A 6 ERA CE er D Er nue SE De CE Rp É NÉE ES x = PR nn à #3 $ CA NEC PAR ARAANARAANARANRARAAARRARAARANNANRNNIN nice à) ré ANNALES SOCIÉTÉ LINNÉENNE DE MAINE ET LOIRE 143, 14, 15% ANNÉES ANGERS, IMPRIMERIE DE LAINÉ FRÈRES, RUE SAINT-LAUD, 9. VV Ve Va za Va Ve a a a a a a a ne a a A ne es 2 0 200 000") Pa\ PVAVAV NV a Va Va Va a a Va a a a a a a ae 22 202040000000) An AOL: TA8127;-218 79. S PP VS NNSYNNININSNINININSNSSININS SNS NIV NN NS NNINNINS TER s … SSP SIIISNSSSSSISSSSIS ISSN SSP SAINS SNININNINI NS SINSPISISSSS SSI SSII S SNS SSII SANS Né PDC ANNALES DE LA SOCIÉTÉ LINNÉENNE “HW FR at LT CURE TEE saxs < he ANNALES DE LA SOCIÉTÉ LINNÉENNE DE MAINE ET LOIRE TES POTAETDEPANNÉERS ANGERS, IMPRIMERIE DE LAINÉ FRÈRES, RUE SAINT-LAUD, 9. ASP AO UNIT, eo . Pre > ; Gare Line AU # ve pe CRE PA Er, A DE -L'ESPÈCE Les questions qui concernent l'Espèce, soit dans le règne végétal, soit dans le règne animal, sont des questions très-com- plexes, et d'autant plus difficiles à traiter aujourd'hui, que les camps les plus opposés sont en présence. Le naturaliste consciencieux doit donc, avant de prendre un parti, s’éclairer et ne rien avancer qui ne soit fondé sur l’expérience et l’observa- tion. La plus simple question en histoire naturelle, dès qu’on veut l’approfondir, peut prendre parfois, comme nous allons le voir, des dimensions plus étendues qu’on aurait pu le supposer de prime-abord. Le travail préparatoire dont je m'occupe, avant d'aborder la question du pin sylvestre (Pinus sylvestris, Lin.), me semble nécessaire; je dirai plus, il est indispensable, parce que chaque naturaliste expliquant les mots à sa manière, il n’est plus possible de se comprendre, et nous retomberions sans cesse dans des discussions classiques qui ne serviraient qu’à faire rétro- grader la science, au lieu de l’avancer. Je vais donc chercher à rendre aux mots individus, espèces, races et variétés, leur juste valeur constatée par les faits basés sur l'expérience et l’obser- vation. Je pense qu'après ces explications la monographie du pin sylvestre que je me propose de faire, sera claire et précise, et que s’il s’y glissait quelques erreurs, les bases positives que je vais établir permettront toujours de les rectifier. La mutabilité de l’Espèce, sur laquelle le savant Darwin 8 fondé sa théorie, qui nous explique, par des métamorphoses successives, d’une ou de plusieurs molécules primordiales, la 1 formation de tous les êtres organiques, depuis le zoophyte jus- qu’à l’homme, a été prônée par les uns et bien combattue par les autres. Flourens ne partage pas cette opinion. Cuvier et plusieurs géologues célèbres ont constaté que si, dans la nuit des temps, il est des espèces perdues, il en est aussi dent l’identité a été bien reconnue par leurs formes caractéristiques analogues avec les espèces vivantes présentement. Les cavernes d’ossements fossiles, les falunières, les lignites, les tourbières et les houillières procurent à l’histoire naturelle le manuscrit le plus ancien, dans lequel tous ces faits inscrits en gros caractères, sont irrécusables, et me font, jusqu’à preuves contraires, admettre l’immutabilité de l'espèce. Les faits avancés par M. Darwin n’ont jamais prouvé la transformation d’une espèce dans une autre; et son système de sélection naturelle n’aboutit qu'à produire dans l’espèce quelques variations obte- nues, soit par les influences climatériques, soit par l’hybridation ou par le métissage. Ces diverses causes conservant toujours à l'individu créé ses formes caractéristiques, et ne modifiant jamais en lui que ses formes secondaires, le célèbre naturaliste anglais se trompe dans sa manière d'envisager les choses, et nous démontre clairement qu’il confond la variabilité, avec la muta- bilité, deux effets complétement différents. M. Lefèvre, en parlant de la variabilité de l’espèce, prouve que les traits qui caractérisent l'espèce créée se sont conservés à travers les âges ; et nous a bien démontré d’après l'expérience, qu'ils se transmettent aussi bien pour les plantes que pour les animaux. Le célèbre Muller avait reconnu avant lui cette vérité, lorsqu'il avait dit : Quand l’individu procrée, c’est toujours sous l'empire des lois qui régissent l'espèce en général; et qu'il a ajouté que l'espèce crée l'individu à son image. Si les dépôts lacustres, les cavernes d’ossements fossiles, les tourbes, les alluvions, ont conservé des débris d'espèces végé- tales et animales qui n’ont pas changé depuis des siècles, ils ont aussi conservé des espèces que les températures et les miheux n’ont nullement changées. De Candolle remarque que la plupart des végétaux du nord de l'Amérique peuplaient déjà ces contrées dès l’époque du Mastodonte. Les cavernes d’osse- ments fossiles nous ont montré l'homme des temps primitifs contemporain du mammouth , de l'ours des cavernes et autres espèces éteintes; et cependant les débris d'après lesquels on peut juger de son existence ne révèlent aucune modification subie dans le cours des siècles écoulés, quoique dans ces contrées les conditions de vie où sont enfouis ces restes n'étaient pas à cette époque ce qu'elles sont aujourd’hui. Ce qui a le plus contribué à donner crédit à la mutabilité de l'espèce, est la conviction dans laquelle l’homme se trouve, lorsqu'il se croit le droit de créer des races. L'homme, qu'il le sache bien, n’a jamais rien créé; 1l ne fait que favoriser les actions de la nature, en changeant les conditions de vie de l'in_ dividu. C’est ainsi que la température, le sol, l'humidité, la nourriture y déterminent des variétés légères, tandis que les croi- sements des différentes espèces ou races, mélangées entre elles, y déterminent les hybrides ou les métis auxquels on donne impro- prement le nom de races et d'espèces, comme si les races et les espèces ne dataient pas de la création du monde. Nous devons donc, avant d'aller plus loin et d'aborder cette question, nous demander si réellement l'espèce existe dans la nature. Les Américains qui contestent le fait, n'y reconnaissent que des individus différents les uns des autres par des caractères plus ou moins sensibles. Cette mamière de voir admissible, quant à l’en- semble de la création, ne peut l’être quant au détail; parce que si l’ensemble des individus représente la grande chaîne orga- nique, l’espèce en représente Îles divers chaînons. Ce qui amène la confusion qui règne aujourd'hui parmi les naturalistes, vient des fausses définitions données aux mots individus, espèces, races et variétés. Il me faut donc, pour être bien compris, donner à chacun de ces mots leur véritable signification. 1° L’Individu représente, en Zoologie comme en Botanique, des êtres formées de parties relatives définitivement arrêtées, qui constituent le sujet lui-même et ne pouvant disparaître que par sa dissolution ; en un mot, c’est le type primitif établi sui. vant le plan de la création. 2 _ [a Race est une variété constante de l'individu qui se conserve par la génération ; elle comprend différents types origi- nairement créés dans une même espèce d'individus ; en un mot, elle date de la création comme lindividu. L'homme s’abuse HPARERE TA lorsqu'il croit que c’est à lui qu’appartient le droit de les former. Les races datent de la création et la création ne lui appartient pas. Son génie et ses méthodes n’aboutissent qu’à former des hybrides ou des métis qu’il obtient par l’accouplement d’es- pèces ou de races typiques primitives croisées entre elles. Ce qui le prouve, c’est que toutes les hybridations ou métissages que nous obtenons, lorsque nous les abandonnons à eux-mêmes, retournent toujours dans un laps de temps plus ou moins long aux espèces ou races primitives qui les ont fait naître, ou, dans ie cas contraire, donnent des sujets généralement dissemblables entre eux. . Richard, botaniste distingué de l’école positiviste, a dit : « Il y a certaines variétés constantes et produisant toujours avec les mêmes caractères par le moyen de la génération. C’est à ces variétés constantes qu’on a donné le nom de races. » Mais il n’en a pas conclu pour cela, comme M. de Quatrefages, que l’homme a le pouvoir de créer les races. 3° — L’Espèce n’est rien par elle-même; elle n’est que rela- tive aux individus et aux races. Elle sert à les réunir ou à les séparer entre eux, suivant qu'ils sont de même nature ou de nature différente. Elle nous fait voir les caractères communs par lesquels ils se distinguent de tous les autres groupes d'individus du même genre. C’est le plus bas échelon de nos classifica- tions. En parlant de l'Espèce, Morton l'appelle : « Une forme orga- nique primordiale, » et son élève Nott dit : « l'Espèce est un iype ou une forme organique qui est permanente, ou qui est restée sans changements pendant des siècles, sous des influences climatériques posées. » Cette manière d'envisager l’espèce nous prouve évidemment qu’ils confondent le mot espèce avec les mots individus, espèces et, races créées, qui seules conservent toujours leurs caractères spécifiques à travers les générations, sans pouvoir sortir du type dans lequel elles ont été conçues dans l’origine des temps. &° — La Variété n’est qu'une simple modification de l'indi- vidu considéré comme espèce ou comme race, due soit à la cause créatrice, soit à des causes accidentelles qui, bien que capables de se perpétuer, offrent des caractères particuliers, souvent passagers, qui ne portent guère que sur la grandeur, les formes et la couleur. Ces modifications, lorsqu'elles sont dues à la création, sont toujours constantes et héréditaires. Elles ne sont jamais qu’accidentelles et passagères lorsqu'elles sont dues aux influences climatériques, à la température, à la nourriture, à l’hybridation et au métissage. Aussi, dans ces cas, revient-elle ou tend-elle toujours à revenir dans un temps plus ou moins long, aux individus typiques espèces ou races dont elle dérive. Nous desons donc envisager la variété sous deux points de vue différents et bien déterminés : ° La variété primitive ou la race créée dès l’origine , qui est toujours constante et héréditaire , conservant son type d'espèce sans jamais en changer , ni en sortir. 20 La variété ou race secondaire produite par des causes acci- dentelles. Cette variété toujours inconstante, qu'elle soit héré- ditaire ou non, revient ou tend toujours à revenir dans un temps plus ou moins long aux types primitifs qui l'ont formée. Il résulte de là : 1° que la fécondité constante et continue dénote les 1ypes individus de la création, espèce ou race ; 2° Que la fécondité non-constante et continue dénaturant les races , ou revenant aux types primitifs dont elles sont sorties, dénote la race secondaire ou le métissage ; * 3° Que la fécondité non-constante et discontinue dénote l’hybridation. 4° Que la fécondité qui ne détermine dans l'individu que des disproportions dans ses dimensions et dans la nuance de ses couleurs , n’est qu’une simple variété due à l’action des milieux dans lesquels il vit ; aussi tend-il toujours dans ce dernier cas À revenir à son état primitif, du moment que l’action des milieux vient à cesser. Buffon est le premier qui, dans son plan général, ait dit : « Il n'existe réellement dans la nature que des individus , et les genres , les ordres , les classes n’existent que dans notre ima- gination. » Il dit ailleurs : « La nature ne connaît pas ces préten- dues familles , et ne contient que des individus. » Adanson qui cite ces passages ajoule que l’on doit conclure que la nature n’a pas établi cette division qu’on suppose des trois règnes , non plus que les classes , les genres , les espèces qui n'existent que dans notre imagination. D’après ces définitions , l'individu doit donc être considéré d’abord dans son état d'espèce , puis dans son état de race , puis enfin dans son état de variété. L'individu typique , dès son apparition sur le globe terrestre, forme l'espèce lorsque ses points caractéristiques ne diffèrent pas foncièrement entre eux. Le mot race lui convient et doit rempla- cer le mot espèce, lorsque ses caractères , tout en différant plus ou moins entre eux, conservent un certain lien d’affinité et de ressemblance ; que les modifications qui les séparent sont peu sensibles , et que leurs caractères essentiels ne l’ont pas fait sortir de l’espèce. Voilà justement ce que nous observons pour les loups , les chiens , les tigres , les chats, etc., qui sont des indi- vidus typiques créés d'espèces différentes , qui renferment elles- mêmes des races créées que la nouvelle science considère arbi- trairement comme des variétés. De même que les individus espèces, les individus races ont été créés et ont recouvert simultanément , ou à diverses époques, le globe terrestre, et ce qui le prouve , ce sont les différences qui existent entre toutes les races d’une même espèce suivant telle ou telle partie du globe qu’elle habite. Chacune de ces races reproduit toujours entre elles des individus purement identiques ; tandis que le mélange de ces mêmes races entre elles dénature toujours les types primitifs des races qui les ont produits ; et que leurs descendants ne sont jamais constants, et tendent toujours, lorsque nous les abandonnons à eux-mêmes, à ramener les métis comme les hybrides aux types primitifs des races qui les ont formés. Ce qui embarrasse la science aujourd’hui, vient de la confusion que l’on à faite généralement du mot race avec les mots hybridation et métissage. C'est ainsi qu’on a confondu de nos jours l'individu typique avec ses variétés, et que les natura- listes égarés dans une fausse voie n’en peuvent plus sottir, à moins de rendre à chacun de ces mots leur véritable signification. Les individus se distinguent en espèces différentes, et les espèces analogues ou presque semblables susceptibles de repro- duire entre elles, sont les races vraies ou créées. Ces races , tant qu'elles ne sont pas croisées ou mêlées entre elles, conservent toujours leur caractère de race primitive ; tandis que les races secondaires , ou celles formées par les hybridations ou les métis- sages , reviennent généralement dans un laps temps plus ou moins long aux types des races primitives dont elles dérivent. Voilà ce qui fait que l'espèce ne peut que varier, et qu'elle ne peut jamais passer dans une autre. Le temps et les milieux n’ont qu'ane action très-faible et très- restreinte sur les variations que subit l'espèce. Ce sont les hybri- dations et les métissages qui influent le plus sur les variétés que nous observons dans la nature , tant pour les plantes que pour les animaux. Les espèces d'individus créés qui renferment des races créées sont, par suite, les espèces qui, pouvant le plus facilement produire entre elles, dennent le plus grand nombre de variétés. \ Le botaniste qui soutient aujourd’hui que le poirier commun (Pyrus communis) est la souche commune de toutes nos espèces de poires , est dans l'erreur ; car nous connaissons dans nos bois de Sologne une autre espèce , race également sauvage , le poirier cordiforme (Pyrus cordata) que j'ai rencontré en 1865 sur plusieurs points du département du Loiret. D’autres espèces également sauvages et du même genre, tel que le poirier cognassier (Pyrus cydonia) , qui croît à l’état sauvage dans nos provinces méridio- nales et plusieurs autres espèces également sauvages qui se ren- contrent dans d’autres pays, doivent être considérées comme autant de races primitives qui ont, par leurs divers croisements et la bonne culture, donné lieu aux cent variétés reconnues au siècle dernier par Duhamel. Aujourd’hui , le catalogue de la société de Londres en élève le nombre à plus de six cents; ce qui nous prouve la multitude des métissages que l’on a pu obtenir depuis le siècle dernier. M. Devaisne a cru pendant longtemps, avec raison, qu'il existait plusieurs espèces de poiriers dont étaient sorties toutes nos variétés. Mais entraîné par les illusions de notre époque, il a cru devoir , pour suivre la made du jour, ramener à une espèce typique unique , les races qu'il avait d’abord regardées , à juste titre ,,comme des espèces. Ce que je viens de dire du poirier , je puis le dire du pommier qui est également une espèce comprenant , dans le centre de la France , deux espèces sauvages, le pommier commun (Malus communis) et le pommier acide (Malus acerba). On connaît en outre quelques races américaines. Ce sont de ces différentes races du pommier prises comme races-mères que sortent toutes nos variétés , dont la culture a su tirer tant de parti. Suivant certains auteurs la vigne présenterait plusieurs espèces. Ce fait me semble incontestable , puisque sur différents points du globe , nous y rencontrons des espèces complétement dissem- blables , tant pour le feuillage , que pour le fruit, la couleur et le goût. Cependant les partisans de la mutabilité de l'espèce , pour faire triompher leur cause, n’admettent qu’une espèce, le Vitis vinisfera qu'ils croient originaire d'Asie. Le comte Odard , dans son Ampélographie universelle , porte environ à mille les cépages se produisant par bouture. Mais il y reconnaît en outre quelques races dont certaines variétés, se perpétuant par semis , nous démontrent clairement qu’il y a dans cette espèce des races typiques , comme il en existe dans beaucoup d’autres genres et familles. Il ne faut donc pas se le dissimuler, et nous pouvons le dire hardiment , ce sont nos éleveurs modernes qui , moins naturalis- tes qu’agriculteurs et horticulteurs , ont étouffé et abâtardi la science. Ce n’est pas dans les espèces améliorées qu'il faut chercher les types primitifs, mais bien dans l’état sauvage qui est le véritable état de nature. Ce n’est que là que se rencontre l'individu typique de la création , et on l'y rencontre générale- ment suivant sa localité spéciale , ou son lieu d'apparition sur le globe. M. de Quatrefages , pour nous prouver que les races se créent sous l’influence des milieux , nous fait remarquer que l’escargot , l’Hélix pomatia, grâce à une nourriture particulière, acquiert une grosseur exceptionnelle ; que l'Hélix lactea , transportée d'Espagne en France, diminue de taille ; et que portée en Amé- rique, elle devient aussi plus petite, et de plus change de couleur. Tous ces changements , à mon avis, ne constituent ni des races ni des espèces comme il l’admet ; ilsne constituent que de pures et simples variétés de l’espèce ou de la race ; et voilà tout ce que nous pouvons accorder aux influences des milieux, beaucoup trop vantées depuis quelques années. L'espèce admise, tout n’est pas résolu, une nouvelle question se présente, la plus difficile et la plus compliquée de toutes : celle de savoir où elle commence et où elle finit. Si nous compa- rons nos anciens catalogues à ceux qui existent aujourd'hui, nous sommes surpris de la multiplicité des espèces nouvelles non décrites par les anciens auteurs. Est-ce à l’incurie des Linnée, des Cuvier, des Lamarck, des Candolle et de tant d’au- tres illustres anatomistes et botanistes qu’il faut en attribuer la cause ? Assurément non. La vraie cause provient de ce que l’in- dividu s’il n’est pas mutable est variable, comme tout ce qui existe sur notre globe; parce que, depuis l'origine du monde, tout y est incontestablement soumis aux influences des corps environnants qui servent à propager et à entretenir la vie. Ainsi la température, le climat, le sol et la nourriture tendent à faire varier l'individu ; mais ces causes seules ne sont pas suffisantes pour en changer les caractères mêmes les plus accessoires. Le croisement des individus typiques espèces ou races, est non- seulement nécessaire mais indispensable. Ce qui depuis longtemps a donné crédit au Darwinisme, est cette confusion constante que l’on a faite dans ces derniers temps en confondant journellement les espèces ou races typiques avec les variétés hybrides ou métis. L’individu variant, chaque variété nn peu tranchée a reçu indifféremment les noms d'espèce ou derace; et la variété étant inconstante, cette mauvaise appli- cation des mots espèce.et race qu’on lui a substitués, a conduit à faire croire à la mutabilité de l'espèce. L'individu seul n’est pas mutable, parce que l'individu représente l’être créé. Quant à l'espèce ou à la race, elles ne sont pas plus mutables lorsqu'elles représentent l'être créé ; mais nous pouvons supposer qu’elles le deviennent dès qu’elles se trouvent improprement substituées au mot variété, parce que les variétés se forment journellement sous nos yeux, soit par les croisements, soit par l’acclimata- tion. En parlant de l’espèce race, Virey disait en 1819 : « La terre n'est plus maintenant ce qu’elle fut dans les temps anciens, nous marchons sur les ruines du monde antérieur ; et à consi - dérer la misérable et frêle existence de plusieurs races, il est à croire qu’elles s’éteindront un jour et qu’il ne restera même, sur la surface de la terre, aucun monument qui puisse retracer aux siècles futurs leur antique existence. » La science admet encore de nos jours cette vérité; mais plus loin il ajoute : « Les con- tinents n’ont point été ce qu’ils sont aujourd’hui, et les mers qui séparent les iles de la terre ferme, n’ont pas toujours existé de la même manière, En effet, comment des quadrupèdes sau- A0: = vages, des races purement terrestres, auraient-elles pu, traversant le vaste empire des mers, venir peupler les îles les plus éloi- gnées ? Qui aurait transporté l'Orang-Outang à Bornéo ; le Phi- landre à Surinam; le Potaréo à Java; la Mémine, petit chevrotain, à Ceylan ; l'Aye-aye à Madagascar, etc., tandis qu’on ne trouve aucun de ces mêmes quadrupèdes naturalisés dans les conti- nents voisins ? Comment ces espèces qui pourraient à grande ‘ peine nager l’espace d’une lieue, auront-elles traversé cent ou deux cents lieues de mer pour aller échouer dans quelques îles désertes ? Si l’ancien monde avait fourni ses animaux à l’Améri- que, nous devrions donc trouver ces espèces communes aux deux hémisphères ? et l’on sait cependant, à n’en pas douter, qu'aucun quadrupède des plus chaudes régions de l’Amérique ne se trouve dans l’ancien monde. Chaque animal, chaque plante, ont donc été créés dans leur propre patrie ; ils n’ont traversé ni les mers, ni les continents ; tout au plus se sont-ils répandus sur les bords de leur patrie; mais aucun n’a pu émigrer au loin et abandonner entièrement la région où il avait pris naissance, et où sa conformation était appropriée à la nature de cette région. » Puis il continue et dit: « D'où vient donc la population des plantes, des arbres, des quadrupèdes, des reptiles, des vers, ete., dans les îles éloignées de toutes terres, et dans l'Amérique, si ces productions n’ont pu traverser les déserts de l'Océan, et si nulle autre contrée du globe ne présente les mêmes espèces de végétaux et d'animaux? Elles ont donc été créées sur le sol même qu'elles habitent, et y sont toutes nées ensemble. » L'être, nous ne pouvons plus nous le dissimuler aujourd’hui, a été créé, non sur un seul point du globe, mais bien comme tout le prouve, simultanément, ou à diverses époques, sur différents points. La géologie nous a fait voir que, dès l’origine, des individus différents, variés ou même semblables, ont recou- vert toute sa surface et que plusieurs d’entre eux ont obtenu, depuis, des modifications plus ou moins sensibles. Lorsque nous examinons les différentes cartes géologiques, nous y trouvons la confirmation des faits ci-dessus énoncés ; et nous sommes forcés d’y reconnaitre que, dès l’origine , sur les points les plus rapprochés, comme sur les plus éloignés, nous y retrouvons enfouis des individus soit différents, soit analogues etats qui y ont vécu dès le début de la création. Les faunes et les botariques actuelles nous représentent également aujourd’hui les lieux les plus éloignés de même que les plus rapprochés du globe terrestre, habités par des animaux et des plantes de mêmes espèces ou d'espèces différentes, qui n’ont obtenu que peu ou point de variations, quoique soumis depuis des siècles à l’action contraire ou semblable de la température , du climat et du sol. Ces influences seules n'étant pas suffisantes, il faut admettre que certains croisements, joints à l'action des milieux, doivent entrer pour quelque chose dans la multitude des êtres que nous observons chaque jour, et probablement à des causes encore inconnues qui échappent à nos observations. L'homme, nous le savons, a le pouvoir, en modifiant certains individus, de créer ce que les uns nomment improprement espèces et les autres races. Mais comment l'homme crée-t-il ces nouvelles espèces ou races ? C’est par des croisements effectués entre différents individus qui ont plus ou moins d'affinité entre eux. Or, il résulte de là que le croisement de certains indi- vidus joint à l'action des milieux peut, sans en changer les caractères spécifiques, en modifier les formes. Les changements, survenus par suite dans le nouvel être , constituent , non pas un nouvel individu, mais bien une variété hybride, si la fécondation n’est ni constante, ni continue ; ou métis, si la fécondation est inconstante et continue dans une limite plus ou moins étendue- L'histoire des voyages nous montre également l’origine locale des plantes et des arimaux, par les découvertes graduelles des différentes parties du monde. Les faunes et les botaniques inhé- rentes à chaque localité, nous font voir clairement l'apparition simultanée des différents individus qui ont recouvert notre globe aux diverses époques. C’est ainsi que nous avons retrouvé des individus d'organisations opposées, et d’autres parfaitement identiques, habitant en même temps les tropiques et l’équa- teur. Mais de ce que l'individu ait été créé et conçu dès l’origine, l’on ne doit pas en conclure qu’il est invariable. Ce serait une erreur d'autant plus grande qu'il est prouvé qu'il varie et tend à un changement dans ses formes accessoires ; mais que son prin- cipe primitif dans ses formes caractéristiques ne l’abandonne 2) pd jamais entièrement, c’est-à-dire que l'individu ne peut pas passer dans un autre. Quant à l'espèce qui ne sert qu’à distinguer les différents individus entre eux, elle change pour nous quand l'individu vient à modifier ses caractères. Ainsi pour les faunes, les genres chiens, loups, chats, etc., sont des espèces qui ren- ferment différentes races, qui ont donné , par leurs croisements, naissance à une multitude d’hybrides ou de métis, qui ont fait croire à un plus grand nombre de races qu’il n’en existe réelle- ment pour chacun de ces genres. Pour les botanistes, les genres viola, rosa, hieracium, etc., renferment également des races qui ont donné lieu à une multitude d’hybrides ou de métis, qui ont fait admettre beaucoup plus d'espèces qu'il n'y en a eu de créées dans le principe. Que l’homme ne se croie pas seul le droit de modifier la na- ture ; ce qu'il fait, la nature le fait avec lenteur, et son travail n’en est que plus durable. Chacun des genres a dù apparaître dès l’origine avec un nombre plus limité d'espèces que nous n’en comptons aujourd'hui. Ceci est prouvé par la comparaison des faunes et des flores des temps passés avec les nôtres. C’est ce que nous observons en entomologie lorsque nous comparons entre elles certaines espèces de coccinelles, qui donnent sept ou huit variétés que certains auteurs ont considérées comme autant d'espèces. C’est ce qui a été observé dans nos forêts où l’on a rencontré parfois des métis provenant du sanglier et du cochon; et ce que nous pouvons observer dans nos flores, lorsque nous considérons les genres viola, rosa, hyeracium et verbascum, enfin ce que j’ai reconnu moi-même dans nos forêts, pour les pinus sylvestris, les quercus et les betula. L'homme se complaît à compliquer la nature plus qu’elle ne l’est réellement , et il ne faut passe le dissimuler , il y a bien moins d'individus que d'espèces décrites dans nos catalogues. L'indivi- du est l'être créé, tandis que l'espèce se crée tous les jours sous nos yeux. Chaque modification de l'individu a donné lieu à une variété nouvelle à laquelle on a donné le nom d'espèce; et la multiplicité d'espèces n'a fait jusqu'ici qu’obseurciret embrouiller la science. C’est ainsi que , chez certains animaux , une simple différence observée dans le crâne, dans l'os frontal, dans les mâchoires ou dans les membres, a suffi pour constituer des ER UERT I espèces, quoique ces déformations chez l’homme , comme chez le chien et bien d’autres animaux , n’ont jamais été prises en considération pour y établir des espèces. Nous pouvons donc conclure de tout ce qui précède que l’espèce, telle qu’elle est conçue aujourd'hui par nos éleveurs modernes, est susceptible de changer, mais que l'individu seul n’est pas mutable. Les méthodes sont indispensables en histoire natureile, et il était nécessaire à l’homme d'établir des groupes, des classes, des ordres et des familles , ainsi que de déterminer les espèces et les variétés. Mais comme il ne lui était pas donné, de pouvoir résoudre immédiatement toutes les difficultés qui se sont pré- sentées , pour fonder ces méthodes artificielles , les naturalistes se sont tantôt plus , tantôt moins rapprochés de la véritable voie dans laquelle la nature a été conçue. Les points de ressemblance constatés entre plusieurs individus ont déterminé leurs rapports ou leur parenté , suivant les diffé- rents degrés d’affinité qu’on leur a reconnus. Différentes méthodes ont été établies sur ces données , et selon qu’elles ont été plus ou moins bien conçues relativement à la détermination des individus considérés comme espèces, races et variétés, il en est résulté pour notre époque une source d'erreurs. On discute rarement sur le fond de la science même , parce qu’elle est basée sur l’expérience des faits naturels ; mais bien sur les méthodes , parce qu’elles appartiennent entièrement à l'esprit humain. Virey a observé que, dans le principe, on a admis que tous les individus qui ne seront pas constamment différents entre eux seront des espèces ; et 1l nous fait voir l’écueil de cette règle lorsqu'il passe en revue les différentes races de chiens, telles que les dogues , les bassets, les épagneuls , les bichons, les lévriers , les braques , les barbets , les mâtins , etc., s'appuyant sur le principe admis qu'ils produisent entre eux des individus mixtes qui peuvent engendrer eux-mêmes, ils sont et doivent être considérés comme une seule et même espèce. Mais il nous montre une autre difficulté , lorsqu'il nous parle du mulet, pro- duit de l’âne et de la jument. D'après M. de Quatrefages, si l’union du mulet avec la mule n’a rien produit depuis le fait mentionné par Aristote, nous savons que l’union de la mule avec le cheval LE NRE L ou l’âne est quelquefois féconde, quoiqüe très-rarement. Ce seul fait qui n’est en réalité qu’une simple anomalie de la nature suffirait dans ce cas pour constituer deux espèces. Cependant si nous profitons de l'expérience acquise de nos jours , nous remar- querons que , parmi les hybrides , les choses ne se passent pas toujours ainsi , car l’hémione peut féconder l'anesse et donner des produits capables de féconder des ânesses et des hémio- nesses. Les chèvres et les brebis donnent des produits féconds entre eux. Les léporides provenant de deux espèces distinctes, le lièvre et le lapin , donnent également des produits qui sont eux-mêmes féconds. Le tigre et le lion engendrent des produits inféconds. Parmi les oiseaux , uous voyons continuellement des métis, provenant du chardonneret et de la serine des îles Canaries , qui sont féconds , et parmi nos oiseaux vivant en liberté, nous avons vu des hybrides provenant de la perdrix et du tétras. M. Guérin-Menneville a vu parmi les invertébrés le ver-à-soie de l’ailante (Bombix cy2thia) produire avec le ver-à-soie du Ricin (Bombix arrindia), donner naissance à une suite d’hy- brides féconds qui, dans un laps de temps donné , sont revenus aux types primitifs. Certaines espèces de coccinelles forment également entre elles des hybrides. M. Godron a aussi reconnu et observé des hybridations chez les végétaux sauvages , tels que chez les gentianes qui croissent dans les prairies alpestres. Là , l’action humaine se trouve repré- sentée dans ce cas par celle des vents et des insectes, expéri- mentateurs involontaires. Il a aussi reconnu que l’œgilops tricticoïde est un hybride de l'œgilops ovata et du froment ; et que le blé œgilops est un hybride quarteron de l’œgilops tricticoïde. Le linaria vulgaris à fleurs jaunes qui s’hybride avec le linaria purpurea , à fleurs pourpres , a donné jusqu’à sept générations. Quant à moi , j'ai observé dans nos bois de Sologne, dans les parcs de l’'Emérillon et de Corme, appartenant à MM. de Tristan, l'hybridation naturelle des chênes quercus ceris avec le quercus pedonculata. Toutes ces observations fondées sur l'expérience nous prouvent combiez cette règle est arbitraire ,et d'autant moins sûre que nous n’y reconnaissons que des espèces plus on moins bien tranchées LEA TUE peuvent produire entre elles, et donner par suite, pour les hybrides , comme pour les métis, des générations qui ont plus ou moins de durée. Ces faits qui ne peuvent tendre à établir ni à déterminer l'espèce , peuvent nous servir à établir, par les différents degrés d’hybridation et de métissage , les différents degrés d'affinité qui existent entre les divers types d'individus, plantes et animaux qui constituent nos espèces et nos races primitives. Ces dévergondages de la nature , quoique lents et rares , suffisent pour embrouiller la science qui a de la peine à se reconnaître dans un pareil dédale. Le naturaliste doit donc, avant tout , avoir soin de déterminer exactement par l'étude et la comparaison, ce qui appartient à l'individu espèce et à l'individu race. Puisildoit en outretenir compte de leurs variations occasion- nées par leshybridations, les métissages etles influences climatéri- ques. C’est, jele répète, l’hérédité constanteet uniforme qui déter- mine l’espèce et la race créées. L'hérédité inconstante ou discon- linue constitue la variété proprement dite ou l’espèce et la race secondaire qui dérivent toujours du métissage, de l'hybri- dation ou des influences climatériques ; variété qui retourne par suite , dans un laps de temps plus ou moins long, aux types espèces ou races primitives qui l’ont fait naître, ou à des for- mes toujours inconstantes et irrégulières. Ces points de faits sont tellement vrais , qu’il n’est pas une race soi-disant créée par l’homme qui ne dégénère dès que ses soins ne lui sont plus donnés. Quant aux phénomènes d’atavisme qui se reproduisent toujours dans un temps plus ou moins long chez les métis, il est pour nous la preuve la plus évidente du retour aux types pri- mordiaux des races créées dont est sorti le métis , cette race secondaire n'étant réellement qu’une variété plus prononcée des races primitives dont elle dérive. Les faits d’atavisme nous prou- vent également que partout où elle le peut , la nature tend tou- jours à reprendre ses droits , et que les sangs des races primitives que nous mélangeons tendent à se séparer, Nos chiens de rues et nos chats de gouttières qui vivent librement , sont les preuves incontestables de l’abâtardissement des races créées. Dans la nature ,ils nous font voir à quelle confusion d'idées peuvert nous conduire toutes ces anomalies. Le métissage ne crée que des bâtards et rien de plus , et plus le sang s'y trouve mêlé, RAGE plus les races primitives deviennent méconnaissables, chacune d’elles perdant son caractère fixe et permanent. Voilà justement où existe la différence entre les races primitives qui datent de la création, et les races secondaires que nous obtenons par le métis- sage de ces mêmes races typiques. La dégénérescence des espèces et des races primitives, par leur croisement entre elles, est la plus grande preuve de leur fixité, puisque les hybridations retournent toujours aux types primitifs dans un laps de temps plus ou moins long ; et que dans les mé- tissages qui s’opèrent entreles races créées les plus homogènes , si elles n’y retournent pas dans un temps plus ou moins long, elles tendent à y revenir par les cas plus ou moins fréquents d’atavisme qui s’y présentent, et qu’elles dégénèrent toujours lorsque les soins de l’homme ne leur sont plus prodigués. Le chien lévrier peut varier , peut même changer lorsqu'il est couvert par un chien courant ; mais le lévrier pur sang engen- drera toujours le lévrier pur sang, et ne procurera jamais un seul cas d’atavisme parce qu'il est une race créée. Ce que je dis du lévrier jele maintiens pour l’homme. Le nègre pur sang donnera toujours naissance au nègre pur sang, de même que le blanc pur sang, donnera toujours naissance au blanc pur sang , sans jamais présenter un seul cas d’atavisme. Voici les faits que la science nous révèle , et toutes les fois qu'il s’opérera dans les espèces des retours à une autre espèce , et dans les races des cas d’atavisme , ce sera toujours une preuve évidente qu'elles ne sont ni espèces , ni races créées , mais bien de pures et simples variétés. Ces faits, nous ne pouvons le nier, prouvent plus ce qui est que la base arbitrairement fondée sur la fécondation qui, ‘ne reposant sur aucun fait rationnel , sera toujours regardée, par les vrais naturalistes, comme impossible à admettre de nos jours, où les faits, comme nous.l’a enseigné Descartes, doivent être mis à la place des mots. Comment, se fondant sur un caractère aussi vague que la fécondation, fait-on une mème espèce du loup et du chien, de même que l’on a fait une même espèce du carlin au crâne rac- ‘Courci, au museau tronqué, au corps ramassé, ayant quatre doigts aux pattes de derrière ; avec ces grands lévriers, au mu- seau long, au corps élancé, ayant cinq orteils au lieu de quatre, = AT — aux pattes de derrière? Cette dissemblance frappante caracté- rise mille fois mieux les races dans l'espèce canine que toutes les fécondations possibles ne peuvent y établir l'unité typique que l’on cherche en vain à y maintenir. Ce qui constitue la race eréée dans l'espèce, est la persévérance indéfinie du type dans l’acte de la reproduction. Le lévrier pur sang est race créée, parce que tant qu'il se reproduira entre lévriers pur sang, il n’en sortira jamais une race de carlin, de même que le carlin pur sang n’engendrera jamais une race quelconque de lévrier. De ce que le chien et la louve ont produit entre eux quelques généra- tions ; de ce que le tigre et Le lion ont produit entre eux des hybrides non féconds, l’on ne peut déduire comme conséquence qu'ils sont ou non d’une même espèce. Ce ne sont que des ano- malies de la nature qui nous constatent les différents degrés de métissages ou d’hybridations qui existent entre les différents types spécifiques de la création; effets qui se gouvernent suivant les différents degrés d’affinité plus ou moins attractifs qui exis- tent entre ces différents individus , et rien de plus. M. P. Broca, anthropologiste distingué , a observé que, dans les métissages humains , deux influences simultanées et souvent opposées de la famille et de la race, compliquent beaucoup la question de l’hérédité. Il regarde que cette question devient encore bien plus complexe dans les pays où la population est issue du croisement de diverses races. Il s'établit alors entre les divers éléments ethniques, une sorte de lutte aboutissant à un partage irrégulier, et, tandis que certains individus subissent presque exclusivement l'influence de l’une des races altérée, d’autres, en général plus nombreux, empruntent à chacune d'elles quelques-uns de leurs caractères. Il a remarqué en outre que presque toujours, cependant, dans ces mélanges ethniques, il y a une race qui prédomine par le nombre, et qui finit par exercer sur les produits du croisement une action prépondérante. À chaque nouvelle génération, cette race qui est le plus souvent la race indigène, attire vers son type un nombre croissant d'individus ; et en absorbant ainsi peu à peu les autres races, elle peut ramener, à la longue, la, population croisée à un état peu différent de celui qui a précédé le croisement. Jamais toutefois, elle ne recouvre sa netteté pri- 2 2e ho mitive , à moins que le mélange n'ait été fort léger et très- passager ; et même alors l'influence de l’atavisme peut faire reparaître çà et là , au bout d’un certain nombre de générations, quelques-uns des traits d’un type primitif depuis longtemps oublié. Ce tableau du métissage de la race humaine que nous donne M. P. Broca, établit donc d'une manière nette et précise la distinction que J'établis moi-même, entre la race typique pri- mitivement créée et toutes les fausses races que je nomme secon- daires , qui ne sont généralement dues qu'aux croisements que nous opérons entre nos différentes races primitives botaniques ou zoologiques. M. de Quatrefages , lui-même , avoue que les traces acquises par l’action de l’homme tendent à s’effacer, tandis que les caractères dus aux actions naturelles tendent à se prononcer de plus en plus. Autrement dit, les caractères acquis par la culture ou la domesticité feront place jusqu’à un certain point aux caractères naturels, en sorte que l'animal ou le végétal, redevenus libres, se rapprochent toujours plus ou moins du type sauvage de l'espèce, voilà, dit-il, ce qu’indique la théorie. Ainsi d'après lui, nous voyons qu'il a bien reconnu et qu'il ne peut se refuser à reconnaître que les plantes cultivées retour- nent aux types sauvages dès que la culturelles abandonne ; de même que Îles animaux retournent à leurs types primitifs , dès qu'ils ne reçoivent plus les soins de l’homme. L'inconstance dans la fixité des hybrides et des métis ne permet donc pas de les confondre avec les races créées dès l’origine, puisque leurs. produits sont toujours constants pour une même race, tant que cette race n'a pas été croisée. Comme tous les éleveurs botanistes ou zoologistes , M. de Quatrefages n'est pas dans le vrai lorsqu'il prend la repro- duction comme caractère distinctif de l'espèce , et qu’il nous dit à ce sujet: « Or, maintenant après un travail de trois siècles , quand les botanistes et les zoologistes sont parvenus à se mettre d'accord, nous n’aurions ni le devoir, ni même le droit de profiter de ce passé d'observations et d'étude! Nous ne pourrions pas invoquer comme acquis à la science les résul- tats auxquels sont arrivés nos devanciers. » Ce qui prouve que AO cette base fondée par nos devanciers sur la reproduction est fausse, c'est justement la divergence d'opinions qui existe aujourd'hui parmi les naturalistes , puisque les données hypo- thétiques qu'ils ont posées, n'ont fait jusqu'ici que mettre la division parmi ceux qui ne savent plus où commence, ni où finit l'espèce. Contrairement à l'opinion de M. de Quatrefages , cette base, purement imaginaire , entrave donc la science et l’empé- che de progresser. L'habitat de l'individu est la seule base vraie que nous puissions invoquer , que l'individu soit semblable ou dissemblable , suivant ses rapprochements de formes il constitue l'espèce et la race créées , qui n’est elle-même qu'une variété plus ou moins prononcée , créée dans l’espèce dès l’origine du monde. Lorsque nous envisageons de sang-froid nos différentes races végétales et animales, pouvons-nous douter un seulinstant qu'elles ont été créées dès l’origine ? L'espèce humaine n’a-t- elle pas toujours compris des nègres et des blancs ? Les loups et les chiens ne sont-ils pas reconnus depuis les temps les plus reculés ? Les lévriers et les carlins ne se sont-ils pas conservés à travers les âges ? Ce que je dis des animaux , peut également se dire des végétaux ; tous contiennent des individus typiques espèces et races qui datent de la création et qui ont donné par suite naissance à des hybrides et à des métis, qui se distingue- ront toujours de nosraces primitives, par leur inconstance dans les formes que nous obtiendrons dans les produits de leurs gé- nérations. La constance dans les produits n’appartenant exclu- sivement qu'aux individus espèces et races primitives , Les dé- finitions que Morton et Nott nous ont données de l'espèce consi- dérée comme individu typique de la création, sont donc d'autant plus exactes qu'elles sont parfaitement d'accord avec les faits, et M. Agassiz est dans le vrai en les acceptant. Je me range donc à son opinion qui considère avec raison comme une erreur profonde qui entrave les progrès de la science ce prétendu critérium si infaillible fondé sur la fécondité sexuelle. C’est une pétition de principe de non recevoir impos- sible à admettre dans une discussion philosophique sur les traits caractéristiques de l'espèce. La science exacte et fondée sur l'expérience doit se passer de lui, et plus tôt elle en sera débar- rassée , mieux ce sera. C’est une relique du vieux temps quine CU — sert plus qu’à donner le change et à fermer le débat sur la ques- tion de l'unité d’origine de l’espèce humaine. Une bonne des- eription de l'espèce doit être comparative et comprendre l’origine et le développement de l'individu pendant sa vie tout entière ; de même que tous les changements qu’a pu subir l'espèce dans le cours du temps ; enfin tous Les changements morphologiques qu'elle peut éprouver, font partie intégrante du cycle où elle est refermée, aussi bien que ses variations naturelles , et aucune d'elles ne peut être bien déterminée qu’autant que son histoire est complète, En parlant de l’espèce, Virey dit: « Mais si depuis des siè- cles les Maures et les Abyssins, placés sur le sol ardent d'Afrique, n’y ont pas contracté malgré leur brunissement de peau cette couleur essentiellement noire des nègres, qui pénètre jusque dans les entrailles de ceux-ci, dans la portion corticale de leur cervelle , dans la teinte de leurs chairs , de leur sang, de leurs humeurs (comme la chair du lièvre qui est plus noire que celle du lapin) ; si le nègre a une conformation des os du crâne et des mâchoires , une autre nature de cheveux, que celle des Maures et des Abyssins ; s'il conserve , comme onle voit, ces caractères, dans les îles assez froides où sa race habite depuis des temps immémorials , comme à la terre de Diémen et à la Nouvelle-Hollande et partout où on le transporte , pourquoi ne formerait-il pas une espèce radicalement distincte de l'homme de race blanche ? S'il s'agissait d’un quadrupède ou d’un singe, la question ne souffrirait pas la moindre difficulté à résoudre, par conséquent elle me paraît résolue affirmativement , et des considérations autres que celles de la science, sont les seules raisons que l’on puisse opposer ici. » Puis il ajoute : « L'alliance entre individus des différentes espèces et les métis féconds ou stériles qui en résultent, ne sont point des motifs suffisants pour nier cette différence d'espèces ; on n’a jamais douté que l'âne ne fût d'une autre espèce que le cheval, et toutefois les mules et les mulets qui en résultent n’ont pas toujours été stériles. » Ce que disait Virey à cette époque est confirmé aujourd'hui par l'expérience, car, comme je l'ai mentionné plus haut , il est hors de doute que certaines espèces, différentes entre elles , donnent des produits féconds. Notre célèbre professeur d'anthropologie à Paris, M. de Quatrefages, combat avec énergie les idées de Virey, con- cernant les races ; mais il ne prouve rien parce que son système s'appuie sur des bases fausses. IL se croit le pouvoir de créer des races , nous le voulons bien , mais il nous permettra de n’y croire que lorsqu'il sera parvenu à nous démontrer le fait. Enfin si l’homme ne crée pas la race , et sielle ne se crée pas par l'influence climatérique , elle est créée dès l’origine. Que M. de Quatrefages nous prouve que l’accouplement de deux indi- vidus homme race blanche pur sang a pu engendrer la race nègre ; que l'accouplement de deux nègres pur sang a pu engendrer la race blanche ; que l'accou plement de deax cha- cals pur sang a pu engendrer une race quelconque de chiens ou de loups; ou enfin même, quand il nous aurait démontré que l'accouplement de deux bassets pure race a suffi pour produire la race du lévrier , cette seule preuve nous suffirait pour nous rendre à son opinion. Il n'y a d'espèces et de races vrâäies que l'individu créé, et les variétés hybrides et métisses ne sont que des jouets de la na- ture. Les espèces typiques et les races seules sont immuables , et doivent indiquer le lieu primitif de leur habitat. Ce lieu est difficile à constater aujourd'hui où l'homme a tout bouleversé par son système d'acclimatation. Cependant il le faut et on le doit, car là seulement est la vérité qui caractérise l'individu, Profitons donc du moment où nous reconnaissons encore que les plaines et les montagnes ont des types qui leur sont propres , que le nord , le centre et le midi, ont des types qui les suivent généralement , et que les plantes qui recouvrent chacune deces localités sont des individus bien caractérisés, quoique renfer- want des espèces, plus ou moins identiques entre elles, qui cons- tituent nos races primitives. M. de Quatrefages, monogéniste, suivant la théorie qu'il développe dans son cours d'anthropologie , confond des indi- vidus différents des types primitifs, dans une seule et même * espèce, lorsque pour nous prouver l'unité de l'espèce humaine, il nous dit que les chacals , les loups ct les chiens sont de la même espèce. et qu’il en sépare les renards , parce que si les espèces précédentes produisent entre elles, l’on n’a pu jusqu'ici obtenir de produits de ces derniers avec ces mêmes espèces. EEE D, S'il avait tenu compte des différents lieux de l'habitat pri- mitif, c'est-à-lire du lieu d'apparition sur le globe, propre à chacune de ces espèces , il aurait reconnu que, loin de former une seule et même espèce , les chacals , les loups et les chiens , sont des individus très-distinets qui datent de la création ; qu'ils renferment plusieurs races également créées dès l’origine et qu’elles sont bien caractérisées suivant leurs lieux d'apparition. Le système qu'il met en avant, s'appuyant sur la reproduction, est un système inexact qui n’a jamais rien prouvé et qui ne fail qu’entraver la marche de la science, en la renfermant dans un cadre borné qui nous fait admettre les mauvaises et fausses définitions données aujourd'hui aux mots espèces et races. A notre époque, les mots ne suffisent psp pour constater l'espèce, ce sont les faits tels que: 1° L’habitat primitif du lieu de création : 2° Les caractères , l’analogie et l’affinité qui existent entre les divers individus ; 30 Enfin leur fécondité continue ou discontinue , ne prouve rien autre chose que les degrés d'affinité plus ou moins grands qui existent entre un certain nombre des individus apparus dès l'origine du monde. Je le regrette pour notre célèbre profes- seur ; mais ses diatribes virulentes contre le polygénisme re- tournent contre lui et donnent gain de cause à l'opinion con- traire qu'il s ’efforce en vain de renverser. C'est dans les temps les plus reculés qu’il faut chercher l'espèce typique ou l'espèce mère , et non dans les systèmes et les critiques ; la science doit être sérieuse, M. de Quatrefages ne l'est pas. Comme M. de Quatrefages, nous savons que l'être organique, à son début , est entraîné par le tourbillon vital qui résulte d’un double mouvement attractif et répulsif, qui le met dans un état permanent de pertes et de réparations indispensables à l’entre- tien de son être. Mais ce tourbillon vital respecte ies formes qui caractérisent l'espèce et la race. M. de Quatrefages qui nie le fait, pour nous prouver la mutabilité de l'espèce, s'appuie sur Ja variété des formes que présente l'être depuis son apparition jusqu'à l'instant dé sa mort naturelle. Tous les êtres subissent, nous le savons aussi bien que lui, des métamorphoses et pro- viennent tous d’un germe, œuf, graine ou bourgeon , où la jeune famille naissante ne ressemble pas au rameau ou à la feuille développée. Chez les animaux, certaines larves sont même tellement éloignées de l'animal parfait que si l’on n'était sûr d'avance qu'il s’agit du même individu , l’on serait naturel- lement tenté à première vue , d’après des formes aussi dissem- blables , de les placer dans des classes différentes. Mais que prouvent ces faits , s'ils ne prouvent pas eux-mêmes l'invaria- bilité de l'espèce ? Est-ce que nous voyons ces faits changer dans une même espèce ? Est-ce que la métamorphose d’un même individu n'est pas toujours la même pour chaque période donnée de son existence ? Les faits qu’il allègue dans ces cir- constances pour nous prouver ce qu’il avance , retournent donc entièrement contre lui, puisque toutes ces métamorphoses deviennent elles-mêmes la preuve évidente de l’immutabilité de l'espèce. L'espèce typique date de la création et, je le répète, la création ne s’est point effectuée sur un seul point du globe, comme le suppose la tradition. Il est un manuscrit aussi anti- que que le monde , où l’origine des espèces est tracée en gros caractères , et où la preuve de leur apparition primitive sur les différents points du globe est irrécusable. Ce manuserit, depuis des siècles, enfoui dans les entrailles de la terre , la géologie nous en donne la traduction ; elle nous a montré sur les points les plus opposés des individus d'espèces complétement identi- ques qui s’y trouvaient exister , avant que l’homme primitif, l'homme des habitaons lacustres ne füt parvenu au degré d'in- telligence progressive à laquelle il est arrivé de nos jours. A ctte époque d'ignorance où l’homme xr’était occupé qu'à se défendre contre des animaux féroces qui l’entouraient de toutes parts ; à cette époque où les moyens de transport de Paris à Pékin n'étaient pas entrepris comme ils le sont aujourd'hui, et l’histoire des voyages faits à diverses reprises , sont les preuves incontestables que le globe terrestre a été, à l’époque de la création, soit en même temps, soit à diverses périodes , recouvert d'une immense quantité de plantes et d'animaux , tantôt semblables ou dissemblables, qui ont apparu sur les points les plus rapprochés , comme sur les plus éloignés de sa surface. C’est l'étude des individus apparus aux différentes phases de \ — 24 la création, qui a amené l’homme, pour les distinguer , à en étudier les caractères et à établir entre eux, pour mieux les comprendre, les mots de groupes , d'ordre, de classes, de familles , de genres, d'espèces , de races et de variétés, sans que ces mots puissent en ricn changer quelque chose à l’ordre ‘régulier de chacun des individus qui constituent ce grand tout que nous appelons la nature. Ces différentes définitions mar- guent seulement les différents degrés de caractères et d'affinité que nous avons reconnus et établis entre eux , et rien de plus. C’est non-seulement dans les formes individuelles qu'il faut chercher l'espèce , mais aussi dans l'habitat et dans les temps les plus reculés de notre époque, et non de nos jours, où l’homme depuis des siècles a tout bouleversé sur notre globe. M. Hœer , professeur à Zurich , a jeté de vives lumières sur la stabilité des individus , lorsqu'il nous a fait connaître l’iden- tité des espèces quise trouvent dans les lignites de Robenhanson, près de Zurich. Dans ces lignites qui se sont formés d’après lui entre deux époques glaciaires , et qu’il fait remonter à la formation des cavernes à ossements (âge géologique antérieur au nôtre) , il a rencontré avec étonnement un grand nombre de formes semblables aux formes alpestres et boréales actuelles. Tels sont le pin sylvestre , l’if, le mélèse , le bouleau, le chêne, l’érable qui y végètent aujourd'hui. On y a découvert jusqu’au noïselier avec ses deux variétés qui tapissent encore certaines collines. On y a aussi retrouvé quelques grands mammifères dont les espèces sont éteintés. De toutes ces espèces qui remon- tent à l'époque diluvienne, M. Hæer a conclu à la constance de l'espèce ; et il nous prouve ainsi que ces espèces y ont apparu avant que la main de l’homme n'ait pu les y acclimater. Les savantes recherches de M. Ch. Martin sur la période glaciaire , nous ont aussi montré que la flore et la faune se sont modifiées à l’époque glaciaire, par l'extinction de certaines espèces et l'apparition des espèces actuelles. Mais rien n’auto- rise à admettre que les formes organiques aient changé par des transformations incessantes et insensibles. La comparaison des flores actuelles du Spitzherg et des Alpes ont prouvé comme la période glaciaire , que les influences extérieures n’ont pas, sur les changements organiques, la puis- \ rose sance qu'on pourrait leur supposer. Dans les contrées du Spitzhberg entre le 76e et le 80e degré de latitude, une nuit de quatre mois enveloppe les terres glacées ; elle fait place à l’ho- rizon ; il règne dans ces parages un hiver presque incessant. Une lumière blafarde éclaire à peine, pendant quatre mois, les plaines de neige et de glaces , les alternations de jours et de nuits s’y succèdent pendant près de deux mois ; là les orages sont inconnus, le thermomètre descend jusqu'à 80 degrés au-dessous de glace, les nuits sont sillonnées par des aurores boréales ; la chaleur et la lumière favorisent à peine les rares végétaux qui s’y rencontrent. Les sommets des Alpes sont loin de ressembler à ces contrées polaires par leurs conditions clima- tériques. Si les Alpes s'en rapprochent par l’abaissement de la température , elles s’en distinguent par la distribution de leur humidité, de la chaleur, de la lumière, l'alternative des saisons, la succession des jours et des nuits , ainsi que d'autres traits caractéristiques , climatériques. Malgré ces différences de température, un grand nombre d'espèces végétales sont communes aux deux flores. Au sommet du Faulhorne, au jardin près de la mer de glace, à unealtitude de 2,756 mètres, on trouve encore des représentants de la vie végé- tale. Sept à huit pour cent des plantes recueillies à ces hauteurs, sont des espèces identiques avec celles de la flore du Spitzberg. Au mont Rose, sur le versant méridional, à 3,158 mètres, sur la route périlleuse qui conduit au mont Blanc , la proportion des plantes communes au Spitzhberg et aux Alpes est encore plus considérable. M. Martin , qui a fait connaître ces importants résultats , évalue cette proportion à un cinquième. Elle s'élève à onZe pour cent au Pic du midi, dans les Pyrénées , à une altitude de plus de 1,800 mètres. MM. Kirschlerd et Hæer ont fait des rapprochements sem- blables , sur l'identité des espèces qui habitent le nord de l’Europe , les Vosges et les Alpes. Bien que les conditions de vie ne soient pas les mêmes dans ces deux localités, plus de quatre-vingt-dix espèces sont communes aux deux flores de ces montagnes. Ces observations scientifiques me semblent bien suffisantes et nous permettent de conclure que, dans la nature , les influen- LA QE EE ces du temps et des milieux ne suffisent pas seules pour apporter des différences appréciables dans l'organisme. M. Agassiz est entièrement de cet avis , et nous savons qu'aujourd'hui lui et bien d’autres , d'après les faits mentionnés ci-dessus, recon- naissent que la création d'individus , d’espèces différentes , variées et semblables , s’est produite spontanément , en même temps , ou à diverses périodes , sur les points les plus rappro- chés , de même que sur les points les plus éloignés du globe terrestre. ; Au point où en est arrivée la science , il faut admettre que la nature ne renferme que des individus plus ou moins dissem- blables qui, par leurs croisements, suivant qu'ils ont plus ou moins d'affinité entre eux, donnent lieu à des variétés soit hybrides , soit métis, que nous confondons journellement avec les espèces typiques. Voilà d'où vient l'erreur, et ce qui fait que nos nomenclateurs ne peuvent plus aujourd'hui ni s’en- tendre , ni se reconnaître dès qu'il est question d'espèces. IL faut faire une hécatombe générale de toutes ces fausses espèces , qui ne sont que des variétés métisses ou hybrides qui encombrent nos catalogues, et rechercher les espèces mères. Une fois débarrassés de toutes ces espèces secondaires , nos nomenclatures botaniques et zoologiques deviendront des scien- ces positives. L'individu qui, depuis un ou plusieurs siècles, aura conservé son identité parfaite avec son représentant actuel pourra incontestablement être regardé individu créé ; tandis qu'un autre dont les formes auront varié constamment devra être considéré comme hybride ou métis. Le croisement est ce qui dénaturc le plus les formes, et c'est là où se manifeste la puissance créatrice secondaire , et non dans l'action climaté- rique comme on le suppose trop généralement depuis quelques années. Si uos sylviculteurs ne peuvent pas s'entendre sur la question qui concerne le pin sylvestre , cela provient de ce que ce pin renferme dès l’origine de la création plusieurs individustypiques procréés sur différents points du globe ; que ces espèces vraies ont depuis donné lieu à une multitude de variétés, obtenues par leurs croisements et les actions climatériques qui les ont modifiées depuis à l'infini. Il suffit, pour s’en convaincre, d'ob- SELS EN ORAN server les forêts primitives d'où ce pin a été tiré, pour être semé dans notre Sologne. Suivant les localités dont les graines ont été tirées , les pins obtenus ont été d'espèces différentes , et ce qui prouve que l'individu espèce est local, c’est que la graine, lors même qu'elle est dépaysée, reproduit constamment les mêmes espèces que celle des pays dont elle dérive. Toutes les fois que la graine d'une même localité primitive est semée scule nous obtenons les mêmes résultats ; mais dès que nous tirons nos graines de localités où les différentes races de pins sylvestres ont été mélangées, nous n’obtenons plus que des pins mêlés, deracesprimitiveset de variétés de toutes espèceshybrides ou métis. Ce que j'avance ici, est constaté par l’expérience ; et les expériences prises au sein même de la nature, sont au moins toutes aussi probantes que celles produites par les soins et la main de l'homme. Comme l'homme, le chien et le poirier sont des espèces qui renferment plusieurs races ; Je pin sylvestre proprement ditest une espèce qui renferme plusieurs races, qui toutes sout sus- ceptibles de se mêler ensemble et de former entre elles beaucoup d'hybrides ou de métis qui fructifient généralement plus ou moins et donnent ainsi lieu à une infinité de variétés plus ou moins stables , qui finissent toujours par dégénérer. It est donc bien constaté qu'il existe aujourd'hui chez les plantes comme chez les animaux des individus typiques qui ont été créés différents ou semblables , à quelques modifications près ; que tous ceux dont les caractères sont plus tranchés entre eux , ont été quaïifiés, chacun en particulier, du nom d'espèce ; et que tous ceux qui ont conservé des points d’ana- logie entre eux et leur espèce, en ont été distingués par le nom de race qui leur a été appliqué dès l'origine. Qu'enfin chacunes de ces espèces et races ont apparu soit simultanément, soit à diverses périodes, sur la surface de la terre, sur les points les plus rapprochés , cemme sur les plus éloignés. Le pin sylvestre est pour les végétaux l'exemple le plus frappant qui puisse servir à nous faire comprendre et à confir- mer ces règles sur les espèces et les races. Le type de chacune de ces races est imprimé et inhérent à chaque localité , les unes chaudes, sèches ou humides, les autres tempérées. Transportez, NUS là où vous le voudrez, ces différentes races , les formes pour- ront varier plus ou moins, mais leurs caractères essentiels les suivront partout , et nous permettront toujours d'y reconnaitre les types originels qui les auront produites. Voilà ce qui me semble irrécusable , et voilà ce qui me fait admettre les races dans l’espèce. M. Carrière dans sa monographie du pin sylvestre, comme M. de Quatrefages dans son cours d'anthropologie , accordent l'un et l’autre aux actions climatériques , mille fois plus d'in- fluence qu'elles n’en ont réellement. Les observations que J'ai faites depuis plus de quinze ans sur des forêts de pins syl- vestres, m'ont démontré clairement que le terrain et l'expo- sition n’ont que peu ou point d'influence sur la polymorphie de cette espèce de conifère ; l’action polymorphique , lorsqu'elle existe , n'étant due qu'aux hybridations et métissages qui se rencontrent plus communément dans la nature qu'on ne le suppose. Dans le Loiret, où les pins sylvestres sont répandus aujour- d'hui sur une grande échelle, et où je le cultive moi-même en grand, ils s’y trouvent implantés dans les terrains les plus différents et les expositions climatériques les plus opposées. Cependant ils y conservent toujours les caractères et le cachet des races primitives locales et n’y abandonnent jamais cntière- ment ni l'espèce ui la race. Si tel que je l'ai fait pour le pin sylvestre, les botanistes comparaient ainsi toutes les autres espèces qui composent la grande famille des phanérogames, il est plus que probable qu'un certain nombre d'individus typiques , espèces ou races , pour- raient être ajoutés à nos catalogues ; mais ce que je puis certi- fier, c'est qu'une multitude considérable d'espèces secondaires qui se sout formées par des croisements naturels, en seraient immédiatement retranchées. Linnée n’admettait que deux espèces de joubardes ; on en décrit aujourd’hui trente ; le genre rubus a été porté de sept à plus de deux cent trente ; et combien ont été augmentés de nos jours le nombre des viola, des rosa, des potentilles , des hye- raciums, etc. ! Cette augmentation actuelle de toutes ces espèces n'est généralement due qu'aux croisements qui s'effectuent te mt à no — journellement sous nos yeux , entre les différentes races que renferment chacune de ces espèces , dont les points d’analogie et d'affinité permettent entre elles certains rapprochements attractifs. Partout où elle est transportée , chaque race comme chaque espèce typique conserve ses caractères de localité; aussi est- il toujours facile, pour un æil exercé , de la reconnaître à son port, et à ses formes lorsqu'on la compare au type de l'habitat primitif. Nous devons donc , dans l'intérêt de la science, rechercher dans chaque localité, celles où les espèces et où les races ont pris naissance. Ce travail est difficile, je le sais, mais le savant qui s'y livrera n'en aura que plus de mérite, parce qu’il vainera ainsi les préjugés qui entravent la marche et les progrès de la science. Il est évident, comme le dit M. de Quatrefages , que lorsque deux êtres , animaux ou plantes , se ressemblent au point qu'il est impossible de saisir entre eux une différence notable, il n’y a pas de discussion possible, ils sont de la même espèce: Ce sont les différences plus ou moins accusées qui seules peuvent soulever les doutes. Mais ce que M. de Quatrefages ne comnrend pas, c'est que deux êtres peuvent être de la même espèce, sans pour cela être descendus d'une même origine. Ainsi les plantes identiques entre elles qui recouvrent le Spitzberg et les Alpes, quoique d'une ressem- blance plus ou moins parfaite et que nous considérons comme ne formant qu'’ure seule et même espèce , sont des créations spéciales à chacune de ces localités , qui n’ont jamais pu pro- venir d’une seule et même souche , la distance qui les sépare, n'ayant pu , dès l’origine des temps , permettre aucun rappro- chement entre ces espèces. Son système , qu'il base sur la gé- nération pour déterminer l'espèce , est donc tout aussi inexact que celui de la ressemblance qui lui sert à établir la distinction entre l'espèce et la race, puisque nous retrouvons journelle- ment , entre ces espèces et ces races , des différences bien plus tranchées qu'il n'en existe réellement entre la majeure partie des espèces reconnues dans nos catalogues. De même que M. de Quatrefages, j’admets que l'espèce ne doit pas reposer ex- clusivement sur les formes ; mais je repousse, comme chimérique, son critérium fondé sur la génération et, comme M. Agassiz, RC je le remplace par l'habitat qui est aujourd'hui un fait acquis à la science. La question qui concerne le pin sylvestre, en me conduisant à l'étude de l'individu , de la race , de l’espèceet de la variété, m'a permis de reconnaitre le désaccord complet qui règne aujourd'hui parmi les savants sur la définition à donner à chacun de ces mots. Cette étude, en me mettaut à même de reconnaître que l'individu espèce , de même que l'individu race, ne pouvait être créé ni par les influences climatériques , ui par les hybridations , ni par les métissages , m'a fait voir clairement que l’ane et l’autre ont été créées dès l’origine des temps. Elle m'a, en outre, permis de reconnaître que le mot espèce , quand il comprend l'individu typique, espèce ou race créée qui est invariable , devient variable du moment qu'il se trouve impro- prement substitué au mot variété , dans tout ce qui concerne les changements obtenus par les différences climatériques , par les hybridations ou par les métissages. Enfin de tous les faits que je viens d'exposer , nous devons conclure que toutes les espèces , comme toutes les races primi- tives ont été créées dès l’origine des temps et qu'elles ne sont pas mutables. C'est en sortant de la réalité des faits qu’on en est venu à admettre aujourd’hui leur mutabilité, et c'est en se basant sur des hypothèses mal fondées, qu'on en est égale- ment venu de nos jours à considérer l'homme comme un singe perfectionné. Entre les deux camps en présence , il n’y a pas de milieu, il faut choisir entre la variabilité ou la mutabilité des individus espèces et races typiques. Si l'espèce et la race donnent des produits semblables et constants, par la géné- ration, ils ne sont pas mutables , et la théorie de M. Darwin est fausse ; si au contraire , il est reconnu que les caractères de leurs produits peuvent changer dans une même espèce et dans une même race, sans croisements , ils sont mutables comme on l’admet généralement aujourd'hui; dès lors la théorie de M. Darwin est vraie. Cependant toutes les observations basées sur les faits prouvant le contraire , je maintiens pour incontes- table l'immutabilité de l'espèce, de même que celle de la race. Toutes les preuves que je viens de donner et sur lesquelles je m'appuie, me semblent bien suffisantes pour rendre aux SES TANT mots individus , espèces , races et variétés lear juste significa- tion. Ces points de faits bien établis me permettront, par suite, d’être compris de nos sylviculteurs lorsque je leur communi- querai la monographie des pins sylvestres ; mais plusieurs types d'habitat me manquant encore pour terminer ce travail, je me trouve ainsi obligé de l’ajourner. Baron DE MOROGUES. ÉTUDE SUR GUETTARD Vitam impendere vero. (Hor.) Les fréquents voyages de Guettard dans l'Ouest de la France , les nombreuses observations qu'il fit sur les richesses de notre sol, nous avaient vivement engagé à donner une notice unique- ment consacrée aux travaux de Guettard relatifs à l’Anjou. Mais à mesure que nous avancions dans notre tâche, nous nous sen- tions irrésistiblement attiré vers l’œuvre entière du maître. Nous avons donc essayé dans cette étude de présenter, en son ensemble, la vie et les œuvres de ce grand travailleur dont les écrits seront toujours consultés avec le plus vif intérêt par les botanistes et les géologues. JEAN-ETIENNE GUETTARD naquit à Etampes , le 22 septembre 4715. Son père exerçait, dans cette ville, la profession d’apothi- caire. C'était un homme: instruit et très-capable de diriger son fils. De plus, le botaniste Descurain, l’ami et le correspondant de Bernard de Jussieu, était le grand’père maternel de Guettard. Dès ses premières années, Guettard accompagnait Descurain dans ses herborisations. Récolter des plantes et en connaitre le nom, les étudier, telles furent les distractions de sa jeunesse. Descurain, voyant les dispositions de son petit-fils pour la botanique, pensa que l’état d’apothicaire, exercé depuis si CS — longtemps dans sa famille, le serait encore avec distinction par son descendant. Être utile à ses compatriotes, répandre des secours sur des malheureux fixés près de lui, attachés au même sol, pouvoir veiller sur le bien qu’il leur avait fait et le perfectionner, ajouter au plaisir de la bienfaisance celui d’en revoir souvent les objets, jouir de cette considération que donnent les lumières et la vertu auprès des hommes simples qui ne les apprécient pas mais qui les jugent par leurs effets , être heureux par la bonté, le repos : tel avait été le sort de Descurain et il n’en désirait pas un autre pour son petit-fils *. Mais bientôt il fut obligé de céder à l'évidence, et les classes d’Etienne terminées, il l’envoya, sous les auspices de Bernard de Jussieu, étudier la médecine à Paris ?. Reçu docteur, il se livra à l'étude des sciences naturelles et physiques. De Jussieu et Réaumur furent ses deux maîtres, et bientôt l'élève devint leur ami. Ses premiers travaux furent relatifs à la botanique. Voyageant beaucoup, il prit goût à la géologie, science si utile au botaniste, et publia sur ces deux grandes branches de l’histoire naturelle de remarquables mémoires. Guettard fut reçu, en 1743, membre de l’Académie des sciences, de la section de botanique. ; En 1748, le duc d'Orléans , retiré au couvent de Sainte-Gene- viève où il avait formé un riche musée d'histoire naturelle, en uomma Guettard directeur. Les goûts, les sentiments religieux de Guettard et ceux du duc d'Orléans étaient les mêmes. Ges deux hommes, malgré le rang qui les séparait, étaient faits pour vivre ensemble et se communiquer leurs idées. Doué d’une grande activité, dit Weis, et d’une robuste 1 Eloge de Guettard prononcé par Condorcet, en 1786, à l'Académie des Sciences. 2 La plupart de nos grands naturalistes prirent le grade de docteur en médecine ou tout au moins étudièrent cette science. Nous citerons Buffon, sur lequel nous préparons une étude et qui fut élève de la Faculté de méde- cine d'Angers pendant une année; Morisson, reçu médecin à Angers, ainsi que Denis Papin. La Faculté de nédebine de Paris a conféré ces grades aux hommes les plus éminents de la Science, tels que le docteur Baillens dont la réputation est européenne, Richard, Duméril, Payer, eic., etc. 3 santé, 1l n'éprouvait presque jamais le besoin de repos, et son humeur sévère le mettait à l’abri des importuns. Dans la société, il parlait peu, et seulement des choses qu'il savait ; aussi la contradiction l'irritait facilement, et alors ses expressions n'étaient pas toujours mesurées, mais il revenait prompte- ment de la colère, et souvent en demandait pardon. Avec des dehors si peu favorables il avait le cœur excellent ; la vue d’un malheureux lui faisait verser des larmes, et il fournissait tou- jours de sa bourse aux besoins des pauvres qu'il visitait comme médecin. Sa sensibilité s’étendait jusque sur les animaux, et il avait expressément défendu qu’on en tuât chez lui ou pour lui. Ennemi de toute espèce d’exagération, il disait à Condorcet en lui parlant de l’éloge d’un de ses confrères, que celui-ci devait prononcer : — Vous allez bien mentir, mais quand il s’agit de moi, je ne veux que la vérité. Ce désintéressement, si rarement sincère, était dans son âme, dit Condorcet, et en remplissant iei ses intentions à la rigueur, je lui rends l'hommage qu'il eût le plus désiré !. Les dernières années de sa vie furent marquées par de fré- quents accès de léthargie qui lui firent pressentir sa fin prochaine. Néanmoins, il ne manquait jamais aucune séance de l'Aca- démie, il s’y rendait à pied, ayant toujours soin d’avoir dans sa poche une carte sur laquelle était inscrite son adresse, afin qu’en cas où il viendrait à tomber malade dans la rue, on le ramenât chez lui. Il refusait de diner chez ses amis'et d’aller les - voir et alléguait tranquillement pour excuse, la crainte de les affliger par le spectacle de sa mort. Élevé chez les Jésuites, et chez Les Jansénistes, leurs adversaires, 1l avait embrassé le rigorisme de ces derniers, sans toutefois admettre leurs erreurs. Ce fut avec l’ardente foi d’un disciple de Port-Royal, qu'il se prépara cou- rageusement au grand voyage. Le 4er janvier 1786 il écrivait à une de ses amies : « Une ma » ladie m’empèêche de vous rendre mes devoirs, mais mon atta- » chement pour vous sera toujours le même, jusqu’au coup fatal ' Eloge de Guettard par Condorcet, prononcé en 1786 à l’Académie royale des Sciences. LLPNE FF HAE » qui terminera bientôt ma carrière. » Il mourut six jours après, âgé de soixante-onze ans. Nous allons présenter par ordre de date l'analyse des divers travaux de Guettard. , Le premier travail que nous connaissons de Guettard, fut un mémoire qu'il présenta à l’Académie royale des Sciences, en l'année 1744, Sur l’adhérence de la Cuscute aux autres plantes. On a douné, dit Guettard, le nom dé parasites à des plantes qui s’attachent à d’autres, se nourrissent de leurs sucs et croissent à leurs dépens. Guettard, en étudiant ce que les botanistes avaient dit de ces plantes, prétend que ce phénomène, tout commun , tout anciennement connu qu'il était, n’avait jamais été examiné avec cette exactitude si essentielle dans la science des faits, où l’on ne peut regarder comme vraiment adopté que ce qui est démontré avec une précision rigoureuse. Guettard rangea les parasites en trois classes : les uns crois- sant sur une plante étrangère sans rien tirer de la terre -sur laquelle ils ne pourraient vivre; les autres ayant de véritables racines et devant une partie de leur nourriture au sol sur lequel ils sont placés. Ils pourraient donc subsister sans le se- cours des autres plantes ; mais ils cherchent à s’unir à elles afin d'y trouver à la fois un appui et une nourriture plus appropriée: à leur constitution. Enfin les faux parasites, qui bien que placés sur les différentes parties d’une plante et même y étant attachés, n’en tirent cependant aucune nourriture et n’en ont besoin que pour s'élever. Mais c'était surtout l’organe par lequel les parasites de la seconde classe s'attachent à une plante, pénètrent dans, sa substance et en tirent leur nourriture, qu’il était important de connaître et de décrire. Un parenchyme composé de glandes, est, selon Guettard, entouré dans l’intérieur des plantes parasites, par des faisceaux de fibres longitudinales. Lorsque la tige d’une de ces plantes se courbe sur la branche qui doit la nourrir, son écorce se brise, des glandes semblables à celles du parenchyme sortent par cette ouverture, s'étendent, forment un mamelon au milieu duquel une production de fibres longitudinales devient un espèce de suçoir qui s’introduit dans l'écorce et jusqu’au bois VE | OS de la branche nourricière, pour y pomper les sucs destinés à . alimenter la plante parasite. Le mémoire de Guettard est fort étendu; et avant de faire l'analyse de la Cuscute, il entre dans de curieux détails histo- riques. $es observations sont nombreuses. 1l a étudié la Cuscuts sur le Thlaspi, sur les laiterons, sur la millefeuille, le chan- vre, le serpolet , l’hysope, la lavande , la vigne. Il a remarqué que la Cuscute s’attache sur plusieurs plantes à la fois et em- brasse toutes celles qu’elle trouve à sa portée. Quelquefois, ajoute Guettard, elle se suce elie-même; on trouve souvent des branches qui sont entortillées autour d'autres branches où elles se sont cramponnées et où elles ont insinué la partie avec la- quelle elles tirent des autres plantes le suc qui doit les nourrir. Guettard a confondu les diverses espèces de Cuseute en une seule. Depuis lui, la science a pu faire la distinction de chaque espèce; et parmi les cuscutes qui croissent en France, nous indi- querons, les Cuscuta densiflora Soy., C. europea L., C. epithy- mum L., C. trifolii Babingt., C. alba Presl., C. corymbosa L., C. monogyna Walir. Le 99 février 1744, Guettard publiait (Mémoires de l’Aca - démie royale des Sciences) une observation très-curieuse sur une espèce de plante appelée France, par laquelle on détermine son caractère générique plus exactement qu'il ne l’a encore été. La Fiore française compte trois espèces du genre Frankenia. F. pulverulenta L.,F.læœvis L., F. intermedia (D. C.), Tournefort a décrit ces plantes, sous le nom d’Alsine. Guettard s'était retiré en 1745 aux environs de l’Aigle, en Normandie ; il aimait à visiter fréquemment le haras du roi, magnifique établissement dont cette ville était dotée. Là, il remarqua qu’un grand nombre des étalons devenaient poussits après avoir mangé du foin qui avait maré, c'est-à-dire qui avait été couvert de vase à la suite des inondations. Il publia dans les Mémoires de l’Académie royale des Sciences, le 21 août 1745, un travail intitulé : Sur une des causes qui peuvent rendre les chevaux poussifs, et sur les précautions que l’on peut apporter pour prévenir cette maladie. Guettard propose deux moyens pour dévaser le foin. Le pre- mier consiste à Le battre avec des fléaux comme on bat le blé; RS. né PDO Es le second, dans le lavage, le foin étant abattu. Ce dernier moyen me paraît impraticable, car le foin sec trempé dans l'eau perd de sa saveur et de son odeur si agréables aux che- vaux. Ces animaux refusent presque toujours de manger le foin lavé. Il est nn autre moyen que nous indiquerons : c’est lorsque les foins ont maré, de les faire baigner de nouveau, si faire se peut, pendant un ou deux jours, en établissant un barrage sur le cours d’eau qui borde la prairie. Il faut pour cela que l’eau soit bien claire, afin d'enlever le plus possible le limon qui reste à la tige des plantes et, si on ne réussit pas complétemnt, on a toujours la ressource, après la fenaison, de pouvoir battre le foin. En 1745, Guettard commença la publication de ceite grande série de mémoires sur les corps glanduleux des plantes, leurs filets ou poils , et les matières qui suinient des unes ou des aulres. Guettard avait observé que sur chaque feuille de l’ortie en arbre, on comptait plus de 2,048 glandes. Les expériences auxquelles Guettard se livra sur la Garance, l’amenèrent à publier, le 22 décembre 1746, un mémoire dans lequel il prouvait que les racines de plusieurs plantes de cette classe rougissent aussi les os et que cette propriété paraît être commune à toutes les plantes appartenant à la même famille. Ainsi, il démontra que la racine d’une rubiacée indigène, du genre Œalium, produisait les mêmes phénomènes de coloration que la garance. Guettard fit une expérience très-curieuse qui, depuis lui, n’a guère été renouvelée : il fit manger de la garance à-une lapine pleine; cet animal eut quelque temps après son lait coloré, et les os de ses petits furent eux-mêmes colorés, tandis que ceux de la mère ne l’étaient nullement. Le succès que Guettard avait obtenu à l’Académie en 1744 pour sou mémoire sur les plantes parasites, l’engagea vivement à en publier un second sur la même matière, ce qu’il fit en 1746. Dans ce travail, l’auteur s'occupe spécialement de la clandes- tine et des orobanches. D’après le résultat de ses expériences, il prouve que c’est à tort que certains auteurs, entre autres le docteur Morisson, élève de l’Université d'Angers, ont cru que le Limodorum abortivum Swartz, cette curieuse orchidée qui croît Love Ne dans les bois de Brezé (Bâtard l'indique à Brissac et à Doué où, dit le docteur Guépin, dans son excellente et véridique Flore, elle n’a jamais été retrouvée), est une plante parasite. Son mémoire, accompagné de deux cartes minéralogiques, dressées par Philippe Buache, sur la nature et la situation des terrains qui traversent la France et l'Angleterre, fut imprimé dans les Mémoires de l’Académie royale des Sciences en 1746. Guettard démontre dans son étude l’analogie des terrains de ces deux contrées qu’il divise en trois bandes, sablonneuse, marneuse et métallique. Guettard parle des observations qu'il a faites sur la minéralogie dans ses nombreuses herborisations et, par les pays qu'il cite, soit en France , soit à l'étranger, nous sommes portés à croire que ce savant avait exploré à peu près toute l’Europe. ‘Il démontre : 1° que la France minéralogique se partage en plusieurs régions caractérisées par la nature du sol et celle des mines; 2° l’analogie remarquable entre la disposition des substances minérales en France et en Angleterre, disposi- tion qui indique que jadis les deux royaumes ont été unis l’un à l’autre. Guettard est revenu plusieurs fois sur un sujet qui lui fut favori : Les glandes des plantes. Ainsi, en 1747, il publie deux mémoires : dans l’un, il s'occupe des Thlaspi, des Alysson, des Stellaria, des cynoglosses, des Asarum, des Verbascum, des Lampsana, des Bursa pastoris, des Sherardia, des indigo, du genre Menthastrum formé par Rivin, du Dictamnus, du Cas- tanea, des Solanum, des gentianées | des Phlomis, des Apo- cynées, des Sisymbrium, des graminées, des Amaranthus, des betoines, des spirées, des Diosma, des crassalariées, des Clethra, etc.; dans l’autre, il passe en revue les Laburnum, l& véronique, le Geum, la saxifrage, les Brassica, l'Hesperis, le Rapistrum, le Myagrum, le Cheiranthus, l’alkekenge, la con- soude, les bruyères, l'Uva ursi, la mercuriale, le ricin, ete. Guettard continue, en 1748, sa grande étude sur les glandes des plantes, il passe en revue le Rhamnus, le Laurus, les Cinnamomum, le Cannabis, les Plantago, la germandrée, la bugle, le myrte, les euphorbes, les Polygala, les Chenopo- dium, l'Hedysarum, le Melianthus, les fumeterres, l’Æype- coum, l'Epimedium , les fougères, le Viscum , les cuscutes , etc. — Lorsque Guettard crut pouvoir livrer un ouvrage au public en dehors des travaux qu’il publiait dans les mémoires de l’Aca- démie, son premier soin fut de faire paraître le travail de son grand'père Descurain, sur les plantes des environs d’Etampes. Il payait ainsi une dette de reconnaissance au modeste savant qui avait dirigé ses études et avait trouvé la véritable voie dans laquelle Guettard devait entrer. Ce livre, dans le genre de celui que publiaient à leurs frais MM. Pantin du Plessis et Davy de La Roche : Herborisations dans le département de Maine- et-Loire et aux environs de Thouars, département des Deux- Sèvres, est souvent consulté comme flore locale. Guettard publia, en 1747, ses Observations sur les Plantes. Dans cet ouvrage, il contribua en une certaine mesure à l’étude de la flore angevine, et ce qu’il nous apprend doit être scrupu- leusement enregistré avec les notes qu’on peut tirer des travaux du médecin botaniste, Dalechamps, du noble écossais, Robert Morisson, de Lobel, de Réaumur, etc.; aussi, avons-nous pensé qu’il ne serait peut-être pas sans intérêt pour le bota- niste angevin de connaître les plantes que Guettard recueillit le long de la levée de la Loire jusqu’à Saumur. Nous avons donc à cet effet dépouillé avec un soin minutieux des deux volumes de ses Observations sur les Plantes,M DCG LVI, tout ce qui est relatif à l’Anjou. Nous joindrons aux des- criptions de Guettard la liste complète des plantes appartenant aux mêmes familles dont s'est occupé ce botaniste dans son excursion et qui croissent en Maine-et-Loire. RESEDA Gaude. Reseda foliis simplicibus lanceolatis integris Linn, hort. cliff. 212. 1. Reseda vulgaris. C. B. pin, 100. « Le bord des feuilles, les nervures principales du dessous » des feuilles, les côtés des tiges, les calices ont des vessies » transparentes argentées, qui sont sphériques sur les côtés, »* coniques sur les nervures et sur les bords externes des » feuilles, la base de celles-ci se courbe un peu, celle des calices » sont petites. A0 IE » Ilest commun dans les cimetières, les Mazières ! Le long » des chemins. Or, comme ici, je l’ai vu le long de la Loire » jusqu’à Saumur très-fréquemment. » Reseda sesamoïdes flore albo foliis canescentibus Tourn. » inst: R herb. 424. » Je n'ai point observé de filets sur cette plante, la couleur » blanche des feuilles que les tiges ont aussi, ne vient que d’une » matière blanche fine et tenue qui transpire dans ces parties et » qui s’enlève aisément au toucher. » Or, elle vient dans les sables de la Sologne, je l’ai vue dans » différents endroits depuis Thouars jusqu’à Réaumur. » Les Résédacées de la flore de Maine-et-Loire sont : 1°le Reseda phyteuma L. (Reseda raponcule). Beaufort, Corné, Mazé. R. odora- ta L. cultivé; onle rencontre quelquefois subspontané autour des habitations. R.! utea L. Reseda jaune, lieux pierreux et humides R. luteola L. Reseda gaude qui donne aux teinturiers une belle couleur jaune, lieux arides et bord des chemins. Astrocarpus Clu- sii Gay; plante spéciale à l'Ouest de la France , on trouve quelquefois échappé de jardins le Reseda alba L. Cette plante se multiplie par la graine mais ne résiste pas aux froids rigoureux. L'hiver de 1872 ne lui a pas été funeste ni celui de 1873. Quant à ce dernier, il n’y a rien d'étonnant, car pendant les mois de décembre et janvier, la végétation n’a cessé de se faire sentir; ainsi j'ai vu à Claye, commune de Murs, en pleine fleur, au mois de décembre, le Primula officinalis L., vulgairement Coucou. CHENOPODIUM patte d’oie. € Chenopodium foliis sagiltatis integerrimis L. hort. cliff. 86. 1. » Chenopodium foliis triangulare sagüttatis L. hort. cliff. 84.1. Chenopodium folio triangulo Tourn., inst. R. herb. Soli. Ë » Les Vessies globulaires sont en assez grande quantité surtout » en dessous des feuilles, il y en a peu sur les grappes des fleurs. ? On connait en Anjou plusieurs localités qui portent le nom de Mazières, Mazeries, Mazures. Dans tous ces lieux on a trouvé la trace d'habitations gallo-romaines : maisons, bains, etc., ce qui pour nous détruit complétement l'idée qu'on s'était faite d'un camp romain sur les deux rives de la Loire. Re » Elle vient dans les couverts de fermes, proche le couvent de » la Congrégation, dans le cimetière qui est à la porte Saint- » Jacques et dans plusieurs autres endroits. » Or, je l’ai vue tout le long de la levée depuis Orléans jus- » qu’à Saumur. » Les Chénopodées (2% tribu de la famille des Salsolacées) que j'ai étudiées dans mes nombreuses herborisations en Maine-et- Loire sont : le Beta vulgaris L., et ses variétés. Cette plante échappée des jardins où elle est cultivée pour usage alimentaire, est très-commune autour des habitations, et s’y naturalise. Le Chenopodium ambrosioides L., est indiqué au village de Reculée, près Angers, dans la Flore du docteur Guépin; je n’ai jamais trouvé cette plante. C. polyspermum L.,très-commun surtout dans les terrains d’alluvions. C. vulvaria L., vulgairement herbe puante, irès-commun dans les décombres. C. ficifolium Smith. Cette plante croît généralement sur les fumiers, je l'ai remarquée au dépôt des poudrettes, établi à Saint-Nicolas, près la route de Nantes. C. album Kock, très-commun dans les lieux cultivés. On rencontre fréquemment plusieurs variétés du C. al- bum telles que le commune, le viride et le lanceolatum. C. opu- lifolium Schrader. Angers en Reculée, Beaufort, Briollay, Mon- treuil-Bellay, Martigné-Briand, Champtocé, les Ponts-de-Cé, Saumur, etc. C. hybridum L, vallée de la Loire, Briollay. €. ur- bicum L., Angers, Beaufort, Brion, Montreuil-Belfroi, Saumur, C. murale L., dans tous les décombres. €. glaucum L., très-com- mun sur le bord de la Maine. C. rubrum D C, borde de la Loire. C. Bonus Henricus L. On a longtemps trouvé cette chénopodée au Port-Ayrault. Aujourd’hui le port et la plante ont disparu. Je l’ai récoltée à Botz, à Saint-Pierre-Montlimart, à Chemillé, à Thouarcé, à Montfaucon, à Villevêque, etc., quelques-unes tendent à disparaître de ces localités, presque toutes se trou- vent au pied des églises. « Plantago plantin, annua. foliis integerrimis caule ramose erecto L. hort. cliff. 37. 8. » Psyllum majus erectum C. B. pin. 191. » Les filets sont abondants sur toutes les parties, excepté le pétale et les étamines. » Ilest commun dans les sablons surtout autour de Saint- Lazare. Or. dans les iles de la Loire. » ENT does Les Plantaginées de la Flore Angevine sont : 1° Plantago major L., plantain à larges feuilles , bords des chemins, très-commun. P. intermedia Gilib. Assez commun. Thouarcé, Chavagnes-les- Eaux, Pontigné. P. media D C, plantain moyen, Briollay, Pellouailles, Chaloché, Thouarcé, Chavagnes-les-Eaux. P. coro- nopus L., corne de cerf, commun surtout dans les terrains schis- teux. P. lanceolata L., vulgairement herbe à einq côtes, très-commun dans toutes nos prairies. P. arenaria Vald, terrains alluvionnaires des bords de la Loire. P. serpentina Lam., sur toutes nos collines sèches. Littorella lacustris L, com- mune généralement aux bords des étangs. CONVOLVULUS Liseron. « Convolvulus foliis sagitatis poslice truncatis pedunculis » simplicibus unifloris. VANN. Roy Leyd. prodr. 427. 2. » Convolvulus major albus. C B pinn. 294. » Il est presque glabre, il n’a que quelques filets irrégulière- ment posés, il est commun dans les aulnais ', dans les prés, entre les arbres, dans les jardins. Or. le long de la Loire. » Les Convolvulacées de Maine-et-Loire sont : Convolvulus sepium L. , liseron. Très-commun dans les haies des bords de la Loire et dans les jardins. Cette plante est extrêmement difficile à détruire. On trouve quelquefois la variété Flore roseo spectabili de Duby. Quant à moi, je ne l’ai jamais rencontrée en Anjou, je l'ai observée à Granville (Normandie) août 1847, à Biarritz, le 14 août 1871. C. arvensisL., vulgairement vrillée, très-commun dans tous les champs. La variété villosa de Desvaux est commune sur les bords de la Loire. Cuscuta densiflora Soy. Rochefort, île de Saint-Jean-de-la Croix, Chapelle-Oudon, Com- ! Le mot Aulnais est très-commun en Anjou, il signifie un lieu planté d’Aulnes. Un gentilhomme angevin portait le nom de Berthelot des Aulnais. eue, L'IT TNES brée. Le docteur Guépin indique cette plante à Angers,en Saint-Laud. C. europæa L., commune dans tout le département. C. epithymum L., très-commune sur l’Ulex nanus. C. trifoli Babingt. Il est peu de nos prairies artificielles dans lesquelles on ne trouve pas cette cuscute. Lorsqu'on n'arrête pas son développement, elle produit de grands ravages sur les trèfles qu’elle étouffe. ASCLEPIAS dompte venin. « Asclepias flore albo C. B. pin. 303. » Les filets s’observent sur les nervures du dessous des » feuilles et sur les tiges, les pédicules, les calices etles pédon- » cules où ils sont plus courts encore qu’ailleurs. A l’origine des » pédoncules , il y a de chaque côté un mamelon élevé et » conique. L’ombilic du dessus des feuilles en est garni de cinq » ou six. de lai souvent vu le long de la Loire jusqu'à Saumur. » Les Asclépiadées de Maine-et-Loire sont : le Vincetoxicum officinale Mœnch. Commun. On le trouve au bois de la Haie, à Soucelles et l’Asclepias cornuti Decaisne, cultivé dans les jardins, est quelquefois subspontanée autour des habitations ; ainsi on le trouve à Saint-Remy-la-Varenne; cette plante est originaire de l'Amérique septentrionale. « Danthia. Adans. » Danthia palustris pet. Gen. 49. » Isnardia, Linn. Gen. 118. » Je crois qu’on la trouverait dans plusieurs endroits le long » de la Loire. Je l’ai vue dans la prairie de Réaumur. » L’Isnarde des marais se rencontre à Briollay, Ecouflant, vallée de la Loire, Saint-Augustin, Neuville, Montreuil-sur-Loir. Le docteur Guépin a souvent trouvé 6 étamines, dont une sur chacune des faces dun périanthe opposées à la tige et à la feuille et 2 sur chacune des deux autres faces. —, a « Peplis Linn. flor. Lapp. 198. ‘» Glaux palustris flore striato clauso ; foliis portulacæ » Tourn. inst. R. herb. 82. » Dans plusieurs endroits le long de la Loire et depuis Saumur » jusqu'à Réaumur. » Les espèces de Maine-et-Loire sont : le Peplis portula L., pé- plide pourpier, très-commun sur les bords des mares, des fossés, surtout aux environs de la Loire. Le Peplis erecta Req. Carrières abandonnées de Juigné-sur- Loire. Ces carrières, dont les buttes sont boisées et les excavations pleines d’eau, sont fort curieuses à étudier. Le botaniste et le géologue y feront toujours d’intéressantes obser- vations. Ce sont les premières carrières où fut exploité le schiste tégulaire en Anjou. STATICE. | Statice caule nudo simplicissimo. Linn. hort. cliff. 111.1. « Les filets sont courts, il y en a sur le bord externe des » feuilles et sur le dessus des glandes vessiculaires. » Il est très-commun le long des chemins, dans les terres » incultes, je l’ai vu en quantité jusqu’à Saumur. » Le Statice plantaginea, AI. Armeria plantaginea Wild. On le trouve aussi à Briollay, Durtal, Soucelles et Villevêque. Ville- vêque qui tire son nom de Ville-d'Evêque, de même qu'un village voisin, Pêchevêque, de Pêche-d'Evêque, était une ancienne résidence des évêques d'Angers. C’est une des localités les plus intéressantes pour le botaniste, comme nous aurons occasion de le démontrer dans notre flore. Chaque année fleurit en abondance dans les moissons de Villevêque le Delphinium Ajacis L., plante évidemment échappée de jardin mais qui est sérieusement naturalisée à Villevêque. La Flore Française de MM. Grenier et Godron indique cette renonculacée dans l’Age- nais, la Saintonge, la Corse, la Dordogne, la Loire-fnférieure et à Toulouse. J'ai remarqué quelquefois près des habitations l’Armeria vulgaris Willd. que nos horticulteurs désignent sous AR We RON le nom de gazon d’Olympe. Tous les deux ou trois ans, on à généralement l'habitude de refaire dans les parterres les bordures d'Arméria. Les pieds de rebut sont jetés dans les chemins, dans les champs, etc., et c’est ainsi que la plante se propage; mais jamais en Anjou on ne la rencontre à l’état spontané. Il y a des plantes qui, lorsqu'elles sont échappées des cultures, prennent une extension considérable. Ainsi, pendant plus de dix années, j'ai eu à Claye, commune de Murs, un bois littéra- lement envahi par le Callisthène major Mart. On avait beau sarcler, bêcher, rien n’y faisait, la plante a fini à peu près par disparaître depuis que le bois a été assez fort pour arrêter son développement. Nous ne saurions trop recommander aux jeunes botanistes de faire l'attention la plus serupuleuse aux plantes réputées très-rares en Maine-et-Loire; quelques-unes ont été plantées , par exemple, dans la forêt de Brissac , le Dabæo- cia polifolia Don. A l’époque où cette éricinée fut malheureuse- ment introduite dans la flore angevine, une triste rivalité, frisant la haine, régnait entre plusieurs jeunes herborisants qui ne demandaient pas mieux que de se jouer les plus mauvais tours. C'était dans la forêt de Brissac qu'on indiquait les prétendues découvertes. Ainsi, dans un coin de cette forêt, sur le bord de la route de Vauchrétien, on planta un petit carré de Dabæocia polifolia Don. La plante prit racine, mais jusqu’à ce jour, ne s’y est pas pro- pagée. Ses fleurs sont très-pâles, on voit facilement que cette bruyère n’est pas dans un terrain qui lui est propre. Généralement j'ai remarqué dans les lieux où croît spontané- ment ie Dabæocia, qu’il ne forme pas comme les autres bruyères de larges pelouses ; au contraire on ne le rencontre presque tou- jours qu’à l’état isolé, rarement deux pieds près l’un de l’autre. C'est ce que j'ai constaté le 13 août 1871 au pas de Roland, près Cambo (Basses-Pyrénées). Nous ne pouvons vraiment comprendre le plaisir qu'on peut avoir en donnant une indication qu'on sait ne pas êlre vraie. Autant on aime à reconnaître un fait nouveau, autant votre conscience doit-elle vous reprocher une erreur volontaire qui tôt ou tard est signalée. Certes, c'est une grande jouissance pour le-botaniste quand il peut enrichir la flore de son pays, et j AS = $ nous n’oublierons jamais qu’en l’année 1858, nous présentant aux élections du Conseil général dans le canton des Ponts-de-Cé, nous y faisions les visites d'usage. C'était au mois de juin. Persécuté par le préfet d'alors, nous nous efforcions avec succès de lutter contre ses attaques. Un jour, où nous avions recueilli, nous pouvons le dire, les sympathies de la contrée que nous venions de parcourir, nous nous arrêtâmes devant l'étang du Pré, commune de Mozé. Là, nous constatâmes l'Habitat de l’Acorus calamus L., plante très-rare en Anjou. Notre amour pour la botanique se réveilla à la vue de cette aroïdée et nous fâmes plus heureux de notre découverte que de tous les suffrages que nous venions d'obtenir. LEPIDIUM passerage. « Lepidium foliis inferioribus lanceolatis serratis superior - » bus linearibus lintegerrimis. Van-Roy. » Flore Leyd-prodr. 334-8. » Lepidium gramineo folio sive Iberis. Tour. inst, R Herb, 216; » il y a des filets sur le bord du tiers des feuilles vers le bas. . » Or. le long de la Loire je l’ai vue sur la levée et dans les villes » et villages qui en font partie depuis Nevers jusqu’à Saumur. » Voici la liste des Lepidium de notre Flore. Lepidium sativum L. Cresson alenois ; cette plante antiscorbutique cultivée sous le nom de corne de cerf est naturalisée aux environs d'Angers. L. Campestre R. Brown. Brissac, Baugé, Pontigné , il est assez com- mun dans les terrains calsaires. L. heterophyllum Benth. commun dans tous nos schistes. Lruderale, passerage des décombres; envi- rons d'Angers, Brissac, Denée , Murs. L. graminifolium, très-com- mun sur les vieux murs. L. latifolium L. bords du Couasnon près Pontigné où ilabonde, Claye, commune de Murs , Chavagnes-les- Eaux, Saint-Barthélemy , Saumur. L, draba L.; je n'ai jamais trouvé cette plante , le docteur Guépin l’indique d’après Batard à Marcé et Cheviré. Desvaux l’a mise dans sa Flore ; la véracité du savant botaniste me porte à penser que la plante en question croît en Maine-et-Loire. BRUN Ÿ. RTE MATRICARIA matricaire. « Matricaria foliis compositis planis, foliolis ovalis incisis pedunculis ramosis. Linn. 4. C 416. 3. » Matricaria vulgaris seu sativa C. B. pin, 433; il a un duvet semblable à celui des camomilles et semblablement posé ; » lorsqu'il est tombé on apercoit des petites cavités d’où sort q Ç F > ce duvet. » Matricaria receptaculis hemisphæricis radiis patentibus se- minibus coronato marginatis squamis calicinis margine ex- soletis. Linn. flor. succ. 252-7092. » Chamoœælium vulgare , Leucanthemum dioscoridis. C. B. pin. 155. » Chamælium majus folio tenuissimo caule rubente H. R. Monsp. » Le duvet comme dans les camomilles. Le long de la Loire.» Nos deux matricaires sont : M. camomillaL., communs partout, l’inodora L., commune surtout dans les moissons. Nos Chrysante- mum sont le corymbosum W. RR. Pont-Barré; le parthenium Pers., commun dans les décombres. « « Le segetum L., commun surtout dans les terrains calcaires. ERYSIMUM velard. « Erysimum jolis basi-pinnato dentalis aspice subrotundis. Linn. flor. Lapp. 264. » Sisymbrium cruce folio glabro flore luteo. Tourn. inst. R herb. 2926, dans les îles de la Loire. » Les Erysimum connus en Maine-et-Loire sont : l'Erysimum cheiranthoïdes commun surtout dans les terrains arénacés ; Orientale, Baugé , Pontigné , Linières-Bouton , Noyant. » VERBASCUM molene. « Verbascum foliis ovalis subtus incanis crenatis spica laxa, rarius ramosa. Linn. hort. cliff. 541. » Verbäscum nigrum flore ex luteo purpurascente C. B. pin. 2 ARR TRE » 240 ; les houppes et goupillons sont blancs et en quantité même * sur la fleur qui est jaune. Les grains qui sont d’abord transpa- » rents , deviennent d’un beau blanc et sont en grand nombre. » Les filets à boutons dont les étamines sont chargées sont » violets ou pourpres , Saumur. Voici la liste de nos Verbascum. V. tapsus, commun sur les bords de la Loire. V. thapsiforme , Ecouflant, Linières-Bouton. V. phlomoïdes, Murs , Claye (la Coulée) , Juigné-sur-Loire , Saint- Jean-des-Mauvrets. V. pulverulentum Wild., assez commun Brio- lay , Juigné-sur-Loire, Murs. V. lychnitis L., Ecouflant , Baugé , Chaloché, Pontigné, Noyant, Linières-Bouton. V. nigrum L. Grenier et Godron dans leur Flore de France indiquent cette plante comme assez commune ; je la crois rare du reste, je ne l’ai trouvée qu’à Botz près Saint-Florent-le-Vieil. V. blattaria L., Ecouflant , Saint-Sylvain , Briollay , assez commun. V. virgatum With; ce Verbascum est assez commun sur les bords de la Loire entre Tours et Nantes. V. thapsiformi-nigrum Scheide, Ecouflant, je ne connais que cette localité. V. thapsiformi-blattario G. G. Chalonnes, Bocé, Pontigné, rare. V. thapso-lychnitis Mert. Linières-Bouton, Ecouflant. V. thapso-flocosum Godr. et Gren., Juigné-sur-Loire, carrières abandonnées côté gauche de la route. Les botanistes qui aiment à faire des espèces en ont trouvé un grand nombre dans le genre Verbascum dont plusieurs ont été supprimées par les auteurs de la Flore française, entre autres le Verbascum nothum de Kock. : «+ SYSIMBRIUM roquette. « Sisymbrium foliis pinnatis foliolis lanceolatis serratis, Linn. » hort. cliff. 336-2. » Sisymbrium palustre , repens nasturtii folio Tourn. inst R. » herb. 216. 4 AO » On observe quelques filets sur les pédicules et les calices. » Ilest commun dans les endroits aqueux et le long de la » Loire; je l'ai vu sur les murs de revêtement de la levée jusqu'à » Saumur. À » Sisymbrium foliis infimis capillaceis, summis pinnatifidis » Linn. hort. cliff. 337. » Sisymbrium aquaticum foliis in profundas lacinias devisis , » siliqua breviore Tourn. inst. R herb. 226. » Dans plusieurs fossés remplis d’eau et le long de la levée » jusqu’à Saumur. » Sisymbrium foliis infimis bis terve pinnatifidis supremis inte- gris omnibus non dentalis. = >= » Eruca tenuifolia perennis, flore luteo f. n. R. 86. Je n'ai vu des filets que sur le bout des calices où ils sont mous, blancs » et assez longs. > » Le long de la Loire jusqu'à Saumur. » Les Sisymbrium de notre Flore sont : S. officinale Scop. vulg. herbe aux chantres ; autrefois on composait un sirop avec cette plante, les personnes sujettes aux enrouements en faisaient usage. Très-commun sur le bord des chemins, lieux incultes, etc. S. supinum L., est indiqué par Batard à Chalonnes et par Des- vaux , je n'ai jamais trouvé cette plante. S. alliara Scop., très- commun dans toutesles haies. S. trio, L., bords de la Loire, Sau- mur ,les Ponts-de-Cé S. sophia L. Baugé, Pontigné , Chaloché, Suette , Marcé , Saumur. CICHORIUM chicorée. « Cichorium caule simplice Linn. hort. cliff. 389. 2. » Cichorium sylvestre sive officinarum. C. B. pin, 496 ; sur le » dessus et dessous des jeunes feuilles et les tiges on observe » un grand nombre de filets plus ou moins longs, verdâtres entre » lesquels il y en a à cupule jaune. » Il n’y a point de plantes si commune le long des champs et 4 OT (ae « parmi les blés, la tige s’aplatit quelquefois et se contourne « d’une façon singulière. » Nous n'avons en Maine-et-Loire que la chicorée sauvage. C. intybusL. C. endivia se rencontre quelquefois échappée de jar- dins; elle est cultivée etfournit plusieurs variétés, telle que la chi- corée frisée. Endivia crispa, la petite endive. Æ. angustifolia, l’escarole. E latifolia. URTICA ortie. « Urtica amentis fructiferis androgya Lion. hort. cliff. &40-1. » Urtica urens pilulas ferens C. B. pin. 252. » Cette ortie pe diffère de la petite ortie ordinaire qu’en ce » que ses filets sont plus communs, plus raides ; les fruits en » sont tous hérissés. » je l'ai trouvée le long des murs des maisons de Semousset, » village que l’on passe à une lieue et plus de Saumur. » Les urticées de notre Flore sont l’Urtica urens L., très-commun surtout dans les décombres ; le dioica L.,très-commun ; le piluli- fera L., rare ne se trouve que dans la Saumurois’, pendant long- temps; l’Urtica piluliferavulgairement l’ortieromaine, parcequ'on prétend que cette plante avait été introduite dans nos pays par les Romains, se trouvait à l'Esvière d'Angers. La pariétaire P. diffusa vient sur les vieux murs. P. officinalis. Angers, également sur les vieux murs. Nous indiquerons ici le chanvre. Cannabis sativa L. Plante qui fait la richesse des cultivateurs des hautes et basses vallées de la Loire. Le houblon, Humulus lupulus L., commun aux bords de tous nos ruisseaux et rivières, bords de la Loire. Sous Louis XIV le Murier, Morus alba L., arbre originaire de l'Orient , était cultivé en grand daus l’Anjou pour l'éducation des vers à soie ; on le voit ça et là spontané tel qu’aux environs de Saumur , Thouarcé , etc. ; on sait que Colbert avait fait faire dans notre province d'énormes plantations de müûriers, ainsi on remarque encore sur plusieurs points des traces de cette impor- tante culture. Sous la restauration l’industrie séricicole avait pris en Maine- US et-Loire une extension considérable. Notre climat et notre sol conviennent parfaitement au mûrier. Si cet arbre, essentiellement du midi, végète très-bien dans les contrées chaudes, il trouve dans notre pays tous les éléments nécessaires pour un bon déve- loppement ; en effet , que faut-il au müûrier ? Il faut que la tem- pérature moyenne reste au moins pendant trois mois à 12 degrés au-dessus de zéro, après la récolte des feuilles, afin que les nouvelles pousses aient le temps de s'arrêter avant l'hiver. Que ces pousses ne soient pas fréquemment exposées à des gelées blanches, que les feuilles reçoivent une lumière intense et un air vif, qu’elles ne soient pas soumises aux effluves marécageux, aux maladies miasmatiques, car elles contracteraient des pro- priétés pernicieuses pour les vers-à-soie. On cultive également le mûrier noir Morus nigra L., son fruit gros, acide et sucré sert à faire d'excellents sirops , son bois pèse 99 kilogrammes les trois décimètres cubes. Les ouragans que nous avons éprouvés dans le mois de janvier 1873 ont déraciné le plus beau mûrier noir qui existait en Anjou. Cet arbre qui se trouvait à Chaussis près le couvent de la Baumette avait plus de deux cents ans d'existence. . Le seul orme qui croît spontanément en Maine-et-Loire est l'Ulmus campestris L., très-commun dans toutes nos haies. Ses variétés sont : U. nuda Kock, U. suberosa Kock, U. coryli- folia Hos. L’arboriculture a introduit lUlmus montana’ Sm; effusa W. pendula Sweet. Pedunculata Foug. Stricta Mich. Fulva Mich. Microphylla Per., etc. Guettard ne pouvait jamais prendre connaissance d’un ouvra- ge relatif à ses études favorites, sans essayer après lecture à ajouter queiques découvertes à celles de l’auteur. Aussi ayant lu le livre de la Siatique des végétaux de Hales, it n’eut qu’un désir, faire aussi sur cette matière des expériences; il s'adressa pour cela au duc d'Orléans, son protecteur, qui s’em- pressa de lui procurer tout ce dont il avait besoin pour ses étu- des : « Non-seulement, il voulut, dit Guettard dans son mémoire (1748), que je fisse des expériences dans son jardin, mais il dai- gna même me faire part des réflexions que ces expériences lui suggérèrent et j'ai toujours trouvé dans ses réflexions de nou- 2 69 1e velles vues , et de quoi redresser celles que je pouvais avoir. Son Altesse Sérénissime a, outre cela, bien voulu me communiquer les observations météorologiques qu’elle a faites pendant le cours de ces expériences , et qui ne sont qu'une suite de celles qu’elle a faites depuis quelques années. » Guettard fit quinze expériences d'où il tira cette conclu- sion : 4° Qu’entre les plantes il yen a qui transpirent beau- coup tandis que d’autres, exposées à la même chaleur, plantées dans le même terrain, transpirent beaucoup moins, et qu’il yen a même dont la transpiration est presque nulle. 2 Qu'il est né- cessaire que les plantes soient frappées immédiatement des rayons du soleil, pour augmenter la transpiration , et qu'une plante qui serait dans un heu plus chaud, mais privée des rayons du soleil pourrait transpirer moins qu’une autre de même espèce qui serait dans un endroit moins chaud, mais soumise à l’action des rayons de cet astre. 3° Que la transpiration n’est pas égale pour toutes les parties des plantes et même que la surface qui reçoit les rayons du soleil transpire plus que celle qui ne les reçoit pas. 4° Que les plantes qui gardent leurs feuilles et qui fleurissent pendant cette saison doivent même transpirer moins dans ce temps que dans l'été. Le duc d'Orléans avait reçu, en l’année 1749, du chirurgien Lieutaud et du conseiller au conseil supérieur de l'Ile de France, M. Le Juge, deux aids de chenilles qui fixèrent l'attention de Guettard. Ces nids venaient du fort Dauphin de Madagascar. Guettard remarqua qu’un de ces nids était l’œuvre d’une seule chenille, tandis que l’autre était due à une nombreuse famille d’une autre espèce de ces insectes. Sur les instances du duc d'Orléans, il présenta un travail à l’Académie des sciences, dans lequel après avoir décrit les deux nids, il donnait une curieuse description des papillons qui en sortaient et qui appartenaient aux genres Pemphides, Pomphalodes, Pterigurus, Pyrallis, En- taphius, Geometra, Thips, Tinea, Ex, Pyrausta, Seres, Bom- bylius, Hepialus, Psaluges, Tylus, Tentorium, Eryopteris. Sur les instances de l’Académie des sciences, Guettard reprit en 1750 ses travaux relatifs à la transpiration insensible des plantes. L'Académie demanda que Guettard voulût bien se livrer aux expériences suivantes : = Hi « 4° Au lieu de laisser une branche en expérience pendant plu- sieurs jonrs, sans Ôter du récipient la liqueur qui en avait trans- piré, retirer cette liqueur tous les jours afin de pouvoir comparer par là aisément la différente action du soleil sur une même plante, action qui devait varier suivant que le soleil serait plus ou moins net. 2 Tenir la plante entièrement renfermée dans un globe et s'assurer si une plante qui doit s’imbiber la nuit des parties aqueuses répandues dans l'air, ne soufirirait pas étant sevrée de celte eau. » Dans cette même année, Guettard donna deux mémoires à l'Académie sur les glandes des plantes et sur l’usage que l’on peut faire de ces parties dans l'établissement des genres des plantes. Ses observations furent faites sur le Chamælium, le Linocarpum, la fève, la vesce, l’aigremoine, la sen- sitive, le Camara, le Barleria, la ficoïde, le Trifolium, le Statice, la globulaire, le Petasites, le Solidago, la jacobée, l’Aster, l'aunée , la doronique, le Geranium, l'origan, la mar- jolaine, la sarriette, le thym , le serpolet , le calament, le la- mier, le Galeopsis, l'hysope, la lavande, la coronille , d’Hypo- chæris, la verveine, la joubarde, le Cotyledon, le pissenlit, la santoline, la verge d’or, l'immortelle, le Filago, le Gnaphalium, l'hélianthème, la centaurée, la jacée, le bluet, la chausse- trappe, la rhaponticoïde, l’ambrette, et les chênes. Une étude géologique de Guettard parut en 1731 ; elle est intitulée : Sur quelques corps fossiles peu connus. L'auteur parlant des fossiles désignés vulgairement sous le nom. de Fiques et de Poires pétrifiées, ajoute : « Une ressemblance grossière de ces derniers corps avec les fruits aux- » quels on les a comparés, peut disculper du préjugé où sont tombés ceux » qui, après un examen assez superficiel, pensent que ces fossiles sont » réellement les corps qui leur ressemblent, qui, renfermés dans la terre, » y ont pris une consistance solide et pierreuse. Ce préjugé est tel qu'il » n’est pas facile d’en faire revenir ceux qui s’y sont laissés entraîner : Je » l'ai trouvé entièrement établi dans des pays où ces fossiles et les fruits » dont ils approchent par la figure sont communs. » Puis, s'appuyant sur le témoignage du père Rose, de l’Ora- me, Ms toire, il cite la lettre suivante qui lui fut adressée par ce savant religieux : « Pour les fruits et les autres corps mous, j'ai bien de la peine à croire » qu'ils puissent se métamorphoser ainsi, malgré les assurances que m'a » données un de mes amis de Tours, qui prétend avoir des poires, des » pêches, des pommes et des poires pétrifiées. Je n’ai pas plus de foi à » cette pétrification que vous : je n'ai jamais pu me persuader que ces » espèces de fossiles fussent de vrais fruits terrestres pétrifiés, de sorte que » je n’eus aucune peine à embrasser votre sentiment. Vous rangez tous ces » corps dans la classe des figues de mer, il faut donc qu'il y en ait de dif- » férentes espèces : ce qui est bien sûr, c’est que la forme soit extérieure, » soit intérieure, n’est pas la même dans toutes. Il y en a qui ressemblent » parfaitement à des poires, d'autres à des oignons : j'en ai aussi qui ont » la forme de ces grosses raves du Limousin que les habitants appellent » Rabioles. Quant à l'organisation intérieure, elle varie presque dans toutes : » j'ai ouvert quelques-uns de ces prétendus fruits, en les cassant avec le » marteau, et j'ai trouvé de la différence ! dans presque tous, soit pour » leur couleur, soit pour la matière dont ces corps sont formés. Il y en a » qui ont réellement la figure intérieure d'un oignon ou d'une poire. Je ne » fus jamais si étonné que de trouver dans un de ces fossiles la figure » d’une orange, et presque tous ceux à qui je l'ai montré l'ont reconnu » comme moi. Malgré cela, je ne suis point du tout persuadé que ce soient » des ffuits terrestres pétrifiés, je crois que ce sont des corps qui ont crû » dans la mer, que cet élément renferme une infinité de productions qui » Ont quelque rapport avec celles de la terre. Ces sortes de fossiles ne sont » pas rares dans ce pays-ci, c’est-à-dire aux environs de Saumur ?, jy » trouve à peu près les mêmes que j'ai recueillis à Vendôme et en Tou- » raine. » ‘ Dans son mémoire sur les granits de France comparés à ceux d'Egypte, Guettard conclut qu’il y a peu de différence entre eux et ce n’est probablement que faute d’un plus grand nombre d'observations sur l'Egypte, que la ressemblance n’a pas encore été constatée plus grande. Guettard observa le premier que les montagnes d'Auvergne étaient des volcans éteints. Il allait à Vichy avec Malesherbes, ! Ces différences ne sont pas essentielles. ? Toutes personnes qui voudront sérieusement étudier la géologie en Maine-et-Loire, devront visiter le riche cabinet d'histoire naturelle de la ville de Saumur, entièrement formé par notre savant collègue, M. Auguste Courtiller. . Fon ue autrefois son condisciple, depuis son ami. Un goût commun pour l’histoire naturelle, l'amour de la liberté, la franchise, l’oubli absolu de toute ambition, le même mépris pour toutes les chaînes dont l’usage accable l'homme de la société avaient formé entre eux une liaison intime, que les différences d'opinion, de caractère, d'occupation n’avaient pu briser. À Moulins, Guettard remarqua une borne formée d’une pierre noire, 1l croit la recon- naître pour une lave et demande d’où vient cette pierre; on lui dit qu’elle vient de Volvic, volcani vicus, s’écria-t-1l sur-le- champ, il continue sa route et aperçoit le sommet du Puy-de- Dôme. Je reconnais un volcan, dit-il, tel est l'aspect du Vésuve, de l’Etna, du pic de Ténériffe, que j’ai vu gravés, car jusqu'alors aucun volcan actuellement enflammé n'avait frappé ses yeux. Sûr de sa découverte, il détermine Malesherbes à faire un voyage en Auvergne, monte avec lui sur le Puy-de-Dôme, le pic de Saney, le Mont-d'Or, reconnaît les cratères, les laves, les couches inclinées et parallèles, que les matières fondues ont dû former, remarque encore d’autres volcans dans le Forez et revient annoncer à Paris que ces mêmes Gaules qui, suivant la superstition ancienne, étaient à l'abri des tremblements de terre, avaient dans des temps plus reculésencore, été couvertes par des volcans. Cette découverte eut une grande importance ; elle fut le point de départ de la théorie du Vulcanisme qui cherche dans les phénomènes volcaniques l’explication des faits géologiques. Les observations de Guettard, sur quelques montagnes de la France qui ont été volcans, parurent en 1752. Son travail dans lequel il compare le Canada à la Suisse, par rapport aux minéraux, est fort incomplet, il tire cette conclu- sion que les fossiles de ces deux pays sont absolument les mêmes. (17592.) Dans son mémoire sur les poudingues, 1753, Guettard fut le premier qui introduisit un ordre méthodique dans cette multi- tude de pierres auxquelles on a donné ce nom. Il divisa en gé- néral les poudingues en deux classes , la première comprend ceux qui ne sont pas susceptibles de poli , et la seconde ceux qui peu- vent le recevoir. Entre ceux qui ne se polissent point il distin- gue les cailloux petits, irréguliers, liés par une terre ferrugi- PS ur neuse ; cette espèce de pierre est abondante dans certains cantons de la Normandie où on lui donne le nom de Grison. En 1753 Guettard commença à faire imprimer le catalogue raisonné du cabinet du duc d'Orléans , catalogue qui contient la description de toutes les richesses scientifiques de ce magnifique musée formé en grande partie par l’intelligent conservateur. Ce catalogue fait partie de la bibliothèque du duc d’Aumale, membre de l’Académie française. Trois mémoires sont publiés en 1754 sur les stalactites, Guettard s’attache dans ce labeur à détruire les fables trop ac- créditées sur ces concrétions. Lorsque l’eau chargée de quel- que matière qu'elle a dissoute ou entraînée, se fait jour dans l'intérieur d’une grotte , d’une citerne où elle distille lentement, il arrive très souvent que ces matières s’en séparent et forment en se durcissant des corps de différentes figures auxquels cette manière de se former , a fait donner le nom de stalactites, du grec stalazein, couler goutte à goutte. Les anciens en distinguaient de plusieurs espèces qu’ils carac- térisaient par leurs figures , auxquelles ils donnaient des noms différents. Guettard range sous le nom général destalactite , toutes les concrétions formées par les matières que l’eau entraîne avec elle, il pense même qu’on doit comprendre dans leur nombre les dépôts pierreux, dont l’eau distillante , stagnante ou courante enduit et incruste quelquefois les corps qu’elle mouille, et ilne les distingue que par la nature des matières que l’eau charie. Guettard avait visité les grottes d'Auxelles (Franche-Comté), d’Arcy (Bourgogne) , de Caumont près de Rouen (Normandie), de Labalme près de Lyon, et il y a selon lui des stalactites de sa- ble, de calcaires, spatheuses, cuivreuses, pyriteuses , etc., mais il s’est borné seulement à examiner les stalactites de sable et les stalactites de calcaires. Le travail de Guettard sur le terrain , les pierres et les différents fossiles de la Champagne et de quelques endroits des provinces qui l’avoisinent (3 juillet 1754), produisit à son apparition une vive sensation dans le monde savant et si ce mémoire n’est plus au niveau des études , on ne saurait trop admirer dans ses nombreu- ses observations le savoir de l’auteur. L'usage que l’on faisait journellement du tripoli donna la — Mu pensée à Guettard d'étudier cette substance. Après avoir com- pulsé les mémoires qui traitent du tripoli, Guettard se posa cette question: Est-ce une substance minérale comme l’affirme Ludwig ? Est-ce une substance végétale comme le prétend Gardeil qui s'appuie sur ce qu'il a observé une carrière de tripoli en Breta- gne, dans laquelle les morceaux de tripoli conservent encore la forme des arbres qu’il croit avoir servi à le former. Guettard ayant sérieusement examiné les diverses exploitations de tripoli, entre autres celle de Menat à trois lieues de Riom (Puy-de-Dôme), tira cette conclusion que le tripoli était une substance essentiellement minérale et en fit une classe intermé- diaire entre les glaises et les schistes. De nos jours il est consta- té que la plupart des roches employées sous ce nom, sont for- mées de silice terreuse. Ehrenberg croit que chaque grain de tripoli est dû à une dépouille d’infusoires, il y a reconnu des débris d'animaux de cette classe encore existants aujourd’hui. Les recherches que l’on avait faites sur les poissons , les co- .quillages qu’on rencontre dans la mer, avaient jeté une lumière nouvelle sur l’histoire des corps marins que l’on trouve ensevelis dans le sein de la terre. Mais que d’êtres encore innommés , que d’autres mal observés! comme l’a justement démontré Guettard dans son mémoire sur les encrinites et les pierres étoilées (1755). La nature de ces débris fossiles nommés encrinites, si nombreux dans les terrains qui terminent la série primaire et dans ceux qui concernent la période secondaire , fut décrite pour la pre- mière fois par Guettard. « Les encrinites; dit-il, sont des amas de petits corps de différentes figures, » articulés les uns avec les autres et qui , ainsi réunis, donnent naissance » à des espèces de lames longues, sillonnées transversalement , qui, par » leur réunion , représentent en quelque façon la fleur d’un 1ys. Lorsque » les encrinites sont composées de cinq de ces lames, le total porte le nom » de pentacrinite.…. Qu'une encrinite avec sa base soit maintenant imagi- » née soutenue par une entroque ! radiée ou étoilée, alors on aura un de » ces corps auxquels on à donné le nom d’encrinite à queue. » Guettard remarqua dans le cabinet de M. Boisjourdain un ani- mal marin d’une forme singulière rapporté des mers des Antilles; 1 On nommait entroque, pierre étoilée, asteries, trochites, des corps que l’on trouve à profusion dans les terrains où l'on recueille les encrinites. MSP pue cet animal était désigné sous le nom de palmier marin, Guet- tard reconnut en lui une espèce vivante de même conformation que les encrinites. Le palmier marin est aujourd’hui désigné dans la science sous le nom de pentacrine tête de Méduse P. Fas- ciculosus (Alcide d’Orb.), et dont l'espèce seulement connue dans les mers des Antilles est, selon l'expression du professeur Paul Gervais, le triste débris de la magnificence de ces beaux lys de mer de l’ancien monde. L’échantillon du palmier marin décrit par Guettard se trouve aujourd’hui au Muséum d'histoire naturelle de Paris. Le mémoire de Guettard sur les plantes qu’on peut appeler fausses parasites , ou plantes qui ne tirent point d’aliment sur lesquelles elles sont attachées (3 avril 1756), eut pour but dedé- truire des erreurs généralement admises. Ainsi, par exemple; Tournefort prétendait comme Théophraste, que le lierre était une plante parasite vivant au dépens des arbres auxquels il s’at- tachait , et que les fibrilles ou crampons qui le tenaient adhé- rent à l’arbre , n'étaient que de véritables suçoirs qui enlevaient à l’arbre toute sa sève et le faisaient périr. Ce qui est certain, c’est que les troncs d'arbres enveloppés dès leur base par le lierre finissent toujours par en souffrir ; l’action nuisible du lierre n’est pas comme parasite puisqu'il est fixé sur les arbres dans le seul but de s’y soutenir, mais bien, comme l’a démontré Guettard, par une compression lente de la tige 1. Les observations qui peuvent servir à former quelques carac- tères de coquillages (26 mai 1756), facilitèrent l'étude fort négli- gée alors d’un grand nombre de mollusques terrestres et aquati- ques, tels que les limaçous et les planorbes ?. ! Nous avons publié dans le XIe volume des Annales de la Société Lin- néenne une étude sur le lierre , sur cette plante si célèbre dans l'antiquité et qui était consacrée au dieu Bacchus, soit, dit Desfontaines, à cause de sa verdure perpétuelle , emblême de l’éternelle jeunesse du dieu de la vendan- ge, soit parce qu'on lui attribuait la propriété de suspendre l'ivresse , ou, suivant d’autres , d'en augmenter le délire lorsqu'on en mêlait au vin. Dans les jours de fêtes, les statues, les thyrses, les casques, les boucliers du Dieu étaient ornés de lierre et les bacchantes en portaient des couronnes. * Ces mollusques n’ont point été sérieusement étudiés jusqu’à ce jour en Maine-et-Loire ; il y aurait là, pour un naturaliste, un sujet nouveau, intéres- sant à traiter. = #48 — Tournefort et Vaillant avaient décrit les plantes des environs de Paris, Réaumur les insectes, et préparait une faune. Guettard pensa que celte grande série de travaux devait être complétée par une étude minéralogique ; le 27 novembre 1756 il présenta un mémoire à l’Académie intitulée Description minéralogique des environs de Paris, travail d’abord insuffisant et complété par l’auteur en 1763. Enfin dans cette même année 1756 il publia un dixième mé- moire sur les glandes des plantes. Dans ce livre, l’auteur s'occupe spécialement des glandes lenticulaires, des glandes à godet , des filets à mamelon globulaire, des filets cylindriques, des filets coniques. Pour composer cet ouvrage, Guettard fit des observations sur cent neuf plantes. En 1757, Guettard fit paraître son important travail sur les ardoisières d'Angers. Ce travail est du plus haut intérêt pour quiconque veut sérieusement étudier nos carrières de schiste tégulaire. Perdu dans les mémoires de l'Académie des sciences, il est de nos jours à peu près ignoré. Nous avons cru, dans une étude comme celle que nous faisions sur Guettard, devoir non- seulement ne pas passer sous silence cette curieuse et savante histoire de nos ardoisières, mais bien encore en reproduire les principaux passages. Nous pensons que tous ceux qui s’intéres- sent à la grande industrie angevine seront heureux de connaître un tel labeur qu’on ne saurait trop consulter !. ! Les travaux que nous connaissons sur les ardoisières d'Angers sont : 1° Mémoire et instruction pour traiter et exploiter les carrières d’ardoises d'Angers à meilleur marché et plus utilement, par Sartre. Angers, imprimerie de Louis-Charles Barrière, libraire-imprimeur de la ville et du Collége, M. DCC. LXV. 2° Révolte des Perreyeurs, par Aimé de Soland. Bulletin historique et monumental de l’Anjou, 1859. 3 Essai sur l’état actuel de l'Industrie ardoisière en France et en Angle- terre, par L. Smyers jeune, 1858. Excellent ouvrage écrit sans partialité. Ce livre a été critiqué par plusieurs industriels uniquement parce qu'il dit la vérité. 4 Essai sur l'industrie ardoisière d'Angers, par M. A. Blavier, ingé- nieur des mines. Cet ouvrage a obtenu le prix de cinq cents francs décerné par la Société industrielle en 1863 (prix du Conseil général). LONG MÉMOIRE SUR LES ARDOISIÈRES D'ANGERS. « Après ce que plusieurs naturalistes étrangers, Scheuchzer surtout, ont dit des empreintes de plantes et de poissons qui se voient sur les ardoises , il pourra paraître singulier que nous ayons ignoré jusqu’à présent si les ar- doisières de France renferment de semblables ardoises: on pourrait présu- mer, à la vérité, qu'elles en contenaient, mais aucune observation n'ap- puyait cette présomption ; ilétait réservé à M. de Montigny, membre de cette académie , de procurer ces preuves aux naturalistes. » C’est à l’envie qu'il a eue de déposer dans le cabinet de l'Académie une suite des ardoises singulières des environs d'Angers , qu'on devra la con- naissance de ce que ces ardoisières présentent de curieux en ce genre; mais, outre cette obligation que lui auront les naturalistes en général, je lui serai redevable encore, en mon particulier , d’avoir bien voulu , en cette occasion , me sacrifier les observations qu’il avait faites , comme il m'en à sacrifié plusieurs autres dont j'ai déjà parlé autre part, ou dont je ferai mention lorsque je traiterai quelques matières qui y auront rapport. » Pour répondre aux vues de M. de Montigny , j'ai donc cru devoir exa- miner ces ardoises avant qu’elles fussent déposées dans le cabinet de l'Aca- démie ; elles ont été envoyées d'Angers à M. de Montigny par M. Sarte!, entrepreneur de diverses carrières d’ardoises , que son goût pour l’histoire naturelle à mis en correspondance avec plusieurs membres de cette compa- gnie. J'ai d'autant plus volontiers traité cette matière, que j'ai pensé que ce serait sans doute entrer dans les vues de l’Académie , qui n’est flattée d’avoir un semblable dépôt que pour le rendre utile au public, et lui faire con- naître ce qu'il renferme déjà et ce qui peut y entrer de nouveau. Je suis fort aise d’être un des premiers à répondre à ses intentions, et de commencer par une matière qui n'est pas des moins curieuses en histoire naturelle, » Je ne commencerai pas cependant par décrire ces empreintes , je crois devoir faire auparavant la description des ardoisières mêmes; je la ferai d'après ce que nous a écrit M. Pocquet de Livonnière, professeur de Droit et secrétaire de l'Académie d'Angers, et d'après les observations de M. de Montigny. Ce que je rapporterai d'après lui ne sera pas moins curieux , puisqu'il regarde l'inclinaison des bancs des ardoisières et l'angle qu’ils font à l'horizon. En général je me renfermerai dans ce qui re- garde les ardoisières en question ; et si je rapporte certaines observations faites dans quelques autres , ce sera seulement par comparaison, et pour compléter en quelque sorte l’histoire de ces carrières. Ce n’est que par de semblables motifs que je dirai quelque chose des empreintes de plantes ou d'animaux tirés de carrières composées de pierres d'une nature différente de celle de l’ardoise ; je n'aurai en vue que de faire mieux connaïtre ces em- ? C'est Sartre qu'il faut lire , M. Sartre était directeur général de la Société royale d'Agriculture de la généralité de Tours au Barreau d'Angers. US ARE preintes les unes par les autres et de déterminer à quel genre de plantes ou d'animaux on doit les rapporter. Suivant le plan de re mémoire , je traiterai donc, après la description des ardoïsières , des empreintes dues à des plan- tes, je finirai par celles qui ont été laissées par des animaux. Je passe à la description des ardoisières. » Quoiqu'il y ait un très-longtemps que ces carrières fournissent de l’ardoise à Paris, et'à une grande partie de la France , et même aux pays étran- gers , ce n'est cependant que depuis très peu d’années que nous en avons une description ; elle se trouve dans le troisième volume de l'Encyclopédie M DGC LXXVIT À. » Quoique les ardoisières ne présentent point à la vue cette variété de bancs dont la plupart des carrières des autres pierres sont composées, quoi- que ceux des ardoisières n aient pas une différence bien sensible en couleur , qu'il y ait presque une même teinte dans toute l'étendue de ces carrières , et que la vue soit par là peu satisfaite de cette uniformité de matière et de couleur , une masse de deux cents , deux cent vingt-cinq pieds , et quelque fois plus , de hauteur , sur une largeur de cent cinquante en un sens , et de deux cents en un autre , ce qui forme un carré long , l’inclinaison considé- rable que ces bancs ont, et l'angle par conséquent qu’ils font avec l'horizon , ajoutent à cette première surprise. Rien n’est plus propre à l'augmenter encore que la manière dont les ouvriers exploitent ces carrières , et la dis- position qu'elles prennent conséquemment à ce travail : on dirait que ces 1 Voici ce qu'on lit dans l'Encyclopédie sur les ardoisières d'Angers : ardoise, Hist. nat. Mine- rale. Lapis fissilis ardesia ardosio ; espèce de schiste, matière de la nature de l'argile, de couleur bleue ou grise, ou même rousse, qui se divise en lames minces, plates, unies, qu’on emploie pour couvrir les maisons. Cette espèce de couverture n'était pas connue des anciens ; le nom d’ardoise est nouveau , mais cette matière a servi, dans les temps passés, de moellon pour la construction des murs. On en fait encore aujourd'hui le même usage dans les pays où il s’en trouve des carrières. On dit que la plupart des murs d'Angers sont bâtis de blocs d'ardoise, dont la couleur rend cette ville d’un triste aspect. L'ardoise est tendre au sortir de la terre ; mais exposée à l'air, elle acquiert assez de dureté pour contenir le poids d’un bâtiment, c'est pour cette raison apparemment qu'on lui a donné le nom de pierre. Cependant ce n’est qu’une terre plus dure qu'une autre; c'est un schiste, un ar- gile comme nous l'avons dit, mais qui se trouve à une grande profondeur dans la terre. A mesure u’on creuse davantage, on trouve cette terre plus dure et plus sèche ; elle est disposée par bancs dans lesquels il y a des fentes qui se trouvent si près les unes des autres, que les bancs qu'elles for- ment ont très peu d'épaisseur, C’est par les fentes qu’on les divise, lorsqu'on les prépare à servir de couverture aux bâtiments. Nos plus fameuses carrières d'ardoises sont aux environs d'Angers ; aussi est-ce dans la province d'Anjou que se fait le plus grand commerce d'ardoise pour le royaume et pour les pays étrangers. La plus belle vient de Trélazé et des Ayrault ‘, paroisses distantes d’une lieue de la ville d'Angers. Mais on trouve de l’ardoise de différentes qualités en d’autres lieux de l’Anjou, il y en a dans les paroisses de l'Hôtellerie-de-Flée , de la Jaille , de Marigné près Daon et dans l'élection de Chà- teaugontier. * I yaïiciune erreur, il n'existe pas en Anjou de paroisse nommée les Ayrault. On trouve dans un très-grand nombre de communes de l’Anjou des localités qui portent le nom d'Airaux, d'Arée, mots dont la signification est très -facile à comprendre, Bouillet, dans son Dictionnaire des Sciences , a publié pn article sur les Ardoisières d'Angers, article évidemment copié dans l'Encyclopédie, et où il commet l'erreur que nous signalons. NON carrières sont autant de cascades , par les repos que les travailleurs laissent de temps en temps, à proportion qu'ils descendent et pénètrent dans la masse de l’ardoise, Il se présente alors bien des idées à l’esprit, on se fait bien des demandes, on cherche des explications , et les explications sont suivies de difficultés qui paraissent et qui sont peut-être en effet insurmon- tables. » Une ardoisière est formée par des bancs plus ou moins hauts, d'une pierre qu’on brise aisément par feuillets, et qui sont inclinés à l'horizon ; ces bancs ont en général une hauteur verticale assez considérable : les premiers sont ordinairement ceux qui sont les moins hauts, et celui qui est à la surface de la terre n’est souvent composé que de petits quartiers de pierres qui ont une figure rhomboïdale, et qui se détachent aisément les uns des autres. » Après ce banc il n’est pas rare d’en voir qui ont plusieurs pieds de hau- teur et cette hauteur augmente selon que les bancs sont plus profonds, de facon que ceux d’en bas ont vingt à trente pieds dans cette dimension, sur une largeur indéterminée. Ce sont communément ceux qui se délitent avec plus de facilité, ils sont aussi d’une pierre plus fine , et probablement plus homogène. ; » Ces lits sont rarement séparés les uns des autres par des couches de matière étrangère ; mais s'il arrive qu'on y en trouve une, elle est constam- ment inclinée, tantôt à droite, tantôt à gauche , sous un angle d'environ quarante-cinq degrés; plusieurs endroits d’une des carrières dont il s'agit, et qu’on nomme la carrière de Bouillon ! , mesurésexactement, se sonttrouvés de six pouces de retraite sur sept pieds et demi de hauteur perpendiculaire : l'inclinaison du rocher n’est pas , à beaucoup près, aussi considérable , il n'a que vingt pouces de retraite pour sept pieds et demi de hauteur. Sur les coupes antérieures de ces rochers, les lits de matière intermédiaire forment en quelque sorte des V consonnes alternativement droits et renversés. Cette matière est ordinairement une espèce de beau spath blanc, appelé chaz par les ouvriers et qui est mêlé quelquefois de parties d’ardoises et de petits points avec pyrite jaune, mais changeante comme la gorge de pigeon. » Outre ce spath, qui se trouve aussi dispersé quelquefois dans le corps de l’ardoise même , on rencontre encore souvent ainsi répandues des pyri- tes cubiques , plus au moins blanches ou jaunes, et des grosseurs qui ne varient pas moins ; il y en a depuis une ligne ou deux en toute dimension jusqu’à quatre , cinq et six lignes. Quelquefois la matière qui forme ces py- rites n’a pas pris de forme régulière, elle s’est étendue sur les surfaces des feuillets et y a formé des plaques irrégulières. » Au lieu de ces pyrites cesont souvent de petites étoiles salines , blanches, horizontales et plus ou moins régulières. Dans les unes les rayons sont en plus grand nombre d'un côté que d’un autre ; dans d’autres , ces rayons se répandent en tous sens autour d’un centre commun , d'où ils partent en se ? C'est Bouillou qu'il faut lire. LR TER divergeant. Ces rayons sont de petites lames plates, arrondies ou coupées carrément par leur extrémité supérieure, et qui peuvent avoir depuis une demi-ligne jusqu'à trois de longueur , de façon que les étoiles sont d’une ligne ou de six au plus dans leur diamètre. » Les accidents les plus curieux qui se rencontrent dans les ardoisières sont, sans contredit, les empreintes des plantes et des poissons ; mais comme cet objet est le principal que je me suis proposé d'examiner dans ce mémoi- re, je dois, à ce que je crois, avant d’en parler , faire la description de la manière dont on exploite ces carrières , afin que l’on comprenne plus aisé- ment quelles sont ces espèces de cascades dont j'ai parlé plus haut. » Quand on veut faire l'ouverture d’une ardoisière , on commence par ranger de niveau toute la superficie qu'on a dessein d'exploiter , on la net- toie exactement ; on trace ensuite sur cette superficie quatre lignes, deux dans la direction des lits d’ardoises , c’est-à-dire de l’est à l’ouest, et les deux autres du nord au sud. Les deux premières forment la longueur de la carrière , elles ont ordinairement cent cinquante pieds ; les secondes mar- quent la largeur , on leur a donné deux cents pieds ; c’est sur ces dernières qu'on bâtit les machines qui servent à l’exploitation de la carrière. À cet effet , on coupe la pierre dans la longueur de ces lignes, et on dirige cette coupure suivant une perpendiculaire : on l’ouvre par le milieu de la carrière, et de l’est à l'ouest ; on enlève à mesure les quartiers d’ardoise qu’on déta- che , et les eaux qui se rassemblent au fond de cette tranchée ; on l’élargit peu à peu , en délitant de part et d'autre les bancs d’ardoise, jusqu'à ce que toute la superficie de l’ardoisière soit découverte et bien nettoyée. On donne à cette tranchée neuf pieds de profondeur ; et on l'appelle la première foncée. » On partage ainsi la carrière par foncées égales et semblables : les deux côtés de ces foncées s’appellent bancs. ILest presque impossible de pousser une carrière au-delà de vingt-cinq foncées, c’est-à-dire deux cent vingt- cinq pieds ; on en est empêché par le danger où l’on pourrait se trouver dans les dernières, les chutes des pierres devenant plus à craindre. » Ordinairement la pierre des dernières foncées est la plus parfaite : il n’y à cependant pas de règle sûre à ce sujet; quelquefois la pierre qu'on tire après la première découverte se trouve bonne pendant deux ou trois foncées , elle se dément ensuite pendant quatre ou cinq, d’autres fois la carrière ne donne de bonnes pierres qu’à la quinzième ou seizième ; c’est alors huit ou dix ans après le commencement de ce travail et après les plus grandes dépenses. D'autres fois enfin la carrière continue à ne rien valoir ; telles ont été celles de Terre-Rouge et de la Maze. Celle-ci a causé à ses entrepre- neurs plus de cent soixante mille livres de perte; ilest, comme l’on voit, très fâcheux d’être dans l'impossibilité de trouver à la superficie aucune marque qui dénote si la qualité du fond sera bonne ou non » Ce n'est qu'en avançant qu'on peut s’en assurer. » Un point des plus intéressants dans l'ouverture de ces foncées est de détacher les lames des lits d’une manière uniforme, de façon qu'elles LE VER aient une égale épaisseur dans toute leur étendue. Pour les avoir telles , ou du moins le plus exactement qu'il est possible , les ouvriers qui sont em- ployés à cette partie de ce travail, se rangent quinze, dix-huit oumême plus sur une même ligne ; ils enfoncent dans la pierre dont ils veulent enlever une partie, chacun un coin de fer à une certaine distance l'un de l'autre, et ils frappent avec une grosse masse de même métal sur ces coins, de manière que les coups ne portent à l'oreille qu’un seul et même son, et c’est en cela que consiste le grand talent de ces ouvriers !. » La façon dont les bancs d’ardoise sont composés facilite ce travail; ce sont en quelque sorte, de grands feuillets appliqués les uns sur les autres et posés sur champ; ainsi les ouvriers les écartant perpendiculairement , au moyen de leurs coins , cette direction doit faire que les quartiers qu'on veut détacher ne résistent pas beaucoup aux efforts des ouvriers. Lorsqu'ils sont séparés de la masse , on la débite sur le plancher de la foncée où l'on travaille actuellement , et on les monte au haut de la carrière au moyen de machines qui y sont établies. » Ces machines sont assez semblables à celles du puits de Bicêtre , si ce n'est qu'au lieu de seaux , elles descendent et remontent par leurs câbles des caisses carrées qu'on emplit en bas d’ardoise ou d’eau qui sourcille perpétuellement. Cette eau est le grand inconvénient des ardoisières; elles se trouvent quelquefois noyées , quoique l'on puise les jours mêmes de fêtes et de dimanche. Quand l’eau a une fois surmonté les travaux , il faut tout abandonner. » Les ardoises se délitent en feuillets et se taillent en haut de la carrière : ces deux opérations se font d’une manière très-simple et très-prompte, mais qui cependant, pour être exactement décrites , demanderaient qu'on entrât dans un détail qui deviendrait ici trop long; je m’arrêterai plutôt à dire quelque chose des différentes sortes d’ardoises. » On en compte communément onze sortes ; on leur a imposé des noms tirés ou de la figure que les ouvriers leur donnent en les taillant , ou de la couleur qu’elles ont naturellement , ou des accidents qui peuvént altérer cette couleur primitive ou de leur grain plus ou moins fin. » Quand je dis que les ardoises ont un grain d'une feuille qui varie ,ilne faut pas penser que cette espèce de pierre soit comme tant d’autres , grai- neuse et raboteuse au toucher. Au contraire , elle est douceet plutôt en quel- que sorte fibreuse ou filamenteuse. Lorsqu'on la regarde d’un certain sens, elle paraît avoir quelque chose de soyeux ; en cela elle tient de certains schistes et elle n’en diffère qu’en ce que ce soyeux y est moins apparent que dans les schistes et que les fibres y sont moins distinctes : plus une ardoise est soyeuse, plus aussi elle est fine ; celle qu’on appelle carrée fine , me paraît être dans ce cas ; la carrée forte est bien peu différente, elle a partout quelque chose de moins brute, elle est plus matte ; la grosse noire approche de celle-ci, je ne vois pas qu'il y ait des marques bien sensibles qui puis- 1 Ce moyen est encore en vigueur, VO sent distinguer de ces deux sortes celle qu'on appelle poil noir et poil gros noir ; celle que l’on nomme poil taché, ne porte ce nom que parce qu'elle est parsemée de certaines taches d’un blanc sale, qui me paraissent salines et qui s’enlèvent aisément par le frottement. Les taches qui ont fait donner le nom de poil roux à celle qui est ainsi désignée, sont d’une autre nature ; elles sont d’un jaune bronzé et occasionnées par quelque teinture martiale. De celles qu’on appelle la carte , la dondelle, le taillet, et la cofine, il n’y a que cette dernière qui présente quelque singularité , qui consiste en ce que cette sorte d’ardoise est courbe. Cette courbure ne dépend pas de la taille , mais de ce que le banc dont on tire cette sorte d’ardoise est courbé , ce qui peut provenir de ce que quelque corps étranger à l'ardoise s’est formé entre les lames de ce banc, tels que peuvent être du quartz ou des pyrites , ou bien de ce que quelques poissons ou des plantes y ayant été ensevelis, auront ainsi courbé la matière qui les entourait. Toutes ces ardoises , les plus fines comme les plus grossières , font voir à la longue de très-petites paillettes blanches et brillantes , que je regarderais comme des paillettes talqueuses ; plus l’ardoise a de finesse et moins elle m'a paru être parsemée de ces paillettes , le poil roux est celle qui m'a semblé en avoir le plus , aussi est- ce, je crois, celle qui a le moins de qualité , et qui est la moins propre à se déliter , la plus remplie de matière étrangère et la plus lourde, de même que la carrée fine est la plus mince , et la plus légère , ce qui la rend plus propre aux couvertures des maisons , qui sont par là moins chargées ; ilest vrai que cette finesse et ce peu d'épaisseur font qu'elle est plus sujette à s’imbiber dans les temps de pluie et à se retrécir par l’action de la chaleur, ce qui lui fait souffrir un mouvement de vibration qui peut être un inconvé- nient , et qui du moins en a paru un aux couvreurs de Paris, mais cet incon- vénient , si c’en est véritablement un , se trouve bien compensé par l’avan- tage que cette ardoise a, non-seulement de charger peu les toits, mais encore d'être moins capable de blesser les passants , lorsque dans les ouragans les ardoises des couvertures sont arrachées et emportées par la violence du vent. » Quelles que soient du reste ces ardoises , ellesnesont différentes entr'elles qu’accidentellement , dans les choses mêmes qui ne dépendent pas de l’art ; ainsi on ne peut les regarder toutes que comme des variétés les unes des autres. Elles conviennent encore , en ce qu’elles ne se dissolvent pas dans les acides minéraux et qu'elles présentent des traits blancs lorsqu'on écrit dessus avec un stylet de fer , ou de toute autre matière dure et perçante. Avant Guettard, les divers travaux qui avaient été publiés sur les ardoisières d'Angers, tendaient tous à prouver que les empreintes qu’on remarque dans le schiste lamellaire, n'étaient autres que des empreintes de plantes ou des dendrites. Guettard signale le premier l’existence des trilobites dans nos ardoisières. Il reconnaît leurs aflinités avec les crustacés et il les compare aux pous de mer. Les observations de Guettard ont été : 6) sp, NES faites à la carrière de Bouillou aujourd’hui détruite et dont le seul souvenir est la rue qui porte ce nom : « Je vais démontrer, dit-il, que ce sont des crustacés; il y aurait même du ridicule après les preuves que j'en apporterai, à prétendre qu’elles peuvent avoir été faites par des feuilles de plantes, et qu’elles auraient été formées par leurs nervures ou leurs côtes, comme on le voit dans les empreintes des fougères qu'on trouve sur les schistes qui composent les premiers bancs des mines de charbon de terre ; une de celles sur lesquelles il n’y a point de doute à avoir, vient d’une espèce de crabe, ou plutôt d’un écrevisse de mer; l'impression des grandes pattes ou des serres que ces animaux ont par devant en est une preuve sans réplique; le contour arrondi de l’em- preinte, les côtes transversales dont elle est relevée, appuient encore cette idée. Cette empreinte est considérable par sa grandeur; le corps a sept pouces et demi ou environ de largeur. Cette largeur est à peu près celle de tout le corps depuis la partie antérieure jusqu'aux deux tiers de sa lon- gueur qui sont au plus d’un demi-pied : depuis cet endroit elle se rétrécit peu à peu, et finit en s'arrondissant. Elle ,est coupée transversalement au moins de huit ou neuf anneaux arrondis dont la courbure regarde la partie antérieure ; le milieu de ces anneaux, dans la forme et la direction du dos, paraît coupé par un sillon : antérieurement et latéralement on remarque l'empreinte de deux grandes pattes ou serres, qui sont tournées l’une vers l’autre, dans l'attitude où l'animal les met lorsqu'il veut pincer quelque chose; elles sont divisées en deux portions ou en deux pinces rapprochées de la façon qu'elles le sont lorsque l'animal perce quelque corps. Leur lon- gueur est de plus de quatre pouces sur un de largeur dans leur milieu, leur origine et leur pointe étant beaucoup plus étroites par leur position respec- tive, elles embrassent la partie antérieure de l'empreinte : cette partie est comme triangulaire, sans anneaux, et paraît être l'empreinte de cette por- tion du corps qu’on appelle le casque dans les écrevisses. » Ces anneaux manquent dans une autre empreinte, non-seulement à la portion du casque, mais encore à celle qu'on peut regarder comme formée par la queue. Cette empreinte se divise très-distinctement en trois parties : antérieure, postérieure et intermédiaire; les deux premières sont à peu près longues de trois pouces sur au moins une pareille largeur dans leur plus grand diamètre qui ne se trouve pas précisément dans le milieu, ces parties se rétrécissent insensiblement par le côté qui n’est pas attaché à la partie intermédiaire. Celle-ci, ou le corps, est composée de dix anneaux bien dis- tincts. Les trois anneaux antérieurs ont trois lignes, les autres en ont quatre ou à très-peu près : car ilsemble que plus ces anneaux s’élargissent, plus ils sont postérieurs. Sur les côtés, ils sont séparés les uns des autres et forment en quelque sorte des espèces de pattes arrondies par leur extré- mité. Cette portion détachée et distincte peut avoir un pouce et demi de longueur sur une largeur semblable à celle de chaque anneau, le total de l'empreinte est long de plus de neuf pouces et large de trois , excepté aux extrémités où elle n’a que deux pouces de largeur, et un peu moins lors- ! — 67 — qu’elle finit en s’arrondissant. Le milieu du dos est marqué dans toute sa longueur d’un sillon qui commence à la jonction de cette partie avec la partie postérieure, et il s'étend sur l’antérieure jusqu'à sa pointe, en la divisant en deux : il sort de ce sillon une ramification moins grosse et un peu courbée en un arc, dont la corde peut avoir deux pouces et demi. On prendrait cette ramification pour l'empreinte d’une antenne, si elle ne sor- tait pas du sillon qui partage en deux le corps et la partie antérieure : elle pourrait par conséquent être celle de quelque vaisseau ou de quelque gout- tière qui se trouvait dans le casque qu'avait l’animal qui a formé cette em- preinte. » Ces sillons, au reste, ne sont peut-être qu'accidentels à cette empreinte, puisqu'on ne les remarque pas sur d’autres empreintes de même sorte, qui ne diffèrent de la précédente que parce qu’elles sont plus grandes ou plus petites, que le nombre des anneaux du corps varie depuis huit jusqu'à dix, et que ces anneaux paraissent plus ou moins larges; variété qui ne peut venir que de la façon dont ces animaux auront, en mourant, plus ou moins rapproché les anneaux les uns des autres, ce qui aura peut-être pu en di- minuer ou en augmenter le nombre, selon que l'animal aura fait rentrer son corps sous le casque ou la partie antérieure. » Une singularité qu’on remarque dans une de ces empreintes, est celle d’une espèce de patte ou nageoire courbée, gravée de huit ou neuf sillons fins, longue d'un pouce ‘et demi dans la partie la plus large, c’est-à-dire, vers les deux tiers de la longueur, son origine étant étroite et son extrémité finissant en une pointe mousse et arrondie. Je dis que cette empreinte est celle d’une patte ou d'une nageoïire, parce qu'on connaît beaucoup de crus- tacés dont la queue finit par des espèces de nageoires ainsi formées, ou à très-peu de chose près : beaucoup d’écrevisses les ont ainsi, plusieurs espèces de crabes ont les plus grandes pattes dans cette forme. Il aurait été facile de lever cette difficulté, si parmi les empreintes que j'ai décrites, il s’en fût trouvé qui eussent représenté le dessous du corps des animaux : elles nous ont consacré leur forme, mais elles ne nous font voir que la partie supérieure du corps ou du dos; singularité qui est assez digne de remar- que, et qui semble annoncer dans l’eau qui a déposé ces corps un état de tranquillité, ou un mouvement assez uniforme pour pouvoir les porter tous de la même façon. » C'est ce que l'on voit encore dans les empreintes que je vais décrire : elles présentent toutes le dos, ou plutôt de même que les précédentes, elles sont le noyau qui s'est formé dans l'intérieur de l'écaille dont elle fait le dos de ces animaux ; écaille qui s’est détruite, et qui a laissé sur l’ardoise l'empreinte des boucliers dont elle était composée. » La plus grande de ces empreintes a, pour le moins, quatre pouces de longeur sur deux de largeur par le haut, et un pouce six lignes par le bas, dimensions qui viennent de ce qu'elle se rétrécit insensiblement de devant en arrière. On peut la diviser en trois parties, savoir : la partie du milieu, la partie.droite et la partie gauche; la première est relevée un peu plus que — (8 — les autres, elle saille davantage en dehors; les deux autres, ou les parties latérales, sortent de celles du milieu, en formant une espèce de sinuosité ou d'angle rentrant. Ces trois parties, à dire vrai, ne sont cependant pas sépa- rées les'unes des autres : les latérales sont la continuité de celles du milieu, et elles forment ensemble l'empreinte des différents boucliers dont est com- posée l’écaille des animaux qui les ont formées. Ces boucliers peuvent être au nombre de plus de vingt-deux : ils sont courbes, et leur convexité regarde la partie supérieure. On remarque toutes ces choses dans deux ou trois autres sortes d'empreintes, c'est-à-dire que, comme celle-ci, elles sont composées de boucliers ou d'anneaux, que ces boucliers ont une sinuosité latéralement, qu’ils sont courbés de devant en arrière, et que par leur en- semble ils forment un corps qui se rétrécit depuis la partie supérieure jus- qu'à l'inférieure. Une empreinte qui ressemble assez à ceux de ces espèces de crabes que l'on appelle poux de mer est plus arrondie, plus large que les autres; elle est iongue de treize ou quatorze lignes et large de qua- torze ou quinze dans le plus grand diamètre ; ainsi elle serait, à‘très-peu près, circulaire, si elle ne se rétrécissait pas vers le bas, où elle n’a guère que douze lignes. Les boucliers ou anneaux sont jusqu’au nombre de treize ou quatorze. » Il faut que les anneaux des empreintes dont on va lire la description, soient beaucoup plus communs que ceux des empreintes qu’on a décrites ci-dessus, puisque celles des premiers sont en très-grand nombre sur plu- sieurs morceaux des ardoisières qu’on a reçues, au lieu que les autres n'en ont qu'une ou deux des seconds. En effet, si les empreintes des pre- miers sont, comme il y a lieu de le présumer, des empreintes de chevrettes, elles sont celles d'animaux bien communs dans toutes les mers; il yena par millions. Il n’est donc pas étonnant de trouver les ardoises chargées d'empreintes multipliées et qui se croisent et empiétent les unes sur les autres, comme on le voit sur plusieurs de ces pierres. Un morceau qui n’a pas plus d’un pied en longueur et en largeur, est empreint de plus de qua- rante de ces chevrettes, plus étendues et plus parfaites les unes que les autres. » Il y en à qui paraissent dans toute leur longueur, elles peuvent avoir un pouce de long, quatre ou cinq lignes de large dans leur milieu, et trois à leur extrémité ; d’autres n’ont guère que la moitié de cette longueur, trois lignes dans leur milieu et deux à leurs extrémités, selon apparemment que l'animal s'était plus ou moins couché. On sait que ces animaux étant vivants affectent assez communément cette figure, par conséquent il n’est pas étonnant de trouver plusieurs de ces empreintes dans cette attitude. » Ce n'est peut-être que ce mouvement, plus ou moins considérable, qui a fait encore que les empreintes d’une autre ardoise sont longues d'environ un pouce etdemi, et larges dans leur milieu d’un pouce et d'un demi-pouce à leurs extrémités ; elles ont au moins seize à dix-sept boucliers; le nombre n'en est pas moins grand dans les précédentes. Il pourrait donc se faire que toutes ces empreintes ne fussent réellement que celles des variétés de la même espèce de ces animaux. Mr » Il n’est pas trop possible de lever cette petite difficulté, il le sera peut- être encore moins de déterminer au juste l’espèce des animaux, non seulement de ces dernières empreintes, mais encore de celles qui les précè- dent; on ne peut guère, il est vrai, se refuser, comme je l'ai dit en commençant l’article de ces empreintes, à croire qu'elles soient celles de quelques crustacés; tout l'annonce : mais à quelle espèce connue de ces animaux appartiennent-elles ? C’est là le point de la difficulté, et il n'est pas aisé, peut-être même est-il impossible de le résoudre. » J'ai feuilleté l'Histoire des crustacés, par Rondelet, celle de ces mêmes animaux par Gessner et Aldrovande, la Gammorologie de Sachs, l'ouvrage de Balthazar Coyette, de Vander Stell sur les poissons, écrevisses et crabes, d'Amboine, donné aa public par Louis Renard, et je n'y ai rien trouvé qui pût convenir entièrement aux empreintes de nos ardoises. Entre toutes, les crustacés gravés par ces auteurs, il n'y en a point qui aient plus de rapport * avec les empreintes de ces pierres, que celles qu'ils appellent du nom de Pou de mer; c'est même cette ressemblance qui m'a fait adopter ce nom pour désigner l'empreinte que j'ai décrite en l'appelant ainsi le Pou de mer, de même que l'empreinte, a des anneaux tranversalement; ces anneaux ont latéralement une sinuosité, son corps est arrondi, en un mot l'un et l’autre se ressemblent en général beaucoup. » Si l'on s’en tient cependant au nombre des anneaux, les pous de mer, gravés par les zoologistes que je viens de nommer, seront d'une espèce différente de celle à laquelle l'empreinte des ardoises est due. Selon les figures que les auteurs en ont données, ces animaux n’ont que sept ou huit anneaux au lieu que celle de l'empreinte en avait treize ou quatorze; ainsi c'était un animal différent, d'autant plus qu'il doit encore être beaucoup plus gros, puisque les auteurs qui ont parlé de celui de nos mers le compa- rent à la fève, et que celui d’Amboine , si l'on s'en tient à la figure, doit être encore plus petit. » Malgré ces rapports, on pourrait peut-être m'objecter que je ne suis pas sûr que l'empreinte en question soit celle du pou de mer, puisque je n’en ai pas vu les pattes, et que c'est par ces parties qu'il serait facile de déterminer si c'est réellement un crabe, de même que le pou de mer décrit par les auteurs est mis au nombre des crabes par les méthodistes. J'avoue que les empreintes de nos ardoises ne font pas voir de pattes, je l’ai même déjà remarqué ; mais ce qu’elles ne m'ont pas montré je l’ai vu dans un de ces animaux pétrifié, isolé et détaché du corps où il avait été enclavé ; cette précieuse pétrification fait partie du riche cabinet de M. Davila, qui a bien voulu me la confier pour la faire dessiner. » Il est si aisé de voir que ces deux pétrifications sont ensemble que je ne m'amuserai pas à faire cette ressemblance; je ferai seulement observer que l’on voit aisément sur la surface inférieure de la pétrification du cabinet de M. Davila une patte pliée et rapprochée de la façon que les crabes le font : on distingue de plus les deux serres de cette patte ; en outre, il est facile de distinguer les parties qui composent l’écaille, laquelle de ce côté — 70 — | est divisée en plusieurs portions ; enfin, on voit jusqu'aux petits mamelons dont ces portions sont ordinairement parsemées dans ces sortes d'animaux. Outre tout cela, les anneaux ou les boucliers de la queue sont très-visibles, et cette partie est courbée et retirée par le ventre à la manière de tous les crabes. Tous ces rapports ne doivent donc laisser aucun doute sur celui qui est, outre ces pétrifications et le crabe marin, connu sous le nom de pou de mer. » J'aurais bien voulu pouvoir trouver les pétrifications ainsi détachées et semblables aix empreintes que j'ai appelées chevrettes : Quoique je n'aie pas eu cet avantage considérable, je crois cependant que, vu les autres rapports qu'il y a entre ces empreintes et celle du pou marin, on peut les regarder comme étant du même genre et y joindre même celle de cette sorte, que j'ai décrite la première. Les rapports sont si grands entre les em- preintes, qu'il est plutôt possible de les prendre pour la même espèce, dont la grandeur varie, que de les regarder comme étant de différents genres. » Au lieu de m'étendre davantage sur ce.sujet, il sera, je crois, plus conve- nable de dire qu’il y à lieu de penser que la première de ces empreintes, c’est-à-dire la plus grande de cette sorte, a beaucoup de rapports avec celle qu’on trouve dans des espèces de noyaux oblongs de schiste, qui se ren- contrent dans certaines carrières de cette pierre. Les empreintes de ces noyaux sont partagées en trois portions comme celle des ardoises ; leurs anneaux sont posés transversalement, ont sur les côtés une sinuosité ; leur contour est arrondi, et elles se rétrécissent par le bas; enfin la pierre où elles se trouvent est du même genre que l'ardoise. Circonstance, il est vrai, qui n’est pas d’une grande force, mais qui, réunie avec les autres, peut concourir à déterminer la ressemblance de ces empreintes. » Le contour arrondi de l'empreinte que j'ai décrite la première de toutes celles qui appartiennent à des crustacés, pourrait la faire ranger avec les crabes ; elle leur ressemble beaucoup, mais on n’a jamais, à ce que je crois, vu de crabe qui eût l’écaille du dos divisé par anneaux ou boucliers ; je pense qu’on doit regarder cette empreinte comme celle d’une écrevisse de mer, d'une espèce singulière, et qui n'est peut-être pas connue. Pour moi, je n’ai rencontré dans les auteurs aucune figure à laquelle on püût la rap- porter. » On ne pourrait guère plus aisément assigner laquelle des figures qui sont gravées dans les ouvrages des auteurs cités ci-dessus, pût convenir avec les autres empreintes de nos ardoises ; on voit que c'est une espèce de ces écrevisses de mer qu'on appelle langoustes, mais il est impossible de déterminer, même à peu près, quelle est l'espèce connue qu’on pourrait rapprocher de ces empreintes. Ces crustacés sont donc encore dans le cas de tant d’autres fossiles que l’on connaît pour être le type d'animaux marins, mais dont l'espèce ne sera probablement encore connue de long- temps. 1 » Pour finir l’histoire de ces empreintes par quelque chose de plus connu, je ferai remarquer que les empreintes de ces poissons se trouvent commu- AC nément parsemés de matières pyriteuses et blanchâtres : ces parties pyriteusés sont peut-être de la nature des pyrites cubiques, qui se voient assez communément dans les ardoises, et notamment dans celles d'Angers, où l'on en trouve depuis une ou deux lignes de diamètre sur tous les côtés jusqu’à quatre ou cinq. L’efflorescence où il semble que tombe la surface de quelques-unes de ces empreintes, pourrait faire soupçonner que cet effet serait causé par les pyrites, et les faire regarder conséquemment comme des pyrites vitrioliques. » On pourrait d'autant plus aisément le croire, que l'on rencontre assez communément des ardoises parsemées d'étoiles salines horizontales, dont les rayons sont ordinairement inégaux ; souvent, cependant, ils sont égaux entre eux et communément arrondis par leur extrémité supérieure ou coupés _ carrément : l'étoile est quelquefois entière, c’est-à-dire qu'elle jette des rayons en tous sens; quelquefois elle n’en jette que d’un côté ou plus d’un côté que de l’autre. » Une réflexion que je ne dois pas encore passer sous silence, regarde la quantité de ces fossiles et l'abondance que l’on en voit dans les ardoises. Il paraît que la quantité n’y est pas petite, et qu'il est facile d'y en trouver: je sais que d’autres cabinets que celui de l’Académie en ont depuis peu ; et qu'on les a obtenus facilement, ce qui n’annonce pas qu'il y ait beaucoup de peine à rencontrer de ces fossiles. Ce que Scheuchzer dit de la rareté des crustacés fossiles, doit encore rendre celles-ci plus précieuses; il veut que la légèreté de leurs écailles et leur délicatesse aient été cause de leur destruction. Il est vrai que les ardoises d'Angers ne font voir que des empreintes, mais il est même rare d'en voir d'autres autre part, tout au plus, a-t-on des noyaux ou les moules de ces animaux, encore le plus sou- vent ces moules sont-ils des crabes, au lieu que l’on rencontre à Angers non-seulement des crabes, mais des écrevisses, et les crabes qui s’y voient ne sont pas les plus communs. » Une singularité, qui du reste ne regarde pas plus les ardoisières d'An- gers que celles des autres pays, tombe sur la fréquence des empreintes de poissons ou de crustacés dans les ardoises, et la rareté de celles des coquilles et des autres fossiles de cette nature dans ces mêmes pierres, tandis qu’elles sont si communes dans les pierres à chaux ordinaires. Les observations sont, à ce que je crois, de la nature de celles qui ne peuvent s'expliquer que par les faits mêmes, et auxquelles il serait téméraire de donner, du moins jusqu'à présent, d'autres explications plus recherchées. Je m'en tiendrai donc au fait, et j'en attendrai la solution des lithologistes, qui veulent trouver des causes générales de la distribution des fossiles dans la terre et les raisons de ce qu’ils y sont distribués de telle ou telle manière. Nous ne sommes pas encore assez éclairés sur la position respective des fossiles dans les différents pays où l’on en trouve : à peine sait-on que tel ou tel terrain donne ordinairement tel ou tel fossile, on commence à entre- voir que certaines glaises conservent bien les Huîtres qui approchent des huîtres communes; que celles qu’on appellent huîtres griphites de Luid, ou — 7 — lampes antiques , se trouvent communément dans les pierres calcaires bleuâtres ; que les tuffeaux conservent assez bien les coquilles en substance. On sait de plus que certains cantons abondent en une espèce de fossiles et que d’autres manquent de ces fossiles, tandis qu'ils sont remplis d’une espèce différente. On ne voit pas encore trop les raisons de cette distribu- tion singulière dont la connaissance serait sans doute la perfection de la partie de l’histoire naturelle qui s'occupe à cette recherche. » Depuis Guettard, il ne s’est produit aucun travail sur les tri- lobites des ardoisières d'Angers. Seul, Brongniart, dans son Histoire naturelle des Crustacés fossiles sous les rapports z0olo- giques el géologiques, en dit quelques mots. Ainsi, il parle de deux Ogygies qu'il décrit par le nom d’Ogygie de Guettard Ogygia Guettardi et de ‘'Ogygie de Desmarest (Ogygia Desma- restii). Nous sommes étonnés qu’un savant de la valeur de Brongniart n’eût pas exploré davantage nos schistes. Avec son esprit d'investigation, il eût certes observé dans le genre trilobite d’autres espèces. Brongniart était venu en Anjou, il avait visité nos ardoisières et de plus il était en rapport avec Desvaux 1, directeur du Cabinet d'histoire naturelle et du Jardin des Plantes de la ville d'Angers. Ce savant naturaliste qui connaissait si bien nos schistes, qui depuis longues années les avait étudiés, eût pu fournir à Brongniart de précieuses indications. Bron- gniart tenait Desvaux en haute estime, il disait de lui : ! Nous avons l'espérance que très-prochainement la biographie de Des- vaux sera publiée. Desvaux fut sans contredit le naturaliste le plus distingué de tous ceux qui ont habité l’Anjou et n’a jamais été remplacé. Depuis sa mort, plusieurs branches de l’histoire naturelle ont été négligées. On a reproché à Desvaux de n'être pas littérateur, ou, pour trancher le mot, de ne pas savoir écrire, soit. Si Desvaux eut un style peu agréable, il fut compréhensible, ce qui vaut mieux que de copier servilement des des- criptions dans Cuvier. Il est vrai que ces plagiats éhontés sont quelquefois profitables à certaines personnes; mais les distinctions acquises de cette manière n'en inspirent qu'aux imbéciles. Le vrai savant’, qu'il soit critiqué, calomnié, trouve constamment de sérieux appréciateurs. Aussi, celui qui a voué sa vie à l'étude ne doit-il se préoccuper que d’une seule chose, la vérité, et à force de recherches, il parviendra toujours à la découvrir ; c'est ce qui arriva à Desvaux, à qui les hommes de sciences rendent amplement justice. Il naquit pauvre, mourut de même sans envier ni prendre le bien de personne. Travailleur infatigable, il ne fit rien à la légère, et ce ne fut pas lui‘qui aurait fait vivre, sous notre zône , des êtres qui n'habitent que la Daourie et le Kamtschatka ! En et « M. Desvaux est le géologue de France qui connaît le mieux les roches. » Brongniart publiait son livre en 1822, peut-être s’appliqua-t-il plutôt à étudier les espèces décrites qu'à cher- cher à en créer de nouvelles. Cependant, à la suite de sa description du Calymene de Tristan, il ajoute : « Enfin je soupçonne aussi que les empreintes de trilobites qu’on voit sur les ardoises d'Angers n’appartiennent pas toutes au genre Ogy- gie, mais que plusieurs d’entre elles sont dues à des portions du calymene de Tristan, défigurées par la compression qu’elles ont dû éprouver entre les feuilles de ces roches fossiles. » Personne jasqu’à ce moment ne s’est occupé de nos trilobites et ce qui est plus étonnant encore, c’est qu’on attend un ouvrage sur les trilobites de France: Il n’existe sur les animaux appartenant à la première tribu des crustacés quele grand travail de M. de Barande, mais ce magnifique ouvrage n’est relatif qu'aux trilobites de Bohême. Joachim de Barande, ancien élève de l'Ecole polytech- nique, sous-précepteur du comte de Chambord, explora pendant dix années la Bohême , y recueillit avec son royal élève plus de mille fossiles, découvrit, en 1846, au sein de schiste, argileux et ardoisiers d’une épaisseur considérable, jusqu’à vingt-six espè- ces de trilobites , espèces toutes nouvelles appartenant en ma- jeure partie à des genres inconnus jusqu'alors. Ces trilobites primordiaux ont tous une physionomie qui leur est propre, et qui dépend de la multiplicité de leurs segments thoraciques ainsi que de la diminution de leur bouclier caudal. Lorsque M. de Barande entreprit seul de visiter la Bohême, le nombre total des espèces fossiles recueillies dans ce pays et dé- crites, dépassait à peine le nombre de vingt, et déjà, en 1850, il en avait déterminé onze cents parmi lesquelles deux centeinquante crustacés , principalement des trilobites :. Que les géologues imitent en Maine-et-Loire l'exemple de M. de Barande en Bohême, qu'ils cherchent, qu’ils explorent nos nombreuses ardoisières, qu'ils les fouillent et ils seront assurés d’un riche butin, ils trou- veront dans nos schistes tégulaires une mine inépuisable, qui 1 Dalman partage les trilobites en deux classes : 19 Trilobites proprement dits à tête semi-lunaire, à thorax distinct. ! 90 Trilobites anormaux à tête suborbiculaire, avec un abdomen de même forme. Le thorax caché ou membraneux sans doute, mais toujours détruit. fournira à leurs observations d’autres trilobites, que ceux de Guettard et de Desmaretz. Guettard présenta en 1758 à l’Académie un mémoire sur la pierre meulière. L'auteur dans son travail s'était proposé deux buts : montrer d’abord qu’on ne peut faire de la pierre meulière une classe de pierre particulière , ensuite décrire les lieux où elle se trouve aux environs de Paris, la nature et le nombre des différentes couches de matières qu’on rencontre au-dessus , dans les carrières d’où on lestire, etc.; l’auteur rend compte ensuite de la manière dont l'exploitation des carrières se fait. Mais comme il ne veut parler que de ce qu'il a vu, ilse borne à la description des carrières d’'Houlbec, près de Pacy en Normandie, et de celles qui sont auprès de la Ferté-sous-Jouarre. Guettard, voyageant dans la Basse-Normandie , eut la facilité d'examiner les salines de l’Avranchin , et d’y suivre toutes les opérations desouvriers , elles lui parurent mériter d’être décrites , afin qu’on pût les rapprocher de celles qui, sans être les mêmes, tendent néanmoins au même but. Il présenta à ce sujet dans cette même année 1758 un travail à l’Académie des Sciences. Guettard avait observé que cinq rivières de Normandie , la Rille, l’Iton , l’Aure, le Sap-André et la Drôme se perdaient et repa- raissaient ensuite. La Rille prend sa source d’une fontaine qui est près de Planche , village éloigné du Mellerault de quatre ki- lomètres , elle se perd dès Lyre et sa plus grande perte se fait au Rouge-Moulin. À un kilomètre de cet endroit, on voit au Rouge-Moulin des trous auxquels on a donné dans le pays le nom de Betoirs. Guettard observa que c'était par ces trous que la rivière s’engouffrait peu à peu , et qu’elle le faisait cependant assez promptement pour que dans l’espace de huit kilomètres elle pût disparaître complétement. Quant à l’Iton, qui prend la source des rivières d’Eure et de Verneuil , une légende rapporte que : « Les habitants de Conches, passionnément amoureux d'Iton, la voulurent ravir pour jouir de sa beauté , et que l’ayant quelque peu détournée du che- min que la mère nature lui avait montré, gravèrent sur une pierre : Veuille Dieu , ou non, Cy passera l’Iton. Mais ceux d’Evreux plus forts que les Conchois lui tendirent les bras, la Re reçurent à refuge et lui permirent d'aller joindre Eux près d'Aquigny ; ainsi ab aguarum coïtione. Louviers les reçoit tôt après et la Seine au-dessous de Val-de-Rueil. » Guettard fit au sujet de la disparition de cette rivière les mêmes observations que pour la Rille. Il en fut de même pour l’Aure, le Sap-André et la Drôme. Le curieux mémoire qu’il présenta sur ce sujet à l’Académie des Sciences , fut lu le 12 juillet 1758. Dans son mémoire sur le caractère spécifique des plantes, 21 juillet 1759 , Guettard insiste sur le projet de donner à chaque plante un nom , au lieu de la caractériser par quelques-unes de ses propriétés invariables, en réduisant les noms à deux genres. « Est-ce donc, dit-il, un projet aussi peu propre à éclairer et à faciliter la botanique que le serait pour l'astronomie celui de donner à toutes les étoiles connues des noms particuliers, au lieu de les arranger sous différentes constellations , qu'on désigne par des noms qui peuvent avoir un rapport plus où moins éloigné avec quelque chose de connu. Encore siles botanistes sectateurs de cette prodigieuse nomenclature , voulaient des noms qui dé- signassent quelques propriétés des plantes auxquelles ils auraient été donnés, on pourrait peut-être souscrire , du moins en partie , à leur sentiment ; mais il s’en faut de beaucoup qu'ils pensent ainsi et ils peuvent avoir raison dans bien des cas. » Pour la première fois nous voyons Guettard, en 1759, s’occu- per de médecine ou plutôt de travaux médicaux. Car malgré ses nombreuses occupations, chaque fois qu’il pouvait soulager un malheureux , il lui prodiguait les secours de son art. Guettard, dans ses observations de médecine, commença par émettre ce vœu, et Platon l’avait émis avant lui, qu'il serait à souhaiter que les médecins eussent passés par toutes les mala- dies. Ils seraient en effet plus en état de reconnaître ce que res- sentent les malades qui les appellent à leurs secours, et de bien mieux déterminer les accidents qui peuvent parvenir dans leurs maladies, et en conséquence appliquer à propos les remèdes convenables. Fort de cette idée , il se mit à décrire un accident qui lui était arrivé, par suite d’une position horizontale, cause d'un effet singulier , et qui pourrait étre mortel. Dans ses mémoires sur les accidents des coquilles fossiles com- parés à ceux qui arrivent aux coquilles qu'on trouve dans la mer (1759), il tire cette conclusion relativement aux cailloux dont l’intérieur offre l'empreinte d’une coquille , que si ces corps eus- sent été formés originairement dans les montagnes où on. les — 16 — trouve, ils ne se seraient pas conservés aussi entiers qu'on les voit , ils auraient été attaqués par l’eau et les matières rongean- tes qui circulent dans la terre. Ces cailloux n’ont donc point été primitivement placés dans ces montagnes, mais formés très- anciennement autour des corps marins dont ils ont l’empreinte. Ils ont été successivement détachés et ballottés par les eaux de la mer et enfin abandonnés dans les lieux où on les trouve. Ses travaux sur la minéralogie de l'Auvergne, suite de son grand ouvrage publié en 1752, firent une révolution dans la science, ils parurent en l’année 1759. Le mémoire que lut Guettard le 20 mars 1760 à l’Académie, sur le rapport qu’il y a entre les coraux et les luyaux marins, appelés communément tuyaux vermiculaires , et entre ceux-ci et les coquilles, lui fournit l’occasion de développer cette idée des philosophes anciens qui soutenaient que tout est lié dans la na- ture , et que dans la multitude des individus qui les composent, le passage de l’un à l’autre se fait d’une manière insensible. Le 28 janvier 1760 on mit à jour des os fossiles qui se trouvaient dans l’intérieur d’un rocher auprès de la ville d’Aix en Provence ; cette découverte produit une grande sensation dans le monde savant. On crut à l’homme fossile, et de nombreux mémoires furent publiés sur ce gisement. Informé de ce fait, Guettard quitta Paris pour se rendre sur les lieux, un sérieux examen lui fit de suite reconnaître que l’homme n’était pour rien dans cette äffaire, et que ce qu’on avait pris pour des côtes d'homme, n’était autre que des côtes de poissons. ® * Guettard publia en 1760 un mémoire sur les paillettes d’or de l’Ariëge dans le but de détruire une erreur communément accré- ditée. Ainsi généralement, on pensait que l'or que roulent les rivières aurifères venait des montagnes où elles ont leur source, ou y était entraîné par les torrents qui descendent de ces mon- tagnes. Guettard, après un examen attentif , prouva que l’Ariége tire son or du terrain même qui compose ses rives , qu’il s’en sépa- rait dans les temps des inondations, et que même les orpail- leurs ou chercheurs de paillettes de l’Ariége savaient si bien que le terrain des bords en contenait, qu’ils prévenaient souvent les RPC inondations par des abatis volontaires , qui occasionnaient quel- quefois des procès entre eux et les propriétaires de ces terrains. Que c'était près des rives dégradées qu'ils trouvaient toujours les plus gros grains d’or , tandis que les paillettes les plus légères étaient entraînées par le courant. Nous avons eu plus d’une fois l’occasion de parler de la cha- rité inépuisable de Guettard. Il avait remarqué qu'aux environs d'Etampes et de Villeroy les tourbières étaient nombreuses, qu’elles pouvaient être d’une grande ressource pour les classes nécessiteuses, en leur procurant en abondance une matière bitumeuse et inflammable propre au chauffage et facile à trans- porter. Guettard présenta en 1761 un mémoire à l’Académie sur les tourbières, et il démontra la grande économie qu'il y aurait pour le pauvre , à substituer la tourbe au bois. Le Marsilea, cette jolie plante aquatique qui forme sur nos étangs des gazons tantôt d’un vert tendre , tantôt d’un vert jau- nâtre avec quelques teintes roussâtres sur le bord des feuilles , avait été mal étudiée avant que Guettard n’eût présenté sur elle ses observations dans un mémoire iu en 1762 à l'Académie des sciences. Il fit reconnaître que ce qu’on appelait les vraies fleurs du Mar- silea étaient les parties qui sont renfermées dans les coques et que les grains ronds du plus grand nombre des coques étaient les étamines. Les grains oblongs contenus dans une de celles qui sunt plus petites, les pistils. Les grains ronds qui sont en grand nombre sont portés sur des pédicules, et contiennent une liqueur qui se reconnaît facilement lorsqu'on écrase ces grains avec précau- tion. Les grains oblongs, ajoute Guettard, au contraire ne four- nissent point de telle liqueur, on n’y remarque qu’un petit corps qui sans doute est le germe. D'une extrême modestie et sachant reconnaître les erreurs qu’il avait pu commettre, il fut le premier à s’apercevoir com- bien son mémoire, présenté en 1756 à l’Académie, sur la minéralogie des environs de Paris, était incomplet, et commença en 1762 à faire paraître une série d'articles, où il détaille les observations faites par lui sur chaque fossile en particulier. En 1763, ses études minéralogiques furent plus étendues, car elles embrassent la France et l'Allemagne. Ce travail fut terminé en 1764. | — 9 — Gaettard passa plus des trois quarts de sa vie à voyager. Rien n’est plus curieux à lire que son excursion en Pologne, sa description des mines de sel de Wieliczka et ses observations météorologiques faites à Varsovie pendant les années 1760, 1761, 1762. : Les pierres appelées salières, dont se servent les ouvriers des tuileries d'Etampes, n'avaient jamais été étudiées avant Guet- tard, Après les avoir comparées avec celles de Soissons, de la Fère, de Rochefort, de Compiègne, de Coulandon en Bourbon- nais, il les divisa dans le mémoire qu’il présenta en 1763 à l'Académie des sciences en deux classes, les grenues et les glai- sières. Ce travail est accompagné de deux planches. Très-lié avec Lavoisier, il fit avec ce grand chimiste ‘ plusieurs observations qu’ils publièrent sous leurs deux noms, entre autres, celle qui fut le résultat de leur voyage aux montagnes de Voyes en Franche-Comté et en Alsace (1778). Cet ouvrage donne l'analyse de curieuses expériences sur le charbon de terre. Ce fut Guettard qui découvrit, en France, des matières pro- pres à la fabrication de la porcelaine. On sait combien en France et en Allemagne, les savants s’occupaient alors de trouver le secret de fabrication de cette précieuse poterie. Déjà on était arrivé en France, depuis un certain nombre d'années, à faire cette espèce de verre que l’on connaît sous le nom de porcelaine tendre. Mais la porcelaine dure, à l’imitation de celle de la Chine, était restée un secret. Le duc d'Orléans, le grand pro- tecteur de Guettard, fit venir de Chine la substance que l’on emploie à la fabrication de la porcelaine dure , Guettard reconnut que cette substance (le Kaolin), ressemblait beaucoup à la terre qui existe près d'Alençon. Aidé du puissant concours du duc d'Orléans qui s’empressa dans cette circonstance, comme du reste dans toutes celles où Guettard eut recours à sa générosité, il put avec le kaolin d'Alençon fabriquer de la porcelaine dure. C'est donc à Guettard qu’on doit l’origine de la poterie 1 Lavoisier fut, comme on sait, compris dans le massacre judiciaire des fermiers généraux, sa mort est une des plus grandes taches de la Révolu- tion. Lorsqu'en 1805 on organisa en France les écoles centrales, le cabinet de Lavoisier fut envoyé à Angers pour le laboratoire de chimie. A la dis- solution de ces écoles, il fut placé au Lycée. Ce fut la Revellière-Lepaux qui obtint pour la ville d'Angers le précieux cabinet de cet éminent chimiste. , … : = D = d'Alençon. Guettard poussa ses recherches sur un autre point de la France. Ainsi, il découvrit, aux environs de Limoges, un gisement de kaolin. Ce fut encore à ce savant qu'on dut la création de cette grande industrie, qui a mis en renom la ville de Limoges. Guettard avait conçu le grand projet de publier une carte de minéralogie de toute la France. «Qu'on me dresse de bonnes cartes, disait-il, et je me charge de faire connaître dessus, la nature des terrains qu’elles comprendront. » Dès que Cassini eut publié sa carte, Guettard commença son travail qu’il avait préalablement, du reste, fait agréer au ministre Bertin, en lui faisant comprendre les immenses services qu'il rendrait à l'administration et aux arts utiles. Il s'était, dans cette gigantesque entreprise, adjoint Lavoisier, mais il fut obligé de s'arrêter après la publication de la seizième carte. Cet ouvrage avait exigé de lui des voyages de plus de seize cents lieues. Les travaux de Dufresnoy et d'Elie de Beaumont ont fait avancer les sciences à un tel point que l’œuvre de Guettard est complétement oubliée, mais ce dont il faut tenir compte, à l'acquit de ce grand savant,, c’est que c’est à lui qu’on doit les premiers éléments de ce projet, complétement réalisé de nos jours , grâce aux progrès de la géologie. C'est à Guettard qu’on doit l'important travail sur les dépôts faits par les averses d’eau, les rivières et les fleuves. En 1768, l’Académie décida, vu les nombreux mémoires que lui adressaient ses membres, qu’elle n’imprimerait qu'un seul mémoire de chacun , afin de donner place à tous. Dès que cette décision fut connue du public, les libraires à l’envi s’offrirent à Guettard pour être les éditeurs de ses œuvres, et voici la liste des travaux qu'il fit imprimer en dehors des mémoires de l’Aca- démie. Ces mémoires forment six volumes grand-8°. 1. Sur le brisement des rayons solaires à l'approche des corps. Observation curieuse qui confirme celle qu'avait faite Newton. 2. Sur la formation des nuées des hautes montagnes. Sur le tonnerre. 3. Sur l'odeur des cadavres dans les églises. — (80%— 4. Sur les vers ascarides des harengs. 5. Sur la défense du poisson-scie. 6. Coupe longitudinale et entière du tronc d’un oranger. 7. Sur une truffière abondante en truffes, qui n’en produit plus. Cette truffière était celle du pare de Villetaneuse, près Saint- Denis. En 1676, le seigneur de Villetaneuse l'avait affermée 250 livres et dix livres de truffes chaque année, au sieur Gardin. La disparition de la truffière de Villetaneuse, qui a tant étonné Guettard , n’a cependant rien de très-surprenant. -Ainsi, en 1851, le regretté M. Guimier nous annonça la découverte qui venait d’être faite sur la terre de Bordes, commune de Pontigné; arrondissement de Baugé (Maine-et-Loire), d’une petite truffière. M. Guimier étudia la nature de ces truffes qui lui parut excel- lente , et on doit s’en rapporter à ses observations, car il était passé maître dans cet art que comprit si bien Briliat-Savarin ; aujourd’hui la truffière de Bordes est à peu près détruite ou, du moins , ses produits sont insignifiants. 8. Variations dans les feuilles des plantes. 9. Sur l'oignon de scille. 10. Sur l’action du froid sur les plantes. 11. Lame de fer. 12. Dendrite saline. 13. Sur le dessèchement de la grande consoude. 14. Huile de graine de tabac. 15. Sur un mélange de l'huile de lin et de l'huile de vitriol. 16. Pavot blanc. 17. Sur le blanc de craie. 18. Description d’un poisson jeté à la côte, près Saint-Po, au commencement de mars 1761, à deux heures et demie de Saint- Calais. 19. Sur un remède qu’on pourrait tenter dans l’hydrophobie. 20. Sur les fossiles. Dans ce mémoire , Guettard parle d’un os parsemé de plaques de madrépores plats du genre de l’Eschara et des mancheltes de mer , trouvé. dans les environs de Doué en Anjou. Cet os faisait partie du cabinet du duc d'Orléans. 21. Sur le tirsa des Cosaques de l'Ukraine. DR Jar ANGES 99. Sur les os fossiles d'animaux terrestres. 93. Sur un corps qui pourrait être un polype terrestre. 94. Recherches $ur les matières qui peuvent servir à faire du papier. Guettard donne l’histoire la plus étendue sur la fabrication du papier ; il remonte aux Égyptiens qui employaient le chiendent ; les Romains, le bouleau; les Gaulois, le coton; il cite le père du Halde qui, dans le premier volume de son Histoire de la Chine, prétend que les Chinois font du papier avec la seconde écorce des bambous, avec celle des mûriers, avec la paille de blé de riz, de chanvre, le jonc aquatique de Surinam , la mauve en arbre, etc. Guettard indique, comme donnant d’excellent papier, la conferve de Pline et les coques de chenilles com- munes. 95. Expériences faites sur plusieurs sortes de glaises , de sable et de pierres. ï 26. Observations météorologiques faites en Pologne. 97. Sur la minéralogie d'Italie. 98. Sur le dégel arrivé en janvier 1768 , quelques jours avant la débâcle de la Seine, qui se fit sentir dans la nuit du 12 au 13 du même mois. 99. Sur une vapeur d'une odeur sulfureuse sortie de terre. 30. Sur les trombes de poussière qui s'élèvent dans l'air. (Campagnes du Bas-Poitou.) 91. Sur des restes d'anciens bâtiments trouvés en terre à Montmorency. 32. Sur un œuf de poule renfermé naturellement dans un autre œuf. . 33. Sur un chat né sans poil. 34., Sur le passage d'une grande quantité de cigognes au-des- sus de Paris. 35., Sur une momie naturelle. | 36. Sur des coquilles d'une très-grande finesse qui se trouvent avec abondance sur les bords de la mer, à Calais. 37. Sur la culture des oignons et des aulx dans les sables des bords de la mer du Bas-Poitou. 38. Moyens d'accélérer la fleur de la joubarde pyramidale. 6 82 — 39. Sur la manière de planter les arbres le long des grands chemins. 40. Sur la mauvaise exploitation des bois dans les Vosges. Sur la germination du blé. 41. Sur le dessèchement de la coloquinte. 42. Sur les effets que la congellation opère sur différentes li- queurs. Sur la quantité d’eau qu'on retire du suif et de la cire en les brûlant. 43. Sur le suc de plusieurs plantes de la classe du lyron , des liliacées. 44. Manière de pénétrer le fer d’un sel qui ne lui ôte pas la vertu qu'il a d’être attiré par l'aimant. 45. Sur le danger qu'il y a d'élever les enfants en l'air en les prenant par la tête. 46. Sur deux fausses grossesses et une véritable parvenue dans une circonstance singulière. 47. Sur une espèce de vomissement. 48. Sur des pierres de la vessie. 49. Sur des vertèbres du dos d’un cheval ankilosées 50. Sur une maladie des chevaux et des moutons. b1. Des coraux en général et des auteurs qui eù ont parlé. 52. Des différentes opinions que les naturalistes ont . émises sur la nature du corail, des madrépores et des autres corps de cette classe. 53. De la structure des polypites ou polypiers fossiles ; de l’état de décomposition dans lequel on trouve les polypes ; des matrices ou des différents corps dans lesquels les madrépores et les autres corps de cette classe se trouvent renfermés, du changement de nature qu'ils y ont souffert et du mécanisme qui. peut avoir élé employé par la nature pour pétr ifier ces corps. 54. De la comparaison des polypites avec les madrépores, les astroïtes et les autres corps de celte classe auxquels ils peuvent avoir du rapport. Do. Des méprises où l’on est tombé au sujet des ui el des noms qu'elles ont occasionnés. d6. Mémoire sur les pierres lenticulaires ou numismales, dans lequel on donne l’histoire des opinions qu’on a eues sur la nature de cette pierre et des erreurs où l’on est tombé à ce sujet. a Ro et, D7. Sur le basalte des anciens et des modernes. : b8. Mémoire sur les raisons qui ont fait choisir les noms classiques et génériques , dans lequel on examine par quels prin- cipes on peut établir les genres et les classes des polypites. 99. Ordre dans lequel on a cru pouvoir arranger les polypites. 60. Si l’astroîte des anciens est la même pierre que celle à laquelle nous donnons le même nom. 61. Sur certains rapports qu'il y a entre les corps de la classe des champignons terrestres et ceux de la classe des coraux. 62. Sur différentes monstruosilés de plantes et d'animaux. 63. Sur les vaisseaux des plantes, dans lequel on donne un ordre Systématique de ces vaisseaux. 64. Sur une tumeur intérieure de la vessie. 65. Sur la maladie des dents connue sous le nom de tartre ou de tuf. ù 66. Observations de médecine. 67. Sur les glossopètres ou dents de requins fossiles. 68. Sur les bufonites ou crapaudines. 69. Sur les belemnites. 70. Sur les os humains fossiles. 71. Sur des œufs monstrueux de poule. 12. Sur les pierres et les minéraux qui prennent des figures plus ou moins régulières. 13. Sur plusieurs corps marins fossiles de la classe des co. raux. (Deuxième mémoire.) Dans ce travail, Guettard analyse les faluns situés entre la Loire et la Vienne. Les nombreuses planches qui accompagnent ce mémoire contiennent plusieurs dessins représentant des Cari- coïdes, des Fongoïdes et des Madréporites des environs de Tours. 74. Sur les éponges. Les observations faites par Guettard, en Anjou, l'ont puis- samment aidé à connaître la vraie nature des Polypiers et des éponges fossiles qui jouent un rôle si important dans les forma- tions géologiques. Il faisait aux Polypiers fossiles l'application des belles découvertes que Bernard de Jussieu, Peysonnel et Marsigli venaient de faire aux Polypiers vivants. 75. Sur les alcyonions. 76. Sur l'oiseau appelé Alcyon. — 84 — 77. Sur les conques anatifères. 78. Sur les balanites ou glands de mer fossiles. 79. Sur les nids d'oiseaux. (Six mémoires vrnés de sepl planches.) . Ce mémoire qui renferme des détails très-peu connus sur la structure des nids est extrêmement curieux à consulter. 80. Sur différents corps naturels qui peuvent faire sentir le passage qu’il y a d’une classe ou d’un genre d'êtres à une classe ou à un genre d'un autre étre. 81. Sur les cornalines. 82. Mémoire sur quelques stalactites et sur plusieurs autres pierres des environs de Paris. 83. Sur les pierres figurées pour servir à l'histoire des préjugés en minéralogie et à l'intelligence de plusieurs endroits de l’histoire «naturelle de Pline. 84, Sur les crapauds trouvés vivants au milieu des corps so- lides dans lesquels ils n'avaient aucune communication avec l'air extérieur. A ce sujet Guettard cite la lettre suivante, des environs de Saint-Maixent , 5 février 1780 : « Voici un fait qui passera sûrement pour très-extraordinaire, et ca- » pable d’étonner les savants mêmes. J'ai fait abattre, il y à quelques » jours, sur mon domaine un assez gros chêne , afin d'en faire une poutre » dont j'avais besoin pour un bâtiment qui m'occupe. Cette opération s'est » faite devant moi; après que les branches et la tête eussent été séparées » de la tige, l’arbre me paraissait de bonne qualité et propre pour l'usage » auquel je le destinais. Comme j'en avais besoin sur-le-champ, j'ordon- » nai aux trois ouvriers que j'employais à cette besogne de l'équarrir à la » mesure convenable. Il était question d’enlever de chaque côté l'épaisseur » d'environ quatre pouces, ce qui fut bientôt fait, toujours devant moi. » M'étant assis à quelques pas de là, quelle fut ma surprise lorsque je vis » ces trois hommes jeter à la fois leur coignée, se réunir à la même place, » se presser les uns les autres, en se penchant sur l'arbre avec les signes » de l’étonnement et de l'admiration. J'approche à la hâte, et porte mes » yeux sur la partie de l'arbre qui les fixait. Ma surprise égale bientôt la » leur ; que vois-je? un crapaud gros comme un œuf inerusté en quelque » sorte dans l'arbre, à la profondeur de quatre bons pouces dans son » diamètre et à la distance de quinze pieds de la racine. Un coup de coignée » avait atteint et blessé grièvement cet animal qui remuait cependant » encore ; je le fis sortir avec effort de la demeure ou plutôt de la prison » dont il remplissait si exactement la capacité, qu'il semblait dedans y être » comprimé et étouffé; je l’étendis sur l'herbe, il paraissait vieux, maigre, nue / » languissant et décrépit. Nous ramenâmes ensuite, avec tout le scrupule » de la plus curieuse attention, les quatre faces et les alentours de l'arbre » pour tâcher de découvrir la trace par laquelle le crapaud avait pu: s'in- » troduire dans son domicile; nctre tâche fut vaine, l'arbre était plein et » entier, partout il nous parut assuré que son gîte était hermétiquement » fermé. Je demande maintenant, comment il avait pu entrer dans cet » arbre sans aucune ouverture ? Par quel moyen il avait pu s'y nourrir, s’y » conserver et y vivre assez longtemps pour que le chêne prit un accroisse- » ment de quatre pouces de grosseur ? Comment , enfin, un crapaud, qui n'est » pas un animal leste ni adroit, avait pu monter à une hauteur de quinze » pieds? Il me semble que ce phénomène doit faire naître toutes ces ques- » tions; les résoudra qui pourra. J’atteste le fait et j'ai trois témoins. » J'ai cru, dit Guettard, devoir rapporter l'extrait en entier pour ne rien passer me circonstances dont cette découverte est Fe et qui peuvent lui donner de l'authenticité. 89. Sur la pierre appelée zéolithe. 86. Sur le préjugé où l’on est encore, en France, au sujet de la prééminence de certaines pierres tirées des pays étrangers sur celle de France qui sont du même genre. 87. Des endroits de la France où l’on trouve des coraux ma- drépores et autres corps de cette classe qui sont fossiles. 88. Concordance des auteurs qui ont parlé des tuyaux marins fossiles, auxquels on a comparé ceux qui se péchent actuellement dans la mer. 89. Classe des tuyaux marins. 90. Sur les endroits où l’on trouve les tuyaux marins fossiles , et sur les matrices où ces fossiles sont enclavés. 91. Sur la dégradation des montagnes, faite denos jours par les fortes pluies ou averses d’eau, par les fleuves, les rivières et la mer. 92. Des fongites auxquels on a donné le nom de figues, de pommes, de poires, de grenades, d'oignons, de rabioles et autres semblables , selon qu'ils approchent par leur figure de ces fruits ou de ces racines. Guettard , dans son mémoire , prétend que les fongites dont il parle sont très-communs dans les environs d'Angers , et qu'il en a recueilli un grand nombre pour le cabinet du duc d'Orléans. Nous avons, je crois, indiqué l’œuvre complète de Guertard ; disons en terminant que la bibliothèque de la rue Richelieu pos- sède le portrait de Guettard, et celle du Muséum d'histoire na- turelle de Paris ses manuscrits. Le botaniste Ventenat lui a dédié un genre (Guettarda) appartenant à la famille des Rubiacées, 2447 QUES En botanique, Guettard fut le premier qui donna l'essor à ces travaux d’analyse dans lesquels de nos jours le docteur Baillon, professeur d'histoire naturelle à la Faculté de médecine de Paris, a dépassé tous les maîtres. Puisque le nom de ce botaniste tombe sous ma plume, qu’il me soit permis, en ma qualité de chroniqueur, d'homme qui recherche avec avidité ce qui a rap- port à sa province, de dire que, forcé par la Commune, d'abandonner cette chaire aux pieds de laquelle se pressait un nombreux et sympathique auditoire, avide d'écouter l’enseigne- ment si élevé de ce naturaliste, une des gloires du monde savant, le docteur Baillon vint chercher asile en Anjou. Nous fimes ensemble, aux environs d'Angers, plusieurs herborisations et de curieuses remarques dans les vastes pépinières de M. André Leroy. Le docteur Baillon aimait à se promener sur les rives de la Maine. La prairie de la Baumette avait pour lui un doux attrait. Ce fut près du rocher qui longe le couvent, près du lieu. où le bonhomme Pannetier, ce petit récollet, la providence des mariniers, fit creuser dans le roc un escalier qui permit le hal- lage des bateaux ‘, que le docteur Baiïllon recueillit, à divers états, l'Umbilicus pendulirus D. C., et dont les échantillons lui servirent à décrire cette crassulacée dans le troisième volume de sa magnifique histoire des plantes, ouvrage sans précédents dans la science. Un curieux phénomène de végétation se produisit à l'égard des échantillons d’Umbilicus recueillis par le docteur Baillon: 1 Voici ce qu'on lisait gravé sur le rocher : Qui a fait faire ce degré ? C’est le Bonhomme Pannetier, Dites pour lui Parer, Ave, Il vous en saura bon gré! 1599. Cette inscription, que les communards d’un autre âge détruisirent, fut restaurée sur lame de cuivre, sauf la dernière ligne, par M. de Jully, pro- priétaire alors (1812), du couvent dé la Baumette et de la terre de Châ- teaubriant. = (81, — (juittant Angers pour se rendre en touriste à Bordeaux, il plaça dans un curnet de papier ses pieds d'Umbilicus , et quelle ne fut pas sa surprise en arrivant à destination de les trouver les uns en fleurs , les autres en fruits. Revenons à Guettard et ajoutons qu'il eut le mérite de substi- tuer , dans la botanique , une suite d’expériences précises et ca- pables d'éclairer sur un phénomène important de l’économie végétale, à de simples aperçus dont on s'était contenté jusqu'à lui. En géologie, il fut le premier qui s’occupa des ossements fossiles qu'on trouve dans le gypse de Montmartre, dont la détermination devait, dans le siècle futur, illustrer à tout jamais le nom de Georges Guvier. La vie de Guettard fut une vie consacrée à la science, il ne se maria point, une femme l'eût gêné. Sérieusement religieux, sa piété était sans affectation et jamais il ne chercha à blesser per- sonne dans ses croyances. Il était béni, respecté par les pauvres, les gens du peuple, les domestiques : dans les uns il paraissait craindre des tyrans, les autres n'étaient pour lui que des frères. Ennemi du mensonge, il disait toujours la vérité, même lors- qu’elle pouvait lui occasionner des désagréments. Ainsi, un de ses confrères le remerciait un jour de lui avoir donné sa voix : Vous ne me devez rien, lui répondit-il, si je n'avais pas cru qu'il fût juste de vous la donner, vous ne l’auriez pas eue, car je ne vous aime pas. Si une telle franchise, dit Condorcet, dans son éloge de Guettard, offense quelquefois, au moins a-t-elle sur la politesse l'avantage d’inspirer la confiance : on sait ce qu’on doit espérer ou craindre. ‘ Il ne pouvait entendre le crieur de ville publier sous ses fenêtres une sentence de mort sans en être profondément ému. Comment, disait-il, n’être pas révolté à l'annonce qu’un homme va publiquement égorger un autre homme, et inviter à cet horrible spectacle, un peuple que l’abjection et la misère ne disposent déjà que trop à la férocité ‘ Que de personnes à qui il avait rendu d’éminents services D ! Guettard avait prévu 1793. M. SRE l'abandonnèrent , lorsqu'elles crurent pouvoir se passer de ses bienfaits. Guettard ne s’en plaignit jamais et chercha des consolations en soulageant les malheureux et en pleurant sur leurs infortunes. Ah! que ces vers d’un dramaturge célèbre renferment une grande vérité : Lorsqu'on n’a plus besoin des gens qui vous soutiennent, On repousse l'échelle avec ceux qui la tiennent !. Quand on analyse l’OEuvre de Guettard, on est étonné qu'une vie ait pu suffire à un tel labeur. Essentiellement progressiste, Guettard pensait avec raison que « l'étude n'avait pas de limites, » qu’en géologie surtout, il ne fallait pas s'attacher exclusive- » ment à tel ou tel système, mais sans cesse chercher la vérité, » que ce n’était point par des phrases faciles qu'il fallait satis- » faire un auditoire, mais bien et avant tout, en développant de » hautes considérations philosophiques et surtout en ne niant pas » les grandes découvertes qui ont fait et feront faire chaque jour » d'immenses progrès à la science ?. » Il fuyait le plus qu’il lui était possible le contact des hommes. Je n’y trouve que haine, méchanceté et jalousie, disait-il au duc d'Orléans, parlez-moi des fleurs, voilà mes seules amies, langage que plus tard un poète exprimait dans ces deux vers *. J'ai des ennemis chez les hommes Je n'en ai point parmi les fleurs. Paris , 30 mars 1873. AIMÉ DE SOLAND, * Alexandre Dumas fils. : : Les théories émises sur la formation de la terre peuvent être réduites à deux opinions fondamentales désignées sous les noms de Neptunisme et de Vulcanisme. ; Nous croyons qu'il y a à prendre et à laisser dans ces deux opi- nions absolues. Si tous les phénomènes de la surface de la terre militent en faveur du Vulcanisme, nous ne pouvons nier cependant l'action de l’eau dans les influences qui ont contribué à tracer le contour de la surface du globe, nous pensons que, placé à ce point de vue, le liquide élément a joué un rôle plus important que l'élément igné, il ne faut done pas, si l’on admet à l'origine des choses un état de fluidité de Ja terre, fluidité de fusion, rejeter complétement l’action agueuse. 3 Victor Hugo. NOTES SUR LA FLORAISON D'UN AGAVÉ. La floraison d’un Agavé d'Amérique est une chose assez rare, dans notre pays , pour qu’on consacre quelques lignes à la des- cription de cette plante qui offre , à cette époque de sa vie, une végétation si puissante et si extraordinaire. L'Agavé dont il s’agit provient d’un drageon planté en 1840 au jardin des plantes de Saumur ou plutôt à l’école de vignes ; il a par conséquent trente et ur: ans. Devenu trop encombrant et trop difficile à transporter , il fut livré à la pleine terre au prin- temps 1870. Placé dans l'angle d’un bâtiment bien exposé au soleil , il put , dans le courant de l’année , étendre ses racines et prendre une vigueur qu'il n’avait pas encore eue. Abrité par une cabane en bois pendant l'hiver dernier, il a résisté assez bien aux velées très-fortes de cette saison , et reprenant la vie avec les beaux jours , le premier mai le cœur s’est entrouvert et a laissé voir au milieu des feuilles l'extrémité de la tige florale, qui depuis cette époque s’est élevée avec une grande rapidité , selon, cependant , la température des différents jours. Elle grandissait quelquefois seulement de deux à trois centimètres dans vingt- quatre heures , d’autres fois de neuf à dix , on aurait presque pu la voir pousser. Enfin les premiers jours d'août la hampe avait atteint sa plus grande élévation et son plus grand développement, c'est-à-dire six mètres cinquante centimètres sur une circonfé- rence de quarante centimètres à sa base, et portant dans le haut vingt-sept branches ayant chacune à leur extrémité un bouquet composé d'au moins soixante fleurs dans la partie supérieure et allant jusqu’à cent soixante-dix fleurs dans les tiges inférieures , 2 CDN EE ce qui donne un total d'à peu prèstrois mille fleurs. Quelle activité de végétation a-t-il fallu pour développer dans trois mois une production semblable ; aussi la plante entière est-elle venue en aide aux racines en fournissant le contenu de ses énormes feuilles qui se sont flétries et diminuées de moitié pour alimenter et former la hampe. La plante, comme on sait, va périr et a donné toute sa vie pour se reproduire , c'est du reste l’histoire de bien des êtres. Les premiers jours d’août les fleurs ont commencé à s'ouvrir , d’abord celles du bas, puis , en suivant , pendant tout le mois, une marche ascensionnelle. La fleur très-petite, puisque avec le fruit sur lequel elle est placée , n’a que huit à neuf centimètres , est composée d’ua périanthe à six divisions étroites d’un vert jaunâtre , six étamines et un pistil à stigmate trifide. Mais ce qu'il y a de remarquable , c'est qu'aussitôt que la fleur est ou- verte , les étamines s’alongent au-dessus d’elle de quatre à cinq centimètres et avec tant de force qu’on les voit marcher et les anthères remuer en passant auprès les unes des autres. Le style semble immobile d’abord et reste à la hauteur des divisions , mais lorsque la fleur commence à s’affaisser , ce qui arrive assez vite, on le voit aussi prendre son essor et s'élever au niveau des étamines et souvent les dépasser. Les anthères d’un beau jaune d’or sont le seul ornement de sa fleur en formant une couronne au-dessus d'elle ; l'odeur est fétide. Le fond du périanthe est rempli d’un liquide sucré très-abondant, à peu près une demi- cueillerée à café par fleur, aussi l'extrémité de la tige est-elle constamment entourée d’un véritable essaim d’abeilles qui vien- nent y butiner , maisn’y trouvent , dit-on, qu'un miel de mauvaise qualité participant de l'odeur repoussante de la fleur. Plusieurs fruits se développent grâce à la température favorable que nous avons eue, mais n’atteindront pas leur maturité ; la saison qui nous arrive saura y mettre obstacle. On poarrait cultiver en pleine terre, dans beaucoup de jardins, cette magnifique plante si remarquable et si ornementale même lorsqu'elle n’a que ses feuilles ; i] ne s’agit que de la couvrir d’une simple baraque en bois pendant l'hiver et lui donner de l'air pendant les beaux jours; j'en ai vu plusieurs exemples , une, entre autres , est restée dix ans en pleine terre et produisait le RE fe : plus bel effet avec ses larges feuilles glauques qui avaient plus de deux mètres de longueur , elle a voulu fleurir ; malheureuse- ment, comme il arrive souvent pour les yuccas, la fleur n'a commencé à se montrer qu’à la fin de l’été et le froid venu elle a péri sans pouvoir se développer. Plus heureux, nous sommes arrivés juste à temps pour la suivre dans toutes les phases de sa végétation et l’admirer dans toute sa splendeur. COURTILLER. PP ART ON DANS LE DÉPARTEMENT DE LA SARTHE, pendant le mois de mai 1871, DU FAUCON A PIEDS ROUGES OÙ KOBEZ Falco vespertinus, Linn. ; Falco rupifes, Bechst. CRE La liste des espèces d'oiseaux qui fréquentent habituellement ct exceptionnellement la Sarthe, déjà si nombreuse et si variée , vient encore de s'enrichir d’une nouvelle espèce, dont aucun représentant , croyons-nous, n’est encore venu attirer l'attention des ornithologistes sur son apparition dans le département de la Sarthe : nous voulons parler du Faucon à pieds rouges ou Kobez : Falco vespertinus , Linn. ; Falco rupifes, Bechst. La faune de Maine-et-Loire, publiée en 1828, ne parle pas de ce faucon Il est certain que les naturalistes de l’Anjou ne l'ont jamais remarqué avant cette époque. Une seule apparition , bien constatée , de cet oiseau sur un point quelconque du département de Maine et-Loire , eût suffi à M. Millet pour le décrire dans son : ouvrage. [ Depuis 1828 , les naturalistes manceaux ont à peu près consi- déré la faune de Maine-et-Loire comme pouvant s'appliquer à la faune locale de la Sarthe , à cause du voisinage des deux dé- partements et nous avons entende dire à M. le naturaliste Anju- bault , décédé au Mans il y a quelques années , que les oiseaux NO — qui les fréquentent sont en effet les mêmes. — Nous lui avons entendu dire , de plus , que depuis cette époque, il avait signalé dans la Sarthe plusieurs espèces d'oiseaux qui y sont venus très-accidentellement , et dont il constatait , sans doute , la pré- sence pour la première fois dans la contrée; de ce nombre, nous citerons la cigogne noire et le fou de Bassan; mais, -M. Aujubault ne nous a jamais parlé du Faucon Kobez. {l est done probable qu'il ne l’a pas vu dans notre département, où , du reste, il ne doit venir que d’une manière très-accidentelle. Il doit en être de même pour l’Anjou que cet oiseau ne visite que très - rarement , d’après le témoignage de M. l’abbé Vincelot. Le Faucon Kobez , qui fait l'objet de cette communication, est un mâle adulte qui a été tué, pendant le mois de mai 1871, dans les environs du château de Mangé, qui appartient à M. le prince de Beauvau , et qui est situé dans la commune de Ver- neil-le-Chétif, au canton de Mayet. — Ce château est bâti dans une contrée, parsemée de bouquets de bois et voisine de la lisière de la forêt de Bersay ou de Jupilles. — Nous sommes porté à supposer que ce faucon n’était pas seul, qu'il devait faire partie d’une troupe , composée de mâles et de femelles dont quelques individus ont peut-être niché dans cette forêt, car cet oiseau voyage toujours en société. Le plumage de notre sujet est d'un gris bleu, plus foncé en dessus ; les cuisses , les jambes , le ventre et les couvertures inté- rieures de la queue sont d'un roux assez vif; toutes les rémiges d'un gris de plomb; le bec livide , un peu noir à la pointe; la cire , les pieds , le tour des yeux , d'un rouge ux peu terne et l'iris brun-clair. Les ailes dépassent un peu l’extrémité de la queue. — Sa taille était d'environ 0 99 avant le montage. Cet oiseau habite les bois et les broussailles. On le rencontre en Asie , en Afrique , dans le midi et l’est de l’Europe. Il est commun en Autriche , dans l& Russie méridionale , dans le Tyrol, en Suisse et en-deçà des Apennins. Il est rare en France , où l’on prétend cependant qu’il se reproduit. On l'a vu accidentellement en Angleterre. D'après M. Bouteille (Ornithologie du Dauphiné), de jeunes individus nichent dans les forêts des Pyrénées. L'apparition de ce faucon dans nos départements méridionaux PO est accidentelle. Elle ne se renouvelle pas assez souvent en Pro- vence et en Dauphiné pour qu’on puisse le mettre au rang des oiseaux de passage de ces contrées. Il est probable que cette espèce est attirée sur les bords de la Méditerranée par des in- sectes dont elle se nourrit le plus souvent. Polydore Roux (Ornithologie provençale) , en cite un passage - très-considérable en Provence pendant le mois de novembre 1821. M. Bouteille dit aussi que dans les premiers jours de mai 1824 on vit, pendant deux jours, une dizaine de Kobez voltiger au-dessus des eaux dans les marais de la plaine de Tullins. Ils étaient peu sauvages et ont été presque tous tués. — Depuis ‘il en a été vu plusieurs fois dans la même localité: un autre pas- sage a eu lieu en 1842. MM. Degland et Gerbe (Ornithologie Européenne) racontent que cette espèce ne prend pas toujours la peine de faire son nid : elle s'empare de celui de la pie. Lorsqu'elle en construit un, elle le place sur les arbres élevés qui forment la lisière des bois, sur les peupliers voisins des prairies. — M. Schlegel dit qu’en Grèce , où elle se reproduit, mais en petit nombre, elle place souvent son aire sur le toit des maisons. Sa ponte varie de 3 à 6 œufs, courts, d’un roux de rouille clair , avee des mouche- tures et de petites taches d’un rouge brun. Le Faucon Kobez a des mœurs qui diffèrent sensiblement de celles de ses congénères. Il aime à vivre dans la société de ses semblables ; aussi le trouve-t-on , une grande partie de l’année , réuni en troupes , plus ou moins considérables. — Lesoir, avant le coucher du soleil, tous les individus d’un canton se réunis- sent, s'amusent pendant plusieurs heures à exécuter des évolu- tions aériennes , puis se portent ensemble sur un arbre pour y passer la nuit. Là , ils se tiennent serrés autant que possible , et ils s’entassent pour ainsi dire sur les plus hautes branches. M. Nordmann en a vu jusqu’à 40 perchés sur un robinier de 7 s, et un seul coup de fusil tiré sur une pareille troupe, lui à procuré plusieurs fois au-delà d’une douzaine d'individus. « Ce qui m’a toujours frappé dans ces cas, dit-il, c’est la » grande disproportion que j'ai trouvée entre le nombre des: » mâles et celui des femelles. Une fois, sur 11 individus tués , LOS RE » il n’y eût que 3 femelles , une autre fois, sur 9 individus , je » comptai 2 femelles seulement. Dans l’air aussi, j'ai toujours » compté plus de mâles que de femelles ‘. » On voit le Faucon Kobez, immobile pendant des heures en- tières au même endroit, ne quitter momentanément sa position que pour se précipiter sur les insectes (coléoptères, scarabées ,. ete.) , qu’il aperçoit et dont il fait sa principale nourriture. Il est très-habile à saisir au vol les grandes espèces de sauterelles. Il fouille, dit-on, dans la fiente des bêtes à cornes pour en ex- traire les scarabées qui s’y cachent. Il fait aussi la chasse aux lézards, aux petits mammifères , et mange même des baies. Le Faucon Kobez, dont nous nous occupons , a été monté par M. Charles Huard , naturaliste , préparateur du musée du Mans. — Ce bel oiseau a fait bien des envieux ,et il est très-regrettable que son propriétaire n'ait pas voulu s’en dessaisir, même pour le prix relativement élevé que lui offrait un ornithologiste de notre ville, qui voulait en faire cadeau au musée. AUGUSTE BESNARD , Conducteur des Ponts-et-Chaussées, Membre de la Société Linnéenne de Maine-et-Loire. Le Mans, le 2 septembre 1872. 1 Catalogue raisonné de la France pontique , p. 84. LETTRE DE PETRARQUE A BOCCACE. (Livre V, lettre 3°, Rerum senilium. En 1870 , lorsque pour la première fois m'est tombée sous les yeux cette lettre si singulièrement hostile aux médecins, je me suis senti troublé, sinon attristé. Comment un doux et tendre génie tel que Pétrarque put-il vivre dans une haine semi- séculaire contre une classe d'hommes, qui, s'ils n'étaient pas irréprochables sous certains rapports , avaient pourtant un mérite relatif incontestable ? Entraîné par un curieux désir, et bien naturel, je voulus savoir , à l’aide de recherches d'archéologie médicale , jusqu’à quel point l’auteur était fondé dans ses criti- ques. Un fait acquis à l’histoire, c'est que les médecins du xive siècle étaient des hommes fort instruits pour la plupart. Ils savaient tout ce que les écoles de la Grèce, de Rome, de Salerne et les Maures d'Espagne avaient pu leur apprendre. Naples, Rome, Florence surtout, Milan même, étaient, en civilisation, de deux siècles en avant sur le reste de l'Europe. Tout en essayant de faire revivre le génie antique, ces grands centres italiens apportèrent leur contingent de culture intellectuelle dans les énttité déntet dé Topo arts, la posie , la littérature et les sciences , en leur imprimant un caractère d'originalité qu’on ne peut méconnaître ‘. La somme des connaissances médicales s’était transmise, d'âge en âge, par les manuscrits et la tradition. Ainsi, dès le xrie siècle, l’école de Salerne, restée célèbre , s'inspirant de Galien , d’Avicenne , d’Averrhoës ?, offrait un vaste champ aux médecins de la Péninsule italique , par les observations d'hygiène et de médecine pratique qu'ils étaient à même de recueillir dans les nombreux écrits répandus parmi le monde lettré. À l’aurore de la Renaissance , tout comme dans l’antiquité, quiconque se piquait de savoir, prenait le titre de philosophe. Or, la médecine, considérée comme une branche des sciences naturelles , se rattachait par là même à la philosophie. Aussi voyons-nous , jusqu’en ces derniers temps , les auteurs de traités de médecine faire précéder leur titre de docteur de celui de phi- losophe : Philosophus et medicus doctor. On ne peut méconnaître pourtant que l’exercice de cet art ne fût livré à l'empirisme, inteliigent , je le veux croire, et déjà éclairé par les lumières que l’anatomie et des rudiments de phy- siologie projetèrent sur la science , même en ce siècle reculé. En effet , c’est l'Italie qui revendique l'honneur d’avoir ouvert, en 1306 , la première école d'anatomie où l’on disséqua un cada- vre humain, et Mondini de Luzzi , célèbre professeur de Bologne, doena en 1316 les premières leçons publiques d’anatomie sur deux cadavres de femme *. Puis un autre contemporain de Pé- trarque jeta sur la médecine et la chirurgie un vif éclat dans le midi de la France , à Avignon surtout , où il fut pendant trente ans premier médecin “ de la cour romaine. Je veux parler de Guy de Chauliac , dont j'ai déjà dit quelques mots dans la lettre 1 Cimabué, Giotto, Simon de Sienne , Dante, Pétrarque, Boccace, Villani, elc., en Italie, puis Bacon , Raïimond Lulle, Duns Scot, Occham, etc., qui fleurirent aussi chez les Italiens. * Averrois, ch'1 gran commento feo. Dant., Znfern., C° IV. 3 Son traité d'anatomie, considéré comme classique pendant plus de deux siècles, eut de nombreuses éditions : Pavie, 1476, in-f°; Venise, 1580, in-12 ; Marbourg, 1641, in-4°. f * Archiater. LR: CES précédente *. Ce fut , paraît-il, sa bête noire, son point de mire, son objectif dans ses violentes diatribes contre la Faculté. Et je suis assez porté à croire que l’illustre docteur appelé à Milan par Galéas Visconti, malade de la goutte, — comme nous le verrons à la fin de cette lettre-satire de Pétrarque — n'était autre que Guy de Chauliac. Son origine , son âge , sa célébrité , les honneurs qu'on lui rendit , l'animosité du favori-courtisan , tout , en l’ab- sence de preuves péremptoires , Le fait supposer. Parmi les médecins renommés de ce temps , et amis du poëte pamphlétaire , il faut citer encore ce Jean de Dondi, de Padoue, illustre comme médecin et comme mathématicien. Sila savante uni- versité de Bologne, la première de l’Europe après celle de Paris, n’a pas transmis à la postérité les noms de ses docteurs les plus fameux , il faut s’en prendre d’abord à la difficulté qu'il y avait à publier des œuvres de longue baleine , alors que l'imprimerie n’était pas découverte ; ensuite à l'influence des doctrines de Galien et des Arabes, acceptées comme la loi et les.prophètes, et à l'encontre desquelles ii n’avait pas été permis jusque-là de rien innover. Averrhoès , plus philosophe encore que médecin, et contre lequel Pétrarque , en maint endroit de sa correspondance , se déchaîne avec rage, comptait.en Italie, particulièrement à Venise , école de libres-penseurs , de nombreux sectaires. I fallait plus que du courage pour lutter contre la puissance de l'opinion régnante ! Armé de sa foi, l'ami de Clément VI combattit sans faiblir ce philosophe doctrinaire. Il fut moins bien inspiré dans ses attaques contre la personnalité des médecins et les doctrines médicales alors en honneur. Que sont sont devenus le galénisme, l’averrhoïsme , le stah- Systèmes éclos de nos jours ?..…. On ne peut nier que des efforts furent tentés pour secouer le joug du galéno-arabisme. On en sera convaincu en lisant le grand ouvrage de Guy de Chauliac , dans lequel la peste de 1348 a été l'objet d’une étude scrupu- leuse de la part de l’auteur *. La médecine, au xive siècle, fut donc ce qu'elle pouvait et * Voir Annales de lu Société Linnéenne, 1870, p.149. * Inventorium sive Collectorium partis chirurgicalis medicinæ, 1498. LPO + devait être, marchant de pair avec le reste des connaissances humaines. Aussi Pétrarque était-il mal venu d'englober dans un anathème général le corps médical tout entier , bien capable de le réfuter victorieusement , comme semble l'avoir fait J. de Nondi, son ami, dont les conseils hygiéniques méritent l'approbation des gens que la passion et les préjugés n’aveuglent pas. C'était, dira-t-on, une plaisanterie de La part du poëte, plus atrabilaire qu’il ne veut l'avouer. Je ne crois point aux plaisan- teries aussi indéfiniment prolongées , où le sarcasme, les mots blessants , les phrases salées , les pointes virulentes s’étalent avec une complaisance d’insulteur mal appris , qui vous mord jusqu’au sang et vous dit : C’est pour rire. Voilà ce qui m'afflige. — Vous êtes un ignorant, un âne et quelque chose de pire. C’est bientôt dit. Ceux qui parlent ainsi , soyez-en sûr , sont, pour la plupart, des envieux , des jaloux , des orgueilleux ou des gens froissés dans leur amour-propre. Cette trop avantageuse opinion de leur mérite les pousse à mépriser même les hommes qu'ils savent valoir mieux qu'eux. Sans souci de la portée de leur i2jurieuse parole , ils ne songent qu'à satisfaire leur rage de dénigrement , croyant se grandir en proportion de l’abaissement des autres ‘. Si le niveau de la science médicale s’est prodigieusement élevé en ce siècle, je me demande si cet art de bien voir un malade, cette faculté d’intuition , ce tact médical , en un mot , ce sixième sens qui constitue le vrai praticien , a progressé dans une égale mesure ? Guérit-on mieux, aujourd’hui, les fièvres pernicieuses qu'à l’époque de Torti, de Morton , de Sydenham ? En temps et lieu je prouverai le contraire. La chimie , la plus jeune de nos sciences , a bien des séductions ; elle vous entraîne, elle vous leurre de ses caprices : caveant medici ! En médecine , comme en ‘ Ce qu'il y a d’attristant surtout, c'est de voir chaque jour, du haut de sa chaire, un professeur, très-fort en micrographie, dans son dédain superbe ravaler ses confrères qu'il regarde en pitié parce qu'ils n'ont pas, comme lui, vu de blastème, de bactéridies, ni disséqué les vasa vasorum et les nerfs vaso- moteurs ; savant histologiste, trop occupé pour reconnaître un rhumatisme ou une névrose larvée ! Il faut bien le dire, quand on a soixante clients en coupe réglée quotidienne, on n'a pas le temps d'y regarder de si près, on parait plus soucieux de voir des malades, que des maladies. — 100 — bien d’autres matières, il fait bon suivre ce conseil philosophique, que nous donnent les Espagnols : De las todas cosas mas seguras, La mas segura es dudar !. Un esprit sage doit-il s’incliner devant ces mille théories mé- dicales et cette multitude de remèdes que nous avons vu éclore de nos jours ? Il faut tout savoir , pour ensuite beaucoup oublier. Les systèmes passent , la nature reste comme point de repère et critérium pour juger de l’inanité des méthodes. A part quelques conquêtes précieuses en thérapeutique , tout le reste n'est que le produit de la spéculation et du charlatanisme qui l’exploite. Aussi , loin de nous toutes ces formules décevantes , créées pour faire la fortune des inventeurs et des prôneurs aux dépens de l'humanité mystifiée. Que de panacées nous avons vu fleurir et mourir du jour au lendemain ! « Hâtez-vous , disait un homme d'esprit, de vous servir de ce remède pendant qu'il est encore de mode. » Je ne voudrais pas qu’on se méprît sur ma pensée, qu’on lui donnâi une portée qu’elle ne peut avoir. Je parle librement : Non opinionis causa conscientiæ scripsi (Baglivi). Et si l’on m'accuse de louer le passé au détriment du présent, je répon- drai : Je u’absons ni n’accuse, j'expose l'état de la question : Est- il bien sûr qu'aujourd'hui, mieux qu'autrefois, on soit plus avancé sur la nature des maladies et les moyens de les guérir ?.… Oui, je me plais à proclamer les merveilleuses découvertes de la science et leurs fécondes applications. Mais qu'il me soit permis de dire que si les moyens euratifs sont plus nombreux, plus va- riés, ce n’est pas leur multiplicité qui constitue leur efficacité ; c’est dans leur opportunité que git toute leur puissance. A quoi vous servira un immense arsenal de remèdes, si vous ne savez pas en user à propos ? J'aime mieux Béclard s’abstenant de rien prescrire à un malade , fatigué des remèdes inutiles de la phar- macie , et qui guérit d’après le conseil de ce judicieux praticien. C’est une leçon entre mille autres, dont ne profitent guère nos 1 De toutes les choses les plus sûres, La plus sûre est de douter. — 101 — jeunes échappés de la Faculté , formulant des ordonnances aussi dispendieuses que dangereusement multipliées. Il est tel Diafoi- rus de ma connaissance qui , faisant quatre visites quotidiennes à son malade, se croit obligé de lui prescrire quatre remèdes différents , d’où suit que bientôt il passe pour un Hippocrate de première force, auquel les apothicaires doivent une bonne remise et les fossoyeurs un beau cierge. Faut-il en conclure que les médecins sont des ignorants? Pas le moins du monde. Seulement, comme dit Pétrarque, « ils savent tout mieux que ce qu’ils enseignent. * » Devons-nous admettre comme une vérité ce que prétendent certains esprits pessimistes , parodiant ces deux vers connus , appliqués aux médecins : « Nos docteurs ne sont point ce qu'un vain peuple pense, « Notre crédulité fait toute leur science ? » Je ne le crois pas. D'un autre côté, on se fait une étrange idée des hommes de l'art en général , et des célébrités en particulier. On s’imagine que la médecine est en possession de remèdes merveilleux pour toutes les maladies, et que si le disciple d’'Esculape ne les sait pas employer , c’est par ignorance. Ignorance ?.. Non. J’ose affirmer qu'un médecin, quel qu'il soit, west pas un ignorant ; il possède la somme de connais- sances variées puisées dans nos Facultés ; seulement il n’a pas toujours l’habileté de s'en servir à propos. Et puis encore, ce qui constitue très-souvent la différence entre un médecin en grand renom et celui qui reste obscur, c’est, non pas le savoir , mais le savoir-faire. D’autres fois , l’étalage de science hors de saison nuit plus, dans l'opinion des gens sensés, qu’un silence modeste; car un succès de mauvais aloi , obtenu faute de discernement et de pénétration, couvre de ridicule et prouve que nous avons uniquement la mémoire bondée de science indigeste. A ce sujet, qu’il me soit permis de rapporter une anecdote à l'appui de mes observations : un fait, si minime soit-il en appa- rence , porte avec lui son enseignement quand on sait l'y cher- cher. ‘ Ut omnia melius sciant quod id unum quod professi sunt, — 102 — Il y a quelques années , une dame de Tours , d’un certain âge déjà , et d'un esprit délié et malin, se trouvait en visite à Angers , chez des amis , lorsqu'après diner la conversation étant tombée sur les diverses sortes d'aliments, elle avisa un jeune médecin tout frais émoulu et lui adressa à brûle-pourpoint cette question : « Docteur , pouvez-vous me dire pourquoi les pommes » de terre me rendent babillarde ? » — « Oh! certainement , Madame, c’est bien facile, répartit l’élève à peine émancipé de Bou- chardat. Les assistants firent, en silence, cercle autour de lui, puis après s’être un instant recueilli, et le visage illuminé d’un éclair d'inspiration , il professa à peu près en cestermes : « La pomme » de terre, Solanum tuberosum des botanistes , est un tubercule » exotique dont on doit l'importation à Parmentier, etc., etc. » (Dissertation pendant dix minutes.) Les arts, l'industrie , la » médecine s’emparèrent de cette précieuse conquête ; la chimie » la soumit à une foule de transformations. (Encore dix minutes » de considérations savantes.) Mais c’est surtout la propriété de » former de l’alcool qui a fixé l'attention sur cet intéressant » produit. Ainsi, Madame, vous saurez que par la fermentation » cette fécule se change en glucose, matière sucrée , laquelle , » par l'action du calorique , se transforme en alcool. Or, quand » vous mangez des pommes de terre, il se distille de l'alcool » dans votre estomac, puis ces vapeurs alcooliques , plus légères » que l’air , se portant sur !es lobes antérieurs du cerveau , siége » de la loquacité d’après le système de Gall, occasionnent un v léger délire qui vous fait causer plus que de raison...» « Et voilà justement pourquoi votre fille est muette L » O Molière , Molière! Sganarelle et Thomas Diafoirus sont dis- tancés ! Croyez-vous que ce jeune zymosiste ? soit un ignorant? Assu- ! Le Médecin malgré lui. ? Au lecteur malévole qui m’accusera de pédantisme pour m'être servi d'un mot qui ne lui est pas familier, je dirai que du temps de Celse et de Galien, certains médecins faisaient jouer un très-grand rôle à la fermentation dans les maladies intestinales. Plus tard on exagéra le principe. Aviez-vous un cor au pied, c'était la faute de l'estomac, qui n’élaborait pas congrüment la lymphe fermentescible..…. Mais nous avons changé tout cela, grâce au microscope. — 103 — rément nou. Le malheureux se trompa tout simplement d’organe : il prit la fermentation alcoolique pour la fermentation intesti- nale qui produit les borborygmes. Doué de plus de mémoire que de bon sens, il ne s’aperçut pas qu’on se jouait de lui. Le groupe qui s'était formé autour de l’orateur , se dispersa , laissant échapper un murmure d’admiration bien sentie pour ce jeune savant plein d'avenir. La dame qui avait provoqué cette thèse si brillamment soute- nue , le lendemain, après m'avoir raconté l’histoire, me dit avec une pointe de malice : « Vous avez là un confrère trés-fort et qui fera son chemin. » En effet, l’année suivante sa réputation avait tellement grandi , que , le cousin de la femme de son oncle aidant , il fut jugé digne d’être professeur , et nommé par un monsieur qui demeure à Rennes. On n’a pas besoin d’être du métier pour apprécier le mérite d’un homme de l’art ; il suffit d'être revêtu d’une longue robe de certaine couleur et coiffé d’un bonnet d’une certaine forme pour que l’infaillibilité vous soit octroyée. C’est ainsi que les choses se passent ici, et ailleurs. De temps immémorial, et jusqu’à la consommation des siècles, il en sera ainsi, tant que le concours ne viendra pas mettre chacun à sa place. Les détracteurs du temps passé sont-ils bien venus, je vous le demande , à exalter sans réserve le temps présent, quand on voit des gens instruits, du reste , commettre de pareilles bour- des ? Vous aurez beau connaître tout ce qui se dit, tout ce qui s’imprime , loger dans votre cervelle toutes les formules , avoir recours à toutes ces prétendues panacées qui s’étalent effronté- ment à la quatrième page de tous les journaux sans distinction , fabriquer des ordonnances in-folio, véritables farrago de drogues à l'usage des jalapistes, si vous ne possédez pas cet esprit de sélection , cette perspicacité , cette pénétration qui constituent le tact médical , — le quid deceat quid non des poëtes , avec lequel . on opère de salutaires effets et souvent malgré l’exiguité des moyens, — vous n’aurez jamais de valeur réelle. Soyons modestes , c’est la vertu qui nous convient le mieux. Nous sommes très-vulnérables ; et, comme je le disais dans un Mémoire adressé à la Société de Médecine d'Angers en 1848 : — 104 — « le meilleur d’entre nous est celui qui se trompe le moins. » Heureux encore quand on s'aperçoit que l'on fait fausse route ! le mal, alors, est quelquefois réparable ; mais si l’on persévère dans un système défectueux, peut-on calculer la somme d’erreurs meurtrières qui en est le résultat ? N'a-t-on pas vu, de nos jours , les partisans entêtés de la doc- trine de Broussais abuser pendant plus d’un demi-siècle des sai- gnées à outrance , et persister avec un aveuglement de sectaire dans une voie fatale que l'expérience n’est jamais parvenue à éclairer ! ? Que faut-il en conclure ? Que la médecine, depuis plus de deux mille ans , n’a pas encore trouvé une base solide et qu’elle ne la rencontrera peut-être jamais. Jamais non plus elle ne sera une science exacte, mathématique en tous ses points. Soumise à des règles générales , elle échappera par mille côtés à des lois qui resteront éternellement inconnues , car l'intelligence humaine a des bornes. En veut-on une preuve? Qui nous dira ce qu'est la fièvre ? Depuis plus de vingt siècles on cherche une défi- nition satisfaisante de cet état de souffrance de uos organes , et personne , pas même nos micrographes , ne peut nous le dire. Ainsi nous sommes done tenus à une sage réserve envers Ceux qui n’en savaient pas beaucoup moins que nous. La médecine n’est en définitive qu’un empirisme plus ou moins intelligent , dont l'application plus ou moins heureuse est due bien plutôt aux qualités personnelles du praticien, de l’homme de l’art , de l’artisté, comme se qualifiait Bretonneäu , qu’à la science elle-même , dont les assises ne sont pas encore posées. En effet, on peut disserter longuement sur le mode d’action des remèdes, sans être près de s'entendre. Il faudra toujours en reve- nir aux phénomènes qui tombent sous les sens, loin de chercher au-delà des explications : Cur opium facit dormire ? Quia est in eo virtus dormitiva. C'est triste, mais c'est ainsi. — Mystère. Ces réflexions, que me suggère la lecture attentive de la lettte ! Bretonneau, le plus convaincu et le plus émancipé des chefs de la réac- tion anti-broussaisienne, me disait un jour: « Mon cher ami, tenez pour certain que la médecine dite physiologique à tué plus d'hommes que les guerres de la République et de l'Empire. Ce n’est point une hyperbole ni, un paradoxe, réfléchissez et vous verrez que je suis dans le vrai.» — 105 — de Pétrarque , appuyées sur une expérience déjà longue , m’amè- nent forcément à cette conclusion : Nous ne devons pas trop mépriser les anciens et surtout ne pas trop exalter les modernes aux dépens des premiers. Les uns ne sont ni meilleurs ni pires que les autres. Je fus très-frappé en lisant l'histoire de Matteo Villani, qui après avoir décrit la peste noire de 1348, dont les ravages déci- mèrent Florence , ajoute : « Quelques médecins, pour toucher des honoraires , firent des visites et donnèrent des consultations à certains pestiférés, qui moururent ; leur mort fit bien voir que l’art était vain et 1m- puissant. « Beaucoup, par conscience, restituèrent l'argent qu'ils avaient pris indûment ‘. » Les défauts de nos devanciers, nous les retrouvons en nous, modifiés par les circonstances ; mais bientôt nous serons des ancêtres pour ceux qui nous suivent et qui nous accableront de leur dédain, en attendant leur tour. Les gens du monde sont mal venus de déblatérer contre une classe d'hommes méritante, quoique sujette à erreur, el pour laquelle on a peut-être outré et l’éloge et le blâme. Notre dernier mot sera pour déclarer qu Lie ne réclame qu’une appréciation équitable , certaine nes De n'avoir mérité Ni cet excès d'honneur, ni cette indignité. 11 se rencontrera perpétuellement, dans toutes les classes de la société , des gens enclins à médire de la médecine et des méde- cins ; tant pis pour l’art et ses représentants, si leur critique est fondée. Les adeptes en souffriront, mais la science n’en sera pas atteinte, car la source d’où elle émane est au-dessus de toutes les attaques, puisqu'elle ne procède que de la nature, dont les secrets se dérobent trop souvent à nos investigations. Cet aperçu sommaire, à l’occasion de la lettre de Pétrarque à ! Alquanti, per guadagnare, andarono visitando e dando loro argomenti, i quali per la loro morte l'arte esser fitta e non vera. Assai, per conscienzia, lasciaronv a ristituire i danari che di cio haveano presi indebitamente. : — 106 — Boccace , exigerait de plus amples développements si l’on voulait traiter à fond le sujet qui fait l’objet de cette étude. Je réserve pour une autre circonstance le travail auquel je me suis livré dès 1856, et qui a pour titre : la Médecine et les Médecins d'Angers au xIx° siécle. LETIRE DE PÉTRARQUE A BOCCACE ‘Livre V, lettre 3°, Rerum senilium. } e Outrecuidance et luxe des Médecins. « Vous avez goûté mon conseil et su le mettre à profit, j’en suis bien aise. Votre acquiescement, en définitive, est de bon aloi puisqu'il s'appuie sur la vérité. Il y a tant de gens qui blâment tout bas ce qu’ils approuvent tout haut ! » Vous m'avez écrit, — j'ai oublié la date, mais me souviens du fait, — qu'ayant été gravement malade, vous vous trouviez, grâce à Dieu et à l'assistance du médecin , maintenant complétement guéri. Je vous répondis alors, je me le rappelle bien : « Comment un homme aussi intelligent que vous se laisse-t-il aller à cette erreur popu- laire ?.. Dieu et votre excellente constitution ont tout fait. Votre médecin n’a absolument rien su ou pu faire, dialecticien bavard , pro- digue d’ennui, pauvre de remède. » » Aujourd'hui vous m’annoncez que malade vous n’avez pas appelé de médecin ; aussi je ne m'étonne pas que vous ayez été promptement guéri. Le moyen le plus salutaire au malaje, pour recouvrer la santé, est de se passer de médecin. Ce que je dis là, c’est raide ! pour les gens qui n’ont pas l'expérience ; mais pour ceux qui l'ont, mes paroles sont claires, certaines, de la plus grande évidence. » Ces médecins se posent en auxiliaires de la Nature, et souvent ils luttent contre la Nature elle-même, au profit de la maladie. Les moins mauvais tiennent un juste milieu dans l’expectation de l'issue de l’évé- nement. Gens pleins de bonne foi et de confiance, spectateurs du duel ! Dura loquor in expertis, at expertis, tota liquida, comperta , verissima. — 107 — du malade et de la maladie, ils en suivent les péripéties. Portant un pronostic équivoque sur le vainqueur, ils n’en revendiquent pas moins leur part de gloire. » Bonté divine ! que de Métius Fuffetius l’on compte parmi eux, et pas un seul Tullus Hostilius! ! Rome, dans ses beaux jours, a long- temps été à l’abri de cette peste d'hommes, prévue et signalée comme un danger par notre Caton , qui mérita le nom de Sage. Mais cet aver- tissement utile ne fut pas écouté. C’est le sort commun à ceux qui émettent de bons avis. Une tourbe de médecins fit irruption dans notre pays ®. Plût à Dieu qu'ils eussent été des médecins et non les ennemis des vrais médecins, sous la bannière de la Médecine ! Les voyez-vous armés, non-seulement de leur ignorance propre, de leur titre de savants, mais encore de l’insensée crédulité des patients qui, séduits par un si grand désir de la santé, considèrent quiconque la leur promet effrontément comme ils considéreraient Apollon lui- même ! » En vérité, cette outrecuidance n’a fait défaut à aucun d'eux, non plus que les traits d’impudence si favorables à l’imposture, et le char- latanisme éhonté dont ils font preuve dans l’exercice de leur art, qu'ils pratiquent à l’aide d’audacieux mensonges. » Ajoutez à cela leur faste inconvenant dans leur manière de s’ha- biller. Ils ont des robes d’une pourpre éclatante, taillées d’une façon particulière, des anneaux où l’escarboucle étincelle, des chaussures où l'or brille. Un tel luxe n'est-il pas fait pour éblouir même ceux qui se portent bien ? Voilà le spectacle stupéfiant et menteur qu'ils donnent dans les villes, surtout dans les nôtres. » Pour mettre un frein à pareil scandale, il n’y a pas un Tarquin l'Ancien, pas un seul de nos princes qui, blessé de telles audaces et soigneux de 8a dignité, ose porter des ordonnances pour infliger une pénalité à la licence de ces négociants en médecine. Or, s'ils ont une semblable présomption dans l'exercice de leur art si peu relevé, pourquoi les laboureurs , les tisserands et les autres ouvriers de même genre n’agiraient-ils pas comme eux, si ce n’est parce que rien n’égale l’au- dace de ces industriels-là ? Tullus Hostilius, 3° roi de Rome, fit écarteler Métius, chef des Albains, lequel, dans une bataille, avait trahi les Romains ses alliés. La citation , si heureuse d'à-propos , dépasse toute plaisanterie. ( Voir Tite-Live.) * Le premier médecin grec qui parut à Rome en 535, sous le consulat de Paul Emile et de M. Livius, fut Archagathus, on le créa chevalier et il établit son officine au carrefour Acilius. (Polyd. Verg. p. 86.) * On n'a jamais pu savoir ce que fait là Tarquin l'Ancien. — 108 — » À moins qu'ils ne revendiquent le nom de philosophes, titre dont ils se parent avec juste raison, comme vous savez ; ainsi que de ces caparaçons ! dont ils se sont induement affublés, s’imaginant en avoir le droit par profession même. Erreur grossière contre laquelle il faut mettre en garde non-seulement ceux qui savent que ces manœuvres ne sont pas des philosophes, mais aussi ceux qui connaissent les habitudes des vrais philosophes, à l’âme riche sous un manteau pauvre, contemp- teurs de toutes choses, la science et la vertu exceptées, mais surtout de la vanité et de la jactance, dont ces spéculateurs sont les modèles les plus parfaits. » En présence de pareilles audaces, ne devons-nous pas penser quelles n’ont d’autre origine que la proverbiale et détestable sottise populaire, sur laquelle pèsent lourdement ces dominateurs de la pauvre plèbe, dont ils exploitent les préjugés! Se parant avec ostenta- tion de ses dépouilles, gorgés de richesses et fiers de leurs homicides, ils se pavanent dans leur robe de triomphateurs. » En effet, je vous le demande, à part les chevaux blancs et les chars couverts de pourpre, que leur manque-t-il? Pas même les che- vaux, ni les ornements d’or qui recouvrent ces coursiers. Au premier Jour ils auront aussi les chars. » Chacun d’eux ne peut , il est vrai, tuer cinq mille hommes, ainsi que l’exigeait l’ancienne loi romaine pour obtenir le triomphe. I} suffit qu’ils en tuent le plus possible, car s'ils laissent à désirer sur la quan- lité, ils se rattrapent sur la qualité. Dans Îe premier cas ce sont des ennemis qui périssent. Ici, ce sont des citoyens, des amis. Là, leS vainqueurs ont des armes ; ici, ils ont des toges ;, donc il est juste d’exiger moins de victimes pour le triomphe. Mais voici où il existe une parité complète entre eux : parmi les chefs de guerre, ceux qui défont et tuent le plus d’hommes et des meilleurs, sont réputés les plus fameux. Ainsi les médecins qui tentent les expériences les plus hasardées et les plus périlleuses, sont considérés comme les maîtres à tous et signalés à l’admiration publique. Ce praticien, dit-on, a beaucoup vu, il a beaucoup expérimenté ; ce qui ne signifie pas autre chose que l’habitude d’assassiner sûrement et de longue main. » Une particularité tout-à-fait étrange, c’est que le militaire ne triomphe qu’aux dépens de l'ennemi, le médecin qu'aux dépens de ses compatriotes ; car cette même loi romaine interdisait le triomphe pour la guerre civile. Nos hommes de l’art, au contraire, ont le droit de tuer leurs concitoyens impunément. Que dis-je, impunément! leur 1 Phaleras. à 5 — 4109 — mort leur est payée ! Il faut done abolir celte loi, cet usage; sinon, pourquoi ne pas octroyer à ces arbitres de la vie humaine , la souve- raineté sur tout le reste ? » Ils triomphent donc de leurs compatriotes, et vous croyez que c’est une plaisanterie de s'attaquer à des êtres qui, au nom de l'art, prennent de l'empire sur vous, comptent tirer profil de votre maladie et spéculent sur votre mort pour leur instruction ? » Quand ces Messieurs, s’autorisant de je ne sais quels auteurs de Cos, de Pergeme ou d’Arabie, gens fort doctes peut-être, mais «bsolu- ment ignorants do notre constitution, quand, dis-je, ils vous ont fait avaler un breuvage homicide, on les vcit alors se croiser les bras dans l'attente du résultat. Et vous, tandis que le poison circule dans vos veines, dans vos organes, vous espérez la guérison promise par celui qui ne connaît pas votre maladie, par celui qui, torturé lui-même par ses propres maux. ne sait y apporter aucun soulagement ! » L'un prétend qu'on doit s'abstenir de fruits; l’autre, de végé- taux, de légumes, sans lesquels, pourtant, une foule de personnes, surtout dans nos contrées, ne sauraient en faire un repas agréable, voire même hygiénique. On ne pourrait cependant comprendre la peine que se donnent les cultivateurs et ceux qui s'occupent de la grefle des arbres que l’on va chercher dans de lointains pays, s’il fallait que les hommes qui les plantent et les soignent fussent obligés de se priver de leurs produits. Nous savons qu’il existe des plantes nuisibles, des herbes véuéneuses, mais qui s’est avisé, je vous le demande, à moins que ce ne soit dans un but coupable, de les faire croître dans son jardin, ou, lorsqu'elles y ont poussé, qui ne s’empresse de les en extirper ? Mais cel excellent faiseur d'ordonnances, soit que les végé- taux ne lui plussent pas, soit qu'il n’en tiràt pas assez de profit, a fait tout ce qu’il pouvait pour les décrier et les rendre suspects à l'univers entier. » Un autre — je ne sais plus lequel; le même, peut-ître — exsan- gue el presque dénué de souffle, enseigne que le sang doit être -énagé comme un trésor précieux:, probablement parce que ses clients, pour la plupart, ont été les victimes de sa lancette. Pour moi, même à mon âge !, j'éprouve le besoin de me faire saigner largement chaque année, au printemps et à l'automne , autrement ce prétendu trésor hellénique m'aurait depuis longtemps étouffé. Mais ces ministres de la Nature, qui ne savenl rien, anathématisent tout ce qui ne convient ni à eux ni 1 Pétrarque devait avoir 55 ou 56 ans quandil écrivit cette lettre ( en 1359 ou 1360 ). — "4400 — à leurs partisans: Ainsi, pour eriterium ils n’ont que leur opinion ou l'oracle de Cos. » Puis un autre — peut-être un buveur de vin chaleureux, tel qu'en produisent les coteaux de la Grèce, ou la Crète, ou la lointaine Méroë — se montre, pour ce motif, l'adversaire de l’eau en formulant cet aphorisme devenu célèbre : « Je n’ai trouvé à l’eau aucune vertu, si ce n’est dans les maladies aiguës. » Sublime! en vérité. Quant à moi, qui, jusqu’à ce jour, n’ai pas ressenti de maladies aiguës, et qui souhaite n’en jamais connaître , je sais que l’usage de l’eau m'a rendu de nombreux et signalés services. » Mais trève de plaisanteries, parlons sérieusement. » Sans mentionner tant et tant de milliers d'hommes très-robustes et très-bien portants, dont l’unique breuvage est l’eau pure, boisson agréable et salubre, je puis vous affirmer que si je ne buvais de l’eau en grande quantité, même pendant ces froides nuits d'hiver , je ne pour- rais exister , vous pouvez m'en croire. Est-ce donc une chose de peu d'importance et d'aucune utilité, que celle qui, supprimée, rend la vie impossible ? Que de substances sont dans le même cas! Mais tout ce que ces hommes divins émettent témérairement sur la nature en gé- néral , passe aux yeux du vulgaire pour une doctrine parfaite , pour un oracle du ciel. » Voilà donc cet art hellénique si noble, que le plus sage des Romains craignait de voir implanter chez nous ! Il s’y est fixé, pourtant ; il s’est enraciné si profondément dans le domaine public, que la main même de Caton le Censeur , si ce. dernier revenait au monde, serait incapa- ble de l’extirper. Cela ne m'étonne pas, car ce que l’on a dessein d’exé- cuter , on l’exécute , et si l’on dévie de son devoir, on n’en suit pas moins son plan ; le peuple lui-même agit ainsi. Quand on fait ce qu’on est habitué de faire, il n’y a pas, alors, nouveau motif d’éloge ou de blàäme. s » Je suis surpris, je suis stupéfait de voir des républiques, bien organisées d’ailleurs, des magistrats, des souverains tolérer de telles façons d’être, chez ces manœuvres. » Je reviens à mon point de départ. » Si, étant malade, vous avez éloigné les médecins de votre chevet, vous avez agi d’une manière aussi avantageuse que sensée : ils vous auraient peut-être tué. » Il faut que vous sachiez quelle foi ils ont eux-mêmes dans leur art prétendu — je parle de ceux qui, chose rare, ont naturellement un peu de pudeur. — Je prends Dieu et ma mémoire à témoins, d’avoir autrefois entendu un des plus célèbres médecins, dire : « On pourrait, je le sais, m’accuser d’ingratitude si je me faisais le détrac- — Ai1 — teur de mon art, qui m'a procuré des richesses et des amis; cependant la vérité doit passer avant tout autre sentiment. Or, je crois et je pré- tends que si de cent ou de mille individus de même âge, de même constitution, menant le même genre de vie, et tous atteints simultané- ment de la même maladie, la moitié se mettait entre les mains de médecins tels que nous les possédons, et l’autre, refusant d'y avoir recours, s’abandonnait aux instincts naturels, je ne fais, dis-je, aucun doute que, des premiers, beaucoup succomberaient , et que parmi les seconds beaucoup guériraient. » » J'ai entendu un autre docteur, très-versé en plusieurs genres de littérature, et jouissant aussi d’une grande réputation, qui dans une conversation intime, alors que je lui manifestais ma surprise de ce qu’il faisait usage pour lui-même d'aliments différents de ceux qu’il prescrivait à ses clients, me répondit carrément sans vergogne : « Si le médecin astreignait son régime de vie à ses prescriptions, ses ordonnances compromettraient sa santé, son existence ou ses hono- raires. » Peut-on avouer plus impudemment , je ne dis pas seulement son ignorance, mais sa scélératesse ? Si vivre au milieu de pareils fléaux est un danger pour les gens bien portants, n’est-ce pas pour les malades le comble du péril, qu'ils semblent mépriser ! Certes, per- sonne ne s’étonnera que celui qui peut nuire aux gens en bonne santé, fasse mourir ceux qui sont malades. On n’arrache pas facilement un arbre bien enraciné ; mais quand il estdéjà ébranlé, on le jette aisément par terre. » Dernièrement je causais avec un autre docteur de grand renom et de grand savoir en médecine, mon ami très-particulier , lorsque je lui demandai pourquoi, à l'exemple de ses confrères qui étaient loin de le valoir , il ne se livrait pas à la pratique de son art; alors, d’un air doux et mélancolique qui le rendait encore plus aimable, parce qu'il avait la conscience de la vérité de son opinion, il me répondit : « Je crains — car Dieu voit toutes les actions humaines — de commettre une sorte de sacrilége en trompant le public d’une façon aussi grave. Car s’il savait comme moi combien peu le médecin est utile, si même il l’est, au malade, et combien souvent il lui devient nuisible, la tourbe des médecins ne serait ni si nombreuse ni si bien accoutrée. C’est très-bien , puisque telle est la perversité des guérisseurs et la crédulité des patients. On abuse de la simplicité du peuple : après lui avoir pro- mis la vie, on lui donne la mort, en en tirant bénéfice. Je n’ai voulu duper , tuer personne , ni devenir plus riche en occasionnant le moin- dre mal. Voilà pourquoi j’ai embrassé d’autres professions que je puis exercer sans crime. » « Je ne saurais dire à quel point cette réponse de mon ami me l’a — 112 — rendu plus cher, combien il a gagné dans l’opinion que j'avais déjà de lui, et combien elle s’est fortifiée. Aussi ce témoignage intime, multt- ple et nullement suspect, m’a-t-il affermi dans ma constante manière de voir; je m'y cramponne et ne m'en veux départir, parce qu’elle est l'expression de la vérité. Je suis content que vous la par- tagiez. Votre conduite le prouve, quoique votre pauvreté, comme vous le dites, ne vous ait pas permis d'appeler un médecin trop éloigné de votre demeure, puisque la solitude que vous habitez n’en possède pas. Bénies soient donc et votre pauvreté et votre solitude ! Cette pauvreté quelquefois si utile, malgré qu’on en ait, vous à favorisé en cette cir- constance. Peut-être auriez-vous eu recours à un médecin, pour ne pas dire à un bourreau, non pas tant pour en espérer guérison que pour avoir l'air d’un homme comme il faut. Bien des gens, pour éviter le tort imaginaire que pourrait subir leur considération, s’exposent à mettre leur vie en un véritable péril. Ainsi, pour ne pas être taxés de parcimonie, is préfèrent payer ceux qui les entraînent à leur perte. Vous avez réellement exprimé sans réticence le degré de confiance que vous inspirent les médecins , quand vous dites qu’ils ont l’habitude d’aplatir la bourse et de grossir la maladie, et qu’ils savent mieux vider l’escarcelle que remplir le ventre. » Voilà la ligne de conduite que je suis, pour ma gouverne. » J’ai compté autrefois plusieurs médecins au nombre de mes amis. Il ne m’en reste plus que quatre aujourd’hui : un à Venise, un à Mi- lan ; à Padoue, j'en possède deux, hommes instruits et aimables. Les uns causent admirablement ; les autres discutent avec chaleur ; ceux- ci pérorent avec une véhémence tempérée de douceur ; enfin il en est qui vous tuent en y mettant des formes; ils savent s’excuser en sau- vant les apparences. Ils parlent beaucoup d’Aristote, beaucoup de Cicéron, beaucoup de Sénèque, et même, ce qui vous étonnera, beau- coup de Virgile. J'ignore par quel hasard, quelle fantaisie ou quelle insanité d'esprit il se fait qu’ils savent tout mieux que ce qui est de leur profession. » Je m’arrête ; cette vérité a soulevé autrefois contre ma personne trop de haines et d’orages. À présent, chaque fois que ma santé l'exige, j'admets auprès de moi ces Messieurs, mais comme amis et non comme médecins ; car j'affectionne mes amis par-dessus tout. Aussi je ne connais véritablement rien de plus propre , pour se maintenir ou se remettre en santé , que la présence et les entretiens de ses amis. S'ils me conseillent des choses conformes à mes sentiments , j’observe leurs prescriptions et leur en laisse le mérite ; autrement , je me con- tente d'écouter, et ne fais que ce que j'avais dessein de faire. Aussi ai-je recommandé à mes gens, s’il survenait quelque cas grave, de n’exé- — 113 — cuter aucune de leurs ordonnances sur moi, sans ma permission, et de m'abandonner à ma nature , ou plutôt à Dieu qui, m'a créé et qui a posé à mon existence des bornes que personne ne peut reculer. » Cette façon de penser , qui nous est commune , vous sera d'autant plus précieuse , qu’elle a été partagée, soyez-en sûr, par les plus grands hommes, tant dans ce siècle incorruptible, non gâté par la mol- lesse, que dans les temps postérieurs, alors que les médecins, les parfumeurs, les troupes de baladins, les apothicaires, les voluptés , toutes les jouissances de la vie eurent envahi l'empire romain. » Sans me laisser entraîner à des recherches multipliées sur ve sujet, il me suffira de citer trois ou quatre exemples remarquables qui me reviennent en mémoire : » On lit dans Suétone que l'empereur Tibère jouit pendant presque tout son règne d’une santé parfaite. La gouvernant à son gré, il n'eut jamais recours aux médecins. » Vespasien, d’après le même auteur , pour conserver sa santé, qui fut toujours excellente , eut simplement recours aux frictions et à la diète , qu'il observait un jour par mois. » Vopiseus, historien né à Syracuse, dit qu'Aurélien, dans ses maladies , ne fit jamais appeler de médecin ; il se guérissait tout seul en se mettant à la diète. » Le roi Charles, que les Français ont avec raison surnommé le Grand , au rapport d’Alcuin *, son précepteur et son biographe , étaii sujet dans les dernières années de sa vie à de fréquents accès de fièvre. L'auteur ajoute : « il suivait alors plutôtses inspirations que les conseils des médecins, qu’il semblait avoir en horreur. » » Aujourd’hui , nos princes osent à peine éternuer ou cracher ? sans la permission des médecins , et pourtant ils ne vivent ni mieux ni plus longtemps que les autres. Les médecins , par une sorte d’usurpation d'autorité , sont habitués à régler la table des souverains. [ls ordonnent, défendent , menacent , effraient , contrôlent, se fächent et prescrivent, aux maîtres, des lois qu’ils sont les premiers à enfreindre. Cette obéis- sance des princes a pour effet , comme nous le voyons , d’abréger leur vie et de prolonger leurs maladies. » Beaucoup de personnes , je le sais, sont persuadées , ou plutôt intimement convaincues , que je suis l'ennemi déclaré de tous les mé- decins , à cause d’une polémique qui eut du retentissement pendant que 1 Les éditions de 1503 et de 1581 portent Albinus, mais fautivement. 1 Le texte dit, eructare; je ne traduis pas littéralement, par respect pour mes lecteurs. 8 — 114 — j'habitais la France. Quoi qu’il en soit, ces querelles ne m'ont pas empêché de compter , alors comme aujourd’hui, des médecins parmi mes amis. Cette opinion que l’on a de moi est inepte au fond , car pour l’admettre il faudrait me supposer un niais, un imbécile, un idiot. Or , je vous le demande , peut-on haïr le médecin , à moins d’aimer la maladie ? D’un autre côté , quel est l’homme qui peut aimer la maladie, à moins de haïr sa santé , sa vie , sa propre personne ?.... Mais si nous avons de vrais médecins ; ils sont, sans nul doute , les auxiliaires de la nature ; ils combattent les maladies ; ils rendent la santé à ceux qui l'ont perdue ; ils sont utiles à ceux qui se portent bien ; ils soutiennent ceux qui chancellent. Quel est l’insensé , l’être assez oublieux des lois naturelles , assez ennemi de soi-même pour détester son sauveur ? Et moi aussi je suis un homme mortel et l'hôte d’un corps caduc pour lequel j'ai, malgré tout, un attachement instinctif. Comment donc, avec de pareils sentiments, pourrais-je haïr et la médecine et les mé- decins ? Je les aime , assurément , mais ne puis souffrir cette espèce de häbleurs qui s’arment , disons mieux, qui s’empêtrent dans une dialectique futile. Bavarder, ce n’est pas guérir. Les gens bien portants, ils les font périr d’ennui ; les malades , ils les font mourir de male-mort. Ceux-là , je les hais, je l'avoue: et le nombre en est grand ; les autres, je les aime , mais ils sont très-rares. Je voudrais pourtant faire la paix avec les premiers, s’il y a moyen, afin de ne pas toujours m’occuper de cette race d’industriels habitués à lancer à la face des gens crédules, des termes grecs appliqués aux maladies et aux remèdes. S'ils veulent que l’on soit malade en grec , ils devraient alors guérir en grec , comme ils ne manquent pas de le promettre. Pourquoi craindraïient-ils, en effet , de faire des promesses , puisqu'elles leur sont payées? Quandils y manquent ils n’ont à redouter aucun châtiment , ni honte pour leurs mensonges. » Îl y a mille exemples que l’on pourrait citer. Je n’en veux rapporter qu'un seul , tout récent, tout actuel , tout local. J’ai là , sous lesyeux, et le malade et le médecin, et les promesses et les mensonges : » Il s’agit d’un individu assez avancé en âge , né au milieu de ces ombreuses et froides vallées , resserrées entre les vallées des Alpes et traversées par le Rhône , qui là s’est encore qu’un ruisseau ; aussi ce pays a-t-il reçu le nom vulgaire de Valais. Sorti de cette contrée bar- bare , c’est à sa longue carrière , à sa patrie inculte et à l’ignorance de ses concitoyens , qu’il dut sa célébrité , non pas seulement parmi ses compatriotes , mais chez des populations étrangères. Il fut connu grâce à des commérages peu véridiques ; et comme l’imposture gagne à venir de loin, il ne tarda pas à passer pour un second Esculape. Bref, la RS D — 115 — réputalion de ce personnage élait parvenue aux oreilles du seigneur * de la Ligurie , qui espérait par ses conseils obtenir du soulagement d’un mal aux pieds dont il souffrait d’une façon atroce depuis longues ennées , et au détriment de l’administration de l'Etat. C’est un fait bien connu. Vous ne sauriez vous imaginer quelles cajoleries, quelles prières, quelles sommes énormes employa ce prince pour appeler auprès de lui cet homme de rien , cet étranger dont le talent coûtait si cher , et que sa réputation menteuse , ainsi qu’il arrive , rendait plus cher encore. Soit qu’il eût conscience de son impéritie , soit par orgueil , se croyant digne de l’honneur qu’on lui faisait et se prenant pour un grand per- sonnage , il s'était, jusqu’à ces derniers temps , montré inexorable. Non pas qu’il avouât son ignorance , méconnue ou dissimulée par lui, et que sa renommée , basée sur le mensonge , eût à souffrir de la vérité , mais, pour motiver son refus , il allégua tantôt ses occupations , tantôt une excuse , tantôt une autre. Ce manége ne fit qu'irriter encore le désir du prince et acccoître la haute opinion qu’il avait du mérite de ce docteur. Enfin l’été dernier ce médecin , tombé au pouvoir de je ne sais lequel de ses ennemis, fut obligé de lui payer une forte rançon. Se voyant prisonnier , il écrivit au seigneur de Pavie, que s’il voulait le racheter il irait le voir pour le guérir de sa vieille maladie, à l’aide de remèdes nouveaux. Il n’avait donc pas lu, ou il avait oublié ou méconnu, ce vers d'Ovide , si familier même aux écoliers : « La goutte aux durs calus aux médecins rebelles. * » » Ce seigneur, dont l'âme noble ne néglige pas les plus petits détails, dans l'espoir de se guérir et ne voulant point atermoyer , se prêta vo- lontiers à sa demande. Soit qu’effectivement il en espérât son salut, soit qu’il sût à quoi s’en tenir des formules des médecins italiens, il voulut faire l'épreuve des häbleries de ce Barbare. Il envoya sur le champ quelqu'un pour traiter du rachat de cet homme et le lui amener. » Il faut que vous sachiez tout. Outre les frais du voyage , quifurent considérables , il ordonna que l’on traitàt avec magnificence ce nouvel Hippocrate et qu’on lui rendit tous les honneurs. À cet égard , c’est une chose certaine , personne n’est plus libéral, moins enclin à l’avarice, à la mesquinerie. Le prix de la rançon seul s’éleva à trois mille cinq cents écus d’or , frappés au coin de notre cité. Somme énorme, non- seulement pour un médecin , mais même pour un général d'armée. Le ñ 1 Galéas Visconti. 2? Tollere nodosam nescit medicina podagram, — 116 — É jour où ce petit vieillard si chèrement racheté fit son entrée à Milan ; je soupais avec le prince. Un courrier tout essouflé vint annoncer que le médecin , qu’il précédait, venait de débarquer. » Galéas , enchanté, ordonna qu’on allât au devant de lui et qu’on lui fit un gracieux et splendide accueil. Il agit toujours ainsi. Pour lui faire cortége il dépêcha des gentilshommes , des chevaux , des domestiques, et pour servir de monture à ce bonhomme peu ingambe il envoya un coursier que je puis louer sciemment , plus blanc que la neige, plus rapide que le vent, plus doux qu’un agneau , plus solide qu’un roc. C’est sur ce cheval que le Galien teuton fit son entrée dans la ville italienne , non sans une énorme affluénce du peuple ébahi , s’attendant à voir incontinent ressusciter les morts. « Déjà le courrier qui avait devancé son arrivée s’était occupé, par son ordre doctoral omnipotent, de taire préparer des œufs frais et je ne sais Quoi avec , puis de les meltre dansun plat , comme c’est l'usage, et de les présenter immédiatement au prince. Devant une pareille prescription , chacun de s'émerveiller ; d’aucuns même trouvèrent que cet homme était divin. Pour moi, J'étais exaspéré ; celte outrecui- dance d’un Barbare me révoltait, en le voyant oser prescrire à un malade de cette importance , qu’il n'avait pas encore, qu'il n'avait même jamais vu , des remèdes à tout hasard. € Sur ces entrefaites, je retournai à Pavie. Ce qu'il ordonna les jours suivants, ce qu’il fit, je n’en sais rien , Si ce n'est qu’au bout d’un certain temps le prince fut repris de son mal avec plus de vio- lence. Bientôt après notre docteur , Soit qu’il eût perdu l'espérance de le guérir , soit qu’il n’eût plus l’impudence de promettre , déclara que son art était impuissant à tenir ce qu’il en avait espéré. Sa seule res- source, disait-il, consistait dans certains livres magiques, il les appelle divins , qu’il irait chercher. Où ? je n’en sais rien, il l’ignore sans doute lui-même. Galéas , accédant à ses désirs, ordonne que l’on aille à la recherche de ces manuscrits, en quelque lieu du monde qu'ils soient. Voilà bien l’homme tout entier. Voilà comme ils sont tous, et lui plus que les autres, ne rèculant devant aucun sacrifice pour une lueur d'espoir. Ainsi cette renommée hippocratique , cette attente fié- Yreuse , cette médication trop hâtive , ces remèdes inopportuns , abou- tirent à la bouffonnerie et à la magie. Cet homme jusque-là si fameux en France , au-delà des Alpes et en Allemagne , au point qu’on avait substitué à son nom propre celui de docteur du Valais , 1] m'a semblé bon de le faire connaître. Sans qu’il l'ait sollicité . sans qu’ille sache, ou, S'il l’apprend , sans m’en remercier, je lui ai consacré, cette nuit, une partie de mon insomnie pour montrer ce qu'on doit attendre des belles promesses de médecins obscurs et sans réputation, lorsqu'on voit quelle confiance peut inspirer le plus célèbre de tous. — A17 — « Tous, néanmoins, promettent également la guérison — je reviens à ma thèse — ils font des promesses, dis-je, qu'ils remplissent, comme l’exprimait César Auguste, aux Calendes grecques, c’est-à- dire, jamais. « Puisque la triste destinée des malades est grecque, et que les pro- messes de ces charlatans sont grecques aussi, comme les noms des herbes , des feuilles , des racines : balauslia (fleur de grenadier sau- vage) calamintha (pouliot sauvage), rhubarbarum, etc., rien donc qui ne soit grec. Mais ce qu'il y a de plus fâcheux, on agit en arabe ! De fait, l'imposture venue de loir a plus de prix et l'on a toute confiance en un remède exotique Puis quand on a reconnu une maladie on lâche un nom grec ; au besoin même on en forge un. Ceci, dit-on, est une épilepsie , cela une apoplexie, cet autre cas, un érysipèle. Qui ne serait charmé de ces mots sonores et ne se montrerait désireux de savoir comment se dit en grec ce que souffre un malade latin , quoique les remèdes ne soient ni latins ni grecs ? » Mais c'est assez plaisanter sur le compte de nos médecins. Je ne l'ai fait aujourd'hui qu'incidemment , jadis j'en ai parlé beaucoup ex professo. . . . . - . . . . . . . . CDR Te 0 n0 dt ne A A ARE N ANAES à EcEe "UT S « Pavie, 4 des Ides de Décembre 1359. » La Société Linnéenne de Maine-et-Loire, dans sa séance du 97 mars 1870, a décidé que la somme de cinq eents francs allouée à la Société par le Conseil Général pour être donnée en prix, serait accordée au meilleur labeur qui lui serait présenté sur une question d'histoire naturelle concernant l'Anjou. L'ouvrage de M. l'abbé Vincelot, membre titulaire de la Société Linnéenne, Chanoine honoraire, Aumônier de la Pension Saint-Julien (Les Noms des Oiseaux expliqués par leurs mœurs , ou Essai étymologiques sur l'Ornithologie), ayant mérité tous les suffrages de la Commission chargée d’examiner le travail , la Société s’est alors empressée de décerner le prix à son savant et dévoué collègue. Angers, ce 6 avril 1873. AIMÉ DE SOLAND. Président. LES NOMS DES OISEAUX _ EXPLIQUÉS PAR LEURS MŒURS OU ESSAIS ETYMOLOGIQUES SUR L'ORNITHOLOGIE RES — SEPTIÈME ORDRE. — PALMIPÈDES. Dans la Faune de Maine-et-Loire , les Palmipèdes composent le septième et dernier Ordre de la section ornithologique. Cet Ordre comprend un trés-grand nombre de familles , de genres et d'espèces. Tous les oiseaux groupés sous le nom de palmipèdes différent souvent entre eux par leur taille et par leurs habitudes ; le caractère qui les unit , et qui semble harmoniser cet ensemble d'espèces si disparates , est la forme de leurs pieds, forme qui a fait donner à cet Ordre le nom de Palmipèdes, mot composé de palma, « paume, palme, » et de pes, pedis, « pied. » Palme en zoologie se dit des doigts des animaux lorsque ces doigts sont réunis par une membrane , tout en restant distincts. Ils repré- sentent alors une espèce de main ouverte. Cette disposition toute particulière des pieds des palmipèdes, fait de la réunion de leurs doigts par une membrane plus ou moins large , plus ou moins complète, une espèce de rame se développant , se rétré- cissant à volonté et indiquant que tous les oisesux rangés sous cette dénomination sont destinés par la Providence à vivre sur l’eau d’une manière plus ou moins continue. Aussi la plupart des ornithologistes ont-ils remplacé la dénomination de palmipèdes par celle de nageurs, natatores. Destinés à passer leur vie sur l’eau ou près de l’eau , à plonger dans ses profondeurs ou à voler à sa surface , les palmipèdes ont reçu.de Dieu tous les dons nécessaires à l’accomplissement de la mission qui leur était confiée. Le plumage de tous les oiseaux de cet Ordre est composé de plumes vernissées ou enduites d’une huile secrétée par les glandes folliculaires de la peau. Leurs 9 — 120 — plumes très-serrées constituent un tout imperméable au moyen d’un suc huileux que les oiseaux font , à leur gré, sortir de deux glandes coccygiennes , en les pressant avec leur bec, pour enduire ensuite de ce suc chaque plume séparément. Cet enduit, ce vernis permet à l'eau de glisser sans effort sur le plumage des palmipèdes , sans y pénétrer, et dès lors , sans arrêter ces oiseaux dans leur natation. Enfin leur peau est très-épaisse , et son tissu cellulaire est garni d’une graisse abondante qui empêche encore l’action de l’eau sur le plumage recouvrant un duvet épais et serré, destiné à préserver les palmipèdes de l'atteinte des froids rigoureux. Quelques auteurs désignent cet Ordre sous le nom de Remi- pèdes , formé de remus, « rame, » et de pes, pedis, « pied. » Cette dénomination est très-caractéristique et très-juste. Elle indique d’une manière expressive que les pieds de ces oiseaux sont constitués pour la natation , et que cette natation s'exécute au moyen de rames. Les pieds sont unis à des tarses générale- ment courts , robustes , comprimés , plus ou moins implantés à l’arrière du corps pour faciliter encore les mouvements natatoires et servir en même temps de rames et de gouvernail. Ces pieds sont palmés entre les doigts jusque près des ongles, ou seulement garnis d’une membrane lobée, mais assez large. Les formes des palmipèdes sont en général moins gracieuses que celles des échassiers , surtout lorsque ces oiseaux sont à terre. Il est facile de constater , d’après leur démarche lourde et chancelante, que la terre n’est pas leur élément. Un certain nombre d'espèces , cependant , développent dans leurs vol ou dans leur natation une légèreté et une grâce tout exception- nelles. Presque tous les palmipèdes vivent en famille. Quelques espè- ces habitent la haute mer, et ne viennent à terre que pour s’y reproduire. Ces oiseaux se réunissent en troupes innombrables pendant la saison rigoureuse de l'hiver, et entreprennent alors de très-longs voyages. Dans ces migrations, ils poussent des cris de rappel qui se font entendre de très-loin. Les palmipèdes vivent de poissons , de frai, de vers, de mol- lusques , de crustacés, de graines et de substances végétales. : Certaines espèces saisissent leur nourriture en rasant la surface — 124 — de l’eau, d’autres en interrompant leur vol rapide pour plonger et se relever aussitôt; enfin, quelques-unes conservent assez longtemps une position perpendiculaire dans l’eau pour capturer leur proie, ou vont la chercher jusque dans les pre fndsnre du lit des fleuves. Chez quelques espèces , le mâle diffère essentiellement de la femelle par sa taille et par les nuances du plumage. Les œufs , les plumes et le duvet des oiseaux de cet Ordre fournissent des ressources abondantes au commerce et à l’in- dustrie. ——2-S=—— PREMIÈRE FAMILLE. Lamellirostres. Cette famille comprend un très-grand nombre d’espèces ; elle doit son nom à la forme du bec des oiseaux groupés sous cette dénomination. Lamellirostres est composé de lamella , « lamelle, petite lame , » et de rostrum, « bec. » Les palmipèdes qui com- posent cette Famille ont le bec épais et garni de lamelles ou de petites lames disposées sur ses bords en forme de dents effilées et très-aiguës. Cette disposition du bec permet aux lamellirostres de saisir très-fortement leur nourriture et de la triturer avec _ facilité. OIE CENDRÉE. — AnSER FERUS, Avec la Famille des lamellirostres recommencent les difficultés étymologiques dont quelques-unes m'ont paru insurmôntables ; du moins mes efforts persévérants n’ont pu les résoudre. Pour arriver plus promptement à la fin du travail que je me suis im- posé , je laisserai de côté les quelques étymologies que je n’ai pu harmoniser avec les mœurs des oiseaux que je vais décrire, abandonnant à de plus érudits la solution de ces problèmes. Autrefois on désignait l’oie sous le nom d’oue. Ainsi dans la farce de Patelin , se trouve cette phrase : » Il doit venir manger de l’oue. » Les anciens auteurs écrivaient le nom de cet oiseau avec un y , l’oye. — 122 — Ménage prétend que cette dénomination dérive d’auca, expres- sion formée d'avis, avica, auca et enfin oye. D’après Littré , oie a pour étymologie le mot de basse latinité auca, de avica , dérivé fictif de avis; et cet auteur ajoute: « Le nom général avica, « oiseau , » a été réduit à un sens spécial, comme jumentum , « bête de somme, » a donné jument. » Cette citation viendra corroborer l'hypothèse que je vais soumettre à mes lecteurs. On peut trouver dans le languedocien une preuve en faveur de l’opi- nion de Ménage ; l’oie y est nommée l’auque. En italien , elle est désignée parle mot oca. Si l’on admet pour racine de l'expression française le substantif avis, oie signifierait alors l'oiseau par excel- lence. Cette hypothèse pourrait se justifier soit par les proportions de l'oie qui surpassaient celles de la plupart des oiseaux connus des Romains , soit parce que les anciens préféraient la chair de l’oie à celle du plus grand nombre des rôtis qui figuraient sur la table des gastronomes. C’est ainsi que saint Jérôme a pu dire, en comparant l’oie au paon, qui, pendant une longue période de temps, a été regardé comme un mets délicat: « Anserem come- dunt , pavonem eructant , — ils mangent l'oie et ils vomissent le — 123 — paon. » Durant plusieurs siècles, l’oie fournit un rôti qui était le principal honneur de la table de nos ancêtres. Peut-être aussi les Romains avaient-ils voulu consacrer par le sens attaché au nom de l’oie le souvenir du service que cet oiseau avait rendu en sauvant le Capitole, service si important aux yeux des habi- tants de Rome, que la première fonction des ceuseurs , en pre- nant possession de leur charge, était de passer le bail pour la nourriture des oies élevées aux frais de l'Etat. (Pline, livre X, chap. xx.) Enfin, la gastronomie, qui a joué un si grand rôle dans la vie des Romains, n’aurait-elle pas pu considérer comme un oiseau privilégié celui dont ce peuple avait su appré- cier à un si haut degré toute la délicatesse , tant ils goûtaient la saveur du foie de ce palmipède , et même celle du rôti fourni par ses pattes! Déjà dans ces temps reculés, on était parvenu à développer le foie de l’oie d’une manière si prodigieuse que les gastronomes de nos jours ont bien de la peine à égaler ceux de l'antiquité : « Adspice, quam tumeat magno jecur ansere majus ! Miratus, dices, hoc, rogo, crevit ubi?» « Vois combien ce foie d’oie est plus gros que l'oie même la plus grasse ! Tu diras, étonné : d'où vient celui-ci ? » (MarriaL , liv. XIII, épig. 58). J'ajoute au passage précédent un passage de Pline: « Nostri sapientiores qui eos jecoris bonitate novere. Fartilibus in magnam amplitudinem creseit : exemptum quoque lacte mulso augetur. Nec sine causa in quæstione est, quis primus tantum bonum ivenerit. Scipione Metellus vir consularis, an M. Seius eadem ælate eques romanus. Sed (quod constat) Messalinus Cotta, Mes- salæ oratoris filius , palmes pedum ex his torrere, atque patinis cum Gallinaceorum eristis condire reperit. Tribuetur a me culinis cujusque palma eum fide. — Plus sages , les Romains ont connu la bonté de son foie. Cette partie devient prodigieusement grosse dans les oies qu’on engraisse ; on l’augmente encore en la faisant tremper dans du lait miellé. Ce n’est pas sans raison qu'on cher- che l’auteur d’une si belle découverte, s’il faut en faire honneur à Scipion Metellus , personnage consulaire , ou à M. Séius, che- valier romain , qui vécut dans le même temps. Mais, du moins, — 124 — un fait certain , c’est que le secret de rôtir les pattes d’oie et d’en composer un ragoût avec des crêtes de poulet, appartient à Messalinus Cotta, fils de l’orateur Messala. Car chacun des inventeurs recevra de moi fidèlement la palme qui lui est due. » (Pline , liv. X, ch. xxvi1.) « Les Anciens, » dit Belon, « n’ont rien jugé de meilleur en l'oye que le foye et l'ont trouvé de bonne digestion. Onc ne sut que la gresse de l’oye n’ait eu louange de vertu pour médecine. Il appert en plusieurs passages des anciens qu’elle estoit en commun usage et délices des Romains: » (Liv. IL, page 177.) Dans le récit du repas de Nasidienus , Horace fait figurer un foie d’oie blanche , farci de figues grasses : « Pinguibus et ficis pastum jecur anseri albi. » (Liv. IT, satire var, vers 88.) Ainsi, les gastronomes modernes n’ont pas même recueilli la gloire d’avoir découvert que le foie gras des oies blanches avait un mérite supérieur à celui des oies d’une couleur différente ! Les anciens les avaient devancés dans ce raffinement culinaire. Les étymologistes admettent sans conteste que le mot oiseau dérive du bas-latin aucellus et même d’avicellus, diminutif d'avis ; je me crois done fondé encore davantage à regarder comme très- probable l'hypothèse que j’ai proposée sur l’origine du nom du palmipède dont je vais essayer plus tard de décrire les habitudes. L’épithète cendrée indique les nuances du plumage de cette oie , qui est aussi appelée première, parce qu'elle est La princi- pale et même l’unique source de l'oie domestique. Quant au mot générique anser , servant à désigner toutes les variétés de cette espèce, il paraît dériver du sanscrit hansa, dont la racine probable est has, « ridere, rire, » par allusion au cri peu mélodieux de l'oiseau et à la manière dont il ouvre son bec pour le pousser. (Adolphe Pictet, Ie partie , p. 388.) En bas-breton l’oie est désignée sous le nom de gwaz , d'où l’on aurait fait jas, représentant l’oie mâle, et signifiant «jaser, gazouiller. » L’éty- mologie indiquée par Pictet est très-caractéristique, car elle peint d’une manière bien évidente l'habitude des oies mâles d'ouvrir le bec d’une façon ridicule et de pousser alors des cris sifflés qui ressemblent à un rire prolongé et trop forcé pour être — 125 — naturel. Dans ces circonstances , le cri du mâle se rapproche du sifflement des vipères. Chez les peuples de l'antiquité, l’oie était consacrée à Junon , la déesse de la jalousie ; le sifflement que le mâle fait entendre quand on approche de sa femelle semblerait justifier l'opinion des Romains et des Grecs. Ce dernier peuple appelait l’oie GHÊN , dont la racine est CHAÏNÔ , « bailler, crier, ouvrir la bouche, avoir l’air niais. » Cette dénomination vient fortifier l'hypothèse de Pictet, en prouvant que chez les différents peuples on avait voulu désigner l’oie d’après son habitude la plus Caractérisée. L’épithète ferus , « sauvage, » indique que cette espèce ne vit pas en domesticité. Je passe aux renseignements généraux qui conviennent à toutes les espèces de ce Genre. Les oies vivent presque exclusivement de végétaux qu'elles tondent comme le font les brebis ; elles sont beaucoup moins aquatiques que les canards , dont elles diffèrent par un bec plus court et plus large à sa base, par des tarses plas élevés et, dès lors, par une démarche plus gracieuse et plus assurée. Il est facile de constater , en étudiant les oies , que ces palmipèdes sont conformés pour vivre en grande partie à terre. Doués d’une ouïe délicate et d’une vue excellente, ces oiseaux se laissent difficilement approcher ; c’est à ces qualités que les oies ont dû l'honneur de sauver Rome en annonçant, pendant la nuit, l'approche des Gaulois qui avaient trompé la vigilance des chiens préposés à la garde du Capitole. Aussi chaque année, à l'anniversaire de ce grand événement , une somme était-elle votée pour l'entretien des oies sacrées , et, le même jour , les chiens étaient fouettés d’une manière ignominieuse sur la place publique , en punition de leur silence coupable. « Hæc servavit avis Tarpeï templa tonantis, Miraris? Nondum fecerat illa Deus. » « C'est grâce à cet oiseau que fut sauvé, sur le mont Tarpéien, le temple du maître de la foudre. Tu t'en étonnes? Il n’était point encore l'œuvre d’un Dieu. » (Martial, liv. XIIT, épigramme 74.) Les oies entreprennent de longs voyages. Pour les exécuter, elles se placent sur une seule ligne , ou elles disposent leurs rangs de manière à former un triangle isocèle. — 1926 — » Turbabis verus, nec litera tota volabit, Unam perdideris si Palamedis avem. « Tu dérangeras le triangle, et le Delta ne sera plus entier au sein des airs si tu en ôtes un seul des oiseaux de Palamède. » (Martial, liv. XIII, épig. 75.) Par cette disposition , l’oie qui est à la tête de la ligne ou au sommet du triangle , fend l’air avec plus d'effort que ses compa- gues auxquelles elle prépare la route ; aussi la voit-on abandonner son poste après quelques instants, et se placer à l’arrière-garde afin de se reposer. Cette manœuvre mtelligente se renouvelle sans cesse , de sorte que toutes les oies remplissent tour-à-tour les fonctions les plus pénibles et celles qui sont les plus faciles. Aussi le dicton populaire, « béte comme une oïe, » est-il en contradiction évidente avec les habitudes de ces oiseaux, et ne peut-il se justifier que par la manière dont les oies ouvrent le bec et sifflent en poursuivant les personnes qui passent près d’elles ; dans cette circonstance, les oies sont bien éloignées effectivement de rechercher une pose gracieuse , et de présenter aux spectateurs une physionomie sympathique. . Les oisillons restent très-longtemps sous l'autorité de leurs parents, et c’est pour les défendre de toute attaque que ceux-ci, par un sentiment exagéré de la tendresse paternelle et maternelle , ouvrent le bec d’une manière ridicule , et font entendre un siffle- ment semblable à celui de la couleuvre quand elle est poursuivie. Les Egyptiens , ne considérant que les sentiments de vigilance paternelle qui animent les mâles et la longue soumission des petits à leurs parents , avaient placé les oies parmi les oiseaux sacrés , et les avaient représentées , dans leurs hiéroglyphes, comme un des emblèmes du dévouement paternel et de la piété filiale. Pendant leurs longues migrations aériennes les oies. font entendre un cri très-sonore et souvent répété, qui est en même temps un cri de rappel et un signal propre à exciter le courage de tous les membres de la bande et , en particulier , de ceux dont les forces sembleraient défaillir. Chaqne année des troupes nom- breuses de ces oiseaux se dirigent vers le Sud ; l’époque de leur passage-est un indice certain de l'approche de la saison rigou- reuse et, par là même, de la durée plus ou moins longue de l'hiver. Les pygargues suivent les oies dans leurs lointains voyages, | È — 127 — les attaquent avec une grande persévérance , et immolent chaque jour de nombreuses victimes. Aussi, quand un froid rigoureux se fait sentir en Anjou, et que les bandes d’oies viennent s’a- battre dans nos vastes plaines marécageuses , peut-on constater la présence d’un certain nombre d’aigles pygargues qui ne quittent notre pays que lorsque les oies se sont elles-mêmes envolées vers les régions du Nord. Les jambes des oies, placées très-peu à l'arrière du corps, indiquent que ces oiseaux sont mieux organisés que la plupart des Palmipèdes pour séjourner à terre ; grâce à cette conforma- tion , les oies passent sur les rivages les journées entières et ne restent sur l’eau que pendant la nuit. Ces palmipèdes ne plon- gent que pour se baigner , et non pour chercher leur nourriture , qui est presque entièrement végétale. L’oie cendrée se reproduit dans les contrées boréales et dans les marécages de l'Angleterre, du Danemark , de l'Allemagne et de la Russie. La femelle établit son nid parmi les jones, sur lesquels elle dépose de huit à quatorze œufs d’un blanc jaunâtre et quelquefois verdâtre. Leur grand diamètre varie de 0,084 à 0,090 , et le petit, de 0,056 à 0,062. La femelle se livre seule aux fonctions pénibles de l’incubation. Pendant ce temps , le mâle exerce une surveillance rigoureuse et persévérante dans les loca- lités voisines du berceau de la future famille. OIE VULGAIRE. — ANSER SEGETUM. Les habitudes de cette espèce ressemblant à celles que je viens de décrire , je me bornerai à quelques courtes notions étymolo- giques , qui cette fois n'offrent pas de difficultés sérieuses. L'épi- thète vulgaire indique que l’oie qu’elle caractérise est plus com- mune et plus répandue que les autres espèces. L'oie vulgaire apparaît dans notre département en troupes nombreuses , et elle le traverse deux fois , la première à l’époque des moissons (c’est à cette circonstance qu’elle doit son nom segetum , « des mois- sons »); et la seconde fois pendant l'hiver , puis elle regagne les régions boréales à l’époque du printemps. Je me rappelle que dans l’hiver rigoureux de 1829 à 1830 , des bandes considérables — 1928 — d’oies vulgaires , ne pouvant plus séjourner dans les marais ni sur les petits cours d’eau qui étaient gelés depuis assez longtemps, furent obligées de chercher un refuge sur la Loire qui charriait d'énormes glaçons. Saisies entre les glaces qui se heurtaient avec rapidité les unes contre les autres , les oies poussaient des cris déchirants, jusqu’au moment où elles succombaient sous un choc sans cesse renouvelé ! Appuyé sur le parapet des ponts de Saumur , je contemplais avec plusieurs de mes amis ce spectacle d’une lutte fatale et dont le souvenir n’est pas encore effacé de ma mémoire. L'oie vulgaire niche dans les marécages de la Russie et des autres contrées du Nord. Cette espèce ressemble à l’Oie à bec court , avec laquelle elle est confondue par un certain nombre de naturalistes ; cette dernière est appelée brachyrhychus, mot formé de BRACHYS, « court, » et de RHYNCHOS , « bec. » L’oie à bec court, ne diffère de l’oie vulgaire, que par le bec plus court, la teinte jaune du bec moins étendue , le croupion plus cendré et des pieds plus pâles et dont la couleur est plutôt rougeâtre que jaune. Les deux espèces ou les deux variétés réunies dans cette même notice se reproduisent sur les herbes et les roseaux des marais des contrées boréales. La femelle pond de huit à douze œufs d’un blanc saie, dont le grand diamètre est de 0,084 à 0,086 , et le petit, de 0m,055 à 0m:057. Ellis (tome 11, page 171) affirme que « la fiente sèche des oies sauvages sert de mèche aux Esquimaux pour mettre dans leurs lampes en guise de coton. » | OIE RIEUSE. — ANSER ALBIFRONS. Ici ma tâche étymologique est facile ; elle consiste simplement à expliquer les deux épithètes qui servent à caractériser cette espèce. Albifrons , mot composé de Albus , albi, « blane , » et de frons, frontis, « front , » indique que l’oie rieuse a sur la tête , sur le front, de larges taches blanches qui encadrent ses yeux et son bec. Quant à l'adjectif rieuse, elle pourrait déjà se justifier par l’étymologie indiquée par Pictet, et qui fait dériver — 129 — le mot anser d’une expression sanscrite signifiant « rire et bailler. » De plus Edwards , qui s’est servi de l’épithète rieuse pour désigner l’Anser albifrons , dit qu'il a employé cette expression parce qu’elle peignait très-bieu le cri de ce palmipède , cri ressemblant à un éclat de rire. L’oie rieuse vient beaucoup moins souvent dans notre dépar- tement que les espèces précédentes. Elle voyage en troupes innombrables , et s’abat dans les champs cultivés où elle exerce de véritables ravages. Elle se nourrit de graines et de plantes. La femelle pond , dans les marais des contrées du Nord , de huit à douze œufs d’un blanc sale, ayant de 0,080 , à 0,084 de lon- oueur , et de 0m,054 à 0,058 de diamètre. OIE BERNACHE. — ANSER LEUCOPSIS. L’épithète française donnée à cette oie se rattache à une série d'erreurs qui , pendant bien des siècles , ont été adoptées même par les savants. La bernache habite les contrées les plus glaciales du Nord; elle ne s’en éloigne que pendant les hivers les plus rigoureux. Les habitants des rivages des climats tempérés voyant les bernaches arriver subitement sur les côtes , par bandes Imnom- brables , et ne connaissant ni le pays ni les habitudes de ces oiseaux , se sont laissé égarer dans un système de fictions plus ou moins ridicules pour expliquer la génération de ces palmi- pèdes. Ce sera dans ces fictions mêmes que nous trouverons l’étymologie du mot bernache. Buffon (édition in-4°, tome IX, pag. 94 et suivantes) rapporte, en paraissant y ajouter foi, le sentiment de ceux qui pensent « que c’est dans les vieux mâts et autres débris de navires tombés et pourris dans l’eau, que se forment d’abord , comme de petits champignons ou de gros vers, qui peu à peu se couvrent de duvet et de plumes , achèvent leur métamorphose en se changeant en oiseaux , » et ces oiseaux sont les bernaches. Buffon continue ainsi: « D'autres pensent que ce ne sont ni des fruits ni des vers, mais des coquilles qui enfan- tent les bernaches , et Moier affirme avoir ouvert plus de cent de ces coquilles anatifères et avoir trouvé dans chacune d’elles un oiseau tout formé ! ! » — 130 — Fulgose (livre 1, chap. vi) prétend « queles arbres qui portent les fruits donnant naissance aux bernaches ressemblent à des saules , qu’au bout de leurs branches se produisent de petites boules gonflées offrant l'embryon d'un canard qui pend par le bes à la branche et, que, lorsqu'il est mûr et formé , il tombe à la mer et s'envole! » Vincent de Beauvais aime mieux « lattacher au tronc et à l'écorce dont il suce la sève jusqu’à ce que, déjà grand et tout couvert de plumes , il s’en détache. » C’est cette dernière erreur qui a fait désigner la bernache sous le nom d’Anser arboreus , « l’oie arbre. » Une des îles Orcades , situées dans l'Océan Atlantique et appartenant à l'Angleterre, est appelée Pomonia parce que l’on pensait que le prodige raconté par Vincent de Beauvais se réalisait sur les arbres de cette île. Cet exposé sommaire des fictions ridicules qui ont entouré la génération des oies bernaches fera comprendre facilement le motif qui a engagé les naturalistes à désigner ce palmipède par le nom qui lui est généralement consacré. Bernache dérive, selon M. Littré, du bas-latin bernaca , bernicla , en Anglais barnacle , d'un mot irlandais ainsi adopté parce qu’une opinion populaire faisait naître cet oiseau des bernacles ou bernicles, coquillages attachés aux végétaux du bord de la mer où il place son nid. Quelques-unes de ces coquilles ont reçu même le nom de conques analifères , « conques qui portent , qui engendrent les canards. » L'épithète leucopsis est formé de LEUKOS , « blanc , » et d’ors, OPOS , « visage. » Cette dénomination fait connaître que la ber- nache a le front et les joues d’un blanc assez pur. Belon la dési- gne sous le nom de nonnette on de religieuse , parce que le plu- mage des ailes de la bernache est entrecoupé de bandes ondulées blanches et noires; couleurs, qui d’après Belon, la faisaient ressembler au costume des religieuses. La chair de l’oie bernache est très-délicate. Ce palmipède se reproduit dans les régions les plus froides des deux hémisphères. La femelle pond de huit à douze œufs d’un blanc jaunâtre ou légèrement verdâtre. Le grand diamètre varie de 0,070 à 0m,076, et le petit, de 0,050 à 0®,054. OIE CRAVAN. — ANSER BERNICLA. Cette oie a été très-longtemps confondue avec la précédente , et c’est la raison pour laquelle on l’a désignée sous le nom de bernicla , qui n’est qu'une variante de bernache, et dérive lui- même du bas-latin bernaca , barnaces , bernicla. D’après Gesner, cravan serait un dérivé de deux mots alle- mands, grau, « brun, » et ent, « canard, » et signifierait alors canard brun. Cette expression se justifierait par la couleur du plumage de l’oie cravan lequel est d’un gris brun ou noirâtre et uniforme ; caractère qui sert à la distinguer de la bernache. Quelques auteurs pensent que l'adjectif cravan rappelle sim- plement l'erreur de ceux qui croyaient que certaines espèces d'oies étaient engendrées par des coquillages, et que ce nom = NA NN AN ENTRE ù NN Z été donné à ce palmipède parce qu'il était censé naître dans les cravans , coquilles bivalves de l'Ordre des Brachiopodes, mol- jusques dont la bouche est portée sur un long pédicule charnu, appelé pousse-pied. Ces mêmes coquilles ont été aussi nommées analiféres et anatifes, de anas, « canard,» et fero, « porter, produire, engendrer. » Elles s’attachent à la cale des navires. La cravan est aussi désignée sous le nom de nonnette. Voici le passage de Belon sur cette dénomination : « Le dessus de sa — 132 — teste, le long du col par le derrière et par le deuant de l’esto- mach, porte les plumes fort noires, mais dessous le bec jusqu’à la moitié du col, et au-dessous des yeux la couleur en est blanche se rapportant à l’habit des nonnains qui ont leurs cou- urechefs noirs doublez de blanc. » (Livre II, pag. 158-159.) A la page 166, Belon désigne la cravan sous le nom de canne à collier, parce que, de chaque côté du cou, une tache d’un blanc pur se distingue de la couleur d’un noir terne répandu sur la tête, sur le cou et sur le haut de la poitrine. Cette particularité explique pourquoi quelques naturalistes ont pensé que cravan pouvait être pris dans le sens d’oie à cravate. Ce palmipède était un des oiseaux sacrés des Egyptiens ; ii habite les contrées tempérées, et est beaucoup plus aquatique que ses congénères ; il nage pendant des journées entières, s’apprivoise facilement, et se reproduit en captivité. Les œufs, au nombre de huit à douze , sont d’un blanc pur ou roussâtre. Leur longueur est de 0m,07 à 0,08, et leur diamètre de 0m,05 à 0,06. CYGNE SAUVAGE. — Cycnus musreus. Le cygne règne sur les eaux par sa beauté, par sa grâce et même par sa force. D’une blancheur sans égale, d’un port ma- jestueux quand il est à terre, le cygne est encore plus élégant lorsqu'il se livre à la natation sur une belle nappe d’eau ; ses pattes lui servent de puissantes rames ; ses ailes concaves sem- blent se gonfler sous l’action du vent, et son long cou paraît se replier avec souplesse jusque sur sa poitrine. Le cygne soigne son plumage avec une récherche presque affectée ; il semble s’admirer lui-même en se contemplant dans le cristal des eaux limpides. 11 éloigne du lieu de son séjour les autres oiseaux et même les chevaux qui pourraient, par leur présence , salir la propreté des étangs sur lesquels il se joue. Le cygne se défend avec succès, même contre les aigles, et souvent, dans ces com- bats, 1l terrasse ses adversaires avec ses ailes assez vigoureuses . pour briser les jambes des jeunes chevaux qui s’aventurent au milieu des eaux. Mais c’est surtout lorsqu'il s’agit de protéger — 133 — ses petits, que le cygne manifeste une grande énergie et un cou- rage vraiment héroïque. Le mâle nage en avant ; les petits se tiennent cerrière, et la femelle ferme la marche en jetant sans cesse un regard scrutateur pour découvrir les ennemis qui pour- raient survenir. Puis, afin de procurer un peu de repos à ses petits, le père les promène sur son dos; l’on croirait volontiers que le roi Henri IV se serait inspiré de ce touchant tableau pour limiter en jouant avec ses enfants. Quand les ardeurs du soleil sont trop vives, ou lorsque le vent souffle avec trop de violence, le cygne met ses petits à l'abri en les enveloppant de ses ailes gonflées. Ces quelques détails, bien sommaires et bien incom- plets, sur les mœurs du cygne, peuvent cependant venir en aide à l’étymologie de son nom. D’après Littré, « cygne dériverait du latin cycnus, du grec KIKNOS, qui tient lai-même au latin ciconia par l'intermédiaire du sanscerit cakuni, signifiant l'oiseau, » et voudrait dire alors, l’oiseaw par excellence. Cette acception se- rait très-juste en l’appliquant surtout à une catégorie parti- culière, à celle des oiseaux d’eau. Sous ce rapport, le cygne peut très-bien être regardé comme le palmipède régnant sur les eaux, de même que l'aigle règne dans les régions élevées de l'air. Bien plus, le règne du cygne est le règne de la douceur et — 134 — de la paternité ; il ne se sert de sa force que pour défendre sa jeune famille. Le cygne rend de grands services : il vit presque exclusive- ment de racines et de plantes qu’il arrache au fond de l’eau avec le secours de son cou long, flexible et doué d’une force prodi- gieuse due aux vingt-trois vertèbres qui le sillonnent intérieu- rement. À l'extrémité du cou se trouve un bec armé de scies tranchantes, et la mandibule supérieure est terminée par un onglet corné très-solide et approprié à la mission que la Provi- dence a confiée au cygne. C’est ayec ces moyens puissants que cet oiseau purifie les cours d’eau, les marécages , en arrachant toutes Les plantes qui pourraient en corrompre la limpidité et la pureté, et qu’il combat les miasmes dangereux, les exhalaisons pestilentielles, et, par suite, les fièvres contagieuses. Il suffit de quelques cygnes dans un étang pour assurer la limpidité de l’eau et sa pureté. Le bec du cygne sauvage est noir et couvert à sa base d’une cire jaune qui se prolonge jusque sur les lorums en entourant les yeux. Le cygne domestique a le bec rouge dans toute sa longueur, à l'exception de l'extrémité de la mandibule supérieure qui est noire, ainsi que l’excroissance charnue qui s'élève vers la base de la même partie du bec. C’est cette diffé- rence notable qui a fait appeler tuberculé le cygne domestique. En-dessous des plumes extérieures, le cygne est revêtu d’un duvet bien fourni qui garantit le corps de l'oiseau des impres- sions de l’eau. Ce duvet, d’une grande mollesse et d’une blan- cheur parfaite, est très-recherché dans l’industrie. Le cygne ne chante ni pendant sa vie ni à l'heure de sa mort. Il ne fait entendre qu’un sifflement sourd et strident. Cependant le eri du cygne sauvage est moins désagréable que celui du cygne domestique. L’adjectif musicus, « musicien, » ne s'appuie que sur une erreur des anciens, qui admettaient qu’à ses derniers moments le cygne faisait entendre une suave et douce mélodie. » Dulcia defecta modulatur carmina lingua Cantator cycnus funeris ipse sui. « Sa langue, prête à se glacer, fait entendre de doux accords : le chant de la mort du cygne, c’est le cygne lui-même. » (Martial, liv. XIII, épigramme Lxxvir. ) on baie Hésiode appelle le cygne AERSIPOTAS « altivolans, volant dans les régions élevées, » parce que le vol de cet oiseau est élevé en même temps qu'il est rapide. Le cygne apparaît en Anjou pendant les hivers rigoureux ; des bandes assez nombreuses de ces palmipèdes vinrent s’abattre dans les marais de notre département vers la fin de 1829 et les premiers mois de 1830. Plusieurs cygnes furent tués près Sau- mur , et vendus à des maitres d'hôtel qui en firent des pâtés trouvés délicats par les gastronomes , peut-être à cause de leur rareté ! Le cygne sauvage établit son nid au milieu des roseaux ; ce nid est formé d'une épaisse couche flottante, composée d'herbes desséchées, sur laquelle la femelle pond de six à huit œufs blancs , un peu roussâtres ou verdâtres ; cette couleur me semble être le résultat de leur contact avec les herbes. Les œufs du cygne domestique sont d’un gris verdâtre. Leur graud dia- mètre varie de 0,10 à 0w,19, et le petit, de 0,069 à 0,071. comme la femelle de l’oie, celle du cygne met un jour d’inter- valle entre la ponte de chaque œuf. La marche du cygne paraît plus embarrassée que celle de l'oie; cette difficulté provient de ce que le cygne a les pieds plus courts et plus en arrière que ne le sont ies pieds de l’oie, particularité qui prouve que le cygne est conformé plus pour la natation que pour la course à terre. La vie de ce palmipède est très-longue, et, selon plusieurs auteurs, elle se prolongerait pendant un siècle enter. -CYGNE DE BERWICH.i— Cyenus BERWICHII ou CYCNUS MINOR. Les mœurs de ce cygne sont les mêmes que celles du précé- dent. 11 habite tous les grands lacs du nord de l’Europe, et sur- tout les eaux douces de l'Islande, contrée dans laquelle il se reproduit. La femelle pond de six à huit œufs d'un blanc un peu jaunâtre ; leur longueur est-de 0,095 à 0,10, et leur diamètre, de 0®,065 à 0m,070. Ce palmipède est désigné sous le nom du savant qui a établi les caractères servant à distinguer ce cygne, 10 — 136 — de son congénère. L'adjectif minor, « petit,» indique que cet oiseau est plus petit que le précédent. Son. bec est jaune à la base et un peu renflé. Enfin les plumes de son front représentent un angle obtus. CANARD SAUVAGE. — ANAS BOSCHAS. Le Genre canard renferme un grand nombre d'espèces visitant l’Anjou. Parmi ces espèces, plusieurs sont désignées par des noms vulgaires dont la signification a été pour moi l’objet de longues et de pénibles recherches. Si quelques-unes de ces dé- nominations, mais en très-petit nombre, se dérobent à mes investigations, j’imiterai les généraux d'armée : je tournerai la position et je passerai outre, en me bornant à donner des détails sur les mœurs de ces palmipèdes. L'ancien nom français du canard était ane de anas d’où l’on a formé plus tard cane et canard , que Diez rattache à l'allemand kahn, « bateau» , » principe du vieux latin canardus, « espèce de navire. » (Chevalet, tome II, pag. 136.) D'après Roquefort, le canard serait ainsi nommé de son cri répété can-can. Si l’on admet que canard dérive du mot anas, il s’agit d erechercher l'étymologie de cette expression. Anas a pour principe NÊTTA, NÊssA, de NAÔ, « nager. » Canard signifie donc le nageur, déno- mination exacte, mais qui n’est peut-être pas assez caractéris- tique, car elle convient à beaucoup d’autres oiseaux. Quant à l'adjectif boscas, il vient du grec BOSCAS, BOSCADOS dont la racine- est BOSCÔ, « brouter, paître, » et indique l'habitude de ce palmi- pède de brouter les pointes des végétaux et de tondre l'herbe avec une grande facilité. Ménage se demande si le mot cane n'aurait pas été donné à cet oiseau parce qu'il se plaît parmi les cannes et les roseaux. Ce qui pourrait rendre cette hypothèse tant soit peu plausible, c’est que, selon Caseneuve, cane vient de l’hébreu kaneh, signifiant arundo vel calamus , « roseau. » L'épithète sauvage sépare ce palmipède de toutes les espèces réduites en domesticité. Le mâle se distingue de la femelle par quatre plumes moyennes de la queue qui sont relevées en bou- — 137 — cle. Dans toutes les espèces de canards le mâle est beaucoup plus gros que la femelle, particularité entièrement opposée à celle qui existe dans les oiseaux de proie, dont les mâles sont d’un tiers plus petits que les femelles. Le mot canard est synonyme de tromperie, de fausse nou- velle, de choses impossibles. Les différents sens qu’on attache à ce mot s’appuient-ils sur les mœurs de cet oiseau ? Je pense qu’on peut trouver quelque analogie entre les habitudes du ca- nard et le dicton populaire. Lorsque les rigueurs de l'hiver amènent dans nos contrées des troupes innombrables de canards qui viennent s’abattre sur les cours d’eau et dans les vastes marais, des chasseurs se réfu- gient dans des huttes formées par les branches repliées de jeunes arbres et d’osiers, ou dans des cabanes recouvertes de feuillages et placées sur de légers bateaux. Là, ces chasseurs passent les jours et les nuits à attendre les canards sauvages ; mais pour attirer ceux-ci à portée de fusil de leurs huttes, ils dressent des canards domestiques à servir d’appeaux. Ges derniers poussent des cris de rappel quand ils aperçoi- vent les bandes de leurs congénères, puis s’envolent pour aller au-devant d’eux et les engager à s’abattre près de la hutte d’où doit partir le plomb meurtrier. La conduite du canard domes- tique peut donc être regardée comme un symbole personnifiant le mensonge, la perfidie, puisque ce palmipède vole au-devant de ses semblables, paraissant leur offrir un lieu de repos et d’hospitalité, tandis qu'il les conduit à la mort. Le sens attaché vulgairement au mot canard peut donc ici s'appuyer sur les mœurs de ce palmipède. De plus cet oiseau trompe souvent les chasseurs par sa stratégie. Lorsque les bandes de canards s'en- volent à l'approche du danger ou lors même qu’elles se préparent à s’abattre , elles s'élèvent verticalement , poussent de grands eris, tourbillonnent plusieurs fois, puis rasent la surface de l’eau assez longtemps avant de nager. De sorte que le chasseur est presque toujours trompé dans son attente, car le gibier qu’il pour. suivait est bien loin de l'endroit où il avait cru le voir se reposer. Il en est de même de la femelle ; lorsqu'elle couve, elle ne re- vient jamais directement sur son nid, mais elle suit une série de lignes brisées. Dans ces différentes circonstances le canard est — 138 — donc un trompeur, et, dès lors, son nom peut rappeler le men- songe et ce qui est faux. Enfin le canard est omnivore, et son appétit est insatiable ; il mange de tout et en une telle quantité que souvent la réalité, dans cette conjecture, n’a pas même le cachet de la vraisem- blance. \ Sous ce rapport encore, le mot canard se lie à l’idée de choses impossibles ou du moins bien extraordinaires. Ces choses deviennent encore beaucoup moins croyables quand il s'agit de canards américains. On connaît la légende d’après laquelle un habitant du Nouveau-Monde, voulant introduire en Europe une espèce de canard originaire de son pays, apporta sur le navire une douzaine de ces palmipèdes qu'il entourait de ses soins vigilants. Hélas ! quel ne fut pas son étonnement lors- qu'ayant négligé, par suite d’une indisposition de quelques jours, de visiter la cabine dans laquelle étaient renfermés les douze canards, il n’en trouva plus qu'un seul qui avait dévoré ses onze congénères ! Quel estomac! Quel canard! Les différents canards s'unissent entre eux, et de ces unions naissent des individus formant des espèces fictives et donnant lieu à des classifications erronées. Un canard est donc un être difficile à déterminer et dont on iguore la véritable souche. La cane ordinaire, unie au canard musqué ou canard de l'Inde, donne naissance au mulard, dont le foie sert à composer des pâtés que les gastronomes proclament la merveille des mer- veilles culinaires. Aucun des canards de l’Europe ne se perche, tandis que tous ceux de l'Amérique sont doués de cette faculté. lei on reconnaît encore une preuve de la Providence de Dieu qui a donné au canard du Nouveau-Monde un moyen puissant d'échapper à la poursuite des serpents qui désolent ces contrées lointaines. La nourriture du canard sauvage est végétale et animale; pour se la procurer, non-seulement il nage, et visite les marais et les conrs d’eau dans tous les sens, mais il plonge aussi en immergeant son cou et une partie de son corps, et occupe ainsi une position perpendiculaire pendant un temps assez long pour lui laisser le loisir de chercher dans la vase des marais les herbes et les insectes qui s’y sont réfugiés. — 139 — Chaque année quelques couples se reproduisent en Anjou. Le nid formé, à l'extérieur, de feuilles sèches, de racines, d'herbes, et, à l’intérieur, de plurhes et de duvet que la femelle s’arrache chaque jour jusqu’au moment de l’éelosion, est placé parmi les buissons ou les bois des marécages, et quelquefois sur la tête des vieilles souches. Les œufs, au nombre de dix à quatorze, sont d’un gris verdâtre pâle, et se distinguent de ceux du canard domestique par des dimensions un peu plus petites et par des nuances moins foncées. Le grand diamètre est de 0w,054 à 0m,060, et le petit, de 0®,040 à 0®,042. Pendant l’incubation rien ne peut éloigner la femelle de son nid ; elle ne le quitte qu’à l'approche de l'homme, dont elle semble même quelquefois braver la présence. CANARD TADORNE. — ANAS TADORNA. Afin de pouvoir justifier, du moins en partie, l'hypothèse que je vais soumettre à mes lecteurs, sur le mot tadorne, je com- mence par relater ici quelques passages des anciens auteurs. Le premier appartient à Rabelais, et indique une étymologie que je suis loin d'admettre. La voici : « La tadourne est une sorte d’oie, plus grosse que le canard et qui se faisant moins entendre que les autres oies, aura pu avoir été appelée de la sorte de taciturna « taciturne.» (Nouv. édit. an 1732, tome I°", livre 1, chap. xxxvINI, pag. 276.) « La tadorne, » dit Belon, « est oiseau moult ressemblant à une cane, mais on la voit rarement en France, sinon ès courts des grands seigneurs, à qui on les apporte des autres pro- vinces du dehors. » (Liv. IN, pag. 172.) : Dans les dessins qui accompagnent le texte d'Aldrovande, on trouve tardone. | L'adjectif qui sert à désigner le canard qui est le sujet de cette notice, a donc été écrit, de différentes manières, {a- dourne, tardone. Les variations dans l'orthographe de ce mot peuvent servir à trouver le principe d’une expression employée par tous les auteurs sans qu'aucun d’eux ait indiqué, du moins à ma connaissance, la racine de cet adjectif. IL est évident, — 140 — d'après les textes énoncés ci-dessus, et qu’il serait facile de multiplier, que les anciens naturalistes comparaient le tadorne à une oie moult grasse, et qu'ils la désignaient sous le nom de la tadourne ou la tardone. Dès lors cette expression ne serait- elle pas l’équivalent du mot outarde, provenant des mêmes racines, mais présentées dans un sens inverse, et composée de tarde, « grasse, et ourne, orne, ue, « oiseau, oie? » Cette hypothèse pourrait se justifier par l'opinion des anciens auteurs qui tous prenaient le tardone pour une oie et une oie grasse. Baflon appelait ce palmipède canar d-renard , canard-lapin ; en latin il est désigné Sous le nom de vulpanser , de vulpes , « renard, » et anser, « oie, renard-oie. » Ces expressions me sourient beaucoup plus que celle de tadorne , parce qu’elles ont l'avantage de représenter une des habitudes caractéristiques du palmipède qu’elles déterminent. Ce canard est le seul, parmi tous ses congénères , à chercher , comme le renard, comme le lapin, un gite pour y établir son nid et y élever sa jeune famille. Quel- ques auteurs même prétendent que le tadorne dispute aux lapins — 141 — leurs garennes , et que par sa tenacité il reste maître du terrain. Dans toutes les langues cet oiseau porte un nom qui rappelle l'habitude que je viens de relater. Sur les bords de la mer, le tadorne niche dans les fentes des rochers ; au milieu des endroits marécageux , il se réfugie dans les trous des vieux arbres. La femelle pond de douze à quatorze œufs d’un blanc un peu ver- dâtre. Le grand diamètre est de 0,062 à 0,065, et le petit , de 0,044 à 0m,046. ’ Quand la ponte est terminée , la femelle recouvre ses œufs d’un duvet blanc et très-fin dont elle se dépouille elle-même, Pendant tout le temps de l’incubation , le mâle se tient en vedette sur les dunes. Dès que les petits sont éclos , leurs parents les conduisent à la mer. Le tadorne ne se mêle pas aux bandes des autres espèces de canards , il voyage par couples ou par petites bandes. Il se nourrit de vers de mer , de sauterelles, de petits poissons , de plantes ma- riues , de leurs racines et de petits coquillages quise détachent du foud de la mer sous l'action des flots agités. Ces débris de coquil- lages se mêlent à l’écume , ét sont capturés très-facilement par le tadorne dont le bec, aplati vers le bout et renflé à la base de la mandibule supérieure, décrit une ligne concave favorisant la mission confiée à ce palmipède par la Providence de Dieu. Le tadorne est encore appélé le Canard des Alpes parce qu'il uiche dans la fente des rochers qui bordent quelques-uns des _ grands lacs situés au milieu des montagnes. Ce palmipède est un excellent gibier, et déjà du temps de Pline il était regardé comme le rôti le plus succulent fourni par les canards. « Suaviores epulas , clim, vulpansere non noverat Britannia : — La Breiagne autrefois ne connaissait pas de gibier plus succulent que le renard-oie. » (Pline, liv. X, chap. xxli.) Les Grecs donnaient aux œufs de cet oiseau le premier rang après ceux du paon. Le duvet du tadorne est presque aussi fin et aussi doux que celui de l’Eider. PHARES CANARD CHIPEAU ou RIDENNE. — ANAS STREPERA. Ce canard plonge très-bien et assez longtemps. Il habite les prairies marécageuses du nord de l’Europe. Ses habitudes res- semblent à celles de ses congénères. Ma tâche se borne donc à expliquer les noms sous lesquels il est désigné en latin et dans la langue vulgaire. L’adjectif strepera dérive de strepo , strepere, « faire du bruit , » et indique que cette espèce a un cri de rappel plus accentué, plus répété et surtout plus fatigant à entendre que celui des autres canards. Aussi est-il communément appelé le chipeau bruyant. Quant aux dénominations chipeau et ridenne , elles ont le même sens et servent à déterminer , d’une manière expressive, mais un peu triviale , l’ensemble de la couleur du plumage de cet oiseau. Chiper , en terme de tannerie , signifie passer au tan, donner une couleur brune semblable à celle du tan. C’est ainsi qu’on appelle basane chipée celle qui a subi l’ap- prêt du tan. Chipeau représente donc l’idée de couleur brune, rousse , semblable au tan. C’est pourquoi les chasseurs de canards appellent le chipeau le rousseau ou le roux. Ridenne exprime la même idée que chipeau ; aussi le canard que cette expression dé- termine est-il appelé indifféremment chipeau ou ridenne. Cette dernière dénomination me semble dériver d'un vieux mot français, — 143 — ride , servant à désigner une espèce de grosse toile jaunâtre ou d’un grisroux. Dès lors chipeau , ridenne, rousseau seraient trois mots servant , sous des formes différentes , à retracer la couleur dominante de ce canard. Si l’on eût conservé au palmipède dont j'essaie d'expliquer les noms vulgaires , l’épithète ridelle , elle eût été plus caractéristique que celle de ridenne. J'eusse désiré pouvoir trouver quelques motifs un peu plausibles de rattacher ces deux expressions à la même racine. On appelle ridelles les côtés d’une charrette faite en forme de râtelier. Or le chipeau est, avec le souchet , le seul palmipède du Genre canard, dont le bec ait un caractère très-distinctif, consistant en une série de petites ridelles ou lamelles qui garnissent la mandibule supé- rieure. Ces lamelles minces , longues et très en saillie au delà des bords , recouvrent même une partie de la mandibule inférieure , sont très-visibles sur la plus grande partie du bec , et semblent dès lors se rapprocher des ridelles. La chair du canard chipeau est très-appréciée par les gastronomes. Le ridenne niche au milieu des jones, dans les grands maré- cages du nord de l'Europe. La ponte est de douze œufs d’un gris jaunâtre ou verdâtre très-pâle. Leur longueur est de 0,052 à 0w,056 , et leur diamètre , de 0,038 à 0m,040. CANARD PILET. — Anas ACUTA. Le canard pilet se rapproche beaucoup des habitudes de la sarcelle. Peut-être est-ce à cette relation qu'il doit d’être consi- déré , ainsi que la sarcelle, comme un aliment maigre pouvant être mangé pendant les jours d’abstinence. Ce palmipède doit son nom vulgaire etson nom scientifique à une particularité du plumage du mâle. La queue du pilet est conique , et celle du male porte deux pennes intermédiaires, effilées , dépassant les latérales , de plus de 0n,055. Ces deux pennes ressemblent à deux flèches, et expli- quent la dénomination donnée au pilet. Cet adjectif se rapporte au vieux latin pilatus , signifiant « soldat armé d’un dard, d’un javelot , » et dérivant de piletta , « javelot. » Dans les glossaires de basse latinité, on trouve pileatus , « celui qui est coiffé d’un — 144 — bonnet pointu. » D'où l’on a donné le nom de pilettes à certains orrements en forme de flèches qui surmontaient les coiffes des femmes à l’époque où celles-ci portaient des mortiers. De même on appelait pileus le bonnet que l’on fixait à l'extrémité d’une pique , d’une lance , et autour duquel se groupaient les esclaves que l’on devait vendre. On lit dans Guillaume Guiart (aunée 1214) les vers suivants, justifiant le sens énoncé ci-dessus : « Ribaus qui,de lost se partent Par les champs çà et là s’esparteat, Li uns une pilelte porte L'autre croc ou maçue torte. Dans notre département , les chasseurs et les pêcheurs l’ap- pellent , en leur langage expressif, le pointard. M. Millet de la Turtaudière croit que ce nom a été donné au pilet parce que cet oiseau , lorsqu'il s'envole , s'élève dans l’air’ perpendiculairement en faisant une pointe rapide. Je pense que pointard n’est qu’un — 145 — équivalent du mot pilet, et que ces deux expressions ont pour principe les longues pennes de la queue du mâle. L’adjectif acuta, « pointue , » vient encore fortifier mon opinion. Enfin les nou- ‘velles ornithologies désignent le pilet sous le nom d’acuticaude , de acula , « pointue , » et cauda , « queue. » Ce palmipède habite ordinairement le nord de l’Europe et de l'Amérique. Il quitte ces contrées pendant la saison rigoureuse de l'hiver et apparaît alors en Anjou par bandes assez considé- rables. La femelle compose dans les marais, avec des herbes desséchées , une coupe aplatie qui porte ordinairement de huit à dix œufs d’un gris verdâtre peu foncé ou roussâtre ; leur grand diamètre varie de 0,054 à 0,060, et Le petit, de 0,042 à 0,044. CANARD SIFFLEUR. — Aras PENELOPF. Cette espèce doit son nom vulgaire au cri perçant, aigu, ouigneux qu'elle fait entendre Assez fréquemment , et qui sert à distinguer le siffleur de tous ses congénères. Le sifffear se nourit principalement de végétaux qu’il broute comme les oies ,etil ne crible pas la vase avec son bec à la manière des sarcelles et des canards. Quant au mot Penelope, il peut être un simple souvenir mythologique ou une expression servant à indiquer la fidélité de — 146 — la femelle au mâle. Aldrovande (chap. xix, pag. 92) prétend, d’après Isacius Tretzes , que Périthée et Icarius ayant jeté à la mer leur jeune fille, celle-ci fut sauvée par des canards qui, de la surface de l’eau , la conduisirent sur le rivage, et permirent ainsi à ses parents d'en prendre soin de nouveau. Aldrovande pense que ces canards portaient le nom de Penelopes , et que dès lors , ils auraient donné leur nom à la fille d’Icarius. D’autres croient , au contraire , que les canards auraient été ainsi appelés du nom de celle qu'ils avaient sauvée , et que Penelope serait une dénomination destinée à perpétuer l’acte de dévouement exercé par ces palmipèdes. La jeune Pénélope devint plus tard l'épouse d'Ulysse , auquel elle resta fidèle pendant toute la durée du siège de Troie, malgré les instances des prétendants qui demandaient sa main. Pour les éloigner , Pénélope promit de donner la préfé- rence à celui qui pourrait tendre l’are d'Ulysse , et de se décider quand une pièce de toile à laquelle elle travaillait serait terminée. Mais elle défaisait pendant la nuit ce qu’elle avait fait pendant le jour. À son retour Ulysse tua tous ses prétendants. La femelle du canard pénélope est-elle aussi fidèle que l'épouse d'Ulysse , et le mâle est-il aussi terrible dans ses vengeances que le vain- queur de Troie ? J’abandonne aux érudits la réponse à ces deux questions , et je crois que dans la dénomination donnée au canard pénélope , il n’y a qu’un souvenir mythologique rappelant le sauvetage de la fille d’Icarius. Quoique bonne, la chair de ce canard est cependant réputée maigre. Le siffleur habite les contrées orientales de l’Europe et niche dans les herbes des marais. La femelle pond de huit à douze œufs d’un gris jaunâtre et légèrement verdâtre. La lon- gueur est de 0n,054 à 0,058 , et le diamètre, de 0,038 à 0,040. CANARD SOUCHET. — ANAS CLYPEATA. Deux épithètes servent à distinguer ce canard de ses congé- nères ; l’une latine , clypeata , l’autre vulgaire , souchet. La pre- . mière peut s'expliquer assez facilement , mais il n’en est pas de même de la seconde. L'adjectif clypeata , dont la racine est clypeus , « bouclier, » signifie qui « porte un bouclier. » Cette — 147 — dénomination, singulière en apparence, se justifie par le vert doré des rémiges qui forment un long miroir anguleux sur l’aile quand elle est pliée. Ce miroir, un peu éblouissant, semble représenter une espèce de bouclier appuyé sur les ailes de l'oiseau. Les chasseurs , ne se préoccupant que de la couleur vive de cette partie du plumage du souchet , l’appellent le rouget. D’autres lui donnent le nom de bec en cueiller. Cette dernière dénomination est la plus caractéristique. En effet , le signe distinctif du souchet est le développement excessif de l'extrémité de la mandibule supérieure qui dépasse de moitié la mandibule inférieure. Cette particularité rapproche le bec du souchet de celui de la spatule ; aussi est-il désigné par un certain nombre de naturalistes sous ces mots : Anas spatula , « canard spatule. » Il me reste à indi- quer , autant que possible , l’étymologie du mot souchet. En bota- nique , souchet est le type de la famille des Cypéracées et de la tribu des Cypérées , qui se développent-sur le bord des eaux et dans Les marais. Parmi les espèces comprises dans cette famille, on distingue le souchet à papier, « papyrus. » Le canard auquel je consacre cette courte notiee doit-il son nom vulgaire à son séjour de prédilection au milieu des marais, des souchets ? S'il en était ainsi, l’étymologie aurait du moins une raison d’être. En cherchant dans les vieux glossaires quel- ques renseignements sur le mot souchet, j'ai trouvé un détail sur la souche ou la bûche de Noël, et l’on me permettra de le transcrire ici, comme pouvant être agréable à quelques-uns de mes lecteurs. En Anjou, pendant la messe de minuit, on met dans le foyer de chaque maison la souche la plus grosse que l’on puisse trouver dans le bûcher. Cette coutume est à peu près géné- rale en France ; elle doit reposer sur certaines croyances popu- laires. Voici ce que je lis dans le Glossaire du centre dela France, par M. le comte Jaubert (t. 1, p. 282) : « La souche ou cosse de Nau ou No est celle que l’on met dans le foyer pendant la messe de Noël , grosse pour en avoir davantage. On la conserve ensuite sous le lit du maître de la maison, et on jette un morceau dans le foyer pendant l'orage , afin de préserver la famille contre le feu du temps. » Je reviens au souchet : ce canard vit de petits vers, d'insectes qu'il saisit en triturant les vases avec ses lamelles très-longues — 148 — qui ressemblent aux dents d’un peigne ; il se nourrit aussi de petits poissons , de plantes aquatiques et de jeunes plantes des cypérées. Serait-ce le motif qui lui a fait donner son nom ? Continuons donc encore nos recherches sans trop nous décou- rager. À ce sujet , je me rappelle deux vers de Régnier qui peuvent trouver leur place ici, car ils peignent d’une manière bien simple et bien vraie les tribulations de tous ceux qui se livrent aux tra- vaux intellectuels, puis souche, dans les anciens glossaires , signifie soucis , inquiétudes , chagrins, etc. Voici les vers de Régnier : Nous vivons à tâtons, et, dans ce monde-ci, Souvent avec travail on poursuit du souci. Roquefort pense que souchet dérive de juncetus . diminutif de juncus , « jonc. » Cette interprétation , dont je n’assume pas la responsabilité , s’harmoniserait avec les hypothèses que j’ai indi- quées , et constaterait les lieux où séjourne le souchet, c’est-à- dire les marais semés de roseaux et de jones. Les noüvelles ornithologies désignent le souchet sous le nom peu harmonieux de rhynchaspis , composé de RYNCHOS , « bec, » et ASPIs, « bou- clier rond. » La forme ronde du bec de ce palmipède a donc fixé d’une manière sérieuse l’attention des savants. Puisqu'il en est ainsi, il me semble que souchet peut représenter la même idée ; car une des espèces du souchet , plante, est appelée cyperus rotondus , parce que ses racines sont rondes. Enfin souchet signi- fie aussi stupide, et, pris dans ce sens , le nom vulgaire de cet oiseau représenterait bien la physionomie d’un oiseau qu’on dirait être étonné de porter un bec peu en rapport avec les di- mensions de sa tête. Le souchet traverse l’Anjou par bandes peu nombreuses. Sa chair est très-délicate. Ce palmipède se reproduit dans les marais et les lacs du nord de l’Europe. La femelle établit son nid au milieu des joncs et sur les débris de ces plantes. Là , elle pond de dix à quatorze œufs d’un gris verdâtre peu accentué. Leur grand diamètre est de 0,054 à 0,056 , et le petit , de 0,086 à 0m,0387. — 149 — SARCELLE D'HIVER. — ANAS CRECCA. La sarcelle , que les habitants des bords des cours d’eau ap- pellent canette ou petite cane , aime à se tenir, pendant le jour, cachée dans les fourrés situés le long des rivières ou dans les endroits fangeux des marais. Ce n’est qu’au crépuscule qu'elle se met en mouvement , soit pour changer de localité, soit pour chercher sa nourriture qui est animale et végétale. Dens son vol, le mâle fait entendre un’ cri perçant répété plusieurs fois de suite et qui ressemble à un coup de sifflet très-aigu. C’est à cette habi- tude que la sarcelle doit son nom latin : « KEKRAS dicitur avis quæ alio nomine vocatur KREX, on appelle KERKAS l’oiseau qu’on dé- signe sous le nom de CREX. » Or cette dernière dénomination dérive de CREKÔ , signifiant « faire un bruit désagréable. » Le mot crecca se rapproche du eri de la sarcelle qui répète plusieurs fois de suite et d’une manière sifflée kric , kric, krec , krec. Aussi les chasseurs l’appellent-ils le criquet , le criquart, expression très- caractéristique. Roquefort affirme aussi que le principe de crecca est KERKÔ, poétique pour KREKÔ, « faire un bruit strident, agaçant, en poussant la navette. » Quelques auteurs pensent que l’épithète erecca conviendrait mieux à la sarcelle d'été qu’à celle d’hiver, parce que la première aime , encore plus que sa congénère , à s’ébattre dans les airs en jetant des cris sifflés. Quant au mot sarcelle , il paraît être, d’après Ménage , Bouillet , etc., une corruption du latin querquedula. Autrefois on écrivait cercelle et mème cercerelle. Selon Voss et Jos. Scaliger , querque- dula aurait pour principe KERKETHALLIS composé de KERKIS , KREKO , « faire un bruit désagréable , » et THALLIS , de THALLÔ, « être à son comble, être dans (oute sa force. » Toutefois ce der- nier sens est pris en mauvaise part. Le vol de la sarcelle est rapide et élevé. Cet oiseau fréquente les eaux douces et se reproduit parmi les marécages. La femelle pond , dans un nid grossièrement façonné avec les débris des plantes , de huit à douze œufs d’un blanc jaune roux. Leur grand diamètre est de 0,042 à 0,046 , et le petit , de 0,032 à 0,034. Ils ne diffèrent de ceux de la sarcelle d’été que par des propor- tions un peu plus petites. On la nomme sarcelle d'hiver , parce LAN A60 NES que c’est vers cette saison qu'elle manifeste , dans nos contrées, sa présence en pius grand nombre. Cependant quelques couples restent , toute l’année , en Anjou , et s’y reproduisent. SARCELLE D'ÉTÉ. — ANAS QUERQUEDULA. Cette espèce est désignée par des noms déjà connus ; 1l ne me reste plus qu'à donner quelques détails sur la sarcelle d'été, ainsi appelée parce qu’elle reste en France pendant le Printemps et l'Été. Son nom populaire est halebran , composé de deux mots allemands , halb, « demi, » etente, « canard. » Les Allemands l’appellent halbente. Les sarcelles d'été sont d'un caractère très- gai. Elles aiment à jouer entre elles sur l’eau ou dans les airs, à se poursuivre en poussant des cris qui se rapprochent de ceux du râle de genêt. Ces palmipèdes vivent par couples, pendant l'été, puis ensuite par familles , et se réunissent enfin en grand nombre à l’époque de l’Automne. La sarcelle d’été dissimule très-bien son nid , qu’elle compose d’une couche épaisse de joncs et d’herbes. Ce nid, caché dans les touffes de roseaux des vastes marais , renferme six ou huit œufs oblongs ,: d’un blanc sale ou d’un roux jaunâtre. Leur longueur est de 0,046 à 0,050 , et leur diamètre , de 0,032 à 0,034. Quoique réputée maigre, la chair de la sarcelle est assez estimée par les gastronomes, — 151 — DOUBLE MACREUSE. — ANAS FUSCA. Dans la plupart des ornithologies , les espèces suivantes for- ment un Genre à part, sous le nom de Fuligules. Ces palmipèdes s’éloignent des canards proprement dits , non-seulement par des caractères physiques , mais surtout par des mœurs et des habi- tudes différentes. Les fuligules préfèrent en général les eaux salées aux cours des fleuves et des-rivières , cherchent leur nour- riture en plongeant, et vivent presque exclusivement de petits poissons , de vers et de mollusques bivalves. La double macreuse forme , avec le morillon, le garrot, le milouin , ie milouman et ia macrease, une section particulière parmi les canards : c’est le groupe des fuligules , expression for- mée de fuligo, « suie, noir de fumée. » Cette épithète indique la teinte qui domine dans le plumage de ces palmipèdes. Les fuli- gules se distinguent encore des canards par le pouce qui n’est pas élevé comme celui de leurs congénères, mais réuni aux doigts par une membrane assez accentuée. Cette disposition particulière des doigts des fuligules indique que ces oiseaux sont conformés pour se livrer à une natation sous les eaux, et, dès lors, des- tinés à la pêche soit des poissons, soit des coquilles sous-marines. De plus , leur marche à terre est très-pesante et très-difficile ; enfin ils s'éloignent beaucoup de tout esprit de domesticité. __ La naissance des macreuses a été, pendant de longs siècles, entourée des mêmes préjugés que celle des oies bernaches, etc. Certainsauteurs pensaient que ces oiseaux naissaient du fruit d’un arbre des îles Orcades, d’autres qu'ils étaient engendrés par des mousses marines, par l'écume de la mer, par les bois pourris , enfin par les coquilles anatifères. Aristote croyait que les macreuses étaient le résultat d'une, génération spontanée, fruit de la corruption des végétaux. Voici comment Guillaume de Saluste , seigneur du Bartas , a décrit, dans ses vers, la croyance populaire sur cette question : « Ainsi souls sy Boote, ès glaceuses campagnes, Tardif, void des oiseaux qu'on appelle granaignes Qui sont fils, comme on dit, de certains arbrisseaux, Que leur feuille féconde anime dans les eaux. 11 — 152 — Ainsi le vieil fragment d'une barque se change En des canars volans , à changement estrange ! Mesme corps fut iadis arbre vert, puis vaisseau. Naguères champignon et maintenant oiseau. » (Le sixiesme iour de la sepmaine, dernière édition, 1611, page 309.) Les naturalistes , les médecins , les philosophes ayant admis et propagé les erreurs citées plus haut sur la génération des ma- creuses , ces oiseaux furent classés parmi les aliments maigres comme ayant pour principe les arbres, les végétaux, ete. Le pape Innocent IIT s’éleva contre cette erreur, et condamna cet abus vers la fin du douzième siècle. Le préjugé était tellement enraciné que la défense du Pape ne put l’ébranler , et que la ma- creuse continua à être mangée comme un aliment maigre jusqu’au commencement du dix-septième siècle. Maintenant encore uñ grand nombre de personnes agissent sous l’influence de cette croyance erronée. Gérard de Ver ayant constaté dans son voyage au Groënland que les macreuses étaient des canards , on cherchba un prétexte de maintenir , quand même, la permission de manger ces palmipèdes , les jours d’abstinence. On affirma alors que le sang des macreuses était froid , qu'il ne se condensait pas, que leur graisse, comme celle des poissons, avait la propriété de ne se figer jamais. Les macreuses furent done assimilées aux poissons, et, sous un autre point de vue , réputées encore aliments maigres. C’est aussi sous l'influence de ce préjugé que l’on dit d’un hom- me peu courageux qu’il a du sang de macreuse dans les veines. Un motif plus plausible pourrait justifier la concession de manger les macreuses , les jours de jeûne et d’abstinence : c’est que « leur chair est un piètre régal, » selon l'expression de Tous- senel, « qui peut se manger sans péché dans les jours de péni- tence. » En effet, la chair de la double macreuse est noire, coriace , huileuse, sentant le marécage et d'un goût très-désa- gréable. Je reviens’ à la question étymologique. Scheler prétend que macreuse ala même racine que maquereau, dérivant de macula , « tache. » Cette hypothèse ne peut pas même s'appuyer sur une apparence de vérité, puisque le plumage de la double macreuse est d'un brun noir uniforme , exprimé par l’adjectif latin fusca, « noir , bruv. » Roquefort pense que mercoot, marcol , termes hollandais, ont formé macrouse, puis macreuse. L'hypothèse pee ne pére de rééaniiéts di RS 2 — 153 — la plus probable , et qui s'appuie sur les anciens préjugés , donne pour racine à macreuse l'adjeclif latin macer , macera, macerum , « maigre , peu charnu , » et anas , « canard , » expression signi- fiant dès lors, canard maigre. La macreuse que j'étudie en ce moment a été appelée double parce qu'elle a des proportions plus fortes que la macreuse ordi- faire. La taille de la première l'emporte de six centimètres sur celle de la seconde. La double macreuse préfère les eaux salées aux eaux douces : elle habite les mers polaires. Là ces palmipèdes plongent jusqu’à dix mètres de profondeur pour chercher sur les rochers sous- marins les petites coquilles qui s’y attachent. Ils restent long- temps sous l’eau , et, quand un de ces canards plonge , toute la bande, quelque nombreuse qu'elle soit, le suit et limite au même instant. C’est cette habitude qui occasionne chaque année la capture d’un très-grand nombre de macreuses. Lorsque les froids rigoureux forcent ces oiseaux à se réfugier sur les côtes des régions tempérées , les chasseurs tendent d'immenses filets au-dessous de l’eau qui baigne les bancs où se trouvent les coquilles servant de nourriture à ces canards. Ceux-ci, en plon- geant, s’enlacent dans les filets, et l’on en capture ainsi un nombre considérable. Les macreuses se reproduisent dans les régions du Nord, et, en-grande quantité , sur les côtes de la Suède et de la Norwége. Le nid de ces oiseaux, placé dans les herbes marécageuses , contient de huit à douze œufs d’un blanc gris jaune. Le grand diamètre est de 02,062 à 0,064, et le petit, de 0m,046 à On, 048. CANARD MACREUSE. — AnAs NIGRA. La notice consacrée à ce canard sera très-courte, les noms ayant été expliqués précédemment. L'épithète nigra, « noire, » exprime la même idée que fusca, mais avec une nuance plus prononcée. La macreuse habite les régions arctiques , qu'elle abandonne pendant les hivers rigoureux. Elle arrive sur les côtes de la France en troupes innombrables. En Picardie on la capture, comme la double macreuse , avec des filets tendus dans la mer — 154 — au-dessus des bancs sur lesquels reposent les moules et les autres coquilles bivalves. Pendant plusieurs siècles, on a attribué à la macreuse la même origine qu’à la double macreuse. Ce palmipède A se reproduit en grande quantité sur les rivages des mers et dans les endroits marécageux des contrées du Nord. La femelle dépose sur un nid composé de plantes grossièrement réunies , de huit à dix œufs d'un blanc gris jaune. Leur grand diamètre est de 0,061 à 0w,064, et le petit, de On,044 à Om,046. CANARD MILOUINAN. — ANAS MARILA. Je mejbornerai , pour ce canard et pour le suivant , à expliquer les épithètes latines qui les déterminent , et à donner quelques détails sommaires sur les habitudes de ces palmipèdes, qui se raoprochent beaucoup de celles de leurs congénères. Quant à l’ex- pression vulgaire , j'en abandonne l'interprétation à ceux qui, plus savants que moi , pourront en entrevoir le sens. Le miloui- nan est caractérisé par un bec large, plat et uni. Cet oiseau habite les régions du cercle arctique; là il se nourrit de mollus- ques bivalves , il capture aussi de petits poissons qu’il poursuit sous l’eau avec une rapidité remarquable. L’adjectif marila indique la couleur du plumage du milouinan. Cette couleur est cendrée et striée de noir. Le croupion et la — 155 — queue sont noirs , le ventre est blanc , et l’aile porte des taches de même nuance. Marila fait connaître la couleur dominante dans l’ensemble du plumage ; ce mot dérive du grec MARILA ou MARILÊ , signifiant « poussière de charbon, braise, cendre. » Le milouinan se trouve en grand nombre en Sibérie ; il s’y re- produit sur les bords des lacs et des mers, ainsi que dans les marais des régions boréales. La femelle pond de huit à dix œufs d’un gris olivâtre. Leur longueur est de 0,064 à 0m,066, et le diamètre , de 0,049 à 0,044. Le cri du milouinan est assez caractéristique : aurait-il contribué à former le nom vulgaire de ce palmipède ? Je l'ignore. Ce canard répète assez souvent et avec force : kouan , kouan. En faisant précéder ce cri du mot mil employé si souvent en Bretagne, contrée sur les côtes de laquelle le milouinan apparaît , pendant l'hiver, par bandes in- nombrables, on aurait mil-kouan, et, avec une transformation dont nous avons trouvé tant d'exemples dans les noms vulgaires, nous aurions milouan , milouinan. Un de mes amis , érudit dans la langue bretonne , me propose une étymologie que je transcris ici. Telle est la force de l’habitude qu’elle m’éloigne de la réso- lution que j'avais prise en commençant cette notice ; d’après l'opinion de cet ami, milouin , milouinan pourraient être com- posés de deux mots : mil, « mille, » et loen, « animal, bête en général. » Dès lors cette dénomination serait une exclamation peignant la surprise des Bretons à la vue des milouins et des milouinans arrivant , pendant l’hiver , subitement et par milliers. CANARD MILOUIN. — ANAS FERINA. Le cri de ce canard est le même que celui du précédent. Le milouin marche très-difficilement et en se balançant d’une manière singulière. Il nage et plonge avec une grande facilité. Il vit de petits poissons, de grenouilles, de plantes, d'insectes, de racines et surtout de petits coquillages qu’il capture au fond des eaux. Une observation qui pourrait venir en aide à l'hypothèse proposée , à l’article précédent , sur le mot milouin, c’est que ce canard est très-défiant , qu’il se laisse difficilement approcher, _ 156 — et que , dans les moments d’anxiété , il pousse des cris répétés qui ressemblent au sifflement des serpents. On croirait entendre le sifflement d’une légion de reptiles , de mille bêtes. L’épithète ferina donnée au canard milouin me semble prouver que les naturalistes avaient été frappés du cri de ce palmipède : qu’ils s'étaient iuspirés de ce sifflement aigu pour caractériser cel oiseau. D’après Ovide, voæ ferina signifie « voix rude , forte et désagréable. » Le milouin se reproduit dans le nord de l'Europe; son nid ,,. composé d’herbes desséchées et placé aa milieu des roseaux, contient de dix à quatorze œufs d’une couleur verdâtre uniforme. Le grand diamètre est de 0",062 à 0,064 , et le pen de 0,040 à 0,042. CANARD GARROT.-— ANAS CLANGULA. Garrot, quel now , grand Dieu ! quel nom donné à un canard ! Cette dénomination est une de celles qui ont le plus exercé ma patience ; mais du moins j'ai la consolation que mes recherches, à cet égard (sans dire du mal des autres), n’ont pas été entiè- rement infructueuses. Ah! si les naturalistes qui les premiers ont désigné les canards et les autres oiseaux par des noms vul- gaires empruntés aux habitudes de ces oiseaux , avaient indiqué le motif qui les avait dirigés dans le choix de ces dénominations, — 157 — que de recherches pénibles ils eussent épargnées à leurs suc- cesseurs ! Je commence par donner quelques détails sur les différentes acceptions du mot garrot, et j'indiquerai ensuite la relation du sens attribué à ce substantif avec le canard qui nous occupe. Garrot signifie bâton , dard, javelot, flèche. En réalité, c'est une seule et même acception, car le dard est un bâton léger, effilé et préparé pour un but déterminé. Le garrot, comme bâton, était un moyen employé par ceux qui désiraient serrer, ficeler avec une grande puissance des objets quelconques ; le garrot faisait l'office d’un levier : de là le verbe garrotter, « lier fortement. » Garrot signifie aussi dard , flèche, objet lancé avec une grande vitesse. Ce dernier sens se trouve démontré par les vers suivants de Marot sur le cheval de Viart : « Grison fus Hédard Qui Garrot et dard Passay de vitesse. » D’après Littré, il est très-probable que le mot garrot, « bâ- ton, » et le mot garrot, « dard, » sont le même substantif pris avec une variété de signification , et que tous les deux auraient pour racine le provençal et le catalan garrig, « chêne , » arbre avec lequel on faisait les bâtons et les dards. Ménage cherche à démontrer , par une série de transformations , que garrot dérive de verutum , « dard court , aigu , » facile à lancer et par consé- quent très-rapide. k Il me reste à appliquer au canard garrot le sens attribué à cet adjectif représentant une flèche lancée avec rapidité. Le vol de ce palmipède est bas , raide, et fait siffler l'air comme un dard projeté avec une grande force. L’épithète clangula constate la même particularité, et c’est pour cela qu’Aldrovande a dit: « Clangula ab alarum clangore quæ firmissimæ et non sine sono in volatu moventur : il est appelé clangula à cause du sifflement de ses ailes qui sont très-raides et qui ne sont jamais mises en mouvement sans bruit. » Verutum , principe de garrot , d’après Ménage, signifie aussi une fusée, un objet traversant l'air avec une grande rapidité et avec un bruit aigu. Dès lors , il n’est donc pas étonnant que dans les siècles précédents , où le mot garrot — 158 — $ était d’un usage populaire pour représenter un dard , une flèche , voire même une fusée , on ait dit, en voyant le canard que je décris fendre l'air avec une grande vitesse et avec un bruit sif- flant : c’est un véritable garrot ; et ainsi l’épithète a été consacrée à ce palmipède, tout en oubliant la signification primitive de cette dénomination. Le garrot a un bec plus étroit à l'extrémité qu’à la base , caractère qui le rapproche encore de la flèche et lui sert à fendre l’air. Sa tête paraît plus grosse qu'elle ne l’est réel- lement , à cause de la touffe épaisse de plumes qui la recouvre. Ce canard nage et plonge avec une grande facilité ; il vit de frai de poisson, d'insectes aquatiques, de mollusques, etc.; il cherche ordinairement sa nourriture au fond de l’eau. Le garrot habite le nord des deux continents ; il se reproduit au milieu des herbes situées sur les bords des lacs et des mers. La ponte est de dix à quatorze œufs d’un gris verdâtre ou olivâtre fclair; ils mesurent de 0,054 à 0m,056 , et de 0,040 à Om,049, CANARD MORILLON. — AxAs FULIGULA. lei, les difficultés étymologiques disparaissent en grande partie, et les épithètes employées pour désigner ce canard retracent d’une manière caractéristique la couleur de l’ensemble de son plumage. Fuliqula a pour racine fuligo, fuliginis, signifiant vapeur noire qui s'échappe des lampes allumées , suie de che- minée , » et représente ainsi le plumage du morillon , plumage d’un beau noir luisant à reflets verdâtres. La dénomination vul- gaire a le même sens, et a pour étymologie more, de l'espagnol moro , du latin maurus , désignant les habitants de la Mauritanie et, par extension , les Nègres, les noirs. On appelle gris de more la couleur grise tirant sur le noir. Donc morillon signifie noir , et représente la même idée que fuligula. Ce palmipède habite, pendant l'été , les régions glaciales , et, pendant l’hiver, les cli- mats tempérés. Comme ses congénères , il niche sur les rivages «des mers ou sur les bords des étangs. La femelle pond de huit à TE Vies douze œufs d’un brun gris ou verdâtre. Leur longueur est de 0,056 à Om,0b8, et leur diamètre, de 0,038 à 0,040. Le morillon est très-gras en automne , et sa chaire est alors assez estimée. CANARD NYROCA. — ANAS LEUCOPHTHALMOS. Le nyroca est un charmant petit canard appelé assez souvent la sarcelle rousse, et, ainsi que la sarcelle, ilest considéré comme aliment maigre. D'un caractère très-vif, il se plaît au milieu des fourrés et parmi les jones des marais. Lorsqu'il traverse l’Anjou, il se nourrit de frai , de vers, d'insectes , de plantes aquatiques . de semences et de petits coquillages. Le nom vulgaire de ce canard est emprunté à la langue russe. Gmelin l’orthographie myroca. Quant à l’épithète leucophthalmos , elle est composée de deux mots grecs : LEUCOS, « blanc, » et OPHTHALMOS, « œil. » Cette expression indique que le nyroca a l'iris blanc, particu- larité assez remarquable chez les canards. Ce palmipède est très-répandu dans les contrées orientales de l’Europe; il est — 160 — sédentaire en Sicile, en Crimée, etc. Chaque année , le nyroca traverse notre département ; il voyage par couples et par petites : bandes , mais jamais en troupes nombreuses. La femelle établit son nid au milieu des joncs des marécages, et pond de huit à dix œufs d’ur gris jaunâtre pâle et quelquefois assez foncé. Le grand diamètre varie de 0,052 à 0",054, et le petit, de 0,036 à 0,038. Dans les envois qui m'ont été faits de la mer Noire, j'ai trouvé à différentes fois des œufs entièrement ronds. CANARD HISTRION. — AnAs nisrRIoNIcA. Les épithètes données à ce canard représentent, en français et en latin , la même idée , el sont très-caractéristiques. Elles ont pour racine le mot latin histrio , dérivant lui-même d’un mot étrusque signifiant « joueur de flûte, » pris dans le sens de co- médien de bas étage, de saltimbanque , qui paraît aux yeux du public avec des costumes bariolés. Le plumage de ce palmipède est composé de bandes qui s’entrecoupent de la tête à la queue d’une manière parallèle, mais irrégulière. Ces bandes varient du noir violet bleuâtre au noir profond , puis au blanc , au roux, au noir velouté , au noir bleu foncé, enfin au bleu cendré et même au roux rouge. Un bleu pourpreformeun miroir sur les ailes, quand elles sont pliées. Dans leur ensemble, les différentes nuances du plumage du canard-histrion semblent avoir été jetées par le pinceau d’un artiste capricieux. Ce canard habite le nord des deux continents ; on le trouve en assez grand nombre sur les bords du banc de Terre-Neuve : c’est ce qui a déterminé les marins et plusieurs naturalistes à lui donner le nom de canard de Terre- Neuve. Il habite aussi les côtes de l'Islande. L’histrion n'apparaît en Anjou que pendant les hivers très-rigoureux. Ce canard établit son nid dans les grandes herbes situées sur les bords des mers et. des lacs. La femelle pond de huit à douze œufs d’un jaune d'ocre ou d’un blanc jaunâtre assez foncé. Quelques-uns affectent une forme ronde ; leur longueur est de 0,048 à 0,050, et leur dia- mêtre , de 0,036 à 02,038. f — A6 — CANARD SIFFLEUR HUPPÉ. — ANAS RUFINA. Ce canard habite les contrées orientales de l'Europe; on ie trouve en grand nombre sur les bords de la mer Noire; il n’ap- paraît que très-rarement en Anjou. Il se nourrit de vers aquati- ques , de plantes , de coquillages et de petits poissons. Sa chair a un goût peu agréable , et dès lors n’est pas recherchée. Les épithètes qui servent à distinguer ce palmipède peuvent facile- ment se justifier. L’adjectif siffleur indique que ce canard fait entendre un cri de rappel très-aigu et semblable à un coup de sifflet. Quant à l’épithète huppé, elle rappelle que le mäle a le front et le dessus de la tête d’un rouge bai, avec l’occiput orné d'une huppe épaisse composée de plumes soyeuses. Rufina, déri- vant de rufus , «roux, roussâtre , » fait counaître que l’ensemble du plumage est d'un brun noir lustré. Comme la plupart de ses congénères , le canard sifileur huppé établit son nid au milieu des herbes et des jones des petits îlots. La femelle dépose sur une couche grossière formée de plantes desséchées six à huit œufs d’un blanc roussätre ou verdätre ; leur grand diamètre est de 0,054 à 0,056, et le petit de 0",038 à Om, 040. EESTI STRESS CANARD EIDER. — ANAS MOLLISSIMA. Ici se termine le Genre canard. L’eider, appelé vulgairement l’oie à duvet du Danemark, est l’un des plus beaux palmipèdes de l’Europe. Les dimensions de sa taille lerapprochent de l’oie sauvage. Ce canard vit de poissons, de crustacés , de mollus- ques bivalves , qu’il capture dans les mers les plus septentrio- nales de l’Europe. L'eider se reproduit en grand nombre sur les côles de l'Islande. La femelle, dont le plumage diffère essentiel- lement de celui du mâle dans le temps de la nidification, com- pose son nid avec des plantes marines qu’elle recouvre du duvet qu'elle s'arrache sous le ventre pour réchauffer ses œufs, au nombre de cinq à six. Leur couleur est d'un gris olivâtre et quel- quefois jaunâtre. Le grand diamètre varie de 0",076 à Om,084, et’ le petit , de 0", 048 à Om,052, C’est ce duvet soyeux et élas- tique que les habitants du pays s’empressent de recueillir pour — 162 — ; le livrer ensuite au commerce qui l’emploie à faire des édredons, dénomination formée par corruption d'eider et de don , et signi- fiant présent de l’eider ou produit de l’eider. Les Islandais enlè- vent non-seulement le duvet, mais encore les œufs de l’eider, afin de forcer la femelle à faire une seconde ponte qui leur pro- curera une nouvelle récolte. Cette deuxième couvée étant captu- rée, et, à la troisième ponte, la femelle n’ayant plus de duvet pour recouvrir ses œufs, le mâle se dévoue et imite la sollicitude de sa compagne. Ce duvet est encore supérieur à celui de la femelle. Les habitants veillent à ce que cette troisième couvée réussisse ; sans cette attention, les canards abandonneraient leur nid pour n’y plus revenir. L'endroit où ces oiseaux se repro- duisent est une véritable propriété qui se transmet , comme les autres, par héritage. Il est défendu de tuer un eider ; cet oiseau est sous la sauvegarde des lois islandaises , et le coupable qui les enfreindrait sur ce point serait poursuivi comme voleur. La présence des canards eiders et leur reproduction sur les rivages de l'Islande étant une source de prospérité pour le pays, il est très-logique que l’autorité prenne les moyens de conserver et de développer cetterichesse nationale. Enfin, leduvetdel’eider vivant étant beaucoup plus fin, plus souple, plus recherché que celui que l’on recueille sur cet oiseau après sa mort, il est de l’intérêt des Islandais de protéger les jours de ce palmipède. Aussi chaque famille travaille-t-elle à prendre toutes les dispositions possibles pour préparer des espèces de pares sur le bord des propriétés bai- gnées par la mer, afin d’y attirer des bandes d’eiders à l’époque de la nidification. Il me reste à expliquer les deux mots eider et mollissima. Le premier a, d’après Littré, une étymologie suédoise ou allemande, et signifie le canard sauvage, dans un sens géné- ral, c’est-à-dire le canard par excellence. Quant à l'adjectif mol- lissima , « très-souple, très-mou, » il indique la qualité supé- rieure du duvet fourni par ce palmipède. L’eider abandonne très-rarement le séjour des mers, et ce n’est que par de rares exceptions qu'il manifeste sa présence en Anjou, pendant les froids longs et rigoureux. — 1603 — GRAND HARLE. — MERGUS MERGANSER L’Ecriture Sainte, dont toutes les maximes sont empreintes de la sagesse divine, dit: « Abyssus abyssum invocat, un abîme appelle un autre abiîme, à une difficulté succède une autre difficulté. » Cette sentence, si vraie quand elle s’applique aux luttes de notre cœur , aux angoisses de notre vie, se réalise aussi dans les recherches étymologiques. Après avoir combattu avec énergie pour entrevoir les racines des noms plus ou moins bizarres donnés aux canards , je me trouve en face des dénomi- nations servant à désigner un autre Genre de palmipèdes, déter- miné par le mot harle. Afin d'arriver à une solution plausible de cenouveau problème, je commencerai par expliquer les mœurs de ces oiseaux. le cite d’abord un passage de Belon, passage sur lequel j'appelle l’a- tention du lecteur: « Bièvre est un moult gros oyseau de riuière et où il n’y a guère moins à manger, qu'en vne moyenne oye sauuage. Nostre vulgaire Francoys le nomme un bieure luy ayant imposé ce nom par accident , d’une beste de double vie semblablement appelé un bieure et en latin fiber et en grec castor, car comme la beste qui a quatre pieds , entrant en l’eau fait de grands degasts sur le poisson : tant ainsi c’est oy- Seau qui se plonge à touts propos, estat en un estâg, en fait aussi grâd déluge comme un bieure à quatre pieds. C’est. de là qu'il a esté ainsi nommé. » (Livre Ill, page 163.) D’après ce texte, il est évident que le bièvre est le harle, et que cet oiseau est un terrible destructeur de poissons. Les ra- vages qu’il exerce sont d’autant plus considérables que ce pal- mipède nage et plonge avec une excessive facilité! De plus il est armé de telle sorte qu'il capture sa proie d’une manière cer- taine. Le bec du harle est étroit , cylindrique, déprimé à la base, garni de lamelles dentiformes semées sur les bords de la man- dibule supérieure , droit et , enfin , terminé par un crochet aigu. Les poissons que cet oiseau poursuit jusqu’au fond des eaux ne peuvent échapper à ce bec dentelé, et, dès qu'ils sont saisis, ils se trouvent transpercés par une série de dents aiguës et maintenus ensuite par l'extrémité du bec qui fait l’office d’un — 164 — eroc. Enfin le doigt externe très-long du harle fournit à cet oiseau le moyen de virer de bord et de changer de direction, plus faci- lement qu'à tout autre palmipède. IL me semble que le nom donné au harle devrait rappeler la pêche terrible à laquelle se livre cet oiseau. Littré se contente de dire: « Harle nom popu- laire du mergus merganser. » C’est court , et surtout peu con- cluant. Dans le vieux français se trouvait un verbe, harer, harcer, signifiant « vexer , pourchasser , » et d'où l’on a fait ha- relle, « persécution. » Je crois que de harelle à harle la distance est facile à franchir , et que si harelle exprimait la persécution , l’on pourrait admettre que hdrle représente le persécuteur. Pris dans ce sens, le mot harle caractériserait énergiquement le plus terrible perséeuteur des poissons , l'oiseau qui les pourchasse à la surface de l’eau ainsi qu'au fond des rivières et des mers, au- quel ses victimes ne peuvent échapper et qui les brise sous des meules dentelées. Le mâle a les plumes du vertex allongées et formant une huppe courte et touffue. Ceile de ia femelle est composée de plumes longues et effilées retombant sur le cou. Le harle que je décris est désigné par l’adjeeti grand , parce que c’est celui dont la taille est la plus considérable. Ce palmipède vient en Anjou pendant l'hiver, et y apparaît même par bandes considérables lorsque le froid est rigoureux. Sa chair est très- peu estimée et a un goût très-désagréable. Aussi Belon a-t-il écrit avec raison : « Le peuple n’a bonne opinion de cest oyseau : car quand l’on en apporte au marché comme aussi des corma- rats, il y a un proverbe de dire que qui voudrait festoyer le diable , il luy faudrait donner de tels oyseaux, les estimants de mauvais manger. » (Livre III, page 164.) Le harle habite les mers glaciales du Nord ; il est appelé quel- quefois levautour de l'Islande. Son nom scientifique mergus vient de mergo , mergere , « plonger, » et signifie l'oiseau plongeur. L’épithète merganser est composée de mergus, merga, « plon- geur, plongeuse , » et anser , «oïe, » l'oie plongeuse. Le mot merga à aussi une autre signification, et représente une faucille, une faux à Scier, expression qui se justifierait très-bien par la forme du bec du harle. Cet ‘oiseau établit son nid sur le bord des eaux, parmi les pierres ou dans les troncs des arbres creux. La femelle y dépose de dix à quatorze œufs d’un blanc verdâtre. Leur + — 165 — longueur est de 0,072 à Om,074, et leur diamètre, de Om,048 à 0m,050. Dans notre département le harle est appelé vulgairement le hère, mot qui se rapprocherait du verbe harer, et viendrait en aide à l'hypothèse que j’ai exposée. D’après Diez, hère dérive- rait de l’allemand herr signifiant « seigneur, » d’où pauvre hère, « pauvre seigneur , misérable. » Quelques auteurs pensent que hère a pour racine herus, « maître du logis. » Quoi qu'ilen soit, ces interprétations loin de contredire le sens que j'ai attribué au mot harle, viennent au contraire l'appuyer. Le harle est bien un seigneur régnant d’une manière despostique, comme il arrive trop souvent aux véritables seigneurs , et n’épargnant nullement la vie de ceux qui l'entourent. HARLE HUPPÉ. — MERGUS SERRATOR. L’épithète vulgaire servant à désigner ce palmipède indique que sa huppe est plus caractérisée que celle du précédent. L’oc- ciput et la nuque sont effectivement parés d’une huppe longue, effilée et couchée en arrière vers le cou. Quant à l'adjectif ser- rator il dérive de serratus, « dentelé, » et rappelle que le bec de cet oiseau est armé de lamelles figurant les dents d’une scie. La taille du harle huppé est plus petite que celle de son congé- nère ; aussi tandis que celui-ci capture des anguilles et des pois- sons assez gros, le harle huppé se nourrit principalement d’a- blettes et de goujons dont il détruit d'innombrables quantités, sans toutefois dédaigner d’autres poissons d’une dimension plus considérable. Comme ses congénères, il rejette en pelottes les arêtes de ses victimes, et avale les poissons, la tête la pre- mière, pour ne pas prendre à rebours les nageoires et les écailles. Le harle huppé habite les contrées du cercle arctique; il les abandonne pendant l'hiver, et voyage en petites troupes, se mêlant aussi aux canards. Il établit son nid sur les rivages des mers du Nord; la femelle pond de huit à douze œufs d’un gris jaunâtre mesurant 0,064 à 0w,068, et de 0,"042 à 0,044. Elle couve pendant plus de cinquante jours sans recevoir aucun secours du mâle qui s'éloigne du nid durant toute l’époque de — 166 — l'incubation. La femelle est très-dévouée à ses petits; elle les suit même en captivité plutôt que de les abandonner. Le harle huppé est un très-bel oiseau ; malheureusement la magnifique nuance rose tendre répandue sur une grande partie de son plumage , s’efface après sa mort et ne peut être conservée, au grand regret des amateurs d’ornithologie. Souvent ce palmi- pède s’enlace dans les filets des pêcheurs , quand il plonge pour capturer sa proie, mais sa chair est très-peu agréable à manger, et, par suite, elle ne procure aucun bénéfice à ceux qui s’em- parent du harle huppé. HARLE PIETTE. — MERGUS ALBELLUS. Belon explique ainsi le nom vulgaire de ce harle beaucoup plus petit que les deux précédents : « Piette semble estre dimi- nutif d’une pie. Car c’est nostre coustume de nommer beaucoup de choses du nom de pie. Comme quand nous voyons cest oyseau my-partie de noir et blanc, nous les nommons à l'exemple d’une pie , comme aussi nous disons un cheval pie. » (Livre Il, page 171). Albellus est un diminutif d'albus , « blanc; » il indi- — 467 — que que le plumage de cette espèce est plus blanc que celui des autres, et que cette différence est un signe caractéristique. Quel- ques traits noirs tracés sur les ailes blanches du harle piette représentent assez bien une croix. L'ensemble du plumage de ce palmipède lui donne une physionomie élégante et même coquette, d'autant plus facilement que, comme ses congénères , il est d’une propreté recherchée et a un soin de petit-maître pour qu'’au- cune de ses plumes ne reste souillée par le contact de l'eau ou détrempée de la vase et de l’écume au sein desquelles il pour- suit sa proie. Le harle piette habite pendant l'été les contrées du Nord, et pendant l'hiver il émigre vers les climats tempérés. Il visite, chaque année , l’Anjou , en plus ou moins grand nombre selon la rigueur de la saison. La femelle établit son nid près des bords des lacs ou des fleu- ves, et dépose sur une couche grossière de plantes desséchées , de huit à douze œufs d’un blanc jaunâtre ou roussâtre ; leur lon- gueur est de 0,042 à Om,044, et leur diamètre, de 0,032 à 0,034. Quoique de taille beaucoup plus petite que celle de ses deux congénères , le harle pietie est un terrible destructeur de poissons : il exerce sur les cours d’eau où il séjourne des razzias complètes. Pendant l'hiver de 1864, l’un de ces oiseaux ayant été démonté sur la Loire, près les Ponts-de-Cé, fut apporté à Angers et offert à un propriétaire afin qu’il devint l’ornement d’un étang situé près de la ville. Quelques semaines après, le propriétaire constatait à son grand regret que son étang était entièrement dépeuplé de poissons. Sous un prétexte plus ou moins plausible , l'oiseau fut cédé à l’un des amis du proprié- taire qui reconnut bientôt qu’il avait été victime d’une plaisanterie qu'il ne trouvait pas de bon goût ; aussi: pour arrêter de nou- veaux méfaits, le harle piette fut-il fusillé impitoyablement sur le deuxième théâtre de ses déprédations. Cuvier a donné à cet oiseau le nom de nonnette, expression qui, sous une forme différente , représente la même idée que celle qui est attachée à piette. Le costume ordinaire des religieuses est un mélange de noir et de blanc, et enfin l'espèce de croix tracée sur le plu- mage de ce palmipède semble encore justifier davantage la dé- nomination choisie par Cuvier. 12 —_ 168 — FAMILLE DES TOTIPALMES La seconde Famille des Palmipèdes est désignée, dans la Faune de Maine-et-Loire, sous le nom de Totipalmes. Cette dé- nomination est composée de totus , d’où totius (génitif) et toti (datif) , « tout, » et palma, « palme, paume. » Elle se justifie par la disposition des doigts des oiseaux groupés sous ce nom, doigts qui tous sont articulés sur le même plan et se trou- vent réunis , par trois membranes , de telle manière que le pouce est lui-même uni aux autres doigts par une membrane pareille à celles qui joignent deux à deux les doigts principaux. Les toti- palmes peuvent dès lors se percher et se reposer sur les arbres. Cette famille comprend un très-petit nombre d'espèces. Quatre seulement manifestent leur présence en Anjou, et l’une d'elles n’y est apparue qu’une fois et dans des conditions exception- nelles. Les totipalmes sont voyageurs , et presque chaque jour, - comme les nomades , ils se transportent dans de nouvelles con- trées. Ils ne vivent que de poissons dont ils capturent des quantités considérables. GRAND CORMORAN.— CARBO CORMORANUS. \ La queue du cormoran est, comme celle du pic-vert, mon client privilégié, composée de pennes raides sur lesquelles il peut s’appuyer et se reposer dans une position presque toujours verticale, position qu’il conserve longtemps de suite et qui lui donne une physionomie ridicule. Dans la disposition des pennes de ce palmipède il est facile cependant de reconnaître une attention bien vive de la Providence de Dieu qui a donné au cor- moran un moyen puissant de se procurer sa nourriture. Ce palmipède vit de poissons et surtout d’anguilles qu’il pour- suit dans les profondeurs des rivières, en plongeant un certain nombre de fois sans aucun relâche. Quand il a capturé une anguille , il la jette en l’air, et, dès qu’il est sur le rivage, la reçoit la tête la première avec une adresse remarquable. C’est alors qu’afin de pouvoir recommencer sa chasse et diminuer le — 4169 — poids de ses plumes mouillées et rendues pesantes par Le contact réitéré de l’eau , il se dirige vers un endroit isolé, s’appuie sur les pennes de sa queue, le corps debout, les ailes étendues, jusqu’à ce que son plumage soit séché par le contact de l’air. Plusieurs fois il m’a été donné de considérer des cormorans dans cette position lorsqu'ils se perchaient sur les échelons des poteaux qui indiquent à la navigation les sinuosités du cours de la Maine. Depuis bien des siècles les Chinois emploient les cor- morans à la pêche. Autrefois on l’utilisait aussi en France ; il suffit de deux mois au plus d'éducation pour les dresser à une pêche très-avantageuse à leur maître. Afin de capturer plus.faci- lement les poissons, le cormoran nage très-bien le corps entière- ment caché dans l’eau. Le plumage de ce palmipède est d’un noir foncé; cette couleur explique le nom qui sert à le désigner. D’après Bouillet, cormoran serait une abréviation des mots ita- liens, corvo « corbeau, » et marino, « marin, » et signifierait corbeau des mers. M. Littré rejette cette étymologie assez plau- sible cependant , èt dit : « Vu la provenance du mot cormoran qui paraît originaire des côtes de l'Océan, les savants y recon- naissent une formation pléonastique et hybride de cor pour corb, — 170 — « corbeau , » et du bas-breton môrvran composé de mor, « mer,» et de bran, « corbeau. » La signification reste la même, mais l’'étymologie est moins directe. L’adjectif grand indique que la taille de ce cormoran surpasse celle de ses congénères. Quant à l'expression carbo, « charbon , » elle fait connaître la couleur du plumage de ce palmipède comparée à celle du charbon. Cette couleur subit cependant quelque petite modification à l’époque du printemps. « Dans le temps de la nidification le mâle adulte porte à l’occiput une huppe fuyante ; de légers filets de duvet blanc argentent sa chevelure et la partie supérieure de son cou, noires comme le reste du manteau et lui donnent un faux air d’un vieillard coiffé d’une perruque à frimas. Cette parure ridi- cule est sa parure de noces, elle tombe à la mue d’été et l'oiseau redevient noir. « (Toussenel, Ornithologie passionnelle, 1"° partie, page 250.) _Le cormoran se reproduit sur les rivages des mers du Nord et même sur les côtes de la France. Il confie son nid aux arbres des hautes falaises de Dieppe et de Biarritz. Ce nid, très-large et très-épais, est formé d’une coupe d'herbes marines reposant sur un lit de petites bûchettes et de racines. Quelquefois il est placé sur une touffe de grands roseaux ; il contient de quatre à six œufs allongés. Leur coquille est d’un bleu verdâtre recouvert d’une matière crétacée blanchâtre et parsemée de petites aspé- rités. Ils mesurent de 0,062 à 0,066, et de 0m,040 à 0,042. Le cormoran se défend avec un grand courage, et pince cruelle- ment lorsqu'on veut le saisir. L’odeur de sa chair est désa- gréable ; cette odeur s'attache à la dépouille de l’oiseau longtemps après qu'il a été empaillé. La Fontaine attribue à'ce palmipède une prévoyance des plus intelligentes , et a exprimé cette opinion dans la fable quatrième de son dixième livre. CORMORAN HUPPÉ ou LARGUP.-— CARBO CRISTATUS. Les deux épithètes huppé et cristatus indiquent que ce cor- moran porte une espèce de huppe. Cette huppe est formée par les plumes médianes du vertex, lesquelles sont allongées et com- . + BR ED x APE L — AT — posent ainsi une apparence de toupet qui peut se relever et se dresser en forme de huppe irrégulière. Quant à l'expression vul- gaire largup , j'ignore ce qu’elle signifie , à moins qu’elle ne soit une forme défigurée du mot largue, « haute mer. » Dans ce cas , elle signifierait , ce qui est vrai, que le cormoran huppé se tiènt plus loin des côtes que son congénère, et qu'il se plaît à habiter la haute mer. Peut-être aussi cette dénomination serait- elle une contraction irrégulière des mots large et huppe, imdi- quant le signe distinctif de ce cormoran. Le largup se reproduit dans les crevasses des rochers situés dans les îles de la Méditer- ranée et dans les îlots déserts des côtes de la France, qui s’éten- dent de Dunkerque à Bayonne, La femelle pond, sur un nid composé de plantes marines, trois ou quatre œufs ayant la ‘forme d’une olive et la même couleur que ceux de l’espèce pré- cédente. Leur grand diamètre est de 0,056 à 0®,060, et le petit, de 0,036 à 0m,0538. PETITE FRÉGATE NOIRE. — TACHYPETES, E- AQUILA MINOR. ‘” Les naturalistes qui liront ce travail seront;étonnés de voir classé dans la Faune de Maine-et-Loire un oiseau que l’on admet — 172 — avec réserve même dans l’ornithologie européenne. Si j'ai inscrit dans ces études la petite frégate, c’est pour conserver le sou- venir de sa présence en Anjou. Vers la fin du mois d'octobre 1852, une frégate fatiguée par une course longue et rapide, qu’augmentait encore la tourmente sévissant sur la mer, brisa une des pennes de sa queue et une grande remige de ses ailes. Ne pouvant plus , dès lors, continuer son vol, elle vint tomber sur les rives de la Loire, près Saumur. Un pêcheur de Dampierre s’en émpara, et croyant, dans son ignorance naïve, que cet oiseau était une pie étrangère , essaya de la nourrir avec du pain. La frégate refusant une nourriture si peu en harmonie avec ses habitudes , intrigua le pêcheur , qui la porta à M. Courtillier, directeur du Musée de Saumur. Elle succomba au bout de quelques heures, tuée par la fatigue d’une course irrégulière et par un trop long jeûne. Empaillée par M. Courtillier, elle fait maintenant partie de la collection ornithologique de la ville de Saumur. Cet oiseau habite ordinairement entre les tropiques ; il manifeste assez souvent sa présence dans la rade de Rio-de- Janeiro, capitale du Brésil; là, il vient manger les immondices que la mer y jette. Les marins le rencontrent dans la plus grande partie de l'Océanie, sur les rivages de l’Amérique, et même sur ceux de l'Afrique. Le mot frégate, qui désigne ce palmipède, dérive du catalan fragata, venant lui-même du grec APHRACTA, « sans pont, » composé de A, « non, » et PHRAGMA , « clôture, haie, rempart , » et servant à nommer une espèce de vaisseau plus léger, plus rapide que les autres. Quelques auteurs pensent que le véritable principe de frégate est fabricata , « chose fabriquée, bâtiment. » Les naturalistes ont trouvé une relation assez sensible entre le bâtiment bon voilier et l'oiseau qui , dans ses évolutions gra- cieuses et faciles à travers les airs, semble s’y jouer comme le navire fait sur l'Océan. Le vol de la frégate dépasse en vitesse celui de tous les autres oiseaux. Ce palmipède parcourt chaque jour, selon les circonstances , plusieurs centaines de kilomètres, et, selon lexpression de Michelet, « il déjeûne au Sénégal et dine en Amérique. » (L’Oiseau , page 49.) L'épithète petite fait connaître que cette espèce est la plus petite des oiseaux de ce Genre. L’adjectif noire indique la couleur uniforme de son plu- Lost ce d. Sun de — … > ROSÉ ce — 173 — mage. Tachypetes est formé des mots TACHYS, « vite , rapide, » et PETONAÏi, « voler, » et représente, par conséquent , la puis- sante vélocité des ailes. Aquila , « aigle , » prouve que la fré- gate se rapproche :du roi des rapaces, non-seulement par son vol rapide, mais encore par ses déprédations. Ce pal- mipède capture les poissons qui viennent à la surface de l’eau et ceux qui sont à de petites profondeurs. Si la frégate pé- nétrait plus avant dans l’eau, elle mouillerait ses ailes, qui ont au moins trois mètres d'envergure, et elle ne pourrait plus reprendre son vol. Quelquefois même elle devient la victime des poissons : lorsqu'elle plonge profondément, son corps trop petit n’a plus la puissance suffisante pour supporter le poids de ses pennes détrempées par les flots ; elle s’agite à la surface dela mer, et disparaît bientôt dans son sein. La frégate attaque les pélicans , les fous , les mouettes , et, en les frappant sur la tête, les force à dégorger les poissons que ces oiseaux avaient capturés, et dont à son tour elle fait sa proie. C'est cette habitude qui a fait donner par tous les marins à la frégate le nom de guerrier. Les Anglais l’appellent aussi The man of war bird , « l'homme de guerre oiseau , l'oiseau homme de guerre. » Peut-être est-ce cette pensée qui a déterminé les savants à donner à la frégate le nom de TACHYPETES , en souvenir d'Achille, le guerrier par excellence. Cependant, le nom de forban , de pirate , lui conviendrait beaucoup mieux que le noble adjectif guerrier. Cet oiseau vit de vols accomplis avec une audace que rien ne peut déconcerter. « La frégate, » dit Mi- chelet, « poursuit le fou, excellent pêcheur, le frappe du bec sur le cou, lui fait rendre gorge. Tout cela se passe dans l'air ; avant que le poisson ne tombe , elle le happe au passage. » Si cette ressource lui manque , elle ne craint pas d'attaquer l'homme : « En débarquant à l’Ascension , » dit un voyageur, «nous fûmes assaillis par les frégates. L'une d'elles voulut m'’arracher un poisson de la main même. D’autres voltigeaient sur la chaudière où cuisait la viande pour l’enlever , sans tenir compte des matelots qui étaient autour. » (L’Oiseau, page 52.) Dès que la frégate a fait son repas, ou par son industrie ou par celle des autres, elle se tient immobile sur une pointe de rocher ou sur un arbre ; là, elle reste dans cette position jusqu’à — 174 — ce que la digestion soit faite, et ensuite elle recommence sa pêche. Cet oiseau ne se reproduit que dans des endroits très-soli- taires et toujours sur les rochers les plus élevés. M. Jules Ver- reaux à trouvé un nid de frégate dans l’île Tristan d’Acunha, île principale d’un groupe de l'Océan Atlantique , découvert en 1506 par le capitaine portugais Tristan d'Acunha. Cette île a quarante kilomètres de tour, et est habitée depuis 1816 par quelques familles anglaises. Elle est remarquable par son pic, élevé de 2,400 mètres au-dessus du niveau de la mer; elle ne possède que cent hectares de terres susceptibles de culture. C’est sur l’un des rochers les plus hauts de cette île que M. Jules Verreaux trouva un nid de frégate. Ce nid , composé de quelques brins d'herbes grossières posées sur l'extrémité du rocher, ren- fermait deux œufs d’un blanc pur, assez gros, et dont la co- quille était moins crayeuse que celle des œufs de fou et de cor- moran. FOU BLANC ou DE BASSAN.— SULA ALBA. J'inseris ici un palmipède qui non-seulement a visité notre département à plusieurs reprises , mais encore y a été tué à difté- rentes époques. Peut-être, comme classification régulière, sa place serait-elle ailleurs? Cette question étant controversée par les naturalistes , je ne la résous paS , et je me borne à faire con- naître les noms de cet oiseau et à montrer leurs rapports avec ses habitudes. Le fou est un palmipède de grande et de forte taille. Il se tient ordinairement en pleine mer, suivant les bancs de harengs , dont il capture de grandes quantités. C’est lorsque ce poisson s’approche des côtes que nous voyons apparaître les fous. Quelquefois aussi ces oiseaux y sont poussés par la tem- pête , contre laquelle ils ne luttent que très-faiblement , et cette excessive nonchalance , qui souvent leur coûte la vie, ne serait- elle pas un des motifs qui leur ont fait donner le nom de fous ? Car ne pas user des moyens que l’on a pour éviter la mort , est un acte voisin de la folie. — 175 — Ces palmipèdes sont d’une telle voracité , que souvent ils sont forcés de vomir une partie de la nourriture qu’ils ont prise. Comme le boa, le fou est condamné, après ses repas trop abon- dants, à un sommeil profond et d’une assez longue durée, pen- dant lequel il flotte au gré des vagues, sans sortir de cette espèce de léthargie, lors même que les bateaux de pêcheurs passent sur son corps. Serait-ce à cette habitude que le fou doit le nom de sula, qui me semble dériver de SULÈ , « dépouille , » et indiquer que cet oiseau est ballotté comme une dépouille, comme un cadavre, sans ressentir le choc qui aurait dû le ré- veiller? Cette racine est d'autant plus vraisemblable que SULÊ fait en dorien sULA. Les fous sont armés d’un bec à bords ren- trants et dentelés; ils fondent sur leur proie du haut des airs, la tête en avant et les ailes à demi-fermées. C’est lorsqu'ils se re- lèvent après avoir capturé les poissons que les stercoraires , les frégates se précipitent sur ces oiseaux , et les forcent à coups de bec à lâcher le fruit de leur pêche, dont les ravisseurs se sai- sissent avant qu'il ne soit retombé dans la mer. Le fou étant de taille à combattre ses adversaires , et même, avec un peu d’é- nergie, à les vaincre, est donc encore nommé ainsi à juste titre, puisqu'il travaille pour les autres malgré lui et sans défendre le fruit de ses labeurs. Pendant que le fou se livre à la pêche de la manière que j'ai indiquée ci-dessus, cet oiseau pousse un cri répété et sinistre assez semblable à celui du corbeau. Quant à l'adjectif alba, « blanche, » il indique la couleur du plumage, couleur qui distingue ce fou de celle des autres espèces de son genre. La dénomination de Bassan fait connaître que le fou blanc se montre souvent sur les côtes de la petite ile de Bassan, située dans le golfe d’Édimbourg. Ce palmipède établit son nid dans les anfractuosités des rochers. La femelle pond deux œufs d’un blanc nuancé de verdâtre, dont la surface est rude et semble couverte d’un enduit crayeux inégalement étendu sur l'œuf. Quelques parties de la coquille paraissent revêtues de plu- sieurs couches superposées , tandis que d’autres n’offrent qu’une légère couche de cet enduit. Ils mesurent de Om, Gt à 0n,074, et de 0,048 à 0,050. — 176 — FAMILLE DES LONGIPENNES. La troisième Famille des Palmipèdes est désignée dans la Faune de Maine-et-Loire sous le nom de Longipennes, formé de longus , longa, « long , longue, » et penna, « penne. » Cette expression indique que les oiseaux qu’elle détermine ont les plumes principales, les pennes, plus longues que celles des autres oiseaux , et que , dès lors, ils sont constitués pour entre- prendre de longs voyages; aussi visitent.ils tour-à-tour des climats bien différents et bien éloignés. Cuvier les appelle avec raison grands voiliers, et, sous ce point de vue , la petite fré- gate que je viens de décrire, devrait appartenir à cette Famille. Les Longipennes se nourrissent principalement de petits pois- sons, de vers et d'insectes aquatiques. PETREL, OISEAU DES TEMPÊTES. — THALASSIDROMA PELAGICA. La Famille des Longipennes commence par un oiseau légen- daire ; bien des préjugés se groupent autour de son nom et en font un être fantastique. J’expliquerai fort simplement les habi- tudes du pétrel , et dans cet exposé, je trouverai facilement l’étymologie des différents noms qui lui ont été donnés. Le thalassidrome vit principalement d'insectes aquatiques , de petits mollusques brisés, de frai de poisson. Oiseau semi-nocturne , il n'apparaît sur les rivages de la mer qu’au moment du crépus- eule ; son plumage d’un noir fumeux lui donne, à la chute du jour et au commencement des ténèbres de la nuit , la figure d’un être de mauvais augure. Quand la mer est agitée, quand surtout la tempête se déchaîne avec furie , les pétrels sortent de leur re- traite, même pendant le jour; ils se réunissent alors en bandes nombreuses , suivent les vaisseaux , qui, en traçant un profond sillon dans les vagues amoncelées , rejettent à la surface de la mer des myriades d'insectes et de mollusques brisés. Préservés par l’arrière du navire contre la violence du vent, les thalassi- dromes volent avec une grande facilité en rasant la surface de la — 171 — mer et én appuyant de temps en temps leurs pieds palmés sur les flots, avec lesquels ils s'élèvent et s’abaissent tour-à-tour. De là le nom de pétrel, dérivé de Petrus, « Pierre, » nom par lequel on a voulu les assimiler au chef des Apôtres marchant sur les eaux à la voix de son divin Maître. La dénomination d'oiseau de tempéte se justifie par l'habitude du pétrel , qui ne se montre en pleine mer que lorsque la tempête exerce ses ra- vages ; alors , plus l'ouragan se déchaîne avec fureur, plus les pétrels se montrent nombreux. Les marins, voyant donc ce petit oiseau manifester tout-à-coup sa présence au moment où les flots entraient en fureur, se demandèrent : D’où venait-il ? Pourquoi le nombre des pétrels augmentait-il avec la violence de la tempête ? Pourquoi le calme et le soleil le faisaient-ils dis- paraître ? Dès lors , ils ont vu dans le pétrel un émissaire de l'enfer, un messager de la mort semblant venir désigner au nau- frage le vaisseau dont il suivait la marche. Aussi son apparition jetait-elle une tristesse sinistre dans l'âme des matelots. Thalas- sidroma est composé de THALASSÉ, « mer, » et DROMOS , « Course ,» et signifie l'oiseau qui court, qui marche sur la mer, et, sous une auütre forme, cette expression représente la même idée que le mot pétrel. Pelagica vient de PELAGOS, « mer, » PELAGIOS , « marin, » et indique que cet oiseau est associé à la vie, à la lutte de la mer. Souvent on l'appelle procellaria, « oiseau de tempête. » Le bec du pétrel est comprimé et crochu comme celui des vautours, caractère qui attache encore à son nom et à sa présence une idée peu sympathique. Cette espèce est très- friande de petits cadavres de poissons qu’elle capture quand la mer, vivement agitée, les rejette à sa surface. Assez souvent, lorsque les pétrels s’éloignent trop du rivage et s’aventurent au loin, ils se trouvent impuissants à lutter contre la tempête, et, brisés contre les flancs du navire, leurs cadavres sont poussés sur les rivages. Quelquefois aussi ils sont emportés par les oura- gans et lancés bien loin au milieu des terres , où on les prend à la main, lorsqu'ils sont incapables d’aucun mouvement. Plusieurs fois, un certain nombre de pétrels , ne pouvant ré- rister à la violence du vent, ont été entraînés par la tempête jusqu’à la gare du chemin de fer d'Angers , où ils sont venus se. briser contre les murs. Le pétrel se reproduit dans les trous des — 178 — rochers sur les rivages de la Bretagne et sur ceux de la Méditer- ranée. La femelle ne pond qu’un seul œuf presque rond , d’un blanc mat, et dont le gros bout est strié de petits points rou- geâtres formant une espèce de couronne. Nous reconnaissons encore dans cette particularité l’aetion de la Providence; car si le pétrel avait un certain nombre de petits à nourrir en même temps, il serait dans l'impossibilité de leur procurer une subsis- tance suffisante , condamné qu’il est à la chercher bien loin des rochers auxquels il a confié son nid. La multiplicité de courses longues et pénibles rendrait l'éducation des petits entièrement impossible. Dieu a fait disparaître cet inconvénient en donnant à la femelle du pétrel une fécondité successive ; elle fait un cer- tain nombre de couvées , mais dans lesquelles elle n’a jamais qu’un seul petit à nourrir. Si l’on admet comme vrai le rapport de Flinders , qui prétend que l’on a constaté le vol de troupes de pétrels , composées de plusieurs millions d'individus , l’on serait porté à croire que le nombre des couvées du procellaria doit être assez considérable. M. Loche a trouvé des œufs de ce pétrel depais le mois de mai jusqu’à la fin de septembre. La femelle du thalassidrome défend son nid en lançant sur le dénicheur une matière huileuse et fétide, qui suinte de ses narines. Cette matière produit dans les yeux de ceux qui en sont atteints un effet terrible, et quel- quefois elle occasionne la mort. La femelle nourrit son petit avec de l’huile de poisson, qu’elle lui dégorge dans le bec. Le grand diamètre de l'œuf varie de 0®,026 à 0v,098 , et le petit, de 0,020 à 0,092. La chair de ce pétrel est tellement huileuse que, d'après Brunnich, les habitants de l'ile Feroë s’en servent comme de chandelles, après avoir introduit une mèche dans toute la lôn- gueur du corps de l'oiseau. L'automne est l’époque de l’année la plus favorable pour capturer dans toute la plénitude de leur graisse les pétrels qui doivent fournir ce mode d'éclairage. — 179 — PETREL DE LEACH. — PROCELLARIA LEACKH. Ce pétrel a les mêmes habitudes que le précédent; comme son congénère , ilest regardé par les marins d’une manière pen sym- pathique. Ils pensent qu'il est un émissaire de l’enfer ; aussi l’appellent-ils l'épouvantail , le satanite.Lorsque des bandes nom- breuses de ces pétrels se réunissent derrière les vaisseaux pen- dant la tempête, les matelots pensent que ces oiseaux, non- seulement prédisent le naufrage, mais qu’ils ne sont que les âmes des anciennes victimes de l'ouragan, appelant dans leurs rangs de nouvelles compagnes , de nouvelles sœurs. Ces légendes se diversifient beaucoup , et on peut en recueillir un très-grand nombre parmi les Hollandais, qui, naviguant avec toute leur famille, sont plus enclins que les autres marins, aux mille pré- occupations enfantées par l'imagination, et aussi par la vie agitée de la mer. Le caractère principal qui sert à distinguer le pétrel de Leach de son congénère , c’est la longueur de ses tarses, qui sont beaucoup plus élevés. Ce pétrel porte le nom d’un sa- vant anglais, auteur de plusieurs ouvrages d'histoire natureile. Beaucoup plus rare dans nos contrées que le pétrel ordinaire, il habite surtout les rivages de Terre-Neuve et les Orcades. La femelle pond dans les trous des rochers un seul œuf blanc et | oblong, parsemé à l’une des extrémités de petits points rou- geâtres en forme de couronne. Le grand diamètre est de Ov, 033 à On, 035 , et le petit, de Ow, 043 à Om, 014. La femelle a recours au même moyen que la précédente pour défendre son œuf ou son petit, et, en éternuant d’une manière très-accentuée , elle lance dans les yeux de l’imprudent déni- cheur une liqueur tellement fétide et mordante , qu’elle le force à lâcher la corde à laquelle il se suspendait le long des rochers , et souvent à tomber brisé au pied de ces mêmes rochers. Le pétrel de Leach est vulgairement appelé cul-blanc ; cette expres- sion, qui sert à le distinguer de son congénère, rappelle que chez cet oiseau quelques-unes des plumes latérales du bas-ventre et des premières sous-caudales latérales sont blanches ou en partie blanches sur les barbes externes. — 180 — ” STERCORAIRE POMARIN. — LESTRIS POMARINUS. Le récit sommaire des mœurs des Stercoraires nous viendra puissamment en aide pour comprendre la signification attachée à leurs noms. Les stercoraires habitent ordinairement l'Océan Atlantique septentrional, les rivages de l'Islande et ceux du banc de Terre-Neuve. Ils manifestent leur présence sur presque toutes les mers; ils apparaissent de temps en temps en Anjou, et j'ai pu les étudier sur le cours de la Maine , près du rocher de la Baumette. Les stercoraires sont armés d’un bec robuste terminé par un onglet crochu. Leur doigt médian est dentelé comme une scie et leur sert avantageusement à maintenir la proie qu’ils ont capturée. Leur vol est tour-à-tour lent et ra- pide, selon les circonstances ; le vent le plus violent est impuis- sant à en contrarier la direction. Querelleurs , voraces, hardis et fainéants, ces oiseaux vivent principalement de poissons et quelquefois de mollusques , d'œufs et de jeunes oiseaux. Pour se procurer une abondante nourriture sans se livrer à un travail pénible , ils poursuivent les mouettes , les fous , les cormorans, lorsque ces oiseaux se livrent à la pêche, puis se précipitent sur eux avec une excessive rapidité, et, d’un coup de bec vi- goureux , ils les forcent à dégorger leur proie que les sterco- raires saisissent avec adresse avant qu’elle ne soit lombée dans l’eau. Cette habitude leur a fait donner le nom de stercoraire, de stercus, a fiente, » parce que l’on a cru longtemps que ces oiseaux poursuivaient les mouettes, les cormorans , etc., pour recueillir la fiente qu’ils lâchaient en volant ; l'erreur était d’au- tant plus plausible que très-souvent les mouettes , les cormorans rejettent leur proie lorsqu'elle est déjà triturée dans leur estomac et qu’elle se manifeste alors sous une apparence de corruption. Les coups de bec du stercoraire réitérés et puissants sur le der- rière et sur la tête des oiseaux qu’il poursuit, déterminent en eux une espèce de vomissement plus ou moins abondant. Le mot lestris rappelle sous une forme plus énergique encore la conduite du stercoraire. Lestris dérive du grec LÊSTRIS, « femme de pirate, » qui se rattache à LÊSTÊS, « ravisseur , brigand, pirate. » Cette expression est très-caractéristique , car le sterco- — 181 — raire est un véritable ravisseur, et si Les fous, les cormorans lui abandonvent le prix de leur travail souvent pénible, ils ne font cette concession qu’à regret, imitant en cela ceux qui livrent leur bourse pour conserver leur vie. Quant à l'adjectif pomarin, pomarinus , je n’en comprends nullement la signification. Peut- être ces expressions ne sont-elles qu’une corruption de pen- marin, mot par lequel le stercoraire est connu sur les côtes de la Bretagne et de l'Angleterre. Pen-marin est composé de pen, signifiant en breton « chef, tête. » Dès lors pen-marin repré- senterait très-bien l’idée que l’on doit avoir du stercoraire qui règne sur les mers par ses rapines , ses violences et son brigan- dage. Dans les nouveaux traités d’ornithologie , le stercoraire est souvent appelé labbe, dérivant peut-être de LABÔ, ÉLABON, aoriste second de LAMBANÔ , verbe dont l’un des sens est « saisir, surprendre à l’improviste. » Enfin, cataracte, autre dénomina- tion du stercoraire, est formée de CATA, « en bas, » et RASSÔ, briser, renverser, tomber avec fracas, » et peut indiquer deux sens différents, ou que cet oiseau se précipite avec fracas sur ceux qu’il poursuit, ou qu'il se jette avec rapidité et avec bruit sur la preie qu’il contraint ses adversaires, ou plutôt ses vic- times , à lâcher. Mais peut-être La véritable étymologie du mot labbe est-elle labes , dont les acceptions variées conviennent par- faitement au stercoraire et retracent d'une manière énergique les méfaits ignobles et la vie de ce coupable. Labes signifie « fléau, être funeste et infâme , tache, souillure, attaque su- bite, ete.» Tous les différents sens du mot labes s'appliquent aux mœurs du stercoraire, comme le prouve le résumé que je viens de tracer des habitudes de ce palmipède. Les stercoraires ne souffrent aucun autre oiseau de leur espèce à chasser dans leur voisinage ; ils veulent être, dans l'arrondissement où ils séjournent momentanément , de véritables pens-marins. Ils atta- quent même les animaux et les hommes. D’après Graba, cité par M. Gerbe (Ornithologie européenne , tome II, p. 394), « les habitants de Feroë qui vont à la recherche des œufs du labbe cataracte, se munissent de couteaux qu’ils tiennent sur leur bonnet, la pointe en l'air, pour ne pas être blessés par les assauts impétueux que leur livrent les possesseurs des nids. » Le stercoraire pomarin niche dans les rochers les plus escarpés — 182 — du bord de la mer; la femelle dépose sur quelques brins d'her- bes, ou sur les débris de mousse réunis grossièrement, deux ou trois œufs d’un brun olivâtre foncé et quelquefois d’un brun jaunâtre. Leur coquille est parsemée de taches d’un gris noi- râtre ou d’un brun noir, entremêlées de quelques points de même couleur. Ils mesurent de 0®,058 à 0,060, et de 0,040 à 0,042. STERCORAIRE RICHARDSON ou PARASITE. — STERCORARIUS RICHARDSONII Vel PARASITICUS. Le stercoraire Richardson a les mêmes habitudes que le pré- cédent ; il porte le nom de l’auteur de la Faune boréale améri- caine , imprimée à Londres en 1831. C'est cet auteur qui a décrit avec beaucoup d’exactitude le stercoraire des mers boréales de l'Europe, de l’Asie et de l'Amérique. Le Richardson est très- nombreux sur les côtes du Groënland; c'est là qu'il se livre avec une audace infatigable et avec une énergie dé- vorante à toute espèce de déprédations. La série incessante de ses méfaits justifie le nom de parasite qui lui a été don- né. Cette expression est formée de PARA, «auprès, » et SITOS , « grain de blé, aliment ; » elle représentait, chez les Grecs, celui qui vit aux dépens des autres, qui fait métier de s’asseoir à une table étrangère, et à plus forte raison celui qui n'y est pas invité et qui même vient y prendre part malgré le maître de la maison. Dans ce sens rigoureux , les stercoraires sont de vrais parasites, et des parasites de la pire espèce. Au- trefois on appelait parasites les ministres préposés au service des temples des faux dieux et chargés de recevoir le blé, les présents destinés aux frais du culte; ces prêtres vivaient aux dépens des adorateurs de ces fausses divinités, et chaque idole avait à son service un nombre plus ou moins considérable de parasites , selon le renom de puissance dont jouissaient ces di- vinités et qui attirait dès lors plus ou moins d’adorateurs , plus ou moins de présents. Le Richardson apparaît très-rarement en Anjou , et seulement pendant les hivers rigoureux. Il niche dans — 183 — les cavités des rochers situés sur les bords des mers glaciales ou dans les îlots isolés au milieu des vastes marais. Sur une couche de brins d’herbes et de mousse la femelle pond deux ou trois œufs d’un brun jaunâtre ou d’un gris foncé, striés de taches semées d’une manière irrégulière et dont la couleur varie du brun au noir. Des points en plus grand nombre que dans l'espèce précédente sont répandus sur la coquille. La longueur de ces œufs est de 0",058 à 0,060 , et le diamètre , de 0,040 à 0,042. STERCORAIRE LONGICAUDE. — STERCORARIUS LONGICAUDA. Plus petit que les stercoraires décrits précédemment , le lon- gicaude fréquente les rivages du Groenland, le Spitzberg et les mers du cercle arctique. Une seule fois sa présence a été cons- tatée dans notre département. L’adjectif longicaude est formé de longus , longa , « long , longue, » et cauda, « queue; » il in- dique une particularité remarquable du plumage de cet oiseau. Les deux rectrices, d’abord larges à leur base et même jusqu'à l'extrémité des latérales , deviennent ensuite très-étroites , pour se terminer en fer de lance et dépasser les latérales de seize à vingt-deux et même vingt-quatre centimètres. Ce caractère n'existe que chez les adultes. Les stercoraires ne vivent pas ex- clusivement du fruit de la pêche des autres oiseaux, et, quand leurs fournisseurs manquent, ils capturerit eux-mêmes les pois- sons. Le longicaude est très-friand de harengs qui pullulent dans les régions où il séjourne ordinairement. Aussi les pêcheurs le protégent-ils , et évitent-ils tout ce qui pourrait l’effrayer et par- là même l'éloigner. Sa présence indique aux pêcheurs les bancs de harengs, et c’est pour ces intrépides marins un éclaireur qui ne se trompe jamais. Le stercoraire longicaude aime , comme ses congénères , à dormir sur la mer et à se laisser bercer au gré des flots. Ce palmipède niche sur les rochers ou sur les monti- cules de sable. La femelle réunit quelques débris de graminées sur lesquels elle dépose deux ou trois œufs ayant les mêmes 13 nuances que ceux des espèces précédentes, mais dont les dimen- sions sont plus petites. La longueur est de 0,054 à 0,"056; et le diamètre, de 0,036 à 0,038. GOELAND A MANTEAU NOIR. — LARUS MARINUS. Trois espèces de goëlands visitent notre département , surtout quand des tempêtes longues et terribles se déchaînent sur l'Océan. Dans les temps ordinaires, ces oiseaux n’abandonnent guère le rivage de la mer, et se tiennent à une certaine dis- tance des côtes. Lorsqu'ils se dirigent vers la terre, ils annon- cent aux matelots l'approche de la tourmente , et leur indique qu’il est temps de rentrer au port. Aussi, dans les différentes parties de l'Angleterre, , a-t-on promulgué des arrêtés inter- disant la chasse des goëlands; à l’île de Man en particulier, ces oiseaux sont placés sous la sauvegarde des lois, à cause des nombreux services qu'ils rendent. On a même défendu de tirer Je canon en cas de détresse, pour ne pas éloigner les goë- lands des côtes sur lesquelles les vagues en furie viennent se, briser. (Bulletin de la Société protectrice des animaux, fév. 1869, page 104). Lorsque d’épais brouillards couvrent la mer comme d’un linceul de mort, et que la tempête mugit avec fracas, les marins ne peuvent entendre aucun signal, apercevoir aucun feu ne CODE î des phares, mais ils voient les goëlands se balancer près des flanes des navires , ils les entendent pousser leur eri plaintif et les diriger ainsi vers la terre en leur indiquant la proximité des côtes. Ces oiseaux font disparaître sur les rivages les cadavres en putréfaction, les détritus des poissons, et, par leur pré- sence, montrent aux marins les endroits où ils trouveront une pêche abondante. En tout temps les goëlands poussent , en se jouant avec grâce dans les airs, un cri plaintif et répété; mais quand la tempête approche, ce cri revêt un caractère plus accentué, eta quelque chose de lugubre et de sinistre. C’est à ce cri que , selon quelques auteurs, il devrait son nom, déri- vant du bas-breton, gwelan, dont la racine probable est gwela, « pleur, gémissement. » Roussel prétend que gwelan est formé de gwaz, « oïe, » et de len, « mer, » et signifie oûe de mer. Je préfère la première des deux étymologies, comme représentant une habitude caractéristique des goëlands ; d'autant plus que lorsque ces oiseaux sont affamés , ils aboient comme des chiens. Les mots à manteau noir indiquent que l’ensemble des plumes extérieures des ailes et du dos est de cette couleur. Quant à l'expression larus, elle dérive de LARON, LAROS, « mouette, oiseau de mer, » qui a pour racine LAROS, « aimable, char- mant. » Ce dernier sens se justifie par la grâce et l'élégance que déploient les goëlands en nageant, par leur marche rapide et légère lorsqu'ils sont à terre, par la propreté recherchée que pré- sente toujours leur plumage , par l’élégant capuchon qui couvre leur vertex, leur occiput, la nuque et même leurs joues dèsle mois de janvier, et qui est un bel ornement préparé pour le temps des noces. Enfin , les goëlands sont sociables, vivent en troupes, s’apprivoisent facilement : ceux qui sont au Jardin des Plantes d'Angers courent, d'une manière très-gracieuse , après les pro- meneurs, pour réclamer quelque présent, et c’est alors qu'ils re- çoivent dans leur bec, avec une excessive adresse, le pain, les biscuits, les débris qu’on leur jette soit sur l’eau du bassin, soit sur la terre. Aux environs du phare de Soth-Stack, on voit en tout temps, et surtout pendant les tempêtes, des goëlands voltiger en grand nombre et saisir la nourriture que leur distribuent les gar- diens du phare; ces oiseaux semblent être apprivoisés. Les goë- lands sont omnivores , mais principalement carnivores et pisei- — 186 — vores ; sans cesse ils sont à la recherche des cadavres et des pois- sons que les flots de la mer roulent sur les sables des rivages. Chaque année, pendant l'hiver, au moment où les tempêtes agi- tent l'Océan, des bandes de goëlands mêlés à quelques corneilles mantelées, voltigent près de l’abattoir, à Angers, en effleurant dans leur vol, tour-à-tour lent et rapide , la surface des eaux de la Maine , où ils capturent quelques débris putréfiés qui s'échap- pent des égoûts de l’abattoir. Le goëland à manteau noir est le plus gros des oiseaux de ce Genre qui visitent notre département ; sa taille est de soixante- dix centimètres. Il habite ordinairement les mers du nord de l'Europe , mais il se montre pendant une partie de l'année sur les côtes de la France , où il se reproduit. Les goëlands se réunis- sent en bandes considérables au moment de leur nidification, pour former de véritables colonies. Leurs nids consistent en une petite cavité pratiquée dans le sable et arrondie en forme de coupe peu profonde ; quelques grains de gros gravier constituent les bords de cette coupe ; parfois des débris de plantes en gar- nissent le fond : c’est sur ces couches peu travaillées que les fe- melles déposent , les unes près des autres , trois œufs et rare- ment quatre. Le grand diamètre de ces œufs est de 0m,076 à 0»,080 , et le petit, de 0,054 à 0,056. La coquille , d’un gris brun roux ou jaune, varie beaucoup de couleur et de forme. Quelques-uns de ces œufs sont parsemés de taches d'un brun cendré, d’autres d'un noir foncé, entremèlées dé petits points de même nuance. Dans quelques parties de l'Angleterre, ces œufs sont l'objet d’un trafic important ; des jeunes gens, exercés . dès l'enfance à cette chasse, explorent, pendant les mois de mai et de juin, les précipices situés entre les rochers où les goëlands déposent leurs œufs, et ils en récoltent des quantités innombrables. Quant à l'adjectif marinus, a marin , » ajouté à larus , il indique que le goëland est l'ornement gracieux de la mer, et, sous ce rapport, cette expression est parfaitement juste. Aucun oiseau ne déploie plus de grâce que les goëélands et les mouettes , lorsque ces oiseaux se balancent au-dessus des vagues pour se laisser tomber avec légèreté à la surface de l’eau en relevant les ailes et la queue , de peur de les mouiller, puis remontent avec rapidité pour redescendre encore et continuer — 181 — ainsi des évolutions qui se déroulent comme des festons animés. Cette pêche si légère et si rapide est accompagnée de petits cris, en signe de satisfaction, à la suite des captures qui ont été faites. C’est l’image d’un pêcheur s’applaudissaut lui-même. ‘ GOÉLAND A MANTEAU BLEU. — Larus ARGENTATUS. Les habitudes des différentes espèces de goëlands étant les mêmes, il me semble inutile de rentrer dans des détails qui ne seraient que des redites. Je me bornerai donc, dans ces deux notices , à indiquer d’une manière sommaire l’étymologie des mots servant à distinguer entre eux ces palmipèdes. La couleur des: plumes qui recouvrent le dos et les ailes de ce goëland jus- tifie les deux épithètes à manteau bleu et argentatus, « argenté. » Les reflets d’an bleu un peu blanchâtre que donnent les plumes du manteau de ce goëland ont fourni aux naturalistes le carac- tère qui devait le distinguer de ses congénères. Ce palmipède habite ordinairement les contrées septentrionales et orientales de l’Europe ; il se reproduit cependant sur les côtes de la France, de la Belgique, de la Hollande et de l'Angleterre. Il niche rare- ment sur le sable, mais presque toujours dans les anfractuo- sités des rochers inabordables. Aussi ses œufs sont-ils moins faciles à se procurer que ceux du précédent. Au nombre de deux ou de trois , ils varient beaucoup de couleurs et de dimensions. Ils sont ordinairement d’un brun roux ou olivâtre ou jaunâtre. La coquille est parsemée de taches d’un gris pâle ou foncé, entremêlées de petits points de différentes nuances. Leurs di- mensions sont plus petites que celles des œufs de son congénère. Ces œufs mesurent de 0,079 à 0,076, et de 0,050 à 0",052. Le goëland argenté se nourrit en grande partie de petits pois- sons , de mollusques et d'insectes que la mer a découverts en rentrant dans son lit. — 188 — GOËÉLAND A PIEDS JAUNES. — LARUS FLAVIPES. Ce goëland est souvent désigné sous le nom de fuscus, «brun ,» dénomination qui , comme celle de son congénère, est motivée par les nuances de son plumage. Flavipes a la même signification que l’expression vulgaire, et est composé de flavus , flavi, « jaune , » et de pes, « pied. » Cet adjectif indique que les pieds de ce palmipède sont d’une teinte jaunâtre , caractère qui le dis- tingue des autres goëlands. Sa taille est aussi sensiblement plus petite que celle des deux précédents. Plus vorace encore que ses congénères, on le rencontre assez loin des côtes assouvis- sant sa faim au milieu des débris corrompus des abattoirs. Il habite ordinairement les rivages du nord de l’Europe, et se reproduit en assez grand nombre dans les falaises qui se trou- vent dans les îles situées sur les côtes du département de la Manche , et aussi sur celles de la mer Méditerranée. Les œufs, au nombre de deux ou de trois, sont confiés aux trous des rochers ou aux sables de la mer. Leur couleur, d’un gris noir ou d’un roux sale, est parsemée assez régulièrement de taches entremèlées de points plus ou moins effacées et semées en zigzag. Ces taches et ces points sont d'une nuance plus noire que dans les œufs dés deux autres espèces. Le grand diamètre est de 0,064 à 0m,066 , et Le petit, de 0,044 à Om,046. MOUETTE LEUCOPTÈRE. — LARUS LEUCOPTERUS. Ce palmipède habite les contrées du cercle arctique ; il niche sur les rochers et sur les sables de ces régions désolées qu'il n'abandonne que pendant les hivers très-rigoureux. M. Guillou a tué aux environs de Cholet un de ces oiseaux, le 15 novembre 1852. Dans un grand nombre d’ornithologies il porte le nom de goëland ; dans d’autres il est classé sous la dénomination de mouelle. Les mouettes ont les mêmes habitudes que les goë- lands ; comme ces dernières elles méritent le nom de larus, car elles déploient une grâce remarquable dans leur vol et dans leur — 189 — course. La seule différence qui a déterminé certains auteurs à séparer les mouettes des goëlands, c’est l’infériorité de leur taille , infériorité qui n'existe pas même d’une manière sensible , en particulier à l'égard de la mouette leucoptère. Je crois donc qu'on pourrait classer tous ces oiseaux sous le nom générique de goëlands. Cependant, pour rester fidèle au principe que je me suis imposé de suivre aussi exactement que possible la Faune de Maine-et-Loire , je me vois obligé de conserver la dénomination de mouette et d'en chercher l’étymologie. Quelques grammairiens affirment que mouette vient de l’an- glais mewe et du flamand mewe. M. Littré pense que ce nom est un diminutif de l’ancien français miawe. On disait autrefois miawe, mauve, move, et, de nos jours, les marins appellent les mouettes, les mauves. Or, d'après du Cange, mowe dériverait de motus, moveo, « mouvement, mettre en mouvement. » D’où il me semble qu'il est permis d'émettre , sans être trop téméraire, l'hypothèse que mouette peut signifier l'oiseau du mouvement , l'oiseau sans cesse en mouvement. Cette signification serait juste ; car les mouettes passent leur vie dans un mouvement continuel, se balançant sans cesse dans les airs, plongeant, se relevant tour-à-tour comme les goëlands proprement dits, dont elles partagent la vie agitée. Les latins nommaient la mouette gavia , mot dérivant d’un vieux parfait de gaudeo « se réjouir, » expres- sion se rapprochant de larus et signifiant « l'oiseau gai, aima- ble. » Nicoi pense que mouette est une onomatopée représentant d’une matière incomplète le cri de cet oiseau. Enfin Roquefort prétend que les mouettes sont ainsi nommées à cause de la forme de leur bec. Comment cela? Je l’ignore entièrement. Quant à l'adjectif leucoptère , il est composé de LEUCOS , LEUCON , « blanc, » et PTÉRON, « aile ; » il indique que cette mouette a les ailes blanches, caractère qui la sépare des autres espèces. La mouette leucoptère pond deux ou trois œufs semblables à ceux du goëland à manteau bleu. Ils n’en diffèrent que par des proportions un peu plus petites. Ces œufs mesurent de Om,070 à 0,072 , et de 0",048 à Om,050. O0 MOUETTE A PIEDS BLEUS ou GOÉLAND CENDRÉ. — LARUS CANUS. Le nord de l’Europe est la patrie de la mouette à pieds bleus ; mais, chaque année, des quantités considérables de ces oiseaux sont poussées par la tempête vers le littoral de la France, et, tous les hivers , nous les voyons apparaître en grand nombre sur les cours d’eau de l’Anjou, et parcourir de leur vol gracieux les vastes marécages de notre département. Les expressions à pieds bleus indiquent un des caractères de cette espèce. Quant à l’ad- jectif cendré, qui s’éloigne de canus, « blanc comme la neige, » il fait connaître un aspect du plumage de ce palmipède , qui est un mélange de blanc et de noirâtre et présente effectivement des nuances assez variées dans ses différentes parties. Cette mouette s’apprivoise très-facilement ; celles qui se trouvent au jardin des plantes d’Angtèrs suivent fe promeneurs, et vont même au- devant d'eux pour quêter quelques débris de gâteau et de pain. Le goëland cendré se reproduit dans le département de la Manche et du Pas-de-Calais. La femelle pond, sur le sable ou dans les trous de rochers, trois œufs d’un blanc jaunâtre ou roussâtre. La coquille est par- semée de taches et de points d’un gris ou d'un brun foncé. Cependant la couleur de ces taches et de ces points est géné- ralement moins foncée que celle des espèces précédentes ; ces taches , ces points semblent être à moitié effacés. Le grand dia- mètre est de 0®,052 à 0,056 , et le petit, de 0,040 à Ow,042. Ces dimensions indiquent que ce palmipède est beaucoup plus petit que les goëlands décrits antérieurement. MOUETTE TRIDACTYLE. — LARUS TRIDACTYLUS. Comme ses congénères , la mouette tridactyle vit ordinaire- ment pendant l'été dans les régions arctiques; en hiver, et même pendant l’automne, elle visite les climats tempérés ; sa nourriture , ses habitudes sont les mêmes que celles des autres mouettes. Les adjectifs qui servent à la caractériser, en fran- — 19 — çais et en latin , sont composés de TRES, « trois , » et DACTYLOS, « doigt, » et indiquent que cette mouette est privée de pouce el n’a, dès lors, que trois doigts. La femelle dépose , sur quelques débris de plantes , dans les anfractuosités des rochers, trois œufs d’un blanc gris sale ou jaunâtre et même quelquefois noirâtre. Ils sont parsemés de taches et de points de la même couleur , et mesurent de 0,050 à 0v,056, et de 0,038 à 0®,040. MOUETTE RIEUSE. — LARUS RIDIBUNDUS. Cette mouette visite toutes les mers de l’Europe; elle se montre sur les étangs, les marais, les rivières ; tous les climats paraissent lui convenir. D'un caractère sociable, elle semble, plus que toutes ses congénères, disposée à accepter la domes- ticité. Une mouette rieuse du jardin zoologique d'Anvers , vécut plusieurs années en pleine liberté, quittant à son gré l’enceinte de son habitation pour aller visiter les rives de l’Escaut, y cap- turer sa nourriture et rèvenir le soir dans le lieu de sa captivité. Cette mouette doit sa dénomination ridibundus, « rieuse, » au capuchon brun qui, pendant l’époque de la nidification , se ter- mine à l’occiput en arrière et s'étend sur le haut du cou en avant. Cet ornement de noces , que la mouette revêt pendant quelques mois, lui donne une physionomie toute particulière , et sous cette physionomie les naturalistes ont entrevu une appa- rence de ricanement, de rire. Ce capuchon tourne un peu au grotesque ; on dirait que l’oiseau s’en est revêtu moins pour se donner un air de rieur que pour exciter à l’hilarité ceux qui le voient. La mouette rieuse pond ordinairement trois œufs sur les sables des mers ou à l'embouchure des fleuves. Ces œufs sont de ‘iormes , de dimensions et de couleurs tellement variables que toute description en devient impossible. Les mouettes rieuses se réunissent en quantités innombrables pour pondre dans les mêmes localités; aussi les œufs sont-ils les moins chers de tous ceux de cette famille, et le prix en est si peu élevé qu'il com- pense à peine pour le vendeur les frais de l’envoi. — 19 — ! MOUETTE PYGMÉE. — LARUS MINUTUS. Cette mouette est désignée en latin par l'adjectif minuta, « petite, » et en français par le mot pygmée. Minuta se justifie par la taille de ce palmipède, taille qui ne dépasse pas vingt- six centimètres et qui est, dès lors , la moitié et mêmele tiers de celle des espèces précédentes. Quant à l'expression pyg mée, elle représente la même idée, et repose sur un souvenir my- thologique. Les pygmées habitaient la Lybie; ils avaient une coudée de hauteur ou cinquante centimètres environ ; leur vie ne dépassait pas huit ans. Les femmes cachaient leurs enfants dans les trous des rochers pour les soustraire aux attaques des grues avec lesquelles ces peuples étaient constamment en guerre. Dans une de ses courses, Hercule ayant tué Antée, roi des Pyg- mées , ceux-ci résolurent de venger la mort de leur souverain. Pendant le sommeil d’Hercule, ils sortirent des sables de la Lybie , et se répandirent sur le corps du géant comme une légion de fourmis. A son réveil , Hercule les renferma tous dans sa peau de lion , et les porta en présent à Eurysthée, son frère aîné. Tel est le récit de la fable, récit que les savants ont consacré en donnant à la plus petite des mouettes le nom de pygmée, qui dérive de Pygmæus , formé de pyGmalos , dont la racine est PYGMË, mesure de dix-huit doigts chez les anciens grecs, mot signifiant poing et coudée , et valant 0,347. Le pygmée repré- sentait un pied olympique plus un huitième, et avait six doigts de moins que la coudée proprement dite. Ce palmipède habite l’orient de l’Europe et le nord de l'Asie; il se montre dans toutes les contrées de l'Europe, mais seulement peudant les hivers rigoureux et par bandes de quinze à vingt individus. La mouette pygmée niche à l'embouchure du Danube, près des rivages dela mer Baltique et dans les grands marécages où elle se réunit alors en troupes nombreuses. La femelle dépose sur quel- ques brins d'herbes ou sur des débris de plantes, trois œufs d'un gris olivâtre ou jaunâtre, parsemés de taches et de points d’un gris foncé ou couleur de rouille. Ces œufs sont très-rares dans le commerce ; ils mesurent de 0,036 à 0®,040, et de 02,028 à 0,030. — 193 — STERNE DE DOUGALL. — STERNA DOUGALLII. Le groupe des sternes termine la Famille des Longipennes. Les sternes ont de nombreux rapports avec les mouettes , mais elles s’en éloignent par des tarses beaucoup plus petits, qui indiquent que ces oiseaux ne sont guère destinés à la marche, par la forme de leur bec, par leur taille plus svelte et plus élé- gante , enfin par leurs longues ailes et par leur queue plus ou moins fourchue. Ce dernier caractère rapproche beaucoup les sternes-des hirondelles ; aussi sont-elles appelées le plus sou- vent hirondelles de mer. Cette dénomination me paraît beaucoup plus caractéristique que celle de sterne. Comme les hirondelles , les sternes passent leur vie dans un vol presque continuel qu’elles accompagnent d’un petit cri perçant, el, Sous ce rap- part, elles pourraient être, ainsi que les hirondelles, appelées les criardes. Elles vivent de poissons, de vers et d'insectes qu’elles capturent soit en se laissant tomber directement sur leur proie , soit en rasant avec une grande rapidité la surface de l’eau. Dans ces différentes évolutions les-sternes déploient une telle élégance et une si grande rapidité , qu’elles devraient être comprises sous la dénomination de larus. Souvent on les voit se maintenir dans l’air , à la même place, par un frémissement des ailes, comme les Rapaces , et attendre ainsi le moment fa- vorable pour saisir leur proie. Avec le secours de leurs longues ailes qui leur permet un vol rapide et prolongé , les sternes parcourent des distances considérables , fouillent toutes les dif- férentes parties des immenses marécages qui se développent souvent à l'embouchure des rivières , et changent à chaque ins- tant le théâtre de leurs explorations. Je reviens à la question étymologique. Que signifie sterne ? Et comment ce mot se rap- porte-t-il aux habitudes des oiseaux qu’il désigne? Dans tous les glossaires on trouve sterne, sterna, « nom de l’hirondelle de mer. » Réponse peu satisfaisante et surtout peu complète. Cepen- dant quelques auteurs ajoutent : sterne, dénomination copiée sur l'anglais stern. Quelle est donc la traduction de ce mot? Siern veut dire austère, sévère, sens qui ne se rapporte guère à la vie joyeuse et agitée des oiseaux auxquels il est consacré; puis, dans — 194 — une autre acception, il représente « l'arrière d'un vaisseau , la poupe. » Les marins auraient-ils trouvé entre la queue fourchue des sternes et les longs filets qui la terminent une certaine res- semblance avec la poupe d’un navire, dépassée, elle aussi, par le mât d’artimon? J’abandonne aux savants la solution de ce problème, et je continue l'interprétation des noms vulgaires de ce palmipède. Dougallii « de Dougall, » indique certainement que ces mots expriment ou le nom d’un auteur auquel cette sterne aura été dédiée, ou celui d’une localité dans laquelle elle mani- feste sa présence en grande quantité. Selon toute probabihté, _cette dénomination a été, donnée par Montagu. Je pense que dou- gall n’est que le nom défiguré de la baie de Donegal près de l'embouchure de l’Esk en Irlande , non loiu du château patrimo- nial des O’Donnel. La côte est découpée par une multitude de baies, et l'intérieur est parsemé d’un grand nombre de lacs immenses. Cette localité est visitée par des bandes innombrables de sternes. La sterne de Dougall habite ordinairement le nord de l’Europe et de l'Amérique ; elle se reproduit dans un certain nombre de petites îles situées sur les côtes de l'Irlande , de l’An- gleterre et de la France. Elle niche sur les rochers, mais principalement sur le sable. La femelle pondtrois ou quatre œufs sans préparer aucune espèce de nid ; quelques gros grains de gravier seulement forment autour de ces œufs une espèce de petite barrière. Les œufs de ce palmipède présentent les mêmes variétés que ceux des autres espèces de ce groupe, c’est-à-dire qu'ils varient de formes, de dimensions et de couleurs, de manière à découcerter les connaissances des/ oologistes les plus expérimentés. Je ne donnerai donc à ce sujet que des renseignements généraux. Ces œufs sont ordinairement d’un gris jaunâtre, et parsemés de taches irrégalières qui sem- blent représenter plusieurs couches superposées variant du gris pâle au noir foncé. Ils mesurent de 0,040 à 0,049, et de 0,030 à 02,032. La sterne de Dougall niche sur la Roche-Percée, vis-à- vis du Pouliguen , non loin de l'embouchure de la Loire ; de la elle fait des excursions assez régulières en Anjou. — 195 — STERNE PIERRE-GARIN. — STERNA HIRUNDO. Le Pierre-Garin est un très-bel oiseau doué d’un vol rapide et gracieux. Chaque année il quitte les rivages de la mer pour venir , au printemps , se reproduire sur les sables de la Loire. D'un caractère défiant, il choisit pour établir son nid les îlots les plus solitaires et d’une très-petite étendue. Là, sur le point le plus culminant , il prépare un petit trou parmi les plus gros graviers , de manière à ce que l’intérieur de cette coupe aplatie soit formé par le sable le plus fin , et que les grains d’une forte dimension servent de rempart au berceau de leur future famille. La femelle dépose dans ce nid deux ou trois œufs dont la pointe repose sur l’intérieur de la coupe, tandis que le gros bout s’apouie à l'extérieur. La coquille de ces œufs est d’un fond jaunâtre strié de taches et de points variant du brun au noir et même au rouge. Leur longueur est de 0,040 à 0®,044 , et leur diamètre, de 02,028 à 0®,032. Le nom vulgaire est-il une onomatopée représentant d'une manière éloignée le eri aigu tyr-in, tyr-in » que ces oiseaux répétent vivement dès,qu'ils craignent l’appro- che d’un ennemi? Ils continuent à redire ce crien s’élevant à des hauteurs considérables , et ne cessent de le faire entendre que lorsque le motif de leur crainte n’existe plus. L'expression Pierre-garin n'indiquerait-elle pas que cette sterne est un Pierre qui aime et mange volontiers, ce qui est exact, une petite coquille bivalve appelée vulgairement garin. Dès lors Pierre-garin serait l'oiseau qui mange les plicatules, coquilles verdâtres ou blanchâtres dont il aurait pris le nom populaire, comme autrefois, et même de nos jours , les vainqueurs s’attri- buent le nom des vaincus. STERNE PETITE HIRONDELLEDE MER. — STERNA MINUTA. La question étymologique, en ce qui concerne cette sterne, n'offre pas de difficultés. Le nom vulgaire et le nom savant représentent la même idée , et indiquent que cet oiseau est le 22. er plus petit du Genre auquel il appartient. La petite hirondelle de mer s’unit aux petits pluviers et aux pluviers à collier inter- rompu, pour nicher en bandes innombrables sur le sable des îlots situés près les rivages des mers. J'ai trouvé un grand nombre de ces œufs sur l’îlot des Evains , vis-à-vis le Pouliguen. Cette sterne se reproduit aussi sur les sables de ta Loire, et bien des fois j'ai récolté les œufs de cet oiseau près des nids des petits pluviers. Ces œufs , au nombre de deux, sont confiés aux grè- ves, sans que la femelle fasse même une apparence de nid. D'une forme ronde et d’un gris jaunâtre, ces œufs sont pointillés de petites taches affectant toute espèce de formes et d’un noir assez foncé. Ils mesurent de 0,030 à 0,032, et de 0w,099 à 0,024. STERNE ÉPOUVANTAIL. — STERNA NIGRA. La sterne à laquelle est consacrée cette notice doit ses déno- minations nigra, « noire, » et épouvantail à la couleur de l’ensemble de son plumage. La poitrine , le ventre et l'abdomen sont d’un noir cendré, et la tête et le dessus du cou sont d'un noir pur. Cet oiseau est appelé par, quelques auteurs hydro- chelidon , mot composé de HYDÔR, « eau , » et CHÉLIDON, « hi- rondelle , » et signifiant , d'après cela , l’hirondelle d’eau. Cette dénomination est très-jusie : elle associe la sterne épouvantail à l’hirondelle pour son vol rapide et élégant, pour les nuances de son plumage , et indique en même temps la différence qui sépare ces deux oiseaux. L’adjectif fissipes, composé de fissus, fissi, « fendu , » etpes, « pied, » fait connaître une particu- larité importante des pieds de cette sterne. Les palmures sont tres-peu développées , très-échancrées et réduites à une simple bordure sur le tiers au moins du doigt médian. Ce caractère devait frapper les naturalistes , surtout lorsqu'il s’agit d'étudier des oiseaux appartenant à l'Ordre des Palmipèdes. Comme les hirondelles, les épouvantails sont sans cesse en mouvement dans les airs , voltigeant tour-à-tour à des hauteurs différentes pour capturer les insectes qui séjournent sur les bords des ri- vières et des marécages et pour saisir les petits poissons qui — 197 — apparaissent à la surface des flots. Dans ces courses incessantes, la sterne épouvantail pousse constamment des cris aigus et plaintifs. Cette habitude a peut-être aussi contribué à lui faire donner son nom vulgaire. Les sternes épouvantails nichent en Anjou par colonies innombrables , et, dès qu’elles ont trouvé un endroit favorable pour élever leurs petits , leur nombre s'accroît de jour en jour. La femelle pond deux , trois et rarement quatre œufs variant du jaune clair jusqu’au noir sombre , en passant par une série de nuances très-différentes. La coquille est parse- mée irrégulièrement de taches assez larges formant plusieurs couches qui paraissent superposées et qui varient du gris au brun et au noir. Quelques-uns de ces œufs sont oblongs, d’autres piriformes, eufin quelques-uns sont ronds. Ils mesurent de 0n,034 à 0,038 , et de 0,024 à 0,098, et reposent sur des débris de plantes dans des clairières situées au milieu des ro- seaux ; quelques-uns sont déposés sur une large feuille de nénu- phar; des restes de plantes marécageuses les empêchent de rouler sur ce tapis humide et gracieux. Dans la Fosse de Sorges, j'ai trouvé une grosse racine de nénuphar flottant sur l’eau; cette racine avait la forme d’un V; elle portait à chacune de ses extrémités un nid de sterne épouvantail, et offrait le délicieux tableau de trois berceaux s’abaissant et s’élevant tour-à-tour selon les fluctuations de la surface de l’eau. Bien des fois j'en ai découvert dans les vastes marais de la Baumette ; et lorsque la Maine se retirait de l'endroit où la colonie avait élu domicile, la forme des nids se modifiait un peu. Sur les jones mis à sec et repliés sur eux-mêmes se trouvait une petite coupe formée de plantes marines ; cette coupe, aplatie à sa base, s'élevait au-dessus du niveau de l’eau ; son diamètre di- minuait insensiblement jusqu’au sommet du petit monticule au- quel étaient confiés les œufs dont l’extrémité pointue est tou- jours dirigée vers l’intérieur du berceau de la future famille. Quand on pénètre dans un marais où se trouve une colonie d'é- pouvantails , les cris de ces oiseaux redoublent avec une grande intensité ; ils revêtent une nuance de tristesse et de gémissement qui font peine à entendre. Bientôt la colonie tourbillonne au-des- sus des têtes des dénicheurs, et s'approche si près, qu'on pour- rait abattre ces oiseaux avec une canne et même avec la main. _— 198 — Par leurs cris et par la direction de leur vol , les sternes épou- vantails obtiennent un résultat tout apposé à celui qu’elles se proposent : elles indiquent l’endroit où se trouvent leurs nids ou leurs petits; ces derniers se cachent alors sous les replis des larges feuilles de nénuphar. Dans certaines parties des marais de la Baumette on trouve des colonies renfermant vingt , trente et même quarante de ces nids. Ces marais me rappellent un épisode dont je consigne ici le souvenir. Dans le mois de juin 186 , je devais fouiller avec mes jeunes amis Eugène Lelong et Guillaume Bodinier le vaste espace marécageux qui s'étend depuis le rocher dela Baumette jusqu’à Notre-Dame-des-Champs. Un bateau léger avait été préparé par les soins de M. Gabriel, concierge à la Préfecture, qui devait nous servir de pilote: L’équipage s’embarqua , rêvant, comme toujours, une moisson de riches découvertes. A peine le cours de la Maine était-il tra- versé, que nous apereevons dans les roseaux qui forment l’en- ceinie des marais un autre bateau qui se dirige vers nous. Il était monté par trois hommes dont la contenance nous parais- sait suspecte. Près d'eux étaient maintenus à grand peine deux chiens de chasse. Le prétendu chef de cette embarcation nous dit qu’il avait affermé la coupe des roseaux , que notre passage À travers les marais pouvait lui occasionner un tort réel, et qu’il nous sommail de nous retirer. Nous erûmes prudent d'obtempé- rer à cet ordre , non parce que nous le croyions jtste, puisque nous avions une permission régulière du propriétaire des marais qui nous reconnai sait le droit d'y pénétrer selon notre volonté, mais parce qu'il était évident que nous avions affaire à des gens très-mal disposés et surexcités encore par des libations copieu- Ses. Je donnai l’ordre de virer de bord, après avoir adressé quelques paroles de politesse au chef de l’embarcation. Tout-à-coup celui-ci se ravise, et me dit que je pouvais entrer dans le marais, que, du moment où je reconnaissais son droit , non-senlement il me concédait toute permission, mais qu'il m'offrirait une partie de chasse à laquelle il aïlait se livrer. Je 1e remerciai, tout en refusant d’une manière positive la dernière proposition qu'il me faisait. À peine avions-nous dirigé notre canot à travers l'enceinte extérieure des roseaux, qu’une troi- sième embarcation y pénètre, montée par un garde et par deux RD dr en à à TE Éd it ‘bect db — 199 — vigoureux gaillards. Elle se dirige avec une grande rapidité vers ‘celle du prétendu fermier des marais. Le garde ordonne à celui- ci de s'arrêter; mais, loin d’obéir, l'équipage aviné redouble d'énergie. Une course s'engage entre leurs embarcations au mi- lieu des roseaux ; elle est accompagnée de beaucoup de péri- péties ; on crie , on se menace , on s’arme de bâtons; enfin un choc a lieu , et l'équipage poursuivi se jette à l’eau, emmenant avec lui ses deux chiens, et ne laissant entre les mains du garde , comme preuves de conviction , que quelques jeunes ca- nards capturés par ces chiens habitués à cette espèce de chasse. Les coupables sont poursuivis à travers le marais , et enfin le garde peut constater que le délinquant chef n'est pas un novice en méfaits, mais un interné politique de bas étage , sous le coup de plus de quarante délits du même genre. Là, ne devaient pas se terminer nos émotions ; le coupable dit au garde que c'était pour le curé qu’il avait chassé , et que , lui et moi, nous étions de moitié. Puis, pour affirmer son dire, il proféra un vrai déluge d’imprécations. Le garde remonte alors en bateau et se dirige vers nous, demande nos noms, et d’une manière polie nous assure qu'il ne croyait nullement les propos de ce vaurien de la pire espèce , mais qu’il devait prendre des précautions en présence des affirmations qui pourraient être renouvelées devant le pré- toire. Heureusement la justice a pu rendre sa sentence sans que l'équipage des dénicheurs de sternes épouvantails fût obligé de comparaître devant le tribunal. La sterne épouvantail manifeste un grand attachement pour ses semblables, attachement porté jusqu'à l’héroïsme. Si l’un de ces oiseaux est blessé, ses congénères voltigent autour de lui pour l’aider à reprendre son vol, et pour lui porter secours autant qu’ils le peuvent. Toutes les sternes de la colonie se lais- seront tuer successivement plutôt que d'abandonner un de leurs membres. J'aime à relater cetie habitude, car , dans notre siè- cle d'égoisme, le cœur trouve plaisir et rafraîchissement à pou- voir se consoler un peu en considérant les mœurs de ces oiseaux et à y puiser une leçon et un encouragement. Si une des sternes aperçoit dans le lointain, au plus haut des airs, un point noir annonçant la présence d’un oiseau de proie, elle jette un cri d’a- larme , le répète dans toutes les directions jusqu’à ce que tous 14 — 200 — les membres de la colonie soient avertis , et tous alors se pres- sent les uns contre les autres, tourbillonnent et décrivent une série de cercles concentriques autour de leurs ennemis ; ces cercles se rapprochent, s’enlacent avec une telle rapidité, les cris deviennent si vifs, si aigus, si multipliés, que le rapace complétement étourdi cherche, dans la fuite, un préservatif contre une telle stratégie. Mais là ne s'arrêtent pas les sternes : elles poursuivent, bien loin de leurs jeunes familles, l'oiseau de proie , et elles l’insultent par un redoublement de cris lors même qu’il est déjà assez éloigné du théâtre de sa défaite. STERNE CAUGEK. — STERNA CANTIACA. Cette sterne visite rarement l’Anjou , quoiqu'elle se montre en bandes nombreuses à l'embouchure de la Loire et le long des côtes de l'Océan. Elle se reproduit sur les rivages de la Baltique et du nord de la France. Son nom vulgaire paraît être une onoma- topée , et redire le cri que cet oiseau répète d’une manière conti- nue et fatigante. C’est ce cri agaçant qui a déterminé les savants à le désigner par l'adjectif cantiaca, qui me semble dériver de canti- ble ru (né À — 9201 — tare, fréquentatif de canto et signifiant « pousser des cris répé- tés , chanter sans cesse le même refrain. » Il y a dans le mot cantiaca l’idée d’un cri assourdissant. La sterne caugek est appe- lée la criarde, et si son nom vulgaire présente une onomatopée, il est évident que son cri n’est pas agréable. Cet oiseau est peu défiant ; ilse laisse facilement approcher, surtout lorsqu'il est en troupes nombreuses. Si l’un des membres de la colonie est frap- pé par le plomb du chasseur, tous les autres , comme dans l’es- pèce précédente, s'empressent autour du blessé, paraissent vou- loir le secourir , et se font tuer les uns après les autres plutôt que d'abandonner leur congénère. Ce fait s’est renouvelé plu- sieurs fois sur la Roche-Percée, localité où les caugeks se réunis- sent en très-grand nombre. Cette sterne dépose sur le sable des îlots de la mer, non loin des côtes, deux ou trois œufs d’un blanc jaunâtre ou d’un roux clair. La coquille est parsemée de taches irrégulières d’un noir profond ou d’un gris pâle ou violet. Quelques-uns de ces œufs ont une teinte uniforme rougeâtre et même violacée. J'ai reçu par l'entremise de M. Mæscheler de très-belles et de très-nombreuses variétés de ces œufs. Le grand diamètre est de 0,050 à 0®,059, et le petit, de 0,034 à 0,036. STERNE ARCTIQUE. — STERNA ARCTICA. La sterne arctique a été confondue pendant bien longtemps avec la sterne épouvantail dont elle diffère par des tarses très- courts et par un bec grêle, tandis que les tarses et le bec de l’épouvantail sont assez longs. Le nom vulgaire, qui n’est que la traduction du mot latin arctica, du grec ARCTOS, « Ourse, Nord , » indique quelle est la patrie de cet oiseau. Quoique ha- bitant ordinairement les régions les plus voisines du cercle arc- tique , cette sterne visite les climats tempérés, à l’époque du printemps ; plusieurs sujets de cette espèce ont été tués en Anjou, et je pense même qu’elle se reproduit dans notre département, en compagnie de l’épouvantail avec laquelle elle s’unit très- souvent. À différentes reprises j'ai trouvé dansles marais de la Baumette des nids plus solidement construits que ceux de la — 202 — sterne hirondelle; les débris des plantes qui les composaient s’élevaient en forme de petits monticules aplatis ; enfin les œufs qu’ils contenaient offraient avec ceux de l’épouvantail une dif- férence assez sensible. M. Blain a constaté le même fait , et, plus heureux que moi, il a tué quelques sternes arctiques qui ne pouvaient séjourner dans ces marais , à l’époque du printemps, sans s’y reproduire. Ces faits ont lieu d’être admis d’autant plus facilement que les naturalistes constatent que les deux espèces s'unissent entre elles et donnent naissance à des métis dont les variétés déconcertent l'analyse des savants. La sterne arctique niche dans les marais et sur les sables des rivages ; elle pond trois ou quatre œufs variant d’un brun jaunâtre au brun sale, ou d’un roux clair au roux foncé. Ils sont parsemés de taches et de points gris ou noirs, et mesurent de 0,044 à 0,046, et de 0,030 à 0®,032. STERNE MOUSTAC. — STERNA LEUCOPAREIA. La sterne moustac habite les parties orientales du midi de l'Europe , la Hongrie, la Dalmatie, l'Italie, etc.; elle visite chaque année les côtes de la Méditerranée , où elle se reproduit. Son nid, composé d'herbes marécageuses, représente un petit monticule rond dont le sommet est aplati et creusé en forme de coupe ; il contient trois ou quatre œufs d’un verdâtre clair et quelquefois cendré. La coquille est parsemée de taches et de points brunset noirâtres, plus nombreux vers le gros boutet là ils se déroulent comme une espèce de couronne. Le grand diamètre est de 0,038 à 0,040, et le petit de 0®,096 à 0w,028. Non-seu- lement la sterne moustac traverse l’Anjou , elle y séjourne, et je crois même qu'elle y niche, mais plus tard que l’épouvantail. J'ai récolté des nids et des œufs entièrement semblables à ceux que M. Crespon a étudiés dans les prairies inondées de la Camargue, et qu'il attribue à la sterne moustac. Je pense que la dénomina- tion savante leucopareia représente sous une forme différente la même idée que moustac. Le caractère distinctif de cet oiseau est une bande blanche qui s'étend depuis le coin du bec jusqu’à l’o- reille en passant sous les yeux. Leucopareia constate cette parti- cularité : ce mot est composé de LEUCOS , « blanc, blanche, » et de PARÉIA « joue, » oiseau à joue blanche dont les nuances figurent une espèce de moustache blanche qui est d'autant plus apparente qu’elle tranche davantage avec le dessus de la tête et du cou qui est d’un noir profond. Déjà nous avons en Anjou la mésange moustache , ainsi nommée à cause de la bande noire qui se déroule sur les deux joues. Moustac, moustache, dérive du mot grec MUSTAX, dorien pour MASTAX, « lèvre supérieure, moustache. » OS — QUATRIÈME FAMILLE. Brachyptères. Cette Famille est la dernière de l'Ordre des Palmipèdes, la dernière aussi de la Faune de Maine-et-Loire, et par conséquent du travail que j’ai entrepris. Je la salue avec joie comme le terme prochain d’une longue et pénible mission. Le nom de Brachyp- tères est composé de BRACHYS, BRACHÉIA, BRACHY, « Court, courte, » et PTÉRON, « aile, » et indique que les oiseaux groupés sous cette dénomination n’ont que des ailes courtes, et même, quel- ques-uns , des pennes rudimentaires. La plupart des oiseaux de cette Famille portent des noms dont l'explication offrira bien des difficultés ( mais je reprends courage , comme le marin qui entrevoit le port après une navigation orageuse ), et de nouveau, avec lui, je salue le moment du repos. GRÈBE HUPPÉ. — PoDICEPS CRISTATUS. (Juatre espèces de grèbes visitent notre département , et l’une d'elles s’y reproduit en très-grand nombre. Le grèbe de la pre- mière espèce est désigné sous le nom de cristatus , « huppé. » Cette expression indique que ce palmipède a les plumes de la tête allongées et partagées en deux faisceaux qui représentent deux espèces de cornes noires à la pointe , et se dessinant ainsi — 204 — davantage sur les couleurs de la face qui est d’un blanc rous- sâtre. Au-dessous de cette huppe relevée de chaque côté de l’oc- ciput, se déroule à l’époque des noces , une large collerette dont il ne reste plus tard que de faibles indices. « Le costume du grand grèbe se distingue surtout de la tenue de voyage par l’épa- nouissement d’une superbe coiffe en forms d’auréole faite de plu- mes fines et soyeuses , d’une couleur rouge marron légèrement nuancée de jaune à la racine ; ladite coiffe se relevant aux angles par des cornes et retombant sur la gorge comme un collier de barbe. » (Toussenel, [re partie, page 502.) C’est cette dernière particularité qui a fait appeler par plusieurs naturalistes, le grèbe huppé cornutus, « le cornu. » Les grèbes étant des oiseaux essentiellement plongeurs , sont, dès lors, constitués de ma- nière à accomplir leur mission. Leur corps est oblong, leur tête arrondie, leur cou allongé. Leur bec large et fort capture facilement leur proie qui consiste en poissons , en vers, en in- sectes et en plantes aquatiques. Leur tête, petite , pénètre dans l'eau comme uneflèche lancée avec force. Les tarses sont dénu- dés afin que les plumes ne viennent pas opposer de résistance lorsque ces oiseaux plongent profondément. Les doigts des pieds sont réunis à leur base par une écaille membraneuse, et recou- verts de squamelles parcheminées, de squamma, « petite écaille.» On dirait un tissu régulier de cordes, ou plutôt un corps lié par des cordes qui, ane fois enlevées, y auraient laissé leur empreinte. C'est à cette dernière particularité que les grèbes doivent leur nom scientifique , podiceps, dérivé du grec PODIZÔ , signi- fiant « lier les pieds, garrotter. « Ces oiseaux n’ont pas de queue, cet appendice les gênerait dans leurs évolutions sous- marines. Le plumage des grèbes est doux et satiné, surtout en- dessous du ventre ; il sert à confectionner de irès-belles four- rures et des manchons. La peau du grèbe se vend de cinq à huit francs. Ces palmipèdes vivent sur les mers , sur les fleuves, et de préférence sur les grands lacs. J’en ai vu un certain nombrequi plongeaient dans l’eau dulac de Genève. Le grèbe huppéserepro- duit en Suisse , en Sicile et dans plusieurs départements du midi de la France. Le mâle et la femelle unissent leurs efforts pour construire le berceau de la jeune famille. Ce nid est composé de plantes et de feuilles entassées en grand nombre , de manière DR on — 205 — . à former une grosse boule ayant de quinze à vingt centimètres de diamètre, et dont la hauteur est au moins aussi considérable. La plus grande partie de cette boule est enfoncée sous l’eau, et dans celle qui surnage se trouve , au sommet, une petite ca- vité contenant de trois à cinq œufs. Le nid n’est pas fixé; il flotte librement, mais il est toujours placé dans une clairière encadrée de roseaux qui le retiennent captif et l’empêchent d’être emporté par le courant. Quand la femelle s'éloigne du nid , elle recouvre ses œufs de quelques débris de plantes aquatiques , de sorte que la boule paraît entièrement sphérique et n'offre plus l'apparence d’un nid. Si un bateau passe dessus , le nid s’en- fonce , pour reparaître aussitôt. Les œufs sont oblongs et même pointus aux deux extrémités, enduits d’une couche lisse de ma- tière crétacée dont les teintes se modifient avec les différentes périodes du temps de l'incubation ; d’abord blancs , ils revêtent plus tard une teinte jaunâtre , et ressemblent ensuite à la nuance d’une pipe culottée. Les herbes qui forment le md, se trouvant en contact avec l’eau et avec la chaleur de la couveuse, dépo- sent sur les œuis un sue qui se diversifie selon les espèces de plantes entassées pour porter les œufs. Chacun de ceux-ci pré- sente plusieurs nuances selon que certaines parties sont plus ou moins en contact avec l’eau. La mère ne couve guère que pen- dant la nuit. Ces œufs mesurent de 0,052 à 0®,056, et de 0,034 à 0,036. Les grèbes volent très-difficilement et en rasant la surface de l’eau. Ils nagentavec rapidité; leurs tarses, taillés en lames de couteau, fendent les flots; leurs pieds, placés à l'arrière du corps , servent de gouvernail et d’hélice; et leurs doigts, enveloppés d’une membrane libre qui déborde à droite et à gauche , facilitent encore les mouvements sous-marins des grèbes, en augmentant ou en diminuant à volonté la largeur de la rame. Enfin, les cavités aériennes des grèbes sont plus dé- veloppées que chez les autres plongeurs , avantage qui permet à ces palmipèdes de rester longtemps sous l’eau. Les mâles parta- gent avec les femelles les soucis de l’incubation, exemple très- rare chez les oiseaux d’eau et qui ne se retrouve que chez le pé- lican. D’après les savants, le mot grèbe vient de l'allemand grebe , signifiant un oiseau d’eau. Bechstein cite, parmi les dé- nominations vulgaires de cet oiseau, celle de greve. Cepen- — 206 — dant grèbe se traduit en allemand par steiss-fus , composé de steiss, « croupion, » et fuss , « pied, » et indiquant ainsi l'un des caractères du grèbe , celui d’avoir les pieds à l'arrière du corps. Le grand grèbe , comme tous ses congénères, n’a recours au vol pour échapper à la poursuite de ses ennemis , que dans de rares circonstances et dans le cas de pressante nécessité ; :l se dérobe ordinairement au chasseur en plongeant profondément etlongtemps, pour reparaître un instant à la surface de l’eau et continuer sa stratégie sous-marine. On ne doit l’approcher, lorsqu'il est blessé , qu'avec une grande réserve , car il lance de violents coups de bec sur les mains des chasseurs , et vise quel- quefois au visage de son adversaire. Quoique la chair de ce grèbe ne soit pas délicate , quelques chasseurs l’apprêtent comme celle du lièvre et la mangent en civet. GRÈBE JOU-GRIS. — PODICEPS RUBRICOLLIS. Les mœurs des grèbes ayant été exposées dans la notice pré- cédente , mon travail sera purement étymologiqne pour les trois espèces qui me restent à décrire. Le grèbe jou-gris doit son nom à une particularité de son plumage. Dans le temps de la ni- dification , les adultes ont les joues grises; plus tard, cet enca- drement disparaît, et l’ensemble de la tête devient d’un gris de souris ; enfin , le devant et le côté du cou, ainsi que le haut de la poitrine, se révêtent d’un roux ardent, ce qui explique l'adjectif rubricollis , composé de rubrum , « rouge, » et collum, colli, « cou. » La huppe de ce grèbe est plus courte que celle de son congénère et plus aplatie. Le jou-gris est plus rare en France que le grèbe huppé ; il se reproduit de la même. ma- nière. La femelle pond de trois à cinq œufs; leur grand diamètre est de 0,048 à 0,050, et le petit, de 0,039 à On,034. — 9207 — GRÈBE OREILLARD. — PODICEPS AURITUS. Les caractères qui servent à distinguer ce palmipède du grèbe huppé, ne sont pas très-tranchés : c’est ce qui explique pourquoi ces deux espèces ont été désignées par le même nom ou par des expressions un peu synonymes. De longues plumes roses se dressent au-dessus des yeux et derrière , et représentent ainsi deux cornes ou deux oreilles. Buffon le nomme grébe de l’Esclavonie , parce qu’il est très-nombreux sur les lacs de cette contrée de l’Autriche. L’orsaillard visite d’une manière très-régu- lière notre département, et, selon toute probabilité, 1l s’y reproduit. Plusieurs de mes amis me l'ont assuré, mais je n'ai jamais constaté le fait par moi-même, n'ayant pu pénétrer dans les marais que l’on m'avait indiqués comme étant le séjour de ces grèbes. La femelle pond de trois à cinq œufs dont la lon- gueur est de 0,044 à 0,048, et le diamètre, de 02,030 à 0,032. Quelques auteurs nomment ce grèbe articus, « arctique, » parce qu’il séjourne en assez grand nombre dans les marais des régions du pôle arctique. GRÈBE CASTAGNEUX. — PODICEPS MINOR. — FLUVIATILIS. Le grèbe castagneux pullule dans notre département ; à l’épo- que de la nidification, chaque marais, chaque mare en ren- ferme plusieurs couples, et il m'est arrivé de trouver cinq, six nids, et davantage encore, dans des flaques d’eau qui avaient à peine quarante à cinquante mètres de longueur. L’épi- thète minor , « plus petit, » indique que cetteespèceest la plus petite du genre. L’adjectif fluviatilis, « fluviatile, » fait con- naître que ce grèbe fréquente non-seulement les marais, les étangs, mais encore les rivières et les fleuves, surtout lorsque les bords de ces cours d’eau sont parsemés de roseaux. Quant à la dénomination vulgaire , elle représente l’ensemble de la cou- leur, du plumage de cet oiseau. « Sa grosseur, » dit Belon, « est d’une petite sarcelle , de la couleur de la bogue d’une chas- taigne, dont il semble que la cause pourquoy on l’a nommé cas- — 208 — tagneux est venue. » (Page 177.) Cette expression représente assez bien les nuances des plumes de cet oiseau , plumes dont les teintes sont brunes , variées de roux marron. Le castagneux est très-répandu dans les marais à sangsues, où il exerce de véritables ravages ; aussi les propriétaires lui font-ils une guerre incessante. J'ai remarqué bien des fois que ce palmipède parais- sait vivre en bonne intelligence avec la foulque , tandis qu'il s'é- loignait de la poule d’eau. Souvent, en découvrant un nid de foulque , j'étais porté à rechercher dans les environs celui du grèbe , et rarement mes investigations sont demeurées sans ré- sultat. Un jour que dans les marais de la Baumette, vers le mitieu de juillet 1866, je fouillais avec mes jeunes amis, Eugène Lelong et Guillaume Bodinier , dans un bateau conduit par M. Baptiste Ollivier, les roseaux qui sedéroulent vis-à-vis le rocher, je découvris un très-beau nid de foulque près duquel surnageait un de ces radeaux servant d’observatoire au mâle qui veille sur la couveuse. Ce nid me fit pressentir qu’un berceau de Castagneux ne devait pas être éloigné ; j'étais d’autant plus dési- reux de le découvrir, que mon équipage n’en avait encore jamais vu ; mais nous dûmes prendre des précautions pour atteindre le but de nos désirs. Les soldats, disséminés sur les bords de la Maine, essayaient leurs fusils à longue portée ; lesballes sifflaient au-dessus de nos têtes , quelques-unes venaient tomber près de notre bateau , et , de plus , une violente tourmente, accompa- — 209 — gnée de pluie et de tonnerre , s’était déchaînée sur nous. Malgré le danger , malgré la pluie, nous poursuivons notre tâche, et, étendus dans le bateau pour éviter les balles, nous dirigions notre léger esquif en nous accrochant aux roseaux. L'espérance soute- nait nos efforts et ranimait notre courage. Nous luttions ainsi depuis quelque temps avec une rare énergie lorsque jesignalai à mes compagnons d'équipage un nid de grèbe, que j'avais aperçu entre une touffe de roseaux. Nous nous approchous, et mes jeunes amis cherchaient et recherchaient le nid sans le reconnai- tre ; la mère avait couvert ses œufs en s’en éloignant; le bateau s’avançait sur ce berceau qui paraissait être une boule de feuilles desséchées , et qui , sous ce rapport, représentait bien, quant à la nuance, une grosse bogue de châtaigne. Cette découverte nous récompensa de nos fatigues et de nos dangers, et heureux et même plus heureux que les chercheurs d’or de la Californie, nous saluons de nos transports de joie l’objet de nos désirs. Ah ! mon honorable ami , où étiez-vous dans ce moment-là ? Si, présent à nos luttes, à nos efforts pénibles, vous les eussiez partagés , auriez-vous pu dire que nos faibles travaux étaient rédigés sur dés notes de cabinet et nullement recueillies en plein soleil ? Et cependant , mon honorable ami, l'équipage qui m'ac- compagnait pourrait vous redire que le soleil dardait sur nos têtes de terribles rayons entrecoupés d’un vivlent orage et d’une pluie torrentielle , sans oublier les balles qui sifflaient autour de nous. De grâce, mon honorable adversaire, reconnaissez que le feu sacré de l’ornithologie qui vous a vivifié dans le cours de vos bonnes années, nous a plus d’une fois animés et soutenus. Le nid du grèbe castagneux contient de quatre à six œufs oblongs ; ces œufs sont d’abord blancs, mais ils changent de couleur à mesure que le temps de l'incubation se prolonge ; j'en ai trouvé de noirâtres et même quelques-uns reflétant sur la même coquille plusieurs nuances très-distincles, variant du blanc au noir et au bleu, selon que certaines parties se trouvaient plus ou moins en contact avec l’eau et avec le suc détrempé des feuilles. Ils mesurent de 0,036 à 0,038, et de 0",024 à 0",026. Le grèbe castagneux, comme tous ses congénères, n’est nulle- ment constitué pour la marche; aussi ne séjourne-t-il à terre — 210 — que dans de très-rares circonstances. Lorsqu'il gagne le rivage, il paraît se traîner sur le ventre en battant la terre de ses ailes; puis , arrivé au but de sa course , il se tient debout, les: ailes étendues; on le dirait assis etimmuable comme un père conscrit sur sa chaise curule. Cette position assez bizarre est si peu na- turelle au castagneux qu'il ne la conserve pas longtemps, et qu'il s’empresse de regagner , par des efforts pénibles, l’eau, son élément véritable , sur laquelle il déjoue avec facilité toutes les ruses des chasseurs. Pendant l'hiver, le castagneux devient très-gras , et sa chair est alors regardée comme plus délicate que celle des autres grèbes. ee PLONGEON IMBRIM. — CoLYMBUS GLACIALIS. Les plongeons préfèrent les vastes mers aux eaux douces ; ils n'apparaissent sur nos fleuves que pendant les hivers rigou- reux. Ils vivent de poissons, d'insectes, de mollusques et mème de plantes aquatiques qu'ils saisissent jusqu’au fond de l’eau. Leurs pieds sont très-palmés ; aussi ces oiseaux nagent-ils avec une grande facilité et ne laissent-ils souvent apparaître que leur tête au-dessus des flots. Dans l’année 1856, un plongeon imbrim s’était aventuré sur la Maine jusque dans le bassin situé à Angers , entre le pont du Centre et celui de la Basse-Chaîne. Il naviguait avec une excessive rapidité et en même temps avec une élégance véritablement remarquable , sans paraître intimidé par les nombreux spectateurs qui suivaient toutes ses évolutions. Bientôt des barques se détachèrent des deux rives et se dirigè- rent vers le plongeon qui semblait renoncer aux ressources de son vol. Entouré par une véritable escadre d’embarcations, il échappa, pendant plus de trois heures, à la chasse ardente qui . lui était faite et à tous les coups d’aviron qui lui étaient abon- damment destinés. À chaque danger qui le menaçait, il plon- geait profondément et reparaissait bien loin de l'endroit où on le poursuivait. Ce ne fut qu'après avoir soutenu avec courage une lutte très-longue et très-fatigante , que le plongeon étourdi par les cris des spectateurs et par les coups d’aviron, put enfin être — 211 — saisi par l'un de ses nombreux adversaires. Cet imbrim était gravement blessé ; c’est pourquoi il n’avait pu recourir à son vol, assez puissant et assez rapide ordinairement, pour échapper à la mort. Les plongeons descendent rarement à terre , car la con- formation de leurs pieds leur interdit presque entièrement la marche ; aussi se laissent-ils prendre à la main lorsqu'ils s’a- venturent un peu loin des côtes. L’adjectif colymbus est syno- nyme de plongeon; il dérive du grec coLymBos , « plongeur, » et COLYMBAS , « plongeon, » venant eux-mêmes de COLYMBAÔ, signifiant « nager, plonger. » Quant à la dénomination imbrim, quelques auteurs prétendent qu’elle peut dériver de l'islandais himber , himbrime. Dans le voyage en Islande, par Olassen, on trouve himbryne. Pendant longtemps, j'ai cherché en vain le sens de cette expression. C’est pourquoi j'étais porté à entrevoir une certaine relation entre änbrem et le vieux mot français im- brinqué, « caché, embarrassé, » se liant au latin imbricare , et qui a le même sens. Cette expression aurait eu alors une significa- tion très-exacte en s'appliquant à l’imbrim, qu’on le considérat ou sur la terre ou sur l’eau. À terre, sa démarche est embarrassée ; sur l’eau , ilest caché et ne laisse apparaître que sa tête. Mais enfin , j'ai trouvé une racine bien plus sûre et en même temps très-caractéristique. Elle se rattache aux habitudes de ce plon- geur , habitudes qui ont été relatées au commencement de cette notice. Imbrim se lit en latin imber , imbris, employé par Vir- gile et par Ovide , pour signifier « eau de source , eau de mer. » De plus, d’après Court de Gébelin (Monde primitif, 1.VI, page 72), imber est composé de im, « grande, et deer, « eau, » et signifie dès lors grande eau. Ce sens du mot imber se justifie très-bien par les mœurs du plongeon imbrim, qui n’habite or- dinairement que les vastes mers , et ne s’en éloigne que dans des circonstances passagères , et encore pour se réfugier non pas sur des eaux stagnantes, mais sur des fleuves ou sur des rivières. L’adjectif glacialis indique que les mers glaciales sont le séjour privilégié de l'imbrim. Ce plongeon établit son nid sur les îlots solitaires des mers du Nord. La femelle pond deux œuîs très- oblongs et d’un brun olivâtre parsemés de taches d’un noir plus ou moins foncé. Il existe une différence considérable entre les deux diamètres : le grand est de 0,088 à 0®,092, et le petit, de — 22 — 0,056 à 0,058. La peau du plongeon imbrimest épaisse ettrès- forte; elle sert à l'habillement de volusieurs peuplades des ré- gions arctiques. PLONGEON CAT-MARIN. — COLYMBUS SEPTENTRIONALIS. Ce plongeon se nourrit, comme le précédent, de poissons, de mollusques et d'insectes; comme lui aussi, il habite les mers arctiques , les rivages de l'Islande et de la Norwége. Il résiste beaucoup mieux que les fous, les guillemots, etc., à la violence de la tempête , et il ne se laisse pas entraîner par les ouragans sur les côtes des régions tempérées. S'il les visite de temps en temps , c’est lorsqu'il suit les bancs de sardines dont il fait sa nourriture la plus ordinaire. Selon toute apparence, cat ne se- rait que le mot chat un peu modifié, et, dès lors, cat-marin signifierait chat marin , expression qui se justifierait par la phy- sionomie de ce plongeon lorsqu'il est à terre, et surtout par une habitude très-caractéristique qui n’a pas échappé aux observa- tions des marins. Ce plongeon guette avec une patience remar- quable les poissons qu'il doit capturer, et il reste un temps assez long sans changer de place , puis fond ensuite avec rapi- dité sur sa proie dès qu’elle se présente. Les marins ont trouvé — 3 — entre ce plongeon qui surveille dans une grande et longue immo- bilité l'approche des poissons , et le chat qui épie les souris, une certaine ressemblance, et cette ressemblance, ils l’ont in- diquée en l'appelant cat-marin, chat-marin. Dans leur style naïf, les matelots le nomment le lorgne, l'oiseau qui lorgne sa proie , qui l’a à l’æil, d’après leur expression ordinaire. Enfin , comme le chat, le plongeon que je décris chasse pendant la nuit. Pour compléter ces renseignements, il suffit d’ajouter qu’en anglais, chat s'écrit cat. On appelle aussi le cat-marin , plongeon à gorge rousse , à cause de l’espèce de collerette ou des taches d’un roux marron vif qui se déroule sur le devant du cou des adultes , en plumage de noces. Dans leur langage expressif, les matelots nomment ce plongeon, ainsi que ses congénères, les mangeurs de plomb. L'explication de cette singulière dénomi- nation se trouve dans les habitudes de ces oiseaux. Lorsque les chasseurs tirent les plongeons, ceux-ci disparaissent immédia- tement sous l’eau , ou plutôt ils enfoncent la tête plus ou moins profondément , car elle est souvent la seule partie du corps de ces palmipèdes qui soit bien apparente. Dès lors, ils occasion- nent aux chasseurs une grande dépense de plomb, car il est ex- cessivement difficile d'atteindre ces oiseaux. La femelle pond sur un nid formé de débris de roseaux deux œufs très-oblongs d’un brun olivâtre plus ou moins nuancé el parsemé de taches noires. Ces œufs offrent de très-belles variétés ; ils mesurent de 0m,068 à 0®,070, et de On,044 à 0,046. j se PLONGEON LUMME ou A GORGE NOIRE. — COLYMBUS ARCTICUS. Les expressions à gorge noire et arcticus , « arctique, » font connaîïre une particularité du plumage de ce plongeon et les lieux de son séjour le plus habituel. Dans le temps des noces, les adultes ont la gorge et les côtés du cou, noirs à reflets vio- lets, avec une petite bande transversale formée de raies lon- gitudinales blanches. Quant au mot Lumme, que l’on écrit, en irlandais et en norwégien, Loom , il dériverait, selon quelques — 14 — savants, de at lomme, « boiter, » et signifirait le boiteux , c'est- à-dire l’oiseau dont la démarche à terre ressemble à celle d’un être estropié. Sous ce rapport, l’étymologie indiquée se justifie- rait par l'embarras extrême que manifeste le plongeon lumme pour parcourir même le plus petit espace , quand il descend sur le rivage ; il se balance alors très-gauchement et d’une patte sur l’aatre. Cette interprétation me paraît d'autant plus probable, queles marins qui visitent les parages où se rencontre le plon- geon lumme ne désignent cet oiseau que sous ce nom, le boi- teux. Comme les deux précédents, ce plongeon répand une odeur très-désagréable qui tient, ainsi que celle d’un certain nombre d'oiseaux d’eau, à son genre de nourriture composée presque uniquement de poissons et de mollusques. Le lumme niche par- mi les roseaux sur les bords des lacs salés et quelquefois bien loin des rivages de lamer. Les deux œufs, très-oblongs, sont d’un brun olive ou chocolat, parsemés de taches et de points d’un noir plus ou moins accentué. Les nuances de ces œufs offrent de nombreuses et belles variétés. Le grand diamètre est de 0n,080 à 0m,082, et le petit, de 0,048 à 0",050. Le prix de ces œufs est si minime, malgré la grande distance des loca- lités où on les recueille , que je crois que les lummes doivent nicher non pas isolément , mais en très-grandes colonies. Les Lapons se servent de la peau de ce plongeon pour en confec- tionner des bonnets d'hiver. PINGOUIN MACROPTÈRE. — ALCA TORDA. - Encore deux notices, et j'aurai atteint le terme de mon la- beur ; mais ces notices, hélas! m'’apparaissent parsemées de difficultés plus ou moins insolubles , et de rechef je reconnais la justesse de l’observation du poète : in caudà venenum , « le poi- son se trouve à la fin , à La fin se dressent les plus grands obsta- cles. » Enfin essayons de lutter. Les pingouins vivent de pois- sons , de crustacés et d'insectes. Ce sont des oiseaux essentiel- lement nageurs et plongeurs ; ils habitent les mers glaciales du Nord , se tiennent ordinairement loin des côtes , et n’abordent aux rivages qu’au moment de la nidification ou lorsqu'ils y sont poussés par la fureur de la tempête. Le mot Pingouin dérive de pinguidineus, « graisseux , huileux , » de pinguedo , « graisse , » pinquis « gras , » venant lui-même du grec PACHYS, « épais. » Ces racines font connaître que cet oiseau est revêtu d’une cou- che de graisse abondante et huileuse, qui contribue puissam- ment à le préserver de l’atteinte du froid rigoureux des mers glaciales. L’adjectif macroptère est formé de MACROS, MACRON, « long, longue , » et PTÉRON, « aile, » et indique non pas que ce pingouin a des ailes véritablement longues , mais qu’elles sont plus développées que celles des autres espèces de ce Genre. Cette expression sépare cet oiseau de l’alca impennis , de in, « non, » et penna, « penne, » non penne , sans penne. L'impennis a des ailes, mais ces ailes étant dépourvues de pennes ne peuvent lui servir pour le vol. Cette dernière espèce de pingouin est devenue très-rare , à cause de la chasse acharnée qui lui a été faite par des spéculateurs anglais établis au Groënland. L’œuf de l'alca impennis se vend de 1,000 à 1,200 francs. Douze œufs de cet oiseau sont mentionnés dans les collections européennes : mon honorable ami M. Raoul de Baracé en possède deux ; ils offrent des types magnifiques , et mesurent de 0,125 à Om,130, et de 0,075 à 0,078. Ce sont les plus grands œufs pondus en Europe. Quant aux expressions alca torda, je pensais d’abord ne pouvoir les expliquer, car j'en ignorais complétement le sens. J'ai trouvé depuis dans les notes manuscrites d’un naturaliste étranger : « Alca dérive du suédois alka qui se dit en danois alke , et en islandais aulke. » Quelle est la signification de ce mot ? Il ne l'indique nullement. J’en étais réduit à ce renseigne- ment bien vague, lorsque les noms donnés à la famille des plon- geurs , par un certain nombre de naturalistes , sont venus à mon aide. Les savants désignent cet oiseau par les adjectifs alcadés, al- cidés, alcinés. I devient dès lors évident que ces différents noms ontle même sens et, par suite, la même origime. Ils dérivent de ALKË, dorien ALKA, signifiant l’Elan et représentant l'image de la force et de la rapidité. Les anciens ont-ils trouvé un cer- tain rapport entre l’élan et le pingouin? C’est probable puis- qu'ils leur ont donné le même nom. Pour se préserver des taons, l'élan se tient, jour et nuit, pendant la saison d'été, plongé dans 15 — 216 — les marais des contrées du Nord, ne laissant entrevoir au- dessus de l’eau qu’une partie de sa tête. De plus, l'élan tombe très-souvènt dans ses courses; ses jarrets plient au moindre obstacle qu’il rencontre. Le pingouin se tient également dans l’eau, et nage le plus souvent en ne laissant apercevoir que sa tête; sur le rivage sa marche est difficile et interrompue par des chutes fréquentes. Les adjectifs alcidés, alcinés , ont la même étymologie que le mot alcadés ; ils sont formés de ALKI, datif du nominatif inusité ALX, se rattachant à ALKÊ.ALKIse trouve souvent employé dans Homère. Si ALKÊ, ALKA, devaient s’appli- quer au pingouin dans le sens de force, de vigueur , il ne s’agi- rait alors que de la facilité, de la puissance de cet oiseau pour nager et plonger. Torda est un adjectif employé dans toutes les ornithologies et qui cependant ne se trouve expliqué en aucun glossaire. Les marins appellent ce pingouin le Torde, et les sa- vants ont latinisé ce mot. Or , torde, dans la langue des mate- lots , représente l'anneau de cordes qui sert à préserver les vergues contre le frottement du navire. Les marins ont-ils vu une certaine harmonie entre cette pelotte de cordes et le plu- mage du pingouin, qui, noir en dessus, blanc en dessous , avec une ligne blanche sur l’aile et une ou deux sur le bec, paraît, lorsqu'il est fermé, être ficelé par plusieurs tours de corde blanche sur un fond noirâtre ? Ou plutôt torde , torda, n’auraient-ils pas la même racine et le même sens que torla, dérivant de torqueo, « se mouvoir en rond, » et signifiant « tourte, gâteau rond , huileux ? » Alors alca torda serait la tourte marine, « l'oiseau de la mer, gras, huileux, » dé- nomination très-exacle et qui se lierait encore avec celle du mot pingouin ; ou mieux encore ce serait la même avec un sens plus complet. Cette hypothèse me paraît d'autant plus plausible qu'il me semble évident que torde, terme de marine , signifiant an- neau de corde, doit avoir la même racine que torta , « tourle , » c'est-à-dire torqueo, « tourner en rond , » car une torde n’est qu'un ensemble de ficelles , de petites cordes tournées en rond autour des vergues , de manière à faire une espèce de boule , un anneau de préservation. Linné avait appelé ce pingouin alca pica, « le pingouin pie, » pour indiquer que le noir et le blanc étaient les deux couleurs composant son plumage. Je termine ses. dés À — 217 — cette discussion étymologique en donnant quelques détails sur la nidification du pingouin macroptère. Cet oiseau se reproduit dans les crevasses des rochers qui bordent les côtes de l’An- gleterre et de la Bretagne. La femelle pond ordinairement un seul œuf oblong et d’un gris cendré un peu bleuâtre ou d’un bleu grisâtre. La coquille est parsemée de taches noirâtres plus ou moins foncées, toujours plus nombreuses et d’une couleur plus prononée vers le gros bout. La longueur est de 0,075 à 0,080 , et le diamètre, de 0%,046 à U",48. La chair du pin- gouin a un goût détestable, et répand une forte odeur d’huile de poisson. Les pingouins se réunissent en si grand quantité pour nicher dans les mêmes parages, que le capitaine Wood affirme avoir recueilli dans une seule et même localité cent mille de ces œufs. (Dictionnaire d'histoire naturelle par Charles d'Or- bigny , tome Xe, page 202.) GUILLEMOT A CAPUCHON. — URIA TROILE. Les guillemots vivent en grand nombre dans les mers du nord de l’Europe , là ils se nourrissent de vérs, de crustacés, de frai et surtout de poissons. Ils se tiennent en pleine mer, et ne se rapprochent des côtes qu’au moment de la nidification ou lors- qu’une tempête furieuse les pousse sur les rivages. Mieux orga- nisés pour le vol que les pingouins, les guillemots peuvent par- courir d'assez longues distances en rasant la surface de l’eau. Dans certaines Faunes ces oiseaux sont classés parmi les Alci- dés, famille caractérisée par l’absence du pouce. D'après Mé- nage , Guillemot est un dérivé de Guillaume , petit Guillaume : ce mot serait alors pris dans le même sens que Martin et autres expressions expliquées déjà plusieurs fois dans cet ouvrage. C'est-à-dire que Guillemot indiquerait que l’oiseau représenté par cemotrégnerait en quelque sorte dans les parages où il se trouve, et où il capture de grandes quantités de poissons, se confor - mant en cela au procédé suivi par bien des souverains envers leurs sujets. Selon Bouillet, Guillemot aurait pour racine un mot anglais signifiant « oiseau stupide. » Ce sens serait très-carac- téristique s'il était appliqué au Guillemot lorsqu'il est à terre, car la position de ses jambes, très-reculées en arrière, le condamne à une immobilité presque complète , et lui donne alors un air très-prononcé de stupidité. Sur l’eau, le guillemot règne comme dans son élément naturel, et sa physionomie est facile et gracieuse. Les mots à capuchon relatent une particularité du plumage de cet oiseau. La tête, le cou du guillemot sont d'un brun de suie velouté ou d’un noir profond, avec un trait de même couleur derrière l’œil en décrivant une courbe sur les côtés du cou. On dirait une espèce de capuchon assujetti par deux larges rubans Cette description me sert à donner le véri- table sens de Guillaume, et par là même celui de guüllemot. Roquefort dit que le mot Guillaume dérive du teuton güldhelm , signifiant casque doré. Enfin les auteurs modernes affirment que — 9219 — l'expression Wilhelm, traduction littérale de Guillaume en alle- mand, est composée de will, « je veux, » et helm, « un cas- que. » Est-ce pour ce motif que les rois et les princes de Prusse nommés ainsi affectionnent à un si haut degré le casque traditionnel surmonté d’une pointe? Sans cette habitude , ils ne justifieraient pas le sens attaché à [eur nom. Pris dans cette ac- ception, le mot guillemot convient parfaitement à l'oiseau que je décris , puisque , comme le roi de Prusse , non-seulement il veut un casque , un capuchon , mais il le possède sans qu’on puisse le lui ravir à moins de lui ôter la vie. _ Quant à l'expression wria ou ouria , car on emploie les deux (Belon , page 179), elle vient du grec OURIA , féminin d’ouRIoS , dont la racine est OURA, « queue. » Les Grecs avaiemt eux- mêmes donné au plongeon le nom d’ouriA. Cette dénomination pouvait s'expliquer facilement par le caractère des Grecs qui aimaient beaucoup à employer l’antiphrase : en effet le guillemot à capuchon n’a qu'un rudiment de queue. D’après Aldrovande (liv. XIX , p. 106), wria aurait pour primitif wrinari signifiant «se plonger dans l’eau, nager entre deux eaux.» Cette étymologie, si elle était fondée, caractériserait parfaitement le guillemot à capuchon. Voici en effet ce que je lis dans le recueil des Voyages du Nord (Rouen, 1716, tome Il, page 89) : « Les guillemots nagent sous l’eau avec autant de vitesse que nous pouvons ra- mer avec la chaloupe. Lorsqu'on les poursuit ou qu’on les a tirés. c’est alors qu'ils se plongent et se tiennent fort longtemps cachés sous l’eau, jusque-là que passant souvent sous la glace, ils y sont sans doute suffoqués. » Si l'adjectif troïle pouvait se rattacher à une racine exprimant le nombre trois, tes deux mots uria et troïle auraient une signi- fication basée sur deux caractères positifs du guillemot, la peti- tesse de sa queue et l'absence du pouce qui réduit à trois le nombre des doigts de ce palmipède. Ce nom aurait-il été plutôt donné au guillemot comme un souvenir mythologique? Troile était fils de Priam et d'Hécube. Les oracles avaient prédit que Troie ne serait jamais prise tant qu'il vivrait. Troïle attaqua Achille: qui le tua , et sa patrie tomba aux mains de ses enne- mis peude tempsaprès sa mort. Enfin cenomneserait-il pas celui du voyageur Troil, qui a visité l'Islande sur les rivages de laquelle — 220 — le guillemot est très-nombreux? J'abandonne à de plus érudits que moi la réponse à ces questions. Le guillemot à capuchon est réunit en très-grandes troupes au moment de la nidification, et il forme alors de nombreuses colonies. La femelle pond ordi- nairement un seul œuf dans les trous des rochers d’un accès difficile et auxquels on ne peut parvenir qu'avec une corde nouée. Cet œuf est très-gros et piriforme ; la couleur de la coquille et celle des taches varie d'une manière extraor- dinaire, depuis le gris bleuâtre foncé jusqu’au verdâtre ou au jaune d’ocre. Ces œufs sont striés de taches, de points bruns ou noirâtres, réunis et formant une large calotte vers l’une des ex- trémités. D’autres fois ils sont parsemés de traits en zigzag qui se déroulent, dans tous les sens , d’une manière capricieuse. J’ai reçu plusieurs centaines de ces œufs , et je n’en ai jamais ren- contré deux qui fussent semblables. Leur grand diamètre varie de 0®,088 à 0m,092 , et le petit, de 0",048 à 0w,052. Les œufs du guillemot à capuchon sont d'un prix peu élevé, et forment l’un des plus beaux ornements d’une collection. Dans quelques contrées , on recherche beaucoup ces œufs pour les employer dans l’industrie ; le jaune sert à donner de la consistance à cer- taines couleurs , et la coquille est employée à faire des coque- tiers et des objets de fantaisie. La tâche que je m'étais prescrite , il y déjà bien des années, est accomplie. J’ai parcouru, à travers beaucoup de difficultés et d’ennuis , la route que me traçait la Faune de Maine-et-Loire. Mon travail procurera-t-il à mes lecteurs amusement et instruc- tion? Je ie désire , et j'espère même, dans l1 limite de mes for- ces , avoir réalisé le précepte d'Horace : « Pour enlever tous les suffrages sachez mêler l’utile à l’agréable : amne tulit punctum qui miscuit utile dulei. » (Art poétique, v. 344.) Puisse aussi la bienveillance de mes lecteurs trouver dans cet ouvrage la réalisation de la devise que j'ai adoptée : « Benedicite, omnes volucres cœli, Domino ! » « Vous tous , oiseaux du ciel, bénissez le Seigneur ! Manifestez, démontrez, faites bénir sa Providence ! » (DANIEL , cant. 11.) L'abbé VINCELOT. ADMISSIONS. MEMBRES TITULAIRES MM. Le Commandant vicomte ROGER BE TERVES. Le vicomte LOUIS DE LA PAUMELIÈRE. BOUCÉ, ancien Notaire. BENARD AUGUSTE , Ornithologiste au Mans. BENION. LAINÉ EUGÈNE, Imprimeur libraire. TANDRON THÉODORE. MEMBRES CORRESPONDANTS. MM. DEsNoyErs, Bibliothécaire en chef du Muséum d'histoire naturelle de Paris. DE BARANDE , géologue. JuLI0 HENRIQUES, Directeur du jardin botanique de Coimbre. NECROLOGIE. La mort est encore venue faire des vides dans nos rangs. Parmi ceux qui ne sont plus, nous comptons Auguste Dumeril, membre de l’Institut, professeur administrateur au muséum d’his- toire naturelle de Paris , auteur d’un grand nombre de travaux sur l’Erpetologie et de l’Icthyologie publiés dans nos annales. Le baron de Romans à qui l’on doit une conseiencieuse étude sur Martigné-Briand. L'abbé Dutertre, curé de Saint-Cyr. M. Delhommel, maire de Bécon, président du conseil d’arron- dissement. M. Dély d'Angers, notaire honoraire, qui avait consacré les dernières années de sa laborieuse carrière à d'importants tra- vaux d'agriculture. M. Ernest du Cambout , comte de Coislin. A. de SOLAND. CHRONIQUE. MUSÉE GÉOLOGIQUE ET GALLO-ROMAIN DE CHAUSSIS-LÈS-ANGERS. Les travaux géologiques auxquels nous nous sommes livré avec ardeur pendant plus de trente années, nous ont donné la pensée de fonder à Chaussis-lès-Angers un musée géologique. Encouragé par des géologues renommés, parmi lesquels nous sommes heureux de citer notre excellent ami et dévoué collègue M. Auguste Courtiller , directeur des musées de Saumur et du jardin botanique de cette ville , nous nous sommes mis à l’œuvre et nous croyons avoir, dès le début , réussi dans notre tâche. A la géologie nous avons adjoint ce qui concerne les époques préhistorique et Gallo-Romaine. Lorsque ce musée sera complé- tement organisé, nous nous ferons un plaisir de l'ouvrir à tous ceux qui comprennent et aiment sérieusement ces études ; aussi faisons-nous appel à nos collègues afin de nous aider dans une œuvre qui n’a qu’un but, faire progresser la science dans notre proyince. Nous avons remarqué, cette année 1873, au mois de février, dans les herborisations que nous avons faites avec nos élèves, que la Gagée de Bohême {Gagea Bohemica Schult), charmante — 224 — lihacée qui croit à Chaussis, Chalonnes, au pont Barré, à la Roche-d’Erigné, etc. , avait fleuri abondamment. Nous pensons que cette floraison extraordinaire est due aux pluies d'hiver qui ont entretenu le sol humide pendant les mois de février et mars. Nous signalons une nouvelle localité du Perce-Neige (Galan- thus nivalis L), coulée de Claye, commune de Murs. Nous avons observé au mois d'avril, dans les vastes jardins de notre collègue, M. André Leroy , un Rhododendrum de l’Hi- malaya à fleurs blanches en clochettes, qui se rapproche des . Edgeworthi, Maddeni Wallichii. Notre climat marin nous permet de cultiver en pleine terre toutes les espèces rapportées par Hooker et figurées dans son magnifique ouvrage sur les Rhododendrum de l’Hymalaya. [4 La culture angevine s’est enrichie d’un nouveau Rheum qui a figuré pour la première fois à l’exposition florale de Paris au mois de ma dernier, (Palais de l'Industrie, Champs-Elysées); le Rheum officinale H. B., originaire du Thibet, est une des plus belles plantes ornementales qu’on puisse employer pour décorer les pelouses. Angers, le 30 juin 1875. AIMÉ DE SOLAND. CONCLUSION. La Guerre que la France a eu à soutenir contre la Prusse a interrompu pendant deux années la publication de nos mémoires et lorsque nous avons été en mesure de reprendre nos travaux, des difficultés d'imprimerie et l’oceupation de notre salle par une autre association sont venues encore entraver notre marche. Aujourd’hui, nous pensons que la Société Linnéenne, qui s’est fait un nom dans le mondeintellectuel, pourra de nouveau obtenir les encouragements des maîtres de la science, et c'est dans cette espérance que nous livrons à l'appréciation des hommes d’études le XIII volume de nos annales. Angers, le 30 juin 1873. AIMÉ DE SOLAND , président. 4 4 fit TA LA “aa: 3: eurogedté a Mie APENT xt 008 ; 2 SAND RU ONE. TEE LA AU SAM D 0 CCE LAN AU DC MARET CVR ” E ie piges l a L ru #. 4 f CON TT 120 “Aie 7 ot 90 7er rs Jam SAUT et 108 url gant fi Pet Rantut pb OM f fe 1" EN a #8 “His b sbnsnnex DEL nt CFE SUR ANRT TER Hp 14 Nr | à Fe Date AT ’ 9) 8 MÉRENT) ñ AE V4: dt Hi È hais Du (25 ARE 1, “10422410 it lt 244 W, ‘LR MES FT aude «ka #11 % al neran ain x ee TABLE DES MATIÈRES. De l’espèce, par M. le baron de MOROGUES. Étude sur Guettard, par M. AIMÉ DE SOLAND Notes sur la floraison d’un Agavé, par M. COURTILLER. . Apparition dans le département de la Sarthe, pendant le mois de mai 1871, du Faucon à pieds rouges ou Kobez, par M. AUGUSTE BESNARD , Conducteur des Ponts-et-Chaussées, Membre de la Société Linéenne de Maine-et-Loire. Lettre de Pétrarque à Boccace Les noms des Oiseaux, expliqués par leurs mœurs, ou essais étymo- logiques sur l'Ornithologzie, par M. l'abbé VinceLor Admissions Nécro!ogie. Chronique. Conclusion. Angers, imp, Lainé frères, 8-73. Id ee 2e Le tp par he 9 EL To AVR RE " ré ETES qe. 1" "2 "4 "2 "4 2 2 A" 2 "2 "2" "4" 2 "2 "2" 2 2" 2 2 2 2 A AR AA LA RAD 22 RL AL DL» DA 22 A2 2 2 20 D d'A LD DA 2 2 2 LA 2 Ed AL JVNUNU NIV SOA NC NAX de aVaVa a ae a a a ea a o ae ee eo a a es es 2 0 2 2 2 2 2 2 0 0 2 0 fe . SC laYa Ye aa a "a ea a) a a e ee" n ns eee te 2 ete ne a ets es sn a a ee a 2e ne se 2 es 2 0 2 2 2 2 ee 2» 20e" 2° 02 0 02 2 2 22002 TÉGER 0 A4 TA + f PES à VIS