gles, les steppes ; là elle fait un petit trou en grattant légèrement la terre avec ses pattes, puis elle couche les blés, les herbes dans un espace circulaire de plusieurs mètres de diamètre, espace qui lui est nécessaire pour qu’elle puisse courir quelques pas avani de prendre son essor. La ponte varie de deux à quatre œufs, dont le grand diamètre varie de 0m,075 à 0m,082, et le petit, de 0,054 à 0,060. La couleur est d’un gris olivâtre parsemé de taches irrégulières, d'un brun ou d’un gris plus ou moins foncé. Quelquefois les œufs semblent revêtus de deux couches de même couleur, dont la seconde plus prononcée laisse apercevoir irrégulièrement les teintes de la première ; dans ce cas, ils n’ont aucune tache proprement dite. J'en ai recu un certain nombre dont la coquille offrait des nuances bleuâtres et verdâtres qui s’harmonisaient de manière à se fondre ensemble insensiblement. Ma petite étude sur l’outarde barbue était rédigée, quand j'ai recu une lettre de l’un de mes honorables amis, M. Lescuyer, de Saint- He Dizier. Cette lettre contenant des détails précis et de précieux ren- seignements sur les mœurs et l’alimentation de la grande outarde, je la transcris ici comme témoignage de respectueuse reconnaissance pour le concours bienveillant que n'offre, d’une manière si géné- reuse, le savant défenseur du héron gris, et comme pouvant servir à élucider la question débattue entre les naturalistes, savoir si cet échassier vit principalement d'insectes ou de plantes. « Saint-Dizier, 25 janvier 1869. « Cher Monsieur , «En 1846, fin de juin, un habitant de Fère-Champenoise, M. Guérault, se promenait dans la plaine de ce pays, quand il aper- cut à l’extrémité d’un champ de seigle la tête d’un grand oiseau. Il pressa le pas, courut et se trouva près d’une grande outarde fe- melle, accompagnée de trois petits qui ne pouvaient encore voler et qui étaient de la grosseur d’un ædicnème criard. Vite il chercha à s’emparer des petits, mais la mère les défendait avec acharnement, se plaçant entre eux et l’agresseur et menaçant ce dernier. Malgré la manœuvre désespérée de cette pauvre mère, M. Guérault parvint à saisir un outardeau ; il le rapporta à sa maison et le donna à son locataire, M. Gérardin, alors percepteur à Fère-Champenoise, et ac- tuellement résidant à Sézanne. «M. Gérardin crut devoir nourrir cette jeune outarde avec de la graine et lui en offrit de toute espèce. Ses essais ne réussirent point. Dans le principe, comme plus tard, elle refusa généralement les graines qu'on lui présentait. Elle accepta le pain, en mangea et vécut ainsi quelque temps, mais elle dépérissait sensiblement, Un jour se trouvant en liberté dans la cour de la maison, elle aperçut une planche de persil, se précipita dessus et la dévora en un instant. « Alors on pensa avec raison que l’outarde était herbivore, et l’on substitua aux graines et au pain, des herbes de diverses espèces. Avec ce nouveau genre d'alimentation , l’outarde vécut parfai- tement. « Elle aimait peu la salade, mais beaucoup le chou. EX + « Devenue adulte elle mangea de tout, même dela viande; seule- ment elle n’y touchait que lorsqu'elle était cuite et à défaut d’autre chose. Encore en mangeait-elle peu. « Plusieurs fois elle a renversé le couvercle du pot-au-feu pour y prendre les légumes qui s’y trouvaient. Un jour même elle a en- levé la viande pour saisir les légumes qui se trouvaient en-dessous. « Elle avalait assez souvent de la craie et quelquefois du charbon, même du charbon chaud qu’elle tirait du feu. « Elle aimait le sucre. « Dans le mois d'août 1846, M"° Gérardin qui la portait dans son tablier, la laissa tomber. L’outarde eut une syncope. On lui donna de l’eau sucrée et elle reprit ses sens au bout de vingt minutes. Pen- dant trois semaines on lui prodigua des soins. Elle reprit son allure ordinaire et devint très-familière. « Quoique n’ayant pas les ailes coupées, elle ne quittait pas la maison, et à limitation des chiens, elle suivait les grandes per- sonnes et les enfants qui l’habitaient; elle jouait avec eux. « Elle becquetait même dans l’assiette de ses maitres. « Elle couchait dans la chambre de M. Gérardin , sur la descente de lit. Elle n’en bougeait que lorsqu'elle voyait qu’on se levait. Alors elle courait à la porte pour rester fidèle aux soins de propreté auxquels elle s'était habituée. Dans le cours de la journée, elle usait du même procédé. « Quand M. Gérardin était à son bureau, l’outarde se couchait à ses pieds. Si les contribuables qui se présentaient étaient ou des hommes ou des femmes ayant bonne tenue, elle ne bougeait pas. S'il se présentait des femmes dans un négligé trop apparent, elle se jetait ou sur leurs habits ou sur leurs mains. Un jour, M" Gérardin donna son tablier de cuisine à une femme de basse-cour , et l’envoya ensuite au bureau de son mari. L’outarde s’élanca sur elle, mais reconnaissant le tablier de sa maïtresse, elle recula et retourna à sa place. Cette femme ayant ensuite Ôté le tablier, l’outarde se jeta sur elle. « M®° Gérardin allait quelquefois s’asseoir sur un banc qui se trouvait devant la maison de M. Guérault, et l’outarde se placait près PAS d’elle sur une espèce de nid qui lui était préparé et ne manifestait aucun désir de s’en aller. « Cette maison est située sur la place de Fère-Champenoise et dans un des carrés qui s’y trouvent. L’outarde ne dépassait jamais ce carré, même quand ses maîtres le franchissaient. M. Guérault, qui avait l’habitude d’aller tous les jours à la même heure passer quelques instants au café de la place, rapportait chaque fois à l’ou- tarde un morceau de sucre. Aussi celle-ci allait-elle toujours au- devant de lui, mais sans sortir du carré. « Quand M. Gérardin revenait de ses tournées de perception, l’outarde, par un cri particulier et très-percant, annonçait le retour de son maïtre, alors qu'il était encore à plus de trois cents pas et qu’elle ne pouvait l’apercevoir. « Cet oiseau ne se préoccupait pas des chiens blancs, mais il avait peur des chiens noirs; effrayé par des chiens de cette couleur, il s’est envolé deux fois dans la plaine, en 1847. Les enfans du village se mirent à sa recherche et le trouvèrent bientôt. A leur appel, M. Gérardin accourut ; l’outarde, le voyant, revint immédiatement avec lui. « Au mois de mars 1848, époque de la nidification, quand du bureau de M. Gérardin l’outarde voyait des oiseaux voler, elle pre- nait son vol comme pour aller les trouver; de là des ennuis, des embarras à la suite desquels M. Gérardin se décida à donner son élève à M. d'Écourtils, qui l’envoya dans le Nord à un de ses amis, mais six semaines après, la pauvre outarde mourut... sans doute de chagrin. On fit son autopsie et l’on trouva le foie gâté. « Tel est le récit de M. Gérardin. Je n’ai aucune raison de ne pas le croire sincère et exact. « Vous trouverez sans doute , cher Monsieur , qu’au point de vue de l'alimentation, de l’instinct et de la domestication, cette petite histoire contient des renseignements importants. «N’est-il pas bien malheureux qu’une espèce aussi précieuse comme gibier , d’une finesse de chair et d’un poids aussi remarqua- bles, ait été proscrite de nos contrées , pour lesquelles elle semblait avoir été destinée, et que depuis longtemps on n’ait pas travaillé à en faire une espèce domestique ! MR OT « D’après les renseignements que j'ai pris, la grande outarde ne niche plus en Champagne. On en voit encore quelques-unes, mais à l’état de passage. » = OUTARDE CANEPETIÈRE. —= OTIS TETRAX. Cette espèce beaucoup plus petite que la précédente, vient chaque année se reproduire dans notre département. Elle fixe ordimaire- ment son domicile aux environs de Doué-la-Fontaine, dans les vastes plaines de Douces. Cependant j'ai recu, cette anaée 1868, un œuf d’outarde canepetière trouvé dans la commune de Saint-Georges- des-Sept-Voies (canton de Gennes); les personnes qui me l’ont pro- curé étaient convaincues que la femelle avait emporté les autres œufs dans un lieu plus sûr, parce qu’elle s’était apercue que son nid était découvert. Le dernier œuf avait été capturé avant que le dé- ménagement complet n’eûüt été opéré. Si ce fait était bien constaté, il viendrait corroborer l’opinion qui attribue la même habitude à l’outarde barbue. L’outarde canepetière niche à terre parmi les herbes; c’est là que, sur une couche peu délicate, la femelle pond de trois à quatre œufs de couleur bronze uniforme et luisante, parsemée de petits nuages roussâtres peu apparents. Quelques-uns de ces œufs revêtent une teinte verdâtre ou même bleuâtre ; j'en ai recu dont la couleur était d’un vert olive, et d’au- tres d’un roux très-foncé et uniforme. Leur grand diamètre est de 0",041 à 0",042, et le petit, de 0",03 à 0",04. La mère conduit ses petits appelés petraceaux, comme la poule conduit ses poussins; à l'approche du moindre danger , les petraceaux se tapissent à terre avec une habileté remarquable. La femelle est très-défiante en tout temps, mais surtout lorsqu'elle veille sur ses petits; elle a recours à toutes sortes de moyens pour sauvegarder sa progéniture qu’elle entoure d’une sollicitude vrai- ment maternelle. C’est ce qui a donné naissance à ce vieil adage : Faire la canepetière; c’est-à-dire être défiant et même avoir recours à des ruses qui approchent de larouerie.L'outarde s’envole obliquement EN os et à la manière des canards, en faisant entendre son cri, pet, pet ; puis, par une course très-rapide et dissimulée, elle revient se poser dans le lieu d’où elle était partie. En été, le mâle se distingue de la femelle par un double collier noir et blanc. Cette espèce ne porte point de moustache. Comme la canepetière, il me faut revenir à mon point de départ dont je me suis assez éloigné, et donner la racine des mots canepetière et tetraz. La première de ces expressions est formée, selon l’opinion de quelques savants, de cane et de petra, pierre, et exprime d’une manière énergique l’habitude de la canepetière qui se couche sur la terre , sur les pierres, comme le canard semble le faire sur les eaux ; une autre interprétation au moins aussi plausible que la précédente, justifierait cette épithète par la couleur de l’outarde qui la rapproche du canard et canepetière signifierait alors canard qui vit à terre, au milieu des terrains pierreux. La plupart des anciens naturalistes l’appellent anas campestris, le canard terrestre. Cette opinion est aussi celle de Roquefort, de Trévoux, de Belon, de Ménage, etc. Enfin Littré l’a consignée dans son Dictionnaire étymologique. Voici le texte de Belon sur cette étymologie : « Ce nom de cane petiere luy a esté baïllé, non pas qu’elle soit aquatique, mais qu’elle se tapist côtre terre à la manière des canes en l’eau. » (Livre V de la Nature des Oyseaux, p. 257.) Quelques personnes ont cru pouvoir trouver dans l’épithète pe- lière une onomatopée représentant le cri répété de cet oiseau. Mais alors pourquoi appeler les petites outardes petraceaux ? Pais com- ment concilier cette opinion avec le témoignage de Salerne (ist. des oiseaux, p. 155), qui aflirme que la petite outarde est appelée indifféremment canepetière ou cane petrace, et que ces mots repré- sentent la même idée, comme le prouvent les détails suivants, donnés par le même auteur ? La manière dont elle s'envole pour revenir au point de départ serait encore un trait de ressemblance avec le canard. Salerne (Hist. PR |, VAE naturelle des oiseaux, p. 155) dit « que l’outarde canepetière est ainsi appelée parce qu’elle ressemble au canard , vole comme lui et se plaît parmi les pierres. » Peut-être, cependant, serait-il plus logique d’admettre deux étymologies, l’une pour peñèére et l'autre pour pétrace. J'avais rédigé, je l’avoue, ces dernières lignes, comme une con- cession faite à quelques amis; mais je crois devoir en terminant cette petite étude sur l’étymologie de canepetière avouer en toute simplicité, que je pense que les véritables racines de ce substantif com- posé, sont cane et peñére, Vieux mot français signifiant qui court, qui se promène à pied. Le principe de ce verbe est peditare dimi- nutif de peditum, supin de pedo. Du verbe peditare, on a fait par contraction pedare et petare. f Il me semble très-évident que la racine de ces différentes formes du même verbe, est pes, pedis, pied, et que cette racine fon- damentale appliquée à la canepetière indique que la différence es- sentielle qui existe entre cette cane et la cane proprement dite, c’est que la première se distingue de la seconde en se servant de ses pattes, uniquement pour courir, se promener, et non pour nager. Dès lors petrace se lieraït à petière et n’indiquerait qu’une idée ac- cessoire de l’idée principale, une course, une promenade dans les terrains pierreux. Quant à l’épithète tetrax, elle est la traduction de rérrax, dont la racine TÉTRAZÔ signifie « caqueter » comme une poule qui pond, et indique une habitude de l’outarde canepetière, habitude qui lui servirait de trait d'union avec la poule ; j'ai déjà constaté que la canepetière veille sur ses petits comme la poule sur ses poussins. ÆDICNÈME CRIARD. — ÆDICNEMUS CREPITANS. Autant la physionomie des ountardes est gracieuse et leur port noble et majestueux, autant la physionomie de l’&dicnème est peu sympathique, autant son port le rattache aux échassiers pris dans l’acception de boiteux, d’estropiés. L’ædicuème se distingue de tous les oiseaux de la même famille par une tête dont les proportions pa- LAS raissent démesurées avec celles du corps de cet oïseau ; sa forme est presque ronde; il porte deux veux très-gros sortant de leur orbite et ne révélant aucune intelligence. Tout dans cet échassier, tout jusqu’à son nom, semble éloigner de lui la sympathie qui s'attache si facilement à un grand nombre d’autres espèces. La seule consi- dération que Fon puisse faire valoir en faveur de l’ædicnème, c’est son extrême timidité ; il ne circule que le soir, il paraît fuir le jour etles regards des créatures, comme s’il rendait justice à ses formes disgracieuses et à son cri fatigant. Quand la nuit commence à envelopper la terre de ses épaisses té- nèbres, l’ædienème se livre à des pérégrinations très-actives ; 1l court avec une rapidité extraordinaire, ce qui l’a fait appeler par les gens de la campagne l’arpenteur, le courlis de terre. Cet oiseau ne séjourne que dans les terrains pierreux, sablon- neux, incultes, dans les bruyères ; là il se nourrit de limacons , de lombrics , de sauterelles, de mulots, de campagnols et de reptiles. M. Courtiller, propriétaire, directeur du musée de Saumur, atteste qu’un ædicnème qu’il élevait en captivité, se jetait avec avi- dité sur les intestins de volailles pour les manger. M. Lescuyer a vu un ædicenème qui s’était habitué à vivre en bonne harmonie avec les poules, les chats, et même avec les chiens. D'où ce savant conclut avec raison que si les outardes, les ædicnèmes, etc., étaient l’objet de soins intelligents et continus, ces différents oiseaux pour- raient ètre facilement réduits en domesticité. L’ædicnème niche à terre; la femelle pond dans un petit enfon- cement qu’elle a préparé avec ses pattes , deux œufs très-gros dont le grand diamètre varie de 0m,045 à 0",075, et le petit, de Om,035 à 0w,040. Cette grande différence qui existe entre les dimensions de ces œufs, et qui se reproduit régulièrement, semblerait indiquer, dans cette espèce comme dans beaucoup d’autres, deux races dis- tinctes, une petite et une plus forte. La couleur de ces œufs est d’un gris jaunâtre avec des taches 1r- régulières d’un brun foncé et semées en zig-zag. La forme varie beaucoup, ainsi que la couleur et l'abondance des taches. Jen pos- sède dans ma collection quelques-uns dont le gros bout est entière- . 7 ment couvert d’une large tache d’un noir très-foncé, et représentant une véritable calotte. Le mot ædicnème est formé du verbe grec rinrin, «enfler, » et de kNËMÉ, «jambe. » Cette expression indique que cet oiseau a pour signe caractéristique des jambes dont le haut du tarse est très-dilaté, ainsi que la grosseur de l’articalation moyenne. On croirait facilement que le gonflement de l'articulation est le résultat d’une tumeur (œdème). Ses tarses sont réticulés, renflés en arrière et près du talon. Sous ce rapport, l’ædicnème peut être classé, du moins en apparence, dans l’ordre des eséropiés. Les épithètes criard et crepitans ont à peu près le même sens ; cependant l'adjectif latin exprime non-seulement un cri répété, mais encore un cri désagréable, irritant les nerfs. Cest le soir que les ædicnèmes font entendre leur cri : turrh, turrh, en courant avec une rapidité prodigieuse et en rasant la terre dans un vol assez soutenu. Latham appelle cet oiseau otis ædicnemus, mais il ne peut le ranger parmi les outardes qu’à titre de bouflon de cette famille, et pour faire ressortir davantage la belle physionomie des véritables outardes. Les jeunes ædicnèmes, dont la chair est un bon gibier, restent assez longtemps en société avec leurs parents, et quand l’éducation est finie dans chaque couvée, les jeunes et les vieux se réunissent en bandes assez nombreuses , et quittent ordinairement l’Anjou vers le mois de novembre, pour y revenir au printemps. Cependant un certain nombre d’ædienèmes séjournent toute l’année dans les quartiers sablonneux de notre département. SANDERLING VARIABLE. — CALIDRIS ARENARIA. L’explication de l’étymologie des noms donnés à cet échassier composera toute la notice qui lui est consacrée, car elle sera le ré- sumé exact de ses mœurs, et indiquera même les modifications si nombreuses que subit son plumage. Le sanderling variable est un charmant petit oiseau qui apparaît rarement dans notre contrée. Son séjour de prédilection est la ré- XI. . 6) RS sion désolée des cereles arctiques ; là, il parcourt avec une très-grande rapidité et avec beaucoup d'élégance les sables que la mer couvre et abandonne tour à tour ; il cherche, sous les graviers et dans la vase, les vers et les insectes que les flots y ont apportés. C’est là aussi qu’il se reproduit; la femelle pond sur le sable trois ou quatre œufs d’un roux verdâtre, parsemés irrégulièrement de points et de taches de nuances différentes, mais se rapprochant toutes, plus ou moins, du brun noirâtre. Le grand diamètre est de 0m,034 à 0",035, et le petit, de 0",022 à 0",023. Le sanderling est d’un caractère doux et sociable ; par l’ensemble de ses mœurs, il se rapproche des bécasseaux et des pluviers. L'expression sanderling est celle par laquelle cet échassier est désigné sur toutes les côtes de l'Angleterre. Sand, en anglais et en allemand, signifie sable; er indique ordinairement l'habitation : ainsi London-er, habitant de Londres, Holland-er, habitant de la Hollande. Ling représente un diminutif. Sand-er-ling signifierait, d’après cela, un oiseau « fréquentant le petit sable, » ou le petit oiseau « parcourant les sables ; » ces deux sens expriment parfaite— ment les mœurs du sanderling variable. Enfin en allemand, sander signifie celui qui « habite les sables. » L’épithète variable se justifie par la variété que le plumage de cet oiseau subit chaque année et à chaque mue, variété si pro- fonde et si complète, que le plumage des vieux ne ressemble plus à celui des jeunes, et que le plumage même de ehaque sujet est tout différent de celui de ses congénères ; de sorte qu’il est très-rare de rencontrer deux sanderlings dont le plumage soit de la même cou- leur et de la même nuance. Ainsi se justifient les expressions san- derling variable. C'est cette variété de couleurs et de nuances se reprodui- sant à l’infini qui a occasionné tant d’erreurs dans la description et le classement de cet oiseau. On eût pu subdiviser cette espèce d’une manière illimitée, en se fondant sur les nombreuses variétés de plu- mage des sujets, variétés profondes et très-tranchées. Quant aux mots calidris arenaria, ils représentent la même idée que sanderling. Calidris semble avoir pour racine cHaLrx, signifiant EVE EE «petite pierre, petit caillou, » et arenaria dérivé de arena, « sable, gravier, » d’où est venu arenaria, « sablonnière, » et arène, «endroit couvert de sable , sablé, » et enfin arenarius , « gladiatenr combat- tant dans l’arène, sur les sables. » PLUVIER DORÉ. — CHARADRIUS PLUVIALIS. Le pluvier doré vit dans les régions du nord, où il se nourrit de vers et d'insectes mous, qu’il capture avec adresse dans les lieux humides, dans les prairies marécageuses, sur les bords des fleuves et sur le rivage des mers. Cet oiseau voyage par famille et assez souvent par bandes formées de la réunion d’un certain nombre de familles. Chaque année, il nous arrive à l’automne, au moment des pluies, pour nous quitter au printemps. C’est l’époque de son arrivée qui, d’après Ménage et d’après plusieurs autres auteurs, lui a fait donner le nom de pluvier, «oiseau venant avec la pluie. » Quant à l’épithète doré, elle est justifiée par les nuances du plumage de cet oiseau, plumage noirâtre, tacheté d’un jaune doré sur le dos et sur les ailes. Dans le nord de la France, on prend avec des filets beaucoup «de pluviers dorés, et quelques propriétaires conservent ces oiseaux pendant l’hiver, les mettent dans les jardins où ils s’habituent faci- lement ; là, ils se nourrissent d'insectes, de vers et de limacons ; ils mangent aussi tfès-volontiers de la mie de pain et de petits mor- ceaux de viande cuite. Le pluvier doré est un excellent gibier, très- recherché par les gastronomes anglais, qui apprécient encore beau- coup les omelettes faites avec des œufs de cet oiseau. A la cour de Londres , une de ces omelettes figure presque tou- jours dans les grands repas officiels. Les principaux restaurants de Paris offrent aussi aux véritables appréciateurs de Part culinaire des omelettes faites avec quelques œufs de pluvier, auxquels on mêle en plus grand nombre des œufs de vanneau, après toutefois les avoir montrés aux consommateurs. Ce qui prouve en passant qu'avant dé s'asseoir à ces tables luxueuses, il serait bon de faire une petite visite aux collections des musées. 6 = La femelle pond de trois à cinq œufs, dans des marécages ; ces œufs sont ventrus et piriformes, d’un jaune clair et un peu verdâtre avec des points gris foncé et des taches noirâtres. Le grand diamètre est de 0",05, et le petit de 0",035. Les pluviers dorés n’ont que trois doigts. Ils manquent de pouce. Pour compléter ces quelques notes sur le pluvier doré, 1l ne reste plus qu’à indiquer l’étymologie du mot charadrius ; il dérive de cHARADRIOS qui, chez les Grecs, signifie pluvier, oiseau qui visite les ravins, les lieux humides; de cHaRADRA «ravin, » qui vient lui- même de cHarassô et enfin de cæaïnô, « être entr’ouvert, béant. » Voici le texte de Belon qui se rapporte à cette étymologie et l’ex- plique d’une manière bien claire et bien complète : « Charadrios est autant comme qui diroit en françoys oyseau habitant es ouuer- tures entre montaignes et rochers de difficiles accez, sur les riuages des torrents. » (Liv. ILE, p. 183.) I1 demeure donc encore démontré que les noms donnés à ces échassiers sont loin d’être vides de sens, mais qu’au contraire ils relatent des particularités se rattachant au plumage, aux mœurs de ces oiseaux, et servent alors à les rappeler à ceux qui les connaissent, ou à les apprendre à ceux qui les ignorent. PLUVIER GUIGNARD. — CHARADRIUS MORINELLUS. Ce pluvier apparaît très-rarementen Anjou, et est beaucoup moins multiplié que le précédent ; il se plaît dans les terrains arides, et se nourrit principalement de petits orthoptères. Ses mœurs sont très- douces; il témoigne pour ses congénères une très-grande sympathie ; aussi quand un de ces oiseaux est blessé, tous ceux qui l’accom- pagnent voltigent autour de lui et se font tuer jusqu’au dernier plu- tôt que de l’abandonner; exemple bien touchant de la véritable fra - ternité si peu pratiquée dans notre siècle d’égoïsme. La chair du pluvier Guignard est estimée, comme étant encore plus délicieuse que celle du pluvier doré. Cette réputation est-elle fondée sur une véritable supériorité ou plutôt sur la rareté de ces oiseaux? je l’ignore; mais ce que l’histoire m’apprend, c’est que ce it = pluvier porte le nom d’un excellent bourgeois de Chartres, Jean Guignard, juge à ce qu’il paraît en gastronomie, et qui le pre- mier, en 1542, apprécia et fit apprécier aux autres la délicatesse exquise de la chair de cet échassier. Quant à l’épithète morinellus, elle me paraît dériver de Morini, nom des peuples qui habitaient jadis, au temps des Romains, la Picardie, Artois et une partie de la Belgique, et indiquer, comme je l'ai déjà dit, la partie de la France où les pluviers dorés et les pluviers Guignard apparaissent et sont capturés en plus grande quantité. Morinellus rappellerait done la patrie de passage de cet échassier. Le pluvier Guignard niche dans les montagnes ; la femelle pond quatre ou cinq œufs ventrus et très- courts, d’un gris roussâtre ou olivâtre, avec de larges taches brunes formant une espèce de calotte vers le gros bont, où elles sont beau coup plus rapprochées que sur le reste de la coquille. Leur grand diamètre est de 0m,038 à 0m,04, et le petit, de Om,03 à 0m,035. Ces œufs sont très-rares dans le commerce et d’un prix très-élevé; la plupart de ceux qui figurent dans les collections n’appartiennent pas à l'espèce sous le nom de laquelle ils sont classés. GRAND PLUVIER A COLLIER. — CHARADRIUS HIATICULA. Le grand pluvier à collier visite chaque année notre bel Anjou ; il y séjourne plus ou moins longtemps, selon que les eaux de la Loire sont basses ou hautes et laissent, par là même, plus ou moins à décou- vert les grèves, sur les bords desquelles il cherche et trouve sa nour- riture. Il porte le nom de grand parce qu’il constitue l’espèce la plus forte du genre. L’épithète à collier indique un de ses signes caractéristiques. Les campagnards l’appellent, dans leur langage expressif, le #/anc-collet. Le mot charadrius ayant été expliqué pré- cédemment, ma tâche étymologique se borne à indiquer la racine du mot Aiaticula, hiaticule. Cette tâche si simple en apparence m'a imposé de pénibles et de longs labeurs et ce n’est qu'après des recherches poursuivies pendant plusieurs années, que j'ai pu entre- voir les racines de l'expression hiaticule employée par tous les auteurs ED et qui cependant ne se trouve dans aucun dictionnaire. Pour com- prendre plus facilement les hypothèses que je vais soumettre à mes lecteurs, je dois commencer par expliquer quelques circonstances des habitudes du grand pluvier à collier. Cet échassier pousse en volant des cris aigus et répétés, et quand il est préoccupé, il baisse et relève brusquement la tête. Il court avec une très-grande rapidité sur les sables humides en les frappant constamment de ses pieds, afin d’en faire sortir les insectes qui s’y trouvent cachés. Le long des rivages de la mer, il aime à fréquenter les ouvertures béantes des bords escarpés, les petites cavités, où l'eau entre et d’où elle sort tour à tour selon le flux et le reflux, en y déposant une grande quantité de vers et de petits mollusques brisés par les flots. Æiatus signifiant « ouverture de la bouche, bâillement, abime, gouffre, » peut indiquer que l’épithète Aiaticula a été donnée au grand pluvier soit parce qu'il ouvre très-fréquemment le bec pour pousser des cris plaintifs et répétés, soit parce qu’il visite et fréquente constamment les bords des gouffres, les déchirures des rivages de la mer. Cette dernière explication peut s’appuyer sur un texte d’Aldrovande (Ornithologie, édition in-folio, livre XX, pag. 207) : « Verum st recte, ut Gaza putavit, hiaticula verti potest nomen, indè factum quod circa fluminum alveum et rivorum charadras , sive hatus riparum versart soleat. — Mais s’il est possible, comme l’a cru Gaza, de donner une explication exacte du mot hiaticula, elle doit être prise de ce que ce pluvier se tient d’habitude sur l’eau, rasant le bord, près des fissures et, pour ainsi dire, des hiatus du rivage. » Cette étymologie peint d’une manière bien exacte l'habitude du plu- vier, qui ne vole effectivement qu'’au-dessus du contour des grèves ou des rivages. De plus, elle paraît se justifier encore par l’expression générique charadrius, ayant pour racine cHARADRA, «ravin, » et cHA- rAssÔ et cHAïno, «être entr’ouvert, béant. » Cette dernière interpréta- tion, entr’ouvert, béant, me rappelle tout naturellement une habi- ts du pluvier armé, qui séjourne en Égypte et au Sénégal. Ce plu- vier est ainsi appelé parce que le pli de son aile est armé à l’exté- rieur d’un éperon corné et très-aigu. Les fleuves de l'Égypte et du Sénégal sont peuplés de nombreux crocodiles. Tandis que ces ter- DONTAN ribles amphibies parcourent les eaux, des sangsues pénètrent dans leurs gueules béantes, et lorsqu'ils sont à terre, des fourmis, des insectes nombreux s’y introduisent. La disposition de la langue du crocodile le laisse désarmé contre les cuisantes attaques de tous ces ennemis. Or le pluvier armé vient le secourir. Tandis que le monstre est étendu au soleil sur le sable des rivages brülants, il ouvre sa large gueule. C’est alors que le pluvier s’en approche, entre dans ce dangereux gouffre, s’y installe, s’y promène et nettoie les dents, les gencives, le palais et la langue du crocodile. Quand l'opération est entièrement terminée, il se retire très-tranquillement, pour recom- mencer sur un autre sujet. « Le crocodile, dit Elien, profitant de ce service, en endure l'opération avec patience et reste immobile; de sorte que le pluvier trouve un bon repas dans les sangsues, et le crocodile jouissant de ce secours, pense bien récompenser l'oiseau, en restant tout-à-fait inoffensif contre lui. » Hérodote avait décrit la scène que je viens de retracer d'une manière sommaire ; mais elle avait été classée parmi les fables, jusqu’au moment où M. Geoffroy Saint-Hilaire puten constater lui-même l'entière exactitude, sur les bords du Nil. L’éperon corné et très-aigu, dont le pli de l'aile du plu- vier est armé, a été donné à cet oiseau par la providence de Dieu pour lui faciliter l’accomplissement de sa dangereuse mission. En effet, le pluvier en agitant ses ailes par un petit mouvement continu, par une espèce de frémissement, doit faire sentir au palais du croco- dile une série de petites piqûres propres à engager le terrible amphi- bie à plutôt ouvrir la gueule qu’à la fermer. L’habitude du plu- vier armé de visiter d’une manière régulière les gueules béantes des crocodiles eût dû lui mériter, plus qu’à tout autre pluvier, l’épi- thète hiaticula. Le grand pluvier à collier niche sur les plages ou sur les ilots de la mer; la femelle dépose trois ou quatre œufs dans une petite cavité et plus souvent encore au milieu de quelques gros grains de gravier réunis en circonférence. L'intérieur de cette circonférence est garni de sable beaucoup plus fin que celui qui forme les bords. Les œufs sont toujours disposés de manière que le petit bout des œufs s'appuie sur le centre du cercle, de sorte que l’autre extrémité repose sur la Éd ligne extérieure du nid, dans laquelle se trouvent mêlés des débris de petites coquilles. Les œufs sont d’un gris jaunâtre, parsemés de taches d’un brun noir et quelquefois d’un gris foncé. Le grand diamètre varie de 0,032 à 0,034, et le petit, de 0",022 à 0,025. PETIT PLUVIER A COLLIER. — CHARADRIUS MINOR. Ce gracieux échassier niche en Anjou; j'ai pu, dès lors, étudier ses mœurs et ses habitudes d’une manière plus persévérante que celles de ses congénères, qui ne font qu’y séjourner quelque temps. 11 se trouve en assez grand nombre sur toutes les grèves de la Loire et même sur les bords des étangs, en particulier sur ceux de Cha- loché où il niche également. Le petit pluvier à collier fait entendre presque constamment un petit cri plaintif; le mot kzaticule ne pour- rait-il pas lui être appliqué dans le sens de crieur, de bavard, d'oi- seau qui ouvre souvent le bec ? Ces cris sont encore plus multiphiés pendant la pluie que lorsque le temps est serein. L’épithète pluvier v’indiquerait-elle pas que cet oiseau annonce la pluie? Enfin le petit pluvier se laisse beaucoup plus facilement appro- cher quand la pluie tombe que lorsque la température est élevée. C’est, selon Aldrovande, le motif qui a mérité à cet oiseau son nom. « Sic in totà Gallià audit, ut testis est Belonius, qui sic dictum putat,quod pluviarum tempore facilius capriatur.— Telle est l’opi- nion communément reçue en France, comme en témoigne Belon ; car cet auteur pense que le pluvier est ainsi nommé , parce que cet oiseau est plus facile à prendre par les temps de pluie. » (Ornith., liv. XX, p. 205). Cette étymologie du mot pluvier me semble plus plausible que celle que j'ai indiquée d’après Ménage, à l’article du pluvier doré. On a donné en France le nom de P/uviers (aujourd’hui Pithiviers) à une petite ville de la Beauce, à cause de la grande quaxitité de pluviers qui se trouvent dans ses environs (Encyclopédie, édition de Genève, 1778, t. XX VI, p. 313). Chez les Romains, Jupiter portait le surnom de P/uvius, et on CONTE LUE l'invoquait pour obtenir de la pluie. L'histoire ou plutôt la mytho- logie raconte que l’armée de Trajan, étant prète à périr de soif, adressa ses prières à Jupiter Pluvius et obtint aussitôt une pluie abondante. Pour perpétuer le souvenir de cet événement , on grava sur la colonne Trajane à Rome, la figure de Jupiter Pluvius et les soldats romains recevant l’eau dans le creux de leurs boucliers. Le dieu est représenté sous la figure d’un vieillard à longue barbe, avec des ailes et tenant les deux bras étendus et la main droite un peu élevée ; l’eau paraît sortir à grands flots de ses bras et de sa barbe. Quittons le domaine de la fiction et revenons à celui de la vérité. Le petit pluvier court avec une excessive rapidité sur les bords humides des grèves, en frappant avec ses pieds le sable fin que la Loire, en se retirant, a laissé récemment à découvert; cette ma- nœuvre habile imprime au sable une pression réitérée, qui force les insectes et les vers cachés dans le sable ou dans la vase à sortir de leurs retraites et à devenir la proie du pluvier. Cette habitude ca- ractéristique, que j'ai constatée bien des fois, m'engagerait à trouver un léger trait d'union entre les mots Aiaticula et hiator. Du Cange dit que cette dernière expression a Îa même éty — mologie que le mot Aie, désignant un instrument avec lequel on frappait, on pressait le silex qui servait au pavage. « Jnstrumentum quo pavimenti silex premitur. » Si le mot hiator se füt appliqué non-seulement à l'instrument, mais encore à celui qui s’en servait, il eût peint d’une manière très-énergique le pluvier hiaticule, qui crie en frappant de ses pieds les sables du rivage. Cette inter— prétation s’accorderait encore avec le mot gravelot, par lequel les pluviers sont maintenant désignés, et qui signifie oiseau qui & vit sur les graviers, qui les foule aux pieds. » Ce pluvier niche sur les sables de la Loire. Son nid est simplement un petit trou, que la femelle prépare en réunissant en circonférence quelques gros graviers ; au milieu se trouve un sable fin sur lequel reposent trois ou quatre œufs dont la pelite extrémité s'appuie sur le centre du nid. Ces œufs sont assez gros et piriformes. Leur couleur est d’un gris un peu rose, parsemé de petits points bruns. D". Quelques-uns sont d’un roux clair. Leur longueur varie de 0",03 à 0",032, et leur diamètre de 0,022 à 0,024. Jamais les œufs ne sont déposés sur le sable fin ou sur les bords des grèves, mais tou- jours sur les points culminants et sur le plus gros gravier. Quoique la couleur de leurs œufs se marie à celle du sable et leur offre ainsi un moyen d'échapper aux recherches de leurs ennemis, les pluviers préparent encore un très-grand nombre de nids avant de se décider à confier à l’un d’eux l'espoir de leur jeune famille. Quand on s’a- vance sur une grève où se trouve un nid de petit pluvier, le père et la mère font entendre immédiatement des cris plaintifs, en courant ou en volant sur les bords de la grève, et révèlent aïnsi, sans le vouloir, que sur ces sables reposent des œufs ou des petits, objets de leur ten- dresse. Les pluviers ont des ennemis redoutables dans les pies et dans les corneilles qui visitent les grèves dans tous les sens, pour y découvrir et y manger les œufs de la petite hirondelle de mer et ceux du pluvier. J'avais rédigé tout ce qui concerne les étymologies de charadrius et de Aiaticula, lorsque j'ai trouvé trop tardivement ce passage de Belon qui détermine les véritables sens de ces deux expressions : «Gaza en Aristote tourne charadrius par rupexz et hmaticola : Voicy comme il l’a traduit : Vo/ucres colunt aliæ loca fragosa et saxa et cavernas, ut quem à præruptlis torrentium alveis chara- drium appellamus, quasi hiaticolam dixeris. D’autres oiseaux fréquentent les lieux escarpés, les rochers et les cavernes. Tel est celui que nous appelons charadrius, autrement dit Azaticola, parce qu’il habite les pentes abruptes des torrents. » (Belon, liv. III, pag. 183.) PETIT PLUVIER À COLLIER INTERROMPU. — CHARADRIUS CANTIANUS. Ce pluvier est beaucoup moins commun en Anjou que le précé- dent. Ses habitudes sont les mêmes que celles de ‘ses congénères. Les épithètes à collier interrompu indiquent que ce pluvier se distingue des autres par son collier qui ne fait pas le tour du cou, et qui semble représenter un collier entr'ouvert ou brisé. L’adjectif CAO Cantianus rappelle que cet échassier est très-commun en Angleterre, dans le pays de Kent. Sur un grand nombre de catalogues d’or. nithologie, il est désigné sous le nom de gravelot de Kent, ou d’oi- seau qui habite les gravelles de Kent ou les dunes et les sables com- posés de petits graviers. Le pluvier à collier interrompu niche sur le sable entre de petits coquillages ou des galets. La femelle pond trois ou quatre œufs d’un jaune clair et sale ou d’un gris verdâtre, avec des points ou des taches d’un gris ou d’un noir foncé. Ces œufs se distinguent de ceux des deux autres espèces par de petits traits noirâtres semés en zig-zag, surtout vers le gros bout. Le grand dia- mètre varie de 0",032 à 0",035, et le petit, de 0",022 à 0,025. Le pluvier à collier interrompu se réunit à la petite hirondelle de mer, au petit pluvier et au grand pluvier à collier, pour nicher par bandes innombrables sur les petits îlots de la mer, en ayant soin de choisir ceux qui ne sont jamais couverts par les flots, même pendant les plus fortes marées. Un jour , ayant fait naufrage près la Roche- Percée , j'ai trouvé sur les Esvaux, ilot à sept ou huit kilomètres des côtes du Pouliguen, quatre-vingt-seize œufs de pluvier à col- lier interrompu et de petite hirondelle de mer, dans un espace de moins de vingt mètres de longueur et de dix mètres au plus de lar- geur. Tous les nids se trouvaient les uns près des autres. Quand nous descendimes sur les sables, les mères s’envolèrent de leurs nids, en poussant des cris plaintifs et en tourbillonnant au-dessus de nos têtes. Je termine ces quelques lignes sur les pluviers à collier inter- rompu par une remarque, qu'ont faite tous ceux qui collectionnent les œufs, remarque qui révèle un nouveau trait de la sollicitude prévoyante de Dieu envers tous les êtres de la création. Les œufs de pluvier et de tous les oiseaux qui pondent à terre sans aucun nid, sont beaucoup plus gros que ceux des oïseaux qui confient l’espoir de leurs jeunes familles à des berceaux plus ou moins bien faconnés, et dont la présence est dissimulée avec un très-grand soin. Les petits pluviers devant pouvoir se suffire en brisant la coquille qui les renferme, cette coquille est beaucoup plus développée que celle des autres œufs, ce qui permet aux petits de naître beaucoup plus UE 0e gros et plus forts que s’ils étaient renfermés dans les parois d’une étroite prison. De plus, si les petits pluviers étaient condamnés à rester dans leur berceau entièrement à découvert, pendant plusieurs semaines, aucun d’eux n’échapperait à la recherche de leurs nom- breux ennemis. Aussi tous les petits appartenant à la première famille des échassiers courent-ils quelques instants après leur nais- sance et dissimulent-ils leur présence en se tapissant sur le sable, avec lequel s’harmonise leur couleur, ou au milieu des herbes touffues qui croissent dans les lieux marécageux. HUITRIER PIE, —— HÆMATOPUS OSTROLEGUS. Les noms savants et les dénominations vulgaires qui servent à désigner cet échassier représentent, d’une manière bien vraie et bien exacte, les habitudes et les signes caractéristiques qui le distinguent de tous les oiseaux de la même famille. L’huîtrier ne vit pas solitaire : il se réunit au contraire en bandes assez nombreuses, parcourt les marais salants, les rivages de la mer ; là, il se nourrit de crustacés, et principalement de petites coquilles, de petites huîtres, dont il sépare les valves très-adroitement avec son bec, profitant du moment où elles sont un peu entr’ouvertes. Telle est l’origine de son premier nom, Auwitrier, mangeur d’huîtres. Deux couleurs se partagent les nuances de son plumage, le noir et le blanc, qui s’harmonisent-de manière à donner à l’huîtrier une ressemblance assez grande avec la pie. Quant au nom ostrolequs, il retrace, avec le cachet de la science, la même habitude que celle qui est indiquée par l’expres- sion huîtrier, osTREUM, chuître, »et eco, «choisir, recueillir » ; Aæma- topus est formé de AIMA, AIMATOS, «sang,» et ous, «pied, »oiseau dont les pieds sont rouges, couleur de sang. L’huîtrier est le seul de la famille des Pressirostres qui ait les pieds rouges; dès lors, cette dénomination relate un caractère distinctif. L’huitrier court très- vite, nage avec une grande facilité, et peut ainsi, dans les marais salants, passer d’une enceinte à l’autre sans avoir recours au vol et sans révéler sa présence. La femelle pond à terre, dans les endroits marécageux, deux PU QE ou trois œufs très-gros et de dimensions peu en rapport avec l'oiseau. Le grand diamètre est de 0",054 à 0",056, et le petit, de 0,035 à 0",038. Leur couleur est d’un jaune verdâtre ou d’un roux sale, avec des taches ou des traits en zig-zag d’un très-beau noir, Les huîtriers se réunissent en grande quantité pour nicher ; aussi les habitants des bords de la mer s’empressent-ils de recueillir ces œufs et d’en faire d'excellentes omelettes, dont la délicatesse pourrait être aussi vantée que celle des œufs du pluvier doré, si toutefois il était aussi difficile de se procurer les premiers que les seconds. VANNEAU PLUVIER. — VANELLUS MELANOGASTER. La dénomination vanneau est très-expressive : elle représente d’une manière simple et naïve l'habitude favorite des oiseaux dési- gnés par ce nom. Le vol des vanneaux est très-gracieux et très- léger : ces oiseaux semblent se balancer dans les airs avec une délectation recherchée. Quand ils veulent changer de direction dans leur vol, ils battent leurs grandes ailes, et font alors entendre dis- tinctement un bruit comparé à celui du van, instrument qu’on agite avec force pour nettoyer le grain qui lui est confié. Telle est l'origine bien naturelle du mot vanneau. Quand cet oiseau inter- rompt son vol, il semble, comme une pierre, tomber à terre par son propre poids. Là, il reste quelque temps immobile, regardant de tous côtés pour constater si aucun danger ne le menace, puis il se met à courir avec une rapidité et une élégance que nul autre oiseau ne surpasse. D’un caractère gai et vif, le vanneau est sans cesse en mouvement ; aussi est-il très-difficile de l’approcher. On ne peut le tirer que lorsqu'on le surprend. Les détails que je viens de donner se rapportent et au vanneau pluvier et au vanneau huppé. Le pre- mier est plus petit que le second : il est ordinajrement appelé vanneau swisse, parce qu’il est très-multiplié dans l’Helvétie. Quant à l’épithète pluvier qui lui est donnée, elle indique qu’il se rapporte beaucoup au pluvier, quant à la taille et à l’ensemble de la physio- nomie, L’épithète melanogaster est composée de mELas, « noir, » et NN) = GASTER, «ventre, » et représente la couleur noire du ventre de cet échassier. ‘ La femelle pond à terre, dans les prairies marécageuses, de trois à cinq œufs d’un brun olivâtre, avec destaches irrégulières et noires. Le grand diamètre est de 0",043 à 0",045, le petit de 0",030 à 0",032. Ce vanneau vit comme le suivant, d’insectes, de vers et de lima- cons qu’il capture dans les terres incultes, et surtout dans celles qui sont humides. VANNEAU HUPPÉ. — VANELLUS CRISTATUS. Les étymologies concernant cet échassier se bornent à l’épithète huppé (cristatus), qui rappelle que cette espèce se distingue de la précédente par une très-belle huppe, repliée sur le cou et qu’elle relève à volonté avec beaucoup d'élégance. Le vanneau huppé se reproduit en Anjou. Autrefois il était très- nombreux dans certaines localités ; mais, depuis quelques années, 1l a presque entièrement disparu, à cause de l’acharnement avec lequel les pâtres recherchent ses œufs pour les briser ensuite dans des jeux coupables. Ce vanneau se tient de préférence dans les terrains humides et marécageux : il les explore en courant avec la même légèreté que les mouettes ; on dirait que ses pieds ne touchent pas à terre. Pour se procurer les vers et les insectes aquatiques qui com- posent sa principale nourriture, il frappe la terre de ses pieds, puis il attend en silence que la proie qu’il désire manifeste sa pré- sence, et alors il la saisit avec une grande adresse. La femelle pré- pare avec ses pattes une petite excavation dans laquelle elle réunit quelques brins d’herbe, et c’est dans ce nid grossier qu’elle pond trois ou quatre œufs piriformes, de couleur olivâtre, avec des taches brunes, noires ou grises, et toujours plus multipliées vers le gros bout. , Dans le nid, ils sont placés de manière à former un cercle dont la circonférence est la réunion des gros bouts des œufs; le petit re- pose vers le centre. Ces œufs ont de 0",046 à 0",05 de longueur, et de 0",032 à 0,034 EN Ces ,» de diamètre. Ils sont l’objet d’un grand commerce en Hollande, en Angleterre et même à Paris. En Hollande, on les sert à la fin du repas, comme dessert. Dans les marais de l'Écosse, dans les tourbières de l'Islande, dans les ga- rennes sablonneuses du Yorkshire, les nids de vanneaux sont telle- ment multipliés, qu’ils deviennent une ressource alimentaire pour les habitants qui dressent des chiens destinés à les trouver. Dans ces contrées , les vanneaux ont un ennemi encore plus re- doutable que l’homme ; c’est la corneille mantelée : malgré les cris des vanneaux qui se réunissent pour la fatiguer de leur vol et de leur voix plaintive, elle emporte leurs œufs successivement, au bout de son bec, après les avoir transpercés. Quelquefois les femelles pondent dans une simple excavation formée par le pied d’un bœuf ou d’un cheval. Quoique ces nids soient toujours près des lieux marécageux, ils se trouvent placés sur un petit monticule ou sur un sillon des champs voisins, de ma- nière à ce que les œufs soient préservés du contact de l’eau. Quand on entre dans un marais, dans un champ où se trouvent des nids de vanneaux, les pères et les mères signalent aussitôt, sans le vouloir, la présence de leurs petits ou de leurs œufs, en volti- geant au-dessus du champ et poussant des cris plaintifs. Plu- sieurs nids se trouvent ordinairement placés les uns près des autres. Bien des fois, en parcourant avec mes jeunes amis Eugène Lelong, Daniel Métivier, Guillaume Bodinier et Louis Manceau , les landes de Bécon, nous avons trouvé des nids de vanneaux en assez grand nombre, près des endroits où l’eau séjournait encore et qui n'étaient que très-imparfaitement desséchés. Lorsque les petits étaient nou- vellement sortis de leurs nids, les cris des parents devenaient de plus en plus vifs et plaintifs, à mesure que nous dirigions nos pas vers les lieux où était cachée la jeune famille. Les petits vanneaux se glissaient avec une grande agilité à travers les herbes de ces prai- ries marécageuses, poussaient un petit cri, puis allaient se tapir im- mobiles, le long d’une touffe épaisse ou dans une légère excavation. Leur immobilité était tellement complète, leur silence si profond, leur affaissement si grand, qu’il nous était très-difficile de les cap= ue ee turer, d'autant plus qu'ils étaient en quelque sorte collés à la terre, et surtout assez loin de l’endroit où ils avaient fait entendre leur dernier eri. Ruse bien simple, mais qui souvent a déjoué toutes nos recherches. Le vanneau est d’un caractère très-enjoué. Il se balance dans l'air en exécutant toute espèce d’évolutions gracieuses ; à terre il est sans cesse en mouvement ; il s’élance en l’air pour retom- ber, puis s’élancer de nouveau et retomber encore et parcourir le terrain en bondissant par une série de petits vols entrecoupés. Cet oiseau rend un véritable service aux constructions navales en mangeant de grandes quantités de tarets, espèce de mollusques qui perforent les pilotis et les bois submergés. FAMILLE DES CULTRIROSTRES. La deuxième famille de l'Ordre des Échassiers est celle des Cultrirostres. Cette dénomination estcomposéede culter, «couteau, » et de rostrum, « bec, » et indique que les oiseaux compris dans cette famille ont le bec en forme de couteau, c’est-à-dire que la mandi- bule supérieure du bec s’élève et s’abaisse à volonté sur la mandi- bule inférieure, comme la lame du couteau se détache et se rap- proche du manche, ou, ce qui est encore beaucoup plus probable, parce que le bec de ces oïseaux, long, pointu, fort et tranchant, ressemble à la lame d’un couteau, excepté toutefois celui de la Spatule. : ( Les Cultrirostres ont une démarche grave, comme des sénateurs, — il s’agit bien entendu des Pères Conscrits de l’ancienne Rome — tous fréquentent les bords des étangs, des fleuves et des mers’. 1 Ici devrait se trouver l’Étude sur la grue cendrée, mais cette Étude a été insérée dans les Annales de la Société Linnéenne (année 1868). PER NE-. S HÉRON CENDRÉ. — ARDEA CINEREA. La famille des hérons renferme un assez grand nombre d’espèces, dont quelques-unes sont désignées par des épithètes qui ont assu- jetti ma patience à de pénibles épreuves, en me condamnant à des recherches dans lesquelles j'étais très-disposé à crier : Bihore, Bihore ! en répétant ainsi de tout cœur le nom donné à l’Ardea nycticorax. Avant de parcourir le sentier toujours si difficile des étymologies, j'entre dans quelques détails sur les mœurs des hérons, détails qui viendront en aide à des hypothèses que j'appuierai, autant que possible, sur les habitudes de ces oiseaux et sur de nom- breuses autorités. Les hérons sont des oiseaux semi-nocturnes. Il est tout naturel qu'ils chassent avant le lever de l’aurore et après le coucher du soleil, puisqu'ils ont en grande partie pour nourriture les poissons, qui ne circulent eux-mêmes le plus souvent qu’à ces deux moments de la journée. Aux poissons ils joignent des insectes aquatiques, des batraciens, des reptiles, et même quelquefois de petits mammifères. Solitaires par nécessité, car ils sont comme des chasseurs à l’affûüt, les hérons restent plusieurs heures appuyés sur une seule patte et dans une immobilité complète : ils représentent d’une manière bien vraie le pêcheur ou le chasseur qu’un espoir infatigable retient des journées entières à la même place, l’œil fixé sur le bouchon de sa ligue ou sur la petite lucarne de sa hutte, prison glaciale à laquelle il se condamne avec une résignation admirable, ainsi qu’à toutes les rigueurs qui y sont attachées, et dont malheureusement il ressentira plus tard les terribles conséquences par les tortures de cruels rhu- matismes. Les hérons sont d’une nature indolente, ou plutôt rési- gnée ; ils sont sobres et supportent facilement un long jeùne; con- damnés à vivre de leur pêche, ils se trouvent souvent réduits à se contenter de peu, et n’ont pas pour leurs repas, comme beaucoup de pêcheurs malheureux, les ressources d’une cuisine domestique. Leur maigreur était autrefois proverbiale. C’est pourquoi Marot, en XI. 6 — Lu — parlant d’une de ses jambes, amaigrie par la douleur d’une longue maladie, s’est exprimé ainsi : Tant affaibli m'ha d’étrange manière, Et si m’ha fait la cuisse héronniére. L’occiput et le jabot de la plupart des espèces de hérons sont ornés de jolies plumes, dont quelques-unes sont très-recherchées pour les parures et se vendent assez cher dans le commerce de l'Orient. Ces plumes tombent chaque année à l’automne pour repa- raître au printemps. A cette dernière époque, les hérons semblent sortir de leur caractère ordinaire : ils se poursuivent dans les airs, se livrent à de joyeux ébats, en poussant des cris très-rauques et très-retentissants. Cette dernière habitude justifie l’opinion d’Adolphe Pictet (Aryas primitifs, 1"° partie, p. 492), qui soutient que «le nom allemand yeigir, pour hreigir, se lie à l’ancien haut allemand heigero, signifiant «héron », et dérive d’une racine perdue Hrag; qui se retrouve dans le grec Kercnô, Kercanô, « raucum esse, rendre rauque,» d’où Kercanë, «espèce de faucon, la crécelle, le criard par excellence. » Quant à l’ancien haut allemand heigero, il apparaît, mais un peu défiguré, dans le mot vulgaire Aegron, sous lequel cet échassier est désigné sur les bords des rivières de l’Anjou. D’après le dictionnaire de Trévoux, «le mot « héron » vient du grec ÉrôDros, encore qu’on puisse dire qu’il se tire du latin ardea, formé de deux mots grecs AËRA DUEÏN, « prendre l’essor en l'air, voler fort haut. » D’autres aiment mieux tirer le mot latin d’arduus, et disent qu’ardea a été dit comme ardua petens, « volant fort haut, montant aux lieux les plus élevés et inaccessibles. » Cette interprétation des racines des mots héron et ardea a l'avantage de retracer d’une manière expressive le caractère particulier du vol du héron. Ces oiseaux volent les jambes étendues en arrière, le cou replié et la tète renversée sur le dos et appuyée sur le sternum, ce qui leur permet d’opposer leur bec, dirigé horizontalement, comme une arme terrible, à leurs adversaires, auxquels ils échappent ordinai- rement en s’élevant à des hauteurs où on ne peut les poursuivre. C'est cette hauteur de vol qui rendait la chasse du héron très-difi- tige TL cile et en faisait un des plaisirs privilégiés des seigneurs, qui seuls pouvaient se procurer des faucons capables d’atteindre dans leur vol très-élevé et presque perpendiculaire les grosses espèces de hérons. Voici comment Belon (liv. IT, p. 190) explique, dans son style naïf, la manière dont les hérons se défendent contre les faucons : « Le héron, se sentant assailly par l’oyseau de proyé, essaye à le gaigner en volant contremont, et non pas au loing en fuyant, comme quelques autres oyseaux de riuière, et luy se sentant pressé, met son bec contremont par-dessous l’œlle, sachant que les oyseaux l’assomment de coups, dont aduient bien souuent qu’il en meurt plusieurs qui se le sont fiché en la poictrine. » Aussi la chair de ces oiseaux, quoique très-maigre et très-mauvaise, était-elle réputée viande royale et servie sur les tables des grands seigneurs, comme le précieux trophée d’une victoire difficile. Villughby (Ornith., p. 203) attribue la maigreur du héron, non pas au jeûne forcé auquel il est souvent condamné, mais à la crainte et à l’anxiété continuelle dans laquelle il vit. L'Encyclopédie méthodique (tome II, p. 108) affirme que, dansle temps où la France était encore parsemée d’étangs, les grands sei- gneurs faisaient planter autour de ces étangs des arbres à haute futaie afin d’y attirer les hérons et d'engager ces oiseaux à se repro- duire sur leurs propriétés ; puis, lorsque les petits étaient éclos, on les enlevait des nids pour les engraisser et les servir ensuite sur la table des seigneurs comme un mets rare et délicieux. Les habitants de la campagne, excellents observateurs des mœurs des oiseaux, affirment que le héron annonce le beau temps quand il vole très-haut. Cependant, je trouve une opinion toute différente dans les Livres dou tresor, par Brunetto Latini, publié par P. Cha- baille. « Et sa nature est tele que ele apercoit que tempeste doit choir, elle vole en haut là où la tempeste n’a pooir de monter, et par là connaissent maintes gens que la tempeste vient quand ils la voient voler contremont le ciel. » (Page 207.) Du reste, ce qui prouverait que les noms Aéron et ardea expriment la même idée et ont la même racine, c’est qu’à *roDÔS ou à ÉRÔDÔS, principe du mot « héron », on donne pour racine amô, « élever », PE d’où ARDEN, «en haut». D’après Ménage, héron pourrait dériver du teutonique ker, signifiant « altus, celsus, eminens, haut, élevé, émi- nent. » De plus, dans toutes les anciennes langues, le primitif ard veut dire « haut, escarpé, pointu. » Enfin, le mot Ar en celtique se traduit par long, d’où l’on a fait le verbe celtique rio, « allongé et être allongé, » expression parfaitement justifiée par ces vers de La Fontaine : Un jour sur ses longs pieds allait je ne sais où Le héron au long bec emmanché d’un long cou. (Liv. VIT, fabl. 111.) Le cou du héron, et surtout celui du butor, est recouvert de longues plumes qui, dans le devant, semblent l’encadrer d’une manière mobile, et se séparent pour faciliter ses mouvements, principalement lorsque ces oiseaux poursuivent dans l’eau ou dans la vase leur proie, et ont besoin pour l’atteindre de toute la longueur et de toute la souplesse de leur cou. La Providence de Dieu a, d’une manière admirable, pourvu les hérons de tous les moyens les plus propres à leur faciliter l’'accomplissement de la mission qui leur a été confiée ; voici ce que je lis dans l’Encyclo- pédie du docteur Chenu (tome VI, p. 223) : « Les doigts du héron sont d’une longueur excessive ; celui du milieu est aussi long que le tarse ; l’ongle qui le termine est dentelé en dedans comme un peigne, et lui fait un appui et des crampons pour s’accrocher aux menues racines qui traversent la vase sur laquelle il se soutient au moyen de ses longs doigts épanouis. Son bec est armé de dentelures tournées en arrière par lesquelles il retient le poisson glissant. Son cou se plie souvent en deux, et il semblerait que ce mouvement s'exécute au moyen d’une charnière, car on peut encore faire jouer ainsi le cou plusieurs jours après la mort de l’oiseau. » Enfin, la queue est très-courte ; si elle était aussi longue que celle des autres oiseaux, elle deviendrait pour les hérons un véritable embarras, car lorsqu'ils passent des demi-journées immobiles dans l’eau jus- qu’au dessus des tarses, ces échassiers seraient obligés, ou de la rele- Re" TEE ver par une série d'efforts pénibles, ou de la laisser plongée dans les eaux marécageuses, ce qui serait un nouvel inconvénient. Les hérons sont condamnés à des pérégrinations assez fréquentes ; comme les tribus qui se livrent à la chasse et à la pêche, ils se trouvent forcés de chercher sur d’autres rivages la nourriture que ne leur procurent plus assez abondamment ceux qu'ils ont explorés. Ces voyages s’exécutent pendant la nuit, afin de se soustraire aux attaques des oiseaux de proie. Les hérons sont généralement très- défiants : on ne peut guère les approcher que par surprise. Quand ils sont blessés, il y a un danger réel à vouloir les saisir avec la main ; dans ce moment-là, ils feignent de rendre le dernier soupir, puis replient en arrière leur cou, en en dissimulant la longueur sous les plumes du dos, et tout à coup le détendent comme un ressort puissant et cherchent à crever les yeux de leurs adversaires avec leur bec si fort et si acéré. Je connais des chasseurs inexpérimentés qui ont été blessés très-gravement par des hérons qui avaient eu recours au stratagème que je viens d'indiquer. Un certain nombre d’espèces de hérons habitent l’Anjou ou vien- nent s’y reproduire. Quelques autres le traversent chaque année d’une manière assez régulière. La première espèce mentionnée dans la Faune de Maine-et- Loire est le héron cendré, ardea cinerea, qui doit sa dénomination particulière à la couleur de l’ensemble de son plumage. Cet échassier niche dans notre département, mais en petit nom- bre ; il confie son nid à des arbres élevés, et le compose de büchettes et de petits joncs desséchés grossièrement réunis. La femelle pond trois ou quatre œufs d’un bleu pâle, légèrement verdâtre et sans au- cune tache. Le grand diamètre varie de 0",06 à 0",065, et Le petit, de 0,042 à 0",044. Ordinairement un certain nombre de ces nids sont confiés au même arbre ou à des arbres voisins, de manière à former une véritable colonie. Je transcris ici les détails intéres- sants que je trouve dans le savant ouvrage de M. Gerbe (Ornitho- logie Européenne, tome II, pag. 288) : « Jadis le héron cendré était beaucoup plus commun en France que de nos jours. Les déboisements, les desséchements des marais ENR ous où il trouvait une abondante nourriture, le peu de sécurité qu’il rencontre l’ont chassé de beaucoup de localités où 1l se reproduisait. Les héronnières de Fontainebleau, si célèbres du temps de Fran- çois *, ont disparu depuis de longues années, et celles, en petit nombre, qui existent tant en Vendée qu’en Champagne, finiront probablement aussi par disparaître. « Parmi les héronnières que nous comptons encore, la plus remar- quable est sans contredit celle qui s’est formée à Champignol, dé- partement de la Marne, dans un parc appartenant à la famille de Sainte-Suzanne, et qui s’y maintient grâce à la surveillance active d’un garde spécial. «M. Lescuyer de Saint-Dizier a fait sur cette héronnière, au con- grès scientifique tenu à Troyes en 1864, une communication ver- bale des plus intéressantes. D’après les procès-verbaux des séances dont M. J. Ray a eu l'obligeance de nous adresser un extrait, les hérons qui forment la colonie de Champignol, habitent la forêt pendant six mois seulement. Leur arrivée et leur départ se font avec une merveilleuse régularité. M. Lescuyer a constaté qu'ils ar- rivent tous les ans à la héronnière, le 6 mars et qu’ils l’abandon- nent le 6 août. « Pendantle séjour qu’ils y font, on les voit s’éloigner tous les soirs pour aller à la recherche de leur nourriture, et leurs excursions nocturnes s'étendent quelquefois à trois ou quatre kilomètres au loin ; le nombre des individus qui la composent, en y comprenant les jeunes, s’élève à peu près à un millier. M. Lescuyer a compté cent soixante-douze nids dans moins d’un hectare, et a constam- ment vu, debout, sur chacun d’eux, un héron faisant sentinelle, Le seul arbre sur lequel il soit monté supportait huit de ces nids. Ils étaient construits en plate-forme, avec des büchettes se croisant, et contenaient en tout vingt-huit petits. La population de ce seul arbre, en tenant compte des pères et des mères , était donc de qua- rante-quatre individus. » Je lis dans Belon (Nature des oiseaux, p.189) un passage curieux qui confirme l'opinion émise par M. Gerbe, qu’autrefois le héron cendré se reproduisait dans nos contrées en beaucoup plus grand 20) Prin nombre qu'aujourd'hui : « En basse Bretagne, les hérons sont moult fréquens, où ils font leurs nids sur les rameaux des arbres des forêts de haulte fustaye et pour ce qu’ils nourrissent leurs petits de poissons, et qu’en les abêchant, grande quantité en tombe par terre : plusieurs ont prins occasion de dire avoir esté en un pays où les poissons qui tombent des arbres engraissent les pour- ceaux. » Le même auteur {liv. IE, p. 189 ) décrit ainsi les anciennes hé- ronnières de Fontainebleau : « Entre les choses notables de l’in- comparable dompteur de toutes substances animées, le grand roy Françoys, fit faire deux bastimêts, qui durent encore à Fontaine- bleau, qu’on nomme les héronnières. Il sembloit que les éléments mesmes et les qualitez têperées d’iceux , obéissent à ses commande- ments : car de forcer nature, c’est ouurage qui se resentenir de quelque partie de diuinité. Aussi ce divin roy, que Dieu absolue, auoit rendu plusieurs hérons si aduïts, que venants de sauuage, entrants seans, comme par un tuyau de cheminée, se rendoiïent si enclins à sa volonté, qu'ils y nourrissoyent leurs petits. L'on dit communement que le héron est viande royale. Par quoy la noblesse françoyse fait grand cas de les manger, mais encore plus des hé- ronneaux. Toutefois les estrangers ne les ont en si grande recom- mandation. » D’après les observations de M. Lescuyer (pag. 35), les dimensions des nids du héron gris sont considérables; celui que ce savant a mesuré avait un mètre de diamètre, trente centimètres d'épaisseur, et son poids était de neuf kilogrammes cinq cents grammes. Les hérons semblent prendre en affection les arbres qui ont servi de berceau à leur progéniture, et tant qu’ils séjournent dans la même localité, ils aiment à se réunir avec leurs petits sur les arbres auxquels ils avaient confié leur nid. La vie des hérons serait très-longue si l’on admettait comme vrai un fait rapporté par la Gazette (année 1723, pag. 255). Le voici : « L’empereur d'Autriche chassant au mois de mai 1723, prit un héron au pied duquel on trouva un anneau qui lui avait été mis en 1654 (c’est-à-dire soixante-douze ans auparavant) par Ferdi- RU ee nand III, aïeul de Sa Majesté impériale. On l’ôta pour en mettre un autre avec cette inscription : Pris par Charles VI en 1723, puis on le relächa. » M. Lescuyer que j'ai le plaisir, comme je l’ai déjà dit, de compter parmi mes honorables amis, a eu la bienveillance de m’adresser, en janvier 1869, une épreuve d’une étude très-intéressante et très-com- plète sur le héron gris et sur la héronnière d'Écury-le-Grand: ce travail est extrait de l'Annuaire des provinces, année 1869 (chez Blanc-Martel, libraire à Caen); il rectifie et complète le rapport de M. Ray, cité précédemment, d’après M. Gerbe. M. Lescuyer démontre par une série de faits et par des observa- tions d’une logique rigoureuse, que les hérons sont des oiseaux très-utiles et que, comme beaucoup d’autres, ils sont les victimes d’injustes préjugés ; que si ces oiseaux causent quelquefois un léger préjudice aux intérêts des propriétaires et des pêcheurs, ce préju- dice est largement compensé par les incontestables services qu’ils rendent ; que dans ce cas même ils sont de précieux auxiliaires prélevant un mince salaire pour un travail pénible et persévérant. M. Lescuyer a vérifié les assertions des anciens naturalistes, et constaté que le héron gris se nourrit de vipères, de couleuvres, de grenouilles , de mulots, de rats d'eau, de campagnols, de plantes marécageuses et de cadavres de petits mammifères et d’insectes en putréfaction (page 9). L'auteur prouve que dans les environs de la héronnière d’Écury-le-Grand, les vipères sont très-rares , tandis qu’elles pullulent dans les autres localités au point qu’un seul villa- geois, le sieur Rozier de Saint-Blin, a eu pour sa part dans une seule année 1,400 francs de primes pour la destruction de ces rep- tiles. De plus, les hérons combattent la trop grande multiplication des couleuvres, des lézards, qui détruisent les œufs des oiseaux insecti- vores ; celle des grenouilles, des crapauds qui dévorent beaucoup d'œufs de poissons, surtout ceux de la carpe qui sont déposés sur les herbes marécageuses parmi lesquelles vivent les batraciens; enfin, ils purgent les eaux des cadavres d’insectes et d’animaux qui périssent en très-grande quantité , ainsi que des bavures, des suin- tements, des déjections de toute nature qui exercent une influence LL ge mauvaise sur la qualité des eaux ; d’où résulte évidemment que le héron gris rend des services incontestables. M. Lescuyer a donc ainsi défendu les véritables intérêts des pro- priétaires contre eux-mêmes, et réhabilité les hérons dans l'esprit de tous ceux qui étudient l’histoire naturelle sans aucune préven- tion et avec le seul désir de trouver la vérité. L'opinion défendue avec une conviction profonde par mon honorable ami n’est pas nou- velle, car Buffon constatait en son temps, que les insulaires de Taïti professaient pour le héron un respect qui tenait de la supers- tition, que de plus, cet oiseau était protégé en Angleterre, enfin que dans l’ancienne loi mosaïque (Deutéronome, chap. xiv, verset 16) il était interdit de manger l’ibis et le héron; or l’ibis, auquel le héron semble assimilé par le texte hébreu, était reconnu comme un oiseau sacré par les Égyptiens, et quoiqu'il se nourrit en partie de poissons , les services qu’il rendait lui avaient mérité les honneurs de l’embaumement, comme à tous ceux dont la vie avait été utile et dont la mémoire n’avait pas été flétrie au tribunal de l'opinion publique. HÉRON POURPRÉ. —— ARDEA PURPUREA. Le héron pourpré est presque de la taille du héron cendré; il en diffère quant aux nuances de son plumage auxquelles il doit son épithète vulgaire. C’est l’un des plus beaux et des plus élé- gants oiseaux de l’Europe. Cependant par sa démarche et par ses poses il paraît encore plus stupide que le héron cendré; il se laisse aussi plus facilement approcher que le précédent. Voici ce que je lis dans la Faune Pontique de M. Nordmann : « Étant peu chassé dans nos parages, le héron pourpré ne montre aucune défiance. À l’approche de l’homme il ne prend pas la fuite, mais il cherche à se soustraire aux regards par toutes sortes de gestes bizarres et de postures contraintes. » Le héron pourpré est beaucoup plus commun en Anjou que son congénère ; il s’y reproduisait en assez grand nombre, il y a quel- ques années; mais la chasse persévérante que lui ont faite les pro— #98 — priétaires et les fermiers des étangs et des rivières, sous prétexte que ces oiseaux dépeuplaient leurs cours d’eau, ont détruit pres- que toutes les héronnières. J’ai visité avec plaisir plusieurs fois celle qui se trouvait dans l’étang de Chaloché; M. Gaignard de la Renloue offrait avec une grande bienveillance une gracieuse hos- pitalité aux ornithologistes qui désiraient étudier en plein soleil la nidification des hérons , et pour leur faciliter cette étude, il faisait transporter sur une charrette, à plus de deux kilomètres de dis- tance de son habitation , le bateau destiné à pénétrer au milieu des jones sur lesquels reposaient les nids. Ces joncs, d’une hauteur de plusieurs mètres, formaient un assez vaste bouquet vers le milieu de l'étang. Les nids, au nombre de douze à quinze, se trouvaient réunisau centre des joncs. Ils étaient formés par ces mêmes jones repliés les uns sur les autres en forme d’entonnoir. Les bords extérieurs de cette espèce de coupe, très-apparente pendant les premiers jours de lincubation, disparaissaient bientôt sous le poids de la couveuse, et plus tard le nid ne présentait plus qu’une coupe aplatie. L’étang principal de Chaloché est entouré de très-grandes landes qui se déroulent en ondulant sur une superficie considérable. Il est donc très-difficile d'approcher de cet étang sans être apercu par les hérons, dont quelques-uns sont toujours en sentinelle dans un des arbres plantés sur la rive gauche. Dès que la sentinelle pousse le cri d'alarme, toutes les femelles s’envolent précipitamment et vont se réfugier dans les arbres. C’est là que plusieurs fois j'ai pu exa- miner à loisir la pose si singulière que prennent les hérons pour monter de branche en branche, et même pour rester immobiles dans la même position. Ils se tapissent en quelque sorte de manière que tout leur corps, y compris le cou et le bec, représente une ligne droite ; c’est dans cette singulière position qu’ils avancent les pattes l’une après l’autre, pour s'appuyer sur les branches et monter comme pourrait le faire un homme dans une échellebien perpendi- culaire. Chacun des nids que j'ai visités contenait de troïs à cinq œufs d’une couleur bleue uniforme, mais un peu plus verte que celle de l’espèce précédente. Le grand diamètre était de 0m,055 à 0m,058, et NN" NE le petit, de 0",035 à 0",04. La couleur de ces œufs s’efface très-faci- lement au contact de l'air etsousl’action du temps: ils prennent alors une teinte qui permet trop souvent aux marchands de les vendre pour des œufs d’Autour. HÉRON AIGRETTE. — ARDEA EGRETTA. Le héron aigrette et le héron garzette composent, dans beaucoup d’ornithologies, un genre qui se distingue des hérons proprement dits, par des formes plus sveltes, un bec plus mince et moins élevé à la base, par des jambes dénudées encore sur une plus grande étendue, enfin par leur plumage. entièrement blanc dans toutes les saisons et par les aigrettes que forment au printemps les plumes du dos et les scapulaires ; plumes qui alors atteignent et dé- passent même l'extrémité des ailes et présentent des barbes décom- posées et filiformes. Le héron aigrette a l’occiput dépourvu de plumes eztraordinairement allongées, tandis que celui du héron garzette est orné de deux plumes longueset étroites; cette différence, jointe à celle de la taille, sert à distinguer les deux espèces. D’après la dernière explication que je viens de donner, il est évident que le mot aigrette ne doit pas être pris ici dans son acception ordinaire, puisque le héron blanc ne porte pas une aigrette, au sens que l'on donne communément à ce mot, c’est-à-dire comme synonyme de huppe, quoiqu'il ait des plumes occipitales un peu plus ou moins allongées. Le héron aigrette, ardea egretta, habite le sud-est de l’Europe et le nord de l'Afrique ; il manifeste très-rarement sa présence dans l’ouest de la France et dès lors dans notre département. Toutefois plusieurs sujets y ont été remarqués, et l’un d’eux tué, au moment de la grande inondation de la Loire en 1856, près de la Daguenière, fait partie de la riche collection ornithologique de notre musée. Monté avec un soin tout particulier par notre habile préparateur, M. Deloche, il est un des oiseaux qui attirent et fixent l'attention des amateurs. Ce héron a une taille plus élevée encore que celle du héron pourpré et même que celle du héron cendré. La taille du pre- —" ù — mier ne dépasse pas 0",80 à 0,82 ni celle du second 1",05 à 4,07, tandis que le héron aigrette du Musée atteint 1°,12 de hauteur. Ce héron a séjourné pendant plusieurs jours dans la localité où il a été tué; 11 manifestait une excessive défiance, et c’est au zèle per- sévérant de M. Deloche , auquel la présence de cet échassier avait été signalée, que le Musée doit cette richesse qui nous a été si sou- vent enviée. M. Deloche s’était transporté à la Daguenière et avait promis aux chasseurs de canards une forte récompense s'ils lui apportaient l’objet de ses désirs. Après avoir déjoué pendant long- temps les embüches des chasseurs, il est enfin tombé sous le plomb d’un domestique attaché au service d’un moulin. Je reviens à l’étymologie du mot aigrette : Belon et après lui Mé- nage font dériver aigrette, dans le sens de « touffe de plumes », de aigrette « sorte de héron », à cause que cet oiseau porte en effet une aigrette. Cette explication me semble reposer sur un cercle vicieux, mais pour en sortir, les auteurs que je viens de citer pensent que l’aigrette a été ainsi nommée à eause de l’aigreur de sa voix; ce serait alors revenir d’une manière indirecte à l’étymologie du mot héron, raucum esse, « avoir le cri rauque. » Mais Diez rapproche avec raison ce mot de l'italien aghirone, du provençal aigron, en patois du Berry, égron (Dict. de Littré). Aigre lui-même a pour étymolo- gie acer, en latin, AKRos, en grec, signifiant « pointu, » de Akis, AKÉ, «pointe. » Or dans l’ancien français «aigre » a souvent le sens de « vaillant » comme acer en latin. D'où il me semble résulter que l’épithète donnée à ce héron ne signifie pas qu’il a une aigrette, une touffe de plumes comme ornement de son occiput, puisqu'il en est presque dépourvu, mais que les plumes du dos et que les scapu- laires, chez les adultes en plumage de noces, sont à tige épaisse, raide, à barbes décomposées et #/formes et dès lors très-pointues comme un faisceau d’aiguilles, ce qui est le signe caractéristique de cette espèce , puisqu'elle est la seule dont les plumes ne se re- courbent pas vers la pointe. C’est alors une aïigrette en ce sens que les plumes qui composent l’ornement de ces hérons au moment du printemps restent #nflexibles et semblent former un faisceau d’aiguilles, de pointes acérées. SN — Quelle que soit l’opinion que l’on se forme sur ces hypothèses, leur exposé procure évidemment , la connaissance d’un caractère spécial des plumes du héron aigrette. Ces plumes sont très-recherchées dans tout l'Orient; les Persans , les Turcs et les autres peuples de ces contrées aiment à les employer comme un ornement de leur turban et elles deviennent ainsi le signe distinctif des puissants et des riches. Avant que les chapeaux ne fussent en usage, la noblesse française ornait assez souvent avec des plumes du héron aigrette un côté du bonnet qui lui servait de coiffure. De nos jours les dames et même quelques fashionnables ont remplacé les anciennes aigrettes par des plumes de geai ou de paon; est-ce un symbole, est-ce un pro- grès de nos mœurs ? Les hérons aigrettes se reproduisent dans les terrains maréca- geux ; la femelle pond dans un nid formé de roseaux repliés, ou même sur quelques arbres émondés et plantés sur les bords des marais, trois ou quatre œufs d’un vert bleuâtre et très-pâle. Ces œufs n’ont aucune tache ; leur grand diamètre est de 0m,055 à 0",058, et le petit, de 0m,04 à Om,042. Charles Bonaparte appelle le héron aigrette, egretta alba et ni- grirostris. Cette dernière épithète indique que le bec jaune de cet échassier a l’arête et le bout d’un noir foncé, couleur qui fait res- sortir encore d’une manière plus sensible l’éclatante blancheur des plumes de la tête et de tout Le corps de ce bel échassier. HÉRON GARZETITE. — ARDEA GARZETTA. Ce héron, beaucoup plus petit que les précédents, traverse l’Anjou assez régulièrement, chaque année ; il y séjourne pendant quelque temps pour se diriger vers les pays qu’il habite tour à tour, les bords de la mer Noire, les contrées méridionales de l’Europe et le nord de l'Afrique. Il se reproduit dans les îles du Danube où il niche en assez grandes colonies, ainsi que dans certaines contrées de l'Espagne et de l'Afrique. Son nom dérive du mot espagnol garza servant à désigner le TR 2. héron. «Les Portugais, dit Cadamosto (Hist. générale des voyages, t, IT, p. 291), appelèrent les îles désertes du golfe d’Arguin, au cap Blanc, 2so/a das Garzas ou îles aux Hérons, parce qu'ils y trouvèrent tant d’œufs de ces oiseaux qu'ils en remplirent deux barques. » Pour obtenir un pareil résultat , il fallait que les deux barques fus- sent bien petites ou que les hérons fussent bien nombreux et qu’il y eùt une colonie composée des grandes espèces, car les œufs du héron garzette sont bien petits pour pouvoir suflire à remplir des barques ; leur longueur varie de 0",045 à 0",048, et leur diamètre de 0,03 à 0,035. La femelle en pond de trois à cinq sur un nid préparé au milieu des grands joncs ; leur couleur uniforme est d’un bleu ver- dâtre très-pâle ; ils présentent une particularité qui sert à les dis- tinguer de ceux de quelques autres espèces : ils sont pointus aux deux bouts. Ces îles désertes du golfe d’Arguin sont situées sur les côtes du Sahara, au nord des îles du Cap-Vert; elles sont entourées de récifs dangereux, sur lesquels vint naufrager, en 1816, la frégate la Méduse ; ah ! si l'équipage infortuné de ce navire avait eu, comme les Portugais , la ressource des œufs de hérons, que de victimes de moins la France aurait eu à inscrire sur la liste formée par ce ter- rible drame ! Dans le récit du voyage d’Adanson au Sénégal (pag. 80), jetrouve un passage qui justifie la relation du voyage de Cadamosto, et qui prouve la justesse de l'hypothèse que j'avais formulée, en supposant que les hérons se réunissent non-seulement pour nicher par colonies très-nombreuses, mais encore que ces colonies générales sont elles- mêmes subdivisées en colonies particulières composées de beaucoup d’espèces de hérons. Voici ce passage qui démontre aussi que lex- trème défiance que manifestent, dans nos contrées, les hérons, ne leur est pas naturelle, mais qu’elle est chez eux, comme chez tous les autres oiseaux, le résultat des poursuites auxquelles ils sont condamnés par les hommes, qui croient trouver en eux des concur- rents redoutables pour la pêche. « On arriva le 8 à Lammai, petite île sur le Niger; les arbres étaient couverts d’une multitude si prodigieuse de hérons de toute ag se" espèce, que les Laptots qui entrèrent dans un ruisseau dont cette île était alors traversée, remplirent en moins d’une demi heure, un canot, tani des jeunes qui furent pris à la main ou abattus à coups de bâton, que des vieux dont chaque coup de fusil faisait tomber plusieurs douzaines. Ces oiseaux sentent un goût d'huile de poisson qui ne plait pas à tout le monde. » C’est dans ces contrées et en société avec le héron garzette que se trouve une autre espèce de héron qui ne visite pas notre Anjou, mais dont il me serait pénible de ne pas raconter les mœurs, d’une manière au moins sommaire, comme une preuve touchante de la providence de Dieu et de sa tendre sollicitude envers les animaux. Les habitudes du héron bubulcus ou garde-bœuf sont beaucoup plus diurnes que celles de ses congénères ; cet échassier fréquente les pâturages où séjournent les troupeaux de buffles; il aime à suivre ces animaux pour capturer les vers et les insectes qui sortent de terre sous la pression exercée par leur marche ou par leur course pesante. De plus, il se tient très-souvent sur le dos des buflles, des- cend et remonte le long des flancs de ces animaux, en s’accrochant par ses ongles à leur cuir épais ; dans cette visite, il imite le pic- vert quand celui-ci grimpe autour des arbres, il s’appuie sur les pennes de sa queue; pendant ces investigations, le garde-bœuf dis- tribue des coups de bec à droite et à gauche, par devant, par der- rière, avec une grande énergie, et les bufles se prêtent très-volon- tiers à cette manœuvre, parce qu’elle a pour but de les délivrer des insectes qui s’attachent à leur peau, la pénètrent même et leur occa- sionnent de cuisantes douleurs auxquelles le héron met fin en tuant et en mangeant ces ennemis. Là ne s’arrêtent point les services que le garde-bœuf rend à ses pourvoyeurs. Pendant que les buffles sont occupés à paître dans les immenses prairies où ils vivent par bandes innombrables, ils se trou- vent exposés aux attaques des ennemis dont ils ne peuvent constater l'approche, lorsque leur pesante tête tond l'herbe qui leur sert de nourriture. (’est alors que le héron, debout sur le dos de ces ani- maux, le cou tendu et l’œil au guet, remplit le rôle de sentinelle dévouée et vigilante, et dès que les hautes herbes des savanes se — $$$ — courbent sous les bonds du lion ou sous ceux de la panthère, ou dès qu’elles s’inclinent à droite ou à gauche pour laisser se dérouler les sillons tracés par le pas des chasseurs, le héron garde-bœuf pousse un cristrident, et aussitôt tous les buffles s’enfuient, avec la plus grande rapidité, du côté où leur gardien s’est envolé, c’est-à- dire du côté opposé à la marche de leurs ennemis. Bien des fois les chasseurs ont maudit la vigilance du héron garde-bœuf qui les privait d’une proie qu’ils poursuivaient depuis longtemps, en ayant recours à toutes sortes de ruses presque toujours déjouées par une aussi infatigable sentinelle. C’est à cette habitude que le héron garde-bœuf doit son nom; mais quelque expressif qu’il soit, je lui préfère de beaucoup celui sous lequel les Arabes le distinguent; ils le nomment abou gha- nam, c'est-à-dire le père aux troupeaux. I veille effectivement sur les bufiles avec une sollicitude paternelle que rien ne peut fatiguer, et qui a inspiré ces plaintes à Adolphe Delelorgue dans le récit de ses voyages et de ses chasses aux buflles : « Il n’y a point d'oiseaux au monde que j'aie autant maudits que les hérons garde-bœuf. » Cet échassier est comme son congénère un oiseau très-élégant et très-gracieux ; comme lui aussi il semble prendre plaisir à relever plusieurs fois de suite et avec une grande vivacité le panache flexible de son aigrelte. HÉRON BIHOREAU. — ARDEA NYCTICORAX. Le bihoreau, dont le nom a exercé si longtemps ma patience et m’a imposé de si persévérantes recherches, est peut-être l'oiseau le plus gracieux de toute la famille des hérons ; ses longues plumes noires, qui partent de l’occiput pour retomber en flottant sur le dos, sont très-recherchées pour entrer dans la composition des panaches. Le bihoreau visite notre département d’une manière régulière; il y séjourne même assez longtemps dans les marais de l’Authion et dans ceux de la Maine. Comme la plupart de ses congénères, il est semi-nocturne et commence sa chasse de prédilection, aux pois- sons, aux batraciens, aux insectes aquatiques, vers le coucher du ADD en. soleil. C’est alors que, dans sa course au milieu des terrains maré- cageux parsemés d'arbres et de buissons qui servent à dissimuler sa présence, il fait entendre un cri enroué, ka-ka-ka, qui lui a mérité l’épithète nycticoraz, de Nyxs, NYKTOS, « nuit » et de CORAX, « COr- beau, corbeau de nuit, corbeau nocturne, » Ce cri lugubre, de- venu encore plus sinistre par le moment où il se fait entendre et par les lieux d’où il s'échappe, a été comparé aux vomissements d’un homme se débattant contre les étreintes de la mort, aux soupirs d’une personne qu’on étouffe et qui dès lors crie au secours ; c’est le râle déchirant des mourants. Ce cri, qui avait été constaté par quelque naturaliste, à une époque bien éloignée de la nôtre, avait engagé ce savant à représenter ces soupirs étouflés du héron par une expression caractéristique, et il l’avait désigné par le mot Biho- reau. Ses successeurs ont adopté la même épithète, sans se rendre compte de sa signification, et dès lors, grande difficulté pour la re- trouver. Maintenant que j'en ai rencontré le sens véritable, 1l me paraît être un peu comme la route d'Amérique après le voyage de Christophe Colomb ! Selon plusieurs anciens auteurs, Bihore, Bihorre, est un mot par lequel on invoque le secours public, formé de Bia-Hora, clameur qui s’entend au loin, ou de Bia-fora, crier «au meurtre, à l’assas- sin. » Bia est pour via, « voie, chemin, » et Fora, « sortez, au se- cours, allez, venez dehors ; » en latin, via foras. (Du Cange.) Le Registre du Connétable de la Bourgogne (fol. 92), constate que les habitants de cette province étaient obligés de sortir de leurs maisons quand ils entendaient crier Biafora! de prendre leurs armes et de se mettre à la disposition des autorités locales : « Et tenentur venire ad clamorem B1AFORA cum armis et sequi præpo- sum. » Je joins ici quelques textes confirmant les assertions précédentes : « Biaforo est crida à mort; Biaforo, crier aux alarmes, au meurtre. » « Lequel Galabert s’escrya à haulte voix à Biafforo, qui est un mot du langaige du païs (Gascogne) disant qu’il estoit mort. » « Le suppliant soy sentant ainsi navré et blecé du dit coup, era XL. 7 — 9 — à haulte voix, Bihore, Bihore, au dit Martin son maistre, disant qu'il estoit mort. » (Glossaire français de Du Cange.) 11 me semble donc suffisamment prouvé que l’épithète Bihoreau a été donnée au héron qu’elle détermine pour rappeler son cri, caractère qui le distingue de ses congénères, tout en le rapprochant du Butor. Le Bihoreau niche dans les marais, parmi les joncs, et quelquefois sur la tête des arbres émondés qui se trouvent sur les bords des terrains marécageux. La femelle pond de trois à cinq œufs d’un bleu pâle, verdâtre et sans taches. Le grand diamètre varie de 0,648 à 0",05, et le petit, de 0" ,034 à 0,036. En Anjou, les pêcheurs donnent au Bihoreau le nom de Roupeau. Cette dénomination paraît être très-ancienne, car elle était connue du temps de Belon ; et Aldrovande (Ornith., liv. XX, ch. x) donne les motifs de ce nom vulgaire : « RouPEau @ rupibus in quibus nidificat ad Oceanurn: Gallicum, teste Petro Bellonio ; appelé Roupeau du nom des rochers sur lesquels il niche près la mer de France, comme l’atteste Pierre Belon. » HÉRON CRABIER. — ARDEA RALLOIDES. Le héron crabier est commun dans l’Europe méridionale et orien- tale, ainsi que dans le nord de l’Afrique ; il traverse notre départe- ment d’une manière assez irrégulière, et ne s’y arrête que très- rarement. Ce héron se distingue de ses congénères par les nombreuses plumes allongées et linéaires qui tombent de son occiput et forment une espèce de huppe, ou plutôt de touffe très- épaisse. Il est d’un caractère plein d’audace, et lorsqu'il attaque avec une grande énergie ses ennemis, ou qu'il se trouve sous l'empire de la crainte ou de la colère, il relève cette touffe épaisse, qui se développe alors sur sa tête comme une huppe échevelée et lui donne un air terrible. Est-ce cette habitude que les naturalistes ont voulu retracer en désignant ce héron par l’épithète de crabier ? Ce mot dérive du latin carabus, qui lui-même vient de Karapôs, dont la racine est Kéras, « corne ». L’adjectif crabier indiquerait ee alors que dans les moments d'irritation, les plumes occipitales de cet oiseau se dressent sur sa tête et se replient vers leur extrémité de manière à représenter des cornes recourbées. Cette hypothèse peu plausible pourrait cependant s'appuyer sur l'opinion de plusieurs auteurs qui désignent le héron crabier sous le nom de comata ou héron à longue chevelure ou héron chevelu ; César appelait Gallia comata, « Gaule chevelue, » celle où les peuples portaient de longs cheveux, expression qui a pour racine comata, de KkoMÉ, principe du mot comète. La véritable racine de crabier est Kararôs signifiant « langouste, homard, crabe » et indiquant quelle est la nourriture ordinaire de ce héron qui vit de mollusques maritimes et fluviatiles. Quant au mot ralloides, il est composé de rallus, mot de basse latinité signifiant « râle », et du grec Eiros, « forme, oiseau qui ressemble au râle, » cette dernière dénomination me paraît très-exacte et indique la différence qui existe entre le crabier et les hérons précédents. Le crabier se perche très-rarement : il se tient presque constamment dans les marécages parsemés de longues herbes et de petits Jones, entre lesquels il se glisse avec rapidité en courant à la manière des ràles, dont il se rapproche encore par ses tarses très-peu élevés. Le Crabier est d’un naturel peu farouche. Il paraît aimer beaucoup la société de ses congénères : aussi le trouve-t-on souvent avec d’autres espèces. IL niche dans les jones et dans les herbes des endroits marécageux. La femelle pond de trois à cinq œufs d’un bleu vert très-clair, dont le grand diamètre varie de 0m,038 à Om,04, et le petit, de 0,028 à 0",03. Plusieurs des hérons erabiers tués dans notre département n'avaient pas le même nombre de plumes occipitales ; il serait inté- ressant de vérifier si le nombre de ces plames augmente avec l’âge des sujets. La couleur noirâtre de ces plumes tranche avee le reste du plumage, qui est blanc. HÉRON BUTOR, — ARDEA STELLARIS. Plusieurs auteurs appellent ce héron le butor étoilé, pour le dis- üinguer d’une autre espèce qui est très-commune sur les rives de la Ge Le baie d'Hudson, en Amérique. Dans la nombreuse famille des hérons, chaque espèce forme presque un genre; celle-ci se distingue des précédentes par ses tarses plus courts, par un cou médiocre et par des doigts longs et forts. Le cou est couvert en arrière d’un duvet fin, et en avant, de plumes longues et flottantes qui donnent à cet oi- seau, quand il prend certaines poses, un air stupide très-remar- quable. Le héron butor se reproduit en Anjou. Il passe la plus grande partie de la journée perché sur les branches des arbres plantés dans les lieux marécageux, et quelquefois même appuyé, dans une posture grotesque, sur des roseaux. Il ne chasse que le soir, et non-seulement il vit de poissons, de batraciens et d’insectes aquatiques, mais il visite encore les bois dans lesquels il poursuit les mulots et les souris, qu’il attend, avec patience, à sortir de leurs trous ou à y pénétrer; on lui reproche de faire quelquefois la guerre aux petits oiseaux et à ceux qui sont blessés ou malades. Ce héron est plus solitaire et plus défiant encore que ses congénères. Il manifeste chaque année sa présence dans les vastes marais d'Écouflant, près Angers; c’est là qu’en se promenant le soir, à l’époque du prin- temps, sur les bords de la Maine, on peut entendre le cri de cet oiseau, cri qui ressemble au mugissement prolongé d’un taureau : c’est à cette habitude qu’il doit son épithète butor, formée du vieux mot latin bulorius, que l’on fait dériver de bos-taurus, « bœuf- taureau. » Gmelin l'appelle ardea botaurus, et Belon dit : «Qu'il n’y a bœuf qui put crier si haut. » En Anjou, les habitants des bords des rivières l’appellent le bœuf, le buard. Le cri du butor peut, au printemps, lorsque l'air est calme, être entendu à deux kilomètres de distance. Quelques naturalistes prétendent que pour produire ce mugissement si singulier et si sonore, le butor enfonce son bec dans l’eau. Cet échassier a des formes peu gracieuses et des mœurs peu sympathiques; de plus, il est excessivement dangereux de s’ap- procher de lui quand il est blessé, car il vise toujours à crever les yeux de son adversaire, et il agit en cela d’une manière sournoise et dissimulée. Pour tous les motifs que je viens d’énumérer, l’ad- jectif butor convient parfaitement à cet échassier, puisque ce mot désigne ordinairement un être maladroit, grotesque et brutal. 9 Quant à la dénomination stellaris, « étoilé », elle peint d’une ma- nière expressive la variété de son plumage, qui est émaillé de taches noires, sur un fond jaunâtre, et semées transversalement. Scaliger, cité par Buflon (édition in-4°, t. VII, p. 416), prétend que «les épithètes stellaris et asterias qui désignent le butor, paraissent tirer leur origine de l’essor que chaque soir il prend vers les astres et par lequel il semble se perdre sous la voûte des étoiles, plutôt que des taches de son plumage disposées en pinceaux et en étoiles. » Belon (ist. des oiseaux, p. 193) prend le mot butor dans le sens d'indolent, de paresseux, parce qu’il dit avec raison que le butor manifeste pendant toute la journée une incroyable insouciance, et qu'il ne paraît se réveiller de sa léthargie diurne que lorsque le soleil cache sa lumière. Voici le passage de cet auteur : « Le butor, che- minant, va plus lentement qu’on ne saurait dire, et est appelé par Aristote lourd et paresseux, et était aussi nommé Phoix, d’un es- clave paresseux nommé Phoir, qui fut transformé en butor ; encore pour aujourd’hui le vulgaire se ressent de son antiquité sur ce pas- sage, qu’en injuriant un homme paresseux pense l’outrager que de le nommer butor. » Molière a employé ce mot au féminin : « Est-ce, madame, qu’à la cour une armoire s'appelle une garde-robe? -— Oui, butorde, on appelle ainsi le lieu où l’on met les habits. » (La comtesse d'Es- carbagnas, scène m1.) Marot, dans son Églogue au roi, a rendu d’une manière très-expressive la puissance du cri du héron butor : Joy d'autre part le piverd jargonner, Siffler l’écousfle et le butor fonner. Écousfle était dans l’ancien français le nom donné au Milan. Aldrovande (Ornithologie, Liv. XX, chap. xxvi) dit que le butor est appelé #ombone dans plusieurs localités de l'Italie, parce que le cri. de cet oiseau rivalise avec le son d’une trompette : « 1n qui- busdam Italiæ locis TRomBoNE dicitur a voce tubæ sonum æmu- lante. » Le butor niche au milieu des touffes de roseaux qui poussent dans les prairies marécageuses d’une grande étendue; son nid est très- e 2 bien caché, et il est très-difficile de pouvoir y parvenir avant que les petits ne soient envolés. On ne peut fouiller ces touffes de roseaux que lorsque les herbes qui les entourent sont fauchées, et alors 1l est trop tard pour capturer les œufs. Aussi pendant longtemps ces œufs ont-ils été rares, et beaucoup d’auteurs n’ont-ils pu en déterminer ni les dimensions ni la couleur. M. Dégland était tombé lui-même dans une véritable erreur sur la couleur de ces œufs; son savant continuateur, M. Gerbe, s’est empressé de la rectifier. Cette erreur était d’autant plus facile à commettre que tous les œufs des espèces que nous avons décrites sont d’une couleur bleu uniforme et plus ou moins foncé; celle des œufs du butor, au contraire, retrace un peu les teintes de l’ensemble de son plumage : elle est d’un jaune pâle et uniforme ; quelques-uns sont d’une couleur beaucoup plus foncée ; le nombre de ces œufs varie de trois à quatre, le grand diamètre de 0m,05 à 0,052, et le petit, de 0m,034 à 0",036. HÉRON BLONGIOS. — ARDEA MINUTA. Malgré toutes les difficultés que j'ai rencontrées dans l’explica- tion des mots qui désignent plusieurs espèces de hérons, je suis obligé de dire avec le poète : « Zn cauda venenum, — Je rencontre le poison à la fin », car je me trouve en terminant la famille des hérons en présence d’une expression française dont je n’ai pu entre- voir d’une manière satisfaisante l'étymologie. Tous les auteurs donnent à cette espèce l’épithète #/ongios, sans qu'aucun d’eux ait laissé même soupconner le motif de cette dénomination. Mais avant d'exposer quelques détails sur les mœurs de cet oiseau, j’indique d’une manière sommaire la racine du mot /entigineux, lentiginosa, servant à caractériser une espèce de héron d'Amérique dont la pré- sence aurait été signalée en Anjou; les nuances de son plumage se rapprochent de celles du butor, et c’est à ces nuances qu’il doit ses noms qui dérivent de /entigo, signifiant marbrure, rousseur, mot qui a lui-même pour racine lens, lentis, lentille. Ce n’est toutefois qu'avec la plus grande réserve que je mentionne la présence du héron lentigineux en Anjou. Heureusement qu’en ce qui concerne ER Ven l’ornithologie on ne peut craindre d’être poursuivi pour fausses nou- velles, et cependant je prends mes précautions afin de ne pas me montrer trop téméraire. Je reviens au héron Blongios désigné sous l’épithète minuta, « petit, » parce que cette espèce est la plus petite de toutes celles qui visitent l’Europe. Beaucoup de naturalistes l’appellent Botaurus ou Butor minutus, parce qu'il se rapproche du Butor étoilé par plusieurs traits de ressemblance ; mais il s’en éloigne aussi par beaucoup de caractères : son cou est moins dénudé que celui du Butor ; son plumage jaune est coloré par de longues taches noires longitudinales ; enfin, la livrée du mâle est très-différente de celle de la femelle. Le blongios fait souvent entendre un son étouffé et assez continu. C’est à ce son qu'il doit son nom vulgaire, filassier et pilon, parce que les pêcheurs l’ont comparé avec beaucoup de justesse à celui que poussent les filassiers quand, avec leur pilon, ils broient le lin ou le chanvre. Sur les rives de la Loire, du côté de Béhuard, de Savennières, etc., le blongios est généralement nommé come, et cependant cette expression ne peut être prise dans le sens de huppe car les plumes occipitales de cet oiseau sont très-peu sensibles. Brisson Va désigné par l’épithète nœvia, «tacheté, » à cause des belles bandes noires qui se déroulent sur les scapulaires. Le héron blongios arrive au printemps, dans notre département, pour s’en éloigner vers l’au- tomne ; quelques couples y restent toute l’année. Cet échassier est ré- pandu en grand nombre sur les bords de tous les cours d’eau et dans les endroits marécageux. Il niche dans les roseaux, dans les osiers, et sur les têtes des arbres émondés plantés dans les marais. J’ai trouvé les nids de cet oiseau dans les jones près de ceux de la fauvette rous- serolle et de la fauvette effarvate ; ces nids sont composés de petites baguettes et de brins de roseaux desséchés ; quelques-uns soat plats comme des nids de tourterelle, d’autres sont creux en forme d’enton- noir. Aussi est-ce avec un véritable étonnement que j'ai lu ce pas- sage dans Toussenel (Ornithologie passionnelle, 1*e partie, p. 371) : « Le héron blongios niche à terre, au plus épais des fourrés d’herbes, à l'instar du butor. » Cette affirmation est complétement fausse, du moins en ce qui concerne les habitudes du héron blongios, en SN. CE Anjou. J'ai trouvé bien des fois des nids de cet échassier, ils étaient toujours placés de 1,50 à 2 mètres au-dessus de l’eau ou de la sur- face de la terre et toujours dans des endroits peu fourrés, de manière qu'il était très-facile de les apercevoir. Voici quelques détails sur le dernier de ces nids que j'ai étudié. Dans le mois de juin 1868, après avoir reçu une aimable hospitalité chez M. le curé de Brissarthe, je me dirigeai avec mon jeune ami, Daniel Métivier, vers la rivière où nous trouvâmes un canot préparé par les soins de M. l’abbé Baillif. Puis, grâce au permis concédé par la bienveillance de M. le Préfet, nous pûmes fouiller toutes les sinuosités du cours de la Sarthe et pénétrer dans les lagunes parsemées de grands roseaux. La chaleur était excessive et l'équipage de l’embarcation avait presque épuisé toutes ses forces, sans avoir fait d’autre découverte que celle de nids de fauvette effarvate, de fauvette rousserolle et de fauvette phragmite, lorsqu’en contournant un petit îlot, j’aperçus à l’extré- mité en aval quelques petites buchettes grossièrement réunies et ap- puyées sur des roseaux, à 2 mètres environ au-dessus de l’eau; elles supportaient deux œufs de héron blongios. Cette courte description peut convenir à presque tous les nids de cet échassier, du moins à ceux que jai étudiés dans notre département. Le père partage avec la mère le soin de l’incubation, et quand la femelle couve les œufs, le mâle veille avec une grande sollicitude sur la couveuse, et c’est cette vigilance même, trop accentuée, qui sert à diriger vers le berceau de la jeune famille les ornithologistes expérimentés. Quand on approche d’un nid dans lequel les petits ont quelques semaines d’existence, tous, au cri du mâle et à l’aver- tissement donné par la femelle, montent le long des branches ou des roseaux, en s’allongeant de manière à faire de tout leur corps une ligne entièrement droite. Cette posture si extraordinaire et si bizarre est aussi prise par les blongios adultes. Lorsque les petits commen- cent à sortir du nid, leur corps est couvert d’une peau jaune sur laquelle sont semées de petites touffes d’un duvet de même couleur qui laissent entièrement apercevoir la peau, dont la nuance est peu gracieuse. On dirait une vieille feuille de parchemin sur laquelle seraient appliqués d’une manière irrégulière quelques poils isolés. Es QD 2 Sous tous les nids que j'ai trouvés, j'ai constaté des débris assez nombreux d’arêtes de poissons; observation qui ne peut s’accorder avec le sentiment des naturalistes affirmant que le blongios ne vit que d'insectes aquatiques. Le vol du blongios a quelque chose du moelleux de celui des chouettes : il s'effectue sans bruit. Cet oiseau n’a pas toujours recours au vol pour échapper à ses ennemis, et bien souvent il fuit à travers les roseaux et les herbes avec une rapidité qui le rapproche du râle. Quoique très-petit, il devient dangereux quand il est blessé, et son bec est alors une arme terrible. Un jour que je fouillais les touffes de roseaux si nombreuses, il y a quelques années, sur les bords de l’Authion, j'étais accom- pagné du garde de Corné, qui dirigeait notre léger bateau. En frappant sur les jones avec nos rames, nous fimes envoler un blon- gios mâle, en sentinelle près de son nid; le garde lui tira un coup de fusil, l’abattit, puis s’élança à terre pour saisir sa victime. Au moment où le garde tendait le bras pour capturer le héron, celui-ci replia en arriére son cou, et le distendant tout à coup avec une rapidité incroyable , frappa de son bec un des doigts du garde et lui fit une blessure assez profonde. Pour se débarrasser de son ennemi, Île garde balança le bras quelques instants et finit par faire lâcher prise à son adversaire et le lancer au loin, non sans avoir poussé un cri dont le souvenir ne s’est pas encore effacé de ma mémoire. La femelle du héron blongios pond de quatre à six œufs oblongs, d’un blanc terne. J'en ai trouvé quelques-uns sur la coquille des- quels on voyait quelques taches jaunâtres ; leur grand diamètre varie de 0",032 à 0",035, leur petit, de 0",022 à 0",026. J'ai re- marqué que les œufs capturés sur la tête des arbres étaient beau coup plus ronds que ceux des nids confiés aux roseaux ou aux osiers. Caractère qui semblerait indiquer l’existence de deux races. Avant de terminer cette étude sur le héron blongios, il m'est im- possible de ne pas soumettre au lecteur une hypothèse sur l’étymolo- gie du mot blongios, étymologie à laquelle j'avais semblé renoncer en commencant cette notice; mais il m’est si difficile de briser entiè- rement une vieille habitude, que je consens à mériter, une fois de plus encore, la note de féméraire. Le héron blongios vit en grande Lis ame 2 partie de poissons, malgré l'opinion contraire de quelques natura- listes ; toutes les fois que j’ai trouvé le nid de cet oiseau, des débris de poissons, des arêtes couvraient le terrain situé au-dessous ou près du berceau de la jeune famille. La position constante de ces nids, placés non loin de l’eau ou suspendus sur l’eau, indique par là même, pour les blongios comme pour les autres oiseaux, quelle doit être la nourriture ordinaire de ces échassiers. Sur les bords de la Loire, les pêcheurs donnent au blongios le nom de come et dési- gnent par le même mot le derrière de leur bateau, le sentineau, le réservoir auquel ils confient les poissons qu'ils capturent; ces pêcheurs ont done voulu assimiler par un même mot et le blongios et leur sentineau ? Quel serait le motif de cette assimilation, si ce n’est que l'estomac du héron est pour eux une come qui recèle beau- coup de petits poissons ? Cette interprétation n’est-elle pas encore justifiée par l’acharnement avec lequel les pêcheurs tuent les blongios et détruisent leurs nids, croyant ainsi faire disparaître de dangereux rivaux ? Enfin, la chair du blongios exhale, surtout quand on fait son autopsie, une odeur très-prononcée d’huile de poisson. Il me semble donc bien constaté que le poisson compose en grande partie la nourriture du héron blongios. Il reste à expliquer comment cet échassier capture sa proie. Le héron blongios est le seul oiseau de tout l’ordre des Échassiers, avec la bécasse, dont le tarse soit em- plumé. Cette particularité, très-significative, indique done que le blongios n’est pas constitué, comme ses congénères, pour pénétrer dans l’eau et là y attendre sa proie, en conservant plus ou moins longtemps une immobilité complète ; de plus, la petite longueur de ses jambes vient encore confirmer mon assertion. Comment alors capture-t-1l les poissons? Le héron blongios imite le martin- pêcheur : il se perche sur les petites branches des arbres plantés près les bords des cours d’eau, ou même sur les roseaux inclinés, et de cet observatoire, il se laisse tomber sur les petits poissons qui passent près de lui. Dès lors ce caractère distinctif, qui ne convient qu’à cette seule espèce et qui la sépare d’une manière très-tranchée de toutes les autres, seraitle principe desa dénomination particulière, et hlongios ne représenterait qu’une variante du motp/onçios ou plon- sn (Ai = geur ; cette hypothèse, que je propose avec une grande réserve, me sourit beaucoup plus que celle qui donnerait à b/ongios, pour radical le mot blond, et s’appuierait alors sur la couleur de cet échassier, sans le déterminer pour cela d’une manière bien précise, car le héron lentigineux et le héron butor sont au moins aussi blonds que le blongios, ou plutôt, les nuances de leur plumage sont d’un jaune plus ou moins prononcé; puis enfin, la livrée du mâle est entière- ment différente de celle de la femelle. Je termine cette petite étude par une vieille légende angevine. Il existait autrefois, dans lacommune de la Pouèze, un antique ma- noir dont le seigneur voulut associer à son bonheur et à sa fortune, non pas une riche châtelaine, mais la personne qui saurait fixer son amour et mériter sa sympathie. Après plusieurs années d’attente et de recherches multipliées, le seigneur du Mas, tel était le nom du chà- teau, fixa son choix sur une jeune personne dontla modestie égalait la beauté. La demande du comte ne fut pas agréée immédiatement, et la future châtelaine mit pour condition à son consentement, que le seigneur du Mas ne chercherait jamais à voir les pieds de celle qu’il désirait épouser. La condition fut acceptée, et pour qu’elle pût se réaliser entièrement, la jeune comtesse avait toujours des robes un peu plus longues que celles que portent les femmes de nos jours. Le soir, toute lumière était éteinte lorsque les époux devaient regagner le lit conjugal. Le seigneur du Mas qui avait accepté assez facile- ment la condition qu’on lui avait imposée, imita notre père Adam et plus le fruit était défendu, plus il désirait et plus il cherchait les moyens de satisfaire sa curiosité. Ce désir non réalisé devint pour le comte un tourment qui le déchirait le jour et La nuit ; tant il est vrai que le bonheur ne se rencontre pas souvent sur la terre et moins encore dans le sein de l’opulence que dans celui d’une médio- crité laborieuse! La promesse que le jeune comte avait faite lui ap paraissait, dans ses moments de loisirs si nombreux, comme un fantôme prenant plaisir à torturer son esprit et à enflammer son imagination. Ses jours étaient tristes et ses nuits plus encore ; ses forces s’épuisaient, et ses traits amaigris semblaient annoncer qu’un mal intérieur le poussait vers la tombe. Un soir qu’il avait — 100 — cherché bien en vain, dans les bosquets de son pare, une distraction à la pensée qui ne lui laissait aucun repos, le comte trouva un vieux serviteur de sa famille, un villageois qui depuis bien des années, venait à chaque automne, passer quelques jours au château, pour tiller et préparer le lin récolté dans la réserve du domaine seigneurial. La tristesse du comte ne put échapper à l'œil perspicace du filassier; celui-ci en demanda la cause avec tant d'instance que le secret lui en fut confié. « Le moyen de satisfaire votre désir est très-simple, dit alors le bon villageois ; veuillez semer de la cendre près du lit conjugal, vous pourrez le lendemain voir très-distincte- ment l'empreinte des pieds de Madame la châtelaine. » Ce conseil sembla illuminer d’un éclair d’espérance le visage assombri du jeune homme. Il rentra au château et déroula lui-même une couche épaisse de cendre sur la descente de lit, puis il attendit, non sans une véritable anxiété, le moment du coucher. A peine la chà- telaine eut-elle mis les pieds sur la cendre qu’elle comprit le stra- tagème auquel son mari avait eu recours pour éluder la promesse qu’il lui avait faite, et tout à coup elle s’écria d’une voix terrible : O Mas! à Mas! Tu m'épias, Tu périras, Toi et ton Mas! Puis le château s’affaissa sur lui-même, la terre s’entr’ouvrit et tout disparut. A la place où était la demeure splendide du comte du Mas, il n'existe plus qu’un étang marécageux dans lequel le malheureux filassier, changé en héron blongios, a fixé son séjour forcé, et où 1l fait entendre, là plus encore qu'ailleurs, des sons entrecoupés et le souffle pénible et prolongé de son ancien métier. Il ne me reste plus qu’à tirer la morale de cette légende, morale bien facile à déduire. Il est toujours très-dangereux de se laisser séduire par la curiosité, et de chercher à éluder, même indirectement, les promesses que l’on a faites, les engagements que l’on a contractés. Cette légende me rappelle la métamorphose d’Ardée, ville capi- tale des Rutules, plus ancienne que Rome, et qui est aujourd’hui — 101 — @- un bourg, près de la rivière de Numico, à vingt kilomètres lorient d’Ostie. .….…. Turnusque cadit : cadit Ardea, Turno Sospite dicta potens : quam postquam barbarus ensis Abstulit, et tepida latuerunt tecta favilla, Congerie e media, tum primum cognita, præpes Subvolat, et cineres plausis everberat alis. Et sonus, et macies, et pallor, et omnia, captam Quæ deceant urbem, nomen quoque mansit in illa Urbis , et ipsa suis deplangitur Ardea pennis. « Turnus tombe, et avec lui tombe Ardée, célèbre par sa puissance tant que vécut Turnus. A. peine a-t-elle été renversée par le fer, à peine ses toits ont-ils disparu sous la cendre brülante ; soudain, du milieu de ses ruines s’élance un oiseau qu’on vit alors pour la pre- mière fois ; il agite ses ailes et soulève autour de lui un nuage de poussière. Ses cris, sa maigreur, sa päle couleur, tout est l'emblème d’une ville détruite ; il garde même le nom d’Ardée, et semble, par le battement de ses ailes, en déplorer la ruine, » (Métamorphoses d’Ovide, Liv. XIV, v. 574 et suivants.) CIGOGNE BLANCHE. — CICONIA ALBA. L’épithète française et l’épithète latine sont justifiées par la cou- leur du plumage de cet échassier ; il ne s’agit donc plus que de re- chercher l’étymologie du mot ciconia, principe du nom français cigogne, qui autrefois s’écrivait cigoigne et cignongne et en Picard chigogne. Pour entrevoir d’une manière assez plausible la racine du mot ciconia qui semble se rattacher au sanscrit, il faut faire ressortir un caractère particulier à cet oiseau, caractère qui a frappé les natu- ralistes dans tous les siècles. Pline, liv. X, chap. xx1, s'exprime ainsi: « Sunt qui ciconus non esse linquas confirment, ilse trouve des gens qui aflirment que les cigognes n’ont pas de langue.» Belon énonce la même idée mais d’une manière différente : « Par quoi le bruit qu’elles font, est un son que font les maschouëres se donnâts les unes contre les autres et no pas voix venâts des poulmos. » (Liv. IV, page 202.) Quoique la cigogne n’ait pas de voix, ni de cri proprement dit, — 102 — elle fait entendre un son tout particulier, que Juvénal, sat. I, v. 11, a indiqué, mais d’une manière incomplète : « Quæque salutato cre- pitat Concordia nido, la Concorde dont le sanctuaire retentit des cris de la cigogne, quand elle salue son nid au retour du printemps. » Voici le moyen que cet oiseau prend pour produire le cri indiqué par Juvénal et par Belon ; il frappe les mandibules de son bec l’une contre l’autre et fait entendre un claquement assez bizarre en ren- versant en même temps le cou en arrière, de manière que la mandi- bule inférieure se trouve en haut, et à mesure que la cigogne redresse le cou, le claquement se ralentit pour finir quand la tête a repris sa position naturelle. Ce procédé très-bizarre, ce cri tout exceptionnel ont dû frapper les premiers naturalistes qui ont étudié les habitudes de la cigogne et les déterminer à donner à cet oiseau un nom rap- pelant cette particularité exceptionnelle. C’est ainsi que les Arabes lui ont donné le nom /4k lak, onomatopée exacte du cri de la cigogne. « D’après cela, dit Adolphe Pictet (Aryas Prémitifs, L* vol., pag. 492), je vois dans ciconia un composé de l’interrogatif sanscrit ki où kim, c’est-à-dire, quam parum, combien peu et de la racine kan ou kvan, sonare, sonner. Le mot latin céconia serait ainsi sy nonyme du sanscrit £inkani, de kim-kan, «clochette,» quam parum sonans, « combien peu elle sonne. » Ainsi selon l’opinion d’Adolphe Pictet, l'expression ciconia aurait été donnée à la cigogne pour faire connaître que cet oiseau n’a d’autre voix qu’un son semblable à celui d’une petite clochette ou mieux encore à celle des castagnettes. La cigogne blanche est d’un caractère doux, sociable ; elle ne fuit pas le voisinage de l’homme ; elle vit de souris, de rats, de batra- ciens, de couleuvres, d’anguilles, etc. ; elle s’apprivoise très-facile- ment dans les jardins et dans les parcs, où elle se nourrit d'insectes et de vers de toute espèce ; comme la grue, elle se tient souvent im- mobile, appuyée sur une seule patte et conserve cette position pen- dant des heures entières. En liberté, la cigogne recherche les bords des rivières et les lieux marécageux. Elle fixe son nid composé de büchettes et d'herbes sèches dans les endroits élevés, quelquefois dans les marais, souvent sur les toits des maisons, ou sur le haut des cheminées. Elle se reproduit en grand nombre dans les vastes — 103 — marais de la Hollande et sur les bords du Rhin. « En Alsace, les habitants lui préparent une aire ; c’est une vieille roue de voiture portée à plat par le trou du moyeu au haut d’un long mât. Les Hollandais disposent des caisses sur le toit des maisons, et eux si propres, si jaloux de la netteté extérieure de leurs édifices, ne refusent jamais à la cigogne la libre disposition du toit qu’elle a choisi pour établir son nid, malgré les inconvénients quien peuvent résulter. » (Magasin Pittoresque, année 1834.) Dans ces pays elle rend de véritables services en détruisant les reptiles et les petits rongeurs qui y pullulent ; aussi est-elle sous la protection des lois et des habitants. Pline (liv. X., ch. xxxr,) dit qu’en Thessalie celui qui tuait une cigogne était puni de mort; cette loi sévère était justi- fiée par les véritables services que rendait cet oiseau en purgeant le pays de serpents dangereux. C’est le même motif qui privaitles gastro- nomes romains de pouvoir faire figurerc et échassier sur leurs tables, où ils se plaisaient à étaler toutes les différentes espèces d'oiseaux. Les cigognes reviennent constamment aux mêmes nids, elles s’y installent s'ils sont conservés, les rétablissent s'ils sont défaits. C’est à cette habitude que Juvénal fait allusion. Dans sa Satire V*, v. 11, il aflirme que chaque année une cigogne venait se fixer dans un nid posé sur le haut du temple de la Concorde à Rome. Ce nid est pour les cigognes un asile sacré, et lorsqu'elles s’en éloignent pour aller visiter d’autres climats, elles font, en passant devant le berceau de leurs jeunes familles, entendre le claquement des mandibules de leur bec, seul bruit qui puisse prouver leurs sentiments. Les nids contiennent ordinairement de trois à quatre œufs d’un blanc légèrement grisâtre et sans taches. Le grand diamètre est de 0m,082 à 0m,086, et le petit, de 0",056 à 0",06. Le père et la mère élèvent leurs petits avec une sollicitude et une tendresse admirables; aucun danger, aucune crainte ne peut les éloigner de leur couvée. Les Annales bataves de l’année 1536 rapportent qu’une cigogne de Delft, qui, dans l'incendie de cette ville, avait inutilement essayé d’enlever ses petits, aima mieux se laisser brûler avec eux que de s’en séparer. M. Bory Saint-Vincent a cité un exemple vraiment étonnant de cette persistance de l’amour maternel chez la cigogne : « Peu de temps après la bataille de — 104 — Friedland, le feu, mis par des obus, se communiqua à un vieil arbre sur lequel une cigogne avait son nid et couvait alors ses œufs; elle ne les quitta que lorsque la flamme commença à s’appro- cher, et alors, voltigeant perpendiculairement au-dessus, elle sem— blait guetter l'instant de pouvoir enlever ses œufs au désastre qui les menaçait; plusieurs fois on la vit s’abattre sur le foyer comme pour combattre la flamme; enfin, surprise par la chaleur et la fumée, elle périt dans une dernière tentative.» (Encyclopédie d'his- toire naturelle du Dr Chenu, vol. VI, p. 217.) « Lors de l’incendie de Kelbra, en Russie, on vit ces oiseaux ingénieux improviser un service de pompes et éteindre le feu. Le fait est affirmé par un auteur peu connu, il est vrai, mais qui a l’avantage de se nommer Okarius de Rudolstadt. » (Toussenel, Ornithologie passionneile , vol. I, pag. 376.) Cette tendresse et cette sollicitude ne se bornent pas aux soins prodigués aux jeunes cigognes, elles s'étendent encore aux cigognes vieilles ou blessées et dès lors incapables de se procurer la nourriture qui leur est nécessaire. Toutes celles qui sont valides se disputent le soin de venir en aide à celles qui souffrent, et une nourriture abondante et choisie est fournie à ces dernières par la colonie toute entière dont elles font partie, et surtout par les descendants des infirmes. Aussi, dans les hiéro- glyples, emblème de la cigogne signifiait-il « piété filiale et bien- faisance », et la loi grecque, qui faisait aux enfants une obligation de nourrir leurs parents vieux ou malades, était-elle désignée sous le nom de cet oiseau : « Lex pelargonia, » du mot grec PELARGOS signifiant « cigogne. » L'expression PELARGOS était très caractéris- tique; composée de PELoS «brun livide, noirâtre » et d’arGos «blanc», elle indiquait les deux couleurs qui se partagent les nuances du plumage de la cigogne, dont l’extrémité des ailes et de la queue est d’un brun noirâtre et le reste du plnmage, d’un blanc uniforme. Voici comment Belon exprime cette croyance : « La cigogne a le bruit d’avoir enseigné que les enfants nourrissent les pères en vieil- lesse. » (Liv. IV, p. 201.) Toussenel affirme « que la loi Pe/argonia a passé aussi dans nos codes, mais qu’elle a oublié de passer dans nos mœurs. » (Ornitho- logie passionnelle, 1" partie, p. 375.) Reproche bien cruel et cepen- — 105 — dant trop vrai et qu'Aristophane adressait déjà de son temps aux fils oublieux de leurs devoirs envers les auteurs de leurs jours. La cigogne blanche aime les climats tempérés ; aussi passe-t-elle l'hiver en Afrique pour quitter cette contrée quand les grandes chaleurs y exercent leur influence tropicale. Shaw prétend qu'avant d'entreprendre leur voyage d’émigration, les cigognes se réunissent en très-erand nombre pour tenir conseil; c’est une Conférence, mais qui aboutit à des résolutions pratiques ! Voici le passage de cet au- teur : « On remarque que les cigognes, avant de passer dans un autre pays, s’assemblent quinze jours auparavant, de tous les can- tons voisins, dans une plaine, y forment une fois par jour une espèce de divan, selon l'expression du pays, comme pour fixer le temps précis de leur départ et le lieu où elles se retirent. » (Tome II, p. 167.) D’après Pline, les cigognes auraient l'habitude de mettre en pièces celle qui arrivait la dernière au rendez-vous. Grand Dieu ! si un pareil système était suivi à l’égard des membres de nos as- semblées délibérantes, ne serait-il pas à craindre que bientôt la salle ne füt entièrement vide et que le combat ne cessât faute de combat- tants! Selon le même auteur, le lieu où ces oiseaux se réunis- saient en Asie était appelé /« plage aux serpents (lv. X, chap. xxxr). Malgré le très-grand nombre de cigognes qui as- sistent à ces conférences, il paraît, chose très-édifiante et cepen- dant peu pratiquée de nos jours, qu’elles s'entendent facilement sur les questions qui v sont posées. Je cite encore un passage du docteur Shaw qui fera comprendre combien est incalculable le nombre des cigognes composant les bandes qui émigrent : « Vers le milieu d’avril 1722, notre vaisseau était à l’ancre sous le mont Carmel, je vis trois vols de cigognes dont chacun fut plus de trois heures à passer et s’étendait plus d’un demi-mille en largeur. » (Tome II, p. 167.) Les cigognes ont un vol soutenu, et dès lors elles effectuent des voyages très-longs sans être obligées de se reposer. La mythologie prétendait qu’Antigone fut changée en cigogne. Voici sur ce sujet le texte de Belon (liv. IV, p. 201) : « Les poètes feignent que Antigone, sœur de Priam, devint si glorieuse XI. 8 — 106 — pour sa beaulté, qu’elle osa se comparer à Juno. De quoy icelle déesse estant moult courroussée, la convertit en cigogne. » CIGOGNE NOIRE. — CICONIA NIGRA. Je n’ai que quelques lignes à consacrer à la cigogne noire: les épithètes qui servent à la distinguer de sa congénère s'expliquent d’elles-mêmes ; elles indiquent quelle est la différence caractéristique qui sépare ces deux espèces. Ma tâche étymologique est donc cette fois bien simple ; malheureusement il n’en est pas toujours ainsi. Cepen- dant l’épithète notre ne doit pas être prise dans son acception ordi- naire; cette dénomination n’est vraie que par opposition aux cou- leurs de la cigogne blanche. Les nuances du plumage de la cigogne noire sont d’un brun mêlé de reflets violets et verts. Cet échassier est beaucoup moins répandu en Europe que le précédent ; 1l appa- raît rarement dans notre Anjou; il habite surtout le nord de PAlle- magne et les vastes marais de la Lithuanie ; on le trouve aussi en assez grand nombre en Suisse, dans certaines parties des Alpes françaises et en Italie. Dans ces contrées, il remplace la cigogne blanche, qui y est en petite quantité. D’un caractère beaucoup plus farouche que sa congénère, la cigogne noire se laisse difficilement approcher; elle se tient ordinairement dans les lieux marécageux, où elle se nourrit de batraciens, de reptiles, et surtout de poissons. Elle confie son nid, composé de büchettes et d’herbes desséchées, aux pins et aux sapins des vastes forêts. Ce nid contient de deux à trois œufs d’un blanc légèrement sale et sans taches. Leur grand diamètre varie de 0",076 à 0,078, et le petit, de 0°,052 à 0",054. Ces dimensions indiquent que la cigogne noire est plus petite que la blanche; la différence entre la taille des deux espèces est de quinze à vingt centimètres. LA SPATULE BLANCHE. —— PLATALEA LEUCORODIA. Cet échassier visite régulièrement l’Anjou, et quelquefois il ma- nifeste sa présence en bandes nombreuses ; son nom français spatule — 107 — dérive du latin spatula, qui estlui-mêmeun diminutif du grec sPATHÉ, « épée large » dont la racine probable est spaô, signifiant « arracher, tirer, tirailler, » ete. La spatule dont on se sert en chirurgie est ur instrument rond per un bout et plat par l’autre, qui a une res- semblance assez frappante avec la forme du bec de l’oiseau que je décris, ressemblance qui lui a fait donner le nom vulgaire sous lequel il a toujours été désigné. L’épithète blanche indique la cou- leur générale du plumage de la spatule, qui est d’un beau blane, à l'exception toutefois de la poitrine, où se déroule chez les adultes un large plastron d’un jaune roussâtre. Cette particularité assez signi— ficative m'avait fait supposer pendant assez longtemps que la déno- mination /eucorodia pourrait être formée de reuxos, « blanc, » et de RODÉIOS, «couleur de rose, » et rappeler ainsi lateintedulargeplastron de la spatule; mais j'ai dû abandonner cette hypothèse, dès lors que les anciens auteurs affirment que la spatule était appelée en grec LEUKOS ÉRODIOS, « blanc héron ou héron blanc, » étymologie qui me sourit beaucoup moins que celle que j'avais avancée, car elle ne peut caractériser d’aucune manière l’échassier que nous étudions. Elle ne peut lui convenir que parce que la spatule se rapporte aux hérons par sa forme, par la hauteur de ses tarses, enfin par sa huppe. Cette huppe étant blanche, tandis que celle des hérons est ordinairement noire ou grise, pourrait alors justifier l’épithète donnée à la spatule. Quant au mot platalea ou platea, il dérive du grec PLATUS, ÉIA, « large, exposé àtousles yeux, » d’où est venu platea, « place publique, forum ». D’après Belon, on donnait à la spatule le nom de cueillier, et mème celui de pale, formé de pala, signifiant pelle, et même l’extrémité d’une rame. Il est de toute évidence que ces différentes dénominations avaient pour but de désigner la spatule par une expression représentant la forme si bizarre, du moins en apparence, du bec de cet échassier. La spatule, comme tous les autres oiseaux, a reçu de Dieu une mission à remplir, et dès lors cet échas- sier a dû être constitué dans les conditions nécessaires pour accom- plir cette mission. La spatule fréquente les bords des mers et ceux des grands fleuves ; là elle vit de petits poissons, d’insectes, de vers aquatiques et de petits coquillages ; la forme de son bec ne lui — 108 — permet pas de manger une proie considérable ; elle ne pique pas, elle écrase plutôt tout ce qui lui sert de nourriture ; elle purge les bords de la mer et des fleuves, d’une multitude de vers et de petits insectes qui pullulent par myriades, ét qui échappent au bec acéré des autres échassiers. La spatule fait avec son bec le même bruit que la cigogne ; sa langue est très-petite, et elle est condamnée aussi à un mutisme complet. Cet échassier est d’une grande douceur et d’une excessive timidité ; il aime la société de ses congénères et forme avec eux des bandes considérables. La spatule niche sur les arbres, sur les joncs et sur les buissons. Son nid, formé de petites baguettes et d’herbes marécageuses, contient trois ou quatre œufs oblongs, blancs ou bleuâtres, quelquefois sans taches, mais le plus souvent parsemés de taches roussâtres qui semblent pres- que effacées. Le grand diamètre varie de 0m,064 à 0,066, et le petit, de 0",044 à 0",046. Cet oiseau se reproduit en grande quantité sur les bords de la mer Noire et dans les marais de la Hollande et de l’Angleterre. Plu- sieurs fois, j’ai vu des troupes assez nombreuses de spatules par- courir les contours de la petite île du Mé, non loin du Croisic, et saisir avec adresse et avec rapidité les débris de mollusques et de poissons cartilagineux que la mer avait rejetés sur le rivage. Entre les deux extrémités larges et arrondies de leur long bec, les spatules semblaient broyer leur proie avec la mème puissance que le fer des coiffeurs ou de ceux qui font les gaufres, saisit et presse les objets qu’il écrase. Pendant que les spatules se livraient à leur mastica- tion, l’une d’elles, placée en sentinelle sur une hauteur, veillait au salut commun, et dès que j'approchais à deux ou trois cents mètres de la troupe, la vedette faisait craquer son bec, et toute la bande s’envolait pour aller se reposer beaucoup plus loin. L'abbé VinceLor, Chanoine honoraire, aumônier de la pension Saint-Julien. LA SEICHE COMMUNE (SEPIA OFFICINALIS ). La Seiche * commune (sepia officinalis) mérite d’être étudiée; ses mœurs sont intéressantes et, sans parler de lutilité de sa chair comme aliment, on sait que l’os est employé depuis longtemps dans l’industrie. La science a recueilli sur ce mollusque peu d’observa- tions qui, le plus souvent, sont incomplètes ou erronées. La Seiche n’est pas hermaphrodite ; le mâle et la femelle existent séparément, et la fécondation des œufs s’effectue, comme chez les poissons, après la ponte et par une liqueur que le mâle répand sur eux. La femelle fait sa ponte vers le mois de juillet ; elle fournit au plus cinquante œufs qui se trouvent naturellement enfilés (fig. 2) dans le fil qui retient le premier ; cette première grappe est enfilée dans un autre fil et forme ainsi, par la réunion à un seul pied, un faisceau vulgairement désigné sous le nom de Raisin de mer (fig. 1) et attaché par la femelle soit à un pieu, soit à une pierre, soit à des plantes marines. Au moment de la ponte tous les œufs sont jaunes, et c’est la liqueur fécondante du mâle qui fait changer en noir cette première teinte. La femelle fixe ses œufs en tournant sur elle-même autour de l’obstacle qu’elle a choisi, et pendant toute la durée de la ponte, le mâle veille autour d’elle pour l’aver- tir du danger et éloigner les ennemis en obscurcissant les eaux au moyen d’une liqueur noire qu’il répand à volonté. La Seiche recherche les fonds mélangés de vase, au milieu des rochers, et c’est là qu’elle dépose ses œufs, le plus près possible du 1 On écrit aussi Sèche. — 110 — rivage, mais cependant sur les fonds qui ne découvrent qu'aux ma- rées de syzygies. L’enveloppe de l’œuf est formée par une espèce de gélatine ayant l’élasticité du caoutchouc et, par conséquent, l'œuf est mou et glisse facilement sous les doigts ; au moment de la ponte il est de la grosseur d’un gros pois et il ne se développe qu’un peu jusqu’au moment de l’éclosion (fig. 3); sa forme totale est celle d’une boule munie d’une queue de poële, plate avec an- neau à son extrémité ; du côté opposé à cette queue est une saillie de même nature que la couverture de l'œuf et que j’appellerai la porte, car c’est par là, environ un mois après la ponte, que le jeune sort tout formé (fig. 4) pour prendre lui-même ses ébats dans la mer. À leur naissance, les jeunes ont, à la place de los blanc et solide des grands sujets, une matière gluante qui se solidifie au fur et à mesure qu’ils prennent des forces et grandissent ; jusqu’à ce que l'os soit entièrement formé, les jeunes vivent dans les bassins naturels des rochers où ils ont recu le jour, en compagnie des petits calmars. La Seiche pourrait être cultivée avec fruit et elle accepterait très- bien une privation de liberté qui la mettrait complétement à l'abri des attaques continuelles de ses nombreux ennemis. Les qualités de sa chair sont incontestables, et il m'est possible de l’affirmer, car j'ai souvent mangé des seiches; je les regarde comme un mets agréable. Je sais que sur les côtes de Bretagne ce mollusque est peu apprécié; mais je sais aussi que les pêcheurs du midi le recherchent. La préparation culinaire en est difficile, c’est peut-être ce qui a fait dédaigner la Seiche sur quelques points du littoral”. E. S. Dezmo. 1 Cet article sur la Seiche est extrait de l’Almanach du Pisciculteur publié par M. Delidon. LES GRANDS NATURALISTES FRANÇAIS AU XIXe SIÈCLE. BLAINVILLE. Pendant les trente premières années de ce siècle, Lamarck, Geoffroy Saint-Hilaire et Cuvier jetèrent un vif éclat sur l’ensei- gnement de la zoologie au Muséum d’histoire naturelle, à la Faculté des sciences et au Collége de France. A côté d’eux vint se placer Blainville, qui eut aussi la gloire de faire école. Esprit ardent au travail, il porta ses recherches sur toutes les parties de la zoologie, et par ses conceptions de l’ensemble il s’efforca constamment d’élever __cette science à la hauteur d’une doctrine philosophique. Henri - Marie Ducrotay de Blainville naquit à Arques près Dieppe, le 12 septembre 1777. Il était fort jeune quand il perdit son père. À l’âge de cinq ans, il fut mis en pension chez le curé de sa commune ; et dans sa vieillesse, il se rappelait avec un certain plaisir le temps où 1l servait la messe. Quelques années plus tard , il alla rejoindre son frère aîné à l’é- cole militaire de Beaumont-en-Auge. Fondée pour la noblesse de Normandie et de Bretagne, cette école, chose assez singulière, était — 112 — dirigée par des moines bénédictins. La Révolution ayant fermé cet établissement, Blainville revint chez sa mère. Il l’accompagna lors- qu’en 1793, celle-ci quitta son château où elle n’était pas en sureté. Forcée de fuir et de se cacher, elle errait dans la campagne, sans asile et dénuée de tout. Blainville a raconté que, par une nuit d’h1- ver, il monta sur le toit d’une masure abandonnée, où il arracha des poignées de paille et des débris de bois, dont il fit un feu auprès duquel sa mère put réchauffer ses membres glacés. Elle ne tarda pas à être arrêtée et jetée dans une prison, dont elle ne sortit qu'après la mort de Robespierre. Pendant cette captivité, Blainville, resté seul dans la maison pa- ternelle avec un domestique, allait quelquefois, par peur ou par cu— riosité, aux séances de la société populaire de Valmont, petite ville voisine. On s’y occupait de chansons et de dénonciations. On y traitait aussi des questions d’agriculture. Par une coïncidence assez étrange, Cuvier, alors précepteur des enfants du comte d’'Héricy, était devenu le secrétaire de ce club. En 1796, Blainville se proposant d’entrer dans les services publies du génie, ou des ponts-et-chaussées, fut mis en pension à Rouen chez un professeur de dessin, nommé Deschamps. Dans une lettre adressée à la mère, ce Deschamps disait: « Le caractère du jeune homme est âpre.. Sa plus grande passion est d'apprendre ; tout le reste est absorbé par des idées mal combinées. Ce chaos se démé- lera peu à peu. » Le professeur avait assez bien saisi les traits principaux du ca- ractère de son élève. Il ne le garda pas longtemps. Homme de prin- cipes austères, il ne pouvait s’accorder avec un jeune homme de dix-neuf ans, que l’impétuosité de ses passions et les mœurs de l’époque entrainaient vers les plaisirs. Blainville retourna donc chez sa mère, qui l’envoya à Paris, pour y continuer ses études à l'École du génie, mathématiques et dessin. Comme il aimait les arts, il fré- quenta l'atelier du peintre Vincent. Il cultivait aussi la musique et la poésie, faisait des vers et ébauchait des plans de comédies et d’o- péras comiques. Cette éducation décousue et au hasard des circonstances conve- — 113 — nait probablement à sa nature. Cuvier, dans son éloge d'Humphry- Davy, fait remarquer que l’éducation générale, calculée pour le plus grand nombre, ne s'adapte pas aisément à ces têtes excentriques, dont les premières pensées sont déjà supérieures à celles de leurs camarades et souvent à celles de leurs maîtres. Les efforts pour les faire rentrer dans la voie commune ne serviraient qu'à contrarier leurs progrès. Blainville avait vingt-six ans, quand entré par hasard au Collége de France , il assista à une lecon de Lefèvre-Gineau , qui enseignait la physique. Il y retourna plusieurs fois et fit connaissance avec le professeur, qui le prit en affection et lui ouvrit les portes de sa maison. Là, Blainville entra en relations avec plusieurs savants de l’époque. L'étude de la physique, dont il s’occupa sérieusement, le conduisit à celle de la botanique, qu’il étudia au cours de Desfon- taines. Il ne négligea pas les autres branches de la science natu- relle. La clarté de l’élocution de Cuvier et le dogmatisme tranchant de sa doctrine ‘ le frappèrent vivement. Il devint un des auditeurs assidus de tous les professeurs du Muséum et l’ami de quelques-uns d’entre eux. Celui dont les lecons lui offrirent le plus de secours fut M. Duméril, qui était alors le suppléant de Lacépède. C’est d’après ses bienveïllants conseils que Blainville prit ses inscriptions à l’École de médecine, et qu’il alla étudier , à l'Hôtel-Dieu , l’anatomie hu- maine, comme base de toutes les sciences de l’organisation. Blainville perdit sa mère en 1804. Ayant rompu avec les habi- tudes dissipées de sa jeunesse, il passait au Muséum tous les mo- ments que les cours de l’École de médecine et la clinique lui lais- saient libres. Il avait obtenu de Lacépède et de Duméril l’autorisa- tion de revoir, de concert avec Constant Prévost, son. ami intime, toute la collection des reptiles et des poissons, deux classes de ver- tébrés dans lesquelles la science lui paraissait présenter de nom- breuses lacunes. Il disséqua un grand nombre de ces animaux et en dessina les organes avec le plus grand soin. C’est lui qui fournit à Oppel, zoologiste allemand, la myologie (système musculaire) des 1 Expressions de Blainville. — 114 — reptiles, que celui-ci fit graver dans l’ouvrage qu’il publia sur cette branche de l’histoire naturelle. Vers 1810, il achevait d'employer les débris de sa fortune pa- trimoniale, et il sentait le besoin d’arriver à quelque emploi. Un jour qu’il travaillait dans les galeries d’anatomie comparée, Cuvier, qui ne lui avait jamais parlé, mais qui sans doute était renseigné sur son mérite par Duméril et Geoffroy Saint-Hilaire, Cuvier vint lui dire qu’il avait une proposition à lui faire. Puis, après lui avoir demandé s’il était marié, question qui parut singulière à Blainville, il lui proposa de devenir son collaborateur, pour le grand ouvrage d'anatomie comparée qu’il annonçait depuis longtemps et qui ne de- vait pas voir le jour. « Vous aurez part à la gloire et au profit, lui dit-il; chacun de nous mettra son nom à la partie qu’il aura traitée spécialement. » Blainville accepta avec empressement une offre si honorable. Une indemnité annuelle de 2,000 francs lui fut assurée. Il pouvait la considérer comme la juste récompense de travaux fort avancés, dont l’œuvre commune devait profiter. Dès ce moment, il eut une place particulière dans le laboratoire de Cuvier, dont les livres et les portefeuilles furent mis à sa dispo sition. Introduit au sein de la famille du maître, dont la femme et la belle-fille, Mlle Duvaucel, lui firent l’accueil le plus distingué, il ne se livra qu'avec une certaine réserve. L'accord qui venait de s'établir entre ces deux hommes était né du besoin qu’ils pouvaient avoir l’un de l’autre, et non fondé sur la sympathie. Il était facile de prévoir qu’il serait bientôt troublé. Divers travaux avaient été exécutés en commun, quand à l’ou- verture de son cours au Muséum en 1811, Cuvier annonça qu'il traiterait des organes de la locomotion dans les diverses classes du règne animal. Il fit remarquer que la matière était entièrement neuve, et ajouta qu’il avait été aidé tout particulièrement, dans l’é- tude de ces organes, par son préparateur M. Rousseau. Or, c’est Blainville qui avait fait le plus grand nombre de dissections ; —on sait quelle répugnance ce genre d'opération inspirait à Cuvier; — c’est lui qui avait dessiné tous les organes disséqués; il avait de plus communiqué au maître un grand nombre de déductions — 115 — neuves sur l’objet de cette étude. Blessé de ce que son nom n’était pas prononcé, il fut sur le point d’interrompre le professeur et de revendiquer ses droits. La crainte d’occasionner un scandale et de voir sa carrière brusquement entravée, le retint; mais le lendemain il s’en expliqua très-vivement avec Cuvier qui, à la séance suivante, déclara que le travail qui faisait l'objet du cours, lui était commun avec M. de Blainville. Ce premier orage fut donc promptement dissipé. Vers la fin de la même année, Cuvier céda à Blainville la chaire de l’Athénée, où pendant dix ans il avait professé la zoologie devant les gens du monde. L'année suivante, il le choisit pour son suppléant au Collége de France ; et, comme l’empereur venait de lui confier la mission d'organiser les établissements d'instruction publique en Italie, il voulut qu’en son absence Blainville prit la direction de son labo- ratoire. Les débuts de Blainville au Collége de France furent très-remar- qués. Disons tout de suite qu’il était plutôt orateur qu'écrivain. Il possédait une des plus grandes qualités de l’homme qui parle en publie : le mouvement, l’action. Comme, pour faire prédominer ses théories, il avait souvent besoin d'attaquer celles des autres, il le faisait avec une vivacité singulière. C'était une lutte, un combat ; son esprit s’y fortifiait, et, bon gré mal gré, ses auditeurs étaient entraînés à sa suite. Comme Cuvier, et au moins aussi bien que Cuvier, il animait ses démonstrations par des figures tracées rapi- dement à la craie sur le tableau noir et d’une vérité saisissante. On a dit que les applaudissements donnés au suppléant avaient causé quelque ombrage au maître. Cela n’est pas à croire ; car, au retour de celui-ci, la place de professeur-adjoint pour la chaire d'anatomie comparée à la Faculté des sciences étant devenue vacante, un des amis de Cuvier eût voulu l’obtenir du ministre de l'instruction publique, sans concours ; mais Cuvier s’opposa à ce tour de faveur ; l'épreuve eut lieu, et Blainville fut nommé. Cependant les rapports entre les deux savants devenaient de plus en plus froids. Une circonstance, insignifiante en apparence , montre le point où les choses en étaient venues. Un matin, Cuvier — 116 — dit à Blainville qu'ayant décidé M. Duméril à reprendre dans son laboratoire la place qu’il y occupait autrefois, 1l avait fait transporter dans le cabinet de M. Laurillard la table où Blainville travaillait d'ordinaire. Gelui-ci, qui ne voulait pas qu’on püt le prendre pour le secrétaire de Cuvier, encore moins pour la doublure de son secré- taire, dit, de fort mauvaise humeur, qu’il y avait place dans le laboratoire pour trois tables. Il alla chercher celle qui avait été dé- placée, et la mit, non plus derrière celle de Cuvier, mais à côté et sur le même rang. Plus que jamais, Cuvier dut comprendre que son collaborateur entendait être traité d’égal à égal. En 1813, Cuvier recut une nouvelle mission pour organiser l’ins- truction publique dans la basse Allemagne. Il désigna encore Blainville pour le suppléer au Collége de France. Pendant cette absence, le fils de Cuvier, à peine âgé de sept ans, tomba grave- ment malade. Blainville lui prodigua les soins les plus tendres, et c’est entre ses bras que l’enfant s’éteignit, avant le retour du mal- heureux père. En 1814, Cuvier, toujours empêché par ses fonctions administra- tives, fit asseoir son suppléant dans sa chaire du Muséum, pour continuer un cours sur la sensibilité, dont il avait fait les trois pre mières lecons. Sur ces entrefaites, de grands changements politiques survenaient dans notre pays. Après une lutte héroïque contre les armées coali- sées de l’Europe entière, Napoléon I* signait son abdication à Fontainebleau, et les Bourbons rentraïent en France. Blainville, très-attaché à l’ancien régime, assista, dans une mansarde de la rue Saint-Denis, à l'entrée solennelle de Louis XVIII dans la capitale. Il battait des mains et pleurait de joie, dit M. Nicard, ami et bio- graphe de Blainville, avec lequel il se trouvait en ce moment. Blainville profita de la paix pour faire un voyage à Londres. Accueilli avec faveur par les savants de la Grande-Bretagne, 1l eut occasion de faire des observations intéressantes sur plusieurs espèces de mollusques. A son retour, Cuvier l’ayant prié de les lui communiquer, il répondit qu’il allait s’empresser de les faire im- primer, afin de les mettre le plus tôt possible à sa disposition. Cette — 117 — réponse aigre-douce dut singulièrement déplaire à Cuvier. Blain- ville, au surplus, ne publia le travail annoncé que beaucoup plus tard, partie dans le Bulletin de la Société philomathique, partie dans le Journal de physique. Les rapports qui avaient existé entre ces deux hommes ne ces- sèrent pourtant que vers la fin de l’année 1816. Évidemment Cuvier avait fait beaucoup de concessions pour retarder une rupture de- venue inévitable. Un soir, dans son salon, en présence de sa femme, il entendit Blainville l’accuser hautement d’avoir enlevé à ses deux amis Lesueur et Desmarets, pour l’attribuer faussement à Savigny, la découverte des ascidies ou biphores agrégés (genre de mollus- ques). Cette réclamation, faite avec une grande vivacité en présence de nombreux visiteurs, choqua M"° Cuvier, qui dit à son mari: « Il me semble, monsieur Cuvier, que vous laissez dire des choses un peu fortes. » Blessé à son tour par cette observation et compre- nant au surplus qu’il était allé trop loin, Blainville quitta le salon de Cuvier pour n’y plus rentrer. Cette séparation fut-elle un malheur pour Blainville? — Non, assurément. Un homme de génie s’amoindrit quand il se place sous la dépendance d’un autre homme de génie. Plus qu’un autre, Blainville avait besoin de la complète liberté de ses allures. Aussi disait-il à Constant Prévost, son ami le plus intime : « Quel bien m'a fait Cuvier en me retirant sa faveur ! Je lui dois ce redouble- ment d’ardeur pour le travail, ce feu dévorant, qui me permettront, je l'espère, de m’élever à sa hauteur et me donneront peut-être des droits à lui succéder. Sans cette rupture qui m’afflige, je me serais engourdi, je ne serais qu’un protégé. » Dans le singulier éloge qu’il a fait de Blainville à l’Académie des Sciences, éloge où le ton satirique alterne avec le ton apologétique, M. Flourens a dit que Cuvier aimait à s’associer des jeunes gens de mérite, mais qu’aussitôt que, devenus forts, les prosélytes osaient contester la part du lion, l'alliance était rompue. Si tel était le caractère de Cuvier, comme la part du lion c’est le tout, qui pour- rait blâmer Blainville de n’avoir pas consenti à se laisser exploiter ? Blainville a dit que les six années pendant lesquelles il fut le col- — 118 — laborateur de Cuvier avaient nui à ses intérêts. On peut croire au contraire que ces six années lui furent très-profitables. En 1810 il était encore inconnu. Cuvier, en le choisissant pour son collabora- teur, lui donnait une importance réelle; et, en le faisant asseoir dans ses chaires à l’Athénée, au Collége de France et au Muséum, il lui fournissait l’occasion de se produire devant le public, dont la faveur lui fut acquise tout d’abord et ne l’abandonna plus. Puis, dans le laboratoire de Cuvier, il acquit une connaissance profonde de l’anatomie comparée, dont par la suite il tira un si grand parti. Deux fois, en 1814 et en 1816, il avait été présenté au troisième et au second rang pour la section de zoologie à l’Académie des sciences, mais il ne fut élu qu’en 1825. Il succédait à Lacépède. Ainsi commençait à se réaliser la prédiction que, dans sa rude franchise, il avait faite à Cuvier, au plus fort de leurs démèêlés : « Je m’assiérai, un jour, à l’Institut et au Muséum, en face de vous et malgré vous. » En 1826, Lamarck, devenu aveugle, était depuis quelques années remplacé dans sa chaire par Latreille; mais bientôt celui-e1, en rai- son de ses infirmités, dut résigner cette suppléance. À cette occa- sion, Blainville adressa à Lamarck une lettre trop empreinte de l’amertume qui remplissait son cœur, pour que je n’en transcrive pas une partie : « Mon digne et illustre maitre, « Dans la dernière visite que j'ai eu l’honneur de vous faire, j'ai renouvelé auprès de vous la demande que je vous avais exposée, l’année dernière, de faire au Muséum vos lecons sur tout ou partie de l’histoire naturelle des animaux sans vertèbres. L'intérêt que vous avez bien voulu me porter dans deux occasions solennelles, mon concours à la Faculté des sciences et dernièrement ma candi- dature à l’Académie, à la place de Lacépède, me faisaient espérer que vous pourriez me voir avec plaisir devenir votre suppléant. De nombreux travaux sur les parties de la zoologie que vous avez le plus illustrées, un enseignement de plus de quinze ans sur tous les — 119 — points de la science et dans les établissements scientifiques les plus célèbres, me donnaient quelques droits de l’espérer de votre justice. Je pouvais également croire que votre bienveillance et votre équité pourraient être éclairées par la considération qu’un parti très- puissant, composé de MM. Cuvier et Brongniart, travaille avec ar- deur à m'empêcher d'entrer au Muséum, l’un par haine contre moi, l’autre par prédilection intéressée pour le jeune homme que je suis obligé, à la honte de toute équité, de considérer comme mon rival. Ils craignent sans aucun doute, non pas, quoi qu’ils en disent, mon caractère, car ils savent bien que je fais partie de la Faculté depuis plus de douze ans, sans avoir eu l'apparence d’altercation avec qui que ce soit, mais mon inflexible sévérité pour admettre tout ce qui me parait juste, et pour repousser tout ce qui ne l’est pas. Ils savent bien que par goût j'ai, comme vous, consacré tous les moments de ma vie à l'étude de la science, et que je ne puis être le flatteur d’un homme parce qu’il se dit ou se croit puissant. « Commentse fait-il, mon cher maître, que vous sembliez donner les mains à l’injustice haineuse qui me poursuit ?.... Interrogez les personnes qui ont quelque indépendance dans l'esprit, et vous sai- sirez l’existence d’une congrégation de jeunes gens qui, peu occu- pés de mériter les places, le sont beaucoup de s’y glisser avec adresse et de s’y cramponner avec ténacité. Et moi, que l’énergie seule des membres indépendants de l’Académie a pu faire arriver dans son sein, malgré vingt ans de travaux, contre les intrigues ca- lomnieuses de M. Cuvier, je ne suis encore à quarante-cinq ans qu’un pauvre professeur-adjoint à trois mille francs d’appointe- ments et qui n’est pas certain d’être titulaire, si la science avait le malheur de perdre M. Geoffroy avant moi. » Blainville termine sa lettre en offrant, avec des ménagements in- finis, de faire sur ses appointements, s’il obtient la suppléance, une pension de 1,800 francs à tel des enfants de Lamarck que celui-ci désignera. Pour montrer que sa proposition n’a rien d’insolite, il rappelle que Cuvier a employé ce moyen vis-à-vis de Mertrud. On ne sait si Lamarck fit une réponse à Blainville, qu’il aimait et qu'il estimait; mais la place fut donnée à Audouin, presque in- — 120 — connu à cette époque, et qui fut enlevé jeune aux sciences natu- relles. A la mort de Lamarck (décembre 1829) il y eut beaucoup d’agi- tation autour de la chaire qu’il occupa si longtemps, et où il fit faire des progrès si rapides et si constants dans la connaissance des êtres inférieurs. Latreille était sur les rangs. Il semblait naturel que Cuvier appuyât de toute son influence la candidature de l’homme auquel il avait confié toute la partie qui concerne les insectes dans son Règne animal. D'ailleurs Cuvier, c’est lui-même qui l’a dit, s'était arrogé une sorte de dictature au Jardin des plantes. Sans en avoir l’intendance, comme autrefois Buffon, on peut dire qu’il l’exerçait sans brevet. Deux hommes seuls s'étaient soustraits à sa do- mination, Lamarck et Geoffroy Saint-Hilaire. Mais Lamarck, sans appui au dehors, avait toujours mené une vie fort retirée, et son opposition n’était pas à craindre ; Geoffroy Saint-Hilaire, quand il émettait des vues contraires à celles de Cuvier, ne manquait jamais aux égards dûs à l’homme qui avait été son ami, et qu’il se plaisait à proclamer un maître. En serait-il de même de Blainville ? On ne devait pas s’y attendre. D'ailleurs, sans croire aux sentiments hai- neux que celui-ci prêtait au grand naturaliste, on peut supposer que Cuvier n'avait pas oublié la menace que son fougueux contra- dicteur lui avait faite de venir s’asseoir un jour au Muséum, en face de lui et malgré lui, et qu’il usait de toute sa puissance pour l’écarter de la chaire de Lamarck. Les chances de Blainville, malgré son incontestable mérite, étaient donc à peu près nulles. Son malheur voulut même qu’à lé poque où les professeurs du Muséum étaient appelés à désigner un candidat, il fût malade et gardät la chambre. Un matin qu’on venait de lui appliquer quarante sangsues autour du cou, Geoffroy Saint-Hilaire se présenta pour le voir et ne fut introduit auprès de lui qu'avec bien des difficultés. Il venait exposer à Blainville l’uti- lité de partager l’enseignement des animaux sans vertèbres en deux chaires, l’une pour les insectes, l’autre pour les mollusques et les rayonnés, et il lui demanda s’il accepterait une part de l’héritage ainsi amoindri du vieux savant. Blainville ayant souscrit avec re- — 121 — connaissance à cet arrangement, Geoffroy Saint-Hilaire mit à en poursuivre la réalisation une finesse dont on ne l’eüt pas cru ca- pable. Il engagea Blainville à écrire une lettre au ministre, et dit que, pour le surplus, il sé chargeait de la conduite de l’affaire. Le jour où les professeurs se réunirent, il déclara qu’il ne doutait pas que Latreille n’obtint l'unanimité des suffrages ; mais que si La- treille connaissait les insectes mieux qu'homme au monde, il ne s'était jamais occupé des mollusques ni des zoophytes, et que l’on ne pouvait exiger qu’à son âge il se livrât à une étude si longue et si difficile; qu'il y avait donc lieu de diviser la chaire de Lamarck. Cuvier, pour détourner le coup, dit que les professeurs étaient uni- quement convoqués pour proposer un candidat, et que tout chan- gement dans l’organisation du Muséum ne regardait que le Mi- nistre. — C’est bien mon avis, dit Geoffroy Saint-Hilaire, aussi suis-je allé, ce matin, en conférer avec le Ministre. Il comprend comme nous la nécessité de créer une seconde chaire pour l’ensei- gnement de ce qui concerne les animaux inférieurs, et va faire pré- parer l'ordonnance nécessaire à ce sujet. Ainsi posée, la question ne pouvait recevoir deux solutions : Latreille fut présenté pour les insectes, et pour la chaire nouvelle il n’y avait qu’un candidat pos- sible; Blainville était le seul naturaliste qui, peut-être en vue de la succession de Lamarck, eût publié des travaux sérieux sur les ani- maux mollusques et rayonnés. Il ne s’était pas encore assis dans la chaire qu’il avait conquise si péniblement , quand éclata la révolution de 1830. Blainville, qui avait accueilli avec une joie si vive la restauration de l’antique royauté, ne pouvait voir en Louis-Philippe qu’un usurpateur. Il re- fusa d’abord de prêter le serment de fidélité au nouveau trône ; mais sur les instances de ses amis il revint sur cette détermination. Au surplus, il ne prit jamais une part active aux affaires publiques. Mais il ne s’y montrait pas indifférent, comme le prouvent d’assez nombreux écrits, trouvés dans ses papiers, et dans lesquels 1l traite diverses questions politiques et sociales‘. Ces écrits n’ont ja- mais été publiés. ! Blainville avait eu des relations suivies avec Saint-Simon, qu'il assista XI. 9 — 122 — Cuvier mourut en mai 1832. Cette mort frappa vivement Blain ville ; s’il n’aimait pas l’homme, il était loin d’en méconnaitre la valeur. M. le docteur Lemercier, sous-bibliothécaire du Muséum, m'a raconté qu’en apprenant la fatale nouvelle, Blainville lui avait dit : « Quand le chat n’est pas là, les rats dansent : Cuvier est mort, le Muséum va tomber dans l'anarchie. » Ces mots contenaïent une évidente exagération, mais ils montrent assez quel cas Blainville faisait de Cuvier, comme administrateur. Le vœu presque unanime des professeurs du Muséum, en cela conforme à l'opinion publique, appela Blainville à succéder à son rival. Une ordonnance de juillet 1832, le nomma titulaire de la chaire d’anatomie comparée, où il était digne de monter après Cuvier. | Peu de savants ont eu une carrière aussi laborieuse que Blain- ville. Aucune difliculté ne l'arrêtait. Il disait, comme de Candolle, qu’il faut entreprendre quatre fois plus de choses qu'on n’en peut faire. Grâce à l'énergie de sa volonté et à la force de sa constitution, il supportait des fatigues auxquelles un autre eùt succombé. Les écrits qu’il a publiés sur toutes les parties de la zoologie, s'élèvent à un nombre considérable : beaucoup d’autres sont restés inédits. Il a coopéré à la rédaction de deux dictionnaires d'histoire naturelle, et les articles qu’il y a fournis ont parfois pris les dimensions d’un vo- lume. Il lui a suffi, en effet, de détacher son article sur les mollus- ques pour en faire le Manuel de malacologie et de conchyologre, et son article sur les zoophytes pour en faire le Manuel d’actinoloque. De 1817 à 1823, il se chargea de la direction et de la rédaction principale du Journal de physique. Il a disséqué une quantité pro- digieuse d'animaux, depuis les plus élevés dans la série jusqu'aux plus petits, et il en a dessiné les organes avec une rare perfection. Après la mort de Cuvier, il entreprit un immense travail, l’Ostéogra- phie ou description iconographique de tous les squelettes des cinq classes des animaux vertébrés, récents et fossiles, pour servir de même de sa bourse, quand ce célèbre réformateur tomba dans la misère. Il fut aussi l'ami d’Auguste Comte, dont il ne partageait pas les opinions phi- losophiques, mais dont il admirait le génie profondément généralisateur. — 123 — base à la zoologie et à la géologie. Une vie entière de savant eût à peine sufli pour mener un tel ouvrage à bonne fin, et Blainville avait soixante-deux ans, quand il le commença. On pouvait donc prévoir qu’il ne le terminerait pas. Mais il s'était arrangé pour qu’on ne püt pas précisément dire que le monument restait inachevé. En effet, bien que toutes les parties en soient rédigées d’après les mêmes principes et dans le même but, chacune d’elles forme un tout com- plet, sans rapport forcé avec les autres. L’Ostéographie est le plus beau titre de Blainville à l’admiration des savants. Loin de se borner à une sèche description des planches anatomiques , l’auteur fait l’histoire non-seulement de l'espèce dont il a figuré les organes, mais du groupe auquel l’animal appartient. Il expose les principes de la distinction des espèces du même genre, et indique leur distribution à la surface du globe; puis il cherche les traces qu’elles ont laissées dans les écrits des anciens et des mo- dernes, dans les monuments et les œuvres d’art, enfin dans le sein de la terre. Partisan déclaré des causes finales, il montre que tous les détails de l’organisation de chaque être sont disposés dans une harmonie parfaite avec la fin, la destination , que la Providence lui assigne. Cette grande œuvre ne reçut pas du publie l’accueil qu’elle méri- tait. À mesure qu’il avance dans sa tâche, l’auteur s’en attriste, mais il ne se rebute pas. Il comprend que les encouragements de l’État sont indispensables pour la réussite de ces coûteuses entre- prises; mais ils ne sont pas venus au-devant de lui, et il n’est pas homme à les solliciter, comme on peut en juger par les lignes suivantes, que j'emprunte à la XXIT° livraison : « MM. les ministres , dans notre système actuel de gouvernement , ne seraient pas libres de suivre leurs inspirations, s’ils en avaient de favorables aux sciences naturelles ; en sorte que, malgré les fonds alloués au budget de l’État, sous le titre spécieux d'encouragement aux sciences et aux lettres, rien ne tombe sur les grands ouvrages, à moins que leurs auteurs ne soient influents ou valets, ce que tout le monde ne peut pas être, volontairement ou involontairement. » Blainville n’en continuait pas moins à faire chaque année, deux — 124 — cours publics. Dans sa chaire, 1l aimait à se donner pour un philo- sophe chrétien. I] était en effet fortement attaché à l'Église catho- lique, mais il ne subordonnaït pas la science à ses croyances reli- gieuses. Voici comment il s'exprime à ce sujet, dans une lettre adressée à son ami Constant Prévost : « Ce que vous me dites est parfaitement juste sur les deux ordres de choses qui existent dans l’intelligence : celles que l’on saif, et celles que l’on croit. Les unes dont on peut douter, les autres où le doute n’est pas permis. «…… Je ne confonds pas ces deux choses, je dis seulement qu’elles doivent tendre et qu'elles tendent au même but, la sagesse, la reli- sion, la société. Par la foi à la seule religion qui comprenne le plus complétement l’humanité entière, l’homme est conduit à remplir ses devoirs sans vacillation. Par la science, il peut y parvenir de même , puisqu'elle le conduit bien, quand il en a bien compris la nature ; car la science, dont lui seul est susceptible, se perfectionne, s'étend, à mesure que l’homme social s’accroît lui-même. « La science est progressive : elle peut être incomplète, mais elle n’est pas incertaine ; car son but est la vérité. « Quant à la foi, elle ne cherche pas à démontrer ce qu’il faut sa- voir, et ne doit pas le chercher. Aussi n’ai-je jamais donné la foi comme base à la science, mais bien celle-ci à celle-là, dans les limi- tes où elle en est susceptible. « Je ne cherche jamais à enchaïner l’une à l’autre : je les regarde comme pleinement indépendantes, ayant chacune une allure qui lui est propre, mais je les regarde aussi comme amies, comme sœurs. Il n’y a donc rien de fâcheux, rien de dangereux à employer dans un enseignement les deux modes, lorsqu'ils convergent d’une ma- nière démonstrative. È « C’est ce que j'ai fait dans mon cours sur l’existence de la série animale... J'ai dit, comme conséquence scientifique d’une étude approfondie, que les espèces ont été créées à la fois, et qu’elles ont été créées adultes. C’est une vérité démontrée comme conséquence de prémisses indubitables, et non comme article de foi; lafoi n’a rien à faire ici... » — 125 — Ce fragment de lettre me conduit à exposer deux vues particu- lières de Blainville : la chaîne des êtres, et l’unité de création. À la fin du xvnr siècle, Charles Bonnet, naturaliste génevois qui, devenu aveugle de bonne heure, avait quitté la route sûre de l’obser- vation pour se jeter dans l’abstraction, mit en vogue ce qu’il appelait la chaîne des êtres. Cette idée déjà vieille, car elle est clairement indiquée dans Aristote, avait été reproduite par l’école philosophique de Leiïbnitz. Elle consiste à se représenter tous les êtres de la nature, comme se suivant, de la base au sommet, dans une gradation ré- gulière, tels que des échelons qui se succèdent, ou tels que les an- neaux d’une chaîne. Voici comment Bonnet s'exprime : «Il n’y a point de saut dans la nature : tout y est gradué, nuancé. Si entre deux êtres quelconques il existait un vide, quelle seraït la raison du passage de l’un à l’autre ? Il n’est donc point d’être au-dessus et au- dessous duquel il n’yenait quis’enrapprochentpar certains caractères et s’en éloignent par d’autres... La chaîne universelle des êtres, dit-il encore, est composée d’un nombre infini de degrés. Elle unit tous les êtres, lie tous les mondes, embrasse toutes les sphères. Un seul être est hors de cette chaîne, c’est Celui qui l’a faite. » Cette conception, qui assurément ne manque pas de grandeur, obtint une certaine faveur parmi les naturalistes de l’époque, mais Cuvier la combattit dès ses premiers travaux. Dans un de ses mé- moires sur les mollusques, après avoir décrit le poulpe, ce mol- lusque de grande taille aux longs tentacules garnis de sucoirs, Cu- vier ajoute : « Nous voyons ici, quoi qu’en aient dit Bonnet et ses sectateurs, la nature passer d’un plan à un autre, faire un saut, laisser entre ses productions un hiatus manifeste. Les céphalopodes ne sont sur le passage de rien : ils ne sont pas résultés du dévelop- pement d’autres animaux, et leur propre développement n'a rien produit de supérieur à eux, considérations qui leur donnent en his- toire naturelle une importance capitale, attendu qu’elles renversent un grand nombre de vains systèmes. » Plus tard, en 1812, reconnaissant que tous les animaux semblent avoir été modelés d’après quatre plans généraux, déterminés par le système nerveux, Cuvier établit ses quatre embranchements : ver- — 126 — tébrés, mollusques, articulés, zoophytes. X] considérait chacune de ces quatre formes comme séparée des autres par une circonvallation profonde, sans qu’il y eût aucun passage de l’une à l’autre. Blainville, qu’on ne trouve presque jamais d’accord avec Cuvier, reprend la chaîne des êtres, mais il le fait avec une grande supério- rité de savoir. Il cherche d’abord une réponse à l’objection fondée sur les la- cunes qui rompent à chaque instant la continuité de la chaine. Bonnet ne se les était pas dissimulées. « Un nuage épais, avait-il dit, nous dérobe les plus belles parties de cette chaine immense et ne nous en laisse voir que quelques chaînons mal liés, interrompus et dans un ordre très-différent sans doute de l’ordre naturel. » En essayant de disposer en série graduée les animaux connus, Blainville a vu, lui aussi, qu’il se présente fréquemment des vides énormes, mais il s’est demandé s’il n’y a pas moyen de les combler avec les espèces éteintes. Et il se trouve en effet que, dans l'immense ossuaire des animaux disparus de la surface du globe, il y a de quoi remplir à peu près tous les vides. Il s'était dit à priori — car il aimait cette manière de raisonner, et pour un homme aussi savant que lui elle n’est pas plus mauvaise qu’une autre, — il s'était dit que plus dans la nature vivante un groupe est pauvre en espèces et semble formé d’espèces différant beaucoup les unes des autres, plus il doit fournir d’espèces fossiles. C’est en eflet ce qui a lieu. Le groupe des pachydermes, composé des seuls genres éléphant, rhinocéros, hippopotame, cheval, tapir et sanglier, animaux fort dissemblables d'aspect et fort éloignés les uns des autres par leurs caractères organiques, est le groupe qui présente le plus d'espèces paléontologiques. Cuvier lui-même en a reconnu une quarantaine dans les carrières des environs de Paris. Ces espèces sont des intermédiaires qui viennent s’adapter d’une manière très-régulière entre des genres séparés par de grands in- tervalles ; elles relient ainsi les chaïinons désunis. De même les grands sauriens ne sont représentés dans la nature vivante que par les genres crocodile, gavial et caïman, mais les reptiles gigantesques de l’époque secondaire, quand on les place au — 127 — rang assigné par leur organisation, font de cet ordre un des plus complets. Ce n’est pas tout : entre les grandes divisions du Règne se trou- vent parfois des espaces qui paraissent infranchissables. Ici encore les genres éteints rapprochent les limites. Par exemple, les ichtyo- saures, dont le nom indique la participation aux deux classes, éta - blissent la transition des reptiles aux poissons; et les ptérodactyles, animaux appartenant aux reptiles par leur squelette, mais qui étaient munis d’ailes puissantes analogues à celles de la chauve- souris, comblent l’abime qui existe entre la classe des reptiles et celle des oiseaux. Il faut bien le reconnaitre, l'introduction des espèces fossiles parmi Îles animaux du monde actuel, est le complément obligé de toute classification : elle rend acceptable la chaîne des êtres, telle que la concevait Blainville. Une seconde difficulté se présente, qu’il écarte encore de la ma- nière la plus heureuse : quand on examine deux groupes qui se suivent, on s’aperçoit que les premières espèces du second groupe sont toujours supérieures en organisation aux dernières espèces du groupe précédent. C’est ainsi que les premières espèces de l’ordre des carnassiers sont plus parfaites que les dernières de l’ordre des quadrumanes. Si l’on veut comparer entr’elles deux des grandes di- visions du Règne, le perroquet est, de l’aveu de tous les naturalistes, supérieur en organisation à la baleine ; de même les premiers arti- culés, l’abeille et le crabe, sont organiquement et intellectuellement très-supérieurs aux derniers vertébrés. Cependant on ne peut pas, sans rompre tous les rapports, intervertir le rang de ces espèces. A cette objection Blainville répond que, dans l'établissement de la série, ce qu’il faut considérer, ce n’est pas tel ou tel individu, c’est le groupe entier pris dans sa moyenne. Les types sont sujets à se dégrader. Quand la nature termine un groupe, elle n’en repro- duit que d’une manière imparfaite les marques distinctives. Par suite de cette tendance à l’affaiblissement des caractères, un animal peut sembler inférieur à celui qui vient après lui, si l'on ne tient — 128 — compte que de son organisation ; il ne l’est pas, si on le considère comme faisant partie d’un groupe plus élevé. Comme on le voit, à la chaîne continue des êtres, Blainville subs- ütue /enchainement gradué des groupes, où comme il l'appelle la série animale. Qu’est-ce qu’une série? (est une suite de termes qui croissent ou décroissent, suivant une certaine loi. Blainville prenant pour termes de la série, non les êtres simples, mais les groupes naturels d'êtres, il n’est pas contraire à la loi sériaire que les derniers re- présentants d’un groupe soient inférieurs aux premiers du groupe suivant, lorsque cette condition se reproduit uniformément. On peut remarquer que chaque groupe, — classe, ordre, famille, genre, — si on le considère isolément, forme à son tour une série, dont les termes croissent ou décroissent au-dessus et au-dessous de la moyenne, d’après la même loi. On n’a plus une série simple, mais une série composée, nne série qui relie sans désunir. Dans une série de ce genre, l’absence de quelques termes n’ex- clut pas l’idée de série. On peut croire au surplus que les termes manquants seront rétablis par des découvertes nouvelles : le monde des races éteintes est plus riche que le monde actuel, et nous sommes loin de les connaître toutes. Jusqu'à présent chaque espèce fossile qui se retrouve, vient remplir un vide dans la série vivante; tout porte à croire qu’il en sera de même pour les espèces qui restent à découvrir. | Le règne animal est done un grand tout, où chaque être, qu’il ait vécu aux époques antérieures ou qu’il vive de nos jours, tient une place déterminée. De l’unité de la série, Blainville conclut hardiment l’unité de la création. Cuvier, dans ses cours, ävait d’abord émis la théorie des créations successives : à chacune des grandes révolutions du globe, il y aurait eu anéantissement de toutes les espèces vivantes, puis création d’es- pèces nouvelles. Il comptait quatre populations d'animaux terrestres . qui se seraient ainsi succédé; chacune d’elles ayant été précédée d’une population aquatique, cela faisait huit en tout. Plus tard, il — 129 — abandonna ce système pour celui de la translation. C’est de proche en proche qu’après les grands bouleversements, les espèces des lieux où la catastrophe ne s’était pas fait sentir, seraient venues se substituer aux races détruites. Vers la fin de sa carrière il semble être revenu aux créations successives !. Les incertitudes de Cuvier montrent assez les difficultés du pro- blème. Concevoir l'extinction totale d’une population zoologique à la suite d’un cataclysme est chose toute simple ; mais concevoir une création nouvelle est chose beaucoup plus ardue. Quant à Blainville, 1l n’admet pas que Dieu ait plusieurs fois anéanti et plusieurs fois reproduit son œuvre. Sa conception d’une grande série, dans laquelle se placent à leur rang aussi bien les es- pèces fossiles que les espèces actuelles, le porte à croire fermement à une création unique. Le plan de cette série, ainsi complétée et ré- tablie, est parfaitement suivi dans toutes ses parties, donc les races qui vivent actuellement à la surface du globe, sont sorties des mains du Créateur en même temps que les races perdues. Le règne animal, complet à son origine, ne l’est plus aujourd’hui. C’est en quelque sorte un édifice à demi-ruiné; mais, en coordon- nant les débris avec les parties restées debout, on peut se faire une idée de l’ensemble. À l’appui de son opinion, Blainville fait remarquer qu’il n’y a dans le monde fossile que ce qui se trouve dans le monde vivant : des vertébrés et des invertébrés, des mammifères, des oiseaux, des repüles, des poissons, etc. Il n’y a pas deux règnes, il n’y en a qu’un. Si le règne est un, la création n’a pas été multiple. Blainville, au surplus, ne croit pas qu’il y ait eu, depuis la créa- tion, de révolution générale du globe. Suivant lui, les races dispa- rues ont péri par des causes naturelles. Les agents physiques, les changements dans la constitution de l’atmosphère, sont au nombre 1 Cette idée des créations successives était celle de Buffon. « Le souverain Être, dit-il dans son beau langage, n’a pas répandu le souffle de la vie, dans le même instant, sur toute la surface de la terre. L'homme est le grand et dernier œuvre de la création. Il n’est venu prendre le sceptre de la terre que quand elle s’est trouvée digne de son empire. » — 130 — de ces causes; mais la principale est le pouvoir destructeur de l’homme qui, en se multipliant, a graduellement occupé toute la surface de la terre. Je remarquerai que ce pouvoir, il continue à l'exercer sans intelligence et sans merci. Plusieurs espèces de gros oiseaux ont été complétement détruites par les Européens, dans cer- taines îles de la mer des Indes. Toute la race du stellère (genre de sirénide) a été anéantie, de nos jours, par les pêcheurs russes et américains ; et l’on peut prévoir qu'avant un quart de siècle, les baleines et les phoques auront le même sort. C'est donc par des causes naturelles que Blainville s'explique la disparition des espèces paléontologiques. Malheureusement cette opinion ne semble guère d’accord avec les faits. Si ces espèces et nos espèces actuelles sont contemporaines d’origine, si elles ont co-existé dans les temps primitifs, les dépouilles des unes devraient se trouver mêlées avec les dépouilles des autres. C’est ce qui n’a pas lieu. Les ossements des animaux rapprochés par leur organisation de ceux qui peuplent aujourd’hui le globe, ne se trouvent que dans les couches peu profondes : il n’y en a pas trace dans les terrains plus anciens. Et plus on s'enfonce dans ceux-ci, plus les formes des êtres qui les occupaient diffèrent des formes actuelles. De Ia conception de Blainville il reste au moins ceci : Il n’y a qu’un seul règne animal, et ce règne est disposé en séries de groupes. il n’est complet qu’en tenant compte des races éteintes. Le plan général des êtres animés a donc été conçu d’ensemble dans la pensée créatrice. Maintenant la mise en œuvre de la pensée divine, c’est-à-dire l'apparition des êtres sur le globe a-t-elle été simultanée ? C’est une autre question, dont la science moderne, à la marche lente mais sûre, cherche encore la solution. Nos connaissances actuelles portent à croire que cette solution ne sera pas celle de Blainville. Je passe à une autre étude qui se rattache aux précédentes : Blainville, que nous voyons souvent occupé à refaire, sur un plan différent, ce qu'a fait Cuvier, ne pouvait manquer de chercher une nouvelledistribution méthodique du Règne animal. C'était une autre — 131 — manière de prouver la série. Voici sur quelle base il asseoit son classement : « L'animal, dit-il, peut être défini, négativement par la privation de l’âme, et positivement par l’existence des deux grandes facultés, la sensibilité, et la locomotilité, qui en est la conséquence rigou- reuse, » Cette définition nous montre tout d’abord qu’il ne place pas, comme Cuvier l’a fait, l’homme dans le Règne animal. L'homme qui possède en lui le principe immatériel, a été fait d’un plan par- ticulier. Le monde a été créé pour lui : roi des trois règnes de la nature, il n'appartient à aucun d’eux. « C’est parce qu'il y a, ajoute Blainville, des degrés différents dans la sensibilité et la locomotilité qu’il y a possibilité d’établir une classification ou distribution méthodique des animaux. » La sensibilité, véritable zoomètre ou mesure du degré de l’ani- malité, doit être le principe fondamental. « Un animal sent-il ou se meut-il plus qu’un autre, dès lors il lui est supérieur. » D’après ce principe, on pourrait croire que, comme Cuvier, Blain- ville va établir ses divisions sur le système nerveux, puisque les nerfs sont les organes de la sensibilité ; mais il n'en est rien. Il fait remarquer que les organes du mouvement ont été calculés pour ceux de la sensibilité, et que leur considération est plus facile que celle des organes de cette dernière faculté. En effet, la sensibi- lité n’est pas aisée à constater chez les êtres inférieurs, tandis que tous exécutent des mouvements appréciables. Tout en reconnaissant l’évidente subordination des organes du mouvement à ceux de la sensation, on peut, dit l’auteur, s’en servir de préférence pour déter- miner le rang que les animaux occupent dans la série. Malgré cette déclaration, ce n’est pas encore sur les appareils du mouvement qu'il établit sa classification. C’est que, suivant lui, ces deux ordres d’organes (ceux de la sen- sation et du mouvement) sont eux-mêmes calculés pour un ensemble de particularités du milieu et des circonstances extérieures dans les- quelles l’animal est appelé à vivre. Il y anon-seulement pour chaque être, mais pour chaque groupe d'êtres, et pour l’ensemble des êtres, — 132 — un plan, une harmonie nécessaire et dans des limites préconçues. De là ressort inévitablement : 1° la grande et sublime théorie des causes finales et, comme conséquence rigoureuse, la démonstration d’une puissance créatrice intelligente, ou de Dieu; 2° le fait que l’en- veloppe extérieure de l’animal peut fournir tous les éléments propres à établir la classification des êtres animés. C’est donc la forme, la structure externe des animaux, la superfi- cie qui les limite, que Blainville prend pour caractère essentiel. En cela il se sépare des naturalistes antérieurs, qui avaient dit que la taille, la couleur et la forme, sont des caractères de nulle valeur. Il annonce que, dans son classement, il ne tiendra aucun compte ni de la circulation par un cœur à un ou deux ventricules ; ni du sang chaud ou froid, rouge ou blanc; ni de la respiration aérienne, simple ou double; caractères qui, outre qu’ils ne sont pas percep— tibles sur l’être vivant, ont en zoologie une valeur beaucoup moins grande qu’on ne le pense communément. Nous voyons maintenant en quoi les bases du classement de Blain- ville diffèrent de celles sur lesquelles Cuvier fait reposer le sien. Celui-ci établit ses embranchements d’après les quatre formes du système nerveux; et les classes, dans chaque embranchement, d’après le mode de respiration et de circulation. Il prend done, pour éléments de sa classification, des appareils profondément cachés dans le corps des animaux, et que l’anatomie seule fait con naître. Blainville, au contraire, néglige tous les organes internes. La forme extérieure lui suffit, parce que, suivant lui, elle traduit d’une manière fidèle le fond des organismes, et les conditions parti- culières d’existence pour chaque être. Voici comment il applique son principe : Quand on jette un coup d’œil sur l’innombrable quantité d’ani- maux qui remplissent l’intervalle compris entre les deux termes extrêmes, déterminés par le maximum et le minimum de sensibi- lité et de mouvement, on voit trois formes principales se présenter : La première dans laquelle le corps est partagé en deux côtés égaux, et les parties disposées par paires similaires, le long d’un plan; — 133 — La deuxième où les parties se disposent, en forme de rayons, au- tour d’un centre pris dans le corps lui-même devenu circulaire. La troisième forme est de tout point irrégulière. D'après ces trois formes, Blainville partage l’ensemble des ani maux en trois coupes primaires ou sous-règnes, qu’il appellé : les Zyeomorpnes, les AcriNomorPues et les HéréromorPres. Blainville, comme on le voit, aimait à parler grec. C'est le travers de plusieurs savants, qui ont oublié la langue de Buffon. Je tradui- rai ces expressions, ainsi que toutes celles du même genre que je rencontrerai, sans même citer textuellement ces dernières. Je crois, au surplus, que Blainville ne créait ces mots étranges que par ré- pugnance à se servir de la nomenclature de Cuvier. Pour qui veut parler francais, les animaux qui forment les trois sous-règnes de Blainville, sont : Les animaux binaires, Les animaux rayonnés, Les animaux sans forme déterminée. Si l’on compare cette première et grande division aux embranche- ments de Cuvier, on voit que Blainville a réuni dans le premier de ses sous-règnes les trois embranchements, VERTÉBRÉS, MOLLUSQUES, ARTICULÉS ; 1l a conservé, dans le second sous-règne, l’embranche- ment des ZOoPHYTES où RAYONNÉS. Mais il a vu qu’à la suite de ces derniers il reste une place pour ces animaux à forme indécise qu'Isidore Geoffroy Saint-Hilaire, en les nommant les HOMOGÈNES, a mieux désignés que ne l’avait fait Blainville. En effet, dans ces der- niers représentants de l’animalité, il est impossible de distinguer aucun organe particulier. Toutes les parties du corps sont sem- blables et aptes à remplir toutes les fonctions. Ces singuliers êtres, dont une goutte d’eau renferme souvent des centaines ‘, ne sont que de petites masses d’un mucus vivant. Au repos, leur forme est à peu près globuleuse, maïs elle change à chaque instant. Ils émettent, à des intervalles irréguliers et sur divers points de leur corps, des expansions qui sont des organes temporaires de locomotion. Quand ‘Il ne faudrait pas croire que tous les infusoires fussent des homogènes : il y a, parmi eux, des rayonnés et même des articulés. — 134 — la masse s’est déplacée, ces expansions y rentrent, et il s’en produit d’autres. Parfois ces petits corps paraissent vouloir avancer dans deux directions opposées : il se produit alors une séparation, et chaque partie progresse de son côté. Peut-être étaient-ce deux ani maux réunis qui se sont disjoints? Si, au moyen d’un liquide qu’on y verse, on rend l’eau impropre à l'entretien de leur vie, ils meurent par la mise en liberté des molécules qui les constituent : ils semblent réduits en boue; mais si, pendant la décomposition, la cause vient à cesser, le fragment non décomposé continue à vivre : l'animal est diminué et cependant complet; puisque la partie qui reste, a les mêmes propriétés que les parties qui ont disparu. Chez les animaux supérieurs, la vie est centralisée dans certains organes, cerveau, cœur, poumons ; dans les animaux inférieurs au contraire, la vie est diffuse, c’est-à-dire répandue uniformément et indistinc- tement dans toutes les parties du corps. Après cette courte explication, que j'ai donnée pour justifier l’éta- blissement du troisième sous-règne de Blainville, je reviens aux trois formes principales. Dans la première, les organes se répètent deux à deux; c’est la dualité. Dans la seconde, ils se répètent 4, 5, 8, 12 fois; c’est la pluralité définie. Dans la troisième, chaque partie peut être considérée comme la répétition du même organe ; c’est la multiplicité indéfinie. Les animaux du premier groupe ont un côté droit et un côté gauche, un dessus et un dessous. k Les animaux du second groupe ont un dessus et un dessous, mais n’ont ni côté droit ni côté gauche. Les animaux du troisième n’ont ni côté droit ni côté gauche, ni dessus ni dessous. On peut remarquer que les animaux homogènes représentent le premier état de la génération des animaux supérieurs, c’est-à-dire un globule muqueux, un ovule. Les animaux rayonnés représentent le second état de ce produit. En effet, dans le développement de l’être, l’ovule ou plutôt sa partie — 135 — centrale, ce que les naturalistes appellent le vife//us, se segmente en quatre ou en huit parties ; c’est la forme rayonnée. Puis le travail se poursuit, et la binarité apparait. Les animaux binaires représentent donc le troisième état du fœtus des animaux supérieurs. N'est-ce pas là une curieuse application de la loi des arrêts de développement? Les homogènes s'arrêtent au premier état; les rayonnés ne franchissent pas le second ; les binaires seuls arrivent au troisième. Dans les animaux binaires, Blainville distingue trois types d’or- ganisation : les vertébrés, les articulés, les mollusques. Il n’a pas fait de division pour les rayonnés et les homogènes. En sorte que, dans la série animale, il y a seulement cinq types, subordonnés à un plan général de dégradation : I. Vertébrés. Il. Arhculés. II. Mollusques. IV. Rayonnés. V. Homogènes. Blainville fait remarquer que, dans chaque type, il se présente des anomalies, c’est-à-dire des exceptions plus apparentes que réelles aux lois établies par Dieu, lois que l’esprit humain est appelé à étudier et à découvrir. À mesure qu’il les connaît mieux, les ano- malies disparaissent. Elles tiennent d’ordinaire au milieu particulier où l’animal est appelé à vivre, ce qui entraine certaines modifica- tions dans ses appareils. Comme exemple de ces anomalies, on peut citer quelques espèces de mammifères disposées pour chercher leur nourriture sous terre, comme la taupe ; dans l’air, comme la chauve- souris; dans l’eau, comme le phoque. Ces espèces ont toute l’orga- nisation des groupes auxquels elles appartiennent; elles n’en dif- — 136 — fèrent que parce que leurs membres sont conformés pour fouir, pour voler ou pour nager. On y verrait à tort des dérogations au type : il n’y a chez elles que des anomalies pour un but déterminé. Cuvier, dans son Règne animal, avait placé les mollusques avant les articulés, ce qui paraït assez singulier, puisqu'il établissait ses embranchements d’après le système nerveux, beaucoup plus par- fait chez les insectes que chez les mollusques. Mais ses études avaient d’abord porté sur cette dernière classe d'animaux. Les beaux mémoires qu'il publia, de 1795 à 1797, sur leur organi- sation, l’avaient placé d'emblée au premier rang. On concoit l’espèce de prédilection qu’il eut toujours pour eux. Blainville qui, dans un premier travail de classification publié en 1816, avait suivi l’idée de Cuvier, a plus tard replacé les articulés au rang que Linné leur avait déjà assigné, et il en a donné d’excellentes raisons. « Les ar- ticulés doivent être mis au-dessus des mollusques, dit-1l, parce qu'ils ont une forme plus animale, ceile où le corps est allongé, tandis que les mollusques perdent de bonne heure cette forme, pour en prendre une raccourcie et presque rayonnée. La distinction des parties du corps, principalement celle de la tête, si bien marquée chez les insectes, ne tarde pas à s’effacer chez les mollusques. Il en est de mème de la locomotion, exécutée chez les insectes au moyen de membres, tandis que chez les mollusques elle est souvent nulle ou se fait à l’aide d’un plan musculaire du ventre. Ces considéra- tions et beaucoup d’autres qu’on pourrait y joindre, démontrent la supériorité du type articulé sur le type mollusque. » Le principe que Blainville s’est d’abord posé : « un animal sent—il et se meut-il plus qu’un autre, dès lors il lui est supérieur, » lui sert à améliorer beaucoup d’autres détails de la classification. J'en citerai un exemple. Cuvier, déterminé sans doute par la cou- leur du sang de ces animaux, a mis les annélides (sangsues, lom- brics, néréides, serpules), à la tête des articulés; en sorte que des animaux dans lesquels les organes des sens sont réduits à un toucher grossier, qui se meuvent à peine, qui n’ont pas de membres com- plets, se trouvent placés par lui avant les crustacés, les arachnides et les insectes, qui jouissent de tous les organes des sens, qui — 137 — exécutent toute espèce de mouvements, et qui emploient tant de moyens ingénieux pour se procurer leur nourriture. Blainville, conséquent à son principe, relègue les annélides à la fin du type articulé, entre les myriapodes (mille-pieds) et les apodes (sans-pieds) ou vers intestinaux. Revenons aux cinq types organiques : Cuvier avait divisé son embranchement des vertébrés en quatre classes : mammifères, oiseaux, reptiles, poissons. Blainville divise le type qui correspond à cet embranchement en sept classes, dont deux sont formées par des animaux fossiles, qu'il intercale à leur rang. Ces sept classes sont : 10 les mammifères, 2° les oiseaux, 3° les ptérodactyles, 40 les reptiles, 5° les ichtyo— saures, 6° les amphibiens, 7° les poissons. Des reptiles de Cuvier il a ainsi séparé les amphibiens ou batra- ciens (grenouilles, salamandres, cécilies). Cette séparation était-elle bien nécessaire? Elle est principalement fondée sur ce que, dans le premier âge, les batraciens se rapprochent beaucoup plus des pois- sons que des reptiles. Mais n’est-ce pas d’après leur état définitif qu’il faut classer les êtres? Quand ils ont subi leur transformation, les batraciens ont les appareils respiratoire et circulatoire des rep- tiles ; ils en ont le cerveau : ce sont des reptiles à peau nue. Quoi qu'il en soit, la plupart des naturalistes ont adopté l’idée de Blain- ville et font des batraciens, non plus un ordre de reptiles, mais une classe des vertébrés. Le second type, les articulés, est divisé en dix classes , les cinq premières d’après le nombre des pieds, 6, 8, 10, 12 et 14; puis vient une classe où le nombre des pieds est beaucoup plus considé- rable, les myriapodes ; enfin trois classes où les appareils de la loco- motion ne sont pas des pieds; une dernière renferme les animaux dépourvus de tout organe de progression, les apodes. Dans cet enchainement des groupes, Blainville, appliquant tou- jours son principe, place au premier rang le groupe où la motilité est la plus grande, les insectes à six pieds (hexapodes). Il ne faudrait pas croire en effet que le nombre des pieds, au delà de six, aug mentât la vitesse de l'animal. C’est l'effet contraire qui se HO XI. 9. — 138 — l'insecte vulgairement nommé smnille-pieds est très-lent dans sa marche. Quand un type se dégrade, la nature supprime certains organes, ou elle les multiplie, non-seulement sans utilité pour l’ani- mal, mais à son détriment. Le troisième type, les mollusques, est divisé par Blainville en trois classes, suivant que la tête est bien distincte, peu distincte ou nullement distincte. Ce type étant un de ceux où les organes se dé- gradent avec une grande rapidité, il convient de placer en haut les animaux où la binarité est franchement accusée, en bas ceux qui se rapprochent de la forme rayonnée. Dès lors les seiches au com- mencement, et à la fin les polypes à double orifice. Le quatrième type, les rayonnés, caractérisé par la disposition radiaire du corps et de ses parties tant externes qu’internes, forme cinq classes. Dans les premières sont les animaux les plus simples, ceux chez lesquels le corps est allongé; dans les dernières, les ani- maux qui ont le corps plus court, et qui sont ordinairement agrégés, c’est-à-dire réunis sur une masse vivante et de forme variable. A la tête du type les holothuries ; à la fin, les aleyons. Le cinquième type, ou dernier sous-règne, contient seulement deux classes. Dans la première, les téthyes, les individus sont libres, isolés ; dans la seconde, les spongiaires, ils sont agrégés et fixés, ce qui est toujours une marque d’infériorité. Le règne animal se termine ainsi par des êtres que l’on aurait peine à reconnaître pour de véritables animaux, si l’on n’était pas arrivé jusqu’à eux par des degrés presque insensibles. Blainville a donc pris à la vieille idée de Zéchelle ou de la chaîne des êtres, ce qu’elle a de vrai: une série de groupes, — sous- règnes, types, classes, ordres, — s’enchaïnant et se dégradant d’a- près la même loi. A l’une des extrémités se trouvent placés les ani- maux les plus parfaits sous le rapport de l’organisation, et à l’autre ceux qui sont le moins organisés. S'il m'est permis d'apprécier dans son ensemble la distribution du règne animal, telle que l’a conçue Blainville, je dirai d’abord qu'entre ses trois sous-règnes il y a une inégalité choquante. Le premier comprend à peu près les quatre-vingt-quinze centièmes des — 139 — animaux, le dérnier n’en contient qu'un très-petit nombre. Ce manque de proportion est un vice de méthode. Je demanderai ensuite comment, dans la première coupe de cette grande division, il a pu réunir des êtres aussi dissemblables que le singe et l’huitre par exemple? On en est d’autant plus surpris, que l’auteur a commencé par déclarer qu'il établira sa classification d’après la forme extérieure. La binarité, ou distribution symétrique, et par paires, des parties du corps, est un caractère dont on n’est pas frappé, et qui ne peut légitimer de tels rapprochements. Si la meilleure méthode est celle qui montre le mieux les rapports que les êtres ont entre eux, on peut regretter que l’on ait abandonné en France la méthode de Linné. Sa division en six classes, mam- mifères, oiseaux, reptiles, poissons, insectes et vers, avait le mé- rite incontestable de ne présenter, dans chaque classe, que des ani- maux ayant entre eux des rapports faciles à saisir. Au premier abord le vulgaire pourrait s'étonner de voir placées dans la classe des mammifères la chauve-souris et la baleine; mais il suffisait d'indiquer que ces deux espèces mettent au monde des petits vi- vants, qu’elles nourrissent de leur lait, pour faire comprendre la convenance de leur réunion aux autres animaux à mamelles. Une raison tout aussi puissante, la segmentation de la partie in- férieure du corps, justifie le placement des crustacés et des insectes dans une même division. La classe des vers est confuse : elle comprend des êtres assez dis- parates, mais qui ont du moins entre eux plus de rapports qu'ils men ont avec les animaux des autres classes. La distribution adoptée par Cuvier dans son Règne animal est plus savante, moins saisissante au premier aspect, mais elle satisfait également l'esprit. Pour peu qu’on ait quelque connaissance en histoire naturelle, on comprend qu’il ait pu réunir dans un même embranchement les mammifères, les oiseaux, les reptiles, les pois- sons, c’est-à-dire les animaux qui ont un squelette osseux et un même système nerveux. On comprend aussi qu’il ait divisé la sixième classe de Linné en — 140 — deux embranchements, les mollusques et les zoophytes, puisque dans ces animaux l’organisation , que Lamarck et lui nous ont, les premiers, bien fait connaître, est fort différente. Au point de vue dont je m'occupe, le rapprochement, dans les di- visions primaires, des êtres qui ont le plus de rapports entre eux, les classifications de Linné et de Cuvier me paraissent préférables à celle de Blainville. Cette dernière ne leur est supérieure que par un meilleur enchaînement des groupes secondaires. Mais il faut tenir compte à Blainville d’avoir séparé des rayonnés les homogènes, qui n’ont pas la forme radiaire. C’est un service égal à celui que Cuvier a rendu à la science en divisant les vers de Linné. Enfin je dirai que, dans les sciences naturelles, une vue neuve est toujours d’une grande importance : elle change l’état de la ques- tion, qu’elle force à considérer sous d’autres aspects. En appelant l'attention des naturalistes sur la forme extérieure des êtres, élément complétement négligé avant lui, Blainville a bien mérité de la science, Je ne puis mentionner les travaux si nombreux et si variés de Blainville, travaux disséminés, pour la plupart, dans les journaux scientifiques du temps, les mémoires de l’Académie des sciences, les annales des Sociétés savantes et dans plusieurs dictionnaires d’his- toire naturelle. Blainville avait eu l’intention de composer un grand ouvrage de philosophie zoologique, et 1l en eût trouvé, au moment donné, les éléments dans les articles ainsi dispersés. Parmi ceux qui ont été réunis en volume, j’ai déjà mentionné le Manuel de malacoloqie et le Manuel d’actinologie. « C’est en réa- lité, — dit M. Lacaze Duthiers, juge très-compétent, — une his- toire naturelle des mollusques et des zoophytes, riche en observa- tions de toute nature. Mais à côté de découvertes importantes, de considérations justes, on x trouve, il faut bien le dire, des erreurs considérables. » Ces erreurs tenaient en grande partie à ce que Blainville n'avait pas eu l’occasion d’observer la nature vivante. On sait combien, chez les animaux qui habitent le fond des eaux, l’altération des formes est rapide. Il ne faisait pas non plus usage du microscope, — 141 — instrument si funeste à ceux qui l’emploient, mais auquel on doit tant de découvertes dans les bas-fonds de l’animalité. Un des mérites de Blainville, c’est d’avoir déterminé les genres dans les mollusques. Les ordres étaient bien formés et il n’y avait rien à y reprendre ; les espèces avaient été bien décrites par Lamarck ; mais le travail des genres restait à faire, et Blainville y a excellé. Il s’est aussi attaché à la classification naturelle des espèces, comme faisant partie d’une série. Comme tous les grands naturalistes, Blainville pensait que l’on multiplie à tort les espèces, en appliquant ce nom à de simples va- riétés. « L’ensemble des circonstances jusqu’à un certain point ap- préciables qui constituent les localités, et qui ont agi depuis un temps fort long, auront pu se faire sentir d’une manière presque fixe sur une succession d'individus de la même espèce, et détermi- ner sur les coquilles des différences dans la grandeur, les propor- tions, les couleurs, le système de coloration, et même dans leur su- perficie, lisse ou rugueuse, surtout lorsqu'on les comparera à des individus de la même espèce vivant, depuis une longue suite de siècles, dans d’autres localités. Ces différences ne constituent que de simples variétés fixes, d'autant plus dissemblables que les loca- lités sont plus éloignées, et que l’on pourra décorer du nom d’es- pèces locales, mais qui ne sont pas réelles. En effet, quand on vient à rassembler ces prétendues espèces, d’un grand nombre de locali- tés différentes, on voit qu’elles passent les unes aux autres, d’une manière tout à fait insensible. » Ces réflexions de Blainville sont applicables à toutes les parties de la zoologie. Un des cours de Blainville sur l’AHistoire des sciences de l'organi- sation et de leurs progrès, a été recueilli et publié, de son vivant, par M. l'abbé Maupied. Malheureusement ce dernier y a trop sou- vent substitué ses idées aux idées de Blainville, ou il a donné à celles-ci une portée qui n’était pas dans la pensée de l’auteur. De nombreuses notes, mises à la marge par Blainville lui-même sur son exemplaire, le démontrent. Cependant le fond est de Blainville, et sous ce rapport mérite d’être étudié. — 142 — Dens l'introduction, qui a été écrite par lui, Blainville s’étonne que parmi les hommes éminents qui se sont fait un nom dans la philosophie au dernier siècle et de notre temps, pas un ne se soit occupé des sciences naturelles, pas un même n’ait étudié l’homme en lui-même, et moins encore par comparaison avec les animaux. Quelques-uns ont établi les lois de la morale, du droit naturel, de la religion naturelle; d’autres ont été jusqu’à scruter les rapports de l’homme avec le monde et avec Dieu ; mais tous ou presque tous ont tendu à séparer de la religion ces grandes questions, tandis qu’il est facile de démontrer qu’elles s’y rattachent de la manière la plus intime. C’est à ce point de vue à la fois scientifique et religieux que Blain- ville expose les progrès de la zoologie. L'histoire de la science étant la science elle-même, il choisit, comme jalons à l’aide desquels on peut se diriger dans cette étude, un certain nombre d'hommes remarquables qui, forts de leurs travaux et de ceux de leurs prédé- cesseurs, sont venus successivement imprimer à la science une im- pulsion personnelle. Le cours est ainsi une suite de biographies, dans lesquelles les idées tiennent nécessairement plus de place que les faits. Les savants, qui ont fait progresser la science, sont : A l’époque grecque, Aristote ; A l’époque romaine, Pline ; A l’époque grecque d'Alexandrie, Galien ; Dans la transition du moyen âge au monde moderne, Conrad Gesner ; A l’époque moderne, Vésale et Harvey, Bacon et Descartes, Jean Rey, Linné, Buffon, Haller, Pallas, de”Jussieu, Vicq d’Azyr, Pinel, Bichat, Broussais, Gall, Lamarck et Oken. Pour nous en tenir à cette dernière période, après nous avoir montré dans Conrad Gesner, qui commence des collections d'objets naturels et publie un grand ouvrage avec des figures, le passage du monde ancien au monde moderne, Blainville fait remarquer que la science s’abaisse momentanément entre les mains des gens de l’art, à & — 143 — qui ne s'élèvent plus à une conception de l’ensemble, mais se bor- nent à mettre en lumière certains points. 1512-1564. Ainsi Vésale ne s’occupe que de l’anatomie humaine, qu'il établit sur sa véritable base. On lui doit aussi une iconogra- phie des différentes parties du corps humain. 1578-1657. Ce progrès dans la connaissance des organes en ap- pelait un autre qui en monträt le jeu. C’est Harvey qui l’accomplit. Il prouve, par des expériences concluantes, la circulation du sang, fonction la plus importante de la vie chez les êtres organisés. Il étu- die aussi la génération, et proclame que tout être vivant vient d’un œuf. Il crée par là la physiologie moderne. Il manque encore une méthode pour les recherches scientifiques : ce ne sont pas les naturalistes, mais les philosophes qui la donnent. 1560-1628. Bacon établit les procédés à l’aide desquels l'esprit humain doit progresser : à l’observation seule il appartient de faire connaître les faits ; mais les faits n’ont d'importance que parce qu’ils mènent à la connaissance des causes ; les causes conduisent à la prévision. Prévoir, découvrir par induction, c’est le terme de la science. | 1596-1650. Descartes exerce sur la science une influence encore plus marquée. On connaît ses quatre préceptes : 1° Ne recevoir ja- mais une chose pour vraie, qu’on ne la connaisse véritablement être telle. 2° Diviser chacune des difficultés que l’on examine, en autant de parcelles qu’il se peut et qu’il est requis pour la mieux résoudre. 3° Conduire par ordre ses pensées, en commençant par les objets les plus simples et les plus aisés à connaitre, pour monter peu à peu, comme par degrés, jusqu’à la connaissance des plus composés. 4° Faire des dénombrements si entiers et des revues si générales qu’on soit bien assuré de ne rien omettre. Il est évident que ces règles trouvent leur application tont aussi bien dans la recherche des faits de la science que dans celle des vé- rités métaphysiques. 1628-1705. Les faits se multipliant, le moment est venu d’y mettre de l’ordre. Jean Rey l’essaye, en créant une méthode artifi- cielle de classification. C’est la logique appliquée à la disposition des LA — 144 — corps naturels, pour parvenir à leur connaissance. Il procède plutôt d’instinct que de principe. S'il ne comprend pas ce que c’est qu’une méthode naturelle, il met sur la voie qui y conduit. 1707-1778. Linné y arrive. « La vraie science en histoire natu— relle, dit-il, est basée sur l’ordre méthodique et sur la nomenclature scientifique. » En effet, la méthode, qui est l’âme de la science, fait saisir d’un coup d’œil les caractères distinctifs des êtres et leurs rap- ports naturels. Sans la méthode tout est confus ; par elle l’ordre ap- paraît dans le plan de la nature. Linné possède à un très-haut degré l’art de ladistribution méthodique. Il répartit les êtres en classes, en ordres, en genres, en espèces, en variétés. Avant lui, il y avait des descriptions ; il y substitue la définition. En imposant à chaque être deux noms, il crée la nomenclature scientifique, qui désormais fera partie de toutes les méthodes. 1707-1788. A côté de Linné, Buffon, autre génie. Les animaux ont été étudiés en eux-mêmes, et groupés de manière à rendre leurs rapports faciles à saisir; mais isolés de leur séjour, dépouillés de leurs habitudes, de leurs instincts, de leurs mœurs, ils ne sont guère pour la science que des abstractions. Buffon porte sa vue pé- nétrante sur l’ensemble de la création, et il en saisit les lois. Il peuple la terre d'êtres vivants et agissants, qu’il distribue à sa sur face, dans dés limites déterminées. Il commence l’étude de l’homme, depuis la naissance jusqu’à la mort. Il montre que l'espèce humaine est une, mais soumise à des variations sous l’influence du climat, de la nourriture et des mœurs. Partout l’homme est le chef naturel des animaux, le roi du monde : c’est l'empire légitime de Pesprit sur la matière. 1708-1778. Haller crée la physiologie humaine. Il fait connaïtre le mécanisme de la respiration, étudie les organes de la circulation, le cœur, les artères, les veines, ceux de la digestion, ainsi que la manière dont les os se produisent et se nourrissent. Il n’y a pas chez lui d'idée générale, qui serve à coordonner ses travaux; mais sur tous les points de la science il émet des idées particulières, qui en préparent les progrès. 1741-1811. Pallas est le premier naturaliste qui s’occupe d’ana- — 145 — tomie paléontologique. Il montre que parmi les ossements fossiles des grands quadrupèdes, si abondants en Sibérie, il y a des os d’élé- phants, de rhinocéros, de buffles, de gazelles et d’autres animaux qui ne se trouvent, de nos jours, que dans les contrées méridio— nales. Il critique la division de l’empire de la nature en trois règnes : iln’en admet que deux, le règne organique et le règne inorganique. Il étudie les vers intestinaux. Créateur de cette partie de la science qu'on appelle l’efhnographie, il publie en deux volumes un diction- naire contenant environ trois cents mots en deux cents langues de l’Europe, de l'Asie et de l'Amérique. Un troisième volume devait comprendre les mêmes mots dans les langues de l’Afrique et de l'Océanie. 1686-1836. Les Jussieu établissent la véritable base de la mé- thode naturelle. La science considère l’organisation des êtres en son entier ; mais, pour les classer, elle choisit, parmi les caractères dis- tinctifs, ceux qui ont le plus de valeur. Ce principe, la subordina- tion des caractères, est applicable à tous les corps de la nature. 1748-1799. Vicqd’Azyr perfectionne l’anatomie humaine. Il rend un plus grand service : en prenant chaque organe à part pour l’étu- dier dans la série, de manière à faire connaître non plus l’organisa- tion de tel ou tel animal, mais l’organisme en général; il est le créateur de l'anatomie comparée. 1745-1826. Pinel introduit dans la science médicale les prin- cipes des naturalistes, leur méthode d’observation, de description et de nomenclature. Il classe les maladies. [l étudie l’aliénation men- tale. Avant lui, les fous étaient enchaînés comme des bêtes féroces ; il brise leurs fers, et les fait traiter comme des hommes. 1771-1802. Bichat, d’après une vue de Buffon, distingue les deux vies, l’une commune aux végétaux et aux êtres animés, c’est la vie en dedans, la vie organique; l’autre propre aux animaux, c’est la vie en dehors, la vie de relation. 1772-1838. Broussais développe l’idée, émise par Bichat, de l'anatomie pathologique. Il étudie les causes des maladies et en cherche le siége. 1778-1828. Gall établit que les forces de l’entendement et du XI. 10 — 146 — moral ont leur siége unique dans le cerveau. IL essaye de localiser, dans des parties circonscrites de cet organe, les passions, les facultés intellectuelles et les sentiments moraux. Il veut montrer que l'esprit est sous la dépendance de la matière. Sa théorie netend à rien moins qu’à éteindre dans l’homme le rayon divin. 1744-1829. Lamarck cherche à constituer la philosophie zoolo- gique. Il établit la coordination des êtres, et exprime fort bien l’idée de la série végétale et animale, en progression croissante. Seulement il n’y voit pas une loi de la création, mais une loi de transforma- tion chez les êtres vivants. 1758-1828. Sans recourir à l'observation, et sur le principe pan- théiste que fout est dans tout, Oken arrive aussi à démontrer la sé- rie, comme une suite des divers états sous lesquels un être peut se présenter. Dans le chapitresur Lamarck, cinq pages sont consacrées à Cuvier. [n’y est pas jugé avec bienveillance; Blainville va jusqu’à dire qu’il restera peu de chose de lui dans la «cience. Ne nous arrêtons pas sur ce manque de justice, Les luttes qui agitent la vie des savants n'ont d'intérêt que par la direction que parfois alles donnent à leurs études. Il se trouve, en fin de compte, que les travaux des uns et des autres se complètent et convergent vers le même but. La posté- rité, sans s'inquiéter de leurs rivalités, distribue à chacun d'eux sa part de gloire, suivant l'expression de Tacite : Suum cuique decus posteritas rependet. Le cours sur l’Histoire des sciences de l'organisation est contenu en trois volumes dans la publication de M. labbé Maupied ; c’est le résumé de notes recueillies, qui :n auraient formé huit. Nous voyons par là quel développement Blainville donnait aux diverses parties de son enseignement. Quand en 1839 M. Lartet annonça qu’il venait de trouver la mä- choire fossile d’un animal de la famille des makis, le monde savant s’en émut, Le fait “tait en contradiction avec l'opinion de Cuvier, suivant lequel les animaux voisins de l’homme n’avaient pas existé parmi les populations anciennes du globe. Blainville fat chargé de faire à l’Académie des sciences un rapport sur cette découverte, qu’il — 147 — confirma. Il était, au surplus, bien persuadé que lon trouverait l’homme fossile : c’était la conséquence de sa croyance à une créa tion une et simultanée. Les occupations scientifiques de Blainville, loin de diminuer, s’accroissaient avec l’âge. Un de ses chagrins était de ne pouvoir presser plus activement la publication de son grand ouvrage sur l'ostéographie, dont la publication entrainait des dépenses qui n'étaient pas en capport avec sa très-modique fortune. En 1850, se sentant fatigué, il demanda à se faire remplacer , dans son cours à la Sorbonne, par M. le docteur Holard, qui l'avait déjà suppléé. Non-seulement la Faculté des sciences refusa le rem— plaçant que Blainville proposait, mais elle voulut lui en imposer un autre. Blainville, vivement blessé de cette manière d’agir, se ré- signa à faire son cours. En le commençant, il exprima, en termes fort amers, le mécontentement que lui causait la prétention de ses collègues, de faire occuper sa chaire par un homme qu'il n’avait pas choisi lui-même. Il avait fait les cinq ou six premières leçons, quand, le 1er mai, il voulut profiter de quelques jours de vacances pour aller respirer l'air natal. Il aimait à se rendre ainsi, de temps en temps, en Nor- mandie, chez sanièce qui habitait le petit manoir seigneurial de ses pères. Il se fit conduire au chemin de fer du Hâvre, à dix heures du soir; mais à peine avait-il pris place dans une des diligences, qu'il fut frappé d’une apoplexie foudroyante. On le porta, avant le départ du train, dans une des salles de la gare; il y mourut une heure après, sans avoir repris connaissance. Blainville laissait des amis dévoués à sa mémoire et des disciples fidèles à ses doctrines. Un d’eux, Gratiolet, lui succéda, mais seule- ment à douze ans d'intervalle, dans sa chaire à la Faculté des sciences, chaire qu’il devait occuper si peu de temps. Blainville, dont on a singulièrement exagéré la susceptibilité ombrageuse, déployait dans ses relations du monde un esprit plein de grâce et de distinction. C'était un de ces habiles et charmants causeurs, autour desquels on ne tarde pas à faire cercle dans un salon. — 148 — Il vivait très-simplement. Il ne changea qu’une seule fois de do- mestique, dans tout le cours de sa vie, et jamais d’appartement à Paris, si ce n’est à l’époque où, devenu titulaire d’une des chaires du Muséum, il vint habiter, au Jardin des plantes, un des pavillons que l’établissement met à la disposition de chaque professeur. La femme qui l’avait servi à son arrivée dans la capitale en 1796, étant devenue vieille et aveugle, se souvint de son ancien maître, et vint le prier de solliciter pour elle une place dans un hospice. Au lieu de l'envoyer finir ses jours dans une maison de charité, Blain- ville la recueillit chez lui. Elle y était encore quand il mourut, On a comparé Blainville au misanthrope de Molière. La compa- raison est acceptable, si l’on se rappelle que dans ce personnage notre grand comique n’a pas voulu peindre un ennemi forcené du genre humain, mais un homme animé d’un sentiment excessif de justice et de vérité, qui le porte à dire sans ménagements, sur toute chose, ce qu’il pense. Dans le monde savant, il y a, comme partout, des gens habiles, beaucoup plus occupés de leur avancement per- sonnel que du progrès de la science ; ily a des intrigants qui, comme le disait Cuvier, finissent toujours par être les maîtres, en dépit de tous les scrutins ; il y a surtout beaucoup de Philintes, esprits sou- ples et accommodants, qui tiennent à ne pas heurter les opinions dominantes. Transportez l’Alceste au milieu de ce monde ; au ca- ractère de rude franchise et d’austère probité que lui donne le poëte joignez une verve railleuse et provocante, vous aurez Blainville. Un tel homme, tous assurément ne l’aimeront pas, mais tous seront forcés de l’estimer. Bourcun. QUESTION D'XGIÈNE ET DE DIÉTÉTIQUE A PROPOS D'UNE LETTRE DE PÉTRARQUE. De tout temps la double question du jeûne et de l’abstinence a oc- cupé les législateurs, les théologiens et les hommes de l’art. On la trouve controversée dès l’origine des sociétés humaines. Elle est de- venue, alternativement ou en même temps, religieuse, civile ou médi- cale; c’est assez dire quelle fut son importance. Elle a eu ses lois, ses règlements, ses préceptes, etc. Si nous voulions en faire l’histoire il nous faudrait remplir un volume, car elle touche à toutes les institu- tions de presque tous les peuples de l’antiquité. Quand on voit la plupart des nations du monde, dès leur berceau, accueillir la loi d’abstinence comme une mesure sanitaire, et le jeûne comme un rite du culte établi et suivi pendant des siècles — je veux parler de l'Inde, de la Chine, de l'Égypte — on doit admettre que dans ce consensus unanime il y a une raison péremptoire qui fait considérer cette double institution si universellement acceptée comme fondée sur la naure. Bien avant l'établissement du christianisme, la Grèce et Rome avaient aussi consacré par des lois le jeûne, soit pour honorer les dieux, soit comme expiation. Des sectes célèbres chez les deux peuples les plus avancés en civilisation avaient élevé à la hauteur d’un dogme la privation de la chair des animaux d’une manière absolue. Pytha- gore et les néo-platoniciens de l’école d'Alexandrie se reconnaissaient — 150 — à la frugalité de leur vie et à leur abstinence de certains aliments. Porphyre, l’illustre philosophe, disciple de Plotin, a écrit un traité sur l’abstinence de la chair des animaux, dans lequel il développe les meilleures raisons pour prouver que l’usage de la chair est nuisible à l’âme autant qu'au corps de l’homme. Seulement nous croyons qu’il se montre trop exagéré. Si, en effet, il est reconnu qu'une nourriture animale nuit aux travaux de l’esprit, il n’en est pas moins démontré que l'alimentation par la chair des animaux augmente les forces phy- siques. On comprend très-bien que ce n’était point le fait de tous ces philosophes de l’antiquité qui, pour la plupart, avaient des tendances vers l’ascétisme et le spiritualisme, et cherchaient à supprimer la ma- tière et fout ce qui pouvait abaisser les âmes en luttant avec courage et éloquence contre les appétits et les instincts grossiers des peuples. A ce titre, le traité de Porphyre est intéressant à étudier. Mais c’est au christianisme que l’on doit les préceptes les plus salu- taires à cet égard; ainsi, ce n’est pas sans motif que le Carême a été institué au moment de l’année où la nature se réveille, où des effer- vescences de toute sorte s’apprêtent à envahir les sens de l’homme- animal. La loi chrétienne a été en cela plus sage que le Coran, car le Rhamadam varie de telle sorte qu’au bout d’une période de trente- trois ans il a parcouru toutes les saisons de l’année. La pratique du jeûne et de l’abstinence de viandes, telle que la loi de l’Église l’enseigne, est pour la plupart des hommes une chose bonne et utile que les médecins, sans parti pris et sans prévention, recommandent. Pourtant il ne faut rien outrer; l’on doit tenir bon compte de quelques circonstances qui peuvent faire admettre des exceptions. Un point capital dans cette question, c’est le climat, qu’il est besoin de prendre en grande considération. On sait de reste que les habitants du nord et des pays brumeux et humides supportent moins bien le jeûne et la privation des aliments gras, que les peuples du midi; c’est un fait notoire qui n’a pas besoïn d’explication. Au moyen âge, le jeûne et l’abstinence s’observaient avec une bien, plus scrupuleuse exactitude que de nos jours. Dans les cloîtres, le jeûne et l’abstinence étaient rigoureusement suivis pendant presque toute l’année, et si la longévité depuis cette époque a augmenté, ce n’est pas assurément parce que l’on mange plus de viande aujourd’hui qu’autrefois; ce fait tient évidemment à d’autres causes qu'il n’est pas de notre sujet d'aborder. Cependant il ne faut pas être exclusif ni laisser passer les abus sans les relever. Le médecin, qui a pour mission d’étudier l’homme dans l’état de maladie, doit aussi connaître les diverses constitutions normales pour — 151 — pouvoir combattre les affections morbides quand il n’a pu les prévenir. Il ne doit dans aucun cas être absolu ou systématique; il a le devoir et le droit de proclamer le vrai et le juste en toute circons- tance, sans se préoccuper des systèmes. Ces réflexions m'ont été suggérées à l’occasion d’une lettre très- curieuse, très-intéressante, comme le sont la plupart de celles de Pé6- trarque, qui ont le tort de n’être pas assez connues. L’illustre Trécen- tiste de Florence, que l’on dépeint généralement comme un poète amoureux et sensuel, n’était rien moins qu'un rude et sévère anacho- rète, vivant comme un ermite au milieu des rochers de Vaucluse. Sa vie simple et frugale lui avait valu une santé florissante jusque dans un âge avancé (il mourut à 70 ans). Dans les dernières années de sa vie, il fut pris d’accidents assez mal déterminés que l’on pourrait con- sidérer comme des fièvres nerveuses avec accès pernicieux. Dès sa jeunesse il avait eu une répulsion instinctive pour la méde- cine et les médecins, quoiqu'il comptât parmi eux de nombreux amis. Quatre ans avant sa mort, il fut en proie aux accidents que nous venons de signaler. Il habitait alors Arqua, charmant village à quel- ques lieues de Padoue, où il avait pour ami Jean de Dondi, l’un des plus savants médecins du x1v° siècle. Le docteur de Padoue lui écrivit à plusieurs reprises pour l’engager à modifier son régime, qui semblait trop peu réparateur. Le poète, dans une lettre trop longue peut-être, mais fort instructive pour nous donner une idée de l’existence des hommes d’études et de science, dans ces temps que l’on traite de barbares, livre à la postérité de mi- nutieux détails sur sa manière de vivre, son régime, ses habitudes, que tout médecin doit approuver en partie; car en supposant qu'il y ait eu quelque chose à reprendre dans cette diététique à un âge déjà avancé, une considération, à nos yeux capitale, devait engager le professeur de Padoue à ne pas conseiller à son illustre ami de changer son alimentation d’une façon brusque. Il ne lui était pas permis d’i- gnorer ce que c’est que l’habitude, l’accoutumance, comme dit Mon- taigne, car, suivant la réflexion de Pline : usus efficacissimus rerum om- nium magister. En 1370, date de cette lettre, Pétrarque avait 66 ans ; ce n’est pas à cet âge que l’on prend de nouvelles habitudes... l’ha- bitude, qui devient si facilement une seconde nature. Cette longue lettre en forme de plaidoyer, mais avec un air de badinage, n’a jamais été traduite en français; jai cru qu'il ne serait pas sans utilité d’en donner connaissance à la Société. Elle ne sort pas de son programme, puisqu'il s’agit d’une étude sur l’homme au point de vue de l'hygiène. — 152 — LIVRE II DES LETTRES SÉNILES, Lettre Première. F. PÉTRARQUE À JEAN DE DONDI, CÉLÈBRE MÉDECIN DE PADOUE. Vous m'avez fourni matière à plaisanter sur les maladies; un philosophe dans Cicéron ! a bien plaisanté sur la mort. Moi ce n’est pas sur la mort, mais sur une maladie grave et compliquée : je crois que près de trépasser je serais homme à plaisanter encore avec Vous. Je ne sais pas, comme beaucoup de gens, discuter sur ce que je ne connais point, la peine qu’ils se donnent pour paraître instruits met à jour leur ignorance, de sorte que, comme dit Plaute : « Ils ont l'air de comprendre et ne comprennent rien. » Je ne me suis jamais, en aucune facon, occupé de médecine; ayant, jusqu’à ces dernières années, toujours joui d’une santé parfaite, j’ai négligé cette étude qui m’a semblé absolument inutile, et je ne fais pas plus cas de l’art que des artistes, à l'exception de quelques vrais médecins qui sont mes amis. Aussi n’irai-je pas me lancer dans des discus- sions médicales avec le premier ou l’un des premiers médecins de notre époque; ce n’est donc pas une question sérieuse que j'entame, 1 Tusculanes, livre IL. — 153 — mais un simple badinage. Vous pourrez vous moquer à votre aise de ma manière de penser, j’oublierai pendant ce temps-là mes mi- sères et les maladies qui m’assiégent en masse et me persécutent, comme dit le satirique latin. (Juvéna.) Votre lettre est remplie de sentiments affectueux, empressés, pleine de cet art que vous professez, auquel, autant que j'en puis juger, Hippocrate lui-même n’aurait rien à reprendre, rien à retrancher, rien à ajouter. En effet, comment pourrait-il ne pas approuver vos conseils, puisqu'ils ont été puisés dans ses propres ouvrages ? Il faut bien que moi, un ignorant, un réfractaire sur beaucoup de points, je sois forcé de me rendre à l’évidence, à la raison. Vous me proposez un remède pour mon mal; vous prétendez qu’il est nécessaire que je modifie mon régime et que je change mon genre de vie habituel. Je vous le concède sans contradiction. Chaque àge, effectivement, exige pour le corps comme pour l'esprit une nour- riture qui lui soit propre ; les études de l’enfance ne conviennent pas à la vieillesse, et de même toute sorte d’aliment ne saurait lui aller. C’est ainsi que la nature a mis de la variété dans ses œuvres, et qu’elle a, suivant la diversité des âges, octroyé à son œuvre capi- tale, si fragile et si caduque, une somme de secours suflisante pour la protéger. Comme un architecte habile, dans une même maison, sait distribuer des appartements d’été et des appartements d'hiver, ainsi la nature, toujours sage, toujours prévoyante, a voulu établir, pour chaque individu, des phases diverses d’existence. J’appelle l'enfance, le premier printemps; l'adolescence, qui la suit de près, le second printemps voisin de l’été; c’est l’âge des folles vanités, des entrainements et des séductions ; la jeunesse, qui est à propre- ment parler l’été de la vie, est une époque de verdoïement et de flo- raison, non moins que de mobilité et d’orages, mais surtout de vives aspirations, toute de flamme et d’emportement. Puis vient, vers soixante ans, la maturité, qui confine à la vieillesse; c’est l'opinion de saint Augustin, contestée par d’autres; c’est aussi l’automne de la vie, temps de calme et d’apaisement, fait pour recueillir les fruits que l’étude et l’expérience ont produits au profit de la vertu victo- rieuse des passions. Enfin, la caducité, c’est l’hiver, c’est-à-dire le XI. il ’ > A6 froid, l’engourdissement, en quête de repos et de chaleur; il serait trop long d’en citer ici des exemples. Déjà j'ai passé les trois premières stades de la vie, j'arrive à la quatrième ; je conviens que mes travaux et mes études doivent subir des modifications, tout comme mon régime alimentaire. Vous voyez que j'abonde dans votre sens, je suis même beaucoup plus explicite que vous. Ceci dit, je reprends ma thèse. Soyez persuadé, je vous prie, qu’en formulant ici mon opinion, ce n’est point la faveur du publie que j'ambitionne ; mon but est de rendre hommage à la vé- rité et de resserrer les liens d'amitié qui nous unissent. La confiance que j'ai en Hippocrate et en Esculape, je l'ai en vous, et peut-être encore quelque chose de plus. En fait d’art et de science, je vous sais leur égal; en fait de croyance et de dévoue- ment, je vous tiens pour supérieur. Après cela, si mes paroles sem- blent en contradiction avec mes actes, si je parais être d’un senti- ment différent du vôtre, et si je le suis en effet, pardonnez-moi en ami, et figurez-vous bien que ce n’est pas à vous, mais aux inven— teurs de la médecine que s’adressent mes attaques. J’ai dès longtemps la conviction profonde que vous avez à cœur ma santé tout autant que la vôtre, comme je suis persuadé que vous avez étudié tous les écrits des médecins qui vous ont précédé, et que votre esprit cultivé a su les éclairer d’un jour nouveau; je n’en fais pas le moindre doute, ce n’est plus une question pour moi. Mais tous ces préceptes, que ces hommes ont publiès comme des oracles divins, doivent-ils être acceptés sans contrôle, de ma- nière qu’il soit défendu d’y contredire ? Je ne nie pas qu'Hippo- crate fût un beau caractère, qu'Esculape ait passé pour un dieu, non-seulement chez les Grecs, mais aussi chez les Romains, quoi- qu’il ait été foudroyé par un dieu plus puissant que lui. Je sais bien que si je vous laissais vous autoriser des assertions de vos auteurs, pour étayer vos opinions, votre argumentation serait invalidée ; car les témoignages des gens de notre maison sont toujours suspects quand il s’agit d’une cause personnelle. C’est la tactique de certaines gens qui, dans la controverse d’un point de doctrine, viennent ap- porter au débat des preuves puisées chez les auteurs mêmes qui — 155 — ont traité le sujet en litige. Voilà, à mon avis, un défaut capital quand on discute, et bien propre à infirmer toutes les raisons que l’on veut faire valoir. Je n'accepte pas le témoignage d’un auteur loué par ses partisans, il m'est suspect. Mais continuons. Vous prétendez — et c’est la base de votre principal argument — que ma constitution, par l’effet successif des années, a subi des changements; en conséquence, vous m’intimez, par un obligeant avis, l’ordre de prendre en considération mon âge. Je suis parfaite ment d'accord avec vous; mon expérience, d’ailleurs, confirme vos paroles : vous allez voir que je plaide dans votre sens. La vie, mon cher Dondi, passe avec une incalculable rapidité ; je dis plus, elle vole, suivant le mot de Cicéron. Je ne sais en vérité par quelle autre image peindre cette fugitive; ni l’hirondelle ni l’épervier n’ont un pareil vol. Nous pouvons suivre leur course à tire d’ailes, au milieu des plaines de l'air, voir les espaces qu’ils ont franchis, constater leur progrès, le but qu’ils se proposent, et s’ils l'ont atteint; mais ils ne fuient pas aussi vite que nos jours. Pour nous, à l'exception de quelques esprits supérieurs et de quelques âmes divinement douées, nous arrivons au terme de notre carrière comme des écervelés et des imbéciles. Notre vie passe, non avec la rapidité de l'oiseau, mais avec la vitesse de la flèche lancée par l’are ou la baliste. Si les jeunes gens étaient bien pénétrés de cette vérité, comme le sont les vieillards, ils mèneraient une vie plus sage et plus réglée, dont la réminiscence, dans leur âge avancé, leur procurerait joie et bonheur. Mais non, la jeunesse, dans son aveuglement et son imprévoyance, se promet une existence longue, sans fin pour ainsi dire; de là sa proclivité irrésistible vers les vices et les tur- pitudes; survient alors la vieillesse, avec les regrets et les larmes tardives, pour lui dessiller les yeux, et lui faire voir combien falla- cieuses étaient ses espérances. On distingue donc les différents âges par la diversité des senti- ments, comme vous voyez que Je viens de le faire en ce moment. Chacune de ces périodes nous semble un laps de temps bien long, assez pour concevoir des espoirs sans bornes et des projets sans fin ; nous posons de vastes fondements pour des choses exigües, nous — 156 — imaginant, pauvres vieillards que nous serons demain, que la jeu- nesse et le bonheur sont éternels! Non que je veuille dire que la vieillesse est de soi malheureuse; bien au contraire, je la regarde comme une ère de félicité, quand elle n’est pas dupe des illusions léguées par la jeunesse et l’âge mür. Non, elle n’est point tant à plaindre quand elle est honorable, dégagée de toute vanité ; elle est en possession de la sagesse et de la vérité, comme le dit Platon, et cela jusqu’à son extrême limite. Si telle a été l'opinion des philo- sophes, à plus juste titre ce doit être la nôtre, à nous qui devons chercher à conquérir la sagesse, la vertu et notre salut avec une at- tention et un soin tout particuliers ; faveur, grâce, privilége refusés à ces anciens philosophes. Sans doute la vieillesse est à plaindre quand elle est affligée d’infirmités corporelles, de ces maladies qui lui font cortége, comme j’en éprouve moi-même à cette heure, ou bien lorsqu’elle a conservé cette pétulance juvénile et ces mouve- ments désordonnés de l’âme, dont je demande au ciel de me pré- server. Mais revenons aux erreurs et aux folles espérances de la jeunesse. Jusqu'où peut aller la licence, dites-moi, quand il n’est personne pour y mettre obstacle ? Chacun la favorise, non chez le peuple seu- lement, mais chez tout le monde. Au reste l'humanité s’illusionne à plaisir. Toutes nos théories, toutes nos créations, tous nos progrès ne sont rien; nos jours s’envolent si vite que personne n’y songe, personne n’en parle; on n’y pense pas, dis-je, si ce n’est à la fin, quand ils ont fui loin de nous, alors que le passé nous revient en mémoire comme un rêve et que nous croyons en quelque sorte n’a- voir pas vécu. Qui n’a pas senti les changements que l’âge amène ? Est-il un seul homme qui ose le nier? C’est encore un argument que j'apporte en faveur de votre cause. Les palais de marbre sont la proie du temps ainsi que l’homme, pétri de boue et composé d’humeurs diverses. Les murailles des plus puissantes cités s’é- croulent. Ne savez-vous pas comment l’antique Babylone a été dé- truite, et Troie, et Carthage; quoique ces deux dernières villes aient succombé par le glaive et les machines de guerre, plutôt que sous l'effort du temps? Corinthe, Syracuse, Capoue, Aquilée, Clusium — 157 — et Tarente ne sont aujourd’hui que des restes de cités autrefois flo- rissantes ; Athènes et Lacédémone, des noms sonores. Rome meurt de vieillesse ; elle serait morte déjà, elle aurait été toute réduite en cendres, si la majesté de son grand nom ne la maïntenait encore, Il est des villes en bon nombre qui sont en train de vieillir et dont la ruine est certaine ; question de temps, qui nous est dérobée, mais néanmoins prochaine, quoique l'existence des villes soit plus longue que celle des hommes, car avant qu’une seule cité vieillisse, des milliers et des milliers d'hommes auront vieilli; et non-seulement les hommes passeront, mais même la renommée de ceux qui en au- ront acquis, passera, par l’action des années et des siècles, pour les plonger aussi dans l’oubli. Quoi d'étonnant que des villes, faites de main d'homme, cèdent au temps ? Les rocs et les monts changent eux-mêmes d'aspect et de nature. N’a-t-on pas vu le Vésuve se re- froïdir, l’Etna s’attiédir, les Alpes en maints endroits s’abimer, et le cap Pélore, en Sicile, tranché par les flots de la mer; et les Apen- nins, en Italie, couverts autrefois d’une végétation luxuriante, sont aujourd’hui, sur quelques points, changés en un gouftre hor- rible où l’eau tournoie avec un bruit effrayant pour former Cha- rybde. Enfin l’on doit croire, suivant l'avis des savants, contesté par d’autres, que dans un temps peu éloigné le monde lui-même s’affaissera. Pourquoi ne serais-je pas moi-même abattu ? Je le suis en effet plus que ne le sont habituellement, je puis le dire, ceux qui vivent sobrement et chastement comme moi; vous me permet trez bien, peut-être, d’oser invoquer à cet égard, non mon propre témoignage, mais celui d'autrui. J’ai atteint, ou plutôt j'ai passé, la soixante-sixième année de mon âge, et quand je me remémore chacune d’elles en particulier, il me semble que j'en ai vécu plu- sieurs milliers; mais lorsque je les considère en bloc, elles ne me paraissent qu’un jour, jour rapide, nébuleux, laborieux, misérable. J'ai connu beaucoup de libertins et d’ivrognes parvenus à l’âge de quatre-vingts ans, qui se portaient assez bien. Cette année j'ai été tellement affligé, que je n’ai pu, pendant nombre de jours, marcher sans l’appui de mes domestiques. Je suis un lourd fardeau pour les autres, et fort à charge à moi-même. Pourquoi ?.. Je vous entends — 158 — d’ici, et tous les médecins qui font chorus avec vous, dire que Pu- sage de l’eau pure est la seule ou la principale cause de mon mal. Oh ! la bonne chose que l’ivrognerie ! D’autres prétendent que ce sont les fruits, l’abstinence de viande et l’habitude de jeüner. Oh! la damnable chose que la sobriété! Aïnsi, pour se bien porter, 1l faut s’enivrer et manger comme des loups. Voilà bien la question en litige entre nous. Mais il se rencontrera peut-être quelqu'un, ce ne sera certes pas un médecin, qui assignera pour cause unique de ma souffrance, mes péchés. S'il en est ainsi, je rends grâce à Dieu qu'il veuille bien me purifier de mes nombreuses fautes par ce léger châtiment. Que si quelqu’autre m'objecte encore, par exemple, ma mauvaise constitution, je lui opposerai un témoin vi- vant et digne de foi, mon compatriote Thomas, qui a comme vous la réputation d’un excellent médecin. D’autres sont morts, que j'au- rais pu citer en témoignage dans ce singulier débat. L’année der- nière, Thomas et moi nous étions à Pavie auprès du prince de Ligurie ! ; le docteur affirma, en présence de toute la cour, qui l’a entendu, qu’il ne connaissait pas de complexion plus robuste que la mienne — ce sont ses expressions — de santé plus vigoureuse, de meilleur tempérament. Certes, quoique je ne me souvienne pas d’a- voir été jamais doué d’une force herculéenne, j'étais assez ingambe et assez agile pour n'être surpassé par personne dans les exercices’ du corps. Ces avantages physiques sont l'apanage heureux, mais fugitif, de la jeunesse, que l’âge viril a bientôt perdus. Pour moi, je les ai conservés presque jusqu’à ces derniers temps, de sorte que, à part le saut et la course, dont je ne me soucie et n’ai que faire, je n'ai sous ce rapport rien à regretter. Mais cette année est venue à son tour comme les autres, et pendant une partie de son cours j'ai été assez indisposé pour ne pouvoir me tenir sur mes jambes ni faire un pas sans l’appui de mes gens. Je suis très-content, par‘ ma foi, que cette maladie ne m’ait pas attaqué dans ma soixante-troisième année , cette prétendue année climatérique, au sujet de laquelle j'ai écrit fort au long, 1 Galéas Visconti. — 159 — autrefois, à un autre Jean! ; mais j’ai soixante-six ans ! Quoique je ne sois pas facile à influencer par des dogmes exotiques et suspects, j'aurais pu cependant me sentir ébranlé, sinon con- vaincu, par cette erreur des astrologues, erreur dont il était alors question. Je borne là l’enquête incertaine de causes dont les effets sont réels pour moi. Quant à vous, vous m’adressez comme médecin, comme ami, comme honnête homme, une consultation savamment et sérieusement méditée, dans le but de remédier à mes souffrances. Si jai bien compté, elle contient six articles, pour trois desquels nous n’aurons aucune contestation. Suivant les préceptes de votre art, vous m’ordonnez de n’abstenir de viande et de poisson salés, ainsi que de crudités, dont je fais mon régal. Je m’y soumets de bon cœur, d’autant que ma nature, guidée par son instinct, sent moins d'appétence pour ces sortes d’aliments que par le passé ; aussi suis-je tout disposé à m’en priver désormais, si c’est nécessaire. J’aborde les trois autres objets, sur les- quels je suis un peu en désaccord avec vous. Un peu ! c’est beaucoup que je dois dire. Aïnsi, vous me prescrivez de cesser le jeùne, que j'ai pratiqué sans interruption depuis mon enfance jusqu’à présent, et de m’arrêter comme un coureur sans courage avant d’avoir atteint le but. Ce n’est pas la première fois que je vois des médecins donner des conseils opposés aux préceptes divins. Je sais ce que disent les gens de l’art et ceux qui condamnent le jeûne; ils prétendent qu'il est plus utile et plus salutaire de faire plusieurs repas, de répartir sur le diner et le souper les aliments que l’on prend au diner seule- ment ; ce ne serait peut-être pas mal raisonner, si les ‘faits étaient d'accord avec les paroles. Voilà ce que disent ces professeurs de diététique. Je les connais bien, ils s’emplissent le matin et se gorgent le soir, de sorte que, loin de scinder leurs repas, ils les doublent, mettant en oubli cette réflexion de Platon : « Je ne me soucie nul- « lement de me saturer deux fois par jour. » Pour moi, si Dieu daigne me réconforter, je continuerai à observer, comme d’habi- tude, le jeüne, dont je me trouve bien. A présent même je m'y 1 Boccace. — 160 — soumets jusqu’au samedi, ne prenant ce jour-là qu’un peu de pain et d’eau, depuis que je ressens cette faiblesse ; je reprendraï ensuite le jeûne comme tout le monde, selon ma coutume habituelle, s’il plaît à Dieu. Mais, direz-vous, vous êtes trop vieux et trop affaibli, vous ne le pourrez pas ! Si fait, je puis tout en celui qui me récon- forte. Qui a dit cela ? L’Apôtre : « Tu es un grand pécheur. » Et moi-même, ne suis-je pas un plus grand pécheur que l’Apôtre ? Mais, est-ce que le Christ abandonne les pécheurs qui invoquent son nom, lui qui pour eux est venu du ciel sur la terre? Je ne suis pas né défiant, pourtant je me défie beaucoup de moi-même, et quoique je n’aie à ses yeux aucun mérite, j'avoue que j'espère et ne doute pas qu’il me sera possible d’accomplir ces jeûnes, faciles même pour les femmes et les enfants. Néanmoins, toute perfection est difficul- tueuse, même avec l’assistance divine. Est-ce qu’une foule de vieillards décrépits ne vécurent pas dans le désert en mangeant du pain rance, buvant de l’eau du torrent et jeûnant perpétuellement, tout en conservant une santé parfaite? N’avez-vous pas lu qu'An- toine, presque centenaire, et Paul, plus que centenaire, se nour- rirent uniquement de pain et d’eau pure, ravis d’un si salutaire festin, au dire de Jérôme leur biographe? Chaque fois qu’on lit ou qu’on écoute pieusement ces histoires, nous n’avons aucun besoin de boire ou de manger, leur souvenir suffit seul pour nous fortifier. Mais, dira-t-on, Dieu les assistait. Qui en doute ? Et nous aussi, 1l nous assiste, autrement nous ne vivrions pas. Est-ce que je m’ima- gine que Dieu me fera défaut, alors que je fais une bonne action ? Lorsque je le méprise, il ne m’abaudonne même pas; pécheur et repentant, il m’assiste quand mème. Je puis jeüner, mon ami, soyez-en convaincu ; n’ayez pas une confiance illimitée en tout ce que vous disent vos auteurs ; croyez-en un peu votre ami, à qui le jeûne n’a jamais fait et ne fera jamais de mal. La preuve, c’est que de simples femmelettes, pendant des mois entiers, observent un jeüne rigoureux, n’usant que d’une nourriture maigre, et nous, qui nous repaissons d'aliments subs- tantiels, nous ne pouvons jeüner un seul jour ! Ce n’est pas par débilité, mais par gourmandise. Je sais que quelques personnes ont — 161 — péri de faim; des multitudes, par excès de table , mais le jeûne at-il jamais tué quelqu'un ?..... Continuons. Une prescription, qui est moins la vôtre que celle du corps médical tout entier, m’enjoint de m’abstenir de tous les fruits que l'arbori- culture fournit, comme si c'était de l’aconit ou de la ciguë. Ayant affaire à un homme dificile à convaincre, vous prenez vos précau- tions en vous appuyant de l'opinion des autres, vous ne lancez la vôtre que subsidiairement, Sur ce point, comme sur le suivant, vous me permettrez de ne pas obtempérer à vos ordonnances ; je me verrais obligé de répéter ce que j'écrivis autrefois à cet autre Jean’ dont j'ai parlé plus haut; je lui rappelais avec un accent d'indignation une vieille querelle que j'eus à Avignon avec les médecins du pape?, qui, soit à cause de ma réputation, soit à cause de ma manière de vivre, me déclarèrent la guerre à l'occasion d’une seule lettre courte, mais vive, que je me permis d'adresser à ce pontife. Aujourd’hui que je suis de sang-froid, et que tout ce tapage est bien loin de nous, j'en parle à un ami pour en plaisanter. Bonté du ciel! comment peut-on mépriser et proscrire une chose qui flatte le goût aussi bien que le toucher, l’odorat et la vue? Les hommes ont-ils done perdu le sens commun? N'y a-t-il de raisonnable que celui qui frappe les fruits d’une réprobation aussi imméritée? La nature at-elle pu de la sorte se moquer du genre humain en don- nant à ses produits tant d'agrément et de charme pour y cacher tant de dangers ? Ce n’est pas le fait d’une bonne mère, mais d’une cruelle marâtre de couvrir de miel un poison violent. On dira peut- être : Ce n’est pas l'usage, mais l’abus des fruits que nous proscri- vons ? Alors, trève de discussion. Il en est de mème de la perdrix et du faisan, que vous prétendez être, comme je l’ai entendu dire, des mets succulents qui deviennent nuisibles si l'on en abuse. Mais, pour les fruits, si leur excès est blâmable, on aurait tort, cependant, de les rejeter d’une manière absolue. Autrement, pourquoi les horticulteurs se donneraient-ils tant de peine? Pourquoi déploie- 1 Boccace. 2 Clément VI, en 1392. — 162 — raient-ils tant d’habileté? Que pensez-vous des auteurs grecs et latins qui ont traité ce sujet : Hésiode, Virgile, Caton, Varron, Palladius, Columelle, etc. ? Et Cicéron, qui dans son livre De la Vierllesse plaide contre les inconvénients et les incommodités de cet âge que la jeunesse accuse sans discernement? dans ce même livre où Caton le Censeur, ce grand homme, vante l’agriculture pratique comme un art très-utile au monde sans doute, et pour laquelle il professe une admiration sans bornes, affirmant que, outre l’exer- cice salutaire et les jouissances que procurent la plantation des arbres et les opérations de la greffe, il n’est rien de plus ingénieux 1? On y lit encore que Cyrus, roi de Perse, recommandait de propager les arbres fruitiers plantés de ses mains, tout fier des gains qu’il avait obtenus dans ses vergers. Enfin, que ne devons-nous pas aux généraux romains Appius et Décius, qui ont apporté en Italie les pommes d’Api et de Décie, celle-ci très-douce, celle-là aigrelette, mais toutes deux extrèmement savoureuses et tirant vraisemblable- ment leur nom de celui de leurs importateurs * ? Je ne vois pas grand inconvénient à différer d’opinion avec les auciens ; mais que dirons-nous de cet ami commun, le meilleur des hommes que je connaisse, comme le plus affectueux pour moi qu’il y ait au monde, quand on le voit fouiller tous les recoins de l'Italie pour se procurer les meilleures espèces d’arbres fruitiers? Je ne suis pas bien sûr qu’il ne poussera pas hors de la Péninsule ses recherches, afin d’enrichir, non pas seulement ses vergers, mais ceux de ses amis, de plantes exotiques. Soutiendrons-nous main- tenant que les modernes comme les anciens sont des insensés, à l’exception des seuls médecins ? Certes, quand les disciples d’Escu- lape proscrivent les arbres fruitiers, ils font preuve d’une singu- lière aberration d’esprit, eux qui devraient s’évertuer à découvrir des substances utiles et salutaires. Quant au blâme qu'ils déversent \ ! Nec consitiones modo delectant, sed etiam insitiones, quibus nihil invenit agricultura solertius. (De Senect. XN\.) Pie Quid postremo (facias) romanis ducibus Appio et Decio a quibus poma appia et decia in Italia advecta, illa prædulcia, hæc vero subacra extraque sapidissima suorum nomina traxisse videntur auctorum. — 163 — sur l’abus des végétaux et de leurs produits, j'y ai répondu plus haut. Pourtant, j'excuse en partie les plus célèbres des médecins à cet égard, car j'ai souvent remarqué qu'ils professent autrement qu'ils ne dinent, et qu’ils parlent autrement qu'ils ne soupent. Il me reste un dernier point à traiter, mais il me semble si étrange, que ma plume s'arrête stupéfaite : on m'interdit de boire de l'eau pure. Pourquoi, s'il vous plait? Serait-ce par hasard que ce grand homme notre compatriote prétende que l’eau n’est bonne à rien, sinon dans les maladies aiguës? En ce cas, il a peut-être raison; mais si l’eau n’est pas autrement utile, il peut s’en plaindre, à mon sens il ne le doit même pas. N'y a-t-1l plus ni foi ni loi? Ainsi un vieux petit homme de rien, œnophile et hydrophobe, aura pu, d’un seul trait, supprimer et mettre à sec et ces puits si profonds, et ces fontaines si agréables, enfin tout ce précieux élément de notre mère nature, bon seulement dans un cas restreint! Faut-il vous entre- tenir ici de tant de populations alpestres qui étanchent leur soif aux sources limpides ? Non-seulement elles n’ont pas de vin, mais elles ue le connaissent même pas; elles vivent néanmoins beaucoup plus agréablement que vous autres amateurs de vin, pour qui la priva- tion de cette boisson, pendant un seul jour, est un supplice. Nos premiers parents, avant la plantation de la vigne, étaient done bien malheureux, et pourtant ils vivaient près de mille ans : ils n’avaient pas nos mœurs. Bien à plaindre étaient ces matrones romaines des premiers siècles, pour qui l'usage du vin était un crime capital, à ce point que lorsque l’une d’elles en avait bu, son mari pouvait la tuer sans encourir ni punition ni blâme. Et cependant, elles n’6- taient ni fainéantes ni anémiques pour cela, ces femmes qui don- aient le jour à ces fils valeureux dont nous admirons les grandes qualités, vainqueurs des passions et des vices, et maitres de la terre ! Aujourd’hui, voyez quelles générations nous donnent nos compagnes de bouteille ! ! Etaient-ils donc bien infortunés, ces vieux Gaulois ignorant l'usage du vin que leur apprit Rome à son ori- gine, comme nous le dit l'histoire ? Ce sont bien plutôt ces prêtres de Bacchus et de Vénus qui, grâce à la bonté du vin de leur pays, 1 Compotatores. — 164 — abandonnent le Christ, Pierre, leur foi, leur honneur, le salut de leurs âmes, qu'ils croient mortelles, et l'Église, dont ils sont les infidèles mandataires. Quoique ce ne soit là qu’une cause latente de calamités, ce n’en est pas moins une cause prédisposante, ainsi que j'ai eu souvent occasion de le dire; mais ils préfèrent avouer leur ivrognerie plutôt que de reconnaître leur impiété, quoiqu’ils ne puissent nier ni l’une ni l’autre, Enfin, sont-ils si misérables, non- seulement les philosophes de l’Inde, gymnosophistes et brachmanes, dont le chef buvait en abondance l’eau des fontaines, tout fier de sucer la mamelle incorruptible de la terre, sa nourrice, mais encore presque tous les peuples de l'Orient, qui ont admis dans leurs lois l’abstinence du vin? Il n’y a que nous, en fin de compte, qui soyons heureux d’être des sacs à vin ‘. Je voudrais ne pas dire jus- qu’où le vin n’a pas porté le bruit de notre violence : la critique est aussi juste que mordante. Dernièrement un casus belli est survenu entre le Soudan de la Babylone d'Égypte et nous. Hélas ! il ne s'agissait ni du Christ, ni de suprématie, ni de gloire, mais d’une question de négoce et d’in- térêt. Il y avait alors pour gouverner l'Égypte, et le Sultan pendant sa minorité, un homme d’une haute capacité quoique d’une basse extraction ; vendu, dit-on, comme esclave quelques années aupa- ravant, il était bientôt parvenu au faite des honneurs. Les cour- tisans, pour le perdre, lui conseillèrent d’aller, à l'exemple de Mithridate, porter la guerre chez les ennemis qui menaçaient son autorité et de massacrer tous les chrétiens qui étaient en son pouvoir. « Ce serait une imprudence, répondit-il, de faire périr des innocents dont l’empire a besoin ; 1l ne faut pas non plus se laisser ébranler par les menaces et les fanfaronnades de ces giaours ; ils sont puissants, ils sont braves, mais ils boivent du vin; aussi leurs menaces du soir, ils les ont oubliées le lendemain matin. » Aboiement de chien perfide! c’est outrageant, mais vrai, je suis forcé d’en convenir. Ainsi nos vignes déshonorent nos vies”. Le vin 1 Solos denique nos felices, qui vini dolia facti sumus. 2? Vitam nostram viîtes nostræ dehonestant. Jeu de mots puéril qui macule cette lettre. — 165 — qui fermente dans nos veines nous a rendus méprisables. L’ivro- gnerie a tué notre dignité, la confiance dans nos actes et notre pa— role. Nos amis n’ont aucune foi en nous, et nous n’inspirons aucune crainte à nos ennemis. Ce n’est pas la faute du vin, mais de ceux qui en abusent; vice trop général et trop enraciné pour être extirpé autrement que par la suppression du vin, et je crois en vérité qu'il serait urgent de ne conserver de cette liqueur que ce qui est néces- saire pour l’usage des autels. Je vous entends d'ici, vous et votre séquelle, vous écrier : Mais que deviendront nos estomacs ? Eh bien! ils se reposeront, ils ne s’enflammeront plus, ils cesseront de se tuméfier; ils n’auront plus de vapeurs, de phlegmes, de soulè- vements ; ils redeviendront comme ceux de nos ancêtres avant la découverte du vin, ou de ceux qui aujourd’hui s’en abstiennent. Ne mettons pas sur le compte de l'estomac un délit que l’on ne doit imputer qu'à notre palais; et l’on s’avise de traiter par le vin des maladies occasionnées par le vin, comme si l’on pouvait éteindre des flammes par des flammes ! ! Je connais un homme habitant non loin d’ici et qui pourrait, au besoin, rendre témoignage du fait qui le concerne et que je vais rapporter. J’étais bien jeune quand je l’ai vu, dans la force de l’âge, déjà tellement podagre et chiragre, qu’il était incapable de rien faire de ses pieds et de ses mains. Dix ans après je le rencontrai, il était parfaitement guéri de la goutte, ingambe et dispos, pouvant se servir librement de tous ses membres, sans qu’il lui restät aucune trace de sa première affection. Grand fut mon étonnement, et comme il en comprenait la cause, il me dit : « Le vin m'avait brisé et lié, l’eau m’a rétabli et délivré. » Dernièrement, ayant appris de la bouche de son fils qu’après un certain laps de temps la goutte lui était revenue, je m’avisai de lui écrire qu’il ait à voir si le vin, son ami, et la goutte, son ennemie, ne logeaient pas ensemble chez lui. Il me répondit qu’il ne buvait pas de vin, mais qu’il mangeait du pain trempé dans du vin. Eh bien ! niez maintenant que le vin ne soit une excellente chose pour engendrer la goutte, l’entretenir ou 1 C'est le similia similibus curantur des homæopathes. la rappeler, pour ainsi dire, par sa seule odeur ! Il est certain que le premier planteur de la vigne en a été la première dupe, car Loth fut supplanté par le vin, lui qui par un jugement de Dieu, quoique le seul juste parmi tant de milliers d'hommes, s’est rendu coupable d’un horrible inceste. Le vin du Mont-Carmel fut cause que l’im- bécile Nabal, faisant injure au roi David, et sans respect pour l’au- torité royale, s’attarda dans un festin; et comme il était menacé de perdre la vie, étant déjà plongé dans l'ivresse, il échappa à ce danger par la prévoyance de sa femme. Absalon, irrité contre son frère ainé Ammon, qui avait violé sa sœur, résolut de s’en défaire, il le fit assassiner pendant qu'il était ivre, quoiqu'il pût choisir un autre moment; tant le jus de la treille mène facilement à leur perte ceux qu’il domine! Et pour mêler l’histoire profane à l’Écriture sainte, j'ajouterai que le fils enivré de la reine des Scythes, fut massacré avec toute son armée par Cyrus, roi de Perse. Ce fut cette nation abstème qui vainquit les Romains adonnés au vin et qui plus tard fut vaincue par eux quand elle se fut livrée à l’ivrognerie. Alexandre, roi de Macédoine, invincible par le fer, vaincu par le vin, périt misérablement. Cette liqueur fit du triumvir Antoine, d’un romain un barbare. Tous les révolutionnaires qui tentèrent de renverser la république perdirent leur réputation et la vie, parce qu'ils étaient ivrognes. Il faut en excepter Jules César : c’est Caton qui l’assure; ce Caton lui- même dont la gloire fut un instant ébranlée par le vin; mais elle était d’ailleurs si bien assise, qu’elle resta debout. Il n’est ni mé- moire ni plume qui sufliraient à raconter tous les accidents fâcheux ou funestes causés par le vin. En somme, le vin, en excès, est la source des malheurs de l'humanité : et voilà que vous interdisez l'usage de l’eau à un homme qui pendant son enfance et sa jeu nesse en a toujours bu, et de cette habitude a fait une seconde nature, J'entends la plupart d'entre vous dire qu’il faut user de cette liqueur dans une juste mesure. Il est bien tard, pour enrôler sous les étendards des œnophiles celui qui a toujours préféré la fon- taine au tonneau. Je ne veux point dissimuler ce passage de l’é- pitre de saint Paul à Timothée, quoique contraire à ma thèse : « Ne — 167 — buvez plus d’eau, » lui écrit-il. Il abonde en votre sens et me con- damne. Le disciple avait probablement d’autres habitudes que moi, ou bien il était d’une constitution différente de la mienne, ayant dès sa jeunesse usé du vin, qu’il aurait abandonné pour l’eau dans un âge plus avancé, ce qui est tout l’opposé pour moi. Timothée s'était peut-être imposé ce changement par un motif de dévotion, et Paul, le croyant préjudiciable à sa santé, le lui avait défendu; mais une pareille prohibition me serait nuisible. D'ailleurs, ie vin prédispose à la luxure; donc l’abstinence du vin et de la viande est une bonne chose. Saint Paul le dit d’une manière générale; si dans un cas il a conseillé le vin, ce n’est pas comme vin, mais comme remède. I] lui donne quelque part cet avis : « Usez du vin avec modération, à cause de votre estomac et de vos nombreuses infirmités. » Enfin, cette année m’a effectivement accablé d’une maladie nou- velle et insolite, de misères de tout genre, mais tant que je me porte bien je ne sens nullement mon estomac, dont tant de gens se plai- gnent tous les jours. Si par hasard j'éprouve quelques pesanteurs, je bois de bonne eau fraîche et je me trouve guéri. Je sais bien que ce que je dis là est étrange, incroyable pour les médecins, et l’on peut s’en rapporter à ma parole, quand j'affirme que je l'ai expéri- menté nombre de fois. Mais l’âge change. Qui l’ignore ? Pendant que nous causons, le temps marche et il marchera jusqu’à ce qu’il ne puisse plus marcher, c’est l'affaire de la mort. Suis-je tellement obtus et tellement idiot que je ne puisse sentir ce qui m'est utile et ce qui n’est nuisible ? Je me suis attiédi, mais non refroidi; je conserve peut-être encore plus de chaleur que beaucoup de mes contempo- rains, et même de gens plus jeunes que moi; cependant j’use de l’eau avec plus de discrétion que par le passé. Qu’exigez-vous en- core ? Que je m’abstienne absolument de boire de ce liquide? Vous le voudriez en vain. Je soupçonne que c’est par votre conseil et celui de vos amis que je suis venu me fixer sur ces collines plantureuses et charmantes, mais arides du reste, pour n’y pas boire de l’eau pure, et malgré le vif désir que j’en ai, je ne puis trouver agréable cette fontaine, voisine de ma maison; c’est de l’eau chaude, grâce aux rayons du soleil. Mais si je reviens au nouveau puits de mon — 168 — habitation de la ville, je me souviendrai de cet inconvénient et verrai quel cas je dois faire de cette consultation médicale. Quant à vous, fort de votre talent, avec la science pour appui, vous m’écrasez sous le raisonnement que voici : « Vous ne voulez pas, me dites-vous, avoir confiance dans les médecins, pourquoi alors ne pas avoir foi en vous-même, dans l’expérience, cette mère des arts libéraux ? Songez combien cette année en particulier vous a occasionné de maladies pour n’avoir pas suivi les préceptes de la médecine ; l'usage de l’eau, celui des fruits, les jeunes sont les causes de ces maux. » Pour le premier article, je suis bien loin, vous le voyez, de nier que j'aie été assailli coup sur coup par plusieurs maladies. Quant au second point, qui me prouvera que ces maladies me sont venues prématurément, amenées par ces causes indiquées par les méde- cins, et non pas qu’elles en ont plutôt reculé l’irruption ? Les opé-— rations de la nature sont enveloppées de profonds mystères; aussi, combien il est difficile de les expliquer avec certitude. Au reste, la vérité est là..., ma conviction, appuyée sur l'expérience, ne sau- rait être ébranlée non pas seulement par ce petit Grec, mais par tous les Grecs réunis. Ulysse avec son astuce, Achille avec ses armes, Ajax avec sa fureur, Nestor avec sa sagesse, Agamemnon avec sa puissance souveraine, ne me feraient pas capituler. Je sais d'avance ce que vous allez me dire : « Je connais votre ha- bitude, faites donc ce que vous voudrez, me répondrez-vous; mais sachez que si vous ne suivez pas les conseils des médecins, vous ne pouvez espérer de vivre longtemps. » J’ai vécu assez longtemps, mon ami; si mon rôle est joué, je n’hésite pas à me retirer; le Directeur du théâtre peut, s’il lui plaît, l’interrompre ; je suis déjà las, et si je mourais aujourd’hui, je ne me plaindrais pas de la brièveté de la vie. De fait, si tous les hommes atteignaient mon âge, la terre ne serait plus assez vaste pour contenir le genre humain. Je ne dois pas désirer de vivre beaucoup, dans la crainte d’avoir trop vécu, quand je pense à tous les amis, à tous les hommes éminents qui m'ont précédé dans la tombe; et puis on ne fait rien aujourd’hui qu'on v’ait fait hier et qu’on ne fera demain. Tous les jours des — 169 — chagrins nouveaux, partout des dangers sans nombre, sans cesse la fortune menacante, la morale troublée par des tempêtes sans fin. De là l’origine de toutes nos misères et de ces mœurs barbares pour lesquelles notre Italie se montre si docile. Je supporterais tout avec patience, excepté cela. Enfin, les vertus bannies, les vices triom- phants..…. Tenez ! l'humanité me pèse, et vous croyez qu’au milieu de ces épreuves je mène une existence douce et tranquille !..... Elle est bien âpre et bien amère, mais toute äpreté et toute amertume se corrige par l’égalité d'âme et la patience. Je vis done comme un homme qui endure la vie, sans la désirer. Comment pourrais-je prolonger cette existence en obéissant aux médecins ? En vérité, je ne le sais pas, ni ne m’en soucie guère. Je l’avoue, c’est une des choses que j'ignore tout à fait, soit parce qu’il n’est pas absolument sûr pour nous d'y croire, soit qu'il est diflicile de croire tout, et pourtant croire beaucoup ou croire peu offre des dangers. J’ai connu une foule de personnes soumises aux prescriptions des médecins, les- quelles ne jouissaient non plus ni de la santé ni d’une longue vie; et d’autres, rebelles aux ordonnances de la Faculté, qui vivaient longtempsexemptes de maladies. Cependant, ni moi ni aucun mortel n’a une carrière prolongée. Quant à la mienne, selon la mesure commune, elle ne peut être considérée comme étant courte. Il faut boucher les oreilles au vulgaire, dissiper les nuages et les obscurités qui voilent les erreurs, renoncer au désir de vivre, bannir la crainte de la mort ; autrement l’on n’en finirait pas, si l’on voulait toujours Ôter quelque chose aux années, trouvant sans cesse du charme à se faire illusion. Nous voudrions toujours être jeunes et le paraître, si la mort ne venait nous obliger à confesser la vérité. Pour moi je ne me plains pas de la brièveté de la vie; mais, hélas ! plutôt de son mauvais usage et de son inutilité. Virgile a vécu qua- torze ans de moins que moi, Gorgias de Léontium m’a dépassé de sept lustres. Eh bien donc, maintenant, est-il bon de convoiter cette extrème limite de la vie, ou devons-nous nous contenter de la jouissance moyenne d’une chose aussi caduque ? A voir le train dont vont les événements, en notre siècle, je vous assure, comme je lai dit déjà, XI. 4 12 — 170 — que je n’éprouve pas une grande satisfaction à vivre, et si j'y tiens un peu, c’est à cause de mes œuvres. Je crois néanmoins que si je vivais encore cent ans, il me semble qu’il me manquerait encore je ne sais quoi ! Pour me résumer, je répète : J’ai assez vécu, pourtant je conti- nuerai à vivre autant qu'il plaira à Celui de qui l’on a dit : « Il a posé des bornes que personne ne peut franchir. » Je lui rends grâce en toutes choses, et suis préparé à tout, soit qu’il m’ordonne de vivre, soit qu'il me condamne à mourir. Et ce que je n’ai jamais fait con- venablement pendant que je le pouvais, c'est de souhaiter, non une vie longue, mais une bonne fin : me reposant, non sur mes mérites, mais sur sa miséricorde, car la fin de cette vie ne sera que le com- mencement d’une vie meilleure. Voilà, mon ami, le langage que, présent ou absent, j'ai l’habi- tude de vous tenir sous la forme d’un badinage. Devant la rapidité du temps, j'avais résolu d’être laconique dans ma correspondance, mais vous m'avez fait oublier ma détermination, tant j'ai trouvé de plaisir à causer avec vous jusqu’à la fin de la journée et jusqu’au bout de mon papier, dont j’ai rempli les marges pour ne rien dire qui vaille. Pour vous, vivez et portez-vous bien ; pensez à moi. Entre les collines Euganéennes, 3 des ides de juillet 1370. La lecture de cette lettre ouvre le champ à une foule de réflexions. À part les digressions, les hors-d’œuvre, l’érudition à perte de vue, les obscurités de langage et les subtilités de pensées, défauts ordi- naires du siècle, auxquels Pétrarque a payé un large tribut, l’on ne peut se défendre d’un sentiment d’admiration pour l’auteur, dont le bon sens, la franchise, la haute raison cherchaient à secouer le joug des préjugés, des opinions reçues, des erreurs acceptées par l’auto- rité des maîtres ou la routine. A ce titre, on doit le considérer comme un libre penseur relatif, en dehors du dogme et de la morale, dont il se montra toujours l’un des plus fervents défenseurs. Ses diatribes contre la médecine et les médecins l’ont fait regarder comme l’un des trois grands ennemis de la science et de l’art de guérir, avec Montaigne et Molière, ce qui a fait dire à un médecin du xvrrr° siècle ! : 1 Réflexions de M. Le François sur la médecine. — 171 — « Pétrarque l’insulte (la médecine) avec force ; Montagne la méprise comme de sens froid ; Molière la tourne en ridicule. Tous les trois en jugent sans connoissance. » Nous n’entrons point dans le débat : il y a pour notre temps force de chose jugée. Mais aux xIv°, xvI° et xvI1° siècles, c'était une autre affaire. Pétrarque, chaque fois que l’occasion s’en présente, se déchaîne contre la Faculté, dont il ne veut pas reconnaître l’omnipotence ; il s’est attiré de vives querelles, des persécutions même qui ne l’ont pas fait changer de sentiment. Dans la question qui nous occupe, il n’a cédé à la pression de son ami que dans la mesure du possible et du raisonnable. C’est une justice à lui rendre : les fâcheux pronostics n’ont pu l’ébranler. On peut affirmer qu’en aucun temps, au milieu de l’amour mélo- dieux du poète, la pensée de la mort et de l'éternité n’a été plus vivace. La plupart de ses lettres en sont attristées ou consolées tour à tour ou en même temps. On sent que c’est sa préoccupation cons- tante, son idée fixe , il ne vit que pour mourir. Dans ses Consolations à ses amis, on voit ses appréhensions, ses terreurs mal déguisées sous le voile de l’espérance. « À cette époque, les secrets de la mort étaient encore plus recher- chés que les secrets de la vie; et puis, l’idée que l’homme pouvait être séparé par la mort de ce qu’il avait aimé, n’avait pas, malgré mille doutes dont le monde était assiégé, encore approché de l’âme humaine. » (DELÉCLUSE.) La correspondance de Pétrarque, si volumineuse (plus de cinq cents lettres), offre ceci de particulier : c’est que depuis cinq siècles elle est restée presqu’inexplorée ; et pourtant c’est un riche trésor où tout le monde aurait intérêt et agrément à puiser, si la lecture n’en était difficile dans le texte latin, défiguré qu'il est par des fautes de typographie bien propres à décourager les plus déterminés. Une traduction française, de cent vingt lettres déjà, a été tentée par nous, dès 1864. Nous y persévérons sans relâche. Réussirons-nous ? P. Maize, D. M. P. Secrétaire général de la Société Linnéenne de Maine-et-Loire. NOTE SUR LES FRUITS ET LA GERMINATION DES GRAINES DE L'ANONA CHERIMOLIA Le Chérimolier du Pérou (Anona Cherimolia Mur. — A. tripe- tala Air. — Guanabanus Trew.) est une des plantes les plus inté- ressantes de la belle famille des Anonacées. Pour ce qui concerne les caractères et les principaux usages de cette espèce, nous renvoyons à notre Historre des Plantes (tome I, pp. 227, 274, 285). Ce que nous voulons indiquer ici, c’est qu’elle se contenterait d’un climat tempéré, et qu’elle végète assez bien en plein air dans plusieurs lo- calités européennes. Ou pourrait donc la cultiver en pleine terre dans les jardins de l’ouest de la France, où elle ne mourrait proba- blement que dans les hivers rigoureux, à la facon d’un certain nombre de plantes australiennes. En Algérie, non-seulement elle fleurit bien, mais encore elle fructifie depuis un assez grand nombre d'années. Il y a près de dix ans que j'ai entendu des habitants d'Alger raconter qu’ils avaient mangé d’excellents Corossols cueillis au jardin du Hammab. Il s'agissait évidemment du Chérimolier ; car on décrivait des fruits pulpeux, en forme d’Ananas ou de Pins pignons, mamelonnés à la surface, gros à peu près comme le poing, — 173 — blanchâtres à l’intérieur, et d’un vert foncé auquel succédait, quand le fruit commençait à se ramollir, une teinte chocolat-violacé. Il est probable que c’est aux fortes chaleurs de cet été qu’on doit Pabon- dante récolte de Chérimoliers faite cette année en Algérie. Aussi les fruits sont-ils venus jusqu’à Paris en certaine quantité ; nous les avons vus dans quelques magasins de comestibles renommés de la capitale, et ils se vendaient assez bon marché. On a donc pu se faire une idée exacte des qualités de ces fruits tant vantés et qui ne valent pas certainement nos bonnes et belles poires, pêches et prunes, il s’en faut de beaucoup. On ne peut guère admettre qu’ils n'avaient pas atteint leur complète maturité, car leur saveur était extrèmement sucrée, trop sucrée même assurément. Leur chair fondante, parfumée, ressemble bien, comme on Pa dit, à une sorte de crême ; mais l’arôme manque de délicatesse. Si la pulpe west pas complétement mûre, elle est âcre, astringente ; dès qu’elle perd cette astringence, elle prend un goût de fruits blets qui ne doit pas plaire à tout le monde. On s’explique aïnsi que dans plusieurs par- ties de l'Amérique équinoxiale, on préfère manger ces fruits avant leur entière maturité ; ils sont alors plus toniques, et l’on remédie à leur astringence en leur ajoutant beaucoup de sucre ou de sirop. Les graines du Chérimolier sont faciles à distinguer de toutes celles des autres Anona ; elles sont de taille moyenne, plus foncées de couleur (d’un brun noirâtre), et moins plates que celles de toutes les autres espèces. Comme chez elles la pulpe du fruit n’adhère pas le moins du monde à la surface des téguments séminaux par la couche profonde, on ne peut croire ici à l’existence de cet arille pulpeux qu’on a attribué à la graine d’un grand nombre d’Anona- cés. Il »’y a de charnu que le péricarpe dans les baïes du Chéri- molier. Les graines sont nombreuses dans chaque fruit ; elles ont pu être semées ; elles ont levé facilement au bout d’une quinzaine de jours ; et le Jardin de la Faculté de Médecine de Paris possède de la sorte un certain nombre de jeunes pieds d'Anona Cherimola, qui seront mis à la disposition des personnes désireuses d'introduire ces plantes dans les jardins de l’Anjou, de la Bretagne ou du midi de la France. — 174 — Le tiers environ de ces graines nous a présenté une particularité assez curieuse dans la germination. La plupart lève à la facon des haricots. Après que la racine s’est enfoncée en terre, la tige d’abord repliée se redresse et élève la graine à une certaine hauteur dans l'air. C’est donc par la gemmule et les cotylédons que la jeune plante puise normalement dans l’albumen ruminé les aliments que celui-ci renfermait. Mais dans les graines à germination anormale dont nous voulons parler, les cotylédons et la gemmule se déga- geaient de bonne heure de l’intérieur de la graine, se dévelop- paient à l’air libre, et néanmoins la graine ne se séparait pas de la plante pour tomber sur le sol; elle restait fixée latéralement au jeune végétal qui continuait d’épuiser le réservoir d’aliments offert par le périsperme. Ces aliments étaient pris et portés dans la plante par une petite racine adventive latérale qui, s’enfonçant horizon- talement dans l’extrémité ombilicale de la graine, allait traverser de part en part l’albumen suivant son axe, se développait dans son intérieur comme dans un sol humide , et ne se desséchait qu'à l’époque où elle avait complétement vidé la graine de ses sucs alimentaires. H. BaizLox. NOTE SUR UNE VARIÉTÉ DE L'HEDERA HELIX (LINNÉ). Le lierre est une des plantes qui produit le plus bel effet, soit qu’il tapisse les murs, soit qu’il enlace de ses tiges vigoureuses les robustes chènes de nos parcs. Le lierre a toujours été une plante en honneur. Dans l'antiquité on tressait aux poètes des couronnes de lierre : Or va, romps toi la tête et de jour et de nuit, Pâlis dessus un livre, à l'appétit du bruit, Qui nous honore après que nous sommes sous terre, Et de te voir paré de trois brins de lierre. (REGNIER.) Au xvue siècle, le lierre était pris pour emblème de la fidélité. Lorsqu'un jeune homme était fiancé, il remettait à sa future, comme gage de leur promesse, un présent renfermé en un coffret en bois, sur le couvercle duquel était sculpté un arbre enlacé d’un lierre, puis au pied on lisait sur une banderole cette devise : Teneo quo morior. Les variétés du lierre sont nombreuses; il en est quelques-unes de particulières à l’Anjou, telles que 1° l’hedera helix, L., variété HANE = laciniata, 2° V’hedera helix, L., variété marmorata, 3° hedera helix, L., variété grandiflora. Quant à l’hedera helir, L., variété hastata, cette dernière variété est commune par toute la France. La variété grandh/flora croît dans les vallées de la Loire; le dessin que nous en donnons est de grandeur naturelle. Longueur de !a feuille y compris le pétiole. . . . 0,35 ec, Sans IE DÉHOI D ET MR Dee. «+ CO DIN Longneur dupétiole 4". "#4 PEN E LL E LECUS IC Largeuride-là feuille. MUR RE LE LE, EX O16 La feuille de ce lierre est cordiforme, un de ses côtés est coupé droit, tandis que l’autre est arrondi. Cette variété est essentiellement propre aux terrains alluvion- naires ; placée dans un autre sol elle dégénère “ ne produit pas de are aussi larges. Pour obtenir un bon résultat, il faut faire un trou d’un mètre cube, l’emplir de sable pouf, et de cette manière on sera sûr de voir parfaitement végéter l’Aedera helir, variété grandiflora, qui est appelée à devenir une magnifique plante ornementale. AIMÉ DE SOLAND. 9 de Momorata EXPÉRIMENTATION D'UN NOUVEL APPAT POUR LA PÈCHE DE LA SARDINE. Depuis longtemps, je cherchais le moyen d’affranchir les popu- lations maritimes du tribut exhorbitant qu’elles payent chaque an- née aux nations du Nord pour se procurer la rogue indispensable à la pêche de la sardine. Mes études de pisciculture n’ont conduit à certaines remarques qui m'ont prouvé que la Sardine, de même que tous les autres poissons, ne se nourrissait point de la rogue du commerce, à l’ex- clusion de toute autre nourriture, puisque les éléments de cette rogue n’existent point sur les côtes de France. D’après des données certaines, jai composé un appât qui a été expérimenté ofticielle- ment dans le port de Saint-Gilles-sur-Vie (Vendée) sous la haute protection de Son Exc. le Ministre de la Marine et des Colonies, qui avait bien voulu donner à ce sujet des ordres à l’administration maritime. Je me bornerai, pour faire connaître le beau résultat que J'ai obtenu, à transcrire le certificat officiel qui m’a été délivré par 1 La rogue est composée (celle du commerce) d'œufs de stockfish , de maquereaux et autres poissons. Son prix varie entre 90 fr. et 420 fr. le baril. — 178 — M. l’administrateur du sous-quartier de Saint-Gilles-sur-Vie, à la date du 25 juin 1866, lendemain de l’expérimentation. Ce certificat s’exprime ainsi : « Le dimanche 24 juin 1866, sur les quatre heures du matin, « deux chaloupes de pêche du port Saint-Gilles-sur-Vie, l'Aëmable, «ayant pour patron le sieur Morineau, Sainte-Anne, ayant pour « patron le sieur Boulineau, sortirent de ce port, sur le désir de «M. Sicres, administrateur de l'inscription maritime, afin d’expé- «rimenter un nouvel appät pour la pêche de la sardine, composé «par M. Delidon (Ernest-Pierre-Serpeau), notaire à Saint-Gilles- «sur-Vie, membre de la Société impériale d’acelimatation et de la « Société linnéenne de Maine-et-Loire. «M. Delavaud (Alexandre-Olivier), syndic des gens de mer au «sous-quartier de Saint-Gilles-sur-Vie, était présent dans la cha- «loupe l’Aïmable, ainsi que M. Delidon, et chaque bateau était « muni d'un baquet du nouvel appât. «A la distance d'environ quatre kilomètres de la côte, la cha- «loupe Sainte- Anne tenta la pêche à cinq heures moins cinq «minutes, et la chaloupe l’Aëmable suivit son exemple à cinq « heures. « À ce premier mouillage, le patron de la chaloupe Sainte-Anne « jeta vainement une certaine quantité de l’appât à expérimenter, «sans prendre ni voir de poisson ; celui de la chaloupe } Aimable, «avec le même appät, fit lever une certaine quantité de sardines et « en prit deux cents. «Un poisson ayant été ouvert, renfermait quelques fragments « de l’appât. « Une seconde tentative fut faite à une certaine distance du se- «cond mouillage, mais plus près de terre. « Le patron de la chaloupe l’Aëmable jeta vainement du nouvel « appât sans voir ni faire lever de sardines, celui de la chaloupe. « Sainte-Anne en jeta environ pendant vingt minutes et fit lever «une grande quantité de poissons qui lui fournit une pêche de « quatre mille cing cents sujets. — 179 — « Toutes les personnes présentes à cette expérimentation ont ob- « SETVÉ : «1° Que l’appât composé par M. Delidon présentait toutes les « qualités de la rogue employée actuellement pour la pêche des « sardines, puisqu’elle faisait lever le poisson et le faisait prendre « dans le filet ; « 2° Que la sardine aimait cet appât puisqu'elle se laissait prendre « par lui et qu’elle en mangeait ; « 3° Que les tentatives infructueuses ci-dessus constatées ne « doivent être dues qu’au manque de poisson ou à toute autre cause «ne provenant point de l’appât, puisque le patron de la chaïoupe « Sainte-Anne a essayé vainement, au moment où son filet conte- « nait quatre mille cinq cents sardines par Pappât de M. Delidon, « d’attirer une plus grande quantité de poisson en jetant de la «rogue de Stockfish ! et que presque aussitôt le poisson s’est «enfui. «Il est reconnu généralement que la sardine ne travaille * pas « lorsque l’air est lourd et le temps orageux, et le fait ci-dessus « constaté doit probablement être attribué à cela, puisque sur les « deux heures du soir, le même jour, un orage assez violent éclata «sur Saint-Gilles-sur-Vie. « Le poisson est arrivé frais au port et a été vendu à un confiseur, « comme tout autre. » Après cette expérimentation qui a ému vivement les populations maritimes du quartier des Sables-d'Olonne, puisqu'elle les tire d’une ruine presque certaine en leur donnant l'espoir de voir subs- tituer avant peu un appât d’un prix très-minime à une rogue dont le commerce ne livre le baril qu’au poids de l’or, j'ai exposé à Arcachon (exposition internationale de pêche) un échantillon de mon appât accompagné du certificat de l’expérimentation officielle 1 La rogue de stockfish est celle du commerce. Elle est composée d'œufs de ce poisson, salés et mis en baril. ? Le pêcheur appelle travail de la sardine les sautillements de ce poisson sur l’eau pour saisir les grains de l’appât qu'il lui jette. Un grand travail fournit ordinairement grande pêche. — 180 — du 24 juin 1866, et la Société scientifique de cette ville a bien voulu me faire l'honneur d'imprimer sur sa liste des exposants, les lignes suivantes : «M. Delidon, notaire à Saint-Gilles-sur-Vie (Vendée). — Rogue à sardines. «Un certificat d’expérimentation délivré à l’exposant à la date du 25 juin 1866, et joint à un échantillon de son appât, témoigne que sa composition peut être très-utile aux pêcheurs. Le prix de la rogue actuelle varie entre 70 et 100 fr. le baril, tandis que l’appât de l’exposant, pouvant toujours être fait par le pêcheur lui-même, variera entre 6 et 10 fr. le baril. » La commission des récompenses m’a compris sur sa liste en me décernant une médaille d’argent grand module. L'éloquence de tous les faits que je viens d’énumérer parle hau- tement en faveur d’un appât appelé à rendre de grands services. E. S. Demon. CONSIDÉRATIONS SOMMAIRES SUR L’INTÉRÊT QUE PRÉSENTE L'OBSERVATION DES ACTES ACCOMPLIS PAR LES ANIIAUX à des époques périodiques ET SUR L’UTILITÉ DE LA PUBLICATION DE FAUNES LOCALES Les naturalistes, qui vivent loin des grands centres, et n’ont point les matériaux d’étude fournis par de vastes collections, sont en mesure de rendre des services signalés aux sciences qu’ils culti- vent par des travaux de diverse nature. Bien posés, en beaucoup de circonstances, pour suivre attentivement et avec persévérance les habitudes et les mœurs des animaux, ils peuvent jeter beaucoup de lumières sur une question du plus haut intérêt. Je veux parler de certains actes accomplis par différentes espèces, chaque année, d’une facon périodique et régulière. Quelques exemples serviront à faire comprendre le but à atteindre par les recherches dont il s’agit. Men Disons d’abord que pour les poursuivre avec succès, on ne sau- rait trop s’attacher à ne négliger aucune des conditions énoncées dans un programme dressé dans les Mémoires de l'Académie des sciences, des lettres et des beaux-arts de Belgique, et dont M. Quételet a présenté un exposé au Congrès de l’association an- glaise, pour l'avancement des sciences, en 1841. Dans le 14° Congrès réuni en 1845 à Cambridge, une commission de naturalistes, pour suivre l’exemple de la Belgiqne et afin de provoquer des observa- tions sur les îles britanniques, a soumis à l'Association (Report, p. 321-336) une traduction du programme avec additions. S'agit-il, je le suppose, du retour annuel, pour certains poissons, de la mer dans les eaux douces et dits anadromes à cause de leur course contre le courant, il faut indiquer, à des stations situées sur les grandes rivières et sur les fleuves, l’époque où remontent, au printemps , les espèces de la famille des Clupes dites Alose et Feinte , ou les Saumons, les Truites, les Esturgeons, les Plies et la Lotte. é Aïnsi, et c’est là un des exemples que je veux rappeler, M. de Sélys-Longchamps a, durant une période de dix-sept années, ob- servé, à Liége, le moment où commence la remonte de l’alose, dans la Meuse. Ila, de la sorte, obtenu les résultats suivants : 1842, devra avtil 185050. . A0 avril 1845. tan Sonde 50 185 15 0111800 y ARE is ten ME à 1852 Bu ft 8 AUS, Jon ou ml LB uote eve shürtten LOG. cheminée 18H41: ua 120 2 46% SEL... déni 1855 . . . 14-18» 1888.14 dmveie 2É 185 Zinc ul do voit LA... 4 HAINE MORT 4850 vou “Lre Lériten L8GOsornos coot 9 mts On voit, même en tenant compte des années exceptionnelles (1851 et 1845), qu’il n’y a pas eu plus de vingt-trois jours de dif- — 183 — férence entre les limites extrêmes de la période, dont la moyenne donne la date du 10 avril; mais si on laisse de côté les deux années indiquées, on a la preuve que l’époque de la remonte de l’alose est peu variable. Dans la Loire où sa régularité n’est pas moins frappante, elle est, suivant la remarque d’un naturaliste de Nantes, M. A. Thomas, un peu plus kâtive peut-être, c’est-à-dire qu’elle commence dès les premiers jours d'avril. Il considère, au reste, l’époque où elle s'effectue comme soumise à l’influence de la température ; ainsi, en 1865, le poisson a été un peu retardé en raison des froids pro- longés, et cette année (1869), au contraire, comme il avait eu déjà précédemment l’occasion de le constater, elle s’est trouvée hâtée parce que la saison d’hiver a été moins longtemps rigou- reuse. Quand on cherche à déterminer le moment exact de l’arrivée de l’alose, on ne doit prendre comme date du début de son apparition que celle du jour où elle se montre par bandes, car des individus isolés sont pêchés quelquefcis bien plus tôt. À Nantes, par exemple, on en a vu prendre dès le commencement de mars, et même en 1865, le filet ramena un de ces poissons le 14 février ; ce sont là des exceptions. Voici encore une autre question pour la solution de laquelle les observateurs, disséminés sur les divers points de la France, peu- vent fournir une réponse qui, certes, ne serait pas sans intérêt. Jusqu'où remontent les poissons anadromes? Leur trajet contre le courant paraît avoir des limites assez précises, mais encore fau- drait-il qu’elles fussent bien déterminées. Ainsi, dans la Seine, pour en revenir à l’alose, elle s'arrête à 90 kilomètres de embouchure. M. le professeur A. Pouchet, qui en a beaucoup étudié la migration annuelle, m’a signalé son absence dans le fleuve au delà du pont de Rouen, et même l'arrêt a lieu à 2 kilomètres au-dessous de la ville, à un endroit nommé le Petit-Quévilly. En de rares circons- tances, des individus ont été pris en amont de Rouen; ils étaient dans un véritable état maladif. On en a trouvé aussi jusqu’à Pont- de-l’Arche, mais c’est une anomalie. — 184 — Il en est autrement dans le Guadalquivir, comme Noël de la Morinière l’a fait remarquer (ist. Pêches, t. 1, p. 183). En effet, la ville d'Epora, qui était située au-dessus de Cordoue, éloignée elle-même de la mer par une distance de 176 kilomètres, avait, en raison de l’abondance de la pêche de l’alose, fait figurer ce poisson sur ses médailles. Les saumons appartiennent au groupe des poissons marins dont Rondelet dit (Hist. des poissons de rivière, p. 122), en parlant de ceux qui «accourent de la mer » : « Ils aiment tant l’eau douce, qu’ils ne cessent jamais de monter, voire aucuns jusqu'à la source mème des fontaines d’où lesdites rivières prennent leur commence- ment. » Dans la Loire, le plus long fleuve de la France, et dont le cours n’a pas moins de 1,126 kilomètres, ils entrent vers la mi- octobre et quelquefois dans les premiers jours du inème mois, comme M. A. Thomas l’a bien constaté. Ils y exécutent de longs voyages, car on en trouve sur différents points éloignés de l'embouchure, et même au Puy-en-Vélay peu distant de la source. Il est facile de comprendre quel intérêt s’attacherait à la déter- mination exacte des diverses localités où le saumon se rencontre, et des points sur lesquels il y aurait avantage à construire des échelles à saumons. Inventées en 1854, seulement, par l’écossais Smith, elles donnent des résultats excellents partout où l’on en a établi. Elles procurent au poisson le moyen de franchir les barrages naturels ou artificiels en diminuant, par des arrêts disposés de dis- tance en distance, la hauteur des chutes. On s’est déjà bien trouvé, sur des rivières de France, la Dordogne et le Tarn, d’imiter ce qui se fait actuellement, avec le plus grand succès, aux îles britan- niques. Il faut donc rechercher les lieux où l’on pourrait en établir, afin d’accroître la richesse des eaux qui, par leurs qualités de cou- rant, de limpidité et de température, attirent le saumon. L'apparition des poissons de mer, qui remontent des grandes profondeurs vers la surface à l’époque du frai, est-elle soumise à une périodicité aussi régulière? Ils sont dits migrateurs , mais à tort, notons-le en passant, car ils n’accomplissent pas, contraire- — 185 — ment à ce que l’on a supposé, de longs voyages des mers polaires vers des régions moins froides. On aurait besoin, pour être fixé sur cette périodicité, d'observations plus nombreuses que celles qu’on possède jusqu’à présent, elles permettraient d’arriver à savoir si elle n’est pas soumise à des influences perturbatrices. Il faudrait, le long des côtes où se pratiquent les pêches, inscrire, comme on le fait en Belgique, la date des jours où l’on commence à voir sur le marché les Harengs, les Sardines, les Maquereaux et les Morues. La comparaison de tables ainsi dressées en des points bien déterminés, constituerait le plus utile élément de discussion dans l’étude d’une question très-intéressante et à laquelle une réponse complétement satisfaisante n’a point encore été donnée. La régularité du départ et du retour des oiseaux migrateurs peut être également l’objet de recherches très-instructives , malgré le grand nombre d’observations qu’elle a déjà provoquées. Dans la vie des Reptiles et des Batraciens, il y a aussi des actes dont l’accomplissement a lieu à des époques fixes. En Belgique, pour se conformer au programme dont j'ai déjà parlé, on a cherché à faire entrer dans le cercle des études sur la périodicité de certains phénomènes de la vie des animaux, celles qui se rapportent au moment précis du réveil des espèces, lequel, d'ordinaire, se rat- tache au besoin de la reproduction. Ge réveil est indiqué par leur réapparition à la suite du sommeil hivernal. Pour les Batraciens, il est signalé par les bruits qu’ils font entendre et qu’on a plaisam- ment nommés leurs épithalames ou chants de noce. Ces travaux ne sont pas les seuls dont les naturalistes qui vivent loin des grands musées peuvent enrichir la science. Un service très-réel qu’ils peuvent rendre est de faire connaître aussi complé- tement que possible les productions naturelles du pays qu'ils habitent. Les Flores et les Faunes locales sont de précieux maté- riaux pour ceux qui, dans un travail général, cherchent ensuite à préciser les limites de la distribution géographique de tel ou tel groupe. Il est impossible d’ailleurs que, restant entre les limites un peu resserrées de leur champ d’exploration, les botanistes et les zoolo- XI. 13 — 186 — gistes ne s’attachent pas, au grand profit de tous, à des détails qui ont bien leur prix, mais que, dans des vues d’ensemble, on est trop souvent forcé de négliger. Pour parler uniquement de ce qui concerne les animaux, Linné, dans sa Faune suédoise (Fauna suecica) publiée d’abord en 1746, puis en 1761 et rééditée pour la troisième fois, avec augmentations, en 1800 par Retzius, a laissé le plus parfait modèle en ce genre, et des ouvrages composés soit hors de France, soit en France, témoi- gnent assez de l’intérêt que présentent de semblables études. Si chaque département ou au moins chacune de nos anciennes provinces avait une histoire détaillée des animaux qui s'y rencon- trent, on posséderait d'excellents matériaux pour la rédaction d’une Faune française, qui nous manque, En mème temps, on serait fixé mieux qu’on ne l’est aujourd’hui, sur la délimitation géographique de telle ou telle espèce. On l’a bien compris ainsi dans l’Anjou, et les Annales de la Société linnéenne de Maine et Loire se sont enrichies de travaux conçus dans l’ordre des idées que je viens d'exposer. Tel est, entre autres, celui sur les poissons que M. Aimé de Soland a placé dans le volume de cette année, et qui a été pré- cédé par une Notice sur les mammifères. La famille des Percoïdes, qui est la première dans l'Étude sur les poissons de l’Anjou, offre cette particularité qu’une seule de ses très-nombreuses espèces {Perca fluviatilis) se trouve répandue dans presque toutes les eaux de la France. La perche goujonnière ou gardonnée, la Grémille commune (Acerina vulgaris, Cuvier, Perca cernua, Linn.), propre aux contrées septentrionales de l'Europe, ne paraît pas se trouver en France au-dessous de la Seine. La perche äâpre (Aspro vulgaris, Cuvier, Perca asper, Linn., Apron proprement dit), est, comme l'espèce précédente, inconnue dans l'Anjou. On ne trouve ce pois- son que dans le Rhône et ses affluents et dans quelques rivières de l'est de la France. Voilà précisément une des preuves de lutilité des Faunes locales sur laquelle j’insistais plus haut. L'histoire de la famille des Gastérostéides si intéressants à étu- dier à cause de leur nidification et des changements surprenants — 187 — du système de coloration quand ils prennent la livrée d’amour, démontre la multiplicité des espèces dans un groupe où, avant d’avoir eu l'attention fixée sur les différences spécifiques, on ne les croyait pas aussi nombreuses. Il est digne de remarque que l’on trouve en Anjou deux espèces décrites, pour la première fois, dans la Faune méridionale de Crespon, t. IE, p. 283. Le flet (Platessa flesus) dont M. de Soland parle, parce qu’il est un poisson anadrome qui pénètre dans la Loire, remonte souvent très-haut contre le courant. Dans la Tamise, dit Yarrell, l’auteur d’une histoire très-estimée des poissons de l'Angleterre, on trouve le flet à Richmond (Surrey) et à Toddington (Middlesex), c’est-à- dire à 16 et 20 kilom. au-dessus de Londres, et, par conséquent, à 88 ou 92 kilom. de la Manche. Il va même plus loin, non-seule- ment dans les cours d’eau des îles britanniques, mais dans tous ceux que reçoivent la Baltique et l'Océan Atlantique. Duhamel l’a pris dans la Loire, au-dessus d'Orléans, ainsi que dans le Loiret et dans le Cher (Traité des pêches, partie 1, section 1x, p. 265). On l’a pêené à Liége (de Sélys-Longchamps, Faune belge, p. 186) et à Metz (Holandre, Faune de la Moselle, p. 260). La ponte et le développement des jeunes s’effectuent au milieu des eaux douces, comme le prouve la capture assez fréquente dans ces eaux de très-petits individus. On trouve dans le travail que ces quelques lignes doivent pré- céder, la mention de tout ce qui concerne les singulières habitudes des poissons entraînés par leur instinct, à abandonner la mer, afin de venir frayer dans les fleuves et les rivières. Il y a aussi des détails sur la descente des anguilles qu’on a proposé, avec raison, de nommer poissons catadromes, parce que, contrairement à ce que font les anadromes, elles descendent dans les eaux salées pour accomplir l’acte de la reproduction. Les très-jeunes anguilles dites Montée ne se développent point dans la mer; elles luttent, presque dès le moment de l’éclosion, contre le courant pour pénétrer dans les eaux douces où elles restent jusqu’à la troisième année. Quand elles sont devenues aptes à perpétuer leur espèce, elles se dirigent avec une ardeur extrème vers les embouchures. — 188 — Je n’ai donc point à insister sur ce sujet qni est traité dans les pages suivantes. De nombreux détails historiques ajoutent de l’in- térêt à la partie scientifique où sont exposées les propres observa- tions de l’auteur et où se trouvent énumérées, dans un ordre méthodique, toutes les espèces de poissons connues en Anjou. Auc. Dumérir. ÉTUDE SUR LES POISSONS DE L'ANJOU AVANT-PROPOS. L'accueil favorable et bienveillant qui a été fait à notre étude sur les Mammifères par des naturalistes dont les louanges ou la eri- tique font loi en pareille matière, nous a vivement engagé à pour- suivre l’histoire de notre Faune sur le plan adopté lorsque nous en commençâmes les premières publications. Cette étude est uniquement écrite au point de vue de notre pro- vince. Nous n'avons jamais eu l'intention d’entrer en rivalité avec des hommes comme les Blanchard et les Duméril, savants que nous sommes heureux de compter au nombre de nos amis, et dont les conseils sont pour nous d’une précieuse ressource. Notre labeur a des tendances beaucoup plus modestes: faire con- naître l’histoire des animaux qui peuplent l’Anjou, tel a été le but que nous nous sommes proposé depuis longues années. En écrivant ce travail sur Les poissons de l’Anjou, nous ne nous sommes en rien dissimulé la tâche qui nous incombait. Malgré de nombreuses recherches, malgré des expériences concluantes , — 190 — nous eussions voulu trouver dans notre pays un jalon qui püt nous tracer la route. Aussi, à défaut de ce guide avons-nous été d’une réserve extrême et n’avons-nous rien avancé sans en avoir preuve certaine. Dans un compte-rendu fait sur les Mammifères de lAnjou, l'auteur des Grands naturalistes au XIX® siècle, Vexcellent M. Bourguin disait : | « Les savants officiels ont les riches collections des musées à leur disposition. Ils peuvent bien y étudier les formes et l’organisation des êtres, et en déduire jusqu’à un certain point le régime, les mouvements et les habitudes. «Mais les instincts variés des animaux, leurs mœurs, leurs ruses, leurs guerres, le naturaliste qui habite la province est bien mieux placé pour les observer, surtout sil se borne à ce qu'il a constamment sous les yeux. Cette connaissance des mœurs parti- culières à chaque espèce donne un grand attrait à l’histoire natu- relle et en est une partie essentielle. La zoologie générale s’enrichit à son tour de ces observations, et ce n’est guère qu’à cette condi- ton qu’elle peut faire des progrès. » A. DES. — 191 — LA PÉCHE. Ordonnances de Philippe-le-Bel et de Philippe-le-Long. — Résistance des seigneurs à ces ordonnances. — René d'Anjou. — Sa sollicitude pour les pêcheurs. — Fêtes qu'il établit en leur honneur. — Mariage des pêcheurs. — Les poissons apprivoisés. — Rivières royales. — Rivières seigneuriales. — Droits de pêche des monastères. — Pêche du saumon. — La poissonnerie angevine en 1626. — Abondance de poissons en 1520. — Mariniers-pêcheurs. — Peines infligées à ceux qui empoisonnent les rivières et qui pêchent aux brandons. — Opinion de Brillat- Savarin sur le poisson. — Rivières de l’Anjou. — Pisciculture. Pour connaître les premiers règlements qui régirent nos îleuves et rivières, relativement à la pêche, il faut remonter au règne de Philippe-le-Bel. Dans son ordonnance du 22 avril 1289, Philippe- le-Bel se plaint du dépeuplement des rivières" par suite des ruses et de l'astuce des pêcheurs, et surtout de l'invention de nouveaux engins, à l’aide desquels on prend le poisson avant qu'il n’ait atteint son entier développement, et de la dépréciation qui en résulte, puisqu'il ne peut servir à l'alimentation, etaussi par la même cause de l'élévation du prix, qui tourne au détriment des pauvres et des riches. Afin de remédier à de pareïls inconvénients, Philippe-le- Bel prit les mesures suivantes : 1° Injonctions aux agents du roi de rechercher nuit et jour et de saisir partout où ils les trouveraient les filets prohibés, de les brüler en présence du pêcheur et des habitants du pays assemblés, aussi ki Voir l'article publié par M. H. Duplès-Agier, dans la Bibliothèque de l'École des Chartes, qui a découvert à la bibliothèque Sainte-Geneviève l'or- donnance dont nous parlons. — 192 — bien que tous les autres engins semblables ou plus dommageables que pourraient inventer les pêcheurs, et de punir d’une amende convenable ceux qui les feraient ou qui s’en serviraient; pour quelques engins, la défense s’étend toute l’année ; pour le guideau!, elle ne s'applique qu'aux mois d'avril et mai; la fare? restait tolérée pendant deux mois. Ordre de distribuer aux pauvres les poissons pêchés en contravention ; interdiction absolue, à cause du frai, de la pêche des gardons pendant les deux mois réservés ; obli- gation pour les pêcheurs de faire tous leurs filets au moule royal, en sorte que les mailles aient au moins le diamètre d’un gros tour- nois, et autorisation d’employer des filets à plus larges mailles pour la pèche des gros poissons. 2° Défense de prendre des poissons dont la valeur soit moindre d’un denier pour la paire de barbeaux et de carpes, et de deux deniers pour chaque brochet, et d’un denier pour quatre anguilles. L’ordonnance se termine par la recommandation aux agents du roi de faire observer exactement toutes ces dispositions dans l’éten- due de leurs juridictions respectives. Ce règlement primitif de la pèche fluviale est accompagné d’un mandement, par lequel Philippe-le-Bel en prescrit la promulgation à ses baillis et à ses autres officiers de justice ; il les charge d’en assurer l’exécution d’une manière régulière, et veut que le tiers de l'amende infligée au pêcheur pris en contravention soit immédiate- ment attribué à celui qui aura dénoncé le délit. Le même auteur, que nous avons déjà cité, M. Duplès-Agier, a découvert, à la Bibliothèque impériale, une autre ordonnance 1 Le guideau est un filet qui s'attache à deux pieux plantés aux embou- chures des rivières. ? La fare, c’est une fête de pêcheurs qui se faisait vers le mois de mai, où les pêcheurs s’assemblaient et quelquefois les officiers des eaux et forêts pour faire une pêche solennelle et de réjouissance. Il est défendu par la dernière ordonnance de 1679 d'aller à la fure à cause que cela dépeuplait les rivières. Au reste ce terme de fare est l’occasion du mot de fanfare, parce que l’on faisait ces fares ou fêtes de pêches, avec un grand bruit de trompettes, de tambours, de haut-bois, de flûtes et autres instruments, et le peuple disait fanfare, pour dire ils font fare. (Dictionnaire de Trevoux, père Menestrier.) — 193 — inconnue jusqu'ici ; elle est de Philippe IV, dit le Long, en date de 1317. Dans cette ordonnance, le roi rappelle les principales dis- positions de son père, et condamne les délinquants à une amende de soixante sols. Une lutte s'établit entre le pouvoir royal et les seigneurs au sujet de cette ordonnance. Les gentilshommes refusèrent de prêter main forte à ceux chargés de donner force de loi à ces règlements ; ils prétendaient que sur leurs fiefs nul ne devait être Juge des contra- ventions commises qu’eux-mêmes. (Cette attitude des seigneurs autorisa les pêcheurs à abuser des filets et à dépeupler les rivières. Le roi, qui vit dans cette conduite une rébellion ostensible, pres- crivit à ses vassaux d’obéir à ses ordres. Intimidés par la fermeté déployée contre eux, ils n'osèrent résister aux prescriptions de Philippe-le-Long, et ses règlements reçurent bientôt dans tout le royaume leur complète exécution. Inutile de nous occuper des ordonnances qui se succédèrent ; elles sont toutes dans le même sens. La dernière est due au roi Charles IV, 26 juin 1326, et datée de Chambri, près Meaux. A partir de ce moment, il ne faut plus chercher d'ordonnances sur la pêche flu- viale, mais bien des règlements concernant les eaux et forêts, et promulgués au xiv* et au xv° siècle. Les ordonnances et règlements concernant la pêche furent tou- jours sévèrement tenus en vigueur. On voulait avant tout la con servation du poisson, et les pêcheurs qui surent se conformer à ces sages prescriptions, trouvèrent toujours aide et appui de la part du pouvoir, qui se divisait à l'infini, car outre l'autorité royale, 1l y avait encore celle des seigneurs et des abbayes. Un prince, dont la mémoire sera constamment chère à FAnjou, René-le-Bon, fut pendant sa vie le fidèle ami des pêcheurs. Sou- vent il lui arrivait, par de belles journées de carème, de sortir du 1 A Marseille, un tribunal particulier, les prud’hommes-pécheurs, fut créé pour juger promptement et sans frais les différends élevés entre les membres de cette classe laborieuse. René en publia lui-même les statuts que le temps et l'opinion ont respectés. (Biographie de René d'Anjou, par le comte de Quatrebarbes.) — 194 — château royal par la porte des Champs, de traverser la Maine en bateau, et de se rendre au petit village de Reculée, patrie des pêcheurs de l’Anjou, afin d’assister aux baillées ! et à la levée des filets. « Le faubourg de Reculée, dont les habitants, tous pêcheurs, dit Bruneau de Tartifume dans son Philandinopohs*, accommodent mieux le poisson que patissiers, cuysiniers, ni autres, qui soient en Anjou ; ils se sont accoutumés à parler un autre langage, différent d’accent et de prononciation à celuy des habitants de la ville d'Angers. » «L'on va voir, écrivait en 1626 le même auteur dans son volu- mineux Philandinopolis, en Reculée, l’ancien logis de René, roy de Sicile, qu’il fit batir pour avoir le plaisir de la pêche. Il y a une galerie peinte par ledict sieur roy, qui etoit un des meilleurs peintres de son temps. » Les habitants de ce lieu, qui tous vivaient du produit de leur pêche *, saluaient avec joie l’arrivée du monarque bien-aimé, qui ne les quittait jamais sans avoir fait largesses. Ils l’avaient surnommé le Roi des gardons. Nos annales fourmillent de traits constatant la 1 Chaque fois qu’un pêcheur met sa seine à l’eau et la retire pour prendre le poisson accroché aux mailles ou au fond de la seine, cela s'appelle en Anjou faire une baillée. Quant au mot seine (quelques auteurs disent saine, sagena en latin), il s’écrivait primitivement senna. On dit senner, c’est-à-dire rete jacere in mare. (Dictionnaire de Trevouæ.) « Il y a deux fosses où je fis jeter la seine, dit Desnys ; en une je pris bien de quoi remplir une barrique de truites saumonées et en l’autre six-vingt saumons. » ? Philandinopolis ou plus clairement les fidèles amitiés, contenant une partie de ce qui peult estre et de ce qui se peult dire et rapporter de la ville d'Angers et païs d'Anjou. AVECQ UN BEAV RIS * 1626. Manuscrit inédit de la bibliothèque municipale d'Angers. 5 Aujourd'hui la grande majorité des habitants de Reculée est composée de pêcheurs, de marimiers et de charpentiers en bateaux. * Anagramme du nom de Bruneau de Tartifume. — 195 — sollicitude du prince angevin à l’égard de la compagnie des pêcheurs. C'était René qui leur avait donné le cierge d’honneur, que le doyen portait triomphalement à la tête de la confrérie, le jour de la pro- cession du grand Sacre. Sur ce cierge de cire blanche, qui pesait trois livres, se détachait en relief une statuette représentant saint Pierre, en habits pontificaux, tenant un filet à la main, dans lequel il y avait de petits poissons. Devant cette belle torche marchaient trois ménétriers jouant des airs composés par René lui-même. La cérémonie terminée, le cierge était déposé dans l’église de la Sainte-Trinité. Notre savant et regretté archiviste, M. Paul Marchegay, à qui l’histoire de notre province doit ses plus belles découvertes, a publié dans la Revue d'Anjou, de MM. Cosnier et Lachèse, une touchante anecdote qui montre la bienveillance de René et combien il aimait à venir en aide aux pauvres pêcheurs. Au mois d'août 1462, un pêcheur nommé Michel Enquetin s'était rendu adjudicataire d’un terrain situé dans la prairie de la Savate, derrière le jardin des Carmes d'Angers, moyennant une rente perpétuelle de onze sols. Cet emplacement, avantageux pour un pêcheur, ne répondit cependant pas au parti qu’il avait espéré en tirer. Père de six petits enfants, Enquetin ne put payer le rece- veur d'Anjou et vit le moment où il allait être exproprié de sa pauvre cabane. Dans son désespoir, il eut l’idée de s’adresser à René, et bien lui en prit; ce bon prince, touché de la misère du pêcheur, le déchargea, lui et ses héritiers, de la rente de onze sols qui grevait la petite propriété, et la convertit en une platée d'a- blettes, qui devait être apportée tous les ans au château d’An- gers ‘. René avait institué une fête de pêcheurs dans la petite ville des Ponts-de-Cé. Cette fête s'appelait la Baillée des filles”. Elle avait lieu à l’Ascension. Le jour de l’Ascension, les jeunes filles des Ponts-de-Cé âgées de 1 Revue d'Anjou, 1853, tome I. ? Manuscrit Paulmier, verbo Ponts-de-Cé. — 196 — dix-huit à vingt ans se réunissaient après vèpres sur le port du Branlage. Là, elles montaient dans des bateaux sur l’un desquels se trouvait une seine. Arrivées en face de l’île des Aireaux, elles déployaient le filet et le mettaient à l’eau, puis venaient essever, c’est-à-dire tirer la seine hors de la rivière, à un point désigné de "ile, où le bon René et toute sa cour étaient réunis pour assister à la baillée, qui s’exécutait sans le secours d’aucun homme. La pêche terminée, une des jeunes filles, choisie par ses com- pagnes, présentait à René le plus beau poisson de la baiïllée, et ce poisson était toujours gros, qu’il y en eüt ou qu’il n’y en eüt pas dans la seine, car on savait pour la circonstance en tenir en réserve, qu'on glissait adroitement dans le fond du filet. La jeune fille chantait au roi une chanson, et celui-ci, après l’avoir embrassée, lui annonçait qu’il se chargeait de sa dot quand elle épouserait un pêcheur. Après la mort de René, cette fête continua chaque année ; la Révolution, qui abolit tout ce qui rappelait le passé, n’atteignit point la fête de la Baillée des filles. Au lieu de seigneurs qui fai- saient largesses, on vit le maire du lieu, les flancs ceints de son écharpe, venir présider la baïllée ; il embrassait bien la jeune fille qui lui débitait un compliment, mais l’histoire ne nous apprend pas qu’il la dotât. La fête de la Baillée des filles, qui a donné lieu à une assemblée, fut en vigueur jusqu’en 1830, époque où elle est tombée en désuétude*, Une autre fête avait été aussi instituée par René en l’honneur de la confrérie des pêcheurs. Tous les ans, le jour de la Saint-Pierre, les pêcheurs dressaient une énorme pyramide de fagots sur la plage de Reculée. La nuit venue, le roi René et sa femme se rendaient, torche en main, accompagnés d’un nombreux cortége de pêcheurs, auprès du bücher et y mettaient le feu ; aux premières lueurs de la flamme, les jeunes pêcheurs faisaient une décharge de mousque- terie, puis, garcons et jeunes filles dansaïent autour de la chalibaude. 1 Tous les ans, il y a deux assemblées aux Ponts-de-Cé, l’une s’appelle la Baillée des filles, elle a lieu le jour de la fête de l’Ascension, l’autre Les pommes cuites, elle se tient le dimanche de la fête de Saint-Maurille, c'est-à- dire au mois de septembre. — 197 — À la mort de René, la fête de la chalibaude continua chaque année ; seulement, le roi, dans cette cérémonie, fut remplacé par le syndic des pêcheurs, et la reine par la plus jeune mariée de l’année. Cette fête, comme la baillée des filles, avait traversé l'orage révolution naire ; elle n’a pu parvenir à 1830. Nous pourrions, à l'infini, citer les fêtes établies par René en l'honneur des pêcheurs. S’il était l'ami des pêcheurs de Reculée, il n’oubliait point leurs voisins, ceux de l’Esvière, qui étaient venus se placer sous le patronage du prieuré de ce nom. Voici ce que nous lisons dans le manuscrit de Bruneau de Tartifume que nous avons déjà cité : «Le dimanche de la Trinité, les pêcheurs nouveaux mariés doivent tirer la quintaine sur l’eau, vis-à-vis du château. Leurs jeunes femmes doivent offrir au juge de la Prévôté, au lieutenant et assesseur, un chapeau de fleurs, un bouquet avec un baiser, et une chanson devant l’église de l'Esvière. « Le même se fait sur des ânes ou mules, par des pêcheurs de l’Esvière nouvellement mariés. Leurs femmes présentent leurs cha- peaux, bouquets et baisers au sénéchal du prieur de la dite église, qui dépend de la Trinité de Vendôme ; elles disent aussi une chan son. On s’y trouve pour voir tomber les uns dans l’eau et les autres sur la terre. » | Le roi Louis XI voulut obtenir la popularité qu'avait René auprès des pêcheurs. Quand il en rencontrait un, il s’en approchait fami-— lièrement, et, en lui frappant sur l’épaule, engageait une conver- sation à laquelle le pauvre pêcheur interdit, ne prenait part qu’en balbutiant. Chaque fois que les pêcheurs apercevaient de loin ce sombre monarque, ils prenaient la fuite afin de l’éviter. Il était d'usage, au xv° et au xvr' siècle, et nous pourrions même dire jusqu’à la Révolution, lorsqu'un garcon venait à naïtre dans la maison d’un pêcheur, de lui donner le prénom de Pierre, en l'honneur de l’apôtre pêcheur, patron de la corporation. Seule- ment, comme il eût été impossible, dans les familles qui étaient nombreuses , de désigner tous les enfants par le même prénom on lui en donnait un second. Nous avons sous les yeux des baux — 198 — relatifs à la pêche, où tous les pêcheurs qui y figurent ont deux noms, tels que Pierre-Jean, Pierre-Jacques, Pierre-Marie, Pierre Louis, Pierre-André, etc. Quand c’était une fille, on l'appelait soit Pierrette soit Perinne, en faisant toujours suivre l’un de ces noms d’un autre tel que Marie, Jeanne, etc. Au xvi° siècle, après les grands diners d’apparat, les seigneurs de Anjou se rendaient avec leurs invités aux bords des douves de leurs châteaux ; là, le maître d’hôtel agitait une grosse sonnette : aussitôt, à cet appel, les poissons venaient se montrer en foule à la surface de l’eau. Ni le bruit, ni la conversation, ne les effrayaient : ils savaient que le son de la cloche les conviait au repas. En effet, aussitôt la troupe aquatique au complet, le maître d’hôtel prenait du pain coupé dans de larges mannes que des valets tenaient près de lui et le jetait à pleines mains aux poissons, qui le mangeaient avec avidité. Il arrivait quelquefois que les nobles châtelaines se donnaient elles-mêmes le plaisir de nourrir leurs poissons. Cet usage s’est maintenu, on peut le dire, jusqu’à nos jours. S'il n’y a plus de seigneurs, il y a toujours des poissons, et beaucoup de gens se livrent encore au soin de les apprivoiser daus leurs étangs. La mode d’apprivoiser les poissons ne fut pas, à la même époque, générale par toute la France. Ainsi, nous lisons dans les Mémoires de mademoïselle de Montpensier un passage qui prouve que c’était chose nouvelle pour elle : « J’allai, dit-elle, chez M. de Saint-Germain-Beaupré, où je fis la plus grande chère du monde, surtout en poissons d’une grosseur monstrueuse que l’on prend dans les fossés, qui sont très-beaux. « On donne à manger aux poissons d’une manière extraordinaire. On sonne une cloche et ils viennent. Cela me paraît assez singulier pour le remarquer ici!. » \ ! Quoique de tous les animaux les poissons soient ceux qui, par leur nature et par celle de l'élément où ils vivent, se refusent le plus aux soins de l'homme et à son éducation, cependant l'apprivoisement dont parle la duchesse est une chose assez facile. Il ne s’agit que de leur donner tous les jours à manger dans un endroit, et à une heure fixe ; pendant ce temps, quelqu'un sonne une cloche, bientôt les poissons se familiarisent à ce bruit — 199 — Si, dèsle xviesiècle, on apprivoisait des poissons dans notre pro- vince, ce n’était point alors une innovation, et il faut remonter aux Romains pour connaître l’origine de cet amusement : Natat ad magistrum delicata murena, dit un vers de Martial. Nos rivières autrefois étaient classées en royales et seigneuriales. Les rivières royales étaient du domaine du roi, et nul autre que lui n’y avait droit. Les rivières seigneuriales appartenaient soit aux seigneurs, soit aux abbayes et aux villes. Des poteaux placés sur le bord des rivières indiquaient les limites des propriétés et des pêcheries. Une faible mdemnité, et plus souvent un très-beau poisson, étaient ordinairement les clauses peu oné— reuses imposées aux pêcheurs. Le droit que les monastères exercaient sur les pêcheries s appelait cœænaticum. L'abbesse de Fontevrault prélevait quatre sols sur chaque millier de poissons pris dans ses pêcheries. Nous trouvons dans le bail d’une pêcherie des Ponts-de-Cé, en date de 1719, nommée le Mollet-de-l’Image (on appelait mo//et les emplacements situés près les culées des ponts, où l’eau, quand elle est grande, s'arrête ne trouvant pas un écoulement assez rapide ; ce mot mollet vient évidemment du mot mollir), là clause suivante, établie entre Jean du Rocher, au nom de ses trois cohéritiers, et Jean Chartier, pêcheur : « A savoir que le dit Chartier, pêcheur, donnera chaque année à messire Jean du Rocher, garde-du-corps de la compagnie de Noailles, lieutenant de maréchaussée d'Anjou, un franc saumon qui sera partagé entre les quatre propriétaires. » (C'est-à-dire que chacun avait droit au quart du saumon.) Tout saumon bécard, c’est-à-dire saumon mâle, n’était point reçu; la et il suffit ensuite de sonner la cloche pour les voir tous accourir avec empressement. J'ai joui de ce spectacle dans quelques châteaux ; mais il est probable d'après le récit de la duchesse de Montpensier, qu'on ne s'en est avisé qu’au xvne siècle. La petite-fille d'Henri IV n’en parlerait pas avec autant d'étonnement si elle l’eût vu dans les maisons royales, dans ses terres, ou ailleurs qu’au château de M. de Saint-Germain. (Histoire de la vie privée des Français, par Le Grand d’Aussy, tome IL, pages 75-76.) — 200 — chair de ce saumon, qu’on regardait alors comme une espèce, n’é- tait pas aussi estimée. Duhamel du Monceau, dans le premier volume du Traité géné- ral des pêches, uocczxxir, a consacré un chapitre que nous repro- duisons ici, intitulé : De la pêche des saumons et des truites, aux Ponts-de-Cé, pour servir de supplément à la pêche de ces poissons dans la Loire : « Comme j'avais passé, dit cet auteur, plusieurs fois par Angers, je ne pouvais ignorer qu’on prend beaucoup de saumons aux Ponts-de- Cé, qui n’en sont éloignés que d’une lieue ; mais ne m’y étant point trouvé depuis le mois de novembre jusqu’en mai, qui est la saison de la montée de ces poissons, je n'avais pu apprendre, qu’en conversa- tion, comment s’y pratique cette pêche; et ne voulant rien avancer que de bien avéré, je me suis adressé à plusieurs personnes de cette pro- vince, pour acquérir les connaissances qui me manquaient : n’ayant obtenu aucune réponse, je désespérais de pouvoir parler de cette pêcherie, qui néanmoins mérite bien d’être décrite. M. l’abbé Cotelle, doyen de Saint-Martin, et secrétaire perpétuel de la Société d’Agri- culture d'Angers, étant de retour d’une absence un peu longue, a bien voulu m'aider de ses lumières. « Nous avons dit qu'il remontait beaucoup de saumons dans la Loire; et comme jusqu'aux Ponts-de-Cé, il n’y a point d'établissements de pêcheries qui les arrêtent, on en prend beaucoup qu’on transporte à Angers, qui forme comme un entrepôt, d’où on les distribue dans plusieurs grandes villes : on en apporte même jusqu’à Paris lorsque l’air est frais. « On croit avoir remarqué que depuis un ouragan qui arriva en 1751, la pêche du saumon y a été plus abondante qu’elle n’était auparavant. « Les Ponts-de-Cé étant formés de cent trois arches, la plupart sont étroites, il aurait été facile d’y établir une pêcherie si les eaux et forêts ne défendaient pas de barrer tout le lit de la Loire par des filets; mais vis-à-vis les arches il y a des files de pieux d’environ soixante pieds de longueur, au bout desquels on met des fascinages, pour former comme des digues, qui, du côté d’amont, ont de lar- geur celle des piles, et se rétrécissent un peu du côté d’aval; ce qui établit sur les côtés un courant très-rapide, que les saumons essayent de franchir ; mais au-dessous du fascinage, l’eau est tranquille, et les saumons y entrent, peut-être pour se reposer quelque temps. On y — 201 — place un bateau en travers, sur un des côtés duquel est un grand carrelet ou un guideau qu’on plonge dans l’eau, et qu’on relève toutes les cinq minutes. Il arrive souvent que d’un seul coup de filet, on prend deux, et quelquefois trois saumons surtout dans les mois de février et de mars, où la montée est la plus abondante. « Comme les carrelets sont fort grands, on ajoute au filet une corde qu’on hâle de dedans le bateau, pour prendre plus aisément les pois- sons. « Quand les eaux sont basses, on fait la pêche des saumons avec des seines, qui ont quinze ou vingt pieds de chute, et cent vingt brasses de longueur; un bout reste à terre, et l’autre est tiré par un bateau, qui décrit une ligne circulaire, ensuite les pêcheurs tirent la seine à terre, et lorsque les eaux sont hautes, ils se servent d’un tremail, que les pêcheurs du Ponts-de-Cé nomment sidoreau, et qui me paraît être le même que celui qu’on appelle sedoro à l'entrée de la Loire. « Presque tous les saumons qu’on prend aux Ponts-de-Cé, ont les uns des œufs, les autres de la laite; mais on ne distingue point à la seule inspection les mâles des femelles. « On en prend de bien des grosseurs différentes ; car les uns ne pèsent que dix livres, d’autres vingt, d’autres trente, on en prend même quelques-uns qui pèsent jusqu’à quarante livres. « Ce sont ordinairement les gros qui se présentent les premiers à la pêcherie. On y prend peu de bécards. Les noms de focans et d’umbres y sont inconnus; mais on pêche des truites au-dessus et au- dessous des Ponts-de-Cé, les unes saumonnées , et les autres à chair blanche ; elles ont cà et là des taches noires, et sur les côtés d’autres qui sont rouges ; quelques-unes, par la couleur de la peau et les mou- chetures, ressemblent aux saumons ; les pêcheurs les nomment érutts, ils disent qu’elles sont allongées, mais que leur chair est blanche, molle, et qu’elle a peu de goût. « Ces poissons, saumons ou truites, remontent la Loire, pour passer dans les rivières d’eau très-vive ; et les meilleurs truites se pêchent dans la Mayenne, particulièrement auprès de Vendôme et de Chä- teaudun; leur goût est bien supérieur à celui des poissons qu’on prend dans la même rivière, près de son embouchure dans la Loire. « On pense généralement qu’ils passent dans les petites rivières, pour y frayer, et il est étonnant que malgré la quantité qu'on en prend, il s’en échappe assez pour déposer dans ces petites rivières une immensité d’œufs qui y éclosent, s’y fortifient durant l’été et une partie de l’automne; alors les petits poissons profitent des crues pour XI. 14 — 202 — gagner la Loire, et ensuite passer à la mer : on prétend qu’ils sont assez vifs pour échapper à la poursuite des brochets et des perches, qui cherchent à s’en nourrir. « Mais les pêcheurs détruisent une prodigieuse quantité de ces petits poisons ; car ils se rassemblent quelquefois en si grand nombre dans les anses de ces petites rivières, pêle-mêle, avec les ables, les goujons, et beaucoup d’autres jeunes poissons, qu’on en voit quelque- fois une multitude à la surface de l’eau ; les pêcheurs, sous prétexte de prendre des ables avec des seines épaisses cu des manches de filet, détruisent une immensité de jeunes poissons qui peupleraient la rivière. E'xplication de la planche sur laquelle est représentée la pêche du saumon aux Ponts-de-Cé, sur la Loire, & une lieue d'Angers. « D’après les mémoires qu'a bien voulu me procurer M. l'abbé Cotelle, doyen de Saint-Martin d'Angers et secrétaire perpétuel de la Sociélé d'Agriculture de cette même ville, j'ai donné un détail assez circonstancié de la façon de prendre le saumon dans cette partie de la Loire ; mais en lui faisant mes remerciements de la complaisance qu’il avait eue de répondre aussi obligeamment à mes questions, je lui fis observer qu’on aurait de la peine, sur une simple description, à prendre une juste idée de la disposition du carreau qu’on emploie pour faire cette pêche; le zèle de M. Cotelle pour le progrès des connaissances utiles l’a engagé à se transporter sur les lieux avec M. Drouerd, bon dessinateur, qui a fait le dessin au moyen duquel la manœuvre de cette pêche devient très-sensible. « À À représente quelques arches des Ponts-de-Cé vues du côté d’aval ou du bas de la rivière; 22 sont les arrière-becs de ce pont. L’eau coule avec rapidité par les arches, mais elle est assez tranquille et presque stagnante derrière les arches et les arrière-becs 2 ; au con- traire l’eau qui passe sous les arches qui sont près l’une de l’autre venant à se rencontrer, forme des remoux et des tournoiementis d’eau en 00; or, les saumons qui se plaisent à remonter les courants rapides semblent néanmoins chercher de temps en temps à se reposer dans des endroits où l’eau est tranquille, et pour cette raison ils quittent le grand courant pour se porter aux endroits bb, où l’eau coule douce- ment et uniformément. « Les pêcheurs connaissant cette inclination des saumons, s’éta- blissent pour pêcher entre les tournoiements d’eau, derrière les arrière-becs en 6b; pour cela ils construisent du côté d’aval un Fig. 1. LITH. P LACHÈSE, BELLEUVRE ; DOLBEAU, ANGERS. 6. PL LIT. PLACHESE, BELLEUVRE, DOIBEAU) à ANGERS. 6g- — 203 — échafaud de charpente CC, qui est en quelque façon un prolongement de l’arrière-bec 2. « Cet échafaud est formé par quatre forts pilots D, battus dans le fond de la rivière, et qui s'élèvent de trente pieds au-dessus de la surface de l’eau; le haut de ces pilots V est assujetti par des tra- verses d, qui ont quinze pieds de longueur et des longerines €e longues de vingt-quatre pieds sur lesquelles on met des perches en travers dont la position est indiquée par des lignes ponctuées ff fig. 1; ces perches traversantes sont destinées à soutenir les planches C du dessus de l’échafaudage qui s’avance dans la rivière dans la même direction que l’arrière-bec 2 du pont. « Les deux derniers pilots DD qui sont au bout de l’échafaud, du côté du bas de la rivière à vingt-quatre pieds de l’arrière-bec 2, sont destinés à soutenir un fascinage Æ£ formé par les fagots, quelques pieux qui ne s'élèvent qu’à la surface de l’eau et des traverses qui s’appuient sur le bas des pilots DD. « Quand l’eau augmente, on ajoute des fagots, pour que le fasci- nage soit toujours un peu au-dessus de la surface de l’eau. « Ce fascinage diminue la vitesse du courant dans la partie de la rivière, au-dessous de l’échafaud, et les saumons qui cherchent à sortir des motures ou tourbillons Q gagnent l’eau tranquille, qui est en bb vis à vis le fascinage, et c’est là que les pêcheurs établissent leur carreau, comme nous allons l’expliquer. « On voit en FF'un bateau qu’ils appellent éhoue ; il a trente pieds de long, sur sept de largeur : on l’amarre aux pilots D, D par les cor- dages Z7 qui l’assujettissent parallèlement au fascinage £'#, le côté en travers, au Courant, « AIT est une échelle dont le pied est sur le fascinage ; elle sert à descendre du haut de l’échafaud dans le bateau. « NN est un levier de 40 pieds de longueur, qui a son point d’appui en 2 sur le bord du bateau ; au gros bout À qui est en dehors, est atta- ché le carrelet MM, et au petit boat À est attaché un cordage, amarré par le bout d’en bas à un pied du fascinage ; ce cordage sert à tenir le filet en respect quand il est à l’eau, pour qu’il ne fasse pas la bas- cule, et pour empêcher que les tourbillons Q l’entrainent et le fassent passer sous le bateau, comme cela arrive quelquefois quand le cor- dage vient à rompre : les bords du filet JM, qui a vingt pieds de côté, sont attachés à quatre perches g qg g g, qui forment comme un châssis, et sous le gros bout du levier A sont attachées trois perches courbes, Î li, dont un bout entre dans un trou qui est au gros bout Æ du levier NN, et l’autre est attachée aux angles du châssis en g. — 204 — LL sont deux cordes, dont un bout est attaché aux deux angles gg du carrelet, et l’autre aux extrémités du bateau, pour que lefiletnese porte point trop ni du côté de la droite ni du côté de la gauche. « 00 est le filet du carrelet qui est tendu par son châssis; ses mailles sont assez larges pour qu'il oppose moins de résistance au courant; aux autres carrelets le filet pend au-dessous des perches courbes ; ici le gros bout K du levier NN, ainsi que les perches courbes, sont au- dessous du filet; trois angles 4 g g, répondent au bout des perches courbes, et le quatrième angle g est attaché environ au tiers de la lon- gueur du levier VAN. Ce levier sert à plonger le filet dans l’eau comme on le voit dans la figure première. «PP est une ligne assez déliée, que les pêcheurs appellent sonnette. On l’attache par un bout au côté du filet, qui, comme nous l’avons dit, recouvre le gros bout du levier et les petites perches courbes ; le pêcheur conserve l’autre bout de la sonnette. Lorsque le filet est hors de l’eau, et que le levier est horizontal, il tire par secousse la son- nette pour faire sortir le poisson des angles, où quelquefois il se retire. Quand on a ôté le poissan qui s’est arrêté dans le filet, on le replonge dans l’eau, ce qui se répète tous les quarts d’heure. «7°, sont des saumons qui sortent des tournoiements d’eau @ pour passer en 6, où l’eau est tranquille, et c’est en cet endroit qu’étant rencontrés par le filet, ils sont pris. « RR, sont les flèches qui indiquent la direction du courant. « Cette pêche se fait plus communément de nuit que de jour. » La ville d'Angers avait une pêcherie aux Ponts-de-Cé en 1620. Une contestation étant survenue entre des pêcheries voisines, le maire et les échevins se rendirent aux Ponts-de-Cé et firent placer sur le poteau de la pêcherie les armes d'Angers, qui, dit le procès- verbal de cette descente, sont aussi celles de la ville des Ponts- de-Cé . Les règlements de la poissonnerie d'Angers interdisaient toute 1 La petite ville des Ponts-de-Cé n’a jamais eu d’autres armes que celle de la ville d'Angers, qui sont de gueules à la clef d'argent posée en pal, au chef cousu d'azur chargé de deux fleurs de lys d’or. Ce n'est que depuis la Révolution que les Ponts-de-Cé ont eu une adminis- tration particulière; avant cette époque, cette commune était régie par la mairie d'Angers. Le blason attribué aux Ponts-de-Cé, dans la salle de récep- tion de la préfecture d'Angers, est un blason apocryphe. — 205 — vente de poissons hors la ville. C'était à la poissonnerie que les pêcheurs devaient déposer leur pêche. Par arrêt du Conseil de ville, en date du 18 décembre 1703, il fut permis « à tout voiturier d'acheter des pêcheurs aloses et saumons pour les voiturer à Paris ou ailleurs, sans être tenus de les apporter à Angers, à la poisson- nerie, pour y être vendues après la ville fournie. » L’Anjou, au xvir siècle, passait pour une des provinces de France oùle poisson se trouvait en plus grande quantité. Il en est bien autre- ment aujourd’hui ; nos rivières sont dépeuplées, et la pisciculture semble ici une science inconnue. Laissons parler le bon Bruneau, dans son naïf langage, sur les nombreux poissons dont la poon nerie angevine était pourvue en 1626. Les monastères jouissaient de droits de pêche extrêmement éten- dus et de priviléges particuliers qu’ils avaient obtenus de la muni- ficence des souverains. Dans une grande partie de l’Europe, la dime du poisson appartenait au clergé. Jusqu’à Charlemagne, les religieux firent peu usage du poisson, on le considérait comme une substance trop délicate que devait exclure des monastères l'esprit de tempé- rance et de sobriété qui faisait la base de leur discipline. Mais de- puis, la règle étant mitigée, il fut introduit, et c’est à ce moment qu’il faut attribuer la foule de donations de pêcheries, de dimes, d’aumônes, de redevances, de poissons d’eau douce, qui se trouvent dans les actes du moyen âge. L’anguille est souvent la matière de ces concessions religieuses, ainsi que le saumon. « En Anjou se rencontre abondamment, pour le contentement des bouches les plus friandes ; les fleuves, rivières, étangs, lacs et pêcheries qui y sont, satisfont encore davantage à cet attrayant appétit, qui délicieusement et insensiblement enchante les plus sensibles sentiments des plus irrégulières langues, d'autant que le mois de décembre, lAngevin peut fournir de la lamproye ; com- bien qu’elle soit encore bien rare, dès le mois de février de l’alose; en tous temps de l’ablette, du gardon, de la perche, du brochet, du barbot, du lampreon, de l’anguille, de la carpe, du carpeau, de la tanche, du cornau et de la brême. « Et d'autant que les choses étrangères, bien que moindres, sem- — 206 — blent toujours avoir je ne sais quoi de particulier, l’Anjou ne manque de toutes sortes de marée qui lui viennent de Nantes, de Saint-Malo, de Cancale et de plusieurs autres lieux; de sorte que si la délicatesse du poisson angevin ennuie, on y rencontre aussitôt la raye, le papillon, le marsoin, le saumon, l’esturgeon, les huîtres, les harengs, les anchoïs, la sèche, la morue verte et parée, le ma- quereau, la baleine. » La sardine, clupea sprattus (Linné), si abondante en Sardaigne, d’où elle tire son nom, ne fut commune sur les marchés de la pro- vince d'Anjou qu'au commencement du xvi° siècle. Avant cette époque, ce poisson était complétement inconnu à notre pays. Quant au hareng, clupea harengus (Linné), d’après les ordon- nances de police, on voit que dès le xu° siècle 1l se vendait sur nos places publiques et servait principalement de nourriture au peuple angevin pendant le carème et les jours d’abstinence. Guillaume de Beaumont, évèque d’Angers, fit placer au xnr° siècle sur le chœur de la cathédrale Saint-Maurice, un petit clocher où se trouvait une petite cloche d’argent, prise, dit une légende, par saint Maurille, au cou d’un buffle sauvage, pendant le séjour du bien- heureux évêque en Angleterre. Tous les offices du carème étaient annoncés par le son de cette cloche : le peuple l’appelait /’harainier (cloche du hareng), en sou- venir de la nourriture habituelle qu’il prenait dans les temps de mortification. Il est un ancien usage qui a disparu et dont parle le bon Bruneau de Tartifume : c’était d'aller se promener pendant le carème en Reculée pour assister à quelques pêches. Comme le temps de la sainte quarantaine était entièrement maigre, on aimait à voir lever les filets qui devaient approvisionner le lendemain une grande partie des habitants d'Angers. Chose assez remarquable, c’est qu’au xvn° siècle, époque où on mangeait du poisson beaucoup plus qu’aujour- d’hui, nos rivières étaient bien moins dépeuplées. Au xvr siècle, en 1520, il y eut en Anjou une telle abondance de poisson, que les pêcheurs étaient obligés d’en jeter une grande quantité sur le rivage, et de ne prendre que les beaux, qu’ils ven- — 207 — daient encore fort mal. Cette abondance de poisson fut regardée comme une calamité et maints pêcheurs peu riches tombèrent dans la misère. On fit dans les églises des prières pour éloigner les bandes de poissons qui infestaient nos rivières". Aujourd’hui, c’est le con- traire qu'il faudrait faire. Les pêcheurs n’étaient pas les seuls qui eussent droit de vendre des poissons ; ce droit était encore accordé aux mariniers de rivière ‘qui pouvaient pêcher en naviguant; ceux qui profitaient le plus de ce privilége étaient les mariniers de la Loire. Il arriva plus d’une fois que des pêcheurs employèrent des moyens prohibés pour pêcher du poisson, mais malheur au pêcheur qui était pris en fraude : tout pêcheur convaincu d’avoir empoisonné des eaux était cité devant la juridiction à qui il appartenait et condamné à être pendu. Des peines qui variaient dans leur application étaient infligées aux gens qui pêchaient la nuit à la /veur des brandons. Le poisson a de tout temps tenu une grande place dans l’art euli- naire. « Moins nourrissant que la chair, dit Brillat-Savarin dans sa Physiologie du goût, plus succulent que les végétaux, le poisson est un Mezzo termine qui convient à presque tous les tempéraments et qu’on peut permettre même aux convalescents. « Les Grecs et les Romains, quoique moins avancés que nous dans l’art d’assaisonner le poisson, n’en faisaient pas moins très- grand cas et poussaient la délicatesse jusqu’à pouvoir deviner, au goût, dans quelles eaux ils avaient été pris. « Ils en conservaient dans des viviers, et on connaît la cruauté de Vadius Pollion, qui nourrissait des murènes avec le corps des esclaves qu’il faisait mourir : cruauté que l’empereur Domitien dé- sapprouva hautement, mais qu’il aurait dû punir. » Au moyen âge comme de nos jours, le poisson fut toujours en très-grand honneur dans les repas. Actuellement nos rivières sont bien dépeuplées, et il serait graud temps de songer à la multiplica- tion des poissons. 1 Notes de l’abbé Hucheloup des Roches, curé de Saint-Julien, et de Saint- Joseph. — 208 — Peu de provinces en France sont dans une meilleure situation que la nôtre. L’Anjou est traversé par le large fleuve de la Loire‘ dans une étendue de 111 kilomètres; il recoit à droite : 1° l’Authion, grossi du Couasnon et du Lathan; 20 la Maine, formée par la Mayenne et la Sarthe, grossie du Loir ; la Mayenne recoit l'Oudon, grossi de la Suzée, l’Arvaise et l’Argos, où tombe la Verzée; 30 l’Erdre recoit le Croissel et la Maudie. À gauche la Loire recoit : 1° le Thouet, grossi par la Dive; 2° l’Aubance, grossi du ruisseau de Mozé; 3° le Layon, grossi de l'Hyrôme, de l’Arcison, du Javonneau, du Lys; 4 l’Évre, qui re- çoit la Vrême; 5° la Divatte; 6° la Sèvre Nantaise, grossie par la Moine. Ces rivières recoivent une multitude de petits ruisseaux dont la plupart ne sont jamais à sec; on a donc tous les éléments pour faire de la pisciculture. C’est une science complétement ignorée en Anjou; nous ne connaissons personne qui s’en occupe sérieusement, et ce- pendant, si on voulait, quels magnifiques résultats on pourrait obtenir avec des cours d’eau si nombreux ! ! La largeur de la Loire varie entre 580 à 720 mètres. — 209 — POISSONS OSSEUX. ORDRE DES ACANTHOPTERYGIENS. Les caractères distinctifs des poissons rangés dans cet ordre sont les rayons épineux des nageoires. FAMILLE DES PERCIDES. Percidæ. Les perches sont les seuls poissons de cette famille qui habitent les rivières de l’Anjou. GENRE PERCHE. PERCA (Linné). Ce genre, d’après la plupart des zoologistes, ne comprend qu’une seule espèce, qui vit dans les eaux douces et dans la mer. L'espèce qui vit dans la mer est le type d’un genre particulier : c’est le Bar (Labrax lupus Cuvier; Perca labrax Linné !). En France il n’y a qu’une espèce (perca fluviatilis) mais en Italie 1l y a une espèce par- ticulière, et d’autres vivent en Amérique et dans les Indes- — 210 — Orientales. Les perches qui habitent les eaux douces ont certains caractères qui les font facilement reconnaitre, tels que les nageoires dorsales très-rapprochées l’une de l'autre, et les dentelures à la partie postérieure du premier sous-orbitaire, etc. Il est des naturalistes qui ont formé une espèce d’une perche qui habite les lacs de Lougemer et de Geramer, dans les Vosges *, PERCHE DE RIVIÈRE. Perca fluviatilis, L., vulgairement Perchaude, perdrix de rivière. CoLoraATION. — D’un jaune d’or mêlé de vert avec de larges bandes verticales noirâtres; les nageoires ventrales et l’anale rouges, les deux dorsales violettes. La perche, qui est un de nos plus beaux poissons, est commune dans toutes nos rivières ; celle qui habite le fleuve de Loire a des couleurs plus vives que celles qu’on rencontre dans nos autres cours d’eau qui, généralement, sont très-boueux ; elle est aussi d’un goût plus délicat à manger. Ausone, faisant l'éloge de Bordeaux, sa patrie, vante la perche qu'il compare pour la bonté au mulet de mer*. Je ne sais jusqu’à quel point l’opinion du professeur Valen- ciennes, qui prétend que les perches mâles, à Paris, sont moins nombreux que les femelles, peut être exacte; mais ce qu’il y a de certain, et cela au dire de tous les pêcheurs que j’ai consultés, c’est que l’on prend en Anjou beaucoup plus de femelles que de mâles: une visite à la poissonnerie d'Angers suflira pour justifier cette assertion. Quelques auteurs ont décrit la manière dont la perche se débar- À 1 Voir le travail de M. Emile Blanchard, membre de l'Institut, professeur au Muséum d'histoire naturelle de Paris, les Poissons d’eau douce de la France, genre perche, pages 127 et suivantes. 2? Nec te delicias mensarum, perca filebo, Amnigeros inter pisces dignande marinis, Puniceis solus facilis contendere mullis. — 211 — rasse de ses œufs : elle le fait, en sé frottant contre des roseaux ou d’autres corps aigus, dont les pointes, pénétrant dans son corps, vont déchirer la pellicule membraneuse des ovaires, et qui, en se contournant ensuite en différents sens, forment dans l’eau une sorte de chapelet analogue à celui que présente le frai de la grenouille et du crapaud. Cette description a été niée par quelques savants; l’ob- servation seule pouvait nous guider en pareille occurrence pour sa- voir la vérité. Nous n’hésitons donc pas à affirmer que la perche se débarrasse de ses œufs de la manière que nous venons d’indiquer ; c’est un point que chacun peut éclaircir. En histoire naturelle, ce n’est pas comme en archéologie ou en histoire, où malheureuse- ment on admet souvent des opinions sans s’inquiéter beaucoup des preuves ; en histoire naturelle , dis-je , lorsqu'on signale une expérience, une observation, tout le monde est appelé à lire dans le grand livre de la nature et à s'assurer de l'exactitude des assertions avancées par l’auteur. C’est au mois d’avril que fraye la perche et elle ne le fait qu'ar- rivée à l’âge de trois ans. Harmer et Picot de Genève ont compté dans un individu pesant un kilogramme, le premier 281,000 œufs, et le second 1,000,000. Ceci n’a rien d'étonnant, et j'ai fait compter par des pêcheurs, les _ frères Gazeau, les œufs qui se trouvaient dans une perche du même poids, et ils ont constaté la présence de 295,000 œufs de la gros- seur du pavot d'Orient, Papaver orientale (Linné), et je suis sûr qu’on pourrait en compter davantage. La perche multiplie beaucoup dans nos étangs, mais grossit peu ; c'est dans nos grandes rivières, dans le courant de la Loire surtout, qu’elle atteint son entier développement, qui est en moyenne de vingt à trente centimètres de hanteur sur quarante-cinq à cinquante centimètres de longueur. La gloutonnerie de la perche est proverbiale, aussi ce poisson est-il facile à prendre pendant les chaleurs, surtout dans les étangs; on la voit sortir de sous les grandes herbes, où elle aime à se retirer, pour s’élancer quelquefois jusqu’à une hauteur de trente centimètres, afin de saisir les cousins qui volent à la surface — 212 — ces eaux. Les pêcheurs, dans ces moments, en prennent beaucoup, nous pourrions dire en quelque sorte au vol, car avant de s’élancer, la perche fait sous l’eau un long sillage fort apparent, et dont les pêcheurs connaissent parfaitement le point d’arrèt ; là ils se tiennent aux aguets, età un moment donné, enveloppent dans un filet letémé- raire poisson, comme l’entomologiste le fait pour prendre leslibellules. Il n’est point de cours d’eau où l’on ne puisse rencontrer des perches ; ainsi j'ai vu dans des ruisseaux très-faibles, habités seule- ment par des vairons et des épinoches, des perches qui, dans leur ardeur pour la chasse, s'étaient aventurées dans ces petits affluents. Mais si les perches sont voyageuses, elles ne restent pas long- temps dans les ruisseaux dont les eaux sont basses, elles rentrent toujours à l’approche de l’hiver dans les rivières profondes. La Faculté de médecine d'Angers, en 1765, ordonnait aux poitri- naires de se nourrir de perches. Ce poisson, d’après les doctes régents, produit un bon suc et se digère facilement. D’après eux, il fautchoisir les perches, ne pas les prendre trop grosses, ni trop vieilles, parce qu’elles sont d’un mauvais goût et d’une digestion difficile, et sur- tout ne jamais manger de perches qui habitent les lieux bourbeux et fangeux. Défense était aussi faite par les mêmes docteurs de manger la perche pendant les mois de mars et d’avril, époque où elle fait ses pontes. Le célèbre cuisinier de Charles VII, l’angevin Tirel dit Taillevent, la plus grande gloire culinaire de notre province, fut le premier qui accommoda pour son auguste souverain la perche à la sauce blanche *. Nous possédons un ouvrage très-rare sur la pêche du poisson ; c’est un Angevin qui l’a écrit; cet auteur ne s’est jamais fait connaître que par ces initiales : F.F. F. R. D. G, et le surnom le solitaire inventif : il a dédié son livre à l’archevèque de Tours en 1660°, et donne la recette suivante pour pêcher la perche. « La perche, dit cet auteur, ne se prend facilement aux rêts ni à M. le baron Pichon a découvert le tombeau de Tirel dit Taillevent à Hennemont près Saint-Germain-en-Laye. Taillevent était né à la Menitré. ? Nous savons que l’auteur de ce curieux livre est Angevin, parce qu'il le dit dans une préface, mais il n'indique pas le lieu de notre province où il est né. — 213 — la nasse, mais plutôt avec amorceure propre comme en eau trou- blée : par quoy il faut faire un appas avec foye de chèvre et le mettre à l’hamecon. « Ou bien prenez papillons jaunes qui volent, fromage de chèvre de chacun demie once, opopanacis le poids de deux escus, sang de porc demie once, de galbanum autant : pilez bien le tout, et meslez ensemble, et versez par dessus de gros vin pur, et en faites de petits pains, comme si vous vouliez faire parfums, et les séchez à l'ombre. » Nous donnons cette recette pour ce qu’elle vaut; c’est un document concernant l’histoire de la pêche angevine, et voilà tout. Aujour- d’hui, pour pêcher les perches, on n’a pas besoin d'employer de tels appâts. La perche se prend à toute sorte de filets, à la ligne elle mord parfaitement aux lombrics, à l’asticot!, mais, ce qu’elle préfère par-dessus tout au printemps, ce sont les larves de névrop- ières, appelés phryganes, à antennes fauves (phrygana flavicornis), phryganes rhombifères (phrygana rhombica), qui construisent avec des buchettes et de petits brins de plantes aquatiques des étuis dans lesquels elles se logent et qu’elles traînent avec elles dans nos fossés pleins d’eau ; ce sont les larves de ces insectes que nos pêcheurs ap- pellent chaluberts. FAMILLE DES COTTIDES. Cottidæ. De tous les poissons d’eau douce de cette famille, nous ne connaissons en Anjou que le chabot. 1 L’asticot est un appât très-recherché des pêcheurs à la ligne. Nous con- naïssons un fabricant d'asticots qui en fait un débit très-considérable. C’est curieux de voir les samedis une foule de pêcheurs composée de rentiers, d'ouvriers et de gamins faire queue à la porte du fabricant. Ce mot de fabricant, employé dans ce sens, paraîtra peut-être étonnant, mais cependant il est juste. L’industriel en question fait macérer des charognes; quand elles sont en putréfaction, les vers s'y mettent; ce sont ces vers que les pêcheurs appellent asticots ; alors il les recueille dans des boîtes de fer-blanc garnies de son, le ver se purifie, et c’est ainsi qu'il est livré au pêcheur. Si ce peti métier de fabricant d'asticots est lucratif, il faut, avouons-le, un odorat peu sensible, pour l'exercer. — 214 — GENRE CHABOT. coTTUs (Linné). CarACTÈRES. —- Tête large, déprimée, cuirassée et diversement armée d’épines et de lubercules; yeux hauts et rapprochés, six rayons aux branchies, et trois ou quatre seulement aux ventrales. Ceux des eaux douces ont la tête plus lisse : les uns habitent les fleuves et rivières, d’autres vivent dans la mer. LE CHABOT DE RIVIÈRE. Cottus gobbio (Linné), vulgairement /e chaboisseau, le godet, le tétard, l'échabot. CoLoRATION. — Dos brun jaunâtre, marqué en travers de trois ou quatre larges bandes brunes; tête élargie, un piquant crochu près des joues, sur chaque opercule. Nageoires pectorales arrondies, crénelées; dessous du corps blanchâtre. Longueur, environ onze centimètres. Le nom de chaboisseau‘ donné au chabot se composait dans l’o- rigine de ces deux mots : chabot-boisseau, qui plus tard n’en ont plus fait qu’un. Il est, en Anjou, un vieux proverbe qui dit : Homme et bête ne sont beaux, Quand la tète ressemble au boisseau. C'est-à-dire, quand la tête a un développement extraordinaire. Or, comme le chabot a la tête beaucoup plus grosse que le corps, le peuple l'avait appelé chabot-boisseau et, aujourd’hui, chaboisseau ?. Le nom vulgaire de godet est facile à comprendre : on a donné ce nom au poisson qui nous occupe à cause de sa ressemblance avec les godets en bois dont on se sert encore dans les campagnes pour puiser de l’eau et se laver les mains; la forme du godet, par sa tête ! Une espèce très-commune, sur les côtes de l’Océanbo réal et de la Manche, est le cotte chaboïsseau, cottus scorpio (L.), qu'il ne faut pas confondre avec notre chaboisseau. ? Au xvir siècle, on écrivait Chaboiceau. — 215 — et sa queue, rappelle assez celle du chabot, et ce nom populaire a une bonne signification. Quant à celui de tétard, il vient du rapprochement pour la forme qui existe entre les larves des batraciens, appelés tétards, et le chabot. Enfin, dans l’échabot (c’est ainsi qu’on désigne la toupie que les enfants mettent en mouvement de rotation avec une corde roulée alentour d’elle) on a cru voir quelque ressemblance entre ce Jouet et la tête de notre pelit poisson ; de là cette dénomination, qui me paraît vicieuse. Le chabot figure dans plusieurs blasons : on le trouve dans celui des Rohan-Chabot. Le satirique Régnier, parlant de troquer des choses égales, a dit: Si ce n’est un chabot pour avoir un gardon. Au printemps, dans les cours d’eau peu profonds, on rencontre sur les graviers, que nos pêcheurs appellent le jard, des pierres soulevées et sous lesquelles se tient un chabot immobile. Si vous levez cette pierre, vous trouvez dans un canal creusé exprès, des œufs qui sont gardés par un chabot mâle jusqu’à l’éclosion, ce qui n’a lieu qu’au bout de quatre semaines. Je n’ai jamais pu constater une éclosion plus précoce. J’ai remarqué, en l’année 1868, au mois d'avril, dans la petite rivière d’Aubance, tous les matins à la même place , un mäle qui veillait avec une tendre sollicitude sur les pontes de sa femelle. Quand les œufs sont éclos, le chabot n’abandonne pas sa progé- niture : il nage de concert avec elle, jusqu’à ce que les petits aient atteint à peu près la grosseur des individus qui caractérise son espèce. Cet attachement du chabot mâle pour sa progéniture est un fait bien curieux, car généralement, chez les autres poissons, après les amours, le mâle délaisse la femelle, sans prendre nul souci de ses petits. Le chabot est très-vorace : il se nourrit de petits poissons, et quelquefois de gros, lorsqu'il peut les atteindre, de vers, d'insectes, et même, pressé par la faim, il attaque sa propre espèce. Pour s'emparer de sa proie, il use de ruses. Ainsi, au lieu, comme la perche, de s’élancer, souvent avec témérité, à la pour- — 216 — suite d’un poisson qu’elle veut saisir, il se tient en embuscade sous des pierres, et ne sort de ce réduit que lorsqu'il est sûr de saisir l'animal qu’il convoitait du regard. Le chabot est peu agréable à manger, aussi généralement n’est-il pas recherché. C’est surtout parmi le peuple qu’il est le plus en usage comme aliment. On se sert pour le prendre à la ligne d’un appât particulier et auquel nul autre poisson ne mord : c’est la cerise, surtout celle de Montmorency, dont il est extrèmement friand. Le fromage est encore fort appétissant pour le chabot. Il est un autre appât très- usité, mais qu’il suffit de nommer pour dégoûter de manger la chair de ce poisson : nous voulons parler des excréments humains que certains pêcheurs emploient pour pêcher le chabot. C’est avec cet appt qu'ils font les captures les plus abondantes. La cuisson donne une couleur rouge à la chair du chabot. FAMILLE DES GASTÉROSTÉIDES. Gasterosteidæ. Cette famille comprend ces petits poissons à épines dorsales qui peuplent nos ruisseaux et qui sont connus sous le nom d’Épinoches. GENRE ÉPINOCHE. GASTEROSTEUS (Linné). CARACTÈRES. — Corps oblong, joues cuirassées, tête sans épines ni tubercules, un bec sans lèvres. Ce qui les distingue surtout, c’est que leurs dorsales sont composées d’épines libres, et n’ont point la forme de nageoires; les ventrales se réduisent à peu près à une seule épine. L ÉPINOCHE AIGUILLONNÉE. Gasterosteus aculeatus (Linné) ; vulgairement épinglette, épinard, alène de savetier. CoLorATION. — Brun olivâtre en dessus; le ventre et le dessous de la bouche d’un blanc argenté; une bande bleuâtre autour du ventre, un peu — 217 — de cette couleur au bout de la queue; trois épines sur le dos, à l’époque du frai, on remarque près des ouïes une teinte rose. Le nom d’épinglette donné à ce poisson vient de la ressemblance de ses épines avec les petites épingles appelées épinglettes. On a cru distinguer aussi une ressemblance entre le fruit de l’épinard épineux, spinacia spinosa (Mœnch), qui est garni de pointes aiguës et divergentes, ét les piquants de l’épinoche : de là le nom vulgaire d’épinard. Le nom d’alène de savetier n’a pas besoin d'explication : l'instrument dont se sert le recarreleur en cuir est remis en mémoire aux habitants de la campagne lorsqu'ils aper- ‘ coivent les aiguillons de l’épinoche. L’épinoche aiguillonnée est un des plus petits poissons de Anjou. Sa taille ne dépasse guère cinq centimètres. Elle est très-commune dans nos petits cours d’eau, tels que l’Aubance, le Lathan, le ruisseau de Frotte-Penil, en Saint-Laud, le Saint-Aubin, commune de Saint- Remi-la-Varenne, l’Arcison, le Javonneau, etc. Il faut très-peu d’eau pour ce poisson. L'ichthyologiste allemand Bloch prétend que l’existence de l’épinoche ne se prolonge pas au delà de trois années. Cuvier fait remarquer que cette assertion n’a pas été démentie. Mais il reconnaît cependant qu’on ne peut pas lui donner un caractère de certitude’. Cette observation de Cuvier est parfaitement juste, et l'expérience a démontré que la prétention de Bloch , relative à l'existence de l’épinoche, ne peut être appliquée à tous les pays. Ainsi, nous connaissons une personne qui possède dans son aquarium en plein air, et où l’eau se renouvelle fréquemment, des épinoches depuis quatre ans, et qui semblent encore être appelées à de longs jours. Nous avons remarqué souvent dans nos ruisseaux des épinoches qui avaient sur la tête un petit duvet blanc, que nous avons attribué à la vieillesse; nous l’avons observé chez toutes les espèces dont nous allons parler. L’épinoche forme dans la vase un nid pour le dépôt des œufs. Cest le mâle qui est l’architecte ; il le fait à l’aide de son museau, comme l'oiseau fait le sien à l’aide de son bec. Ce nid est admira- blement construit, et composé de plantes aquatiques où le G/yceria 1 Blanchard, Poissons d’eau douce de la France. XI. 15 — 218 — fluitans (Brown) domine. Enduit de mucus, il est toujours tapissé au fond de conferves. Ce nid a deux ouvertures, dont une beaucoup plus petite. L’épinoche se nourrit d’insectes, de mollusques et de petits poissons ; elle est très-nuisible au peuplement des rivières, car elle détruit beaucoup de frai. L’épinoche sert aux pêcheurs comme appät pour pêcher au vif. Nous avons dit, en cette étude, que nous n’avions aucun travail angevin qui püt nous guider dans nos recherches. En effet, dans sa Faune, M. Pierre Millet n’a donné qu’un catalogue accompagné de courtes descriptions tirées de Cuvier. D’après ce catalogue, nous ne devrions compter en Anjou qu’une seule espèce d’épinoche, l’épi- noche aiguillonnée. L’inspection de nos ruisseaux suflira aux na- turalistes pour montrer que nos richesses ichthyologiques en ce qui concerne l’épinoche sont plus grandes, et nous allons parler des espèces dont nous avons constaté la présence, et qui sont faciles, au premier coup d’œil, à distinguer de l’épinoche aiguillonnée, avec laquelle on les a confondues. Il. ÉPINOCHE DEMI-CUIRASSÉE. Gasterosteus semiloricatus (Cuvier). CARAGTÈRES. —- Cette épinoche, plus allongée que celle que nous venons de décrire, a ses deux premières épines dorsales très -aiguës et très-longues, et larges à la base ; son armature latérale ne dépasse guère le quatrième rayon de la nageoire dorsale et est composée de quatorze plaques osseuses. C’est dans le ruisseau de Mozé que j'ai observé pour la première fois cette épinoche. Elle se tient surtout dans les parties du ruisseau qui sont bordées de prés. Elle vit isolée ; jamais on n’en rencontre plus de deux ensemble. C’est d’après des individus. provenant des environs du Havre que Cuvier a reconnu cette espèce. NII. ÉPINOCHE DEMI-ARMÉE. Gasterosteus semiarmatus (Cuvier). COLORATION. — L’épinoche demi-armée diffère peu de l’épinoche aiguillonnée, quant à la taille et aux couleurs. Son armure latérale ne — 219 — dépasse pas le quatrième rayon de la nageoire et est composée de treize plaques osseuses. J’ai bien vu des poissons appartenant à cette espèce, et jamais je n’ai pu qu’une seule fois compter quatorze plaques, toujours j'ai trouvé le nombre treize; l’opercule est beaucoup plus court que chez l’épinoche aiguillonnée, très-commune surtout dans le ruisseau de Frotte-Pénil, en Saint-Laud. IV. ÉFINOCHE NIMOISE. Gasterosteus Nemausensis (Crespon). CoLorATION. — Dos et côtés d’une couleur d’un brun olivâtre clair, ventre et côtés argentés; sur ces parties il existe une teinte bleuâtre foncée qui se reproduit autour des yeux; le milieu du dos cintré, la sé- paration de la tête et du cou forme un enfoncement, ce qui rend cette partie du corps raboteuse. Mais ce qui caractérise mieux cette espèce, c’est que son dos n’est armé que de deux épines, dont une est placée sur le haut du dos et l’autre à la naissance de la nageoire cauda!e. Celle-ci est très-faible. Sa taille est plus forte que celle de l’épinoche lisse, et surtout elle est plus trapue. Elle habite le Lathan, le Gressillon et le Couasnon. C’est dans l'arrondissement de Baugé qu’elle est la plus commune. Les épinoches nagent toujours par bande; c’est très-rare d’en rencontrer quelques-unes isolées. L’épinoche à deux raies fait excep- tion. Abondante dans nos ruisseaux, on ne rencontre ensemble que de petites compagnies formées de cinq à dix individus. V. ÉPINOCHE A QUATRÉ ÉPINES Gasterosteus quadrispinosa (Crespon). CoLoRATION. — Un peu plus petite que l’épinoche aiguillonnée, la distribution des couleurs est la même; mais, dit Crespon, ce qui doit la séparer et en faire une espèce, c’est qu’elle porte quatre épines sur le dos au lieu de trois, et qu’à partir de l’épine antérieure jusqu’au bout du museau, c’est presque un angle droit, tandis que chez le gasterosteus aculeatus cette partie forme une ligne courbe. — 220 — Cette espèce a été décrite par M. Crespon daus sa Faune méri- dionale, en 1844; il l'avait trouvée dans la Vistre. Elle est fort commune en Anjou. Je l'ai observée pour la première fois dans le ruisseau de Mozé, qui part du bourg de ce nom, et vient tomber, au village de Petit-Claye, dans l’Aubance. VI. ÉPINOCHE A QUEUE LISSE. Gasterosteus leiurus (Cuvier). CoLoraTIoN. — Couleur verdâtre pointillée de noir, partie inférieure du corps d’un blanc d'argent. Taille, trois à quatre centimètres. Cette espèce est la seule du genre observée, jusqu’à présent, aux environs de Paris, dit M. Emile Blanchard dans son livre sur les Poissons d’eau douce. Elle est très-commune en Maine-et-Loire. Elle a cela de particulier qu’on la rencontre dans les eaux profondes, telles que celles du Layon; elle habite également les petits ruis- seaux. Ainsi, je l’ai observée dans celui de Joannette, commune de Martigné-Briant. Les épinoches sont recherchées par les enfants de la campagne, qui les portent à leurs parents pour faire des fritures. L’épinoche lisse est de toutes les espèces celle qui est la moins coriace. ÉPINOCHETTES. L’épinochette , le plus petit de nos poissons d’eau douce, a, en diminutif, les formes de l’épinoche : ses épines, sans dentelures sur les bords, sont au nombre de huit à onze. IL. ÉPINOCHETTE PIQUANTE. Gasterosteus pungitius (Linné). CoLorarTion. — Couleur d’un vert sombre, ponctué de noir en dessus et parsemé de blanc en dessous, gorge rouge, nageoires jaunes à dix rayons, une armure latérale. L’épinochette piquante, ainsi que les autres espèces, est un pois- son nidificateur. Au lieu d'établir son nid dans la vase comme l’épi- noche, il le place au milieu d’herbes aquatiques, souvent dans les — 221 — touffes du Phalaris arundinacea (L.). Ce nid, plus petit que celui de l’épinoche, est d’une forme plus gracieuse; comme lui, il pos- sède deux ouvertures et est aussi l’œuvre du mâle, non-seulement un ouvrier habile, mais encore un tendre père, qui pendant quinze jours, terme le plus long de l’éclosion, veille sur les pontes avec une sollicitude qui n’est pas plus grande chez les oiseaux pour leurs œufs. La reproduction des épinochettes a lieu de mai à juin. IL. ÉPINOCHETTE LISSE. Gasterosteus Lœvis (Cuvier.) CoLorATION. — Vert clair, parsemé de points noirâtres, tête effilée, épines dorsales au nombre de neuf; les nageoires pectorales ont dix rayons, l’anale neuf, pas d’armure latérale. Cette épinochetle est très-commune : nous l’avons rencontrée dans tous nos ruisseaux : elle marche en troupes nombreuses. LIT. ÉPINOCHÈTIE A TÊTE COURTE. Gasterosteus breviceps (Blanchard.) CoLoraTion. — D’un vert olivâtre orné de petits points noirâtres régu- liers, tête très-bombée en dessus, lèvres épaisses, queue lisse. Cette espèce nous a été inconnue jusqu’en 1868. En lisant avec attention la description de l’épinochette à tête courte, donnée par M. Emile Blanchard, nous avons acquis la certitude qu’elle habite l’Anjou. Je l’ai trouvée pour la première fois à Petit-Claye, com- mune de Mürs, dans le ruisseau de Mozé. Jamais je ne l’ai vue en troupes nombreuses. En terminant la famille des Gasterosteides, nous constaterons que depuis 1828, notre faune s’est enrichie de sept poissons de cette famille. Les espèces que nous avons décrites sont tellement com-— munes dans nos cours d’eau, qu’il est impossible, même à l’homme le plus mal intentionné, d’en nier l’existence en Anjou‘. 1 En 1868, M. Pierre Millet a publié un supplément de vingt-trois pages à sa Faune. Cet auteur, sans tenir compte des progrès de la science et des nom- —NOURe FAMILLE DES MUGILIDES. Mugilidsæ. Les mugilides sont des poissons de mer qui remontent les rivières ; un seul genre compose cette famille, le genre mwge, reconnaissable à ses grandes écailles et à sa forme allongée. GENRE MUGE. Le genre muge contient un grand nombre d'espèces. LE MUGE CAPITON. Mugil Capito (Cuvier); vulgairement mugeon, mulet. CoLorATIoN. — D’un gris bleuâtre, clair sur les côtés, blanc à la région centrale; quelques lignes verdâtres sur les flancs. Ce poisson a des écailles tout le long du corps et sur la tête. Le mulet atteint une taille assez élevée, depuis 0",40 à 0,70 ; il remonte de la mer vers notre fleuve de Loire et nos grandes rivières ; arrivé au village de la Pointe, souvent les nombreuses bandes de mulets se divisent : les unes se dirigent vers les Ponts-de-Cé, d’autres entrent en Maine, et bientôt se répandent dans la Mayenne, la Sarthe et le Loir. Sa pêche commence à la mi-mars et finit à la fin d'octobre ; c’est à cette époque que le mulet retourne à la mer. Ce poisson est très-voyageur. On voit souvent, dans la belle saison, des bandes de mulets qui descendent la Loire et se dirigent vers la mer, puis reviennent de nouveau dans les eaux de la Loire avant la saison d'hiver. Le mulet est plus agile encore que la carpe ; il saute avec une extrême facilité par-dessus les filets lorsqu'ils sont tirés de l’eau, au grand désespoir du pêcheur, car ce poisson est très- estimé en Anjou. M. Pierre Millet a décrit dans sa Faune, en l’année 1848, un poisson qui n’a jamais été pêché dans les rivières de l’Anjou. C’est le muge céphale, mugil cephalus (Cuvier). Le mulet céphale est breuses découvertes faites en Anjou, prétend que de 1828 à 1868, on ne doit enregistrer que deux mammifères et un reptile, et que son livre est le recueil le plus complet des animauæ vertébrés propres au département de Maine-et-Loire ! — 223 — une espèce méditerranéenne qu’on ne rencontre, au printemps, que dans le Rhône, et qui remonte souvent jusqu’à Avignon !. En 1668, la Faculté de médecine d'Angers ordonnait aux jeunes gens d’un tempérament chaud et bilieux de manger de la chair du mulet. Dès cette époque, on distinguait deux espèces de mulets : « Le mulet de rivière, mulus, disait dans ses cours le professeur Deselle, ne doit pas être trop gras, car sa graisse a quelque chose de rebutant et peut causer pour l’estomac des soulèvements et des nausées. « Le mulet de rivière doit être mangé rôti, mêlé de quelques assaisonnements qui aident la digestion dans l’estomac. « Quant au mulet de mer, espèce méditerranéenne, appelé en latin cephalus, il est préférable à tous autres, mais ne se rencontre point sur nos marchés. » ORDRE DES MALACOPTÉRYGIENS. Ce sont les rayons flexibles aux nageoires qui caractérisent les poissons compris dans cet ordre. FAMILLE DES PLEURONECTIDES. Pleuronectidæ. On comprend dans cette famille les poissons privés de vessie natatoire, dont les yeux sont du même côté et qui nagent sur le flanc opposé, tels que le flet, la plie, la sole, la limande, le turbot, etc. Ces poissons se tiennent le plus habituellement au fond de l’eau et sont désignés dans la poissonnerie sous le nom de poissons plats. GENRE PLEURONECTE. PLEURONECTES (L.); PLATESSA (Cuvier). CARACTÈRES, — Les dents tranchantes disposées à chaque mâchoire sur un seul rang, les nageoires dorsales partant de l’œil supérieur, tels sont les principaux caractères des poissons compris dans ce genre. Tous ! Emile Blanchard, les Poissons d’eau douce de la France. — 224 — appartiennent à des espèces très-communes sur nos côtes. Nous n’aurons à nous occuper que de la plie, pleuronectes platessa (L.), et du flet, pleuronectes flesus (L.). PLIE FRANCHE OU CARRELET. Pleuronectes platessa (L.), platessa vulgaris (Cuvier) ; vulgairement puisse. CoLORATION. — Ce poisson a, lorsqu'il est jeune, le côté gauche du corps d’un blanc bleuätre et rougeâtre, lorsqu'il atteint un âge plus avancé ; le brun-gris du côté droit est parsemé de taches aurore. Sept tubercules forment une ligne sur le côté droït de la tête; les bases des nageoires anale, dorsale et caudale sont couvertes de petites écailles; ai- guillon assez fort en avant de l’anale ; mâchoire inférieure avancée. La plie était connue comme aliment au treizième siècle, sous le nom de plais. Ce poisson de mer remonte la Loire tous les ans au printemps, et lorsqu’elle déborde, on est sür, dans les fossés des prairies inondées, de trouver, après que l’eau s’est retirée, des plies qui se sont aventurées en ces lointains parages, et qui deviennent la proie des pêcheurs. Au moyen âge, parmi les poissons estimés, nous trouvons en première ligne la plie de Loire. Dans la magnifique basilique de Cunault se voit encore une fres- que très-bien conservée, représentant saint Christophe portant l’En- fant-Dieu sur ses épaules et traversant le bras de mer de Kerentrée. Le géant Christophe, vêtu d’un costume oriental, tient dans sa large main un arbre qui lui sert de bâton. La tête de l'Enfant Jésus est entourée d’un nimbe orné de deux pétales jaunes ; au pied de l'infatigable passeur se trouve dessinée au trait une multitude de poissons faciles à reconnaître, et qui prouvent la vérité de cette assertion, qu’au moyen âge, les artistes choïisissaient leurs modèles sur les lieux mêmes où ils travaillaient. Aïnsi, on distingue l’anguille, la carpe, la perche, la tanche, le brochet, la plie, etc. La plie n’est point peinte de fantaisie : c’est bien le poisson qui porte ce nom, et non le flet, dont nous allons nous oocuper. La Faculté de médecine d'Angers, en 1668, ordonnait aux — 225 — jeunes gens d’un tempérament chaud et bilieux de manger de la plie, qui contient, d’après les doctes régents, beaucoup d’huile, de phlegme, et peu de sel volatil. On se servait aussi de ce poisson comme purgatif, quand la chair était avancée. C'était, d’après les prescriptions du corps médical, un moyen de lâcher le ventre et d'adoucir les âcretés de la poitrine. PLEURONECTE (Flet). Pleuronectes flesus (Linné), (platessa flesus, Cuv.) vulgairement picaud, passereau de rivière. CoLoraTion. — Côté où sont tournés les yeux d’un brun verdätre, tacheté d'orange; peau couverte de petites écailles. Taille, dix-huit à trente centimètres. Le flet, qu’on a confondu avec la plie, est cependant assez facile à distinguer par tout son ensemble; il est surtout plus oblong que la plie; comme cette dernière, il se nourrit de vers, de mollusques et d'insectes. Il remonte la Loire et y vient frayer au mois de mai. Le flet s’enfonce dans le sable de nos grèves et ne laisse paraître à la surface que le bout de son museau ; il faut un œil bien exercé pour l’apercevoir. Les pêcheurs, experts en pareïlle matière, par- courent les bords de la Loire armés d’un instrument en fer pointu qu’ils enfoncent dans le sable, là où ils ont distingué la place d’un flet; ils retirent avec rapidité le fer, en faisant sauter à terre le poisson qu’ils viennent de blesser. Le flet comme la plie, est très-voyageur ; on le rencontre souvent dans les petits cours d’eau, mais il n’y reste pas longtemps. C’est dans la Loire qu’il élit son domicile. Le flet de Loire est très estimé et se vend très-bien. FAMILLE DES GADIDES. Gadidæ. Les poissons qui composent cette famille se distinguent par la position des ventrales qui sont placées sous la gorge, leurs écailles molles, par leurs nageoires dorsales, composées de rayons mous. Toute cette famille ne comprend que des espèces marines; une seule, la lote, remonte nos fleuves et rivières. — 226 — LA LOTE COMMUNE. Lota vulgaris (Linné). COLORATION. — Fond jaune avec marbrure brune; un seul barbillon sur le menton; corps gluant, presque cylindrique, couvert de petites écailles molles et minces; ventre blanc, les deux dorsales de même hauteur; la tête déprimée. La longueur varie de trente-trois à soixante- six centimètres. Cest avec le mois de décembre que la lote remonte la Loire ; c’est aussi à cette époque qu’elle fraye. Arrivée dans nos rivières, il est très-rare que la lote retourne à la mer; elle sy habitue et devient poisson sédentaire. La lote aime beaucoup les eaux claires et ne craint pas de s’aventurer dans nos moindres cours d’eau; elle se fait un trou sous une pierre, s’y blottit et attend que le cou- rant lui amène des insectes, des vers, des mollusques. Elle a un moyen particulier d’attirer à elle ces petits animaux, en agitant son barbillon. La lote s’attaque, pressée par la faim, à d’assez gros poissons; elle détruit beaucoup de frai. La lote à la poulette est délicieuse. La lote est très-estimée, Elle n’atteint guère plus de soixante centimètres et se développe lentement. On n’a pas d’exemple, en Anjou, d’avoir vu des lotes frayer avant l’âge de quatre ans, L’incubation est de six semaines. FAMILLE DES CYPRINIDES. Cyprinidsæ. Le caractère distinctif des nombreux poissons abdominaux qui forment cette famille est l'absence complète de dents, excepté sur les os pharyngiens. La famille des cyprinides se divise en deux tribus : les cobitmes, poissons à petites têtes, et les cyprinines, poissons aux larges ouïes et à la forte tête. La loche appartient à la première tribu. GENRE LOCHE. coBiTis (Linné). CARACTÈRES. — Tête petite, corps allongé couvert de petites écailles et enduit d’une matière gluante; les ventrales placées en arrière du corps et — 227 — au-dessus d’elles, une seule dorsale; houche peu ouverte, point de dents, mais entourée de lèvres propres à sucer, et des barbillons. Nous comptons en Anjou trois espèces de loches : la loche franche, la loche de rivière et la loche d’étang. Ménage ‘ rapporte que « le roi Henry IV, pour confondre la va- nité de l'Espagnol qui disait que Paris tournerait dans son gant (ou Gand) répondit qu’il avait une loche si grande, que tout le beurre d'Espagne ne suffirait pas pour la frire. » Il entendait, ajoute Mé- nage, parler de la tour de Loches, répliquant ainsi à un calembourg par un autre. Ménage dit que «les Anglais appellent ce même pois- son Lock, les Allemands Lock, les Espagnols Loxa, et les Italiens Lochia. » nr Autrefois, la loche était plus recherchée qu’elle ne l’est aujour- d’'hui. Comme toutes les espèces qui appartiennent à ce genre, sauf celle qui existe dans les étangs, elleine peut vivre que dans des eaux courantes , les pêcheurs, pour être à même d’approvisionner la poissonnerie, avaient en Maine des coffres de bois percés, afin que l’eau s’y renouvelât. C’est ainsi qu’ils conservaient les loches. Les coffres destinés à cet usage s’appelaient des lochertes. LA LOCHE FRANCHE. Cobitis barbatula (Linné), vulgairement barbotte. CocoraTion. — Dessus du corps d’un brun olivâtre; côtés jaunâtres, nuagés et pointillés de brun; six barbillons aux mâchoires. Douze à quinze centimètres de longueur. Les habitants de la campagne appellent ce poisson barbotte, barbette, à cause de l'habitude qu’il a de barboter dans la vase. Ce poisson marche par troupes; il se loge sous les pierres, vit de mollusques et d'insectes; on le rencontre fréquemment dans nos petits cours d’eau; les pêcheurs le prennent aux nasses, Il fraye de mars en avril, il est d’une très-grande fécondité. La loche est recherchée par les gourmets ; on en fait d’excellentes fritures. 1 Menage est né à Angers, le 15 août 1613, rue de l'Hôpital, n° 28. Il serait à désirer qu’une plaque fùt posée sur la maison où est né cet érudit, afin de rappeler son souvenir aux générations futures. —- 228 — LA LOCHE DE RIVIÈRE. Cobitis tœænia (Linné). CoLoRATION. — Orangé, avec plusieurs séries de taches noires, parmi lesquelles on voit de petites marbrures brunes; le corps est comprimé; elle porte six barbillons et une pointe fourchue et mobile en avant de chaque œil; le dessous du corps n’a point de taches. Cette espèce, plus petite que celle dont nous avons parlé, est peu recherchée; ses fines arêtes la rendent désagréable à manger. Sa chair est fort coriace. La loche de rivière se trouve à peu près dans tous nos cours d’eau. Elle vit isolée. LOCHE D’ÉTANG. Cobitis fossilis (Linné). CoLorATION. — Dos noirâtre, rayé de jaune et de brun, ventre orangé, piqueté de noir; dorsales et caudales de même; ventrales et anales jaunes; joues lachées de brun; dix barbillons, quatre à la mâchoire inférieure, six à la supérieure. Ce poisson atteint jusqu’à trente-trois centimètres de longueur. Cette loche se trouve dans l'étang Saint-Nicolas. Il y a bien dix années que nous l’avons observée en ce lieu et nous sommes étonné que, depuis 1828, année où l’on publia un catalogue des poissons de Maine-et-Loire, on n’ait pas signalé la loche d’étang à Saint-Nicolas, où elle est comiune ; pour ceux qui seraient dans le doute, il leur suffira de consulter les grands travaux qui ont été faits sur les poissons, d’examiner les planches publiées ! et ils verront que nous possédons bien en Maine-et-Loire ce poisson, qui, du reste, est rare dans notre pays. Nous ne connaissons que l’étang Saint Nicolas où on le rencontre; la loche d’étang a la vie dure et, contrairement aux autres espèces, elle peut s’élever dans un réser- voir où l’eau est à l’état de repos absolu. J'ai eu plus d’une année une loche d’étang dans un bassin dont le fond était couvert de vase; je remarquai que constamment ce poisson se tenait caché dans la boue, et il n’en sortait que lorsqu'il ! Emile Blanchard, Poissons d’eau douce de la France, page 290. — 229 — faisait un temps orageux ; alors il nageait à la surface de l’eau, se laissait prendre et semblait malade; mais dès que letemps était moins chaud, tout de suite la loche rentrait dans la vase, son gîte habi- tuel. La loche fraye dans les mois d’avril et mai. Comme ses con- génères, elle se nourrit de mollusques et d’insectes, Rare en Anjou, je ne l’ai jamais vue dans nos poissonneries et je ne sache pas qu’elle soit souvent prise par les pêcheurs de l’étang Saint-Nicolas, qui aiment mieux emplir leur sentineau * de plus gros poisson. GENRE GOUJON. Gog10 (Cuvier). CARACTÈRES. — Tête large, bouche murie de longs barbillons à la base de la mâchoire inférieure; nageoires étroites à la base. GOUJON DE RIVIÈRE. Gobio fluviatilis (Valenciennes). CoLorATION. — D'un bleu noirâtre sur le dos, ventre blanchâtre, à re- flets jaunes; la ligne latérale presque droite est marquée de taches bleues ; nageoires jaunâtres et quelquefois rougeâtres; le hout de la queue rayé de brun en travers. Ce poisson est très-estimé pour les fritures. En 1705, la Fa- culté de médecine d'Angers ordonnaïit aux personnes convalescentes de manger du goujon. Ce poisson, disaient les maîtres de la science d'alors, produit un bon suc et se digère facilement. Le goujon est très-abondant dans la Loire, le Louet, etc. Il est un fait incontes- table, c’est que dans nos rivières les femelles sont beaucoup plus nombreuses que les mäles, dans la proportion d’un contre six. Le goujon a la vie très-dure; les anguilles en sont fort friandes, aussi les pêcheurs amorcent-ils leurs épinoches avec des goujons et sont-ils toujours sûrs par ce moyen de faire bonne capture. On appelle épinoche, en terme de pêche, de longs cordeaux aux- quels sont appendues, à quarante centimètres de distance, de petites ficelles dont l’extrémité est munie d’une épine; dans cette épine on ! On appelle sentineau une caisse de bois qui souvent a la forme d’un bateau. Cette caisse est trouée de manière à ce que l’eau puisse toujours se renouveler ; c’est là qu’on dépose le poisson qu’on veut conserver. — 230 — accroche par l’ouïe un goujon; l’anguille, qui est très-vorace, se précipite dessus et l’avale, mais l’épine, lui barrant la gorge, elle ne peut se dégager et est prise. Le lendemain matin, lorsque le pêcheur lève les cordeaux qu’il a tendus la nuit, il trouve mortes presque toutes les anguilles qui ont mordu à l’appät. Le célèbre imprimeur français Charles Estienne, qui vint prendre les grades de docteur à la Faculté de médecine d'Angers en 1520 °, et qui plus tard, par la bonne éducation qu’il recut dans la maison paternelle sous la direction de Lascaris, fut choisi par notre compa- triote Lazare de Baïf, ambassadeur de François I‘ à Venise, puis conseiller au Parlement, pour faire l'éducation de son fils Antoine*, estimait beaucoup le goujon, et nous apprend que dès la fin du xv° siècle on le servait en pyramide garnie de persil frit. Pendant son séjour en Anjou et au château du Pin, près la Flèche, Estienne étudia beaucoup nos poissons, surtout sous le rapport culinaire; il plaça en première ligne pour la friture le goujon de Loire *. Il est un vieux proverbe dont on se sert quand on veut parler d’une personne qu’on a fait tomber dans un piége : Il est comme le brocheton, Il avale facilement le goujon. Ce dicton fait allusion à la voracité du brochet qu’on prend à la ligne amorcée d’un goujon. Le goujon se pêche à la ligne, à la nasse, au carrelet et surtout à l’épervier. 1 Archives de l’Université d'Angers, faculté de médecine, contre-lettres des externes. 2? Antoine de Baïf qui devint un des meilleurs poètes de son temps, rappelle comment son père choisit Estienne pour faire son éducation : Mon père, dit-il, Fut soigneux de prendre Des maistres le meilleur, pour dès lors m’enseigner Le grec et le latin, pour y rien épargner, Charles Estienne, premier disciple de Lascare, M'apprit à prononcer le langage romain. $ En 1540, quand Lazare de Baïf quitta l’Anjou pour aller comme ambassa- deur en Italie, Antoine raconte que son père menait en voyage : Charles Estienne et Ronsard qui sortoit lors de page, Estienne médecin qui bien parlant estoit, Ronsard, de qui la fleur un beau fruit promettoit. — 231 — Le goujon, abondant dans toutes nos rivières, fraye de mai à juin; les œufs sont fixés sur les pierres roulées par le cours des eaux; plus elles sont plates et mieux le goujon aime à y déposer ses œufs. L’incubation dure ordinairement quatre semaines. Le goujon vit en troupe et se nourrit de vers et d'insectes. Nous avons en Maine-et-Loire un goujon qui diffère du ge. ‘on ordinaire par sa taille et ses couleurs plus foncées; nous ne croyons nullement à une espèce nouvelle, c’est une simple variété. GENRE BARBEAU. BARBUS (Cuvier). CARAGTÈRES. — Corps couvert d’écailles et allongé; quatre barbillons à la mâchoire supérieure; nageoire dorsale étroite à la base. BARBEAU COMMUN. Barbus fluviatihis (Valenciennes), vulgairement barbillon. COLORATION. — Museau pointu, mâchoire supérieure fort avancée, ornée de deux barbillons, et deux plus longs aux angles dela bouche; dos rond de couleur olivâtre; ventre blanc; nageoires rougeâtres, dorsale avec rayons épineux. Il croît vite et arrive souvent à une longueur de soixante-dix centimètres. Le barbeau se nourrit d’insectes, de vers, de mollusques et de plantes aquatiques. On le voit dans les chaleurs enlever avec son museau la mousse et les conferves qui couvrent les rochers situés au bord des rivages. Au mois de septembre, à l’époque où les habitants des vallées font rouir leurs chanvres, on est sûr de trouver toujours en troupe des barbillons auprès des fas mis à l’eau ; aussi, presque tous les cultivateurs de ces contrées, qui sont pêcheurs ou plutôt qui ont des licences, sont munis d’un épervier, et lorsqu'ils voient près de leurs chanvres l’eau s’agiter, ils donnent un coup d’épervier et le retirent avec de nombreux barbillons. Le barbeau fraye de mai à juin et dépose ses œufs contre des pierres. Le barbillon n’est pas voyageur ; il ne quitte guère les rivières où 1l a pris naissance; la Loire, le Loir, le Louet, la Mayenne et la Sarthe, sont les lieux où on le trouve en plus grande quantité. Le médecin de Charles VIIT et de Louis XII, Champier, dit que — 232 — les barbeaux les plus recherchés de son temps étaient ceux de la Loire et du Rhône ; Charles Estienne vanta beaucoup les barbeaux de la Loire. Coulon ‘ prétend que l’abbaye de Barbeau, fondée par Louis VII, fut ainsi nommée parce que ce prince pêchant dans la Seine, prit un de ces poissons, qui avait dans l’estomac une pierre précieuse. Il y à un vieux proverbe angevin qui dit, en parlant de gens dont on ne peut tirer aucun parti : Dans sa personne et dans son ton, Comme le barbeau, n’a rien de bon, Ni à rôtir Ni à bouillir. La Faculté de médecine d'Angers engageait de servir pendant l'été sur les tables des personnes riches le barbeau en été; c’est à cette époque qu’il est le plus gras. En hiver, Le barbeau est maigre, et comme il a beaucoup d’arètes, la chair est plus difficile à manger. Quant à ses œufs, défense expresse était faite aux xvn° et xvm° siècles d’en manger ; les cuisiniers avaient soin de les ôter en enle- vant les entrailles du barbeau. « [ls excitent, disait dans son cours Berthelot du Paty*, des douleurs extrêmes dans l’estomac et occa- sionnent de violents vomissements, » Le barbillon est un poisson très-estimé en Anjou, ou plutôt sur les bords de la Loire. Il existe à Tours, sur le quai, un hôtel qui autrefois avait une grande réputation ; le chef passait pour maître dans la préparation du barbeau; aussi, pour attirer les amateurs de ce poisson, le maître d'hôtel avait fait inscrire sur la façade de sa maison cette enseigne affriolante : Aux trois barbeaux. Dans ma jeunesse, je suis descendu à cet hôtel, et il y était d’u- sage alors de servir, chaque fois qu’on pouvait s’en procurer pour les diners, un barbillon accommodé à une sauce délicieuse. Sur les bords de la Loire, nous connaissons plusieurs auberges tenues par des pêcheurs, qui ont pour enseigne : Au barbillon. Au moyen âge, le barbeau, que tout le monde appelle aujour- 1 Coulon, Riviéres de France. 3 Archives de la faculté de médecine d'Angers. — 233 — d’hui en Anjou «barbillon, » s’appelait bar ; il figure dans les armes du duché de Bar, et dans le blason de René d'Anjou, on trouve deux bars adossés *. GENRE TANCHE TINCA (Cuvier). CARACTÈRES. — Corps couvert d’une peau épaisse, parsemée de petites écailles; la bouche est ornée d’un petit barbillon, les nageoires sont ar- rondies et n’ont pas de rayons osseux. TANCHE COMMUNE. Tinca vulgaris (Cuvier). CoLoraTion. — Corps large et court, tête et museau assez gros; la couleur varie selon les eaux qu’elle habite. Le plus souvent la joue est d’un jaune verdâtre, gorge blanche, vert foncé sur le front et sur le dos, collet vert jaunâtre; ventre blanchâtre, nageoires violettes; généralement les mâles ont une teinte plus claire. La tanche vit dans toutes nos rivières, et même on la trouve assez fréquemment dans les petits cours d’eau; elle se plaît dans les eaux dormantes. Il est des rivières où les tanches ne sont pas bonnes à manger; ainsi les rivières vaseuses, telles que le Layon. La chair des mâles est préférable à celle des femelles. Ce poisson est très- facile à engraisser, et on peut le faire dans les plus petits réservoirs. Du reste, ce n’est guère qu’à condition que ce poisson soit gras qu’on peut le servir sur la table, accommodé aux fines herbes. En 1705, les docteurs régents de la Faculté de médecine d’An- gers s’en servaient pour calmer l’ardeur de la fièvre”. A cet effet, ils appliquaient une tanche soit au poignet du malade, soit à la plante des pieds. On l’employait pour les maux de tête, pour la jaunisse et les maladies d’oreilles. On prétend, parmi les pêcheurs, (c’est un fait à vérifier), que le brochet, dont la voracité est bien connue, ne mange jamais aucune tanche. 1 René d'Anjou était duc de Bar. ? Université d'Angers, faculté de médecine, verbo Poissons. XI. 16 — 234 — Lorsqu'on veut parler d’une personne silencieuse, on dit vulgare- ment : Le chat lui a coupé la langue, Car il est muet comme une tanche. L’origme de ce proverbe, vient de ce que la tanche se tient cons- tamment au fond de l’eau et ne se montre que très-rarement à la surface. On ne la voit point non plus comme la carpe et autres pois- sons, faire des bonds, nager avec bruit. C’est un des poissons les plus tranquilles que l’on connaisse, et il est difficile de s’apercevoir de sa présence dans un étang ou une rivière. La tanche fraye de mai à juin ; l’incubation ne dure jamais plus d’une semaine, quelquefois moins. Elle fixe ses œufs aux herbes qui bordent les rivières et les étangs où elle se trouve; c’est de préférence aux carex qu’elle attache ses pontes; ses œufs, très- petits, sont toujours en grand nombre; elle se nourrit de mollus- ques, de vers, d’insectes, et surtout de boue, où elle trouve des débris organiques, c’est ce qui fait que dans tous les réservoirs on peut conserver des tanches sans être obligé de les nourrir. La tanche se pêche à l’aveneau, au carrelet, à l’épervier, à la seine, à la ligne, à la trouble, etc. En l’église de Mürs, canton des Ponts-de-Cé, on voyait une statue de sainte Tanche, aux pieds de laquelle on venait de fort loin prier aux xvn° et xvin‘ siècles. Les pèlerins déposaient sur son autel, si c’étaient des cultivateurs, un poids de lin ou de chanvre ; les moins riches, une quenouillée. Ces offrandes étaient la rémuné- ration du prêtre, qui disait un évangile en présence des pèlerins. Chaque fois qu’un pêcheur venait en pèlerinage à l’autel Sainte- Tanche, il y déposait un filet, dans lequel ne se trouvaient que des tanches qui ne tardaïent point à figurer sur la table du curé !. Je ne sais si dans l’église de Mürs la piété pour sainte Tanche est moins grande ; mais ce que je sais, c’est qu’on a trouvé sa statue, œuvre de Leysner, indigne d’entrer dans la nouvelle église construite il y a quelques années, et pourtant cette statue était un chef-d'œuvre, auprès de celles qui ornent les autels de cette église. 1 Notes de l'abbé Bodin, curé de Mürs. — 235 — GENRE CARPE. cYPRINUS (Linné). Les espèces de ce genre se font connaître par leur nageoire dor- sale, qui est longue et à rayon épineux, tandis que la caudale est courte, par leurs grandes écailles et . Aer 969 | Saumon.................... 250 sou fard esse Le ASE NE 267 2 SAT pop Ant be HE 243 FOR ROLE rt EE 225 G. Manches es MNT Tente 233 GADIDES RETIRE EMEA 9295 Truite DONO CO NN OO 0) D 252 GANOÏDES 48 6-2 RENE 269 Gardon, 25, RME Tant 245 MALO Re SE UE ENTER 249 GASTEROSTÉIDES ..........4. 216 NET D CORRE NOR 247 Goujon. 66 LUE ER 229 PirSONP TR ES NER nee 242 NÉCROLOGIE. La Société Linnéenne a perdu depuis la publication de son dernier volume, trois de ses membres correspondants : M. Boucher de Crèvecœur de Perthes, correspondant de l’Institut; M. Bodin, directeur de l’école d'agriculture de Rennes et le docteur Blatin, vice-président de la Société protectrice des animaux. RE #1 ART die UNE LE CPR UMR PRE OE" sel START TT 3 Î -h à AE LE Fos FO dy À L , GuxrE. Le LEE 2 LR ion no a 144 + VER FaQ set HAS AN 2 > PE" LE CEE à ES Te 4 hu 0] AT AE. TABLE DES MATIÈRES contenues dans le XI° volume DES ANNALES DE LA SOCIÉTÉ LINNÉENNE DU DÉPARTEMENT DE MAINE-ET-LOIRE, Liste des membres de la Société Linnéenne de Maine-et-Loire ........ Des agaries à forme pezizoïde et de leur développement, par M. J. DE SPATÉbLoococvo boston non bon loroscebsbadodopoooden Observations sur les Ichneumons et sur quelques espèces du genre Rhyssa, par M. COURTILLER..................................... Du genre Meioceras, par M. L. DE FoLIN............................ Les hybrides de la gourde, par M. Cx. NAUDIN...................... Lièvres, lapins et léporides, par M. EUGÈNE GAYOT................... Les noms des oiseaux expliqués par leurs mœurs ou Essais étymo- logiques sur l’ornithologie (suite), par M. l'abbé VincELor.......... La Seiche commune (Sepia communis), par M. E.-S. DeziDon.......... Les grands naturalistes français au XIX° siècle (Blainville), par M BOURGUIN.- eee simon eee se eele sie eee eacseeeseeseseee: Question d'hygiène et de diététique à propos d’une lettre de Pétrarque, par M. le Dr P. MABILLE.....................e.sesesssesseses. Note sur les fruits et la germination des graines de l'Anona cherimolia, par M. H. BAILLON..................... TRE NN enee le ete ia ele sie la iehete A Note sur une variété de l'Hedera helix (L.), par M. Aïmé DE SOLAND.... 109 — 280 — Expérimentation d’un nouvel appât pour la pêche de la sardine, par M. E.-S. DELIDoN......., Me leon se eee ne ee 177 Considérations sommaires sur l'intérêt que présente l'observation des actes accomplis par les animaux à des époques périodiques et sur l'utilité de la publication de faunes locales, par M. Auc. Dumérir.... 184 Étude sur les poissons de l’Anjou, par M. Aimé DE SOLAND............ 189 Nécrologie : 4 Seal eee ER EE Ce che IS DU TER 271 Angers. — Imp. P. Lachèse, Belleuvre & Dolbeau. — 1869.